SAINT THOMAS D’AQUIN

Docteur de l’Église

 

COMMENTAIRE DES SENTENCES DE PIERRE LOMBARD

Scriptum super Sententiis

(1254-1256)

 

© Copyright, traduction et notes par Jacques MÉNARD 2010

Edition numérique http://docteurangelique.free.fr

Les œuvres complètes de saint Thomas d’Aquin

 

LIVRE III – L’INCARNATION DU VERBE ET SES FRUITS

 

 

Le texte latin est en caractère 12, en bleu. En l'absence d'une édition critique du Commentaire sur le livre des Sentences de Thomas d'Aquin, la présente traduction française est faite à partir de l'édition électronique des Opera omnia de Thomas d'Aquin, réalisée par le professeur Enrique Alarcon, dans le cadre de la publication accessible par ordinateur du Corpus thomisticum (Université de Navarre, 2004). http://www.corpusthomisticum.org

 

NOTE LIMINAIRE – Bien qu’il ait été rédigé sur une période de plusieurs années, le Commentaire sur le livre des Sentences de Pierre Lombard témoigne du premier enseignement de Thomas d’Aquin. Il a paru intéressant d’en donner une traduction française, même si plusieurs opinions exprimées par l’auteur seront corrigées ou abandonnées dans des œuvres ultérieures. Les lecteurs intéressés pourront ainsi étudier plus facilement comment la pensée de Thomas d’Aquin a pu évoluer. Par ailleurs, le Commentaire contient aussi des pages remarquables, que les lecteurs prendront intérêt à lire ou à relire en français. On se rappellera enfin que le IVe livre des Sentences a fourni les matériaux du Supplément de la IIIa Pars de la Somme de théologie, que Thomas d’Aquin a laissée inachevée au moment de sa mort, en 1274 (la rédaction personnelle par Thomas d’Aquin se termine à III, q. 90, a. 4). On trouvera une édition critique des Sentences sous le titre Sententiae, éd. I. Brady, Grottaferrata, 1971-1981. Il n’existe pas de traduction française de ce texte pourtant fondamental de la théologie médiévale. Sur Pierre Lombard, on pourra voir la brève notice «Pierre Lombard», Dictionnaire des Lettres françaises. Le Moyen Âge, Paris, 1992, p. 1185-1186 (bibl.), ainsi que la notice «Pierre Lombard», Dictionnaire du Moyen Âge, Paris, 2002, p. 1106-1107 (bibl.). Pour tout ce qui concerne le contexte historique du Commentaire de Thomas d’Aquin sur le Livre des Sentences, nous renvoyons à J.-P. TORRELL, Initiation à saint Thomas d’Aquin. Sa personne et son œuvre, Paris-Fribourg, 2002 (2e éd.), p. 53ss. (bibl.).

 

Version préliminaire : En effet, il reste :

1. à vérifier, à compléter et à uniformiser les citations bibliques (que j'ai laissées telles que les éditeurs du texte latin les avait données);

2. à traduire les expositiones textus, lorsqu’existera une traduction française de référence des Sentences de Pierre Lombard. Pour le moment, il n’est pas tenu compte du texte de Pierre Lombard (expositio textus) présenté au début de chaque distinction. Il a paru préférable d’attendre une traduction du Livre des Sentences de Pierre Lombard et, le temps venu, de renvoyer à la traduction des textes correspondants pour chaque expositio textus.

 

Livre III 23

Prologue_ 23

Distinction 1 – [L’incarnation, du point de vue de celui qui assume] 25

Question 1 – [Était-il possible à Dieu de s’incarner ?] 25

Prologue_ 25

Article 1 – Était-il possible que Dieu s’incarne ?_ 26

Article 2 – Était-il convenable que Dieu s’incarne ?_ 32

Article 3 – Si l’homme n’avait pas péché, Dieu se serait-il incarné ?_ 41

Article 4 – Convenait-il que Dieu reporte tellement son incarnation ?_ 46

Question 2 – [Qui assume la chair ?] 50

Prologue_ 50

Article 1 – Une seule personne peut-elle assumer la chair sans une autre ?_ 51

Article 2 – Convenait-il davantage que le Fils s’incarne, plutôt que le Père ou le Saint-Esprit ?_ 54

Article 3 – Le Père pouvait-il prendre chair, de même que le Saint-Esprit ?_ 58

Article 4 – Le Père, le Fils et le Saint-Esprit peuvent-ils assumer la même nature en nombre ?_ 62

Article 5 – Une seule personne peut-elle assumer deux natures humaines ?_ 66

Explication du texte de Pierre Lombard – Dist. 1_ 70

Distinction 2 – [L’incarnation, du point de vue de ce qui est assumé] 72

Question 1 – [La nature humaine est-elle plus susceptible d’assumée que les autres ?] 72

Prologue_ 72

Article 1 – La nature humaine peut-elle être assumée plutôt que les autres ?_ 74

Sous-question 1 – [La nature humaine est-elle plus susceptible d’être assumée qu’une créature sans raison ?] 74

Sous-question 2 – [La nature angélique est-elle moins susceptible d’être assumée que la nature humaine ?] 75

Sous-question 3 – [L’univers entier est-il plus susceptible d’être assumé que la nature humaine ?] 75

Réponse à la sous-question 1_ 76

Réponse à la sous-question 2_ 78

Réponse à la sous-question 3_ 79

Article 2 – Le Fils de Dieu devait-il assumer la nature humaine ?_ 80

Sous-question 1 – [Le Fils de Dieu devait-il assumer la nature humaine chez tous les suppôts de la nature humaine ?] 80

Sous-question 2 – [Le Fils de Dieu devait-il assumer la nature humaine en quelqu’un engendré de la descendance d’Adam ?] 81

Sous-question 3 – [Le Fils de Dieu devait-il assumer la nature humaine en Adam lui-même ?] 81

Réponse à la sous-question 1_ 82

Réponse à la sous-question 2_ 83

Réponse à la sous-question 3_ 84

Article 3 – Le Fils de Dieu a-t-il assumé la chair humaine ?_ 85

Sous-question 1 – [Le Fils de Dieu a-t-il assumé la chair humaine ?] 85

Sous-question 2 – [Le Fils de Dieu a-t-il assumé la chair, mais non pas l’âme ?] 85

Sous-question 3 – [Le Fils de Dieu a-t-il assumé la forme du tout qui résulte de la composition des parties ?] 86

Réponse à la sous-question 1_ 87

Réponse à la sous-question 2_ 90

Réponse à la sous-question 3_ 91

Question 2 – [L’ordre de l’assomption] 92

Prologue_ 92

Article 1 – Le Fils de Dieu a-t-il assumé la chair par l’intermédiaire de l’âme ?] 92

Sous-question 1 – [Le Fils de Dieu a-t-il assumé la chair par l’intermédiaire de l’âme ?] 92

Sous-question 2 – [Le Fils de Dieu a-t-il assumé l’âme par l’intermédiaire de l’esprit ?] 93

Sous-question 3 – [Le Fils de Dieu a-t-il assumé le tout par l’intermédiaire des parties ?] 94

Réponse à la sous-question 1_ 95

Réponse à la sous-question 2_ 97

Réponse à la sous-question 3_ 98

Article 2 – La nature humaine est-elle assumée par l’intermédiaire de la grâce ?_ 100

Sous-question 1 – [La nature humaine est-elle assumée par l’intermédiaire de la grâce ?] 100

Sous-question 2 – [Le Fils de Dieu a-t-il assumé la chair par l’intermédiaire du Saint-Esprit ?] 101

Sous-question 3 – [L’union joue-t-elle le rôle d’intermédiaire entre la nature humaine et la nature divine ?] 101

Réponse à la sous-question 1_ 102

Réponse à la sous-question 2_ 104

Réponse à la sous-question 3_ 104

Article 3 – La chair a-t-elle été conçue avant d’être assumée ?_ 105

Sous-question 1 – [La chair a-t-elle été conçue avant d’être assumée ?] 105

Sous-question 2 – [La chair a-t-elle été assumée avant d’être animée ?] 106

Sous-question 3 – [L’âme a-t-elle été assumée avant d’être unie au corps ?] 106

Réponse à la sous-question 1_ 107

Réponse à la sous-question 2_ 108

Réponse à la sous-question 3_ 109

Explication du texte de Pierre Lombard, Distinction 2_ 109

Distinction 3 – [La qualité de ce qui a été assumé] 112

Question 1 – [La sanctification de la bienheureuse Vierge] 112

Prologue_ 112

Article 1 – La bienheureuse Vierge a-t-elle été sanctifiée avant que sa conception ne soit terminée ?_ 113

Sous-question 1 – [La bienheureuse Vierge a-t-elle été sanctifiée avant que la conception de sa chair ne soit terminée ?] 113

Sous-question 2 – [La bienheureuse Vierge a-t-elle été sanctifiée avant d’être animée ?] 114

Sous-question 3 – [La bienheureuse Vierge a-t-elle été sanctifiée avant sa naissance ?] 115

Réponse à la sous-question 1_ 116

Réponse à la sous-question 2_ 118

Réponse à la sous-question 3_ 119

Article 2 – Par la sanctification dans le sein, la bienheureuse Vierge a-t-elle été entièrement purifiée du péché originel ?  120

Sous-question 1 – [La mère de Dieu a-t-elle été entièrement purifiée du péché originel dans le sein ?] 120

Sous-question 2 – [La bienheureuse Vierge a-t-elle obtenu d’être exempte du péché actuel par la sanctification dès le sein ?] 120

Sous-question 3 – [La bienheureuse Vierge, par la seconde sanctification qui s’est réalisée par la conception du Sauveur, a-t-elle obtenu d’être confirmée dans le bien ?] 121

Réponse à la sous-question 1_ 122

Réponse à la sous-question 2_ 125

Réponse à la sous-question 3_ 126

Question 2 – [La puissance génératrice de la bienheureuse Vierge ] 128

Prologue_ 128

Article 1 – La bienheureuse Vierge a-t-elle contribué activement à la conception du Christ ?_ 128

Article 2 – La génération du Christ par une vierge est-elle naturelle ou miraculeuse ?_ 135

Question 3 – [L’Annonciation ] 138

Prologue_ 138

Article 1 – Convenait-il qu’une annonce de la conception du Sauveur soit faite à la Vierge ?_ 138

Sous-question 1 – [Était-il nécessaire que la conception du Sauveur soit annoncée à la Vierge ?] 138

Sous-question 2 – [L’annonciation a-t-elle eu lieu sous forme de vision corporelle ?] 139

Réponse à la sous-question 1_ 140

Réponse à la sous-question 2_ 141

Sous-question 1 – [L’Annonciation devait-elle être faite par un ange ?] 142

Sous-question 2 – [L’ange de l’Annonciation faisait-il partie des ordres les plus élevés ?] 142

Réponse à la sous-question 1_ 143

Réponse à la sous-question 2_ 144

Explication du texte de Pierre Lombard (Questions 1, 2 et 3) 145

Question 4 – [Questions sur la condition charnelle que le Christ a reçue de sa mère] 146

Prologue_ 146

Article 1 – La chair du Christ a-t-elle été exposée au péché chez les pères anciens ?_ 147

Sous-question 1 – [Un descendant d’Abraham a-t-il été soumis à la dîme en lui ?] 155

Sous-question 2 – [Le Christ a-t-il été soumis à la dîme en Abraham ?] 157

Réponse à la sous-question 1_ 157

Réponse à la sous-question 2_ 159

Question 5 – [La transmission de la chair du Christ depuis sa mère] 160

Prologue_ 160

Article 1 – Le corps du Christ a-t-il été conçu à partir du sang très pur de la Vierge ?_ 160

Article 2 – La conception du corps du Christ s’est-elle produite subitement ou successivement ?_ 163

Article 3 – La sanctification convient-elle au Christ, au sens où il avait besoin de sanctification ?_ 168

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 3_ 171

Distinction 4 – [La cause efficiente de l’assomption] 172

Question 1 – [L’accomplissement de la conception du Christ doit-il être approprié au Saint-Esprit ?] 172

Prologue_ 172

Article 1 – La réalisation de la conception du Christ doit-elle être appropriée au Saint-Esprit ?_ 174

Sous-question 1 – [Cette réalisation doit-elle être appropriée à une personne divine ?] 174

Sous-question 2 – [La conception du Christ doit-elle être appropriée au Père ?] 174

Sous-question 3 – [La conception du Christ doit-elle être attribuée au Fils ?] 175

Sous-question 4 – [La conception du Christ doit-elle être appropriée au Saint-Esprit ?] 175

Réponse à la sous-question 1_ 176

Réponse à la sous-question 2_ 177

Réponse à la sous-question 3_ 178

Réponse à la sous-question 4_ 178

Article 2 – Le Christ, en tant qu’homme, peut-il être appelé le Fils du Saint-Esprit ?_ 179

Sous-question 1 – [Le Christ, en tant qu’homme, peut-il être appelé le Fils du Saint-Esprit ?] 179

Sous-question 2 – [Le Christ peut-il être appelé le Fils de la Trinité ?] 180

Réponse à la sous-question 1_ 181

Réponse à la sous-question 2_ 183

Question 2 – [La conception du Christ par rapport à sa mère] 184

Prologue_ 184

Article 1 – La bienherueuse Vierge peut-elle être appelée mère de l’homme Jésus, le Christ ?_ 184

Article 2 – La bienheureuse Vierge doit-elle être appelée mère de Dieu ?_ 187

Question 3 – [La conception par rapport à la grâce du Christ] 189

Prologue_ 189

Article 1 – Cette conception a-t-elle été précédée de mérites de la part des pères anciens ?_ 189

Article 2 – La grâce est-elle naturelle à cet homme ?_ 192

Sous-question 1 – [La grâce est-elle naturelle à cet homme ?] 192

Sous-question 2 – [Le Christ a-t-il été corporellement rempli par la grâce divine ou par la divinité ?] 192

Réponse à la sous-question 1_ 193

Réponse à la sous-question 2_ 194

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 4_ 194

Distinction 5 – [Ce qui assume et ce qui est assumé ont-ils raison de nature ou de personne ?]  196

Question 1 – [Qu’est-ce que l’union ?] 196

Prologue_ 196

Article 1 – L’union est-elle quelque chose de créé ?_ 198

Sous-question 1 – [L’union est-elle une créature ?] 198

Sous-question 2 – [S’agit-il de la moindre des unions ? ] 198

Sous-question 3 – [L’union diffère-t-elle de l’assomption ?] 199

Réponse à la sous-question 1_ 200

Réponse à la sous-question 2_ 201

Réponse à la sous-question 3_ 201

Article 4 – L’union s’est-elle réalisée dans la nature ?_ 202

Article 3 – L’union s’est-elle réalisée dans la personne et le Christ était-il une seule personne ?_ 207

Question 2 – [Convient-il à une personne divine d’assumer ?] 211

Prologue_ 211

Article 1 – Convient-il à une personne divine d’assumer ?_ 211

Article 2 – Convient-il à la nature [divine] d’assumer ?_ 214

Article 3 – Convient-il à la nature d’assumer, en mettant à part les personnes ?_ 215

Question 3 – [Ce qui est assumé] 217

Prologue_ 217

Article 1 – La nature humaine a-t-elle été assumée ?_ 217

Article 2 – L’âme séparée est-elle une personne ?_ 219

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 5_ 222

Distinction 6 – [Les conditions du Dieu incarné] 224

Question 1 – [Ce qui convient au Dieu incarné] 224

Prologue_ 224

Article 1 – Y a-t-il deux hypostases dans le Christ ?_ 230

Sous-question 1 – [Y a-t-il deux hypostases dans le Christ ?] 230

Sous-question 2 – [Y a-t-il deux suppôts dans le Christ ?] 231

Sous-question 3 – [Y a-t-il deux individus dans le Christ ?] 231

Sous-question 4 – Y a-t-il deux choses naturelles dans le Christ ?_ 232

Réponse à la sous-question 1_ 232

Réponse à la sous-question 2_ 236

Réponse à la sous-question 3_ 236

Il y a deux individus dans le Christ, mais qui ne subsistent pas par eux-mêmes. Le Christ lui-même est un seul individu subsistant, comme on l’a dit. 236

Réponse à la sous-question 4_ 237

Article 2 – Le Fils de Dieu a-t-il assumé un homme ?_ 237

Article 3 – Le mot « homme » indique-t-il seulement le composé de deux substances ?_ 239

Question 2 – [La deuxième opinion] 241

Prologue_ 241

Article 1 – Le Christ est-il deux réalités ?_ 241

Article 2 – N’y a-t-il qu’un seul être dans le Christ ?_ 246

Article 3 – La personne du Verbe est-elle composée après l’incarnation ?_ 249

Question 3 – [La troisième opinion] 252

Prologue_ 252

Article 1 – Dans le Christ, une composition a-t-elle eu lieu entre son âme et son corps ?_ 252

Article 2 – La nature humaine est-elle unie au Verbe de manière accidentelle ?_ 254

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 6_ 257

Distinction 7 – [Les expressions concernant l’union] 261

Question 1 – [Dans la proposition : « Dieu est homme », comment le verbe « est » exprime-t-il l’union  ?] 261

Prologue_ 261

Article 1 – Cette formule : « Dieu est homme » est-elle vraie ?_ 264

Article 2 – Le Christ peut-il être appelé l’homme du Seigneur ( homo dominicus) ?_ 270

Question 2 – [Comment le participe «devenu » (factus) exprime-t-il l’union ?] 272

Prologue_ 272

Article 1 – Cette proposition est-elle vraie : « Dieu est devenu homme ?» ?_ 272

Article 2 – Cette proposition est-elle vraie : « L’homme est devenu Dieu » ?_ 275

Question 3 – [Les expressions de l’union selon le participe « prédestiné »] 278

Prologue_ 278

Article 1 – L’homme Christ a-t-il été prédestiné à être Fils de Dieu ?_ 278

Article 2 – Le Fils de Dieu était-il prédestiné à être homme ?_ 282

Sous-question 1 – [Le Fils de Dieu était-il prédestiné à être homme ?] 282

Sous-question 2 – [La proposition : « Le Fils de Dieu a été prédestiné à être le Fils de Dieu » est-elle vraie ?  282

Sous-question 3 – [Cette proposition est-elle vraie : « Le Fils de Dieu a été prédestiné tout simplement » ?  283

Réponse à la sous-question 1_ 283

Réponse à la sous-question 2_ 284

Réponse à la sous-question 3_ 285

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 7_ 286

Distinction 8 – [Les effets de l’union] 286

Question 1 – [Qu’est-ce que la naissance  ?] 286

Prologue_ 286

Article 1 – La naissance n’existe-t-elle que chez les vivants ?_ 287

Article 2 – La nature humaine est-elle née chez le Christ ?_ 291

Article 3 – La nature divine chez le Christ est-elle née de la Vierge ?_ 293

Article 4 – Faut-il affirmer deux naissances du Christ ou une seule ?_ 295

Sous-question 1 – [Faut-il affirmer deux naissances du Christ ?] 295

Sous-question 2 – [Le Christ est-il né deux fois ?] 295

Réponse à la sous-question 1_ 296

Réponse à la sous-question 2_ 297

Article 5 – Y a-t-il deux filiations chez le Christ ?_ 297

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 8_ 301

Distinction 9 – [La nature humaine et son union à la nature divine] 302

Question 1 – [Qu’est-ce que la latrie ?] 302

Prologue_ 302

Article 1 – Le culte de latrie est-il une vertu ou un don ?_ 302

Sous-question 1 – [Le culte de latrie est-il une vertu ?] 302

Sous-question 2 – [Le culte de latrie est-il une vertu générale ?] 303

Sous-question 3 – [Le culte de latrie est-il une vertu théologale ?] 304

Sous-question 4 – [À quelle vertu cardinale se ramène le culte de latrie ?] 304

Réponse à la sous-question 1_ 305

Réponse à la sous-question 2_ 307

Réponse à la sous-question 3_ 309

Réponse à la sous-question 4_ 309

Article 2 – Le culte de latrie doit-il être manifesté à l’humanité du Christ ?_ 310

Sous-question 1 – [Le culte de latrie doit-il être manifesté à l’humanité du Christ ?] 310

Sous-question 2 – [Un culte de latrie doit-il être manifesté aux images du Christ ?] 311

Sous-question 3 – [Un culte de latrie doit-il être rendu à la bienheureuse Vierge ?] 312

Sous-question 4 – [Un culte de latrie doit-il être manifesté à la croix ?] 312

Sous-question 5 – [Un culte de latrie doit-il être rendu aux saints ?] 313

Sous-question 6 – [Peut-on manifester sans péché à une créature un culte de latrie ?] 313

Sous-question 7 – [Si un culte de latrie est manifesté à une créature, est-il univoque par rapport à celui qui est manifesté à Dieu ?] 314

Réponse à la sous-question 1_ 315

Réponse à la sous-question 2_ 316

Réponse à la sous-question 3_ 317

Réponse à la sous-question 4_ 318

Réponse à la sous-question 5_ 319

Réponse à la sous-question 6_ 319

Réponse à la sous-question 7_ 320

Article 3 – Le culte de latrie est-il dû à Dieu en raison de sa puissance, de sa sagesse et de sa bonté ?_ 321

Sous-question 1 – [Le culte de latrie est-il dû à Dieu en raison de sa puissance, de sa sagesse et de sa bonté ?] 321

Sous-question 2 – [Le même culte de latrie est-elle dû au Père et au Fils ?] 321

Sous-question 3 – [Le culte de latrie doit-elle être manifesté à Dieu par des rites corporels ?] 322

Réponse à la sous-question 1_ 322

Réponse à la sous-question 2_ 323

Réponse à la sous-question 3_ 323

Question 2 – [Qu’est-ce que le culte de dulie ?] 324

Prologue_ 324

Article 1 – Le culte de latrie et le culte de dulie sont-ils la même chose ?_ 324

Article 2 – Le culte de dulie comporte-t-il diverses espèces ?_ 326

Article 3 – Les pécheurs doivent-ils être honorés par un culte de dulie ?_ 328

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 9_ 330

Distinction 10 – [Ce qui convient à la personne du Christ en raison de sa nature humaine] 330

Question 1 – [Le Christ est-il Dieu en tant qu’homme ?] 330

Prologue_ 331

Article 1 – Le Christ, en tant qu’homme, est-il Dieu ?_ 332

Sous-question 1 – [Le Christ, en tant qu’homme, est-il Dieu ?] 332

Sous-question 2 – [Est-il Dieu selon qu’il est cet homme ?] 333

Sous-question 3 – [Le Christ est-il prédestiné en tant qu’homme ?] 334

Réponse à la sous-question 1_ 334

Réponse à la sous-question 2_ 336

Réponse à la sous-question 3_ 337

Sous-question 1 – [Le Christ, selon qu’il est homme, est-il une personne ?] 338

Sous-question 2 – [Le Christ est-il un individu en tant qu’homme ?] 339

Sous-question 3 – [Le Christ, en tant qu’homme, est-il un suppôt ou une chose de la nature ?] 340

Réponse à la sous-question 1_ 340

Réponse à la sous-question 2_ 341

Réponse à la sous-question 3_ 342

Question 2 – [La filiation par adoption] 343

Prologue_ 343

Article 1 – Convient-il à Dieu d’adopter quelqu’un comme un fils ?_ 343

Sous-question 1 – [Convient-il à Dieu d’adopter quelqu’un comme un fils ?] 343

Sous-question 2 – [Adopter relève-il seulement de Dieu le Père ?] 344

Sous-question 3 – [L’adoption ne se réalise-t-elle que par le Fils ?] 344

Réponse à la sous-question 1_ 345

Réponse à la sous-question 2_ 346

Réponse à la sous-question 3_ 346

Sous-question 1 – [Convient-il à toutes les créatures d’êtres adoptées ?] 347

Sous-question 2 – [Convient-il aux anges d’être adoptés ?] 347

Sous-question 3 – [Le Christ est-il un fils adoptif ?] 348

Réponse à la sous-question 1_ 349

Réponse à la sous-question 2_ 350

Réponse à la sous-question 3_ 350

Question 3 – [La prédestination du Christ porte-t-elle sur la nature ou sur la personne ?] 351

Article 1 – La prédestination du Christ porte-t-elle sur la nature ou sur la personne ?_ 351

Sous-question 1 – [La prédestination du Christ porte-t-elle sur la nature ou sur la personne ?] 351

Sous-question 2 – [La prédestination du Christ est-elle conforme à notre prédestination ?] 352

Sous-question 3 – [La prédestination du Christ est-elle la cause efficiente de notre prédestination ?] 353

Réponse à la sous-question 1_ 353

Réponse à la sous-question 2_ 354

Réponse à la sous-question 3_ 355

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 10_ 355

Distinction 11 – [L’attribution à Dieu de déficiences de la nature humaine] 356

Question 1 – [Le Fils de Dieu est-il une créature ?] 357

Prologue_ 357

Article 1 – Le Fils de Dieu est-il une créature ?_ 357

Article 2 – Le Christ est-il une créature ?_ 363

Article 3 –Le Christ, en tant qu’homme, est-il une créature ?_ 366

Article 4 – Ce qui appartient à la nature humaine peut-il être dit du Fils de Dieu ?_ 369

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 11_ 372

Distinction 12 – [Les carences qui découlent de la nature humaine] 373

Prologue_ 373

Question 1 – [Cet homme a-t-il commencé à exister ?] 375

Article 1 – Cette proposition est-elle vraie : « Cet homme a commencé à exister. »_ 375

Question 2 – [Le Christ pouvait-il pécher ?] 379

Prologue_ 379

Article 1 – Le Christ pouvait-il pécher ?_ 379

Article 2 – Le Christ avait-il la capacité de pécher ?_ 381

Question 3 – [Quel devait être le sexe du Christ ?] 384

Prologue_ 384

Article 1 – Le Christ devait-il assumer un sexe ?_ 384

Sous-question 1 – [Le Christ devait-il assumer un sexe ?] 384

Sous-question 2 – [Le Christ devait-il assumer le sexe féminin ?] 385

Réponse à la sous-question 1_ 385

Réponse à la sous-question 2_ 386

Sous-question 1 – [Le Christ devait-il assumer la chair à partir des sexes ?] 387

Sous-question 2 – [Le Christ devait-il assumer un corps issu d’un homme seulement ?] 387

Réponse à la sous-question 1_ 388

Réponse à la sous-question 2_ 388

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 12_ 389

Distinction 13 – [Ce qui convient à l’incarnation selon les deux natures] 389

Question 1 – [Le Christ avait-il la grâce habituelle ?] 389

Prologue_ 389

Article 1 – Y avait-il dans le Christ une grâce habituelle perfectionnant son âme ?_ 391

Article 2 – Le Christ a-t-il possédé la plénitude de la grâce ?_ 394

Sous-question 1 – [Le Christ a-t-il possédé la plénitude de la grâce ?] 394

Sous-question 2 – [La grâce du Christ était-elle infinie ?] 395

Sous-question 3 – [Cette grâce pouvait-elle être augmentée ?] 395

Réponse à la sous-question 1_ 396

Réponse à la sous-question 2_ 398

Réponse à la sous-question 3_ 401

Question 2 – [La grâce de la tête] 401

Prologue_ 401

Article 1 – Le Christ est-il tête de l’Église en tant qu’homme ?_ 402

Article 2 – Le Christ, en tant qu’homme, est-il la tête des anges ?_ 406

Sous-question 2 – [Le Christ est-il la tête de tous les hommes ?] 407

Sous-question 3 – [Le Christ est-il la tête des âmes seulement ?] 408

Réponse à la sous-question 1_ 409

Réponse à la sous-question 2_ 409

Réponse à la sous-question 3_ 412

Question 3 – [La grâce d’union] 413

Prologue_ 413

Article 1 – La grâce d’union est-elle créée ?_ 413

Article 2 – La grâce d’union est-elle la même chose que la grâce de la tête ?_ 417

Sous-question 1 – [La grâce d’union est-elle la même chose que la grâce de la tête ?] 417

Sous-question 2 – [La grâce de la tête est-elle la même que sa grâce indivuelle ?] 418

Sous-question 3 – [La grâce de la personne individuelle précède-t-elle la grâce d’union ?] 418

Réponse à la sous-question 1_ 419

Réponse à la sous-question 2_ 420

La réponse à la deuxième question ressort clairement de ce qui a été dit. 420

Réponse à la sous-question 3_ 420

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 13_ 421

Distinction 14 – [Les sciences du Christ] 422

Question 1 – [La science du Christ] 422

Prologue_ 422

Article 1 – Existe-t-il une science chez le Christ ?_ 424

Sous-question 1 – [Existe-t-il une science créée chez le Christ ?] 424

Sous-question 2 – [La connaissance créée chez le Christ est-elle un habitus ou un acte ?] 424

Sous-question 3 – [L’âme du Christ a-t-elle connu le Verbe grâce à un habitus ?] 425

Sous-question 4 – [L’âme du Christ connaît-elle le Verbe et les choses dans le Verbe par le même habitus ?] 426

Sous-question 5 – [L’âme du Christ a-t-elle une autre science des choses, en plus de la science par laquelle elle connaît les choses dans le Verbe ?] 427

Réponse à la sous-question 1_ 428

Réponse à la sous-question 2_ 429

Réponse à la sous-question 3_ 432

Réponse à la sous-question 4_ 433

Réponse à la sous-question 5_ 434

Article 2 – L’âme du Christ, en voyant le Verbe, le comprend-elle ?_ 435

Sous-question 1 – [L’âme du Christ, en voyant le Verbe, le comprend-elle ?] 435

Sous-question 2 – [L’âme du Christ connaît-elle dans le Verbe tout ce que le Verbe connaît ?] 436

Sous-question 3 – [L’âme du Christ connaît-elle toutes choses aussi clairement que Dieu ?] 437

Sous-question 4 – [L’âme du Christ voit-elle d’un seul regard tout ce qu’elle connaît dans le Verbe ?] 438

Réponse à la sous-question 1_ 439

Réponse à la sous-question 2_ 441

Réponse à la sous-question 3_ 444

Réponse à la sous-question 4_ 445

Article 3 – L’âme du Christ connait-elle tout de la connaissance par laquelle elle connaît les choses dans leur nature propre ?  446

Sous-question 1 – [L’âme du Christ connait-elle tout de la connaissance par laquelle elle connaît les choses dans leur nature propre ?] 446

Sous-question 2 – [Cette science du Christ est-elle inférieure à celle des anges ?] 447

Sous-question 3 – [Le Christ a-t-il eu une science à caractère délibératif ?] 448

Sous-question 4 – [Cette connaissance était-elle divisée en plusieurs habitus ?] 448

Sous-question 5 – [L’âme du Christ a-t-elle progressé dans cette science ?] 449

Sous-question 6 – [A-t-il reçu quelque chose des anges pour cette science ?] 449

Réponse à la sous-question 1_ 450

Réponse à la sous-question 2_ 452

Réponse à la sous-question 3_ 453

Réponse à la sous-question 4_ 454

Réponse à la sous-question 5_ 455

Réponse à la sous-question 6_ 456

Article 4 – L’âme du Christ était-elle toute-puissante et omnisciente ?_ 457

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 14_ 460

Distinction 15 – [L’assomption des faiblesses de la nature humaine] 460

Question 1 – [Le Christ devait-il assumer la nature humaine avec ses faiblesses ?] 461

Prologue_ 461

Article 1 – Le Christ devait-il prendre la nature humaine avec ses carences et ses faiblesses ?_ 463

Article 2 – Devait-il assumer toutes les carences, sauf le péché ?_ 465

Article 3 – A-t-il reçu ou contracté ces carences ?_ 467

Question 2 – [Les passions de l’âme du Christ] 470

Prologue_ 470

Article 1 – [La passibilité chez le Christ] 470

Sous-question 1 – [Le corps est-il sujet à subir ?] 470

Sous-question 2 – [L’âme est-elle passible ?] 470

Sous-question 3 – [L’âme du Christ peut-elle être passible ?] 471

Réponse à la sous-question 1_ 472

Réponse à la sous-question 2_ 473

Réponse à la sous-question 3_ 476

Article 2 – Le Christ a-t-il connu la tristesse ?_ 477

Sous-question 1 – [Le Christ a-t-il connu la tristesse ?] 477

Sous-question 2 – [La colère a-t-elle existé chez le Christ ?] 477

Sous-question 3 – [La crainte a-t-elle existé chez le Christ ?] 478

Réponse à la sous-question 1_ 478

Réponse à la sous-question 2_ 480

Réponse à la sous-question 3_ 481

Article 3 – Une véritable douleur sensible existait-elle chez le Christ ?_ 481

Sous-question 1 – [Une véritable douleur sensible existait-elle chez le Christ ?] 481

Sous-question 2 – [La douleur est-elle parvenue jusqu’à la raison supérieure ?] 482

Sous-question 3 – [La douleur du Christ était-elle plus grande que toutes les douleurs ?] 483

Réponse à la sous-question 1_ 485

Réponse à la sous-question 2_ 486

Réponse à la sous-question 3_ 490

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 15_ 492

Distinction 16 – [Les carences dans la nature humaine du Christ] 497

Question 1 – [Le caractère nécessaire de la mort] 497

Prologue_ 497

Article 1 – La nécessité de mourir pour l’homme vient-elle seulement du péché ?_ 497

Article 2 – Était-il nécessaire que le Christ meure ?_ 500

Article 3 – La nécessité de mourir et de souffrir est-elle soumise chez le Christ à sa volonté humaine ?_ 503

Question 2 – [L’état de la gloire lors de la transfiguration] 506

Prologue_ 506

Article 1 – L’éclat qui émanait du corps du Christ lors de la transfiguration était-il vrai ou était-il imaginaire ?  506

Article 2 – Cet éclat était-il celui de la gloire ?_ 508

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 16_ 512

Distinction 17 – [La volonté du Christ] 512

Question unique – [Existait-il plusieurs volontés chez le Christ ?] 512

Prologue_ 512

Article 1 – Existait-il chez le Christ une autre volonté que la volonté divine ?_ 513

Sous-question 1 – [Existait-il une seule volonté chez le Christ, la volonté divine ?] 513

Sous-question 2 – [Existe-t-il chez le Christ une volonté humaine autre que la volonté raisonnable ?] 514

Sous-question 3 – [Existait-il chez le Christ plusieurs volontés de la raison ?] 515

Réponse à la sous-question 1_ 516

Réponse à la sous-question 2_ 517

Réponse à la sous-question 3_ 518

Article 2 – La volonté humaine chez le Christ a-t-elle toujours été conforme [à la volonté divine] du point vue de ce qui était voulu ?_ 520

Sous-question 1 – [La volonté humaine chez le Christ était-elle toujours conforme à la volonté divine du point de vue de ce qui était voulu ?] 520

Sous-question 2 – [La volonté de la sensualité était-elle contraire à la volonté de la raison chez le Christ ?] 521

Sous-question 3 – [La volonté de la raison était-elle contraire à elle-même ?] 522

Réponse à la sous-question 1_ 523

Réponse à la sous-question 2_ 525

Réponse à la sous-question 3_ 526

Article 3 – Était-il approprié pour le Christ de prier ?_ 527

Sous-question 1 – [Était-il approprié pour le Christ de prier ?] 527

Sous-question 2 – [Convenait-il que le Christ prie pour lui-même, et non seulement pour les autres ?] 528

Sous-question 3 – [La prière par laquelle le Christ a prié pour lui-même était-elle un acte de la sensualité ?] 528

Sous-question 4 – [Toutes les prières du Christ ont-elles été exaucées ?] 529

Réponse à la sous-question 1_ 530

Réponse à la sous-question 2_ 531

Réponse à la sous-question 3_ 532

Réponse à la sous-question 4_ 533

Article 4 – Le Christ en tant qu’homme a-t-il douté ?_ 534

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 17_ 536

Distinction 18 – [Le mérite du Christ] 537

Prologue_ 537

Article 1 – Existe-t-il chez le Christ une opération autre que l’opération divine ?_ 538

Article 2 – Le Christ pouvait-il mériter ?_ 542

Article 3 – Le Christ pouvait-il pu mériter dès l’instant de sa conception ?_ 545

Article 4 – Le Christ a-t-il mérité l’immortalité pour lui-même ?_ 548

Sous-question 1 – [Le Christ a-t-il mérité l’immortalité pour lui-même ?] 549

Sous-question 2 – [Le Christ a-t-il mérité l’impassibilité de son âme ?] 549

Sous-question 3 – [Le Christ a-t-il mérité d’être élevé ?] 550

Sous-question 4 – [Le Christ a-t-il mérité la récompense substantielle de l’âme, la jouissance de Dieu ?] 551

Réponse à la sous-question 1_ 551

Réponse à la sous-question 2_ 553

Réponse à la sous-question 3_ 554

Réponse à la sous-question 4_ 556

Article 5 – Le Christ a-t-il mérité pour lui-même par la passion ?_ 557

Article 6 – Le Christ pouvait-il mériter pour nous ?_ 559

Sous-question 1 – [Le Christ pouvait-il mériter pour nous ?] 559

Sous-question 2 – [Le Christ a-t-il mérité pour nous l’ouverture de la porte du Paradis ?] 560

Sous-question 3 – [Le Christ nous a-t-il ouvert la porte du Paradis seulement par sa passion ?] 561

Réponse à la sous-question 1_ 561

Réponse à la sous-question 2_ 562

Réponse à la sous-question 3_ 563

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 18_ 564

Distinction 19 – [La libération par la passion du Christ] 565

Prologue_ 565

Article 1 – Sommes-nous libérés du péché par la passion du Christ ?_ 566

Sous-question 1 – [Sommes-nous libérés du péché par la passion du Christ ?] 566

Sous-question 2 – [Tous les péchés ont-ils été détruits par la mort du Christ ?] 567

Réponse à la sous-question 1_ 568

Réponse à la sous-question 2_ 570

Article 2 – Sommes-nous libérés du Diable par la passion du Christ ?_ 572

Article 3 – Sommes-nous libérés de la peine éternelle par la passion du Christ ?_ 574

Sous-question 1 – [Sommes-nous libérés de la peine éternelle par la passion du Christ ?] 574

Sous-question 2 – [Le Christ nous a-t-il libérés de la peine temporelle ?] 575

Réponse à la sous-question 1_ 576

Réponse à la sous-question 2_ 577

Article 4 – Le Christ doit-il être appelé le Rédempteur en raison de la libération mentionnée ?_ 579

Sous-question 1 – [Le Christ doit-il être appelé le Rédempteur en raison de la raison de la libération mentionnée ?] 579

Sous-question 2 – [Le Fils peut-il seul être appelé le Rédempteur ?] 580

Réponse à la sous-question 1_ 581

Réponse à la sous-question 2_ 582

Article 5 – Le Christ nous a-t-il réconciliés avec Dieu ?_ 582

Sous-question 1 – [Le Christ nous a-t-il réconciliés avec Dieu ?] 582

Sous-question 2 – [Le Christ est-il médiateur selon sa nature humaine ?] 583

Sous-question 3 – [Convient-il au seul Christ d’être médiateur ?] 583

Réponse à la sous-question 1_ 584

Réponse à la sous-question 2_ 585

Réponse à la sous-question 3_ 586

Explication du texte de Pierre Lombard, Distinction 19_ 587

Distinction 20 – [Les causes de la passion] 588

Question unique – [La nature humaine peut-elle être restaurée ?] 588

Prologue_ 588

Article 1 – La nature humaine devait-elle être restaurée ?_ 589

Sous-question 1 – [La nature humaine devait-elle être restaurée ?] 589

Sous-question 2 – [La nature humaine devait-elle être restaurée par la satisfaction ?] 590

Sous-question 3 – [Était-il nécessaire que la nature humaine soit réparée de la manière dite ?] 591

Réponse à la sous-question 1_ 592

Réponse à la sous-question 2_ 593

Réponse à la sous-question 3_ 594

1. Toute nécessité n’est pas coercitive, comme cela ressort de ce qui a été dit. C’est pourquoi la conclusion du raisonnement est fausse. 596

Article 2 – Une pure créature aurait-elle pu satisfaire pour la nature humaine ?_ 597

Article 3 – La satisfaction devait-elle être accomplie par la passion du Christ ?_ 599

Article 4 – Un autre mode de satisfaction était-il possible ?_ 602

Sous-question 1 – [Un autre mode de satisfaction était-il possible ?] 602

Sous-question 2 – [Une autre mode de satisfaction aurait-il été plus convenable ?] 603

Réponse à la sous-question 1_ 604

Réponse à la sous-question 2_ 604

Article 5 – Dieu le Père a-t-il livré son Fils à la passion ?_ 605

Sous-question 1 – [Dieu le Père a-t-il livré son Fils à la passion ?] 605

Sous-question 2 – [La passion du Christ était-elle bonne ?] 606

Réponse à la sous-question 1_ 607

Réponse à la sous-question 2_ 608

Explication du texte de Pierre Lombard, Distinction 20_ 609

Distinction 21 – [La mort du Christ] 609

Question 1 – [La divinité a-t-elle été séparée de l’humanité dans la mort du Christ ?] 609

Prologue_ 609

Article 1 – La divinité a-t-elle été séparée de la chair dans la mort du Christ ?_ 610

Sous-question 1 – [La divinité a-t-elle été séparée de la chair dans la mort du Christ ?] 610

Sous-question 2 – [La divinité a-t-elle été séparée de l’âme dans la mort ?] 611

Réponse à la sous-question 1_ 612

Réponse à la sous-question 2_ 613

Article 2 – Le corps du Christ devait-il se dissoudre après la mort ?_ 615

Article 3 – Doit-on dire que le Fils de Dieu est mort ?_ 617

Question 2 – [La résurrection du Christ] 619

Prologue_ 619

Article 1 – Était-il nécessaire que le Christ ressuscite ?_ 619

Article 2 – Le Christ devait-il ressusciter le troisième jour ?_ 621

Article 3 – Le Christ devait-il prouver sa résurrection par des arguments ?_ 624

Article 4 – L’argument tiré d’une apparition visible était-il approprié ?_ 628

Sous-question 1 – [L’argument tiré d’une apparition visible était-il approprié ?] 628

Sous-question 2 – [Le Christ devait-il se laisser palper par eux ?] 629

Sous-question 3 – [Le Christ devait-il prouver sa résurrection par ses cicatrices ?] 630

Sous-question 4 – [Le Christ devait-il montrer sa résurrection en mangeant ?] 630

Réponse à la sous-question 1_ 631

Réponse à la sous-question 2_ 633

Réponse à la sous-question 3_ 634

Réponse à la sous-question 4_ 635

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 21_ 636

Distinction 22 – [Les conséquences de la mort du Christ] 636

Question 1 – [Le Christ était-il un homme pendant les trois jours de sa mort ?] 636

Prologue_ 636

Article 1 – Peut-on dire que le Christ était un homme pendant les trois jours où il a été dans le sépulcre ?  637

Article 2 – Le Christ était-il partout comme homme ?_ 640

Question 2 – [La descente aux enfers] 643

Prologue_ 643

Article 1 – Le Christ est-il descendu aux enfers ?_ 643

Sous-question 1 – [Le Christ est-il descendu aux enfers ?] 643

Sous-question 2 – [Le Christ est-il descendu jusqu’à l’enfer des damnés ?] 644

Sous-question 3 – [Le Christ a-t-il prolongé son séjour dans les limbes ?] 645

Réponse à la sous-question 1_ 646

Réponse à la sous-question 2_ 647

Réponse à la sous-question 3_ 647

Article 2 – Le Christ a-t-il illuminé le limbe des pères ?_ 648

Sous-question 1 – [Le Christ a-t-il illuminé les limbes des pères ?] 648

Sous-question 2 – [Le Christ a-t-il aussi arraché des âmes de l’enfer des damnés ?] 649

Sous-question 3 – [Le Christ a-t-il libéré ceux qui étaient dans les limbes des enfants ?] 650

Sous-question 4 – [Le Christ a-t-il libéré ceux qui étaient au purgatoire ?] 650

Réponse à la sous-question 1_ 651

Réponse à la sous-question 2_ 651

Réponse à la sous-question 3_ 652

Réponse à la sous-question 4_ 653

Question 3 – [L’ascension du Christ] 654

Prologue_ 654

Article 1 – Le Christ devait-il monter [au ciel] ?_ 654

Article 2 – Le mouvement de l’ascension était-il violent ?_ 657

Sous-question 1 – [ ] 657

Sous-question 2 – [L’ascension a-t-elle été un mouvement subit ?] 658

Sous-question 3 – [L’ascension devait-elle avoir lieu aussitôt après la résurrection ?] 659

Réponse à la sous-question 1_ 660

Réponse à la sous-question 2_ 661

Réponse à la sous-question 3_ 662

Article 3 – Le Christ est-il monté au-dessus de tous les cieux ?_ 662

Sous-question 1 – [Le Christ est-il monté au-dessus de tous les cieux ?] 662

Sous-question 2 – [Le Christ est-il monté à la droite du Père ?] 663

Sous-question 3 – [Convient-il au seul Christ de siéger à la droite du Père ?] 664

Réponse à la sous-question 1_ 664

Réponse à la sous-question 2_ 665

Réponse à la sous-question 3_ 666

Explication du texte de Pierre Lombard, Distinction 22_ 667

Distinction 23 – [Les facteurs de restauration chez le Christ] 667

Question 1 – [Les habitus sont-ils nécessaires ?] 667

Prologue_ 667

Article 1 – Avons-nous besoin d’habitus pour les actes humains ?_ 669

Article 2 – Un habitus qui existe en nous peut-il être connu ?_ 674

Article 3 – Les vertus sont-elles des habitus ou des puissances ?_ 678

Sous-question 1 – [Les vertus sont-elles des habitus ou des puissances ?] 678

Sous-question 2 – [Les vertus sont-elles des passions ?] 679

Sous-question 3 – [Les vertus sont-elles des habitus ou des actes ?] 680

Réponse à la sous-question 1_ 680

Réponse à la sous-question 2_ 681

Réponse à la sous-question 3_ 682

Article 4 – Les habitus intellectuels peuvent-ils être appelés des vertus ?_ 683

Sous-question 1 – [Les habitus intellectuels peuvent-ils être appelés des vertus ?] 683

Sous-question 2 – [Les vertus morales sont-elles distinctes des vertus intellectuelles ?] 684

Sous-question 3 – [Les vertus théologales doivent-elles être distinguées des vertus morales et des vertus intellectuelles ?] 685

Réponse à la sous-question 1_ 686

Réponse à la sous-question 2_ 687

Réponse à la sous-question 3_ 689

Article 5 – N’existe-t-il que trois vertus théologales ?_ 691

Question 2 – [La foi] 693

Prologue_ 693

Article 1 – La définition que donne l’Apôtre de la foi est-elle en tous points appropriée ?_ 693

Article 2 – Est-ce que croire consiste à « penser en donnant son assentiment » ?_ 697

Sous-question 1 – [Est-ce que croire consiste à « penser en donnant son assentiment » ?] 697

Sous-question 2 – [La foi comporte-t-elle un seul acte ?] 698

Sous-question 3 – [L’acte de foi est-il moins certain que l’acte de la science ?] 699

Réponse à la sous-question 1_ 699

Réponse à la sous-question 2_ 703

Réponse à la sous-question 3_ 704

Article 3 – La foi a-t-elle la volonté comme sujet ?_ 705

Sous-question 1 – [La foi a-t-elle la volonté comme sujet ?] 705

Sous-question 2 – [La foi relève-t-elle de l’intellect pratique ?] 706

Sous-question 3 – [La foi est-elle une vertu intellectuelle ?] 707

Réponse à la sous-question 1_ 708

Réponse à la sous-question 2_ 708

Réponse à la sous-question 3_ 710

Article 4 – La foi est-elle une vertu et est-elle un habitus ?_ 711

Sous-question 1 – [La foi est-elle une vertu ?] 711

Sous-question 2 – [La foi est-elle une seule vertu ?] 711

Réponse à la sous-question 1_ 712

Réponse à la sous-question 2_ 714

Article 5 – La foi est-elle antérieure aux autres vertus ?_ 714

Question 3 – [La foi formée par la charité] 717

Prologue_ 717

Article 1 – La charité est-elle la forme de la foi ?_ 717

Sous-question 1 – [La charité est-elle la forme de la foi ?] 717

Sous-question 2 – [La foi informe est-elle une vertu ?] 718

Sous-question 3 – [La foi formée et la foi informe sont-elles d’une espèce différente ?] 719

Réponse à la sous-question 1_ 719

Réponse à la sous-question 2_ 721

Réponse à la sous-question 3_ 722

Article 2 – La foi informe est-elle un don de Dieu ou un habitus acquis ?_ 723

Article 3 – La foi informe existe-t-elle chez les démons ?_ 726

Sous-question 1 – [La foi informe existe-t-elle chez les démons ?] 726

Sous-question 2 – [La foi informe demeure-t-elle chez les hérétiques ?] 726

Réponse à la sous-question 1_ 727

Réponse à la sous-question 2_ 728

Article 4 – La foi informe est-il rejetée lorsque survient la charité ?_ 728

Sous-question 1 – [La foi informe est-elle rejetée lorsque survient la charité ?] 728

Sous-question 2 – [L’habitus de la foi informe demeure-t-il quant à son acte ?] 729

Sous-question 3 – [La foi informe peut-elle devenir la foi formée ?] 730

Réponse à la sous-question 1_ 730

Réponse à la sous-question 2_ 731

Réponse à la sous-question 3_ 732

Explication du texte de Pierre Lombard, Distinction 23_ 732

Distinction 24 – [L’objet de la foi] 733

Question 1 – [Quel est l’objet de la foi ?] 733

Prologue_ 733

Article 1 – La Vérité incréée est-elle l’objet de la foi ?_ 734

Sous-question 1 – [La Vérité incréée est-elle l’objet de la foi ?] 734

Sous-question 2 – [La foi porte-t-elle sur une vérité complexe ?] 735

Sous-question 3 – [La foi peut-elle porter sur quelque chose de faux ?] 736

Réponse à la sous-question 1_ 736

Réponse à la sous-question 2_ 738

Réponse à la sous-question 3_ 739

Article 2 – La foi porte-t-elle sur ce qui est vu ?_ 740

Sous-question 1 – [La foi porte-t-elle sur ce qui est vu ?] 740

Sous-question 2 – [La foi peut-elle porter sur ce qui est su ?] 741

Sous-question 3 – [Ce sur quoi porte la foi est-il ignoré ?] 742

Réponse à la sous-question 1_ 743

Réponse à la sous-question 2_ 744

Réponse à la sous-question 3_ 745

Article 3 – Est-il nécessaire que l’homme croie quelque chose dont il n’a pas la science ?_ 746

Sous-question 1 – [Est-il nécessaire que l’homme croie quelque chose dont il n’a pas la science ?] 746

Sous-question 2 – [Croire ce que nous ne voyons pas est-il louable et méritoire ?] 747

Sous-question 3 – [La raison humaine diminue-t-elle le mérite de la foi ?] 748

Réponse à la sous-question 1_ 748

Réponse à la sous-question 2_ 751

Réponse à la sous-question 3_ 751

Explication du texte de Pierre Lombard, Distinction 24_ 753

Distinction 25 – [La croissance de la foi chez le croyant] 753

Question 1 – [Qu’est-ce qu’un article de foi ?] 753

Prologue_ 753

Article 1 – La définition de l’artile donnée par Richard de Saint-Victor est-elle appropriée ?_ 754

Sous-question 1 – [La définition de l’article donnée par Richard de Saint-Victor est-elle appropriée ?] 754

Sous-question 2 – [Un article peut-il être formé et informe ?] 755

Sous-question 3 – [Les articles devaient-il être rassemblés dans un symbole ?] 756

Réponse à la sous-question 1_ 756

Réponse à la sous-question 2_ 757

Réponse à la sous-question 3_ 758

Article 2 – Les articles sont-ils distingués de manière appropriée dans le symbole ?_ 759

Question 2 – [Le caractère explicite de la foi] 765

Prologue_ 765

Article 1 – La foi explicite est-elle nécessaire au salut ?_ 765

Sous-question 1 – [La foi explicite est-elle nécessaire au salut ?] 765

Sous-question 2 – [Tous sont-ils obligés d’avoir une foi explicite en tout ce qui se rapporte à la foi ?] 766

Sous-question 3 – [Les grands sont-ils davantage obligés que les petits ?] 767

Sous-question 4 – [Les petits ont-ils une foi implicite dans la foi des grands ?] 767

Réponse à la sous-question 1_ 768

Réponse à la sous-question 2_ 769

Réponse à la sous-question 3_ 770

Réponse à la sous-question 4_ 771

Article 2 – La foi a-t-elle progressé selon la succession des temps ?_ 773

Sous-question 1 – [La foi a-t-elle progressé selon la succession des temps ?] 773

Sous-question 2 – [A-t-il toujours été nécessaire d’avoir une foi explicite dans le Rédempteur ?] 774

Sous-question 3 – [Était-il nécessaire de croire, à propos du Rédempteur, les articles que le Maître indique dans le texte ?] 775

Sous-question 4 – [Était-il nécessaire d’avoir une connaissance explicite de la Trinité ?] 776

Réponse à la sous-question 1_ 776

Réponse à la sous-question 2_ 779

Réponse à la sous-question 3_ 780

Réponse à la sous-question 4_ 781

Explication du texte de Pierre Lombard, Distinction 25_ 782

Distinction 26 – [L’espérance] 783

Question 1 – [La nature de l’espérance] 783

Prologue_ 783

Article 1 – L’espoir est-il une passion ?_ 784

Article 2 – L’espoir existe-t-il dans une autre puissance que le concupiscible ?_ 786

Article 3 – L’espoir est-il différent des autres passions, comme la crainte, etc. ?_ 792

Article 4 – L’espoir est-il une passion principale, ou l’amour, le désir, l’audace ou la pénitence ?_ 797

Article 5 – L’espoir peut-il exister dans la partie intellective ?_ 800

Question 2 – [L’espérance comme vertu] 804

Prologue_ 804

Article 1 – L’espérance est-elle une vertu ?_ 804

Article 2 – L’espérance est-elle une vertu théologale ?_ 807

Article 3 – L’espérance est-elle une vertu distincte des autres [vertus théologales] ?_ 811

Sous-question 1 – [L’espérance est-elle une vertu distincte des vertus théologales ?] 811

Sous-question 2 – [L’espérance doit-elle être formée par la charité ?] 812

Réponse à la sous-question 1_ 812

Réponse à la sous-question 2_ 813

Article 4 – L’acte de l’espérance comporte-il une certitude ?_ 815

Article 5 – L’espérance existait-elle chez le Christ ?_ 818

Sous-question 1 – [L’espérance existait-elle chez le Christ ?] 818

Sous-question 2 – [Les anges et les âmes des saints ont-ils l’espérance ?] 818

Sous-question 3 – [Les pères qui étaient dans les limbes avaient-ils l’espérance ?] 819

Sous-question 4 – [Les damnés et les démons ont-il l’espérance ?] 819

Réponse à la sous-question 1_ 819

Réponse à la sous-question 2_ 820

Réponse à la sous-question 3_ 820

Réponse à la sous-question 4_ 821

Explication du texte de Pierre Lombard, Distinction 26_ 821

Distinction 27 – [La charité] 823

Question 1 – [Qu’est-ce que l’amour ?] 823

Prologue_ 823

Article 1 – La définition que Denys donne de l’amour est-elle bonne en toutes ses parties ?_ 824

Article 2 – L’amour se trouve-t-il seulement dans le concupiscible ?_ 830

Article 3 – L’amour est-il la première et la principale disposition affective de l’âme ?_ 835

Article 4 -‑ La connaissance est-elle plus élevée que l’amour ?_ 839

Question 2 – [La charité] 845

Prologue_ 845

Article 1 – La charité est-elle la même chose que la concupiscence ou qu’est-ce que la charité ?_ 845

Article 2 – La charité est-elle une vertu ?_ 850

Article 3 – Le sujet de la charité est-il la raison ?_ 853

Article 4 – La charité est-elle une seule vertu ou plusieurs ?_ 857

Sous-question 1 – [La charité est-elle une seule vertu ?] 857

Sous-question 2 – [La charité est-elle distincte des autres vertus ?] 857

Sous-question 3 – [La charité est-elle la forme des autres vertus ?] 858

Sous-question 4 – [La charité peut-elle être informe ?] 859

Réponse à la sous-question 1_ 860

Réponse à la sous-question 2_ 860

Réponse à la sous-question 3_ 862

Réponse à la sous-question 4_ 866

Question 3 – [L’acte de la charité comme amour de Dieu] 867

Prologue_ 867

Article 1 – Dieu peut-il être aimé par nous par son essence dans l’état de cheminement ?_ 867

Article 2 – Dieu peut-il être totalement aimé ?_ 870

Article 3 – L’amour dont nous aimons Dieu a-t-il un mode ?_ 871

Article 4 – La manière d’aimer qui se trouve dans le commandement peut-elle être respectée en cours de cheminement ?  873

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 27_ 875

Distinction 28 – [L’objet de la charité] 876

Question unique – [L’objet de la charité] 876

Prologue_ 876

Article 1 – Les vertus doivent-elles être aimées par charité ?_ 876

Article 2 – Les créatures sans raison doivent-elles être aimées par charité ?_ 879

Article 3 – Les anges doivent-ils être aimés par charité ?_ 881

Article 4 – Devons-nous avoir de la charité envers les méchants ?_ 882

Article 5 – Les démons doivent-ils être aimés par charité ?_ 884

Article 6 – L’homme doit-il s’aimer lui-même par charité ?_ 886

Article 7 – Devons-nous aimer nos corps par charité ?_ 888

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 28_ 890

Distinction 29 – [L’ordre de la charité] 891

Prologue_ 891

Article 1 – Existe-t-il un ordre de la charité ?_ 892

Article 2 – L’ordre de la charité doit-il être envisagé selon la disposition affective ou selon l’effet ?_ 895

Article 3 – Dieu doit-il être aimé par charité plus que tout ?_ 897

Article 4 – Peut-on tenir compte d’une récompense en aimant Dieu ?_ 901

Article 5 – L’homme doit-il s’aimer lui-même par charité davantage que son prochain ?_ 904

Article 6 – L’homme doit-il aimer davantage par charité les étrangers que ses proches ?_ 907

Article 7 – Le père doit-il être préféré aux fils ou aux bienfaiteurs ? Doit-on s’aimer davantage que son épouse, ses frères ou sa mère ?_ 911

Article 8 – Les degrés de la charité sont-ils distingués de manière appropriée ?_ 915

Sous-question 1 – [Les degrés de la charité sont-ils distingués de manière inappropriée ?] 915

Sous-question 2 – [Tous sont-ils tenus à une charité parfaite ?] 916

Sous-question 3 – [Ceux qui ont une charité parfaite sont-ils tenus à tout ce qui relève de la perfection ?] 917

Réponse à la sous-question 1_ 918

Réponse à la sous-question 2_ 919

Réponse à la sous-question 3_ 920

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 29_ 921

Distinction 30 – [L’ordre de la charité du point de vue de l’efficacité du mérite] 922

Prologue_ 922

Article 1 – Tous sont-ils obligés d’aimer les ennemis ?_ 923

Article 2 – Tous sont-ils obligés de montrer à leurs ennemis des signes de la charité ?_ 926

Article 3 – Y a-t-il plus de mérite à aimer un ami qu’un ennemi ?_ 929

Article 4 – Aimer son prochain est-il plus méritoire qu’aimer Dieu ?_ 932

Article 5 – Le mérite consiste-t-il  principalement dans la charité ?_ 935

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 30_ 937

Distinction 31 – [La durée de la charité] 938

Question 1 – [La charité peut-elle être perdue ?] 938

Prologue_ 938

Article 1 – Celui qui possède la charité peut-elle la perdre ?_ 938

Article 2 – Le livre de vie est-il quelque chose de créé ?_ 943

Sous-question 1 – [Le livre de vie est-il quelque chose de créé ?] 943

Sous-question 2 – [Le livre de vie concerne-t-il Dieu ?] 944

Sous-question 3 – [Ce qui y est inscrit peut-il en être effacé ?] 945

Réponse à la sous-question 1_ 945

Réponse à la sous-question 2_ 946

Réponse à la sous-question 3_ 947

Article 3 – N’importe quelle charité peut-elle résister à n’importe quelle tentation ?_ 948

Article 4 – L’homme se relève-t-il  toujours avec une charité moindre ?_ 951

Sous-question 1 – [L’homme se relève-t-il toujours avec une charité moindre ?] 951

Sous-question 2 – [Celui qui se relève a-t-il toujours une charité plus grande ?] 952

Sous-question 3 – [La grâce après le péché est-il au moins aussi grande ?] 952

Réponse à la sous-question 1_ 953

Réponse à la sous-question 2_ 954

Réponse à la sous-question 3_ 954

Question 2 – [La disparition de la charité en raison de la gloire] 955

Prologue_ 955

Article 1 – La foi sera-t-elle éliminée dans la patrie ?_ 955

Sous-question 1 – [La foi sera-t-elle éliminée dans la patrie ?] 955

Sous-question 2 – [L’espérance sera-t-elle éliminée ?] 956

Sous-question 3 – [Quelque chose de la substance de l’habitus de la foi et de l’espérance demeurera-t-il identique en nombre ?] 957

Réponse à la sous-question 1_ 958

Réponse à la sous-question 2_ 959

Réponse à la sous-question 3_ 960

Article 2 – La charité de la route sera-t-elle éliminée dans la patrie ?_ 961

Article 3 – L’ordre de l’amour, qui existe maintenant, existe-t-il chez le Christ ou chez les saints qui sont dans la patrie ?  963

Sous-question 1 – [L’ordre de l’amour, qui existe maintenant, existe-t-il chez le Christ ou chez les saints qui sont dans la patrie ?] 963

Sous-question 2 – [L’ordre de la charité existe-t-il chez eux entre soi et son prochain, et entre les proches et les étrangers ?] 964

Sous-question 3 – [Le Christ aimera-t-il davantage Pierre que Jean ?] 964

Réponse à la sous-question 1_ 965

Réponse à la sous-question 2_ 965

Réponse à la sous-question 3_ 966

Article 4 – La science que nous possédons maintenant disparaîtra-t-elle totalement ?_ 967

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 31_ 971

Distinction 32 – [L’amour de Dieu] 971

Question unique – [L’amour de Dieu pour ses créatures] 971

Prologue_ 971

Article 1 – Convient-il à Dieu d’aimer sa créature ?_ 972

Article 2 – Dieu aime-t-il toutes les créatures ?_ 974

Article 3 – Dieu a-t-il aimé les créatures éternellement ?_ 976

Article 4 – Dieu aime-t-il toutes choses également ?_ 978

Article 5 – Dieu aime-t-il davantage le juste connu d’avance [praescitum] que le pécheur prédestiné [praedestinatum] ?  980

Sous-question 1 – [Dieu aime-t-il davantage le juste connu d’avance que le pécheur prédestiné ?] 980

Sous-question 2 – [Dieu aime-t-il davantage celui qui se repent que l’innocent ?] 981

Sous-question 3 – [Dieu aime-t-il davantage l’homme que l’ange ?] 981

Sous-question 4 – [Dieu aime-t-il davantage le genre humain que le Christ ?] 982

Réponse à la sous-question 1_ 982

Réponse à la sous-question 2_ 983

Réponse à la sous-question 3_ 983

Réponse à la sous-question 4_ 984

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 32_ 984

Distinction 33 – [Les vertus cardinales] 984

Question 1 – [Comment les vertus morales se distinguent-elles ?] 984

Prologue_ 984

Article 1 – Toutes les vertus morales sont-elles une seule vertu ?_ 985

Sous-question 1 – [Toutes les vertus sont-elles une seule vertu ?] 985

Sous-question 2 – [Les autres vertus morales se distinguent-elles de la prudence ?] 986

Sous-question 3 – [Les autres vertus morales se distinguent-elles des trois vertus indiquées dans le texte ?] 987

Réponse à la sous-question 1_ 988

Réponse à la sous-question 2_ 990

Réponse à la sous-question 3_ 991

Article 2 – Les vertus morales existent-elles en nous naturellement ?_ 993

Sous-question 1 – [Les vertus morales existent-elles en nous naturellement ?] 993

Sous-question 2 – [Les vertus peuvent-elles être acquises par nos actes ?] 994

Sous-question 3 – [Est-il nécessaire d’affirmer qu’il existe des vertus morales infuses ?] 995

Sous-question 4 – [Les vertus infuses diffèrent-elles des vertus acquises selon l’espèce ?] 996

Réponse à la sous-question 1_ 997

Réponse à la sous-question 2_ 999

Réponse à la sous-question 3_ 1000

Réponse à la sous-question 4_ 1001

Sous-question 1 – [Les vertus morales consistent-elles dans un milieu ?] 1002

Sous-question 2 – [Existe-t-il un milieu objectif (medium rei) dans la justice ?] 1003

Sous-question 3 – [Existe-t-il un milieu dans les vertus intellectuelles ?] 1004

Sous-question 4 – [Les vertus théologales ont-elles un milieu ?] 1005

Réponse à la sous-question 1_ 1006

Réponse à la sous-question 2_ 1007

Réponse à la sous-question 3_ 1008

Réponse à la sous-question 4_ 1009

Article 4 – Les vertus morales demeurent-elles dans la patrie ?_ 1010

Question 2 – [Les vertus cardinales] 1013

Prologue_ 1013

Article 1 – Doit-on appeler cardinales certaines vertus ?_ 1013

Sous-question 1 – [Doit-on appeler cardinales certaines vertus ?] 1013

Sous-question 2 – [D’autres vertus devraient-elles être plutôt appelées cardinales ?] 1014

Sous-question 3 – [Quel est le nombre des vertus cardinales ?] 1014

Sous-question 4 – [D’autres vertus morales que celles mentionnées dans le texte devraient-elles plutôt être cardinales ?] 1015

Réponse à la sous-question 1_ 1016

Réponse à la sous-question 2_ 1018

Réponse à la sous-question 3_ 1019

Réponse à la sous-question 4_ 1020

Article 2 – La prudence a-t-elle une matière spéciale ?_ 1023

Sous-question 1 – [La prudence a-t-elle une matière spéciale ?] 1023

Sous-question 2 – [Les passions sont-elles la matière de la tempérance et de la force ?] 1023

Sous-question 3 – [La justice porte-t-elle sur des opérations ?] 1024

[2] [La justice] porte sur quelque chose qui n’est l’objet d’aucune autre vertu : le gain d’argent. Elle a donc une matière spéciale. 1025

Réponse à la sous-question 1_ 1025

Réponse à la sous-question 2_ 1026

Réponse à la sous-question 3_ 1026

Article 3 – La prudence comporte-t-elle un acte de vertu distinct des autres ?_ 1027

Article 4 – Une puissance de l’âme est-elle le sujet d’une vertu ?_ 1031

Sous-question 1 – [Une puissance de l’âme est-elle le sujet d’une vertu ?] 1031

Sous-question 2 – [La tempérance et la force se trouvent-elles dans l’irascible et dans leconcupiscible ?] 1031

Sous-question 3 – [La justice se trouve-t-elle aussi dans l’irascible et dans le concupiscible ?] 1033

Sous-question 4 – [La prudence se trouve-t-elle dans la raison ?] 1034

Réponse à la sous-question 1_ 1034

Réponse à la sous-question 2_ 1035

Réponse à la sous-question 3_ 1037

Réponse à la sous-question 4_ 1039

Article 5 – Les autres vertus cardinales se ramènent-elles à la prudence comme à une vertu principale ou à leur cause ?  1040

Question 3 – [Les parties des vertus cardinales] 1044

Prologue_ 1044

Article 1 – La mémoire du passé, l’intelligence du présent et la prévision de l’avenir sont-elles les parties de la prudence, comme le dit Tullius [Cicéron] ?_ 1044

Sous-question 1 – [Les parties de la prudence sont-elles correctement attribuées par Tullius [Cicéron] ?] 1044

Sous-question 2 – [Faut-il attribuer comme parties de la prudence la prévision, la précaution, la circonspection et l’aptitude à apprendre ?] 1044

Sous-question 3 – [L’eubulia, la synesis et le gnomen sont-ils des parties de la prudence ?_ 1045

Sous-question 4 – [Les dix parties de la prudence données par un philosophe grec sont-elles correctes ?] 1045

Réponse à la sous-question 1_ 1046

Réponse à la sous-question 2_ 1048

Réponse à la sous-question 3_ 1049

Réponse à la sous-question 4_ 1050

Article 2 – La continence, la clémence et la modestie sont-elles des parties de la tempérance, comme le dit Tullis [Cicéron] ?  1053

Sous-question 1 – [Les parties de la prudence sont-elles bien présentées dans la Première Rhétorique de Tullius [Cicéron] ?] 1053

Sous-question 2 – [La sobriété et la chasteté sont-elles des parties de la tempérance ?] 1054

Sous-question 3 – [Les sept parties de la tempérance présentées par un philosophe grec sont-elles correctes ?] 1054

Réponse à la sous-question 1_ 1055

Réponse à la sous-question 2_ 1058

Réponse à la sous-question 3_ 1058

Article 3 – La magnificence, l’assurance, la patience et la persévérance sont-elles incorrectement assignées par Tullius [Cicéron] comme parties de la force ?_ 1060

Sous-question 1 – [Tullius [Cicéron] assigne-t-il incorrectement les parties de la force ?] 1060

Sous-question 2 – [Les sept parties de la force indiquées par Macrobe sont-elles correctes ?] 1060

Sous-question 3 – [Les cinq modes que le Philosophe associe à la force sont-ils corrects ?] 1061

Sous-question 4 – [Les sept choses associées à la force par un philosophe grec sont-elles correctes ?] 1061

Réponse à la sous-question 1_ 1062

Réponse à la sous-question 2_ 1064

Réponse à la sous-question 3_ 1064

Réponse à la sous-question 4_ 1065

Article 4 – La religion, la piété, la gratitude, la vengeance, l’observance et la vérité sont-elles des parties de la justice, comme le dit Tullius [Cicéron] ?_ 1067

Sous-question 1 – [Ces parties sont-elles attribuées de manière appropriée par Tullius [Cicéron] ?_ 1067

Sous-question 2 – [Macrobe a-t-il bien indiqué les parties de la justice ?] 1068

Sous-question 3 – [Les cinq parties indiquées par certains sont-elles appropriées ?] 1068

Sous-question 4 – [La division de la justice en libéralité et sévérité est-elle appropriée ?] 1069

Sous-question 5 – [La division de la justice en justice légale et justice spéciale est-elle appropriée ?] 1069

Sous-question 6 – [Ce que dit un philosophe à propos des composantes habituelles de la justice est-il approprié ?] 1070

Réponse à la sous-question 1_ 1070

Réponse à la sous-question 2_ 1073

Réponse à la sous-question 3_ 1074

Réponse à la sous-question 3_ 1075

Réponse à la sous-question 5_ 1076

Réponse à la sous-question 6_ 1077

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 33_ 1079

Distinction 34 – [Les dons] 1079

Question 1 – [Les dons en général] 1079

Prologue_ 1079

Article 1 – Les dons sont-ils des vertus ?_ 1080

Article 2 – Doit-il y avoir plus que sept dons ?_ 1085

Article 3 – Les dons demeurent-ils dans la patrie ?_ 1093

Article 4 – Les béatitudes correspondent-elles à chacun des dons ?_ 1095

Article 5 – Les fruits correspondent-ils aux dons ?_ 1102

Article 6 – Les demandes correspondent-elles aux dons ?_ 1106

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 34_ 1112

Question 2 – [Le don de crainte] 1112

Prologue_ 1112

Article 1 – La définition de la crainte donnée par [Jean] Damascène est-elle bonne ?_ 1113

Sous-question 1 – [[Jean] Damascène définit-il la crainte de manière appropriée ?] 1113

Sous-question 2 –[Le Maître distingue-t-il mal les parties de la crainte ?] 1114

Sous-question 3 – [La crainte doit-elle être comptée parmi les dons ?] 1115

Réponse à la sous-question 1_ 1115

Réponse à la sous-question 2_ 1117

Réponse à la sous-question 3_ 1118

Article 4 – La crainte servile vient-elle du Saint-Esprit ?_ 1119

Sous-question 1 – [La crainte servile vient-elle du Saint-Esprit ?] 1119

Sous-question 2 – [L’usage de la crainte servile est-il bon ?] 1120

Sous-question 3 – [La crainte servile disparaît-elle lorsque survient la charité ?] 1120

Réponse à la sous-question 1_ 1121

Réponse à la sous-question 2_ 1123

Réponse à la sous-question 3_ 1124

Article 3 – La crainte chaste est-elle la même chose que la crainte servile ?_ 1124

Sous-question 1 – [La crainte chaste est-elle la même chose que la crainte servile ?] 1124

Sous-question 2 – [La crainte initiale diffère-t-elle de la crainte chaste par sa substance ?] 1125

Sous-question 3 – [La crainte chaste diminue-t-elle lorsque la charité augmente ?] 1125

Sous-question 4 – [Lorsque surviendra la gloire, la crainte disparaîtra-t-elle ?] 1126

Réponse à la sous-question 1_ 1127

Réponse à la sous-question 2_ 1128

Réponse à la sous-question 3_ 1129

Réponse à la sous-question 4_ 1130

Question 3 – [Le don de force] 1130

Prologue_ 1130

Article 1 – La force qui est un don diffère-t-elle de la force qui est une vertu ?_ 1130

Sous-question 1 – [La force qui est un don diffère-t-elle de la force qui est une vertu ?] 1131

Sous-question 2 – [Quel est l’acte de la force en cours de route ?] 1131

Sous-question 3 – [Quel est l’acte de la force dans la patrie ?] 1132

Réponse à la sous-question 1_ 1133

Réponse à la sous-question 2_ 1134

Réponse à la sous-question 3_ 1135

Article 2 – La piété est-elle un don ?_ 1136

Sous-question 1 – [La piété est-elle un don ?] 1136

Sous-question 2 – [La piété qui existe sur la route a-t-elle un seul acte selon l’espèce ?] 1137

Sous-question 3 – [Quel est l’acte du don de piété dans la patrie ?] 1138

Réponse à la sous-question 1_ 1138

Réponse à la sous-question 2_ 1140

Réponse à la sous-question 3_ 1141

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 34_ 1141

Distinction 35 – [La vie active et la vie contemplative] 1142

Question 1 – [La vie active et la vie contemplative] 1142

Prologue_ 1142

Article 1 – La vie est-elle divisée de manière appropriée en active et contemplative ?_ 1143

Article 2 – La vie contemplative consiste-t-elle seulement dans l’acte de la [puissance] cognitive ?_ 1146

Sous-question 1 – [La vie contemplative consiste-t-elle seulement dans l’acte de la puissance cognitive ?] 1146

Sous-question 2 – [La vie contemplative consiste-t-elle dans l’opération de la raison ?] 1147

Sous-question 3 – [Tout acte de l’intellect relève-t-il de la vie contemplative ?] 1148

Réponse à la sous-question 1_ 1149

Réponse à la sous-question 2_ 1150

Réponse à la sous-question 3_ 1151

Article 3 – La vie active consiste-t-elle seulement dans ce qui se rapporte à autrui ?_ 1152

Sous-question 1 – [La vie active consiste-t-elle principalement dans ce qui se rapporte à autrui ?] 1152

Sous-question 2 – [La connaissance a-t-elle un rapport avec la vie active ?] 1153

Sous-question 3 – [La vie active peut-elle exister en même temps que la vie contemplative ?] 1154

Réponse à la sous-question 1_ 1155

Réponse à la sous-question 2_ 1156

Réponse à la sous-question 3_ 1157

Article 4 – La vie active est-elle plus noble que la vie contemplative ?_ 1158

Sous-question 1 – [La vie active est-elle plus noble que la vie contemplative ?] 1158

Sous-question 2 – [La vie contemplative est-elle plus méritoire que la vie active ?] 1159

Sous-question 3 – [La vie contemplative est-elle plus durable que la vie active ?] 1160

Réponse à la sous-question 1_ 1160

Réponse à la sous-question 2_ 1162

Réponse à la sous-question 3_ 1163

Question 2 – [Les dons qui perfectionnent dans les deux vies] 1163

Prologue_ 1163

Article 1 – La sagesse est-elle un don ?_ 1164

Sous-question 1 – [La sagesse est-elle un don ?] 1164

Sous-question 2 – [La sagesse porte-t-elle seulement sur les réalités divines ?] 1164

Sous-question 3 – [La sagesse se trouve-t-elle seulement dans l’intelligence ou plutôt dans l’affectivité ?] 1165

Réponse à la sous-question 1_ 1165

Réponse à la sous-question 2_ 1166

Réponse à la sous-question 3_ 1167

Article 2 – L’intelligence est-elle un don ?_ 1168

Sous-question 1 – [L’intelligence est-elle un don ?] 1168

Sous-question 2 – [Le don d’intelligence possède-t-il un acte en cours de route ?] 1169

Sous-question 3 – [L’intelligence se différencie-t-elle de la sagesse ?] 1170

Réponse à la sous-question 1_ 1170

Réponse à la sous-question 2_ 1171

Réponse à la sous-question 3_ 1173

Article 2 – Le don de science porte-t-il seulement sur les réalités humaines ?_ 1173

Sous-question 1 – [Le don de science porte-t-il seulement sur des réalités humaines ?] 1173

Sous-question 2 – [Le don de science est-il seulement pratique ou aussi spéculatif ?] 1174

Sous-question 3 – [La science des réalités humaines peut-elle comporter une curiosité nuisible ?] 1175

Réponse à la sous-question 1_ 1176

Réponse à la sous-question 2_ 1176

Réponse à la sous-question 3_ 1178

Article 4 – Le conseil est-il un don ?_ 1179

Sous-question 1 – [Le conseil est-il un don ?] 1179

Sous-question 2 – [Le don de conseil diffère-t-il du don de science ?] 1179

Sous-question 3 – [Le don de conseil aura-t-il un acte dans la patrie ?] 1180

Réponse à la sous-question 1_ 1181

Réponse à la sous-question 2_ 1182

Réponse à la sous-question 3_ 1183

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 35_ 1183

Distinction 36 – [Les vertus sont-elles connexes ?] 1183

Question 1 – [Les vertus politiques sont-elles connexes ?] 1184

Prologue_ 1184

Article 1 – Les vertus politiques sont-elles connexes ?_ 1184

Article 2 – Les vertus gratuites sont-elles connexes ?_ 1189

Article 3 – Les dons sont-ils connexes ?_ 1191

Article 4 – Les vertus sont-elles égales ?_ 1193

Article 5 – Les vices sont-ils connexes ?_ 1196

Article 6 – Le mode de la charité fait-il partie du commandement ?_ 1198

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 36_ 1201

Distinction 37 – [Les commandements de la loi] 1202

Prologue_ 1202

Article 1 – Était-il nécessaire de donner une loi écrite ?_ 1203

Article 3 – Les commandements du décalogue sont-ils présentés de manière appropriée ?_ 1205

Sous-question 1 – [Les commandements du décalogue sont-ils présentés de manière appropriée ?] 1206

Sous-question 2 – [Doit-il y avoir dix commandements de la loi ?] 1206

Sous-question 3 – [Les commandements sont-ils mal ordonnés ?] 1208

Réponse à la sous-question 1_ 1208

Réponse à la sous-question 2_ 1210

Réponse à la sous-question 3_ 1212

Article 3 – Tous les commandements de la loi sont-ils ordonnés à ces dix [commandements] ?_ 1213

Article 4 – Peut-il y avoir dispense des commandements du décalogue ?_ 1217

Article 5 – Était-il approprié d’ordonner l’observance du sabbat ?_ 1220

Sous-question 1 – [Était-il approprié d’ordonner l’observance du sabbat ?] 1220

Sous-question 2 – [Le commandement de l’observance du sabbat était-il simplement moral ?] 1221

Sous-question 3 – [Le commandement sur le sabbat devait-il cesser au temps de la grâce ?] 1222

Réponse à la sous-question 1_ 1223

Réponse à la sous-question 2_ 1224

Réponse à la sous-question 3_ 1225

Article 6 – Recevoir des intérêts est-il un péché ?_ 1226

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 37_ 1229

Distinction 38 – [Les commandements de la seconde table] 1230

Prologue_ 1230

Article 1 – La définition du mensonge donnée dans le texte est-elle appropriée ?_ 1232

Article 2 – La division du mensonge donnée dans le texte est-elle appropriée ?_ 1234

Article 3 – Tout mensonge est-il un péché ?_ 1237

Article 4 – Tout mensonge est-il un péché mortel ?_ 1240

Article 5 – Les degrés de mensonges sont-ils attribués de manière appropriée dans le texte ?_ 1244

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 38_ 1246

Distinction 39 – [Le parjure] 1247

Prologue_ 1247

Article 1 – Le serment consiste-t-il à prendre Dieu à témoin ?_ 1249

Article 2 – Le serment porte-t-il sur ce qui doit être désiré par soi ?_ 1252

Sous-question 1 – [Le serment porte-t-il sur ce qui doit être désiré par soi ?] 1252

Sous-question 2 – [Est-il permis de faire serment ?] 1252

Sous-question 3 – [La véracité, la justice et le jugement doivent-ils accompagner le serment ?] 1253

Réponse à la sous-question 1_ 1254

Réponse à la sous-question 2_ 1255

Réponse à la sous-question 3_ 1256

Article 4 – Un serment imprudent est-il obligatoire ?_ 1256

Sous-question 1 – [Un serment imprudent est-il obligatoire ?] 1256

Sous-question 2 – [Le serment forcé est-il obligatoire ?] 1257

Sous-question 3 – [Le serment oblige-t-il selon l’intention de celui qui le reçoit ?] 1258

Réponse à la sous-question 1_ 1259

Réponse à la sous-question 2_ 1260

Réponse à la sous-question 3_ 1261

Sous-question 1 – [Tout parjure est-il un péché mortel ?] 1264

Sous-question 2 – [Est-il permis de recevoir ou d’exiger un serment ?] 1264

Réponse à la sous-question 1_ 1265

Réponse à la sous-question 2_ 1266

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 39_ 1267

Distinction 40 – [Les commandemenets se rapportant à la convoitise du cœur] 1267

Prologue_ 1267

Article 1 – Est-ce que les deux commandements sur la convoitise sont distribués de manière appropriée ?  1268

Article 3 – La loi ancienne justifiait-elle ?_ 1270

Article 4 – La loi ancienne promettait-elle seulement des biens temporels ou aussi des biens éternels ?_ 1273

Sous-question 1 – [La loi ancienne promettait-elle seulement des biens temporels ou aussi des biens éternels ?] 1273

Sous-question 2 – [La loi ancienne diffère-t-elle de la loi nouvelle par le principe de la crainte et de l’amour ?] 1274

Sous-question 3 – [La loi ancienne était-elle plus lourde que la loi nouvelle ?] 1275

Réponse à la sous-question 1_ 1275

Réponse à la sous-question 2_ 1276

Réponse à la sous-question 3_ 1277

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 40_ 1278

 

 

 

Textum Parmae 1858 editum ac automato translatum a Roberto Busa SJ in taenias magneticas denuo recognovit Enrique Alarcón atque instruxit

© Copyright, traduction et notes par Jacques MÉNARD, 2010.

LIBER 3

Livre III – [L’INCARNATION DU VERBE ET SES FRUITS]

 

 

Prooemium

Introduction générale

[7388] Super Sent., lib. 3 pr. Ad locum unde exeunt, flumina revertuntur ut iterum fluant. Eccle. 1, 7. Ex verbis istis duo possumus accipere, in quibus hujus tertii libri materia comprehenditur, scilicet divinae incarnationis mysterium, et ejus copiosum fructum. Mysterium incarnationis insinuatur in fluminum reversione, cum dicitur: ad locum unde exeunt flumina revertuntur. Sed incarnationis fructus ostenditur in iterato fluxu, cum dicitur: ut iterum fluant. Flumina ista sunt naturales bonitates quas Deus creaturis influit, ut esse, vivere, intelligere, et hujusmodi: de quibus fluminibus potest intelligi quod dicitur Isaiae 41, 18: aperiam in supremis montium flumina. Montes enim supremi sunt nobilissimae creaturae, in quibus praedicta flumina aperiri dicuntur, quia in eis et copiosissime recipiuntur, et sine imperfectione ostenduntur. Sed locus unde ista flumina exeunt, est ipse Deus, de quo potest intelligi quod dicitur Isa. 53, 21: locus fluviorum rivi latissimi et patentes; ac si diceret: in loco ortus fluviorum rivi naturalium bonitatum eminenter inveniuntur; unde dicit: latissimi, quantum ad perfectionem divinae bonitatis, secundum omnia attributa; et patentes, quantum ad communicationem indeficientem; quia ejus bonitas, ex qua omnia fluunt, nec exhauriri nec concludi potest. Ista flumina in aliis creaturis inveniuntur distincta; sed in homine inveniuntur quodammodo aggregata: homo enim est quasi orizon et confinium spiritualis et corporalis naturae, ut quasi medium inter utrasque, bonitates participet et corporales et spirituales; unde et omnis creaturae nomine homo intelligitur Marc. ult. ubi dicitur: praedicate Evangelium omni creaturae; ut beatus Gregorius exponit: et ideo quando humana natura per incarnationis mysterium Deo conjuncta est, omnia flumina naturalium bonitatum ad suum principium reflexa redierunt, ut possit dici quod legitur Josue 4, 17: reversae sunt aquae in alveum suum, et fluebant sicut ante consueverant; unde et hic sequitur: ut iterum fluant: in quo notatur incarnationis fructus: ipse enim Deus, qui naturalia bona influxerat, reversis quodammodo omnibus per assumptionem humanae naturae in ipsum, non jam Deus tantummodo, sed Deus et homo hominibus fluenta gratiarum abundanter influxit: quia de plenitudine ejus omnes accepimus, gratiam pro gratia: Joan. 1, 16. Et de isto influxu legitur Eccli. 39, 27: benedictio illius quasi fluvius inundabit. Et sic patet materia tertii libri: in cujus prima parte agitur de incarnatione, in secunda de virtutibus et donis nobis per Christum collatis.

Les fleuves retournent à leur source pour couler à nouveau, Qo 1, 7. Nous pouvons tirer deux choses de ces paroles, dans lesquelles la matière de ce troisième livre est comprise, à savoir, le mystère de l’incarnation divine et son fruit abondant. Le mystère de l’incarnation est suggéré par le retour des fleuves, lorsqu’il est dit : Les fleuves retournent à leur source. Mais le fruit de l’incarnation est montré dans la reprise de l’écoulement, lorsqu’il est dit : Pour couler à nouveau. Ces fleuves sont les bontés naturelles que Dieu met dans les créatures, telles que l’être, la vie, l’intelligence et les choses de ce genre. On peut entendre de ces fleuves ce qui est dit en Is 41, 18 : Je ferai couler les fleuves au sommet des montagnes. En effet, les montagnes les plus élevées sont les créatures les plus nobles, chez lesquelles on dit que les fleuves en question coulent, parce qu’ils sont reçus avec la plus grande abondance et se manifestent sans imperfection. Mais le lieu qui est la source de ces fleuves est Dieu lui-même, dont on peut entendre ce qui est dit en Is 53, 21 : La source des fleuves a des rives très larges et bien dégagées, comme s’il disait : « Les rivages des biens naturels se trouvent surtout là où naissent les fleuves. » C’est pourquoi il dit : Très larges, pour ce qui est de la perfection de la bonté divine, selon tous ses attributs, et : Bien dégagées, pour ce qui est d’une communication sans faille, car sa bonté, qui est la source de toutes choses, ne peut être ni s’épuiser ni se terminer. Ces fleuves se trouvent séparés chez les autres créatures, mais, chez l’homme, ils se trouvent pour ainsi dire rassemblés. En effet, l’homme, comme horizon et frontière de la nature spirituelle et de la nature corporelle, participe aux bontés corporelles et aux bontés spirituelles comme un intermédiaire entre les deux. Aussi est-il question de l’homme lorsqu’on parle de toutes les créatures, en Mc 16 : Prêchez à toute créature, comme l’explique Grégoire. Ainsi, lorsque la nature humaine a été unie à Dieu par le mystère de l’incarnation, tous les fleuves des bontés naturelles sont-ils retournés vers leur origine, de sorte qu’on peut dire ce qu’on lit en Jos 4, 18 : Les eaux sont revenues dans leur lit et coulaient comme elles en avaient l’habitude. Aussi conclut-on ici : Pour qu’ils coulent de nouveau, par quoi est indiqué le fruit de l’incarnation. En effet, Dieu, qui avait mis dans la nature humaine des biens naturels, en les ramenant tous d’une certaine manière lorsqu’il a pris en lui la nature humaine, a communiqué une abondance de grâces aux hommes, non seulement en tant que Dieu, mais en tant que Dieu et homme, car nous avons tous reçu de sa plénitude, grâce sur grâce, Jn 1, 16. On lit à propos d’une telle communication en Si 39, 22 : Sa bénédiction recouvrira tout comme un fleuve. Ainsi se manifeste la matière du troisième livre : dans sa première partie, il est question de l’incarnation ; dans la seconde, des vertus et des dons qui nous sont conférés par le Christ.

 

 

Distinctio 1

Distinction 1 – [L’incarnation, du point de vue de celui qui assume]

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [Était-il possible à Dieu de s’incarner ?]

Prooemium

Prologue

 [7389] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 pr. Postquam Magister in duobus praecedentibus libris determinavit de rebus divinis secundum exitum a principio, in hoc libro incipit determinare de rebus quae dicuntur divinae, secundum reditum in finem, scilicet Deum; unde dividitur haec pars in duas partes: in prima determinat istum reditum in finem ex parte reducentium; in secunda quantum ad ea quae exiguntur ex parte reductorum, scilicet sacramenta, quae ad gratiam disponunt: et hoc in 4 libro. Prima dividitur in duas partes: in prima determinat de reducente effective, scilicet de Deo incarnato; in secunda de reducentibus formaliter, ut sunt virtutes et dona, 23 dist.: cum vero supra perhibitum sit Christum plenum gratia fuisse, non est supervacuum inquirere, utrum fidem et spem, sicut caritatem habuerit. Prima dividitur in duas partes: in prima determinat de divina incarnatione; in secunda prosequitur conditiones ipsius Dei incarnati, dist. 6: ex praemissis autem emergit quaestio plurimum continens utilitatis. Prima dividitur in tres partes: in prima determinat de incarnatione ex parte assumentis carnem, quis sit; in secunda ex parte assumpti, quid sit, dist. 2: et quia in homine tota humana natura corrupta erat, totam assumpsit; in tertia ex parte utriusque, cujusmodi sit, dist. 5: praeterea inquiri oportet quid horum potius concedendum sit. Prima dividitur in tres partes: in prima ostendit per auctoritatem apostoli, quae sit persona assumens, quia filius; in secunda inquirit rationem, quare potius filius quam alia persona, ibi: diligenter vero annotandum est, quare filius, non pater vel spiritus sanctus, incarnatus est; in tertia excludit objectionem, ibi: sed forte aliqui dicent. Diligenter vero annotandum est et cetera. Hic assignat rationem quare persona filii carnem assumpsit; et dividitur in duas partes: in prima dicit, quod magis congruum fuit filium incarnari quam patrem aut spiritum sanctum; in secunda inquirit, utrum possibile fuerit patrem aut spiritum sanctum incarnari, ibi: si vero quaeritur, utrum pater vel spiritus sanctus incarnari potuerit, vel etiam modo possit: sane responderi potest, et potuisse olim et posse nunc carnem sumere. Circa primum assignat tres rationes, quare filius carnem assumpsit: quarum prima sumitur ex appropriato filii, quod est sapientia; secunda ex origine ipsius, quia est ab alio, ibi: ideo est filius; tertio ex proprio ipsius, quia filius est, ibi: quod ideo factum est ut qui erat in divinitate Dei filius, in humanitate fieret hominis filius. Hic est duplex quaestio: prima de incarnatione: secunda de persona carnem assumente. Circa primum quaeruntur quatuor: 1 utrum Deum incarnari fuerit possibile; 2 utrum fuerit congruum; 3 utrum incarnatio fuisset, si homo non peccasset; 4 de tempore incarnationis.

Après avoir déterminé dans les deux livres précédents des réalités divines selon qu’elles sortent de leur principe, le Maître commence à déterminer dans ce livre des choses qu’on appelle divines, selon leur retour à leur fin, à savoir, Dieu. Cette partie se divise donc en deux parties : dans la première, il détermine de ce retour à la fin du point de vue de ce qui les ramène; dans la seconde, selon ce qui est exigé du point de vue de ce qui est ramené, à savoir, les sacrements, qui disposent à la grâce. C’est là l’objet du livre IV. La première partie se divise en deux parties : dans la première, il détermine de ce qui ramène à titre de cause efficiente, à savoir, Dieu incarné ; dans la seconde, de ce qui ramène par mode de forme, comme les vertus et les dons, d. 23 : « Alors qu’il a été montré plus haut que le Christ était rempli de grâce, il n’est pas superflu de se demander s’il a eu la foi, l’espérance et la charité. » La première [partie] est divisée en deux parties : dans la première, il détermine de l’incarnation divine ; dans la seconde, il recherche les conditions du Dieu incarné lui-même, d. 6 : « De ce qui a été dit plus haut, ressort une question qui est très utile. » La première [partie] est divisée en trois parties. Dans la première, il détermine de celui qui s’incarne du point de vue de celui qui prend chair. Dans la deuxième, du point de vue de ce qui est assumé, d. 2 : « Et parce que, chez l’homme, toute la nature humaine avait été corrompue, il l’assume en entier. » Dans la troisième, du point de vue de ce qui concerne les deux, d. 5 : « De plus, il faut se demander ce qui doit être plutôt concédé parmi ces choses. » La première [partie] est divisée en trois parties. Dans la première, il montre, selon l’autorité de l’Apôtre, quelle est la personne qui assume, le Fils ; dans la deuxième, il cherche la raison pour laquelle c’est le Fils plutôt qu’une autre personne, à cet endroit : « Il faut relever avec soin pour quelle raison le Fils, et non le Père ou l’Esprit Saint, s’est incarné » ; dans la troisième, il écarte une objection, à cet endroit : « Mais peut-être certains diront-ils… » « Il faut relever avec soin, etc. » Ici, il donne la raison pour laquelle la personne du Fils a pris chair. Il y a deux parties : dans la première, il dit qu’il convenait davantage que le Fils s’incarne, que le Père ou l’Esprit Saint ; dans la deuxième, il demande s’il aurait été possible que le Père ou l’Esprit Saint s’incarnent, à cet endroit : « Mais si on demande si le Père ou l’Esprit Saint pouvait s’incarner ou même s’ils le peuvent maintenant, on peut assurément répondre qu’ils pouvaient autrefois et qu’ils peuvent maintenant prendre chair. » À propos du premier point, il donne trois raisons pour lesquelles le Fils a pris chair. La première vient de ce qui est approprié au Fils, la sagesse ; la deuxième, de son origine, car il vient d’un autre, puisqu’il est le Fils, à cet endroit : « C’est pourquoi il arriva que celui qui était Fils de Dieu par sa divinité devint fils de l’homme par son humanité. » Ici, il y a deux questions : la première, à propos de l’incarnation ; la seconde, à propos de la personne qui prend chair. À propos de la première, quatre questions sont posées : 1 – Était-il possible que Dieu s’incarne ? 2 – Cela était-il convenable ? 3 – L’incarnation aurait-elle eut lieu si l’homme n’avait pas péché ? 4 – À propos du moment de l’incarnation.

 

 

Articulus 1 [7390] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 1 tit. Utrum Deum incarnari fuerit possibile

Article 1 – Était-il possible que Dieu s’incarne ?

 [7391] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod impossibile fuerit Deum assumere carnem. Omne enim quod est alteri unibile, possibile est ad unionem. Sed omne possibile ad aliquid, reducitur ad actum per motum vel passionem, et ab aliquo alio primo agente, cum non sit idem movens et motum, agens et patiens. Cum ergo impossibile sit Deum mutari vel pati, nec aliquid prius eo esse possit; videtur quod carni unibilis non fuerit.

1. Il semble qu’il était impossible que Dieu prenne chair. En effet, tout ce qui peut être uni à quelque chose rend l’union possible. Or, tout ce qui est possible pour quelque chose est amené à l’acte par un mouvement ou une passion, et par un premier agent, puisque ce qui meut et ce qui est mû, l’agent et le patient, ne sont pas la même chose. Puisqu’il est impossible que Dieu soit changé ou subisse, et qu’il ne peut exister quelque chose qui lui soit antérieur, il semble donc qu’il ne pouvait être uni à la chair.

 [7392] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, illud quod est perfectum in esse, non unitur alicui unione essentiali: unio enim essentialis est ex actu et potentia, vel ex forma et materia; quorum utrumque est imperfectum in esse. Ergo quod omnibus modis perfectum est, nullo modo alteri uniri potest: quod enim perfectissimum est, additionem non recipit, cum nihil sibi desit. Sed Deus est omnibus modis perfectus, quia in se omnem perfectionem praehabet, ut dicit Dionysius, et etiam philosophus, et Commentator ejus. Ergo ipse unibilis alteri non est.

2. Ce qui est parfait dans l’être n’est pas uni à quelque chose par une union essentielle. En effet, l’union essentielle vient de l’acte et de la puissance, ou de la forme et de la matière, dont chacun est imparfait dans l’être. Ce qui est parfait de toutes les manières ne peut donc aucunement être uni à autre chose. En effet, ce qui est parfait au plus haut point ne reçoit pas d’ajout, puisqu’il ne lui manque rien. Or, Dieu est parfait de toutes les manières, car il possède déjà en lui-même toute perfection, comme le disent Denys, de même que le Philosophe et son Commentateur. Il ne peut donc être uni à autre chose.

 [7393] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, infinite distantium non est aliqua proportio. Quorum autem non est proportio, non est possibilis unio; unde non quodlibet cuilibet uniri potest. Cum ergo Deus et creatura in infinitum distent, videtur quod Deus creaturae uniri non possit.

3. Il n’existe pas de proportion entre des choses infiniment distantes. Or, l’union n’est pas possible entre des choses qui n’ont pas de proportion ; aussi n’importe quoi ne peut-il donc être uni à n’importe quoi. Puisque Dieu et la créature sont infiniment distants, il semble donc que Dieu ne puisse s’unir à la créature.

 [7394] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, major est distantia Dei et creaturae, quam duorum contrariorum; cum contraria in genere conveniant, et Deus non contineatur in aliquo genere. Sed duo contraria non possunt simul esse in eodem. Ergo nec natura humana et divina possunt esse in una persona; et sic idem quod prius.

4. La distance est plus grande entre Dieu et la créature qu’entre deux contraires, puisque les contraires ont le genre en commun, et que Dieu n’est pas contenu dans un genre. Or, deux contraires ne peuvent se trouver en même temps dans la même chose. Ni la nature humaine ni la nature divine ne peuvent donc exister dans une seule personne. La conclusion est donc la même que précédemment.

 [7395] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, ad infinitatem divinae potentiae exigitur quod neque sit corpus neque virtus in corpore, ut probatur. Sed potentia Dei nunquam potest esse finita. Ergo nunquam potest Deus esse corpus vel virtus in corpore. Sed esse incarnatum est corpus, vel virtus in corpore. Ergo Deus non potest incarnari.

5. Il est requis que la puissance divine n’ait ni un corps, ni une puissance dans un corps, comme cela est démontré. Or, la puissance de Dieu ne peut jamais être finie. Dieu ne peut donc jamais être un corps ou une puissance dans un corps. Or, être incarné, c’est être un corps ou une puissance dans un corps. Dieu ne peut donc s’incarner.

 [7396] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra est quod Deus plus potest facere quam homo potest dicere. Luc. 1, 37: non erit impossibile apud Deum omne verbum. Sed hoc homo potest dicere, scilicet Deum humanam naturam assumere; nec contradictionem implicat, nec aliquem defectum in Deo ponit hoc dictum. Ergo Deus multo fortius hoc facere potest.

Cependant, [1] Dieu peut faire plus que l’homme ne peut dire. Lc 1, 37 : Aucune parole n’est impossible pour Dieu. Or, l’homme peut dire que Dieu prend la nature humaine : cela ne comporte pas de contradiction, et ce qui est dit n’introduit pas de carence en Dieu. À plus forte raison, Dieu peut donc faire cela.

 [7397] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, eorum quae habent similitudinem, facilis est unio. Sed homo creatus est ad imaginem et similitudinem Dei: Genes. 1. Ergo humana natura divinae aliquo modo unibilis est in persona.

 [2] L’union est facile entre des choses qui ont une similitude. Or, l’homme a été créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, Gn 1. La nature humaine peut donc d’une certaine manière être unie à la nature divine dans une personne.

 [7398] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 1 s. c. 3 Praeterea, in creaturis secundum divisionem suppositorum dividitur natura. Sed in divinis possunt esse plures personae in una natura. Ergo et pari ratione possunt esse plures naturae in una persona; et sic idem quod prius.

 [3] Chez les créatures, la nature se divine selon les suppôts. Or, en Dieu, il peut exister plusieurs personnes dans une seule nature. Pour la même raison, il peut donc exister plusieurs natures dans une seule personne. La conclusion est ainsi la même que précédemment.

 [7399] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod unio aliquorum duorum vel trium potest esse tripliciter. Uno modo secundum quod aliqua non uniuntur ad invicem nisi per conjunctionem eorum in aliquo uno. Quaedam vero uniuntur e converso per conjunctionem eorum ad invicem, et aliquo uno, quod ex eorum conjunctione constituitur. Quaedam vero per conjunctionem eorum ad invicem, sed non in aliquo uno, quia ex eorum conjunctione nihil resultat. Primum horum contingit quatuor modis. Quia vel illud unum in quo conjunguntur, est idem numero, sicut duo brachia conjunguntur in uno pectore, vel duo rami qui se non tangunt nisi in uno trunco: vel unum secundum speciem, sicut Socrates et Plato in homine: vel unum genere, sicut homo et asinus in animali: vel unum analogia sive proportione, sicut substantia et qualitas in ente: quia sicut se habet substantia ad esse sibi debitum, ita et qualitas ad esse sui generis conveniens. Quae vero junguntur ad invicem, et in aliquo uno ex eorum conjunctione constituto, sunt sicut materia et forma: quia forma conjungitur materiae ut perfectio ejus, et ambo conjunguntur in natura communi: et simile est de partibus quantitativis continuatis ad invicem, ita quod ex eis proveniat aliquod totum, in quo duae partes conveniant. Ea vero quae uniuntur ad invicem et non in aliquo uno, sunt sicut accidens et subjectum, ex quibus non efficitur unum per se, cujus subjectum et accidens partes dici possint ut probatur in 8 Metaph. Et quia, ut dicit Hilarius 1 de Trin., comparatio terrenorum ad Deum nulla est; nec exemplum sufficiens rebus divinis ratio humana praestabit; sciendum est, quod nullus istorum modorum competit ex toto ineffabili unioni qua Deus homini unitus est; sed tamen aliqui istorum modorum quantum ad aliquid repraesentant illum modum unionis. Sciendum est ergo, quod medius modus quo aliqua conjunguntur ad invicem, ut ex eis aliquod tertium resultet, omnino non potest Deo convenire: quia duo quae conjunguntur secundum hunc modum, se habent ad tertium ut partes: ratio autem partis, sicut et imperfecti, penitus a Deo removetur. Primum vero modum et tertium quantum ad aliquid possibile est Deo convenire. In incarnatione enim ex parte assumentis duo possunt considerari; scilicet persona et natura. Si autem consideremus personam assumentem, sic conjungitur humanae naturae assumptae tertio modo conjunctionis: quia persona divina fit persona hujus naturae humanae: sed ex his duobus non resultat aliquod tertium, sicut etiam in Socrate ex persona ejus et natura non fit aliquod tertium, sed persona ejus in humana natura subsistit. Si autem consideremus naturam assumentis, sic conjunctio ejus ad naturam humanam est secundum primum modum conjunctionis, inquantum duae naturae in una persona conveniunt, quae in naturalibus proprietatibus nihilominus distinctae sunt. Et ideo incarnatio insertioni comparatur: sicut enim in insertione in eodem trunco in quo erat unus ramus per naturam, fit ramus alius per insertionem; ita in eadem persona in qua naturaliter erat divina natura, est per unionem humana natura. In uno autem genere vel specie Deum et creaturam convenire impossibile est; sed per analogiam possibile est. Sed hoc ex tunc fuit ex quo creaturae esse coeperunt: et ideo de hoc non est ad praesens quaestio.

Réponse. L’union entre deux ou trois choses peut exister de trois façons. D’une manière, parce que des choses ne sont unies entre elles que par l’union avec une autre chose. Mais, en sens inverse, certaines choses sont unies par leur union réciproque et avec une autre chose, qui est réalisée par leur union. Cependant, certaines choses [sont unies] par leur union réciproque, mais non avec une autre chose, car rien ne résulte de leur union. Le premier mode se produit de quatre manières. En effet, soit que cette chose unique en laquelle elles unies est identique en nombre, comme les deux bras sont unis à un seul torse ou comme deux branches qui ne se touchent que par le tronc ; soit que cette chose est une selon l’espèce, comme Socrate et Platon dans l’homme, ou une selon le genre, comme l’homme et l’âme dans l’animal ; soit [qu’elle est] une par une analogie ou une proportion, comme la substance et la qualité dans un être, car le rapport entre la substance et l’être qui lui est dû est le même qu’entre la qualité et l’être qui lui convient selon son genre. Mais ce qui est uni réciproquement et avec une autre chose réalisée par leur union est comme la matière et la forme, car la forme est unie à la matière comme sa perfection, et les deux sont unies dans une nature commune. De même en est-il des parties quantitatives continues les unes par rapport aux autres, de sorte qu’un tout provient d’elles, dans lequel deux parties ont quelque chose en commun. Mais les choses qui sont unies les unes par rapport aux autres, mais non dans une autre, sont comme l’accident et le sujet, par lesquels n’est pas réalisé quelque chose d’un par soi, dont le sujet et l’accident puissent être appelés les parties, comme cela est démontré dans Métaphysique, VIII. Et parce que, ainsi que le dit Hilaire dans La Trinité, I, il n’y a aucune comparaison entre les réalités terrestres et Dieu, et que la raison n’apportera aucun exemple suffisant des réalités divines, il faut savoir qu’aucune de ces manières ne convient entièrement à l’union ineffable par laquelle Dieu est uni à l’homme. Cependant, certaines de ces manières représentent partiellement ce mode d’union. Il faut donc savoir que le mode intermédiaire selon lequel certaines choses sont unies réciproquement, de sorte qu’une troisième chose en résulte, ne peut d’aucune manière convenir à Dieu, car les deux choses qui sont unies de cette manière se trouvent être des parties de la troisième. Or, la raison de partie, comme celle d’imparfait, est totalement écartée de Dieu. En effet, dans l’incarnation, deux choses peuvent être prises en compte du point de vue de celui qui assume : la personne et la nature. Or, si nous considérons la personne qui assume, elle est unie à la nature humaine assumée selon le troisième mode d’union, car la personne divine devient la personne de cette nature humaine ; mais il ne résulte pas de ces deux choses une troisième, comme une troisième chose n’est pas réalisée chez Socrate par sa personne et sa nature, mais sa personne subsiste dans la nature humaine. Toutefois, si nous considérons la nature de celui qui assume, son union à la nature humaine se réalise selon le premier mode d’union, dans la mesure où les deux natures se retrouvent dans une seule personne, alors qu’elles sont néanmoins distinctes par leurs propriétés naturelles. C’est pourquoi l’incarnation est comparée à une greffe : en effet, de même que, par la greffe à un même tronc où se trouvait une branche par nature, une autre branche apparaît par la greffe, de même, dans la même personne où se trouvait naturellement la nature divine, se trouve la nature humaine par l’union. Or, il est impossible que Dieu et la créature se retrouvent dans un seul genre ou une seule espèce, mais cela est possible par analogie. Mais cela a existé depuis le moment où les créatures ont commencé à exister. C’est pourquoi telle n’est pas présentement la question.

 [7400] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod contingit aliquando in relativis aliquid relative dici, non quia ipsum referatur, sed quia alterum refertur ad ipsum, sicut scibile relative dicitur ad scientiam: et in talibus aliquid incipit dici de novo quod prius non dicebatur, nulla mutatione facta circa ipsum, sed circa alterum: nulla enim mutatione facta circa scibile, incipit esse a me scitum per mei mutationem: et similiter dicitur res scibilis non per potentiam passivam quae sit in ipsa, sed per potentiam quae est in sciente: et sic est in proposito. Non enim potest esse ut creator ad creaturam referatur nisi quia creatura ad ipsum refertur, in qua relatio realiter existit, ut in 1 Lib. dictum est, dist. 30; et ideo Deus dicitur uniri non per mutationem sui, sed ejus cui unitur: et similiter cum dicitur unibilis, hoc dicitur non per potentiam aliquam passivam in Deo existentem, sed per potentiam quae in creatura est ut uniri possit. Vel potest dici, quod unibile non dicit potentiam passivam, sed activam. Sed haec responsio non congruit propter duo. Primo ex ipsa significatione nominis: quia unibile significat possibile uniri; unitivum vero potens unire. Secundo, quia cujus est actio ejus est potentia: unde cum haec actio quae est unire, conveniat indifferenter toti Trinitati; et unibile si dicit activam potentiam unionis, toti Trinitati indifferenter conveniet, et non magis congruet filio, ut in littera dicitur.

 [1] Il arrive parfois que, dans les choses relatives, on dise quelque chose de manière relative, non pas parce que cela est mis en rapport, mais parce que quelque chose d’autre est mis en rapport avec cela, comme ce qui est connaissable est mis en rapport avec la science. Pour de telles choses, on commence à dire quelque chose qui n’était pas dit auparavant, sans mentionner la chose, mais son rapport à quelque chose d’autre. En effet, sans qu’aucun changement n’ait lieu dans ce qui peut être connu, cela commence à être connu par moi par un changement de ma part. De même, une chose est dite connaissable, non pas par une puissance passive qui est en elle, mais par une puissance qui se trouve dans celui qui connaît. Tel est le cas ici. En effet, il ne peut arriver que le Créateur soit mis en rapport avec la créature que parce que la créature, chez qui la relation existe réellement, est mise en rapport avec lui, comme on l’a dit dans le livre I, d. 30. C’est pourquoi on dit que Dieu est uni, non par un changement de sa part, mais par un changement de la part de ce qui est uni. De même, lorsqu’on dit qu’il peut être uni, on le dit, non pas en raison d’une puissance passive existant en Dieu, mais d’une puissance d’être unie qui existe dans la créature. Ou bien on peut dire que ce qui peut être dit ne signifie pas une puissance passive, mais active. Mais cette réponse ne convient pas pour deux raisons. Premièrement, en raison de la signification même du mot, car ce qu’il est possible d’unir signifie ce qui peut uni, mais ce qui unit, ce qui peut unir. Deuxièmement, parce que la puissance appartient à ce à quoi appartient l’action. Ainsi, puisque cette action, qui consiste à unir, convient de manière indifférenciée à la Trinité, ce qui peut être uni, si on exprime par là la puissance active d’unir, conviendra aussi de manière indifférenciée à la Trinité, et ne conviendra pas plutôt au Fils, comme on le dit dans le texte.

 [7401] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illud quod est perfectum in se, non unitur alteri ad acquirendum aliquam perfectionem, sed ad communicandum: et sic Deus homini uniri voluit non propter se, quia non habet quo crescat ejus perfectio, sed propter hominem cui subveniendum erat: sicut etiam Deus est in omnibus per essentiam, praesentiam et potentiam, suam bonitatem in omnibus diffundendo; ex quo tamen nihil sibi accrescit.

 [2] Ce qui est parfait en soi n’est pas uni à quelque chose d’autre pour acquérir une perfection, mais pour la communiquer. Ainsi, Dieu a voulu être uni, non pas pour lui-même, car sa perfection n’y trouve pas à s’accroître, mais pour l’homme, au secours de qui il devait venir ; comme aussi Dieu existe en toutes choses par son essence, sa présence et sa puissance, en diffusant sa bonté en toutes choses, sans en être en rien accru.

 [7402] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod proportio dicitur dupliciter. Uno modo idem est proportio quod certitudo mensurationis duarum quantitatum: et talis proportio non potest esse nisi duorum finitorum, quorum unum excedit secundum aliquid certum et determinatum. Alio modo dicitur proportio habitudo ordinis, sicut dicimus esse proportionem inter materiam et formam, quia se habet in ordine, ut perficiatur materia per formam, et hoc secundum proportionabilitatem quamdam: quia sicut forma potest dare esse, ita et materia potest recipere idem esse: et hoc modo etiam movens et motum debent esse proportionabilia, et agens et patiens, ut scilicet sicut agens potest imprimere aliquem effectum, ita patiens possit recipere eumdem. Nec oportet ut commensuretur potentia passiva recipientis ad potentiam activam agentis nec secundum numerum (sicut unus artifex per artem suam potest in ligno inducere plures formas, ut formam arcae, et formam serrae; sed lignum non potest recipere nisi unam illarum) nec etiam secundum intentionem: quia artifex per suam artem potest producere pulchram sculpturam, quam tamen lignum nodosum non potest recipere. Et ideo non est inconveniens ut hic modus proportionis inter Deum et creaturam salvetur, quamvis in infinitum distent: et ideo possibilis est unio utriusque.

 [3] On parle de proportion de deux manières. D’une manière, la proportion est la même chose qu’une mesure assurée entre deux quantités. Une telle proportion ne peut exister qu’entre deux réalités finies, dont l’une dépasse selon quelque chose de précis et de déterminé. D’une autre manière, on appelle proportion un rapport d’ordre, comme lorsque nous disons qu’il existe une proportion entre la matière et la forme, car [la matière] est ordonnée à être perfectionnée par la forme, et cela selon une certaine possibilité de proportion, car, de même que la forme peut donner l’être, de même la matière peut-elle aussi recevoir le même être. De cette manière, même ce qui meut et ce qui est mû doivent être susceptibles de proportion, ainsi que l’agent et le patient, de sorte que, de même que l’agent peut provoquer un certain effet, de même ce qui subit peut-il recevoir ce même [effet]. Et il n’est pas nécessaire que la puissance passive de ce qui reçoit soit égale à la puissance active de l’agent, ni selon le nombre (comme un artisan peut par son art introduire plusieurs formes dans le bois, ainsi la forme d’une arche et la forme d’un charriot; mais le bois ne peut recevoir qu’une seule d’entre elles), ni même selon l’intention, car l’artisan peut par son art produire une belle sculpture, que le bois plein de nœuds ne peut cependant recevoir. C’est pourquoi il n’est pas inapproprié que ce mode de proportion entre Dieu et la créature soit conservé, bien qu’il existe une distance infinie entre eux. C’est la raison pour laquelle l’union des deux est possible.

 [7403] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod contraria nunquam possunt uniri hoc modo quod insint eidem secundum idem; et sic etiam nec creatura creatori unitur; quia secundum Damascenum, quod erat increabile, mansit increabile; et quod erat creabile, mansit creabile.

 [4] Les contraires ne peuvent jamais être unis de manière à être présents dans la même chose sous le même aspect. Aussi la créature n’est-elle pas unie au créateur de cette manière, car, selon [Jean] Damascène, « ce qui ne pouvait être créé demeure impossible à créer, et ce qui pouvait être créé, il demeure possible de le créer ».

 [7404] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod aliquid dicitur esse virtus in corpore pluribus modis. Uno modo quia est forma corporis, et non habet operationem nisi mediante corpore; et sic potentiae sensitivae, et quae infra eas sunt dignitate, dicuntur virtutes in corpore. Alio modo potest dici virtus in corpore, quia est forma dans esse corpori, non tamen operans mediante corpore, quamvis indigeat corpore ad suam operationem, per quod repraesentatur sibi suum objectum: et hoc modo intellectus possibilis est virtus in corpore. Alio modo posset dici virtus in corpore quod est forma corporis, quamvis non operetur mediante corpore, nec a corpore aliquid recipiat; sicut dixerunt de animabus orbium, qui posuerunt caelos animatos anima intellectuali tantum. Et patet, quia esse virtutem in corpore significat vel esse formam corporis, vel etiam cum hoc dependere aliquo modo ejus operationem a corpore: quorum neutrum de Deo dicimus, secundum quod incarnatus est. Unde ad hoc quod ponamus eum incarnatum, non oportet quod ponamus eum virtutem in corpore, vel aliquo modo ad corpus finiri.

 [5] On parle de puissance dans un corps de plusieurs manières. D’une manière, parce qu’elle est la forme du corps et ne possède d’opération que par l’intermédiaire du corps. Les puissances sensibles, et celles qui leur sont inférieures en dignité, sont appelées des puissances dans le corps. D’une autre manière, on parle de puissance dans le corps parce qu’elle est la forme qui donne son être au corps, mais qui n’agit cependant pas par l’intermédiaire du corps, bien qu’elle ait besoin, pour son opération, du corps qui lui présente son objet. C’est de cette manière que l’intellect possible est une puissance dans le corps. D’une autre manière, on peut parler d’une puissance dans le corps qui est la forme du corps, bien qu’elle n’agisse pas par l’intermédiaire du corps ni ne reçoive quelque chose du corps, comme ceux qui affirmaient que le ciel était animé par une âme intellectuelle seulement parlaient des âmes des sphères. Et cela est clair, car être une puissance dans un corps signifie soit être la forme du corps, soit que son opération dépend d’une certaine manière du corps. Nous ne disons aucune des deux choses de Dieu, en tant qu’il s’est incarné. Aussi pour que nous affirmions qu’il s’est incarné, il n’est pas nécessaire que nous affirmions qu’il est une puissance dans un corps ou qu’il est d’une certaine manière limité à un corps.

 

 

Articulus 2 [7405] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 tit. Utrum Deum incarnari fuerit congruum

Article 2 – Était-il convenable que Dieu s’incarne ?

 [7406] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod non fuerit congruum Deum incarnari, etsi fuerit possibile. Sicut enim bonitati opponitur malitia, ita majestati opponitur infirmitas. Sed summam bonitatem non decet assumere aliquam malitiam. Ergo summae majestati indecens est omnis infirmitas. Omnis autem sapiens vitat indecentiam. Ergo cum Deus sit sapientissimus, nullo modo nostram naturam, quae infirma est, assumere debuit.

1. Il semble qu’il n’était pas convenable que Dieu s’incarne, même si cela était possible. En effet, de même que la bonté s’oppose à la malice, de même la faiblesse s’oppose-t-elle à la majesté. Or, il ne convient pas que la plus grande bonté assume la malice. Toute faiblesse était donc inappropriée pour la plus haute majesté. Or, tout sage évite ce qui n’est pas approprié. Puisque Dieu est le plus sage, il ne devait donc d’aucune manière assumer notre nature qui est faible.

 [7407] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, peccatum hominis et peccatum Angeli fuerunt ejusdem generis, quia uterque per superbiam peccavit. Sed Deus Angelorum peccato non subvenit per alicujus naturae assumptionem. Ergo nec peccato hominis subvenire debuit per incarnationem.

2. Le péché de l’homme et le péché de l’ange étaient du même genre, car les deux ont péché par orgueuil. Or, Dieu n’est pas venu au secours du péché des anges en prenant de quelque manière leur nature. Il ne devait donc pas venir au secours du péché de l’homme par l’incarnation.

 [7408] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, creatio recreationi respondet. Sed Deus ad creationem hominis nullam creaturam assumpsit. Ergo nec ad ejus recreationem incarnari eum congruum fuit.

3. La création répond à la recréation. Or, Dieu n’a assumé aucune créature pour la création de l’homme. Il ne convenait donc pas qu’il s’incarne pour sa recréation.

 [7409] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, ut in Psalm. 144, 9, dicitur, miserationes ejus super omnia opera ejus. Ergo plus decuit quod Deus ostenderet immensitatem suae misericordiae quam severitatem suae justitiae. Sed ad magnitudinem misericordiae pertinet ut peccata sine satisfactione remittantur: unde et a Deo nobis praecipitur ut debitoribus nostris gratis dimittamus. Ergo et Deus naturam humanam gratis reparare debuit, non expetendo satisfactionem: et ita non fuit opportunum ut Deus homo fieret ad satisfaciendum pro hominibus.

4. Comme le dit le Ps 144, 9, sa miséricorde l’emporte sur toutes ses œuvres. Il convenait donc davantage que Dieu manifeste l’immensité de sa miséricorde que la sévérité de sa justice. Or, il relève de la grandeur de sa miséricorde qu’il remette les péchés sans satisfaction ; aussi nous est-il ordonné par Dieu de remettre gratuitement à nos débiteurs. Dieu devait donc réparer gratuitement la nature humaine, sans exiger de satisfaction. Ainsi n’était-il pas opportun que Dieu devienne homme afin de satisfaire pour les hommes.

 [7410] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, nulla crudelitas Deo est attribuenda, quia summe est misericors. Sed exigere ab aliquo plus quam potest, est crudele. Ergo Deus non exigit satisfactionem ab homine quam homo non potest implere; et ita homo per se potest satisfacere: et sic non fuit necessarium quod Deus incarnaretur.

5. Aucune cruauté ne doit être attribuée à Dieu, car il est miséricordieux au plus haut point. Or, exiger de quelqu’un plus qu’il ne peut est cruel. Dieu n’exige donc pas de l’homme une satisfaction que l’homme ne peut accomplir. Ainsi, l’homme peut satisfaire par lui-même. Il n’était donc pas nécessaire que Dieu s’incarne.

 [7411] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 arg. 6 Praeterea, quicumque potest satisfacere pro majori peccato, potest satisfacere pro minori. Sed mortale peccatum actuale est majus quam originale, quia habet plus de voluntario. Ergo cum homo possit pro mortali satisfacere, potest pro originali multo fortius satisfacere; et sic idem quod prius.

6. Quiconque peut satisfaire pour un péché plus grand peut satisfaire pour un plus petit. Or, un péché mortel actuel est plus grand que le péché originel, car il comporte plus de volontaire. Puisque l’homme peut satisfaire pour un péché mortel, il peut à bien plus forte raison satisfaire pour le péché originel. La conclusion est ainsi la même que précédemment.

 [7412] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 arg. 7 Praeterea, in primo parente idem fuit peccatum originale et actuale. Sed ipse per poenitentiam de peccato actuali satisfecit. Ergo et de originali potuit satisfacere; et sic idem quod prius.

7. Chez le premier parent, le péché originel était le même que le péché actuel. Or, il a lui-même satisfait par la pénitence pour le péché actuel. Il pouvait donc satisfaire pour le péché originel. La conclusion est ainsi la même que précédemment.

 [7413] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 arg. 8 Praeterea, secundum Dionysium, lex divinitatis est ultima per media reducere. Sed homo per peccatum a Deo abjectus erat. Ergo cum natura angelica inter naturam divinam et humanam sit media, ut in 4 cap. Cael. Hierar. ostenditur, videtur quod etsi homo sufficienter satisfacere non poterat, per Angelum hoc fieri debuerit, et non per Deum incarnatum.

8. Selon Denys, la loi de la divinité consiste à ramener les dernières choses par les réalités intermédiaires. Or, l’homme avait été rejeté loin de Dieu par le péché. Puisque la nature angélique est intermédiaire entre la nature divine et la nature humaine, comme cela est montré dans La hiérarchie céleste, IV, il semble donc que, même si l’homme ne pouvait satisfaire suffisamment, cela devait être accompli par un ange, et non par Dieu incarné.

 [7414] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 arg. 9 Praeterea, quodlibet bonum creatum finitum est. Sed bonum totius humanae naturae est creatum: quolibet autem finito potest Deus facere aliquid majus. Ergo Deus potest facere unam creaturam, cujus bonitas praeponderet bonitati totius naturae humanae. Ergo per illam posset recompensari corruptio totius humanae naturae: et ita videtur quod non oportuit ad reparationem humani generis Deum incarnari.

9. Tout bien créé est fini. Or, le bien de toute la nature humaine est créé. Mais Dieu peut faire quelque chose de plus grand que tout ce qui est fini. Dieu peut donc faire une créature dont la bonté l’emporterait sur la bonté de toute la nature humaine. Il pourrait donc compenser par elle la corruption de toute la nature humaine. Il semble ainsi qu’il n’était pas nécessaire que Dieu s’incarne pour restaurer le genre humain.

 [7415] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, non erat conveniens ut una nobilissimarum creaturarum suo fine totaliter frustraretur. Sed humana natura est inter nobilissimas naturas. Cum ergo tota corrupta fuerit per peccatum in primo parente, et ita beatitudine privata, ad quam instituta erat, congruum fuit ipsam reparari. Sed reparatio humani generis non potest fieri nisi peccatum dimittatur; nec justum est ut peccatum sine satisfactione dimittatur. Ergo oportuit pro peccato totius humanae naturae satisfieri. Sed satisfactio decenter fieri non potest nisi ab eo qui debet satisfacere et potest. Ergo sic debuit fieri. Sed non debet nisi homo qui peccavit, et non potest nisi Deus: quia quaelibet creatura totum suum esse Deo debet, nedum ut pro alio satisfacere possit: et sic aliqua creatura pro homine non potest satisfacere, nec ipse pro se, cum peccato indignus reddatur.

Cependant, [1] il ne convenait pas que l’une des créatures les plus nobles fut entièrement dépossédée de sa fin. Or, la nature humaine fait partie des natures les plus nobles. Puisqu’elle avait été tout entière corrompue par le péché chez le premier parent et ainsi, privée de la béatitude pour laquelle elle avait été créée, il convenait qu’elle soit restaurée. Or, la restauration du genre humain ne peut être réalisée que si le péché est enlevé, et il n’est pas juste que le péché soit enlevé sans satisfaction. Il fallait donc qu’il y ait satisfaction pour le péché de toute la nature humaine. Or, la satisfaction ne peut être accomplie comme il convient que par celui qui doit et peut satisfaire. Elle devait donc être ainsi accomplie. Or, ne doit [satisfaire] que l’homme qui a péché, et seul Dieu peut le faire, car toute créature doit son être tout entier à Dieu, de sorte qu’elle peut encore bien moins satisfaire pour quelqu’un d’autre. Ainsi, une créature ne peut satisfaire pour l’homme, ni lui-même pour lui-même, puisqu’il est rendu indigne par le péché.

 [7416] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, nullius creaturae bonum excedit bonum naturae humanae, ut recompensationem pro tota natura possit facere. Ergo opportunum fuit ut Deus homo fieret ad satisfaciendum pro homine.

 [2] Le bien d’aucune créature ne dépasse pas le bien de la nature humaine, de sorte qu’il puisse compenser pour la nature entière. Il était donc opportun que Dieu devienne homme afin de satisfaire pour l’homme.

 [7417] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 s. c. 3 Praeterea, Sap. 7, 30, dicitur: sapientia vincit malitiam. Sed per malitiam Diaboli et hominis humana natura, quae opus est Dei, abjecta erat quantum dejici potuit in culpam et in miseriam. Ergo decuit ut sapientia Dei ipsam exaltaret quantum exaltari potuit. Ergo cum humana natura sit assumptibilis in unitatem divinae personae, ut prius dictum est, videtur congruum fuisse ut Deus humanam naturam assumeret.

 [3] Il est dit en Sg 7, 30 : La sagesse l’emporte sur la malice. Or, par la malice du Diable et de l’homme, la nature humaine, qui est l’œuvre de Dieu, avait été rejetée autant qu’elle pouvait l’être dans la faute et la misère. Il convenait donc que la sagesse de Dieu l’élève autant qu’elle pouvait être élevée. Puisque la nature humaine peut être assumée dans l’unité d’une personne divine, comme on l’a dit plus haut, il semble donc qu’il était convenable que Dieu assume la nature humaine.

 [7418] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 s. c. 4 Item Jacob. 4, 6: Deus superbis resistit. Sed per superbiam Diabolus homini invidens eum servum suum constituit, et injuste in servitute detinuit, cum ad servitium Dei creatus sit. Ergo decuit ut summe potens Deus nequitiae Diaboli resisteret, ut non solum hominem de ejus potestate eriperet, sed etiam e converso hominem dominum Diaboli constitueret. Sed cum nulla creatura sit superior angelica natura, quae est in Diabolo, hoc non posset esse, nisi homo qui hoc faceret, Angelorum dominus esset, quod soli Deo convenit. Ergo decuit ut Deus homo fieret, ut sic in nomine Jesu omne genu flectatur, caelestium, terrestrium, et Infernorum; Philip. 2, 10.

 [4] Jc 4, 6 dit : Dieu résiste aux orgueilleux. Or, par l’orgueuil, le Diable, envieux de l’homme, l’a rendu esclave et l’a détenu injustement comme esclave, alors qu’il a été créé pour le service de Dieu. Il convenait donc que le Dieu tout-puissant résiste à la méchanceté du Diable, de sorte que non seulement il arrache l’homme à son pouvoir, mais fasse de l’homme le maître du Diable. Or, comme aucune créature n’est supérieure à la nature angélique, qui existe chez le Diable, cela ne pouvait se réaliser que si l’homme qui avait fait cela était le maître des anges, ce qui ne convient qu’à Dieu. Il convenait donc que Dieu devienne homme, afin qu’ainsi au nom de Jésus, tout genou soit fléchi, au ciel, sur terre et dans les enfers, Ph 2, 10.

 [7419] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod ad ea quae fidei sunt, ratio demonstrativa haberi non potest, cum fides de non apparentibus esse dicatur Hebr. 11, et praecipue in illis quae ex mera Dei voluntate proveniunt, cujusmodi est incarnatio; et ideo ad incarnationem probandam ratio demonstrativa haberi non potest, nec etiam in contrarium quia cum demonstratio scire faciat, scientia autem non nisi verorum sit, oportet omne quod demonstratur verum esse, et ejus contrarium falsum; et ideo sufficit defendere quod non est impossibile incarnationem esse, quod in 1 art. ex parte dictum est, et ostendere aliquam congruentiam ad incarnationem, quod ad hunc articulum pertinet. Sciendum ergo, quod supposito lapsu humanae naturae, congruentia incarnationis apparet ex tribus: scilicet ex plenitudine divinae misericordiae, et ex immobilitate justitiae ipsius, et ex decenti ordine sapientiae ejus. Quia igitur Deus summe bonus et misericors est, decuit ut nulli negaret hoc cujus capax erat. Ergo cum humana natura lapsa esset, et nihilominus reparabilis erat, decuit ut eam repararet. Quia etiam justitia ejus immutabilis est, cujus lege sancitum est ut nunquam peccatum sine satisfactione dimittatur, decuit ut in humana natura institueret eum qui satisfacere posset: quia hoc purus homo per se facere non poterat, ut dicetur. Sed quia summe sapiens est, convenientissimum modum reparationis debuit adinvenire. Modus autem convenientissimus est ut integre natura repararetur, et faciliter ad id quod amiserat, homo pervenire posset. Si autem hominem per Angelum repararet, non integra esset reparatio: quia semper homo Angelo salutis suae debitor esset; et ita ei in beatitudine adaequari non posset; quod tamen consecutus fuisset si non peccasset, sicut et nunc consequuntur homines per gratiam reparationis, ut sint sicut Angeli Dei in caelo, Matthaei 22. Et ideo decuit ut non Angelus, sed ipse Deus hominem repararet. Similiter ut esset facilis modus ascendendi in Deum, decuit ut homo ex his quae sibi cognita sunt tam secundum intellectum quam affectum, in Deum consurgeret; et quia homini connaturale est secundum statum praesentis miseriae ut a visibilibus cognitionem accipiat, et circa ea afficiatur; ideo Deus congruenter visibilis factus est, humanam naturam assumendo, ut ex visibilibus in invisibilium amorem et cognitionem rapiamur.

Réponse. On ne peut accéder à ce qui relève de la foi par un argument démonstratif, puisqu’on dit de la foi qu’elle porte sur ce qui n’est pas manifeste, He 11, surtout pour ce qui relève de pure volonté de Dieu, comme c’est le cas de l’incarnation. Il ne peut donc y avoir d’argument démonstratif pour prouver l’incarnation, et pas davantage pour aller en sens contraire, car, puisqu’une démonstration produit la science et que la science ne porte que sur ce qui est vrai, il est nécessaire que le contraire de tout ce qui est démontré vrai soit faux. Il suffit donc de défendre que l’existence de l’incarnation n’est pas impossible, ce qu’on a dit en partie dans l’art. 1, et de montrer qu’il existe une certaine convenance pour l’incarnation, ce qui relève du présent article. Il faut donc savoir qu’en supposant la chute de la nature humaine, la convenance de l’incarnation se montre de trois façons : à partir de la plénitude de la miséricorde divine ; à partir de l’immuabilité de sa justice ; et à partir de l’ordre qui convient à sa sagesse. Ainsi donc, parce que Dieu est bon et miséricordieux au plus haut point, il convenait qu’il ne refuse à personne ce dont celui-ci est capable. Puisque la nature humaine était tombée et n’était pas moins susceptible de restauration, il convenait donc qu’il la restaure. Aussi, parce qu’est immuable la justice de celui qui a établi par une loi que le péché n’est jamais remis sans une satisfaction, il convenait qu’il établisse dans la nature humaine celui qui pourrait satisfaire, car un simple homme ne pouvait réaliser cela par lui-même, comme on le dira. Mais parce qu’il est sage au plus haut point, il devait trouver le monde de restauration le plus convenable. Or, le mode le plus convenanble consiste en ce que la nature soit intégralement restaurée et que l’homme puisse parvenir facilement à ce qu’il avait perdu. S’il restaurait l’homme par un ange, la restauration n’aurait pas été entière, car l’homme serait toujours le débiteur de son salut à un ange. Ainsi, il ne pourrait être son égal pour la béatitude, ce qu’il aurait cependant obtenu s’il n’avait pas péché, comme les hommes obtiennent maintenant par la grâce de la restauration d’être comme les anges de Dieu dans le ciel, Mt 22. Aussi convenait-il que ce ne soit pas un ange, mais Dieu lui-même qui restaure l’homme. De même, pour que la manière de monter vers Dieu soit facile, il convenait que l’homme s’élève vers Dieu à partir de ce qui lui est connu, aussi bien selon l’intellect que selon l’affectivité. Et parce qu’il est connaturel à l’homme, dans l’état de sa misère présente, de tirer la connaissance à partir des réalités sensibles et que son affectivité se porte vers elles, Dieu s’est donc convenablement rendu visible en prenant la nature humaine, afin que nous soyons entraînés à l’amour et à la connaissance des réalités invisibles à partir de réalités visibles.

 [7420] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod majestatem non decuit infirmitas eam deprimens et quodammodo involvens. Talis autem non fuit illa de qua sermo est; nec per incarnationem infirmitas humanitatis diminuit potentiam majestatis: quia duae naturae in una persona inconfuse et inalterabiliter sunt unitae. Nec est similis ratio de malitia et infirmitate: quia infirmitas de sui ratione non privat ordinem a fine; et ideo propter aliquem finem assumi potuit; sed malitia dicitur secundum deordinationem a fine; et ita omnem congruitatem tollit; unde omnino indecens fuisset ut summa bonitas quocumque modo malitiam assumeret.

1. La faiblesse qui l’abaisse et d’une certaine manière l’obscurcit ne convenait pas à la majesté. Mais telle ne fut pas celle dont on parle ici, et, par l’incarnation, la faiblesse de l’humanité ne diminue pas la puissance de la majesté, car les deux natures ont été unies en une seule personne sans confusion et sans altération. Le raisonnement n’est pas le même pour la malice et la faiblesse, car la faiblesse ne prive pas par sa raison même de l’ordre à la fin ; aussi pouvait-elle être assumée pour une certaine fin. Mais on parle de malice pour un désordre par rapport à la fin, et ainsi elle enlève toute convenance. Il aurait donc été tout à fait inapproprié que la bonté suprême assume la malice de quelque manière que ce soit.

 [7421] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod peccatum hominis fuit remediabile, non autem peccatum Angeli; cujus ratio multipliciter assignatur. Primo ex virtute naturali utriusque: quia quantum ad cognitivam Angelus cognoscit in luce plena per intellectum deiformem, ut possit totum considerare sine inquisitione quod ad electionem alicujus rei pertinet, ut sic per ignorantiam non excusetur, sicut homo qui cognoscit quae agenda sunt deliberando per rationem, quae est quasi quaedam obumbratio intellectus, ut dicit Isaac in Lib. de definitionibus: quantum ad affectivam vero, quia voluntas Angeli invertibilis est post electionem, cum sit infra voluntatem divinam, quae est invertibilis ante et post, et supra voluntatem humanam, quae est vertibilis ante et post; ideo Angelus malo quod appetiit peccando, immobiliter inhaeret. Secunda ratio assignatur ex natura utriusque: quia Angelorum natura non propagatur ex uno, ex quo vitium contrahat, sicut humana; et ideo nec per unum eam reparari congruit: et hoc est quod videtur apostolus dicere ad Rom. 5, 12: sicut per unum hominem peccatum in hunc mundum intravit, et per peccatum mors, et ita in omnes homines mors pertransiit, in quo omnes peccaverunt. Tertia ex peccato utriusque: et quantum ad genus peccati; quia homo superbivit ex appetitu scientiae, cujus natura creata capax est; Angelus vero ex appetitu potentiae, quam natura creata non ita perfecte potest recipere sicut scientiam; unde et animae Christi communicata est omniscientia, sed non omnipotentia: et etiam quantum ad circumstantiam peccati: quia homo peccans et de venia cogitavit, et in aliquo deceptus est, ut in 2 libro dicitur, dist. 4 in textu et dist. 22, quaest. 1, art. 2 et 3, non autem Angelus peccans; et similiter quantum ad occasionem peccati, quam homo habuit, quia alio suggerente peccavit, non autem Angelus. Quarta ex justitia divina: quia omnes illi ad quos corruptio peccati primi hominis venire debebat, nondum erant in actu, sed in virtute tantum; et ideo non decebat ut priusquam essent, ultimam damnationem reciperent, sicut omnes Angeli actu existentes proprio arbitrio peccaverunt. Quinta ex misericordia divina: quia tota natura humana lapsa erat in uno parente, non autem tota natura angelica; et ideo magis indecens erat ut natura humana tota relinqueretur sub damnatione quam natura angelica, quae non tota corruerat. Sexta vero et praecipua est ex parte status utriusque: quia homo non peccavit in termino viae suae sicut Angelus, cui ad propriam electionem status viae finitus est; et hoc consonat verbo Damasceni qui dicit, quod hoc est hominibus mors quod Angelis casus; et de hoc in Lib. 2, dist. 7, qu. 1, art. 2, dictum est.

2. Il pouvait être rémédié au péché de l’homme, mais non au péché de l’ange, et il y a à cela plusieurs raisons. Premièrement, en vertu de la puissance naturelle des deux. En effet, l’ange connaît selon une pleine lumière par un intellect déiforme, de sorte qu’il peut tout considérer sans recherche ce qui se rapporte au choix d’une certaine chose ; ainsi, il n’est pas excusé par l’ignorance, comme l’homme qui connaît ce qu’il faut faire en délibérant par la raison, qui est comme une ombre de l’intellect, ainsi que le dit Isaac dans le Livre sur les définitions. Mais, pour ce qui est de l’affectivité, la volonté de l’ange ne peut être changée après le choix, puisqu’elle est inférieure à la volonté divine, qui ne peut être changée avant et après, et supérieure à la volonté humaine, qui peut être changée avant et après. C’est pourquoi, en péchant, l’ange adhère de manière immuable au mal qu’il a désiré. La deuxième raison se prend de la nature des deux. En effet, la nature des anges ne se transmet pas à partir d’un seul dont le vice est contracté, comme la nature humaine. C’est pourquoi il ne convenait pas qu’elle soit restaurée par un seul. C’est ce que semble dire l’Apôtre dans Rm 5, 12 : De même que par un seul homme, le péché est entré dans ce monde, et par le péché, la mort, de même la mort est-elle passée chez tous les hommes, en quoi tous ont péché. La troisième raison se prend du péché des deux. Pour le genre du péché, parce que l’homme s’est enorgueilli par le désir de connaître, dont la nature créée est capable, mais l’ange par le désir de puissance, que la nature créée ne peut pas recevoir aussi parfaitement que la science. Ainsi l’omniscience a-t-elle été communiquée à l’âme du Christ, mais non la toute-puissance. Aussi, pour la circonstance du péché, car l’homme, en péchant, a pensé au pardon et a été trompé sur ce point, comme il a été dit dans le livre II, d. 4, dans le texte, et d. 22, q. 1, a. 2 et 3, mais ce ne fut pas le cas de l’ange lorsqu’il a péché. De même, pour l’occasion de pécher qu’a eue l’homme, car il a péché à la suggestion d’un autre, mais non pas l’ange. La quatrième raison se prend de la justice divine, car tous ceux que la corruption du péché du premier homme devait atteindre n’existaient pas encore en acte, mais en puissance seulement. Aussi ne convenait-il pas qu’avant qu’ils n’existent, ils reçoivent une ultime condamnation, comme tous les anges qui existaient en acte ont péché de leur propre arbitre. La cinquième raison se prend de la miséricorde divine, car toute la nature humaine était tombée en un seul parent, mais non pas toute la nature angélique. Il était donc beaucoup moins approprié que la nature humaine soit abandonnée à la damnation, que la nature angélique qui n’était pas tout entière tombée. La sixième raison, et la principale, se prend de l’état des deux, car l’homme n’a pas péché au terme de son cheminement, comme l’ange, pour lequel l’état de cheminement se limitait à son propre choix. Et cela est conforme à la parole de [Jean] Damascène, qui dit que « la mort est pour les hommes ce que la chute est pour les anges ». On a parlé de cela dans le livre II, d. 7, q. 1, a. 2.

 [7422] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in creatione se habet creatura sicut effectus productus in esse per creationem; et ideo non exigitur ut a creatura aliquo modo operatio creationis exeat, sed quod ad eam terminetur; sed in recreatione creatura se habet ut satisfaciens, quod sine ejus operatione fieri non potest; et ideo quamvis creatio sit opus Dei non per aliquam creaturam, tamen oportet quod recreatio per modum redemptionis facta, sit opus Dei naturam creatam assumentis.

3. Dans la création, la créature se présente comme l’effet amené à l’être par la création. Aussi n’est-il pas nécessaire que l’action de la création provienne de quelque manière de la créature, mais qu’elle se termine à elle. Mais, dans la recréation, la créature se présente comme celle qui satisfait, ce qui ne peut se faire sans son action. C’est pourquoi, bien que la création soit l’œuvre de Dieu sans intervention d’une créature, il est cependant nécessaire que la recréation, accomplie par mode de rédemption, soit l’œuvre de Dieu qui assume une nature créée.

 [7423] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis Deus sit summe misericors, sua tamen misericordia nullo modo justitiae suae obviat. Misericordia enim quae justitiam tollit, magis stultitia quam virtus dici debet; et ita Deum non decet: propter quod Deus misericordiam infinitam sic manifestare voluit, ut in nullo ejus justitiae derogaretur; quod factum est, dum pro nobis homo factus est, ut pro nobis satisfaceret: in quo etiam ejus abundantior misericordia ostensa est ad nos, quam si peccatum sine satisfactione dimisisset, inquantum naturam nostram magis exaltavit, et pro nobis mortem pertulit. Nec tamen est simile de homine et de Deo, propter duo. Primo, quia ipse Deus est judex omnium, ad quem pertinet justitiae ordinem servare, non autem homo quilibet; unde et judex non debet proprio arbitrio peccata dimittere impunita. Secundo, quia cum Deus sit ipsa bonitas, ex hoc ipso est aliquod malum quod contra ipsum est; et ideo cum poena non debeatur actui nisi quia malus est; decet ut ipse se vindicet puniendo peccatum quod contra ipsum commissum est. Secus autem est de homine; unde homo non debet punire quasi se vindicans, sed quasi Deum vindicans, si hoc ex officio habet. Unde dicitur Deut. 32, 35, secundum aliam litteram: mihi vindictam, et ego retribuam.

4. Bien que Dieu soit miséricordieux au plus haut point, sa miséricorde ne s’oppose cependant d’aucune manière à sa justice. En effet, la miséricorde qui écarte la justice doit plutôt être appelée une sottise qu’une vertu : elle ne convient donc pas à Dieu. C’est la raison pour laquelle Dieu a voulu manifester sa miséricorde infinie de telle sorte qu’il ne soit d’aucune manière dérogé à sa justice, ce qui s’est réalisé lorsqu’il s’est fait homme pour nous afin de satisfaire pour nous. En cela, sa miséricorde envers nous s’est aussi montrée plus abondante que s’il avait remis le péché sans satisfaction, pour autant qu’il a davantage exalté notre nature et a supporté la mort pour nous. Cependant, il n’en va pas de même de l’homme et de Dieu pour deux raisons. Premièrement, parce que Dieu lui-même est le juge de tous, à qui il revient de préserver l’ordre de la justice, mais ce n’est pas le cas de l’homme. Aussi le juge ne doit-il pas laisser des péchés impunis de son propre arbitre. Deuxièmement, parce que Dieu étant la bonté elle-même, quelque chose est mal du fait même que cela lui est contraire. C’est pourquoi, une peine n’étant due pour un acte que parce que celui-ci est mauvais, il convient qu’il se venge en punissant le péché qui a été commis contre lui. Mais il en va autrement de l’homme. Aussi l’homme ne doit-il pas punir comme s’il se vengeant, mais en vengeant Dieu, s’il cela relève de sa charge. Aussi est-il dit dans Dt 32, 35, selon une autre version : À moi la vengeance : c’est moi qui rends à chacun selon ses mérites !

 [7424] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quantitas peccati ex duobus potest pensari; scilicet ex parte Dei, in quem peccatur; et sic infinitatem quamdam habet, prout offensa Dei est, quia quanto major est qui offenditur, tanto culpa est gravior: vel ex parte boni quod corrumpitur per peccatum; et sic quantitas culpae finita est, scilicet inquantum est corruptio naturae; et ideo ad satisfactionem debitam requiritur actio hominis quae proportionetur quantitati culpae, inquantum corruptio quaedam est; et gratia, cujus virtus quodammodo infinita est, cum sufficiat ad merendum praemium infinitum, per quam satisfactio proportionatur quantitati culpae, prout offensa Dei est; et ideo ex se non sufficit homo ad satisfaciendum, quia ex se gratiam habere non potest. Nec tamen Deus crudelis est hanc satisfactionem exigens: quia quamvis gratiam habere non possit ex se, et ita nec satisfacere; potest tamen satisfacere per id quod Deus paratus est dare, scilicet per gratiam.

5. La quantité du péché peut être mesurée de deux points de vue. Du point de vue de Dieu, contre qui l’on pèche, et ainsi [le péché] comporte une certaine infinité en tant qu’offense de Dieu, car plus celui qui est offensé est grand, plus la faute est grave. Du point de vue du bien qui est corrompu par le péché : la quantité de la faute est ainsi finie en tant que corruption de la nature. C’est pourquoi, pour la satisfaction qui est due, sont nécessaires une action de l’homme proportionnée à la quantité de la faute en tant qu’elle est une certaine corruption, et la grâce, dont la puissance est d’une certaine manière infinie, puisqu’elle suffit pour mériter une récompense infinie, et par laquelle la satisfaction est proportionnée à la quantité de la faute en tant qu’elle une offense à Dieu. Aussi l’homme ne suffi-il pas par lui-même pour satisfaire, car il ne peut avoir la grâce par lui-même. Cependant, Dieu n’est pas cruel en exigeant cette satisfaction, car bien que [l’homme] ne puisse avoir la grâce par lui-même et ne puisse pas ainsi satisfaire, il peut cependant satisfaire par ce que Dieu est disposé à donner : par la grâce.

 [7425] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod quantitas originalis et actualis mortalis peccati potest dupliciter attendi: vel quantum ad principium, vel quantum ad bonum quod per utrumque privatur. Principium autem actualis peccati voluntas propria est; principium autem originalis in isto, est origo ejus vitiata; unde originale quodammodo est necessarium; sed actuale est omnino voluntarium: unde plus habet de ratione culpae et vituperabilis. Bonum autem quod per actuale peccatum corrumpitur, est bonum hujus personae, cui praeponderat bonum totius naturae, quod per originale corrumpitur; quia bonum gentis est divinius quam bonum unius hominis, ut dicitur 1 Ethic. Unde et originale pejus erit quam actuale, ut sic possit dici, quod actuale est major culpa, et originale majus malum. Actio autem satisfacientis, ut prius dictum est, proportionatur quantitati culpae ex parte boni quod per culpam corrumpitur: et cum omnis actio sit personae, quia actus singularium sunt, ideo ad satisfactionem pro actuali sufficit actus cujuscumque hominis cum gratia divina; non autem ad satisfaciendum pro originali peccato, nisi actio illius hominis plus valeret quam totum bonum humanae naturae: et hoc non posset esse, si esset purus homo; et ideo oportuit esse Deum et hominem qui pro originali satisfaceret. Vel dicendum secundum quosdam, quod etiam pro actuali peccato non sufficit purus homo satisfacere, nisi praesupposita satisfactione Christi, ex cujus passione etiam antiquorum patrum satisfactio efficax fuit, qui in fide ejus salvabantur.

6. La quantité du péché originel et du péché mortel actuel peut être considérée de deux manières : du point de vue du principe, ou du point de vue du bien dont on est privé par les deux. Or, le principe du péché actuel est la volonté propre ; mais le principe du péché originel chez quelqu’un est son origine viciée. Aussi le péché originel est-il d’une certaine manière nécessaire, mais le péché actuel est-il entièrement volontaire ; celui-ci a donc davantage le caractère de faute et est plus répréhensible. Mais le bien qui est corrompu par le péché actuel est le bien de telle personne, sur quoi l’emporte le bien de toute la nature, qui est corrompu par le péché originel, car « le bien du peuple est plus divin que le bien d’un seul homme », comme on le dit dans Éthique, I. Ainsi le péché originel sera-t-il pire que le péché actuel, de sorte qu’on peut dire que le péché actuel est une plus grande faute, et le péché originel un plus grand mal. Or, l’action de celui qui satisfait, comme on l’a dit plus haut, est proportionnée à la quantité de la faute du point de vue du bien qui est corrompu par la faute. Comme toute action est le fait de la personne, parce que les actes portent sur des choses singulières, suffit donc pour la satisfaction l’acte de n’importe quel homme accompagné de la grâce divine. Mais ce n’est pas le cas pour le péché originel, à moins que l’action de cet homme ait plus de valeur que tout le bien de la nature humaine. Or, cela ne pourrait exister s’il s’agissait d’un pur homme. Il fallait donc que celui qui satisferait pour le péché originel fût Dieu et homme. Ou bien il faut dire, selon certains, que, même pour le péché actuel, un pur homme ne peut satisfaire que si l’on présuppose la satisfaction du Christ, par la passion duquel même la satisfaction des anciens pères, qui étaient sauvés par la foi en lui, a été efficace.

 [7426] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod in peccato primi hominis persona corrupit naturam: unde illud peccatum potest dupliciter considerari: vel quantum ad corruptionem boni personalis; et sic primus homo pro eo satisfecit adjutorio gratiae Dei: vel inquantum fuit corruptio naturae, et sic pro eo Adam satisfacere non potuit, nec aliquis antiquorum patrum, nisi solum inquantum corruptio naturae in personam redundabat: ex hac enim parte originale peccatum in antiquis patribus per fidem, decimas, circumcisionem et sacrificia solvebatur: et ideo decedentes nondum ad visionem Dei admittebantur, nisi prius per satisfactionem Christi, naturae corruptio sanaretur.

7. Dans le péché du premier homme, la personne corrompt la nature. Aussi ce péché peut-il être envisagé de deux manières : soit quant à la corruption du bien personnel, et ainsi le premier homme a satisfait pour lui avec l’aide de la grâce de Dieu ; soit pour autant qu’il a été une corruption de la nature, et ainsi Adam n’a pu satisfaire pour lui, ni aucun des anciens pères, si ce n’est dans la mesure où la corruption de la nature rejaillissait sur la personne. En effet, de ce point de vue, le péché originel était acquitté chez les anciens pères par la foi, les dîmes, la circoncision et les sacrifices. C’est pourquoi, lorsqu’ils mouraient, ils n’étaient pas encore admis à la vision de Dieu, à moins que n’ait d’abord été guérie la corruption de la nature par la satisfaction du Christ.

 [7427] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 ad 8 Ad octavum dicendum, quod ipsa reparatio humani generis aliquo modo mediantibus Angelis facta est: ipsi enim nasciturum dominum annuntiaverunt, ut dicitur Luc. 1. Non tamen sufficiebat Angelus reparationem perficere, quia satisfacere non poterat pro tota humana natura; nec etiam debebat, quia ipse non peccaverat: et ideo oportuit, ut dictum est Sup., in corp., quod per Deum hominem reparatio humani generis compleretur.

8. La restauration a été accomplie d’une certaine manière par l’intermédiaire des anges. En effet, ceux-ci ont annoncé que le Seigneur allait naître, comme il est dit dans Lc 1. Cependant, l’ange ne suffisait pas pour réaliser la restauration, car il ne peut satisfaire pour toute la nature humaine. Il ne le devait pas non plus, car lui-même n’avait pas péché. Comme on l’a dit plus haut, dans le corps de l’article, il fallait donc que la restauration du genre humain soit accomplie par un Dieu homme.

 [7428] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 ad 9 Ad nonum dicendum, quod nulla creatura, in quantacumque bonitate crearetur, potest sufficere ad reparationem corruptionis humanae naturae per modum satisfactionis: cujus ratio potest esse triplex. Prima est, quia omnis creatura totum quod potest, pro se Deo debet: unde non relinquitur sibi ut pro alio satisfacere possit. Secunda, quia hoc requiritur in satisfactione, ut quod satisfaciens reddit, praeponderet ei quod per culpam ablatum est, vel saltem sit aequale illi. Quamvis autem aliqua natura creata sit vel possit esse melior natura humana; non tamen natura in aliqua persona creata considerata potest adaequare bonitatem totius naturae humanae: bonum enim humanae naturae quodammodo infinitum est per comparationem ad supposita, inquantum natura humana in infinitum per generationem communicabilis est; bonum autem cujuslibet naturae creatae et in se infinitum est, et finitur secundum quod consideratur in uno supposito determinato: et ideo cum actus sint suppositorum, non potest esse ut operatio alicujus creaturae valeat tantum quantum est totum bonum naturae humanae, ut possit esse digna satisfactio pro ejus reparatione. Tertia est, quia, ut in 2 Lib., dist. 19, quaest. 1, art. 4, dictum est, humana natura in prima sua conditione accepit quaedam per quae supra statum suis principiis congruentem elevabatur, sicut immortalitatem quamdam, quae erat gratiae, non naturae, et alia hujusmodi sibi ex pura liberalitate divina collata, quae per peccatum amisit. Unde eam reparare erat ad gradum superiorem ipsam elevare, in quo prius condita fuerat. Non est autem possibile elevare aliquam naturam ad gradum superiorem nisi ei qui naturas condidit, et earum gradus ordinavit: et ideo soli Deo possibile fuit naturam humanam reparare.

9. Aucune créature, quelle que soit la bonté qu’elle possède par la création, ne peut suffire à la restauration de la corruption de la nature humaine par mode de satisfaction. Une triple raison peut en être donnée. La première est que toute créature doit pour elle-même tout ce qu’elle peut ; il ne lui reste donc rien par quoi elle puisse satisfaire pour une autre. La deuxième est que, pour la satisfaction, il est exigé que celui qui satisfait l’emporte sur ce qui a été enlevé par la faute ou, tout au moins, lui soit égal. Or, bien qu’une nature créée soit ou puisse être meilleure que la nature humaine, la nature, considérée dans une personne créée, ne peut cependant pas égaler la bonté de toute la nature humaine. En effet, le bien de la nature humaine est d’une certaine manière infini si on le compare aux suppôts, pour autant que la nature humaine peut se communiquer à l’infini par la généréation ; mais le bien de n’importe quelle nature créée est infini en soi et fini selon qu’on le considère dans un suppôt déterminé. Puisque les actes sont le fait des suppôts, il ne peut donc arriver que l’action d’une créature ait autant de valeur que tout le bien de la nature humaine, de sorte qu’elle puisse être une digne satisfaction pour sa restauration. La troisième raison est que, ainsi qu’on l’a dit dans le livre II, d. 19, q. 1, a. 4, la nature humaine a reçu, en sa condition première, certaines choses par lesquelles elle était élevée au-dessus de l’état qui convenait à ses principes, telles une certaine immortalité, qui était le fait de la grâce, et non de la nature, et d’autres choses de ce genre, qui lui ont été conférées par la pure libéralité divine, et qu’elle a perdues par le péché. Aussi, la restaurer consistait à l’élever au degré supérieur dans lequel elle avait été d’abord créée. Or, il n’est possible d’élever une nature à un degré supérieur que pour celui qui a créé les natures et a ordonné leurs degrésm. Aussi était-il possible à Dieu seul de restaurer la nature humaine.

 

 

Articulus 3 [7429] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3 tit. Utrum si homo non peccasset, Deus fuisset incarnatus

Article 3 – Si l’homme n’avait pas péché, Dieu se serait-il incarné ?

 [7430] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod si homo non peccasset, Deus incarnatus fuisset. Ut enim dicitur Deuter. 32, 4, Dei perfecta sunt opera. Sed perfectio non potest esse, nisi ultimum principio conjungatur, ut sic quasi quidam circulus concludatur, et alterius additio fieri non possit. Cum ergo ipse Deus sit primum, et homo sit ultima creaturarum, decuit ad perfectionem universi ut, etiamsi homo non peccasset, Deus homo fieret.

1. Il semble que si l’homme n’avait pas péché, Dieu ne se serait pas incarné. En effet, comme il est dit dans Dt 32, 4 : Les œuvres de Dieu sont parfaites. Or, il ne peut exister de perfection que si ce qui vient en dernier est uni au principe, de sorte que le cercle soit ainsi fermé et qu’une addition de quelque chose d’autre ne puisse être faite. Puisque Dieu lui-même est ce qui est premier et que l’homme est la dernière des créatures, il convenait donc à la perfection de l’univers que, même si l’homme n’avait pas péché, Dieu devienne homme.

 [7431] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, humilitas est perfecta virtus, ut dicitur in Glossa super Matth. 3, super illud: sic decet nos implere omnem justitiam. Sed omnis perfectio Deo attribuenda est. Ergo ipse perfectissimam humilitatem habet. Perfectissimus autem gradus humilitatis est ut aliquis se inferiori vel conjungat vel subjiciat. Ergo decuisset ut Deus aliquam creaturam assumeret, etiamsi homo non peccasset.

2. « L’humilité est une vertu parfaite », comme il est dit dans la Glose à propos de Mt 3 : Ainsi convient-il que nous accomplissions toute justice. Or, toute perfection doit être attribuée à Dieu. Il possède donc l’humilité la plus parfaite. Or, le degré le plus parfait de l’humilité consiste en ce que l’on s’unisse ou se soumette à un inférieur. Il aurait donc convenu que Dieu assume une créature, même si l’homme n’avait pas péché.

 [7432] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3 arg. 3 Item, Rom. 1, 20: invisibilia Dei, per ea quae facta sunt, intellecta conspiciuntur. Sed potentia et sapientia et bonitas Dei sunt infinita. Ergo decuit, etiamsi homo non peccasset, ut in aliquo effectu manifestarentur. Sed potentia infinita non manifestatur nisi per effectum infinitum, nec sapientia infinita nisi per decorem infinitum, nec bonitas infinita nisi per communicationem infinitam. Cum ergo nulla creatura sit infinita, nec in ea sit infinitus decor resultans ex forma et proportione partium, nec iterum aliqua creatura communicationem boni infiniti recipiat; videtur quod etiam decuit, homine non peccante, uniri Deum homini, ut ex parte hominis ratio effectus esset, et ex parte Dei infinitas, et ex conjunctione divinae naturae ad creaturam infinitus decor resplenderet, et infinitum bonum ipsi naturae humanae communicaretur, scilicet persona increata quae in ea subsisteret.

3. Il est dit en Rm 1, 20 : Ce qui est invisible en Dieu se laisse voir par l’intelligence à travers ce qui a été créé. Or, la puissance, la sagesse et la bonté de Dieu sont infinies. Il convenait donc que, même si l’homme n’avait pas péché, elles se fussent manifestées par quelque effet. Or, la puissance infinie n’est manifestée que par un effet infini, la sagesse infinie, par une beauté infinie, la bonté infinie, par une communication infinie. Puisque aucune créature n’est infinie, qu’il n’y a pas en elle une beauté infinie résultant de sa forme et de la proportion de ses parties, et qu’une créature ne reçoit pas la communication d’un bien infini, il semble donc qu’il convenait, même si l’homme n’avait pas péché, que Dieu soit uni à un homme, pour que, du point de vue de l’homme, un effet existe, et que, du point de vue de Dieu, existe l’infinité [de cet effet], que brille une beauté infinie par l’union de la nature divine à une créature, et qu’un bien infini soit communiqué à la nature humaine elle-même, à savoir, une personne incréée qui subsisterait en elle.

 [7433] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3 arg. 4 Item, per peccatum non est in aliquo capacitas humanae naturae ampliata. Sed post peccatum humana natura inventa est capax tanti boni ut a Deo assumeretur in unitatem personae. Ergo et ante peccatum hujus dignitatis capax fuit. Sed ad Deum, qui infinito amore diligit ea quae sunt, pertinet ut nullum bonum creaturae deneget cujus est capax. Ergo ipse humanam naturam assumpsisset, etiamsi homo non peccasset.

4. Par le péché, la capacité de la nature humaine n’est pas accrue chez quelqu’un. Or, après le péché, la nature humaine s’est trouvée capable d’un si grand bien qu’elle a été assumée par Dieu dans l’unité de la personne. Elle était donc aussi capable de cette dignité avant le péché. Or, il convient à Dieu, qui aime d’un amour infini ce qui existe, qu’aucun bien dont une créature est capable ne lui soit refusé. Il aurait donc lui-même assumé la nature humaine, même si l’homme n’avait pas péché.

 [7434] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3 arg. 5 Item, non est credendum quod homo ex peccato aliquod commodum reportaverit. Sed maxima dignitas humanae naturae est in hoc quod assumpta est in unitatem divinae personae. Ergo hoc per peccatum homo consecutus non est; et sic idem quod prius.

5. Il ne faut pas croire que l’homme ait tiré quelque bien du péché. Or, la plus grande dignité pour la nature humaine consiste à être assumée dans l’unité d’une personne divine. L’homme n’a donc pas obtenu cela par le péché. La conclusion est ainsi la même que précédemment.

 [7435] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3 arg. 6 Item, cum homo ad beatitudinem creatus sit, ante peccatum totus homo beatificabilis erat. Sed beatitudo hominis quantum ad partem sensitivam erit in aspectu humanitatis assumptae, quantum vero ad partem intellectivam in contuitu deitatis assumentis: sic enim ingredietur homo et egredietur, ut Augustinus exponit, ut pascua inveniat, Joan. 10. Ergo etiamsi homo non peccasset, humanitas a Deo assumpta fuisset.

6. Puisque l’homme a été créé pour la béatitude, l’homme tout entier pouvait être rendu bienheureux avant le péché. Or, la béatitude de l’homme, pour ce qui est de sa partie sensible, consistera à voir l’humanité assumée, mais, pour ce qui est de sa partie intellective, à regarder la divinité qui assume. En effet, « c’est ainsi que l’homme entrera et sortira », comme Augustin explique : pour y trouver la Pâque, Jn 10. Même si l’homme n’avait pas péché, l’humanité aurait donc été assumée par Dieu.

 [7436] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3 arg. 7 Praeterea, Bernardus exponens id quod dicitur Jonae 1: si propter me orta est tempestas etc., dicit, quod Diabolus vidit rationalem creaturam assumendam in unitatem personae filii Dei et invidit, et haec invidia fuit causa casus ejus, et movens ipsum ad tentandum hominem. Si autem incarnatio non fuisset nisi homine peccante, non instigasset Diabolus hominem ad peccandum: quia per hoc promovisset eum ad bonum quod ei invidebat. Ergo etiamsi homo non peccasset, Deus fuisset incarnatus.

7. De plus, en expliquant ce qui est dit en Jon 1 : Si la tempête se lève à cause de moi, etc., Bernard dit que « le Diable vit que la créature raisonnable devait être assumée dans l’unité de la personne du Fils de Dieu et l’envia, et que cette envie fut la cause de sa chute et le poussa à tenter l’homme ». Or, si l’incarnation n’avait eu lieu qu’en raison du péché de l’homme, le Diable n’aurait pas incité l’homme à pécher, car il l’aurait ainsi amené au bien qu’il lui enviait. Même si l’homme n’avait pas péché, Dieu se serait donc incarné.

 [7437] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, Augustinus in libro de verbis apostoli exponens illud Matth. 18, 2: venit filius hominis quaerere et salvum facere quod perierat, dicit: si homo non peccasset, filius hominis non venisset. Sed ibi dominus loquitur de adventu in carnem. Ergo si homo non peccasset, filius Dei non esset incarnatus.

Cependant, [1] dans le Livre sur les paroles de l’Apôtre, en expliquant Mt 18, 2 : Le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui avait péri, Augutin dit : « Si l’homme n’avait pas péché, le Fils de l’homme ne serait pas venu. » Or, le Seigneur parle là de sa venue dans la chair. Si l’homme n’avait pas péché, le Fils de Dieu ne se serait pas incarné.

 [7438] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3 s. c. 2 Item, 1 Tim., 1, 15: Christus Jesus venit in hunc mundum peccatores salvos facere. Ubi Glossa Augustini dicit, quod nulla causa fuit domino Christo veniendi, nisi peccatores salvos facere. Tolle vulnera, tolle morbos, et nulla est causa medicinae. Sed remota causa removetur effectus. Ergo si peccatum non fuisset, filius Dei non fuisset incarnatus.

 [2] Il est dit en 1 Tm 1, 15 : Le Christ Jésus est venu dans ce monde pour sauver les pécheurs. Une glose d’Augustin dit en cet endroit qu’il n’existait aucune raison de venir pour le Seigneur Christ, si ce n’est de sauver les pécheurs. « Enlève les blessures, enlève les maladies, et il n’existe aucune raison pour le remède. » Or, la cause enlevée, l’effet est enlevé. S’il n’y avait pas eu de péché, le Fils de Dieu ne se serait donc pas incarné.

 [7439] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3 s. c. 3 Praeterea, apostolus dicit Hebr. 2, 14: quia pueri communicaverunt carni et sanguini, et ipse similiter communicavit eisdem, ut per mortem destrueret eum qui habebat mortis imperium. Sed mors per peccatum in hunc mundum intravit, Rom. 5. Ergo si peccatum non fuisset, per incarnationem Deus carni et sanguini non communicasset.

 [3] L’apôtre dit en He 2, 14 : Les enfants avaient en commun le sang et la chair, et lui-même avait cela en commun avec eux, afin que, par la mort, il détruise celui qui avait pouvoir sur la mort. Or, la mort est entrée dans ce monde par le péché, Rm 5. S’il n’y avait pas eu de péché, Dieu n’aurait donc pas partagé la chair et le sang par l’incarnation.

 [7440] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3 s. c. 4 Praeterea, Gregorius dicit: nihil nobis nasci profuit, nisi redimi profuisset. Sed redemptio non fuisset, nisi peccati servitus fuisset. Ergo si peccatum non fuisset, filius Dei temporaliter natus non fuisset.

 [4] Grégoire dit : « Il ne nous servait à rien qu’il naquît, s’il cela n’avait servi à nous racheter. » Or, il n’y aurait pas eu de rédemption s’il n’y avait pas eu la servitude du péché. S’il n’y avait pas eu de péché, le Fils de Dieu ne serait donc pas né dans le temps.

 [7441] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod hujus quaestionis veritatem solus ille scire potest qui natus et oblatus est, quia voluit. Ea enim quae ex sola Dei voluntate dependent, nobis ignota sunt, nisi inquantum nobis innotescunt per auctoritates sanctorum, quibus Deus suam voluntatem revelavit: et quia in canone Scripturae et dictis sanctorum expositorum, haec sola assignatur causa incarnationis, redemptio scilicet hominis a servitute peccati; ideo quidam probabiliter dicunt, quod si homo non peccasset, filius Dei homo non fuisset: quod etiam ex verbis Leonis Papae in sermone de Trinitate expresse habetur. Si enim, inquit, homo ad imaginem et similitudinem Dei factus, in suo honore mansisset, creator mundi creatura non fieret, aut sempiternus temporalitatem subiret, aut aequalis Deo patri Dei filius formam servi assumeret. Item Augustinus in oratione ad beatam virginem: ut quid enim nescium peccati pro peccatoribus pareres, si deesset qui peccasset ? Aut quid mater fieres salvatoris, si nulla esset indigentia salutis ? Item super illud Matth. 1: ipse enim salvum faciet populum suum, Augustinus: si homo non peccasset, virgo non peperisset. Alii vero dicunt, quod cum per incarnationem filii Dei non solum liberatio a peccato, sed etiam humanae naturae exaltatio, et totius universi consummatio facta sit; etiam peccato non existente, propter has causas incarnatio fuisset: et hoc etiam probabiliter sustineri potest.

Réponse. Seul celui qui est né et a été offert parce qu’il l’a voulu peut connaître la vérité sur cette question. En effet, ce qui dépend de la seule volonté de Dieu nous est inconnu, sauf dans la mesure où cela vient à notre connaissance par les autorités des saints, à qui Dieu a révélé sa volonté. Parce que, dans le canon de l’Écriture et dans les paroles des saints, une seule cause est donnée pour l’incarnation, à savoir, la rédemption de l’homme de la servitude du péché, certains affirment avec vraisemblance que si l’homme n’avait pas péché, le Fils de Dieu ne serait pas devenu homme. On tire aussi cela expressément des paroles de Léon, dans un sermon sur la Trinité : « En effet, si l’homme créé à l’image et à la ressemblance de Dieu était demeuré à son rang, le Créateur du monde ne serait pas devenu une créature, l’Éternel ne se serait pas soumis au temps, le Fils égal à Dieu, le Père, n’aurait pas assumé la forme de l’esclave. » De même, Augustin, dans une prière à la bienheureuse Vierge : « En effet, pourquoi aurais-tu enfanté pour les pécheurs celui qui ne connaît pas le péché, s’il n’y avait pas eu de pécheur ? Pourquoi serais-tu devenue la mère du Sauveur, s’il n’y avait aucun besoin de salut ? » A propos de Mt 1 : Celui-ci sauvera son peuple, Augustin dit aussi : « Si l’homme n’avait pas péché, une vierge n’aurait pas enfanté. » Mais d’autres disent que puisque, par l’incarnation du Fils de Dieu, non seulement la libération du péché, mais aussi l’exaltation de la nature humaine et la consommation de tout l’univers ont été réalisées, l’incarnation aurait eu lieu pour ces raisons. Et cela aussi peut être soutenu avec vraisemblance.

 [7442] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod universum perficitur in conjunctione ultimi ad principium primum; non tamen oportet quod in conjunctione quae est in unitate personae, sed in conjunctione quae est per ordinem ad finem.

1. L’univers atteint sa perfection par l’union de ce qui est dernier au principe premier. Cependant, il n’est pas nécessaire que ce soit par l’union qui consiste dans l’unité de la personne, mais par l’union qui vient de l’ordre à la fin.

 [7443] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod aliquid pertinet ad perfectionem hominis quod omnino derogat perfectioni Dei. Unde quamvis humilitas sit perfecta virtus in homine, non tamen oportet ut in Deo ponatur, si proprie sumatur humilitas, quod patet ex speciebus superbiae quae ei opponuntur, quarum prima est, cum bonum quod habet quis tribuit sibi: hoc quidem in homine vitium est, quia nihil habet a se; sed in Deo summae perfectionis est, qui nihil habet ab extrinseco.

2. Quelque chose est propre à la perfection de l’homme, qui déroge tout à fait à la perfection de Dieu. Aussi, bien que l’humilité soit une vertu parfaite chez l’homme, il n’est donc pas nécessaire qu’on l’affirme en Dieu, si on entend humilité au sens propre, ce qui est clair par les espèces d’orgueuil qui s’y opposent : la première est que quelqu’un s’attribue le bien qui est dans l’homme, car il n’a rien par lui-même ; mais, en Dieu, qui ne reçoit rien de l’extérieur, cela relève de la perfection la plus élevée.

 [7444] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in productione minimae creaturae manifestatur infinita potentia, sapientia et bonitas Dei: quia quaelibet creatura ducit in cognitionem alicujus primi et summi, quod est infinitum in omni perfectione. Nec oportet ut potentia infinita per effectum infinitum manifestetur nec bonitas infinita per communicationem infinitam; sed sufficit ad ostendendum bonitatem infinitam hoc quod unicuique juxta suam capacitatem largitur.

3. Dans la création de la plus petite créature, la puissance, la sagesse et la bonté de Dieu sont manifestées, car toute créature conduit à la connaissance de quelque chose de premier et suprême, qui est infini en toute perfection. Et il n’est pas nécessaire qu’une puissance infinie soit manifestée par un effet infini, ni qu’une bonté infinie [soit manifestée] par une communication infinie, mais, pour montrer une bonté infinie, suffit ce qui est accordé à chacun selon selon sa capacité.

 [7445] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod capacitas alicujus creaturae potest intelligi dupliciter; vel secundum potentiam naturalem, quae pertinet ad rationem seminalem; et sic nullam capacitatem creaturae vacuam Deus dimittit in genere, quamvis capacitas alicujus creaturae particularis non impleatur propter aliquod impedimentum: vel secundum potentiam obedientiae, secundum quod quaelibet creatura habet ut ex ea possit fieri quod Deus vult; et hoc modo in natura humana est capacitas hujus dignitatis, ut in unitatem divinae personae assumatur. Nec oportet quod omnem talem capacitatem adimpleat; sicut non oportet quod Deus faciat quidquid potest, sed quod congruit ordini sapientiae ejus.

4. La capacité d’une créature peut s’entendre de deux manières. Soit selon sa puissance naturelle, qui relève de sa raison séminale : ainsi, Dieu ne laisse vide aucune capacité de la créature dans son genre, bien que la capacité d’une créature particulière ne soit pas comblée en raison d’un empêchement. Soit selon sa puissance obédientielle, selon que n’importe quelle créature possède en elle-même de pouvoir devenir ce que Dieu veut : de cette manière, existe dans la nature humaine la capacité de la dignité qui consiste à être assumée dans l’unité d’une personne divine. Et il n’est pas nécessaire que [Dieu] comble une telle capacité, comme il n’est pas nécessaire que Dieu accomplisse tout ce qu’il peut, mais ce qui convient à l’ordre de sa sagesse.

 [7446] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod, sicut dicit apostolus Rom. 5, 20, ubi abundavit delictum, superabundavit et gratia. Unde non est inconveniens ut aliquod bonum Deus ex peccato eliciat quod sine peccato non fuisset, ut patet in multis virtutibus, ut in patientia, poenitentia, et hujusmodi; et ita etiam ex peccato hominis hoc optimum Deus potuit elicere, ut Dei filius incarnaretur: propter quod dicit Gregorius: o felix culpa, quae talem ac tantum meruit habere redemptorem.

5. Comme le dit l’Apôtre en Rm 5, 20 : Là où la faute a abondé, la grâce a surabondé. Il n’est donc pas inapproprié que Dieu tire un bien du péché, [bien] qui n’aurait pas existé sans le péché, comme cela ressort pour plusieurs vertus, comme la patience, la pénitence et les choses de ce genre. Ainsi, même du péché de l’homme, Dieu pouvait tirer le bien le plus grand que le Fils soit incarné. Aussi Grégoire dit-il : «Bienheureuse faute, qui a mérité d’avoir rédempteur si grand et d’une telle qualité ! »

 [7447] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod beatitudo totius hominis est ex ipsa divinitate in quam virtus intellectus immediate fertur, ex quo redundat gloria in inferiores partes animae, et in ipsum corpus: in visione autem humanitatis Christi erit quoddam gaudium accidentale, sicut etiam in victoria passionis ejus: et tamen constat apud omnes quod si homo non peccasset, Christus passus non fuisset.

6. La béatitude de l’homme tout entier vient de la divinité elle-même vers laquelle la puissance de l’intellect se porte de manière immédiate, à partir de quoi la gloire rejaillit sur la parties inférieures de l’âme et sur le corps lui-même, car, dans la vision de l’humanité du Christ, il y aura un certaine joie accidentelle, comme dans la victoire de sa passion. Cependant, il est clair pour tous que, si l’homme n’avait pas péché, le Christ n’aurait pas souffert.

 [7448] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod si etiam ponatur quod Diabolus praeviderit rationalem creaturam a filio Dei assumendam, non tamen oportet quod praeviderit antecedentia ad ipsam; sicut etiam, ut ibidem Bernardus dicit, praevidit se futurum principem malorum, quod per suum casum consecutus est, et tamen suum casum non praevidit, ut in 2 Lib. dist. 4 dictum est.

7. Si on affirme que le Diable a prévu qu’une créature raisonnable serait assumée par le Fils de Dieu, il n’est cependant pas nécessaire qu’il ait prévu ce qui précédait cela, comme il a prévu, ainsi que le dit Bernard, il a prévu qu’il serait le prince des méchants, ce qu’il a obtenu en vertu de sa chute ; cependant, il n’a pas prévu sa chute, comme on l’a dit dans le livre II, d. 4.

 [7449] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3 ad s. c. Ad ea vero quae in contrarium objiciuntur, potest responderi secundum aliam opinionem, quod auctoritates illae loquuntur de adventu in carnem passibilem ad redimendum (redemptio enim non fuisset, nisi servitus peccati praecessisset) et non de adventu in carnem simpliciter.

 [1-4] À ce qui est objecté en sens contraire, on peut répondre, selon une autre opinion, que ces autorités parlent de la venue dans une chair passible pour racheter (en effet, il n’y aurait pas eu de rédemption, si la servitude du péché n’avait pas précédé), et non pas simplement de la venue dans la chair.

 

 

Articulus 4 [7450] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 4 tit. Utrum decuerit Deum tantum differre incarnationem suam

Article 4 – Convenait-il que Dieu reporte tellement son incarnation ?

 [7451] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod filius Dei non debuerit suam incarnationem tantum differre. Tempus enim incarnationis dicitur tempus plenitudinis: ad Galat. 4, 4: cum venit plenitudo temporis, misit Deus filium suum. Sed plenitudo perfectionem importat. Cum ergo perfectio universi consummata sit die septima, ut dicitur Gen. 1, videtur quod tunc debuit filius Dei incarnari.

1. Il semble que le Fils de Dieu ne devait pas tellement reporter son incarnation. En effet, le temps de l’incarnation est appelé un temps de plénitude, Ga 4, 4 : Lorsque vint la plénitude des temps, Dieu envoya son Fils. Or, la plénitude comporte la perfection. Puisque la perfection de l’univers a été achevée le septième jour, comme il est dit dans Gn 1, il semble donc que le Fils de Dieu devait s’incarner à ce moment.

 [7452] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 4 arg. 2 Item, amor causat donum, et celeritatem doni. Sed Deus ex maxima caritate incarnatus est. Ergo videtur quod non debuerit tantum incarnationem differre. Prima probatur per id quod dicitur Prov. 3, 28: ne dicas amico tuo: vade et revertere, et cras dabo, cum statim possis dare. Secundum per hoc quod dicitur Hier. 31, 3: in caritate perpetua dilexi te; ideo attraxi te miserans.

2. L’amour cause le don et l’empressement dans le don. Or, Dieu s’est incarné en raison de la plus grande charité. Il semble donc qu’il ne devait pas reporter aussi longtemps l’incarnation. La majeure est démontrée par de ce qui est dit en Pr 3, 28 : Ne dis pas à ton ami : « Va et reviens ; demain, je te donnerai », alors que tu peux donner immédiatement. La mineure [est démontrée] par ce qui est dit dans Jr 31, 3 : Je t’ai aimée d’une charité perpétuelle. Je t’ai donc attirée par miséricorde.

 [7453] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 4 arg. 3 Item, quanto plus differtur medicina, tanto periculosius invalescit morbus. Sed sapientis medici est ut morbi periculum evitet. Ergo videtur quod incarnationem suam Dei filius accelerare debuerit.

3. Plus le remède est reporté, plus la maladie gagne en danger. Or, le médecin sage évite le danger de la maladie. Il semble donc que le Fils de Dieu devait rapprocher son incarnation.

 [7454] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 4 arg. 4 Item, 1 Tim. 2, dicitur quod vult Deus omnes homines salvos fieri. Sed si Christus ante incarnatus fuisset, multis ad salutem magis via patuisset, ut dicitur Matth. 11, 21: si in Tyro et Sidone factae fuissent virtutes quae factae sunt in te, olim poenitentiam egissent. Ergo videtur quod Deus ante incarnari debuerit.

4. En 1 Tm 2, il est dit que Dieu veut que tous les hommes soient sauvés. Or, si le Christ s’était incarné plus tôt, la chemin vers le salut aurait été ouvert à un plus grand nombre, comme il est dit en Mt 11, 21 : Si les prodiges qui ont été accomplis chez toi l’avaient été à Tyr et à Sidon, elles auraient déjà fait pénitence. Il semble donc que Dieu aurait dû s’incarner plus tôt.

 [7455] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 4 arg. 5 Praeterea, ut Boetius dicit in libro 3 de consolatione, natura a perfectioribus initium sumit. Sed opus Dei non est minus ordinatum quam opus naturae. Cum ergo perfectissimum in operibus Dei sit incarnatio, videtur quod circa principium Deus incarnari debuerit.

5. Comme le dit Boèce dans le livre III de La consolation, la nature commence par ce qui est plus parfait. Or, l’œuvre de Dieu n’est pas moins ordonnée que l’œuvre de la nature. Puisque l’incarnation est ce qu’il y a de plus parfait parmi les œuvres de Dieu, il semble donc que Dieu aurait dû s’incarner vers le début.

 [7456] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed contra, perfectio gratiae magis assimilatur perfectioni gloriae quam perfectioni naturae. Sed perfectio gratiae incarnationi debetur, ut dicit Joan. 1, 17: gratia et veritas per Jesum Christum facta est. Cum ergo perfectio gloriae fini saeculorum debeatur, perfectio vero naturae principio, videtur quod versus finem saeculorum magis quam circa principium Deus incarnari debuerit.

Cependant, [1] la perfection de la grâce ressemble davantage à perfection de la gloire qu’à la perfection de la nature. Or, la perfection de la grâce est due à l’incarnation, comme le dit Jn 1, 17 : La grâce et la vérité sont apparues en Jésus, le Christ. Puisque la perfection de la gloire est due à la fin des temps, mais la perfection de la nature au début, il semble donc que Dieu devait s’incarner plutôt vers la fin des temps que vers le début.

 [7457] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, Augustinus dicit: institutum est ut jam pactae sponsae non statim tradantur, ne vilem habeat maritus datam, quam non suspiravit sponsus dilatam. Sed hoc beneficium, scilicet incarnationis, debet homo maxime carum habere. Ergo decuit ut humanum genus ipsum dilatum suspiraret.

 [2] Augustin dit : « Il a été établi que les épouses déjà promises ne seraient pas livrées immédiatement, afin que l’époux ne reçoive pas [une épouse] avilie, que n’attendait pas plus tard l’époux . » Or, ce bienfait, l’incarnation, doit être cher à l’homme au plus haut point. Il convenait donc que le genre humain l’espère alors qu’il était reporté.

 [7458] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 4 s. c. 3 Praeterea, perfectio fini debetur. Sed tempus incarnationis est tempus perfectissimum: quia in eo dominus temporis natus est, unde etiam tempus plenitudinis dicitur. Ergo videtur quod versus finem temporis incarnari debuerit.

 [3] La perfection est due à la fin. Or, le temps de l’incarnation est un temps très parfait, car c’est alors que le Seigneur du temps est né ; c’est pourquoi il est aussi appelé le temps de la plénitude. Il semble donc qu’il devait s’incarner vers la fin du temps.

 [7459] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod incarnationi tempus congruissimum temporum dispensator elegit: omnia enim tempus habent, ut habetur Eccle. 3. Haec autem congruitas non plene a nobis potest cognosci, quod non omnium temporum proportiones cognoscimus; sed tamen possunt plures rationes congruitatis assignari quare hoc tempus ad incarnationem elegerit. Prima, quia homo per superbiam peccaverat; unde oportebat quod per humilitatem repararetur; ad quam exigebatur ut defectum suum cognosceret in virtute, et in cognitione. Defectus autem cognitionis innotuit homini tempore legis naturae, quo tempore multi (lumine naturalis rationis non obstante) in pessimos errores idolatriae prolapsi sunt, et in nefandissima opera. Defectus autem virtutis proprie innotuit homini tempore legis scriptae: quia tunc per legem eruditus, nondum tamen peccati jugum excutere potuit. Et ideo oportuit quod post ista duo tempora quasi praeparatoria Deus homo fieret, ut in solo Deo spes salutis haberetur. Secunda ratio est, quia naturalis ordo est ut ab imperfecto ad perfectum veniatur. Perfectissimum autem in operibus Dei est ipsa incarnatio, per quam creatura Deo unitur in unitate personae; et ideo oportuit ut non in principio humani generis, sed postmodum versus finem saeculorum compleretur, ut sic prius esset quod animale, est, deinde quod spirituale est, 1 Corinth. 15. Et hanc causam Augustinus assignat in Lib. 83 quaestionum, quaest. 42, dicens: sicut absurdus esset qui juvenilem tantum vellet aetatem esse in homine; evacuaret enim pulchritudines quae ceteris aetatibus suas vices atque ordines gerunt; sic absurdus est qui ipsi universo humano generi unam aetatem desiderat; nam et ipsum, tamquam unus homo, suas aetates agit; nec oportuit venire divinitus magistrum, cujus imitatione in mores optimos formaretur, nisi in tempore juventutis. Et ideo apostolus ad Gal. 3, dicit, homines sub lege quasi sub paedagogo parvulos custoditos, donec veniret qui per prophetas promissus erat. Tertia ratio est, quia distantia a principio facit debilitatem in effectu: unde et propter longe distare a principio, aliquae res perpetuum esse non possunt retinere, ut maneant semper eaedem secundum numerum. Unde si hoc maximum remedium incarnationis in principio saeculorum fuisset, procedente tempore, effectus ejus in homines minus carus fuisset, refrigescente caritate: et ideo a principio generis humani indita est mentibus hominum lex naturalis, per quam homines Deo subjecti essent: postmodum vero invalescente consuetudine peccatorum, lex naturalis adeo tenebrata est in pluribus, ut jam non videretur ad regimen humani generis sufficere; et ideo tunc additum est aliud remedium, scilicet vetus lex, et ea quae ad ipsam pertinent: qua etiam processu temporis in hominum cordibus debilitata, oportuit aliud perfectius remedium per incarnationem apponi usque ad tempus illud, cum multorum caritas refrigescet, et tunc succedet per secundum adventum visio fidei, et status gloriae statui praesentis Ecclesiae: et ideo dicit Dionysius, 3 cap. Caelest. Hierar., quod sicut se habet hierarchia legis ad nostram hierarchiam, ita se habet nostra ad caelestem.

Réponse. Le dispensateur des temps a choisi le temps le plus approprié pour l’incarnation : en effet, toute chose a son temps, comme on lit dans Qo 3. Mais cette convenance ne peut être pleinement connue par nous, du fait que nous ne connaissons pas les proportions de tous les temps. Cependant, plusieurs raisons peuvent être données de la convenance du moment que [le Seigneur] a choisi pour l’incarnation. La première est que l’homme avait péché par orgueuil ; aussi fallait-il qu’il soit restauré par l’humilité. Pour celle-ci, il était requis qu’il connaisse sa carence en sa puissance et en sa connaissance. Or, la carence de sa connaissance a été portée à la connaissance de l’homme au temps de la loi de la nature, un temps durant lequel beaucoup sont tombés dans les pires erreurs et dans les plus indicibles œuvres de l’idolatrie, malgré la lumière de la raison naturelle. Mais la carence de sa puissance a été portée à la connaissance de l’homme au temps de la loi écrite, car, alors instruit par la loi, il n’a quand même pas pu secouer le joug du péché. C’est pourquoi il fallait qu’après ces deux temps pour ainsi dire préparatoires, Dieu devienne homme, afin qu’on place son espoir de salut en Dieu seul. La deuxième raison est que l’ordre naturel consiste à passer de ce qui est imparfait à ce qui est parfait. Or, ce qu’il y a de plus parfait dans les œuvres de Dieu est l’incarnation elle-même, par laquelle la créature est unie à Dieu dans l’unité de la personne ; c’est pourquoi il fallait qu’elle s’accomplisse non pas au début du genre humain, mais vers la fin des siècles, de sorte que vienne en premier ce qui est animal, et ensuite ce qui est spirituel, 1 Co 15. Augustin donne cette raison dans le Livre sur 83 questions, q. 42, lorsqu’il dit : « De même que serait absurde celui qui voudrait que seule la jeunesse existe chez l’homme (en effet, il écarterait les beautés qui en prennent la place et la suitte à d’autres âges), de même est absurde celui qui désire un seul âge pour tout le genre humain, car il traverse lui-même ses âges comme un homme unique, et il n’était pas nécessaire qu’un maître vienne de Dieu, à l’imitation duquel il ne serait formé au meilleur comportement qu’à l’époque de la jeunesse. » Aussi, dans Ga 3, l’Apôtre dit-il que les hommes qui étaient sous la loi étaient placés sous un pédagogue comme de petits enfants, jusqu’à ce que vienne celui qui avait été promis par les prophètes. La troisième raison est que la distance par rapport au principe cause la faiblesse dans l’effet ; aussi, parce qu’elles sont très éloignées du principe, certaines choses ne peuvent-elles conserver l’être éternellement, pour demeurer toujours identiques selon le nombre. Si ce très grand remède de l’incarnation avait existé au début du temps, à mesure que le temps passait, son effet aurait donc été moins précieux pour les hommes en raison du refroidissement de la charité. C’est pourquoi, au début du genre humain, la loi naturelle a été mise dans les esprits des hommes, par laquelle les hommes seraient soumis à Dieu ; mais, par la suite, à mesure que se renforçait l’habitude de pécher, la loi naturelle fut tellement obscurcie chez plusieurs qu’elle ne paraissait plus suffire au gouvernement du genre humain. Un autre remède fut donc alors ajouté : la loi ancienne et ce qui s’y rapporte. À mesure qu’elle s’affaiblit au cours du temps dans les cœurs des hommes, il fallait donc qu’un autre remède soit apporté par l’incarnation jusqu’au moment où la charité se refroidirait : alors succéderaient la vision de la foi par le second avènement et l’état de la gloire pour l’état de l’Église présente. Aussi Denys dit-il, dans La hiérarchie céleste, III, que « le rapport entre la hiérarchie de la loi et notre hiérarchie est le même que le rapport entre de notre [hiérarchie] et la [hiérarchie] céleste ».

 [7460] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod est triplex perfectio, scilicet naturae, gratiae, et gloriae. Perfectio autem naturae est quae fuit in principio saeculorum; perfectio vero gloriae erit in fine saeculorum: et quia perfectio gratiae media est inter utramque, ideo Christus, per quem gratia facta est, circa medium saeculorum venit: unde dicitur Habac. 3, 2: in medio annorum notum facies.

1. Il existe une triple perfection : celle de la nature, celle de la grâce et celle de la gloire. Or, la perfection de nature est celle qui existait au début des siècles ; mais la perfection de la gloire existera à la fin des siècles. Et parce que la perfection de la grâce est intermédiaire entre les deux, le Christ, par qui grâce a été faite, est venu vers le milieu des siècles. Aussi est-il dit dans Ha 3, 2 : Tu nous le feras connaître au milieu des années.

 [7461] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod amor discretioni conjunctus non facit accelerare donum, antequam expediat ei cui datur. Non autem expediebat humano generi hoc donum accipere, antequam experimento disceret quantum eo indigebat, ut sic acceptum carius haberet.

2. L’amour uni au discernement ne fait pas accélérer le don avant qu’il ne convienne à celui à qui il est fait. Or, il ne convenait pas au genre humain de recevoir ce don avant qu’il n’ait appris par l’expérience à quel point il en avait besoin, et qu’ainsi il lui accorde un plus grand prix.

 [7462] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod aliter est in morbo spirituali quam corporali: ad sanationem enim corporalis morbi non exigitur ut infirmus vim medicinae et periculum morbi cognoscat; quod tamen maxime est necessarium in morbi spiritualis sanatione, quia per humilitatem et contritionem spiritus sanatur: et ideo quamvis medicina corporalis non differatur, medicina tamen spiritualis differri potest. Nec tamen ita dilata est ut a principio penitus deesset: quia quamdiu fuit morbus, fuit medicina morbi, ut Hugo de s. Victore dicit, quamvis illa medicina non sit omnino sufficiens: sic enim et medicus corporali aegroto praeparatoria quaedam medicamenta praebet, antequam perfectam medicinam det: et hic etiam fuit processus Dei in sanatione humani generis.

3. Il en va autrement de la maladie spirituelle et de la maladie corporelle. En effet, pour guérir une maladie corporelle, il n’est pas nécessaire que le malade connaisse la puissance du remède et le danger de la maladie. Cependant, cela est au plus haut point nécessaire pour la guérison de la maladie spirituelle, car elle est guérie par l’humilité et la contrition de l’esprit. C’est pourquoi, bien que le remède corporel ne soit pas reporté, le remède spirituel peut cependant être reporté. Toutefois, il n’a pas été reporté au point de faire complètement défaut au début, car « tant qu’il y avait maladie, il y avait un remède pour la maladie », comme le dit Hugues de Saint-Victor, bien que ce remède ne soit pas tout à fait suffisant. Ainsi, le médecin donne au malade corporel des médicaments préparatoires, avant de donner un remède parfait. Tel fut aussi le comportement de Dieu pour la guérison du genre humain.

 [7463] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod nullus eorum qui praeordinati erant ab aeterno, etiam ante Christi incarnationem periit, nec etiam aliquis non praedestinatus, quandocumque incarnatio fuisset, salvatus esset. Si tamen aliquod remedium praeberetur non praedestinato, quod praedestinato datur, scilicet finalis gratia; ille etiam salvaretur. Sed tamen hoc antecedens est incompossibile ei quod est eum non esse praedestinatum: unde sic est vera ista: si Christus praedicasset alicui praescito, ille poenitentiam egisset, sicut ista: si gratia sibi daretur, poenitentiam ageret. Sed utriusque antecedens est incompossibile praescientiae condemnationis: et ideo quaerere quare Christus illi non praedicavit, vel quare gratiam illi non apposuit, est idem quod quaerere praedestinationis causam, quae nulla est nisi voluntas Dei.

4. Personne de ceux qui avaient été éternellement prédestinés n’a péri, même avant l’incarnation du Christ, ni personne qui n’était pas prédestiné n’aurait été sauvé, quel qu’ait été le moment de l’incarnation. Toutefois, si un remède, destiné au prédestiné, avait été donné à celui qui n’était pas prédestiné, à savoir, la grâce finale, celui-ci aussi serait sauvé. Cependant, un tel antécédent est tout à fait impossible par rapport à celui qui consiste en ce qu’il ne soit pas prédestiné. Aussi cette proposition est-elle vraie : si le Christ avait prêché à quelqu’un qui était prédestiné, celui-là aurait fait pénitence, comme est vraie celle-ci : si la grâce lui était donnée, il ferait pénitence. Mais l’antécédent pour les deux choses est impossible en raison de la prescience de la condamnation. C’est pourquoi se demander pour quelle raison le Christ ne lui a pas prêché ou pourquoi il ne lui a pas accordé la grâce est la même chose que chercher la cause de la prédestination, qui est nulle autre que la volonté de Dieu.

 [7464] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod perfectum simpliciter praecedit imperfectum; sed accipiendo perfectum et imperfectum circa idem, imperfectum praecedit perfectum: quia motus est de imperfecto ad perfectum; et hoc fit aliquo perfecto agente, quod oportet prius esse: et ideo in humano genere prius fuit adhibita imperfecta medicina quam perfecta ab ipso perfecto Deo, qui est perfectionis princeps, ut dicit Dionysius.

5. Ce qui est parfait précède simplement ce qui est imparfait ; mais en considérant ce qui est parfait et ce qui est imparfait pour la même chose, l’imparfait précède ce qui est parfait, car le mouvement va de l’imparfait au parfait. Et cela est le fait d’un agent parfait, qui doit exister antérieurement. C’est pourquoi, pour le genre humain, un remède imparfait fut d’abord proposé, plutôt qu’un remède parfait, par Dieu lui-même qui est parfait, qui est « au premier rang de la perfection », comme le dit Denys.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [Qui assume la chair ?]

 

 

Prooemium

Prologue

 [7465] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 pr. Deinde quaeritur de assumente carnem; et circa hoc quaeruntur quinque; 1 utrum una persona possit assumere carnem alia non assumente; 2 si sic, quare magis filius carnem assumpsit; 3 utrum pater vel spiritus sanctus potuerunt vel possint carnem assumere; 4 si sic, utrum potuerunt eamdem numero humanam naturam assumere; 5 utrum una persona possit duas numero humanas naturas assumere.

Ensuite, on s’interroge sur celui qui assume la chair. À ce propos, cinq questions sont posées : 1 – Une seule personne [divine] peut-elle assumer la chair, sans qu’une autre ne l’assume ? 2 – Si c’est le cas, pourquoi le Fils a-t-il plutôt assumé la chair ? 3 – Le Père ou l’Esprit Saint pouvaient-ils ou peuvent-ils assumer la chair ? 4 – Si c’est le cas, pouvaient-ils assumer la même nature humaine numériquement distincte ? 5 – Une seule personne peut-elle assumer deux natures humaines numériquement distinctes ?

 

 

Articulus 1 [7466] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 1 tit. Utrum una persona sine alia possit carnem assumere

Article 1 – Une seule personne peut-elle assumer la chair sans une autre ?

 [7467] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod una persona sine alia non possit carnem assumere. Damascenus enim dicit quod in divinis omnia sunt unum praeter ingenerationem, generationem, et processionem. Sed incarnatio nullum horum est. Ergo incarnatio communis est tribus.

1. Il semble qu’une seule personne ne puisse assumer la chair sans une autre. En effet, [Jean] Damascène dit qu’« en Dieu, tout est un, sauf le fait de ne pas être engendré, la génération et la procession ». Or, l’incarnation n’est rien de cela. L’incarnation est donc commune aux trois.

 [7468] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 1 arg. 2 Item, sicut est una essentia trium personarum, ita una operatio divina. Sed assumere carnem est quaedam operatio divina. Ergo est communis tribus personis.

2. De même qu’il n’existe qu’une seule essence pour les trois personnes, de même existe-t-il une seule opération divine. Or, assumer la chair est une opération divine. Elle est donc commune aux trois personnes.

 [7469] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 1 arg. 3 Item, Damascenus dicit, quod tota natura divina in una suarum hypostasum incarnata est. Sed quidquid dicitur de natura, commune est tribus. Ergo incarnatio communis est tribus personis.

3. [Jean] Damascène dit que « toute la nature divine s’est incarnée dans l’une de ses trois hypostases ». Or, tout ce qui est dit de la nature est commun aux trois. L’incarnation est donc commune aux trois personnes.

 [7470] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 1 arg. 4 Item, quaecumque sunt unum secundum substantiam simplicem, cuicumque unitur unum, et reliquum. Sed tres personae sunt unum secundum substantiam, quae est communis, et simplex. Ergo si carni unitur filius, necessario et carni unitur pater.

4. Pour tout ce qui est un selon une substance simple, ce qui est un est uni à toutes les autres choses. Or, les trois personnes sont une seule réalité selon la substance, qui est commune et simple. Si le Fils est uni à la chair, il est donc nécessaire que le Père aussi soit uni à la chair.

 [7471] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 1 arg. 5 Item, major est unio quae est per gratiam unionis quam quae est per gratiam adoptionis. Sed in unione per gratiam adoptionis non unitur menti una persona sine alia. Ergo nec una persona assumpsit carnem sine alia.

5. L’union qui se réalise par la grâce d’union est plus grande que celle qui se réalise par la grâce d’adoption. Or, par l’union par la grâce d’adoption, une seule personne n’est pas unie à l’esprit sans une autre. Une seule personne n’a donc pas assumé la chair sans une autre.

 [7472] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 1 s. c. 1 In contrarium videtur quod Dionysius ea quae ad incarnationem pertinent, computat inter ea quae sunt de discreta theologia. Haec autem sunt quae uni personae conveniunt sine alia. Ergo incarnatio convenit uni personae sine alia, et non omnibus.

Cependant, [1] il semble que Denys compte parmi ce qui relève de la théologie « distincte », ce qui se rapporte à l’incarnation. Or, il s’agit de ce qui convient à une seule personne sans une autre. L’incarnation convient donc à une seule personne sans une autre, et non à toutes.

 [7473] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 1 s. c. 2 Item, incarnatio includit in suo intellectu missionem, ut in littera dicitur. Sed ad hoc quod una persona mittatur, non sequitur quod omnes mittantur. Ergo una persona sine alia incarnari potest.

 [2] L’incarnation inclut dans sa signification une mission, comme il est dit dans le texte. Or, il ne découle pas que toutes les personnes soient envoyées pour qu’une seule personne soit envoyée. Une seule personne sans une autre peut donc s’incarner.

 [7474] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 1 s. c. 3 Praeterea, major est distinctio rei et rationis quam distinctio rationis tantum. Sed rationes diversarum rerum in divinis non distinguuntur nisi ratione; personae autem distinguuntur et re et ratione. Ergo major est distinctio personarum in Deo quam rationum idealium. Sed Deus per unam rationem aliquid operatur quod non operatur per aliam: quia alia ratione facit hominem, et alia ratione facit equum, ut Augustinus ait. Ergo multo amplius una persona potest incarnari sine alia.

 [3] Une distinction réelle et de raison est plus grande qu’une distinction de raison seulement. Or, les raisons des diverses réalités en Dieu ne se distinguent que par la raison, mais les personnes sont distinctes réellement et selon la raison. La distinction entre les personnes en Dieu est donc plus grande que celle des raisons idéales. Or, Dieu réalise par une seule raison ce qu’il ne réalise pas par une autre, car « il crée l’homme selon une raison, et il créé le cheval selon une autre raison », comme le dit Augustin. À bien plus forte raison, donc, une seule personne peut-elle s’incarner sans une autre.

 [7475] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod quamvis tres personae sint unum in essentia, non tamen oportet quod si una conjungitur carni, quod etiam alia. Ad cujus evidentiam sciendum est, quod quando aliqua in aliquo conjunguntur, et in aliquo distinguuntur; tunc solum necessarium est ut simul conjungantur, quando conjunctio fit secundum id in quo communicant, sive illud sit idem numero, sive non; sicut patet quod homo et asinus communicant in animali: et ideo quidquid communicat cum asino in genere, communicat etiam cum homine; sed quia homo et asinus differentiis specificis distinguuntur, non oportet quod quidquid convenit cum asino in differentia specifica, conveniat cum homine similiter: et ita etiam est in potentiis animae, quia omnes radicantur in essentia una numero: unde cum anima uniatur corpori dupliciter, et secundum essentiam, ut est forma ejus, et secundum potentiam, ut est motor ipsius, vel operans per ipsum; necessarium est ut anima quae unitur oculo, et quantum ad essentiam animae, inquantum perficitur oculus in esse specifico, et secundum rationem visivae potentiae, prout efficitur instrumentum videndi, conjungatur etiam linguae quantum ad essentiam animae, non quantum ad rationem potentiae ejusdem: eadem enim essentia animae quae est in oculo, est in lingua; sed ibi secundum potentiam visivam, hic secundum potentiam gustativam: et, quod plus est, aliqua potentia est quae nulli parti corporis conjungitur quantum ad rationem potentiae, ut intellectus, sed solum quantum ad rationem essentiae. Dico ergo, quod tres personae distinguuntur quidem in personalitate, sed conveniunt in natura. Unde quidquid uniretur filio in natura, de necessitate uniretur patri; non autem oportet, si aliquid uniatur filio in persona, quod uniatur patri. Non enim ponimus incarnationem filii esse hoc modo, ut sit unio facta in natura, sed solum in persona: et ideo non oportet quod ponamus patrem incarnatum, sicut non oportet quod si potentia visiva sit actus corporis, intellectus sit actus corporis, quamvis conveniant in una essentia animae.

Réponse. Bien que les trois personnes soient une seule réalité selon l’essence, il n’est cependant pas nécessaire que, si l’une est unie à la chair, une autre le soit aussi. Pour montrer cela, il faut savoir que, lorsque certaines choses sont unies en quelque chose et se distinguent par quelque chose d’autre, il est alors nécessaire qu’elles soient unies seulement lorsque l’union se réalise selon ce qu’elles ont en commun, qu’il s’agisse d’une seule réalité en nombre ou non. Cela ressort dans le fait que l’homme et l’âne ont en commun d’être des animaux : aussi tout ce qui est commun à l’âne selon le genre est aussi commun à l’homme; mais parce que l’homme et l’âne se distinguent selon des distinctions spécifiques, il n’est pas nécessaire que tout ce qui est commuun avec l’âne selon la différence spécifique soit de même commun avec l’homme. De même aussi pour les puissances de l’âme : toutes sont enracinées dans une seule essence numériquement distincte. Aussi, comme l’âme est unie au corps de deux manières : selon l’essence pour en être la forme, et selon la puissance pour en être le moteur ou pour agir par lui, il est nécessaire que l’âme, qui est unie à l’œil tant selon l’essence de l’âme, pour autant que l’œil est perfectionné selon son être spécifique, qu’en tant que puissance de voir, pour autant que [l’œil] devient l’instrument de la vision, soit aussi unie à la langue selon l’essence de l’âme, mais non en raison de sa puissance. En effet, c’est la même essence de l’âme qui se trouve dans l’œil et qui se trouve dans la langue ; mais elle se trouve là selon la puissance de la vision, et elle se trouve ici selon la puissance de goûter. Davantage encore, il existe une puissance qui n’est unie à aucune partie du corps en raison de la puissance : l’intellect, mais seulement selon la raison de l’essence. Je dis donc que les trois personnes sont distinctes selon la personnalité, mais qu’elles ont en commun la nature. De sorte que tout ce qui serait uni au Fils selon sa nature serait nécessairement uni au Père ; mais il n’est pas nécessaire que, si quelque chose est uni au Fils selon la personne, cela soit uni au Père. En effet, nous n’affirmons pas que l’incarnation du Fils se réalise de telle sorte que l’union se fasse selon la nature, mais seulement selon la personne. Il n’est donc pas nécessaire que nous affirmions que le Père s’est incarné, comme il n’est pas nécessaire que, si la puissance de voir est un acte du corps, l’intellect soit un acte du corps, bien qu’ils aient en commun une seule essence de l’âme.

 [7476] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod incarnatio includit in se unum illorum trium: quia incarnatio dicit unionem in persona filii, cujus personalis proprietas est generatio.

1. L’incarnation comporte en elle-même une de ces trois choses, car l’incarnation signifie l’union dans la personne du Fils, dont la propriété personnelle est la génération.

 [7477] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod assumere duo importat, scilicet actionem et terminum unionis: dicitur enim assumere, quasi ad se sumere. Quidquid ergo actionis importatur in hoc verbo, totum est commune tribus: verum enim est dicere, quod tota Trinitas univit humanam naturam filio in persona. Sed terminus unionis est solum persona filii, et non patris: et ideo filius carnem assumpsit, et non pater nec spiritus sanctus.

2. Le fait d’assumer comporte deux choses : l’action et le terme de l’union. En effet, assumer (assumere) veut dire prendre en soi (ad se sumere). Toute ce que ce mot comporte d’action est donc commun aux trois. En effet, il est vrai de dire que toute la Trinité a uni la nature humaine au Fils selon la personne. Mais le terme de l’union est seulement la personne du Fils, et non celle du Père. Aussi le Fils a-t-il assumé la chair, mais non le Père ni le Saint-Esprit.

 [7478] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod de natura non dicitur incarnatio secundum se, sed ratione personae, secundum quod tota natura divina incarnata est in una persona filii; et ideo non oportet quod incarnari de tribus dicatur: hoc enim est necessarium in illis quae dicuntur de natura ratione ipsius naturae, non de illis quae dicuntur de natura ratione personae: et hoc propter identitatem essentiae et personae; sicut essentia divina est persona filii, non tamen persona patris est persona filii.

3. De soi, on ne parle pas d’incarnation pour la nature, mais en raison de la personne, selon que toute la nature divine s’est incarnée dans la seule personne du Fils. Il n’est donc pas nécessaire qu’on dise des trois qu’ils se sont incarnés. En effet, cela est nécessaire pour ce qui est dit de la nature en raison de la nature elle-même, mais non pour ce qui est dit de la nature en raison de la personne, et cela en raison de l’identité de l’essence et de la personne. Ainsi, la personne du Fils est l’essence divine, mais la personne du Père n’est cependant pas la personne du Fils.

 [7479] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod si esset unio in substantia vel natura, sequeretur quod tres personae essent incarnatae, si una incarnaretur; nunc vero non est unio facta in natura, ut scilicet ex divina et humana fiat unum: sed in persona, ut sit una persona in humanitate et divinitate subsistens: et ideo ratio non procedit, ut ex praedictis patet.

4. Si l’union se réalisait dans la substance ou dans la nature, il en découlerait que les trois personnes se seraient incarnées, si l’une s’était incarnée. Mais l’union ne s’est pas réalisée selon la nature, de sorte qu’une seule chose ait été réalisée à partir de la nature divine et de la nature humaine ; mais [elle s’est réalisée] selon la personne, de sorte qu’il y ait qu’une seule personne subsistant dans l’humanité et dans la divinité. Aussi le raisonnement n’est-il pas concluant, comme cela ressort de ce qui a été dit plus haut.

 [7480] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in unione quae est per gratiam adoptionis, consideratur unio per operationem tantum, quia scilicet Deus aliquem effectum in nobis operatur: et quia operatio est communis tribus, ideo oportet quod etiam unio illa communis sit; quamvis secundum quod ille effectus appropriatur uni personae vel alii, dicatur in mentem mitti filius vel spiritus sanctus. Sed in hac singulari unione divinitatis ad humanitatem non tantum notatur ex parte Dei operatio vel efficientia, sed etiam terminus, ut dictum est: et ideo non est simile.

5. Dans l’union qui se réalise par la grâce de l’adoption, on n’envisage que l’union par l’opération, car Dieu réalise un certain effet en nous. Et parce que l’opération est commune aux trois, il faut donc que cette union aussi soit commune, bien que, selon que cet effet est approprié à l’une ou l’autre personne, on dise que le Fils ou l’Esprit Saint est envoyé dans l’esprit. Mais, dans cette union singulière de la divinité et de l’humanité, on ne relève pas seulement une opération ou un effet de la part de Dieu, mais aussi un terme, comme on l’a dit. Ce n’est donc pas la même chose.

Articulus 2 [7481] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 2 tit. Utrum magis fuerit conveniens filium incarnari vel patrem vel spiritum sanctum

Article 2 – Convenait-il davantage que le Fils s’incarne, plutôt que le Père ou le Saint-Esprit ?

 [7482] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod non magis fuit conveniens filium incarnari quam patrem vel spiritum sanctum. Sicut enim in mysterio incarnationis monstrata est sapientia in decentia reconciliationis, ita etiam monstrata est potentia in hoc quod in infinitum distantia conjuncta sunt, et etiam bonitas in hoc quod non despexit proprii plasmatis infirmitatem, sicut dicit Damascenus. Sed sicut sapientia attribuitur filio, ita bonitas spiritui sancto, et potentia patri. Ergo non decebat magis filium incarnari quam patrem vel spiritum sanctum.

1. Il semble qu’il ne convenait pas davantage que le Fils s’incarne, plutôt que le Père ou le Saint-Esprit. En effet, de même que, dans le mystère de l’incarnation, la sagesse a été manifestée par ce qui convient à la réconciliation, de même aussi la puissance a-t-elle été manifestée par le fait que des réalités infiniment distantes ont été réunies, et aussi la bonté, par le fait qu’« elle n’a pas méprisé la faiblesse de sa propre créature », comme le dit [Jean] Damascène. Or, de même que la sagesse est attribuée au Fils, de même la bonté l’est-elle à l’Esprit Saint, et la puissance, au Père. Il ne convenait donc pas davantage que le Fils s’incarne plutôt que le Père ou l’Esprit Saint.

 [7483] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 2 arg. 2 Item, victoria potentiae attribuitur. Sed per incarnationem secuta est de hoste victoria. Ergo incarnatio magis decebat patrem, cui appropriatur potentia.

2. La victoire est attribuée à la puissance. Or, la victoire a été remportée sur l’ennemi par l’incarnation. L’incarnation convenait donc davantage au Père, à qui la puissance est appropriée.

 [7484] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 2 arg. 3 Item, recreatio respondet creationi. Sed creatio appropriatur patri; unde cum dicitur Gen. 1: in principio creavit Deus caelum et terram, Deus creans exponitur pater. Ergo et incarnatio, per quam recreatio facta est, patri potissime conveniet.

3. La recréation répond à la création. Or, la création est appropriée au Père ; ainsi, lorsqu’il est dit dans Gn 1 : Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre, on explique que le Dieu qui crée est le Père. L’incarnation, par laquelle la recréation a été accomplie, conviendra donc surtout au Père.

 [7485] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 2 arg. 4 Item, incarnatio ordinata est ad hoc ut nos adoptionem filiorum reciperemus, ad Gal. 4. Sed adoptare, proprium patris est. Ergo patrem decebat incarnari.

4. L’incarnation a été ordonnée à ce que nous recevions l’adoption des fils, Ga 4. Or, adopter est le propre du Père. Il convenait donc que Père s’incarne.

 [7486] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 2 arg. 5 Item, videtur quod magis congruum fuerit spiritum sanctum incarnari. Eorum enim quae magis vicina sunt, decentior est conjunctio. Sed spiritus sanctus est persona magis nobis vicina, ut dicit Augustinus. Ergo spiritum sanctum magis decebat incarnari quam filium.

5. Il semble qu’il convenait davantage que le Saint-Esprit s’incarne. En effet, l’union entre des réalités plus rapprochées convient davantage. Or, l’Esprit Saint est la personne qui est la plus rapprochée de nous, comme le dit Augustin. Il convenait donc davantage que l’Esprit Saint s’incarne plutôt que le Fils.

 [7487] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 2 arg. 6 Praeterea, incarnatio processit ex maxima caritate Dei quam ad nos habuit. Sed caritas est proprie spiritus sanctus; vel etiam appropriate, si essentialiter sumatur. Ergo spiritum sanctum potissime decebat incarnari.

6. L’incarnation est issue de la très grande charité que Dieu a eue à notre endroit. Or, la charité appartient en propre au Saint-Esprit, ou encore, par appropriation, si elle est considérée en son essence. Il convenait donc surtout que le Saint-Esprit s’incarne.

 [7488] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 2 s. c. 1 Sed contra, in mente nostra sunt tria, tres personas repraesentantia: scilicet mens, quae repraesentat patrem; notitia, quae est verbum mentis repraesentans filium; et amor, qui repraesentat spiritum sanctum. Sed inter haec tria verbum mentis maxime est corporale, secundum quod per vocem exterius sonat. Ergo et incarnatio convenientissime verbum aeternum decuit, quod est ipse filius Dei.

Cependant, [1] il existe dans notre esprit trois réalités, qui représentent les trois personnes : l’esprit, qui représente le Père ; la connaissance, qui est le verbe de l’esprit, représentant le Fils ; et l’amour, qui représente le Saint-Esprit. Or, parmi ces trois réalités, le verbe de l’esprit est le plus corporel, selon qu’il s’exprime extérieurement par la parole. L’incarnation convenait donc au plus haut point au Verbe éternel, qui est lui-même le Fils de Dieu.

 [7489] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 2 s. c. 2 Item, secundum philosophum, id quod est primum in unoquoque genere, est causa eorum quae sunt post. Sed filiatio primo in filio Dei invenitur sicut et paternitas in Deo patre, ex quo omnis paternitas in caelo et in terra nominatur, Ephes. 3. Ergo convenientissime filius Dei incarnatus est, ut per ipsum adoptionem filiorum Dei reciperemus.

 [2] Ce qui est premier en tout genre est la cause de ce qui suit. Or, la filiation se trouve en premier dans le Fils de Dieu, comme la paternité, en Dieu, le Père, d’après lequel toute paternité au ciel et sur la terre est nommée, Ep 3. Le Fils de Dieu s’est donc incarné avec la plus grande convenance, afin que, par lui, nous recevions l’adoption des fils de Dieu.

 [7490] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 2 s. c. 3 Praeterea, decentissima est conjunctio sapientiae et humilitatis; unde Prov. 11, 2: ubi humilitas, ibi sapientia. Sed sapientia appropriatur filio. Ergo ipsum maxime decuit humilitas incarnationis.

 [3] L’union de la sagesse et de l’humilité convient au plus haut point ; aussi Pr 11, 2 dit-il : Là où est l’humilité, là est la sagesse. Or, la sagesse est appropriée au Fils. L’humilité de l’incarnation lui convenait donc le plus.

 [7491] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod decentia incarnationis filii potest attendi et ex propriis, et ex appropriatis ejus. In propriis autem ipsius possunt considerari quatuor, scilicet quod filius est, quod verbum est, quod imago, quod media in Trinitate persona. Secundum autem quod imago, convenientiam habet cum eo qui reparandus erat, scilicet cum homine, qui ad imaginem Dei factus est, Gen. 1; unde decuit ut imago imaginem assumeret, increata creatam. Secundum autem quod filius est, convenit ad modum reparationis, quae expleta est per incarnationis et passionis mysteria: secundum enim quod ex alio est, quod quidem sibi et spiritui sancto commune est, notatur auctoritas patris respectu ipsius: unde convenit sibi ad patrem, et deprecatio, et satisfactio, et alia hujusmodi, quae in patre auctoritatem demonstrant. Sed secundum quod in filio intelligitur determinatus modus originis, convenit sibi nasci, ut qui in divinitate est Dei filius, in humanitate sit virginis filius, ut non sint plures filii in Trinitate. Convenit etiam sibi, inquantum filius naturalis est, ut per eum cujus est naturalis hereditas, alii in filios adoptentur, et coheredes fiant. Sed inquantum verbum est, congruentiam habet ad officium praedicationis et doctrinae: quia verbum manifestat dicentem, et ipse manifestavit patrem, Joan. 17, 6: pater, manifestavi nomen tuum hominibus. Inquantum vero est media in Trinitate persona, congruit ad ultimum effectum, qui est reconciliatio hominis ad Deum; decet enim ut qui est medius, etiam sit mediator. Inveniuntur etiam quatuor filio appropriata: scilicet sapientia et virtus ab apostolo, 1 Corinth. 1, 24: Christum Dei virtutem et Dei sapientiam: aequalitas ab Augustino; species et pulchritudo ab Hilario. Inquantum autem sapientia est, congruit ad restaurationem: quia decet ut quae in sapientia facta sunt, per sapientiam restaurentur; et etiam servituti a qua homo liberandus erat, qui in eam seductus quodammodo devenerat: et ideo decebat ut per sapientiam a seductore liberaretur. Ipse etiam homo peccavit per appetitum scientiae: unde per sapientiam liberandus erat. Inquantum autem est virtus et brachium patris, congruit ad victoriam de hoste capiendam; Luc. 1, 51: fecit potentiam in brachio suo. Inquantum vero est aequalitas, congruit etiam morbo qui sanandus erat: uterque enim, scilicet homo et Diabolus, peccaverat, appetendo aequalitatem; ille potentiae, iste scientiae. Inquantum vero species et pulchritudo est, congruit reparationi, ut per ipsum deturpatio imaginis per peccatum inducta amoveatur. Patri vero non convenit incarnatio, praecipue propter proprietatem innascibilitatis: non enim decet ut qui in deitate est pater, in humanitate sit filius: sic enim filius Dei patris esset nepos virginis, si ipsa virgo mater esset Dei patris. Similiter etiam nec spiritui sancto convenit, ne filii nomen in plures personas transferatur.

Réponse. La convenance de l’incarnation du Fils peut être envisagée selon ce qui lui est propre et selon ce qui lui est appropié. Selon ce qui lui est propre, on peut envisager quatre choses : le fait qu’il est le Fils, qu’il est le Verbe, qu’il est l’Image et qu’il est une personne intermédiaire dans la Trinité. Selon qu’il est l’Image, il a quelque chose en commun avec celui qui devait être restauré, l’homme, qui a été créé à l’image de Dieu, Gn 1. Il convenait donc que l’Image assume l’image, que [l’Image] incréée [assume l’image] créée. Mais selon qu’il est le Fils, cela convient au mode de la restauration, qui a été accomplie par les mystères de l’incarnation et de la passion. En effet, selon qu’il vient d’une autre chose, qui est commune à lui et au Saint-Esprit, l’autorité du Père sur lui est signalée. Ainsi lui convenaient la prière, la satisfaction et les autres choses de ce genre à l’endroit du Père, qui montrent l’autorité chez le Père. Mais, selon qu’on entend un mode déterminé d’origine chez le Fils, il lui convenait de naître, de sorte que celui qui est Fils de Dieu par la divinité soit le fils de la Vierge par l’humanité ; ainsi n’y aura-t-il pas plusieurs Fils dans la Trinité. Il lui convenait aussi, pour autant qu’il est Fils par nature, que, par celui qui possède l’héritage par nature, d’autres fils soient adoptés et deviennent cohéritiers. Mais, en tant qu’il est le Verbe, il a quelque chose en commun avec la fonction de la prédication et de l’enseignement, car la parole manifeste celui qui parle, et il a manifesté le Père, Jn 17, 6 : Père, j’ai manifesté ton nom aux hommes. Mais, en tant qu’il est une personne intermédiaire, cela convenait à l’effet ultime, qui est la réconciliation de l’homme avec Dieu. En effet, il convient que celui qui est intermédiaire soit aussi le médiateur. On trouve aussi que quatre choses sont appropriées au Fils : la sagesse et la puissance, par l’Apôtre, 1 Co 1, 24 : Le Christ, puissance et sagesse de Dieu ; l’égalité par Augustin ; l’éclat et la beauté par Hilaire. En tant qu’il est sagesse, il convenait à la restauration, car il convient que ce qui a été créé avec sagesse soit restauré par la sagesse. Cela convenait aussi à la servitude dont l’homme devait être libéré, lui qui y était tombé par séduction ; il convenait donc qu’il soit libéré du séducteur par la sagesse. L’homme lui-même avait aussi péché par le désir de connaître ; aussi devait-il être libéré par la sagesse. Mais en tant qu’il est la puissance et le bras du Père, il convenait pour remporter la victoire sur l’ennemi, Lc 1, 51 : Il a donné puissance à son bras. En tant qu’il y a égalité, il convenait aussi à la maladie qui devait être guérie. En effet, les deux, l’homme et le Diable, avaient péché en désirant l’égalité, celui-ci, l’égalité de la puissance, celui-là, l’égalité de la science. Mais, en tant qu’il est éclat et beauté, il convenait à la réparation, afin que, par lui, la distorsion de l’image entraînée par le péché soit enlevée. Toutefois, l’incarnation ne convenait pas au Père, surtout en raison de la propriété d’une impossible naissance. En effet, il ne convenait pas que celui qui est Père par la divinité soit fils par l’humanité, car le Fils de Dieu, le Père, serait alors le neveu de la Vierge, si la Vierge elle-même était la mère de Dieu, le Père. Cela ne convient pas non plus au Saint-Esprit, de crainte que le nom de fils ne soit conféré à plusieurs personnes.

 [7492] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in incarnatione ostenduntur sapientia, potentia et bonitas; et ideo efficientia incarnationis toti Trinitati attribuitur; sed tamen opus quod Deo incarnato debebatur, per filium expleri decuit, rationibus dictis in corpore hujus articuli: et ideo tota Trinitas carnem soli filio univit.

1. Dans l’incarnation, la sagesse, la puissance et la bonté sont manifestées. C’est pourquoi l’efficacité de l’incarnation est attribuée à toute la Trinité. Cependant, il convenait que l’œuvre qui était due à Dieu incarné soit accomplie par le Fils pour les raisons données dans le corps de cet article. C’est pourquoi toute la Trinité a uni la chair au seul Fils.

 [7493] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod potentis non est ut per potentiam minus potentem vincat: hoc enim videtur violentum, et non laudabile, sed per justitiam et sapientiam: et ideo per filium debuit pater hostem vincere. Vel dicendum, quod quamvis potentia attribuatur patri, eo quod ipse est principium totius deitatis, tamen filius etiam dicitur virtus patris, per quam in creatura operatur: unde et brachium patris dicitur, ut exponit Gregorius illud Job 40: si habes brachium sicut Deus; et ideo decenter per filium Deus pater Diabolum vicit.

2. Il ne revient pas à celui qui est puissant de vaincre par sa puissance un moins puissant : en effet, cela semble violent, et non pas louable ; mais [il lui revient de l’emporter] par la justice et la sagesse. Ainsi le Fils devait-il vaincre l’ennemi du Père. Ou bien il faut dire que, bien que la puissance soit attribuée au Père, du fait qu’il est le principe de toute la divinité, le Fils est cependant appelé la puissance du Père, par laquelle il agit dans la créature. Aussi est-il appelé le bras du Père, comme Grégoire explique Jb 40 : Si tu as un bras comme Dieu. Aussi Dieu le Père a-t-il convenablement vaincu le Diable par le Fils.

 [7494] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod tria opera tribus personis appropriantur: creatio, quasi prima, patri, qui est principium non de principio: glorificatio, quae est ultimus finis, spiritui sancto, ratione bonitatis: recreatio, quae media est, filio, qui est media in Trinitate persona.

3. Trois œuvres sont appropriées aux trois personnes : la création, comme première, au Père, qui est principe sans principe ; la glorification, qui est la fin ultime, à l’Esprit Saint en raison de sa bonté ; la recréation, qui est intermédiaire, au Fils, qui est une personne intermédiaire dans la Trinité.

 [7495] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis patris sit adoptare, tamen decenter nos per filium adoptavit, cujus est hereditas; ut sic per verum heredem ipsa adoptatio acceptaretur, et firma ostenderetur; et ut filii adoptivi haberent verum filium ducem, quem imitarentur illi quos praescivit conformes fieri imagini filii sui, ut ipse sit primogenitus in multis fratribus: Rom. 8.

4. Bien qu’il revienne au Père d’adopter, il convenait cependant qu’il nous adopte par le Fils, à qui appartient l’héritage, afin qu’ainsi l’adoption elle-même soit reçue par le véritable héritier et que sa fermeté soit manifestée ; et afin que les fils adoptifs aient comme chef le Fils véritable, qu’imitent ceux qu’il a prédestinés à devenir conformes à l’image de son Fils, de sorte que celui-ci soit premier-né parmi de nombreux frères, Rm 8.

 [7496] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod spiritus sanctus dicitur persona maxime vicina nobis propter caritatem, per quam nobis omnia dona donantur; sed filius est magis nobis vicinus quantum ad congruentiam incarnationis, rationibus dictis.

5. On dit que l’Esprit Saint est la personne la plus proche de nous en raison de la charité, par laquelle tous les dons nous sont donnés ; mais le Fils est plus proche de nous pour ce qui convient à l’incarnation, pour les raisons données.

 [7497] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod caritas Dei est causa incarnationis: et ideo causalitas incarnationis, quamvis sit communis tribus personis, appropriatur tamen spiritui sancto, ut infra dicetur, dist. 4: non tamen ex hoc sequitur quod spiritus sanctus debuerit incarnari.

6. La charité de Dieu est la cause de l’incarnation. Aussi la causalité de l’incarnation, bien qu’elle soit commune aux trois personnes, est-elle cependant appropriée au Saint-Esprit, comme on le dira plus loin, d. 4. Il ne découle toutefois pas de cela que le Saint-Esprit devait s’incarner.

 

 

Articulus 3 [7498] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 3 tit. Utrum pater potuit carnem assumere, et etiam spiritus sanctus

Article 3 – Le Père pouvait-il prendre chair, de même que le Saint-Esprit ?

 [7499] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod pater carnem assumere non potuerit. Quia, ut dicit Anselmus, minimum inconveniens est Deo impossibile. Sed si pater carnem assumeret, sequeretur inconveniens, ut scilicet essent in Trinitate plures filii, quod in confusionem quamdam vergeret personarum. Ergo pater carnem assumere non potuit.

1. Il semble que le Père ne pouvait pas prendre chair, car, ainsi que le dit Anselme, « ce qui convient le moins est impossible à Dieu ». Or, si le Père avait pris chair, il en découlerait quelque chose qui ne convient pas, à savoir qu’il y aurait plusieurs Fils dans la Trinité, ce qui mènerait à une certaine confusion entre les personnes. Le Père ne pouvait donc pas prendre chair.

 [7500] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 3 arg. 2 Item opposita non possunt jungi in eodem, etiam per miraculum. Sed in patre est quaedam proprietas, quae dicitur innascibilitas, secundum quam dicitur non esse ex alio, cui nascibilitas opponitur. Ergo non potuit pater de virgine nasci, quod diceretur, si carnem assumeret.

2. Des opposés ne peuvent être réunis dans une même chose, même par miracle. Or, chez le Père, il existe une propriété, qu’on appelle l’impossibilité de naître, selon laquelle on dit qu’il ne vient pas d’un autre, ce à quoi s’oppose la possibilité de naître. Le Père ne pouvait donc pas naître de la Vierge, ce qu’on dirait, s’il avait pris chair.

 [7501] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 3 arg. 3 Item, ut in littera dicitur, filii missio, est ipsa incarnatio. Sed patri non convenit mitti, ut in primo Lib. habitum est. Ergo nec incarnari potest

 

3. Comme il est dit dans le texte, la mission du Fils est l’incarnation elle-même. Or, il ne convient pas au Père d’être envoyé, comme on l’a vu dans le livre I. Il ne peut donc pas non plus s’incarner.

 [7502] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 3 arg. 4 Item, ab eo qui est infinitae misericordiae, semper optima expectanda sunt quae contingere possunt. Sed cum totus mundus per incarnationem unius personae melioratus sit, si etiam pater incarnaretur, multo amplius meliorabitur. Ergo si possibile est patrem incarnari, hoc expectandum est, sicut et antiqui patres incarnationem filii expectaverunt: quod est omnino absurdum.

4. Il faut toujours attendre ce qui peut arriver de mieux de celui qui a une miséricorde infinie. Or, puisque le monde entier a été amélioré par l’incarnation d’une seule personne, si le Père aussi s’incarnait, [le monde] serait encore bien plus amélioré. S’il est possible au Père de s’incarner, il faut donc l’attendre, comme les anciens pères ont attendu l’incarnation du Fils, ce qui est tout à fait absurde.

 [7503] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 3 arg. 5 Praeterea, non est major Dei potentia quam sua voluntas, cum utrumque sit infinitum. Sed pater nunquam voluit incarnari. Ergo nec incarnari potest.

5. La puissance de Dieu n’est pas plus grande que sa volonté, puisque les deux sont infinies. Or, le Père n’a jamais voulu s’incarner. Il ne peut donc pas non plus s’incarner.

 [7504] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 3 s. c. 1 Sed contra, sicut dicit Anselmus, omnis necessitas et impossibilitas Deo est subjecta. Sed ei nihil est impossibile, cujus voluntati omnis impossibilitas subditur. Ergo patrem incarnari non est impossibile.

Cependant, [1] comme le dit Anselme, « toute nécessité et toute impossibilité sont soumises à Dieu ». Or, rien n’est impossible pour celui à qui toute impossibilité est soumise. Il n’est donc pas impossible pour le Père de s’incarner.

 [7505] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 3 s. c. 2 Item, eorum quae aeque distant, aeque possibilis est conjunctio. Sed humana natura aequaliter distat a tribus personis: distat enim a qualibet in infinitum. Ergo si potuit eam filius assumere, potest et pater.

 [2] L’union de ce qui est également distant est également possible. Or, la nature humaine est également distante des trois personnes : en effet, elle est distante de chacune à l’infini. Si le Fils pouvait l’assumer, le Père aussi le peut donc.

 [7506] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 3 s. c. 3 Praeterea, quidquid dignitatis convenit filio, convenit et patri. Sed posse assumere carnem est dignitatis in filio. Ergo et patri attribuendum est.

 [3] Toute dignité qui convient au Fils convient aussi au Père. Or, pouvoir prendre chair est une dignité pour le Fils. Il faut donc que cela soit aussi attribué au Père.

 [7507] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod cum in agentibus ex libertate voluntatis, executio potentiae sequatur imperium voluntatis et ordinem rationis, considerandum est, quando potentiae divinae aliquid ascribitur, utrum attribuatur potentiae secundum se consideratae; tunc enim dicitur posse illud de potentia absoluta: vel attribuatur sibi in ordine ad sapientiam et praescientiam et voluntatem ejus: tunc enim dicitur posse illud de potentia ordinata. Ipsi ergo potentiae absolutae, cum infinita sit, necesse est attribuere omne id quod in se est aliquid, et quod in defectum potentiae non vergit. Dico autem in se aliquid esse: quia conjunctio affirmationis et negationis nihil est, nec aliquem intellectum generat quod dicitur homo et non homo simul acceptum, quasi in vi unius dictionis: et ideo potentia Dei ad hoc se non extendit, ut affirmatio et negatio sint simul: et eadem ratio est de omnibus quae contradictionem includunt. Dico autem in defectum potentiae vergere quae passionem potentiae important: ex defectu enim potentiae activae ad resistendum contingit quod aliquid vel corrumpatur vel dividatur, vel aliquid hujusmodi; unde et mollities impotentia naturalis dicitur propter facilem divisibilitatem; et ideo non dicimus Deum in natura divinitatis posse pati vel mori, vel aliquid hujusmodi; sicut non dicimus eum posse esse impotentem. Huic autem potentiae absolute consideratae quando attribuitur aliquid quod vult facere et sapientia sua habet ut faciat, tunc dicitur posse illud secundum potentiam ordinatam; quando autem potentia se extendit quantum in se est ad illud quod sibi attribuitur, quamvis non habeat ejus sapientia et voluntas ut ita fiat, tunc dicitur posse illud de potentia absoluta tantum. Sed in his distinguendum est: quia in his sunt quaedam quae habent aliquid in se divinae sapientiae et bonitati repugnans inseparabiliter conjunctum, ut peccare, mentiri, et hujusmodi; et etiam ista dicimus Deum non posse: quaedam vero sunt quae de se non habent inconvenientiam ad divinam sapientiam, sed solum ad ordinem aliquem suae praescientiae, quem Deus in rebus statuit vel praevidit, secundum suam voluntatem, ut quod caput hominis sit inferius; et haec Deus potest facere, quia potest statuere alium ordinem in rebus secundum quem sit conveniens quod nunc secundum istum ordinem qui rebus inest, inconveniens videtur. Sic ergo in his quae divinae potentiae attribui possunt, est quadruplex distinctio sive ordo. Quaedam enim nec ipsi potentiae absolutae attribuuntur; unde simpliciter dicendum est, Deum ea non posse, sicut pati, et contradictoria simul esse. Quaedam vero ex se sapientiae et bonitati ejus repugnant; et ista non dicimus Deum posse nisi sub conditione, scilicet si vellet; non enim inconveniens est ut in conditionali vera antecedens sit impossibile. Quaedam vero de se repugnantiam non habent, sed solum ab exteriori; et talia absolute concedendum est Deum posse de potentia absoluta; nec sunt neganda nisi sub conditione, scilicet ut dicatur: non potest, si voluntati ejus repugnat. Quaedam vero sunt quae attribuuntur potentiae, ita quod voluntati et sapientiae ejus congruunt; et haec simpliciter dicendum est Deum posse, et nullo modo ea non posse. Dicendum est ergo, quod patrem incarnari, non est de illis quae potentiae Dei absolutae non subduntur; cum neque contradictionem implicet, neque defectum aliquem incarnatio in persona incarnata ponat: est enim eadem dignitas patris et filii, et ratio eadem personalitatis in utroque: nec est etiam de illis quae ex se inconvenientiam habent: sed est de illis quae habent inconvenientiam propter ordinem alium a Dei sapientia institutum. Sed filium incarnari est in quarto ordine. Et ideo simpliciter concedendum est quod pater potuit carnem assumere, et similiter spiritus sanctus, loquendo de potentia absoluta.

Répondre. Puisque, chez les agents par libre volonté, la mise en œuvre de la puissance suit le commandement de la volonté et l’ordre de la raison, il faut se demander, lorsque quelque chose est attribué à la puissance divine, si cela est attribué à la puissance considérée en elle-même – on dit alors que cela lui est possible par sa puissance absolue –, ou si cela lui est attribué en rapport avec sa sagesse, sa prescience et sa volonté – on dit alors que cela lui est possible selon sa puissance ordonnée. Il faut donc attribuer à la puissance absolue, puisqu’elle est infinie, tout ce qui est quelque chose en soi et qui ne tourne pas à la carence de la puissance. Je dis : « quelque chose qui est en soi », parce que l’union de l’affirmation et la négation n’est rien, et le fait de dire en même temps homme et non homme n’engendre rien qui soit compris, comme par la puissance d’une seule parole. Aussi la puissance de Dieu ne va-t-elle pas jusqu’à faire que l’affirmation et la négation existent en même temps. Et on fait le même raisonnement pour tout ce qui comporte une contradiction. Mais je dis: « tourner à la carence de la puissance », de tout ce qui comporte une passion de la puissance. En effet, il vient de l’incapacité de la puissance active à résister, que quelque chose soit corrompu ou divisé, ou quelque chose de ce genre. Aussi le fait d’être mou est-il appelé une impuissance naturelle en raison de la possibilité de le diviser facilement. C’est pourquoi nous ne disons pas que Dieu peut souffrir et mourir selon la nature de la divinité, ou quelque de ce genre, comme nous ne disons pas qu’il est impuissant. Mais lorsqu’est attribué à cette puissance envisagée de manière absolue quelque chose qu’elle veut faire et que sa sagesse entend faire, alors on dit qu’elle peut faire cela selon sa puissance ordonnée ; mais lorsque la puissance s’étend autant qu’elle le peut à ce qui lui est attribué, bien que sa sagesse et sa volonté ne soient pas disposées à le faire, alors on dit qu’elle peut faire cela par sa seule puissance absolue. Mais il faut ici faire une distinction, car, parmi ces choses, il y en a qui ont en elles-mêmes quelque chose qui répugne de manière inséparable à la sagesse et à la bonté divines, comme pécher, mentir et les choses de ce genre. Même cela, nous disons que Dieu ne le peut pas. Mais il y en a qui n’ont pas en elles-mêmes quelque chose qui ne convient pas à la sagesse divine, mais seulement à un certain ordre de sa prescience, que Dieu a établi ou prévu selon sa volonté, par exemple, que la tête de l’homme soit en bas. Cela, Dieu peut le faire, parce qu’il peut établir un autre ordre dans les choses, selon lequel serait convenable ce qui, maintenant, selon l’ordre qui existe dans les choses, ne semble pas convenir. Ainsi donc, parmi les choses qui peuvent être attribuées à la puissance divine, il existe une distinction ou un ordre quadruple. En effet, certaines choses ne sont même pas attribuées à la puissance absolue ; aussi faut-il dire que Dieu ne les peut pas, comme être passif et le fait que des contradictoires existent en même temps. Mais certaines choses répugnent à sa sagesse et à sa bonté : nous ne disons pas que Dieu ne peut pas ces choses quà une condition : qu’il le veuille. En effet, il n’est pas inapproprié que, dans une proposition conditionnelle, la proposition vraie qui précède soit quelque chose d’impossible. Mais certaines choses ne répugnent pas en soi, mais seulement en raison de quelque chose d’extérieur. Il faut concéder de manière absolue que Dieu peut de telles choses par sa puissance absolue, et elles ne doivent être niées qu’à condition de dire qu’il ne les peut pas, si cela répugne à sa volonté. Mais certaines choses sont attribuées à sa puissance, de telle sorte qu’elles conviennent à sa volonté et à sa sagesse. Il faut dire que Dieu les peut tout simplement et qu’il ne les peut pas d’aucune manière. Il faut donc dire que le fait pour le Père de s’incarner ne fait pas partie des choses qui ne sont pas soumises à la puissance absolue de Dieu, puisque cela ne comporte pas de contradiction et que l’incarnation ne montre aucune carence chez la personne incarnée. En effet, la dignité du Père et du Fils est la même, et la raison de personne est la même chez les deux. Cela ne fait pas non plus partie de ces choses qui comportent en elles-mêmes quelque chose d’inapproprié, mais cela fait partie des choses qui comportent quelque chose d’inapproprié en raison d’un ordre établi par la sagesse de Dieu. Mais que le Fils s’incarne fait partie du quatrième ordre. C’est pourquoi il faut simplemenet concéder que le Père pouvait prendre chair, de même que le Saint-Esprit, si l’on parle de leur puissance absolue.

 [7508] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod hoc est impossibile, ut aliquid faciat Deus, et hoc sit inconveniens; sed tamen potest facere ut illud quod modo est inconveniens secundum unum ordinem, secundum alium ordinem fiat conveniens; sicut potest carnem hoc modo formando assumere, sicut corpus viri de terra formavit: sic enim filii nomen patri non conveniret: nec etiam si pater filius diceretur, esset de se repugnantiam habens, cum secundum diversas naturas haec sibi attribuerentur.

1. Il est impossible que Dieu fasse quelque chose et que cela soit inapproprié. Cependant, il peut faire que ce qui est maintenant inapproprié selon un ordre devienne approprié selon un autre ordre : ainsi, il peut prendre chair en la formant de la manière dont il a formé le corps de l’homme à partir de la terre. En effet, le nom de Fils ne conviendrait pas ainsi au Père, pas plus que, si le Père était appelé Fils, cela répugnerait de soi, puisque cela lui serait attribué selon diverses natures.

 [7509] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod secundum idem non possunt opposita eidem inesse; sed secundum diversa nihil prohibet. Unde quamvis patri conveniat innascibilitas secundum naturam divinam, posset tamen eidem inesse nativitas secundum naturam humanam; sicut filio secundum naturam divinam inest quod sit pater virginis cujus secundum naturam humanam est filius.

2. Des contraires ne peuvent se trouver dans une même chose sous le même aspect ; mais rien n’empêche qu’ils s’y trouvent sous des aspects différents. Bien que l’impossibilité de naître convienne au Père selon la nature divine, il pourrait cependant se trouver en lui une naissance selon la nature humaine, de même que, selon la nature divine, il appartient au Fils d’être le père de Vierge, dont il est le fils selon la nature humaine.

 [7510] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod incarnatio filii dicitur missio, quia filius ab alio est. Si autem pater incarnaretur, ejus incarnatio missio dici non posset: sicut ostensio spiritus sancti in columba, missio visibilis ipsius dicitur; non autem ostensio patris in sono vocis.

3. L’incarnation du Fils est appelée une mission parce que le Fils vient d’un autre. Mais si le Père s’incarnait, son incarnation ne pourrait s’appeler une mission. De même, la manifestation de l’Esprit Saint dans une colombe est-elle appelée sa mission visible, mais non la manifestation du Père dans le son de la voix.

 [7511] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod tres personae non sunt majoris bonitatis quam una tantum; et ideo nihil plus universo accresceret per incarnationem omnium personarum, quam de incarnatione unius tantum; unde fuisset superfluum; et ideo quamvis sit possibile patrem incarnari, non tamen est expectandum.

4. Les trois personnes n’ont pas une plus grande bonté qu’une seule. C’est pourquoi l’univers ne gagnerait rien à l’incarnation des trois personnes, plutôt qu’à l’incarnation d’une seule. Elle aurait donc été superflue. C’est pourquoi, bien qu’il soit possible que le Père s’incarne, il ne faut cependant pas l’espérer.

 [7512] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod potentia Dei non est major quantum ad essentiam quam voluntas; tamen ad plura objecta se extendit potentia quam voluntas; unde non sequitur, si aliquid Deus non vult, quod illud absoluta potentia non possit.

5. La puissance de Dieu n’est pas plus grande du point de vue de son essence que du point de vue de sa volonté. Cependant, sa puissance s’étend à plus de choses que sa volonté. Si Dieu ne veut pas quelque pas quelque chose, il n’en découle donc pas qu’il ne le puisse pas selon sa puissance absolue.

 

 

Articulus 4 [7513] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 4 tit. Utrum pater et filius et spiritus sanctus possit eamdem numero naturam assumere

Article 4 – Le Père, le Fils et le Saint-Esprit peuvent-ils assumer la même nature en nombre ?

 [7514] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod pater et spiritus sanctus non possunt unam et eamdem numero naturam assumere. Primo per hoc quod dicit Anselmus in Lib. de incarnatione verbi, quod plures personae non possunt assumere unum eumdemque hominem. Sed si unam naturam assumerent, unus homo assumptus esset a pluribus personis. Ergo primum est impossibile.

1. Il semble que le Père et le Saint-Esprit ne puissent assumer la même nature en nombre. Premièrement, du fait que Anselme dit, dans le livre Sur l’incarnation du Verbe, que « plusieurs personnes ne peuvent assumer un seul et même homme ». Or, s’ils assumaient une seule nature, un seul homme serait assumé par plusieurs personnes. La première chose est donc impossible.

 [7515] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 4 arg. 2 Item, assumptio humanae naturae terminatur ad aliquam unionem. Non autem ad unionem in natura: quia oporteret vel alteram tantum remanere, sicut patet in conjunctione cibi ad cibatum; vel etiam neutrum, ut patet in conjunctione elementorum. In incarnatione vero utraque natura manet, ut Damascenus dicit, et sic patet quod non potest esse unio in natura. Ergo oportet quod terminetur ad unionem in persona. Non ergo possunt esse plures personae unam naturam assumentes.

2. La prise d’une nature humaine a comme terme l’union. Or, [elle] ne [se termine] pas à l’union selon la nature, car il faudrait soit qu’une autre chose seulement reste, comme cela ressort de l’union de la nourriture et de celui qui est nourri, soit qu’aucune des deux [ne restent], comme cela ressort de l’union d’éléments. Or, « dans l’incarnation, les deux natures demeurent », comme le dit [Jean] Damascène, et ainsi il est clair qu’il ne peut y avoir d’union selon la nature. Il ne peut donc y avoir plusieurs personnes qui assument une seule nature.

 [7516] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 4 arg. 3 Praeterea, ut Damascenus dicit, in incarnatione uniens et unitum communicant sibi sua idiomata, ut quidquid dicitur de filio hominis possit dici de filio Dei. Ergo si eadem natura humana a tribus personis assumpta esset, demonstrato illo homine, possemus eum dicere filium Dei, et quidquid de filio Dei dicitur; et e converso filium Dei esse hunc hominem, et natum de virgine, et hujusmodi omnia. Sed stante eadem positione, possemus dicere, quod hic homo esset pater. Ergo esse patrem, et quidquid est patris, posset praedicari de filio Dei; quod manifeste confusionem induceret personarum.

3. Comme le dit [Jean] Damascène, « dans l’incarnation, ce qui unit et ce qui est uni se communiquent leurs idiomes, de sorte que tout ce qui est dit du fils de l’homme peut être dit du Fils de Dieu ». Si la même nature humaine avait été assumée par les trois personnes, en montrant cet homme, nous pourrions dire qu’il est le Fils de Dieu et tout ce qui est dit du Fils de Dieu ; en sens inverse, [nous pourrions dire que] le Fils de Dieu est cet homme, né de la Vierge, et toutes les choses de ce genre. Or, en maintenant la même position, nous pourrions dire que cet homme est le Père. Être le Père et tout ce qui appartient au Père pourrait donc être attribué au Fils de Dieu, ce qui entraînerait manifestement la confusion des personnes.

 [7517] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 4 arg. 4 Praeterea, tres personae distinguuntur relationibus. Ergo quod attribuitur alicui personae primo et per se ratione ejus quod ad alterum est, nullo modo tribus personis potest esse commune. Sed humanam naturam assumere convenit filio secundum id quod ad alterum est: quia primo et per se convenit personae, naturae autem prout est in persona. Ergo assumere hanc naturam non potest esse commune tribus personis.

4. Les trois personnes se distinguent par leurs relations. Ce qui est attribué à une personne en premier lieu et par soi en raison de ce qu’elle est pour une autre ne peut donc d’aucune manière être commun aux trois personnes. Or, assumer la nature humaine convient au Fils selon ce qu’il est pour un autre, car cela convient en premier et par soi à la personne, mais, à la nature, en tant qu’elle se trouve dans la personne. Assumer cette nature ne peut donc être commun aux trois personnes.

 [7518] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 4 arg. 5 Praeterea, ut in 1 Lib. dictum est, dist. 8, qu. 1, art. 1, omnis quidditas vel natura quae non est suum esse, dividitur secundum divisionem suppositorum in ea subsistentium, quia esse habet secundum quod in supposito est. Sed humana natura est quidditas vel natura quae non est suum esse: hoc enim solius Dei est. Ergo oportet quod dividatur secundum esse ad divisionem suppositorum in ea subsistentium. Sed si tres assumerent humanam naturam, essent tria supposita in humana natura subsistentia. Ergo essent tres humanae naturae: non ergo una numero humana natura a tribus personis assumi potest.

5. Comme on l’a dit dans le livre I, d. 8, q. 1, a. 1, toute quiddité ou nature qui n’est pas son propre être se divise selon la division des suppôts qui subsistent en elle, car elle a l’être selon qu’il se trouve dans le suppôt. Or, la nature humaine est une quiddité ou une nature qui n’est pas son propre être : en effet, cela appartient à Dieu seul. Il faut donc qu’elle soit divisée selon l’être d’après la division des suppôts qui subsistent en elle. Or, si les trois assumaient la nature humaine, il y aurait trois suppôts subsistant dans la nature humaine. Il y aurait donc trois natures. Il n’y a donc pas une seule nature humaine en nombre qui puisse être assumée par les trois personnes.

 [7519] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 4 arg. 6 Praeterea, si tres personae unam naturam humanam assumerent, aut essent unus homo, aut plures. Sed non plures, quia non haberent nisi unam animam et unum corpus. Ergo esset unus homo, et posset demonstrari: iste homo est pater et filius et spiritus sanctus. Sed ille homo non potest supponere nisi personam patris vel filii vel spiritus sancti. Ergo persona patris esset pater et filius et spiritus sanctus, vel persona filii, vel persona spiritus sancti; quod est impossibile. Ergo impossibile est talem assumptionem esse.

6. Si les trois personnes assumaient une seule nature humaine, soit elles seraient un seul homme, soit elles en seraient plusieurs. Or, elles ne peuvent en être plusieurs, car elles n’auraient qu’une seule âme et un seul corps. Il y aurait donc un seul homme, et on pourrait démontrer que cet homme est le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Or, cet homme ne peut avoir comme suppôt que la personne du Père, du Fils et ou du Saint-Esprit. La personne du Père serait donc le Père, le Fils et le Saint-Esprit, ou la personne du Fils et la personne du Saint-Esprit, ce qui est impossible. Il est donc impossible qu’une telle prise [de la nature humaine] existe.

 [7520] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 4 s. c. 1 Sed contra, humanae naturae convenit esse assumptibilem secundum quod est ad imaginem Dei. Sed eadem numero humana natura est ad imaginem trium personarum. Ergo humana natura eadem numero a tribus assumi potest.

Cependant, [1] il convient à la nature humaine de pouvoir être assumée du fait qu’elle est à l’image de Dieu. Or, une même nature humaine identique en nombre est à l’image des trois personnes. Une nature humaine identique en nombre peut donc être assumée par les trois [personnes].

 [7521] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 4 s. c. 2 Praeterea, major est distantia diversarum potentiarum animae ad invicem (quae etiam in absolutis distinguuntur) quam divinarum personarum quae distinguuntur solum in eo quod ad alium est. Sed anima unitur eidem membro secundum diversas potentias: quod patet, quia organa aliorum sensuum sunt etiam organa tactus, qui per totum corpus diffunditur. Ergo et Deus potest uniri homini, ita quod tres personae unam naturam humanam assumant.

 [2] La distance est plus grande entre les diverses puissances de l’âme (qui sont distinctes de manière absolue) qu’entre les personnes divines, qui se distinguent seulement par ce qu’elles sont par rapport à une autre. Or, l’âme est unie au même membre selon diverses puissances, ce qui ressort du fait que les organes des autres sens sont aussi les organes du toucher, qui est répandu dans tout le corps. Dieu peut donc être uni à l’homme, de telle sorte que les trois personnes assument une seule nature humaine.

 [7522] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 4 s. c. 3 Praeterea, eorum quae magis conveniunt, facilior est unio. Sed humana natura assumpta a filio non minus convenit cum patre, sed etiam magis quam aliqua alia. Ergo si pater potuit assumere aliam humanam naturam, ut dictum est qu. 1, art. 2, multo magis eamdem.

 [3] L’union avec ce qui a davantage en commun est plus facile. Or, la nature humaine assumée par le Fils n’a pas moins en commun avec le Père, mais plutôt davantage qu’une autre [nature]. Si le Père pouvait assumer une autre nature humaine, comme on l’a dit à la q. 1, a. 2, il pouvait à bien plus forte raison assumer la même.

 [7523] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod tres personas divinas assumere unam humanam naturam in unitate unius personae, est impossibile, quia contradictionem implicat. Cum enim unio Dei et hominis non possit fieri in natura, ut infra, distin. 5, probabitur, oportet quod fiat in persona, ut scilicet sit eadem personalitas assumentis et assumpti; unde ponere unam personam ex parte assumpti et tres ex parte assumentis est incompossibile. Et non potest etiam similiter esse una unitate unius hypostasis vel suppositi, ad minus quantum ad secundam opinionem, quae ponitur infra dist. 6, quae ponit unionem non tantum in persona, sed etiam in supposito et hypostasi. Sed quod natura assumpta a tribus personis sit una unitate singularis naturae, non est impossibile, loquendo de potentia absoluta; quamvis non sit congruum secundum ordinem divinae sapientiae; cum unius personae incarnatio ad reparationem mille mundorum sufficiat. Dico autem unitatem singularis naturae, si assumeretur unum corpus et una anima sibi unita, ex quorum unione una humanitas resultaret, ut sic tres personae in una natura assumpta convenirent sicut conveniunt in natura aeterna. Quidam vero e converso contrariam opinionem tenent; et secundum utramque potest ad objecta responderi.

Réponse. Il est impossible que les trois personnes divines assument une seule nature humaine dans l’unité d’une seule personne, car cela comporte une contradiction. En effet, puisque l’union de Dieu et de l’homme ne peut se réaliser selon la nature, comme on le montrera plus loin, d. 5, il est nécessaire qu’elle se réalise selon la personne, de sorte que la personnalité de celui qui assume et de celui qui est assumé soit la même. Aussi affirmer une seule personne du point de vue de celui qui est assumé et trois [personnes] du point de vue de celui qui assume est-il impossible. Elle ne peut non plus être unique selon l’unité d’une seule hypostase ou suppôt, du moins, selon la seconde opinion, présentée plus loin, d. 6, qui affirme que l’union ne se réalise pas seulement selon la personne, mais aussi selon le suppôt et l’hypostase. Mais il n’est pas impossible que la nature assumée par les trois personnes soit une selon l’unité d’une seule nature, si l’on parle de puissance absolue, bien que cela ne soit pas approprié selon l’ordre de la sagesse divine, puisque l’incarnation d’une seule personne suffit à la restauration de mille mondes. Or, je parle de l’unité d’une seule nature, si étaient assumés un seul corps et une seule âme qui lui est unie, dont résulterait une seule humanité par leur union, de sorte que les trois personnes se trouveraient dans une seule nature assumée, comme elles se trouvent dans [leur] nature éternelle. Mais, en sens inverse, certains soutiennent l’opinion contraire. Et l’on peut répondre aux objections selon les deux [opinions].

 [7524] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Anselmus ibi accipit unum hominem, unam personam humanam: hoc enim est incompossibile ei quod ponitur tres personas assumentes esse.

1. Anselme parle ici d’un seul homme pour une seule personne humaine. En effet, cela est impossible par rapport à l’affirmation que les trois personnes assument.

 [7525] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod assumptio illa terminaretur ad aliquid unum in persona, non ita quod uni tantum personae uniretur, sed quia a qualibet trium personarum assumeretur in unitatem personae, ut non esset alia persona hominis assumpti a tribus personis patris et filii et spiritus sancti, quasi homo per se, inquantum homo, sit persona; esset tamen alia persona patris, alia filii, alia spiritus sancti humanitatem eamdem assumentium.

2. Cette prise [de la nature humaine] aurait comme terme quelque chose d’unique dans la personne, non pas qu’elle serait unie seulement à une seule personne, mais parce qu’elle serait assumée dans l’unité de la personne par chacune des trois personnes, de sorte qu’il n’y aurait pas une autre personne de l’homme, assumé comme homme par soi, par les trois personnes du Père, du Fils et du Saint-Esprit, en tant que l’homme est une personne. Cependant, ce serait une autre personne du Père, une autre du Fils et une autre du Saint-Esprit qui assument la même humanité.

 [7526] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod communicatio idiomatum intelligitur respectu alterius naturae; unde praedicta positione facta, hic homo non communicaret filio idiomata patris, sed solum idiomata humanae naturae.

3. La communication des idiomes s’entend par rapport à une autre nature. Aussi, si on adoptait cette position, cet homme ne communiquerait pas au Fils les idomes du Père, mais seulement les idiomes de la nature humaine.

 [7527] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod, sicut supra in primo libro dictum est, in divinis duplex est communitas, rei et rationis. Communitate rei nihil est ibi commune nisi absolutum; sed communitate rationis est ibi commune hoc nomen persona, vel relatio: et ita per hunc modum communitatis potest communiter convenire patri et filio et spiritui sancto ut unusquisque eorum trahat humanam naturam eamdem numero in unitatem personae suae.

4. Comme on l’a dit plus haut dans le livre I, il existe dans la divinité quelque chose de commun sous deux aspects : selon la réalité et selon la raison. Il ne s’y trouve quelque chose de commun selon la réalité que ce qui est absolu. Mais il s’y trouve quelque chose de commun selon la raison : les mots de « personne » ou de « relation ». Et ainsi, selon cette manière d’être en commun, il peut convenir au Père, au Fils et à l’Esprit Saint que chacun d’eux attire la même nature humaine dans l’unité de sa personne.

 [7528] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod tres personae non distinguuntur secundum esse; immo earum est unum esse, vivere et intelligere, cum esse non nisi ad essentiam pertineat; et ideo non oporteret quod natura humana a tribus personis assumpta secundum esse multiplicaretur, sicut multiplicatur in tribus personis humanis, quarum non est unum esse.

5. Les trois personnes ne se distinguent pas selon l’être ; bien plus, elles n’ont qu’un seul être, une seule vie et une seule intelligence, puisque l’être ne relève que de l’essence. C’est pourquoi il ne serait pas nécessaire que la nature humaine assumée par les trois personnes soit multipliée selon l’être, comme elle est multipliée dans trois personnes humaines, dont il n’y a pas un seul être.

 [7529] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 4 ad 6 Ad sextum dicendum, quod cum termini substantivi significentur vel consignificentur pluraliter ex unitate seu pluralitate formae signatae, dicerentur tres unus homo, si unam humanam naturam assumpsissent, sicut propter unam naturam divinam dicuntur unus Deus: et sicut dicitur tota Trinitas unus solus verus Deus, secundum Augustinum, et Baruch 3, 36: hic est Deus, et non aestimabitur alius ab illo; ita posset dici: iste solus homo, est pater et filius et spiritus sanctus; et tunc iste terminus homo supponeret rem humanae naturae sine distinctione trium personarum, sicut iste terminus Deus supponit in praedictis locutionibus rem naturae divinae indistincte; et haec est suppositio sua naturalis, et quasi termini communis respectu trium personarum; suppositio autem qua supponit pro patre vel filio, est sibi accidentalis, et quasi termini discreti.

6. Puisque les termes substantifs tirent leur sens ou leur sens multiple de l’unité ou de la pluralité de la forme désignée, les trois seraient appelés un seul homme, s’ils assumaient une seule nature humaine, de même qu’on ne parle que d’un seul Dieu en raison de la nature divine. Et de même qu’on dit que toute la Trinité est un seul vrai Dieu, selon Augustin et Ba 3, 36 : Voici Dieu, et on ne pensera pas qu’il en existe un autre que lui, de même on pourrait dire : « Ce seul homme est le Père, le Fils et l’Esprit Saint. » Ce mot « homme » serait alors le suppôt réel de la nature humaine, sans distinction entre les trois personnes, comme le mot « Dieu » est, dans les expressions mentionnées, le suppôt de la réalité de la nature divine de manière indistincte. Tel est le sens naturel et pour ainsi dire commun du mot par rapport aux trois personnes. Mais le sens selon lequel il signifie le Père ou le Fils lui est accidentel et pour ainsi dire celui d’un mot distinct.

 [7530] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 4 ad s. c. Ad ea quae in oppositum objiciuntur, secundum alios potest responderi, quod ad unitatem naturae sequeretur aliquo modo unitas suppositi secundum eos; et hoc esse non potest, ut dictum est, in corpore hujus articuli.

 [1-3] Aux objections en sens contraire, on peut répondre, selon d’autres, que, de l’unité de nature, découlerait d’une certaine manière l’unité de suppôt selon eux. Et cela ne peut pas être le cas, comme on l’a dit dans le corps de cet article.

 

 

Articulus 5 [7531] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 5 tit. Utrum una persona possit assumere duas humanas naturas

Article 5 – Une seule personne peut-elle assumer deux natures humaines ?

 [7532] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod una persona non possit duas humanas naturas assumere. Natura enim communis non multiplicatur nisi secundum pluralitatem suppositorum. Sed una persona est tantum unum suppositum, ut infra, dist. 6, quaest. 1, art. 1, patebit. Ergo non potest in una persona esse duplex natura ejusdem speciei.

1. Il semble qu’une seule personne ne puisse assumer deux natures humaines. En effet, une nature commune n’est multipliée que par la pluralité des suppôts. Or, pour une seule personne, il n’existe qu’un seul suppôt, comme cela ressortira plus loin, d. 6, q. 1, a. 1. Il ne peut donc y avoir une double nature de la même espèce dans une seule personne.

 [7533] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 5 arg. 2 Item, si filius Dei assumeret plures humanas naturas, vocaretur secundum unam naturam Jesus, et secundum aliam Petrus; inde sic. Supposito filio Dei, supponitur Jesus: et eadem ratione, supposito filio Dei, supponitur Petrus. Ergo supposito Jesu, supponitur Petrus: ergo haec est vera: Jesus est Petrus. Sed impossibile est quod duorum hominum unus de alio praedicetur. Ergo Jesus et Petrus non sunt duo homines. Sed impossibile est duas humanas naturas numero differentes esse nisi per hoc quod sunt in duobus hominibus. Ergo in Jesu et Petro non erunt duae humanae naturae, sed una tantum: ergo ad hanc positionem quod filius Dei duas humanas naturas assumpserit, sequitur suum contrarium, scilicet quod sit una tantum natura humana assumpta: ergo positio illa est impossibilis.

2. Si le Fils de Dieu assumait plusieurs natures humaines, il serait appelé Jésus, selon une nature, et selon l’autre, Pierre. La conséquence serait la suivante : en supposant le Fils de Dieu, on suppose Jésus ; pour la même raison, en supposant le Fils de Dieu, on suppose Pierre. Donc, en supposant Jésus, on suppose Pierre, et cette proposition est vraie : « Jésus est Pierre. » Or, il est impossible que l’un soit prédiqué de l’autre pour deux hommes. Jésus et Pierre ne sont donc pas deux hommes. Or, il est impossible que deux natures humaines différentes en nombre existent, si ce n’est parce qu’elles existent dans deux hommes. En Jésus et en Pierre, il n’y aurait donc pas deux natures humaines, mais une seule seulement. Son contraire découle donc de cette position que le Fils de Dieu aurait assumé deux natures humaines : il n’y aurait qu’une seule nature humaine assumée. Cette position est donc impossible.

 [7534] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 5 arg. 3 Praeterea, plus distat natura humana a divina quam una humana natura ab alia. Sed quamvis Dei filius subsistat in duabus naturis, divina scilicet et humana, non tamen duo, sed unus, et unum est. Ergo etsi subsisteret in duabus naturis humanis assumptis, non tamen duo homines dici posset; ergo nec essent duae humanae naturae; et sic idem quod prius.

3. Il existe une plus grande distance entre la nature humaine et la nature divine qu’entre une nature humaine et une autre. Or, bien que le Fils de Dieu subsiste dans deux natures, la nature divine et la nature humaine, il n’est cependant pas deux, mais un seul, et il est une seule réalité. Même s’il subsistait en deux natures humaines assumées, il ne pourrait donc pas être appelé deux hommes. Il ne serait donc pas non deux natures humaines. La conclusion est ainsi la même que précédemment.

 [7535] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 5 arg. 4 Praeterea, si filius Dei duas humanas naturas assumpsisset, secundum quarum unam diceretur Petrus, et secundum aliam Jesus; oporteret quod de Jesu et Petro hoc verbum sum, es, est, singulariter praedicaretur: quia utrumque esset unum suppositum. Sed de patre et filio praedicatur pluraliter, ut patet Joan. 10, 30: ego et pater unum sumus. Ergo major est unitas aliqua quam unitas trium personarum: quod est impossibile: ergo et positio praedicta.

4. Si le Fils de Dieu avait assumé deux natures, selon l’une des deux, il serait appelé Pierre, et selon l’autre, Jésus. Il faudrait que les mots « je suis », « tu es », « il est » soient prédiqués au singulier de Jésus et de Pierre, car les deux ne seraient qu’un seul suppôt. Or, il est prédiqué du Père et du Fils au pluriel, comme cela ressort de Jn 10, 30 : Moi et le Père, nous sommes un. Il existe donc une unité plus grande que l’unité des trois personnes, ce qui est impossible. La position précédente [s’impose] donc.

 [7536] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 5 arg. 5 Praeterea, negatur haec propositio: filius Dei assumpsit hominem, ne videatur personam assumpsisse. Sed sicut filius Dei non assumpsit personam, ita filius Dei non est duae personae. Ergo nullo modo potest dici, quod filius Dei sit duo homines. Hoc autem sequitur si duas humanas naturas assumpsit. Ergo est impossibile.

5. On refuse cette proposition : « Le Fils de Dieu a assumé un homme », pour qu’il ne semble pas avoir assumé une personne. Or, de même que le Fils de Dieu n’a pas assumé une personne, de même le Fils de Dieu n’est-il pas deux personnes. On ne peut donc dire d’aucune manière que le Fils de Dieu est deux hommes. Or, telle serait la conséquence s’il assumait deux natures humaines. Cela est donc impossible.

 [7537] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 5 s. c. 1 Sed contra, quidquid potest pater, potest filius. Sed pater potest aliam humanam naturam assumere ab ea quam filius assumpsit. Ergo et filius potest aliam assumere ab ea quam assumpsit. Ergo una persona potest plures assumere naturas.

Cependant, [1] tout ce que peut le Père, le Fils le peut. Or, le Père peut assumer une autre nature humaine que celle que le Fils a assumée. Le Fils peut donc assumer une autre nature humaine que celle qu’il a assumée. Une seule personne peut donc assumer plusieurs natures.

 [7538] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 5 s. c. 2 Praeterea, majoris bonitatis et dignitatis ostensiva est unio qua filius Dei humanam naturam in unitatem personae assumpsit, quam illa qua mentem hominis per gratiam sibi unit. Sed haec secunda unio quae est per gratiam, non est filii ad unum tantum, sed ad multos, quia sapientia in animas sanctas se transfert; Sap. 7. Cum ergo bonum sit diffusivum et communicativum, videtur quod illa unio quae est in unitate personae, possit esse in persona filii ad multas humanas naturas.

 [2] L’union par laquelle le Fils de Dieu a assumé une nature humaine dans l’unité de sa personne manifeste davantage sa bonté et sa dignité, que celle par laquelle il s’unit l’esprit de l’homme par la grâce. Or, cette seconde union par la grâce n’en est pas une avec un seul seulement, mais avec plusieurs, car la sagesse vient dans les âmes saintes, Sg 7. Puisque le bien se diffuse et se communique, il semble donc que cette union dans l’unité de la personne puisse exister dans la personne du Fils par rapport à plusieurs natures humaines.

 [7539] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 5 s. c. 3 Praeterea, potentia filii per incarnationem in nullo minorata est. Sed filius ante incarnationem poterat humanam naturam aliam ab ea quam assumpsit, assumere. Ergo et nunc potest: et sic idem quod prius.

 [3] La puissance du Fils n’a été en rien diminuée par l’incarnation. Or, avant l’incarnation, le Fils pouvait assumer une autre nature humaine que celle qu’il a assumée. Il le peut donc maintenant. La conclusion est ainsi la même que précédemment.

 [7540] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod hoc fere ab omnibus conceditur, quod una persona divina potest plures humanas naturas assumere; et rationabiliter. Non est enim contra rationem divinae personae quod ipsa in pluribus naturis subsistat; alias non potuisset fieri unio divinae et humanae naturae in una persona filii. Si autem esset contra rationem personae ut in pluribus quam in duabus naturis subsisteret, hoc non posset contingere nisi ita quod tota facultas unius personae quae in pluribus naturis subsisteret, per naturam secundam advenientem terminaretur, et quodammodo impleretur; quod est impossibile: quia natura assumpta adveniens nullo modo commensurabilis est virtuti divinae personae, cum distet ab ea sicut finitum ab infinito. Unde sicut Deus potest semper novas creaturas condere quia ejus potentia per creaturas non exhauritur; ita etiam filius potest, qualibet natura assumpta, iterum aliam assumere: quia potestas assumendi per naturam assumptam non terminatur.

Réponse. Il est concédé par presque tous qu’une seule personne divine peut assumer plusieurs natures humaines, et avec raison. En effet, il n’est pas contraire à la raison d’une personne divine qu’elle subsiste dans plusieurs natures, autrement l’union de la nature divine et de la nature humaine n’aurait pu être réalisée dans la seule personne du Fils. Or, s’il était contraire à la raison de personne qu’elle subsiste dans un plus grand nombre de natures que deux, cela ne pourrait se produire que si toute la capacité d’une seule personne qui subsisterait dans plusieurs natures était limitée par la deuxième nature qui survient et, d’une certaine manière, saturée, ce qui est impossible, car la nature assumée qui survient n’a d’aucune manière la même mesure que la puissance de la personne divine, puisqu’il existe entre elles la distance entre le fini et l’infini. De même donc que Dieu peut toujours crééer de nouvelles créatures, parce que sa puissance n’est pas épuisée par les créatures, de même aussi le Fils peut-il, après avoir assumé n’importe quelle nature, en assumer encore une autre, car la pouvoir d’assumer n’est pas limité par la nature assumée.

 [7541] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod natura ab eodem habet ut individuetur et dividatur: unde cum principium individuationis sit materia aliquo modo sub dimensionibus terminatis considerata, ex ejusdem divisione humana natura dividitur et multiplicatur. Unde si assumpsisset duo corpora et duas animas, duas humanas naturas assumpsisset; non tamen sequeretur quod essent duo supposita, vel duae hypostases: non enim materia quolibet modo divisa constituit diversitatem suppositorum, sed solum quando utrobique invenitur esse discretum, et subsistens per se: unde non potest dici, quod duae manus sunt duae hypostases; sed conveniunt in eadem hypostasi hominis. Ita etiam et duae humanae naturae, quia non haberent esse discretum, sed unitum in una persona filii Dei, non esset naturarum illarum divisio secundum duo supposita, sed solum per divisionem materiae.

1. La nature tient de la même chose d’être individuée et d’être divisée. Puisque le principe d’individuation est la matière envisagée, d’une certaine manière, sous ses dimensions limitées, la nature humaine est donc divisée et multiplieé par sa division. Aussi, s’il avait assumé deux corps et deux âmes, aurait-il assumé deux natures humaines. Il n’en découlerait cependant pas qu’il y aurait deux suppôts ou deux hypostases. En effet, la matière divisée de quelque manière que ce soit ne constitue pas la diversité des suppôts, mais seulement lorsque se trouve dans les deux un être distinct et subsistant par lui-même. On ne peut donc dire que deux mains sont deux hypostases, mais elles se trouvent dans la même hypostase de l’homme. De même aussi, les deux natures humaines, parce qu’elles n’auraient pas un être distinct, mais uni dans la seule personne du Fils de Dieu : il n’y aurait pas de division de ces natures selon deux suppôts, mais seulement selon la division de la matière.

 [7542] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod stante praedicta positione, Petrus et Jesus non sunt duo supposita, sed unum; et haec est vera: Petrus est Jesus; et tamen Petrus et Jesus non sunt unus homo, sed duo homines: singularitas enim et pluralitas termini substantivi attenditur secundum unitatem vel pluralitatem naturae signatae per terminum, et non secundum unitatem vel pluralitatem suppositorum: quamvis enim pater et filius et spiritus sanctus sint tria supposita, tamen propter unitatem divinae naturae, quam significat hoc nomen Deus, dicuntur unus Deus. Ita e contrario, quamvis Jesus et Petrus essent unum suppositum, tamen propter pluralitatem naturarum assumptarum dicerentur duo homines; sed diversitas naturarum, manente unitate suppositi, non impediret quin de se invicem praedicarentur: quia identitas suppositi sufficeret ad veritatem praedicationis.

2. En maintenant la position rappelée, Pierre et Jésus ne sont pas deux suppôts, mais un seul, et cette proposition est vraie : « Pierre est Jésus ». Cependant, Pierre et Jésus ne sont pas un seul homme, mais deux hommes. En effet, le singulier et le pluriel d’un terme substantif se prennent de l’unité ou de la pluralité de la nature signifiée par le terme, et non selon l’unité ou la pluralité des suppôts, car bien que le Père, le Fils et le Saint-Esprit soient trois suppôts, ils sont cependant appelés un seul Dieu en raison de l’unité de la nature divine que signifie ce nom de Dieu. De même, en sens contraire, bien que Jésus et Pierre soient un seul suppôt, on parlerait cependant de deux hommes en raison de la pluralité des natures assumées ; mais la diversité des natures, alors que demeure l’unité de suppôt, n’empêcherait pas qu’ils soient prédiqués l’un de l’autre, car l’identité de suppôt suffirait à la vérité de l’attribution.

 [7543] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum quod humana natura assumpta habet quantum ad aliquid rationem accidentis: quamvis, simpliciter loquendo, unio non sit accidentalis, ut infra, dist. 6, quaest. 3, art. 2, patebit: et ideo propter assumptionem illius naturae, Dei filius non potest dici duo, sicut nec Socrates potest dici duo propter humanitatem et albedinem. Sed si filius Dei assumeret duas humanas naturas, quamvis utraque illarum haberet rationem accidentis in comparatione ad naturam divinam, tamen neutra haberet rationem accidentis in comparatione ad alteram; et ita plures homines, et non unus homo diceretur; sicut albus et musicus magis possunt dici duo, quam homo et albus.

3. La nature humaine assumée a sous un aspect la raison d’accident, bien que, à parler simplement, l’union ne soit pas accidentelle, comme cela ressortira plus loin, d. 6, q. 3, a. 2. C’est pourquoi, parce qu’il a assumé cette nature, le Fils de Dieu ne peut pas être dit deux, comme Socrate non plus ne peut pas être dit deux en raison de l’humanité et de la blancheur. Mais si le Fils de Dieu assumait deux natures humaines, bien que les deux auraient la raison d’accident si on les comparait à la nature divine, aucune d’elles n’aurait cependant la raison d’accident si on la comparait à l’autre. Ainsi, elles seraient appelées plusieurs hommes, et non un seul homme, comme le blanc et le musicien peuvent être davantage appelés deux, que l’homme et le blanc.

 [7544] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut est in divinis personis quod propter unitatem essentiae et pluralitatem personarum, quidquid ibi praedicatur ad essentiam pertinens, praedicatur singulariter, ut cum dicitur, pater et filius sunt unus Deus; quod vero ad personam pertinet, pluraliter praedicatur, ut pater et filius sunt personae: ita e contrario esset hic: quia quidquid ad naturam pertinet, praedicaretur pluraliter; quod vero ad personam, singulariter. Et quamvis summa sit unitas trium personarum propter essentiae simplicitatem, non est tamen inconveniens ut pater et filius ad invicem non habeant aliquam unitatem quae in creatura aliqua invenitur, scilicet personalem, cum sint vere particulariter distincti. Tamen sciendum, quod hoc verbum sum, es, est, non solum pluraliter praedicatur propter pluralitatem suppositorum realiter distinctorum, sed etiam propter pluralitatem suppositorum locutionis. Dicimus enim in divinis, quod persona et essentia sunt sic vel sic, quamvis persona et essentia ibi nullo modo realiter differant. Multo ergo magis praedicaretur hoc verbum sum, es, est, de Jesu et Petro pluraliter, cum differrent secundum rem propter diversitatem naturarum; quamvis non sint diversa supposita.

4. De même que, pour les personnes divines, tout ce qui se rapporte à l’essence leur est attribué au singulier, en raison de l’unité d’essence et de la pluralité des personnes, comme lorsqu’on dit que le Père et le Fils sont un seul Dieu, mais que ce qui se rapporte à la personne est attribué au pluriel, comme le Père et le Fils sont des personnes ; de même, en sens contraire, en serait-il ici, car tout ce qui se rapporte à la nature serait attribué au pluriel, mais ce qui se rapporte à la personne serait attribué au singulier. Et bien que l’unité des trois personnes soit la plus grande en raison de la simplicité de leur essence, il n’est cependant pas inapproprié que le Père et le Fils n’aient pas une certaine unité qui se trouve chez une créature, à savoir, [l’unité] personnelle, puisqu’ils sont en vérité distincts d’une manière particulière. Il faut cependant savoir que ces paroles : « Je suis », « tu es », « il est » ne sont pas seulement prédiquées au pluriel en raison de la pluralité des suppôts réellement distincts, mais aussi en raison de la pluralité des suppôts dans l’expression. Nous disons en effet, pour les réalités divines, que la personne et l’essence sont telle ou telle chose, bien la personne et l’essence n’y diffèrent réellement d’aucune manière. À bien plus forte raison, ces mots : « Je suis », « tu es », « il est » seraient-ils prédiqué de Jésus et de Pierre au pluriel, puisqu’ils diffèrent réellement selon la diversité des natures, bien qu’il n’y ait pas des suppôts différents.

 [7545] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod terminus in praedicato positus tenetur formaliter, quod non est necessarium de termino ad quem terminatur actus alicujus verbi; et ideo cum dicitur, Dei filius est duo homines, importatur pluralitas formarum seu naturarum; cum autem dicitur, filius Dei assumpsit hominem, ly hominem non tenetur formaliter: unde magis stat pro supposito hominis quam pro natura suppositi; et ideo non est simile.

5. Dans ce qui est prédiqué, le terme est pris formellement, ce qui n’est pas nécessaire pour le terme auquel se termine l’acte d’un verbe. Aussi, lorsqu’on dit : « Le Fils de Dieu est deux hommes », cela comporte la pluralité des formes ou des natures ; mais lorsqu’on dit : « Le Fils de Dieu a assumé un homme », le mot « homme » n’est pas pris formellement. Aussi vise-t-il plutôt le suppôt de l’homme que la nature du suppôt. Ce n’est donc pas la même chose.

 

 

Expositio textus [7546] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 5 expos. Plenitudo temporis. Sciendum, quod tempus incarnationis dicitur tempus plenitudinis multis de causis. Primo propter perfectionem universi, quia tunc ad maximam completionem universum venit quando omnes creaturae in homine ad suum principium redierunt, humana natura a Deo assumpta; sicut ponitur Ephes. 1, 10: in dispensatione plenitudinis. Secundo propter abundantiam gratiae quae tunc propalata est: Joan. 1, 16: de plenitudine ejus omnes accepimus. Tertio propter adimpletionem legis: Matth. 5, 17: non veni solvere legem, sed adimplere. Quarto propter magnitudinem ejus quod in illo tempore accidit: quia in illo tempore natus est dominus temporis, et ita factum est aliquid majus tempore, quod tempus implevit. Quinto, quia tempore illo impletum est quod Deus ab aeterno praevidit, et quod ante per suos prophetas praedixerat; Roman. 1. Factum de muliere. Contra. In symbolo dicitur: genitum, non factum. Praeterea, mulier corruptionem importat. Sed Christus de incorruptissima virgine natus est. Ergo inconvenienter dicitur: factum de muliere. Sed dicendum ad primum, quod filius Dei secundum divinam naturam nullo modo factus est, sed genitus: sed secundum humanam naturam quam assumpsit, creatura quaedam est. Non tamen Christus potest dici proprie factus simpliciter loquendo: sed dicitur filius Dei factus homo. Ad secundum dicendum, quod mulier ponitur hic ad designationem sexus, et non ad designandum corruptionem; sicut costa assumpta de Adam dicitur formata in mulierem, quamvis Eva tunc virgo sit facta. Factum sub lege. Sed contra. 1 Tim. 1, 9: justo lex non est posita. Sed Christus fuit justissimus. Ergo non est factus sub lege. Sed dicendum, quod aliquid dicitur esse sub lege tripliciter. Vel quantum ad motivum: et hoc modo sunt sub lege quasi compressi et coacti illi qui timore poenae quam lex infligit, praecepta legis custodiunt: et hoc modo justus non est sub lege, quia amore justitiae operatur, etiam si nulla sit lex, ut dicitur Rom. 2. Alio modo dicitur quis sub lege esse quantum ad causam: et sic omnes in peccato nati sub lege sunt: quia propter peccatum tollendum sacramenta legis instituta sunt. Alio modo dicitur aliquis esse sub lege quantum ad observationem legis; et hoc modo Christus factus est sub lege: quia sacramenta et praecepta legis implevit, non necessitate, sicut alii, sed sola voluntate. Ut eos qui sub lege erant redimeret. Contra, 1 Tim. 12, 4: qui vult omnes homines salvos fieri: et ita non solum ad redimendum Judaeos, qui erant sub lege, sed etiam ad redimendum alios venit. Sed dicendum, quod quamvis venerit ad redemptionem totius humani generis, tamen quodam speciali modo operatus est ad redemptionem filiorum Israel, quia eis personaliter praedicavit; unde Matth. 15, 24: non sum missus nisi ad oves quae perierunt domus Israel: et per eos verbum vitae diffusum est inter gentes; Isa. 27: qui egredientur impetu a Jacob, et implebunt faciem orbis semine. Haec est mulier evangelica, de qua Luc. 15. Sciendum, quod divina sapientia mulier dicitur, non propter fragilitatem, sed propter fecunditatem: Eccli. 24: a generationibus meis adimplemini. Nec eamdem Trinitatem in specie columbae descendisse super Jesum. Sed contra. In illa columba nihil fuit quod non toti Trinitati esset commune; cum non sit assumpta in unitatem alicujus personae, quia eam communi operatione tota Trinitas fecit; et in ea tota Trinitas fuit, sicut in ceteris creaturis per essentiam, praesentiam, et potentiam; et ita videtur quod ad totam Trinitatem pertineat. Sed dicendum, quod illa columba potest considerari dupliciter. Vel inquantum est res quaedam, sive fuerit animal, sive fuerit tantum similitudinem animalis habens; et sic ad totam Trinitatem pertinet, ut communis effectus; vel secundum quod est signum; et hoc modo tantum ad spiritum sanctum pertinet, cujus invisibilis missio per adventum columbae designatur et de hac missione visibili: et aliis dictum est in 1 Lib., dist. 16.

Explication du texte de Pierre Lombard – Dist. 1

 

 

Distinctio 2

Distinction 2 – [L’incarnation, du point de vue de ce qui est assumé]

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [La nature humaine est-elle plus susceptible d’assumée que les autres ?]

Prooemium

Prologue

 [7547] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 pr. Postquam determinavit de incarnatione ex parte assumentis, in ista parte determinat ex parte naturae assumptae; et dividitur in tres partes: in prima ostendit quid sit assumptum; in secunda quale fuerit illud assumptum, dist. 3: quaeritur etiam de carne verbi, an priusquam conciperetur, obligata fuerit peccato; in tertia ostendit quo agente id quod assumptum est, formatum sit, dist. 4: cum vero incarnatio verbi operatio vere sit patris et filii et spiritus sancti, investigatione dignum nobis videtur, quare in Scriptura spiritui sancto hoc opus saepius tribuatur. Prima dividitur in duas partes: in prima ostendit quid sit assumptum, quia humana natura integra, ex partibus suis, scilicet corpore et anima constans; in secunda determinat ordinem assumptionis, ibi: assumpsit ergo Dei filius carnem et animam. Prima dividitur in duas partes: in prima ostendit naturam humanam integram assumptam esse ratione suarum partium; in secunda, ratione naturalium proprietatum, ibi: totam igitur hominis naturam (...) assumpsit Deus. Circa primum tria facit: primo ostendit omnes partes humanae naturae assumptas esse per hoc quod humana natura assumpta est; secundo ostendit quod per humanam naturam significentur omnes partes ejus, scilicet anima et corpus, ibi: quod autem humanae naturae sive humanitatis vocabulo anima et caro intelligi debeant, aperte docet Hieronymus; tertio excludit quorumdam errorem, ibi: errant igitur qui nomine humanitatis non substantiam sed proprietatem quamdam a qua homo nominatur significari contendunt. Assumpsit ergo Dei filius carnem et animam. Hic ostendit quomodo partes humanae naturae assumptae sunt; et dividitur in duas partes: in prima inquirit ordinem naturae; in secunda inquirit ordinem temporis, ibi: si autem quaeritur utrum verbum carnem simul et animam assumpserit et cetera. Circa primum tria facit: primo ostendit ordinem naturae, ostendens carnem esse assumptam mediante anima; secundo ostendit modum illius unionis esse inexplicabilem, ibi: illa autem unio inexplicabilis est adeo ut etiam Joannes ab utero sanctificatus se non esse dignum fateatur solvere corrigiam calceamenti Jesu; tertio excludit quorumdam errorem, ibi: non sunt ergo audiendi qui non verum hominem filium Dei suscepisse dicunt. Hic est duplex quaestio: prima de ipso assumpto; secunda de ordine assumptionis. Circa primum quaeruntur tria: 1 utrum natura humana prae aliis sit assumptibilis; 2 in quo assumi debuit; 3 quid in humana natura assumi debuit.

Après avoir déterminé de l’incarnation du point de vue de celui qui assume, [l’auteur] en détermine dans cette partie du point de vue de la nature assumée. Il y a trois parties : dans la première, il montre ce qui est assumé ; dans la deuxième, la qualité de ce qui devait être assumé, d. 3 : « On s’interroge à propos de la chair du Verbe, si, avant qu’elle soit conçue, elle était liée par le péché » ; dans la troisième, il montre par quel agent ce qui a été assumé a été formé, d. 4 : « Puisque, à la vérité, l’incarnation du Verbe est véritablement l’opération du Père, du Fils et du Saint-Esprit, il nous semble digne de chercher pourquoi, dans l’Écriture, cette œuvre est attribuée le plus souvent à l’Esprit Saint. » La première [partie] est divisée en deux parties : dans la première, il montre ce qui a été assumé, car il s’agit de la nature humaine dans son entier, constituée de ses parties, à savoir, un corps et une âme ; dans la seconde, il détermine de l’ordre selon lequel elle a été assumée, à cet endroit : « Le Fils de Dieu a donc assumé la chair et l’âme. » La première [partie] est divisée en deux parties : dans la première, il montre que la nature humaine dans son entier a été assumée en raison de ses parties ; dans la seconde, en raison de ses propriétés naturelles, à cet endroit : « Dieu a donc assumé… la nature humaine dans son entier. » À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il montre que toutes les parties de la nature humaine ont été assumées du fait que la nature humaine a été assumée. Deuxièmement, il montre que, par la nature humaine, toutes ses parties, à savoir, l’âme et le corps, sont signifiées, à cet endroit : « Jérôme enseigne ouvertement que, par l’expression nature humaine ou humanité, il faut entendre l’âme et la chair. » Troisièmement, il écarte l’erreur de certains, à cet endroit : « Ceux-là donc se trompent qui, par le mot humanité, soutiennent que ce n’est pas la substance qui est signifiée, mais une propriété par laquelle l’homme est désigné. » « Le Fils de Dieu a assumé la chair et l’âme. » Ici, il montre comment les parties de la nature humaine ont été assumées, et cela se divise en deux parties : dans la première, il s’interroge sur l’ordre de nature ; dans la seconde, il s’interroge sur l’ordre dans le temps, à cet endroit : « Mais si on se demande si le Verbe a assumé la chair en même temps que l’âme, etc. » À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il montre l’ordre de nature, en montrant que la chair a été assumée par l’intermédiaire de l’âme. Deuxièmement, il montre que le mode de cette union est inexplicable, à cet endroit : « Mais cette union est inexplicable, au point où Jean lui-même, sanctifié dès le sein, affirme qu’il n’est pas digne de détacher la courroie de la sandale de Jésus. » Troisièmement, il écarte l’erreur de certains, à cet endroit : « Il ne faut pas écouter ceux qui disent que le Fils de Dieu n’a pas assumé un homme véritable. » Ici, il y a une double question : la première, sur ce qui est assumé ; la seconde, sur l’ordre selon lequel cela a été assumé. À propos du premier point, trois questions sont posées : 1 – La nature humaine est-elle plus susceptible d’être assumée que les autres ? 2 – En qui devait-elle être assumée ? 3 – Que devait-il être assumé de la nature humaine ?

 

 

Articulus 1 [7548] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1 tit. Utrum natura humana sit prae aliis assumptibilis

Article 1 – La nature humaine peut-elle être assumée plutôt que les autres ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La nature humaine est-elle plus susceptible d’être assumée qu’une créature sans raison ?]

 [7549] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod humana natura non sit magis assumptibilis quam creatura irrationalis. Sicut enim dicit Augustinus ad Volusianum, in rebus mirabilibus tota ratio facti est potentia facientis. Sed omnium mirabilium mirabilius est creaturam assumi in unitatem personae increatae. Ergo tota assumptibilitatis ratio est ex potentia ejus qui assumptionem facit. Sed cum illa potentia sit infinita, ex parte ipsius aequaliter est humanam naturam, vel etiam irrationalem naturam assumere. Ergo non magis dicenda est humana natura assumptibilis quam natura irrationalis.

1. Il semble que la nature humaine ne soit pas plus susceptible d’être assumée qu’une créature sans raison. En effet, comme le dit Augustin à Volusien, « pour les choses prodigieuses, toute la raison du fait est la puissance de celui qui les réalise ». Or, parmi toutes les choses prodigieuses, la plus prodigieuse est qu’une créature humaine soit assumée dans l’unité d’une personne incréée. Toute la raison de ce qui peut être assumé vient donc de la puissance de celui qui assume. Or, puisque cette puissance est infinie, de son point de vue, c’est la même chose d’assumer une nature humaine ou une nature sans raison. Il ne faut donc pas dire que la nature humaine est plus susceptible d’être assumée qu’une nature sans raison.

 [7550] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, sicut in humana natura est similitudo Dei ratione imaginis; ita in creatura irrationali est similitudo Dei ratione vestigii. Sed similitudo et convenientia aliquorum ad invicem, est causa unibilitatis ipsorum. Ergo sicut humana natura unibilis est Deo; ita et creatura irrationalis.

2. De même que, dans la nature humaine, existe une similitude de Dieu en raison de l’image, de même, dans la créature sans raison, existe une similitude de Dieu en raison du vestige. Or, la similitude et la communauté réciproque sont la cause de la possibilité d’union. De même que la nature humaine peut être unie à Dieu, de même, donc, la créature sans raison.

 [7551] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, illud videtur esse simillimum alteri in quo maxime proprietates alterius repraesentantur. Sed, sicut dicit Dionysius, in igne inter omnia corporalia magis divinae proprietates repraesentantur: et idem dicit de radio solari. Ergo istae creaturae videntur Deo simillimae; et ita etiam ei magis unibiles quam humana natura.

3. Ce en quoi sont le mieux représentées les propriétés d’une autre chose semble le plus semblable à cette autre chose. Or, comme le dit Denys, « dans tout ce qui est corporel, les propriétés divines sont surtout représentées par le feu », et il dit la même chose du rayonnement solaire. Ces créatures semblent donc les plus semblables à Dieu, et ainsi peuvent davantage lui être unies que la nature humaine.

 [7552] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, nobilioris doni nobilior creatura est capax. Ergo ad istud donum, quod est nobilissimum inter dona nobilioris naturae, inferior natura capacitatem non habet. Sed humana natura est nobilior creatura irrationali. Cum ergo inter omnia quae humanae naturae sunt collata, assumptio ipsius in unitatem divinae personae sit nobilissimum; videtur quod hujus creatura irrationalis capax non sit, et ita non erit assumptibilis.

Cependant, une créature plus noble est capable d’un don plus noble. La créature inférieure n’est donc pas capable du don qui est le plus noble parmi les dons d’une nature plus noble. Or, la nature humaine est plus noble que la créature sans raison. Puisque, parmi toutes les choses qui ont été données à la nature humaine, le fait pour celle-ci d’être assumée dans l’unité d’une personne divine est ce qu’il y a de plus noble, il semble donc qu’une créature sans raison n’en soit pas capable, et qu’ainsi elle ne puisse pas être assumée.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La nature angélique est-elle moins susceptible d’être assumée que la nature humaine ?]

 [7553] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod angelica natura non sit minus assumptibilis quam natura humana. Deus enim propter suam misericordiam humanam naturam assumpsit, ut humanae miseriae subveniret. Sed sicut est miseria in humana natura, ita etiam in angelica. Cum ergo summa misericordia sit omni miseriae subvenire, videtur quod angelica sit natura assumptibilis sicut et humana.

1. Il semble que la nature angélique ne soit pas moins susceptible d’être assumée que la nature humaine. En effet, Dieu a assumé la nature humaine en raison de sa miséricorde, afin de venir au secours de la misère humaine. Or, de même qu’il existe de la misère dans la nature humaine, de même en existe-t-il dans la nature angélique. Puisqu’il relève donc de la plus grande miséricorde de venir au secours de toute misère, il semble donc que la nature angélique soit susceptible d’être assumée, comme la nature humaine.

 [7554] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, ea quae magis sunt similia, facilius uniuntur. Sed angelica est divinae similior quam natura humana, quia, ut dicit Gregorius, quanto in Angelo natura est subtilior, eo magis imago Dei in illo insinuatur expressa. Ergo angelica natura est magis assumptibilis quam humana.

2. Les réalités qui sont plus semblables s’unissent plus facilement. Or, la nature angélique est plus semblable à la nature divine que la nature humaine, car, ainsi que le dit Grégoire, « plus la nature de l’ange est subtile, plus l’image de Dieu est imprimée en elle ». La nature angélique est donc plus susceptible d’être assumée que la nature humaine.

 [7555] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, assumptio humanae naturae ideo facta est, ut peccato hominis remedium praeberet. Sed peccatum Angeli est irremediabile, ut supra, Lib. 2, dist. 7, qu. 1, art. 2, dictum est. Ergo angelica natura non est assumptibilis.

Cependant, la nature humaine a été assumée pour remédier au péché de l’homme. Or, le péché de l’ange est sans remède, comme on l’a dit plus haut, livre II, d. 7, q. 1, a. 2. La nature angélique n’est donc pas susceptible d’être assumée.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [L’univers entier est-il plus susceptible d’être assumé que la nature humaine ?]

 [7556] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod totum universum sit magis assumptibile quam humana natura. Effectus enim universalis maxime causae universali assimilatur. Sed universum est effectus universalis Dei qui universalis causa est. Ergo universum Deo magis assimilatur quam humana natura, quae est quidam particularis effectus: et ita est magis assumptibile.

1. Il semble que l’univers entier soit plus susceptible d’être assumé que la nature humaine. En effet, un effet universel ressemble au plus haut point à une cause universelle. Or, l’univers est l’effet universel de Dieu, qui est la cause universelle. L’univers est donc plus semblable à Dieu que la nature humaine, qui est un effet particulier. Il est donc plus susceptible d’être assumé.

 [7557] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, per assumptionem consummatio totius universi est perfecta. Sed magis esset universum perfectum si omnes partes ejus essent assumptae. Ergo universum est magis assumptibile.

2. La consommation de tout l’univers est achevée par le fait qu’il est assumé. Or, l’univers serait plus parfait si toutes ses parties avaient été assumées. L’univers est donc plus susceptible d’être assumé.

 [7558] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, ex hoc est aliquid assumptibile Deo quod ad imaginem Dei est. Sed non potest dici quod totum universum sit ad imaginem, nisi forte poneretur universum animatum anima rationali, sicut Platonici posuerunt, quod a fide alienum est. Ergo universum non est assumptibile.

Cependant, quelque chose est susceptible d’être assumé par Dieu du fait que cela est à l’image de Dieu. Or, on ne peut pas dire que tout l’univers est à l’image [de Dieu], sauf peut-être en affirmant que l’univers est animé par une âme raisonnable, comme l’ont affirmé les platoniciens, ce qui est étranger à la foi. L’univers n’est donc pas susceptible d’être assumé.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [7559] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum, quod assumptibile dicitur quod potest assumi. Cum autem dicitur, creatura potest assumi, non signatur aliqua potentia activa creaturae: quia sola potentia infinita hoc facere potuit, ut in infinitum distantia conjungerentur in unitatem personae. Similiter non signatur etiam potentia passiva naturalis creaturae, quia nulla potentia passiva naturalis est in natura cui non respondeat potentia activa alicujus naturalis agentis. Unde relinquitur quod dicat in creatura solam potentiam obedientiae, secundum quam de creatura potest fieri quidquid Deus vult, sicut de ligno potest fieri vitulus, Deo operante. Haec autem potentia obedientiae correspondet divinae potentiae, secundum quod dicitur, quod ex creatura potest fieri quod ex ea Deus facere potest. Sed potentia Dei dupliciter consideratur: vel ut absoluta, vel ut ordinata. Quod qualiter intelligendum sit, ex dictis, 1 dist., qu. 2 art. 3, patet. Loquendo autem de potentia Dei absoluta, Deus potest assumere quamcumque creaturam vult. Unde secundum hoc non est una creatura magis assumptibilis quam altera. Loquendo autem de potentia ordinata, illam creaturam assumere potest quam congruit eum assumere ex ordine suae sapientiae. Unde illa creatura dicitur assumptibilis in qua hujusmodi congruitas invenitur. Invenitur autem in humana natura congruitas prae aliis quantum ad tria, quae in assumptione requiruntur. Primo quantum ad similitudinem unibilium: in humana enim natura invenitur expressior similitudo divina quam in aliqua creatura irrationali: quia homo secundum quod habet mentem, ad imaginem Dei factus dicitur; cum in creaturis irrationalibus non nisi similitudo vestigii inveniatur; et etiam quantum ad quaedam in ea est divina similitudo magis quam in angelica natura, ut post dicetur. Secundo quantum ad terminum assumptionis; terminatur enim assumptio ad unitatem personae; personalitas autem non invenitur in irrationalibus naturis, cum persona sit rationalis naturae individua substantia, ut Boetius dicit. In Angelis vero est quidem persona, sed non secundum originem distincta; cum unus Angelus ab alio non trahat originem. In humana vero natura est persona distincta etiam secundum originem; et ideo convenientissime humana natura in unitatem divinae personae assumitur; quae distinguuntur secundum relationem originis. Tertio quantum ad finem assumptionis. Si enim perfectio universi dicatur assumptionis finis praecipuus, ut quidam dicunt, nulla natura particularis assumi potuisset, per quam ita universum perfici posset sicut per assumptionem humanae naturae: tum quia homo est ultima creaturarum, quasi ultimo creatus, cujus natura assumpta, ultimum est conjunctum primo principio per modum circuli, quae est figura perfecta ex eo quod additamentum non recipit: tum etiam quia in homine quodammodo omnes naturae confluunt: quia cum omnibus creaturis aliquid commune habet, ut dicit Gregorius; unde homine unito, quodammodo omnis creatura unita est. Si vero finis assumptionis ponatur liberatio a peccato, sic etiam sola humana natura congrue assumi potuit: quia in irrationali creatura peccatum non erat; in angelica vero erat quidem peccatum, sed irremediabile, ut patet ex dictis in 1 dist., qu. 1, art. 2; in homine vero erat remediabile; et ideo solam humanam naturam congruum fuit assumere; et sic ea reparata, creatura irrationalis, quae propter ipsius peccatum quodammodo deteriorata dicitur, secundum quod in usum hominis cedit, restaurata est.

On dit que quelque chose est susceptible d’être assumé du fait que cela peut être assumé. Or, lorsqu’on dit : « Une créature peut être assumée », on n’indique pas une puissance active de la créature, car seule une puissance infinie a pu faire que des réalités infiniment distantes soient unies dans l’unité d’une personne. On n’indique pas non plus une puissance passive naturelle de la créature, car aucune puissance passive naturelle n’existe dans la nature, à laquelle ne corresponde la puissance active d’un agent naturel. Il reste donc qu’on affirme dans la créature seulement une puissance obédientelle, selon laquelle Dieu peut faire de la créature tout ce qu’il veut, comme un veau peut être fait à partir du bois par l’action de Dieu. Or, cette puissance obédientielle correspond à la puissance divine pout autant qu’on dit qu’il peut être fait de la créature ce que Dieu peut faire d’elle. Or, la puissance de Dieu est envisagée de deux manières : en tant qu’elle est absolue, ou en tant qu’elle est ordonnée ; comment cela doit être compris, on l’a dit à la d. 1, q. 2, a. 3. Pour parler de la puissance absolue de Dieu, Dieu peut assumer n’importe quelle créature qu’il veut. De ce point de vue, une créature n’est pas davantage susceptible d’être assumée qu’une autre. Mais pour parler de sa puissance ordonnée, il peut assumer la créature qu’il lui convient d’assumer selon l’ordre de sa sagesse. On dit donc qu’est susceptible d’être assumée la créature chez laquelle cette convenance se trouve. Or, une convenance préférentielle par rapport aux autres se trouve dans la nature humaine sous trois aspects, qui sont nécessaires pour qu’elle soit assumée. Premièrement, pour ce qui est de la similitude de ce qui est susceptible d’être uni. En effet, il existe dans la nature humaine une similitude divine plus expresse que dans une créature sans raison, car on dit que l’homme a été créé à l’image de Dieu pour autant qu’il possède un esprit, alors que, dans les créatures sans raison, on ne trouve que la similitude du vestige. Sous certains aspects même, une similitude avec Dieu existe en elle davantage que dans la créature angélique, comme on le dira plus loin. Deuxièmement, pour ce qui est du terme. En effet, le terme de ce qui est assumé est l’unité de la personne. Or, on ne trouve pas de personnalité dans les créatures sans raison, puisque « la personne est une substance individuelle de nature raisonnable », comme le dit Boèce. Cependant, la personne existe chez les anges, mais sans être distincte par l’origine, puisqu’un ange ne tire pas son origine d’un autre. Mais, dans la nature humaine, la personne est aussi distincte par l’origine. C’est ainsi que la nature humaine est assumée dans l’unité d’une personne divine avec la plus grande convenance, ces personnes divines se distinguant selon une relation d’origine. Troisièmement, pour ce qui est de la fin. En effet, si on dit que la perfection de l’univers est la fin de l’assomption, comme le disent certains, aucune nature particulière n’aurait pu être assumée par laquelle l’univers pourrait être ainsi perfectionné, comme c’est le cas par la nature humaine assumée, car l’homme est la dernière des créatures, comme si celui qui a été créé en dernier lieu, et dont la nature a été assumée, était uni en dernier au principe premier à la manière d’un cercle, qui est la figure parfaite du fait qu’elle ne reçoit aucun ajout ; et aussi parce que toutes les natures se rencontrent d’une certaine manière dans l’homme, car « il a quelque chose en commun avec toutes les créatures », comme le dit Grégoire. Aussi, une fois l’homme uni, toutes les créatures sont-elles unies d’une certaine manière. Mais si l’on dit que la fin de l’union est la libération du péché, alors seule la nature humaine pouvait être convenablement unie, car il n’y avait pas de péché chez la créature sans raison ; mais, chez la créature angélique, le péché existait, irrémédiable cependant, comme cela ressort de ce qui a été dit dans la d. 1, q. 1, a. 2. Chez l’homme, un remède pouvait toutefois lui être apporté. C’est pourquoi il était convenable que seule la nature humaine soit assumée ; celle-ci restaurée, la créature sans raison a été restaurée, dont on dit qu’elle a été détériorée d’une certaine manière à cause du péché [de l’homme], pour autant qu’elle est à l’usage de l’homme,.

 [7560] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primam ergo quaestionem dicendum, quod Deus de potentia absoluta creaturam irrationalem assumere potuit. Nec impedit quod creatura irrationalis personalitatem non habet: quia personalitas non debetur etiam humanae naturae assumptae ratione sui, ut infra patebit, dist. 6, quaest. 1, art. 1 et 2, sed ratione assumentis; unde non est ibi nisi personalitas increata. Et praeterea quamvis in natura irrationali non inveniatur persona, invenitur tamen in ea hypostasis et suppositum. Unio autem non tantum facta est in persona, sed etiam in hypostasi et supposito. Sed congruum non erat ut assumeretur, et praecipue quia natura assumpta maxime beatificatur, ut in Psalm. 64, 5, dicitur: beatus quem elegisti et assumpsisti; beatitudinis vero, quae in actu mentis consistit, creatura irrationalis particeps esse non potest. Unde patet responsio ad primam objectionem, quae procedit de potentia absoluta, et non de potentia ordinata.

1. Dieu pouvait assumer une créature sans raison en vertu de sa puissance absolue, et le fait que la créature sans raison n’ait pas de personnalité n’est pas un empêchement, car la personnalité n’est pas due non plus par elle-même à la nature humaine assumée, comme cela ressortira à la d. 6, q. 1, a. 1 et 2, mais en raison de celui qui assume. Il n’y a donc là qu’une personnalité incréée. De plus, bien qu’on ne trouve pas de personne dans la créature sans raison, on trouve cependant en elle une hypostase et un suppôt. Or, l’union ne s’est pas réalisée seulement dans la personne, mais aussi dans l’hypostase et dans le suppôt. Mais il n’était pas convenanble qu’elle soit assumée, surtout parce que la nature assumée est rendue bienheureuse, ainsi qu’il est dit en Ps 64, 5 : Bienheureux celui que tu as choisi et assumé. Or, la créature sans raison ne peut participer à la béatitude, qui consiste dans un acte de l’esprit. La réponse à la première objection ressort ainsi : celle-ci vient de la puissance absolue, et non de la puissance ordonnée.

 [7561] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ad congruitatem assumptibilitatis requiritur similitudo imaginis, quia per hanc creatura rationalis particeps est divinae beatitudinis. Unde ad hanc congruitatem non sufficit similitudo vestigii, qualis in creaturis irrationalibus invenitur.

2. La similitude de l’image est nécessaire pour qu’il soit convenable [à une créature] de pouvoir être assumée, car, par elle, la créature raisonnable participe à la béatitude divine. La similitude du vestige, telle qu’on la trouve chez les créatures sans raison, ne suffit donc pas à cette convenance.

 [7562] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod duplex est similitudo creaturae ad Deum. Una secundum participationem alicujus divinae bonitatis sicut ab eo vivente omnia vitam participant: et sic creatura rationalis in qua invenitur esse, vivere et intelligere, maxime Deo assimilatur; et haec similitudo requiritur ad assumptibilitatem. Alia similitudo est secundum proportionem, ut si dicatur similitudo inter Deum et ignem, quia sicut ignis consumit corpus, ita Deus consumit nequitiam; et haec similitudo requiritur in figurativis locutionibus, et appropriationibus: quam Dionysius in secundo cap. Cael. Hierarch. vocat dissimilem similitudinem: et de hac similitudine procedit objectio.

3. Il existe une double similitude entre la créature et Dieu. L’une, selon une participation à une certaine bonté divine, comme tout participe à la vie dont il vit. Ainsi, la créature raisonnable, chez laquelle on trouve l’être, la vie et l’intelligence, est-elle assimilée à Dieu au plus haut point, et une telle similitude est nécessaire pour qu’elle soit assumée. Mais il existe une autre similitude selon la proportion, comme si l’on dit qu’il existe une similitude entre Dieu et le feu, car de même que le feu consume un corps, de même Dieu consume-t-il la méchanceté. Une telle similitude est nécessaire dans les expressions figurées et dans les appropriations ; dans le deuxième chapitre de La hiérarchie céleste, Denys l’appelle une « similitude dissemblable ». L’objection vient d’une telle similitude.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [7563] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum est, quod de absoluta potentia loquendo, Deus potuit angelicam naturam assumere; sed natura angelica non habebat aliquam congruentiam ut assumeretur, praecipue propter duo. Primo, quia ejus peccatum non erat remediabile. Secundo, quia non decet ut aliquam perfectionem creaturae Deus assumendo auferat. Personalitas autem quaedam perfectio creaturae est. Sed si natura assumpta personalitatem propriam haberet post assumptionem, non posset esse unio in persona, quia essent duae personae; unde oportet quod id quod assumptum est, personalitatem non habeat, natum tamen habere. In angelica autem natura non invenitur potentia ad personalitatem sine actu, cum non per generationem procedat in esse; et ideo non fuit congruum ut angelica natura assumeretur.

Si l’on parle de sa puissance absolue, Dieu pouvait assumer une nature angélique ; mais la nature angélique ne possédait pas de convenance à être assumée, surtout pour deux raisons : premièrement, parce qu’il ne pouvait être rémédié à son péché ; deuxièmement, parce qu’il ne convient pas que Dieu enlève une perfection à une créature en l’assumant. Or, la personnalité est une perfection d’une créature. Mais si la nature assumée avait une personnalité propre après avoir été assumée, il ne pourrait y avoir d’union dans la personne, car il y aurait deux personnes ; aussi faut-il que ce qui est assumé n’ait pas de personnalité, alors qu’il en a une par nature. Or, chez la nature angélique, on ne trouve pas de puissance à une personnalité sans acte, puisqu’elle ne vient pas à l’être par généréation. C’est pourquoi il n’était pas convenable que la nature angélique soit assumée.

 [7564] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo, cum opponitur quod angelica natura est Deo similior quam humana, dicendum quod verum est, si natura divina in se absolute consideretur; si autem consideretur secundum quod est in personis per relationes originis distinctis, sic magis convenit cum homine, ut dictum est. Similiter etiam si consideretur secundum quod est exemplar totius creaturae; in homine enim invenitur similitudo cum qualibet creatura, ut dictum est, non autem in Angelo. Similiter etiam si consideretur inquantum gubernat universum: sicut enim Deus totus est in qualibet parte universi per essentiam, praesentiam, et potentiam; sic et anima in qualibet parte corporis.

1. Lorsqu’on objecte que la nature angélique est plus semblable à Dieu que la nature humaine, il faut dire que cela est vrai si la nature divine est envisagée en elle-même de manière absolue. Mais si elle est envisagée selon qu’elle existe dans des personnes distinctes par des relations d’origine, elle a alors plus en commun avec l’homme, comme on l’a dit. De même aussi, si elle est envisagée selon qu’elle est le modèle de toute créature : en effet, chez l’homme, on trouve une similitude de toute créature, comme on l’a dit, mais non chez l’ange. De même aussi, si elle est envisagée selon qu’elle gouverne l’univers : en effet, de même que Dieu est tout entier en toute partie de l’univers par son essence, par sa présence et par sa puissance, de même l’âme [l’est-elle] dans toutes les parties du corps.

 [7565] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod causa miseriae Angelorum, idest peccatum, remedium non habet; et ideo nec eorum miseriae congrue subveniri potest.

2. La cause de la misère des anges, le péché, n’a pas de remède. C’est pourquoi leur misère ne peut être convenablement secourue.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [7566] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod alicui toti potest convenire aliquid dupliciter: vel ratione partis, sicut homo dicitur canus propter capillos; vel ratione sui, quod scilicet ipsi toti primo convenit; et hoc est, ut in 6 Physic. probatur, quod convenit toti, et omnibus ejus partibus. Universum ergo potest assumi dupliciter: vel ratione partis; et sic assumptibile fuit, et assumptum est humana natura assumpta: vel ratione sui; et sic assumi non potuit, quia non omnes partes ejus assumptibiles erant, ut ex dictis patet.

Quelque chose peut convenir à un tout de deux manières : soit en raison d’une partie, comme on dit d’un homme qu’il est blanc en raison de ses cheveux ; soit en raison de lui-même, à savoir qu’il convient d’abord au tout lui-même : comme on le démontre dans Physique, VI, cela veut dire qu’il convient au tout et à toutes ses parties. L’univers peut donc être envisagé de deux manières : soit en raison d’une partie, et ainsi il pouvait être assumé et il a été assumé dans la nature humaine assumée ; soit en raison de lui-même, et ainsi il ne pouvait être assumé, car toutes ses parties ne pouvaient pas être assumées, comme cela ressort de ce qui a été dit.

 [7567] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo circa hoc objectum dicendum, quod quamvis Deus sit causa universalis, est tamen maxime simplex; et ideo cum eo magis convenit universalis effectus unitus, scilicet humana natura, in qua omnes naturae congregantur quodammodo, quam effectus universalis non simpliciter unitus, sicut est universum, ex cujus partibus non efficitur unum simpliciter, cum remaneant distinctae in actu.

1. Bien que Dieu soit une cause universelle, il est cependant simple au plus haut point. C’est pourquoi l’effet commun uni, à savoir, la nature humaine, a davantage en commun avec lui ‑ en elle, toutes les natures se rencontrent d’une certaine manière ‑, plutôt qu’un effet universel qui n’est pas simplement uni, comme l’est univers, dont les parties ne donnent pas un tout simple, puisqu’elles demeurent distinctes en acte.

 [7568] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non decet in omnibus partibus universi eamdem perfectionem esse; et ideo magis congruum fuit ut una parte universi assumpta, in totum universum perfectio redundaret.

2. Il ne convient pas que la même perfection existe dans toutes les parties de l’univers. C’est pourquoi il était plus convenable que la perfection rejaillisse sur tout l’univers à partir d’une partie de l’univers assumée.

Articulus 2 [7569] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2 tit. Utrum filius Dei humanam naturam assumere debuit

Article 2 – Le Fils de Dieu devait-il assumer la nature humaine ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le Fils de Dieu devait-il assumer la nature humaine chez tous les suppôts de la nature humaine ?]

 [7570] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod filius Dei humanam naturam assumere debuit in omnibus suppositis humanae naturae. Quia, ut Damascenus dicit, quod est inassumptibile est incurabile. Sed humana natura curabilis est in omnibus suis suppositis. Ergo in omnibus assumi debuit.

1. Il semble que le Fils de Dieu devait assumer la nature humaine dans tous les suppôts de la nature humaine, car, ainsi que le dit [Jean] Damascène, « ce qui ne peut être assumé ne peut être guéri ». Or, la nature peut être guérie dans tous ses suppôts. Elle devait donc être assumée dans tous les suppôts.

 [7571] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, bonum est diffusivum et communicativum sui, ut ex Dionysio patet. Cum ergo Deus sit summe bonus, et maxime in incarnatione suam bonitatem ostenderit, videtur quod naturam quae assumptibilis erat, communiter in omnibus suis suppositis assumere debuerit.

2. « Le bien se diffuse et se communique lui-même », comme cela ressort de Denys. Puisque Dieu est bon au plus haut point et qu’il a surtout montré sa bonté dans l’incarnation, il semble donc qu’il devait assumer en tous ses suppôts la nature qui pouvait être assumée.

 [7572] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, Christus venit ad satisfaciendum praecipue pro peccato naturae, quod per unum hominem in mundum intravit. Sed id quod naturae secundum se debetur, debetur communiter et aequaliter in omnibus suis suppositis. Ergo filius Dei naturam humanam in omnibus suis suppositis assumere debuit.

3. Le Christ est venu satisfaire pour le péché de nature, qui est entré dans le monde par un seul homme. Or, ce qui revient à la nature en elle-même revient à tous ses suppôts d’une manière générale et égale. Le Fils de Dieu devait donc assumer la nature humaine en tous ses suppôts.

 [7573] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 4 Sed contra, filius Dei ad hoc carnem assumpsit, ut pro nobis satisfaciendo principium humanae salutis esset. Cum ergo principium in quolibet genere unum inveniatur, videtur quod in uno tantum supposito humanam naturam assumere debuit.

4. Cependant, le Fils de Dieu a assumé la chair afin qu’en satisfaisant pour nous, il soit le principe du salut des hommes. Puisque le principe en n’importe quel genre est unique, il semble donc qu’il devait assumer la nature humaine en un seul suppôt.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le Fils de Dieu devait-il assumer la nature humaine en quelqu’un engendré de la descendance d’Adam ?]

 [7574] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non debuerit assumere naturam humanam in aliquo ex stirpe Adae generato. Sicut enim dicit apostolus ad Hebr. 7, talis decebat ut nobis esset pontifex qui esset segregatus a peccatoribus. Sed magis esset segregatus a peccatoribus, si de stirpe peccatorum carnem non assumpsisset. Ergo non debuit carnem assumere de stirpe Adae.

1. Il semble que [le Fils de Dieu] ne devait pas assumer la nature humaine en quelqu’un engendré de la descendance d’Adam. En effet, comme l’a dit l’Apôtre en He 7, il convenait que notre pontife soit séparé des pécheurs. Or, il serait davantage séparé des pécheurs s’il n’avait pas assumé la chair selon la descendance des pécheurs. Il ne devait donc pas assumer la chair selon la descendance d’Adam.

 [7575] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, peccatum originale est peccatum naturae, et non personae, nisi per accidens. Non ergo requiritur ad satisfactionem, nisi quod aliquis sit de humana natura. Sed si aliquis homo fieret non de stirpe Adae, constat quod ad humanam naturam pertineret. Ergo congrue pro natura humana satisfacere posset.

2. Le péché originel est un péché de nature, et non personnel, si ce n’est par accident. Il est donc seulement nécessaire pour la satisfaction que quelqu’un fasse partie de la nature humaine. Or, si un homme apparaissait sans être de la descendance d’Adam, il est clair qu’il appartiendrait à la nature humaine. Il pourrait donc satisfaire adéquatement pour la nature humaine.

 [7576] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 3 Sed contra, medicina in loco vulneris debet apponi. Sed humana natura est vitiata tantum in his qui ex genere Adae descendunt, in quo omnes moriuntur, 1 Corinth. 15. Ergo in aliquo ad ejus stirpem pertinente, natura humana assumi debuit.

3. Cependant, le remède doit être appliqué sur la blessure. Or, la nature humaine n’a été viciée que chez ceux qui descendent de la famille d’Adam, en qui tous meurent, 1 Co 15. La nature humaine devait donc être assumée par quelqu’un qui appartenait à sa descendance.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Le Fils de Dieu devait-il assumer la nature humaine en Adam lui-même ?]

 [7577] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod naturam humanam assumere debuit in ipso Adam. Assumptio enim carnis ad satisfactionem ordinatur. Sed decet ut idem qui peccavit, satisfaciat. Ergo naturam humanam in ipso Adam assumere debuit.

1. Il semble que [le Fils de Dieu] devait assumer la nature humaine en Adam lui-même. En effet, l’assomption de la chair est ordonnée à la satisfaction. Or, il convient que celui-là même qui a péché satisfasse. Il devait donc assumer la nature humaine en Adam lui-même.

 [7578] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, talis debuit esse humanae naturae reparatio, ut nihil homini de sua dignitate periret. Sed Adam in primo statu hoc habuit ut nullius hominis auxilio ad suam salutem indigeret. Hoc autem non sibi restituitur, in alio homine humana natura assumpta: quia beneficio illius hominis indiget ad suam salutem. Ergo non decuit humanam naturam in alio quam in ipso Adam assumi.

2. La restauration de la nature humaine devait être telle que l’homme ne perde rien de sa dignité. Or, en son premier état, Adam n’avait besoin de l’aide de personne pour son salut. Or, cela ne lui est pas rendu, si la nature humaine est assumée dans un autre homme, car il a besoin d’un bienfait de cet homme pour son salut. Il ne convenait donc pas que la nature humaine soit assumée dans un autre qu’Adam lui-même.

 [7579] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 3 Sed contra, contrariorum non est eadem causa. Sed Adam causa fuit perditionis humanae naturae. Ergo non decuit ut ipse esset causa salutis humanae naturae. Hoc autem contingeret, si humana natura in ipso Adam assumpta esset. Ergo hoc decens non fuit.

3. Cependant, les contraires n’ont pas la même cause. Or, Adam a été la cause de la perte de la nature humaine. Il ne convenait donc pas qu’il soit la cause du salut de la nature humaine. Or, cela serait arrivé si la nature humaine avait été assumée en Adam lui-même. Cela ne convenait donc pas.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [7580] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Respondeo ad primam quaestionem dicendum, quod non fuit decens quod humanam naturam in omnibus suis suppositis assumeret: et hoc propter quatuor rationes. Primo, quia omnia supposita humanae naturae non reducerentur ad plus quam ad tria supposita. Cum enim assumens et assumptum uniantur in eodem supposito, non possent esse plura supposita naturae assumptae quam naturae assumentis. Secundo propter finem assumptionis: est enim ad reparationem humani generis ordinata per modum cujusdam mediationis inter Deum et hominem. Mediator autem qui unitatem pacis facere intendit, unus congrue debet esse. Tertio propter unitatem ipsius assumentis: sicut enim decuit ut divina natura tantum in uno supposito incarnaretur, ita decuit ut una natura individua assumeretur: sic enim unius ad unum decenter facta est conjunctio. Quarto propter dignitatem ipsius filii incarnati, ut sit ipse primogenitus in multis fratribus, Rom. 8, 29, in spirituali generatione, sicut etiam est primogenitus creaturae in rerum emanatione ab uno principio. Haec autem primogenitura sibi non competeret, si plures numero humanae naturae assumptae essent.

Il ne convenait pas que [le Fils de Dieu] assume la nature humaine en tous ses suppôts, et cela pour quatre raisons. Premièrement, parce que tous les suppôts de la nature humaine ne seraient pas ramenés à plus de trois suppôts. En effet, puisque celui qui assume et celui qui est assumé sont unis dans un même suppôt, il ne pourrait y avoir plus de suppôts de la nature assumée que de la nature de qui assume. Deuxièmement, en raison de la fin de l’assomption. En effet, elle est ordonnée à la restauration du genre humain par mode d’une médiation entre Dieu et l’homme. Or, il convient que le médiateur qui cherche à établir l’unité de la paix soit unique. Troisièmement, en raison de l’unité de celui-là même qui assume. En effet, de même qu’il convenait que la nature divine ne s’incarne que dans un seul suppôt, de même convenait-il que assumée une seule nature individuelle : en effet, l’union s’est ainsi réalisée convenablement d’un seul avec un seul. Quatrièmement, en raison de la dignité du Fils incarné lui-même, afin qu’il soit le premier-né de nombreux frères, Rm 8, 29, en vue de la génération spirituelle, comme il est aussi le premier-né de la création par l’émanation à partir d’un seul principe. Or, cette aînesse ne lui appartiendrait pas si plusieurs natures humaines individuelles avaient été assumées.

 [7581] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod per incarnationem proprie assumitur natura, ut infra patebit: proprie etiam et primo curatur peccatum naturae. Unde si aliqua natura assumptibilis non est, curabilis non est. Non tamen oportet ut si haec natura individua non assumitur, quod suppositum hujus naturae non curetur: quia per hoc quod natura in aliquo individuo assumpta est, praeparatur curatio omnibus qui similem naturam habent; sicut e contra per hoc quod una persona infecit naturam humanam quae in ipso erat, in omnes homines peccatum transmisit.

1. Par l’incarnation, la nature est assumée au sens propre, comme cela ressortira plus loin ; au sens propre aussi et en premier lieu, le péché de nature est guéri. Si donc une nature ne peut être assumée, elle ne peut être guérie. Cependant, il n’est pas nécessaire que si telle nature individuelle n’est pas assumée, le suppôt de cette nature ne soit pas guéri, car, par le fait que la nature a été assumée dans un individu, la guérison est préparée pour tous ceux qui ont une nature semblable ; de même, en sens contraire, par le fait qu’une seule personne a infecté la nature humaine qui se trouvait en lui, a-t-elle transmis le péché à tous les hommes.

 [7582] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut bonitas divina, quae in creatione rerum se manifestat, omnibus se communicat, non tamen aequaliter; ita etiam prout se in incarnatione manifestat, praecipue quantum ad dilectionem humani generis, omnibus se communicat, non tamen eodem modo et aequaliter, sed uni per gratiam unionis, aliis per gratiam adoptionis, qui gratiae non repugnant.

2. De même que la bonté divine, qui se manifeste par la création des choses, se communique à toutes, mais non pas également, de même, en tant qu’elle se manifeste dans l’incarnation surtout par amour du genre humain, elle se communique à tous, mais non pas de la même manière et également, mais à l’un par la grâce de l’union, aux autres, qui ne s’opposent pas à la grâce, par la grâce de l’adoption.

 [7583] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod aliquid debetur humanae naturae dupliciter: vel ut sibi essentiale, et hoc invenitur communiter in omnibus naturam habentibus humanam; vel ut superadditum essentialibus principiis, sive sit per gratiam acceptum, sive operibus acquisitum; et hoc non invenitur communiter in omnibus naturam habentibus: unde ratio non procedit.

3. Quelque chose est dû à la nature humaine de deux manières : soit comme quelque chose qui lui est essentiel, et cela se trouve d’une manière générale chez tous ceux qui ont la nature humaine ; soit comme quelque chose d’ajouté aux principes essentiels, que cela soit reçu par la grâce, ou que ce soit acquis par des oeuvres ; et cela ne se trouve pas de manière générale chez tous ceux qui ont la nature humaine. Le raisonnement n’est donc pas concluant.

 [7584] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 4 Quartum concedimus.

4. Nous concédons le quatrième argument.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [7585] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod non fuit decens ut aliunde quam de stirpe Adae, filius Dei humanam naturam assumeret, praecipue propter tria. Primo ad servandum justitiam satisfactionis. Si enim de genere Adae non fuisset, ad eum non pertineret pro peccato Adae satisfacere. Secundo ad perfectam reintegrationem dignitatis Adae, qui hoc habuit ut ipse et suum genus nulla alia creatura indigeret, quasi sustentante et salvante: et hoc generi ejus redditum non fuisset, si redemptus fuisset per aliquem qui ad genus ejus non pertineret. Tertio ad servandum dignitatem specialiter ipsius Adae, qui in hoc quodam modo imaginem Dei singulariter habuit, ut sicut Deus, cum sit ens primum, omnium entium principium est per creationem; ita etiam Adam, cum sit primus homo, est principium omnium hominum per generationem; quod sibi deperiret, si Christus non de ejus genere homo fieret.

Il ne convenait pas que le Fils de Dieu assume une nature humaine venue d’ailleurs que de la descendance d’Adam, surtout pour trois raisons. Premièrement, pour respecter la justice de la satisfaction. En effet, s’il n’avait pas fait partie de la descendance d’Adam, il ne lui serait pas revenu de satisfaire pour le péché d’Adam. Deuxièmement, pour un parfait rétablissement de la dignité d’Adam, qui était tel que lui-même et sa descendance n’avaient besoin d’aucune autre créature pour le soutenir et le sauver. Cela n’aurait pas été rendu à sa descendance s’il n’avait pas été racheté par quelqu’un qui n’appartenait pas appartenu à sa descendance. Troisièmement, pour respecter d’une manière particulière la dignité d’Adam lui-même, qui possédait d’une manière singulière l’image de Dieu, de telle sorte que, comme Dieu, qui est l’être premier et le principe de tous les êtres par la création, Adam, qui est le premier homme, soit le principe de tous les hommes par la génération. Cela lui serait enlevé, si le Christ n’était pas devenu homme par sa descendance.

 [7586] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo quod objicitur, quod debet esse segregatus a peccatoribus, dicendum, quod verum est, inquantum peccatores sunt, non inquantum homines sunt: venit enim peccatum destruere et naturam salvare: unde convenientiam habuit in his quae ad naturam pertinent, sed contrarietatem in his quae ad peccatum spectant: quia neque contraxit neque commisit peccatum.

1. Il est vrai qu’il doit être séparé des pécheurs en tant qu’ils sont pécheurs, mais non en tant qu’ils sont hommes. En effet, il est venu détruire le péché et sauver la nature. Il les rejoignait donc pour ce qui relève de la nature, mais il s’opposait à eux pour ce qui concerne le péché, car il n’a ni contracté ni commis le péché.

 [7587] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod natura humana non fuit infecta originali peccato nisi secundum quod ab Adam trahitur: unde si Deus unum hominem de limo terrae formaret, peccatum originale in eo non esset; et ideo satisfactio de originali non pertinebat indifferenter ad quemlibet hominem, sed ad quemlibet de genere Adae.

2. La nature humaine n’a été infectée par le péché originel que selon qu’elle est tirée d’Adam. Si donc Dieu n’avait formé qu’un seul homme à partir du limon de la terre, il n’y aurait pas eu de péché originel en lui. La satisfaction pour le péché originel ne concernait donc pas n’importe quel homme de manière indifférenciée, mais n’importe quel homme de la descendance d’Adam.

 [7588] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 3 Tertium concedimus.

3. Nous concédons le troisième argument.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [7589] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod nullo modo fuit decens ut filius Dei in ipso Adam humanam naturam assumeret propter duo. Primo, quia Adam propria personalitate perfectus fuit; unde in unitatem personae assumi non posset, nisi illa personalitas destrueretur, quod non decebat, ut supra, art. 1, quaestiunc. 2, de Angelis dictum est. Secundo, quia cum per assumptionem fiat communicatio proprietatum, ut quidquid de homine dicitur, de Deo dicatur; sequeretur ut diceretur, quod Deus peccasset, quia Adam peccavit: quod est absurdum.

Il ne convenait d’aucune manière que le Fils de Dieu assume la nature humaine en Adam lui-même pour deux raisons. Premièrement, parce que Adam était parfait achevé en propre personnalité ; il ne pouvait donc être assumé dans l’unité de la personne [du Fils de Dieu], à moins que cette personnalité ne soit détruite, ce qui ne convenait pas, comme on l’a dit plus haut, a. 1, q. 2, à propos des anges. Deuxièmement, parce que la communication des propriétés se réalisant par l’assomption, de sorte que tout ce qui est dit de l’homme se dise de Dieu, il en découlerait qu’on dirait de Dieu qu’il a péché parce que Adam a péché, ce qui est absurde.

 [7590] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod per peccatum Adae fuit infectio personalis in ipso, et infectio naturae creatae in ipso et propagandae ab ipso: et pro infectione personali ipse gratia adjutus satisfacere potuit secundum quosdam; sed requirebatur aliquis qui pro peccato naturae satisfaceret; et ideo non oportuit quod esset idem in persona cum Adam, sed idem in natura.

1. Par le péché d’Adam, il y eut en lui une infection personnelle et une infection de la nature créée en lui et de celle qui devait se transmettre à partir de lui. Selon certains, il pouvait, avec l’aide de la grâce, satisfaire pour l’infection personnelle ; mais il était nécessaire que quelqu’un satisfasse pour le péché de nature. Il n’était donc pas nécessaire que celui-ci soit la même personne qu’Adam, mais qu’il lui soit identique par la nature.

 [7591] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non est inconveniens quod de dignitate illius personae aliquid pereat ex culpa sua; sed inconveniens est ut aliquid naturae deperiret, quae cum bona esset, homo male utendo ipsam corrupit.

2. Il n’est pas inapproprié qu’une personne perde quelque chose de sa dignité par sa faute ; mais il est inapproprié que se perde quelque chose de la nature, que l’homme a corrompue en en faisant usage, alors qu’elle était bonne.

 [7592] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 3 Tertium concedimus.

3. Nous concédons le troisième argument.

 

 

Articulus 3 [7593] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 tit. Utrum filius Dei carnem humanam assumpserit

Article 3 – Le Fils de Dieu a-t-il assumé la chair humaine ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le Fils de Dieu a-t-il assumé la chair humaine ?]

 [7594] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod filius Dei carnem non assumpserit. Galat. 5, 17: caro concupiscit adversus spiritum. Sed in Christo talis pugna non fuit. Ergo ipse veram carnem non habuit.

1. Il semble que le Fils de Dieu n’ait pas assumé la chair, Ga 5, 17 : Le désir de la chair va contre l’esprit. Or, il n’y a pas eu un tel combat chez le Christ. Il n’a donc pas eu une chair véritable.

 [7595] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, in carne tantum est similitudo vestigii. Sed similitudo vestigii tantum non sufficit ad assumptibilitatem, ut supra, art. 1, in corp., dictum est. Ergo caro assumptibilis non fuit.

2. Dans la chair, il n’existe que la similitude du vestige. Or, la seule similitude du vestige ne suffit pas pour que quelque chose puisse être assumé, comme on l’a dit plus haut, a. 1, c. La chair ne pouvait donc être assumée.

 [7596] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, major est gratia unionis quam gratia fruitionis. Sed caro nullo modo potest conjungi Deo per fruitionem. Ergo non potest conjungi per unionem.

3. La grâce d’union est plus grande que la grâce de la fruition. Or, la chair ne peut d’aucune manière être unie à Dieu par la fruition. Elle ne peut donc pas lui être unie par l’union.

 [7597] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 4 Sed contra, ad Hebr. 2, 16: semen Abrahae apprehendit; et Rom. 1, 3: factus est ei ex semine David secundum carnem. Sed semen non pertinet ad animam, sed ad carnem. Ergo filius Dei in humana natura non solum animam, sed etiam carnem assumpsit.

 [4] Cependant, He 2, 16 dit : Il a pris la semence d’Abraham, et Rm 1, 3 : Il est venu de la descendance de David selon la chair. Or, la semence ne se rapporte pas à l’âme, mais à la chair. Par la nature humaine, le Fils de Dieu n’a donc pas assumé seulement l’âme, mais aussi la chair.

 [7598] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 5 Praeterea, homo non nascitur ex homine nisi per traductionem carnis. Sed Christus non solum dicitur homo, immo etiam filius hominis, non nisi quia de virgine natus est. Ergo assumpsit carnem in humana natura.

 [5] L’homme ne naît de l’homme que par la transmission de la chair. Or, le Christ n’est pas appelé seulement homme, mais aussi le Fils de l’homme parce qu’il est né de la Vierge. Il a donc assumé la chair dans la nature humaine.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le Fils de Dieu a-t-il assumé la chair, mais non pas l’âme ?]

 [7599] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod carnem assumpserit, et non animam. Joan. 1, 14: verbum caro factum est. Non autem per conversionem in carnem, sed per assumptionem carnis. Ergo solam carnem assumpsisse videtur.

1. Il semble qu’il a assumé la chair, mais non pas l’âme. Jn 1, 14 : Le verbe s’est fait chair. Or, ce n’est pas pas conversion en la chair, mais par le fait d’assumer la chair. Il semble donc n’avoir assumé que la chair.

 [7600] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, corpus non indiget ut uniatur sibi anima, nisi ad hoc ut per ipsam vivificetur. Sed ad hoc quod corpus vivificetur, sufficit quod corpori vivificabili principium vitae uniatur. Cum ergo Deus, qui est principium vitae, corpus sibi univerit, videtur quod unio corporis ad animam superflua fuisset.

2. Le corps n’a besoin qu’une âme lui soit unie que pour être vivifié par elle. Or, pour que le corps soit vivifié, il suffit que la principe de la vie soit uni au corps qui peut être vivifié. Puisque Dieu, qui est le principe de la vie, s’est uni un corps, il semble donc que l’union du corps à l’âme aurait été superflue.

 [7601] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, habito aliquo quod est sufficiens operationis principium, non requiritur ad eamdem operationem aliud principium; sicut ad illuminationem aeris, qui illuminatur lumine solis, non requiritur lumen candelae. Sed Christus per intellectum divinum sibi unitum sufficienter omnia cognoscere poterat. Ergo non requirebatur anima cognoscitiva et intellectiva ad unionem illam.

3. À supposer que quelque chose suffise comme principe d’une opération, un autre principe n’est pas nécessaire pour la même opération ; ainsi, pour l’illumination de l’air, qui est illuminé par la lumière du soleil, la lumière d’une chandelle n’est pas nécessaire. Or, le Christ, par l’intellect divin qui lui était uni, pouvait connaître tout. Une âme cognitive et intellectuelle n’était donc pas nécessaire pour cette union.

 [7602] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, Christus curavit naturam nostram per hoc quod eam assumpsit. Sed principaliter venit ad curandum animas. Ergo animam assumpsit.

Cependant, [1] le Christ a soigné notre nature du fait qu’il l’a assumée. Or, il est venu principalement pour soigner les âmes. Il a donc assumé une âme.

 [7603] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, mors corporalis non est nisi per separationem corporis a principio vitae. Si ergo in Christo non fuisset aliud principium vitae quam ipsa deitas, cum caro a divinitate nunquam fuerit separata, nunquam Christus fuisset mortuus: quod expresse contradicit Scripturae.

 [2] La mort corporelle ne vient que de la séparation du corps du principe de la vie. Si donc, dans le Christ, il n’y avait d’autre principe de vie que la divinité elle-même, puisque la chair n’a jamais été séparée de la divinité, le Christ ne serait jamais mort, ce qui contredit expressément l’Écriture.

 [7604] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 3 Praeterea, sequeretur quod Deus esset immediatus motor corporis Christi, si anima caruisset; et sic nunquam Christus fuisset fatigatus ex itinere, ut dicitur Joan. 4, cum fatigatio non accidat nisi ex debilitate virtutis moventis.

 [3] S’il n’avait pas eu d’âme, il en découlerait que Dieu serait le moteur immédiat du corps du Christ. Ainsi, le Christ n’aurait jamais été fatigué de la route, comme le dit Jn 4, puisque la fatigue ne vient que de la faiblesse de la puissance qui meut.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Le Fils de Dieu a-t-il assumé la forme du tout qui résulte de la composition des parties ?]

 [7605] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non assumpserit formam totius ex compositione partium resultantem. Forma enim totius est illa in qua sicut in natura communi particularia conveniunt. Sed Damascenus dicit, et habetur in littera, quod in domino nostro Jesu Christo non est communem speciem accipere. Ergo in eo forma totius non fuit.

1. Il semble qu’il n’ait pas assumé la forme du tout qui résulte de la composition des parties. En effet, la forme du tout est celle dans laquelle les éléments particuliers se retrouvent comme dans une nature commune. Or, [Jean] Damascène dit, et on le lit dans le texte, que, dans notre Seigneur Jésus, le Christ, il ne faut pas concevoir d’espèce commune. La forme du tout n’existait donc pas en lui.

 [7606] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, ut dicit Boetius, species est totum esse individuorum. Sed nihil in Christo fuit ex parte carnis et animae quod totum esse ipsius Christi concluderet: quia habuit esse divinum non per animam neque per corpus. Ergo cum forma totius sit species in potentia, videtur quod in Christo forma totius non fuerit.

2. Comme le dit Boèce, l’espèce est l’être entier des individus. Or, il n’existait rien dans le Christ, en raison de la chair et de l’âme, pour inclure l’être entier du Christ lui-même, car il avait un être divin, mais non par l’âme ni par le corps. Puisque la forme du tout est l’espèce en puissance, il semble donc que la forme du tout ne se trouvait pas dans le Christ.

 [7607] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 3 Praeterea, in littera dicitur, quod nomine humanae naturae corpus et anima intelligitur, cum dicitur, Christum humanam naturam assumpsisse. Sed constat quod neque corpus neque anima est forma totius, ad minus secundum opinionem communiorem. Ergo in Christo forma totius non fuit.

3. Il est dit dans le texte que, par les mots « nature humaine », on entend le corps et l’âme, lorsqu’on dit que le Christ a assumé la nature humaine. Or, il est clair que ni le corps ni l’âme n’est la forme du tout, du moins selon l’opinion commune. Il n’y avait donc pas de forme du tout chez le Christ.

 [7608] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, forma totius in rebus animatis resultat ex unione vel conjunctione animae ad corpus. Sed in Christo anima fuit conjuncta corpori; alias corpus illud vivum non fuisset. Ergo in Christo fuit forma totius.

Cependant, [1] la forme du tout dans les réalités animées résulte de l’union ou de l’association de l’âme et du corps. Or, dans le Christ, l’âme a été unie au corps, autrement, ce corps n’aurait pas été vivant. La forme du tout se trouvait donc dans le Christ.

 [7609] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, homines conveniunt specie ad invicem secundum convenientiam in forma totius. Sed Christus fuit ejusdem speciei cum aliis hominibus; alias pro hominibus non satisfecisset. Ergo in Christo fuit forma totius.

 [2] Les hommes ont une espèce commune selon qu’ils se rejoignent dans la forme du tout. Or, le Christ avait la même espèce que les autres hommes, autrement, il n’aurait pas satisfait pour les hommes. La forme du tout se trouvait donc dans le Christ.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [7610] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum, quod, secundum philosophum 8 Metaph., definitio in hoc convenit cum numero, quod sicut in numeris contingit quod semper subtracta vel addita unitate, fit alius numerus; ita etiam in definitionibus, si addatur vel subtrahatur aliqua differentia, semper fit alia species. Cum ergo omnes differentiae sumantur ex essentialibus principiis, oportet quod si homini subtrahatur aliquid de essentialibus ejus, non remaneat eadem species. Cum ergo Christus fuerit ejusdem speciei cum aliis hominibus; (alias enim verus homo non fuisset, sed aequivoce homo diceretur; nec pro hominibus satisfaceret congruenter): oportet quod omnia essentialia homini in Christo fuerint, et corpus et anima vegetabilis, sensibilis et rationalis, et ulterius forma totius resultans ex conjunctione corporis et animae, quae humanitas dicitur: et quia proprietates naturales ex principiis essentialibus causantur, oportet quod in ipso fuerint omnes naturales proprietates speciem humanam consequentes. De aliis autem quae per accidens speciem humanam consequuntur, sive sint defectus sive perfectiones, infra suo loco dicetur. Ad primam ergo quaestionem sciendum, quod circa hoc fuerunt duo errores. Unus fuit Manichaeorum, qui dicebant, quod Christus verum corpus non habuit, sed tantum phantasticum. Et ratio hujus positionis videtur fuisse, quia omnium visibilium auctorem posuerunt Diabolum; et ideo nihil hujus secundum veritatem in Christo fuit, in quo princeps mundi hujus nihil habuit, Joan. 14. Patet autem quod positio ista est falsa: et quantum ad radicem positionis: quia Deum creatorem omnium visibilium et invisibilium, et fides tenet et ratio demonstrat, cum a primo ente oporteat omnia entia esse, ut patet ex 2 Metaph.: et etiam in se positio falsa est, quia veritatem humanitatis tollit, ut ex dictis patet: esset enim invenire aliquam falsitatem vel simulationem in eo qui de se dicit Joan. 14, 6: ego sum via, veritas et vita. Alius error fuit Marcionitarum, qui dicebant Christum corpus de virgine non assumpsisse, sed de caelo apportasse: quod forte ortum habuit ex opinione Platonicorum, qui dicebant, animae corpus terrestre omnino fugiendum esse, ut beatitudinem consequatur. Non enim credebant posse fieri ut anima corpori terrestri unita beata fieret. Ponebant tamen animas corporibus caelestibus unitas, ut soli, et stellis, et lunae, beatas fore, ut Augustinus recitat in libro 10 de Civ. Dei; et ideo animam Christi, quae summe beata fuit, non terrestri, sed caelesti corpori unitam putaverunt. Sed haec etiam positio veritatem humanitatis tollit: quia quaelibet forma naturalis determinatam materiam requirit: et ideo anima humana non ex qualibet materia quam perficit, hominem facit, sed inquantum est forma talis corporis, elementati scilicet, et debita proportione complexionati. Unde si Christus corpus terrestre non habuit, verus homo non fuit. His autem idem defectus contingit qui et antiquis philosophis, ut 1 de anima dicitur, qui de anima dicentes nihil de corpore dixerunt, opinantes quamlibet animam cuilibet corpori adaptari; quod esse non potest, cum propriae formae respondeat propria materia, et unicuique agenti determinata instrumenta: et ideo fides Catholica, quae Christum verum hominem confitetur, eum habuisse corpus ex quatuor elementis compositum, sicut nos habemus, firmiter tenet.

Selon le Philosophe, dans Métaphysique, VIII, la définition a en commun avec le nombre que, de même que, dans les nombres, un autre nombre vient de la soustraction ou de l’addition d’une unité, de même, dans les définitions, si l’on ajoute ou soustrait une différence, une autre espèce apparaît toujours. Puisque toutes les différences viennent des principes essentiels, il est donc nécessaire que, si l’on soustrait de l’homme quelque chose qui lui est essentiel, la même espèce ne demeure pas. Puisque le Christ a eu la même espèce que les autres hommes (autrement, il n’aurait pas été un homme véritable, mais on l’appellerait un homme de manière équivoque ; il n’aurait pas non plus satisfait pour les hommes de manière appropriée), il est donc nécessaire que tout ce qui essentiel à l’homme se soit trouvé chez le Christ : le corps, l’âme végétative, sensible et raisonnable, et aussi la forme du tout résultant de l’union du corps et de l’âme, qu’on appelle « humanité ». Et parce que les propriétés naturelles sont causées par les principes essentiels, il est nécessaire que se soient trouvées en lui toutes les propriétés naturelles qui découlent de l’espèce humaine. Pour ce qui est des autres choses qui découlent par accident de l’espèce humaine, qu’il s’agisse de carences ou de perfections, il en sera question plus loin à leur place. Pour ce qui est de la première question, il faut donc savoir qu’à ce sujet, il y a eu deux erreurs. L’une était celle des manichéens, qui disaient que le Christ n’avait pas un corps véritable, mais illusoire. La raison de cette position semble avoir été qu’ils ont fait du Diable l’auteur de toutes les réalités visibles. C’est pourquoi rien de cela ne se trouvait véritablement chez le Christ, chez qui le Prince de ce monde n’avait aucune part, Jn 14. Mais il est clair que cette position est fausse. D’abord, pour ce qui est de la source de cette position, car la foi tient et la raison démontre que Dieu est le créateur de toutes les choses visibles et invisibles, puisqu’il est nécessaire que tous les êtres reçoivent l’être du premier être, comme cela ressort de Métaphysique, II. Cette position est aussi fausse en elle-même, car elle enlève la vérité de l’humanité, comme cela ressort de ce qui a été dit. En effet, elle reviendrait à trouver une certaine fausseté ou simulation chez celui qui dit de lui-même en Jn 14, 6 : Je suis le chemin, la vérité et la vie. L’autre erreur était celle des marcionites, qui disaient que le Christ n’avait pas assumé un corps de la Vierge, mais l’avait emporté du ciel. Cela avait peut-être sa source dans l’opinion des platoniciens, qui disaient qu’il fallait fuir complètement le corps terrestre de l’âme afin de rechercher la béatitude. En effet, ils ne croyaient pas que l’âme unie à un corps terrestre puisse devenir bienheureuse. Ils affirmaient cependant que les âmes unies aux corps célestes, comme le soleil, les étoiles et la lune, pouvaient devenir bienheureuses, comme le raconte Augustin dans le livre X de La cité de Dieu. C’est pourquoi ils pensaient que l’âme du Christ, qui était au plus haut point bienheureuse, était unie, non pas à un corps terrestre, mais à un corps céleste. Mais cette position aussi enlève la vérité de l’humanité, car toute forme naturelle requiert une matière déterminée. C’est pourquoi l’âme humaine réalise l’homme, non pas à partir de n’importe quelle matière qu’elle perfectionne, mais en tant qu’elle est la forme de tel corps, à savoir, d’ [un corps] composé d’éléments et doté d’une complexion adéquatement proportionnée. Si le Christ n’a pas eu de corps terrestre, il n’était donc pas un homme véritable. La même carence se trouve ici que chez les philosophes anciens, comme le dit Sur l’âme, qui, en parlant de l’âme, n’ont rien dit du corps, étant d’opinion que n’importe quelle âme peut s’adapter à n’importe quel corps, ce qui ne peut être le cas, puisque des formes propres correspondent à une matière propre, et à n’importe quel agent, ses instruments déterminés. Aussi la foi catholique, qui confesse que le Christ est un homme véritable, tient-elle fermement qu’il a eu un corps composé des quatre éléments, comme nous en avons un.

 [7611] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod concupiscentia carnis contra spiritum non causatur ex ipsa carnis natura, sed ex vitiosa corruptione ejus, quae ex peccato primi parentis provenit, sine qua filius Dei veram carnis naturam assumpsit.

1. La concupiscence de la chair contre l’esprit n’est pas causée par la nature même de la chair, mais par sa corruption vicieuse, qui vient des premiers parents, sans laquelle le Fils de Dieu a assumé la vraie nature de la chair.

 [7612] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod similitudo attenditur secundum formam. Corporis autem humani forma est anima rationalis, in qua imago Dei consistit; et ideo in corpore humano non tantum est similitudo vestigii, sed etiam similitudo imaginis, inquantum animam habet. Non enim corpus humanum habet esse quoddam distinctum ab esse quod dat sibi anima, quasi ab alia forma, per quam sit in eo similitudo vestigii tantum, sicut est in corporibus inanimatis: quia sic anima esset ens in subjecto, secundum quod subjectum nominat ens subsistens in actu; quod ad rationem accidentis pertinet, ut in 2 de anima dicit Commentator.

2. La similitude se prend de la forme. Or, la forme du corps humain est l’âme raisonnable, en laquelle se trouve l’image de Dieu. Aussi ne trouve-t-on pas seulement la similitude du vestige dans le corps humain, mais aussi la similitude de l’image, pour autant qu’il a une âme. En effet, le corps humain n’a pas un être distinct de l’être que lui donne l’âme, comme s’il venait d’une autre forme, en vertu de laquelle existerait la similitude du vestige seulement, comme c’est le cas pour les corps inanimés, car alors l’âme serait un être dans un sujet, selon qu’on entend par « sujet » un être subsistant en acte, ce qui relève de la raison d’accident, comme le dit le Commentateur dans Sur l’âme, II.

 [7613] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod conjunctio animae ad Deum per fruitionem consistit in operatione intellectus et voluntatis, in qua corpus nullo modo communicat, quia exercetur talis operatio sine organo corporali, ut probatur in 3 de anima et ideo per fruitionem nullo modo corpus Deo uniri potest. Sed conjunctio unionis est ad esse in persona una: corpus autem et anima in uno esse communicant, quia anima est quod quid erat esse hujusmodi corpori, ut in 2 de anima dicitur: et ideo per modum unionis in persona una corpus Deo conjungi potest.

3. L’union de l’âme à Dieu par la fruition consiste dans une opération de l’intellect et de la volonté, à laquelle le corps ne prend aucune part, car une telle opération s’accomplit sans organe corporel, comme cela est démontré dans Sur l’âme, III. Aussi le corps ne peut-il d’aucune manière être uni à Dieu par la fruition. Mais le lien de l’union vise l’être dans une personne unique. Or, le corps et l’âme se rejoignent dans un même être puisque l’âme est ce qu’était l’être pour ce corps, comme il est dit dans Sur l’âme, II. C’est pourquoi le corps peut être uni à Dieu par mode d’union dans une seule personne.

 [7614] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 4 Quartum et quintum concedimus.

4-5. Nous concédons le quatrième et le cinquième argument.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [7615] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem est sciendum, quod circa hoc etiam fuerunt duo errores. Unus fuit Arii et Eunomii, qui dicebant filium Dei carnem sine anima assumpsisse: quia opinabantur divinitatem sine anima corpus ejus vivificare. Alius fuit error Apollinaris, qui dicebat in Christo corpus animatum fuisse cum anima carente sensu et intellectu. Uterque autem error et veritati humanitatis derogat, et dignitati corporis Christi. Non enim potest esse ut materia in aliquo esse perficiatur, nisi per aliquid quod sit forma ejus: unde cum Deus nullo modo forma corporis esse possit (quia oporteret eum esse partem, et non immaterialissimum), sequeretur quod corpus Christi, si omnino careret anima, esset sicut corpus non vivum; et si careret anima sensibili et rationali, esset sicut corpus plantae: unde esset multo minus nobile quam corpus nostrum. Similiter etiam cum de ratione hominis sit rationalem animam habere, si ea Christus caruisset, verus homo non fuisset. Hoc autem videtur eis contigisse ex hoc quod credebant animam corpori non uniri sicut formam, sed magis sicut indumentum, ut Plato dicit, secundum quod Gregorius Nissenus narrat: per quem modum si Deus corpori uniretur, homo non diceretur; praecipue si ponatur, ut quidam posuerunt, animam de substantia Dei esse: quae omnia manifestam falsitatem continent. Et ideo horum et aliorum praedictorum error excluditur in Lib. Gennadii de ecclesiasticis dogmatibus, cap. 2, sic: natus est Dei filius ex homine, non per hominem, idest viri coitum, sicut Ebion dicit; sed carnem de virgine trahens, non de caelo afferens, sicut Marcion affirmat; neque in phantasia, idest absque carne, ut Valentinus dicebat; sed verum corpus, non tantum carnem ex carne, ut Martianus dicit; sed verus Deus et verus homo, in deitate verbum patris et Deus, in homine anima et caro; non sine sensu et ratione, ut Apollinaris posuit; neque caro sine anima, ut Eunomius dixit; neque sic natus de virgine, ut antequam de virgine nasceretur, Deus non fuerit, sicut Antemon et Marcellus dixerunt.

À ce sujet aussi, il y a eu deux erreurs. L’une était celle d’Arius et d’Eunomius, qui disaient que le Fils de Dieu a assumé la chair sans l’âme, parce qu’ils étaient d’avis que la divinité vivifiait son corps sans l’âme. L’autre erreur était celle d’Apollinaire, qui disait que, chez le Christ, le corps avait été animé par une âme à laquelle faisaient défaut le sens et l’intellect. Or, ces deux erreurs dérogent à la vérité de l’humanité et à la dignité du corps du Christ. En effet, il ne peut se faire que la matière soit perfectionnée dans un être, si ce n’est par sa forme. Puisque Dieu ne peut d’aucune manière être forme d’un corps (car il faudrait qu’il soit une partie, et non ce qu’il y a de plus immatériel), il en découlerait que le corps du Christ, si l’âme lui faisait complètement défaut, serait comme un corps sans vie. Et si lui faisait défait une âme sensible et raisonnable, il serait comme le corps d’une plante. Il serait donc beaucoup moins noble que notre corps. De même, puisqu’il est de la raison de l’homme d’avoir une âme raisonnable, si celle-ci avait fait défaut au Christ, il n’aurait pas été un homme véritable. Or, cela semble venir de ce qu’ils croyaient que l’âme n’était pas unie au corps comme sa forme, mais plutôt comme un vêtement, comme le dit Platon, d’après ce que raconte Grégoire de Nysse. Si Dieu était uni à un corps de cette manière, on ne dirait pas qu’il est un homme, surtout si l’on affirme, comme certains l’ont affirmé, que l’âme fait partie de la substance de Dieu. Tout cela comporte une fausseté manifeste. Aussi l’erreur de ceux-ci et des autres est-elle écartée dans le livre de Gennade sur Les enseignements de l’Église, II : « Le Fils de Dieu est né de l’homme, non pas par l’intervention d’un homme, à savoir, par l’union sexuelle avec un homme, comme le dit Ébion, mais en tirant sa chair de la Vierge, et sans l’apporter du ciel, comme l’affirme Marcion. [Sa chair] n’est pas une illusion, c’est-à-dire sans chair, comme le disait Valentin, mais il a un corps véritable, et non seulement une chair venue de la chair, comme le disait Martien. Il est Dieu véritable et homme véritable, Verbe du Père dans la divinité et Dieu, âme et chair dans l’homme. Il n’est pas sans sensation ni raison, comme l’affirmait Appollinaire, ni chair sans âme, comme le disait Eunomius. Il n’est pas né de la Vierge de telle sorte qu’il n’était pas Dieu avant de naître de la Vierge, comme Antémon et Marcel le disaient. »

 [7616] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo circa hoc objectum dicendum, quod cum dicitur, verbum caro factum est, sumitur pars pro toto, idest caro pro toto homine; sicut anima ponitur aliquando pro toto homine, Gen. 46, 27: omnes animae domus Jacob quae ingressae sunt in Aegyptum, fuere septuaginta. Ideo autem carnem, quae inferior pars est, dicere voluit, ut ostenderet per locum a minori nihil in hominis natura esse quod filius Dei non assumpserit.

1. Lorsqu’on dit : « Le Verbe s’est fait chair », la partie est prise pour le tout, à savoir, la chair pour l’homme tout entier, comme l’âme est parfois prise pour l’homme tout entier. Gn 46, 27 : Toutes les âmes de la maison de Jacob qui étaient entrées en Égypte étaient au nombre de soixante-dix. Il a donc voulu parler de la chair, qui est la partie inférieure, pour montrer a minori qu’il n’existe rien dans la nature de l’homme que le Fils de Dieu n’ait pas assumé.

 [7617] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ad hoc quod corpus vivificetur, requiritur quod sibi conjungatur principium vitae per modum formae, ut ex eis efficiatur una natura communis. Divinitas autem forma corporis esse non potest: non enim ex deitate et corpore una communis natura resultat: et ideo ad hoc ut corpus Christi unum esse possit, requiritur anima quae sit ejus forma.

2. Pour que le corps soit vivifié, il faut que lui soit joint le principe de vie par mode de forme, afin que, par ces réalités, soit réalisée une seule nature. Or, la divinité ne peut pas être la forme du corps : en effet, une nature commune ne résulte pas de la divinité et du corps. Pour que le corps du Christ puisse être une seule réalité, l’âme, qui est sa forme, est donc nécessaire.

 [7618] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod, sicut in 2 de anima dicitur, illud quo aliquid operatur primo, est forma ejus; unde cum intellectus divinus non possit esse forma in humanitate Christi, oportet quod illud quo homo sentit et intelligit, sit anima sensitiva et intellectiva.

3. Comme on le dit dans Sur l’âme, II, ce par quoi quelque chose agit en premier est sa forme. Puisque l’intellect divin ne peut être forme dans l’humanité du Christ, il est donc nécessaire que ce par quoi l’homme sent et comprend soit l’âme sensible et intellectuelle.

 [7619] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 2 ad s. c. Alia duo concedimus.

Nous concédons les deux autres arguments en sens contraire.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [7620] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem sciendum est, quod quidam posuerunt Deum assumpsisse animam et corpus, non ita quod ex eorum conjunctione aliqua humanitas resultaret; et haec opinio similiter veritatem humanitatis tollit, et dignitatem corporis Christi: non enim Christus verus homo esse potuit, nec corpus ejus vere vivum, nisi anima corpori unita fuisset ut forma ejus, ita quod ex eis unum quid efficeretur. Sed de hac opinione infra dicetur, dist. 3, qu. 2, art. 2. Unde dicendum quod sicut in Christo verum corpus et vera anima fuit; ita et vera humanitas, id est natura humana, ex conjunctione utriusque resultans.

Certains ont affirmé que Dieu a assumé une âme et un corps, mais non pas de telle sorte que, de l’union des deux, résulterait une humanité. Cette opinion enlève semblablement la vérité et la dignité de l’humanité [du Christ]. En effet, le Christ ne pouvait être un homme véritable et son corps ne pouvait être vivant, que si son âme était unie à son corps comme sa forme, de telle sorte qu’une seule réalité soit réalisée par eux. Mais on parlera de cette opinion plus loin, d. 3, q. 2, a. 2. De même que, dans le Christ, il y avait un corps véritable et une âme véritable, de même donc y avait-il une humanité véritable, c’est-à-dire une nature humaine qui résultait de l’union des deux.

 [7621] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum circa hoc objectum dicendum, quod Damascenus dicere intendit, quod non est facta unio in una natura, ut Eutychiani posuerunt; et ideo vult quod ex conjunctione divinitatis ad humanitatem non resultet aliqua natura communis tertia: quia illa nec esset divinitas nec humanitas, sicut humanitas nec est anima neque corpus; unde Christus neque esset Deus neque homo, sed tantum Christus. Non autem intendit, quod ex conjunctione animae ad corpus non resultet forma totius, per quam in specie cum aliis hominibus communicet.

1. [Jean] Damascène veut dire que l’union ne s’est pas réalisée dans une seule nature, comme l’affirmaient les eutychiens. C’est pourquoi il veut que, de l’union de la divinité à l’humanité, ne résulte pas une troisième nature commune car celle-ci ne serait ni la divinité ni l’humanité, de même que l’humanité n’est ni l’âme ni le corps. Le Christ ne serait donc ni Dieu ni homme, mais seulement le Christ. Mais il ne veut pas dire que, de l’union de l’âme au corps, ne résulte pas la forme d’un tout, par laquelle il a une espèce commune avec les autres hommes.

 [7622] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod verbum Boetii veritatem habet in quolibet individuo quod subsistit in una natura tantum: quia species comprehendit omnia essentialia principia subsistentis individui in natura speciei; et sic etiam humanitas comprehendit omnia essentialia Christi, secundum quod in humanitate subsistit. Sed illa persona hoc singulariter habet ut in duabus naturis subsistat; et ideo species humana non colligit omnia quae illi personae essentialiter conveniunt.

2. La parole de Boèce est vraie pour tout individu qui subsiste dans une seule nature seulement, car l’espèce comprend tous les principes essentiels d’un individu subsistant dans la nature de l’espèce. L’humanité comprend donc tous les [principes] essentiels du Christ, pour autant qu’il subsiste dans l’humanité. Mais cette personne a en propre de subsister dans deux natures. L’espèce humaine ne rassemble donc pas tout ce qui convient à cette personne de manière essentielle.

 [7623] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod cum dicitur, nomine humanitatis corpus et animam intelligi, intelligendum est materialiter, sicut nomine totius intelliguntur partes; et non quod totum proprie loquendo sint suae partes, sed aliquid ex partibus constitutum.

3. Lorsqu’on dit que, par le mot « humanité », on entend le corps et l’âme, il faut l’entendre d’un point de vue matériel, comme dans le nom de « tout » les parties sont comprises. Mais [il ne faut pas comprendre] qu’il y a deux parties au sens propre, mais quelque chose constitué de deux parties.

 [7624] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 3 ad s. c. Alia duo concedimus.

Nous concédons les deux autres arguments en sens contraire.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [L’ordre de l’assomption]

Prooemium

Prologue

 [7625] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 pr. Deinde quaeritur de ordine assumptionis; et circa hoc quaeruntur tria: 1 utrum unam partem humanae naturae assumpserit mediante alia; 2 utrum humanam naturam assumpserit mediante aliquo alio; 3 utrum omnes partes humanae naturae simul tempore assumpserit.

Ensuite, on s’interroge sur l’ordre de l’assomption. À ce propos, trois questions sont posées : 1 – [Le Fils de Dieu] a-t-il assumé une partie de la nature humaine par l’intermédiaire de l’autre ? 2 – A-t-il assumé la nature humaine par l’intermédiaire de quelque chose d’autre ? 3 – A-t-il assumé toutes les parties de la nature humaine en même temps ?

 

 

Articulus 1 [7626] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 tit. Utrum assumpserit carnem mediante anima

Article 1 – Le Fils de Dieu a-t-il assumé la chair par l’intermédiaire de l’âme ?]

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le Fils de Dieu a-t-il assumé la chair par l’intermédiaire de l’âme ?]

 [7627] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod carnem non assumpserit mediante anima. Remoto enim medio quo aliqua conjunguntur, extrema separantur, sicut patet in tabulis quae per clavum conjunguntur. Sed in morte Christi separata est anima a carne; nec tamen separata est deitas a carne. Ergo anima non est medium quo deitas unitur carni.

1. Il semble qu’il n’ait pas assumé la chair par l’intermédiaire de l’âme. En effet, une fois enlevé l’intermédiaire par lequel certaines choses sont unies, les extrêmes sont séparés, comme cela ressort pour les planches unies par un clou. Or, dans la mort du Christ, l’âme a été séparée de la chair ; cependant, la divinité n’a pas été séparée de la chair. L’âme n’est donc pas l’intermédiaire par lequel la divinité est unie à la chair.

 [7628] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, unum extremorum quae conjunguntur per medium, magis conjungitur medio quam alteri extremo. Sed caro non magis conjungitur animae quam deitati: est enim caro ab anima separata in morte, non tamen a deitate. Ergo divinitas non est unita carni mediante anima.

2. L’un des extrêmes qui sont unis par un intermédiaire est plus uni à l’intermédiaire qu’à l’autre extrême. Or, la chair n’est pas plus unie à l’âme qu’à la divinité : en effet, la chair a été séparée de l’âme dans la mort, mais non de la divinité. La divinité n’est donc pas unie à la chair par l’intermédiaire de l’âme.

 [7629] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, Deus in qualibet creatura est immediate per essentiam, praesentiam, et potentiam: similiter etiam animae sanctae conjungitur immediate per gratiam. Cum ergo major sit conjunctio unionis quam aliqua praedictarum, videtur quod quidquid assumitur ad unitatem personae, immediate divinitati conjungatur.

3. Dieu existe en chaque créature par son essence, sa présence et sa puissance ; de même, est-il uni de manière immédiate à l’âme sainte par la grâce. Puisque l’association par l’union est plus grande que n’importe quelle de celles qui ont été mentionnées, il semble donc que tout ce qui assumé dans l’unité de la personne est uni à Dieu de manière immédiate.

 [7630] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Augustinus ad Volusianum dicit: filius Dei assumpsit animam rationalem, et per eam sibi corpus aptavit; et ita videtur quod mediante anima filius Dei carnem assumpserit.

Cependant, [1] Augustin dit à Volusien: «Le Fils de Dieu a assumé une âme raisonnable et, par l’intermédiaire de celle-ci, il s’est approprié un corps. » Il semble donc que le Fils de Dieu a assumé la chair par l’intermédiaire de l’âme.

 [7631] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, multum distantia non conjunguntur nisi per medium, quod minus distat ab extremis quam extrema ad invicem. Sed corpus plus distat a deitate quam anima. Ergo corpus unitur deitati mediante anima.

 [2] Les choses très distantes ne sont unies que par un intermédiaire, qui est moins distant des extrêmes que les extrêmes entre eux. Or, le corps est plus distant de la divinité que l’âme. Le corps est donc uni à la divinité par l’intermédiaire de l’âme.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le Fils de Dieu a-t-il assumé l’âme par l’intermédiaire de l’esprit ?]

 [7632] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non assumpserit animam mediante spiritu. Impossibile enim est ut per idem medium uniatur aliquid superiori et inferiori; quia illud quo unitur inferiori, est infra ipsum; illud quo unitur superiori, est supra ipsum. Sed anima mediante spiritu unitur corpori, quod est infra ipsum, ut quidam dicunt. Ergo non unitur Deo, qui est supra eam, mediante spiritu.

1. Il semble qu’il n’ait pas assumé l’âme par l’intermédiaire de l’esprit. En effet, il est impossible que quelque chose de supérieur et d’inférieur soit uni par le même intermédiaire, car ce par quoi cela est uni à ce qui est inférieur lui est inférieur, et ce par quoi il est uni à ce qui est supérieur lui est supérieur. Or, l’âme est unie au corps, qui lui est inférieur, par l’intermédiaire de l’esprit, comme certains le disent. Elle n’est donc pas unie à Dieu, qui lui est supérieur, par l’intermédiaire de l’esprit.

 [7633] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, medium oportet differre ab extremis. Sed mens quae spiritus dicitur ab Augustino, non est extra essentiam animae, immo est id quod in anima nostra est sublimius, in qua imago Dei invenitur, ut idem Augustinus dicit. Ergo non assumpsit animam mediante spiritu.

2. Il est nécessaire que l’intermédiaire diffère des extrêmes. Or, la mens, qui est appelée esprit par Augustin, n’est pas en dehors de l’âme ; bien plutôt, elle est ce qu’il y a de plus sublime dans notre âme, où se trouve l’image de Dieu, comme le dit le même Augustin. Il n’a donc pas assumé l’âme par l’intermédiaire de l’esprit.

 [7634] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, spiritus humanus differt in hoc ab angelico quod est animae unitus et carni: quod Angelo non convenit. Sed spiritus angelicus non est assumptibilis: ut supra dictum est, qu. 2, art. 1, quaestiunc. 3. Ergo quod spiritus humanus sit assumptibilis, est ex ratione animae, vel ex ratione carnis. Ergo magis assumpsit spiritum mediante carne vel anima, quam e converso.

3. L’esprit humain diffère de l’esprit angélique par le fait qu’il est aussi uni à la chair, ce qui ne convient pas à l’ange. Or, l’esprit angélique ne peut pas être assumé, comme on l’a dit plus haut, q. 2, a. 1, qa 3. Que l’esprit humain puisse être assumé, c’est donc soit en raison de l’âme, soit en raison de la chair. Il a donc plutôt assumé l’esprit par l’intermédiaire de la chair ou de l’âme, que l’inverse.

 [7635] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, ea quae sunt distantia, per aliquid utrique proximum conjunguntur. Sed spiritus proximus est Deo per similitudinem imaginis, quia et ipse Deus spiritus est, ut dicitur Joan. 4: similiter etiam cum anima convenit in hoc quod pars quaedam animae est. Ergo Deus animam mediante spiritu assumpsit.

Cependant, [1] les réalités qui sont distantes sont réunies par quelque chose qui est proche des deux. Or, l’esprit est plus proche de Dieu par la similitude de l’image, car Dieu lui-même est esprit, comme il est dit en Jn 4 ; de même aussi, il a quelque chose en commun avec l’âme du fait qu’il est une partie de l’âme. Dieu a donc assumé l’âme par l’intermédiaire de l’esprit.

 [7636] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, sicut anima corpore, ita aliis partibus animae spiritus superior est. Sed Deus assumpsit corpus mediante anima. Ergo eadem ratione assumpsit animam mediante spiritu.

 [2] De même que l’âme est supérieure au corps, de même l’esprit l’est-il aux autres parties de l’âme. Or, Dieu a assumé le corps par l’intermédiaire de l’âme. Pour la même raison, il a donc assumé l’âme par l’intermédiaire de l’esprit.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Le Fils de Dieu a-t-il assumé le tout par l’intermédiaire des parties ?]

 [7637] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non assumpserit totum mediantibus partibus. Illud enim quod convenit toti ratione partium, non solum convenit toti, sed etiam partibus. Sed deitas non praedicatur de partibus humanae naturae (non enim dicimus quod anima sit Deus, vel quod corpus sit Deus): praedicatur autem de toto cum dicimus Deum hominem esse. Ergo cum per assumptionem humanae naturae praedicetur Deus de homine, et e converso, videtur quod partes non assumpserit nisi mediante toto.

1. Il semble qu’il n’ait pas assumé le tout par l’intermédiaire des parties. En effet, ce qui convient au tout en raison des parties ne convient pas seulement au tout, mais aussi aux parties. Or, la divinité n’est pas prédiquée des parties de la nature humaine (en effet, nous ne disons pas que l’âme est Dieu, ou que le corps est Dieu), mais elle est prédiquée du tout, lorsque nous disons que Dieu est homme. Puisque, par l’assomption de la nature humaine, Dieu est prédiqué de l’homme et inversement, il semble donc qu’il n’ait assumé les parties que par l’intermédiaire du tout.

 [7638] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, alia est singularitas uniuscujusque partis hominis, et singularitas divinae personae vel incommunicabilitas, quia partes sunt plures, sed persona assumens una est. Est autem eadem singularitas personae assumentis et totius hominis, quia eadem est hypostasis utriusque, ut dicit Damascenus. Ergo videtur quod partes non assumpserit nisi mediante toto.

2. Autre est la singularité de n’importe quelle partie de l’homme, et la singularité d’une personne divine ou son incommunicabilité, car il y a plusieurs parties, mais la personne qui assume est unique. Or, la singularité de la personne qui assume et celle de tout l’homme sont la même, car l’hypostase est la même pour les deux, comme le dit [Jean] Damascène. Il semble donc qu’il n’ait assumé les parties que par l’intermédiaire du tout.

 [7639] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, creaturae cui est unita divinitas debetur honor latriae, ut infra dicetur, dist. 9, qu. 1, art. 2. Sed aliquibus partibus corporis Christi, si essent separatae, non deberetur honor latriae. Ergo partibus separatis a toto non est unita divinitas. Ergo non est unita partibus nisi mediante toto.

3. L’honneur de latrie est dû à la créature à laquelle est unie la divinité, comme on le dira plus loin, d. 9, q. 1, a. 2. Or, l’honneur de latrie ne serait pas dû aux parties du corps du Christ, si elles étaient séparées. La divinité n’a donc pas été unie aux parties séparées du tout. Elle n’a donc été unie aux parties que par l’intermédiaire du tout.

 [7640] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 4 Sed contra, in morte Christi divinitas partibus hominis, scilicet corpori et animae, unita mansit. Sed tunc ex partibus, cum conjunctae non essent, totum non constabat. Ergo non assumpsit partes mediante toto.

4. Dans la mort du Christ, la divinité est restée unie aux parties de l’homme, à savoir, au corps et à l’âme. Or, le tout n’était pas constituté des parties, alors que celles-ci n’étaient pas unies. Il n’a donc pas assumé les parties par l’intermédiaire du tout.

 [7641] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 5 Praeterea, quidquid convenit parti et toti, per prius convenit parti quam toti. Sed dicimus humanam naturam assumptam esse, et similiter partes ejus, scilicet animam et carnem. Ergo per prius assumpsit partes quam totum; et ita non partes mediante toto assumpsit.

5. Tout ce qui convient à la partie et au tout convient d’abord à la partie plutôt qu’au tout. Or, nous disons que la nature humaine a été assumée, de même que ses parties, à savoir, l’âme et la chair. Il a donc d’abord assumé les parties plutôt que le tout, et ainsi n’a-t-il pas assumé les parties par l’intermédiaire du tout.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [7642] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum, quod est duplex medium, scilicet congruentiae, et necessitatis. Medium congruentiae est quod facit ad decentem conjunctionem extremorum, quae tamen nihilominus sine illo esse posset, sicut pulchritudo facit ad decentem conjunctionem matrimonii, qua tamen amissa, matrimonium non solvitur. Medium autem necessitatis est sine quo conjunctio extremorum esse non potest, sicut lumen conjungitur aeri mediante diaphaneitate. Hoc tamen contingit dupliciter: quia vel est causa conjunctionis, vel est ad conjunctionem consequens. Conjunctionis causa est medium, sicut aqua et aer in visu: quia per aerem redditur species visibilis ipsi visui. Consequens autem conjunctionem est quod ex conjunctorum dispositione causatur, sicut aer vel aqua est medium in tactu: propter hoc oportet extremitates corporum se tangentium humidas esse; et ita oportet humiditatem aliquam intermediam esse. Medium autem quod est causa conjunctionis, est duplex: quia vel conjungit effective, sicut homo reconcilians inimicos, dicitur medius inter eos: vel conjungit formaliter, sicut amor conjungit amicos, ut medium quoddam inter eos. Sed utrumque horum adhuc dupliciter contingit: quia medium necessitatis vel causa conjunctionis est in actu, ut patet in vinculo quo aliqua colligantur, vel est causa conjungibilitatis, sicut siccitas in lignis causat conjungibilitatem ad ignem. His igitur visis, ad primam quaestionem dicendum, quod anima est quodammodo medium quo corpus divinitati unitur. Sed sciendum, quod si anima comparetur ad unionem in actu, est medium congruentiae tantum: non enim decet ut divinitas corpori uniatur, nisi habeat animam: tum quia est Deo propinquior, tum quia pluribus modis est Deo unibilis quam corpus, quia etiam per gratiam et gloriam; tum etiam quia corpori unitur propter reparationem animae. Si vero comparetur ad unibilitatem, sic est medium necessitatis, sicut causans formaliter unibilitatem in corpore; non enim corpus est unibile servato ordine ad finem unionis (secundum quod creatura rationalis prae aliis assumptibilis dicta est) nisi per hoc quod particeps est imaginis Dei mediante anima; unde corpora inanimata unibilia non sunt.

Il existe un double intermédiaire : de convenance et de nécessité. L’intermédiaire de convenance est celui qui réalise l’union appropriée des extrêmes, laquelle pourrait néanmoins exister sans lui, comme la beauté contribue à l’union appropriée du mariage, mais si elle est en retirée, le mariage n’est pas dissous. Mais l’intermédiaire nécessaire est celui sans lequel l’union des extrêmes ne peut exister, comme la lumière est unie à l’air par l’intermédiaire du diaphane. Cela se produit cependant de deux manières, car soit il est la cause de l’union, soit il découle de l’union. L’intermédiaire est cause de l’union comme l’eau et l’air pour la vision, car l’espèce est rendue visible à la vue elle-même par l’air. Mais découle de l’union ce qui est causé par la disposition de ce qui est uni, comme l’air ou l’eau est l’intermédiaire du toucher. C’est la raison pour laquelle il est nécessaire que les extrémités des corps qui se touchent soient humides : ainsi est-il nécessaire qu’une humidité soit intermédiaire. Or, l’intermédiaire qui est cause de l’union est double : soit il unit effectivement, comme l’homme qui réconcilie des ennemis est appelé un intermédiaire entre eux ; soit il unit formellement, comme l’amour unit des amis en tant qu’il est un certain intermédiaire entre eux. Mais ces deux choses se produisent encore d’une double manière, car l’intermédiaire nécessaire est soit la cause de l’union dans l’acte, comme cela ressort pour le lien par lequel certaines choses sont attachées ; soit il est la cause du fait de pouvoir être uni, comme la sécheresse du bois cause sa capacité d’être uni au feu. Après avoir vu cela, il faut donc dire, à propos de la première question, que l’âme est d’une certaine manière l’intermédiaire par lequel la divinité est unie au corps. Mais il faut savoir que si l’âme est comparée à l’union en acte, elle est un intermédiaire de convenance seulement. En effet, il ne sied pas que la divinité soit unie au corps s’il n’a pas d’âme, tant parce que celle-ci est plus proche de Dieu, que parce qu’elle peut être unie à Dieu de plus de manières que le corps, car elle le peut aussi par la grâce et par la gloire ; soit aussi parce que [la divinité] est unie au corps en vue de la restauration de l’âme. Mais si elle est comparée à la possibilité d’union, elle est ainsi un intermédiaire nécessaire, en tant qu’elle est cause formellement la possibilité d’union dans le corps. En effet, en respectant l’ordre, le corps ne peut être uni à la fin de l’union (selon que la créature raisonnable a été dite plus apte à être assumée que les autres), que parce qu’il participe à l’image de Dieu par l’intermédiaire de l’âme. C’est pourquoi les corps inanimés ne sont pas susceptibles d’union.

 [7643] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod si tollatur medium quod est causa conjunctionis in actu, necesse est unita dissolvi, sicut subtracto amore, hominum corda ulterius unum non erunt: semper enim ablata causa aufertur effectus. Subtracto tamen medio congruentiae, quod ad decentiam unionis faciebat, non est necessarium unita dissolvi. Similiter autem non est necessarium ut si tollatur medium, quod est causa conjungibilitatis, unio dissolvatur: potest enim esse ut causet conjungibilitatem etiam postquam abscesserit, dummodo remaneat ordo et possibilitas ad ipsum, quia forte conjunctio actualis medii non est causa conjungibilitatis ad extremum, sed potius conjungibilitas medii; sicut actualis consideratio principiorum est medium quo habitus conclusionum acquiritur; non tamen transeunte actuali consideratione principiorum, transit habitus conclusionis, eo quod adhuc manet habilitas ad considerandum principia. Unde cum anima sit medium congruentiae, et causans unibilitatem in corpore, non oportet quod abscedente anima conjunctio divinitatis ad carnem dirimatur: quia adhuc remanet in corpore habilitas et ordo ad animam, ratione cujus remanet in carne convenientia unionis, et unibilitas ad divinitatem.

1. Si on enlève l’intermédiaire qui est cause de l’union en acte, il est nécessaire que ce qui est uni soit dissous, de même que, si l’amour est enlevé, les cœurs des hommes ne seront plus une seule réalité : en effet, lorsque la cause est enlevée, l’effet est toujours enlevé. Cependant, si on enlève l’intermédiaire de convenance, qui donnait sa convenance à l’union, il n’est pas nécessaire que ce qui est uni soit dissous. De même n’est-il pas nécessaire qu’une fois enlevé l’intermédiaire qui est la cause de l’aptitude à d’union, l’union soit dissoute : en effet, il peut arriver qu’il cause l’aptitude à l’union même après qu’il ait été écarté, pourvu que demeurent l’ordre et la possibilité par rapport à lui, car peut-être l’union actuelle avec l’intermédiaire n’est-elle pas cause de l’aptitude à l’union avec un extrême, mais plutôt de l’aptitude à l’union avec l’intermédiaire : ainsi, la considération actuelle des principes est l’intermédiaire par lequel l’habitus des conclusions est acquis ; cependant, l’habitus de la conclusion ne passe pas, alors que la considération actuelle des principes passe, du fait que demeure encore la capacité de considérer les principes. Puisque l’âme est un intermédiaire de convenance, qui cause la capacité d’union dans le corps, il n’est donc pas nécessaire que, lorsque l’âme se retire, l’union de la divinité avec la chair soit abolie, car demeurent encore dans le corps l’aptitude et l’ordre à l’âme, en raison de quoi demeurent dans la chair la convenance de l’union et la possibilité d’union avec la divinité.

 [7644] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod aliqua duo possunt esse magis conjuncta quam alia, dupliciter. Vel quia pluribus modis conjunguntur; et sic anima magis unitur carni quam deitas, quia anima est forma ejus; et hoc modo est medium formaliter unibilitatem in ipso causans: vel quia fortiori vinculo conjunguntur; et sic deitas magis unitur carni quam anima, quae unitur ei naturali unione, propter quod separabilis est; divinitas autem unitur carni per gratiam increatam, quae immutabilis est; et ideo illa unio nunquam separatur.

2. Deux choses peuvent être plus unies que d’autres de deux manières. Soit parce qu’elles sont unies d’un plus grand nombre de manières, et ainsi l’âme est davantage unie à la chair que la divinité, parce que l’âme est sa forme ; de cette manière, elle est l’intermédiaire qui cause formellement en lui la possibilité d’union. Soit parce qu’elles sont unies par un lien plus fort, et ainsi la divinité est davantage unie à la chair que l’ame, qui lui est unie selon une union naturelle, en raison de quoi elle peut en être séparée, alors que la divinité est unie à la chair par une grâce incréée, qui est immuable. Aussi cette union n’est-elle jamais séparée.

 [7645] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod creatura ex seipsa receptibilis est divini influxus in ipsam; et ideo non indiget medio quod faciat eam possibilem ad hoc quod Deus in ea sit per essentiam, praesentiam et potentiam: neque etiam indiget medio congruentiae, quia decentissimum est ut creatura a creatore non deseratur. Similiter etiam anima secundum sui naturam capax est Dei; corpus autem non est assumptibile per naturam corporis, sed inquantum est perfectum anima rationali; et ideo non est simile.

3. La créature est par elle-même capable de recevoir l’influence divine en elle. Aussi n’a-t-elle pas besoin d’un intermédiaire qui la rende capable que Dieu existe en elle par son essence, sa présence et sa puissance ; elle n’a pas non plus besoin d’un intermédiaire de convenance, car il convient au plus haut point que la créature ne soit pas abandonnée par son Créateur. De même aussi, l’âme est-elle capable de Dieu par sa nature. Mais le corps n’est pas susceptible d’ête assumé par la nature du corps, mais pour autant qu’il est perfectionné par l’âme raisonnable. Ce n’est donc pas la même chose.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [7646] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod secundum Augustinum, spiritus multipliciter dicitur. Uno modo ipsum corpus subtile, ut aer. Alio modo corpus animae omnino subjectum, sicut corpora sanctorum in resurrectione, 1 Corinth. 15. Tertio modo quaelibet anima brutorum; Eccle. 3: quis novit (...) si spiritus jumentorum descendat deorsum ? Quarto virtus imaginaria, 1 Corinth., 14, 15: psallam spiritu, psallam mente. Quinto ipsa mens hominis vel Angeli, Ephes. 4, 23: renovamini spiritu mentis vestrae. Sexto ipsa divina substantia, Joan. 4, 24: spiritus est Deus. Nunc autem loquimur de spiritu secundum quod pro mente ponitur. Unde dicendum, quod divinitas mediante spiritu animam assumpsit, sicut anima mediante, corpus; sicut enim corpus non est assumptibile nisi per hoc quod habet animam; ita anima non est assumptibilis nisi per hoc quod mens in ea est, per quam imaginem Dei habet.

Selon Augustin, on parle de l’esprit de plusieurs manières. D’une manière, un corps est lui-même subtil, tel l’air. D’une autre manière, un corps est entièrement soumis à l’âme, comme les corps des saints lors de la résurrection, 1 Co 15. D’une troisième manière, n’importe quelle âme d’animaux sans raison. Si 3 : Qui sait… si l’esprit des animaux ne descend pas sous terre ? Quatrièment, la puissance imaginative, 1 Co 14, 15 : Que je chante avec l’esprit, que je chante avec l’intelligence. Cinquièmement, l’esprit même de l’homme ou de l’ange, Ep 4, 23 : Que votre esprit soit spirituellement restauré. Sixièmement, la substance divine elle-même, Jn 4, 24 : Dieu est esprit. Mais ici, nous parlons de l’esprit (spiritu) qui signifie l’âme (mente). Il faut donc dire que la divinité a assumé l’âme par l’intermédiaire de l’esprit, comme elle a assumé le corps par l’intermédiaire de l’âme. En effet, de même que le corps n’est susceptible d’être assumé que s’il a une âme, de même l’âme n’est-elle susceptible d’être assumée que s’il y a en elle un esprit, par lequel elle possède l’image de Dieu.

 [7647] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo circa hoc objectum dicendum, quod ratio illa procedit ex aequivocatione spiritus, ut ex dictis patet.

1. Cet argument vient du caractère équivoque d’esprit, comme cela ressort de ce qui a été dit.

 [7648] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis spiritus, idest mens, non differat ab anima per essentiam, nisi mens dicatur potentia animae, quae quodammodo ab anima per essentiam differt, sicut proprietas a subjecto; tamen anima non ex hoc quod est anima, assumptibilis est modo praedicto, sed ex hoc quod mentem habet; et ideo mens est medium in anima assumptibilitatem causans.

2. Bien que l’esprit, c’est-à-dire la mens, ne soit pas essentiellement différent de l’âme, si ce n’est qu’il est appelé une puissance de l’âme, qui diffère essentiellement de l’âme d’une certaine manière comme la propriété de son sujet, cependant, l’âme n’est pas susceptible d’être assumée de la manière dite du fait qu’elle est âme, mais du fait qu’elle possède une mens. Ainsi, la mens est-elle, à l’intérieur de l’âme, un intermédiaire qui cause l’aptitude à être assumée.

 [7649] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis forma materialis non possit esse sine materia, tamen materia non dat esse formae, sed e converso; ita etiam quamvis spiritus carni non unitus assumptibilis non sit, magis tamen spiritus causat assumptibilitatem in corpore quam e converso.

3. Bien qu’une forme matérielle ne puisse exister sans la matière, la matière ne donne cependant pas l’être à la forme, mais c’est l’inverse. De même aussi, bien qu’un esprit qui n’est pas uni à la chair ne soit pas susceptible d’être assumé, l’esprit cause cependant davantage l’aptitude à être assumé dans le corps que l’inverse.

 [7650] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 2 ad s. c. Alia duo concedimus.

Nous concédons les deux arguments en sens contraire.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [7651] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod partes originaliter sunt priores toto, quasi constituentes ipsum; totum autem completive est prius partibus, quia ratio naturae completae invenitur prius in ipso toto, et ad partes ejus pervenit mediante toto, inquantum ejus partes sunt; unde etiam sunt in genere per reductionem. Et ideo dicendum est, quod quodammodo mediantibus partibus assumpsit totum, inquantum scilicet partes originaliter humanam naturam constituebant, cui per se assumptio debebatur; quodammodo autem partes mediante toto, inquantum ratio humanae naturae, quae per se assumptibilis est, per prius invenitur in toto, et per hoc in partibus.

Selon l’origine, les parties sont antérieures au tout en tant qu’elles le constituent ; mais, du point de vue de l’achèvement, le tout est antérieur aux parties, car la raison de la nature achevée se trouve d’abord dans le tout lui-même et elle parvient à ses parties par l’intermédiaire du tout, pour autant qu’elles sont ses parties. Aussi sont-elles dans le [même] genre par réduction. Il faut donc dire que, d’une certaine manière, il a assumé le tout par l’intermédiaire des parties, pour autant que les parties constituaient à l’origine la nature humaine, à laquelle est due le fait d’être assumée. Mais, d’une certaine manière, [il a assumé] les parties par l’intermédiaire du tout, pour autant que la raison de la nature humaine, qui est susceptible d’être assumée par elle-même, se trouve d’abord dans le tout, et dans les parties par l’intermédiaire de celui-ci.

 [7652] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis de partibus humanae naturae Deus non praedicetur, tamen partes illae causant originaliter assumptibilitatem in toto; sicut homo dicitur animal, non autem corpus vel anima dicitur animal, quamvis ex corpore et anima causetur in homine quod animal sit.

1. Bien que Dieu ne soit pas prédiqué des parties de la nature humaine, ces parties causent cependant selon l’origine l’aptitude à être assumé dans le tout ; ainsi dit-on que l’homme est un animal, mais ni le corps ni l’âme ne sont appelés un animal, bien que le corps et l’âme causent en l’homme qu’il soit un animal.

 [7653] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod est duplex singularitas: scilicet singularitas naturae, ut haec humanitas; et singularitas subsistentis in natura, ut hic homo. Non autem est facta unio in singularitate naturae, quia naturae inalterabiliter unitae sunt; sed est facta unio in singularitate personae subsistentis in natura, quia idem Christus in utraque natura subsistit. Singularitas autem partium, inquantum partes sunt, ad naturam pertinet; et ideo non est eadem singularitas partium hominis et Dei; sed est eadem persona hominis et Dei: nec tamen sequitur quod partes non causent assumptibilitatem in toto.

2. Il existe une double singularité : la singularité de nature, comme cette humanité ; et la singularité de ce qui subsiste dans une nature, comme cet homme. Or, l’union n’a pas été réalisée dans la singularité de la nature, car les natures sont unies d’une manière inaltérable ; mais l’union a été faite dans la singularité de la personne subsistant dans la nature, car le même Christ subsiste dans les deux natures. Mais la singularité des parties, en tant qu’elles sont des parties, relève de la nature. C’est pourquoi la singularité des parties de l’homme et de Dieu n’est pas la même ; mais la personne de l’homme et de Dieu est la même. Il n’en découle cependant pas que les parties ne causent pas l’aptitude à être assumé dans le tout.

 [7654] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in omnibus partibus quae sunt de veritate humanae naturae, etiam separatis, manet ordo ad totam naturam; et ideo remanet in eis assumptibilitas, et per consequens unio, sicut in corpore Christi remansit anima separata; unde et eis latria deberetur. Si autem separarentur aliquae partes quae non essent de veritate humanae naturae, non remaneret in eis ordo ad naturam humanam, cui principaliter assumptio debetur; et ideo non remaneret unio, nec debitum latriae.

3. Dans toutes les parties qui appartiennent à la vérité de la nature humaine, même dans celles qui sont séparées, demeure un ordre à la nature tout entière. C’est pourquoi l’aptitude à être assumé demeure en elles et, par conséquent, l’union, comme l’âme séparée est demeurée dans le corps du Christ ; pour cette raison, la latrie leur serait due. Mais si certaines parties qui n’appartiendraient pas à la vérité de la nature humaine étaient séparées, il ne resterait pas en elles un ordre à la nature humaine, auquel le fait d’être d’assumé est principalement dû. Aussi l’union ne demeurerait-elle pas ni la dette de la latrie.

 [7655] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut corpus remanet unitum post animam, quamvis mediante anima uniatur, propter hoc quod remanet in corpore ordo ad animam; ita etiam remanet ordo in partibus ad totum; et propter hoc, dissoluto toto adhuc remanent partes unitae.

4. De même que le corps demeure uni après l’âme, bien qu’il soit uni par l’intermédiaire de l’âme, parce que demeure dans le corps un ordre à l’âme, de même demeure l’ordre des parties au tout. Pour cette raison, une fois le tout dissous, les parties demeurent encore unies.

 [7656] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quamvis partes sint priores toto et causent totum, tamen aliquid est quod non convenit partibus nisi in ordine ad totum, sicut quod ordinentur in praedicamento: unde ratio ex falsis procedit.

5. Bien que les parties soient antérieures au tout et causent le tout, il existe cependant quelque chose qui ne convient aux parties que selon l’ordre au tout, comme le fait qu’elles soient ordonnées dans un prédicament. Aussi l’argument vient-il de [prémisses] fausses.

 

 

Articulus 2 [7657] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 tit. Utrum natura humana sit assumpta mediante gratia

Article 2 – La nature humaine est-elle assumée par l’intermédiaire de la grâce ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La nature humaine est-elle assumée par l’intermédiaire de la grâce ?]

 [7658] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod natura humana assumpta sit mediante gratia. Sicut enim dicit Augustinus, in rebus per tempus exortis summa gratia est quod Deus in unitate personae homini nullis meritis praecedentibus copulatur. Sed in his quae fiunt per gratiam gratia medium cadit. Ergo natura humana unitur divinitati mediante gratia.

1. Il semble que la nature humaine soit assumée par l’intermédiaire de la grâce. En effet, comme le dit Augustin, « parmi les choses apparues dans le temps, la plus grande grâce est que Dieu soit uni à un homme dans l’unité de la personne sans aucun mérite qui ait précédé ». Or, dans ce qui est réalisé par la grâce, la grâce joue le rôle d’intermédiaire. La nature humaine est donc unie à la divinité par l’intermédiaire de la grâce.

 [7659] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, major est unio in persona quam unio animae beatae ad Deum per fruitionem. Sed anima non potest uniri Deo per modum fruitionis nisi mediante gratia. Ergo nec natura humana potest assumi in unitatem divinae personae nisi mediante gratia.

2. L’union dans la personne est plus grande que l’union de l’âme bienheureuse à Dieu par la fruition. Or, l’âme ne peut être unie à Dieu par mode de fruition que par l’intermédiaire de la grâce. La nature humaine ne peut donc pas non plus être assumée dans l’unité d’une personne divine sans l’intermédiaire de la grâce.

 [7660] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, in illud quod facultatem naturae excedit, natura non potest pervenire nisi mediante gratia. Sed assumi in unitatem divinae personae est maxime excedens facultatem naturae. Ergo in hoc natura non potest pervenire, nisi per gratiam elevetur; et sic idem quod prius.

3. La nature ne peut parvenir que par l’intermédiaire de la grâce à ce qui dépasse la capacité de la nature. Or, être assumée dans l’unité d’une personne divine dépasse au plus haut point la capacité de la nature. La nature ne peut donc parvenir à cela que si elle est élevée par la grâce. La conclusion est ainsi la même que précédemment.

 [7661] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, corpus humanum non est susceptibile gratiae, et tamen assumptum est sicut et anima. Ergo assumptio humanae naturae non est facta mediante gratia.

Cependant, [1] le corps humain n’est pas apte à recevoir la grâce, et il est cependant assumé comme l’âme. L’assomption de la nature humaine n’a donc pas été réalisée par l’intermédiaire de la grâce.

 [7662] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, in his quae miraculose fiunt, non requiritur aliquod medium disponens. Sed assumptio humanae naturae miraculose est facta. Ergo non oportuit quod esset ibi gratia aliqua, quasi disponens humanam naturam in unionem.

 [2] Dans ce qui est accompli miraculeusement, un intermédiaire qui dispose n’est pas nécessaire. Or, l’assomption de la nature humaine a été réalisée miraculeusement. Il n’était donc pas nécessaire qu’il y ait là quelque grâce qui aurait disposé la nature humaine à l’union.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le Fils de Dieu a-t-il assumé la chair par l’intermédiaire du Saint-Esprit ?]

 [7663] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod filius Dei carnem assumpsit mediante spiritu sancto. Verbum enim creatum non unitur voci, nisi mediante spiritu. Sed sicut verbum mentis humanae unitur voci, ita verbum divinum unitur carni, ut dicit Augustinus. Ergo illa unio facta est mediante spiritu sancto.

1. Il semble que le Fils de Dieu ait assumé la chair par l’intermédiaire du Saint-Esprit. En effet, le verbe créé n’est uni à la voix que par l’intermédiaire de l’esprit. Or, « de même que le verbe de l’esprit humain est uni à la voix, de même le Verbe divin est-il uni à la chair », comme le dit Augustin. Cette union a donc été réalisée par la médiation du Saint-Esprit.

 [7664] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, in omni conjunctione quae fit per gratuitam voluntatem, amor medium cadit. Sed unio filii Dei ad humanam naturam est hujusmodi. Ergo in ea spiritus sanctus, qui est amor, medium est.

2. Dans toute union qui est réalisée par une volonté gratuite, l’amour joue le rôle d’intermédiaire. Or, l’union du Fils de Dieu à la nature humaine est de ce genre. En elle, l’Esprit Saint, qui est amour, est donc un intermédiaire.

 [7665] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, secundum Augustinum et Hilarium, inter tres personas spiritus sanctus est nobis propinquior. Sed id quod alicui magis propinquat, est medium quo magis distanti unitur. Ergo spiritus sanctus est medium quo unitur humana natura divinae.

3. Selon Augustin et Hilaire, l’Esprit Saint est la plus proche de nous des trois personnes. Or, ce qui est plus rapproché de quelqu’un est un intermédiaire par lequel il est uni à ce qui est plus éloigné. L’Esprit Saint est donc un intermédiaire par lequel la nature humaine est unie à la nature divine.

 [7666] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, medium magis unitur utrique extremorum quam extrema ad invicem. Sed spiritus sanctus non unitur humanitati in persona. Ergo non est medium unionis.

Cependant, l’intermédiaire est plus uni aux deux extrêmes que les extrêmes entre eux. Or, l’Esprit Saint n’est pas uni à l’humanité dans sa personne. Il n’est donc pas l’intermédiaire de l’union.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [L’union joue-t-elle le rôle d’intermédiaire entre la nature humaine et la nature divine ?]

 [7667] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod nec unio cadat medium inter humanam naturam et divinam. Nullum enim accidens cadit medium in aliqua substantiali unione. Sed unio, cum sit relatio, accidens quoddam est. Ergo cum unio divinitatis ad humanitatem non sit accidentalis, sed in substantia, quae hypostasis dicitur, videtur quod in illa unione medium cadere non possit.

1. Il semble que l’union non plus ne joue pas le rôle d’intermédiaire entre la nature humaine et la nature divine. En effet, aucun accident ne joue le rôle d’intermédiaire dans une union substantielle. Or, l’union, puisqu’elle est une relation, est un accident. Puisque l’union de la divinité à l’humanité n’est pas accidentelle, mais se réalise dans la substance, qu’on appelle hypostase, il semble donc qu’elle ne puisse jouer le rôle d’intermédiaire dans cette union.

 [7668] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, si unio illa res aliqua est, aut est aeterna, aut temporalis. Si aeterna, cum compositionem non sit intelligere sine componentibus, ut dicit philosophus, oporteret quod homo ab aeterno Deo unitus fuisset. Si temporalis, cum unio sit in utroque extremorum, videtur quod aliquod temporale in Deo sit; quod est impossibile. Ergo unio non est aliqua res cadens medium inter humanam naturam et divinam.

2. Si cette union est une réalité, elle est soit éternelle, soit tempoelle. Si elle est éternelle, puisque la composition ne peut se comprendre sans les composantes, comme le dit le Philosophe, il faudrait que l’homme ait été éternellement uni à Dieu. Si elle est temporelle, puisque l’union existe dans les deux extrêmes, il semble que quelque chose de temporel existe en Dieu, ce qui est impossible. L’union n’est donc pas une réalité qui joue le rôle d’intermédiaire entre la nature humaine et la nature divine.

 [7669] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, si sit temporalis, cum omnia temporalia praecesserint in operibus sex dierum, oportet quod et unio ista in operibus illis praecesserit, quod non videtur. Ergo unio non est aliqua res temporalis quae medium inter divinitatem et humanitatem cadere possit.

3. De plus, si elle est temporelle, puisque toutes les réalités temporelles ont précédé dans les œuvres des six jours, il faut que cette union aussi ait précédé parmi ces œuvres, ce qui ne semble pas être le cas. L’union n’est donc donc pas une réalité temporelle qui pourrait jouer le rôle d’intermédiaire entre la divinité et l’humanité.

 [7670] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, relatio cadit medium inter extrema. Sed unio relatio quaedam est, qua humanitas et divinitas uniri dicuntur. Ergo mediante unione, humana natura divinae unita est.

Cependant, la relation joue le rôle d’intermédiaire entre des extrêmes. Or, l’union est une relation, en vertu de laquelle on dit que l’humanité et la divinité sont unies. La nature humaine a donc été unie à la nature divine par l’intermédiaire de l’union.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [7671] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 1 co. Respondeo, supposita distinctione in praedicto articulo praemissa, sciendum est, quod in unione humanae naturae ad divinam nihil potest cadere medium formaliter unionem causans, cui per prius humana natura conjungatur quam divinae personae: sicut enim inter materiam et formam nihil cadit medium in esse quod per prius sit in materia quam forma substantialis; alias esse accidentale esset prius substantiali, quod est impossibile; ita etiam inter naturam et suppositum non potest aliquid dicto modo medium cadere, cum utraque conjunctio sit ad esse substantiale. Sed sicut adventum formae in materiam praecedunt ordine fiendi disponentia formaliter et materialiter, quibus materia redditur idonea ad susceptionem formae; ita etiam in humana natura inveniuntur quaedam superaddita, quibus redditur decens ut assumatur a divina persona, ut scientiae et virtutes et hujusmodi: unde ista possunt quodammodo dici medium congruentiae. Ad primam ergo quaestionem dicendum, quod sicut in 2 Sentent., 26 dist., Magister dicit, gratia dupliciter dicitur: uno modo ipse Deus gratis dans, vel gratuita voluntas ejus; alio modo donum aliquod gratis datum. Primo ergo modo accipiendo gratiam, gratia est medium unionis quasi unionem efficaciter causans: quia gratuita sua voluntate sine meritis praecedentibus carnem assumpsit. Secundo modo accipiendo gratiam, non cadit ibi aliquod medium habituale donum, sicut unionem vel unibilitatem formaliter causans; sed solum est sicut medium congruitatis, sicut etiam scientia, et perfectio corporis, et hujusmodi, quae decuit naturae assumptae non deesse. Nisi forte gratia ipsa unio dicatur, quae est quoddam donum gratiae gratis datum: quae quomodo sit medium, post dicetur.

En supposant la distinction faite dans l’article précédent, il faut savoir que, dans l’union de la nature humaine à la nature divine, rien ne peut jouer le rôle d’intermédiaire en causant l’union d’une manière formelle, et à quoi la nature humaine serait uni avant de l’être à la personne divine. En effet, de même qu’entre la matière et la forme, rien ne joue le rôle d’intermédiaire dans l’être, qui existerait dans la matière avant la forme substantielle (autrement, un être accidentel serait antérieur à l’être substantiel, ce qui est impossible), de même aussi, entre la nature et le suppôt, rien ne peut jouer le rôle d’intermédiaire de la manière dite, puisque les deux unions existent en fonction d’un être substantiel. Mais, de même que certaines choses, par lesquelles la matière est rendue apte à recevoir la forme, disposent formellement et matériellement dans l’ordre du devenir à l’arrivée de la forme dans la matière, de même aussi, dans la nature humaine, trouve-t-on certaines choses ajoutées, par lesquelles elle est rendue apte à être assumée par une personne divine, telle les sciences et les vertus, et les choses de ce genre. Ces choses peuvent donc d’une certaine manière être appelées un intermédiaire de convenance. Il faut donc répondre à la première question que, ainsi que le dit le Maître dans le livre II des Sentences, d. 26, on parle de grâce de deux manières : d’une manière, comme de Dieu lui-même qui donne gratuitement, ou de sa volonté gratuite ; d’une autre manière, comme d’un don fait gratuitement. En prenant le premier sens de la grâce, la grâce est l’intermédiaire de l’union en tant qu’elle cause efficacement l’union, car [le Fils de Dieu] a assumé la chair par sa volonté gratuite, sans mérite antérieur [de la part de la nature humaine]. En prenant la grâce au second sens, un don habituel ne joue pas là le rôle d’intermédiaire, en tant qu’il cause l’union et la capacité d’union de manière formelle, mais il est seulement un intermédiaire de convenance, comme aussi la science, la perfection du corps et les choses de ce genre, dont il convenait que la nature assumée ne soit pas privée. À moins que l’on appelle grâce l’union elle-même, qui est un don de grâce gratuitement donné. On dira plus loin de quelle manière elle est un intermédiaire.

 [7672] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod, sicut ipsemet se exponit, assumptio illa ad maximam gratiam pertinet: quia tam maximum donum collatum est homini ut esset filius Dei nullis praecedentibus meritis. Unde gratia divina ibi significat voluntatem divinam, unionem gratis facientem, et non habitum aliquem, quo interveniente unio completa sit.

1. Comme il s’en explique lui-même, cette assomption relève de la plus grande grâce, car le si grand don d’être le Fils de Dieu a été donné à un homme sans mérites antérieurs. La grâce divine signifie donc la volonté divine qui réalise gratuitement l’union, et non un habitus par l’intervention duquel l’union a été réalisée.

 [7673] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod fruitio operationem quamdam dicit: unde per fruitionem anima unitur Deo, sicut operans operationis objecto. Hoc autem ad rationem perfectae operationis pertinet ut a potentia mediante habitu eliciatur; et ideo oportet quod unio fruitionis mediante habitu gratuito fiat. Unio autem in persona est ad unum esse personale; habitus autem non potest esse principium personae subsistentis, sed est ad esse consequens; et ideo gratia non est medium in unione personali, sicut unionem formaliter causans.

2. La jouissance (fruitio) exprime une certaine opération. Ainsi, par la jouissance, l’âme est-elle unie à Dieu comme celui qui opère à l’objet d’une opération. Or, il appartient à la raison d’opération parfaite d’être issue d’une puissance par l’intermédiaire d’un habitus ; aussi est-il nécessaire que l’union par la jouissance se réalise par l’intermédiaire d’un habitus gratuit. Or, l’union à une personne [divine] est une union à son être personnel. Or, un habitus ne peut être le principe d’une personne subsistante, mais il découle de l’être. C’est pourquoi la grâce n’est pas un intermédiaire dans l’union personnelle, en tant que cause formelle de l’union.

 [7674] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis assumi in unitatem divinae personae sit supra facultatem humanae naturae, non tamen exigitur aliquid formaliter humanam naturam elevans ad talem assumptionem: tum quia quocumque addito, talis natura a persona divina in infinitum distaret: tum quia cum assumi per se naturae conveniat; omnia autem accidentia praeter rationem naturae sint, ideo non poterit humana natura secundum id quod assumptibilis est, elevari per aliquod accidens additum ad hoc ut assumptibilior fiat: sed ad hoc quod assumatur, exigitur benignitas divina humanam naturam ad tantam dignitatem gratis elevans.

3. Bien qu’être assumée dans l’unité d’une personne divine dépasse la capacité de la nature humaine, il n’est cependant pas nécessaire que quelque chose élève formellement la nature humaine à une telle assomption, tant parce que, quoi qu’on ajoute, une telle nature serait infiniment distante de la personne divine, que parce que le fait d’être assumée convient par soi à la nature [humaine]. Or, tous les accidents dépassent la raison de la nature. La nature humaine ne pourra donc pas, selon ce par quoi elle peut être assumée, être élevée par un accident ajouté pour qu’elle devienne apte à être assumée. Mais, pour qu’elle soit assumée, est nécessaire la bienveillance divine qui élève gratuitement la nature humaine à une telle dignité.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [7675] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod spiritus sanctus non potest dici in illa unione medium, nisi sicut unionem effective causans: quae quamvis effectus totius Trinitatis sit, tamen spiritui sancto appropriatur, ut infra dicetur, dist. 4, quaest. 1, art. 2, quaestiunc. 1.

1. On ne peut dire que l’Esprit Saint est un intermédiaire dans cette union, si ce n’est en tant qu’il est cause efficiente de cette union. Bien qu’elle soit l’effet de la Trinité tout entière, elle est cependant appropriée à l’Esprit Saint, comme on le dira plus loin, d. 4, q. 1, a. 2, qa 1.

 [7676] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod etiam verbum creatum voci non unitur mediante spiritu, nisi sicut per medium effectivum unionis: quia, sicut dicit philosophus, percussio respirati aeris ad arteriam est causa vocis: et per hunc etiam modum spiritui sancto appropriatur efficientia carnis, cui verbum increatum unitur.

2. Même le verbe créé n’est uni à la voix par l’intermédiaire de l’esprit qu’en tant qu’intermédiaire qui réalise l’union, car, ainsi que le dit le Philosophe, l’air respiré qui frappe la trachée est la cause de la voix. C’est de cette manière qu’est appropriée à l’Esprit Saint la réalisation de la chair à laquelle le Verbe incréé est uni.

 [7677] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ea quae per voluntatem fiunt, etiam mediante amore fiunt, sicut efficiente causa; et sic etiam est in praedicta unione.

2. Ce qui est accompli par la volonté est aussi accompli par l’intermédiaire de l’amour comme cause efficiente. De même en est-il pour l’union dont il a été question.

 [7678] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod spiritus sanctus etiam dicitur propinquior nobis, inquantum per ipsum omnia dona nobis donantur, ut in 1 Lib., dist. 18, dictum est; et sic in idem redit cum praedictis.

3. On dit que l’Esprit Saint est plus proche de nous pour autant que tous les dons nous sont donnés par lui, comme on l’a dit dans le livre I, d. 18. Cela revient donc à la même chose que ce qui précède.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [7679] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum est, quod inter humanam naturam et divinam necesse est cadere unionem mediam, non sicut causam, sed sicut effectum conjunctionem naturarum consequentem. Est enim natura relationis ut in aliis rerum generibus causam habeat, quia minimum habet de natura entis, ut Commentator 12 Metaph. dicit. Unde quamvis relatio per se non terminet motum, quia in ad aliquid non est motus, ut probatur in 5 Physic., tamen ex hoc quod motus per se terminatur ad aliquod ens, de necessitate consequitur relatio aliqua; sicut ex hoc quod motus alterationis terminatur ad albedinem, consequitur relatio similitudinis ad omnia alba: similiter etiam ex hoc quod motus generationis terminatur ad formam, consequitur haec relatio secundum quam materia sub forma esse dicitur; ita etiam ex hoc quod motus assumptionis humanae naturae terminatur ad personam, consequitur haec relatio quae dicitur unio; unde unio est medium non sicut assumptionem causans, sed potius sicut eam consequens; sicut etiam dictum est supra, quod aqua est medium in tactu ex hoc quod tangentia humectata sunt.

Entre la nature humaine et la nature divine, il est nécessaire qu’intervienne une union intermédiaire, non pas en tant que cause, mais en tant qu’effet découlant de l’union des natures. C’est en effet la nature de la relation d’avoir sa cause dans d’autres genres de choses, car elle possede la nature de l’être au plus faible degré, comme le dit le Commentateur dans Métaphysique, XII. Bien que la relation ne termine pas par elle-même le mouvement, car il n’y a pas de mouvement vers ce qui est relatif, comme cela est démontré dans Physique, V, toutefois, du fait que le mouvement se termine par soi à un être, il en découle nécessairement une relation. Ainsi, du fait que le mouvement d’altération se termine à la blancheur, il en découle une relation de ressemblance avec tout ce qui est blanc. De même aussi, du fait que le mouvement de la génération se termine à une forme, il en découle la relation selon laquelle on dit que la matière a une forme. Et encore, de même que le mouvement d’assomption de la nature humaine se termine à la personne, il en découle cette relation qu’on appelle l’union. L’union est donc intermédiaire, non pas en tant qu’elle cause l’assomption, mais plutôt en tant qu’elle en découle, comme on a dit plus haut que l’eau est intermédiaire pour le toucher du fait que ce qui est contact avec elle est humide.

 [7680] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod nihil prohibet accidens esse medium in conjunctione substantiali sicut conjunctionem sequens; impossibile est tamen ut sit medium conjunctionem causans.

1. Rien n’empêche qu’un accident soit intermédiaire comme conséquence de l’union dans l’union substantielle. Il est cependant impossible qu’il soit intermédiaire comme cause de l’union.

 [7681] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod unio relatio quaedam temporalis est: quae quidem realiter est in ipsa natura assumpta, sed in persona assumente secundum rationem tantum; sicut et de aliis relationibus ex tempore de Deo dictis, ut dominus, et hujusmodi, in 1 Lib., dist. 30, dictum est. Et tamen sicut dominus realiter dicitur Deus, non propter relationem dominii realiter in ipso existentem, sed propter potestatem coercendi creaturam, ex qua talis relatio causatur; ita etiam dicitur realiter unitus, quia in eo realiter est personalitas, ad quam unio terminatur.

2. L’union est une relation temporelle : elle se trouve ainsi réellement dans la nature assumée elle-même, mais dans la personne qui assume selon la raison seulement, comme c’est le cas des autres relations temporelles attribuées à Dieu, tel Seigneur et les choses de ce genre, comme on l’a dit dans le livre I, d. 30. Cependant, de même que Dieu est appelé réellement Seigneur réellement, non pas en raison d’une relation de souveraineté existant réellement en lui, mais en raison de son pouvoir de coercition sur la créature, par lequel cette relation est causée, de même aussi est-il dit uni parce qu’existe réellement en lui une personnalité à laquelle se termine l’union.

 [7682] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod unio illa praecessit in operibus sex dierum, non in ratione seminali, sed in potentia obedientiae tantum; sicut in costa Adae fuit ut ex ea Eva nasci posset.

3. Cette union a précédé les œuvres des six jours, non pas dans une raison séminale, mais dans la puissance obédientielle seulement, comme le fait qu’Ève pouvait naître se trouvait dans la côté d’Adam.

Articulus 3 [7683] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 3 tit. Utrum caro prius fuerit concepta quam assumpta

Article 3 – La chair a-t-elle été conçue avant d’être assumée ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La chair a-t-elle été conçue avant d’être assumée ?]

 [7684] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod caro prius fuerit concepta quam assumeretur. Quod enim non est, non potest assumi. Sed caro per conceptionem efficitur ens. Caro ergo prius fuit concepta quam assumeretur.

1. Il semble que la chair ait été conçue avant d’être assumée. En effet, ce qui n’existe pas ne peut pas être assumé. Or, la chair devient un être par la conception. La chair a donc été conçue avant d’être assumée.

 [7685] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, motus semper praecedit tempore terminum motus. Sed conceptio carnis terminata est ad unionem, sicut motus ad terminum. Ergo conceptio unionem praecessit.

2. Le mouvement précède toujours dans le temps le terme du mouvement. Or, la conception de la chair s’est terminée à l’union, comme un mouvement à son terme. La conception a donc précédé l’union.

 [7686] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, sola unione communicatio proprietatum efficitur, ut quod de homine dicitur, de filio Dei dicatur. Sed concipi proprie carnis est. Si ergo conceptio carnis unionem praecederet, filius Dei de virgine conceptus non esset; quod est contra symbolum. Ergo conceptio carnis unionem non praecessit.

Cependant, [1] la communication des idômes existe seulement en vertu de l’union, de sorte que ce qui est dit de l’homme est dit du Fils de Dieu. Or, être conçu relève au sens propre de la chair. Si donc la conception de la chair avait précédé l’union, le Fils de Dieu n’aurait pas été conçu par la Vierge, ce qui est contraire au symbole. La conception de la chair n’a donc pas précédé l’union.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La chair a-t-elle été assumée avant d’être animée ?]

 [7687] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod caro prius fuerit assumpta quam animata. Quod enim est primum in resolutione, est ultimum in compositione. Sed anima separata est a carne, adhuc manente unione carnis ad divinitatem. Ergo caro prius est assumpta a divinitate quam animaretur.

1. Il semble que la chair ait été assumée avant d’être animée. En effet, ce qui est premier dans la séparation est dernier dans la composition. Or, l’âme a été séparée de la chair, alors que demeurait l’union de la chair à la divinité. La chair a donc été assumée par la divinité avant d’être animée.

 [7688] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, anima, cum sit forma, requirit propriam materiam, scilicet corpus organicum in quo sit. Hoc autem fit per conceptionem carnis. Ergo conceptio praecedit animationem. Sed conceptio carnis simul est cum ipsius assumptione, ut probatum est. Ergo caro prius fuit assumpta quam animata anima rationali.

2. Puisque l’âme est une forme, elle demande une matière propre, à savoir un corps organique dans lequel elle puisse exister. Or, cela se réalise par la conception de la chair. La conception précède donc l’animation. Or, la conception de la chair se réalise en même temps que l’assomption elle-même, comme on l’a démontré. La chair a donc été assumée avant d’être animée par une âme raisonnable.

 [7689] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, caro unitur divinitati mediante anima, ut supra habitum est. Sed extremum non prius extremo conjungitur quam medio. Ergo caro non prius est divinitati unita quam animata.

Cependant, la chair est unie à la divinité par l’intermédiaire de l’âme, comme on l’a vu. Or, un extrême n’est pas uni à un [autre] extrême avant d’être uni à l’intermédiaire. La chair n’a donc pas été unie à la divinité avant d’être animée.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [L’âme a-t-elle été assumée avant d’être unie au corps ?]

 [7690] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod anima sit prius assumpta quam corpori conjuncta. Extremum enim prius conjungitur medio quam alteri extremorum. Sed divinitas unitur carni mediante anima. Ergo prius unitur animae quam carni. Sed simul divinitas et anima carni uniuntur. Ergo divinitas prius unitur animae quam carni.

1. Il semble que l’âme ait été assumée avant d’être unie au corps. En effet, un extrême est d’abord uni à un intermédiaire avant de l’être à un autre extrême. Or, la divinité est unie à la chair par l’intermédiaire de l’âme. Elle est donc unie à l’âme avant la chair. Or, la divinité et l’âme sont unies à la chair en même temps. La divinité est donc unie à l’âme avant de l’être à la chair.

 [7691] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, persona Christi ex tribus substantiis componi dicitur, scilicet ex divinitate, anima et carne: quorum supremum est deitas, et infimum est caro, anima autem est medium. Sed prius divinitas fuit quam animae et carni uniretur. Ergo si medium cum extremis communicat, videtur quod anima sit posterior deitate, et prior carne. Sed simul anima creata est et assumpta. Ergo anima prius est assumpta quam carni uniatur.

2. On dit que la personne du Christ est composée de trois substances : la divinité, l’âme et la chair. La plus élevée d’entre elles est la divinité, la plus infime est la chair, mais l’âme est intermédiaire. Or, la divinité existait avant d’être unie à l’âme et à la chair. Si l’intermédiaire a quelque chose en commun avec les extrêmes, il semble donc que l’âme soit postérieure à la divinité et antérieure à la chair. Or, l’âme a été créée en même temps qu’elle a été assumée. L’âme a donc été assumée avant d’être unie à la chair.

 [7692] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, anima non est prius assumpta quam creata; nec creata quam corpori infusa: quia creando corpori infunditur, et infundendo creatur. Ergo anima non est prius assumpta quam carni unita.

Cependant, l’âme n’a pas été assumée avant d’être créée, et elle n’a pas été créée avant d’être infusée dans le corps, car elle est infusée dans le corps en étant créée, et elle est créée en étant infusée. L’âme n’a donc pas été assumée avant d’être unie à la chair.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [7693] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum, quod nulla natura habet esse nisi in supposito suo: non enim humanitas potest esse nisi in homine: unde quidquid est in genere substantiae per se existens, rationem hypostasis habet, vel suppositi: et quia unio divinitatis et humanitatis fit in hypostasi, ut dicit Damascenus, ideo non potest esse ut quod assumptum est, prius fuerit quam assumeretur: nisi forte poneretur quod assumptio rationem hypostasis rei assumptae tolleret, quod est inconveniens; hoc enim sine corruptione assumpti accidere non posset. Et ideo nullum horum trium est possibile: scilicet nec ut caro concepta prius fuerit, et postmodum assumpta; nec ut anima prius creata, et postmodum assumpta; neque ut homo prius ex suis partibus constitutus sit, et postmodum assumptus. Sicut autem ex dictis patet, corpus assumptibilitatem habet ab anima; similiter etiam partes essentiales assumptibilitatem habent ex ratione, cujus sunt partes naturae. Unde etiam utrumque horum est impossibile, ut scilicet anima prius sit creata et assumpta, et postmodum corpori conjuncta; et etiam quod caro prius sit concepta et assumpta, et postmodum animae unita: sed haec quatuor necesse est simul fuisse, scilicet conceptionem carnis, creationem animae, conjunctionem utriusque, et unionem ad deitatem. Unde patet responsio ad primam quaestionem: non enim fuit possibile quod caro prius fuerit concepta, et postmodum assumpta; quia si ante assumptionem concepta fuisset, propriam hypostasim habuisset; et tunc post assumptionem, vel mansisset illa hypostasis, et sic non potuisset fieri unio in hypostasi; vel non mansisset, et hoc sine corruptione carnis prius conceptae accidere non posset: ratio enim hypostasis non est accidentalis rei, ut re eadem numero manente alia hypostasis esse possit.

Aucune nature n’a l’être que dans son suppôt. En effet, l’humanité ne peut exister que dans un homme. Tout ce qui fait partie du genre de la substance existant par soi a donc raison d’hypostase ou de suppôt. Et parce que « l’union de la divinité et de l’humanité se réalise dans l’hypostase », comme le dit [Jean] Damascène, il ne peut donc se faire que ce qui a été assumé ait existé avant d’être assumé, sans affirmer que l’assomption enlèverait la raison d’hypostase à la réalité assumée, ce qui est inapproprié. En effet, cela ne pourrait arriver sans corruption de ce qui est assumé. Aussi aucune de ces trois choses n’est-elle possible : que la chair ait d’abord été conçue, puis assumée ; que l’âme ait d’abord été créée, et ensuite assumée ; que l’homme ait d’abord été constitué de ses parties, et ensuite assumé. Or, comme il ressort de ce qui a été dit, le corps tient de l’âme son aptitude à être assumé. De même aussi, les parties essentielles tiennent leur aptitude à être assumées de la raison, dont elles sont naturellement les parties. Aussi ces deux choses sont-elles aussi impossibles : que l’âme ait été créée et assumée, et ensuite unie au corps ; que la chair ait été conçue et assumée, et ensuire unie à l’âme. Mais ces quatre choses doivent s’être réalisées en même temps : la conception de la chair, la création de l’âme, l’union des deux et l’union à la divinité. La réponse à la première question est donc claire. En effet, il n’était pas possible que la chair soit d’abord conçue, et ensuite assumée, car si elle avait été conçue avant d’être assumée, elle aurait eu une hypostase propre ; et alors, après l’assomption, soit cette hypostase serait demeurée, et ainsi l’union dans l’hypostase n’aurait pas pu se réaliser ; soit elle ne serait pas demeurée, et cela ne pourrait se produire sans la corruption de la chair d’abord assumée : en effet, la raison d’hypostase n’appartient pas à une réalité accidentelle, de sorte que, une chose demeurant numériquement la même, il pourrait y avoir une autre hypostase.

 [7694] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis illud quod non est, non possit assumi, tamen possibile est ut in eodem instanti in quo esse habet, assumatur, ut sic esse rei assumptae non praecedat assumptionem tempore, sed natura.

1. Bien que ce qui n’existe pas ne puisse être assumé, il est cependant possible que, dans le même instant où cela obtient l’être, cela soit assumé, de sorte que l’être de la chose assumée ne précède pas l’assomption dans le temps, mais par nature.

 [7695] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis motus secundum principium sui vel medium, non possit esse simul cum eo ad quod motus terminatur, tamen ultimum motus potest esse simul cum eo; sicut alteratio terminatur ad generationem, ita quod in eodem instanti in quo alteratio terminatur, forma substantialis introducitur: ita etiam in eodem instanti in quo conceptio terminatur, quando caro primo concepta est, tunc assumi potest. Et quia conceptio in instanti facta est, non differebat in ea primum medium et terminus: et ideo simpliciter loquendo conceptio simul fuit cum assumptione.

2. Bien que le mouvement, selon son principe ou son milieu, ne puisse exister en même temps que ce à quoi se termine le mouvement, le point ultime du mouvement peut cependant exister en même temps que lui, comme l’altération se termine à la génération, de sorte que, dans le même instant où l’altération se termine, la forme substantielle soit introduite. De même aussi, dans le même instant où se termine la conception, la chair peut-elle être assumée au premier instant où elle a d’abord été conçue. Et parce que la conception s’est réalisée dans l’instant, il n’y avait pas de différence entre un premier intermédiaire et le terme. À parler simplement, la conception s’est donc réalisée en même temps que l’assomption.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [7696] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem patet etiam responsio ex praedictis. Non enim est possibile ut caro prius assumpta sit, et postmodum animata, propter duo: tum quia assumptibilitatem habet ab anima, quam sibi anima conferre non potest antequam ei uniatur; tum etiam quia partes assumptibilitatem habent a toto, ut prius dictum est.

La réponse ressort aussi de ce qui a été dit. En effet, il n’est pas possible que la chair soit d’abord assumée, et ensuite animée, pour deux raisons : parce qu’elle tient de l’âme son aptitude à être assumée, que l’âme ne peut lui donner avant de lui être unie ; et parce que les parties tiennent du tout leur aptitude à être assumées, comme on l’a dit antérieurement.

 [7697] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod corpus assumptibile est, secundum quod ordinem habet ad animam et ad totum; quem ordinem habere non potest nisi postquam animae unitum est, et actu pars humanae naturae effectum; et tamen separata anima et dissoluto toto, adhuc remanet ille ordo in corpore secundum spem resurrectionis; sicut et habitus acquisitus, ut virtus politica, causatur per actualem operationem, et tamen transeunte actuali operatione remanet habitus. Unde patet quod corpus non potest assumi antequam animae uniatur; et tamen si anima separaretur post unionem, remanebit caro nihilominus assumpta, et divinitati unita.

1. Le corps peut être assumé selon qu’il est ordonné à l’âme et au tout ; il ne peut avoir cet ordre qu’après avoir été uni à l’âme et être devenu une partie de la nature humaine. Cependant, une fois l’âme séparée et le tout dissous, cet ordre demeure encore dans le corps par l’espérance de la résurrection, comme un habitus acquis, telle la vertu politique, est causé par une opération actuelle, et cependant, l’opération actuelle passant, l’habitus demeure. Il est donc clair que le corps ne peut être assumé avant d’être uni à l’âme ; cependant, si l’âme est séparée après l’union, la chair demeurera assumée et unie à la divinité.

 [7698] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod forma praesupponit materiam propriam et dispositam, non ordine temporis, sed ordine naturae: quia in eodem instanti in quo materiae fit necessitas, idest in ultimo instanti dispositionis, inducitur forma substantialis: et ideo non oportet quod prius tempore caro sit concepta quam animae uniatur.

2. La forme présuppose une matière propre et disposée, non pas selon un ordre temporel, mais selon un ordre de nature, car, dans le même instant où une nécessité apparaît dans la matière, c’est-à-dire dans l’instant ultime de la disposition, la forme substantielle est introduite. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que la chair soit d’abord conçue dans le temps avant d’être unie à l’âme.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [7699] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem patet responsio ex praedictis. Non enim potuit anima prius assumi quam carni uniretur, cum assumptibilis sit per hoc quod est pars humanae naturae.

La réponse ressort de ce qui a été dit. En effet, l’âme ne pouvait être assumée avant d’être unie à la chair, puisqu’elle est apte à être assumée par le fait qu’elle est une partie de la nature humaine.

 [7700] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod extremum non semper prius tempore conjungitur medio quam alteri extremorum: simul enim tempore aer patitur a colore, et visus; sed tamen aer prius patitur ordine naturae, quia passio aeris causat passionem visus. Similiter etiam non est necessarium quod prius tempore deitas sit unita animae quam carni.

1. Un extrême n’est pas toujours d’abord uni dans le temps avec un intermédiaire avant de l’être à l’autre extrême. En effet, l’air et la vue subissent en même temps la couleur ; cependant, l’air le subit en premier selon l’ordre temporel, car ce que subit l’air cause ce que subit la vision. De même aussi, il n’est pas nécessaire que la divinité soit d’abord unie dans le temps à l’âme plutôt qu’à la chair.

 [7701] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod anima quamvis sit dignior corpore, est tamen forma corporis. Formae autem non est ut tempore materiam praecedat, sed dignitate tantum. Divinitas autem non unitur humanae naturae ut forma. Unde non est similis ratio utrobique.

2. Bien que l’âme soit plus digne que le corps, elle est cependant la forme du corps. Or, il ne revient pas à la forme de précéder la matière dans le temps, mais en dignité seulement. Or, la divinité n’est pas unie à la nature humaine en tant que forme. Le raisonnement n’est donc pas le même dans les deux cas.

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Distinction 2

 [7702] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 3 expos. Quod autem humanae naturae sive humanitatis vocabulo anima et caro intelligi debeant, aperte docet Hieronymus. Non est intelligendum per humanitatem anima et corpus, quasi proprie dici possit, humanitas est anima et corpus; sed sicut in toto intelliguntur partes, ut in domo paries et tectum, quae tamen de toto non praedicantur: unde etiam in auctoritate beati Hieronymi subditur: humanitas, quae ex anima continetur et corpore; non dicit: quae est anima et corpus. Errant ergo qui nomine humanitatis non substantiam, sed proprietatem quamdam a qua homo nominatur, significari contendunt. Per hanc proprietatem, quae ab eis humanitas dicitur, potest intelligi forma consequens partium compositionem, scilicet corporis et animae, in qua sicut in natura communi omnia individua communicant. Forte enim qui hoc posuerunt, sapiebant opinionem Platonis, qui posuit formas universales in actu habere esse in natura praeter materiam. Sic enim secundum eum, ut philosophus in 1 Metaph. dicit, forma hominis erat sine carnibus et ossibus, et sine aliis partibus ejus; et talem humanitatem sine corpore et anima isti assumptam ponebant: et contra tales Damascenus dicit in Lib. 3 cap. 11: neque eam quae nuda contemplatione consideratur, naturam assumpsit: non enim incarnatio esset, sed deceptio et fictio incarnationis. Vel tangit, ut quidam dicunt, opinionem eorum qui dicebant, Christum, secundum quod est homo, non esse quid, sed qualiter se habens: quod infra tangetur, dist. 6. Quod evidenter idem Joannes ostendit. Sciendum, quod Magister accipit verba Joannis Damasceni, sed non sensum: inducit enim Damascenus haec verba ad confutandum errorem eorum qui dicebant in Christo unam tantum naturam esse, quasi confectam ex divinitate et humanitate, sicut una quaedam natura conficitur ex anima et corpore; quae signatur cum dicitur omnes homines esse ejusdem naturae: non ita quod in quolibet eorum anima et corpus sint unius naturae ad invicem comparata, sed quia ex his duobus una natura conficitur, in qua omnes conveniunt. Sed non ita est in Christo quod ex humanitate et divinitate una communis natura resultet, quae sit quasi communis species de pluribus praedicata, quae divinitatem et humanitatem simul habeant. Magister autem assumit haec verba ad impugnandum positionem eorum qui proprietatem quae humanitas dicitur, assumptam dicebant. Humanitas enim si consideretur ut communis, species est quae in pluribus invenitur; secundum quem modum omnium hominum dicitur una natura. Sic autem communis species humanitatis in Christo non est: non enim humanitas Christi est communis in actu, sed est humanitas singularis. Neque enim factus est, nec est, nec aliquando fiet alius. Videtur quod haec probatio nulla sit: multae enim species sunt quae non nisi de uno individuo praedicantur, ut sol et luna. Sed dicendum ad hoc, quod secundum intentionem Magistri facile est respondere. Omnis enim species quae participatur a multis individuis, praedicatur de omnibus eis: unde si species humana, prout est communis, esset quid subsistens praeter singularia, ipsa de omnibus praedicaretur; unde si talem humanitatem Christus assumpsisset, homo qui est Christus, de omnibus hominibus praedicaretur. Secundum intentionem vero Damasceni aliter est dicendum, quod omnis natura communis inquantum hujusmodi, in multis inveniri potest: sed si aliqua species sit quae in uno tantum est individuo, hoc est propter aliquid aliud, quod non est de intellectu illius naturae: unde possibile est intelligere plures soles. Sed singulare habet incommunicabilitatem per id quod est de ratione ejus, scilicet per materiam, quae esset pars definitionis ejus, si definiretur, ut ex 8 Metaph. patet. Unde non est possibile intelligi hunc hominem de pluribus praedicari. Unde patet quod illud quod nec actu nec intellectu de pluribus dici potest, est singulare. Hujusmodi autem est Christus: quare hoc nomen Christus non significat unam naturam communem resultantem ex unione divinitatis et humanitatis, sed unam hypostasim subsistentem in utraque natura. Omnia quae in nostra natura plantavit Deus, verbum assumpsit. Intelligendum est de his quae sunt de ratione humanae naturae sicut principia essentialia ipsius, vel etiam ea quae ex principiis essentialibus consequuntur ut naturales proprietates: unde non est instantia de immortalitate, quae gratis primo homini concessa est. Et tamen praedicant istum visibilem solem radios suos per omnes faeces et sordes corporum spargere, et eos mundos et sinceros servare. Responsio, quare sol non inficitur ex hoc quod radios suos per faeces spargit, haec est: quia non communicat cum aliis corporibus in materia, ut simul agens patiatur, sicut ea quae in materia communicant, dum agunt, patiuntur, ut in 1 de Gener. dicitur. Anima autem communicat corpori in materia, non ex qua fit anima, sed in qua fit; et ideo ex conjunctione ad corpus inficitur. Divinitas autem non communicat cum corpore neque in materia ex qua, cum omnino sit immaterialis, neque sicut materia in qua, cum non uniatur corpori sicut forma ejus.

 

 

 

Distinctio 3

Distinction 3 – [La qualité de ce qui a été assumé]

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [La sanctification de la bienheureuse Vierge]

Prooemium

Prologue

 [7703] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 pr. Ostenso quid filius Dei in humana natura, et quo ordine assumpserit, hic ostendit quale sit quod assumptum est; et dividitur in duas partes: in prima parte determinat veritatem; in secunda movet quasdam dubitationes circa veritatem determinatam, ibi: cum autem illa caro, cujus excellentia verbis explicari non valet, antequam esset verbo unita, obnoxia fuerit peccato in Maria, et in aliis a quibus propagatione traducta est, non immerito videri potest in Abraham peccato subjacuisse. Prima dividitur in duas partes: in prima determinat conditionem carnis assumptae, quae fuit in ea per operationem spiritus sancti; in secunda determinat conditionem matris de qua assumpta est, ibi: Mariam quoque totam spiritus sanctus in eam superveniens purgavit. Circa primum duo facit: primo movet quaestionem; secundo determinat eam, ibi: sane dici potest. Mariam quoque totam spiritus sanctus (...) purgavit. Hic ostendit conditionem matris; et circa hoc tria facit: primo determinat conditionem ejus ante conceptionem carnis assumptae; secundo conditionem ipsius in ipsa conceptione, ibi: potentiam quoque generandi absque viri semine virgini praeparavit; tertio conditionem ejus post conceptionem, ibi: quod autem sacra virgo ex tunc ab omni peccato immunis extiterit, Augustinus evidenter ostendit. Circa secundum duo facit: primo determinat quid collatum fuerit beatae virgini in conceptione salvatoris; secundo ex dictis quamdam conclusionem elicit, ibi: ex his perspicuum fit quod ante diximus. Hic est triplex quaestio: prima de sanctificatione beatae virginis. Secunda de potentia generativa qua salvatorem concepit. Tertia de Annuntiatione quae per Angelum facta est. De conditione enim carnis assumptae in sequenti parte distinctionis quaeretur. Circa primum quaeruntur duo: 1 de tempore sanctificationis; 2 de effectu ipsius. De sanctificatione enim aliorum quaestio pertinet ad quartum librum dist. 6.

Après avoir montré ce que le Fils de Dieu a assumé dans la nature humaine et selon quel ordre, ici, [le Maître] montre la qualité de ce qui a été assumé. Il y a deux parties : dans la première, il détermine de la vérité ; dans la seconde, il soulève certains doutes à propos de la vérité déterminée, à cet endroit : « Puisque cette chair, dont l’excellence ne peut être expliquée par des paroles, avant d’être unie au Verbe, a été exposée au péché en Marie et chez les autres dont elle a été tirée par génération, il peut donc sembler juste qu’elle ait été soumise au péché en Abraham. » La première partie est divisée en deux parties : dans la première, il détermine de la condition de la chair assumée, qui se trouva en [Marie] par l’opération de l’Esprit Saint ; dans la seconde, il détermine de la condition de la mère dont elle a été assumée, à cet endroit : « L’Esprit Saint a, par sa venue en elle, purifié Marie tout entière. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il soulève une question ; deuxièmement, il en détermine, à cet endroit : « On peut dire correctement… » « L’Esprit Saint a, par sa venue en elle, purifié Marie tout entière. » Ici, il montre la condition de la mère. À ce propos, il fait trois choses. Premièrement, il détermine de sa condition avant la conception de la chair assumée ; deuxièmement, de sa condition lors de sa conception même, à cet endroit : « Il a préparé pour la Vierge la capacité d’engendrer sans la semence d’un homme » ; troisièmement, de sa condition après sa conception, à cet endroit : « Augustin montre clairement que la Vierge sainte a été exempte de tout péché à partir de ce moment. » À propos du deuxieme point, il fait deux choses : premièrement, il détermine de ce qui a été donné à la bienheureuse Vierge dans la conception du Sauveur ; deuxièmement, il tire une conclusion de ce qui a été dit, à cet endroit : « À partir de cela, ce que nous avons dit plus haut devient manifeste. » Ici, il y a trois questions : la première, sur la sanctification de la bienheureuse Vierge ; la deuxième, sur la puissace génératrice par laquelle elle a conçu le Sauveur ; la troisième, sur l’Annonciation qui a été faite par l’ange. En effet, on s’interrogera sur la condition de la chair assumée dans la partie suivante. À propos du premier point, deux questions sont posées : 1 – Sur le moment de la sancntification ; 2 – Sur son effet. En effet, la question de la sanctification des autres relève du livre IV, d. 6.

 

 

Articulus 1 [7704] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1 tit. Utrum beata virgo fuerit ante sanctificata quam conceptio ejus finiretur

Article 1 – La bienheureuse Vierge a-t-elle été sanctifiée avant que sa conception ne soit terminée ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La bienheureuse Vierge a-t-elle été sanctifiée avant que la conception de sa chair ne soit terminée ?]

 [7705] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod beata virgo sanctificata fuerit antequam conceptio carnis ejus finiretur. Sicut enim dicit apostolus Roman. 11, 16: si radix sancta, et rami. Sed parentes comparantur ad prolem conceptam, sicut radix ad ramos. Ergo sanctificatis parentibus virginis sanctificatio ad ipsam pervenisset. Sed si in parentibus sanctificata esset, sanctificatio conceptionem ejus praecessisset. Cum ergo credendum sit ei collatum esse quidquid conferri potuit, videtur quod ante conceptionem sanctificata sit.

1. Il semble que la bienheureuse Vierge n’ait pas été sanctifiée avant que la conception de sa chair n’ait été terminée. En effet, comme le dit l’Apôtre, Rm 11, 16 : Si la racine est sainte, le rameau l’est aussi. Or, les parents se comparent à la descendance conçue comme la racine aux rameaux. La sanctification de la Vierge lui serait donc parvenue depuis ses parents sanctifiés. Or, si elle avait été sanctifiée dans ses parents, sa sanctification aurait précédé sa conception. Puisqu’il faut croire que lui a été donné tout ce qui pouvait être donné, il semble donc qu’elle ait été sanctifiée avant sa conception.

 [7706] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, bonum est efficacius ad agendum quam malum, cum malum non agat nisi in virtute boni, ut dicit Dionysius. Sed per peccatum primi parentis infectio originalis peccati in omnes homines pertransit. Ergo multo fortius per sanctificationem parentum beata virgo sanctificari potuit; et sic idem quod prius.

2. Le bien a une action plus efficace que le mal, puisque « le mal n’agit qu’en vertu du bien », comme le dit Denys. Or, par le péché du premier parent, l’infection du péché originel est passée dans tous les hommes. À bien plus forte raison, la bienheureuse Vierge a donc pu être sanctifiée par la sanctification de ses parents. La conclusion est ainsi la même que précédemment.

 [7707] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, id quod est meritorium, gratiae sanctificationi non repugnat. Sed actus matrimonialis meritorius esse potest. Ergo in ipso concubitu matrimoniali parentum beatae virginis ipsa sanctificari potuit.

3. Ce qui est méritoire ne s’oppose pas à la sanctification de la grâce. Or, l’acte matrimonial peut être méritoire. La bienheureuse Vierge a donc pu être sanctifiée par l’union charnelle même de ses parents.

 [7708] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, quod non est, non potest sanctificari. Sed beata virgo non fuit antequam conciperetur in utero matris suae. Ergo non potuit ante conceptionem sanctificari.

Cependant, [1] ce qui n’existe pas ne peut pas être sanctifié. Or, la bienheureuse Vierge n’existait pas avant d’avoir été conçue dans le sein de sa mère. Elle ne pouvait donc pas être sanctifiée avant d’avoir été conçue.

 [7709] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, unigenito Dei filio singularis conceptio et partus debebatur. Sed Christi conceptio ex virgine matre fuit sine commixtione viri. Ergo non decuit ut mater ejus conciperetur nisi per sexuum commixtionem. Sed post statum naturae corruptae non potuit esse commixtio sexuum sine libidine. Cum ergo libido illa quae est filia peccati, ex peccato primorum parentum proveniens, sit causa originalis peccati in prole, ut Augustinus dicit, videtur quod non potuit beata virgo sanctificari nisi post conceptionem.

 [2] Une conception et un enfantement uniques étaient dus au Fils unique de Dieu. Or, la conception du Christ par sa mère vierge a été réalisée sans l’intervention d’un homme. Il ne convenait donc pas que sa mère n’ait été conçue que par l’union des sexes. Or, après l’état de la nature corrompue, il ne pouvait y avoir d’union des sexes sans dépravation. Puisque la dépravation, qui est fille du péché et provient du péché des premiers parents, est la cause du péché originel dans leur descendance, ainsi que le dit Augustin, il semble donc que la bienheureuse Vierge ne pouvait être sanctifiée qu’après sa conception.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La bienheureuse Vierge a-t-elle été sanctifiée avant d’être animée ?]

 [7710] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod ante animationem sanctificata fuerit. Ambrosius enim dicit Lucae 1 de Joanne Baptista: nondum illi inerat spiritus vitae, et jam inerat spiritus gratiae. Sed spiritus vitae anima est. Ergo in Joanne Baptista gratia animam praevenit. Sed quod Joanni Baptistae concessum est, dubitari non debet beatae virgini concessum esse. Ergo et ipsa ante animationem sanctificata fuit.

1. Il semble qu’elle ait été sanctifiée avant d’être animée. En effet, Ambroise dit à propos de Jean-Baptiste, Lc 1 : « L’esprit de vie n’était pas encore en lui, et déjà l’Esprit de la grâce était en lui. » Or, l’esprit de vie est l’âme. La grâce a donc précédé l’âme chez Jean-Baptiste. Or, ce qui a été accordé à Jean-Baptiste, on ne doit pas douter que cela ait été accordé à la bienheureuse Vierge. Elle aussi a donc été sanctifiée avant d’être animée.

 [7711] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, Hierem. 1, 5, dicitur: ante quam te formarem in utero, novi te: nec loquitur ibi de notitia qua bonos et malos cognoscit: quia per hoc nulla praerogativa ostenderetur ipsius Hieremiae, ad quem dicta verba proferuntur. Ergo oportet intelligi de notitia approbationis. Sed haec notitia est solum bonorum et habentium gratiam. Ergo Hieremias antequam formaretur, gratiam habuit: ergo et antequam animaretur: quia anima non infunditur nisi formato puerperio. Ergo multo amplius ante animationem beata virgo sanctificata fuit.

2. Il est dit en Jr 1, 5 : Je t’ai connu avant de te former dans le sein, et il ne parle pas là de la connaissance par laquelle [le Seigneur] connaît les bons et les méchants, car on ne montrerait ainsi aucune prérogative de Jérémie lui-même, à qui les paroles rappelées sont adressées. Il faut donc l’entendre de la connaissance d’approbation. Or, cette connaissance porte seulement sur les bons et sur ceux qui ont la grâce. Jérémie a donc eu la grâce avant d’être formé, donc, avant d’être animé, car l’âme n’est infusée qu’une fois le fœtus formé. À bien plus forte raison, la bienheureuse Vierge a donc été sanctifiée avant d’être animée.

 [7712] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, Anselmus in libro de conceptu virginali dicit: decebat ut illius hominis conceptio de matre purissima fieret, quae ea puritate niteret qua major sub Deo nequit intelligi. Sed major puritas fuisset in ea, si anima ejus nunquam infectionem peccati originalis habuisset, quam si ad aliquod tempus habuerit et postmodum mundata fuerit. Ergo anima illa nunquam originali peccato infecta fuit. Aut igitur caro sanctificata fuit ante animationem; vel saltem in ipso instanti infusionis anima gratiam suscepit per quam immunis a peccato originali esset.

 

3. Dans son livre sur La conception de la Vierge, Anselme dit : « Il convenait que la conception de cet homme s’accomplisse chez la mère la plus pure, qui brillait d’une pureté dont on ne peut comprendre qu’il en existe de plus grande [parmi les êtres] soumis à Dieu. » Or, il aurait existé une pureté plus grande en elle si son âme n’avait jamais été infectée par le péché originel, plutôt que de l’avoir pendant un certain temps et d’en être purifiée par la suite. Cette âme n’a donc jamais été infectée par le péché originel. Sa chair a donc été sanctifiée avant son animation, ou, tout au moins, son âme a reçu, à l’instant même de son infusion, la grâce par laquelle elle serait exempte du péché originel.

 [7713] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, in partibus hominis est talis ordo quod anima est Deo propinquior quam corpus. Sed virtus alicujus agentis prius pervenit ad ea quae sunt sibi propinquiora, et per ea ad magis distantia. Ergo gratia sanctificationis a Deo venit ad corpus per animam: ergo antequam animaretur sanctificari non potuit.

Cependant, [1] il existe dans les parties de l’homme un ordre tel que l’âme est plus proche de Dieu que le corps. Or, la puissance d’un agent parvient d’abord à ce qui est plus proche de lui et, par l’intermédiaire de ceci, à ce qui est plus distant. La grâce de la sanctification vient donc au corps par l’intermédiaire de l’âme. Elle ne pouvait donc être sanctifiée avant d’avoir une âme.

 [7714] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, contraria nata sunt fieri circa idem. Sed gratia sanctificationis praecipue originali peccato opponitur. Cum ergo ante animationem in prole peccatum originale esse non possit, quia proprium subjectum culpae est anima rationalis, videtur quod ante animationem beata virgo sanctificata non fuerit.

 [2] Les contraires doivent exister à propos d’une même chose. Or, la grâce de la sanctification s’oppose surtout au péché originel. Puisqu’il ne pouvait y avoir de péché originel dans la descendance avant l’animation, car le sujet propre de la faute est l’âme raisonnable, il semble donc que la bienheureuse Vierge n’ait pas été sanctifiée avant d’avoir une âme.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La bienheureuse Vierge a-t-elle été sanctifiée avant sa naissance ?]

 [7715] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur, quod nec etiam ante nativitatem ex utero. Sicut enim dicit Augustinus ad Dardanum, sanctificatio qua singuli efficimur templum Dei, non nisi renatorum est. Nemo autem renascitur nisi prius nascatur. Ergo nullus habet gratiam antequam nascatur. Sed sanctificatio est effectus gratiae. Ergo beata virgo in utero matris sanctificata non fuit.

1. Il semble que [la bienheureuse Vierge n’ait pas été sanctifiée] non plus avant sa naissance. En effet, comme le dit Augustin à Dardanus, « la sanctification par laquelle chacun de nous devient le temple de Dieu n’est le fait que de ceux qui sont nés de nouveau ». Or, personne ne renaît s’il n’est d’abord né. Personne n’a donc la grâce avant de naître. Or, la sanctification est l’effet de la grâce. La bienheureuse Vierge n’a donc pas été sanctifiée dans le sein de sa mère.

 [7716] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 2 Si dicatur quod est duplex nativitas, scilicet nativitas in utero, quae conceptio dicitur, et nativitas ex utero, quae communiter nativitas nominatur, et beatae virginis regenerationem sanctificationis praecessit nativitas in utero, sed non nativitas ex utero: contra. Dominus Joan. 3, 7, generationem spiritualem, quae est ex aqua et spiritu, vocat secundam, dicens: oportet vos nasci denuo. Sed si duae nativitates carnales praecessissent, spiritualis non diceretur secunda, sed tertia. Ergo non est duplex nativitas, ut dictum est.

2. Si l’on dit qu’il y a une double naissance : la naissance dans le sein, qu’on appelle conception, et la naissance hors du sein, qui est généralement appelée naissance, et que sa naissance dans le sein a précédé la régénération sanctificatrice de la bienheureuse Vierge, mais non sa naissance hors du sein, on objectera que le Seigneur, en Jn 3, 7, appelle la seconde naissance une génération spirituelle, réalisée par l’eau et l’Esprit, lorsqu’il dit : Il vous faut naître de nouveau. Or, si deux naissances charnelles avaient précédé, on ne dirait pas que la naissance spirituelle est la seconde, mais la troisième. Il n’existe donc pas deux naissances, ainsi qu’on l’a dit.

 [7717] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, beatus Hieronymus dicit: non mihi credas si tibi aliquid dixero quod ex veteri vel novo testamento haberi non possit. Sed de sanctificatione beatae virginis in utero nihil dicitur in veteri vel novo testamento. Ergo non est credendum eam in utero sanctificatam fuisse.

3. Le bienheureux Jérôme dit : « Ne me crois pas si je te dis quelque chose qu’on ne peut trouver dans l’Ancien et le Nouveau Testament. » Or, rien n’est dit, dans l’Ancien et le Nouveau Testament, de la sanctification de la bienheureuse Vierge dans le sein. Il ne faut donc pas croire qu’elle a été sanctifiée dans le sein.

 [7718] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, Ecclesia non solemnizat nisi pro aliquo sancto. Solemnizat autem nativitatem beatae virginis. Ergo beata virgo sancta nata fuit. Ergo antequam ex utero nasceretur, sanctificata fuit.

Cependant, [1] l’Église ne célèbre solennellement que celui qui est saint. Or, elle célèbre solennellement la naissance de la bienheureuse Vierge. La bienheureuse Vierge est donc née sainte. Avant qu’elle soit née hors du sein, elle a donc été sanctifiée.

 [7719] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, Lucae 1, 15, de Joanne Baptista dicitur: spiritu sancto replebitur adhuc ex utero matris suae. Sed plus gratiae collatum est beatae virgini quam alicui sanctorum, ut in littera ex verbis Augustini dicitur. Ergo beata virgo adhuc in utero matris spiritu sancto repleta fuit: ergo et sanctificata.

 [2] Il est dit de Jean-Baptiste en Lc 1, 15 : Il sera rempli de l’Esprit Saint alors qu’il sera dans le sein de sa mère. Or, la bienheureuse Vierge a reçu une plus grande grâce qu’un autre saint, comme on le dit dans le texte à partir de paroles d’Augustin. La bienheureuse Vierge a donc été remplie de l’Esprit Saint, alors qu’elle était encore dans le sein de sa mère ; elle a donc été sanctifiée.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [7720] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum, quod, sicut dicit Dionysius, sanctitas est ab omni immunditia libera et perfecta et immaculata munditia; unde cum sanctificari sit sanctum fieri, oportet quod sanctificatio emundationem ab immunditia spirituali ponat, prout nunc de sanctificatione loquimur. Emundatio autem a spirituali macula, scilicet culpa, sine gratia esse non potest, sicut et tenebra non nisi per lucem fugatur; unde sanctificatio tantum ad eos pertinet qui gratiae capaces sunt: et quia proprium subjectum gratiae est rationalis natura; ideo ante infusionem animae rationalis beata virgo sanctificari non potuit et cetera. Ad primam ergo quaestionem dicendum, quod nullo modo in parentibus sanctificari potuit, neque etiam in ipso actu conceptionis ejus. Conditio enim specialis personalis a parentibus in prolem non transit, nisi sit ad naturam corporalem pertinens; ut grammatica patris in filium non transit, quia perfectio personalis est. Unde et sanctificatio parentum in beatam virginem transfundi non potuit, nisi curatum esset in eis non solum id quod personae est, sed etiam id quod est naturae inquantum hujusmodi: quod quidem Deus facere potuit, sed non decuit. Perfecta enim naturae curatio ad perfectionem gloriae pertinet; et ideo sic in statu viae parentes ejus curati non fuerunt ut prolem suam sine originali peccato concipere possent; et ideo beata virgo in peccato originali fuit concepta, propter quod b. Bernardus ad Lugdunenses scribit conceptionem illius celebrandam non esse, quamvis in quibusdam Ecclesiis ex devotione celebretur, non considerando conceptionem, sed potius sanctificationem: quae quando determinate fuerit, incertum est.

Comme le dit Denys, « la sainteté est libre de toute impureté et elle est une pureté parfaite et immaculée ». Puisque être sanctifié, c’est devenir saint, il est donc nécessaire que la sanctification comporte une purification de toute impureté, au sens où nous parlons ici de sanctification. Or, la purification d’une souillure spirituelle, la faute, ne peut exister sans la grâce, comme les ténèbres ne sont fuies que par la lumière. Aussi la sanctification ne concerne-t-elle que ceux qui sont capables de la grâce. Et parce que le sujet propre de la grâce est la nature raisonnable, la bienheureuse Vierge ne pouvait pas être sanctifiée avant l’infusion de son âme raisonnable, etc. En ce qui concerne la première question, il faut donc dire qu’elle ne pouvait aucunement être sanctifiée en ses parents, ni même dans l’acte même de sa conception. En effet, une condition personnelle spéciale n’est pas transmise à la descendance par les parents, sauf si elle se rapporte à la nature corporelle ; ainsi, la grammaire du père ne passe pas dans le fils, car c’est une perfection personnelle. Aussi la sanctification de ses parents ne pouvait-elle être infusée dans la bienheureuse Vierge, à moins que n’ait été guéri en eux, non seulement ce qui relève de la personne, mais aussi ce qui relève de la nature en tant que telle, ce que Dieu pouvait faire, mais qui ne convenait pas. En effet, la guérison parfaite de la nature relève de la perfection de la gloire ; c’est pourquoi ses parents n’ont pas été à ce point guéris qu’ils pouvaient concevoir leur descendance sans le péché originel. Aussi la bienheureuse Vierge a-t-elle été conçue avec le péché originel, raison pour laquelle le bienheureux Bernard écrit aux Lyonnais que la conception de celle-ni ne doit pas être célébrée, bien qu’elle ait été célébrée dans certaines églises par dévotion, en ne prenant pas en compte la conception, mais plutôt la sanctification, dont il est incertain à quel moment précis elle a été réalisée.

 [7721] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod si radix est sancta, secundum id quod est radix, et rami sunt sancti: quia non potest arbor bona fructus malos facere, Matth. 7, 18; unde apostolus vult ibi probare quod si antiqui patres sancti fuerunt per fidem et spem, populus ex eis secundum carnem descendens, sanctus erit, quando corda filiorum convertentur ad patres. Parentes autem beatae virginis radix ejus fuerunt per actum naturae propagationi deservientem. Unde nisi natura in eis sanctificata fuisset, non potuit ex eis sancta proles concipi, sed vitiata propter vitium naturae in eis remanens. Non autem fuit in eis natura sanctificata.

1. Si la racine est sainte, en tant qu’elle est une racine, les rameaux aussi sont saints, car un arbre bon ne peut produire des fruits mauvais, Mt 7, 18. Aussi l’Apôtre veut-il démontrer là que si les pères anciens étaient alors saints par la foi et l’espérance, le peuple, qui descend d’eux selon la chair, sera saint lorsque les cœurs des fils retourneront à leurs pères. Or, les parents de la bienheureuse Vierge ont été sa racine par l’acte qui sert à la transmission de la nature. À moins que la nature n’ait été sanctifiée chez eux, une descendance sainte ne pouvait donc être conçue à partir d’eux, mais [une descendance] viciée en raison du vice de nature qui demeurait en eux. Or, la nature n’a pas été sanctifiée chez eux.

 [7722] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod gratia sanctificans non omnino directe opponitur peccato originali, sed solum prout peccatum originale personam inficit: est enim gratia perfectio personalis; peccatum vero originale directe est vitium naturae; et ideo non oportet quod gratia sanctificans a parentibus traducatur, si peccatum originale traducatur; sicut et originalis justitia, cui directe opponitur, traducta fuisset.

2. La grâce sanctifiante ne s’oppose pas tout à fait directement au péché originel, mais seulement dans la mesure où le péché originel infecte la personne : en effet, la grâce est une perfection personnelle. Mais le péché originel est directement un vice de nature. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que la grâce sanctifiante soit transmise par les parents, alors que le péché originel est transmis, de même que la justice originelle, à laquelle elle s’oppose directement, aurait été transmise.

 [7723] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod concubitus quo beata virgo concepta fuit, meritorius creditur, non per gratiam omnino purgantem naturam, sed per gratiam perficientem personas parentum; et ideo non oportuit quod in prole concepta, statim sanctitas esset, non propter repugnantiam actus matrimonii ad sanctitatem, sed propter repugnantiam vitii naturae nondum curati.

3. On croit que le rapport sexuel, par lequel la bienheureuse Vierge a été conçue, était méritoire, non pas en raison de la grâce qui purifie entièrement la nature, mais en raison de la grâce qui perfectionne les personnes des parents. C’est pourquoi il n’était pas nécessaire que la sainteté se trouve aussitôt dans la descendance conçue, non pas en raison d’une opposition de l’acte du mariage à la sainteté, mais en raison de l’opposition d’un vice de nature non encore guéri.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [7724] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod sanctificatio beatae virginis non potuit esse decenter ante infusionem animae, quia gratiae capax nondum erat, sed nec etiam in ipso instanti infusionis, ut scilicet per gratiam tunc sibi infusam conservaretur, ne culpam originalem incurreret. Christus enim hoc singulariter in humano genere habet ut redemptione non egeat, quia caput nostrum est, sed omnibus convenit redimi per ipsum. Hoc autem esse non posset, si alia anima inveniretur quae nunquam originali macula fuisset infecta; et ideo nec beatae virgini, nec alicui praeter Christum hoc concessum est.

La sanctification de la Vierge ne pouvait avoir lieu convenablement avant l’infusion de l’âme, car elle n’était pas encore capable de la grâce, ni dans l’instant même de l’infusion, de sorte qu’elle soit préservée par la grâce infusée en elle d’encourir la faute originelle. En effet, le Christ seul dans le genre humain est tel qu’il n’a pas besoin de rédemption, car il est notre tête, mais il convient à tous d’êtres rachetés par lui. Or, cela ne pourrait être le cas si une autre âme se trouvait n’avoir jamais été infectée par la tache originelle. Aussi cela n’a-t-il été accordé ni à la bienheureuse Vierge, ni à quelqu’un d’autre, en dehors du Christ.

 [7725] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod haec verba de Joanne Baptista dicuntur pro tempore illo quando ad ingressum matris Dei exultavit in utero, quod fuit in sexto mense a conceptione ejus, ut verba Angeli ostendunt, Luc. 1; unde constat quod tunc animam rationalem habebat; et ideo vel per spiritum vitae non intelligitur anima rationalis, sed respiratio exterioris aeris; vel dicitur spiritus vitae si de anima intelligitur, nondum inesse, quia nondum manifestabatur, per modum quo dicuntur res fieri quando innotescunt.

1. Ces paroles sont dites de Jean-Baptiste au moment où il s’est réjoui dans le sein de l’arrivée de la mère de Dieu, ce qui se passa au sixième mois de sa conception, comme le montrent les paroles de l’ange, Lc 1. Il est donc clair qu’il avait alors une âme raisonnable. C’est pourquoi on n’entend pas par « l’esprit de vie » l’âme raisonnable, mais la respiration de l’air extérieur, ou bien on dit de « l’esprit de vie », si on l’entend de l’âme, n’est pas encore en lui parce qu’il n’a pas encore été manifesté, à la manière dont on dit que des choses arrivent lorsqu’elles sont connues.

 [7726] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod loquitur de notitia approbationis, quae quamvis sit tantum habentium gratiam, non tamen est eorum solum quando gratiam habent, sed ab aeterno; unde talis notitia potuit esse Hieremiae ante ejus formationem: non tamen sanctificatio; quae tamen esse potuit ante egressionem ex utero; et ideo tempus notitiae et sanctificationis distinguit dominus dicens: priusquam te formarem in utero, novi te; et antequam exires de ventre, sanctificavi te.

2. Il parle de la connaissance d’approbation, qui, bien qu’elle se trouve seulement chez ceux qui ont la grâce, ne leur appartient pas seulement lorsqu’ils ont la grâce, mais depuis l’éternité. Aussi une telle connaissance pouvait-elle appartenir à Jérémie avant qu’il ne soit formé, mais non la sanctification, qui a cependant pu exister avant la sortie du sein. Aussi le Seigneur distingue-t-il le temps de la connaissance et [le temps] de la sanctification, en disant : Avant que je ne t’aie formé dans le sein et avant que tu ne sortes du ventre, je t’ai sanctifié.

 [7727] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod haec puritas soli homini Deo debebatur, ut ipse quasi unicus redemptor humani generis nulla peccati servitute teneretur, cui competebat omnes a peccato redimere; unde non hanc puritatem, sed sub hac maximam virgo mater ejus habere debuit.

3. Cette pureté n’était due qu’à l’homme Dieu, afin que, en tant qu’unique rédempteur du genre humain, il ne soit lié par aucune servitude du péché, lui à qui il revenait de racheter tous [les hommes] du péché. Aussi la Vierge mère ne devait-elle pas posséder cette pureté, mais la plus grande après celle-ci.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [7728] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod beata virgo ante nativitatem ex utero sanctificata fuit, quod colligi potest ex hoc quod ipsa super omnes alios sanctos a peccato purior fuit, ut ex hac littera habetur, veluti divinae sapientiae mater electa, in quam nihil coinquinatum incurrit, ut dicitur Sap. 7. Unde cum haec puritas in quibusdam fuisse inveniatur ut ante nativitatem ex utero a peccato mundarentur, sicut de Joanne Baptista, de quo legitur Luc. 1, 15: spiritu sancto replebitur adhuc ex utero matris suae; et de Hieremia, de quo dicitur Hierem. 1, 5: priusquam exires de ventre, sanctificavi te; non est dubitandum hoc multo excellentius matri Dei collatum fuisse.

La bienheureuse Vierge a été sanctifiée dès le sein avant sa naissance, ce qui peut être tiré du fait qu’elle a été plus pure par rapport au péché que tous les autres saints, comme on le lit dans le texte, en tant que mère choisie par la sagesse divine, en laquelle elle n’encourt rien de souillé , comme il est dit dans Sg 7. Aussi, lorsqu’on trouve qu’une telle pureté se trouvait chez certains avant la naissance du sein, qu’ils étaient purifiés du péché, comme c’est le cas de Jean-Baptiste, dont il est dit en Lc 1, 15 : Il sera rempli de l’Esprit Saint dès le sein de sa mère, et de Jérémie, dont il est dit en Jr 1, 5 : Avant que tu sois sorti du ventre, je t’ai sanctifié, il ne faut pas douter que cela ait été donné de manière plus excellente à la mère de Dieu.

 [7729] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod verbum Augustini intelligendum est de regeneratione quae fit per legem communem, quod notatur in hoc quod dicit: qua singuli efficimur templum Dei; haec enim sanctificatio fit per sacramenta, quae per ministros Ecclesiae dispensantur, quorum operationi qui in maternis uteris sunt, subjacere non possunt. Sed Deus sacramentis gratiam non alligavit; unde praeter hunc modum in maternis uteris aliquos quodam privilegio sanctificat.

1. La parole d’Augustin doit s’entendre de la régénération qui se réalise selon la loi commune, qui est indiquée par ce qu’il dit : « … par laquelle nous devenons le temple de Dieu. » En effet, cette sanctification se réalise par les sacrements qui sont dispensés par les ministres de l’Église, et à l’action desquels ceux qui sont dans le sein maternel ne peuvent se soumettre. Or, Dieu n’a pas lié sa grâce aux sacrements. Aussi, en plus de cette manière, il en sanctifie certains par privilège dans le sein maternel.

 [7730] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod si regeneratio quae est per legem communem, sumatur, oportet verbum domini quod dicitur Joannis 3, 5: nisi quis renatus fuerit, intelligi de nativitate ex utero quae simpliciter nativitas dicitur, et hoc ipse textus sonare videtur, cum dicitur: ex aqua et spiritu. Si autem sumatur pro quacumque regeneratione gratiae, sic oportet intelligi de nativitate in utero. Non tamen oportet quod regeneratio spiritualis quae est per sacramenta, secunda dici non possit, quia illae duae in uno conveniunt, secundum quod contra tertiam dividuntur: utraque enim illarum naturalis est, haec vero spiritualis.

2. Si l’on prend la régénération qui se réalise selon la loi commune, il faut entendre de la naissance depuis le sein, qu’on appelle simplement naissance, la parole du Seigneur, dite en Jn 3, 5 : À moins qu’il ne soit né de nouveau. C’est cela que ce texte semble signifier, lorsqu’il est dit : De l’eau et de l’Esprit. Mais si on l’entend de n’importe quelle régénération de la grâce, alors il faut l’entendre de la naissance dans le sein. Toutefois, il n’est pas nécessaire que la régénération spirituelle qui se réalise par les sacrements ne puisse être appelée la seconde, pour autant qu’elle s’oppose à une troisième : en effet, ces deux-là sont naturelles, mais celle-là est spirituelle.

 [7731] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis sanctificatio beatae virginis in utero expresse in Scriptura veteris et novi testamenti non legatur; tamen pro certo haberi potest ex his quae ibi leguntur. Si enim Joannes et Hieremias, qui Christum praenuntiaverunt, sanctificati sunt, multo magis virgo quae Christum genuit.

3. Bien qu’on ne lise pas expressément, dans l’Écriture de l’Ancien et du Nouveau Testament, que la sanctification de la bienheureuse Vierge ait eu lieu dans le sein, on peut cependant le tenir pour certain à partir de ce qu’on y lit. En effet, si Jean et Jérémie, qui ont annoncé le Christ, ont été [ainsi] sanctifiés, à bien plus forte raison la Vierge qui a engendré le Christ.

 

 

Articulus 2 [7732] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 tit. Utrum beatissima virgo per sanctificationem in utero fuerit totaliter ab originali mundata

Article 2 – Par la sanctification dans le sein, la bienheureuse Vierge a-t-elle été entièrement purifiée du péché originel ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La mère de Dieu a-t-elle été entièrement purifiée du péché originel dans le sein ?]

 [7733] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur, quod per sanctificationem in utero Dei genitrix a peccato originali totaliter mundata non sit. Remota enim macula, reatus remanere non potest. Sed post sanctificationem originalis peccati adhuc reatus mansit in ea: quia si ante mortem Christi defuncta fuisset, divina visione caruisset. Ergo per sanctificationem a macula originali liberata non fuit.

1. Il semble que la mère de Dieu ait été entièrement purifiée du péché originel dès le sein. En effet, une fois la souillure enlevée, la culpabilité ne peut demeurer. Or, après avoir été été sanctifiée du péché originel, la culpabilité est encore demeurée en elle, car, si elle était morte avant la mort du Christ, elle aurait été privée de la vision de Dieu. Elle n’a donc pas été libérée de la souillure originelle par la sanctification.

 [7734] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, nihil quod ad virtutem promovet ei subtrahendum fuit cui virtutis perfectio debebatur. Sed fomes ad virtutem promovet; unde et Paulo petenti a se carnis stimulum amoveri, dictum est: virtus in infirmitate perficitur, 2 Cor., 12, 9. Ergo cum matrem Dei summa virtutis perfectio deceret, fomes ab ea per sanctificationem removeri non debuit.

2. Rien de ce qui meut à la vertu ne devait être enlevé à celle à qui était due la perfection de la vertu. Or, la convoitise pousse à la vertu ; aussi a-t-il été dit à Paul, qui demandait que l’aiguillon de la chair lui soit enlevé : La vertu s’accomplit dans la faiblesse, 2 Co 12, 9. Puisque la plus haute perfection de la vertu était due à la mère de Dieu, la convoitise ne devait donc pas lui être enlevée par la sanctification.

 [7735] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, in littera Magister dicit, quod caro Christi, antequam conciperetur, obnoxia fuit peccato, sicut et reliqua caro virginis. Sed caro non est peccato obnoxia nisi ratione fomitis. Ergo per sanctificationem in utero fomes ab ea remotus non fuit.

3. Dans le texte, le Maître dit que la chair du Christ, avant d’être conçue, était exposée au péché, comme le reste de la chair de la Vierge. Or, la chair n’est exposée au péché qu’en raison de la convoitise. La convoitise ne lui a donc pas été enlevée par la sanctification dans le sein.

 [7736] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 4 Sed contra, beatae virgini aliquid ultra legem communem conferendum fuit. Sed sanctificatio quae fit per legem communem, aufert culpae maculam, fomite remanente. Ergo in beata virgine fomitem ex toto removit.

4. Quelque chose qui dépassait la loi commune devait être donné à la bienheureuse Vierge. Or, la sanctification qui se réalise selon la loi commune enlève la souillure de la faute, alors que la convoitise demeure. Elle a donc entièrement enlevé la convoitise chez la bienheureuse Vierge.

 [7737] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 5 Praeterea, corruptio fomitis est causa quare dicere non possumus: peccatum non habemus; hoc enim Adam in primo statu dicere potuit. Sed, ut ex littera habetur, beata virgo hoc dicere potuit. Ergo in ipsa fomes non fuit.

5. La corruption de la convoitise est la cause pour laquelle nous ne pouvons pas dire : « Nous n’avons pas de péché. » En effet, Adam pouvait dire cela en son premier état. Mais, comme on le lit dans le texte, la bienheureuse Vierge ne pouvait dire cela. Il n’y a donc pas eu de convoitise chez elle.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La bienheureuse Vierge a-t-elle obtenu d’être exempte du péché actuel par la sanctification dès le sein ?]

 [7738] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod per sanctificationem in utero, immunitatem a peccato actuali consecuta non sit. Sicut enim dicit Augustinus, Maria per quam gestum est mysterium incarnationis salvatoris, in morte domini dubitavit, non tamen in dubitatione permansit. Sed dubitatio de fide peccatum est. Ergo non fuit a peccato omnino immunis.

1. Il semble que la bienheureuse Vierge n’ait pas obtenu d’être exempte du péché actuel par la sanctification dès le sein. En effet, comme le dit Augustin, Marie, par laquelle a été accompli le mystère de l’incarnation du Sauveur, a douté lors de la mort du Seigneur, mais elle n’est pas demeurée dans le doute. Or, le doute en matière de foi est un péché. Elle n’a donc pas entièrement exempte de péché.

 [7739] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, Ambrosius dicit super illud Luc. 1: spiritus sanctus superveniet in te, spiritus sanctus in virginem superveniens mentem ipsius ab omni sorde vitiorum castificavit. Sed sordes vitiorum ex peccato consequuntur. Ergo beata virgo post primam sanctificationem peccavit.

2. Ambroise dit, à propos de ce passage de Lc 1 : L’Esprit Saint viendra sur toi : « L’Esprit Saint, en venant sur la Vierge, a chassé de son esprit toute souillure des vices. » Or, la souillure des vices découle du péché. La bienheureuse Vierge a donc péché après la première sanctification.

 [7740] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, Augustinus dicit in libro de perfectione justitiae: esse sine peccato, de solo unigenito in hac vita dici potest. Ergo de beata virgine dici non potest.

3. Augustin dit dans le livre Sur la perfection de la justice : « Être sans péché, cela ne peut être dit en cette vie que du seul Fils unique. » Cela ne peut donc être dit de la bienheureuse Vierge.

 [7741] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, Bernardus epistola 174 ad Lugdunenses dicit. Puto quod copiosior gratia sanctificationis in ipsam descendit, quae non solum ortum ejus sanctificavit, sed eam ab omni peccato deinceps custodivit immunem. Ergo per primam sanctificationem immunitatem ab omni peccato consecuta est.

Cependant, [1] Bernard, dans sa lettre 174 aux Lyonnais, dit : « Je pense que la grâce de la sanctification est descendue plus abondante sur celle dont il a non seulement sanctifié l’origine, mais qu’il a gardée par la suite exempte de tout péché. » Elle a donc obenu l’immunité de tout péché par la première sanctification.

 [7742] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, sapientiae 1, 4, dicitur: in malevolam animam non introibit sapientia, nec habitabit in corpore subdito peccatis. Sed Dei sapientia non solum animam virginis intravit, sicut et de ceteris dicitur Sap. 7, 27: in animas sanctas se transfert; sed et corpus ejus inhabitavit, carnem de ea assumens. Ergo in ea nullum peccatum fuit: quod colligi potest ex eo quod dicitur Cant. 4, 7: tota pulchra es, amica mea, et macula non est in te.

 [2] Il est dit en Sg 1, 4 : La sagesse n’entrera pas dans une âme malveillante, elle n’habitera pas dans un corps soumis aux péchés. Or, la Sagesse de Dieu est non seulement entrée dans l’âme de la Vierge, comme il est dit des autres en Sg 7, 27 : Elle se porte dans les âmes saintes, mais elle a habité son corps en assumant d’elle sa chair. Il n’y avait donc aucun péché en elle, ce qui peut être tiré de ce qui est dit dans Ct 4, 7 : Tu es toute belle, mon amie, et il n’y a pas de souillure en toi.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La bienheureuse Vierge, par la seconde sanctification qui s’est réalisée par la conception du Sauveur, a-t-elle obtenu d’être confirmée dans le bien ?]

 [7743] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur, quod per secundam sanctificationem, quae in conceptione salvatoris fuit, confirmationem in bono consecuta non fuerit. Quod enim quis jam habet adipisci ulterius non potest. Sed si beata virgo ex prima sanctificatione immunitatem a peccato habuit, ex tunc confirmata fuit: non enim certitudo impeccabilitatis habetur nisi per justitiam confirmatam. Ergo per secundam sanctificationem confirmationem gratiae adepta non est.

1. Il semble que, par la seconde sanctification qui s’est réalisée par la conception du Sauveur, [la bienheureuse Vierge] n’ait pas obtenu d’être confirmée dans le bien. En effet, ce que quelqu’un possède déjà ne peut pas être de nouveau obtenu. Or, si la bienheureuse Vierge a été exempte de péché en vertu de sa première sanctification, elle a été alors confirmée : en effet, la certitude de l’impeccabilité ne vient que d’une justice confirmée. Elle n’a donc pas obtenu la confirmation de la grâce par sa seconde sanctification.

 [7744] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, in nullo qui purus viator fuerit liberum arbitrium confirmatum ad justitiam comprobari potest: potentia enim peccandi et potentia moriendi ex eodem passu currere videntur, ut non prius tollatur potentia peccandi quam potentia moriendi. Sed beata virgo etiam postquam salvatorem concepit, ante mortem suam pura viatrix fuit. Ergo in ea confirmatio justitiae non fuit.

2. On ne peut démontrer que le libre arbitre a été confirmé dans la justice chez personne qui est simplement en route [viator]. En effet, la capacité de pécher et la capacité de mourir semblent marcher du même pas, de sorte que la capacité de pécher ne soit pas enlevée avant la capacité de mourir. Or, la bienheureuse Vierge, même après avoir conçu le Sauveur, a été pure sur la route avant sa mort. La justice n’était donc pas confirmée en elle.

 [7745] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 3 Item, videtur quod nec tunc penitus a fomite liberata fuerit. Est enim unus effectus fomitis ut infecti fomite originalem culpam in prolem generando transfundant. Sed si per impossibile ponatur beatam virginem alium post Christum ex carnali copula generasse, peccatum originale in illum transfudisset. Ergo in ea aliquo modo post secundam sanctificationem fomes remansit. Sed confirmatio unius oppositorum non potest contingere quamdiu aliquid de opposito remanet. Ergo beata virgo confirmata non fuit per secundam sanctificationem.

3. Il semble qu’elle n’ait pas non plus été alors libérée de la convoitise. En effet, c’est un effet de la convoitise, que ceux qui sont affectés par la convoitise transmettent la faute originelle à leur descendance en l’engendrant. Or, si l’on affirme par impossible que la bienheureuse Vierge a engendré quelqu’un d’autre par l’union charnelle après le Christ, elle lui aurait transmis le péché originel. La convoitise demeurait donc en elle d’une certaine manière après la seconde sanctification. Or, la confirmation d’un des contraires ne peut survenir aussi longtemps que quelque chose du contraire demeure. La bienheureuse Vierge n’a donc pas été confirmée par sa seconde sanctification.

 [7746] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, Ambrosius dicit in Lib. de Virgin. beatae virginis: impossibile fuit uterum virginis, quem Dei filius inhabitando consecravit, alienae copulae coitu incestari. Sed eadem ratione nec aliud peccatum in ea esse potuit. Ergo confirmata fuit.

Cependant, [1] Ambroise dit, dans le Livre sur la virginité de la bienheureuse Vierge : « Il était impossible que le sein de la Vierge, que le Fils de Dieu a sanctifié en l’habitant, soit souillé par une autre union sexuelle. » Or, un autre péché ne pouvait se trouver en elle pour la même raison.

 [7747] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, ubi est plenitudo lucis, habilitas ad tenebram non remanet. Sed in conceptione Christi beata virgo tota lumine plena fuit, concipiens illum qui est splendor gloriae patris, Heb. 1; unde dicitur Ezech. 44: ingressa est gloria domini templum, et resplenduit. Ergo post illam sanctificationem confirmata fuit.

 [2] Là où il y a plénitude de lumière, il ne reste pas de possibilité d’enténébrement. Or, par la conception du Christ, la bienheureuse Vierge a été complètement remplie de lumière, en concevant celui qui est la splendeur de la gloire du Père, He 1. Aussi est-il dit en Ez 44 : La gloire du Seigneur est entrée dans son temple et y a resplendi. Elle a donc été confirmée après cette sanctification.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [7748] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Respondeo ad primam quaestionem dicendum, quod duplex sanctificatio beatae virginis esse dignoscitur: prima qua in utero sanctificata fuit; secunda in conceptione salvatoris: et quia sanctificatio emundationem a culpa dicit, quae sine gratia esse non potest, gratiae autem est firmitatem quamdam facere; ideo effectus sanctificationis in generali est duplex: scilicet emundare, et confirmare: et quantum ad utrumque secunda sanctificatio perfecit primam. In prima enim, secundum quod ab omnibus communiter tenetur, a peccato originali quantum ad maculam et reatum purgata fuit: sed de emundatione ejus a fomite diversimode opinantur. Quidam enim dicunt, quod per primam sanctificationem fomes ex toto sublatus est: quibus contradicit quod in littera ex verbis Damasceni dicitur, quod in secunda sanctificatione supervenit in eam spiritus sanctus eam purgans: quod non potest intelligi nisi de purgatione a fomite: quia peccatum actuale non commiserat, ut dicit Augustinus. Et ideo alii dicunt quod quantum ad aliquid purgata fuit a fomite in prima sanctificatione, et quantum ad aliquid fomes remansit: quod etiam diversimode distinguitur. Quidam enim dicunt, quod subtractus fuit inquantum est inclinans ad malum; remansit autem inquantum difficultatem est praebens ad bonum: quos duos fomitis effectus apostolus notat Roman. 7, 19, dicens: non enim quod volo bonum, hoc ago; sed quod odi malum, hoc facio. Hoc autem non videtur posse stare: quia secundum idem ex quo est pronitas ad unum contrariorum, est difficultas ad alterum; sive sit habitus aut forma aliqua, sicut gravitas trahit deorsum, et causat difficultatem in ascensu; sive etiam sit privatio sive defectus, sicut debilitas virtutis motivae facit pronitatem ad casum, et difficultatem in progressu. Unde non potest esse ut fomes tollatur secundum quod inclinat ad malum, et remaneat secundum quod causat difficultatem ad bonum. Et ideo dicunt alii, quod fomes est corruptio personae inquantum impellit ad malum, et inquantum facit difficultatem ad bonum; et sic penitus in prima sanctificatione subtractus est a beata virgine. Est etiam corruptio naturae, ratione cujus infectio originalis per actum naturae in prolem transit, et sic remansit post primam sanctificationem; sic tamen ab eo purgata est in secunda, ut prolem sine omni originali peccato conciperet. Hoc etiam non videtur esse conveniens: quia, sicut dictum est in 2 Lib., dist. 31, qu. 1, art. 2, corruptio originalis quantum ad id quod culpae est, transit in prolem a patre; quantum vero ad id quod tantum poenae est, sicut sunt corporis passibilitates, transit in prolem a matre, quae materiam ministrat. Unde non videtur esse causa quare Christus conceptus sit sine originali, purgatio matris a fomite secundum quod inficit naturam ejus; sed magis quia sine virili copula natus est: quam causam Anselmus assignat in libro de conceptu virginali. Defectus autem poenales non necessitate sed voluntate assumpsit. Et praeterea, cum idem fomes sit per essentiam qui est naturae et personae corruptio, si remanet inquantum est corruptio naturae, non potest essentialiter tolli fomes personam corrumpens. Unde relinquitur, ut alii dicunt, quod fomes per essentiam post primam sanctificationem remanserit, sed impeditus est per gratiam sanctificantem ne in peccatum inclinaret aut a bono retraheret; contingit enim habitum aliquando ligari ne in actum exire possit, sicut scientia per ebrietatem, ut dicit philosophus. In secunda vero sanctificatione essentialiter fomes ille subtractus est.

On reconnaît une double sanctification de la bienheureuse Vierge : la première, par laquelle elle a été sanctifiée dans le sein ; la seconde, par la conception du Sauveur. Parce qu’on appelle sanctification la purification de la faute, qui ne peut exister sans la grâce, et qu’il revient à la grâce de réaliser une certaine fermeté, l’effet de la sanctification, d’une manière générale, est double : purifier et confirmer. Et la seconde sanctification perfectionne la première sous les deux aspects. En effet, dans la première [sanctification], telle qu’elle est comprise par tous, [la bienheureuse Vierge] a été purifiée du péché originel aussi bien pour ce qui est de la souillure que pour ce qui est de la culpabilité ; mais, à propos de sa purification de la convoitise, les opinions divergent. En effet, certains disent que, par la première sanctification, la convoitise a été entièrement enlevée ; à ceux-ci s’oppose ce qui est dit dans le texte à partir de paroles de [Jean] Damascène, que, dans la seconde sanctification, l’Esprit Saint est venu en elle pour la purifier, ce qui ne peut s’entendre que de la purification de la convoitise, car elle n’avait pas commis de péché actuel, comme le dit Augustin. C’est pourquoi d’autres disent qu’elle a été partiellement purifiée de la convoitise lors de la première sanctification, et que la convoitise est demeurée partiellement, selon diverses distinctions. En effet, certains disent qu’elle a été enlevée dans la mesure où elle incline au mal, mais qu’elle est demeurée dans la mesure où elle rend le bien difficile, les deux effets que l’Apôtre indique dans Rm 7, 19 : Je ne fais pas le bien que je veux, mais je fais le mal que je hais. Mais cela ne semble pas pouvoir se tenir, car l’inclination à l’un des contraires est une difficulté par rapport à l’autre, qu’il s’agisse d’un habitus ou d’une forme quelconque, comme la gravité attire vers le bas et cause la difficulté de monter ; ou qu’il s’agisse d’une privation ou d’une carence, comme la faiblesse de la puissance motrice incline à la chute et à la difficulté de progresser. Il ne peut donc se faire que la convoitise soit enlevée en tant qu’elle incline au mal, et qu’elle demeure en tant qu’elle cause une difficulté pour le bien. C’est pourquoi d’autres disent que la convoitisie est une corruption de la personne en tant qu’elle pousse au mal et en tant qu’elle rend le bien difficile ; elle a ainsi été totalement enlevée de la bienheureuse Vierge lors de sa première sanctification. Il existe aussi une corruption de la nature en raison de laquelle l’infection originelle est transmise à la descendance par un acte de la nature, et ainsi demeure après la première sanctification ; cependant, elle a été à ce point purifiée dans la seconde [sanctification], qu’elle allait concevoir une descendance sans aucun péché originel. Mais cela non plus ne semble pas approprié, car, ainsi qu’on l’a dit dans le livre II, d. 31, q. 1, a. 2, la corruption originelle, pour ce qui est de la faute, est transmise à la descendance par le père ; mais, pour ce qui est de la peine, telles les capacités de souffrir du corps, elle est transmise à la descendance par la mère, qui fournit la matière. La purification de la convoitise chez la mère, en tant qu’elle affecte sa nature, ne semble donc pas être la cause pour laquelle le Christ a été conçu sans le péché originel, mais plutôt le fait qu’il est né sans union avec un homme, cause que Anselme indique dans le Livre sur la conception de la Vierge. Or, il n’a pas assumé par nécessité, mais volontairement les carences qui ont caractère de peines. De plus, puisque c’est essentiellement la même convoitise qui est une corruption de la nature et de la personne, la convoitise qui corrompt la personne ne peut être enlevée selon son essence. Il reste donc, comme d’autres le disent, que la convoitise est demeurée en son essence après la première sanctification, mais que, par la grâce sanctifiante, elle a été empêchée d’incliner au péché ou d’éloigner du bien. En effet, il arrive parfois qu’un habitus soit lié, de telle sorte qu’il ne puisse passer à l’acte, comme c’est le cas de la science à cause de l’ébriété, ainsi que le dit le Philosophe. Mais, lors de la seconde sanctification, la convoitise a été enlevée en son essence.

 [7749] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod si beata virgo ante passionem Christi defuncta fuisset, ad Dei visionem non admitteretur, sicut nec alii antiqui patres: quamvis enim in eis remotus esset reatus ad personam pertinens, remanebat tamen reatus naturae, qui per passionem Christi sublatus est.

1. Si la bienheureuse Vierge était morte avant la passion du Christ, elle n’aurait pas été admise à la vision de Dieu, comme ne le sont pas les pères anciens. En effet, même si la culpabilité se rapportant à la personne avait été écartée d’eux, la culpabilité de nature demeurait cependant, laquelle a été enlevée par la passion du Christ.

 [7750] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod fomes non per se promovet in bonum, sed per accidens, inquantum est in natura corrupta: ex hoc enim quod inclinat ad malum (quae quidem inclinatio personae parvum malum est) occasionem praebet vitandi maximum malum, scilicet superbiam. Si tamen hoc malum aliter vitaretur, simpliciter melius esset fomitem non esse: sicut comestio serpentis per accidens juvat, inquantum aliquem a lepra liberat, cujus tamen comestio homini sano simpliciter vitanda est. Et ideo beatae virgini, quae simpliciter sanata fuit a peccato, fomes ad perfectionem virtutis non contulisset, si ad malum eam inclinasset.

2. La convoitise ne pousse pas par elle-même au bien, mais par accident, pour autant qu’elle se trouve dans une nature corrompue : en effet, parce qu’elle incline au mal (inclination de la personne qui est un mal mineur), elle présente l’occasion d’éviter un très grand mal, l’orgueuil. Cependant, si ce mal était évité autrement, il serait mieux que la convoitise n’existe tout simplement pas, comme le fait d’être mangé par un serpent aide par accident, pour autant qu’il libère quelqu’un de la lèpre ; le fait d’être ainsi mangé doit cependant être évité tout simplement. C’est pourquoi, si elle l’avait inclinée au mal, la convoitise n’aurait pas conduit à la perfection de la vertu la bienheureuse Vierge, qui a tout simplement été guérie du péché,.

 [7751] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod caro virginis ante conceptionem dicitur fuisse peccato obnoxia propter fomitem, qui essentialiter remanebat; quamvis impeditus esset, ut dictum est.

3. On dit que la chair de la Vierge avant la conception a été exposée au péché en raison de la convoitise, qui demeurait en son essence, mais qu’elle a été empêchée, comme on l’a dit.

 [7752] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod illa sanctificatio beatae virginis excellentior fuit sanctificationibus aliorum: quod sic patet. In sanctificatione enim quae fit per legem communem in sacramentis, tollitur culpa, sed remanet fomes inclinans ad peccatum mortale et veniale; sed in sanctificatis ex utero non manet fomes, secundum quod inclinans est ad mortale; sed tamen remanet inclinatio fomitis ad venialia, ut patet in Hieremia et Joanne Baptista, qui peccatum actuale habuerunt non mortale, sed veniale. Sed in beata virgine inclinatio fomitis omnino sublata fuit, et quantum ad veniale, et quantum ad mortale: et quod plus est (ut dicitur), gratia sanctificationis non tantum repressit in ipsa motus illicitos, sed etiam in aliis efficaciam habuit; ita ut quamvis esset pulchra corpore, a nullo unquam concupisci potuit.

4. Cette sanctification de la bienheureuse Vierge a été meilleure que les sanctifications des autres. Cela apparaît de la manière suivante. Dans la sanctification qui se réalise selon la loi commune dans les sacrements, la faute est enlevée, mais l’aiguillon inclinant au péché mortel et véniel demeure. Mais, chez ceux qui sont sanctifiés dès le sein, la convoitise ne demeure pas en tant qu’elle incline au péché mortel ; cependant, l’inclination de la convoitise aux péchés véniels demeure, comme cela ressort chez Jérémie et Jean-Baptiste, qui ont eu le péché actuel, non pas mortel, mais véniel. Mais, chez la bienheureuse Vierge, l’inclination de la convoitise a été entièrement enlevée quant au péché véniel et quant au péché mortel ; qui plus est, ainsi qu’on le dit, la grâce de la sanctification n’a pas seulement réprimé en elle les mouvements illicites, mais a aussi eu une efficacité pour les autres, de telle sorte que, même si elle était belle de corps, elle ne pût jamais être désirée par quelqu’un.

 [7753] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod necessitas peccandi saltem venialiter provenit in nobis ex inclinatione fomitis, quae in beata virgine non fuit fomite ligato, ut dictum est.

5. Le fait de pécher nécessairement vient en nous de l’inclination de la convoitise, qui n’a pas existé chez la bienheureuse Vierge en raison d’une convoitise liée, comme on l’a dit.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [7754] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod sicut in prima sanctificatione fuit quaedam inchoatio emendationis, remoto peccato originali quantum ad culpam, et ligato fomite; ita etiam fuit quaedam inchoatio confirmationis: quia per gratiam sanctificantem immunitatem a peccato deinceps consecuta est: quae quidem immunitas a tribus causabatur; scilicet ex ligatione fomitis, qui ad malum non incitabat; ex inclinatione gratiae, quae in bonum ordinabat, quamvis nondum per eam liberum arbitrium esset in fine ultimo stabilitum, sicut est in beatis, qui ad finem viae pervenerunt; et iterum ex conservatione divinae providentiae, quae eam intactam custodivit ab omni peccato, sicut et in primo statu hominem ab omni nocivo protexisset.

De même que, lors de la première sanctification, il y eut un début de correction, par l’enlèvement du péché originel quant à la faute et par l’enchaînement de la convoitise, de même aussi, il y eut un début d’affermissement, car, par la grâce sanctifiante, elle a ensuite obtenu l’immunité du péché, immunité qui est causée par trois choses : par l’enchaînement de la convoitise, qui ne l’incitait pas au mal ; par l’inclination de la grâce, qui ordonnait au bien, bien que, par elle, le libre arbitre n’était pas encore affermi dans la fin ultime, comme c’est le cas chez les bienheureux, qui sont parvenus à la fin de leur vie ; et aussi par la préservation de la providence divine, qui l’a gardée intacte de tout péché, comme elle avait protégé l’homme de toute nuisance dans son premier état.

 [7755] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo contra hoc objectum dicendum, quod dubitatio, quae sonat infirmitatem fidei, sine peccato esse non potest; nec talis dubitatio in beata virgine fuit in tempore passionis; sed in ea remansit fides firmissima, etiam apostolis dubitantibus. Sed fuit in ea quaedam dubitatio admirationis, dum considerabat eum quem tam digne genuerat, sic ignominiose tractari.

1. Contre cette objection, il faut dire que le doute, qui signale une faiblesse de la foi, ne peut exister sans péché. Un tel doute n’a pas existé chez la Vierge au moment de la passion, mais la foi la plus solide est demeurée chez elle, même si les apôtres doutaient. Mais il y eut chez elle un doute dû à l’étonnement, alors qu’elle voyait que celui qu’elle avait si dignement engendré était si ignominieusement traité.

 [7756] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sordes vitiorum, a quibus in conceptione salvatoris beata virgo castificata dicitur, non fuerunt aliqua peccata venialia, sed reliquiae quaedam originalis peccati, sicut recedente habitu adhuc aliquae dispositiones manent. Vel dicendum, quod castificatio a sordibus vitiorum non intelligitur remotio existentium, sed impedimentum futurarum sordium.

2. Les souillures des vices, dont on dit que la bienheureuse Vierge a été purifiée lors de la conception du Sauveur, n’étaient pas des péchés véniels, mais des restes du péché originel, comme lorsque des dispositions demeurent après la disparition d’un habitus. Ou bien il faut dire que la purification des souillures des vices ne s’entend pas de l’enlèvement de celles qui existent, mais de l’empêchement de souillures à venir.

 [7757] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod esse sine peccato dicitur esse proprium Christo, quia ipse nunquam nec actuali nec originali macula infectus est. Sed virgo mater ejus fuit quidem peccato originali infecta, a quo emundata fuit, antequam ex utero nasceretur: sed a peccato actuali omnino immunis fuit.

3. On dit qu’être sans péché est propre au Christ parce qu’il n’a jamais été infecté ni par le péché originel, ni par un péché actuel. Mais la Vierge, sa mère, a été infectée par le péché originel, dont elle a été purifiée avant de sortir du sein. Mais elle a été entièrement exempte de péché actuel.

 [7758] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 2 ad s. c. Alia duo concedimus.

 [1-2] Nous concédons les deux autres objections.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [7759] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod in secunda sanctificatione et emundatio et confirmatio in bono quodammodo consummata est secundum perfectionem viae; sed in assumptione ejus gloriosa consummata est secundum perfectionem patriae; quod sic patet. In prima enim sanctificatione ablata fuit inclinatio fomitis remanente essentia ejus. In secunda vero fuit extinctus ipse fomes per essentiam, remanentibus adhuc poenalitatibus ex peccato causatis, a quibus plene liberata fuit per gloriam assumptionis. Similiter etiam est ex parte altera. In prima sanctificatione gratia collata fuit ad bonum efficaciter liberum arbitrium inclinans, quamvis non esset sufficiens ad tollendum flexibilitatem liberi arbitrii in malum, quam etiam homo in primo statu habuit. In secunda vero sanctificatione gratia superaddita fuit, quae ita potentiam liberi arbitrii impleret ut in contrarium flecti non posset, non quidem tollendo naturam libero arbitrio, sed defectum; sicut materia caeli ex eo quod subsistit formae quae omnem privationem ab ea excludit, non est in potentia ad corruptionem. Sed in tertia exaltatione ejus per gratiam perfectam in gloriam transeuntem fini conjuncta est, ex quo perfecta immobilitas causatur.

Lors de la seconde sanctification, la purification et l’affermissement dans le bien ont été d’une certaine manière consommés selon la perfection de la route ; mais, lors de son assomption glorieuse, selon la perfection de la patrie. Cela apparaît de la manière suivante. Lors de la première sanctification, l’inclination de la convoitise a été enlevée, alors que demeurait son essence. Mais, lors de la seconde, la convoitise elle-même a été éteinte en son essence, alors que demeuraient encore des peines causées par la péché, dont elle a été pleinement libérée par la gloire de l’assomption. Il en va de même d’un autre point de vue. Lors de la première sanctification, la grâce a été conférée pour incliner efficacement le libre arbitre au bien, bien qu’elle n’ait pas été suffisante pour enlever au libre arbitre la capacité de pencher vers le mal, [possibilité] que l’homme avait en son premier état. Mais, lors de la seconde sanctification, une grâce fut ajoutée, qui comblerait tellement la puissance du libre arbitre, qu’il ne pourrait pas être incliné en sens contraire, sans enlever la nature du libre arbitre, mais sa carence, comme la matière du ciel, du fait qu’elle est sous-jacente à une forme qui écarte d’elle toute privation, n’est pas en puissance à la corruption. Mais lors de sa troisième exaltation, elle a été unie à sa fin par une grâce parfaite qui se change en gloire, et une parfaite immobilité est ainsi causée.

 [7760] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo contra hoc objectum dicendum, quod in prima sanctificatione consecuta est immunitatem a peccato, non per gratiam confirmantem, sed per ligationem fomitis ad malum inclinantis, et per custodiam divinae providentiae, sine qua, etiam fomite omnino extincto, peccare potuisset, sicut et Adam peccavit, nisi esset in ea gratia consummata.

1. Lors de la première sanctification, elle a obtenu d’être exempte de péché, non pas par une grâce qui l’affermissait, mais par la ligature de la convoitise qui incline au mal et par la protection de la providence divine, sans laquelle, même si la convoitise est entièrement éteinte, elle aurait pu pécher, comme Adam a péché, à moins qu’elle n’ait été consommée en grâce.

 [7761] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod potentia peccandi aufertur dupliciter. Vel per hoc quod liberum arbitrium ultimo fini conjungitur, qui ipsum superimplet, ut nullus defectus in eo remaneat; et hoc fit per gloriam; unde in nullo puro viatore sic peccandi potentia solvitur, ut cum ablatione potentiae peccandi tollatur potentia moriendi, nisi in Christo, in quo dispensative remansit, ad opus redemptionis complendum. Alio modo aufertur per hoc quod gratia tanta infunditur, quae omnem defectum tollat; et sic in beata virgine, quando concepit Dei filium, ablata est peccandi potentia, quamvis in statu viae ipsa virgo remaneret.

2. La capacité de pécher est enlevée de deux manières. Par le fait que le libre arbitre est uni à la fin ultime qui le comble, de telle sorte qu’il n’y demeure aucune carence : cela est réalisé par la gloire. Aussi, chez aucun simple voyageur, la puissance de pécher n’est-elle ainsi enlevée, de sorte qu’avec l’enlèvement de la capacité de pécher soit enlevée la capacité de mourir, sauf chez le Christ, en qui elle demeure par dispensation pour l’achèvement de l’œuvre de la rédemption. Elle est enlevée d’une autre manière par le fait qu’une si grande grâce a été versée qu’elle enlève toute carence : c’est le cas chez la bienheureuse Vierge. Lorsque’elle a conçu le Fils de Dieu, la capacité de pécher a été enlevée, bien que la bienheureuse Vierge soit demeurée dans l’état d’itinérance (in statu viae).

 [7762] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod si per impossibile ponatur, beatam virginem post secundam sanctificationem alium filium ex carnali copula concepisse, ille filius peccatum originale habuisset, non ex parte matris, sed ex parte patris. Si vero ponatur illum patrem pari modo sanctificatum fuisse sicut beata virgo in sanctificatione secunda, ille filius peccatum originale non habuisset. Vel dicendum secundum aliam opinionem, quod neque in secunda sanctificatione fomes remotus fuit a beata virgine secundum quod est infectio naturae. Neque hoc prohibet confirmationem ejus in bono: fomes enim confirmationi opponitur secundum quod est vitium personae, ad concupiscentiam actualem inclinans.

3. Si, par impossible, on affirme que la bienheureuse Vierge, après la seconde sanctification, a conçu un autre fils par l’union charnelle, ce fils aurait eu le péché originel, non pas à partir de sa mère, mais à partir de son père. Mais si on affirme que ce père a été également sanctifié comme la bienheureuse Vierge dans la seconde sanctification, ce fils n’aurait pas eu le péché originel. Ou bien il faut dire, selon une autre opinion, que la convoitise, selon qu’elle est une infection de nature, n’a pas été enlevée chez la bienheureuse Vierge après la seconde sanctification,. Mais cela n’empêche pas son affermissement dans le bien : en effet, la convoitise s’oppose à l’affermissement du fait qu’elle est un vice personnel qui incline à la concupiscence actuelle.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [La puissance génératrice de la bienheureuse Vierge ]

Prooemium

Prologue

 [7763] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 pr. Deinde quaeritur de potentia generativa beatae virginis; et circa hoc quaeruntur duo: 1 utrum aliquid ad Christi conceptionem active operata sit; 2 utrum generatio filii ex ea sit naturalis, vel miraculosa.

On s’interroge ensuite sur la puissance génératrice de la bienheureuse Vierge. À ce propos, on soulève deux questions : 1 – A-t-elle contribué activement à la conception du Christ ? 2 – L’engendrement d’un fils par elle a-t-il été naturel ou miraculeux ?

 

 

Articulus 1 [7764] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 1 tit. Utrum virgo aliquid active ad Christi conceptionem operata fuerit

Article 1 – La bienheureuse Vierge a-t-elle contribué activement à la conception du Christ ?

 [7765] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod beata virgo aliquid active in conceptione Christi cooperata sit. Potentia enim pure passiva est receptiva tantum. Sed Damascenus dicit, ut in littera habetur, quod non tantum dedit spiritus sanctus virgini potentiam receptivam verbi, sed simul etiam generativam. Ergo oportet quod per potentiam generativam intelligatur virtus activa ipsius; et ita in conceptione Christi aliquid active operata est.

1. Il semble que la bienheureuse Vierge ait contribué activement à la conception du Christ. En effet, une puissance purement passive n’est que réceptive. Or, [Jean] Damascène dit, comme on le lit dans le texte, que non seulement le Saint-Esprit a donné à la Vierge la capacité de recevoir le Verbe, mais aussi une capacité d’engendrer. Il faut donc entendre par la capacité génératrice une puissance active de sa part. Ainsi a-t-elle contribué activement à la conception du Christ.

 [7766] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, hoc quod dicitur Luc. 1, 35: virtus altissimi obumbrabit tibi, intelligitur quantum ad collationem alicujus virtutis supra eam quam naturaliter habebat. Sed beata virgo naturaliter habuit, sicut et aliae virgines, potentiam generandi per modum passionis, seu receptionis. Ergo potentia quam sibi Damascenus per spiritum sanctum dicit praeparatam, est potentia activa; et sic idem quod prius.

2. Ce qui est dit en Lc 1, 35 : La puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre, s’entend de l’apport d’une puissance dépassant celle qu’elle possédait naturellement. Or, la bienheureuse Vierge avait, comme les autres vierges, la puissance d’engendrer par mode de passion ou de réception. La puissance dont [Jean] Damascène dit qu’elle a été préparée pour lui par le Saint-Esprit est donc une puissance active. La conclusion est ainsi la même que le précédemment.

 [7767] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, dicit Augustinus: Christus secundum hoc est filius matris quod accepit a matre. Sed dicitur filius matris secundum humanam naturam. Ergo humanam naturam accepit a matre; et sic beata virgo aliquid in conceptione operata est.

3. Augustin dit : « Le Christ est le fils de sa mère selon ce qu’il a reçu de sa mère. » Or, il est appelé le fils de sa mère selon sa nature humaine. Il a donc reçu de sa mère la nature humaine . Et ainsi, la bienheureuse Vierge a donc réalisé quelque chose lors de sa conception.

 [7768] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, beata virgo fuit vera mater Christi. Sed non esset vera mater ejus, si tantum materiam ministrasset: non enim dicitur terra proprie mater hominis, quamvis limus, unde formatur homo, de terra sumptus sit: nec similiter dici potest lignum mater scamni, eo quod de eo fit. Ergo beata virgo non tantum ministravit materiam ad conceptionem Christi, sed aliquid active fecit.

4. La bienheureuse Vierge a été la mère véritable du Christ. Or, elle ne serait pas sa mère véritable si elle n’avait apporté que la matière : en effet, la terre n’est pas appelée au sens propre la mère de l’homme, bien que le limon dont l’homme est formé ait été pris de la terre ; et le bois ne peut pas être non plus appelé la mère de l’escabeau du fait que celui-ci est réalisé à partir de lui. La bienheureuse Vierge n’a donc pas apporté seulement la matière dans la conception du Christ, mais elle a réalisé quelque chose de manière active.

 [7769] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 1 arg. 5 Praeterea, Commentator, in 2 de anima, ponit hanc distinctionem potentiarum animae: quod potentiae nutritivae partis, omnes sunt activae; potentiae sensitivae, omnes sunt passivae; in intellectu autem est aliquid activum, ut intellectus agens, et aliquid passivum, ut intellectus possibilis. Sed potentia generativa ad vegetabilem animam pertinet; unde etiam plantis inest. Ergo est potentia activa. Cum ergo per potentiam generativam mater filium concipiat, videtur quod aliquid active in conceptione agat; et sic idem quod prius.

5. Dans Sur l’âme, II, le Commentateur affirme une distinction entre les puissancee de l’âme : les puissances de la partie nutritive sont toutes actives ; les puissances sensibles sont toutes passives ; mais, dans l’intellect, il y a quelque chose d’actif, tel l’intellect agent, et quelque chose de passif, tel l’intellect possible. Or, la puissance génératrice relève de l’âme végétative ; aussi est-elle présente dans les plantes. Elle est donc une puissance active. Puisque la mère conçoit son fils par la puissance génératrice, il semble donc qu’elle réalise activement quelque chose dans la conception. La conclusion est ainsi la même que précédemment.

 [7770] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 1 arg. 6 Praeterea, motus naturalis est cujus principium est intra. Sed generatio filii ex matre, est naturalis. Ergo in ipsa materia quam mater ministravit ad formationem conceptus, est principium aliquod active cooperans ad conceptionem; et sic idem quod prius.

6. Un mouvement naturel est celui dont le principe est interne. Or, la génération du fils par sa mère est naturelle. Dans la matière même que la mère apporte pour la formation du fœtus existe donc quelque chose qui coopère activement à la conception. La conclusion est ainsi la même que précédemment.

 [7771] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 1 s. c. 1 Sed contra, beata virgo non fuit nisi mater Christi. Sed ad matrem non pertinet nisi ministrare materiam, non autem aliquid active operari, quod est patris. Ergo beata virgo nihil active ad conceptionem Christi operata est. Media probatur per hoc quod philosophus dicit, 15 de animalibus: vir dat animam, formam, et principium motus; femina dat corpus et materiam; sicut accidit in lacte coagulato, quod corpus exit ex lacte, et coagulatio ex coagulo; et post pauca subdit: manifestum est quod mas est operans, et femina patens; sicut erit scamnum ex carpentario et ligno.

Cependant, [1] La bienheureuse Vierge n’a été que la mère du Christ. Or, il n’appartient à la mère que d’apporter la matière, et non pas de réaliser quelque chose activement, ce qui appartient au père. La bienheureuse Vierge n’a donc en rien contribué activement à la conception du Christ. La mineure est démontrée par ce que le Philosophe dit, Sur les animaux, XV : « L’homme donne l’âme, la forme et le principe du mouvement ; la femme donne le corps et la matière, comme il arrive dans le lait coagulé : le corps vient du lait, et la coagulation, de la présure. » Peu après, il ajoute : « Il est clair que le mâle est actif et la femme passive, comme ce sera le cas de l’escabeau qui vient du charpentier et du bois. »

 [7772] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Augustinus dicit, 10 super Genesim ad litteram: Christus visibilem carnis substantiam de carne virginis assumpsit; ratio vero conceptionis non a virili semine, sed longe aliter, ac desuper venit. Sed virtus activa in conceptione dicitur ratio conceptionis. Ergo agens in conceptione Christi fuit tantum desuper, et non in beata virgine.

 [2] Augustin dit, dans son Commentaire littéral de la Genèse, X : « Le Christ a reçu la substance visible de sa chair de la chair de la Vierge ; mais la raison de la conception ne vient pas d’une semence virile, mais de bien autre chose : elle vient d’en haut. » Or, la raison de la conception dans la conception est appelée la puissance active. L’agent dans la conception du Christ venait donc uniquement d’en haut, et non de la bienheureuse Vierge.

 [7773] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 1 s. c. 3 Praeterea, Anselmus dicit in Lib. de conceptu Virgin.: illud subjectum non creata natura, non voluntas creaturae, non ulli data potestas producit aut seminat. Ergo in beata virgine non fuit naturaliter neque divino dono potentia activa corpus Christi producens.

 [3] Anselme dit, dans le Livre sur la conception de la Vierge : « Ce sujet n’est pas une nature créée, ni une volonté de la créature : une puissance donnée à personne ne le produit pas ni ne le sème. » Une puissance active pour produire le corps du Christ n’existait donc dans la bienheureuse Vierge ni naturellement ni par un don de Dieu.

 [7774] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 1 s. c. 4 Praeterea, nulla virtus creata subito operatur. Sed in conceptione Christi simul et subito factum est quidquid ibi factum est de organizatione, animatione, et hujusmodi. Ergo non fuit active nisi per virtutem increatam.

 [4] Aucune puissance créée n’agit d’un coup. Or, dans la conception du Christ, s’est réalisé d’un coup et subitement tout ce qui y a été réalisé : l’organisation, l’animation et les choses de ce genre. Cela n’a donc pas été activement réalisé que par une puissance incréée.

 [7775] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc diversimode opinatum est. Quidam enim dicunt in conceptione Christi matrem aliquid active operatam esse; quorum quidam hoc ponunt fuisse per naturalem modum, quidam vero per supernaturale donum. Cum enim beata virgo vera mater Christi credatur, oportet sibi attribuere totum illud quod matris est. Ad officium autem matris pertinere aestimant ut aliquod principium activum ad conceptionem ministret, et non materiale tantum. Hoc tamen ponitur diversimode. Quidam enim in materia quam mater ministrat, ponunt esse virtutem activam principaliter: tum quia ex commixtione seminum conceptionem fieri ponunt; unde sicut semen viri est activum in generatione, ita et semen mulieris, quamvis non sit in ea tanta efficacia ad agendum: tum etiam quia ponunt conceptam prolem sensificari et vegetari per animam matris, ut sic etiam principalior inveniatur in generatione mater quam pater. Hoc autem philosophus reprobat in 15 de animalibus. In his enim quae habent vitam perfectam, distinguuntur agens et patiens in generatione propter perfectam generationem in eis. In plantis autem quae imperfectam vitam habent, est in eodem utraque virtus, activa scilicet et passiva: quamvis forte in una planta dominetur virtus activa, et in alia virtus passiva: propter quod dicitur etiam una planta masculina, et alia feminina. Cum igitur impossibile sit illud quod est determinatum ut patiens, habere virtutem activam respectu ejusdem, oportet quod femina non sit agens in conceptione, sed tantum patiens. Et ideo alii dicunt, quod id quod mater ministrat, se habet in generatione sicut materia naturalis. In materia autem naturali non est potentia passiva tantum (alias generatio esset violenta, et non naturalis), sed oportet inesse materiae ipsam formam quae per generationem adducenda est, in potentia, et secundum esse incompletum; et ideo non habet perfectam virtutem ad agendum, sed tantum imperfectam; et ideo per se non potest agere nisi quodammodo excitetur ab agente exteriori, et sic ei cooperetur. Hoc autem non potest stare: quia impossibile est idem esse alterans et alteratum; unde non potest esse quod forma quae est in aliqua materia, agat in ipsam, sive sit perfecta, sive imperfecta: forma enim quae per se non existit, non agit, nec proprie patitur, sed compositum agit ratione formae, et patitur ratione materiae; et ideo non est possibile quod illa forma imperfecta in agendo cooperetur agenti exteriori. Praeterea agere sequitur ad esse perfectum, cum unumquodque agat secundum quod est in actu; unde oportet quod forma imperfecte existens in materia, prius perficiatur in esse per agens exterius quam detur sibi agere; unde non potest in agendo cooperari ad generationem per quam forma in esse perfectum adducitur. Et praeterea, si esset de necessitate matris ut active ad generationem operaretur, beata virgo non posset dici mater. Cum enim conceptio illa tota sit simul facta, non potuit per aliquam creatam activam virtutem fieri; unde beata virgo non potuit active operari ad conceptionem; et sic non habuisset illud quod ad matrem pertinet; unde nec mater esset. Nec potest dici quod cooperata sit ad introductionem formae tantum, quae etiam secundum naturam in instanti inducitur. Inducens enim formam est nobilius quam praeparans materiam per alterationem; et sic spiritui sancto attribueretur id quod minus est, et virgini id quod dignius est. Et praeterea forma substantialis ad quam terminatur conceptio, est anima, quae est actus totius et omnium partium; unde remota ea, nec os nec caro dicitur nisi aequivoce. Ad animam autem Christi constat nihil active beatam virginem cooperatam esse. Et ideo alii dicunt, quod beata virgo habuit aliquid plus ex supernaturali virtute quam aliae matres: materia enim quae ab aliis ministratur, non potest seipsam complete in actum educere, nisi sit agens exterius: sed materia corporis Christi, quam beata virgo ministravit, hoc habuit ex dono divino, ut posset seipsam formare per virtutem superadditam naturae. Sed non poterat in instanti hoc fieri; et ideo, quia decebat conceptionem in instanti esse, praevenit spiritus sanctus, subito formationem corporis Christi complens, quae tamen aliter, licet successive, completa fuisset. Istud autem non videtur conveniens. Primo, quia si illa virtus non cooperata est ad formationem corporis Christi, frustra collata est: quod non contingit in operibus naturae, et multo minus in operibus miraculosis. Secundo, quia beata virgo non eligebatur ut esset simul pater et mater Christi, sed ut esset mater tantum: unde non oportebat ut in materia quam virgo ministravit, conjungeretur hoc quod in aliis est ex parte patris et matris. Tertio, quia secundum activam vel passivam potentiam generandi nullus dicitur pater vel mater; sed secundum quod potentia in actum procedit. Unde si in materia quam virgo ministravit, fuit potentia activa quae exigitur ad patrem et matrem sine hoc quod virtus illa operata sit, non diceretur neque pater neque mater, aut eadem ratione pater et mater, quod absurdum est: nisi forte sufficiat ad esse matrem hoc solum quod materiam ministravit, quod non sufficit ad esse patrem, propter quod mater dicitur et non pater: et hoc quidem videtur esse secundum intentionem philosophi, secundum quam perfectissime salvatur virginitas matris et vera maternitas; unde et fidei maxime consona est. Hanc igitur viam tenendo, dicendum videtur, quod in conceptione prolis invenitur triplex actio. Una quae est principalis, scilicet formatio et organizatio corporis; et respectu hujus actionis, agens est tantum pater, mater vero solummodo ministrat materiam. Alia actio est praecedens hanc actionem, et praeparatoria ad ipsam; cum enim generatio naturalis sit ex determinata materia, eo quod unusquisque actus in propria materia fit, sicut in 2 de anima dicit philosophus, oportet ut formatio prolis fiat ex materia convenienti, et non ex quacumque. Unde oportet esse aliquam virtutem agentem, per quam praeparetur materia ad conceptum. Sicut autem dicit philosophus, ars quae operatur formam, principatur et imperat ei quae praeparat materiam, sicut ars compaginans navim ei quae complanat ligna; et ideo virtus quae praeparat materiam ad conceptum est imperfecta respectu ejus quae ex materia praeparata prolem format. Haec autem virtus praeparans est matris, quae imperfecta est respectu virtutis activae quae est in patre; unde dicit philosophus, quod mulier est sicut puer qui nondum potest generare. Tertia actio est concomitans, vel sequens actionem principalem. Sicut enim locus facit ad bonitatem generationis; ita et bona dispositio matricis operatur ad bonam dispositionem prolis, quasi praebens fomentum: et hoc est quod dicit Avicenna in cap. de diluviis: matrix non facit nisi ad meliorationem concepti. Secundum hoc ergo dico, quod in principali actione formationis corporis Christi nihil fuit ex parte beatae virginis quod esset activum; sed id quod beata virgo ministravit, se habuit materialiter tantum ad hanc actionem; virtus autem divina fecit totum quod fit in aliis conceptionibus per virtutem seminis quod est a patre; et ideo Damascenus divinam virtutem dicit quasi divinum semen, ut in littera habetur. In secunda vero et tertia actione beata virgo active operata est, sicut aliae matres; unde et vere mater fuit.

Réponse. À ce sujet, il a existe diverses opinions. En effet, certains disent que, dans la conception du Christ, sa mère a activement contribué. Parmi eux, certains affirment que cela a été d’une manière naturelle, mais d’autres par un don surnaturel. En effet, puisqu’on croit de la bienheureuse Vierge qu’elle est la mère véritable du Christ, il est nécessaire de lui attribuer tout ce qui relève de la mère. Or, ils estiment que la fonction de la mère est d’apporter un principe actif à la conception, et non pas seulement un principe matériel. Cependant, on affirme cela de diverses manières. En effet, certains disent qu’une puissance active existe principalement dans la matière que la mère apporte, d’abord, parce qu’ils affirment que la conception arrive par le mélange des semences : aussi, comme la semence de l’homme est active dans la génération, de même la semence de la femme, bien qu’il n’existe pas en elle une aussi grande puissance active ; ensuite, parce qu’ils affirment que la descendance engendrée tire sa capacité sensible et végétative de l’âme de la mère, de sorte que la mère est même plus importante que le père dans la génération. Mais le Philosophe réfute cela dans Sur les animaux, XV. En effet, chez ce qui a une vie parfaite, ce qui agit et ce qui subit est distinct dans la génération. Mais, dans les plantes, qui ont une vie imparfaite, les deux puissances, l’active et la passive, existent dans le même sujet, bien que, peut-être, la puissance active l’emporte dans une plante, et la puissance passive dans une autre, raison pour laquelle on parle aussi de plante mâle et de plante femelle. Puisqu’il est impossible que ce qui est déterminé comme subissant ait une puissance active par rapport à la même chose, il est donc nécessaire que la femelle n’ait pas de rôle actif dans la conception, mais seulement un rôle passif. C’est pourquoi d’autres disent que ce que la mère apporte joue le rôle de matière naturelle dans la génération. Or, dans la matière naturelle, il n’existe pas seulement une puissance passive (autrement, la génération serait violente, et non naturelle), mais il est nécessaire qu’y existe, en puissance et selon un être incomplet, la forme même de la matière qui doit être apportée par la génération. C’est pourquoi elle n’a pas une capacité d’agir parfaite, mais seulement imparfaite. Aussi ne peut-elle agir par elle-même que si elle est d’une certaine manière excitée par un agent extérieur et coopère ainsi avec lui. Mais cela ne peut être soutenu, car il est impossible que la même chose en même temps altère et soit altérée. Il ne se peut donc pas que la forme qui existe dans une matière agisse sur elle, qu’elle soit parfaite ou imparfaite. En effet, la forme qui n’existe pas par elle-même n’agit pas, ni ne subit au sens propre ; mais le composé agit en raison de la forme, et il subit en raison de la matière. C’est pourquoi il n’est pas possible que cette forme imparfaite coopère à l’action d’un agent extérieur. De plus, l’action découle d’un être parfait, puisque tout agit selon qu’il est en acte. Il faut donc que la forme qui existe imparfaitement dans la matière soit d’abord amenée à la perfection de l’être par un agent extérieur avant qu’il ne lui soit donné d’agir ; elle ne peut donc pas coopérer activement à la génération par laquelle une forme est amenée à l’être parfait. De plus, si la mère agissait nécessairement d’une manière active en vue de la génération, la bienheureuse Vierge ne pourrait pas être appelée mère. En effet, puisque cette conception a été réalisée tout entière simultanément, elle ne pouvait être réalisée par une puissance créée. La bienheureuse Vierge ne pouvait donc pas agir activement en vue de la conception. Et ainsi, elle n’aurait pas possédé ce qui relève de la mère. Elle ne serait donc pas non plus mère. Et on ne peut pas dire qu’elle a coopéré seulement à l’introduction de la forme, qui est aussi introduite dans l’instant selon la nature. En effet, ce qui introduit la forme est plus noble que ce qui prépare la matière par une altération. On attribuerait ainsi à l’Esprit Saint ce qui est inférieur, et à la Vierge, ce qui est plus digne. De plus, la forme substantielle à laquelle se termine la conception est l’âme, qui est l’acte du tout et de toutes les parties ; aussi, si celle-ci est enlevée, on ne parle de bouche ni de chair que de manière équivoque. Or, il est clair que la bienheureuse Vierge n’a en rien coopéré à l’âme du Christ. C’est pourquoi d’autres disent que la bienheureuse Vierge possédait quelque chose de plus que les autres mères par une puissance surnaturelle. En effet, elle ne peut amener elle-même à l’acte la matière qui est apportée par les autres, à moins qu’il n’y ait un agent extérieur. Or, la matière du corps du Christ, que la bienheureuse Vierge a apportée, elle avait par un don de Dieu de pouvoir en donner elle-même la forme par une puissance ajoutée à la nature. Mais cela ne pouvait se réaliser dans l’instant. Aussi, parce qu’il convenait que la conception se réalise dans l’instant, l’Esprit Saint a-t-il pris les devants pour réaliser d’un coup la formation du corps du Christ, qui aurait néanmoins été achevée autrement, bien que de manière successsive. Mais cela ne semble pas approprié. Premièrement, parce que si cette puissance n’a pas coopéré à la formation du corps du Christ, elle a été donnée en vain, ce qui n’arrive pas dans les œuvres de la nature, et encore moins dans les œuvres miraculeuses. Deuxièmement, parce que la bienheureuse Vierge n’était pas choisie pour être en même temps le père et la mère du Christ, mais pour être sa mère seulement. Il ne fallait donc pas que, dans la matière que la Vierge apportait, soit uni ce qui vient du père et de la mère dans les autres. Troisièmement, parce que personne n’est appelé père ou mère en vertu de la puissance active ou passive d’engendrer, mais selon que la puissance passe à l’acte. Si donc, dans la matière que la Vierge apportait, existait la puissance active qui est requise pour que le père et la mère exercent cette puissance, elle ne serait appelée ni père ni mère, ou, pour la même raison, père et mère, ce qui est absurde, à moins qu’il ne suffise pour être mère que le fait d’avoir fourni la matière, ce qui ne suffit pas pour être père, raison pour laquelle elle est appelée mère, et non pas père. Telle semble être l’intention du Philosophe, selon laquelle la virginité de la mère et la maternité véritable sont sauvegardées. Aussi s’accorde-t-elle au plus haut point avec la foi. En demeurant sur cette voie, il semble donc qu’il faille dire que, dans la conception d’une descendance, se rencontre une triple action. L’une qui est principale : la formation et l’organisation du corps. Par rapport à cette action, l’agent est seulement le père, mais la mère ne fait que fournir la matière. Une autre action précède cette action et la prépare. En effet, puisque la génération naturelle porte sur une matière déterminée, comme le dit le Philosophe dans Sur l’âme, II, il faut que la formation de la descendance se réalise à partir d’une matière convenable, et non pas à partir de n’importe quelle matière. Il faut donc qu’il existe une puissance active, par laquelle est préparée la matière en vue du fœtus, comme le Philosophedit que l’art qui réalise la forme ordonne et commande à celui qui prépare la matière ; ainsi l’art qui assemble le navire [commande-t-il] à celui qui aplanit le bois. Ainsi, la puissance qui prépare la matière pour le fœtus est-elle imparfaite par rapport à celle qui forme la descendance à partir de la matière préparée. Or, cette puissance qui prépare est celle de la mère, qui est imparfaite par rapport à la vertu active qui existe chez le père. Aussi le Philosophe dit-il que la femme est comme un enfant qui ne peut pas encore engendrer. La troisième action est concomitante, ou elle découle de l’action principale. En effet, de même que le lieu contribue à la bonté de la génération, de même la bonne disposition de la matrice contribue-t-elle à la bonne disposition de la descendance, en lui apportant la nourriture. C’est ce que dit Avicenne dans le chapitre sur les déluges : « La matrice ne contribue qu’à l’amélioration du fœtus. » D’après cela, je dis donc que, dans l’action principale de la formation du corps du Christ, rien d’actif n’est venu de la part de la bienheureuse Vierge ; mais ce que la bienheureuse Vierge a apporté n’a joué que le rôle de matière pour cette action. Mais la puissance divine a réalisé tout ce qui est réalisé dans les autres conceptions par la puissance de la semence qui vient du père. C’est pourquoi [Jean] Damascène dit de la puissance divine qu’elle est comme une semence divine, ainsi qu’on le lit dans le texte. Mais, dans la deuxième et la troisième action, la bienheureuse Vierge a contribué de manière active, comme les autres mères. Aussi a-t-elle été véritablement mère.

 [7776] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in conceptione Christi fuit duplex miraculum; unum quod femina concepit Deum, aliud quod virgo peperit filium. Quantum ergo ad primum beata virgo se habebat ad conceptionem secundum potentiam obedientiae tantum, et adhuc multo remotius quam costa viri, ut ex ea mulier formaretur. In talibus autem simul dantur actus et potentia ad actum, secundum quam dici posset quod hoc est possibile. Sed quantum ad secundum, habebat virgo potentiam passivam, naturalem tamen, quae per agens naturale in actum reduci posset. Unde quantum ad primum dicit: potentiam acceptivam verbi Dei; quantum vero ad secundum dicit: simul autem et generativam. Utramque enim potentiam in actum reduxit spiritus sancti virtus.

1. Dans la conception du Christ, il y a eu un double miracle : l’un, qu’une femme conçoive Dieu ; l’autre, qu’une vierge enfante un fils. Pour ce qui est du premier, la bienheureuse Vierge n’avait par rapport à la conception qu’une puissance obédientielle, et encore beaucoup plus éloignée que la côte de l’homme dont serait formée la femme. Or, dans de tels cas, l’acte et la puissance à l’acte, selon laquelle on pourrait dire que cela est possible, sont donnés en même temps. Mais, pour le second point, la Vierge avait une puissance passive, mais cependant naturelle, qui pouvait être amenée à l’acte par un agent naturel. Aussi dit-il, en rapport avec le premier point : « Une capacité de recevoir le Verbe de Dieu » ; mais, par rapport au second point, il dit : « En même temps qu’une capacité génératrice. » En effet, la puissance de l’Esprit Saint a amené à l’acte les deux puissances.

 [7777] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod potentia passiva potest accipi dupliciter: vel secundum substantiam potentiae; et sic potentia fuerat ante in beata virgine: vel secundum quod potentia passiva suae operationi conjungitur; et tale posse non habet patiens nisi ab agente; sicut dicimus, quod visibile movendo visum, dat sibi posse videre in actu; et per hunc modum potentiam generandi spiritus sanctus virgini dedit.

2. On peut entendre la puissance passive de deux manières : selon la substance de la puissance, et ainsi la puissance avait existé antérieurement chez la Vierge ; ou selon que la puissance est unie à son opération, et un patient ne reçoit cette capacité que de l’agent, comme nous disons que ce qui est visible, en mouvant la vue, lui donne le pouvoir de voir en acte. C’est de cette manière que l’Esprit Saint a donné à la Vierge le pouvoir d’engendrer.

 [7778] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Christus accepit humanam naturam a matre, non tamen sicut a principio agente, sed sicut a materiam ministrante.

3. Le Christ a reçu sa nature humaine de sa mère, mais non pas cependant comme d’un principe actif, mais en tant qu’elle apportait la matière.

 [7779] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod praebere materiam simpliciter ad generationem alicujus non facit matrem, sed praebere talem materiam sic praeparatam, est id quod matrem facit. In ligno enim non est potentia naturalis ut ex eo fiat scamnum, cum per agens naturale in actum non compleatur: similiter nec in limo terrae ut ex ea fiat homo; unde quod inducitur, non est simile.

4. Apporter simplement la matière pour la génération ne fait pas la mère, mais apporter telle matière préparée de telle manière est ce qui fait la mère. En effet, il n’existe pas dans le bois une puissance naturelle à devenir un escabeau, puisque cela n’est pas réalisé en acte par un agent naturel. De même, cela n’existe pas dans le limon de terre pour réaliser l’homme. Aussi n’est-ce pas la même chose pour ce qui est mis de l’avant.

 [7780] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod potentia generativa activa est; sed haec potentia est perfecte in viro (unde ejus actio se extendit usque ad formationem generati); in femina autem est imperfecta; unde non extendit se ejus actio nisi ad praeparationem materiae.

5. La puissance génératrice est active ; mais cette puissance existe d’une manière parfaite chez l’homme (c’est pourquoi son action va jusqu’à la formation de ce qui est engendré). Mais, chez la femme, elle est imparfaite ; aussi son action ne va-t-elle que jusqu’à la préparation de la matière.

 [7781] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod cujuslibet motus naturalis principium est in eo quod movetur, non tamen eodem modo, ut in 2 Physic. dicit Commentator. In quibusdam enim est principium activum, ut in motu gravium et levium; in quibusdam vero principium passivum, ut in generatione simplicium corporum. Unde et philosophus naturam, quam principium motus in eo quod movetur definit, statim subdividit in materiam et formam. Unde non oportet, quamvis generatio perfecti animalis sit naturalis, quod in materia quam femina ministrat, sit principium activum, sed passivum tantum.

6. Le principe de n’importe quel mouvement naturel existe dans ce qui est mû, mais non pas de la même manière, comme le dit le Commentateur dans Physique, II. En effet, il s’agit pour certains choses d’un principe actif, comme dans le mouvement des choses lourdes et légères ; mais, pour certaines choses, il s’agit d’un principe passif, comme dans la génération des corps simples. Aussi le Philosophe divise-t-il immédiatement en matière et forme la nature, qu’il définit comme le principe du mouvement dans ce qui est mû. Bien que la génération d’un animal parfait soit naturelle, il n’est donc pas nécessaire qu’existe un principe actif, mais seulement [un principe] passif dans la matière que la femelle apporte.

Articulus 2 [7782] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 2 tit. Utrum generatio Christi ex virgine sit naturalis vel miraculosa

Article 2 – La génération du Christ par une vierge est-elle naturelle ou miraculeuse ?

 [7783] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur, quod generatio Christi ex virgine sit naturalis. Filiatio enim nativitatem consequitur. Sed Christus dicitur naturalis filius matris, sicut et naturalis filius patris, ut dicit Augustinus in Lib. de fide ad Petrum. Ergo generatione naturali nascitur ex matre.

1. Il semble que la génération du Christ par une vierge soit naturelle. En effet, la filiation découle de la naissance. Or, « le Christ est appelé le fils naturel de sa mère, comme [il est appelé] le Fils naturel de son Père », ainsi que le dit Augustin dans le Livre adressé à Pierre sur la foi. Il naît donc de sa mère selon une génération naturelle.

 [7784] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, virtus naturalis passiva completa ab agente naturaliter exit in suam operationem, sicut visus motus a colore naturaliter videt. Sed in beata virgine fuit naturalis potentia ad generandum, quamvis incompleta, ut ex dictis patet. Ergo postquam fuit perfecta virtute spiritus sancti, naturaliter generavit.

2. La puissance passive achevée par l’agent aboutit naturellement à son opération, comme la vue mue par la couleur voit naturellement. Or, chez la bienheureuse Vierge, existait une puissance naturelle à engendrer, bien qu’elle ait été incomplète, comme cela ressort de ce qui a été dit. Après qu’elle a été achevée par la puissance de l’Esprit Saint, elle a donc engendré naturellement.

 [7785] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, in illuminatione caeci quamvis potentia visiva miraculose detur, tamen post acceptam potentiam naturaliter videt. Sed spiritus sanctus virgini potentiam generativam dedit. Ergo postea naturaliter generavit.

3. Bien que la puissance de voir soit donnée miraculeusement dans l’illumination de l’aveugle, il voit cependant naturellement après l’avoir reçue. Or, l’Esprit Saint a donné à la Vierge la puissance d’engendrer. Elle a donc engendré naturellement par la suite.

 [7786] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, si generatio Christi ex virgine esset miraculosa, sicut formatio hominis de limo terrae; tunc ita se haberet materia quam virgo ministravit ad Christum, sicut limus de terra sumptus ad Adam. Sed talis materia non sufficit ad rationem matris, ut prius dictum est. Ergo beata virgo non esset vera mater Christi; quod dicere est haereticum.

4. Si la génération du Christ par la Vierge était miraculeuse, comme la formation de l’homme à partir du limon de la terre, la matière que la Vierge a apportée au Christ jouerait donc le même rôle que le limon de la terre utilisé pour Adam. Or, une telle matière ne suffit pas à la raison de mère, comme on l’a dit plus haut. La bienheureuse Vierge ne serait donc pas la mère véritable du Christ, ce qu’il est hérétique de dire.

 [7787] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 2 arg. 5 Praeterea, operatio miraculosa non est ab aliqua creatura. Sed vere dicitur quod virgo genuit Christum. Ergo generatio talis non est miraculosa.

5. L’opération miraculeuse n’est pas le fait d’une créature. Or, il est vrai de dire que la Vierge a engendré le Christ. Une telle génération n’est donc pas miraculeuse.

 [7788] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 2 s. c. 1 Sed contra, Dionysius dicit in epistola 4 ad Gajum, de Jesu loquens: super homines, inquit, operatur ea quae sunt hominis; et hoc monstrat virgo supernaturaliter concipiens, et aqua instabilis, materialium et terrenorum pedum sustinens gravitatem. Sed hoc quod fit supernaturaliter, dicimus esse miraculosum. Ergo conceptio Christi ex virgine miraculosa fuit.

Cependant, [1] dans sa quatrième lettre à Gaïus, Denys dit en parlant de Jésus : « Ce qui relève de l’homme est accompli d’une manière plus élevée que les hommes. On montre ainsi que la Vierge a conçu de manière surnaturelle, et que l’eau instable a soutenu le poids des pieds matériels et terrestres. » Or, nous disons que ce qui est accompli surnaturellement est miraculeux. La conception du Christ par la Vierge a donc été miraculeuse.

 [7789] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Anselmus dicit in Lib. de conceptu virginis, cap. 22: spiritus sanctus virtus altissimi de muliere virgine virum virginem mirabiliter propagavit. Ergo generatio Christi ex virgine miraculosa est.

 [2] Anselme dit, dans le Livre sur la conception de la Vierge, XXII : « La puissance de l’Esprit Saint d’en haut a tiré de manière admirable un homme vierge de la Vierge. » La génération du Christ par la Vierge est donc miraculeuse.

 [7790] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 2 s. c. 3 Praeterea, sicut est contra naturae ordinem ut caecus videat; ita etiam ut virgo manens virgo pariat. Sed illuminationem caecorum dicimus miraculosam esse. Ergo et conceptio Christi ex virgine miraculosa est.

 [3] De même qu’il est contraire à l’ordre de la nature qu’un aveugle voie, de même aussi l’est-il qu’une vierge enfante tout en demeurant vierge. Or, nous disons que l’illumination des aveugles est miraculeuse. La conception du Christ par la Vierge est donc aussi miraculeuse.

 [7791] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod praeter unionem duarum naturarum in unam hypostasim, quae completa est in conceptione Christi, quae est miraculum omnium miraculorum, est etiam aliud miraculum ut virgo manens virgo concipiat hominem Deum. Ad hoc enim quod generatio aliqua naturalis dicatur, oportet quod fiat ab agente naturaliter, et ex materia naturali ad hoc proportionata. Quodcumque autem horum defuerit, non potest dici generatio naturalis, sed miraculosa; si virtute fiat supernaturali. Agens autem naturale, cum sit finitae virtutis, non potest ex materia non naturaliter proportionata effectum producere: agens vero supernaturale, cum sit infinitae virtutis, potest ex utraque materia operari, naturali scilicet et non naturali; et ideo duobus modis contingit esse miraculum. Uno modo quando neque agens est naturale neque materia naturaliter proportionata ad talem formam, ut patet in formatione hominis de limo terrae. Alio modo quando materia est naturalis, sed agens est supernaturale, ut quando aliquis miraculose a febre sanatur: corpus enim hominis est naturalis materia sanitatis, quae per supernaturale agens confertur ei. Et similiter fuit in conceptione hominis Christi. Materia enim quam virgo ministravit, fuit materia ex qua naturaliter corpus hominis formari potuit; sed virtus formans fuit divina. Unde simpliciter dicendum est, conceptionem illam miraculosam esse, naturalem vero secundum quid: et propter hoc Christus dicitur naturalis filius virginis, quia naturalem materiam ad ejus conceptum praeparavit.

Réponse. En plus de l’union des deux natures dans une seule hypostase, qui a été accomplie lors de la conception du Christ et qui est le miracle des miracles, il y a aussi un autre miracle : qu’une vierge conçoive un homme Dieu, tout en demeurant vierge. En effet, pour qu’une génération soit appelée naturelle, il faut qu’elle soit réalisée par un agent de manière naturelle et à partir d’une matière naturelle qui y est proportionnée. Or, si l’une de ces choses fait défaut, la génération ne peut pas être appelée naturelle, mais miraculeuse, si elle est accomplie par une puissance surnaturelle. Or, un agent naturel, puisqu’il possède une puissance finie, ne peut produire un effet à partir d’une matière qui n’est pas naturellement proportionnée ; mais un agent surnaturel, puisqu’il possède une puissance infinie, peut agir à partir des deux matières, la naturelle et celle qui n’est pas naturelle. Aussi un miracle peut-il exister de deux manières. D’une manière, lorsque ni l’agent n’est naturel, ni la matière n’est naturellemenet proportionnée à une telle forme, comme cela ressort dans la formation de l’homme à partir du limon de la terre. D’une autre manière, lorsque la matière est naturelle, mais que l’agent est surnaturel, comme lorsque quelqu’un est guéri de la fièvre miraculeusement : en effet, le corps de l’homme est naturellement la matière de la santé, qui lui est conférée par un agent surnaturel. De même en a-t-il été pour la conception de l’homme Christ. En effet, la matière que la Vierge a apportée a été une matière dont le corps d’un homme pouvait être formé ; mais la puissance formatrice a été divine. Aussi faut-il dire qu’à parler simplement, cette conception a été miraculeuse, mais qu’à parler d’une manière relative, elle a été naturelle. Pour cette raison, le Christ peut être appelé le fils naturel de la Vierge, car elle a préparé la matière naturelle de son fœtus.

 [7792] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 2 ad 1 Inde patet responsio ad primum.

1. De là ressort la réponse à la première objection.

 [7793] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quando potentia passiva completur per operationem naturalis agentis, tunc operatio sequens est naturalis. Hoc autem non fuit in proposito; et ideo ratio non sequitur.

2. Lorsque la puissance passive est achevée par l’action de l’agent naturel, l’opération qui en découle est alors naturelle. Mais tel n’est pas le cas ici. Aussi le raisonnement n’est-il pas concluant.

 [7794] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod caeco nato illuminato datur potentia visiva sine omni dispositione contraria visioni; et ideo operatio seu visio sequens est naturalis. Sed potentia generandi data est virgini manente virginitate, quae est dispositio contraria ad conceptum: et ideo sicut potentia miraculose data est, ita et actus sequens miraculosus fuit. Vel dicendum, quod caeco illuminato datur potentia passiva, cujus operatio est per hoc quod movetur ab agente naturali, scilicet colore; et ideo visio ipsa naturalis est. Sed virgini dicitur data potentia generativa per hoc quod mota est ejus potentia passiva ad generandum ab agente supernaturali; et ideo operatio sequens est miraculosa.

 

3. La puissance de voir est donnée à l’aveugle-né sans aucune disposition contraire à la vision ; aussi l’opération ou la vision subséquente est-elle naturelle. Mais la puissance d’engendrer a été donnée à la Vierge alors que demeurait sa virginité, qui est une disposition contraire à la conception. Aussi, de même que la puissance [lui] a été miraculeusement donnée, de même l’acte qui en est découlé a-t-il été miraculeux. Ou bien il faut dire qu’a été donnée à l’aveugle illuminé une puissance passive, dont l’action vient de ce qu’elle est mue par un agent naturel, la couleur ; c’est pourquoi la vision elle-même est naturelle. Mais on dit que la puissance d’engendrer a été donnée à la Vierge par le fait que sa puissance passive a été mue à engendrer par un agent surnaturel. Aussi l’opération subséquente est-elle miraculeuse.

 [7795] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod formatio hominis de limo terrae fuit miraculosa quantum ad agens et quantum ad materiam; sed conceptio est miraculosa quantum ad agens, et non quantum ad materiam; et ideo non est simile de utroque.

4. La formation de l’homme à partir du limon de la terre était miraculeuse quant à l’agent et quant à la matière. Cependant, la conception est miraculeuse quant à l’agent, mais non pas quant à la matière. Ce n’est donc pas la même chose dans les deux cas.

 [7796] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod beata virgo dicitur genuisse Christum, non sicut principium activum ad generationem praebens, sed sicut ministrans materiam naturalem; unde non est inconveniens quod generatio illa miraculosa fuerit. Operatio vero miraculosa non est alicujus creaturae sicut agentis, est tamen alicujus creaturae sicut materiae, ut patet ex eo quia miraculose ex aliqua creata materia Deus quandoque aliquid facit.

5. On dit que la bienheureuse Vierge a engendré le Christ, non pas en tant que principe actif menant à la génération, mais en tant qu’elle a apporté la matière naturelle. Il n’est donc pas inapproprié que cette génération ait été miraculeuse. Mais l’opération miraculeuse ne relève pas d’une créature comme d’un agent ; elle relève cependant d’une créature comme de sa matière, comme cela ressort du fait que Dieu réalise parfois quelque chose miraculeusement à partir d’une matière créée.

 

 

Quaestio 3

Question 3 – [L’Annonciation ]

Prooemium

Prologue

 [7797] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 pr. Deinde quaeritur de Annuntiatione facta per Angelum ad beatam virginem; et circa hoc quaeruntur duo: 1 de convenientia Annuntiationis; 2 de convenientia nuntii.

On s’interroge ensuite sur l’Annonciation faite par l’ange à la bienheureuse Vierge. À ce propos, deux questions sont soulevées : 1 – Sur la convenance de l’Annonciation. 2 – Sur la convenance du messager.

 

 

Articulus 1 [7798] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 1 tit. Utrum conveniebat virgini salvatoris conceptionem nuntiari

Article 1 – Convenait-il qu’une annonce de la conception du Sauveur soit faite à la Vierge ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Était-il nécessaire que la conception du Sauveur soit annoncée à la Vierge ?]

 [7799] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur, quod non oportebat virgini salvatoris annuntiari conceptionem. Ipsa enim fidem habebat. Sed semper ad fidem pertinuit credere incarnationem futuram. Ergo non oportebat ulterius quod per modum Annuntiationis sibi patefieret.

1. Il semble qu’il ait été nécessaire que la conception du Sauveur soit annoncée à la Vierge. En effet, celle-ci avait la foi. Or, il a toujours relevé de la foi de croire à l’incarnation à venir. Il n’était donc pas nécessaire que celle-ci lui soit encore manifestée sous forme d’annonce.

 [7800] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, sicut dicit Gregorius, fides non habet meritum cui humana ratio praebet experimentum. Sed in collocutione Angeli ad virginem quaedam persuasiva ratiocinatio facta est. Ergo meritum fidei in ipsa vel evacuavit vel diminuit, quod videtur inconveniens.

2. Comme le dit Grégoire, la foi n’a pas de mérite pour celui à qui la raison humaine donne une confirmation. Or, par l’échange entre l’ange et la Vierge, un certain raisonnement à caractère persuasif a été réalisé. Il a donc annulé ou diminué en elle le mérite de la foi, ce qui semble inapproprié.

 [7801] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, in his quae sine hominis arbitrio Deus in homine complet, non requiritur aliquis consensus ex parte hominis. Sed prophetia praedestinationis est de his quae sine nostro complentur arbitrio, ut habetur ex Hieronymo in Glossa Matth. 1 super illud: ecce virgo in utero habebit; cujusmodi dicit esse hanc prophetiam Isai. 7, 14: ecce virgo concipiet. Ergo non requirebatur aliquis consensus ex parte virginis, ratione cujus oporteret Annuntiationem fieri.

3. Dans ce que Dieu accomplit dans l’homme sans la volonté de l’homme, un consentement n’est pas requis de la part de l’homme. Or, une prophétie de prédestination fait partie de ce qui est accompli sans notre volonté, comme on le lit chez Jérôme, dans sa glose sur Mt 1 : Voici qu’une vierge portera, dont il dit qu’il s’agit de la prophétie de Is 7, 14 : Voici qu’une vierge concevra. Un consentement n’était donc pas requis de la part de la Vierge, raison pour laquelle il fallait qu’une annonce [lui] soit faite.

 [7802] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, majoris sapientiae ostensivum est miraculum factum in conceptione Christi ex virgine quam in conceptione Joannis ex sterili. Sed conceptio Joannis per Angelum praenuntiata fuit, ne fortuito, sed ex Dei providentia accidere putaretur. Ergo multo amplius conceptionem Christi Annuntiatio praecedere debuit.

Cependant, [1] le miracle accompli lors de la conception du Christ par une vierge manifeste une plus grande sagesse que lors de la conception de Jean par une femme stérile. Or, la conception de Jean a été annoncée à l’avance par un ange, de sorte qu’on ne la croie pas fortuite, mais survenue par la providence de Dieu. À bien plus forte raison, une annonce devait-elle donc précéder la conception du Christ.

 [7803] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, in conceptione Christi est factum quoddam matrimonium per indivisibilem conjunctionem divinae et humanae naturae. Sed in matrimonio requiritur consensus, qui per verba nuntiorum et requiritur et reconciliatur. Ergo et decuit ut Deus per Angelum suum consensum exquireret virginis, de qua humanam naturam assumeret.

 [2] Lors de la conception du Christ, s’est réalisé une sorte de mariage par l’union indivisible de la nature divine et de la nature humaine. Or, dans le mariage, le consentement est requis : il est exigé et confirmé par les paroles des messagers. Il convenait donc que, par l’intermédiaire de son ange, Dieu exige le consentement de la Vierge à ce qu’il assume la nature humaine.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [L’annonciation a-t-elle eu lieu sous forme de vision corporelle ?]

 [7804] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur, quod Annuntiatio non fuerit per modum corporalis visionis. Ut enim dicit Augustinus, inter tria visionis genera, quae sunt corporale, spirituale, et intellectuale, intellectualis visio est praestantior. Sed quod dignius est, matrem Dei magis decet. Ergo per intellectualem visionem, et non per corporalem, facta est Annuntiatio.

1. Il semble que l’Annonciation ait eu lieu sous forme de la vision corporelle. En effet, comme le dit Augustin, parmi les trois genres de visions : corporelle, spirituelle et intellectuelle, la vision intellectuelle l’emporte. Or, ce qu’il y a de plus digne convient à la mère de Dieu. L’Annonciation a donc eu lieu sous forme de vision intellectuelle, et non pas corporelle.

 [7805] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, apparitiones corporales Angelorum eo quod insolitae sunt, et praeter communem cursum naturae, inter signa et mirabilia computari possunt. Signa autem data sunt non fidelibus, sed infidelibus, ut dicit apostolus, 1 Corinth., 14. Cum igitur beata virgo fidelissima fuerit, non videtur ad eam apparitio corporalis Angeli fuisse facta.

2. Du fait qu’elles sont inhabituelles et étrangères au cours général de la nature, les apparitions corporelles d’anges peuvent être comptées parmi les signes et les choses étonnantes. Or, les signes n’ont pas été donnés pour les croyants, mais pour les incroyants, comme le dit l’Apôtre, 1 Co 14. Puisque la bienheureuse Vierge était croyante au plus haut point, il ne semble donc pas que l’apparition corporelle d’un ange lui ait été faite.

 [7806] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, Luc. 1, super illud: quae cum audisset turbata est, dicit Glossa: trepidare virginum est, et omnem viri ingressum pavere, omnesque viri affatus vereri. Non autem hoc virginibus efficitur ex intellectuali consideratione viri vel ex imaginatione, sed ex corporali aspectu. Ergo Angelus in corporali visione virgini apparuit et eam collocutus est.

Cependant, à propos de Lc 1 : Elle fut troublée en entendant cela, la Glose dit : « C’est le propre des vierges de trembler, de craindre chaque fois qu’un homme approche et de redouter tout ce que dit un homme. » Or, cela n’arrive pas aux vierges du fait d’une vision intellectuelle ou de l’imagination, mais du fait de l’aspect corporel. L’ange est donc apparu sous forme de vision corporelle et lui a parlé.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [7807] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod congruum fuit virgini suam conceptionem annuntiari, multis de causis. Primo, quia cum mens Deo sit vicinior quam corpus, non decebat ut Dei sapientia ejus uterum inhabitaret sine hoc quod mens ejus cognitione summae sapientiae resplenderet; et ideo non decuit eam ignorare quod in ea fiebat, sed oportuit hoc sibi annuntiari. Secundo, quia ipsa futura erat certissima testis inusitatae conceptionis; unde oportuit quod de tam magno mysterio per Annuntiationem erudiretur. Tertio, quia Deus non diligit coacta sed voluntaria servitia, ut qui obsequuntur ex ipso ministerio mereantur. Unde cum beata virgo singulariter et excellenter in Dei ministerium eligeretur, quem in utero portavit, lacte aluit, et brachiis bajulavit, decuit ut consensus ejus Angelo nuntiante requireretur, quem humiliter praebens, ad obsequium se sedulam et promptam obtulit dicens: ecce ancilla domini.

Il convenait que sa conception soit annoncée à la Vierge pour plusieurs raisons. Premièrement, parce que l’esprit est plus proche de Dieu que le corps, il ne convenait pas que la Sagesse de Dieu habite en son sein sans que son esprit brille de la connaissance de la sagesse divine ; c’est pourquoi il ne convenait pas qu’elle ignore ce qui s’accomplissait en elle, mais il fallait que cela lui soit annoncé. Deuxièmement, parce qu’elle devait être un témoin très certain d’une conception inhabituelle ; il fallait donc qu’elle soit informée d’un si grand mystère par l’Annonciation. Troisièmement, parce que Dieu n’aime pas qu’on l’honore de force, mais volontairement, de sorte que ceux qui lui obéissent tirent un mérite de leur service. Puisque la bienheureuse Vierge allait être choisie d’une manière singulière et excellente pour le service de Dieu, qu’elle a porté en son sein, a nourri de son lait et a tenu dans ses bras, il convenait donc que son consentement soit demandé lors de l’annonce par un ange : en le donnant humblement, elle s’est offerte avec promptitude et empressement, en disant : Voici la servante du Seigneur.

 [7808] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non erat determinate sub fide cadens tempus incarnationis, et per quam virginem hoc esset implendum; unde de hoc instruenda erat per Annuntiationem. Incarnationem enim futuram esse, quod antiquorum fidei subjacebat, firmissima fide tenebat.

1. Le moment de l’incarnation ne tombait pas sous la foi de manière déterminée, ni par quelle vierge cela devait s’accomplir. Elle devait donc être informée de cela par l’Annonciation. En effet, elle croyait très fermement en l’incarnation à venir, qui tombait sous la foi des anciens.

 [7809] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod allocutio Angeli non ex humana ratione persuasit, sed ex omnipotentia divina, cui fides maxime innititur: dixit enim: non erit impossibile apud Deum omne verbum.

2. Le discours de l’ange ne persuadait pas par un raisonnement humain, mais par la puissance divine, sur laquelle s’appuie la foi au plus haut point. En effet, il disait : Rien ne sera impossible à Dieu.

 [7810] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ea de quibus est prophetia praedestinationis complentur sine nostro arbitrio causante; non tamen oportet quod sine arbitrio consentiente.

3. Ce sur quoi porte la prophétie de prédestination s’accomplit sans notre libre arbitre ; il n’est cependant pas nécessaire que cela soit sans le consentement de notre libre arbitre.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [7811] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod convenientissime per corporalem visionem Annuntiatio facta est. Primo ut Annuntiatio esset certior. In his enim quae visibiliter cernimus minus decipimur. Secundo, quia, ut dicit Dionysius in epistola 9 ad Titum, haec est causa quare nobis divina per corporales figuras proponuntur, ut utraque vita hominis secundum suam proprietatem divina cognitione illuminetur; sensitiva scilicet imaginatione figurarum; intellectiva vero contemplatione spiritualis veritatis. Similiter etiam decuit ut virginis aspectus uterque suo modo nobilitaretur, interior scilicet per revelationem tanti mysterii, et exterior per corporalem Angeli visionem. Tertio, quia Annuntiatio debebat proportionari ei quod annuntiabatur. Annuntiabatur autem visibilis missio filii Dei in mundum; unde decenter Angelus nuntians corporali visione apparuit.

C’est d’une manière très appropriée que l’Annonciation a été faite sous forme de vision corporelle. Premièrement, afin que l’Annonciation soit plus certaine. En effet, nous nous trompons moins dans ce que nous distinguons visiblement. Deuxièmement, parce que, comme le dit Denys dans sa lettre 9 à Tite, « la raison pour laquelle les réalités divines nous sont proposées sous forme de figures corporelles est que la double vie de l’homme soit illuminée selon ce qui lui est propre par la connaissance divine : la [vie] sensitive, par la vision imaginative des figures ; la vie intellectuelle, par la contemplation de la vérité spirituelle ». De même aussi, il convenait que le double regard de la Vierge soit ennobli à sa manière : le regard intérieur, par la révélation d’un si grand mystère ; le regard extérieur, par la vision corporelle de l’ange. Troisièmement, parce que l’Annonciation devait être proportionnée à ce qui était annoncé. Or, c’était la mission visible du Fils de Dieu dans le monde qui était annoncée. Un ange est donc apparu de manière appropriée, annonçant sous la forme d’une vision corporelle.

 [7812] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo contra hoc objectum dicendum, quod quamvis intellectualis visio sit melior corporali, tamen utraque simul efficacior invenitur quam altera, propter connaturalitatem humanae cognitionis ad sensum.

1. Bien que la vision intellectuelle soit meilleure que la vision corporelle, les deux ensemble sont cependant plus efficaces qu’une seule, en raison de la connaturalité de la connaissance humaine par rapport au sens.

 [7813] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod corporalis apparitio ad virginem facta est, non propter confirmationem fidei, sed propter significationem mysterii, vel propter dignitatem ipsius, ut sibi singulari modo divina panderentur.

2. L’apparition corporelle à la Vierge n’a pas été faite pour l’affermissement de sa foi, mais en vue de la signification du mystère ou en raison de sa dignité, de sorte que les réalités divines lui soient manifestées d’une manière unique.

Articulus 2 [7814] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 2 tit. Utrum Annuntiatio debuit fieri per Angelum

Article 2 – L’Annonciation devait-elle être faite par un ange ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [L’Annonciation devait-elle être faite par un ange ?]

 [7815] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur, quod Annuntiatio per Angelum fieri non debuit. Missio enim qua filius mittitur ut sit homo, est excellentior ea qua mittitur ut sit cum homine, ex parte effectus. Sed missio qua mittitur in mentem ut sit cum homine, non completur mediante Angelo, qui menti non illabitur, ut in 2 Lib., dist. 11, art. 4, dictum est. Ergo nec quando missus est ut esset homo, oportuit per Annuntiationem Angeli fieri.

1. Il semble que l’Annonciation ne devait pas être faite par un ange. En effet, la mission par laquelle le Fils est envoyé pour être un homme est plus grande que celle par laquelle il est envoyé pour être avec l’homme, du point de vue de l’effet. Or, la mission par laquelle il est envoyé dans l’esprit pour être avec l’homme ne se réalise pas par l’intermédiaire d’un ange, qui ne s’insinue pas dans l’esprit, comme on l’a dit dans le livre II, d. 11, a. 4. Il ne fallait donc pas non plus qu’elle soit faite par l’Annonciation lorsque qu’il a été envoyé pour être un homme.

 [7816] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, superior non instruitur per inferiorem. Sed beata virgo fuit Angelis superior quia Deo acceptior. Ergo non debuit sibi per Angelum Christi conceptio nuntiari.

2. Un supérieur n’est pas informé par un inférieur. Or, la bienheureuse Vierge était supérieure aux anges parce qu’elle était plus agréable à Dieu. La conception du Christ ne devait donc pas lui être annoncée par un ange.

 [7817] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, ordo reparationis debet respondere ordini primae conditionis. Sed in prima conditione praeceptum divinum ad mulierem per virum venit. Ergo et per aliquem virum prophetam annuntiari debuit virgini conceptio filii.

3. L’ordre de la restauration doit correspondre à l’ordre de la condition première. Or, dans la condition première, le commandement divin est parvenu à la femme par l’homme. Sa conception d’un fils devait donc être annoncée à la Vierge par un prophète humain.

 [7818] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur in littera: missus est Gabriel Angelus.

Cependant, [1] il est dit dans le texte : L’ange Gabriel fut envoyé.

 [7819] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, ut probat Dionysius, Angeli sunt medii inter Deum et nos. Sed ab uno extremo in aliud devenitur per medium. Ergo ea quae beatae virgini divinitus nuntianda erant, per Angelum nuntiari decuit.

 [2] Comme le montre Denys, les anges sont des intermédiaires entre Dieu et nous. Or, on parvient d’un extrême à l’autre en passant par ce qui est intermédiaire. Il convenait donc que ce qui devait être annoncé à la bienheureuse Vierge lui soit annoncé par un ange.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [L’ange de l’Annonciation faisait-il partie des ordres les plus élevés ?]

 [7820] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod Angelus nuntians fuerit de supremis ordinibus. Dicit enim Gregorius in Homil. de centum ovibus. Summum nuntium mitti decuit, qui summum omnium nuntiaret. Sed illi qui sunt in ordine Seraphim, sunt summi inter Angelos. Ideo per aliquem eorum Annuntiatio facta est.

1. Il semble que l’ange de l’Annonciation faisait partie des ordres les plus élevés. En effet, Grégoire dit dans une homélie sur les cent brebis : « Il convenait que l’envoyé le plus élevé soit envoyé, lui qui devait annoncer ce qui était le plus grand de tout. » Or, ceux qui font partie des l’ordre des Séraphins sont les plus élevés parmi les anges. L’Annonciation a donc été faite par l’un d’entre eux.

 [7821] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, Hieronymus dicit, quod ista est quaestio inferiorum Angelorum mysterium incarnationis non plene cognoscentium, quae ponitur Isai. 63, 1: quis est iste qui venit de Edom ? Sed non potuit nuntiari mysterium incarnationis nisi per illos quibus plene revelatum est. Ergo Annuntiatio per aliquem de supremis Angelis facta est.

2. Jérôme dit que cette question porte sur les anges inférieurs qui ne connaissaient pas pleinement le mystère de l’incarnation : elle apparaît dans Is 63 : Qui est celui-ci qui vient d’Édom ? Or, le mystère de l’incarnation ne pouvait être annoncé que par ceux à qui il a été pleinement révélé. L’Annonciation a donc été faite par un des anges les plus élevés.

 [7822] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod Ecclesia cantat: Gabrielem Archangelus scimus divinitus te esse affatum. Ordo autem Archangelorum est penultimus caelestis hierarchiae, ut patet ex Gregorio, et ex Dionysio. Ergo Angelus nuntians non fuit de supremis ordinibus.

Cependant, l’Église chante le contraire : « Nous savons que l’archange Gabriel a été informé par Dieu. » Or, l’ordre des archanges est l’avant-dernier de la hiérarchie céleste, comme cela ressort de Grégoire et de Denys. L’ange qui annonce ne faisait donc pas partie des ordres les plus élevés.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [7823] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum, ad primum quaesitum, quod Annuntiatio per Angelum facta est: cujus ratio multipliciter accipi potest. Primo, quia ut dicit Hieronymus, Angelis est cognata virginitas; unde decuit ut ad virginem nuntiandam Angelus mitteretur. Secundo, quia perditio humana initium sumpsit ex hoc quod Diabolus mulierem allocutus est; unde dicit Beda: congruum apparet ad humanae naturae reparationis exordium ut Angelus virginem alloqueretur. Tertio, quia ille annuntiabatur qui est rex hominum et Angelorum; et ejus nativitas sicut in salutem hominum fuit, ita et in reparationem ruinae angelicae; et ideo decuit ut tam homines quam Angeli huic mysterio ministerium exhiberent.

L’Annonciation a été faite par un ange : de multiples raisons peuvent en être données. Premièrement, parce que, comme le dit Jérôme, la virginité est connue des anges ; aussi convenait-il qu’un ange soit envoyé pour faire l’annonce à une vierge. Deuxièmement, parce que la perdition humaine a pris origine dans le fait que le Diable a parlé à la femme ; aussi Bède dit-il : « Il semble convenable qu’un ange parle à une vierge au début de la restauration de l’homme. » Troisièmement, parce que c’est le roi des hommes et des anges qui était annoncé ; de même que sa naissance avait pour but le salut des hommes, de même était-elle pour la restauration de la ruine des anges. Il convenait donc que les hommes comme les anges soient au service de ce mystère.

 [7824] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis quando filius in mentem mittitur, Angelus in mentem non illabatur; tamen filio venienti obsequitur praeparans mentem purgando, illuminando, et perficiendo ad divinae sapientiae susceptionem. Ita etiam et quando filius in carnem missus est, Angelus non venit ut carnem assumeret, sed ut virginem instrueret, de qua caro assumenda erat.

1. Bien qu’un ange ne s’insinue pas dans l’esprit lorsque le Fils est envoyé à l’esprit, il est cependant au service du Fils qui vient, par la préparation de l’esprit en le purifiant, l’illuminant et le perfectionnant pour recevoir la sagesse divine. Aussi, lorsque le Fils a été envoyé dans la chair, l’ange n’est-il pas venu pour prendre chair, mais pour informer la Vierge dont il devait prendre chair.

 [7825] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis beata virgo superior Angelis fuerit secundum acceptionem divinae praedestinationis, tamen eis inferior erat quantum ad statum: quia ipsa in statu viae erat, Angeli autem in statu patriae. Unde non est inconveniens quod Angelus virginem instrueret.

Bien que la bienheureuse Vierge ait été supérieure aux anges du point de vue de la prédestination divine, elle leur était cependant inférieure par son état, car elle était dans l’état du cheminement, alors que les anges sont dans l’état de la patrie. Il n’est donc pas inapproprié qu’un ange ait informé la Vierge.

 [7826] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in prima conditione mulier prima non accepit divinum praeceptum nisi per illum virum qui erat principium totius carnalis generationis; unde hoc solum debetur homini Christo, qui est spiritualis regenerationis principium, ut matrem doceat ex qua vita spiritualis in omnes quodammodo processit.

3. Dans la condition primitive, la première femme n’a reçu le commandement divin que par l’homme, qui était le principe de toute la génération charnelle. Il revient donc seulement à l’homme Christ, qui est le principe de la régénération spirituelle, d’enseigner à sa mère, de laquelle la vie spirituelle est passée chez tous.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [7827] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem ergo dicendum est quod Angelus nuntians non fuit de suprema nec de media hierarchia, sed de infima; nec de primo ordine ejusdem hierarchiae, sed de medio, qui est ordo Archangelorum. Cujus ratio multiplex patet: primo, quia cum Christus nasceretur, ut inordinationem quae in Angelis acciderat repararet, decuit ut in sua conceptione ordo ille caelestis hierarchiae maxime servaretur, ut scilicet supremi Angeli mediantibus infimis homines illuminarent. Secundo, ut tantum mysterium incarnationis conveniens esset. Cum enim inferiores Angeli agant secundum id quod a superioribus recipiunt, et non e converso, dum inferiores Angeli nuntiant, Annuntiatio per superiores ad inferiores expletur: quod non esset, si superiores immediate annuntiarent. Tertio, quia sic salvatur proprietas ordinum, sicut in 2, dist. 9, art. 3 et 4 et 7, dictum est. Infima enim hierarchia officium habet dirigendi homines secundum quamdam limitationem; vel unius provinciae sicut ordo principatuum; vel unius hominis, sicut ordines Angelorum et Archangelorum: sed differunt: quia ad Angelos pertinet dirigere in actibus alicujus hominis qui ad ipsum tantum pertinent; unde dicuntur minima nuntiare: ad Archangelos vero pertinet dirigere in actibus alicujus hominis, qui tamen in totam multitudinem redundant; unde et medii sunt inter principatus et Angelos; quod et eorum nomen ostendit; dicuntur enim Archangeli, quasi principes Angeli. Quia ergo consensus beatae virginis, qui per Annuntiationem requirebatur, actus singularis personae erat in multitudinis salutem redundans, immo totius humani generis, Angelus nuntians de ordine Archangelorum esse debuit, et inter eos summus.

L’ange qui a fait l’annonce ne faisait partie ni d’une hiérarchie suprême, ni d’une hiérarchie intermédiaire, mais de la hiérarchie la plus basse ; et il ne faisait pas partie du premier ordre de cette même hiérarchie, mais d’un ordre intermédiaire, qui est l’ordre des archanges. Il y a à cela plusieurs raisons. Premièrement, puisque le Christ est né pour réparer le désordre qui s’était produit chez les anges, il convenait que, lors de sa conception, l’ordre de la hiérarchie céleste soit respecté au mieux, à savoir que les anges supérieurs illuminent les hommes par l’intermédiaire des anges les plus inférieurs. Deuxièmement, afin que le si grand mystère de l’incarnation convienne. En effet, puisque les anges inférieurs agissent selon ce qu’ils reçoivent des anges supérieurs, et non l’inverse, lorsque les anges inférieurs l’annoncent, l’Annonciation est faite aux anges inférieurs par l’intermédiaire des anges supérieurs, ce qui ne serait pas le cas si les anges supérieurs annonçaient de manière immédiate. Troisièmement, parce que ce qui est propre aux ordres est ainsi respecté, comme on l’a dit dans le livre II, d. 9, aa. 3, 4 et 7. En effet, la hiérarchie la plus inférieure a la fonction de diriger les hommes à l’intérieur de certaines limites : à l’intérieur d’une province, comme l’ordre des principautés, ou à l’égard d’un homme, comme les ordres des anges et des archanges. Mais ils sont différents, car il appartient aux anges de diriger les actes d’un homme qui le concernent lui seul ‑ aussi dit-on qu’ils annoncent les plus petites choses ; mais il appartient aux archanges de diriger les actes d’un homme qui rejaillissent sur toute une multitude. Aussi sont-ils intermédiaires entre les principautés et les anges, ce que montre leur nom. En effet, on les appelle archanges dans le sens d’anges dirigeants. Parce que le consentement de la bienheureuse Vierge, qui était demandé par l’Annonciation, était l’acte d’une seule personne rejaillissant sur le salut d’une multitude, bien plus, de tout le genre humain, l’ange qui annonçait devait donc faire partie des archanges, et il devait être le premier d’entre eux.

 [7828] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo contra hoc objectum dicendum, quod Gregorius non intelligit summum simpliciter, sed summum inter Angelos, secundum quod quilibet Archangelus summus nuntius dici potest: quod patet ex hoc quod praemittit: Archangeli dicuntur quasi summi nuntii.

1. Grégoire n’entend pas le plus élevé tout simplement, mais le plus élevé parmi les anges, selon que n’importe quel archange peut être appelé l’envoyé le plus élevé, ce qui ressort de ce qui est dit auparavant : « Ils sont appelés archanges au sens d’envoyés les plus élevés. »

 [7829] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Angeli inferiores non penitus mysterium incarnationis ignoraverunt; sed quia non totam profunditatem consilii divini super salutem humani generis capere poterant, inquirebant plenius edoceri, et de hoc in 2 Lib., dist. 11, plenius dictum est.

2. Les anges inférieurs n’ignoraient pas complètement le mystère de l’incarnation ; mais parce qu’ils ne pouvaient saisir toute la profondeur du dessein de Dieu pour le salut du genre humain, ils demandaient d’en être davantage instruits. On a parlé plus longuement de cela dans le livre II, d. 11.

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard (Questions 1, 2 et 3)

 [7830] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 2 qc. 2 expos. Virtus altissimi obumbrabit tibi. Virtus altissimi, secundum expositionem Damasceni sequentem intelligitur filius, de quo Corinth. 1, dicitur: Christum Dei virtutem, et Dei sapientiam; ut sic in verbis Angeli praenuntietur duarum personarum adventus in virginem, scilicet spiritus sancti ad purgandum et potentiam generativam praestandum, et filii ad carnem assumendum: propter quod dicit: obumbrabit tibi virtus. Virtus enim altissimi per susceptionem nostrae infirmitatis obumbrata est. Vel dicitur: obumbrabit tibi, ad signandum extinctionem omnimodam fomitis: quia per adventum filii in ipsam omnes reliquiae fomitis ab ea extirpatae sunt; et haec extirpatio obumbratio dicitur, sicut et fomes incendium: umbra enim contra aestum refrigerium praestat. Sicut divinum semen. Non dicit simpliciter semen, ut caveret errorem Apollinaristarum qui ponebant spiritum sanctum in uterum virginis vere sicut semen venisse. In hoc tamen similitudinem seminis habet quod sicut semen est activum in generatione, ita et spiritus sanctus in conceptione Christi, vel filius quem virtutem altissimi dicit. Nostrae antiquae aspersionis: non quantum ad vetustatem culpae, sed poenae. Per spiritum sanctum creans. Contra, creare est ex nihilo aliquid facere. Sed corpus Christi de materia formatum est. Ergo non est per spiritum sanctum in conceptione creatum. Sed dicendum, quod creatio hic large accipitur pro qualibet operatione supernaturali, quae ipsius tantum Dei est. Si dixerimus quia peccatum non habemus, nos ipsos seducimus. Videtur instantia esse de puero baptizato, et de adulto, qui statim vere confessus est. Sed dicendum, quod ad hoc ut veritatem in omnibus habeat dictum apostoli, dupliciter potest accipi. Uno modo ut per peccatum non tantum intelligatur macula et reatus peccati, sed etiam causa et sequela peccati. In puero enim baptizato, et adulto poenitente manet fomes incitans ad peccandum, et ulterius aliquae dispositiones ex actuali peccato relictae; in Christo autem neutrum horum fuit: caro enim ejus sine corruptione fomitis concepta est; et cum peccatum non fecerit, reliquiae peccati in eo non fuerunt: similiter nec in beata virgine, quae immunis a peccato actuali fuit; fomes autem etsi essentialiter in ea remansit post primam sanctificationem, tamen ut ligatus, et non ut incitans ad peccatum, ut dictum est. Alio modo potest verificari, ut intelligatur etiam de peccato actuali quo ad reatum et maculam. Etsi enim homo ad breve tempus sine actuali peccato esse possit, non tantum diu sic perseverare potest, ut saltem in veniale peccatum non cadat; ut sic hoc verbum habemus non determinatum, sed confusum praesens importet. In Christo vero et matre ejus nullo modo peccatum actuale locum habuit, nec mortale nec veniale.

 

 

 

Quaestio 4

Question 4 – [Questions sur la condition charnelle que le Christ a reçue de sa mère]

Prooemium

Prologue

 [7831] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 pr. Postquam ostendit Magister conditionem carnis assumptae, et matris de qua assumpta est, hic movet quasdam dubitationes circa determinata; et dividitur in duas partes: in prima movet dubitationem circa propagationem carnis Christi ex remotis parentibus, scilicet Abraham et Adam; in secunda movet dubitationem circa conceptionem carnis ejus in proxima matre, ibi: illi autem sententiae qua supra diximus, carnem verbi non ante fuisse conceptam quam assumptam, videtur obviare quod Augustinus ait. Circa primum tria facit: primo movet dubitationem; secundo solvit eam, ibi: quia ea decimatione sicut Abraham minor Melchisedech ostenditur (...) ita et leviticus ordo; tertio ex solutione elicit quamdam conclusionem, ibi: quocirca primitias nostrae massae recte assumpsisse dicitur Christus. Secunda dubitatio dividitur in quaestionem et solutionem. Solutio incipit ibi: sed alia ratio illius dicti extitit. Hic est duplex quaestio. Prima de propagatione carnis Christi ex antiquis patribus. Secunda de propagatione ejus ex matre. Circa primum quaeruntur tria: 1 utrum caro Christi in antiquis patribus fuerit peccato obnoxia, vel ab alia eorum carne secundum differentiam puritatis et infectionis distincta; 2 utrum caro Christi fuerit in antiquis patribus secundum quantitatem aliquid determinatum, et materialiter in eis existens; 3 utrum Christus singulariter habeat inter filios Abrahae ut in eo decimatus non sit.

Après avoir montré la condition de la chair assumée et de la mère dont elle a été assumée, le Maître soulève ici certains doutes sur ce qui a été déterminé. Il y a deux parties : dans la première, il soulève un doute à propos de la transmission de la chair du Christ depuis ses parents éloignés, Abraham et Adam ; dans la seconde, il soulève un doute sur la conception de sa chair par sa mère proche, en cet endroit : « Ce que dit Augustin semble s’opposer à la sentence que nous avons énoncée plus haut, que la chair du Verbe n’a pas été conçue avant d’être assumée. » À propos du premier point, il fait trois choses : premièrement, il soulève le doute ; deuxièmement, il le résout, à cet endroit : « Parce que, par ce carnage, il est montré que Melchisédech est inférieur à Abraham…, de même en est-il de l’ordre lévitique » ; troisièmement, il tire une conclusion de la solution, en cet endroit : « On dit donc correctement que le Christ a assumé les prémices de notre affluence. » Le second doute se divise en une question et une solution. La solution débute en cet endroit : « Mais il existe une autre raison de ce qui a été dit. » Ici, il y a une double question : la première, à propos de la descendance de la chair du Christ des pères anciens ; la seconde, à propos de sa descendance de sa mère. À propos du premier point, trois questions sont posées : 1 – La chair du Christ a-t-elle été exposée aux péchés chez les pères anciens, ou était-elle distincte de leur chair selon une différence de pureté et d’infection ? 2 – La chair du Christ était-elle chez les pères anciens quelque chose de déterminé selon la quantité, et qui existait matériellement ? 3 – Le Christ a-t-il été le seul parmi les fils d’Abraham à n’avoir pas été soumis à la dîme en lui ?

 

 

Articulus 1 [7832] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 1 tit. Utrum caro Christi in antiquis patribus fuerit peccato obnoxia

Article 1 – La chair du Christ a-t-elle été exposée au péché chez les pères anciens ?

 [7833] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod caro Christi in antiquis patribus peccato infecta non fuerit. Corpus enim caeleste non inficitur nec alteratur ex conjunctione ad aliud corpus. Sed corpus Christi naturae caelestis fuit: quod videtur ex hoc quod dicitur de ipso Joan. 3, 31: qui de caelo venit super omnes est. Ergo caro Christi in antiquis patribus infecta esse non potuit.

1. Il semble que la chair du Christ n’ait pas été infectée dans les pères anciens. En effet, un corps céleste n’est pas infecté ni altéré par son union avec un autre corps. Or, le corps du Christ était de nature céleste, ce qui ressort de ce qui est dit de lui en Jn 3, 31 : Lui qui est venu du ciel pour tous. La chair du Christ ne pouvait donc être infectée chez les pères anciens.

 [7834] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 1 arg. 2 Praeterea, in littera dicitur, quod Christus primitias nostrae carnis assumpsit. Sed caro humana in primo statu infecta non fuit. Ergo Christus assumpsit carnem nunquam prius infectam.

2. Il est dit dans le texte que le Christ a assumé les prémices de notre chair. Or, la chair humaine n’était pas infectée dans son premier état. Le Christ a donc assumé une chair qui n’avait jamais été infectée.

 [7835] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 1 arg. 3 Praeterea, Augustinus, dicit, quod natura humana semper habuit simul cum vulnere vulneris medicinam. Sed quod est corruptum, non potest corruptionis esse medicina. Ergo in humana natura semper fuit aliquid non corruptum vel infectum, unde caro Christi formata est, quae medicina facta est totius humani generis.

3. Augustin dit que la nature humaine a toujours eu un remède pour la blessure en même temps qu’une blessure. Or, ce qui est corrompu ne peut être un remède pour la corruption. Il y a donc toujours eu dans la nature humaine quelque chose qui n’était pas corrompu ou infecté, à partir de quoi la chair du Christ a été formée et est devenue un remèce pour tout le genre humain.

 [7836] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 1 arg. 4 Praeterea, nihil sanatur a corruptione, nisi in eo aliquid incorruptum remanserit; sicut in aegritudine animalis, cum cor remaneat sanum, ejus virtute membra prius aegra sanantur. Sed corruptio humani generis sanabilis fuit. Ergo in humana natura aliquid incorruptum remanserat. Sed nihil est mundius in humana natura quam caro Christi. Ergo illud de quo formata est caro Christi nunquam in patribus fuit infectum.

4. Rien ne guérit de la corruption s’il n’y est pas resté quelque chose d’incorrompu, comme pour la maladie d’un animal, si le cœur demeure sain, les membres qui était malades sont guéries par sa puissance. Or, la corruption du genre humain pouvait être guérie. Il était donc resté quelque chose d’incorrompu dans la nature humaine. Or, rien n’est plus pur dans la nature humaine que la chair du Christ. Ce dont a été formée la chair du Christ n’a donc jamais été infecté chez les pères.

 [7837] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 1 arg. 5 Praeterea, in divinam sapientiam nihil coinquinatum incurrit, ut dicitur Sap. 7. Sed Christus est Dei virtus, et Dei sapientia, ut dicitur 1 Cor. 1. Ergo caro ejus nunquam coinquinata fuit.

5. Rien ne survient de souillé dans la sagesse divine, comme il est dit en Sg 7. Or, le Christ est la puissance de Dieu et la sagesse de Dieu, comme il est dit en 1 Co 1. Sa chair n’a donc jamais été souillée.

 [7838] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 1 s. c. 1 Sed contra est quod Magister in littera dicit, carnem Christi, priusquam assumeretur, peccato fuisse obnoxiam: et idem habetur ab Hugone de sancto Victore in Lib. de sacramentis.

Cependant, [1] le Maître dit dans le texte que la chair du Christ a été exposée au péché avant qu’elle ne soit assumée. Et on trouve la même chose chez Hugues de Saint-Victor dans le livre Sur les sacrements.

 [7839] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 1 s. c. 2 Praeterea, caro Christi non processit ab Abraham nisi per semen ex quo conceptus est Isaac. Sed semen illud propter carnalem coitus concupiscentiam pollutum est originali infectione. Ergo caro Christi, antequam assumeretur, infecta fuit peccato originali.

 [2] La chair du Christ n’est venue d’Abraham que par l’intermédiaire de la semence par laquelle Isaac a été conçu. Or, cette semence a été souillée par l’infection originelle en raison de la concupiscence charnelle de l’union sexuelle. La chair du Christ a donc été infectée par le péché originel avant d’être assumée.

 [7840] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 1 s. c. 3 Praeterea, distinctio qualitatis praesupponit distinctionem naturae subjectae; cum contraria non sint simul in eodem, nec ex eisdem principiis causentur. Sed caro Christi non fuit distincta secundum naturam a carne parentum, a quibus propagata est. Ergo nec secundum qualitatem puritatis et impuritatis; et sic idem quod prius.

 [3] La distinction de la qualité présuppose la distinction de la nature sous-jacente, puisque les contraires ne se trouvent pas ensemble dans la même chose, et qu’ils ne sont pas causés par les mêmes principes. Or, la chair du Christ n’était pas distincte par nature de la chair de ses parents, à partir de qui elle s’est transmise. [Elle n’était donc pas non plus distincte] selon la qualité de la pureté et de l’impureté. La conclusion est ainsi la même que précédemment.

 [7841] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc fuit duplex haeresis. Una illorum qui dixerunt, corpus Christi non esse formatum ex eodem ex quo alia caro hominum formatur; sed quod filius Dei corpus caeleste secum attulit, et hoc modo per uterum virginis transivit, nihil ex ea sumens. Hoc autem est haereticum dupliciter. Primo, quia derogat veritati Scripturae, quae Christum ex muliere factum et natum dicit; non enim ex ea factus diceretur, nisi ex ea aliquid traxisset unde materialiter ejus caro fieret; et sic nec beata virgo mater Dei dici posset. Secundo, quia derogat veritati humanitatis Christi. Cum enim omnis forma determinatam materiam requirat, si corpus Christi formaretur ex materia alterius generis ab illa materia de qua formatur corpus alterius hominis, non esset corpus ejusdem speciei cum corporibus aliorum hominum; et ita homo aequivoce diceretur, cum sit essentialis pars hominis. Alius error fuit dicentium, quod caro Christi secundum quod in parentibus erat, infecta non fuit. Dicunt enim, quod peccante Adam, Deus conservavit in illo aliquid incorruptum et non infectum, per quod humana natura sanari posset: et hoc quidem transfusum est sine aliqua infectione usque ad beatam virginem, et exinde formatum est corpus Christi. Hoc autem erroneum reputatur praecipue propter duo. Primo, quia secundum hanc positionem Christus non esset vere filius virginis, nec vere ex stirpe alicujus patrum progenitus, nisi solum ex Adam: illa enim pars quae incorrupta in humana natura remansit in hominibus aliis ab Adam, fuisset quasi extraneum ab eis, soli autem Adae connaturale quantum ad primum statum. Secundo, quia tollitur congruus satisfactionis ordo. Sicut enim non erat decens ut pro Adam et ejus successione corrupta aliquis satisfaceret qui ex illo genere non esset; ita etiam non esset congruum ut naturam infectam satisfaciendo sanaret Dei filius, nisi hoc ipsum quod prius infectum fuerat, assumpsisset. Et ideo dicendum est, quod caro Christi, secundum quod fuit in patribus, et etiam in ipsa beata virgine, peccato infecta fuit antequam assumeretur; sed in ipsa assumptione ab omni infectione peccati purgata est, ut secundum quod est actu caro Christi, in ea nihil maculae inveniatur.

Réponse. Il y a eu une double hérésie sur ce point. La première était celle de ceux qui disaient que le corps du Christ n’a pas été formé de la même chose dont est formée une autre chair humaine, mais que le Fils de Dieu a traversé le sein de la Vierge, en ne prenant rien d’elle. Cela est hérétique pour deux raisons. Premièrement, parce que cela s’écarte de la vérité de l’Écriture, qui dit que le Christ a été fait et est né d’une femme. En effet, on ne dirait pas qu’il a été fait à partir d’elle, à moins qu’il n’ait tiré d’elle quelque chose dont sa chair serait matériellement faite. Et ainsi, la bienheureuse Vierge ne pourrait pas non plus être appelée la mère de Dieu. Deuxièmement, parce que cela s’écarte de la vérité de l’humanité du Christ. En effet, puisque toute forme exige une matière déterminée, si le corps du Christ était formé d’une matière d’un autre genre que la matière dont est formé le corps d’un autre homme, son corps ne serait pas de la même espèce que les corps des autres hommes. Ainsi, il serait appelé un homme de manière équivoque, puisque c’est une partie essentielle de l’homme. L’autre erreur était celle de ceux qui disaient que la chair du Christ, selon qu’elle existait chez les pères, n’a pas été infectée. En effet, ils disent que, lorsque Adam a péché, Dieu a préservé en lui quelque chose d’incorrompu et de non infecté, par quoi la nature humaine pourrait être guérie ; cela s’est transmis sans infection jusqu’à la bienheureuse Vierge, et le corps du Christ en a été formé. Or, cela est estimé faux pour deux raisons. Premièrement, parce que, selon cette position, le Christ ne serait pas le fils véritable de la Vierge et il ne serait pas vraiment engendré de la descendance d’un des pères, sauf Adam. En effet, cette partie qui est demeurée incorrompue dans la nature humaine chez d’autres hommes qu’Adam, aurait été pour ainsi dire quelque chose d’extérieur à eux, et cela n’aurait été connaturel qu’à Adam en son premier état. Deuxièmement, parce que l’ordre approprié de la satisfaction est enlevé. En effet, de même qu’il n’était pas convenable que quelqu’un qui ne serait pas de sa descendance satisfasse pour Adam et pour sa descendance corrompue, de même aussi ne serait-il pas convenable que le Fils de Dieu guérisse la nature infectée en satisfaisant, s’il n’avait pas d’abord assumé cela même qui avait été d’abord infecté. Il faut donc dire que la chair du Christ, pour autant qu’elle existait chez les pères et même chez la bienheureuse Vierge elle-même, a été infectée avant d’être assumée ; mais elle a été purifiée de toute infection du péché par l’assomption elle-même, de sorte qu’on ne trouve aucune souillure dans ce qui est en acte la chair du Christ.

 [7842] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Christus dicitur de caelo venisse, non ratione naturae assumptae, quasi anima vel corpus ejus prius in caelo fuerit assumpta, et postmodum per uterum virginis ad nos pervenerit; sed quantum ad personam assumentem, quae quidem de caelo ad nos venisse dicitur, non loci mutatione, sed visibilis naturae assumptione.

1. On dit que le Christ est venu du ciel, non pas en raison de la nature assumée, comme si son âme ou son corps avait été d’abord assumé dans le ciel et nous serait ensuite parvenu à travers le sein de la Vierge, mais en raison de la personne qui assume, dont on dit qu’elle est venu du ciel vers nous, non pas par un changemenet local, mais par l’assomption d’une nature visible.

 [7843] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Christus dicitur primitias nostrae carnis assumpsisse, non secundum identitatem rei, ut scilicet natura carnis quam assumpsit, semper in conditione primi status remanserit, sed quantum ad similitudinem; quia caro assumpta, prout consideratur actu caro Christi, sine infectione culpae fuit, sicut et caro primi hominis ante peccatum, ut Magister in littera exponit.

2. On dit que le Christ a assumé les prémices de notre chair, non pas selon l’identité de la chose, à savoir que la nature de la chair qu’il a assumée serait toujours demeurée dans la condition du premier état, mais selon une similitude, car la chair assumée, en tant qu’elle est considérée comme la chair du Christ en acte, n’était pas infectée par la faute, comme la chair du premier homme avant le péché, ainsi que l’explique le Maître dans le texte.

 [7844] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod caro Christi in Abraham non fuit ut medicina vulneris in actu, sed solum in potentia, secundum scilicet quod ex eo propagari poterat illa caro ex qua medicina nostri vulneris facta est: et ideo non oportet quod fuerit ibi actu sine infectione vulneris, sed solum in potentia secundum ordinem quo caro Christi ex ea propaganda erat.

3. La chair du Christ n’a pas existé en Abraham comme un remède à la blessure en acte, mais seulement en puissance, selon qu’à partir de lui, la chair d’où est venu le remède de notre blessure pouvait se transmettre à partir de lui. Il n’est donc pas nécessaire qu’elle y ait existé en acte sans l’infection de la blessure, mais seulement en puissance, selon l’ordre par lequel la chair du Christ devait se transmettre à partir d’elle.

 [7845] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod aliquod corruptum est reparabile dupliciter. Vel secundum potentiam passivam tantum; et sic oportet ut remaneat in eo aliquid non corruptum, idest non per corruptionem annihilatum, sicut dicitur contrarium corrumpi per adventum contrarii: oportet enim subjectum remanere cum possibilitate ad salutem quae recuperanda est. Vel secundum potentiam passivam et activam simul, sicut homo infirmus curabilis est quandoque virtute activa naturae suae; et quia idem non patitur a seipso, necesse est ut in eo quod sic reparabile est, sit aliqua pars non corrupta, nec corruptioni subjecta, sicut cor. Dicendum est ergo quod humana natura non erat reparabilis nisi secundum potentiam passivam tantum; et ideo non oportuit quod in ipsa remaneret aliqua pars corruptioni non subjecta; sed sufficit quod in ea remanserit id quod naturae est cum possibilitate ad reparationem, subjectum tamen corruptioni.

4. Quelque chose de corrompu peut être restauré de deux manières. Soit selon une puissance passive seulement ; ainsi, il est nécessaire qu’y reste quelque chose de non corrompu, c’est-à-dire qui n’ait pas été anéanti par la corruption, comme on dit qu’un contraire est corrompu par l’apparition de son contraire. En effet, il est nécessaire que demeure un sujet ayant la possibilité du salut qui doit être retrouvé. Soit une puissance passive et active en même temps, comme un homme malade peut être parfois guéri par la puissance active de sa nature. Et parce qu’une chose ne subit pas ce qui vient d’elle-même, il est nécessaire que chez ce qui peut être ainsi restauré, existe une partie non corrompue ni sujette à la corruption, comme le cœur. Il faut donc dire que la nature humaine ne pouvait être restaurée que selon sa puissance passive seulement. Aussi n’était-il pas nécessaire que demeure en elle une partie qui n’était pas soumise à la corruption, mais il suffisait que demeure en elle ce qui appartient à une nature qui comporte une possibilité de restauration, mais cependant sujet à la corruption.

 [7846] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod caro Christi actu existens caro Christi, nullo modo fuit infecta; ejus enim emundatio a praecedenti infectione saltem intellectu praecedit assumptionem; unde in divinam sapientiam nihil inquinatum incurrere potuit.

5. La chair du Christ, existant en acte comme chair du Christ, n’a été infectée d’aucune manière. En effet, sa purification d’une infection antérieure ne précède l’assomption que selon l’intellect. Rien de souillé ne pouvait donc être encouru par la sagesse divine.

Articulus 2 [7847] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 2 tit. Utrum caro Christi fuit in antiquis patribus secundum quantitatem determinatam

Article 2 – La chair du Christ existait-elle chez les pères anciens selon une quantité déterminée ?

 [7848] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur, quod caro Christi fuerit in antiquis patribus secundum aliquid demonstrabile determinatum. Ut enim in littera ex Augustino habetur, caro Christi fuit in Abraham secundum corpulentam substantiam. Sed corpulenta substantia nominat aliquid determinatum demonstrabile. Ergo per hunc modum fuit caro Christi in Abraham et in aliis.

1. Il semble que la chair du Christ existait chez les pères anciens selon quelque chose d’identifiable et de déterminé. En effet, comme Augustin le dit dans le texte, « la chair du Christ existait en Abraham selon une substance corporelle ». Or, une substance corporelle désigne quelque chose de déterminé et d’identifiable. La chair du Christ a donc existé de cette manière chez Abraham et chez les autres.

 [7849] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 2 arg. 2 Praeterea, in formatione corporis Christi duo inveniuntur: scilicet ratio formationis, quae est principium activum in conceptione, et materia de qua corpus Christi formatum est. Sed ratio formationis non descendit ab Adam, ut Augustinus dicit, sed desuper venit: quia quod in ea natum est, de spiritu sancto est; Matth. 1, 20. Si ergo ista materia determinata in Adam vel Abraham non fuerit, ullo modo corpus Christi ex primis parentibus non venit: quod est inconveniens, quia non pertineret ad eum satisfacere pro peccato Adae, sicut dictum est. Ergo oportet carnem Christi fuisse in Abraham et Adam secundum materiam determinatam.

2. Dans la formation du corps du Christ, on trouve deux choses : la raison de la formation, qui est le principe actif de la conception, et la matière dont le corps du Christ a été formé. Or, la raison de la formation ne descend pas d’Adam, comme le dit Augustin, mais vient d’en haut, car ce qui est apparu en elle vient de l’Esprit Saint, Mt 1, 20. Si donc cette matière déterminée n’a pas existé chez Adam ou Abraham, le corps du Christ ne vient d’aucune manière des premiers parents, ce qui est inapproprié, car il ne lui reviendrait pas de satisfaire pour le péché d’Adam, comme on l’a dit. Il est donc nécessaire que la chair du Christ ait existé chez Abraham et chez Adam selon une matière déterminée.

 [7850] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 2 arg. 3 Praeterea, si haec materia determinata ex qua corpus Christi formatum est non fuit in Adam, hoc non potest esse, nisi quia ex alimento sumpta est. Alimentum autem extraneum est a natura humana. Ergo caro Christi non est vere de natura humana: quod haereticum est. Videtur ergo quod materia carnis Christi non sit ex superfluo alimenti sumpta, sed ex primis parentibus descenderit.

3. Si la matière déterminée dont le corps du Christ a été formé n’a pas existé chez Adam, ce ne peut être que parce qu’elle a été prise de la nourriture. Or, l’aliment extérieur vient de la nature humaine. La chair du Christ ne vient donc pas véritablement de la nature humaine, ce qui est hérétique. Il semble donc que la matière de la chair du Christ ne soit pas venue du superflu de la nourriture, mais qu’elle est descendue des premiers parents.

 [7851] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 2 arg. 4 Praeterea, major est convenientia quae est secundum identitatem rei quam quae est secundum proportionem principii ad principiatum. Sed si materia corporis Christi ex superfluo alimenti sumpta est, realiter fuit quandoque materia cibi comesti. Non autem potest dici, quod realiter fuerit in avo vel proavo; etsi forte dicatur, quod ibi fuerit sicut principiatum est virtute in suo principio. Ergo major esset convenientia carnis Christi ad animalia, quorum carnes in cibum sumptae sunt, quam ad Adam vel Abraham; quod est inconveniens. Ergo idem quod prius.

4. Le caractère commun selon l’identité est plus grand pour une chose que selon la proportion entre un principe et ce qui vient de ce principe. Or, si la matière du corps du Christ est venu d’un superflu de nourriture, elle a donc réellement été à un certain moment la matière de la nourriture mangée. Or, on ne peut dire qu’elle est réellement venue d’un aïeul ou d’un ancêtre, même si l’on dit qu’elle s’y trouvait en puissance dans son principe, comme ce qui vient d’un principe. La chair du Christ a donc davantage en commun avec les animaux, dont la chair a été prise en nourriture, qu’avec Adam ou Abraham, ce qui est inapproprié. La conclusion est ainsi la même que précédemment.

 [7852] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 2 arg. 5 Praeterea, illud quod in se mundum est, non est natum inficere aliud contraria infectione. Sed beata virgo mundata fuit per primam sanctificationem ab originali infectione. Ergo virtute animae ejus nutrimentum assumptum infici non potuit, nec alias infectum erat tali infectione quae extra humanam naturam non invenitur. Ergo caro Christi non in beata virgine peccato subjacuisset; quod est erroneum, ut dictum est. Ergo caro Christi ex superfluo alimenti non fuit materialiter; et sic idem quod prius.

5. Ce qui est pur en soi ne peut infecter autre chose par une infection contraire. Or, la bienheureuse Vierge a été purifiée de l’infection originelle par une première sanctification. La nourriture qu’elle a prise n’a donc pas pu être infectée par la puissance de son âme, et elle n’était pas infectée par une infection qui existe en dehors de la nature humaine. La chair du Christ n’aurait donc pas été soumise au péché à cause de la bienheureuse Vierge, comme on l’a dit. La chair du Christ n’est donc pas venue matériellement d’un superflu de nourriture. La conclusion est ainsi la même que précédemment.

 [7853] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 2 s. c. 1 Sed contra, Christus non aliquo modo fuit in parentibus quo alii homines ibi non fuerunt; sed e converso alii homines aliquo modo ibi fuerunt quo Christus non fuit. Sed alii homines non fuerunt in primis parentibus secundum materiam determinatam. Ergo nec Christus in eis hoc modo fuit. Probatio mediae. Alii homines non descendunt a suis parentibus nisi mediante semine. Semen autem, ut probat philosophus, non est aliquid decisum quod fuerit actu pars, sed est superfluum alimenti, quod est potentia totum. Ergo aliorum hominum materia non fuit determinate in Adam quasi actu pars ejus existens.

Cependant, [1] le Christ n’a pas existé chez ses parents autrement que les autres hommes n’y ont été ; mais, en sens inverse, les autres hommes s’y sont trouvés d’une autre manière que le Christ. Or, les autres hommes ne se sont pas trouvés chez les premiers parents selon une matière déterminée. Le Christ ne s’y est donc pas trouvé de cette manière. Démonstration de la mineure. Les autres hommes ne descendent de leurs parents que par l’intermédiaire de la semence. Or, la semence, comme le démontre le Philosophe, n’est pas quelque chose de divisé qui serait une partie en acte, mais elle est un superflu de nourriture, qui est le tout en puissance. La matière des autres hommes ne s’est donc pas trouvée chez Adam comme une de ses parties existant en acte.

 [7854] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 2 s. c. 2 Praeterea, generatio secundum naturam in infinitum possibilis est secundum naturam, hoc modo quod homo ex homine generetur. Si ergo aliqua materia determinata sumatur ex qua omnis caro decisa sit, oportet quod infinitorum materia in aliquo finito fuerit. Hoc autem est impossibile. Ergo impossibile est quod omnium hominum caro et Christi fuerit in Adam secundum determinatam vel signatam materiam. Quod autem impossibile sit, sic probatur. Cujuslibet rei naturalis materia determinatam quantitatem exigit; non enim in quacumque parva materia potest induci quaecumque forma. Sed infinita non possunt esse in aliquo finito, nisi secundum quantitatem non determinatam accipiantur divisione facta, sed semper secundum eamdem proportionem, ut scilicet totius sumatur dimidium, et dimidii dimidium, et sic in infinitum: sic enim secundum eamdem proportionem secundo acceptum erit alterius quantitatis quam primo acceptum. Ergo impossibile est quod infinitorum corporum naturalium materia sumatur ex aliquo uno finito in actu.

 [2] Selon la nature, la génération est possible à l’infini selon la nature, de la manière dont un homme est engendré par un homme. Si donc une matière déterminée est prise de laquelle toute chair a été divisée, il est nécessaire que la matière de réalités infinies se soit trouvée dans quelque chose de fini. Or, cela est impossible. Il est donc impossible que la chair de tous les hommes et celle du Christ aient existé en Adam selon une matière déterminée et bien marquée. Que cela soit impossible, on le démontre de la manière suivante. La matière naturelle de n’importe quelle chose exige une quantité déterminée. En effet, n’importe quelle forme ne peut pas être introduite dans n’importe quelle petite matière. Or, des infinis ne peuvent se trouver dans quelque chose de fini, à moins de les concevoir selon une quantité non déterminée, une fois la division faite, mais toujours selon la même proportion, de sorte que l’on prenne la moitié du tout, puis la moitié de la moitié, et ainsi de suite à l’infini. En effet, ce qui est pris en second lieu selon la même proportion aura une autre quantité que ce qui est pris en premier. Il est donc impossible que la matière de corps naturels infinis soit prise de quelque chose de fini en acte.

 [7855] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 2 s. c. 3 Praeterea, in omni generatione naturale agens univocum inducit formam suam in materiam quae prius tali formae subjecta non erat, sicut ignis in materiam aeris, quae prius formae ignis subjecta non erat. Sed si materia ex qua ille homo formatur secundum aliquid signatum in Adam fuerit, et in ceteris parentibus; nunquam ejus materia fuisset humanae naturae non subjecta. Ergo iste modus generationis non esset conveniens secundum viam generationis naturalis: et sic idem quod prius.

 [3] En toute génération, l’agent naturel univoque introduit sa forme dans une matière qui n’avait pas été antérieuremenet soumise à une telle forme, comme le feu dans la matière de l’air, qui n’avait pas été antérieurement soumise à la forme du feu. Or, si la matière dont cet homme est formé existait selon quelque chose de déterminé en Adam et chez les autres parents, sa matière n’aurait jamais été soumise à la nature humaine. Ce mode de génération n’aurait donc rien de commun avec le mode de la génération naturelle. La conclusion est ainsi la même que précédemment.

 [7856] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc sunt duae opiniones. Una opinio dicit, quod caro Christi et omnium aliorum hominum fuit in Adam secundum determinatam materiam hoc modo quod aliqua pars corporis Adae fuit de qua per multiplicationem quamdam omnium hominum corpora formata sunt, aut sine permixtione alicujus extranei, ut quidam dicunt, aut permixto illi materiae aliquo quod ex alimento conversum est: et de hoc qualiter improbabile videatur, in 2 Lib., dist. 30, qu. 2, art. 2 et 3, dictum est. Alia opinio est (quae probabilior videtur), quod alii homines non fuerunt in primo parente nisi secundum materiam originalem; et Christus hoc modo in primis parentibus fuit. Sed in hoc differt, quod alii homines fuerunt in primo parente secundum rationem seminalem, Christus autem non: quod sic videri potest. In his qui per concubitum generantur, duo concurrunt ad formationem corporis: scilicet principium activum, quod est in semine, quod ratio seminalis dicitur: aliud autem est materia ex qua corpus formatur, quam mater ministrat: utrumque autem horum originaliter reducitur in primum parentem. Quod enim in semine patris sit virtus activa ad conceptionem corporis humani, est per virtutem naturae humanae, quam pater prolis procreandae a suo patre accepit, et ille ab alio, et sic usque ad Adam. Et sic patet quod ratio seminalis eorum qui sunt ex semine viri concepti, originaliter ab Adam descendit. Similiter etiam materia quam mater ministrat, oportet quod sit praeparata per virtutem generativam ejus: rei enim generatio naturalis requirit materiam propriam et determinatam: virtus autem generativa ipsius matris originaliter ab Adam descendit, sicut et virtus generativa viri; et ideo illi qui ex mare et femina generantur, descendunt originaliter ab Adam et secundum rationem seminalem, et secundum materiam: et quia unus modus essendi in est secundum quod dicitur effectus esse in sua causa efficiente, ut dicitur 4 Phys.; ideo homines sic concepti dicuntur fuisse in Adam et secundum rationem seminalem, et secundum materiam originalem. In conceptione autem Christi virtus activa non fuit nisi spiritus sanctus; materia autem est per virginem ministrata debito modo praeparata. Unde patet quod originaliter materia corporis Christi descendit ab Adam, non autem ratio activa in conceptione ejus ab Adam descendit originaliter; et ideo Christus fuit in Adam secundum materiam originalem, sed non secundum rationem seminalem.

Réponse. À ce propos, il existe deux opinions. Une opinion dit que la chair du Christ et de tous les autres hommes se trouvait en Adam selon une matière déterminée à la manière dont une partie du corps d’Adam existait, avec laquelle les corps de tous les hommes ont été formés par une certaine multiplication, ou sans mélange avec quelque chose d’étranger, comme certains le disent, ou par un mélange avec cette matière de quelque chose qui a été converti à partir de la nourriture. Comment cela semble improbable, on l’a dit dans le livre II, d. 30, q. 2, aa. 2 et 3. L’autre opinion (qui semble plus probable) dit que les autres hommes n’existaient dans le premier parent que selon la matière originelle, et que le Christ a existé de cette manière dans les premiers parents. Mais il diffère en cela que les autres hommes se trouvaient dans le premier parent selon une raison séminale, mais non pas le Christ, ce qu’on peut voir de cette manière. Chez ceux qui sont engendrés par une relation sexuelle, deux choses concourent à la formation du corps : le principe actif, qui existe dans la semence, qu’on appelle la raison séminale ; l’autre chose est la matière de laquelle le corps est formé, que la mère fournit. Ces deux choses se sont retrouvées à l’origine chez le premier parent. En effet, qu’il existe une puissance active dans la semence du père pour la conception du corps humain, cela existe par la puissance de la nature humaine, que le père de la descendance à procréer a reçue de son père, et celui-ci d’un autre, et ainsi jusqu’à Adam. Il ressort ainsi que la raison séminale de ceux qui ont été conçus par la semence d’un homme descend d’Adam. De même, il est nécessaire que la matière fournie par la mère soit préparée par sa puissance génératrice : en effet, la génération naturelle d’une chose exige une matière propre et déterminée. Or, la puissance génératrice de la mère elle-même descend originellement d’Adam, comme la puissance génératrice de l’homme. Ceux qui sont engendrés par un homme et une femme descendent donc originellement d’Adam par une raison séminale et par la matière. Parce qu’une manière d’exister en quelque chose consiste à dire que cela existe dans sa cause efficiente, ainsi que le dit Physique, IV, on dit que les hommes ainsi engendrés existaient en Adam selon une raison séminale et selon leur matière originelle. Or, dans la conception du Christ, la puissance active n’existait que chez le Saint-Esprit ; mais la matière préparée de la manière appropriée a été fournie par la Vierge. Aussi est-il clair que la matière du corps du Christ descend d’Adam par son origine, mais que la raison active dans sa conception ne descend pas d’Adam par son origine. Le Christ existait donc en Adam selon sa matière originelle, mais non selon sa raison séminale.

 [7857] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod cum dicitur Christus fuisse in Adam secundum corpulentam substantiam, non est intelligendum quod in Adam fuerit per modum corpulentae substantiae; sed quia ipsa corpulenta substantia corporis Christi aliquo modo fuerit in Adam sicut in originali principio.

1. Lorsqu’on dit que le Christ existait en Adam selon sa substance corporelle, il ne faut pas comprendre qu’il existait en Adam à la manière d’une substance corporelle, mais que la substance corporelle du corps du Christ elle-même se trouvait en Adam comme dans son principe originel.

 [7858] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod materia corporis Christi, non autem ratio conceptionis ejus, fuit in Adam: non tamen materia illa fuit in Adam in actu, quasi aliqua determinata pars ejus, sed virtute tantum, sicut res dicitur esse in suo principio effectivo unius speciei.

2. La matière du corps du Christ, mais non la raison de sa conception, se trouvait en Adam. Mais cette matière ne se trouvait cependant pas en Adam en acte, comme une partie déterminée de lui, mais en puissance seulement, comme on dit qu’une chose existe dans son principe efficient de même espèce.

 [7859] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod materia corporis Christi assumpta est ex eo quod de cibis a beata virgine sumptis in purissimos sanguines ejus conversum est. Alimentum autem quamvis in principio sit extraneum et dissimile, tamen in fine est conveniens et simile, ut in 2 de anima dicitur; unde non sequitur quod materia corporis Christi sit extranea humanae naturae.

3. La matière du corps du Christ a été reçue de ce qui a été converti en sang très pur de la Vierge à partir de la nourriture qu’elle a prise. Or, un aliment, bien qu’il soit au départ extérieur et dissemblable, devient finalement commun et semblable, comme il est dit dans Sur l’âme, II. Il n’en découle donc pas que la matière du corps du Christ soit extérieure à la nature humaine.

 [7860] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod similitudo et convenientia, magis attenditur secundum formam quam materiam; ut si ignis generet ex aere ignem, ignis generatus magis convenit cum igne generante, cum quo convenit secundum formam, quam cum aere ex quo materialiter generatus est. Similiter etiam materia corporis Christi magis convenit cum beata virgine et aliis patribus, quorum virtute effecta est propria materia corporis humani, quam cum rebus illis quae in cibum sumptae sunt.

4. La similitude et le partage se prennent davantage de la forme que de la matière ; ainsi, si le feu engendrait du feu à partir de l’air, le feu engendré aurait plus en commun avec le feu qui engendre, puisqu’il a en commun avec lui la forme, plutôt qu’avec l’air à partir duquel il a été matériellement engendré. De même aussi, la matière du corps du Christ a plus en commun avec la bienheureuse Vierge et les autres pères, par la puissance desquels elle est devenue la matière propre du corps humain, qu’avec les choses prises comme nourriture.

 [7861] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod per primam sanctificationem, ut supra dictum est, beata virgo a fomite mundata fuit secundum quod inclinat ad actus personales, non autem remota est illa inclinatio secundum quam fomes est infectivus naturae: sed hoc factum est per secundam sanctificationem, ut quidam dicunt; et ideo illud quod erat in beata virgine ut ordinatum ad propagationem naturae, peccato obnoxium erat; quamvis erat a peccato mundatum, secundum quod ad personam pertinebat.

5. Comme on l’a dit, par la première santification, la bienheureuse Vierge a été purifiée de la convoitise, selon que celle-ci incline à des actes personnels, mais l’inclination selon laquelle la convoitise infecte la nature n’a pas été enlevée. Cela a été réalisé par la seconde sanctification, comme le disent certains. C’est pourquoi ce qui, chez la bienheureuse Vierge, était ordonné à la transmission de la nature était exposé au péché, bien que cela ait été purifié du péché selon que cela concernait sa personne.

Articulus 3 [7862] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3 tit. Utrum solus Christus in Abraham non fuerit decimatus

Article 3 – Le Christ est-il le seul à n’avoir pas été soumis à la dîme en Abraham ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Un descendant d’Abraham a-t-il été soumis à la dîme en lui ?]

 [7863] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur, quod nullus qui de stirpe Abrahae descendit, in ipso decimatus sit. Quia, ut dicit Augustinus, quod in eo decimabatur, curabatur. Sed nullus in parentibus curari vel sanctificari potest, ut supra dictum est. Ergo nullus in Abraham decimari potuit.

1. Il semble qu’aucun descendant d’Abraham n’ait été soumis à la dîme en lui, car, ainsi que le dit Augustin, ce qui était imposé en lui était guéri. Or, personne ne peut être guéri ou sanctifié en ses parents, comme on l’a dit plus haut. Personne ne pouvait donc être soumis à la dîme en Abraham.

 [7864] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, sicut post tempora Abrahae in illis qui ex ejus stirpe descenderunt, valuit circumcisio ad peccati originalis curationem; ita etiam ante ipsius tempora valuit ad idem virtus sacrificiorum, decimarum, et oblationum, ut dicit Gregorius in Moral. Sed quando Abraham circumcisus est, non propter hoc aliquis de stirpe ejus descendens circumcisus fuit: alias eos non oportuisset iterum circumcidi. Ergo nec Abraham dante decimas, ejus filii decimati sunt.

2. De même qu’après l’époque d’Abraham, la circoncision pouvait guérir du péché originel, pour ceux qui descendaient de sa lignée, de même, avant son époque, la puissance des sacrifices, des dîmes et des offrandes pouvait la même chose, comme le dit Grégoire dans ses Morales. Or, lorsque Abraham a été circoncis, personne de sa lignée n’a pour autant été circoncis, autrement il n’aurait pas été nécessaire qu’ils soient de nouveau circoncis. Les fils d’Abraham n’ont donc pas été soumis à la dîme du fait qu’Abraham a payé la dîme.

 [7865] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, decimari aut est decimas dare, aut ad decimas obligari, aut decima parte privari, sicut dicitur granum decimatum a quo jam decima pars ablata est. Sed primo modo non potest dici quod aliquis in patre suo decimetur. Dare enim decimas est quidam actus personalis. Sed actus personales non transfunduntur a parentibus in filios, sicut nec peccata actualia. Ergo Abraham dante decimas, non propter hoc filius ejus decimatus est quasi dans decimas. Similiter nec secundo modo. Levitae enim et sacerdotes veteris legis ab Abrahae stirpe descenderunt, qui tamen ad decimas dandum non obligabantur, sed eas a populo accipiebant. Ergo nec sic omnes filii Abrahae praeter Christum in ipso decimati sunt, quasi ad decimas obligati. Similiter nec tertio modo. Quia decimatio respicit id quod est in actu distinctum; unde triticum non potest esse decimatum ex hoc quod semen decimatum fuit. Sed filii Abrahae non erant in eo actu distincti, sed tantum virtute. Ergo nullo modo in eo decimari potuerunt.

3. Être soumis à la dîme, c’est soit être obligé de payer la dîme, soit être privé en partie de la dîme, comme on dit du grain dont une partie a déjà été offerte qu’il a été soumis à la dîme. Or, de la première manière, on ne peut dire que quelqu’un a été soumis à la dîme en son père. En effet, payer la dîme est un acte personnel. Or, les actes personnels ne se transmettent pas des parents aux fils, pas davantage que les péchés actuels. Du fait qu’Abraham a payé la dîme, son fils n’a donc pas été soumis à la dîme au sens où il aurait payé la dîme. De même aussi, selon le second sens. En effet, les lévites et les prêtres de la loi ancienne descendaient de la lignée d’Abraham. Or, ils n’étaient pas tenus de payer la dîme, mais la recevaient plutôt du peuple. Tous les fils d’Abraham, sauf le Christ n’ont donc pas été soumis à la dîme en [Abraham], au sens où ils auraient été tenus [de payer] la dîme. De même encore, selon la troisième manière, car le paiement de la dîme porte sur quelque chose qui est distinct en acte ; aussi le blé ne peut-il être soumis à la dîme du fait qu’une semence a été soumise à la dîme. Or, les fils d’Abraham n’étaient pas distincts en lui en acte, mais seulement en puissance. Ils ne pouvaient donc d’aucune manière être soumis à la dîme.

 [7866] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3 qc. 1 arg. 4 Sed contra est, quod apostolus, ad Heb. 7, dicit, et in littera ex verbis Augustini habetur.

Cependant, [4] ce que dit l’Apôtre en He 7 va en sens contraire, et on le lit dans le texte à partir des paroles d’Augustin.

 [7867] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3 qc. 1 arg. 5 Praeterea, decimatio quoddam signum servitutis divinae est, cum ad latriam pertineat. Sed proles in parente ad servitutem obligatur: servi enim sunt filii, si ex servis parentibus nascantur. Ergo Abraham dante decimas, filii ejus decimati sunt.

 [5] La dîme est un signe du service de Dieu, puisqu’elle se rapporte à la latrie. Or, la descendance est obligée au service en son parent : en effet, les fils sont des serfs, s’ils naissent de parents qui sont serfs. Les fils d’Abraham ont donc été soumis à la dîme du fait qu’Abraham a payé la dîme.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le Christ a-t-il été soumis à la dîme en Abraham ?]

 [7868] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod etiam Christus in Abraham decimatus sit. Christus enim non habet habitudinem ad Abraham nisi mediante beata virgine. Sed beata virgo fuit in Abraham decimata. Ergo et Christus.

1. Il semble que le Christ aussi ait été soumis à la dîme en Abraham. En effet, le Christ n’a de rapport avec Abraham que par l’intermédiaire de la bienheureuse Vierge. Or, la bienheureuse Vierge a été soumise à la dîme en Abraham. Donc, le Christ aussi.

 [7869] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, decimatio convenit filiis Abrahae ex eo, ut in littera habetur, ratione peccati originalis: quia per concupiscentiam ex eo propagandi erant. Sed caro Christi in Abraham fuit peccato obnoxia, ut in littera dicitur. Ergo et in eo Christus decimatus fuit.

2. La dîme était appropriée pour les fils d’Abraham en raison du péché originel, comme le dit le texte, parce qu’ils devaient se propager à partir de lui par la concupiscence. Or, la chair du Christ a été exposée au péché en Abraham, comme le dit le texte. Le Christ a donc été soumis à la dîme en lui.

 [7870] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, decimatio est quidam actus figuralis. Sed Christus videtur maxime per decimam figurari ratione perfectionis Christi, quae denario competit. Ergo Christus praecipue in Abraham fuit decimatus.

3. La dîme est un acte qui a le sens d’une figure. Or, le Christ semble être figuré par la dîme, surtout en raison de la perfection du Christ qui convient à l’argent. Le Christ a donc été surtout soumis à la dîme en Abraham.

 [7871] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, apostolus, Heb. 7, praefert sacerdotium Christi sacerdotio Aaron per hoc quod levi ex cujus stirpe Aaron descendit, Abraham dante decimas decimatus est. Sed Christus in hoc nihil amplius haberet quam Aaron, si in Abraham similiter decimatus esset. Ergo nullo modo in eo decimatus fuit.

Cependant, [1] en He 7, l’Apôtre place le sacerdoce du Christ au-dessus du sacerdoce d’Aaron du fait que Lévi, de la lignée de qui Aaron descendait, a été soumis à la dîme puisque Abraham a été soumis à la dîme en payant la dîme. Or, le Christ n’aurait sur ce point rien de plus que Aaron, s’il avait été soumis à la dîme de la même manière en Abraham. Il n’a donc été d’aucune manière soumis à la dîme en lui.

 [7872] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, quod multiplicatur miraculose, et non virtute naturae, non est decimabile, ut patet 4 regum 4: quia Elisaeus non praecepit viduae, ut de oleo quod miraculose multiplicatum erat, decimas daret. Sed caro Christi ex Abraham miraculose propagata est. Ergo Christus in Abraham decimatus non fuit.

 [2] Ce qui est multiplié miraculeusement, et non en vertu de la nature, ne peut être soumis à la dîme, comme cela ressort de 2 R 4, car Élisée n’a pas ordonné à la veuve de payer la dîme de l’huile qui avait été multipliée miraculeusement. Or, la chair du Christ s’est propagée miraculeusement depuis Abraham. Le Christ n’a donc pas été soumis à la dîme en Abraham.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [7873] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum, ad primam quaestionem, quod illi qui ex Abraham per concubitum descenderunt, in Abraham decimati sunt; Christus autem in eo decimatus non est. Cujus ratio est, quia decimatio non tantum erat actus moralis, sed etiam figuralis; est enim actus moralis secundum hoc quod pars quaedam terrae nascentium, et aliorum, in usum ministrorum Dei et pauperum conferebatur, ut esset cibus in domo domini, ut habetur Malach. 3. Actus autem figuralis est secundum hoc quod figurat imperfectionem in eo qui decimas dat, qui perfectionem ab eo cui dat expectat. In numero enim denario est quaedam perfectionis ratio, secundum quod limes quidam est; unde novenarius imperfectionem signat, secundum quod a denario deficit; et ideo qui decimas dat, in hoc quod novem sibi retinet, et decem alteri dat, confitetur se imperfectum esse, et perfectionem ab altero expectare; et inde est quod etiam decimatio quodammodo actus sacramentalis erat, secundum quod dicta realis confessio ex fide mediatoris procedebat, per cujus perfectionem ablata est humani generis imperfectio quae erat per originale peccatum; hoc enim figurabat remedium quod contra originale peccatum praestabat per modum sacramenti. Illa ergo decimatio qua Abraham decimas dedit ostendens se liberatore indigere, ad illos tantum pertinet ex ejus stirpe descendentes qui imperfectionem originalis peccati ex eo traxerunt, ut similiter sicut ipse liberationem ab alio expectarent. Non autem originale peccatum ab eo traxerunt nisi qui per concubitum ex eo descenderunt; solum enim hi naturam humanam ab eo sicut a principio activo acceperunt. Unde et in eo secundum rationem seminalem fuisse dicuntur: et propter hoc etiam simul cum natura, naturae vitium contraxerunt ab Adam vel Abraham. Christus vero ab Adam vel Abraham non per concubitum descendens materiam humanae naturae ab eis habuit, quae virtute spiritus sancti in humanam naturam formata est; et ideo non contraxit originale peccatum; et ideo non potuit figurari ut imperfectionem habens, et liberatore indigens; et propter hoc non est decimatus in Abraham.

Ceux qui descendaient d’Abraham par l’union sexuelle ont été soumis à la dîme. Or, le Christ n’a pas été soumis à la dîme en lui. La raison en est que la dîme n’était pas seulement un acte moral, mais aussi figuratif. En effet, elle est un acte moral pour autant qu’une partie de la terre de ceux qui naissent et des autres était donnée pour l’usage des ministres de Dieu et des pauvres, afin qu’il y ait à mangrer dans la maison du Seigneur, comme on lit en Ml 3. Mais elle est un acte figuratif selon qu’elle figure une imperfection chez celui qui donne la dîme, qui attend la perfection de celui à qui il donne. En effet, dans le nombre dix, existe une certaine raison de perfection, selon qu’il est pour ainsi dire une limite. Le nombre neuf indique donc une imperfection, pour autant qu’il n’atteint pas le nombre dix. Celui qui paye la dîme confesse donc qu’il est imparfait et attend d’un autre la perfection, du fait qu’il retient neuf [parts] pour lui-même et donne à un autre la dixième. De là vient que la dîme était d’une certaine manière un acte sacramentel, selon que ladite confession réelle venait de la foi au Médiateur, par la perfection de qui l’imperfection du genre humain, qui venait du péché originel, a été enlevée. En effet, cela était la figure du remède qu’il apportait au péché originel sous forme de sacrement. La dîme, par laquelle Abraham a payé la dîme pour montrer qu’il avait besoin d’un libérateur, concerne donc seulement à ceux qui descendent de sa lignée, qui avaient reçu de lui l’imperfection du péché originel, afin que, de la même manière, ils attendent d’un autre la libération comme il [l’a fait]. Or, n’ont reçu de lui le péché originel que ceux qui sont issus de lui par l’union sexuelle. En effet, seuls ceux-là ont reçu de lui la nature comme d’un principe actif. Aussi dit-on qu’ils existaient en lui selon une raison séminale. Pour cette raison, en même temps que la nature, ils ont reçu d’Adam et d’Abraham un vice de nature. Mais le Christ, qui ne descend pas d’Adam ou d’Abraham par l’union sexuelle, a reçu d’eux la matière de la nature humaine, qui a reçu la forme de la nature humaine par la puissance du Saint-Esprit. C’est pourquoi il n’a pas contracté le péché originel. Il ne pouvait donc être figuré comme imparfait et ayant besoin d’un libérateur. Pour cette raison, il n’a pas été soumis à la dîme en Abraham.

 [7874] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in verbo Augustini hoc quod dicit, curabatur, non designat curationem in actu; sed curationis necessitatem: qui enim sic in eo erant ut curatione indigerent, in eo decimati sunt.

1. Dans la citation d’Augustin, lorsqu’il dit « était guéri », il ne désigne pas une guérison en acte, mais la nécessité d’une guérison. En effet, ceux qui étaient en lui de manière à avoir besoin d’une guérison ont été soumis à la dîme en lui.

 [7875] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod nullus dicitur circumcidi nisi secundum quod actu aliquid patitur. Decimari autem dicitur aliquis etiam secundum praefigurationem. Unde non est simile de decimatione et circumcisione.

2. On ne dit de personne qu’il est circoncis que s’il supporte quelque chose en acte. Or, on dit que quelqu’un est soumis à la dîme selon une préfiguration. Il n’en va donc pas de même de la dîme et de la circoncision.

 [7876] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod decimari nullo horum modorum accipitur: sed decimari nihil aliud est, prout hic accipitur, quam praefigurari liberatione indigere. Hoc autem praefigurabatur in Abraham dante decimas de omnibus qui peccatum originale ab eo contracturi erant, sicut ipse a suis parentibus contraxerat, ut eadem ratione imperfectio liberatione indigens in illis figuraretur qua in se esse per decimarum collationem confitebatur.

3. Être soumis à la dîme ne s’entend d’aucune de ces manières ; mais être soumis à la dîme, selon que cela est entendu ici, n’est rien d’autre que de préfigurer un besoin de libération. Or, était préfiguré en Abraham, qui payait la dîme pour tous ceux qui devaient recevoir de lui le péché originel, comme lui-même l’avait reçu de ses parents, que l’imperfection, qui, pour la même raison, aurait besoin d’une libération, serait figurée par celle par laquelle il confessait, par le paiement de la dîme, qu’elle se trouvait en lui.

 [7877] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3 qc. 1 ad 4 Quartum et quintum concedimus.

4. Nous concédons le quatrième et le cinquième argument.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [7878] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod Christus nullo modo in Abraham decimatus fuit: cujus ratio patet ex praedictis.

Le Christ n’a été d’aucune manière soumis à la dîme en Abraham. La raison en ressort de ce qui a été dit.

 [7879] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum contra hoc objectum, quod quia Christus non descendit ab Abraham nisi mediante beata virgine; ideo sicut descendit a beata virgine, ita descendit ab Abraham; unde cum a beata virgine descenderit non per concubitum, nec ab Abraham per concubitum descendit; quamvis beata virgo ab Abraham per concubitum descenderit. Unde non sequitur quod si beata virgo in Abraham decimata fuit, in eo Christus decimatus fuerit.

1. À l’encontre de cette objection, il faut dire que le Christ ne descendait d’Abraham que par l’intermédiaire de la bienheureuse Vierge. Il descendait donc d’Abraham comme il descendait de la Vierge. Puisqu’il descendait de la Vierge sans union sexuelle, il ne descendait donc pas non plus d’Abraham par l’union sexuelle, bien que la bienheureuse Vierge soit descendue d’Abraham par l’union sexuelle. Il n’en découle donc pas que si la bienheureuse Vierge a été soumise à la dîme en Abraham, le Christ y fut soumis en lui.

 [7880] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod id quod est in potentia, potest praefigurari mundum vel immundum. Esse autem mundum vel immundum non convenit nisi rei actu existenti. Quia ergo quod in Abraham actu erat, totum peccato subjacebat; ideo caro Christi in Abraham peccato obnoxia fuit. Quia vero ex Abraham caro Christi non sic propaganda erat ut ex eo infectionem originalem contraheret; ideo in eo Christus decimatus esse non dicitur; cum decimatio, inquantum figurale quoddam est, referri possit etiam ad illud quod virtute erat in Abraham.

2. Ce qui est en puissance peut être préfiguré comme pur ou comme impur. Or, être pur ou impur ne convient qu’à une chose qui existe en acte. Parce que ce qui existait en acte en Abraham était entièrement soumis au péché, la chair du Christ a donc été exposée au péché en Abraham. Mais parce que la chair du Christ ne s’est pas transmise à partir d’Abraham de telle sorte qu’elle contracte par lui l’infection originelle, on ne dit pas que le Christ a été soumis à la dîme en lui, puisque la soumission à la dîme, en tant qu’elle était quelque chose de figuratif, peut se réferer à ce qui existait en puissance en Abraham.

 [7881] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod decima pars quae Deo redditur, non dicitur proprie decimari; sed magis novem partes, a quibus decima separatur; et ideo Christus per decimam signatus decimari non dicitur, sed alii imperfectionem contrahentes per novenarium designati.

3. On ne dit pas que la dîme qui est donnée à Dieu est, au sens propre, une soumission à la dîme, mais plutôt les neuf parties dont la dîme est séparée. C’est pourquoi on ne dit pas que le Christ signalé par la dîme est soumis à la dîme, mais les autres qui contractent une imperfection et sont signalés par les neuf [parties].

 [7882] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3 qc. 2 ad s. c. Alia duo concedimus.

 [4 et 5] Nous concédons les deux autres arguments.

 

 

Quaestio 5

Question 5 – [La transmission de la chair du Christ depuis sa mère]

Prooemium

Prologue

 [7883] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 pr. Deinde quaeritur de propagatione carnis Christi ex matre ejus; et circa hoc quaeruntur tria: 1 de materia ex qua conceptum est corpus ejus; 2 de tempore conceptionis; 3 de sanctificatione concepti.

Ensuite, on s’interroge sur la transmission de la chair du Christ à partir de sa mère. À ce propos, trois questions sont posées : 1 – À propos de la matière dont le corps a été formé. 2 – À propos du moment de la conception. 3 – À propos de la sanctification de ce qui a été conçu.

 

 

Articulus 1 [7884] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 1 tit. Utrum corpus Christi fuerit ex purissimis virginis sanguinibus

Article 1 – Le corps du Christ a-t-il été conçu à partir du sang très pur de la Vierge ?

 [7885] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur, quod corpus Christi non fuerit formatum solum ex purissimis sanguinibus virginis, sicut Damascenus dicit. Eorum enim quae specie conveniunt, est materia ejusdem rationis: quia forma naturalis materiam determinatam requirit. Sed aliorum hominum materia est ex eo quod ex viro et muliere deciditur. Cum ergo Christus, inquantum homo, fuerit ejusdem speciei cum aliis hominibus, videtur quod corpus ejus non solum ex sanguinibus matris virginis formatum sit.

1. Il semble que le corps du Christ n’ait pas été conçu seulement à partir du sang très pur de la Vierge, comme le dit [Jean] Damascène. En effet, les choses qui ont l’espèce en commun ont une matière de même nature, car la forme naturelle exige une matière déterminée. Or, la matière des autres hommes vient de ce qui est séparé de l’homme et de la femme. Puisque le Christ, en tant qu’homme, avait la même espèce que les autres hommes, il semble donc que son corps n’ait pas été formé seulement à partir du sang très pur de la Vierge.

 [7886] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 1 arg. 2 Praeterea, ad Rom. 1, 3, dicitur: factus est ei ex semine David secundum carnem. Sed id ex quo fit aliquid, est materia ejus. Ergo materia corporis Christi non est sanguis, sed semen.

2. Il est dit en Rm 1, 2 : Issu de la lignée de David selon la chair. Or, ce dont quelque chose est fait est sa matière. La matière du corps du Christ n’est donc pas le sang, mais la semence.

 [7887] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 1 arg. 3 Praeterea, in collecta dicitur, quod Deus verbum suum de virgine carnem sumere voluit. Sed de illo corpus Christi formatum est quod de virgine sumpsit. Ergo corporis Christi materia non est sanguis, sed caro.

3. Dans une collecte, on dit que « Dieu a voulu que son Verbe tire sa chair de la Vierge ». Or, le corps du Christ a été formé de ce qu’il a tiré de la Vierge. La matière du corps du Christ n’est donc pas le sang, mais la chair.

 [7888] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 1 arg. 4 Praeterea, ut in 2 de Generat. dicitur, quae magis conveniunt, facilius invicem transmutantur. Sed magis convenit cum carne caro quam sanguis. Ergo convenientius est dicere corpus Christi ex carne virginis formatum esse quam ex ejus sanguine.

4. Comme il est dit dans Sur la génération, II, « les choses qui ont davantage en commun se changent plus facilement l’une en l’autre ». Or, la chair a plus en commun avec la chair que le sang. Il est donc plus approprié de dire que le corps du Christ a été formé de la chair de la Vierge que de son sang.

 [7889] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 1 arg. 5 Praeterea, generativa non operatur nisi ex eo quod residuum est nutritivae virtuti; cum nutritiva generativae deserviat. Sanguis autem non est residuum ab opere nutritivae; immo est quo nutritiva indiget in via existens ad nutriendum membra. Ergo sanguis non potest esse materia a virtute generativa ministrata ad conceptionem prolis: et sic idem quod prius.

5. La puissance génératrice n’agit qu’à partir d’un reste de la puissance nutritive, puisque la puissance nutritive est au service de la puissance génératrice. Or, le sang n’est pas un reste de l’action nutritive ; bien plutôt, il est ce dont la puissance nutritive a besoin, alors qu’elle se met à nourrir les membres. Le sang ne peut donc pas être la matière fournie par la puissance génératrice en vue de la conception d’une descendance. La conclusion est ainsi la même que précédemment.

 [7890] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicit Damascenus, quod divina sapientia ex purissimis sanguinibus virginis carnem sibi copulavit.

Cependant, [1] [Jean] Damascène dit que « la Sagesse divine s’est unie à la chair à partir du sang très pur de la Vierge ».

 [7891] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 1 s. c. 2 Praeterea, corpus Christi non est formatum nisi ex materia quam virgo ministravit, talem in natura qualem aliae matres ministrant ad conceptum prolis. Sed, ut in 15 de animalibus dicitur, materia ex qua corpus conceptum formatur, quam mater ministrat, est sanguis, qui menstruum dicitur. Ergo et corpus Christi ex sanguine formatum est.

 [2] Le corps du Christ n’a été formé que de la matière que la Vierge a fournie, identique en nature à celle que les autres mères fournissent pour concevoir une descendance. Or, ainsi qu’il est dit dans Sur les animaux, XV, la matière dont le corps conçu a été formé et que fournit la mère est le sang, appelé menstruation. Le corps du Christ a donc été formé à partir du sang.

 [7892] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod circa materiam de qua corpus hominis formatum est, variae sunt opiniones. Quidam enim dicunt, quod corpus humanum formatur ex commixtione seminum, scilicet matris et patris simul, cum sanguine menstruo; ita quod totum hoc sit materia corporis. Hoc autem philosophus, in 15 de animalibus, multipliciter destruit, ostendens, quod id quod ex viro descendit, non est materia humani corporis, sed solum principium activum, et per rationem, et experimenta sensibilia, quae magis in rebus naturalibus faciunt fidem: et hoc patet inspicienti verba ejus. Similiter etiam ostendit quod semen mulieris nihil facit ad generationem; unde etiam et quaedam mulieres concipiunt sine hoc quod seminent. Sed sanguis qui menstruum dicitur, est in mulieribus loco seminis in viris. Et secundum hanc philosophi opinionem convenientissime potest salvari partus virginis, si ad conceptionem humani corporis non nisi sanguis mulieris materialiter requiritur: non enim credendum est quod materiae corporis Christi, quod sine semine viri conceptum est, aliquid defuerit quod materialiter ad formationem humani corporis requiratur. Constat etiam omnibus virginitatem matris confitentibus, absque omni humano semine conceptionem illam peractam esse. Et ideo materia ex qua corpus formatur, et in Christo et in aliis hominibus est sanguis per virtutem generativam matris praeparatus. Ille enim sanguis in mulieribus est sicut semen in viris; unde et in eodem tempore hoc in viris et illud in mulieribus incipit, scilicet apud ortum pilorum, et aliorum accidentium quae sunt signa pubertatis. Sed quia in muliere est calor generativae deserviens diminutus respectu caloris viri, ideo non potest in mulieribus superfluum alimenti ad tantam digestionem perduci sicut in viris: propter quod remanet in forma sanguinis, sicut deficiens a completa digestione seminis; unde accidit in aliquo multum coeunte ut sanguinem loco seminis emittat, ut in 15 de animalibus dicitur; quasi natura non sufficiat ad tantum seminis digerendum quantum incontinentia quaerit.

Réponse. Il existe plusieurs opinions à propos de la matière dont le corps de l’homme a été formé. En effet, certains disent que le corps humain est formé du mélange des semences, à savoir, celles de la mère et du père en même temps, avec le sang menstruel, de sorte que tout cela est la matière du corps. Mais le Philosophe réfute cela de plusieurs manières dans Sur les animaux, XV, en disant que ce qui provient de l’homme n’est pas la matière du corps humain, mais seulement son principe, selon la raison et selon des expériences sensibles, qui font plutôt foi dans les choses naturelles. Cela ressort clairement pour celui qui lit ce qu’il dit. De même aussi, il montre que la semence de la femme ne contribue en rien à la génération ; ainsi certaines femmes conçoivent sans fournir de semence. Mais le sang qu’on appelle menstrue existe chez les femmes à la place de la semence chez les hommes. Selon cette opinion du Philosophe, la conception de la Vierge peut être préservée de la manière la plus appropriée, si le sang de la femme n’est requis que matériellement pour la conception du corps humain. En effet, on ne doit pas croire que quelque chose de matériellement nécessaire à la formation du corps humain ait fait défaut à la matière du corps du Christ, qui a été conçu sans la semence d’un homme. Il est clair aussi, pour tous ceux qui confessent la virginité de la mère, que cette conception s’est réalisée sans semence de l’homme. C’est pourquoi la matière dont ce corps a été formé est le sang préparé par la puissance génératrice de la mère. En effet, ce sang, chez les femmes, est comme la semence chez les hommes. Aussi celle-ci et celui-là commencent-ils au même moment chez les hommes et chez les femmes, à savoir, à la naissance des poils et des autres accidents qui sont les signes de la puberté. Mais parce que, chez la femme, existe une chaleur déservant la puissance génératrice moindre que la chaleur de l’homme, le superflu de nourriture ne peut être amené à une digestion aussi grande que chez les hommes. C’est la raison pour laquelle il demeure à l’état de sang, auquel fait défaut la digestion complète de la semence. Aussi arrive-t-il, chez celui qui pratique beaucoup l’union sexuelle, qu’il émette du sang à la place de la semence, comme il est dit dans Sur les animaux, XV, comme si la nature ne suffisait pas à digérer une aussi grande quantité de semence que l’exige l’incontinence.

 [7893] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod secundum philosophum in 15 et 16 de animalibus, illud quod a viro emittitur, non efficitur materia in generatione, sed tantum activum; unde relinquitur quod ex solo sanguine mulieris materialiter corpus humanum formetur, tam in Christo quam in aliis hominibus.

1. Selon le Philosophe, dans Sur les animaux, XV et XVI, ce qui est émis par l’homme ne devient pas matière dans la génération, mais seulement [un principe] actif. Il reste donc que le corps humain est formé matériellemenet du seul sang de la femme, tant chez le Christ que chez les autres hommes.

 [7894] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Christus ex semine David dicitur factus secundum carnem, non sicut ex immediata materia; sed quia materia ex qua corpus Christi formatum est, originaliter ex semine David descendit.

2. On dit que le Christ est venu de la semence de David selon la chair, non pas comme d’une matière immédiate, mais parce que la matière dont le corps du Christ a été formé provient à l’origine de la semence de David.

 [7895] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod assumptio habet duos terminos, scilicet a quo, et in quem. Dicitur ergo Dei verbum ex virgine carnem assumpsisse, non quantum ad terminum a quo, quasi prius esset in specie carnis quam assumeretur; sed quantum ad terminum ad quem: quia materia illa simul assumpta est et in carnem formata.

3. L’assomption a deux termes : a quo et in quem. On dit que le Verbe de Dieu a assumé la chair à partir de la Vierge, non pas du point de vue du terme a quo, comme s’il avait d’abord existé dans l’espèce de la chair avant qu’elle ne soit assumée, mais du point de vue du terme ad quem, car cette matière a été en même temps assumée et a reçu la forme de la chair.

 [7896] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis caro cum carne magis conveniat secundum similitudinem speciei; tamen sanguis, ex quo formatur corpus, magis convenit cum carne et reliquis partibus corporis secundum proportionem potentiae ad actum, quam caro cum carne; sanguis enim ille est potentia totum, secundum potentiam passivam, sicut et semen est potentia totum secundum potentiam activam; caro autem non est potentia totum, cum sit actu pars ultimum complementum habens jam per ultimam digestionem. Haec autem convenientia praecipue requiritur ad hoc quod aliquid ex aliquo fiat: domus enim facilius construitur ex caemento et lapidibus specie differentibus, quam ex alia domo ejusdem speciei; ex qua domus construi non potest, nisi in lapides resolvatur.

4. Bien que la chair ait plus en commun avec la chair selon la similitude de l’espèce, le sang, dont est formé le corps, a cependant davantage en commun avec la chair et les autres parties du corps selon la proportion entre la puissance et l’acte, que la chair avec la chair. En effet, ce sang n’est qu’une puissance, en tant que puissance passive, comme aussi la semence est entièrement puissance, en tant que puissance active ; mais la chair n’est pas entièrement puissance, puisqu’elle est en acte une partie possédant déjà un achèvement complet par une digestion ultime. Or, un tel caractère commun est nécessaire pour que quelque chose devienne à partir d’une autre chose. En effet, une maison est plus facilement construite de ciment et de pierres différents par l’espèce, qu’à partir d’une autre maison de la même espèce, à partir de laquelle la maison ne peut être construite que si elle est ramenée aux pierres.

 [7897] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod sanguis qui humani corporis materia ponitur, non est absolute talis qualis per actum nutritivae generatur ex cibo; sed hoc quod de illo sanguine residuum est ab ultima digestione nutritiva, in feminis generativae ministrat, quae ipsum praeparat, ut sit debita materia corporis humani.

5. Le sang, qui est présenté comme la matière du corps humain, n’est pas absolument le même que celui qui est engendré par l’acte de la partie nutritive ; mais ce qui reste de ce sang après l’ultime digestion nutritive est au service de la [puissance] génératrice chez les femmes, qui le prépare à être la matière appropriée du corps humain.

 

 

Articulus 2 [7898] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 2 tit. Utrum conceptio corporis Christi fuerit subito, vel successive

Article 2 – La conception du corps du Christ s’est-elle produite subitement ou successivement ?

 [7899] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod conceptio corporis Christi non fuerit subito, sed successive completa. Heb. 2 dicitur, quia Christus debuit per omnia fratribus similari. Sed alii homines, qui fratres ejus dicuntur ibidem, successive concipiuntur. Ergo et Christi conceptio debuit esse successiva.

1. Il semble que la conception du corps du Christ ne s’est pas produite subitement, mais qu’elle s’est achevée successivement. Il est dit en He 2 que le Christ devait être en tout semblable à ses frères. Or, les autres hommes, qui sont appelés là ses frères, sont conçus successivement. La conception du Christ devait donc se produire successivement.

 [7900] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 2 arg. 2 Praeterea, tempus generationis cujuslibet rei est determinatum secundum speciem suam, ut ex 2 de generatione haberi potest. Sed Christus fuit ejusdem speciei cum aliis hominibus. Ergo sicut aliorum hominum generatio determinato tempore perficitur, ita et Christi.

2. Le moment de la conception de n’importe quelle chose est déterminé selon son espèce, comme on peut le lire dans Sur la génération, II. Or, le Christ faisait partie de la même espèce que les autres hommes. De même que la conception des autres hommes se réalise à un moment déterminé, de même aussi la conception du Christ.

 [7901] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 2 arg. 3 Praeterea, ut in 2 de anima dicitur, cuicumque rei naturali debetur determinata magnitudo. Sed corpus Christi non potuit in principio conceptionis suae habere tantam magnitudinem quantum naturae hominis debetur: alias tempore illo non crevisset in utero virginis in quo alii crescunt, vel minori tempore a virgine portatus esset quam alii homines portantur; quod non tenet Ecclesia. Ergo in principio suae conceptionis nondum erat in specie humana, in qua fuit in termino conceptionis. Ergo principium conceptionis est aliud a termino ejus. Omnis autem mutatio quae habet prius et posterius, est successiva. Ergo conceptio Christi fuit successiva.

3. Comme on le dit dans Sur l’âme, II, une grandeur déterminée est due à chaque chose naturelle. Or, le corps du Christ ne pouvait pas, au début de sa conception, avoir la grandeur qui est due à la nature humaine, autrement, il ne se serait pas développé dans le sein de la Vierge, où les autres se développent, ou bien il aurait été porté moins longtemps que les autres hommes par la Vierge, ce que l’Église ne soutient pas. Au début de sa conception, il ne faisait donc pas partie de l’espèce humaine, dont il était au terme de sa conception. Le début de la conception est donc différent de son terme. Or, tout changement qui comporte un avant et un après est successif. La conception du Christ a donc été successive.

 [7902] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 2 arg. 4 Praeterea, corpus Christi ex virginis sanguinibus formatum est. Aut ergo in eodem instanti fuit sanguis et caro; et sic eadem materia simul erit sub duabus formis substantialibus disparatis, quod est impossibile: aut in alio et in alio instanti. Sed inter quaelibet instantia est tempus medium, ut in 6 Physic. probatur. Ergo conceptio Christi tempore mensuratur, et non est subito peracta.

4. Le corps du Christ a été formé du sang de la Vierge. Donc, soit que le sang et la chair aient existé dans le même instant, et ainsi la même matière se trouvera sous deux formes substantielles disparates, ce qui est impossible ; soit [qu’ils aient existé] dans des instants différents. Or, il existe un temps intermédiaire entre n’importe quels instants, comme cela est démontré dans Physique, VI. La conception du Christ est donc mesurée par le temps et elle n’a pas été réalisée subitement.

 [7903] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 2 arg. 5 Praeterea, concipi est quoddam fieri, sicut conceptum est quoddam factum esse. Nihil autem in permanentibus simul fit et factum est: alias simul aliquid esset et non esset: quod enim fit in permanentibus non est: quod autem factum est, jam est. Ergo in carne Christi non simul fuit concipi et conceptum esse: et sic fuit ibi prioris et posterioris successio.

5. Être conçu est un certain devenir, comme avoir été conçu est être devenu. Or, rien ne survient en même temps chez ce qui devient et ce qui est devenu, autrement quelque chose serait et ne serait pas en même temps. En effet, ce qui devient dans les choses permanentes n’existe pas, et ce qui est devenu existe déjà. Pour la chair du Christ, être conçue et avoir été conçue n’ont donc pas existé en même temps, et ainsi il y a eu là une succession entre ce qui est antérieur et ce qui est postérieur.

 [7904] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 2 s. c. 1 Sed contra: conceptionis principium esse non potuit antequam conceptionis activum in virgine esset. Sed conceptionis activum fuit in ipsa divina sapientia, quae ex sanguinibus virginis carnem sibi copulavit, ut dicit Damascenus. Ergo non potuit prius conceptio incipere quam in uterum virginis divina sapientia descendisset. Sed, sicut dicit Gregorius in Moral., spiritu adveniente, mox verbum in utero, mox intrat verbum caro factum. Ergo conceptio carnis incipere non potuit antequam caro esset. Sed ad speciem carnis terminata est conceptio. Ergo non prius incepit conceptio quam terminata esset; et ita sine successione fuit.

Cependant, [1] le début de la conception ne pouvait pas exister avant que le principe actif de la conception ait existé dans la Vierge. Or, le principe actif de la conception se trouvait dans la sagesse divine elle-même, qui s’est uni la chair à partir du sang de la Vierge, comme le dit [Jean] Damascène. La conception n’a donc pas pu commencer avant que la sagesse divine soit descendue dans le sein de la Vierge. Or, ainsi que le dit Grégoire dans les Morales, « dès la venue de l’Esprit, le Verbe se trouva aussitôt dans le sein, le Verbe devenu chair est aussitôt entré ». La conception de la chair ne pouvait donc pas commencer avant que n’existe la chair. Or, la conception s’est terminée à l’espèce de la chair. La conception n’a donc pas commencé avant qu’elle ne se soit terminée. Elle s’est donc réalisée sans succession.

 [7905] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 2 s. c. 2 Praeterea, conceptio Christi facta est virtute divina, quae infinita est. Sed virtutis infinitae est subito suum effectum producere. Ergo conceptio Christi subitanea fuit.

 [2] La conception du Christ a été réalisée par la puissance divine, qui est infinie. Or, il revient à une puissance infinie de réaliser d’un coup son effet. La conception du Christ a donc été subite.

 [7906] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod conceptio Christi secundum fidem oportet quod subito facta ponatur: non enim humana natura prius assumpta fuit quam in sua specie perficeretur, cum partes ejus non sint assumptibiles nisi ratione totius, ut patet ex dictis in 2 dist., quaest. 2, art. 3, quaestiunc. 1. Proprietates autem et accidentia humanae naturae non dicuntur de filio Dei ante assumptionem. Ergo quidquid humanum de filio Dei dicitur, completionem humanae naturae non praecessit. Conceptio autem de filio Dei dicitur, ut patet in symbolo: qui conceptus est de spiritu sancto etc. ergo oportet ut conceptio in Christo non praecedat tempore completam naturam carnis ejus: et ita relinquitur quod simul concipiebatur et concepta est: propter quod oportet illam conceptionem subitaneam ponere, ita quod haec in eodem instanti fuerunt, scilicet conversio sanguinis illius materialis in carnem et alias partes corporis Christi, et formatio membrorum organicorum et animatio corporis organici, et assumptio corporis animati in unitatem divinae personae. In aliis autem haec successive contingunt, ita quod maris conceptio non perficitur nisi usque ad quadragesimum diem, ut philosophus in 9 de animalibus dicit, feminae autem usque ad nonagesimum. Sed in completione corporis masculi videtur Augustinus superaddere sex dies, qui sic distinguuntur, secundum eum in epistola ad Hieronymum. Semen primis sex diebus quasi lactis habet similitudinem; novem diebus vertitur in sanguinem; deinde duodecim diebus solidatur; decem et octo diebus formatur usque ad perfecta membrorum lineamenta; et hinc jam reliquo tempore usque ad tempus partus magnitudine augetur; unde versus: sex in lacte dies, ter sunt in sanguine terni, bis seni carnem, ter seni membra figurant. In Christi autem conceptione materia quam virgo ministravit, statim formam et figuram humani corporis accepit, et animam, et in unitatem divinae personae assumpta est.

Réponse. Selon la foi, il est nécessaire d’affirmer que la conception du Christ a été réalisée subitement. En effet, la nature humaine a d’abord été assumée avant d’être perfectionnée dans son espèce, puisque ses parties ne peuvent être assumées qu’en raison du tout, comme cela ressort de la d. 2, q. 2, a. 3, qa 1. Or, les propriétés et les accidents de la nature humaine ne sont pas attribués au Fils de Dieu avant l’assomption. Tout ce qui est dit d’humain du Fils de Dieu n’a donc pas précédé l’achèvement de la nature humaine. Or, la conception est attribuée au Fils de Dieu, comme cela ressort du symbole : « … qui a été conçu du Saint-Esprit, etc. ». Il est donc nécessaire que la conception chez le Christ ne précède pas dans le temps la nature achevée de sa chair. Il reste donc qu’elle est conçue et a été conçue. Pour cette raison, il est nécessaire d’affirmer que cette conception a été subite, de telle sorte que se sont réalisées dans le même instant la conversion de ce sang matériel en chair et dans les autres parties du corps du Chist, la formation des membres organiques, l’animation du corps organique et l’assomption du corps animé dans l’unité de la personne divine. Mais, chez les autres, ces choses se produiseent successivement, de telle sorte que la conception du mâle n’est achevée qu’au quarantième jour, comme le dit le Philosophe dans Sur les animaux, IX, mais celle de la femelle, pas avant le quatre-vingt dixième jour. Mais, pour l’achèvement du corps du mâle, Augustin semble ajouter six jours, qui se répartissent ainsi, d’après ce qu’il dit dans une lettre à Jérôme. Les six premiers jours, la semence a pour ainsi dire l’apparence du lait ; après neuf jours, elle se transforme en sang ; ensuite, après douze jours, elle se coagule ; après dix-huit jours, elle acquiert les contours parfaits des membres ; à partir de là et pour le reste du temps jusqu’au moment de la délivrance, elle augmente en grandeur. D’où vient le vers : « L’apparence du lait en six jours, trois fois trois pour le sang, deux fois six pour la chair, trois fois six pour l’apparition des membres. » Mais, lors de la conception du Christ, la matière que la Vierge a fournie a reçu aussitôt la forme et la figure du corps humain et l’âme, et elle a été assumée dans l’unité de la personne divine.

 [7907] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Christus per omnia fratribus assimilari debuit in his quae necessaria erant ad eorum reparationem. Hujusmodi autem sunt ea in quibus veritas humanae naturae consistit, scilicet partes essentiales ejus, et proprietates naturales, et passiones quibus opus redemptionis explendum erat. In aliis autem excellere debuit ut hominum salvator.

1. Le Christ devait devenir semblable en tout à ses frères pour ce qui était nécessaire à leur restauration. Or, ces choses sont celles en lesquelles consiste la vérité de la nature humaine, à savoir, ses parties essentielles, ses propriétés naturelles et les passions par lesquelles l’œuvre de la rédemption devait se réaliser. Pour les autres choses, il devait dépasser [ses frères] en tant que Sauveur des hommes.

 [7908] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod determinatum tempus generationis alicui speciei debitum non sequitur veritatem speciei in re generata, sed virtutem generantis in specie illa; et ideo quamvis Christus in veritatem humanae naturae conceptus fuit, quia tamen conceptio illa non est facta per actionem alicujus virtutis humanae, ideo non oportet quod idem tempus debeatur conceptioni Christi quod conceptionibus aliorum.

2. Le moment déterminé pour la génération pour une espèce ne découle pas de la vérité de l’espèce dans la chose engendrée, mais de la puissance de celui qui engendre dans cette espèce. Aussi, bien que le Christ ait été conçu selon la vérité de la nature humaine, parce que cette conception ne s’est cependant pas réalisée par l’action d’une puissance humaine, il n’est pas nécessaire que le même temps soit requis pour la conception du Christ que pour les conceptions des autres.

 [7909] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quantitas determinata alicujus speciei non est determinata secundum aliquid indivisibile; sed habet aliquam latitudinem: quia in specie humana invenitur major et minor quantitas, et in eodem individuo secundum diversa tempora, et in diversis, ut ad sensum patet. Minimum autem quantitatis in uno individuo est in primo instanti suae figurationis et animationis; quae quantitas adeo parva est quod parum excedit quantitatem formicae, ut dicit philosophus, quod in quadragesima die muliere pariente abortum, inventum est corpus prolis omnia membra distincta habere, quamvis in quantitate esset sicut magna formica. Maxima autem quantitas in aliquo individuo est in ultimo termino augmenti: et sicut maximum differt in diversis, ita etiam proportionaliter illud minimum. Potuit ergo esse ut corpus Christi in primo instanti conceptionis perfecte figuratum, haberet quantitatem sufficientem suae speciei; minorem tamen quam sibi deberetur in principio suae humanitatis si naturaliter conceptus esset, respectu quantitatis quam habuit in completa aetate proportionaliter aliis hominibus; ita quod usque ad quadragesimum aut quadragesimum sextum diem crescendo pervenerit usque ad quantitatem illam quae in eo debuit esse minima proportionaliter aliis hominibus; et deinceps crevit sicut et alii homines crescunt; ita quod totum tempus quo in utero matris fuit, augmento corporis ejus servivit, quod in aliis servit conversioni, figurationi, animationi, et augmento.

3. La quantité déterminée d’une espèce n’est pas déterminée selon quelque chose d’indivisible, mais elle a une certaine latitude, car, dans l’espèce humaine, on trouve une quantité plus ou moins grande, ainsi que chez le même individu à divers moments et en diverses conditions, comme cela tombe sous le sens. Or, la plus petite quantité chez un individu existe au premier instant de sa conformation et de son animation. Cette quantité est si petite qu’elle dépasse à peine la quantité d’une fourmi. Le Philosophe dit qu’on a trouvé chez avorton, au quarantième jour de la grossesse d’une femme, que son corps possédait tous les membres distincts, bien que, en quantité, il ressemblât à une grosse fourni. Mais la plus grande quantité d’un individu se trouve au terme ultime de sa croissance. Et de même que ce qu’il y a de plus grand est différent chez divers individus, de même ce qu’il y a de plus petit de manière proportionnelle. Il pouvait donc arriver que le corps du Christ, conformé au premier instant de sa conception, possède une quantité suffisante pour son espèce, mais plus petite qu’il ne lui reviendrait au début de son humanité, s’il avait été conçu naturellement, par rapport à la quantité qu’il avait à l’âge adulte d’une manière proportionnelle aux autres hommes. De telle sorte que jusqu’au quarantième ou au quarantième-sixième jour, sa croissance serait parvenue à la quantité la plus petite qui devait lui revenir proportionnellement aux autres hommes. Par la suite, il se développa comme les autres hommes se développent, de telle sorte que tout le temps où il fut dans le sein de sa mère servit à la croissance de son corps, alors que [ce temps] sert aux autres à la conversion, à la conformation, à l’animation et à la croissance.

 [7910] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod hoc est universaliter verum in quolibet motu continuo, quod non est accipere ultimum instans in quo id quod movetur distet a termino ad quem, quamvis posset accipi primum instans in quo est in termino ad quem, ut patet ex 8 Physic. Verbi gratia, si aliquid movetur de nigredine in albedinem, in ultimo instanti temporis mensurantis motum illum albedo inest mobili: ultimus etenim terminus temporis respondet ultimo termino motus; sed in omni eo quod de dicto tempore accipitur ante ultimum instans, mobile ab albedine distat. Non est autem accipere ante ultimum instans temporis, secundo ultimum instans; cum inter quaelibet duo instantia sit tempus medium, ut 6 physicorum probatur; unde non est accipere instans in quo id quod fit album, sit non album. Et similiter est in mutationibus, quae quamvis non sint motus, tamen aliquem motum consequuntur; sicut generatio sequitur alterationem, et illuminatio motum localem solis; non est enim accipere ultimum instans in quo id quod fit ignis sit non ignis; neque instans in quo aer qui illuminatur, sit tenebrosus: eo quod terminus a quo in istis mutationibus inest transmutato in toto tempore mensurante motum, cui mutatio non conjungitur sicut terminus, nisi in ultimo instanti illius temporis. Dico ergo, quod conceptio Christi quamvis non sit motus, quia successionem non habet; tamen conjungitur quidam motui locali, saltem motui locali sanguinis materialis ad locum generationis, ubi undique congregatus est; et in ultimo termino illius motus materia illa fuit sub specie corporis Christi; et sic est accipere primum instans in quo corpus Christi fuit; sed in toto tempore praecedenti hoc instans, erat sanguis; unde non est accipere ultimum instans in quo sanguis erat, sed ultimum tempus. Tempus autem continuatur instanti sine hoc quod cadat aliquod medium, sicut nec inter lineam et punctum necesse est medium cadere; unde forma sanguinis et forma corporis Christi continue successerunt sibi in illa materia: neque oportet aliquod medium tempus ponere, ut conceptio successiva judicetur.

4. Cela est universellement vrai pour tous les mouvements continus, qu’on ne peut saisir l’instant ultime dans lequel ce qui est mû est distant du terme ad quem, bien qu’on puisse saisir le premier instant dans lequel il se trouve dans le terme ad quem, comme cela ressort de Physique, VIII. Par exemple, si quelque chose est mû du noir au blanc, dans l’instant ultime du temps mesurant ce mouvement, la blancheur est présente dans le mobile. En effet, le terme ultime du temps correspond au terme ultime du mouvement. Or, pendant tout ce qu’on perçoit de ce temps avant l’instant ultime, le mobile est distant de la blancheur. Mais on ne peut saisir, avant l’instant ultime du temps, l’avant-dernier instant ultime, puisque, entre deux instants, il existe un temps intermédiaire, comme cela est démontré dans Physique, VI. Aussi ne peut-on pas saisir l’instant dans lequel ce qui devient blanc n’est pas blanc. Et de même en est-il dans les changements qui, bien qu’ils ne soient pas des mouvements, découlent cependant d’un mouvement : c’est le cas de la génération qui découle d’une altération et de l’illumination [qui découle] d’une mouvement local du soleil. En effet, on ne peut saisir l’instant ultime dans lequel ce qui devient feu n’est pas du feu, ni l’instant dans lequel l’air qui est illuminé est ténébreux. De telle sorte que le terme a quo, dans ces mouvements, demeure dans ce qui est changé pendant tout le temps qui mesure le mouvement auquel le changement n’est pas uni comme un terme, sauf dans l’instant ultime de ce temps. Je dis donc que la conception du Christ, bien qu’elle ne soit pas un mouvement, puisqu’elle ne comporte pas de succession, est cependant unie à un mouvement local, du moins àu mouvement local du sang matériel vers le lieu de la génération, où il a été recueilli de toutes parts. Au terme ultime de ce mouvement, cette matière avait l’apparence du corps du Christ. C’est ainsi qu’il faut concevoir le premier instant où le corps du Christ a existé. Mais, pendant tout le temps précédant cet instant, c’était du sang. Aussi ne faut-il pas comprendre l’instant ultime où le sang existait, mais le temps ultime. Or, le temps est en continuité avec l’instant sans qu’intervienne un intermédiaire, de même qu’il n’est pas nécessaire qu’intervienne un intermédiaire entre la ligne et le point. Aussi la forme du sang et la forme du corps du Christ se sont-elles succédé dans cette matière, et il n’est pas nécessaire d’introduire un temps intermédiaire pour que la conception soit estimée successive.

 [7911] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod fieri dupliciter potest accipi. Uno modo secundum quod pertinet ad motum praecedentem esse rei quae fieri dicitur; et sic oportet quod fieri rei praecedat duratione factum esse, ut objectio probat. Alio modo dicitur fieri ipsa terminatio motus, esse inducentis; sicut illuminari signatur per modum fieri, et hoc ipsum quod dicitur terminari; et hujusmodi fieri non praecessit tempore factum esse, nec differt ab eo nisi ratione: hoc enim quod est esse illuminatum, si consideretur secundum se, signatur ut factum esse, ut cum dicitur illuminatum; si autem consideretur prout est aliquid motus praecedentis, scilicet terminus, sic signatur ut in fieri, ut cum dicitur illuminari: et ideo non est verum hoc dicere nisi in primo instanti in quo motus praecedens terminatur; quamvis semper postea verum sit dicere, hoc factum esse. Sic autem acceptum fieri non oportet quod sit non esse, sed quod sit nunc primo esse; et per hunc modum de Christo verum est dicere, simul concipi et conceptum esse; unde non oportet quod conceptio fuerit successiva.

5. « Devenir » peut s’entendre de deux manières. D’une manière, selon que cela se rapporte au mouvement précédant l’être de la chose dont on dit qu’elle devient : il est ainsi nécessaire que le devenir d’une chose précède dans la durée le fait d’avoir été, comme le démontre l’objection. D’une autre manière, on appelle « devenir » la fin d’un mouvement qui entraîne l’être : ainsi, le fait d’être éclairé est signalé sous la forme d’un devenir, ainsi que cela même dont on dit qu’il se termine. Un devenir de cette sorte n’a pas précédé dans le temps le fait d’être devenu, et il ne diffère de lui que par la raison. En effet, le fait même d’être éclairé, s’il est envisagé en lui-même, est signalé comme quelque chose qui est devenu, comme lorsqu’on dit que cela est éclairé. Mais si on l’envisage comme quelque chose du mouvement précédent, comme un terme, il est alors signalé comme en devenir, comme lorsqu’on dit que cela s’éclaire. Aussi n’est-il vrai de dire cela que pour le premier instant où le mouvement qui précède se termine, bien qu’il soit toujours vrai par la suite de dire que cela est devenu. Or, il n’est pas nécessaire que le devenir ainsi conçu soit du non-être, mais qu’il consiste maintenant à exister pour la première fois. Il est ainsi vrai de dire du Christ qu’il est conçu et qu’il a été conçu. Il n’est donc pas nécessaire que sa conception ait été successive.

 

 

Articulus 3 [7912] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 3 tit. Utrum Christo sanctificari conveniat, scilicet ut indigeret sanctificatione

Article 3 – La sanctification convient-elle au Christ, au sens où il avait besoin de sanctification ?

 [7913] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur, quod Christo sanctificari non conveniat. Quia, ut dicitur Hebr. 7, 26: talis decebat ut esset pontifex nobis qui non habet necessitatem, quemadmodum sacerdos, prius pro suis delictis hostias offerre, deinde pro populo. Sed Christus sicut venit orare et hostiam offerre pro populo; ita et sanctificare populum. Ergo nec indiguit ut ipse sanctificaretur.

1. Il semble que la sanctification ne convienne pas au Christ, car, ainsi que le dit He 7, 26, il convenait que nous ayons un grand-prêtre qui n’avait pas besoin, comme un prêtre, d’offrir des victimes d’abord pour lui-même, ensuite pour le peuple. Or, le Christ, de même qu’il est venu prier et offrir une victime pour le peuple, est aussi venu sanctifier le peuple. Il n’avait donc pas besoin d’être lui-même sanctifié.

 [7914] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 3 arg. 2 Praeterea, in quolibet ordine primum movens est immobile. Sed Christus est principium totius humanae sanctificationis. Ergo ipse sanctificatus non est.

2. En tout ordre, le premier moteur est immobile. Or, le Christ est le principe de toute la sanctification humaine. Lui-même n’a donc pas été sanctifié.

 [7915] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 3 arg. 3 Praeterea, omne quod fit, fit ex contrario: generationes enim, secundum philosophum, ex contrariis sunt. Sed Christus ab omni peccato, quod sanctitati contrariatur, immunis fuit. Ergo Christus sanctificari non dicitur.

3. Tout ce qui devient, devient à partir de son contraire : en effet, les générations, selon le Philosophe, se font à partir des contraires. Or, le Christ a été exempt de tout péché, qui est le contraire de la sainteté. On ne dit donc pas que le Christ est sanctifié.

 [7916] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 3 arg. 4 Si dicatur, quod caro ejus antequam esset assumpta, fuit obnoxia peccato, ut in littera dicitur, unde ratione emundationis ejus Christus sanctificari dicitur: contra. Hoc nomen Christus est hypostasis in duabus naturis subsistentis. Ergo nihil potest dici de Christo quod unionem illam praecesserit. Sed infectio cui in patribus caro ejus obnoxia fuerat, solum ante unionem fuit. Ergo ratione illa non potest dici Christus sanctificatus.

4. Si l’on dit qu’avant d’avoir été assumée, sa chair a été exposée au péché, comme le dit le texte, on dit donc que le Christ est sanctifié en raison de la purification [du péché]. En sens contraire, le nom de Christ est celui d’une hypostase qui subsiste en deux natures. Rien ne peut donc être dit du Christ, qui ait précédé cette union. Or, l’infection à laquelle sa chair a été exposée dans les pères n’a existé qu’avant l’union. Pour cette raison, on ne peut donc dire que le Christ a été sanctifié.

 [7917] Super Sent., lib. 3, d. 3, q. 5, a. 3, s. c. 1 Sed contra est , quod dicitur Joann. 10, 36 : Quem pater sanctificavit et misit in mundum. Ergo Christus sanctificatus est.

Cependant, [1] il est dit en Jn 10, 36 : Celui que le Père a sanctifié et envoyé dans le monde. Le Christ a donc été sanctifié.

 [7918] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 3 s. c. 2 Praeterea, Christus dicitur unctus. Sed spiritualis unctio causa est sanctitatis. Ergo et sanctificatus dici potest.

 [2] « Christ » veut dire oint. Or, l’onction spirituelle est la cause de la sainteté. On peut donc dire qu’il a été sanctifié.

 [7919] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod sanctificari est sanctum fieri. Potest autem aliquis sanctus fieri dupliciter: vel ex sancto, vel ex non sancto. Ex sancto iterum dupliciter: vel ex minus sancto magis sanctum, ut dicitur Joan. 17, 17: pater sanctifica eos in veritate; apostoli enim tunc sancti erant: vel secundum continuationem sanctitatis eadem quantitate servata, et hoc modo Christus potest esse sanctificatus, sicut ipse ibidem, 20, dicit: ego pro eis sanctifico meipsum; eo quod continuatio ratione successionis quemdam modum sanctificationis habet. Sed hic modus loquendi non videtur consuetus; unde sic de sanctificatione non loquimur. Ex non sancto etiam dicitur aliquis sanctus fieri dupliciter; vel ex non sancto contrarie aut privative, sicut per gratiam peccator sanctificari dicitur; et hoc modo Christus non potest dici esse sanctificatus, quia non potest accipi cum consistentia subjecti defectus sanctitatis in eo fuisse: simul enim fuit homo et sanctus homo: vel ex non sancto negative: et hoc adhuc distinguendum est: quia vel dicitur ex non sancto sanctus factus ratione creatae sanctitatis, quae hominis est; et sic dicitur Christus sanctus factus, sicut et homo factus: aut ratione sanctitatis increatae; et sic dicitur sanctus factus per modum quo homo dicitur factus Deus; quae vel est falsa, vel minus proprietatis habens quam prima, scilicet, Deus factus est homo, ut infra, distinct. 7, patebit: et ita concedi potest in aliquo sensu Christum sanctificatum esse.

Réponse. Être sanctifié, c’est devenir saint. Or, quelqu’un peut devenir saint de deux manières : soit qu’il ait été saint [auparavant], soit qu’il n’ait pas été saint. S’il était saint, [il peut être sanctifié] encore de deux manières. Soit qu’il devienne plus saint alors qu’il était moins saint, comme Jn 17, 17 dit : Père, sanctifie-les en vérité ; en effet, les apôtres étaient alors saints. Soit que la sainteté se poursuive en conservant la même quantité : le Christ peut être sanctifié de cette manière, comme il le dit lui-même au même endroit, 17, 20 : Je me sanctifie moi-même pour eux, du fait que la continuation est un mode de sanctification en raison de la succession. Mais cette manière de parler n’est pas coutumière ; aussi ne parlons-nous pas ici de sanctification de cette manière. S’il n’était pas saint, on peut aussi dire que quelqu’un peut devenir saint de deux manières. Soit qu’il n’était pas saint en un sens contraire ou privatif, comme on dit que le pécheur est sanctifié par la grâce. On ne peut pas dire que le Christ a été sanctifié de cette manière, car on ne peut concevoir qu’ait existé en lui un manque de sainteté, compte tenu du sujet subsistant. En effet, il était en même temps un homme et un homme saint. Soit qu’il n’était pas saint négativement. Il faut encore faire ici une distinction. Soit il est devenu saint, alors qu’il ne l’était pas, en raison d’une sainteté créée, ce qui est propre à l’homme : ainsi, on dit que le Christ est devenu saint, de même qu’il est devenu homme. Soit en raison d’une sainteté incréée : on dit ainsi qu’il est devenu saint à la manière dont on dit qu’un homme est devenu Dieu, ce qui est faux ou est moins propre que la première [formulation], à savoir, que Dieu est devenu homme, comme cela ressortira plus loin, d. 7. On peut donc ainsi concéder qu’en un sens, le Christ a été sanctifié.

 [7920] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut Christus non indiguit ut pro se oraret, vel hostias offerret; ita nec indiguit ut hoc modo sanctificaretur quo alios sanctificare venerat, scilicet per purgationem peccatorum. Per hoc tamen non removetur quin ipse a tota Trinitate sanctus sit factus homo, cum prius nec homo, nec sanctus homo fuerit.

1. De même que le Christ n’avait pas besoin de prier ou d’offrir des victimes pour lui-même, de même n’avait-il pas besoin d’être sanctifié de la manière dont il était venu sanctifier les autres, à savoir, par la purification des péchés. Toutefois, cela n’empêche pas que toute la Trinité fasse de lui un homme saint, alors qu’il n’était pas un homme ni un homme saint antérieurement.

 [7921] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod primum movens in aliquo ordine mobilium non oportet esse immobile simpliciter, sed immobile secundum idem genus motus; sicut caelum quod est primum alterans, movetur quidem, sed non alteratur: non enim est primum movens simpliciter. Similiter etiam Christus, secundum quod homo, non est primum sanctificans simpliciter, sed Deus Trinitas; est autem primum sanctificans inquantum homo, per modum satisfacientis pro peccato; et sic sanctificatus non est; aliquo tamen modo sanctificatus est.

2. Il n’est pas nécessaire que le premier moteur dans un ordre de mobiles soit tout simplement immobile, mais qu’il soit immobile selon le même genre de mouvement ; ainsi, le ciel, qui est le premier [agent] de l’altération est mû, mais il n’est pas altéré : en effet, il n’est pas tout simplement le premier moteur. De même aussi, le Christ, en tant qu’homme, n’est pas tout simplement la première [cause] de sanctification, mais le Dieu Trinité. Mais [le Christ] est le premier [agent] de sanctification en tant qu’homme par mode de satisfaction pour le péché. Ainsi n’a-t-il pas été sanctifié. Cependant, il a été sanctifié d’une certaine manière.

 [7922] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non oportet omne quod fit, ex contrario fieri, sed solum quod fit per viam generationis et alterationis; oportet tamen omne quod fit, ex incontingenti fieri, ut in 1 Physic. dicitur, idest quod non contingit simul inesse. Sic autem contingens non est solum contrarium vel privatio quae requirunt subjectum, sed etiam negatio, quae consistentiam subjecti non requirit: et sic ex non sancto Christus factus est sanctus, ut dictum est.

3. Il n’est pas nécessaire que tout ce qui devient devienne à partir d’un contraire, mais seulement ce qui devient par voie de génération et d’altération. Il est cependant nécessaire que tout ce qui devient devienne à partir de quelque chose qui n’est pas contingent, comme il est dit dans Physique, I, c’est-à-dire, de quelque chose à quoi il n’arrive pas d’y être présent en même temps. Ce qui arrive de cette manière n’est pas seulement un contraire ou une privation, qui exigent un sujet, mais aussi une négation, qui n’exige pas d’exister dans un sujet. Ainsi le Christ est-il devenu saint à partir de quelqu’un qui n’était pas saint, comme on l’a dit.

 [7923] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 3 ad 4 Quartum concedimus: quia responsio illa non valet.

4. Nous concédons la quatrième objection, car cette réponse n’a pas de valeur.

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 3

 [7924] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 3 expos. Obnoxia fuit peccato in Maria. Sed contra. Quod non est, non potest esse peccato obnoxium. Sed caro Christi non fuit nisi in ipso. Ergo falsum est quod dicitur. Dicendum, quod quamvis caro Christi actu non fuerit nisi in ipso, tamen materialiter fuit in beata virgine et in aliis, sed differenter: quia in beata virgine praeexistebat materia illa essentialiter, sed in aliis prioribus originaliter tantum, ut dictum est; et secundum illum modum quo in unoquoque fuit, sic peccato obnoxia erat. Ita et leviticus ordo. Videtur quod ratio apostoli non valeat. Potest enim contingere quod pater Papae alicui simplici sacerdoti decimas solverit: nec propter hoc Papa sacerdote illo minor esset; et sic non videtur sequi, si Abraham Melchisedech decimas solverit, quod propter hoc leviticus ordo Melchisedech minor fuerit. Sed dicendum secundum quosdam, quod apostolus procedit ex suppositione hujus quod Abraham tota posteritate sua major fuerit; unde si Melchisedech major fuerit quam Abraham, per consequens major fuit quam levi vel Aaron. Sed quia haec suppositio vel dubia est, vel falsa, saltem propter beatam virginem; ideo melius dicendum, quod apostolus non intendit probare quod Melchisedech personaliter major fuerit quam Aaron, sed quod sacerdotium Christi figuratum per sacerdotium Melchisedech majus est quam sacerdotium Aaron. Unde virtus rationis apostoli fundatur super figuram. Figuravit enim Abraham decimas Melchisedech dans, quod ipse cum tota sua posteritate minor esset sacerdotio Christi per Melchisedech figurati. Secundum rationem seminalem erat. Semen, ut dicit philosophus 5 physicorum, est in genere causae efficientis; unde illi dicuntur in Abraham secundum rationem seminalem fuisse qui concepti sunt per virtutem activam ex Abraham originaliter descendentem: quod de Christo dici non potest, ut ex dictis patet. Non eum mater concupiscentia, sed gratia concepit. Istud potest intelligi dupliciter. Vel ita quod concupiscentia et gratia sint nominativi casus: sic enim concupiscentia dicitur mater eorum qui per concupiscentiam nascuntur, et gratia mater Christi, quia per gratiam natus est. Vel potest intelligi quod sint ablativi casus, ut intelligatur quod mater Christi non genuit eum per concupiscentiam, sed per gratiam; et sic locutio propria et plana est. Quia, ut dicunt physici, tot diebus forma humani corporis perficitur. Hoc potest aliter exponi quam Magister infra exponit, ut intelligatur completio corporis humani non solum quantum ad figuram, sed etiam quantum ad debitam quantitatem, ut per hos quadraginta sex dies totum tempus usque ad partum intelligatur: quadraginta enim et sex si per senarium (qui numerus est perfectus) multiplicentur, resultant ducenti septuaginta et sex dies; et tot dies computantur ab octavo Kalendas Aprilis, quando Christus conceptus est, usque ad octavum Kalendas Januarii, quando Christus natus est; et hoc accipitur ab Augustino.

 

 

 

Distinctio 4

Distinction 4 – [La cause efficiente de l’assomption]

Quaestio 1

Question 1 – [L’accomplissement de la conception du Christ doit-il être approprié au Saint-Esprit ?]

Prooemium

Prologue

 [7925] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 pr. Postquam determinavit de incarnatione ex parte assumpti, ostendens quid assumptum est, et cujus conditionis fuerit antequam assumeretur, in ista parte determinat de effectivo ipsius assumpti; et dividitur in duas partes: in prima ostendit quare efficientia naturae assumptae spiritui sancto appropriatur; in secunda movet quamdam dubitationem ex dictis consequentem, ibi: sed non est in hoc diutius immorandum. Circa primum tria facit: primo movet quaestionem; secundo determinat eam, ibi: non enim ideo operatio incarnationis spiritui sancto saepius attribuitur, quod ipse solus eam fecerit; tertio confirmat per auctoritatem, ibi: cum illam creaturam quam virgo concepit et peperit, quamvis ad solam personam filii pertinentem tota Trinitas fecerit (...) cur in ea facienda spiritus sanctus solus nominatus est ? Sed non est in hoc diutius immorandum. Hic determinat quamdam dubitationem ex praedictis ortam. Si enim Christus, inquantum homo, de spiritu sancto natus est, videtur quod spiritus sancti filius sit inquantum homo. Circa hoc ergo duo facit: primo movet dubitationem; secundo determinat eam, ibi: proinde cum fateamur, Christum natum de spiritu sancto ex Maria virgine, quomodo non sit filius spiritus sancti, et sit filius virginis (...) explicare difficile est. Circa quod duo facit: primo ostendit quod Christus non dicitur natus de spiritu sancto, sicut de patre; secundo exponit qua ratione de spiritu sancto natus dicatur, ibi: profecto modus iste quo natus est Christus de Maria virgine sicut filius, et de spiritu sancto non sicut filius, insinuat nobis gratiam Dei. Circa hoc duo facit: primo ostendit quod hoc dicitur ad signandum rationem illius nativitatis, quia per gratiam est, ut ly de denotet quasi rationem operis. Secundo ostendit aliam rationem qua hoc dici possit, scilicet quia spiritus sanctus fecit Christum inquantum est homo, ut ly de denotet habitudinem causae efficientis, ibi: potest etiam dici Christus secundum hominem ideo natus de spiritu sancto, quia eum fecit. Circa quod iterum duo facit; primo prosequitur rationem secundo assignatam; secundo movet quamdam quaestionem circa verbum apostoli inductum, ibi: sed quaeri potest, cum nos salvatorem natum profiteamur, cur apostolus factum eum dicat ex semine David, et alio loco factum ex muliere; cum aliud sit fieri, aliud nasci. Hic est triplex quaestio: prima de conceptione Christi in comparatione ad efficientiam spiritus sancti; secunda de ipsa in comparatione ad matrem concipientem; tertia de ipsa per comparationem ad gratiam, per quam conceptio facta dicitur. Circa primum quaeruntur duo: 1 utrum efficientia conceptionis Christi spiritui sancto appropriari debeat; 2 utrum ratione hujus efficientiae Christi secundum quod homo, spiritus sanctus possit dici pater.

Après avoir déterminé de l’incarnation du point de vue de ce qui a été assumé et montré ce qui a été assumé et quelle était sa condition avant d’être assumé, [le Maître] détermine, dans cette partie, de la cause efficiente de cela même qui est assumé. Cela se divise en deux parties : dans la première, il montre pourquoi la réalisation de la nature assumée est appropriée au Saint-Esprit ; dans la seconde, il soulève un doute qui découle de ce qui a été dit, à cet endroit : « Mais il ne faut pas s’arrêter plus longtemps sur cela. » À propos du premier point, il fait trois choses : premièrement, il soulève la question ; deuxièmement, il en détermine, à cet endroit : « En effet, l’opération de l’incarnation n’est pas attribuée d’habitudde à l’Esprit Saint au sens où lui seul l’aurait accomplie » ; troisièmement, il confirme par une autorité, à cet endroit : « Puisque la Trinité entière a réalisé cette créature que la Vierge a conçue et enfantée, et qui se rapporte à la seule personne du Fils…, pourquoi l’Esprit Saint a-t-il été seul nommé pour l’accomplir ? » « Mais il ne faut pas s’arrêter plus longtemps sur cela. » Il détermine ici d’un doute soulevé par ce qui a été dit auparavant. En effet, si le Christ, en tant qu’homme, est né du Saint-Esprit, il semble que, en tant qu’homme, il soit le Fils du Saint-Esprit. À ce propos, [le Maître] fait donc deux choses : premièrement, il soulève un doute ; deuxièmement, il en détermine, à cet endroit : « Aussi, lorsque nous disons que le Christ est né du (de) Saint-Esprit et de (ex) la Vierge Marie, comment n’est-il pas le Fils de l’Esprit Saint et est-il le fils de la Vierge ?... Il est difficile de l’expliquer. » À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il montre qu’on ne dit pas du Christ qu’il est né de l’Esprit Saint, comme il l’esst du Père ; deuxièmement, il explique pour quelle raison on dit qu’il est né du Saint-Esprit, à cet endroit : « La manière dont il est né de la Vierge Marie comme fils, et de l’Esprit Saint, mais non comme fils, nous suggère une grâce de Dieu. » À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il montre que cela est dit pour indiquer la raison de cette naissance, car elle vient de la grâce, de sorte que le de indique pour ainsi dire la raison de l’action ; deuxièmement, il montre une autre raison pour laquelle on peut dire cela, à savoir que le Saint-Esprit a fait le Christ en tant qu’homme, de sorte que le de indique le rapport à la cause efficiente, à cet endroit : « On peut aussi dire que le Christ en tant qu’homme est né du Saint-Esprit, car celui-ci l’a fait. » À ce propos, il fait de nouveau deux choses : premièrement, il élabore la raison indiquée en second lieu ; deuxièmement, il soulève une question à propos d’une parole de l’Apôtre qui a été invoquée, à cet endroit : « Mais on peut se demander, puisque nous confessons que le Sauveur est né, pourquoi l’Apôtre dit qu’il est venu de la semence de David et, en un autre endroit, qu’il est venu d’une femme, puisque « être fait » et « naître » sont des choses différentes. » Ici, il y a trois questions. La première [porte] sur la conception du Christ en rapport avec l’action efficiente du Saint-Esprit ; la deuxième, sur [la conception du Christ] en rapport avec sa mère qui le concevait ; la troisième, sur [la conception du Christ] en rapport avec la grâce par laquelle on dit que la conception s’est réalisée. À propos du premier point, il y a deux questions : 1 – La réalisation de la conception du Christ doit-elle être appropriée au Saint-Esprit ? 2 – Est-ce que, en raison de cette réalisation, le Saint-Esprit peut être appelé le Père du Christ en tant qu’homme ?

 

 

Articulus 1 [7926] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 tit. Utrum efficientia conceptionis Christi debeat appropriari alicui personae

Article 1 – La réalisation de la conception du Christ doit-elle être appropriée au Saint-Esprit ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Cette réalisation doit-elle être appropriée à une personne divine ?]

 [7927] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod nulli personae efficientia illa appropriari debeat. Operatio enim Dei est sua essentia. Sed essentia est communis tribus personis, et nulli eorum appropriabilis. Ergo nec operatio divina, qua conceptio hominis Christi perfecta est, alicui personae debet appropriari.

1. Il semble que cette réalisation ne doive être appropriée à aucune personne [divine]. En effet, l’action de Dieu est son essence. Or, l’essence est commune aux trois personnes et ne peut être appropriée à aucune d’entre elles. L’action divine par laquelle la conception de l’homme Christ a été accomplie ne doit donc pas non plus être appropriée à une personne [divine].

 [7928] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, Damascenus dicit 1 capitulo 3 libri, quod incarnatione manifestabantur simul bonitas, potentia, justitia, et sapientia Dei. Sed sicut bonitas appropriatur spiritui sancto, ita potentia patri, et sapientia filio. Ergo efficientia carnis assumptae non magis uni personae quam alteri appropriari debet.

2. [Jean] Damascène dit, dans le premier chapire du livre III, que la bonté, la puissance, la justice et la sagesse de Dieu étaient manifestées ensemble dans l’incarnation. Or, de même que la bonté est appropriée au Saint-Esprit, de même, la puissance l’est-elle au Père et la sagesse, au Fils. La réalisation de la chair assumée ne doit donc pas être appropriée à une personne plutôt qu’à une autre.

 [7929] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3 Sed contra, omnis operatio divina procedit ab eo secundum rationem alicujus attributi, sicut et operatio creaturae procedit ab ea secundum suam formam. Sed quodlibet divinorum attributorum est alicui personae appropriabile. Ergo et quodlibet divinum opus alicui personae appropriari debet sicut causae efficienti; et ita opus incarnationis.

3. Toute action divine procède de lui selon la nature d’un attribut, de même que l’action de la créature procède d’elle selon sa forme. Or, chacun des attributs divins peut être approprié à une personne divine. Toute action divine doit donc être appropriée à une personne comme à sa cause efficiente ; il en va donc de même pour l’œuvre de l’incarnation.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La conception du Christ doit-elle être appropriée au Père ?]

 [7930] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod debeat appropriari patri: ipsi enim attribuitur potentia. Potentia autem activa quae in solo Deo est, est principium efficiendi. Ergo omnis efficientia patri praecipue appropriari debet.

1. Il semble que [la conception du Christ] doive être appropriée au Père : en effet, c’est à lui que la puissance est attribuée. Or, la puissance active, qui existe en Dieu seul, est le principe de la réalisation. Toute réalisation doit donc être surtout appropriée au Père.

 [7931] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, sicut supra Magister dicit, filii missio est ejus incarnatio. Sed aeterna missio filii proprie attribuitur patri. Ergo et efficientia incarnationis debet patri attribui.

2. Comme le dit le Maître plus haut, la mission du Fils est son incarnation. Or, la mission éternelle du Fils est attribuée en propre au Père. La réalisation de l’incarnation doit donc être attribuée au Père.

 [7932] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 3 Sed contra, secundum Origenem, sicut generatio filii aeterna est a patre sine matre, ita generatio ejus temporalis est a matre sine patre. Hoc autem non contingeret, si efficientia incarnationis patri attribuatur. Ergo non est sibi convenienter attribuenda.

3. Selon Origène, « de même que la génération est accomplie éternellement par le Père sans mère, de même sa génération temporelle s’accomplit-elle par sa mère sans père ». Or, cela ne se produirait pas si la réalisation de l’incarnation était attribuée au Père. Elle ne doit pas lui être attribuée de manière appropriée.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La conception du Christ doit-elle être attribuée au Fils ?]

 [7933] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod sit attribuenda filio. Sicut enim ex verbis Damasceni, 3 dist., habitum est, divina sapientia, sicut divinum semen, ex purissimis sanguinibus virginis sibi carnem copulavit. Sed semen, ut dicit philosophus 2 Physicor., est principium activum. Ergo efficientia incarnationis filio appropriari debet.

1. Il semble qu’elle doive être attribuée au Fils. En effet, comme on l’a vu par les paroles de [Jean] Damascène, « la sagesse divine, comme une semence divine, s’est uni la chair à partir du sang très pur de la Vierge ». Or, comme le dit le Philosophe dans Physique, II, la semence est un principe actif. La réalisation de l’incarnation doit donc être appropriée au Fils.

 [7934] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, Bernardus in 5 de Consid. dicit, quod Dei sapientia est illa mulier evangelica, quae fermento fidei gloriosae virginis tria sata commiscuit, scilicet novum, antiquum, et aeternum: novum in creatione animae de nihilo: antiquum in assumptione corporis de natura Adae: aeternum in unione deitatis. Sed sapientia attribuitur filio. Ergo efficientia incarnationis filio attribuenda est.

2. Dans Sur la considération, V, Bernard dit que « la sagesse de Dieu est cette femme de l’évangile, qui a mêlé au ferment de la foi de la glorieuse Vierge trois mesures, la nouvelle, l’ancienne et l’éternelle : la nouvelle, par la création de l’âme à partir de rien ; l’ancienne, par l’assomption du corps à partir de la nature d’Adam ; l’éternelle, par l’union à la divinité ». Or, la sagesse est attribuée au Fils. La réalisation de l’incarnation doit donc être attribuée au Fils.

 [7935] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 3 Sed contra, inconveniens videtur quod aliqua res seipsam faciat, vel seipsam generet, ut dicit Augustinus. Sed appropriationes secundum rationem convenientiae fiunt. Cum ergo ipse filius factus sit homo, non debet sibi efficientia incarnationis appropriari, sed alteri personae.

3. Il ne semble « pas approprié qu’une chose se réalise elle-même ou s’engendre elle-même », comme le dit Augustin. Or, les appropriations sont faites selon une certaine convenance [entre une personne et une action]. Puisque le Fils lui-même s’est fait homme, la réalisation de l’incarnation ne doit donc pas lui être appropriée, mais à une autre personne.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [La conception du Christ doit-elle être appropriée au Saint-Esprit ?]

 [7936] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non debet etiam appropriari spiritui sancto, ut dicatur de spiritu sancto conceptus. Spiritus enim sanctus caritas est, et donum Dei, ut in 1 Lib., dist. 1, habitum est. Sed non convenienter dicitur Christus conceptus de caritate vel dono Dei. Ergo nec de spiritu sancto conceptus dici debet.

1. Il semble qu’elle ne doive pas être appropriée au Saint-Esprit, de sorte qu’on dise qu’il a été conçu du Saint-Esprit. En effet, le Saint-Esprit est charité et don de Dieu, comme on l’a vu dans le livre I, d. 1. Or, il n’est pas convenable de dire que le Christ a été conçu de la charité ou du don de Dieu. On ne doit donc pas dire non plus qu’il a été conçu du Saint-Esprit.

 [7937] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 4 arg. 2 Praeterea, ut ex verbis Augustini habitum est 36 dist., 1 Lib., haec praepositio de denotat consubstantialitatem: unde non dicimus aliquid de aliquo fieri, nisi de ejus substantia sit: dicimus enim esse filium de patre; non autem caelum et terram de Deo. Sed Christus secundum hominem non est consubstantialis spiritui sancto. Ergo non debet dici de spiritu sancto natus.

2. Comme on l’a vu d’après les paroles d’Augustin dans la d. 36 du livre I, cette préposition « de » indique la consubstantialité ; aussi ne disons-nous qu’une chose vient d’une autre, que si elle vient de sa substance. En effet, nous disons que le fils vient du Père, mais non que le ciel et la terre viennent de Dieu. Or, le Christ en tant qu’homme n’est pas consubstantiel à l’Esprit-Saint. On ne doit donc pas dire qu’il est né de l’Esprit Saint.

 [7938] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 4 arg. 3 Sed contra est quod dicitur Matth. 1, 20: quod enim in ea natum est, de spiritu sancto est.

Cependant, [3] il est dit en Mt 1, 20 : Ce qui est né en elle, vient du Saint-Esprit.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [7939] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo ad primam quaestionem dicendum, quod, sicut dicit Dionysius, 2 cap. de Div. Nom., omne nomen Dei operationem in creaturam designans, convenit toti Trinitati: et ideo in qualibet operatione divina, appropriata trium personarum ostenduntur, scilicet sapientia, potentia, et bonitas: quae etiam in operatione incarnationis ostensa sunt, ut Damascenus dicit: bonitas quidem, inquantum proprii plasmatis non despexit infirmitatem; potentia vero, inquantum maxime distantia conjunxit; sapientia vero, inquantum convenientem modum invenit ejus quod impossibile videbatur: justitia etiam in eo quod per modum satisfactionis salutem humani generis reparavit. Unaquaeque tamen operatio divina huic personae magis quam illi est appropriabilis, secundum quod in ea magis manifestatur attributum quod illi personae appropriatur. Bonitas autem divina secundum hoc in operatione Dei manifestatur quod sine sui indigentia ea quae sunt sua, creaturae communicat; et quanto ea quae communicantur, minus sunt creaturae debita, et quasi magis Deo propria, tanto magis bonitas Dei ostenditur, sicut sunt ea quae gratis naturae superadduntur: et propter hoc gratiae spiritui sancto attribuuntur, cui bonitas appropriatur. Cum ergo hoc praecipue supra conditionem humanae naturae sit ut in unitatem divinae personae assumatur, hoc opus praecipue spiritui sancto appropriandum est.

Comme le dit Denys dans Sur les noms divins, II, « tout nom désignant une opération de Dieu dans la créature convient à la Trinité entière ». Aussi, en toute opération divine, ce qui est approprié aux trois personnes est manifesté, à savoir, la sagesse, la puissance et la bonté, qui ont aussi été manifestées dans l’opération de l’incarnation, comme le dit [Jean] Damascène : la bonté, en tant qu’elle n’a pas méprisé la faiblesse de sa propre œuvre ; la puissance, en tant qu’elle a uni ce qui est le plus distant ; mais la sagesse, en tant qu’elle a trouvé le mode convenable de ce qui paraissait impossible ; la justice aussi, du fait qu’elle a restauré le salut du genre humain par mode de satisfaction. Cependant, chaque opération divine peut être appropriée à telle personne plutôt qu’à telle autre selon que se manifeste davantage en elle ce qui est approprié à cette personne. Or, la bonté divine se manifeste dans l’action divine selon que, sans qu’elle en ait besoin, elle communique ce qui lui appartient à la créature. Et moins ce qui est communiqué est dû à la créature et, pour ainsi dire, est davantage propre à Dieu, plus la bonté de Dieu se manifeste, comme c’est le cas de ce qui est gratuitement ajouté à la nature. Pour cette raison, les grâces sont attribuées au Saint-Esprit, à qui la bonté est appropriée. Puisque surtout le fait qu’elle soit assumée dans l’unité d’une personne divine dépasse la condition de la nature humaine, cette réalisation doit donc être surtout appropriée au Saint-Esprit.

 [7940] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod attributa appropriata personis praesupponunt rationem essentiae; sed operationes divinae praesupponunt attributa secundum intellectum: et ideo propter appropriationem attributorum, essentia non appropriatur alicui personae, sed operatio: quia judicium posterioris dependet a priori, et non e converso.

1. Les attributs appropriés aux personnes présupposent la raison de l’essence ; mais les opérations divines présupposent les attributs selon l’intellect. C’est pourquoi, en raison de l’appropriation des attributs, l’essence n’est pas appropriée à une personne, mais l’opération, car le jugement sur cette dernière dépend d’un jugement antérieur, et non inversement.

 [7941] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis illa quatuor in incarnatione ostendantur, tamen praecipue manifestatur ibi bonitas divina, ut ex dictis patet.

2. Bien que ces quatre choses soient manifestées dans l’incarnation, la bonté divine s’y manifeste surtout, comme cela ressort de ce qui a été dit.

 [7942] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 Tertium concedimus.

3. Nous concédons le troisième argument.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [7943] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum videtur, quod patri appropriandae sunt illae operationes divinae in quibus praecipue manifestatur potentia, propter quod opus creationis appropriatur patri. Attenditur enim potentia patris operantis in productione effectus; bonitas autem in liberali collatione. In opere ergo creationis res in esse productae sunt, non autem tunc aliquid eis collatum est supra id quod naturae ratio exigit, sicut est in opere recreationis, in quo res non omnino ex non esse producuntur, sed aliquid supra earum conditionem eis confertur: et ideo ea quae ad recreationem pertinent, spiritui sancto appropriantur, et non patri.

Les actions divines dans lesquelles se manifeste surtout la puissance doivent être appropriées au Père : pour cette raison, l’œuvre de la création est appropriée au Père. En effet, on relève la puissance du Père dans la production de l’effet, mais sa bonté, dans le don libéral. Dans l’œuvre de la création, les choses ont donc été amenées à l’être, mais il ne leur a pas été donné plus que ce qu’exige la raison de leur nature, comme c’est le cas dans l’œuvre de la recréation, dans laquelle les choses ne sont pas entièrement tirées du non-être, mais quelque chose de supérieur à leur condition leur est donné. Aussi ce qui se rapporte à la recréation est-il approprié au Saint-Esprit, et non au Père.

 [7944] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo contra hoc objectum dicendum est, quod quamvis potentia principium activum per se nominet, tamen in agentibus per voluntatem voluntas est imperans quod potentia exequitur. Voluntatis autem objectum est bonum; et ideo principale in operatione agentis per voluntatem est bonitas, et quasi secundarium exequens est potentia; et praecipue quando tota ratio effectus est bonitas agentis: et ideo hujusmodi opera spiritui sancto appropriantur.

1. Contre cette objection, il faut dire que, bien que la puissance désigne par elle-même un principe actif, dans les agents volontaires, c’est la volonté qui commande ce qu’exécute la puissance. Or, l’objet de la volonté est le bien. C’est pourquoi la bonté est ce qui est principal chez l’agent volontaire, et la puissance qui exécute, ce qui est pour ainsi dire secondaire, surtout lorsque toute la raison de l’effet est la bonté de l’agent. Les œuvres de ce genre sont donc appropriées au Saint-Esprit.

 [7945] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in incarnatione duo sunt, scilicet persona assumens, et natura assumpta. Missio igitur nominat incarnationem ex parte personae assumentis praecipue: et quia ad personam filii assumentem solus pater auctoritatem habet, ideo missio activa patri attribuitur. Conceptio autem vel nativitas temporalis nominat incarnationem ex parte naturae assumptae, cui gratuito collatum est ut in unitatem talis personae assumeretur: et ideo efficientia conceptionis non patri, sed spiritui sancto appropriatur.

2. Dans l’incarnation, il y a deux choses : la personne qui assume et la nature assumée. La mission désigne donc l’incarnation surtout du point de vue de la personne qui assume. Et parce que seul le Père a autorité sur la personne du Fils qui assume, la mission active est donc attribuée au Père. Mais la conception ou la naissance temporelle désigne l’incarnation du point de vue de la nature assumée, à qui il a été gratuitement donné d’être assumée dans l’unité de telle personne. C’est pourquoi la réalisation de la conception est appropriée non pas au Père, mais à l’Esprit Saint.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [7946] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod sicut dicit philosophus, 1 Metaph., sapientis est ordinare: unde illae operationes divinae quae ad ordinationem Dei pertinent, sicut gubernatio, et hujusmodi, filio attribuuntur, cui sapientia appropriatur. In opere autem incarnationis attenditur quaedam gratuita collatio, qua humanae naturae datum est in unitatem divinae personae assumi, et omni gratia repleri, sicut primum, et executio illius doni, sicut secundum, quae ad ordinationem Dei pertinent: et ideo spiritui sancto convenit esse factivum incarnationis; sed exequi mysterium incarnationis convenit filio.

Comme le dit le Philosophe dans Métaphysique, I, il appartient au sage d’ordonner. Les opérations divines qui se rapportent à l’imposition d’un ordre par Dieu, comme le gouvernement et les choses de ce genre, sont donc attribuées au Fils, à qui la sagesse est appropriée. Or, dans l’œuvre de l’incarnation, on remarque un don gratuit par lequel il a été donné à la nature humaine d’être assumée dans l’unité d’une personne divine et d’être remplie de toute grâce : en premier lieu, l’accomplissement de ce don, en second lieu, ce qui se rapporte à l’imposition d’un ordre par Dieu. Aussi convient-il à l’Esprit Saint d’être la cause de l’incarnation ; mais l’exécution du mystère de l’incarnation convient-elle au Fils.

 [7947] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo contra hoc objectum dicendum quod in naturali conceptione hominis, semen habet rationem activi, et iterum rationem termini, inquantum virtus quae est in semine, attrahit sibi id unde nutriatur, et in quantitatem perfectam proficiat. Quantum ergo ad primum operatio seminis appropriatur spiritui sancto; sed quantum ad secundum appropriatur filio, quia conceptio ad hypostasim filii terminata est.

1. Dans la conception naturelle de l’homme, la semence a raison de [principe] actif et aussi raison de terme, pour autant que la puissance qui est dans la semence attire à elle-même ce par quoi elle se nourrit et progresse jusqu’à la quantité parfaite. Pour ce qui est du premier aspect, l’opération de la semence est appropriée à l’Esprit-Saint ; mais, pour ce qui est du second, elle est appropriée au Fils, parce que la conception se termine dans l’hypostase du Fils.

 [7948] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod commixtio illa illorum trium, ordinationem signat unionis ipsorum: non enim ibi proprie commixtio est. Haec autem ordinatio praesupponit divinam acceptationem, qua hoc donum creaturae dare voluit, ut per unionem personae aeternae coordinaretur: et ideo quamvis commixtio sapientiae possit attribui, tamen ipsa incarnatio principaliter spiritui sancto approprianda est.

2. Le mélange de ces trois choses indique l’ordre de leur union ; en effet, il n’y a pas là un véritable mélange. Or, une telle mise en ordre présuppose une acceptation divine, par laquelle il a voulu faire à la créature le don d’être coordonnée à une personnelle éternelle par l’union. Bien que le mélange puisse être attribué à la sagesse, l’incarnation elle-même doit donc être appropriée principalement à l’Esprit Saint.

 [7949] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 3 Tertium concedimus.

3. Nous concédons le troisième argument.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

 [7950] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod ratione jam dicta efficientia incarnationis spiritui sancto appropriatur: et ideo potest dici Christus conceptus de spiritu sancto, sive haec praepositio de dicat causae efficientis habitudinem, sive etiam designet rationem faciendi: ipsa enim ratio faciendi incarnationem est bonitas spiritui sancto appropriata.

Pour la raison déjà dite, la réalisation de l’incarnation est appropriée à l’Esprit Saint. Aussi peut-on dire que le Christ a été conçu du Saint-Esprit, soit que la préposition « de » exprime un rapport de cause efficiente, soit qu’elle désigne la raison de la réalisation. En effet, la raison de réaliser l’incarnation est la bonté appropriée à l’Esprit Saint.

 [7951] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo contra hoc objectum dicendum, quod quamvis spiritus sanctus sit caritas et donum, tamen nomine caritatis et doni non signatur ut persona subsistens, cujus est agere; et ideo non potest dici Christus conceptus de caritate vel dono, si ly de dicat habitudinem causae efficientis: quamvis forte posset concedi secundum quod ly de signat rationem faciendi.

1. Bien que l’Esprit Saint soit charité et don, il n’est cependant pas désigné comme personne subsistante, à qui il revient d’agir, par les mots « charité » et « don ». Aussi ne peut-on pas dire que le Christ a été conçu de la charité ou du don, si le « de » indique un rapport de cause efficiente, bien que, peut-être, on puisse le concéder selon que le « de » indique la raison de [la conception].

 [7952] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod de largo modo accipitur pro ex.

2. Au sens large, il est pris pour ex.

 [7953] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 4 ad 3 Tertium concedimus.

3. Nous concédons le troisième argument.

 

 

Articulus 2 [7954] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2 tit. Utrum Christus, secundum quod homo, possit dici filius spiritus sancti

Article 2 – Le Christ, en tant qu’homme, peut-il être appelé le Fils du Saint-Esprit ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le Christ, en tant qu’homme, peut-il être appelé le Fils du Saint-Esprit ?]

 [7955] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Christus, secundum quod homo, possit dici filius spiritus sancti. Humanam enim naturam quam assumpsit Christus, tota per indifferentiam Trinitas operata est. Sed homo Christus Jesus convenienter dicitur filius Dei patris. Ergo etiam potest dici filius spiritus sancti, vel totius Trinitatis.

1. Il semble que le Christ, en tant qu’homme, puisse être appelé le Fils du Saint-Esprit. En effet, la nature que le Christ a assumée a été réalisée par toute la Trinité, sans différenciation [des personnes]. Or, l’homme Christ Jésus est convenablement appelé le Fils de Dieu le Père. Il peut donc être aussi appelé le Fils du Saint-Esprit ou de toute la Trinité.

 [7956] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, secundum philosophum in 15 de Anim. Lib., in generatione humana materiam ministrat mater; actio vero ex semine patris est. Sed omnem actionem quam facit semen hominis patris in generatione humana, facit in conceptione Christi spiritus sanctus, et multo efficacius. Si ergo ratione illarum actionum dicitur unus homo pater alterius, videtur quod spiritus sanctus dicitur pater Christi secundum humanam naturam.

2. Selon le Philosophe, dans le livre Sur l’âme, XV, la mère fournit la matière dans la génération ; mais l’action vient de la semence du père. Or, toute action qu’accomplit la semence du père humain dans la génération humaine, l’Esprit Saint l’accomplit dans la conception du Christ, et beaucoup plus efficacement. Si donc, en raison de ces actions, un homme est appelé le père d’un autre, il semble que l’Esprit Saint soit appelé le père du Christ selon sa nature humaine.

 [7957] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, ex hoc homo dicitur pater hominis, quia genuit eum ex matre similem in sua natura. Sed potest dici, ut videtur, quod spiritus sanctus genuit Christum ex Maria virgine, sicut etiam dicitur in Glossa Matth. 3, quod Deus ex Sara genuerit filium. Cum ergo Christus et spiritus sanctus sint ejusdem naturae, videtur quod spiritus sanctus possit dici pater Christi.

3. Un homme est appelé le père d’un homme parce qu’il l’a engendré de sa mère, semblable à sa nature. Or, il semble qu’on puisse dire que l’Esprit Saint a engendré le Christ de la Vierge Marie, comme on dit aussi, dans la Glose à propos de Mt 3, que Dieu a engendré un fils de Sara. Puisque le Christ et l’Esprit Saint ont la même nature, il semble donc que l’Esprit Saint puisse être appelé le père du Christ.

 [7958] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 4 Sed contra est auctoritas Augustini in littera.

Cependant, [4] dans le texte, l’autorié d’Augustin va en sens contraire.

 [7959] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 5 Praeterea, sicut supra, 1 dist., dixit Magister, ideo filius, et non pater aut spiritus sanctus, assumpsit carnem, ne nomen filii transiret ad aliam personam. Sed non est minus inconveniens quod nomen patris transeat ad aliam personam quam nomen filii. Ergo nomen patris non debet transire ad personam spiritus sancti, ut dicatur pater Christi.

 [5] Comme l’a dit le Maître plus haut, d. 1, le Fils, et non le Père ou l’Esprit Saint, a assumé la chair pour que le nom de Fils ne passe pas à une autre personne. Or, il n’y a pas moins d’inconvénient à ce que le nom du Père passe à une autre personne que le nom du Fils. Le nom du Père ne doit pas passer à la personne de l’Esprit Saint, de sorte qu’il soit appelé le père du Christ.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le Christ peut-il être appelé le Fils de la Trinité ?]

 [7960] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod possit Christus dici filius Trinitatis. Christus enim, secundum quod homo, creatura est. Sed nos dicimur filii Trinitatis per creationem; Deut. 32, 6: numquid non ipse est pater tuus ? Ergo et Christus potest dici filius Trinitatis, secundum quod homo.

1. Il semble que le Christ puisse être appelé le Fils de la Trinité. En effet, le Christ, en tant qu’homme, est une créature. Or, nous sommes appelés fils de la Trinité en vertu de la création, Dt 32, 6 : N’est-il pas ton père ? En tant qu’homme, le Christ peut donc être appelé le Fils de la Trinité.

 [7961] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, Rom. 8, 29: ut sit ipse primogenitus in multis fratribus: Glossa: secundum humanam naturam, secundum quam fratres habet; secundum autem divinam non habet. Sed fratres dicuntur qui ex eodem patre nascuntur. Cum ergo pater eorum qui dicuntur fratres Christi, sit tota Trinitas, videtur quod etiam Christi hominis secundum humanam naturam.

2. À propos de Rm 8, 29 : Afin qu’il soit le premier-né de nombreux frères, la Glose dit : « Selon sa nature humaine, selon laquelle il a des frères ; selon la nature divine, il n’en a pas. » Or, on appelle frères ceux qui naissent d’un même père. Puisque le Père de ceux qui sont appelés frères du Christ est la Trinité entière, il semble donc qu’elle soit aussi [Père] du Christ homme, selon sa nature humaine.

 [7962] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, cujuslibet gratiam habentis dicitur pater tota Trinitas: Joan. 1: dedit eis potestatem filios Dei fieri. Sed Christus plenissime habuit gratiam. Ergo potest dici filius totius Trinitatis, inquantum est homo.

3. La Trinité toute entière est appelée père de tous ceux qui ont la grâce, Jn 1 : Il leur a donné le pouvoir de devenir fils de Dieu. Or, le Christ a eu la grâce dans toute sa plénitude. En tant qu’homme, il peut donc être appelé le fils de toute la Trinité.

 [7963] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, sicut infra probatur, dist. 10, Christus non est filius nisi naturalis. Sed naturalis filius non est Trinitatis, sed patris tantum. Ergo Christus non potest dici filius Trinitatis.

Cependant, [1] comme on le démontre plus loin, d. 10, le Christ n’est Fils que par nature. Or, il n’est pas Fils par nature de la Trinité, mais seulement du Père. Le Christ ne peut donc être appelé Fils de la Trinité.

 [7964] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, secundum Damascenum, filiatio non determinat naturam, sed personam. Sed in Christo quamvis sint duae naturae, non est ibi nisi una persona aeterna. Cum igitur secundum personam aeternam non possit dici filius Trinitatis, nullo modo potest dici filius Trinitatis.

 [2] Selon [Jean] Damascène, la filiation ne détermine pas la nature, mais la personne. Or, dans le Christ, bien qu’il y ait deux natures, il n’y a qu’une seule personne éternelle. Puisqu’il ne peut pas être appelé Fils de la Trinité selon sa personne éternelle, il ne peut donc d’aucune manière être appelé Fils de la Trinité.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [7965] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod secundum Augustinum in littera, Christus non est filius neque spiritus sancti, neque Trinitatis, sed tantum Dei patris. Sed hoc diversa ratione a diversis negatur. Quidam negant hoc non tamquam simpliciter falsum, sed tamquam inconvenienter dictum, utpote praestans occasionem errandi et circa aeternam generationem filii, in qua sequeretur quaedam confusio relationum, si filius diceretur sui ipsius filius, et spiritus sancti; et circa generationem ejus temporalem, ne videatur spiritus sanctus de sua substantia Christum genuisse secundum hominem, si pater ejus diceretur. Et sicut non potest dici filius Trinitatis simpliciter, ita nec per creationem, ut evitetur error Arii, qui dixit Christum puram creaturam, neque per gratiam, ut evitetur error Nestorii, qui dixit duas personas in Christo, et unionem divinitatis ad hominem Christum esse tantum per gratiam, non in persona. Concedunt tamen aliqui quod potest dici iste homo filius Trinitatis per creationem, si ly iste homo dicit suppositum, sive individuum hominis, non personam filii Dei. Nullo tamen modo filius Dei potest dici filius Trinitatis propter repugnantiam relationum. Concedunt etiam quod quantum ad gratiam habitualem, per quam tota Trinitas habitat in anima Christi, potest dici iste homo filius Dei, etiam secundum quod homo, non tamen Trinitatis: quia secundum hoc non habet ipse comparationem ad relationes quibus distinguitur Trinitas; sed quantum ad gratiam unionis dicitur tantum filius patris naturalis. Sed haec opinio non est conveniens dictis Augustini, qui simpliciter negat dici Christum esse filium Trinitatis, aut spiritus sancti. Non enim hoc potest esse ad vitandum confusionem relationum: cum enim confusio sit ex inordinata permixtione aliquorum, nulla sequeretur confusio si secundum diversas naturas oppositas relationes filio attribueremus, vel spiritui sancto ratione diversorum, cum etiam de filio ratione diversarum naturarum sine aliqua inconvenientia contraria praedicentur, ut quod est passibilis, et impassibilis; et etiam relationes oppositae, ut quod est minor et aequalis patri, et etiam major et minor seipso. Neque etiam negant hoc ad evitandum errorem qui posset sequi: non enim magis patrocinatur errori Arii, si dicatur quod est filius Trinitatis per creationem, quam quod dicatur, secundum quod homo, creatura; quod tamen conceditur. Et est simile de aliis erroribus. Praeterea hoc quod conceditur iste homo filius Trinitatis per creationem, secundum quod dicit suppositum vel individuum hominis, non personam filii Dei, non convenit secundae opinioni, quae infra ponitur, dist. 6, secundum quod ille homo non potest supponere nisi suppositum aeternum. Similiter etiam quod Christus per gratiam habitualem non comparetur ad relationes distinguentes personas, non videtur esse ratio quod non possit dici filius Trinitatis: quia nos dicimur per gratiam filii Trinitatis, et tamen gratia quae in nobis est, est effectus essentiae divinae, non habens respectum ad distinctionem personarum. Et ideo dicendum aliter cum aliis, scilicet quod Augustinus hoc negat tamquam simpliciter falsum et impossibile. Filiatio enim est relatio consequens generationem; generatio autem est via ad esse: esse autem est quid suppositi a forma, sive a natura; unde cum filiatio secundum Damascenum sit determinativa suppositi vel hypostasis, non potest aliquis dici filius alicujus, nisi a quo accipit esse. Esse autem Christi est unum, ad minus quantum ad secundam opinionem, ut infra, dist. 6, qu. 2, art. 2, dicetur: hoc autem esse non habet Christus ab aliqua persona divina nisi a patre. Unde non potest dici filius nisi patris. Similiter etiam non potest dici quod sit filius Trinitatis per creationem vel gratiam: quia quando in aliquo invenitur perfecta ratio alicujus nominis, nullo modo recipitur illud nomen de eo cum determinatione diminuente, ut patet ex verbis Augustini in littera; sicut planta dicitur vivens imperfectum propter animam vegetabilem, quia non habet esse cum anima sensibili; animal autem quamvis habeat eamdem animam, non dicitur vivens imperfectum, quia habet eam cum anima sensibili. Christus autem habet veram rationem filiationis ad Deum. Unde non est dicendus filius per creationem neque per gratiam: quia per hoc significatur filiatio imperfecta ad Deum, quae est secundum quid, et non simpliciter.

Selon ce que dit Augustin dans le texte, le Christ n’est le Fils ni de l’Esprit Saint ni de la Trinité, mais seulement de Dieu, le Père. Mais cela est nié par plusieurs pour différentes raisons. Certains le nient non pas comme étant tout simplement faux, mais comme étant formulé de manière inappropriée, comme prêtant occasion à l’erreur, tant sur la génération éternelle du Fils, où en découlerait une certaine confusion des relations si on disait que le Fils est son propre Fils et celui du Saint-Esprit, que sur sa génération temporelle, de crainte que s’il était appelé son Père, le Saint-Esprit ne semble avoir engendré de sa propre substance le Christ en tant qu’homme,. Et de même qu’il ne peut pas être appelé simplement le Fils de la Trinité, de même ne le peut-il pas en raison de la création, afin que soit évitée l’erreur d’Arius, qui disait que le Christ était une pure créature, ni en raison de la grâce, afin que soit évitée l’erreur de Nestorius, qui disait que les deux personnes dans le Christ et l’union de la divinité à l’homme Christ n’existaient qu’en vertu de la grâce, et non dans la personne. Certains concèdent cependant que cet homme peut être appelé le Fils de la Trinité en vertu de la création, si « cet homme » exprime le suppôt ou l’individu humain, mais non la personne du Fils de Dieu. Le Fils de Dieu ne peut cependant aucunement être appelé le Fils de la Trinité en raison de l’incompatibilité des relations. Ils concèdent aussi que, pour ce qui est de la grâce habituelle par laquelle la Trinité entière habite dans l’âme du Christ, cet homme peut être appelé fils de Dieu, même comme homme, mais non pas cependant [Fils] de la Trinité, car ainsi il ne peut se comparer aux relations par lesquelles se distingue la Trinité ; mais, pour ce qui est de la grâce d’union, il est appelé seulement le Fils naturel du Père. Mais cette opinion n’est pas conforme aux paroles d’Augustin, qui nie simplement que le Christ soit appelé Fils de la Trinité ou du Saint-Esprit. En effet, cela ne peut être le cas afin d’éviter la confusion des relations : puisque la confusion vient du mélange désordonné de certaines choses, aucune confusion n’en découlerait si nous attribuions au Fils des relations opposées selon les diverses natures, ou au Saint-Esprit en raison de diverses choses, puisque des choses contraires sont attribuées sans inconvénient au Fils en raison de ses diverses natures, comme le fait qu’il est passible et impassible, et même des relations opposées, comme le fait qu’il est inférieur et égal au Père, et aussi plus grand et inférieur à lui-même. Ils ne nient pas non plus cela pour éviter l’erreur qui pourrait en découler : en effet, on n’encourage plus l’erreur d’Arius si l’on dit qu’il est le Fils de la Trinité en vertu de la création, que si l’on dit qu’il est une créature en tant qu’il est homme, ce qui est cependant concédé. Et il en va de même des autres erreurs. De plus, le fait de concéder que cet homme est le Fils de la Trinité en vertu de la création, pour autant qu’on exprime le suppôt ou l’homme individuel, et non la personne du Fils de Dieu, n’est pas conforme à la seconde opinion, qui sera présentée plus loin, d. 6, selon laquelle cet homme ne peut avoir qu’un suppôt éternel. De même encore, le fait que le Christ ne soit pas comparé par la grâce habituelle aux relations qui distinguent les personnes ne semble pas être la raison qu’il ne puisse pas être appelé le Fils de la Trinité, car nous-mêmes sommes appelés fils de la Trinité par la grâce, et cependant la grâce qui est en nous est l’effet de l’essence divine, sans rapport avec la distinction des personnes. Il faut donc parler autrement avec d’autres : Augustin nie cela comme étant simplement faux et impossible. En effet, la filiation est une relation qui découle de la génération. Or, la génération est le chemin vers l’être. Mais l’être est le fait du suppôt par la forme ou la nature. Puisque, selon [Jean] Damascène, la filiation détermine le suppôt ou l’hypostase, quelqu’un ne peut être appelé le fils d’un autre que s’il reçoit l’être de lui. Or, l’être du Christ est unique, du moins selon la seconde opinion, comme on le dira plus loin, d. 6, q. 2, a. 2. Or, le Christ ne tient cet être que d’une seule personne divine, le Père. Il ne peut donc être Fils que du Père. De même, on ne peut pas dire qu’il est le Fils de la Trinité par la création ou par la grâce, car lorsqu’on trouve en quelque chose la raison parfaite d’un nom, ce nom n’est d’aucune manière reçu avec une détermination diminutive, comme cela ressort des paroles d’Augustin dans le texte. Ainsi, la plante est appelé un vivant imparfait en raison de l’âme végétative, parce qu’elle ne possède pas l’être avec une âme sensible ; mais l’animal, bien qu’il possède la même âme, n’est pas appelé un vivant imparfait parce qu’il la possède avec une âme sensible. Or, le Christ possède la raison véritable de la filiation par rapport à Dieu. Il ne doit donc pas être Fils en vertu de la création ni de la grâce, car une filiation imparfaite, partielle et non entière par rapport à Dieu est ainsi signifiée,

 [7966] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non est dicendum, Christum hominem esse filium patris per creationem, neque ratione formationis corporis Christi, nisi quatenus illa formatio terminatur ad unionem personalem, per quam iste homo est naturalis filius Dei patris.

1. Il ne faut pas dire que le Christ homme est le Fils du Père par création, ni en raison de la formation du corps du Christ, si ce n’est en tant que cette formation se termine à l’union personnelle, par laquelle cet homme est le Fils naturel de Dieu, le Père.

 [7967] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod spiritus sanctus facit illas actiones non mediante semine ex se deciso, quod ad patrem pertinet, sed quasi artifex operando in materiam exteriorem.

2. L’Esprit Saint accomplit ces actions non par une semence séparée de lui, ce qui est propre au père, mais comme un artisan qui agit sur une matière extérieure.

 [7968] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod spiritus sanctus non genuit Christum de beata virgine: quia secundum Damascenum, generare est ex sua substantia alium producere: et Glossa illa sic exponenda est: genuit, idest fecit ut nasceretur. Nec iterum spiritus sanctus est similis Christo in natura illa quam in utero virginis formavit; unde non potest spiritus sanctus dici pater Christi secundum humanitatem.

3. L’Esprit Saint n’a pas engendré le Christ de la bienheureuse Vierge, car, selon [Jean] Damascène, engendrer consiste à en produire un autre à partir de sa propre substance. Et cette glose doit être ainsi interprétée : il a engendré, c’est-à-dire qu’il a fait en sorte qu’il naisse. De plus, l’Esprit Saint n’est pas semblable au Christ selon la nature qu’il a formée dans le sein de la Vierge. L’Esprit Saint ne peut donc pas être appelé le père du Christ selon son humanité.

 [7969] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 4 Quartum et quintum concedimus.

4. Nous concédons le quatrième et le cinquième argument.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [7970] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem patet responsio ex dictis.

 [7971] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum dicendum, quod creatura respicit communiter naturam et suppositum; filiatio autem respicit tantum suppositum; unde humana natura in Christo dicitur creata, non autem filia; et ideo in quantum homo, non potest dici filius per creationem; potest autem dici creatura.

La réponse à la deuxième question ressort clairement de ce qui a été dit.

 

1. La créature concerne aussi bien la nature que le suppôt, mais la filiation ne concerne que le suppôt. Aussi la nature humaine dans le Christ est-elle dite créée, mais non pas fille. C’est pourquoi, en tant qu’homme, il ne peut être appelé fils en vertu de la création ; mais il peut cependant être appelé une créature.

 [7972] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Christus dicitur primogenitus in multis fratribus secundum humanam naturam, non quasi univoce filius cum aliis, sed per analogiam: quia ipse est filius naturalis propter unionem in persona, alii autem filii adoptivi per assimilationem ad Deum quae est per gratiam; sicut etiam dicitur primogenitus creaturae inquantum, secundum Basilium, accipere commune habet cum creatura. Unde non oportet quod ad eumdem patrem omnino referantur.

2. Le Christ est appelé premier-né d’un grand nombre de frères selon sa nature humane, non pas comme fils de manière univoque par rapport aux autres, mais par analogie, car il est le Fils naturel en raison de l’union dans la personne, mais les autres sont fils adoptifis par l’assimilation avec Dieu qui se réalise par la grâce, comme il est appelé premier-né parmi les créatures pour autant que, selon Basile, il reçoit quelque chose de commun aux créatures. Il n’est donc pas nécessaire qu’ils se rapportent entièrement au mère Père.

 [7973] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod alii dicuntur filii adoptivi, Christus autem dicitur per gratiam unionis filius naturalis; per gratiam autem habitualem non potest dici filius adoptivus, ut dicetur infra, dist. 10, neque etiam naturalis; unde nullo modo potest dici filius per gratiam.

3. Les autres sont appelés fils adoptifs, mais le Christ est appelé le Fils naturel par la grâce d’union. Mais, par la grâce habituelle, il ne peut être appelé fils adoptif, comme on le dira plus loin, d. 10, ni Fils naturel. Aussi ne peut-il être d’aucune manière appelé Fils par la grâce.

 [7974] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 2 ad s. c. Alia concedimus.

Nous concédons les autres arguments.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [La conception du Christ par rapport à sa mère]

Prooemium

Prologue

 [7975] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 pr. Deinde quaeritur de conceptione Christi in comparatione ad matrem concipientem; et circa hoc quaeruntur duo: 1 utrum beata virgo possit dici mater hominis Jesu Christi; 2 utrum debeat dici mater Dei.

Ensuite, on s’interroge sur la conception du Christ par rapport à la mère qui l’a conçu. À ce propos, deux questions sont posées : 1 – La bienheureuse Vierge peut-elle être appelée mère de l’homme Jésus, le Christ ? 2 – Doit-elle être appelée mère de Dieu ?

 

 

Articulus 1 [7976] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 1 tit. Utrum beata virgo possit dici mater hominis Christi Jesu

Article 1 – La bienherueuse Vierge peut-elle être appelée mère de l’homme Jésus, le Christ ?

 [7977] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod beata virgo non possit dici mater illius hominis. In conceptione enim Christi beata virgo ministravit tantum materiam, quia totam actionem fecit spiritus sanctus. Sed propter materiam non potest aliquid dici mater, sicut arbor non est mater scamni. Ergo beata virgo non potest dici mater illius hominis.

1. Il semble que la bienheureuse Vierge ne puisse être appelée mère de cet homme. En effet, dans la conception du Christ, la bienheureuse Vierge n’a fourni que la matière, car l’Esprit Saint a accompli toute l’action. Or, quelqu’un ne peut être appelé mère en raison de la matière, comme l’arbre n’est pas la mère de l’escabeau. La bienheureuse Vierge ne peut donc pas être appelée mère de cette homme.

 [7978] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, matris est decidere semen ad conceptum. Sed materia conceptionis Christi separata est a reliqua carne virginis operatione spiritus sancti. Ergo non potest dici mater.

2. Il revient à la mère de séparer la semence pour le fœtus. Or, la matière de la conception du Christ n’a pas été séparée du reste de la chair de la Vierge par l’opération du Saint-Esprit. Elle ne peut donc pas être appelée sa mère.

 [7979] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, sicut caro Christi operatione spiritus sancti formata est de materia sumpta a beata virgine; ita Eva formata est operatione divina de materia sumpta ab Adam. Sed Adam non potest dici pater Evae, nec mater. Ergo nec beata virgo potest dici mater Christi.

3. De même que la chair du Christ a été formée par l’opération du Saint-Esprit de la chair prise de la bienheureuse Vierge, de même Ève a-t-elle été formée par l’opération divine de la matière prise d’Adam. Or, Adam ne peut pas être appelé le père d’Ève ni sa mère. La bienheureuse Vierge non plus ne peut donc être appelée la mère du Christ.

 [7980] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, multo plus contulit ad conceptionem Christi spiritus sanctus quam beata virgo: quia agens est praestantior in actione quam materia. Ergo si spiritus sanctus non potest dici pater Christi, nec beata virgo potest dici mater ejus.

4. L’Esprit-Saint a contribué beaucoup plus que la bienheureuse Vierge à la conception du Christ, car l’agent est plus important que la matière dans l’action. Si l’Esprit Saint ne peut être appelé père du Christ, la bienheureuse Vierge non plus ne peut donc être appelée sa mère.

 [7981] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 1 arg. 5 Praeterea, filiatio, ut dictum est, respicit hypostasim. Sed hypostasis in Christo est una tantum, quae est aeterna, secundum quam Christus non est a beata virgine. Ergo nullo modo potest dici filius beatae virginis.

5. Comme on l’a dit, la filiation concerne l’hypostase. Or, l’hypostase dans le Christ est unique et elle est éternelle : selon elle, le Christ ne vient pas de la bienheureuse Vierge. Il ne peut donc être aucunement appelé le fils de la bienheureuse Vierge.

 [7982] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 1 arg. 6 Praeterea, in Christo est tantum unum esse ex parte hypostasis, quam consequitur filiatio. Sed illud esse non habuit Christus a matre. Ergo non potest dici filius ejus.

6. Dans le Christ, il n’y a qu’un seul être du point de vue de l’hypostase, dont découle la filiation. Or, le Chrit ne tient pas cet être de sa mère. Il ne peut donc pas être appelé son fils.

 [7983] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 1 s. c. 1 Contra est auctoritas Evangelii, Matth. 1, 18: cum esset desponsata mater Jesu Maria Joseph etc.; et in pluribus aliis locis.

Cependant, [1] l’autorité de l’évangile va en sens contraire, Mt 1, 18 : Alors que la mère de Jésus, Marie, était fiancée à Joseph, etc., et en plusieurs autres endroits.

 [7984] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, sicut supra dictum est, dist. 3, beata virgo in generatione Christi contulit quidquid alia mulier conferre debet ad generationem filii sui. Si ergo aliae mulieres vere dicuntur matres, et beata virgo vere potest dici mater Christi.

 [2] Comme on l’a dit plus haut, d. 3, la bienheureuse Vierge a apporté à la génération du Christ tout ce qu’une autre femme doit apporter à la génération de son fils. Si donc les autres femmes sont appelées véritablement mères, la bienheureuse Vierge aussi peut être la mère du Christ.

 [7985] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod beata virgo vere potest dici mater Christi, cum quidquid sit de necessitate generationis ex parte matris inveniatur in beata virgine; maxime secundum opinionem Aristotelis, qui vult quod formatio et organizatio corporum non fiat per virtutem activam mulieris, sed solum per virtutem activam viri; et quod semen mulieris non est de necessitate conceptionis, quia quandoque contingit impraegnari mulierem sine emissione seminis, per hoc quod sanguinem menstruum ministrat, qui est materia conceptus. Et hoc consonat ei quod dicit Damascenus, quod ex purissimis sanguinibus virginis formatum est corpus Christi non seminaliter, sed virtute divina. Sed huic verae maternitati derogatur per duos errores. Quorum unus ponit Christum non veram carnem sed phantasticam assumpsisse, et beatam virginem non mulierem sed Angelum fuisse; unde nec vera mater esset. Alius vero ponit Christum non carnem naturae nostrae assumpsisse, sed caelestem secum portasse; et secundum hoc beata virgo non vere mater ejus esset, quia quamvis in ea natus esset, non tamen de ea. Hi autem errores veram humanitatem Christi negant; unde a fide Catholica sunt alieni.

Réponse. La bienheureuse Vierge peut vraiment être appelée mère du Christ, puisque tout ce qui est nécessaire à la génération du côté de la mère se trouve dans la bienheureuse Vierge, surtout selon l’opinion d’Aristote, qui veut que la formation et l’organisation des corps ne se fasse pas par la puissance active de la femme, mais seulement par la puissance active de l’homme, et que la semence de la mère ne soit pas nécessaire à la conception, car il arrive parfois qu’une femme devienne enceinte sans émission de sperme, du fait qu’elle fournit le sang menstruel, qui est la matière du fœtus. Et ceci est en accord avec ce que dit [Jean] Damascène, que le corps du Christ a été formé du sang très pur de la Vierge, non pas par une semence, mais par la puissance divine. Or, on s’écarte de cette maternité véritable par deux erreurs. L’une affirme que le Christ n’a pas assumé une chair véritable, mais imaginaire, et que la bienheureuse Vierge n’était pas une femme, mais un ange. Aussi ne pouvait-elle être une véritable mère. Mais l’autre erreur affirme que le Christ n’a pas assumé la chair de notre nature, mais a apporté une chair céleste avec lui ; la bienheureuse Vierge ne serait donc pas vraiment sa mère, car, bien qu’il soit né en elle, il n’est cependant pas né d’elle. Mais ces erreurs nient l’humanité véritable du Christ. Elles sont donc étrangères à la foi catholique.

 [7986] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non solum materiam praestitit beata virgo ad conceptionem Christi, sed materiam convenientem ad producendum aliquid simile in specie, et locum convenientem, et nutrimentum conveniens conceptioni fetus: et hoc sufficit ad rationem matris.

1. La bienheureuse Vierge n’a pas seulement apporté la matière à la conception du Christ, mais une matière appropriée pour produire quelque chose de semblable selon l’espèce, un endroit approprié et une nourriture appropriée à la conception du fœtus. Cela suffit à la raison de mère.

 [7987] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod secundum philosophum, semen mulieris non est de necessitate generationis, sed sanguis quem femina ministrat ad conceptionem: qui quidem in aliis mulieribus separatur per virtutem mulieris motam a viro; sed in beata virgine per virtutem spiritus sancti. Nec hoc diminuit rationem matris, quia ista actio est praeambula ad conceptionem.

2. Selon le Philosophe, la semence de la femme n’est pas nécessaire à la génération, mais le sang que la femme apporte pour la concepton. Celui-ci est séparé chez les autres femmes par la puissance de la femme mue par l’homme, mais, chez la bienheureuse Vierge, par la puissance du Saint-Esprit. Et cela n’amoindrit pas la raison de mère, car cette action est un préambule à la conception.

 [7988] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod pater est principium activum in generatione; et ideo ad esse patrem non sufficit quod materiam ministret, sicut sufficit ad esse matrem.

3. Le père est le principe actif de la génération. Aussi ne suffit-il pas que le père fournisse la matière, comme cela suffit pour être mère.

 [7989] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod licet spiritus sanctus plus fecerit active in conceptione Christi quam beata virgo, non tamen potest dici pater: quia non inveniuntur in eo conditiones quae requiruntur ad conditionem patris, sicut quod ex sua substantia et similem sibi in specie filium producat, et alia hujusmodi.

4. Bien que l’Esprit Saint ait fait davantage pour la conception du Christ que la bienheureuse Vierge, il ne peut cependant pas être appelé père, car on ne trouve pas en lui les conditions qui sont requises pour la condition de père, comme le fait qu’il produise à partir de sa substance un fils semblable à lui selon l’espèce, et d’autres choses de ce genre.

 [7990] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod filiatio respicit hypostasim consequentem ad generationem. Quamvis ergo hypostasis filii Dei secundum generationem ejus aeternam non sit a virgine, tamen secundum generationem ejus temporalem, ex ea est.

5. La filiation concerne l’hypostase qui découle de la génération. Bien que l’hypostase du Fils de Dieu selon sa génération éternelle ne vienne pas de la Vierge, elle vient cependant d’elle selon sa génération temporelle.

 [7991] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod esse geniti est ab agente; mater autem non est agens in generatione, sed pater; unde non oportet quod esse filii sit a matre, sed a patre; et ideo philosophus dicit, quod in generatione mater dat corpus, et pater formam a qua est esse.

6. L’être de ce qui est engendré vient de l’agent. Or, la mère n’est pas l’agent dans la génération, mais le père. Il n’est donc pas nécessaire que l’être du fils vienne de la mère, mais du père. C’est pourquoi le Philosophe dit que, dans la génération, la mère donne le corps, et le père, la forme dont vient l’être.

 

 

Articulus 2 [7992] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 2 tit. Utrum debeat dici mater Dei

Article 2 – La bienheureuse Vierge doit-elle être appelée mère de Dieu ?

 [7993] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur, quod beata virgo non debeat dici mater Dei. Non enim est mater nisi secundum quod ab ea accepit esse. Sed non accepit ab ea divinitatem, sed humanitatem. Ergo non debet dici mater Dei, sed mater hominis.

1. Il semble que la bienheureuse Vierge ne doive pas être appelée mère de Dieu. En effet, elle n’est mère que pour autant qu’il a reçu d’elle l’être. Or, il n’a pas reçu d’elle sa divinité, mais son humanité. Elle ne doit donc pas être appelée mère de Dieu, mais mère de l’homme.

 [7994] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, in Deo non differt Deus et deitas. Sed non potest dici mater deitatis. Ergo nec potest dici mater Dei.

2. En Dieu, il n’y a pas de différence entre Dieu et la divinité. Or, elle ne peut être appelée mère de la divinité. Elle ne peut donc pas être appelée mère de Dieu.

 [7995] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, Deus est commune tribus personis. Sed beata virgo non est mater patris neque spiritus sancti. Ergo non debet dici mater Dei.

3. Dieu est une réalité commune aux trois personnes. Or, la bienheureuse Vierge n’est pas la mère du Père ni du Saint-Esprit. Elle ne doit donc pas non plus être appelée mère de Dieu.

 [7996] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, sicut naturam produxit assumptam virgo generando, ita etiam produxit eam Deus creando. Sed ratione naturae assumptae non dicimus Trinitatem creatricem Dei. Ergo nec debemus dicere virginem matrem Dei.

4. De même que la Vierge en engendrant a produit la nature assumée, de même Dieu l’a-t-il produite en créant. Or, en raison de la nature assumée, nous ne disons pas que la Trinité est créatrice de Dieu. Nous ne devons donc pas dire que la Vierge est la mère de Dieu.

 [7997] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 2 arg. 5 Praeterea, magis debet concedi id quod est verum per se quam id quod est verum per accidens. Sed in hoc nomine Christus importatur humana natura, quam generando virgo per se produxit, quae in hoc nomine Deus non importatur. Ergo magis debet dici mater Christi quam mater Dei.

5. On doit davantage concéder ce qui est vrai par soi que ce qui est vrai par accident. Or, par ce nom « Christ », est signifiée la nature humaine que la Vierge a produite en engendrant, laquelle n’est pas comprise dans le nom de « Dieu ». Elle doit donc être plutôt appelée mère du Christ que mère de Dieu.

 [7998] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 2 s. c. 1 Sed contra, Damascenus, dicit: theotocon, idest Dei genitricem, vere et principaliter virginem praedicamus.

Cependant, [1] [Jean] Damascène dit : « Nous affirmons que la Vierge est vraiment et principalement théotokos, c’est-à-dire mère de Dieu. »

 [7999] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 2 s. c. 2 Praeterea, secundum Augustinum, talis fuit illa unio quae Deum faceret hominem, et hominem Deum. Sed virgo genuit hominem. Ergo et genuit Deum; ergo est mater Dei.

 [2] Selon Augustin, « cette union a été telle qu’elle a fait de Dieu un homme, et d’un homme, Dieu ». Or, la Vierge a engendré l’homme. Elle a donc engendré Dieu. Elle est donc la mère de Dieu.

 [8000] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 2 s. c. 3 Praeterea, propter unionem naturarum in persona una, vere dicimus Deum passum, quamvis hoc fuerit secundum humanam naturam: et sic potest dici Deus vere ex virgine natus. Ergo etiam mater Dei dici potest.

 [3] En raison de l’union des natures en une seule personne, nous disons vraiment que Dieu a souffert, bien que cela ait été selon la nature humaine. On peut ainsi dire que Dieu est vraiment né de la Vierge. Elle peut donc être aussi appelée mère de Dieu.

 [8001] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod humanitas Christi et maternitas virginis adeo sibi connexa sunt, ut qui circa unum erraverit, oporteat etiam circa aliud errare. Unde quia Nestorius circa humanitatem errabat, aliam esse asserens in Christo humanitatis et divinitatis personam, oportebat quod diceret virginem non matrem Dei, sed hominis: quia secundum eum, Deus et homo non est unus Christus. Quidam vero moderni errantes dicunt, non posse virginem dici matrem Dei, ne mater patris et spiritus sancti intelligatur; concedunt tamen eam esse matrem filii Dei. Sed hi trepidant timore ubi non est timor: quia quamvis hoc nomen Deus commune sit tribus personis, potest tamen reddere locutionem veram pro una persona, secundum quod dicitur, Deus generat; sicut cum dicitur, homo currit, solo Petro currente. Unde simpliciter concedendum est virginem esse matrem Dei, sicut confitemur Jesum esse verum Deum.

Réponse. L’humanité du Christ et la maternité de la Vierge ont été à ce point unies, que celui qui a erré à propos de l’une doit nécessairement errer à propos de l’autre. Ainsi, parce que Nestorius errait à propos de l’humanité, en affirmant que la personne de l’humanité et celle de la divinité dans le Christ étaient différentes, il était nécessaire qu’il dise que la Vierge n’était pas la mère de Dieu, mais de l’homme, car, selon lui, Dieu et l’homme ne sont pas un seul Christ. Mais certains modernes se trompent en disant que la Vierge ne peut pas être appelée la mère de Dieu, de crainte qu’on n’entende qu’elle est la mère du Père et du Saint-Esprit ; ils concèdent cependant qu’elle est la mère du Fils de Dieu. Mais ceux-ci tremblent de crainte alors qu’il n’y a pas de crainte, car, bien que le nom de Dieu soit commun aux trois personnes, on peut cependant rendre vraie la formulation pour une personne, comme on dit que Dieu engendre ; ainsi on dit que l’homme court, alors que seul Pierre court. Il faut donc concéder tout simplement que la Vierge est la mère de Dieu, comme nous confesson que Jésus est vrai Dieu.

 [8002] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quia una persona est quae subsistit in humanitate et divinitate; ideo naturae communicant sibi sua idiomata, idest proprietates, ut dicit Damascenus. Unde sicut dicuntur Judaei crucifixisse dominum gloriae, quamvis non secundum quod est dominus gloriae; ita debet dici, virgo est mater Dei, quamvis eum secundum divinitatem non genuerit.

1. « Parce qu’une seule personne subsiste dans l’humanité et la divinité, les natures se communiquent donc leurs idiomes, c’est-à-dire leurs propriétés », comme le dit [Jean] Damascène. Ainsi, de même qu’on dit que les Juifs ont crucifié le Seigneur de gloire, bien que ce soit pas en tant que Seigneur de gloire, de même doit-on dire que la Vierge est la mère de Dieu, bien qu’elle ne l’ait pas engendré selon sa divinité.

 [8003] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis deitas et Deus non differant re, differunt tamen secundum modum significandi: quia deitas signat divinam naturam in abstracto; unde non potest supponere pro persona; Deus autem quia signat naturam divinam per modum concreti, idest habentem divinitatem, potest reddere locutionem veram pro supposito; et ideo, quia beata virgo est mater filii Dei, potest dici mater Dei, non autem divinitatis.

2. Bien que la divinité et Dieu ne diffèrent pas en réalité, ils diffèrent cependant selon la manière de signifier, car la divinité signale la nature divine dans l’abstrait ; aussi ne peut-elle être le suppôt pour la personne. Mais parce que Dieu indique la nature divine de manière concrète, c’est-à-dire comme possédant la divinité, il peut rendre vraie la formulation pour le suppôt. Ainsi, parce que la bienheureuse Vierge est la mère du Fils de Dieu, elle peut être appelée la mère de Dieu, mais non de la divinité.

 [8004] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis Deus sit commune tribus, potest tamen reddere locutionem veram pro uno eorum, ut dictum est; sicut cum dicitur, Deus generat, reddit locutionem veram pro patre.

3. Bien que « Dieu » soit commun aux trois [personnes], il peut cependant rendre vraie la formulation pour l’une d’entre elles, comme on l’a dit, comme lorsqu’on que Dieu engendre, il rend vraie la formulation pour le Père.

 [8005] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Christum non dicimus creaturam simpliciter, ut infra patebit; dicimus tamen simpliciter eum natum; et ideo nativitas potest transferri ad Deum, et non creatio. Et praeterea nasci non est contra rationem deitatis sicut creari.

4. Nous ne disons pas que le Christ est tout simplement une créature, comme cela ressortira plus loin. Nous disons cependant tout simplement qu’il est né ; aussi la naissance peut-elle être reportée sur Dieu, mais non la création. De plus, naître n’est pas contraire à la raison de divinité, comme être créé.

 [8006] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod beata virgo est vere mater Christi, non tamen dicimus eam christotocon, idest Christi genitricem: quia hoc nomen inventum est a Nestorio ad abolendum nomen theotocon: cum haereticis autem nec nomina debemus habere communia, ut dicit Hieronymus super Oseae 3.

5. La bienheureuse Vierge est vraiment la mère du Christ ; nous ne disons cependant pas qu’elle est christotokos, c’est-à-dire mère du Christ, car ce nom a été inventé par Nestorius pour abolir le nom théotokos, et que nous ne devons pas avoir les mêmes noms que les hérétiques, comme le dit Jérôme à propos de Os 3.

 

 

Quaestio 3

Question 3 – [La conception par rapport à la grâce du Christ]

Prooemium

Prologue

 [8007] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 pr. Deinde quaeritur de conceptione in comparatione ad gratiam Christi, per quam facta est conceptio; et circa hoc quaeruntur duo: 1 utrum illam conceptionem vel unionem aliqua merita praecesserint; 2 utrum gratia sit illi homini naturalis.

Ensuite, on s’interroge sur la conception par rapport à la grâce du Christ, par laquelle s’est réalisée la conception. À ce propos, deux questions sont posées : 1 – Cette conception ou union a-t-elle été précédée de mérites ? 2 – La grâce est-elle naturelle à cet homme ?

 

 

Articulus 1 [8008] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 1 tit. Utrum illam conceptionem aliqua merita praecesserunt in antiquis patribus

Article 1 – Cette conception a-t-elle été précédée de mérites de la part des pères anciens ?

 [8009] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur, quod antiqui patres incarnationem meruerunt. Isa. 26, 8: in semita judiciorum tuorum sustinuimus te. Sed ad judicium pertinet ut aliquid pro meritis reddatur. Ergo adventus filii Dei in carnem quem sancti patres expectabant, eis pro meritis reddendus erat.

1. Il semble que les pères anciens aient mérité l’incarnation. Is 26, 8 : Nous avons été fidèles sur les sentiers de tes jugements. Or, il revient au jugement de rendre quelque chose pour des mérites. L’avènement du Fils de Dieu dans la chair que les saints pères attendaient devait donc leur être rendu pour leurs mérites.

 [8010] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 1 arg. 2 Praeterea, Psalm. 32, 22: fiat misericordia tua, domine, super nos. Glossa: insinuatur desiderium prophetae de incarnatione et meritum impletionis.

2. À propos de Ps 32, 22 : Seigneur, que ta miséricorde soit sur nous ! la Glose dit : « Le désir de l’incarnation qu’avait le prophète et le mérite de son accomplissement sont suggérés. »

 [8011] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 1 arg. 3 Praeterea, qui meretur aliquid, meretur et hoc sine quo non potest illud haberi: alias meritum cassum esset. Sed sancti patres merebantur vitam aeternam, ad quam pervenire non poterant nisi filio Dei veniente. Ergo merebantur ejus incarnationem.

2. Celui qui mérite quelque chose mérite aussi ce sans quoi cela ne peut être obtenu, autrement, le mérite serait vain. Or, les saints pères méritaient la vie éternelle, à laquelle ils ne pouvaient parvenir que par la venue du Fils de Dieu. Ils méritaient donc son incarnation.

 [8012] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 1 arg. 4 Praeterea, oratio quae fit ab aliquo pure et perseveranter, pro se, et ad salutem pertinens, meretur sui impletionem. Sed sancti patres hoc modo orabant pro incarnatione, ut patet Isa. 64, 1: utinam dirumperes caelos, et descenderes. Ergo eam merebantur.

3. La prière qui est faite par quelqu’un pour lui-même d’une manière pure et persévérante et qui se rapporte au salut mérite son accomplissement. Or, les saints père priaient de cette manière pour l’incarnation, comme cela ressort de Is 64, 1 : Puisses-tu ouvrir les cieux et descendre ! Ils la méritaient donc.

 [8013] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 1 arg. 5 Praeterea, nos per fidem operantem per dilectionem, quam habemus de vita aeterna quam expectamus, meremur eam. Sed similiter antiqui patres habebant fidem per dilectionem operantem de incarnatione. Ergo eam merebantur.

4. Nous méritons la vie éternelle que nous attendons par la foi agissant par l’amour. Or, les anciens pères avaient de la même manière la foi agissant par l’amour envers l’incarnation. Ils la méritaient donc.

 [8014] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 1 arg. 6 Praeterea, hoc videtur ad minus de beata virgine de qua cantatur: quae dominum omnium portare meruisti.

5. Cela semble être le cas au moins pour la bienheureuse Vierge, de laquelle on chante : « Toi qui as mérité de porter le Seigneur. »

 [8015] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 1 arg. 7 Praeterea, Bernardus dicit, quod fermentum quod mulier abscondit sub tribus farinae satis, est fides beatae virginis, quae tres substantias in unam personam conjunxit. Sed hoc non potuit facere nisi per modum meriti. Ergo beata virgo meruit incarnationem per eam fieri.

6. Bernard dit que « le ferment que la femme cache dans trois mesures de farine est la foi de la bienheureuse Vierge, qui a uni trois substances en une seule personne ». Or, elle n’a pu faire cela que par mode de mérite. La bienheureuse Vierge a donc mérité que l’incarnation se réalise par elle.

 [8016] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 1 s. c. 1 Sed contra, ad Tit. 3, 4: apparuit benignitas et humanitas salvatoris nostri Dei non ex operibus justitiae quae fecimus nos. Sed benignitatem nominat apostolus ostensam in Christi incarnatione. Ergo non est secundum merita.

Cependant, [1] Tt 3, 4 dit : La bonté et l’humanité de Dieu, notre Sauveur, ne viennent pas des œuvres de justice que nous avons accomplies. Or, l’Apôtre parle de la bonté manifestée dans l’incarnation du Christ. Elle ne dépend donc pas des mérites.

 [8017] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 1 s. c. 2 Praeterea, ad hoc est quod Augustinus dicit in littera.

 [2] Ce que dit Augustin dans le texte va dans ce sens.

 [8018] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 1 s. c. 3 Praeterea, incarnatio Christi est beneficium impensum toti naturae. Sed meritum nullius hominis praeter meritum Christi, extendit se ad totam naturam. Ergo sancti patres non meruerunt incarnationem.

 [3] L’incarnation du Christ est un bienfait imparti à la nature entière. Or, le mérite d’aucun homme, à part le mérite du Christ, ne s’étend à la nature entière. Les saints pères n’ont donc pas mérité l’incarnation.

 [8019] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod Augustinus videtur intendere in littera quod nulla merita illius hominis praecesserint, ut filio Dei in persona uniretur: nihilominus tamen verum est quod nulla merita etiam aliorum, filii Dei incarnationem meruerunt, proprie loquendo, propter tres rationes. Prima est quod meritum puri hominis non extendit se ad totam naturam, sicut supra dictum est, dist. 1, qu. 1, art. 2 ad 9; unde cum incarnatio sit quoddam medicamentum totius naturae, non potest sub merito alicujus cadere. Secunda autem ratio est, quia illud quod est principium merendi, non potest cadere sub merito; incarnatio autem est quodammodo principium omnium humanorum meritorum: quia omnia nostra merita a Christo efficaciam habent, per quem veritas et gratia facta est. Tertia ratio est, quia meritum humanum non se extendit ultra conditionem humanam, quae in hoc consistit ut quis mereatur aliquam divinitatis et beatitudinis participationem. Sed quod tota plenitudo divinitatis habitet in homine, hoc excedit et conditionem et meritum humanum. Unde nullo modo potest cadere sub merito, nisi large meritum dicamus omnem praeparationem ad aliquid habendum quod praecessit in humano genere.

Réponse. Augustin semble vouloir dire, dans le texte, qu’aucun mérite de la part de cet homme n’a précédé pour qu’il soit uni dans la personne du Fils de Dieu ; néanmoins, il est néanmoins vrai qu’aucun mérite, même de la part d’autres personnes, n’a mérité l’incarnation du Fils de Dieu au sens propre, pour trois raisons. La première est que le mérite d’un pur homme ne s’étend pas à la nature entière, comme on l’a dit plus haut, d’ 1, q. 1, a. 2, ad 9. Puisque l’incarnation est un remède pour la nature entière, elle ne peut donc tomber sous le mérite de quelqu’un. La deuxième raison est que ce qui est le principe du mérite ne peut tomber sous le mérite. Or, l’incarnation est, d’une certaine manière, le principe de tous les mérites humains, car tous nos mérites tirent leur efficacité du Christ, par lequel la vérité et la grâce se sont accomplies. La troisième raison est que le mérite humain ne s’étend pas au dehors de la condition humaine, qui consiste en ce que quelqu’un mérite une certaine participation à la divinité et à la béatitude. Or, que toute la plénitude de la divinité habite dans un homme, cela dépasse la condition humaine et le mérite humain. Cela ne peut donc aucunement tomber sous le mérite, à moins que nous n’appellions mérite toute préparation pour obtenir quelque chose qui a précédé dans le genre humain.

 [8020] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod per judicium redditur aliquid alicui quod prius sibi debebatur. Nobis autem non debebatur filii incarnatio quasi ex merito, sed ex divina promissione; et quantum ad hoc salvatur ratio judicii.

1. Par le jugemeent, quelque chose qui lui était d’abord dû est rendu à quelqu’un. Or, l’incarnation du Fils ne nous était pas due pour ainsi dire selon un mérite, mais selon une promesse divine. Sous cet aspect, la raison de jugement est sauvegardée.

 [8021] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Glossa illa loquitur de merito congrui, et non de merito condigni, quod proprie dicitur meritum. Vel dicendum quod completio incarnationis consistit in ultimo effectu ejus, scilicet in ultima reparatione humani generis, quae aliquo modo cadebat sub merito, maxime secundum quod reparationis terminus consistit in perventione ad vitam aeternam.

2. Cette glose parle du mérite de convenance, et non du mérite de ce qui est dû, qui est appelé mérite au sens propre. Ou bien il faut dire que l’accomplissement de l’incarnation consiste dans son effet ultime : la restauration ultime du genre humain, qui tombait d’une certaine manière sous le mérite, surtout selon que le terme de la restauration consiste dans l’atteinte de la vie éternelle.

 [8022] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod aliqua sunt sine quibus vita aeterna haberi non potest, quae sunt concomitantia ipsam, sicut visio Dei, et impassibilitas; et de his verum est quod meretur ea qui meretur vitam aeternam. Quaedam vero sunt quae sunt ducentia ad vitam aeternam sicut principia merendi; et talia non cadunt sub merito, sicut gratia, et hujusmodi; et inter illa potest computari incarnatio filii. Vel dicendum, quod sine incarnatione poterat perveniri ad vitam aeternam: quia fuit alius modus possibilis nostrae salutis, ut dicunt sancti.

3. Il existe certaines choses sans lesquelles la vie éternelle ne peut être possédée et qui l’accompagnent, comme la vision de Dieu et l’impassibilité. Il est vrai de dire de ces choses que celui qui mérite la vie éternelle les mérite. Mais il existe d’autres choses qui conduisent à la vie éternelle en tant qu’elles sont les principes du mérite. Ces choses ne tombent pas sous le mérite, comme la grâce et les choses de ce genre. Parmi elles, on peut compter l’incarnation du Fils. Ou bien il faut dire que, sans l’incarnation, on pouvait parvenir à la vie éternelle, car il existait un autre moyen possible pour notre salut, comme le disent les saints.

 [8023] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ipsi non petebant incarnationem, quam indubitanter credebant futuram; sed petebant ejus accelerationem. Vel dicendum, quod non petebant pro se, quia non petebant aliquid fiendum in ipsis petentibus.

4. Ils ne demandaient pas l’incarnation, qu’ils savaient devoir arriver sans aucun doute, mais ils demandaient qu’elle soit accélérée. Ou bien il faut dire qu’ils ne la demandaient pas pour eux-mêmes, car ils ne demandaient pas que quelque chose soit accompli pour ceux qui demandaient.

 [8024] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quamvis mereamur vitam aeternam per fidem operantem per dilectionem, non tamen oportet hoc dicere de incarnatione: quia vita aeterna est beneficium praestitum tantum personae merentis, incarnatio autem beneficium praestitum toti humanae naturae.

5. Bien que nous méritions la vie éternelle par la foi agissant par l’amour, on ne doit cependant pas dire cela de l’incarnation, car la vie éternelle est un bienfait accordé seulement à la personne qui la mérite, mais l’incarnation est un bienfait accordé a la nature humaine tout entière.

 [8025] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod beata virgo non meruit incarnationem; sed praesupposita incarnatione meruit quod per eam fieret, non quidem merito condigni, sed merito congrui, inquantum decebat quod mater Dei esset purissima et perfectissima virgo.

6. La bienheureuse Vierge n’a pas mérité l’incarnation, mais, l’incarnation étant présupposée, elle a mérité qu’elle s’accomplisse par elle, non pas selon un mérite de ce qui est dû, mais selon un mérite de convenance, pour autant qu’il convenait que la mère de Dieu soit la vierge la plus pure et la plus parfaite.

 [8026] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 1 ad 7 Et per hoc patet etiam solutio ad alia.

7. La solution des autres arguments ressort ainsi clairement de cela.

 

 

Articulus 2 [8027] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 2 tit. Utrum gratia sit naturalis illi homini

Article 2 – La grâce est-elle naturelle à cet homme ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La grâce est-elle naturelle à cet homme ?]

 [8028] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod gratia non sit illi homini naturalis. Gratia enim et natura dividuntur ex opposito. Sed unum oppositorum non denominat aliud. Ergo gratia non debet dici naturalis.

1. Il semble que la grâce ne soit pas naturelle à cet homme. En effet, la grâce et la nature se distinguent comme des contraires. Or, l’un des contraires ne désigne pas l’autre. La grâce ne doit donc pas être appelée naturelle.

 [8029] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, naturale est quod ex principiis naturae causatur, sicut igni ferri sursum. Sed ex humana natura non causatur gratia. Ergo non debet dici naturalis.

2. Est naturel ce qui est causé par les principes de la nature, comme pour le feu d’être porté vers le haut. Or, la grâce n’est pas causée par la nature humaine. Elle ne doit donc pas être appelée naturelle.

 [8030] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, Christus est ejusdem naturae cum aliis hominibus. Sed aliis hominibus gratia non est naturalis. Ergo nec sibi.

3. Le Christ a la même nature que les autres hommes. Or, la grâce n’est pas naturelle aux autres hommes. Elle ne l’est donc pas pour lui non plus.

 [8031] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 4 Praeterea, per naturalia non meremur. Sed Christus meruit per gratiam quam habuit, ut infra dicetur, dist. 18, art. 2, 3, 4, 6. Ergo non fuit ei naturalis.

4. Nous ne méritons pas par ce qui est naturel. Or, le Christ a mérité par la grâce qu’il avait, comme on le dira plus loin, d. 18, aa. 2, 3, 4, 6. Elle ne lui était donc pas naturelle.

 [8032] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, causae proximae rerum naturalium sunt naturales. Sed Christus per gratiam est naturalis filius. Ergo gratia est ei naturalis.

Cependant, les causes prochaines des choses naturelles sont naturelles. Or, le Christ est par grâce le Fils naturel. La grâce lui est donc naturelle.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le Christ a-t-il été corporellement rempli par la grâce divine ou par la divinité ?]

 [8033] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod Christus divina gratia vel divinitate non sit repletus corporaliter, quod in littera dicitur. Omne enim quod est in aliquo corporaliter, est in eo per circumscriptionem. Sed divinitas non potest esse circumscripta. Ergo non potest habitare in Christo corporaliter.

1. Il semble que le Christ n’ait pas été corporellement rempli par la grâce ou par la divinité, comme il est dit dans le texte [du Maître]. En effet, tout ce qui se trouve corporellement dans quelqu’un est en lui de manière circonscrite. Or, la divinité ne peut pas être circonscrite. Elle ne peut donc habiter corporellement dans le Christ.

 [8034] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, Deus magis elongatur a corporeitate quam Angelus, qui in comparatione Dei corporeus est, ut dicit Damascenus Lib. 1 de fide, cap. 3. Sed Angelus non est in aliquo loco, vel corpore, corporaliter. Ergo multo minus divinitas.

2. Dieu est plus éloigné de la corporéité que l’ange, qui, par comparaison avec Dieu, est corporel, comme le dit [Jean] Damascène, Sur la foi, I, 3. Or, l’ange n’est pas corporellement dans un lieu ou dans un corps. Donc, encore bien moins la divinité.

 [8035] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, deitas in homine non habitat nisi per gratiam. Sed gratia non est in corpore. Ergo deitas non potest habitare in aliquo corporaliter.

3. La divinité n’habite dans l’homme que par la grâce. Or, la grâce n’habite pas dans un corps. La divinité ne peut donc pas habiter corporellement dans quelqu’un.

 [8036] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, divinitas juncta est toti humanae naturae. Sed corpus est pars humanae naturae. Ergo unita est corpori; ergo habitat in Christo etiam corporaliter.

Cependant, la divinité a été unie à la nature humaine tout entière. Or, le corps est une partie de la nature humaine. Elle a donc été unie au corps. Elle habite donc dans le Christ, même corporellement.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [8037] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod de gratia Christi possumus loqui dupliciter: aut de gratia unionis, aut de gratia habituali, qua anima ejus perfecta est. Gratia autem unionis dicitur Christo naturalis, quia ordinatur ad unionem in personam divinam, secundum quod ille homo dicitur naturalis filius patris. Gratia vero habitualis potest etiam dici Christo naturalis dupliciter. Uno modo quia ad modum proprietatum naturalium se habet, quae suum subjectum inseparabiliter consequuntur. Alio modo quia ex altera suarum naturarum causatur, scilicet ex divina natura, non autem ex humana.

Nous pouvons parler de la grâce du Christ de deux manières : soit de la grâce d’union, soit de la grâce habituelle, par laquelle son âme a été perfectionnée. Or, la grâce d’union est dite naturelle pour le Christ parce qu’elle est ordonnée à l’union dans la personne divine ; en conséquence, cet homme est appelé le Fils naturel du Père. Mais la grâce habituelle peut aussi être dite naturelle pour le Christ de deux manières. D’une manière, parce qu’elle se comporte à la manière des propriétés qui découlent inséparablement de leur sujet. D’une autre manière, parce qu’elle est causée par l’une de ses deux natures, la nature divine, mais non par sa nature humaine.

 [8038] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod gratia unionis dicitur quidem gratia quantum ad causam, quia eam nulla merita praecesserunt; sed dicitur naturalis quantum ad effectum, quod est esse filium naturalem, ut dictum est. Gratia autem habitualis dicitur gratia ratione humanae naturae; naturalis ratione divinae, vel ratione humanae naturae inquantum inseparabiliter inest.

1. La grâce est appelée grâce quant à sa cause, car aucun mérite ne l’a précédée. Mais elle est appelée naturelle quant à son effet, qui consiste à être le Fils naturel, comme on l’a dit. Mais la grâce habituelle est appelée grâce en raison de la nature humaine, mais elle est appelée naturelle en raison de la nature divine, ou en raison de la nature humaine pour autant que celle-ci existe en lui de manière inséparable.

 [8039] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 2 Et per hoc patet solutio ad alia.

La solution des autres arguments ressort clairement de cela.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [8040] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 2 co. Ad id quod ulterius quaeritur, dicendum quod plenitudo divinitatis dicitur corporaliter habitare in Christo tripliciter. Primo modo quia deitas non tantum animae, sed etiam carni unita est. Secundo per similitudinem ad tres dimensiones corporis, quia divinitas est tribus modis in Christo. Uno modo generali, sicut est in omnibus creaturis, per essentiam, praesentiam et potentiam; et in hoc consistit quasi longitudo. Alio modo speciali, prout est in sanctis per gratiam; per quam est latitudo caritatis. Tertio modo in proprio filio, scilicet per unionem; in quo est sublimitas et profundum. Tertio dicitur corporaliter habitare ad similitudinem corporis, secundum quod dividitur contra umbram. In sacramentis enim veteris legis fuit quasi in umbris et signis, Heb. 10, 1: umbram habens lex futurorum bonorum: in Christo autem secundum rem et veritatem; unde Christus se habet ad illas figuras sicut corpus ad umbram.

On dit que la plénitude de la divinité habite corporellement dans le Christ de trois manières. Premièrement, parce que la divinité est unie non seulement à l’âme, mais aussi à la chair. Deuxièmement, par ressemblance avec les trois dimensions du corps, parce que la divinité existe dans le Christ de trois manières : d’une manière générale, comme elle existe dans toutes les créatures par son essence, par sa présence et par sa puissance – il s’agit pour ainsi dire de la longueur ; d’une manière spéciale, pour autant qu’elle est présente dans les saints – il s’agit de la largeur de la charité ; de la troisième manière, dans le Fils lui-même, c’est-à-dire par l’union – il s’agit de la hauteur et de la profondeur. Troisièmement, on dit que [la divinité] habite corporellement par ressemblance avec un corps, selon qu’il s’oppose à l’ombre. En effet, il se trouvait dans les sacrements de la loi ancienne comme par des ombres et des signes, He 10, 1 : La loi était comme l’ombre des biens à venir. Mais, dans le Christ, elle existe en vérité et en réalité. Aussi le Christ est-il, par rapport à ces figures, comme le corps par rapport à l’ombre.

 [8041] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod corporaliter secundum primam expositionem non dicit modum existendi divinitatem in Christo, sed magis id cui divinitas conjungitur; secundum autem alios modos est similitudinarie dictum.

1. Selon la première explication, « corporellement » n’indique pas une manière d’exister dans le Christ pour la divinité, mais plutôt ce à quoi la divinité est unie. Mais, selon les autres modes, le mot est employé par mode de similitude.

 [8042] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 2 Unde patet solutio ad secundum.

2. Ainsi ressort la solution du deuxième argument.

 [8043] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in aliis hominibus sanctis est Deus per gratiam acceptationis, sive habitualem, quae est tantum in anima; in Christo autem est per gratiam unionis, quae est ad animam et corpus.

3. Dieu se trouve chez les autres hommes saints par la grâce d’acceptation ou habituelle, qui se trouve seulement dans l’âme. Mais, dans le Christ, il se trouve par la grâce d’union, qui englobe l’âme et le corps.

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 4

 [8044] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 2 expos. Uno nominato tres intelliguntur. Contra. Dicimus filium Dei incarnatum, quod non intelligitur de patre et spiritu sancto. Et dicendum, quod hoc est intelligendum de his quae ad essentiam pertinent: quorum si aliquid de una tantum persona dicatur, oportet quod de alia intelligatur. Non est autem concedendum, quidquid de aliqua re nascitur, continuo ejusdem rei filium nuncupandum. Sciendum est ergo, quod haec praepositio ex denotat causam efficientem, vel materialem. Ad hoc autem quod aliquid natum ex aliquo materialiter, filiationis nomen accipiat, oportet quod in similitudinem speciei producatur cum eo ex quo nascitur, sicut filius matri; et ideo capilli et lumbricus non dicuntur filii ejus ex quo materialiter nascuntur. Ad hoc etiam quod aliquid natum de alio active dicatur filius ejus, oportet quod producatur de substantia agentis, et in similitudinem ejusdem speciei, et quod non sit agens instrumentale, sed principale. Primae autem duae conditiones deficiunt in spiritu sancto; unde Christus non potest dici filius ejus. Secunda autem et tertia deficiunt in aqua: quia renatus spiritualiter non assumit similitudinem aquae, sed similitudinem Dei; et aqua est instrumentum divinae virtutis operantis in eo: tamen Dionysius, 2 cap. Eccles. Hierarch., vocat aquam Baptismi matrem filialitatis: sed non proprie dicitur. Dicuntur filii Gehennae. Sciendum, quod hoc dicitur secundum modum loquendi consuetum in Scripturis, ut illud quod magnam habet affinitatem ad alterum, filius ejus dicatur; sicut Isai. 5, 1, dicitur: in cornu filio olei; idest in monte, ubi abundat oleum; et similiter, 1 Reg. 26, dixit David de Abner, quod filius mortis esset, quia mortem valde merebatur. Conceptus et natus de spiritu sancto. Quamvis utrumque horum possit dici et de spiritu sancto et de matre; tamen magis proprie dicitur conceptus de spiritu sancto, quia conceptionem in instanti spiritus sanctus operatus est; natus autem magis proprie dicitur de matre, quae eum ex utero produxit: unde in symbolo dicitur conceptus de spiritu sancto, natus ex Maria virgine. Factum ex semine David: Roman. 1. Contra. Damascenus, 3 Lib., cap. 2: non seminaliter, sed conditive per spiritum sanctum. Ad quod dicendum, quod Damascenus loquitur quantum ad proximam Christi generationem ex virgine; verbum autem apostoli intelligendum est quantum ad remotos parentes, ex quibus seminaliter mater Christi processit. Cum aliud sit fieri, aliud nasci. Contra. Fieri videtur esse commune ad omnem productionem, qua aliquid incipit esse. Ad quod dicendum, quod hoc est verum de facere, secundum quod communiter sumitur: proprie tamen dicitur facere, exercere aliquam actionem in exteriorem materiam, secundum quod dicit philosophus in 6 Ethic., quod ars est recta ratio agibilium. Unde ad ostendendum quod conceptio Christi est ex principio agente extrinseco, non naturaliter agente, sicut est in nostra conceptione, ideo dicit apostolus eum factum; quamvis et natus et conceptus dici possit quantum est ex parte matris.

 

 

 

Distinctio 5

Distinction 5 – [Ce qui assume et ce qui est assumé ont-ils raison de nature ou de personne ?]

Quaestio 1

Question 1 – [Qu’est-ce que l’union ?]

Prooemium

Prologue

 [8045] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister circa incarnationem divinam, quid sit assumens, et quid assumptum; hic determinat de utroque simul cujusmodi sit quantum ad intentiones eorum, utrum scilicet assumens et assumptum habeant rationem naturae vel personae; et dividitur in tres partes: in prima movet quaestionem; in secunda determinat eam, ibi: haec inquisitio, sive quaerendi ratio, juxta sacrarum auctoritatum testimonia, partim implicita atque perplexa, partim vero explicita est et aperta; in tertia movet quasdam dubitationes, ibi: sed quaeritur, utrum eadem divina natura debeat dici caro facta sicut dicitur verbum factum caro. Prima dividitur in duas: primo determinat quaestionem quantum ad id quod manifestat veritatem; secundo quantum ad id quod est magis dubium in quaestione, ibi: de quarto vero quaestionis articulo scrupulosa etiam inter doctos quaestio est. Et haec pars dividitur in tres: in prima ponit auctoritates ad utramque partem dubitationis; in secunda solvit, ibi: nos autem omnis mendacii et contradictionis notam a sacris paginis secludere cupientes, orthodoxis patribus (...) consentimus; in tertia solutionem per auctoritates Damasceni confirmat, ibi: qui sensus ex verbis Joannis Damasceni confirmatur. Circa primum tria facit: primo inducit auctoritatem ad partem negativam, scilicet quod natura non assumpsit naturam; secundo ad partem affirmativam, ibi: cui videtur obviare quod Augustinus ait; tertio ex auctoritatibus inductis colligit dubitationem, ibi: ex verbis autem Augustini (...) innui videtur, solum verbum carnem factum. Sed quaeritur utrum eadem divina natura debeat dici caro facta sicut verbum dicitur factum caro. Hic movet quasdam dubitationes circa praedictam determinationem: et primo quantum ad hoc quod dixit naturam divinam incarnatam; secundo quantum ad hoc quod dixit personam non esse assumptam, ibi: ideo vero non personam hominis assumpsit, quia caro illa et anima illa non erant unita in unam personam quam assumpserit. Circa primum duo facit: primo quaerit, utrum divina natura possit dici caro facta; secundo utrum possit dici facta homo, ibi: si autem natura divina naturam hominis accepit, quare non dicitur facta homo ? Ideo vero non personam hominis assumpsit et cetera. Hic movet dubitationes circa hoc quod dictum est personam hominis non esse assumptam; et circa hoc duo facit: primo assignat hujus dicti causam; secundo objicit in contrarium, ibi: hic a quibusdam opponitur. Et dividitur haec pars in duas objectiones, quas ponit; secunda incipit, ibi: aliter quoque nituntur probare, verbum Dei assumpsisse personam. Et utraque dividitur in objectionem et solutionem; prima solutio incipit ibi: quod ideo non sequitur, quia anima non est persona, quando alii rei est unita personaliter; secunda ibi: quia nefas est hoc dicere. Hic est triplex quaestio. Prima est de unione. Secunda de assumente unionem. Tertia de assumpto. Circa primum quaeruntur tria: 1 quid sit unio; 2 utrum unio sit facta in natura; 3 utrum sit facta in persona.

Après avoir déterminé, à propos de l’incarnation, ce qui assumait et ce qui était assumé, le Maître détermine ici des deux en même temps pour ce qui est de leurs intentions : ce qui assume et ce qui est assumé a-t-il raison de nature ou de personne ? Il y a trois parties. Dans la première, il soulève la question. Dans la deuxième, il en détermine, à cet endroit : « Cette question ou la raison de cette question est en partie implicite et obscure selon les témoignages des saintes autorités, et en partie explicite et manifeste. » Dans la troisième, il soulève certains doutes, à cet endroit : « Mais on se demande si on doit dire que cette même nature divine s’est faite chair, comme on dit que le Verbe s’est fait chair. » La première partie se divise en deux : premièrement, il détermine de la question pour ce qui est de la mise en lumière de la vérité ; deuxièmement, pour ce qui est plus douteux dans la question, à cet endroit : « À propos du quatrième élément de la question, les docteurs soulèvent une question minutieuse. » Cette partie se divise en trois parties. Dans la première, il présente des autorités pour les deux parties de la question. Dans la deuxième, il résout la question, à cet endroit : « Mais nous, désireux d’écarter de la Sainte Écriture toute indication de mensonge et de contradiction, nous donnons notre accord… aux pères orthodoxes. » Dans la troisième partie, il confirme la solution par des autorités de [Jean] Damascène, à cet endroit : « Ce sens est confirmé par les paroles de Jean Damascène. » À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il invoque une autorité pour la partie négative, à savoir que la nature n’a pas assumé la nature ; deuxièmement, pour la partie positive, à cet endroit : « À cela semble s’opposer ce que dit Augustin » ; troisièmement, il tire un doute des autorités invoquées, à cet endroit : « Par les paroles d’Augustin…, on semble suggérer que seul le Verbe s’est fait chair. » « Mais on se demande si on doit dire que cette même nature divine s’est faite chair, comme on dit que le Verbe s’est fait chair. » Ici, il soulève quelques doutes à propos de la détermination mentionnée : premièrement, parce qu’il a dit que la nature divine s’est incarnée ; deuxièmement, parce qu’il a dit que la personne n’a pas été assumée, à cet endroit : « C’est pourquoi il n’a pas vraiment assumé la personne d’un homme, car cette chair et cette âme n’étaient pas unies dans la personne unique qu’il a assumée. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il se demande si on peut dire que la nature divine s’est faite chair ; deuxièmement, si on peut dire qu’elle s’est faite homme, à cet endroit : « Mais si la nanture divine a reçu la nature de l’homme, pourquoi ne dit-on pas qu’elle s’est faite homme ? » « C’est pourquoi il n’a pas assumé la personne de l’homme, etc. » Ici, il soulève des doutes à propos de ce qui a été dit, à savoir que la personne de l’homme n’a pas été assumée. À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il indique la cause de ce qui a été dit ; deuxièmement, il fait une objection en sens contraire, en cet endroit : « Ici, certains soulèvent une objection. » Cette partie se divise en deux objections qu’il présente ; la seconde commence à cet endroit par : « Ils s’efforcent par ailleurs de montrer que le Verbe de Dieu a assumé la personne. » Les deux parties se divisent en objection et réponse : la première réponse commence à cet endroit : « Ce qui n’est pas concluant, car l’âme n’est pas la personne lorsqu’elle est unie personnellemenet à une autre chose » ; la seconde [commence] à cet endroit : « Parce qu’on ne doit pas dire… » Ici, il y a trois questions. La première porte sur l’union. La deuxième, sur celui qui assume l’union. La troisième, sur ce qui est assumé. À propos du premier point, trois questions sont posées : 1 – Qu’est-ce que l’union ? 2 – L’union s’est-elle réalisée dans la nature ? 3 – L’union s’est-elle réalisée dans la personne ?

 

 

Articulus 1 [8046] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1 tit. Utrum unio sit aliquid creatum

Article 1 – L’union est-elle quelque chose de créé ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [L’union est-elle une créature ?]

 [8047] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod unio non sit aliqua creatura. Unio enim est in eo quod per eam unum dicitur. Sed divina natura dicitur unita humanae. Ergo unio est in divina natura. Sed nihil est in Deo creatum. Ergo unio non est aliquid creatum.

1. Il semble que l’union ne soit pas une créature. En effet, l’union se trouve chez ce qui est appelé un en raison d’elle. Or, on dit que la nature divine a été unie à la nature humaine. L’union se trouve donc dans la nature divine. Or, il n’existe rien de créé en Dieu. L’union n’est donc pas quelque chose de créé.

 [8048] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, unio est relativum aequiparantiae. Sed hujusmodi relativa similiter se habent ad utrumque extremum. Ergo vel est in divina natura et humana; et sic idem quod prius: vel in neutra; et sic nusquam est, et ita non esset creatura.

2. L’union est une relation d’égalité. Or, les relatifs de ce genre portent toujours sur les deux extrêmes. Elle se trouve donc soit dans la nature divine, soit dans la nature humaine : on a ainsi la même conclusion que précédemment ; ou elle ne se trouve en aucune : elle n’existe alors jamais, et ainsi elle ne serait pas créée.

 [8049] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, nihil creatum dicitur de Deo nisi vel per causam, ut cum dicitur aliquid scire, quia facit nos scire; vel per assumptionem, ut cum dicitur homo; vel per similitudinem, ut cum dicitur leo vel agnus Dei. Sed cum dicitur divina natura unita humanae naturae, hoc non tantum per causam dicitur, quia sic pater diceretur unitus, quia hanc facit unionem: nec per assumptionem; quia si assumpsit unionem, aliqua unio esset Dei ad unionem, et sic in infinitum: nec iterum per similitudinem, quia tunc unio non diceretur secundum veritatem rei, sed secundum metaphoram; et sic Deus homo diceretur metaphorice, sicut dicitur leo vel agnus. Ergo unio non est quid creatum.

3. On n’affirme rien de créé de Dieu, sinon en tant qu’il est cause, comme lorsqu’on dit qu’il connaît quelque chose parce qu’il nous fait connaître ; ou en vertu de l’assomption, comme lorsqu’on l’appelle un homme ; ou par ressemblance, comme lorsqu’on l’appelle un lion ou l’agneau de Dieu. Or, lorsqu’on dit que la nature divine a été unie à la nature humaine, cela n’est pas affirmé seulement selon la cause, car ainsi on dirait que le Père est uni, puisqu’il réalise cette union ; ni en vertu de l’assomption, car s’il assumait l’union, il existerait une union de Dieu à l’union, et ainsi à l’infini ; ni en vertu d’une ressemblance, car on ne parlerait pas alors de l’union selon la vérité de la chose, mais selon une métaphore ; ainsi Dieu serait appelé un homme métaphoriquement, comme il est appelé un lion ou un agneau. L’union n’est donc pas quelque chose de créé.

 [8050] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, omne quod est et non est creatum, est aeternum. Sed unio est, quia per eam secundum rem unitae sunt duae naturae in una persona, et non est ab aeterno, sed in tempore incepit. Ergo est creatum.

Cependant, tout ce qui existe sans être créé est éternel. Or, l’union existe, car, en vertu d’elle, deux natures sont unies dans une seule personne, et cela n’existe pas depuis l’éternité, mais a commencé dans le temps. Cela est donc créé.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [S’agit-il de la moindre des unions ? ]

 [8051] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur, quod sit minima unionum. Quia quanto unita magis distant, tanto est minor unio. Sed divina natura et humana quae dicuntur unita, maxime distant. Ergo unio est minima.

1. Il semble qu’elle soit la moindre des unions, car plus des choses unies sont distantes, moindre est l’union. Or, la nature divine et la nature humaine, dont on dit qu’elles sont unies, sont au plus haut point distantes. L’union est donc la moindre.

 [8052] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, quanto major est compositio, tanto minor unio. Sed in Christo est maxima compositio: quia post compositionem quam natura facit in homine, quae est maxima inter omnes naturales compositiones, est ibi conjunctio divinitatis et humanitatis. Ergo est ibi minima unio.

2. Plus grande est la composition, plus petite est l’union. Or, dans le Christ, existe la plus grande composition, car, après la composition que la nature réalise dans l’homme, qui est la plus grande de toutes les compositions naturelles, il y a là l’union de la divinité et de l’humanité. L’union est donc là la moindre.

 [8053] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, quod est omnibus modis unum, est magis unum quam quod est quodammodo unum, et quodammodo non. Sed quaedam sunt unita et in natura et in persona, sicut quatuor elementa in corpore humano. Cum igitur in Christo facta sit unio in persona, et non in natura, videtur quod ad minus multae uniones sint majores ista unione.

3. Ce qui est un sous tous les modes est plus un que ce qui est un d’une certaine manière, et non d’une autre. Or, certaines choses sont unies et dans la nature et dans la personne, comme les quatre éléments dans le corps humain. Puisque l’union dans le Christ a été réalisée dans la personne, et non dans la nature, il semble donc qu’il existe au moins plusieurs unions plus grandes que cette union.

 [8054] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est, quod dicit Bernardus in libro de consideratione, quod inter omnes unitates arcem tenet unitas Trinitatis, et post ipsam est unitas dignativa quae est in Christo. Ergo videtur quod post unitatem divinae naturae ista sit maxima.

Cependant, Bernard dit, dans le livre Sur la considération, que, « parmi toutes les unités, le sommet est occupé par l’unité de la Trinité et, après elle, vient l’unité de dignité qui existe dans le Christ ». Il semble donc qu’après l’unité de la nature divine, celle-ci soit la plus grande.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [L’union diffère-t-elle de l’assomption ?]

 [8055] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod unio non differat ab assumptione. Assumptio enim dicitur quasi ad se sumptio. Sed quidquid ad se sumitur, aliquo modo sumenti unitur. Ergo assumptio est idem quod unio.

1. Il semble que l’union ne diffère pas de l’assomption. En effet, l’assomption veut dire prendre en soi. Or, tout ce qui est pris en soi est uni d’une certaine manière à celui qui prend. L’assomption est donc la même chose que l’union.

 [8056] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 2 Si dicatur, quod differunt, quia uniens est unitum, sed assumens non est assumptum; contra. Uniens est agens unionem. Sed non omne agens unionem est unitum, sicut patet de patre et spiritu sancto. Ergo illa differentia nulla est.

2. Elles diffèrent, car ce qui unit est ce qui est uni, mais ce qui assume n’est pas ce qui est assumé. Objection : ce qui unit est ce qui réalise l’union. Or, ce n’est pas tout ce qui réalise une union qui est uni, comme cela ressort pour le Père et l’Esprit Saint. Cette différence est donc nulle.

 [8057] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 3 Si dicatur, quod assumptio praecedat unionem; contra. Ante primum non potest esse aliquod prius. Sed in primo instanti suae conceptionis fuit unio in Christo. Ergo assumptio non praecedit unionem; et ita non videtur quod differant.

3. Si on dit que l’assomption précède l’union, on objectera qu’avant la première, il ne peut exister quelque chose d’antérieur. Or, dans le premier instant de sa conception, l’union a été réalisée dans le Christ. L’assomption ne précède donc pas l’union. Ainsi, il ne semble pas qu’elles soient différentes.

 [8058] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, divina natura dicitur unita humanae naturae. Non autem dicitur assumpta. Ergo assumptio et unio differunt.

Cependant, on dit que la nature divine est unie à la nature humaine. Or, on ne dit pas qu’elle a été assumée. L’assomption et l’union diffèrent donc.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [8059] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum, ad primam quaestionem, quod unio relatio quaedam est. Omnis autem relatio, secundum philosophum, fundatur vel supra quantitatem, secundum quod reducitur ad genus quantitatis, aut supra actionem vel passionem. Unum autem reducitur ad genus quantitatis quasi principium quantitatis discretae; et supra ipsam fundatur identitas, secundum quod est unum in substantia; aequalitas, secundum quod est unum in quantitate; similitudo, secundum quod est unum in qualitate. Unitio autem est quaedam actio vel passio qua ex multis efficitur aliquo modo unum; et hanc actionem sequitur ista relatio quae est unio. Relationum autem tam harum quam illarum quaedam innascuntur ex motu utriusque: et tunc oportet quod illae relationes sint realiter in utroque extremorum, sicut paternitas, et hujusmodi: quaedam autem innascuntur ex motu unius sine immutatione alterius, quod accidit in his quorum unum dependet ad alterum, et non e converso, sicut scientia ad scitum; et in talibus relatio est secundum rem in eo quod dependet ad alterum, in altero vero est secundum rationem tantum. Cum igitur in incarnatione non sit aliqua mutatio facta in natura divina, sed in humana quae tracta est ad unitatem in persona divina, erit haec relatio, scilicet unio, secundum rem in natura humana, in divina autem secundum rationem tantum, secundum quod dicit philosophus quod aliqua sunt relativa, non quia ipsa referuntur, sed quia alia referuntur ad ipsa. Unde unio secundum rem creatura quaedam est.

L’union est une relation. Or, selon le Philosophe, toute relation se fonde soit sur la quantité, pour autant qu’elle se ramène au genre de la quantité, ou sur l’action ou la passion. Or, ce qui est un se ramène au genre de la quantité comme principe de la quanité discrète : sur elle sont fondées l’identité, pour autant que cela est un par la substance ; l’égalité, pour autant que cela est un par la quantité ; la ressemblance, pour autant que cela est un par la qualité. Or, l’union est une action ou une passion, par laquelle quelque chose d’un est réalisé en quelque manière à partir de plusieurs choses ; cette relation qu’est l’union découle donc de cette action. Or, certaines de ces relations viennent d’un mouvement des deux choses : il est alors nécessaire que ces relations existent réellement dans les deux extrêmes, comme la paternité et [les relations] de ce genre ; mais certaines viennent du mouvement d’un seul, sans mouvement de l’autre, ce qui arrive dans les choses dont l’une dépend de l’autre, et non inversement, comme la science par rapport à ce qui est su : dans ces cas, la relation est réelle dans ce qui dépend de l’autre, mais elle est de raison seulement chez l’autre. Puisque, dans l’incarnation, aucun changement ne s’est produit dans la nature divine, mais [qu’il s’en est produit un] dans la nature humaine qui a été attirée à l’unité dans la personne divine, cette relation, l’union, sera réelle dans la nature humaine, selon que le Philosophe dit que certains choses sont relatives, non parce qu’elles-mêmes se rapportent [à quelque chose d’autre], mais parce que d’autres choses se rapportent à elles. L’union réelle est donc une créature.

 [8060] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod unio illa est in Deo secundum rationem tantum, et non secundum rem.

1. Cette union n’existe en Dieu que selon la raison seulement, et non en réalité.

 [8061] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod unio est relatio aequiparantiae in rebus creatis, sed non in creatore et creatura: quia non eodem modo se habent in unione: sicut etiam similitudo non ordinatur in Deo ad creaturam secundum aequiparantiam, sicut dicit Dionysius, quamvis in aliis sit relatio aequiparantiae.

2. L’union est une relation d’égalité dans les choses créées, mais non entre le Créateur et la créature, car ils se comportent pas de la même manière dans l’union, de même que « la ressemblance en Dieu n’est pas ordonnée à la créature selon l’égalité », comme le dit Denys, bien que, chez les autres, existe une relation d’égalité.

 [8062] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod unio quae de Deo praedicatur non est neque creator neque creatura: quia prout in ipso est, non est aliquid secundum rem, sed secundum rationem tantum. Non tamen ratio falsa est, quia fundatur super relationem creaturae ad creatorem: sicut etiam est de aliis relativis quae ex tempore de Deo dicuntur, ut dominus et hujusmodi.

3. L’union qui est attribuée à Dieu n’est ni créatrice ni une créature, car, en elle-même, elle n’est pas quelque chose de réel, mais de raison seulement. Cependant, un raisonnement n’est pas faux parce qu’il se fonde sur la relation de la créature au Créateur, comme c’est le cas des autres relations qui sont affirmées de Dieu de manière temporelle, comme Seigneur et les choses de ce genre.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [8063] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod unio ista potest dupliciter considerari: vel quantum ad id in quo fit unio, vel quantum ad ea quae uniuntur. Si primo modo; cum unio fiat in persona divina, quae est maxime unum et simplicissimum; sic est maxima unio post unionem essentiae in tribus personis: quamvis enim persona sit ita simplex et unum sicut essentia, tamen quaelibet trium personarum est idem re cum ipsa essentia, in qua uniuntur; non autem utraque natura in Christo est idem re cum persona divina, quamvis altera natura, scilicet divina, sit omnino idem re cum ipsa; et ita unio personarum in una essentia est major quam unio naturarum in una persona. Si secundo modo, sic non est maxima unio. Sed prima consideratio est unionis secundum se, quia secundum id quod unum est; haec autem est consideratio unionis, non secundum quod unio. Et ideo dicendum, quod unio est maxima simpliciter, quamvis sit non maxima secundum quid.

Cette union peut être envisagée de deux manières : du point de vue de ce en quoi se réalise l’union, ou du point de vue des choses qui sont unies. Si on l’envisage de la première manière, puisque l’union se réalise dans la personne divine, qui est au plus haut point quelque chose d’un et de très simple, elle est ainsi l’union la plus grande, après l’union de l’essence dans les trois personnes. En effet, bien que la personne soit aussi simple et une que l’essence, chacune des trois personnes est cependant réellement la même chose que l’essence elle-même dans laquelle elles sont unies ; mais les deux natures dans le Christ ne sont pas réellement la même chose que la personne divine, bien que l’une des natures, la divine, soit tout à fait réellement la même chose que [la personne divine]. Ainsi, l’union des personnes dans une seule essence est plus grande que l’union des natures dans une seule personne. Si on envisage [cette union] de la seconde manière, elle n’est pas alors l’union la plus grande. Mais le premier point de vue porte sur l’union en elle-même, car il porte sur ce qui est un ; mais celui-ci porte sur l’union, mais non en tant qu’elle est union. Il faut donc dire que l’union est tout simplement la plus grande, bien qu’elle ne soit pas la plus grande sous un aspect.

 [8064] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1 qc. 2 ad arg. Et per hoc patet responsio ad ea quae objiciuntur.

La réponse aux objections ressort ainsi clairement.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [8065] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem, dicendum, quod prima differentia assumptionis et unionis est quod assumptio est actio vel passio; unio autem est relatio tantum, quamvis unitio etiam sit actio. Secunda differentia est quia assumptio dicitur per comparationem ad terminum a quo separatur vel accipitur secundum quod uniendum est; sed unio dicitur per comparationem ad terminum vel effectum conjunctionis, qui est esse unum. Et inde sumitur tertia differentia, quod uniens est unitum: quia unitum significatur secundum quod jam factum est unum; assumptum autem secundum quod est in via ad hoc: et ideo assumens non est assumptum. Quarta differentia est, quia assumptio determinat id ad quod fit conjunctio, secundum quod dicitur assumptio, quasi ad se sumptio: unio autem non; et ideo quicumque facit conjunctionem, potest dici unire; non autem potest dici assumere, nisi sibi conjungat; unde pater univit humanam naturam cum divina, non autem assumpsit. Quinta differentia est quod unio, quantum est de se, aequaliter respicit utrumque extremorum; assumptio autem non, immo requirit esse fixum et stans in uno, ad quod aliud trahatur; et inde est quod natura divina potest dici unita in persona humanae naturae, non autem potest dici assumpta.

La première différence entre l’assomption et l’union est que l’assomption est une action ou une passion, mais que l’union est seulement une relation, bien que la réalisation de l’union soit une action. La deuxième différence est qu’on parle d’assomption par rapport au terme dont est séparé ou reçu ce qui doit être uni, mais on parle d’union par rapport au terme ou à l’effet de l’union, qui consiste à être un. De là vient la troisième différence : que ce qui unit est ce qui est uni, car être uni signifie quelque chose qui est déjà devenu un, mais être assumé, quelque chose qui est en voie de l’être. Aussi ce qui assume n’est-il pas ce qui est assumé. La quatrième différence est que l’assomption détermine ce avec quoi se réalise l’union, selon que le mot « assomption » signifie « prendre en soi » ; mais ce n’est pas le cas de l’union. Ainsi on peut dire de quiconque réalise l’union qu’il unit ; mais on ne peut dire qu’il assume que s’il unit à lui-même. Ainsi le Père a-t-il uni la nature humaine et la nature divine, mais il ne l’a pas assumée. La cinquième différence est que l’union, en elle-même, concerne également les deux extrêmes, mais non l’assomption ; bien plus, elle exige quelque chose de fixe et stable chez l’un, à quoi l’autre est attiré. De là vient qu’on peut dire que la nature divine est unie à la nature humaine dans la personne, mais non qu’elle a été assumée.

 [8066] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis assumptio ordinetur ad unionem, non tamen includit in sua significatione terminum, qui est fieri unum, sicut includitur in significatione unionis.

1. Bien que l’assomption soit ordonnée à l’union, elle n’inclut cependant pas dans sa signification le terme, qui consiste à devenir un, comme cela est inclus dans la signification de l’union.

 [8067] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod hoc quod dicitur, quod uniens est unitum, intelligendum est de eo quod est uniens sibi, et in se: pater autem non univit sibi; nec divina natura univit in se, sed in persona, nec humana natura signatur ut unitum in persona, sed homo. Et ideo neque pater est homo, neque divina natura est humana.

2. Lorsqu’on dit que ce qui unit est ce qui est uni, il faut l’entendre de ce qui unit à soi-même et en soi-même ; mais le Père n’a pas uni à soi-même, ni la nature divine en elle-même, mais dans la personne. On ne veut pas dire non plus que la nature humaine est quelque chose d’uni dans la personne, mais que c’est le cas de l’homme. Aussi le Père n’est-il pas homme, ni la nature divine n’est-elle la nature humaine.

 [8068] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis in Christo assumptio non praecedat unionem tempore, praecedit tamen natura, et secundum modum intelligendi.

3. Bien que, dans le Christ, l’assomption ne précède pas l’union dans le temps, elle la précède cependant par nature et selon la manière de comprendre.

 

 

Articulus 2 [8069] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 2 tit. Utrum unio sit facta in natura

Article 4 – L’union s’est-elle réalisée dans la nature ?

 [8070] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod unio sit facta in natura. Quod enim constat ex duabus naturis, videtur habere unam naturam mediam inter illa, sicut mixtum quod constat ex quatuor elementis. Sed Christus constat ex duabus naturis, secundum Augustinum, qui dicit, quod ex utraque substantia, scilicet divina et humana, est unus Dei et hominis filius. Ergo videtur habere unam naturam ex utrisque compactam.

1. Il semble que l’union se soit réalisée dans la nature. En effet, ce qui comporte deux natures semble avoir une nature intermédiaire entre ces choses, comme quelque chose de mixte est fait des quatre éléments. Or, le Christ comporte deux natures, selon Augustin qui dit qu’« il n’y a qu’un seul Fils de Dieu et de l’homme constitué des deux substances, à savoir la divine et l’humaine ». Il semble donc posséder une seule nature composée des deux.

 [8071] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, natura, secundum quod hic loquimur, est unumquodque informans specifica differentia, ut dicit Boetius in Lib. de duabus naturis. Sed philosophus dicit, quod semper una differentia addita mutat speciem, sicut in numeris quaelibet unitas addita facit novam speciem numeri. Ergo humana natura addita divinae facit novam naturam secundum speciem.

2. Selon ce que nous disons ici, « la nature est tout ce qui donne forme selon une différence spécifique », comme le dit Boèce dans le livre Sur les deux natures. Or, le Philosophe dit qu’une différence ajoutée change toujours l’espèce, comme une unité ajoutée dans les nombres donne une nouvelle espèce de nombre. La nature humaine ajoutée à la nature divine donne donc une nouvelle nature selon l’espèce.

 [8072] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 2 arg. 3 Si dicatur, quod non potest una natura constitui ex duabus, quia oportet utramque naturam servari in incarnatione; contra. Anima et corpus constituunt humanam naturam. Utrumque tamen, scilicet corpus et anima, intransmutatum permanet in sua natura. Ergo ex duabus naturis potest tertia constitui, utraque remanente salva.

3. Si on dit qu’une seule nature ne peut être constituée des deux [natures], parce qu’il est nécessaire que les deux natures soient préservées dans l’incarnation, on objectera que l’âme et le corps constituent la nature humaine. Cependant, les deux, le corps et l’âme, demeurent inchangés dans leur nature. Une troisième nature peut donc être constituée de deux natures, les deux étant préservées.

 [8073] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, proprietas sequitur naturam ejus cujus est proprietas. Sed proprietates divinae naturae dicuntur de illo homine: dicitur enim, quod ille homo creavit stellas; et e converso dicitur, quod filius Dei est passus. Ergo videtur quod aliquid divinae naturae est in humana natura, et aliquid humanae sit in divina; et sic videtur esse facta quaedam conjunctio naturarum in unam naturam.

4. Une propriété suit la nature de ce dont elle est la propriété. Or, on attribue les propriétés de la nature divine à cet homme : en effet, on dit que cet homme a créé les étoiles ; en sens inverse, on dit que le Fils de Dieu a souffert. Il semble donc qu’il y ait quelque chose de la nature divine dans la nature humaine, et quelque chose de la nature humaine dans la nature divine. Il semble ainsi qu’une certaine union des natures se soit réalisée dans une seule nature.

 [8074] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, quando aliqua duo conjunguntur quorum unum multum superat alterum, hoc quod superatur transit in naturam superantis, sicut si gutta vini in mille amphoras projiciatur aquae. Sed natura divina in infinitum superat humanam. Ergo humana natura conjuncta divinae, tota convertitur in divinam.

5. Lorsque deux choses sont unies, dont l’une dépasse de beaucoup l’autre, ce qui est dépassé passe à la nature de ce qui dépasse, comme lorsqu’une goutte de vin est jetée dans mille amphores d’eau. Or, la nature divine dépasse infiniment la nature humaine. La nature humaine unie à la nature divine est donc entièrement changée en la nature divine.

 [8075] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 2 arg. 6 Praeterea, hoc videtur per hoc quod caro Christi dicitur deificata a sanctis, sicut Damascenus narrat.

6. Cela semble être le cas du fait que les saints disent que la chair du Christ a été divinisée, comme le raconte [Jean] Damascène.

 [8076] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, filiatio requirit similitudinem in natura. Sed Christus dicitur filius Dei patris et virginis matris. Ergo est similis in natura utrique. Sed virgo et Deus pater non communicant in aliqua natura. Ergo oportet Christum ponere duarum naturarum.

Cependant, [1] la filiation exige une ressemblance de nature. Or, le Christ est appelé le Fils de Dieu le Père et de la Vierge, sa mère. Il est donc semblable aux deux par nature. Or, la Vierge et Dieu le Père n’ont pas de nature commune. Il faut donc affirmer deux natures dans le Christ.

 [8077] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, per proprietates naturales in cognitionem naturae devenimus. Sed in Christo invenimus proprietates duarum naturarum, ut humanae et divinae. Ergo oportet Christum duarum naturarum ponere.

 [2] Nous parvenons à la connaissance d’une nature par les propriétés naturelles. Or, nous trouvons dans le Christ les propriétés des deux natures : l’humaine et la divine. Il est donc nécessaire d’affirmer que le Christ possède deux natures.

 [8078] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod ad hujus quaestionis evidentiam oportet scire, quid nomen naturae significet. Natura autem a nascendo nomen accepit; quae proprie dicitur generatio viventium ex similibus similia in specie producentium; unde secundum primam sui institutionem natura significat generationem ipsam viventium, scilicet nativitatem. Item translatum est nomen naturae ad significandum principium activum illius generationis: quia virtutes agentes ex actibus nominari consueverunt. Inde ulterius procedit nomen naturae ad significandum principium activum cujuslibet motus naturalis: et ulterius ad significandum etiam principium materiale cujuslibet generationis: et inde etiam ad significandum principium formale, quod est terminus generationis. Sed quia non solum generatio terminatur ad formam, sed ad substantiam compositam; ideo translatum est ad significandum quamlibet substantiam, secundum quod dicit philosophus in 5 Metaph., et ad significandum etiam quodlibet ens, sicut dicit Boetius. Substantia autem, praeter significationes quibus forma vel materia dicitur substantia, dicitur duobus modis, secundum philosophum 5 Metaph. Uno modo subjectum ipsum quod dicitur hoc aliquid, et de altero non praedicatur, ut hic homo, secundum quod substantia significatur nomine hypostasis; et secundum hanc significationem substantia dicitur natura secundum quod natura est quod agere vel pati potest, ut dicit Boetius in praedicto libro. Alio modo dicitur substantia quod quid erat esse, idest quidditas et essentia, quam significat definitio cujuslibet rei, prout significatur nomine usiae; et sic etiam substantia dicitur natura, secundum quod Boetius dicit, quod natura est unumquodque informans specifica differentia: quia ultima differentia est quae definitionem complet. Relictis ergo omnibus aliis significationibus naturae, secundum hanc tantum significationem quaeritur, utrum in Christo sit una natura vel plures. Si autem sit una tantum, vel altera earum tantum, vel composita ex utrisque. Si altera earum tantum, hoc erit dupliciter. Uno modo nulla adjunctione interveniente unius ad alteram; et sic si sit divina tantum, nihil novum accidit in hoc quod verbum caro factum est, et incarnatio nihil est. Si vero sit humana tantum, non differt Christus ab aliis hominibus, et perit incarnatio. Alio modo altera naturarum transeunte in alteram; quod non potest esse: quia quae non communicant in materia, non possunt in invicem transire; divina autem natura penitus est immaterialis, nedum ut communicet humanae in materia. Praeterea si divina natura transiret in humanam, tolleretur simplicitas et immutabilitas divinae naturae; si vero humana verteretur in divinam, tolleretur veritas passionis, et omnium quae corporaliter operatus est Christus. Si autem esset una natura composita ex duabus, hoc posset esse dupliciter. Uno modo quia tertia natura componeretur ex duabus naturis non manentibus, sicut ex quatuor elementis componitur mixtum; et secundum hoc poneretur divina natura passibilis et materialis, quia mixtio non est nisi eorum quae communicant in materia, et nata sunt agere et pati ad invicem; et tolleretur fides confitens Christum esse verum Deum et verum hominem. Alio modo quod componeretur ex duabus naturis manentibus: et hoc dupliciter. Uno modo secundum commensurationem vel continuationis vel contiguationis; et secundum hoc poneretur divina natura corporea: quia continuatio et contactus corporum est. Alio modo secundum informationem, sicut ex anima et corpore fit unum; et hoc etiam non potest esse: quia per modum istum non fit unum ex duobus actibus nec ex duabus potentiis, sed ex actu et potentia, secundum philosophum: divina autem natura et humana, utraque est ens actu. Praeterea divina natura non habet aliquid potentialitatis, nec potest esse actus veniens in compositionem alicujus, cum sit esse primum infinitum per se subsistens. Patet igitur quod quocumque modo ponatur una natura in Christo, sequitur error: et ideo Eutyches, qui hoc posuit, ut haereticus condemnatus est.

Réponse. Pour éclairer cette question, il faut savoir ce que signifie le mot « nature ». Le mot « nature » vient de « naître » : il s’agit de la génération des vivants qui produisent des réalités semblables à partir de réalités semblables selon l’espèce. En son sens premier, « nature » signifie donc la génération même des vivants, à savoir, la naissance. Le mot de « nature » a aussi été reporté sur le principe actif de cette génération, car les puissances agissantes ont coutume d’être nommées à partir de leurs actes. Le mot de « nature » a ainsi été amené à signifier le principe actif de tout mouvement naturel, à signifier aussi le principe matériel de toute génération ; et, de plus, à signifier le principe formel qui est le terme de la génération. Mais parce que la génération ne se termine pas seulement à la forme, mais à la substance composée, [le mot « nature »] a été amené à signifier n’importe quelle substance, selon ce que dit le Philosophe dans Métaphysique, V, et à signifier aussi n’importe quel être, comme le dit Boèce. Or, au-delà des sens selon lesquels la forme et la matière sont appelées une substance, on parle de « substance » de deux manières, selon ce que dit le Philosophe dans Métaphysique, V. D’une manière, [« substance » signifie] le sujet lui-même qui est appelé telle chose et qui n’est pas attribué à quelque chose d’autre, comme cet homme, selon que la substance est signifiée par le nom « hypostase ». En ce sens, « on appelle substance une nature, selon que la nature est ce qui peut agir ou subir », comme le dit Boèce dans le livre mentionné. D’une autre manière, on appelle « substance » ce qui existe, c’est-à-dire la quiddité et l’essence, que signifie la définition de n’importe quelle chose, pour autant qu’elle est signifiée par le mot ousia. Ainsi la nature est-elle appelée substance, comme Boèce dit que « la nature est tout ce qui donne une forme par une différence spécifique », car la différence ultime est celle qui complète la définition. En laissant donc de côté tous les autres sens de « nature », on se demande, selon cette seule signification, si il y a une seule ou plusieurs natures dans le Christ. Mais s’il n’y en a qu’une seule, elle est ou bien l’une des deux, ou bien une qui est composée des deux autres. S’il n’y a qu’une des deux, ce sera de deux manières. D’une manière, sans qu’aucune union n’intervienne de l’une avec l’autre. Si donc c’est la nature divine, rien de nouveau ne se produit par le fait que le Verbe est devenu chair, et l’incarnation n’est rien. Mais si c’est seulement la nature humaine, le Christ ne diffère pas des autres hommes, et l’incarnation disparaît. D’une autre manière, l’une des natures passe dans l’autre. Cela ne peut avoir lieu, car là où il n’y a pas de matière commune, une chose ne peut passer à une autre, ni inversement. Or, la nature divine est entièrement immatérielle, de sorte qu’elle n’a pas de matière commune avec la nature humaine. De plus, si la nature divine passait à la nature humaine, la simplicité et l’immuabilité de la nature divines seraient enlevées. Mais si la nature humaine passait à la nature divine, la vérité de la passion serait enlevée et tout ce que le Christ a accompli corporellement. Mais s’il n’y avait qu’une seule nature composée à partir des deux [natures], cela pourrait exister de deux manières. D’une manière, parce que la troisième nature serait composée de deux natures qui ne demeurent pas, comme un corps mixte est composé des quatre éléments. On affirmerait ainsi que la nature divine est passible et matérielle, car il n’existe de mélange qu’entre des choses qui ont une matière commune et qui peuvent agir et subir réciproquement. Ainsi serait enlevée la foi qui qui confesse que le Christ est vrai Dieu et vrai homme. D’une autre manière, cela serait composé des deux natures qui demeurent, et cela, de deux manières. D’une manière, selon la mesure de ce qui est continu ou contigu. On affirmerait ainsi que la nature divine est corporelle, car ce qui est continu suppose le contact entre les corps. D’une autre manière, comme une seule chose est réalisée à partir de l’âme et du corps. Cela ne peut pas non plus être le cas, car, de cette manière, une seule chose n’est pas constituée de deux actes ni de deux puissances, mais d’un acte et d’une puissance, selon le Philosophe. Or, la nature divine et la nature humaine sont toutes les deux un être en acte. De plus, la nature divine ne comporte aucune puissance, et elle ne peut être un acte issu de la composition de quelque chose, puisqu’elle est l’être premier infini subsistant par soi. Il est donc clair que de quelque manière qu’on affirme une seule nature dans le Christ, en découle une erreur. C’est pourquoi Eutychès a été condamné comme hérétique.

 [8079] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod aliquid constat ex duabus naturis, non tamen ex duabus sicut mixtum ex elementis: quia et in talibus oportet quod sit media natura constituta ex duabus non manentibus. Christus autem constat ex duabus naturis ita quod in duabus naturis salvatis subsistit: est enim naturae divinae et humanae: et ideo ratio non sequitur.

1. Quelque chose est composé de deux natures, mais non comme le corps mixte [est composé] d’éléments, car, pour ces choses, il est nécessaire qu’il existe une nature intermédiaire constituée de deux natures qui ne persistent pas. Or, le Christ existe en deux natures, de telle manière qu’il subsiste dans deux natures qui persistent : en effet, il est constitué de la nature divine et de la nature humaine. Le raisonnement n’est donc pas concluant.

 [8080] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod, sicut dicit Avicenna, differentia nominat totam naturam speciei; alias non praedicaretur de specie; sed non nominat ex toto, sed ex parte, scilicet formali principio: dicitur enim rationale habens rationem. Genus autem e converso nominat totum ex principio materiali. Unde differentia non additur differentiae per hoc quod natura additur naturae, sed per hoc quod ulterius principium formale additur, sicut intellectivum supra sensitivum. Talis autem additio non est in Christo: non enim una natura additur alteri sicut formalis respectu illius, ut dictum est.

2. Comme le dit Avicenne, la différence désigne toute la nature de l’espèce, autrement elle ne serait pas attribuée à l’espèce ; cependant, elle ne la désigne pas en totalité, mais en partie, à savoir selon son principe formel : en effet, « raisonnable » désigne celui qui possède la raison. Mais, en sens inverse, le genre désigne le tout selon son principe matériel. Aussi la différence n’est-elle pas ajoutée à la différence comme une nature est ajoutée à une nature, mais comme un ultime principe formel est ajouté, ainsi « intelligent » [est-il ajouté] à « sensible ». Or, semblable ajout n’existe pas dans le Christ : en effet, une nature n’est pas ajoutée à l’autre comme son principe formel, comme on l’a dit.

 [8081] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod anima et corpus secundum quod sunt partes hominis, proprie loquendo, non sunt duae naturae, prout in proposito de natura loquimur; sed utrumque est pars naturae, alterum sicut forma, alterum autem sicut materia; unde non est instantia.

3. L’âme et le corps, selon qu’ils sont des parties de l’homme, ne sont pas deux natures au sens propre, au sens où nous parlons de nature dans le cas présent ; mais les deux sont des parties d’une nature, l’une comme forme, l’autre comme matière. Il n’y a donc pas de problème.

 [8082] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod proprietates humanae naturae nunquam dicuntur de divina, nec e converso, nisi secundum quamdam participationem; sed dicuntur utraeque de habente naturam, vel humanam vel divinam, quae significatur hoc nomine Deus, et hoc nomine homo: idem enim est qui utrasque naturas habet.

4. Les propriétés de la nature humaine ne sont jamais attribuées à la nature divine, ni inversement, sauf selon une certaine participation ; mais les deux sont attribuées à celui qui possède la nature divine ou la nature humaine, qui sont signifiées par le mot « Dieu » et par le mot « homme ». En effet, c’est le même qui possède les deux natures.

 [8083] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod ratio ista procedit in illis quae communicant in materia, et agunt et patiuntur ad invicem: et ideo non est ad propositum.

5. Cet argument porte sur les choses qui ont une matière commune, et agissent et subissent réciproquement. Il ne porte donc pas sur la question en cause.

 [8084] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod caro dicitur deificata, non quia sit facta ipsa divinitas, sed quia facta est Dei caro, et etiam quia abundantius dona divinitatis participat ex hoc quod est unita divinitati, et quia est quasi instrumentum per quod divina virtus salutem nostram operatur: tangendo enim leprosum carne sanavit per divinitatis virtutem, et moriendo carne mortem vicit per virtutem divinitatis. Virtus autem agentis aliquo modo est in instrumento, quo mediante aliquid agit.

6. La chair est dite divinisée, non parce qu’elle est devenue la divinité elle-même, mais parce qu’elle est devenue la chair de Dieu, en participant plus abondamment aux dons de la divinité du fait qu’elle est unie à la divinité, et parce qu’elle est pour ainsi dire un instrument par lequel la puissance divine réalise notre salut. En effet, en touchant le lépreux, [le Christ] a guéri par sa chair en vertu de la puissance de la divinité, et, en mourant, il a vaincu par sa chair en vertu de la puissance de la divinité. Or, la puissance de l’agent se trouve d’une certaine manière dans l’instrument par l’intermédiaire duquel il réalise quelque chose.

 

 

Articulus 3 [8085] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 3 tit. Utrum unio sit facta in persona, et si Christus est una persona

Article 3 – L’union s’est-elle réalisée dans la personne et le Christ était-il une seule personne ?

 [8086] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod in Christo non sit una tantum persona, et sic non sit unio facta in persona. Nulla enim natura invenitur sine illis quae per se consequuntur ad naturam illam. Sed personalitas per se consequitur naturam humanam, et similiter divinam. Ergo utraque natura tenet suam personalitatem.

1. Il semble qu’il n’y ait pas une seule personne dans le Christ, et ainsi que l’union ne se soit pas réalisée dans la personne. En effet, aucune nature ne se trouve sans ce qui découle de cette nature. Or, la personne découle par soi de la nature humaine et de même en est-il de la nature divine. Les deux natures gardent donc leur personnalité.

 [8087] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, natura humana est dignior in Christo quam in Petro. Sed personalitas ad dignitatem pertinet: unde in substantiis ignobilibus non invenitur persona. Ergo sicut humanitas Petri habet suam personalitatem, ita et humanitas Christi.

2. La nature humaine est plus digne dans le Christ qu’en Pierre. Or, la personnalité concerne la dignité ; ainsi ne trouve-t-on pas de personne dans les substances sans noblesse. Donc, de même que l’humanité de Pierre possède sa personnalité, de même aussi l’humanité du Christ.

 [8088] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, in persona non videtur aliquid esse nisi natura, et distinguentia suppositum naturae ab aliis suppositis. Sed naturae in Christo sunt diversae, et distinctiva diversa, quia per relationes aeternas distinguitur a patre et spiritu sancto; per divisionem autem materiae et accidentium distinguitur ab aliis hominibus. Ergo est ibi duplex personalitas.

3. Dans la personne, il ne semble exister que la nature et ce qui distingue le suppôt de la nature des autres suppôts. Or, les natures dans le Christ sont différentes et distincts les éléments différents, car, par les relations éternelles, [le Christ] se distingue du Père et du Saint-Esprit, mais, par la division de la matière et des accidents, il se distingue des autres hommes. Il y a donc là une double personnalité.

 [8089] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, major est convenientia in persona quam in genere vel specie: quia illa est in aliquo quod secundum rem unum est, hoc autem est secundum rationem unum. Sed propter maximam distantiam naturae divinae et humanae non potest esse earum convenientia in genere vel in specie. Ergo multo minus possunt convenire in una persona.

4. Il y a plus en commun par la personne que par le genre ou l’espèce, car celle-là est ce qui rend quelqu’un réellement unique, mais ceci n’est unique que selon la raison. Or, en raison de la très grande distance entre la nature divine et la nature humaine, elles ne peuvent avoir rien en commun selon le genre ou selon l’espèce. Elles peuvent donc encore beaucoup moins avoir en commun une seule personne.

 [8090] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, philosophus dicit in 5 Metaph., quod ad diversitatem in genere sequitur diversitas in specie, et ad hanc diversitas secundum numerum. Sed in Christo invenitur diversitas secundum speciem: quia sunt diversae naturae secundum illam acceptionem qua natura dicitur unumquodque informans specifica differentia. Ergo etiam secundum numerum differentia invenitur. Sed ubi est eadem persona, est idem secundum numerum. Ergo in Christo non est una persona.

5. Le Philosophe dit dans Métaphysique, V, que « la diversité selon l’espèce découle de la diversité selon le genre, et que la diversité selon le nombre découle de [la diversité selon l’espèce] ». Or, dans le Christ, on trouve une diversité selon l’espèce, car il existe des natures diverses, au sens où « nature » signifie tout ce qui confère une forme selon une différence spécifique. On trouve donc aussi [en lui] une différence selon le nombre. Or, là où la personne est la même, on a la même réalité selon le nombre. Il n’existe donc pas une seule personne dans le Christ.

 [8091] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 3 arg. 6 Praeterea, non est minor affinitas naturae ad personam quam formae ad materiam. Sed secundum diversitatem formarum est diversitas materiae: quia proprius actus fit in propria materia. Ergo secundum diversitatem naturarum est etiam diversitas in persona; et sic idem quod prius.

6. L’affinité entre la nature et la personne n’est pas moindre qu’entre la forme et la matière. Or, la diversité de la matière vient de la diversité des formes, car l’acte propre se réalise dans une matière propre. La diversité selon la personne se prend donc de la diffénce des natures, et ainsi la conclusion est la même que précédemment.

 [8092] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, ea quae secundum personam differunt et naturam, quod dicitur de uno, non dicitur de altero. Sed ea quae sunt Dei, in Scripturis attribuuntur homini: Psalmus 86, 5: homo natus est in ea, et ipse fundavit eam altissimus; et quae sunt hominis, attribuuntur Deo; 1 Corinth., 2, 8: nunquam dominum gloriae crucifixissent. Ergo Deus et homo conveniunt in persona.

Cependant, [1] là où des choses diffèrent selon la personne et selon la nature, ce qui est dit de l’un n’est pas dit de l’autre. Or, dans l’Écriture, ce qui appartient à Dieu est attribué à l’homme, Ps 86, 5 : Un homme est né en elle, et le Très-Haut l’a lui-même établie ; et ce qui appartient à l’homme est attribué à Dieu, 1 Co 2, 8 : Ils n’auraient jamais crucifié le Seigneur de gloire. Dieu et l’homme se rejoignent donc dans la personne.

 [8093] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, quod attribuitur filio et non patri, convenit ei secundum id in quo a patre distinguitur. Sed unio passive accepta convenit filio, et non patri. Ergo convenit ei secundum id in quo a patre distinguitur. Sed hoc est in persona. Ergo unio facta est in persona.

 [2] Ce qui convient au Fils, et non au Père, lui convient selon ce par quoi il se distingue du Père. Or, l’union entendue au sens passif convient au Fils, et non au Père. Elle lui convient donc selon ce par quoi il se distingue du Père. Or, cela se trouve dans la personne. L’union s’est donc réalisée dans la personne.

 [8094] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 3 s. c. 3 Praeterea, ad hoc quod fiat redemptio humani generis, oportet quod sit agens satisfactionem unus Deus qui potest, et homo qui debet, ut patet ex dictis in 1 dist., quaest. 1, art. 2. Sed nullo modo duae personae possunt esse unum agens. Ergo si sunt duae personae, nondum facta est satisfactio; et ita adhuc sumus in servitute peccati, quod est contra sacram Scripturam novi testamenti.

 [3] Pour que soit réalisée la rédemption du genre humain, il est nécessaire que celui qui accomplit la satisfaction soit Dieu seul qui le peut et l’homme qui le doit, comme cela ressort de ce qui a été dit, d. 1, a. 2. Or, deux personnes ne peuvent être un seul agent. S’il y a deux personnes, la satisfaction n’est donc pas accomplie, et ainsi nous sommes encore dans l’esclavage du péché, ce qui va à l’encontre de la Sainte Écriture de la Nouvelle Alliance.

 [8095] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod Nestorius, qui ponit duas in Christo personas, ex hoc deceptus fuit, ut dicit Boetius, quia credidit idem esse personam et naturam; unde credidit, cum sint duae naturae in Christo, quod sint duae personae: et ex eodem fonte processit error Eutychetis, qui cum audivit unam personam in Christo, aestimavit unam naturam: et ex eodem fonte contra Trinitatem processit error Arii et Sabellii. Sciendum est ergo, quod in quibusdam differunt natura et persona secundum rem, in quibusdam vero secundum rationem tantum. Natura enim, secundum quod hic loquimur, est quidditas rei quam signat sua definitio; persona autem est hoc aliquid quod subsistit in natura illa. In simplicibus autem quae carent materia, ut dicit Avicenna, ipsum simplex est sua quidditas; quidditas vero compositi non est ipsum compositum: humanitas enim non est homo. Cujus ratio est, quia in significatione humanitatis, sive quidditatis, sive naturae, continentur tantum essentialia principia hominis, secundum quod homo est; non autem ea quae pertinent ad determinationem materiae, per quam natura individuatur, quae tantum continentur in significatione Socratis, quia per ea Socrates est hic, et divisus ab aliis: et ideo, quia humanitas non includit in sua significatione totum quod est in re subsistente in natura, cum sit quasi pars, non praedicatur: et quia non subsistit nisi quod est compositum, et pars habetur a suo toto, ideo anima non subsistit, sed Socrates, et ipse est habens humanitatem. Homo autem significat utrumque, et essentialia, et individuantia, sed diversimode: quia significat essentialia determinate, individuantia vero indeterminate haec vel illa: et ideo homo, cum sit totum, potest praedicari de Socrate, et dicitur habens humanitatem; sed quia esse indistinctum est incompletum, quasi ens in potentia, ideo homo non subsistit, sed hic homo, cui convenit ratio personae. Est ergo ratio personae quod sit subsistens distinctum et omnia comprehendens quae in re sunt; natura autem essentialia tantum comprehendit. In simplicibus autem non differt re natura et persona: quia natura non recipitur in aliqua materia per quam individuetur, sed est per se subsistens: tamen inquantum considerantur essentialia rei, sic dicimus ibi naturam; inquantum autem invenitur ibi aliquid subsistens, sic dicimus ibi personam. Patet igitur quod ex quo de ratione personae est quod comprehendit omnia quae in re sunt, si aliquid est extra illud quod comprehendit persona, hoc non est unitum rei, nisi forte secundum similitudinem in genere vel in specie vel accidente: et ideo, ut Boetius dicit, si non est una persona in Christo, nulla unio facta est divinitatis et humanitatis, nisi secundum similitudinem gratiae; quod etiam Nestorius posuit: et hoc non est novum, nec Christo proprium; neque per eum redemptio fieri potuisset, nec ipse esset verus Deus, sed per participationem, sicut alii sancti. Unde simpliciter est concedendum, in Christo esse unam personam.

Réponse. Comme le dit Boèce, Nestorius, qui affirme deux personnes dans le Christ, s’est trompé parce qu’il a cru que la personne est la même chose que la nature. Puisqu’il y a deux natures dans le Christ, il a donc cru qu’il y a deux personnes. Et l’erreur d’Eutychès, qui, entendant qu’il y avait une seule personne dans le Christ, a pensé qu’il n’y avait qu’une seule nature, est venue de la même source. Et l’erreur d’Arius et de Sabellius contre la Trinité est venue de la même source. Il faut donc savoir que la personne et la nature diffèrent réellement par certaines choses, et, par certaines, selon la raison seulement. En effet, la nature, comme nous en parlons ici, est la quiddité d’une chose, que sa définition indique ; mais la personne est ce qui subsiste dans cette nature. Or, dans les choses simples, auxquelles la matière fait défaut, comme le dit Avicenne, cela même qui est simple est sa quiddité ; mais la quiddité de ce qui est composé n’est pas le composé lui-même : en effet, l’humanité n’est pas l’homme. La raison en est que, dans la signification de l’humanité, de la quiddité ou de la nature, ne sont contenus que les principes essentiels de l’homme, selon qu’il est homme ; mais [n’est pas contenu] ce qui se rapporte à la détermination de la matière, par laquelle la nature est individuée, et qui est contenu seulement dans la signification de Socrate, car, par cela, Socrate est cet individu-ci, divisé des autres. Parce que l’humanité n’inclut pas dans sa signification le tout qui existe dans la chose qui subsiste dans la nature, puisqu’elle en est comme une partie, elle n’est donc pas attribuée [à l’individu] ; et parce que ne subsiste que ce qui est composé et que la partie vient du tout, l’âme ne subsiste donc pas, mais Socrate, et c’est lui qui possède l’humanité. Mais « homme » signifie les deux : ce qui est essentiel et ce qui est individuant, mais de manière différente, car il signifie ce qui est essentiel de manière déterminé, mais ce qui est individuant de manière indéterminée. C’est pourquoi « homme », puisqu’il est le tout, peut être attribué à Socrate et on dit qu’il possède l’humanité ; mais parce que l’être indistinct est incomplet et comme un être en puissance, l’homme ne subsiste donc pas, mais cet homme, à qui convient la notion de personne. La raison de personne consiste donc en ce qu’elle est un être subsistant distinct et qui comprend tout ce qui existe dans une chose ; mais la nature comprend seulement ce qui est essentiel. Or, dans les réalités simples, la nature ne diffère pas de la personne, car la nature n’est pas reçue dans une matière par laquelle elle est individuée, mais elle subsiste par elle-même. Cependant, si l’on envisage les principes essentiels de la chose, nous disons qu’il y a là une nature ; mais, pour autant qu’on y trouve quelque chose qui subsiste, nous disons alors qu’il y a là une personne. Il est donc clair que, parce qu’il fait partie de la raison de personne de comprendre tout ce qui existe dans une chose, s’il existe quelque chose en dehors de ce que comprend la personne, cela n’est pas uni à la chose, sinon peut-être par une ressemblance selon le genre, l’espèce ou l’accident. Aussi, comme le dit Boèce, s’il n’y a pas une seule personne dans le Christ, aucune union n’a été réalisée entre la divinité et l’humanité, si ce n’est selon la ressemblance de la grâce, ce que même Nestorius a affirmé. Cela n’est ni nouveau ni propre au Christ, et la rédemption n’aurait pu être accomplie par lui ; il ne serait pas non plus vrai Dieu, mais [Dieu] par participation, comme les autres saints. Il faut donc tout simplement concéder qu’il n’existe qu’une seule personne dans le Christ.

 [8096] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod humana natura in Christo non est sine personalitate, sed est in persona una verbi cum natura divina.

1. La nature humaine n’existe pas sans personnalité dans le Christ, mais elle existe dans la seule personne du Verbe, avec la nature divine.

 [8097] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ex hoc natura Christi maxime nobilis est quod est in persona divina.

2. La nature du Christ est la plus noble parce qu’elle existe dans la personne divine.

 [8098] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod de ratione personae est quod comprehendat omnia essentialia, et proprietates individuantes simul conjunctorum; unde non sequitur quod si sint duae naturae et diversae proprietates, sint diversae personae. Si enim essent naturae cum suis proprietatibus seorsum positae, utrinque esset totalitas, quam requirit ratio personae, non est autem nisi una totalitas, quando conjunguntur; et ideo est una persona.

3. Il fait partie de la notion de personne qu’elle comprenne tout ce qui est essentiel et les propriétés individuantes unis ensemble. Il n’en découle donc pas que, s’il existe deux natures et des propriétés différentes, elles appartiennent à des personnes différentes. En effet, s’ils appartenaient à la nature avec ses propriétés prises séparément, il y aurait une totalité de part et d’autre, ce qu’exige la notion de personne. Or, il n’existe qu’une seule totalité, lorsqu’elles sont unies. C’est pourquoi il n’existe qu’une seule personne.

 [8099] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ea quae differunt genere vel specie, differunt numero essentiae vel naturae; non autem oportet quod differant numero suppositi vel subjecti: quia ea quae secundum se considerata diversorum sunt generum vel specierum, in unum suppositum vel subjectum congregari possunt; sicut caro et os ad constituendum corpus, et albedo et longitudo in eodem subjecto sunt; et similiter quamvis divina natura et humana differant plus quam specie vel genere, in unam tamen personam uniri possunt.

4. Les choses qui diffèrent par le genre et par l’espèce diffèrent en nombre selon l’essence ou la nature ; mais il n’est pas nécessaire qu’elles diffèrent en nombre selon le suppôt ou le sujet, car ce qui, envisagé en soi, relève de genres ou d’espèces différents, peut être réuni dans un seul suppôt ou sujet, comme la chair et les os existent dans le même sujet pour constituer un corps, ainsi que la blancheur et la longueur. De la même manière, bien que la nature divine et la nature humaine diffèrent davantage que l’espèce ou le genre, elles peuvent cependant être unies dans une seule personne.

 [8100] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod, sicut dicit Boetius, species est totum esse individuorum, et etiam genus aliquo modo, ut dicit Avicenna, secundum quod indistincte significat totum: et quia natura humana non comprehendit totum esse Christi, ideo non habet in Christo naturam speciei; et ideo non sequitur quod in Christo sint diversae species. Vel dicendum, quod illud philosophi est intelligendum quando naturae diversorum generum non conjunguntur: accidens enim et subjectum, quia conjunguntur (quamvis sint diversa genere), non faciunt numerum.

5. Comme le dit Boèce, « l’espèce est l’être entier des individus », de même que l’est le genre d’une certaine manière, comme le dit Avicenne, selon qu’elle signifie indistincte le tout. Et parce que la nature humaine ne comprend pas l’être entier du Christ, de même ne possède-t-elle pas chez le Christ la nature de l’espèce. Il n’en découle qu’il existe chez le Christ diverses espèces. Ou bien il faut dire que ce que dit le Philosophe doit s’entendre du cas où les natures de divers genres ne sont pas réunies : en effet, l’accident et le sujet, parce qu’ils sont réunis (bien qu’ils soient de genres différents), ne font pas nombre.

 [8101] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod forma adunatur materiae informando eam; et ideo oportet quod ad diversas formas diversae sint materiae dispositae; sed ad rationem personae requiritur tantum adunatio, quae potest esse etiam quantumcumque diversorum; et ideo non oportet quod diversae naturae habeant diversas personas.

6. La forme est unie à la matière en donnant forme à celle-ci. Aussi est-il nécessaire qu’existent diverses matières disposées à diverses formes. Mais seule leur union est nécessaire à la raison de personne, laquelle peut affecter n’importe quel nombre de choses différentes. Il n’est donc pas nécessaire que des natures différentes aient des personnes différentes.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [Convient-il à une personne divine d’assumer ?]

Prooemium

Prologue

 [8102] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 pr. Deinde quaeritur de assumente; et circa hoc quaeruntur tria: 1 utrum assumere conveniat divinae personae; 2 utrum naturae; 3 utrum naturae, remota persona.

On s’interroge ensuite sur celui qui assume. À ce propos, trois questions sont posées : 1 – Convient-il à une personne divine d’assumer ? 2 ‑ Cela convient-il à la nature [divine] ? 3 – Cela convient-il à la nature [divine], en écartant la personne [divine] ?

 

 

Articulus 1 [8103] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 1 tit. Utrum assumere conveniat divinae personae

Article 1 – Convient-il à une personne divine d’assumer ?

 [8104] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur, quod personae non conveniat assumere. Sicut enim dictum est, persona significat aliquid completum et totum. Sed ultima completione completo non potest fieri additio. Ergo persona non potest ad se aliquid assumere.

1. Il semble qu’il ne convienne pas à une personne divine d’assumer. En effet, comme on l’a dit, la personne signifie quelque chose de complet et d’entier. Or, on ne peut faire d’ajout à ce qui est achevé par un ultime achèvement. La personne ne peut donc pas assumer quelque chose en elle-même.

 [8105] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, quod assumitur per participationem alicujus, aliquo modo communicat illud. Sed de ratione personae est omnimoda incommunicabilitas. Ergo non potest persona assumere ad se aliquid in participationem sui.

2. Ce qui est assumé par la participation à quelque chose a quelque chose en commun avec cela. Or, l’incommunicabilité totale fait partie de la raison de personne. La personne ne peut donc assumer en elle-même quelque chose pour le faire participer à elle.

 [8106] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, persona, inquantum supponitur naturae, habet aliquam similitudinem materiae, sicut natura habet similitudinem formae. Sed magis elongatur a perfectione materia quam forma, quae est pars rei. Si ergo natura divina propter sui perfectionem non potest esse forma alicujus rei, multo minus persona divina poterit esse persona alicujus alterius naturae. Ergo non potest persona naturam assumere.

3. La personne, en tant qu’elle est le suppôt de la nature, a une certaine ressemblance avec la matière, comme la nature a une certaine ressemblance avec la forme. Or, la matière est plus éloignée de la perfection que la forme qui fait partie d’une chose. Si donc la nature divine, en raison de sa perfection, ne peut être la forme d’une chose, à bien moins forte raison une personne divine pourra-t-elle être une personne d’une autre nature. Une personne [divine] ne peut donc pas assumer une nature.

 [8107] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, plus repugnat simplicitati diversitas naturae et personae, quam diversitas subjecti et accidentis: quia in substantiis simplicibus creatis non differt secundum Avicennam persona a natura secundum rem, quamvis in eis differat accidens a substantia. Sed persona divina verbi non potest distingui propter suam simplicitatem proprietate quae non sit quod ipsa, nec potest esse subjectum alicujus accidentis. Ergo multo minus potest esse suppositum extraneae naturae.

4. La diversité de nature et de personne s’oppose davantage à la simplicité que la diversité de sujet et d’accident, car, dans les substances simples créées, selon Avicenne, la personne ne diffère pas en réalité de la nature, bien que l’accident y diffère de la substance. Or, en raison de sa simplicité, la personne divine du Verbe ne peut être distinguée d’une propriété qui ne saurait être qu’elle-même, et elle ne peut être le sujet d’un accident. Encore bien moins peut-elle donc être le suppôt d’une nature étrangère.

 [8108] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 1 s. c. 1 Sed contra, Joan. 1, 14: verbum caro factum est; idest homo factus est. Sed non nisi per assumptionem. Cum ergo verbum sit nomen personale, oportet dicere quod persona assumat.

Cependant, [1] Jn 1, 14 : Le Verbe s’est fait chair, c’est-à-dire qu’il est devenu homme. Or, ce ne peut être que par assomption. Puisque « Verbe » est un nom personnel, il faut donc dire qu’une personne [divine] assume.

 [8109] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, assumptio terminatur ad unionem. Unio autem in persona est, ut probatum est in solutione articuli praecedentis. Ergo persona assumens est; cum assumptio, ut dictum est, dicat terminum in quo fit unio.

 [2] L’assomption a comme terme l’union. Or, l’union se réalise dans la personne, comme on l’a montré dans la réponse de l’article précédent. C’est donc la personne qui assume, puisque l’assomption, ainsi qu’on l’a dit, exprime le terme dans lequel l’union se réalise.

 [8110] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod, sicut dictum est, persona requirit completionem. In conjunctione autem aliquorum aliquando ita est quod utrumque incompletum est, sicut patet in unione materiae et formae, quorum utrumque non habet esse completum, et in mixtione, quando utrumque mixtorum partim corrumpitur; unde in talibus haec completio quam requirit persona, neutri debetur, sed composito. Aliquando autem unum praeexistit in se completum, et aliud additur et completur per completionem ejus, sicut cibus qui adjungitur homini jam completo; unde completio personalis non debetur cibo, sed homini; et hoc proprie dicitur assumi quod sic in personalitatem alterius trahitur. Cum igitur divina natura et humana quae conjunguntur, non se habeant aequaliter ad perfectionem, sed divina natura completionem habeat personalem in quo differt a forma, et in ea incorrupta permaneat, in quo differt ab his quae miscentur; oportet, si debeat fieri conjunctio, quod humana natura trahatur ad divinam personam virtute divina: alias essent duae personae, et nulla conjunctio. Et ita concedendum est, quod persona assumit.

Réponse. Comme on l’a dit, la personne exige l’achèvement. Or, dans l’union de certaines choses, il arrive que les deux choses soient incomplètes, comme cela ressort pour l’union de la matière et de la forme, dont les deux n’ont pas un être complet, et pour le mélange, lorsque les deux corps mixtes sont en partie corrompus. Dans de tels cas, l’achèvement qu’exige la personne ne revient à aucune des deux choses, mais au composé. Mais, parfois, l’une des deux choses préexiste complète en elle-même, alors que l’autre est ajoutée et devient complète par l’achèvement de la chose, comme la nourriture est ajoutée à un homme déjà achevé ; aussi l’achèvement personnel n’est-il pas dû à la nourriture, mais à l’homme, et on parle d’être assumé dans le cas où quelque chose est attiré dans la personnalité d’un autre. Puisque la nature divine et la nature humaine, qui sont unies, n’ont pas le même rapport à la perfection, mais que la nature divine a un achèvement personnel, ce par quoi elle diffère d’une forme, et demeure incorrompue en elle, ce par quoi elle diffère de ce qui est mélangé, il est donc nécessaire, si une union doit être réalisée, que la nature humaine soit attirée vers la personne divine par la puissance divine, autrement, il y aurait deux personnes et aucune union. Il faut donc concéder que la personne [divine] assume.

 [8111] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod persona non recipit additionem distinguentium ipsam, et complentium in esse personae, secundum quae completa esse dicitur; sed aliorum quae personalitatem non causant, non est inconveniens ut additionem recipiat: sicut Socrates recipit additionem scientiae, nutrimenti, et hujusmodi; et tamen haec non individuant ipsum. Ita etiam natura humana quae additur divinae personae, non causat personalitatem in ipsa, sed ad personalitatem ejus praeexistentem trahitur.

1. La personne ne reçoit pas l’ajout de choses qui la distinguent et qui l’achèvent dans son être de personne, par quoi on la dit achevée ; mais, pour les autres choses, qui ne causent pas la personnalité, il n’est pas inapproprié qu’elle reçoive un ajout, comme Socrate reçoit l’ajout de la science, de la nourriture et des choses de ce genre. Toutefois, ces choses n’en font pas un individu. De même aussi, la nature humaine qui est ajoutée à la personne divine ne cause-t-elle pas la personnalité en elle, mais elle est attirée vers sa personnalité qui préexistait.

 [8112] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod triplex incommunicabilitas est de ratione personae: scilicet partis, secundum quod est completum; et universalis, secundum quod est subsistens; et assumptibilis secundum quod id quod assumitur transit in personalitatem alterius et non habet personalitatem propriam. Non est autem contra rationem personae communicabilitas assumentis.

2. Une triple incommunicabilité fait partie de la raison de personne : celle de la partie, en tant qu’elle est un être complet ; [l’incommunicabilité] de l’universel, en tant qu’elle est un être subsistant ; [l’incommunicabilité] de ce qui est apte à être assumé, en tant que ce qui est assumé passe dans la personnalité d’un autre et n’a pas de personnalité propre. Mais la communicabilité de celui qui assume n’est pas contraire à la raison de personne.

 [8113] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod persona divina non supponitur humanae naturae quasi sub ea posita, sicut materia sub forma; sed quasi subsistens in ea, inquantum habet eam sibi unitam; unde non habet similitudinem materiae.

3. La personne divine n’est pas le suppôt de la nature humaine comme si elle lui était sous-jacente, comme la matière est sous-jacente à la forme, mais en tant qu’elle subsiste en elle en l’ayant unie à elle. Elle ne ressemble donc pas à la matière.

 [8114] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod subjectum subjicitur accidenti, quod divinae personae convenire non potest, cum non habeat aliquid potentialitatis; sed non dicitur supponi humanae naturae, quasi ei subjiciatur, ut dictum est.

4. Le sujet est sous-jacent à l’accident, ce qui ne peut convenir à la personne divine, puisqu’elle ne comporte aucune potentialité. Mais on ne dit pas qu’elle est sous-jacente à la nature humaine, comme si elle lui était soumise, ainsi qu’on l’a dit.

 

 

Articulus 2 [8115] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 2 tit. Utrum assumere conveniat naturae

Article 2 – Convient-il à la nature [divine] d’assumer ?

 [8116] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur, quod naturae non conveniat assumere. Quod enim convenit naturae divinae, commune est tribus personis. Sed assumere non convenit patri et spiritui sancto. Ergo nec divinae naturae.

1. Il semble qu’il ne convienne pas à la nature d’assumer. En effet, ce qui convient à la nature divine est commun aux trois personnes. Or, assumer ne convient pas au Père ni au Saint-Esprit. Donc, ni à la nature divine.

 [8117] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, actus personales non dicuntur de natura, sicut generare, ut dictum est, 5 dist. 1 libri. Sed assumere proprie convenit personae. Ergo natura non assumit.

2. Les actes personnels ne sont pas attribués à la nature, comme le fait d’engendrer, ainsi qu’on l’a dit à la d. 1, a. 5. Or, assumer convient en propre à la personne. La nature n’assume donc pas.

 [8118] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, verbum, secundum hoc quod carnem assumpsit, dicitur caro factum. Sed natura divina non dicitur caro facta. Ergo natura divina non assumpsit.

3. On dit que le Verbe s’est fait chair en tant qu’il a assumé la chair. Or, on ne dit pas que la nature divine s’est faite chair. La nature divine n’a donc pas assumé.

 [8119] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, ratione assumptionis fit communicatio idiomatum, ut dicit Damascenus. Sed ea quae sunt naturae humanae, non dicuntur de divina: non enim dicitur passa vel mortua. Ergo ejus non est assumere.

4. La communication des idiomes se réalise en vertu de l’assomption. Or, ce qui appartient à la nature humaine n’est pas affirmé de la nature divine : en effet, on ne dit pas qu’elle a souffert ou qu’elle est morte. Il ne lui appartient donc pas d’assumer.

 [8120] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 2 arg. 5 Praeterea, assumere est ad se sumere. Sed divina natura non traxit naturam humanam ad se, quia non est unio facta in natura divina. Ergo divina natura non potest dici assumere.

5. Assumer, c’est prendre en soi. Or, la nature divine n’attire pas la nature humaine à elle-même, car l’union ne s’est pas réalisée dans la nature divine. On ne peut donc pas dire que la nature divine assume.

 [8121] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 2 s. c. 1 Sed contra sunt auctoritates quae jacent in littera.

Cependant, [1] les autorités invoquées dans le texte vont en sens contraire.

 [8122] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 2 s. c. 2 Praeterea, in Christo quidquid est unitum, potest dici assumens vel assumptum. Sed divina natura est unita humanae. Ergo, cum non sit assumpta, debet dici assumens.

 [2] Dans le Christ, on peut dire de tout ce qui est uni qu’il l’assume ou que cela est assumé. Or, la nature divine est unie à la nature humaine. Puisqu’elle n’a pas été assumée, on doit donc dire qu’elle assume.

 [8123] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod assumere dicitur tripliciter. Uno modo communiter pro sumere, et sic tota Trinitas assumpsit humanam naturam filio. Secundo dicitur proprie quasi ad se: sumere ut sibi quocumque modo uniatur; et hoc modo natura divina in persona filii assumpsit humanam naturam. Tertio dicitur propriissime, quasi ad se, et in se sumere; et sic convenit tantum personae, in qua facta est unio.

Réponse. On parle d’« assumer » de trois manières. Premièrement, d’une manière générale, au sens de « prendre » ; ainsi, la Trinité entière assume la nature humaine pour le Fils. Deuxièmement, « assumer » est employé au sens propre d’« attirer à soi », quelle que soit la manière dont se fait l’union ; de cette manière, la nature divine dans la personne du Fils a assumé la nature humaine. Troisièmement, au sens le plus propre pour « attirer à soi » et « prendre en soi » ; de cette manière, cela ne convient qu’à la personne en qui s’est réalisée l’union.

 [8124] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod hoc verum est de his quae conveniunt naturae secundum se, et non ratione personae hujus vel illius, sicut assumere.

1. Cela est vrai pour ce qui convient à la nature en elle-même, et non en raison de telle ou telle personne, comme le fait d’assumer.

 [8125] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod assumere tertio modo dictum, est proprium personae, et sic non convenit naturae.

2. « Assumer », utilisé dans le troisième sens, est propre à une personne, et ainsi il ne convient pas à la nature.

 [8126] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod natura divina assumit humanam, et unitur ei: non tamen in nomine naturae importatur suppositum, sicut in hoc nomine Deus vel verbum; et ideo dicitur Deus vel verbum, caro, idest homo, factum, non per transmutationem naturae, sed per unionem in supposito; non autem potest dici de natura divina.

3. La nature divine assume la nature humaine et est unie à elle ; cependant, dans le mot de « nature », on ne comprend pas le suppôt, comme dans le mot « Dieu » et « Verbe ». C’est pourquoi on dit que Dieu ou le Verbe s’est fait chair, c’est-à-dire homme, non pas par un changement de nature, mais par une union dans le suppôt. Mais on ne peut dire cela de la nature divine.

 [8127] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod communicatio idiomatum fit ratione unionis in supposito: et quia suppositum non importatur nomine naturae, sicut hoc nomine Deus vel filius; ideo non potest dici natura passa, sicut Deus passus: dicitur tamen natura incarnata: quia per hoc non importatur aliqua proprietas humanae naturae, sed sola unio ad ipsam.

4. La communication des idiomes se fait en raison de l’union dans le suppôt. Parce que le suppôt n’est pas indiqué par le mot « nature », comme par le mot « Dieu » ou « Fils », on ne peut donc pas dire que la nature [divine] a souffert, comme Dieu a souffert. On dit cependant que la nature [divine] s’est incarnée parce qu’on n’indique pas par là une propriété de la nature humaine, mais seulement l’union à elle.

 [8128] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod natura divina sumit humanam ad se, idest ut sibi uniatur; non tamen ut in se unio fiat.

5. La nature divine attire à elle la nature humaine, c’est-à-dire qu’elle lui est unie, mais non au sens où l’union se réalise en elle.

 

 

Articulus 3 [8129] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 3 tit. Utrum conveniat naturae, remotis personis

Article 3 – Convient-il à la nature d’assumer, en mettant à part les personnes ?

 [8130] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur, quod natura, circumscriptis personis, assumere non possit. Natura enim sine suppositis est in nuda contemplatione tantum. Sed quod est tantum in contemplatione, non habet esse; et quod non est, non agit. Ergo natura sine personis assumere non posset.

1. Il semble que la nature ne puisse assumer, en meettant à part les personnes. En effet, la nature n’est sans les suppôts existe dans la simple contemplation. Or, ce qui est simplement contemplé n’a pas d’être, et ce qui n’existe pas n’agit pas. La nature sans les personnes ne pourrait donc pas assumer.

 [8131] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 3 arg. 2 Praeterea, secundum philosophum, actiones sunt individuorum sive suppositorum. Sed assumere est actio quaedam. Cum igitur supposita divinae naturae sint ipsae personae, videtur quod natura sine personis assumere non possit.

2. Selon le Philosophe, les actions sont le fait des individus ou des suppôts. Or, assumer est une action. Puisque les suppôts de la nature divine sont les personnes elles-mêmes, il semble donc que la nature ne puisse assumer sans les personnes.

 [8132] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 3 arg. 3 Praeterea, filius ex hoc quod assumit dicitur mitti. Sed si non essent personae distinctae, non remaneret ratio missionis: quia mittitur qui ab alio est, secundum Augustinum. Ergo sine personis distinctis non posset esse assumptio.

3. On dit que le Fils est envoyé du fait qu’il assume. Or, si les personnes n’étaient pas distinctes, la raison de mission ne persisterait pas, car est envoyé celui qui vient d’un autre, selon Augustin. Il ne pourrait donc y avoir d’assomption sans les personnes distinctes.

 [8133] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 3 arg. 4 Praeterea, assumptio oportet quod terminetur ad aliquam unionem. Sed circumscriptis personis non remaneret in quo fieret unio: quia in natura non potest fieri. Ergo natura non potest sine personis assumere.

4. Il est nécessaire que l’assomption ait comme terme une certaine union. Or, en mettant à part les personnes, il ne resterait rien en quoi l’union se réaliserait, car elle ne peut se réaliser dans la nature. La nature ne peut donc assumer sans les personnes.

 [8134] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 3 s. c. 1 Sed contra, Angelus, Luc. 1, probavit incarnationem per Dei omnipotentiam: quia non est impossibile apud Deum omne verbum. Sed circumscriptis personis, adhuc in essentia remaneret omnipotentia. Ergo adhuc in essentia poterat fieri assumptio.

Cependant, [1] En Lc 1, l’ange a montré que l’incarnation se réalisait par la toute-puissance de Dieu, car aucune parole n’est impossible pour Dieu. Or, si l’on met les personnes à part, la toute-puissance demeurerait encore dans l’essence [divine]. L’assomption pouvait donc encore se réaliser dans l’essence.

 [8135] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 3 s. c. 2 Praeterea, Damascenus dicit, quod propter philanthropiam, idest amorem hominum, filius Dei naturam accepit. Sed circumscriptis personis adhuc conveniret Deo suam creaturam diligere. Ergo adhuc poterit esse assumptio.

 [2] [Jean] Damascène dit qu’« en raison de sa philanthropie, c’est-à-dire de son amour des hommes, le Fils de Dieu a reçu leur nature ». Or, si les personnes sont mises à part, il serait encore approprié que Dieu aime sa créature. L’assomption pourrait donc encore exister.

 [8136] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod circumscriptio personae a natura divina potest dupliciter intelligi. Uno modo quod circumscribatur omnis ratio personalitatis; et sic ipsa natura neque erit subsistens in se, neque erit in aliquo subsistente; et sic non habebit esse in re, sed in intellectu; et sic non conveniet ei neque assumere, neque aliquid agere. Alio modo potest intelligi quod circumscribantur personae distinctae quas fides ponit. Eis autem circumscriptis adhuc remaneret divina natura subsistens, sicut Deum intelligunt qui non habent fidem Trinitatis, sine hoc quod intelligant ibi patrem vel filium vel spiritum sanctum; unde adhuc remanebit ibi personalitas aliqua; et secundum hoc quaestio procedit de circumscriptione personarum distinctarum, quas fides supponit; et hoc modo dicendum, quod circumscriptis personis, adhuc divinae naturae conveniet assumere.

Réponse. La mise à part d’une personne par rapport à la nature divine peut s’entendre de deux manières. D’une manière, toute raison de personnalité est mise à part : ainsi, la nature elle-même ne subsistera pas en elle-même et elle ne se trouvera pas en quelque chose qui subsiste. Elle n’aura donc pas ainsi d’existence réelle, mais [une existence] dans l’intellect. Il ne sera donc pas approprié ni qu’elle assume ni qu’elle fasse quelque chose. D’une autre manière, on peut entendre que les personnes divines sont mises à part selon les personnes distinctes que la foi affirme. Or, celles-ci mises à part, la nature divine demeurerait encore subsistante, comme ceux qui n’ont pas la foi en la Trinité entendent Dieu, sans entendre que s’y trouvent le Père, le Fils ou le Saint-Esprit. Il demeurera donc encore là une certaine personnalité. Sous cet aspect, la question vient de la mise à part des personnes distinctes, telles que la foi les suppose. De cette manière, il faut dire que, les personnes étant mises à part, il serait encore approprié que la nature divine assume.

 [8137] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum ergo, secundum et quartum patet solutio: quia procedunt secundum primum intellectum.

1-2 et 4. La réponse au premier, au deuxième et au quatrième argument ressort ainsi clairement, car ils viennent de la première interprétation.

 [8138] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod missio non est de necessitate incarnationis simpliciter, sed de necessitate incarnationis filii; unde supra, distinct. 1, Magister dicit, quod pater potuit incarnari, qui tamen non potest mitti.

3. La mission ne fait pas nécessairement partie de l’incarnation, mais elle fait nécessairement partie de l’incarnation du Fils. C’est ainsi que, plus haut, d. 1, le Maître dit que le Père pouvait s’incarner, alors qu’il ne peut être envoyé.

 

 

Quaestio 3

Question 3 – [Ce qui est assumé]

 

 

Prooemium

Prologue

 [8139] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 pr. Deinde quaeritur de assumpto; et circa hoc quaeruntur tria: 1 utrum natura humana sit assumpta; 2 utrum anima sit persona; 3 utrum persona hominis sit assumpta.

Ensuite, on s’interroge sur ce qui est assumé. À ce propos, on pose trois questions : 1 – La nature humaine a-t-elle été assumée ? 2 – L’âme est-elle unehhh personne ? 3 – La personne de l’homme a-t-elle été assumée ?

 

 

Articulus 1 [8140] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 1 tit. Utrum humana natura sit assumpta

Article 1 – La nature humaine a-t-elle été assumée ?

 [8141] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur, quod humana natura non sit assumpta. Quia, secundum Boetium, natura, prout hic loquimur de ea, est unumquodque informans specifica differentia. Sed differentia specifica est naturam nudam significans: non enim significat eam ut in aliquo. Cum ergo secundum Damascenum, non assumpserit Deus naturam quae in nuda est contemplatione, videtur quod non assumpsit naturam.

1. Il semble que la nature humaine n’ait pas été assumée, car, selon Boèce, « la nature », comme nous en parlons ici, « est tout ce qui confère une forme par une différence spécifique ». Or, la nature spécifique signifie la simple nature : en effet, elle ne la signifie en tant qu’elle existe dans quelque chose. Puisque, selon [Jean] Damascène, Dieu n’a pas assumé la nature qui existe dans la simple contemplation, il semble qu’il n’a pas assumé la nature.

 [8142] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 1 arg. 2 Praeterea, quod assumitur, oportet praeexistere. Sed humana natura non praeextitit unioni: quia simul fuit caro, et Dei verbi caro. Ergo natura non assumitur.

2. Il est nécessaire que ce qui est assumé préexiste. Or, la nature humaine n’a pas préexisté à l’union, car la chair et la chair du Verbe de Dieu ont existé simultanément. La nature n’est donc pas assumée.

 [8143] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 1 arg. 3 Praeterea, natura est idem quod essentia. Sed non potest dici, quod essentiam assumpserit: quia essentia dicitur ab essendo; esse autem personae est, quam non assumpsit. Ergo nec naturam assumpsit.

3. La nature est la même chose que l’essence. Or, on ne peut pas dire qu’il a assumé l’essence, car le mot « essence » vient d’« être », et être est le fait de la personne, qu’il n’a pas assumée. Il n’a donc pas non plus assumé la nature.

 [8144] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 1 arg. 4 Praeterea, natura humana est ipsa humanitas. Sed humanitas non potest esse sine homine. Cum igitur id quod assumptum est, non fuerit homo, ut dicitur in littera, videtur quod nec humanitas, et ita nec humana natura.

4. La nature humaine est l’humanité elle-même. Or, l’humanité ne peut exister sans l’homme. Puisque ce qui a été assumé n’était pas l’homme, comme le dit le texte [du Maître], il semble donc que ce n’ait pas non plus été l’humanité. Ainsi, il n’a pas non plus assumé la nature humaine.

 [8145] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 1 arg. 5 Praeterea, assumptio terminatur ad unionem. Sed humana natura non est unita: quia uniens est unitum; natura autem humana non est filius Dei. Ergo natura humana non est assumpta.

5. L’assomption a comme terme l’union. Or, la nature humaine n’a pas été unie, car celui qui unit est ce qui est uni. Or, la nature humaine n’est pas le Fils de Dieu. La nature humaine n’a donc pas été assumée.

 [8146] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 1 s. c. 1 Sed contra, Augustinus in Lib. de fide ad Petrum: Deus humanam naturam in unitatem personae accepit.

Cependant, [1] Augustin dit dans le livre Sur la foi adressé à Pierre : Dieu a reçu la nature humaine dans l’unité de la personne.

 [8147] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Deus per assumptionem fit homo. Sed non est homo in quo non sit humana natura. Ergo Deus humanam naturam assumpsit.

 [2] Dieu devient homme par l’assomption. Or, il n’existe pas d’homme dans lequel n’existe pas la nature humaine. Dieu a donc assumé la nature humaine.

 [8148] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 1 s. c. 3 Praeterea, Philip. 2, 7: formam servi accipiens, idest naturam.

 [3] Ph 2, 7 dit : En prenant la forme de l’esclave, c’est-à-dire la nature [de l’esclave].

 [8149] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod quicumque confitetur incarnationem, ponit humanam naturam assumptam: et quamvis secundum omnes modos quibus dicitur natura superius positos, possit dici natura assumpta, non oportet discurrere per singula, cum naturam omnes intelligant, qui dicunt naturam humanam assumptam, secundum quod natura significat quidditatem.

Réponse. Quiconque confesse l’incarnation affirme que la nature humaine a été assumée. Bien que, selon toutes les manières de parler de la nature qui ont été exposées plus haut, on puisse dire que la nature a été assumée, il n’est pas nécessaire de discuter de chacune, puisque tous ceux qui disent que la nature humaine a été assumée l’entendent selon que la nature signifie la quiddité.

 [8150] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut genus est quaedam intentio quam intellectus ponit circa formam intellectam; ita etiam differentia, et omnia quae significant secundas intentiones. Tamen huic intentioni intellectae respondet natura quaedam quae est in particularibus; quamvis secundum quod est in particularibus, non habeat rationem generis vel speciei. Secundum hoc dico, quod Boetius non intendit dicere, quod differentia secundum quod accidit ei intentio differentiae, sit natura, sed quantum ad id quod est in re ipsa, scilicet quidditas rei quam differentia complet.

1. De même que le genre est une intention que l’intellect applique à une forme intelligée, de même la différence l’est-elle, et tout ce qui signifie les intentions secondes. Toutefois, à cette intention intelligée correspond une nature qui existe dans les choses particulières, bien que, selon qu’elle existe dans les choses particulières, elle n’ait pas la raison de genre ou d’espèce. Je dis ainsi que Boèce n’entend pas dire que la différence, selon que lui est appliquée l’intention de la différence, est la nature, mais selon qu’elle existe dans la chose elle-même, c’est-à-dire la quiddité de la chose que la différence complète.

 [8151] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis non praeexistat tempore, praeexistit tamen secundum modum intelligendi; et hoc sufficit.

2. Bien qu’elle ne préexiste pas dans le temps, elle préexiste cependant selon la manière d’intelliger, et cela suffit.

 [8152] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod essentia non habet se ad esse sicut consequens ipsum, sed sicut id per quod est esse, sicut et natura; unde similiter concedo quod assumpsit essentiam sicut assumpsit naturam, quamvis non assumpserit suppositum.

3. Le rapport de l’essence à l’être ne consiste pas en ce qu’elle en découle, mais en ce qu’elle est ce par quoi existe l’être, de même que la nature. Je concède donc aussi qu’il a assumé l’essence comme il assumé la nature, bien qu’il n’ait pas assumé le suppôt.

 [8153] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis humanitas non sit sine homine, tamen est prius naturaliter quam homo, quia per eam dicitur aliquis esse homo; unde est eadem ratio sicut de essentia.

4. Bien que l’humanité n’existe pas sans l’homme, elle est cependant naturellement antérieure à l’homme, car c’est par elle qu’on dit que l’homme est. Il en va donc de même que pour l’essence.

 [8154] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quamvis natura humana non sit unita, idest facta unum simpliciter, cum divina; est tamen ei unita in aliquo, id est in persona.

5. Bien que la nature humaine n’ait pas été unie, c’est-à-dire qu’elle ne soit pas devenue une seule chose avec la nature divine, elle lui a cependant été unie en quelqu’un, à savoir dans la personne.

 

 

Articulus 2 [8155] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 2 tit. Utrum anima separata sit persona

Article 2 – L’âme séparée est-elle une personne ?

 [8156] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod anima separata sit persona. Persona enim, secundum Boetium, est rationalis naturae individua substantia. Sed hoc convenit animae separatae. Ergo est persona.

1. Il semble que l’âme séparée soit une personne. En effet, selon Boèce, « la personne est la substance individuelle de nature raisonnable ». Or, cela convient à l’âme séparée. Elle est donc une personne.

 [8157] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 2 arg. 2 Praeterea, propter quod unumquodque tale, et illud magis. Sed homo dicitur persona propter animam: unde quae carent anima, non dicuntur personae. Ergo anima separata est persona.

2. Ce par quoi toute chose est ce qu’elle est est encore davantage. Or, l’homme est appelé une personne en raison de son âme ; aussi les réalités à qui l’âme fait défaut ne sont-elles pas appelées des personnes. L’âme séparée est donc une personne.

 [8158] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 2 arg. 3 Praeterea, conceditur quod anima rationalis est hoc aliquid. Sed hoc aliquid in natura rationali est persona. Ergo anima separata est persona.

3. On concède que l’âme raisonnable est telle chose. Or, telle chose dans une nature raisonnable est une personne. L’âme séparée est donc une personne.

 [8159] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 2 arg. 4 Praeterea, Angelus et anima separata non videntur differre nisi per hoc quod anima est unibilis. Sed unibilitas non impedit rationem personae. Ergo cum Angelus sit persona, etiam anima separata erit persona. Probatio mediae. Id quod potest fieri per divinam virtutem, non immutat aliquid de ratione rei; sicut quod Deus possit assumere aliquem hominem, ut Petrum, non aufert Petro rationem personalitatis. Sed anima separata non potest uniri corpori nisi per resurrectionem, quae non erit naturalis, sed per divinam virtutem tantum. Ergo anima propter unibilitatem rationem personae non amittit.

4. L’ange et l’âme séparée ne semblent diffèrer que par le fait que l’âme est apte à être unie. Or, l’aptitude à l’union n’empêche pas la raison de personne. Puisque l’ange est une personne, l’âme séparée aussi sera une personne. Démonstration de la mineure. Ce qui peut être accompli par la puissance divine n’enlève rien à la raison d’une chose, comme le fait pour Dieu de pouvoir assumer un homme, ainsi Pierre, n’enlève pas à Pierre la raison de personnalité. Or, l’âme séparée ne peut être unie au corps que par la résurrection, qui ne sera pas naturelle, mais sera accomplie par la puissance divine seulement. En raison de son aptitude à l’union, l’âme ne perd donc pas la raison de personne.

 [8160] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 2 arg. 5 Praeterea, sola unibilitas qua aliquid potest uniri nobiliori, tollit rationem personae; alias verbum non haberet ab aeterno rationem personae. Sed unibilitas quae est in anima separata, non est respectu alicujus dignioris, immo minus nobilis. Ergo propter hoc non perdit rationem personae.

5. Seule l’aptitude à l’union, par laquelle une chose peut être unie à quelque chose de plus noble, enlève la raison de personne, autrement le Verbe ne posséderait pas éternellement la raison de personne. Or, l’aptitude à l’union qui existe dans l’âme séparée n’est pas en rapport avec quelque chose de plus digne, mais plutôt avec quelque chose de moins noble. Elle ne perd donc pas pour cela la raison de personne.

 [8161] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 2 s. c. 1 Sed contra, nulla forma est persona. Sed anima est forma. Ergo non est persona.

Cependant, [1] aucune forme n’est une personne. Or, l’âme est une forme. Elle n’est donc pas une personne.

 [8162] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 2 s. c. 2 Praeterea, persona habet rationem completi et totius. Sed anima est pars. Ergo anima non habet rationem personae.

 [2] La personne possède la raison d’achevé et de tout. Or, l’âme est une partie. L’âme n’a donc pas la raison de personne.

 [8163] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod de unione animae ad corpus apud antiquos duplex fuit opinio. Una quod anima unitur corpori sicut ens completum enti completo, ut esset in corpore sicut nauta in navi: unde, sicut dicit Gregorius Nyssenus, Plato posuit quod homo non est aliquid constitutum ex corpore et anima, sed est anima corpore induta: et secundum hoc tota personalitas hominis consisteret in anima, adeo quod anima separata posset dici homo vere, ut dicit Hugo de s. Victore: et secundum hanc opinionem esset verum quod Magister dicit, quod anima est persona quando est separata. Sed haec opinio non potest stare: quia sic corpus animae accidentaliter adveniret: unde hoc nomen homo, de cujus intellectu est anima et corpus, non significaret unum per se, sed per accidens; et ita non esset in genere substantiae. Alia est opinio Aristotelis quam omnes moderni sequuntur, quod anima unitur corpori sicut forma materiae: unde anima est pars humanae naturae, et non natura quaedam per se: et quia ratio partis contrariatur rationi personae, ut dictum est, ideo anima separata non potest dici persona: quia quamvis separata non sit pars actu, tamen habet naturam ut sit pars.

Réponse. Chez les anciens, une double opinion sur l’union de l’âme au corps a existé. L’une était que l’âme est unie au corps comme comme quelque chose de complet à une être complet, de sorte qu’elle serait dans le corps comme un marin dans un navire. Comme le dit Grégoire de Nysse, Platon affirmait que l’homme n’est pas quelque chose qui est constitué d’un corps et d’une âme, mais qu’il est une âme revêtue d’un corps. Toute la personnalité de l’homme consisterait ainsi dans l’âme, au point où l’âme séparée pourrait être appelée véritablement un homme, comme le dit Hugues de Saint-Victor. Selon cette opinion, ce que dit le Maître serait donc vrai : l’âme est une personne lorsqu’elle est séparée. Mais cette opinion ne peut être tenue, car ainsi le corps adviendrait à l’âme de manière accidentelle. Ce mot « homme », que l’on comprend être une âme et un corps, ne signifierait donc pas quelque chose d’un par soi, mais par accident. Il ne ferait donc pas partie du genre de la substance. L’opinion d’Aristote, suivie par tous les modernes, est différente : l’âme est unie au corps comme une forme à sa matière. L’âme est donc une partie de la nature humaine, et non pas une nature par elle-même. Et parce que la raison de partie s’oppose à la raison de personne, comme on l’a dit, l’âme séparée ne peut donc être appelée une personne, car, bien que l’âme séparée ne soit pas une partie en acte, elle est cependant une partie par nature.

 [8164] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod anima separata, proprie loquendo, non est substantia alicujus naturae, sed est pars naturae.

1. À proprement parler, l’âme séparée n’est pas la substance d’une nature, mais elle est une partie d’une nature.

 [8165] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non tantum ab anima habet homo quod sit persona, sed ex ea et corpore; cum ex utrisque subsistat.

2. L’homme ne tient pas seulement de l’âme d’être une personne, mais d’elle et du corps, puisqu’il subsiste par les deux.

 [8166] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod anima rationalis dicitur hoc aliquid per modum quo esse subsistens est hoc aliquid, etiam si habeat naturam partis; sed ad rationem personae exigitur ulterius quod sit totum et completum.

3. On dit que l’âme raisonnable est telle chose, à la manière d’une être subsistant, même si elle a la nature de partie ; mais, il est requis pour la raison de personne qu’elle soit quelque chose d’entier et de complet.

 [8167] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis unio animae separatae ad carnem non possit fieri nisi per virtutem supernaturalem, tamen in ea est naturalis aptitudo ad hoc: et quod non potest unio compleri per virtutem naturalem, est ex defectu corporis, non ex defectu animae.

4. Bien que l’union de l’âme séparée à la chair ne puisse être réalisée que par une puissance surnaturelle, il existe cependant en elle une aptitude naturelle à cela. Que l’union ne puisse être réalisée par une puissance naturelle, cela vient d’une carence du corps, et non d’une carence de l’âme.

 [8168] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quamvis anima sit dignior corpore, tamen unitur ei ut pars totius hominis, quod quodammodo est dignius anima, inquantum est completius.

5. Bien que l’âme soit plus digne que le corps, elle lui est cependant unie comme une partie de l’homme tout entier, ce qui est d’une certaine manière plus digne que l’âme, pour autant que cela est plus complet.

Articulus 3 [8169] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 3 tit. Utrum persona sit assumpta

Article 3 – La personne a-t-elle été assumée ?

 [8170] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod persona hominis sit assumpta. Damascenus enim dicit, quod Deus assumpsit humanam naturam in atomo, idest in individuo. Sed humana natura in individuo, est natura in persona. Ergo assumpsit naturam in persona.

1. Il semble que la personne de l’homme ait été assumée. En effet, [Jean] Damascène dit que « Dieu a assumé la nature humaine dans quelque chose d’indivis » (atomo), c’est-à-dire dans un individu. Or, la nature humaine dans l’individu est une nature dans une personne. Il a donc assumé la nature dans la personne.

 [8171] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 3 arg. 2 Praeterea, Christus non est similis matri nisi in hoc quod accepit a matre. Sed est similis matri quantum ad personam: unde dicit Cassianus, quod Christus propter personarum diversitatem reddidit utrique parenti similitudinem, scilicet patri et matri. Ergo assumpsit personam.

2. Le Christ n’est semblable à sa mère que pour ce qu’il a reçu de sa mère. Or, il est semblable à sa mère pour ce qui est de la personne ; c’est ainsi que Cassien dit que le Christ, en raison de la diversité des personnes, a manifesté une similitude à ses deux parents, à son Père et à sa mère. Il a donc assumé la personne.

 [8172] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 3 arg. 3 Praeterea, ponatur quod Christus deponat hoc quod assumpsit: constat quod Jesus erit quidam homo, et persona. Sed ex separatione nihil acquisitum est ei quod prius non haberet; nec habuit aliquid ex parte humanitatis nisi assumptum. Ergo assumpsit personam.

3. À supposer que le Christ se sépare de ce qu’il a assumé, il est clair que Jésus sera un homme et une personne. Or, par la séparation, il n’a rien reçu qu’il n’ait d’abord possédé, et il n’a rien reçu du point de vue de l’humanité que ce qui a été assumé. Il a donc assumé la personne.

 [8173] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 3 arg. 4 Praeterea, non consumitur nisi quod est. Sed dicit Innocentius quartus in decretali, quod persona consumpsit personam. Ergo natura humana habuit personalitatem propriam. Sed non ante assumptionem, quia non fuit ante. Ergo in ipsa assumptione habuit personalitatem propriam: ergo persona fuit assumpta.

4. N’est consumé que ce qui existe. Or, Innocent IV dit dans une décrétale que « la personne a consumé la personne ». La nature humaine avait donc une personnalité propre. Or, ce n’était pas avant l’assomption, car elle n’existait pas auparavant. Elle a donc eu une personnalité propre dans l’assomption même. La personne a donc été assumée.

 [8174] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 3 s. c. 1 Sed contra, Augustinus dicit, quod verbum non accepit personam hominis, sed naturam.

Cependant, [1] Augustin dit que le Verbe n’a pas reçu la personne de l’homme, mais sa nature.

 [8175] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 3 s. c. 2 Praeterea, quod assumitur, aliquo modo unitur. Sed persona non unitur personae: quia sic essent duae personae, quod esse non potest, ut supra dictum est, quaest. 1, art. 5: vel una composita ex duabus, quod etiam est impossibile, cum persona pars esse non possit. Ergo persona non est assumpta.

 [2] Ce qui est assumé est uni d’une certaine manière. Or, la personne n’est pas unie à la personne, car il y aurait ainsi deux personnes, ce qui ne peut être le cas, comme on l’a dit plus haut, q. 1, a. 5 ; ou il y aurait une seule personne composée des deux, ce qui est aussi impossible, puisque la personne ne peut être une partie. La personne n’a donc pas été assumée.

 [8176] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod, sicut supra dictum est, quaest. 1, art. 1, quaestiunc. 3, assumens non est assumptum: unde si persona Dei assumpsisset personam hominis, persona Dei non esset persona hominis; et sic essent duae personae, quod est haereticum: unde non conceditur quod persona sit assumpta: et etiam quod assumitur, trahitur ad aliquod completius, ipsum incompletum existens, ut patet ex praedictis, et hoc est contra rationem personae, quae maximam completionem importat.

Réponse. Comme on l’a dit plus haut, q. 1, a. 1, qa 3, ce qui assume n’est pas assumé. Si une personne de Dieu avait assumé la personne d’un homme, la personne ne Dieu ne serait pas la personne de l’homme. Il y aurait donc ainsi deux personnes, ce qui est hérétique. On ne concède donc pas que la personne a été assumée, et aussi ce qui est assumé est attiré à quelque chose de plus complet, alors qu’il est lui-même incomplet, comme cela ressort de ce qui a été dit. Et cela est contraire à la raison de personne, qui est ce qu’il y a de plus complet.

 [8177] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod humana natura non praeexistit ante unionem; sed postquam unita est, fuit in atomo, vel persona verbi.

1. La nature humaine n’a pas préexisté à l’union ; mais, après avoir été unie, elle a existé dans quelque chose d’indivis (atomo), la personne du Verbe.

 [8178] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod hoc quod dicit: propter personarum diversitatem, non est referendum ad Christum, sed ad parentes; quia diversae sunt personae patris et matris ejus.

2. Ce qu’il dit : « En raison de la diversité des personnes », ne doit pas être mis en rapport avec le Christ, mais avec ses parents, car les personnes de son Père et de sa mère sont différentes.

 [8179] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod separatio dat utrique partium totalitatem, et in continuis dat etiam utrique esse in actu: unde supposito quod hominem deponeret, subsisteret homo ille per se in natura rationali, et ex hoc ipso acciperet rationem personae.

3. La séparation confère à chacune des parties une totalité et, dans les réalités continues, elle donne même à chacune des deux l’être en acte. À supposer qu’il se séparerait de l’homme, cet homme subsisterait par soi dans sa nature raisonnable, et il recevrait de cela même la raison de personne.

 [8180] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod consumere dicitur proprie destruere quod extitit; et secundum hoc persona consumpsisset personam, si persona verbi assumpsisset hominem primo existentem. Sed improprie dicitur etiam consumi quod impeditur ne fiat. Et quia persona divina, quae assumpsit humanam naturam impedit quod natura humana habeat propriam personalitatem, ideo dicitur consumpsisse personam, quamvis improprie: unde non est ex hoc extendendum.

4. Consumer veut dire, au sens propre, détruire ce qui existait. Ainsi, la personne consumerait une personne, si la personne du Verbe assumait un homme qui existait déjà. Mais on dit en un sens impropre que ce qui est empêché d’être est consumé. Et parce que la personne divine, qui a assumé la nature humaine, empêche que la nature humaine n’ait sa personnalité propre, on dit, bien qu’improprement, qu’elle a consumé la personne [humaine]. Il ne faut donc pas étendre la portée de cela.

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 5

 [8181] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 3 expos. Nec divinitas (inquit) Christi, aliena est a natura patris, nec humanitas a natura matris. Contra. Christus communicat cum patre in una natura numero, cum matre vero non. Ergo non est recta similitudo. Dicendum, quod non oportet quod sit similitudo quantum ad omnia, sed sufficit quod sit quantum ad aliquid. Cum (inquit) de Christo audis, quia in forma Dei erat, oportet agnoscere firmissimeque tenere, in illo formae nomine naturalem plenitudinem debere intelligi. Sciendum, quod natura divina dicitur forma, non quod sit actus alicujus naturae, sed quia non habet partem sui naturam, nec aliquid potentialitatis in ipsa est. Natura vero humana dicitur forma, non quia comprehendit principia tantum formalia (comprehendit enim et formam et materiam), sed per modum quo quidditas compositi dicitur forma totius. Solum verbum carnem Trinitas fecit. Pars ponitur hic pro toto, quia caro pro homine: et ponit infirmiorem, de qua minus videtur, ut totam naturam nostram videatur assumpsisse, et etiam defectus humanae naturae quos decuit. Omnem et perfectam naturam divinitatis. Contra. Omnis signum distributivum est. Sed natura divina est indivisa. Dicendum, quod omnis ponitur pro toto, secundum quod totum dicitur cui nihil deest, et non ex parte illa quo totum comparatur ad partes, quia natura divina non habet partes. Ideoque non sic dicitur divina natura esse homo, sicut Dei filius. Contra. De quocumque praedicatur filius Dei, praedicatur homo. Sed natura divina est filius Dei. Ergo est homo. Dicendum, quod differentia est inter nomina substantiva et adjectiva. Substantiva enim significant non tantum formam, sed etiam suppositum formae, unde possunt praedicari ratione utriusque; et quando praedicantur ratione suppositi, dicitur praedicatio per identitatem; quando autem ratione formae, dicitur per denominationem, sive informationem: et haec est magis propria praedicatio, quia termini in praedicato tenentur formaliter. Adjectiva autem tantum significant formam; et ideo non possunt praedicari, nisi per informationem: unde haec est falsa: essentia est generans; quamvis haec sit vera: essentia est pater. Cum igitur dicitur, filius Dei est homo, est praedicatio per informationem et identitatem; cum vero dicitur: essentia divina est homo, est praedicatio per identitatem, quia est idem secundum rem cum supposito hominis; non autem per informationem, quia natura divina non significatur ut suppositum subsistens in humana natura. Et ideo dicit Magister, quod non est una vera sicut alia; sed nec tamen dicit eam simpliciter esse falsam.

 

 

 

Distinctio 6

Distinction 6 – [Les conditions du Dieu incarné]

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [Ce qui convient au Dieu incarné]

Prooemium

Prologue

 [8182] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 pr. Postquam Magister determinavit de incarnatione Dei, hic determinare incipit conditiones Dei incarnati. Dividitur autem haec pars in duas: in prima determinat de his quae conveniunt Deo incarnato ratione unionis; in secunda de his quae pertinent ad naturam assumptam absolute, dist. 13, ibi: praeterea sciendum est. De his enim quae absolute pertinent ad divinam naturam, determinatum est in 1 Lib. Prima autem pars dividitur in duas: primo determinat de his quae dicuntur de Deo incarnato, exprimentia ipsam unionem, sicut quod dicitur: Deus est homo, vel factus est homo; in secunda determinat de his quae conveniunt ei consequenter ad unionem, dist. 8, ibi: post praedicta, inquiri debet, utrum de natura divina concedendum sit quod de virgine sit nata. Prima dividitur in tres partes: in prima movet quaestionem de locutionibus exprimentibus unionem; in secunda ponit diversas opiniones de modo unionis, ibi: alii enim dicunt; in tertia ostendit quomodo intelliguntur diversimode praedictae locutiones secundum diversas opiniones, dist. 7, ibi: secundum primam vero dicitur Deus factus homo, et homo factus Deus. Alii enim dicunt in ipsa verbi incarnatione hominem quemdam ex anima rationali et humana carne constitutum. Hic ponit opiniones, et dividitur in tres partes secundum tres opiniones quas ponit; secunda incipit ibi: sunt autem alii qui istis in parte consentiunt; tertia ibi: sunt etiam alii qui in incarnatione verbi non solum personam ex naturis compositam negant, verum etiam hominem aliquem, sive etiam aliquam substantiam ibi ex anima et carne compositam vel factam diffitentur. Quaelibet autem trium partium dividitur in duas partes, in opinionem et confirmationem. Confirmatio primae opinionis incipit ibi: et ne de suo sensu tantum loqui putentur, hanc sententiam pluribus muniunt testimoniis; secunda autem ibi: de hoc Augustinus in libro sententiarum prosperi ait. Confirmatio autem tertii ibi: ne autem et isti de suo sensu influere videantur, testimoniis in medium productis quod dicunt confirmant. Ad evidentiam autem eorum quae dicuntur, oportet primo tria videre. Primo in quo istae tres opiniones conveniant. Secundo in quo una harum opinionem ab alia differat. Tertio quid unaquaeque ponat. In quo tres illae opiniones conveniant. Quantum ad primum sciendum, quod istae opiniones conveniunt in quatuor: primo, quia quaelibet harum ponit unam personam in Christo, scilicet divinam, per quod recedunt ab haeresi Nestorii: secundo ponunt in Christo duas naturas, et tres substantias, scilicet divinitatem, animam, et corpus, ex quibus duobus dicunt constare naturam humanam, et per hoc recedunt ab errore Eutychetis, qui posuit unam naturam in Christo: tertio has duas substantias in quibus humana natura consistit, dicunt assumptas a verbo, per quod recedunt ab errore Manichaei, qui negabat carnis assumptionem. Quarto, quod hoc quod assumptum est, non praeexistit ante unionem tempore, sed natura solum; per quod evadunt errorem quem tangit Damascenus dicentium, quod primo assumpserit intellectum, et ex tunc fuisse hominem; postea autem assumpsisse carnem in utero virginis: quod videtur esse error Origenis, qui ponebat animas creatas ante corpora. In quo una harum opinionum ab alia differat. Quantum vero ad secundum, scilicet differentiam harum opinionum, sciendum est, quod cum in Christo sint tres substantiae, invenitur duplex comparatio harum substantiarum: una animae et corporis ad invicem, secundum quod in eis consistit humana natura; altera vero harum duarum ad personam divinam, secundum quod illa assumpsit has duas. Et quaelibet harum opinionum differt ab altera quantum ad utramque comparationem. Differt autem tertia opinio a primis duabus quantum ad comparationem animae et corporis: quia primae duae opiniones ponunt aliquid compositum ex anima et corpore, quod est assumptum: tertia vero ponit has duas substantias esse divisas ad invicem, et sine aliqua compositione a persona verbi assumptas esse; unde cum dicitur natura humana assumpta a verbo, sumit naturam humanam materialiter, idest partes humanae naturae, sicut partes domus dicuntur domus. Differt autem a primis duabus quantum ad comparationem harum duarum substantiarum ad tertiam: quia ponit has duas substantias conjunctas verbo accidentaliter, sicut vestis conjungitur homini, et sicut Angelus assumit corpus, ut in eo videatur; primae vero duae opiniones dicunt, non accidentaliter sed substantialiter quantum ad esse personale verbo conjunctas esse. Similiter etiam secunda opinio differt a prima secundum has duas comparationes. Quantum enim ad comparationem animae et corporis differunt in hoc quod cum utraque ponit animam et corpus praeexistere secundum intellectum ad unionem, et ex eis conjunctis effici aliquod unum, non uniusmodi unum ex his conjunctis constitui dicit utraque: ex conjunctione enim animae ad corpus resultat et hic homo et humanitas. Et haec duo qualiter differant, patere potest ex praedictis in praecedenti dist.: quia hic homo dicit quid subsistens in natura humana, humanitas autem colligit tantum ea in sua significatione ex quibus homo habet quod sit homo. Prima ergo opinio dicit, quod illud unum constitutum ex anima et corpore quod praeintelligitur unioni et assumitur est hic homo. Secunda vero dicit quod hoc quod sit humanitas, et hoc quod sit hic homo non habet ex conjunctione animae ad corpus, sed ex conjunctione utriusque ad divinam personam, quae subsistit in eis. Differunt etiam quantum ad secundam comparationem utriusque substantiae ad divinam personam. Nam secunda opinio dicit, quod istae duae substantiae assumptae ita conjunguntur divinae personae quod pertinent ad personalitatem ipsius: adeo quod sicut persona verbi ante incarnationem subsistebat in natura divina; ita post incarnationem subsistit in humana et divina; et ideo ante incarnationem erat simplex, sed post est composita. Prima vero opinio dicit, quod illa substantia composita ex anima et corpore non pertinet ad personalitatem verbi; ita quod in ea persona verbi subsistat; sed per assumptionem factum est ut persona verbi esset illa substantia composita ex anima et corpore, et e converso; unde persona verbi sicut fuit simplex ante incarnationem, ita est et simplex post incarnationem. Quid unaquaeque harum opinionum ponat. Quantum ad tertium autem, scilicet ad positiones quas quaelibet opinio ponit, sciendum est quod prima opinio ex hoc quod ponit duas substantias, scilicet animam et corpus, secundum quod praeintelliguntur unioni, esse conjunctas ad constituendum hominem, oportet quod primo ponat hominem assumptum; secundo quod homo non significet nisi compositum ex duabus substantiis, scilicet anima et corpore, non autem deitate. Et quia hic homo est suppositum vel hypostasis; ideo ponit tertio in Christo esse duo supposita: unum creatum quod est homo, et alterum increatum, quod est filius Dei; et similiter duas hypostases. Et quia suppositum praedicatur in recto, non in obliquo, sicut natura (Socrates enim est suppositum humanae naturae); ideo quarto dicit, quod Christus est neutraliter duo; unus tamen masculine, propter unitatem personae. Et quia dicit hominem assumptum, et filius Dei est homo; ideo dicit quinto, quod assumens est assumptum. Et quia in Christo dicit duo supposita; ideo dicit sexto, quod supposito filio Dei non supponitur hic homo, quamvis hic homo sit filius Dei, sicut supposita essentia non supponitur pater, quamvis essentia sit pater. Et quia hic homo non supponit suppositum aeternum; ideo dicit septimo, quod sicut Deus factus est homo, ita homo factus est Deus: quod non posset dici si supponeret suppositum aeternum, quia suppositum aeternum non incipit esse Deus. Et quia proprietates aeternae non determinant suppositum temporale, nec e converso; ideo dicit octavo, quod omnia nomina adjectiva quae significant aliquid aeternum, non possunt dici de filio virginis nisi cum implicatione; ut si dicatur: filius virginis est aeternus; idest est ille qui est aeternus: et similiter adjectiva quae significant aliquod temporale, non possunt dici proprie de filio Dei. Substantiva autem hinc inde praedicantur propter unionem; sicut et adjectiva personalia non dicuntur de essentia, quamvis substantiva dicantur de ea. Secunda vero opinio, quia ponit, quod humana natura, quae est assumptum, non significat quid subsistens, sed potius in ea subsistit divina persona per unionem; ideo primo dicit, hominem (quod significat per modum subsistentis), non esse assumptum, sed humanam naturam. Et quia hypostasis vel suppositum, dicit aliquid per se subsistens, ideo secundo non ponit in Christo nisi unum suppositum vel hypostasim. Et per consequens ponit tertio, quod Christus est unum tantum, et non solum unus. Et quia humana natura non substantificatur, ut subsistat, nisi per unionem ad divinam personam; ideo homo, qui significat per modum subsistentis, non solum dicit naturam et corpus, sed etiam divinitatem. Et haec est quarta positio. Et quia divina persona, quae ante incarnationem subsistebat in una natura, post illam subsistit in duabus naturis et tribus substantiis; ideo quinto dicit, quod persona verbi ante incarnationem fuit simplex, sed post incarnationem est composita. Et quia est unum suppositum quod subsistit in duabus naturis; ideo sexto ponit, quod de illo supposito proprie dici possunt adjectiva significantia proprietates utriusque naturae, sive denominetur per unam naturam, sive per aliam; unde secundum eos proprie dicitur: iste puer est aeternus; et Deus est passus. Tertia vero opinio, quia negat unionem animae ad carnem in Christo, ideo primo ponit, quod homo non praedicat de Christo aliquid compositum ex anima et corpore, sed partes humanae naturae; ut sit sensus: homo est; idest habet animam et corpus sibi unita accidentaliter. Et ideo ponit secundo, quod homo praedicatur de Christo accidentaliter, non in quid, sed in quomodo se habens; ut cum dicitur homo indutus. Et ideo tertio ponit, quod duae substantiae non pertinent ad personalitatem filii Dei, sed extrinsecus se habent ad ipsam. Et multa alia ex his opinionibus sequuntur, si quis radicem opinionum consideret. Ex praedictis autem patet quod quaelibet harum duarum opinionum convenit cum alia in aliquo in quo differt a tertia. Primae enim duae opiniones conveniunt in hoc quod utraque ponit, quod homo de Christo praedicatur in quid; in quo differunt a tertia quae hoc negat. Similiter tertia convenit cum secunda in hoc quod in Christo non sunt duo supposita, quamvis differenter: quia secunda ponit, quod supponitur utrique naturae substantialiter; tertia vero quod divinae substantialiter, et humanae accidentaliter, sicut album et homo non est aliud et aliud suppositum; sed idem quod supponit homo, copulat album: in quo differunt a prima, quae ponit in Christo duo supposita. Similiter etiam prima et tertia conveniunt in hoc quod humana natura non pertinet ad personalitatem divinae personae, quamvis differenter: quia prima ponit, quod substantificatur per se; tertia autem quod nullo modo; unde utraque ponit, quod divina persona sicut fuit simplex ante incarnationem, ita est simplex post incarnationem; in quo differunt a secunda. His visis, circa veritatem harum opinionum est triplex quaestio. Prima de his quae dicit prima opinio. Secunda de his quae dicit secunda. Tertia de his quae dicit tertia. Circa primam quaestionem quaeruntur tria: 1 utrum in Christo sint duae hypostases; 2 utrum homo sit assumptus; 3 utrum homo significet substantiam compositam ex duabus substantiis tantum.

Après avoir déterminé de l’incarnation de Dieu, le Maître commence ici à déterminer des conditions du Dieu incarné. Cette partie se divise en deux parties : dans la permière, il détermine de ce qui convient au Dieu incarné en raison de l’union ; dans la seconde, de ce qui appartient à la nature assumée de manière absolue, d. 13, à cet endroit : « De plus, il faut savoir… » De ce qui appartient à la nature divine de manière absolue, il a été déterminé dans le livre I. La première partie se divise en deux : premièrement, il détermine de ce qu’on dit du Dieu incarné, qui exprime l’union elle-même, comme lorsqu’on dit : « Dieu est homme » ou « [Dieu] s’est fait homme » ; dans la seconde, il détermine de ce qui lui convient en conséquence de l’union, d. 8, à cet endroit : « Après ce qui a été dit, on doit se demander si on doit concéder que la nature divine est née de la Vierge. » La première partie se divise en trois parties. Dans la première, il soulève une questions à propos des formules qui expriment l’union. Dans la deuxième, il présente diverses opinions à propos du mode de l’union, à cet endroit : « En effet, d’autres disent… » Dans la troisième, il montre comment les formules rappelées s’entendent de diverses manières selon les diverses opinions, d. 7, à cet endroit : « Selon la première opinion, on dit vraiment que Dieu s’est fait homme et que l’homme est devenu Dieu. » « En effet, d’autres disent que, dans l’incarnation même du Verbe, un homme a été formé d’une âme raisonnable et d’une chair humaine. » Ici, il présente les opinions, et cela se divise en trois parties selon les trois opinions qu’il présente. La deuxième partie début en cet endroit : « Mais il y en d’autres qui sont partiellement d’accord avec cela. » La troisième partie [débute] à cet endroit : « Il y en a aussi d’autres qui, dans l’incarnation du Verbe, non seulement nient que la personne est composée de natures, mais qu’elle est aussi un homme, ou encore qui récusent qu’une substance y ait été composée ou faite d’âme et de chair. » Chacune de ces trois parties se divise en deux parties : une opinion et sa confirmation. La confirmation de la première opinion débute à cet endroit : « De crainte qu’on ne croie qu’ils parlent selon leur propre opinion, ils appuient cette position sur plusieurs témoignages. » La [confirmation] de la deuxième opinion [début] à cet endroit : « À ce propos, dans le livre sur Les positions de Prospère, Augustin dit. » La confirmation de la troisième [opinion débute] à cet endroit : « Mais de crainte que ceux-ci ne paraissent être portés par leur propre opinion, ils confirment ce qu’ils disent par des témoignages ouvertement invoqués. » Mais, pour mettre en lumière ce qui est dit, il faut d’abord voir trois choses. Premièrement, [il faut voir] ce sur quoi ces trois opinions sont d’accord. Deuxièmement, en quoi une de ces opinions diffère d’une autre. Troisièmement, ce qu’affirme chacune d’elles. En quoi ces trois opinions sont-elles d’accord ? À propos de ce premier point, il faut savoir que ces opinions sont d’accord sur quatre points. Premièrement, chacune d’elles affirme une seule personne dans le Christ, à savoir, une personne divine, par quoi elles s’éloignent de l’hérésie de Nestorius. Deuxièmement, elles affirment qu’il existe deux natures et trois substances dans le Christ : la divinité, l’âme et le corps, ces deux derniers formant la nature humaine. En cela, ils s’éloignent de l’erreur d’Eutychès, qui affirmait une seule nature dans le Christ. Troisièmement, ils disent que les deux substances en lesquelles consiste la nature humaine ont été assumées par le Verbe, en quoi ils s’éloignent de l’erreur de Mani, qui niait l’assomption de la chair. Quatrièmement, ils disent que ce qui a été assumé n’a pas préexisté à l’union dans le temps, mais par nature seulement : en cela, ils échappent à l’erreur de ceux qui, selon [Jean] Damascène, disaient qu’il avait d’abord assumé l’intellect, puis, à partir de là, qu’il était devenu homme, et qu’ensuite, il aurait assumé la chair dans le sein de la Vierge, ce qui semble être l’erreur d’Origène, qui affirmait que les âmes ont été créées avant les corps. En quoi l’une de ces opinions diffère-t-elle d’une autre ? À propos de la différence entre ces opinions, il faut savoir que, puisqu’il existe trois substances dans le Christ, on trouve une double comparaison entre ces substances : l’une, entre l’âme et le corps réciproquement, selon que la nature humaine consiste en eux ; l’autre, entre ces deux [substances] et la personne divine, selon qu’elle a assumé ces deux [substances]. Et chacune de ces opinions diffère d’une autre selon les deux comparaisons. Mais la troisième opinion diffère des deux premières à propos de la comparaison entre l’âme et le corps, car les deux premières opinions affirment quelque chose de composé d’âme et de corps, qui est assumé ; mais la troisième affirme que ces deux substances sont divisées l’une de l’autre et qu’elles ont été assumées par la personne du Verbe sans composition. Aussi, lorsqu’on dit que la nature humaine a été assumée par le Verbe, elle entend la nature humaine de manière matérielle, c’est-à-dire les parties de la nature humaine, comme les parties d’une maison sont appelées une maison. Mais elle diffère des deux premières [opinions] à propos de la comparaison entre ces deux substances et la troisième, car elle affirme que ces deux substances sont unies au Verbe de manière accidentelle, comme un vêtement est uni à un homme, et comme un ange assume un corps, de sorte qu’on le voie en lui ; mais les deux premières opinions disent qu’elles ont été unies au Verbe, non pas accidentellement mais substantiellement, selon l’être personnel. De même aussi, la deuxième opinion diffère de la première selon ces deux comparaisons. En effet, à propos de la comparaison entre l’âme et le corps, elles diffèrent en ce que les deux affirment que l’âme et le corps préexistent à l’union selon l’intellect et que, de ces deux unis, quelque chose d’unique est réalisé, mais elle affirme que quelque chose d’unique n’est pas constitué d’une manière unique à partir de l’union de ceux-ci : en effet, de l’union de l’âme et du corps, résultent cet homme et l’humanité. Comment ces deux choses diffèrent, on peut le voir clairement par ce qui a été dit dans la distinction précédente, car « cet homme » signifie quelque qui subsiste dans la nature humaine, mais « l’humanité » ne regroupe dans sa signification que ce dont l’homme tient d’être homme. La première opinion dit donc que cette réalité unique constituée d’une âme et d’un corps, dont on pense qu’elle précède l’union et qui est assumée, est cet homme. Mais la deuxième affirme qu’elle ne tient pas de l’union de l’âme et du corps d’être humanité et d’être cet homme, mais de l’union des deux à la personne divine, qui subsiste en elles. Elles diffèrent aussi à propos de la comparaison des deux substances à la personne divine, car la deuxième opinion dit que ces deux substances assumées sont unies à la personne divine de telle manière qu’elles relèvent de sa personnalité, au point que, de même que la personne du Verbe, avant l’incarnation, subsistait dans la nature divine, de même, après l’incarnation, elle subsiste dans la nature humaine et dans la nature divine. Ainsi, avant l’incarnation, elle était simple, mais, après, elles est composée. Mais la première opinion dit que cette substance composée de l’âme et du corps ne concerne pas la personnalité du Verbe, de telle sorte qu’elle subsiste dans cette personne du Verbe ; mais, par l’assomption, il est arrivé que la personne du Verbe soit cette substance composée d’âme et de corps, et inversement. Ainsi, la personne du Verbe, de même qu’elle était simple avant l’incarnation, de même était-elle simple après l’incarnation. Qu’affirme chacune de ces opinions ? À propos du troisième point, c’est-à-dire les positions que chaque opinion soutient, il faut savoir que la première opinion, du fait qu’elle affirme que deux substances, l’âme et le corps, ont préexisté à l’union, doit d’abord affirmer qu’un homme a été assumé ; deuxièmement, que « homme » signifie seulement le composé de ces deux substances, l’âme et le corps, et non avec la divinité. Et parce que cet homme est un suppôt ou une hypostase, elle affirme donc, en troisième lieu, qu’il existe deux suppôts dans le Christ : l’un créé, qui est l’homme ; l’autre incréé, qui est le Fils de Dieu, et semblablement, deux hypostases. Et parce que le suppôt est prédiqué directement, et non indirectement, comme la nature (en effet, Socrate est le suppôt de la nature humaine), elle dit donc, en quatrième lieu, que le Christ n’est pas deux au neutre, mais qu’il est un au masculin, en raison de l’unité de la personne. Parce qu’elle dit qu’un homme a été assumé et que le Fils de Dieu est un homme, elle dit donc, en cinquième lieu, que celui qui assume est ce qui est assumé. Et parce qu’elle affirme deux suppôts dans le Christ, elle dit donc, en sixième lieu, que cet homme n’est pas le suppôt du suppôt qu’est le Fils de Dieu, bien que cet homme soit le Fils de Dieu, comme le Père n’est pas le suppôt de l’essence, bien que l’essence soit le Père. Et parce que cet homme n’est pas le suppôt d’un suppôt éternel, elle dit donc, en septième lieu, que, de même que Dieu est devenu homme, de même l’homme est devenu Dieu : ce qui ne pourrait être affirmé s’il était le suppôt du suppôt éternel, car un suppôt éternel ne commence pas à être Dieu. Et parce que les propriétés éternelles ne déterminent pas un suppôt temporel, ni inversement, [cette position] dit donc, en huitième lieu, que tous les adjectifs qui signifient quelque chose d’éternel ne peuvent être affirmés du Fils de la Vierge que par implication : ainsi, si l’on dit : « Le Fils de la Vierge est éternel », c’est-à-dire : « Celui qui est éternel » ; de même, les adjectifs qui signifient quelque chose de temporel ne peuvent-ils pas être attribués en propre au Fils de Dieu. Mais les substantifs sont ensuite prédiqués en raison de l’union, de la même manière dont les adjectifs personnels ne sont pas attribués à l’essence, bien que les substantifs soient affirmés d’elle. Mais la seconde opinion, parce qu’elle affirme que la nature humaine, qui est ce qui est assumé, ne signifie pas quelque chose de subsistant, mais plutôt que la personne divine subsiste en elle en raison de l’union, affirme donc, en premier lieu, que l’homme (qui signifie quelque chose de subsistant) n’est pas assumé, mais la nature humaine. Et parce que l’hypostase ou le suppôt signifie quelque chose de subsistant par soi, elle n’affirme en second lieu dans le Christ, qu’un seul suppôt ou hypostase. Par conséquent, en troisième lieu, elle affirme que le Christ est une seule réalité, et non pas seulement qu’il est unique. Et parce que la nature humaine n’est pas donnée comme une substance, de telle sorte qu’elle subsiste, si ce n’est par l’union à la personne divine, le mot « homme », désignant quelque chose qui subsiste, n’exprime pas seulement la nature et le corps, mais aussi la divinité. Telle est la quatrième position. Et parce que la personne divine, qui subsistait en une seule nature avant l’incarnation, subsiste après en deux natures et trois substances, [cette opinion] affirme donc que la personne du Verbe avant l’incarnation était simple, mais qu’elle est composée après l’incarnation. Et parce qu’il n’y a qu’un seul suppôt qui subsiste en deux natures, [cette opinion] affirme donc, en sixième lieu, que les adjectifis signifiant des deux natures peuvent être attribués à ce suppôt, qu’ils tirent leurs noms d’une seule nature ou de l’autre. Selon eux, on peut donc dire au sens propre : « Cet enfant est éternel » et « Dieu a souffert ». Mais la troisième opinion, parce qu’elle nie l’union de l’âme à la chair dans le Christ, affirme donc, en premier lieu, que « homme » n’attribue pas au Christ un composé d’âme et de corps, mais des parties de la nature humaine ; le sens serait donc : «L’homme existe », c’est-à-dire qu’il a une âme et un corps qui lui sont unis accidentellement. [Cette opinion] affirme en deuxième lieu que « homme » est attribué au Christ de manière accidentelle, n’indiquant pas ce qu’est [le Christ], mais comment il est, comme lorsqu’on dit d’un homme qu’il est habillé. C’est pourquoi [cette opinion] affirme, en troisième lieu, que deux substances n’appartiennent pas à la personnalité du Fils de Dieu, mais ont un rapport extrinsèque avec elle. Et beaucoup d’autres choses découlent de ces opinions, si l’on considère la racine des ces opinions. Or, il ressort de ce qui a été dit que deux de ces opinions ont quelque chose en commun avec l’autre, par quoi elles diffèrent de la troisième. En effet, les deux premières opinions se rejoignent dans ce que les deux affirment : « homme » est attribué au Christ selon l’essence ; en cela, elles diffèrent de la troisième qui nie cela. De même, la troisième rejoint la deuxième sur le point qu’il n’y a pas deux suppôts dans le Christ, bien que d’une manière différente, car la deuxième affirme qu’il est le suppôt des deux natures d’une manière substantielle, mais la troisième qu’il l’est d’une manière substantielle pour la nature divine et d’une manière accidentelle pour la nature humaine, comme blanc et homme ne sont pas des suppôts différents, mais le même homme qui est le suppôt est uni au blanc. En cela, elles diffèrent de la première [opinion], qui affirme deux suppôts dans le Christ. De même aussi, la première et la troisième se rejoignent sur le point que la nature humaine n’appartient pas à la personnalité de la personne divine, bien que de manière différente, car la première affirme qu’elle est une substance par elle-même, mais la troisième qu’elle ne l’est d’aucune manière. Les deux affirment donc que la personne divine, de même qu’elle était simple avant l’incarnation, de même est-elle simple après l’incarnation. En cela, elles diffèrent de la deuxième. Après avoir vu cela, il y a trois questions portant sur la vérité de ces opinions : la première porte sur ce que dit la première opinion ; la deuxième, sur ce que dit la deuxième ; la troisième, sur ce que dit la troisième. À propos de la première [opinion], trois questions sont posées : 1 – Y a-t-il deux hypostases dans le Christ ? 2 – L’homme a-t-il été assumé ? 3 – « Homme » signifie-t-il la substance composée de deux substances seulement ?

 

 

Articulus 1 [8183] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 tit. Utrum in Christo sint duae hypostases

Article 1 – Y a-t-il deux hypostases dans le Christ ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Y a-t-il deux hypostases dans le Christ ?]

 [8184] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod in Christo sint duae hypostases. Sicut enim dicit Boetius, omnis substantia particularis secundum proprietatem vocabuli potest dici hypostasis, quamvis secundum usum dicatur tantum de substantiis nobilioribus. Sed in Christo sunt plures substantiae, sicut ab omnibus conceditur, et non sunt universales, sed particulares. Ergo in Christo sunt plures hypostases.

1. Il semble qu’il y ait deux hypostases dans le Christ. En effet, comme le dit Boèce, toute substance particulière peut être appelée une hypostase au sens propre du mot, bien que, selon l’usage, le mot soit utilisé pour les substances plus nobles. Or, dans le Christ, il existe plusieurs substances, comme cela est est concédé par tous, et elles ne sont pas universelles, mais particulières. Il existe donc plusieurs hypostases dans le Christ.

 [8185] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, Christus, secundum quod est homo, est hypostasis quaedam in genere substantiae: quia de quocumque praedicatur species, et genus. Sed hypostasis verbi non est in genere substantiae. Ergo in Christo est alia hypostasis praeter hypostasim verbi; et ita in Christo sunt duae hypostases.

2. Le Christ, en tant qu’homme, est une hypostase du genre de la substance, car le genre est attribué à tout ce à quoi est attribuée l’espèce. Or, l’hypostase du Verbe ne fait pas partie du genre de la substance. Dans le Christ, il existe donc une autre hypostase en plus de l’hypostase du Verbe, et ainsi il existe deux hypostases dans le Christ.

 [8186] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, sicut se habet species ad genus, ita se habet hypostasis ad speciem. Sed una species non potest esse in diversis generibus non subalternatis. Ergo una hypostasis non potest esse in duabus speciebus: ergo multo minus in natura humana et divina, quae plus quam specie differunt.

3. Le rapport de l’espèce au genre est le même que celui de l’hypostase à l’espèce. Or, une espèce ne peut se trouver dans divers genres non subalternés [les uns autres autres]. Une seule hypostase ne peut donc se trouver dans deux espèces. Encore bien moins, dans la nature humaine et la nature divine, qui diffèrent plus que par l’espèce.

 [8187] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicit Damascenus duas naturas unitas esse in unam hypostasim.

Cependant, [1] [Jean] Damascène dit que deux natures ont été unies dans une seule hypostase.

 [8188] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, secundum Boetium, persona est rationalis naturae individua substantia. Hypostasis autem, secundum eumdem, est individua substantia. Ergo persona non addit supra hypostasim nisi hoc quod est rationalis naturae: ergo hypostasis rationalis naturae est persona. Humana autem natura et divina utraque est rationalis. Si ergo sint duae hypostases harum duarum naturarum, oportet diversas personas ponere; et sic esset error Nestorii.

 [2] Selon Boèce, « la personne est une substance individuelle de nature raisonnable ». Or, selon le même, l’hypostase est une substance individuelle. La personne n’ajoute donc à l’hypostase que le fait qu’elle est de nature raisonnable ; l’hypostase de nature raisonnable est donc une personne. Or, la nature humaine et la nature divine sont toutes deux raisonnables. Si donc il existe deux hypostases de ces deux natures, il est nécessaire d’affirmer des personnes diverses, ce qui serait l’erreur de Nestorius.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Y a-t-il deux suppôts dans le Christ ?]

 [8189] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Quaeritur, utrum in Christo sint duo supposita. Videtur quod sic. Suppositum enim dicit respectum ad naturam communem. Sed in Christo sunt duae naturae. Ergo duo supposita.

1. Il semble que ce soit le cas. En effet, le suppôt exprime un rapport une nature commune. Or, dans le Christ, il y a deux natures. Il y a donc deux suppôts.

 [8190] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, suppositum dicitur, quasi sub alio positum. Sed inconveniens est dicere, quod divina persona ponatur sub humana. Ergo oportet aliud esse humanae naturae suppositum quam persona divina. Sed persona divina est suppositum naturae divinae. Ergo in Christo sunt duo supposita.

2. « Suppôt » vient de « placé sous un autre ». Or, il est inapproprié de dire que la personne divine est placée sous la [personne] humaine. Il est donc nécessaire que le suppôt de la nature humaine soit différent de la personne divine. Or, la personne divine est le suppôt de la nature divine. Il y a donc dans le Christ deux suppôts.

 [8191] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, unio ad alterum non tollit alicui rationem suppositi: quia etiam pars, ut manus, alicui naturae communi supponitur, cum sit in specie manus. Sed nihil aliud potest impedire ne humana natura in Christo habeat proprium suppositum, nisi unio. Ergo habet proprium suppositum praeter suppositum divinae naturae; et sic idem quod prius.

3. L’union à autre chose n’enlève pas à une chose la raison de suppôt, car même une partie, comme la main, est un suppôt pour une nature commune, puisqu’elle fait partie de l’espèce de la main. Or, rien d’autre ne peut empêcher que la nature humaine ait son propre suppôt dans le Christ, sauf l’union. Elle a donc son propre suppôt en plus du suppôt de la nature divine. La conclusion est ainsi la même que précédemment.

 [8192] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, quod est unitum alteri digniori, non habet rationem suppositi: alias in Christo essent tria supposita secundum tres substantias, vel etiam plura secundum omnes partes corporis. Si ergo in Christo sunt duo supposita, non erit aliqua unio divinitatis ad carnem.

Cependant, ce qui est uni à quelque chose de plus digne n’a pas raison de suppôt, autrement, dans le Christ, il y aurait trois suppôts en raison de trois substances, ou même davantage en raison de toutes les parties du corps. Si donc il y a deux suppôts dans le Christ, il n’y aura pas d’union de la divinité à la chair.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Y a-t-il deux individus dans le Christ ?]

 [8193] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod in Christo sint duo individua. Sicut enim dicit Damascenus, filius Dei assumpsit humanam naturam in atomo, idest individuo. Sed quia natura assumpta est in Christo, dicimus duas naturas. Ergo et dicere possumus in Christo duo individua.

1. Il semble qu’il y ait deux individus dans le Christ. En effet, comme le dit [Jean] Damascène, le Fils de Dieu a assumé la nature humaine dans quelque chose d’indivis (atomo), c’est-à-dire dans un individu. Or, parce que la nature [humaine] a été assumée dans le Christ, nous parlons de deux natures. Nous pouvons donc dire qu’il y a deux individus dans le Christ.

 [8194] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, omne quod est, aut est universale, aut particulare. Sed humana natura est in Christo. Ergo cum non sit universalis, erit particularis. Sed omne particulare est individuum. Ergo sunt ibi duo individua.

2. Tout ce qui existe est soit universel, soit particulier. Or, la nature humaine existe dans le Christ. Puisqu’elle n’est pas universelle, elle sera donc particulière. Or, tout ce qui est particulier est un individu. Il y a donc là deux individus.

 [8195] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, secundum Porphyrium, individuum facit collectio accidentium. Sed accidentia humanae naturae non sunt in persona divina, quae subjectum accidentis esse non potest. Ergo oportet quod sit ibi aliquod individuum; et sic idem quod prius.

3. Selon Porphyre, ce sont les accidents rassemblés qui font l’individu. Or, les accidents de la nature humaine n’existent pas dans la personne divine, qui ne peut être le sujet d’un accident. Il est donc nécessaire qu’il y ait là un individu. La conclusion est ainsi la même que précédemment.

 [8196] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, nihil est aliud persona quam individuum rationalis naturae. Sed in Christo non possunt esse duae personae. Ergo in Christo non sunt duo individua.

Cependant, la personne n’est rien d’autre que l’individu de nature raisonnable. Or, dans le Christ, il ne peut y avoir deux personnes. Il n’y a donc pas deux individus dans le Christ.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – Y a-t-il deux choses naturelles dans le Christ ?

 [8197] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod sint ibi duae res naturae. Res enim naturae est quod constituitur per naturam. Sed divina persona non constituitur per humanam naturam. Ergo persona verbi non est res humanae naturae in Christo. Ergo in Christo sunt duae res naturae.

1. Il semble qu’il y ait deux choses naturelles. En effet, une chose naturelle est ce qui est constitué par la nature. Or, la personne divine n’est pas constituée par la nature humaine. La personne du Verbe n’est donc pas une chose de nature humaine dans le Christ. Il existe donc dans le Christ deux choses naturelles.

 [8198] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 4 arg. 2 Praeterea, res naturae idem videtur esse quod naturale. Sed naturale, ut dicitur 2 Physic., est proprietas causata ex principiis naturae, vel compositum ex principiis naturalibus. Sed neutrum istorum convenit divinae personae. Ergo persona divina non est res naturae humanae; et sic idem quod prius.

2. Une chose naturelle semble être la même chose que ce qui est naturel. Or, ce qui est naturel est une propriété causée par les principes de la nature ou un composé de principes naturels. Or, aucune de ces deux choses ne convient à la personne divine. La personne divine n’est donc pas une chose de nature humaine. La conclusion est ainsi la même que précédemment.

 [8199] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 4 s. c. 1 Sed contra, res naturae est completum subsistens in natura. Sed nullum tale est assumptibile, quamvis possit aliud assumi ad ipsum. Ergo si esset in Christo aliqua res naturae praeter divinam personam, non esset assumpta a divina persona, et ita nec unita; et sic non esset in Christo.

Cependant, une chose de la nature est quelque chose de complet subsistant par nature. Or, rien de tel ne peut être assumé, bien que quelque chose d’autre puisse être assumé par cela. Si donc il y avait dans le Christ une chose de la nature en plus de la personne divine, elle ne serait pas assumée par la personne divine, et donc ne lui serait pas non plus unie. Elle ne se trouverait donc pas dans le Christ.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [8200] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum, quod cum omne particulare habeat respectum ad naturam communem et ad proprietates, potest secundum utrumque respectum nominari, tum per nomen primae impositionis, tum per nomen secundae intentionis. Hoc enim nomen res naturae est nomen primae impositionis, significans particulare per respectum ad naturam communem; hoc vero nomen suppositum est nomen secundae impositionis, significans ipsam habitudinem particularis ad naturam communem, inquantum subsistit in ea; particulare vero, inquantum exceditur ab ea. Sed quia accidentia consequuntur naturam; ideo omne nomen designans particulare secundum respectum ad proprietates, designat etiam ipsum per respectum ad naturam communem. Hoc ergo potest fieri dupliciter: vel per nomen primae impositionis; et sic est hypostasis communiter in omnibus substantiis, persona vero in omnibus rationalibus; vel per nomen secundae impositionis, et sic est individuum inquantum est indivisum in se, singulare vero inquantum est divisum ab aliis; unde singulare est idem quod divisum. Est etiam alia differentia attendenda inter ista: quia quaedam istorum significant communiter particulare in quolibet genere, sicut particulare, individuum, singulare; quaedam vero tantum particulare in genere substantiae, sicut res naturae, suppositum, hypostasis, et persona. Quia vero ratio substantiae est quod per se subsistat, inde est quod nullum istorum dicitur nisi de re completa per se subsistente: unde non dicuntur neque de parte neque de accidente, de quibus alia dici possunt quae in omnibus generibus inveniuntur; quamvis enim haec albedo vel haec manus dicatur individuum vel singulare, non tamen potest dici hypostasis, suppositum, vel res naturae. Impossibile est autem, si ponantur duo quorum utrumque per se subsistat, quod unum sit alterum: quia secundum hoc quod numerantur, differunt (cum differentia sit causa numeri); et non praedicantur de se invicem, nisi secundum quod unum sunt. Unde cum divina persona sit quiddam per se subsistens, si etiam ponatur compositum ex anima et carne unum quid completum subsistens, quod est homo, vel hic homo, impossibile est quod unum praedicetur de altero, ut dicatur: filius Dei est hic homo. Et quia prima opinio hoc ponit, ideo non tenetur modo ab aliquo. Sed secundum hoc quod est compositum tantum ex anima et carne, non dicit esse quid subsistens, sed dicit esse humanam naturam, in qua divina persona subsistit. Et ideo secundum hanc opinionem dicendum est, quod omnia illa nomina quae significant particulare in quolibet genere, possunt dici esse duo in Christo; sicut enim haec manus dicitur individuum, vel singulare, vel particulare; ita humana natura in Christo est individuum, singulare vel particulare. Et cum natura humana non sit divina natura, neque divina persona, nihil prohibet dici in Christo duo individua vel duo singularia vel particularia, aut etiam plura secundum numerum partium corporis Christi, quarum quaelibet potest dici individuum, nisi fiat vis in hoc quod in divinis non proprie inveniuntur hujusmodi nomina. Haec tamen plura individua de Christo non praedicantur; quia de eo non praedicatur natura humana, neque partes ejus. Non autem contingit dicere in Christo esse duas hypostases, vel res naturae, vel supposita: natura enim humana in Christo non est res naturae vel suppositum, sed ipsa natura: nulla enim natura composita est res vel suppositum sui ipsius: similiter non est hypostasis, sed usia. Nihilominus tamen sicut dicimus unionem factam in persona, sic dicimus in hypostasi, supposito, re naturae, individuo, singulari, vel particulari; quia quamvis haec ultima tria possint dici de non per se subsistentibus, nihilominus dicuntur etiam de per se subsistentibus: dicimus enim hypostasim esse individuum; unde inquantum est unio facta in hypostasi, est etiam facta in individuo: et sic possumus dicere Christum unum individuum, et tamen in eo duo vel plura individua, sicut etiam et de quolibet alio homine contingit: et eadem est ratio de singulari et particulari.

Puisque tout particulier a un rapport avec la nature commune et ses propriétés, il peut être désigné selon les deux rapports : parfois par un nom de première imposition, parfois par uun nom de seconde intention. En effet, ce nom « réalité naturelle » est un nom de première imposition signifiant le particulier par rapport à la nature commune ; mais le nom de « suppôt » est un nom de seconde imposition signifiant le rapport du particulier avec la nature commune, pour autant qu’il subsiste en elle, mais [signifiant] le particulier, pour autant qu’il est dépassé par elle. Mais parce que les accidents découlent de la nature, tout nom désignant un particulier par rapport à ses propriétés le désigne aussi par rapport à une nature commune. Cela peut donc se faire de deux manières : soit par un nom de première imposition, et ainsi il y a une hypostase d’une manière générale dans toutes les substances, mais une personne dans toutes [les substances] raisonnables ; soit par un nom de seconde imposition, et ainsi il y a un individu, pour autant qu’il est indivis en lui-même, mais un singulier, pour autant qu’il est divisé des autres. Aussi « singulier » est-il la même chose que « divis ». Il faut aussi prendre en compte une autre différence entre ces choses, car certaines signifient d’une manière générale un particulier dans n’importe quel genre, comme particulier, individu, singulier ; mais certaines [signifient] seulement un particulier dans le genre de la substance, comme réalité naturelle, suppôt, hypostase et personne. Mais parce que la raison de substance consiste à subsister par soi, de là vient qu’aucun de ces termes n’est utilisé que pour une chose complète subsistant par soi. Ils ne sont donc attribués ni à une partie ni à un accident, dont d’autres choses peuvent être dites qui se trouvent dans tous les genres. En effet, bien que cette blancheur ou cette main exprime quelque chose d’individuel et de singulier, elles ne peuvent cependant être appelées une hypostase, un suppôt ou une réalité naturelle. Or, si l’on suppose deux choses dont chacune subsiste par soi, il est impossible que l’une soit l’autre, car, selon qu’elles sont dénombrées, elles diffèrent (puisque la différence est la cause du nombre) ; elles ne sont pas non plus prédiquées l’une de l’autre, sauf selon ce qu’elles ont de commun. Puisque la personne divine est quelque chose de subsistant par soi, si l’on suppose aussi un composé d’âme et de corps qui est quelque chose de subsistant, qui est l’homme ou cet homme, il est impossible que l’un soit prédiqué de l’autre, pour dire : « Le Fils de Dieu est cet homme. » Parce que la pemière opinion affirme cela, elle n’est plus tenue par personne maintenant. Mais, le fait que [l’homme] est seulement composé d’âme et de corps ne dit pas qu’il est un être subsistant, mais dit qu’il est une nature humaine, dans laquelle subsiste une personne divine. Aussi, selon cette opinion, il faut dire que tous les noms qui signifient quelque chose de particulier dans n’importe quel genre peuvent signifer qu’il y a deux choses dans le Christ. En effet, de même que cette main est appelée quelque chose d’individuel, de singulier ou de particulier, de même la nature humaine dans le Christ est-elle quelque chose d’individuel, de singulier ou de particulier. Et puisque la nature humaine ne se trouve pas dans la nature divine ni dans la personne divine, rien n’empêche qu’on dise qu’il y ait dans le Christ deux individus, deux singuliers ou particuliers, ou encore davantage, selon le nombre des parties du corps du Christ, qui toutes peuvent être appelées des individus, à moins qu’on ne fasse valoir que, dans les choses divines, on ne trouve pas ce genre de noms au sens propre. Cependant, ces nombreux individus ne sont pas prédiqués du Christ, parce que la nature humaine ni ses parties ne sont pas prédiquées d’eux. Mais il ne peut arriver qu’on dise qu’il y a deux hypostases, deux réalités naturelles ou deux suppôts dans le Christ : en effet, la nature humaine dans le Christ n’est pas une réalité naturelle ou un suppôt, mais la nature elle-même. Car aucune réalité composée n’est une chose ou un suppôt d’elle-même ; de même n’est-elle pas une hypostase ou ousia. Néanmoins, comme nous disons que l’union s’est réalisée dans la personne, de même disons-nous qu’elle s’est réalisée dans une hypostase, un suppôt, une réalité naturelle, un individu, un singulier ou un particulier, car même si ces trois derniers termes peuvent être attribués à des choses qui ne subsistent pas par soi, ils sont néanmoins attribués à des choses qui subsistent par soi. Nous disons, en effet, que l’hypostase est un individu. Pour autant que l’union s’est réalisée dans l’hypostase, elle s’est donc aussi réalisée dans un individu. Nous pouvons ainsi dire que le Christ est un seul individu, et qu’il existe cependant en lui plusieurs individus, comme cela arrive pour n’importe quel homme. Et le raisonnement est le même pour le singulier et le particulier.

 [8201] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod substantia, secundum quod est genus, non proprie praedicatur de parte: manus enim si esset substantia, cum sit animata, esset animal; nihil enim est in genere quasi directe contentum sub ipso, nisi quod habet naturam aliquam complete: tamen dicitur manus esse substantia, secundum quod substantia dividitur contra accidens: et similiter dico de natura humana in Christo. Cum igitur dicitur, quod omnis substantia particularis est hypostasis, intelligendum est de illis quae directe recipiunt praedicationem generis; et haec sunt quae significantur ut res completae per se subsistentes.

1. La substance, selon qu’elle est un genre, n’est pas prédiquée de la partie au sens propre. En effet, si la main était une substance, puisqu’elle est animée, elle serait un animal, car rien n’est dans un genre, pour ainsi dire directement contenu en lui, que ce qui possède une nature complète. Toutefois, on dit que la main est une substance selon que la substance se distingue de l’accident. Je dis la même chose de la nature humaine du Christ. Lorsqu’on dit que toute substance particulière est une hypostase, il faut donc l’entendre de celles dont un genre est prédiqué directement. Telles sont celles qui sont signifiées comme des choses complètes subsistant par elles-mêmes.

 [8202] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod hypostasis verbi, quamvis non sit in genere substantiae simpliciter, inquantum est hypostasis verbi; tamen inquantum est hypostasis humanae naturae, est in genere substantiae, sicut in specie hominis: non enim hypostasis ordinatur ad genus vel speciem, nisi per naturam quam habet.

2. L’hypostase du Verbe, bien qu’elle ne soit pas tout simplement dans le genre de la substance en tant qu’hypostase du Verbe, est cependant dans le genre de la substance, comme dans l’espèce de l’homme, en tant qu’hypostase de la nature humaine. En effet, l’hypostase n’est ordonnée à un genre ou à une espèce que par la nature qu’elle possède.

 [8203] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod genus quodammodo est pars speciei similis materiae: unde sicut in natura ex pluribus materiis sufficientibus non ordinatis non fit aliquid unum; ita etiam plura genera non possunt venire ad constitutionem unius speciei. Sed natura hypostasis non est pars: unde non est similis ratio: dicitur enim hypostasis alicujus naturae, inquantum subsistit in ea.

3. Le genre est d’une certaine manière une partie de l’espèce semblable à la matière. De même que, dans une nature, n’est pas réalisé quelque chose d’unique à partir de plusieurs matières suffisantes non ordonnées, de même plusieurs genres ne peuvent-ils concourir à la constitution d’une seule espèce. Mais la nature de l’hypostase n’est pas une partie. Le raisonnement n’est donc pas le même. En effet, on parle de l’hypostase d’une nature pour autant qu’elle subsiste en elle.

 [8204] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 1 ad s. c. Et quae in contrarium objiciuntur, concedimus. Sciendum tamen est, quod prima opinio quamvis poneret duas hypostases, non tamen diversas personas posuit: ex hoc enim quod persona est individuum rationalis naturae, quae est completissima, et ubi stat tota intentio naturae, habet quod significet completissimum ultima completione, post quam non est alia: unde cum poneret hominem assumptum unum verbo, non dabat ei rationem personae; dabat ei tamen rationem hypostasis, inquantum erat subsistens: nec tamen ponebat quod homo ille uniretur divinae personae in accidente: quia sic non diceret quod praedicaret quid, sed quod esset accidentaliter unitum, sicut dicit tertia opinio; sed ponebat quod persona verbi erat illa hypostasis; quod tamen non est intelligibile, ut duorum distinctorum unum de altero praedicetur, ut prius dictum est.

 [1-2] Nous concédons les arguments en sens contraire. Cependant, il faut savoir que la première opinion, bien qu’elle affirme deux hypostases, n’a cependant pas affirmé deux personnes. En effet, du fait que la personne est un individu de nature raisonnable, qui est la plus complète, et où réside toute l’intention de la nature, elle signifie ce qu’il y a de plus complet selon un achèvement ultime, après lequel il n’y en a pas d’autre. Aussi, lorsqu’elle affirmait qu’un seul homme a été assumé par le Verbe, elle ne lui donnait pas la raison de personne ; elle lui donnait cependant la raison d’hypostase pour autant qu’il était subsistant. Elle n’affirmait cependant pas que cet homme était uni à la personne divine de manière accidentelle, car ainsi elle ne dirait pas qu’on en prédiquerait le quid, mais qu’il [lui] serait uni accidentellement, comme le dit la troisième opinion ; mais elle affirmait que la personne du Verbe était cette hypostase. Il n’est cependant pas compréhensible que l’une des deux choses distinctes soit prédiquée de l’autre, comme on l’a dit plus haut.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [8205] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod in Christo tantum unum est suppositum ratione jam dicta; nisi dicatur suppositum locutionis: quia sic de quocumque potest fieri sermo est suppositum.

Dans le Christ, il n’existe qu’un seul suppôt, pour la raison déjà donnée, à moins qu’on parle de suppôt du langage, car ainsi tout ce dont on peut parler est un suppôt.

 [8206] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum autem contra hoc objectum dicendum, quod quamvis sint ibi duae naturae, tamen est unum habens respectum ad duas naturas: et ideo est ibi suppositum unum.

1. Bien qu’il y ait là deux natures, il n’y a cependant qu’une seule chose qui ait un rapport avec ces deux natures. Il n’y a donc là qu’un seul suppôt.

 [8207] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod suppositum non importat suppositionem indignitatis vel potentialitatis (alias personae non dicerentur supposita divinae naturae), sed solum suppositionem quantum ad communitatem, inquantum natura communis excedit praedicatione suppositum vel actu vel potentia.

2. Le suppôt ne comporte pas d’indignité ou de potentialité sous-jacente (autrement on ne dirait pas que les personnes [divines] sont des suppôts de la nature divine), mais seulement quelque chose de commun, pour autant que la nature commune déborde en prédication le suppôt, en acte ou en puissance.

 [8208] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod pars, proprie, non habet genus neque speciem: unde non convenit sibi proprie suppositum esse, loquendo simpliciter; nisi forte cum additione, ut dicatur haec manus, suppositum manus: quamvis manus, proprie loquendo, non sit genus neque species.

3. Au sens propre, la partie n’a pas de genre ni d’espèce. Il ne lui convient donc pas d’être un suppôt au sens propre et à parler simplement, sauf peut-être si l’on ajoute quelque chose, comme si on dit : « Cette main », « le suppôt de la main », bien que la main, à parler proprement, ne soit pas un genre ni une espèce.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [8209] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod in Christo sunt duo individua, non tamen per se subsistentia; et ipse Christus est unum individuum subsistens, ut dictum est.

Il y a deux individus dans le Christ, mais qui ne subsistent pas par eux-mêmes. Le Christ lui-même est un seul individu subsistant, comme on l’a dit.

 [8210] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Damascenus intendit dicere, quod assumpsit humanam naturam particularem, non autem subsistentem, sed quod in ea divina persona subsistit.

1. [Jean] Damascène veut dire qu’il a assumé une nature humaine particulière, qui n’est cependant pas subsistante, mais que la personne divine subsiste en elle.

 [8211] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod humana natura est particulare et individuum; non tamen subsistens.

2. La nature humaine est quelque chose de particulier et d’individuel, mais non de subsistant.

 [8212] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis divina natura sit quoddam individuum in Christo, tamen etiam Christus est individuum humanae naturae. Nec tamen oportet quod accidentia humanae naturae insint divinae personae, nisi natura mediante.

3. Bien que la nature divine soit quelque chose d’individuel dans le Christ, le Christ aussi est cependant un individu de nature humaine. Il n’est toutefois pas nécessaire que les accidents de la nature humaine soient présents dans la personne divine, sauf par l’intermédiaire de la nature.

 [8213] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 3 ad s. c. 1 Ad id quod in contrarium objicitur dicendum, quod in Christo est aliquod individuum, quod non est rationalis naturae individuum, sed ipsa rationalis natura individua, vel pars ejus; sicut manus Christi.

 [1] Dans le Christ, il y a quelque chose d’individuel, qui n’est pas un individu de nature raisonnable, mais la nature raisonnable individuelle elle-même ou une de ses parties, comme la main du Christ.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

 [8214] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod in Christo non sunt duae res naturae; sed ipse est res una duarum naturarum.

Dans le Christ, il n’y a pas deux réalités naturelles, mais il est lui-même une réalité comportant deux natures.

 [8215] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis verbum non sit constitutum per naturam humanam ut sit simpliciter, tamen per naturam humanam constituitur quod sit homo.

1. Bien que le Verbe ne soit pas constitué par la nature humaine de telle sorte qu’il existe tout simplement, il est cependant constituté par la nature humaine de telle sorte qu’il soit un homme.

 [8216] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod res naturae, per se loquendo est quod habet naturam; sed quod hoc sit compositum, accidit, inquantum ipsum compositum ex materia et forma, quae sunt principia naturae, non adjungitur alteri subsistenti simplici; si autem alteri subsistenti conjungatur, quod est in se simplex, erit quidem illud simplex ut res subsistens in natura composita; non tamen erit compositum, nisi per modum qui infra dicetur; secundum quem secunda opinio ponit personam verbi incarnati esse compositam.

2. À parler en soi, une réalité naturelle en est une qui possède une nature ; mais que cela soit composé, cela vient du fait que le composé de matière et de forme, qui sont les principes de la nature, n’est pas uni à quelque chose d’autre qui est un subsistant simple. Mais s’il est uni à un autre subsistant qui est simple par soi, ce [subsistant] simple sera une chose subsistant dans une nature composée ; mais il ne sera un composé que de la manière qui sera dite plus loin, selon laquelle la deuxième opinion affirme que la personne du Verbe incarné est composée.

 

 

Articulus 2 [8217] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 2 tit. Utrum filius Dei assumpserit hominem

Article 2 – Le Fils de Dieu a-t-il assumé un homme ?

 [8218] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod filius Dei assumpserit hominem. Psalm. 44, 5: beatus quem elegisti et assumpsisti; et loquitur de Christo homine. Ergo homo est assumptus.

1. Il semble que le Fils de Dieu ait assumé un homme. Ps 44, 5 : Bienheureux celui que tu as choisi et assumé ! Et il parle du Christ homme. Un homme a donc été assumé.

 [8219] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, si filius Dei est homo, aut homo quem assumpsit, aut homo quem non assumpsit. Si homo quem non assumpsit, ergo non magis potest dici homo qui est Jesus, quam homo qui est Petrus. Si autem homo quem assumpsit, ergo assumpsit hominem.

2. Si le Fils de Dieu est un homme, c’est soit un homme qu’il a assumé, soit un homme qu’il n’a pas assumé. Si c’est un homme qu’il n’a pas assumé, ce ne pourra pas être davantage l’homme qu’on appelle Jésus, que l’homme qui est Pierre. Mais si c’est un homme qu’il a assumé, il a donc assumé un homme.

 [8220] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, filius Dei assumpsit animam et corpus unita: quia corpus non unitum animae est corpus inanimatum, quod non est assumptibile, ut in 2 dist., quaest. 2, art. 1, dictum est. Unio autem illa non est minoris efficaciae in homine Christo quam in aliis hominibus. Sed in aliis hominibus facit non solum humanitatem, sed etiam hominem. Ergo in Christo facit hominem.

3. Le Fils de Dieu a assumé une âme et un corps unis, car un corps qui n’est pas uni à l’âme est un corps inanimé, qui ne peut est assumé, comme on l’a dit dans la d. 2, q. 2, a. 1. Or, cette union n’est pas moins efficace chez l’homme Christ que chez les autres hommes. Or, chez les autres hommes, elle réalise non seulement l’humanité, mais aussi l’homme. Elle réalise donc un homme chez le Christ.

 [8221] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, in Christo non est nisi assumens et assumptum. Sed non habet quod sit homo ex parte assumentis: quia sic ab aeterno fuisset homo. Ergo habet ex parte assumpti; ergo homo est assumptus.

4. Dans le Christ, il n’y a que celui qui assume et ce qui est assumé. Or, [le Christ] ne tient pas d’être un homme de celui qui assume, car il aurait ainsi été un homme éternellement. Il le tient donc de ce qui a été assumé. Un homme a donc été assumé.

 [8222] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, secundum Damascenum, Christus assumpsit quidquid in nostra natura plantavit. Sed id quod unitum est ex corpore et anima, facit hominem, cum fit de naturalibus, quae Dei verbum in nostra natura plantavit. Hoc ergo assumpsit hominem; quia posita causa sufficienti ponitur effectus.

5. Selon [Jean] Damascène, « le Christ a assumé tout ce qu’il a implanté dans notre nature ». Or, ce qui a été uni par le corps et par l’âme réalise un homme, puisque cela est fait de réalités naturelles que le Verbe de Dieu a implantées dans notre nature. Cela a donc assumé l’homme, car, si une fois donnée une cause suffisante, mée, l’effet est donné.

 [8223] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, assumens non est assumptum. Sed Deus est homo. Ergo non assumpsit hominem.

Cependant, [1] celui qui assume n’est pas ce qui est assumé. Or, Dieu est homme. Il n’a donc pas assumé un homme.

 [8224] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, si assumpsit hominem, constat quod non assumpsit hominem universalem. Ergo assumpsit hunc hominem. Sed hic homo est persona. Ergo assumpsit personam; quod falsum est: ergo et primum.

2. S’il a assumé l’homme, il est clair qu’il n’a pas assumé l’homme universel. Il a donc assumé tel homme. Or, cet homme est une personne. Il a donc assumé une personne, ce qui est faux. La première proposition est donc aussi fausse.

 [8225] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod id quod assumitur, secundum intellectum praecedit unionem. Si ergo dicatur homo assumptus, oportet quod intelligatur homo antequam intelligatur assumptus. Homo autem particularis (quia universalem non assumpsit, cum non habeat esse in rerum natura), est quid subsistens, habens esse completum. Quod autem habet esse completum in quo subsistit, non potest uniri alteri nisi tribus modis: vel accidentaliter, ut tunica homini; et hunc modum unionis ponit tertia opinio: vel per modum aggregationis, sicut lapis lapidi in acervo: vel aliquo accidente, sicut homo unitur Deo per amorem vel gratiam; et neutra harum est unio simpliciter, sed secundum quid: quarum primam posuit Dioscorus, alteram Nestorius haeretici, ut dicit Damascenus, 3 cap., 3 libri. Unde nullo modo concedendum est, quod homo sit assumptus. Sciendum tamen, quod prima opinio nullum praedictorum modorum unionis ponebat, unde non est haeretica; sed ponebat, quod erat facta unio secundum hoc quod persona verbi incepit esse illa substantia: quod quidem non est intelligibile, ut duorum unum fiat alterum, nisi per conversionem unius ad alterum; immo impossibile est, ut prius dictum est; et ideo non sustinetur.

Réponse. Ce qui est assumé précède l’union selon l’intellect. Si donc on parle d’homme assumé, il est nécessaire qu’on entende l’homme avant d’entendre qu’il a été assumé. Or, l’homme particulier (car [le Fils de Dieu] n’a pas assumé [l’homme] universel, puisqu’il n’existe pas dans la nature des choses) est quelque chose de subsistant, qui possède un être complet. Du fait qu’il possède un être complet dans lequel il subsiste, il ne peut être uni à un autre que de trois manières : accidentellement, comme la tunique l’est à l’homme, et c’est cette manière qu’affirme la troisième opinion ; par mode de regroupement, comme la pierre [est unie] à la pierre dans un amas ; par un accident, comme l’homme est uni à Dieu par l’amour ou la grâce, et aucune de celles-ci n’est une union à parler simplement, mais une union relative (secundum quid). Dioscore a affirmé la première, Nestorius a affirmé l’autre, tous deux hérétiques, comme le dit [Jean] Damascène, III, 3. On ne doit donc aucunement concéder qu’un homme a été assumé. Il faut cependant savoir que la première opinion n’affirmait aucun de ces modes d’union ; elle n’est donc pas hérétique. Mais elle affirmait que l’union avait été réalisée selon que la personne du Verbe a commencé d’être cette substance ; mais cela est impensable que, de deux choses, l’une devienne l’autre, sauf par conversion de l’une en l’autre. Bien plus, cela est impossible, comme on l’a dit. Aussi ne le soutient-on pas.

 [8226] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod omnes auctoritates quae dicunt hominem assumptum, exponi debent, ut ponatur concretum pro abstracto, idest homo pro humana natura.

1. Toutes les autorités qui disent qu’un homme a été assumé doivent être interprétées dans le sens où quelque chose de concret est affirmé à la place de quelque chose d’abstrait, c’est-à-dire un homme à la place de la nature humaine.

 [8227] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Christus est homo, non quem assumpsit, sed cujus humanam naturam assumpsit.

2. Le Christ est homme, non pas parce qu’il l’a assumé, mais parce qu’il en a assumé la nature humaine.

 [8228] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non est propter inefficaciam unionis animae ad corpus quod eorum conjunctio, secundum quod praeintelligitur unioni ad divinam personam, non facit hominem, sed humanam naturam in Christo; sed est ex hoc quod non fuerunt, ut conjuncta per se subsisterent, sed ut divina persona in eis subsisteret.

3. Ce n’est pas en raison de l’inefficacité de l’union de l’âme au corps que leur union, selon qu’on l’entend avant l’union à la personne divine, ne réalise pas un homme, mais la nature humaine dans le Christ ; mais cela vient de ce qu’elles n’ont pas été pas telles qu’elles ont subsisté par leur union, mais que la personne divine a subsisté en eux.

 [8229] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod homo significat humanam naturam, et supponit pro supposito subsistente in natura illa: quorum unum est ex parte assumpti, alterum ex parte assumentis.

4. « Homme » signifie la nature haumaine et joue le rôle de suppôt pour le suppôt qui subsiste dans cette nature : l’un d’eux se prend du point de vue de ce qui est assumé, l’autre, de celui qui assume.

 [8230] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod hoc quod facit conjunctum ex anima et corpore esse hominem, non est praeter animam et corpus et unionem, aliquid positive; sed ex hoc ipso quod ipsum compositum ex anima et corpore non adjungitur alteri subsistenti in natura composita, sequitur quod conjunctum sit homo. Unde si Christus humanam naturam quam assumpsit deponeret, ex hoc ipso esset homo illud conjunctum ex duabus substantiis.

5. Ce qui fait que le composé d’âme et de corps est un homme n’est pas de manière positive quelque chose de plus que l’âme, le corps et l’union ; mais, du fait même que le composé d’âme et de corps n’est pas uni à quelque chose d’autre qui subsiste dans une nature composée, il en découle que le composé est un homme. Si donc le Christ déposait la nature humaine qu’il a assumée, ce composé des deux substances serait un homme par le fait même.

Articulus 3 [8231] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 3 tit. Utrum homo dicat ibi compositum ex duabus substantiis tantum

Article 3 – Le mot « homme » indique-t-il seulement le composé de deux substances ?

 [8232] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur, quod homo non dicat nisi compositum ex duabus substantiis. Homo enim praedicatur de Christo et de Petro, et non aequivoce dicitur. Sed cum dicitur de Petro, nihil praedicatur nisi compositum ex duabus naturis vel substantiis. Ergo et cum dicitur de Christo.

1. Il semble qu’« homme » ne veuille dire que le composé des deux substances. En effet, « homme » est prédiqué du Christ et de Pierre, et n’est pas employé de manière équivoque. Or, lorsqu’il est dit de Pierre, rien n’est prédiqué que le composé des deux natures ou substances. Donc, aussi lorsqu’il est dit du Christ.

 [8233] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, in symbolo Athanasii dicitur: sicut anima rationalis et caro unus est homo, ita Deus et homo unus est Christus. Sed anima non includit in sua significatione carnem, nec e converso. Ergo nec homo dicit divinitatem, nec e converso.

2. Dans le symbole d’Athanase, on dit : « De même que l’âme raisonnable et la chair sont un seul homme, de même Dieu et l’homme sont-ils un seul Christ. » Or, l’âme n’inclut pas la chair dans sa signification, ni inversement. « Homme » ne dit donc pas la divinité, ni inversement.

 [8234] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, nihil est in Christo praeter tres substantias. Si ergo homo diceret tres substantias, tunc Christus erit tantum homo, quod est falsum.

3. Il n’y a rien dans le Christ à part les trois substances. Si donc « homme » exprimait les trois substances, le Christ serait seulement un homme, ce qui est faux.

 [8235] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, totum non dicitur uniri parti; sed pars toti, vel parti. Si ergo homo diceret tres substantias, videretur quod non posset dici homo uniri Dei filio.

4. On ne dit pas que le tout s’unit à la partie, mais que la partie [s’unit] au tout ou à une partie. Si donc « homme » exprimait les trois substances, il semblerait qu’on ne pourrait pas dire que l’homme est uni au Fils de Dieu.

 [8236] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, homo est habens humanitatem. Sed habens humanitatem est divina persona. Ergo cum humanitate, quae continet duas substantias, hoc nomen homo, dictum de Christo, dicit etiam divinam personam; et sic dicit tres substantias.

Cependant, [1] l’homme est ce qui possède l’humanité. Or, celui qui possède l’humanité est la personne divine. Donc, avec l’humanité, qui contient deux substances, ce mot « homme », dit du Christ, dit aussi la personne divine. Il dit ainsi les trois substances.

 [8237] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, omne praedicatum substantiale continet aliquo modo suum subjectum. Sed hoc nomen homo praedicatur de filio Dei non accidentaliter. Ergo continet personam filii Dei; et sic non dicit tantum compositum ex duabus substantiis.

 [2] Tout prédicat substantiel contient d’une certaine manière son sujet. Or, ce mot « homme » est prédiqué du Fils de Dieu d’une manière non accidentelle. Il contient donc la personne du Fils de Dieu, et ainsi il ne dit pas seulement le composé de deux substances.

 [8238] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod in quolibet nomine est duo considerare: scilicet id a quo imponitur nomen, quod dicitur qualitas nominis; et id cui imponitur, quod dicitur substantia nominis: et nomen, proprie loquendo, dicitur significare formam sive qualitatem, a qua imponitur nomen; dicitur vero supponere pro eo cui imponitur. Prima ergo opinio dicit, quod hoc nomen homo, quantum ad significatum et quantum ad suppositum, non dicit nisi constitutum ex duabus substantiis: quia hoc constitutum ex duabus substantiis est hypostasis subsistens, pro qua potest fieri suppositio hujus nominis homo. Secunda vero opinio dicit, quod constitutum ex duabus substantiis tantum, non est hypostasis subsistens, sed natura, in qua subsistit verbum Dei; unde non potest ponere, quod constitutum ex duabus substantiis tantum sit suppositum cui nomen imponitur, sed forma a qua imponitur, scilicet humanitas: illud vero cui nomen imponitur, quod est subsistens in humana natura, est persona verbi; et ideo hoc nomen homo comprehendit tres substantias; sed duas ex parte significati, tertiam ex parte suppositi.

Réponse. En tout nom, il faut considérer deux choses : ce à partir de quoi le nom est imposé, qu’on appelle la qualité du nom ; ce à quoi le nom est imposé, qu’on appelle la substance du nom. On dit que le nom, à proprement parler, signifie la forme ou la qualité à partir de laquelle le nom est imposé ; mais on dit qu’il joue le rôle de suppôt pour ce à quoi il est imposé. La première opinion dit donc que ce nom « homme », quant à ce qui est signifié et quant au suppôt, n’exprime que le composé de deux substances, car ce composé de deux substances est une hypostase qui subsiste, pour laquelle peut être faite la supposition de ce mot « homme ». Mais la deuxième opinion dit que le composé des deux substances seulement n’est pas une hypostase subsistante, mais une nature dans laquelle subsiste le Verbe de Dieu ; elle ne peut donc pas affirmer que le composé des deux substances seulement est le suppôt auquel le mot est imposé, mais la forme à partir de laquelle il est imposé, à savoir, l’humanité. Mais ce à quoi le mot est imposé, qui est ce qui subsiste dans la nature humaine, est la personne du Verbe. Ce mot « homme » comprend donc trois substances : deux du point de vue de ce qui est signifié, la troisième du point de vue du suppôt.

 [8239] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod diversitas suppositionis non facit aequivocationem; sed diversitas significationis.

1. La diversité de supposition ne crée pas d’équivoque, mais une diversité de signification.

 [8240] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Athanasius accipit hominem ex parte naturae significatae.

2. Athanase comprend «homme» du point de vue de la nature signifiée.

 [8241] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod termini in praedicato positi tenentur formaliter, in subjecto vero materialiter; unde hoc nomen homo supponit suppositum aeternum, quod subsistit in duabus naturis et tribus substantiis; praedicat vero tantum naturam humanam. Unde si diceretur quod est tantum homo, excluderetur omnis natura alia ab humana; et propter hoc non conceditur, quod sit homo tantum.

3. Les termes placés dans le prédicat sont pris formellement ; mais, [placés] dans le sujet, ils sont pris matériellement. Aussi ce mot « homme » suppose-t-il un suppôt éternel, qui subsiste en deux natures et en trois substances, mais il n’est le prédicat que de la nature humaine. Aussi, si on disait qu’il est seulement un homme, on exclurait donc toute autre nature que la nature humaine. Pour cette raison, on ne concède pas qu’il est un homme seulement.

 [8242] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod homo dicitur proprie et simpliciter unitus filio Dei: quia dicit id quod unitur, seu conjungitur, scilicet humanam naturam, quae est quasi pars in hac unione; et id in quo fit unio, scilicet suppositum unum.

4. On dit que l’homme est uni en un sens propre et simple au Fils de Dieu, car il signifie ce qui est uni ou réuni, la nature humaine, qui est comme une partie de cette union, et ce en quoi est réalisée l’union, à savoir, le suppôt unique.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [La deuxième opinion]

Prooemium

Prologue

 [8243] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 pr. Deinde quaeritur de his quae pertinent ad secundam opinionem; et circa hoc quaeruntur tria: 1 utrum Christus sit unum; 2 utrum habeat unum esse; 3 utrum persona Christi post incarnationem fuerit composita.

On s’interroge ensuite sur la deuxième opinion. À ce propos, trois questions sont posées : 1 – Le Christ est-il une seule réalité ? 2 – Le Christ a-t-il un seul être ? 3 – La personne du Christ était-elle composée après l’incarnation ?

 

 

Articulus 1 [8244] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 1 tit. Utrum Christus sit duo neutraliter

Article 1 – Le Christ est-il deux réalités ?

 [8245] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur, quod Christus sit duo neutraliter. Isidorus enim dicit in Lib. de Trinit.: mediator Dei et hominum, homo Jesus Christus, quamvis aliud sit de patre, aliud de virgine, non tamen alius. Sed ubicumque est aliud et aliud, ibi sunt duo. Ergo Christus est duo.

1. Il semble que le Christ soit deux réalités. En effet, Isidore dit, dans le livre Sur la Trinité : « Le médiateur entre Dieu et les hommes, l’homme Jésus, le Christ, bien qu’il soit quelque chose une chose pour autant qu’il vient du Père et une autre chose pour autant qu’il vient de la Vierge, n’est cependant pas quelqu’un d’autre. » Or, partout où l’on trouve des choses différentes, il y a deux réalités. Le Christ est donc deux réalités.

 [8246] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, Christus est unum unitate increata, et est unum unitate creata. Unitas autem creata non est unitas increata. Ergo Christus est duo.

2. Le Christ et une réalité selon une unité incréée et une réalité selon une unité créée. Or, l’unité créée n’est pas l’unité incréée. Le Christ est donc deux réalités.

 [8247] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, sicut in Trinitate sunt tres personae in una essentia; ita in Christo sunt duae naturae in una persona. Sed propter unitatem naturae dicuntur pater et filius unum, quamvis non unus. Ergo et propter unitatem personae Christus debet dici unus, et non unum, sed duo propter dualitatem naturarum.

3. De même que, dans la Trinité, existent trois personnes dans une seule essence, existent dans le Christ deux natures dans une seule personne. Or, en raison de l’unité de nature, on dit que le Père et le Fils sont une seule réalité, bien qu’ils ne soient pas une seule personne. En raison de l’unité de personne, on doit donc dire que le Christ est une seule personne, et non pas une seule réalité, mais deux réalités en raison de la dualité des natures.

 [8248] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, Christus secundum quod est Deus, est aliquid quod est pater; et secundum quod est homo, est aliquid quod est mater. Sed hoc quod est pater, non est hoc quod est mater. Ergo Christus est aliquid et aliquid; et ita est duo.

4. Le Christ, en tant qu’il est Dieu, est quelque chose qu’est son Père ; en tant qu’homme, il est quelque chose qu’est sa mère. Or, ce qu’est son Père n’est pas ce qu’est sa mère. Le Christ est donc une chose et l’autre, et ainsi il est deux réalités.

 [8249] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 1 arg. 5 Praeterea, Christus est aliquid passibile et aliquid impassibile. Sed passibile non est impassibile. Ergo Christus est aliquid et aliquid. Ergo non est unum.

5. Le Christ est quelque chose de passible et d’impassible. Or, le passible n’est pas l’impassible. Le Christ est donc une chose et l’autre. Il n’est donc pas une seule réalité.

 [8250] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 1 arg. 6 Praeterea, secundum Damascenum, Christus totus est ubique, non tamen totum. Sed est ubique secundum quod est Deus. Ergo Christus non est totum Deus. Sed ex hoc quod est Deus, est aliquid. Ergo est aliquid et aliquid; et sic idem quod prius.

6. Selon [Jean] Damascène, « le Christ est tout entier partout, mais il n’y est cependant pas en totalité ». Or, il est partout en tant qu’il est Dieu. Le Christ n’est donc pas Dieu en totalité. Or, du fait qu’il est Dieu, il est quelque chose. Il est donc deux réalités, et ainsi la conclusion est la même que précédemment.

 [8251] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 1 arg. 7 Praeterea, Christus non est tantum homo. Sed homo praedicat aliquid unum de ipso. Ergo Christus non est tantum unum aliquid: ergo est duo.

7. Le Christ n’est pas seulement homme. Or, le mot « homme » prédique de lui quelque chose d’unique. Le Christ n’est donc pas seulement une seule réalité. Il est donc deux réalités.

 [8252] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 1 s. c. 1 Sed contra, quidquid est, ideo est, quia unum numero est. Si ergo Christus non est unum, nihil est; quod falsum est.

Cependant, [1] tout ce qui existe existe de telle manière que cela est unique en nombre. Si donc le Christ n’est pas une seule réalité, il n’est rien, ce qui est faux.

 [8253] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, major est convenientia naturae humanae in Christo ad naturam divinam, quam accidentis ad subjectum. Sed accidens cum subjecto non facit numerum. Ergo nec ratione naturae humanae et divinae dicetur Christus esse duo.

 [2] La nature humaine et la nature divine se rejoignent davantage dans le Christ que l’accident dans un sujet. Or, l’accident ne fait qu’un en nombre avec le sujet. On ne dira donc pas que le Christ est deux réalités en raison de sa nature humaine et de sa nature divine.

 [8254] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 1 s. c. 3 Praeterea, ea quae non sunt unum, non possunt de se invicem praedicari. Sed Deus praedicatur de homine Christo, et e converso. Ergo Christus est unum.

 [3] Des choses qui ne sont pas une seule réalité ne peuvent être les prédicats l’une de l’autre. Or, Dieu est un prédicat de l’homme Christ, et inversement. Le Christ est donc une seule réalité.

 [8255] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod neutrum genus est informe et indistinctum; masculinum vero est formatum et determinatum; unde masculinum non praedicatur absolute nisi de re perfecta subsistente; neutrum vero genus de re perfecta subsistente, et de non perfecta; unde non potest dici, quod albedo vel humanitas Petri est aliquis, sed quod est aliquid; de Petro autem possumus dicere, quod est aliquis, et quod est aliquid. Similiter in Christo de persona potest dici est aliquis, et est aliquid: de natura autem quod est aliquid, et non quod est aliquis. Secundum igitur secundam opinionem, de qua agitur, illud aliquid quod est natura assumpta, non praedicatur de Christo: quia non habet rationem hominis, sed humanitatis. Aliquid ergo, secundum quod praedicatur de Christo, non significat tantum naturam, sed suppositum naturae: et quia plurale est geminatum singulare, ideo Christus non posset dici aliqua, nisi essent in eo duo supposita naturarum; quod negat secunda opinio, et similiter tertia; et ideo utraque opinio dicit, quod Christus est unum; sed secunda dicit, quod est unum per se; tertia vero, quod est unum per accidens, sicut albus homo. Sed prima opinio dicit, quod assumptum non tantum habet rationem humanitatis, sed etiam hominis; et tamen non potest dici aliquis, quia est alteri digniori adjunctum, sed dicitur aliquid, et illud aliquid praedicatur de persona assumente; et ideo sequitur quod Christus sit aliquis, scilicet assumens, et aliquod, scilicet assumptum; et quod sit duo neutraliter, sed non masculine.

Réponse. Aucun des deux genres [masculin et neutre] n’est sans forme et indistinct ; mais le genre masculin a une forme et est déterminé. Aussi le masculin n’est-il prédiqué de manière absolue que d’une réalité parfaite qui subsiste ; cependant, les deux genres ne sont pas prédiqués d’une réalité parfaite subsistante et d’une réalité imparfaite. On ne peut donc dire que la blancheur et l’humanité de Pierre sont quelqu’un, mais qu’elle sont quelque chose ; mais nous pouvons dire de Pierre qu’il est quelqu’un et qu’il est quelque chose. De même, dans le Christ, on peut dire de la personne qu’elle est quelqu’un et qu’elle est quelque chose ; mais [on peut dire] de la nature qu’elle est quelque chose, et non qu’elle est quelqu’un. Selon la deuxième opinion, dont il est question, ce quelque chose qu’est la nature assumée n’est pas prédiqué du Christ, car cela n’a pas la raison d’homme, mais d’humanité. Donc, quelque chose qui est prédiqué du Christ ne signifie pas seulement la nature, mais le suppôt de la nature, et parce que le pluriel est un double singulier, le Christ ne pourrait être appelé diverses choses que si existaient en lui deux suppôts pour les natures, ce que nie la deuxième opinion, de même que la troisième. Les deux opinions disent donc que le Christ est une seule réalité ; mais la deuxième dit qu’il est une réalité par soi, alors que la troisième dit qu’il est une seule réalité par accident, comme un homme blanc. Cependant, la première opinion dit que ce qui est assumé n’a pas seulement la raison d’humanité, mais aussi d’homme. Cependant, cela ne peut être appelé quelqu’un parce que cela est uni à un autre qui est plus digne ; mais cela est appelé quelque chose, et ce quelque chose est prédiqué de la personne qui assume. Il en découle donc que le Christ est quelqu’un, à savoir, celui qui assume, et quelque chose, à savoir, ce qui est assumé, et qu’il est double au neutre, mais non au masculin.

 [8256] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod aliud partitivum est; unde requiritur aliquod a quo dividatur. Cum autem dicitur, Christus est aliud et aliud, cum aliud non praedicet naturam tantum, sed suppositum naturae (quia humana natura de Christo non praedicatur), requiritur quod sit ibi aliquid distinctum vel divisum a supposito humanae naturae, quod de Christo praedicetur. Hoc autem non potest esse secundum secundam opinionem: quia suppositum divinae naturae non est aliud a supposito humanae naturae; nec divina natura, quae de Christo praedicatur, est aliud a supposito ejus, nec per consequens a supposito humanae naturae. Unde secundum hanc opinionem Christus non dicitur proprie aliud et aliud; sed exponendum est, alterius et alterius naturae. Prima vero opinio, quae distinguit supposita naturarum, potest dicere quod Christus est aliud et aliud.

1. « Autre » est un partitif. Aussi quelque chose dont cela est séparé est-il nécessaire. Lorsqu’on dit que le Christ est une chose et une autre, puisque « autre » n’est pas seulement le prédicat de la nature, mais du suppôt de la nature (car la nature humaine n’est pas prédiquée du Christ), il est nécessaire qu’il y ait là quelque chose de distinct ou de divisé du suppôt de la nature humaine, qui sera prédiqué du Christ. Or, cela ne peut être le cas selon la deuxième opinion, car le suppôt de la nature divine n’est pas autre chose que le suppôt de la nature humaine ; et la nature divine, qui est prédiquée du Christ, n’est pas autre chose que son suppôt, ni, par conséquent, que le suppôt de la nature humaine. Selon cette opinion, on ne dit donc pas que le Christ est deux réalités, mais il faut expliquer qu’il a une double nature. Mais la première opinion, qui fait une distinction entre les suppôts des natures, peut dire que le Christ est deux réalités.

 [8257] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod termini numerales, ut in 1 dictum est, se habent communiter ad personam et naturam; unde loquendo de unitate personali, est tantum una in Christo, secundum quam dicitur unus Christus; loquendo autem de unitate naturali, est duplex unitas. Non tamen sequitur quod Christus sit unum et unum: quia unum quod de Christo praedicatur, non refertur tantum ad naturam, sed ad suppositum naturae, quod non geminatur.

2. Comme on l’a dit dans le livre I, les termes numériques sont communs pour la personne et la nature. Parlant de l’unité personnelle, il n’en existe qu’une seule dans le Christ, selon laquelle on dit que le Christ est unique ; mais, parlant de l’unité naturelle, il existe une double unité. Il n’en découle cependant pas que le Christ soit deux réalités, car l’unité qui est prédiquée du Christ ne se rapporte pas seulement à la nature, mais au suppôt de la nature, qui n’est pas double.

 [8258] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod natura divina praedicatur in recto de personis propter identitatem rei; sed duae naturae quae sunt in Christo, non praedicantur de eo in recto: quamvis enim divina natura praedicetur de eo in recto, non tamen humana, sicut nec de aliquo alio homine. Si autem tres personae differrent secundum rem a natura, quamvis esset una numero in eis, non tamen posset propter hoc dici, quod tres personae essent unum simpliciter; sed forte quod essent unus Deus; sicut multi homines dicuntur unus populus.

3. La nature divine est prédiquée directement des personnes en raison d’une identité réelle ; mais les deux natures qui existent dans le Christ ne sont pas prédiquées de lui directement. En effet, bien que la nature divine soit prédiquée de lui directement, ce n’est pas le cas de la nature humaine, ni d’un autre homme. Mais si les trois personnes différaient en réalité de la nature, bien que celle-ci serait unique en nombre en elles, on ne pourrait cependant pas dire que les trois personnes sont simplement une seule réalité, mais qu’elles sont un seul Dieu, comme on dit que plusieurs hommes sont un seul peuple.

 [8259] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod cum dicitur, Christus est aliquid quod est mater, ly aliquid non praedicat tantum naturam, sed suppositum naturae, ut patet ex praedictis; relativum autem refert suum antecedens, non gratia suppositi, sed gratia naturae: mater enim non convenit cum filio in supposito, sed in natura: relativum autem non refert idem secundum suppositum, sed quandoque idem secundum naturam speciei. Cum vero dicitur: est aliquid quod est pater, ly aliquid praedicat naturam divinam: unde ex hoc sequitur quod humana natura non sit divina natura, non autem quod Christus sit duo.

4. Lorsqu’on dit que le Christ est quelque chose qu’est sa mère, « quelque chose » n’est pas le prédicat de la seule nature, mais du suppôt de la nature, comme cela ressort de ce qui a été dit ; mais le relatif se rapporte à son antécédent, non pas en raison du suppôt, mais en raison de la nature. En effet, la mère et le fils n’ont pas en commun le suppôt, mais la nature ; mais le relatif ne se rapporte pas à la même chose selon le suppôt, mais parfois à la même chose selon la nature de l’espèce. Mais lorsqu’on dit : « Il est quelque chose qu’est son Père », « quelque chose » est le prédicat de la nature divine. Il découle donc de cela que la nature humaine n’est pas la nature divine, mais non pas que le Christ soit une double réalité.

 [8260] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod cum dicitur, Christus est aliquid passibile, ly aliquid non praedicat naturam, sed suppositum humanae naturae; quia proprietates naturae denominative praedicantur de supposito, quamvis natura de eo non praedicetur, et etiam proprietates partium. Petrus enim quamvis non sit capillus, est tamen Crispus. Cum vero dicitur, Christus est aliquid impassibile, ly aliquid praedicat suppositum divinae naturae, quod non est aliud quam suppositum humanae naturae; vel etiam divinam naturam, quae non est aliud a suo supposito. Unde non sequitur quod sit ibi aliud et aliud: media enim falsa est quae dicit quod aliquid passibile non est aliquid impassibile: idem enim suppositum quod est passibile secundum unam naturam, est impassibile secundum aliam.

5. Lorsqu’on dit : « Le Christ est quelque chose de passible », « quelque chose » n’est pas le prédicat de la nature, mais du suppôt de la nature humaine, car les propriétés de la nature sont prédiquées du suppôt par dérivation (bien que la nature ne soit pas prédiquée de lui), et aussi les propriétés des parties. En effet, Pierre, bien qu’il ne soit pas un cheveu, est cependant crépu. Mais lorsqu’on dit: « Le Christ est quelque chose d’impassible», «quelque chose» est le prédicat du suppôt de la nature divine, qui n’est pas autre que le suppôt de la nature humaine ; ou encore, [il est le suppôt] de la nature divine, qui n’est pas différente de son suppôt. Il n’en découle donc pas qu’il y ait là des réalités différentes. En effet, la mineure qui dit que quelque chose de passible n’est pas quelque chose d’impassible est fausse : le même suppôt, qui est passible selon une nature, est cependant impassible selon l’autre.

 [8261] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod totus refertur ad personam, totum autem ad naturam. Totum autem, secundum quod hic sumitur, est cui nihil deest: et quia nihil deest de personalitate filii, quam significat nomen Christi, secundum quod est ubique, quia est persona aeterna; ideo dicitur totus ubique. Deest autem aliquid de natura ei, secundum quod non est ubique; sed tamen illud aliquid non praedicatur de Christo. Unde non sequitur quod Christus sit aliquid et aliquid; sed quod in eo sit aliquid et aliquid.

6. « Tout entier » (totus) se rapporte à la personne, mais « en totalité » (totum) se rapporte à la nature. « En totalité », selon qu’on l’entend ici, signifie ce à quoi rien ne fait défaut ; parce que rien ne fait défaut à la personnalité du Fils, que signifie le mot « Christ », selon qu’il est partout puisqu’il est une personne éternelle, on dit donc qu’il est tout entier partout. Mais quelque chose lui fait cependant défaut par nature selon qu’il n’est pas partout ; toutefois, ce quelque chose n’est pas prédiqué du Christ. Il n’en découle donc pas que le Christ soit deux réalités, mais qu’existent en lui deux réalités.

 [8262] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod termini in praedicato positi tenentur formaliter: unde non conceditur ista, quod Christus sit tantum homo; quia excluderetur omnis alia natura. Ly aliquid autem, et ly unum non determinant aliquam formam vel naturam; sed determinatum suppositum, secundum quod de Christo praedicantur: non enim determinant nisi illud circa quod ponuntur. Unde si diceretur: Christus est tantum unum, vel tantum aliquid, non excludit aliam naturam, sed aliud suppositum: et ideo haec est vera: Christus est tantum aliquid unum; et est in processu illo fallacia consequentis, quia aliquid unum est superius ad hominem. Procedit ergo negative ab inferiori ad superius, cum dictione exclusiva.

7. Les termes positifs de ce qui est prédiqué sont pris formellement ; aussi ne concède-t-on pas que le Christ est seulement homme, car toute autre nature serait exclue. Mais « quelque chose » et « un seul » ne déterminent pas une forme ou une nature, mais un suppôt déterminé, lorsqu’ils sont prédiqués du Christ. En effet, ils ne déterminent que ce dont ils sont affirmés. Si l’on disait : « Le Christ n’est qu’une seule chose ou seulement telle chose », cela n’exclut pas une autre nature, mais un autre suppôt. Cette proposition : « Le Christ est seulement quelque chose d’unique », est donc vraie, et il en découle un raisonnement faux, car ce quelque chose d’unique est supérieur à l’homme. Sous une forme exclusive, on raisonne donc négativement de l’inférieur au supérieur.

 

 

Articulus 2 [8263] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 2 tit. Utrum in Christo non sit tantum unum esse

Article 2 – N’y a-t-il qu’un seul être dans le Christ ?

 [8264] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod in Christo non sit tantum unum esse. Omnis enim forma substantialis dat esse. Sed anima est forma substantialis. Ergo dat esse. Sed non dat esse divinae personae, quia hoc est aeternum. Ergo dat aliud esse: ergo in Christo non tantum est unum esse.

1. Il semble que, dans le Christ, il n’y ait pas seulement un seul être. En effet, toute forme substantielle donne l’être. Or, l’âme est une forme substantielle. Elle donne donc l’être. Or, elle ne donne pas l’être de la personne divine, car celle-ci est éternelle. Elle donne donc un autre être. Dans le Christ, il n’y a donc pas seulement un être.

 [8265] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, unum est esse filii Dei et patris. Si ergo unum est esse hujus hominis et filii Dei, unum erit esse hujus hominis et Dei patris. Sed nulla est major unio quam ea quae est aliquorum secundum esse unum. Ergo humanitas est unita Deo patri.

2. L’être du Fils de Dieu et du Père est unique. Si donc il n’y a qu’un être de cet homme et du Fils de Dieu, l’être de cet homme et de Dieu le Père sera unique. Or, il n’existe pas d’union plus grande que celle de certaines choses selon un seul être. L’humanité est donc une avec Dieu, le Père.

 [8266] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, in divinis non est esse nisi essentiale. Si ergo unio humanae naturae ad divinam facta est in esse filii Dei, facta est in essentia: quod est impossibile.

3. En Dieu, il n’y a qu’un être essentiel. Si donc l’union de la nature humaine à la nature divine s’est réalisée dans l’être du Fils de Dieu, elle s’est réalisée dans l’essence, ce qui est impossible.

 [8267] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, definitio est oratio indicans quid est esse. Sed homo secundum eamdem definitionem praedicatur de Christo et de Petro. Ergo est idem esse humanitas illius hominis cum esse Petri secundum speciem. Sed esse filii Dei non est idem specie cum esse Petri. Ergo in Christo non est tantum unum esse.

4. La définition est un discours indiquant ce qu’est l’être. Or, « homme » est prédiqué du Christ et de Pierre selon la même définition. L’être de l’humanité de cet homme est donc le même que l’être de Pierre selon l’espèce. Or, selon l’espèce, l’être du Fils de Dieu n’est pas le même que l’être de Pierre. Dans le Christ, il n’y a donc pas un seul être.

 [8268] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 2 arg. 5 Praeterea, de quocumque responderi potest ad quaestionem factam per an est, habet proprium esse. Sed haec quaestio fit non tantum de persona, sed etiam de natura. Ergo esse non tantum est personae, sed etiam naturae. In Christo autem sunt duae naturae. Ergo in Christo sunt duo esse.

5. De quoi qu’on puisse répondre à la question : « Cela existe-t-il ?», cela a son être propre. Or, cette question se pose non seulement pour la personne, mais aussi pour la nature. L’être n’est donc pas seulement celui de la personne, mais aussi celui de la nature. Or, il y a deux natures dans le Christ. Il y a donc un double être dans le Christ.

 [8269] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 2 s. c. 1 Sed contra, omne quod habet per se esse, est subsistens. Si ergo in Christo est duplex esse, sunt ibi duo subsistentia: ergo duae hypostases: quod supra improbatum est.

Cependant, [1] tout ce qui a l’être par soi subsiste. Si donc il y a un double être dans le Christ, il y a deux réalités subsistantes, et donc deux hypostases, ce qui a été repoussé plus haut.

 [8270] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 2 s. c. 2 Praeterea, quaecumque differunt secundum esse, unum eorum non praedicatur de altero. Sed Deus est homo, et e converso. Ergo est esse unum Dei et hominis.

 [2] De tout ce qui diffère selon l’être, rien n’est prédiqué de l’autre. Or, Dieu est homme, et inversement. Il y a donc un seul être de Dieu et de l’homme.

 [8271] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 2 s. c. 3 Praeterea, unius non est nisi unum esse. Sed Christus est unum, ut dictum est. Ergo habet unum esse tantum.

 [3] Il n’y a qu’un seul être pour une seule réalité. Or, le Christ est une seule réalité, comme on l’a dit. Il n’a donc qu’un seul être.

 [8272] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod secundum philosophum 5 Metaph., esse duobus modis dicitur. Uno modo secundum quod significat veritatem propositionis, secundum quod est copula; et sic, ut Commentator ibidem dicit, ens est praedicatum accidentale; et hoc esse non est in re, sed in mente, quae conjungit praedicatum cum subjecto, ut dicit philosophus in 6 Metaph. Unde de hoc non est hic quaestio. Alio modo dicitur esse, quod pertinet ad naturam rei, secundum quod dividitur secundum decem genera; et hoc quidem esse est in re, et est actus entis resultans ex principiis rei, sicut lucere est actus lucentis. Aliquando tamen sumitur esse pro essentia, secundum quam res est: quia per actus consueverunt significari eorum principia, ut potentiae vel habitus. Loquendo igitur de esse secundum quod est actus entis, sic dico, quod secundum secundam opinionem oportet ponere tantum unum esse; secundum alias autem duas oportet ponere duo esse. Ens enim subsistens, est quod habet esse tamquam ejus quod est, quamvis sit naturae vel formae tamquam ejus quo est: unde nec natura rei nec partes ejus proprie dicuntur esse, si esse praedicto modo accipiatur; similiter autem nec accidentia, sed suppositum completum, quod est secundum omnia illa. Unde etiam philosophus dicit in 2 Metaph., quod accidens magis proprie est entis quam ens. Prima ergo opinio, quae ponit duo subsistentia, ponit duo esse substantialia; similiter tertia opinio, quia ponit quod partes humanae naturae adveniunt divinae personae accidentaliter, ponit duo esse, unum substantiale, et aliud accidentale; secunda vero opinio, quia ponit unum subsistens, et ponit humanitatem non accidentaliter advenire divinae personae, oportet quod ponat unum esse. Impossibile est enim quod unum aliquid habeat duo esse substantialia; quia unum fundatur super ens: unde si sint plura esse, secundum quae aliquid dicitur ens simpliciter, impossibile est quod dicatur unum. Sed non est inconveniens quod esse unius subsistentis sit per respectum ad plura, sicut esse Petri est unum, habens tamen respectum ad diversa principia constituentia ipsum: et similiter suo modo unum esse Christi habet duos respectus, unum ad naturam humanam, alterum ad divinam.

Réponse. Selon le Philosophe, dans Métaphysique, V, « être » est employé de deux manières. D’une manière, selon qu’il signifie la vérité d’une proposition en tant que copule ; ainsi, comme le dit le Commentateur, ce qui existe (ens) est un prédicat accidentel. Cet être n’existe pas dans la réalité, mais dans l’esprit, qui unit le prédicat et le sujet, comme le dit le Philosope dans Métaphysique, VI. Il n’est donc pas question de cela ici. D’une autre manière, on parle de l’être qui concerne la nature d’une chose, selon qu’il se divise en dix genres. Cet être se trouve dans la réalité et il est un acte de ce qui existe résultant des principes de la chose, comme luire est l’acte de ce qui luit. Cependant, « être » est parfois pris pour l’essence selon laquelle une chose existe, car on a coutume de signifier les principes des choses, comme les puissances ou les habitus, par les actes. Parlant donc de l’être selon qu’il est l’acte de ce qui existe, je dis que, selon la deuxième opinion, il faut affirmer qu’il n’y a qu’un être [dans le Christ], mais, selon les deux autres, il faut affirmer qu’il y en a deux. En effet, l’être qui subsiste est ce qui possède l’être comme appartenant à ce qui est, bien qu’il appartienne à la nature ou à la forme comme à ce par quoi cela est. Aussi, au sens propre, ne dit-on ni de la nature d’une chose, ni de ses parties, ni des accidents qu’ils existent, si on entend être de la manière dite, mais [on le dit] du suppôt complet, qui est selon toutes ces choses. Aussi le Philosophe dit-il, dans Métaphysique, II, que l’accident appartient plutôt à ce qui est qu’il n’est lui-même un être. La première opinion, qui affirme deux [êtres] subsistants, et aussi la troisième opinion, parce qu’elle affirme que les parties de la nature humaine s’ajoutent à la personne divine de manière accidentelle, affirment donc qu’il y a deux êtres : l’un substantiel et l’autre accidentel. Mais la deuxième opnion, parce qu’elle affirme qu’il n’y a qu’un seul [être] subsistant et affirme aussi que l’humanité ne s’ajoute pas de manière accidentelle à la personne divine, doit affirmer qu’il n’y a qu’un seul être. En effet, il est impossible qu’une chose ait deux êtres substantiels, car le fait d’être un se fonde sur l’être. Si donc il y a plusieurs êtres, selon lesquels on dit que quelque chose est tout simplement, il est impossible de dire que cela est un. Mais il n’est pas inapproprié que l’être d’une chose qui subsiste ait un rapport avec plusieurs choses, comme l’être de Pierre est un, et cependant il a un rapport avec plusieurs principes qui le constituent. De même, à sa manière, l’être unique du Christ a deux rapports : l’un à sa nature humaine, l’autre à sa nature divine.

 [8273] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod forma facit esse; non ita quod illud esse sit materiae aut formae, sed subsistentis. Quando ergo compositum ex materia et forma est per se subsistens, acquiritur ex forma illi composito esse absolutum per se; quando autem non est per se subsistens, non acquiritur per formam esse illi composito; sed subsistenti cui hoc adjungitur, acquiritur respectus secundum esse ad hoc quod ei additur: sicut si ponamus hominem nasci sine manu, et manum per se separatim fieri, et postea ei miraculose conjungi, constat quod forma manus causabit esse manus per se subsistentis: sed postquam conjungitur homini, non acquiritur ex forma manus aliquod esse manui, quia manus non habet esse proprium; sed acquiritur homini respectus ad manum secundum suum esse. Ita etiam dico, quod anima in Christo non acquirit proprium esse humanae naturae; sed filio Dei acquirit respectum secundum suum esse ad naturam humanam, qui tamen respectus non est aliquid secundum rem in divina persona, sed aliquid secundum rationem, ut dictum est de unione, supra, dist. 2, qu. 2, art. 2, quaestiunc. 3, ad 3.

1. La forme fait être, mais non de telle manière que cet être soit celui de la matière ou de la forme, mais de ce qui subsiste. Lorsqu’un composé de matière et de forme subsiste par soi, il reçoit donc d’être un absolu par soi de la forme qui est composée avec lui ; mais lorsqu’il n’est pas subsistant, l’être ne vient pas à ce composé par la forme, mais ce qui subsiste, et à quoi cela est ajouté, acquiert un rapport selon l’être avec ce qui lui est ajouté. Ainsi, si nous affirmons qu’un homme naît sans main et que la main est produite séparément, et que, par la suite, elle lui est miraculeusement unie, il est clair que la forme de la main causera l’être de la main qui subsiste par soi. Mais, après qu’elle est unie à l’homme, un être ne s’ajoute pas à la main, car la main n’a pas d’être propre, mais l’homme acquiert un rapport à la main selon son être. Ainsi, je dis aussi que l’âme chez le Christ ne reçoit pas l’être propre de la nature humaine ; mais elle acquérir donne au Fils de Dieu un rapport selon son être à la nature humaine, rapport qui n’est cependant pas quelque chose de réel dans la personne divine, mais quelque chose de raison, comme on l’a dit plus haut de l’union, d. 2, q. 2, a. 2, qa 3, ad 3.

 [8274] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod aliud est de Deo et de omnibus aliis rebus: quia in Deo ipsa essentia subsistens est, unde sibi secundum se debetur esse; immo ipsa est suum esse subsistens: unde essentia a persona non differt secundum rem: et ideo esse essentiae est etiam personae; et tamen persona et essentia ratione differunt. Quamvis ergo unum sit esse, potest tamen esse considerari vel prout est essentiae; et sic non unitur humanitas in esse divino, unde non unitur patri: vel potest considerari prout est personae; et sic unitur in esse divino.

2. Il en va autrement de Dieu et de toutes les autres choses, car, en Dieu, l’essence elle-même subsiste ; aussi l’être lui revient-il par elle-même, bien plus, elle est son être subsistant. Aussi l’essence ne diffère-t-elle pas en réalité de la personne. L’être de l’essence est donc aussi l’être de la personne, et cependant la personne et l’essence diffèrent selon la raison. Bien que l’être soit une seule réalité [en Dieu], il peut donc être considéré soit comme appartenant à l’essence, et ainsi l’humanité n’est pas unie à l’être divin, elle n’est donc pas unie au Père ; soit il peut être considéré comme appartenant à la personne, et ainsi [l’humanité] est-elle unie à l’être divin.

 [8275] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 2 ad 3 Et per hoc patet solutio ad tertium.

3. La réponse au troisième argument est ainsi claire.

 [8276] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod philosophus accipit ibi esse pro essentia, vel quidditate, quam signat definitio.

4. Le Philosophe parle là de l’être comme essence ou quiddité, que la définition exprime.

 [8277] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod illa objectio procedit de esse secundum quod signat veritatem propositionis: sic enim potest dici non tantum de his quae sunt in re, sed de his quae sunt in intellectu: de quibus potest locutio formari.

5. Cette objection vient de l’être selon qu’il indique la vérité d’une proposition. En effet, il peut ainsi être employé non seulement pour ce qui existe en réalité, mais pour ce qui existe dans l’intellect, à propos de quoi on peut parler.

Articulus 3 [8278] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 3 tit. Utrum persona verbi post incarnationem sit composita

Article 3 – La personne du Verbe est-elle composée après l’incarnation ?

 [8279] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur, quod persona verbi post incarnationem non sit composita. Omne enim compositum est melius componentibus: quia bonum additum bono facit magis bonum. Sed divinitate non potest esse aliquid melius. Ergo ex divinitate et humanitate non potest fieri una persona composita.

1. Il semble que la personne du Verbe ne soit pas composée après l’incarnation. En effet, tout composé est meilleur que ses composants, car un bien ajouté à un bien donne un plus grand bien. Or, il ne peut rien y avoir de meilleur que la divinité. La divinité et l’humanité ne peuvent donc pas donner une personne composée.

 [8280] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 3 arg. 2 Praeterea, in Christo non est nisi persona aeterna. Sed nullum aeternum est compositum. Ergo persona Christi nullo modo est composita.

2. Dans le Christ, il n’y a qu’une personne éternelle. Or, rien d’éternel n’est composé. La personne du Christ n’est donc aucunement composée.

 [8281] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 3 arg. 3 Praeterea, ad simplicitatem divinae essentiae pertinet quod non sit composita, nec alteri componibilis. Sed persona divina est aequalis simplicitatis cum essentia. Ergo nec in se potest dici composita, nec alteri componibilis.

3. Il appartient à l’essence divine de ne pas être composée et de ne pas pouvoir être composée avec une autre. Or, la personne divine est égale en simplicité avec l’essence. On ne peut donc pas dire qu’elle est composée ni qu’elle peut être composée avec une autre.

 [8282] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 3 arg. 4 Praeterea, sicut dicit philosophus, pars habet rationem materiae et imperfecti. Sed omnis imperfectio et materialitas a deitate est aliena. Ergo non potest esse pars alicujus. Sed omnis compositio est ex partibus. Ergo persona Christi non potest esse composita ex divinitate et humanitate.

4. Comme le dit le Philosophe, la partie a raison de matière et d’imparfait. Or, toute imperfection et toute matérialité sont étrangères à la divinité. Elle ne peut donc être une partie de quelque chose. Or, toute composition vient de parties. La personne du Christ ne peut donc être composée de divinité et d’humanité.

 [8283] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 3 arg. 5 Sed contra est quod dicit Damascenus, duas naturas unitas invicem in unam compositam hypostasim filii Dei.

Cependant, [5] [Jean] Damascène dit en sens contraire qu’il y a deux natures unies l’une à l’autre dans une seule hypostase composée du Fils de Dieu.

 [8284] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 3 arg. 6 Praeterea, Levitici 5 super illud: decimam partem ephi, Glossa: idest Christi humanitatem; ephi enim tres modios capiens significat Trinitatem. Ergo humanitas Christi est pars alicujus personae in Trinitate.

 [6] À propos de Lv 5 : La dixième partie de l’ephum, la Glose dit : « C’est-à-dire l’humanité du Christ : en effet, prendre trois mesures de l’ephum signifie la Trinité. » L’humanité du Christ est donc une partie d’une personne de la Trinité.

 [8285] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 3 arg. 7 Praeterea, Athanasius in symbolo: sicut anima rationalis et caro unus est homo; ita Deus et homo unus est Christus. Sed anima rationalis et caro sunt partes hominis. Ergo Deus et homo sunt partes Christi.

 [7] Dans le symbole, Athanase dit : « De même que l’âme raisonnable et la chair sont un seul homme, de même Dieu et l’homme sont un seul Christ. » Or, l’âme raisonnable et la chair sont des parties de l’homme. Dieu et l’homme sont donc des parties du Christ.

 [8286] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 3 arg. 8 Praeterea, omne totum est compositum ex partibus. Sed Damascenus dicit, quod Christus totus fuit in Inferno, non tamen totum: et similiter ubique est non totum, sed totus: quia non est ubique nisi secundum alteram naturam. Ergo duae naturae sunt partes personae Christi compositae ex eis.

 [8] Chaque tout est composé de parties. Or, [Jean] Damascène dit que tout le Christ était en enfer, mais cependant pas en totalité ; de même, il est n’est pas entier partout , mais tout [le Christ] y est, car il n’est pas partout seulement selon l’autre nature. Les deux natures sont donc des parties de la personne du Christ qui est composée d’elles.

 [8287] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod ad rationem totius pertinent duo. Unum scilicet quod esse totius compositi pertinet ad omnes partes: quia partes non habent proprium esse, sed sunt per esse totius, ut dictum est. Aliud est quod partes componentes causant esse totius. Secundum autem tertiam et primam opinionem neutrum horum invenitur in Christo: quia opinio prima dicit, quod hic homo habet esse suum proprium; unde esse divinae personae ad ipsum non pertinet; similiter tertia opinio dicit, quod est esse superadditum ad esse divinae personae accidentaliter; unde anima et corpus non dicuntur partes personae, sicut nec accidentia subjecti; unde neutra ponit personam verbi compositam. Sed secunda ponit unum esse in Christo; unde esse divinae personae pertinet ad utramque naturam. Non tamen illud esse causatur ex conjunctione naturarum, sicut esse compositi causatur ex conjunctione componentium. Unde secundum hanc opinionem persona Christi post incarnationem potest dici aliquo modo composita, inquantum ibi salvatur aliqua conditio compositi: non tamen est ibi vera ratio compositionis, quia deficit ibi altera conditio; unde etiam non est in usu modernorum hanc opinionem tenentium, quod dicant personam compositam. Nec dicendum, quod dicatur composita secundum expositionem nominis quasi cum alio posita: quia sic prima opinio et tertia ponerent personam compositam sicut et secunda.

Réponse. Deux choses se rapportent à la raison du tout. L’une, que l’être du tout composé se rapporte à toutes les parties, car les parties n’ont pas d’être propre, mais elles existent par l’être du tout, comme on l’a dit. L’autre est que les parties qui composent [le tout] causent l’être du tout. Or, selon la troisième et la première opinion, aucune de ces deux choses ne se trouve dans le Christ, car la première opinion dit que cet homme a son être propre : l’être de la personne divine ne le concerne donc pas. De même, la troisième opinion dit qu’il y a un être ajouté à l’être de la personne divine de manière accidentelle ; aussi l’âme et le corps ne sont-ils pas appelés des parties de la personne, comme les accidents du sujet ne le sont pas. Aucune des deux positions n’affirme donc que la personne du Verbe est composée. Mais la deuxième [opinion] affirme qu’il y a un seul être dans le Christ ; l’être de la personne divine se rapporte donc aux deux natures. Cependant, cet être n’est pas composé de l’union des natures, comme l’être d’un composé est causé par l’union des composants. Selon cette opinion, on peut donc dire que la personne du Christ, après l’incarnation, est composée d’une certaine manière, pour autant qu’y est préservée une condition du composé ; cependant, la raison de la composition n’existe pas là véritablement, car il y manque une autre condition. Aussi la position de ceux qui soutiennent que la personne est composée n’est-elle plus en usage chez les modernes. Il ne faut pas dire non plus qu’elle est appelée composée, selon l’interprétation du mot, au sens de « placée avec », car la première et la troisième positions affirmeraient ainsi que la personne est composée, comme la deuxième.

 [8288] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in persona composita quamvis sint plura bona quam in persona simplici, quia est ibi bonum increatum et bonum creatum; tamen persona composita non est majus bonum quam simplex: quia bonum creatum se habet ad bonum increatum sicut punctus ad lineam, cum nulla sit proportio unius ad alterum; unde sicut lineae additum punctum, non facit majus; ita nec bonum creatum additum in persona bono increato facit melius: vel etiam quia tota ratio bonitatis omnium bonorum est in Deo; unde et ipse dicitur omne bonum; unde non potest sibi fieri additio alicujus boni quod in ipso non sit.

1. Dans la personne composée, bien qu’il y ait davantage de biens que dans la personne simple, car il y a le bien incréé et le bien créé, la personne composée n’est cependant pas un bien plus grand que la personne simple, car le rapport entre le bien créée et le bien incréé est celui du point à la ligne, puisqu’il n’y a aucune proportion entre l’un et l’autre. De même qu’un point ajouté à la ligne ne donne pas quelque chose de plus grand, de même le bien créé ajouté au bien incréé dans la personne ne donne pas quelque chose de meilleur. Aussi, parce que toute la raison de bonté de tous les biens existe en Dieu, il est appelé tout bien. On ne peut donc lui ajouter un bien qui n’existe pas en lui.

 [8289] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod persona non dicitur composita quasi esse suum sit ex multis constitutum (hoc enim est contra rationem aeterni), sed quia ad multa se extendit, quae assumuntur in illud esse.

2. On ne parle pas de personne composée au sens où son être serait constitué de plusieurs choses (en effet, cela va contre la raison de ce qui est éternel), mais parce qu’il s’étend à plusieurs choses, qui sont assumées dans son être.

 [8290] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod de ratione summae simplicitatis est quod nec sit composita ex partibus nec componibilis alteri tamquam pars. Sic autem persona non est composita, quia neque est pars neque ex partibus constituta.

3. Il fait partie de la raison de la plus grande simplicité de n’être ni composée de parties, ni de pouvoir être composée d’autre chose comme d’une partie. Mais la personne n’est pas composée de cette manière, car elle n’est pas une partie et elle n’est pas constituée de parties.

 [8291] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis compositio quantum ad aliquid salvetur in incarnatione verbi, nullo tamen modo est ibi ratio partis. Divinitas enim pars esse non potest, propter imperfectionem quae est de ratione partis: humana autem natura similiter non potest esse pars, quia compartem non habet, vel etiam quia non causat esse personae quae dicitur composita. Et ideo Magister dicit in sequenti dist., quod inexplicabilis est illa compositio quae non est partium. Ratio autem dicitur a magistris unio exigitiva: quia tot comprehenduntur in persona quot exiguntur ad opus redemptionis, ut sit Deus qui possit, et homo qui debeat satisfacere.

4. Bien que la composition soit maintenue d’une certaine façon dans l’incarnation du Verbe, la raison de partie ne s’y trouve cependant aucunement. En effet, la divinité ne peut pas être une partie, en raison de l’imperfection impliquée dans la raison de partie. La nature humaine ne peut donc pas être une partie, car elle n’est pas accompagnée d’autres parties ou encore elle ne cause pas l’être de la personne qu’on dit composée. Aussi le Maître dit-il dans la distinction suivante que la composition qui n’est pas faite de parties est inexplicable. Mais la raison est appelée par les maîtres une union d’exigence, car autant de choses sont comprises dans la personne, qu’elles sont exigées pour l’œuvre de la rédemption, de telle sorte qu’il y ait Dieu qui puisse et l’homme qui doive satisfaire.

 [8292] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Damascenus dicit compositam hypostasim, inquantum est ibi aliquid de ratione compositionis, non quod sit simpliciter composita quantum est ad perfectam rationem compositionis.

5. [Jean] Damascène parle d’hypostase composée pour autant qu’il s’y trouve quelque chose qui fait partie de la composition, et non parce qu’elle est tout simplement composée, au sens de la parfaite raison de composition.

 [8293] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod allegatio illa sumitur quantum ad similitudinem numeri, non quantum ad similitudinem totius et partis.

6. Cette allégation vient de la ressemblance avec le nombre, et non de la ressemblance entre le tout et la partie.

 [8294] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod similitudo illa est quantum ad aliquid, et non quantum ad omnia, ut patet ex dictis.

7. Cette ressemblance porte sur une chose, et non sur tout, comme cela ressort de ce qui a été dit.

 [8295] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 3 ad 8 Ad ultimum dicendum, quod totum, praeter hoc quod est compositum ex partibus, habet aliud de ratione sui, scilicet quod ei nihil deest eorum quae debet habere; et secundum hoc sumitur a Damasceno.

8. Le tout, en plus d’être composé de parties, comporte un autre aspect qui fait partie de sa raison : que rien ne lui manque de ce qu’il doit avoir. C’est en ce sens qu’il est utilisé par [Jean] Damascène.

 

 

Quaestio 3

Question 3 – [La troisième opinion]

Prooemium

Prologue

 [8296] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 pr. Deinde quaeritur de his quae pertinent ad tertiam opinionem; et circa hoc quaeruntur duo: 1 utrum ex anima et corpore Christi fuerit aliquid compositum; 2 utrum anima et corpus fuerint unita divinae personae accidentaliter.

On s’interroge ensuite sur ce qui se rapporte à la troisième opinion. À ce propos, deux questions sont soulevées : 1 – Un composé a-t-il été formé de l’âme et du corps du Christ ? 2 – L’âme et le corps ont-il été unis à la personne divine de manière accidentelle ?

 

 

Articulus 1 [8297] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 1 tit. Utrum in Christo fuerit aliqua compositio animae et corporis

Article 1 – Dans le Christ, une composition a-t-elle eu lieu entre son âme et son corps ?

 [8298] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod non fuerit aliqua compositio animae et corporis in Christo. Supra enim, dist. 2, probavit Magister, quod nomine humanae naturae intelligitur anima et corpus; nec ita accipitur in Christo sicut in aliis. Cum ergo in aliis hominibus accipiatur humana natura pro eo quod compositum est ex anima et corpore; videtur quod in Christo accipiatur pro partibus non compositis.

1. Il semble qu’il n’y ait pas eu de composition d’âme et de corps dans le Christ. En effet, plus haut, à la d. 2, le Maître a démontré que, par l’expression « nature humaine », sont entendus l’âme et le corps, et qu’ils ne sont pas entendus de la même manière pour le Christ et pour les autres. Puisque, chez les autres hommes, on entend « nature humaine » de ce qui est un composé d’âme et de corps, il semble donc que, chez le Christ, cela soit entendu de parties non composées.

 [8299] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 1 arg. 2 Praeterea, Damascenus dicit, quod in domino Jesu non est communem speciem accipere. Sed ex anima et corpore unitis consurgit natura speciei. Ergo videtur quod non fuerunt ad invicem unita in Christo.

2. [Jean] Damascène dit que, dans le Seigneur Jésus, il ne faut pas concevoir une spèce commune. Or, la nature de l’espèce vient de l’union de l’âme et du corps. Il semble donc qu’ils n’ont pas été unis l’un à l’autre dans le Christ.

 [8300] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 1 arg. 3 Praeterea, post ultimam compositionem non potest esse alia compositio. Sed ultima compositio in natura est animae rationalis ad corpus. Ergo si ista unio esset in Christo, non posset sequi unio ad divinam personam.

3. Après l’ultime composition, il ne peut y avoir d’autre composition. Or, la composition ultime dans la nature est celle de l’âme raisonnable au corps. Si cette union existait dans le Christ, l’union à la personne divine ne pourrait donc pas suivre.

 [8301] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 1 arg. 4 Praeterea, anima non conjungitur carni nisi ut vivificet ipsam. Sed caro poterat vivificari ex unione ad ipsam vitam, scilicet verbum. Ergo non oportuit quod carni uniretur.

4. L’âme n’est unie au corps que pour le vivifier. Or, la chair pouvait être vivifiée par l’union à la vie elle-même, le Verbe. Il n’était donc pas nécessaire qu’elle soit unie à la chair.

 [8302] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 1 s. c. 1 Sed contra, homo univoce dicitur de Christo et aliis hominibus; alias non esset ejusdem speciei, nec per eum deberet satisfieri pro peccatis humani generis. Sed de ratione hominis, secundum quod praedicatur de aliis, est compositio animae et corporis. Ergo et in Christo fuit unio animae et carnis.

Cependant, [1] « homme » est utilisé de manière univoque pour le Christ et pour les autres hommes, autrement, ils ne seraient pas de la même espèce et il ne devrait pas satisfaire pour les péchés du genre humain. Or, selon qu’elle est prédiquée des autres, la raison d’homme est la composition de l’âme et du corps. Il y a donc eu union de l’âme et du corps dans le Christ.

 [8303] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 1 s. c. 2 Praeterea, corpus non est animatum, nisi anima conjungatur ei quasi forma. Si ergo anima non fuisset unita corpori Christi quasi forma, fuisset corpus illud inanimatum; et ita non fuisset assumptibile.

 [2] Le corps n’est pas animé, à moins que l’âme ne lui soit unie comme une forme. Si donc l’âme n’avait pas été unie au corps du Christ comme une forme, ce corps aurait été inanimé, et ainsi il n’aurait pu être assumé.

 [8304] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod unio animae ad carnem constituit rationem hominis, et omnium partium ejus; unde remota anima, non dicitur homo nec oculus nec caro nisi aequivoce, sicut homo pictus; et ideo si tollatur unio animae Christi ad carnem ejus, sequitur quod non sit homo verus, nec caro ejus vera; quod est contra articulum fidei; et ideo haec opinio tertia non solum est falsa, sed haeretica, et in Concilio Ephesino sub Caelestino I Papa condemnata. Tamen ista opinio videtur ex eodem fonte processisse cum prima, scilicet ex hoc quod credebant omne compositum ex anima et corpore habere rationem hominis; et ideo, quia prima opinio posuit animam et corpus unita ad invicem, esse assumpta, coacta fuit ponere hominem esse assumptum, et Christum esse duo. Haec autem opinio, ut hoc negaret, posuit animam et corpus esse assumpta non unita. Secunda vero utrumque evitat, ut dictum est.

Réponse. L’union de l’âme à la chair constitue la raison d’homme et de toutes ses parties. Si on enlève l’âme, on ne parle plus d’homme, ni d’œil, ni de chair que de manière équivoque, comme dans le cas d’un homme peint. Si donc est enlevée l’union de l’âme du Christ à sa chair, il en découle qu’il n’est pas un homme véritable et que sa chair n’est pas vraie, ce qui va à l’encontre d’un article de foi. Aussi cette troisième opinion est-elle non seulement fausse, mais hérétique, et a-t-elle été condamnée au troisième concile d’Éphèse, sous le pape Célestin I. Cependant, cette opinion semble venir de la même source que la première, du fait qu’on croyait que tout composé d’âme et de corps avait la raison d’homme. Parce que la première opinion affirmait que l’âme et le corps unis l’un à l’autre ont été assumés, elle a donc été forcée d’affirmer que l’homme a été assumé et que le Christ était deux réalités. Pour nier cela, cette opinion affirmait que l’âme et le corps ont été assumés alors qu’ils n’étaient pas unis. Mais la deuxième opinion évite les deux choses, comme on l’a dit.

 [8305] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non fuit intentio Magistri dicere, quod per humanam naturam in Christo significentur corpus et anima non unita; non enim quantum ad hoc assignat differentiam, sed quantum ad hoc quod humana natura in aliis consurgit ex omnibus quae substantialiter in ipsis sunt: in Christo autem non, sed solum ex corpore et anima.

1. Ce n’était pas l’intention du Maître de dire que, par la nature humaine, étaient signifiés le corps et l’âme non unis dans le Christ. En effet, il n’indique pas de différence sur ce point, mais sur le point que la nature humaine apparaît chez les autres à partir de tout ce qui se trouve de manière substantielle en eux. Or, chez le Christ, ce n’est pas le cas, mais seulement à partir de ce qui vient du corps et de l’âme.

 [8306] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Damascenus loquitur quantum ad unionem divinitatis ad humanam naturam, ex qua non consurgit tertia natura speciei quantum ad unionem animae ad corpus.

2. [Jean] Damascène parle de l’union de la divinité à la nature humaine, à partir de laquelle n’apparaît pas une troisième nature de l’espèce pour ce qui est de l’union de l’âme au corps.

 [8307] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod compositio animae rationalis ad carnem est ultima in operibus naturae; sed compositio humanitatis ad personam verbi non fit operatione naturae, sed virtute divina.

3. La composition d’âme raisonnable et de chair est ultime dans les œuvres de la nature ; mais la composition de l’humanité à la personne du Verbe n’est pas réalisée par une opération de la nature, mais par la puissance divine.

 [8308] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod verbum vivificat carnem Christi active, et non formaliter: et ideo requiritur anima, quae formaliter vivificet.

4. Le Verbe vivifie la chair du Christ de manière active, et non de manière formelle. Aussi l’âme, qui vivifie de manière formelle, est-elle nécessaire.

 

 

Articulus 2 [8309] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 2 tit. Utrum humana natura verbo accidentaliter uniatur

Article 2 – La nature humaine est-elle unie au Verbe de manière accidentelle ?

 [8310] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod humana natura accidentaliter verbo uniatur. Ad Philip. 2, 7: habitu inventus ut homo. Ergo cum habitus sit genus accidentis, videtur quod Deus fuerit homo accidentaliter.

1. Il semble que la nature humaine soit unie au Verbe de manière accidentelle. Ph 2, 7 : Il a été reconnu comme homme à son vêtement. Puisque le vêtement (habitus) est un genre de l’accident, il semble donc que Dieu ait été homme de manière accidentelle.

 [8311] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 2 arg. 2 Praeterea, omne quod advenit post esse completum, est accidens. Sed humana natura advenit filio Dei post esse completum ipsius. Ergo advenit ei accidentaliter.

2. Tout ce qui arrive après l’être complet est un accident. Or, la nature humaine survient chez le Fils de Dieu après son être complet. Elle survient donc chez lui de manière accidentelle.

 [8312] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 2 arg. 3 Praeterea, secundum philosophum, in subjecto dicitur esse quod est in aliquo non sicut pars. Sed humanitas in Christo non est sicut pars, ut dictum est. Ergo est in eo sicut in subjecto. Sed in subjecto esse est proprium accidentis. Ergo unitur verbo accidentaliter.

3. Selon le Philosophe, on dit qu’être dans un sujet, c’est être dans un autre, mais non comme une partie. Or, l’humanité du Christ n’existe pas comme une partie, comme on l’a dit. Elle existe donc en lui comme dans un sujet. Or, être dans un sujet est propre à l’accident. Elle est donc unie au Verbe de manière accidentelle.

 [8313] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 2 arg. 4 Praeterea, accidens est quod adest et abest praeter subjecti corruptionem. Sed humana natura hoc modo se habet ad personam filii Dei. Ergo unitur ei accidentaliter.

4. Un accident est ce qui survient et disparaît sans corruption du sujet. Or, c’est la manière dont existe la nature humaine par rapport à la personne du Fils de Dieu. Elle lui est donc unie de manière accidentelle.

 [8314] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 2 s. c. 1 Sed contra est decretalis Alexandri Papae: cum (inquit) Christus sit perfectus Deus et perfectus homo; qua temeritate audent quidam dicere, quod Christus, secundum quod homo, non est aliquid ? Sed praedicatum accidentale non praedicat aliquid, sed aliqualiter se habens. Ergo homo non est praedicatum accidentale.

Cependant, [1] une décrétale du pape Alexandre va en sens contraire : « Puisque le Christ est complètement Dieu et complètement homme, par quelle témérité certains osent-ils dire que le Christ, selon qu’il est homme, n’est pas quelque chose ? » Or, un prédicat accidentel ne prédique pas quelque chose, mais comment est une chose. « Homme » n’est donc pas un prédicat accidentel.

 [8315] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Aristoteles in 1 Physic., dicit: quod vere est, idest substantia, fit accidens nulli. Sed humanitas est substantia. Ergo non potest dici accidens alicui.

 [2] Aristote dit, dans Physique, I : « Ce qui existe vraiment (c’est-à-dire, la substance) ne devient un accident pour rien. » Or, l’humanité est une substance. Elle ne peut donc être appelée un accident pour rien.

 [8316] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 2 s. c. 3 Praeterea, si est accidens, oportet quod alicui accidat. Non homini, quia per se convenit ei humanitas. Ergo accidit filio Dei; quod est contra Boetium, qui dicit, quod in Deo non est aliquod accidens.

 [3] S’il s’agit d’un accident (accidens), il est nécesssaire qu’il survienne (accidat) à quelque chose. Non pas à l’homme, car l’humanité lui convient par soi. Elle survient donc au Fils de Dieu, ce qui est contraire à Boèce, qui dit qu’en Dieu, il n’y a pas d’accident.

 [8317] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod quamvis hoc quod est accidens in se, possit esse aliquo modo substantia alicui, ut color albedini; tamen quod est in se substantia, non potest esse accidens alicujus, quamvis conjunctio unius substantiae ad alteram possit esse accidens, ut sic una substantia alteri accidentaliter advenire dicatur, sicut vestis homini. Sed hoc non potest esse nisi dupliciter: vel quod conjungatur ei secundum contactum, sicut vestis homini, vel sicut dolium vino; aut sicut mobile motori, sicut Angelus conjungitur corpori quod assumit. Et cum contactus non sit nisi corporum, oportet dicere, quod humana natura non potest advenire divinae personae nisi sicut mobile motori, ut dicatur Christus hoc modo assumpsisse naturam humanam, sicut Angelus assumit corpus, ut oculis mortalium videatur, sicut dicitur in littera; et sic spiritus sanctus visus est in columba. Haec autem assumptio non vere facit praedicari assumptum de assumente, nec proprietates assumpti vere transfert in assumentem: non enim Angelus assumens corpus ad hominis similitudinem, vere est homo, nec vere habet aliquas proprietates hominis; neque spiritus sanctus potest dici minor seipso propter speciem columbae in qua apparuit, ut dicit Augustinus. Unde patet quod haec opinio non potest dicere, quod filius Dei vere sit homo, vel vere sit passus: et ideo cum neget veritatem articulorum, condemnata est quasi haeretica. Tamen etiam quantum ad hanc positionem procedit ab eodem fonte cum prima, scilicet ex hoc quod humana natura non assumeretur ad esse divinae personae. Unde prima opinio ponebat, quod assumptum habebat esse per se, in quo subsistebat; haec autem tertia opinio ponit, quod non subsistit assumptum, neque persona in eo, sed est esse accidentale superadditum.

Réponse. Bien que ce qui est un accident par soi puisse être d’une certaine manière une substance pour quelque chose, comme la couleur pour la blancheur, cependant ce qui est en soi une substance ne peut être un accident pour quelque chose, bien que l’union d’une substance à une autre puisse être un accident, de sorte qu’on dise qu’une substance est survenue à quelque chose d’autre de manière accidentelle, comme un vêtement à l’homme. Mais cela ne peut être le cas que de deux manières : soit que cela lui est uni par contact, comme le vêtement pour l’homme, ou le tonneau pour le vin ; soit comme un mobile à ce qui le meut : ainsi l’ange est-il uni au corps qu’il assume. Puisqu’il n’y a de contact qu’entre des corps, il faut donc dire que la nature humaine ne peut advenir à la personne divine que comme un mobile à ce qui le meut, pour dire que « le Christ a assumé la nature humaine comme l’ange a assumé un corps afin d’être visible aux yeux des mortels », comme on le dit dans le texte. C’est ainsi que le Saint-Esprit a été vu sous la forme d’une colombe. Or, une telle assomption ne permet pas que ce qui est assumé soit prédiqué de ce qui l’assume, ni ne reporte les propriétés de ce qui est assumé sur ce qui les assume. En effet, « l’ange qui assume un corps à la ressemblance de l’homme n’est pas vraiment un homme et il n’a pas certaines qualités de l’homme ; l’Esprit-Saint non plus ne peut être dit plus petit que lui-même en raison de la forme de la colombe sous laquelle il est apparu », comme le dit Augustin. Il est donc clair que cette opinion ne peut dire que le Fils de Dieu est vraiment homme ou qu’il a vraiment souffert. Puisqu’elle nie la vérité de certains articles, elle a donc été condamnée comme hérétique. Cependant, cette opinion procède de la même source que la première, à savoir que la nature humaine ne serait pas assumée dans l’être de la personne divine. Aussi la première opinion affirmait-elle que ce qui est assumé avait un être par soi dans lequel il subsistait ; mais cette troisième opinion [dont il esst question] affirme que ce qui est assumé ne subsiste pas, et que la personne y subsiste, mais qu’elle est un être accidentel ajouté.

 [8318] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod humana natura in Christo habet aliquam similitudinem cum accidente, et praecipue cum habitu, quantum ad tria. Primo, quia advenit personae divinae post esse completum, sicut habitus, et omnia alia accidentia. Secundo, quia est in se substantia, et advenit alteri, sicut vestis homini. Tertio, quia melioratur ex unione ad verbum, et non mutat verbum; sicut vestis formatur secundum formam vestientis, et non mutat vestientem. Unde antiqui dixerunt, quod vergit in accidens; et quidam propter hoc addiderunt, quod degenerat in accidens: quod tamen non ita proprie dicitur; quia natura humana in Christo non degenerat, immo magis nobilitatur.

1. La nature humaine dans le Christ a une certaine ressemblance avec l’accident, surtout avec le vêtement, sous trois aspects. Premièrement, parce qu’elle advient à la personne divine après que son être est achevé, comme le vêtement et tous les autres accidents. Deuxièmement, parce qu’elle est une substance en soi et qu’elle advient à quelque chose d’autre, comme un vêtement à l’homme. Troisièmement, parce qu’elle est améliorée par l’union au Verbe et ne change pas le Verbe, comme le vêtement prend la forme de celui qu’il revêt et ne change pas celui qui le revêt. Aussi les anciens disaient-ils que [la nature humaine du Christ] tend vers l’accident. À cause de cela, certains ont ajouté qu’elle dégénère en accident, ce qui n’est cependant pas dit en un sens aussi propre, car la nature humaine dans le Christ ne dégénère pas, mais elle est plutôt ennoblie.

 [8319] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis adveniat post esse completum, non tamen est accidentaliter adveniens: quia trahitur ad unionem in illo esse, sicut corpus adveniet animae in resurrectione.

2. Bien qu’elle advienne alors que l’être est complet, elle n’advient cependant pas de manière accidentelle, car elle est attirée à l’union avec cet être, comme le corps adviendra à l’âme lors de la résurrection.

 [8320] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis non proprie possit dici pars, tamen aliquid habet de ratione partis; quod non habet accidens, ut patet ex dictis.

3. Bien qu’elle ne puisse être appelée une partie au sens propre, elle possède cependant quelque chose de la raison de partie, ce que n’a pas l’accident, comme cela ressort de ce qui a été dit.

 [8321] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum sicut ad secundum.

4. La réponse est la même que pour le deuxième argument.

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 6

 [8322] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 2 expos. Quaeritur, an his locutionibus, Deus factus est homo etc (...) dicatur Deus factus esse aliquid. Hic ponit tres quaestiones. Prima est, utrum homo aliquid praedicet de Christo. Et secundum primam et secundam opinionem praedicat aliquid, quia de eo praedicatur in quid, quia est unio substantialis; secundum vero tertiam opinionem non praedicat aliquid, sed aliquo modo se habens. Secundam quaestionem ponit ibi: et an ita conveniat dici: utrum homo factus sit Deus, sicut Deus factus est homo: quod prima opinio concedit; secunda et tertia non, proprie loquendo, ut in sequenti dist. patebit. Tertia quaestio est: si per hujusmodi locutiones non dicitur Deus factus aliquid, quis erit in his intellectus ? Et hanc ponit ibi: et si ex his locutionibus non dicitur Deus factus esse aliquid, vel esse aliquid, quae sit intelligentia harum locutionum, et similium. Alii enim dicunt, in ipsa verbi incarnatione hominem quemdam ex anima rationali et humana carne constitutum. Hic ponit positiones primae opinionis, non omnes, sed quae sufficiunt ad intellectum ejus: et prima positio est radix opinionis, scilicet quod anima et corpus assumuntur unita (quod est contra tertiam), non solum ad constituendam humanitatem, sed etiam hominem (quod est contra secundam), et hoc est quod dicit: hominem quemdam; et quod ista unio animae ad carnem, ex qua constituitur homo, praecedit unionem ad verbum secundum intellectum; et hoc est quod dicit: et ille homo coepit esse Deus; non autem tempore; et hoc est quod dicit: in ipsa verbi incarnatione. Secundam positionem ponit ibi: concedunt etiam hominem illum assumptum a verbo, et unitum verbo; et hoc est quod homo est assumptus, et quod assumens est assumptum, quod notatur in hoc quod dicit: tamen esse verbum; et quod per assumptionem Deus factus est homo; unde dicit: et ea ratione tradunt dictum esse Deum factum hominem. Tertia est quod homo factus est Deus, et e converso, ibi: unde vere dicitur: Deus factus est homo, et homo factus est Deus. Quarta est quod homo dicit compositum ex duabus substantiis, ibi: cumque dicant illum hominem ex anima rationali et humana carne subsistere, non tamen fatentur ex duabus naturis esse compositum. Et ne de suo tantum loqui putentur, hanc sententiam pluribus muniunt testimoniis. Hic inducuntur auctoritates ad probandum primam opinionem. Et sciendum, quod quatuor probant per praedictas auctoritates. Primum est, quod Christus est duo; quod probant per primam auctoritatem, quae incipit ibi: cum legitur, ex illo verbo, utrumque simul unam personam. Item per secundam, quae incipit, ibi, Jesus Christus, ex illo verbo, utraque substantia, scilicet divina et humana, filius est unicus Dei patris omnipotentis, ex illo, aliud propter verbum, et aliud propter hominem. Item per quartam, quae incipit ibi: agnoscamus geminam substantiam, ex illo verbo, utrumque autem simul, non duo, sed unus est Christus. Quod autem dicitur, utrumque Christus, intelligendum est non proprie dici, sed materialiter; sicut paries et tectum dicitur domus. Quod vero dicit, aliud et aliud, intelligendum est, alterius et alterius naturae. Secundum quod probant, est quod homo factus est Deus: et hoc probant per tertiam auctoritatem, quae incipit ibi: quid natura humana in Christo homine meruit ? Ex illo verbo, quibus mereretur iste homo una fieri persona cum Deo. Item ex quinta, quae incipit ibi: ille homo, ut a verbo patri coaeterno in unitatem personae assumptus filius Dei unigenitus esset, unde hoc meruit ? Ex illo verbo, ex quo ille homo esse cepit. Item ex sexta, quae incipit ibi: homo quicumque, ex illo verbo, homo ille ab initio factus est Christus. Item ex septima, quae incipit ibi, gratia Dei nobis in homine Christo commendatur, ex illo verbo, una cum illo persona filius Dei fieret; quod qualiter intelligendum sit, in sequenti dist. dicetur. Tertium est, quod homo sit assumptus; et hoc probant per auctoritatem quintam, quae incipit ibi: ille homo ut a verbo patri coaeterno in unitatem personae assumptus, filius Dei unigenitus esset, unde hoc meruit ? Quae expresse hoc dicit: et hoc in praecedenti dist. solutum est: quia homo dicitur assumptus, idest natura hominis. Quartum quod probant, est quod homo constat ex duabus substantiis, per octavam auctoritatem, quae incipit ibi: Christum non ambigimus esse Deum verbum; quae expresse hoc dicit; sed Hilarius loquitur quantum ad formam significatam, non quantum ad suppositum. Sunt autem alii. In hoc capite ponit positiones secundae opinionis. Ponit ergo duas positiones ejus, in quibus tota consistit: prima est, quod assumptum est compositum ex anima et corpore per modum naturae humanae, quod patet ex hoc quod humanam naturam, ex qua, et divina dicit Christum constare, statim exponit per animam et corpus, ex quibus non constat natura humana, nisi secundum quod sunt conjuncta ad invicem; et quod hoc compositum sit homo, habet ex unione ad divinam personam; unde dicit, quod homo ille non tantum constat ex anima et corpore, sed ex his et divinitate. Quod autem dicit: in parte consentiunt, intendit quantum ad hoc quod utraque ponit quod homo praedicat de Christo quid, et quod anima et corpus sint unita ad invicem. Secunda positio est, quod persona verbi ante incarnationem fuit simplex, sed post est composita. Et post hoc removet duo inconvenientia quae videntur sequi: primum est quod persona verbi sit alia quam primo: quod removet ibi: nec est ideo alia persona quam prius; secundum quod persona sit facta: quod removet ibi: nec tamen persona illa debet dici facta persona. De hoc Augustinus in Lib. sententiarum prosperi ait. Hic ponit auctoritates probantes secundam opinionem; et probant duo: scilicet quod est una hypostasis, et quod persona post incarnationem est composita, quod satis patet in littera. Sunt etiam alii qui in incarnatione verbi non solum personam ex naturis compositam negant, verum etiam hominem aliquem, sive etiam aliquam substantiam, ibi ex anima et carne compositam vel factam diffitentur. Hic ponit positiones tertiae opinionis; et ponit quatuor, in quibus tota consistit: prima est, quod ex anima et corpore non sit aliquid unum; et hoc ponitur statim in principio; secunda, quod haec duo adveniunt divinae personae accidentaliter, sicut indumentum; et hoc ibi: sed sic illa duo, scilicet animam et carnem, verbi personae vel naturae unita esse ajunt, ut non ex illis duobus vel ex his tribus, aliqua substantia vel persona fieret. Et deinde removet duo inconvenientia. Unum quod sequitur ex prima positione, scilicet quod Deus non sit verus homo; et hoc ibi: qui ideo dicitur verus factus homo, quia veritatem carnis et animae accepit. Sed constat quod non potest evitare: quia remota unione animae ad corpus, non invenitur veritas carnis; et praeterea adhuc si sit vera caro et vera anima, non erit verus homo, nisi sint unita. Secundum est quod sequitur ex secunda positione, scilicet, quod si anima et corpus advenerint accidentaliter, non pertineant ad singularitatem divinae personae; quod removet ibi: quae duo etiam in singularitatem vel unitatem suae personae accepisse legitur. Patet etiam quod non potest hoc inconveniens evitare: quia non sequitur: si non addit ad numerum personarum, ergo pertinet ad singularitatem divinae personae: sicut etiam columba in qua spiritus sanctus apparuit, non auget numerum personarum, non tamen pertinet ad singularitatem personae spiritus sancti. Tertia positio est, quod persona verbi est simplex post incarnationem sicut ante; in quo convenit cum prima; et hoc ibi: et quia ipsa persona verbi quae prius erat sine indumento, assumptione indumenti non est divisa, vel mutata. Quarta, quod homo de Deo non praedicat quid sed habitum: et hoc ibi: qui secundum habitum Deum hominem factum dicunt; et hoc probat ad inconveniens ducendo, ibi: nam si essentialiter, inquiunt illi, Deus esset homo, vel homo esse Deus intelligeretur; tunc si Deus assumpsisset hominem in sexu muliebri, et mulier essentialiter Deus esset et e converso; quod tamen patet non esse inconveniens. Ne autem et isti de suo sensu influere videantur, testimoniis in medium productis quod dicunt confirmant. Hic ponit auctoritates probantes hanc tertiam opinionem: primum quod probant, est quod persona ista non fuit mutata per incarnationem, et quod humana natura non auget numerum personarum; et hoc per primam auctoritatem. Sed hoc non est contra secundam opinionem, quae quamvis ponat personam compositam, non tamen mutatam: nec sufficit ad probandum quod anima et corpus non pertineant ad singularitatem divinae personae, quia non est auctus numerus personarum. Secundum quod probant est, quod homo dicitur de Deo secundum habitum; et hoc per secundam auctoritatem, ibi: multis modis habitum dicimus, quae expresse dicere hoc videtur. Item per tertiam, quae incipit ibi: si quaeritur ipsa incarnatio quomodo facta sit, ipsum verbum Dei dico carnem factum, ex illo verbo, indutum. Item ex quinta, sexta, et septima, quae Deum dicunt suscepisse hominem, aut humanam naturam, ut visibilis esset. Sed non oportet quod omne quod suscipitur, sit accidens. Item ex ultima, quae incipit ibi: quomodo Dei filius ex Maria est ? Ex illo verbo: non fuit habitus ille tantum hominis; idest puri hominis, sed ut hominis: quia purus homo videbatur propter habitum. Sed omnia haec per similitudinem dicuntur, et non per proprietatem, sicut ex praedictis patet. Tertium est, quod Christus dicatur homo, quia habuit corpus et animam sibi unita, ex quarta auctoritate, quae incipit ibi: Dei filius, cum sit Deus aeternus et verus, pro nobis factus est homo verus et plenus, ex illo verbo: in eo vero plenus. Sed haec auctoritas non negat unionem animae et corporis, immo magis ponit, per hoc quod dicit veram naturam: non enim est natura humana nisi ex compositione animae et corporis.

 

 

 

Distinctio 7

Distinction 7 – [Les expressions concernant l’union]

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [Dans la proposition : « Dieu est homme », comment le verbe « est » exprime-t-il l’union  ?]

Prooemium

Prologue

 [8323] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 pr. Postquam distinxit Magister tres opiniones circa modum unionis, hic secundum eas ostendit qualiter locutiones quibus unio significatur, sunt intelligendae; et dividitur in duas partes: in prima exponit eas secundum singulas opiniones; in secunda relinquit auditori judicium de dictis opinionibus, ibi: satis diligenter juxta diversorum sententias supra positam absque assertione et praejudicio tractavimus quaestionem. Prima dividitur in tres partes: in prima exponit dictas locutiones secundum primam opinionem; in secunda secundum secundam, ibi: in secunda vero sententia hujus distinctionis talis videtur ratio; in tertia secundum tertiam, ibi: in hac igitur sententia sic dicitur Deus factus homo, quia hominem accepit. Circa primum duo facit: primo exponit propositiones dictas secundum primam opinionem; secundo objicit contra, ibi: huic autem sententiae opponitur. Exponit autem illas propositiones in prima parte, in quibus fit mutua praedicatio Dei et hominis mediante hoc participio factus, quas primo exponit; et illas in quibus fit praedicatio mediante hoc participio praedestinatus, quas secundo exponit, ibi: et hoc gratia non natura. Objectionis autem solutionem ponit ibi: quod et illi concedunt. In secunda vero sententia hujus distinctionis talis videtur ratio. Hic exponit eas quae sunt secundum secundam opinionem: et primo exponit propositiones; secundo solvit quae videntur esse contra hanc opinionem, ibi: determinant etiam auctoritates quae primae conveniunt sententiae, et huic videntur contradicere. Circa primum tria facit: primo exponit illas in quibus fit praedicatio mediante hoc participio factus; secundo illas in quibus fit mediante hoc verbo est, ibi: variatur autem intelligentia; tertio illas in quibus fit praedicatio mediante hoc participio praedestinatus, ibi: isti dicunt Christum praedestinatum esse. Determinant etiam auctoritates quae primae conveniunt sententiae, et huic videntur contradicere. Hic solvit tria quae videntur esse contra hanc secundam opinionem; et tria facit circa hoc: primo solvit auctoritates quae videntur probare quod homo sit assumptus; secundo illas quae videntur probare quod Christus sit duo, ibi: sed his videntur adversari quae subditis continentur capitulis; tertio illas, quae probant quod persona non sit composita, ibi: est autem et aliud quod huic sententiae plurimum videtur obviare. Secunda pars dividitur in duas partes: in prima solvit auctoritates quae dicunt Christum esse aliud et aliud, ex quo sequitur ipsum esse duo; in secunda solvit illas quae dicunt Christum esse duo, vel utrumque duorum esse Christum, ibi: quod etiam dictum est, utrumque est Christus, et una persona, movere potest lectorem. Circa primum tria facit: primo objicit; secundo solvit, ibi: haec autem in hunc modum determinant; tertio solutionem confirmat, ibi: aperte enim Hilarius ait, et similiter dividitur pars secunda: quia primo objicit; secundo solvit, ibi: sed haec omnia ex tali sensu dicta fore tradunt; tertio solutionem confirmat, ibi: quia, ut ait Hieronymus, verbum est Deus, non caro assumpta. Est autem et aliud quod huic sententiae plurimum videtur obviare. Hic objicit contra positionem personae: et primo objicit; secundo solvit, ibi: ad quod etiam illi dicunt. In hac igitur sententia sic dicitur Deus factus homo, quia hominem accepit. Hic exponit dictas propositiones secundum tertiam opinionem; et dividitur in duas partes: in prima exponit propositiones; in secunda infert corollarium ex dictis, ibi: et quia secundum habitum accipienda est incarnationis ratio; ideo Deum humanatum, non hominem deificatum dici tradunt. Circa primum tria facit: primo exponit qualiter dicatur Deus factus homo; secundo quomodo dicatur Christus praedestinatus, ibi: secundum istos dicitur Christus, secundum quod homo, praedestinatus esse filius Dei; tertio quomodo dicatur minor seipso, ibi: hi etiam cum dicitur Christus minor patre, secundum quod homo, secundum habitum hoc intelligunt dictum. Et quia secundum habitum accipienda est incarnationis ratio; ideo Deum humanatum, non hominem deificatum dici tradunt. Hic concludit ex dictis quod homo potest denominative praedicari de Deo ut dicatur Deus humanatus, non autem Deus de homine; et circa hoc duo facit: primo ostendit quod non potest dici homo deificatus; secundo quod non potest dici homo dominicus, ibi: et licet dicatur homo Deus, non tamen congrue dicitur homo dominicus. Hic est quaestio de locutionibus exprimentibus unionem: et primo quaeritur de locutionibus exprimentibus unionem per hoc verbum est simpliciter; secundo de his quae exprimunt unionem cum hoc participio factus; tertio de illis quae exprimunt unionem cum hoc participio praedestinatus. Circa primum quaeruntur duo: 1 de hac: Deus est homo, et e converso; 2 de hac: Christus est homo dominicus.

Après avoir distingué trois opinions à propos de l’union, le Maître montre ici comment, selon elles, les expressions par lesquelles l’union est signifiée doivent être comprises. Il y a deux parties : dans la première, il les explique selon chacune des opinions ; dans la seconde, il laisse à l’auditeur le jugement sur ces opinions, à cet endroit : « Nous avons traité avec assez de soin la question formulée plus haut selon les diverses positions. » La première partie se divise en trois. Dans la peremière partie, il explique les expressions selon la première opinion. Dans la deuxième, selon la deuxième, à cet endroit : « Mais, selon la deuxième position, la raison d’une telle distinction semble être la suivante. » Dans la troisième, selon la troisième [opinion], à cet endroit : « Selon cette position, on dit que Dieu est devenu homme parce qu’il a accueilli l’homme. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il explique les propositions en question selon la première opinion ; deuxièmement, il soulève une objection, à cet endroit : « On objecte à cette position… » Dans la première partie, il explique les propositions dans lesquelles est faite une prédication réciproque entre Dieu et l’homme au moyen du participe « devenu », en les présentant tout d’abord ; puis, celles dans lesquelles est faite une prédication au moyen du participe « prédestiné », qu’il expose en second lieu, à cet endroit : « Et cela, par grâce, et non selon la nature. » Il présente la réponse à l’objection à cet endroit : « Ce qu’ils concèdent... » « Mais, selon la deuxième position, la raison d’une telle distinction semble être la suivante » Ici, il présente les [propositions] conformes à la deuxième opinion. Premièrement, il présente les propositions ; deuxièmement, il répond à ce qui semble s’opposer à cette opinion, à cet endroit : « Ils déterminent aussi des autorités qui sont d’accord avec la première position et de celles qui semblent la contredire. » À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il présente celles dans lesquelles est faite une prédication au moyen du participe « devenu » ; deuxièmement, celles dans lesquelles elle est faite par l’intermédiaire du verbe « est », à cet endroit : « Mais le sens varie… » ; troisièmement, celles dans lesquelles une prédication est faite au moyen du participe « prédestiné », à cet endroit : « Ceux-ci disent que le Christ a été prédestiné. » « Ils déterminent aussi des autorités qui sont d’accord avec la première position et de celles qui semblent la contredire. » Ici, il résout trois choses qui semblent aller contre la deuxième opinion. À ce propos, il fait trois choses. Premièrement, il résout les autorités qui semblent démontrer qu’un homme a été assumé. Deuxièmement, celles qui semblent démontrer que le Christ est deux réalités, à cet endroit ; « Mais ce qui est contenu dans les chapitres suivants semble contredire cela. » Troisièmement, celles qui démontrent que la personne n’est pas composée, à cet endroit : « Mais il y a quelque chose qui semble s’opposer fortement à cette position. » La seconde partie est divisée en deux parties. Dans la première, il résout les autorités qui disent que le Christ est une chose et une autre, d’où il découle qu’il est deux réalités. Dans la seconde, il résout celles qui disent que le Christ est deux choses ou que deux choses sont le Christ, à cet endroit : « Ce qui a été dit, que les deux choses sont le Christ et une seule personne, peut ébranler le lecteur. » À propos du premier point, il fait trois choses : premièrement, il soulève une objection ; deuxièmement, il la résout, à cet endroit : « Ils en déterminent de cette manière » ; troisièmement, il confirme la solution, à cet endroit : « Hilaire dit ouvertement… ». La seconde partie est divisée de la même manière : premièrement, elle soulève une objection ; deuxièment, elle la résout, à cet endroit : « Mais ils disent que tout cela aura été dit dans un même sens» ; troisièmement, il confirme la solution, à cet endroit : « Comme le dit Jérôme, le Verbe est Dieu, non la chair assumée. » « Mais il y a quelque chose qui semble s’opposer fortement à cette position. » Ici, il soulève une objection contre l’affirmation de la personne : premièrement, il soulève l’objection ; deuxièment, il résout l’objection, à cet endroit : « Ceux-là disent aussi à ce sujet. » « Selon cette position, on dit que Dieu est devenu homme parce qu’il a accueilli l’homme. » Ici, il présente les propositions en cause selon la troisième opinion. Il y a deux parties : dans la première, il présente les propositions ; dans la seconde, il tire un corollaire de ce qui a été dit, à cet endroit : « Parce que la raison d’incarnation doit s’entendre selon le vêtement, ils enseignent qu’on doit dire que Dieu s’est humanisé, non que l’homme a été divinisé. » À propos du premier point, il fait trois choses : premièrement, il présente comment on dit que le Christ est devenu homme ; deuxièmement, comment on dit que le Christ a été prédestiné, à cet endroit : « Selon eux, on dit que le Christ, en tant qu’homme, a été prédestiné à être le Fils de Dieu » ; troisièmement, comment on dit qu’il est inférieur à lui-même, à cet endroit : « Ceux-là encore comprennent que, lorsque le Christ est dit inférieur à son Père, en tant qu’homme, cela a été dit selon le vêtement. » « Parce que la raison d’incarnation doit s’entendre selon le vêtement, ils enseignent qu’on doit dire que Dieu s’est humanisé, non que l’homme a été divinisé. » Ici, il conclut de ce qui a été dit que « homme » peut être prédiqué de Dieu comme un nominatif, de sorte qu’on dit de Dieu qu’il s’est humanisé, mais non que Dieu vient de l’homme. À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il montre qu’on ne peut pas dire que l’homme a été divinisé ; deuxièmement, que l’homme ne peut pas être appelé « Seigneur », à cet endroit : « Et bien que l’homme soit appelé Dieu, l’homme n’est cependant pas appelé Seigneur. » Ici, il est question des formules qui expriment l’union. Premièrement, on s’interroge sur les formules exprimant l’union par le mot « est » tout simplement ; deuxièmement, sur celles qui expriment l’union par le participe « devenu » ; troisièmement, sur celles qui expriment l’union par le participe « prédestiné ». À propos du premier point, deux questions sont soulevées : 1 – À propos de cette [formule] : « Dieu est homme », et inversement. 2 – À propos de cette [formule] : « Le Christ est-il l’homme du Seigneur (homo dominicus) ? »

 

 

Articulus 1 [8324] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1 tit. Utrum haec sit vera, Deus est homo

Article 1 – Cette formule : « Dieu est homme » est-elle vraie ?

 [8325] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod haec sit falsa, Deus est homo. Magis enim conveniunt quae uniuntur in personam et naturam unam, quam ea quae uniuntur in personam, et non in naturam unam. Sed anima et corpus uniuntur in naturam et personam unam; Deus autem et homo in personam, et non in naturam. Cum ergo anima non possit praedicari de corpore, nec e converso, videtur quod Deus non possit praedicari de homine, nec e converso.

1. Il semble que cette formule soit fausse : « Dieu est homme. » En effet, ce qui est uni dans la personne et dans une seule nature a plus en commun que ce qui est uni dans la personne, et non dans une nature unique. Or, l’âme et le corps sont unis dans une nature et une personne uniques, mais Dieu et l’homme, dans la personne, et non dans la nature. Puisque l’âme ne peut être prédiquée du corps, ni inversement, il semble donc que Dieu ne puisse être prédiqué de l’homme, ni inversement.

 [8326] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, major est unitas trium personarum in natura divina quam unitas duarum naturarum in persona Christi. Sed una persona non praedicatur de alia. Ergo nec homo praedicatur de Deo, nec e converso.

2. L’unité des trois personnes dans la nature divine est plus grande que l’unité des deux natures dans la personne du Christ. Or, une personne n’est pas prédiquée d’une autre. « Homme » n’est donc pas prédiqué de Dieu, ni inversement.

 [8327] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, nihil praedicatur univoce de creatore et creatura. Sed homo univoce praedicatur in Christo et in nobis. Ergo non praedicatur de Deo.

3. Rien n’est prédiqué de manière univoque du Créateur et de la créature. Or, « homme » est prédiqué de manière univoque du Christ et de nous. Il n’est donc pas prédiqué de Dieu.

 [8328] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, quidquid praedicatur de Deo, aut est absolutum, aut relativum. Sed homo non est relativum, quia non dicitur ad aliquid; et praeterea praedicat aliquid secundum duas opiniones: quod non convenit relativis, quae, secundum Augustinum non praedicant aliquid, sed ad aliquid: nec potest praedicari de Deo tamquam absolutum; quia absoluta quae veniunt in divinam praedicationem dicuntur de tribus personis; quod non est de hoc nomine homo. Ergo non possumus dicere, quod Deus sit homo.

4. Tout ce qui est prédiqué de Dieu est soit absolu, soit relatif. Or, « homme » n’est pas un relatif, car cela n’est pas dit en rapport avec quelqu’un ; de plus, cela est prédiqué selon deux opinions : que cela ne convient pas à ce qui est relatif, qui, selon Augustin, n’est pas attribué à quelque chose, mais à propos de quelque chose ; cela ne peut pas non plus être prédiqué de Dieu comme quelque chose d’absolu, car les absolus qui sont prédiqués de Dieu se disent des trois personnes, ce qui n’est pas le cas du mot « homme ». Nous ne pouvons donc pas dire que Dieu est homme.

 [8329] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, quod praedicatur, aut praedicatur per se, aut per accidens. Sed homo non praedicatur per se de Deo, quia sic conveniret omni supposito divinae naturae; nec iterum praedicatur per accidens, quia Deo nihil accidit. Ergo homo nullo modo praedicatur de Deo.

5. Ce qui est prédiqué est prédiqué soit par soi, soit par accident. Or, « homme » n’est pas prédiqué par soi de Dieu, car il conviendrait ainsi à tout suppôt de la nature divine ; il n’est pas non plus prédiqué par accident, car rien n’advient à Dieu. « Homme » n’est donc prédiqué de Dieu d’aucune manière.

 [8330] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1 arg. 6 Praeterea, omnis praedicatio vel est per essentiam, sicut, homo est animal; vel per inhaerentiam, sicut, homo est albus; vel per causalitatem, sicut haec: si dies est, sol lucet super terram. Sed cum dicitur: Deus est homo, non est praedicatio per causam, ut sit sensus, Deus est causa hominis: quia sic posset dici: Deus est leo vel stella; nec est praedicatio per inhaerentiam: quia humanitas non accidentaliter inhaeret Deo, ut supra dictum est; nec per essentiam, quia alia est essentia hominis et Dei. Ergo propositio est falsa.

6. Toute prédication est faite soit en raison de l’essence, comme : «L’homme est un animal», soit selon l’inhérence, comme : «L’homme est blanc», soit selon la causalité, comme : « S’il fait jour, le soleil luit sur la terre. » Mais lorsqu’on dit : « Dieu est homme », ce n’est pas une prédication selon la cause, car on pourrait ainsi dire : « Dieu est un lion ou une étoile » ; ni une prédication selon l’inhérence, car l’humanité n’inhère par à Dieu de manière accidentelle, comme on l’a dit plus haut ; ni selon l’essence, car l’essence de l’homme et celle de Dieu sont différentes. La proposition est donc fausse.

 [8331] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1 arg. 7 Praeterea, secundum artem philosophi quatuor sunt genera praedicatorum; scilicet essentiale non conversum, ut genus; et essentiale conversum, ut definitio; accidentale non conversum, ut accidens; accidentale conversum, ut proprium. Sed nullo istorum modorum se habet homo ad Deum, ut patet per se. Ergo nullo modo potest praedicari de ipso.

7. Selon l’art du Philosophe, il existe quatre genres de prédicats : essentiel non convertible, comme le genre ; essentiel convertible, comme la définition ; accidentel non convertible, comme l’accident ; accidentel convertible, comme ce qui est propre. Or, l’homme n’est en rapport avec Dieu selon aucune de ces manières, comme cela ressort de soi. Il ne peut donc aucunement être prédiqué de lui.

 [8332] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1 arg. 8 Praeterea, propositio dicitur esse in materia remota, quando formae significatae sunt diversae. Sed formae significatae per hoc nomen Deus et per hoc nomen homo, sunt diversae maxima diversitate. Ergo haec propositio, Deus est homo, est in materia remota: ergo est falsa: quia in remota materia omnes affirmativae sunt falsae.

8. On dit qu’une proposition porte sur une matière éloignée lorsque les formes signifiées sont diverses. Or, les formes signifiées par le nom « Dieu » et par le nom « homme » sont ce qu’il y a de plus divers. Cette proposition : « Dieu est homme » porte donc sur une matière éloignée ; elle est donc fausse, car, en matière éloignée, toutes les propositions affirmatives sont fausses.

 [8333] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, Rom. 9, 5: quorum patres ex quibus est Christus secundum carnem, qui est Deus benedictus in saecula. Sed Christus secundum carnem natus, est homo quidam. Ergo homo est Deus.

Cependant, [1] en sens contraire, Rm 9, 5 dit : Leurs pères, dont est issu le Christ selon la chair, qui est le Dieu béni dans les siècles. Or, le Christ né selon la chair est un homme. Donc, cet homme est Dieu.

 [8334] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Bernardus dicit, 5 de Consid.: tantam et expressam vim unionis in se praefert illa persona qua Deus et homo unus est Christus, ut si alterum de altero praedices, non erres. Ergo Deus est homo, et e converso.

 [2] Bernard dit dans Sur la considération, V : « Cette personne en qui Dieu et l’homme sont un seul Christ met de l’avant une si grande et si expresse force d’union que, si tu affirmes l’un de l’autre, tu ne te tromperas pas. » Dieu est donc homme, et inversement.

 [8335] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1 s. c. 3 Praeterea, quaecumque uni et eidem sunt eadem, sibi invicem sunt eadem. Sed Christus est Deus, et ipsemet est homo. Ergo Deus est homo.

 [3] Tout ce qui est identique à une seule et même chose est réciproquement identique. Or, le Christ est Dieu et il est homme. Dieu est donc homme.

 [8336] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1 s. c. 4 Praeterea, quaecumque sunt unum secundum suppositum, unum de altero praedicatur. Sed idem est suppositum Dei et hominis, ut dictum est supra. Ergo Deus est homo.

 [4] Tout ce qui est un selon le suppôt est prédiqué réciproquement. Or, le suppôt de Dieu et de l’homme est le même, comme on l’a dit plus haut. Dieu est donc homme.

 [8337] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod haec propositio, Deus est homo, ab omnibus conceditur, sed diversimode a diversis. Secundum enim tertiam opinionem est praedicatio per inhaerentiam, sicut cum dicitur, homo est albus: quia ponit, quod humana natura accidentaliter advenit divinae: et adhuc est valde impropria ex duabus partibus. Primo, quia partes humanae naturae vocat hominem, scilicet corpus et animam; quod improprie dicitur; non enim proprie dicitur quod partes sunt totum, sed quod totum est ex partibus: unde non proprie potest dici, quod anima et corpus sint homo. Secundo, quia si etiam proprie hoc diceretur, tamen cum haec duo secundum hanc opinionem adveniant filio Dei quasi habitus, non potest homo proprie praedicari de eo nisi denominative, sicut nec vestis de homine; sed dicitur homo vestitus. Ita etiam haec opinio dicit, quod dicitur homo, quia habet hominem, et partes humanae naturae: unde non proprie diceretur homo, sed humanatus, sicut homo vestitus non vestis dicitur. Unde est contra veritatem sacrae Scripturae, et symboli, quae Deum hominem factum dicit; et propter hoc est haeretica. Secundum vero primam opinionem, est praedicatio per identitatem, non per informationem: Deus enim supponit suppositum aeternum: quod quidem non informatur per formam significatam per hoc nomen homo, sed informatur per ipsum suppositum humanae naturae, quod est aliud a supposito divinae naturae: et quia illa supposita sunt eadem persona, ratione hujus identitatis potest fieri praedicatio de se invicem, ut sit sensus: Deus est homo; idest, ille, scilicet Christus, qui est homo; et est similis modus praedicandi, sicut cum dicitur: essentia est pater: quia essentia divina est eadem secundum rem cum supposito quod informatur paternitate; quamvis ipsa essentia paternitate non informetur. Sed hoc non potest stare: quia hoc quod dicit, duo supposita esse eamdem personam, non potest intelligi nisi duobus modis. Primo, quod ex duobus suppositis constituatur una persona; et sic neutrum illorum suppositorum esset illa persona: quia quod constituitur ex aliquibus, non praedicatur de illis, ut dictum est dist. 6, quaest. 1, art. 1: unde expositiva istius, Deus est homo, scilicet, ille qui est Deus est homo, erit falsa quantum ad utramque partem: quia neque Deus esset illa persona, nec illa persona esset Deus. Sed hoc non est intellectus ejus, quia non ponit personam compositam sed simplicem. Alio modo potest intelligi ut suppositum divinae naturae sit illa persona simplex secundum rem, et illa persona simplex sit illud suppositum humanae naturae, quod ei advenit per assumptionem. Sed hoc est omnino impossibile, cum implicet contradictionem, scilicet quod illud quod advenit, sit distinctum in sua singularitate, et sit idem illi existenti cui advenit: idem enim est quod est secundum substantiam unum; unum autem est in se indivisum, et ab aliis divisum: unde suppositum humanae naturae, quod advenit divinae personae, esset distinctum a divina persona, inquantum est singulare, per se; et esset non distinctum, inquantum est idem ei: unde persona illa invenitur habere identitatem cum uno suppositorum, scilicet cum supposito divinae naturae, non autem cum supposito humanae naturae: et propter hoc expositiva hujus locutionis, Deus est homo, scilicet, ille qui est Deus, est homo, est falsa quantum ad alteram partem: quia ista persona non est homo, quamvis Deus sit illa persona; unde non potest eam verificare. Et ideo sola opinio secunda vera est, quae verificat eam: potest enim ponere, quod cum dicitur, Deus est homo, est praedicatio per informationem essentialem, quia ly Deus supponit suppositum personae filii; et hoc idem est suppositum humanae naturae per illam naturam informatum, secundum modum intelligendi, inquantum subsistit in ea. Unde sicut haec est vera et propria, Petrus est homo; ita et ista, Deus est homo. Est tamen in hoc differentia: quia in ista, Petrus est homo, homo praedicatur inesse subjecto ratione suppositi, et ratione formae importatae per subjectum; sed in hac, Deus est homo, praedicatum non inest subjecto ratione formae significatae per subjectum: non enim convenit ei ratione divinitatis, sed ratione suppositi. Hoc autem sufficit ad hoc quod sit vera: quia propositio non verificatur ratione formae significatae in supposito, sed ratione suppositi, sicut patet infra in respons. ad quintum.

Réponse. Cette proposition : « Dieu est homme », est concédée par tous, mais diversement. En effet, selon la troisième opinion, il s’agit d’une prédication par inhérence, comme lorsqu’on dit : « L’homme est blanc », car elle affirme que la nature humaine est advenue à la [nature] divine de manière accidentelle, et elle est aussi très impropre sous deux aspects. Premièrement, elle appelle « homme » les parties de la nature humaine, à savoir, le corps et l’âme, ce qui est dit de manière impropre. En effet, on ne dit pas au sens propre que les parties sont le tout, mais que le tout est composé de parties. On ne peut donc pas dire au sens propre que l’âme et le corps sont l’homme. Deuxièmement, même si cela était dit au sens propre, puisque, selon cette opinion, ces deux choses adviennent au Fils de Dieu comme un vêtement, « homme » ne peut être prédiqué de lui au sens propre que d’une manière descriptive, comme le vêtement ne le peut pas de l’homme ; mais on dit que l’homme est vêtu. Cette opinion dit aussi qu’il est appelé « homme » parce qu’il a un homme et les parties de la nature humaine ; aussi ne serait-il pas appelé « homme » au sens propre, mais « humanisé » (humanatus), comme on dit que l’homme est vêtu, mais non qu’il est vêtement. Cela va donc à l’encontre de la vérité de la Sainte Écriture et du symbole, qui dit que Dieu est devenu homme ; pour cette raison, elle est hérétique. Mais, selon la première opinion, il s’agit d’une prédication selon l’identité, et non selon la forme : en effet, Dieu est un suppôt éternel, qui ne reçoit donc pas la forme signifiée par ce nom « homme », mais il reçoit la forme du suppôt de la nature humaine, qui est autre que le suppôt de la nature divine. Et parce que ces suppôts sont la même personne, en raison de cette identité, une prédication réciproque peut être faite, de sorte que le sens est : « Dieu est homme », c’est-à-dire, ce Christ, qui est homme. Il s’agit de la même manière de prédiquer que lorsqu’on dit : « L’essence est le Père », car l’essence divine est en réalité identique au suppôt qui reçoit la forme de la paternité, bien que l’essence elle-même ne reçoive pas la forme de la paternité. Mais cela n’est pas acceptable, car dire que deux suppôts sont la même personne ne peut s’entendre que de deux manières. Premièrement, une seule personne est constituée des deux suppôts ; et ainsi aucun de ces suppôts ne serait cette personne, car ce qui est constitué de certaines choses n’est pas prédiqué d’elles, comme on l’a dit à la d. 6, q. 1, a. 1. Aussi l’interprétation de cette proposition : « Dieu est homme », c’est-à-dire celui qui est Dieu est homme, sera fausse des deux côtés, car ni Dieu ne serait cette personne, ni cette personne ne serait Dieu. Or, ce n’est pas être ce qu’elle veut dire, car elle n’affirme pas que la personne est composée, mais qu’elle est simple. D’une autre manière, elle peut être comprise au sens où le suppôt de la nature divine est en réalité cette personne simple, et que cette personne simple est ce suppôt de la nature humaine, qui lui est advenu par l’assomption. Or, cela est tout à fait impossible, puisque cela implique une contradiction, à savoir que ce qui est advenu est distinct dans sa singularité et est identique à l’existant à qui cela est advenu : en effet, est identique ce qui est un selon la substance ; or, ce qui est un est indivis en lui-même et est divisé des autres. En conséquence, le suppôt de la nature humaine, qui est advenu à la personne divine, serait par soi distinct de la personne divine en tant qu’il est singulier, et il n’en serait pas distinct en tant qu’il lui est identique. Cette personne se trouve donc être identique à l’un des suppôts, à savoir, au suppôt divin, mais non avec le suppôt de la nature humaine. Pour cette raison, l’interprétation de cette formule : « Dieu est homme », à savoir, celui qui est Dieu est homme, est fausse pour la seconde partie, car cette personne n’est pas un homme, bien que Dieu soit cette personne. Cela ne peut donc la rendre vraie. C’est pourquoi seule la deuxième opinion est vraie, qui la rend vraie. En effet, elle peut affirmer que lorsqu’on dit : « Dieu est homme », il s’agit d’une prédication selon une forme essentielle, car « Dieu » joue le rôle de suppôt de la personne du Fils ; et cela même est le suppôt de la nature humaine qui a reçu la forme de cette nature, en comprenant qu’il subsiste en elle. Aussi, de même que cette proposition est vraie au sens propre : « Pierre est homme », de même celle-ci : « Dieu est homme. » Il y a cependant ici une différence, car, dans celle-ci : « Pierre est homme », « homme » est prédiqué comme étant présent dans le sujet en raison du suppôt et en raison de la forme reçue par le sujet ; mais, dans celle-là : « Dieu est homme », le prédicat n’est pas présent dans le sujet en raison de la forme signifiée par le sujet. En effet, il ne lui convient pas en raison de la divinité, mais en raison du suppôt. Mais cela suffit pour que cette proposition soit vraie, car elle n’est pas rendue vraie en raison de la forme signifiée dans le sujet, mais en raison su suppôt, comme cela ressort plus loin dans le réponse au cinquième argument.

 [8338] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut anima et corpus non praedicantur de se invicem; sic nec divina natura et humana. Sed Deus et homo non tantum naturam, sed etiam suppositum naturae designant: et ideo possunt praedicari de se invicem; sicut ex illa parte habens animam et habens corpus praedicantur de se invicem.

1. De même que l’âme et le corps ne sont pas prédiqués l’un de l’autre, de même non plus la nature divine et la nature humaine. Or, « Dieu » et « homme » ne désignent pas seulement la nature, mais aussi le suppôt de la nature. C’est pourquoi ils peuvent être prédiqués l’un de l’autre, comme, par ailleurs, celui qui a une âme et celui qui a un corps peuvent être prédiqués l’un de l’autre.

 [8339] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod secundum hoc quod personae divinae sunt unum, praedicantur de se invicem: dicitur enim, quod natura patris est natura filii. Sed quia non sunt unum in persona, ideo nomina personalia de se invicem non praedicantur. Et similiter hic, quia naturae sunt diversae et persona eadem, nomina quae significant vel supponunt personas, praedicantur de se invicem, non autem nomina quae significant naturas tantum.

2. Selon que les personnes divines sont une seule réalité, elles se prédiquent l’une de l’autre : en effet, on dit que la nature du Père est la nature du Fils. Mais parce qu’elles ne sont pas une seule réalité selon la personne, les noms personnels ne sont donc pas prédiqués l’un de l’autre. De même ici, parce que les natures sont différentes et que la personne est la même, les noms qui signifient ou sont les sujets des personnes sont prédiqués l’un de l’autre, mais non les noms qui signifient seulement les natures.

 [8340] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod homo univoce praedicatur de Deo et aliis hominibus. Quod autem dicitur, quod nihil dicitur univoce de Deo et creaturis, intelligendum est de illis quae praedicantur de ipso inquantum est Deus.

3. « Homme » est prédiqué de manière univoque de Dieu et des autres hommes. Lorsqu’on dit que rien n’est dit de manière univoque de Dieu et des créatures, il faut comprendre qu’il s’agit de ce qui est prédiqué de Dieu en tant qu’il est Dieu.

 [8341] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod cum dicitur, Deus est homo, ly homo quantum ad formam significatam est absolutum, sed quantum ad suppositum habet relationem implicitam: supponit enim pro persona filii Dei.

4. Lorsqu’on dit : « Dieu est homme », « homme » est absolu pour ce qui est de la forme signifiée, mais il comporte une relation implicite pour ce qui est du suppôt. En effet, il joue le rôle de suppôt pour la personne du Fils de Dieu.

 [8342] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod cum dicitur, Deus est homo, Deus supponit personam filii, et significat divinitatem. Propositio autem non verificatur ratione significati, sed ratione suppositi: et cum hoc suppositum sit subsistens in humana natura, hoc nomen homo per se praedicatur de ipsa: unde secundum quod vera est, est per se praedicatio, sicut ista, Petrus est homo. Unde non sequitur quod possit praedicari de omnibus quibus inest forma significata per hoc nomen Deus; quia non est per se ex parte formae significatae; sed ex parte suppositi. Et hoc est singulare in ista materia: quia nunquam alibi invenitur quod sit suppositum unum essentialiter in duabus naturis subsistens: et ideo non potest dici quod sit per accidens, sicut hoc album est homo; id enim quod est per se suppositum hominis non est pars significationis hujus nominis album: album enim solam qualitatem significat, cum nomen significet unum: ex albedine autem et subjecto non fit unum simpliciter: unde hoc nomen album copulat suum subjectum quasi extrinsecum. Deus autem importat suppositum divinae naturae, quod etiam idem est humanae, non quasi extrinsecum, sed sicut clausum in significatione hujus nominis homo; et ideo haec non est per accidens, Deus est homo; sed habet aliquid simile cum illis quae sunt per accidens, inquantum praedicatum non inest subjecto ratione formae importatae per subjectum.

5. Lorsqu’on dit : « Dieu est homme », « Dieu » joue le rôle de suppôt pour la personne du Fils et signifie la divinité. Or, une proposition n’est pas vraie en raison de ce qui est signifié, mais en raison du suppôt et, lorsque ce suppôt subsiste dans la nature humaine, ce nom « homme » est prédiqué d’elle par soi. Aussi selon qu’elle est vraie, elle est une prédication par soi, comme celle-ci : « Pierre est homme. » Il n’en découle donc pas qu’il puisse être prédiqué de tous ceux chez qui se trouvent la forme signifiée par ce nom « Dieu », car, en lui-même, il ne signifie pas selon la forme signifiée, mais selon le suppôt. Et cela est singulier en cette matière, car on ne trouve jamais ailleurs qu’il existe un seul suppôt qui subsiste de manière essentielle en deux natures. On ne peut donc dire que cela soit par accident, comme : « Ce blanc est un homme ». En effet, ce qui est par soi le suppôt de l’homme n’est pas une partie de la signification de ce mot « blanc », car « blanc » signifie seulement une qualité, alors que le nom signifie quelque chose d’un. Or, quelque chose d’un n’est pas réalisé par la blancheur et par le sujet. Aussi ce mot « blanc » est-il uni à son sujet comme de l’extérieur. Or, « Dieu » implique le suppôt de la nature divine, qui est le même que celui de la nature humaine, non pas comme de l’extérieur, mais comme inclus dans la signification de ce nom « homme ». Cette proposition : « Dieu est homme » n’exprime donc pas quelque chose d’accidentel, mais elle a quelque chose de semblable avec celles qui reposent sur un accident, pour autant que ce qui est prédiqué n’est pas présent dans le sujet en raison de la forme reçue par le sujet.

 [8343] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod est praedicatio per essentiam, non quod divinitas sit humanitas, sed quia suppositum divinae naturae essentialiter est suppositum humanae naturae: et hoc significat locutio.

6. Il s’agit d’une prédication selon l’essence, non pas que la divinité soit l’humanité, mais parce que le suppôt de la nature divine est essentiellement le suppôt de la nature humaine. C’est ce que signifie la formule.

 [8344] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod reducitur ad praedicatum de genere, sicut ista, Petrus est homo; quia eadem est ratio veritatis in utraque.

7. Elle se ramène à un prédicat selon le genre, comme celle-ci : « Pierre est homme », car la raison de vérité est la même dans les deux.

 [8345] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod non est in materia remota, sed in materia naturali: quia propositio verificatur non ratione naturae, sed ratione suppositi humanae naturae. Nec est simile in hoc et in aliis: quia in aliis ad diversitatem naturarum sequitur diversitas in suppositis: unde si formae sunt diversae quae significantur per subjectum et praedicatum, supposita non possunt esse eadem. In Christo autem sunt duae naturae et unum suppositum.

8. Ce n’est pas en matière éloignée, mais en matière naturelle, car la proposition est vraie non pas en raison de la nature, mais en raison du suppôt de la nature humaine. Et ce n’est pas la même chose dans ce cas et dans les autres, car, dans les autres, il résulte de la diversité des natures une diversité des suppôts. Si donc les formes signifiées par le sujet et le prédicat sont diverses, les suppôts ne peuvent être les mêmes. Mais, dans le Christ, il existe deux natures et un seul suppôt.

 

 

Articulus 2 [8346] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 2 tit. Utrum Christus possit dici homo dominicus

Article 2 – Le Christ peut-il être appelé l’homme du Seigneur ( homo dominicus) ?

 [8347] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Christus possit dici homo dominicus. Augustinus enim dicit in Lib. 83 qq.: monendum est ut illa bona aeterna expectentur quae fuerunt in homine dominico; et loquitur de Christo. Ergo potest dici dominicus.

1. Il semble que le Christ puisse être appelé l’homme du Seigneur (homo dominicus). En effet, Augustin dit dans le Livre sur 83 questions : « Il faut avertir que sont attendus les biens éternels qui se trouvaient dans l’homme du Seigneur », et il parle du Christ. On peut donc l’appeler l’homme du Seigneur.

 [8348] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, homo Christus Jesus est magis in participatione divinae bonitatis quam alii sancti. Sed alii sancti propter participationem divinae bonitatis dicuntur dominici, ut patet per Glossam 1 Reg. 1: quis est homo, nisi homo dominicus ? Ergo multo magis Christus potest dici homo dominicus.

2. L’homme Jésus, le Christ, participe davantage à la bonté divine que les autres saints. Or, les autres saints sont appelés hommes du Seigneur en raison de leur participation à la bonté divine, comme cela ressort de la Glose à propos de 1 S 1 : « Qui est cet homme, sinon l’homme du Seigneur ? » À bien plus forte raison, le Christ peut-il donc être appelé l’homme du Seigneur.

 [8349] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, sicut dominicus dicitur denominative a domino, ita divinus dicitur denominative a Deo. Sed Dionysius frequenter nominat Christum divinissimum Jesum. Ergo et potest dici ille dominicus.

3. Comme « du Seigneur » (dominicus) vient de « Seigneur » (dominus), de même, « divin » vient de « Dieu ». Or, Denys appelle fréquemment le Christ « Jésus, le très divin ». Il peut donc être appelée [l’homme] du Seigneur.

 [8350] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, sicut haec est vera, Deus est homo: ita haec, homo est Deus. Sed dicimus Deum humanatum. Ergo possumus dicere hominem dominicum.

4. De même que cette proposition est vraie : « Dieu est homme », de même celle-ci : « Cet homme est Dieu. » Or, nous parlons de Dieu fait homme (humanatum). Nous pouvons donc dire que cet homme est l’homme du Seigneur.

 [8351] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, conditio servitutis magis exprimitur nomine servi quam nomine dominici. Sed apostolus nomen servitutis in Christo ponit Philipp. 2, 7, formam servi accipiens. Ergo etiam possumus dicere eum dominicum.

5. La condition de servitude est davantage exprimée par le mot « serviteur » que par le mot « du Seigneur ». Or, l’Apôtre a employé le mot de servitude pour le Christ, Ph 2, 7 : Prenant la forme de serviteur. Nous pouvons donc dire aussi qu’il est « du Seigneur ».

 [8352] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, quod praedicatur de aliquo essentialiter, non potest de eo praedicari denominative. Sed Deus praedicatur de homine Christo essentialiter: quia haec est vera, hic homo est Deus. Ergo videtur quod non debeat praedicari denominative.

Cependant, [1] ce qui est prédiqué de quelque chose de manière essentielle ne peut être prédiqué de lui par dérivation. Or, « Dieu » est prédiqué de l’homme Christ de manière essentielle, car cette proposition est vraie : « Cet homme est Dieu. » Il semble donc qu’elle ne doive pas être prédiquée par dérivation.

 [8353] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, ad idem est auctoritas Augustini in littera posita.

 [2] L’autorité d’Augustin rapportée dans le texte va dans le même sens.

 [8354] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod hoc adjectivum dominicus potest duo importare: uno modo id quod habet aliquam participationem domini; alio modo rem quae est domini sicut possessio; vel sicut effectus, sicut dicuntur verba dominica; vel sicut pars, sicut dicitur pes dominicus. Quantum ergo ad secundam opinionem pertinet, nullo modo ille homo potest dici homo dominicus: homo enim importat suppositum aeternum, cui essentialiter natura dominii competit, non per participationem: nec est quasi possessio vel effectus vel pars domini; sed est ipse dominus, quia dominus pater, dominus filius, dominus spiritus sanctus. Similiter etiam tertia opinio, cum ponit hominem quasi habitum Dei filio advenire, non potest ponere quod homo denominetur per Deum, sed magis Deus per hominem: quia habitus denominat habentem, et non convertitur. Tamen inquantum dominicum dicitur possessive, posset ponere quod dicitur homo dominicus, sicut dicitur vestis Socratica. Sed prima opinio posset ponere quod diceretur homo dominicus etiam per participationem, inquantum hoc nomine homo non importatur suppositum aeternum secundum eos.

Réponse. L’adjectif dominicus peut signifier deux choses : premièrement, ce qui participe d’une certaine manière au seigneur ; deuxièmement, une chose qui appartient au seigneur comme étant sa possession, comme son effet, comme on parle de « paroles du seigneur (dominica) » ou comme une de ses parties, comme on dit « le pied du seigneur ». Pour ce qui est de la deuxième opinion, cet homme ne peut d’aucune manière être appelé l’homme du Seigneur : en effet, « homme » implique un suppôt éternel, à qui revient de manière essentielle la nature du pouvoir (dominium), et non par participation. Il n’est pas non plus comme une possession, un effet ou une partie du Seigneur, mais il est le Seigneur lui-même, car on apelle le Père Seigneur, le Fils Seigneur et l’Esprit Seigneur. De même aussi, la troisième opinion, lorsqu’elle dit que l’homme survient comme un vêtement au Fils de Dieu, ne peut-elle affirmer que l’homme porte le nom de Dieu, mais plutôt que Dieu porte le nom d’homme, car le vêtement désigne celui qui le porte, et non l’inverse. Cependant, dans la mesure où dominicus est utilisé en un sens possessif, on pourrait parler de l’homme du Seigneur (homo dominicus), comme on parle du vêtement de Socrate (vestis socratica). Mais la première opinion pourrait parler de l’homme du Seigneur même par participation, pour autant que, par ce nom « homme », on ne désigne pas un suppôt éternel selon eux.

 [8355] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Augustinus illud retractavit sicut in littera ponit Magister; et cum dixit, non intellexit quasi diceretur dominicus ratione suppositi, sed ratione naturae, quae fit in participatione dominii, sicut et divinitatis, per hoc quod assumitur in unitatem personae filii Dei, qui est Deus et dominus.

1. Augustin a rétracté cela, comme le Maître le dit dans le texte. Et lorsqu’il l’a dit, il n’entendait pas employer dominicus en raison du suppôt, mais en raison de la nature, qui se réalise par participation au pouvoir seigneurial (dominium) comme à la divinité, du fait qu’il est assumé dans l’unité de la personne du Fils de Dieu, qui est Dieu et Seigneur.

 [8356] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ille homo non participat, proprie loquendo, divinitatem vel dominium; sed est plene dominus: quia homo importat suppositum aeternum, ut dictum est; et ideo non est similis ratio de ipso et de aliis.

2. Cet homme ne participe pas, au sens propre, à la divinité ou au pouvoir seigneurial, mais il est pleinement Dieu, car « homme » implique un suppôt éternel, comme on l’a dit. C’est pourquoi il n’en va pas de même de lui et des autres.

 [8357] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod divinum potest dici aliquid, etiam si habeat plenam divinitatis rationem (dicimus enim divinam essentiam, divinas personas); et ideo hic homo, quia est divina persona, potest etiam dici divinus. Sed dominicus non dicitur de illis qui habent plenam rationem dominii: non enim dicimus dominicas personas.

3. On peut parler de divin pour quelque chose, même si cela a la pleine raison de la divinité (en effet, nous parlons d’essence divine, de personnes divines). C’est pourquoi cet homme, parce qu’il est une personne divine, peut être aussi appelé divin. Mais dominicus ne se dit pas de choses qui ont la pleine raison du pouvoir seigneurial (dominium) : en effet, nous ne parlons pas de personnes seigneuriales (personae dominicae).

 [8358] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quia natura humana in Christo habet quamdam similitudinem cum habitu, ut prius dictum est, dist. 6, quaest. 3, art. 2 ad 1; ideo ea quae pertinent ad humanam naturam, inveniuntur quandoque praedicari de Christo per modum habitus, quamvis non ita proprie; et ideo Cassiodorus addit: ut ita dixerim. Non tamen est similis ratio ex alia parte: quia divina natura non habet similitudinem cum habitu. Vel dicendum, quod cum dicitur Deus humanatus, non sumitur humanatus in vi nominis denominativi, sed in vi participii; unde tantum valet humanatus, quantum homo factus; et hoc patet per auctoritatem Damasceni positam in littera.

4. Parce que la nature humaine dans le Christ possède une certaine ressemblance avec le vêtement, comme on l’a dit plus haut, d. 6, q. 3, a. 2, ad 1, ce qui concerne la nature humaine se trouve être parfois prédiqué du Christ comme un vêtement, bien que ce ne soit pas en un sens aussi propre. C’est pourquoi Cassiodore ajoute : « Pour ainsi dire. » Cependant, il n’en va pas de même pour l’autre aspect, car la nature divine n’a pas de ressemblance à un vêtement. Ou bien il faut dire que, lorsqu’on dit que Dieu est humanatus, humanatus n’est pas pris en vertu du nom dont il procède, mais en vertu d’un participe. Humanatus a donc la même valeur que « devenu homme ». Et cela ressort de l’autorité de [Jean] Damascène invoquée dans le texte.

 [8359] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod apostolus non dicit Christum, vel filium Dei, esse servum, sed quod formam servi accepit, quia humana natura Christi si separaretur, ut dicit Damascenus, subtilibus intelligentiis, a filio Dei, et serva est, et ignorans est; et ideo de natura bene potest dici hoc adjectivum dominicus, ut dicatur dominica natura.

5. L’Apôtre ne dit pas que le Christ ou le Fils de Dieu est un esclave, mais qu’il a pris la forme d’un esclave, car si « la nature humaine du Christ, si elle était séparée du Fils de Dieu par des intelligences subtiles, comme le dit [Jean] Damascène, serait esclave et ignorante ». Aussi cet adjectif dominicus peut-il être correctement dit de la nature, comme dans dominica natura.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [Comment le participe «devenu » (factus) exprime-t-il l’union ?]

 

 

Prooemium

Prologue

 [8360] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 pr. Deinde quaeritur de locutionibus quae exprimunt unionem per hoc participium factus; et quaeruntur duo: 1 utrum Deus factus sit homo; 2 utrum homo factus sit Deus.

On s’interroge ensuite sur les expressions qui expriment l’union en utilisant le participe « devenu ». Deux questions sont soulevées : 1 – Dieu est-il devenu homme ? 2 – L’homme est-il devenu Dieu ?

 

 

Articulus 1 [8361] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 1 tit. Utrum haec sit vera, Deus factus est homo

Article 1 – Cette proposition est-elle vraie : « Dieu est devenu homme ?» ?

 [8362] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur, quod haec sit falsa: Deus factus est homo. Mutari enim genus est ad fieri. Sed Deus nullo modo potest dici mutatus. Ergo non potest dici factus aliquid.

1. Il semble que cette [proposition] soit fausse : « Dieu est devenu homme ». En effet, être changé est un genre de devenir. Or, on ne peut dire d’aucune manière que Dieu est changé. On ne peut donc pas dire qu’il est devenu quelque chose.

 [8363] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, factum esse, terminus est fieri, quod significatur esse circa id quod factum dicitur. Sed circa Deum, qui dicitur factus homo, non potest poni aliquod fieri; suppositum enim factionis esse non potest. Ergo haec est falsa: Deus factus est homo.

2. Être devenu est le terme du devenir, qui signifie être pour ce dont on dit qu’il est devenu. Or, à propos de Dieu, dont on dit qu’il est devenu homme, on ne peut affirmer aucun devenir : en effet, le sujet du devenir ne peut être. Cette proposition est donc fausse : « Dieu est devenu homme. »

 [8364] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, terminus factionis est perfectio ejus quod fit, quia est finis factionis. Sed cum dicitur: Deus factus est homo, terminus factionis importatae per participium est homo. Ergo significatur quod esse hominem sit perfectio Dei, qui factus homo dicitur. Hoc autem est impossibile. Ergo haec est falsa: Deus factus est homo.

3. Le terme du devenir est une perfection de ce qui devient, car c’est la fin du devenir. Or, lorsqu’on dit que Dieu est devenu homme, le terme du devenir impliqué par le participe est l’homme. On signifie donc qu’être homme est une perfection de Dieu, dont on dit qu’il est devenu homme. Or, cela est impossible. Cette [proposition] est donc fausse : « Dieu est devenu homme. »

 [8365] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, in hoc nomine homo non possunt intelligi nisi duo, scilicet suppositum naturae, et natura humana. Sed dicta propositio non potest verificari ratione naturae, quia Deus nunquam fuit neque est natura humana; similiter nec ex parte suppositi; quia hoc nomen homo, secundum quod de Christo praedicatur, non importat nisi suppositum aeternum filii; et semper verum fuit dicere, quod Deus est persona filii. Ergo nullo modo praedicta locutio verificari potest.

4. Par ce nom « homme », on ne peut entendre que deux choses : un suppôt de la nature et la nature humaine. Or, la proposition énoncée ne peut être vraie en raison de la nature, car Dieu n’a jamais été et n’est pas la nature humaine. Elle ne peut pas non plus être vraie du point de vue du suppôt, car ce nom « homme », selon qu’il est prédiqué du Christ, n’implique que le suppôt éternel du Fils, et il a toujours vrai de dire que Dieu est la personne du Fils. L’expression déjà formulée ne peut donc être vraie d’aucune manière.

 [8366] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 1 arg. 5 Praeterea, homo non est conditio diminuens de ratione factionis. Ergo si Deus factus est homo, possum inferre quod Deus sit factus. Hoc autem est falsum. Ergo et primum.

5. Homme n’est pas une condition qui diminue en raison du devenir. Si donc Dieu est devenu homme, je peux en conclure que Dieu est devenu. Or, cela est faux. La conclusion est donc la même que pour le premier argument.

 [8367] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 1 s. c. 1 Sed contra, Joan. 1, 14: verbum caro factum est. Verbum autem Deus est. Ergo Deus factus est caro, idest homo.

Cependant, [1] Jn 1, 14 dit en sens contraire : Le Verbe est devenu chair. Or, le Verbe est Dieu, Donc, Dieu est devenu chair, c’est-à-dire homme.

 [8368] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, in symbolo Nicaeno dicitur de filio, quod est Deus de Deo, et quod homo factus est. Ergo Deus factus est homo.

 [2] Dans le symbole de Nicée, il est dit du Fils qu’il Dieu issu de Dieu, et qu’il est devenu homme. Dieu est donc devenu homme.

 [8369] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 1 s. c. 3 Praeterea, omne quod est et non fuit prius, dicitur esse factum. Sed haec est vera, Deus est homo, ut supra dictum est, et non fuit semper vera. Ergo Deus factus est homo.

 [3] De tout ce qui est et n’était pas antérieurement, on dit que cela est devenu. Or, cette [proposition] est vraie : « Dieu est homme », comme on l’a dit plus haut, et elle n’a pas toujours été vraie. Dieu est donc devenu homme.

 [8370] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod cum dicitur, Deus factus est homo, hoc participium factus tripliciter potest se habere in ista locutione. Uno modo, ut feratur ad totam propositionem, ut sit sensus: factum est quod Deus est homo; et sic est vera: quamvis hic intellectus non possit haberi secundum proprietatem locutionis: tum quia non est de illis quae habent determinare compositionem, sicut necessarium et contingens; tum etiam quia, cum sit adjectivum masculini generis, requirit substantivum. Secundo, dictum participium potest determinare alterum extremum compositionis absolute; et sic, sive determinet praedicatum sive subjectum, locutio est falsa. Omnis enim determinatio potest praedicari de determinato. Haec autem falsa est, Deus factus est: et similiter illa: ille homo factus est, demonstrato Christo, nisi aliud addatur: quia supponit suppositum aeternum secundum secundam opinionem. Tertio modo dictum participium potest determinare subjectum in comparatione ad praedicatum; et sic locutio vera est secundum omnes opiniones. Et non obstat quod videtur ponere fieri circa Deum: quia hoc fieri quod participium importat, non est nisi fieri rationis: dictum est enim supra, quod unio qua Deus dicitur esse homo, est quidem secundum rem in humana natura, sed secundum rationem in Deo, sicut sunt aliae relationes quae ex tempore de Deo dicuntur. Et quia non dicitur factus homo nisi secundum quod relatio unionis de novo advenit ei postquam non fuit; ideo, sicut relatio illa non ponit aliquam rem novam in Deo, sed dicitur secundum rationem tantum intelligentis; ita etiam et factus non importat circa Deum nisi fieri rationis, sicut etiam cum dicitur Psal. 89, 1: domine refugium factus es nobis.

Réponse. Lorsqu’on dit : « Dieu est devenu homme », le participe « devenu » peut avoir trois sens dans cette formule. Premièrement, il peut se rapporter à toute la proposition, d’où le sens : « Il est arrivé que Dieu soit homme ». En ce sens, elle est vraie, bien que ce sens ne puisse être tiré du sens propre de la formule, tant parce qu’elle ne porte pas sur des choses qui entraînent une composition, comme le nécessaire et le contingent, que parce que, étant un adjectif de genre masculin, il exige un substantif. Deuxièmement, le participe en question peut déterminer l’autre extrême d’une composition d’une manière absolue ; et ainsi, qu’il détermine le prédicat ou le sujet, l’expression est fausse. En effet, toute détermination peut être prédiquée de ce qui est déterminé. Or, cette proposition est fausse : « Celui-ci est devenu Dieu », de même que celle-ci : « Celui-ci est devenu homme », en montrant le Christ, à moins qu’on ajoute : « parce qu’il joue le rôle de suppôt éternel selon la deuxième opinion ». Troisièmement, le participe en question peut déterminer le sujet par rapport au prédicat ; ainsi, la formule est vraie selon toutes les opinions. Et le fait qu’on semble affirmer un devenir à propos de Dieu n’a pas d’importance, car ce devenir qu’implique le participe n’est qu’un devenir de raison. En effet, on a dit plus haut que l’union par laquelle Dieu est appelé homme se trouve en réalité dans la nature humaine, mais en Dieu selon la raison, comme le sont les autres relations à caractère temporel qui sont attribuées à Dieu. Et parce qu’on ne dit : « est devenu homme », que parce que la relation d’union lui est advenue après n’avoir pas été, de même que cette relation n’affirme pas de réalité nouvelle en Dieu, mais est exprimée seulement selon la raison de celui qui intellige, de même « devenu » n’implique-t-il pour Dieu qu’un devenir de raison, comme on dit aussi dans le Ps 89, 1 : Seigneur, tu es devenu un refuge pour nous !

 [8371] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod mutari proprie dicitur per remotionem a termino a quo; fieri autem per accessum ad terminum. Quia igitur nihil remotum est a Deo neque secundum rem neque secundum rationem; aliquid autem advenit ei secundum rationem, etsi non secundum rem; ideo potest dici fieri sed non mutari; sicut etiam sciens quando considerat, non mutatur, proprie loquendo, sed perficitur, ut dicit philosophus.

1. « Être changé » se dit, à proprement parler, de l’éloignement d’un terme a quo, mais « devenir », du rapprochement d’un terme. Parce que rien ne s’éloigne de Dieu ni en réalité ni selon la raison, mais que quelque chose lui arrive selon la raison, même si ce n’est pas selon la réalité, on peut donc dire « devenir », mais non « être changé », de même que celui qui sait, lorsqu’il considère, n’est pas changé à proprement parler, mais est perfectionné, comme le dit le Philosophe.

 [8372] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illud fieri est tantum rationis; et ideo non est inconveniens quod circa Deum ponatur.

2. Ce devenir relève n’est qu’un devenir de raison. Aussi n’est-il pas inapproprié qu’il soit affirmé de Dieu.

 [8373] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod objectio illa procedit quando est fieri reale; tunc enim oportet quod aliquid realiter adveniat; et hoc aliquo modo est perfectio ejus cui advenit. Sic autem non est in proposito, ut dictum est.

3. Ce raisonnement est concluant lorsqu’il y a un devenir réel. En effet, il faut alors que quelque chose survienne réellement, et cela est, d’une certaine manière, une perfection de celui à qui cela survient. Mais il n’en est pas de même dans la question en cause, comme on l’a dit.

 [8374] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod dicta locutio verificatur ratione utriusque simul, scilicet suppositi et naturae: quamvis enim suppositum illud semper fuerit, non tamen semper fuit suppositum humanae naturae, secundum quod significatur hoc nomine homo.

4. L’expression en cause est vraie en raison des deux en même temps, à savoir, du suppôt et de la nature. En effet, bien que ce suppôt ait toujours existé, il ne fut pas toujours le suppôt de la nature humaine, selon qu’elle est signifiée par le mot « homme ».

 [8375] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod humana natura habet similitudinem cum accidente in Christo, inquantum advenit divinae naturae post esse completum. Non enim sequitur: Petrus est factus albus; ergo est factus; quia album diminuit de ratione facti simpliciter: quod enim factum est, nunc est, et prius non fuit: non autem sequitur, si prius non fuit albus, quod non fuerit simpliciter: quia album advenit post completum esse: et ita non sequitur: Deus factus est homo; ergo Deus est factus simpliciter.

5. La nature humaine a une ressemblance avec l’accident dans le Christ, pour autant qu’elle arrive à la nature divine après son être complet. En effet, on ne conclut pas de : « Pierre est devenu blanc », qu’il est devenu, parce qu’être blanc est moins que le simple fait de devenir : en effet, ce qui est devenu, existe maintenant et n’existait pas auparavant. Mais on ne conclut pas du fait qu’il n’était pas blanc auparavant qu’il n’existait tout simplement pas, car le blanc est survenu après l’être complet. Ainsi, on ne conclut pas de : « Dieu est devenu homme », que Dieu est tout simplement devenu.

 

 

Articulus 2 [8376] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 2 tit. Utrum haec sit vera, homo factus est Deus

Article 2 – Cette proposition est-elle vraie : « L’homme est devenu Dieu » ?

 [8377] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur, quod haec non sit vera: homo factus est Deus. Dicit enim Damascenus, et habetur in littera, quod non dicimus hominem deificatum. Sed idem est dicere hominem deificatum et factum Deum. Ergo homo non est factus Deus.

1. Il semble que cette proposition ne soit pas vraie : « L’homme est devenu Dieu. » En effet, [Jean] Damascène dit, on le trouve dans le texte, que « nous ne disons pas que l’homme a été divinisé ». Or, c’est la même chose de dire que l’homme a été divinisé et qu’il est devenu Dieu. L’homme n’est donc pas devenu Dieu.

 [8378] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, cum dicitur: homo factus est Deus, aut homo tenetur pro natura, aut pro persona. Si pro natura, natura autem humana non est facta Deus, quia nunquam est nec fuit Deus; ergo est falsa. Si pro persona, persona autem filii Dei fuit semper Deus: ergo nullo modo haec est vera: homo factus est Deus.

2. Lorsqu’on dit : « L’homme est devenu Dieu », soit l’homme signifie la nature, soit la personne. S’il signifie la nature, alors que la nature humaine n’est pas devenue Dieu, car elle n’est pas et n’a jamais été Dieu, la proposition est donc fausse. S’il signifie la personne, alors que la personne du Fils de Dieu a toujours été Dieu, cette proposition n’est donc vraie d’aucune manière : « L’homme est devenu Dieu. »

 [8379] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, secundum Damascenum, homo et Deus communicant sibi idiomata, ut quidquid dicitur de homine, possit dici de filio Dei. Sed haec est falsa: filius Dei est factus Deus. Ergo haec est falsa: homo factus est Deus.

3. Selon [Jean] Damascène, l’homme et Dieu s’échangent leurs idiomes, de sorte que tout ce qui est de l’homme peut être dit du Fils de Dieu. Or, cette proposition est fausse : « Le Fils de Dieu est devenu Dieu. » Cette proposition est donc fausse : « L’homme est devenu Dieu. »

 [8380] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, quia Deus factus est homo, possum arguere, quod Deus est homo recens. Si ergo homo factus est Deus, homo erit recens Deus: quod est contra Psalm. 80, 10: non erit in te Deus recens.

4. Puisque Dieu est devenu homme, je peux soutenir que Dieu est un homme depuis peu. Si donc l’homme est devenu Dieu, l’homme sera Dieu depuis peu, ce qui va contre le Ps 80, 10 : Il n’y aura pas de Dieu en toi depuis peu.

 [8381] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 2 arg. 5 Praeterea, quod dicitur fieri aliquid, praesupponitur secundum intellectum ad hoc quod fieri dicitur. Sed Christus non prius intelligitur homo quam Deus. Ergo non potest dici, quod homo factus sit Deus.

5. Ce dont on dit que quelque chose devient est présupposé, selon l’intelligence, pour qu’on dise que cela devient. Or, on n’entend pas que le Christ ait été homme avant d’être Dieu. On ne peut donc pas dire que « l’homme est devenu Dieu ».

 [8382] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 2 arg. 6 Sed contra, Augustinus: talis fuit unio quae hominem faceret Deum, et Deum hominem.

Cependant, [6] Augustin dit : « L’union a été telle qu’elle a fait de l’homme un Dieu, et de Dieu un homme. »

 [8383] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 2 arg. 7 Praeterea, homo est Deus, et non semper fuit Deus. Ergo factus est Deus.

 [7] L’homme est Dieu et il n’a pas toujours été Dieu. Il est donc devenu Dieu.

 [8384] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 2 arg. 8 Praeterea, factio quae importatur per participium, secundum rem non ponitur in Deo, sed in humana natura. Sed homo significat humanam naturam. Cum ergo hoc participium ponat rem suam circa subjectum in comparatione ad praedicatum, videtur quod magis sit haec vera: homo factus est Deus, quam haec: Deus factus est homo.

 [8] Le devenir qui est impliqué par le participe n’est pas affirmé de Dieu en réalité, mais de la nature humaine. Or, l’homme signifie la nature humaine. Puisque ce participe affirme du sujet de qu’il est par rapport au prédicat, il semble donc que cette proposition soit plus vraie : « L’homme est devenu Dieu », que celle-ci : « Dieu est devenu homme. »

 [8385] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod haec propositio similiter tripliciter potest accipi sicut praecedens. Et in primo sensu est vera, sicut et prima, et eadem ratione: sicut enim factum est ut Deus sit homo, ita factum est ut homo sit Deus. In secundo vero sensu est falsa, sicut et prima, et eadem ratione: quia iidem sunt termini, sed conversim positi. In tertio autem sensu, secundum quod determinat subjectum in comparatione ad praedicatum, diversimode judicatur a diversis opinionibus. Prima enim opinio, quia ponit quod homo supponit suppositum creatum, dicit quod haec est vera, sicut et prima: quia sicut persona divina non semper fuit illud suppositum, et modo est illud suppositum; ita illud suppositum non semper fuit persona divina, et modo est. Secunda autem opinio et tertia ponunt, quod homo, prout de Christo praedicatur, non habet aliquod aliud suppositum quam suppositum aeternum: sed secunda dicit, quod homo supponit suppositum aeternum; tertia autem, quod homo copulat ipsum, sicut termini accidentales: et quia illud suppositum nunquam non fuit Deus, ideo haec est falsa secundum hoc, homo factus est Deus: concedunt tamen eam in primo sensu, qui non est proprius sensus ejus. Ideo secundum has opiniones magis est falsa quam alia: secundum autem primam simpliciter est vera. Quia tamen aliquo modo conceditur, respondendum est ad utrasque objectiones.

Réponse. Cette proposition peut aussi s’entendre de trois façons, comme la précédente. Dans le premier sens, elle est vraie, comme la première [opinion] et pour la même raison : en effet, de même qu’il est arrivé que Dieu soit homme, de même est-il arrivé que l’homme soit Dieu. Mais, dans le deuxième sens, elle est fausse, comme la première [opinion] et pour la même raison, car les termes sont les mêmes, mais inversés. Dans la troisième sens, selon qu’elle détermine le sujet par rapport au prédicat, elle est appréciée différemment selon les diverses opinions. En effet, la première opinion, parce qu’elle affirme que l’homme joue le rôle de suppôt créé, dit que cette proposition est vraie, comme la première opinion, car, de même que la personne divine ne fut pas toujours ce suppôt et est maintenant ce suppôt, de même ce suppôt n’a pas toujours été la personne divine et l’est maintenant. Mais la deuxième et la troisième opinion affirment que l’homme, en tant qu’il est prédiqué du Christ, n’a pas d’autre suppôt que le suppôt éternel ; mais la deuxième dit que l’homme joue le role de suppôt éternel, alors que la troisième, que l’homme est uni à lui comme les termes accidentels. Et parce que ce suppôt a toujours été Dieu, cette proposition est donc fausse sous cette forme : « L’homme est devenu Dieu » ; cependant, ils la concèdent selon le premier sens, qui n’est pas son sens propre. C’est pourquoi, selon ces opinions, [cette proposition] est plus fausse que l’autre ; mais selon la première [opinion], elle est simplement vraie. Cependant, parce qu’elle est concédée d’une certaine manière, il faut répondre aux deux objections.

 [8386] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Damascenus loquitur secundum proprietatem propositionis, et sic est falsa.

1. [Jean] Damascène s’exprime selon le caractère propre de la proposition, et ainsi elle est fausse.

 [8387] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod prima opinio diceret, quod teneretur pro supposito, non pro persona; aliae vero duae dicerent, quod teneretur pro persona; quam tamen non determinat participium, sed totam locutionem: quia factum est ut persona divina in humanitate existens etiam esset Deus.

2. La première opinion dirait qu’il serait pris pour le suppôt, non pour la personne ; mais les deux autres diraient qu’il n’est pas pris pour la personne, mais qu’il ne détermine cependant pas le participe, mais toute l’expression, car il est arrivé que la personne divine existant dans l’humanité était aussi Dieu.

 [8388] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod hoc intelligendum est de illis quae conveniunt naturae secundum se, et non habent repugnantiam ad alteram naturam. Quod autem dicitur factus Deus, non convenit naturae secundum se, sed ratione unionis; unde non sequitur: homo factus est Deus: ergo filius Dei factus est Deus; sicut non sequitur: homo unitus est Deo; ergo Deus unitus est Deo.

3. Cela doit s’entendre des choses qui ont une nature en commun et ne s’opposent pas à une autre nature. Or, le fait qu’on dise qu’il est devenu Dieu ne convient pas à la nature par soi, mais selon la raison d’union. Aussi ne peut-on conclure : « L’homme est devenu Dieu, donc le Fils de Dieu est devenu Dieu », de même qu’on ne peut conclure : « L’homme a été uni à Dieu, donc Dieu a été uni à Dieu. »

 [8389] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod non sequitur ex virtute locutionis. Deus factus est homo: ergo est homo recens: quia si homo assumptus secundum primam opinionem, vel humana natura, ab aeterno fuisset, nihilominus diceretur: Deus factus est homo. Unde, sicut in littera dicitur, non sequitur quod sit Deus recens; sed quod Deus sit recenter, idest de novo: et hoc non est inconveniens secundum primam opinionem.

4. Cela ne découle pas de la formule : « Dieu est devenu homme ; donc, il est homme depuis peu », car si l’homme assumé ou la nature humaine, selon la première opinion, avait existé depuis toujours, on le dirait néanmoins. Aussi, comme le dit le texte, il n’en découle pas que Dieu existe depuis peu, mais que Dieu existe depuis peu, que Dieu est depuis peu, c’est-à-dire d’une nouvelle manière. Or, cela ne convient pas selon la première opinion.

 [8390] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quantum ad tertium intellectum propositionis praedictae, procedit illud argumentum: unde prima opinio, quae secundum illum intellectum concedit propositionem, dicit, quod homo praeintelligitur ad unionem, ut dictum est dist. 6, in Princ.: secundum autem primum sensum, in quo concedit eam secunda opinio et tertia, non sequitur.

5. Pour ce qui est de la troisième manière de comprendre la proposition en question, cet argument est concluant. Ainsi, la première opinion, qui concède la proposition selon cette manière de comprendre, dit que l’homme est présupposé intellectuellement à l’union, comme on l’a dit à la d. 6, au début ; mais au premier sens où la deuxième et la troisième opinion la concèdent, [l’argument] n’est pas concluant.

 [8391] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod dictum Augustini intelligendum est secundum primum modum: quia illa unio fecit ut Deus esset homo, et e converso.

6. Ce que dit Augustin doit être compris de la première manière, car cette union a fait en sorte que Dieu soit homme, et inversement.

 [8392] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod cum dicitur, homo non semper fuit Deus, negatio potest negare totam propositionem, ut sit sensus: homo non semper fuit Deus, idest, non semper fuit verum dicere, quod homo sit Deus: et secundum hoc sequitur veritas hujus propositionis secundum primum sensum, scilicet factum est ut homo esset Deus. Vel potest negare praedicatum a subjecto, et sic falsa est; quia in propositione illa subjicitur suppositum aeternum, quod semper fuit Deus.

7. Lorsqu’on dit que l’homme n’a pas toujours été Dieu, la négation peut nier toute la proposition, avec le sens : « L’homme n’a pas toujours été Dieu », c’est-à-dire qu’il n’a pas toujours été vrai de dire que l’homme est Dieu ; de cette manière, découle la vérité de cette proposition selon le premier sens, à savoir qu’il est arrivé que l’homme soit Dieu. Ou bien elle peut nier le prédicat du sujet, et ainsi elle est fausse, car, dans cette proposition, est sous-jacent le suppôt éternel, qui a toujours été Dieu.

 [8393] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 2 ad 8 Ad octavum dicendum, quod factio ponitur secundum rem circa naturam humanam: sed hoc nomen homo non supponit naturam humanam, sed suppositum aeternum; circa quod non ponitur factio secundum rem, sed secundum rationem tantum; non respectu Dei, quia semper ei infuit, sed respectu hominis; et ideo semper dicitur: Deus factus est homo; sed non convertitur.

8. Le devenir est affirmé comme une réalité pour la nature humaine ; cependant, ce nom « homme » ne joue pas le rôle de suppôt pour la nature humaine, mais le suppôt éternel, à propos duquel on n’affirme pas le devenir comme une réalité, mais selon la raison seulement, non pas par rapport à Dieu, car il y a toujours été présent, mais par rapport à l’homme. Aussi dit-on toujours : « Dieu est devenu homme », mais non l’inverse.

 

 

Quaestio 3

Question 3 – [Les expressions de l’union selon le participe « prédestiné »]

 

 

Prooemium

Prologue

 [8394] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 pr. Deinde quaeritur de locutionibus exprimentibus unionem cum hoc participio praedestinatus; et circa hoc quaeruntur duo: 1 utrum hic homo sit praedestinatus esse filius Dei; 2 utrum filius Dei sit praedestinatus.

On s’interroge ensuite sur les formules qui expriment l’union par le participe « prédestiné ». À ce propos, deux questions sont posées : 1 – Cet homme a-t-il été prédestiné à être le Fils de Dieu ? 2 – Le Fils de Dieu est-il prédestiné ?

 

 

Articulus 1 [8395] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 1 tit. Utrum homo Christus sit praedestinatus filius Dei

Article 1 – L’homme Christ a-t-il été prédestiné à être Fils de Dieu ?

 [8396] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod homo Christus non sit praedestinatus esse filius Dei. Quia sicut illud quod semper fuit, non fit, ita id quod semper fuit, non praedestinatur, quia praedestinatio importat antecessionem. Sed homo Christus supponit suppositum aeternum, quod semper fuit filius Dei. Ergo sicut ratione ista non potest dici quod homo sit factus Deus; ita non potest dici quod sit praedestinatus filius Dei.

1. Il semble que l’homme Christ n’ait pas été prédestiné à être Fils de Dieu, car, de même que tout ce qui a toujours existé ne devient jamais, de même ce qui a toujours été n’est pas prédestiné, puisque la prédestination implique une anticipation. Or, l’homme Christ est un suppôt éternel, qui a toujours été le Fils de Dieu. Donc, de même qu’on ne peut pour cette raison dire que l’homme est devenu Dieu, de même ne peut-on pas dire qu’il a été prédestiné à être le Fils de Dieu.

 [8397] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 1 arg. 2 Praeterea, homo non importat nisi humanam naturam et suppositum aeternum. Sed humana natura non est praedestinata esse filius, quia nunquam fuit nec est nec erit filius Dei: similiter haec est falsa: divina persona, quae est suppositum aeternum, est praedestinata esse filius Dei: quia naturaliter et ab aeterno hoc habet. Ergo et haec est falsa: hic homo est praedestinatus filius Dei.

2. L’homme ne comporte que la nature humaine et le suppôt éternel. Or, la nature humaine n’a pas été prédestinée à être Fils [de Dieu], car elle n’a jamais été, n’est pas et ne sera pas le Fils de Dieu ; de même, cette proposition est fausse : « La personne divine, qui est le suppôt éternel, est prédestinée à être le Fils de Dieu », car elle possède cela naturellement et depuis toujours. Donc, cette proposition aussi est fausse : « Cet homme a été prédestiné à être le Fils de Dieu. »

 [8398] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 1 arg. 3 Praeterea, praedestinatio praecedit illud respectu cujus est. Sed aeternum non praeceditur ab aliquo. Ergo non potest esse praedestinatio respectu aeterni. Sed filius Dei est aeternus. Ergo homo non potest esse praedestinatus filius Dei.

3. La prédestination précède ce sur quoi elle porte. Or, ce qui est éternel n’est pas précédé par quelque chose. Il ne peut donc pas y avoir de prédestination à propos de ce qui est éternel. Un homme ne peut donc pas avoir été prédestiné à être le Fils de Dieu.

 [8399] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 1 arg. 4 Praeterea, quidquid est praedestinatum, ab aeterno fuit praedestinatum. Si ergo iste homo est praedestinatus esse filius Dei, vel Christus, secundum quod homo; oportet quod ab aeterno homo fuerit praedestinatus. Ergo ab aeterno fuit homo: praedestinatus enim est participium praeteriti temporis; et hujusmodi participia vel verba restringunt nomen substantivum sibi adjunctum ad supponendum pro praeteritis.

4. Tout ce qui est prédestiné a été prédestiné depuis l’éternité. Si donc cet homme a été prédestiné à être le Fils de Dieu ou le Christ en tant qu’homme, il faut que cet homme ait été prédestiné depuis l’éternité. Donc, cet homme a existé depuis l’éternité : en effet, « prédestiné » est un participe passé, et ces participes ou verbes limitent le substantif qui lui sont associés à jouer le rôle de suppôt pour des choses passées.

 [8400] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 1 arg. 5 Praeterea, praedestinatio etiam secundum nomen importat directionem in finem. Sed non potest aliquod dirigi in finem nisi ad minus secundum intellectum sit ante finem illum. Cum igitur secundum secundam opinionem, etiam secundum intellectum, Christus non prius intelligatur homo quam filius Dei; videtur quod ille homo non possit dici praedestinatus esse filius Dei.

5. La prédestination, même par son nom, comporte une orientation vers une fin. Or, quelque chose ne peut être dirigé vers une fin, au moins selon l’intelligence, à moins d’exister avant cette fin. Puisque, selon la deuxième opinion et même selon l’intelligence, on n’entend pas que le Christ a été homme avant d’être le Fils de Dieu, il semble donc qu’on ne puisse dire que cet homme a été prédestiné à être le Fils de Dieu.

 [8401] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 1 s. c. 1 Sed contra, Rom. 1, 4: qui praedestinatus est filius Dei in virtute.

Cependant, [1] Rm 1, 4 dit : Lui qui a été prédestiné à être le Fils de Dieu en puissance.

 [8402] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Christus est filius Dei per gratiam unionis, et hoc est praevisum ab aeterno, et a Deo propositum. Ergo Christus est praedestinatus esse filius Dei.

 [2] Le Christ est le Fils de Dieu par la grâce d’union, et cela a été prévu depuis l’éternité et a été le dessein de Dieu. Le Christ a donc été prédestiné à être le Fils de Dieu.

 [8403] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod praedestinatio proprie accepta tria importat ex parte ejus qui dicitur praedestinari. Unum est quod hoc ad quod praedestinari dicitur, aliquando sibi conveniat; secundum autem est quod conveniat sibi per gratiam; tertium vero est quod sequatur praedestinationem: ex hoc enim dicitur praedestinatus quod est praevisus et praeordinatus habiturus aliquid per gratiam. Quantum ad primum ergo horum, manifeste in Christo praedestinatio supposito convenit: quia hic homo est filius Dei; sed hoc non invenitur in natura humana, quae nunquam fuit nec est nec erit filius Dei: unde non proprie potest dici esse praedestinatus filius Dei, sed ut assumatur a filio Dei: hoc enim sibi convenit. Secundum autem invenitur in Christo secundum secundam opinionem et tertiam, non ratione suppositi, quod naturaliter est filius Dei, sed ratione naturae assumptae, quae per gratiam unionis unitur filio Dei: ex qua unione contingit hanc esse veram, homo est filius Dei. Sed secundum primam opinionem, etiam ratione suppositi: quia hoc quod supponitur per hoc nomen homo, non habet per naturam quod sit filius Dei, sed per gratiam unionis, quia non est suppositum aeternum. Similiter etiam tertium quantum ad primam opinionem convenit homini ratione suppositi humanae naturae, quod quidem non fuit semper filius Dei; secundum autem secundam et tertiam opinionem non convenit homini ratione suppositi, sed ratione naturae: quia suppositum illud semper fuit filius Dei, sed non semper in humanitate existens fuit. Unde quantum ad duas ultimas conditiones magis propria est praedicta locutio secundum primam opinionem quam secundum alias, sed quantum ad primam conditionem est propria secundum alias, non autem secundum primam, secundum quam, ut praedictum est, quaest. 1, art. 1, non potest homo proprie praedicari de Deo, vel e converso.

Réponse. La prédestination entendue au sens propre comporte trois choses du point de vue de celui dont on dit qu’il est prédestiné. L’une est que ce dont on dit que cela est prédestiné doit lui convenir à un certain moment ; la deuxième est que cela lui convienne par grâce ; la troisième est que cela découle de sa prédestination. En effet, on parle de prédestiné du fait qu’il est prévu et préordonné que cela possédera quelque chose par grâce. Pour ce qui est du premier aspect, il est clair que, chez le Christ, la prédestination convenait au suppôt, car cet homme est le Fils de Dieu ; mais cela ne se trouve pas dans la nature humaine, qui n’a jamais été, n’est pas et ne sera pas Fils de Dieu. Aussi ne peut-on pas dire au sens propre qu’elle a été prédestinée à être le Fils de Dieu, mais à être assumée par le Fils de Dieu. En effet, cela lui convient. Le second aspect se trouve chez le Christ selon la deuxième et la troisième opinion, non pas en raison du suppôt, qui est naturellement le Fils de Dieu, mais en raison de la nature assumée, qui est unie au Fils de Dieu par la grâce d’union. Par cette union, il se fait que cette proposition est vraie : « Cet homme est Fils de Dieu. » Mais, selon la première opinion, [cet aspect se trouve chez le Christ] même en raison du suppôt, car ce qui est signifié par ce nom « homme » n’est pas le Fils de Dieu par nature, mais par la grâce d’union, car ce n’est pas un suppôt éternel. De même aussi, pour ce qui est de la première opinion, le troisième aspect convient à l’homme en raison du suppôt de la nature humaine, qui n’a pas toujours été le Fils de Dieu ; mais, selon la deuxième et la troisième opinion, cela ne convient pas à l’homme en raison du suppôt, mais en raison de la nature, car ce suppôt a toujours été le Fils de Dieu, mais n’a pas toujours existé dans l’humanité. Aussi, pour ce qui est des deux dernières conditions, la formule en question est-elle plus propre selon la première opinion que selon les autres, mais, pour ce qui est de la première condition, elle est propre selon les autres [opinions], mais non selon la première, selon laquelle, comme on l’a dit, q. 1, a. 1, « homme » ne peut être au sens propre prédiqué de Dieu, ni inversement.

 [8404] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod diversa consideratio nihil variat eorum quae sunt in re, variat autem ea quae pertinent ad actum animae. Hoc autem participium factus imponitur ab actu qui est in re. Ergo cum supposito aeterno secundum se non conveniat quod sit factus Deus, neque conveniet ei secundum quod consideratur subsistens in humana natura. Praedestinatus autem est participium quod imponitur ab actu animae, scilicet praevidere, vel praeordinare: et ideo quamvis supposito aeterno non conveniat secundum se praedestinari esse filium Dei, convenit tamen sibi secundum quod est humanae naturae suppositum; sicut si homo fiat albus, haec est falsa, homo albus incipit esse homo; sed haec potest esse vera, homo albus incipit cogitari quod sit homo.

1. La manière différente de les envisager ne change rien à ce qui existe dans la réalité, mais elle change ce qui se rapporte à l’acte de l’âme. Or, ce participe « devenu » vient d’un acte qui existe en réalité. Puisqu’il ne convient pas par soi au suppôt divin d’être devenu Dieu, cela ne lui conviendra pas non plus selon qu’il est envisagé comme subsistant dans la nature humaine. Mais « prédestiné » est un participe qui est imposé à partir d’un acte de l’âme : la prévision ou l’ordonnancement préalable. Bien qu’il ne convienne pas par soi au suppôt éternel d’être prédestiné à être le Fils de Dieu, cela lui convient cependant selon qu’il est le suppôt de la nature humaine, comme si un homme devient blanc, cette proposition est fausse : « L’homme blanc commence à être homme » ; mais cette proposition peut être vraie : « On commence à penser que l’homme blanc est un homme. »

 [8405] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod, sicut dictum est, praedestinatio non est naturae, neque personae secundum se, sed personae ratione naturae assumptae.

2. Comme on l’a dit, la prédestination n’est pas le fait de la nature ni de la personne par elle-même, mais de la personne en raison de la nature assumée.

 [8406] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis filius Dei sit aeternus, tamen unio ad filium Dei non est aeterna: et secundum hoc potest homo praedestinari esse filius Dei, sicut Petrus praedestinatur ut conjungatur Deo aeterno per gratiam vel gloriam.

3. Bien que le Fils de Dieu soit éternel, l’union au Fils de Dieu n’est cependant pas éternelle. De ce point de vue, l’homme peut être destiné à être le Fils de Dieu, comme Pierre est prédestiné à être uni au Dieu éternel par la grâce ou par la gloire.

 [8407] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod duplici ratione hoc participium praedestinatus non cogit hominem stare pro praeterito. Primo, quia licet secundum vocem sit praeteriti temporis, tamen includit participium futuri temporis: praedestinatus enim idem est quod praescitus habiturus aliquid per gratiam. Secundo, quia pertinet ad actum animae, et ex hoc habet vim ampliandi ad quodlibet temporis; sicut cum dicitur, homo laudatur, potest intelligi de praesenti, praeterito, vel futuro: actus enim animae se extendit etiam ad ea quae non sunt.

4. Pour une double raison, ce participe « prédestiné » ne force pas l’homme à être quelque chose de passé. Premièrement, parce que, bien que le mot soit au passé, il inclut cependant un participe au futur. En effet, être prédestiné est la même chose qu’être connu d’avance pour devoir posséder quelque chose par grâce. Deuxièmement, parce qu’il relève d’un acte de l’âme et qu’il tient de là la capacité de s’étendre à n’importe quel temps, comme lorsqu’on dit : « Un homme est louangé », on peut l’entendre du présent, du passé ou du futur. En effet, l’acte de l’âme s’étend à ce qui n’existe pas.

 [8408] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod licet homo non praeintelligatur ad filium Dei ratione suppositi, tamen praeintelligitur ratione naturae.

5. Bien que « homme » ne soit pas compris avant le Fils de Dieu en raison du suppôt, il est cependant compris d’avance en raison de la nature.

 

 

Articulus 2 [8409] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2 tit. Utrum filius Dei sit praedestinatus esse homo

Article 2 – Le Fils de Dieu était-il prédestiné à être homme ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le Fils de Dieu était-il prédestiné à être homme ?]

 [8410] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur, quod filius Dei non sit praedestinatus esse homo. Praedestinatio enim praecedit praedestinatum. Sed filium Dei nihil praecedit. Ergo ipse non est praedestinatus esse homo.

1. Il semble que le Fils de Dieu n’ait pas été prédestiné à être homme. En effet, la prédestination précède ce qui est prédestiné. Or, rien ne précède le Fils de Dieu. Celui-ci n’a donc pas été prédestiné à être homme.

 [8411] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, homo non dicitur aequivoce de filio Dei et Petro. Sed Petrus non est praedestinatus esse homo. Ergo nec filius Dei.

2. « Homme » ne se dit pas du Fils de Dieu et de Pierre de manière équivoque. Or, Pierre n’a pas été prédestiné à être homme. Donc, ni le Fils de Dieu.

 [8412] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, hoc dicitur alicui praedestinari quod convenit ei per gratiam. Sed non est gratia filio Dei quod sit homo. Ergo filius Dei non est praedestinatus esse homo.

3. On dit de quelqu’un qu’il est prédestiné à quelque chose pour ce qui lui convient par grâce. Or, ce n’est pas une grâce pour le Fils de Dieu d’être homme. Le Fils de Dieu n’a donc pas été prédestiné à être homme.

 [8413] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, omne quod est praevisum et ordinatum ab aeterno est praedestinatum. Sed filius Dei ab aeterno praevisus est esse filius hominis. Ergo est praedestinatus esse filius hominis.

Cependant, tout ce qui est prévu et ordonné depuis l’éternité est prédestiné. Or, il a été prévu depuis l’éternité que le Fils de Dieu serait fils d’homme. Il a donc été prédestiné à être fils d’homme.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La proposition : « Le Fils de Dieu a été prédestiné à être le Fils de Dieu » est-elle vraie ?

 [8414] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod haec sit vera: filius Dei praedestinatus est esse filius Dei. Quaecumque enim praedicantur de filio hominis, praedicantur de filio Dei. Sed haec est vera: filius hominis praedestinatus est esse filius Dei, ut dictum est. Ergo et haec: filius Dei praedestinatus est esse filius Dei.

1. Il semble que la proposition : « Le Fils de Dieu a été prédestiné à être le Fils de Dieu » soit vraie. En effet, tout ce qui est dit du fils de d’homme, est prédiqué du Fils de Dieu. Or, cette proposition est vraie : « Le fils d’homme a été prédestiné à être le Fils de Dieu», comme on l’a dit. Donc, celle-ci aussi : « Le Fils de Dieu a été prédestiné à être le Fils de Dieu. »

 [8415] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, filius Dei, inquantum est homo, praedestinatus est esse filius Dei. Sed alia quae praedicantur de filio Dei inquantum homo, praedicantur de ipso etiam sine reduplicatione; sicut filius Dei, inquantum homo, est mortuus; et tamen haec conceditur: filius Dei est mortuus. Ergo similiter haec debet concedi: filius Dei est praedestinatus esse filius Dei.

2. Le Fils de Dieu, en tant qu’il est homme, a été prédestiné à être le Fils de Dieu. Or, les autres choses qui sont prédiquées du Fils de Dieu en tant qu’homme sont prédiquées de lui-même sans explicitation, comme : « Le Fils de Dieu, en tant qu’homme, est mort. » Cependant, cette proposition est concédée : « Le Fils de Dieu est mort. » De la même façon, cette proposition doit donc être concédée : « Le Fils de Dieu a été prédestiné à être le Fils de Dieu. »

 [8416] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, ad veritatem locutionis non oportet quod praedicatum per se subjecto conveniat, nisi circa subjectum reduplicatio ponatur. Sed praedestinatum esse aliquo modo convenit filio Dei, quia inquantum homo. Ergo potest concedi simpliciter: filius Dei est praedestinatus esse filius Dei; quamvis non concedatur, quod filius Dei, inquantum filius Dei, est praedestinatus esse filius Dei.

3. Pour la vérité d’une proposition, il n’est pas nécessaire que le prédicat convienne par soi au sujet, à moins qu’il n’y ait explicitation du sujet. Or, « avoir été prédestiné » convient d’une certaine manière au Fils de Dieu, car c’est en tant qu’homme. On peut donc concéder simplement : « Le Fils de Dieu a été prédestiné à être le Fils de Dieu », bien qu’on ne concède pas que le Fils de Dieu, en tant que Fils de Dieu, ait été prédestiné à être le Fils de Dieu.

 [8417] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, quod semper inest alicui, non praedestinatur ei. Sed esse filium Dei ab aeterno convenit filio Dei. Ergo non praedestinatur ei; ergo haec est falsa: filius Dei est praedestinatus esse filius Dei.

Cependant, ce qui se trouve toujours dans quelque chose ne lui est pas prédestiné. Or, être Fils de Dieu depuis l’éternité convient depuis l’éternité au Fils de Dieu. Cela ne lui est donc pas prédestiné. Donc, cette proposition est fausse : « Le Fils de Dieu a été prédestiné à être le Fils de Dieu. »

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Cette proposition est-elle vraie : « Le Fils de Dieu a été prédestiné tout simplement » ?

 [8418] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur, quod haec sit vera: filius Dei praedestinatus est simpliciter. Sicut enim praedestinatus importat effectum temporalem; ita mittitur et datur. Sed conceditur quod filius Dei est missus et datus. Ergo etiam debet concedi quod filius Dei est praedestinatus.

1. Il semble que cette proposition soit vraie : « Le Fils de Dieu a été prédestiné tout simplement. » En effet, de même que « prédestiné » comporte un effet temporel, de même est-il envoyé et donné. Or, on concède que le Fils de Dieu a été envoyé et donné. On doit donc aussi concéder que le Fils de Dieu a été prédestiné.

 [8419] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, in aliis qui sunt praedestinati ad vitam aeternam, non oportet quod addatur ad quid praedestinati sunt; sed sufficit eos dicere esse praedestinatos. Sed filius Dei est praedestinatus esse homo. Ergo filius Dei debet dici esse praedestinatus simpliciter.

2. Chez les autres qui ont été prédestinés à la vie éternelle, il n’est pas nécessaire d’ajouter à quoi ils ont été prédestinés, mais il suffit de dire qu’ils ont été prédestinés. Or, le Fils de Dieu a été prédestiné à être homme. On doit donc dire que le Fils de Dieu a été prédestiné tout simplement.

 [8420] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, in Christo non est nisi unum suppositum. Sed de illo supposito potest dici simpliciter, quod sit praedestinatum: dicitur enim, quod homo est praedestinatus. Ergo potest filius Dei esse praedestinatus.

3. Dans le Christ, il n’y a qu’un seul suppôt. Or, on peut dire simplement de ce suppôt qu’il a été prédestiné : en effet, on dit que l’homme a été prédestiné. Le Fils de Dieu peut donc être prédestiné.

 [8421] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, aeternum non praedestinatur. Sed filius Dei est aeternus. Ergo non est praedestinatus.

Cependant, ce qui est éternel n’est pas prédestiné. Or, le Fils de Dieu est éternel. Il n’a donc pas été prédestiné.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [8422] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 1 co. Respondeo, ad primam quaestionem dicendum, quod praedestinatio importat ordinem ad finem (quia praedestinare est mittere vel ordinare in aliquid); unde quando simpliciter ponitur, intelligitur praeordinatio ad finem ultimum, qui est in conjunctione ad Deum per gratiam vel gloriam, vel unionem in persona: sed quando additur ei aliquid, tunc importat praeordinationem tantum in illud quod ei adjungitur; et per hunc modum conceditur quod filius Dei est praedestinatus esse homo, quia hoc ab aeterno praeordinatum est.

La prédestination comporte un ordre à la fin (car « prédestiner », c’est envoyer ou ordonner vers quelques chose). Aussi, lorsqu’elle est employée simplement, l’entend-on de l’ordonnancement préalable à la fin ultime, qui consiste dans l’union à Dieu par la grâce ou par la gloire, ou dans l’union dans la personne. Mais lorsqu’on y ajoute quelque chose, elle comporte alors un ordonnancement préalable seulement à ce qui lui est associé. De cette manière, on concède que le Fils de Dieu a été prédestiné à être homme, car cela a été préalablement ordonné depuis l’éternité.

 [8423] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod praedestinatio non importat antecessionem ad praedestinatum simpliciter, sed in comparatione ad illud quod sibi praedestinari dicitur. Quamvis autem filius Dei sit ab aeterno, non tamen ab aeterno fuit homo.

1. La prédestination n’est pas simplement une anticipation de celui qui est prédestiné, mais de ce à quoi on dit qu’il a été prédestiné. Or, bien que le Fils de Dieu existe depuis l’éternité, il n’a cependant pas été homme depuis l’éternité.

 [8424] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod suppositum Petri non fuit antequam esset Petrus homo; et ideo non potest dici quod sit praedestinatus esse homo: sed suppositum filii Dei fuit antequam ipse esset homo; et ideo non est similis ratio. Et iterum Petrus nullo modo habet esse homo per gratiam; filius autem Dei habet esse homo per gratiam unionis, non quidem sibi factam, sed humanae naturae.

2. Le suppôt de Pierre n’a pas existé avant que Pierre soit homme ; aussi ne peut-on dire qu’il a été prédestiné à être homme. Mais le suppôt du Fils de Dieu a existé avant d’être homme ; c’est pourquoi le raisonnement n’est pas le même. De plus, Pierre ne tient nullement de la grâce d’être homme, mais le Fils de Dieu tient de la grâce d’union, non pas faite à lui-même, mais à sa nature humaine, d’être homme.

 [8425] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis non sit gratia filio Dei quod sit homo, tamen hoc habet per gratiam unionis, per quam humana natura assumpta est in unitatem divinae naturae.

3. Bien que ce ne soit pas une grâce pour le Fils de Dieu d’être homme, il tient cependant cela de la grâce d’union, par laquelle la nature humaine a été assumée dans l’unité de la nature divine.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [8426] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod in sacra Scriptura dicitur aliquando aliquid fieri, quando innotescit. Hoc ergo quod est esse filium Dei, potest accipi vel secundum rei veritatem, vel secundum evidentiam, prout scilicet manifestatur. Si primo modo, tunc falsum est quod filius Dei sit praedestinatus esse filius Dei, cum non ponatur in locutione aliquid respectu cujus possit denotari antecessio, quam importat praedestinatio. Si autem accipiatur secundo modo, sic Glossa super illud Rom. 1: qui praedestinatus est filius Dei in virtute, concedit quod filius Dei praedestinatus sit ut sit filius Dei, idest ut evidenter appareat; quod fuit in resurrectione factum; unde et ipse tunc dixit: data est mihi omnis potestas in caelo et in terra; et secundum hunc sensum est eadem ratio de ista sicut de praecedenti, qua dicitur: filius Dei praedestinatus est esse homo: quia praedestinatio simpliciter importat praeordinationem. Quantum ergo ad primum sensum haec est falsa: filius Dei est praedestinatus esse filius Dei.

Dans la Sainte Écriture, on dit parfois que quelque chose devient lorsque cela est connu. Être Fils de Dieu peut s’entendre soit selon la vérité de la chose, soit selon que cela est dévoilé, pour autant que cela est manifesté. Si on l’entend de la première manière, alors il est faux que le Fils de Dieu ait été prédestiné à être le Fils de Dieu, puisque rien n’est affirmé dans la proposition par rapport à quoi une anticipation peut être indiquée, ce que comporte la prédestination. Mais si on l’entend de la seconde manière, alors la Glose sur Rm : Lui qui a été prédestiné comme Fils de Dieu en puissance, concède que le Fils de Dieu a été prédestiné à être le Fils de Dieu, c’est-à-dire à apparaître manifestement, ce qui a été accompli dans la résurrection. Aussi lui-même a-t-il alors dit : Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. En ce sens, il en va de même que pour ce qui précède, où l’on dit : « Le Fils de Dieu a été prédestiné à être homme », car la prédestination comporte simplement un ordonnancement préalable. Par rapport au premier sens, cette proposition est fausse : « Le Fils de Dieu a été prédestiné à être le Fils de Dieu. »

 [8427] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod eorum quae dicuntur de homine, illa tantum dicuntur de filio Dei quae non habent repugnantiam intellectuum ad filium Dei. Sed praedestinatus habet repugnantiam: quia filius Dei aeternus est; praedestinatio autem importat antecessionem, quae non est respectu aeterni.

1. Parmi ce qui est dit de l’homme, cela seul est dit du Fils de Dieu qui ne s’oppose pas intellectuellement au Fils de Dieu. Mais être prédestiné comporte une opposition, car le Fils de Dieu est éternel. Or, la prédestination comporte une anticipation, qui n’est pas le fait de ce qui est éternel.

 [8428] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illa quae praedicantur de filio Dei inquantum est homo, non habent aliquam repugnantiam ad filium Dei; et ideo non est similis ratio.

2. Ce qui est prédiqué du Fils de Dieu en tant qu’il est homme ne comporte pas d’opposition au Fils de Dieu. Le raisonnement n’est donc pas le même.

 [8429] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 3 Et similiter dicendum est ad tertium.

3. Il faut dire la même chose pour le troisième argument.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [8430] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod haec similiter est falsa: filius Dei est praedestinatus, cum non ponatur aliquid respectu cujus possit antecessio denotari; sed haec: filius Dei est praedestinatus inquantum est homo, est vera: quia potest importari antecessio respectu hominis quantum ad naturam.

Cette proposition aussi est fausse : « Le Fils de Dieu est prédestiné », puisqu’elle n’affirme pas quelque chose dont une anticipation puisse être indiquée. Mais cette proposition : « Le Fils de Dieu est prédestiné en tant qu’homme », est vraie, car elle peut comporter une anticipation par rapport à l’homme pour ce qui est de sa nature.

 [8431] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod missio non importat temporalitatem in eo qui mitti dicitur, sed magis in eo ad quem mitti dicitur, in quo per novum effectum inhabitat; et ideo mitti dicitur persona divina. Sed praedestinatus ponit posterioritatem respectu praedestinationis in eo qui praedestinatur; et ideo non est similis ratio.

1. La mission ne comporte pas de temporalité chez celui qui est envoyé, mais plutôt chez celui vers qui on dit qu’il est envoyé, chez qui il habite selon un nouvel effet. C’est ainsi qu’on dit d’une personne divine qu’elle est envoyée. Mais être prédestiné affirme une postériorité par rapport à la prédestination chez celui qui est prédestiné. Le raisonnement n’est donc pas le même.

 [8432] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in aliis praedestinatis potest antecessio importari respectu ipsorum qui praedestinati dicuntur; quod non est de filio Dei; et ideo non est similis ratio.

2. Chez les autres prédestinés, il peut exister une anticipation par rapport à ceux-là mêmes qu’on dit prédestinés, ce qui n’est pas le cas pour le Fils de Dieu. Le raisonnement n’est donc pas le même.

 [8433] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis non sit nisi unum suppositum, tamen est duarum naturarum suppositum; et potest sibi aliquid convenire respectu unius naturae quod non convenit sibi absolute, sicut esse creaturam.

3. Bien qu’il n’y ait qu’un seul suppôt, celui-ci est cependant le suppôt de deux natures, et quelque chose peut lui convenir par rapport à une nature, qui ne lui convient pas de manière absolue, comme le fait d’être une créature.

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 7

 [8434] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 3 expos. Factus est sine dubio id quod prius non erat. Haec locutio est impropria; quia non potest intelligi neque de natura, quia Deus non est factus humana natura; neque de persona, sive de supposito, quia illud suppositum semper fuit, secundum secundam opinionem; unde exponenda est: illud quod prius non erat, idest, habens naturam quam prius non habebat. Quia Deus assumpsit hominem, idest humanam naturam, ut supra, dist. 5, glossavit; alias esset contra hanc opinionem quae dicit, hominem non esse assumptum, sed humanam naturam. Variatur autem intelligentia, cum dicitur, Deus est homo, et homo est Deus. Ratio variationis est quia divina natura praedicatur de Christi persona, non autem humana. Quod etiam dictum est utrumque est, Christus, et una persona, movere potest lectorem. Hoc positum est supra in illo capitulo: sed his videntur adversari. Hic etiam cum dicitur, minor est patre Christus secundum quod homo, secundum habitum hoc intelligunt dictum. Ideo hoc exponit secundum hanc opinionem, quia haec opinio non potest hoc sustinere, cum supra dixerit Augustinus in 1 Lib., quod spiritus sanctus non est minor seipso propter columbam in qua visibiliter apparuit. Hoc firmiter tenens quod Deus hominem assumpsit. Exponendum est ut supra, ut homo ponatur pro natura humana, sicut ipse docuit supra, dist. 5, exponere.

 

 

 

Distinctio 8

Distinction 8 – [Les effets de l’union]

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [Qu’est-ce que la naissance  ?]

Prooemium

Prologue

 [8435] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de his quae conveniunt Deo incarnato, quasi exprimentia unionem, hic determinat de his quae conveniunt ei consequentia unionem; et dividitur in duas partes: in prima determinat de his quae conveniunt uni naturae ex unione ad alteram; in secunda de his quae conveniunt personae ratione naturae assumptae, 10 dist., ibi: solet autem a quibusdam inquiri utrum Christus secundum quod homo, sit persona, vel etiam sit aliquid. Prima dividitur in duas: in prima determinat quid conveniat divinae naturae ex unione ad humanam; in secunda quid conveniat humanae ex unione ad divinam, dist. 9, ibi: praeterea investigari oportet utrum caro Christi et anima una eademque cum verbo debeat adoratione adorari. Prima dividitur in duas partes: in prima inquirit, utrum divina natura debeat dici nata in Christo ex unione ad humanam; in secunda quomodo Christus dicatur natus, ibi: quaeri etiam solet, utrum debeat dici Christus bis genitus. Circa primum duo facit: primo movet quaestionem, et solvit; secundo objicit in contrarium, et solvit, ibi: videtur tamen posse probari quod sit nata de virgine. Hic quaeruntur quinque: 1 quid sit nativitas, et quorum proprie est nasci; 2 utrum humana natura in Christo debeat dici nata; 3 utrum natura divina debeat dici nata de virgine; 4 de duplici Christi nativitate; 5 utrum sint in Christo duae filiationes.

Après avoir déterminé de ce qui convient au Dieu incarné en tant que cela exprime l’union, ici, le Maître détermine de ce qui lui convient comme découlant de l’union. Il y a deux parties : dans la première, il détermine de ce qui convient à une nature en raison de son union à l’autre ; dans la seconde, de ce qui convient à la personne en raison de la nature assumée, d. 10, à cet endroit : « Certains ont coutume de demander si le Christ, en tant qu’homme, est une personne, ou même s’il est quelque chose. » La première partie se divise en deux : dans la première, il détermine de ce qui convient à la nature divine en raison de son union à la nature humaine ; dans la seconde, de ce qui convient à la nature humaine en raison de son union à la nature divine, d. 9, à cet endroit : « De plus, il faut se demander si la chair et l’âme du Christ, une et la même que le Verbe, doit être adorée d’adoration. » La première partie se divise en deux : dans la première, il se demande si on doit dire que la nature divine est née chez le Christ en raison de son union à la nature humaine ; dans la seconde, comment on dit du Christ qu’il est né, à cet endroit : « On a aussi coutume de se demander si l’on doit dire que le Christ est né deux fois. » À propos du premier point, [le Maître] fait deux choses : premièrement, il soulève une question et y répond ; deuxièmement, il soulève une objection en sens contraire et y répond, à cet endroit : « Il semble cependant qu’on puisse démontrer qu’elle est née de la Vierge. » Ici, cinq questions sont posées : 1 – Qu’est-ce que la naissance et à qui revient-il de naître au sens propre ? 2 – Doit-on dire que la nature humaine est née ? 3 – Doit-on dire que la nature humaine chez le Christ est née ? 4 – À propos de la double naissance du Christ. 5 – Y a-t-il deux filiations chez le Christ ?

 

 

Articulus 1 [8436] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 1 tit. Utrum solummodo in viventibus sit nativitas

Article 1 – La naissance n’existe-t-elle que chez les vivants ?

 [8437] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod non solummodo viventium debeat dici nativitas. Natum enim idem videtur quod genitum. Sed generatio invenitur in omnibus corporibus a lunari globo inferius, quae non omnia vivunt. Ergo videtur quod non solum viventium sit nativitas.

1. Il semble qu’on ne doive pas parler de naissance seulement chez les vivants. En effet, être né semble être la même chose qu’avoir été engendré. Or, la génération se trouve dans tous les corps inférieurs au globe lunaire, qui ne sont pas tous vivants. Il semble donc que la naissance ne soit pas le fait des vivants seulement.

 [8438] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, idem videtur esse oriri et nasci. Sed dicimus ea oriri quae non vivunt; sicut dicimus quod sol oritur, et fons oritur. Ergo nativitas non solum in viventibus reperitur.

2. Être issu (oriri) et naître (nasci) semblent être la même chose. Or, nous disons de ce qui ne vit pas que cela est issu, comme nous disons que le soleil est issu (oritur) et que la fontaine est issue (oritur). La naissance ne se trouve donc pas seulement chez les vivants.

 [8439] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, vivere substantiarum solum est. Sed nasci, sive oriri, invenitur in accidentibus: dicimus enim splendorem oriri a sole, et calorem ab igne. Ergo nasci non solum viventium est.

3. Vivre est le fait des substances seulement. Or, naître ou être issu se trouve dans les accidents : en effet, nous disons que l’éclat est issu du soleil et la chaleur, du feu. Naître n’est donc pas le fait des vivants seulement.

 [8440] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, hoc solum est ingenitum quod non est natum. Sed illa sola dicuntur ingenita quae semper fuerunt, sicut philosophus ponit caelum ingenitum, quia secundum eum semper fuit. Ergo solum illa non sunt nata; ergo quaecumque incipiunt esse, dicuntur nasci.

4. De plus, seulement ce qui n’est pas engendré n’est pas né. Or, on dit seulement de ce qui a toujours existé que cela n’a pas été engendré, comme le Philosophe affirme que le ciel n’a pas été engendré, car, selon lui, il a toujours existé. Seules ces choses ne sont donc pas nées. On dit donc que tout ce qui commence à exister naît.

 [8441] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 1 arg. 5 Sed contra, videtur quod non omnium viventium sit nasci. Nativitas enim causat filiationem. Sed filiatio non invenitur in plantis, quae tamen vivunt. Ergo nec nativitas.

5. Cependant, il semble que tous les vivants ne naissent pas. En effet, la naissance cause la filiation. Or, on ne trouve pas de filiation chez les plantes, qui cependant vivent. On ne trouve donc pas non plus de naissance.

 [8442] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 1 arg. 6 Praeterea, constat quod embria vivunt; nec tamen dicuntur nata. Ergo non omnium viventium est nativitas.

6. Il est clair que les embryons vivent, mais on ne dit cependant pas qu’ils sont nés. La naissance n’est donc pas le fait de tous les vivants.

 [8443] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 1 arg. 7 Praeterea, sicut inanimata corpora generantur ex causa extrinseca; ita etiam animalia generata per putrefactionem. Sed inanimata non dicuntur proprie nasci ratione praedicta. Ergo nec animalia generata ex putrefactione.

7. De plus, de même que les corps inanimés sont engendrés par une cause extrinsèque, de même aussi les animaux sont-ils engendrés par putréfaction. Or, on ne dit pas des corps inanimés qu’ils naissent au sens propre, pour la raison déjà donnée. [On ne le dit donc pas] non plus des animaux engendrés par putréfaction.

 [8444] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 1 arg. 8 Praeterea, spiritus sanctus procedit a patre ut vivens a vivente; nec tamen nasci dicitur. Ergo nec omnis processus rei viventis est nativitas.

8. L’Esprit Saint procède du Père comme un vivant d’un vivant, mais on ne dit cependant pas qu’il est né. Toute apparition d’une chose vivante n’est donc pas une naissance.

 [8445] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod cum generatio sit communis omnibus corporibus corruptibilibus, tamen in corporibus animatis est specialis modus generationis; et propter hoc etiam habent specialiter inter alias vires animae vim generativam: in viventibus enim primo ex generante deciditur aliquid quod est sufficiens ad generationem quantum ad principium activum et passivum; quamvis in quibusdam idem generans sit quod utrumque ministrat, sicut in plantis, quae non habent sexum distinctum. In quibusdam autem, scilicet quae habent sexum distinctum, a mare ministratur principium activum, a femina principium materiale: et animalia in coitu, secundum philosophum, sunt quasi unum generans, sicut dicitur Genes. 11, 24: erunt duo in carne una. Et ideo sequitur secundum, scilicet quod generatio est per modum exitus a generante, quod non est in generatione inanimatorum. Tertium autem est quod generatum exiens a generante, in principio generationis adhaeret ei, et est in eo vel per contactum, vel per consolidationem, sicut dicit philosophus, ut patet in fructibus, qui colligantur plantis; et de embrione, qui adhaeret secundum contactum matrici. Et quantum ad tres has conditiones res viva, inquantum generatur, habet tria nomina sibi propria. Secundum enim quod principia sufficientia suae generationi ministrantur a generante, dicitur gigni, vel genita esse; secundum autem quod generatur per modum exitus, dicitur oriri; secundum autem quod generatur ut conjunctum generanti, dicitur nasci; sic enim generans et generatum est quasi res una; et ideo, cum nomen naturae a nascendo sumatur, illa dicuntur esse per naturam quorum principium intus est in ipsis. Et sic patet quod nasci proprie dicitur illud quod egreditur a generante conjunctum ei, habens ab ipso principia sufficientia generationi.

Réponse. La génération est commune à tous les corps corruptibles, mais il existe cependant un mode spécial de génération chez les corps animés et, à cause de cela, ils possèdent, parmi d’autres puissances de l’âme, la puissance génératrice. En effet, quelque chose se détache d’abord de ce qui engendre, qui suffit à la génération pour ce qui est de son principe actif et passif, bien que, chez certaines choses, ce soit le même engendrant qui fournisse les deux, comme chez les plantes, qui n’ont pas de sexe distinct. Mais, chez certaines choses, qui possèdent un sexe distinct, le principe actif est fourni par le mâle, et le principe matériel par la femelle, et, dans l’union sexuelle, les animaux sont comme un seul engendrant, selon le Philosophe, ainsi qu’il est dit en Gn 11, 24 : Ils seront deux en une seule chair. De là découle un second point : la génération se produit par mode de sortie de l’engendrant, ce qui n’est pas le cas dans la génération des corps inanimés. Le troisième point est que l’engendré qui sort de l’engendrant est rattaché à lui au début de la génération et qu’il existe en lui soit par contact, soit par consolidation, comme le dit le Philosophe, ainsi que cela ressort pour les fruits, qui sont attachés aux plantes, et pour l’embryon, qui est attaché à la matrice par contact. Selon ces trois conditions, une chose vivante, en tant qu’elle est engendrée, porte trois noms qui lui sont propres. En effet, selon que les principes suffisants à sa génération sont fournis par l’engendrant, on dit qu’elle est engendrée ou qu’elle a été engendrée. Mais selon qu’elle est engendrée par mode de sortie, on dit qu’elle est issue. Mais selon qu’elle est engendrée comme unie à l’engendrant, on dit qu’elle naît. En effet, l’engendrant et l’engendré sont ainsi comme une seule chose. C’est pourquoi, le mot « nature » venant de « naîtr », on dit qu’existe selon la nature ce dont le principe est intérieur. Il ressort ainsi qu’on parle de naître au sens propre pour ce qui sort de l’engendrant en lui étant uni et qui tient de lui les principes qui suffisent à la génération.

 [8446] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod genitum, secundum quod est idem quod natum, non dicitur a generando, sed a gignendo; unde quamvis inanimata proprie dicantur generata, non tamen proprie dicuntur genita neque nata.

1. Engendré, selon que cela est la même chose que ce qui est né, ne vient pas de d’engendrer (generando) mais d’enfanter (gignendo). Bien qu’on parle de corps engendrés pour les corps inanimés, on ne dit cependant pas au sens propre qu’ils sont enfantés ni nés.

 [8447] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sol et aqua fontis dicitur per similitudinem oriri, inquantum scilicet egreditur de occulto in manifestum.

2. On dit que le soleil et la fontaine sont issus par ressemblance avec une naissance, pour autant qu’ils passent de ce qui est caché à ce qui est manifeste.

 [8448] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod similiter accidentia inquantum sunt virtute in principiis essentialibus, causantur per modum exitus; et ideo dicuntur oriri per similitudinem, et possunt etiam dici nasci, inquantum adhaerent subjecto quod est causa ipsorum.

3. De même, les accidents, pour autant qu’ils existent en puissance dans les principes essentiels, sont-ils causés par mode de sortie. Aussi est-ce par ressemblance qu’on dit d’eux qu’ils apparaissent et qu’on peut même dire qu’ils naissent, pour autant qu’il sont attachés au sujet qui est leur cause.

 [8449] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod, sicut dicit Damascenus, ingennitum per duplex n scriptum, est idem quod increatum, sive aeternum; et sic accipit philosophus; ingenitum autem per unum n scriptum idem est quod non generatum; et sic hic loquimur.

4. Comme le dit [Jean] Damascène, ingennitum, avec deux « n » est la même chose qu’incréé ou éternel, et c’est ainsi que l’entend le Philosophe ; mais ingenitum, avec un seul « n », est la même chose que non engendré. C’est ainsi que nous en parlons ici.

 [8450] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod ad filiationem requiritur plus quam ad nativitatem vel ortum, scilicet ut quod exit per generationem a generante, sit completum in specie generantis; et ideo fructus arborum et ova avium et capilli et hujusmodi non habent rationem filiationis, quamvis dicantur nasci.

5. La filiation exige plus que la naissance ou l’apparition : ce qui sort de l’engendrant par la génération doit être achevé quant à l’espèce de l’engendrant. Aussi les fruits des arbres, les œufs des oiseaux, les cheveux et les choses de ce genre n’ont-ils pas raison de filiation, bien qu’on dise qu’ils naissent.

 [8451] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod genitum exit a generante dupliciter. Uno modo secundum quod procedit in esse distinctum a generante, clausum tamen infra terminos generantis; et hoc proprie dicitur conceptio. Alio modo secundum quod procedit in esse distinctum et manifestum. Et quia res nominatur secundum id quod apparet: ideo ille modus exeundi facit nativitatem secundum communem usum loquendi, quamvis etiam primus aliquo modo faciat nativitatem, secundum quod dicitur duplex nativitas, scilicet in utero, et ex utero. Et quia in plantis simul aliquid procedit in esse distinctum et manifestum; ideo non proprie in eis est conceptio, sed nativitas; et ideo etiam verbum secundum quod distinguitur in intellectu, dicitur concipi; secundum autem quod extra pronuntiatur, potest dici per similitudinem nasci.

6. L’engendré sort de l’engendrant de deux manières. D’une manière, selon qu’il atteint un être distinct de l’engendrant, mais cependant enfermé dans les limites de l’engendrant. C’est ce qu’on appelle la conception au sens propre. D’une autre manière, selon qu’il atteint un être distinct et manifeste. Et parce qu’une chose tire son nom de ce qui apparaît, ce mode de sortie donne la naissance selon la manière commune de parler, bien que le premier [mode] donne aussi une naissance, selon qu’on parle d’une double naissance : à l’intérieur du sein et en dehors du sein. Et parce que, dans les plantes, quelque chose atteint en même temps un être distinct et manifeste, c’est la raison pour laquelle il n’y a pas en elles de conception, mais une naissance. C’est pourquoi aussi on dit que le verbe est conçu, selon qu’il est distinct dans l’intellect ; mais selon qu’il est prononcé à l’extérieur, on peut parler de naître par ressemblance.

 [8452] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod in animalibus generatis ex putrefactione virtus solis et aliorum corporum caelestium supplet vicem virtutis formativae quae est in semine in generatione eorum quae ex semine nascuntur. Et quia hujusmodi virtutes corporum caelestium sunt per omnia inferiora corpora diffusae; ideo dicit philosophus, quod omnia plena sunt virtutibus animae; et ideo sicut animalia quae generantur ex semine, se habent ad feminam, ita ista se habent ad terram, quae sine semine generantur; et sicut illa se habent ad patrem, ita ista se habent ad corpora caelestia: propter quod dixit quidam philosophus, quod sol est pater plantarum, terra vero mater. Unde patet quod hujusmodi quae sine semine generantur, sive sint plantae, sive animalia, proprie dicuntur nasci, oriri et gigni.

7. Chez les animaux engendrés par putréfaction, la puissance du soleil et des autres corps célestes remplace la puissance formatrice qui se trouve dans la semence dans la génération de ce qui naît d’une semence. Parce que les puissances de ces corps célestes sont répandues sur tous les corps inférieurs, le Philosophe dit donc que tous sont remplis des puissances de l’âme. De même que les animaux qui sont engendrés d’une semence ont un rapport avec une femelle, de même ceux qui sont engendrés sans semence ont-ils un rapport avec la terre, et de même que ceux-là ont un rapport avec un père, de même ceux-ci ont-ils un rapport avec les corps célestes. C’est la raison pour laquelle un philosophe a dit que le soleil est le père des plantes, mais la terre, leur mère. Il est ainsi clair qu’on dit des corps qui sont engendrés sans semence, que ce soient des plantes ou des animaux, qu’ils naissent, sont issus et sont engendrés.

 [8453] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod quamvis spiritus sanctus procedat vivens ex vivente, non tamen hoc convenit ei secundum rationem suae processionis: procedit enim ut amor; amor autem consideratus in genere inquantum amor, non habet quod sit res viva, sed operatio vel passio rei viventis; habet tamen quod sit res viva et subsistens, inquantum est amor divinus; et ideo non dicitur nasci, ut in 1 Lib., dist. 13, qu. 1, art. 3, ad 3, dictum est.

8. Bien que l’Esprit Saint procède vivant d’un vivant, cela ne lui convient cependant pas en raison de sa procession. En effet, il procède en tant qu’amour. Or, l’amour, envisagé d’une manière générale en tant qu’amour, n’est pas une chose vivante, mais une opération ou une passion d’une chose vivante. Cependant, il peut être une réalité vivante et subsistante en tant qu’il est l’Amour divin. Aussi ne dit-on pas qu’il est né, comme on l’a dit dans le livre I, d. 13, q. 1, a. 3, ad 3.

 

 

Articulus 2 [8454] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 2 tit. Utrum humana natura sit nata in Christo

Article 2 – La nature humaine est-elle née chez le Christ ?

 [8455] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur, quod humana natura sit nata in Christo. Sicut enim supra dictum est, illa de persona vel supposito, et non de natura, dicuntur, quae per se existenti solum conveniunt, sicut hypostasis, res naturae, et hujusmodi. Sed nasci non est solum per se existentium, cum sit partium: supra enim, dist. 4, habitum est quod capillus nascitur. Ergo nasci non solum est personae vel suppositi, sed etiam naturae.

1. Il semble que la nature humaine soit née chez le Christ. En effet, comme on l’a dit plus haut, on dit de la personne ou du suppôt, et non de la nature, ce qui convient seulement à ce qui existe par soi, comme d’une hypostase, d’une chose naturelle et des choses de ce genre. Mais naître n’est pas seulement le fait de ce qui existe par soi, puisque cela vaut aussi pour les parties. En effet, on a vu plus haut, d. 4, que le cheveu naît. Naître n’est donc pas seulement le fait de la personne ou du suppôt, mais aussi de la nature.

 [8456] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, id quod est per se intentum a natura generante, verissime dicitur nasci. Sed natura quamvis generet hunc hominem, intendit tamen hominem generare, ut dicit Avicenna. Homo autem naturam communem significat. Ergo naturae humanae maxime convenit nasci.

2. Ce qui est visé par la nature qui engendre est dit naître au sens le plus vrai. Mais la nature, bien qu’elle engendre tel homme, tend cependant à engendrer l’homme, comme le dit Avicenne. Or, « homme » signifie la nature commune. Il convient donc au plus haut point à la nature humaine de naître.

 [8457] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, secundum philosophum, idem specie est quod generat et quod generatur. Sed naturae est generare. Ergo ipsius est etiam generari sive nasci.

3. Selon le Philosophe, ce qui engendre et ce qui est engendré est identique selon l’espèce. Or, il revient à la nature d’engendrer. Il lui revient donc d’être engendrée ou de naître.

 [8458] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, Christus non dicitur natus de virgine, nisi secundum hoc quod de virgine accepit. Sed non accepit nisi humanam naturam. Ergo humana natura dicitur nasci de virgine.

4. On dit que le Christ est né de la Vierge seulement pour ce qu’il a reçu de la Vierge. Or, il n’a reçu que la nature humaine. C’est donc la nature humaine qui est née de la Vierge.

 [8459] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, omne quod coepit esse ex aliqua materia, dicitur generari. Sed humana natura in Christo coepit esse ex aliqua materia. Ergo humana natura in Christo dicitur nasci.

5. On dit de tout ce qui a commencé à exister à partir d’une matière que cela est engendré. Or, la nature humaine chez le Christ a commencé à exister à partir d’une matière. C’est donc de la nature humaine chez le Christ qu’on dit qu’elle est née.

 [8460] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra est quod dicit Damascenus, quod nasci est tantum hypostasis. Ergo non est naturae.

Cependant, [1] [Jean] Damascène dit que « naître relève seulement de l’hypostase ». Cela ne relève donc pas de la nature.

 [8461] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, sicut se habet divina natura Christi ad aeternam ejus generationem; ita et humana natura ad temporalem. Sed natura divina non est nata aeterna generatione. Ergo nec humana temporali.

 [2] Le rapport entre la nature divine du Christ et sa génération éternelle est le même que celui de la nature humaine et de sa [génération] temporelle. Or, la nature divine n’est pas née par une génération éternelle. Donc, ni la [nature] humaine d’une [génération] temporelle.

 [8462] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod nasci fieri quoddam est; nihil autem fit nisi ut sit; unde secundum quod alicui convenit esse, ita et convenit ei fieri. Esse autem proprie subsistentis est; unde dicitur proprie nasci et fieri. Forma autem et natura dicitur esse ex consequenti: non enim subsistit; sed inquantum in ea suppositum subsistit, esse dicitur; unde et ex consequenti convenit ei fieri vel nasci; non quasi ipsa nascatur, sed quia per generationem accipitur. Accidentia autem non dicuntur esse nisi per accidens; unde et per accidens fieri dicuntur.

Réponse. Naître est un certain devenir. Or, rien ne devient que pour être. Selon que l’être convient à quelqu’un, de même le devenir lui convient donc aussi. Or, exister est propre à ce qui subsiste ; c’est ainsi qu’on parle, à proprement parler, de naître et de devenir. Or, on dit que la forme et la nature sont par mode de conséquence : en effet, elles ne subsistent pas. Mais, pour autant que le suppôt subsiste en elles, on dit qu’elles sont. Il leur convient donc de devenir et de naître par mode de conséquence, non pas comme si elles naissaient elles-mêmes, mais parce qu’elles sont reçues par la génération. Or, on dit des accidents qu’ils existent par accident seulement ; aussi dit-on qu’ils deviennent par accident.

 [8463] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod est duplex pars. Est enim pars substantiae secundum quantitatem; et hoc vel subsistit in potentia, ut in continuis: vel in actu, ut in his quae per tactum junguntur; unde tales partes possunt dici fieri vel nasci, et praecipue quando adduntur toti praeexistenti; secus autem esset, si generarentur generatione totius: quia tunc totum diceretur fieri, et non ipsa. Sunt etiam partes substantiae, in quas dividitur totum secundum rationem, sicut materia et forma: et hujusmodi, cum non subsistant neque in actu neque in potentia, non dicuntur per se fieri; nisi forte forma sit subsistens, sicut est anima, quae dicitur fieri per creationem, praeter factionem qua fit compositum per generationem. Natura autem humana, quae ut pars significatur, non est nata subsistere, cum non possit in rerum natura esse nisi in atomo, idest in suo supposito; et ideo ipsa non potest dici nasci.

1. Il existe une double partie. En effet, il y a une partie de la substance selon la quantité : elle subsiste soit en puissance, comme dans ce qui est continu, soit en acte, comme ce qui se rejoint par contact. On peut donc dire de telles parties qu’elles deviennent ou naissent, surtout lorsqu’elles s’ajoutent à un tout préexistant. Cependant, il en serait autrement si elles étaient engendrées par la génération du tout, car alors on dirait que le tout devient, et non cette [partie]. Il y a aussi les parties de la substance, entre lesquelles le tout se divise selon la raison, comme la matière et la forme. On ne dit pas de celles-ci qu’elles deviennent par elles-mêmes, puisqu’elles ne subsistent ni en acte ni en puissance, à moins que la forme ne soit subsistante, comme l’est l’âme, dont on dit qu’elle est faite par création, en plus de la réalisation par laquelle le composé est fait par la génération. Or, la nature humaine, qui est signifiée comme une partie, n’a pas par elle-même de subsister, puisqu’elle ne peut exister dans la nature des choses que dans quelque chose d’indivis, à savoir, dans son suppôt. On ne peut donc dire d’elle qu’elle naît.

 [8464] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod homo non significat tantum naturam, prout hic loquimur, sicut patet ex dictis in 5 dist., qu. 1, art. 3; et ideo non sequitur ratio. Non enim natura intendit naturam producere nisi in supposito; et ideo non intendit generare humanitatem, sed hominem.

2. « Homme » ne signifie pas seulement la nature, tel que nous l’entendons ici, comme cela ressort de ce qui a été dit dans la d. 5, q. 1, a. 3. Le raisonnement n’est donc pas concluant. En effet, la nature n’entend produire une nature que dans un suppôt ; aussi n’entend-elle pas engendrer l’humanité, mais un homme.

 [8465] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut esse suppositi est, ita et agere: et ideo sicut naturae est generare, non quasi ipsa generet, sed quia virtute ejus fit generatio; ita non est ipsius generari, quasi ipsa generetur, sed quia per generationem accipitur.

3. De même qu’exister relève du suppôt, de même aussi agir. Ainsi, de même qu’il relève de la nature d’engendrer, non pas parce qu’elle engendre elle-même, mais parce que la génération se réalise par sa puissance, de même ne relève-t-il pas d’elle d’être engendrée, comme si elle était elle-même engendrée, mais parce qu’elle est reçue par la génération.

 [8466] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut Christus dicitur homo ratione humanae naturae, et tamen humana natura non est homo; ita etiam dicitur nasci ratione humanae naturae quam accepit a virgine, et tamen ipsa humana natura non generatur: sicut enim dicit Dionysius, non oportet quod eodem modo causa et causatum recipiant praedicationem alicujus generis vel speciei; sicut calor est quo aliquis dicitur calidus; et tamen ipse non est calidus, sed calor.

4. Comme on dit du Christ qu’il est homme en raison de la nature humaine, alors que la nature humaine n’est pas l’homme, de même dit-on qu’il est né en raison de la nature humaine qu’il a reçue de la Vierge. Cependant, la nature humaine elle-même n’est pas engendrée : en effet, comme le dit Denys, il n’est pas nécessaire que la cause et ce qui est causé reçoivent de la même façon la prédication d’un genre ou d’une espèce, comme la chaleur est ce par quoi on dit que quelqu’un est chaud ; cependant, il n’est pas lui-même chaud, mais la chaleur [l’est].

 [8467] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod cum esse non sit naturae sed suppositi, humana natura proprie non coepit esse, sed Christus coepit esse in humana natura; et sic per consequens natura coepit esse.

5. Puisque exister n’est pas le fait de la nature mais du suppôt, la nature humaine n’a pas commencé à exister à proprement parler, mais le Christ a commencé à exister dans la nature humaine. Ainsi la nature a-t-elle commencé à exister par mode de conséquence.

 

 

Articulus 3 [8468] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 3 tit. Utrum divina natura in Christo nata sit de virgine

Article 3 – La nature divine chez le Christ est-elle née de la Vierge ?

 

 [8469] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod natura divina in Christo sit nata de virgine. Filius enim Dei non dicitur natus de virgine, nisi inquantum est incarnatus. Sed natura divina dicitur incarnata, ut supra, dist. 5, qu. 2, art. 2 ad 4, dictum est. Ergo ipsa debet dici nata de virgine.

1. Il semble que la nature humaine chez le Christ soit née de la Vierge. En effet, on ne dit du Fils de Dieu qu’il est né de la Vierge que pour autant qu’il est incarné. Or, on dit de la nature divine qu’elle est incarnée, comme on l’a dit plus haut, d. 5, q. 2, a. 2, ad 4. Il faut donc dire qu’elle est née de la Vierge.

 [8470] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, quidquid in recto praedicatur de Petro, dicitur nasci ipso nato: sequitur enim: Petrus est natus: ergo homo, ergo animal, ergo substantia. Sed natura divina in recto praedicatur de filio Dei. Ergo cum filius Dei sit natus de virgine, etiam divina natura debet dici nata de virgine.

2. On dit de tout ce qui est prédiqué directement de Pierre que cela est né, lorsque celui-ci est né. En effet, on enchaîne : Pierre est né ; donc, l’homme, donc l’animal, donc la substance [sont nés]. Or, la nature divine est prédiquée directement du Fils de Dieu. Puisque le Fils de Dieu est né de la Vierge, on doit donc aussi dire que la nature divine est née de la Vierge.

 [8471] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, in filio Dei non est accipere nisi essentiam et proprietatem. Sed absurdum esset dicere, quod ratione proprietatis tantum dicatur natus de virgine: quia proprietas illa relatio est secundum quam ad patrem, qui generat sine matre, refertur. Ergo est natus ratione divinae naturae; et sic idem quod prius.

3. Dans le Fils de Dieu, on ne conçoit que l’essence et la propriété. Or, il serait absurde de dire qu’en raison de la propriété seulement, il est né de la Vierge, car cette propriété est la relation par laquelle il est en rapport avec le Père, qui engendre sans mère. Il est donc né en raison de la nature divine. La conclusion est ainsi la même que précédemment.

 [8472] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, Bernardus dicit, quod in incarnatione est fortitudo infirmata. Sed infirmari magis est remotum a natura divina quam nasci. Ergo etiam potest dici nasci.

4. Bernard dit que, « dans l’incarnation, la force s’est affaiblie ». Or, s’affaiblir est plus éloigné de la nature divine que naître. On peut donc aussi dire qu’elle est née.

 [8473] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, natura divina magis convenit cum generatione Christi aeterna quam cum temporali. Sed ipsa non est nata generatione aeterna, ut in 1 Lib., dist. 5, qu. 2, art. 3 ad 2, et 3, dictum est. Ergo multo minus est nata generatione temporali.

Cependant, [1] la nature divine a plus en commun avec la génération éternelle du Christ qu’avec sa [génération] temporelle. Or, celle-ci n’est pas née par une génération éternelle, comme on l’a dit dans le livre I, d. 5, q. 2, a. 3, ad 3. Encore bien moins est-elle donc née par une génération temporelle.

 [8474] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, humana natura non proprie dicitur nasci generatione humana. Ergo multo minus natura divina.

 [2] On ne dit pas au sens propre que la nature humaine naît par une génération humaine. Donc, encore bien moins la nature divine.

 [8475] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod natura humana quamvis non dicatur proprie nasci in Christo de virgine, eo quod nasci non est naturae sed hypostasis; tamen consequenter ad generationem se habet, quia est per generationem accepta. Divina autem natura non est a Christo per temporalem generationem accepta; unde nullo modo debet dici nata de virgine, nec per se, nec per consequens, si natura proprie accipiatur, secundum quod pro essentia supponit. Tamen quia aliquando proprie trahitur ad supponendum pro persona, sicut in 5 dist. 1 libri dictum est; ideo etiam aliquando invenitur quod natura divina sit nata, sicut patet in littera; unde exponendum est sicut Magister exponit.

Réponse. Bien qu’on ne dise pas qu’au sens propre, la nature humaine est née de la Vierge chez le Christ, parce que naître n’est pas le fait de la nature mais de l’hypostase, cela a cependant un rapport avec la génération par mode de conséquence, car [la nature] est reçue par génération. Or, la nature divine n’est pas reçue par le Christ en vertu d’une génération temporelle. Aussi ne faut-il aucunement dire qu’elle est née de la Vierge , ni par soi, ni par mode de conséquence, si on entend nature au sens propre, selon lequel elle signifie l’essence. Cependant, parce qu’elle est parfois attirée au sens propre à signifier la personne, comme on l’a dit dans la d. 5 du livre I, on trouve donc parfois que la nature divine est née, comme cela ressort du texte. Aussi faut-il l’expliquer comme le Maître l’explique.

 [8476] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod filius Dei univit sibi humanam naturam, et in se: quia unio terminata est ad personam. Non autem ita est de divina natura, ut patet ex dictis supra, dist. 1, qu. 2, art. 1; unde non est simile.

1. Le Fils de Dieu s’est uni une nature humaine, et en lui-même, car l’union se termine à la personne. Mais il n’en va pas de même de la nature divine, comme cela ressort de ce qui a été dit, d. 1, q. 2, a. 1. Ce n’est donc pas la même chose.

 [8477] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod natura divina non habet inquantum est natura, quod praedicetur in recto de persona filii Dei, sed ratione simplicitatis divinae, quae non permittit aliquam realem diversitatem in ipso; sed differentia est in modo significandi, qui facit quod aliquid de persona dicatur quod de natura dici non potest.

2. En tant que nature, la nature divine ne peut être prédiquée directement de la personne du Fils de Dieu, mais [elle peut l’être] en raison de la simplicité divine, qui ne permet pas de diversité réelle en lui. la différence se trouve dans la manière de parler, qui fait que quelque chose est dit de la personne, qui ne peut être dit de la nature.

 [8478] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in filio Dei non solum est accipere naturam et proprietatem, sed etiam hypostasim, sive personam; quamvis unum illorum ab altero secundum rem non differat; et ratione hypostasis dicitur filius incarnatus, inquantum sibi carnem sociavit in unitate personae.

3. Dans Fils de Dieu, on ne conçoit pas seulement la nature et la propriété, mais aussi l’hypostase ou la personne, bien que, en réalité, une de ces choses ne soit pas différente de l’autre. C’est en raison de l’hypostase qu’on dit du Fils qu’il est incarné, pour autant qu’il s’est associé la chair dans l’unité de sa personne.

 [8479] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod fortitudo dicitur infirmata, id est infirmitatem assumpsisse; et ideo impropria est locutio, nec ad consequentiam trahenda.

4. On dit que la force s’est affaiblie, c’est-à-dire qu’elle a assumé la faiblesse. C’est donc une manière de parler impropre, dont il ne faut pas tirer de conséquences.

 

 

Articulus 4 [8480] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 4 tit. Utrum ponendae sint duae nativitates Christi vel una

Article 4 – Faut-il affirmer deux naissances du Christ ou une seule ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Faut-il affirmer deux naissances du Christ ?]

 [8481] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod non sint ponendae duae Christi nativitates. Nasci enim non est naturae, sed personae. Sed in Christo est tantum una persona. Ergo et una nativitas.

1. Il semble qu’il ne faille pas affirmer deux naissances du Christ. En effet, naître n’est pas le fait de la nature, mais de la personne. Or, chez le Christ, il n’y a qu’une seule personne. Il y a donc une seule naissance.

 [8482] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, cum nativitas sit generatio quaedam, per nativitatem aliquis ad esse tendit. Sed in Christo est tantum unum esse. Ergo tantum una nativitas.

2. Puisque la naissance est une certaine génération, on tend donc à l’être par la naissance. Or, chez le Christ, il n’y a qu’un seul être. Il y a donc une seule naissance.

 [8483] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 3 Praeterea, ea quae non sunt unius rationis, non debent connumerari, sicut canis caelestis et terrestris non dicuntur duo canes. Sed generatio Christi temporalis et aeterna non sunt unius rationis. Ergo non debent dici duae nativitates.

3. Ce qui n’a pas la même raison ne doit pas être compté ensemble, comme on ne dit pas que le chien céleste et le chien terrestre sont deux chiens. Or, la génération temporelle et la génération éternelle du Christ n’ont pas la même raison. Il ne faut donc pas parler de deux naissances.

 [8484] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, nullus dicitur filius alicujus nisi ratione alicujus nativitatis. Sed Christus dicitur filius patris, et etiam matris. Ergo utrumque est secundum aliquam nativitatem, et non secundum eamdem; ergo in Christo sunt duae nativitates.

Cependant, personne n’est appelé le fils de quelqu’un qu’en raison d’une naissance. Or, le Christ est appelé le Fils du Père et aussi de sa mère. Les deux choses existent donc [chacune] en raison d’une naissance, et non en raison de la même [naissance]. Chez le Christ, il y a donc deux naissances.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le Christ est-il né deux fois ?]

 [8485] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod Christus non debet dici bis natus. Ratione enim ejus quod advenit alicui post completum esse, non dicitur aliquis natus: sicut homo non dicitur nasci, quamvis capillus per aliquam nativitatem adveniat. Sed humanitas Christi advenit filio Dei post completum esse. Ergo propter hoc non debet dici ipse natus, quod humanam naturam acceperit.

1. Il semble qu’on ne doive pas dire que le Christ est né deux fois. En effet, en raison de ce qui arrive à quelqu’un après que son être est achevé, on ne dit pas qu’il est né, comme on ne dit pas qu’un homme est né, bien que sa chevelure survienne par une certaine naissance. Or, l’humanité du Christ survient au Fils de Dieu après que son être est achevé. Pour cette raison, on ne doit donc pas dire qu’il est né parce qu’il a reçu la nature humaine.

 [8486] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, hoc adverbium bis importat successionem actuum. Sed generationi aeternae non succedit temporalis: quia aeterna semper est; unde est simul cum temporali. Ergo ratione duplicis nativitatis non debet dici bis natus.

2. L’adverbe « deux fois » comporte une succession d’actes. Or, la génération temporelle ne succède pas à la génération éternelle, car la [génération] éternelle existe toujours ; elle existe donc toujours simultanément avec la [génération] temporelle. On ne doit donc pas dire qu’il est né deux fois en raison d’une double naissance.

 [8487] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 3 Praeterea, hoc adverbium bis importat interruptionem; unde qui tota die loquitur, non dicitur bis loqui. Sed aeterna generatio non habet interruptionem. Ergo ratione ejus non debet dici bis natus.

3. De plus, l’adverbe «deux fois» comporte une interruption ; ainsi, on ne dit pas que celui qui parle pendant toute une journée parle deux fois. Or, la génération éternelle ne comporte pas d’interruption. On ne doit donc pas dire qu’il est né deux fois en raison de celle-ci.

 [8488] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, hoc adverbium bis numerat actum cui adjungitur. Sed duplex est Christi nativitas. Ergo secundum eas debet dici bis natus.

Cependant, l’adverbe « deux fois » compte un acte auquel on ajoute. Or, il y a deux naissances chez le Christ. On doit donc dire qu’il est né deux fois en fonction d’elles.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [8489] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum, ad primam quaestionem, quod Christus processit a patre aeternaliter, et a matre temporaliter; et utraque processio habet rationem nativitatis. Secundum enim processionem aeternam filius est de substantia patris, et exit ab eo in personam distinctam; et tamen est conjunctus patri propter indivisionem substantiae, quia verbum apud Deum est; unde patet quod salvantur suo modo tria illa quae dicebantur supra, art. 1, esse de ratione nativitatis; et propter hoc dicitur oriri, et gigni, et nasci. Sed processio ejus temporalis, qua procedit a matre, habet nativitatis rationem, sicut cujuslibet alterius qui ex sua matre nascitur. Unde sicut duae sunt ejus processiones, ut dictum est, in 1 libro, dist. 14, qu. 1, art. 2, ita etiam sunt duae nativitates.

Le Christ a procédé du Père éternellement et de sa mère temporellement, et les deux processions ont raison de naissance. En effet, selon la procession éternelle, le Fils vient de la substance du Père et en sort comme une personne distincte ; cependant, il est uni au Père en raison de l’indivision de la substance, car le Verbe existe en Dieu. Ainsi ressort-il que les trois choses mentionnées plus haut, a. 1, et qui font partie de la raison de naissance, sont-elles préservées. Pour cette raison, on dit qu’il est issu de, qu’il est engendré et qu’il naît. Mais sa procession temporelle, par laquelle il procède de sa mère, a raison de naissance, comme c’est le cas de n’importe qui qui naît de sa mère. Puisqu’il y a deux processions, comme on l’a dit, livre I, d. 14, q. 1, a. 2, il y a donc aussi deux naissances.

 [8490] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis nasci sit personae, est tamen ejus ratione naturae; unde secundum duas naturas quas per generationem accepit, habet duas nativitates.

1. Bien que naître soit le fait de la personne, cela en est cependant le fait en raison de la nature. Aussi [le Christ] a-t-il eu deux naissances selon les deux natures qu’il a reçues par génération.

 [8491] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis in Christo sit unum esse, tamen secundum illud habet respectum ad duas naturas, ut supra, dist. 6, qu. 2, art. 2, dictum est; et ita nativitas est duplex secundum duplicem respectum qui acquiritur personae ad duas naturas acceptas per generationem.

2. Bien qu’il n’y ait qu’un seul être dans le Christ, cependant, selon celui-ci, il possède un rapport avec les deux natures, comme on l’a dit plus haut, d. 6, q. 2, a. 2. Ainsi, la naissance est double selon le double rapport qu’acquiert la personne avec les deux natures reçues par génération.

 [8492] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis non sit una ratio per univocationem aeternae et temporalis nativitatis, est tamen una per analogiam.

3. Bien qu’il n’y ait pas une seule raison de la naissance éternelle et de la naissance temporelle, elles sont cependant une seule par analogie.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [8493] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod bis, cum sit adverbium, ponit numerum circa actum. Cum autem motus et actus numerentur tripliciter: scilicet ex subjecto, quia est alius et alius agens; et ex terminis, quia est aliud et aliud quod agitur; et ex mensura actus, quia nunc et tunc agit: hoc adverbium bis non importat numerum, nisi qui causatur ex diversa mensura; unde non dicitur bis lectum esse, si duo legant, nec si duo libri simul legantur; sed quando diversis horis legitur. Quia autem in his quae aguntur in tempore non est alia mensura nisi tempus, et hoc non est aliud et aliud, nisi quando discontinuatur; ideo bis dicitur factum esse, quando aliquid cum interruptione factum est. Aeternitas autem et tempus sunt diversae mensurae secundum diversam naturam, et non per discontinuationem; unde quod fit in aeternitate et tempore, potest dici bis factum esse; quamvis id quod aeternum est, non interrumpatur nec cesset.

Puisque « deux fois » est un adverbe, cela affirme le nombre d’un acte. Puisque le mouvement et l’acte sont comptés de trois manières : selon le sujet, car il y a deux agents ; selon les termes, car il y a deux termes ; selon la mesure de l’acte, car on agit à tel et tel moment, cet adverbe « deux fois » ne comporte de nombre que selon ce qui est causé par une mesure différente. Ainsi ne dit-on pas qu’on a lu deux fois si on lit deux choses, ni si deux livres sont lus en même temps, mais lorsqu’on lit à des heures différentes. Mais parce que, pour les choses qui sont faites dans le temps, il n’existe pas d’autres mesure que le temps, et qu’il n’y a deux choses, sauf lorsqu’elles sont discontinues, on dit que quelque chose a été fait deux fois lorsque quelque chose a été fait avec une interruption. Or, l’éternité et le temps sont des mesures différentes selon une nature différente, et non selon une discontinuité. On peut donc dire que ce qui est fait dans l’éternité et dans le temps a été fait deux fois, bien que ce qui est éternel ne soit pas interrompu ni ne cesse.

 [8494] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis humana natura adveniat filio Dei post esse completum, tamen filius Dei totus subsistit in utraque natura: non autem ita est de toto homine ad capillum; et ideo ratio non procedit.

1. Bien que la nature humaine survienne au Fils de Dieu après que son être est achevé, le Fils de Dieu subsiste cependant entièrement dans les deux natures ; mais il n’en est pas de même pour la totalité de l’homme par rapport à la chevelure. Le raisonnement n’est donc pas concluant.

 [8495] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ratio illa procedit de his quae aguntur in tempore.

2. Ce raisonnement vient de ce qui se fait dans le temps.

 [8496] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 3 Et similiter ad tertium; et ideo non sunt ad propositum.

3. De même en est-il pour le troisième argumenet. Ils ne portent donc pas sur la question en cause.

 

 

Articulus 5 [8497] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 5 tit. Utrum in Christo sint duae filiationes

Article 5 – Y a-t-il deux filiations chez le Christ ?

 [8498] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur, quod in Christo sint duae filiationes. Multiplicata enim causa, multiplicatur effectus. Sed nativitas est causa filiationis. Ergo cum in Christo sint duae nativitates, erunt in ipso duae filiationes.

1. Il semble qu’il y ait deux filiations chez le Christ. En effet, si la cause est multipliée, l’effet est multiplié. Or, la naissance est la cause de la filiation. Puisqu’il y a deux naissances chez le Christ, il y aura donc aussi chez lui deux filiations.

 [8499] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 5 arg. 2 Praeterea, relativa sunt quorum esse est ad aliud se habere. Sed esse filiationis aeternae non est ad matrem Christi se habere. Ergo per eam non refertur ad matrem. Sed aliqua filiatione refertur ad matrem. Ergo in Christo sunt duae filiationes.

2. Les choses relatives sont celles dont l’être consiste à exister par rapport à autre chose. Or, l’être de la filiation éternelle ne consiste pas à exister par rapport à la mère du Christ. Il n’est donc pas en rapport avec sa mère par [cette filiation]. Or, il est en rapport avec sa mère par une certaine filiation. Il existe donc chez le Christ deux filiations.

 [8500] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea, relativa posita se ponunt, et interempta, se interimunt. Sed maternitate interempta a virgine, non interimitur filiatio aeterna. Ergo oportet ponere aliam filiationem, quae ponatur posita maternitate, et interimatur ea remota.

3. Les choses relatives s’affirment lorsqu’elles existent, et elles s’effacent lorsqu’elles disparaissent. Or, si la maternité disparaît de la Vierge, la filiation éternelle ne disparaît pas. Il est donc nécessaire d’affirmer une autre filiation, qui existe lorsque la maternité existe, et qui disparaît lorsque celle-ci est enlevée.

 [8501] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 5 arg. 4 Praeterea, motus diversificatur per terminos. Sed sicut motus habet speciem a terminis, ita relatio. Ergo cum Christus sit filius patris et matris, oportet quod alia filiatione ad utrumque referatur.

4. Un mouvement se diversifie par ses termes. Or, de même que le mouvement tire son espèce de ses termes, de même une relation. Puisque le Christ est le Fils de son Père et de sa mère, il est donc nécessaire qu’il soit en rapport avec les deux selon une filiation différente.

 [8502] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 5 arg. 5 Praeterea, philosophus probat, quod scientia non refertur ad scientem: quia cum referatur ad scibile, et hoc sit suum esse inquantum ad aliquid est, oporteret, si diceretur ad scientem, quod haberet duplex esse. Si ergo filiatione refertur Christus ad patrem et matrem, oportet quod sint duae filiationes secundum esse.

5. Le Philosophe démontre que la science n’a pas de rapport avec celui qui connaît, car, puisqu’elle est en rapport avec ce qui peut être connu et que cela est son être en tant qu’elle est en rapport avec quelque chose, il faudrait qu’elle ait un double être, si elle était en rapport avec celui qui connaît. Si donc le Christ est en rapport avec son Père et sa mère par la filiation, il est nécessaire qu’il y ait deux filiations selon l’être.

 [8503] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 5 arg. 6 Praeterea, sicut supra, dist. 1, Magister dixit, pater posset carnem assumere. Sed si de virgine carnem assumpsisset, filius virginis diceretur. Non autem referretur ad virginem filiatione aeterna, quia eam non habet. Ergo filiatione temporali. Ergo eadem ratione oportet in Christo ponere filiationem temporalem.

6. Comme le Maître l’a dit, d. 1, le Père pourrait assumer la chair. Or, s’il avait assumé la chair de la Vierge, il serait appelé le fils de la Vierge. Mais il n’aurait pas de rapport à la Vierge par une filiation éternelle, car il n’en a pas. Ce serait donc par une filiation temporelle. Il faudrait donc que, pour la même raison, on affirme du Christ une filiation temporelle.

 [8504] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 5 s. c. 1 Sed contra, filiatio est proprietas personalis. Sed in Christo est tantum una persona. Ergo tantum una filiatio.

Cependant, [1] la filiation est une propriété personnelle. Or, dans le Christ, il n’y a qu’une seule personne. Il n’y a donc qu’une seule filiation.

 [8505] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 5 s. c. 2 Praeterea, sicut Christus est filius patris et matris, ita quilibet alius homo. Sed non alia filiatione refertur homo ad patrem et matrem. Ergo nec in Christo sunt duae filiationes.

 [2] De même que le Christ est le fils de son Père et de sa mère, de même tout autre homme. Or, un homme n’est pas en rapport avec son père et sa mère par une autre filiation. Il n’y a donc pas non plus deux filiations dans le Christ.

 [8506] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 5 s. c. 3 Praeterea, duo accidentia ejusdem rationis non possunt esse in eodem subjecto: unde eadem paternitate homo refertur ad multos filios. Sed suppositum filiationis in Christo est unum tantum. Ergo in eo non possunt esse plures filiationes, sed una tantum.

 [3] Deux accidents ayant la même raison ne peuvent exister dans le même sujet : aussi est-ce par la même paternité qu’un homme est en rapport avec ses fils. Or, le suppôt de la filiation chez le Christ est unique. Il ne peut donc y avoir chez lui plusieurs filiations, mais seulement une.

 [8507] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 5 s. c. 4 Praeterea, quodlibet continuum est majus omnibus suis partibus. Sed in quolibet continuo sunt infinitae partes in potentia. Ergo ad hoc quod aliquid referatur ad diversa per diversas relationes, oportet quod sint infinitae relationes in aliquo continuo, quod est inconveniens; et iterum quod in quolibet continuo sint tot aequalitates quot rebus aequale est.

 [4] Tout continu est plus grand que ses parties. Or, en tout continu, il y a un nombre infini de parties en puissance. Pour que quelque chose soit en rapport avec diverses choses par des relations différentes, il est donc nécessaire qu’existent des relations infinies dans un continu, ce qui est inapproprié. De plus, [il est nécessaire] qu’existent en tout continu autant d’égalités qu’il est égal aux choses.

 [8508] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod, sicut in 1 Lib. dist. 26, qu. 2, art. 2, dictum est, relatio non habet ex hoc quod ad alterum dicitur, quod sit aliquid in rerum natura; sed hoc habet ex eo quod relationem causat, quod est in re quae ad alterum dicitur. Et quia ex eo res habet unitatem et multitudinem ex quo habet esse; ideo secundum id in quo relatio fundatur, judicandum de ea est, utrum sit secundum rem una, vel plures. Sunt ergo quaedam relationes quae fundantur super quantitatem, sicut aequalitas, quae fundatur super unum in quantitate; et cum unitas quantitatis non sit nisi una in re una, inde est quod per unam aequalitatem est res aequalis omnibus quibus dicitur aequalis. Aliae vero relationes fundantur super actionem et passionem: et in istis considerandum est, quod una passio respondet duabus actionibus, quando neutrum agens sufficit per se ad actionem complendam, sicut est in eo qui una nativitate nascitur ex patre et matre; unde in patre et matre sunt duae relationes secundum rem, sicut et duae actiones; sed in nato est una relatio secundum rem, secundum quam refertur ad patrem et ad matrem, sicut et passio una. Item considerandum est quod quaedam relationes non innascuntur ex actionibus secundum quod sunt in actu, sed magis secundum quod fuerunt; sicut aliquis dicitur pater postquam ex actione est effectus consecutus; et tales relationes fundantur super id quod ex actione in agente relinquitur, sive sit dispositio, sive habitus, sive aliquod jus aut potestas, vel quidquid aliud est hujusmodi. Sed quia hoc quod relinquitur ex actionibus unius speciei, non potest esse nisi unum; inde est quod tales relationes etiam secundum rem non multiplicantur secundum diversas actiones, sed magis sunt unum secundum id quod ex actione relinquitur: et propter hoc non sunt diversae relationes secundum rem in patre uno qui generat plures filios, nec in magistro uno qui docet plures discipulos. Si autem sint plures actiones secundum speciem, causant etiam plures relationes specie differentes. Unde cum Christus non per unam generationem passivam se habeat ad generationem activam patris et ad generationem activam matris, sed per aliam et aliam; et hae duae generationes non sint unius generis, nedum unius speciei: nihil (ut videtur) impediret quin in Christo possent esse duae filiationes secundum rem differentes, nisi immediatum subjectum filiationis esset suppositum; quod quidem, secundum secundam opinionem, non est nisi suppositum aeternum in Christo. Et quia ex nullo temporali advenit rei aeternae aliqua realis relatio, sed rationis tantum; ideo filiatio quae consequitur Christum ex generatione temporali, non est realis, sed rationis tantum; et tamen realiter filius est; sicut et Deus realiter dominus ex hoc est quod creatura realiter refertur ad ipsum. Unde concedo, quod in Christo non est nisi una filiatio realis, qua refertur ad patrem, et respectus quidam rationis quo refertur ad matrem. Tamen prima opinio, quae ponit duo supposita, posset ponere duas filiationes; nec tamen poneret duos filios masculine, sed duo filia neutraliter, si Latine diceretur.

Réponse. Comme on l’a dit dans le livre I, d. 26, q. 2, a. 2, la relation ne tient pas du fait qu’on la définit par rapport à autre chose d’être quelque chose dans la nature des choses, mais elle le tient du fait qu’elle cause une relation qui se trouve dans ce qui cause la relation, ce qui existe dans la chose qui est en rapport avec quelque chose d’autre. Et parce qu’une chose tire son unité et sa multitude de ce par quoi elle a l’être, il faut donc juger si elle a une seule ou plusieurs [relations] à partir de ce sur quoi la relation se fonde. Il y a donc des relations qui se fondent sur la quantité, comme l’égalité, qui se fonde sur ce qui est un en quantité. Et parce qu’il n’y a qu’une seule unité de la quantité dans une chose unique, de là vient que, par une seule égalité, une chose est égale à tout ce dont on dit qu’elle est égale. Mais d’autres relations se fondent sur l’action et la passion. Dans celles-ci, il fait considérer qu’une seule passion correspond à deux actions, lorsque aucun des deux agents ne suffit par soi à accomplir l’action, comme c’est le cas chez celui qui, par une seule naissance, naît de son père et de sa mère. Aussi, chez le père et chez la mère existe-t-il deux relations réelles, comme il existe deux actions ; mais, chez celui qui est né, il n’existe qu’une seule relation réelle, selon qu’il est en rapport avec son père et sa mère, de même qu’une seule passion. De même faut-il considérer que certaines relations ne proviennent pas des actions selon qu’elles existent en acte, mais plutôt selon qu’elles ont existé, comme quelqu’un est appelé père après qu’un effet a suivi l’action. Ces relations se fondent sur ce qui reste de l’action dans l’agent, qu’il s’agisse d’une disposition, d’un habitus, d’un droit ou d’un pouvoir, ou de n’importe quoi de ce genre. Mais parce que ce qui est laissé par les actions d’une seule espèce ne peut être qu’un, de là vient aussi que de telles relations ne se multiplient pas en réalité selon les diverses actions, mais qu’elles sont une seule chose selon ce qui est laissé de l’action. Pour cette raison, il n’y a pas diverses relations réelles chez un père qui engendre plusieurs fils, ni chez un seul maître qui enseigne à plusieurs disciples. Mais s’il existe plusieurs actions selon l’espèce, elles causent aussi plusieurs relations différentes selon l’espèce. Ainsi, puisque le Christ n’a pas un rapport avec la génération active de son Père et avec la génération active de sa mère selon une seule génération passive, mais selon deux [générations passives], et puisque ces deux générations ne sont ni du même genre ni de la même espèce, il semble que rien n’empêcherait qu’il puisse exister chez le Christ deux filiations réellement différentes, que le fait pour le sujet immédiat de la filiation d’être le suppôt, lequel, selon la deuxième opinion, n’est que le suppôt éternel chez le Christ. Et parce qu’aucune relation réelle , mais de raison seulement, n’advient à une réalité éternelle depuis une réalité temporelle, c’est pourquoi la filiation qu’obtient le Christ par sa génération temporelle n’est pas réelle, mais de raison seulement. Cependant, il est réellement fils, comme Dieu est réellement Seigneur du fait que la créature est réellement en rapport avec lui. Je concède donc que, chez le Christ, il n’existe qu’une seule filiation réelle, par laquelle il est en rapport avec son Père, et un rapport de raison par lequel il est en rapport avec sa mère. Cependant, la première opinion, qui affirme deux suppôts, pourrait affirmer deux filiations, mais elle n’affirmerait cependant pas deux fils au masculin, mais deux fils au neutre, si elle était exprimée en latin.

 [8509] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod nativitas temporalis, sive generatio passiva, Christi est quaedam relatio quae secundum rem fundatur in humana natura; et ex hoc nominatur natus, sicut et homo: sed subjectum filiationis non potest esse natura, cum sit ejus quod habet complementum speciei, ut supra dictum est; et ideo duae nativitates causant duas filiationes; sed unam tantum secundum rem, et aliam secundum rationem.

1. La naissance temporelle ou la génération passive du Christ est une relation qui se fonde en réalité sur la nature humaine ; pour cette raison, on dit aussi qu’il est né, comme un homme. Mais le sujet de la filiation ne peut être la nature, puisqu’elle est le fait de ce qui possède une espèce achevée, ainsi qu’on l’a dit plus haut. Aussi deux naissances causent-elles deux filiations, mais une seule [filiation] réelle, et l’autre selon la raison.

 [8510] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod philosophus non accepit esse secundum quod dicitur actus entis (sic enim relatio non habet esse ex eo ad quod dicitur, sed ex subjecto, sicut omnia alia accidentia), sed accipit esse pro quidditate, vel ratione, quam significat definitio. Ratio autem relationis est ex respectu ad alterum. Unde ex hoc quod filius Dei refertur ad matrem, non oportet quod habeat aliam filiationem secundum rem, sed alium respectum relationis.

2. Le Philosophe n’entend pas l’être selon qu’on parle de l’acte de ce qui est (actus entis) : en effet, une relation ne tient pas son être de ce dont elle affirmée, mais de son sujet, comme tous les autres accidents ; mais il entend l’être de la quiddité ou de la raison que signifie la définition. Or, la raison de relation vient du rapport à une autre chose. Du fait donc que le Fils de Dieu est en rapport avec sa mère, il n’est pas nécessaire qu’il possède une autre relation réelle, mais un autre rapport de relation.

 [8511] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod maternitas posita ponit alium respectum in Christo, et remota removet illum respectum; sed non oportet quod ponat aliam filiationem realem.

3. La maternité affirmée établit un autre rapport chez le Christ et, si on l’enlève, on enlève ce rapport ; mais il n’est pas nécessaire qu’elle affirme une autre filiation réelle.

 [8512] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod omnis motus est aliquid secundum rem, non autem omnis relatio. Ergo quamvis ex terminis multiplicentur respectus relationis, non tamen oportet quod multiplicentur relationes secundum rem, sicut motus multiplicantur secundum rem ex diversitate terminorum.

4. Tout mouvement est quelque chose de réel, mais non pas toute relation. Bien que les rapports de relation se mltiplient selon les termes, il n’est cependant pas nécessaire que les relations réelles se multiplient, comme les mouvemments se multiplient réellement selon la diversité des termes.

 [8513] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod respectus scientiae ad scientem et ad scibile, non est unius rationis; sed respectus ejus ad scientem inest ei ex hoc quod est accidens; respectus autem ejus ad scibile inest ei ex hoc quod est scientia; unde si referretur, inquantum est scientia, ad utrumque, oportet quod essent respectus diversi secundum speciem. Sed respectus filii ad patrem et ad matrem est ad terminos unius rationis; unde non oportet quod sit diversa relatio secundum speciem, neque secundum rem.

5. Le rapport de la science à celui qui connaît et à l’objet de la science ne relève pas de la même raison ; mais le rapport à celui qui connaît existe chez lui du fait qu’elle est un accident, alors que son rapport à l’objet de la science lui vient de ce qu’elle est science. Si donc elle se rapportait aux deux en tant qu’elle est science, il faudrait qu’il y ait des rapports différents selon l’espèce. Or, le rapport du Fils à son Père et à sa mère existe par rapport à des termes qui ont une seule raison. Il n’est donc pas nécessaire qu’existe une relation différente selon l’espèce ni selon la réalité.

 [8514] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 5 ad 6 Ad sextum dicendum, quod si pater carnem assumpsisset de virgine, esset filius virginis, non quidem per aliquam realem filiationem, cujus suppositum aeternum subjectum esset, sed per respectum rationis tantum.

6. Si le Père avait assumé la chair de la Vierge, il serait le fils de la Vierge, non pas par une filiation réelle, dont le suppôt éternel serait le sujet, mais selon un rapport de raison seulement.

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 8

 [8515] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 5 expos. Hoc est Deum nasci de virgine, scilicet hominem assumere. Verum est, si humana natura dicatur homo; et si assumere dicatur ad se sumere, vel in se, quod divinae naturae non convenit.

 

 

 

Distinctio 9

Distinction 9 – [La nature humaine et son union à la nature divine]

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [Qu’est-ce que la latrie ?]

Prooemium

Prologue

 [8516] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 pr. Postquam Magister determinavit quid conveniat naturae divinae ex unione ad humanam, hic determinat quid conveniat humanae ex unione ad divinam, quod scilicet adoratur adoratione latriae. Dividitur autem haec pars in duas partes: in prima movet quaestionem; in secunda determinat eam, ibi: ideo quibusdam videtur non illa adoratione quae latria dicitur, carnem Christi vel animam esse adorandam. Et haec dividitur in duas partes secundum quod duas opiniones ponit; secunda incipit ibi: aliis autem placet Christi humanitatem una adoratione cum verbo esse adorandam. Et haec dividitur in tres: in prima ponit solutionem; in secunda respondet ad objectionem factam in contrarium, ibi: nec qui hoc facit, idolatriae reus judicari potest; in tertia confirmat solutionem, ibi: de hoc Joannes Damascenus ita ait. Hic est duplex quaestio. Primo enim quaeritur de latria. Secundo de dulia. Circa primum quaeruntur tria: 1 quid sit latria; 2 cui debetur; et habito quod soli Deo, quaeritur; 3 qualiter sit ei exhibenda.

Après avoir déterminé de ce qui convient à la nature divine du fait de l’union à la nature humaine, le Maître détermine ici de ce qui convient à la nature humaine du fait de son union à la nature divine, à savoir, qu’elle est adorée d’une adoration de latrie. Cette partie se divise en deux : dans la première, il soulève une question ; dans la seconde, il en détermine, à cet endroit : « C’est ainsi qu’il semble à certains que la chair ou l’âme du Christ ne doive pas être adorée selon l’adoration qu’on appelle latrie. » Celle-ci se divise en deux parties, selon les deux opinions qu’elle présente ; la seconde commence à cet endroit : « D’autres acceptent que l’humanité du Christ soit adorée comme le Verbe selon une seule adoration. » Celle-ci se divise en trois parties : dans la première, il présente la solution ; dans la deuxième, il répond à l’objection soulevée en sens contraire, à cet endroit : « Et celui qui fait cela ne doit pas être jugé coupable d’idolatrie » ; dans la troisième, il confirme la solution, à cet endroit : « À ce propos, Jean Damascène parle ainsi. » Ici, il y a deux questions. En effet, en premier lieu, on s’interroge sur [le culte] de latrie ; en second lieu, sur [le culte] de dulie. À propos du premier point, trois questions sont posées : 1 – Qu’est-ce que [le culte] de latrie ? 2 – À qui est-il dû, et une fois reconnu qu’il est dû à Dieu seulement, 3 – On se demande comment il doit être manifesté ?

 

 

Articulus 1 [8517] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 tit. Utrum latria sit virtus, vel donum

Article 1 – Le culte de latrie est-il une vertu ou un don ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le culte de latrie est-il une vertu ?]

 [8518] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod latria non sit virtus. Omnis enim virtus in libera voluntate consistit. Sed servitus libertati opponitur. Cum ergo latria sit servitus, ut dicitur in littera, videtur quod non sit virtus.

1. Il semble que le culte de latrie ne soit pas une vertu. En effet, toute vertu existe dans la volonté libre. Or, la servitude s’oppose à la liberté. Puisque le culte de latrie est une servitude, comme il est dit dans le texte, il semble donc qu’il ne soit pas une vertu.

 [8519] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, omnis virtus consistit principaliter in actu voluntatis. Sed latria consistit in actu exteriori, scilicet in exhibitione sacrificiorum. Ergo videtur quod non sit virtus.

2. Toute vertu consiste principalement dans un acte de la volonté. Or, le culte de latrie consiste dans un acte extérieur : l’offrande de sacrifices. Il semble donc qu’il ne soit pas une vertu.

 [8520] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, ad latriam pertinet reverentiam Deo exhibere. Hoc autem ad donum timoris pertinet. Ergo latria est donum, et non virtus.

3. Il relève du culte de latrie de manifester une révérence envers Dieu. Or, cela relève du don de crainte. Le culte de latrie est donc un don et non une vertu.

 [8521] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 4 Praeterea, latria dicitur alio nomine pietas, ut habetur ex littera. Sed pietas est donum. Ergo latria non est virtus, sed donum.

4. Le culte de latrie porte un autre nom : la piété, comme on le lit dans le texte. Or, la piété est un don. Le culte de latrie n’est donc pas une vertu, mais un don.

 [8522] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, laudabile, secundum philosophum, est proprium virtutis. Sed actus latriae est maxime laudabilis. Ergo latria est virtus.

Cependant, [1] être louable est propre à la vertu, selon le Philosophe. Or, l’acte de latrie est louable au plus haut point. La latrie est donc une vertu.

 [8523] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, omnis actus qui cadit in praecepto legis, est actus virtutis: quia intentio legislatoris est inducere hominem ad virtutem, ut dicitur 2 Ethic. Sed actus latriae praecipitur per primum mandatum. Ergo latria est virtus.

 [2] Tout acte qui tombe sous un précepte de la loi est un acte de vertu, car « l’intention du législateur est d’inciter l’homme à la vertu », comme il est dit dans Éthique, II. Or, l’acte de latrie est ordonné par le premier commandement. La latrie est donc une vertu.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le culte de latrie est-il une vertu générale ?]

 [8524] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod sit virtus generalis. Augustinus enim dicit: verum sacrificium est omne opus quod geritur, ut sancta societate Deo jungamur. Sed hujusmodi est omne opus virtutis. Ergo omne opus virtutis est verum sacrificium. Sed sacrificium Deo offerre proprie pertinet ad latriam. Ergo ad ipsam pertinent omnes actus virtutum; et sic ipsa est virtus generalis.

1. Il semble que [le culte de latrie] soit une vertu générale. En effet, Augustin dit : « Le vrai sacrifice est l’acte qui est fait afin que nous soyons unis en une sainte société avec Dieu. » Or, tout acte de vertu est de cette sorte. Tout acte de vertu est donc un sacrifice véritable. Or, offrir à Dieu un sacrifice relève à proprement parler du culte de latrie. Tous les actes des vertus relèvent donc de clui, et ainsi il est une vertu générale.

 [8525] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, per omne opus virtutis Deo servitur Luc. 17, 10: sic et vos, cum feceritis omnia quae praecepta sunt vobis, dicite: servi inutiles sumus. Sed latria est servitus Deo debita. Ergo omne opus virtutum pertinet ad latriam; et sic idem quod prius.

2. Dieu est servi par tout acte de vertu. Lc 17, 10 : Ainsi, vous, lorsque vous accomplirez tout ce qui vous est ordonné, dites : « Nous sommes des serviteurs inutiles. » Or, le culte de latrie est un service dû à Dieu. Tous les actes des vertus relèvent donc du culte de latrie. La conclusion est ainsi la même que précédemment.

 [8526] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, quicumque facit aliquid ad gloriam alicujus, exhibet ei reverentiam. Sed apostolus, 1 Corinth. 10, docet omnia in gloriam Dei facere. Ergo per omnia opera virtutis recte facta exhibetur Deo reverentia. Sed reverentiam Deo exhibere pertinet ad latriam. Ergo ipsa est virtus generalis.

3. Quiconque fait quelque chose pour la gloire d’un autre lui manifeste de la révérence. Or, en 1 Co 10, l’Apôtre enseigne de tout faire pour la gloire de Dieu. La révérence envers Dieu est donc manifestée par tous les actes de vertu correctement accomplis. Or, manifester de la révérence envers Dieu relève du culte de latrie. Celle-ci est donc une vertu générale.

 [8527] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, virtus generalis non praecipitur speciali legis praecepto, sed tota lege, sicut patet de justitia legali. Sed latria praecipitur speciali praecepto, scilicet per primum primae tabulae. Ergo est virtus specialis.

Cependant, [1] une vertu générale n’est pas ordonnée par un précepte de la loi, mais par toute la loi, comme cela ressort pour la justice légale. Or, le culte de latrie est ordonné par un précepte particulier, le premier de la première table. Il est donc une vertu spéciale.

 [8528] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, vitio speciali opponitur virtus specialis; unde philosophus probat justitiam esse specialem virtutem propter hoc quod ei opponitur avaritia, quae est speciale vitium. Sed latriae opponitur speciale vitium, scilicet idolatria. Ergo est specialis virtus.

 [2] Une vertu spéciale s’oppose à un vice particulier ; ainsi le Philosophe démontre-t-il que la justice est une vertu particulière parce qu’elle s’oppose à l’avarice, qui est un vice particulier. Or, un vice particulier s’oppose au culte de l’idolatrie. Il est donc une vertu particulière.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Le culte de latrie est-il une vertu théologale ?]

 [8529] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod sit virtus theologica. Augustinus enim dicit in Enchir.: si quaeratur quomodo colitur Deus, respondetur, fide spe, et caritate. Sed latria dicitur cultus Dei, ut ex littera habetur. Ergo latria est fides, spes, et caritas; quae sunt virtutes theologicae.

1. Il semble qu’il soit une vertu théologale. En effet, Augustin dit dans l’Enchiridion : « Si on se demande comment un culte est rendu à Dieu, qu’on réponde : par la foi, l’espérance et la charité. » Or, « on appelle latrie le culte rendu à Dieu », comme on le lit dans le texte. Le culte de latrie est donc la foi, l’espérance et la charité, qui sont des vertus théologales.

 [8530] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, virtus theologica est quae habet Deum pro objecto, sicut fides qua creditur Deus; et sic de aliis. Sed latria habet Deum pro objecto, quia ea colitur. Ergo latria est virtus theologica.

2. Une vertu théologale est celle qui a Dieu pour objet, comme la foi par laquelle on croit en Dieu, et ainsi des autres. Or, le culte de latrie a Dieu pour objet, car il lui rend un culte. Le culte de latrie est donc une vertu théologale.

 [8531] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, omnis virtus cardinalis tenet medium inter superfluum et diminutum. Sed latria non est hujusmodi; quia Deus non potest nimis coli. Ergo latria non est virtus cardinalis, sed theologica.

3. Toute vertu cardinale garde le milieu entre le superflu et le manque. Or, le culte de latrie n’est pas de cette sorte, car on ne peut pas trop rendre de culte à Dieu. Le culte de latrie n’est donc pas une vertu cardinale, mais théologale.

 [8532] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, nulla virtus theologica habet actum exteriorem. Sed latriae actus est sacrificium offerre, qui est actus exterior. Ergo non est virtus theologica.

Cependant, aucune vertu théologale ne possède d’acte extérieur. Or, l’acte du culte de latrie consiste à offrir un sacrifice, qui est un acte extérieur. Elle n’est donc pas une vertu théologale.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [À quelle vertu cardinale se ramène le culte de latrie ?]

 [8533] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Quaeritur, ad quam virtutem cardinalium reducatur; et videtur quod non ad justitiam, de qua magis videtur. Justitia enim secundum quod est specialis virtus una de quatuor cardinalibus, consistit, secundum philosophum, in communicatione activae vitae. Sed in praesenti vita non est nobis communicatio cum Deo: unde dicitur Danielis cap. 10: exceptis diis, quorum non est cum hominibus conversatio. Ergo non potest esse species justitiae.

1. À quelle vertu cardinale se ramène [le culte de latrie]. Il semble que ce ne soit pas à la justice, dont il semble davantage relever. En effet, la justice, selon qu’elle est une vertu particulière, l’une des quatre vertus cardinales, consiste dans les échanges de la vie active. Or, dans la vie présente, il n’y a pas d’échanges avec Dieu. Ainsi est-t-il dit en Dn 10 : Les dieux mis à part, qui n’ont pas d’échanges avec les hommes. [Le culte de latrie] ne peut donc pas être une partie de la justice.

 [8534] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 4 arg. 2 Praeterea, secundum philosophum, 5 Ethic., non est justitia proprie dicta inter dominum et servum: sicut nec alicujus ad se: quia servus quod est et quod habet, domini est: similiter nec patris ad filium, qui est quasi pars ejus. Sed nos habemus nos ad eum sicut servi ad dominum, et filii ad patrem. Ergo non est justitia nostri ad Deum; et ita latria non est pars justitiae.

2. Selon le Philosophe, Éthique, V, il n’existe pas de justice au sens propre entre le seigneur et le serviteur, pas davantage entre quelqu’un et lui-même, car ce qu’est et ce que possède le serviteur appartiennent au seigneur ; et pas davantage entre le père et le fils, qui est une partie de lui. Or, nous sommes par rapport à [Dieu] comme des serviteurs par rapport à leur seigneur et des fils par rapport à leur père. Il n’existe donc pas de justice entre nous et Dieu, et ainsi la latrie n’est pas une partie de la justice.

 [8535] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 4 arg. 3 Praeterea, justitia proprie in aequalitate consistit, sicut dicit philosophus 5 Ethic. Sed non est possibile nos aequari Deo secundum opus nostrum. Ergo non potest esse justitia nostri ad Deum; et sic idem quod prius.

3. La justice consiste au sens propre dans l’égalité, comme le dit le Philosophe dans Éthique, V. Or, nous ne pouvons pas nous égaler à Dieu par un de nos actes. Il ne peut donc y avoir de justice entre nous et Dieu. La conclusion est ainsi la même que précédemment.

 [8536] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 4 s. c. 1 Sed contra, Tullius in rhetorica, ponit religionem speciem justitiae. Sed religio, secundum quod ipse accipit, est idem quod latria: quia religio, secundum eum, est quae superiori cuidam naturae (quam divinam vocant) cultum caeremoniamque affert. Ergo latria est species justitiae.

Cependant, [1] Tullius [Cicéron], dans la Rhétorique, affirme que « la religion est une partie de la justice ». Or, la religion, selon qu’il l’entend, est la même chose que le culte de latrie, car la religion, selon lui, est « celle qui rend un culte et des cérémonies à une nature (qu’on appelle divine) ». Le culte de latrie est donc une espèce de la justice.

 [8537] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 4 s. c. 2 Praeterea, reddere debitum, actus est justitiae. Sed latria est cultus Deo debitus; unde exhibet Deo quod ei debetur. Ergo latria est pars justitiae.

 [2] Rendre ce qu’on doit est un acte de justice. Or, la latrie est un culte dû à Dieu. Elle manifeste donc à Dieu ce qui lui est dû. Le culte de latrie est donc une partie de la justice.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [8538] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum, ad primam quaestionem, quod quando aliquid commune in multis invenitur, si in aliquo eorum secundum specialem modum inveniatur, habet etiam nomen speciale, sicut nasus curvus dicitur simus. Similiter cum obsequium diversis possit exhiberi, speciali quodam et supremo modo Deo debetur, quia in eo est suprema ratio majestatis et dominii; et ideo servitium vel obsequium quod ei debetur, speciali nomine nominatur et dicitur latria. Hoc autem nomen tripliciter sumitur: quandoque enim pro eo quod Deo in obsequium exhibetur, sicut sacrificium, genuflexiones, et hujusmodi; quandoque autem pro ipsa exhibitione; quandoque vero pro habitu quo exhibetur obsequium; et primo modo latria non est virtus, sed materia virtutis; secundo modo est actus virtutis; tertio modo est virtus; et nominatur haec virtus quatuor nominibus: dicitur enim pietas quantum ad effectum devotionis, quod primum occurrit. Dicitur etiam theosebia, idest divinus cultus vel eusebia, idest bonus cultus, quantum ad intentionem attentam; illud enim coli dicitur cui studiose intenditur, sicut ager vel animus, vel quidquid aliud. Dicitur etiam latria, idest servitus, quantum ad opera quae exhibentur in recognitionem dominii quod Deo competit ex jure creationis. Dicitur etiam religio quantum ad determinationem operum ad quae homo se obligando in cultum Dei determinat. Quibus tamen nominibus una et eadem virtus nominatur secundum diversa quae ad ipsa concurrunt.

Lorsque quelque chose de commun se trouve dans plusieurs choses, si on le trouve d’une manière particulière dans l’une d’elles, cela porte un nom particulier, comme le nez courbe est appelé camus. De même, alors qu’une soumission peut être manifestée à plusieurs, elle est due à Dieu d’une manière particulière et suprême, car la raison de majesté et de seigneurie existe en lui d’une manière suprême. Le service ou la soumission qui lui est dû porte donc un nom particulier : le culte de latrie. Or, ce nom a un triple sens. En effet, il s’entend parfois de ce qui est manifesté à Dieu comme une soumission : ainsi, le sacrifice, les génuflexions et les choses de ce genre. Mais il s’entend parfois de la manifestation elle-même. Parfois encore, [il s’entend] de l’habitus par lequel la soumission est manifestée. Selon le premier sens, le culte de latrie n’est pas une vertu, mais la matière d’une vertu. Selon le deuxième sens, il est un acte de vertu. Selon le troisième sens, il est une vertu, et cette vertu porte quatre noms. En effet, elle est appelée « piété » du point de vue de l’effet de la dévotion qui se présente en premier. Elle s’appelle aussi theosebia, c’est-à-dire culte divin ou eusebia, c’est-à-dire culte bon, du point de vue de l’intention visée : en effet, on dit que quelque chose est traité avec soin (coli) lorsqu’on s’y adonne avec application, comme un champ ou un animal, ou n’importe quoi d’autre. Elle s’appelle aussi « latrie », c’est-à-dire service, du point de vue des actes qui sont manifestés en reconnaissance de la seigneurie qui appartient à Dieu par droit de création. Elle s’appelle encore « religion » du point de vue de la détermination des actes auxquels l’homme s’applique en s’obligeant au culte de Dieu. Une seule et même vertu est cependant exprimée par ces quatre noms, selon les diverses choses qui y concourent.

 [8539] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod secundum philosophum in principio Metaph., liber est qui sui causa est; unde servus dicitur qui causa alterius est, et servitium quod causa alterius agitur. Sed alterius causa agi est dupliciter: vel sicut finis, sicut servus non lucratur sibi sed domino: vel sicut moventis, sicut servus non proprio motu, sed motus sicut instrumentum domini, operatur. Servitium ergo quantum ad hoc secundum tollit libertatem voluntatis, et per consequens virtutem; sed quantum ad primum non, quia homo potest propter alterum operari quod ei debet, etiam propria voluntate; et secundum hoc latria dicitur servitus.

1. Selon le Philosophe, au début de la Métaphysique, est libre celui qui est cause de lui-même ; aussi celui qui agit pour un autre est-il appelé « serviteur », et ce qui est accompli pour un autre, « service ». Mais on agit pour un autre de deux manières : soit à titre de fin, comme le serviteur ne gagne pas pour lui-même mais pour le seigneur ; soit à titre de moteur, comme le serviteur n’agit pas de sa propre initiative, mais il est mû comme un instrument du maître. Le service, en ce second sens, enlève donc la liberté de la volonté et, par conséquent, la vertu ; mais non au premier sens, parce qu’un homme peut faire pour autre ce qu’il lui doit, même de sa propre volonté. C’est en ce sens que le culte de latrie est appelé un service.

 [8540] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis virtus habeat quod sit virtus ex actu interiori, scilicet ex electione; tamen quod sit determinata virtus, habet ex actu exteriori: quia nostra electio determinatur per actum exteriorem qui elicitur, secundum quem attingit virtus proprium objectum, vel materiam, ex quo specificatur actus vel habitus; ideo virtutes quaedam habent actus exteriores, non solum interiores, sicut patet de fortitudine et justitia.

2. Bien que la vertu tienne son caractère de vertu d’un acte intérieur, le choix, elle tient d’un acte extérieur d’être une vertu déterminée, car notre choix est déterminé par l’acte extérieur qui est choisi, selon lequel la vertu atteint son objet propre ou sa matière, dont l’acte ou l’habitus reçoit son espèce. C’est pourquoi certaines vertus ont des actes extérieurs, et non seulement intérieurs, comme cela est clair pour la force et la justice.

 [8541] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod revereri, inquantum hujusmodi, est actus timoris; sed exhibere reverentiam, inquantum est Deo debitum, est proprie latriae; unde non sequitur idem esse latriam et timoris donum; sicut etiam pugnare viriliter est actus fortitudinis, inquantum hujusmodi; sed pugnare in acie regis inquantum miles, hoc debet ei propter feudum quod tenet ab eo; et est actus justitiae.

3. Révérer, en tant que tel, est un acte de crainte ; mais manifester de la révérence, en tant que cela est dû à Dieu, relève au sens propre du culte de latrie. Il n’en découle donc pas que la latrie et le don de crainte soient la même chose, de même aussi que combattre fortement est un acte de la force en tant que tel, mais combattre comme soldat dans l’armée du roi lui est dû en raison du fief tenu de lui, et cela est un acte de justice.

 [8542] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod pietas, inquantum est donum, consistit in quadam benevolentia supra modum humanum ad omnes: sed pietas secundum quod hic accipitur, consistit in quadam devotione ad Deum, cui latria exhibetur; et hoc infra in tractatu de donis melius patebit.

4. La piété, en tant que don, consiste dans une certaine bienveillance envers tous dépassant la mesure humaine ; mais la piété, selon qu’on l’entend ici, consiste dans une certaine dévotion envers Dieu, à qui le culte de latrie est manifesté. Cela deviendra plus clair plus loin, dans le traité sur les dons.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [8543] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod aliqua virtus dicitur generalis quatuor modis. Uno modo quia praedicatur de qualibet virtute, sicut justitia legalis, quae convertitur cum virtute, et est idem subjecto, ratione differens, ut dicit philosophus: et sic dicitur generalis quantum ad suam essentiam. Secundo modo dicitur generalis, inquantum ab ea dependent aliae virtutes participantes ejus actum; et hoc modo prudentia generalis dicitur, quia ex ea omnes aliae virtutes morales rectitudinem electionis participant, et sic actus ejus immiscetur actibus omnium aliarum virtutum: nihilominus ipsa in se est specialis secundum quod habet specialem rationem objecti, scilicet eligibile ad opus. Tertio modo dicitur generalis, inquantum operatur circa actus omnium virtutum, ita quod omnes cedunt ei pro materia; sicut magnanimitas, quae operatur magna in omnibus virtutibus, ut dicitur 4 Eth.; et tamen in se specialis virtus est, quia rationem specialem objecti in omnibus attendit, scilicet dignum magno honore. Quarto dicitur aliqua virtus generalis, inquantum ad eam concurrunt diversae virtutes, quia scilicet actus ejus praeexigit actus multarum virtutum; sicut etiam ad magnanimitatem praeexiguntur aliae virtutes, quia nullus potest dignificari magnis nisi virtuosus sit. Prima ergo generalitas, est quasi universalis; secunda quasi causae dantis esse; tertia quasi moventis per imperium; quarta quasi totius integralis comprehendentis multa. Sic ergo dicendum est, quod latria in se considerata est specialis virtus, quia habet specialem rationem objecti et actus, scilicet ut exhibeatur aliquid Deo in recognitionem servitutis, sicut feudatarius aliquid reddit domino suo in recognitionem dominii: unde actum et objectum habet formaliter unum et specialem quantum ad praedictam rationem; quamvis materialiter sint multi actus et multa objecta. Potest autem dici generalis quantum ad duos ultimos modos. Potest enim uti actibus aliarum virtutum materialiter sub praedicta ratione proprii objecti; et iterum ad actum ejus praeexiguntur multae virtutes aliae, sicut fides quae ostendit cui exhibenda sit latria, et caritas, quae afficit ad eum cui exhibenda est; et sic possunt multae aliae concurrere. Quamvis autem utatur materialiter actibus aliarum virtutum sub ratione proprii actus, tamen utitur quibusdam actibus qui non sunt proprii alicujus alterius virtutis elicitive, sicut offerre sacrificia, facere protestationes, et hujusmodi: nisi forte sicut imperantur a caritate et ostenduntur a fide, non autem eliciuntur; et isti videntur proprie actus esse latriae.

Une vertu est appelée générale de quatre manières. D’une manière, parce qu’elle est prédiquée de toute vertu, comme « la justice légale, qui est convertible avec la vertu et est la même chose par leur sujet, mais diffère selon la raison », comme le dit le Philosophe. Une vertu est ainsi appelée générale quant à son essence. D’une deuxième manière, une vertu est appelée générale dans la mesure où dépendent d’elle d’autres vertus qui participent à son acte. De cette manière, la prudence est appelée générale, car toutes les autres vertus morales participent à la rectitude du choix, et ainsi son acte est mêlé aux actes de toutes les autres vertus ; toutefois, elle est en elle-même une vertu particulière selon qu’elle possède une raison spéciale quant à son objet, à savoir, ce qui peut être choisi comme action. D’une troisième manière, [une vertu] est appelée générale dans la mesure où elle agit sur les actes de toutes les vertus, de telle sorte que toutes deviennent pour elle une matière. Ainsi, « la magnanimité, qui fait de grandes choses en toutes les vertus », comme il est dit dans Éthique, IV. Cependant, elle est en elle-même une vertu particulière, car elle considère en toutes [les vertus] la raison spéciale de son objet, à savoir, ce qui est digne d’un grand honneur. Une vertu est appelée générale d’une quatrième manière pour autant que diverses vertus y concourent, car ses actes exigent au préalable des actes de plusieurs vertus. Ainsi, d’autres vertus sont exigées au préalable pour la magnanimité, car personne ne peut être louangé pour de grandes choses à moins d’être vertueux. Le premier caractère général est donc pour ainsi dire universel ; le deuxième est celui d’une cause qui donne l’être ; le troisième est celui de ce qui meut par mode de commandement ; le quatrième, celui d’un tout intégral qui comprend plusieurs choses. Il faut donc dire que le culte de latrie, considéré en ;ui-même, est une vertu particulière, car il a une raison particulière pour son objet et son acte, à savoir, une certaine manifestation adressée à Dieu en reconnaissance d’une servitude, comme un feudataire rend quelque chose à son seigneur en reconnaissance de sa seigneurie. [Le culte de latrie] possède donc formellement un seul acte et objet selon la raison déjà mentionnée, bien que, du point de vue de la matière, il y ait plusieurs actes et plusieurs objets. Mais il peut être appelé général selon les deux derniers modes [de généralité]. En effet, il peut utiliser comme son objet propre et à titre de matière les actes d’autres vertus ; de plus, plusieurs autres vertus sont exigées au préalable pour son acte, comme la foi qui montre à qui il doit être manifesté. Plusieurs autres [vertus] peuvent ainsi y concourir. Mais, tout en utilisant comme matière les actes d’autres vertus selon la raison de son acte propre, [le culte de latrie] utilise cependant certains actes qui ne relèvent pas à proprement parler d’une autre vertu, comme offrir des sacrifices, témoigner et les choses de ce genre ; bien qu’ils soient commandés par la charité et désignés par la foi, ils n’en sont cependant pas issus. De tels actes semblent être au sens propre les actes du culte de latrie.

 [8544] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod offerre sacrificia est tantum de illis quae pertinent ad latriam elicitive; unde hoc quod dicitur, omne opus quo Deo jungimur, esse sacrificium, est metaphorice dictum; inquantum Deum placabilem reddit, ad quod sacrificium offertur.

1. Offrir des sacrifices fait seulement partie des actes qui sont choisis par le culte de latrie. Aussi ce qui est dit, que « tout acte par lequel nous sommes unis à Dieu est un sacrifice », est-il dit métaphoriquement, pour autant que cela rend Dieu favorable, raison pour laquelle le sacrifice est offert.

 [8545] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod aliud est Deo servire, et aliud exhibere aliquid in recognitionem servitutis: primum enim omnis virtutis commune est; secundum autem proprium est latriae; unde latria includit servitium in ratione sui objecti; et propter hoc per se inest ei, et a serviendo nominatur: aliis autem virtutibus accidit, et non pertinet ad proprias rationes ipsarum.

2. Une chose est de servir Dieu, une autre, manifester quelque chose en reconnaissance d’une servitude. En effet, la première chose est commune à toute vertu ; la seconde chose est le propre du culte de latrie. Aussi le culte de latrie inclut-il le service dans la raison de son objet. Pour cette raison, il en fait partie par soi et son noom vient de « servir ». Mais il s’ajoute aux autres vertus et ne relève pas de leurs raisons propres.

 [8546] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod secundum quod actus aliarum virtutum in gloriam Dei fiunt, sic materialiter assumuntur a latria, ut dictum est.

3. Selon que les actes des autres vertus sont accomplis pour la gloire de Dieu, ils sont ainsi pris comme matière par le culte de latrie, comme on l’a dit.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [8547] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod virtutes theologicae dicuntur proprie illae quae habent Deum pro objecto et fine; unde nulla virtus theologica habet actum circa rem creatam proprie loquendo: caritas enim nihil in homine diligit nisi Deum. Objectum autem circa quod agit latria est id quod reddit Deo in recognitionem servitutis, quod non est Deus; unde non est virtus theologica, sed ad cardinales reducitur.

On appelle au sens propre vertus théologales celles qui ont Dieu pour objet et pour fin. Aussi aucune vertu théologale n’a-t-elle au sens propre un acte portant sur une chose créée : en effet, la charité n’aime que Dieu dans l’homme. Mais l’objet sur lequel le culte de latrie agit est ce qu’il rend à Dieu à titre de reconnaissance d’une servitude, ce qui n’est pas Dieu. Elle n’est donc pas une vertu théologale, mais se ramène aux vertus théologales.

 [8548] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Deus dicitur coli fide, spe, et caritate, non quasi cultus eliciatur his virtutibus, sed quia dictae virtutes ordinant ad cultum, vel etiam quia actus dictarum virtutum materialiter cedunt in cultum modo praedicto.

1. On dit qu’un culte est rendu à Dieu par la foi, l’espérance et la charité, non pas parce qu’un culte est choisi par ces vertus, mais parce que ces vertus ordonnent au culte, ou encore parce que les actes de ces vertus deviennent matière du culte de la manière indiquée plus haut.

 [8549] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod cum dicitur, colo vel adoro Deum, quamvis actus videatur transire in Deum sicut in objectum, transit tamen in rem aliam sicut in objectum, et in Deum sicut in finem: quia colere Deum est aliquid exhibere Deo in protestationem servitutis.

2. Lorsqu’on dit : « Je rends un culte ou j’adore Dieu », bien que l’acte semble atteindre Dieu comme objet, il atteint cependant une autre chose chose comme objet et Dieu comme fin, car rendre un culte à Dieu est manifester quelque chose à Dieu comme attestation d’une servitude.

 [8550] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod superfluum et diminutum, inter quae media virtus moralis, non attenditur secundum quantitatem absolutam, sed in comparatione ad rationem rectam; ut scilicet fiat aliquid, secundum quod debet quantum ad omnes circumstantias. Unde contingit quod quantum ad aliquam circumstantiam virtus aliqua ponit in maximo, sicut magnanimitas, quae est circa maximos honores, et magnificentia, quae est circa maximos sumptus. Unde et in latria superfluum est non quod Deus colatur nimis, sed quantum ad has circumstantias; exhibere cultum latriae cui non debet cultus exhiberi, et sic est idolatria; vel quando non debet, et sic est superstitio, quae est religio supra modum observata.

3. Le trop et le trop peu entre lesquels se situe le milieu de la vertu morale ne se prend pas selon une quantité absolue, mais par rapport à la raison droite, de sorte que quelque chose soit accompli comme il se doit, compte tenu de toutes les circonstances. Aussi arrive-t-il que, compte tenu d’une circonstance, une vertu se situe dans ce qu’il y a de plus grand, comme la magnanimité, qui porte sur les plus grands honneurs, et la magnificence, qui porte sur les plus grandes dépenses. Le superflu dans la latrie ne vient donc pas de ce qu’un trop grand culte est rendu à Dieu, mais de ces circonstances : manifester un culte de latrie à qui ce culte ne doit pas être manifesté – il s’agit alors de l’idolatrie –, ou lorsqu’il ne le doit pas – il s’agit alors de la superstition, qui une religion observée de manière démesurée.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

 [8551] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod secundum philosophum, justitia, secundum quod est specialis virtus, consistit in bonis quibus homines sibi invicem communicant in vita ista, sicut sunt pecunia, honores, et hujusmodi, secundum quod unus alteri hujusmodi communicare potest: in quibus judex secundum legem aequalitatem constituit, ut unusquisque habeat quod sibi debetur, non plus nec minus: et in hac aequalitate consistit justitia; unde justitia sic accepta, ut ipse dicit, non est nisi in illis qui nati sunt regulari eadem lege, et sub eodem principe esse, et aequaliter principari. Unde secundum ipsum, talis justitia non est domini ad servum, nec patris ad filium: quia servus et filius res eorum sunt; unde non est ad eos justitia, sicut nec ad seipsum: tamen est ibi quidam modus justitiae, secundum quod dominus reddit servo quod sibi debetur, vel e converso; quod appellatur justum dominatum: et hoc modo se habet ad justitiam latria, quia consistit in hoc quod reddit Deo quod sibi debetur; unde reducitur ad justitiam non quasi species ad genus, sed sicut virtus annexa ad principalem, quae participat modum principalis.

En tant que vertu particulière, la justice consiste dans les biens par lesquels les hommes échangent entre eux en cette vie, comme l’argent, les honneurs et les choses de ce genre, selon que quelqu’un peut échanger avec un autre les choses de ce genre. Le juge établit en cela une égalité selon la loi, de sorte que chacun ait ce qui lui est dû, ni plus ni moins. C’est dans cette égalité que consiste la justice. Aussi la justice ainsi entendue, comme il le dit lui-même, ne porte-t-elle que sur ce qui doit être mesuré par cette même loi, être soumis au même dirigeant et être dirigé avec égalité. Selon lui, une telle justice n’est donc pas celle du seigneur envers son serviteur, ni du père envers son fils, car le serviteur et le fils sont leur chose ; il n’y a donc pas de justice pour eux, comme il n’y en a pas envers soi-même. Cependant, il y là un certain mode de justice selon que le seigneur rend à son serviteur ce qui lui est dû ou inversement, ce qu’on appelle un juste exercice de la seigneurie. C’est de cette manière que la latrie relève de la justice, car elle consiste à rendre à Dieu ce qui lui est dû. Elle se ramène donc à la justice comme une espèce au genre, mais en tant que vertu annexe d’une vertu principale et qui participe au mode de la [vertu] principale.

 [8552] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 4 ad 1 Et per hoc patet responsio ad duo prima, quae secundum istam viam procedunt.

1-2. Ainsi ressort la réponse aux deux premiers arguments, qui se présentent de cette manière.

 [8553] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 4 ad 3 Ad tertium autem dicendum, quod praedictus modus justitiae, qui est filii ad patrem, et hominis ad Deum, non requirit aequalitatem ut exhibeatur secundum dignitatem ejus cui exhibetur, sed secundum possibilitatem reddentis; unde dicit philosophus, quod non in omnibus reddendum est quod est secundum dignitatem, quemadmodum in his qui ad deos et parentes honoribus: nullus enim secundum dignitatem alteri retribuit. Secundum potentiam autem famulans justus esse videtur.

3. Le mode de justice mentionné plus haut : celui du fils par rapport à son père et de l’homme par rapport à Dieu, n’exige pas l’égalité pour être manifesté conformément à la dignité de celui à qui il est manifesté, mais [il exige d’être manifesté] selon ce qui est possible à celui qui le rend. Aussi le Philosophe dit-il qu’il n’est pas nécessaire de rendre en tout à la mesure de la dignité, lorsqu’il s’agit d’honorer les dieux et les parents : en effet, personne ne rend [ici] à l’autre à la mesure de sa dignité. Mais le serviteur paraît être juste selon ce qu’il peut.

 

 

Articulus 2 [8554] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 tit. Utrum humanitati Christi exhibenda sit latria

Article 2 – Le culte de latrie doit-il être manifesté à l’humanité du Christ ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le culte de latrie doit-il être manifesté à l’humanité du Christ ?]

 [8555] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod humanitati Christi non sit latria exhibenda. Dicitur enim in Glossa super illud Psalm. 98: adorate scabellum pedum ejus: caro Christi non est adoranda illa adoratione latriae quae soli Deo debetur.

1. Il semble que le culte de latrie ne doive pas être manifesté à l’humanité du Christ. En effet, il est dit dans la Glose sur Ps 98 : Adorez l’escabeau de ses pieds : « La chair du Christ ne doit pas être adorée de cette adoration de latrie qui est due à Dieu seul. »

 [8556] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, ea quae ad naturam pertinent in Christo distincta sunt. Sed reverentia non solum debetur personae. Sed naturae. Cum igitur natura humana sit alia a divina, alia sibi debetur reverentia: ergo non debetur sibi latria, quae tantum Deo debetur.

2. Ce qui se rapporte à la nature chez le Christ est distinct. Or, la révérence n’est pas due seulement à la personne, mais à la nature. Puisque la nature humaine est autre que la nature divine, une autre révérence lui est donc due. Le culte de latrie, qui est dû à Dieu seulement, ne lui est donc pas dû.

 [8557] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, sicut dictum est, latria exhibetur Deo, inquantum est ipse dominus per creationem. Sed creare non convenit humanitati Christi. Ergo non est ei exhibenda latria.

3. Comme on l’a dit, le culte de latrie est manifestée à Dieu en tant qu’il est Seigneur par la création. Or, créer ne convient pas à l’humanité du Christ. Le culte de latrie ne doit donc pas lui être manifesté.

 [8558] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, sicut anima rationalis et caro unus est homo, ita Deus et homo unus est Christus. Sed eadem reverentia exhibetur animae hominis et carni ejus. Ergo eadem reverentia exhibenda est filio Dei et humanitati assumptae; et sic adoranda est latria.

Cependant, [1] « de même que l’âme raisonnable et la chair sont un seul homme, de même Dieu et l’homme sont-ils un seul Christ ». Or, la même révérence est due à l’âme d’un homme et à sa chair. La même révérence doit donc être manifestée au Fils de Dieu et à l’humanité assumée. Ainsi doit-elle être adorée par un culte de latrie.

 [8559] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, hoc idem patet per auctoritates et exempla in littera posita.

 [2] La même chose ressort des autorités et des exemples donnés dans le texte.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Un culte de latrie doit-il être manifesté aux images du Christ ?]

 [8560] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur, quod nec imaginibus Christi sit exhibendus cultus latriae. Exod. 20, 4: non facies tibi sculptile neque ullam similitudinem. Ergo multo minus licet adorare imaginem Christi.

1. Il semble qu’un culte de latrie ne doit pas non plus être rendu aux images du Christ. Ex 20, 4 : Tu ne te feras pas d’objet sculpté ni d’autre ressemblance. Encore bien moins est-il permis d’adorer une image du Christ.

 [8561] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, de nullo alio irridentur in Scripturis idolatrae, nisi quia opera manuum suarum adoraverunt, quibus ipsi facientes meliores erant. Sed similiter imagines quas Ecclesia adorat, sunt opera manuum hominum. Ergo videtur in similem derisionem incidere.

2. Les idolâtres ne sont tournés en dérision dans les Écritures que parce qu’ils ont adoré les œuvres de leurs mains, alors qu’en les faisant, ils étaient meilleurs qu’elles. Or, les images que l’Église adore sont aussi des œuvres de main d’homme. Il semble donc qu’elles tombent dans la même dérision.

 [8562] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, in cultu divino non sunt exhibenda nisi ea quae per legem Dei determinantur. Sed non invenitur in sacris Scripturis institutum de imaginum adoratione. Ergo videtur nimis praesumptuosum fuisse imaginum adorationem inducere.

3. Il ne faut manifester dans le culte divin que ce qui a été déterminé par la loi de Dieu. Or, on ne trouve pas dans les Saintes Écritures qu’ait été instituée l’adoration des images. Il semble donc pour le moins présomptueux d’avoir introduit l’adoration d’images.

 [8563] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, imago, inquantum hujusmodi, ducit in imaginatum. Sed imaginatum harum imaginum quas adoramus, est Christus, qui est adorandus adoratione latriae. Ergo et imago ejus.

Cependant, [1] en tant que telle, l’image conduit à ce qui est représenté. Or, ce qui est représenté dans ces images que nous adorons est le Christ, qui doit être adoré d’une adoration de latrie. Donc, son image aussi.

 [8564] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, Basilius dicit, quod honor imaginis ad prototypum refertur, idest ad principalem figuram, scilicet ad imaginatum. Ergo idem honor utrique exhibendus est, et sic idem quod prius.

 [2] Basile dit que l’honneur de l’image se rapporte au prototype, c’est-à-dire à la figure principale, c’est-à-dire à ce qui est représenté. Le même honneur doit donc être manifesté aux deux. La conclusion est ainsi la même que précédemment.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Un culte de latrie doit-il être rendu à la bienheureuse Vierge ?]

 [8565] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur, quod beatae virgini sit latria exhibenda. Quia Damascenus dicit, quod honor matris refertur ad filium. Si ergo filius latria est adorandus, similiter et mater.

1. Il semble qu’un culte de latrie doive être rendu à la bienheureuse Vierge, car [Jean] Damascène dit que l’« honneur de la mère se rapporte au Fils ». Si donc le Fils doit être adoré par latrie, de même en est-il de la mère.

 [8566] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, de ipsa cantatur: secumque faciet matrem participem patris imperii; et ab omnibus dicitur domina mundi, et regina Angelorum. Sed Deo exhibetur latria, inquantum est dominus et rex. Ergo et virgini matri oportet latriam exhiberi.

2. On chante d’elle : « Il fera aussi participer sa mère avec lui au gouvernement du Père » ; tous l’appellent aussi « maîtresse du monde » et « reine des anges ». Or, le culte de latrie est manifesté à Dieu en tant qu’il est Seigneur et Roi. Il faut donc aussi manifester un culte de latrie à la Vierge Marie.

 [8567] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, Augustinus probat quod corpus virginis non est incineratum, quia est ejusdem naturae cum corpore filii, quod ex suo sumptum est. Ergo si corpus filii est adorandum adoratione latriae, videtur quod similiter mater.

3. Augustin démontre que le corps de la Vierge n’est pas devenu poussière parce qu’il est de la même nature que le corps que le Fils a assumé d’elle. Si le corps du Fils doit être adoré d’une adoration de latrie, il semble donc que sa mère doive aussi l’être.

 [8568] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, beata virgo est pura creatura. Sed latria soli creatori debetur. Ergo ei non debetur latria.

Cependant, [1] la bienheureuse Vierge est une simple créature. Or, le culte de latrie n’est dû qu’au seul Créateur. Le culte de latrie n’est donc pas dû [à la bienheureuse Vierge].

 [8569] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, ipsa adorat Deum latria. Sed non est ejusdem latriam exhibere et recipere; sicut nec creari et creare. Ergo latria non est exhibenda beatae virgini.

 [2] Elle-même adore Dieu par latrie. Or, il ne revient pas au même de manifester et de recevoir un culte de latrie, de même que d’être créé et de créer. Un culte de latrie ne doit donc pas être manifesté à la bienheureuse Vierge.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Un culte de latrie doit-il être manifesté à la croix ?]

 [8570] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur, quod non sit exhibenda cruci. Sicut enim secundum humanitatem passus est in cruce, ita secundum divinitatem caelum est sedes ejus. Sed caelum propter hoc non est adorandum latria. Ergo multo minus crux, cum latria debeatur Christo ratione divinitatis, non ratione humanitatis.

1. Il semble qu’un [culte de latrie] ne doive pas être manifesté à la croix. En effet, de même que [le Christ] a souffert sur la croix selon son humanité, de même est-il assis au ciel selon sa divinité. Or, le ciel ne doit pas pour cela être adoré par latrie. Donc, encore bien moins la croix, puisque le culte de latrie est dû au Christ en raison de sa divinité, non en raison de son humanité.

 [8571] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 2 Praeterea, res inanimata indignior est homine. Sed honor latriae non est exhibendus ab homine nisi ei qui est supra hominem. Ergo crux non debet latria adorari.

2. Une chose inanimé est moins digne que l’homme. Or, l’honneur de latrie ne doit être manifesté par l’homme qu’à ce qui est au-dessus de l’homme. La croix ne doit donc pas être adorée par latrie.

 [8572] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 3 Praeterea, majorem affinitatem habet ad Christum beata virgo quam crux ejus. Sed virgo non adoratur latria. Ergo multo minus crux.

3. La bienheureuse Vierge a une plus grande affinité avec le Christ que sa croix. Or, la Vierge ne doit pas être adorée par latrie.Donc, encore bien moins la croix.

 [8573] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 4 s. c. 1 Sed contra, reliquiae aliorum sanctorum honorantur eodem honore quo ipsi sancti. Sed crux est de reliquiis Christi. Ergo est adoranda latria sicut Christus.

Cependant, [1] les reliques des autres saints doivent être honorées du même honneur que les saints eux-mêmes. Or, la croix fait partie des reliques du Christ. Elle doit donc être adorée par latrie, comme le Christ.

 [8574] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 4 s. c. 2 Praeterea, crux est imago Christi crucifixi. Sed imago crucifixi Christi est adoranda latria. Ergo et crux.

 [2] La croix est l’image du Christ crucifié. Or, l’image du Christ crucifié doit être adorée par latrie. Donc, la croix aussi.

Quaestiuncula 5

Sous-question 5 – [Un culte de latrie doit-il être rendu aux saints ?]

 [8575] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 5 arg. 1 Ulterius. Quaeritur, utrum viris sanctis sit exibendus honor latriae, et videtur quod sic. Quia latria exhibetur Deo ratione divinitatis. Sed sancti participatione dicuntur dii. Ergo eis debet latria exhiberi.

1. On se demande si l’honneur de latrie doit être manifesté aux saints, et il semble que ce soit le cas, car le culte de latrie est manifesté à Dieu en raison de sa divinité. Or, les saints sont appelés des dieux par participation. Un culte de latrie doit donc leur être manifesté.

 [8576] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 5 arg. 2 Praeterea, imago impressa divinitus est nobilior quam quae facta est humanitus. Sed imagines Dei quas homo fecit, adorantur latria. Ergo multo fortius viri sancti, in quibus Deus suam imaginem impressit, et reformavit.

2. L’image imprimée par Dieu est plus noble que celle réalisée par des hommes. Or, les images de Dieu faites par l’homme sont adorées par latrie. À bien plus forte raison, les saints en qui Dieu a imprimé et rétabli son image.

 [8577] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 5 arg. 3 Praeterea, Abraham, ut legitur Gen. 18, tres viros, qui Angeli erant, ut dicit Augustinus, adoravit adoratione latriae. Ergo videtur quod et aliis sanctis latria exhiberi possit.

3. Comme on le lit en Gn 18, Abraham a adoré d’une adoration de latrie trois hommes qui étaient des anges, ainsi que le dit Augustin. Il semble donc qu’un culte de latrie puisse être aussi manifesté à d’autres saints.

 [8578] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 5 s. c. 1 Sed contra est quod legitur Act. 14 de Paulo et Barnaba: qui prohibuerunt illos qui eis sacrificare volebant: et in Esther 13, legitur de Mardochaeo quod noluit adorare Aman, ne honorem Dei videretur transferre ad homines.

Cependant, [1] va en sens contraire ce qu’on lit en Ac 15 de Paul et de Barnabé, qui se sont opposés à ceux qui voulaient leur offrir des sacrifices ; et en Est 13, on lit de Mardochée qu’il ne voulait pas adorer Aman, de crainte de paraître reporter sur des hommes l’honneuer dû à Dieu.

Quaestiuncula 6

Sous-question 6 – [Peut-on manifester sans péché à une créature un culte de latrie ?]

 [8579] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 6 arg. 1 Ulterius. Videtur quod sine peccato alicui creaturae possit latria exhiberi. Legitur enim Apoc. ult., quod Joannes voluit Angelum adorare, et prohibitus est ab eo. Non autem prohibuisset, si eum dulia adorare voluisset, quia haec Angelis sanctis debetur. Ergo volebat eum adorare latria: et ita hoc potest fieri sine peccato, ut videtur.

1. Il semble qu’un culte de latrie puisse être manifesté sans péché à une créature. En effet, dans Ap 22, on lit, que Jean voulut adorer un ange et que celui-ci le lui interdit. Or, il ne le lui aurait pas interdit si [Jean] avait voulu l’adorer par dulie, car celle-ci est due aux anges saints. Il voulait donc l’adorer par latrie, et ainsi cela peut être accompli sans péché, semble-t-il.

 [8580] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 6 arg. 2 Praeterea, opus secundum intentionem judicatur. Sed aliquis adorans Angelum, qui in forma Christi apparet, habet intentionem bonam, credens ipsum esse Christum. Ergo adorando non peccat.

2. Une action est jugée d’après l’intention. Or, celui qui adore un ange, qui apparaît sous la figure du Christ, a une bonne intention, croyant que celui-ci est le Christ. Il ne pèche donc pas en adorant.

 [8581] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 6 arg. 3 Praeterea, aliquis adorat hostiam non consecratam adoratione latriae, credens ipsam esse consecratam; et non peccat, quia ignorantia facti excusat eum; sed tamen idolatria est; quia decretalis dicit, quod sacerdos qui non consecrat, et fingit se consecrare, facit populum idolatrare. Ergo videtur quod homo possit creaturae latriam exhibere sine peccato.

3. Quelqu’un adore une hostie non consacrée d’une adoration de latrie, croyant qu’elle a été consacrée, et il ne pèche pas, car l’ignorance du fait l’excuse ; cependant, c’est de l’idolatrie, car une décrétale dit que « le prêtre qui ne consacre pas et fait semblant de consacrer rend le peuple idolâtre ». Il semble donc que l’homme puisse manifester sans péché un culte de latrie à une créature.

 [8582] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 6 s. c. 1 Sed contra, si aliquis hoc quod debet temporali domino in recognitionem dominii, alteri exhiberet, reus esset infidelitatis apud ipsum. Ergo multo amplius peccat, si cultum Deo debitum creaturae impendat.

Cependant, si quelqu’un manifestait à un autre ce qu’il doit à son seigneur temporel en reconnaissance de sa seigneurie, il serait coupable d’infidélité envers lui. À bien plus forte raison pèche-t-il, s’il rend à une créature le culte dû à Dieu.

Quaestiuncula 7

Sous-question 7 – [Si un culte de latrie est manifesté à une créature, est-il univoque par rapport à celui qui est manifesté à Dieu ?]

 [8583] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 7 arg. 1 Ulterius. Videtur quod si creaturae exhibeatur, univoce dicatur cum ea quae exhibetur Deo. Materia enim non diversificat speciem. Sed cultus exhibitus Deo et creaturae non differt, ut videtur, nisi materialiter. Ergo non differt secundum speciem, et ita dicitur univoce.

1. Il semble que si un culte de latrie est manifesté à une créature, il soit univoque par rapport à celui qui est manifesté à Dieu. En effet, la matière ne différencie pas l’espèce. Or, le culte manifesté à Dieu et à la créature ne diffèrent que matériellement, semble-t-il. Il n’est donc pas différent par l’espèce, et ainsi il est univoque.

 [8584] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 7 arg. 2 Praeterea, beatitudo univoce dicitur, quamvis a quibusdam quaeratur ubi est, scilicet in Deo, a quibusdam ubi non est, scilicet in divitiis. Igitur similiter latria dicetur univoce, sive exhibeatur cui est exhibenda, sive cui non est exhibenda.

2. On parle de béatitude de manière univoque, bien que certains la cherchent où elle est, en Dieu, et d’autres là où elle n’est pas, dans les richesses. De même parle-t-on de latrie de manière univoque, qu’elle soit manifestée à qui elle doit être manifestée ou à qui elle ne doit pas l’être.

 [8585] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 7 arg. 3 Praeterea, omnis cultus Deo debitus est latria. Sed idolatria est cultus Deo debitus, idolo exhibitus. Ergo est latria; et sic idem quod prius.

3. Tout culte rendu à Dieu est un culte de latrie. Or, l’idolâtrie est un culte rendu à Dieu, mais manifesté à une idole. C’est donc un culte de latrie. La conclusion est donc la même que précédemment.

 [8586] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 7 s. c. 1 Sed contra, idem univoce sumptum non potest esse virtus et vitium. Sed latria quae Deo exhibetur, est virtus; quae autem creaturae, est vitium. Ergo non dicitur univoce.

Cependant, [1] si on les considère de manière univoque, la vertu ne peut pas être un vice. Or, le culte de latrie qui est manifesté à Dieu est une vertu, mais celui qui est manifesté à une créature est un vice. On n’en parle donc pas de manière univoque.

 [8587] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 7 s. c. 2 Praeterea, Deus non univoce dicitur de Deo vero et idolo. Sed uterque movetur ex divinitate ejus cui latriam exhibet. Ergo videtur quod nec latria univoce dicatur.

 [2] On ne parle pas de manière univoque de Dieu et d’une idole. Or, [l’idolatrie et le culte de latriet] sont mus par la divinité de ce à quoi le culte de latrie est manifesté. Il semble donc qu’on ne parle pas non plus de culte de latrie de manière univoque.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [8588] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum, ad primam quaestionem, quod duplex est modus quod aliquid honoratur: aliquid enim honoratur ratione sui, et ratione alterius. Secundum philosophum enim in 1 Ethic. laus et honor in hoc differunt quod laus debetur alicui propter bonitatem quam habet ex ordine ad alterum, ut quando facit actum congruentem fini; honor autem debetur alicui propter bonitatem quam habet secundum se. Unde, secundum ipsum, laus debetur homini propter actus virtutum, qui ordinantur ad felicitatem; honor autem debetur Deo et divinis; unde sicut laus non debetur nisi actui, vel agenti qui est dominus actus, quasi per electionem agens; ita etiam nec honor; quamvis etiam honor ita debeatur actui sicut laus, sed magis agenti. Ergo ratione sui honoratur illud cujus est per electionem agere, sed ratione alterius honoratur quod de ratione honorati est; unde parti hominis secundum se consideratae non debetur honor nisi ratione alterius. Id autem cujus est agere, persona est, vel suppositum: quia actus sunt individuorum. Unde quantum ad primum modum honoris non debetur humanitati Christi honor separatim a persona divina; sed in ipsa et cum ipsa adoratur, sicut manus cum homine; et ideo secundum hoc debetur sibi honor latriae. Quantum autem ad secundum modum honoris, qui partibus et etiam rebus inanimatis exhibetur, debetur sibi per se reverentia et honor; et ideo non debetur sibi latria, sed dulia excellens, propter singularem modum dignitatis quem habet ex unione ad verbum. Patet ergo quod honor quo honoratur aliquid ratione sui, ad humanitatem Christi non pertinet ut per se consideratam, sed solum ut honoratur uno honore cum supposito in quo est; et sic debetur ei latria; sed honor qui debetur ei ratione alterius, pertinet ad eam etiam in se consideratam; et sic debetur ei dulia. Et quia secundum primum modum magis proprie dicitur aliquid honorari quam secundum secundum modum; ideo magis proprie dicitur quod humanitas Christi adoretur latria quam dulia, et hoc secundum secundam opinionem; sed secundum primam opinionem magis proprie diceretur, quod sit adoranda dulia; quia prima opinio ponit humanitati aliud suppositum agens praeter suppositum aeternum, cui debetur latria.

Il existe une double manière d’honorer une chose : en effet, une chose honorée pour elle-même et pour autre chose. Selon le Philosophe, dans Éthique, I, la louange et l’honneur diffèrent en effet par le fait que la louange est due à quelqu’un en raison de la bonté qu’il possède par rapport à quelque chose d’autre, comme lorsqu’il pose un acte qui convient à la fin ; mais l’honneur est dû à quelqu’un en raison de la bonté qu’il possède en lui-même. Selon lui, la louange est donc due à un homme en raison d’actes vertueux qui sont ordonnés à la félicité, mais l’honneur est dû à Dieu et aux réalités divines. Aussi, de même que la louange n’est due qu’à un acte ou à un agent qui est maître de son acte, comme agent qui agit par choix, de même aussi est-ce le cas de l’honneur, bien que l’honneur soit aussi dû à un acte, comme la louange, mais plutôt à l’agent. On honore donc ce à quoi il appartient d’agir par choix, mais on honore pour une autre raison que celle de celui qui est honoré. Aussi l’honneur n’est-il dû à une partie de l’homme, considérée en elle-même, qu’en raison d’autre chose. Or, la personne ou le suppôt est ce à quoi il appartient d’agir, car les actes relèvent des individus. Aussi, selon le premier mode d’honneur, l’honneur n’est-il pas dû à l’humanité du Christ séparément de la personne divine, mais elle est adorée en elle et avec elle, comme la main avec l’homme. L’honneur de latrie lui est donc dû de cette manière. Mais pour ce qui est du second mode d’honneur, qui est aussi manifesté aux parties et aux choses inanimées, lui sont dus par eux-mêmes respect et honneur. Un culte de latrie ne lui est donc pas dû, mais un culte de dulie de premier ordre, en raison du mode de dignité unique que [l’humanité du Christ] possède du fait de l’union au Verbe. Il est donc clair que l’honneur dont est honorée une chose pour elle-même ne concerne pas l’humanité du Christ considérée en elle-même, mais qu’elle est seulement honorée d’un seul honneur avec le suppôt dans lequel elle se trouve ; ainsi lui est dû un culte de latrie. Mais l’honneur qui lui est dû en raison d’autre chose concerne aussi [l’humanité du Christ] en tant qu’elle est considérée en elle-même ; ainsi lui est dû un culte de dulie. Et parce qu’on dit qu’une est davantage honorée au sens prope selon le premier mode que selon le second mode, on dit donc en un sens plus propre que l’humanité du Christ est adorée par latrie que par dulie, et cela, selon la deuxième opinion ; mais, selon la pemière opinion, on dirait en un sens plus propre que [l’humanité du Christ] doit être adorée d’un culte de dulie, car la première opinion affirme pour l’humanité un autre suppôt agissant, en plus du suppôt éternel, à qui un culte de latrie est dû.

 [8589] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod humanitas potest considerari dupliciter. Vel prout intelligitur non conjuncta verbo; et sic non debetur sibi latria, sed haec consideratio est in intellectu tantum. Vel prout intelligitur unita verbo; et sic potest honorari honore uno cum verbo, et sic debetur ei latria; vel alio, et sic debetur ei dulia: et sic loquitur praedicta Glossa.

1. L’humanité peut être considérée de deux manières. Soit on l’entend comme non unie au Verbe. Ainsi ne lui est pas dû un culte de latrie. Mais cette manière de l’entendre se trouve dans l’intellect seulement. Soit on l’entend comme unie au Verbe : elle peut alors être honorée du même honneur que le Verbe. Ainsi lui est dû un culte de latrie. Ou autrement, et ainsi lui est dû un culte de dulie. C’est ainsi que s’exprime la glose déjà mentionnée.

 [8590] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod honor non debetur alicui ratione sui, nisi personae; unde ratio procedit ex falsis.

2. L’honneur n’est dû à quelqu’un en raison de lui-même que s’il s’agit d’une personne. Le raisonnement repose donc sur de fausses prémisses.

 [8591] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis creare non sit humanitatis Christi, est tamen personae verbi, cum qua simul adoratur.

3. Bien que créer ne relève pas de l’humanité du Christ, cela est cependant le fait que la personne du Verbe, avec laquelle elle est simultanément adorée.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [8592] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod imago potest dupliciter considerari, vel secundum quod est res quaedam, et sic nullus honor ei debetur (sicut nec alii lapidi vel ligno); vel secundum quod est imago. Et quia idem motus est in imaginem inquantum est imago, et in imaginatum; ideo unus honor debetur imagini et ei cujus est imago; et ideo cum Christus adoretur latria, similiter et ejus imago.

On peut envisager l’image de deux manières. Soit selon qu’elle est une chose, et ainsi aucun honneur ne lui est dû (comme il ne l’est pas à une autre pierre ou à un autre bois). Soit en tant qu’image. Et parce que c’est le même mouvement qui porte vers l’image en tant qu’image et vers ce qui est représenté, un seul honneur est donc dû à l’image et à ce dont elle est l’image. Puisque le Christ est adoré d’un culte de latrie, de même en est-t-il aussi pour son image.

 [8593] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ante incarnationem Christi, cum Deus incorporeus esset, non poterat ei imago poni, sicut dicitur Isai. 40; et ideo prohibitum est in veteri lege ne imagines fierent ad adorandum; et praecipue quia proni erant ad idolatriam ex hoc quod totus mundus idolatriae insistebat. Sed postquam Deus factus est homo, potest habere imaginem, cum habeat ratione humanitatis assumptae, quae simul cum eo adoratur, figuram corporalem; et ideo permissum est in nova lege imagines fieri.

1. Avant l’incarnation du Christ, puisque Dieu est incorporel, on ne pouvait en proposer une image, comme il est dit en Is 40. Sous la loi ancienne, il a donc été défendu de faire des images pour les adorer, surtout qu’on était enclin à l’idolâtrie du fait que le monde entier s’adonnait à l’idolâtrie. Mais après que Dieu est devenu homme, une image peut en être donnée, puisqu’il a une figure corporelle en raison de l’humanité assumée, laquelle est adorée en même temps que lui.

 [8594] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod idolatrae credebant in ipsis imaginibus aliquod numen esse, quod ex vi syllabarum ipsis imaginibus acquireretur, sub quibus fiebant imagines; sicut Hermes dixit, quod datum hominibus erat facere deos, ut Augustinus narrat, de Civ. Dei. Unde deserviebant imaginibus non solum ut imaginibus, sed ut rebus, et praeterea non solum ut imaginibus Dei, sed ut imaginibus creaturarum, solis aut lunae. Unde patet quod non est simile.

2. Les idolâtres croyaient qu’il existait dans les images elles-mêmes une puissance qui venait aux images en vertu des syllabes elles-mêmes qui en accompagnaient la réalisation. Ainsi Hermès disait-il qu’il avait été donné aux hommes de faire des dieux, comme le raconte Augustin dans La cité de Dieu. Aussi ne servaient-ils pas les images seulement comme des images, mais comme des réalités, et pas seulement comme des images de Dieu, mais comme des images de créatures, du soleil et de la lune. Il est donc clair que ce n’est pas la même chose.

 [8595] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod apostoli multa tradiderunt quae scripta non sunt in canone, inter quae unum est de usu imaginum; unde Damascenus dicit, quod Lucas depinxit imaginem Christi et beatae virginis, et Christus suam imaginem Abagaro regi direxit, ut dicitur in ecclesiastica historia. Fuit autem triplex ratio institutionis imaginum in Ecclesia. Primo ad instructionem rudium, qui eis quasi quibusdam libris edocentur. Secundo ut incarnationis mysterium et sanctorum exempla magis in memoria essent, dum quotidie oculis repraesentantur. Tertio ad excitandum devotionis affectum qui ex visis efficacius incitatur quam ex auditis.

3. Les apôtres ont transmis beaucoup de choses qui n’ont pas été écrites dans le canon, dont l’une est l’usage d’images. Aussi [Jean] Damascène dit-il que Luc a peint une image du Christ et de la bienheureuse Vierge, et que le Christ a envoyé son image à Abagar, comme on le dit dans l’Histoire ecclésiastique. Il y avait trois raisons d’établir des images dans l’Église. Premièrement, pour instruire les illettrés, qui sont enseignés par elles comme par des livres. Deuxièmement, pour que le mystère de l’incarnation et les exemples des saints restent davantage en mémoire du fait que leur représentation tombe quotidiennement sous les yeux. Troisièmement, pour exciter un sentiment de dévotion, qui est plus efficacement suscité par ce qui est vu que par ce qui est entendu.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [8596] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod cum beata virgo sit per se quaedam persona agens, ei debetur honor per se: unde alia adoratione adoratur quam filius ejus; unde non potest adorari latria, sed dulia. Quia tamen non solum honoratur ratione sui, sed etiam ratione filii, ut mater Dei; ideo inquantum pertinet ad Christum, honoratur hyperdulia.

1. Puisque la bienheureuse Vierge est par elle-même une personne agissante, un honneur lui est dû pour elle-même. Aussi est-elle adorée selon une autre adoration que son Fils. Elle ne peut donc être adorée par latrie, mais par dulie. Mais parce qu’elle n’est pas honorée seulement pour elle-même, mais aussi comme mère de Dieu en raison de son Fils, pour autant qu’elle est en rapport avec le Christ, elle est honorée par hyperdulie.

 [8597] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum dicendum, quod honor matris refertur ad filium, non sicut ad subjectum, scilicet ut sit unus motus in matrem et in filium, sicut est in imaginibus, sed refertur in filium sicut in finem, quia propter filium mater honoratur.

1. L’honneur de la mère est en rapport avec son Fils, non pas comme avec un sujet, de sorte qu’il n’y ait qu’un seul mouvement vers la mère et vers le Fils, comme c’est le cas pour les images, mais elle est en rapport avec son Fils comme avec une fin, car la mère est à cause du Fils.

 [8598] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Deus est dominus et rex quasi creator, sed virgo non est creatrix, sed quasi creatoris mater; unde non oportet quod latria adoretur.

2. Dieu est Seigneur et Roi en tant que Créateur ; tooutefois, la Vierge n’est pas créatrice, mais pour ainsi dire mère du Créateur. Aussi n’est-il pas nécessaire qu’elle soit adorée par latrie.

 [8599] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod incorruptio quae opponitur incinerationi, debetur Christo etiam ratione carnis quam assumpsit de virgine, non autem latria; et ideo non est similis ratio.

3. L’incorruption, qui s’oppose à la réduction en cendres, est aussi due au Christ même en raison de la chair qu’il a assumée de la Vierge, mais non le culte de latrie. Le raisonnement n’est donc pas le même.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

 [8600] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod crux Christi, etiam ipsa in qua Christus pependit, potest dupliciter considerari; vel inquantum crucifixi imago, et sic adoratur eadem adoratione sicut crucifixus, scilicet latria; unde eam alloquimur sicut crucifixum, dicentes: o crux ave spes unica: vel inquantum est res quaedam, et sic cum non pertineat ad personam verbi sicut pars ejus, non potest eadem adoratione adorari cum verbo, sed adoratur inquantum est res quaedam Christi ratione ipsius, hyperdulia; sed aliae cruces non adorantur nisi ut imago; et ideo adorantur tantum latria.

La croix du Christ, même celle à laquelle le Christ a été suspendu, peut être envisagée de deux manières. Soit en tant qu’image du Crucifié, et ainsi elle est adorée de la même adoration que le Crucifié, à savoir, par latrie – aussi nous adressons-nous à elle comme au Crucifié : « Ô Croix, notre unique espérance, salut ! ». Soit en tant qu’elle est une chose, et ainsi, puisqu’elle n’appartient pas à la personne du Verbe comme une de ses parties, elle ne peut être adorée de la même adoration que le Verbe ; mais elle est adorée par hyperdulie en raison de lui, comme quelque chose du Christ. Mais les autres croix ne sont adorées qu’en tant qu’images ; aussi sont-elles adorées par latrie seulement.

 [8601] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis caelum sit sedes Dei, non tamen unitum est Deo in persona, sicut caro Christi; unde caelum nec latria nec hyperdulia honoratur, nec etiam dulia, cum non sit res viva; sed humanitas Christi vel latria vel hyperdulia adoratur, et similiter ea quae ad humanitatem Christi referuntur, ut crux, et vestis et hujusmodi.

1. Bien que le ciel soit le siège de Dieu, il n’est cependant pas uni à Dieu en sa personne, comme la chair du Christ ; aussi le ciel n’est-il adoré ni par latrie ni par hyperdulie, ni même par dulie, puisqu’il n’est pas une chose vivante. Mais l’humanité du Christ est adorée soit par latrie, soit par hyperdulie, de même que ce qui se rapporte à l’humanité du Christ, comme la croix, un vêtement et des choses de ce genre.

 [8602] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod crux, inquantum est res quaedam in se considerata, est indignior homine, nec ratione sui adoratur; sed ratione alterius qui in ea crucifixus est.

2. La croix, pour autant qu’elle est une chose considérée en elle-même, est plus indigne que l’homme, et elle n’est pas adorée pour elle-même, mais en raison de quelqu’un d’autre qui a été crucifié sur elle.

 [8603] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod si consideretur honor qui exhibetur cruci inquantum est res quaedam, ratione Christi, non est tantus quantus ille qui exhibetur virgini; sed cruci exhibetur quidam honor, inquantum est imago, qui non exhibetur matri.

3. Si on envisage l’honneur qui est manifesté à la croix en tant qu’elle est une chose, il n’est pas aussi grand que celui qui est manifesté à la Vierge en raison du Christ. Mais un certain honneur est manifesté à la croix en tant qu’image, [honneur] qui n’est pas manifesté à la mère.

Quaestiuncula 5

Réponse à la sous-question 5

 [8604] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 5 co. Ad quintam quaestionem dicendum, quod Deus est principium et finis omnium; et inquantum est principium, adoramus eum latria: inquantum vero finis ultimus, fruimur eo. In redeundo autem ad ipsum juvamur per alias creaturas rationales, scilicet Angelos et homines; et ideo, quamvis solo Deo fruendum sit, tamen possumus frui homine in Deo, sicut dicit apostolus, et Augustinus. Sed in exeundo ab ipso sicut a principio creante, non juvamur per aliquam creaturam, quia immediate creavit nos; et ideo honor latriae est sibi soli exhibendus, non alicui in ipso, quantumcumque sit in participatione suae bonitatis, nisi honoretur uno honore cum eo, sicut caro Christi, et imagines.

Dieu est principe et fin de toutes choses. En tant que principe, nous l’adorons d’un culte de latrie ; mais en tant que fin ultime, nous jouissons (fruimur) de lui. Or, pour retourner à lui, nous sommes aidés par les autres créatures raisonnables, les anges et les hommes. C’est pourquoi, bien qu’on ne doive jouir (fruendum) que de Dieu seul, nous pouvons cependant jouir (frui) d’un homme en Dieu, comme le disent l’Apôtre et Augustin. Mais, pour sortir de lui comme du principe créateur, nous ne sommes pas aidés par une créature, car il nous a créés de manière immédiate. Aussi l’honneur de latrie n’est-il dû qu’à lui, et non à quelqu’un en lui, aussi grande soit sa participation à sa bonté, à moins d’être honoré d’un seul honneur avec lui, comme la chair du Christ et les images.

 [8605] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod viri sancti per participationem illam non efficiuntur primum principium nostri esse; et ideo non debetur eis latria.

1. Les saints ne deviennent pas par cette participation le premier principe de notre être. Aussi le culte de latrie ne leur est-il pas dû.

 [8606] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod homines sunt imagines Dei per participationem suae bonitatis, facientem expressam similitudinem, et hoc dat rei bonitatem in se; et ideo ratione hujus est res ipsa secundum se honoranda. Sed imagines pictae non sunt imagines per similitudinem in natura, sed per institutionem ad significandum; unde et ex hoc non acquiritur eis nisi honor relatus ad alterum.

2. Les hommes sont des images de Dieu par une participation à sa bonté, qui réalise une ressemblance expresse, et cela donne à la chose une bonté en soi. En raison de celle-ci, cette réalité même doit donc être honorée. Mais les images peintes ne sont pas des images par une ressemblance de nature, mais parce qu’elles ont été instituées pour signifier. Aussi n’ont-elles acquis par là que l’honneur qui se rapporte à un autre.

 [8607] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Angeli illi non apparuerunt Abrahae in propria natura, sed in quibusdam corporibus quasi imaginibus assumptis; unde inquantum erant imagines repraesentantes Trinitatem, poterant adorari latria; non autem inquantum repraesentabant Angelos ipsos.

3. Ces anges ne sont pas apparus à Abraham dans leur propre nature, mais dans des corps assumés pour ainsi dire comme des images. Aussi, pour autant qu’ils étaient des images représentant la Trinité, pouvaient-ils être adorés par latrie, mais non en tant qu’ils représentaient les anges eux-mêmes.

Quaestiuncula 6

Réponse à la sous-question 6

 [8608] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 6 co. Ad sextam quaestionem dicendum, quod cum creaturae non sit exhibenda latria, si exhibetur ei, est exhiberi eam cui non est exhibenda: et hoc facit vitium contrarium latriae sicut superfluum medio: unde sine peccato fieri non potest.

Puisqu’il ne faut pas manifester de culte de latrie à une créature, s’il lui est manifesté, il est manifesté à quelqu’un à qui il ne doit pas être manifesté. Cela est un vice contraire au culte de latrie, comme quelque chose de superflu par rapport au milieu. Cela ne peut donc être fait sans péché.

 [8609] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 6 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Joannes volebat adorare Angelum dulia, sed prohibitus fuit propter tria. Primo ad ostendendum dignitatem ipsius Joannis, qui multis Angelis dignior fuit; secundo ad evitandum speciem idolatriae; tertio ad ostendendum exaltationem humanae naturae super Angelos in homine assumpto.

1. Jean voulait adorer l’ange d’uun culte de dulie, mais il en fut empêché pour trois raisons. Premièrement, pour montrer la dignité de Jean lui-même, qui est plus digne que beaucoup d’anges. Deuxièmement, pour éviter l’apparence d’idolâtrie. Troisièmement, pour montrer l’exaltation de la nature humaine au-dessus des anges dans l’homme assumé.

 [8610] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 6 ad 2 Ad secundum dicendum, quod qui adorat hostiam non consecratam, adorare eam oportet cum conditione, scilicet si est consecrata. Non tamen oportet quod haec conditio semper sit actu explicita, sed sufficit quod habitu teneat illam; unde non peccat adorans eam, quia non adorat puram creaturam, sed Christum secundum intentionem suam. Sacerdos autem, quantum in se est, facit populum idolatrare, quia offert ei puram creaturam ad adorandum.

2. Celui qui adore une hostie non consacrée doit l’adorer sous condition, à savoir qu’elle soit consacrée. Il n’est cependant pas nécessaire que cette condition soit tooujours explicite en acte, mais il suffit qu’il la respecte de manière habituelle. Il ne pêche donc pas en l’adorant, car, selon son intention, il n’adore pas une pure créature, mais le Christ. Mais, de son côté, le prêtre rend le peuple idolâtre, car il lui offre une pure créature à adorer.

 [8611] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 6 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non potest Diabolus in specie Christi apparens sine peccato adorari, nisi sit conditio actu explicita: non enim sufficit solo habitu: quia ipsa novitas rei insolitae, considerationem et attentionem requirit; sicut dicitur de beata virgine Luc. 1, quod cogitabat qualis esset illa salutatio.

3. Le Diable qui apparaît sous l’aspect du Christ ne peut pas être adoré sans péché, à moins que la condition ne soit explicite en acte. En effet, la condition [posée de manière habituelle] ne suffit pas, car la nouveauté même d’une chose insolite exige considération et attention, comme il est dit de la bienheureuse Vierge, Lc 1, qu’elle se demandait quelle était cette salutation.

Quaestiuncula 7

Réponse à la sous-question 7

 [8612] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 7 co. Ad septimam quaestionem dicendum, quod quandocumque aliquod nomen imponitur alicui actui vel accidenti secundum quod determinatur ad aliquod unum, non potest dici de alio nisi improprie vel metaphorice: sicut simitas imponitur curvitati nasi; unde non potest dici, quod crux sit simum, vel lignum quod est curvum, nisi metaphorice. Similiter cum latria sit nomen impositum servituti divinae, non potest quaecumque alia servitus alteri exhibita dici latria nisi improprie vel metaphorice; unde latria non dicitur univoce de cultu Dei veri et de idolatria.

Chaque fois qu’un nom est donné à une chose, en acte ou par accident, selon qu’il est déterminé à quelque chose d’unique, il ne peut être utilisé pour une autre chose qu’improprement ou métaphoriquement, comme on parle de camus pour la courbure du nez. Ainsi ne peut-on dire que la croix est camus ou que le bois est courbe, si ce n’est métaphoriquement. De même, puisque le culte de latrie est un nom donné au service de Dieu, on ne peut parler de latrie pour n’importe quelle autre servitude que de manière impropre ou métaphorique. Aussi ne parle-t-on pas de latrie de manière univoque pour le culte du vrai Dieu et pour l’idolâtrie.

 [8613] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 7 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod materia quae includitur in ratione speciei, bene diversificat speciem, et impedit univocationem, sicut patet in exemplo posito de curvitate nasi; et ita est in proposito.

1. La matière qui fait partie de la raison de l’espèce différencie bien l’espèce et empêche le caractère univoque, comme cela ressort de l’exemple donné pour la courbure du nez. Ainsi en est-il pour la question en cause.

 [8614] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 7 ad 2 Ad secundum dicendum, quod hoc nomen beatitudo significat aliquid propter quod omnia alia sunt eligenda, et ipsum propter se tantum eligatur omnis boni sufficientiam habens, sine hoc quod concernat aliquam materiam; et ideo semper remanet beatitudo univoce dicta, quamvis in diversis rebus quaeratur. Sed non est sic in proposito, quia nomen latriae materiam concernit.

2. Ce mot « béatitude » signifie une chose en vue de laquelle toutes les autres choses doivent être choisies, et qui est choisie seulement pour elle-même parce qu’elle possède tout bien de manière suffisante, sans avoir de rapport avec une matière. Aussi [le mot] « béatitude » est-il toujours utilisé de manière univoque, bien qu’elle soit cherchée dans des choses différentes. Mais il n’en va de même pour ce qui est en cause, car le mot « latrie » concerne une matière.

 [8615] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 7 ad 3 Ad tertium dicendum, quod cum dicitur, quod idolatria sit cultus Deo debitus idolo exhibitus, hoc quod dicitur, idolo exhibitus, diminuit de ratione praecedenti; unde non sequitur: ergo est latria: sicut aratio dicitur scissio quae debetur terrae: si quis autem vomere scindit aquam, illa scissio est terrae debita, non tamen dicitur aratio nisi aequivoce.

3. Lorsqu’on dit que l’idolâtrie est le culte dû à Dieu manifesté à une idole, ce qu’on dit : « manifesté à une idole », diminue la raison qui précède. On ne conclut donc pas : « Donc, c’est un culte de latrie », comme le labourage est une séparation due à la terre. Mais si quelqu’un en vomissant sépare l’eau, cette séparation est due à la terre, mais elle n’est appelée « labourage » que de manière équivoque.

 

 

Articulus 3 [8616] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3 tit. Utrum latria debeatur Deo ratione potentiae, an sapientiae ac bonitatis

Article 3 – Le culte de latrie est-il dû à Dieu en raison de sa puissance, de sa sagesse et de sa bonté ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le culte de latrie est-il dû à Dieu en raison de sa puissance, de sa sagesse et de sa bonté ?]

 [8617] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod latria debeatur Deo ratione potentiae. Servitus enim dominium respicit. Sed Deus dicitur dominus propter potentiam coercendi subditam creaturam, ut dicit Boetius. Cum igitur latria sit servitus, videtur quod debeatur Deo ratione potentiae.

1. Il semble que le culte de latrie soit dû à Dieu en raison de sa puissance. En effet, la servitude est en rapport avec la seigneurie. Or, « Dieu est appelé Seigneur en raison de sa capacité de forcer la créature qui lui est soumise », comme le dit Boèce. Puisque le culte de latrie est un service, il semble donc qu’il soit dû à Dieu en raison de sa puissance.

 [8618] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 2 Item, videtur quod ratione sapientiae. Debetur enim Deo latria inquantum est Deus. Sed Deus, secundum Damascenum, dicitur ex hoc quod omnia videt, quod ad sapientiam pertinet. Ergo videtur quod debeatur ei latria ratione sapientiae.

2. Il semble que ce soit en raison de sa sagesse. En effet, le culte de latrie est dû à Dieu en tant qu’il est Dieu. Or, on parle de Dieu, selon [Jean] Damascène, parce qu’Il voit tout, ce qui relève de sa sagesse. Il semble donc que le culte de latrie lui soit dû en raison de sa sagesse.

 [8619] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 3 Item, videtur quod ratione bonitatis. Quia latriam ei exhibemus, inquantum ab ipso sumus. Sed quia bonus est, sumus, ut dicit Augustinus. Ergo latria debetur ei ratione bonitatis.

3. Il semble que ce soit en raison de sa bonté, car nous lui manifestons un culte de latrie pour autant que nous existons par lui. Or, « nous existons parce qu’il est bon », comme le dit Augustin. Le culte de latrie lui est donc dû en raison de sa bonté.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le même culte de latrie est-elle dû au Père et au Fils ?]

 [8620] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod alia latria debeatur patri et alia filio. Latriam enim dirigit fides. Sed fides alium articulum habet de patre, et alium de filio. Ergo alia latria est utrique exhibenda.

1. Il semble qu’un autre culte de latrie soit dû au Père et au Fils. En effet, la foi dirige le culte de latrie. Or, la foi comporte un article différent pour le Père et le Fils. Un autre culte de latrie doit donc être manifesté aux deux.

 [8621] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, honor, ut dictum est, debetur personae agenti. Sed pater et filius sunt duae personae. Ergo duplex honor eis debetur.

2. Comme on l’a dit, l’honneur est dû à la personne qui agit. Or, le Père et le Fils sont deux personnes. Un double honneur leur est donc dû.

 [8622] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, humanitati Christi exhibetur unus honor qui et verbo. Sed non potest hoc intelligi, ut videtur, ratione naturae: quia naturae distinctae sunt. Ergo intelligitur ratione personae. Sed alia est persona patris, alia filii. Ergo et alius honor debetur utrisque.

3. Le même honneur est manifesté à l’humanité du Christ qu’au Verbe. Or, cela ne peut se comprendre, semble-t-il, en raison de la nature, car les natures [divine et humaine] sont distinctes. Cela se comprend donc en raison de la personne. Or, la personne du Père et celle du Fils sont différentes. Un autre honneur est donc dû aux deux.

 [8623] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, remota distinctione personarum, adhuc debetur Deo latria. Ergo debetur ei ratione naturae. Sed natura est una. Ergo et latria est una.

Cependant, si on écarte la distinction des personnes, le culte de latrie est encore dû à Dieu. Il lui est donc dûe en raison de sa nature. Or, la nature [divine] est unique. Le culte de latrie est donc unique.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Le culte de latrie doit-elle être manifesté à Dieu par des rites corporels ?]

 [8624] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non debeat Deo exhiberi latria secundum aliquos corporales ritus. Sicut enim dicit apostolus ad Galat. 4, homines in veteri lege sub elementis hujus mundi servientes, erant quasi pueri sub paedagogo positi. Sed, sicut ipse dicit, veniente plenitudine temporis jam non sumus sub paedagogo. Ergo non debemus Deo latriam exhibere secundum corporales actus.

1. Il semble qu’on ne doive pas manifester à Dieu un culte de latrie par des rites corporels. En effet, l’Apôtre dit, Ga 4, que les hommes, rendant un culte, alors qu’ils étaient dominés par les éléments de ce monde sous la loi ancienne, étaient comme des enfants sous l’autorité d’un pédagogue. Or, comme il le dit lui-même, lorsque la plénitude du temps est venue, nous ne sommes plus sous l’autorité d’un pédagogue. Nous ne devons donc pas manifester à Dieu un culte de latrie par des rites corporels.

 [8625] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, Joan. 4, 24, dicitur: spiritus est Deus; et eos qui adorant eum, in spiritu et veritate oportet adorare. Ergo non oportet quod eum adoremus corporalibus actibus, vel genuflectendo vel cantando.

2. Il est dit en Jn 4, 24 : Dieu est esprit, et ceux qui l’adorent doivent l’adorer en esprit et en vérité. Il ne faut donc pas que nous l’adorions par des actes corporels, par des génuflexions ou des chants.

 [8626] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 3 Praeterea, Deus ubique est. Ergo non magis debemus ad orientem adorare quam ad aliam partem.

3. Dieu est partout. Nous ne devons donc pas l’adorer davantage vers l’orient que vers une autre partie du monde.

 [8627] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, nos et spiritum et corpus habemus a Deo. Sed secundum hoc quod ab eo sumus eum adoramus. Ergo et spiritualiter et corporaliter eum debemus adorare.

Cependant, nous tenons notre esprit et notre corps de Dieu. Or, nous l’adorons selon ce que nous tenons de lui. Nous devons donc l’adorer spirituellement et corporellement.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [8628] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum, ad primam quaestionem, quod latria profitetur servitutem quam debemus Deo, quia fecit nos; unde debetur sibi latria inquantum creator, secundum quod ipse est finis et origo prima nostri esse; et hoc est quod dicit Glossa super illud Psalm. 7: domine Deus meus, in te speravi: Deus per creationem, cui latria debetur. Et quia ipse creator est, inquantum bonus, sapiens et potens, et secundum omnia hujusmodi; ideo ratione omnium debetur sibi latria, et non secundum unum horum tantum.

Le culte de latrie témoigne du service que nous devons à Dieu parce qu’Il nous a créés. Le culte de latrie lui est donc dû pour autant qu’il est le Créateur, selon qu’il est la fin et l’origine première de notre être. C’est ce que dit la Glose sur Ps 7 : Seigneur, mon Dieu, en toi j’ai espéré : « Dieu, par la création, à qui un culte de latrie est dû. » Et parce qu’il est le Créateur en tant qu’Il est bon, sage et puissant, et selon toutes les choses de ce genre, le culte de latrie lui est dû en raison de toutes ces choses, et non pas selon d’une de ces choses seulement.

 [8629] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 1 ad arg. Unde patet responsio ad objecta.

La réponse aux objections est ainsi claire.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [8630] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod quia pater et filius et spiritus sanctus sunt unus creator, ideo debetur eis una latria; cum Deo debeatur latria inquantum creator.

Parce que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont un seul Créateur, un seul culte de latrie leur est donc dû, puisque le culte de latrie est dû à Dieu en tant qu’Il est le Créateur.

 [8631] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod fides debetur Deo, inquantum est res cogitabilis: et quia quaecumque secundum rem distinguuntur, possunt seorsim cogitari, sed non convertitur; ideo tres personae, quae sunt tres res diversae, diversos fidei articulos habent: sed omnes tres personae sunt unus creator: unde et una latria eis debetur.

1. La foi est due à Dieu en tant qu’il est une réalité qui peut être objet de pensée. Parce que tout ce qui est distinct en réalité peut être pensé à part, mais que l’inverse n’est pas vrai, des articles de foi différents portent sur les trois personnes, qui sont trois réalités différentes ; mais toutes les trois personnes sont un seul Créateur. C’est pourquoi un seul culte de latrie leur est dû.

 [8632] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod natura divina est per se subsistens, etiam circumscriptis personis distinctis quas fides supponit; unde agere competit ei et circumscripta distinctione personarum, et per consequens latria.

2. La nature divine est subsistante en elle-même, même en mettant à part les personnes distinctes que suppose la foi. Aussi lui convient-il d’agir, même en mettant à part la distinction des personnes et, par conséquent, un culte de latrie [lui convient-il].

 [8633] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis duae naturae sint distinctae secundum se, tamen sunt unitae in persona; et quia unus honor debetur divinae naturae et personae; ideo per consequens unus honor debetur divinae naturae et humanae, cui debetur unus honor qui et personae divinae.

3. Bien que les deux natures soient distinctes par elles-mêmes, elles sont cependant unies dans la personne. Et parce qu’un seul honneur est dû à la nature divine et aux personnes, par conséquent, un seul honneur est dû à la nature divine et à la nature humaine, à qui est dû le même honneur qu’à la personne divine.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [8634] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod in nobis est triplex bonum; scilicet spirituale, corporale, et extrinsecum; et quia haec omnia in nobis a Deo sunt, ideo secundum omnia debemus Deo latriam exhibere: et secundum spiritum exhibemus ei debitam dilectionem; secundum corpus prostrationes et cantus; secundum exteriora autem, sacrificia, luminaria, et hujusmodi: quae Deo non propter ejus indigentiam exhibemus, sed in recognitionem quod omnia ab ipso habemus: et sicut eum ex omnibus recognoscimus, ita etiam eum ex omnibus honoramus.

Il existe en nous un triple bien : spirituel, corporel et extérieur. Et parce que toutes ces choses en nous viennent de Dieu, nous devons lui manifester le culte de latrie pour toutes ces choses. Selon l’esprit, nous lui devons l’amour qui convient ; selon le corps, des inclinations et des chants ; mais, selon les réalités extérieures, des sacrifices, des cierges et des choses de ce genre, que nous n’offrons pas à Dieu en raison de son indigence, mais en reconnaissance du fait que nous tenons tout de lui. Et de même que nous le reconnaissons pour tout, de même aussi l’honorons-nous pour tout.

 [8635] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod corporalia erant in veteri lege pure corporalia, quia gratiam non continebant; erant tamen signa spiritualium: sed corporalia quae nos Deo exhibemus, non sunt pure corporalia; sed sunt sacramenta continentia gratiam, et sacramentalia. Unde non est simile de nova et veteri observantia.

1. Sous la loi ancienne, les réalités corporelles étaient purement corporelles, car elles ne contenaient pas la grâce. Cependant, elles étaient des signes de réalités spirituelles. Toutefois, les réalités corporelles que nous présentons à Dieu ne sont pas purement corporelles, mais sont des sacrements contenant la grâce et des sacramentaux. Il n’en va donc pas de même de la loi nouvelle et de la loi ancienne.

 [8636] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis Deus sit spiritus, est tamen creator corporis; et ideo principaliter ei in spiritu servire debemus; secundario autem in corpore; et ideo etiam vocaliter oramus, ut sibi non solum spiritus, sed etiam lingua carnis obsequatur, ut nos ipsos et alios ad laudem Dei excitemus.

2. Bien que Dieu soit esprit, il est cependant le Créateur du corps. Aussi devons-nous le servir principalement en esprit, mais, de manière secondaire, par le corps. C’est pourquoi nous prions aussi oralement, afin que non seulement notre esprit, mais aussi notre langue de chair se soumette, pour nous inciter nous-mêmes et les autres à la gloire de Dieu.

 [8637] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis Deus ubique sit, tamen institutum est ab Ecclesia ut sacrificium Missae ei offeratur versus orientem, propter tria. Primo propter significationem: quia a Deo est nobis mentis illuminatio, sicut lumen corporale ab oriente. Secundo, quia est nobilior pars orbis; et omne quod est nobilius apud nos, Deo debemus. Tertio, propter opera quaedam notabilia ipsius in oriente: quia ipse movet caelum, cujus motus ab oriente incipit; ipse etiam Paradisum in oriente constituit; ipse etiam ab oriente ad judicium veniet, sicut ad orientem ascendit.

3. Bien que Dieu soit partout, il a cependant été établi par l’Église que le sacrifice de la messe lui serait offert en direction de l’orient pour trois raisons. Premièrement, pour signifier quelque chose, car l’illumination de l’esprit nous vient de Dieu, comme la lumière corporelle de l’orient. Deuxièmement, parce que c’est la partie la plus noble du monde et que tout ce qui est plus noble chez nous nous vient de Dieu. Troisièmement, en raison de certaines de ses actions remarquables à l’orient, car lui-même meut le ciel, dont le mouvement commence à l’orient ; lui-même a aussi établi le Paradis à l’orient, et lui-même viendra aussi de l’orient pour le jugement, comme il est montré vers l’orient.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [Qu’est-ce que le culte de dulie ?]

Prooemium

Prologue

 [8638] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 pr. Deinde quaeritur de dulia; et circa hoc quaeruntur tria: 1 quid sit; 2 utrum habeat diversas species; 3 cui debeatur.

On s’interroge ensuite sur [le culte] de dulie. À ce propos, trois questions sont posées : 1 – Qu’est-ce que [le culte de dulie] ? 2 – Comporte-t-il plusieurs espèces ? 3 – À qui est-il dû ?

 

 

Articulus 1 [8639] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 1 tit. Utrum latria et dulia sint idem

Article 1 – Le culte de latrie et le culte de dulie sont-ils la même chose ?

 [8640] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur, quod dulia sit idem quod latria. Deo enim non debetur nisi unus honor. Sed debetur ei dulia et latria, sicut dicit Glossa super illud Psalm. 7: domine Deus meus, in te speravi. Dominus omnium per potentiam; cui debetur dulia: Deus omnium per creationem, cui debetur latria. Ergo dulia et latria sunt idem.

1. Il semble que [le culte] de dulie soit la même chose que [le culte] de latrie. En effet, un seul honneur est dû à Dieu. Or, le culte de dulie et le culte de latrie lui sont dus, comme le dit la Glose à propos de Ps 7 : Seigneur, mon Dieu, en toi j’ai espéré : « Le Seigneur de tout par sa puissance, à qui est dû [le culte] de dulie ; le Seigneur de tout par la création, à qui est dû [le culte] de latrie. » Le culte de dulie et le culte de latrie sont donc la même chose.

 [8641] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, eadem virtus caritatis est qua diligitur Deus, et proximus. Sed latria honoratur Deus, dulia proximus. Ergo est eadem virtus.

2. C’est par la même vertu de charité que nous aimons Dieu et le prochain. Or, par le culte de latrie, Dieu est honoré et, par le culte de dulie, le prochain. Il s’agit donc de la même vertu.

 [8642] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, differentia secundum materiam non diversificat speciem, ut dicitur 10 Metaphys. Sed honor qui debetur Deo et proximo non differunt nisi secundum materiam. Ergo non sunt diversi in specie; et sic idem quod prius.

3. La différence selon la matière ne différencie pas l’espèce, comme il est dit dans Métaphysique, X. Or, l’honneur qui est dû à Dieu et au prochain ne diffèrent que par la matière. Ils ne sont donc pas différents par l’espèce. La conclusion est ainsi la même que précédemment.

 [8643] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, magis et minus non diversificant speciem. Ergo quamvis sit Deus magis honorandus quam proximus, non propter hoc sunt diversae species.

4. Le plus et le moins ne différencient pas l’espèce. Donc, même si Dieu doit être davantage honoré que le prochain, il ne s’agit pas là d’espèces [d’honneur] différentes.

 [8644] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 1 s. c. 1 Sed contra, sapientia et scientia sunt diversa dona: quia unum est de aeternis, alterum de temporalibus. Ergo simili ratione latria et dulia sunt diversae virtutes.

Cependant, [1] la science et la sagesse sont des dons différents, car l’un porte sur les réalités éternelles, l’autre sur les réalités temporelles. Pour une raison semblable, le culte de latrie et le culte de dulie sont donc des vertus différentes.

 [8645] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, habitus distinguuntur per actus, et actus per objecta. Sed dulia et latria habent diversa objecta. Ergo sunt diversae virtutes.

 [2] Les habitus se distinguent par leurs actes, et les actes par leurs objets. Or, le culte de dulie et le culte de latrie ont des objets différents. Ce sont donc des vertus différentes.

 [8646] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod honor debetur alicui ratione excellentiae quae in ipso est. Non est autem unius rationis excellentia divina et humana, et ideo non est honor unius rationis. Unde oportet quod latria et dulia differant speciem.

Réponse. L’honneur est dû à quelqu’un en raison de l’excellence qui se trouve en lui. Or, l’excellence divine et l’excellence humaine n’ont pas la même raison ; c’est pourquoi l’honneur n’a pas la même raison. Il est donc nécessaire que le culte de latrie et le culte de dulie diffèrent par l’espèce.

 [8647] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod dulia, quantum ad proprietatem vocabuli, dicit servitutem communiter, cuicumque debeatur: et quia Deo debetur honor vel servitus secundum modum perfectiorem; ideo nomen duliae commune contrahitur et quodammodo appropriatur ad honorem creaturae, quia non addit aliquam differentiam ad dignitatem pertinentem supra commune; sicut nomen proprium trahitur ad conversum accidentale; conversum autem essentiale proprio nomine dicitur definitio. Et quia in Deo est omnis ratio honoris qui invenitur in creatura, sed non convertitur; ideo latria debetur sibi secundum id quod est sibi proprium; dulia autem secundum id quod est commune sibi et creaturae per analogiam.

1. Au sens propre du terme, le culte de dulie exprime d’une manière générale un service, à qui qu’il soit rendu. Et parce qu’un honneur ou un service est dû à Dieu selon un mode plus parfait, le terme commun de « dulie » est réduit et est d’une certaine manière approprié à l’honneur [dû à] la créature, car il n’ajoute pas de différence à la dignité qui s’y rapporte au-delà de ce qui est commun, comme le nom propre est tiré en direction de ce qui est convertible avec lui de manière accidentelle, alors que ce qui est convertible de manière essentielle selon le nom propreest appelé la définition. Et parce qu’existe en Dieu toute la raison de l’honneur qui se trouve dans la créature, mais non l’inverse, [le culte] de latrie lui est donc dû selon ce qui lui est propre, mais [le culte] de dulie, selon ce qui est commun à lui et à la créature par analogie.

 [8648] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod objectum caritatis, cum sit virtus theologica, est bonitas divina, quae eadem est, sive in se, sive in altero consideretur; et ideo dilectio Dei et proximi ad unam virtutem pertinent. Sed honor exhibetur excellentiae absolutae, quae non est unius rationis in Deo et creaturis, sed variatur.

2. Parce qu’elle est une vertu théologale, l’objet de la charité est la bonté divine, qui est la même, qu’elle soit envisagée en elle-même ou dans un autre. C’est pourquoi l’amour de Dieu et celui du prochain relèvent d’une seule vertu. Mais l’honneur est manifesté à l’excellence absolue, qui n’a pas la même raison en Dieu et dans les créatures, mais qui est différent.

 [8649] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod haec non est tantum materialis differentia, sed formalis: quia alia ratio reverentiae et honoris invenitur in Deo et in homine, et ideo causatur diversitas secundum speciem.

3. Ce n’est pas là seulement une différence matérielle, mais [une différence] formelle, car on trouve une raison différente de révérence et d’honneur pour Dieu et pour l’homme. Une différence selon l’espèce est donc causée.

 [8650] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod magis et minus non causant diversitatem secundum speciem, sed aliquando consequuntur eam, quando scilicet magis et minus causantur ex diversitate eorum quae speciem diversificant.

4. Le plus et le moins ne causent pas de différence selon l’espèce, mais parfois en découlent, lorsque le plus et le moins sont causés par la différence de ce qui différencie l’espèce.

 

 

Articulus 2 [8651] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 2 tit. Utrum dulia habeat diversas species

Article 2 – Le culte de dulie comporte-t-il diverses espèces ?

 [8652] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur, quod dulia non habeat diversas species. Dulia enim dividitur contra latriam. Sed latria non dividitur per species. Ergo nec dulia.

1. Il semble que le culte de dulie ne comporte pas diverses espèces. En effet, le culte de dulie s’oppose au culte de latrie. Or, le culte de latrie ne se divise pas selon des espèces. Donc, ni le culte de dulie.

 [8653] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, dulia attendit bonitatem vel excellentiam creatam. Sed hoc invenitur in omnibus communiter quibus debetur dulia. Ergo non habet diversas species.

2. Le culte de dulie porte sur la bonté ou l’excellence créée. Or, cela se trouve pas d’une manière générale en tout ce à quoi un culte de dulie est dû. Il ne comporte donc pas des espèces différentes.

 [8654] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, sicut dulia respicit debitum honoris; ita obedientia debitum praecepti. Sed obedientia non differt specie secundum diversos quibus debetur. Ergo nec dulia.

3. De même que le culte de dulie porte sur une dette d’honneur, de même l’obéissance sur ce qui est dû en vertu d’un commandement. Or, l’obéissance ne diffère pas par l’espèce selon les différentes choses auxquelles elle est due. Donc, ni le culte de dulie.

 [8655] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, cum dulia debeatur diversis secundum infinitos gradus excellentiae, si secundum diversos quibus debetur, species diversas haberet, essent infinitae species duliae. Sed hoc est impossibile. Ergo dulia non habet plures species.

4. Si le culte de dulie comportait des espèces différentes selon les différentes choses auxquelles il est dû, puisque celles-ci comportent une infinité de degrés d’excellence, il y aurait une infinité d’espèces de culte de dulie. Or, cela est impossible. Le culte de dulie ne comporte donc pas plusieurs espèces.

 [8656] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 2 s. c. 1 Sed contra, dulia debetur Deo et creaturae, ut ex dictis, art. 1, patet. Sed non est eadem ratio honoris in utroque. Ergo est ibi diversa species duliae.

Cependant, [1] le culte de dulie est dû à Dieu et à la créature, comme cela ressort de ce qui a été dit, a. 1. Or, la raison de l’honneur n’est pas la même chez les deux. Il y a donc là une espèce différente de dulie.

 [8657] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 2 s. c. 2 Praeterea, dulia exhibetur rebus inanimatis, sicut cruci, et reliquiis, et etiam hominibus. Sed in his non potest esse una ratio honoris. Ergo dulia habet diversas species.

 [2] Le culte de dulie est manifesté à des choses inanimées, comme la croix, les reliques et même des hommes. Or, il y ne peut y avoir pour ceux-ci la même raison d’honneur. Le culte de dulie comporte donc des espèces différentes.

 [8658] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod habitus diversificantur per actus, et actus per objecta; unde ubi invenitur diversa ratio objecti, oportet quod sint actus et habitus specie differentes. Cum ergo honor debeatur alicui ratione excellentiae quam habet, et non sit ejusdem rationis excellentia in diversis; ideo oportet quod sit alia ratio honoris, et alia virtus secundum speciem, quae diversos honores exhibet: non enim idem honor debetur patri, regi et magistro, et sic de aliis, ut dicit philosophus in 9 Ethic. Inter omnes autem alias rationes excellentiae illa est praecipua qua creatura honoratur ratione unionis ad creatorem, sicut humanitas Christi, et quae ad ipsam pertinent; et ideo speciali nomine hyperdulia nominatur, quasi superdulia ad latriam accedens.

Réponse. Les habitus se différencient par leurs actes, et les actes par leurs objets. Là où on trouve une raison différente pour l’objet, il faut donc qu’il y ait des actes et des habitus différents par l’espèce. Puisque l’honneur est dû à quelqu’un en raison de l’excellence qu’il possède, et que l’excellence n’a pas la même raison dans les différentes choses, il faut donc qu’il y ait une autre raison d’honneur et une vertu selon l’espèce, qui rendent des honneurs différents. En effet, le même honneur n’est pas dû au père, au roi et au maître, et ainsi de suite pour les autres choses, comme le dit le Philosophe, dans Éthique, IX. Parmi toutes les raisons d’excellence, la principale est celle par laquelle une créature est honorée en raison de l’union au Créateur, comme l’humanité du Christ et ce qui s’y rapporte. Aussi est-elle désignée par le mot particulier d’« hyperdulie », ou « superdulie », qui s’approche du culte de latrie.

 [8659] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod excellentia creatoris est unius rationis; et ideo latria, quae hoc attendit, est una tantum. Nec est simile de dulia, cum in creaturis sint diversae rationes excellentiae.

1. L’excellence du Créateur a une raison unique. C’est pourquoi il n’existe qu’un seul culte de latrie, qui porte sur cela. Mais ce n’est pas la même chose pour le culte de dulie, puisqu’il existe diverses raisons d’excellence parmi les créatures.

 [8660] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod excellentia creata non est unius rationis in specie, licet sit una secundum genus; et ideo etiam dulia per species dividitur.

2. L’excellence créée ne comporte pas une raison unique par l’espèce, bien qu’elle soit unique par le genre. Aussi même le culte de dulie se divise par espèces.

 [8661] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod obedientia respicit dominum, secundum hoc quod servus est quasi instrumentum domini, et movetur ad imperium ejus. Sed dulia non considerat rationem unam excellentiae tantum, sed omnes.

3. L’obéissance a rapport au seigneur, selon que le serviteur est pour ainsi dire un instrument du seigneur et est mû sur son ordre. Or, le culte de dulie ne porte pas sur une seule raison d’excellence, mais sur toutes.

 [8662] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod gradus excellentiae possunt accipi dupliciter: vel secundum quantitatem tantum; et sic sunt infiniti, et non diversificant speciem duliae; vel secundum rationem, et sic diversificant, et non sunt infiniti.

4. Les degrés d’excellence peuvent être envisagés de deux manières : selon la quantité seulement, et ainsi ils sont infinis et ne différencient pas l’espèce de dulie ; selon leur raison, et ainsi ils les différencient et ne sont pas infinis.

 

 

Articulus 3 [8663] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 3 tit. Utrum peccatores debeant honorari dulia

Article 3 – Les pécheurs doivent-ils être honorés par un culte de dulie ?

 [8664] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur, quod peccatores non debeant honorari dulia. Honor enim duliae, ut dicit philosophus, est reverentia exhibita alicui in testimonium virtutis. Sed peccatores, etiam praelati, non habent virtutem. Ergo qui eos honorant, falsum testimonium perhibent, quod est peccatum.

1. Il semble que les pécheurs ne doivent pas être honorés par un culte de dulie. En effet, « l’honneur de dulie, comme le dit le Philosophe, est une révérence manifestée à quelqu’un en témoignage rendu à sa vertu ». Or, les pécheurs, même les prélats, n’ont pas de vertu. Ceux qui les honorent rendent donc un faux témoignage, ce qui est un péché.

 [8665] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 3 arg. 2 Praeterea, Gregorius in Pastor. dicit, quod in exemplum culpae vehementer extenditur, quando pro reverentia ordinis peccator honoratur. Hoc autem fieri non debet ut in exemplum culpa trahatur. Ergo neque praelatus peccator debet honorari.

2. Dans le Pastoral, Grégoire dit : « On répand fortement l’exemple de la faute lorsqu’un pécheur est honoré par révérence pour son ordre. » Or, cela ne doit pas être fait, de crainte que la faute devienne un exemple. Un prélat pécheur ne doit donc pas être honoré.

 [8666] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 3 arg. 3 Praeterea, subditus bonus magis est Deo similis quam praelatus malus. Sed honor non exhibetur homini, nisi inquantum habet Dei similitudinem: quia rebus divinis tantum debetur honor, ut dicit philosophus. Ergo minus honorandus est praelatus malus quam subditus bonus.

3. Un bon sujet ressemble plus à Dieu qu’un mauvais prélat. Or, un honneur n’est dû à un homme que pour autant qu’il ressemble à Dieu, car « l’honneur n’est dû qu’aux réalités divines », comme le dit le Philosophe. Un mauvais prélat doit donc être moins honoré qu’un bon sujet.

 [8667] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 3 arg. 4 Sed contra est quod Abraham honoravit peccatores habitantes in Sichem, quando voluit emere speluncam duplicem.

4. Cependant, Abraham a honoré des pécheurs qui habitaient Sichem lorsqu’il voulut acheter une double caverne.

 [8668] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 3 arg. 5 Item, videtur quod Daemonibus dulia debeat exhiberi. Quia in eis manet divina imago: quia bona naturalia eis data manent lucidissima, ut dicit Dionysius. Sed ratione imaginis, homini dulia exhibetur. Ergo et Daemoni est exhibenda.

5. Il semble qu’un culte de dulie doive être rendu aux démons, car « l’image de Dieu demeure en eux, puisque les biens naturels demeurent de la manière la plus manifeste », comme dit Denys. Or, un culte de dulie est rendu à un homme en raison de l’image [de Dieu]. Il doit donc aussi être rendu au Démon.

 [8669] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 3 arg. 6 Item, videtur quod irrationabilibus. Quia in eis est vestigium, quod est similitudo Dei, sicut imago, etsi non adeo expressa. Magis autem et minus non diversificant speciem. Ergo debetur eis dulia.

6. Il semble qu’ [un culte de dulie doive être rendu] aux êtres non raisonnables, car il y a en eux un vestige, qui est une ressemblance de Dieu, comme l’image, bien qu’elle ne soit pas aussi expresse. Or, le plus et le moins ne différencient pas l’espèce. Un culte de dulie leur est donc dû.

 [8670] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 3 arg. 7 Sed contra, videtur quod nec etiam hominibus bonis; quia dulia servitus est. Sed non hominibus servitutem debemus. Ergo nec duliam.

7. Il semble qu’ [un culte de dulie ne doive pas non plus être rendu] aux hommes bons, car le culte de dulie est un service. Or, nous ne sommes pas dans un état de servitude par rapport aux hommes. Donc, [à eux non plus n’est pas dû] un culte de dulie.

 [8671] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod dulia reverentiam et honorem importat quae creaturae exhiberi potest. Cum autem honor ut dicit philosophus, non debeatur nisi rebus divinis, non debetur proprie et directe nisi habenti gratiam et virtutem, quae divinos facit. Sed habet aliquis virtutem multipliciter: vel sicut actu virtuosus; et huic directe debetur et proprie et secundum se honor: vel sicut habens aptitudinem naturalem ad virtutem; et sic cuilibet habenti imaginem est exhibendus honor, nisi sit confirmatus in malo, quia ligatus est in illo ordo ad virtutem: vel sicut ordinatus ad inducendum vel conservandum virtutem; et sic debetur omnibus praelatis, qui ad hoc ordinati sunt ut alios dirigant in virtutem.

Réponse. Le culte de dulie comporte la révérence et l’honneur qui peuvent être manifestés à une créature. Or, comme le dit le Philosophe, puisque « l’honneur n’est dû qu’aux réalités divines », il n’est dû, au sens propre et directement, qu’à celui qui a la grâce et la vertu, qui rendent [les hommes] divins. Or, quelqu’un possède la vertu de deux manières : soit il est vertueux en acte, et l’honneur lui est alors dû directement, au sens propre et en lui-même ; soit il possède une aptitude naturelle à la vertu, et ainsi l’honneur doit être manifesté à quiconque possède l’image, à moins qu’il ne soit confirmé dans le mal, car l’ordre à la vertu a été lié en lui ; soit il est ordonné à acquérir ou à conserver la vertu, et ainsi [l’honneur] est dû à tous les prélats, qui ont été ordonnés à diriger les autres vers la vertu.

 [8672] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod peccatores quamvis non habeant virtutem in actu, tamen habent in habilitate; et praelati habent etiam in hoc quod sunt ordinati ad ipsam causandam, vel conservandam.

1. Les pécheurs, bien qu’ils ne possèdent pas la vertu en acte, y sont cependant habilités ; et les prélats aussi la possèdent du fait qu’ils sont ordonnés à la causer ou à la conserver.

 [8673] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod praelato, dum est in actu peccati, non debet exhiberi dulia, quia apparet in eo aliquid honori contrarium: sed ante vel post sibi dulia debet exhiberi, quia nescitur in quo statu sit.

2. Le culte de dulie ne doit pas être manifesté à un prélat alors qu’il est en acte de péché, car quelque chose de contraire à l’honneur apparaît en lui ; mais un culte de dulie doit lui être rendu avant ou après, car on ne sait en quel état il est.

 [8674] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod subdito bono debetur secundum se major reverentia; sed ratione praelationis debetur major malo praelato. Et est triplex ratio: primo, quia praelatus gerit vicem Dei, unde Deus in ipso honoratur; secundo, quia ipse est persona publica, et honoratur in ipso bonitas Ecclesiae vel reipublicae, quae est major quam merita unius singularis personae; tertio, quia praelatio se habet ad virtutem sicut causa efficiens in aliis virtutem; et dignius est alterius virtutis causam existere, inquantum hujusmodi, quam virtuosum esse, ut dicit philosophus.

3. Une plus grande révérence est due en soi à un sujet bon, mais, en raison de la fonction de prélat, un plus grand honneur est dû à un mauvais prélat. Il y a à cela trois raisons. Premièrement, parce que le prélat tient la place de Dieu, de sorte que Dieu est honoré en lui. Deuxièmement, parce qu’il est un personnage public et qu’est honorée en lui la bonté de l’Église ou de la chose publique, qui est plus grande que les mérites d’une seule personne particulière. Troisièmement, parce que le rapport de la fonction de prélat à la vertu est celui d’une cause efficiente par rapport aux autres vertus et que, en tant que tel, « il est plus digne d’être cause de la vertu d’un autre que d’être vertueux », comme le dit le Philosophe.

 [8675] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 3 ad 4 Quartum concedimus.

4. Nous concédons le quatrième argument.

 [8676] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in Daemonibus est ligata aptitudo naturalis ad virtutem; et ideo non debet eis dulia exhiberi.

5. Chez les démons, l’aptitude naturelle à la vertu est liée. C’est pourquoi un culte de dulie ne doit pas leur être rendu.

 [8677] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod similitudo vestigii non ponit aptitudinem ad virtutem, sicut similitudo imaginis; et ideo dulia non debetur ei.

6. La ressemblance du vestige ne confère pas d’aptitude à la vertu, comme la ressemblance de l’image. C’est pourquoi un culte de dulie ne doit pas lui être rendu.

 [8678] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod sanctis non servimus quasi obnoxii eis, sed servitute reverentiae; quia sunt nostri ductores vel per doctrinam, vel per administrationem, vel per intercessionem et exemplum: et salvatur in hoc ratio servitutis quantum ad hoc quod est causa alterius agere, sicut finis; non autem sicut moventis per coactionem vel imperium.

7. Nous ne servons pas les saints parce que nous leur sommes soumis, mais selon un service de révérence, car ils nous conduisent soit par l’enseignement, soit par l’administration, soit par l’intercession et l’exemple. La raison de service est en cela sauvegardée du fait qu’il revient à un autre d’agir en tant que fin, mais non à ce qui meut par coercition ou par commandement.

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 9

 [8679] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 3 expos. In dilectione, sacrificii exhibitione, et reverentia. Dilectio refertur ad honorem interiorem Deo exhibitum; sacrificia ad bona exteriora quae in ejus honorem assumuntur; reverentia, secundum quod corpus nostrum ei in obsequium damus, sicut in prostrationibus, et hujusmodi. Una adoratione cum incontaminata carne ejus. Ergo videtur quod filius sit magis adorandus quam pater vel quam ipsemet ante incarnationem. Dicendum, quod humanitas ejus non adoratur latria nisi propter divinitatem: et ideo non facit ipsum magis adorabilem, sed plura in ipso adorari; quia hoc quod additur, ut supra dictum est, non additur ad bonitatem divinam. Nemo carnem ejus manducat, nisi prius adoret. Loquitur de manducatione spirituali, quae sine reverentia esse non potest: non autem de sacramentali, quia potest aliquis irreverenter manducare. Vel dicendum, quod loquitur quantum ad id quod debet fieri secundum institutionem Ecclesiae, quae prius proponit carnem Christi adorandam quam tribuat manducandam; et non secundum quod abusive potest fieri.

 

 

 

Distinctio 10

Distinction 10 – [Ce qui convient à la personne du Christ en raison de sa nature humaine]

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [Le Christ est-il Dieu en tant qu’homme ?]

Prooemium

Prologue

 [8680] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister, quid conveniat vel non conveniat uni naturae ex hoc quod est alteri sociata in persona Christi, hic determinat quid conveniat ipsi personae Christi ratione humanae naturae. Quid enim sibi conveniat ratione divinae naturae, dictum est in 1 Lib. Dividitur autem haec pars in duas: primo quaerit, utrum conveniant Christo ratione humanae naturae ea quae ad dignitatem humanae naturae pertinere videntur; in secunda de illis quaerit quae pertinent ad defectum, dist. 11, ibi: solet etiam quaeri, utrum debeat simpliciter dici atque concedi Christum esse factum, vel creatum, vel creaturam. Prima in duas: primo inquirit de illis quae pertinent ad dignitatem naturalem humanae naturae, sicut est personalitas; secundo de his quae pertinent ad dignitatem gratiae, ibi: si vero quaeritur, an Christus sit adoptivus filius secundum quod homo, an alio modo, respondemus Christum non esse adoptivum filium aliquo modo. Circa primum duo facit: primo movet quaestionem; secundo objicit ad utramque partem, et solvit, ibi: quod enim persona sit, his edisserunt rationibus. Et haec pars dividitur in duas, secundum duas vias in quibus ad propositam quaestionem argumentatur; secunda incipit ibi: sed adhuc aliter nituntur probare, Christum secundum hominem esse personam. Circa primum duo facit: primo ponit objectionem; secundo solvit, ibi: propter haec inconvenientia. Circa primum duo facit: primo objicit ad partem affirmativam; secundo ad partem negativam, ibi: sed contra. Si secundum quod homo, persona est; vel tertia in Trinitate persona, vel alia. Propter haec inconvenientia et alia quidam dicunt, Christum secundum hominem non esse personam. Hic solvit; et circa hoc duo facit: primo respondet ad quaestionem; secundo ad objectum, ibi: illud tamen non sequitur quod in argumento superiori inductum est. Sed adhuc aliter nituntur probare Christum secundum hominem esse personam. Hic ponit aliam objectionem: et primo objicit; secundo solvit, ibi: ad quod dici potest. Si vero quaeritur, an Christus sit adoptivus filius secundum quod homo, an alio modo; respondemus, Christum non esse adoptivum filium aliquo modo. Hic inquirit de illis quae pertinent ad dignitatem gratiae; et primo de filiatione secundum adoptionem; secundo de praedestinatione, ibi: deinde si quaeritur. Circa primum duo facit: primo ostendit quod Christus non sit filius adoptivus; secundo objicit in contrarium, ibi: sed adhuc opponitur. Et circa hoc tria facit: primo ponit objectionem; secundo solvit, ibi: ad hoc dici potest; tertio solutionis confirmationem quantum ad duo: primo quantum ad hoc quod Christus est naturalis filius virginis, ibi: quod vero naturaliter sit hominis filius, Augustinus ostendit; secundo quantum ad hoc quod non sit filius per adoptionem, ibi: quod autem non sit filius adoptivus, et tamen gratia sit filius, ex subditis probatur testimoniis. Hic est triplex quaestio. Prima quid conveniat Christo, secundum quod homo. Secunda de adoptione. Tertia de praedestinatione. Circa primum quaeruntur duo: 1 utrum Christus, secundum quod homo, sit Deus; 2 utrum Christus, secundum quod homo, sit persona.

Après avoir déterminé de ce qui convient ou ne convient pas à une nature du fait qu’elle est associée à l’autre dans la personne du Christ, le Maître détermine ici de ce qui convient à la personne même du Christ en raison de sa nature humaine. En effet, ce qui lui convient en raison de sa nature divine a été dit au livre I. Cette partie se divise en deux : dans la première, il se demande si ce qui semble appartenir à la dignité de la nature humaine convient au Christ ; dans la seconde, il s’interroge sur ce qui relève de sa carence, d. 11, à cet endroit : « On a aussi l’habitude de se demander si l’on doit tout simplement concéder que le Christ a été fait ou créé, ou qu’il est une créature. » La première partie se divise en deux : premièrement, il s’interroge sur ce qui relève de la dignité de la nature humaine, comme la personnalité ; deuxièmement, sur ce qui relève de la dignité de la grâce, à cet endroit : « Si on se demande si le Christ est un fils adoptif selon qu’il est homme ou autrement, nous répondons que le Christ n’est d’aucune manière un fils adoptif. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il soulève la question ; deuxièmement, il présente des objections des deux côtés et les résout, à cet endroit : « Qu’il soit une personne, ils l’ont enseigné par ces raisons. » Et cette partie se divise en deux, selon les deux façons d’argumenter pour la question proposée ; la seconde commence à cet endroit : « Mais ils s’efforcent encore de démontrer que le Christ est une personne en tant qu’il est homme. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il présente une objection ; deuxièmement, il la résout, à cet endroit : « En raison de ces inconvenances… » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il présente une objection à la partie affirmative ; deuxièmement, à la partie négative, à cet endroit : « En sens contraire, s’il est une personne en tant qu’homme, ou la troisième personne de la Trinité ou une autre… » « En raison de ces inconvenances et d’autres, certains disent que le Christ n’est pas une personne en tant qu’homme. » Ici, il résout. À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il répond à la question ; deuxièmement, à l’objection, à cet endroit : « Cependant, ce qui a été invoqué dans le raisonnement antérieur n’est pas concluant. » « Mais il s’efforcent encore de démontrer autrement que le Christ est une personne en tant qu’homme. » Ici, il présente une autre objection. Premièrement, il présente l’objection ; deuxièment, il la résout, à cet endroit : « On peut dire à ce propos… » « Mais si on se demande si le Christ est un fils adoptif en tant qu’il est homme ou autrement, nous répondons que le Christ n’est un fils adoptif d’aucune manière. » Ici, il s’interroge sur ce qui relève de la dignité de la grâce : premièrement, sur la filiation par adoption ; deuxièmement, par prédestination, à cet endroit : « Ensuite, si on se demande… » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il montre que le Christ n’est pas un fils adoptif ; deuxièmement, il présente une objection en sens contraire, à cet endroit : « Mais on objecte encore… » À ce propos, il fait trois choses : premièrement, il présente l’objection ; deuxièmement, il la résout, à cet endroit : « À ce sujet, on peut dire… » ; troisièmement, il présente une confirmation de la solution sous deux aspects : premièrement, à propos du fait que le Christ est le fils naturel de la Vierge, à cet endroit : « Mais qu’il soit un fils d’homme de manière naturelle, Augustin le montre » ; deuxièmement, à propos du fait qu’il n’est pas fils par adoption, à cet endroit : « Mais qu’il ne soit pas un fils adoptif et soit cependant fils par grâce, on le montre par les témoignages qui suivent. » Ici, il y a trois questions : la première, qu’est-ce qui convient au Christ en tant qu’homme ? ; la deuxième, à propos de l’adoption ; la troisième, à propos de la prédestination. À propos du premier point, deux questions sont posées : 1 – Le Christ en tant qu’homme est-il Dieu ? 2 – Le Christ en tant qu’homme est-il une personne ?

Articulus 1 [8681] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1 tit. Utrum Christus secundum quod homo, sit Deus

Article 1 – Le Christ, en tant qu’homme, est-il Dieu ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le Christ, en tant qu’homme, est-il Dieu ?]

 [8682] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Christus, secundum quod homo, sit Deus. Philip. 2, 9: dedit illi nomen quod est super omne nomen. Glossa: inquantum homo, assumpsit nomen Dei non usurpative, sed vere. Sed nomen quod habet vere, vere dicitur de eo. Ergo vere dicitur quod Christus, secundum quod homo, est Deus.

1. Il semble que le Christ, en tant qu’homme, soit Dieu. Ph 2, 9 : Il lui a donné un nom au-dessus de tout nom. Glose : « En tant qu’homme, il a pris le nom de Dieu, non par usurpation, mais en vérité. » Or, il est vraiment désigné par le nom qu’il porte en vérité. On dit donc en vérité que le Christ, en tant qu’homme, est Dieu.

 [8683] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, Christus est Deus per gratiam unionis. Sed gratia unionis non convenit ei nisi secundum quod est homo. Ergo est Deus secundum quod homo.

2. Le Christ est Dieu par la grâce d’union. Or, la grâce d’union ne lui convient que selon qu’il est homme. Il est donc Dieu selon qu’il est homme.

 [8684] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, Christus, secundum quod homo, dimittit peccata, ut patet Matth. 9, 6: ut autem sciatis quia filius hominis habet potestatem in terra dimittendi peccata. Sed hoc est tantum Dei, ut dicitur Isaiae 43, 25: ego sum qui deleo iniquitates tuas propter me. Ergo secundum quod homo, est Deus.

3. Le Christ, selon qu’il est homme, remet les péchés, comme cela ressort de Mt 9, 6 : Afin que vous sachiez que le Fils de l’homme a le pouvoir de remettre les péchés sur terre. Or, cela ne relève que de Dieu, comme il est dit en Is 43, 25 : C’est moi qui détruis tes iniquités à cause de moi. Donc, selon qu’il est homme, il est Dieu.

 [8685] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Christus, secundum quod Deus, fuit ab aeterno. Si igitur secundum quod homo, est Deus; secundum quod homo, fuit ab aeterno: quod falsum est.

Cependant, [1] le Christ, en tant qu’il est Dieu, est éternel. Si donc, selon qu’il est homme, il est Dieu, il a existé depuis l’éternité selon qu’il est homme, ce qui est faux.

 [8686] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, Deus et homo significant naturas disparatas. Sed in talibus non potest unum eorum secundum alterum alicui convenire. Ergo Christus non est Deus secundum quod homo.

 [2] « Dieu » et « homme » signifient des natures différentes. Or, en de telles choses, l’un d’eux ne peut convenir à l’autre au sens de l’autre. Le Christ n’est donc pas Dieu selon qu’il est homme.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Est-il Dieu selon qu’il est cet homme ?]

 [8687] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non sit Deus, secundum quod iste homo. Omne enim quod praedicatur de altero secundum quod aliquid, oportet quod sit definitio, vel pars definitionis, aut per se accidens illius secundum quod praedicatur: sicut cum dicitur: Petrus, secundum quod homo, est animal rationale mortale, vel, secundum quod homo, est risibile. Sed Deus nullo dictorum modorum se habet ad istum hominem. Ergo haec est falsa: Christus, secundum quod iste homo, est Deus.

1. Il semble qu’il ne soit pas Dieu selon qu’il est cet homme. En effet, tout ce qui est prédiqué d’un autre selon qu’il est quelque chose doit en être la définition ou une partie de la définition, ou en être un accident par soi selon qu’il est prédiqué, comme lorsqu’on dit : « Pierre, selon qu’il est un homme, est un animal raisonnable mortel » ou « selon qu’il est un homme, il est [un animal] risible ». Or, Dieu n’a aucun rapport de ce genre avec cet homme. Cette proposition est donc fausse : « Le Christ, selon qu’il est cet homme, est Dieu. »

 [8688] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, Christus, secundum quod Deus, caret matre. Si ergo Christus, secundum quod iste homo, est Deus; secundum quod iste homo, caret matre: quod falsum est.

2. Le Christ, selon qu’il est Dieu, n’a pas de mère. Si donc le Christ, selon qu’il est cet homme, est Dieu, selon qu’il est cet homme, il n’a pas de mère, ce qui est faux.

 [8689] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, remoto eo secundum quod aliquid alicui convenit, ulterius non convenit ei. Sed remoto a Christo quod sit hic homo, adhuc convenit sibi esse Deum: quia ab aeterno fuit Deus: non autem ab aeterno fuit hic homo. Ergo Christus, secundum quod hic homo, non est Deus.

3. En écartant ce selon quoi une chose convient à une autre, elle ne lui convient plus. Or, en écartant du Christ qu’il soit cet homme, il lui convient encore d’être Dieu, car il est Dieu depuis l’éternité, mais il n’a pas été cet homme depuis l’éternité. Le Christ, selon qu’il est homme, n’est donc pas Dieu.

 [8690] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, sicut supra, dist. 7, qu. 1, art. 1, dictum est, ista propositio: iste homo est Deus, non est praedicatio accidentalis, sed essentialis. Sed praedicatum essentiale potest praedicari de subjecto quocumque cum reduplicatione, sicut Socrates in quantum est homo, est animal: quia animal per se de homine praedicatur. Ergo haec est vera: Christus, secundum quod est hic homo, est Deus.

Cependant, [1] comme on l’a dit à la d. 7, q. 1, a. 1, cette proposition : « Cet homme est Dieu » n’est pas une prédication accidentelle, mais essentielle. Or, un prédicat essentiel peut être prédiqué de n’importe quel sujet avec une explicitation, comme : « Socrate, en tant qu’il est homme, est un animal », parce que « animal » est prédiqué de l’homme par soi. Cette proposition est donc vraie : « Le Christ, selon qu’il est cet homme, est donc Dieu. »

 [8691] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, hic homo demonstrat suppositum aeternum. Sed haec est vera: Christus, secundum quod est suppositum aeternum, est Deus. Ergo et haec est vera: Christus secundum quod hic homo, est Deus.

 [2] Cet homme indique un suppôt éternel. Or, cette proposition est vraie : « Le Christ, selon qu’il est un suppôt éternel, est Dieu. » Donc, cette proposition est vraie : « Le Christ, selon qu’il est cet homme, est Dieu. »

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Le Christ est-il prédestiné en tant qu’homme ?]

 [8692] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod Christus non sit praedestinatus secundum quod homo. Quod enim convenit Petro secundum quod homo, oportet quod cuilibet homini conveniat. Sed esse praedestinatum non convenit cuilibet homini. Ergo nec convenit Christo secundum quod homo.

1. Il semble que le Christ ne soit pas prédestiné en tant qu’homme. En effet, ce qui convient à Pierre en tant qu’homme doit convenir à n’importe quel homme. Or, être prédestiné ne convient pas à n’importe quel homme. Cela ne convient donc pas non plus au Christ en tant qu’homme.

 [8693] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, effectus praedestinationis conformiter respondet praedestinationi: alias esset praedestinatio falsa. Sed cum Christus sit praedestinatus esse filius Dei, effectus hujus praedestinationis est esse filius Dei. Si ergo Christus, secundum quod homo, non est filius Dei, nec secundum quod homo, est praedestinatus.

2. L’effet de la prédestination correspond exactement à la prédestination, autrement la prédestination serait fausse. Or, puisque le Christ a été prédestiné à être le Fils de Dieu, l’effet de cette prédestination est qu’il est le Fils de Dieu. Si donc le Christ, selon qu’il est homme, n’est pas le Fils de Dieu, il n’est donc pas non plus prédestiné selon qu’il est homme.

 [8694] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, Christus est praedestinatus, ut dicit apostolus Rom. 1. Sed non secundum quod Deus, ut patet ex dictis in 7 dist. Ergo secundum quod homo.

Cependant, le Christ est prédestiné, comme le dit l’Apôtre en Rm 1. Or, ce n’est pas en tant qu’il est Dieu, comme cela ressort de ce qui a été dit à la d. 7. C’est donc en tant qu’il est homme.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [8695] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum, quod id quod in aliqua propositione reduplicatur cum hoc quod dico, secundum quod, est illud per quod praedicatum convenit subjecto; unde oportet quod aliquo modo sit idem cum subjecto, et aliquo modo idem cum praedicato; sicut medius terminus in syllogismo affirmativo ad praedicatum quidem habet comparationem sicut ad id quod per se consequitur ipsum (nihil enim convenit alicui secundum quod est animal, nisi illud animali per se conveniat secundum quemcumque modum dicendi per se); ad subjectum autem comparatur sicut ad id quod aliquo modo includitur in subjecto. Includitur autem in subjecto ipsa substantia subjecti, et antecedentia, sicut causae, et consequentia, sicut accidentia. Substantia autem subjecti est et ipsum subjectum et natura ejus. Et ratione omnium istorum potest aliquid attribui Christo, et cuilibet homini. Si enim aliquid attribuitur homini ratione principiorum praecedentium; sic dicimus quantum ad causam materialem, quod homo, secundum quod est compositum ex contrariis, est corruptibilis; quantum ad causam formalem dicimus, quod homo, secundum quod habet animam rationalem, est ad imaginem Dei; quantum vero ad causam efficientem dicimus quod Petrus, secundum quod natus de tali patre, est heres ejus. Quantum autem ad causam finalem dicimus, quod homo, secundum quod est ad beatitudinem ordinatus, oportet quod sit immortalis quantum ad animam. Si autem attribuatur alicui homini aliquid ratione accidentium, sic dicimus, quod homo, secundum quod est coloratus, est visibilis; si autem attribuatur sibi aliquid ratione suppositi, sic dicimus, quod Socrates, secundum quod Socrates, est individuum: si autem ratione naturae, sic dicimus, quod homo, secundum quod homo, est animal. Secundum hoc ergo dicendum ad primam quaestionem, quod cum dicitur: Christus, secundum quod homo, est Deus, ly homo potest replicari ratione naturae; et sic est falsa, quia naturae humanae non per se convenit, inquantum talis natura, ut divinae uniatur: si autem replicatur ratione suppositi (cum suppositum humanae naturae in Christo sit suppositum aeternum, cui per se convenit esse Deum), erit vera. Quia tamen hoc nomen homo non importat aliquod suppositum determinatum humanae naturae, nisi per demonstrationem adjunctam, et solum cuidam determinato supposito humanae naturae convenit per se esse Deum; ideo nisi aliquid aliud addatur, vel intelligatur, simpliciter non est concedendum, quod Christus, secundum quod homo, est Deus.

Ce qui est explicité dans une proposition par rapport à ce que je dis est d’après cela ce par quoi le prédicat convient au sujet ; il faut donc que, d’une certaine manière, ce soit la même chose que le sujet et, d’une certaine manière la même chose que le prédicat, comme le moyen terme, dans un syllogisme affirmatif se compare à ce qui en découle par soi (en effet, rien ne convient à quelqu’un selon qu’il est animal que ce qui convient par soi à l’animal selon n’importe quelle manière de parler par soi) ; mais [le moyen terme] se compare au sujet comme ce qui est inclus d’une certaine manière dans le sujet. Or, sont inclus dans le sujet la substance même du sujet, ses antécédents, en tant que causes, et ses conséquents, en tant qu’accidents. Or, la substance du sujet est le sujet lui-même et sa nature. Et en raison de tout cela, une chose peut être attribuée au Christ et à n’importe quel homme. En effet, si une chose est attribuée à l’homme en raison des principes précédents, nous disons ainsi, du point de vue de la cause matérielle, que l’homme, en tant qu’il est composé de contraire, est corruptible ; du point de vue de la cause formelle, nous disons que l’homme, en tant qu’il a une âme rasonnable, est à l’image de Dieu ; du point de vue de la cause efficiente, nous disons que Pierre, selon qu’il est né de tel père, est son héritier. Du point de vue de la cause finale, nous disons que l’homme, selon qu’il est ordonné à la béatitude, doit être immortel quant à son âme. Mais si une chose est attribuée à un homme en raison des accidents, nous disons que l’homme, selon qu’il est coloré, est visible ; mais si une chose lui est attribuée en raison du suppôt, nous disons alors que Socrate, en tant que Socrate, est un individu ; mais si c’est en raison de sa nature, nous disons alors que l’homme, selon qu’il est homme, est un animal. Compte tenu de cela, il faut répondre à la première question que, lorsqu’on dit que le Christ, selon qu’il est homme, est Dieu, « homme » peut être explicité en raison de la nature. La proposition est ainsi fausse, car il ne convient pas par soi à la nature humaine, en tant qu’elle est telle nature, d’être unie à Dieu ; mais si elle est explicitée en raison du suppôt (puisque le suppôt de la nature humaine chez le Christ est un suppôt éternel, à qui il convient d’être par soi Dieu), elle sera vraie. Cependant, parce que ce nom « homme » ne comporte pas de suppôt déterminé de la nature humaine, sauf par une indication ajoutée, et qu’il ne convient qu’à un suppôt déterminé de la nature humaine d’être par soi Dieu, si rien d’autre n’est ajouté ou entendu, il ne faut pas concéder tout simplement que le Christ, selon qu’il est homme, est Dieu.

 [8696] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod assumptio, ut supra, dist. 5, dictum est, significatur per modum motus. Cui autem convenit per se moveri ad aliquid, non convenit esse illud; sicut nigro convenit per se moveri ad albedinem, non tamen convenit ei per se esse album. Similiter assumere nomen Dei, potest convenire Christo secundum quod homo; et tamen esse Deum non convenit ei secundum quod homo.

1. Comme on l’a dit plus haut, d. 5, l’assomption est signifiée par mode de mouvement. Or, s’il ne convient pas à une chose d’être mue vers quelque chose, il ne lui convient pas d’être cette chose ; ainsi, il convient à ce qui est noir d’être mû vers la blancheur, mais il ne lui convient cependant pas d’être blanc par soi. De même, prendre le nom de Dieu peut convenir au Christ selon qu’il est homme ; cependant, être Dieu ne lui convient pas selon qu’il est homme.

 [8697] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod hoc nomen Christus significat personam in duabus naturis; unde non convenit ei per gratiam quod sit Deus, sed ab aeterno; sed quod sit simul Deus et homo, hoc est per gratiam unionis. Vel dicendum, quod quamvis gratia unionis faciat hominem Deum, non tamen ad idem refertur gratia unionis et esse Deum: quia esse Deum convenit huic homini ratione personae, gratia autem fit ei ratione naturae; unde secundum quod homo, habet gratiam unionis, si fiat reduplicatio ratione humanae naturae; non autem secundum quod homo, est Deus, sed secundum quod talis persona.

2. Le nom de « Christ » signifie la personne en deux natures. Aussi ne lui convient-il pas d’être Dieu par grâce, mais depuis l’éternité. Mais qu’il soit en même temps Dieu et homme, cela résulte de la grâce d’union. Ou bien il faut dire que bien que la grâce d’union rende un homme Dieu, la grâce d’union et le fait d’être Dieu ne se rapportent pas à la même chose, car être Dieu convient à cet homme en raison de sa personne, mais la grâce lui est donnée en raison de sa nature. Aussi, selon qu’il est homme, possède-t-il la grâce d’union, s’il est explicité que c’est en raison de la nature humaine ; mais il n’est pas Dieu selon qu’il est homme, mais selon qu’il est telle personne.

 [8698] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod dimittere peccata est dupliciter: vel per auctoritatem; et sic, cum sit solius Dei, non est Christi inquantum est homo, si fiat reduplicatio ratione naturae: vel per ministerium; et sic convenit Christo etiam ratione humanae naturae.

3. Remettre les péchés se réalise de deux manières : par autorité, et ainsi, comme cela relève seulement de Dieu, cela ne relève pas du Christ en tant qu’il est homme, si l’on explicite que c’est en raison de la nature ; soit par ministère, et ainsi cela convient aussi au Christ en raison de sa nature humaine.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [8699] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod ad hoc quod aliqua praedicatio sit per se, non oportet quod praedicatum per se conveniat subjecto secundum omne quod in nomine subjecti implicatur; sed sufficit si secundum aliquid eorum per se sibi conveniat; sicut ratiocinari per se convenit homini, non inquantum habet corpus, sed inquantum animam habet; unde haec est per se: homo ratiocinatur. Cum autem dicitur: iste homo, demonstrato Christo, includitur ex vi demonstrationis suppositum determinatum humanae naturae, quod est suppositum aeternum, secundum secundam opinionem; cui supposito per se convenit esse Deum; unde haec est per se secundum secundam opinionem: iste homo est Deus. Et quia ad veritatem hujusmodi locutionum non exigitur nisi quod praedicatum per se conveniat ei quod replicatur; ideo haec est vera: Christus secundum quod iste homo, est Deus.

Pour qu’une prédication soit faite par soi, il n’est pas nécessaire que le prédicat convienne par soi au sujet selon tout ce que comporte le nom du sujet, mais il suffit qu’une de ces choses lui convienne par soi. Ainsi, raisonner convient par soi à l’homme, non pas en tant qu’il a un corps, mais en tant qu’il a une âme. Aussi cette [proposition] est-elle par soi : « L’homme raisonne. » Mais lorsqu’on dit : « Cet homme », en montrant le Christ, le suppôt déterminé de la nature humaine est inclus en vertu de l’indication ; selon la deuxième opinion, il s’agit d’un suppôt éternel, à qui il convient par soi d’être Dieu. Aussi la proposition suivante est-elle par soi : « Cet homme est Dieu. » Et parce qu’il est seulement requis pour la vérité de ces formulations que le prédicat convienne par soi à ce qui est explicité, la proposition suivante est donc vraie : « Le Christ, selon qu’il est cet homme, est Dieu. »

 [8700] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut aliquid est de definitione speciei quod non est de definitione generis; ita aliquid esset de definitione individui, si definiretur, quod non est de definitione speciei, sicut pars materiae, ut dicit philosophus. Unde licet Deus non sit pars definitionis hominis, esset tamen pars definitionis hujus hominis Christi, si definiri posset ratione personae verbi. Unde patet quod est per se.

1. De même qu’une chose fait partie de la définition de l’espèce sans faire partie de la définition du genre, de même une chose ferait partie de la définition de l’individu, s’il était défini, sans faire partie de la définition de l’espèce, comme une partie de la matière, ainsi que le dit le Philosophe. Bien que Dieu ne fasse pas partie de la définition de l’homme, il ferait cependant partie de la définition de ce nom « Christ », s’il pouvait être défini, en raison de la personne du Verbe. Il est donc clair qu’il s’agit [d’une prédication] par soi.

 [8701] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod cum dicitur, iste homo, demonstratur suppositum duarum naturarum; quarum utraque caderet in definitione ejus, si definiri posset; et ideo ea quae sunt utriusque naturae, per se ei conveniunt; et ideo Christus, secundum quod iste homo, est Deus; et secundum quod iste homo, est homo: et similis ratio est de illis quae consequuntur ad alteram naturam; unde secundum quod iste homo, est habens matrem, et carens matre: nec unum excludit aliud, cum non sint opposita, quia non conveniunt secundum idem.

2. Lorsqu’on dit : « Cet homme », on montre le suppôt des deux natures, dont les deux ferait partie de sa définition, s’il pouvait être défini. C’est pourquoi ce qui relève des deux natures lui convient par soi. Ainsi, le Christ, selon qu’il est cet homme, est Dieu, et selon qu’il est cet homme, il est homme. Le raisonnement est le même pour ce qui découle des deux natures. Ainsi, selon qu’il est cet homme, il a une mère et une mère lui fait défaut, et une chose n’exclut pas l’autre, puisqu’elles ne sont pas opposées, n’ayant en commun rien de semblable.

 [8702] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod remoto a Christo toto hoc quod importatur cum dicitur, iste homo, non conveniet ei esse Deum: quia includitur ibi natura divina et humana, ut dictum est. Sed remota altera, scilicet humana natura, sequitur quod filius Dei non possit dici iste homo. Ratione tamen illius, scilicet humanae naturae, non verificatur praedicta locutio; et est simile sicut si dicatur: Petrus, inquantum homo, sentit: quia remoto rationali per intellectum, non erit homo, et remanebit sentiens, ut dicitur in libro de causis.

3. Si on enlève du Christ tout ce qui est compris lorsqu’on dit : « Cet homme », il ne lui conviendrait pas d’être Dieu, car la nature divine et la nature humaine y sont incluses, comme on l’a dit. Mais si on enlève une des deux, la nature humaine, il en découle qu’on ne peut pas parler de « cet homme » pour le Fils de Dieu. Cependant, en raison de celle-ci, la nature humaine, la formulation mentionnée n’est pas vraie. Et c’est la même chose si l’on dit : « Pierre, en tant qu’homme, sent », car, si on enlève le caractère raisonnable dû à l’intellect, il ne sera pas un homme et continuera de sentir, comme on le dit dans le Sur les causes.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [8703] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod quia praedestinatio importat antecessionem, ideo per consequens includit factionem: quia omne quod est, postquam non fuit, dicitur factum: unde dicitur aliquis praedestinatus, inquantum praevisus est fieri beatus. Omnia autem quae actionem important et motum, conveniunt per se ei quod accedit ad terminum; cui tamen per se non convenit esse in termino; sicut moveri ad albedinem, per se convenit non albo, cui non convenit esse album. Praedestinatio autem quae de Christo dicitur, est respectu gratiae unionis, secundum quam factum est ut homo esset Deus; cujus factionis terminus est esse Deum. Accedens autem ad terminum est quod assumitur ad unionem, scilicet humana natura; et ideo ratione humanae naturae convenit Christo esse praedestinatum, non autem esse Deum; unde haec est vera: Christus secundum quod homo, est praedestinatus, haec autem est falsa: Christus secundum quod homo, est Deus.

Parce que la prédestination comporte une anticipation, elle comporte par conséquent un accomplissement, car on dit de tout ce qui est, après n’avoir pas été, que cela est arrivé. Ainsi dit-on de quelqu’un qu’il est prédestiné pour autant qu’il a été prévu à son sujet qu’il deviendrait bienheureux. Or, tout ce qui comporte une action et un mouvement convient par soi à ce qui atteint le terme ; cependant, il ne lui convient pas par soi de se trouver dans le terme, comme être mû vers la blancheur convient par soi à ce qui n’est pas blanc, alors qu’il ne lui convient pas d’être blanc. Or, la prédestination attribuée au Christ se réalise pour ce qui est de la grâce d’union, du fait qu’il est arrivé qu’un homme soit Dieu, le terme de cette action consistant à être Dieu. Or, ce qui atteint le terme est ce qui est assumé en vue de l’union, la nature humaine. Aussi, en raison de la nature humaine, convient-il au Christ d’avoir été prédestiné, mais non d’être Dieu. Ainsi, cette proposition est-elle vraie : « Le Christ, selon qu’il est homme, est prédestiné », mais celle-ci est-elle fausse : « Le Christ, selon qu’il est homme, est Dieu. »

 [8704] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ratio illa procedit de illis quae conveniunt alicui ratione humanae naturae secundum rationem speciei. Sed praedestinari convenit Christo ratione humanae naturae particulatae in ipso. Unde objectio non est ad propositum.

1. Ce raisonnement découle de ce qui convient à quelqu’un en raison de la nature humaine selon la raison de l’espèce. Or, être prédestiné convient au Christ en raison de la nature humaine individualisée en lui. L’objection ne porte donc pas sur ce qui est en cause.

 [8705] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod effectus praedestinationis respondet praedestinationi conformiter quantum ad id de quo est praedestinatio, non autem quantum ad conditiones praedestinationis: quia praedestinatio est aeterna, effectus autem est temporalis; et sic est in proposito: quia Christus non est praedestinatus ut sit, secundum quod homo, filius Dei; sed ipsa praedestinatio convenit ei secundum quod homo. Unde patet quod hujusmodi locutiones sunt duplices, ex hoc quod implicatio potest ferri ad hoc quod est praedestinatum, vel ad hoc quod est esse filium Dei, de quo est praedestinatio.

2. L’effet de la prédestination correspond exactement à la prédestination pour ce qui est l’objet de la prédestination, mais non pour ce qui est des conditions de la prédestination, car la prédestination est éternelle, mais son effet est temporel. C’est cela qui est en cause, car le Christ n’a pas été prédestiné pour être Fils de Dieu selon qu’il est homme, mais la prédestination elle-même lui convient selon qu’il est homme. Il est donc clair que les formules de ce genre sont doubles du fait que leur contenu peut porter sur le fait qu’il est prédestiné ou sur le fait qu’il est le Fils de Dieu, dont il y a prédestination.

 

 

Articulus 2 [8706] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 tit. Utrum Christus, secundum quod homo, sit persona

Article 2 – Le Christ, selon qu’il est homme, est-il une personne ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le Christ, selon qu’il est homme, est-il une personne ?]

 [8707] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur, quod Christus, secundum quod homo, sit persona. Persona enim, ut dicit Boetius est rationalis naturae individua substantia. Sed Christus, secundum quod homo, est hujusmodi. Ergo secundum quod homo est persona.

1. Il semble que le Christ, selon qu’il est homme, soit une personne. En effet, la personne, comme le dit Boèce, est « une substance individuelle de nature raisonnable ». Or, le Christ, selon qu’il est homme, est de cette sorte. Selon qu’il est homme, il est donc une personne.

 [8708] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, quod convenit alicui secundum quod homo, convenit omni homini secundum quod est homo. Sed Petrus, secundum quod est homo, est persona. Ergo et Christus.

2. Ce qui convient à quelqu’un selon qu’il est homme convient à tout homme selon qu’il est homme. Or, Pierre, selon qu’il est homme, est une personne. Donc, le Christ aussi.

 [8709] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, dicimus, quod Christus, secundum quod homo, aliquid operatus est, sicut quod comedit: et similiter secundum quod Deus; sicut quod mortuum suscitavit. Nec sequitur propter hoc quod Christus sit duo. Ergo videtur similiter quod si dicamus, Christum, secundum quod hominem, esse personam, et similiter secundum quod Deum, non sequitur ipsum esse duo; et ita nullum aliud inconveniens.

3. Nous disons que le Christ, selon qu’il est homme, a accompli quelque chose, comme le fait de manger ; de même, selon qu’il est Dieu, comme le fait de ressusciter un mort. Mais il n’en découle pas que le Christ soit deux. De même, semble-t-il, si nous disons que le Christ, selon qu’il est homme, est une personne, et la même chose selon qu’il est Dieu, il n’en découle pas qu’il soit deux. Il n’y a donc rien d’inapproprié.

 [8710] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, quidquid convenit Christo secundum quod homo, hoc est assumptum. Sed persona non est assumpta, ut ex 5 dist., qu. 2, art. 1, patet. Ergo Christus non est persona secundum quod homo.

Cependant, [1] tout ce qui convient au Christ en tant qu’homme a été assumé. Or, la personne n’a pas été assumée, comme cela ressort de la d. 5, q. 2, a. 1. Le Christ n’est donc pas une personne selon qu’il est homme.

 [8711] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, impossibile est quod idem numero conveniat alicui secundum duas diversas naturas. Sed in Christo est tantum una persona. Ergo cum secundum naturam divinam conveniat ei esse personam, secundum naturam humanam non conveniet ei; et sic non erit persona inquantum est homo.

 [2] Il est impossible que le même chose en nombre convienne à quelqu’un selon deux natures différentes. Or, il n’y a dans le Christ qu’une seule personne. Puisqu’il lui convient d’être une personne selon la nature divine, cela ne lui conviendra donc pas selon la nature humaine. Ainsi, il ne sera pas une personne en tant qu’homme.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le Christ est-il un individu en tant qu’homme ?]

 [8712] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod sit, secundum quod homo, individuum. Christus enim, secundum quod homo, est aliquid. Sed non est aliquid universale. Ergo est aliquid particulare: ergo secundum quod homo, est individuum.

1. Il semble que [le Christ] soit un individu en tant qu’homme. En effet, selon qu’il est homme, le Christ est quelque chose. Or, il n’est pas quelque chose d’universel. Il est donc quelque chose de particulier. Donc, en tant qu’homme, il est un individu.

 [8713] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, in individuo nihil est nisi natura speciei, et accidentia individuantia ipsam. Sed Christus, secundum quod homo, habet naturam humanam, et accidentia individuantia ipsam. Ergo secundum quod homo, est individuum.

2. Dans l’individu, il n’y a rien que la nature de l’espèce et les accidents qui individuent celle-ci. Or, le Christ, en tant qu’homme, possède la nature humaine et les accidents qui individuent celle-ci. En tant qu’homme, il est donc un individu.

 [8714] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, quidquid convenit naturae humanae, convenit Christo inquantum est homo, sicut esse passibile et mortale. Sed humana natura in Christo est quoddam individuum. Ergo Christus, inquantum homo, est individuum.

3. Tout ce qui convient à la nature humaine convient au Christ en tant qu’il est homme, comme le fait d’être passible et mortel. Or, la nature humaine dans le Christ est quelque chose d’individuel. Le Christ, en tant qu’homme, est donc un individu.

 [8715] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, individuum in genere rationalis naturae nihil aliud est quam persona. Sed Christus, secundum quod homo, non est persona. Ergo nec individuum.

Cependant, [1] l’individu dans le genre de la nature raisonnable n’est rien d’autre qu’une personne. Or, le Christ, en tant qu’homme, n’est pas une personne. Il n’est pas non plus un individu.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Le Christ, en tant qu’homme, est-il un suppôt ou une chose de la nature ?]

 [8716] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod Christus, secundum quod homo, sit suppositum, vel res naturae. Suppositum enim vel res naturae dicitur aliquis ex hoc quod habet naturam humanam. Sed Christus, secundum quod homo, habet humanam naturam. Ergo, secundum quod homo, est suppositum, vel res naturae.

1. Il semble que le Christ, en tant qu’homme, ne soit pas un suppôt ou une chose de la nature. En effet, quelqu’un est appelé un suppôt ou une chose de la nature du fait qu’il a la nature humaine. Or, le Christ, en tant qu’homme, possède une nature humaine. En tant qu’homme, il est donc un suppôt ou une chose de la nature.

 [8717] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, humana natura ita vere est in Christo, sicut accidentia humanae naturae. Sed Christus, secundum quod homo, est subjectum accidentium humanae naturae. Ergo et secundum quod homo, est suppositum, vel res naturae.

2. La nature humaine existe dans le Christ avec autant de vérité que les accidents de la nature humaine. Or, le Christ, en tant qu’homme, est le sujet des accidents de la nature humaine. En tant qu’homme, il est donc un suppôt ou une chose de la nature.

 [8718] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, Christus, secundum quod homo, est res quaedam. Sed non est res nullius naturae. Ergo est, secundum quod homo, res naturae.

3. En tant qu’homme, le Christ est une chose. Or, il n’existe aucune chose qui n’ait pas de nature. En tant qu’homme, il est donc une chose de la nature.

 [8719] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, suppositum humanae naturae est idem quod hypostasis vel persona. Sed Christus, secundum quod homo, non est hypostasis vel persona. Ergo nec suppositum, vel res naturae.

Cependant, [1] un suppôt de nature humaine est la même chose qu’une hypostase ou une personne. Or, le Christ, en tant qu’homme, n’est pas une hypostase ou une personne. Il n’est donc pas un suppôt ou une chose de la nature.

 [8720] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, in Christo est tantum unum suppositum. Sed Christus, secundum quod Deus, est suppositum. Ergo non secundum quod homo, est suppositum.

 [2] Il n’y a qu’un seul suppôt dans le Christ. Or, le Christ, en tant que Dieu, est un suppôt. [Le Christ] n’est donc pas un suppôt en tant qu’homme.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [8721] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod in Christo non est nisi una persona, quae est ab aeterno; nullum autem aeternum convenit Christo secundum quod homo, proprie loquendo, ut patet ex praedictis, dist. 5, quaest. 1, art. 1; unde haec non est vera: Christus, secundum quod homo, est persona; nisi replicetur suppositum hominis, ut dicatur: Christus, secundum quod iste homo, est persona; hoc enim verum est.

Dans le Christ, il n’y a qu’une seule personne, qui existe éternellemenet. Or, au sens propre, rien d’éternel ne convient au Christ en tant qu’homme, comme cela ressort de ce qui a déjà été dit, d. 5, q. 1, a. 1. Aussi cette proposition n’est-elle pas vraie : « Le Christ, en tant qu’homme, est une personne », à moins d’expliciter le suppôt de l’homme pour dire : « Le Christ, en tant qu’il est cet homme, est une personne. » En effet, cela est vrai.

 [8722] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Christus, secundum quod homo, est substantia rationalis naturae; sed secundum quod iste homo, est individua substantia rationalis naturae; unde secundum quod iste homo, est persona; sicut secundum quod iste homo, est Deus.

1. Le Christ, en tant qu’homme, est une substance de nature raisonnable ; mais, en tant qu’il est cet homme, il est une substance individuelle de nature raisonnable. Aussi est-il une personne selon qu’il est cet homme, de même que, selon qu’il est cet homme, il est Dieu.

 [8723] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod etiam nec Petrus, inquantum homo, est persona, sed secundum quod iste homo: quia haec non est per se: homo est persona; sed haec: iste homo est persona.

2. Pierre non plus n’est pas une personne en tant qu’homme, mais selon qu’il est cet homme, car cette [proposition] n’est pas [une proposition] par soi : « L’homme est une personne », mais celle-ci : « Cet homme est une personne. »

 [8724] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ex hoc quod Christus operatus est secundum quod homo et secundum quod Deus, sequitur quod in Christo sint duae operationes; ita etiam si Christus esset persona secundum quod homo et secundum quod Deus, sequeretur quod in ipso essent duae personae.

3. Du fait que le Christ a agi en tant qu’homme et en tant que Dieu, découle que, dans le Christ, il y a deux opérations. De même, si le Christ était une personne en tant qu’homme et [une autre personne] en tant que Dieu, il en découlerait qu’il y aurait en lui deux personnes.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [8725] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod, sicut supra, dist. 6, quaest. 1, art. 1, dictum est, individuum invenitur in substantiis et accidentibus. Secundum autem quod in substantiis est, habet de ratione sui quod sit subsistens: non autem secundum quod in accidentibus invenitur: et utroque modo invenitur in Christo; tamen altero tantum modo praedicatur. Humana enim natura in Christo est quoddam individuum; sed Christus non est illud individuum, sed est individuum subsistens: et hoc modo accipiendo individuum, secundum quod de Christo praedicatur, est in Christo unum tantum individuum sicut et una persona. Unde sicut Christus non est persona secundum quod homo, ita nec individuum.

Comme on l’a dit plus haut, d. 6, q. 1, a. 1, l’individu se trouve dans les substances et dans les accidents. Selon qu’il se trouve dans les substances, le fait qu’il soit subsistant fait partie de sa raison, mais non selon qu’il se trouve dans les accidents. Et il se trouve des deux manières chez le Christ, cependant, il n’est prédiqué que d’une seule. En effet, la nature humaine chez le Christ est un individu, mais le Christ n’est pas cet individu, car il est un individu subsistant. En entendant ainsi individu, selon qu’il est prédiqué du Christ, il n’existe chez le Christ qu’un seul individu comme aussi une seule personne. De même donc que le Christ n’est pas une personne en tant qu’homme, de même n’est-il pas un individu.

 [8726] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Christus, secundum quod homo, est aliquid; non tamen sequitur: ergo secundum quod homo, est aliquid universale vel particulare: quia homini accidit esse universale vel particulare: unde haec est per accidens: homo est aliquid particulare; haec autem per se: iste homo est aliquid particulare. Unde Christus non est aliquid particulare secundum quod homo, sed secundum quod iste homo.

1. Le Christ en tant qu’homme est une chose, mais il n’en découle pas : « Donc, en tant qu’homme, il est quelque chose d’universel ou de particulier », car il se fait que l’homme est quelque chose d’universel ou de particulier. Cette [proposition] est donc par accident : « L’homme est quelque chose de particulier » ; mais celle-ci est par soi : « Cet homme est quelque chose de particulier. » Le Christ n’est donc pas quelque chose de particulier en tant qu’homme, mais selon qu’il est cet homme.

 [8727] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod de ratione individui, secundum quod de Christo praedicatur, est quod sit per se subsistens; et hoc non convenit Christo secundum quod homo, sed secundum quod hic homo: unde non oportet quod sit individuum secundum quod homo.

2. Il fait partie de la raison d’indidivu, selon qu’il est prédiqué du Christ, qu’il soit subsistant par soi, et cela ne convient pas au Christ selon qu’il est homme, mais selon qu’il est cet homme. Aussi n’est-il pas nécessaire qu’il soit un individu en tant qu’homme.

 [8728] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ea quae conveniunt humanae naturae, non oportet quod eodem modo quo de natura praedicantur, de Christo praedicentur: quia ipsa natura de eo non praedicatur in recto et in abstracto; sed oblique vel concretive; unde non sequitur, si humana natura est individuum, quod Christus, secundum quod homo, sit individuum; sed quod habeat individuam naturam.

3. Il n’est pas nécessaire que ce qui convient à la nature humaine soit prédiqué du Christ de la même manière qu’il l’est de la nature, car la nature elle-même n’est pas prédiquée de lui directement et dans l’abstrait, mais de manière oblique ou concrète. Aussi ne découle-t-il pas, si la nature humaine est un individu, que le Christ, en tant qu’homme, soit un individu, mais qu’il ait une nature individuelle.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [8729] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod in propositionibus per se aliter est ex parte subjecti, et ex parte praedicati: quia ex parte subjecti sufficit quod secundum unum tantum eorum quae in subjecto continentur, praedicatum per se subjecto conveniat; ex parte autem praedicati oportet quod quidquid est in praedicato, per se conveniat subjecto; unde haec non est per se: homo est animal album; haec autem est per se: albus homo est animal. Secundum hoc dico, quod in hoc quod dico, suppositum, vel res naturae, duo importantur; scilicet respectus ad naturam communem; et aliud subsistens, cui inest respectus ille: quorum unum inest Christo secundum quod homo, scilicet respectus ad naturam communem; non autem alterum, ut patet ex praedictis, et ideo haec est falsa: Christus secundum quod homo, est suppositum, vel res naturae; tamen magis accedit ad veritatem quam aliqua praedictarum, inquantum ista nomina imponuntur per respectum ad naturam communem: unde si suppositum sumatur adjective, est vera: Christus enim, secundum quod homo, supponitur humanae naturae, vel est aliquod suppositum humanae naturae; et hoc etiam valet ad ea quae dicta sunt de persona et individuo.

Dans les propositions par soi, il en va différemment du côté du sujet et du côté du prédicat, car, du côté du sujet, il suffit que le prédicat convienne par soi au sujet selon une seule des choses contenues dans le sujet ; mais, du côté du prédicat, il est nécessaire que tout ce qui se trouve dans le prédicat convienne par soi au sujet. Aussi cette [proposition] n’est-elle pas vraie : « L’homme est un animal blanc » ; mais celle-ci est par soi : « L’homme blanc est un animal. » Compte tenu de cela, je dis que deux choses sont contenues dans ce que j’appelle le suppôt ou une chose de la nature : un rapport à la nature commune, et une autre chose qui subsiste, dans laquelle se trouve ce rapport. Une de ces choses se trouve dans le Christ en tant qu’homme, le rapport à la nature commune, mais non pas l’autre, comme cela ressort de ce qui a déjà été dit. Aussi cette [proposition] est-elle fausse : « Le Christ, en tant qu’homme, est un suppôt ou une chose de la nature » ; cependant, elle s’approche davantage de la vérité que l’une des précédentes, dans la mesure où ces noms se fondent sur le rapport à la nature commune. Aussi, si « suppôt » est pris comme un adjectif, [la proposition] est-elle vraie. En effet, le Christ, en tant qu’homme, est le sujet de la nature humaine ou il est quelque chose qui sert de sujet à la nature humaine. Cela vaut aussi pour ce qui a été dit de la personne et de l’individu.

 [8730] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 1 Et per hoc etiam patet solutio ad primum.

1. La réponse au premier argument ressort ainsi.

 [8731] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quia accidentia non pertinent ad esse rei sicut natura communis, ideo in nomine subjecti non includitur nisi respectus ad accidens; non autem ratio per se existentis, ut significatum ejus, sed sicut praesuppositum; et ideo non est similis ratio de subjecto et supposito.

2. Parce que les accidents n’appartiennent pas à l’être d’une chose selon sa nature commune, n’est donc inclus dans le nom du sujet que le rapport à l’accident, mais non la raison de ce qui existe par soi selon ce qu’il signifie, mais comme ce qui est présupposé. Il n’en va donc pas de même du sujet et du suppôt.

 [8732] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Christus, secundum quod homo, est quaedam res, et etiam secundum quod homo, est alicujus naturae; non tamen sequitur quod sit res naturae secundum quod homo; quia plus est in significatione compositi quam in significationibus componentium: quod et in istis accidit; sicut non omnis arma gerens est armiger.

3. Le Christ, en tant qu’homme, est une certaine chose, et aussi en tant qu’homme, il a une certaine nature. Il n’en découle cependant pas qu’il soit une chose de la nature en tant qu’homme, car il y a plus dans la signification du composé que dans les significations des composantes, ce qui se produit dans celles-ci. De la même manière, tous ceux qui portent des armes ne sont pas des guerriers.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [La filiation par adoption]

Prooemium

Prologue

 [8733] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 pr. Deinde quaeritur de filiatione per adoptionem: et circa hoc quaeruntur duo: 1 quaeritur de ea ex parte adoptantis; 2 ex parte adoptati.

On s’interroge ensuite sur la filiation par adoption. À ce propos, deux questions sont posées : 1 – On s’interroge à son sujet du point de vue de celui qui adopte. 2 – Du point de vue de celui qui est adopté.

 

 

Articulus 1 [8734] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1 tit. Utrum Deo conveniat aliquem in filium adoptare

Article 1 – Convient-il à Dieu d’adopter quelqu’un comme un fils ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Convient-il à Dieu d’adopter quelqu’un comme un fils ?]

 [8735] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Deo non competat aliquem in filium adoptare. Adoptio enim est alicujus extraneae personae in filium vel nepotem, vel deinceps, legitima assumptio. Sed Deo non est aliqua persona extranea, quia omnes ipse condidit. Ergo ei non competit adoptare.

1. Il semble qu’il ne convienne pas à Dieu d’adopter quelqu’un comme un fils. En effet, l’adoption comme fils ou neveu, ou ensuite, une légitime assomption, porte sur une personne étrangère. Or, aucune personne n’est étrangère à Dieu, car Il les a toutes créées. Il ne lui convient donc pas d’adopter.

 [8736] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, apud nos adoptans non est principium essendi adoptato. Sed Deus est omnibus principium essendi. Ergo non competit ei aliquem adoptare.

2. Chez nous, celui qui adopte n’est pas le principe de l’être de celui qui est adopté. Or, Dieu est pour tous le principe de l’être. Il ne lui convient donc pas d’adopter quelqu’un.

 [8737] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, ille qui filios naturales habet, non adoptat aliquem, nisi ut condividat hereditatem cum filiis naturalibus. Sed hereditas Dei patris indivisibilis est, quia est ipsemet. Ergo cum ipse habeat naturalem filium, non competit ei aliquem adoptare.

3. Celui qui a des fils naturels n’adopte quelqu’un que pour qu’il partage l’héritage avec les fils naturels. Or, l’héritage de Dieu le Père est indivisible, car c’est lui-même. Puisqu’il a une Fils naturel, il ne lui convient donc pas d’adopter quelqu’un.

 [8738] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, adoptio contingit ex benignitate adoptantis ad adoptatum. Sed Deus maxime benignus et amator est hominum. Ergo ipsi maxime competit adoptare.

Cependant, [1] l’adoption vient de la bienveillance de celui qui adopte à l’endroit de celui qui est adopté. Or, Dieu aime les hommes au plus haut point et est bienveillant envers eux. Il lui convient donc au plus haut point d’adopter.

 [8739] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, quicumque facit aliquos filios per gratiam, adoptat. Sed hoc Deo competit; Joan. 1, 12: dedit eis potestatem filios Dei fieri. Ergo ipse adoptat.

 [2] Quiconque fait de certains ses fils par grâce [les] adopte. Or, cela convient à Dieu. Jn 1, 12 : Il leur a donné le pouvoir de devenir fils de Dieu. Il adopte donc.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Adopter relève-il seulement de Dieu le Père ?]

 [8740] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod adoptare sit tantum Dei patris. Quia secundum leges, illius est adoptare cujus est filios generare. Sed solius patris in Trinitate est filium generare naturalem. Ergo ejus solius est filios adoptare.

1. Il semble qu’adopter relève seulement de Dieu le Père, car, selon le droit, il revient à celui qui peut engendrer des fils d’adopter. Or, à l’intérieur de la Trinité, il ne revient qu’au Père d’engendrer un Fils naturel. Il relève donc seulement de lui d’adopter des fils.

 [8741] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, per adoptionem efficimur fratres Christi; Rom. 8, 29: ut sit ipse primogenitus in multis fratribus. Sed Christus non est filius nisi Dei patris, ut supra, dist. 3, quaest. 1, art. 2, dictum est. Ergo et nos per adoptionem solius patris filii sumus.

2. Par l’adoption, nous devenons les frères du Christ. Rm 8, 29 : Afin qu’il soit lui-même le premier-né d’un grand nombre de frères. Or, le Christ n’est le Fils que de Dieu le Père, comme on l’a dit plus haut, d. 3, q. 1, a. 2. Donc, par l’adoption, nous sommes donc les fils du seul Père.

 [8742] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, sicut supra, dist. 1, quaest. 2, art. 2, dictum est, ideo solus filius incarnatus est, ne nomen filii transiret ad alterum. Sed non est magis inconveniens nomen filii transire ad aliam personam quam nomen patris. Ergo non debet dici adoptare nisi Deus pater, ne nomen patris ad aliam personam transeat.

3. Comme on l’a dit plus haut, d. 1, q. 2, a. 2, le Fils seul s’est incarné afin que le nom de fils passe à un autre. Or, il n’est pas plus inapproprié que le nom de fils passe à une autre personne que le nom de père. On ne doit donc pas dire qu’adopter ne relève que de Dieu le Père, de sorte que le nom de Père ne passe pas à une autre personne.

 [8743] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, omne nomen effectum significans in creatura, dictum de Deo, est commune toti Trinitati. Sed adoptare importat effectum in creatura. Ergo toti Trinitati competit.

Cependant, [1] tout nom dit de Dieu et signifiant un effet dans la créature est commun à la Trinité entière. Or, adopter comporte un effet dans la créature. Il convient donc à la Trinité entière.

 [8744] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, secundum hoc quod adoptamur in filios Dei, Deus pater noster dicitur. Sed tota Trinitas dicitur pater noster, sicut in 1 Lib., dist. 18, dictum est. Ergo totius Trinitatis est adoptare.

 [2] Dieu est appelé notre Père pour autant que nous sommes adoptés comme fils de Dieu. Or, la Trinité entière est appelée notre Père, comme on l’a dit dans le livre I, d. 18. Il appartient donc à la Trinité entière d’adopter.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [L’adoption ne se réalise-t-elle que par le Fils ?]

 [8745] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod per filium tantum fiat adoptio; per hoc quod dicitur ad Galat. 4, 4: misit Deus filium suum factum ex muliere (...) ut adoptionem filiorum reciperemus.

1. Il semble que l’adoption ne se réalise que par le Fils, selon ce qui est dit en Ga 4, 4 : Dieu a envoyé son Fils, né d’une femme…, afin que nous recevions l’adoption des fils.

 [8746] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, secundum philosophum, 5 Metaph., illud quod est primum in quolibet genere, est causa eorum quae sunt post. Sed filiatio primo invenitur in filio. Ergo per ipsum omnes efficimur filii, sicut per bonitatem filii Dei omnes efficimur boni; et sic ex patre caelesti omnis paternitas in caelis et in terra nominatur: ad Ephes. 3.

2. Selon le Philosophe, Métaphysique, V, ce qui est premier dans tous les genres est cause de ce qui vient par la suite. Or, la filiation se trouve d’abord chez le Fils. Nous devenons donc tous fils par [le Fils], comme nous devenons tous bons par la bonté de Dieu. Ainsi, toute paternité au ciel et sur la terre tire-t-elle son nom du Père céleste, Ep 3.

 [8747] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 3 Sed videtur quod fiat per spiritum sanctum: per hoc quod dicitur Roman. 8, 15: accepistis spiritum adoptionis filiorum, in quo clamamus, abba, pater.

3. Mais il semble que [l’adoption] soit réalisée par l’Esprit Saint, selon ce qui est dit dans Rm 8, 15 : Vous avez reçu l’Esprit d’adoption des fils, par lequel nous crions : « Abba !», « Père !».

 [8748] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 4 Praeterea, per caritatem efficimur filii Dei: 1 Joan. 3, 1: videte qualem caritatem dedit nobis pater, ut filii Dei nominemur et simus. Sed caritas est spiritus sanctus. Ergo per ipsum adoptamur.

4. Nous devenons fils de Dieu par la charité, Jn 3, 1 : Voyez quelle charité le Père nous a donnée pour que nous soyons appelés et soyons fils de Dieu. Or, la charité est l’Esprit Saint. Nous sommes donc adoptés par lui.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [8749] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum, ad primam quaestionem, quod adoptatio transfertur ad divina ex similitudine humanorum. Homo enim dicitur aliquem in filium adoptare, secundum quod ex gratia dat jus percipiendae hereditatis suae, cui per naturam non competit. Hereditas autem hominis dicitur illa qua homo dives est; id autem quo Deus dives est, est perfruitio sui ipsius, quia ex hoc beatus est, et ita haec est hereditas ejus; unde inquantum hominibus, qui ex naturalibus ad illam fruitionem pervenire non possunt, dat gratiam per quam homo illam beatitudinem meretur, ut sic ei competat jus in hereditate illa, secundum hoc dicitur aliquem in filium adoptare.

L’adoption est reportée sur les réalités divines à partir d’une ressemblance avec les réalités humaines. En effet, on dit qu’un homme adopte quelqu’un comme fils parce que, par bienveillance, il lui donne le droit de recevoir son héritage, qui ne lui revient pas par nature. Or, l’héritage d’un homme est ce par quoi un homme est riche. Mais ce par quoi Dieu est riche est la jouissance de lui-même, parce qu’il est ainsi bienheureux. Tel est donc son héritage. Ainsi, pour autant que les hommes ne peuvent parvenir à cette jouissance par leurs [puissances] naturelles, Dieu leur donne-t-il la grâce par laquelle l’homme mérite cette béatitude, de sorte que revienne [à l’homme] un droit à cet héritage. De cette manière, on dit de Dieu qu’il adopte quelqu’un comme un fils.

 [8750] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis nulla persona sit sibi extranea quantum ad esse quod ab eo participat, est tamen sibi extranea aliqua persona quantum ad jus percipiendae hereditatis.

1. Bien qu’aucune personne ne lui soit étrangère quant à l’être qu’elle tient de lui par participation, une personne lui est cependant étrangère pour ce qui est du droit de recevoir l’héritage.

 [8751] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ex hoc ipso quod aliquis homo ex alio nascitur, habet jus in hereditate paterna; unde non est extraneus, ut adoptari possit. Sed non ex hoc quod aliquis habet esse a Deo, competit sibi jus in hereditate caelesti; et ideo potest qui habet esse a Deo per creationem, ab eo per gratiam in filium adoptari.

2. Du fait même qu’un homme naît de quelqu’un, il possède un droit à l’héritage paternel ; aussi n’est-il pas étranger, de sorte qu’il puisse être adopté. Mais du fait que quelqu’un tient de Dieu l’être, le droit à l’héritage céleste ne lui revient pas. C’est pourquoi celui qui tient de Dieu l’être en vertu de la création peut être adopté par lui comme fils par grâce.

 [8752] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod accidit adoptioni quae est apud nos, ut per eam dividatur hereditas, inquantum a multis simul tota haberi non potest. Sed hereditas caelestis tota simul habetur a patre adoptante, et ab omnibus filiis adoptatis; unde non est ibi divisio nec successio.

3. Il arrive, pour l’adoption qui existe chez nous, que l’héritage soit divisé par elle, dans la mesure où il ne peut être reçu par tous en même temps. Or, l’héritage céleste est obtenu du Père qui adopte par tous en même temps et par tous les fils adoptifs. Il n’y a donc pas là de division ni de succession.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [8753] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod adoptare convenit toti Trinitati: quia una est operatio totius Trinitatis, sicut et una essentia; sed tamen potest appropriari patri, inquantum habet similitudinem cum proprio ejus.

Il convient à la Trinité entière d’adopter, car il n’existe qu’une seule opération de la Trinité entière, comme il n’existe qu’une seule essence. Cependant, [l’adoption] peut être appropriée au Père pour autant qu’elle a une ressemblance avec ce qui lui est propre.

 [8754] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis sit solius patris generare filium qui sit Deus, tamen totius Trinitatis est producere filios per creationem; et ideo est etiam totius Trinitatis per gratiam filios adoptare.

1. Bien qu’il appartienne au Père seul d’engendrer un Fils qui soit Dieu, cependant il appartient à la Trinité entière de donner naissance à des fils par création. Il appartient donc aussi à la seule Trinité entière d’adopter des fils par grâce.

 [8755] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ex adoptione quae est per gratiam, efficimur fratres Christi, inquantum per hoc efficimur filii Dei patris; non autem inquantum efficimur filii Christi, vel spiritus sancti.

2. Nous devenons les frères du Christ par l’adoption qui se réalise par la grâce, pour autant que nous devenons les fils de Dieu le Père, mais non pour autant que nous devenons les fils du Christ ou du Saint-Esprit.

 [8756] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod filiatio est relatio ejus quod est a principio; paternitas autem est relatio principii. Tota autem Trinitas est principium creaturae. Unde magis potest trahi nomen paternitatis ad alias personas respectu creaturae, quam filiationis nomen.

3. La filiation est la relation de celui qui vient d’un principe ; mais la paternité est la relation de principe. Or, la Trinité entière est le principe de la créature. Par rapport à la créature, le nom de « paternité » peut donc davantage être attiré du côté des autres personnes, que le nom de « filiation ».

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [8757] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod haec praepositio per potest denotare duplicem causam: scilicet agentem mediam; et sic sumus adoptati a Deo patre per filium, ut appropriate loquamur: quia per eum Deus pater multos filios in gloriam adduxit, ut dicitur ad Hebr. 2, secundum quod eum misit in mundum salvatorem. Potest etiam notare formalem causam; et hoc dupliciter; vel inhaerentem, vel exemplarem. Si inhaerentem, sic adoptati sumus per spiritum sanctum, cui appropriatur caritas, secundum quam formaliter meremur. Ideo dicitur Ephes. 1, 13: signati estis spiritu promissionis sancto, qui est pignus hereditatis nostrae. Si vero designat causam exemplarem formalem, sic sumus adoptati per filium; unde Rom. 8, 29: quos praescivit conformes fieri imaginis filii sui, ut sit ipse primogenitus in multis fratribus.

La préposition « par » peut indiquer une double cause : un agent intermédiaire, et ainsi nous avons été adoptés par Dieu le Père par l’intermédiaire du Fils, pour parler par appropriation, parce que, par lui, Dieu le Père a conduits un grand nombre de fils à la gloire, comme il est dit dans He 2, en l’envoyant dans le monde comme Sauveur. Elle peut aussi indiquer la cause formelle, et cela, de deux façons : inhérente ou exemplaire. S’il s’agit d’une cause inhérente, nous avons ainsi été adoptés par l’Esprit Saint, à qui est appropriée la charité, selon laquelle nous méritons par mode de forme. Aussi est-il dit dans Ep 1, 13 : Vous avez été marqués par l’Esprit Saint de la promesse, qui est un gage de notre héritage. Mais si [la préposition « par » désigne une cause exemplaire formelle, nous avons ainsi été adoptés par le Fils. Aussi est-il dit en Rm 8, 29 : Ceux qu’il a connus d’avance pour qu’ils deviennent conformes à l’image de son Fils, afin qu’il soit le premier-né d’un grand nombre de frères.

 [8758] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1 qc. 3 ad arg. Et per hoc patet responsio ad objecta.

La réponse aux objections est ainsi claire.

Articulus 2 [8759] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 tit. Utrum omnibus creaturis conveniat adoptari, et an homines ex ipsa creatione adoptet

Article 2 – Convient-il à toutes les créatures d’être adoptées et [Dieu le Père] adopte-t-il les hommes du fait même de la création ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Convient-il à toutes les créatures d’êtres adoptées ?]

 [8760] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur, quod omnibus creaturis conveniat adoptari. Deus enim dicitur pater noster, quia creavit nos, sicut dicitur Deut. 32, 6: numquid non ipse est pater tuus ? Sed non est pater creaturarum per naturam, quia sic solius Christi pater est. Ergo est pater per adoptionem; ergo omnibus creaturis convenit adoptari.

1. Il semble qu’il convienne à toutes les créatures d’être adoptées. En effet, Dieu est appelé notre Père parce qu’il nous a créés, comme il est dit en Dt 32, 6 : N’est-il pas ton père ? Or, il n’est pas le père des créatures par sa nature, car ainsi il est le Père du seul Christ. Il est donc père par adoption. Il convient donc à toutes les créatures d’être adoptées.

 [8761] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, ex hoc quod Deus aliquid creat, assumit illud in communicationem suorum bonorum ex mera sua bonitate. Sed nihil aliud videtur esse adoptio. Ergo cuilibet creaturae convenit adoptari.

2. Du fait que Dieu crée, il assume cela en communiquant ses propres biens par sa pure bonté. Or, l’adoption ne semble être rien d’autre. Il convient donc à toutes les créatures d’être adoptées.

 [8762] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, ex ipsa creatione Deus imprimit rationali creaturae imaginem suam, secundum quam dicitur filius Dei. Sed non adoptat nos nisi inquantum nos filios suos facit. Ergo ex ipsa creatione ad minus homines adoptat.

3. Par la création même, Dieu imprime dans la créature raisonnable son image, selon laquelle elle est appelée fils de Dieu. Or, il ne nous adopte que dans la mesure où il fait de nous ses fils. Il adopte donc au moins les hommes par la création elle-même.

 [8763] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, sicut ex dictis patet, adoptio filiorum fit per spiritum sanctum. Sed non datur spiritus sanctus ratione creationis. Ergo nec adoptio est ratione creationis tantum.

Cependant, l’adoption des fils est réalisée par l’Esprit Saint. Or, l’Esprit Saint n’est pas donné en raison de la création. Donc, l’adoption n’est pas non plus donnée en raison de la création seulement.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Convient-il aux anges d’être adoptés ?]

 [8764] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod nec Angelis conveniat adoptari. Quia illi convenit adoptari qui non est in domo patrisfamilias, et in ipsam inducitur. Sed Angeli semper fuerunt in domo Dei, quia in caelo Empyreo creati sunt. Ergo eis non convenit adoptari.

1. Il semble qu’il ne convienne pas non plus aux anges d’être adoptés, car il convient d’être adopté à celui qui n’est pas dans la maison du père de famille et y est introduit. Or, les anges ont toujours été dans la maison de Dieu, car ils ont été créés dans le ciel empyrée. Il ne leur convient donc pas d’être adoptés.

 [8765] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, sicut in littera dicitur, nos ideo filii Dei adoptivi dicimur, quia cum nati fuerimus filii irae, per gratiam facti sumus filii Dei. Sed Angeli nunquam fuerunt filii irae. Ergo nunquam fuerunt non filii, ad minus secundum illos qui dicunt, quod Angeli fuerunt creati in gratia. Ergo Angelis non convenit adoptari.

2. Comme il est dit dans le texte, nous sommes appelées fils adoptifs parce que, nés fils de la colère, nous sommes devenus par grâce fils de Dieu. Or, les anges n’ont jamais été fils de la colère. Ils ont donc toujours été des fils, du moins selon ceux qui disent que les anges ont été créés dans la grâce. Il ne convient donc pas aux anges d’être adoptés.

 [8766] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, Galat. 4, 4, dicitur: misit Deus filium suum (...) ut adoptionem filiorum reciperemus. Sed ad Angelos non fuit missus filius Dei: quia non est factus Angelus sicut est factus homo, secundum quem modum ad homines missus dicitur. Ergo Angelis non convenit adoptare.

3. Il est dit en Ga 4, 4 : Dieu a envoyé son Fils… afin que nous recevions l’adoption des fils. Or, le Fils de Dieu n’a pas été envoyé aux anges, car il n’est pas devenu un ange, comme il est devenu un homme, manière selon laquelle il a été envoyé aux hommes. Il ne convient donc pas aux anges d’être adoptés [corr. adoptare/adoptari].

 [8767] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, per spiritum sanctum, qui hominibus datur, dicuntur homines adoptari, ut patet ex dictis. Sed spiritus sanctus habitat in Angelis, sicut etiam in hominibus. Ergo Angeli, sicut et homines, dicuntur adoptari.

Cependant, [1] par l’Esprit Saint qui est donné aux hommes, on dit que des hommes qu’ils sont adoptés, comme cela ressort de ce qui a été dit. Or, l’Esprit Saint habite dans les anges comme dans les hommes. Comme des hommes, on dit donc des anges qu’ils sont adoptés.

 [8768] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, Angeli dicuntur fratres et consortes nostri. Sed hoc non est nisi secundum quod ab eodem patre et ad eamdem hereditatem nobiscum sunt adoptati. Ergo eis convenit adoptari.

 [2] Les anges sont appelés nos frères et nos cohéritiers. Or, cela n’existe que parce qu’ils ont été adoptés avec nous par le même Père et pour le même héritage. Il leur convient donc d’être adoptés.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Le Christ est-il un fils adoptif ?]

 [8769] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur etiam quod Christus sit filius adoptivus. Quia Hilarius, dicit: potestatis dignitas non amittitur dum carnis humilitas adoptatur; et loquitur de humanitate Christi. Ergo Christus, secundum quod homo, est filius adoptivus.

1. Il semble que le Christ aussi soit un fils adoptif, car Hilaire dit : « La dignité du pouvoir n’est pas perdue lorsque l’humilité de la chair est adoptée », et il parle de l’humanité du Christ. Donc, le Christ, en tant qu’homme, est un fils adoptif.

 [8770] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, non videtur sequi aliquod inconveniens, si dicamus Christum filium adoptivum: neque enim sequitur quod fuerit filius irae, neque aliquando fuerit non filius: quia Angeli nunquam filii irae fuerunt, et tamen dicuntur filii adoptivi. Ergo nihil prohibet Christum dicere filium adoptivum.

2. Il ne semble pas que quelque chose d’inapproprié découle du fait que nous disions que le Christ est un fils adoptif. En effet, il n’en découle pas non plus qu’il ait été un fils de la colère, ni qu’il y eut un temps où il n’était pas Fils, car les anges n’ont jamais été des fils de la colère, et cependant ils sont appelés fils adoptifs. Rien n’empêche donc d’appeler le Christ un fils adoptif.

 [8771] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, major est dignitas filii adoptivi quam servi. Sed Christus, secundum quod homo, dicitur servus, ut patet Philip. 2. Ergo multo fortius potest dici filius adoptivus.

3. La dignité de fils adoptif est plus grande que celle de serviteur. Or, le Christ, en tant qu’homme, est appelé serviteur, comme cela ressort de Ph 2. À bien plus forte raison donc, peut-il être appelé un fils adoptif.

 [8772] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 4 Praeterea, per inhabitationem spiritus sancti homo efficitur filius adoptivus. Sed super Christum requievit spiritus sanctus, ut dicitur Isai. 11. Ergo ipse debet dici filius adoptivus.

4. L’homme devient fils adoptif par l’habitation en lui du Saint-Esprit. Or, l’Esprit Saint a reposé sur le Christ, comme il est dit en Is 11. Il doit donc être lui-même appelé un fils adoptif.

 [8773] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 5 Praeterea, Augustinus, dicit: ea gratia fit ab initio fidei suae homo quicumque Christianus qua gratia ille homo ab initio suo factus est Christus. Sed quicumque homo fit ab initio Christianus fit per gratiam adoptionis. Ergo et ille homo factus est Christus per gratiam adoptionis, et ita est filius adoptivus.

5. Augustin dit : « Tout homme devient chrétien par grâce dès qu’il croit, selon la grâce par laquelle cet homme est devenu le Christ dès le début. » Or, tout homme devient chrétien dès le départ par la grâce d’adoption. Cet homme est donc devenu le Christ par la grâce d’adoption, et ainsi il est un fils adoptif.

 [8774] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, super illo Rom. 1: qui praedestinatus est filius Dei in virtute, dicit Ambrosius: volvi et revolvi Scripturas: Christum nunquam filium adoptivum inveni. Ergo non est dicendus filius adoptivus.

Cependant, [1] à propos de Rm 1 : Lui qui a été prédestiné à être Fils de Dieu dans la puissance, Ambroise dit : « J’ai tourné et retourné les Écritures : je n’ai jamais trouvé que le Christ est un fils adoptif. » Il ne faut donc pas dire que [le Christ] est un fils adoptif.

 [8775] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, adoptare totius Trinitatis est. Si ergo Christus esset filius adoptivus, esset filius Trinitatis, quod esse non potest, ut supra, dist. 4, dictum est.

 [2] Adopter appartient à la Trinité entière. Si donc le Christ était un fils adoptif, il serait le fils de la Trinité, ce qui ne peut être le cas, comme on l’a dit plus haut, d. 4.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [8776] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum, ad primam quaestionem, quod sicut supra, dist. 8, dictum est, de ratione filiationis est ut filius producatur in similitudinem speciei ipsius generantis. Homo autem inquantum per creationem producitur in participationem intellectus, producitur quasi in similitudinem speciei ipsius Dei: quia ultimum eorum secundum quae natura creata participat similitudinem naturae increatae, est intellectualitas; et ideo sola rationalis creatura dicitur ad imaginem, ut in 2 Lib., dist. 16, dictum est, unde sola rationalis creatura per creationem filiationis nomen adipiscitur. Sed adoptio, ut dictum est, requirit ut adoptato jus acquiratur in hereditatem adoptantis. Hereditas autem ipsius Dei est ipsa sua beatitudo, cujus non est capax nisi rationalis creatura: nec ipsi acquiritur ex ipsa creatione; sed ex dono spiritus sancti, ut dictum est. Et ideo patet quod creatio irrationalibus creaturis nec adoptionem nec filiationem dat; creaturae autem rationali dat quidem filiationem, sed non adoptionem.

Comme on l’a dit plus haut, d. 8, il fait partie de la raison de filiation qu’un fils soit produit à la ressemblance de l’espèce de celui qui engendre. Or, l’homme, pour autant qu’il est produit avec une participation à l’intelligence, est produit pour ainsi dire selon une ressemblance à l’espèce de Dieu lui-même, car la manière ultime pour la nature créée de participer à la ressemblance de la nature incréée est l’intellectualité. Aussi dit-on de la seule la créature raisonnable qu’elle est « à l’image », comme on l’a dit dans le livre II, d. 16 ; donc, seule la créature raisonnable reçoit le nom de fils en vertu de la création. Mais, comme on l’a dit, l’adoption exige qu’un droit à l’héritage de celui qui adopte soit acquis par celui qui est adopté. Or, l’héritage de Dieu lui-même est sa béatitude elle-même, dont seule la créature raisonnable est capable, et il ne lui est pas acquis par la création elle-même, mais par le don du Saint-Esprit, comme on l’a dit. C’est pourquoi il est clair que la création ne donne aux créatures sans raison ni l’adoption ni la filiation ; mais elle donne assurément à la créature raisonnable la filiation, mais non l’adoption.

 [8777] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod filiatio per adoptionem addit supra filiationem per creationem sicut perfectum supra diminutum, et sicut gratia super naturam; unde per creationem homo non efficitur filius naturalis neque adoptivus, sed tantum dicitur filius creatione; creaturae autem irrationales nullo modo.

1. La filiation par adoption ajoute à la filiation par création, comme le parfait à ce qui est moindre, et comme la grâce à la nature. Aussi l’homme ne devient-il pas un fils naturel ni un fils adoptif par la création, mais il est seulement appelé fils en vertu de la création. Toutefois, les créatures sans raison ne le sont d’aucune manière.

 [8778] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod communicatio quorumcumque bonorum non sufficit ad adoptionem; sed communicatio hereditatis; unde nec aliqua creatura dicitur adoptari ex hoc quod sibi aliqua bona communicantur a Deo, nisi communicetur ei hereditas quae est divina beatitudo.

2. La communication de n’importe quel bien ne suffit pas à l’adoption, mais la communication de l’héritage. Aussi ne dit-on pas d’une créature qu’elle est adoptée parce que certains biens lui sont communiqués par Dieu, à moins que l’héritage qui est la béatitude divine ne lui soit communiqué.

 [8779] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum sicut ad primum.

3. La réponse au troisième argument est la même que pour le premier argument.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [8780] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod beata fruitio sicut excedit naturam humanam, ita et naturam angelicam; unde sicut hoc homini datur ex gratia, et non ex debito suae naturae; ita Angelo; et propter hoc sicut competit homini adoptari; ita et Angelo.

De même que la jouissance bienheureuse (beata fruitio) dépasse la nature humaine, de même aussi [dépasse-t-elle] la nature angélique. De même que cela est donné à l’homme par grâce, et non parce que cela est dû à sa nature, de même aussi, à l’ange. Pour cette raison, de même qu’il convient à l’homme d’être adopté, de même aussi [cela convient-il] à l’ange.

 [8781] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod domus Dei, inquantum filii adoptivi inducuntur, non dicitur caelum Empyreum, sed ipsa beatitudo divina, secundum quam Deus in semetipso quiescit, et facit alios in se quiescere; et in hac domo non semper fuerunt, quia non fuerunt creati beati.

1. La demeure de Dieu dans laquelle les fils adoptifs sont introduits ne s’appelle pas le ciel empyrée, mais la béatitude divine elle-même, selon laquelle Dieu se repose en lui-même et fait se reposer les autres en lui. Ils n’ont pas toujours été dans cette demeure, parce qu’ils n’ont pas été créés bienheureux.

 [8782] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod accidit adoptioni quod adoptatus fuerit filius irae, vel quod fuerit prius tempore non filius; unde ponitur in littera magis ad evidentiam adoptionis quam ad necessitatem. Sed hoc est de necessitate adoptionis ut prius natura sit non filius quam filius, ut filiatio sibi ex natura sua non competat, sed ex gratia quacumque collata; et hoc bene invenitur in Angelo.

2. Il arrive pour l’adoption que celui qui est adopté ait été un fils de la colère ou qu’il n’ait pas été un fils auparavant ; aussi cela est-il signalé dans le texte plutôt pour éclairer l’adoption que parce que cela est nécessaire. Mais il est nécessaire pour l’adoption de n’avoir pas été fils par nature avant d’être fils, afin que la filiation ne convienne pas par sa nature, mais par une grâce qui lui est conférée. Et on trouve bien cela chez l’ange.

 [8783] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis missio filii in carnem non fuerit facta ad Angelos; fuit tamen facta ad eos missio quae est in mentem, ut in 1 Lib., dist. 3, dictum est.

3. Bien que la mission du Fils dans la chair n’ait pas été accomplie pour les anges, une mission spirituelle leur a cependant été adressée, comme on l’a dit dans le livre I, d. 3.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [8784] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod Christus nullo modo dicendus est filius adoptionis: quia ei competit ex sua natura, secundum quam aeternaliter a patre nascitur, habere jus in hereditate paterna: quia omnia quae habet pater, sua sunt, ut dicitur Joan. 16: unde hoc jus non acquiritur ei per gratiam advenientem, ut possit dici filius adoptivus.

Il ne faut nullement dire que le Christ est fils par adoption, car il lui convient par sa nature, selon qu’il naît éternellement du Père, d’avoir droit à l’héritage paternel, puisque tout ce que le Père possède lui appartient, comme il est dit en Jn 16. Il ne lui est donc pas acquis de pouvoir être appelé fils adoptif par une grâce ajoutée.

 [8785] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod humanitas adoptatur non in ipso capite, sed in membris ejus; et sic intelligendum est verbum Hilarii. Vel dicendum, quod etsi adoptio aliquo modo possit dici de natura creata, quae per gratiam trahitur in participationem divinae bonitatis in unitate divinae personae; non tamen oportet quod supposito conveniat, cui naturaliter convenit esse beatum.

1. L’humanité est adoptée, non pas dans la tête elle-même, mais dans ses membres. C’est ainsi que doit être comprise la parole d’Hilaire. Ou bien il faut dire que, même si l’adoption peut est dite d’une certaine manière d’une nature créée, qui, par grâce, est attirée à la participation de la bonté divine dans l’unité de la personne divine, il n’est cependant pas nécessaire qu’elle convienne au suppôt à qui il convient naturellement d’être bienheureux.

 [8786] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sequitur inconveniens, quod Christus, ad minus natura vel intellectu, esset prius non filius quam filius, sicut est de Angelis: quod nullo modo stare potest quantum ad secundam opinionem, quae ponit, quod nullum suppositum praeintelligitur unioni; nec filiatio convenire potest nisi supposito perfecto.

2. Une conclusion inappropriée découle du fait que le Christ, au moins par nature ou selon l’intellect, ne serait pas d’abord le Fils avant d’être le Fils, comme c’est le cas pour les anges. Cela ne peut être soutenu selon la deuxième opinion, qui affirme qu’aucun suppôt n’est intellectuellement présupposé à l’union ; et la filiation ne peut convenir qu’à un suppôt parfait.

 [8787] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Christus cum dicitur servus, importat subjectionem tantum; unde Christus, secundum quod homo, dicitur servus, sicut minor patre: non autem importat acquisitionem per gratiam ejus quod ei convenit per naturam, sicut filius adoptivus; et ideo nomen servitutis aliquo modo conceditur in Christo, non autem nomen adoptionis.

3. Lorsqu’il est appelé serviteur, le Christ comprend seulement la sujétion. Le Christ, en tant qu’homme, est donc appelé serviteur, selon qu’il est inférieur au Père. Mais il ne comprend pas l’acquisition par grâce de ce qui lui convient par nature, comme c’est le cas pour un fils adoptif. C’est pourquoi le mot « servitude » est concédé pour le Christ d’une certaine manière, mais non le mot « adoption ».

 [8788] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod aliis hominibus per spiritum sanctum inhabitantem acquiritur jus in hereditate caelesti de novo, quod eis non competit per naturam, sicut filio Dei competit; unde per spiritum sanctum inhabitantem non dicitur adoptari.

4. Le droit à l’héritage céleste est acquis aux autres hommes par le Saint-Esprit qui habite en eux, ce qui ne leur convient pas par nature, comme cela convient au Fils de Dieu. Aussi ne dit-on pas qu’il est adopté par le Saint-Esprit qui habite en lui.

 [8789] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod est similitudo quantum ad rationem gratiae, quia utraque est sine meritis praecedentibus, non autem quantum ad effectum: quia illa est gratia unionis, secundum quam efficitur naturalis filius; sed gratia qua homo fit Christianus non facit filium naturalem, sed facit tantum adoptivum.

5. Il existe une ressemblance pour ce qui est de la raison de grâce, car les deux existent sans mérites antérieurs, mais non pour ce qui est de l’effet, car celle-ci est la grâce d’union, par laquelle il est établi comme Fils naturel ; cependant, la grâce par laquelle l’homme devient chrétien n’en fait pas un fils naturel, mais en fait seulement un fils adoptif.

 

 

Quaestio 3

Question 3 – [La prédestination du Christ porte-t-elle sur la nature ou sur la personne ?]

Articulus 1 [8790] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1 tit. Utrum praedestinatio Christi sit de natura, an de persona

Article 1 – La prédestination du Christ porte-t-elle sur la nature ou sur la personne ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La prédestination du Christ porte-t-elle sur la nature ou sur la personne ?]

 [8791] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 1 Deinde quaeritur de praedestinatione Christi. Et videtur quod non sit de persona. Praedestinatio enim Christi est ad filiationem, quia praedestinatus est filius Dei in virtute; Rom. 1, 4. Sed filiatio non competit naturae. Ergo praedestinatio non est de natura.

1. Ensuite, on s’interroge sur la prédestination du Christ, et il semble qu’elle ne porte pas sur la personne. En effet, [la prédestination] du Christ vise la filiation, car il a été prédestiné comme Fils de Dieu avec puissance, Rm 1, 4. Or, la filiation ne convient pas à sa nature. La prédestination ne porte donc pas sur la nature.

 [8792] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, ejus videtur praedestinari cujus est agere, quia ejus est etiam felicitari. Sed agere est suppositi, et non naturae. Ergo praedestinatio non est de natura.

2. Il semble qu’être prédestiné convient à celui à qui il appartient d’agir, car c’est à lui aussi qu’il appartient de devenir bienheureux. Or, agir est le fait du suppôt, et non de la nature. La prédestination ne porte donc pas sur la nature.

 [8793] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, humana natura est unius rationis in Christo et in aliis hominibus. Sed in aliis hominibus praedestinatio non est de natura. Ergo nec in Christo.

3. La nature humaine a la même raison chez le Christ et chez les autres hommes. Or, chez les autres hommes, la prédestination ne porte pas sur la nature. Donc, ni chez le Christ.

 [8794] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Rom. 1, dicit Glossa, quod praedestinatio est uno modo de eo quod non semper fuit. Sed nihil est in ipso Christo quod non semper fuerit, nisi humana natura. Ergo praedestinatio est de natura.

Cependant, [1] à propos de Rm 1, la Glose dit que « la prédestination porte d’une seule manière sur ce qui n’a pas toujours été ». Or, il n’y a rien chez le Christ qui n’ait toujours existé, sauf sa nature humaine. La prédestination porte donc sur la nature.

 [8795] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, ex hoc aliquis praedestinatur quod praevidetur Deo uniendus per gratiam unionis. Sed humana natura ab aeterno est praevisa Deo unienda per gratiam unionis. Ergo humana natura est praedestinata in Christo.

 [2] Quelqu’un est prédestiné du fait que Dieu voit à l’avance qu’il doit être uni par la grâce d’union. Or, Dieu voit éternellement à l’avance que la nature humaine doit être unie par la grâce d’union. La nature humaine a donc été prédestinée chez le Christ.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La prédestination du Christ est-elle conforme à notre prédestination ?]

 [8796] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur, quod praedestinatio Christi non sit conformis praedestinationi nostrae. Quia, secundum Augustinum, praedestinatio qua nos praedestinamur, est propositum miserendi. Sed hoc non competit praedestinationi Christi, quia ipse nunquam fuit miser. Ergo praedestinatio sua et nostra non sunt unius rationis.

1. Il semble que la prédestination du Christ ne soit pas conforme à notre prédestination, car, selon Augustin, « la prédestination par laquelle nous sommes prédestinés est le dessein d’avoir pitié ». Or, cela ne convient pas à la prédestination du Christ, car il n’a jamais été misérable. Sa prédestination et la nôtre n’ont donc pas la même raison.

 [8797] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, effectus praedestinationis est gratia. Sed gratia Christi est alterius rationis quam gratia nostra: quia nostra gratia non est unionis in persona, sicut sua. Ergo nec praedestinatio ejus et nostra sunt ejusdem rationis.

2. L’effet de la prédestination est la grâce. Or, la grâce du Christ a une autre raison que notre grâce, car notre grâce n’en est pas une d’union dans la personne, comme la sienne. Sa prédestination et la nôtre n’ont donc pas non plus la même raison.

 [8798] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, operationes differunt penes terminos. Sed filiatio naturalis, ad quam terminatur praedestinatio Christi, non est unius rationis cum filiatione adoptionis, ad quam terminatur nostra praedestinatio. Ergo non sunt unius rationis praedestinationes.

3. Les opérations diffèrent selon leurs termes. Or, la filiation naturelle, qui est le terme de la prédestination du Christ, n’a pas la même raison que la filiation par adoption, qui est le terme de notre prédestination. Ces prédestinations n’ont donc pas la même raison.

 [8799] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod utrique praedestinationi competit una definitio, scilicet praedestinatio est praeparatio gratiae in praesenti, et gloriae in futuro. Ergo sunt unius rationis.

Cependant, [1] une seule définition convient aux deux prédestinations : « La prédestination est la préparation à la grâce dans le présent et à la gloire dans l’avenir. » Elles ont donc la même raison.

 [8800] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, Rom. 1 dicit Glossa, quod praeclarissimum exemplar nostrae praedestinationis praecessit in Christo. Ergo est unius rationis: quia exemplar et exemplatum sunt unius rationis.

 [2] À propos de Rm 1, la Glose dit que « le modèle le plus éclatant de notre prédestination a précédé chez le Christ ». Elles ont donc la même raison, car le modèle et sa reproduction ont la même raison.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La prédestination du Christ est-elle la cause efficiente de notre prédestination ?]

 [8801] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod praedestinatio ejus sit causa efficiens nostrae praedestinationis. Ephes. 1, 5, dicitur: praedestinavit nos in adoptionem filiorum per Jesum Christum. Sed per denotat causam efficientem, quando dicitur pater operari per filium. Ergo ejus praedestinatio est causa efficiens nostrae praedestinationis.

1. Il semble que la prédestination [du Christ] soit la cause efficiente de notre prédestination. Ep 1, 5 : Il nous a prédestinés à l’adoption des fils par Jésus, le Christ. Or, « par » indique la cause efficiente, lorsqu’on dit que le Père agit par le Fils. Sa prédestination est donc la cause efficiente de notre prédestination.

 [8802] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 2 Item, videtur quod sit causa exemplaris, per illud quod dicitur Rom. 8, 29: quos praedestinavit conformes fieri imaginis filii sui. Sed imago ad exemplaritatem pertinet. Ergo est causa exemplaris nostrae praedestinationis; sicut etiam sua resurrectio nostrae resurrectionis.

2. Il semble qu’elle soit la cause exemplaire, selon ce qui est dit en Rm 8, 29 : Ceux qu’il a prédestinés à devenir conformes à l’image de son Fils. Or, l’image se réfère à l’exemplarité. Elle est donc la cause exemplaire de notre prédestination, comme aussi sa résurrection l’est de notre résurrection.

 [8803] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 3 Item, videtur quod finalis. Quia nostra praedestinatio videtur esse ordinata ad impletionem corporis Christi, ut patet Ephes. 4, unde ipse videtur esse finis nostrae salutis. Ergo et ejus praedestinatio nostrae praedestinationis.

3. Il semble qu’elle soit la cause finale, car notre prédestination semble avoir été ordonnée à l’achèvement du corps du Christ, comme cela ressort de Ep 4. Aussi semble-t-elle être la fin de notre salut. Sa prédestination est doncaussi [la cause finale] de notre prédestination.

 [8804] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, aeternum non habet causam. Sed praedestinatio nostra est aeterna. Ergo non habet causam, Christi praedestinationem.

Cependant, [1] ce qui est éternel n’a pas de cause. Or, notre prédestination est éternelle. Elle n’a donc pas la prédestination du Christ comme cause.

 [8805] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, Christus non est praedestinatus nisi secundum quod homo. Sed ipse, secundum quod homo, non est causa nostri, sed secundum quod Deus. Ergo praedestinatio ejus non est causa praedestinationis nostrae.

 [2] Le Christ n’a été prédestiné qu’en tant qu’homme. Or, selon qu’il est homme, il n’est pas notre cause, mais selon qu’il est Dieu. Sa prédestination n’est donc pas la cause de notre prédestination.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [8806] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod praedestinatio accipitur communiter et proprie. Communiter pro praescientia et praeordinatione cujuscumque; et sic patet quod praedestinatio potest esse de natura. Secundum autem quod proprie accipitur importat ordinem praedestinati ad gratiam. Gratia autem creaturae facit unionem ad Deum: quae quidem duplex est: scilicet per operationem, secundum quam nos unimur Deo cognoscendo et amando ipsum: et in persona; et secundum hoc humana natura fuit unita Deo; et ideo, cum praedestinatio Christi ordinetur ad gratiam unionis in persona, potest dici, quod natura est praedestinata, vel persona ratione naturae.

La prédestination s’entend en un sens général et en un sens propre. Au sens général, elle signifie toute prescience et toute disposition préalable. Il ressort ainsi que la prédestination peut avoir comme objet la nature. Mais si elle est entendue au sens propre, elle comporte l’ordre de celui qui est prédestiné à la grâce. Or, la grâce de la créature réalise l’union à Dieu, qui existe de deux manières : par une opération, selon que nous sommes unis à Dieu en vue de le connaître et de l’aimer ; dans la personne, selon que la nature humaine a été unie à Dieu. Puisque la prédestination du Christ est ordonnée à la grâce d’union dans la personne, on peut donc dire que la nature est prédestinée ou la personne en raison de la nature.

 [8807] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod praedestinatio Christi primum effectum habet ipsam unionem: unde cum unio sit naturae, potest etiam dici praedestinata; quamvis sibi filiatio non conveniat, quia filiatio non est primus effectus praedestinationis, sed consequitur ad unionem.

1. La prédestination du Christ a comme premier effet l’union elle-même. Puisqu’il s’agit de l’union de la nature, on peut donc aussi dire qu’elle est prédestinée, bien que la filiation ne lui convienne pas, car la filiation n’est pas le premier effet de la prédestination, mais elle découle de l’union.

 [8808] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ratio illa procedit de felicitate creaturae ex hoc quod Deo unitur per operationem; sed ipsa natura beatificatur ex hoc quod Deo unitur in persona.

2. Cet argument porte sur la félicité de la créature du fait qu’elle est unie à Dieu par une opération ; mais la nature elle-même est rendue bienheureuse du fait qu’elle est unie à Dieu dans la personne.

 [8809] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 3 Et per hoc etiam patet responsio ad tertium: quia praedestinatio aliorum hominum non est ad unionem in persona, sed ad unionem per operationem.

3. Ainsi ressort aussi la réponse au troisième argument, car la prédestination des autres hommes n’a pas comme fin l’union dans la personne, mais l’union par une opération.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [8810] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod multa requiruntur in praedestinatione et ex parte praedestinantis, et ex parte praedestinati, et secundum terminum a quo, et secundum terminum ad quem, secundum quod potest attendi diversitas inter praedestinationem Christi et nostram. Ex parte autem praedestinantis, qui Deus est, non est diversitas inter praedestinationem Christi et nostram; est autem differentia ex parte praedestinati: quia in nobis est de persona, in Christo autem de natura, ut dictum est. Similiter est differentia ex parte termini a quo: quia in nobis est ut liberemur a peccato, sicut dicit Glossa super illud Rom. 8: quos praedestinavit, hos vocavit: in Christo autem non; quia neque contraxit, neque fecit peccatum. Sed neutra istarum differentiarum diversificat rationem praedestinationis; sed solum illa quae est essentialis et specifica. Specifica autem differentia cujuslibet motus vel operationis, accipitur penes terminum ad quem. Illud autem ad quod est praedestinatio, non est unius rationis in Christo et in nobis: quia praedestinatio Christi est ad unionem in persona; praedestinatio autem nostra ad unionem per operationem, aut per habitum assimilantem; et haec duae uniones non sunt unius rationis, sed se habent secundum prius et posterius, et perfectum et diminutum; et ideo praedestinatio Christi et nostra non est unius rationis secundum univocationem, sed secundum analogiam.

Plusieurs choses sont requises dans la prédestination, tant du côté de celui qui prédestine que du côté de celui qui est prédestiné, et du terme a quo comme du terme ad quem, selon qu’on peut envisager une différence entre la prédestination du Christ et la nôtre. Du côté de celui qui prédestine, qui est Dieu, il n’existe pas de différence entre la prédestination du Christ et la nôtre ; mais il existe une différence du côté de celui qui est prédestiné, car, pour nous, elle porte sur la personne, mais chez le Christ, sur la nature, comme on l’a dit. De même existe-t-il une différence du côté du terme a quo, car, pour nous, elle existe pour que nous soyons libérés du péché, comme le dit la Glose sur Rm 8 : Ceux qu’il a prédestinés, il les a appelés ; mais, chez le Christ, ce n’est pas le cas, car il n’en a ni contracté ni accompli. Mais aucune de ces différences ne différencie la raison de prédestination, mais seulement celle qui est essentielle et spécifique. Or, la différence spécifique de tout mouvement ou de toute opération se prend du terme ad quem. Mais la fin de la prédestination n’a pas la même raison chez le Christ et chez nous, car la prédestination du Christ a comme fin l’union dans la personne, mais notre prédestination, l’union par une opération ou par un habitus réalisant une ressemblance. Mais elles ont un rapport d’antérieuriorité et de postériorité, de parfait et de moindre. C’est pourquoi la prédestination du Christ et la nôtre n’ont pas une même raison par univocité, mais par analogie.

 [8811] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1 qc. 2 ad arg. Et per hoc facile est respondere ad objecta.

Il est ainsi facile de répondre aux objections.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [8812] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod in ipsa praedestinatione duo sunt; unum aeternum, scilicet ipsa Dei operatio; et aliud temporale, scilicet praedestinationis effectus. Praedestinatio ergo nostra quantum ad illud quod est aeternum in ipsa, causam non habet; sed quantum ad effectum potest habere causam, inquantum scilicet ejus effectus producitur mediantibus aliquibus causis creatis: et secundum hoc praedestinationis nostrae causa efficiens est praedestinatio Christi inquantum ipse est mediator nostrae salutis; et formalis, in quantum in filios Dei ad imaginem ejus praedestinamur, et finalis, inquantum nostra salus in ejus gloriam redundat.

Dans la prédestination même, il existe deux choses : l’une éternelle, à savoir, l’opération même de Dieu ; l’autre temporelle, à savoir, l’effet de la prédestination. Notre prédestination, du point de vue de ce qui est éternel en elle, n’a donc pas de cause ; mais, du point de vue de l’effet, elle peut avoir une cause, pour autant que son effet est réalisé par l’intermédiaire de causes créées. Sous cet aspect, la cause efficiente de notre prédestination est la prédestination du Christ, en tant qu’il est le médiateur de notre salut ; la cause formelle, pour autant que nous sommes prédestinés à devenir des fils de Dieu à son image ; et la cause finale, pour autant que notre salut rejaillit sur sa gloire.

 [8813] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1 qc. 3 ad arg. Et per hoc patet solutio ad objecta.

La solution des objections ressort ainsi clairement.

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 10

 [8814] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1 qc. 3 expos. Christum secundum hominem non esse personam, nec aliud. Primum horum conceditur ab omni opinione; secundum autem non, sed a tertia tantum; quia primae duae opiniones dicunt quod secundum quod Christus est homo, est aliquid. Hoc autem negare est error. Secundum enim multiplicem habet rationem. Ista divisio accipitur ex comparatione replicationis ad subjectum propositionis: quia potest fieri replicatio vel ejus quod antecedit subjectum, et sic notat causam; vel ejus quod sequitur, et sic notat habitum, aut quodcumque aliquid accidens; sed specialiter nominat habitum propter rationem tertiae opinionis: vel ipsius subjecti, et hoc vel quantum ad naturam, et sic exprimit conditionem naturae; vel quantum ad suppositum, et sic notat unitatem personae in Christo. Illa tamen personae descriptio non est data pro divinis personis. Contra est quod directe ponit eam Boetius in materia ista in Lib. de Duab. Nat. Dicendum, quod Magister verum dicit, si capiantur stricte ea quae in divisione ponuntur; sed Boetius large accipit; et hoc patet in 1 Lib., dist. 25. Non autem sic dicitur filius natura. Dicitur enim Deus natura quasi formaliter; sed dicitur filius natura, non formaliter, sed quantum ad modum originis, quia per modum naturae procedit. Christus nunquam fuit filius; nec prius tempore, sicut nos, nec prius natura aut intellectu, sicut Angeli, si in gratia creati sunt. Christum filium virginis esse natura et gratia. Contra. Natura et gratia ex opposito dividuntur. Ergo quod est per gratiam, non est per naturam. Praeterea, Christus est filius matris, sicut et quilibet alius homo. Sed alii homines non sunt filii matrum suarum per gratiam. Ergo nec Christus. Dicendum ad primum quod gratia unionis non opponitur contra naturam: quia per eam una persona fit duarum naturarum: et sic quod inest per gratiam unionis, inest per alterutram naturarum naturaliter. Ad secundum dicendum, quod Christum, inquantum hominem nasci ex matre, non fuit per gratiam, sed nasci simul Deum et hominem; et hoc fuit per gratiam unionis. Non talis hic filius. Ergo videtur quod filiatio dicatur aequivoce. Dicendum, quod non univoce, nec aequivoce, sed analogice, sicut et alia quae dicuntur de Deo et creaturis. Origine, non adoptione. Hoc dicitur contra Nestorium, qui cum poneret in Christo duas personas, non potuit ponere unionem nisi per gratiam: et sic sequeretur quod persona hominis non sit filius Dei nisi per gratiam habitualem adoptionis, sicut et nos. Veritate, vel nuncupatione. Hoc dicitur contra Sabellium, qui posuit distingui personas tantum nominaliter. Nativitate, non creatione. Et hoc dicitur contra Arium, qui dicebat filium Dei esse creaturam.

 

 

 

Distinctio 11

Distinction 11 – [L’attribution à Dieu de déficiences de la nature humaine]

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [Le Fils de Dieu est-il une créature ?]

Prooemium

Prologue

 [8815] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister, qualiter ea quae sunt dignitatis in humana natura, de Christo possunt vel non possunt dici; hic determinat quomodo de Deo dici possunt ea quae ad defectum naturae humanae pertinent; et dividitur in duas partes: in prima inquirit, utrum nomen creaturae quod de humana natura dicitur, de Christo dici possit; in secunda, utrum illi defectus qui consequuntur ipsam, inquantum creatura, vel alio modo ipsi convenire possint, dist. 12, ibi: post praedicta quaeritur, utrum homo ille coeperit esse, vel semper fuerit. Prima in tres: in prima movet quaestionem; in secunda determinat eam, ibi: ad quod potest dici; in tertia excludit objectiones quae contra solutionem fieri possunt, ibi: etsi ergo Christus secundum hominem dicitur creatura, non tamen simpliciter praedicandus est creatura. Circa primum duo facit: primo determinat propositam quaestionem; secundo confirmat determinationem; et primo quantum ad hoc quod Christus non possit simpliciter dici creatura, ibi: qui Christum vel Dei filium, non esse factum vel creatum, in Lib. 1 de Trin. ostendit; secundo quantum ad hoc quod possit dici creatura cum determinatione, scilicet inquantum est homo, ibi: sed addita determinatione recte dici potest. Hic quaeruntur quatuor: 1 utrum filius Dei sit creatura; 2 utrum Christus, vel iste homo, possit dici creatura; 3 utrum sit creatura, secundum quod homo; 4 utrum omnia quae humanae naturae conveniunt, de Christo possint praedicari.

Après avoir déterminée de la manière dont ce qui relève de la dignité de la nature humaine peut être ou non attribué au Christ, le Maître détermine ici de la manière dont ce qui se rapporte aux déficiences de la nature humaine peut être attribué à Dieu. Cela se divise en deux parties : dans la première, il se demande si la nom de créature qui est attribué à la nature humaine peut être attribué au Christ ; dans la seconde, si les déficiences qui en découlent en tant que créature ou d’une autre manière peuvent lui convenir, d. 12, à cet endroit : « Après ce qui a été dit, on se demande si cet homme a commencé à être ou a toujours existé. » La première partie se divise en trois : dans la premièrement, il soulève une question ; dans la deuxième, il en détermine, à cet endroit : « À cela on peut répondre… » ; dans la troisième, il écarte les objections qui peuvent être soulevées contre la réponse, à cet endroit : « Même si on dit du Christ en tant qu’homme qu’il est une créature, on ne peut pas dire de lui tout simplement qu’il est une créature. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il détermine de la question mise de l’avant ; deuxièmement, il confirme la détermination. Premièrement, que le Christ ne peut pas être appelé tout simplement une créature, à cet endroit : « Que le Christ ou le Fils de Dieu n’ait pas été fait ou créé, il le montre dans le livre I sur la Trinité. » Deuxièmement, qu’il peut être appelé une créature avec une précision, à savoir, en tant qu’il est homme, à cet endroit : « Si l’on ajoute la précision, on peut le dire correctement. » Ici, quatre questions sont posées : 1 – Le Fils de Dieu est-il une créature ? 2 – Le Christ ou cet homme peut-il être appelé une créature ? 3 – Est-il une créature en tant qu’il est homme ? 4 – Tout ce qui convient à la nature humaine peut-il être attribué au Christ ?

 

 

Articulus 1 [8816] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 1 tit. Utrum filius Dei sit creatura

Article 1 – Le Fils de Dieu est-il une créature ?

 [8817] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur, quod filius Dei sit creatura. Eccli. 24, 14: ab initio et ante saecula creata sum: et loquitur de divina sapientia. Sed filius Dei est Dei sapientia. Ergo ipse est creatura.

1. Il semble que le Fils de Dieu soit une créature. Si 24, 14 : Au commencement et avant les siècles, j’ai été créée, et il parle de la Sagesse divine. Or, le Fils de Dieu est la Sagesse de Dieu. Il est donc une créature.

 [8818] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, omne quod est subjectum Deo, vel minus eo, est creatura. Sed filius Dei est hujusmodi, ut patet Joan. 14, 28: pater major me est; et 1 Corinth. 15, dicitur quod filius erit subjectus patri, qui subjecit ei omnia. Ergo filius Dei est creatura.

2. Tout ce qui est soumis à Dieu ou moindre que lui est une créature. Or, le Fils de Dieu est de cette sorte, comme cela ressort de Jn 14, 28 : Le Père est plus grand que moi ; et en 1 Co 15, il est dit que le Fils se soumettra au Père, qui lui a tout soumis. Le Fils de Dieu est donc une créature.

 [8819] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, hoc modo se habent actiones ad invicem, sicut termini actionum. Sed esse, quod est terminus creationis, est prius quacumque alia forma ad quam terminantur aliae actiones. Ergo creatio est prior omnibus aliis actionibus vel productionibus. Sed posterius semper praesupponit prius. Cum ergo generatio conveniat filio Dei, secundum quam dicitur natus, videtur quod etiam creatio conveniat ei, ut dicatur creatus.

3. Les actions ont entre elles le même rapport que les termes des actions. Or, l’être, qui est le terme de la création, est antérieur à toute autre forme à laquelle se terminent les autres actions. La création est donc antérieure à toutes les autres actions ou réalisations. Or, ce qui vient après présuppose toujours ce qui est antérieur. Puisque la génération, selon laquelle on dit qu’il est né, convient au Fils de Dieu, il semble donc que la création lui convienne aussi, de sorte qu’on dise de lui qu’il est créé.

 [8820] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, ut probat Avicenna in sua Metaph., id cujus essentia est suum esse, est per se necesse esse. Sed quod est hujusmodi, non habet esse ab alio: quia hoc quod est necesse esse absolute, non est propter aliquid aliud, ut etiam dicit philosophus in 5 Metaph. Ergo id cujus essentia est suum esse, non habet esse ab alio. Sed filius habet esse ab alio. Ergo non est necesse esse; nec sua essentia est suum esse. Ergo est creatura.

4. Comme le démontre Avicenne dans sa Métaphysique, « ce dont l’essence est son être doit nécessairement exister ». Or, ce qui est de cette sorte ne tient pas son existence d’un autre, car le fait qu’exister lui soit absolument nécessaire fait en sorte qu’il ne vient pas d’autre chose, comme le dit aussi le Philosophe dans Métaphysique, V. Donc, ce dont l’essence est son propre être ne tient pas son existence d’un autre. Or, le Fils tient son existence d’un autre. Il n’existe donc pas nécessairement et son essence n’est pas son être. Il est donc une créature.

 [8821] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, omne quod habet causam sui esse, est creatura. Sed filius habet causam sui esse: quia pater est causa filii, ut dicit Chrysostomus, et omnes Graeci doctores concedunt. Ergo filius est creatura.

5. Tout ce dont l’existence a une cause est une créature. Or, le Fils a une cause de son existence, car le Père est cause du Fils, comme le dit [Jean] Chrysostome et le concèdent tous les docteurs grecs. Le Fils est donc une créature.

 [8822] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 6 Praeterea, omne quod gignitur, ad hoc gignitur ut sit. Sed quod est, non gignitur ad hoc quod sit, quia jam est. Ergo omne quod gignitur, antequam gignatur non est. Sed omne quod non fuit et postea est, creatum est. Ergo filius, cum genitus sit, creatus est.

6. Tout ce qui est engendré est engendré afin d’exister. Or, ce qui existe n’est pas engendré afin d’exister, car cela existe déjà. Tout ce qui est engendré n’existe donc pas avant d’être engendré. Or, tout ce qui n’existait pas et existe par la suite a été créé. Puisqu’il est engendré, le Fils a donc été créé.

 [8823] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 7 Praeterea, omne quod habet aliquid ab alio, in se consideratum non habet illud; et caret illo, si sibi relinquatur. Sed filius habet esse ab alio. Ergo in se consideratus non habet esse; et si sibi relinquatur, non esset. Sed haec est conditio creaturae, secundum quam dicitur vertibilis in nihilum: quia omnia in nihilum reverterentur, nisi ea manus conditoris teneret. Ergo filius est creatura.

7. Tout ce qui tient quelque chose d’un autre, ne possède pas cette chose considérée en elle-même, et elle lui fait défaut, s’il est laissé à lui-même. Or, le Fils tient son existence d’un autre, et s’il était laissé à lui-même, il n’existerait pas. Or, telle est la condition de la créature, dont on dit qu’elle est susceptible de retourner au néant, car tout retournerait au néant, si la main du Créateur ne le tenait pas. Le Fils est donc une créature.

 [8824] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, nulla creatura est consubstantialis creatori. Sed filius est consubstantialis patri, ut dicitur Joan. 10, 30: ego et pater unum sumus. Ergo filius non est creatura.

Cependant, [1] aucune créature n’est consubstantielle au Créateur. Or, le Fils est consubstantiel au Père, comme il est dit en Jn 10, 30 : Moi et le Père, nous sommes un. Le Fils n’est donc pas une créature.

 [8825] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, omnis creatura portatur per potentiam creatoris. Sed id quod omnia portat non portatur. Ergo id quod omnia portat, non est creatura. Sed hoc est filius: Hebr. 1, 3: portans omnia verbo virtutis suae. Ergo filius non est creatura.

 [2] Toute créature est soutenue par la puissance du Créateur. Or, ce qui soutient tout n’est pas soutenu. Ce qui soutient tout n’est donc pas une créature. Or, tel est le Fils, He 1, 3 : Lui qui soutient tout par la parole de sa puissance. Le Fils n’est donc pas une créature.

 [8826] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 1 s. c. 3 Praeterea, nihil est in Deo quod sit creatura. Sed filius est in Deo patre, cum sit verbum ejus, et omne verbum est in dicente. Ergo filius non est creatura.

 [3] Il n’existe rien en Dieu qui soit créature. Or, le Fils existe en Dieu le Père, puisqu’il est son Verbe et que tout verbe existe dans celui qui le dit. Le Fils n’est donc pas une créature.

 [8827] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 1 s. c. 4 Praeterea, omne quod dicitur per similitudinem, reducitur ad id quod proprie dicitur. Sed homines dicuntur filii Dei per assimilationem ad unicum filium; Roman. 8, 29: conformes fieri imaginis filii sui. Ergo ipse proprie filius dicitur. Sed nullus dicitur proprie filius alicujus nisi habeat eamdem naturam specie quam habet pater, et vere; ergo filius est vere Deus. Sed nulla creatura est hujusmodi. Ergo filius non est creatura.

 [4] Tout ce qui est nommé selon une ressemblance se ramène à ce qui est nommé de manière propre. Or, les hommes sont appelés fils de Dieu par ressemblance au Fils unique, Rm 8, 29 : Pour être conformes à l’image de son Fils. Il est donc appelé Fils au sens propre. Or, personne n’est appelé fils de quelqu’un au sens propre à moins d’avoir vraiment la même nature qu’a son père selon l’espèce. Le Fils est donc vraiment Dieu. Or, aucune créature n’est de cette sorte. Le Fils n’est donc pas une créature.

 [8828] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod filius naturaliter a patre procedit: hoc enim ipsum nomen filiationis demonstrat, si vera filiatio sit: quod oportet maxime esse in illa filiatione et paternitate, ex qua omnis paternitas et filiatio in caelo et in terra nominatur: ad Eph. 3. Maxime enim vera sunt quae sunt causa esse veritatis in aliis, ut dicitur 2 Metaph. Omne autem quod naturaliter procedit ab altero, duo habet. Unum est quod aequatur ei a quo procedit: quia natura non postponit facere opus suum, nisi sit ex defectu agentis: qui quidem defectus est in eo, quod agens naturaliter non habet perfectam virtutem ad agendum; sicut pueri ad generandum: vel in eo quod agit per transmutationem exterioris materiae, unde effectus non sequitur nisi in fine transmutationis, et sic oportet quod duratione sequatur suam causam agentem: quae longe sunt a Deo, cujus virtus non augetur, neque materiam ex qua operetur requirit. Restat ergo quod omne naturaliter a Deo procedit, coaeternum sit ei; et ita filius est ab aeterno. Aliud est quod oportet esse in eo quod naturaliter procedit ab altero, quod sit simile ei a quo procedit; quia natura intendit sibi simile producere inquantum potest; unde quod aliquid naturaliter procedens non habeat perfectam similitudinem ejus a quo procedit, contingit vel ex defectu virtutis agentis, sicut in semine in quo debilitatur calor naturalis, unde non sufficit ad generandum masculum, sed feminam; vel ex defectu materiae, quae non potest recipere totam virtutem agentis, sicut accidit in partubus monstruosis. Haec autem duo a Deo longe sunt, ut dictum est, unde oportet quod hoc quod naturaliter a Deo procedit, perfectam similitudinem ad eum habeat. Perfecta autem similitudo esse non potest ubi non est eadem natura secundum speciem. Natura autem divina non potest esse eadem specie nisi sit eadem numero, cum omnino sit immaterialis. Unde oportet quod filius qui naturaliter a Deo patre procedit, habeat eamdem numero naturam cum ipso, et per consequens idem esse; et ita omnibus modis ei erit aequalis. Et quia natura et esse Dei patris nullo modo dependet ad nihil, vel ad non esse, ut scilicet non esse praecedat eam tempore vel natura; ideo nec natura nec esse filii ad nihil aliquo modo dependet. Ex quo patet quod filius nullo modo potest esse creatura, neque secundum quod fides de creatione loquitur, secundum quam ponimus quod non esse duratione creaturam praecessit; nec secundum quod quidam philosophi posuerunt creationem, dicentes illud creari quod esse habet post non esse, non tempore, sed natura: et hoc est cujus esse dependens est ad non esse, quia in se consideratum et sibi relictum non est, cum solum ab altero esse habeat. Sed de hoc in 2 Lib., distinct. 2, dictum est plenius.

Réponse. Le Fils procède du Père naturellement. En effet, c’est ce qu’indique le mot « filiation », s’il s’agit d’une vraie filiation, ce qui doit exister au plus haut point dans cette filiation et cette paternité à partir desquelles toute paternité et toute filiation sont nommées au ciel et sur la terre, Ep 3. En effet, « est vrai au plus haut point ce qui est cause que cela soit vrai chez les autres », comme il est dit dans Métaphysique, II. Or, tout ce qui procède naturellement d’un autre a deux choses. L’une est qu’il est égal à celui dont il procède, car la nature ne reporte pas l’accomplissement de son œuvre, si ce n’est en raison d’une carence de l’agent ; cette carence est en lui parce que l’agent ne possède pas naturellement une puissance parfaite pour agir, comme les enfants pour engendrer, ou elle se trouve chez celui qui agit par la transformation d’une matière extérieure, l’effet ne découlant qu’à la fin de la transformation. Il est ainsi nécessaire qu’il découle de sa cause efficiente dans la durée. Cela est très éloigné de Dieu, dont la puissance n’est pas augmentée et qui ne requiert pas de matière pour agir. Il reste donc que tout ce qui procède de Dieu naturellement lui soit coéternel ; ainsi le Fils existe-t-il éternellement. L’autre chose est que ce qui ressemble à ce dont cela procède soit présent dans ce qui procède naturellement d’un autre, car la nature vise à produire quelque chose qui lui est semblable autant que possible. Qu’une chose qui procède naturellement n’ait pas une parfaite ressemblance avec ce dont elle procède, cela vient soit d’une carence de la puissance de l’agent, comme dans la semence où la chaleur naturelle est affaiblie, de sorte qu’elle ne suffit pas en engendrer un mâle, mais une femelle ; soit d’une carence de la matière, qui ne peut recevoir toute la puissance de l’agent, comme cela se produit dans les naissances de monstres. Or, ces deux choses sont très éloignées de Dieu, comme on l’a dit. Aussi est-il nécessaire que ce qui procède naturellement de Dieu ait une parfaite ressemblance avec lui. Or, il ne peut y avoir de parfaite ressemblance là où il n’y a pas une même nature selon l’espèce. Mais la nature divine ne peut être de la même espèce que si elle est la même en nombre, puisqu’elle est complètement immatérielle. Il est donc nécessaire que le Fils qui procède naturellement de Dieu le Père ait la même nature que lui et, par conséquent, le même être. Ainsi lui sera-t-il égal de toutes les manières. Et parce que la nature et l’être de Dieu le Père ne dépendent de rien ni du néant, de sorte que le néant les précède dans le temps ou par nature, la nature et l’être du Fils non plus ne dépendent de rien d’aucune manière. Il est ainsi clair que le Fils ne peut d’aucune manière être une créature, ni selon ce qu’affirme la foi en la création, selon laquelle nous affirmons que le néant a précédé la créature dans la durée, ni selon ce que certains philosophes ont affirmé de la création, en disant qu’est créé ce qui possède l’être après le non-être, non pas dans le temps, mais par nature. C’est là faire dépendre l’être du non-être, car, considéré en soi et laissé à soi-même, cela n’est pas, puisque cela tient l’être d’un autre seulement.

 [8829] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod istud verbum vel intelligitur de sapientia creata, scilicet angelica natura, quae est ante tempora saecularia, etsi non duratione, tamen ordine naturae; vel intelligitur de filio Dei quantum ad naturam assumptam, quae etsi ante saecula creata non fuerit, fuit tamen ab aeterno praevisa creari.

1. Ce verbe s’entend soit de la sagesse créée, à savoir, la nature angélique, qui existe avant le temps des siècles, même si ce n’est pas par la durée, cependant selon l’ordre de la nature ; soit il s’entend du Fils de Dieu pour ce qui est de la nature assumée, qui, même si elle n’a pas été créée avant les siècles, a cependant été éternellement prévue.

 [8830] Sper Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut Augustinus docet in 1 de Trin., omnia quae minorationem aut subjectionem circa filium Dei ponere videntur, vel referenda sunt ad naturam assumptam secundum quam minor est patre, in forma Dei manens aequalis patri, ut dicitur ad Philip. 2; vel referendum est ad commendationem principii, secundum quod pater dicitur principium filii : et secundum hoc dicitur major, quamvis filius non sit minor, ut dicit Hilarius.

2. Comme l’enseigne Augustin dans Sur la Trinité, I, tout ce qui semble affirmer une infériorité ou un sujétion à propos du Fils de Dieu doit être rapporté à la nature assumée, selon laquelle il est inférieur au Père, tout en demeurant égal au Père quant à la nature divine, comme il est dit dans Ph 2. Ou bien il faut le rapporter à la mise en évidence du principe, selon lequel on dit que le Père est le principe du Fils ; on dit ainsi qu’il est plus grand, bien que le Fils ne soit pas inférieur, comme le dit Hilaire.

 [8831] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod secundum Basilium, accipere a patre filius habet commune cum omni creatura; sed habere per naturam est sibi proprium; unde processio filii a patre in aliquo convenit cum processione quae est in creaturis, communitate analogiae, et in aliquo differt. Convenit quidem in respectu originis, qui est esse ab aliquo; differt autem in hoc quod processio filii a patre est per naturam; aliorum autem per voluntatem. Ex hoc sequitur triplex differentia, ut ex dictis patet. Prima, quod filius est consubstantialis patri; secunda, quod est coaeternus; tertia, quod esse suum nullo modo dependet ad nihil: et haec sequitur ex prima. Unde considerandum est, quod omnia nomina vel verba quae important respectum originis absolute, recipiuntur in processionem divinam, sicut procedit, exit, est ab alio; illa autem quae important aliquid contrarium tribus praedictis, nullo modo dicuntur, sicut factus, quod repugnat consubstantialitati: quia facere dicitur proprie secundum operationem quam agens exercet in id quod est extra: et similiter verbum incipiendi repugnat coaeternitati, et similiter verbum creandi importat dependentiam ad non esse. Sed nativitas ad respectum originis absolute addit aliquid magis pertinens ad consubstantialitatem quam ad differentiam substantiae: quia, sicut supra, dist. 8, dictum est, nascitur proprie quod procedit conjunctum ei a quo procedit: et ideo omnia illa quae pertinent ad generationem vivorum, quorum est nasci, dicuntur in processione filii, sicut oriri et nasci, gigni et generari; et haec est causa quare processio filii potuit habere nomen proprium, non autem processio spiritus sancti, qui non procedit per modum nascentis. Unde generatio vel nativitas non transumitur ad divina secundum quod praesupponit creationem, sed secundum quod importat consubstantialitatem.

3. Selon Basile, le Fils a en commun avec toutes les créatures de recevoir du Père ; mais le posséder par nature lui est propre. Aussi la procession du Fils à partir du Père a quelque chose en commun avec la procession qui se réalise pour les créatures selon une communauté d’analogie, mais elle en diffère sur un point. Elle a commun ce qui concerne l’origine, qui consiste à exister par un autre ; mais elle diffère par le fait que la procession du Fils se réalise par nature, mais celle des autres, par volonté. Il en découle une triple conséquence. La première est que le Fils est consubstantiel au Père ; la deuxième est qu’il lui est coéternel ; la troisième est que son existence ne dépend en rien du néant, et cette dernière découle de la première. Il faut donc considérer que tous les noms ou verbes qui comportent un rapport d’origine de manière absolue sont acceptés pour la procession divine : ainsi, il « procède », « vient de » ou « tient son être d’un autre » ; mais ceux qui comportent quelque chose de contraire aux trois [conséquences] mentionnées ne se disent d’aucune manière [de la procession divine] : ainsi, « il a été fait », qui s’oppose à la consubstantialité, car « faire » se dit au sens propre de l’opération qu’un agent exerce sur ce qui est extérieur ; de même, le verbe « commence » s’oppose à la coéternité, et de même le verbe « créer » comporte une dépendance par rapport au non-être. Mais « naissance » ajoute de manière absolue quelque chose qui concerne davantage la consubstantialité que la différence de substance, car, ainsi qu’on l’a dit plus haut, d. 8, naît au sens propre ce qui procède en étant uni à ce dont il procède. C’est pourquoi tout ce qui se rapporte à génération des vivants, à qui il appartient de naître, se dit de la procession du Fils, comme « être issu de » et « naître », « être enfanté » et « être engendré ». Telle est la raison pour laquelle la procession du Fils a pu porter une nom propre, mais non la procession de l’Esprit Saint, qui ne procède pas par mode de naissance. Aussi la « génération » et la « naissance » ne sont-elles pas reportées sur les réalités divines selon qu’elles présupposent la création, mais selon qu’elles comportent la consubstantialité.

 [8832] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ratio illa sequitur de eo quod est ab alio, habens aliam naturam ab ipso: quia sic naturae ejus quod est ab alio, non debetur esse ex se ipsa; unde ipsa non est suum esse, ut habeat necessitatem essendi ex se. Sed filius est a patre, habens eamdem numero naturam; unde sicut natura patris est suum esse, ac per hoc necesse esse; ita et natura filii: nec ejus esse est aliquo modo dependens ad nihil, sicut nec esse patris.

4. Cet argument découle de ce qui existe à partir d’un autre et posséde une autre nature que lui, car ainsi l’être n’est pas dû par la nature même de ce qui vient de l’autre ; aussi [cette nature] n’est-elle pas son propre être, de sorte qu’il soit nécessaire qu’elle existe par elle-même. Mais le Fils vient du Père en ayant la même nature en nombre. Aussi, de même que le Père est son propre être et ainsi existe nécessairement, de même aussi la nature du Fils. Et son être ne dépend aucunement du néant, pas davantage que l’être du Père.

 [8833] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod esse filii non est creatum: unde filius non habet causam sui esse; nec suum esse habet principium: quamvis enim secundum nos ipse filius habeat principium a quo est, non tamen causam: quia secundum nos nomen principii importat relationem originis absolute; nomen autem causae importat respectum originis per comparationem ad esse rei quod a causa procedit: unde terminus a quo, dicitur principium motus, non tamen causa. Sed secundum Graecos nomen causae importat simplicem formae originem, sicut nomen principii secundum nos. Et quamvis dicamus patrem principium filii, non tamen dicimus filium principiatum a patre; quia nomine principiati non utimur nisi in his quae sunt constituta in esse per principium: unde linea non dicitur esse principiatum puncti, sicut nec motus termini a quo; sed tamen dicitur esse a principio.

5. L’être du Fils n’est pas créé. Aussi le Fils n’a-t-il pas une cause de son être et son être n’a-t-il pas de principe. En effet, bien que, pour nous, le Fils lui-même ait un principe par lequel il existe, il n’a cependant pas de cause, car, pour nous, le mot « principe » comporte une relation d’origine de manière absolue, mais le mot « cause » comporte un rapport d’origine se référant à l’existence d’une chose qui procède d’une cause. Ainsi le terme a quo est-il appelé le principe d’un mouvement, mais non sa cause. Mais, selon les Grecs, le mot « cause » comporte une simple origine de la forme, comme le mot « principe » selon nous. Et bien que nous disions que le Père est principe du Fils, nous ne disons cependant pas que le Fils dépende du principe qu’est le Père, car nous n’employons l’expression « dépendre du principe » que pour les choses qui sont amemnés à l’existence par un principe. Ainsi on ne dit pas que la ligne dépend du principe qu’est le point, pas davantage que le mouvement [dépend] du principe qu’est le terme a quo ; on dit cependant qu’ils viennent d’un principe.

 [8834] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod filius non habuit esse antequam generaretur. Sed quia generatio ejus est aeterna, et esse ejus aeternum est.

6. Le Fils n’avait pas d’être avant d’être engendré. Mais parce que sa génération est éternelle, son être aussi est éternel.

 [8835] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod sicut creatura non habet esse nisi a Deo, ita nec filius habet esse nisi a patre. Sed in hoc est differentia, quod creatura non est illa relatio secundum quam dicitur esse a Deo, per quam habet esse; et ideo potest considerari in se, sine respectu ejus ad Deum; et sic invenitur non habens esse. Sed filius Dei est ipsa relatio secundum quam habet esse a patre, et ipsa relatio est ipsum esse: et ideo non potest filius considerari sine respectu ad patrem, ut inveniatur in se non habens esse, vel potens in nihilum decidere.

7. De même que la créature ne tient son être que de Dieu, de même le Fils ne tient-il son être que du Père. Mais il y a la différence que la créature n’est pas la relation selon laquelle on dit qu’elle vient de Dieu, par laquelle elle a l’être. Elle peut donc être considérée en elle-même, sans son rapport à Dieu. Ainsi voit-on qu’elle n’a pas d’être. Mais le Fils de Dieu est la relation même selon laquelle il tient son être du Père, et la relation elle-même est son être. Aussi le Fils ne peut-il être considéré sans rapport au Père, de sorte qu’il se trouveerait sans possder l’être ou poouvant tomber dans le néant.

 

 

Articulus 2 [8836] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 2 tit. Utrum Christus sit creatura

Article 2 – Le Christ est-il une créature ?

 [8837] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur, videtur quod Christus sit creatura. Leo Papa: nova et inaudita conventio: Deus qui erat et qui est, fit creatura. Sed illud quod Deus fit, potest de Christo praedicari. Ergo Christus est creatura. Damascenus etiam dicit de Christo, quod non scandalizabitur ad nomen creaturae.

1. Il semble que le Christ soit une créature. Le pape Léon dit : « Nouvelle entente inouie ! Le Dieu qui était et qui est devient une créature. » Or, ce que Dieu devient peut être attribué au Christ. Le Christ est donc une créature. [Jean] Damascène dit aussi, à propos du Christ, qu’« il ne se scandalisera pas du nom de créature ».

 [8838] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, de quocumque praedicatur inferius, et superius. Sed creatura est superius ad hominem. Ergo cum homo praedicetur de Christo, creatura de ipso praedicabitur.

2. Ce dont on prédique ce qui est inférieur, [on prédique] aussi ce qui est supérieur. Or, « créature » est quelque chose de supérieur à « homme ». Puisqu’on prédique « homme » du Christ, « créature » sera donc prédiqué de lui.

 [8839] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, omne quod est, vel est creatum vel increatum. Si ergo Christus est homo, vel erit homo creatus vel increatus. Sed non est homo increatus, sicut nec homo aeternus, quia omne increatum est. Ergo est homo creatus: ergo est creatura.

3. Tout ce qui existe est soit créé, soit incréé. Si donc le Christ est homme, il sera soit un homme créé, soit un homme incréé. Or, l’homme incréé n’existe pas, pas plus que l’homme éternel, car tout ce qui est incréé est. Il est donc un homme créé, et donc, il est une créature.

 [8840] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, id quod convenit parti, transumitur ad praedicationem totius; sicut homo dicitur Crispus propter capillos. Sed humana natura est quasi pars personae compositae, pro qua supponit hoc nomen Christus. Ergo cum humana natura sit creatura, Christus potest dici creatura.

4. Ce qui convient à une partie est repris comme prédication du tout, comme on dit « homme » de Crispus à cause de ses cheveux. Or, la nature humaine est pour ainsi dire une partie d’une personne composée, à laquelle est attribué ce nom « Christ ». Puisque la nature humaine est une créature, le Christ peut donc être appelé une créature.

 [8841] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, principalior pars hominis Christi est anima quam corpus. Sed ratione corporis quod de virgine traxit, simpliciter dicitur natus de virgine. Ergo ratione animae, quae creata est a Deo, debet dici creatura.

5. La partie principale de l’homme Christ est plutôt son âme que son corps. Or, en raison du corps qu’il qu’il a tiré de la Vierge, on dit tout simplement qu’il est né de la Vierge. En raison de son âme, qui a été créée par Dieu, on doit donc l’appeler une créature.

 [8842] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 2 arg. 6 Praeterea, sicut repugnat nomen creaturae filio increato; ita repugnat temporaliter nasci aeternaliter nato. Sed tamen dicimus Christum temporaliter natum. Ergo et simpliciter possumus ipsum dicere creaturam.

6. De même que le nom de « créature » s’oppose au Fils incréé, de même le fait de naître dans le temps s’oppose-t-il à celui qui est né éternellement. Cependant, nous disons que le Christ est né dans le temps. Nous pouvons donc dire tout simplement qu’il est une créature.

 [8843] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, creatura non potest praedicari de aliquo aeterno. Sed Christus supponit suppositum aeternum. Ergo non potest dici creatura.

Cependant, [1] on ne peut prédiquer « créature » d’une réalité éternelle. Or, « Christ » est attribué à un suppôt éternel. On ne peut donc dire qu’il est une créature.

 

 

 [8844] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, in Christo nihil creatum est, nisi humana natura. Sed humana natura non praedicatur de Christo. Ergo Christus non potest dici creatura.

 [2] Il n’y a rien de créé dans le Christ, si ce n’est la nature humaine. Or, la nature humaine n’est pas prédiquée du Christ. On ne peut donc pas dire que le Christ est une créature.

 [8845] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 2 s. c. 3 Praeterea, omnis creatura rationalis est filius Trinitatis per creationem. Sed Christus si est creatura, est creatura rationalis. Ergo est filius Trinitatis per creationem: quod supra improbatum est, dist. 4.

 [3] Toute créature raisonnable est fils de la Trinité en vertu de la création. Or, le Christ, s’il est une créature, est une créature raisonnable. Il est donc fils de la Trinité en vertu de la création, ce qui a été rejeté plus haut, d. 4.

 [8846] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod creatio proprie respicit esse rei: unde dicitur in Lib. de causis, quod esse est per creationem, alia vero per informationem. Esse autem simpliciter et per se est suppositi subsistentis; alia vero dicuntur esse, inquantum suppositum in eis subsistit, vel essentialiter, sicut materia et forma, et sic natura ipsa dicitur esse; vel accidentaliter, sicut accidentia dicuntur esse. Esse ergo dictum simpliciter de supposito significat esse personale ipsius; esse vero, secundum quod convenit parti vel accidenti, non dicitur simpliciter de supposito, sed suppositum dicitur esse in eo; unde cum dico: Christus est, significatur esse ipsius, non autem esse ipsius naturae, vel accidentis, vel partis. Cum autem fiat unio naturarum in esse suppositi secundum secundam opinionem, esse, secundum quod Christus simpliciter esse dicitur, est esse increatum; unde non potest dici creatura, non tantum ad evitandum errorem Arii, ut quidam dicunt, sed etiam ad vitandum falsitatem. Potest tamen dici, quod aliquid creatum est in Christo, scilicet humana natura; quia esse quamvis sit unum, tamen respectum habet ad naturam et ad partes ejus, secundum quas humana natura dicitur esse in Christo, vel partes aut accidentia ejus, ut supra, dist. 6, dictum est. Unde sicut esse aliquo modo ad naturam pertinet, et ad partes et accidentia ejus, ita et creatio.

Réponse. La création concerne au sens propre l’être d’une chose. Aussi est-il dit dans le Livre sur les causes, que « l’être vient de la création, mais les autres choses, de la réception d’une forme ». Or, l’être est tout simplement et par soi le fait d’un suppôt subsistant ; on dit que les autres choses sont pour autant que le suppôt subsiste en elles, soit essentiellement, comme la matière et la forme, et ainsi on dit que la nature elle-même existe ; soit accidentellement, comme lorsqu’on dit que des accidents existent. L’être, affirmé simplement d.un suppôt, signifie donc son être personnel ; mais l’être, selon qu’il convient à une partie ou à un accident, n’est pas attribué tout simplement au suppôt, mais on dit que le suppôt existe en eux. Ainsi, lorsque je dis : « Le Christ est », cela signifie son être, mais non l’être de sa nature, d’un accident ou d’une partie. Puisque l’union des natures se réalise dans l’être du suppôt selon la deuxième opinion, l’être, selon lequel on dit que le Chrit est tout simplement, est un acte d’être incréé. On ne peut donc l’appeler une créature, non seulement pour éviter l’erreur d’Arius, comme le disent certains, mais aussi pour éviter une fausseté. On peut cependant dire qu’il existe quelque chose de créé dans le Christ : la nature humaine, car l’être, bien qu’il soit unique, concerne cependant la nature et les parties selon lesquelles on dit qu’existent dans le Christ une nature humaine, ses parties ou ses accidents, comme on l’a dit plus haut, d. 6. Comme l’être concerne d’une certaine manière la nature, ses parties et ses accidents, de même en est-il de la création.

 [8847] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod verba illa intelligenda sunt cum determinatione, ut dicit Magister in littera; quamvis illa determinatio causa brevitatis intermittatur.

1. Ces paroles doivent s’entendre en y ajoutant une précision, comme le dit le Maître dans le texte, bien que cette précision soit laissée de côté pour cause de brièveté.

 [8848] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod creatura non est superius ad hominem: quia creatio magis respicit esse quam naturam. Esse autem non est genus, nec inducitur in significatione alicujus generis, ut dicit Avicenna, cum ea quae sunt in uno genere, non conveniant in uno esse, sed in natura communi. Vel dicendum, quod creatura non est superius ad hominem, significans quid est homo: quia creatio non respicit naturam vel essentiam, nisi mediante actu essendi; qui est primus terminus creationis. Humana autem natura in Christo non habet aliud esse perfectum, quod est esse hypostasis, quam esse divinae personae; et ideo, simpliciter loquendo, creatura dici non potest: quia intelligeretur quod esse perfectum hypostasis Christi per creationem esset acquisitum.

2. La créature n’est pas quelque chose de supérieur à l’homme, car la création concerne davantage l’être que la nature. Or, l’être n’est pas un genre et n’est invoqué dans la signification d’aucun genre, comme le dit Avicenne, puisque ce qui existe dans un genre ne se rejoint pas dans un seul être, mais dans une nature commune. Ou bien il faut dire que la créature n’est pas quelque chose de supérieur à l’homme, en parlant de ce qu’est l’homme, car la création ne concerne la nature ou l’essence qu’à travers l’être, qui est le premier terme de la création. Or, la nature humaine dans le Christ n’a pas d’autre être parfait, qui est l’être de l’hypostase, que l’être de la personne divine. Ainsi, à parler tout simplement, il ne peut pas être appelé une créature, car on comprendrait que l’être parfait de l’hypostase du Christ serait obtenu par création.

 [8849] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod cum dicitur, Christus est homo creatus, locutio est duplex: ex eo quod hoc participium creatus potest determinare praedicatum in comparatione ad subjectum, et sic potest esse vera, sicut et ista: Christus est factus homo. Si autem determinat absolute praedicatum, tunc est falsa: quia in homine non intelligitur tantum natura, sed suppositum aeternum, cui non convenit esse creatum: quod enim determinat praedicatum in ordine ad subjectum, est determinatio ipsius inquantum est praedicatum; unde oportet quod respiciat praedicatum formaliter: quia termini in praedicato ponuntur formaliter; determinatio autem quae determinat absolute ponitur circa praedicatum sicut circa subjectum quoddam; unde magis respicit suppositum quam formam. Similiter etiam haec est falsa: Christus est homo increatus: quia privatio creationis ponitur circa praedicatum ratione utriusque; et ideo utraque falsa est, nec sibi contradicunt, sed haec est vera: Christus est homo qui non est creatus sed aeternus ex parte deitatis, non tamen aeternus homo, ut aeternitas determinet praedicatum in ordine ad subjectum.

3. Lorsqu’on dit : « Le Christ est un homme créé », on exprime deux choses. Ce participe « créé » peut déterminer le prédicat par rapport au sujet : cette proposition peut alors être vraie, comme celle-ci : « Le Christ est devenu un homme. » Mais s’il détermine le sujet de manière absolue, alors la proposition est fausse, car, dans l’homme, on ne comprend pas seulement la nature, mais le suppôt éternel, auquel un être créé ne convient pas. En effet, ce que détermine un prédicat par rapport à un sujet est une détermination de lui-même en tant qu’il est un prédicat. Il faut donc que cela concerne le prédicat de manière formelle, car les termes d’un prédicat sont affirmés de manière formelle. Mais la détermination qui détermine de manière absolue est affirmée du prédicat comme d’un sujet ; elle concerne donc davantage le suppôt que la forme. De même aussi, cette proposition est fausse : « Le Christ est un homme incréé », car la privation de création est affirmée du prédicat en raison des deux ; aussi les deux sont-elles fausses et ne se contredisent pas ; mais la proposition suivante est vraie : « Le Christ est un homme qui n’est pas créé, mais qui est éternel en raison de sa divinité ; mais il n’est pas un homme éternel, pour autant que l’éternité détermine le prédicat par rapport au sujet. »

 [8850] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod totum denominatur a proprietate partis, quando illa proprietas nullo modo nata est convenire nisi parti illi, sicut crispitudo capillis, et claudicatio pedi. Sed creatio non tantum naturae, sed etiam personae nata est convenire, et etiam personae et supposito magis proprie; et ideo non potest dici de supposito quod sit creatum, quia natura est creata.

4. Le tout est désigné par ce qui est propre à la partie lorsque ce qui est propre ne peut aucunement convenir à autre chose qu’à cette partie, comme le fait d’être crépus pour des cheveux et de boiter pour un pied. Mais la création ne peut pas convenir seulement à la nature, mais aussi à la personne, et même d’une manière plus propre à la personne et au suppôt. C’est pourquoi on ne peut pas dire d’un suppôt qu’il est créé parce que sa nature est créée.

 [8851] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 2 ad 5 Et per hoc patet solutio ad quintum: quia nasci de matre non est natum convenire supposito hominis, nisi per hoc quod corpus traducit a matre; unde non habet repugnantiam temporaliter nasci ad aeternaliter nasci: quia unum naturam humanam respicit, et alterum divinam: quarum habet unam Christus a patre aeternaliter, alteram a matre temporaliter. Sed creatum et increatum utrumque potest respicere suppositum ratione esse quod est suppositi.

5. La réponse au cinquième argument ressort ainsi clairement, car naître d’une mère n’est une naissance qui convient au suppôt de l’homme que par le fait qu’il tire son corps de sa mère. Ainsi le fait de naître temporellement ne s’oppose pas au fait de naître éternellement, car une chose concerne la nature humaine et l’autre, la nature divine : le Christ tient l’une de son Père éternellement, et l’autre, de sa mère temporellement. Or, ce qui est créé et ce qui est incréé peuvent tous deux concerner le suppôt en raison de l’être qui est le fait du suppôt.

 [8852] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 2 ad 6 Unde patet solutio ad sextum.

6. Ainsi ressort la réponse au sixième argument.

 

 

Articulus 3 [8853] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 3 tit. Utrum Christus secundum quod homo, sit creatura

Article 3 –Le Christ, en tant qu’homme, est-il une créature ?

 [8854] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Christus non possit dici creatura secundum quod homo. Quidquid enim praedicatur de altero secundum quod ipsum est, praedicatur de eo simpliciter. Sed quod praedicatur de Christo secundum quod homo, praedicatur de eo secundum quod ipsum est, quia ipse est essentialiter homo. Ergo cum esse creaturam non praedicetur simpliciter, non potest praedicari de eo secundum quod homo.

1. Il semble que le Christ ne soit pas une créature selon qu’il est homme. En effet, tout ce qui est attribué à un autre selon ce qu’il est lui est simplement attribué. Or, ce qui est attribué au Christ selon qu’il est un homme lui est attribué selon ce qu’il est, car il est un homme par essence. Puisque le fait d’être une créature ne lui est pas attribué simplement, il ne peut donc lui être attribué en tant qu’il est homme.

 [8855] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, magis est esse filium adoptivum quam esse creaturam. Sed non potest dici quod Christus, secundum quod homo, sit filius adoptivus. Ergo multo minus potest dici quod, secundum quod homo, sit creatura.

2. Être fils adoptif est plus grand qu’être une créature. Or, on ne peut pas dire que le Christ, en tant qu’homme, est un fils adoptif. Donc, encore bien moins qu’il est une créature selon qu’il est homme.

 [8856] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, secundum quod Magister dicit in littera, haec est tropica locutio: Christus est creatura. Ergo si Christus, secundum quod homo, sit creatura, et haec etiam erit impropria, Christus est homo, quod est falsum.

3. D’après ce que dit le Maître dans le texte, la proposition suivante est figurée : « Le Christ est une créature. » Si donc le Christ, en tant qu’homme, est une créature, cette proposition aussi sera impropre : « Le Christ est un homme », ce qui est faux.

 [8857] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, nihil est creatum in Christo nisi humana natura. Sed haec est falsa: Christus, secundum quod homo est humana natura. Ergo et haec: Christus secundum quod homo, est creatura.

4. Rien n’est créé dans le Christ que la nature humaine. Or, cette proposition est fausse : « Le Christ, selon qu’il est homme, est la nature humaine. » Donc, celle-ci aussi sera fausse : « Le Christ, selon qu’il est homme, est une créature. »

 [8858] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, ista se compatiuntur, ut Christus sit homo, et sit Deus. Ergo quod non compatitur secum hoc quod est esse Deum, non potest praedicari de Christo secundum quod homo, sicut hoc quod est carere divinitate. Sed esse creaturam non compatitur secum hoc quod est esse Deum. Ergo Christus non est creatura, secundum quod homo.

5. Le fait que le Christ soit homme et le fait qu’il soit Dieu sont compatibles. Donc, ce qui n’est pas compatible selon qu’il esst Dieu ne peut être attribué au Christ selon qu’il est homme, comme le fait que la divinité lui fasse défaut. Or, être une créature n’est pas compatible avec le fait d’être Dieu. Le Christ n’est donc pas une créature selon qu’il est homme.

 [8859] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, omne quod non est aeternum, est creatum. Sed Christus, secundum quod homo, non est aeternus, sicut nec Deus. Ergo secundum quod homo, est creatura.

Cependant, [1] tout ce qui n’est pas éternel est créé. Or, le Christ en tant qu’homme n’est pas éternel, de même qu’il n’est pas Dieu non plus. Selon qu’il est homme, il est donc une créature.

 [8860] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, omne quod factum est, creatum est. Sed Christus secundum quod homo, est factus. Ergo est creatus secundum quod homo.

2. Tout ce qui est devenu a été créé. Or, selon qu’il est homme, le Christ est devenu. Il a donc été créé en tant qu’homme.

 [8861] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 3 s. c. 3 Praeterea, omnis conditio alicujus naturae potest praedicari de aliquo secundum nomen significans naturam illam. Sed homo significat naturam humanam, cujus conditio est quod sit creatura. Ergo Christus potest dici creatura secundum quod homo.

3. Toute condition d’une créature peut être attibuée à uune chose par un nom signifiant cette nature. Or, « homme » signifie la nature humaine, dont la condition est d’être une créature. Le Christ peut donc être appelé une créature selon qu’il est homme.

 [8862] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod humana natura se habet ad compositam personam Christi sicut pars; quamvis proprie pars dici non possit, nec proprie persona composita, ut supra, dist. 6, qu. 2, art. 3, dictum est. Pars autem aliquando habet aliquam dispositionem quae nata est convenire toti; aliquando vero aliam quae non est nata convenire toti: sicut albedo quae inest capillis, potest etiam toti convenire: crispitudo autem ita convenit capillis quod nullo modo toti, vel alicui alteri parti. Ergo secundum dispositiones illas quae insunt tantum parti, denominatur totum simpliciter et proprie per dispositionem partis, nullo addito; sicut homo dicitur Crispus; sed quantum ad illas dispositiones quae natae sunt parti et toti convenire, non denominatur totum a parte simpliciter, sed addita parte, ut cum dicitur homo albus secundum capillos; nec proprie, sed figurative per sinecdochen. Unde patet quod cum creatio naturae et personae nata sit convenire, sicut et esse; utrique aliquo modo convenit: non tamen potest dici de Christo, quod sit creatura, quia humana natura creata est, nisi fiat additio, ut si dicatur: secundum hominem, vel secundum quod homo; et tunc etiam tropica est et figurativa, ut dicit Magister, sicut et haec: Aethiops est albus secundum dentem.

Réponse. La nature humaine est comme une partie de la personne composée du Christ, bien qu’elle ne puisse être appelée une partie au sens propre, ni une personne composée, comme on l’a dit plus haut, d. 6, q. 2, a. 3. Or, une partie a parfois une disposition par laquelle elle est destinée à convenir au tout, mais parfois une autre disposition qui n’est pas destinée à convenir au tout. Ainsi, la blancheur des cheveux peut aussi convenir à un tout, mais le fait pour les cheveux d’être crépus ne convient d’aucune manière au tout ou à une autre partie. Selon les dispositions qui sont inhérentes seulement à une partie, le tout est donc désigné tout simplement et au sens propre par la disposition de la partie, sans aucun ajout, comme un homme est appelé Crispus ; mais, selon les dispositions qui peuvent convenir à une partie et au tout, le tout n’est pas désigné par la partie tout simplement, mais en ajoutant la partie, comme lorsqu’on dit qu’un homme est blanc par ses cheveux ; cependant, il ne l’est pas au sens propre, mais au sens figuré par synecdoque. Puisque la création peut convenir à la nature et à la personne, de même que l’être, elle convient donc aux deux d’une certaine manière ; mais on ne peut cependant pas dire du Chirst qu’il est une créature ‑ car la nature humaine a été créée ‑, sans un ajout, comme dire : « selon l’homme », ou « selon qu’il est homme ». Et même alors, il s’agit d’une expression figurée, comme celle-ci : « L’Éthiopien est blanc par sa dent. »

 [8863] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illa ratio procedit in his quae praedicantur proprie et per se; sed haec non est propria praedicatio, ut dictum est.

1. Cet argument vaut pour ce qui est attribué au sens propre et par soi ; mais [l’attribution en cause] n’est pas une attribution au sens propre, comme on l’a dit.

 [8864] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod esse filium adoptivum, nullo modo natum est convenire nisi personae; et ideo non potest dici filius adoptivus secundum humanam naturam, sicut dicitur creatura: quia creaturae nomen et personae et naturae aptatur.

2. Être un fils adoptif ne peut convenir qu’à la personne. C’est pourquoi on ne peut dire qu’il est fils adoptif selon la nature humaine, comme on dit qu’il est une créature, car le nom de « créature » est adapté à la personne et à la nature.

 [8865] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quando cum reduplicatione est propria praedicatio, tunc praedicatum per se convenit ei quod replicatur: sicut Christus, secundum quod homo, est animal; haec enim est per se et proprie: homo est animal; et ideo simili modo praedicatum et reduplicatio de subjecto praedicatur. Haec autem reduplicatio non est nota per se praedicationis: haec enim non est propria: hic homo, scilicet Christus, est creatura, nec etiam est per se, quia creatura non est superius ad hominem, significans quid est homo, ut dictum est; et ideo non oportet quod si creatura improprie dicatur de Christo, etiam ipse improprie dicatur homo.

3. Lorsqu’il y a une attribution propre avec une explicitation, le prédicat convient alors à ce qui est explicité, comme : « Le Christ, en tant qu’homme, est un animal ». En effet, la proposition suivante est propre et par soi : « L’homme est un animal » ; de même, le prédicat et ce qui est explicité sont-ils attribués au sujet. Mais cette explicitation n’est pas par soi une note de l’attribution. En effet, la proposition suivante n’est pas propre : « Cet homme, à savoir le Christ, est une créature » ; elle n’est pas non plus par soi, car la créature n’est pas quelque chose de supérieur à l’homme, signifiant ce qu’est l’homme, comme on l’a dit. C’est pourquoi, si on dit de manière impropre que le Christ est une créature, on dira aussi de manière impropre qu’il est un homme.

 [8866] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod natura humana in abstracto non praedicatur de Christo secundum quod homo; sed conditiones ejus et in concreto possunt de Christo praedicari secundum quod homo, vel proprie vel improprie. Creatura autem in concretione dicitur, quia omne creatum est creatura.

4. La nature humaine n’est pas attribuée au Christ dans l’abstrait, mais ses conditions peuvent être attribuées au concret au Christ en tant qu’il est homme, soit au sens propre, soit au sens impropre. Mais on parle de créature au concret, car tout ce qui a été créé est créature.

 [8867] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quamvis illud quod convenit parti, aliquo modo possit dici de toto, non tamen oportet ut quod removetur a parte, removeatur a toto; unde quamvis Aethiops secundum dentem habeat albedinem, non potest tamen dici quod sit carens nigredine: quia quod non convenit sibi secundum unam partem, potest sibi convenire secundum aliam; et similiter quamvis Christus sit creatura, secundum quod homo, non tamen potest dici quod, secundum quod homo, careat divinitate quae sibi competit per aliam naturam.

5. Bien que ce qui convient à la partie puisse être attribué d’une certaine manière au tout, il n’est cependant pas nécessaire que ce qui est enlevé à la partie soit enlevé au tout. Ainsi, bien que l’Éthiopien possède la blancheur par sa dent, on ne peut cependant pas dire que le noir lui fait défaut, car ce qui ne lui convient pas selon une partie peut lui convenir selon une autre. De même, bien que le Christ soit une créature selon qu’il est homme, on ne peut cependant pas dire que, selon qu’il est homme, la divinité lui fait défaut, celle-ci lui convenant par une autre nature.

 

 

 Articulus 4 [8868] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4 tit. Utrum ea quae sunt humanae naturae possint dici de filio Dei

Article 4 – Ce qui appartient à la nature humaine peut-il être dit du Fils de Dieu ?

 [8869] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur, quod ea quae sunt humanae naturae, non possint dici de filio Dei. Omnis enim proprietas vel accidens naturae humanae, est quid creatum. Sed filius Dei non informatur aliquo creato. Ergo non potest praedicari de filio Dei aliquod accidens humanae naturae.

1. Il semble que ce qui appartient à la nature humaine ne puisse être dit du Fils de Dieu. En effet, toute propriété ou accident de la nature humaine est quelque chose de créé. Or, le Fils de Dieu ne reçoit pas forme de quelque chose de créé. On ne peut donc attribuer au Fils de Dieu un accident de la nature humaine.

 [8870] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, quod proprietates divinae naturae dicuntur de filio Dei, contingit ex hoc quod filius Dei est natura divina. Sed filius Dei non est natura humana. Ergo proprietates humanae naturae non praedicantur de filio Dei.

2. Que les propriétés de la nature divine soient dites du Fils de Dieu, cela vient de ce que le Fils de Dieu est la nature divine. Or, le Fils de Dieu n’est pas la nature humaine. Les propriétés de la nature humaine ne sont donc pas attribuées au Fils de Dieu.

 [8871] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, humanae naturae convenit assumi a filio Dei, et homini convenit esse unitum. Sed hoc non convenit filio Dei. Ergo non oportet quod ea quae conveniunt naturae humanae, dicantur de filio Dei.

3. Il convient que la nature humaine soit assumée par le Fils de Dieu et il [lui] convient d’être unie à l’homme. Or, cela ne convient pas au Fils de Dieu. Il n’est donc pas nécessaire que ce qui convient à la nature humaine soit dit du Fils de Dieu.

 [8872] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, haec est vera: iste homo est praedestinatus. Sed haec est falsa: filius Dei est praedestinatus. Ergo idem quod prius.

4. Cette proposition est vraie : « Cet homme est prédestiné. » Or, celle-ci est fausse : « Le Fils de Dieu est prédestiné. » La conclusion est donc la même que précédemment.

 [8873] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4 arg. 5 Praeterea, omnis proprietas humanae naturae est quid creatum. Sed creatura non praedicatur de filio Dei. Ergo nec proprietas humanae naturae.

5. Toute propriété de la nature humaine est quelque chose de créé. Or, la créature n’est pas attribuée au Fils de Dieu. Donc, ni une propriété de la nature humaine.

 [8874] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4 arg. 6 Praeterea, ea quae praedicantur de Christo secundum quod homo, non praedicantur de ipso secundum quod filius Dei. Ergo videtur eadem ratione quod ea quae praedicantur de homine, non praedicentur de filio Dei.

6. Ce qui est attribué au Christ en tant qu’il est homme ne lui est pas attribué en tant qu’il est le Fils de Dieu. Pour la même raison, il semble donc que ce qui est attribué à l’homme ne soit pas attribué au Fils de Dieu.

 [8875] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4 arg. 7 Sed contra, de quocumque praedicatur aliquid, praedicantur de eo omnia consequentia ad ipsum, etiamsi sit praedicatio accidentalis; sicut si homo est albus, sequitur quod sit coloratus. Sed homo praedicatur de Deo. Ergo quidquid praedicatur de homine, praedicatur de filio Dei.

7. Cependant, tout ce à quoi quelque chose est attribué se voit attribuer tout ce qui en découle, même s’il s’agit d’une attribution accidentelle ; ainsi, si un homme est blanc, il en découle qu’il est coloré. Or, « homme » est attribué à Dieu. Tout ce qui est attribué à l’homme est donc attribué au Fils de Dieu.

 [8876] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4 arg. 8 Praeterea, quaecumque consequuntur naturam, praedicantur de suppositis naturae illius. Sed filius Dei est suppositum humanae naturae. Ergo consequentia naturam humanam possunt praedicari de filio Dei.

8. Tout ce qui découle de la nature est attribué aux suppôts de cette nature. Or, le Fils de Dieu est un suppôt de la nature humaine. Tout ce qui découle de la nature humaine peut donc être attribué au Fils de Dieu.

 [8877] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4 arg. 9 Praeterea, Christus est persona subsistens in duabus naturis, divina et humana. Sed omnia quae conveniunt divinae naturae, possunt praedicari de Christo. Ergo pari ratione omnia ea quae conveniunt naturae humanae.

9. Le Christ est une personne subsistant en deux natures : la divine et l’humaine. Or, tout ce qui donvient à la nature divine peut être attribué au Christ. Donc, pour la même raison, tout ce qui convient à la nature humaine.

 [8878] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4 arg. 10 Praeterea, nihil magis repugnat divinae naturae quam mori. Sed dicitur, quod filius Dei est mortuus. Ergo et omnia alia possunt dici de filio Dei quae conveniunt humanae naturae.

10. Rien ne s’oppose davantage à la nature divine que de mourir. Or, on dit que le Fils de Dieu est mort. Donc, toutes les autres choses qui conviennent à la nature humaine peuvent être attribuées au Fils de Dieu.

 [8879] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod natura et suppositum naturae in quibusdam differunt re et ratione, sicut in compositis; in quibusdam autem ratione et non re, sicut in divinis. Sed differentia quae est secundum rationem, est differentia oppositionis: quia natura et suppositum habent intentiones oppositas; et ideo ea quae pertinent ad rationem naturae, nullo modo praedicantur de supposito neque in abstracto neque in concreto, neque in divinis neque in humanis; sicut pater non dicitur commune tribus, nec Petrus dicitur forma totius. Differentia autem quae est secundum rem, non est oppositionis, sed est sicut principii formalis ad formatum; et ideo quae secundum rem ad naturam pertinent, possunt praedicari de supposito, sicut natura praedicatur, scilicet in concreto. Quia autem unio facta est in supposito, ut scilicet sit unum et idem suppositum divinae et humanae naturae; ideo de illo supposito possunt praedicari ea quae consequuntur secundum rem utramque naturam, sicut et ipsae naturae de ipso praedicantur: quia enim divina natura praedicatur de filio Dei in concreto et in abstracto; ideo proprietates ejus possunt utroque modo praedicari de ipso: quia vero humana natura praedicatur in concreto tantum; ideo humanae naturae proprietates in concreto tantum praedicantur. Nec differt utrum fiat praedicatio de supposito secundum nomen quod significat divinam naturam, ut verbum; vel humanam, ut Jesus, vel utrumque, sicut Christus; quia per omnia supponitur idem suppositum: sed tamen hoc suppositum non constituitur per naturam humanam, sed humana natura advenit ei jam ab aeterno praeexistenti in alia natura. Unde duo singulariter inveniuntur in compositione humanae naturae ad istud suppositum, scilicet quod unitur ei, et quod se habet ad ipsum per modum partis, secundum quod istud suppositum in duabus naturis subsistit; et ideo a praedicta generalitate excluduntur ea quae unionem important, et iterum ea quae nata sunt de se et personae et naturae convenire, quae non possunt praedicari de supposito nisi cum additione, sicut ea quae sunt partis de toto.

Réponse. La nature et le suppôt de la nature se différencient en réalité et selon la raison par certains aspects, comme c’est le cas pour les composés, mais, selon d’autres aspects, selon la raison et non pas en réalité, comme c’est le cas pour les réalités divines. Or, la différence qui existe selon la raison est une différence d’opposition, car la nature et le suppôt ont des intentions opposées. Ce qui appartient à la raison de la nature n’est donc aucunement attribué au suppôt ni abstraitement ni concrètement, ni pour les réalités divines ni pour les réalités humaines. Ainsi, on ne dit pas que le Père est quelque chose de commun au trois [personnes], et on ne dit pas que Pierre est la forme du tout. Mais la différence qui existe en réalité n’en est pas une d’opposition, mais elle est pour ainsi dire celle du principe formel par rapport à ce qui reçoit la forme. Aussi ce qui appartient réellement à la nature peut-il être attribué au suppôt, comme la nature est attribuée, à savoir, concrètement. Or, parce que l’union s’est réalisée dans le suppôt, de sorte que soit un et le même le suppôt de la nature divine et de la nature humaine, ce qui découle réellement des deux natures peut donc être attribué à ce suppôt, de la même manière que les natures elles-mêmes lui sont attribuées. En effet, parce que la nature divine est attribuée au Fils de Dieu concrètement et abstraitement, ses propriétés peuvent donc lui être attribuées des deux manières. Mais parce que la nature humaine est attribuée concrètement seulement, les propriétés de la nature humaine peuvent donc lui être attribuées concrètement seulement. Et cela ne fait pas de différence que l’attribution soit faite au suppôt selon le nom qui signifie la nature divine, comme le Verbe, ou la nature humaine, comme Jésus, ou les deux, comme le Christ, car le même suppôt est sous-jacent en tout. Cependant, ce suppôt n’est pas constitué par la nature humaine, mais la nature humaine se joint à lui, qui préexiste éternellement dans une autre nature. Aussi deux choses se trouvent-elles dans la composition de la nature humaine avec ce suppôt : le fait qu’elle est unie à lui, et le fait que son rapport avec celui-ci est celui d’une partie, selon que ce suppôt subsiste en deux natures. Aussi sont exclues de l’ensemble qui vient d’être rappelé les choses qui comportent l’union, et aussi celles qui doivent par elles-mêmes convenir à la personne et à la nature, qui ne peuvent être attribuées au suppôt qu’avec un ajout, comme celles qui appartiennent à la partie d’un tout.

 [8880] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod proprietates creatae dicuntur de filio Dei, non quasi ipsa persona aeterna his informetur, sed quia natura assumpta informatur eis; sicut proprietates quibus informantur partes, praedicantur de toto.

1. Les propriétés créées sont attribuées au Fils de Dieu, non pas comme si la personne éternelle en recevait la forme, mais parce que la nature assumée reçoit leur forme, comme les propriétés qui donnent forme aux parties sont attribuées au tout.

 [8881] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illa ratio concludit, quod proprietates humanae naturae non praedicantur in abstracto de Christo; quod et verum est.

2. Ce raisonnement conclut que les propriétés de la nature humane ne sont pas attribuées au Christ dans l’abstrait, ce qui est vrai.

 [8882] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod assumi est de illis quae unionem important; et ideo non oportet quod dicatur de filio Dei.

3. Le fait d’être assumées appartient aux choses qui comportent l’union. Aussi n’est-il pas nécessaire que cela soit dit du Fils de Dieu.

 [8883] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod praedestinatio Christi est respectu unionis; unde praedestinatus includit unionem sicut terminum praedestinationis; et ideo sicut homo unitus dicitur, ita et praedestinatus uniri; non autem filius Dei. Et praeterea praedestinatus includit factionem, ut patet ex praedictis; unde sicut esse factum non dicitur de filio Dei absolute, ita nec esse praedestinatum.

4. La prédestination du Christ porte sur l’union. Aussi le fait qu’il soit prédestiné inclut-il l’union comme terme de la prédestination. C’est pourquoi, de même qu’on parle d’homme qui est uni, de même parle-t-on de prédestiné qui est uni, mais non du Fils de Dieu. De plus, le fait d’être prédestiné inclut la création, comme cela ressort de ce qui a été dit. De même que le fait d’être créé n’est pas attribué au Fils de Dieu de manière absolue, de même donc le fait qu’il soit prédestiné.

 [8884] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod sicut humana natura est creatura, et tamen cum praedicetur de Christo in concreto, non sequitur quod Christus sit creatura; ita etiam non sequitur propter hoc quod proprietates naturae humanae in concreto de Christo praedicentur, quod Christus sit creatura.

5. De même que la nature humaine est une créature et que, cependant, lorsqu’elle est attribuée au Christ de manière concrète, il n’en découle pas que le Christ soit une créature, de même il ne découle pas que, lorsque les propriétés de la nature humaine sont attribuées concrètement au Christ, le Christ soit une créature.

 [8885] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4 ad 6 Ad sextum dicendum, quod ad veritatem propositionis sufficit quod praedicatum conveniat subjectis quocumque modo; sed ad hoc quod propositio sit per se, oportet quod conveniat sibi ratione formae importatae per subjectum; unde haec est vera: Deus est passus; non tamen est per se: et quia reduplicatio exigit locutionem per se veram; ideo non est similis ratio de reduplicationibus et propositionibus quae sunt sine reduplicatione.

6. Pour qu’une proposition soit vraie, il suffit que le prédicat convienne aux sujets de n’importe quelle manière. Mais pour qu’une proposition soit [une proposition] par soi, il faut qu’elle leur convienne en raison de la forme amenée par le sujet. Ainsi, cette proposition est vraie : « Dieu a souffert » ; elle n’est cependant pas [une proposition] par soi ; et parce que l’explicitation exige une formulation qui soit vraie par soi, le raisonnement n’est donc pas le même pour les explicitations et pour les propositions qui sont sans implication.

 [8886] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4 ad 7 Ad septimum dicendum, quod aliqua consequuntur humanam naturam, non secundum quod praedicatur de filio Dei; et illa non oportet quod de Christo praedicentur.

7. Certaines choses découlent de la nature humaine, mais non selon qu’elle est attribuée au Fils de Dieu. Il n’est pas nécessaire qu’elles soient attribuées au Christ.

 [8887] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4 ad 8 Et ex dictis patet solutio ad consequentia.

8. La solution des arguments suivants ressort ainsi clairemenet de ce qui a été dit.

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 11

 [8888] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4 expos. Omnia per ipsum facta sunt. Videtur hoc non esse ad propositum: quia Augustinus intendit de filio Dei, inquantum est filius Dei. Et dicendum, quod quia non est in Christo aliud suppositum nisi persona filii Dei; ideo sicut de filio Dei dici non potest quod sit creatura; ita nec de Christo. Nam si creatura esset, sibi mandaret praedicari Evangelium. Videtur quod hoc non sequatur: quia Angeli, et lapides sunt creaturae, quibus non est Evangelium praedicandum. Dicendum, quod intelligitur de creaturis quae sunt homines, quibus est praedicandum Evangelium, vel ut emundentur, vel ut perficiantur, vel ut conserventur. Christus autem homo est. Vanitati subjecta. Intelligitur de illa vanitate secundum quam omnia in nihil tenderent, nisi manu omnipotenti continerentur. Non unum de multis. Contra: Rom. 8, 20: ut sit ipse primogenitus in multis fratribus. Et dicendum, quod unus est de multis quantum ad similitudinem filiationis, secundum quod etiam dicitur primogenitus, sed non unum de multis, proprietate nativitatis, secundum quod dicitur unigenitus. In Deo creatura esse non potest. Contra, Rom. 11, 36: in ipso sunt omnia. Dicendum, quod sunt in ipso creaturae, non per essentiam, sed sicut in causa, per similitudines ideales, quae secundum quod in Deo sunt, creaturae non sunt. Sed ex tropicis locutionibus non est recta argumentationis processio. Cujus ratio est, quia non sunt simpliciter verae, sed secundum quid; unde etiam Dionysius dicit in epistola ad Titum, quod symbolica theologia non est argumentativa.

 

 

 

Distinctio 12

Distinction 12 – [Les carences qui découlent de la nature humaine]

Prooemium

Prologue

 [8889] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 1 pr. Postquam ostendit Magister quod nomen creaturae non praedicatur de Christo simpliciter, sed cum determinatione, hic inquirit de defectibus qui consequuntur naturam humanam, secundum quod creatura est; et dividitur in duas partes: primo inquirit de defectu qui communiter consequitur omnem creaturam, scilicet incipere esse; secundo de defectibus qui consequuntur specialiter humanam naturam, ibi: solet etiam quaeri, utrum alium hominem, vel aliunde hominem quam de genere illius Adae, Deus assumere potuerit. Circa primum tria facit: primo movet quaestionem; secundo objicit ad utramque partem, ibi: de hoc Augustinus inquit ita; tertio determinat eam, ibi: his autem auctoritatibus in nullo reluctantes, dicimus, hominem illum, inquantum homo est, esse coepisse. Solet etiam quaeri, utrum alium hominem (...) Deus assumere potuerit. Hic prosequitur de defectibus qui pertinent ad humanam naturam tantum; et dividitur in duas partes: primo inquirit de defectu culpae; secundo de defectu naturae, qui est sexus femineus, ibi: solet etiam quaeri, quamvis curiose, a nonnullis, si Deus humanam naturam potuit assumere secundum muliebrem sexum. Circa primum duo facit: primo quaerit de defectu culpae quantum ad originem, scilicet utrum aliunde quam de peccatoribus carnem assumere potuisset; secundo de defectu culpae quantum ad actum, utrum scilicet peccare potuisset, ibi: ideo non immerito quaeritur utrum homo ille potuerit peccare. Et circa hoc tria facit: primo movet quaestionem; secundo determinat, ibi: hic distinctione opus est; tertio objicit contra determinationem, ibi: quidam tamen probare conantur eam, etiam unitam verbo, posse peccare: et primo objicit per rationem; secundo per auctoritatem, ibi: inducunt quoque auctoritatem ad probandum idem, et utrumque solvit, ut patet in littera. Solet etiam quaeri, quamvis curiose, a nonnullis, si Deus humanam naturam potuit assumere secundum muliebrem sexum. Hic inquirit de defectu naturae, qui est sexus femineus: et primo movet quaestionem; secundo solvit, ibi: quidam arbitrantur eum potuisse assumere hominem in femineo sexu. Hic quaeruntur tria. Primo de inceptione. Secundo de potentia peccandi. Tertio de congruitate assumptionis respectu sexus feminei. De congruitate tamen assumptionis respectu generis Adae, dist. 2, qu. 1, art. 2, dictum est. Circa primum quaeruntur duo: 1 utrum iste homo, demonstrato Christo, incepit esse; 2 utrum incepit esse Deus.

Après avoir montré que le nom de créature n’est pas attribué au Christ de manière simple, mais avec une précision, le Maître s’interroge ici sur les carences qui découlent de la nature humaine selon qu’elle est une créature. Il y a deux parties : premièrement, il s’interroge sur la carence qui découle d’une manière générale de toute créature, à savoir qu’elle commence à exister ; deuxièmement, sur les carences qui découlent d’une manière particulière de la nature humaine, à cet endroit : « On a aussi coutume de demander si Dieu pouvait assumer un autre homme ou un homme venu d’ailleurs que de la descendance de cet Adam. » À propos du premier point, il fait trois choses : premièrement, il soulève une question ; deuxièmement, il présente des objections pour les deux positions, à cet endroit : « À ce sujet, Augustin parle ainsi » ; troisièmement, il détermine de cette [question [, à cet endroit : « Sans nullement résister à ces autorités, nous disons que cet homme, en tant qu’il est homme, a commencé à exister. » « On a aussi coutume de demander si Dieu pouvait… » Ici, il continue [à traiter] des carences qui relèvent de la nature humaine seulement, et cela se divise en deux parties : premièrement, il s’interroge sur la carence de la faute ; deuxièmement, sur une carence de la nature, qui est le sexe féminin, à cet endroit : « Certains ont aussi coutume de se demander, bien que par curiosité, si Dieu pouvait assumer la nature humaine selon le sexe féminin. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il s’interroge sur la carence de la faute quant à son origine, à savoir s’il pouvait assumer la chair d’autres que de pécheurs ; deuxièmement, sur la carence de la faute quant à l’acte, à savoir s’il pouvait pécher, à cet endroit : « C’est pourquoi on se demande non sans raison si cet homme pouvait pécher. » À ce propos, il fait trois choses : premièrement, il soulève une question ; deuxièmement, il en détermine, à cet endroit : « Ici, il faut faire une distinction » ; troisièmement, il présente une objection contre la détermination, à cet endroit : « Cependant, certains s’efforcent de démontrer que, même unie au Verbe, [la nature humaine] pouvait pécher. » Premièrement, il présente une objection selon un raisonnement ; deuxièmement, selon une autorité, à cet endroit : « Certains invoquent aussi une autorité pour le prouver » ; puis, il la résout, comme cela ressort du texte. « Certains ont aussi coutume de se demander, bien que par curiosité, si Dieu pouvait assumer la nature humaine selon le sexe féminin. » Ici, trois questions sont posées. Premièrement, à propos du commencement [de l’existence de cet homme]. Deuxièmement, de sa capacité de pécher. Troisièmement, de la convenance d’assumer le sexe féminin. On a toutefois parlé de la convenance de l’assomption par rapport à la descendance d’Adam à la d. 2, q. 1, a. 2. À propos du premier point, deux questions sont posées : 1 – Cet homme (en montrant le Christ) a-t-il commencé à exister ? 2 – A-t-il commencé à être Dieu ?

 

 

Question 1

Question 1 – [Cet homme a-t-il commencé à exister ?]

 

 

Articulus 1 [8890] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 1 a. 1 tit. Utrum haec sit vera: iste homo incepit esse

Article 1 – Cette proposition est-elle vraie : « Cet homme a commencé à exister. »

 [8891] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur, quod haec sit vera: iste homo incepit esse. Omne enim quod non semper fuit, et est, incepit esse. Sed sicut dicit Augustinus in littera, mediator Dei et hominum, homo Christus, non fuit prius quam mundus esset. Ergo incepit esse.

1. Il semble que cette proposition soit vraie : « Cet homme a commencé à exister. » En effet, tout ce qui n’a pas toujours existé a commencé à exister. Or, comme le dit Augustin dans le texte, « le médiateur entre Dieu et les hommes, l’homme Christ, n’existait pas avant que le monde ne fût ». Il a donc commencé à exister.

 [8892] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, iste demonstrat suppositum utriusque naturae, divinae scilicet et humanae. Sed ratione divinae naturae potest dici: iste homo semper fuit. Ergo cum incipere conveniat humanae naturae, sicut etiam esse ab aeterno divinae, ratione humanae naturae potest dici: iste homo incepit esse.

« Cet » montre le suppôt des deux natures, de la divine et de l’humaine. Or, on peut dire, en raison de la nature divine : « Cet homme a toujours existé. » Puisque commencer convient à la nature humaine, comme être à la nature divine, on peut donc dire, en raison de la nature humaine : « Cet homme a commencé à exister. »

 [8893] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, antequam mundus fieret, erat verum dicere: nullus homo est. Ergo haec erat falsa: aliquis homo est, vel iste homo est. Nunc autem est vera. Ergo iste homo coepit esse.

3. Avant que le monde ne soit créé, il était vrai de dire : « Aucun homme n’existe. » Cette proposition était donc fausse : « Un homme existe, ou cet homme existe. » Or, maintenant, elle est vraie. Cet homme a donc commencé à exister.

 [8894] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, quod incepit esse in aliqua specie, incepit esse simpliciter. Sed iste homo incepit esse in specie humana. Ergo incepit esse simpliciter.

4. Ce qui a commencé à exister selon une certaine espèce a commencé à exister tout simplement. Or, cet homme a commencé à exister selon l’espèce humaine. Il a donc commencé à exister tout simplement.

 [8895] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, nasci temporaliter, est mutari de non esse in esse. Sed iste homo est natus in tempore. Ergo est mutatus de non esse in esse. Sed omne tale incepit esse. Ergo iste homo incepit esse.

5. Naître temporellement, c’est passer du non-être à l’être. Or, cet homme est né dans le temps. Il est donc passé du non-être à l’être. Or, tout ce qui est tel a commencé à être. Cet homme a donc commencé à être.

 [8896] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 1 a. 1 arg. 6 Praeterea, iste homo supponit personam compositam. Sed persona composita non fuit ab aeterno: quia quando non est compositio, non potest esse aliquod compositum. Ergo iste homo non fuit semper; ergo incepit esse.

6. « Cet homme » renvoie à une personne composée. Or, la personne composée n’a pas existé depuis l’éternité, car, lorsqu’il n’y a pas composition, un composé ne peut être. Cet homme n’a donc pas toujours été. Il a donc commencé à être.

 [8897] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 1 a. 1 arg. 7 Sed contra, nullum aeternum incepit esse. Sed iste homo supponit suppositum aeternum. Ergo non incepit esse.

7. Cependant, rien d’éternel n’a commencé à être. Or, cet homme renvoie à un suppôt éternel. Il n’a donc pas commencé à être.

 [8898] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 1 a. 1 arg. 8 Praeterea, omne quod incepit esse, est creatura. Sed iste homo non est creatura, ut dictum est supra, dist. 11, art. 3. Ergo iste homo non incepit esse.

8. Tout ce qui a commencé à être est une créature. Or, cet homme n’est pas une créature, comme on l’a dit plus haut, d. 11, a. 3. Cet homme n’a donc pas commencé à être.

 [8899] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 1 a. 1 arg. 9 Praeterea, Joan. 8, 58, dicit ille homo de quo loquimur: antequam Abraham fieret, ego sum; et simili ratione potuisset vere dicere: antequam mundus fieret, ego sum. Sed nullum tale incepit esse. Ergo iste homo non incepit esse.

9. En Jn 8, 58, cet homme dont nous parlons dit : Avant qu’Abraham soit, je suis. Pour la même raison, il aurait pu dire : « Avant que le monde soit, je suis. » Or, rien de tel n’a commencé à être. Cet homme n’a donc pas commencé à être.

 [8900] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod quidam distinguunt istam: iste homo incepit esse, ex hoc quod pronomen iste potest demonstrare personam verbi, vel singulare hominis: et primo modo est falsa, secundo modo vera. Sed cum dicitur: iste homo, hoc pronomen iste non potest demonstrare nisi id quod supponitur per hoc nomen homo. Suppositum autem per hoc nomen homo non est aliud quam persona verbi secundum secundam opinionem; unde secundum eam non potest stare: quia quamvis ponat in Christo esse aliquid singulare praeter personam verbi, scilicet humanam naturam; tamen illud singulare non supponitur per hoc nomen homo, nec praedicatur de Christo, sicut 6 dist., qu. 1, art. 1, dictum est; et ideo patet quod ista distinctio est secundum primam opinionem bona. Et ideo hac omissa, quidam dicunt, quod hoc verbum incipit potest notare inceptionem respectu suppositi simpliciter; et sic est falsa, quia suppositum illud est aeternum: vel respectu suppositi ratione formae significatae; et sic est vera; et ponunt exemplum de hac: scutum album incipit esse hodie, supposito quod scutum ab heri factum hodie dealbetur. Sed hoc dictum non videtur habere efficaciam propter duo: primo, quia etsi humana natura habeat aliquid simile accidenti in Christo, tamen hoc nomen homo non est adjectivum, sed substantivum, etiamsi natura humana esset pure accidentaliter adveniens; et in talibus plus facit modus significandi quam proprietas rei significatae: secundo, quia dato quod esset adjectivum, oportet quod praedicatum conveniret ei quod copulatur vel supponitur per nomen positum in subjecto, vel ratione alicujus quod in eo est. Illa autem praedicata quae nata sunt ipsi supposito convenire, non praedicantur simpliciter de eo ratione alicujus quod in ipso est, neque secundum partem, neque secundum accidens aut naturam, nisi ei secundum se conveniat: quia tunc sequeretur quod affirmatio et negatio verificentur de eodem, si ratione alicujus existentis in ipso verificaretur quod ratione sui de eo vere negatur: et hoc patet in proposito. Ei enim quod supponitur cum dicitur: isti homini, convenit esse semper; unde de eo non potest verificari negatio, ut dicatur, non fuit semper, simpliciter loquendo; et per consequens nec aliquid quod negationem dictam implicet, sicut verbum incipiendi. Unde dicendum est quod haec est simpliciter falsa: iste homo incepit esse; et est secundum quid vera, scilicet cum determinatione humanae naturae; sicut et haec: iste homo est creatura, est falsa, nisi ei determinatio addatur; et tunc etiam est tropica, ut supra dixit Magister. Unde hic non intendit eam distinguere tamquam multiplicem, sed dicere quomodo potest esse vera et falsa.

Réponse. Certains font une distinction à l’intérieur de cette proposition : « Cet homme a commencé à être », du fait que le pronom « cet » peut indiquer la personne du Verbe ou un homme particulier. Dans le premier cas, elle est fausse ; dans le second, elle est vraie. Mais lorsqu’on dit : « Cet homme », ce pronom ne peut indiquer que ce à quoi renvoie le nom « homme ». Or, ce à quoi renvoie le nom « homme » n’est rien d’autre que la personne du Verbe, selon la deuxième opinion ; aussi, selon elle, [la proposition] ne peut-elle tenir, car, bien qu’elle affirme qu’il existe dans le Christ quelque chose de singulier en plus de la personne du Verbe, à savoir la nature humaine, cependant, cette réalité singulière n’est pas sous-jacente au nom « homme » et n’est pas attribuée au Christ, comme on l’a dit à la d. 6, q. 1, a. 1. Il est donc clair que cette distinction est bonne selon la première opinion. En omettant celle-ci, certains disent donc que le verbe « a commencé » peut indiquer un commencement en rapport avec le suppôt simplement ; ainsi la proposition est-elle fausse, car ce suppôt est éternel ; ou en rapport avec le suppôt en raison de la forme signifiée, et ainsi elles est vraie. Ils en donnent un exemple : « Un bouclier blanc a commencé à exister aujourd’hui », en supposant qu’un bouclier d’hier est devenu blanc aujourd’hui. Or, cette manière de parler ne semble pas correcte pour deux raisons. Premièrement, parce que, même si la nature humaine avait quelque chose de semblable à un accident chez le Christ, ce nom « homme » n’est pas un adjectif, mais un substantif, même si la nature humaine survenait de manière purement accidentelle. Dans de tels cas, la manière de signifier importe davantage qu’une propriété de la chose signifiée. Deuxièmement, parce que, en admettant que [« homme »] soit un adjectif, il faut que le prédicat convienne à ce à quoi il est uni ou à ce à quoi il renvoie par le nom qui joue le rôle de sujet, ou en raison de quelque chose qui se trouve en lui. Or, les prédicats qui conviennent par nature au suppôt ne lui sont pas simplement attribués en raison de quelque chose qui se trouve en lui, ni selon une partie, ni selon un accident ou une nature, à moins que cela ne lui convienne de soi, car alors il en découlerait que l’affirmation et la négation s’appliquent à la même chose, si, en raison de quelque chose qui existe en elle, ce qui est nié d’elle en raison d’elle-même était vrai. Et cela est clair dans le cas présent. En effet, on dit : « Il convient à cet homme de toujours exister » pour ce qui est un. La négation à ce sujet peut donc être vraie, en disant simplement : « Il n’a pas toujours été », à parler simplement. Par conséquent, [ne sera pas non davantage vrai] quelque chose qui implique la négation exprimée, comme le verbe « commencer ». Il faut donc dire que la proposition suivante est simplement fausse : « Cet homme a commencé à être », et elle est partiellement vraie avec la précision de la nature humaine. De même, cette proposition est fausse : « Cet homme est une créature », si on n’y ajoute pas une précision. Aussi, [la proposition] figurée l’est-elle aussi, comme le Maître l’a dit plus haut. Aussi ne veut-il pas y faire une distinction comme entre plusieurs [propositions], mais dire comment elle peut être vraie ou fausse.

 [8901] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod secundum regulam a Magistro praecedenti distinctione datam intelligenda est illa auctoritas cum determinatione, quamvis causa brevitatis non apponatur.

1. Selon la règle donnée par le Maître dans la distinction précédente, cette autorité doit s’entendre avec une précision, bien que celle-ci ne soit pas donnée pour cause de brièveté.

 [8902] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis illud suppositum sit utriusque naturae suppositum, tamen quantum ad aliqua se habet aliter ad naturam divinam quam ad humanam: quia est idem re cum divina et constitutum in esse per ipsam secundum modum intelligendi; unde quandocumque fuit natura divina, fuit ipsum suppositum. Non autem ita se habet ad naturam humanam; et ideo non oportet quod incipiente humana natura, ipsum incipiat.

2. Bien que ce suppôt soit le suppôt des deux natures, il a cependant un rapport différent avec la nature divine et avec la nature humaine, car il est en réalité identique avec la nature divine et établi dans l’être par elle selon la manière de comprendre. Aussi, autant qu’ait existé la nature divine, le suppôt lui-même a-t-il existé. Mais il n’en va pas de même pour la nature humaine. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire qu’il commence lorsque commence la nature humaine.

 [8903] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ab aeterno verum fuisset dicere: nullus homo est: quia suppositum aeternum nondum erat suppositum humanae naturae; unde non poterat sumi sub dicta distributione, sicut nunc potest propter unionem. Unde quamvis ab aeterno non erat verum dicere: aliquis homo est aeternus; modo tamen est verum dicere: aliquis, vel iste homo est ab aeterno.

3. Il aurait été vrai de dire depuis l’éternité : « Ce n’est pas un homme », car le suppôt éternel n’était pas encore le suppôt de la nature humaine. Aussi ne peut-il pas être placé dans la distribution en question, comme il le peut maintenant en raison de l’union. Bien qu’il n’ait pas été vrai de dire depuis l’éternité : « L’homme est éternel », il est cependant maintenant vrai de dire : « Quelqu’un ou cet homme existe depuis l’éternité. »

 [8904] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod nasci temporaliter ex matre non est natum convenire supposito nisi ratione corporis, ut supra dictum est, et ideo ratione ejus verificatur simpliciter de supposito. Sed incipere esse non potest verificari de eo ratione corporis simpliciter, sed cum determinatione; et ideo haec est vera simpliciter: iste homo est natus temporaliter; non tamen ista: iste homo incepit esse, sed est vera secundum quid.

4. Naître temporellemenet d’une mère ne convient par soi à un suppôt qu’en raison du corps, comme on l’a dit plus haut ; pour cette raison, cela est donc simplement vrai du suppôt. Mais commencer à être ne peut être vrai pour lui en raison du corps simplement, mais avec une précision. C’est pourquoi cette proposition est vraie simplement : « Cet homme est né temporellement », cependant celle-ci ne l’est pas : « Cet homme a commencé à être », mais elle est vraie sous un aspect.

 [8905] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in aliis suppositis quae sunt supposita tantum unius naturae, sequitur quod si incipiunt esse in aliqua specie, incipiunt esse simpliciter; sed non est ita in proposito; unde quantum ad hoc similitudinem habet humana natura in Christo cum accidente; et ideo sicut non sequitur: iste homo incepit esse albus, ergo incepit esse; ita nec sequitur: iste incepit esse homo, ergo incepit esse.

2. Chez les autres suppôts, qui sont des suppôts d’une seule nature seulement, il découle du fait qu’ils commencent à être dans une espèce, qu’ils commencent à être tout simplement. Mais il n’en va pas de même pour ce qui est en cause. Aussi la nature humaine chez le Christ a-t-elle sur ce point une ressemblance avec un accident. Ainsi, de même que le raisonnement suivant n’est pas concluant : « Cet homme commence à être blanc ; donc, il a commencé à être », de même celui-ci n’est pas concluant : « Celui-ci a commencé à être un homme ; donc, il a commencé à être. »

 [8906] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 1 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod quia compositio non semper fuit, ideo haec est falsa: persona semper fuit composita; sed tamen haec est vera: persona composita semper fuit: quia ad veritatem propositionis sufficit, quod praedicatum conveniat subjecto; nec oportet quod conveniat ei ratione formae significatae vel appositae, nisi sit praedicatio per se; et ideo, quia personae convenit semper fuisse, quamvis non ratione compositionis; haec est simpliciter vera: persona composita semper fuit. Sed ad veritatem propositionis exigitur quod totum quod est in praedicato, conveniat subjecto; et ideo compositio quam significat hoc nomen compositum non convenit ab aeterno personae; et ideo haec est falsa: persona ista semper fuit composita.

6. Parce que la composition n’a pas toujours existé, cette proposition est donc fausse : « La personne a toujours été composée » ; cependant, celle-ci est vraie : « La personne composée a toujours existé », car il suffit pour la vérité de la proposition que le prédicat convienne au sujet, et il n’est pas nécessaire qu’il lui convienne en raison de la forme signifiée ou indiquée, à moins qu’il ne s’agisse d’une attribution par soi. Aussi, parce qu’il convient à la personne d’avoir toujours existé, bien que ce ne soit pas en raison de la composition, cette proposition est tout simplement vraie : « La personne composée a toujours existé. » Mais il est requis pour la vérité de la proposition que tout ce qui se trouve dans le prédicat convienne au sujet. C’est pourquoi la composition que signifie ce mot « composé » ne convient pas éternellement à la personne. C’esst pourquoi cette proposition est fausse : « Cette personne a toujours été composée. »

 [8907] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 1 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod idem judicium est de ista: homo incepit esse Deus, et homo factus est Deus; et eaedem rationes utrobique fieri possunt; et ideo requiratur supra, dist. 7, quaest. 2, art. 2, ubi inquisitum est, utrum homo factus sit Deus.

7. Il faut porter le même jugement sur cette proposition : « Un homme a commencé à être Dieu » et sur : « Un homme est devenu Dieu. » Les mêmes raisonnements peuvent être faits dans les deux cas. Il faut donc se reporter à la d. 7, q. 2, a. 2, où l’on s’est demandé : « L’homme est-il devenu Dieu ? »

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [Le Christ pouvait-il pécher ?]

 

 

Prooemium

Prologue

 [8908] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 pr. Deinde quaeritur de potentia peccandi; et circa hoc duo quaeruntur: 1 utrum iste homo potuit peccare; 2 utrum habuit potentiam peccandi.

On s’interroge ensuite sur la capacité de pécher. À ce propos, deux questions sont posées : 1 – Cet homme pouvait-il pécher ? 2 – Avait-il la capacité de pécher ?

 

 

Articulus 1 [8909] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 1 tit. Utrum Christus potuit peccare

Article 1 – Le Christ pouvait-il pécher ?

 [8910] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur, quod potuit peccare. Bernardus enim dicit quod tantum descendit filius Dei, quantum descendere potuit praeter peccatum. Sed ultimus gradus circa peccatum est posse peccare. Ergo ipse potuit peccare.

1. Il semble qu’il pouvait pécher. En effet, Bernard dit que « le Fils de Dieu est descendu autant qu’il le pouvait, le péché excepté ». Or, à propos du péché, le dernier degré est de pouvoir pécher. Il pouvait donc pécher.

 [8911] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, nihil laudis Christo homini subtrahendum est. Sed in laudem viri justi dicitur Eccli. 31, 10: qui potuit transgredi, et non est transgressus. Ergo hoc Christo convenire debet.

2. Aucune louange ne doit être soustraite au Christ homme. Or, il est dit pour la louange de l’homme juste, Si 31, 10 : Lui qui pouvait transgresser, et n’a pas transgressé. Cela doit donc convenir au Christ.

 [8912] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, sicut peccatum requirit voluntatem, ita et meritum. Sed secundum Augustinum, nullus peccat in eo quod non potest vitare. Ergo etiam nullus meretur vel laudatur de hoc quod dimittere non potest. Si ergo Christus non potuit peccare, non est laudandus de hoc quod non peccavit.

3. De même que le péché requiert la volonté, de même aussi le mérite [la requiert-il]. Or, selon Augustin, « personne ne pèche pour ce qu’il ne peut pas éviter ». Donc, personne ne mérite ou n’est louangé pour ce qu’il ne peut pas écarter. Si donc le Christ ne pouvait pas pécher, il ne doit pas être louangé pour n’avoir pas péché.

 [8913] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, philosophus dicit, quod Deus et studiosus potest prava agere. Sed in Christo non invenitur aliquid quare non potuerit peccare, nisi quia Deus est, et quia bonus perfecte fuit. Ergo potuit peccare.

4. Le Philosophe dit que Dieu et l’homme appliqué peuvent mal agir. Or, chez le Christ, on ne trouve pas de raison pour laquelle il ne pouvait pas pécher, en dehors du fait qu’il était Dieu et qu’il était parfaitement bon. Il pouvait donc pécher.

 [8914] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 1 arg. 5 Praeterea, Joan. 8, 55, dicitur a Christo: si dixero quia non novi eum, ero similis vobis mendax. Sed potuit illa verba dicere sine additione, sicut dixit cum additione. Ergo potuit mentiri: ergo et peccare.

5. Il est dit du Christ en Jn 8, 55 : Si je dis que je ne le connais pas, je serai un menteur comme vous. Or, il pouvait dire ces paroles sans rien ajouter, comme il les a dites en y ajoutant. Il pouvait donc mentir, et donc, pécher.

 [8915] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 1 s. c. 1 Sed contra, Hebr. 2, 9: eum qui paulo minus quam Angeli minoratus est, videmus Jesum (...) gloria et honore coronatum; dicit Glossa: quia natura humanae mentis, quam Deus assumpsit, et quae nullo modo peccato depravari potuit, solus Deus major est. Sed quicumque potest peccare, mens ejus potest peccato depravari. Ergo Christus non potuit peccare.

Cependant, [1] à propos de He 2, 9 : Nous voyons Jésus, devenu un peu moins qu’un ange…couronné de gloire et d’honneur, la Glose dit : « Car Dieu seul est plus grand que la nature de l’esprit humain que Dieu a assumée et qui ne pouvait d’aucune manière être déformée par le péché. » Or, l’esprit de tous ceux qui peuvent pécher peut être déformé par le péché. Le Christ ne pouvait donc pas pécher.

 [8916] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, haec est perfectio naturae glorificatae ut jam peccare non possit. Sed Christus ab instanti suae conceptionis fuit verus comprehensor. Ergo nunquam peccare potuit.

 [2] La perfection de la nature glorifiée est telle qu’elle ne peut pas pécher. Or, le Christ a été un véritable comprehensor[1] dès l’instant de sa conception. Il ne pouvait donc pas pécher.

 [8917] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 1 s. c. 3 Praeterea, quidquid fecit ille homo, potest dici Deus fecisse. Si ergo ille homo peccasset, sequeretur quod Deus peccasset; quod est impossibile. Ergo et primum.

 [3] Tout ce que cet homme a fait, on peut dire que Dieu l’a fait. Si donc cet homme avait péché, il en découlerait que Dieu aurait péché, ce qui est impossible. Donc, la conclusion est la même que la première.

 [8918] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod simpliciter loquendo, Christus nullo modo peccare potuit; unde Damascenus dicit in 3 Lib., quod impeccabilis est dominus Jesus. Potest enim considerari ut viator, vel ut comprehensor, et ut Deus. Ut viator quidem, dux videtur esse, dirigens nos secundum viam rectam. In quolibet autem genere oportet primum regulans torqueri non posse: quia alias esset error in omnibus quae ad ipsum regulantur; et ideo ipse Christus tantam gloriae plenitudinem habuit, ut etiam inquantum viator peccare non posset; unde etiam et illi qui proximi sibi fuerunt, confirmati sunt, ut apostoli etiam viatores existentes, mortaliter peccare non potuerint, quamvis potuerint peccare venialiter. Secundum vero quod fuit comprehensor, mens ejus totaliter est conjuncta fini, ut agere non posset nisi secundum ordinem ad finem, sicut in 2 Lib., dist. 7, de Angelis confirmatis dictum est. Secundum autem quod fuit Deus, et anima ejus et corpus fuerunt quasi organum deitatis, secundum quod, ut dicit Damascenus, deitas regebat animam, et anima corpus; unde non poterat peccatum accidere, sicut nec Deus potest peccare. Tamen sub conditione potest concedi quod peccare potuit, scilicet si voluisset; quamvis hoc antecedens sit impossibile; quia ad veritatem conditionalis non requiritur neque veritas antecedentis neque consequentis, sed necessaria habitudo unius ad alterum.

Réponse. À parler simplement, le Christ ne pouvait aucunement pécher. Aussi, [Jean] Damascène dit-il, dans le livre III, que le Seigneur Jésus ne pouvait pas pécher. En effet, on peut le considérer comme un viator ou comme un comprehensor, et comme Dieu. En tant qu’il est un viator, il se présente comme le chef qui nous dirige sur le droit chemin. Or, en tout genre, il est nécessaire que celui qui impose le premier une règle ne soit pas détourné, car, autrement, il y aurait erreur chez tous ceux qui sont réglés selon lui. Aussi le Christ lui-même a-t-il eu une telle plénitude de gloire que, même en état de cheminement, il ne pouvait pécher. Ainsi, ceux-là aussi qui étaient proches de lui ont-ils été affermis, comme les apôtres qui, encore en état de cheminement, ne pouvaient pas pécher mortellement, bien qu’ils aient pu pécher véniellement. Mais, en tant que comprehensor, l’esprit [du Christ] était entièrement uni à la fin, de sorte qu’il ne pouvait agir que selon l’ordre à la fin, comme on l’a dit des anges affermis, dans le livre II, d. 7. Mais, selon que [le Christ] était Dieu, son corps et son âme étaient pour ainsi dire un instrument de la divinité, pour autant que la divinité dirigeait l’âme, et l’âme le corps, ainsi que le dit [Jean] Damascène ; aussi ne pouvait-il survenir de péché, comme Dieu ne peut pas pécher. Cependant, on peut concéder sous condition qu’il pouvait pécher, à savoir, s’il l’avait voulu, bien que cet antécédent soit impossible, car, pour la vérité d’une conditionnelle, ne sont exigées ni la vérité d’un antécédent, ni celle d’un conséquent, mais un rapport nécessaire entre l’une et l’autre.

 [8919] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut Deus non potuit descendere ad hoc quod peccaret; et ideo Christus nunquam peccavit; ita etiam non potuit descendere ad hoc quod peccare posset; et ideo etiam Christus nunquam peccare potuit; et etiam si Deus ad hoc descendere potuisset, non tamen conveniebat: quia hoc magis impediebat finem incarnationis, secundum quam est dux et rex nostrorum operum, quam juvaret.

 [1] De même que Dieu ne pouvait s’abaisser jusqu’à pécher et que le Christ n’a ainsi jamais péché, de même aussi ne pouvait-il pas s’abaisser jusqu’à pouvoir pécher. Aussi le Christ ne pouvait-il non plus jamais pécher. Et même si Dieu avait pu s’abaisser jusque-là, cela ne convenait cependant pas, car cela était plutôt un empêchement qu’une aide pour la fin de l’incarnation, selon laquelle il est le chef et le roi de nos actions.

 [8920] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod aliquid potest pertinere ad laudem inferioris, quod attributum superiori magis est in vituperium, ut dicit Dionysius, sicut furibundum laudabile est in cane, sed vituperabile in homine. Unde etiam philosophus dicit, quod laudes hominum translatae in deos, derisiones videntur. Tamen hoc quod posse peccare pertinet ad laudem, est per accidens, inquantum ostendit, opus quod laudatur, ex necessitate factum non esse. Sed quamvis removeatur a Christo potentia peccandi, non tamen ponitur coactio, quae voluntario contrariatur, et laudis rationem tollit.

 [2] Une chose peut se rapporter à la louange d’un inférieur, qui, attribuée au supérieur, est plutôt un motif de blâme, comme le dit Denys ; comme la rage est louable chez le chien, mais blâmable chez l’homme. Aussi le Philosophe dit-il encore que les louanges des hommes, reportées sur les dieux, paraissent des moqueries. Toutefois, le fait que pouvoir pécher relève de la louange est accidentel, pour autant qu’il montre que l’action louangée n’a pas été accomplie par nécessité. Mais bien que la capacité de pécher soit écartée du Christ, on n’affirme pas pour autant la coercition, qui s’oppose au volontaire et enlève la raison de louanger.

 [8921] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod impotentia coactionis, quae opponitur voluntario, tollit rationem meriti et demeriti, non impotentia quae est ex perfectione in bonitate, vel malitia: quia hoc voluntarium non tollit, sed ponit voluntatem confirmatam ad unum.

 [3] L’impuissance due à la coercition, qui s’oppose au volontaire, enlève la raison de mérite et de démérite, mais non l’impuissance qui vient de la perfection dans la bonté ou la malice, car cela n’enlève pas le volontaire, mais affirme que la volonté a été confirmée dans une seule chose.

 [8922] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod, sicut dicit Rabbi Moyses, verbum philosophi intelligendum est cum conditione, quia scilicet posset, si vellet.

 [4] Comme le dit rabbi Moïse, la parole du Philosophe doit se comprendre selon une condition, à savoir qu’il aurait pu s’il l’avait voulu.

 [8923] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Christus potuisset, si voluisset, illa verba exprimere; sed velle non potuit.

 [5] Le Christ aurait pu exprimer ces paroles, s’il l’avait voulu, mais il ne pouvait pas le vouloir.

Articulus 2 [8924] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 2 tit. Utrum Christus habuit potentiam peccandi

Article 2 – Le Christ avait-il la capacité de pécher ?

 [8925] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Christus non habuit potentiam peccandi. Secundum enim quamlibet potentiam est aliquis potens. Sed Christus non potuit peccare. Ergo non habuit peccandi potentiam.

1. Il semble que le Christ n’avait pas la capacité de pécher. En effet, quelqu’un a une capacité selon n’importe quelle puissance. Or, le Christ ne pouvait pas pécher. Il n’avait donc pas la capacité de pécher.

 [8926] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, potentia peccandi, secundum Anselmum, non est libertas arbitrii, nec pars libertatis, sed diminuit libertatem. Sed in Christo libertas non fuit diminuta. Ergo ipse non habuit potentiam peccandi.

2. La capacité de pécher, selon Anselme, n’est pas la liberté de l’arbitre, ni une partie de la liberté, mais elle diminue la liberté. Or, chez le Christ, la liberté n’a pas été diminuée. Il n’avait donc pas la capacité de pécher.

 [8927] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, potentia peccandi est radix peccati, et principium. Sed in Christo non fuit aliquod principium et radix peccati. Ergo ipse non habuit potentiam peccandi.

3. La capacité de pécher est la racine du péché et son principe. Or, chez le Christ, il n’y avait pas de principe ni de racine du péché. Il n’avait donc pas la capacité de pécher.

 [8928] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, Christus, etiam secundum quod homo, fuit maxime Deo similis. Sed Deus non potest peccare, nec potentiam peccandi habet. Ergo nec Christus secundum quod homo.

4. Le Christ, même en tant qu’homme, était au plus haut point semblable à Dieu. Or, Dieu ne peut pécher et n’a pas la capacité de pécher. Donc, ni le Christ en tant qu’homme.

 [8929] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 2 arg. 5 Sed contra, philosophus dicit, quod potestates pravorum sunt eligendae. Sed omnia bona hominum Christus habuit. Ergo et potentiam peccandi.

5. Cependant, le Philosophe dit que les capacités de choses mauvaises doivent être choisies. Or, le Christ a possédé tous les biens. Il avait donc aussi la capacité de pécher.

 [8930] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 2 arg. 6 Praeterea, sicut dicit Damascenus, filius Dei assumpsit quidquid in nostra natura plantavit. Plantavit autem in ea potentiam peccandi: quia potentia peccandi a Deo est, quamvis voluntas peccandi non sit ab eo. Ergo potentiam peccandi habuit.

6. Comme le dit [Jean] Damascène, « le Fils de Dieu a assumé tout ce qu’il avait semé dans notre nature ». Or, il avait semé en elle la capacité de pécher, car la capacité de pécher vient de Dieu, bien que la volonté de pécher ne vienne pas de lui. Il avait donc la capacité de pécher.

 [8931] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 2 arg. 7 Praeterea, potentia peccandi est potentia qua peccatur. Hoc autem est liberum arbitrium. Cum igitur Christus habuerit liberum arbitrium secundum quod homo, ut dicit Damascenus, oportet quod habuerit potentiam peccandi.

7. La capacité de pécher est la puissance par laquelle on pèche. Or, cela est le libre arbitre. Puisque, en tant qu’homme, le Christ a possédé le libre arbitre, comme le dit [Jean] Damascène, il est nécessaire qu’il ait eu la capacité de pécher.

 [8932] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 2 arg. 8 Praeterea, anima Christi creatura est. Sed secundum Damascenum, omnis creatura vertibilis est vel secundum electionem vel secundum substantiam. Ergo anima Christi vertibilis est secundum electionem, cum vim electivam habeat. Sed vertibilitas electionis est potentia peccandi. Ergo Christus habuit potentiam peccandi.

8. L’âme du Christ est une créature. Or, selon [Jean] Damascène, toute créature peut aller dans un sens ou dans l’autre, soit selon son choix, soit selon sa substance. L’âme du Christ peut donc aller dans un sens ou dans l’autre par son choix, puisqu’elle possède la capacité de choisir. Or, la possibilité d’aller dans un sens ou dans l’autre par le choix est la capacité de pécher. Le Christ a donc eu la capacité de pécher.

 [8933] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod actus se habet ad potentiam dupliciter: quia actus egreditur a potentia, et iterum per actus specificatur potentia; et ideo cum dicitur potentia aliquid agendi, ut potentia videndi, dupliciter potest intelligi: quia potest designari vel ordo potentiae ad actum, secundum quod actus sumitur ut effectus potentiae; vel designatur potentia ipsa specificata per actum, secundum quod actus sumitur loco differentiae. Et primo modo non potest dici quod ille qui habet visum impeditum, habeat potentiam videndi, sicut non potest dici quod possit videre. Secundo modo potest dici quod habeat potentiam videndi, sicut quod habeat potentiam visivam. Haec autem distinctio, ut ex dictis patet, habet locum in illis actibus quibus specificantur potentiae. Hujusmodi autem sunt actus ad quos potentiae ordinantur. Sed liberum arbitrium non ordinatur ad peccatum, immo peccatum incidit ex defectu ejus; unde peccare non specificat potentiam liberi arbitrii; et ideo cum dicitur quod aliquis habet potentiam peccandi, non intelligitur quod habeat liberum arbitrium, sed quod habeat ipsum ordinatum ad peccandum, ita ut peccare possit; et ideo sicut de Christo non dicitur quod possit peccare, ita nec quod habeat potentiam peccandi, proprie loquendo, et secundum se; sed potest concedi sub hoc sensu, ut dicatur habere potentiam peccandi, quia habet potentiam quae in aliis est potentia peccandi.

Réponse. L’acte est en rapport avec la puissance de deux manières : parce que l’acte sort de la puissance, et aussi parce que la puissance reçoit son espèce de l’acte. C’est pourquoi lorsqu’on parle de la capacité de faire quelque chose, comme la capacité de voir, on peut l’entendre de deux manières. Cela peut désigner l’ordre de la puissance à l’acte, selon que l’acte est considéré comme l’effet de la puissance. Ou bien cela désigne la puisssance elle-même qui reçoit son espèce de l’acte, selon que l’acte est considéré à la place de la différence [spécifique]. De la première manière, on ne peut dire que celui dont la vision est empêchée a la puissance de voir, pas davantage qu’on peut dire qu’il peut voir. De la seconde manière, on peut dire qu’il a la capacité de voir, de même qu’on peut dire qu’il a la puissance de voir. Or, cette distinction, comme cela ressort de ce qui a été dit, a lieu pour les actes par lesquels les puissances reçoivent leur espèce. Cependant, de tels actes sont les actes auxquels les puissances sont ordonnées. Toutefois, le libre arbitre n’est pas ordonné au péché, bien plus, on tombe dans le péché en raison d’une carence de sa part. Pécher ne confère donc pas son espèce à la puissance du libre arbitre. C’est pourquoi, lorsqu’on dit que quelqu’un a la capacité de pécher, on ne comprend pas qu’il a le libre arbitre, mais que celui-ci est en lui ordonné à pécher, de sorte qu’il puisse pécher. De même qu’on ne dit pas du Christ qu’il peut pécher, de même donc [ne dit-on pas] qu’il a la capacité de pécher, à parler au sens propre et de soi ; mais on peut concéder le fait de dire qu’il a la capacité de pécher, parce qu’il possède la capacité qui, chez les autres, est la capacité de pécher.

 [8934] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 2 ad 1 Et hoc modo sustinendo, facile respondetur ad primas quatuor rationes.

1-4. En adoptant cette approche, on répond facilement aux quatre premiers arguments.

 [8935] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod potestates malorum sunt eligendae per accidens, non quia sunt malorum; sed quia eaedem sunt ad bona; magis autem essent eligendae, si essent bonorum tantum.

5. Les capacités des méchants doivent être choisies par accident, non pas parce qu’elles appartiennent aux méchants, mais parce que les mêmes puissances portent sur des biens. Mais elles devraient être encore plus choisies si elles portaient seulement sur des biens.

 [8936] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod potentia peccandi, inquantum peccandi, non est a Deo, ut in 2 Lib., dist. ultima, dictum est, sed inquantum ad subjectum potentiae tantum.

6. La puissance de pécher, en tant qu’elle est puissance de pécher, ne vient pas de Dieu, comme on l’a dit dans le livre II, dernière distinction, mais en tant seulement qu’il y a un sujet de cette puissance.

 [8937] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod liberum arbitrium, ut ex dictis patet, non potest dici simpliciter potentia peccandi, nisi in his qui peccare possunt.

7. Comme cela ressort de ce qui a été dit, on ne peut dire simplement que le libre arbitre est une capacité de pécher que pour ceux qui peuvent pécher.

 [8938] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 2 ad 8 Ad octavum dicendum, quod illa vertibilitas in Christo perficitur per gratiae plenitudinem; sicut et potentia materiae terminatur per actum formae totam potentialitatem materiae tollentis, ut patet in caelo.

8. Cette capacité d’aller dans un sens ou dans l’autre chez le Christ est perfectionnée par la plénitude de la grâce, comme la puissance de la matière est achevée par l’acte d’une forme qui enlève toute la potentialité de la matière, ainsi que cela ressort pour le ciel.

 

 

Quaestio 3

Question 3 – [Quel devait être le sexe du Christ ?]

Prooemium

Prologue

 [8939] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 pr. Deinde quaeritur de congruitate quantum ad sexum; et circa hoc quaeruntur duo: 1 in quo sexu humanam naturam assumere debuit; 2 de quo sexu, utrum scilicet de viro, vel de muliere.

On s’interroge ensuite sur la convenance du sexe [du Christ]. À ce propos, deux questions sont posées : 1 – Selon quel sexe [le Christ] devait-il assumer la nature humaine ? 2 – De quel sexe devait-il l’assumer : d’un homme ou d’une femme ?

 

 

Articulus 1 [8940] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 1 tit. Utrum Christus debuit aliquem sexum accipere

Article 1 – Le Christ devait-il assumer un sexe ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le Christ devait-il assumer un sexe ?]

 [8941] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur, quod non debuerit aliquem sexum accipere. Quia ipsum corpus Christi verum praesignat corpus mysticum. Sed in corpore mystico, quod est Ecclesia, non est differentia sexuum: quia, sicut dicit apostolus Galat. 3, 28, in Christo non est masculus neque femina. Ergo nec ipse sexum assumere debuit.

1. Il semble qu’il ne devait pas assumer de sexe, car le corps même du Christ annonce le corps mystique. Or, dans le corps mystique, qui est l’Église, il n’y a pas de différence entre les sexes, car, comme le dit l’Apôtre, Ga 3, 28 : Dans le Christ, il n’y a pas d’homme ni de femme. Il ne devait donc pas assumer un sexe.

 [8942] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, sexus ordinatur ad generationem carnalem. Sed Christus non venerat ut esset principium humani generis per generationem carnalem, sed spiritualem. Ergo sexum sumere non debuit.

2. Le sexe est ordonné à la génération charnelle. Or, le Christ n’était pas venu pour être le principe du genre humain par la génération charnelle, mais par [la génération] spirituelle. Il ne devait donc pas assumer un sexe.

 [8943] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, spiritus creatus indifferenter se habet ad utrumque sexum. Sed plus distat spiritus increatus a differentia sexuum quam spiritus creatus. Ergo ipse Deus se habet indifferenter ad utrumque sexum. Ergo vel utrumque assumere debuit, vel neutrum.

3. L’esprit créé est indifférent à un sexe ou à l’autre. Or, l’esprit incréé est plus éloigné de la différence des sexes que l’esprit créé. Dieu lui-même est donc indifférent à un sexe ou à l’autre. Donc, soit il devait assumer les deux, soit aucun.

 [8944] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Christus debuit fratribus assimilari quantum ad naturalia, ut dicitur Hebr. 2. Sed sexus est de naturalibus hominis. Ergo debuit sexum assumere.

Cependant, [1] le Christ devait être semblable à ses frères par ses attributs naturels, comme le dit He 2. Or, le sexe fait partie des attributs naturels de l’homme. Il devait donc assumer un sexe.

 [8945] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, quod est inassumptibile, est incurabile, ut dicit Damascenus. Sed sexus praecipue curatione indigebat, in quo maxime peccatum originale regnat. Ergo debuit assumere sexum.

 [2] « Ce qui ne peut être assumé ne peut être guéri », comme le dit [Jean] Damascène. Or, surtout le sexe, dans lequel règne le plus le péché originel, avait besoin d’être guéri. [Le Christ] devait donc assumer un sexe.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le Christ devait-il assumer le sexe féminin ?]

 [8946] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod debuit assumere femineum. Reparatio enim respondet ruinae. Sed prima ruina fuit per feminam. Ergo et principium reparationis debuit esse per feminam. Hoc autem est Christus. Ergo et cetera.

1. Il semble qu’il devait assumer le sexe féminin. En effet, la restauration correspond à la chute. Or, la première chute a été le fait de la femme. Le principe de la restauration devait donc être une femme. Or, tel est le Christ. Donc, etc.

 [8947] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, Christus assumpsit defectus naturae nostrae. Sed fragilitas sexus feminei est quidam defectus. Ergo debuit ipsum assumere.

2. Le Christ a assumé les carences de notre nature. Or, la fragilité du sexe féminin est une carence. Il devait donc l’assumer.

 [8948] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, dicitur in quodam sermone de virginibus: quanto infirmius vasculum quod reportat ab hoste triumphum, tanto magis Deus laudatur. Sed in victoria Christi est Deus maxime laudandus. Ergo decuit quod sexum infirmiorem, scilicet femineum, assumeret.

3. Il est dit dans un sermon sur les vierges : « Plus le vase qui triomphe de l’ennemi est faible, plus Dieu est loué. » Or, Dieu doit être loué au plus haut point par la victoire du Christ. Il convenait donc qu’il assume le sexe le plus faible, le sexe féminin.

 [8949] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, Christus fuit caput Ecclesiae. Sed mulier non est caput viri, sed e converso, secundum apostolum. Ergo non debuit esse mulier.

Cependant, [1] le Christ était la tête de l’Église. Or, la femme n’est pas la tête de l’homme, mais c’est l’inverse, selon l’Apôtre. Il ne devait donc pas être une femme.

 [8950] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, Christus, ut esset doctor Ecclesiae, promittitur Joel. 2. Sed mulieri non convenit docere in Ecclesia, ut patet 1 Corinth. 14. Ergo Christus non debuit sexum femineum assumere.

 [2] Jl 2 promettait que le Christ serait le docteur de l’Église. Or, il ne convient pas à la femme d’enseigner dans l’Église, comme cela ressort de 1 Co 14. Le Christ ne devait donc pas assumer le sexe féminin.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [8951] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 1 co. Respondeo, ad primam quaestionem, quod Christus venit ad reparandam humanam naturam, quam per assumptionem reparavit; et ideo oportuit quod quidquid per se consequitur ad humanam naturam, assumeret, scilicet omnes proprietates et partes humanae naturae, inter quas est etiam sexus; et ideo decuit quod sexum assumeret.

Le Christ est venu restaurer la nature humaine, qu’il a restaurée en l’assumant. Il fallait donc qu’il assume tout ce qui découle de la nature humaine, c’est-à-dire toutes les propriétés et les parties de la nature humaine, parmi lesquelles se trouve aussi le sexe. Il convenait donc qu’il assume un sexe.

 [8952] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in corpore mystico dicitur non esse masculus aut femina, non quia non sit differentia sexuum, sed quia indifferenter se habet uterque sexus ad ipsum corpus mysticum: quia corpus mysticum non est una persona, sicut est ipse Christus; unde in eo non potuit esse uterque sexus, quia hoc esset monstruosum et innaturale.

1. On dit qu’il n’y a pas d’homme ni de femme dans le corps mystique, non pas parce qu’il n’y a pas de différence des sexes, mais parce que les deux sexes se rapportent indifféremment au corps mystique, car le corps mystique n’est pas une personne, comme le Christ lui-même l’est. Aussi les deux sexes ne pouvaient-ils se trouver en lui, parce que cela serait monstrueux et non conforme à la nature.

 [8953] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non assumpsit sexum ad usum, sed ad perfectionem naturae; sicut etiam erit in sanctis post resurrectionem, quando neque nubent neque nubentur.

2. Il n’a pas assumé un sexe pour en faire usage, mais pour la perfection de sa nature, comme [le sexe] se trouvera chez les saints après la résurrection, alors qu’on n’épousera pas et qu’on ne sera pas épousé.

 [8954] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod aequaliter se habet quantum ad potentiam, sed non quantum ad congruentiam.

3. Il est égal quant à la puissance, mais non quant à la convenance.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [8955] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod non loquimur hic de potentia Dei: quia ipse potuit assumere quale corpus voluit. De congruitate autem loquendo, quia Christus venit ut doctor et rector et propugnator humani generis, quae mulieri non competunt; ideo nec competens fuit quod sexum femineum assumeret.

Nous ne parlons pas ici de la puissance de Dieu, car celui-ci pouvait assumer le corps qu’il voulait. Mais nous parlons de convenance, car le Christ est venu comme docteur, dirigeant et défenseur du genre humain, ce qui ne convient pas à la femme. Il ne lui convenait donc pas d’assumer le sexe féminin.

 [8956] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod reparatio debet respondere ruinae per oppositum: unde sicut principium perditionis fuit natura fragilior; ita principium reparationis debet esse natura fortior; sicut sanatio in corpore hominis est per virtutem cordis quod habet fortiorem sanitatem. Vel dicendum quod per mulierem non intravit in mundum peccatum originale, sed per virum, sicut in Lib. 2 dictum est, quamvis a muliere initium habuit peccatum; ita etiam per virum habuit perfici opus salutis nostrae, quod aliquo modo initiatum est per mulierem, scilicet beatam virginem.

1. La restauration doit correspondre à la chute par opposition. Ainsi, de même que le principe de la perdition avait une nature plus fragile, de même le principe de la restauration devait-il avoir une nature plus forte, comme la guérison dans le corps de l’homme se réalise par la puissance d’un cœur qui est en meilleure santé. Ou bien il faut dire que le péché originel n’est pas entré dans le monde par la femme, mais par l’homme, comme on l’a dit dans le livre II, bien que le péché ait commencé avec la femme. L’œuvre de notre salut, amorcée d’une certaine manière par une femme, la bienheureuse Vierge, devait donc s’achever par un homme.

 [8957] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Christus non assumpsit omnes defectus, sed illos qui conveniebant ad finem assumptionis, scilicet ad opus redemptionis, ut infra dicetur.

2. Le Christ n’a pas assumé toutes les carences, mais celles qui convenaient à la fin de l’assomption, c’est-à-dire à l’œuvre de la rédemption, comme on le dira plus loin.

 [8958] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod laus Dei non tantum est ex infirmitate victoris, sed etiam ex magnitudine victoriae, et congruentia pugnae, secundum quae in victoria Christi Deus maxime laudatur.

3. La louange de Dieu ne vient pas seulement de la faiblesse du vainqueur, mais aussi de la grandeur de la victoire et de la convenance du combat, en raison de quoi Dieu est loué au plus haut point par la victoire du Christ.

 

 

Articulus 2 [8959] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 2 tit. Utrum debuerit carnem assumere ab utroque sexu

Article 2 – Le Christ devait-il assumer la chair à partir des deux sexes ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le Christ devait-il assumer la chair à partir des sexes ?]

 [8960] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur, quod debuit ab utroque sexu carnem assumere. Quia, ut dicit apostolus, Hebr. 2, 17, debuit per omnia fratribus assimilari, et praecipue in naturalibus. Sed naturaliter alii homines generantur ab utroque sexu. Ergo et Christus ab utroque sexu carnem assumere debuit.

1. Il semble que [le Christ] devait assumer la chair à partir des deux sexes, car, comme le dit l’Apôtre, He 2, 17 : Il devait ressembler en tout à ses frères, surtout pour ce qui est des attributs naturels. Or, les autres hommes sont engendrés naturellement par les deux sexes. Le Christ aussi devait donc assumer la chair à partir des deux sexes.

 [8961] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, illa solum videntur in humana natura Christo repugnare quae ad peccatum pertinent. Sed commixtio sexuum potest esse sine omni peccato, et sine omni corruptela, cum in Paradiso ante peccatum fuisset, secundum Augustinum. Ergo debuit per commixtionem sexuum carnem assumere.

2. Seul ce qui se rapporte au péché dans la nature humaine semble être incompatible avec le Christ. Or, l’union sexuelle peut exister sans aucun péché et sans aucune corruption, puisqu’elle aurait été telle au Paradis avant le péché, selon Augustin. [Le Christ] devait donc assumer la chair par l’union sexuelle.

 [8962] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, Christus praecipue venit ad tollendum originale peccatum. Sed per commixtionem sexuum traducitur originale. Ergo debuit per commixtionem sexuum carnem assumere.

3. Le Christ est venu surtout pour enlever le péché originel. Or, le péché originel est transmis par l’union sexuelle. [Le Christ] devait donc assumer la chair par l’union sexuelle.

 [8963] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Anselmus dicit, quod decuit ut mater Christi ea puritate niteret qua major sub Deo non potest intelligi. Sed maxima puritas est virginalis. Ergo de virgine nasci debuit; et ita non per commixtionem sexuum.

Cependant, [1] Anselme dit qu’il convenait que la mère du Christ tende à une pureté telle qu’on ne puisse en comprendre de plus grande après Dieu. Or, la pureté la plus grande est la pureté virginale. [Le Christ] devait donc naître d’une vierge, et non de l’union sexuelle.

 [8964] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, sequeretur quod Christus haberet duos patres, quod nusquam invenitur.

 [2] Il en découlerait que le Christ aurait deux pères, ce qu’on ne trouve jamais.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le Christ devait-il assumer un corps issu d’un homme seulement ?]

 [8965] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod debuit assumere corpus de viro tantum. Quia reparatio debet respondere conditioni. Sed in conditione humani generis est aliquid formatum ex viro tantum. Ergo et sic debuit esse in reparatione.

1. Il semble que [le Christ] devait assumer un corps issu d’un homme seulement, car la restauration doit correspondre à la création. Or, dans la création du genre humain, il y a quelque chose qui est formé à partir de l’homme seulement. De même devait-il donc en être pour la restauration.

 [8966] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, generans est simile generato. Sed Christus debuit esse masculini sexus. Ergo de masculo debuit ejus corpus assumi.

2. Celui qui engendre est semblable à celui qui est engendré. Or, le Christ devait être de sexe masculin. Il devait donc assumer son corps à partir d’un homme seulement.

 [8967] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, Christus venit utrumque sexum salvare. Sed ipse fuit vir. Ergo debuit ex muliere carnem assumere.

Cependant, le Christ est venu sauver les deux sexes. Or, lui-même était un homme. Il devait donc assumer sa chair à partir d’une femme.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [8968] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum, ad primam quaestionem, quod nullo modo congruebat quod per commixtionem sexuum carnem assumeret. Primo propter dignitatem matris, ut purissima esset, et ita virgo. Secundo propter dignitatem patris, ut non esset alius pater sui filii. Tertio propter dignitatem concepti: quia non decuit ut illa caro formaretur nisi a spiritu sancto. Quarto propter unitatem personae, ad quam caro illa assumpta est. Unde decuit ut sicut per virtutem infinitam assumpta est; ita per virtutem infinitam formaretur. Hoc autem esse non potuisset, si per commixtionem sexus concepta fuisset: quia vel semen viri fuisset ibi pro nihilo, vel fuisset agens in conceptione.

Il ne convenait pas du tout que [le Christ] assume sa chair par l’union sexuelle. Premièrement, en raison de la dignité de sa mère, afin qu’elle soit la plus pure, et ainsi vierge. Deuxièmement, en raison de la dignité de son Père, pour qu’il n’y ait pas un autre père de son Fils. Troisièmement, en raison de la dignité de celui qui a été conçu, car il ne convenait pas que cette chair soit formée par un autre que l’Esprit Saint. Quatrièmement, en raison de l’unité de sa personne, pour laquelle cette chair a été assumée. Il convenait donc que, de même qu’elle a été assumée par une puissance infinie, de même elle soit formée par une puissance infinie. Or, cela n’aurait pu être le cas si elle avait été conçue par l’union sexuelle, car soit la semence de l’homme n’y aurait été pour rien, soit elle aurait été active dans la conception.

 [8969] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod debuit fratribus assimilari in his quae non derogant dignitati ejus vel perfectioni naturae assumptae, vel quae faciunt ad opus redemptionis. Sed hoc non est hujusmodi.

1. Il devait ressembler à ses frères pour ce qui ne dérogeait pas à sa dignité ou à la perfection de la nature assumée, ou à ce qui contribue à l’œuvre de la rédemption. Mais cela n’est pas de cette sorte.

 [8970] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod commixtio sexuum, quamvis possit fieri sine peccato, tamen non potest esse in statu naturae corruptae sine vitiosa libidine, quae est principium peccati. Christus autem non venerat reparare naturam tunc quantum ad actum naturae, quia hoc erit in resurrectione gloriosa, sed quantum ad actum personae.

2. Bien qu’elle puisse être accomplie sans péché, l’union sexuelle ne peut cependant exister, dans l’état de la nature corrompue, sans une convoitise viciée, qui est principe de péché. Or, le Christ n’était pas venu restaurer la nature pour ce qui est de l’acte de la nature, car cela se fera lors de la résurrection glorieuse, mais pour ce qui est de l’acte de la personne.

 [8971] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut Christus per suam innocentiam culpam nostram abstulit; ita purissimum oportuit esse ejus conceptum qui conceptionis vitium tollere venerat.

3. De même que le Christ a enlevé notre faute par son innocence, de même la conception de celui qui était venu enlever ce que la conception avait de vicié devait-elle être la plus pure.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [8972] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod decuit ut de muliere carnem assumeret. Primo ut uterque sexus glorificaretur Christi incarnatione, ut in objectione tactum est. Secundo ad completionem universi: quia generatio viri de muliere tantum nusquam fuerat; sed mulieris de viro fuerat, scilicet in Eva, et viri de utroque, sicut in Abel, et aliis; et viri de neutro, sicut in Adam. Tertio, ut naturalem habitudinem haberet ad genus humanum: si enim ex viro fuisset non per actionem viri, non esset filius ejus, nec naturalis nepos Abrahae; sicut est naturalis filius virginis ex hoc solo quod carnem ab ea sumpsit.

Il convenait qu’il assume sa chair d’une femme. Premièrement, afin que les deux sexes soient glorifiés par l’incarnation du Christ, comme on l’a abordé dans l’objection. Deuxièmement, pour l’achèvement de l’univers, car la génération d’un homme à partir d’une femme seulement ne s’était jamais produite ; mais la génération d’une femme par un homme [seulement] s’était produite, à savoir, dans le cas d’Ève, et d’un homme à partir des deux, à savoir, en Abel et chez les autres ; et la généréation d’un homme à partir d’aucun des deux, comme dans le cas d’Adam. Troisièmement, afin que [le Christ] ait un rapport naturel avec le genre humain. En effet, s’il était venu d’un homme sans action de l’homme, il ne serait pas son fils, ni le rejeton naturel d’Abraham, comme il est le fils naturel de la Vierge par le seul fait qu’il a reçu d’elle sa chair.

 [8973] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non oportet quod per omnia reparatio similis sit conditioni, sed quantum attinet ad finem reparationis.

1. Il n’est pas nécessaire que la restauration soit en tout semblable à la création, mais pour autant qu’elle concerne la fin de la restauration.

 [8974] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non oportet quod in sexu generans assimiletur genito, sed in natura speciei.

2. Il n’est pas nécessaire que celui qui engendre soit semblable par le sexe à celui qui est engendré, mais [qu’il lui ressemble] par la nature de l’espèce.

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 12

 [8975] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 2 expos. Hic distinctione opus est. Hoc non dicit Magister, quia locutio sit simpliciter falsa, sed ut ostendat quantum potest habere de veritate. An de ea secundum quod potuit esse, et non unita verbo. Patet quod hoc quod potuit esse aliter, non mutat aliquid de veritate ejus quod est: nec ista consideratio humanae naturae, ut non unitae, est in re, sed in intellectu tantum. Quidam arbitrantur eum potuisse assumere hominem in femineo sexu. Hoc dicit sub dubitatione propter inconveniens ad quod tertia opinio ducebat, ut supra, dist. 8, habitum est. Et tamen simpliciter concedendum est, quod potuit assumere sexum femineum de potentia absoluta loquendo; quamvis non fuisset ita congruum.

 

 

 

Distinctio 13

Distinction 13 – [Ce qui convient à l’incarnation selon les deux natures]

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [Le Christ avait-il la grâce habituelle ?]

Prooemium

Prologue

 [8976] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 pr. Postquam Magister determinavit de his quae conveniunt Deo incarnato ratione unionis, hic determinat ea quae consequuntur ipsum secundum alteram naturarum. Et quia de his quae conveniunt ei ratione divinae naturae, quae in incarnatione minorata non est, determinatum est in primo Lib.; restat ut hic determinetur de his quae conveniunt Christo secundum naturam quae per incarnationem est exaltata. Dividitur autem haec pars in tres partes: in prima determinat de his quae cum humana natura assumpsit; in secunda de his quae per naturam humanam operatus est, dist. 17: post praedicta considerari oportet, utrum Christus aliquid voluerit vel oraverit quod factum non sit; in tertia de morte quam in humana natura sustinuit, dist. 21: post praedicta considerandum est, utrum in morte Christi a verbo sit separata anima, vel caro. Prima dividitur in duas partes: primo determinat de perfectionibus cum humana natura assumptis, quantum ad earum plenitudinem; secundo per comparationem ad perfectionem divinae naturae, dist. 14, ibi: hic quaeri opus est, cum anima Christi esset sapiens sapientia gratuita (...) utrum habuerit sapientiam aequalem Deo. Prima in duas: primo determinat plenitudinem perfectionis quantum ad gratiam affectus et scientiam intellectus, quam Christus accepit in instanti conceptionis; secundo objicit in contrarium, ibi: huic autem sententiae videtur obviare quod in Lucae Evangelio legitur. Et haec dividitur in duas partes: in prima objicit in contrarium per auctoritates canonis; in secunda per auctoritates sanctorum, ibi: alibi tamen scriptum reperitur quod secundum sensum hominis profecerit. Circa primum tria facit: primo facit objectionem; secundo solvit eam, ibi: ad quod sane dici potest; tertio solutionem per auctoritatem confirmat et explanat, ibi: unde Gregorius in quadam homilia ait. Alibi tamen scriptum est. Hic objicit per auctoritatem Ambrosii, et tria facit: primo ponit auctoritatem; secundo exponit et ostendit quomodo proposita auctoritate partim aedificatur fides, partim potest sumi errandi materia, ibi: sed verba Ambrosii pia diligentia inspicienda sunt; tertio ostendit quomodo exponenda sit, ne error inde sequatur, ibi: sed ex qua causa illius dicti intelligentia (...) assumenda est ? Hic incipit quaestio de gratia Christi, quia de scientia ejus in sequenti distinctione quaeretur; et quaeruntur tria. Primo de gratia ejus secundum quod est singularis homo. Secundo de gratia, secundum quod est caput Ecclesiae. Tertio de gratia unionis. Circa primum quaeruntur duo: 1 utrum in eo sit gratiam habitualem ponere, qua anima ejus perficiebatur, quae dicitur singularis hominis; 2 de plenitudine illius gratiae.

Après avoir déterminé de ce qui convient au Dieu incarné en raison de l’union, le Maître détermine ici de ce qui découle chez lui selon l’une ou l’autre des natures. Et parce qu’on a déterminé dans le livre I de ce qui lui convient en raison de la nature divine, qui n’a pas été diminuée par l’incarnation, il reste à déterminer ici de ce qui convient au Christ selon la nature qui a été élévée par l’incarnation. Or, cette partie se divise en trois parties : dans la première, il détermine de ce qu’il a assumé avec la nature humaine ; dans la deuxième, de ce qu’il a réalisé par la nature humaine, d. 17 : « Après ce qui a été dit, il faut se demander si le Christ a voulu ou a prié [pour quelque chose] qui ne s’est pas réalisé » ; dans la troisième, [il détermine] de la mort qu’il a supportée en sa nature humaine, d. 21 : « Après ce qui a été dit, il faut se demander si l’âme ou la chair a été séparée du Verbe dans la mort du Christ. » La première partie se divise en deux parties : premièrement, il détermine des perfections assumées avec la nature humaine, du point de vue de leur plénitude ; deuxièmement, par comparaison avec la perfection de la nature divine, d. 14, à cet endroit : « Il fait se demander ici, puisque l’âme du Christ était sage d’une sagesse gratuite…, si elle avait une sagesse égale à Dieu. » La première partie se divise en deux : premièrement, il détermine de la plénitde de la perfection, reçue par le Christ à l’instant de sa conception, pour ce qui est de la grâce de la partie affective et de la science de l’intellect, que le Christ a reçues à l’instant de sa conception ; deuxièmement, il présente une objection en sens contraire, à cet endroit : « À cette position semble s’opposer ce qu’on lit dans l’évangile de Luc. » Cette partie se divise en deux : dans la première, il présente une objection en sens contraire selon des autorités du canon ; dans la seconde, selon des autorités des saints, à cet endroit : « Cependant, il est écrit ailleurs qu’il a progressé selon le jugement de l’homme. » À propos du premier point, il fait trois choses : premièrement, il présente une objection ; deuxièmement, il la résoout, à cet endroit : « À cela, on peut assurément répondre… » ; troisièment, il confirme et explique la solution par une autorité, à cet endroit : « Aussi Grégoire dit-il dans une homélie… » « Cependant, il est écrit ailleurs… » Ici, il présente une objection qui vient d’une autorité d’Ambroise, et il fait trois choses : premièrement, il présente l’autorité ; deuxièmement, il explique et montre comment la foi est partiellement édifiée par l’autorité invoquée, et comment elle peut devenir matière à erreur, à cet endroit : « Mais les paroles d’Ambroise doivent être examinées avec un soin pieux » ; troisièmement, il montre qu’elle doit être interprétée afin qu’il n’en découle pas une erreur, à cet endroit : « Mais comment faut-il interpréter cette parole ? » Ici débute la question sur la grâce du Christ, car on examinera sa science dans la distinction suivante. Trois questions sont posées. Premièrement, à propos de sa grâce en tant qu’homme particulier. Deuxièmement, à propos de sa grâce en tant que tête de l’Église. Troisièmement, à propos de la grâce d’union. À propos du premier point, deux questions sont posées : 1 – Faut-il affirmer en lui la grâce habituelle, par laquelle son âme, dont on dit qu’elle est celle d’un homme particulier, était perfectionnée ? 2 – À propos de la plénitude de cette grâce.

 

 

Articulus 1 [8977] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 1 tit. Utrum in Christo fuerit gratia habitualis perficiens animam ejus

Article 1 – Y avait-il dans le Christ une grâce habituelle perfectionnant son âme ?

 [8978] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod in Christo gratia dicta non fuerit. Sicut enim se habet filiatio adoptionis ad filiationem naturalem; ita se habet bonitas gratuita ad bonitatem naturalem. Sed Christus, sicut ex unione habuit quod esset filius naturalis, ita habuit quod esset naturaliter bonus. Ergo sicut non ponitur in eo filiatio adoptionis; ita non debet poni bonitas gratuita.

1. Il semble que ladite grâce n’existait pas dans le Christ. En effet, le rapport entre la filiation par adoption et la filiation naturelle est le même que celui de la bonté gratuite par rapport à la bonté naturelle. Or, de même que le Christ a obtenu par l’union d’être le Fils naturel, de même a-t-il eu d’être bon naturellement. De même qu’on n’affirme pas en lui de filiation par adoption, de même ne doit-on donc pas affirmer une bonté gratuite.

 [8979] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, gratia datur hominibus ut assimilentur Deo. Sed Christus nunquam fuit dissimilis Deo. Ergo gratia nunquam indiguit.

2. La grâce est donnée à l’homme pour qu’il soit assimilé à Dieu. Or, le Christ n’a jamais été dissemblable de Dieu. Il n’a donc jamais eu besoin de la grâce.

 [8980] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, ubi est lux solis, non indigetur lumine candelae: quia major lux offuscat minorem. Sed in Christo fuit lux divinitatis, quasi lux solaris. Ergo non oportuit in eo ponere lumen gratiae.

3. Là où existe la lumière du soleil, la lumière d’une bougie n’est pas nécessaire, car une lumière plus grande obscurcit une lumière plus faible. Or, la lumière de la divinité, qui est comme la lumière solaire, existait chez le Christ. Il n’était donc pas nécessaire d’affirmer en lui la lumière de la grâce.

 [8981] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, Damascenus dicit, quod sicut anima regit carnem, et operatur per eam sicut per instrumentum, ita divinitas regebat animam Christi. Sed instrumentum non indiget aliquo habitu quo regatur in opere, quia regitur per agens principale. Ergo et anima Christi non indigebat habitu.

4. [Jean] Damascène dit que, « de même que l’âme dirige la chair et agit par elle comme par un instrument, de même la divinité dirigeait-elle l’âme du Christ ». Or, l’instrument n’a pas besoin d’un habitus pour être dirigé dans l’action, car il est dirigé par l’agent principal. L’âme du Christ n’avait donc pas besoin d’un habitus.

 [8982] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, gratia ad hoc datur hominibus, ut per eam peccatum vitetur, et gloria adipiscatur. Sed ex hoc ipso quod Christus fuit Deus, habuit quod peccare non posset, ut in praecedenti distinctione dictum est; et iterum habuit plenum jus in gloria divina, ut dictum est distinct. 10. Ergo gratia non indiguit.

5. La grâce est donnée aux hommes pour que, par elle, le péché soit évité et la gloire, obtenue. Or, du fait même que le Christ était Dieu, il était dans l’état de ne pouvoir pécher, comme on l’a dit dans la distinction précédente ; de plus, il possédait un plein droit à la gloire divine, comme l’a dit à la distinction 10. Il n’avait donc pas besoin de la grâce.

 [8983] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, sicut anima est perfectio corporis ita gratia est perfectio animae. Sed non minus debuit habere animam perfectam quam corpus perfectum. Ergo sicut assumpsit corpus cum anima, ita assumere debuit animam cum gratia.

Cependant, [1] de même que l’âme est la perfection du corps, de même la grâce est-elle la perfection de l’âme. Or, [le Christ] ne devait pas avoir une âme moins parfaite qu’un corps parfait. De même qu’il a assumé un corps avec une âme, de même devait-il donc assumer une âme avec la grâce.

 [8984] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, omne meritum est per gratiam. Sed Christus meruit sibi et nobis, ut infra, dist. 18, dicetur. Ergo ipse habuit gratiam.

 [2] Tout mérite vient de la grâce. Or, le Christ a mérité pour lui-même et pour nous, comme on le dira à la d. 18. Il avait donc la grâce.

 [8985] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 1 s. c. 3 Praeterea, de ipso in Psal. 44, 3, dicitur: diffusa est gratia in labiis tuis; et vers. 8: unxit te oleo laetitiae: quae omnia gratiam in ipso ostendunt. Ergo et ipse habuit gratiam.

 [3] Il est dit de lui dans le Ps 44, 3 : La grâce s’est répandue sur tes lèvres, et au v. 8 : Il t’a oint d’une huile d’allégresse. Tout cela montre en lui la grâce. Donc, lui aussi avait la grâce.

 [8986] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod gratia principaliter duo facit in anima. Primo enim perficit ipsam formaliter in esse spirituali, secundum quam Deo similatur; unde et vita animae dicitur. Secundo perficit eam ad opus, secundum quod a gratia emanant virtutes sicut vires ab essentia: quia non potest esse operatio perfecta, nisi progrediatur a potentia perfecta per habitum. Et propter haec duo oportet ponere gratiam in anima Christi: quia cum sit perfectissima in esse spirituali, oportet quod sit aliquid perficiens illam formaliter in esse illo. Deitas autem non est formaliter, sed effective perficiens ipsam; unde oportet aliam formam creatam in ipso ponere, qua formaliter perficiatur; et haec est gratia. Similiter etiam cum alia sit ejus operatio secundum humanitatem et secundum divinitatem, sicut et alia natura, oportet quod operatio ejus humana habeat habitum perficientem; alias esset imperfecta: et ideo in Christo oportet ponere gratiam et virtutes.

Réponse. La grâce fait principalement deux choses dans l’âme. En effet, en premier lieu, elle la perfectionne comme une forme dans l’existence spirituelle, par laquelle elle est rendue semblable à Dieu ; aussi est-elle appelée la vie de l’âme. Deuxièmement, elle la perfectionne en vue de l’action, selon que des vertus émanent de la grâce comme les puissances [émanent] de l’essence, car il ne peut y avoir d’action parfaite si elle ne provient pas d’une puissance perfectionnée par un habitus. Pour ces deux raisons, il faut affirmer la grâce dans l’âme du Christ, car, puisqu’elle est la plus parfaite dans l’existence spirituelle, il est nécessaire qu’il y ait quelque chose qui la perfectionne comme une forme dans cette existence. Or, la divinité ne la perfectionne pas comme une forme, mais elle la perfectionne par mode d’efficience. Aussi est-il nécessaire de placer une autre forme créée en elle, par laquelle elle est perfectionnée. Telle est la grâce. De même aussi, puisque son action selon l’humanité est différente de son action selon la divinité, comme une autre nature, il est nécessaire que son action humaine possède un habitus qui la perfectionne, autrement elle serait imparfaite. Aussi faut-il reconnaître dans le Christ la grâce et les vertus.

 [8987] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod filiatio refertur ad personam; et quia extraneitas respectu divinae gloriae, quam nomen adoptionis importat, nullo modo convenit personae illi, ideo nomen adoptionis de Christo non conceditur. Sed gratia est perfectio naturae, cum subjectum ejus sit anima quae est pars humanae naturae; ideo quamvis gratia importet aliquid etiam non naturaliter inhaerens, tamen potest ratione humanae naturae Christo convenire.

1. La filiation se rapporte à la personne. Et parce que le fait d’être étranger à la gloire divine, que comporte le mot « adoption », ne convient d’aucune manière à cette personne, le mot « adoption » n’est donc pas reconnu au Christ. Mais la grâce est une perfection de la nature, puisque son sujet est l’âme qui est une partie de la nature humaine. Aussi, bien que la grâce comporte aussi quelque chose qui n’est pas inhérent naturellement, elle peut convenir au Christ en raison de la nature humaine.

 [8988] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod gratiae est facere Deo similem: nec oportet ut de dissimili faciat similem, sed de non simili similem: nec ita quod semper negatio similitudinis similitudinem tempore praecedat, sed natura; sicut potentia est ante actum, et sicut sol praecedit lucem suam.

2. Il revient à la grâce de rendre semblable à Dieu, et il n’est pas nécessaire qu’elle rende semblable ce qui est dissemblable, mais semblable ce qui n’est pas semblable. De même [n’est-il pas nécessaire] que la négation de la ressemblance précède dans le temps la ressemblance, mais par nature, comme la puissance existe avant l’acte, et comme le soleil précède sa lumière.

 [8989] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod lux solis et lux candelae, utrumque est active illuminans; sed deitas et gratia non sic se habent; sed unum illuminat active, alterum formaliter; et ideo sicut solem et lumen solis in aere necesse est esse simul, et unum alterum efficit, et non offuscat; ita ex divinitate Christi sequitur ipsa gratia, et non offuscatur.

3. La lumière du soleil et la lumière de la bougie illuminent toutes deux de manière active. La divinité et la grâce n’ont cependant pas le même rapport, car l’une illumine activement et l’autre, à la manière d’une forme. C’est pourquoi, de même qu’il est nécessaire que le soleil et la lumière du soleil soient dans l’air simultanément, et que l’un produise l’autre et ne l’obscurcisse pas, de même la grâce elle-même découle-t-elle de la divinité du Christ et n’est pas obscurcie.

 [8990] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut philosophus dicit, duplex est instrumentum, scilicet animatum et inanimatum: inanimatum sicut securis; animatum sicut servus qui movetur ad imperium domini. Instrumentum ergo inanimatum ita agitur quod non agit; et dicitur inanimatum anima rationali; et ideo non indiget habitu regente in operatione: sed instrumentum animatum agit et agitur; unde sicut servus indiget habitu ad hoc ut imperium domini sui debito modo exequatur; ita etiam anima Christi ad hoc quod perfecte divina operaretur.

4. Comme le dit le Philosophe, il existe deux instruments : l’animé et l’inanimé, l’inanimé, comme la scie, l’animé, comme le serviteur qui est mû par le commandement du maître. L’instrument inanimé est donc mû sans agir (on l’appelle inanimé par rapport à l’âme raisonnable). Aussi n’a-t-il pas besoin d’un habitus pour le diriger dans son opération. Mais l’instrument animé agit et est mû. De même donc que le serviteur a besoin d’un habitus pour exécuter de manière appropriée le commandement du maître, de même aussi l’âme du Christ [en a-t-elle besoin] pour accomplir parfaitement les choses divines.

 [8991] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod sicut omnis forma est per se ordinata ad perficiendum (quod autem abjiciat contrarium, est ei per accidens); ita etiam est de gratia respectu peccati. Unde quamvis Christus nunquam peccaverit, nec peccare potuisset, etiam si gratiam habitualem non habuisset ex unione ad verbum, tamen gratia indiguit ad perfectionem, ut dictum est; et iterum, quamvis ex hoc ipso quod Deus erat, sibi gloria debebatur, tamen oportuit quod esset aliquid formaliter perficiens ipsam animam ad actus gloriae; et haec fuit gratia: quia gratia consummata in anima, est idem quod gloriae lumen, et etiam perficiens eam ad actus viae.

5. Comme toute forme est ordonnée par elle-même à perfectionner (qu’elle rejette ce qui lui est contraire relève d’elle par accident), de même en est-il aussi de la grâce par rapport au péché. Bien que le Christ n’ait jamais péché et n’aurait pas pu pécher en vertu de l’union au Verbe, même s’il n’avait pas eu la grâce habituelle, il avait cependant besoin de la grâce comme perfection, ainsi qu’on l’a dit. De plus, bien que, du fait même qu’il était Dieu, la gloire lui était due, il était cependant nécessaire qu’il existe quelque chose qui perfectionne comme une forme son âme elle-même en vue des actes de la gloire. Telle était la grâce, car la grâce achevée dans l’âme est la même chose que la lumière de la gloire, et elle la perfectionne aussi pour les actes du cheminement.

Articulus 2 [8992] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 tit. Utrum Christus habuerit gratiae plenitudinem

Article 2 – Le Christ a-t-il possédé la plénitude de la grâce ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le Christ a-t-il possédé la plénitude de la grâce ?]

 [8993] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur, quod Christus non habuit gratiae plenitudinem. Christus enim non habuit fidem nec spem, sicut infra, dist. 26, qu. 2, art. 3, determinabitur: nec iterum poenitentiam, quia nunquam peccavit. Sed haec omnia ad gratiam pertinent. Ergo ipse non habuit gratiae plenitudinem.

1. Il semble que le Christ n’ait pas possédé la plénitude la grâce. En effet, le Christ n’a pas eu la foi ni l’espérance, comme on le précisera plus loin, d. 26, q. 2, a. 3 ; il n’a pas eu non plus la pénitence, car il n’a jamais péché. Or, tout cela se rapporte à la grâce. Il n’a donc pas possédé la plénitude de la grâce.

 [8994] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, philosophus dicit, quod virtutes morales non sunt in diis. Sed Christus fuit verus Deus. Ergo non habuit virtutes morales, scilicet temperantiam et cetera.

2. Le Philosophe dit que les vertus morales n’existent pas chez les dieux. Or, le Christ était vrai Dieu. Il n’a donc pas eu les vertus morales, à savoir, la tempérance, etc.

 [8995] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, virtutes ordinantur ad actum. Sed actus quarumdam virtutum Christo non conveniunt, sicut magnificentia, quae consistit in magnis sumptibus, quia pauper pro nobis factus est. Ergo non habuit omnes virtutes; et ita nec gratiae plenitudinem.

3. Les vertus sont ordonnées aux actes. Or, les actes de certaines vertus ne conviennent pas au Christ, comme la magnificence, qui consiste dans de grandes dépenses, puisqu’il s’est fait pauvre pour nous. Il n’a donc pas eu toutes les vertus morales, et donc non plus la plénitude de la grâce.

 [8996] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Joan. 1, 14: vidimus eum plenum gratiae et veritatis.

Cependant, [1] Jn 1, 14 dit : Nous l’avons vu plein de grâce et de vérité.

 [8997] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, major gratia fuit in Christo quam in aliquo alio homine. Sed de quibusdam aliis legitur, quod fuerunt gratia pleni, sicut de matre ejus Luc. 1, et de Stephano Act. 6. Ergo multo magis Christus habuit gratiae plenitudinem.

 [2] La grâce a été plus grande chez le Christ que chez un autre homme. Or, on lit de certains autres hommes qu’ils furent remplis de grâce, comme c’est le cas de sa mère, Lc 1, et d’Étienne, Ac 6. À bien plus forte raison, donc, le Christ a-t-il eu la plénitude de la grâce.

 [8998] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 3 Praeterea, spiritus sanctus in homine per gratiam inhabitare dicitur. Sed Luc. 3 dicitur quod Christus plenus spiritu sancto regressus est a Jordane. Ergo ipse habuit gratiae plenitudinem.

 [3] On dit que le Saint-Esprit habite dans l’homme par la grâce. Or, il est dit en Lc 3 que le Christ revint du Jourdain rempli de l’Esprit Saint. Il avait donc la plénitude la grâce.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La grâce du Christ était-elle infinie ?]

 [8999] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod gratia ejus fuerit infinita. Joan. 3, dicitur quod non ad mensuram dat ei Deus spiritum sanctum. Sed omne finitum mensuram habet. Ergo cum spiritus sanctus dicatur dari hominibus secundum quod gratiam accipiunt, videtur quod gratia ejus fuerit infinita.

1. Il semble que sa grâce ait été infinie. Il est dit en Jn 3 que Dieu ne lui mesure pas l’Esprit Saint. Or, tout ce qui est fini a une mesure. Puisqu’on dit que les hommes reçoivent l’Esprit Saint par la grâce, il semble donc que sa grâce ait été infinie.

 [9000] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, omni finito potest aliquid majus intelligi, et Deus aliquid majus facere. Sed in littera dicitur, quod Deus illi majorem gratiam conferre non potuit, nec potest plenior intelligi. Ergo est infinita.

2. On peut comprendre quelque chose de plus grand, et Dieu peut faire quelque chose de plus grand que tout ce qui est fini. Or, il est dit dans le texte que Dieu ne pouvait lui donner une plus grande grâce, et qu’on ne peut en comprendre de plus grande. Elle est donc infinie.

 [9001] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, omne finitum multoties sumptum, aequatur alteri finito, vel excedit ipsum. Si ergo gratia Christi fuit finita, tunc gratia alterius hominis posset tantum augeri quod aequaretur gratiae Christi, vel excederet ipsam; quod est inconveniens. Ergo gratia Christi est infinita.

3. Tout ce qui est fini, si on le prend plusieurs fois, est égal à une autre chose qui est finie ou la dépasse. Si la grâce du Christ était finie, la grâce d’un autre homme pourrait donc être augmentée jusqu’à égaler la grâce du Christ ou à la dépasser, ce qui est inappropriée. La grâce du Christ est donc infinie.

 [9002] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 4 Praeterea, a causa finita non est effectus infinitus. Sed meritum Christi fuit infinitum, quia sufficiens ad redemptionem totius humani generis, quod est infinitum potentia. Ergo et gratia, quae est causa meriti, fuit infinita.

4. Un effet infini ne vient pas d’une cause finie. Or, le mérite du Christ était infini puisqu’il a suffi à la rédemption de tout le genre humain, qui est infini en puissance. Donc, la grâce aussi, qui est la cause du mérite, était infinie,.

 [9003] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, nullum creatum est infinitum. Sed gratia Christi fuit creata. Ergo non fuit infinita.

Cependant, [1] rien de créé n’est infini. Or, la grâce du Christ était créée. Elle n’était donc pas infinie.

 [9004] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, nullo infinito est aliquid majus. Si igitur Christus, secundum quod homo, habuisset gratiam infinitam; secundum quod homo, non fuisset minor patre, quod est contra fidem.

 [2] Rien n’est plus grand que l’infini. Si donc le Christ, en tant qu’homme, avait eu une grâce infinie, en tant qu’homme, il n’aurait pas été inférieur au Père, ce qui est contraire à la foi.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Cette grâce pouvait-elle être augmentée ?]

 [9005] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod gratia illa potuerit augmentari. Omni enim finito possibilis est additio. Si ergo gratia Christi finita fuit, quia creata est, potuit ei fieri additio; et ita potuit augeri.

1. Il semble que cette grâce ne pouvait pas être augmentée. En effet, une addition à tout ce qui est fini est possible. Si donc la grâce du Christ était finie parce qu’elle était créée, une addition pouvait lui être faite. Elle pouvait ainsi être augmentée.

 [9006] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, quantumcumque additur intellectuali naturae de perfectione, tanto magis augetur ejus capacitas; unde secundum philosophum in 3 de anima, quanto intellectus magis intelligit difficilia, plus etiam potest intelligere. Sed capacitas amplioris gratiae facit possibilitatem ad augmentum. Ergo quantumcumque homo habeat perfectam gratiam, remanet possibilitas ad augmentum; et ita videtur quod Christus potuit proficere in gratia.

2. Plus grande est la perfection ajoutée à une puissance intellectuelle, plus sa capacité est augmentée. Ainsi, selon le Philosophe, Sur l’âme, III, plus l’intellect comprend des choses difficiles, plus aussi il peut comprendre. Or, la capacité d’une grâce plus grande rend possible une augmentation. Donc, autant un homme a une grâce parfaite, il reste une possibilité de l’augmenter. Et ainsi, il semble que le Christ pouvait croître en grâce.

 [9007] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, missio visibilis est signum missionis invisibilis. Sed ad Christum facta est visibilis missio spiritus sancti in trigesimo anno, ut supra, Luc. 3. Ergo tunc fuit ei facta invisibilis missio spiritus sancti. Sed spiritus sanctus non mittitur visibiliter ad aliquem nisi ratione novae gratiae datae, vel ratione augmenti gratiae. Ergo Christus crevit in gratia, cum primum gratiam habuerit.

3. Une mission visible est le signe d’une mission invisible. Or, une mission visible de l’Esprit Saint a été adressée au Christ en sa trentième année, Lc 3, comme on l’a dit plus haut. Une mission invisible de l’Esprit Saint lui a donc alors été faite. Or, l’Esprit Saint n’est envoyé visiblement à quelqu’un qu’en raison du don d’une nouvelle grâce ou en raison de l’augmentation de la grâce. Le Christ a donc crû en grâce, alors qu’il possédait auparavant la grâce.

 [9008] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 4 Praeterea, sicut requirebatur in ipso perfectio animae, ita et perfectio corporis. Sed ipse crevit in perfectione corporis. Ergo et crevit quantum ad gratiam, quae est perfectio animae.

4. De même qu’était nécessaire chez lui la perfection de l’âme, de même la perfection du corps. Or, il a crû dans la perfection de son corps. Il a donc crû en grâce, qui est la perfection de l’âme.

 [9009] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod dicit Hieremias 31, 22: mulier circumdabit virum: ubi dicunt sancti, quod Christus ab initio conceptionis fuit plenus omni gratia. Ergo gratia non crevit in ipso.

Cependant, [1] Jr 31, 32 dit en sens contraire : La femme entourera l’homme. À cet endroit, les saints disent que le Christ fut rempli de toute grâce dès le début de sa conception. La grâce n’a donc pas augmenté chez lui.

 [9010] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, Christus fuit ab instanti conceptionis suae perfectus comprehensor. Sed comprehensores sunt in statu, non in augmento gratiae. Ergo gratia in ipso non crevit.

 [2] Le Christ a été un parfait comprehensor dès l’instant de sa conception. Or, les comprehensores sont dans un état, et non en accroissement de grâce. La grâce n’a donc pas augmenté chez lui.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [9011] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod illud plene haberi dicitur quod secundum omnes differentias et modos et effectus suos habetur; et secundum hoc Christus plenitudinem gratiae habuit. Haec autem plenitudo potest attendi secundum rationem causae finalis, efficientis et formalis. Finis autem gratiae est ut conjungat nos Deo. Quia igitur Christus, secundum quod homo, conjunctus fuit divinitati non solum per cognitionem, amorem et fruitionem, sed etiam per unionem in persona; ideo gratia ipsius plenissime consecuta est finem suum. Et haec est plenitudo causae finalis. Item videmus quod aliquid habet lucem corporalem tantum ut luceat, sicut quidam vermes, et putredines quercus, vel carbunculus; aliquid autem ut alia illuminet, sicut lumen candelae; aliquid autem ut omnis illuminatio ab eo sit, sicut est de sole. Ita etiam est et de gratia Christi: quia ipse habet gratiam per quam in se perfectus est, et ex ipso in alios redundat: et eorum in quos redundat, quosdam facit cooperatores Dei, ut et ipsi alios per ministerium ad gratiam inducant, ut dicitur 1 Cor. 3: et iterum ex ipso in omnes redundat, quia de plenitudine ejus omnes accepimus; Joan. 1, 16. Et haec est plenitudo causae efficientis. Similiter etiam aliqui formaliter gratia perfecti sunt quantum ad omnes virtutes, et quantum ad expulsionem omnium peccatorum mortalium. Et haec est plenitudo sufficientiae, quae fuit in Stephano et aliis sanctis, secundum quod aliquis impletur Deo, ita ut nihil in eo a Deo aversum maneat. In tota autem Ecclesia est plenitudo copiae: quia nulla gratiarum ei deest, quin sit in aliquo membrorum suorum: de qua plenitudine dicitur Ephes. 4, 16: ut impleret omnia. Alicui etiam data est gratia quae non solum omnia mortalia, sed etiam venialia repelleret. Et haec est plenitudo specialis praerogativae, quae fuit in beata virgine, secundum quam plena Deo fuit, ut nihil in ea esset quod ad Deum non ordinaretur. Sed Christo ulterius data est gratia perficiens ipsum, non solum quantum ad omnes virtutes, sed etiam quantum ad omnes usus virtutum, et quantum ad omnes effectus gratiae gratis datae, et iterum ad omnis peccati remotionem, non solum actualis, sed etiam originalis, et potentiae peccandi. Et haec est plenitudo Christi singularis secundum rationem causae formalis. Prima igitur plenitudo respicit gratiam unionis; secunda gratiam capitis; tertia gratiam singularem ipsius.

On dit que quelque chose est possédé pleinement lorsque cela est possédé avec tous ses différences, ses modes et ses effets. Sous cet aspect, le Christ a possédé la plénitude de la grâce. Or, cette plénitude peut être envisagée selon la raison de la cause finale, de la cause efficiente et de la cause formelle. La fin de la grâce est de nous unir à Dieu. Parce que le Christ, en tant qu’homme, était uni à la divinité, non seulement par la connaissance, l’amour et la jouissance (fruitio), mais aussi par l’union dans sa personne, sa grâce a donc atteint sa fin de la manière la plus plénière. Telle est la plénitude de la cause finale. De même, nous voyons qu’une chose possède la lumière corporelle pour luire seulement, comme certains vers, les pourritures de chêne et le charbon, mais qu’une autre chose [la possède] pour éclairer d’autres choses, comme la lumière de la bougie ; une autre encore, pour que tout éclairage vienne d’elle, comme c’est le cas du soleil. Il en est de même de la grâce du Christ, car il possède la grâce par laquelle il est parfait en lui-même, et celle-ci rejaillit sur les autres à partir de lui. Parmi ceux sur lesquels elle rejaillit, il en rend certains coopérateurs de Dieu, afin qu’eux-mêmes, par leur ministère, en conduisent d’autres à la grâce, comme il est dit en 1 Co 3 ; de plus, elle rejaillit sur tous à partir de lui, car nous avons tous reçu de sa plénitude, Jn 1, 16. Telle est la plénitude de la cause efficiente. De même encore, certains ont été perfectionnés par la grâce comme par une forme pour ce qui est de toutes les vertus et du rejet de tous les péchés mortels. Telle est la plénitude de suffisance, qui existait chez Étienne et d’autres saints, par laquelle quelqu’un est comblé par Dieu, de telle sorte qu’il ne reste en lui rien qui soit détourné de Dieu. Mais, dans l’Église entière, il existe une plénitude d’abondance, car aucune grâce ne lui fait défaut, qui ne se trouve dans l’un de ses membres. Il est question de cette plénitude dans Ep 4, 16 : Afin de remplir tout. La grâce a aussi été donnée à quelqu’un pour chasser non seulement tous les péchés mortels, mais aussi les péchés véniels. C’est là une plénitude privilégiée, qui existait chez la bienheureuse Vierge parce qu’elle était remplie de Dieu, de telle sorte qu’il n’existait en elle rien qui ne fût ordonné à Dieu. Mais au Christ a été en plus donnée la grâce qui le perfectionnait lui-même, non seulement pour toutes les vertus, mais aussi pour tous les usages des vertus et pour tous les effets des charismes, et aussi pour écarter tout péché, non seulement actuel, mais encore originel, ainsi que la capacité de pécher. Telle est la plénitude singulière du Christ en raison de la cause formelle. La première plénitude concerne donc la grâce d’union ; la deuxième, la grâce de la tête ; la troisième, sa grâce singulière.

 [9012] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illae virtutes habent aliquid perfectionis, et hoc in Christo praecipue est; et aliquid imperfectionis, et secundum hoc Christo non conveniunt. Sed hoc infra melius patebit.

1. Ces vertus ont quelque chose de la perfection,, et cela se trouve surtout chez le Christ ; elles ont aussi quelque chose de l’imperfection, et, sous cet aspect, elles ne conviennent pas au Christ. Mais cela apparaîtra plus clairement plus loin.

 [9013] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod virtutes morales Christo non conveniunt quantum ad usus quosdam qui in nobis sunt, sicut quod per eas domantur passiones quibus caro contra spiritum concupiscit, quod in Christo non fuit; sed quantum ad alios usus, secundum quos erunt in patria, plenissime fuerunt in Christo; et etiam quantum ad quosdam usus viae, qui ejus perfectioni non derogabant, inquantum erat viator et comprehensor.

2. Les vertus morales ne conviennent pas au Christ selon certains usages qui existent chez nous, comme le fait que, par elles, les passions sont domptées, par lesquelles le désir de la chair va à l’encontre de l’esprit, ce qui n’existait pas chez le Christ. Mais, pour d’autres usages, qui existeront dans la patrie, elles existaient de la manière la plus complète chez le Christ, et aussi pour certaines usages en cours de cheminement, qui ne dérogeaient pas à sa perfection, dans la pour autant qu’il était viator et comprehensor.

 [9014] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non est de necessitate magnificentiae, secundum quod a philosopho accipitur, quod homo habeat multas divitias; sed ut sit sic dispositus, quod quando oportet et decet, optime eas dispensare velit: et hoc in Christo perfecte fuit.

3. Il n’est pas nécessaire pour la magnificence, comme elle est comprise par le Philosophe, qu’un homme ait de grandes richesses, mais qu’il soit ainsi disposé que, lorsque cela est nécessaire et convient, il veuille les dispenser au mieux. Et cela existait parfaitement chez le Christ.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [9015] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod gratia dicitur donum gratis homini collatum. Donum autem hujusmodi Christo sine meritis praecedentibus collatum fuit, et creatum, et increatum. Increatum fuit ipse spiritus sanctus, quia in ejus anima requievit, ut dicitur Isaiae 2: et ipsa persona verbi, quia datum est naturae humanae ut persona verbi esset ejus; et secundum hoc est datum ei nomen quod est super omne nomen, Philip. 2, et sic simpliciter gratia Christi est infinita. Creatum autem donum ejus est ipsa gratia, qua formaliter anima ejus perficiebatur: et haec quodam modo fuit finita, et quodam modo infinita: quia secundum essentiam finita fuit; sed tribus modis infinita dici potest. Uno modo ex conjunctione ad divinitatem inquantum concurrit ad eumdem actum cum ipsa, ut actus gratia illa informatus non tantum sit actus hominis, sed etiam Dei. Secundo quantum ad rationem gratiae. In his enim quae mole magna non sunt, non est accipere finitum et infinitum secundum numeralem vel dimensivam quantitatem, sed secundum aliquid quod est limitatum et non limitatum. Limitatur autem aliquid ex capacitate recipientis; unde illud quod non habet esse receptum in aliquo, sed subsistens, non habet esse limitatum, sed infinitum, sicut Deus. Si autem esset aliqua forma simplex subsistens quae non esset suum esse, haberet quidem finitatem quantum ad esse, quod esset particulatum ad formam illam; sed illa forma non esset limitata, quia non esset in aliquo recepta; sicut si intelligatur calor per se existens. Sed secundum hoc etiam formae universales intellectae habent infinitatem. Sed si forma talis sit recepta in aliquo, de necessitate limitata est quantum ad esse debitum illi formae, non solum quantum ad esse simpliciter: quia non solum non habet plenitudinem essendi simpliciter, sed totum esse, quod naturae illius est possibile fore. Sed possibile est ut non sit limitata quantum ad rationem illius formae, ut scilicet habeat illam formam secundum omnem modum completionis ipsius, ut nihil sibi desit de pertinentibus ad perfectionem illius formae; et hoc erit, si ex parte recipientis non sit defectus, vel ex parte agentis. Et hoc modo dicitur gratia Christi infinita: quia quidquid ad gratiae perfectionem pertinere potest, totum in Christo fuit. Tertio quantum ad effectus: quia non limitatur ad aliquos determinatos effectus, sed potest per gratiam infinitis operari redemptionem; sicut dicitur in Lib. de causis, quod virtus intelligentiae est infinita inferius. Et hic modus respicit gratiam capitis; secundus autem gratiam singularis hominis; sed primus gratiam unionis.

La grâce signifie un don gratuitement conféré à l’homme. Or, un tel don, créé et incréé, a été conféré au Christ sans mérites préalables. Le don incréé était l’Esprit Saint lui-même, car il a reposé dans son âme, comme le dit Is 2, ainsi que la personne même du Verbe, car il a été donné à la nature humaine que la personne du Verbe soit sienne. Comme tel, un nom qui est au-dessus de tout nom lui a été donné, Ph 2, et ainsi la grâce du Christ est simplement infinie. Mais le don créé qui est le sien est la grâce elle-même, par laquelle son âme est perfectionnée comme par une forme. Celle-ci était d’une certaine manière finie et d’une certaine manière infinie, car, selon son essence, elle était finie, mais on peut dire qu’elle est infinie de trois manières. D’une manière, en raison de l’union à la divinité, pour autant qu’elle concourt au même acte que celle-ci, de sorte que l’acte qui a la forme de cette grâce ne soit pas seulement l’acte d’un homme, mais aussi celui de Dieu. Deuxièmement, quant à la raison de la grâce. En effet, pour ce qui n’a pas un grand poids, on ne considère pas le fini et l’infini selon la quantité numérique ou dimensionnelle, mais selon quelque chose qui est limité et non limité. Or, une chose est limitée en raison de la capacité de ce qui reçoit. Aussi ce qui ne possède pas un être reçu dans quelque chose, mais un être subsistant, n’a pas un être limité, mais infini, tel Dieu. Or, s’il existait une forme simple subsistante qui ne fût pas son propre être, elle aurait cependant une finitude quant à son être, qui serait particulier à cette forme ; mais cette forme ne serait pas limitée parce qu’elle ne serait pas reçue par quelque chose, comme si on pensait à une chaleur qui existerait par soi. Or, sous cet aspect, les formes universelles intelligées possèdent une infinité. Mais si une telle forme est reçue dans quelque chose, elle est nécessairement limitée quant à l’être qui revient à cette forme, et non seulement quant à son être seulement, car elle ne possède pas simplement la plénitude de l’être, mais quant à tout l’être qui est possible à sa nature. Mais il est possible qu’elle ne soit pas limitée quant à la raison de cette forme, de sorte qu’elle possède cette forme selon sa mesure complète, rien ne lui manquant ainsi de ce qui appartient à la perfection de cette forme. Cela sera le cas s’il n’y a pas de carence ni du côté de ce qui reçoit, ni du côté de ce qui agit. Or, on dit que la grâce du Christ est infinie de cette manière, car tout ce qui peut appartenir à la perfection de la grâce existait en totalité chez le Christ. Troisièmement, quant à l’effet, car il n’est pas limité à des effets déterminés, mais il peut par grâce réaliser la rédemption pour un nombre infini [de personnes], comme on dit dans le Livre sur les causes que la puissance de l’intelligence est infinie pour ce qui est inférieur. Ce mode concerne la grâce de la tête ; le deuxième, la grâce de l’homme considéré individuellement ; mais le premier, la grâce d’union.

 [9016] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod videtur intelligi illa auctoritas quantum ad secundum modum dictum. Hoc enim intendit dicere, quod in Christo non est gratia limitata quantum ad aliquem modum perfectionis ejus; sed habet ipsam quantum ad omnes. Vel intelligitur de gratia unionis, per quam elevatur ad infinitum bonum, scilicet ut sit verus Deus.

1. Il semble que cette autorité s’entende du deuxième mode indiqué. En effet, elle veut dire que, chez le Christ, la grâce n’est pas limitée à un mode de sa perfection, mais qu’elle les possède tous. Ou bien elle s’entend de la grâce d’union, par laquelle il est élevé au bien infini, à savoir à être le vrai Dieu.

 [9017] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod verba illa intelligenda sunt quantum ad rationem gratiae: quia omne quod pertinet ad perfectionem gratiae, collatum ei fuit. Unde multa alia posset Deus facere, sed non pertinerent ad rationem gratiae; sicut posset homini multas alias perfectiones naturales et essentiales addere, sed haec non essent de ratione hominis, et esset tunc alia species et non homo. Vel dicendum, quod licet, quantum est in se, posset facere majorem gratiam, quantum ad essentiam, quam sit Christi; tamen nulla major posset esse, cujus capacitas creata sit capax; nec posset facere aliquam capacitatem quae non esset creata.

2. Ces paroles doivent s’entendre selon la raison de la grâce, car tout ce qui se rapporte à la perfection de la grâce lui a été donné. Aussi Dieu pourrait-il faire beaucoup d’autres choses, mais elles ne se rapporteraient pas à la raison de la grâce. Ainsi, il pourrait ajouter beaucoup d’autres perfections naturelles et essentielles à l’homme, mais celles-ci ne feraient pas partie de la raison de l’homme : il s’agirait d’une autre espèce, et de non de l’homme. Ou bien il faut dire que même si, en lui-même, il pouvait réaliser une plus grande grâce que celle du Christ quant à son essence, aucune ne pourrait être plus grande que celle dont la capacité créée est capable, et il ne pourrait réaliser une capacité qui ne serait pas créée.

 [9018] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod diversis speciebus aptantur diversae quantitates: et hoc patet de quantitatibus dimensivis: quia est aliqua quantitas determinata homini, ultra quam non invenitur aliqua quantitas hominis major; sed invenitur quantitas arboris major illa, quae quamvis finita sit, nullo modo ad eam pertingere potest homo, quantumcumque crescat. Similiter est in quantitatibus virtualibus: quamvis enim caliditas ignis non excedat in infinitum caliditatem aeris, tamen est aliquis terminus caliditatis aeris, quem non transgreditur manens aer; unde nullo modo potest tantum intendi quod aequetur caliditati ignis, nisi aer fiat ignis: et similiter est in omnibus qualitatibus quae consequuntur alias perfectiones, vel disponunt ad eas: quia diversis perfectionibus secundum speciem respondent diversi gradus perfectionum, vel dispositionum. Perfectio autem ad quam disponit gratia, est conjunctio ad Deum; et haec est multiplex: scilicet in aenigmate, et per speciem. Unde quantumcumque crescat gratia viatoris, non potest esse similis gratiae comprehensoris secundum actum, quamvis virtute possit esse major; et eadem ratione, quantumcumque crescat gratia purae creaturae, non potest pervenire in gratiam creaturae assumptae in unitatem personae, quae ad unionem disponit quodammodo, nisi et ipsa assumeretur. Et quia non est altior modus possibilis creaturae, quo conjungatur Deo, quam per unitatem personae; ideo dictum est supra, quod capacitas creata non potest ampliorem gratiam recipere.

3. Diverses quantités s’adaptent à diverses espèces. Cela ressort pour les quantités dimensionnelles, car il existe une quantité déterminée pour l’homme, au-delà de laquelle on ne trouve pas de quantité plus grande pour l’homme. Mais on trouve une quantité de l’arbre plus grande que celle-là ; bien qu’elle soit finie, l’homme ne peut d’aucune manière l’atteindre, quelle que soit sa croissance. De même en est-il pour les quantités virtuelles. En effet, bien que la chaleur du feu ne dépasse pas infiniment la chaleur de l’air, il existe cependant un terme pour la chaleur de l’air, que ne dépasse pas la chaleur restante. Aussi ne peut-il tendre jusqu’à égaler la chaleur du feu, à moins que l’air ne devienne feu. Et il en est de même de toutes les qualités qui découlent des autres perfections ou y disposent, car divers degrés dans les perfections et les dispositions correspondent aux diverses perfections qui découlent de l’espèce. Or, la perfection à laquelle dispose la grâce est l’union à Dieu, et celle-ci est multiple : en énigme et face à face. Autant donc qu’augmente la grâce du viator, elle ne peut être semblable en acte à la grâce du comprehensor, bien qu’elle puisse être plus grande en puissance. Pour la même raison, autant qu’augmente la grâce d’une pure créature, elle ne peut parvenir à la grâce de la créature assumée dans l’unité de la personne (qui dispose d’une certaine manière à l’union), à moins d’être elle-même assumée. Et parce qu’il n’existe pas pour la créature de plus haut mode possible d’union à Dieu que par l’unité de la personne, c’est la raison pour laquelle on a dit plus haut qu’une capacité créée ne peut recevoir de grâce plus grande.

 [9019] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod infinitas efficaciae quae est in merito, contingit ex hoc quod ad actionem illam concurrit divina persona, quia non est tantum hominis actio, sed Dei et hominis; secundum quod Dionysius actionem Christi nominat deivirilem.

4. L’infinité de l’efficacité qui se trouve dans le mérite vient de ce qu’une personne divine concourt à cette action, car elle n’est pas seulement l’action d’un homme, mais de Dieu et d’un homme. C’est ainsi que Denys appelle l’action du Christ « divino-humaine » [théandrique].

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [9020] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod augmentum non competit rei secundum quod est in termino, sed secundum quod est in via ad terminum: quia secundum quod res est in termino, tota potentialitas capacitatis ejus est impleta ex fine implente; et ideo non habet ulterius quo crescat. Et quia anima Christi fuit ab initio conceptionis fini ultimo unita, non solum per fruitionem perfectam, sed etiam communicando in persona verbi; ideo gratia ejus crescere non potuit.

L’augmentation ne convient pas à une chose selon qu’elle a atteint le terme, mais selon qu’elle est en marche vers le terme, car, selon que la chose a atteint le terme, tout ce que pouvait sa capacité est rempli par la fin qui la comble. Aussi n’y a-t-il plus rien qui puisse la faire croître. Et parce que l’âme du Christ a été unie à la fin ultime dès le début de sa conception, non seulement par la jouissance parfaite, mais en étant jointe à la personne du Verbe, sa grâce ne peut donc augmenter.

 [9021] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod cuilibet finito potest fieri additio, mathematice loquendo: quia ratio quantitatis, quam solam mathematicus considerat, non prohibet quin possit infinito aliquid addi. Prohibet autem additionem talem forma quam considerat naturalis; et ideo secundum naturalem non est verum, sed secundum imaginationem tantum; et similiter est in proposito, ut ex dictis patet, quia nec gratia potest esse major quam comprehensoris, nec gloria major quam creaturae unitae Deo in persona.

1. Mathématiquement parlant, une addition peut être faite à tout ce qui est fini, car la raison de quantité, que le mathématicien prend seule en compte, n’interdit pas que quelque chose puisse être ajouté à l’infini. Mais la forme naturelle qu’il considère empêche une telle addition. Aussi, selon [la forme] naturelle, cela n’est pas vrai, mais seulement selon l’imagination. De même en est-il pour ce qui est en cause, comme cela ressort de ce qui a été dit, car la grâce ne peut pas être plus grande que celle du comprehensor, ni la gloire plus grande que celle de la créature unie à Dieu dans la personne.

 [9022] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod hoc intelligendum est de capacitate intellectualis naturae circa finem, ultra quam nulla capacitas alicujus rei extenditur; sicut intellectus in statu viae, quantumcumque proficiat, nunquam pervenit ad modum intelligendi qui erit in patria.

2. Cela doit s’entendre de la capacité intellectuelle de la nature en ce qui concerne la fin, au-delà de laquelle aucune capacité d’une chose ne peut aller, comme l’intellect, dans l’état de cheminement, autant qu’il progresse, ne parvient jamais à la manière de comprendre qui existera dans la patrie.

 [9023] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod missio visibilis signum fuit invisibilis missionis, non tunc factae, sed ab initio conceptionis.

3. La mission visible a été le signe de la mission invisible, qui n’a pas été faite alors, mais dès le début de la conception.

 [9024] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Christus non assumpsit corpus gloriosum, ita quod esset in ultima sui perfectione: accepit autem animam gloriosam; et ideo secundum corpus proficere potuit, non autem secundum animam.

4. Le Christ n’a pas assumé un corps glorieux, de sorte qu’il se serait trouvé dans sa perfection ultime ; il a cependant assumé une âme glorieuse. C’est pourquoi il a pu progresser selon son corps, mais non selon son âme.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [La grâce de la tête]

Prooemium

Prologue

 [9025] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 pr. Deinde quaeritur de gratia capitis; et circa hoc quaeruntur duo: 1 utrum Christus, secundum quod homo, habeat talem gratiam quod sit caput; 2 quorum sit caput.

On s’interroge ensuite sur la grâce de la tête. À ce propos, deux questions sont posées : 1 – Le Christ, en tant qu’homme, avait-il une grâce telle qu’il était la tête ? 2 – De qui est-il la tête ?

 

 

Articulus 1 [9026] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 1 tit. Utrum Christus sit caput Ecclesiae, secundum quod homo

Article 1 – Le Christ est-il tête de l’Église en tant qu’homme ?

 [9027] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur, quod Christus non sit caput Ecclesiae secundum quod homo. A capite enim spiritus animalis ad membra diffunditur. Sed spiritus sanctus non diffunditur in Ecclesiam a Christo secundum quod homo, sed inquantum Deus: quia, ut dicit Augustinus, ipse accepit spiritum sanctum ut homo, et effudit ut Deus. Ergo ipse non est caput ut homo, sed ut Deus.

1. Il semble que le Christ ne soit pas tête de l’Église en tant qu’homme. En effet, l’esprit animal se répand dans les membres à partir de la tête. Or, l’Esprit Saint ne se répand pas dans l’Église à partir du Christ en tant qu’homme, mais en tant que Dieu, car, ainsi que le dit Augustin, « il a reçu l’Esprit Saint en tant qu’homme et l’a répandu en tant que Dieu ». Il n’est donc pas tête en tant qu’homme, mais en tant que Dieu.

 [9028] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, sensus et motus traducuntur a capite in membra. Sed gratia, quae motum vitae facit in corpore Ecclesiae, non est per traductionem ab uno in alium. Ergo Christus, secundum quod homo, non est caput Ecclesiae.

2. Le sens et le mouvement sont transmis depuis la tête vers les membres. Or, la grâce, qui donne le mouvement de la vie dans le corps de l’Église, n’est pas transmise de l’un à l’autre. Le Christ, en tant qu’homme, n’est donc pas la tête de l’Église.

 [9029] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, gratia a solo Deo creatur in nobis; quia, secundum Augustinum, natura mentis humanae immediate a Deo formatur. Sed vita Ecclesiae est per gratiam. Cum igitur de ratione capitis sit ut membra quantum ad aliquem actum vivificet, videtur quod Christus, secundum quod homo, non possit dici caput Ecclesiae.

3. La grâce est créée en nous par Dieu seul, car, selon Augustin, « la nature de l’esprit humain est formée immédiatement par Dieu ». Or, la vie de l’Église se réalise par la grâce. Puisqu’il est de la raison de la tête qu’elle vivifie les membres en vue d’un acte, il semble donc que le Christ, en tant qu’homme, ne puisse être appelé la tête de l’Église.

 [9030] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, capitis non est aliud caput. Sed caput Christi est Deus; 1 Cor. 11. Ergo Christus non est caput.

4. Il n’y a pas une autre tête de la tête. Or, la tête du Christ est Dieu, 1 Co 11. Le Christ n’est donc pas tête.

 [9031] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 1 arg. 5 Praeterea, caput recipit influentiam ab alio membro, scilicet a corde. Sed Christus non recipit influentiam ab alio membro Ecclesiae. Ergo Christus non debet dici caput.

5. La tête reçoit l’influence d’un autre membre, le cœur. Or, le Christ ne reçoit pas l’influence d’un autre membre de l’Église. Le Christ ne doit donc pas être appelé tête.

 [9032] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 1 arg. 6 Praeterea, caput potest dici membrum totius corporis et commembrum aliis membris. Sed Christus, ut videtur, non potest dici membrum Ecclesiae: quia sic virtus ejus partialitatem haberet respectu totius Ecclesiae, et Ecclesia esset perfectior Christo. Ergo Christus non debet dici caput.

6. La tête peut être appelé le membre de toute le corps et un comembre pour les autres membres. Or, semble-t-il, le Christ ne peut être appelé membre de l’Église, car ainsi sa puissance aurait le caractère de partie par rapport à toute l’Église et l’Église serait plus parfaite que le Christ. Le Christ ne doit donc pas être appelé tête.

 [9033] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 1 s. c. 1 Ad oppositum est Eph. 1: ipsum dedit caput super omnem Ecclesiam, quae est corpus ejus. Ergo cum Ecclesia sit corpus ejus secundum humanam naturam, prout sibi conformis est, videtur quod ipse secundum humanam naturam sit caput.

Cependant, [1] Ep 1 dit : Il l’a donné comme tête à toute l’Église qui est son corps. Puisque l’Église est son corps selon sa nature humaine, pour autant qu’elle le rejoint selon sa forme, il semble donc qu’il soit tête selon sa nature humaine.

 [9034] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, rex dicitur esse caput regni, et pontifex Ecclesiae sibi commissae. Sed Christus, secundum quod homo, est rex et pontifex totius humani generis. Ergo ipse, secundum quod homo, est caput.

 [2] On dit du roi qu’il est la tête du royaume, et du pontife qu’il est la tête de l’Église qui lui a été confiée. Or, le Christ, en tant qu’homme, est roi et pontife de tout le genre humain. En tant qu’homme, il est donc la tête.

 [9035] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 1 s. c. 3 Praeterea, illud quod est dignissimum in quolibet genere, dicitur caput, sicut leo est caput animalium. Sed Christus, etiam secundum humanam naturam, praecellit omnes homines. Ergo etiam secundum quod homo, est caput totius Ecclesiae.

 [3] Ce qui est le plus digne dans chaque genre est appelé tête, comme le lion est la tête des animaux. Or, le Christ, même selon sa nature humaine, l’emporte sur tous les hommes. Même comme homme, il est donc la tête de toute l’Église.

 [9036] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod Christus dicitur caput Ecclesiae per similitudinem capitis naturalis. Inveniuntur enim in capite naturali tres conditiones respectu aliorum membrorum singulariter. Prima est quod excellit ea dignitate in tribus, scilicet in altitudine situs, in nobilitate propriae virtutis (quia scilicet nobiliores vires, scilicet imaginatio et memoria, et hujusmodi, habent locum in capite): et etiam in perfectione, quia in capite congregantur omnes sensus, cum in aliis membris sit solus tactus. Secunda est quod a capite sunt omnes vires animales in aliis membris; et sic dicitur esse principium aliorum membrorum, dans aliis sensum et motum. Tertia est quod dirigit omnia membra in suis actibus, propter imaginationem et sensus, qui in eo abundant formaliter. Habet autem quartam proprietatem communem cum aliis membris, quod est conformis cum eis in natura. Ratione ergo primae proprietatis, scilicet perfectionis, omne quod est perfectissimum in quacumque natura, dicitur caput, sicut leo in animalibus. Ratione autem secundae, omne principium dicitur caput, sicut fons caput fluminum; et sicut dicitur caput libri, vel caput viae. Ratione autem proprietatis tertiae, omnis rector dicitur caput, sicut rex, dux, vel pontifex. Quantum igitur ad has tres proprietates capitis, potest Christus dici caput et secundum humanam naturam, et secundum divinam: quia secundum divinam naturam in eo est plenitudo omnis deitatis, ut dicit apostolus Coloss. 1; unde est super omnes Deus benedictus in saecula, Rom. 9: et similiter ab ipso, inquantum Deus, est nobis omnis spiritualis gratia. Item inquantum Deus, dirigit nos in seipsum. Sed etiam haec conveniunt ei secundum humanam naturam, quae in Christo dignissima est ratione altitudinis, quia est usque ad unionem in divina persona exaltata: ratione propriae operationis, quia dignissimum actum habuit in Ecclesia, scilicet redimere ipsam, et aedificare eam in sanguine suo: et etiam ratione perfectionis, quia omnis gratia in eo est, sicut omnes sensus in capite. Similiter etiam dicitur caput ratione secundae proprietatis, quia per ipsum, sensum fidei et motum caritatis accepimus, quia gratia et veritas per Jesum Christum facta est; Joan. 1, 17: et similiter direxit nos doctrina et exemplo: quia coepit Jesus facere et docere, Act. 1, 1. Sed quarta conditio Christo convenit secundum humanam naturam tantum; et haec complet in ipso rationem capitis: quia Christus secundum humanam naturam habet perfectionem aliis homogeneam, et est principium quasi univocum, et est regula conformis, et unius generis. Unde communiter loquendo, Christus secundum quod Deus, potest dici caput Ecclesiae simul cum patre et spiritu sancto; sed proprie loquendo est caput secundum humanam naturam. Et dicitur gratia capitis, secundum quam praedictae proprietates ei conveniunt praecipue secundum quod influit aliis membris.

Réponse. Le Christ est appelé tête de l’Église par ressemblance avec le corps naturel. En effet, on trouve dans la tête naturelle trois conditions par rapport aux autres membres considérés un à un. La première est qu’elle les dépasse en dignité sur trois points : par son élévation, par la noblesse de sa propre puissance (car les puissances les plus nobles : l’imagination, la mémoire et celles de ce genre, se situent dans la tête) et aussi par sa perfection, car tous les sens sont regroupés dans la tête, alors qu’il n’y a que le toucher dans les autres membres. La deuxième [raison] est que les autres membres reçoivent de la tête toutes les puissances animales ; elle est ainsi appelée le principe des autres membres, qui donne aux autres sens et mouvement. La troisième [raison] est qu’elle dirige tous les membres dans leurs actes en raison de l’imagination et du sens, qui abondent en elle à la manière d’une forme. Elle a encore une quatrième propriété commune avec les autres membres, qui consiste à leur être conforme par la nature. En raison de la première propriété, à savoir la perfection, tout ce qui est le plus parfait dans n’importe quelle nature est appelé tête, comme le lion par rapport aux animaux. En raison de la deuxième, tout principe est appelé tête, comme la source est la tête des rivières, et comme on parle de la tête d’un livre ou de la tête d’une route. Mais en raison de la troisième propriété, tout dirigeant est appelé tête, comme le roi, le chef de guerre ou le pontife. Selon ces trois propriétés de la tête, le Christ peut donc être appelé tête tant selon sa nature humaine que selon sa nature divine, car, selon sa nature divine, existe en lui la plénitude de toute la divinité, comme le dit l’Apôtre en Col 1 ; aussi est-il Dieu béni pour les siècles par-dessus tous, Rm 9. De même, toute grâce spirituelle nous vient de lui en tant qu’il est Dieu. De même, en tant que Dieu, il nous dirige vers lui. Mais ces choses lui conviennent aussi selon sa nature humaine, qui est chez le Christ la plus digne en raison de son élévation, car elle a été élevée jusqu’à l’union dans la personne divine ; en raison de son opération propre, car elle a exercé l’acte le plus digne dans l’Église, en la rachetant et en l’édifiant dans son sang ; et aussi en raison de sa perfection, car toute grâce se trouve en lui, comme tous les sens dans la tête. De même aussi, est-il appelé tête en raison de la deuxième propriété, car nous recevons par lui le sens de la foi et le mouvement de la charité, car la grâce et la vérité sont apparues par Jésus, le Christ. Jn 1, 17 ; de même, il nous a dirigés par son enseignement et son exemple, car Jésus se mit à agir et à enseigner, Ac 1, 1. Mais la quatrième condition convient au Christ selon sa nature humaine seulement, et elle achève en lui la raison de tête, car le Christ, selon sa nature humaine, possède une perfection homogène par rapport aux autres, et il est le principe pour ainsi dire univoque, la règle possédant la même forme, et il est du même genre. Aussi, à parler de manière générale, le Christ en tant que Dieu peut-il être appelé tête de l’Église solidairement avec le Père et l’Esprit Saint ; mais, à parler au sens propre, il est tête selon sa nature humaine. Et on parle de grâce de la tête selon que les propriétés mentionnées lui conviennent principalement selon qu’il influe sur les autres membres.

 [9037] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod dare spiritum sanctum contingit dupliciter: scilicet auctoritate et ministerio. Auctoritate quidem tantum Dei est; sed ministerio dicuntur etiam homines dare, inquantum scilicet per ministerium eorum datur a Deo, sicut dicit Paulus Galat. 3, 5: qui tradidit vobis spiritum, ut supra in 1 Lib., dist. 15, Magister dixit: et hoc modo Christus, secundum quod homo, spiritum sanctum ministerio dare potuit, ut dicitur Rom. 15, 8: dico enim Christum Jesum ministrum fuisse circumcisionis.

1. Donner le Saint-Esprit s’accomplit de deux manières : par autorité et par ministère. Par autorité, cela relève de Dieu seulement ; mais, par ministère, on dit que les hommes aussi le donnent, pour autant qu’il est donné par Dieu à travers leur ministère, comme Paul le dit en Ga 3, 5 : Lui qui vous a transmis l’Esprit, ainsi que le Maître l’a dit dans le livre I, d. 15. De cette manière, le Christ, en tant qu’homme, pouvait donner l’Esprit saint par ministère, comme il est dit en Rm 15, 8 : En effet, je dis que le Christ Jésus a été ministre de la circoncision.

 [9038] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in hoc quod de Christi plenitudine omnes accepimus, est aliquid simile traductioni, quamvis non sit proprie traductio. Est igitur similitudo quantum ad ipsum spiritum sanctum increatum, qui idem numero est in capite et in membris, et aliquo modo a capite ad membra descendit, non divisus, sed unus. Est autem dissimilitudo quantum ad ipsum donum, secundum quod spiritus sanctus in nobis inhabitat, quia istud non traducitur de subjecto in subjectum.

2. Du fait que nous avons tous reçu de la plénitude du Christ, il existe quelque chose de semblable à la transmission (traductio), bien que ce ne soit pas une transmission au sens propre. Il existe donc une similitude pour ce qui est l’Esprit Saint incréé, qui est le même en nombre dans la tête et dans les membres et, d’une certaine manière, descend de la tête dans les membres sans être divisé, mais en [demeurant] un. Mais il y a une différence pour ce qui du don lui-même, selon que l’Esprit saint habite en nous, car celui-ci n’est pas transmis d’un sujet à un autre.

 [9039] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in aliqua actione potest aliquid esse medium dupliciter; scilicet quantum ad perfectionem, et quantum ad dispositionem tantum: sicut natura est medium in operatione qua Deus producit animam sensibilem, quia ipsa perfectio ultima fit mediante natura; sed in operatione qua producit animam rationalem, natura non est medium, nisi quantum ad dispositionem. Similiter dico, quod Deus immediate format mentem nostram quantum ad ipsam perfectionem gratiae; et tamen potest ibi cadere medium disponens; et sic gratia fluit a Deo mediante homine Christo: ipse enim disposuit totum humanum genus ad susceptionem gratiae; et hoc tripliciter. Uno modo secundum operationem nostram in ipsum: quia secundum quod credimus ipsum Deum et hominem, justificamur; Rom. 3, 25: quem posuit Deus propitiatorem per fidem in sanguine ipsius. Alio modo per operationem ipsius in nos, inquantum scilicet obstaculum removet, pro peccatis totius humani generis satisfaciendo; et etiam inquantum nobis suis operibus gratiam et gloriam meruit; et inquantum pro nobis interpellat apud Deum. Tertio modo ex ipsa ejus affinitate ad nos; quia ex hoc ipso quod humanam naturam assumpsit, humana natura est magis Deo accepta.

3. Dans une action, quelque chose peut servir d’intermédiaire de deux manières : pour la perfection et pour la disposition seulement, comme la nature est l’intermédiaire dans l’opération par laquelle Dieu produit un animal sensible, car la perfection ultime elle-même se réalise par l’intermédiaire de la nature ; mais, dans l’opération par laquelle elle produit un animal raisonnable, la nature est n’est un intermédiaire que pour la disposition. De même, je dis que Dieu donne forme de manière immédiate à notre esprit pour ce qui est de la perfection de la grâce ; cependant, un intermédiaire peut intervenir pour le disposer : la grâce coule ainsi depuis Dieu par l’intermédiaire de l’homme Christ. En effet, il a disposé tout le genre humain à recevoir la grâce, et cela de trois façons. D’une façon, selon notre action dans sa direction, car, selon que nous croyons Dieu lui-même et l’homme, nous sommes justifiés, Rm 3, 25 : Lui dont Dieu a fait un instrument de propitiation par la foi dans son propre sang. D’une autre façon, par son action sur nous, dans la mesure où il enlève un obstacle en satisfaisant pour les péchés de tout le genre humain et aussi parce qu’il nous a mérité la grâce et la gloire par ses actes et qu’il intercède pour nous auprès de Dieu. De la troisième façon, en raison de son affinité avec nous, car, par le fait qu’il a assumé la nature humaine, la nature humaine est plus agréable à Dieu.

 [9040] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod caput Christi dicitur Deus, non secundum completam rationem capitis (est enim caput ipsius secundum quod est principium ejus, principium autem ejus est secundum divinitatem et secundum humanitatem); sed inquantum est principium ejus secundum humanitatem; et sic deficit quarta conditio capitis, quae est conformitas in natura: inquantum autem est principium ejus secundum divinitatem, sic deficit prima conditio, quia sic non habet majorem dignitatem.

4. Dieu est appelé la tête du Christ, non pas selon la raison complète de tête (en effet, il est sa tête en tant qu’il est son principe ; or, il est son principe selon la divinité et selon l’humanité), mais en tant qu’il est son principe selon son humanité ; ainsi, la quatrième condition de la tête fait défaut, la conformité par la nature. Mais en tant qu’il est son principe selon la divinité, la première condition fait ainsi défaut, car il n’a pas ainsi une dignité plus grande.

 [9041] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod cor est principium virium vitalium in toto corpore, et est primum principium omnium membrorum quantum ad esse ut dicit philosophus: sed caput est principium virium animalium quae pertinent ad sensum et ad motum. Et quia cum dicimus Christum principium esse membrorum Ecclesiae, non intendimus quantum ad esse naturale, secundum quod sunt homines, sed quantum ad fidem et caritatem, per quam Ecclesiae membra uniuntur; ideo accommodatius dicitur caput quam cor.

5. Le cœur est le principe des puissances vitales dans tout le corps et il est le premier principe de tous les membres pour leur être, comme le dit le Philosophe. Mais la tête est le principe des puissances animales qui se rapportent au sens et au mouvement. Et parce que, lorsque nous disons que le Christ est le principe des membres de l’Église, nous ne voulons pas parler de leur être naturel, selon qu’ils sont des hommes, mais pour ce qui est de la foi et de la charité, par lesquelles les membres de l’Église sont unis, on dit donc de manière mieux accommodé qu’il est la tête plutôt que le cœur.

 [9042] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod in nomine capitis importatur principium et origo alicujus rei; in nomine autem membri importatur partialitas, quae repugnat rationi primae originis: quia in prima origine sunt omnia virtute quae inveniuntur in originatis; et ideo non potest dici membrum, quia non recipit ab aliquo alio influentiam. Quia in corpore naturali caput non solum influit aliis membris, sed etiam ab aliis recipit, ut nutrimentum, et alia obsequia; ideo et caput dicitur, et commembrum: sed Christus, secundum quod homo, non recipit aliquid ab aliis membris Ecclesiae, sed a solo Deo; unde non potest dici commembrum, secundum quod caput Ecclesiae dicitur ipse secundum humanitatem. Potest autem dici membrum secundum humanitatem, secundum quod ipse est caput Ecclesiae secundum divinitatem: et sic dicit apostolus, 1 Corinth. 12, 26: vos estis corpus ejus et membrum de membro.

6. Par le mot « tête », on signifie le principe et l’origine d’une chose ; par le mot « membre », on signifie le caractère partiel, qui s’oppose à la raison d’origine première, car tout ce qui existe dans ce qui vient de l’origine première existe en puissance dans cette origine. [Le Christ] ne peut donc pas être appelé « membre », car il ne reçoit d’influence de personne. Parce que, dans le corps naturel, la tête non seulement influe sur les autres membres, mais reçoit aussi des autres, comme la nourriture et d’autres services, elle est donc appelée tête et comembre. Mais le Christ, en tant qu’homme, ne reçoit rien des autres membres de l’Église, mais de Dieu seul. Il ne peut donc pas être appelé « comembre », selon qu’il est appelé tête de l’Église en vertu de son humanité. Il peut cependant être appelé membre selon son humanité, selon qu’il est la tête de l’Église en vertu de sa divinité. C’est ainsi que parle l’Apôtre, 1 Co 12, 27 : Vous êtes son corps et un membre du membre.

 

 

Articulus 2 [9043] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 tit. Utrum Christus, secundum quod homo, sit caput Angelorum

Article 2 – Le Christ, en tant qu’homme, est-il la tête des anges ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le Christ, en tant qu’homme, est-il la tête des anges ?]

 [9044] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Christus, secundum quod homo, non sit caput Angelorum. De ratione enim capitis est conformitas ad membra, ut dictum est. Sed Christus non est conformis Angelis in natura: quia nusquam Angelos apprehendit, ut dicitur Heb. 2. Ergo non est caput Angelorum.

1. Il semble que, selon qu’il est homme, il ne soit pas la tête des anges. En effet, le fait d’être conforme aux membres fait partie de la raison de tête, comme on l’a dit. Or, le Christ n’est pas conforme aux anges par nature, car il n’a jamais assumé les anges, comme il est dit en He 2. Il n’est donc pas tête des anges.

 [9045] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, Christus dicitur Hebr. 2, caput hominum, secundum quod ab ipso aliquam influentiam recipiunt. Sed Angeli, cum sint beati, non indigent ut eis aliquid influatur. Ergo Christus, secundum quod homo, non est caput Angelorum.

2. En He 2, le Christ est appelé tête des hommes selon qu’ils reçoivent une influence de lui. Or, puisqu’ils sont bienheureux, les anges n’ont pas besoin d’une influence. Le Christ, en tant qu’homme, n’est donc pas tête des anges.

 [9046] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, sicut dicitur in Lib. de motu cordis, intelligentiae sunt receptivae earum illuminationum quae sunt a Deo, prima receptione; animae autem secunda. Sed quod recipit prima receptione, non recipit ab eo quod recipit secunda receptione. Ergo Angeli, qui intelligentiae dicuntur, non recipiunt ab aliqua anima; et ita nec a Christo secundum quod homo. Ergo Christus, secundum quod homo, non est caput Angelorum.

3. Comme on le dit dans le Livre sur le mouvement du cœur, les intelligences sont capables de recevoir les illuminations qui viennent de Dieu selon une première réception, mais les âmes, selon une deuxième. Or, ce qui reçoit selon une première réception ne reçoit pas de lui ce qu’il reçoit selon une deuxième réception. Les anges, qui sont appelés « intelligences », ne reçoivent donc pas d’une âme, et donc, ni du Christ en tant qu’homme. Le Christ, en tant qu’homme, n’est donc pas la tête des anges.

 [9047] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Coloss. 2, 10: qui est caput omnis principatus et potestatis; et loquitur de Christo secundum quod homo; et ita Christus, secundum quod homo, est caput Angelorum.

Cependant, [1] il est dit en Col 2, 10 : Lui qui est la tête de toutes les Principautés et Puissances, et on parle du Christ en tant qu’homme. Ainsi, le Christ, en tant qu’homme, est-il la tête des anges.

 [9048] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, Dionysius dicit, quod Seraphim a Christo Jesu quaerunt, et discunt, et illuminantur. Ergo influit Angelis; et ita videtur esse caput eorum.

 [2] Denys dit que les Séraphins s’interrogent, apprennent et sont illuminés par le Christ Jésus. Il influe donc sur les anges, et ainsi il semble être leur tête.

 [9049] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 3 Praeterea, Ecclesia una est constituta ex Angelis et hominibus. Sed unius corporis non sunt duo capita. Ergo Christus etiam est caput Angelorum.

 [3] Une seule Église a été constituée des anges et des hommes. Or, il n’existe pas deux têtes pour un seul corps. Le Christ est donc aussi la tête des anges.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le Christ est-il la tête de tous les hommes ?]

 [9050] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non sit caput omnium hominum. Caput enim unum refertur ad unum corpus. Sed omnes homines non conveniunt in aliquo uno secundum numerum, quia et ipsi differunt; et fides et spes et caritas, qua connectuntur ad invicem, numero diversae sunt in diversis. Ergo non est caput omnium hominum.

1. Il semble qu’il ne soit pas la tête de tous les hommes. En effet, une seule tête se rapporte à un seul corps. Or, tous les hommes ne se rejoignent pas dans une seule chose par le nombre, car eux-mêmes sont différents ; et la foi, l’espérance et la charité, par lesquelles ils sont reliés entre eux, sont différentes numériquement chez ceux qui sont différents. Il n’est donc pas la tête de tous les hommes.

 [9051] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, corpus Christi verum est figura corporis Christi mystici. Sed in corpore vero non est aliquod membrum impurum. Ergo cum multi homines sint corrupti per peccata, videtur quod eorum caput non sit Christus.

2. Le corps véritable du Christ est la figure du corps mystique du Christ. Or, dans le corps véritable, il n’y a pas de membre impur. Puisque beaucoup d’hommes sont corrompus par des péchés, il semble donc que leur tête ne soit pas le Christ.

 [9052] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, corpus Christi verum totum fuit glorificatum. Sed sunt multi etiam existentes in gratia, qui nunquam erunt in gloria, quia non persistent. Ergo Christus non est caput omnium.

3. Le corps véritable du Christ a été entièrement glorifié. Or, beaucoup se trouvent en grâce, qui ne seront jamais dans la gloire, parce qu’ils ne persévéreront pas. Le Christ n’est donc pas la tête de tous.

 [9053] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 4 Praeterea, caput, cum sit principium membrorum, non sequitur alia membra. Sed multi sancti praecesserunt Christi incarnationem. Ergo Christus, secundum quod homo, non est caput omnium hominum.

4. Puisqu’elle est le principe des membres, la tête ne suit pas les autres membres. Or, beaucoup de saints ont précédé l’incarnation du Christ. Le Christ, en tant qu’homme, n’est donc pas la tête de tous les hommes.

 [9054] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 5 Sed contra, Christus satisfecit pro tota humana natura. Sed omnes homines communicant in natura humana. Ergo Christus omnibus influit; et ita videtur quod ipse sit caput omnium.

5. Le Christ a satisfait pour toute la nature humaine. Or, tous les hommes se rejoignent dans la nature humaine. Le Christ influe donc sur tous, et ainsi il semble qu’il soit la tête de tous.

 [9055] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 6 Praeterea, per Christum omnes resurgemus. Sed hoc non esset, nisi esset caput omnium. Ergo ipse est omnium caput, secundum quod homo.

6. Nous ressusciterons tous par le Christ. Or, ce ne serait pas le cas s’il n’était pas la tête de tous. Il est donc la tête de tous en tant qu’homme.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Le Christ est-il la tête des âmes seulement ?]

 [9056] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod sit caput tantum animarum. Quia capitis ad membrum oportet esse continuationem. Sed corpora aliorum hominum non continuantur ad corpus Christi. Ergo et ipse non est caput hominum quantum ad corpus, sed quantum ad animas tantum.

1. Il semble qu’il soit la tête des âmes seulement, car il doit exister une continuité entre un membre et la tête. Or, les corps des autres hommes ne sont pas en continuité avec le corps du Christ. Il n’est donc pas tête des hommes quant à leur corps, mais quant à leurs âmes seulement.

 [9057] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, ipse influit sensum spiritualem, secundum quod est caput. Sed hujusmodi sensus, non sunt susceptiva corpora. Ergo Christus, secundum quod homo, non est caput hominum quantum ad corpus, sed quantum ad animas tantum.

2. Il donne le sens spirituel selon qu’il est la tête. Or, les corps ne sont pas capables de recevoir ce sens. Le Christ, en tant qu’homme, n’est donc pas la tête des hommes quant à leurs corps, mais quant à leurs âmes seulement.

 [9058] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, secundum corpus non differimus a brutis, sed solum secundum animam rationalem. Sed Christus non dicitur caput irrationalium, secundum quod homo. Ergo ipse non est caput nostrum quantum ad corpora.

3. Nous ne différons pas des animaux sans raison selon notre corps, mais seulement selon notre âme raisonnable. Or, on ne dit pas que le Christ, en tant qu’homme, est la tête des êtres non- raisonnables. Il n’est donc pas notre tête quant à nos corps.

 [9059] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, Philip. 3, 21: reformabit corpus humilitatis nostrae, configuratum corpori claritatis suae; et sic influit nobis quantum ad corpus. Ergo ipse non est tantum caput animarum.

Cependant, [1] Ph 3, 21 dit : Il réformera notre corps de misère pour le conformer à son corps de gloire. Il exerce ainsi sur nous une influence quant au corps. Il n’est donc pas seulement la tête des âmes.

 [9060] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, ipse est caput nostrum secundum quod est conformis nobis in natura. Sed humana natura non consistit solum in anima, sed in anima et corpore simul. Ergo Christus est caput nostrum secundum corpora, et non secundum animas tantum.

 [2] Il est notre tête selon qu’il est conforme à notre nature. Or, la nature humaine ne consiste pas seulement dans l’âme, mais dans l’âme et le corps en même temps. Le Christ est donc notre tête selon nos corps, et non pas selon nos âmes seulement.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [9061] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod Christus, secundum quod homo, est caput Angelorum; non tamen ita proprie, nec eodem modo sicut hominum, propter duas conditiones. Primo quantum ad conformitatem naturae: quia cum hominibus convenit etiam secundum speciem in natura: cum Angelis autem non secundum speciem, sed secundum genus intellectualis naturae. Secundo quantum ad influentiam: quia non influit Angelis removendo prohibens, aut merendo gratiam, aut orando pro eis, quia jam beati sunt; sed in his quae ad actus hierarchicos pertinent, secundum quod unus Angelus illuminat alium, purgat, et perficit, ut in 2 Lib., dist. 6, dictum est; hoc enim multo eminentius a Christo recipiunt.

Le Christ, selon qu’il est homme, est la tête des anges; cependant, il ne l’est pas en un sens aussi propre, ni de la même manière que pour les hommes en raison de deux conditions. Premièrement, en raison de sa conformité à notre nature, car il a une espèce commune avec les hommes pour ce qui est de la nature ; il ne rejoint cependant pas les anges selon l’espèce, mais selon le genre de la nature intellectuelle. Deuxièmement, en raison de son influence, car il n’influe pas sur les anges en enlevant un obstacle, en méritant la grâce ou en priant pour eux, car ils sont déjà bienheureux, mais, pour ce qui concerne les actes hiérarchiques, en faisant en sorte qu’un ange en illumine, en purifie et en perfectionne un autre, comme on l’a dit dans le livre II, d. 6. En effet, ils reçoivent cela du Christ d’une manière bien plus éminente.

 [9062] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis non sit eis conformis in natura speciei, est tamen eis conformis in natura generis, ut dictum est.

1. Bien qu’il ne leur soit pas conforme par la nature de l’espèce, il leur est cependant conforme par la nature du genre, comme on l’a dit.

 [9063] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod beatitudo Angelorum non excludit quin unus ab alio recipiat, vel etiam a Christo; sed excludit indigentiam recipiendi: quia praesto est eis omne id quo indigent, ne alicujus rei penuriam patiantur.

2. La béatitude des anges n’empêche pas que l’un reçoive de l’autre ou même du Christ, mais elle exclut une indigence dans la réception, car ce dont ils ont besoin leur est immédiatement accessible, de sorte qu’ils ne manquent de rien.

 [9064] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod hoc intelligitur quantum ad receptionem naturalium; et tamen anima Christi, inquantum Deo unita fuit, etiam quantum ad naturalia, lumen ab Angelis non recipit, sed immediate a Deo.

3. Cela s’entend de la réception de ce qui est naturel ; cependant, l’âme du Christ, en tant qu’elle était unie à Dieu, ne reçoit pas pas non plus de lumière de la part des anges pour ce qui est naturel, mais immédiatement de Dieu.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [9065] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod in corpore naturali invenitur quadruplex unio membrorum ad invicem. Prima est secundum conformitatem naturae, quia omnia membra constant ex eisdem similibus partibus, et sunt unius rationis, sicut manus et pes ex carne et osse; et sic dicuntur membra unum genere vel specie. Secunda est per colligationem eorum ad invicem per nervos et juncturas, et sic dicuntur unum continuatione. Tertia est, secundum quod diffunditur vitalis spiritus et vires animae per totum corpus. Quarta est, secundum quod omnia membra perficiuntur per animam, quae est una numero in omnibus membris. Et hae quatuor uniones inveniuntur in corpore mystico. Prima est, inquantum omnia membra ejus sunt unius naturae vel specie vel genere. Secunda est, inquantum colligata sunt ad invicem per fidem, quia sic continuantur in uno credito. Tertia est, secundum quod vivificantur per gratiam et caritatem. Quarta est, secundum quod in eis est spiritus sanctus, qui est ultima perfectio et principalis totius corporis mystici, quasi anima in corpore naturali. Prima autem dictarum unionum non est unio simpliciter: quia illud in quo est unio haec, non est unum numero, sicut est in tribus sequentibus: quia per fidem et caritatem in uno credito et amato secundum numerum uniuntur: similiter spiritus sanctus unus numero omnes replet. Homines igitur infideles non pertinent ad unionem corporis Ecclesiae, secundum quod est unum simpliciter; et ideo respectu horum Christus caput non est nisi in potentia, secundum scilicet quod sunt unibiles corpori. Homines autem fideles peccatores pertinent quidem aliquo modo ad unitatem Ecclesiae inquantum continuantur ei per fidem, quae est unitas materialis; non tamen possunt dici membra proprie, nisi sicut membrum mortuum, scilicet aequivoce. Et quia unitas corporis ex membris consistit, ideo quidam dicunt, quod non pertinent ad unitatem corporis Ecclesiae, quamvis pertineant ad unitatem Ecclesiae; et sicut operationes quae sunt ad alterum, possunt aliquo modo fieri per membra arida, ut percutere, vel aliquid hujusmodi, non tamen operationes quae sunt animae in membris; ita nec mali recipiunt spiritualis vitae operationes a spiritu sancto; sed tamen spiritus sanctus per eos operatur spiritualem vitam in aliis, secundum quod aliis sacramenta ministrant, vel alios docent. Sed homines fideles in gratia existentes uniuntur secundum tertiam unionem, quae est formalis respectu hujus secundae; et iterum secundum quartam, quae est completiva totius. Et ideo horum proprie dicitur Christus caput.

Dans le corps naturel, on trouve une quadruple union des membres entre eux. La première se réalise selon une conformité de nature, car tous les membres sont constitués des mêmes parties semblables et ils ont le même caractère : ainsi, la main et le pied sont constitués de chair et d’os. On dit ainsi que les membres sont une seule chose selon le genre ou l’espèce. La deuxième se réalise par leur assemblage réciproque par les nerfs et les articulations ; on dit ainsi qu’ils sont une seule chose par mode de continuité. La troisième se réalise selon que l’esprit vital et les puissances de l’âme sont répandus dans tout le corps. La quatrième se réalise selon que tous les membres sont perfectionnés par l’âme, qui est unique dans tous les membres. Ces quatre unions se trouvent dans le corps mystique. La première existe selon que tous ses membres ont une seule nature par l’espèce ou par le genre. La deuxième existe pour autant qu’ils sont unis les uns aux autres par la foi, parce qu’ainsi ils se rejoignent dans un même objet de foi. La troisième existe selon qu’ils sont vivifiés par la grâce et la charité. La quatrième existe selon que l’Esprit saint se trouve en eux, lui qui est la perfection ultime et principale de tout le corps mystique, comme l’âme dans le corps naturel. La première de ces unions n’est pas une union à parler simplement, car ce en quoi se réalise l’union n’est pas une seule chose en nombre, comme c’est le cas pour les trois suivantes, car ils sont unis selon le nombre par la foi et la charité dans un seul objet de foi et d’amour ; de même, l’Esprit Saint, unique en nombre, les remplit tous. Les infidèles n’appartiennent donc pas à l’union du corps de l’Église, selon qu’elle est tout simplementune seule chose ; c’est pourquoi, par rapport à eux, le Christ n’est tête qu’en puissance, selon qu’ils peuvent être unis au corps. Mais les pécheurs appartiennent cependant d’une certaine manière à l’unité de l’Église pour autant qu’ils sont en continuité avec elle par la foi, qui est une unité selon la matière ; mais ils ne peuvent être appelés des membres au sens propre que comme un membre mort, c’est-à-dire de manière équivoque. Et parce que l’unité du corps est constitué des membres, certains disent donc qu’ils n’appartiennent pas à l’unité du corps de l’Église, bien qu’ils appartiennent à l’unité de l’Église. Et comme les opérations qui en concernent un autre peuvent être accomplies d’une certaine manière par des membres desséchés, comme frapper ou quelque chose de ce genre, mais non pas cependant les opérations accomplies par l’âme dans les membres, ainsi les méchants ne reçoivent-ils pas du Saint-Esprit les opérations de la vie spirituelle. Toutefois, l’Esprit Saint réalise par eux la vie spirituelle chez d’autres, selon qu’ils administrent à d’autres les sacrements ou leur enseignent. Mais les fidèles se trouvant en grâce sont unis selon la troisième union, qui a un caractère formel en regard de la deuxième, et aussi selon la quatrième, qui complète l’ensemble. Aussi le Christ est-il appelé la tête de ceux-ci au sens propre.

 [9066] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut in corpore naturali vires diffusae per omnia membra, differunt numero secundum essentiam, sed conveniunt in radice una secundum numerum, et praeter hoc habent formam unam ultimam numero; ita etiam omnia membra corporis mystici habent pro ultimo complemento spiritum sanctum, qui est unus numero in omnibus: et ipsa caritas diffusa in eis per spiritum sanctum, quamvis differat in diversis secundum essentiam, convenit tamen in una radice secundum numerum. Radix autem operationis proprie est ipsum objectum, ex quo speciem trahit: et ideo, inquantum est idem numero amatum et creditum ab omnibus, secundum hoc unitur omnium fides et caritas in una radice secundum numerum, non solum prima, quae est spiritus sanctus, sed etiam proxima, quae est proprium objectum.

1. De même que, dans le corps naturel, les puissances répandues dans tous les membres diffèrent en nombre selon leur essence, mais se rejoignent dans une seule source en nombre et, en plus de cela, possèdent une seule forme ultime en nombre, de même aussi tous les membres du corps mystique possèdent-ils comme complément ultime l’Esprit Saint, qui est unique en nombre chez tous. Et la charité même, répandue en eux par l’Esprit Saint, bien qu’elle diffère en chacun selon l’essence, a cependant une seule racine en nombre. Or, la source d’une opération est, au sens propre, son objet, dont elle tire son espèce. C’est pourquoi, pour autant qu’il y a un seul objet d’amour et de foi pour tous, la foi et la charité de tous est unifiée en une seule source en nombre, non seulement dans la [source] première, qui est l’Esprit Saint, mais dans la [source] rapprochée, qui est l’objet propre.

 [9067] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod per corpus Christi verum significantur ea quae sunt membra corporis mystici; non autem ea quae sunt membra aequivoce, idest secundum similitudinem tantum et situm.

2. Ceux qui sont membres du corps mystique sont signifiés par le corps véritable du Christ, mais non pas ceux qui [en] sont membres de manière équivoque, c’est-à-dire seulement par une ressemblance et selon la position.

 [9068] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod membrum non judicatur secundum id quod de eo fieri potest, sed secundum id quod est; unde manus, antequam abscindatur, membrum est, quamvis sit futura abscindi: et similiter qui est in gratia, membrum est, quamvis postea abscindatur.

3. Un membre n’est pas jugé selon ce qu’il peut devenir, mais selon ce qu’il est. Aussi la main, avant d’être coupée, est-elle un membre, bien qu’elle doive être coupée. De même, celui qui est en grâce est-il un membre, bien qu’il soit retranché par la suite.

 [9069] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis Christus nondum fuisset incarnatus tempore patrum veteris testamenti secundum rem, erat tamen jam incarnatio ipsa in Dei ordinatione, et in fide ipsorum, secundum quam fidem justificabantur: quia tempora mutata sunt, et non fides, ut dicit Augustinus. Sed tamen non fuit tanta influentia ante incarnationem, quanta est modo: quia tunc non erat remotum obstaculum, nec sacramenta gratiae exhibita erant, sicut modo sunt.

4. Bien que le Christ n’ait pas été réellement incarné au temps des pères de l’Ancien Testament, l’incarnation existait cependant déjà dans le dessein de Dieu et dans leur foi, par laquelle ils étaient justifiés, car « les temps ont changé, mais non la foi », comme le dit Augustin. Cependant, l’influx n’était pas aussi grand avant l’incarnation qu’il l’est maintenant, car l’obstacle n’avait pas alors été enlevé ni les sacrements de la grâce, donnés, comme ils le sont maintenant.

 [9070] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Christus satisfecit pro tota humana natura sufficienter, non tamen efficienter: quia non omnes illius satisfactionis participes fiunt; quod ex eorum importunitate est, non ex ipsius insufficientia satisfactionis.

5. Le Christ a satisfait pour toute la nature humaine de manière suffisante, mais non pas cependant de manière effective, car tous ne deviennent pas participants de cette satisfaction, en raison de leur obstination, et non de l’insuffisance de la satisfaction elle-même.

 [9071] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod resurrectio ad vitam naturalem erit omnibus communis, non autem ad vitam gloriae: quia mali in vita naturali tantum conformitatem habuerunt cum membris Ecclesiae, non autem in vita gratiae. Unde ex hoc non sequitur quod sint membra, proprie loquendo.

6. La résurrection pour la vie naturelle sera commune à tous, mais non pour la vie de la gloire, car les méchants n’ont eu qu’une conformité dans la vie naturelle avec les membres de l’Église, mais non dans la vie de la grâce. Il n’en découle donc pas qu’ils soient des membres, à parler au sens propre.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [9072] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod Christus est caput hominum quantum ad animas et quantum ad corpora; sed principaliter animarum et secundario corporum: tum ratione conformitatis ad membra, quae per assumptionem humanae naturae est; quia corpus assumpsit anima mediante: tum etiam ratione spiritualis influentiae, quae pervenit ad corpus mediante anima, inquantum corpus est instrumentum animae secundum gratiam operantis: et ex hoc relinquitur ordo in corpore ad gloriosam resurrectionem.

Le Christ est la tête des hommes pour les âmes et pour les corps, mais principalement pour les âmes et secondairement pour les corps, tant en raison de la conformité avec les membres, qui s’est réalisée par l’assomption de la nature humaine, car il a assumé le corps par l’intermédiaire de l’âme, qu’en raison de l’influence spirituelle, qui est parvenue au corps par l’intermédiaire de l’âme, pour autant que son corps est l’instrument de l’âme qui opère selon la grâce. Et un ordre à la résurrection glorieuse est ainsi laissé dans le corps.

 [9073] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod corpora nostra aliquo modo habent continuationem cum corpore Christi, non quidem secundum quantitatem, aut secundum perfectionem naturalem, sed inquantum spiritus sanctus habitat in nobis, qui plenissime fuit in Christo, 1 Corinth. 6, 15: nescitis quoniam membra vestra templum sunt spiritus sancti.

1. Nos corps ont d’une certaine manière une continuité avec le corps du Christ, non pas selon la quantité ou selon la perfection naturelle, mais en tant que l’Esprit Saint habite en nous, lui qui se trouvait dans le Christ avec la plus grande plénitude, 1 Co 6, 15 : Ne savez-vous pas que vos membres sont le temple de l’Esprit Saint ?

 [9074] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis corpus non recipiat influentiam spiritualem immediate, recipit tamen mediante anima, ut dictum est.

2. Bien que le corps ne reçoive pas de manière immédiate l’influx spirituel, il le reçoit cependant par l’intermédiaire de l’âme, comme on l’a dit.

 [9075] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod etiam secundum corpora a brutis differimus, inquantum corpora nostra sunt perfecta anima rationali, non autem corpora brutorum.

3. Nous différons des animaux sans raison même par le corps, dans la mesure où nos corps sont perfectionnés par une âme raisonnable, mais non les corps des animaux sans raison.

 

 

Quaestio 3

Question 3 – [La grâce d’union]

Prooemium

Prologue

 [9076] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 pr. Deinde quaeritur de gratia unionis: et circa hoc quaeruntur duo: 1 utrum gratia unionis sit aliqua gratia creata; 2 de comparatione istius gratiae ad alias Christi gratias.

On s’interroge ensuite sur la grâce d’union. À ce propos, deux questions sont posées : 1 – La grâce d’union est-elle une grâce créée ? 2 – La comparaison entre cette grâce et les autres grâces du Christ.

 

 

Articulus 1 [9077] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1 tit. Utrum gratia unionis sit creata

Article 1 – La grâce d’union est-elle créée ?

 [9078] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod gratia unionis non sit creata. Gratia enim creata, est gratia habitualis. Sed habitus ordinatur ad operationem. Cum ergo unio in persona non sit secundum operationem, sed secundum esse, videtur quod gratia unionis non sit gratia creata.

1. Il semble que la grâce d’union ne soit pas créée. En effet, la grâce créée est la grâce habituelle. Or, les habitus sont ordonnés à l’opération. Puisque l’union dans la personne n’est pas selon l’opération, mais selon l’être, il semble donc que la grâce d’union ne soit pas créée.

 [9079] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1 arg. 2 Praeterea, quilibet nostrum Deo unitur per gratiam creatam. Si igitur gratia unionis in Christo fuisset creata gratia, tunc non alio modo esset Deo unitus quam nos; et sic sequeretur error Nestorii.

2. Chacun de nous est uni à Dieu par la grâce créée. Si donc la grâce d’union chez le Christ était une grâce créée, il ne serait pas alors uni à Dieu autrement que nous, et l’erreur de Nestorius découlerait de cela.

 [9080] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1 arg. 3 Praeterea, unio est humanitatis ad divinitatem secundum corpus et animam. Sed corpus non est susceptivum creatae gratiae. Ergo gratia unionis non est aliqua gratia creata.

3. L’union de l’humanité à la divinité se réalise selon le corps et l’âme. Or, le corps n’est pas apte à recevoir la grâce créée. La grâce d’union n’est donc pas une grâce créée.

 [9081] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1 arg. 4 Praeterea, in his quae fiunt per miraculum, non requiritur aliqua dispositio ex parte facti, sed totum est ex parte infinitae virtutis agentis: ita Deus potuit de lapide sicut de aqua vinum facere. Sed unio humanitatis ad divinitatem est maxime miraculosa. Ergo non requiritur aliqua gratia creata quae disponat ad hanc unionem.

4. Pour les choses qui sont réalisées par miracle, une disposition n’est pas requise de la part de ce qui est fait, mais cela vient entièrement de la puissance infinie qui agit ; ainsi, Dieu pouvait faire du vin à pasrtir d’une pierre comme à partir de l’eau. Or, l’union de l’humanité à la divinité est miraculeuse au plus haut point. Une grâce créée n’est donc pas nécessaire pour disposer à cette union.

 [9082] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1 arg. 5 Praeterea, inter personam et naturam non cadit aliquid accidens medium, sicut nec inter materiam et formam: quia secundum formam substantialem et materiam est esse substantiale, quo non est prius aliquid esse accidentale. Sed unio humanae naturae est ad Deum sicut naturae ad personam. Ergo non cadit aliquid medium. Sed gratia creata est accidens. Ergo gratia unionis non est gratia creata.

5. Entre la personne et la nature, n’intervient pas d’accident intermédiaire, pas davantage qu’entre la matière et la forme, car l’être substantiel vient de la forme substantielle et de la matière, que ne précède pas un être accidentel. Or, l’union de la nature humaine à à Dieu est comme celle de la nature à la personne. Aucun intermédiaire n’intervient donc. Or, la grâce est un accident. La grâce d’union n’est donc pas une grâce créée.

 [9083] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1 arg. 6 Sed contra, Augustinus dicit, quod quidquid convenit filio Dei per naturam, convenit filio hominis per gratiam. Sed esse Deum convenit filio Dei per naturam. Ergo non convenit filio hominis per gratiam: et haec est gratia unionis, quae non semper fuit: ergo est gratia creata.

Cependant, [6] Augustin dit que « tout ce qui convient au Fils de Dieu par nature convient au fils de l’homme par grâce ». Or, être Dieu convient au Fils de Dieu par nature. Cela ne convient donc pas au fils de l’homme par grâce. Et telle est la grâce d’union, qui n’a pas toujours existé. Elle est donc une grâce créée.

 [9084] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1 arg. 7 Praeterea, major est unio in persona quam per fruitionem. Sed humana natura non potest exaltari ad unionem fruitionis nisi per gratiam habitualem. Ergo multo minus ad unionem in persona.

 [7] L’union dans la personne est plus grande que celle de la jouissance (fruitio). Or, la nature humaine ne peut être élevée à l’union de la jouissance que par une grâce habituelle. Donc, encore bien moins à l’union dans la personne.

 [9085] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1 arg. 8 Praeterea, cum sit in qualibet creatura per essentiam, praesentiam et potentiam, et in animabus sanctis per gratiam; aut in anima Christi est alio modo, aut non. Si non, ergo non est magis assumpta a divina persona quam anima Petri. Si autem alio modo; sed Deus quantum in se est, habet se eodem modo ad omnia, sed res diversimode se habent ad ipsum, ut dicitur in libro de causis; et secundum hoc quod diversa diversimode se habent ad ipsum, secundum hoc diversis diversimode ipse comparatur: ergo oportet quod in anima Christi sit aliqua alia dispositio per quam Deus est in eo per unionem: ergo oportet ponere aliquam aliam gratiam creatam.

 [8] Puisque [Dieu] se trouve en toute créature par son essence, sa présence et sa puissance, et dans les âmes saintes par la grâce, soit il se trouve dans l’âme du Christ d’une autre manière, soit non. Si ne s’y trouve pas, [l’âme du Christ] n’a pas été plus assumée par une personne divine que l’âme de Pierre. Mais si c’est d’une autre manière, Dieu, en tant qu’il existe en lui-même, a le même rapport avec toutes choses, mais les choses ont un rapport différent avec lui, comme on le dit dans le Livre sur les causes. Et selon qu’elles ont un rapport différent avec lui, lui-même a un rapport différent [avec elles]. Il faut donc qu’il y ait dans l’âme du Christ une autre disposition par laquelle Dieu est en lui par l’union. Il est donc nécessaire d’affirmer une autre grâce créée.

 [9086] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1 arg. 9 Praeterea, cum spiritus sanctus datur hominibus, aliquis novus effectus in creatura intelligitur. Ergo et similiter secundum quod persona filii carni unitur, oportet aliquem effectum de novo intelligi; et ita videtur quod gratia unionis sit quid creatum.

9. Lorsque l’Esprit Saint est donné aux hommes, on comprend qu’il y a un nouvel effet dans la créature. De même, selon que la personne du Fils est unie à la chair, il faut donc comprendre qu’il existe un nouvel effet. Ainsi, il semble que la grâce d’union soit quelque chose de créé.

 [9087] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod, sicut Magister dixit supra, 2 Lib., dist. 26, gratia dicitur dupliciter. Uno modo gratia gratis dans, quod est ipsa gratuita Dei voluntas aliquid sine meritis dans. Alio modo dicitur gratia donum aliquod gratis datum. Secundum ergo primum modum, gratia unionis dicitur ipsa divina voluntas, sine aliquibus meritis naturam humanam filio Dei uniens in persona; et sic gratia unionis est gratia increata. Si autem dicatur gratia donum aliquod gratis datum, sic gratia unionis potest intelligi dupliciter. Uno modo potest dici ipsa unio, quae est quid creatum, ut supra, dist. 5, artic. 1, dictum est. Alio modo potest intelligi gratia unionis, aliqua qualitas ad unionem disponens. Sed aliquid potest disponere ad aliquam perfectionem tripliciter. Uno modo ita quod cadat medium inter subjectum et perfectionem illam, quasi stramentum perfectionis illius, sicut diaphaneitas disponit ad lucem; et hoc modo non potest aliquid naturam disponere ad unionem, quia natura unitur personae immediate quantum ad esse. Alio modo disponit aliquid ad formam, sicut praeparando materiam ad receptionem formae, ita quod praeexistat in materia ante formam ordine fiendi, non ordine essendi: sicut calor disponit ad formam ignis, non quia medium cadit inter formam et materiam, sed materia appropriatur ad formam ignis per adventum caloris; et sic etiam non potest aliquid disponere naturam ad unionem in persona: quia natura humana, secundum id quod est talis natura, assumptibilis est a divina persona. Tertio modo aliquid disponit aliud ad perfectionem aliquam, sicut quod facit ad bonitatem et decentiam perfectionis illius, sicut decor personae facit ad dignitatem regiam, secundum quod dictum est: species Priami digna est imperio; et hoc modo gratia unionis potest dici omne illud quod decet naturam humanam Deo unitam sic ex parte corporis, sicut ex parte animae; et sic etiam gratia unionis est quid creatum. Tamen sancti loquentes de gratia unionis, videntur intelligere secundum primum modum, prout gratia dicitur divina voluntas gratis et sine meritis dans: et sic secundum diversas vias, ad argumenta utriusque partis oportet respondere.

Réponse. Comme le Maître l’a dit plus haut, livre II, d. 26, la grâce s’entend de deux manières. D’une manière, la grâce qui donne gratuitement, qui est la volonté gratuite de Dieu, qui donne quelque chose sans aucun mérite. D’une autre manière, on parle de grâce pour le don gratuitement donné. Selon la première manière, on appelle grâce d’union la volonté divine elle-même, qui unit dans la personne du Fils de Dieu la nature humaine sans aucun mérite ; la grâce d’union est ainsi une grâce incréée. Mais si on appelle grâce un don donné gratuitement, on peut ainsi parler de grâce d’union de deux manières. D’une manière, elle peut désigner l’union elle-même, qui est quelque chose de créé, comme on l’a dit plus haut, d. 5, a. 1. D’une autre manière, on peut entendre la grâce d’union d’une qualité qui dispose à l’union. Or, quelque chose peut disposeer à une perfection de trois manières. D’une manière, de telle sorte qu’intervienne un intermédiaire entre le sujet et la perfection, comme une couverture pour cette perfection : ainsi, le milieu diaphane dispose à la lumière. De cette manière, une chose de peut disposer la nature à l’union, car la nature est unie de manière immédiate à la personne dans son être. D’une autre manière, une chose dispose à la forme en préparant la matière à la réception de la forme, de sorte qu’elle préexiste dans la matière avant la forme dans l’ordre du devenir, mais non dans l’ordre de l’être : ainsi, la chaleur dispose à la forme du feu, non pas parce qu’un intermédiaire intervient entre la forme et la matière, mais parce que la matière est disposée à la forme du feu par l’arrivée de la chaleur. De cette manière aussi, une chose ne peut disposer la nature à l’union dans la personne, car la nature humaine, selon ce qu’est une telle nature, peut être assumée par une personne divine. D’une troisième manière, une chose dispose quelque chose d’autre à une perfection, comme ce qui contribue à la bonté et à la convenance de cette perfection ; ainsi la grâce de la personne contribue à la dignité royale, selon l’adage : « L’aspect de Priam le rend digne du commandement. » De cette manière, on peut parler de grâce d’union pour tout ce qui convient à la nature humaine unie à Dieu, de la part du corps comme de la part de l’âme. De cette manière encore, la grâce d’union est quelque chose de créé. Toutefois, en parlant de la grâce d’union, les saints semblent l’entendre de la première manière, pour autant qu’est appelée grâce la volonté divine qui donne gratuitement et sans mérites. Selon les diverses approches, il faut donc répondre aux arguments des deux parties.

 [9088] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod gratia creata disponit ad operationem sicut operationis principium; sed ad unionem non quasi principium unionis, sed sicut faciens ad congruentiam unionis.

1. La grâce créée dispose à l’opération comme un principe de l’opération, mais à l’union, non pas comme un principe de l’union, mais comme contribuant à la convenance de l’union.

 [9089] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod unio nostri ad Deum est per gratiam habitualem creatam sicut per causam, et sicut per id in quo est unio: quia in ipsa similitudine gratiae anima Deo conformatur et unitur. Sed si gratia unionis dicatur aliquid creatum, ipsa non est id in quo est unio, cum unio sit in persona, et non solum in aliqua similitudine: neque etiam facit unitatem, sed consequitur unitatem in persona, secundum quod ipsa unio gratia unionis dicitur; vel est id quod naturam unitam decet, si gratia habitualis, gratia unionis dicatur; et ideo non est simile de Christo et de nobis.

2. L’union de nous à Dieu se réalise par une grâce habituelle créée comme par sa cause et comme ce en quoi consiste l’union, car l’âme est conformée et unie à Dieu par la similitude même de la grâce. Mais si on dit que la grâce d’union est quelque chose de créé, elle n’est pas ce en quoi consiste l’union, puisque l’union se réalise dans la personne, et non pas seulement par une similitude ; elle ne réalise pas non plus l’unité, mais elle suit l’unité dans la personne, selon que l’union elle-même est appelée grâce d’union ; ou bien elle est ce qui convient à la nature unie, si on dit que la grâce d’union est une grâce habituelle. Il n’en va donc pas de même du Christ et de nous.

 [9090] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod gratia illa habitualis etiam quodammodo redundat in corpus, secundum quod est stramentum animae, ut supra dictum est, qu. 2, art. 2, quaestiunc. 3; unde sicut in corpore perfecto anima rationali manet post mortem ordo ad resurrectionem, et ulterius ad gloriam, si anima quae fuit ejus perfectio, gratiam habuit; ita etiam corpus Christi, inquantum est tali anima perfectum, habet quemdam ordinem ad unionem.

3. Cette grâce habituelle rejaillit aussi d’une certaine manière sur le corps, selon qu’elle est une couverture pour l’âme, comme on l’a dit, q. 2, a. 2, qa 3. De même qu’après la mort, un ordre à la résurrection et, au-delà, à la gloire demeure dans le corps perfectionné par l’âme raisonnable, si l’âme qui était sa perfection possédait la grâce, de même aussi le corps du Christ, en tant qu’il est perfectionné par une telle âme, possède-t-il un certain ordre à l’union.

 [9091] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ratio illa procedit de dispositione secundum medium modum.

4. Cet argument s’appuie sur la disposition selon la manière intermédiaire.

 [9092] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod illa ratio procedit secundum primum modum dispositionis, ut per se patet.

5. Cet argument s’appuie sur le premier mode de disposition, comme cela est évident par soi.

 [9093] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod cum dicitur, quod esse Deum convenit filio hominis per gratiam unionis, vel gratia unionis, intelligitur ipsa unio gratis facta, quae non semper fuit, et creata est: vel intelligitur ipsa gratuita Dei voluntas, quae quidem in se semper fuit, sed effectus ejus non semper fuit.

6. Lorsqu’on dit qu’être Dieu convient au fils de l’homme par la grâce d’union ou grâce à l’union, on entend l’union elle-même gratuitement réalisée, qui n’a pas toujours existé et a été créée. Ou bien on entend la volonté gratuite de Dieu elle-même, qui a toujours existé en elle-même, mais dont l’effet n’a pas toujours existé.

 [9094] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod unio quae est per fruitionem, est unio per operationem; et quia ad operationem perfectam non potest natura humana nisi mediante aliquo habitu; ideo oportet ibi esse aliquam habitualem gratiam, quae sit principium illius unionis; sed unio in persona, est unio ad esse: inter humanam autem naturam, et esse quod habet in persona, non potest cadere medium, quod sit principium illius esse; et ideo non potest ibi esse alia gratia quae sit principium illius unionis, vel sicut disponens, nisi per modum dictum in corp. art.

7. L’union qui consiste dans la jouissance est une union par une opération ; parce que la nature humaine n’est capable d’une opération parfaite que par l’intermédiaire d’un habitus, il faut donc qu’il y ait là une grâce habituelle qui soit le principe de cette union. Mais l’union dans la personne est une union dans l’être. Or, entre la nature humaine et l’être qu’elle a dans la personne, un intermédiaire ne peut intervenir qui soit le principe de cet être. Aussi ne peut-il pas exister une autre grâce qui serait le principe de cette union ou y disposerait, si ce n’est de la manière dite dans le corps de l’article.

 [9095] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod hoc quod Deus est in anima Christi, vel in natura assumpta alio modo quam in aliis creaturis, non est per aliquam dispositionem advenientem, sed per ipsum esse personae divinae, quod communicatur naturae humanae.

8. Le fait que Dieu existe d’une autre manière dans l’âme du Christ ou dans la nature assumée que dans les autres créatures ne vient pas d’une disposition qui surviendrait, mais de l’être même de la personne divine, qui est communiqué à la nature humaine.

 [9096] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1 ad 9 Ad nonum dicendum, quod spiritus sanctus dicitur dari de novo, non secundum mutationem suam, sed secundum mutationem creaturae, quae est in perceptione doni ipsius; et ita etiam filius Dei dicitur uniri naturae humanae, non per mutationem filii Dei, sed per mutationem humanae naturae, sive exaltationem ipsius non ad aliquod donum creatum, sed ad ipsum esse increatum divinae personae.

9. On dit que l’Esprit Saint est donné de nouveau, non pas selon un changement de sa part, mais selon un changement de la créature, qui se réalise par la réception du don lui-même. Ainsi dit-on que le Fils de Dieu est uni à la nature humaine, non pas en vertu d’un changement du Fils de Dieu, mais en vertu d’un changement de la nature humaine, ou par son élévation, non pas à quelque don créé, mais à l’être incréé même de la personne divine.

 

 

Articulus 2 [9097] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 tit. Utrum gratia unionis sit idem quod gratia capitis

Article 2 – La grâce d’union est-elle la même chose que la grâce de la tête ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La grâce d’union est-elle la même chose que la grâce de la tête ?]

 [9098] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod gratia unionis sit idem quod gratia capitis. Christus enim dicitur caput Ecclesiae, secundum quod de ejus plenitudine omnes accepimus. Sed plenitudo ejus est secundum quod ipse est unigenitus a patre, ut dicitur Joan. 1. Cum igitur unigenitus sit a patre per gratiam unionis, videtur quod gratia unionis sit idem quod gratia capitis.

1. Il semble que la grâce d’union soit la même chose que la grâce de la tête. En effet, le Christ est appelé tête de l’Église selon que nous recevons tous de sa plénitude. Or, sa plénitude vient de ce qu’il est lui-même le Fils unique du Père, comme il est dit en Jn 1. Puisque le Fils unique vient du Père par la grâce d’union, il semble donc que la grâce d’union soit la même chose que la grâce de la tête.

 [9099] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, medium communicat cum extremis. Sed Christus, secundum quod caput est Ecclesiae, medium est inter Deum et homines: quia caput viri Christus, caput Christi Deus. Ergo est caput, secundum quod communicat cum utroque. Sed hoc habet per gratiam unionis, per quam est Deus et homo. Ergo gratia unionis est gratia capitis.

2. Le milieu a quelque chose en commun avec les extrêmes. Or, le Christ, en tant qu’il est la tête de l’Église, est l’intermédiaire entre Dieu et les hommes, car la tête de l’homme est le Christ, et la tête du Christ est Dieu. Il est donc la tête en tant qu’il a quelque chose de commun avec les deux. Or, il a cela par la grâce d’union, par laquelle il est Dieu et homme. La grâce d’union est donc la grâce de la tête.

 [9100] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, Christus est caput Ecclesiae, secundum quod homines excedit. Sed excedit humanam naturam per gratiam unionis. Ergo est caput per gratiam unionis.

3. Le Christ est la tête de l’Église selon qu’il dépasse les hommes. Or, il dépasse la nature humaine par la grâce d’union. Il est donc la tête par la grâce d’union.

 [9101] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, gratia capitis convenit Christo in comparatione ad alios: sed gratia unionis in seipso tantum. Ergo una non est alia.

Cependant, [1] la grâce de la tête convient au Christ par rapport aux autres. Or, la grâce d’union [lui convient] en lui-même seulement. L’une n’est donc pas l’autre.

 [9102] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, gratia capitis operata est a constitutione mundi, ex quo homines membra ejus esse coeperunt, non autem gratia unionis. Ergo una non est alia.

 [2] La grâce de la tête a été réalisée depuis la création du monde, alors que les hommes ont commencé à être ses membres. Or, ce n’est pas le cas de la grâce d’union. L’une n’est donc pas l’autre.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La grâce de la tête est-elle la même que sa grâce indivuelle ?]

 [9103] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod sit eadem gratia capitis, et gratia singularis ipsius. Quia eadem scientia est qua quis est sciens, et alios docens; et secundum philosophum, eadem per essentiam est virtus qua quis in se perfectus est, et justitia legalis qua perficitur in ordine ad bonum commune. Ergo similiter eodem habitu Christus fuit in seipso perfectus, et in alios perfectionem influens.

1. Il semble que la grâce de la tête soit la même que sa grâce individuelle, car c’est par la même science que quelqu’un connaît et en enseigne d’autres, et, selon le Philosophe, la vertu par laquelle quelqu’un est parfait en lui-même est essentiellement la même que la justice légale par laquelle il est perfectionné en vue du bien commun. De même, le Christ était-il parfait en lui-même par le même habitus qu’il a donné aux autrres la perfection.

 [9104] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, gratia est vita animae. Sed unius subjecti est una vita. Ergo et gratia una: et sic idem quod prius.

2. La grâce est la vie de l’âme. Or, un seul sujet possède une seule vie. La grâce est donc unique, et ainsi la conclusion est la même que précédemment.

 [9105] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, sicut caput comparatur ad alia membra, ita alia membra ad caput. Sed non distinguitur in membris Christi gratia per quam perficiuntur in se, a gratia secundum quam sunt membra. Ergo nec in Christo debet distingui gratia per quam est caput, a gratia singulari ipsius secundum quam perficitur in se.

3. De même que la tête est comparée aux autres membres, de même les autres membres le sont-ils à la tête. Or, on ne fait pas de distinction chez les membres du Christ entre la grâce par laquelle ils sont perfectionnés en eux-mêmes et la grâce par laquelle ils sont des membres. On ne doit pas non plus faire de distinction chez le Christ entre la grâce par laquelle il est la tête et sa grâce individuelle, selon laquelle il est parfait en lui-même.

 [9106] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 4 Sed contra, sicut per Adam intravit peccatum in mundum; ita per Christum gratia et justitia; Rom. 5. Sed in Adam distinguitur aliud peccatum actuale, quod est singulare ipsius, aliud originale quod transfudit in posteros. Ergo in Christo debet alia et alia gratia distingui.

4. Cependant, de même que le péché est entré dans le monde par Adam, de même la grâce et la justice le sont-elles par le Christ, Rm 5. Or, chez Adam, on fait une distinction entre le péché actuel, qui lui est propre, et le péché originel, qu’il a transmis aux autres. Il faut donc faire chez le Christ une distinction entre l’une et l’autre grâce.

 [9107] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 5 Praeterea, ad diversos actus diversi habitus ordinantur. Sed alius actus est bene operari, et alius influere. Ergo et alius habitus gratiae; et sic idem quod prius.

5. Des habitus différents sont ordonnés à des actes différents. Or, c’est un acte de bien agir, et un autre d’influer [sur les autres]. L’habitus de la grâce est donc différent, et ainsi la conclusion est la même que précédemment.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La grâce de la personne individuelle précède-t-elle la grâce d’union ?]

 [9108] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod gratia singularis personae praecedat gratiam unionis. Quia gratia singularis personae facit ad congruitatem unionis. Sed anima, quae facit ad congruitatem unionis corporis, prius intelligitur uniri corpori quam ipsa unita ad invicem intelligantur uniri divinae personae. Ergo similiter prius etiam secundum intellectum est gratia singularis in natura humana quam gratia unionis.

1. Il semble que la grâce de la personne individuelle précède la grâce d’union, car la grâce de la personne individuelle contribue à la convenance de l’union. Or, on comprend que l’âme, qui contribue à la convenance de l’union du corps, est d’abord unie au corps, avant que les deux ne soient unis à la personne divine. Dans la nature humaine, la grâce individuelle précède donc la grâce d’union selon l’intellect.

 [9109] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 2 Item, videtur quod sit prius gratia capitis. Quia prius consideratur aliquid in se perfectum quam alteri perfectionem largiens. Sed gratia singularis est qua in se perfectus est; gratia autem capitis secundum quam perfectionem alteri largitur. Ergo gratia singularis est prior quam gratia capitis.

2. Il semble que la grâce de la tête soit antérieure, car on envisage d’abord quelque chose comme parfait en soi avant [de l’envisager] comme donnant sa perfection à quelque chose d’autre. Or, la grâce individuelle est celle par laquelle il est parfait en lui-même, mais la grâce de la tête, par laquelle il confère à un autre sa perfection. La grâce individuelle est donc antérieure à la grâce de la tête.

 [9110] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 3 Item, videtur quod gratia unionis sit prior quam gratia capitis. Quia ex hoc est caput quod justificat. Sed per fidem incarnationis justificat, ut supra dictum est. Ergo incarnatio praecedit gratiam capitis.

3. Il semble que la grâce d’union soit antérieure à la grâce de la tête, car il est la tête parce qu’il justifie. Or, il justifie par la foi en l’incarnation, comme on l’a dit plus haut. L’incarnation précède donc la grâce de la tête.

 [9111] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 4 Sed contra, gratia capitis operata est ante incarnationem; non autem gratia unionis, nec gratia singularis personae. Ergo gratia capitis est prior illis duabus.

4. Cependant, la grâce de la tête a agi avant l’incarnation, mais non la grâce d’union ni la grâce de la personne individuelle. La grâce de la tête est donc antérieure à ces deux autres.

 [9112] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 5 Item, videtur quod gratia unionis sit prior quam gratia singularis. Quia ex hoc quod fuit unigenitus a patre, fuit plenus gratia et veritate. Sed unigenitus a patre fuit per gratiam unionis. Ergo gratiam singularis personae habuit per gratiam unionis; et sic illa est prior.

5. Il semble que la grâce d’union soit antérieure à la grâce individuelle, car il était rempli de grâce et de vérité par le fait qu’il était le Fils unique du Père. Or, il a été le Fils unique du Père par la grâce d’union. Il possédait donc la grâce de la personne individuelle en vertu de la grâce d’union ; celle-ci était donc antérieure.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [9113] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod si gratia unionis dicatur gratia habitualis quodammodo disponens ad unionem, sic eadem est per essentiam gratia unionis, capitis, et singularis illius hominis, solum ratione differens: quia inquantum perficiebat animam Christi ad actus meritorios, dicitur gratia illius singularis hominis; inquantum vero tanta erat hujus gratiae copia ut in alios redundare posset, dicitur gratia capitis; inquantum vero gratiam tam plenam decebat inesse assumptae naturae, potest quodammodo dici gratia unionis. Si vero gratia dicatur voluntas Dei gratuita, sic iterum constat quod est una. Aliis autem modis accipiendo gratiam unionis, constat quod per essentiam differt, nisi quatenus intelligitur caput, ut Deus.

Si on appelle grâce d’union une grâce habituelle qui dispose d’une certaine manière à l’union, alors la grâce d’union, la grâce de la tête et la grâce individivuelle de cet homme sont essentiellement les mêmes, et elles ne diffèrent que selon la raison, car, en tant qu’elle perfectionnait l’âme du Christ en vue d’actes méritoires, elle est appelée la grâce de cet homme individuel ; mais en tant que cette grâce était d’une telle abondance qu’elle pouvait rejaillir sur d’autres, elle est appelée grâce de la tête ; en tant qu’il convenait qu’une grâce aussi totale soit présente dans la nature assumée, elle peut d’une certaine manière être appelée grâce d’union. Mais si on appelle grâce la volonté gratuite de Dieu, il est encore clair qu’elle est unique. Cependant, en prenant la grâce d’union selon les autres modes, il est clair qu’elle diffère par essence, à moins qu’on ne donne à « tête » le sens de Dieu.

 [9114] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis ex hoc quod est unigenitus, habeat plenitudinem capitis, non tamen ipsa unio est illa plenitudo.

1. Bien qu’il ait la plénitude de la tête du fait qu’il est Fils unique, l’union elle-même n’est cependant pas cette plénitude.

 [9115] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod secundum aliam rationem Deus dicitur caput Christi, et Christus viri, ut supra dictum est, qu. 2, art. 1, ad 4; et praeterea ipse, secundum quod est homo, est medium, et sapit naturam extremorum, inquantum est Deo similior aliis hominibus per majorem gratiam quam habet.

2. Dieu est appelé tête du Christ et le Christ, tête de l’homme pour une raison différente, comme on l’a dit plus, q. 2, a. 1, ad 4. De plus, selon qu’il est homme, il est un intermédiaire et éprouve la nature des extrêmes, en tant qu’il est plus semblable à Dieu que les autres hommes en raison de la grâce plus grande qu’il possède.

 [9116] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non solum excedit alios homines secundum quod Deus, sed secundum quod pleniorem gratiam creatam omnibus aliis habet.

3. Il ne dépasse pas seulement les autres hommes en tant qu’il est Dieu, mais selon qu’il possède une plus grande grâce créée que tous les autres.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [9117] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem patet solutio ex dictis.

La réponse à la deuxième question ressort clairement de ce qui a été dit.

 [9118] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 1 Et similiter ad duo prima argumenta, quae procedunt de unitate secundum essentiam.

1. De même en est-il pour les deux premiers arguments, qui reposent sur l’unité selon l’essence.

 [9119] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis gratia membri habeat diversas operationes, non tamen ex hoc quod est membrum, requiritur aliqua abundantior plenitudo; et ideo non distinguitur gratia membri a gratia singulari.

3. Bien que la grâce du membre comporte diverses opérations, du fait qu’il est un membre, une plénitude plus abondante n’est cependant pas nécessaire à cause de cela. Aussi n’y a-t-il pas de différence entre la grâce de membre et la grâce individuelle.

 [9120] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod peccatum actuale Adae fuit causa originalis in ipso et in aliis: et iterum duo illa peccata non sunt respectu ejusdem; sed unum est per se naturae, alterum est per se personae, ut in 2 Lib., dist. 31, qu. 1, art. 1, dictum est. Non sic autem est in proposito: quia neutra gratia est causa alterius, et utraque respicit personam Christi mediante humana natura; et ideo non oportet quod differant per essentiam.

4. Un péché actuel d’Adam a été la cause [du péché] originel en lui-même et chez les autres. De plus, ces deux péchés ne portent pas sur la même chose, car l’un relève par soi de la nature et l’autre relève par soi de la personne, comme on l’a dit dans le livre II, d. 31, q. 1, a. 1. Mais il n’en va pas de même dans la question en cause, car aucune des deux grâces n’est la cause de l’autre et les deux concernent la personne du Christ par l’intermédiaire de la nature humaine. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire qu’elles soient différentes selon l’essence.

 [9121] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod secundum illos actus cuilibet meruit, et etiam in alios influxit: quia merendo pro aliis satisfecit, et aliis gratiam meruit, secundum quod caput nostrum dicitur.

5. Il a mérité pour tous par ces actes et il a aussi exercé une inflence sur les autres, car il a satisfait pour les autres en méritant et il a mérité la grâce pour les autres, selon qu’il est appelé notre tête.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [9122] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod istae tres gratiae Christo attribuuntur secundum diversas ipsius considerationes. Potest enim considerari in se, vel in comparatione ad alios. Si in se consideratur, sic vel inquantum Deus, et sic attribuitur ei gratia unionis; vel inquantum homo, et sic attribuitur ei gratia singularis. Si autem in comparatione ad alios, sic attribuitur ei gratia capitis. Et quia prius consideratur aliquis in se quam in comparatione ad alios, ideo gratia secundum quam est caput, sequitur alias duas gratias. Et quia omnis gratia et perfectio humanitatis ex hoc sibi debetur, quia Deo unitus est homo ille in persona; ideo gratia unionis praecedit, secundum ordinem naturae et intellectus, gratiam singularem; quamvis simul in eodem tempore sint istae tres gratiae.

Ces trois grâces sont attribuées au Christ selon diverses manières de l’envisager. En effet, il peut être envisagé en soi ou par rapport aux autres. Si on l’envisage en soi, c’est alors soit en tant que Dieu, et ainsi lui est attribuée la grâce d’union ; soit en tant qu’homme, et ainsi lui est attribuée une grâce individuelle. Mais si on l’envisage par rapport aux autres, la grâce de la tête lui est alors attribuée. Et parce que quelqu’un est d’abord envisagé en lui-même plutôt qu’en rapport avec les autres, la grâce [qui lui vient] selon qu’il est tête découle des deux autres grâces. Et puisque que toute grâce et perfection de l’humanité lui sont ainsi dues, parce qu’il a été uni à Dieu dans la personne, la grâce d’union précède donc la grâce individuelle, selon l’ordre de la nature et de l’intellect, bien que ces trois grâces existent simultanément dans le temps.

 [9123] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod anima complet rationem humanae naturae; et ideo praeintelligitur unio animae ad carnem, unioni humanae naturae ad deitatem: quia prius est considerare aliquid in se quam alteri unitum: sed gratia nihil facit ad rationem humanae naturae, quia inquantum hujusmodi assumptibilis est; et ideo non est simile.

1. L’âme parachève la raison de la nature humaine. C’est pourquoi l’union de l’âme à la chair est intelligée avant l’union de la nature humaine à la divinité, car il faut d’abord envisager quelque chose en soi avant [de l’envisager] comme quelque chose d’uni à une autre chose. Mais la grâce n’intervient aucunement dans la raison de la nature humaine, car, en tant que telle, elle peut être assumée. Ce n’est donc pas la même chose.

 [9124] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 2 Secundum et tertium patet.

2-3. La réponse au deuxième et au troisième argument est claire.

 [9125] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod etiam in antiquis patribus non operabatur gratia capitis, nisi secundum quod praesupponebatur in fide ipsorum gratia unionis, quia per fidem incarnationis justificabantur.

4. Même chez les pères anciens, la grâce de la tête n’agissait que selon que la grâce d’union était présupposée dans leur foi, car ils étaient justifiés par leur foi en l’incarnation.

 [9126] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 5 Quintum patet.

5. La réponse au cinquième argument est claire.

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 13

 [9127] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 3 expos. In sanctis vero quasi solus tactus est. Hoc videtur esse falsum: quia Origenes super Levit. distinguit quinque sensus spirituales, dicens, quod visus spiritualis est, ut videamus Deum; auditus autem, ut audiamus qui loquitur; odoratus, per quem odoramus bonum odorem Christi; gustus, ut gustemus ejus dulcedinem; tactus, ut palpemus cum Joanne verbum vitae. Haec autem omnia sunt in omnibus sanctis. Ergo non solum habent tactum. Dicendum, quod sensus spirituales possunt distingui per similitudinem ad actus sensuum corporalium; et sic sunt in omnibus sanctis, ut dicit Origenes: vel per similitudinem ad quasdam proprietates sensuum, secundum quod tactus est necessarius, alii autem non: et sic, quia in aliis sanctis sunt omnia quae sunt de necessitate salutis, in Christo autem omnia simpliciter quae pertinent ad perfectionem gratiae; ideo in Christo dicuntur omnes sensus esse, in aliis autem solus tactus. Quibus datus est spiritus ad mensuram. Contra: Jac. 1, 5: qui dat omnibus affluenter, dicit Glossa: omnia dat non in mensura: quia dona ejus non sunt ad mensuram. Et dicendum, quod cum mensura dari, potest accipi vel ex largitate dantis; et sic nulli dat cum mensura, quia omnibus dat ex largitate infinita: vel ex capacitate recipientis; et sic dat cuilibet cum mensura, quia nulli dat ultra quam capax sit, vel secundum rationem dati: et sic Christo non dat cum mensura: quia gratia ejus, quantum ad rationem gratiae, non est limitata; sed aliis dat cum mensura, ut patet ex dictis. Non secundum essentiam, sed secundum similitudinem. Contra. Ergo pari ratione Petrus potest dici caput: quia quilibet sanctus est alii similis in gratia. Dicendum, quod sumitur ibi similitudo active, inquantum scilicet Christus sibi alios assimilat in gratia, ut dictum est, quod alii non convenit. Ut quantum ad visum hominum et sui sensus ostensionem Christus profecisse dicatur. Videtur quod haec non fuit intentio Ambrosii: quia per hoc nihil probaret: nam sic etiam Dei sapientia proficit, secundum quod se magis ostendit. Dicendum, quod quamvis Dei sapientia magis se quam prius ostendit in aliquibus effectibus: tamen ipsa semper creditur esse aequalis: quod non fuit de sapientia Christi, qui videbatur quandoque sapientior quam prius fuisset. Et ideo dicit duo: ad visum hominum, et sensus ostensionem. Tamen utrum aliquo alio modo profecerit in sapientia, in sequenti distinctione dicetur.

 

 

 

Distinctio 14

Distinction 14 – [Les sciences du Christ]

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [La science du Christ]

Prooemium

Prologue

 [9128] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de plenitudine perfectionis Christi quantum ad gratiam et scientiam, hic comparat perfectionem Christi secundum quod est homo, ad perfectionem divinam; et dividitur in duas partes: primo comparat perfectionem animae Christi ad perfectionem divinam quantum ad scientiam; secundo quantum ad potentiam, ibi: si vero quaeritur, quare Deus non dederit ei potentiam faciendi omnia, ut scientiam; responderi potest et cetera. Prima dividitur in duas: primo movet quaestionem; secundo determinat eam, ibi: quibusdam placet quod nec parem cum Deo habeat scientiam. Et haec pars dividitur in duas: primo ponit determinationem aliorum; secundo determinationem suam, ibi: quibus respondentes dicimus. Et circa hoc tria facit: primo respondet ad quaestionem, et solvit rationes pro prima determinatione positas; secundo confirmat suam determinationem tum per rationem ab aliis inductam, quae est contra eos, ibi: illud vero apostoli quod inducunt (...) pro nobis facit; tum etiam per auctoritatem, ibi: Fulgentius etiam in sermone quodam multa inducit; tum ex ratione, ibi: quod etiam ex ratione ostendi potest; tertio docet evitare quoddam inconveniens, ad quod illi inducebant, si anima Christi omnia sciret, ibi: ad id vero quod dicunt (...) respondemus. Si vero quaeritur, quare Deus non dederit ei potentiam faciendi omnia, ut scientiam, responderi potest et cetera. Hic comparat animam Christi ad Deum secundum potentiam; et tria facit: primo determinat veritatem; secundo objicit in contrarium, ibi: sed si illa anima non habet tantam potentiam quantam et Deus, quomodo (...) ergo intelligitur illud Ambrosii ? Tertio solvit, ibi: ad quod dicimus. Hic quaeruntur quatuor: 1 quam scientiam habuit; et quia habuit divinam et humanam, de divina in primo libro dictum est; propter hoc 2 quaeritur de perfectione humanae scientiae ipsius, qua videt verbum; 3 de perfectione scientiae ipsius, qua videt res in proprio genere; 4 de ipsius potentia.

Après avoir déterminé de la plénitude de la perfection du Christ pour ce qui est de la grâce et de la science, il compare ici la perfection du Christ, selon qu’il est homme, à la perfection divine. Il y a deux parties : premièrement, il compare la perfection de l’âme du Christ à la perfection divine pour ce qui est de la science ; deuxièmement, pour ce qui est de la puissance, à cet endroit : « Mais si on demande pourquoi Dieu ne lui a pas donné la puissance de tout faire, comme [il l’a fait] pour la science, on peut répondre, etc. » La première partie se divise en deux : premièrement, il soulève une question ; deuxièmement, il en détermine à cet endroit : « Certains sont d’avis qu’il n’a pas une connaissance égale à Dieu. » Et cette partie se divise en deux : premièrement, il présente la détermination d’autres ; deuxièmement, sa détermination, à cet endroit : « Pour leur répondre, nous disons… » À ce propos, il fait trois choses. Premièrement, il répond à la question et résout les arguments présentés dans la première détermination. Deuxièmement, il confirme sa détermination par un argument invoqué par d’autres, mais qui leur est contraire, à cet endroit : « Ce passage de l’Apôtre qu’ils invoquent… va dans notre sens » ; par une autorité, à cet endroit : « Fulgence invoque aussi plusieurs choses dans un sermon… » ; par un raisonnement, à cet endroit : « Cela peut aussi être démontré par la raison… » Troisièmement, il enseigne comment éviter quelque chose d’inapproprié à ce qu’ils invoquaient, si l’âme du Christ connaissait tout, à cet endroit : « Mais, à ce qu’ils disent, nous répondons… » « Mais si on demande pourquoi Dieu ne lui a pas donné la puissance de tout faire, comme [il l’a fait] pour la science, on peut répondre, etc. » Ici, il compare l’âme du Christ à Dieu du point de vue de la puissance, et il fait trois choses. Premièrement, il détermine ce qui est vrai. Deuxièmement, il fait une objection en sens contraire, à cet endroit : « Mais si cette âme n’a pas une puissance aussi grande que Dieu, comment donc… se comprend ce passage d’Ambroise ? » Troisièmement, il donne la solution, à cet endroit ; « Nous répondons à cela… » Ici, quatre questions sont posées : 1 – Quelle connaissance [le Christ] a-t-il eue ? Parce qu’il a eu une connaissance divine et une connaissance humaine, et qu’il a été traité de la connaissance divine dans le livre I, pour cette raison, 2 – On s’interroge sur la perfection de sa connaissance humaine, par laquelle il voit le Verbe ; 3 – Sur la perfection de sa connaissance, par laquelle il voit choses selon leur propre genre ; 4 – Sur sa puissance.

 

 

Articulus 1 [9129] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 tit. Utrum in Christo sit aliqua scientia creata

Article 1 – Existe-t-il une science chez le Christ ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Existe-t-il une science créée chez le Christ ?]

 [9130] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod in Christo non sit aliqua scientia creata. Ubi enim est cognitio perfecta, non est opus cognitione imperfecta; sicut qui scit aliquid per demonstrationem, non indiget scire illud per syllogismum dialecticum. Sed omnis cognitio creata, est imperfecta respectu scientiae divinae. Ergo cum in Christo sit scientia Dei increata, videtur quod non oportet ponere in ipso aliquam aliam scientiam.

 

1. Il semble qu’il n’y ait pas de science créée chez le Christ. En effet, là ou existe une connaissance parfaite, une connaissance imparfaite n’est pas nécessaire; ainsi, celui qui sait quelque chose par une démonstration n’a pas besoin de le savoir par un syllogisme dialectique. Or, toute connaissance créée est imparfaite en regard de la science divine. Puisque la science incréée de Dieu existe chez le Christ, il ne semble donc pas qu’il faille affirmer chez lui une autre science.

 [9131] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea luminare minus offuscatur per luminare majus. Sed scientia non solum se habet ut lux, sed ut luminare illuminans. Ergo scientia minor offuscatur per scientiam majorem; et ita scientia creata non debet esse in eodem cum scientia increata Dei.

2. Un plus petit luminaire est obscurci par un plus grand luminaire. Or, la science n’est pas seulement une lumière, mais elle est comme un luminaire qui illumine. Une science plus petite est donc obscurcie par une science plus grande, et ainsi la science créée ne doit pas se trouver chez le même en même temps que la science incréée de Dieu.

 [9132] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, omnis perfectio est nobilior perfectibili. Sed omnis scientia est perfectio scientis. Cum igitur nihil creatum sit nobilius anima Christi, nulla creata scientia est in eo.

3. Toute perfection est plus noble que ce qui est perfectible. Or, toute science est une perfection de celui qui connaît. Puisque rien de créé n’est plus noble que l’âme du Christ, aucune science créée n’existe donc chez lui.

 [9133] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, plus convenit natura sensitiva et intellectiva in homine, quam natura divina et humana in Christo. Sed cognitio intellectiva in homine non excludit sensitivam, quae est minus perfecta. Ergo nec divina cognitio in Christo excludit humanam.

Cependant, [1] la nature sensible et [la nature intellectuelle] ont plus en commun chez l’homme que la nature divine et la [nature] humaine chez le Christ. Or, la connaissance intellectuelle chez l’homme n’exclut pas la connaissance sensible, qui est moins parfaite. Donc, la connaissance divine chez le Christ n’exclut pas non plus la connaissance humaine.

 [9134] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, non est substantia sine sua operatione, ut dicit Damascenus, et philosophus. Sed in Christo est intellectus creatus, scilicet anima rationalis. Ergo et cognitio creata, quae est ejus operatio.

 [2] Il n’existe pas de substance sans opération, comme le disent [Jean] Damascène et le Philosophe. Or, il existe chez le Christ une intelligence créée : l’âme raisonnable. Il existe donc aussi une connaissance créée, qui est son opération.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La connaissance créée chez le Christ est-elle un habitus ou un acte ?]

 [9135] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod si est in eo aliqua cognitio creata, illa non sit habitus, sed actus tantum. Ad Hebr. 2, dicit Glossa quod natura mentis humanae in Christo nihil est altius vel excellentius. Sed quaedam creaturae propter sui perfectionem non indigent aliquo habitu ad cognoscendum, sicut Angeli; ut dicit maximus super Cael. Hierar. Dionysii. Ergo multo minus anima Christi.

1. Il semble que, s’il existe chez [le Christ] une connaissance créée, celle-ci ne soit pas un habitus, mais un acte seulement. La Glose dit, à propos de He 2, qu’il n’existe rien de plus élevé ou de plus excellent que la nature de l’esprit humain chez le Christ. Or, certaines créatures, comme les anges, n’ont pas besoin d’habitus pour connaître en raison de leur perfection, comme le dit Maxime à propos de La hiérarchie céleste de Denys. Donc, encore bien moins l’âme du Christ.

 [9136] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, anima Christi est nobilior quam intellectus agens alicujus alterius hominis. Sed intellectus agens non facit operationem suam mediante habitu aliquo. Ergo nec anima Christi aliqua habituali scientia cognoscit.

2. L’âme du Christ est plus noble que l’intellect agent d’un autre homme. Or, l’intellect agent n’exerce pas son opération grâce à un habitus. Donc, l’âme du Christ non plus ne connaît pas grâce à une science habituelle.

 [9137] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, vires naturales non exeunt in actum mediante aliquo habitu, sicut patet in calore ignis; similiter nec Deus. Sed anima Christi magis accedit ad Dei similitudinem quam aliqua res creata. Ergo et ipsa non habet operationem cognitionis mediante aliquo habitu.

3. Les puissances naturelles ne passent pas à l’acte grâce à un habitus, comme cela est clair pour la chaleur du feu ; de même, Dieu non plus. Or, l’âme du Christ s’approche davantage de la ressemblance avec Dieu qu’une chose créée. Elle n’exerce donc pas son opération de connaissance grâce à un habitus.

 [9138] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, Christus assumpsit integre naturam nostram. Sed de integritate naturae est intellectus possibilis. Ergo assumpsit intellectum possibilem. Sed possibilis intellectus non intelligit perfecte nisi perficiatur aliquo habitu. Ergo cum Christus perfecte intellexerit, in eo fuit habitualis scientia.

Cependant, [1] le Christ a assumé notre nature en totalité. Or, l’intellect possible fait partie de [notre] nature. Il a donc assumé l’intellect possible. Or, l’intellect possible n’intellige pas parfaitement à moins d’être perfectionné par un habitus. Puisque le Christ a intelligé parfaitement, il existait donc en lui une science habituelle.

 [9139] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, Christus vere dormivit; nec tunc aliquid amisit eorum quae scivit. Cum ergo scientia dormientis sit scientia in habitu, videtur quod Christus habuit habitualem scientiam.

 [2] Le Christ a vraiment dormi et il n’a alors rien perdu de ce qu’il connaissait. Puisque la science de celui qui dort est une science à l’état habituel, il semble donc que le Christ a eu une science habituelle.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [L’âme du Christ a-t-elle connu le Verbe grâce à un habitus ?]

 [9140] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod anima Christi mediante aliquo habitu non cognoverit verbum. Ad cognitionem enim non requiritur aliud nisi ut cognoscibile cognoscenti uniatur. Sed verbum unitum est animae Christi non mediante aliquo habitu. Ergo cognovit verbum non per aliquem habitum.

1. Il semble que l’âme du Christ n’ait pas connu le verbe grâce à un habitus. En effet, rien d’autre n’est requis pour la connaissance que l’union de ce qui peut être connu et de celui qui connaît. Or, le Verbe a été uni à l’âme du Christ sans intervention d’un habitus. Elle a donc connu le Verbe sans intervention d’un habitus.

 [9141] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, habitus scientiae consistit ex speciebus, quae sunt similitudines rerum cognitarum. Sed anima Christi non videt verbum per aliquam similitudinem, sed per seipsum. Ergo non cognoscit ipsum per aliquem habitum creatum.

2. L’habitus de la science comporte des espèces, qui sont des similitudes des choses connues. Or, l’âme du Christ ne voit pas le Verbe à travers une espèce, mais par lui-même. Elle ne le connaît donc pas par une habitus créé.

 [9142] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, propter quod unumquodque, illud magis. Igitur si cognoscit anima Christi verbum mediante aliquo habitu, ille habitus, magis cognoscit verbum, et erit ei magis proximus quam anima Christi; quod est inconveniens.

3. Ce pour quoi tout existe l’emporte [sur le reste]. Donc, si l’âme du Christ connaît le Verbe par l’intermédiaire d’un habitus, cet habitus connaît davantage le Verbe et en sera plus rapproché que l’âme du Christ, ce qui est inapproprié.

 [9143] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, gloria correspondet gratiae. Sed in Christo fuit habitus gratiae. Ergo et habitus gloriae. Sed tota gloria consistit in visione verbi, ut dicit Augustinus. Ergo anima Christi aliquo habitu cognoscit verbum.

Cependant, [1] la gloire correspond à la grâce. Or, chez le Christ, existait l’habitus de la grâce. Donc aussi, l’habitus de la gloire. Or, « toute la gloire consiste dans la vision du Verbe », comme le dit Augustin. L’âme du Christ connaît donc le Verbe par un habitus.

 [9144] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, ejusdem naturae est anima Christi et anima nostra. Sed anima nostra non potest pertingere per naturalia sua ad videndum Deum. Ergo nec anima Christi; et ita oportet quod sit aliquid superadditum naturae, quo videt Deum; ergo videt mediante aliquo habitu.

 [2] L’âme du Christ et notre âme sont de même nature. Or, notre âme ne peut parvenir à la vision de Dieu par sa capacité naturelle. Donc, ni l’âme du Christ. Aussi est-il nécessaire qu’il s’y trouve quelque chose ajouté à la nature, par quoi il voit Dieu. [L’âme du Christ] voit donc grâce à un habitus.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [L’âme du Christ connaît-elle le Verbe et les choses dans le Verbe par le même habitus ?]

 [9145] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod oporteat alium habitum scientiae ponere, quo cognoscit verbum, et quo cognoscit res in verbo. Verbum enim repraesentat res quae in eo cognoscuntur, sicut speculum species in eo resultantes. Sed qui videt speculum non tantum imprimitur in eo similitudo speculi, sed etiam rerum similitudines in speculo resultantes. Ergo et in eo qui videt res in verbo, oportet ponere alium habitum specierum rerum visarum in verbo, et ipsius verbi.

1. Il semble qu’il faille affirmer un autre habitus de science par lequel [l’âme du Christ] connaît le Verbe et par lequel elle connaît les choses dans le Verbe. En effet, le Verbe représente les choses qui sont connues en lui, comme un miroir les espèces qui ressortent en lui. Or, ne s’imprime pas seulement en celui qui voit le miroir la similitude du miroir, mais aussi les similitudes des choses qui ressortent dans le miroir. Il faut donc affirmer, chez celui qui voit les choses dans le Verbe, un autre habitus pour les choses vues dans le Verbe et pour le Verbe lui-même.

 [9146] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 4 arg. 2 Praeterea, omnis scientia est secundum assimilationem scientis ad rem scitam, ut dicunt philosophi. Si igitur aliquis videt res alias in verbo, oportet quod intellectus assimiletur illis rebus; et sic cum habitus cognitivus consistat in praedicta assimilatione, quae est per species intellectuales, sequitur idem quod prius.

2. Toute science se réalise par la ressemblance entre celui qui connaît et la chose connue, comme le disent les philosophes. Si donc quelqu’un voit les autres choses dans le Verbe, il faut que son intellect devienne semblable à ces choses, et ainsi, puisque l’habitus cognitif consiste dans l’assimiliation déjà mentionnée et qui se réalise par les espèces intellectuelles, il en découle la même chose que précédemment.

 [9147] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 4 arg. 3 Praeterea, ponamus quod aliquis videns in verbo, desinat videre verbum (sicut Paulo contigit, ut dicitur): constat quod iste non obliviscitur eorum quae vidit in verbo. Ergo cognoscit ea non in verbo, quia non vidit verbum; ergo cognoscit ea in speciebus propriis; et sic idem quod prius.

3. Supposons que quelqu’un qui voit dans le Verbe cesse de voir le Verbe (comme cela est arrivé à Pierre, ainsi qu’on le dit), il est clair que celui-ci n’oublie pas ce qu’il a vu dans le Verbe. Il ne connaît donc pas ces choses dans le Verbe, puisqu’il ne voit pas le Verbe. Il les connaît donc par leurs propres espèces, et ainsi, la conclusion est la même que précédemment.

 [9148] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 4 s. c. 1 Sed contra, ubi unum propter alterum, ibi tantum unum, ut dicit philosophus. Sed qui videt res in verbo, non cognoscit eas nisi per verbum cognitum. Ergo non est ibi nisi unus habitus.

Cependant, [1] là où une chose existe en raison d’une autre, il n’y a qu’une seule chose, comme le dit le Philosophe. Or, celui qui voit les choses dans le Verbe ne les connaît que par la connaissance du Verbe. Il n’y a donc là qu’un seul habitus.

 [9149] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 4 s. c. 2 Praeterea, ubi est unus actus, non sunt plures habitus. Sed eodem actu cognoscit anima verbum, et ea quae videt in verbo. Ergo non est ibi quantum ad hoc diversus habitus.

 [2] Là où il n’y a qu’un seul acte, il n’y a pas plusieurs habitus. Or, l’âme [du Christ] a connu par un même acte le Verbe et ce qu’elle voit dans le Verbe. Il n’y a donc pas là divers habitus.

Quaestiuncula 5

Sous-question 5 – [L’âme du Christ a-t-elle une autre science des choses, en plus de la science par laquelle elle connaît les choses dans le Verbe ?]

 [9150] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 5 arg. 1 Ulterius. Videtur quod praeter hanc scientiam qua cognoscit res in verbo, non habeat aliam scientiam de rebus. Unius enim, et secundum idem, et respectu ejusdem, est tantum una perfectio. Sed Christus secundum humanam naturam habet cognitionem in verbo de rebus creatis. Ergo ipse secundum humanam naturam non habet earumdem rerum aliam cognitionem vel scientiam.

1. Il semble que, en plus de la science par laquelle elle connaît les choses dans le Verbe, [l’âme du Christ] n’ait pas une autre science des choses. En effet, il n’existe qu’une seule perfection pour ce qui est unique, selon la même chose et par rapport à la même chose. Or, le Christ a, selon sa nature humaine, une connaissance des choses créées dans le Verbe. Selon sa nature humaine, il n’a donc pas une autre connaissance ou science des autres choses.

 [9151] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 5 arg. 2 Praeterea, 1 Corinth. 13, 10: cum venerit quod perfectum est, evacuabitur quod ex parte est. Sed cognitio qua cognoscuntur res in verbo, est perfecta respectu alterius modi cognitionis rerum. Ergo cum ipsa non est alia in Christo cognitio.

2. 1 Co 13, 10 dit : Lorsque ce qui est parfait sera venu, ce qui est partiel sera supprimé. Or, la connaisance par laquelle les choses sont connues dans le Verbe est parfaite en regard d’un autre mode de connaissance des choses. Il n’existe donc pas, en plus de celle-ci, une autre connaissance chez le Christ.

 [9152] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 5 arg. 3 Praeterea, propter hoc quod Christus habet visionem comprehensoris, non ponitur in eo fides, quae est viatoris cognitio divinorum. Sed scientia rerum in verbo, est propria comprehensoris. Ergo cum ea non oportet ponere aliam cognitionem quae competit viatoribus.

3. Parce que le Christ a la vision d’un comprehensor, on n’affirme pas chez lui la foi, qui est la connaissance des réalités divines du viator. Or, la science des choses dans le Verbe est propre au comprehensor. Il ne faut donc pas affirmer en même temps une autre connaissance qui convient aux viatores.

 [9153] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 5 s. c. 1 Sed contra, cognitio matutina in Angelis, qua cognoscunt res in verbo, non excludit vespertinam, qua cognoscunt res in propria natura. Sed anima Christi perfectior est in cognoscendo quam aliquis Angelus. Ergo et ipsa habet duas cognitiones.

Cependant, [1] la connaissance du matin chez les anges, par laquelle ils connaissent les choses dans le Verbe, n’exclut pas la connaissance du soir, par laquelle ils connaissent les choses dans leur propre nature, Or, l’âme du Christ est plus parfaite en connaissance qu’un ange. Elle a donc deux connaissances.

 [9154] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 5 s. c. 2 Praeterea, plus distat a perfectione cognitionis in verbo cognitio sensitiva quam cognitio intellectiva in proprio genere. Sed cognitio in verbo non excludit in Christo sensitivam cognitionem. Ergo multo minus cognitionem rerum in proprio genere.

 [2] La connaissance sensible est plus éloignée de la perfection de la connaissance dans le Verbe, que la connaissance intellectuelle selon son genre propre. Or, la connaissance dans le Verbe n’exclut pas chez le Christ la connaissance sensible. [L’âme du Christ] exclut donc encore bien moins la connaissance des choses selon son propre genre.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [9155] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum, ad primam quaestionem, quod cum in Christo sit una persona et duae naturae, considerandum est, utrum ea quae attribuuntur Christo, pertineant ad rationem personae, vel ad rationem naturae. Et si quidem ad rationem personae, sic oportet in Christo illud tantum unum ponere, sicut unum tantum esse, unum suppositum, unam hypostasim, et sic de aliis. Si autem pertinet ad naturam; aut ad alteram tantum, aut ad utramque. Si ad alteram tantum, sic iterum est unum tantum, sicut una immensitas et una anima. Si autem ad utramque, sic quia naturae in Christo sunt integrae, oportet ponere talia esse duo, sicut duas voluntates, duo libera arbitria. Unde cum scientia pertineat ad divinam naturam et humanam, oportet in Christo ponere duas scientias, unam creatam, et aliam increatam.

Puisqu’il existe dans le Christ une seule personne et deux natures, il faut se demander si ce qui est attribué au Christ relève de la raison de la personne ou de la raison de la nature. Si [cela relève] de la raison de la personne, il faut alors affirmer que cela est unique chez le Christ, comme un seul être, un seul suppôt, une seule hypostase, et ainsi des autres choses. Mais si [cela relève] de la nature, soit cela relève d’une des deux [natures], soit cela relève des deux. Si [cela relève] d’une des deux natures, cela est de nouveau unique, comme une seule immensité et une seule âme. Mais si [cela relève] des deux, parce que les natures chez les Christ sont complètes, il faut affirmer que ces choses sont doubles, comme deux volontés, deux libres arbitres. Puisque la science appartient à la nature divine et à la nature humaine, il faut donc affirmer chez le Christ deux sciences, l’une créée et l’autre incréée.

 [9156] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod scientia est de his quae consequuntur humanam naturam secundum animam, quae est pars ejus: unde licet in Christo sit scientia divina, quae est perfectissima; tamen ea non formaliter perficitur humana natura; et ideo oportet creatam cognitionem vel scientiam in ea ponere.

1. La science fait partie des choses qui découlent de la nature humaine selon l’âme, qui en est une partie. Bien qu’il y ait chez le Christ une science divine, qui est la plus parfaite, la nature humaine n’est cependant pas perfectionnée par elle de manière formelle. Aussi faut-il affirmer une connaissance ou une science créée en elle.

 [9157] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod diversa luminaria per radios suos sunt nata informare easdem res, et sunt ejusdem rationis in illuminando; unde effectus minoris lucis non perficitur, quia sensus repletur luce majori. Sed scientia creata et increata non sunt unius rationis, nec idem informant; et ideo non est simile.

2. Divers luminaires peuvent par leurs rayons donner forme aux mêmes choses et ils possèdent la même raison en illuminant ; aussi l’effet du plus petit luminaire n’est-il pas perfectionné parce que le sens est rempli de la plus grande lumière. Mais la science créée et la [science] incréée n’ont pas la même raison et ne donnent pas forme à la même chose. Il n’en va donc pas de même.

 [9158] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod nihil prohibet aliquid esse dignius alio secundum quid, quod est indignius simpliciter: sicut etiam color corporis Christi secundum quid est dignior ipso corpore, inquantum se habet ad ipsum sicut actus ad potentiam, cum sit forma accidentalis ipsius: tamen corpus Christi est dignius simpliciter: et similiter se habet scientia creata ad animam Christi.

3. Rien n’empêche qu’une chose soit plus digne qu’une autre chose sous un aspect, alors qu’elle est simplement moins digne, comme la couleur du corps du Christ est plus digne sous un aspect que le corps lui-même pour autant qu’elle est par rapport à lui comme l’acte par rapport à la puissance, puisqu’elle en est une forme accidentelle. Cependant, le corps du Christ est simplement plus digne. De même en est-il pour la science créée par rapport à l’âme du Christ.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [9159] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod nulla potentia passiva potest in actum exire nisi completa per formam activi, per quam fit in actu: quia nihil operatur nisi secundum quod est in actu. Impressiones autem activorum possunt esse in passivis dupliciter. Uno modo per modum passionis, dum scilicet potentia passiva est in transmutari: alio modo per modum qualitatis et formae, quando impressio activi jam facta est connaturalis ipsi passivo; sicut etiam philosophus in praedicamentis distinguit passionem, et passibilem qualitatem. Sensus autem potentia passiva est: quia non potest esse in actu omnium ad quae se extendit sua operatio per naturam potentiae: non enim potest esse aliquid quod actu habeat omnes colores: et sic patiendo a coloribus fit in actu, et eis assimilatur, et cognoscit eos. Similiter etiam intellectus est cognoscitivus omnium entium: quia ens et verum convertuntur, quod est objectum intellectus. Nulla autem creatura potest esse in actu totius entitatis, cum sit ens finitum: hoc enim solius Dei est, qui est fons omnium entium, omnia quodammodo in se praehabens, ut dicit Dionysius; et ideo nulla creatura potest intelligere sine aliquo intellectu, qui sit potentia passiva, idest receptiva: unde nec sensus nec intellectus possibilis operari possunt, nisi per sua activa perficiantur vel moveantur. Sed quia sensus non sentit nisi ad praesentiam sensibilis, ideo ad ejus operationem perfectam sufficit impressio sui activi per modum passionis tantum. In intellectu autem requiritur ad ejus perfectionem quod impressio sui activi sit in eo non solum per modum passionis, sed etiam per modum qualitatis et formae connaturalis perfectae: et hanc formam habitum dicimus. Et quia quod est naturale, firmiter manet; et in promptu est homini uti sua naturali virtute, et est eidem delectabile, quia est naturae conveniens; ideo habitus est difficile mobilis, sicut scientia; et eo potest homo uti cum voluerit, et reddit operationem delectabilem. Sicut autem in sensu visus est duplex activum: unum quasi primum agens et movens, sicut lux; aliud quasi movens motum, sicut color factus visibilis actu per lucem: ita in intellectu est quasi primum agens lumen intellectus agentis; et quasi movens motum, species per ipsum facta actu intelligibilis; et ideo habitus intellectivae partis conficitur ex lumine et specie intelligibili eorum quae per speciem cognoscuntur. Quia igitur intellectus Christi perfectissimus fuit in cognoscendo, oportebat quod in Christo habitus esset quo cognosceret; ut sic impressio activi non solum esset in ipso per modum passionis, sed etiam per modum formae.

Aucune puissance passive ne peut passer à l’acte à moins d’être achevée par la forme de ce qui est actif, par laquelle elle passe à l’acte, car rien n’agit à moins d’être en acte. Or, les impressions des réalités actives peuvent se trouver dans des réalités passives de deux manières. D’une manière, par mode de passion, lorsque la puissance passive est en voie d’être changée ; d’une autre manière, par mode de qualité ou de forme, lorsque l’impression de ce qui est actif est déjà devenue connaturelle à cela même qui est passif, de la même manière que, dans les prédicaments, le Philosophe fait une distinction entre la passion et la qualité sujette à la passion. Or, le sens est une puissance passive, car il ne peut être en acte de tout ce à quoi s’étend son opération par la nature de sa puissance. En effet, il ne peut être quelque chose qui aurait en acte toutes les couleurs ; ainsi, il passe à l’acte en subissant les couleurs, il leur est assimilé et il les connaît. De la même manière, l’intellect peut connaître tous les êtres, car l’être et la vérité, qui est l’objet de l’intellect, sont convertibles. Or, aucune créature ne peut être en acte de la totalité de l’être, puisqu’elle est un être fini. En effet, cela appartient à Dieu seul, qui est la source de tous les êtres, qui, d’une certaine manière, les possède d’avance en lui-même, comme le dit Denys. Aussi aucune créature ne peut-elle intelliger sans un intellect qui soit une puissance passive, c’est-à-dire réceptive. C’est pourquoi ni le sens ni l’intellect possible ne peuvent agir que s’ils sont perfectionnés ou mus par ce qui les active. Or, parce que le sens ne sent qu’en présence du sensible, l’impression de ce qui l’active par mode de passion seulement suffit à son opération parfaite. Mais, dans le cas de l’intellect, il est nécessaire pour sa perfection que l’impression de ce qui l’active soit en lui, non seulement par mode de passion, mais aussi par mode de qualité et de forme connaturelle parfaite, et c’est cette forme que nous appelons habitus. Et parce que ce qui est naturel demeure fermement, que l’homme peut rapidement en faire usage par sa puissance naturelle et que cela lui est délectable, car cela convient à sa nature, un habitus, comme la science, est donc difficilement changeable, l’homme peut en faire usage lorsqu’il le veut et il rend l’opération délectable. Or, de même que, dans le sens, il existe un double principe actif : l’un, comme premier agent et moteur, comme la lumière ; l’autre, comme moteur mû, comme la couleur rendue visible en acte par la lumière, de même, dans l’intellect, existe comme premier agent la lumière de l’intellect agent, et comme moteur mû, l’espèce rendue par lui intelligible en acte. C’est pourquoi l’habitus de la partie intellective est réalisé par la lumière et par l’espèce intelligible de ce qui est connu par l’espèce. Donc, parce que l’intellect du Christ était le plus parfait pour connaître, il fallait que, chez le Christ, existe un habitus par lequel il connaîtrait, de sorte que l’impression de ce qui l’activerait n’existe pas seulement en lui par mode de passion, mais aussi par mode de forme.

 [9160] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod homo indiget ad intelligendum lumine intellectuali et in naturali cognitione rerum naturalium, ut per ipsum fiant intelligibiles actu, cum sint intelligibiles in potentia; et in cognitione supernaturali, ut per lumen infusum ad ea quae sunt supra se elevetur. Angelus autem non indiget lumine in cognitione naturali, quia non abstrahit a phantasmatibus species, sed habet eas innatas; indiget tamen eo in cognitione supernaturali; unde dicitur Job 25, 3: numquid est numerus militum ejus, et super quem non fulget lumen illius ? Et ideo Angeli in cognitione naturali non indigent habitu, secundum quod ad habitum requiritur lumen; exigitur autem secundum quod requiritur species rerum, propter hoc quia habent esse limitatum: unde dicitur in libro de causis, quod omnis intelligentia est plena formis. Anima autem Christi, quod sit superior Angelis, non habet ex natura animae, quia sic quaelibet anima esset superior Angelo; sicut nec corpus ejus habet ex natura corporis quod sit nobilius nostris animabus; sed habet ex unione. Unde omnia quae superadduntur a Deo in anima Christi et in Angelis, sunt eminentius in anima Christi quam in Angelis.

1. Pour intelliger, l’homme a besoin de la lumière intellectuelle tant pour la connaissance des réalités naturelles, afin qu’elles deviennent par elle intelligibles en acte, puisqu’elles sont intelligibles en puissance, que pour la connaissance surnaturelle, de sorte que, par la lumière infuse, il soit élevé jusqu’aux réalités qui lui sont supérieures. Or, l’ange n’a pas besoin de lumière pour la connaissance naturelle, car il n’abstrait pas des espèces à partie des phantasmes, mais il les possède à l’état inné ; il en a cependant besoin pour la connaissance surnaturelle. Aussi est-il dit en Jb 25, 3 : Ses soldats ne sont-ils pas nombreux, et sa lumière ne brillera-t-elle pas sur lui ? C’est pourquoi les anges n’ont pas besoin, pour leur connaissance naturelle, d’un habitus, pour autant que la lumière soit nécessaire à l’habitus, mais [un habitus] est nécessaire pour autant que des espèces des choses sont nécessaires, parce qu’ils ont un être limité. Ainsi est-il dit dans le Livre sur les causes, que toute intelligence est remplie de formes. Mais l’âme du Christ ne tient pas de la nature de l’âme d’être supérieure aux anges, car ainsi toute âme serait supérieure aux anges, pas davantage que son corps ne tient de la nature du corps d’être plus noble que nos âmes, mais il tient cela de l’union. Aussi tout ce qui est ajouté par Dieu dans l’âme du Christ et chez les anges est-il plus éminent dans l’âme du Christ que chez les anges.

 [9161] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod anima intellectiva comparatur ad res intelligendas dupliciter. Uno modo ut faciens eas intelligibiles actu: quia non omnes res, prout sunt in sua natura, sunt actu intelligibiles; sed solum res immateriales; unde et res materiales intelligibiles efficiuntur per hoc quod abstrahuntur a materia particulari et a conditionibus ejus, ut sic quodammodo intellectui, qui immaterialis est, assimilentur. Alio modo comparatur ad res ut cognoscens eas; et secundum hoc oportet quod sit similis ipsis rebus, ut per propriam rationem cujuslibet rei de ea determinatam cognitionem habeat. Ad hoc autem quod aliquid assimilet sibi multa, sufficit quod habeat in actu illam solam formam secundum quam dicitur esse similitudo; sicut per calorem, ignis multa sibi assimilat: sed ad hoc quod aliquid sit simile multis, oportet quod actu omnium illorum multorum formas habeat; sicut si in pariete sint diversarum rerum similitudines. Et ideo anima intellectiva potest facere omnia intelligibilia per unam naturam luminis quam actu habet, sine hoc quod aliquid aliud ab alio recipiat; et ideo potentia quae haec efficit, est simpliciter activa, et dicitur intellectus agens, qui non operatur aliquo habitu mediante. Sed cum essentia animae sit limitata, non potest per eam assimilari omnibus quidditatibus rerum intellectarum: unde oportet quod ista assimilatio compleatur per hoc quod aliquid aliunde recipit: et ideo potentia qua perficitur, quasi passiva est, secundum quod omne recipere dicitur pati, et vocatur possibilis intellectus qui operatur aliquo habitu mediante. Quamvis autem possibilis intellectus in Christo sit nobilior simpliciter ex unione, quam intellectus agens in nobis, tamen non est nobilior ex ratione potentiae; sicut nec sensus ejus nobilior est intellectu nostro ex ratione potentiae. Unde non sequitur quod si intellectus agens in nobis non est subjectum alicujus habitus, nec possibilis intellectus in Christo.

2. L’âme intellective se compare aux réalités intelligibles de deux manières. D’une manière, comme les rendant intelligibles en acte, car toutes les réalités, selon qu’elles existent dans leur nature, ne sont pas intelligibles en acte, mais seulement les réalités immatérielles. Aussi les réalités matérielles sont-elles rendues intelligibles par le fait qu’elles sont abstraites de leur matière particulière et de leurs conditions, afin d’être en quelque sorte rendues semblables à l’intellect, qui est immatériel. D’une autre manière, [l’âme intellective] se compare aux réalités selon qu’elle les connaît. De ce point de vue, il est nécessaire qu’elle soit semblable aux réalités elles-mêmes, afin que, par la raison propre de chaque chose, elle en ait une connaissance déterminée. Or, pour qu’une chose se rende semblables plusieurs réalités, il suffit qu’elle possède en acte cette seule forme selon laquelle on dit qu’elle y a ressemblance ; ainsi, par la chaleur, le feu se rend-il semblables plusieurs choses. Mais, pour qu’une chose soit semblable à plusieurs réalités, il est nécessaire qu’elle possède en acte les formes de toutes ces réalités, comme si se trouvaient sur un mur les ressemblances des différentes choses. C’est pourquoi l’âme intellectuelle peut rendre intelligibles toutes les réalités par la lumière d’une seule nature qu’elle possède en acte, sans recevoir rien d’autre d’une autre réalité. Aussi la puissance qui réalise cela est-elle simplement active : on l’appelle l’intellect agent, qui n’agit pas par l’intermédiaire d’un habitus. Cependant, puisque l’essence de l’âme est limitée, elle ne peut être par elle rendue semblable à toutes les quiddités des réalités intelligées. Il faut donc que cette assimilation soit réalisée par le fait qu’elle reçoit quelque chose d’ailleurs. Aussi la puissance par laquelle cela s’accomplit est-elle pour ainsi dire passive, selon que toute réception implique une passivité : elle est appelée l’intellect possible, qui agit par l’intermédiaire d’un habitus. Or, bien que l’intellect possible chez le Christ soit simplement plus noble, en raison de l’union, que l’intellect agent chez nous, il n’est cependant pas plus noble en raison de sa puissance, comme son sens n’est pas plus noble que notre intellect en raison de sa puissance. Aussi n’en découle-t-il pas que si l’intellect agent chez nous n’est pas le sujet d’un habitus, ce ne soit pas non plus le cas de l’intellect possible chez le Christ.

 [9162] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod potentiae naturales operantur circa aliqua determinata: unde possunt secundum naturam suam esse in actu simpliciter respectu illorum: et ideo non oportet quod eis aliquid addatur ad producendum suum effectum. Sed anima humana habet operationem circa ens simpliciter: et ideo, cum habeat possibilitatem in suo esse, oportet quod ejus possibilitas perficiatur per aliquid additum, ad hoc quod operetur.

3. Les opérations des puissances naturelles portent sur des choses déterminées ; aussi peuvent-elles être simplement en acte selon leur nature par rapport à ces choses. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que leur soit ajouté quelque chose pour produire leur effet. Mais l’opération de l’âme humaine porte simplement sur l’être. C’est pourquoi, puisqu’elle en a la possibilité par son être, il faut, pour qu’elle opère, que sa possibilité soit réalisée par quelque chose d’ajouté.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [9163] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod habitus scientiae ex duobus constat, ut dictum est, scilicet ex lumine intellectuali, et ex similitudine rei cognitae. In cognitione autem qua anima Christi, vel quaelibet anima, videt verbum per essentiam, non potest esse habitus quantum ad speciem, quae sit similitudo cogniti: cum enim omne quod recipitur in aliquo, sit in eo per modum recipientis, essentiae divinae similitudo non potest in aliqua creatura recipi, quae perfecte repraesentet ipsam, propter infinitam distantiam creaturae ad Deum: et inde est quod illud quod est in Deo unum et simplex, creaturae diversis formis et perfectionibus repraesentant, unaquaque earum deficiente a perfecta repraesentatione divinae essentiae. Similitudo autem alicujus rei recepta in vidente non facit eum videre rem illam, nisi perfecte eam repraesentet; sicut similitudo coloris in oculo existens, non facit videre lucem perfectam, quia in colore non est nisi quaedam obumbrata participatio lucis. Et ideo quicumque intellectus cognosceret verbum per similitudinem aliquam, non diceretur videre essentiam verbi. Et ita patet quod anima Christi et quaelibet alia anima quae videt verbum per essentiam, non videt ipsum mediante aliqua similitudine. Similiter non potest ex parte luminis in illa visione esse habitus quantum ad effectum lucis intellectualis, cujus est intelligibilia facere in actu: quia res immateriales secundum se sunt intelligibiles in actu: sed oportet quod sit ibi quantum ad alium effectum, qui est perficere intellectum possibilem ad cognoscendum; quod in nobis faciunt species illuminatae lumine intellectus agentis. Sed quia illa visio excedit omnem facultatem naturae creatae, ideo ad illam visionem non sufficit lumen naturae, sed oportet ut superaddatur lumen gloriae.

L’habitus de la science vient de deux choses, comme on l’a dit : la lumière intellectuelle et une similitude de la chose connue. Or, dans la connaissance par laquelle l’âme du Christ ou n’importe quelle âme voit le Verbe par essence, il ne peut y avoir, pour ce qui est de l’espèce, d’habitus qui soit une similitude de ce qui est connu. En effet, puisque tout ce qui est reçu dans une chose y est présent selon le mode de ce qui reçoit, une similitude de l’essence divine qui la représente parfaitement ne peut être reçue dans une créature, en raison de la distance infinie entre la créature et Dieu. De là vient que les créatures représentent ce qui est unique et simple en Dieu par diverses formes, dont aucune ne représente parfaitement l’essence divine. Or, la similitude d’une chose reçue par celui qui voit ne lui permet pas de voir cette chose, à moins que [la similitude] ne la représente parfaitement ; ainsi, la similitude de la couleur qui existe dans l’œil ne permet pas de voir la lumière parfaite, parce qu’il n’y a dans la couleur qu’une participation obscurcie à la lumière. C’est pourquoi on ne dirait pas que tout intellect qui connaîtrait le Verbe par une similitude voit l’essence du Verbe. Il est ainsi clair que l’âme du Christ et toute autre âme qui voit le Verbe par essence ne le voient pas à travers une similitude. De même, du côté de la lumière, il ne peut y avoir dans cette vision un habitus pour ce qui est de l’effet de la lumière intellectuelle, à qui il revient de rendre les choses intelligibles en acte, car les réalités immatérielles sont intelligibles en acte par elles-mêmes ; mais il est nécessaire qu’il y en ait un pour ce qui est d’un autre effet, qui consiste à perfectionner l’intellect possible pour qu’il connaisse, ce que réalisent en nous les espèces illuminées par la lumière de l’intellect agent. Cependant, parce que cette vision dépasse toute faculté de la nature créée, la lumière de la nature ne suffit donc pas pour cette vision, mais il est nécessaire que soit ajoutée la lumière de la gloire.

 [9164] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non eadem est unio qua unitur verbum animae Christi in persona, et qua unitur ei ut visibile videnti: quia unitur corpori in persona, non tamen videtur a corpore. Et ideo licet in unione illa qua unitur anima verbo in persona, non cadat aliquod medium; non tamen oportet quod in visione non cadat aliquod medium: non quidem dico medium sicut in quo videtur, ut speculum vel species; sed sicut sub quo videtur, sicut lumen.

1. Ce n’est pas la même union par laquelle le Verbe est uni à l’âme du Christ dans la personne et par laquelle il lui est uni comme ce qui peut être vu [est uni] à celui qui voit, car il est uni au corps dans la personne, il n’est cependant pas vu par le corps. Bien que, dans cette union par laquelle l’âme est unie au Verbe dans la personne, n’intervienne aucun intermédiaire, il n’est donc pas nécessaire qu’intervienne un intermédiaire dans la vision : je ne parle pas d’un intermédiaire dans lequel il est vu, comme un miroir ou une espèce, mais par lequel il est vu, telle la lumière.

 [9165] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod habitus scientiae non tantum consistit in speciebus, sed etiam in lumine, ut dictum est.

2. L’habitus de science ne consiste pas seulement dans des espèces, mais aussi dans une lumière, comme on l’a dit.

 [9166] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illud lumen non est quid subsistens, ut possit uniri verbo, quasi cognoscens verbo; sed est illud quo assimilatur anima verbo formaliter, ut possit in visionem verbi; sicut in gratia est similitudo quaedam animae ad Deum; et haec est nobilior anima secundum quid, et non simpliciter, ut dictum est.

3. Cette lumière n’est pas quelque chose de subsistant, de sorte qu’elle puisse être unie au Verbe comme celui qui connaît [l’est] au Verbe. Mais elle est ce par quoi l’âme est rendue semblable au Verbe de manière formelle, afin de rendre possible la vision du Verbe. Ainsi, par la grâce, existe une certaine similitude de l’âme avec Dieu, et celle-ci est plus noble que l’âme sous un aspect, et non pas simplement, comme on l’a dit.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

 [9167] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod illud in quo aliquid videtur, est ratio cognoscendi illud quod in eo videtur. Ratio autem cognoscendi est forma rei inquantum est cognita, quia per eam fit cognitio in actu: unde sicut ex materia et forma est unum esse; ita ratio cognoscendi et res cognita sunt unum cognitum: et propter hoc utriusque, inquantum hujusmodi, est una cognitio secundum habitum et secundum actum: et ita non est alius habitus quo cognoscitur verbum et ea quae in verbo videntur; sicut nec alius habitus quo cognoscitur medium demonstrationis et conclusio, secundum quod medium ad conclusionem ordinatur.

Ce en quoi quelque chose est vu est la raison de connaître ce qui est vu en cela. Or, la raison de connaître est la forme d’une chose en tant qu’elle est connue, car, par elle, la connaissance se réalise en acte. De même qu’il n’existe qu’un seul être de la matière et de la forme, de même, la raison de connaître et la chose connue sont-elles une seule chose connue. Aussi, en tant que tel, n’existe-t-il qu’une seule connaissance des deux selon l’habitus et selon l’acte. Il n’existe donc pas un autre habitus par lequel sont connus le Verbe et ce qui est vu dans le Verbe, comme il n’y a pas un autre habitus par lequel la mineure d’une démonstration et sa conclusion sont connues, pour autant que la mineure est ordonnée à la conclusion.

 [9168] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quando videntur res in speculo, species istarum rerum non imprimuntur a rebus in sensum, sed a speculo: unde imprimuntur omnes istae species in sensum, ut conclusae in una specie speculi; non quia sit alia species speculi et alia species rei visae in speculo. Sed in visione verbi non imprimitur aliqua similitudo a verbo in animam, per quam videatur, ut dictum est, sed ipsum per essentiam suam animae unitur: et ideo in ipsa essentia verbi videntur aliae res, quia essentia verbi habet rationem speciei quae fit in visu a speculo.

1. Lorsque des choses sont vues dans un miroir, les espèces de ces choses ne sont pas imprimées par les choses dans le sens, mais par le miroir. Aussi toutes ces espèces sont-elles imprimées dans le sens en tant qu’elles sont incluses dans une seule espèce du miroir, et non parce qu’il y aurait une espèce du miroir et une autre espèce de la chose vue dans le miroir. Mais, dans la vision du Verbe, une similitude par laquelle elle verrait n’est pas imprimée dans l’âme par le Verbe, comme on l’a dit, mais il est lui-même uni à l’âme par son essence. Aussi les autres réalités sont-elles vues dans l’essence du Verbe, car l’essence du Verbe possède la raison de l’espèce qui se réalise dans la vision à partir du miroir.

 [9169] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod anima assimilatur rebus quas cognoscit in verbo, non per aliquas formas illarum rerum impressarum in anima, sed per hoc quod verbum ipsum efficitur ut forma animae videnti, inquantum videtur ab ea, et ipsum verbum est similitudo omnium illarum rerum.

2. L’âme est rendue semblable aux choses qu’elle connaît dans le Verbe, non pas par des formes de ces choses imprimées dans l’âme, mais par le fait que le Verbe lui-même devient comme une forme pour l’âme qui voit, pour autant qu’il est vu par elle et que le Verbe lui-même est la similitude de toutes choses.

 [9170] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut abeuntibus rebus sensibilibus remanent impressiones rerum, secundum quas est imaginatio; ita etiam abeunte verbo, in ipso qui desinit videre verbum, remanet impressio in anima ejus a verbo, per quam cognoscuntur ea quae in verbo viderat per species illarum rerum; et haec erit quasi reliquia praeteritae visionis.

3. De même que, lorsque les choses sensibles se retirent, demeurent leurs impressions, par lesquelles se réalise l’imagination, de même, lorsque le Verbe se retire, demeure en son âme une impression venue du Verbe chez celui qui cesse de voir le Verbe. [Par cette impression], sont connues les choses qu’il avait vues dans le Verbe par les espèces de ces choses. Ce seront comme des restes de la vision passée.

Quaestiuncula 5

Réponse à la sous-question 5

 [9171] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 5 co. Ad quintam quaestionem dicendum, quod secundum philosophum in 3 de anima, intellectus possibilis est in potentia ad omnia intelligibilia; omne autem quod est in potentia ad formam aliquam, remanet imperfectum, nisi illa forma fiat in eo: unde cum intellectus Christi non sit imperfectus, oportet quod formae rerum ad quas intellectus possibilis est in potentia, sint descriptae in eo; sed secundum quod cognoscit verbum, non depingitur in eo neque similitudo verbi, neque res quae videntur in verbo, ut dictum est; unde oportet quod praeter visionem qua videt res in verbo, habeat aliam scientiam de rebus, secundum quod cognoscit eas per proprias similitudines in propria natura. Et sic habemus tres scientias Christi. Una est divina, quae est increata. Alia qua cognoscit res in verbo, et verbum ipsum, quae est scientia comprehensoris. Tertia qua cognoscit res in propria natura, quae competit ei secundum quod est homo in solis naturalibus consideratus.

Selon le Philosophe, dans Sur l’âme, III, l’intellect possible est en puissance de tous les intelligibles. Or, tout ce qui est en puissance par rapport à une forme demeure inachevé, à moins que cette forme n’apparaisse en lui. Puisque l’intellect du Christ n’est pas imparfait, il est donc nécessaire que les formes des choses par rapport auxquelles l’intellect possible est en puissance soient inscrites en lui. Mais, parce qu’il connaît le Verbe, ne sont représentées en lui ni une similitude du Verbe, ni les choses qui sont vues dans le Verbe, comme on l’a dit. Il faut donc qu’en plus de la vision par laquelle il voit les choses dans le Verbe, il ait une autre connaissance des choses, selon qu’il les connaît par leur propres similitudes dans leur propre nature. Nous avons ainsi trois sciences dans le Christ. L’une est divine, qui est incréée ; une autre, par laquelle il connaît les choses dans le Verbe et le Verbe lui-même, qui est la science du comprehensor ; une troisième, par laquelle il connaît les choses dans leur nature propre, et qui lui convient selon qu’il est un homme envisagé selon ses seules capacités naturelles.

 [9172] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod istae duae scientiae ultimae non sunt unius rationis, nec unius speciei; et ideo non est inconveniens quod sint in eodem, non ratione ejusdem.

1. Ces deux dernières sciences n’ont pas la même raison ni la même espèce. C’est pourquoi il n’est pas inapproprité qu’elles existent chez le même, mais non en raison de la même chose.

 [9173] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod verbum apostoli intelligendum est de perfecto et imperfecto in eadem specie: non tamen est inconveniens quod in eodem sint perfectiones diversarum specierum, quarum una sit major altera. Vel dicendum, quod scientia rerum in proprio genere non habet aliquam imperfectionem ex parte cognoscentis: unde etiam in beatis est, quamvis sit inferior illa scientia qua videntur res in verbo propter ignobilius medium cognoscendi. Unde non est simile de fide, quae importat imperfectionem ex parte credentis.

2. La parole de l’Apôtre doit s’entendre de ce qui est parfait et imparfait dans la même espèce ; cependant, il n’est pas inapproprié que, chez le même, existent des perfections d’espèces différentes, dont l’une est plus grande que l’autre. Ou bien il faut dire que la science des choses dans leur propre genre ne comporte pas d’imperfection du côté de celui qui connaît. Aussi existe-t-elle, même chez les bienheureux, bien que cette science soit inférieure à celle par laquelle les choses sont vues dans le Verbe en raison d’un moyen de connaissance moins noble. Ce n’est donc pas la même chose pour la foi, qui comporte une imperfection du côté de celui qui croit.

 [9174] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 5 ad 3 Et per hoc patet responsio ad tertium.

3. La réponse au troisième argument est ainsi claire.

 

 

Articulus 2 [9175] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 tit. Utrum anima Christi videndo verbum comprehendat ipsum

Article 2 – L’âme du Christ, en voyant le Verbe, le comprend-elle ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [L’âme du Christ, en voyant le Verbe, le comprend-elle ?]

 [9176] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod anima Christi verbum videndo comprehenderit. Sicut enim dicit Isidorus, Trinitas sibi soli nota est, et homini assumpto. Sed visio qua Deus videtur, soli Deo est conveniens, et nulli alii purae creaturae, quia est visio comprehensionis. Ergo homo assumptus comprehendit Trinitatem.

1. Il semble que l’âme du Christ, en voyant le Christ, le comprenne. En effet, comme le dit Isidore, « la Trinité est connue de Dieu seul et de l’homme assumé ». Or, la vision par laquelle Dieu est vu convient à Dieu seul et à aucune simple créature, car il s’agit de la vision de compréhension. L’homme assumé comprend dont la Trinité.

 [9177] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, majus est uniri Deo quantum ad esse personae quam quantum ad visionem. Sed, sicut dicit Damascenus, tota divina natura unita est carni in persona filii. Ergo multo fortius tota divina natura unita est animae per modum visibilis; et ita anima Christi comprehendit deitatem verbi.

2. Il est plus grand d’être uni à Dieu pour ce qui est de l’être de la personne que pour ce qui est de la vision. Or, comme le dit [Jean] Damascène, « la nature divine entière à été unie à la chair en la personne du Fils ». À bien plus forte raison, donc, la nature divine entière a-t-elle été unie à l’âme selon le mode de ce qui est visible. Ainsi, l’âme du Christ comprend-elle la divinité du Verbe.

 [9178] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, verbum est simplex, non divisibile. Sed simplex non potest ab aliquo capi quin comprehendatur: quia non potest esse partim intra capientem et partim extra. Cum igitur anima Christi verbum videndo capiat, videtur quod ipsum comprehendat.

3. Le Verbe est simple et non divisible. Or, ce qui est simple ne peut être saisi par quelqu’un sans être compris, car cela ne peut être en partie à l’intérieur de celui qui saisit et en partie en dehors. Puisque l’âme du Christ saisit en voyant, il semble donc qu’elle comprenne.

 [9179] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, secundum Augustinum, illud proprie comprehenditur cujus fines conspiciuntur. Sed verbi, cum sit infinitum, fines conspici non possunt. Ergo non potest comprehendi ab anima Christi.

Cependant, [1] selon Augustin, « est compris ce dont les limites tombent sous le regard ». Or, puisqu’il est infini, les limites du Verbe ne peuvent tomber sous le regard. Il ne peut donc être compris par l’âme du Christ.

 [9180] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, nulla potentia substantiae finitae est infinita. Sed anima Christi, cum sit creata, est substantia finita. Ergo omnis virtus ejus est finita; ergo et capacitas ejus. Sed capacitas finita non comprehendit infinitum. Cum igitur verbum sit infinitum, non potest comprehendi ab anima Christi.

 [2] Aucune puissance d’une substance finie n’est infinie. Or, l’âme du Christ, puisqu’elle est créée, est une substance finie. Toutes ses puissances sont donc finies, et donc leur capacité. Or, une capacité finie ne comprend pas ce qui est infini. Puisque le Verbe est infini, il ne peut donc être compris par l’âme du Christ.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [L’âme du Christ connaît-elle dans le Verbe tout ce que le Verbe connaît ?]

 [9181] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod in verbo non cognoscat omnia quae cognoscit verbum. Marci 13, 32: de die illa nemo scit, neque filius, sed solus pater. Sed non loquitur de filio secundum divinam naturam, secundum quam habet eamdem scientiam cum patre. Ergo loquitur de filio secundum humanam naturam; ergo Christus secundum animam non scit omnia quae scit Deus.

1. Il semble que [l’âme du Christ] ne connaisse pas dans le Verbe tout ce que le Verbe connaît. Mc 13, 32 : Ce jour, personne ne le connaît, sauf le Père. Or, il ne parle pas du Fils selon sa nature divine, selon laquelle il possède la même connaissance que le Père. Il parle donc du Fils selon sa nature humaine. Le Christ ne connaît donc pas par son âme tout ce que Dieu connaît.

 [9182] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, Deus scit infinita. Sed anima Christi, cum sit finita, non potest comprehendere infinita. Ergo non omnia scit quae Deus scit.

2. Dieu connaît les réalités infinies. Or, l’âme du Christ, puisqu’elle est finie, ne peut comprendre les réalités infinies. Elle ne connaît donc pas tout ce que Dieu connaît.

 [9183] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, ex infinitate divinae potentiae est quod potest infinita facere. Sed anima Christi non comprehendit infinitatem divinae potentiae. Ergo non comprehendit omnia quae Deus potest facere. Sed Deus scit omnia quae potest facere. Ergo anima Christi non habet scientiam omnium quae scit Deus.

3. C’est en raison de l’infinité de la puissance divine que celle-ci peut faire des réalités infinies. Or, l’âme du Christ ne comprend pas l’infinité de la puissance divine. Elle ne comprend donc pas tout ce que Dieu peut faire. Or, Dieu connaît tout ce qu’il peut faire. L’âme du Christ n’a donc pas la science de tout ce que Dieu sait.

 [9184] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 4 Praeterea, quanto aliquis intellectus est altior, tanto potest ex uno plura cognoscere: et propter hoc dicitur scientia superiorum esse universalior quam inferiorum in Lib. de causis et a Dionysio. Sed intellectus divinus est altior in infinitum quam anima Christi. Ergo in infinitum plura potest ex seipso cognoscere quam anima Christi ex visione unius divinae essentiae.

4. Plus un intellect est élevé, plus il peut connaître de choses à partir d’une seule ; pour cette raison, le Livre des causes et Denys disent que la science des êtres supérieurs est plus universelle que celle des inférieurs. Or, l’intellect divin est infiniment plus élevé que l’âme du Christ. Il peut donc à l’infini connaître davantage de choses par lui-même, que l’âme du Christ par la vision de la seule essence divine.

 [9185] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, Apoc. 5, 12: dignus est agnus qui occisus est accipere divinitatem et sapientiam; Glossa: idest omnem cognitionem. Ergo cum agnus sit occisus secundum humanam naturam, videtur quod Christus secundum humanam naturam omnem cognitionem habeat.

Cependant, [1] à propos de Ap 5, 12 : L’agneau qui a été tué est digne de recevoir la divinité et la sagesse, la Glose dit : « C’est-à-dire toute connaissance. » Puisque l’agneau a été tué selon sa nature humaine, il semble donc que le Christ ait toute connaissance selon sa nature humaine.

 [9186] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, nullum bonum est quod anima Christi non amet, quia habet perfectam caritatem. Sed non amatur nisi cognitum. Ergo nullum bonum est quod non cognoscat. Sed omne quod est, inquantum est, bonum est. Ergo cognoscit omnia.

 [2] Il n’y aucun bien que l’âme du Christ n’aime, car elle possède une charité parfaite. Or, n’est aimé que ce qui est connu. Il n’existe donc aucun bien qu’elle ne connaisse. Or, tout ce qui est, dans la mesure où cela est, est bon. Elle connaît donc toutes choses.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [L’âme du Christ connaît-elle toutes choses aussi clairement que Dieu ?]

 [9187] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod cognoscat omnia ita limpide ut Deus. Limpiditas enim visionis impeditur per obscuritatem potentiae videntis, aut ipsius medii. Sed in potentia intellectiva Christi non est aliqua obscuritas, cum ejus anima sit speculum clarissimum et mundissimum; medium autem est idem in quo videt Deus et ipsa anima Christi, scilicet ipsa essentia divina. Ergo anima Christi non minus limpide videt quam Deus.

1. Il semble que [l’âme du Christ] connaisse toutes choses aussi clairement que Dieu. En effet, la clarté de la vision est empêchée par l’obscurité de la puissance de celui qui voit ou de son moyen. Or, dans la puissance intellective du Christ, il n’y a pas d’obscurité, puisque son âme est un miroir très clair et très pur ; par ailleurs, le moyen est le même par lequel Dieu voit et l’âme du Christ [voit], à savoir, l’essence divine elle-même. L’âme du Christ ne voit donc pas moins clairement que Dieu.

 [9188] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, si Deus magis limpide videt quam anima Christi, limpiditas in infinitum limpiditatem excedit. Sed inter infinite distantia possunt esse infinita media. Ergo possunt esse infinitae creaturae magis limpide cognoscentes quam anima Christi.

2. Si Dieu voit plus clairement que l’âme du Christ, sa clarté dépasse infiniment la clarté [de l’âme du Christ]. Or, entre des choses infiniment distantes, il peut exister des intermédiaires à l’infini. Il peut donc exister des créatures en nombre infini qui connaissent plus clairement que l’âme Christ.

 [9189] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, limpiditatis defectus in intelligendo contingit ex hoc quod virtus intellectiva non potest sufficienter supra rem intelligendam, sive contingat ex excellentia rei intelligendae, ad quam non pertingit intellectus; sive ex defectu ejus, quia intellectus agens non potest perfecte ei dare rationem intelligibilis; sicut sunt ea quae non habent esse perfectum, sicut tempus et motus. Sed anima Christi sufficienter potest super omnem naturam creatam. Ergo omnia quae in verbo videt, videt in termino limpiditatis; ergo Deus non magis limpide videt quam anima Christi.

3. Le manque de clarté dans la compréhension vient de ce que la puissance intellective n’a pas un pouvoir suffisant sur la chose à comprendre, soit que cela vienne de l’excellence de la chose à intelliger, que l’intellect ne rejoint pas, soit que cela vienne de sa carence, car l’intellect agent ne peut lui fournir parfaitement la raison de ce qui est intelligible ; c’est par exemple le cas de ce qui n’a pas un être parfait, comme le temps et le mouvement. Or, l’âme du Christ a un pouvoir suffisant sur toute nature créée. Tout ce qu’elle voit dans le Verbe, elle le voit donc jusqu’à la limite de la clarté. Dieu ne voit donc pas plus clairement que l’âme du Christ.

 [9190] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, quanto visus est acutior, tanto visio limpidior. Sed visus divinus est in infinitum acutior et potentior in intelligendo quam visus animae Christi. Ergo in infinitum limpidius videt.

Cependant, [1] plus la vue est précise, plus la vision est claire. Or, la vision divine est infiniment plus précise et puissante pour comprendre, que la vision de l’âme du Christ. Elle voit donc infiniment plus clair.

 [9191] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, major lux majorem visionis claritatem causat. Sed lux increata, qua videt Deus, in infinitum est major quam lux creata intellectus Christi. Ergo Deus in infinitum limpidius videt.

 [2] Une plus grande lumière produit une plus grande clarté de la vision. Or, la lumière incréée par laquelle Dieu voit est infiniment plus grande que la lumière créée de l’intellect du Christ. Dieu voit donc infiniment plus clair.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [L’âme du Christ voit-elle d’un seul regard tout ce qu’elle connaît dans le Verbe ?]

 [9192] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod anima Christi non uno intuitu omnia videat quae in verbo cognoscit. Quia, sicut dicit philosophus, scimus plura, intelligimus vero unum. Sed non videt anima Christi aliqua in verbo nisi intelligendo. Ergo non potest uno intuitu omnia videre.

1. Il semble que l’âme du Christ ne voie pas d’un seul regard tout ce qu’elle connaît dans le Verbe, car, ainsi que le dit le Philosophe, « nous savons plusieurs choses, mais nous en comprenons une seule ». Or, l’âme du Christ ne voit certaines choses dans le Verbe qu’en les intelligeant. Elle ne peut donc pas voir tout d’un seul regard.

 [9193] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 2 Praeterea, anima Christi in verbo videt omnia quae videt verbum. Sed verbum videt infinita. Ergo et anima Christi videt infinita. Si igitur simul actu omnia videret quae ibi videt, esset pertransire actu infinita; quod non contingit.

2. L’âme du Christ voit dans le Verbe tout ce que le Verbe voit. Or, le Verbe voit infiniment de choses. L’âme du Christ aussi voit donc infiniment de choses. Si donc elle voyait en même temps en acte tout ce qu’elle y voit, elle passerait en acte à infiniment de choses, ce qui n’est pas le cas.

 [9194] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 3 Praeterea, quantitas virtutis commensuratur operationi. Sed anima Christi est finita. Ergo non potest in operationem infinitam, nec in infinitas operationes simul. Sed si omnia infinita videt simul anima Christi diversis operationibus secundum diversa objecta, habet infinitas operationes simul. Si autem una operatione, habet infinitam operationem, quod est impossibile. Ergo non videt actu omnia simul quae videt in verbo.

3. La quantité de la puissance est proportionnée à l’opération. Or, l’âme du Christ est finie. Elle n’a donc pas une puissance portant sur une opération infinie, ni sur des opérations infinies simultanées. Or, si l’âme du Christ voit toutes les réalités infinies simultanément par des opérations différentes selon les différents objets, elle pose donc en même temps des opérations infinies. Mais si elle le fait par une seule opération, elle a une opération infinie, ce qui est impossible. Elle ne voit donc pas simultanément en acte tout ce qu’elle voit dans le Verbe.

 [9195] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 4 Praeterea, Angeli beati non vident simul actu quidquid vident in verbo: unde et unus alium illuminat. Sed visio qua anima Christi videt in verbo, est similis illi visioni. Ergo non omnia simul videt in verbo.

4. Les anges bienheureux ne voit pas simultanément en acte tout ce qu’ils voient dans le Verbe ; c’est ainsi que l’un illumine l’autre. Or, la vision par laquelle l’âme du Christ voit dans le Verbe est semblable à cette vision. Elle ne voit donc pas toutes choses simultanément dans le Verbe.

 [9196] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 4 s. c. 1 Sed contra, philosophus dicit, quod felicitas non consistit in habitu, sed in operatione. Sed Christus est perfecte felix et beatus. Ergo est in actu omnium eorum quae cognoscit.

Cependant, [1] le Philosophe dit que la félicité ne consiste pas dans un habitus, mais dans une opération. Or, le Christ est parfaitement heureux et bienheureux. Il est donc en acte de tout ce qu’il connaît.

 [9197] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 4 s. c. 2 Praeterea, quaecumque cognoscuntur, cognoscuntur vel habitu vel actu. Sed Christus non videt per aliquem habitum specierum ea quae videt in verbo. Si ergo non videt actu, nullo modo cognoscit nisi in potentia.

 [2] Tout ce qui est connu est connu soit par un habitus, soit par un acte. Or, le Christ ne voit pas par un habitus des espèces ce qu’il voit dans le Verbe. Si donc il ne voit pas en acte, il ne connaît d’aucune manière, si ce n’est en puissance.

 [9198] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 4 s. c. 3 Praeterea, quaecumque videntur in una specie simul videntur, sicut homo simul videt quantitatem et colorem. Sed omnia quae videt anima Christi in verbo, videt in una essentia verbi quasi in una specie. Ergo anima Christi omnia simul videt.

 [3] Tout ce qui est vu dans une seule espèce est vu simultanément, comme un homme voit simultanément la quantité et la couleur. Or, tout ce que voit l’âme du Christ dans le Verbe, elle le voit dans la seule essence du Verbe comme dans une seule espèce. L’âme du Christ voit donc tout simultanément.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [9199] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod illud proprie comprehenditur quod attingitur ab intellectu secundum totam rationem suae cognoscibilitatis, et hoc est fines ejus conspici: non quidem rei, quia sic Deus seipsum non comprehenderet, quia fines non habet; sed quia secundum omnem rationem qua cognoscibilis est seipsum cognoscit, ideo comprehendere seipsum dicitur. Et quia unumquodque est cognoscibile secundum quod est ens, ideo dicta comprehensio contingit quando adaequatur ad essentiam rei efficacia intellectus in intelligendo. Cum autem intellectus duo habeat in intelligendo, scilicet lumen intellectuale, quo intelligere potest, et similitudinem rei intellectae, qua sua intellectualis operatio determinatur ad hanc rem cognitam; quodcumque horum excedatur a re secundum quod est in suo esse, intellectus illam rem non comprehendet. Sed in hoc differt. Quia si excedat res similitudinem intellectus, qua rem ipsam intelligit; tunc intellectus non attingit ad videndum essentiam illius rei: quia ut dictum est, per similitudinem illam intellectus determinatur ad rem cognitam; sicut si species intelligibilis repraesentet hominem inquantum est sensibilis, et non inquantum est rationalis: tunc enim non videtur essentia hominis: quocumque enim subtracto de essentialibus rei, manet essentia alterius speciei. Si autem res excedat lumen intellectus, et non speciem; tunc videbitur quidem essentia rei, sed non modo perfecto ut cognoscibilis est; eo quod, ut dictum est, ex lumine intellectuali est efficacia intelligendi. Sed quia esse quod recipitur in creatura, deficit ab eminentia esse creatoris; ideo omnis intellectus creatus cognoscens Deum per similitudinem aliquam sive impressam, sive a rebus acceptam, non videt essentiam Dei; sed ad hoc quod videat Deum oportet quod ipsa Dei essentia conjungatur intellectui ut forma qua cognoscit determinate: quod est in omnibus beatis. Sed quia lumen intellectuale facit intelligentem simpliciter, ideo oportet quod omnis intellectus intelligat per lumen quod sit in ipso. Unde per lumen intellectuale quod est in intellectu creato receptum, quo Deum videt, deficit ab esse divino; et ideo quamvis essentiam Dei videat, non tamen perfecto modo videt; et propter hoc intellectui creato communicari non potest quod Deum comprehendat.

Est compris au sens propre ce qui est atteint par l’intellect selon toute la raison de ce qui peut en être connu : c’est ainsi que ses limites tombent sous le regard, non pas celles de la réalité, car ainsi Dieu ne se comprendrait pas puisqu’il n’a pas de limites, mais parce qu’il se connaît lui-même selon toute la raison de ce qui peut en être connu, on dit qu’il se comprend. Et parce que tout est connaissable dans la mesure où cela est un être, la compréhension en cause survient donc lorsque l’efficacité de l’intellect pour intelliger est égale à l’essence de la chose. Or, comme l’intellect comporte deux choses en intelligeant : la lumière intellectuelle, par laquelle il peut intelliger, et une similitude de la chose intelligée, par laquelle son opération intellectuelle est déterminée à cette chose connue, tout ce qui en cela est dépassé par la chose telle qu’elle est dans son être, l’intellect ne le comprendra pas. En effet, si la chose dépasse la similitude de l’intellect, par laquelle il intellige la chose elle-même, l’intellect n’atteint pas alors la vision de l’essence de cette chose, car, ainsi qu’on l’a dit, l’intellect est déterminé à la chose connue par cette similitude. Ainsi, si l’espèce intelligible représente l’homme en tant qu’il est sensible, et non en tant qu’il est raisonnable, alors, l’essence de l’homme n’est pas vue, puisque, en enlevant des éléments essentiels de la chose, cela demeure l’essence d’une autre espèce. Mais si la chose dépasse la lumière de l’intellect, et non pas l’espèce, on verra alors l’essence de la chose, mais non d’une manière aussi parfaite qu’elle peut être connue, du fait que, ainsi qu’on l’a dit, l’efficacité pour intelliger vient de la lumière intellectuelle. Or, parce que l’être qui est reçu dans la créature n’a pas l’éminence de l’être du Créateur, tout intellect créé qui connaît Dieu par une similitude soit impresse, soit reçue des choses, ne voit pas l’essence de Dieu ; pour qu’elle voie Dieu, il faut que l’essence de Dieu elle-même soit unie à l’intellect comme une forme par laquelle il connaît de manière déterminée, ce qui est le cas pour tous les bienheureux. Mais parce que c’est la lumière intellectuelle qui fait qu’on intellige tout simplement, il est donc nécessaire que tout intellect intellige par la lumière qui est en lui. Aussi, par la lumière intellectuelle qui est reçue par un intellect créé et par laquelle il voit Dieu, il n’est pas égal à l’être divin. C’est pourquoi, bien qu’il voie l’essence de Dieu, il ne la voit cependant pas d’une manière parfaite. Pour cette raison, ce que Dieu comprend ne peut pas être communiqué à un intellect créé.

 [9200] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Isidorus loquitur de perfecta cognitione Trinitatis; quae Trinitas de seipsa perfectam cognitionem habet simpliciter; sed anima Christi habet de ea cognitionem perfectam in genere creaturae. Vel dicendum, quod non loquitur de comprehensione ipsius Trinitatis secundum se, sed quantum ad omnia quae in seipsa Trinitas cognoscit: quia omnia illa cognoscit in ea anima Christi, non autem aliqua alia creatura. Vel si intelligatur de comprehensione Trinitatis in se; tunc homini assumpto convenit, non ratione naturae humanae, sed ratione divinae.

1. Isidore parle de la connaissance parfaite de la Trinité. La Trinité a cette connaissance parfaite d’elle-même, mais l’âme du Christ a d’elle une connaissance parfaite dans le genre de la créature. Ou bien il faut dire qu’il ne parle pas de la compréhension de la Trinité même en elle-même, mais selon tout ce qu’elle connaît dans la Trinité même, car l’âme du Christ connaît cela en elle, mais aucune autre créature. Ou bien, si on l’entend de la compréhension de la Trinité en elle-même, alors elle convient à l’homme assumé, non pas en raison de sa nature humaine, mais en raison de sa nature divine.

 [9201] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut nihil est de divina natura quod non sit humanae naturae unitum in persona verbi, non tamen humana natura adaequatur divinae naturae, propter quod divina natura tota dicitur unita humanae naturae, non conclusa in humana natura; similiter quia nihil est de natura verbi quod anima Christi non videat, nec tamen ei adaequatur, potest dici quod anima Christi totam naturam verbi videt, non tamen eam comprehendit, quia eam non totaliter videt. Illud enim totaliter videtur cujus visibilitas non excedit modum videntis, ut scilicet videns ita perfecte videat sicut res perfecte visibilis est. Unde qui habet opinionem tantum de quo scientia haberi potest, non totaliter cognoscit illud. Et ideo nullus intellectus creatus potest essentiam Dei totaliter videre: quia ejus efficacia non est tanta in intelligendo, quanta est veritas sive claritas divinae essentiae, secundum quam visibilis est; quod solius divini est intellectus; et ideo ipse solus seipsum totaliter cognoscit.

2. Parce qu’il n’y a rien de la nature divine qui ne soit uni à la nature humaine dans la personne du Verbe, alors que la nature humaine n’est pas égale à la nature divine, raison pour laquelle on dit que la nature divine a été unie à la nature humaine dans sa totalité, et non enfermée dans la nature humaine ; et parce qu’il n’y a rien de la nature du Verbe que ne voie l’âme du Christ, sans cependant lui être égale, on peut dire que l’âme du Christ voit toute la nature du Verbe, sans cependant la comprendre, parce qu’elle ne la voit pas totalement. En effet, est vu totalement ce dont la visibilité ne dépasse pas la mesure de celui qui voit, de sorte que celui qui voit voie aussi parfaitement que la chose est parfaitement visible. Aussi celui qui n’a qu’une opinion de ce dont on peut avoir la science ne connaît pas cela parfaitement. C’est pourquoi aucun intellect créé ne peut voir totalement l’essence de Dieu, car son efficacité n’est pas aussi grande en intelligeant que la vérité ou la clarté de l’essence divine, autant qu’elle puisse être vue, ce qui relève seulement de l’intellect divin. C’est pourquoi il est le seul à se connaître totalement.

 [9202] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non negatur verbum ab anima Christi comprehendi quia partem ejus videat et partem ejus non videat; sed quia non ita perfecte videt sicut visibile est; sicut etiam duorum qui unam conclusionem sciunt, unus perfecte scit, non quia alter conclusionis partem sciat et partem ignoret; sed quia unus scit per medium efficacius quam alter.

3. On ne nie pas que le Verbe soit compris par l’âme du Christ parce qu’il en voit une partie et n’en voit pas une autre partie, mais parce qu’elle ne la voit pas aussi parfaitement qu’il est visible. Ainsi, de deux qui savent une conclusion, l’un la sait parfaitement, non pas parce que l’autre en connaît une partie et en ignore une partie, mais parce que l’un sait par un moyen plus efficace que l’autre.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [9203] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod quidam dixerunt, omnem intellectum videntem Deum videre omnia quae videt Deus. Sed hoc non est necessarium: quia cum res videntur in Deo, Deus est quasi medium cognoscendi illas res. Non est autem necessarium quod qui cognoscit aliquod medium, cognoscat omnia illa quae per medium illud cognosci possunt, nisi plenarie medium illud, secundum totam virtutem suam, cognoscat: et ideo ipse Deus, qui seipsum comprehendit, omnia quae in eo sunt qualitercumque, cognoscit, sed diversimode. Quia ea quae sunt, erunt, vel fuerunt secundum quodcumque tempus, scit scientia visionis: quia illud proprie videtur quod habet esse extra videntem. Et quamvis essentia, per quam videt, sit una; tamen quia per distinctas rationes ideales ea videt, ideo distinctam cognitionem de eis habet, dum unumquodque cognoscit secundum propriam ideam, sicut bonum; vel per oppositi ideam, sicut malum. Distinctio autem harum rationum est ex diverso respectu exemplaris, scilicet divinae essentiae, ad res visas. Sed ea quae nec sunt nec fuerunt nec erunt, et tamen potuissent esse vel fuisse vel futura esse, cum in seipsis non sint, nullam in seipsis distinctionem habent, nec sunt nisi in potentia ipsius Dei, in qua unum sunt: unde non possunt esse respectus diversi secundum quos distinguantur rationes horum possibilium; et ideo haec Deus non cognoscit per ideas distinctas, sed per cognitionem suae potentiae, in qua sunt: et ideo dicitur haec cognoscere simplici intelligentia, quia intelligentiae est concipere etiam ea quae non sunt extra concipientem. Sed quia omne quod agit aliquid vel potest agere, agit illud secundum quod est ens actu; ideo impossibile est quod aliquis sciat omnia quae ex aliqua causa possunt produci, nisi comprehendat ejus entitatem. Et quia nullus intellectus creatus comprehendit essentiam divinam, ideo nullus creatus intellectus potest scire omnia quae Deus potest facere: et haec sunt illa quae Deus scit simplici intelligentia. Sed ea quae sunt, fuerunt, vel erunt, deficiunt ab infinitate divinae potentiae, quia plura facere posset; unde non prohibetur aliquis creatus intellectus cognoscere ea omnia; sed unusquisque tanto plura eorum in verbo cognoscit, quanto perfectius verbum intuetur. Et quia anima Christi perfectissime inter creaturas verbum intuetur, ad terminum hujus cognitionis pervenit, scilicet quod scit omnia quae fuerunt vel erunt, non solum facta, sed cogitata vel dicta. Et quia comprehendit quamlibet essentiam creatam, ideo scit omnia quae sunt in potentia seminali creaturae cujuscumque, eo modo quo Deus scit quae sunt in potentia sua. Sic ergo dicendum est, quod videt in verbo omnia quae videt verbum scientia visionis.

Certains ont dit que tout intellect qui voit Dieu voit tout ce que Dieu voit. Mais cela n’est pas nécessaire, car lorsque les choses sont vues par Dieu, Dieu est comme le moyen de connaître ces choses. Or, il n’est pas nécessaire que celui qui connaît un moyen connaisse tout ce qui peut être connu par ce moyen, à moins de connaître pleinement ce moyen. C’est pourquoi Dieu même, qui se comprend, connaît tout ce qui est en lui de quelque façon que ce soit, mais de manière différente. En effet, il sait d’une science de vision ce qui est, sera ou a été en tous les temps, car est vu ce qui a l’être en dehors de celui qui voit. Et bien que l’essence par laquelle il voit soit unique, parce qu’il voit ces choses par des raisons idéales distinctes, il en a donc une connaissance distincte, alors qu’il connaît chacune selon sa propre idée, comme le bien, ou par l’idée de ce qui y est opposé, comme le mal. Or, la distinction de ces raisons vient d’un rapport différent entre l’exemplaire, à savoir, l’essence divine, et les choses vues. Mais ce qui n’est pas, n’a pas été et ne sera pas, mais aurait pu être, n’a pas été ou aurait pu être, puisque cela n’existe pas en soi, ne comporte en soi aucune distinction et n’existe que dans la puissance de Dieu, dans laquelle c’est une seule chose. Ces choses ne peuvent pas avoir de rapports différents, selon lesquels se distinguent les raisons de ces possibles. C’est pourquoi Dieu ne connaît pas ces choses par des idées distinctes, mais par la connaissance de sa puissance où elles se trouvent. On dit donc qu’il les connaît par simple intelligence, car il relève de l’intelligence de concevoir même ce qui n’existe pas en dehors de celui qui conçoit. Mais parce que tout ce qui fait quelque chose ou peut faire quelque chose le fait selon qu’il est en acte, il est donc impossible que quelqu’un sache tout ce qui peut être produit par une cause, à moins d’en comprendre l’entité. Et parce qu’aucun intellect créé ne comprend l’essence divine, aucun intellect créé ne peut savoir tout ce que Dieu peut faire. Telles sont les choses que Dieu sait par simple intelligence. Or, l’infinité de la puissance divine fait défaut aux choses qui sont, ont été ou seront ; il n’est donc pas impossible qu’un intellect créé les connaisse toutes. Mais chacun en connaît d’autant plus dans le Verbe qu’il regardera le Verbe plus parfaitement. Et parce que l’âme du Christ, parmi les créatures, regardera le Verbe de la manière la plus parfaite, elle parvient au terme de cette connaissance : elle connaît tout ce qui a été ou sera, et non seulement ce qui a été, mais ce qui a été pensé ou dit. Et parce qu’elle comprend n’importe quelle essence créée, elle connaît donc tout ce qui existe dans la puissance séminale de toute créature, à la manière dont Dieu sait tout ce qui existe dans sa puissance. Il faut donc dire que [l’âme du Christ] voit dans le Verbe tout ce que le Verbe voit selon la science de vision.

 [9204] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod dicitur filius nescire, quia non facit nos scire, ex eo quod ad nos mittitur. Similiter nec spiritus sanctus, sed solus pater scire dicitur, quia ipse non mittitur. Unde scientia patris intelligitur quantum ad hoc quod in se scit, a qua scientia non excluditur filius et spiritus sanctus; ut sic intelligatur de filio non solum inquantum homo, sed etiam inquantum Deus. Vel potest intelligi de filio secundum humanam naturam secundum eumdem modum loquendi.

1. On dit que le Fils ne connaît pas parce qu’il ne nous fait pas savoir, du fait qu’il nous est envoyé. De même, on ne dit pas que l’Esprit Saint [connaît], mais que seul le Père connaît, car il n’est pas lui-même envoyé. Ainsi la connaissance du Père s’entend-elle de ce qu’il connaît en lui-même, connaissance dont ne sont pas écartés le Fils et le Saint-Esprit, de sorte que cela s’entend du Fils, non seulement en tant qu’il est homme, mais aussi en tant qu’il est Dieu. Ou bien on peut l’entendre du Fils selon sa nature humaine, selon la même manière de parler.

 [9205] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Deus infinita non scit per visionis scientiam; sciret tamen si generatio in futurum nunquam cessaret, quod Deo est possibile: et hac positione facta, anima Christi sciret infinita scientia visionis, ut quidam dicunt; nunc autem scit infinita simplici intelligentia, inquantum scit omnia quae fieri possunt per potentiam creaturae, quae infinita sunt, ad minus secundum numerum. Nec hoc impeditur per hoc quod est ejus substantia finita, propter duo. Primo, quia ista infinita quae sciret, si generatio semper duratura esset, non cognosceret per infinita, sed per unum, scilicet verbum. Nec tamen comprehenderet illud verbum: quia ex illo uno possent adhuc multo plura educi; posset enim aliquas alias species facere. Ea autem infinita quae sunt in potentia creaturarum, iterum cognoscit comprehendendo ipsas creaturas, quae infinitae non sunt. Virtus autem cognoscentis proportionatur medio cognoscendi magis quam ipsis cognitis. Secundo, quia contingit aliquam virtutem limitatam esse quantum ad esse, sed non quantum ad rationem illius virtutis; sicut supra, dist. 13, quaest. 1, art. 2, quaestiunc. 2, de gratia dictum est. Et quia ratio virtutis determinatur ad objectum, ideo contingit aliquam virtutem finitam quantum ad essentiam, posse in infinita objecta; sed non operari modo infinito: quia efficacia infinita in agendo non potest esse nisi ab essentia infinita; cum unumquodque agat secundum quod est ens actu: sicut virtus solis est ad producendum infinitas herbas, quia quantumcumque producat, nunquam virtus sua exhauritur; non tamen agit efficacia infinita. Ita etiam anima Christi, quamvis finita sit in essentia, non tamen prohibetur quin infinita cognoscere possit; sed quod non possit cognoscere ea limpiditate infinita.

2. Dieu ne connaît pas les réalités infinies par sa science de vision ; cependant, il les connaîtrait si leur génération ne cessait jamais à l’avenir, ce qui est possible pour Dieu. Ceci étant acquis, l’âme du Christ connaîtrait les réalités infinies par la science de vision, comme le disent certains ; mais, maintenant, il connaît les réalités infinies par simple intelligence, dans la mesure où il connaît tout ce qui être réalisé par la puissance de la créature, qui est infini, du moins, en nombre. Et cela n’est pas empêché par le fait que sa substance soit finie, pour deux raisons. Premièrement, parce ces réalités infinies qu’il connaîtrait, si la génération durait toujours, il ne les connnaîtrait pas par des réalités infinies, mais par une seule réalité, le Verbe. Cependant, il ne comprendrait pas ce Verbe, car beaucoup plus de choses pourraient encore en être tirées : en effet, il pourrait faire d’autres espèces. Mais les infinis qui existent dans la puissance des créatures, il les connaît en comprenant ces créatures, qui ne sont pas infinies. Or, la puissance de celui qui connaît est proportionnée au moyen de connaître plus qu’à cela même qui est connu. Deuxièmement, parce qu’il arrive qu’une puissance soit limitée du point de vue de son être, mais non du point de vue de la raison de cette puissance, comme on l’a dit plus haut à propos de la grâce, d. 13, q. 1, a. 2, qa 2. Et parce que la raison de la puissance est déterminée par son objet, il arrive donc qu’une puissance finie par son essence puisse se porter sur des objets infinis, mais non pas agir d’une manière infinie, car l’efficacité infinie de l’action ne peut être le fait que d’une essence infinie, puisque chaque chose agit selon qu’elle est un être en acte. Ainsi, la puissance du soleil est capable de produire une infinité de plantes, car, autant qu’elle en produise, sa puissance n’est jamais épuisée ; mais elle n’agit pas avec une efficacité infinie. De même aussi, l’âme du Christ, bien qu’elle ait une essence finie, n’est-elle pas empêchée de pouvoir connaître des réalités infinies, mais de pouvoir les connaître avec une clarté infinie.

 [9206] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Deus potest facere multa quae nunquam faciet: et illa scit Deus scientia simplicis notitiae, non autem scientia visionis. Scientia autem animae Christi non parificatur etiam in numero scitorum, scientiae divinae quae est simplicis notitiae, sed solum scientiae visionis, ut dictum est.

3. Dieu peut faire beaucoup de choses qu’il ne fera jamais ; Dieu connaît ces choses d’une science de simple intelligence, mais non d’une science de vision. Mais la science de l’âme du Christ n’est pas égale, même par le nombre de choses connues, à la science divine de simple intelligence, mais seulement à sa science de vision, comme on l’a dit.

 [9207] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Deus scit ex ipsa sua essentia quae potest Deus facere, quae tamen anima Christi non scit: et ideo quantum ad hoc Deus plura scit. Praeterea hoc habet locum in illis quae minor intellectus non comprehendit. Si enim omnia comprehendit, tunc omnia scit inferior intellectus in illis quae superior, non tamen ita bene: et ideo cum anima Christi comprehendit creaturas, scit omnia quae sunt in creatura vel actu vel potentia ipsius, non tamen ita limpide sicut Deus.

4. Dieu sait par son essence ce que Dieu peut faire, ce que ne sait pas l’âme du Christ. C’est pourquoi Dieu en sait davantage sous cet aspect. De plus, cela se produit pour ce qu’une intelligence inférieure ne comprend pas. En effet, s’il comprend tout, l’intellect inférieur sait alors tout de ce que sait [l’intellect] supérieur, mais non pas aussi bien. Puisque l’âme du Christ comprend les créatures, elle sait donc tout ce qui existe dans la créature soit en acte, soit dans sa puissance, mais non pas aussi clairement que Dieu.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [9208] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod claritas vel limpiditas visionis contingit ex tribus. Primo ex efficacia virtutis visivae: quia qui sunt fortioris visus, magis limpide vident. Secundo ex claritate lucis sub qua claritate visibile videtur; sicut clarius videtur aliquid in lumine solis quam in lumine lunae. Tertio ex comparatione visibilis, vel ejus in quo aliquid videtur, ad videntem: quia quod a remotiori videtur, minus clare videtur. Et propter haec tria non potest anima Christi ita limpide videre ea quae videt in verbo, sicut ipsum verbum. Primo, quia non habet tantum virtutem in intelligendo; secundo, quia lumen sub quo videt, deficit a lumine increato; tertio quia essentia divina, quae est exemplar rerum, in quo res videntur, est magis conjuncta Deo quam alicui creaturae, quia est idem secundum rem.

La clarté ou la limpidité de la vision vient de trois choses. Premièrement, de l’efficacité de la puissance de la vision, car ceux qui ont une vision plus puissante voient avec plus de limpidité. Deuxièmement, de la clarté de la lumière par laquelle ce qui peut être vu est vu ; ainsi, quelque chose est vu plus clairement à la lumière du soleil qu’à la lumière de la lune. Troisièmement, de la comparaison entre ce qui peut être vu ou ce en quoi quelque chose est vu, et celui qui voit, car ce qui est vu de loin est vu moins clairement. Pour ces trois raisons, l’âme du Christ ne peut voir aussi clairement que le Verbe lui-même ce qu’elle voit dans le Verbe. Premièrement, parce qu’elle n’a pas une aussi grande puissance d’intellection ; deuxièmement, parce que la lumière par laquelle elle voit n’est pas égale à la lumière incréée ; troisièmement, parce que l’essence divine, qui est le modèle de toutes choses dans lequel les choses sont vues, est plus unie à Dieu qu’une créature, car elle est en réalité identique.

 [9209] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod anima Christi est speculum clarissimum respectu creaturarum; non tamen pertingit ad claritatem divinam. Nec ex hoc sequitur quod sit in eo aliqua obscuritas, sicut nec in minus albo est aliqua nigredo, sed albedo minus intensa.

1. L’âme du Christ est un miroir très clair par rapport aux créatures ; elle n’égale cependant pas la clarté divine. Il ne découle pas de cela qu’il existe en elle quelque obscurité, comme du noir dans ce qui est moins blanc, mais une blancheur moins intense.

 [9210] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis limpiditas cognitionis divinae in infinitum excedat limpiditatem cognitionis animae Christi; non tamen sequitur quod possit esse alia creatura limpidius cognoscens quam anima Christi: quia pervenit ad ultimum gradum creaturae possibilem, sicut supra dictum est de gratia ejus.

2. Bien que la limpidité de la connaissance divine dépasse infiniment la limpidité de la connaissance de l’âme du Christ, il n’en découle cependant pas qu’il puisse exister une autre créature qui connaisse de manière plus limpide que l’âme du Christ, car elle atteint le degré ultime possible pour une créature, comme on l’a dit plus haut à propos de sa grâce.

 [9211] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod limpiditas intelligendi non est tantum ex parte intelligibilis; sed etiam ex parte intelligentis. Unde quamvis aliqua res ab anima Christi sciatur secundum omnem suam cognoscibilitatem, tamen melius cognoscitur ab ipso Deo quantum ad modum intelligentis; eo quod minimum intelligibile intelligit claritate infinita, sicut etiam rem parvam creat potentia infinita.

3. La limpidité de l’intelligence ne vient pas seulement de ce qui est intelligible, mais aussi de celui qui comprend. Bien qu’une chose soit connue par l’âme du Christ selon tout ce en quoi elle peut être connue, elle est cependant mieux connue par Dieu lui-même pour ce qui est du mode de celui qui connaît, du fait qu’il intellige ce qui est le moins intelligible avec une clarté infinie, comme il crée aussi une petite chose par sa puissance infinie.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

 [9212] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod ratio quam assignant philosophi, quare intellectus noster non potest simul plura intelligere, est haec, quia oportet quod intellectus figuretur specie rei intelligibilis. Impossibile est autem quod simul figuretur pluribus speciebus, sicut impossibile est quod corpus simul figuretur pluribus figuris. Et ideo si aliqua cognoscuntur per unam speciem, illa nihil prohibet simul cognosci; sicut homo intelligens quidditatem hominis, simul intelligit animal et rationale: et propter hoc etiam intelligens propositionem, simul intelligit praedicatum et subjectum, quia intelligit ea ut unum. Et ideo, cum anima Christi intelligit omnia quae sunt in uno, scilicet verbo, etiam simul et uno intuitu omnia cognoscit actu. Et similiter est de aliis beatis quantum ad omnia quae in verbo vident; secus autem est de illis quae vident per species diversas, quae simul videre non possunt.

La raison que donnent les philosophes pour expliquer que notre intellect ne peut intelliger plusieurs choses en même temps est celle-ci : il est nécessaire que l’intellect soit formé par l’espèce de la réalité intelligible. Or, il est impossible qu’il soit simultanément formé par plusieurs espèces, comme il est impossible qu’un corps prenne la forme de plusieurs figures. C’est pourquoi, si certaines choses connues par une seule espèce, rien n’empêche que ces choses soient simultanément connues, comme un homme qui intellige la quiddité de l’homme intellige simultanément « animal » et « raisonnable ». Pour la même raison, celui qui intellige une proposition intellige simultanément le prédicat et le sujet, car il les intellige comme une seule chose. Puisque l’âme du Christ intellige toutes les choses qui se trouvent dans une seule, le Verbe, il connaît donc tout en acte simultanément et d’un seul regard. De même en est-il des bienheureux pour tout ce qu’ils voient dans le Verbe. Mais il en va autrement de ceux qui voient par des espèces différentes, qui ne peuvent voir simultanément.

 [9213] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quando plura intelliguntur in uno, omnia illa sunt ut unum intelligibile: et per hoc servatur verbum philosophi.

1. Lorsque plusieurs choses sont intelligées dans une seule chose, toutes ces choses sont comme un seul intelligible. Ainsi est sauvegardée la parole du Philosophe.

 [9214] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod verbum non videt infinita per scientiam visionis, ut dictum est et de hac verum est quod anima Christi videt quaecumque videt verbum. Si tamen infinita videret, praedicta positione facta quod generatio semper duraret, non sequeretur quod transiret in infinita: quia non videret ea pertranseundo de uno in alius; sed in uno simplici tam Deus quam anima Christi.

2. Le Verbe ne voit pas des choses infinies par la science de vision, comme on l’a dit, et il est vrai de celle-ci que l’âme du Christ voit tout ce que voit le Verbe. Cependant, s’il voyait des choses infinies, en supposant que la génération durerait toujours, il n’en découlerait pas qu’elle passerait par des choses infinies, car elle ne les verrait pas en passant de l’une à l’autre, mais aussi bien Dieu que l’âme du Christ [les verraient] dans une seule réalité simple.

 [9215] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod omnia quae anima Christi videt in verbo, videt una operatione; non tamen illa operatio est infinita in se, sed materialiter, quia transit super infinita, praedicta positione stante de duratione mundi, sicut etiam dictum est de virtute intelligendi.

3. Tout ce que voit l’âme du Christ dans le Verbe, elle le voit par une seule opération ; cependant, cette opération n’est pas infinie en elle-même, mais d’un point de vue matériel, car elle passe par des choses infinies, en maintenant la position à propos de la durée du monde, comme on l’a aussi dit de la puissance d’intellection.

 [9216] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod unus Angelus non illuminatur ab alio de his quae illuminatus videt in verbo, sed de his quae non videt, quae superior videt vel in verbo, vel in lumine alterius Angeli magis sibi proportionato, in quo sunt formae magis particulares; sicut inferiores Angeli illuminantur a mediis de his quae ipsi in verbo non vident; medii autem vident vel in verbo, vel per illuminationem superiorum Angelorum.

4. Un ange n’en éclaire pas un autre à propos de ce qu’il voit dans le Verbe en étant éclairé, mais à propos de ce qu’il ne voit pas, que [l’ange] supérieur voit soit dans le Verbe, soit par la lumière d’un autre ange qui lui est plus proportionnée, dans lequel existent des formes plus particulières. Ainsi, les anges sont illuminés par les anges intermédiaires à propos de qu’ils ne voient pas dans le Verbe, mais les anges intermédiaires voient soit dans le Verbe, soit par une illumination par des anges supérieurs.

 

 

Articulus 3 [9217] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 tit. Utrum anima Christi, secundum illam scientiam qua cognoscit res in propria natura, cognoscat omnia

Article 3 – L’âme du Christ connait-elle tout de la connaissance par laquelle elle connaît les choses dans leur nature propre ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [L’âme du Christ connait-elle tout de la connaissance par laquelle elle connaît les choses dans leur nature propre ?]

 [9218] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod secundum illam scientiam qua anima Christi scit res in propria natura, sciat omnia. Omnis enim potentia quae non est reducta ad actum, est imperfecta. Sed intellectus possibilis animae Christi est in potentia ad omnia intelligibilia: quia est quodammodo omnia fieri, ut dicit in 3 de anima. Ergo si non omnia sciret per proprias similitudines, remaneret imperfectus.

1. Il semble que l’âme du Christ connaît tout de la connaissance par laquelle elle connaît les choses dans leur nature propre. En effet, toute puissance qui n’est pas amenée à l’acte est imparfaite. Or, l’intellect possible de l’âme du Christ est en puissance à tous les intelligibles, car il devient en quelque sorte toutes choses, comme on le dit dans Sur l’âme, III. Si [l’âme du Christ] ne connaissait pas toutes choses par leurs propres similitudes, elle demeurerait donc imparfaite.

 [9219] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, haec est natura intellectus, per quam differt a sensu, quod quanto intellectus plura et difficiliora intelligit, tanto magis potest alia leviora intelligere. Sed quod est hujusmodi, nihil prohibet quin omnia capere posset. Ergo anima Christi etiam in propria natura omnia cognoscit.

2. La nature de l’intellect, par laquelle elle diffère du sens, est telle que plus l’intellect intellige de choses et des choses plus difficiles, plus il peut en intelliger de plus légères. Or, rien n’empêche que ce qui est ainsi puisse tout saisir. L’âme du Chrit connaît donc toutes choses selon leur propre nature.

 [9220] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, magis impediunt se opposita, ut non possint esse simul, quam quaelibet alia. Sed species oppositorum non impediunt se quin sint simul in anima: quia simul homo habet scientiam albi et nigri. Ergo multo minus aliquae aliae species impediunt se invicem ut non possint esse simul; et sic idem quod prius.

3. Les choses opposées s’empêchent d’exister simultanément davantage que toutes les autres choses. Or, es espèces des choses opposées n’empêchent pas qu’elles existent simultanément dans l’âme, car l’homme possède en même temps la connaissance du blanc et du noir. Encore bien moins certaines autres espèces s’empêchent-elles donc d’exister simultanément. La conclusion est ainsi la même que précédemment.

 [9221] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, non possunt omnia cognosci in quo non sunt omnia. Sed omnia non possunt esse in uno habitu creato. Ergo cum scientia quam habet Christus de rebus in propria natura, sit per aliquem habitum creatum, non potest per illam scientiam omnia cognoscere.

Cependant, [1] tout ne peut être connu là où tout n’existe pas. Or, tout ne peut exister dans un seul habitus créé. Puisque la connaissance que le Christ possède des choses selon leur nature propre vient d’un habitus créé, il ne peut donc tout connaître par cette science.

 [9222] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, per illam scientiam Christus conformatur nobis. Sed nos non possumus scire omnia. Ergo nec Christus secundum hanc scientiam scivit omnia.

 [2] Le Christ nous est conforme par cette connaissance. Or, nous ne pouvons pas nous-mêmes connaître tout. Donc, ni le Christ ne connaît tout selon cette science.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Cette science du Christ est-elle inférieure à celle des anges ?]

 [9223] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod hanc scientiam Christus habuit minorem Angelis. Quia quanto intellectus est simplicior, tanto ejus naturalis scientia est major. Sed intellectus angelicus est simplicior quam anima Christi: quia intellectus Christi non excedit terminos humanae naturae, ultra quos est simplicitas intellectus angelici. Ergo intellectus angelicus habet majorem scientiam quam est scientia naturalis animae Christi.

1. Il semble que cette science du Christ soit inférieure à celle des anges, car plus un intellect est simple, plus grande est sa science. Or, l’intellect angélique est plus simple que l’âme du Christ, car l’intellect du Christ ne dépasse pas les limites de la nature humaine, au-delà desquelles se trouve la simplicité de l’intellect angélique. L’intellect angélique possède donc une science plus grande que la science naturelle de l’âme du Christ.

 [9224] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, quanto intellectus est magis propinquus materiae, tanto est debilior in cognoscendo. Sed intellectus Christi, cum sit forma materialis corporis Christi, est magis propinquus materiae quam angelicus. Ergo debilius cognoscit; et sic idem quod prius.

2. Plus un intellect est proche de la matière, plus il est faible pour connaître. Or, l’intellect du Christ, puisqu’il est la forme du corps matériel du Christ, est plus proche de la matière que [l’intellect] angélique. Il connaît donc plus faiblement. La conclusion est ainsi la même que précédemment.

 [9225] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, sicut dicit Isaac, ratio oritur in umbra intelligentiae. Intelligentiam autem vocat Angelum. Cum ergo Christus habeat intellectum rationalem, videtur quod ejus scientia sit minor quam Angelorum.

3. Comme le dit Isaac, « la raison apparaît dans l’ombre de l’intelligence ». Or, il appelle « intelligence » celle des anges. Puisque le Christ possède une intelligence raisonnable, il semble donc que sa science soit inférieure à celle des anges.

 [9226] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, Hebr. 2 dicitur, quod Christus minoratus est ab Angelis solum propter passionem. Ergo scientiam habet eis potiorem.

Cependant, [1] il est dit en He 2 que le Christ a été inférieur aux anges seulement en raison de sa passion. Il possède donc une science plus puissante que la leur.

 [9227] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, sicut dicit Dionysius, ipse Christus secundum quod homo, docet Angelos. Ergo majorem scientiam habet quam illi.

 [2] Comme le dit Denys, « le Christ lui-même, en tant qu’homme, enseigne aux anges ». Il a donc une science plus grande qu’eux.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Le Christ a-t-il eu une science à caractère délibératif ?]

 [9228] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod Christus non habuit scientiam per modum collationis. Quia, sicut dicit Damascenus, in Christo non inquirimus consilium neque electionem. Sed haec pertinent ad collationem practicam. Ergo eadem ratione non fuit in eo collatio quantum ad speculativam.

1. Il semble que le Christ n’ait pas eu une science à caractère délibératif, car, ainsi que le dit [Jean] Damascène, « nous ne cherchons chez le Christ ni conseil ni choix ». Or, ceci relève de la délibération pratique. Pour la même raison, il n’a pas existé en lui de délibération à propos de la science spéculative.

 [9229] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, discursus rationis opponitur deiformitati. Sed anima Christi tota fuit deiformis. Ergo non habet scientiam collativam.

2. Le discours de la raison est contraire au caractère divin. Or, l’âme du Christ était tout entière déiforme. Elle ne possède donc pas de science délibérative.

 [9230] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 3 Praeterea, discursus rationis, ut dicit Isaac, contingit ex hoc quod habet lumen obumbratum. Sed in anima Christi nulla fuit obumbratio nec obscuritas. Ergo nec habuit scientiam per modum collationis.

3. « Le discours de la raison, comme le dit Isaac, provient de ce qu’elle possède une lumière ombragée. » Or, il n’y avait rien d’ombragé ni aucune obscurité dans l’âme du Christ. Il n’avait donc pas la science par mode de délibération.

 [9231] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, Christus assumpsit omnia naturalis quae consequuntur naturam humanam. Ergo assumpsit rationem. Sed rationis actus est inquirere et conferre. Ergo ipse habuit scientiam collativam.

Cependant, [1] le Christ a assumé tous les éléments naturels (corr. naturalis/naturalia) qui découlent de la nature humaine. Or, l’acte de la raison consiste à rechercher et à délibérer. Il avait donc une science délibérative.

 [9232] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, opponere et respondere pertinent ad scientiam collativam. Sed Christus exercuit officium opponentis et respondentis, ut dicitur Luc. 2. Ergo ipse habuit scientiam collativam.

 [2] S’opposer et répondre appartiennent à la science délibérative. Or, le Christ a exercé la fonction d’opposant et de répondant, comme il est dit en Lc 2. Il avait donc une science délibérative.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Cette connaissance était-elle divisée en plusieurs habitus ?]

 [9233] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod per plures habitus haec scientia divisa fuerit. Quia scientia sua fuit univoca scientiae nostrae. Sed nostra scientia est de omnibus quae Christus scivit, per plures habitus. Ergo et scientia Christi.

1. Il semble que cette connaissance ait été divisée en plusieurs habitus, car sa connaissance était univoque par rapport à notre connaissance. Or, notre connaissance se porte par plusieurs habitus sur tout ce que le Christ a connu. Donc, la connaissance du Christ aussi.

 [9234] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 2 Praeterea, sicut dicit philosophus, scientiae secantur sicut et res. Sed Christus habuit scientiam de diversis rebus. Ergo habuit diversos habitus scientiarum.

2. Comme le dit le Philosophe, les sciences se divisent comme les réalités. Or, le Christ avait la science de différentes choses. Il avait possédait donc les divers habitus des sciences.

 [9235] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 3 Praeterea, scientiae dividuntur secundum diversas rationes cognoscendi. Sed quantum ad hanc scientiam pertinet, ipse non eadem specie sive ratione omnia cognovit, sed pluribus. Ergo non habuit unum tantum habitum scientiae, sed plures.

3. Les sciences se divisent selon diverses raisons de connaître. Or, en ce qui concerne cette science, il ne connaissait pas tout par une même espèce ou raison, mais par plusieurs. Il ne possédait donc pas seulement un seul habitus de science, mais plusieurs.

 [9236] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 4 s. c. 1 Sed contra, scientia Christi fuit perfectissima, sed scientia quanto magis est una, tanto magis est perfecta, ut patet per Dionysium, et per librum de causis. Ergo magis scivit omnia per unum habitum.

Cependant, [1] la science du Christ était très parfaite. Or, plus une science est une, plus elle est parfaite, comme cela ressort de Denys et du Livre sur les causes. Il a donc tout connu par un seul habitus.

 [9237] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 4 s. c. 2 Praeterea, scientia regitiva plurium artium non diversificatur per illas artes, sed est unus habitus; sicut patet de militari respectu omnium scientiarum quae sub ea sunt. Sed scientia Christi fuit regitiva, et quasi architectonica, respectu omnium humanarum scientiarum. Ergo ipse per unum habitum omnia scivit quae ad hanc scientiam pertinent.

 [2] La science qui dirige plusieurs arts ne se diversifie pas selon ces arts, mais elle est un seul habitus, comme cela ressort des rapports entre [la science] militaire et toutes les sciences qui lui sont subordonnées. Or, la science du Christ était rectrice et, pour ainsi dire, architectonique par rapport à toutes les sciences. Il a donc connu tout ce qui releve de cette science par un seul habitus.

Quaestiuncula 5

Sous-question 5 – [L’âme du Christ a-t-elle progressé dans cette science ?]

 [9238] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 5 arg. 1 Ulterius. Videtur quod in ista scientia profecerit. Hebr. 5, 8: didicit ex iis quae passus est, obedientiam. Sed discere est in scientia proficere. Ergo in scientia profecit.

1. Il semble qu’il n’ait pas progressé dans cette science. He 5, 8 : Il a appris l’obéissance par ce qu’il a souffert. Or, apprendre, c’est progresser dans la science. Il a donc progressé dans la science.

 [9239] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 5 arg. 2 Praeterea, non proficere in his quae quis proficere potest, est magnus defectus. Sed in omni scientia qua quis non omnia scit, potest proficere. Ergo cum Christus secundum hanc scientiam non omnia sciverit, videtur quod potuerit proficere, et ita profecerit in ea.

2. Ne pas progresser là où quelqu’un peut progresser est une grande carence. Or, en toute science par laquelle quelqu’un ne connaît pas tout, il peut progresser. Puisque le Christ n’aura pas connu tout selon cette science, il semble qu’il aura pu progresser, et ainsi qu’il aura progressé en elle.

 [9240] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 5 arg. 3 Praeterea, intellectus agens in ipso abstrahebat species a phantasmatibus; et hic est actus ejus, alias frustra assumpsisset eum. Sed species abstracta a phantasmatibus recipitur in intellectu possibili. Ergo semper in Christo plures species recipiebantur in intellectu possibili ejus. Ergo proficiebat in scientia.

3. L’intellect agent abstrayait les espèces à partir des phantasmes: tel est son acte, autrement, il l’aurait assumé en vain. Or, l’espèce abstraite des phantasmes est reçue dans l’intellect possible. Plusieurs espèces étaient donc toujours reçues chez les Christ par son intellect possible. Il progressait donc dans la science.

 [9241] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 5 arg. 4 Praeterea, hoc patet per auctoritatem Ambrosii superius inductam.

4. Cela ressort de l’autorité d’Augustin invoquée plus haut.

 [9242] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 5 s. c. 1 Sed contra, Damascenus dicit: qui dicunt Christum proficere sapientia et gratia, ut additamentum suscipientem, non eam quae secundum hypostasim est, unionem venerantur. Sed illa unio omnino veneranda est. Ergo non debemus dicere, quod in scientia profecerit.

Cependant, [Jean] Damascène dit : « Ceux qui disent que le Christ a progressé en sagesse et en grâce, comme s’il recevait un ajout, ne vénèrent pas l’union qui est réalisée selon l’hypostase. » Or, cette union doit être en tout vénérée. Nous ne devons donc pas dire qu’il a progressé en science.

Quaestiuncula 6

Sous-question 6 – [A-t-il reçu quelque chose des anges pour cette science ?]

 [9243] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 6 arg. 1 Ulterius. Videtur quod ab Angelis quantum ad hanc scientiam accepit. Dionysius enim dicit: per Angelos videmus eum sub paternis legibus ordinatum. Sed quod ordinatur, aliquid ab ordinante accipit. Ergo Christus aliquid ab Angelis accepit.

1. Il semble qu’il n’ait rien reçu des anges pour cette science. En effet, Denys dit : « Nous voyons qu’il a été soumis par les anges aux lois ancestrales. » Or, ce qui est soumis reçoit quelque chose de celui qui soumet. Le Christ a donc reçu quelque chose des anges.

 [9244] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 6 arg. 2 Praeterea, Luc. 22, 43, dicitur, quod apparuit Angelus domini confortans eum. Sed confortatus accipit aliquid a confortante. Ergo et Christus ab Angelo.

2. Il est dit en Lc 22, 43 qu’un ange du Seigneur lui est apparu pour le réconforter. Or, celui qui est réconforté reçoit quelque chose de celui qui réconforte. Le Christ aussi a donc reçu quelque chose d’un ange.

 [9245] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 6 arg. 3 Praeterea, Christus, dum fuit in terra, voluit subdi legalibus ordinationibus, factus sub lege, Galat. 4. Sed legalis observantia est minoris dignitatis quam caelestis hierarchia. Ergo et ordini caelestis hierarchiae subdi debuit. Haec autem est lex caelestis hierarchiae ut homines ab Angelis suscipiant, ut dicit Dionysius. Ergo ipse ab Angelis suscepit.

3. Pendant qu’il était sur la terre, le Christ a voulu être soumis aux ordonnances légales : soumis à la loi, Ga 4. Or, l’observance de la loi est d’une moindre dignité que la hiérarchie céleste. Il devait donc être soumis à l’ordre de la hiérarchie céleste. Or, la loi de la hiérarchie céleste est que les hommes reçoivent de la part des anges, comme le dit Denys. Il a donc reçu de la part des anges.

 [9246] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 6 arg. 4 Praeterea, corpus ejus impressionem suscepit a corporibus caelestibus. Ergo pari ratione anima a spiritibus caelestibus.

4. Son corps a reçu l’influence des corps célestes. Pour la même raison, son âme en a-t-elle reçu une des esprits célestes.

 [9247] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 6 s. c. 1 Sed contra, superioris non est ab inferiori recipere. Sed Christus etiam secundum humanam naturam Angelis superior fuit, et caput, ut supra dictum est, dist. 13, quaest. 2, art. 2, quaestiunc. 2. Ergo ab eis non recepit.

Cependant, [1] un supérieur n’a pas à recevoir d’un inférieur. Or, le Christ, même selon sa nature humaine, était supérieur aux anges et leur tête, comme on l’a dit plus haut, d. 13, q. 2, a. 2, qa 2. Il ne reçoit donc pas d’eux.

 [9248] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 6 s. c. 2 Praeterea, quod immediate accipit a verbo non habet necesse ab Angelis accipere. Sed anima Christi immediate accipit a verbo sibi unito. Ergo non recipit ab Angelis.

 [2] Ce qui reçoit immédiatement du Verbe n’a pas nécessairement à recevoir de la part des anges. Or, l’âme du Christ reçoit immédiatement du Verbe qui lui est uni. Elle ne reçoit donc pas de la part des anges.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [9249] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Respondeo ad primam quaestionem dicendo, quod cognitio rerum in proprio genere et cognitio rerum in verbo differunt, non quantum ad res cognitas, sed quantum ad medium cognoscendi, quod est id in quo res cognoscitur: quia cognitio quae est rerum in verbo, habet medium cognoscendi ipsum verbum; cognitio autem rerum in proprio genere, habet medium cognoscendi rerum similitudines, quae sunt in intellectu. Medium autem cognoscendi, quod est lumen sub quo res videtur, utrobique creatum est: hoc enim vel est lumen naturale, sicut in his quae cognoscuntur per rationem naturalem: vel lumen gratiae, sicut in his quae cognoscuntur per fidem et revelationem. Christus autem perfectus fuit secundum animam, et secundum naturam, et secundum gratiam. Non autem perfectio animae quantum ad naturam esset in ipso, nisi omnia cognosceret hoc genere cognitionis quae per rationem naturalem cognosci possunt; nec etiam esset perfectus in gratia, nisi omnia quae ad revelationem gratiae pertinent in hominibus, sive in Angelis, cognovisset; et ideo anima ejus hoc genere cognitionis omnia cognovit. Sed quia similitudo creata deficit a repraesentatione substantiae increatae, ideo hoc genere cognitionis non cognovit ipsam essentiam increatam; nec alia omnia quae ad perfectionem intellectivae partis non pertinent, neque secundum naturam neque secundum gratiam, sicut sunt gesta particularium hominum, et hujusmodi; quae tamen omnia cognovit in verbo. Et ideo dicendum, quod hoc genere cognitionis non cognovit omnia simpliciter.

La connaissance des choses selon leur genre propre et la connaissance des choses dans le Verbe diffèrent non pas par les choses connues, mais par le moyen de connaître, qui est ce en quoi une chose est connue. En effet, la connaissance des choses dans le Verbe a comme moyen de connaître le Verbe lui-même ; mais la connaissance des choses selon leur genre propre a comme moyen de connaître des similitudes des choses qui sont dans l’intellect. Or, le moyen de connaître, qui est la lumière sous laquelle une chose est vue, est créé dans les deux cas. En effet, il est soit la lumière naturelle, comme pour ce qui est connu par la raison naturelle, soit la lumière de la grâce, comme pour ce qui est connu par la foi et la révélation. Or, le Christ était parfait dans son âme, tant selon la nature que selon la grâce. Mais la perfection de l’âme n’existerait pas chez lui pour ce qui est de la nature, s’il ne connaissait pas tout ce qui peut être connu par le genre de connaissance qui se réalise par la raison naturelle ; il ne serait pas non plus parfait en grâce, s’il n’avait connu tout ce qui se rapporte à la révélation de la grâce pour les hommes comme pour les anges. Aussi son âme a-t-elle connu tout par ce genre de science. Or, parce qu’une similitude créée ne parvient pas à représenter la substance incréée, il ne connaissait donc pas, par ce genre de science, l’essence incréée elle-même, ni toutes les autres choses qui ne sont pas en rapport avec la perfection de la partie intellective, ni selon la nature ni selon la grâce, tels les actes des hommes particuliers et les choses de ce genre, qu’il a cependant connus dans le Verbe. Il faut donc dire qu’il n’a pas simplement tout connu par ce genre de science.

 [9250] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ex hac ratione non concluditur nisi quod cognoverit omnia quae per rationem naturalem cognosci possunt: quia sicut materia prima est in naturali potentia tantum ad illas formas quae per agens naturale produci possunt, quamvis Deus alia ex materia illa facere possit; ita etiam intellectus possibilis est in potentia naturali eorum tantum quae per lumen intellectus agentis cognosci possunt: et si haec tantum cognosceret, imperfectus non esset; sed Deus ex liberalitate sua infundit amplius lumen gratiae, per quod etiam plura intellectus possibilis cognoscit.

1. De ce raisonnement, on ne conclut pas qu’il connaissait tout ce qui peut être connu par la raison naturelle, car, de même que la matière première n’est que naturellement en puissance par rapport aux formes qui peuvent être produites par un agent naturel (bien que Dieu puisse réaliser autre chose à partir de cette matière première), de même aussi l’intellect possible n’est-il naturellement en puissance que de ce qui peut être connu par la lumière de l’intellect agent, et s’il ne connaissait que cela, il ne serait pas imparfait. Mais Dieu, en sa libéralité, a versé en plus la lumière de la grâce, par laquelle l’intellect possible connaît aussi davantage de choses.

 [9251] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod per ea quae intellectus intelligit, non ampliatur capacitas, nisi respectu eorum intelligibilium quae sunt ejusdem generis; sicut quantumcumque homo sit instructus in scientiis physicis, nunquam pervenit ad cognitionem eorum quae sunt fidei, vel prophetiae, nisi lumen amplius addatur; et ita quantumcumque amplietur capacitas ejus ad intelligendum res in proprio genere, nunquam perveniet ad videndum divinam essentiam, vel res aliquas in ea.

2. Par ce que l’intellect intellige, sa capacité n’est agrandie que par rapport aux intelligibles qui sont du même genre ; ainsi, aussi souvent qu’un homme reçoive un enseignement dans les sciences physiques, il ne parvient jamais à la connaissance de ce qui relève de la foi ou de la prophétie, à moins qu’une lumière plus grande ne soit ajoutée. Ainsi, aussi grande que devienne sa capacité de comprendre des choses dans son propre genre, il ne parviendra jamais à voir l’essence divine ou certaines choses en elle.

 [9252] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non negatur omnia cognoscere hujusmodi cognitionis genere anima Christi, quia species se invicem in intellectu impediant; sed quia quaedam cognoscibilia excedunt omnem speciem creatam, sicut essentia divina; quorumdam vero similitudines et cognitiones non sunt de perfectione intellectus humani.

3. On ne nie pas que l’âme du Christ connaisse tout par ce genre de connaissance, parce que les espèces se contrarient l’une l’autre dans l’intellect, mais parce que certaines choses qui peuvent être connues dépassent toute espèce créée, comme l’essence divine, dont les similitudes et les connaissances ne relèvent pas de la perfection de l’intellect humain.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [9253] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod ad cognitionem intellectivam tria requiruntur; scilicet potentia intellectus, lumen quo intelligit, et similitudo rei per quam cognitio rei determinatur; et secundum haec tria potest aliqua cognitio esse altera potior tripliciter. Primo quantum ad efficaciam cognoscendi, sive certitudinem cognitionis, sive limpiditatem, quod idem est, quae ex ipso lumine consequitur; et sic cum Christus abundanter lumen gratiae habuerit magis quam Angeli, habuit limpidiorem cognitionem quam Angeli. Secundo potest esse aliqua cognitio potior alia quantum ad similitudinem cognitorum, quae attenditur secundum species; et secundum hoc etiam Christus perfectiorem cognitionem habuit quam Angeli: quia plurium species sibi infusae fuerunt quam Angelis concreatae et infusae; unde etiam de his quae ad illuminationes hierarchicas pertinent, Christus Angelos illuminavit, ut dicit Dionysius. Tertio potest esse aliqua cognitio altera nobilior quantum ad genus cognitionis, quod consequitur naturam potentiae intellectivae; et quia Christus cognovit intellectu possibili, cujus est objectum phantasma, ideo cognovit ea cum continuo et tempore, utens phantasmatibus quasi objectis intellectus, non quidem sicut ab eis speciem accipiens, sed sicut species circa ea ponens, sicut contingit in eo qui habet habitum, et actu aliqua considerat. Hoc autem genere cognitionis Angeli non cognoscunt; sed aliquo altiori secundum ordinem naturae, scilicet sine continuo et tempore.

Pour la connaissance intellectuelle, trois choses sont requises : la puissance de l’intellect, la lumière par laquelle il intellige et une similitude d’une chose, par laquelle la connaissance d’une chose est déterminée. Selon ces trois choses, une connaissance peut être plus puissante de trois manières. Premièrement, pour ce qui est de l’efficacité de la connaissance, ou de la certitude ou de la limpidité de la connaissance, ce qui est la même chose, qui découlent de la lumière elle-même : et ainsi, puisque le Christ a eu en abondance la lumière de la grâce plus que les anges, il a eu une connaissance plus limpide que les anges. Deuxièmement, une connaissance peut être plus puissante qu’une autre pour ce qui est de la similitude des choses connues, qui se prend des espèces : de cette manière, le Christ aussi a eu une connaissance plus parfaite que les anges, car il a possédé un plus grand nombre d’espèces infuses concréées et infuses que les anges ; aussi, même pour ce qui relève des illuminations hiérarchiques, le Christ a-t-il illuminé les anges, comme le dit Denys. Troisièmement, une connaissance peut être plus noble qu’une autre pour ce qui est du genre de connaissance, ce qui découle de la nature de la puissance intellective. Et parce que le Christ a connu par l’intellect possible, dont l’objet est le phantasme, il a donc connu ces choses de manière continue et dans le temps, en recourant aux phantasmes comme objets de l’intellect, non pas en recevant d’eux une espèce, mais en proposant des espèces à leur sujet, comme cela se produit chez celui qui possède un habitus et considère quelque chose en acte. Or, les anges ne connaissent pas par ce genre de connaissance, mais selon un genre plus élevé dans l’ordre de nature, à savoir sans continu et sans temps.

 [9254] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ista cognitio non fuit solum in Christo secundum proportionem virtutis quae debetur humanae naturae; sed secundum quod humana natura perfecta est per gratiam, quae fuit potior in Christo quam in Angelis; unde et perfectiorem scientiam habuit simpliciter.

1. Cette connaissance n’a pas existé chez le Christ seulement selon la proportion de puissance qui revient à la nature humaine, mais selon que la nature humaine a été perfectionnée par la grâce, qui était plus puissante chez le Christ que chez les anges. Il a donc eu une science simplement plus parfaite.

 [9255] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ex hoc quod intellectus possibilis est propinquius materiae, non habet defectum in cognoscendo, nisi quantum ad genus cognitionis; quia enim talis est natura ejus ut corpori uniatur ut forma, ideo tali genere cognitionis cognoscit, utendo scilicet corporis instrumentis. Sed multitudo cognitorum non est ex natura intellectus possibilis, sed ex speciebus intelligibilibus; limpiditas vero ex lumine intellectus agentis, vel ex aliquo superiori lumine.

2. Du fait que l’intellect possible est plus proche de la matière, il n’a de déficience pour connaître que pour ce qui est du genre de connaissance : en effet, parce que sa nature est telle qu’il est uni au corps comme forme, il connaît donc par ce genre de connaissance, en utilisant des intruments du corps. Mais la multitude des choses connues ne vient pas de la nature de l’intellect possible, mais des espèces intelligibles ; cependant, la limpidité vient de la lumière de l’intellect agent ou d’une lumière supérieure.

 [9256] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod obumbratio illa intelligitur quantum ad hoc quod intelligit cum continuo et tempore.

3. Ce caractère ombragé s’entend du fait qu’il intellige de manière continue et dans le temps.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [9257] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod ex hoc ipso quod intellectus noster accipit a phantasmatibus, sequitur in ipso quod scientiam habeat collativam, inquantum ex multis sensibus fit una memoria, et ex multis memoriis unum experimentum, et ex multis experimentis unum universale principium, ex quo alia concludit; et sic acquirit scientiam, ut dicitur in 1 Metaph., et in fine posteriorum, Lib. 2, text. 37; unde secundum quod se habet intellectus ad phantasmata, secundum hoc se habet ad collationem. Habet autem se ad phantasmata dupliciter. Uno modo sicut accipiens a phantasmatibus scientiam, quod est in illis qui nondum scientiam habent, secundum motum qui est a rebus ad animam. Alio modo secundum motum qui est ab anima ad res, inquantum phantasmatibus utitur quasi exemplis, in quibus inspicit quod considerat, cujus tamen scientiam prius habebat in habitu. Similiter etiam est duplex collatio: una qua homo procedit ex notis ad inquisitionem ignoti; et talis collatio non fuit in Christo; alia secundum quam homo ea quae habitu tenet, in actum ducens, ex principiis considerat conclusiones sicut ex causis effectus; et talis collativa scientia fuit in Christo.

Du fait que notre intellect reçoit à partir des phantasmes, découle pour lui qu’il possède une science délibérative, pour autant qu’à partir de plusieurs connaissance se réalise une seule mémoire, à partir de multiples mémoires une seule expérience, et à partir de multiples expériences un seul principe universel, à partir duquel il conclut d’autres choses. C’est ainsi qu’il acquiert la science, comme on le dit dans Métaphysique, I, et à la fin des Postérieurs [analytiques], II, texte 37. Aussi, selon le rapport de l’intellect aux phantasmes, tel est son rapport avec le rapprochement. Or, son rapport aux phantasmes est double. D’une manière, il reçoit la connaissance à partir des phantasmes selon un mouvement qui va des choses vers l’âme, ce qui se produit chez ceux qui n’ont pas encore la science. D’une autre manière, selon le mouvement qui va de l’âme aux choses, pour autant qu’elle utilise des phantasmes comme des exemples, dans lesquels elle observe ce qu’elle regarde, dont elle avait cependant la science antérieurement. De même aussi, existe-t-il une double rapprochement. L’un, par lequel l’homme procède de ce qu’il connaît vers la recherche de ce qui est inconnu : un tel rapprochement n’existait pas chez le Christ. L’autre, selon lequel l’homme, en amenant à l’acte ce qu’il possède par habitus, considère des conclusions à partir des principes comme des effets à partir des causes : une telle science comparative existait chez le Christ.

 [9258] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Damascenus loquitur quantum ad primum modum collationis; unde subdit: non enim habuit ignorantiam.

1. [Jean] Damascène parle du premier mode de rapprochement. Aussi ajoute-t-il : « En effet, il n’était pas ignorant. »

 [9259] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod discursus rationis non opponitur deiformitati quae est per gratiam, sed quae est per ordinem naturae. Deus enim non accipit cognitionem a phantasmatibus; unde anima recedit a Dei similitudine quantum ad hoc magis quam Angeli, inquantum est forma corporis.

2. Le discours de la raison ne s’oppose pas à la déiformité qui vient de la grâce, mais à celle qui vient de l’ordre de la nature. En effet, Dieu ne tire pas sa connaissance des phantasmes ; aussi l’âme ne s’éloigne-t-elle pas de Dieu plus que de l’ange sur ce point, pour autant qu’elle est la forme du corps.

 [9260] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod umbra illa, ut dictum est, refertur ad genus cognitionis, non ad limpiditatem in cognoscendo.

3. Comme on l’a dit, cette ombre est en rapport avec le genre de connaissance, et non avec la limpidité de la connaissance.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

 [9261] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod ex limpiditate cognitionis contingit quod scientia est magis unita et simplex: quia quanto limpidius videt intellectus, tanto ex paucioribus potest cognoscere plura. Unde cum anima Christi habuerit limpidissimam cognitionem inter omnes creaturas, scientia ejus fuit magis unita, et per formas magis universales quam aliqua scientia creaturae. Divisio autem habituum in diversis rebus cognoscendis contingit in nobis ex hoc quod formae intelligibiles in nobis sunt minime universales; unde oportet quod diversas res per diversas species cognoscamus; et diversae species secundum genus faciunt diversos habitus scientiarum; et propter hoc Angeli qui habent scientiam magis universalem, utpote non acceptam a rebus, non habent cognitionem de rebus per diversos habitus. Quia ergo anima Christi habuit scientiam magis universalem quam aliquis Angelus, ideo non habuit diversos habitus quibus cognosceret, sed uno habitu omnia cognovit quae ad hanc scientiam pertinent, quamvis diversis speciebus.

Par la limpidité de la connaissance, il arrive que la science soit plus unie et plus simple, car plus l’intellect voit clairement, plus il peut connaître de choses à partir d’un plus petit nombre [de choses]. Puisque l’âme du Christ a eu la connaissance la plus limpide parmi toutes les créatures, sa science était donc plus unie et [se réalisait] par des formes plus universelles que la science de la créature. Or, la division des habitus pour la connaissance de diverses choses vient en nous de ce que les formes intelligibles en nous sont moins universelles ; il faut donc que nous connaissions diverses choses par diverses espèces, et les diverses espèces selon leur genre donnent les divers habitus des sciences. Pour cette raison, les anges, qui ont une science plus universelle, parce qu’elle n’est pas tirée des choses, n’ont pas une connaissance des choses par divers habitus. Donc, parce que l’âme du Christ possédait une science plus universelle qu’un ange, il n’a pas eu divers habitus par lesquels il connaissait, mais il a tout connu de ce qui se rapporte à cette science par un seul habitus, bien que par diverses espèces.

 [9262] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod scientia Christi, etiam rerum in proprio genere, fuit multo altior quam scientia nostra.

1. La science du Christ, même celle des choses selon leur genre propre, était beaucoup plus élevée que notre science.

 [9263] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non omnis diversitas rerum facit diversas scientias, sed diversitas quae requirit diversam rationem cognoscendi, sicut naturalia distinguuntur a mathematicis. Sed ratio cognoscendi in Christo fuit magis unibilis quam in nobis; et ideo per unam rationem potuit plura cognoscere.

2. Ce n’est pas n’importe quelle diversité des choses qui donne plusieurs sciences, mais la diversité qui exige une raison différente de connaître, comme les choses naturelles se distinguent des réalités mathématiques. Or, la raison de connaître chez le Christ était plus susceptible d’unité chez le Christ que chez nous. C’est pourquoi il pouvait en connaître davantage par une seule raison [de connaître].

 [9264] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non quaelibet specierum diversitas facit habitum diversum (alias oporteret quod quot sunt res, tot essent scientiae); sed diversitates specierum quae non reducuntur ad eumdem modum cognitionis secundum genus; quae quidem diversitas contingit ex hoc quod lumen intellectus nostri est particulatum et debile; et ideo in Christo non fuit talis divisio habituum, propter luminis claritatem.

3. Ce n’est pas n’importe quelle diversité des espèces qui donne un habitus différent (autrement, il faudrait qu’il y ait autant de sciences que de réalités), mais les diversités des espèces qui ne se ramènent pas au même mode de connaissance selon leur genre. Une telle diversité se produit du fait que la lumière de notre intellect est divisé et faible. Chez le Christ, il n’y a donc pas eu une telle division d’habitus en raison de la clarté de la lumière.

Quaestiuncula 5

Réponse à la sous-question 5

 [9265] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 5 co. Ad quintam quaestionem dicendum, quod cum eminentia scientiae, ut dictum est, consistat in tribus, scientia Christi nunquam crevit quantum ad genus cognitionis; quia illud genus cognitionis sequitur naturam humanam, quae in ipso semper permansit; nec iterum quantum ad numerum scitorum, quia omnia scivit a primo instanti suae conceptionis quae ad hanc scientiam pertinent: crevit autem quantum ad aliquem modum certitudinis. Cum enim anima nostra secundum naturam sit media inter intellectum purum, qualis est in Angelis, et sensus; dupliciter certificatur de aliquibus. Uno modo ex lumine intellectus, qualis est certitudo in demonstrationibus illorum quae nunquam visa sunt: alio modo ex sensu, sicut cum aliquis est certus de his quae videt sensibiliter; et talis certitudo acquiritur alicui, etiam quantumcumque per certissimam demonstrationem aliquid sciat, quando videt sensibiliter quod prius non viderat; unde anima delectatur in visis etiam quae scivit; et haec vocatur certitudo experimentalis: et quantum ad hanc crevit scientia Christi, inquantum quotidie aliqua videbat sensibiliter quae prius non viderat; non autem crevit quantum ad essentiam.

Puisque l’élévation de la science, comme on l’a dit, vient de trois choses, la science du Christ n’a donc jamais progressé pour ce qui est du genre de la connaissance, car ce genre de connaissance découle de la nature humaine, qui est toujours demeuré en lui. Elle n’a pas non plus [progressé] du point de vue du nombre de choses connues, car il a tout connu de ce qui rapporte à cette science dès le premier instant de sa conception. Mais il a progressé selon un certain mode de certitude. En effet, puisque notre âme est par nature intermédiaire entre l’intellect pur, comme c’est le cas chez les anges, et le sens, elle acquiert une certitude sur certaines choses de deux manières. D’une manière, par la lumière de l’intellect, comme c’est le cas de la certitude pour les démonstrations portant sur des choses qui n’ont jamais été vues ; d’une autre manière, par le sens, comme lorsque quelqu’un est certain de ce qu’il voit de manière sensible. Une telle certitude est acquise par quelqu’un, aussi certaine que soit la démonstration par laquelle il connaît quelque chose, lorsqu’il voit de manière sensible ce qu’il n’avait pas vu antérieurement. C’est ainsi que l’âme se délecte même des choses vues qu’elle connaissait. Cette certitude est appelée expérimentale. La science du Christ a progressé selon cette [certitude], pour autant que, chaque jour, il voyait de manière sensible des choses qu’il n’avait pas vues antérieurement ; mais elle n’a pas progressé selon son essence.

 [9266] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illud discere est referendum ad experientiam.

1. Apprendre ainsi doit être mis en rapport avec l’expérience.

 [9267] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod anima Christi quamvis hoc genere cognitionis non omnia scivisset, tamen non poterat quantum ad ea proficere: tum quia quaedam sunt quae hoc genere cognitionis cognosci non possunt, sicut essentia Dei: tum quia quaedam contingentia singularia non sunt de perfectione scientiae, ut dictum est.

2. L’âme du Christ, bien qu’elle n’ait pas tout connu par ce genre de connaissance, ne pouvait cependant pas progresser sur ce point, tant parce qu’il existe certaines choses de cette sorte qui ne peuvent être connues par ce genre de connaissance, comme l’essence de Dieu, que parce que certains contingents singuliers ne relèvent pas de la perfection de la science, comme on l’a dit.

 [9268] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod per lumen intellectus agentis in Christo, non fuit aliqua species de novo recepta in intellectu possibili ejus; sed fuit facta conversio nova ad species quae erant in phantasia; sicut est in eo qui habet habitum sciendi eorum quae imaginatur vel videt.

3. Chez le Christ, une espèce n’a pas été de nouveau reçue dans son intellect possible par la lumière de l’intellect agent, mais il s’est de nouveau tourné vers les espèces qui se trouvaient dans l’imagination, comme c’est le cas de celui qui possède l’habitus de la science de ce qu’il imagine ou voit.

 [9269] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Ambrosius intelligit profectum scientiae Christi quantum ad experientiam secundum novam conversionem ad sensibile praesens, vel sicut supra Magister determinavit.

4. Ambroise entend le progrès de la science du Christ selon l’expérience obtenue par une nouvelle conversion vers un objet sensible présent, ou comme le Maître l’a déterminé.

Quaestiuncula 6

Réponse à la sous-question 6

 [9270] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 6 co. Ad sextam quaestionem dicendum, quod secundum doctrinam Dionysii, in Cael. Hier., Angeli a quibus alii cognitionem accipiunt, abundantiori lumine pleni sunt, quasi propinquius divinam claritatem contemplantes. Oportet enim recipiens esse in potentia respectu ejus a quo recipit, et ita minus in actu ejus quod recipere debet. Unde cum anima Christi abundantius intellectuale lumen habuerit quam Angeli, ut patet ex praedictis, constat etiam quod Christus mortale corpus gerens, nihil cognitionis accepit ab Angelis; sed ipse non solum secundum deitatem, sed etiam secundum animam omnes Angelos illuminavit sicut etiam nunc illuminat. Non enim minoris gloriae erat illa anima aut minoris cognitionis in statu illo quam modo sit, cum a principio suae conceptionis perfectus comprehensor fuerit.

Selon l’enseignement de Denys, dans La hiérarchie céleste, les anges de qui les autres reçoivent une connaissance sont remplis d’une lumière plus abondante, pour autant qu’ils contemplent de plus près la clarté divine. En effet, il faut que celui qui reçoit soit en puissance par rapport à celui de qui il reçoit, et ainsi moins en acte de ce qu’il doit recevoir. Puisque l’âme du Christ a eu une lumière intellectuelle plus abondante que les anges, comme cela ressort de ce qui a été dit, il est aussi clair que le Christ, alors qu’il avait un corps mortel, n’a rien reçu des anges en fait de connaissance ; mais lui-même, non seulement selon sa divinité, mais aussi selon son âme, a illuminé tous les anges, comme il les illumine aussi maintenant. En effet, cette âme n’avait pas une gloire moindre ou une moindre connaissance en cet état, qu’elle n’en a maintenant, puisque, dès le début de sa conception, elle a été un parfait comprehensor.

 [9271] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 6 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod, sicut ipsemet Dionysius se ibidem exponit, dicitur Christus per Angelos ordinatus, non quia ipse ab eis illuminationem accipit, sed quia de his quae ad ipsum pertinebant circa ipsum gerenda, per Angelos alii instruebantur, sicut Joseph de fuga in Aegyptum, et de reditu de Aegypto, ut dicitur Matth. 2: ipse enim per se in his eos instruere non volebat; ut ab aliis pueris non differret, et ulterius ut veritas assumptae naturae probaretur.

1. Comme Denys lui-même l’explique au même endroit, on dit que le Christ est ordonné par les anges, non pas parce qu’il reçoit d’eux une illumination, mais parce que les autres étaient enseignés par les anges sur ce qui le concernait et devait être accompli à son sujet, comme Joseph à propos de la fuite en Égypte et du retour en Égypte, ainsi qu’il est dit en Mt 2. En effet, lui-même ne voulait pas leur enseigner par lui-même à ce sujet afin de ne pas se différencier des autres enfants et pour que, par la suite, la vérité de la nature assumée soit démontrée.

 [9272] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 6 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis Angeli Christum non illuminarent, tamen ei ministraverunt, ut patet Matth. 4, et ad hoc ministerium illa confortatio pertinebat; non enim confortabatur instruendo, sed eo modo quo ex colloquio et praesentia amicorum et familiarium homo naturaliter confortatur in tristitiis, ut in hoc quoque veritas assumptae naturae appareret.

2. Bien que les anges n’aient pas illuminé le Christ, ils l’ont cependant servi, comme cela ressort de Mt 4 : un tel réconfort relevait de ce service. En effet, il n’était pas réconforté par l’enseignement, mais de la manière dont un homme est naturellement réconforté dans la tristesse par la conversation et la présence d’amis et de proches, et cela afin que la vérité de la nature assumée soit encore ainsi manifestée.

 [9273] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 6 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Deus venerat nos liberare, sicut a morte, ita et a legis onere; et ideo sicut mortem pro nobis subiit, ut nos a morte liberaret, ita et legalia in seipso recepit ut eos qui sub lege erant, redimeret; ad Gal. 4, 5. Non autem venit ut nos ab ordine caelestis hierarchiae educeret; et ideo non est similis ratio. Et praeterea Christus a legalibus nihil accepit secundum animam; sed tantum in corpore ejus gerebantur exterius, sicut circumcisio, et hujusmodi; sed leges caelestis hierarchiae ad animam pertinent: Christi autem anima non subjacebat alicui imperfectioni, sicut corpus subjacebat passibilitati.

3. Dieu était venu nous libérer de la mort mais aussi du poids de la loi. C’est pourquoi, de même qu’il a subi la mort pour nous, afin de nous libérer de la mort, de même a-t-il reçu en lui-même les [obligations] de la loi, afin de racheter ceux qui étaient soumis à la loi, Ga 4, 5. Mais il n’était pas venu nous tirer de l’ordre de la hiérarchie céleste. Le raisonnement n’est donc pas le même. De plus, le Christ n’a reçu aucune prescription légale en son âme, mais elles étaient accomplies extérieurement seulement en son corps, comme la circoncision et les choses de ce genre. Mais les lois de la hiérarchie céleste se rapportent à l’âme. Or, l’âme du Christ n’était soumise à aucune imperfection, comme son corps était soumis à la passibilité.

 [9274] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 6 ad 4 Et per hoc patet solutio ad quartum: quia enim corpus ejus nondum erat glorificatum, poterat aliquam impressionem a corporibus caelestibus accipere; anima autem quae glorificata erat et super Angelos exaltata, nihil poterat ab eis accipere.

4. La solution du quatrième argument est ainsi claire. En effet, parce que son corps n’était pas encore glorifié, il pouvait recevoir une certaine impression des corps célestes. Mais l’âme, qui avait été glorifiée et élevée au-dessus des anges, ne pouvait rien recevoir d’eux.

 

 

Articulus 4 [9275] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 4 tit. Utrum anima Christi habuit omnipotentiam, sicut et omnium scientiam

Article 4 – L’âme du Christ était-elle toute-puissante et omnisciente ?

 [9276] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod anima Christi habuit omnipotentiam, sicut et omnium scientiam. Primo per hoc quod dicitur Matth. ult.; 18: data est mihi omnis potestas in caelo et in terra; et loquitur secundum humanam naturam. Ergo secundum humanam naturam habuit omnipotentiam.

1. Il semble que l’âme du Christ était toute-puissante et omnisciente. Premièrement, en raison de ce qui est dit en Mt 28, 18 : Toute puissance m’a été donnée au ciel et sur la terre, et il parle selon sa nature humaine. Il avait donc, selon sa nature humaine, la toute-puissance.

 [9277] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, Christus habuit omnium scientiam. Sed scientia est practica et speculativa. Ergo et ipse habuit de omnibus rebus scientiam practicam. Sed scientia practica est secundum quam aliquis scit facere aliquid, et potest facere: quia scientia practica est causa rerum. Ergo anima Christi habuit omnipotentiam.

2. Le Christ était omniscient. Or, la science est pratique et spéculative. Il a donc eu une science pratique pour tout. Or, la science pratique consiste en ce que quelqu’un sache faire quelque chose et ait la capacité de le faire, car la science pratique est cause des choses. L’âme du Christ a donc eu la toute-puissance.

 [9278] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, anima humana est imago Trinitatis per potentiam, voluntatem, et scientiam. Sed anima Christi, inquantum fuit imago Dei, capax fuit omnis scientiae. Ergo pari ratione omnipotentiae.

3. L’âme humaine est l’mage de la Trinité par sa puissance, sa volonté et sa science. Or, l’âme du Christ, du fait qu’elle était l’image de Dieu, était capable de toute science. Pour la même raison, donc, de la toute-puissance.

 [9279] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, sicut potentia Dei est infinita, ita et scientia. Sed infinitas scientiae non prohibet quin omnium scientia Christo communicata sit. Ergo nec infinitas potentiae prohibet quin sibi omnipotentia communicata sit.

4. De même que la puissance de Dieu est infinie, de même, sa science. Or, l’infinité de la science n’empêche pas que la science de toutes choses ait été communiquée au Christ. Donc, l’infinité de la puissance n’empêche pas non plus que la toute-puissance lui ait été communiquée.

 [9280] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 4 arg. 5 Praeterea, sicut in anima humana est possibilitas ad recipiendum omnia per intellectum possibilem, quo est omnia fieri; ita est in ea possibilitas ad faciendum omnia per intellectum agentem, quo est omnia facere. Sed Christo est communicata omnium scientia, inquantum anima ejus est receptiva omnium. Ergo similiter debuit sibi communicari omnipotentia.

5. De même qu’il existe dans l’âme humaine une possibilité de tout recevoir par l’intellect possible, par lequel elle peut devenir tout, de même existe-t-il en elle une possibilité de tout faire par l’intellect agent, par qui elle peut tout faire. Or, la science de toutes choses a été communiquée au Christ, pour autant que son âme pouvait recevoir toutes choses. De la même manière, la toute-puissance devait-elle lui être communiquée.

 [9281] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed contra, potentia habet rationem principii, ut dicitur in 5 Metaph. Sed non potuit communicari animae Christi quod esset principium omnium: quia sic esset primum principium, quod est solius Dei. Ergo non potuit communicari omnipotentia.

Cependant, [1] la puissance a raison de principe, comme il est dit dans Métaphysique, V. Or, il ne pouvait être communiqué à l’âme du Christ qu’elle soit le principe de tout, car elle serait ainsi le premier principe, ce qui appartient à Dieu seul. La toute-puissance ne pouvait donc pas lui être communiquée.

 [9282] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, per potentiam Dei, anima Christi conservatur in esse. Sed non potuit sibi communicari ut ipsa seipsam conservaret in esse: quia sic non esset creatura. Ergo non potuit sibi omnipotentia communicari.

 [2] L’âme du Christ est maintenue dans l’être par la puissance de Dieu. Or, il ne pouvait lui être être communiqué qu’elle se maintienne elle-même dans l’être, car ainsi elle ne serait pas une créature. La toute-puissance ne pouvait donc pas lui être communiquée.

 [9283] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 4 s. c. 3 Praeterea, nullius substantiae finitae est virtus activa infinita. Sed anima Christi est substantia finita. Ergo non potuit sibi communicari infinita potentia, quae est omnipotentia.

 [3] Une puissance active infinie n’est le fait d’aucune substance finie. Or, l’âme du Christ est une substance finie. Une puissance infinie, qui est la toute-puissance, ne pouvait donc pas lui être communiquée.

 [9284] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod unumquodque est activum, secundum quod est ens actu; unde quanto aliqua habent deficientius esse, tanto minus sunt activa; sicut patet de materia prima in qua non est activa potentia, quia tenet ultimum gradum in entibus; et ideo potentia activa commensuratur essentiae. Et propter hoc, sicut animae Christi non potuit communicari quod haberet infinitatem essentiae, ita nec omnipotentia sibi communicari potuit nec alicui creaturae communicari potest. Credo tamen quod omnis potentia quae alicui creaturae communicari potest, sibi communicata fuit multo abundantius, ut scilicet materia elementaris magis obediret sibi ad nutum quam activis qualitatibus, vel etiam virtuti caelesti: et quod magis potuisset movere caelum quam aliquis Angelus; si tamen Angeli movent orbes.

Réponse. Toute chose est active selon qu’elle est un être en acte. Aussi, plus faiblement certaines choses possèdent l’être, moins elles sont actives, comme cela ressort pour la matière première dans laquelle il n’y a pas de puissance active, puisqu’elle occupe le dernier degré des êtres. La puissance active est donc mesurée par l’essence. Pour cette raison, de même qu’il ne pouvait être communiqué à l’âme du Christ d’avoir une essence infinie, de même la toute-puissance ne pouvait pas lui être communiquée, et elle ne peut être communiquée à aucune créature. Cependant, je crois que toute la puissance qui peut être communiquée à une créature lui a été communiquée de manière beaucoup plus abondante, de sorte que la matière élémentaire lui obéisse à volonté plus qu’aux qualités actives ou encore à une puissance céleste, et qu’il aurait pu mouvoir le ciel plus facilement qu’un ange, à supposer que les anges meuvent le monde.

 [9285] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod omnis potentia data est Christo quantum ad personam ab aeterno, sed quantum ad naturam humanam in ipsa conceptione: non quod natura humana, vel aliqua pars ejus, omnipotentia informaretur, ut omnipotens dici possit: sed secundum modum quo et alias proprietates communicant sibi naturae propter unitatem hypostasis: tamen in resurrectione manifestata est; et ideo tunc data dicitur, secundum illum modum loquendi quo res dicitur fieri quando innotescit.

1. Toute puissance a été donnée éternellement au Christ pour ce qui est de sa personne, mais lors de sa concpetion, pour ce qui est de la nature humaine, non pas que sa nature humaine ou une de ses parties ait reçu la forme de la toute-puissance, de sorte qu’elle puisse être appelée toute-puissante, mais de la manière dont les natures se communiquent par ailleurs leurs propriétés en raison de l’unité de l’hypostase. Cependant, [sa toute-puissance] a été manifestée lors de la résurrection. C’est pourquoi on dit qu’elle a été donnée, selon cette manière de parler où l’on dit qu’elle « devient » lorsqu’elle est connue.

 [9286] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Christus habuit omnium rerum scientiam, non tantum speculativam, sed etiam practicam, non quidem qua ipsas res faceret, sed scivit qualiter a Deo sunt factae. Scientia autem practica, quamvis sit quodammodo causa operationis, inquantum dirigit in opere, non tamen est sufficienter causa: quia ab ipsa non producitur res, nisi adsit potentia activa rei: unde Christus habuit omnem scientiam practicam quidem, sed non practice, quia non ordinavit ad opus.

2. Le Christ eu la science de toutes choses, non pas seulement spéculative, mais aussi pratique, non pas celle par laquelle il réaliserait les choses elles-mêmes, mais il a su comment elles ont été faites par Dieu. Or, la science pratique, bien qu’elle soit d’une certaine manière cause de l’opération pour autant qu’elle dirige l’opération, n’est cependant pas une cause suffisante, car une chose n’est produite par elle que si la puissance active de la chose est présente. Le Christ a donc eu toute la science pratique, mais non de manière pratique, car elle n’ordonnait pas à la réalisation d’une œuvre.

 [9287] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod universalitas possibilium Deo, commensuratur divinae essentiae: quia secundum hoc infinita potest, quia habet esse non limitatum. Sed universalitas eorum quae scit scientia visionis, non commensuratur essentiae ejus, etiam si mundus duraret semper, per hunc modum quo modo est: quia semper posset plura facere secundum unumquodque tempus quam quae fecit, et plures species, et plura rerum genera, et plures mundos. Et ideo quamvis omnium scientia qua Deus scit scientia visionis, sit communicata animae Christi: non tamen omnipotentia qua Deus potest facere, sibi communicari potuit, sicut nec essentia infinita.

3. L’universalité des possibles pour Dieu se mesure selon l’essence divine, car elle peut réaliser des choses infinies parce qu’elle a un être non limité. Mais l’universalité de ce qu’elle sait par la science de vision ne se mesure pas à son essence, même si le monde durait toujours comme il est maintenant, car elle pourrait faire toujours plus de choses à chaque moment qu’au moment où elle les a faites, et davantage d’espèces, davantage de genres de choses et davantage de mondes. C’est pourquoi, bien que la science par laquelle Dieu connaît par la science de vision ait été communiquée à l’âme du Christ, il ne pouvait cependant lui communiquer la toute-puissance par laquelle Dieu peut réaliser, pas davantage que son essence infinie.

 [9288] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in omnipotentia includuntur omnia ad quae divina potentia se extendit ex infinitate suae essentiae, secundum quam est activa infinitorum secundum quemlibet modum; sed in scientia omnium, quae dicitur Christo communicata, non includuntur omnia quae Deus potest facere, ut dictum est; et ideo omnipotentia communicari non potuit nisi habenti essentiam infinitam, sicut nec scientia omnium simpliciter quae Deus potest facere, nisi comprehendenti essentiam infinitam, ut prius dictum est.

4. Dans la toute-puissance, est compris tout ce à quoi s’étend la puissance divine en raison de l’infinité de son essence, selon laquelle elle peut réaliser des choses infinies de n’importe quelle manière. Mais, dans la science de toutes choses, dont on dit qu’elle a été communiquée au Christ, n’est pas inclus tout ce que Dieu peut faire, comme on l’a dit. C’est pourquoi la toute-puissance ne pouvait être communiquée qu’à celui qui a une essence infinie, comme ce n’était pas non plus simplement le cas pour la science de tout ce que Dieu peut faire, sauf à celui qui comprend l’essence divine, comme on l’a dit plus haut.

 [9289] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod potentia intellectus agentis non est ut faciat omnia simpliciter, sed ut faciat omnia esse intelligibilia; et ideo ratio non est ad propositum.

5. La puissance de l’intellect agent ne consiste pas à réaliser tout simplement, mais à faire que tout soit intelligible. L’argument porte donc à faux.

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 14

 [9290] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 4 expos. In nullo creatura creatori aequatur. Intelligendum est quantum ad rationem rei habitae, et quantum ad modum habendi: quia etsi aliquid idem conveniat Deo et creaturae; non tamen secundum eumdem modum, vel eamdem rationem. Nemo novit quae sunt Dei nisi spiritus Dei. Non excluduntur per hoc pater et filius, qui habent eamdem cognitionem quam et spiritus sanctus. Naturaliter capax est scientiae. Est enim facta anima ad cognoscendum omnia, non autem ad faciendum omnia.

 

 

 

Distinctio 15

Distinction 15 – [L’assomption des faiblesses de la nature humaine]

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [Le Christ devait-il assumer la nature humaine avec ses faiblesses ?]

Prooemium

Prologue

 [9291] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 pr. Postquam Magister determinavit de his quae Christus cum natura humana assumpsit ad dignitatem pertinentia, hic determinat de his assumptis quae pertinent ad defectum; et dividitur in duas partes: primo determinat de defectibus quos Christus cum humana natura assumpsit; secundo determinat modum quo hujusmodi defectus in Christo fuerunt, dist. 16, ibi: hic oritur quaestio ex praedictis ducens originem. Prima in duas: primo determinat veritatem, secundo excludit errorem, ibi: sed quia nonnulli de sensu in passione humanitatis Christi male sensisse inveniuntur (...) indubitabile faciamus quod supra diximus. Prima in duas: primo ostendit quos defectus cum humana natura assumpsit Christus; secundo ostendit quae fuit causa assumptionis, ibi: hos autem defectus non conditionis suae necessitate, sed miserationis voluntate suscepit. Prima iterum in duas partes: primo ostendit quod Christus in natura nostra accepit defectus poenales, et non culpae; secundo ostendit quos de poenalibus defectibus non assumpsit, ibi: tradit auctoritas quod dominus noster in se suscepit omnia infirmitatis nostrae praeter peccatum. Circa quod duo facit: primo ostendit quos defectus poenales non suscepit ex parte animae; secundo quos defectus corporales non suscepit, ibi: sunt enim plura aegritudinum genera, et corporis vitia, a quibus omnino immunis extitit. Circa primum duo facit: primo ostendit quod Christus non suscepit ignorantiam, aut difficultatem ad bonum faciendum; secundo ostendit quod haec non sunt culpa, sed poena, ibi: sed forte dicet aliquis illa esse peccatum. Sed quia nonnulli de sensu in passione humanitatis Christi male sensisse inveniuntur (...) indubitabile faciamus quod supra diximus. Hic excludit errorem, et duo facit: primo objicit contra errantes; secundo solvit illa quae pro se illi inducebant, ibi: quaedam tamen reperiuntur in sanctorum tractatibus quae praemissis adversari videntur. Et haec dividitur in duas: primo solvit objectiones de passionibus, quas dixerant esse animae tantum, sicut tristitia, et hujusmodi; secundo solvit de illis quae sunt animae per corpus, sicut est dolor sensibilis, ibi: verumtamen magis movent ac difficiliorem afferunt quaestionem verba Hilarii. Circa primum tria facit: primo ponit objectionem; secundo solvit, ibi: ne autem in sacris litteris aliqua adversa diversitas esse putetur, harum auctoritatum verba in hunc modum accipienda dicimus; tertio solutionem confirmat, ibi: unde Augustinus ex his causis volens assumi dictorum intelligentiam, dicit. Verumtamen magis movent ac difficiliorem afferunt quaestionem verba Hilarii. Haec pars etiam dividitur in duas: primo ponit objectionem; secundo solvit, ibi: sed si excussa sensus et impietatis hebetudine, praemissis diligenter intendas (...) dictorum rationem, atque virtutem percipere utcumque poteris. Hic est duplex quaestio. Primo de his defectibus in generali. Secundo specialiter de passionibus animae. Circa primum quaeruntur tria: 1 utrum Christus debuerit assumere naturam humanam cum hujusmodi infirmitatibus; 2 utrum omnes nostros defectus suscipere debuerit; 3 utrum hos defectus quos assumpsit, contraxerit.

Après avoir déterminé de ce que le Christ a assumé avec la nature humaine et qui concernait sa dignité, le Maître détermine ici de ce qui a été assumé et qui concerne les carences [de celle-ci]. Il y a deux parties : premièrement, il détermine des carences que le Christ a assumées avec la nature humaine; deuxièmement, il détermne du mode selon lequel ces carences étaient présentes chez le Christ, d. 16, à cet endroit : « Une question vient de ce qui a été dit plus haut, portant sur l’origine. » La première partie se divise en deux : premièrement, il détermine de la vérité; deuxièmement, il écarte une erreur, à cet endroit : « Mais parce qu’il se trouve que certains ont eu une opinion mauvaise à propos de la sensibilité durant la passion de l’humanité du Christ…, rendons indubitable ce que nous avons dit plus haut. » La première partie se divise en deux : premièrement, il montre quelles carences le Christ a assumées avec la nature humaine; deuxièmement, il montre quelle a été la cause de cette assomption, à cet endroit : « Il a pris ces carences, non par une nécessité de sa condition, mais par sa volonté de compatir. » La première partie se divise à nouveau en deux parties : premièrement, il montre que le Christ a pris dans notre nature les carences ayant caractère de peines, et non la faute; deuxièmement, il montre quelles carences à caractère de peines il n’a pas assumées, à cet endroit : « L’autorité enseigne que notre Seigneur a pris sur lui tout ce qui faisait partie de notre faiblesse, sauf le péché. » À ce sujet, il fait deux choses : premièrement, il montre quelles carences à caractère de peines il n’a pas prises du point de vue de l’âme; deuxièmement, quelles carences corporelles il n’a pas prises, à cet endroit : « Il existe plusieurs genres de maladies et de déficiences corporels dont il a été complètement exempté. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il montre que le Christ n’a pas pris l’ignorance ou la difficulté à faire le bien; deuxièmement, il montre que celles-ci ne sont pas des fautes, mais des peines, à cet endroit : « Mais peut-être quelqu’un dira-t-il que celles-ci sont des péchés. » « Mais parce qu’il s’en trouve certains qui ont eu une opinion mauvaise à propos de la sensibilité durant la passion de l’humanité du Christ…, rendons indubitable ce que nous avons dit plus haut. » Ici, il écarte une erreur, et il fait deux choses : premièrement, il présente une objection contre ceux qui se trompent; deuxièmement, il répond à ce qu’ils invoquaient en leur faveur, à cet endroit : « Cependant, on trouve certaines choses dans les traités des saints qui semblent s’opposer à ce qui a été dit. » Cette partie est divisée en deux : premièrement, il résout les objections à propos des passions dont ils disaient qu’elles étaient le fait de l’âme seulement, comme la tristesse et celles de ce genre; deuxièmement, il résout [les objections] à propos de celles qui sont le fait de l’âme par l’intermédiaire du corps, comme la douleur sensible, à cet endroit : « À la vérité, les paroles d’Hilaire ébranlent davantage et soulèvent une question plus difficile. » À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il présente l’objection. Deuxièmement, il la résout, à cet endroit : « Mais afin qu’on ne croie pas qu’il existe dans les Saintes Écritures de différence contraire, nous disons que les paroles de ces autorités doivent s’entendre de cette manière. » Troisièmement, il confirme la solution, à cet endroit : « Aussi Augustin, voulant que l’on comprenne de cette manière ce qui a été dit, affirme-t-il… » « À la vérité, les paroles d’Hilaire ébranlent davantage et soulèvent une question plus difficile. » Cette partie se divise aussi en deux : premièrement, il présente l’objection; deuxièmement, il la résout, à cet endroit : « Mais si, après avoir secoué un esprit émoussé et l’impiété, tu portes une attention appliquée à ce qui a été dit…, tu pourras saisir de quelque manière la raison et la puissance de ce qui a été dit. » Ici, il y a une double question : premièrement, à propos des carences en général; deuxièmement, à propos des passions de l’âme d’une manière particulière. À propos du premier point, trois questions sont posées : 1 – Le Christ devait-il assumer la nature humaine avec des faiblesses de ce genre ? 2 – Devait-il prendre toutes nos carences ? 3 – A-t-il contracté toutes les carences qu’il a assumées ?

 

 

Articulus 1 [9292] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 1 tit. Utrum Christus naturam humanam cum defectibus et infirmitatibus accipere debuit

Article 1 – Le Christ devait-il prendre la nature humaine avec ses carences et ses faiblesses ?

 [9293] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Christus humanam naturam cum infirmitatibus hujusmodi defectuum suscipere non debuit. Christus enim per suam incarnationem votis antiquorum patrum satisfecit. Isaiae 61, 9, dicitur ad exprimendum desiderium sanctorum patrum: consurge consurge: induere fortitudinem brachium domini. Ergo non debuit venire indutus infirmitate carnis.

1. Il semble que le Christ ne devait pas assumer la nature humaine avec les faiblesses de telles carences. En effet, par son incarnation, le Christ a comblé les désirs des anciens pères. Is 61, 9 exprime ainsi le désir des anciens pères : Lève toi! Lève-toi! Que le bras du Seigneur se revête de force! Il ne devait donc pas venir revêtu de la faiblesse de la chair.

 [9294] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, hujusmodi defectus poenae sunt. Sed poena non est justa nisi ubi culpa est. Cum igitur absque omni culpa fuerit, videtur quod poenales defectus suscipere non debuit.

2. Ces carences sont des peines. Or, la peine n’est juste que là où il y a faute. Puisqu’il était sans aucune faute, il semble donc qu’il ne devait pas assumer les carences à caractère de peines.

 [9295] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, contraria contrariis curantur. Sed Christus venerat curare nostras infirmitates. Ergo debuit contraria assumere, scilicet robur et fortitudinem.

3. Les contraires sont guéris par les contraires. Or, le Christ était venu guérir nos faiblesses. Il devait donc en assumer les contraires : la force et la puissance.

 [9296] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, ipse venerat ad vincendum Diabolum. Sed vincere est opus fortitudinis. Ergo non debuit assumere infirmitatem.

4. Il était venu pour vaincre le Diable. Or, vaincre est l’œuvre de la force. Il ne devait donc pas assumer la faiblesse.

 [9297] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, sicut culpa derogat justitiae, ita infirmitas derogat virtuti. Sed Christus non debuit assumere defectus culpae, ne derogaretur divinae justitiae. Ergo similiter nec debuit suscipere infirmitates poenales, ne derogaretur divinae virtuti.

5. De même que la faute déroge à la justice, de même la faiblesse déroge-t-elle à la puissance. Or, le Christ ne devait pas assumer la carence de la faute pour ne pas déroger à la justice divine. Il ne devait donc pas non plus assumer les carences à caractère de peines pour ne pas déroger la puissance divine.

 [9298] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 1 arg. 6 Praeterea, ipse venerat ad hoc quod homines in divinam cognitionem adduceret. Sed per infirmitates magis a sui cognitione abducebat, ut dicitur Isai. 53, 2: vidimus eum (...) despectum; et sequitur: unde nec reputavimus eum. Ergo non debuit hujusmodi infirmitates assumere.

6. Il était venu pour conduire les hommes à la connaissance de Dieu. Or, il les éloignait plutôt de sa connaissance par ses carences, comme il est dit en Is 53, 2 : Nous l’avons vu… méprisé. Puis il poursuit : Aussi ne l’avons-nous pas respecté. Il ne devait donc pas assumer ces faiblesses.

 [9299] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, Hebr. 2, 18: in eo in quo passus est, et tentatus, potens est et his qui tentantur, auxiliari. Sed Christus ad auxiliandum hominibus venerat. Ergo debuit eorum defectus suscipere.

Cependant, [1] He 2, 18 dit : Du fait qu’il a souffert et a été tenté, il est capable de venir en aide à ceux qui sont tentés. Or, le Christ était venu pour aider les hommes. Il devait donc assumer leurs faiblesses.

 [9300] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Christus venerat ad redimendum genus humanum. Sed opus redemptionis congrue compleri non poterat nisi per passionem, ut infra dicetur. Ergo debuit defectus assumere, secundum quos passibilis fuit.

 [2] Le Christ était venu racheter le genre humain. Or, l’œuvre de la rédemption ne pouvait être convenablement accomplie que par la passion, comme on le dira plus loin. Il devait donc assumer les carences selon lesquelles il était susceptible de souffrir.

 [9301] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 1 s. c. 3 Praeterea, Christus ad hoc venerat ut esset mediator inter nos et Deum. Ergo debuit communicare cum utroque. Cum Deo communicavit in justitia. Ergo nobiscum debuit communicare in poena.

 [3] Le Christ était venu pour être le médiateur entre nous et Dieu. Il devait donc être en communion avec les deux. Il était en communion avec Dieu par la justice. Il devait donc être en communion avec nous par la peine.

 [9302] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod Christus ad hoc venit, ut humanum genus in Deum reduceret, a quo per peccatum abductum erat. Et ideo sicut mediator, ea quae Dei sunt, in nos transfundit, scilicet gratiam et justitiam; et ea quae nostra sunt, quodammodo in Deum: non autem nostra quae a nobis tantum sunt, non a Deo, scilicet peccata, quia per haec ad Deum non ordinamur, sed magis deordinamur ab eo; sed ea quae a Deo in nobis sunt, quae omnia in se ordinata sunt, et ad ipsum nos ordinantia. Et ideo ea quae fecit in nobis Deus, transtulit in Deum, non quidem in naturam divinam, sed in personam ea assumendo. Fecit autem Deus in nobis naturam, et perfectiones naturae, et defectus poenales, et etiam quosdam naturales, sicut indigentiam cibi, quam etiam homo in statu innocentiae habuisset: et ideo hos defectus simul cum natura in sua persona suscepit: haec enim in sua persona suscipere, est ipsa Deo repraesentare ad placandum ipsum nobis.

Réponse. Le Christ était venu pour ramener le genre humain à Dieu, dont il s’était éloigné par le péché. C’est pourquoi, en tant que médiateur, il a fait passer en nous ce qui appartient à Dieu : la grâce et la justice, et [il a] pour ainsi dire [fait passer] en Dieu ce qui nous appartient; non pas ce qui nous appartient sans que cela vienne de Dieu : les péchés, car, par eux, nous ne sommes pas ordonnés à Dieu, mais nous sommes plutôt détournés de lui; mais ce qui est en nous comme venant de Dieu, qui, de soi, lui est entièrement ordonné et nous ordonne à Dieu. Ainsi, ce que Dieu a fait en nous, [le Christ] l’a fait passer en Dieu, en l’assumant, non pas dans la nature divine, mais dans sa personne. Or, Dieu a fait en nous la nature, les perfections de la nature, les carences à caractère de peines et même certaines carences naturelles, comme le besoin de nourriture, que l’homme aurait eu même dans l’état d’innocence. C’est pourquoi [le Christ] a assumé dans sa personne ces carences en même temps que la nature [humaine]. En effet, assumer ces choses dans sa personne, c’est les présenter de nouveau à Dieu afin de nous le rendre favorable.

 [9303] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod desiderium sanctorum patrum fuit ut veniret in fortitudine spirituali, scilicet gratiae et scientiae et virtutis, quae per hos defectus quos Christus assumpsit non impeditur.

1. Le désir des saints pères était qu’il vienne dans la force spirituelle, celle de la grâce, de la science et de la vertu, qui n’est pas empêchée par les carences que le Christ a assumées.

 [9304] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis culpa non praecesserit in ipso, tamen praecessit in natura humana, quam Deo reconciliare venerat; et ideo inquantum consideratur ut gerens vicem totius naturae in satisfaciendo pro ipsa, quidquid in natura humana ad defectum pertinens, rationem justae poenae habet, etiam in ipso habuit.

2. Bien que la faute n’ait pas précédé chez lui, elle a cependant précédé dans la nature humaine qu’il était venu réconcilier avec Dieu. C’est pourquoi, en tant qu’il est considéré comme représentant toute la nature afin de satisfaire pour elle, tout ce qui se rapporte à la carence de la nature humaine et a raison de juste peine, il l’a aussi eu en lui-même.

 [9305] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod infirmitas curatur optime per curationem suae causae, et per consequens per contraria causae. Causa autem horum defectuum in nobis est culpa; et ideo per contraria culpae hos defectus curare debuit, scilicet per gratiam et virtutes.

3. Une maladie est traitée au mieux par le traitement de sa cause et, par conséquent, par les contraires de sa cause. Or, la cause de ces carences en nous est la faute. C’est pourquoi il devait traiter ces carences par les contraires de la faute, c’est-à-dire par la grâce et par les vertus.

 [9306] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod venerat vincere fortem per justitiam, satisfaciendo; et ideo oportuit quod haberet defectus, secundum quod satisfaceret. Et praeterea per fortitudinem oppositam istis defectibus non vincitur Diabolus, sed per fortitudinem virtutis et gratiae.

4. Il était venu pour vaincre le fort par la justice en satisfaisant. C’est pourquoi il fallait qu’il ait des carences selon lesquelles il satisferait. De plus, le Diable n’est pas vaincu par la force opposée à ces carences, mais par la force de la vertu et de la grâce.

 [9307] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod culpa non solum repugnat Deo, quia in ipsum non cadit, sed etiam quia ab ipso separat: quia est perversitas voluntatis, secundum quam anima nata est Deo conjungi: sed infirmitas quamvis in Deum non cadat, tamen a Deo non separat; et ideo non est similis ratio.

5. La faute n’est pas incompatible avec Dieu seulement parce qu’elle ne lui convient pas, mais aussi parce qu’elle sépare de lui, car elle est une perversion de la volonté par laquelle l’âme est destinée à être unie à Dieu. Mais la maladie, bien qu’elle ne convienne pas à Dieu, ne sépare cependant pas de lui. Le raisonnement n’est donc pas le même.

 [9308] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod Christus non venerat manifestare se secundum humanam naturam, sed secundum divinam; unde dixit: ergo non quaero gloriam meam, sed ejus qui me misit. Gloriam autem Dei magis clarificavit per assumptam infirmitatem, inquantum inventum est quod id quod est infirmius Dei, est potentius hominibus; 1 Corinth. 1.

6. Le Christ n’était pas venu se manifester selon sa nature humaine, mais selon [sa nature] divine. Aussi a-t-il dit : Je ne cherche donc pas ma propre gloire, mais la gloire de Celui qui m’a envoyé. Or, il a davantage mis en lumière la gloire de Dieu par la faiblesse assumée, pour autant qu’il s’est trouvé que ce qui est plus faible chez Dieu est plus puissant que les hommes, 1 Co 1.

 

 

Articulus 2 [9309] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 2 tit. Utrum omnes defectus praeter peccatum accipere debuit

Article 2 – Devait-il assumer toutes les carences, sauf le péché ?

 [9310] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur, quod Christus debuit omnes defectus praeter peccatum assumere. Heb. 2, 17, dicitur, quod debuit per omnia fratribus assimilari ut misericors fieret. Sed misericordia respicit omnem miseriam. Ergo debuit omnes nostros defectus assumere.

1. Il semble que le Christ devait assumer toutes les carences, sauf le péché. Il est dit en He 2, 17 : Il devait en tout être semblable à ses frères afin de devenir compatissant. Or, la miséricorde concerne toute misère. Il devait donc assumer toutes nos carences.

 [9311] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, sicut dicit Damascenus, quod est inassumptibile, est incurabile. Sed ipse venerat omnes nostros defectus curare, ergo debuit omnes suscipere.

2. Comme le dit [Jean] Damascène, « ce qui ne peut pas être assumé ne peut pas être guéri ». Or, il était venu guérir toutes nos carences. Il devait donc toutes les assumer.

 [9312] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, in susceptione nostrorum defectuum manifestatur Christi humilitas. Sed ipse humiliatus est quantumcumque humiliari potuit; ut dicit Bernardus. Ergo ipse debuit omnes nostros defectus suscipere.

3. L’humilité du Christ est manifestée par le fait qu’il a assumé nos carences. Or, « il s’est humilié autant qu’il pouvait s’humilier », comme le dit Bernard. Il devait donc assumer toutes nos carences.

 [9313] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, omnes defectus aequaliter dedecent Dei majestatem. Si ergo aliquos suscepit, eadem ratione omnes suscipere debuit.

4. Toutes les carences sont également dignes de la majesté de Dieu. Si donc il en a assumé certaines, il devait pour la même raison toutes les assumer.

 [9314] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, ipse curavit naturam nostram per gratiam et infirmitatem quam accepit. Sed ipse accepit omnem gratiam. Ergo omnem defectum suscipere debuit.

5. Il a guéri notre nature par la grâce et par la faiblesse qu’il a assumée. Or, il a reçu toute grâce. Il devait donc assumer toute carence.

 [9315] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, Christus, qui totam humanam naturam curare venerat, debuit integram habere. Sed quidam defectus sunt qui integritati naturae repugnant, sicut caecitas, et defectus membrorum. Ergo non omnes defectus debuit habere.

Cependant, [1] le Christ, qui était venu guérir toute la nature humaine, devait la posséder intégralement. Or, il existe certaines carences qui répugnent à l’intégrité de la nature, comme la cécité et les difformités des membres. Il ne devait donc pas posséder toutes les carences.

 [9316] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Christus debuit esse perfectus in gratia. Sed quidam defectus sunt qui perfectioni gratiae repugnant, sicut ignorantia, et difficultas ad bonum. Ergo non omnes defectus habere debuit.

 [2] Le Christ devait être parfait en grâce. Or, il existe certaines carences qui s’opposent à la perfection de la grâce, comme l’ignorance et la difficulté de faire le bien. Il ne devait donc pas posséder toutes les carences.

 [9317] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 2 s. c. 3 Praeterea, contraria nata non sunt fieri in eodem. Sed quaedam infirmitates sunt sibi contrariae ex contrariis causis causatae. Ergo non potuit omnes nostras infirmitates habere.

 [3] Les contraires ne sont pas destinés à apparaître chez le même. Or, certaines carences ont été causées chez lui par des causes contraires. Il ne pouvait donc pas posséder toutes nos carences.

 [9318] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 2 co. Respondeo, dicendum, quod, sicut dicit Damascenus, Christus habuit in se omnes naturales et indetractibiles passiones. Dicuntur autem passiones naturales quaecumque universaliter humanam naturam consequuntur, sive ex conditione naturae, sicut indigentia cibi et potus, sive quae pro peccato primi parentis in totam naturam devenerunt ex principiis naturae sibi relictae causat, sicut fames, sitis, labor, dolori, et hujusmodi. Indetractibiles autem passiones sunt quae defectum gratiae non important, sicut importat pronitas ad malum, et difficultas ad bonum, et hujusmodi, quae ex carentia gratiae vel perfectionis contingunt. Ex hoc enim laus Christi minueretur, si perfectus in virtutibus non fuisset, secundum quas est laus, et vituperium sive detrectatio secundum earum opposita. Unde duo genera defectuum non assumpsit, illa scilicet quae non universaliter humanam naturam consequuntur, sicut lepra, caecitas, febris, et hujusmodi: contingunt enim ex particularibus corruptionibus in singulis personis; et hos defectus assumere non debuit, quia ad curandum naturae morbum venit. Item illa non assumpsit quae ad imperfectionem gratiae pertinent, sicut ignorantiam, difficultatem ad bonum, et hujusmodi: quia ipse venerat ad hoc ut de plenitudine suae gratiae omnes acciperemus.

Réponse. Comme le dit [Jean] Damascène, « le Christ a possédé toutes les passions naturelles et qui n’avilissent pas ». Or, on appelle passions naturelles toutes celles qui découlent universellement de la nature humaine, soit de la condition de la nature, comme le besoin de nourriture et de boisson, soit qu’elle cause ce qui est arrivé à toute la nature en raison du péché du premier parent, tels la faim, la soif, le labeur, la douleur et les choses de ce genre. Les passions qui n’avilissent pas sont celles qui ne comportent pas un manque de grâce, comme le comportent le penchant au mal, la difficulté de faire le bien et les choses de ce genre, qui surviennent en raison d’un manque de grâce ou de perfection. En effet, la louange du Christ serait diminuée s’il n’avait pas été parfait dans les vertus qui suscitent la louange, ainsi que le blâme ou le refus selon leurs contraires. Ainsi, il n’a pas assumé deux genres de carences : celles qui ne découlent pas universellement de la nature humaine, comme la lèpre, la cécité, la fièvre et les choses de ce genre – elles surviennent en effet en raison de corruptions particulières chez des individus, et il ne devait pas assumer ces carences parce qu’il était venu guérir une maladie de la nature. De même n’a-t-il pas assumé celles qui sont en rapport avec une imperfection de la grâce, comme l’ignorance, la difficulté à faire le bien et celles de ce genre, car il était venu pour que nous recevions tous de la plénitude de sa grâce.

 [9319] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod debuit fratribus assimilari quantum ad illa in quae omnes fratres conveniunt, quae ad defectum gratiae non pertinent: non enim fuit fratribus similis nisi in natura speciei; et ideo quantum ad actus et defectus qui consequuntur totam speciem, debuit fratribus assimilari.

1. Il devait être semblable à ses frères pour ce qui était commun à tous ses frères et qui ne relève pas d’un manque de grâce. En effet, il n’était semblable à ses frères que pour la nature de l’espèce. C’est pourquoi il devait être semblable à ses frères pour les actes et les carences qui découlent de l’espèce entière.

 [9320] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut Deus curavit omnes in hoc quod assumpsit naturam, in qua omnes conveniunt; ita curavit omnes defectus in hoc quod assumpsit illos defectus in quibus omnes conveniunt, ex quibus quasi causis primordialibus alii oriuntur: ex passibilitate enim naturae quam assumpsit, sequitur febris, et omnia hujusmodi.

2. De même que Dieu a guéri tous [les hommes] du fait qu’il a assumé la nature que tous ont en commun, de même a-t-il guéri toutes les carences du fait qu’il a assumé les carences que tous en commun, dont les autres proviennent comme de causes primordiales. En effet, la fièvre et toutes les choses de ce genre découlent de la passibilité de la nature qu’il a assumée.

 [9321] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod humiliari debuit inquantum potuit decenter. Non autem fuit decens ut qui venerat alios in gratiam adducere, defectum vel imperfectionem gratiae pateretur; neque qui naturam in aliis integrare venerat, ipse in his in quibus alii integri sunt, defectum pateretur.

3. Il devait s’humilier autant qu’il le pouvait décemment. Or, il n’était pas décent que celui qui était venu apporter la grâce souffre d’un manque ou d’une imperfection de la grâce. De même, [il n’était pas convenable] que celui qui était venu rétablir la nature chez les autres souffre lui-même d’une carence là où les autres sont intacts.

 [9322] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis omnes defectus aequaliter sint indecentes divinae majestati quantum ad suam naturam, non tamen quantum ad naturam assumptam, ut patet ex dictis.

4. Bien que toutes les carences ne conviennent pas également à la majesté divine du point de vue de leur nature, ce n’est cependant pas le cas de la nature assumée, comme cela ressort de ce qui a été dit.

 [9323] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod aliqui defectus sunt qui plenitudini gratiae repugnant; et ideo ex hoc quod habuit omnem gratiam, magis debet concludi quod non habuit omnes defectus quam quod habuit. Vel dicendum, quod quia alios reintegrare venerat, debuit in perfectionibus potentior esse, non in defectibus, quia plus indiguisset ipse reformari quam reformare; et ideo habuit omnem gratiam, non tamen, omnem defectum.

5. Certaines carences sont incompatibles avec la plénitude de la grâce. Du fait qu’il possédait toute grâce, on doit donc plutôt conclure qu’il n’a pas eu toutes les carences en plus de celles qu’il a eues. Ou bien il faut dire que, parce qu’il était venu rétablir les autres, il devait être plus puissant pour ce qui est des perfections, et non pour ce qui est des carences, car il aurait plutôt eu besoin de retrouver lui-même forme (reformari) que de redonner forme (reformare). C’est pourquoi il a eu toute la grâce, mais non toutes les carences.

 

 

Articulus 3 [9324] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 3 tit. Utrum hujusmodi defectus susceperit, vel contraxerit

Article 3 – A-t-il reçu ou contracté ces carences ?

 [9325] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod hujusmodi defectus contraxerit. Illud enim proprie contrahitur quod cum alio trahitur. Sed ipse hos defectus cum natura traxit. Ergo eos contraxit.

1. Il semble qu’il ait contracté ces carences. En effet, est contracté au sens propre ce qui est tiré d’un autre. Or, il a reçu ces carences avec la nature. Il les a donc contractés.

 [9326] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, id quod ex ratione originis habetur, proprie contrahitur. Sed ex ratione suae originis Christus habuit hos defectus: quia ex ratione suae originis matri similis est natus, quae his defectibus subjacuit. Ergo ipse istos defectus contraxit.

2. Est contracté au sens propre ce qu’on tient en raison de son origine. Or, le Christ a eu ces carences en raison de son origine, car, en raison de son origine, il est né semblable à sa mère, qui a été soumise à ces carences. Il a donc contracté ces carences.

 [9327] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, illud cum natura contrahitur quod ex principiis naturae causatur. Sed hujusmodi defectus, ut fames, sitis, et hujusmodi, ex principiis naturae causantur: quia ex actibus contrariorum in invicem, ex quibus homo naturaliter constat. Ergo hos defectus contraxit.

3. Est contracté avec la nature ce qui est causé par les principes de la nature. Or, les carences comme la faim, la soif et celles de ce genre sont causées par les principes de la nature, car elles le sont par les actes de choses qui sont réciproquement contraires, dont l’homme est composé. Il a donc contracté ces carences.

 [9328] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, verbum contrahendi, secundum quod hic loquimur, videtur traductionem importare. Sed Christus habuit hujusmodi defectus per traductionem corporis ex corpore, non ex conditione animae. Ergo Christus hos defectus contraxit.

4. Le verbe « contracter », tel que nous l’employons ici, semble comporter une transmission. Or, le Christ a reçu ces carences par la transmission de son corps à partir d’un corps, et non pas en raison de la condition de son âme. Le Christ a donc contracté ces carences.

 [9329] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, sicut culpa originalis contrahitur a patre, ita istae poenalitates contrahuntur ex matre, sicut dictum est in 2 Lib. Sed Christus ex matre passibilis natus est, quamvis non ex patre peccatore. Ergo hujusmodi poenalitates contraxit.

5. De même que la faute originelle est contractée à partir du père, de même ces peines sont-elles sontractées à partir de la mère, comme on l’a dit dans le livre II. Or, le Christ est né passibile en raison de sa mère, bien que ce ne soit pas en raison de son père pécheur. Il a donc contracté ces peines.

 [9330] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, quod voluntarie assumitur, non contrahitur. Sed Christus voluntarie assumpsit hos defectus, sicut et ipsam naturam. Ergo non contraxit eos.

Cependant, [1] ce qui est assumé volontairement n’est pas contracté. Or, le Christ a assumé volontairement ces carences, comme la nature elle-même. Il ne les a donc pas contractées.

 [9331] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, nos dicimur contrahere hos defectus quia nobis debentur propter culpam originalem. Sed in Christo culpa originalis non fuit. Ergo Christus hos defectus non contraxit.

 [2] Noous disons que nous contractons ces carences parce qu’elles nous sont dues en raison de la faute originelle. Or, il n’y avait pas de faute originelle chez le Christ. Le Christ n’a donc pas contracté ces carences.

 [9332] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod illud proprie contrahitur quod ex necessitate alio tracto trahitur; et quia ex hoc ipso quod humanam naturam trahimus ex parentibus per vitiatam originem, sequitur de necessitate quod hos defectus habeamus; ideo dicimur hos defectus contrahere. Christus autem potuit humanam naturam sine his defectibus assumere, sicut cum defectibus assumpsit; et ideo non fuerunt in eo ex hoc ipso quod humanam naturam a parentibus traxit; sed sicut voluntarie assumpsit naturam humanam, ita et hos defectus: et propter hoc dicitur assumpsisse hos defectus, non contraxisse.

Réponse. À proprement parler, est contracté ce qui est nécessairement entraîné en même temps qu’une autre chose. Parce que nous tirons la nature humaine de nos parents en vertu d’une origine viciée, il en découle nécessairement que nous avons ces carences. C’est pourquoi on dit que nous contractons ces carences. Or, le Christ pouvait assumer la nature humaine sans ces carences, comme il l’a assumée avec ces carences. Aussi elles ne se trouvaient pas en lui du seul fait qu’il a tiré sa nature humaine de ses parents, mais, de même qu’il a volontairement assumé la nature humaine, de même en a-t-il été pour ces carences. C’est la raison pour laquelle on dit qu’il a assumé ces carences, mais ne les a pas contractées.

 [9333] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod haec conjunctio con non solum notat simultatem temporis in hoc quod dicitur aliquid contrahi, sed ordinem necessariae consecutionis unius ad alterum.

1. La conjonction con [avec] n’exprime pas seulement une simultanéité dans le temps lorsqu’on dit que quelque chose a été contracté, mais un ordre par rapport à la provenance nécessaire d’une chose par rapport à une autre.

 [9334] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod generatum, inquantum hujusmodi, assimilatur ei quod generat ipsum active, quia agens similat sibi patiens; quod autem aliquando natus assimilatur matri, ex qua generatur materialiter, est ex defectu virtutis activae, quae non potest materiam contrahere ad sui similitudinem; unde vincunt motus materiae, et assimilatur filius matri. Neutro istorum modorum fuit necessarium quod Christus matri assimilaretur: tum quia mater non fuit agens in generatione, sed solum materiam ministravit: tum quia non fuit aliquis defectus ex parte virtutis agentis, scilicet spiritus sancti; et ideo quod assimilatus est matri in his defectibus, hoc fuit ex sola ejus voluntate.

2. En tant que tel, ce qui est engendré est semblable à ce qui l’engendre activement, car un agent s’assimile le patient. Mais que, parfois, ce qui naît soit assimilé à sa mère, par laquelle cela est engendré de manière matérielle, cela vient d’une carence de la puissance active, qui ne peut attirer la matière à lui ressembler. Les mouvements de matière l’emportent alors, et le fils ressemble à sa mère. Il n’a été nécessaire d’aucune de ces manières que le Christ ressemble à sa mère, tant parce que sa mère n’a pas été un agent dans sa génération, mais n’a apporté que la matière, que parce qu’il n’y a eu aucune carence du côté de la puissance active, le Saint-Esprit. C’est pourquoi il n’a été rendu semblable à sa mère pour ces carences que par sa seule volonté.

 [9335] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ex principiis naturae sibi relictae, idest privatae illo dono gratiae quod naturae primo conditae datum fuerat, ut in 2 Lib. dictum est, hujusmodi defectus causantur. Sed Christus poterat naturam humanam accipere cum illa perfectione quam gratis in sua conditione natura humana acceperat; et ideo non de necessitate contraxit, sed voluntarie assumpsit.

3. Ces carences sont causées par les principes de la nature laissée à elle-même, c’est-à-dire privée du don de la grâce qui lui avait d’abord été accordé, comme on l’a dit dans le livre II. Mais le Christ pouvait assumer la nature humaine avec cette perfection que la nature humaine avait gratuitement reçue lors de son création. Aussi n’a-t-il pas nécessairement contracté [ces carences], mais les a-t-il volontairement assumées.

 [9336] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod verbum contrahendi non solum importat traductionem, sed necessarium ordinem ad aliud tractum, ut dictum est.

4. Le verbe « contracter » ne comporte pas seulement la transmission, mais un ordre nécessaire à quelque chose d’autre qui est contracté, comme on l’a dit.

 [9337] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod illud habet veritatem in illis qui secundum legem naturae nascuntur; Christus autem non sic ex virgine natus est, sed supra naturam; et ideo ratio non sequitur.

5. Cela est vrai pour ce qui naît selon la loi de la nature, mais le Christ n’est pas né ainsi de la Vierge, mais d’une manière qui dépasse la nature. Aussi le raisonnement n’est-il pas concluant.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [Les passions de l’âme du Christ]

 

 

Prooemium [9338] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 pr. Deinde quaeritur de passionibus quas assumpsit ex parte animae; et circa hoc quaeruntur tria: 1 si anima Christi fuerit passibilis, et cujus proprie sit pati; 2 de passionibus animalibus quae consequuntur ex interiori apprehensione, ut tristitia, et hujusmodi; 3 de passionibus quae sunt secundum sensum corporalem, sicut est dolor.

Prologue

On s’interroge ensuite sur les passions que [le Christ] a assumées dans son âme. À ce propos, trois questions sont posées : 1 – L’âme du Christ était-elle sujette à la douleur et à qui revient-il de souffrir au sens propre ? 2 – À propos des passions de l’âme qui découlent d’une perception intérieure, comme la tristesse et celles de ce genre. 3‑ À propos des passions reliées aux sens corporels, comme la douleur.

 

 

Articulus 1 [9339] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 tit. Utrum corpus pati possit

Article 1 – [La passibilité chez le Christ]

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le corps est-il sujet à subir ?]

 [9340] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur, quod omne corpus possit pati. Omne enim quod movetur, patitur: quia motus in eo quod movetur est passio, ut dicitur in 3 Phys. Sed omne corpus movetur. Ergo omne corpus patitur.

1. Il semble que tout corps soit sujet à subir. En effet, tout ce qui est mû subit, car « le mouvement est passion chez ce qui est mû », comme il est dit dans Physique, III. Or, tout corps est mû. Tout corps est donc sujet à subir.

 [9341] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, omne quod recipit, patitur, cum pati dicatur a patim, quod est recipere. Sed corpora caelestia aliquid recipiunt, scilicet illuminationem. Ergo patiuntur: ergo et alia multo magis quae sunt sub eis.

2. Tout ce qui reçoit subit, puisque subir (pati) vient de patim, qui signifie recevoir. Or, les corps célestes reçoivent quelque chose : l’illumination. Ils subissent donc. Donc, encore bien davantage les choses qui leur sont soumises.

 [9342] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, omne quod est potentius, natum est agere in minus potens. Sed omni corpore est aliquid potentius, et omni substantia creata. Ergo omnis creaturae est pati.

3. Tout ce qui est plus puissant est destiné à agir sur ce qui est moins puissant. Or, il y a quelque chose de plus puissant que tout corps et que toute substance créée. Toute créature peut donc subir.

 [9343] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, omne passibile est corruptibile, quia passio magis facta abjicit a substantia, ut dicitur Topic., Lib. 6. Sed non omne corpus est corruptibile. Ergo non omne corpus est passibile.

Cependant, [1] tout ce qui est passible est corruptible, car « une passion plus intense dégrade une substance », comme il est dit dans Topiques, VI. Or, tout corps n’est pas corruptible. Tout corps n’est donc pas passible.

 [9344] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, sicut dicitur in 1 de generatione, omne agens est contrarium patienti. Sed non omne corpus habet contrarium. Ergo non etiam omne patitur.

 [2] Comme on le dit dans Sur la génération, I, tout agent est contraire au patient. Or, tout corps n’a pas de contraire. Tout corps ne subit donc pas.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [L’âme est-elle passible ?]

 [9345] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Quaeritur, utrum anima sit passibilis; et videtur quod non. Sicut etiam formae est agere, ita materiae est pati. Sed anima non est composita ex materia, ut in 1 Lib., distinct. 8, qu. 5, art. 2, dictum est. Ergo non potest pati.

1. Il semble que non. De même qu’il revient à la forme d’agir, de même revient-il à la matière de subir. Or, l’âme n’est pas composée de matière, comme on l’a dit dans le livre I, d. 8, q. 5, a. 2. Elle ne peut donc pas subir.

 [9346] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 2 Si dicatur, quod patitur per accidens ad passionem corporis; contra. Passionis terminus est corruptio. Sed anima non corrumpitur corrupto corpore. Ergo etiam non patitur corpore patiente.

2. Si l’on dit qu’elle subir par accident suite à une passion du corps, on répondra que le terme de la passion est la corruption. Or, l’âme n’est pas corrompue lorsque le corps est corrompu. Elle ne subit donc pas lorsque le corps subit.

 [9347] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, ex hoc anima movetur per accidens localiter ad motum corporis, quia est in loco corporis per accidens. Sed nullo modo habet qualitatem corpoream, neque per se neque per accidens. Ergo nullo modo alteratur, corpore per accidens alterato. Sed passio proprie dicitur in motu alterationis, ut dicitur. Ergo anima non patitur per accidens passo corpore.

3. L’âme est mue localement par accident selon le mouvement du corps parce qu’elle se trouve dans le lieu du corps par accident. Or, elle ne possède d’aucune manière une qualité corporelle, ni par soi ni par accident. Elle n’est donc altérée d’aucune manière lorsque le corps est altéré par accident. Or, la passion consiste au sens propre dans un mouvement d’altération, comme on le dit. L’âme ne subit donc pas par accident, lorsque le corps subit.

 [9348] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, ad motum totius, per accidens movetur pars. Sed anima est pars totius compositi, quod patitur. Ergo et ipsa aliquo modo patitur.

Cependant, lorsqu’un tout se meut, la partie est mue par accident. Or, l’âme est une partie d’un tout composé qui est passible. Elle-même est donc passible d’une certaine manière.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [L’âme du Christ peut-elle être passible ?]

 [9349] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod anima Christi non possit pati. Quia nihil est dignius quam anima Christi. Sed agens est dignius patiente, secundum Augustinum. Ergo anima Christi non fuit passibilis.

1. Il semble que l’âme du Christ ne puisse être passible, car rien n’est plus digne que l’âme du Christ. Or, l’agent est plus digne que ce qui subit, selon Augustin. L’âme du Christ ne pouvait donc pas être passible.

 [9350] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, virtus reddit animam quietam a passionum tumultibus; et quanto virtus est perfectior, tanto passiones in animam minus dominantur. Sed in Christo fuit perfectissima virtus. Ergo nullo modo fuit in anima ejus passio.

2. La vertu apaise l’âme du tumulte des passions, et plus la vertu est parfaite, moins les passions l’emportent sur l’âme. Or, la vertu la plus parfaite existait chez le Christ. Il n’y avait donc aucune passion dans son âme.

 [9351] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, impassibilitas est de ratione beatitudinis; unde ponitur inter dotes corporis. Sed anima Christi fuit beata. Ergo non fuit passibilis.

3. L’impassibilité fait partie de la béatitude; aussi est-elle mise parmi les dots du corps. Or, l’âme du Christ était bienheureuse. Elle n’était donc pas passible.

 [9352] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra. Joannes Damascenus dicit, quod anima corpori inciso compatitur et dolet; et hoc est, quia unitur corpori passibili. Sed anima Christi conjuncta est corpori passibili. Ergo anima ejus fuit passibilis: quia nihil compatitur quod non est passibile.

Cependant, [1] Jean Damascène dit que, lorsque le corps est coupé, l’âme en souffre et est affligée; cela vient de ce qu’elle est unie à un corps passible. Or, l’âme du Christ était unie à un corps passible. Son âme était donc passible, car rien ne compatit qui ne soit passible.

 [9353] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, Christus assumpsit in natura nostra defectus qui totam naturam consequuntur, qui imperfectionem gratiae non important. Sed passibilitas animae est hujusmodi. Ergo Christus passibilem animam assumpsit.

 [2] Le Christ a assumé avec notre nature les carences qui ne comportent pas d’imperfection de la grâce. Or, la passibilité de l’âme en fait partie. Le Christ a donc assumé une âme passible.

 [9354] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 3 s. c. 3 Praeterea, Christus venit magis curare defectus animae in nobis quam defectus corporis. Sed ipse suscepit naturam passibilem, ut impassibilitatem nobis acquireret. Ergo debuit assumere animam passibilem, ut per hoc impassibilitatem animae acciperemus.

 [3] Le Christ est venu guérir en nous plutôt les carences de l’âme que les carences du corps. Or, il a lui-même assumé une nature passible afin d’obtenir pour nous l’impassibilité. Il a donc dû assumer une âme passible afin que nous recevions ainsi l’impassibilité de l’âme.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [9355] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum, ad primam quaestionem, quod cum dicit Damascenus, quod passio est motus ab uno in aliud, non quilibet motus est passio, sed solum alteratio, proprie loquendo, ut dicit philosophus: quia in hoc solo motu aliquid a re abjicitur et aliquid imprimitur, quod est de ratione passionis. Motus enim localis est secundum id quod est extra rem, quod est locus; motus autem augmenti est secundum hoc quod ex eo quod jam est, scilicet nutrimento, producitur augmentatum in majorem quantitatem. Ad hoc autem quod sit alteratio, requiritur ex parte alterati quod sit res per se subsistens (aliter enim subjectum motus esse non posset), et quod sit corpus (quia solum tale movetur, ut in 5 Physic., text. 32, probatur), et ulterius quod habeat naturam contrarietati subjectam, quia alteratio est motus inter contrarias qualitates. Ex parte vero terminorum alterationis requiritur quod una qualitate expulsa, alia introducatur: sic enim de qualitate in qualitatem transitur. Sed ulterius ad rationem passionis requiritur quod qualitas introducta sit extranea, et qualitas abjecta sit connaturalis: quod contingit ex hoc quod passio importat quamdam victoriam agentis super patiens: omne autem quod vincitur, quasi trahitur extra terminos proprios ad terminos alienos; et ideo alterationes quae contingunt praeter naturam alterati, magis proprie dicuntur passiones, sicut aegrotationes quam sanationes, sicut patet per Damascenum et per philosophum. Unde patet quod illorum corporum tantum est proprie pati quae possunt extra naturam suam trahi; et haec sunt corruptibilia.

Ainsi que le dit [Jean] Damascène, « la passion est un mouvement exercé par une chose sur une autre. Tout mouvement n’est donc pas une passion, mais seulement l’altération au sens propre, comme le dit le Philosophe, car c’est seulement par ce mouvement que quelque chose est enlevé à une chose et que quelque chose y est empreint, ce qui fait partie de la raison de la passion ». En effet, le mouvement local se réalise par quelque chose qui est extérieur à une chose, le lieu; le mouvement d’accroissement se réalise selon que, à partir de ce qui existe déjà, la nourriture, est produite l’augmentation en une quantité plus grande. Mais pour qu’il y ait altération, il est nécessaire, du côté de ce qui est altéré, qu’il s’agisse d’une chose qui subsiste par elle-même (en effet, il ne pourrait y avoir autrement de sujet du mouvement), qui est un corps (car seule une telle chose est mue, comme on le démontre dans Physique, V, text. 32) et qui, de plus, possède une nature sujette au contraire, car l’altération est un mouvement entre des qualités contraires. Mais, du côté des termes de l’altération, il est requis que, lorsqu’une qualité est rejetée, une autre soit introduite : en effet, c’est ainsi qu’on passe de qualité en qualité. Mais, en plus, il est nécessaire à la raison de passion que la qualité introduite vienne de l’extérieur et que la qualité rejetée soit connaturelle, ce qui se produit du fait que la passion comporte une certaine victoire de l’agent sur le patient. Or, tout ce qui est vaincu est comme tiré hors de ses termes propres vers des termes différents. C’est pourquoi les altérations qui vont au-delà de la nature de ce qui est altéré sont appelées des passions au sens propre, comme les maladies plutôt que les guérisons, comme cela ressort de [Jean] Damascène et du Philosophe. Il est donc clair qu’il revient seulement de subir au sens propre aux corps qui peuvent être tirés hors de leur nature, et ceux-ci sont corruptibles.

 [9356] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non omne moveri est pati, nisi communiter et large loquendo, sicut etiam omne moveri quoddam corrumpi est, secundum Augustinum, et secundum philosophum, 8 Physic.

1. Le fait d’être mû n’est pas une passion, si ce n’est d’une manière générale et au sens large, comme tout fait d’être mû est une certaine corruption, selon Augustin et selon le Philosphe, Physique, VIII.

 [9357] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in illuminatione non abjicitur aliqua qualitas, sed tantum recipitur: et ideo non est passio.

2. Par l’illumination, une qualité n’est pas rejetée, mais seulement reçue. Ce n’est donc pas une passion.

 [9358] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Deus qui est superior omni substantia creata, influit rebus ad perfectionem naturae ipsarum; et ideo secundum quod ab ipso recipiunt, non dicuntur proprie pati; neque secundum quod corporalia a quibuscumque spiritualibus recipiunt.

3. Dieu, qui est supérieur à toute substance créée, influe sur les choses en vue de la perfection de leur nature. C’est pourquoi on ne dit pas qu’elles subissent au sens propre en recevant de lui, ni selon que les réalités corporelles reçoivent de n’importe quelle réalité spirituelle.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [9359] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod ex dictis de facili potest patere qualiter in anima possit esse passio. Quia cum anima sit quid incorporeum, sibi proprie non accidit pati, nisi secundum quod corpori applicatur. Applicatur autem corpori et secundum essentiam suam, secundum quod est forma corporea, et secundum operationem suarum potentiarum, prout est motor ejus. Secundum autem quod applicatur corpori ut forma, sic non consideratur ut quid subsistens, sed ut adveniens alteri: unde sic non patitur per se, sed per accidens, sicut aliae formae moventur motis subjectis compositis. In viribus autem animae quantum ad operationem applicantur corpori solum vires partis sensitivae et nutritivae. Sed quia operatio virium nutritivae partis est in movere, non in moveri; ideo secundum eas anima non patitur, sed magis agit. Relinquitur ergo quod pati sit proprie animae secundum partem sensitivam, ut dicitur in 7 Phys. Sed quia hujusmodi vires non sunt subsistentes, sed formae organorum corporalium; ideo non dicuntur pati per se, nec anima secundum eas, sed per accidens, inquantum compositum patitur, ut dicitur in 1 de anima. Sed quia potentiae apprehensivae sensitivae sunt tantum in recipiendo speciem, quae quidem non recipitur in sensu per modum rei, sed per modum intentionis; ideo in operatione harum virium est quidem aliquo modo pati, quantum ad hoc quod sunt vires materiales, et quantum ad hoc quod aliquid recipitur (et propter hoc dicitur in 2 de anima text. 52, quod sentire est quoddam pati). Sed quia sensus non movetur a sensibili secundum conditionem moventis, cum forma sensibilis non recipiatur in sensu secundum esse materiale prout est in sensibili, sed secundum esse spirituale, quod est proprium sensui (unde non habet contrarietatem ad sensum, sed est perfectio ejus, nisi secundum quod excedit proportionem sensus); ideo non proprie dicitur pati, nisi secundum quod excellentia sensibilium corrumpit sensum, aut debilitat. Relinquitur ergo quod passio proprie dicatur secundum vires appetitivas sensitivas: quia hae vires et materiales sunt, et moventur a rebus secundum proprietatem rei: quia non est appetitus intentionis, sed ipsius rei; et secundum hoc habet res convenientiam ad animam, vel contrarietatem: et ideo dicit philosophus, quod passio est quam sequitur delectatio vel tristitia: et Remigius dicit, quod passio est motus animae per susceptionem boni vel mali. Sed quia accidit delectatio secundum conjunctionem convenientis et connaturalis; ideo adhuc magis proprie dicuntur passiones illae affectiones sensitivae ad quas sequitur tristitia, vel etiam quae sunt cum vehementia sive delectationis sive tristitiae, ut dicit philosophus 5 Metaphysic.; quia sic trahitur anima extra modum suum naturalem. Et sic loquimur hic de passionibus. Sed in viribus intellectivae partis, quamvis non sit proprie passio, quia immateriales sunt; tamen ibi est aliquid de ratione passionis: quia in apprehensione intellectus creati est receptio; et secundum hoc dicitur in 3 de anima quod intelligere est pati quoddam. In appetitu autem intellectivo adhuc est plus de ratione passionis: quia voluntas movetur a re secundum quod est bona vel mala, quae sunt conditiones rei; intellectus autem movetur secundum apprehensionem veri vel falsi; quae non sunt rei per se, sed secundum quod sunt in anima: quia bonum et malum sunt in rebus; verum et falsum sunt in anima, ut dicitur in 6 Metaph.; unde magis recipit anima a re secundum affectum, et vehementius movetur, quam secundum intellectum; sicut dicit Dionysius, 2 cap. de Div. Nom., quod Hierotheus patiendo didicit divina, idest ex affectu circa divina in intellectum devenit. Et quia movetur affectus a re secundum proprietatem rei quam res habet in se ipsa, ideo per hunc modum contingit quod res habeat contrarietatem vel convenientiam ad animam; sed secundum quod apprehenditur ab intellectu, omnis res habet convenientiam, inquantum apprehenditur ut verum: et ideo in operatione apprehensivae semper est delectatio; in operatione autem affectivae est delectatio et tristitia: et sic etiam tristitia magis adhuc proprie dicitur passio, sicut in affectu sensibili dictum est, et similiter accipitur hic passio. De passione autem animae secundum quod ab igne infernali patitur, dicendum est in quarto libro: sic enim anima per se patitur.

À partir de ce qui a été dit, on peut facilement montrer comment il peut exister une passion dans l’âme, car, l’âme étant quelque chose d’incorporel, elle ne connaît pas de passion au sens propre, si ce n’est selon qu’elle est liée à un corps. Or, elle est liée au corps selon son essence, en tant qu’elle est une forme corporelle, et selon l’opération des ses puissances, en tant qu’elle en est le moteur. Or, selon qu’elle est liée au corps comme sa forme, elle n’est pas considérée comme une réalité subsistante, mais comme survenant à quelque chose d’autre. Aussi ne subit-elle pas par elle-même, mais par accident, comme les autres formes sont mues lorsque leurs sujets composés sont mus. Mais ne sont liées aux puissances de l’âme pour leur opération que les puissances de la partie sensible et de la partie nutritive. Mais parce que l’opération des puissances de la partie nutritive consiste en ce qu’elle meuve, et non en ce qu’elle soit mue, l’âme ne subit donc pas à cause d’elles, mais plutôt agit. Il reste donc que subir relève au sens propre de l’âme selon sa partie sensible, comme on le dit dans Physique, VII. Toutefois, parce que ces puissances ne sont pas subsistantes, mais sont des formes des organes corporels, on ne dit donc pas qu’elles subissent par elles-mêmes, ni que l’âme subit à travers elles, mais [qu’elle subit] par accident, pour autant que le composé subit, comme il est dit dans Sur l’âme, I. Mais parce que les puissances perceptives sensibles consistent seulement à recevoir une espèce, qui n’est cependant pas reçue par le sens à la manière d’une chose, mais par mode d’intention, il existe donc une certaine passion dans l’opération de ces puissances, pour autant qu’elles sont des puissances matérielles et pour autant que quelque chose est reçu (pour cette raison, il est dit, dans Sur l’âme, II, text. 52, que « sentir est une certaine passion »). Cependant, parce que le sens n’est pas mû par l’objet sensible selon la condition de ce qui meut, puisque la forme sensible n’est pas reçue par le sens selon son être matériel, telle qu’elle existe dans le sensible, mais selon un être spirituel qui est propre au sens (aussi ne comporte-t-elle pas de contrariété par rapport au sens, mais est-elle sa perfection, à moins qu’elle ne dépasse la proportion du sens), on ne parle donc de passion au sens propre que si la grandeur des réalités sensibles corrompt le sens ou l’affaiblit. Il reste donc qu’on parle de passion pour les puissances appétitives sensibles, car ces puissances sont à la fois matérielles et elles sont mues par les choses selon le caractère propre de la chose, puisque l’appétit ne porte pas sur une intention, mais sur la chose elle-même. C’est de cette manière qu’une chose convient ou est contraire à l’âme. C’est pourquoi le Philosophe dit que « la passion est celle qui suit le plaisir ou la tristesse. Et Rémi dit que « la passion est un mouvement de l’âme dû à la réception d’un bien ou d’un mal ». Or, parce que la délectation se produit par l’union de ce qui convient et est connaturel, on parle donc encore plus proprement de passions pour les affections sensibles dont découle la tristesse, ou encore qui sont accompagnées par l’intensité de la délectation ou de la tristesse, comme le dit le Philosophe dans Métaphysique, V, car l’âme est ainsi attirée hors de son mode naturel. C’est en ce sens que nous parlons ici de passions. Or, bien qu’il n’y ait pas de passion au sens propre dans les puissance de la partie intellectuelle, car elles sont immatérielles, il s’y trouve cependant quelque chose de la nature de la passion, car il y a une réception dans la perception de l’intellect créé. C’est ainsi qu’on dit, dans Sur l’âme, III, qu’« intelliger, c’est subir d’une certaine manière ». Or, la raison de passion est encore plus présente dans l’appétit intellectuel, car la volonté est mue par une chose selon qu’elle est bonne ou mauvaise, qui sont des conditions de la chose; mais l’intellect est mû par l’appréhension du vrai ou du faux, qui ne sont pas des choses en soi, mais selon qu’elles existent dans l’âme. En effet, « le bien et le mal se trouvent dans les choses, mais le vrai et le faux se trouvent dans l’âme », comme on le dit dans Métaphysique, VI. L’âme reçoit donc davantage d’une chose selon l’affectivité et elle est mue par elle de manière plus intense, que selon l’intellect. Denys dit ainsi, Les noms divins, II, que « Hiérothée a appris les réalités divines en les subissant », c’est-à-dire qu’il est parvenu à l’intelligence des réalités divines à partir de l’affectivité. Et parce que l’affectivité est mue par une chose selon ce qui est propre à celle-ci en elle-même, il arrive que, de cette manière, une chose convienne ou soit contraire à l’âme; mais, selon qu’elle est appréhendée par l’intellect, toute chose convient [à l’âme], en tant qu’elle est appréhendée comme vraie. C’est pourquoi, dans l’opération de la [partie] connaissante, il existe toujours une délectation; mais, dans l’opération de la [partie] affective, existent la délectation et la tristesse. Ainsi donc, la tristesse est appelée une passion en un sens encore plus propre, comme on l’a dit pour l’affectivité sensible; de même entend-on ici la passion. Mais on parlera de la passion de l’âme, par laquelle elle souffre du feu de l’enfer, dans le livre IV. C’est ainsi que l’âme est passible par elle-même.

 [9360] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ratio illa procedit de passione proprie dicta; et concludit quod anima hoc modo passionis non patitur per se, sed per accidens.

1. Ce raisonnement s’appuie sur la passion au sens propre, et il conclut que l’âme ne subit pas ce genre de passion par elle-même, mais par accident.

 [9361] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis per corruptionem corporum, anima non corrumpatur simpliciter quantum ad substantiam; corrumpitur tamen compositio, secundum quam actu est forma corporis; et etiam vires affixae organis, ut quidam dicunt.

2. Bien que l’âme ne soit pas simplement corrompue dans sa substance par la corruption des corps, la composition est cependant corrompue, selon laquelle elle est la forme du corps en acte. C’est aussi le cas des puissances liées à des organes, comme le disent certains.

 [9362] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod anima dicitur esse in loco per accidens, inquantum est pars compositi, quod est in loco per se; et sic movetur per accidens in loco: et sic etiam valetudo, quae est compositi, est animae per accidens, inquantum est pars ejus; et sic etiam per accidens patitur ad passionem corporis.

3. On dit que l’âme est dans un lieu par accident, pour autant qu’elle est une partie du composé qui est par soi dans un lieu. Elle est ainsi mue par accident dans un lieu. Il en est de même pour la santé, qui est le fait du composé, mais de l’âme par accident, pour autant qu’elle en est une partie. C’est ainsi qu’elle subit par accident la passion du corps.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [9363] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod anima Christi media fuit inter divinitatem et carnem. Et quia beatitudo inerat illi animae ex divinitate, corpus autem ejus erat passibile; ideo passibilitas inerat illi animae ex parte illa qua conjungibilis erat corpori; beatitudo autem ex parte illa qua conjungebatur divinitati. Conjungebatur autem corpori dupliciter: scilicet secundum essentiam, inquantum est forma et secundum potentias, non tamen omnes, sed quasdam; unde anima Christi secundum essentiam tota patiebatur ex laesi corporis passione; sed quantum ad potentias patiebatur quidem passione imperfectionis, secundum operationes virium affixarum organis: secundum alias vero vires, quibus anima convertebatur in Deum, qualiter pateretur, dicetur infra, 3 art.

L’âme du Christ était intermédiaire entre la divinité et la chair. Parce que la béatitude était présente dans cette âme en raison de la divinité, alors que son corps était passible, la passibilité était donc présente dans cette âme selon qu’elle pouvait être unie au corps, et la béatitude, selon qu’elle était unie à la divinité. Or, elle était unie au corps de deux manières : selon l’essence, pour autant qu’elle est sa forme, et selon les puissances, non pas selon toutes, mais selon certaines. Aussi l’âme du Christ souffrait-elle tout entière selon son essence en raison de la souffrance du corps blessé; mais, pour ce qui est des puissances, elle souffrait d’une une passion d’imperfection, selon les opérations des puissances liées à des organes. Mais, selon les autres puissances, par lesquelles l’âme était tournée vers Dieu, on dira plus loin, a. 3, comment elle souffrait.

 [9364] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis anima Christi nihil sit dignius, non tamen impedit quin per accidens possit pati alio patiente.

1. Bien qu’il n’y ait rien de plus digne que l’âme du Christ, il n’empêche qu’elle puisse par accident souffrir lorsqu’un autre souffre.

 [9365] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod perfecta virtus omnino non tollit animales passiones, quia etiam aliquando utitur eis, sicut fortitudo ira, ut dicit philosophus: sed facit ut nulla passio in eo surgat quae rationem impediat. In Christo autem amplius fuit: quia enim fuit perfecta obedientia virium inferiorum ad superiores; ideo nulla passio surgebat in eo nisi ex ordine rationis.

2. La vertu parfaite n’enlève pas complètement les passions de l’âme, car elle les utilise même parfois, comme « la force [recourt] à la colère », ainsi que le dit le Philosophe. [La vertu parfaite] fait cependant qu’aucune passion ne surgisse en lui pour empêcher la raison. Elle existait encore davantage chez le Christ : en effet, il y avait [chez lui] une parfaite obéissance des puissances inférieures aux puissances supérieures. Aussi aucune passion ne surgissait-elle en lui que sur ordre de la raison.

 [9366] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod anima Christi habuit utrumque statum, scilicet viatoris, et comprehensoris; unde secundum aliquid fuit beata, et secundum aliquid non fuit beata. Ex illa enim parte qua nata est anima corpori conjungi, non erat beatificata; alias ex anima in corpus claritas gloriae descendisset, sicut erat in aliis glorificatis; et ideo ex parte ista poterat pati, et habebat statum viatoris. Sed ex parte illa qua conjungebatur verbo per fruitionem, erat glorificata, et habebat statum comprehensoris.

3. L’âme du Christ avait les deux états : celui du viator et celui du comprehensor. Aussi, sous un aspect, était-elle bienheureuse, et, sous un autre, elle n’était pas bienheureuse. En effet, du point de vue où elle était destinée à être unie à un corps, elle n’était pas bienheureuse, autrement l’éclat de la gloire serait descendu de l’âme vers le corps, comme c’était le cas pour les autres qui possédaient la gloire. Sous cet aspect, elle pouvait donc souffrir et était dans l’état de viator. Mais, sous l’aspect où elle était unie au Verbe par la jouissance (fruitio), elle était glorifiée et elle était dans l’état de comprehensor.

 

 

Articulus 2 [9367] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 tit. Utrum Christus tristitiam habuerit

Article 2 – Le Christ a-t-il connu la tristesse ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le Christ a-t-il connu la tristesse ?]

 [9368] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Christus non habuerit tristitiam. Isa. 42, 4, dicitur de eo: non erit tristis, neque turbulentus.

1. Il semble que le Christ n’ait pas connu la tristesse. Is 42, 4 : Il ne sera ni triste, ni troublé.

 [9369] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, omnis tristitia est perturbatio quaedam. Sed in sapientem non cadit perturbatio. Ergo neque in Christo, qui fuit maxime sapiens, fuit tristitia. Secundam probat Seneca tripliciter. Primo sic. Fortius non perturbatur a debiliori. Sed virtus est fortior malitia. Ergo non perturbatur ab ea; nec a virtute, quia virtus non est virtuti contraria: ergo nullo modo. Secundo sic. Nullus perturbatur nisi de eo quod bonum suum perdit vel diminuit. Sed sapiens non perdit bona sua, nec ei possunt auferri, quae sunt bona animae, quia bona corporis non reputat sua. Ergo non perturbatur. Tertio sic. Quia fortuna nihil eripit nisi quod dedit. Sed non dedit virtutem. Ergo ipsam auferre non potest; et sic idem quod prius.

2. Toute tristesse est un trouble de l’âme. Or, le sage ne connaît pas le trouble. La tristesse n’a donc pas non plus existé chez le Christ, qui était sage au plus haut point. Sénèque démontre la mineure de trois manières. Premièrement, ce qui est plus fort n’est pas troublé par ce qui est plus faible. Or, la vertu est plus forte que la malice. Elle n’est donc pas troublée par elle, ni par une [autre] vertu, parce qu’une vertu n’est pas contraire à [une autre] vertu. Elle n’est donc troublé d’aucune manière. Deuxièmement, personne n’est troublé que par la perte ou la diminution de son bien. Or, le sage ne perd pas ses biens, et ceux-ci ne peuvent pas lui être enlevés, puisqu’ils sont des biens de l’âme et qu’il ne considère pas comme siens les biens du corps. Troisièmement, parce que la fortune n’enlève que ce qu’elle a donné. Or, elle n’a pas donné la vertu. Elle ne peut donc pas la retirer. Et ainsi, la conclusion est la même que précédemment.

 [9370] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, philosophus: idem sine tristitia quam cum tristitia magis eligendum est. Sed Christus, cum fuerit sapientissimus, optime scivit eligere. Ergo non elegit aliquid pati cum tristitia.

3. Le Philosophe dit : « Une même chose sans tristesse doit être choisie plutôt qu’avec tristesse. » Or, le Christ, puisqu’il était le plus sage, a su choisir au mieux. Il n’a donc pas choisi de subir quelque chose avec tristesse.

 [9371] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Matth. 26, 38: tristis est anima mea usque ad mortem.

Cependant, [1] Mt 26, 38 dit en sens contraire : Mon âme est triste jusqu’à la mort.

 [9372] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, fletus est signum tristitiae. Sed Christus flevit: Joan. 11. Ergo ipse fuit tristis.

 [2] Pleurer est un signe de la tristesse. Or, le Christ a pleuré, Jn 11. Il a donc été triste.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La colère a-t-elle existé chez le Christ ?]

 [9373] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod in Christo non fuerit ira. Ira enim vitium est. Sed in Christo nullum fuit vitium, sed summa mansuetudo; Matth. 11, 29: discite a me, quia mitis sum et humilis corde. Ergo in Christo non fuit ira.

1. Il semble que la colère n’ait pas existé chez le Christ. En effet, la colère est un vice. Or, chez le Christ, il n’y avait aucun vice, mais la plus grande douceur, Mt 11, 29 : Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur. Il n’y avait donc pas de colère chez le Christ.

 [9374] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, sicut Gregorius dicit, ira per vitium excaecat oculum mentis, ira per zelum turbat. Sed in Christo oculus mentis neque excaecatus neque perturbatus fuit. Ergo in Christo non fuit ira.

2. Comme le dit Grégoire, « la colère aveugle le regard de l’esprit par le vice, la colère trouble par l’emportement ». Or, chez le Christ, le regard de l’esprit n’a été ni aveuglé ni troublé. Il n’y a donc pas eu de colère chez le Christ.

 [9375] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, secundum philosophum, et Damascenum, ira est appetitus vindictae. Sed Christus non fecit aliquid ad vindictam. Ergo in Christo non fuit ira.

3. Selon le Philosophe et [Jean] Damascène, la colère est un désir de vengeance. Or, le Christ n’a rien fait par vengeance. Il n’y a donc pas eu de colère chez le Christ.

 [9376] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, in Christo fuit ira per zelum, ut patet Joan. 2. Ergo in eo fuit ira.

Cependant, [1] chez le Christ, la colère a existé en raison de la ferveur, Jn 2. La colère a donc existé chez lui.

 [9377] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, nulla virtus defuit Christo, nec aliqua virtutis perfectio. Sed de perfectione aliquarum virtutum est ira, sicut fortitudinis, ut dicitur in 3 Eth. Ergo in Christo fuit ira.

 [2] Aucune vertu ni perfection d’une vertu n’a fait défaut au Christ. Or, la colère fait partie de la perfection de certaines vertus, comme de la force, ainsi qu’on le dit dans Éthique, III. La colère a donc existé chez le Christ.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La crainte a-t-elle existé chez le Christ ?]

 [9378] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod in Christo non fuerit timor. Timor enim maxime opponitur fortitudini. Sed in Christo fuit perfectissima fortitudo. Ergo in ipso non fuit aliquis timor.

1. Il semble que la crainte n’ait pas existé chez le Christ. En effet, la crainte s’oppose au plus haut point à la force. Or, chez le Christ, la force la plus parfaite a existé. Il n’y a donc eu chez lui aucune crainte.

 [9379] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, Augustinus dicit, quod signum perfectionis est absque timore esse. Sed Christus fuit perfectissimus. Ergo in eo non fuit passio timoris.

2. Augustin dit que le signe de la perfection est de vivre sans crainte. Or, le Christ était parfait au plus haut point. La passion de la crainte n’a donc pas existé chez lui.

 [9380] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, si dicatur, quod timor inerat ei secundum sensualitatem; contra. Timor est de futuro malo. Sed sensualitas in Christo non poterat futurum comprehendere. Ergo in Christo non poterat esse timor, sed tantum dolor de praesenti.

3. Si on dit que la crainte existait chez lui selon la sensualité, on objectera que la crainte porte sur un mal futur. Or, la sensualité chez le Christ ne pouvait comprendre l’avenir. Il ne pouvait donc exister de crainte chez le Christ, mais seulement une douleur pour le présent.

 [9381] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, Marc. 14: coepit Jesus pavere et taedere. Ergo et cetera.

Cependant, [1] Mc 14 dit en sens contraire : Jésus se mit à ressentir effroi et angoisse.

 [9382] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, ejusdem est dolor et timor. Sed in Christo fuit verus dolor. Ergo et verus timor.

 [2] La douleur et la crainte se trouvent chez le même. Or, il y a eu une vraie douleur chez le Christ. Il y a donc eu une crainte véritable.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [9383] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum, ad primam quaestionem, quod hic quaeritur de tristitia secundum quod est passio animalis in parte sensitiva; et ideo dicendum, quod quia Christus voluntarie assumpsit naturam nostram, ut per eam nos redimeret, ideo talem assumpsit qualem oportuit esse ad finem redemptionis nostrae; unde quamvis in aliis beatis per quamdam redundantiam ex glorificatione superiorum virium glorificentur etiam inferiores, et ex gloria animae descendat gloria corporis; tamen in Christo non fuit sic: quia gloria ejus quae inerat ei secundum fruitionem Dei, non impediebat passibilitatem animae ejus, secundum quod erat pars humanae naturae: et similiter laetitia quae inerat in superiori parte per fruitionem, non redundabat in inferiores; et ideo cum accidebat aliquid contrarium delectationi inferiorum partium, erat de eo tristitia; sed tamen aliter in ipso et in nobis: quia in nobis inferiores vires non sunt perfecte subjectae rationi; et ideo quandoque praeter ordinem rationis insurgunt in nobis passiones tristitiae, quas quidem virtus refrenat in virtuosis, sed in aliis etiam rationi praevalent: sed in Christo nunquam surgebat motus tristitiae nisi secundum dictamen superioris rationis, quando scilicet dictabat ratio quod sensualitas tristaretur secundum convenientiam naturae suae; et ideo non fuit in eo tristitia rationem pervertens, nec fuit necessaria, sed voluntaria quodammodo.

On s’interroge ici sur la tristesse qui est une passion de l’âme en partie sensible. Il faut donc dire que, parce que le Christ a assumé volontairement notre nature afin de nous racheter par elle, il l’a assumée telle qu’elle devait être en regard de notre rédemption. Bien que, chez les autres bienheureux, les puissances inférieures soient aussi glorifiées par un certain rejaillissement de la glorification des puissances supérieures, et que la gloire du corps provienne de la gloire de l’âme, cependant, chez le Christ, il n’en était pas ainsi : en effet, sa gloire, qui était en lui par la jouissance de Dieu (secundum fruitionem Dei), n’empêchait pas la passibilité de son âme, selon qu’elle était partie de la nature humaine. De la même façon, la joie qui se trouvait dans la partie supérieure par la jouissance, ne rejaillissait pas sur les puissances inférieures. Aussi, lorsque survenait quelque chose de contraire à la délectation des parties inférieures, il en résultait de la tristesse, mais autrement chez lui et chez nous, car, chez nous, les puissances inférieures ne sont pas parfaitement soumises à la raison. C’est pourquoi des passions de tristesse se lèvent parfois en nous en dehors de l’ordre de la raison, que la vertu réfrènent chez les vertueux, mais qui l’emportent aussi chez les autres. Mais, chez le Christ, jamais ne se levait un mouvement de tristesse, si ce n’est selon l’ordre de la raison supérieure, alors que la raison ordonnait que la sensualité soit attristée selon ce qui convenait à sa nature. C’est pourquoi il n’y a pas eu chez lui de tristesse qui troublait la raison, elle n’était pas non plus nécessaire, mais [il y a eu une tristesse] qui était pour ainsi dire volontaire.

 [9384] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod per illam auctoritatem Isaiae excluditur a Christo tristitia rationem impediens.

1. Selon cette autorité d’Isaïe, une tristesse empêchant la raison est écartée du Christ.

 [9385] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod perturbari dicitur ex toto turbari; et hoc est quando turbatio inferioris partis ad superiorem pervenit, ut ejus ordo turbetur: et hoc non est in aliquo sapiente, nec in Christo fuit; et sic concludunt rationes Senecae.

2. Être troublé signifie être complètemenet bouleversé. Cela se produit lorsque le trouble de la partie inférieure atteint la partie supérieure, de sorte que son ordre est bouleversé. Cela n’existe pas chez le sage et n’a pas existé chez le Christ. C’est aussi en ce sens que vont les arguments de Sénèque.

 [9386] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod omnis tristitia, ut dicitur in 7 Ethic., inquantum in se est, fugienda est, inquantum hujusmodi: potest tamen eligi tristitia inquantum ad aliquod bonum ordinat, sicut tristitia poenitentis ad salutem; et ita etiam Christus elegit tristitiam, inquantum utilis erat ad redemptionem humani generis.

3. Comme on le dit dans l’Éthique, VII, « toute tristesse, en tant que telle, doit en elle-même être fuie ». La tristesse peut cependant être choisie pour autant qu’elle ordonne à un bien, comme la tristesse du pénitent [ordonne] au salut. De cette manière aussi, le Christ a choisi la tristesse pour autant qu’elle était utile à la rédemption du genre humain.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [9387] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod ira tripliciter dicitur. Quandoque enim ira ponitur pro habitu vel actu vitii, quod opponitur mansuetudini, quod irascibilitas dicitur: quod contingit ex hoc quod virtus, ut in 2 Ethic. dicitur, quandoque magis opponitur uni extremorum, sicut mansuetudo superfluitati irae, magis quam diminutioni; et ideo oppositum vitium nominatur ira: et sic ira non fuit in Christo. Alio modo dicitur ira voluntas vindicandi aliquod malefactum; et sic ira non est passio, proprie loquendo, nec est in irascibili, sed in voluntate: et sic ira est in Deo et beatis, et in Christo fuit. Tertio modo dicitur ira proprie quaedam passio vis irascibilis, quae contingit ex hoc quod vis irascibilis tendit ad destructionem alicujus quod apprehenditur contrarium volito vel desiderato: et si quidem sit ex ordine rationis insurgens, vel ordinata ratione, sic dicitur ira per zelum, et sic fuit in Christo; si autem sit inordinata, sic erit ira per vitium, quae in Christo nullo modo fuit.

On parle de colère de trois manières. En effet, on parle de colère pour l’habitus ou l’acte du vice qui est opposé à la douceur, et qu’on appelle irascibilité. Cela vient de ce que la vertu, comme on le dit dans l’Éthique, II, s’oppose parfois davantage à l’un des extrêmes, comme la douceur [s’oppose] à un excès de colère, plutôt qu’à une diminution. C’est pourquoi le vice opposé s’appelle la colère. Il n’y avait pas une telle colère chez le Christ. D’une autre manière, on parle de colère pour la volonté de venger un tort. La colère n’est pas ainsi une passion au sens propre, et elle ne se situe pas dans l’irascible, mais dans la volonté. La colère existe sous cette forme en Dieu et chez les bienheureux, et elle existait chez le Christ. Troisièmement, on parle de colère au sens propre pour une passion de la puissance irascible, qui survient lorsque la puissance irascible vise la destruction de quelque chose qui est perçu comme contraire à ce qui est voulu ou désiré. Si elle surgit d’un ordre de la raison ou de la raison ordonnée, on parle alors d’une colère due à la ferveur : elle a existé sous cette forme chez le Christ. Mais si elle est désordonnée, ce sera une colère due à un vice, qui n’a aucunement existé chez le Christ.

 [9388] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ratio illa procedit de ira secundum primum modum dicendi: sic enim opponitur mansuetudini: secundum autem quod est passio, non opponitur, sed est materia ejus circa quam, quia etiam mitis irascitur quando oportet.

1. Ce raisonnement vient de la colère au premier sens. En effet, elle s’oppose ainsi à la douceur. Mais selon qu’elle est une passion, elle ne s’y oppose pas : elle est plutôt la matière sur laquelle [elle s’exerce], car même le doux se met en colère lorsqu’il le faut.

 [9389] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut in Christo delectatio superioris partis non tollebat tristitiam sensitivae partis; ita etiam et ira sensitivae partis non impediebat in aliquo usum rationis: quia quando divinitas permittebat unicuique partium humanitatis Christi agere quae sunt ei propria, ut dicit Damascenus, una pars aliam non impediebat, sicut in nobis accidit quod una pars impedit aliam.

2. De même que, chez le Christ, la délectation de la partie supérieure n’enlevait pas la tristesse de la partie sensible, de même aussi la colère de la partie sensible n’empêchait-elle pas l’usage de la raison, car « lorsque la divinité permettait à chaque partie de l’humanité du Christ de faire ce qui lui était propre, comme le dit [Jean] Damascène, une partie n’empêchait pas l’autre, comme il arrive chez nous qu’une partie en empêche une autre ».

 [9390] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ira inordinata consistit in vindicta; sed ira ordinata vindictam ad justitiam ordinat, ut scilicet vindictam non quaerat, sed justitiam; et tantum puniat, quantum justitiae ordo permittit.

3. La colère désordonnée consiste dans la vengeance. Mais la colère ordonnée ordonne la vengeance à la justice, de sorte qu’elle ne cherche pas la vengeance, mais la justice, et elle punit autant que l’ordre de la justice le permet.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [9391] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod timor etiam multipliciter dicitur. Uno modo nominat habitum vel doni vel vitii quod opponitur fortitudini, et dicitur timiditas: et sic habitus doni fuit in Christo, non autem habitus vitii. Alio modo sumitur pro actu vel vitii vel doni; et sic similiter dicendum ut prius. Alio modo dicitur quaedam passio in irascibili, quae consurgit ex hoc quod appetitus sensitivus refugit aliquod nocivum apprehensum; et sic loquimur hic de timore. Unde dicendum, quod hoc modo fuit timor in Christo per eumdem modum sicut et de tristitia et ira dictum est, inquantum scilicet ex dictamine rationis et deitatis adjunctae, appetitus sensibilis refugiebat ea quae sunt sibi contraria.

On parle aussi de crainte de multiples manières. D’une manière, elle désigne l’habitus d’un don ou d’un vice qui s’oppose à la force : on l’appelle alors timidité. Ainsi n’existait pas chez le Christ l’habitus d’un don, pas plus que l’habitus d’un vice. D’une autre manière, elle est prise pour l’acte d’un vice ou d’un don : il faut ainsi parler comme pour le premier cas. D’une autre manière, elle désigne une passion de l’irascible, qui provient de ce que l’appétit sensible fuit une nuisance appréhendée : c’est ainsi que nous parlons de crainte. Il faut donc dire que la crainte existait de cette manière chez le Christ de la même manière qu’on l’a dit pour la tristesse et pour la colère, selon que l’appétit sensible fuyait ce qui lui était contraire sur un ordre de la raison et de la divinité qui était unie.

 [9392] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ratio illa procedit de timore secundum quod est vitium, quia passio timoris est materia circa quam est fortitudo.

1. Ce raisonnement provient de la crainte en tant qu’elle est un vice, car la passion de crainte est la matière sur laquelle s’exerce la force.

 [9393] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod omnis timor ex aliqua imperfectione est: quia ex imperfectione est quod aliquid ab aliquo laedi possit. Christus autem quamvis fuerit secundum animam perfectissimus, tamen laedi poterat ex parte corporis; et ideo ex parte ista patiebatur imperfectionem, et timere poterat.

2. Toute crainte provient d’une certaine imperfection, car le fait qu’une chose puisse faire tort à une autre vient d’une imperfection. Or, le Christ, bien qu’il ait été parfait au plus haut point en son âme, pouvait subir un tort en son corps. De ce point de vue, celui-ci souffrait d’une imperfection et pouvait craindre.

 [9394] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in homine appetitus sensibilis movetur ex imaginationis sive aestimationis apprehensione immediate; sed mediate etiam ex apprehensione rationis, inquantum ejus conceptio in imaginatione imprimitur; et ideo quando ratio in Christo praevidebat laesionem corporis, fiebat species laesivi in imaginatione, et appetitus sensibilis ad timorem movebatur.

3. Chez l’homme, l’appétit sensible est mû de manière immédiate par une perception de l’imagination ou de l’estimative, mais, de manière médiate, aussi par une perception de la raison, pour autant que sa conception s’imprime dans l’imagination. C’est pourquoi lorsque la raison chez le Christ prévoyait une blessure corporelle, une image de ce qui blessait apparaissait dans l’imagination et l’appétit sensible était mû à la crainte.

 

 

Articulus 3 [9395] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 tit. Utrum in Christo fuerit verus dolor in sensu

Article 3 – Une véritable douleur sensible existait-elle chez le Christ ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Une véritable douleur sensible existait-elle chez le Christ ?]

 [9396] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod in Christo non fuerit verus dolor in sensu. Quantumcumque enim est vis resistens laesivo, tantum dolor diminuitur ex laesione proveniens. Sed in Christo fuit infinita vis ad resistendum laesivo, scilicet virtus divinitatis. Ergo in eo dolor esse non poterat.

1. Il semble qu’il n’y ait pas eu de véritable douleur sensible chez le Christ. En effet, plus une puissance résiste à ce qui blesse, plus la douleur provenant de ce qui blesse est diminuée. Or, chez le Christ, existait une capacité infinie de résister à ce qui blessait, à savoir la puissance de la divinité. Il ne pouvait donc pas y avoir de douleur chez lui.

 [9397] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, dolor non est de re voluntaria. Sed Christus voluntarie passionem sustinuit. Ergo in eo dolor passionis non fuit.

2. La douleur ne porte pas sur une chose volontaire. Or, le Christ a supporté volontairement la passion. La douleur de la passion n’existait donc pas chez lui.

 [9398] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, Christus magis perfecte videbat Deum quam Paulus. Sed Paulus in raptu propter visionem Dei non sentiebat ea quae in corpore gerebantur. Ergo nec Christus dolorem habebat ex corporis laesione.

3. Le Christ voyait Dieu plus parfaitement que Paul. Or, Paul, durant son rapt, ne ressentait pas ce qui se passait dans son corps en raison de la vision de Dieu. Le Christ non plus n’avait donc pas de douleur provenant d’une blessure du corps.

 [9399] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Isa. 53, 4: vere dolores nostros ipse tulit.

Cependant, [1] Is 53, 4 dit : Il a vraiment supporté nos douleurs.

 [9400] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, ad veritatem doloris non requiritur nisi laesio et sensus. Sed corpus Christi laesum fuit, et sensum laesionis habuit. Ergo fuit in eo verus dolor.

 [2] Pour la vérité de la douleur, ne sont requises qu’une blessure et le sens. Or, le corps du Christ a été blessé et il a eu la sensation de la blessure. Une véritable douleur existait donc chez lui.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La douleur est-elle parvenue jusqu’à la raison supérieure ?]

 [9401] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod dolor usque ad superiorem rationem non pervenerit. Judicare enim de dolore non est pati dolorem. Sed in sanctis est tantum judicium de doloribus secundum rationem, ut patet per Dionysium in epistola ad Joannem Evangelistam. Cum ergo Christus in sanctitate perfectus fuerit, ipse secundum superiorem partem rationis dolorem non habuit.

1. Il semble que la douleur ne soit pas parvenue jusqu’à la raison supérieure. En effet, juger de la douleur n’est pas supporter la douleur. Or, chez les saints, il existe un jugement aussi élevé des douleurs selon la raison, comme cela ressort de Denys, dans sa lettre à Jean l’évangéliste. Puisque le Christ était d’une sainteté parfaite, il n’a donc pas connu la douleur selon la partie supérieure de la raison.

 [9402] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, secundum philosophum, intellectus nullius partis corporis est actus. Sed dolor passionis non est in anima nisi ex conjunctione ad corpus. Ergo in parte intellectiva non fuit dolor passionis.

2. Selon le Philosophe, l’intellect n’est l’acte d’aucune partie du corps. Or, la douleur de la passion n’existe dans l’âme qu’en raison de son union au corps. La douleur de la passion n’a donc pas existé dans la partie intellective.

 [9403] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, secundum philosophum, delectationi quae est secundum intellectum, non est aliquid contrarium. Sed dolor est contrarius delectationi. Ergo non est in parte intellectiva.

3. Selon le Philosophe, rien n’est contraire à la délectation intellectuelle. Or, la douleur est contraire à la délectation. Elle n’existe donc pas dans la partie intellective.

 [9404] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 4 Praeterea, tunc anima perturbatur, quando usque ad rationem pervenit passio. Sed in Christo nulla fuit perturbatio. Ergo dolor non pervenit usque ad rationem.

4. L’âme est troublée lorsque la passion parvient jusqu’à la raison. Or, chez le Christ, n’existait aucun trouble. La douleur ne parvenait donc pas jusqu’à la raison.

 [9405] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 5 Praeterea, impossibile est eidem secundum idem contraria inesse. Sed dolor est delectationi contrarius. Ergo impossibile est quod secundum superiorem partem, qua gaudebat de Dei visione, doleret.

5. Il est impossible que des contraires existent chez le même selon la même chose. Or, la douleur est contraire à la délectation. Il est donc impossible qu’il ait souffert selon la partie supérieure par laquelle il se réjouissait de la vision de Dieu.

 [9406] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, major est colligatio potentiarum animae ad invicem quam membrorum. Sed uno membro patiente alia compatiuntur; 1 Corinth. 12. Ergo una potentia animae patiente, multo fortius aliae compatiuntur.

Cependant, [1] la liaison des puissances de l’âme l’une avec l’autre est plus grande que la liaison des membres. Or, si un membre souffre, les autres souffrent avec lui, 1 Co 12. Si une puissance de l’âme souffre, à plus forte raison les autres souffrent-elles.

 [9407] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, major est affinitas potentiarum animae ad essentiam quam animae ad corpus. Sed anima secundum essentiam suam compatitur patienti corpori. Ergo et omnes potentiae patiuntur simul cum essentia.

 [2] L’affinité des puissances de l’âme avec son essence est plus grande que celle de l’âme avec le corps. Or, l’âme compatit selon son essence lorsque le corps souffre. Toutes les puissances souffrent donc en même temps que l’essence [de l’âme].

 [9408] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 2 s. c. 3 Praeterea, in Psalm. 87, 4: repleta est malis anima mea, dicit Glossa exponens de Christo: idest doloribus. Ergo secundum omnes partes animae dolor inerat.

 [3] À propos de Ps 87, 4 : Mon âme est remplie de maux, la Glose dit, en l’appliquant au Christ : « C’est-à-dire, de douleurs. » La douleur était donc présente dans toutes les parties de l’âme.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La douleur du Christ était-elle plus grande que toutes les douleurs ?]

 [9409] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod dolor Christi non fuerit major omnibus doloribus. Quia quanto poena est acerbior et diuturnior, tanto poena ex dolore resultans est major. Sed aliqui sancti diuturniorem et acerbiorem poenam perpessi sunt, sicut patet de Laurentio et Vincentio. Ergo Christi dolor non fuit maximus.

1. Il semble que la douleur du Christ n’était pas plus grande que toutes les douleurs, car, plus la peine est aiguë et durable, plus la peine qui résulte de la douleur est grande. Or, certains saints ont enduré une peine plus longue et plus aiguë, comme cela ressort pour Laurent et Vincent. La douleur du Christ n’a donc pas été la plus grande.

 [9410] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, in aliis sanctis dolor mitigabatur ex contemplatione divina et amore, sicut de Stephano cantatur: lapides torrentis illi dulces fuerunt. Sed in Christo fuit maxima caritas, et perfecta Dei contemplatio. Ergo dolor ejus maxime mitigabatur; et ita fuit minimus.

2. Chez les autres saints, la douleur était diminuée par la contemplation et l’amour de Dieu, comme on chante à propos d’Étienne : « Les pierres du torrent lui étaient douces. » Or, chez le Christ, la charité était la plus grande, ainsi que la contemplation de Dieu. Sa douleur a donc été atténuée au plus haut point, et ainsi était-elle la moins grande.

 [9411] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 3 Praeterea, innocentia patientis minuit dolorem poenae; unde pueri qui sunt in Limbo, non affliguntur de carentia visionis divinae, quia eis redditur non pro culpa quam ipsi commiserunt. Sed Christus sine culpa passus est. Ergo videtur quod dolor suus fuit mitissimus.

3. L’innocence de celui qui souffre diminue la douleur de la peine; ainsi, les enfants qui sont dans les limbes ne sont pas affligés par le fait que la vision de Dieu leur fait défaut, car cela ne leur est pas rendu en fonction d’une faute qu’ils ont eux-mêmes commise. Or, le Christ a souffert sans avoir commis de faute. Il semble donc que sa douleur était la plus adoucie.

 [9412] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 4 Praeterea, quanto major est recompensatio de bono amisso, tanto levius damnum amissionis portatur. Sed Christus habebat recompensationem maximam de amissione corporalis vitae per passionem, scilicet salutem humani generis. Ergo dolor ille fuit minimus.

4. Plus grande est la compensation pour un bien enlevé, plus est léger le tort de l’enlèvement. Or, le Christ avait la plus grande compensation de l’enlèvement de la vie corporelle par la passion : le salut du genre humain. Cette douleur fut donc la plus petite.

 [9413] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 5 Praeterea, quanto est pretiosius quod amittitur, tanto est major dolor de amissione. Sed Deus, quem homo per peccatum amittit, est dignior quam vita corporalis Christi. Ergo dolor qui est de amissione Dei, est major quam dolor Christi de amissione vitae corporalis.

5. Plus ce qui est enlevé est précieux, plus grande est la douleur de sa perte. Or, Dieu, que l’homme a perdu par le péché, est plus digne que la vie corporelle du Christ. La douleur de la perte de Dieu est donc plus grande que la douleur du Christ pour la perte de sa vie corporelle.

 [9414] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 6 Praeterea, quanto aliquid est magis dispositum ad patiendum, tanto minus dolet de passione. Sed Christi corpus magis fuit dispositum ad patiendum quam corpus Adae. Ergo Adam magis doluisset, dato quod laesus fuisset.

6. Plus une chose est disposée à souffrir, moins elle souffre de la passion. Or, le corps du Christ était davantage disposé à souffrir que le corps d’Adam. Adam aurait donc souffert davantage, s’il avait été blessé.

 [9415] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 7 Praeterea, quanto natura est perceptibilior, tanto est major dolor. Sed natura animae perceptibilior est quam natura cujuslibet corporis. Ergo dolor animae de passione Inferni, quam in seipsa patitur ab igne, est major quam dolor Christi.

7. Plus une nature est capable de perception, plus grande est la douleur. Or, la nature de l’âme est plus capable de perception que la nature de n’importe quel corps. La douleur de l’âme au sujet de la passion de l’enfer, qui vient du feu qu’elle souffre en elle-même, est donc plus grande que la douleur du Christ.

 [9416] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, Thren. 1, 12: o vos omnes qui transitis per viam, attendite et videte si est dolor sicut dolor meus; quasi diceret, non. Ergo dolor suus fuit maximus omnium dolorum.

Cependant, [1] Lm 1, 12 dit : Vous tous qui passez, arrêtez-vous et voyez s’il existe une douleur plus grande que la mienne! Comme s’il disait qu’il n’y en a pas. Sa douleur fut donc la plus grande de toutes les douleurs.

 [9417] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, Christus fuit optime complexionatus; quod patet ex hoc quia habuit nobilissimam animam, cui respondet aequalitas complexionis in corpore. Sed quanto homo habet meliorem complexionem in corpore, tanto magis sentit laesiones corporis, quia habet meliorem tactum. Cum igitur dolor sit sensus laesionis, videtur quod in Christo fuerit maximus dolor.

 [2] Le Christ avait une complexion admirable, ce qui ressort du fait qu’il a eu l’âme la plus noble, à laquelle correspond une égale complexion du corps. Or, meilleure est la complexion corporelle d’un homme, plus il ressent les blessures de son corps, car il possède un meilleur toucher. Puisque la douleur est la sensation d’un blessure, il semble donc que la plus grande douleur a existé chez le Christ.

 [9418] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 3 s. c. 3 Praeterea, virtuosi hominis est suam vitam diligere; unde et peccatores seipsos odiunt intantum quod seipsos interficiunt, ut probat philosophus in 9 Ethic. Sed Christus fuit virtuosissimus. Ergo maxime suam vitam dilexit: ergo dolor de amissione vitae suae fuit maximus.

 [3] C’est le propre de l’homme vertueux d’aimer sa propre vie. Aussi les pécheurs se haïssent-ils, dans la mesure où ils se suicident, comme le montre le Philosophe dans Éthique, IX. Or, le Christ a été le plus vertueux. La douleur de perdre sa propre vie a donc été la plus grande.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [9419] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod sicut delectatio sensibilis causatur ex conjunctione convenientis secundum sensum; ita dolor sensibilis causatur ex conjunctione ejus quod non est conveniens sensui. Sed inter omnes alios sensus solus tactus est discretivus eorum ex quibus consistit temperamentum corporis: unde quod est conveniens secundum tactum, est conveniens ipsi temperamento corporis; et propter hoc completa delectatio sensibilis est in sola perceptione tactus; et similiter illud quod est inconveniens tactui, est contrarium temperamento corporis: et ideo dicit philosophus in 3 de anima, quod corrumpentia tactum corrumpunt animal, non autem corrumpentia auditum, nisi simul contingat ex accidenti et tactum corrumpi; et ideo in solo tactu est dolor, qui accidit ex laesione temperamenti ipsius corporis. Unde cum in corpore Christi fuerit vera laesio, quia fuit divisio continui per clavos, et fuerit ibi verus tactus; de necessitate oportet dicere, quod fuerit ibi verus dolor. Qualiter autem exponenda sint verba Hilarii, in fine dicetur.

De même que la délectation sensible est causée par l’union avec ce qui convient selon le sens, de même la douleur sensible est-elle causée par l’union de ce qui ne convient pas avec le sens. Or, parmi tous les autres sens, seul le toucher discerne ce en quoi consiste la complexion du corps. Aussi ce qui convient selon le toucher convient-il à la complexion même du corps. Pour cette raison, la délectation sensible complète n’existe-t-elle que dans la perception du toucher; de même aussi, ce qui ne convient pas au toucher est-il contraire à la complexion du corps. C’est pourquoi le Philosophe dit, dans Sur l’âme, III, que « ce qui corrompt le toucher corrompt l’animal, mais non ce qui corrompt l’ouïe, à moins que le toucher aussi n’en soit par accident corrompu ». Aussi la douleur n’existe-t-elle que dans le toucher : elle provient d’une lésion de la complexion du corps lui-même. Puisque, chez le Christ, a existé une blessure véritable, car il y eu un déchirement du continu par des clous, et qu’il y avait là un véritable toucher, il faut donc nécessairement dire qu’il y avait une douleur véritable. Comment il faut interpréter les paroles d’Hilaire, on le dira à la fin.

 [9420] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis in corpore Christi esset vis deitatis, infinitam ad resistendum potestatem habens; non tamen resistebat, sed dimittebat carnem pati quidquid proprium, ut dicit Damascenus: et ideo fuit ibi laesio, et per consequens dolor.

1. Bien qu’ait existé dans le corps du Christ la puissance de la divinité, infinie dans sa résistance à ce qui possède un pouvoir, elle ne résistait cependant pas, mais laissait la chair supporter tout ce qui lui est propre, comme le dit [Jean] Damascène. C’est pourquoi il y a eu là blessure et, par conséuent, douleur.

 [9421] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod voluntas rationis non excludit dolorem sensus; sicut aliquis vult secundum rationem comburi, ut sanetur, sed tamen in combustione dolorem sensibilem experitur; ita et fuit in Christo.

2. La volonté de la raison n’exclut pas la douleur du sens. Ainsi, on veut selon la raison être brûlé pour être guéri; cependant, on éprouve de la douleur sensible du fait de la combustion. De même en était-il chez le Christ.

 [9422] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non potest esse tanta vis contemplationis quod dolorem sensibilem ex laesione corporis tollat, si corpus laedatur, nisi per eam abstrahantur vires inferiores omnino a suis actibus, per modum quo una potentia intense operans abstrahit aliam a suo actu: et hoc modo accidit in raptu Pauli. Sed in Christo una vis non tollebat aliam a suo actu, nisi secundum quod ratio et deitas conjuncta ordinabat: et ideo perfectio contemplationis dolorem sensibilem non tollebat.

3. Il ne peut exister une telle puissance de la contemplation qu’elle enlève la douleur sensible qui vient d’une blessure du corps, si le corps est blessé, à moins que, par elle, les puissances inférieures ne soient entièrement détournées de leurs actes, à la manière dont une puissance qui agit intensément en détourne une autre à son acte. C’est ce qui est arrivé dans le rapt de Paul. Mais, chez le Christ, une puissance n’en écartait pas une autre de son acte, si ce n’est selon que la raison et la divinité qui était unie l’ordonnaient. C’est pourquoi la perfection de la contemplation n’écartait pas la douleur sensible.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [9423] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod in dolore et tristitia duo inveniuntur; scilicet contrarietas contristantis et dolorem inferentis ad contristatum et dolentem et perceptio ejus: et quantum ad haec duo tripliciter differunt. Primo quantum ad contrarietatem: quae quidem in dolore attenditur quantum ad ipsam naturam dolentis, quae per laesivum corrumpitur; sed in tristitia quantum ad repugnantiam appetitus ad aliquid quod quis odit. Secundo quantum ad perceptionem: quae quidem in dolore semper est secundum sensum tactus, ut dictum est, in tristitia autem secundum apprehensivam interiorem. Tertio quantum ad ordinem istorum duorum: quia dolor incipit in laesione, et terminatur in perceptione sensus, ibi enim completur ratio doloris; sed ratio tristitiae incipit in apprehensione, et terminatur in affectione; unde dolor est in sensu sicut in subjecto, sed tristitia in appetitu. Ex quo patet quod tristitia est passio animalis, sed dolor est magis passio corporalis. Quandoque tamen tristitia, large loquendo, dolor dicitur; unde Augustinus distinguit dolorem animae secundum se, qui proprie dicitur tristitia, et dolorem animae per corpus, qui proprie dicitur dolor. Loquendo igitur de dolore proprie dicto, sic quantum ad laesionem, quae est materiale in ipso, se extendit in Christo ad omnes potentias animae, secundum quod in essentia animae radicantur, ad quam etiam laesio corporis pervenit, secundum quod est ejus forma; sed quantum ad perceptionem laesionis, quae est formale in dolore, sic consistit in solo tactu, cujus est solus percipere laesivum inquantum laedit, scilicet inquantum corporaliter conjungitur. Loquendo autem de dolore secundum quod large etiam tristitia dolor dicitur, sicut ex dictis patet, tristitia non potest esse in ratione sicut in subjecto, sed solum sicut in ostendente id quod est voluntati repugnans; nisi ratio accipiatur prout comprehendit vim apprehensivam et affectivam, in qua est tristitia sicut in subjecto, quamvis non tristitia quae est passio, quae solum est in sensitiva parte, ut prius dictum est. Nulla autem virtus apprehensiva ostendit nisi suum objectum. Objectum autem superioris rationis sunt bona aeterna, ex quibus nihil erat contrarium voluntati Christi; unde in ratione superiori, secundum quod ad objectum suum comparatur, non poterat esse tristitia in Christo; poterat autem esse quantum ad rationem inferiorem, cujus objectum sunt res temporales; in quibus aliquid contrarium voluntati ejus aliquo modo accidere poterat, ut infra, dist. 17, qu. 1, art. 2, quaestiuncul. 2, patebit. Sic ipsa laesio erat contra aliquam voluntatem Christi, qua naturaliter mortem refutabat, et similiter etiam mala humani generis ei displicebant; unde in ratione inferiori poterat esse tristitia etiam secundum quod ad objecta sua comparatur. Et quia unaquaeque potentia ad naturam pertinet secundum quod in essentia animae radicatur, quae est essentialis pars naturae totius, rationem autem potentiae habet secundum comparationem ad objecta; ideo dicitur a quibusdam, quod passio doloris perveniebat usque ad rationem superiorem, inquantum est natura, secundum quod laesio corporis ad essentiam animae perveniebat; et ulterius ad omnes potentias, secundum quod in essentia animae radicantur: non autem perveniebat ad eam inquantum est ratio: quia secundum quod ad objectum suum comparatur, nullum detrimentum ex passione corporis sentiebat, cum in contemplatione divinorum non impediretur. Et hoc etiam quidam aliis verbis dicunt, scilicet quod patiebatur ut est natura corporis, non autem ut est principium humanorum actuum; et sic etiam dicunt quod inferior ratio compatiebatur et ut est natura, et ut est ratio. Quamvis etiam aliter possit intelligi distinctio qua distinguitur ratio ut natura et ut ratio: quia ratio ut natura dicitur secundum quod judicat de eo quod est secundum se bonum vel malum, naturae conveniens vel noxium; ratio autem ut ratio, secundum quod judicat de eo quod est bonum vel malum in ordine ad alterum. Contingit enim quandoque aliquid in se consideratum, esse naturae noxium, quod tamen in ordine ad finem aliquem eligendum est, sicut ustionem quae est propter sanitatem. Et sic etiam mors Christi erat quidem in se mala, inquantum erat nocumentum naturae; in ordine autem ad finem redemptionis humani generis, erat optima: et sic etiam ratio inferior ut ratio non tristabatur de morte, sed solum ut natura: et sic dicta distinctio erit de ratione secundum quod comparatur ad objectum.

On trouve deux choses dans la douleur et dans la tristesse : la contrariété de ce qui contriste et la douleur de ce afflige celui qui est contristé et souffre, et sa perception. Or, les deux diffèrent sur ces points de deux manières. Premièrement, quant à la contrariété. Dans la douleur, elle provient de la nature même de celui qui souffre, qui est corrompue par ce qui blesse; mais, dans la tristesse, elle se prend de la répugnance de l’appétit pour ce que quelqu’un déteste. Deuxièmement, du point de vue de la perception. Dans la douleur, elle provient toujours du sens du toucher, comme on l’a dit; mais, dans la tristesse, d’une perception intérieure. Troisièmement, du point de vue de l’ordre entre les deux. La douleur commence par la blessure et se termine dans la perception du sens : en effet, c’est là que s’achève la raison de douleur. Mais la raison de tristesse commence par une perception et se termine dans l’affectivité : aussi la douleur se trouve-t-elle dans le sens comme dans son sujet, mais la tristesse se trouve-t-elle dans l’appétit. Il ressort de cela que la tristesse est une passion de l’âme, mais que la douleur est plutôt une passion corporelle. Parfois, cependant, la tristesse, entendue au sens large, est appelée une douleur. De là vient que Augustin fait une distinction entre la douleur de l’âme en soi, qu’on appelle tristesse au sens propre, et la douleur de l’âme à travers le corps, qu’on appelle douleur au sens propre. Si donc on parle de douleur au sens propre, du point vue de de la blessure, qui a en elle le caractère de matière, elle s’étend chez le Christ à toutes les puissances de l’âme, selon qu’elles sont enracinées dans l’essence de l’âme, à laquelle parvient aussi la blessure du corps, selon qu’elle en est la forme. Mais, du point de vue de la perception de la blessure, qui a le caractère de forme dans la douleur, elle se trouve alors dans le seul toucher, à qui seul il revient de percevoir ce qui blesse en tant que tel, à savoir, en tant que cela est uni corporellement. Mais si on parle de douleur au sens large où la tristesse est appelée une douleur, comme cela ressort de ce qui a été dit, la tristesse ne peut exister dans la raison comme dans son sujet, mais seulement comme dans ce montre ce qui répugne à la volonté, à moins qu’on ne conçoive la raison comme comprenant la puissance perceptive et la puissance affective, dans laquelle se trouve la tristesse comme dans son sujet, bien qu’il ne s’agisse pas de la tristesse qui est une passion, qui réside seulement dans la partie sensible, comme on l’a dit plus haut. Or, aucune puissance de perception ne montre autre chose que son objet. Or, l’objet de la raison supérieure, ce sont les biens éternels, dont aucun n’était contraire à la volonté du Christ. Aussi ne pouvait-il y avoir de tristesse chez le Christ dans la raison supérieure, selon qu’on la compare à son objet; mais il pouvait y en avoir pour ce qui était de la raison inférieure, dont les réalités temporelles sont l’objet, dans lesquelles quelque chose de contraire à sa volonté pouvait se produire de quelque manière, comme cela ressortira plus loin, d. 17, q. 1, a. 2, qa 2. La blessure elle-même allait donc à l’encontre de la volonté du Christ, qui refusait naturellement la mort, et de même, les maux du genre humain lui déplaisaient-ils. Aussi pouvait-il exister de la tristesse dans sa raison inférieure, même si on la compare à ses propres objets. Et parce que chaque puissance se rapporte à la nature selon qu’elle est enracinée dans l’essence de l’âme, qui est une partie essentielle de la nature du tout, elle a aussi raison de puissance selon qu’on la compare avec ses objets. C’est pourquoi certains disent que la passion de la douleur parvenait à la raison supérieure, en tant qu’elle est une nature, selon que la blessure du corps parvenait à l’essence de l’âme; elle parvenait en plus à toutes les puissances, selon qu’elle sont enracinées dans l’essence de l’âme. Mais elle ne parvenait pas jusqu’à elle selon qu’elle est raison, car, selon qu’on la compare à son objet, il ne ressentait aucun tort par la passion du corps, puisqu’il n’était pas empêché de contempler les réalités divines. C’est cela aussi que disent certains en d’autres mots : [son âme] souffrait pour ce qui est de la nature du corps, mais non en tant qu’elle est principe des actes humains. Et ainsi ils disent aussi que la raison inférieure compatissait en tant que nature et aussi en tant que raison. Bien qu’on puisse comprendre autrement la distinction selon laquelle on fait une distinction entre la raison comme nature et comme raison, car on dit que la raison est nature selon qu’elle juge de ce qui bon ou mauvais en soi, qui convient à la nature ou lui est nuisible; mais on dit que la raison est raison selon qu’elle juge de ce qui bon ou mauvais par rapport à autre chose. Il arrive parfois en effet qu’une chose considérée en elle-même soit nuisible à la nature, alors qu’elle doit être choisie par rapport à une fin, comme la brûlure qui est ordonnée à la santé. De même, la mort du Christ, qui était mauvaise en soi, en tant qu’elle était une nuisance pour la nature, était ce qu’il y avait de meilleur par rapport à la fin de la rédemption du genre humain. Ainsi, la raison inférieure en tant que raison n’était pas attristée par la mort, mais seulement en tant que nature. La même distinction sera faite pour la raison selon qu’elle est comparée à son objet.

 [9424] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod intentio Dionysii fuit dicere, quod sancti nullo modo quantum ad rationem moventur a rectitudine rationis, quod omnium virtuosorum est; et etiam a tranquillitate mentis, quod perfectorum est; et ideo dicit eos quantum ad rationem non pati, non quin experientia doloris aliquo modo usque ad rationem perveniat; et hanc experientiam judicium de passionibus nominat.

1. L’intention de Denys était de dire que les saints n’étaient d’aucune manière détournés de la rectitude de la raison, pour ce qui est de la raison, ce qui est le propre de tous ceux qui sont vertueux; ils n’étaient pas non [détournés] de la tranquillité d’esprit, qui est le propre des parfaits. Il dit donc qu’ils ne souffrent pas pour ce qui est de la raison, bien que ce ne soit pas sans que l’expérience de la douleur parvienne d’une certaine manière à la raison. C’est cette expérience qu’il appelle « jugement sur les passions ».

 [9425] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod intellectus dupliciter potest considerari. Vel ut est potentia quaedam; et sic potentia determinatur ad actum: quia cum operatio intellectus non exerceatur mediante aliquo organo corporali, dicitur, quod intellectus non est actus alicujus partis corporis. Vel potest considerari inquantum haec potentia radicatur in essentia animae; et sic, cum anima secundum suam essentiam sit forma corporis; et intellectus et omnes aliae vires sunt actus corporis, et per accidens ad passionem corporis patiuntur dupliciter, tum ex ordine rationis ad essentiam, tum ex ordine intellectus ad alias potentias quae operantur per organum corporale, ex quarum impedimento accidit impedimentum in operatione intellectus, sicut in phreneticis patet.

2. L’intellect peut être envisagé de deux manières. Soit en tant qu’il est une puissance. Ainsi, la puissance est déterminée à un acte, car, l’intellect n’étant pas exercé par l’intermédiaire d’une organe corporel, on dit que l’intellect n’est pas l’acte d’une partie du corps. Soit on peut l’envisager en tant que cette puissance est enracinée dans l’essence de l’âme. Ainsi, puisque l’âme est par son essence forme du corps, et que l’intellect et toutes les autres puissances sont des actes du corps, elles supportent aussi par accident une passion du corps, tant en raison de l’ordre de la raison par rapport à l’essence, qu’en raison de l’ordre de l’intellect par rapport aux autres puissances qui agissent par l’intermédiaire d’un organe corporel : par l’empêchement de celles-ci, un empêchement survient dans l’opération de l’intellect, comme cela est clair chez les fous.

 [9426] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod delectatio intellectus dicitur dupliciter. Uno modo ita quod sit intellectus quantum ad subjectum et quantum ad objectum; et haec est illa delectatio qua intellectus delectatur in hoc quod intelligi. Et quia utrumque contrariorum intelligitur secundum quod est intelligibile et perfectio intellectus, nec aliquam laesionem intellectui afferre potest, sicut in sensu accidit; ideo tali delectationi non est tristitia contraria. Alio modo delectatio intellectus dicitur quantum ad subjectum, sed non quantum ad objectum: quia non delectatur per hoc quod intelligit, sed de aliquo delectabili apprehenso, quando scilicet intellectiva pars delectatur de aliquo quod in ipsis rebus accidit consonum voluntati; et sic haec delectatio non est de uno contrariorum secundum quod est in anima, secundum quod non habet contrarium, quia intentiones contrariorum in anima non sunt contrariae, cum sint simul; sed secundum quod est in re, secundum quod habet contrarietatem; unde et tali delectationi rationis potest esse tristitia contraria in parte intellectiva existens, sicut est in Daemonibus, et animabus damnatorum.

3. On parle de délectation de l’intellect de deux manières. D’une manière, il s’agit de l’intellect quant à son sujet et quant à son objet : c’est là la délectation par laquelle l’intellect se délecte dans le fait d’intelliger. Et parce que les deux contraires sont intelligés selon qu’ils sont intelligibles et une perfection de l’intellect, et qu’ils ne peuvent entraîner de blessure pour l’intellect, comme c’est le cas pour le sens, il n’y a donc pas de tristesse contraire à la délectation. D’une autre manière, on parle de délectation de l’intellect par rapport à son sujet, mais non par rapport à son objet, car il ne se délecte pas du fait qu’il intellige, mais de quelque chose de délectable qu’il a perçu, alors que la partie intellective se délecte d’une chose qui se trouve être en accord avec la volonté. Ainsi, cette délectation ne porte pas sur l’un des contraires selon qu’il existe dans l’âme et selon quoi il n’a pas de contraire, car les intentions des contraires dans l’âme ne sont pas contraires, puisqu’elles existent en même temps; mais selon qu’il existe en réalité, selon quoi il comporte une contrariété. Aussi peut-il exister dans la partie intellective une tristesse contraire à une telle délectation de la raison, comme c’est le cas chez les démons et dans les âmes des damnés.

 [9427] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum quod homo dicitur perturbari, quando pervenit passio usque ad rationem, immutans ipsam a sui aequabilitate; non autem quando pervenit experientia doloris vel passionis ad rationem.

4. On dit qu’un homme est troublé lorsque la passion atteint la raison pour modifier en elle son égalité, mais non lorsque l’expérience de la douleur ou de la passion parvient jusqu’à la raison.

 [9428] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod fruitio deitatis, et gaudium consequens, erat in superiori parte rationis in ordine ad suum objectum; dolor autem non perveniebat ad superiorem rationem, ut dictum est, nisi secundum quod fundatur in essentia animae; sed in ratione inferiori et in sensualitate et in sensu erat tristitia et dolor, etiam secundum comparationem ad objecta, inquantum secundum has potentias dolebat de poena corporis, et aliis hujusmodi: qui tamen dolor erat quodammodo materia gaudii fruitionis, inquantum gaudium illud se extendebat ad omnia illa quae apprehenduntur ut Deo placita. Et sic patet quod dolor qui erat in anima Christi, nullo modo gaudium fruitionis impediebat, neque per modum contrarietatis, neque per modum redundantiae. Tristitia enim contrarium gaudium impedit, sicut quodlibet contrarium impeditur a suo contrario: tristitia autem quae erat in anima Christi, nullo modo gaudio fruitionis contraria erat: quod patet ex tribus. Primo, quia non inerat eidem secundum idem, sed vel in diversis potentiis erat, vel in eadem secundum diversam operationem; secundo, quia non erat de eodem; tertio, quia unum erat materia alterius, sicut accidit in poenitente qui dolet, et de dolore gaudet. Sed ulterius omnis tristitia, secundum philosophum in 7 Ethic., impedit omnem delectationem per quamdam redundantiam, secundum quod nocumentum unius potentiae redundat in aliam. Talis autem redundantia, ut dictum est, non fuit in Christo, nisi quando ipse volebat; unde gaudium quod erat in superiori ratione per comparationem ad objectum, non redundabat in vires inferiores, ut ab eis dolor et tristitia tollerentur; neque ulterius in corpus, ut a laesione immune esset, nec per consequens in animam nec in potentias secundum quod in essentia animae radicantur, prout laesio corporis ad essentiam animae et ad potentias in ea radicatas pertingit.

5. La jouissance de la divinité et la joie qui en découle se trouvaient dans la partie supérieure de la raison en rapport avec son objet; mais la douleur ne parvenait pas jusqu’à la raison supérieure, comme on l’a dit, si ce n’est selon que celle-ci a son fondement dans l’essence de l’âme. Mais il y avait de la tristesse et de la douleur dans la raison inférieure, dans la sensualité et dans le sens, même par rapport à leurs objets, dans la mesure où il souffrait selon ces puissances de la peine du corps et des autres choses du genre. Cependant, cette douleur était matière à la joie de la jouissance (materia gaudii fruitionis), dans la mesure où cette joie s’étendait à tout ce qui était appréhendé comme agréable à Dieu. Il est ainsi clair que la douleur qui se trouvait dans l’âme du Christ n’empêchait aucunement la joie de la jouissance, ni par mode de contrariété, ni par mode de rejaillissement. En effet, la tristesse empêche la joie contraire, comme tout contraire empêche son contraire; mais la tristesse qui se trouvait dans l’âme du Christ n’était aucunement contraire à la joie de la jouissance, ce qui ressort de trois manières. Premièrement, parce qu’elle n’était pas en lui selon la même chose, mais se trouvait soit dans d’autres puissances, soit dans la même selon une opération différente. Deuxièmement, parce qu’elle ne portait pas sur la même chose. Troisièmement, parce qu’une chose était la matière de l’autre, comme chez le pénitent qui est affligé et se réjouit de sa douleur. De plus, selon le Philosophe, dans Éthique, VII, toute tristesse empêche toute délectation par un rejaillissement, selon que la nuisance à une puissance rejaillit sur une autre. Or, comme on l’a dit, un tel rejaillissement n’existait pas chez le Christ, si ce n’est lorsqu’il le voulait. Aussi la joie qui se trouvant dans la raison supérieure par rapport à son objet ne rejaillissait-elle pas sur les puissances inférieures pour en enlever la douleur et la tristesse, ni non plus sur le corps, pour qu’il soit exempt de blessure, ni par conséquent sur l’âme, ni sur ses puissances, selon qu’elles sont enracinées dans l’essence de l’âme, dans la mesure où la blessure du corps atteint l’essence de l’âme et les puissances enracinées en elle.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [9429] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod magnitudo doloris sensibilis Christi potest considerari ex tribus. Primo ex ipsa natura passionis; et sic habuit magnam acerbitatem: tum ex complexione patientis, quae erat temperatissima; unde habebat optimum tactum, et per consequens erat in eo vehemens sensus laesionis (bonitas enim tactus attestatur etiam bonitati complexionis et bonitati mentis, ut dicitur in 2 de anima, text. 94): tum ex genere poenae, quia in locis maxime sensibilibus fuit laesus, scilicet in manibus et pedibus: tum etiam ex multitudine passionum, quia per totum corpus laesionem sustinuit. Secundo ex puritate doloris: quia in aliis patientibus mitigatur dolor sensibilis ex influxu superiorum virium in inferiores, propter contemplationem quae abstrahit inferiores vires aliqualiter a suis actibus, vel etiam propter complacentiam voluntatis ex amore ejus propter quod patitur. In Christo autem non fuit talis habitudo potentiarum ad invicem, ut dictum est; immo unicuique permittebatur agere quae propria sibi erant, ut dicit Damascenus; et ideo dolor suus fuit absque omni admixtione alicujus mitigantis. Tertio ex voluntate patientis: quia enim voluntarie patiebatur, ut satisfaceret pro peccato totius humani generis, ideo dolorem excedentem omnes alios dolores assumpsit. Similiter etiam dolor animalis, qui tristitia dicitur, qui erat in appetitu sensitivo, vel in ratione ut natura, ex his duobus ultimis habebat magnitudinem; et tertio ex turpitudine mortis, et ex dilectione vitae corporalis quae optima erat; et ex magnitudine eorum qui eum laedebant; et ex defectibus humani generis, quibus ex maxima caritate compatiebatur.

La grandeur de la douleur sensible du Christ peut être envisagée sous trois aspects. Premièrement, en raison de la nature même de la passion. Ainsi, elle avait un caractère aigu, en raison de la complexion de celui qui souffrait, qui était la plus équilibrée : son toucher était donc le meilleur et, par conséquent, il y avait en lui un sensation aiguë de la blessure (en effet, la bonté du toucher est aussi attestée par la bonté de la complexion et la bonté de l’esprit, comme on le dit dans Sur l’âme, II, texte 94); en raison aussi du genre de la peine, car il fut blessé aux endroits le plus sensibles, les mains et les pieds; en raison encore du grand nombre des blessures, car il a enduré des blessures sur tout le corps. Deuxièmement, en raison de la pureté de la douleur, car, chez les autres qui souffrent, la douleur sensible est atténuée par l’influence des puissances supérieures sur les puissances inférieures à cause de la contemplation qui arrache dans une certaine mesure les puissances inférieures à leurs actes ou même en raison de la volonté qui se complaît dans l’amour de ce pour quoi on souffre. Mais, chez le Christ, un tel rapport des puissances entre elles n’existait pas, comme on l’a dit; bien plus, « il était permis à chaque [puissance] de faire ce qui lui était propre », comme le dit [Jean] Damascène. C’est pourquoi la douleur [du Christ] n’était pas mélangée à quelque chose qui l’atténuait. Troisièmement, en raison de la volonté de celui qui souffrait : en effet, parce qu’il souffrait volontairement afin de satisfaire pour le péché de tout le genre humain, il a assumé une douleur qui dépassait toutes les autres douleurs. De même aussi, la douleur de l’âme, qu’on appelle tristesse, qui se trouvait dans l’appétit sensible ou dans la raison comme nature, tirait son ampleur des deux dernières choses. Et, en troisième lieu, en raison du caractère honteux de sa mort et de l’amour de la vie corporelle qui était très grand, de la grandeur de ceux qui le blessaient et des carences du genre humain, pour lequel il avait de la compassion en vertu de la plus grande charité.

 [9430] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod potest inveniri passio alicujus sancti quae fuerit magis dolorosa quantum ad aliquid, vel quantum ad diuturnitatem, vel aliquid hujusmodi; sed non simpliciter, omnibus pensatis.

1. On peut trouver une souffrance d’un saint qui était plus douloureuse sous un aspect : par sa durée ou par quelque chose du genre; mais non pas tout simplement, tout bien pesé.

 [9431] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in Christo non refundebatur gaudium contemplationis in sensum, sicut in aliis accidit, ut dictum est.

2. Chez le Christ, la joie de la contemplation ne rejaillissait pas sur le sens, comme cela se produit chez lez autres, ainsi qu’on l’a dit.

 [9432] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod innocentia patientis minuit quidem dolorem secundum numerum, quia non dolet de tot, sicut peccator, qui dolet de poena et de laesa conscientia; sed addit dolorem quantum ad intensionem poenae, per se loquendo, et inquantum apprehendit eam ut magis indebitam. Sed pueri non affliguntur de carentia divinae visionis, quia non est carentia alicujus eis proportionati, ut in 2 Lib., dist. 33, qu. 2, art. 2, dictum est, cum gratiam non habeant, nec ex eis fuit quod non habuerunt.

3. L’innocence de celui qui souffre diminue effectivement la douleur quant à la quantité, car il ne souffre pas pour autant de choses que le pécheur, qui est affligé de la peine et de sa conscience blessée; mais elle ajoute à la douleur par l’intensité de la souffrance, à parler de soi, et dans la mesure où il la perçoit davantage comme injuste. Mais les enfants ne sont pas affligés par le défaut de vision divine, car ce n’est pas une carence de quelque chose de proportionné [à la nature], comme on l’a dit dans le livre II, d. 33, q. 2, a. 2, puisqu’ils n’ont pas la grâce et que ce n’est pas leur faute s’ils ne l’ont pas eue.

 [9433] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod recompensatio facit gaudium in ratione ut ratio considerata, quae apprehendit hoc malum in ordine ad aliud bonum; et inquantum gaudium ejus refunditur in alias vires, secundum hoc mitigatur dolor aliarum virium. In Christo autem hoc non fuit; et ideo non sequitur.

4. La récompense donne joie à la raison en tant qu’elle est envisagée comme la raison qui perçoit ce mal en rapport avec un autre bien; et, en tant que sa joie se déverse sur les autres puissances, la douleur des autres puissances est atténuée. Mais, chez le Christ, tel n’a pas été le cas. Le raisonnement n’est donc pas concluant.

 [9434] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod sicut gaudium comprehensoris superat omne gaudium viatoris; ita dolor vel tristitia damnati superat omnem dolorem viatoris; unde cum Christus non assumpserit nisi dolorem viatoris, dolor damnati, sive quem habet quantum ad poenam damni, sive quem habet quantum ad poenam sensus, est major quam fuerit dolor Christi: quia ille dolor facit damnatum miserum, quod absit ut de Christo dicatur. Sed dolor quem habet aliquis viator de peccato, non est tantus, quantus est dolor Christi: tum quia mitigatur ex spe veniae, tum quia non est tanta perceptibilitas dolentis, quamvis sit majus bonum amissum.

5. De même que la joie du comprehensor dépasse toute joie du viator, de même la douleur ou la tristesse du damné dépasse-t-elle toute douleur du viator. Puisque le Christ n’a assumé que la douleur du viator, la douleur du damné, que ce soit celle de la peine du dam ou que ce soit celle de la peine du sens, est plus grande que ne l’a été la douleur du Christ, car cette douleur rend le damné misérable, ce qu’on ne peut dire du Christ. Mais la douleur qu’un viator a de son péché n’est pas aussi grande que la douleur du Christ, tant parce qu’elle est mitigée par l’espérance du pardon, que parce que parce que celui qui souffre n’a pas une aussi grande capacité de la percevoir, bien qu’il s’agisse de la perte d’un plus grand bien.

 [9435] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod quamvis in Christo fuerit major dispositio ad patiendum quam in Adam fuisset, tamen in eo etiam fuit major sensus laesionis quam in Adam fuisset, et ideo major dolor.

6. Bien qu’ait existé chez le Christ une plus grande disposition à supporter que ce n’était le cas chez Adam, il y avait cependant chez lui une plus grande sensation de la blessure qu’il n’y en aurait eu chez Adam. C’est pourquoi sa douleur est plus grande.

 [9436] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 7 Ad septimum dicendum sicut ad quintum.

7. Il faut donner ici la même réponse qu’au cinquième argument.

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 15

 [9437] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 3 expos. Non sentit corpus, sed anima. Contra. Sentire est conjuncti, secundum philosophum. Ergo neque corporis neque animae, sed omnis. Dicendum, quod eorum quae sunt conjuncti, quaedam insunt toti ratione animae, ut sentire, et hujusmodi; et haec attribuuntur animae eo modo loquendi quo dicitur calor calefacere, quia est principium calefaciendi: quaedam autem insunt toti ratione corporis, ut dormire, et hujusmodi; et haec attribuuntur corpori, et non animae. Quaedam autem non per corpus, immo etiam sine corpore sentit. Contra. In 1 de anima dicitur: destructo corpore, anima non reminiscitur neque amat; et est similis ratio de illis quae hic inducuntur. Dicendum, quod amor, timor, et hujusmodi, omnia aequivoce sumuntur: quandoque enim nominant passionem proprie dictam; et sic sunt in parte sensitiva; et ideo non possunt esse sine corpore: quandoque autem sumuntur pro actu voluntatis aliquid eligentis vel repudiantis; et sic possunt esse sine corpore sicut et voluntas. Suscepit nostram vetustatem; contra. Simile non consumit suum simile. Ergo vetustas vetustatem consumere non potuit. Dicendum, quod duplex vetustas est; scilicet culpae, et poenae, quae ad veterem hominem pertinent. Vetustas ergo poenae non opponitur novitati gratiae, immo materialiter se habet ad ipsam, inquantum meritum consistit in poena decenter tolerata; et ita vetustas poenae cum novitate gratiae, opponitur vetustati culpae, et delet eam, et per consequens vetustatem poenae quae ex vetustate culpae causatur consumet in statu gloriae; propter hoc simplex vetustas potuit delere duplam, quod dupla vetustas non potuisset, quia non habuisset novitatem adjunctam. Non enim assumpsit ignorantiam. Contra. Damascenus: naturam ignorantem et servilem accepit. Praeterea, Leo Papa in Serm. 4 Epiphan.: adoraverunt infantem in nullo ab aliis pueris segregatum. Ergo ignorantem sicut alii. Dicendum ad primum, quod ipsemet Damascenus seipsum exponit: dicit enim naturam assumptam ignorantem, si secundum intellectum separetur assumptum ab assumente; idest, si consideretur illa natura assumpta quasi non fuisset assumpta: et tunc ignorans fuisset, sicut est in aliis hominibus. Ad secundum dicendum, quod intelligitur quantum ad corporalia, vel secundum apparentiam. Numquid in eo essent defectus ? Scilicet culpae: alias auctoritas non probaret intentionem Magistri. Quos enim defectus habuit, vel ad ostensionem verae humanitatis (...) vel ad impletionem operis ad quod venerat (...) vel ab immortalitatis desperatione erigendam spem nostram (...) suscepit. Et videtur quod prima causa non valeat: quia vera humanitas potuit esse sine his defectibus, sicut fuit in primo statu, et erit in ultimo. Item videtur quod nec secunda: quia opus redemptionis, ad quod venerat, per mortem implevit. Ergo non oportebat quod famem, sitim, et alia hujusmodi assumeret. Item videtur quod nec tertia: quia magis videtur desperationem salutis inducere infirmitas ejus qui salvare venerat. Ad primum ergo dicendum, quod veritas humanitatis necessarium erat quod ostenderetur: quia exigebatur ad redemptionem quod esset Deus et homo: nec humanitas secundum statum primum et ultimum erat nobis nota, sed secundum statum secundum: et ideo oportuit quod assumeret defectus qui nobis insunt secundum istum statum. Ad secundum dicendum, quod alii defectus quos assumpsit, fundantur super eamdem causam, scilicet supra passibilitatem naturae: et ideo simul cum defectibus quibus opus redemptionis completum est illi assumpti fuerunt. Ad tertium dicendum, quod infirmitas carnis desperationem non inducit, propter divinitatis virtutem adjunctam; sed magis spem erigit: quia sicut in ipso, ita et in nobis infirmitas tolletur. Doles ergo, domine Jesu, non tua, sed mea vulnera. Contra. Etiam sua vulnera doluit; ut dictum est. Item quaeritur, si sua et nostra vulnera doluit, quis fuerit major dolor. Dicendum ad primum, quod ratio ut ratio, non dolebat de suis vulneribus propter bonum quod sequebatur: dolebat autem sensualitas, et ratio considerata ut natura. Ad secundum dicendum, quod non sunt unius rationis dolor corporalis passionis Christi, et dolor animalis, qui tristitia dicitur, secundum quem nostris defectibus compatiebatur; et ideo non sunt comparabiles. Si autem sumatur dolor passionis animalis, tunc dicendum, quod fuit major dolor compassionis quam passionis: quia caritas qua de nostris malis dolebat, praeponderat aequalitati complexionis suae, qua dolebat de passione sua: et iterum pretiosior ei erat honor divinus, qui laedebatur culpis nostris, quantum ex nobis erat, quam sua vita corporalis: et etiam in hujus signum illum dolorem sustinuit, ut istum tolleret. Aut contristatur quis per passionem. Videtur quod in Christo non fuit propassio. Matth. 7, dicit Glossa, quod propassio est subitus motus cui non consentitur. Hoc autem est veniale peccatum. Item tristitia semper videtur esse passio, quia est in genere passionis. Item videtur quod nunquam sit passio, ut dicit Damascenus, sed passionis sensus. Dicendum, quod passio importat immutationem patientis. Non autem dicitur aliquis immutari simpliciter, quando id quod est principale in ipso, permanet immutatum: et ideo simpliciter loquendo, quando ratio non immutatur a sui aequalitate, vel aequitate, non dicitur passio, sed propassio, quasi imperfecta passio: et hoc modo fuit in Christo. Et ideo dicendum ad primum, quod proprie loquendo, est immutatio inferioris partis tantum; et quando talis immutatio in nobis accidit, non praeordinatur a ratione: ideo Glossa secundum statum potentiarum in nobis loquens, dicit propassionem subitum motum. In Christo autem aliter fuit, ut ex dictis patet. Nec tamen est verum quod omnis subitus motus sensualitatis sit peccatum veniale; sed tunc tantum quando est tendens in illicitum, quod in Christo nullatenus fuit. Ad secundum dicendum, quod dicitur non esse passio, quia non est perfecta passio, quamvis sit de genere passionis; sicut ea quae parva sunt, quasi pro nihilo reputantur; sicut dicit Damascenus, quod proprie passio est, quando habet aliquam magnitudinem perceptibilem. Ad tertium dicendum, quod Damascenus loquitur de passionibus corporalibus, non animalibus. Unigenitus Deus hominem verum secundum similitudinem nostri hominis non deficiens a se Deo assumpsit: in quo quamvis aut ictus incideret, aut vulnus descenderet, aut nodi concurrerent, aut suspensio elevaret, afferrent quidem haec impetum passionis, non tamen passionis dolorem inferrent. Verba haec Hilarii videntur a Christo dolorem passionis et timorem excludere: quae tripliciter solvuntur. Quidam enim dicunt, Hilarium hoc retractasse: et hoc dicebat Willelmus episcopus Parisiensis, quod viderat epistolam retractationis, et fuerat sibi scriptum a quodam qui eam legerat. Et hoc videtur probabile ex his auctoritatibus quas in littera Magister inducit: quarum una incipit, ibi: interroga quid sit: alia est notula quae incipit ibi: cum haec passionum genera; quibus expresse dicit, humanitatem Christi his infirmitatibus subjacuisse; quod tamen littera negat, ut videtur. Alii dicunt, quod loquitur de Christo quantum ad deitatem; quia disputat contra illos in his verbis qui Dei filium creaturam dicebant. Sed huic non consonant verba auctoritatis, quae faciunt mentionem de Christi carne. Solutio autem Magistri consistit in hoc quod simpliciter noluit removere a Christo dolorem, sed tria quae sunt circa dolorem. Primo dominium doloris; quod patet ex hoc quod dicit: quam igitur infirmitatem dominatam hujus corporis credis, cujus tantam habuit natura virtutem ? Secundo meritum doloris, quod patet ex hoc quod dicit: non tamen vitiosa infirmitatis nostrae forma erat in corpore. Tertio necessitatem doloris; quod patet ex hoc quod dicit: videamus an ille ordo passionis infirmitatem in domino doloris permittat intelligi. Et secundum hoc solvuntur tria difficilia quae in verbis ejus videntur esse. Primum est quod dicit: poena in eo desaevit sine sensu poenae; et hoc nominat supra naturam passionis, quae scilicet sensum poenae infert, qui est dolor: quod non potest intelligi de sensu exteriori, quia sic poneretur corpus illud insensibile esse; sed oportet quod intelligatur quantum ad sensum rationis, qui non fuit immutatus per hujusmodi passiones a sua aequalitate: et propter hoc dicitur, quod poena in ipso dominium non habuit; vel etiam quod ipsum verbum non est affectum hujusmodi passionibus secundum secundam solutionem, ut videtur dicere in notula affixa. Aliud difficile est quod dicit: non habens naturam ad dolendum; et hoc dicitur, quia non erat in natura illa ordo ad dolorem ex aliquo merito peccati, sicut est in nobis: et per hunc modum dixit supra, quod dominici corporis ista est natura, ut feratur in undis; hoc enim non est de natura corporis in se considerati, sed ex virtute adjunctae divinitatis. Tertium difficile est quod dicit: neque enim fieri potest ut timor ejus significetur in verbis cujus fiducia contineatur in factis; ubi videtur ab ipso excludere timorem, et tristitiam consequenter. Sed vel hoc solvendum est sicut in supra dicta auctoritate, scilicet quod loquitur de timore prout est passio, et non prout est propassio. Vel dicendum, quod excludit necessitatem timoris. Habebat enim in ratione, unde timorem et tristitiam a sensualitate excluderet, si voluisset: quia, ut supra dictum est, sensualitas nata est moveri ad tristitiam et timorem, et ad opposita, non solum ex apprehensione imaginationis, sed etiam ex apprehensione rationis. Pati potuit, et passibilis esse non potuit. Contra. Philosophus in Lib. de Somn. et Vigil.: cujus est potentia, ejus est actus. Ergo quod patitur, est passibile. Dicendum, quod pati significat passionem per modum actus: unde ad suppositum refertur, secundum quod suppositum est cujuscumque naturae: et quia passio inest sibi ratione humanae naturae, ideo dicitur quod pati potuit. Passibile autem potentiam significat ad patiendum ut informantem id de quo dicitur: et quia verbum secundum se non informatur potentia patiendi, ideo dicitur, quod passibile esse non potuit, scilicet secundum se, quamvis passibile fuerit ratione naturae assumptae.

 

 

 

Distinctio 16

Distinction 16 – [Les carences dans la nature humaine du Christ]

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [Le caractère nécessaire de la mort]

Prooemium

Prologue

 [9438] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de defectibus quos Christus cum natura assumpsit, hic inquirit per quem modum illi defectus fuerunt in Christo, utrum scilicet in Christo fuerit necessitas patiendi vel moriendi; et dividitur in duas partes: primo determinat quaestionem, ostendens quod Christus necessitatem moriendi assumpsit. Et quia necessitas moriendi ad secundum statum pertinet, ideo gratia hujus, secundo ostendit quod Christus de singulis statibus aliquid accepit, ibi: et est hic notandum. Circa primum tria facit: primo ponit dubitationem; secundo solvit, ibi: ad quod dici potest; tertio solutionem confirmat, ibi: unde super epistolam ad Hebraeos auctoritas dicit et cetera. Hic oritur duplex quaestio: primo de necessitate moriendi, quam Christus ex secundo statu assumpsit. Secundo de his quae Christus habuit de ultimo statu. De immunitate enim peccati, et de plenitudine gratiae, quae ad alios status pertinet, supra dictum est. Circa primum quaeruntur tria: 1 utrum necessitas moriendi sit tantum ex peccato, vel etiam ex natura; 2 utrum in Christo fuerit necessitas moriendi; 3 utrum illa necessitas fuerit sub voluntate humana.

Après avoir déterminé des carences que le Christ a assumées avec la nature [humaine], le Maître s’interroge ici sur la manière dont ces carences existaient chez le Christ, à savoir, sur le caractère nécessaire de sa souffrance ou de sa mort. Il y a deux parties. Premièrement, il détermine de la question en montrant que le Christ a assumé le caractère nécessaire de la mort. Et parce que le caractère nécessaire de la mort appartient au second état, celui de la grâce, il montre en second lieu que le Christ a assumé quelque chose de tous les états, à cet endroit : « Et il faut remarquer ici… » À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il soulève un doute. Deuxièmement, il le résout, à cet endroit : « Sur cela, on peut dire… » Troisièmement, il confirme la solution, à cet endroit : « Aussi, à propos de l’épître au Hébreux, l’autorité dit, etc… » Deux questions sont soulevées ici. Premièrement, à propos du caractère nécessaire de la mort, que le Christ a assumée en son second état. Deuxièmement, à propos de ce que le Christ a possédé de l’état ultime. En effet, on a parlé plus haut de l’exemption du péché et de la plénitude de la grâce, qui se rapportent aux autres états. À propos du premier point, il pose trois questions : 1 – La nécessité de mourir vient-elle seulement du péché ou aussi de la nature ? 2 – Était-il nécessaire que le Christ meure ? 3 – Cette nécessaité dépendait-elle de sa volonté humaine ?

 

 

Articulus 1 [9439] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 1 tit. Utrum necessitas moriendi tantum sit homini ex peccato

Article 1 – La nécessité de mourir pour l’homme vient-elle seulement du péché ?

 [9440] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod necessitas moriendi sit tantum homini ex peccato. Rom. 8, 10: corpus quidem mortuum est propter peccatum, id est necessitati mortis addictum. Ergo.

1. Il semble que la nécessité de mourir pour l’homme vienne seulement du péché. Rm 8, 10 : Le corps est mort déjà en raison du péché, c’est-à-dire qu’il est soumis à la nécessité de mourir. Donc…

 [9441] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, in humana natura est mors consecuta culpam; Rom. 5, 12: per peccatum mors. Sed necessitas peccati inducta est homini per peccatum tantum. Ergo et necessitas moriendi.

2. Pour la nature humaine, la mort a découlé de la faute. Rm 5, 12 : La mort [est venue] du péché. Or, la nécessité du péché a été introduite dans l’homme par le péché seulement. Donc aussi, la nécessité de la mort.

 [9442] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, materia debet esse secundum naturam proportionata formae. Sed forma corporis humani, anima scilicet rationalis, est incorruptibilis. Ergo et ipsum corpus humanum: ergo necessitas moriendi non est ex natura, sed ex peccato.

3. La matière doit être par nature proportionnée à la forme. Or, la forme du corps humain, l’âme raisonnable, est incorruptible. Donc aussi, le corps humain. La nécessité de mourir ne vient donc pas de la nature, mais du péché.

 [9443] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, corpus humanum maxime ad aequalitatem commixtionis pervenit, sicut philosophi tradunt. Sed ubi est aequalitas commixtionis, unum contrarium, cum non praedominetur alteri, non potest agere ad corruptionem mixti. Ergo corpus hominis per naturam est incorruptibile; et sic idem quod prius.

4. Le corps humain est parvenu au plus haut point à l’égalité du mélange, comme l’enseignent les philosophes. Or, là où existe l’égalité du mélange, un contraire ne peut agir dans le sens de la corruption de ce qui est mélangé, puisqu’il ne l’emporte pas sur un autre. Le corps de l’homme est donc incorruptible par nature. La conclusion est donc la même que précédemment.

 [9444] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, poena non est inducta nisi propter peccatum. Sed mors et necessitas moriendi quaedam poena est: quia omne terribile poenale est, finis autem terribilium mors, ut dicitur in 3 Ethic. Ergo sunt tantum ex peccato.

5. La peine n’est donnée qu’en raison du péché. Or, la mort et la nécessité de mourir sont une peine, car tout ce qui provoque la terreur a le caractère de peine. Or, le terme de ce qui provoque la terreur est la mort, comme on le dit dans Éthique, III. [La mort et la nécessité de mourir] viennent donc seulement du péché.

 [9445] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, omne compositum ex contrariis est secundum naturam necessitatem habens ad corruptionem. Sed corpus humanum est hujusmodi. Ergo ex natura habet necessitatem moriendi.

Cependant, [1] tout composé de contraires est nécessairement destiné par nature à la corruption. Or, le corps humain est de cette sorte. Il doit donc nécessairement mourir par nature.

 [9446] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, sicut probatur in 1 Cael. et Mun., generabile naturaliter est corruptibile, et corruptionis necessitatem habens. Sed corpus humanum est generatum per naturam. Ergo naturaliter est necessitatem corruptionis habens.

 [2] Comme on le démontre dans Sur le ciel et le monde, I, ce qui est sujet à la génération est sujet à la corruption et comporte la nécessité de la corruption. Or, le corps humain est engendré par nature. Il doit donc par nature nécessairement se corrompre.

 [9447] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 1 s. c. 3 Praeterea, elementa quae sunt in corpore humano, sunt ejusdem speciei cum aliis elementorum partibus. Sed elementa in commixtionem aliorum corporum venientia, sunt de necessitate corruptibilia secundum naturam. Ergo et elementa quae sunt in corpore humano. Sed corruptis componentibus corrumpitur compositum. Ergo corpus hominis secundum naturam habet necessitatem moriendi.

 [3] Les éléments qui se trouvent dans le corps humain sont de la même espèce que les autres parties des éléments. Or, les éléments qui entrent dans la composition des autres corps sont naturellement corruptibles. Donc aussi, les éléments qui se trouvent dans le corps humain. Or, lorsque les composantes se corrompent, le composé se corrompt. Le corps de l’homme doit donc nécessairement mourir par nature.

 [9448] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod necessitas moriendi partim homini est ex natura, partim ex peccato. Ex natura quidem, quia corpus hominis compositum est ex contrariis, quae nata sunt agere et pati ad invicem, ex quo accidit dissolutio compositi. Sed tamen in statu innocentiae donum quoddam a Deo gratis datum animae inerat, ut ipsa praeter modum aliarum formarum, secundum modum suum vitam indeficientem corpori largiretur, sicut ipsa incorruptibilis est, et non secundum modum corporis corruptibilem, quamdiu ipsa manebat Deo subdita, et corpus ei omnino subdebatur, nec aliqua dispositio in corpore accidere poterat quae vivificationem animae impediret. Sed propter peccatum istud donum ablatum est; et ideo relicta est humana natura, ut dicit Dionysius in Eccl. Hier., in statu qui debetur ei ex natura suorum principiorum, secundum quod dictum est ei, Gen. 3, 19: terra es, et in terram ibis. Et ideo post peccatum, necessitas moriendi inest homini ex peccato, sicut ex removente prohibens, quod erat gratia innocentiae; ex natura autem materiae, sicut ex eo quod per se necessitatem mortis inducit.

Réponse. La nécessité de mourir vient à l’homme en partie de la nature et en partie du péché. De la nature, parce que le corps de l’homme est composé de contraires, qui sont destinés à agir et à subir réciproquement, ce dont provient la dissolution du composé. Cependant, dans l’état d’innocence, existait dans l’âme un don gratuit donné par Dieu, faisant en sorte que, par-delà le mode des autres formes, il apporterait au corps une vie durable selon son mode, puisque [l’âme] est elle-même incorruptible, et non selon le mode corruptible du corps, et cela, aussi longtemps qu’elle demeurerait soumise à Dieu et que le corps lui serait entièrement soumis, et que ne pourrait survenir dans le corps une disposition qui empêcherait qu’il ne soit vivifié par l’âme. Or, à cause de ce péché, ce don a été enlevé. Comme le dit Denys dans La hiérarchie ecclésiastique, la nature humaine a donc été laissée dans l’état qui lui était dû selon la nature de ses principes, selon qu’il lui a été dit, Gn 3, 19 : Tu es terre, et tu retourneras à la terre. C’est pourquoi, après le péché, la nécessité de mourir existe pour l’homme en raison du péché, comme si un empêchement était enlevé, qui était la grâce de l’innocence; et en raison de la nature de la matière, comme ce qui de soi entraîne nécessairement la mort.

 [9449] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod hoc dicitur, inquantum per peccatum prohibens mortem remotum est.

1. On dit cela pour autant que, par le péché, ce qui empêchait la mort a été enlevé.

 [9450] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod peccatum non inest homini ex aliquo principiorum naturalium, immo est contra naturam rationis; unde non est simile de peccato et morte, quae ex principio materiali consequitur.

2. Le péché n’est pas dans l’homme en raison d’un de ses principes naturels, bien plus, il est contraire à la nature de la raison. Il n’en va donc pas de même pour le péché et pour la mort, qui découle d’un principe matériel.

 [9451] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod materia debet esse proportionata formae, non ut habeat conditiones formae, sed ut sit disposita ad recipiendum formam secundum modum suum: unde non oportet si anima hominis est immortalis, quod etiam corpus secundum naturam sit immortale.

3. La matière doit être proportionnée à la forme, non pas pour qu’elle ait les conditions de la forme, mais pour qu’elle soit disposée à recevoir la forme selon son mode. Si l’âme de l’homme est immortelle, il n’est donc pas nécessaire que le corps lui aussi soit immortel selon sa nature.

 [9452] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod impossibile est quod complexio perveniat ad tantam aequalitatem, quin alterum contrariorum praedominetur: quia alias non fieret mixtio, nisi unum in alterum ageret dominans ad medium reducendo, altero resistente; et praecipue hoc oportet in corpore humano quod calor dominetur propter operationes animae, quae indigent calore sicut instrumento, ut dicitur in 2 de anima.

4. Il est impossible qu’un mélange parvienne à une telle égalité que l’un des contraires ne prédomine pas, car, autrement, il ne se ferait pas de mélange si un élément dominant n’agissait pas sur un autre pour le ramener au milieu, alors que l’autre résiste. Il est surtout nécessaire pour le corps humain que la chaleur l’emporte en raison des opérations de l’âme, qui ont besoin de la chaleur comme d’un instrument, comme on le dit dans Sur l’âme, II.

 [9453] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod mors, vel necessitas moriendi, dicitur esse poena per comparationem ad statum innocentiae, in quo inerat ei posse non mori. Si tamen in principio conditionis naturae humanae, dictum donum gratiae humanae naturae non fuisset collatum, necessitas quidem moriendi fuisset, sed tamquam naturalis defectus, non poena, ut supra probavit Magister ex verbis Augustini in praecedenti distinctione. Et ideo, quia philosophi illud donum non cognoverunt, dixit Seneca, quod mors est hominis natura, non poena.

5. On dit que la mort ou la nécessité de mourir est une peine par comparaison avec l’état d’innocence, où existait pour lui la possibilité de ne pas mourir. Cependant, si, au début de la condition de la nature humaine, le don de la grâce en question n’avait pas été fait à la nature humaine, la nécessité de mourir aurait existé, mais comme une carence naturelle, et non comme une peine, comme l’a montré plus haut le Maître par les paroles d’Augustin, dans la distinction précédente. Parce que les philosophes n’ont pas connu ce don, c’est pourquoi Sénèque a dit que la mort est la nature de l’homme, et non une peine.

 

 

Articulus 2 [9454] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 2 tit. Utrum in Christo fuit necessitas moriendi

Article 2 – Était-il nécessaire que le Christ meure ?

 [9455] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod in Christo non fuerit necessitas moriendi. Necessitas enim coactionem importat. Sed quod est in potestate alicujus constitutum non est coactum. Cum igitur Christus de seipso dicat, Joan. 10, 18: potestatem habeo ponendi animam meam; non fuit in eo, ut videtur, necessitas moriendi.

1. Il semble qu’il n’ait pas été nécessaire de mourir pour le Christ. En effet, la nécessité comporte une coercition. Or, ce qui est au pouvoir de quelqu’un n’est pas forcé. Puisque le Christ dit de lui-même, Jn 10, 18 : J’ai le pouvoir de déposer mon âme, il semble donc qu’il n’existait pas en lui de nécessité de mourir.

 [9456] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, Christus mortuus est quia voluit, ut dicitur Isai. 43. Sed non fuit in eo necessitas volendi. Ergo nec necessitas moriendi.

2. Le Christ est mort parce qu’il l’a voulu, comme il est dit en Is 43. Or, il n’existait pas en lui de nécessité de vouloir. Donc, ni de nécessité de mourir.

 [9457] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, necessitas moriendi venit ex peccato. Rom. 8: corpus quidem mortuum est propter peccatum; Glossa: idest, necessitati mortis addictum. Sed in Christo non fuit peccatum. Ergo nec necessitas moriendi.

3. La nécessité de mourir vient du péché. Rm 8 : Le corps est mort en raison du péché. Glose : « C’est-à dire qu’il a été soumis à la nécessité de la mort. » Or, il n’y avait pas de péché chez le Christ. Donc, ni de nécessité de mourir.

 [9458] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, supra dixit Magister, in praecedenti distinctione, quod Hilarius a Christo necessitatem dolendi removit. Sed dolorem passionis secuta est mors. Ergo nec in eo fuit necessitas moriendi.

4. Le Maître a dit plus haut, dans la distinction précédente, que Hilaire a écarté chez le Christ la nécessité de souffrir. Or, la mort découle de la douleur de la passion. Il n’y avait donc pas non plus chez lui de nécessité de mourir.

 [9459] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, potentius non de necessitate ab aliquo minus potente patitur. Sed Christus fuit potentior quolibet alio passionem vel mortem inducente. Ergo ipse non habuit necessitatem moriendi, vel patiendi.

5. Ce qui est plus puissant ne souffre pas nécessairement de la part de ce qui est moins puissant. Or, le Christ était plus puissant que n’importe qui d’autre qui entraînait la souffrance ou la mort. Il n’y avait donc pas chez lui de nécessité de mourir ou de souffrir.

 [9460] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, Rom. 8, 3: Deus misit filium suum in similitudinem carnis peccati. Sed conditio carnis peccati est quod habeat necessitatem moriendi, quae tamen peccatum non est. Ergo fuit in carne Christi.

Cependant, [1] Rm 8, 3 dit : Dieu a envoyé son Fils semblable à la chair de péché. Or, la condition de la « chair de péché » est qu’elle meurt nécessairement, ce qui n’est cependant pas un péché. [La nécessité de mourir] ne se trouvait donc pas dans la chair du Christ.

 [9461] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Hebr. 2, dicitur, quod ipse in passione assimilatus est fratribus, idest aliis hominibus. Sed mater, de qua Christus carnem sumpsit, et alii homines habent necessitatem moriendi et patiendi. Ergo etiam in Christo talis necessitas fuit.

 [2] He 2 dit qu’il est devenu semblable à ses frères par la souffrance, c’est-à-dire aux autres hommes. Or, la mère, de laquelle le Christ a assumé sa chair, et les autres hommes meurent et souffrent nécessairement. Une telle nécessité se trouvait donc aussi chez le Christ.

 [9462] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 2 s. c. 3 Praeterea, necessitas moriendi vel patiendi est defectus totam humanam naturam consequens, nec est culpa diminutionem gratiae importans, quia est tantum ex parte corporis. Sed omnes tales defectus assumpsit, ut supra, dictum est. Ergo assumpsit necessitatem moriendi.

 [3] La nécessité de mourir ou de souffrir est une carence qui suit toute la nature humaine, et elle n’est pas une faute comportant une diminution de la grâce, car elle est le fait du corps seulement. Or, [le Christ] a assumé toutes ces carences, comme on l’a dit plus haut. Il a donc assumé la nécessité de mourir.

 [9463] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod secundum philosophum, necessarium idem est quod impossibile non esse; unde necessitas excludit potentiam ad oppositum. Haec autem potentia ad oppositum excluditur triplici ratione. Primo ex hoc quod talis potentia repugnat naturae illius rei, sicut potentia deficiendi repugnat naturae divinae; et ideo dicimus Deum necessario aeternum: et haec est necessitas absoluta. Secundo excluditur ex aliquo impediente; et sic est necessitas coactionis. Tertio quia hoc cujus dicitur esse potentia, repugnat fini intento, sicut non curari repugnat ei quod est sanari: unde dicimus, quod non potest non curari, si debeat sanari: et haec est necessitas ex conditione finis. Necessitas autem patiendi vel moriendi, dupliciter potest attribui Christo. Quia potest removere potentiam non moriendi a natura humana; et sic vere ei attribuitur: quia natura humana, quantum ad statum suae passibilitatis, in quo statu Christus eam assumpsit, non habet potentiam non moriendi; unde in Christo quantum ad humanam naturam fuit necessitas moriendi. Item potest removere potentiam non moriendi a Christo ratione personae; et sic ei falso attribuitur, quia virtus divinitatis Christi repellere poterat omne inducens mortem vel passionem. Erat tamen in Christo necessitas patiendi, etiam ratione personae, ex conditione finis, scilicet si humanum genus redimendo liberare vellet; et ideo quidam dicunt Christum habuisse necessitatem patiendi, attendentes naturam humanam; quidam vero dicunt non habuisse talem necessitatem, nisi ex conditione finis, attendentes personam divinam. Sed quia mors inest Christo ratione humanae naturae, ideo sicut simpliciter concedimus quod Christus mortuus est, ita similiter concedere possumus simpliciter quod necessitatem moriendi habuit, non solum ex causa finali, sed etiam necessitatem absolutam, ut moreretur, etiam si non occideretur, ut quidam dicunt. Unde Augustinus: si non occisus fuisset, naturali morte dissolutus fuisset; et idem opus redemptionis fuisset, quod per passionem fecit: et cum hoc necessitatem coactionis habuit quantum ad mortem violentam quam sustinuit.

Réponse. Selon le Philosophe, être nécessaire est la même chose que ne pas être impossible d’être; ainsi, la nécessité exclut la puissance à des choses opposées. Or, cette puissance pour des choses opposées est exclue de trois manières. Premièrement, par le fait qu’une telle puissance répugne à la nature de cette chose, comme la puissance de cesser répugne à la nature divine. C’est pourquoi nous disons que Dieu et nécessairement éternel. Une telle nécessaité est absolue. Deuxièmement, [cette puissance pour des choses opposées] est exclue par quelque chose qui l’empêche : il s’agit alors d’une nécessité par coercition. Troisièmement, parce que ce dont on dit que c’est la puissance répugne à la fin visée, comme ne pas être soigné répugne au fait d’être guéri. Nous disons ainsi qu’il ne peut pas ne pas être soigné, s’il doit être guéri. Cette nécessité vient de la condition de la fin. Or, la nécessité de souffrir et de mourir peut être attribuée au Christ de deux manières. En effet, elle peut enlever la puissance de ne pas mourir de la nature humaine : de cette manière, elle lui est attribuée avec vérité, car la nature humaine, pour ce qui est de son état de passibilité, dans lequel le Christ l’a assumée, n’a pas la puissance de ne pas mourir. Aussi la nécessité de mourir existait-elle chez le Christ pour ce qui est de sa nature humaine. [La nécessité de souffrir et de mourir] peut aussi enlever au Christ la puissance de ne pas mourir en raison de sa personne : elle est ainsi faussement attribuée au Christ, car la puissance de la divinité du Christ pouvait enlever tout ce qui entraîne la mort et la souffrance. Cependant, il existait chez le Christ une nécessité de souffrir, même en raison de sa personne, selon la condition de la fin, à savoir s’il voulait libérer le genre humain en le rachetant. C’est pourquoi certains disent que le Christ devait nécessairement souffrir, en prenant en compte sa nature humaine; mais d’autres disent qu’il ne le devait pas nécessairement, si ce n’est selon la condition de la fin, en prenant en compte sa personne divine. Mais parce que la mort est présente chez le Christ en raison de sa nature humaine, de même que concédons simplement qu’il était nécessaire qu’il meure, de même nous pouvons concéder simplement qu’il lui était nécessaire de mourir, non seulement en raison de la cause finale, mais aussi par une nécessité absolue, même s’il n’avait pas été tué, comme certains le disent. Aussi Augustin dit-il : « S’il n’avait pas été tué, il serait disparu de mort naturelle. » Et l’œuvre de la rédemption aurait été la même que celle qu’il a accomplie par la passion. Il était ainsi nécessaire qu’il supporte une nécessité de coercition quant à la mort violente qu’il a supportée.

 [9464] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod, sicut infra, 21 dist.; dicit Magister, hoc Christus dixit de potestate in se manentis divinitatis.

1. Comme le dit le Maître plus loin, d. 21, le Christ a dit cela du pouvoir de la divinité qui demeurait en lui.

 [9465] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod cum dicitur: Christus mortuus est, quia voluit, ly quia potest dicere causam: et hoc vel respectu mortis absolute, et sic referendum est ad voluntatem divinitatis; vel respectu mortis violenter illatae, et sic potest referri ad voluntatem humanam, per quam voluntarie se obtulit persecutoribus. Potest etiam dicere concomitantiam; et sic refertur etiam ad voluntatem humanam, per quam mortem acceptavit: et hoc excludit necessitatem moriendi, quia hoc idem accidit in Petro, et in aliis sanctis.

2. Lorsqu’on dit que le Christ est mort parce qu’il l’a voulu, « parce que » peut exprimer la cause, et cela, soit par rapport à la mort d’une manière absolue – il faut alors le mettre en rapport avec la volonté de la divinité; soit par rapport à la mort donnée de manière violente – et ainsi, cela peut être mis en rapport avec la volonté humaine, par laquelle il s’est lui-même volontairement offert aux persécuteurs. [« Parce que »] peut aussi exprimer la concomitance : il est alors mis en rapport avec la volonté humaine par laquelle il a accepté la mort. Et cela exclut la nécessité de mourir, car la même chose est arrivée à Pierre et aux autres saints.

 [9466] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod necessitas moriendi non solum venit in humanam naturam ex peccato, sed etiam alias potuisset esse in humana natura, ut supra dictum est: et ideo Christus potuit hunc defectum assumere sine peccato, et alios hujusmodi.

3. La nécessité de mourir ne vient pas à la nature humaine du péché seulement, mais elle aurait pu exister aussi dans la nature humaine d’une autre manière, comme on l’a dit plus haut. C’est pourquoi le Christ a pu assumer sans péché cette carence et les autres de ce genre.

 [9467] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Magister voluit supra excludere a Christo necessitatem patiendi ratione personae.

4. Plus haut, le Maître a voulu exclure chez le Christ la nécessité de souffrir en raison de sa personne.

 [9468] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod corpore Christi fuit secundum quid potentior clavus et lancea: inquantum scilicet clavus fuit durus, quod pertinet ad potentiam naturalem; et caro Christi mollis, quod pertinet ad naturalem impotentiam, secundum philosophum in praedicamentis.

5. Le clou et la lance ont été plus puissants que le corps du Christ d’une certaine manière, pour autant que le clou était dur, ce qui relève de sa puissance naturelle, et que la chair du Christ était tendre, ce qui relève de son impuissance naturelle, selon le Philosophe dans Les prédicaments.

Articulus 3 [9469] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 3 tit. Utrum necessitas moriendi vel patiendi subsit in Christo voluntati humanae

Article 3 – La nécessité de mourir et de souffrir est-elle soumise chez le Christ à sa volonté humaine ?

 [9470] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod necessitas patiendi vel moriendi subfuerit in Christo voluntati humanae. Nihil enim sequitur ad voluntatem praecedentem, nisi quod voluntati subest. Sed Damascenus dicit in 3 Lib. de fide, quod naturalia in Christo sequebantur ad voluntatem. Ergo si necessitas moriendi fuit in Christo aliquo modo naturalis, suberat voluntati Christi.

1. Il semble que la nécessité de souffrir et de mourir ait été soumise chez le Christ à sa volonté humaine. En effet, rien ne suit une volonté antécédente, que si cela est soumis à la volonté. Or, [Jean] Damascène dit, dans le livre III de Sur la foi, que ce qui était naturel chez le Christ suivait sa volonté. Si la nécessité de mourir était d’une certaine manière naturelle chez le Christ, elle était donc soumise à la volonté du Christ.

 [9471] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, sicut inferiores vires sunt sub ratione, ita corpus est sub anima. Sed inferiores vires in Christo obediebant et omnino subjiciebantur voluntati rationis. Ergo et corpus quantum ad omnia quae in ipso accidere poterant, subdebatur voluntati animae.

2. De même que les puissances inférieures sont soumises à la raison, de même le corps l’est-il à l’âme. Or, les puissances inférieures chez le Christ obéissaient et étaient entièrement soumises à la volonté de la raison. Le corps aussi était donc soumis à la volonté de l’âme pour tout ce qui pouvait se produire en lui.

 [9472] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, Avicenna dicit, quod animae alicujus spiritualis viri magis obedit materia quam contrariis agentibus in natura. Sed anima Christi maxime fuit spiritualis. Ergo cum mors in corpore ejus acciderit ex aliquo agente contrario, videtur quod voluntas ejus humana poterat repellere mortem in illis passionibus inductam.

3. Avicenne dit que la matière obéit davantage à l’âme d’un homme spirituel qu’aux agents contraires dans la nature. Or, l’âme du Christ était au plus haut point spirituelle. Puisque la mort est survenue dans son corps par un agent contraire, il semble donc que sa volonté humaine pouvait repousser la mort entraînée par ces souffrances.

 [9473] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, ex voluntate sua humana per gratiam sanitatis, quam abundantissime habuit, aliis sanitatem conferebat, sicut Matth. 8, 3, dicit leproso: volo; mundare. Sed non minus poterat in corpus proprium quam in alienum. Ergo et poterat secundum humanam suam voluntatem praeservare corpus a laesione et morte.

4. Par sa volonté humaine, [le Christ] conférait à d’autres la santé en raison de la grâce de la santé, qu’il possédait avec la plus grande abondance, ainsi qu’il le dit au lépreux en Mt 8, 3 : Je le veux : sois purifié! Or, il n’avait pas moins de pouvoir sur son propre corps que sur un autre corps. Selon sa nature humaine, il pouvait donc préserver son corps de la blessure et de la mort.

 [9474] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, major virtus fuit in anima Christi quam in qualibet alia creatura. Sed aliqua virtus creaturae potest praeservare corpus a morte, sicut lignum vitae. Ergo multo fortius poterat hoc anima Christi.

5. Une puissance plus grande existait dans l’âme du Christ que dans n’importe quelle créature. Or, une certaine puissance de la créature peut préserver le corps de la mort, comme l’arbre de vie. À bien plus forte raison, l’âme du Christ le pouvait-elle donc.

 [9475] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 3 arg. 6 Praeterea, Moyses ex vi contemplationis divinae jejunavit quadraginta diebus, quibus, ut videtur, conservabatur corpus a consumptione ex virtute animae. Sed in Christo fuit anima multo potentior quam in Moyse: quia amplioris gloriae prae Moyse habitus est, ut dicitur Heb. 3. Ergo ejus anima poterat conservare corpus immune ab omni corruptione.

6. Par la puissance de la contemplation, Moïse a jeûné quarante jours, pendant lesquels il semble que son corps était préservé de la destruction par la puissance de l’âme. Or, chez le Christ, l’âme était beaucoup plus puissante que chez Moïse, car il a possédé une gloire plus grande que Moïse, comme il est dit dans He 3. Son âme pouvait donc garder son corps exempt de toute corruption.

 [9476] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, corpus humanum non praeservatur omnino a morte, nisi per gratiam innocentiae, sicut in primo statu, vel per gloriam, sicut in ultimo statu. Sed utrumque istorum dare solius Dei est. Ergo anima Christi corpus suum non poterat a corruptione praeservare; et ita necessitas moriendi sibi non subdebatur.

Cependant, [1] le corps humain n’est entièrement préservé de la mort que par la grâce de l’innocence, comme dans le premier état, ou par la gloire, dans l’état ultime. Or, Dieu seul peut donner ces deux choses. L’âme du Chrit ne pouvait donc pas préserver son corps de la corruption. Ainsi, la nécessité de mourir ne lui était donc pas soumise.

 [9477] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, secundum naturam corruptibile non potest fieri incorruptibile. Sed anima Christi non poterat in ea quae sunt supra naturam. Ergo cum corpus suum esset corruptibile, non poterat eam a corruptione praeservare.

 [2] Selon la nature, ce qui est corruptible ne peut être rendu incorruptible. Or, l’âme du Christ n’avait pas pouvoir sur ce qui dépasse la nature. Puisque son corps était corruptible, [son âme] ne pouvait donc pas le préserver de la corruption.

 [9478] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 3 s. c. 3 Praeterea, facere miracula est signum omnipotentiae. Sed anima Christi non habuit omnipotentiam. Ergo non potuit propria virtute aliquod miraculum facere. Sed quod corpus corruptibile non corrumpatur, est maximum miraculum. Ergo hoc non subjacebat voluntati animae Christi.

 [3] Faire des miracles est un signe de toute-puissance. Or, l’âme du Christ n’avait pas la toute-puissance. Elle ne pouvait donc pas par sa propre puissance faire un miracle. Or, qu’un corps corruptible ne soit pas corrompu est le plus grand des miracles. Cela n’était donc pas soumis à la volonté de l’âme du Christ.

 [9479] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod ejus solius est immutare legem et cursum naturae impositum, qui naturam instituit et ordinavit; quod solus Deus fecit: et ideo neque aliqua virtus corporalis, nec spiritualis, aut animae aut Angeli, nec etiam animae Christi, potuit ad immutationem legis naturae impositae divinitus, nisi per modum orationis aut intercessionis; et ideo hoc fuit signum deitatis Christi, quod imperando signa perficiebat, et non orando, sicut alii sancti. Et ideo cum secundum legem et cursum naturae mors Christi corpus consequeretur, ut dictum est, et ut dicit Magister in littera; dicendum, quod necessitas moriendi in Christo non subdebatur voluntati ejus humanae, sed solum divinae, ut una opinio dicit.

Réponse. Il appartient à celui-là seul qui a établi et ordonné la nature – ce que Dieu seul a fait ‑ de changer la loi et le cours imposés à la nature. C’est pourquoi ni une puissance corporelle, ni [une puissance] spirituelle, que ce soit celle de l’âme ou de l’ange, ni même celle de l’âme de Christ n’avaient pouvoir sur le changement de la loi divinement imposée à la nature, si ce n’est pas mode de prière ou d’intercession. C’était donc un signe de la divinité du Christ qu’il accomplissait des signes en commandant, et non en priant, comme les autres saints. Puisque, selon la loi et le cours de la nature, la mort découlerait du corps du Christ, comme on l’a dit, et comme le dit le Maître dans le texte, il faut donc dire que la nécessité de mourir chez le Christ n’était pas soumise à sa volonté humaine, mais seulement à [sa volonté] divine, comme le dit une opinion.

 [9480] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod verbum Damasceni est intelligendum de voluntate divina, quae fuit illius personae.

1. La parole de [Jean] Damascène doit s’entendre de la volonté divine qui appartenant à cette personne.

 [9481] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sensibiles vires natae sunt obedire rationi; et quanto ratio magis fuerit virtute perfecta, tanto magis sibi obediet. Et quia Christus perfectissimam virtutem habuit; ideo hujusmodi vires omnino sibi subdebantur quantum ad rationem. Sed vires naturales vel animae vegetabilis, vel etiam corporis, non sunt natae obedire rationi; et ideo non est similis ratio.

2. Les puissances sensibles obéissent naturellement à la raison, et plus parfaite sera la puissance de la raison, plus elles lui obéiront. Parce que le Christ avait ainsi la puissance la plus parfaite, les puissances de ce genre lui étaient entièrement soumises pour ce qui est de la raison. Mais les puissances naturelles, celles de l’âme végétative et aussi celles du corps, n’obéissent pas naturellement à la raison. Le raisonnement n’est donc pas le même.

 [9482] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Avicenna ponit, quod mundus factus est a Deo mediantibus Angelis; unde ponit quod spiritui angelico materia obedit ad nutum, et per consequens animae inquantum Angelis assimilatur. Haec autem repugnant fidei, et dictis aliorum philosophorum, qui dicunt, quod Angeli non possunt in haec inferiora effectum aliquem nisi mediante motu caeli: quod etiam repugnat fidei quantum ad aliqua quae possunt Angeli facere utendo virtutibus rerum naturalium in movendo inferiora, ut patet ex 2 Lib. dist. 8, qu. 2, art. 5. Unde in hoc non est standum auctoritati Avicennae.

3. Avicenne affirme que le monde a été créé par Dieu par l’intermédiaire des anges. Il affirme donc que la matière obéit à un esprit angélique au moindre signe et, par conséquent, à l’âme, pour autant qu’elle ressemble aux anges. Mais cela est contraire à la foi et aux affirmations des autres philosophes, qui disent que les anges ne peuvent réaliser aucun effet sur ces réalités inférieures que par l’intermédiaire du mouvement du ciel, ce qui s’oppose aussi à la foi pour certaines choses que les anges peuvent accomplir en utilisant les puissances de choses naturelles pour mouvoir les choses inférieures, comme cela ressort du livre II, d. 8, q. 2, a. 5. Sur ce point, il ne faut donc pas s’appuyer sur l’autorité d’Avicenne.

 [9483] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Christus etiam miracula sanitatis non poterat facere virtute humanitatis, sed divinitatis sibi conjunctae.

4. Le Christ ne pouvait aussi accomplir les miracles de la santé en vertu de son humanité, mais en vertu de la divinité qui lui est unie.

 [9484] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod lignum vitae non poterat immortalitatem conferre principaliter; sed removebat quoddam ex quo sequitur corruptio, scilicet extraneitatem a cibo assumpto, ut in 2 Lib., dist. 19, dictum est.

5. L’arbre de vie ne pouvait pas conférer l’immortalité à titre principal; mais il enlevait quelque chose dont pouvait découler la corruption, à savoir le caractère extérieur de la nourriture prise, comme on l’a dit dans le livre II, d. 19.

 [9485] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod quamvis Moyses non affligeretur ex jejunio quadraginta dierum, quia vires sensibiles suspensae erant propter contemplationem Dei; tamen calor naturalis agebat, et fiebat deperditio, quamvis non tanta; quia quando vires intellectivae vehementer contemplantur, etiam vires naturales in suis actibus impediuntur. Vel si nulla fiebat consumptio, hoc non fuit nisi virtute divina per miraculum.

6. Bien que Moïse n’ait pas été affligé par son jeûne de quarante jours, parce que ses puissances sensibles avaient été suspendues en raison de la contemplation de Dieu, la chaleur naturelle agissait cependant et une déperdition se produisait, bien qu’elle ne fût pas aussi grande, car lorsque les puissances intellectuelles contemplent avec intensité, les actes des puissances naturelles sont aussi empêchés. Ou bien, si aucune déperdition ne se produisait, cela n’était dû qu’à un miracle de la puissance divine.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [L’état de la gloire lors de la transfiguration]

Prooemium

Prologue

 [9486] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 pr. Deinde quaeritur, utrum cum necessitate moriendi potuit habere ea quae pertinent ad statum gloriae. Et quia supra dictum est de his quae pertinent ad gloriam animae; ideo quaeritur de his quae pertinent ad statum gloriae corporis, quam in transfiguratione ostendit Matth. 17; et circa hoc quaeruntur duo: 1 utrum illa claritas fuerit vera vel imaginaria; 2 utrum fuerit gloriosa.

On se demande ensuite si [le Christ] pouvait avoir ce qui concerne l’état de la gloire en même temps que la nécessité de mourir. Parce qu’on a parlé plus haut de ce qui concerne la gloire de l’âme, on s’interroge donc sur ce qui concerne l’état de la gloire du corps, qu’il a montrée lors de la tranfiguration, Mt 17. À ce propos deux questions sont posées : 1 – Cet éclat était-il vrai ou imaginaire ? 2 – Cet éclat était-il celui de la gloire ?

 

 

Articulus 1 [9487] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 1 tit. Utrum claritas quae fuit in Christi corpore in transfiguratione, fuerit vera, et utrum fuerit imaginaria

Article 1 – L’éclat qui émanait du corps du Christ lors de la transfiguration était-il vrai ou était-il imaginaire ?

 [9488] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod illa claritas non fuerit vera. In illud enim dicitur aliquid transfigurari quod non secundum veritatem ei inest, sicut dicitur 2 Corinth. 11, quod Angelus Satanae transfigurat se in Angelum lucis. Sed Christus dicitur transfiguratus, secundum quod illam claritatem demonstravit, ut patet Matth. 17. Ergo claritas illa non secundum veritatem ei inerat.

1. Il semble que cet éclat n’était pas vrai. En effet, on dit qu’une chose est transfigurée en quelque chose qui n’est pas en elle selon la vérité de la chose, comme il est dit en 2 Co 11, que l’ange de Satan se transfigure en ange de lumière. Or, on dit que le Christ a été transfiguré parce qu’il a montré cet éclat, comme cela ressort de Mt 17. Cet éclat n’était donc pas véritablement présent en lui.

 [9489] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, Luc. 9: non gustabunt mortem nisi videant regnum Dei. Glossa Bedae: idest glorificationem corporis in imaginaria repraesentatione futurae beatitudinis. Sed quod est imaginarium, non est verum. Ergo illa claritas non secundum veritatem ei inerat.

2. Lc 9 : Ils ne goûteront pas la mort avant que ne vienne le règne de Dieu. Glose de Bède : « C’est-à-dire la glorification du corps selon une représentation imaginaire de la béatitude future. » Or, ce qui est imaginaire n’est pas vrai. Cet éclat n’était donc pas véritablement présent en lui.

 [9490] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, impossibile est quod idem corpus sit simul opacum et lucidum. Sed secundum veritatem rei corpus. Christi opacum erat. Ergo claritas non inerat ei secundum rei veritatem.

3. Il est impossible que le même corps soit en même temps opaque et lumineux. Or, selon la vérité de la chose, le corps du Christ était opaque. La clarté n’était donc pas présente en lui selon la vérité de la chose.

 [9491] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, claritas sensibilis maxime corrumpit visum. Sed claritas illa fuit maxima: quia super illud Matth. 17: resplenduit facies ejus sicut sol, dicit Glossa Hieronymi: Deus non potest in hac vita tam clarum quid facere. Cum ergo oculi apostolorum non fuerint laesi in visione illius claritatis, non fuit illa claritas sensibilis, sed solum imaginaria.

4. L’éclat sensible corrompt la vue au plus haut point. Or, cet éclat était le plus grand, car, à propos de Mt 17 : Son visage replendissait comme le soleil, une glose de Jérôme dit : « Dieu ne peut pas faire en cette vie quelque chose d’aussi éclatant. » Puisque les yeux des apôtres n’ont pas été blessés par la vision de cet éclat, cet éclat n’était donc pas sensible, mais seulement imaginaire.

 [9492] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 1 arg. 5 Praeterea, testes transfigurationis transfigurationi conformantur. Sed super illud Lucae 9: apparuerunt Moyses et Elias, dicit Glossa: sciendum est, non corpora vel animas Moysi et Eliae ibi apparuisse; sed ex subjecta creatura illa corpora fuisse formata. Potest etiam credi ut angelico ministerio hoc factum esset, ut Angeli eorum personas assumerent. Ergo nec ipsa claritas secundum quam fuit facta transfiguratio, fuit vera, sed imaginaria.

5. Les témoins de la transfiguration se conforment à la transfiguration. Or, à propos de Lc 9 : Moîse et Élie apparurent, la Glose dit : « Il faut savoir que ce ne sont pas les corps, mais les âmes de Moïse et d’Élie qui sont apparues, mais que ces corps ont été formés par une créature sous-jacente. » On peut aussi croire que le fait que des anges ont assumé leurs personnes a été accompli par le ministère angélique. L’éclat même par lequel la transfiguration a été réalisée ne fut donc pas non plus vrai, mais imaginaire.

 [9493] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 1 s. c. 1 Sed contra, Augustinus dicit, et supra habitum est, dist. praeced., quod si unum eorum quae Evangelium de Christo dicit, verum non fuit, nec alia oportet dicere vera fuisse. Si ergo non fuit vera claritas, cum Evangelium hoc dicat, relinquitur quod non vere comederit, nec vere passus sit; quod est haereticum.

Cependant, [1] Augustin dit, et on l’a vu plus haut, à la distinction précédente, que « si une seule chose qui est dite dans l’évangile à propos du Christ n’était pas vraie, il ne faut pas dire non plus que les autres étaient vraies ». Si donc ce n’était pas un éclat véritable, puisque l’évangile le dit, il reste qu’il n’a pas mangé vraiment et qu’il n’a pas vraiment souffert, ce qui est hérétique.

 [9494] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, in operibus veritatis non est credendum aliquid false et praestigiose factum. Sed si illa claritas non fuisset vera, fuisset quoddam praestigium illudens oculos. Ergo nullo modo hoc dicendum est.

 [2] Dans les actions de la Vérité, il ne faut pas croire que quelque chose de faux et qui relève de l’artifice ait été accompli. Or, si cet éclat n’était pas vrai, il y eut un artifice qui trompait les yeux. Il ne faut donc dire cela d’aucune manière.

 [9496] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod claritas illa fuit sensibilis, secundum veritatem in corpore Christi existens, ad ostensionem claritatis quam promiserat in sanctis post resurrectionem futuram, dicens: fulgebunt justi tamquam sol in regno patris eorum; Matth. 13, 43.

Répondre. Cet éclat était sensible, selon la vérité qui existait dans le corps du Christ, afin de montrer l’éclat qu’il avait promis chez les saints après la résurrection à venir, en disant : Ils brilleront comme le soleil dans le royaume de leur Père, Mt 13, 43.

 [9497] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod figura dupliciter dicitur. Uno modo dicitur qualitas resultans ex terminatione quantitatis; et sic non dicitur Christus transfiguratus, quia eadem lineamenta corporis in ipso erant. Et quia figura alicujus rei signum ipsius ponitur, sicut patet de imaginibus, quae praecipue fiunt secundum repraesentationem figurae; inde translatum est nomen figurae ut ponatur pro quodlibet signo, quod instituitur ad aliquid significandum, secundum assimilationem ad aliud. Hoc autem potest fieri et de eo quod est in rei veritate, sicut una res est imago vel figura alterius, et de eo quod est in imaginatione tantum. Dicitur autem Christus figuratus quia claritatem sibi veraciter inhaerentem assumpsit ad tempus, in figuram futurae claritatis quae erit in sanctis.

1. On parle de figure de deux manières. D’une manière, on parle de la qualité résultant de délimitation de la quantité. On ne dit pas que le Christ a été ainsi transfiguré, car ces délimitations du corps existaient chez lui. Et parce qu’on dit que la figure d’une chose est le signe d’une chose, comme cela ressort pour les images, qui sont faites principalemenet selon la représentation de la figure, le nom de « figure » a été transposé pour désigner un signe établi pour signifier quelque chose en raison de sa ressemblance avec une autre chose. Or, cela peut être fait soit en raison de ce qui existe dans la vérité de la chose, comme une chose est l’image ou la figure d’une autre, soit [en raison] de ce qui existe dans l’imagination seulement. Or, on dit que le Christ a été transfiguré parce qu’il a véritablement assumé pour un temps la clarté qui se trouve en lui et qui existera chez les saints.

 [9498] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Beda dicit imaginarium non quod est tantum in imaginatione, sed quod est imago et figura alterius.

2. Bède appelle imaginaire, non pas seulement ce qui n’existe que dans l’imagination, mais ce qui est l’image et la figure d’autre chose.

 [9499] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non est inconveniens id quod est in se opacum in intrinsecis, habere claritatem in superficie, vel extensione, sicut aes politum; vel ex aliquo extrinseco superinducto, sicut ex reverberatione solis, vel alicujus hujusmodi: et sic fuit claritas in Christo, non quidem superinducta ex aliquo corpore superlucenti, sed miraculose ab ipso Deo.

3. Il n’est pas inapproprié que ce qui est en soi opaque à l’intérieur ait de l’éclat en surface ou en extension, comme le cuivre poli; ou par quelque chose d’extrinsèque qui y est ajouté, comme par le reflet du soleil ou de quelque chose de ce genre. L’éclat se trouvait ainsi chez le Christ, non pas comme le reflet d’un corps très brillant, mais par Dieu d’une manière miraculeuse.

 [9500] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod claritas illa erat similis gloriosi corporis claritati, quae visum non corrumpit, sed demulcet. Unde Apoc. 21, comparatur claritati jaspidis, quae visum demulcet, et delectat. Et hoc quidem contingit, quia est alterius generis quam ista claritas naturalis: provenit enim ex claritate spirituali animae, quae quidem non corrumpit proportionem oculi ad vim animae, sed magis confortat. Unde hoc quod dicit Hieronymus, quod Deus non posset in hac vita tam clarum quid facere, intelligendum est ideo dictum esse, quia claritas hujus vitae, scilicet naturalis, non est proportionabilis claritati patriae, sed alterius generis existens.

4. Cet éclat était semblable à l’éclat du corps glorieux, qui ne corrompt pas la vue, mais la charme. Aussi Ap 21 le compare-t-elle à l’éclat du jaspe, qui charme la vue et la délecte. Cela se produit parce qu’il est d’un autre genre que cet éclat naturel. En effet, il provient de l’éclat spirituel de l’âme, qui ne corrompt pas la proportion qui existe entre l’œil et la puissance de l’âme, mais la renforce plutôt. C’est pourquoi ce que dit Jérôme, que Dieu ne pourrait en cette vie faire quelque chose d’aussi éclatant, doit s’entendre au sens où on a dit que l’éclat de cette vie, c’est-à-dire naturel, ne peut être comparé à l’éclat de la patrie, mais relève d’un autre genre.

 [9501] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod illa Glossa punctata est a magistris; unde dicendum, quod uterque illorum vere ibi apparuit; sed Elias in anima et corpore, Moyses autem in anima tantum; quae apparere potuit vel per aliquod corpus assumptum, sicut Angeli apparent, vel quia est potens, maxime Deo ordinante, facere aliquam in oculis speciem, illum hominem cujus est anima, repraesentantem.

5. Cette glose a été soulignée par les maîtres. Il faut donc dire que les deux sont vraiment apparus, mais Élie, dans son âme et dans son corps, alors que Moïse l’a été dans son âme seulement, qui pouvait apparaître soit dans un corps assumé, comme apparaissent les anges, soit parce que, sur l’ordre de Dieu, il pouvait faire apparaître dans les yeux une image représentant l’homme dont c’était l’âme.

 

 

Articulus 2 [9502] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 2 tit. Utrum claritas illa fuerit gloriosa

Article 2 – Cet éclat était-il celui de la gloire ?

 [9503] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod claritas illa non fuit gloriosa. Matth. 17 super illud: transfiguratus est et cetera. Glossa Bedae dicit: in corpore mortali ostendit non immortalitatem, sed claritatem similem futurae immortalitati. Sed claritas gloriosa est claritas immortalitatis. Ergo illa claritas non fuit gloriosa.

1. Il semble que cet éclat n’était pas celui de la gloire. À propos de Mt 17 : Il fut transfiguré, etc., une glose de Bède dit : « Dans son corps mortel, il montre non pas l’immortalité, mais un éclat semblable à l’immortalité future. » Or, l’éclat de la gloire est l’éclat de l’immortalité. Cet éclat ne fut donc pas celui de la gloire.

 [9504] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, idem non potest esse subjectum poenalitatis et gloriae. Sed corpus Christi erat subjectum poenalitatibus. Ergo non poterat in eo esse claritas gloriosa.

2. Le même ne peut pas être sujet de la peine et de la gloire. Or, le corps du Christ était sujet à des peines. Il ne pouvait donc pas y avoir en lui d’éclat glorieux.

 [9505] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 2 arg. 3 Si dicatur, quod claritas illa redundabat ex gloria animae; contra, 2 Corinth. 3, tanta erat claritas in facie Moysi, quod non poterat inspici nisi velaretur; et Matth. 1, super illud: non cognoscebat eam donec peperit, dicit Glossa: Joseph Mariam facie ad faciem videre non poterat, quam spiritus sanctus repleverat. Sed Maria et Moyses non habebant animam glorificatam. Ergo non est verum quod illa claritas ex glorificatione animae processit.

3. Cet éclat rejaillissait depuis la gloire de l’âme. Par contre, 2 Co 3, l’éclat du visage de Moïse était tel qu’il ne pouvait être regardé sans être voilé. Et à propos de Mt 1 : Il ne la connut pas jusqu’à ce qu’elle eut enfanté, la Glose dit : « Joseph ne pouvait regarder Marie face à face, elle que l’Esprit Saint avait remplie. » Or, Marie et Moïse n’avaient pas une âme glorifiée. Il n’est donc pas vrai que cet éclat provenait de la glorification de l’âme.

 [9506] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, proprietas corporis gloriosi non solum est claritas, sed etiam agilitas et impassibilitas et subtilitas. Si igitur claritatem assumpsisset, quae est gloriosi corporis proprietas, debuisset etiam alias proprietates assumere.

4. Le corps glorieux n’est pas seulement éclatant, mais aussi agile, impassible et subtil. Si donc il avait assumé l’éclat qui est une propriété du corps glorieux, il aurait dû aussi assumer les autres propriétés.

 [9507] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 2 arg. 5 Praeterea, claritas gloriosa non videtur ab oculo non glorificato. Sed oculi apostolorum, qui viderunt Christi claritatem, non erant glorificati. Ergo illa claritas non fuit gloriosa.

5. L’éclat de la gloire n’est pas vu pas un œil non glorifié. Or, les yeux des apôtres, qui ont vu l’éclat du Christ, n’étaient pas glorifiés. Cet éclat n’était donc pas l’éclat de la gloire.

 [9508] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 2 arg. 6 Praeterea, claritas gloriosa non est corpori naturalis. Sed claritas illa fuit corpori Christi naturalis; quod patet per verba Hilarii superinducta, ubi dicit: si domini corporis solum ista natura sit ut sua virtute feratur in humidis, et sistat in liquidis, et extructa transcurrat: quid per naturam humani corporis carnem ex spiritu sancto conceptam judicamus ? Et Glossa, Matth. 17, dicit: speciem quam habebat per naturam ostendit, non amittens carnem, quam assumpserat voluntate. Ergo claritas illa non fuit gloriosa.

6. L’éclat de la gloire n’est pas naturel au corps. Or, cet éclat était naturel au corps du Christ, ce qui ressort des paroles d’Hilaire déjà invoquées, lorsqu’il dit : « Si la nature du corps du Christ est telle que, par sa puissance, il est porté par ce qui est humide, se dépose sur ce qui est liquide et traverse ce qui est construit, que penserons-nous de la chair conçue du Saint-Esprit selon la nature du corps humain ? » Et la Glose dit, à propos de Mt 17 : « Il montre l’aspect qu’il avait par nature, sans écarter la chair qu’il avait volontairement assumée. » Cet éclat n’était donc pas celui de la gloire.

 [9509] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 2 arg. 7 Praeterea, claritas illa non solum fuit in corpore Christi, sed etiam in vestibus ejus, ut patet ex textu Evangelii. Sed in vestimentis non potest esse gloriosa claritas. Ergo nec in corpore Christi tunc fuit.

7. Cet éclat ne se trouvait pas seulement dans le corps du Christ, mais aussi dans ses vétements, comme cela ressort du texte de l’évangile. Or, il ne peut y avoir d’éclat de la gloire dans les vêtements. Il n’y en avait donc pas non plus dans le corps du Christ.

 [9510] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 2 s. c. 1 Sed contra, Philip. 3, super illud: configuratum corpori claritatis, dicit Glossa: assimilabimur claritati quam habuit in transfiguratione. Sed assimilabimur claritati gloriosae. Ergo tunc habuit claritatem gloriosam.

Cependant, [1] à propos de Ph 3 : Configuré au corps de gloire, la Glose dit : « Nous serons rendus semblables à l’éclat qu’il eut lors de la transfiguration. » Or, nous serons rendus semblables à l’éclat de la gloire. Il a donc eu l’éclat de la gloire.

 [9511] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Matth. 17, dicit Glossa, quod apparuit in ea claritate quam habebit, peracto judicio. Sed tunc habebit claritatem gloriae. Ergo et in ea tunc apparuit.

 [2] À propos de Mt 17, la Glose dit qu’il est apparu dans la gloire qu’il aura, une fois que le jugement aura eu lieu. Or, il aura alors l’éclat de la gloire. Il est donc alors apparu dans cet éclat.

 [9512] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 2 s. c. 3 Praeterea, claritas non gloriosa non ostendit gloriam resurrectionis. Sed ad hoc Christus transfiguratus est ut gloriam resurrectionis ostenderet, ut dictum est. Ergo erat claritas gloriosa.

 [3] L’éclat qui n’est pas celui de la gloire ne montre pas la glorie de la résurrection. Or, le Christ a été transfiguré afin de montrer la gloire de la résurrection, comme on l’a dit. C’était donc l’éclat de la gloire.

 [9513] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod Hugo de sancto Victore dicit, quod Christus assumpsit omnes proprietates seu dotes corporis glorificati adhuc corpus passibile gerens, quamvis in Christo non proprie habebant rationem dotis; sicut subtilitatem in nativitate, quando egressus est de utero virginali, claustris pudoris manentibus clausis; agilitatem autem, quando super undas maris ambulavit; claritatem autem in transfiguratione; impassibilitatem in coena, quando corpus suum ad edendum discipulis sine hoc quod divideretur dedit. Et hoc quidem non potest intelligi quantum ad ipsas qualitates sive habitus gloriosi corporis, quia contrariantur conditionibus et proprietatibus corporis passibilis. Christus autem semper ante resurrectionem corpus passibile habuit. Nec hoc quod corpus ejus a discipulis edentibus non dividebatur, fuit propter impassibilitatem; sed quia non in propria specie comedebatur, sed in specie panis in qua fiebat fractio. Unde cum contraria non sint simul in eodem, non poterat tunc habere qualitates corporis gloriosi; sed actus illarum proprietatum fuerunt in eo non quidem procedentes ex aliquo inhaerente, sed supernaturaliter divino miraculo, ut dicit Dionysius in epistola 4 ad Cajum: super hominem operatur ea quae sunt hominis: et hoc monstrat virgo supernaturaliter concipiens, et aqua instabilis materialium et terrenorum pedum sustinens gravitatem. Dicendum ergo, quod ille fulgor non fuit proveniens ex aliqua proprietate corporis gloriosi existente in corpore Christi, sed fuit miraculose et divinitus inductus in corpore Christi. Fuit tamen ille fulgor ejusdem generis cum fulgore corporum glorificatorum, non tamen ita perfectus; sicut caritas viae assimilatur caritati patriae. In Moyse autem fuit claritas similis claritati patriae sicut fides visioni, non ejusdem generis; et ideo aspectum intuentium offendebat; quod non fuit de claritate Christi. Et hujus ratio est, quia anima Christi glorificata erat, non autem anima Moysi; unde et corpori ejus poterat convenienter attribui claritas gloriosa; non autem corpori Moysi, ne prius esset gloria in corpore quam in anima.

Réponse. Hugues de Saint-Victor dit que le Christ a assumé toutes les propriétés ou dots du corps glorifié, alors qu’il avait encore un corps passible, bien que, chez les Christ, elles n’aient pas eu le caractère de dot. Ainsi, [il a assumé] la subtilité lors de la nativité, lorsqu’il est sorti du sein virginal, les portes de la pudeur demeurant closes; [il a assumé] l’agilité lorsqu’il a marché sur les eaux de la mer; mais [il a assumé] l’éclat dans la transfiguration; et [il a assumé] l’impassibilité lors de la cène, lorsqu’il a donné aux disciples son corps à manger, sans qu’il soit divisé. Et cela ne peut s’entendre des qualités mêmes ou habitus du corps glorieux, car elles sont contraires aux conditions et propriétés du corps passible. Or, le Christ a toujours eu un corps passible avant la résurrection. Et le fait que son corps n’était pas divisé entre les disciples qui mangeaient n’était pas dû à l’impassibilité, mais au fait qu’il n’était pas mangé selon sa propre espèce, mais sous l’espèce du pain qui était rompu. Puisque les contraires n’existent pas dans la même chose, il ne pouvait donc pas avoir là les qualités du corps glorieux. Mais les actes de ces propriétés existaient en lui, non pas comme s’ils provenaient de quelque chose d’inhérent, mais de manière surnaturelle par un miracle divin, comme le dit Denys, dans sa quatrième lettre à Caïus : « Il accomplit par-delà l’homme ce qui est propre à l’homme, et la Vierge le montre en concevant surnaturellement, ainsi que l’eau instable soutenant le poids de pieds matériels et terrestres. » Il faut donc dire que ce resplendissement ne provenait pas d’une propriété du corps glorieux existant dans le corps du Christ, mais il fut miraculeusement et divinement introduit dans le corps du Christ. Cependant, ce resplendissement était du même genre que le resplendissement des corps glorifiés, mais pas aussi parfait, comme la charité du cheminement ressemble à la charité de la patrie. Mais, chez Moïse, existait un éclat semblable à l’éclat de la patrie comme la foi l’est à la vision, mais qui n’était pas du même genre. Aussi offensait-il le regard de ceux qui regardaient, ce qui n’était pas le cas de l’éclat du Christ. La raison en est que l’âme du Christ avait été glorifiée, mais non l’âme de Moïse. Aussi l’éclat de la gloire pouvait-il être convenablement attribué à son corps, mais non au corps de Moïse, de sorte que la gloire ne se trouve pas d’abord dans le corps avant de l’être dans l’âme.

 [9514] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ex Glossa ista habetur, quod non fuerit habitus claritatis sicut in corporibus immortalibus, sed fuit actus splendoris similis ex divino miraculo.

1. On peut conclure de cette glose que l’habitus de l’éclat n’était pas le même que celui des corps immortels, mais qu’il était un acte de resplendissement semblable en raison d’un miracle divin.

 [9515] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 2 ad 2 Per quod patet etiam solutio ad secundum.

2. La réponse au deuxième argument est ainsi claire.

 [9516] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non potest esse quod claritas fuerit in corpore ex gloria animae: quia anima Christi adhuc erat passibilis ex illo respectu, quod est forma corporis: unde gloriam in corpus non transfundebat, ut dictum est.

3. Il ne pouvait se faire que l’éclat soit dans le corps en raison de la gloire de l’âme, car l’âme du Christ, qui est la forme du corps, était encore passible sous cet aspect. Aussi ne communiquait-elle pas la gloire au corps, comme on l’a dit.

 [9517] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod etiam actum aliarum dotium Christus ostendit, sed aliter, ut dictum est. Sed tamen secundum illa non dicitur transfiguratus: quia aliae dotes non pertinent ad aspectum, secundum quem praecipue de figura alicujus judicamus, sicut claritas, per quam aliquid in seipso videtur.

4. Le Christ manifeste aussi l’acte des autres dots, mais autrement, comme on l’a dit. Cependant, on ne dit pas qu’il a été transfiguré selon elles parce que les autres dots ne concernent pas l’aspect selon lequel nous jugeons principalement de la figure de quelqu’un, comme l’éclat par laquel une chose est vue en elle-même.

 [9518] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod hoc intelligitur quando corpus gloriosum non vult se ostendere.

5. Cela s’applique au corps glorieux qui ne veut pas se montrer.

 [9519] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod illa claritas dicitur sibi fuisse naturalis, inquantum corpus illud ordinatum erat ad illam claritatem habendam, sicut virtutes dicuntur animae naturales; vel inquantum erat conformis claritati animae; vel ratione divinitatis.

6. On dit que cet éclat lui était naturel pour autant que ce corps était ordonné à posséder cet éclat, comme on dit que ses puissances sont naturelles à l’âme. Ou bien, pour autant qu’il était conforme à l’éclat de l’âme, ou en raison de la divinité.

 [9520] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod in vestibus erat splendor ex claritate corporis procedens.

7. Le resplendissement qui provenait du corps affectait les vêtements.

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 16

 [9521] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 2 expos. Sicut aliis hominibus. Similitudo attenditur inquantum aliis hominibus necessitas moriendi inest natura, non inquantum est ex peccato. Sunt enim quatuor status hominis. Contra. Boetius assignat tres. Dicendum, quod Boetius assignat status humanae naturae quantum ad conditiones corporis principaliter: quod quidem in primo statu erat animale, in secundo corruptibile, in tertio spirituale. Magister autem assignat principaliter quatuor status quantum ad conditiones animae, ut patet. Immunitatem peccati. Non quantum ad potentiam peccandi, sed quantum ad actum. Boetius vero dicit, quod de primo statu accepit ea quae ad vitam animalem pertinent, scilicet, comedere, dormire, et hujusmodi.

 

 

 

Distinctio 17

Distinction 17 – [La volonté du Christ]

 

 

Quaestio 1

Question unique – [Existait-il plusieurs volontés chez le Christ ?]

Prooemium

Prologue

 [9522] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 pr. Postquam Magister determinavit de his quae Christus cum natura humana assumpsit, hic determinat de his quae per humanam naturam fecit. Operis autem humani voluntas principium est, sine quo opus nec meritorium nec laudabile est; et ideo dividitur haec pars in duas partes: primo determinat de voluntate Christi; secundo de merito ejus quod ex voluntate processit, 18 dist., ibi: de merito quoque Christi praetermittendum non est. Prima in duas: primo determinat de voluntate Christi; secundo removet quaedam dubia quae ex dictis oriri possent, ibi: ceterum non parum nos movent verba Ambrosii. Prima in tres: primo ponit dubitationem de efficacia voluntatis Christi, et orationis, quae est signum voluntatis; secundo solvit, distinguendo voluntatem Christi, ibi: quocirca ambigendum non est diversas in Christo fuisse voluntates; in tertia solutionem confirmat, ostendens diversas voluntates esse in Christo, ibi: ex affectu ergo humano, quem de virgine traxit, volebat non mori. Ceterum non parum nos movent verba Ambrosii. Hic removet quaedam quae possent esse ex dictis dubia: et primo removet dubium quod oritur ex dictis Ambrosii; secundo dubium quod oritur ex dictis Hilarii, ibi: illud etiam non est ignorandum quod Hilarius asserere videtur Christum non sibi, sed suis orasse, cum dixit: transfer a me calicem hunc. Hic quaeruntur quatuor: 1 de pluralitate voluntatum Christi; 2 de conformitate vel contrarietate earum ad invicem; 3 de oratione, quae voluntatem exprimit; 4 de dubitatione quam ponit Ambrosius in Christo quantum ad aliquam voluntatem Christi.

Après avoir déterminé de ce que le Christ a assumé avec la nature humaine, le Maître détermine ici de ce qu’il a fait par sa nature humaine. Or, la volonté est le principe de l’acte humain, sans lequel un acte n’est ni méritoire ni louable. C’est pourquoi cette partie est divisée en deux : premièrement, il détermine de la volonté du Christ; deuxièmement, de son mérite qui procède de sa volonté, d. 18, à cet endroit : « Il ne faut pas négliger le mérite du Christ. » La première partie se divise en deux : premièrement, il détermine de la volonté du Christ; deuxièmement, il écarte certains doutes qui peuvent venir de ce qui a été dit, à cet endroit : « Au reste, les paroles d’Ambroise ne nous émeuvent pas peu. » La première partie se divise en trois : premièrement, il présente un doute sur l’efficacité de la volonté du Christ et aussi de sa prière, qui est le signe de sa volonté; deuxièmement, il le résout en faisant une distinction dans la volonté du Christ, à cet endroit : « À ce propos, on ne peut douter qu’il y ait eu diverses volontés chez le Christ »; dans la troisième partie, il confirme sa solution en montrant qu’il existe diverses volontés chez le Christ, à cet endroit : « Par le sentiment humain qu’il tenait de la Vierge, il ne voulait pas mourir. » « Au reste, les paroles d’Ambroise ne nous émeuvent pas peu. » Ici, il écarte certaines choses douteuses qu’on pourrait tirer de ce qui a été dit. Premièrement, il écarte un doute qui pourrait naître des paroles d’Ambroise; deuxièmement, un doute qui naît des paroles d’Hilaire, à cet endroit : « Il ne faut pas aussi ignorer que Hilaire semble affirmer que le Christ n’a pas prié pour lui-même, mais pour les siens, lorsqu’il dit : ‘Éloigne de moi ce calice.’ » Ici, quatre questions sont posées : 1 – Sur la pluralité des volontés du Christ. 2 – Sur la conformité ou l’opposition de l’une à l’autre. 3 – Sur la prière, qui exprime la volonté. 4 – Sur la doute qu’émet Ambroise chez le Christ à propos d’une volonté du Christ.

 

 

Articulus 1 [9523] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 tit. Utrum in Christo fuerit voluntas alia quam divina

Article 1 – Existait-il chez le Christ une autre volonté que la volonté divine ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Existait-il une seule volonté chez le Christ, la volonté divine ?]

 [9524] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod in Christo non sit nisi una voluntas, scilicet divina. Velle enim, cum sit agere, personae est. Sed in Christo est tantum una persona, scilicet divina. Ergo et tantum una voluntas, scilicet divina.

1. Il semble qu’il n’existe chez le Christ qu’une seule volonté, la volonté divine. En effet, vouloir, puisqu’il s’agit d’un acte, est le fait de la personne. Or, chez le Christ, il n’existe qu’une seule personne, la personne divine. Donc aussi, une seule volonté, la volonté divine.

 [9525] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, voluntatis est ducere, et non duci. Sed in Christo affectus humanus divina voluntate ducebatur, quae eo sicut ministro utebatur, ut dicit Damascenus. Ergo affectus humanus non debet dici voluntas in Christo.

2. Il appartient à la volonté de diriger, et non d’être dirigée. Or, chez le Christ, l’affectivité humaine était dirigé par la volonté divine, qui l’utilisait comme un ministre, ainsi que le dit [Jean] Dasmascène. L’affectivité humaine ne doit donc pas être appelée volonté chez le Christ.

 [9526] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, quanto aliquis homo est magis sanctus, tanto sua voluntas magis unitur divinae: quia qui adhaeret Deo, unus spiritus est. 1 Cor., 6, 17. Sed Christus homo fuit sanctissimus. Ergo voluntas sua humana fuit perfecte una cum voluntate divina.

3. Plus un homme est saint, plus sa volonté est unie à Dieu, car celui qui adhère à Dieu est un seul esprit, 1 Co 6, 17. Or, le Christ a été l’homme le plus saint. Sa volonté humaine était donc parfaitement une avec la volonté divine.

 [9527] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Christus assumpsit naturam nostram ut eam curaret: quia quod inassumptibile est, incurabile est, ut dicit Damascenus. Sed voluntas nostra, per quam peccatum intraverat, maxime curatione indigebat. Ergo ipsam assumpsit; ergo est in Christo aliqua voluntas praeter voluntatem divinam.

Cependant, [1] le Christ a assumé notre volonté pour la guérir, car ce qui ne peut être assumé est incurable, comme le dit [Jean] Damascène. Or, notre volonté, par laquelle le péché était entré [dans le monde], avait au plus haut point besoin de guérison. Il l’a donc assumée. Il existe donc chez le Christ une volonté autre que la volonté divine.

 [9528] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, sicut se habet unitas voluntatis ad unitatem naturae, ita se habet pluralitas ad pluralitatem. Sed in tribus personis est una voluntas, quia est una natura. Ergo et in Christo sunt plures voluntates, quia sunt plures naturae, quamvis sit una persona.

 [2] Le rapport entre l’unité de volonté et l’unité de nature est le même que celui de la pluralité à la pluralité. Or, chez les trois personnes, il n’existe qu’une seule volonté parce qu’il n’existe qu’une seule nature. Il existe donc plusieurs volontés chez le Christ, parce qu’il existe en lui plusieurs natures, bien qu’il n’existe qu’une seule personne.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Existe-t-il chez le Christ une volonté humaine autre que la volonté raisonnable ?]

 [9529] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod in Christo non sit aliqua voluntas humana praeter voluntatem rationis. Quia, sicut dicit Damascenus in 3 Lib., voluntas naturam sequitur. Sed in Christo sunt tantum duae naturae. Ergo et tantum duae voluntates. Ergo non est tertia praeter voluntatem divinam et rationis.

1. Il semble qu’il n’existe pas chez le Christ une volonté humaine autre que la volonté raisonnable, car, ainsi que le dit [Jean] Damascène dans le livre III, « la volonté suit la nature ». Or, chez le Christ, il n’existe que deux natures. Il existe donc aussi seulement deux natures. Il n’en existe donc pas une troisième en plus de la volonté divine et de la volonté de la raison.

 [9530] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, sicut ratio est alia virtus apprehensiva a sensitiva apprehensione, ita sensus interior a sensu exteriori. Sed non est alia voluntas consequens apprehensionem sensus exterioris ab ea quae consequitur apprehensionem sensus interioris. Ergo non oportet ponere aliam voluntatem quae consequatur apprehensionem rationis, et sensitivae partis.

2. De même que la raison est une puissance de perception autre que la perception sensible, de même le sens intérieur est-il différent du sens extérieur. Or, il n’existe pas une autre volonté découlant de la perception du sens extérieur, différente de celle qui découle de la perception du sens intérieur. Il n’est donc pas nécessaire d’affirmer une autre volonté qui découle de la perception de la raison et de celle de la partie sensible.

 [9531] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, philosophus dicit in 3 de Anim., et Damascenus, quod voluntas solum in ratione est, in sensibilis autem desiderium et animus, idest irascibilis et concupiscibilis. Sed sensualitas est a ratione discreta, ut patet dist. 24 2 Lib. Ergo non est aliqua voluntas sensualitatis.

3. Le Philosophe dit, dans Sur l’âme, III, et aussi [Jean] Damascène, que la volonté n’existe que dans la raison, mais que seuls existent le désir et la passion dans [la partie] sensible, à savoir, l’irascible et le concupiscible. Or, la sensualité est distincte de la raison, comme cela ressort du livre II, d. 24. Il n’existe donc pas une volonté de la sensualité.

 [9532] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 4 Praeterea, sensualitas significatur per serpentem, in qua est primus motus peccati. Sed in Christo non est aliquid serpentinum, nec aliquod peccatum. Ergo in ipso non est voluntas sensualitatis.

4. La sensualité est signifiée par le serpent : elle est le siège du premier mouvement du péché. Or, chez le Christ, il n’y a rien qui ressemble au serpent, ni aucun péché. Chez lui, il n’y a donc pas de volonté de la sensualité.

 [9533] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 5 Praeterea, motus sensualitatis sunt subiti. Sed in Christo non est aliquid subitum, quia totum ab ipso fuit praevisum. Ergo in ipso non fuit voluntas sensualitatis.

5. Les mouvement de la sensualité sont soudains. Or, chez le Christ, il n’y a rien de soudain, car tout a été vu d’avance par lui. Il n’y a donc pas de volonté de la sensualité chez lui.

 [9534] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, sensualitas est medium inter corpus et rationem. Sed positis extremis ponitur medium. Cum igitur in Christo fuerit corpus humanum et anima rationalis, oportet quod in ipso fuerit sensualitas.

Cependant, [1] la sensualité est l’intermédiaire entre le corps et la raison. Or, si on affirme les extrêmes, on affirme ce qui est intermédiaire. Puisque, chez le Christ, existaient un corps humain et une âme raisonnable, il est donc nécessaire qu’ait existé chez lui la sensualité.

 [9535] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, philosophus dicit in 2 de anima: sicut trigonum in tetragono, et tetragonum in pentagono, sic nutritivum in sensitivo, et sensitivum in intellectivo. Sed in Christo fuit anima intellectiva. Ergo in Christo fuit sensitiva quantum ad omnes sui partes: ergo et voluntas sensualitatis, quae est pars sensitivae.

 [2] Le Philosophe dit, dans Sur l’âme, II : « De même que le trigone s’inscrit dans le tétragone et le tétragone, dans le pentagone, de même la fonction nutritive, à l’intérieur de la fonction sensible, et la fonction sensible s’inscrivent-elles à l’intérieur de la fonction intellective. » Or, chez le Christ, existait une âme intellective. Il existait donc chez le Christ une [âme] sensible avec toutes ses parties. Il existait donc en lui une volonté de la sensualité, qui est une partie de [la partie] sensible.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Existait-il chez le Christ plusieurs volontés de la raison ?]

 [9536] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod in Christo sint plures voluntates rationis. Quia Damascenus in 2 Lib., distinguit duas voluntates rationis, scilicet thelesin, quae est voluntas naturalis. Et bulesin, quae est voluntas rationalis. Sed nihil eorum quae ad perfectionem humanae naturae pertinent, Christo defuit. Ergo in Christo fuit duplex rationis voluntas.

1. Il semble qu’il y ait chez le Christ plusieurs volontés raisonnables, car [Jean] Damascène, dans le livre II, distingue deux volontés de la raison, à savoir, la thelesis, qui est la volonté naturelle, et la boulèsis, qui est la volonté raisonnable. Or, rien de ce qui concerne la perfection de la nature humaine n’a fait défaut au Christ. Il existait donc une double volonté de la raison chez le Christ.

 [9537] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, peccatum proprie est in voluntate. Dicitur autem esse aliquando in superiori ratione, aliquando autem in inferiori. Ergo utrique rationi respondet sua voluntas, quas oportet in Christo ponere.

2. Le péché réside à proprement parler dans la volonté. Or, on dit parfois qu’il réside dans la raison supérieure, et parfois dans la raison inférieure. Sa propre volonté correspond donc aux deux raisons, qu’il est nécessaire d’affirmer chez le Christ.

 [9538] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, philosophus in 6 Ethic. ponit diversas potentias apprehensivas in parte intellectiva; scilicet scientificum, quod cognoscit necessaria, et ratiocinativum, sive opinativum, per quod comprehendimus contingentia operabilia a nobis. Sed apprehensionem sequitur suus appetitus. Ergo in parte intellectiva sunt plures voluntates.

3. Dans Éthique, VI, le Philosophe affirme plusieurs puissances d’appréhension dans la partie intellective : la scientifique, qui connaît les réalités nécessaires, et la raisonnable ou celle qui opine, par laquelle nous comprenons les réalités contingentes qui peuvent être faites par nous. Or, son appétit découle de l’appréhension. Il existe donc plusieurs volontés dans la partie intellective.

 [9539] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 4 Praeterea, omnis virtus humana est in ratione, ex qua habet homo quod sit homo. Sed dicitur a magistris quod est quaedam irascibilis et concupiscibilis humana. Ergo oportet eas ponere in ratione. Sed haec pertinent ad voluntatem. Ergo in ratione sunt plures voluntates.

4. Toute vertu humaine réside dans la raison, dont l’homme tient d’être homme. Or, les maîtres disent qu’il existe un irascible humain et un concupiscible humain. Il faut donc les situer dans la raison. Or, ceux-ci se rapportent à la volonté. Il existe donc plusieurs volontés dans la raison.

 [9540] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 5 Praeterea, in parte intellectiva est liberum arbitrium, quod est electivum eorum quae sunt ad finem, et voluntas, quae est finis, ut dicitur in 3 Ethic. Neutrum autem horum defuit Christo. Ergo idem quod prius.

5. Dans la partie intellective, existent le libre arbitre, qui choisit ce qui se rapporte à la fin, et la volonté, qui porte sur la fin, comme on le dit dans Éthique, III. Or, aucun des deux n’a fait défaut au Christ. La conclusion est donc la même que précédemment.

 [9541] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 6 Praeterea, Hugo de sancto Victore ponit in Christo praeter voluntatem sensualitatis et rationis, et divinam, voluntatem pietatis. Pietas autem in ratione est. Ergo videtur quod sint plures voluntates in ratione.

6. Hugues de Saint-Victor affirme chez le Christ, en plus de la volonté de la sensualité, de [la volonté] de la raison et de la volonté divine, la volonté de la piété. Or, la piété se situe dans la raison. Il semble donc qu’il y ait plusieurs volontés dans la raison.

 [9542] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod philosophus in 3 de anima voluntatem rationis non distinguit, sicut distinguit appetitum partis sensitivae.

Cependant, [1] dans Sur l’âme, III, le Philosophe ne fait pas de distinction dans la volonté de la raison, comme il fait une distinction pour la partie sensible.

 [9543] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, homo dicitur minor mundus, quia assimilatur universo. Sed in universo est tantum unus primus motor. Ergo et in homine. Sed primus motor est voluntas rationis quae movet omnes alias vires secundum Anselmum. Ergo oportet ponere unam tantum voluntatem rationis in Christo, et in omnibus aliis hominibus.

 [2] L’homme est appelé un microcosme parce qu’il ressemble à l’univers. Or, dans l’univers, il n’existe qu’un premier moteur, Donc aussi, chez l’homme. Or, le premier moteur est la volonté de la raison, qui meut toutes les autres puissances, selon Anselme. Il faut donc affirmer une seule volonté de la raison chez le Christ et chez tous les autres hommes.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [9544] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum, ad primam quaestionem, quod voluntas consequitur naturam humanam: quod quidem Damascenus in 3 Lib., probat quinque rationibus. Primo, quia quaelibet natura habet motum proprium: motus autem rationalis naturae proprius est ut libere in aliquid tendat, quod voluntatis est. Secundo, quia nullus addiscit velle, sicut nec alia naturalia. Tertio, quia natura in homine non ducit sicut in aliis, sed ducitur; unde oportet homini libertatem inesse in suo motu: et hoc est voluntatis. Quarto, quia homo secundum suam naturam ad imaginem Dei factus est: consistit autem imago in memoria, intelligentia, et voluntate. Quinto, quia invenitur in omnibus habentibus naturam; unde Christus cum naturam nostram integram assumpserit (alias non esset verus homo), constat quod voluntatem assumpsit; et ita in Christo est voluntas humana et divina: non quidem componentes unam voluntatem, sicut Eutyches dixit, quia tunc neutra esset in eo; sed utraque distincta manens in ipso; et sic in Christo sunt duae voluntates.

La volonté découle de la nature humaine, ce que [Jean] Damascène démontre par cinq arguments dans le livre III. Premièrement, parce que toute nature possède un mouvement qui lui est propre. Or, le mouvement propre de la nature raisonnable consiste en ce qu’elle tende librement vers quelque chose, ce qui est le propre de la volonté. Deuxièmement, parce que personne n’apprend à vouloir, pas plus que les autres choses naturelles. Troisièmement, parce que la nature chez l’homme ne dirige pas, comme chez les autres choses, mais qu’elle est mue; il est donc nécessaire que la liberté soit présente dans son mouvement chez l’homme, ce qui est la volonté. Quatrièmement, parce que, selon sa nature, l’homme a été créé à l’image de Dieu; or, l’image consiste dans la mémoire, l’intelligence et la volonté. Cinquièmement, parce qu’elle se trouve dans tous ceux qui possèdent la nature [humaine]; puisque le Christ a assumé intégralement notre nature (autrement, il ne serait un homme véritable), il est donc clair qu’il a assumé la volonté. Ainsi, il existe chez le Christ une volonté humaine et une volonté divine, qui ne composent pas une seule volonté, comme l’a dit Eutychès ‑ car alors aucune des deux n’existerait chez lui ‑, mais les deux demeurent distinctes chez lui. Il existe ainsi chez le Christ deux volontés.

 [9545] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis velle sit personae, tamen hoc est per potentiam naturalem, quae est principium illius actus: et ideo, quia in Christo sunt duae naturae, sunt duae voluntates; tamen est unus volens propter unitatem personae.

1. Bien que vouloir relève de la personne, cela vient cependant d’une puissance naturelle, qui est le principe de cet acte. C’est pourquoi, parce que deux natures existent chez le Christ, il existe deux volontés. Cependant, il n’y en a qu’un seul qui veut en raison de l’unité de la personne.

 [9546] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod voluntas divina non ducit affectum humanum cogendo ipsum, sed dirigendo; et hoc non excludit rationem voluntatis.

2. La volonté divine ne conduit pas la volonté humaine en la forçant, mais en la dirigeant, et cela n’exclut pas le caractère volontaire.

 [9547] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod voluntas dicitur tribus modis. Aliquando ipsa potentia volendi; aliquando ipse actus volendi; aliquando autem ipsum volitum; et quantum ad hoc unitur voluntas sancti hominis voluntati Dei, non autem quantum ad duo prima.

3. On parle de volonté de trois manières. Parfois, [on parle] de la puissance même de vouloir; parfois, de l’acte de vouloir; mais parfois, de ce qui est voulu. Sous ce dernier aspect, la volonté d’un saint homme est unie à la volonté de Dieu, mais non sous les deux premiers.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [9548] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod in Christo fuerunt omnia quae sunt de perfectione humanae naturae. Sicut autem de perfectione humanae naturae, inquantum homo est homo, est rationis voluntas; ita de perfectione hominis, inquantum animal, est appetitus sensibilis; et ideo oportet appetitum sensitivae partis in Christo ponere. Sed iste appetitus in aliis animalibus non habet rationem voluntatis, quia aguntur instinctu naturae potius quam agant, ut dicit Damascenus, et ita non habent liberum motum, quem voluntas requirit. Tamen appetitus sensibilis potest in homine dici voluntas, inquantum est obediens rationi, ut dicitur in 1 Ethic.; et ideo participat aliqualiter libertatem voluntatis, sicut et rectitudinem rationis, ut possit dici voluntas participative, sicut dicitur ratio per participationem. Et ita in Christo quantum ad humanam naturam dicimus duas voluntates, scilicet sensualitatis et rationis.

Tout ce qui fait partie de la perfection de la nature humaine existait chez le Christ. Or, de même que la volonté de la raison fait partie de la perfection de la nature humaine, pour autant que l’homme est homme, de même, l’appétit sensible fait-il partie de la perfection de l’homme, pour autant qu’il est animal. Il faut donc affirmer chez le Christ l’appétit de la partie sensible. Mais cet appétit, chez les autres animaux, n’a pas raison de volonté, car « ils sont mus par un instinct de la nature plutôt qu’ils n’agissent », comme le dit [Jean] Damascène; ainsi, ils n’ont pas de mouvement libre, ce qu’exige la volonté. Cependant, l’appétit sensible peut être appelé volonté chez l’homme pour autant qu’il obéit à la raison, comme on le dit dans Éthique, I. Il participe ainsi d’une certaine manière à la liberté de la volonté, de même qu’à la rectitude de la raison, de sorte qu’on peut l’appeler volonté par participation, comme on l’appelle raison par participation. Ainsi, nous parlons de deux volontés chez le Christ selon la nature humaine : celle de la sensualité et celle de la raison.

 [9549] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in Christo sunt duae naturae integrae, quarum una non est pars alterius, ex quibus immediate persona componitur; sed tamen altera naturarum, scilicet humana, dividitur in multas partiales naturas, sicut in naturam corporis et animae, in sensitivam et rationalem; et secundum hoc etiam voluntas humana dividitur in duas voluntates.

1. Chez le Christ, il existe deux natures complètes, dont l’une n’est pas une partie de l’autre, et dont la personne est immédiatement composée. Cependant, l’une des natures, la nature humaine, est divisée en plusieurs natures partielles, comme la nature du corps et celle de l’âme, celle de la partie sensible et celle de la partie rationnelle. Sous cet aspect aussi, la volonté humaine est divisée en deux volontés.

 [9550] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut appetitus rationis non sequitur quamlibet apprehensionem rationis, sed quando aliquid apprehenditur ut bonum, ita et appetitus sensibilis non surgit nisi quando apprehenditur ut conveniens. Hoc autem non fit per exteriorem sensum, qui apprehendit formas sensibiles; sed per aestimationem, quae apprehendit rationem convenientis et nocivi quam sensus exterior non apprehendit; et ideo in parte sensitiva non est nisi unus appetitus secundum genus; qui tamen dividitur, sicut in species, in irascibilem et concupiscibilem, quarum utraque sub sensualitate computatur.

2. De même que l’appétit de la raison ne suit pas n’importe quelle saisie de la raison, mais celle où quelque chose est saisi comme bon, de même aussi l’appétit sensible ne s’éveille-t-il que lorsqu’une chose est saisie comme bonne. Or, cela n’est pas le fait du sens extérieur, qui saisit les formes sensibles, mais de l’estimation, qui saisit le caractère convenable et nuisible, que le sens extérieur ne saisit pas. C’est pourquoi, dans la partie sensible, il n’existe qu’un appétit selon le genre; il se divise cependant comme en des espèces en irascible et en concupiscible, dont les deux sont comptés sous la sensualité.

 [9551] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod voluntas per essentiam, est in ratione per essentiam; et voluntas participative, est in ratione per participationem.

3. La volonté par essence existe dans la raison par essence, et la volonté par participation existe dans la raison par participation.

 [9552] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sensualitas dicitur serpens, et principium peccati, non quantum ad naturam potentiae, quam Christus assumpsit, sed quantum ad corruptionem fomitis, quae in Christo non fuit.

4. La sensualité est appelée un serpent en tant qu’elle est principe de péché, non selon la nature de la puissance que le Christ a assumée, mais selon la corruption de la convoitise (corruptionem fomitis)[2], qui n’existait pas chez le Christ.

 [9553] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in Christo aliquid accidit non praevisum a sensu interiori vel exteriori, quamvis praevisum ab eo per rationem, vel per scientiam divinam: et ideo in ipso motus sensualitatis fuit quidem subitus respectu sensus, sed non respectu rationis vel divinitatis.

5. Chez le Christ, survient quelque chose d’imprévu à partir du sens intérieur ou du sens extérieur, bien que cela ait été prévu par lui par la raison ou par la science divine. C’est pourquoi, dans le mouvement même de la sensualité, il fut soudain par rapport au sens, mais non par rapport à la raison ou la divinité.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [9554] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod distinctio potentiarum attenditur secundum diversas rationes: objectum autem voluntatis est bonum secundum rationem boni; unde cum ista ratio sit communis omnibus, non potest esse quod appetitus rationis secundum diversas potentias distinguatur; et ideo in Christo et in aliis hominibus est tantum una potentia voluntatis. Possunt autem esse diversi respectus illius voluntatis, secundum quos invenitur aliquando distingui voluntas rationis. Magister autem attendens ad naturam potentiae, voluntatem rationis in Christo non distinguit.

La distinction entre les puissances s’envisage selon diverses raisons. Or, l’objet de la volonté est le bien selon la raison de bien. Puisque cette raison est commune à toutes les choses, il ne peut arriver que des distinctions existent dans l’appétit de la raison selon diverses puissances. C’est pourquoi, chez le Christ et chez les autres hommes, il n’existe qu’une seule puissance de la volonté. Mais il peut exister divers rapports de cette volonté, selon lesquels on trouve parfois des distinctions à l’intérieur de la volonté de la raison. Or, le Maître, en s’en tenant à la nature de la puissance, ne fait pas de distinctions dans la volonté de la raison chez le Christ.

 [9555] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod thelesis secundum Damascenum est voluntas naturalis, quae scilicet in modum naturae movetur in aliquid secundum bonitatem absolutam in eo consideratam; bulesis autem est appetitus rationalis, qui movetur in aliquod bonum ex ordine alterius: et haec duo a Magistro aliis nominibus dicuntur voluntas ut natura, et voluntas ut ratio: secundum quae tamen non diversificatur potentia voluntatis: quia diversitas ista est ex eo quod movemur in aliquid sine collatione, vel cum collatione. Conferre autem non est per se voluntatis, sed rationis. Unde illa divisio voluntatis non est per essentialia, sed per accidentalia: et propter hoc non sunt diversae potentiae, sed una differens secundum respectum ipsius ad apprehensionem praecedentem, quae potest esse cum collatione, vel sine collatione. Tamen utraque istarum in Christo fuit, scilicet voluntas ut natura, quae est thelesis et voluntas ut ratio, quae est bulesis.

1. La thélésis, selon [Jean] Damascène, est la volonté naturelle, qui est mue selon le mode de la nature vers quelque chose selon la bonté absolue qui y est envisagée. Mais la boulèsis est l’appétit raisonnable, qui est mû vers un bien en raison de quelque chose d’autre. Le Maître exprime ces deux choses sous d’autres mots : la volonté comme nature et la volonté comme raison. Mais la puissance de la volonté n’est pas diversifiée par elles, car cette diversité vient du fait qu’elle est mue vers quelque chose sans rapprochement ou avec un rapprochement. Or, le rapprochement n’est pas par soi le fait de la volonté, mais de la raison. Cette division de la volonté n’est donc pas faite selon quelque chose d’essentiel, mais selon quelque chose d’accidentel. Pour cette raison, elles ne sont pas des puissances différentes, mais une seule [puissance] différant selon son rapport à une compréhension antérieure, qui peut se réaliser avec ou sans rapprochement. Cependant, ces deux choses existaient chez le Christ : la volonté comme nature, qui est la thélésis, et la volonté comme raison, qui est la boulèsis.

 [9556] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod peccatum dicitur esse in ratione, non quia in ipsa completur, sed in voluntate consequente rationem. Ratio autem superior et inferior non sunt diversae potentiae: quia non distinguuntur secundum rationem objecti, ut in 2, dist. 24, quaest. 2, art. 2, dictum est; sed illa distinctio est rationis secundum ordinem ad habitus diversos, secundum quod ex diversis mediis ad idem procedit, scilicet rationibus temporalibus et aeternis. Medium autem ex quo proceditur ad aliquid, pertinet ad rationem, non ad voluntatem: unde quamvis in ratione faciat aliquam diversitatem vel distinctionem, saltem per officia, in voluntate nullam distinctionem causat.

2. On dit que le péché se situe dans la raison, non pas parce qu’il s’accomplit en elle, mais dans la volonté qui découle de la raison. Or, la raison supérieure et la raison inférieure ne sont pas des puissances différentes, parce qu’elles ne se distinguent pas selon la raison de leur objet, comme on l’a dit dans le livre II, d. 24, q. 2, a. 2. Mais cette distinction est une distinction de raison selon le rapport à des habitus différents, en tant qu’elle accède à la même chose par des moyens différents, à savoir, les raisons temporelles et les raisons éternelles. Or, le moyen par lequel on accède à une chose relève de la raison, et non de la volonté; bien qu’il réalise une certaine diversité ou distinction dans la raison, du moins pour ce qui est des fonctions, il ne cause aucune distinction dans la volonté.

 [9557] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod objectum intellectus est verum, cujus differentiae sunt necessarium et contingens; non autem sunt differentiae boni inquantum hujusmodi, quod est objectum appetitus: et ideo necessarium et contingens magis possunt diversificare intellectum quam voluntatem.

3. L’objet de l’intellect est le vrai, dont les différences sont le nécessaire et le contingent. Mais il n’existe pas de différences du bien en tant que tel, qui est l’objet de l’appétit. Aussi le nécessaire et le contingent peuvent-ils plutôt apporter une diversité dans l’intellect que dans la volonté.

 [9558] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod objectum appetitus sensibilis non est bonum simpliciter, sed est bonum particulare: et quia aliam rationem particularis boni habet delectabile et arduum; ideo penes has duas rationes boni dividitur appetitus sensibilis, et non rationalis, qui habet pro objecto bonum simpliciter; unde irascibilis et concupiscibilis, non sunt humanae per essentiam, sed per participationem.

4. L’objet de l’appétit sensible n’est pas le bien tout simplement, mais un bien particulier. Parce que ce qui est délectable et ce qui est difficile ont des raisons différentes comme biens particuliers, l’appétit sensible se divise donc selon ces deux raisons de bien, mais non l’appétit raisonnable, qui a comme objet le bien tout simplement. Aussi l’irascible et le concupiscible ne sont-ils pas humains par essence, mais par participation.

 [9559] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod voluntas quae est finis, et liberum arbitrium, non sunt diversae potentiae, sicut in 2 Lib., dist. 24, quaest. 1, art. 3, dictum est; sed differunt bulesis et thelesis, quia ad liberum arbitrium pertinet eligere aliquid in ordine ad finem, voluntas autem est de fine absolute. Ex his quae dicta sunt, potest videri quomodo voluntas in Christo distinguatur. Voluntas enim aliqua, vel attribuitur sibi ratione personae suae, vel ratione membrorum, quorum personam in se transfert. Si autem ratione personae suae, aut secundum divinam naturam, aut secundum humanam. Si secundum humanam, aut sensualitatis aut rationis. Si rationis, aut secundum absolutam, aut secundum collativam.

5. La volonté qui porte sur la fin et le libre arbitre ne sont pas des puissances différentes, comme on l’a dit dans le livre II, d. 24, q. 1, a. 3; mais la boulèsis et la thélésis diffèrent parce qu’il relève du libre arbitre de choisir quelque chose en vue de la fin, alors que la volonté porte sur la fin de manière absolue. À partir de ce qui a été dit, on peut voir comment la volonté se distingue chez le Christ. En effet, une volonté [lui] est attribuée soit en raison de sa personne, soit en raison de [ses] membres, dont il inclut la personne en lui. Si c’est en raison de sa personne, c’est soit selon la nature divine, soit selon la nature humaine. Si c’est selon la nature humaine, c’est soit selon la sensualité, soit selon la raison. Si c’est selon la raison, c’est soit selon la raison absolue, soit selon la raison qui réalise des rapprochements.

 [9560] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod voluntas pietatis est voluntas ut natura, inquantum refugit ea quae sunt nociva sibi, vel aliis, non considerato ordine rerum ad finem.

6. La volonté de la piété est la volonté comme nature, pour autant qu’elle fuit ce qui est nuisible à soi-même ou aux autres, sans prendre en compte l’ordre des choses par rapport à la fin.

 

 

Articulus 2 [9561] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2 tit. Utrum voluntas humana in Christo divinae voluntati semper conformis fuerit in volito

Article 2 – La volonté humaine chez le Christ a-t-elle toujours été conforme [à la volonté divine] du point vue de ce qui était voulu ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La volonté humaine chez le Christ était-elle toujours conforme à la volonté divine du point de vue de ce qui était voulu ?]

 [9562] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod voluntas humana in Christo semper divinae voluntati conformabatur in volito. Quanto enim est major conformitas humanae ad divinam, tanto est major rectitudo voluntatis, quae in hoc consistit, sicut patet per Glossam super illud Psalm. 32: rectos decet collaudatio. Sed Christus habuit rectissimam voluntatem. Ergo conformabatur divinae voluntati etiam quantum ad volita.

1. Il semble que la volonté humaine chez le Christ était toujours conforme à la volonté divine du point de vue de ce qui était voulu. En effet, plus est grande la conformité de la volonté humaine à la volonté divine, plus est grande la rectitude de la volonté qui consiste en cela, comme cela ressort de la Glose sur Ps 32 : La louange convient à ceux qui sont droits. Or, le Christ avait la volonté la plus droite. Il se conformait donc aussi à la volonté divine du point de vue de ce qui était voulu.

 [9563] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, voluntas beatorum conformatur Deo quantum ad volita: quia omnia habent quae volunt. Sed Christus fuit verus comprehensor. Ergo quantum ad volitum divinae voluntati ejus voluntas conformis erat.

2. La volonté des bienheureux se conforme à Dieu du point de vue de ce qui est voulu, car ils ont tout ce qu’ils veulent. Or, le Christ était un véritable comprehensor. Du point de ce qui était voulu, sa volonté était donc conforme à la volonté divine.

 [9564] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, ex hoc licet nobis aliud velle quam Deus vult, quia nescimus quid Deus velit in aliquibus. Sed Christus sciebat in omnibus quid Deus vellet. Ergo quantum ad omnia volita voluntatem humanam divinae conformabat.

3. Il nous est permis de vouloir autre chose que ce que Dieu veut parce que nous ne savons pas ce que Dieu veut dans certains cas. Or, le Christ savait ce que Dieu voulait en tout. Il conformait donc en tout sa volonté humaine à la volonté divine.

 [9565] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Christus flevit de destructione Hierusalem. Ergo volebat eam non destrui. Sed Deus volebat eam destrui. Ergo voluit aliquid quod Deus non voluit.

Cependant, [1] le Christ a pleuré sur le destruction de Jérusalem. Il voulait donc qu’elle ne soit pas détruite. Or, Dieu voulait qu’elle soit détruite. Il a donc voulu quelque chose que Dieu que Dieu ne voulait pas.

 [9566] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, ipse dixit Luc. 22, 42: non mea voluntas, sed tua fiat. Ergo volebat secundum voluntatem humanam aliquid quod non volebat secundum divinam.

 [2] Lui-même a dit en Lc 22, 42 : Non pas ma volonté, mais que la tienne s’accomplisse! Il voulait donc quelque chose selon sa volonté humaine, qu’il ne voulait pas selon la volonté divine.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La volonté de la sensualité était-elle contraire à la volonté de la raison chez le Christ ?]

 [9567] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod voluntas sensualitatis sit contraria voluntati rationis in Christo. Sicut enim dicit Augustinus in Lib. de Trinit., voluntatum contrarietas est ex contrarietate volitorum, non ex contrarietate naturarum, ut Manichaei dicunt. Sed volita sensualitatis et rationis in Christo fuerunt contraria: quia sensualitas refutabat mortem, quam ratio eligebat. Ergo contrariabatur voluntas sensualitatis voluntati rationis in Christo.

1. Il semble que la volonté de la sensualité soit contraire à la volonté de la raison chez le Christ. En effet, comme le dit Augustin dans le livre Sur la Trinité, « l’opposition des volontés vient de l’opposition de ce qui est voulu, non de l’opposition des natures, comme le disent les manichéens ». Or, ce qui est voulu par la sensualité et par la raison chez le Christ est opposé, car la sensualité refusait la mort, que la raison choisissait. La volonté de la sensualité s’opposait donc à la volonté de la raison chez le Christ.

 [9568] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, sicut dicit Damascenus, in Christo unicuique potentiae permittebatur agere quod erat sibi proprium et naturale. Sed naturale est appetitui sensualitatis ut appetat hoc quod est delectabile secundum sensum. Ergo hoc appetebat in Christo. Sed ex hoc est pugna sensualitatis contra rationem in nobis quod sensualitas appetit delectabilia secundum sensum. Ergo in Christo hujusmodi pugna fuit.

2. Comme le dit [Jean] Damascène, « chez le Christ, il était permis à chaque puissance d’agir selon ce qui lui était propre et naturel ». Or, il est naturel à l’appétit de la sensualité de désirer ce qui est délectable selon le sens. Il désirait donc cela chez le Christ. Or, un combat de la sensualité contre la raison (pugna sensualitatis contra rationem) existe chez nous du fait que la sensualité désire des choses délectables selon le sens. Un tel combat existait donc chez le Christ.

 [9569] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, quicumque affligitur in hoc in quo alius delectatur, habet contrariam voluntatem illi. Sed voluntas rationis Christi delectabatur in jejunio, sicut in opere virtutis, in quo sensualitas affligebatur, quia esuriit, ut dicitur Matth. 4. Ergo sensualitas rationi contrariabatur in Christo.

3. Tous ceux qui sont affligés par ce en quoi un autre se délecte possèdent une volonté qui lui est opposée. Or, la volonté de la raison du Christ se délectait dans le jeûne, comme dans un acte de vertu, ce par quoi la sensualité était affligée parce qu’elle avait faim, comme on le dit dans Mt 4. La sensualité s’opposait donc à la raison chez le Christ.

 [9570] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, in rebellione sensualitatis ad rationem consistit primus motus, qui est peccatum veniale. Sed in Christo non fuit aliquod peccatum. Ergo non fuit in Christo contrarietas sensualitatis ad rationem.

Cependant, [1] le premier mouvement, qui est un péché véniel, consiste dans la rébellion de la sensualité (in rebellione sensualitatis) contre la raison. Or, chez le Christ, il n’y avait aucun péché. Chez le Christ, il n’y avait donc pas d’opposition de la sensualité à la raison.

 [9571] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, Augustinus super Gen., dicit: omne animal fuit in arca Noe, quia omnes motus fuerunt peccati in Christo. Sed hoc non contingit in illis in quibus est pugna sensualitatis contra rationem. Ergo in Christo talis pugna non fuit.

 [2] Augustin dit à propos de la Genèse : « Tous les animaux se trouvaient avec Noé dans l’arche parce que tous les mouvements du péché se trouvaient chez le Christ. » Or, cela ne se produit pas chez ceux où il n’existe pas de combat de la sensualité contre la raison. Il n’y eut donc pas un tel combat chez le Christ.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La volonté de la raison était-elle contraire à elle-même ?]

 [9572] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod voluntas rationis erat sibi contraria. Medium enim communicat cum utroque extremorum. Sed voluntas rationis media erat in Christo inter voluntatem divinam et sensualitatem. Ergo conformabatur utrique. Sed sensualitas volebat contrarium ejus quod Deus volebat. Ergo voluntas rationis volebat contraria.

1. Il semble que la volonté de la raison était contraire à elle-même. Or, la volonté de la raison était l’intermédiaire, chez le Christ, entre la volonté divine et la sensualité. Elle se conformait donc aux deux. Or, la sensualité voulait le contraire de ce que Dieu voulait. La volonté de la raison voulait donc des choses contraires.

 [9573] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, voluntas ut natura vult illud quod est ad conservationem naturae. Sed voluntas ut ratio in Christo volebat mortem, et alia hujusmodi quae ad corruptionem naturae pertinent. Ergo in voluntate rationis erat contrarietas in Christo.

2. La volonté comme nature veut ce qui est ordonné à la conservation de la nature. Or, la volonté comme raison chez le Christ voulait la mort et d’autres choses de ce genre, qui concernent la corruption de la nature. Il existait donc une opposition à l’intérieur de la volonté de la raison chez le Christ.

 [9574] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 3 Sed contra, contraria non possunt esse in eodem simul. Sed voluntas rationis est tantum una potentia, ut dictum est, art. praec. Ergo non potest esse in ea aliqua contrarietas.

3. Il ne peut exister de choses contraires chez le même. Or, la volonté de la raison n’est qu’une seule puissance, comme on l’a dit à l’article précédent. Il ne peut donc exister d’opposition à l’intérieur d’elle.

 [9575] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 4 Praeterea, voluntas sequitur apprehensionem rationis. Sed in ratione Christi non fuit aliqua contrarietas, sed fuit determinata ad unum. Ergo nec in voluntate.

4. La volonté suit la compréhension de la raison. Or, il n’y avait pas d’opposition à l’intérieur de la raison du Christ, mais elle était déterminée à une seule chose. Donc, ni à l’intérieur de sa volonté.

 [9576] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 5 Praeterea, sicut dicit Augustinus in Lib. Confess., contrarietas voluntatis causatur ex imperfectione voluntatis: quia voluntas non est perfecta neque istius neque illius. Sed in Christo non fuit voluntas imperfecta. Ergo voluntas rationis non contrariabatur sibi.

5. Comme le dit Augustin dans le livre des Confessions, la contrariété à l’intérieur de la volonté est causée par l’imperfection de la volonté, car il n’y a de volonté parfaite ni de ceci ni de cela. Or, chez le Christ, il n’existait pas de volonté imparfaite. La volonté de la raison ne s’opposait donc pas à elle-même.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [9577] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod cum voluntas sequatur rationem, processus voluntatis proportionatur processui rationis. Ratio autem habet aliquod principium per se notum, ad quod resolvendo, reducit illud cujus cognitionem quaerit: et quando ad illud reducere potuerit, habet certitudinem de re, et sententiat quod ita est; sed antequam ad illud principium reducere possit, movetur aliquibus verisimilitudinibus: et si quidem rationibus illis detineatur tamquam certis, decipitur et errat; si autem illis non detineatur, tunc habet opinionem unius partis cum formidine alterius. Finis autem, ut dicit philosophus, 7 Ethic., se habet in voluntariis sicut principium in speculativis: unde quando voluntas reducit aliquid consiliabile in finem in quo totaliter quiescit, sententialiter acceptat illud; si autem reducat in finem in quo non totaliter quiescit, trepidat inter utrumque. Sed si consideretur hoc quod est ad finem sine ordine ad finem, movetur voluntas in ipsum secundum bonitatem vel malitiam, quam in eo absolute inveniet. Sed quia voluntas non sistit in motu quem habet circa hujusmodi, cum non feratur in ipsum sicut in finem; ideo non sententiat finaliter secundum praedictum motum suum de illo, quousque finem in quem illud ordinat, non consideret: unde voluntas non simpliciter vult illud; sed vellet, si nil inveniretur repugnans. Voluntas autem ut natura movetur in aliquid, ut dictum est, absolute: unde si per rationem non ordinetur in aliquid aliud, acceptabit illud absolute, et erit illius tamquam finis; si autem ordinet in finem, non acceptabit aliquid absolute, quousque perveniat ad considerationem finis, quod facit voluntas ut ratio. Patet igitur quod voluntas ut natura imperfecte vult aliquid, et sub conditione, nisi feratur in ipsum sicut in finem; sed eorum quae ordinantur ad finem, habet voluntas ut ratio ultimum judicium et perfectum. His visis, potest patere, qualiter voluntas rationis, divinae voluntati in Christo conformatur in volito; quia voluntas ut natura nunquam in Christo movebatur in aliquid sicut in finem, nisi quod Deus vult. Et cum voluntas ut ratio nunquam moveatur in aliquid nisi ex ratione finis, patet quod etiam voluntas ut ratio conformabatur divinae voluntati in volito; sed voluntas ut natura, mota in aliquid non sicut in finem (quod quidem non eodem modo se habet in bonitate et malitia secundum se consideratum, et in ordine ad finem), non conformabatur divinae voluntati in volito: quia Christus volebat non pati, Deus autem volebat eum mori; mors autem secundum se mala erat, sed relata ad finem, bona. Hoc autem, ut dictum est, non est perfecte velle aliquid, sed sub conditione: unde a magistris velleitas appellatur. Patet igitur quod secundum voluntatem rationis conformabatur divinae voluntati in volito quantum ad omne quod perfecte et absolute volebat, non autem quantum ad id quod volebat imperfecte. Similiter etiam nec voluntas sensualitatis conformabatur divinae voluntati in volito in his quae erant nociva naturae: quia sensualitatis non est ordinare ad finem, ex quo illa habebant quod essent bona, et Deo accepta: tamen sensualitatis voluntas et rationis conformabatur divinae voluntati in actu volendi, quamvis non in volito; quia quamvis Deus non vellet hoc quod sensualitas vel voluntas ut natura volebat in Christo, volebat tamen illum actum utriusque, inquantum, secundum Damascenum, permittebat unicuique partium animae pati et agere quod sibi erat naturale et proprium, quantum expediebat ad finem redemptionis, et ostensionem veritatis naturae.

Puisque la volonté suit la raison, la démarche de la volonté est proportionnée à la démarche de la raison. Or, la raison possède un principe connu par lui-même, auquel elle ramène ce dont elle cherche la connaissance en l’y ramenant, et lorsqu’elle a pu l’y ramener, elle possède la certitude à propos de cette chose et juge qu’il en est ainsi. Mais avant de pouvoir la ramener à ce principe, elle est mue par des vraisemblances : si elle est retenue par ces raisonnements comme s’ils étaient certains, elle se trompe et erre; mais si elle n’est pas retenue par eux, elle a alors une opinion à propos d’un aspect, en en craignant un autre. Or, comme le dit le Philosophe dans Éthique, VII, la fin joue, pour les choses volontaires, le rôle du principe pour les choses spéculatives. Lorsque la volonté ramène ce qui est l’objet du conseil à la fin dans laquelle elle se repose entièrement, elle l’accepte par mode de jugement; mais si elle le ramène à une fin dans laquelle elle ne se repose pas entièrement, elle s’affole des deux côtés. Mais si ce qui est ordonné à la fin est envisagé sans ordre à la fin, la volonté est mue vers cela selon sa bonté ou sa malice, qu’elle trouvera en cela de manière absolue. Mais parce que la volonté ne s’arrête pas dans le mouvement qu’elle a vers les choses de ce genre, puisqu’elle n’y est pas portée comme vers la fin, elle n’en décide donc pas de manière définitive selon le mouvement mentionné, jusqu’à ce qu’elle ne considère plus la fin vers laquelle elle l’ordonne; la volonté ne veut donc pas cela tout simplement, mais elle le voudrait si rien ne s’y opposait. Or, la volonté comme nature est mue vers quelque chose de manière absolue, comme on l’a dit; si donc elle n’est pas ordonnée vers quelque chose d’autre par la raison, elle l’acceptera de manière absolue et cela sera comme sa fin; mais si elle l’ordonne vers la fin, elle ne l’acceptera pas de manière absolue avant de parvenir à considération de la fin, ce que fait la volonté comme raison. Il est donc clair que la volonté comme nature veut quelque chose de manière imparfaite et sous condition, à moins d’y être portée pour ainsi dire vers la fin; mais la volonté comme raison porte un jugement dernier et parfait sur ce qui est ordonné à la fin. Après avoir vu cela, il peut apparaître comment, chez le Christ, la volonté de la raison se conforme à la volonté divine pour ce qu’elle veut, car la volonté comme nature n’était jamais mue chez le Christ vers quelque chose comme fin, à moins que Dieu ne le veuille. Puisque la volonté comme raison n’était jamais mue vers quelque chose qu’en raison de la fin, il est donc clair que même la volonté comme raison se conformait à la volonté divine pour ce qu’elle voulait; mais la volonté comme nature, mue vers quelque chose comme vers une fin – ce qui n’a pas le même caractère de bien ou de mal considéré en soi que ce qui est ordonné à une fin ‑, ne se conformait pas à la volonté divine pour ce qu’elle voulait, car le Christ voulait ne pas souffrir, mais Dieu voulait qu’il meure. Or, en elle-même, la mort était mauvaise, mais, par rapport à la fin, elle était bonne. Cependant, comme on l’a dit, c’est là ne pas vouloir quelque chose de manière parfaite, mais sous condition. Aussi des maîtres l’appellent-ils velléité. Il est donc clair que, selon la volonté de la raison, [le Christ] se conformait à la volonté divine pour ce qu’il voulait en tout ce qu’il voulait de manière parfaite et absolue, mais non pour ce qu’il voulait de manière imparfaite. De même aussi, la volonté de la sensualité ne se conformait-elle pas à la volonté divine pour ce qu’elle voulait parmi les choses qui étaient nuisibles à la nature, car il ne relève pas de la sensualité d’ordonner à une fin par laquelle elles seraient bonnes et agréables à Dieu. Cependant, la volonté de la sensualité et de la raison se conformaient à la volonté divine dans l’acte de vouloir, bien que non pour ce qui était voulu, car, bien que Dieu ne voulût pas ce que voulait la sensualité ou la volonté comme nature chez le Christ, ìl voulait cependant l’acte des deux, pour autant que, selon [Jean] Damascène, il permettait à chacune des parties de l’âme de subir et de faire ce qui lui était naturel et propre, dans la mesure où cela convenait à la fin de la rédemption et à la manifestation de la vérité de la nature.

 [9578] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod conformitas quae est in volitione, non facit rectitudinem voluntatis: quia aliquis potest peccando velle illud volitum quod vult Deus, et meretur in hoc quod illud non vult, ut in fine 1 Lib., distinct. 48, dictum est. Sed rectitudo voluntatis causatur ex conformitate in modo volendi, ut scilicet velit ex caritate sicut Deus; et iterum in causa finali, ut propter idem velit; et iterum in causa efficiente, ut scilicet Deus velit ipsum velle, ut dictum est.

1. La conformité qui se trouve dans l’acte de vouloir ne réalise pas la rectitude de la volonté, car quelqu’un peut en péchant vouloir ce que Dieu veut et mérite par le fait de ne pas le vouloir, comme on l’a dit à la fin du livre I, d. 48. Mais la rectitude de la volonté est causée par la conformité dans la manière de vouloir, à savoir, de vouloir par charité comme le fait Dieu, et donc en fonction de la cause finale, de manière à vouloir en vue de la même chose, et donc de la cause efficiente, à savoir que Dieu veuille qu’il veuille, comme on l’a dit.

 [9579] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in beatis, qui sunt solum comprehensores, quando erunt dotati impassibilitate, nihil eis quantum ad sensitivam partem laesivum occurret: et ideo non erit aliquid in quo eorum sensualitas a divina voluntate discordet. Secus autem fuit in Christo, qui simul beatus et passibilis fuit. Et similiter nec voluntas ut natura, quantum ad ea quae ad ipsos pertinent, quia ab omni malo liberati erunt. Sed mala damnatorum vellent imperfecte modo praedicto, scilicet voluntate conditionata, non esse; in quo etiam, quamvis non conformentur quantum ad volitum divinae voluntati consequenti, conformantur tamen divinae voluntati antecedenti, quae vult omnes homines salvos fieri: et quantum ad hoc est similitudo inter voluntatem hominis Christi et voluntatem beatorum.

2. Chez les bienheureux, qui ne que comprehensores, alors qu’ils seront dotés de l’impassibilité, rien ne surviendra pour blesser la partie sensible; c’est pourquoi il n’y aura rien en eux qui mettra leur sensualité en désaccord avec la volonté divine. Mais il en était autrement chez le Christ, qui était en même temps bienheureux et passible. De même en sera-t-il pour la volonté comme nature, pour ce qui les concerne, car ils ont été libérés de tout mal. Mais ils voudront que les maux des damnés n’existent pas de la manière dite plus haut, en quoi, bien qu’ils ne se conforment pas à la volonté divine conséquente pour ce qui est voulu, ils se conforment cependant à la volonté divine antécédente, qui veut que tous les hommes soient sauvés. Sur ce point, il existe une ressemblance entre la volonté de l’homme Christ et la volonté des bienheureux.

 [9580] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis Christus sciret quid Deus vellet in quolibet, non tamen qualibet sua vi apprehendebat divinam voluntatem, nec rationem quare Deus id vellet secundum ordinem ad finem aliquem: et ideo non oportebat quod quaelibet vis ejus conformaretur divinae voluntati in volito.

3. Bien que le Christ ait su ce que Dieu voulait en toutes choses, il ne saisissait cependant pas la volonté divine par toutes ses puissances, ni la raison pour laquelle Dieu voulait cela en regard d’une fin. Il n’était donc pas nécessaire que chacune de ses puissances se conforme à la volonté divine pour ce qui était voulu.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [9581] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod pugna sive contrarietas sensualitatis ad rationem, causatur in nobis ex tribus. Primo ex diversitate volitorum; secundo, quia sensualitas in suum volitum effrenate et sine regimine rationis fertur; tertio ex hoc quod sensualitas effrenata tendens in suum volitum, retardat motum rationis, et impedit vel in toto vel in parte: et haec duo ultima in Christo non fuerunt, quia nunquam motus sensualitatis in aliquid ferebatur nisi praeordinaretur a ratione: et sic quamvis voluntas rationis non vellet illud volitum in quod sensualitas tendebat, volebat tamen quod sensualitas in id tenderet, sicut dictum est de voluntate divina et humana. Similiter nec motus sensualitatis impediebat motum rationis, quia non erat violenta refusio in Christo de potentia in potentiam.

Le combat ou l’opposition entre la sensualité et la raison est causée chez nous par trois choses. Premièrement, par la diversité de ce qui est voulu; deuxièmement, parce que la sensualité est portée vers ce qu’elle veut de manière effrénée et sans direction de la raison; troisièmement, par le fait que la sensualité effrénée tendant vers ce qu’elle veut retarde le mouvement de la raison et l’empêche en totalité ou en partie. Ces deux derniers aspects n’existaient pas chez le Christ, car jamais un mouvement de la sensualité ne fut porté [chez lui] vers quelque chose sans avoir d’abord été ordonné par la raison, et ainsi, bien que la volonté de la raison n’ait pas voulu ce vers quoi la sensualité tendait, elle voulait cependant que la sensualité y tende, comme on l’a dit de la volonté divine et de la volonté humaine. De même, le mouvement de la sensualité n’empêchait pas le mouvement de la raison, car il n’existait pas chez le Christ de débordement violent d’une puissance sur une autre puissance.

 [9582] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod contraria nata sunt fieri circa idem: unde quamvis motus sensualitatis et rationis in contraria tendant, non tamen sunt contrarii, nisi quatenus ex sensualitate redundat in rationem aliquod impedimentum, vel quantum ad actum quo regit alias potentias, et hoc est quando effrenate sensualitas in suum objectum fertur; vel quantum ad proprium actum rationis, et hoc est quando sensualitas extinguit vel retardat motum rationis: quae duo in Christo non fuerunt, sicut in nobis sunt; et ideo nulla fuit in Christo pugna vel contrarietas sensualitatis ad rationem.

1. Les contraires sont destinés à porter sur la même chose; bien que le mouvement de la sensualité et de la raison tendent vers des contraires, ils ne sont cependant contraires que pour autant qu’un empêchement rejaillise sur la raison à partir de la sensualité, ou pour ce qui est de l’acte par lequel elle dirige les autres puissances ‑ et cela se produit lorsque la sensualité est portée vers son objet de manière effrénée, ou pour ce qui est de l’acte propre de la raison; et cela se produit lorque la sensualité éteint ou retarde le mouvement de la raison. Ces deux choses n’éxistaient pas chez le Christ, comme elles existent chez nous. C’est pourquoi il n’y avait pas chez le Christ de combat ou d’opposition entre la sensualité et la raison.

 [9583] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod naturale est sensualitati humanae quod feratur in delectabile sensus secundum regimen rationis; sed quod immoderate feratur, hoc facit corruptio fomitis; et hinc est peccatum veniale in sensualitate.

2. Il est naturel pour la sensualité d’être portée vers ce qui est délectable pour le sens sous la direction de la raison; mais qu’elle y soit portée de manière immodérée, c’est le fait de la convoitise. De là vient un péché véniel dans la sensualité.

 [9584] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illa ratio probat diversitatem volitorum tantum.

3. Ce raisonnement démontre seulement la diversité de ce qui est voulu.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [9585] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod secundum voluntatem rationis, Christus diversa volebat, non tamen uno modo, sed alterum absolute, alterum autem sub conditione, et imperfecte; et ideo non erat contrarietas in voluntate: quia contrarietas in habitu vel in actu est ex contraria ratione objecti: ratio autem secundum quam unum contrariorum volebat voluntas ut ratio, et alterum volebat ut natura, non habet contrarietatem: quod enim aliquid ex ordine ad finem bonitatem habeat, quod sine illo ordine in se malum esset, non habet aliquam repugnantiam, secundum quam, ut dictum est, in diversa ferantur voluntas ut ratio, et voluntas ut natura.

Selon la volonté de la raison, le Christ voulait diverses choses, non pas d’une seule manière, mais l’une de manière absolue, et l’autre de manière conditionnelle et imparfaite. Aussi n’existait-il pas d’opposition dans sa volonté, car l’opposition à l’état habituel ou en acte vient de la raison contraire de l’objet. Or, la raison selon laquelle la volonté comme raison voulait l’un des contraires et la volonté comme nature en voulait un autre n’a pas un caractère contraire : en effet, le fait qu’une chose comporte une bonté par l’ordre à la fin, alors qu’elle serait mauvaise en elle-même sans cet ordre, ne comporte pas le caractère opposé selon lequel, comme on l’a dit, la volonté comme raison et la volonté comme nature sont portées vers des choses différentes.

 [9586] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 1 Unde patet responsio ad duas primas rationes, quae concludunt diversitatem volitorum.

1. La réponse aux deux premiers arguments, qui concluent à partir de la diversité de ce qui est voulu, est ainsi claire

 [9587] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 3 Et similiter ad tertiam, quae est ad oppositum, quae concludit de contrarietate voluntatis.

3. De même en est-il pour le troisième, qui conclut à partir de l’opposition entre les volontés.

 [9588] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut in Christo erat ratio determinata ad unum, quantum ad ultimum judicium, ita et voluntas erat determinata tantum ad unum, quantum ad ultimum consensum et absolutum: tamen in ratione erat apprehensio diversarum et contrariarum rationum circa eamdem rem diversimode consideratam: et sic etiam erat de motu voluntatis.

4. De même que, chez le Christ, la raison était déterminée à une seule chose, pour ce qui est du jugement ultime, de même aussi la volonté était-elle déterminée seulement à une seule chose, pour ce qui est du consentement ultime et absolu. Cependant, il existait dans la raison une saisie de raisons différentes ou contraires à propos de la même chose envisagée de diverses manières. Il en allait aussi de même pour le mouvement de la volonté.

 [9589] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Augustinus loquitur quando voluntas tendit in duo quantum ad ultimum et absolutum consensum, quod in Christo non fuit.

5. Augustin parle de la volonté qui tend vers deux choses pour ce qui est du consentement ultime et absolu, ce qui n’existait pas chez le Christ.

 

 

Articulus 3 [9590] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 tit. Utrum Christo fuerit conveniens orare

Article 3 – Était-il approprié pour le Christ de prier ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Était-il approprié pour le Christ de prier ?]

 [9591] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod orare non fuerit competens Christo. Quia, sicut dicit Damascenus, oratio est ascensus intellectus in Deum. Sed ascendere in Deum, cum sit distantis a Deo, non competit intellectui Christi, qui semper Deo conjunctus erat. Ergo Christo non competit orare.

1. Il semble qu’il n’ait pas été approprié pour le Christ de prier, car, ainsi que le dit [Jean] Damascène, « la prière est une élévation de l’intellect vers Dieu ». Or, s’élever vers Dieu, puisque c’est le fait de celui qui est éloigné de Dieu, n’est pas approprié à l’intellect du Christ, qui avait toujours été uni à Dieu. Il ne convient donc pas que le Christ prie.

 [9592] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, nullus petit aliquid a seipso. Sed, sicut Damascenus dicit, oratio est petitio decentium a Deo. Cum ergo Christus sit Deus, et non sit alius Deus praeter eum, orare non pertinet ad ipsum.

2. Personne ne se demande quelque chose à lui-même. Or, comme le dit [Jean] Damascène, « la prière consiste à demander à Dieu ce qui convient ». Puisque le Christ est Dieu et qu’il n’existe pas d’autre Dieu que lui, il ne lui convient donc pas de prier.

 [9593] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, oratio est expressio voluntatis, quia est de eo quod quis absolute vult; alias est fictio. Sed Christus quidquid absolute volebat, hoc sciebat Deum velle. Ergo non oportebat quod de hoc ipso rogaret.

3. La prière est une manifestation de sa volonté, car elle porte sur une chose que quelqu’un veut absolument, autrement, elle est une feinte. Or, le Christ savait que Dieu voulait tout ce qu’il voulait de manière absolue. Il n’était donc pas nécessaire qu’il le lui demande.

 [9594] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, ejus qui non potest omnia de se est orare. Sed Christus, secundum quod homo, omnia non poterat, ut supra, dist. 14, quaest. 1, art. 4, dictum est. Ergo ejus, secundum quod homo, est orare.

Cependant, [1] prier est le fait de celui qui ne peut pas tout par lui-même. Or, le Christ, en tant qu’homme, ne pouvait pas tout, comme on l’a dit plus haut, d. 14, q. 1, a. 4. Il lui revient donc de prier en tant qu’homme.

 [9595] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, officium pontificis est preces ad Deum fundere. Sed Christus est pontifex, ut dicitur Hebr. 2. Ergo ejus est orare.

 [2] La fonction du pontife est d’adresser des prières à Dieu. Or, le Christ est pontife, comme il est dit dans He 2. Il lui revient donc de prier.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Convenait-il que le Christ prie pour lui-même, et non seulement pour les autres ?]

 [9596] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non sit ejus orare pro se, sed tantum pro aliis: officium enim sacerdotis est eodem modo orare et hostias offerre. Sed Christus obtulit hostiam non pro se, sed pro aliis, ut dicitur Hebr. 7. Ergo nec pro se oravit.

1. Il semble qu’il ne revient pas [au Christ] de prier pour lui-même, mais seulement pour les autres. En effet, la fonction du prêtre consiste à prier de la même manière qu’il offre des victimes. Or, le Christ a offert une victime, non pour lui-même, mais pour les autres, comme on le dit dans He 7. Il n’a donc pas prié pour lui-même.

 [9597] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, in quolibet genere moventium est devenire ad primum movens quod non movetur secundum illum motum, sicut alterantia reducuntur ad primum alterans non alteratum. Sed Christus est primus inter orantes. Ergo ipse est orans, et pro eo non oratur.

2. En tout genre de moteurs, il faut en arriver à un premier moteur qui n’est pas mû selon ce mouvement, comme ce qui altère se ramène à un premier altérant qui n’est pas altéré. Or, le Christ est le premier parmi ceux qui prient. Il prie donc sans prier pour lui-même.

 [9598] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, nullus sapiens orat contrarium ejus quod vult. Sed in Christo nihil accidebat nisi quod ipse volebat. Ergo ipse non pro se oravit.

3. Aucun sage ne demande le contraire de ce qu’il veut. Or, chez le Christ, rien n’arrivait que ce qu’il voulait. Il ne priait donc pas pour lui-même.

 [9599] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, oratio fit non tantum contra infirmitatem culpae, sed etiam contra infirmitatem poenae. Sed Christus circumdatus erat infirmitate poenae, quamvis non infirmitate culpae. Ergo pro se orare poterat.

Cependant, [1] la prière est faite non seulement contre la maladie de la faute, mais aussi contre la maladie de la peine. Or, le Christ était entouré par la maladie de la peine, bien qu’il ne l’ait pas été par la maladie de la faute. Il pouvait donc prier pour lui-même.

 [9600] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, per orationem aliquis sibi meretur. Sed Christus sibi meruit claritatem corporis. Ergo Christus pro se orare potuit.

 [2] Par la prière, on mérite pour soi-même. Or, le Christ a mérité pour lui-même l’éclat de son corps. Le Christ pouvait donc prier pour lui-même.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La prière par laquelle le Christ a prié pour lui-même était-elle un acte de la sensualité ?]

 [9601] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod oratio qua pro se oravit, fuit actus sensualitatis. Ejus enim est orare, cujus est velle. Sed non mori in Christo absolute non volebat nisi sensualitas. Ergo oratio qua mortem petebat a se excludi, erat actus sensualitatis.

1. Il semble que la prière par laquelle il a prié pour lui-même était un acte de la sensualité. En effet, il revient de prier à ce qui veut. Or, seule la sensualité chez le Christ ne voulait absolument pas mourir. La prière par laquelle il demande d’être exempté de la mort était donc un acte de la sensualité.

 [9602] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, Magister dicit in littera, quod ex affectu humano quem ex virgine contraxit calicem transire orabat. Sed affectum rationis non traxit ex virgine: quia anima rationalis fit per creationem, et non ex traduce. Ergo hoc oravit per affectum sensualitatis.

2. Le Maître dit dans le texte qu’il priait pour que le calice s’éloigne par l’affectivité humaine qu’il avait reçue de la Vierge. Or, il n’a pas reçu de la Vierge l’affectivité de la raison, car l’âme raisonnable apparaît par création, et non par transmission. Il n’a donc pas prié par l’affectivité de la sensualité.

 [9603] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 3 Praeterea, catuli leonum quaerunt a Deo escam sibi, et pulli corvorum invocant eum, ut dicitur in Psalm. 103 et 146. Sed in eis non est nisi affectus sensualitatis. Ergo et Christus orare potuit per sensualitatem tantum.

3. Les lionceaux demandent à Dieu leur nourriture et les petits des corbeaux font appel à lui, comme il est dit dans Ps 103 et 146. Or, il n’existe chez eux que l’affectivité de la sensualité. Le Christ pouvait donc prier par sa sensualité seulement.

 [9604] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, ejus est orare, cujus est Deum cognoscere. Hoc autem est tantum rationis. Ergo rationis est tantum orare in Christo.

Cependant, [1] il appartient de prier à celui qui connaît Dieu. Or, cela relève seulement de la raison. Chez le Christ, il relève donc seulement de la raison de prier.

 [9605] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, oratio ad vitam contemplativam pertinet. Sed vita contemplativa non habet aliquam communitatem cum sensualitate. Ergo oratio Christi non fuit actus sensualitatis.

 [2] La prière relève de la vie contemplative. Or, la vie contemplative n’a rien de commun avec la sensualité. La prière du Christ n’était donc pas un acte de sensualité.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Toutes les prières du Christ ont-elles été exaucées ?]

 [9606] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non omnis Christi oratio fuit exaudita, per id quod dicitur in Psalm. 21, 3: clamabo per diem, et non exaudies, quod Glossa exponit de Christo.

1. Il semble que toutes les prières du Christ n’aient pas été exaucées, d’après ce qui est dit en Ps 21, 3 : Je crierai tout le jour, et tu n’écouteras pas! que la Glose interprète du Christ.

 [9607] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 2 Praeterea, oravit ut discipuli servarentur a malo, ut patet Joan. 17, et omnes qui credituri erant per verbum eorum in ipsum. Hoc autem non fuit impletum nec quantum ad ipsos apostolos, nec quantum ad alios credentes; nec de malo culpae, nec de malo poenae. Ergo non omnis Christi oratio fuit exaudita.

2. [Le Christ] a prié pour que ses disciples, ainsi que tous ceux qui devaient croire en lui grâce à leur parole, soient protégés du mal, comme cela ressort de Jn 17, Or, cela ne s’est réalisé ni pour les apôtres eux-mêmes, ni pour les autres croyants, que ce soit pour le mal de faute ou pour le mal de peine. Toutes les prières du Christ ne sont donc pas exaucées.

 [9608] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 3 Praeterea, ut dicitur Lucae 23, oravit pro crucifixoribus, ut peccatum eis non imputaretur, sed ut parceretur. Sed non omnibus remissum fuit illud peccatum: quia non omnes conversi sunt ad fidem, sine qua non est peccatorum remissio. Ergo sua oratio non fuit exaudita.

3. Comme il est dit en Lc 23, [le Christ] a prié pour ceux qui le crucifiaient afin que le péché ne leur en soit pas imputé, mais qu’il leur soit épargné. Or, ce péché n’a pas été remis à tous, car tous ne se sont pas convertis à la foi, sans laquelle il n’y a pas de rémission des péchés. Sa prière n’a donc pas été exaucée.

 [9609] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 4 Praeterea, oravit ut calix ab eo transferretur, ut patet Matth. 26. Hoc autem non fuit factum. Ergo et cetera.

4. [Le Christ] a prié pour que le calice s’éloigne de lui, comme cela ressort de Mt 26. Or, cela ne s’est pas réalisé. Donc, etc.

 [9610] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 4 s. c. 1 Sed contra, Heb. 5, 7: exauditus est pro sua reverentia.

Cependant, [1] He 5, 7 dit : Il a été exaucé en raison de sa piété.

 [9611] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 4 s. c. 2 Praeterea, oratio sua non fuit minus efficax quam aliorum sanctorum. Sed aliis sanctis ipse dicit: petite et accipietis; Joan. 16, 24. Ergo et ipse quod petiit accepit.

 [2] Sa prière n’a pas été moins efficace que celle des autres saints. Or, il a lui-même dit aux autres saints : Demandez et vous recevrez! Jn 16, 24. Il a donc lui-même reçu ce qu’il a demandé.

 [9612] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 4 s. c. 3 Praeterea, Joan. 11, 42: ego autem sciebam quia semper me audis.

 [3] Jn 11, 42 dit : Je savais que tu m’écoutes toujours.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [9613] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Respondeo ad primam quaestionem dicendum, quod Christo, secundum quod Deus, non competit orare nec obedire, nec aliquid quod minorationem sonat, aut quod ad diversitatem voluntatis pertinet: sed secundum quod homo, competit sibi orare propter tria, ut dicit Damascenus. Primo propter veritatem humanae naturae insinuandam, secundum quam minor est patre, et obediens ei, et orans ipsum. Secundo ad exemplum orandi nobis praebendum: quia omnis ejus actio, nostra est instructio; cum sit nobis datus quasi exemplum virtutis. Tertio ad ostendendum quod a Deo venerat, et sibi contrarius non erat, dum eum orando principium recognoscebat.

Il ne convient pas au Christ, en tant qu’il est Dieu, de prier ni d’obéir, ni de rien faire qui ait l’apparence d’un abaissemenet, ni ce qui relève de la diversité de volonté. Mais, selon qu’il est homme, il lui convient de prier pour trois raisons, comme le dit [Jean] Damascène. Premièrement, afin de suggérer la vérité de sa nature humaine, selon laquelle il est inférieur au Père, lui obéit et le prie. Deuxièmement, pour nous donner l’exemple de la prière, car toutes ses actions sont pour nous un enseignement, puisqu’il nous a été donné comme exemple de vertu. Troisièmement, pour montrer qu’il était venu de Dieu et qu’il ne lui était pas opposé, puisqu’il le reconnaissait comme principe en le priant.

 [9614] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ascendere est proprie tendere in aliquid quod supra ipsum erat. Intellectus autem Christi non tendit in aliquid quod supra ipsum esset quantum ad contemplationem, quia quidquid de Deo unquam contemplatus est, hoc contemplatus est a primo instanti conceptionis; et secundum hoc dicit Damascenus, quod intellectus Christi ascensione quae est in Deum non indigebat: sed tamen potentia divina, quam orando implorabat, supra ipsum erat; et sic ascendens in Deum orabat.

1. S’élever, c’est au sens propre tendre vers quelque chose qui était au-dessus de soi. Or, l’intellect du Christ ne tend pas vers quelque chose qui lui serait supérieur en vue de le contempler, car, tout ce qu’on a contemplé de Dieu, il l’a contemplé dès le premier instant de sa conception. C’est ainsi que [Jean] Damacène dit que l’intellect du Christ n’avait pas besoin d’élévation vers Dieu; cependant, la puissance divine qu’il implorait en priant était au-dessus de lui. En s’élevant ainsi, il priait Dieu.

 [9615] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in aliis hominibus est una intellectualis voluntas cujus est orare, quae habet etiam imperium super alias vires in ipsis existentes; et ideo ejus non est orare, sed imperare respectu eorum quae per ipsos fieri possunt. Sed non omnia quae erant in Christo, erant subjecta rationi, et voluntati rationis, sed aliquid supra ipsam, scilicet deitas: unde sicut in aliis hominibus ratio et voluntas imperant aliis viribus; ita in Christo orabant deitatem.

2. Chez les autres hommes, il existe une seule volonté intellectuelle à qui il revient de prier; elle possède aussi le pouvoir de commander aux autres puissances qui existent chez eux. C’est pourquoi il ne lui revient pas de prier, mais de commander à propos de ce qui peut être accompli par eux. Or, tout ce qui existait chez le Christ n’était pas soumis à la raison et à la volonté de la raison, mais il existait quelque chose de supérieur à la raison, la divinité. De même que, chez les autres hommes, la raison et la volonté commandent aux autres puissances, de même, chez le Christ, elles priaient la divinité.

 [9616] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod aliquid oravit Christus quod absolute fieri rationis voluntate volebat, quamvis non omnia, ut dicetur: et quamvis sciret hoc esse in Dei voluntate, nihilominus orabat quia sciebat Deum velle hoc impleri per suam orationem; sicut etiam Deus vult aliquem salvare orationibus alicujus sancti; unde non est superfluum quod ille sanctus pro eo orat.

3. Le Christ a prié pour que ce qu’il voulait de manière absolue par la volonté de la raison s’accomplisse, bien que ce ne soit pas toutes choses, comme on le dira. Et bien qu’il ait su que cela était la volonté de Dieu, il priait néanmoins parce qu’il savait que Dieu voulait que cela s’accomplisse par sa prière, comme Dieu veut que quelqu’un soit sauvé par les prières d’un saint. Ainsi n’est-il pas superflu que ce saint prie pour lui.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [9617] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod oratio semper est ad supplendum aliquem defectum. Christus autem non patiebatur aliquem defectum quantum ad bona spiritualia, quia beatus erat; patiebatur autem defectum, inquantum passibilis erat in anima et in corpore: unde omnis oratio Christi quae erat pro bonis spiritualibus, non erat pro se, sed pro aliis; sicut illud: ut sint unum in nobis sicut et nos unum sumus, Joan. 17: sed oratio quae erat pro his quae pertinent ad corpus, etiam erat ipsi pro seipso, sicut patet per illud Psal. 40, 11: resuscita me, et retribuam eis; quae quidem oratio, etsi sit pro se, idest ut ipse resuscitaretur; tamen est pro aliis, inquantum ad aliorum salutem tendit: quia resurrexit propter justificationem nostram, Rom. 4, 25, et instructionem, quia ejus exemplo ab ipso Deo petere debemus.

 

La prière vise toujours à combler une carence. Or, le Christ ne souffrait d’aucune carence pour ce qui était des biens spirituels, car il était bienheureux; mais il souffrait d’une carence pour autant qu’il était passible dans son âme et dans son corps. Aussi toute prière du Christ, qui avait pour objet les biens spirituels, n’était-elle pas pour lui-même, mais pour les autres, comme celle-ci : Afin qu’ils soient un comme nous-mêmes nous sommes un! Jn 17. Mais il priait aussi pour ce qui se rapportait [à son] corps, comme cela ressort de Ps 40, 11 : Ressuscite-moi, et je les récompenserai, prière qui, même si elle le concerne, à savoir, qu’il ressuscite, concerne cependant aussi les autres, pour autant qu’elle tend au salut des autres, car il est ressuscité pour notre justification, Rm 4, 25, et pour notre enseignement, car nous devons demander à Dieu selon son exemple.

 [9618] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod oratio effunditur pro quolibet defectu amovendo; sed hostia praecipue contra peccatum offertur, ut per eam Deus placatus, aliquid concedat. Christus autem quamvis aliquem defectum poenae habuerit; non tamen habuit defectum culpae; et ideo pro se oravit, non autem pro se hostiam obtulit.

1. La prière est faite pour l’enlèvement de n’importe quelle carence; mais la victime est offerte principalement pour le péché, afin que Dieu, apaisé par elle, accorde quelque chose. Or, le Christ, bien qu’il ait eu la carence de la peine, n’a cependant pas eu la carence de la faute. Il a donc prié pour lui-même, mais il ne s’est pas offert comme victime pour lui-même.

 [9619] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod orans pro quo non oratur, est ipse Christus, secundum quod beatus, non autem secundum ea quae ad statum viatoris pertinent.

2. Prier sans prier pour soi-même est le fait du Christ lui-même, selon qu’il est bienheureux, mais non selon ce qui relève de l’état de viator.

 [9620] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in Christo non erat aliquid quod voluntate rationis absolute et simpliciter non vellet tunc esse in se; erat tamen in ipso passibilitas, quam volebat, peracto redemptionis opere, per gloriam resurrectionis a se removere; et erat in eo aliquid, scilicet passio imminens, quam volebat etiam tunc non inesse voluntate sensualitatis, et rationis ut naturae.

3. Chez le Christ, il n’y avait rien qu’il ne voulût pas, de manière absolue et tout simplement, voir exister chez lui selon la volonté de sa raison; il existait cependant chez lui une passibilité dont il voulait qu’une fois accomplie l’œuvre de la rédemption, elle lui soit enlevée par la gloire de la résurrection. Et il y avait chez lui quelque chose, à savoir, la passion imminente, dont il voulait qu’elle ne l’affecte pas, selon la volonté de sa sensualité et de sa raison comme nature.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [9621] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod actus sensualitatis dicitur dupliciter. Uno modo sensualitatis sicut principii elicientis actum: et sic oratio non potest esse actus sensualitatis in Christo, ut probant rationes secundo inductae. Alio modo dicitur sensualitatis ut objecti, idest de eo quod sensualitas volebat: et sic erat aliqua ejus oratio sensualitatis: quia ratio orans, erat quasi advocatus sensualitatis, proponens Deo appetitum sensualitatis. Hoc autem non faciebat quasi ratio vellet hoc quod pro sensualitate petebat; sed ut doceret omnem hominis voluntatem Deo subdendam esse, et in omnibus necessitatibus ad eum recurrendum; unde subdit: non mea voluntas, sed tua fiat; Luc. 22, 42.

On parle d’acte de la sensualité de deux manières. D’une manière, [d’un acte] de la sensualité comme principe provoquant l’acte : la prière ne peut ainsi être un acte de la sensualité chez le Christ, comme le montrent les arguments invoqués en second lieu. D’une autre manière, [on parle d’un acte] de la sensualité du point de vue de l’objet, c’est-à-dire de ce que la sensualité voulait : il existait ainsi [chez lui] une prière de la sensualité, car la raison qui priait était comme l’avocate de la sensualité, proposant à Dieu ce que désirait la sensualité. Mais il ne faisait pas cela comme si la raison voulait ce qu’elle demandait pour la sensualité, mais pour enseigner que toute volonté de l’homme doit être soumise à Dieu et qu’il faut recourir à lui pour tous nos besoins. Aussi ajoute-t-il : Non pas ma volonté, mais que ta volonté s’accomplisse! Lc 22, 42.

 [9622] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quando aliquis orat propter suam utilitatem, ratio non petit nisi hoc quod vult; et ideo tunc cujus est orare ejus est velle. Sed Christus hoc non petebat propter suam utilitatem, ut scilicet ipse effectum hujus petitionis consequeretur, sed propter utilitatem aliorum, ut dictum est; et ideo ratio non petebat hoc, secundum quod ipsa volebat, sed secundum quod sensualitas appetebat.

1. Lorsque quelqu’un prie pour ses propres besoins, la raison ne demande que ce qu’elle veut; c’est pourquoi il appartient de prier à celui à qui il appartient de vouloir. Mais le Christ ne demandait pas cela pour sa propre utilité, à savoir pour que lui-même obtienne l’effet de cette demande, mais pour l’utilité des autres, comme on l’a dit. C’est pourquoi la raison ne demandait pas cela selon ce qu’elle-même voulait, mais selon ce que désirait la sensualité.

 [9623] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ex sensualitate oravit, quamvis sensualitas non oraret: quia appetitus sensualitatis erat causa quare orationem proponebat.

2. Il a prié par sensualité, bien que la sensualité n’ait pas prié, car l’appétit de la sensualité était la cause pour laquelle il proposait une prière.

 [9624] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illud quaerere et invocare non designat orationem proprie dictam, sed ordinationem quae est in his, sicut et in omnibus aliis creaturis, ad recipiendum a Deo ea quae ad conservationem sui pertinent.

3. Cette recherche et cette demande ne désignent pas une prière proprement dite, mais la disposition, qui existe en elles comme chez toutes les autres créatures, à recevoir de Dieu ce qui concerne la conservation de soi.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

 [9625] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod omnis oratio quam Christus obtulit hac intentione, ut ipsam impetraret, fuit exaudita. Sed cum aliquis impetrare non intendat quod absolute non vult; haec sola oratio Christi exaudita fuit quae erat de eo quod Christus absolute voluit. Hoc autem dicitur aliquis simpliciter et absolute velle in quo ultimus ejus consensus stat. Ultimus autem consensus est secundum supremam partem appetitus in homine. Appetitus autem rationis est supra appetitum sensus, et in appetitu rationis est supremum quod in finem tendit, vel in aliquid conjunctum fini. Et ideo hoc solum Christus absolute voluit quod secundum rationem voluit ut finem, et ut in ordine ad finem; et omnis talis sua oratio fuit exaudita. Quod autem secundum sensualitatem voluit, absolute non voluit; et ideo ratio non hoc, orando proposuit ut impetraret. Nec tamen fuit simulatio, quia appetitum sensualitatis exprimebat ratione jam dicta: similiter quod volebat ratio ut natura, si in eo non sicut in fine quiescebat, non simpliciter volebat, ut prius dictum est; et ideo etiam haec non hoc proposuit orando ut impetraret; et propter hoc hujusmodi orationes non fuerunt exauditae.

Toute prière que le Christ a offerte avec l’intention d’être lui-même exaucé a été exaucée. Mais puisque quelqu’un n’a pas l’intention d’obtenir ce qu’il ne veut pas de manière absolue, seule a été exaucée la prière du Christ pour ce que le Christ voulait de manière absolue. Or, on dit de ce à quoi s’arrête son consentement ultime, que quelqu’un veut quelque chose tout simplement et de manière absolue Or, le consentement ultime est celui qui relève de la partie la plus élevée de l’appétit chez l’homme. Or, l’appétit de la raison est plus élevé que l’appétit du sens et, dans l’appétit de la raison, est plus élevé ce qui tend vers la fin ou vers quelque chose qui est uni à la fin. C’est pourquoi le Christ a voulu de manière absolue ce qu’il a voulu comme fin et selon l’ordre à la fin selon la raison : toute prière de ce genre de sa part a été exaucée. Mais ce qu’il a voulu selon sa sensualité, il ne l’a pas voulu de manière absolue : c’est pourquoi la raison n’a pas proposé cela pour l’obtenir. Ce ne fut cependant pas une simulation, car il exprimait l’appétit de la sensualité pour la raison déjà mentionnée. De même, ce que voulait la raison comme nature, si elle ne s’y reposait pas comme dans la fin, elle ne le voulait pas tout simplement, comme on l’a dit plus haut. Il n’a donc pas proposé cela en priant afin de l’obtenir. Pour cette raison, les prières de ce genre n’ont pas été exaucées.

 [9626] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod hoc dixit Christus in persona Ecclesiae, ut dicit Glossa. Vel loquitur de oratione exprimente voluntatem sensualitatis, aut velleitatem rationis ut naturam.

1. Le Christ a dit cela en la personne de l’Église, comme le dit la Glose. Ou bien il parle de la prière qui exprime la volonté de la sensualité ou d’une velléité de la raison comme nature.

 [9627] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod voluntas rationis ut natura, est de eo quod habet in se bonitatem, non considerato ordine ejus ad aliud; unde voluntas talis in Christo fuit de salute omnium hominum, sicut voluntas fuit in Deo; sed secundum hanc simpliciter et absolute non dicitur aliquis velle. Hanc autem voluntatem Hugo de sancto Victore dicit voluntatem pietatis. Sed voluntas ut ratio, est de eo quod habet bonitatem etiam in ordine ad aliud; et secundum hanc voluntatem non volebat Christus omnes salvari, sicut nec Deus voluntate consequente; et secundum hanc dicitur aliquis simpliciter et absolute velle; et ideo oratio Christi quae fuit secundum hanc voluntatem, fuit exaudita; non autem quae fuit secundum primam; et ideo dicit Hieronymus, quod Christus exauditus est pro praedestinatis, non autem pro non praedestinatis.

2. La volonté de la raison comme nature porte sur ce qui est bon en soi, sans prendre en compte son ordre à autre chose; aussi une telle volonté chez le Christ avait-elle comme objet le salut de tous les hommes, telle que la volonté en existait en Dieu. Mais on ne dit pas que quelqu’un veut tout simplement et de manière absolue selon [une telle volonté]. Or, c’est cette volonté que Hugues de Saint-Victor appelle « volonté de la piété ». Mais la volonté comme raison porte sur ce qui est bon même par rapport à autre chose. Selon une telle volonté, le Christ ne voulait pas que tous soient sauvés, comme Dieu ne le veut pas d’une volonté conséquente. Selon une telle volonté, on dit que quelqu’un veut tout simplement et de manière absolue. C’est pourquoi la prière du Christ, faite selon cette volonté, a été exaucée, mais non celle qui a été faite selon la première [volonté]. Aussi Jérôme dit-il que le Christ a été exaucé pour ce qui est des prédestinés, mais non pour ceux qui ne sont pas prédestinés.

 [9628] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 3 Et similiter dicendum est ad tertium.

3.Il faut répondre de la même manière au troisième argument.

 [9629] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in illa oratione ratio expressit motum sensualitatis, et non suum; unde illud quod orabat, non simpliciter voluit.

4. Dans cette prière, la raison a exprimé un mouvement de la sensualité, et non son propre mouvement. Aussi ne voulait-elle pas tout simplement ce pour quoi elle priait.

 

 

Articulus 4 [9630] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 4 tit. Utrum Christus, secundum quod homo, dubitaverit

Article 4 – Le Christ en tant qu’homme a-t-il douté ?

 [9631] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod Christus, secundum quod homo, dubitavit, per hoc quod dicit Ambrosius in littera, quod ut homo dubitabat.

1. Il semble que le Christ, en tant qu’homme, ait douté, selon ce que dit Ambroise dans le texte, qu’« il doutait en tant qu’homme ».

 [9632] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, quicumque nescit omnia, potest dubitare. Sed Christus secundum aliquam scientiam nescivit omnia, ut supra, distinct. 14, quaest. 1, art. 3, dictum est. Ergo secundum illam potuit dubitare.

2. Quiconque ne connaît pas tout peut douter. Or, le Christ n’a pas connu tout selon une certaine science, comme on l’a dit plus haut, d. 14, q. 1, a. 3. Il pouvait donc douter selon cette [science].

 [9633] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, ubicumque est timor, ibi est dubitatio. Sed in Christo fuit verus timor, ut supra dictum est, dist. 15, qu. 2, art. 2. Ergo in Christo fuit dubitatio.

3. Partout où il y a crainte, il y a doute. Or, chez le Christ, une véritable crainte a existé, comme on l’a dit plus haut, d. 15, q. 2, a. 2. Le doute existait donc chez le Christ.

 [9634] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 4 arg. 4 Si dicatur, quod dubitabat secundum sensualitatem et non secundum rationem; contra. Sensualitas sequitur apprehensionem sensitivae partis. Sed futurum periculum, de quo erat passio, non praesciebat sensus. Ergo sensualitas de ipso non dubitabat, sed ratio.

4. Si l’on dit qu’il doutait selon la sensualité et non selon la raison, on objectera que la sensualité suit la perception de la partie sensible. Or, le sens ne connaissait pas à l’avance un danger futur, ce dont il s’agissait pour la passion. La sensualité n’en doutait donc pas, mais la raison.

 [9635] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 4 arg. 5 Si dicatur, quod sensualitas dubitabat ex apprehensione rationis vel ex scientia deitatis; contra. Christus, non praescivit magis tunc sibi futuram passionem quam a principio. Sed a principio sensualitas in ipso non trepidabat. Ergo nec tunc.

5. Si l’on dit que la sensualité doutait en raison de la perception de la raison ou de la science de la divinité, on objectera que le Christ n’a pas alors davantage connu à l’avance sa passion à venir qu’au départ. Or, la sensualité ne s’agitait pas chez lui depuis le début. Donc, alors non plus.

 [9636] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed contra, dubitare est ignorantis. Sed in Christo non fuit ignorantia, sicut supra dictum est. Ergo nec dubitatio.

Cependant, [1] douter est le fait de celui qui ignore. Or, chez le Christ, il n’y avait pas d’ignorance, comme on l’a dit plus haut, Donc, pas de doute non plus.

 [9637] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, dubitatio ligat rationem ne possit procedere, sicut dicitur in 3 Metaph. Sed in Christo non fuit ratio ligata. Ergo non fuit in ipso dubitatio rationis.

 [2] Le doute lie la raison, de sorte qu’elle ne peut pas aller de l’avant, comme il est dit dans Métaphysique, III. Or, chez le Christ, la raison n’a pas été liée. Il n’existait donc pas chez lui de doute de la raison.

 [9638] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 4 s. c. 3 Praeterea, ubi est summa securitas, ibi non est aliqua dubitatio. Sed in Christo fuit summa securitas. Psal. 26, 3: si consistant adversum me castra, non timebit cor meum. Ergo in ipso non fuit dubitatio.

 [3] Là où existe la plus grande sécurité, il n’y a aucun doute. Or, chez le Christ, existait la plus grande sécurité. Ps 26, 3 : Si des armées campent contre moi, mon cœur ne craindra pas. Il n’existait donc pas de doute chez lui.

 [9639] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod dubitatio dupliciter dicitur. Primo enim et principaliter significat motum rationis super utraque parte contradictionis cum formidine determinandi. Iterum secundo translatum fuit hoc nomen ad significandum formidinem affectus in aggrediendo vel sustinendo aliquod terribile. Primo autem modo dicta dubitatio contingit ex defectu medii sufficientis ad veritatem inveniendam; et ideo contingit ex defectu scientiae; et propter hoc in Christo non fuit. Secundo autem modo dicta contingit ex infirmitate ejus quod laesivum imminens evadendi facultatem non videt. Et quia Christus habebat infirmitatem in carne, ut supra dictum est, et laesivum mortis imminens, sensualitas trepidabat; ideo erat talis dubitatio in Christo quantum ad sensualitatem, quamvis esset summa securitas quantum ad rationem, quae auxilium divinum imminere videbat, quod sensualitas apprehendere non poterat.

Réponse. On peut parler de doute de deux manières. En effet, il signifie, premièrement et de manière principale, un mouvement de la raison à propos des deux parties d’une contradiction, accompagné de la crainte de trancher. En second lieu, ce mot en est venu à signifier une crainte de l’affectivité d’affronter ou de supporter quelque chose de terrible. Selon le premier sens, le doute en question vient du manque d’une mineure suffisante pour trouver la vérité; elle vient donc d’un manque de science et, pour cette raison, elle n’existait par chez le Christ. Mais, selon le deuxième sens, [le doute] en question vient de la faiblesse de celui qui ne voit pas de possibilité d’éviter ce qui peut blesser de manière imminente. Et parce que le Christ avait une faiblesse en sa chair, comme on l’a dit plus haut, et qu’il y avait quelque chose pouvant entraîner la mort de manière imminente, sa sensualité tremblait; il existait donc un tel doute chez le Christ pour ce qui était de sa sensualité, bien que la plus grande sécurité ait existé pour ce qui était de sa raison, qui voyait que le secours divin était tout proche, ce que sa sensualité ne pouvait pas percevoir.

 [9640] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Ambrosius loquitur quantum ad sensualitatis timorem; quem dum ostendit, videbatur hominibus dubitare etiam quantum ad rationem.

1. Ambroise parle de la crainte de la sensualité; lorsque [le Christ] l’exprimait, il semblait aux hommes qu’il doutait selon sa raison.

 [9641] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non omnis nescientia dubitationem causat, sed quando aliquis rationem ejus quod quaerit, et de quo contraria apparent, videre non potest; et ideo in Christo non fuit talis dubitatio.

2. Toute ignorance ne cause pas le doute, mais [c’est le cas] lorsque quelqu’un ne peut pas voir la raison de ce qu’il cherche et dont des contraires se présentent. Aussi, chez le Christ, un tel doute n’a-t-il pas existé.

 [9642] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod dubitatio pro ut pro timore ponitur, in Christo fuit quantum ad sensualitatem.

3. Le doute, en tant qu’il est considéré comme une crainte, existait chez le Christ pour ce qui est de sa sensualité.

 [9643] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sensualitas movetur etiam ex his quae ratio apprehendit: quia formantur formae particulares in imaginatione, ex quibus sensualitas nata est moveri.

4. La sensualité est mue aussi par ce que la raison perçoit, car des formes particulières sont formées par l’imagination; à partir d’elles, la sensualité est naturellement destinée à être mue.

 [9644] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quamvis mors a principio conceptionis esset praevisa, non tamen praevidebatur ut imminens; et ideo dubitationem non faciebat, sed solum quando jam imminebat.

5. Bien que la mort ait été prévue dès le début de sa conception, elle n’était cependant pas prévue comme imminente. Elle ne suscitait donc pas de doute, mais seulement lorsque qu’elle devenait toute proche.

 [9645] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 4 ad s. c. Alia concedimus: quia procedunt de rationis dubitatione.

Nous concédons les autres arguments, car ils sont issus du doute de la raison.

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 17

 [9646] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 4 expos. Anima per aurem audit; idest est principium audiendi homini per aurem. Sicut in viris sanctis fuit. Videtur quod magis fuit in impiis, quia seipsos interficiunt suorum peccatorum pondere afflicti, ut dicitur in 9 Ethic. Dicendum, quod voluntas sensualitatis semper refugit mortem, similiter voluntas rationis ut natura; sed voluntas rationis ut ratio quandoque appetit mortem; et hoc dupliciter: vel propter amorem futurae vitae, et hoc est in sanctis; vel propter remorsum laesae conscientiae; et hoc fit in peccatoribus. Pius mentis affectus quo vellet mori. Contra. 2 Corinth. 5, 4: nolumus expoliari, sed supervestiri. Dicendum, quod pius affectus bonorum refugit vestitum corporis quantum ad corruptionem, sed amat quantum ad naturam. Vel dicendum, quod non vult expoliari propter se, sed ut cum Christo sit; cum quo si esse posset non expoliatus, sed supervestitus, melius vellet. Sed quia modum gessit dubitantis. Contra est quod supra dixit Augustinus, dist. 15, quia eadem ratione omnia quae de Christo dicuntur, non fuerunt vera. Dicendum, quod erat vera dubitatio quantum ad sensualitatem quae faciebat apparere dubitationem in ratione, in qua dubitatio non erat. Intende, lector, his verbis pia diligentia. Verba Hilarii sunt exponenda secundum quod ratio pro se, non pro sensualitate proponebat: sic enim non pro se, sed pro suis orabat. Secundum autem quod pro sensualitate proponebat, sic orabat pro se, ut jam dictum est.

 

 

 

Distinctio 18

Distinction 18 – [Le mérite du Christ]

Prooemium

Prologue

 [9647] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de voluntate Christi, quae est principium merendi, hic determinat de merito ipsius. Dividitur autem haec pars in duas: primo determinat de merito ipsius Christi secundum quod ordinatur ad consecutionem boni; secundo secundum quod ordinatur ad remotionem mali, dist. 19, ibi: nunc igitur quaeramus, quomodo per mortem ipsius a Diabolo et a peccato et a poena redempti sumus. Prima adhuc dividitur in duas: primo determinat de merito Christi, secundum quod sibi aliquid meruit; secundo de merito ipsius pro ut nobis meruit, ibi: ad quid ergo pati voluit ? Prima in duas: primo ostendit quid sibi meruit; secundo inquirit, utrum hoc sine merito habere potuisset, ibi: si vero quaeritur, utrum Christus et cetera. Prima in duas: primo ostendit quid sibi meruit in seipso; secundo quid meruit in aliis, ibi: nec tantum gloriam impassibilitatis et immortalitatis meruit, sed etiam meruit donari sibi nomen quod est super omne nomen. Prima in duas: primo ostendit quomodo Christus sibi meruit glorificationem corporis, et impassibilitatem animae et corporis in instanti suae conceptionis; secundo ostendit quomodo hoc meruit per passionem, ibi: nec solum hoc meruit Christus. Circa primum duo facit: primo determinat veritatem; secundo movet quamdam dubitationem, ibi: utrum autem anima sit facta impassibilis, quando caro facta est immortalis (...) de auctoritate certum nobis non est. Ad quid igitur voluit pati et mori ? Hic ostendit quid nobis meruit per passionem; circa quod duo facit: primo enumerat utilitates quae nobis ex passione Christi proveniunt; secundo prosequitur unam, quae pertinet ad consecutionem boni, ibi: decreverat Deus in mysterio. Hic quaeruntur sex: 1 utrum in Christo sit aliqua operatio praeter divinam; 2 utrum per illam potuit mereri; 3 utrum ab instanti conceptionis meruit; 4 quid sibi meruit; 5 utrum per passionem mereri potuit; 6 utrum nobis meruit apertionem januae.

Après avoir déterminé de la volonté du Christ, qui est le principe du mérite, le Maître détermine ici du mérite lui-même. Cette partie se divise en deux : premièrement, il détermine du mérite du Christ lui-même selon qu’il est ordonné à l’obtention d’un bien; deuxièmement, selon qu’il est ordonné à l’enlèvement d’un mal, d. 19, à cet endroit : « Cherchons maintenant comment, par sa mort, nous avons été rachetés du Diable, du péché et de la peine. » La première partie se divise à nouveau en deux : premièrement, il détermine du mérite du Christ, selon qu’il a mérité quelque chose pour lui-même; deuxièmement, de son mérite selon qu’il a mérité pour nous, à cet endroit : « Pourquoi donc a-t-il voulu souffrir ? » La première partie [se divise] en deux : premièrement, il montre ce qu’il a mérité pour lui-même; deuxièmement, il demande s’il pouvait obtenir cela sans mérite, à cet endroit : « Mais si on se demande si le Christ, etc. » La première partie [se divise] en deux : premièrement, il montre ce qu’il a mérité pour lui-même en lui-même; deuxièmement, ce qu’il a mérité par rapport aux autres, à cet endroit : « Il n’a pas seulement mérité la gloire de l’impassibilité et de l’immortalité, mais il a aussi mérité qu’un nom plus élevé que tout nom lui soit donné. » La première partie [se divise] en deux : premièrement, il montre comment le Christ a mérité pour lui-même la glorification de son corps et l’impassibilité de son âme et de son corps à l’instant de sa conception; deuxièmement, il montre comment il a mérité cela par la passion, à cet endroit : « Le Christ n’a pas mérité seulement cela. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il détermine de la vérité; deuxièmement, il soulève un doute, à cet endroit : « Que son âme ait été créée impassible, alors que sa chair a été créée immortelle…, cela n’est pas certain pour nous par voie d’autorité. » « Pourquoi donc a-t-il voulu souffrir et mourir ? » Il montre ici ce qu’il nous a mérité par la passion. À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il énumère les avantages qui nous viennent de la passion du Christ; deuxièmement, il en examine plus attentivement un qui concerne l’obtention d’un bien, à cet endroit : « Dieu avait décrété en mystère… » Il pose ici six questions : 1 – Existe-t-il chez le Christ une opération autre que l’opération divine ? 2 – A-t-il pu mériter par celle-là ? 3 – A-t-il mérité dès l’instant de sa conception ? 4 – Qu’a-t-il mérité pour lui-même ? 5 – A-t-il pu mériter par la passion ? 6 – A-t-il mérité pour nous l’ouverture de la porte [du ciel] ?

 

 

Articulus 1 [9648] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 1 tit. Utrum in Christo sit aliqua operatio praeter divinam

Article 1 – Existe-t-il chez le Christ une opération autre que l’opération divine ?

 [9649] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod in Christo sit tantum una actio. Dionysius enim actionem Christi nominat theandricam, idest deivirilem. Hoc autem non diversas actiones, sed unam significat. Ergo in Christo est tantum una actio divinitatis et humanitatis.

1. Il semble que, chez le Christ, il n’y ait qu’une seule action. En effet, Denys appelle l’opération du Christ « théandrique », c’est-à-dire divino-humaine. Or, cela signifie non pas des actions différentes, mais une seule action. Chez le Christ, il n’existe donc qu’une seule action de la divinité et de l’humanité.

 [9650] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, actiones, ut dicit philosophus, suppositorum singularium sunt. Sed in Christo est tantum unum suppositum. Ergo tantum una actio.

2. Comme le dit le Philosophe, les actions sont le fait des suppôts singuliers. Or, chez le Christ, il n’existe qu’un seul suppôt. Il n’existe donc qu’une seule action.

 [9651] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, cujus est esse, ejus est agere. Sed in Christo propter unitatem hypostasis est tantum unum esse. Ergo tantum una actio.

3. L’action est le fait de ce qui est. Or, chez le Christ, il n’y a qu’un seul acte d’être en raison de l’unité d’hypostase. Il n’y a donc qu’une seule action.

 [9652] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, instrumenti et principalis agentis est tantum una actio. Sed, sicut dicit Damascenus, caro est instrumentum divinitatis. Ergo est una actio Christi secundum divinitatem et humanitatem.

4. Il n’existe qu’une seule action de l’instrument de l’agent principal. Or, ainsi que le dit [Jean] Damascène, la chair est l’instrument de la divinité. Il n’y a donc qu’une seule action du Christ selon sa divinité et son humanité.

 [9653] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, ubi est idem activum, est eadem actio: quia actiones diversificantur penes terminos. Sed in Christo est idem opus operatum divinitatis et humanitatis: sicut mundatio leprosi, quem divinitas tactu corporali mundavit, ut dicitur Matth. 8. Ergo in ipso est tantum una actio.

5. Là où il y a un même agent, il y a la même action, car les actions se diversifient selon leurs termes. Or, chez le Christ, la même action est accomplie par la divinité et l’humanité, comme la guérison d’un lépreux, que la divinité à purifié par un contact corporel, comme il est dit en Mt 8. Il n’y a donc qu’une seule action chez lui.

 [9654] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, sicut se habet unitas actionis ad unitatem naturae, ita pluralitas ad pluralitatem. Sed in divinis personis propter unitatem naturae est una actio. Ergo et in persona Christi propter diversitatem naturarum est diversa actio.

Cependant, [1] le rapport de l’unité d’action à l’unité de la nature est le même que celui de la pluralité à la pluralité. Or, chez les personnes divines, il n’existe qu’une seule action en raison de l’unité de nature. Donc, dans la personne du Christ aussi, il existe une action différente selon la diversité des natures.

 [9655] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, magis distant divina natura et humana in Christo, quam diversae potentiae animae in Christo. Sed diversarum potentiarum in Christo sunt diversae actiones. Ergo multo fortius duarum naturarum sunt diversae actiones.

 [2] La nature divine et la nature humaine sont plus éloignées chez le Christ que les diverses puissances de l’âme chez le Christ. Or, il existe des actions différentes pour les diverses puissances chez le Christ. À bien plus forte raison, les actions des diverses natures sont-elles différentes.

 [9656] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 1 s. c. 3 Praeterea, actio divinae naturae est ipsa divina essentia, et est aeterna. Actio autem humanae naturae in ipso est accidens, et aliquid tempore mensuratum. Ergo sunt duae actiones in Christo.

 [3] L’action de la nature divine est l’essence divine elle-même et elle est éternelle. Or, l’acte de la nature humaine est chez lui un accident et quelque chose de mesuré par le temps. Il existe donc deux actions chez le Christ.

 [9657] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod quidam negaverunt in Christo duas esse actiones; et ad hoc ponendum diversi diversis rationibus moti sunt. Quidam enim Eutychiani dicebant in Christo unam tantum naturam esse, compositam ex divina et humana; et ideo sequebatur quod etiam Christus haberet unam tantum actionem compositam. Sed ex hoc sequitur quod sua actio non fuerit neque divina neque humana, neque nobis neque patri conformis; et ita frustratur opus redemptionis, ad quod exigitur divina actio, et humana. Unde hoc est haereticum, sicut et primum, ut dicitur dist., 5, qu. 1, art. 1. Alii vero negaverunt duas actiones in Christo, dicentes in comparatione ad divinam, humanam operationem non esse dicendam actionem, sed potius passionem: quod refellit Damascenus. Quia si propterea humana operatio Christi non est dicenda actio, quia divina est actio, eadem ratione quia natura divina est bona, natura humana non esset bona: non enim oportet, si divina natura excedit humanam in bonitate, quod propter hoc humana sit mala aut non bona. Alii vero viderunt quod actio dependet a natura, quae est principium actionis, et a persona quae agit; ideo voluerunt in Christo non esse dicendum unam actionem, ne unitatem naturae ponere videantur; similiter nec esse plures, ne videantur ponere personarum pluralitatem. Sed ex hoc sequitur, ut dicit Damascenus, quod Christus non sit neque unius neque duarum naturarum, quod est absurdum. Et dicendum propter hoc, quod simpliciter in Christo oportet concedere duas actiones: quia ad diversitatem causarum sequitur diversitas in effectibus. Causa autem actionis est species, ut dicitur in 3 Physic.: quia unumquodque agit ratione alicujus formae quam habet; et ideo ubi sunt diversae formae, sunt etiam diversae actiones; sicut ignis desiccat et calefacit per caliditatem et siccitatem; et homo audit et videt per visum et auditum. Et similiter Christus ratione diversarum naturarum habet diversas actiones.

Réponse. Certains ont nié qu’il y ait deux actions dans le Christ et, pour affirmer cela, des gens différents étaient mus par différentes raisons. En effet, certains eutychiens disaient que, chez le Christ, il n’existait qu’une seule nature composée de la [nature] humaine et de la [nature] humaine; il en découlait donc que le Christ aussi avait une seule action composée. Mais il découle de cela que son action n’était ni divine ni humaine, et qu’elle n’était conforme ni à nous ni au Père. Ainsi se trouvait faussée l’œuvre de la rédemption, pour laquelle une action divine et une action humaine sont requises. Cela est donc hérétique, comme le premier point, ainsi qu’on le dit à la d. 5, q. 1, a. 1. Mais d’autres ont nié l’existence de deux actions chez le Christ en disant qu’en regard de l’action divine, l’action humaine ne doit pas être appelée une action, mais plutôt une passion, ce que repousse [Jean] Damascène, car si l’action humaine du Christ ne peut pas être appelée une action parce qu’elle est une action divine, pour la même raison que la nature divine est bonne, la nature humaine ne serait pas bonne. En effet, il n’est pas nécessaire que, parce que la nature divine dépasse en bonté la nature humaine, la nature humaine soit mauvaise ou non bonne. Mais d’autres ont vu que l’action dépend de la nature, qui est le principe de l’action, et de la personne qui agit. Ils ont donc voulu qu’on ne dise pas qu’il y a une seule action chez le Christ, de crainte d’affirmer l’unité de nature; de même, [ils ont voulu] qu’il n’y en ait pas plusieurs, de crainte d’affirmer la pluralité des personnes. Mais il découle de cela, comme le dit [Jean] Damascène, que le Christ n’a ni une seule ni deux natures, ce qui est absurde. Aussi faut-il dire, pour cette raison, qu’il faut reconnaître tout simplement deux actions chez le Christ, car la diversité des effets découle de la diversité des causes. Or, la cause de l’action est l’espèce, comme il est dit dans Physique, III, car tout agit en raison d’une forme qu’il possède. Aussi, là où existent des formes diverses, existent aussi diverses actions, comme le feu dessèche et réchauffe par la chaleur et la sécheresse, et l’homme entend et voit par vue et par l’ouïe. De même, en raison de ses natures différentes, le Christ a-t-il des actions diverses.

 [9658] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod actionem Christi dicit Dionysius deivirilem, non quia sit simpliciter una actio deitatis et humanitatis in Christo; sed quia actiones duarum naturarum quantum ad tria uniuntur. Primo quantum ad ipsum suppositum agens actionem divinam et humanam, quod est unum. Secundo quantum ad unum effectum, qui dicitur opus operatum, vel apotelesma secundum Damascenum, sicut mundatio leprosi. Tertio quantum ad hoc quod humana actio ipsius Christi participabat aliquid de perfectione divinae naturae, sicut intellectus ejus aliis eminentius intelligebat ex virtute divini intellectus sibi in persona conjuncti; quamvis divina actio in nullo infirmaretur ex consortio humanae.

1. Denys appelle l’action du Christ « théandrique », non pas parce qu’elle est tout simplement une seule action de la divinité et de l’humanité chez le Christ, mais parce que les actions des deux natures sont unies sous trois aspects. Premièrement, quant au suppôt lui-même qui accomplit l’action divine et l’action humaine, qui est un. Deuxièmement, quant à l’effet unique, qui est appelé l’action accomplie ou apotelesma, selon [Jean] Damascène, comme la purification du lépreux. Troisièmement, quant au fait que l’action humaine du Christ participait de quelque manière à la perfection de la nature divine, comme son intellect avait une intelligence plus élevée en vertu de l’intellect divin qui lui était uni dans la personne, bien que l’action divine n’ait été en rien affaiblie par son association à l’action humaine.

 [9659] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis agere sit suppositi, tamen forma sive natura est principium vel causa agendi in supposito, sicut et aliarum proprietatum in supposito existentium; unde sicut idem suppositum est subjectum diversarum proprietatum propter diversa ejus principia causantia illas proprietates; ita idem suppositum habet diversas actiones propter diversas formas sive naturas.

2. Bien que l’action soit le fait du suppôt, la forme ou la nature est cependant le principe ou la cause de l’action chez le suppôt, comme des autres propriétés qui existent dans le suppôt. Comme le même suppôt est le sujet des diverses propriétés en raison des divers principes causant ces propriétés, le même suppôt a donc diverses actions en raison des diverses formes ou natures.

 [9660] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod unitas rei consequitur esse suum: unde eodem modo praedicatur de re ens, et unum, quod convertitur cum ente. Non autem ex actione sua habet res unitatem: et ideo non potest esse quod sit suppositum unum, et esse ejus non sit unum; potest autem esse quod sit suppositum unum, et actio ejus non sit una.

3. L’unité d’une chose découle de son acte d’être. Aussi le fait d’être et celui d’être un, qui est convertible avec l’être, sont-ils prédiqués de la même manière. Or, une chose ne tient pas son unité de son action. C’est pourquoi il ne peut arriver qu’un suppôt soit un et que son acte d’être ne soit pas pas un; mais il peut arriver qu’il y ait un seul suppôt et que son action ne soit pas une.

 [9661] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod non potest esse eadem actio numero per essentiam, principalis agentis et instrumenti, quia idem accidens non est in diversis subjectis; sed dicitur una secundum quid, inquantum scilicet instrumentum non agit nisi motum a principali agente, et agit in virtute principalis agentis: et hoc modo in ipsa actione humanitatis Christi est aliqua virtus, inquantum ipsa humanitas est instrumentum deitatis.

4. L’action d’un agent principal et d’un instrument ne peut être une en nombre parce que le même accident ne se trouve dans divers sujets; mais elle peut être dite une de manière relative, pour autant que l’instrument n’agit que s’il est mû par l’agent principal et agit par la puissance de l’agent principal. De cette manière, il existe dans l’action même de l’humanité du Christ une certaine puissance, dans la mesure où l’humanité elle-même est l’instrument de la divinité.

 [9662] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod actionis unitas non solum dependet ex termino, sed etiam ex multis aliis causis; et ideo non oportet, si sit idem activum, quod sit eadem actio. Contingit autem quod idem activum ex diversis actionibus causatur quadrupliciter. Uno modo quando unus agens non est sufficiens ad complendum effectum, sed multi simul; sicut multi simul trahunt navem, quam nullus per se trahere posset; et tunc omnes illi sunt quasi unus agens non simpliciter, sed unitate aggregationis; et similiter actio eorum non est una simpliciter, sed quasi una congregata ex multis. Alio modo quando unus agens potest perficere effectum, sed non simul una operatione, sed multis operationibus successivis; sicut est in generatione habituum acquisitorum; et tunc ultima complens effectum agit in virtute omnium praecedentium disponentium ad illum effectum. Et his duobus modis non fuerunt in Christo plures actiones ad unum effectum. Tertio modo quando effectus non est unus simpliciter, sed unus subjecto, sicut vulnus adustum, et ideo actiones causantes sunt diversae simpliciter, conveniunt tamen in supposito, scilicet incisio et adustio; et a diversis formis per essentiam causantur, scilicet ab acumine ferri, et a caliditate. Quarto modo, quando duae actiones sunt diversorum agentium ordinatorum, quorum unum movet aliud, et unum est instrumentum alterius. Et hi duo ultimi modi sunt in Christo, secundum quod diversae ejus actiones ad idem opus operatum terminabantur.

5. L’unité de l’action dépend non seulement du terme, mais aussi de plusieurs autres causes. Il n’est donc pas nécessaire, si ce qui est actif est la même chose, que ce soit la même action. Or, il arrive qu’une même chose active résulte de diverses actions de quatre manières. D’une manière, lorsqu’un seul agent ne suffit pas à accomplir l’effet, mais que plusieurs en même temps [suffisent], comme lorsque plusieurs tirent un navire que personne ne pourrait seul tirer. Tous ceux-là sont alors comme un seul agent, non pas de manière simple, mais selon une unité d’association; de même, leur action n’est pas unique tout simplement, mais comme associée à partir de plusieurs. D’une autre manière, lorsqu’un seul agent peut réaliser l’effet, mais pas en même temps par une seule opération, mais par plusieurs opérations successives, comme c’est le cas pour la génération des habitus acquis. Alors, la dernière [opération] qui réalise l’effet agit en vertu de toutes les [opérations] précédentes disposant à cet effet. Selon ces deux modes, il n’a pas exissté chez le Christ plusieurs actions en vue d’un seul effet. D’une troisième manière, lorsque l’effet n’est pas simplement unique, mais unique par son sujet, comme une blessure brûlée. Ainsi les actions qui causent sont simplement différentes, mais elles se rejoignent dans le suppôt, telles une coupure et une brûlure; et elles sont causées par des formes essentiellement différentes, à savoir, la pointe du fer et la chaleur. D’une quatrième manière, lorsque deux actions relèvent de divers agents ordonnés, dont l’un meut l’autre et l’un est l’instrument de l’autre. Ces deux derniers modes existent chez le Christ, selon que ses diverses actions se terminaient à la réalisation de la même œuvre.

 

 

Articulus 2 [9663] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 2 tit. Utrum Christus potuerit mereri

Article 2 – Le Christ pouvait-il mériter ?

 [9664] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Christus non meruerit. Christus enim semper fuit comprehensor. Sed comprehensoris qui est in termino, non est mereri: quia meritum est via ad terminum. Ergo Christus non meruit.

1. Il semble que le Christ n’a pas mérité. En effet, le Christ a toujours été un comprehensor. Or, il n’appartient pas de mériter au comprehensor qui se trouve au terme, car le mérite existe sur le chemin vers le terme. Le Christ n’a donc pas mérité.

 [9665] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, non potest esse idem meritum et praemium, sicut nec causa et causatum. Sed actus caritatis perfectae est praemium, quia est ipsa fruitio. Ergo cum in Christo fuerit caritas consummata, per ipsam mereri non potuit; et ita nullo modo merebatur, cum omnis meriti principium sit caritas.

2. Le mérite et la récompense ne peuvent pas être la même chose, pas plus que la cause et ce qui est causé. Or, l’acte d’une charité parfaite est une récompense, car il est la jouissance (fruitio) elle-même. Puisqu’une charité consommée a existé chez le Christ,, il ne pouvait donc pas mériter par elle. Et ainsi, il ne méritait d’aucune manière, puisque le principe de tout mérite est la charité.

 [9666] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, anima Christi a principio suae conceptionis fuit beata, sicut modo est. Sed modo non meretur. Ergo nec unquam mereri potuit.

3. L’âme du Christ a été bienheureuse dès le début de sa conception, comme elle l’est maintenant. Or, maintenant, elle ne mérite pas. Elle n’a donc jamais pu mériter.

 [9667] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, quicumque meretur, merendo proficit quantum ad illud quod est merendi principium: quia caritas per meritum augetur. Sed Christi caritas augeri non potuit, nec ipse in spiritualibus bonis proficere. Ergo ipse non merebatur.

4. Quiconque mérite progresse en méritant pour ce qui est le principe du mérite, car la charité est augmentée par le mérite. Or, la charité du Christ ne pouvait être augmentée et il ne pouvait pas faire de progrès pour ce qui est des biens spirituels. Il ne méritait donc pas.

 [9668] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, naturalibus non meremur, propter hoc quod sunt determinata ad unum. Sed liberum arbitrium in Christo erat determinatum ad bonum. Ergo ipse per liberum arbitrium mereri non potuit; et ita nullo modo, cum omne meritum sit ex libero arbitrio.

5. Nous ne méritons pas par les [biens] naturels parce qu’ils sont déterminés à une seule chose. Or, le libre arbitre chez le Christ était déterminé à une seule chose. Il ne pouvait donc pas mériter par son libre arbitre, et ainsi [il ne le pouvait] d’aucune manière, puisque tout mérite vient du libre arbitre.

 [9669] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 2 arg. 6 Praeterea, nullus meretur id quod suum est: et propter hoc apud homines filii non merentur a patribus, sed servi, quia ea quae patris sunt, hereditario jure competunt filio. Sed omnia quae patris sunt, Christi sunt, ut dicitur Matth. 12, et Joan. 16. Ergo ipse apud patrem non merebatur.

6. Personne ne mérite ce qui lui appartient; pour cette raison, chez les hommes, les fils ne méritent pas de leurs pères, mais les serviteurs, car ce qui appartient au père revient au fils par droit d’héritage. Or, tout ce qui appartient au Père appartient au Christ, comme il est dit en Mt 12 et Jn 16. Il ne méritait donc pas de la part du Père.

 [9670] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 2 arg. 7 Praeterea, nullus meretur a seipso. Sed quicumque meretur, meretur aliquid a filio Dei. Cum ergo Christus sit filius Dei, ipse nullo modo mereri poterat.

7. Personne ne mérite de lui-même. Or, quiconque mérite mérite quelque chose du Fils de Dieu. Puisque le Christ est le Fils de Dieu, il ne pouvait donc aucunement mériter.

 [9671] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, super illud Psal. 15: conserva me domine, quoniam speravi in te, Glossa: ecce meritum quo servari debet; et loquitur de Christo. Ergo Christus aliquid meruit.

Cependant, [1] à propos de Ps 15 : Protège-moi, Seigneur, car j’ai espéré en toi, la Glose dit, en parlant du Christ : « Voici le mérite par lequel il doit être préservé! » Le Christ a donc mérité quelque chose.

 [9672] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, omnis viator habens caritatem meretur. Sed Christus fuit hujusmodi. Ergo.

 [2] Tout viator possédant la charité mérite. Or, tel était le Christ. Donc…

 [9673] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 2 s. c. 3 Praeterea, ubicumque est difficultas in operatione virtutum, ibi est meritum. Sed Christus habuit difficultatem in operibus virtuosis, non quidem ex parte animae, sed ex parte corporis, quod affligebatur. Ergo ipse merebatur.

 [3] Partout où il y a une difficulté dans l’acte des vertus, là est le mérite. Or, le Christ a connu des difficultés pour les actes vertueux, non pas du côté de l’âme, mais du côté du corps, qui était affligé. Il méritait donc.

 [9674] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod in justitia duae personae requiruntur, scilicet faciens justitiam, et patiens justitiam. Facientis autem justitiam, reddere unicuique quod suum est, actio est propria; patientis autem justitiam actio propria est facere sibi debitum quod est ei per justitiam reddendum: et hoc proprie mereri est; unde et id quod secundum justitiam redditur, merces dicitur. Sed quia justitia reddit unicuique quod ei debetur et in bonis et in malis; bona autem simpliciter sunt ea quae ad vitam aeternam pertinent, et mala simpliciter ea quae ad miseriam aeternam pertinent; inde est quod secundum theologos meritum proprie dicitur respectu horum; quamvis magis proprie respectu bonorum dicatur meritum, demeritum vero respectu malorum. Ad hoc igitur quod aliquis mereatur, tria necessaria sunt: scilicet agens qui meretur, actio per quam meretur, et merces quam meretur. Et ideo ad meritum tria requiruntur. Primum est secundum comparationem merentis ad mercedem, ut scilicet ille qui meretur, sit in statu acquirendi mercedem: et propter hoc illi qui sunt omnino in termino, nihil merentur, quia nihil acquirere possunt. Secundum est ex comparatione agentis ad actionem, ut scilicet sit dominus suae actionis: alias per actionem suam non dignificatur ad aliquid habendum, nec laudatur; et ideo ea quae agunt per necessitatem naturae, vel etiam per violentiam, non merentur. Tertium est secundum comparationem actionis ad mercedem, ut scilicet aequiparetur mercedi: non quidem secundum aequalitatem quantitatis, quia hoc requiritur in justitia commutativa, quae consistit in emptionibus et venditionibus; sed secundum aequalitatem proportionis, quae requiritur in justitia distributiva, secundum quam Deus aeterna praemia partitur. Actio autem proportionata ad vitam aeternam est actio ex caritate facta: et ideo per eam ex condigno meretur quis ea quae ad vitam aeternam pertinent: opera autem bona quae non sunt ex caritate facta, deficiunt ab ista proportione; et ideo per ea ex condigno non meretur quis vitam aeternam, sed improprie dicitur aliquis mereri, secundum quod habent aliquam similitudinem cum operatione informata a caritate. Et si quidem sit similitudo illa in substantia actus et in intentione, ut cum aliquis existens in mortali peccato dat eleemosynam propter Deum; dicitur meritum congrui: si vero sit, similitudo in substantia actus, et non in intentione; sic dicitur meritum interpretatum, sicut cum quis dat pauperi eleemosynam propter inanem gloriam. Et haec tria in Christo reperiuntur: ipse enim quamvis quantum ad aliquid in termino perfectionis fuerit, scilicet quantum ad operationes animae, quibus erat beatus et comprehensor; tamen quantum ad aliquid defectum patiebatur eorum quae ad gloriam pertinent, inquantum scilicet erat passibilis anima et corpore, et inquantum erat corpore mortalis: et ideo secundum hoc erat viator in statu acquirendi. Similiter et omnis actus ejus informatus erat caritate: et iterum actus sui dominus erat per libertatem voluntatis; et ideo omni actu suo meruit.

Réponse. Dans le cas de la justice, deux personnes sont nécessaires, à savoir, celui qui rend la justice et celui qui subit la justice. Or, l’action de celui qui rend la justice : rendre à chacun ce qui lui appartient, lui est propre; mais l’action propre de celui qui subit la justice est de faire en sorte que ce qui lui est dû lui soit rendu par la justice. Et c’est là mériter au sens propre. Aussi ce qui est rendu selon la justice est-il appelé une récompense. Mais parce que la justice rend à chacun ce qui lui est dû en bien et en mal, et que les biens sont simplement ce qui a trait à la vie éternelle et les maux, simplement ce qui a trait à la misère éternelle, de là vient que, selon les théologiens, on parle de mérite au sens propre à leur sujet, bien que, en un sens plus propre, on parle de mérite pour les biens, mais de démérite pour les maux. Pour que quelqu’un mérite, trois choses sont donc nécessaires : un agent qui mérite, une action par laquelle il mérite et la récompense qu’il mérite. Trois choses sont donc nécessaires pour le mérite. La première tient aux rapports entre celui qui mérite et la récompense : celui qui mérite doit être en état d’acquérir la récompense; pour cette raison, ceux qui sont tout à fait au terme ne méritent rien parce qu’ils ne peuvent rien acquérir. La deuxième vient du rapport entre l’agent et l’action : il doit être maître de son action, autrement il n’est pas rendu digne par son action de posséder quelque chose et il n’est pas loué. C’est pourquoi ce qui agit par nécessité naturelle ou même par violence ne mérite pas. La troisième chose tient au rapport entre l’action et la récompense : elle doit équivaloir à la récompense, non pas selon une égalité quantitative, car cela est exigé par la justice commutative qui porte sur les achats et les ventes, mais selon une égalité proportionnelle, qui est exigée pour la justice distributive, selon laquelle Dieu octroie des récompenses éternelles. Or, l’action proportionnée à la vie éternelle est l’action accomplie par charité. Aussi mérite-t-on par elle en justice (ex condigno) ce qui se rapporte à la vie éternelle. Or, les actes bons qui ne sont pas accomplis par charité sont dépourvus de cette proportion. C’est pourquoi on ne mérite pas en justice (ex condigno) la vie éternelle en les accomplissant, mais on dit en un sens impropre qu’on mérite selon qu’ils ont une certaine ressemblance avec l’action à laquelle la charité donne forme. Si cette ressemblance se trouve dans la substance de l’acte et dans l’intention, comme lorsque quelqu’un se trouvant dans le péché mortel donne une aumône à cause de Dieu, le mérite est appelé de convenance (ex congruo); mais si la ressemblance se trouve dans la substance de l’acte, mais non dans l’intention, on parle de mérite par interprétation (meritum interpretatum), comme lorsque quelqu’un donne une aumône à un pauvre par vaine gloire. Or, ces trois choses se trouvent chez le Christ. En effet, bien qu’il ait été à la limite de la perfection sous un aspect : les opérations de l’âme par lesquelles il était bienheureux et comprehensor, cependant, sous un [autre] aspect, il lui manquait ce qui est se rapporte à la gloire, pour autant qu’il était passible dans son âme et dans son corps et pour autant qu’il avait un corps mortel. Aussi, sous cet aspect, était-il un viator en état d’acquérir. De même, tous ses actes avaient la forme de la charité et il était aussi maître de lui-même par la liberté de sa volonté. Aussi a-t-il mérité par tous ses actes.

 [9675] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis esset comprehensor quantum ad aliquid, erat etiam viator quantum ad aliquid; et sic mereri potuit.

1. Bien qu’il ait été comprehensor sous un aspect, il était aussi viator sous un [autre] aspect. Il pouvait ainsi mériter.

 [9676] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod idem non potest esse meritum et praemium respectu ejusdem et secundum idem; unde ipse motus caritatis hominis Christi, in quo consistit praemium ejus quantum ad beatitudinem animae, potest esse meritum respectu beatitudinis corporis: quod in aliis beatis non contingit, quia non sunt in statu acquirendi secundum aliquid sui: et ideo nec sibi nec aliis merentur: quia quod impetrant modo nobis, contingit ex hoc quod prius dum viverent, meruerunt ut hoc impetrarent.

2. Le mérite et la récompense ne peuvent pas être la même chose par rapport à la même chose et selon la même chose. Aussi le mouvement même de la charité de l’homme Christ, en quoi consiste sa récompense quant à la béatitude de l’âme, peut-il être un mérite par rapport à la béatitude du corps, ce qui ne se produit pas chez les autres bienheureux parce qu’ils ne sont pas en état d’acquérir selon quelque chose d’eux-mêmes. Aussi ne méritent-ils ni pour eux-mêmes ni pour les autres, car ce qu’ils obtiennent maintenant pour nous vient de ce que, alors qu’ils vivaient, ils ont mérité de l’obtenir.

 [9677] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Christus est modo tantum comprehensor; tunc autem erat et viator et comprehensor: et ideo tunc mereri potuit, nunc autem non.

3. Le Christ n’est maintenant que comprehensor; mais alors, il était à la fois viator et comprehensor. Il pouvait donc alors mériter, mais pas maintenant.

 [9678] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ille qui meretur, non oportet quod proficiat quantum ad rationem merendi: hoc enim accidit sibi ex hoc quod radix merendi, scilicet caritas, non est in ipsius merito: sed oportet quod omnis qui meretur, proficiat quantum ad mercedem quam meretur, ut scilicet eam sibi debitam faciat vel simpliciter, vel quantum ad aliquem modum quo sibi prius debita non erat.

4. Celui qui mérite ne doit pas nécessairement progresser pour ce qui se rapporte à la raison du mérite : en effet, cela lui vient de ce que la racine du mérite, la charité, ne se trouve pas dans son mérite. Mais il est nécessaire que tous ceux qui méritent progressent quant à la récompense qu’ils méritent, à savoir qu’il se la rendent due tout simplement ou d’une manière selon laquelle elle ne leur était pas due antérieurement.

 [9679] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod liberum arbitrium Christi non erat determinatum ad unum secundum numerum, sed ad unum secundum genus, scilicet ad bonum, quia in malum non potest; sed tamen hoc potest facere et non facere; et hoc non excludit libertatem arbitrii, quia posse peccare non est libertas arbitrii nec pars libertatis, ut dicit Anselmus. Et haec quidem determinatio ex perfectione liberi arbitrii contingit secundum quod per habitum gratiae et gloriae terminatur in eo ad quod est naturaliter ordinatum, scilicet in bono: quia liberum arbitrium, quamvis in nobis se habeat ad bonum et ad malum, non tamen est propter malum, sed propter bonum. Vel dicendum, quod si etiam esset determinatum ad unum numero, sicut ad diligendum Deum (quod non facere non potest), tamen ex hoc non amittit libertatem, aut rationem laudis sive meriti: quia in illud non coacte, sed sponte tendit; et ita est actus sui dominus.

5. Le libre arbitre du Christ n’était pas déterminé à une seule chose numériquement, mais à une seule chose selon le genre, à savoir, le bien, parce qu’il ne pouvait être porté vers le mal. Cependant, il pouvait faire ou ne pas faire cela, et cela n’exclut pas la liberté de l’arbitre, car « pécher n’est pas la liberté de l’arbitre ni une partie de la liberté », comme le dit Anselme. Cette détermination vient de la perfection du libre arbitre selon que, par l’habitus de la grâce ou de la gloire, il se termine en ce à quoi il est naturellement ordonné, à savoir, le bien, car le libre arbitre, bien qu’il puisse chez nous aller vers le bien ou vers le mal, n’existe pas pour le mal, mais pour le bien. Ou bien il faut dire que s’il était aussi déterminé à une seule chose numériquement, comme aimer Dieu (ce qu’il ne peut pas ne pas faire), il ne perd cependant pas par là sa liberté ou la raison de la louange ou du mérite, car il y tend, non pas par coercition, mais spontanément. Et ainsi, il agit en tant que maître de soi.

 [9680] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod Christus non meretur secundum divinitatem, secundum quam habet quod omnia sunt sua; sed meretur secundum humanitatem, ex qua non habet quod omnia sunt sua.

6. Le Christ ne mérite pas selon sa divinité, selon laquelle il possède tout ce qui lui appartient; mais il mérite selon son humanité, par laquelle il ne possède pas tout ce qui lui appartient.

 [9681] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 2 ad 7 Et per hoc patet solutio ad septimum: quia a filio Dei meremur ratione divinitatis suae, ex qua parte ipse non merebatur.

7. La réponse au septième argument est ainsi claire, car nous méritons par le Fils de Dieu en raison de sa divinité, par laquelle lui-même ne méritait pas.

 

 

Articulus 3 [9682] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 3 tit. Utrum Christus ab instanti suae conceptionis potuerit mereri

Article 3 – Le Christ pouvait-il pu mériter dès l’instant de sa conception ?

 [9683] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Christus non potuerit mereri in instanti suae conceptionis. Nullus enim meretur nisi agendo. Sed prius est esse rei quam ejus agere. Ergo in primo instanti conceptionis quando Christus primo habuit esse secundum humanam naturam, non potuit mereri.

1. Il semble que le Christ ne pouvait pas mériter dès l’instant de sa conception. En effet, personne ne mérite qu’en agissant. Or, l’être d’une chose précède son action. Au premier instant de sa conception, alors que le Christ a d’abord eu l’être selon sa nature humaine, il ne pouvait donc pas mériter.

 [9684] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, opus meritorium cum deliberatione est, cum sit ex electione liberi arbitrii, quae sequitur consilium. Sed deliberatio, cum sit quidam motus, requirit tempus. Ergo in primo instanti conceptionis mereri non potuit.

2. L’acte méritoire est accompli délibérément, puisqu’il vient du choix du libre arbitre, qui suit le conseil. Or, la délibération, puisqu’elle est un mouvement, exige du temps. Au premier instant de sa conception, il ne pouvait donc pas mériter.

 [9685] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, quidquid Christus habuit in primo instanti suae conceptionis, habuit ab alio, non a se. Sed meriti sui ipse causa fuit. Igitur in primo instanti conceptionis non meruit.

3. Tout ce que le Christ a eu au premier instant de sa conception, il l’a reçu d’un autre, et non de lui-même. Or, il a lui-même été la cause de son mérite. Il n’a donc pas mérité dès le premier instant de sa conception.

 [9686] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, sicut meritum est per liberum arbitrium, ita et peccatum. Sed Diabolus non potuit peccare in primo instanti suae creationis. Ergo nec anima Christi in primo instanti creationis suae potuit mereri. Sed primum instans conceptionis fuit primum instans creationis animae. Ergo in illo instanti mereri non potuit.

4. De même que le mérite vient du libre arbitre, de même aussi le péché. Or, le Diable n’a pas pu pécher dès le premier instant de sa création. Donc, ni l’âme du Christ n’a-t-elle pu pécher dès le premier instant de sa création. Or, le premier instant de sa conception fut le premier instant de la création de son àme. Il n’a donc pas pu mériter en cet instant.

 [9687] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, Christus quantum ad corpus, in pueritia erat similis aliis pueris. Sed alii pueri propter imbecillitatem organorum corporalium non habent perfectam imaginationem, nec usum liberi arbitrii. Per consequens ergo nec Christus: et ita tunc, ut videtur, mereri non potuit.

5. Le Christ était semblable aux autres enfants pour son corps durant son enfance. Or, les autres enfants, en raison de la faiblesse des organes corporels, n’ont pas une imagination parfaite ni l’usage du libre arbitre. Par conséquent, ni le Christ, et ainsi, il semble qu’il ne pouvait pas alors mériter.

 [9688] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, Christus in primo instanti suae conceptionis fuit vir. Hierem. 31, 22: novum faciet dominus super terram: femina circumdabit virum. Sed perfecti viri est mereri. Ergo Christus in primo instanti suae conceptionis potuit mereri.

Cependant, [1] le Christ a été un homme dès le premier instant de sa conception. Je 31, 22 : Le Seigneur fera du nouveau sur la terre : la femme entourera l’homme! Or, il relève de l’homme parfait de mériter. Le Christ pouvait donc mériter dès le premier instant de sa conception.

 [9689] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, perfectior est anima perfecta prima et secunda perfectione, quam perfecta solum perfectione prima. Sed Christo non accrevit aliqua spiritualis perfectio. Ergo cum operatio sit perfectio secunda, et habitus perfectio prima; quandocumque habuit habitum virtutis, habuit actum ejus. Sed actu virtutis merebatur. Ergo Christus in instanti conceptionis merebatur.

 [2] L’âme perfectionnée selon la première et la seconde perfection est plus parfaite que l’âme parfaite seulement selon la première perfection. Or, une perfection spirituelle ne s’est pas ajoutée au Christ. Puisque l’opération est une perfection seconde et l’habitus une perfection première, chaque fois qu’il a possédé l’habitus d’une vertu, il en possédait donc l’acte. Or, c’est par un acte de vertu qu’on mérite. Le Christ méritait donc dès l’instant de sa conception.

 [9690] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod Christo debemus attribuere secundum animam, omnem perfectionem spiritualem quae sibi potest attribui; unde, cum possibile sit ipsum in primo instanti suae conceptionis actum meritorium perfecisse, dicendum est, Christum in primo instanti suae conceptionis meruisse. Quod enim aliqua res in primo instanti in quo est non possit suam actionem habere, non potest contingere nisi tribus modis. Primo ex hoc quod deest sibi aliqua perfectio quae requiritur ad agendum; sicut catulus in primo instanti suae nativitatis non potest videre, quia non habet organum videndi completum. Alio modo propter aliquod impediens extrinsecum; sicut aqua generata in aliquo loco concluso impeditur ut non possit proprio motu moveri. Tertio ex natura operationis quae successionem habet; et tunc in primo instanti quo res est, incipit illam actionem, non tamen illa actio est in illo instanti, sed in tempore; sicut patet quod primum instans in quo ignis est ignis, quod est ultimum instans suae generationis, est primum instans motus sui sursum; sed tamen motus ejus non est in illo instanti, quia motus successivorum est. Constat autem quod in Christo non deficiebat aliqua perfectio ex parte ipsius agentis, quae est necessaria ad meritorium actum; et iterum nihil erat quod impedire posset; ipse etiam motus caritatis, quo movebatur, indivisibilis erat, non successivus; et ideo in ipso instanti conceptionis mereri potuit. Quidam autem dicunt, quod in ipso instanti conceptionis non meruit quantum ad usum virtutum; sed solum habuit meritum in radice, scilicet in habitu caritatis et aliarum virtutum ex quibus dignus fuit gloria; sed quantum ad usum virtutum non meruit in ipso instanti, sed post ipsum instans. Et ad hoc moventur rationibus inductis in objiciendo. Sed prima opinio magis mihi placet, et secundum eam respondendum est ad argumenta in contrarium facta.

Réponse. Nous devons attribuer au Christ, selon son âme, toute la perfection spirituelle qui peut lui être attribuée. Puisqu’il est possible qu’il ait accompli, dès le premier instant de sa conception, un acte méritoire, il faut donc dire que le Christ a mérité dès le premier instant de sa conception. En effet, qu’une chose ne puisse exercer son action dès le premier instant où elle existe, cela ne peut arriver que de trois façons. Premièrement, [cela peut arriver] parce qu’il lui manque une perfection qui est requise pour agir, comme le petit chien ne peut voir dès le premier instant de sa naissance parce qu’il n’a pas un organe parfait pour voir. D’une autre façon, en raison d’un empêchement extérieur, comme l’eau engendrée dans un endroit fermé est empêchée de se mouvoir selon son propre mouvement. Troisièmement, en raison de la nature de l’opération qui possède une succession; alors, dès le premier instant où la chose existe, elle commence cette action; cependant, cette action n’existe pas dans cet instant, mais dans le temps, comme il est clair que le premier instant où le feu existe est l’instant ultime de sa généréation et le premier instant de son mouvement vers le haut; cependant, son mouvement ne se réalise pas dans cet instant, car le mouvement est le fait des réalités successives. Or, il est clair que, chez le Christ, ne manquait, du point de vue de l’agent, aucune perfection qui est nécessaire à l’acte méritoire. De plus, il n’existait rien qui pût l’empêcher. Le mouvement de charité par lequel il était mû était aussi indivisible, et non successif. C’est pourquoi il a pu mériter dès l’instant de sa conception. Mais certains disent qu’il n’a pas mérité dès l’instant de sa conception pour ce qui est de l’usage des vertus, mais qu’il n’eut de mérite que dans sa racine, à savoir, par l’habitus de la charité et des autres vertus par lesquels il était digne de la gloire; toutefois, pour ce qui était de l’usage des vertus, il n’a pas mérité dès le premier instant, mais après ce même instant. Il sont amenés à cette position par les arguments invoqués dans les objections. Mais la première opinion me plaît davantage, et, dans sa foulée, il faut répondre aux arguments invoqués en sens contraire.

 [9691] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod esse est prius quam agere natura, non tempore de necessitate.

1. L’être est antérieur à l’action naturelle, mais non pas nécessairement dans le temps.

 [9692] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod deliberatio et consilium, ut dicit philosophus, non sunt de his quae sunt ad finem, quando non est certum quae expediant ad finem intentum. In ipsa autem intentione finis aliquis meretur; unde non exigitur deliberatio ad meritum, etiam in aliis hominibus, quantum ad appetitum finis. Et praeterea in Christo non exigebatur deliberatio etiam quantum ad ea quae sunt ad finem, quia de his certus erat.

2. Comme le dit le Philosophe, la délibération et le conseil ne portent pas sur ce qui se rapporte à la fin, lorsque ce qui convient à la fin visée n’est pas certain. Or, par l’intention même de la fin, on mérite. Aussi la délibération n’est-elle pas nécessaire au mérite, même chez les autres hommes, pour ce qui est du désir de la fin. De plus, chez le Christ, la délibération n’était pas requise non plus pour ce qui est en rapport avec la fin, parce qu’il en était certain.

 [9693] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illud quod Christus habuit in primo instanti suae conceptionis, scilicet meritum, et ab alio habuit, inquantum scilicet exigitur gratia, et a seipso habuit, inquantum meritum procedit ex libero arbitrio. Non enim semper necessarium est ut causa causatum praecedat tempore, sed quandoque sufficit quod praecedat natura.

3. Ce que le Christ a eu dès le premier instant de sa conception, le mérite, et a reçu d’un autre, pour autant que la grâce est requise, il l’a par lui-même, pour autant que le mérite procède du libre arbitre. En effet, il n’est pas toujours nécessaire que la cause précède dans le temps ce qui est causé, mais il suffit parfois qu’elle précède par nature.

 [9694] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod motus voluntatis in finem bonum, est sibi naturalis; unde in primo instanti creationis suae potest habere motum in bonum finem, quia ad finem naturaliter desideratum appetendum non indigemus deliberatione; et in hoc potest esse meritum. Sed peccatum contingit ex hoc quod voluntas movetur in aliquid quod non competit fini naturaliter desiderato; unde oportet quod contingat ex falsa collatione illius ad finem: et ideo requiritur ad peccatum collatio ejus quod habet apparentem bonitatem ad id quod est per se bonum naturaliter desideratum. Unde in primo instanti creationis non potest mens peccare.

4. Le mouvement de la volonté vers une fin bonne lui est naturel. Aussi peut-elle avoir dès le premier instant de sa création un mouvement vers la fin bonne, parce que nous n’avons pas besoin de délibération pour désirer une fin naturellement désirée; et il peut y avoir mérite en cela. Mais le péché survient du fait que la volonté est mue vers quelque chose qui ne convient pas à la fin naturellement désirée. Il est donc nécessaire qu’il survienne du fait d’un faux rapprochement entre cela et la fin. C’est pourquoi est nécessaire au péché un rapprochement entre ce qui a l’apparence de la bonté et ce qui est en soi le bien naturellement désiré. Aussi l’esprit ne peut-il pécher dès le premier instant de sa création.

 [9695] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Christus non habebat a sensibus acceptam scientiam, sed infusam; et ita habitus scientiae perfectae poterat esse etiam cum infirmitate organorum; et iterum dictum est, quod infirmitas corporis in ipso non refundebatur in mentem, sicut nec mentis gloria corporis infirmitatem tollebat: et ideo imperfectio organorum corporalium, usum rationis non tollebat in ipso.

5. Le Christ ne possédait pas la science reçue des sens, mais [une science] infuse. Ainsi l’habitus de la science parfaite pouvait-il exister en même temps que la faiblesse des organes. De plus, on a dit que la faiblesse du corps ne rejaillissait pas sur l’esprit, comme la gloire de l’esprit n’enlevait pas non plus la faiblesse du corps. L’imperfection des organes corporels n’enlevait donc pas chez lui l’usage de la raison.

 

 

Articulus 4 [9696] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 tit. Utrum Christus meruit sibi immortalitatem

Article 4 – Le Christ a-t-il mérité l’immortalité pour lui-même ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le Christ a-t-il mérité l’immortalité pour lui-même ?]

 [9697] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod Christus non meruerit sibi immortalitatem corporis. Mereri enim est extranei, cui non debetur merces nisi per meritum; sicut et adoptari est extranei, cui non debetur hereditas nisi per adoptionem. Sed Christus ad bona patris, quae sunt sua, non dicitur adoptari quasi extraneus. Ergo eadem ratione nec immortalitatem, vel aliquid hujusmodi, meruit.

1. Il semble que le Christ n’ait pas mérité l’immortalité pour lui-même. En effet, mériter est le fait d’un étranger, à qui n’est due la récompense qu’en vertu du mérite, de la même façon qu’être adopté est le fait d’un étranger, à qui n’est dû l’héritage que par l’adoption. Or, on ne dit pas que le Christ a été adopté comme un étranger en vue des biens du Père qui lui appartiennent. Pour la même raison, n’a-t-il pas mérité l’immortalité ou quelque chose de ce genre.

 [9698] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, praemium est dignius merito. Sed bonus motus animae Christi quo merebatur, est dignior quolibet corporali. Ergo non merebatur immortalitatem corporis.

2. La récompense est plus digne que le mérite. Or, le mouvement bon de l’âme du Christ, par lequel il méritait, est plus digne que n’importe quelle réalité corporelle. Il n’a donc pas mérité l’immortalité de son corps.

 [9699] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 3 Praeterea, Christus non erat debitor mortis: quia non habebat peccatum, quod mortis debitores facit. Ergo cum nullus mereatur illud malum evitare cujus non est debitor, videtur quod ipse immortalitatem non meruit.

3. Le Christ n’était pas débiteur de la mort, car il n’avait pas de péché, qui rend débiteur de la mort. Puisque personne ne mérite d’éviter un mal dont il n’est pas débiteur, il semble donc qu’il n’a pas lui-même mérité l’immortalité.

 [9700] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod in littera dicitur, quod claritas corporis est praemium humiliationis. Sed immortalitas corporis ad claritatem corporis pertinet. Ergo etiam immortalitatem meruit.

Cependant, [1] il est dit dans le texte que l’éclat du corps est la récompense de l’humiliation. Or, l’immortalité du corps relève de l’éclat du corps. Il a donc aussi mérité l’immortalité.

 [9701] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, bona gloriae nulla creatura habet sine merito. Sed immortalitas pertinet ad gloriam. Ergo ipsam Christus meruit.

 [2] Aucune créature ne possède sans mérite les biens de la gloire. Or, l’immortalité relève de la gloire. Le Christ l’a donc méritée.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le Christ a-t-il mérité l’impassibilité de son âme ?]

 [9702] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod impassibilitatem animae Christus non meruerit. Id enim quod nobis est naturale, non meremur. Sed anima secundum suam naturam est impassibilis. Ergo impassibilitatem non meruit.

1. Il semble que le Christ n’ait pas mérité l’impassibilité de son âme. En effet, ce qui nous est naturel, nous ne le méritons pas. Or, l’âme est impassible par sa nature. Il n’a donc pas mérité l’impassibilité de son âme.

 [9703] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, omne quod inest alicui per accidens, ex hoc ipso quod accidens removetur, ei non inest. Sed anima patitur, sicut et movetur, per accidens, scilicet per corpus. Ergo ex hoc ipso quod separatur a corpore, fit impassibilis. Sed Christus non meruit animam a corpore separari: quia meritum mortis peccatum est, ut dicitur Rom. 6. Ergo non meruit impassibilitatem animae.

2. Tout ce qui existe dans quelque chose par accident n’y existe plus par le fait même que l’accident est enlevé. Or, l’âme souffre, de même qu’elle est mue, par accident, à savoir, en raison du corps. Par le fait même qu’elle est séparée du corps, elle devient donc impassible. Or, le Christ n’a pas mérité que son âme soit séparée de son corps, car la mort est le salaire du péché, comme il est dit en Rm 6. Il n’a donc pas mérité l’impassibilité de son âme.

 [9704] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 3 Praeterea, impassibilitas animae pertinet ad beatitudinem animae, sicut impassibilitas corporis ad beatitudinem corporis. Sed anima Christi a principio fuit beata. Ergo impassibilitatem animae non meruit.

3. L’impassibilité de l’âme relève de la béatitude de l’âme, comme l’impassibilité du corps [relève de] la béatitude du corps. Or, l’âme du Christ a été bienheureuse dès le début. Il n’a donc pas mérité l’impassibilité de son âme.

 [9705] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, anima Christi post resurrectionem fuit impassibilis. Sed ante fuit passibilis. Ergo sicut gloriam resurrectionis, ita et animae impassibilitatem meruit.

Cependant, [1] l’âme du Christ a été impassible après la résurrection. Or, elle était passible auparavant. De même qu’il a mérité la gloire de la résurrection, de même a-t-il aussi mérité l’impassibilité de son âme.

 [9706] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, animae damnatorum sunt passibiles, quia impassibilitatem non meruerunt. Ergo cum anima Christi non fuerit passibilis post resurrectionem, videtur quod impassibilitatem meruerit.

 [2] Les âmes des damnés sont passibles, car ils n’ont pas mérité l’impassibilité. Puisque l’âme du Christ n’était pas passible après la résurrection, il semble donc qu’il ait mérité l’impassibilité.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Le Christ a-t-il mérité d’être élevé ?]

 [9707] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non meruerit exaltationem. Quia ex hoc ipso quod humana natura assumpta fuit, exaltata est, et nomen divinitatis sibi debetur. Sed assumptionem non meruit, ut supra, dist. 4, dictum est. Ergo nec exaltationem.

1. Il semble que [le Christ] n’ait pas mérité d’être élevé, car, par le fait même que la nature humaine a été assumée, elle a été élevée et le nom de la divinité lui est due. Or, il n’a pas mérité d’assumer, comme on l’a dit plus haut, d. 4. Il n’a pas non plus mérité d’être élevé.

 [9708] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 2 Praeterea, nomen quod est super omne nomen, est nomen in quo flectitur omne genu. Sed hoc est nomen Jesus, ut dicitur Philip. 2. Cum ergo hoc nomen non meruerit, sed ante conceptionem sibi impositum fuerit; videtur quod non meruerit nomen quod est super omne nomen.

2. Le nom qui est au-dessus de tout nom est le nom devant lequel tout genou fléchit. Or, tel est le nom de Jésus, comme il est dit en Ph 2. Puisqu’il n’a pas mérité ce nom, il semble donc qu’il n’ait pas mérité le nom qui est au-dessus de tout nom.

 [9709] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 3 Si dicatur, quod meruit quantum ad manifestationem; contra. Hoc etiam ante manifestum erat; unde Daemones ante eum confessi fuerunt, et pueri et prophetae praedixerunt. Ergo hoc ipse non meruit.

3. Si l’on dit qu’il a mérité pour ce qui est de la manifestation, on opposera que cela était manifeste aussi auparavant; c’est ainsi que le démons l’ont confessé auparavant et que des enfants et des prophètes l’ont prédit. Il n’a donc pas lui-même mérité.

 [9710] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 4 Praeterea, meritum ordinatur ad praemium. Sed facere aliquid propter aestimationem hominum pertinet ad vanam gloriam, quae in ipso non fuit. Ergo exaltationem quantum ad manifestationem hominum non meruit.

4. Le mérite est ordonné à la récompense. Or, faire quelque chose à cause de l’opinion des hommes relève de la vaine gloire, qui n’existait pas chez [le Christ]. Il n’a donc pas mérité d’être élevé pour être manifesté aux hommes.

 [9711] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, Luc. 14, 2: qui se humiliat, exaltabitur. Sed Christus se humiliavit. Ergo exaltari meruit.

Cependant, [1] on lit en Lc 14, 2 : Celui qui s’humilie sera élevé. Or, le Christ s’est humilié. Il a donc mérité d’être élevé.

 [9712] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, ipse fecit se dignum tali exaltatione quae est in manifestatione ad homines per ea quae gessit. Ergo meruit ipse hanc exaltationem.

 [2] [Le Christ] s’est rendu digne de l’élévation qui consiste dans la manifestation aux hommes par ce qu’il a fait. Il a donc lui-même mérité cette élévation.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Le Christ a-t-il mérité la récompense substantielle de l’âme, la jouissance de Dieu ?]

 [9713] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod etiam praemium substantiale animae, scilicet fruitionem divinam, ipse meruit. Majoris enim meriti majus est praemium. Sed meritum Christi fuit majus omnium sanctorum meritis. Ergo et major fuit merces quam meruit. Nihil autem majus cadit sub merito quam fruitio Dei, quam sancti merentur. Ergo ipse etiam meruit ipsam.

1. Il semble que [le Christ] ait mérité la récompense substantielle de l’âme, la jouissance de Dieu. En effet, plus une récompense est grande, plus le mérite est grand. Or, le mérite du Christ a été plus grand que les mérites de tous les saints. La récompense qu’il a méritée a donc été plus grande. Or, rien ne tombe sous le mérite que la jouissance de Dieu que les saints méritent. Il l’a donc lui-même méritée.

 [9714] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 4 arg. 2 Praeterea, gloriosius est aliquid per seipsum habere quam ab alio habere omnia. Sed quod quis meretur, quodammodo habet per seipsum. Cum igitur Christus fruitionem divinam gloriosissime habuerit, videtur quod eam meruerit.

2. Il est plus glorieux d’avoir quelque chose par soi-même que de tout avoir par un autre. Or, ce que quelqu’un mérite, il le possède d’une certaine manière par lui-même. Puisque le Christ possédait la jouissance de Dieu de la manière la plus glorieuse, il semble donc qu’il l’ait méritée.

 [9715] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 4 arg. 3 Praeterea, secundum illos qui ponunt Angelos in solis naturalibus creatos, simul in eis fuit meritum et praemium. Sed nihil prohibet Christum meruisse fruitionem divinam, nisi quia ab initio suae conceptionis eam habuit. Ergo videtur quod in ipso instanti suae conceptionis mereri potuerit ut simul in eo esset meritum et praemium.

3. Selon ceux qui affirment que les anges ont été créés avec leurs seules propriétés naturelles, le mérite et la récompense existaient en eux en même temps. Or, rien n’empêche que le Christ ait mérité la jouissance de Dieu, si ce n’est qu’il l’ait possédée dès le commencement de sa conception. Il semble donc qu’il ait pu mériter à l’instant même de sa conception qu’existent en même temps en lui le mérite et la récompense.

 [9716] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 4 s. c. 1 Sed contra, nullus meretur secundum quod est comprehensor. Sed Christus quantum ad fruitionem erat comprehensor. Ergo nunquam fruitionem meruit.

Cependant, [1] personne ne mérite alors qu’il est comprehensor. Or, le Christ était comprehensor pour ce qui est de la jouissance (quantum ad fruitionem). Il n’a donc jamais mérité la jouissance [de Dieu].

 [9717] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 4 s. c. 2 Praeterea, ex hoc ipso quod intellectus ejus erat Deo conjunctus in persona, sibi debebatur fruitio. Sed unionem non meruit. Ergo nec fruitionem.

 [2] La jouissance lui était due du fait même que son intelligence était unie à Dieu en sa personne. Or, il n’a pas mérité l’union. Donc, la jouissance non plus.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [9718] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod, sicut praedictum est, meritum secundum se, est operatio ejus qui justitiam patitur, secundum quam facit suum id quod sibi reddendum est. Non autem datur aliquid alicui qui habet illud eo modo quo habet, nec aliquis facit suum quod suum est eo modo quo suum est; unde ad meritum, secundum quod theologi de ipso loquuntur, in ordine ad ea quae sunt bona simpliciter, quatuor requiruntur quantum ad id quod aliquis mereri dicitur. Primum est quod illud sit de pertinentibus ad beatitudinem. Secundum est quod illud sit non habitum quod per meritum acquiritur reddendum justitia mediante. Tertium est quod illud sit non debitum quod merendo quis sibi debitum facit. Quartum, quod id quod quis mereri dicitur, sequatur ad minus ordine naturae ad ipsum meritum: et ideo gratia quae est merendi principium, et alia naturalia quae exiguntur ad meritum, sub merito non cadunt. Haec autem quatuor in Christi immortalitate inveniuntur. Quia est de his quae pertinent ad beatitudinem corporis. Item non fuit ab eo semper habitum, quia a principio mortale corpus assumpsit. Item non fuit sibi debitum ratione naturae, quamvis esset sibi debitum ratione personae. Item immortalitas non exigitur ad merendum. Et propter hoc immortalitatem meruit.

Comme on l’a dit plus haut, le mérite est en lui-même une opération de celui qui est soumis à la justice, selon laquelle il fait sien ce qui doit lui être rendu. Or, on ne donne pas à quelqu’un ce qu’il possède de la même manière dont il le possède, et on ne fait pas sien ce qui est sien de la manière dont cela est sien. Aussi, pour le mérite, selon que les théologiens en parlent et pour ce qui est bien tout simplement, y a-t-il quatre exigences pour ce dont on dit que quelqu’un le mérite. La première est que cela porte sur ce qui se rapporte à la béatitude. La deuxième est que l’on ne possède pas ce qui doit être acquis par la mérite comme devant être rendu par l’intervention de la justice. Troisièmement, que ne soit pas dû ce que l’on rend dû à soi-même en le méritant. Quatrièmement, que ce dont on dit que quelqu’un le mérite découle, au moins selon un ordre de nature, du mérite lui-même. Aussi, la grâce, qui est le principe du mérite, et les autres réalités naturelles, qui sont requises pour le mérite, ne tombent-elles pas sous le mérite. Or, ces quatre choses se trouvent dans l’immortalité du Christ, car elle fait partie de ce qui se rapporte à la béatitude du corps. De même, ne l’a-t-il pas toujours eue, car, au départ, il a assumé un corps mortel. De même, elle ne lui était pas due en raison de la nature, bien qu’elle lui ait été due en raison de sa personne. De même, l’immortalité n’est pas nécessaire pour mériter. Pour ces raisons, il a mérité l’immortalité.

 [9719] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis immortalitas, et omnia alia bona quae sunt in potestate patris, essent in potestate filii quantum ad divinam personam, non tamen ratione humanae naturae; unde nos merendo facimus nobis debitum de eo quod non erat debitum neque naturae neque personae; Christus autem fecit merendo debitum naturae de non debito naturae, quamvis esset debitum personae. Nec est simile de adoptione: quia adoptio respicit personam, sicut et filiatio; meritum autem in operatione consistit, quae variatur secundum varietatem naturae, ut prius dictum est.

1. Bien que l’immortalité et tous les autres biens qui sont au pouvoir du Père aient été au pouvoir du Fils pour ce qui est de la personne divine, ils ne l’étaient cependant pour ce qui est était de sa nature humaine. Aussi, en méritant, rendons-nous dû pour nous ce qui n’était dû ni à la nature ni à la personne; mais le Christ en méritant a rendu dû à la nature ce qui n’était pas dû à la nature, bien que cela ait été dû à la personne. Et il n’en va pas de même de l’adoption, car l’adoption concerne la personne, comme la filiation; mais le mérite consiste dans une opération, qui varie selon la variété de la nature, comme on l’a dit antérieurement.

 [9720] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis actus mentis, quo Christus merebatur, sit simpliciter melius quam immortalitas corporis; tamen illa est melior quantum ad statum, inquantum scilicet pertinet ad statum beatitudinis; actus vero mentis, secundum quod in eo consistit meritum, pertinet ad statum viatoris. Vel dicendum, quod hoc habet veritatem in praemio substantiali animae, et non in aliis.

2. Bien que l’acte de l’esprit par lequel le Christ méritait soit simplement quelque chose de meilleur que l’immortalité du corps, celle-ci est cependant meilleure pour ce qui est de l’état, pour autant qu’elle relève de l’état de la béatitude; mais l’acte de l’esprit, selon que le mérite consiste en lui, relève de l’état du viator. Ou bien il faut dire que cela est vrai pour la récompense substantielle de l’âme, mais non pour les autres.

 [9721] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Christus quamvis non haberet necessitatem moriendi ex peccato, habebat tamen ex principiis naturalibus, ut supra, dist. 16, qu. 1, art. 2 dictum est; et ideo humanae naturae in Christo immortalitas non erat debita. Vel dicendum, quod privatio culpae quamvis auferat meritum mortis, non tamen dat immortalitatem qua impossibile est mori, qualis est immortalitas quam meruit Christus; sicut patet in Adam quantum ad primum statum, in quo non erat praedicta immortalitas.

3. Le Christ, bien qu’il n’ait pas dû mourir à cause du péché, le devait cependant en raison des principes naturels, comme on l’a dit plus haut, d. 16, q. 1, a. 2. Aussi l’immortalité n’était-elle pas due à la nature humaine chez le Christ. Ou bien il faut dire que la privation de la faute, bien qu’elle enlève le mérite de la mort, ne donne cependant pas l’immortalité par laquelle il est impossible de mourir, comme l’est l’immortalité que le Christ a méritée, ainsi que cela ressort chez Adam en son premier état, où l’immortalité en question n’existait pas.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [9722] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod anima dupliciter dicitur passibilis. Uno modo secundum justitiam divinam, sicut patitur in Inferno ab igne corporali; et hic est communis animae et omni spiritui creato in suis tantum naturalibus considerato. Alio modo dicitur anima passibilis secundum naturam; et hoc vel per accidens ex passione corporis, ut supra, dist. 15, qu. 2, art. 3, dictum est, quod laesio corporis ad animam pertingit quodammodo, inquantum est forma ejus; vel per operationem propriam; sive illa sit communis animae et corpori, sicut in delectationibus et tristitiis, quae sunt secundum partem sensitivam; sive sit propria ipsi animae, sicut in delectationibus et tristitiis intellectivae partis. Quia autem anima secundum suam naturam est forma corporis, formae autem est ut sit materiae proportionata; ideo in ipsa natura animae etiam sine corpore existentis, est ut sit nata pati ad passionem corporis, quamvis non patiatur actu sine corpore quantum ad illas passiones quae naturaliter ei inesse possunt vel ex corpore vel cum corpore. Haec autem aptitudo non tollitur per id per quod natura per gratiam reformatur: quamvis enim homo reformetur quantum ad actus personales per gratiam, non tamen reformatur quantum ad naturam nisi per gloriam, quae omnes defectus naturae tollit: cujus signum est quod reformati per gratiam, in actu naturali defectum patiuntur, quia in originali peccato generant. Unde oportet quod istam aptitudinem naturalem ab anima habitus gloriae tollat, per quem anima perficitur non solum in potentiis quantum ad actus personales, sed inquantum est natura quaedam: unde ex ipsa glorificata in corpus gloria transfunditur. Per habitum etiam gloriae excluditur et tristitia intellectivae partis, et iterum possibilitas peccandi, per quam est possibilitas ad passionem ex justitia divina. Unde constat quod impassibilitas animae ad gloriam pertinet; et quod Christus gloriam animae, inquantum est natura corporis, non habuit a principio suae conceptionis, quia corpus passibile fuit: quamvis haberet animam gloriosam quantum ad operationes quibus Deo fruebatur. Ideo sicut meruit immortalitatem corporis, ita etiam meruit impassibilitatem animae.

 

On dit de l’âme qu’elle est passible de deux manières. En premier lieu, selon la justice divine; ainsi, elle souffre dans l’enfer par le feu corporel. Ce mode est commun à l’âme et à toutes les créature spirituelles envisagées seulement selon leurs propriétés naturelles. En second lieu, on dit que l’âme est passible selon sa nature, et cela, soit par accident en raison de la passion du corps, comme on a dit plus haut, d. 15, q. 2, a. 3, qu’une blessure du corps atteint l’âme d’une certaine manière, pour autant qu’elle en est la forme, soit par sa propre opération, que celle-ci soit commune à l’âme et au corps, comme les plaisirs et les tristesses de la partie sensible, ou qu’elle soit propre à l’âme elle-même, comme les plaisirs et les tristesses de la partie intellectuelle. Or, parce que l’âme est par sa nature forme du corps, et qu’il revient à la forme d’être proportionnée à la matière, il fait donc partie de la nature de l’âme, même lorsqu’elle existe sans le corps, d’être destinée à souffrir lorsque le corps souffre, bien qu’elle ne souffre pas en acte sans le corps pour les passions qui peuvent exister en elle et viennent du corps ou sont associées au corps. Or, une telle capacité n’est pas enlevée par le fait que la nature retrouve sa forme par la grâce (per id quod natura per gratiam reformatur). En effet, bien que l’homme retrouve sa forme (reformetur) par la grâce pour ce qui est des actes personnels, il ne retrouve cependant sa forme que par la gloire pour ce qui est de sa nature, [gloire] qui enlève toutes les carences de la nature. Le signe en est que ceux qui ont retrouvé leur forme par la grâce supportent une carence dans un acte naturel, car ils engendrent dans le péché originel. Il faut donc que l’habitus de la gloire enlève de l’âme cette disposition naturelle par laquelle l’âme est perfectionnée, non seulement dans ses puissances pour ce qui est des actes personnels, mais pour autant qu’elle est une certaine nature. C’est ainsi qu’elle-même étant glorifiée, elle transmet la gloire au corps. Par l’habitus de la gloire, sont aussi écartées la tristesse de la partie intellectuelle et aussi la possibilité de pécher, dont provient la possibilité de souffrir en vertu de la justice divine. Il est donc clair que l’impassibilité de l’âme relève de la gloire et que le Christ n’a pas possédé dès le début de sa conception la gloire de l’âme, en tant qu’elle est par nature celle du corps, car son corps était passible, bien qu’il ait possédé une âme glorieuse pour ce qui est des opérations par lesquelles elle jouissait de Dieu. C’est pourquoi il a mérité l’impassibilité de l’âme comme il a mérité l’immortalité du corps.

 [9723] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod anima secundum suam naturam est impassibilis, ut pati non possit, quantum ad passiones proprie dictas de quibus loquimur, sine corpore; est tamen secundum naturam suam passibilis, idest potens pati has passiones in corpore, et per corpus. Unde haec determinatio per naturam potest determinare passibilitatem vel quantum ad potentiam, et sic falsa est propositio; vel quantum ad actum; et sic vera est, quia passibile est potens pati.

1. Selon sa nature, l’âme est impassible, de sorte qu’elle ne peut souffrir sans le corps pour les passions au sens propre dont nous parlons. Cependant, elle est passible selon sa nature, c’est-à-dire qu’elle peut subir ces passions dans le corps et par le corps. Aussi cette détermination par la nature peut déterminer la passibilité soit selon la puissance, et ainsi il s’agit d’une proposition fausse, soit selon l’acte, et ainsi elle est vraie, car ce qui peut subir est passible.

 [9724] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis per accidens inesset animae passio, non tamen per accidens aptitudo ad patiendum simul cum corpore: et ideo quamvis ea separata a corpore, tollatur passio secundum actum, non tamen tollitur aptitudo patiendi. Unde si iterum corpori uniretur, non faceret conjunctum sibi corpus impassibile, sed in eo per accidens pateretur, sicut et prius, nisi quando glorificata est: tunc enim si corpori unitur, corpus impassibile facit.

2. Bien que la passion existe dans l’âme par accident, la capacité de subir n’existe cependant pas par accident lorsque [l’âme] est unie au corps. Bien que la passion soit écartée selon l’acte lorsque [l’âme] est séparée du corps, la capacité de subir n’est cependant pas enlevée. Aussi, si elle était de nouveau unie au corps, elle ne rendrait pas impassible le corps qui lui est uni, mais elle souffrirait en lui par accident, comme autrefois, à moins qu’elle ne soit glorifiée. En effet, si elle est alors unie au corps, elle rend le corps impassible.

 [9725] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod impassibilitas animae pertinet ad beatitudinem animae, inquantum natura et forma corporis: et talem beatitudinem anima Christi non habuit a principio suae conceptionis, sed beatitudinem quae consistit in actu fruitionis.

3. L’impassibilité de l’âme relève de la béatitude de l’âme, en tant qu’elle est nature et forme du corps. Et l’âme du Christ n’a pas possédé une telle béatitude dès le début de sa conception, mais la béatitude qui consiste dans l’acte de jouissance.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [9726] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod, sicut dicit philosophus in 1 Ethic., in felicitate aliquid invenitur essentiale ipsius, sicut virtutes quae faciunt operationem perfectam; aliquid autem quod facit ad bene esse felicitatis, sicut divitiae, et amici, et hujusmodi. Similiter dico, quod aliqua sunt quae sunt de substantia beatitudinis, sicut dotes animae et corporis; aliquid autem quod est de bene esse ipsius, sicut manifestatio beatitudinis ad alios, in quo etiam gloria consistit, quia gloria est clara cum laude notitia: Glossa Rom. ult.: sicut etiam philosophus dicit, quod de bene esse ipsius felicitatis est ut felix etiam post mortem vivat in memoriis hominum. Quia ergo in Christo debuit esse completissima beatitudo, ideo non solum in seipso beatificatus est, sed ad perfectionem suae beatitudinis etiam sua beatitudo aliis ostensa fuit: et secundum hoc dicitur exaltationem meruisse: quae quidem exaltatio in tribus consistit; scilicet in notitia cordis, secundum quod dicitur accepisse nomen super omne nomen, quia nomen de re notitiam facit: item in reverentia corporis, quantum ad genuflexionem: item in confessione oris; et hoc est quod dicit apostolus: et omnis lingua confiteatur quia dominus Jesus Christus in gloria est Dei patris.

Comme le dit le Philosophe dans Éthique, I, on trouve dans la félicité quelque chose qui lui est essentiel, comme les vertus qui rendent l’opération parfaite, et quelque chose qui la rend meilleure, comme les richesses, les amis et les choses de ce genre. Je dis de même que certaines choses font partie de la substance de la béatitude, comme les dots de l’âme et du corps, mais certaines choses qui la rendent meilleure, comme la manifestation de la béatitude aux autres ‑ en quoi consiste aussi la gloire, car la gloire est « une manifestation éclatante accompagnée de louanges ». La Glose sur Rm 16 dit : « Comme le dit aussi le Philosophe, il fait partie d’une félicité meilleure que le bienheureux vive même après sa mort dans la mémoire des hommes. » Parce que la béatitude la plus complète devait exister chez le Christ, il n’a donc pas été rendu bienheureux seulement en lui-même, mais sa béatitude a aussi été montrée aux autres pour la perfection de sa béatitude. On dit ainsi qu’il a mérité d’être élevé, élévation qui consiste en trois choses : dans la connaissance du cœur, selon qu’on dit de lui qu’il a reçu un nom au-dessus de tout nom, car le nom fait connaître une chose; dans le respect du corps, pour ce qui est de la génuflexion; et dans la confession par la bouche, et c’est ce que dit l’Apôtre : Que toute langue confesse que le Seigneur Jésus, le Christ, est dans la gloire de Dieu le Père.

 [9727] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis fuerit exaltatus ab initio suae conceptionis, non tamen sua exaltatio fuit tunc manifesta: et res in sacra Scriptura tunc fieri dicitur, quando innotescit.

1. Bien qu’il ait été exalté dès le début de sa conception, son exaltation n’était cependant pas manifeste et, dans l’Écriture, on dit qu’une chose apparaît lorsqu’elle est connue.

 [9728] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod nomen super omne nomen dicitur esse vel quantum ad id a quo imponitur; et sic est nomen Jesus vel Christus, quia utrumque imponitur ex unione humanae naturae ad divinam: quia secundum hoc unctus dicitur quod Deo est unitus; et secundum hoc etiam a peccatis salvos facere potest: vel quantum ad id cui nomen imponitur; et sic hoc nomen Deus est super omne nomen, quia imponitur sibi secundum divinam naturam. Et haec omnia quamvis fuerint in eo secundum rei veritatem a principio conceptionis, non tamen erant in notitia hominum.

2. On parle de nom au-dessus de tout nom soit en raison de celui par qui il est donné: ainsi en est-il pour le nom de Jésus ou de Christ, parce que les deux ont été donnés en raison de l’union de la nature humaine à la nature divine, car on dit qu’il a été oint selon qu’il a été uni à Dieu. Sous cet aspect aussi, il peut sauver des péchés. [On parle aussi de nom au-dessus de tout nom] en raison de ce pour quoi le nom a été imposé, et ainsi le nom de Dieu est au-dessus de tout nom parce qu’il lui a été donné selon la nature divine. Et même si tout cela était vraiment présent en lui dès le début de sa conception, cela n’était pas connu des hommes.

 [9729] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ante resurrectionem erat quidem manifesta Christi exaltatio non omnibus, sed paucis: et quibusdam etiam non per certitudinem, sed per quamdam conjecturam, sicut Daemonibus, et aliquibus Judaeis: sed post resurrectionem suam altitudo illius toti mundo innotuit per certitudinem fidei.

3. Avant la résurrection, l’exaltation du Christ était manifeste non pas à tous, mais à un petit nombre, et à certains aussi, non pas de manière certaine, mais selon une conjecture, tels les démons et certains juifs. Mais, après la résurrection, son élévation fut connue de tout le monde par la certitude de la foi.

 [9730] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod meritum non fit propter praemium, nisi ad quod ordinatur principaliter: hoc autem est illud quod est de substantia beatitudinis. Unde etiam quamvis honor civilis sit quo praemiatur virtus civilis; tamen cives propter illum honorem non operantur virtutis opera, sed propter bonum ipsius virtutis.

4. Le mérite n’existe en vue de la récompense que pour ce à quoi il est principalement ordonné. Or, cela est ce qui fait partie de la substance de la béatitude. Aussi, même si l’honneur civil est ce par quoi la vertu civile est récompensée, les citoyens n’accomplissent cependant pas les actes des vertus en vue de cet honneur, mais pour le bien de la vertu elle-même.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

 [9731] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod gloria animae consistit in hoc quod anima ipsi Deo unitur per visionem et amorem; et quia posterior unio praesupponit priorem, sicut hoc quod Deus est in sanctis per gratiam, praesupponit hoc quod in omnibus est per essentiam, praesentiam, et potentiam; ideo eadem ratione unio quae est in persona, quae est ultima et completissima, praesupponit omnem aliam unionem ad Deum: unde ex hoc ipso quod anima Christi erat Deo in persona conjuncta, debebatur sibi fruitionis unio, et non per operationem aliquam ei facta debita: et ideo, quia meritum consistit in operatione quae facit nobis aliquid debitum, Christus fruitionem non meruit. Secus autem est de gloria corporis: quia de gloria corporis non consistit in unione ad Deum; unde sine ea corpus divinitati unitum esse potuit, et fuit dispensative propter opus redemptionis implendum. Et propter hoc fruitionem, in qua consistit gloria animae, Christus semper habuit, et ipsam non meruit, sicut meruit gloriam corporis.

La gloire de l’âme consiste en ce que l’âme est unie à Dieu lui-même par la vision et l’amour. Parce que l’union ultérieure présuppose l’union antérieure, comme le fait que Dieu est dans les saints par la grâce présuppose qu’il est en tout par son essence, sa présence et sa puissance, pour la même raison, l’union qui se réalise dans la personne, qui est l’union ultime et la plus complète, présuppose toute autre union à Dieu. Par le fait même que l’âme du Christ était unie à Dieu dans la personne unie, l’union par la jouissance lui était donc due, et elle ne lui est pas devenue due par une opération. Parce que le mérite consiste dans une action qui nous rend quelque chose dû, le Christ n’a donc pas mérité la jouissance. Mais il en va autrement de la gloire du corps, car la gloire du corps ne consiste pas dans l’union à Dieu. Le corps a donc pu être uni à la divinité sans elle, et cela a existé par mode de dispensation en vue d’accomplir l’œuvre de la rédemption. Pour cette raison, le Christ a toujours eu la jouissance en laquelle consiste la gloire de l’âme, et il ne l’a pas méritée, comme il a mérité la gloire du corps.

 [9732] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod hoc quod Christus sibi beatitudinem quae est in fruitione non meruit, non fuit ex insufficientia meriti, sed ex perfectione merentis.

1. Le fait que le Christ n’ait pas mérité pour lui-même la béatitude qui consiste dans la jouissance ne venait pas de l’insuffisance du mérite, mais de la perfection de celui qui méritait.

 [9733] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Christus magis habuit ex seipso quod ex unione habuit quam aliquis habeat id quod ex operatione acquirit: quia habuit illud naturaliter; et ideo etiam gloriosius habuit fruitionem quam aliquis alius.

2. Le Christ possédait davantage par lui-même ce qu’il possédait par l’union que ce qu’on acquiert par l’opération, car il possédait cela naturellement. C’est pourquoi il possédait aussi la gloire de manière plus glorieuse qu’un autre.

 [9734] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod secundum illam opinionem, Angeli non semper habuerunt beatitudinem, nec iterum aliquid erat in eis unde eis deberetur; et ideo mereri potuerunt simul quando acceperunt gratiam, ut in 2 Lib., dist. 5, quaest. 2, art. 2, dictum est. Non est autem ita de Christo, qui semper beatus secundum animam fuit, et cui ex ipsa unione debebatur gloria.

3. Selon cette opinion, les anges n’ont pas toujours possédé la béatitude, et il n’y avait pas chez eux de raison qu’elle leur soit due. Ils ont donc pu mériter en même temps qu’ils ont reçu la grâce, comme on l’a dit dans le livre II, d. 5, q. 2, a. 2. Mais il n’en va pas de même du Christ, qui a toujours été bienheureux en son âme et à qui la gloire était due en raison même de l’union.

 

 

Articulus 5 [9735] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 5 tit. Utrum Christus meruerit sibi per passionem

Article 5 – Le Christ a-t-il mérité pour lui-même par la passion ?

 [9736] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod Christus per passionem non meruerit sibi. Mereri enim est aliquid sibi debitum facere. Sed qui sibi semel aliquid debitum fecit, puta emendo, non ulterius emit illud. Ergo et qui meruit aliquid semel, ulterius non potest mereri illud. Sed Christus ab instanti conceptionis meruit sibi ea quae dicta sunt. Ergo per passionem nihil sibi meruit.

1. Il semble que le Christ n’ait pas mérité pour lui-même par la passion. En effet, mériter, c’est faire en sorte qu’une chose nous soit due. Or, celui qui a une fois fait en sorte qu’une chose lui soit due, par exemple, en l’achetant, n’achète plus cette chose. Celui qui a mérité une chose une fois ne peut donc plus la mériter. Or, le Christ a mérité pour lui-même ce qu’on a dit dès l’instant de sa conception.

 [9737] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 5 arg. 2 Praeterea, meritum facit vel de non debito debitum, vel de debito magis debitum. Sed ea quae Christus meruit, non fuerunt sibi magis debita per passionem quam ante: quia per primum meritum fuerunt sibi facta sufficienter debita. Ergo per passionem sibi Christus nihil meruit.

2. Le mérite rend dû ce qui n’était pas dû ou fait de ce qui était dû quelque chose qui est dû encore davantage. Or, ce que le Christ a mérité ne lui était pas davantage dû par la passion qu’antérieurement, car cela lui est devenu dû d’une manière suffisante par son premier mérite. Le Christ ne s’est donc rien mérité par sa passion.

 [9738] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea, passio in corpore Christi fuit. Sed meritum non est nisi in anima. Ergo per passionem Christus nihil sibi meruit.

3. La passion a eu lieu dans le corps du Christ. Or, le mérite ne se trouve que dans l’âme. Le Christ ne s’est donc rien mérité par sa passion.

 [9739] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 5 arg. 4 Praeterea, meriti principium est in nobis: quia voluntarium est cujus principium est intra, ut dicitur in 3 Ethic. Sed principium passionis non est in patiente, sed in agente. Ergo Christus per passionem non meruit.

4. Le principe du mérite est en nous, car le volontaire est ce dont le principe est intérieur, comme il est dit dans Éthique, III. Or, le principe de la passion n’est pas dans celui qui la subit, mais dans l’agent. Le Christ n’a donc pas mérité par sa passion.

 [9740] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 5 arg. 5 Praeterea, omne meritum consistit in caritate. Sed pati passiones laudabiliter, non est opus caritatis, sed patientiae, vel fortitudinis. Ergo Christus per passionem non meruit.

5. Tout mérite consiste dans la charité. Or, supporter des souffrances de manière louable n’est pas un acte de charité, mais de patience ou de force. Le Christ n’a donc pas mérité par sa passion.

 [9741] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 5 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur in littera, quod passio claritatis est meritum.

Cependant, [1] il est dit dans le texte que la passion mérite l’éclat.

 [9742] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 5 s. c. 2 Praeterea, actibus virtutum meremur. Sed Christus est passus ex maxima caritate; Joan. 15, 13: majorem hac dilectionem nemo habet. Ergo ipse per suam passionem meruit.

 [2] Nous méritons par les actes des vertus. Or, le Christ a souffert par la plus grande charité, Jn 15, 13 : Personne n’a un plus grand amour. Il a donc mérité par sa passion.

 [9743] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 5 s. c. 3 Praeterea, passio sua major fuit aliorum sanctorum passionibus, ut supra, distinct. 15, qu. 2, art. 3, quaestiunc. 3, dictum est. Sed alii sancti suis passionibus meruerunt. Ergo et Christus per suam passionem meruit.

 [3] Sa passion a été plus grande que les passions des autres saints, comme on l’a dit plus haut, d. 15, q. 2, a. 3. Or, les autres saints ont mérité par leurs passions. Le Christ aussi a donc mérité par sa passion.

 [9744] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod mereri, sicut dictum est, est facere aliquid sibi debitum. Hoc autem contingit tribus modis. Uno modo quando aliquis facit de non debito debitum; sicut aliquis primo motu caritatis meretur vitam aeternam, faciens eam debitam sibi, quae prius ei debita non erat. Alio modo quod erat minus debitum faciendo sibi magis debitum: quod contingit in eo in quo caritas augetur. Tertio contingit, quando aliquid quod est uno modo debitum sibi, facit alio modo debitum sibi; sicut puer baptizatus, cui debetur vita aeterna ex habitu gratiae in Baptismo infusae, quando usum liberi arbitrii habere incipit, facit sibi debitam eam ex actu. Primo igitur modo Christus meruit in primo instanti suae conceptionis claritatem corporis: quae quidem non erat ei debita neque ex conditione naturae in se consideratae, neque consequebatur ex necessitate unionis, sicut gloria fruitionis, ut dictum est. Secundo autem modo Christus mereri non potuit, quia caritas non est augmentata in Christo. Tertio modo meruit in omnibus actibus suis post primum instans suae conceptionis: quia fecit sibi debitum aliquibus actibus quod prius ex aliis actibus debebatur. Actus autem quo quis meretur, est ille cujus agens est dominus, ut supra dictum est, et qui est proportionatus mercedi. Est autem homo dominus suorum actuum per voluntatem; quam quia caritas perficit in ordine ad finem ultimum, ideo actum fini proportionatum facit, scilicet beatitudini quae proprie merces est nostrorum meritorum; et ideo omnis actus voluntarius caritate informatus, est meritorius. Cum igitur Christus passionem suam voluntarie sustinuerit (oblatus enim est quia ipse voluit, Isai. 53), et voluntas ista caritate fuerit informata, non est dubium quod per suam passionem meruerit.

Réponse. Comme on l’a dit, mériter c’est faire en sorte qu’une chose nous devienne due. Or, cela se produit de trois manières. Premièrement, lorsque quelqu’un fait en sorte que ce qui n’est pas dû devienne dû, comme lorsque quelqu’un mérite la vie éternelle par le premier mouvement de charité en faisant en sorte qu’elle lui devienne due, alors qu’elle ne lui était pas due antérieurement. Deuxièmement, en faisant en sorte que ce qui était moins dû devienne davantage dû, ce qui se produit chez celui dont la charité est augmentée. Troisièmement, cela se produit lorsqu’une chose qui nous est due d’une manière nous devient due d’une autre manière, comme l’enfant baptisé, à qui la vie éternelle est due par l’habitus de la grâce infuse lors du baptême, fait en sorte qu’elle lui devienne due en acte, lorsqu’il commence à avoir l’usage de son libre arbitre. De la première manière, le Christ a donc mérité l’éclat de son corps dès le premier instant de sa conception; celui-ci ne lui était dû ni en raison d’une condition de la nature considérée en elle-même, il ne découlait pas non plus nécessairement de l’union, comme la gloire de la jouissance , ainsi qu’on l’a dit. De la deuxième manière, le Christ n’a pas pu mériter parce que la charité n’a pas été augmentée chez le Christ. De la troisième manière, il a mérité par tous ses actes après le premier instant de sa conception, car il a fait en sorte que lui soit dû pour certains actes ce qui lui était dû auparavant par d’autres actes. Or, l’acte par lequel quelqu’un mérite est, comme on l’a dit plus haut, celui dont l’agent est maître, et qui est proportionné à la récompense. Or, l’homme est maître de ses actes par sa volonté. Parce que la charité perfectionne celle-ci par rapport à la fin ultime, elle rend donc son acte proportionné à la fin, c’est-à-dire à la béatitude qui est au sens propre la récompense de nos actes. C’est pourquoi tout acte volontaire qui a reçu la forme de la charité est méritoire. Puisque le Christ a supporté volontairement sa passion (en effet, il s’est offert parce qu’il l’a voulu, Is 53), et que cette volonté a reçu la forme de la charité, il n’y a pas de doute qu’il a mérité par sa passion.

 [9745] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod emptio est principaliter propter habendam rem quae emitur: et ideo postquam semel empta est, ulterius non emitur: sed actio qua quis meretur non est principaliter propter praemium consequendum, sed propter bonum caritatis. Unde homo habens caritatem etiam operaretur, si nulla retributio sequeretur; unde etiam postquam meruit aliquid operatur; et id quod sibi primo uno modo debebatur, postea alio modo sibi debetur.

1. Le but principal de l’achat est de posséder la chose qui est achetée. Aussi, une fois qu’elle a été achetée, elle n’est plus achetée. Mais l’action par laquelle on mérite n’a pas comme but principal l’obtention de la récompense, mais le bien de la charité. Aussi l’homme qui a la charité agirait-il, même s’il n’obtenait aucune récompense. C’est pourquoi, même après avoir mérité quelque chose, il agit, et ce qui lui était d’abord dû d’une manière lui est dû d’une autre manière par la suite.

 [9746] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non oportet quod faciat sibi magis debitum, quia hoc est secundum intensionem caritatis, quae est radix merendi; sed facit sibi pluribus modis debitum.

2. Il n’est pas nécessaire qu’il fasse en sorte qu’une chose lui soit davantage due, car il s’agit de l’intensité de la charité, qui est la racine du mérite. Toutefois, il fait en sorte que cette chose lui soit due de plusieurs manières.

 [9747] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis passio sit in corpore, tamen voluntas acceptans passionem fuit in anima.

3. Bien que la passion se trouve dans le corps, la volonté qui accepte la passion se trouvait dans l’âme.

 [9748] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod passio, inquantum passio, non est meritoria, quia sic principium ejus est extra: sed est meritoria inquantum est acceptata per voluntatem: sic enim est voluntaria, et principium ejus est intra. Acceptatur autem passio a voluntate dupliciter: vel sicut voluntarium absolute, sicut in Christo, qui se voluntarie obtulit passioni, ut nostrae redemptionis opus expleretur: vel sicut voluntarium mixtum, sicut quando aliquis etsi vellet non pati, tamen magis vult sustinere passionem quam aliquid contra Deum faciat.

4. La passion en tant que passion n’est pas méritoire, car son principe se trouve alors à l’extérieur; mais elle est méritoire pour autant qu’elle est acceptée par la volonté. En effet, elle est ainsi volontaire et son principe se trouve à l’intérieur. Or, la passion est acceptée par la volonté de deux manières : soit comme une chose volontaire de manière absolue, comme chez le Christ, qui s’est volontairement offert à la passion afin d’accomplir l’œuvre de notre rédemption; soit comme une chose volontaire mixte, comme lorsque quelqu’un, même s’il ne voulait pas souffrir, veut cependant souffrir une passion plutôt que de faire quelque chose de contraire à Dieu.

 [9749] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quamvis meritum sit in caritate sicut in radice, non tamen meremur sola caritate, sed etiam aliis virtutibus, inquantum earum actus sunt a caritate imperati.

5. Bien que le mérite se trouve dans la charité comme en sa racine, nous ne méritons cependant pas par la seule charité, mais aussi par les autres vertus, pour autant que leurs actes sont commandés par la charité.

 

 

Articulus 6 [9750] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 tit. Utrum Christus potuerit nobis mereri

Article 6 – Le Christ pouvait-il mériter pour nous ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le Christ pouvait-il mériter pour nous ?]

 [9751] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 qc. 1 arg. 1 Ad sextum sic proceditur. Videtur quod Christus nobis mereri non potuit. Sicut enim laus requirit voluntarium, ita et meritum. Sed propter hoc quod laus requirit voluntarium in laudato, ideo unus non laudatur propter actum alterius. Ergo similiter nec unus alteri mereri potest: et sic Christus nihil nobis meruit.

1. Il semble que le Christ ne pouvait pas mériter pour nous. En effet, de même que la louange exige le caractère volontaire, de même aussi le mérite. Or, du fait que la louange exige le caractère volontaire chez celui qui est louangé, l’un n’est pas louangé pour l’acte d’un autre. De la même manière, l’un ne peut-il mériter pour un autre, et ainsi, le Christ n’a rien mérité pous nous.

 [9752] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 qc. 1 arg. 2 Praeterea, Ezech. 18, 4, dicitur: anima quae peccaverit, ipsa morietur. Ergo eadem ratione anima quae operatur, ipsa praemiabitur; et ita videtur quod Christus nobis mereri non potuit.

2. Il est dit dans Ez 18, 4 : Celui qui aura péché, c’est lui qui mourra. Pour la même raison, c’est celui qui agit qui sera récompensé. Il semble ainsi que le Christ n’a pas pu mériter pour nous.

 [9753] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 qc. 1 arg. 3 Praeterea, Christus non meruit secundum quod Deus, sed secundum quod homo habens caritatem. Sed unus habens caritatem non meretur alteri nisi ex congruo, quod non est per se loquendo meritum. Ergo et cetera.

3. Le Christ n’a pas mérité en tant qu’il est Dieu, mais en tant qu’il est un homme possédant la charité. Or, quelqu’un qui a la charité ne mérite pour une autre que par un mérite de convenance (ex congruo), qui n’est pas un mérite à parler en soi. Donc, etc.

 [9754] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Christus, secundum quod homo, est caput nostrum. Ergo nobis aliquid influit. Sed non nisi meritorie. Ergo Christus nobis aliquid meruit.

Cependant, [1] le Christ, en tant qu’homme, est notre tête. Il a donc exercé une influence sur nous, mais seulement par le mérite. Le Christ a donc mérité quelque chose pour nous.

 [9755] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, nullus pervenit ad gloriam sine merito. Sed pueri baptizati pervenient ad gloriam. Ergo cum non perveniant per meritum proprium, pervenient per meritum Christi; et ita Christus nobis aliquid meruit.

 [2] Personne ne parvient à la gloire que par le mérite. Or, les enfants baptisés parviennent à la gloire. Puisqu’il n’y parviennent pas par leur propre mérite, ils y parviendront donc par le mérite du Christ. Le Christ a donc mérité quelque chose pour nous.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le Christ a-t-il mérité pour nous l’ouverture de la porte du Paradis ?]

 [9756] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non meruit nobis januae apertionem. Quia Enoch et Elias ante Christi incarnationem in Paradisum introierunt. Ergo ante Christum janua erat aperta.

1. Il semble que [le Christ] ne nous ait pas mérité l’ouverture de la porte [du Paradis], car Énoch et Élie sont entrés au Paradis avant l’incarnation du Christ. La porte était donc ouverte avant le Christ.

 [9757] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 qc. 2 arg. 2 Praeterea, quicumque meretur Paradisum, meretur etiam apertionem januae Paradisi. Sed antiqui patres meruerunt Paradisum, cum haberent caritatem ita perfectam sicut et nos, et cum propter Paradisum omnia operarentur. Ergo meruerunt apertionem januae Paradisi.

2. Quiconque mérite le Paradis mérite aussi l’ouverture de la porte du Paradis. Or, les pères anciens ont mérité le Paradis, puisqu’ils avaient une charité aussi parfaite que nous et ont tout fait en vue du Paradis. Ils ont donc mérité l’ouverture de la porte du Paradis.

 [9758] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 qc. 2 arg. 3 Praeterea, posita causa sufficienti non requiritur aliquid aliud ad effectum. Si ergo Christus sufficienter meruit nobis apertionem januae Paradisi, videtur quod non oporteat nos aliquid propter Paradisum operari; quod est falsum. Ergo et primum.

3. Une fois donnée une cause suffisante, rien d’autre n’est requis pour l’effet. Si donc le Christ a suffisamment mérité pour nous l’ouverture de la porte du Paradis, il semble qu’il ne nous faille pas faire autre chose en vue du Paradis, ce qui est faux. C’est donc la même conclusion que pour le premier argument.

 [9759] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, ante Christum nullus in Paradisum intravit, quia sancti patres ad Limbum descendebant. Sed postea homines in Paradisum intraverunt, sicut dicitur Luc. 23: hodie mecum eris in Paradiso. Ergo Paradisi apertionem Christus meruit.

Cependant, [1] personne n’est entré au Paradis avant le Christ, car les saints pères descendaient dans les limbes. Or, après, les hommes sont entrés au Paradis, comme il est dit en Lc 23 : Aujourd’hui, tu seras avec moi au Paradis. Le Christ a donc mérité l’ouverture du Paradis.

 [9760] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, per peccatum Adae clausa est janua Paradisi, ut patet Gen. 3. Sed Christus pro peccato Adae satisfecit. Ergo ipse apertionem januae nobis meruit.

 [2] Après le péché d’Adam, la porte du Paradis a été fermée, comme cela ressort de Gn 3. Or, le Christ a satisfait pour le péché d’Adam. Il a donc mérité pour nous l’ouverture de la porte [du Paradis].

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Le Christ nous a-t-il ouvert la porte du Paradis seulement par sa passion ?]

 [9761] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non tantum per passionem apertionem januae nobis meruit. Caritas enim ejus in passione non fuit major quam ante. Si ergo per passionem meruit, etiam ante meruit.

1. Il semble que [le Christ] ne nous ait pas ouvert la porte [du Paradis] seulement par sa passion. En effet, sa charité n’était pas plus grande dans sa passion qu’antérieurement. Si il a mérité par la passion, il a donc aussi mérité antérieurement.

 [9762] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 qc. 3 arg. 2 Praeterea, in Baptismo caeli aperti sunt super eum. Sed Baptismus passionem praecessit. Ergo ante passionem caeli apertionem nobis meruit.

2. Lors du baptême [par Jean-Baptiste], les cieux se sont ouverts sur lui. Or, le baptême a précédé la passion. Il nous a donc mérité l’ouverture du ciel avant sa passion.

 [9763] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 qc. 3 arg. 3 Praeterea, videtur quod per ascensionem; per id quod dicitur Mich. 2, 13: ascendet pandens iter ante eos.

3. Il semble [qu’il nous ait ouvert la porte du Paradis] par son ascension, selon ce qui est dit en Mi 2, 13 : Il montera en montrant le chemin devant eux.

 [9764] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, Christus satisfaciendo, nobis januam aperuit. Sed satisfecit per passionem. Ergo per passionem januae apertionem meruit.

Cependant, [1] le Christ nous a ouvert la porte en satisfaisant. Or, il a satisfait par sa passion. Il a donc mérité l’ouverture de la porte par sa passion.

 [9765] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, clausio januae fuit decretum quod erat contrarium nobis. Sed hoc tulit Christus de medio affigens illud cruci; Coloss. 2. Ergo per passionem januae apertionem nobis meruit.

 [2] La fermeture de la porte était un décret qui nous était contraire. Or, le Christ l’a écarté en le fixant sur le croix, Col 2. Il a donc mérité pour nous l’ouverture de la porte par sa passion.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [9766] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod, sicut dicit Damascenus, caro Christi et anima erat quasi instrumentum deitatis, unde quamvis esset alia operatio Dei et hominis, tamen operatio humana habebat in se vim divinitatis sicut instrumentum agit vi principalis agentis: et propter hoc dicit Damascenus quod ea quae hominis sunt, supra hominem agebat; unde et actio Christi meritoria, quamvis esset actio humana, tamen agebat in virtute divina: et ideo erat potestas ei supra totam naturam, quod non poterat esse de aliqua operatione puri hominis, quia homo singularis est minus dignus quam natura communis: quia divinius est bonum gentis quam bonum unius hominis. Et quia omnes homines sunt unus homo in natura communi, ut dicit Porphyrius, inde est quod meritum Christi, quod ad naturam se extendebat, etiam ad singulos se extendere poterat; et ita aliis mereri potuit.

Comme le dit [Jean] Damascène, « la chair et l’âme du Christ étaient comme l’instrument de la divinité ». Ainsi, bien que l’opération de Dieu et de l’homme ait été différente, l’opération humaine avait cependant en elle-même la puissance de la divinité, comme un instrument agit par la puissance de l’agent principal. Pour cette raison, [Jean] Damascène dit que « ce qui relève de l’homme agissait en dépassant l’homme ». Ainsi l’action méritoire du Christ, bien qu’elle ait été une action humaine, agissait cependant avec une puissance divine. Sa puissance dépassait donc la nature entière, ce qui ne pouvait être le cas de l’opération d’un pur homme, parce qu’un homme considéré individuellement est moins digne que la nature commune, puisque le bien du peuple est plus divin que le bien d’un seul homme. Et parce que « tous les hommes sont un seul homme par leur nature commune », comme le dit Porphyre, de là vient que le mérite du Christ, qui s’étendait à la nature, pouvait aussi s’étendre à chacun et ainsi pouvait mériter pour les autres.

 [9767] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Christum mereri pro alio dicitur dupliciter. Aut ita quod ipse mereatur loco alterius, idest quod pertinet ad alium ut mereatur; et sic Christus pro aliis non meruit: quia meritum oportet quod procedat ex voluntate merentis, ut objectio procedebat. Aut ita quod ipse aliquid alteri mereatur quod sub merito illius non cadit; et sic Christus aliis meruit ea quae ipsi sibi mereri non potuerunt.

1. On dit que le Christ mérite pour un autre de deux manières. Soit qu’il mérite à la place d’un autre, c’est-à-dire selon qu’il appartient à un autre de mériter : ainsi le Christ n’a-t-il pas mérité pour les autres, parce qu’il faut que le mérite procède de la volonté de celui qui mérite, comme l’objection l’affirmait. Soit qu’il mérite lui-même pour un autre ce qui ne tombe pas sous le mérite de celui-ci : ainsi le Christ a mérité pour les autres ce qu’ils ne pouvaient pas mériter pour eux-mêmes.

 [9768] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod membra et caput ad eamdem personam pertinent; unde cum Christus fuerit caput nostrum propter divinitatem, et plenitudinem gratiae in alios redundantem, nos autem simus membra ejus; meritum suum non est extraneum a nobis, sed in nos redundat propter unitatem corporis mystici.

2. Les membres et la tête appartiennent à la même personne. Puisque le Christ était notre tête en raison de sa divinité et de la plénitude de sa grâce qui rejaillissait sur les autres, et que nous sommes ses membres, son mérite ne nous est pas étranger, mais rejaillit sur nous en raison de l’unité du corps mystique.

 [9769] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Christus ea quae sunt hominis agebat supra hominem, ut dictum est.

3. Le Christ faisait ce qui relève de l’homme en dépassant l’homme, comme on l’a dit.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [9770] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod sicut clausio januae est obstaculum prohibens ab ingressu domus; ita per similitudinem dicitur janua Paradisi clausa, inquantum est aliquod obstaculum prohibens ab introitu Paradisi. Obstaculum autem potest esse duplex: unum ex parte personae, quod est per peccatum actuale; aliud ex parte naturae, quod est per peccatum originale. Primum quidem obstaculum non est commune omnibus, sed tantum peccatoribus; sed secundum obstaculum est omnibus commune; et hoc quidem obstaculum auferri non potuit nisi per eum cujus operatio in totam naturam potuit, scilicet Christum: et ideo ipse nobis quantum ad hoc apertionem januae meruit, quae per peccatum primi hominis toti vitiatae naturae clausa erat.

De même que la fermeture de la porte est un obstacle empêchant d’entrer dans la maison, de même dit-on par similitude que la porte du Paradis a été fermée, pour autant qu’il y a un obstacle qui empêche l’entrée au Paradis. Or, il peut y avoir un obstacle de deux manières : l’un, du côté de la personne, qui provient du péché actuel; l’autre, du côté de la nature, qui vient du péché originel. Le premier obstacle n’est pas commun à tous, mais aux pécheurs seulement; mais le second obstacle est commun à tous, et cet obstacle ne peut être enlevé que par celui dont l’opération pouvait s’exercer sur la nature entière, le Christ. C’est pourquoi celui-ci nous a mérité sous cet aspect l’ouverture de la porte, qui avait été fermée à toute la nature viciée par le péché du premier homme.

 [9771] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod est duplex Paradisus; scilicet caelestis, quae est ipsa visio Dei, et terrestris. Per peccatum autem primi hominis clausa fuit janua Paradisi terrestris in signum quod humanae naturae claudebatur ostium Paradisi caelestis. Enoch ergo et Elias, quamvis Paradisum terrestrem ante passionem ingressi sint, non tamen Paradisum caelestem, de cujus janua hic loquitur.

1. Il existe un double Paradis : céleste, qui est la vision de Dieu, et terrestre. Or, par le péché du premier homme, la porte du Paradis terrestre a été fermée comme un signe que la porte du Paradis céleste était fermée à la nature humaine. Énoch et Élie, bien qu’ils soient entrés dans le Paradis terrestre avant la passion, n’étaient cependant pas entrés au Paradis céleste. C’est de la porte de celui-ci que nous parlons ici.

 [9772] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod antiqui patres meruerunt introitum Paradisi quantum ad id quod personae est, sicut et nos; tamen quod removeretur impedimentum, quod erat ex parte naturae, mereri non potuerunt; et ideo semper remanebat eis janua clausa.

2. Les pères anciens ont mérité l’entrée au Paradis pour ce qui est de la personne, comme c’est aussi notre cas; cependant, ils ne pouvaient mériter que soit enlevé l’empêchement qui venait de la nature. Aussi la porte demeurait-elle toujours fermée pour eux.

 [9773] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis remotum sit impedimentum quod erat ex parte naturae, per Christum; tamen oportet quod per actum meritorium efficiatur homini Paradisus debitus quantum ad id quod est personae: et ideo oportet quod homo agat ad hoc ut Paradisum intrare mereatur.

3. Bien qu’ait été enlevé par le Christ l’empêchement qui venait de la nature, il est cependant nécessaire que, par l’acte méritoire, le Paradis devienne dû pour l’homme pour ce qui est de la personne. Il est donc nécessaire que l’homme agisse de manière à mériter d’entrer au Paradis.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [9774] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod obstaculum quod januam Paradisi claudebat, ut dictum est, fuit peccatum totam naturam inficiens: et quia peccatum per satisfactionem tollitur, neque satisfactio potuit congrue aliter fieri nisi per passionem Christi, ut infra dicetur: ideo per passionem ipsius tantum aperta est nobis janua, et non per alia quae prius operatus est. Tamen per alia quae prius operatus est meruit nobis conversionem ad ipsum, inquantum meruit se nobis manifestari; per quam nos proficimus, et non ipse.

Comme on l’a dit, l’obstacle qui fermait la porte du Paradis était le péché qui affectait la nature entière. Parce que le péché est enlevé par la satisfaction, la satisfaction non plus ne pouvait être accomplie de manière adéquate que par la passion du Christ, comme on le dira plus loin. C’est pourquoi la porte ne nous a été ouverte que par sa passion, et non par ce qu’il avait fait antérieurement. Toutefois, par ce qu’il a fait antérieurement, il a mérité notre conversion à lui, pour autant qu’il a mérité de nous être manifesté, dont nous qui tirons bénéfice, et non lui.

 [9775] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod meritum satisfactionis non consistit tantum in caritate, sed requirit passionem Christi, ut infra dicetur. Per satisfactionem autem oportebat nobis januam aperiri.

1. Le mérite de la satisfaction ne consiste pas seulement dans la charité, mais exige la passion du Christ, comme on le dira plus loin. Or, il était nécessaire que la porte nous soit ouverte par la satisfaction.

 [9776] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in Baptismo aperti sunt caeli, quia Baptismus est id per quod efficimur participes passionis Christi, consepulti cum ipso in mortem; Rom. 6; unde Baptismus non aperit januam nisi supposita passione.

2. Lors du baptême, les cieux se sont ouverts parce que le baptême est ce par quoi nous devenons participants de la passion du Christ, ensevelis que nous sommes avec lui dans la mort, Rm 6. Le baptême n’ouvre donc la porte qu’en supposant la passion.

 [9777] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ascensio non aperuit januam quantum ad id quod est essentiale in Paradiso, scilicet visionem Dei (quia etiam ante ascensionem Deum viderunt sancti educti de Limbo); sed quantum ad locum congruentem beatis.

3. L’ascension n’a pas ouvert la porte pour ce qui est essentiel dans le Paradis, la vision de Dieu (car, même avant l’ascension, les saints tirés des limbes ont vu Dieu), mais pour ce qui d’un lieu qui convienne aux bienheureux.

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 18

 [9778] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 qc. 3 expos. Ut amota ignea rhomphaea: quae quidem posita in Paradiso terrestri significabat impedimentum quod prohibebat ingressum Paradisi caelestis. Sed vel mox post carnis separationem anima impassibilitate donata est. Hoc probabilius est: quia etiam aliae animae sanctorum, quae nihil purgabile habent, mox post separationem a corpore impassibiles fiunt. In qua forma crucifixus est, in ea exaltatus est; contra. Exaltatio est usque ad aequalitatem patris, quod non convenit sibi secundum humanam naturam, in qua crucifixus est. Dicendum, quod exaltatio potest dupliciter intelligi: aut quantum ad cognitionem nostram; et sic debetur personae ratione utriusque naturae: aut quantum ad rem; et sic cum exaltatio duo importet, terminum ad quem, et motum ad ipsum; terminus convenit personae, secundum quod dicitur exaltari usque ad aequalitatem patris; naturae autem assumptae, secundum quod dicitur exaltari ad potiora bona patris; motus autem convenit tantum naturae: et ideo exaltatio convenit personae ratione naturae. Non est autem inventus inter homines aliquis qui id posset implere. Quia meritum unius puri hominis non poterat in totam naturam. Vix unicuique sua sufficiebat virtus: quia justitiae nostrae imperfectionem habent admixtam; et ideo vix valent quantum ad personale meritum; nullo autem modo ad merendum pro tota natura. Impleto autem Dei decreto aperire valuit. Decretum dicitur Dei praeceptum, quod Adam transgressus est, quod Christus obediendo implevit. Vel decretum dicitur sententia mortis, quam in Adam tulit; et hoc etiam decretum Christus implevit quando mortem sustinuit. Chirographum autem dicitur memoria praevaricationis Adae, sive reatus ipsius, quod Christus pro nobis satisfaciendo delevit. Tantum enim fuit peccatum nostrum ut salvari non possemus, nisi unigenitus Dei filius pro nobis mereretur. De hoc infra, dist. 20, quaere.

 

 

 

Distinctio 19

Distinction 19 – [La libération par la passion du Christ]

Prooemium

Prologue

 [9779] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de merito Christi secundum quod ordinatur ad bonum consequendum sibi et nobis, hic determinat de merito ipsius secundum quod ordinatur ad remotionem mali in nobis: ipse enim in se nec subjectus est culpae neque debitor est poenae. Dividitur autem in duas partes: in prima ostendit quomodo per passionem Christi liberamur a malis; in secunda de causa passionis Christi, dist. 20: si vero quaeritur. Prima in duas: primo ostendit quomodo per meritum passionis Christi sumus liberati a malo; secundo determinat de his quae dicuntur de Christo ratione hujus liberationis, ibi: unde ipse vere dicitur mundi redemptor. Prima in duas: primo ostendit quomodo per passionem Christi liberati sumus a malo culpae, et a potestate instigantis ad culpam, scilicet Daemonis; secundo ostendit quomodo per dictam passionem sumus liberati a malo poenae, ibi: a poena redemit. Circa primum duo facit: primo ponit intentum; secundo exequitur propositum, ibi: sed quomodo a peccatis per ejus mortem soluti sumus ? Circa quod duo facit: primo prosequitur modum quo per Christi passionem et mortem liberati sumus a peccato; secundo quomodo liberati sumus a potestate Diaboli, ibi: a Diabolo liberamur. Circa quod tria facit: primo ostendit quantum ad quid liberati sumus a potestate Diaboli; secundo exponit modum liberationis, ibi: unde Augustinus causam et modum nostrae redemptionis insinuans ait; tertio quod hoc fieri non poterat nisi per Deum et hominem, ibi: factus est igitur homo mortalis. Et a poena redemit. Hic ostendit quomodo sumus liberati a poena per Christi passionem; circa quod duo facit: primo ostendit a qua poena nos liberavit; secundo modum liberationis, ibi: peccata quoque nostra, idest poenam peccatorum nostrorum, dicitur in corpore suo super lignum portasse. Unde ipse vere mediator dicitur. Hic determinat de his quae dicuntur de Christo ratione dictae liberationis: et circa hoc duo facit: primo ostendit quare dicatur redemptor; secundo quare dicatur mediator, ibi: qui solus dicitur mediator. Circa quod tria facit: primo ostendit rationem quare dicitur mediator; secundo ostendit quod ipse solus est mediator, non pater vel spiritus sanctus, ibi: sed cum peccata deleat non solus filius, sed et pater et spiritus sanctus (...) quare solus filius dicitur mediator ? Tertio ostendit secundum quam naturam ipse sit mediator, ibi: unde et mediator dicitur secundum humanitatem. Hic quaeruntur quinque: 1 utrum per passionem Christi simus liberati a peccato; 2 utrum per ipsum simus liberati a potestate Diaboli; 3 utrum per ipsum simus liberati a poena; 4 utrum ratione illius liberationis, Christus dicendus sit redemptor; 5 utrum eadem ratione sit mediator.

Après avoir déterminé du mérite du Christ selon qu’il est ordonné à obtenir un bien pour lui-même et pour nous, le Maître détermine ici de son mérite selon qu’il est ordonné à l’enlèvement du mal en nous : en effet, lui-même n’a pas été soumis à la faute et n’est pas débiteur de la peine. Cela se divise en deux parties : dans la première, il montre comment nous sommes libérés des maux par la passsion du Christ; dans la seconde, il est question de la cause de la passion du Christ, d. 20 : « Mais si on s’interroge… » La première partie se divise en deux : premièrement, il montre comment nous sommes libérés du mal par la passion du Christ; deuxièmement, il détermine de ce qui est dit du Christ en raison de cette libération, à cet endroit : « Aussi est-il appelé le rédempteur du monde. » La première partie se divise en deux : premièrement, il montre comment, par la passion du Christ, nous sommes libérés du mal de la faute et du pouvoir qui incite à la faute, le Démon; deuxièmement, il montre comment nous sommes libérés du mal de la peine, à cet endroit : « Il a racheté de la peine… » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il présente ce qu’il a en vue; deuxièmement, il le met en œuvre, à cet endroit : « Mais comment sommes-nous libérés des péchés par sa mort ? » À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il élabore le mode selon lequel nous sommes libérés du péché par la passion et la mort du Christ; deuxièmement, comment nous sommes libérés du pouvoir du Diable, à cet endroit : « Nous sommes libérés du Diable. » À ce propos, il fait trois choses : premièrement, il montre comment nous sommes libérés du pouvoir du Diable; deuxièmement, il explique le mode de la libération, à cet endroit : « Aussi Augustin dit-il en suggérant la cause et le mode de notre rédemption… »; troisièmement, [il montre] que cela ne pouvait être réalisé que par Dieu et un homme, à cet endroit : « Il est donc devenu un homme mortel. » « Il a racheté de la peine. » Il montre ici comment nous avons été libérés de la peine par la passion du Christ. À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il montre de quelle peine il nous a libérés; deuxièmement, [il montre] le mode de la libération, à cet endroit : « On dit qu’il a porté nos péchés, c’est-à-dire la peine de nos péchés, en son corps sur la croix. » « Aussi est-il vraiment appelé le médiateur. » Il détermine ici de ce qu’on dit du Christ en raison de ladite libération. À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il montre pourquoi il est appelé le rédempteur; deuxièmement, pourquoi il est appelé médiateur, à cet endroit : « Lui qui est appelé le seul médiateur. » À ce propos, il fait trois choses : premièrement, il montre la raison pour laquelle il est appelé médiateur; deuxièmement, il montre que lui seul est le médiateur, et non le Père ni le Saint-Esprit, à cet endroit : « Mais puisque non seulement le Fils détruit nos péchés, mais aussi le Père et le Saint-Esprit…, pourquoi seul le Fils est-il appelé médiateur ? »; troisièmement, il montre selon quelle nature il est médiateur, à cet endroit : « Aussi est-il appelé médiateur selon son humanité. » Ici, cinq questions sont posées : 1 – Sommes-nous libérés du péché par la passion du Christ ? 2 – Sommes-nous libérés par lui du pouvoir du Diable ? 3 – Sommes-nous libérés par lui de la peine ? 4 – Le Christ doit-il être appelé rédempteur en raison de cette libération ? 5 – Est-il médiateur pour la même raison ?

Articulus 1 [9780] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1 tit. Utrum per passionem Christi simus liberati a peccato

Article 1 – Sommes-nous libérés du péché par la passion du Christ ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Sommes-nous libérés du péché par la passion du Christ ?]

 [9781] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod per passionem Christi non simus liberati a peccato. Christus enim non est passus secundum divinam naturam, sed secundum humanam. Sed peccata delere solius est Dei, ut patet Isai. 43, quia ipsius solius est gratiam dare, per quam delentur peccata. Ergo per passionem Christi, peccata nostra deleri non potuerunt.

1. Il semble que nous ne soyons pas libérés du péché par la passion du Christ. En effet, le Christ n’a pas souffert selon sa nature divine, mais selon sa nature humaine. Or, détruire les péchés relève de Dieu seul, comme cela ressort de Is 43, car lui seul peut donner la grâce par laquelle les péchés sont détruits. Nos péchés ne pouvaient donc pas être détruits par la passion du Christ.

 [9782] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, corporale non potest agere in spirituale. Sed passio Christi fuit quoddam corporale. Ergo non potuit agere in animas nostras ad delenda peccata.

2. Ce qui est corporel ne peut agir sur ce qui est spirituel. Or, la passion du Christ était quelque chose de corporel. Elle ne pouvait donc pas agir sur nos âmes pour détruire les péchés.

 [9783] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, liberatio a peccato dicitur esse justificatio. Sed haec attribuitur resurrectioni: resurrexit enim propter justificationem nostram; Rom. 4. Ergo liberatio a peccato non debet attribui passioni, sed resurrectioni.

3. La libération du péché s’appelle la justification. Or, celle-ci est attribuée à la résurrection : En effet, il est ressuscité pour notre justification, Rm 4. La libération du péché ne doit donc pas être attribuée à la passion, mais à la résurrection.

 [9784] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 4 Praeterea, sicut passio Christi excitat in nobis caritatem, ita et alia beneficia Dei: quia ipse nobis temporalia et spiritualia bona tribuit. Similiter etiam sanctorum exempla nos ad caritatem excitant. Et tamen non dicitur quod per omnia beneficia Dei a peccato liberemur. Ergo neque debet dici quod per passionem liberemur a peccato quia nos ad caritatem excitat, ut dicit Magister.

4. De même que la passion du Christ excite en nous la charité, de même aussi les autres bienfaits de Dieu, car il nous a lui-même accordé les bienfaits temporels et spirituels. De même aussi, les exemples des saints nous incitent-ils à la charité. Cependant, on ne dit pas que nous sommes libérés du péché par tous les bienfaits de Dieu. On ne doit donc pas non plus dire que nous sommes libérés du péché par la passion parce qu’elle nous incite à la charité, comme le dit le Maître.

 [9785] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 5 Praeterea, sicut habemus fidem de passione, sic etiam habemus fidem de creatione mundi; et tamen non dicitur quod per bona creationis a peccato mundemur, quamvis fides corda purificet, ut dicitur Act. 15. Ergo videtur quod nec etiam ista ratione dicendum sit quod per passionem a peccatis liberati simus, ut dicit Magister.

5. De même que nous avons foi en la passion, de même avons-nous foi en la création du monde; cependant, on ne dit pas que nous sommes purifiés du péché par les biens de la création, bien que la foi purifie les cœurs, Ac 15. Il ne semble donc pas que, pour cette même raison, on doive dire que nous sommes libérés des péchés par la passion, comme le dit le Maître.

 [9786] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Apoc. 1, 5: lavit nos a peccatis nostris in sanguine suo. Sanguinem autem in passione fudit. Ergo per passionem a peccatis nos liberavit.

Cependant, [1] Ap 1, 5 dit : Il nous a lavés de nos péchés dans son sang. Or, le sang est répandu dans la passion. Il nous a donc libérés des péchés par sa passion.

 [9787] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, signum respondet signato. Sed ritus veteris legis fuit signum et figura Christi. Cum igitur in veteri lege non fuerit sine sanguinis effusione remissio, ut dicitur Hebr. 9, nec peccatorum remissio fit nisi per sanguinis Christi effusionem.

 [2] Le signe correspond à ce qui est signifié. Or, le rite de la loi ancienne est un signe et une figure du Christ. Puisque, sous la loi ancienne, il n’y avait pas de rémission sans effusion de sang, comme le dit He 9, la rémission des péchés n’est pas non plus réalisée sans effusion de sang.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Tous les péchés ont-ils été détruits par la mort du Christ ?]

 [9788] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non omnia peccata per Christi mortem deleta sint. Nullus enim damnatur nisi pro peccato. Sed multi post Christi passionem damnantur. Ergo non quidquid culparum erat, delevit.

1. Il semble que tous les péchés n’aient pas été détruits par la mort du Christ. En effet, personne n’est damné que pour le péché. Or, beaucoup sont damnés après la passion du Christ. Il n’a donc pas détruit tout ce qui se rattachait aux fautes.

 [9789] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, quod semel deletum est, ulterius deleri non potest. Sed peccata praecedentium patrum deleta erant et quantum ad actualia per poenitentiam, et quantum ad originale per circumcisionem. Ergo per passionem Christi non omnia peccata humani generis deleta sunt.

2. Ce qui a été détruit une fois ne peut être à nouveau détruit. Or, les péchés des pères qui ont précédé avaient été détruits, tant les péchés actuels par la pénitence, que le péché originel par la circoncision. Tous les péchés du genre humain n’ont donc pas été détruits par la passion du Christ.

 [9790] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, peccatum non potest deleri antequam fiat, quia tunc nunquam fieret. Sed multa peccata facta sunt post Christi passionem. Ergo non omnia peccata delevit.

3. Le péché ne peut être détruit avant d’être commis, car alors il ne serait jamais commis. Or, beaucoup de péchés ont été commis après la passion du Christ. Il n’a donc pas détruit tous les péchés.

 [9791] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 4 Praeterea, poenitentia et Baptismus et alia bona opera nobis indicuntur ad peccatorum remissionem. Hoc autem non esset, si omnia peccata per mortem Christi deleta essent. Ergo videtur quod non omnia deleta fuerunt.

4. La pénitence, le baptême et toutes les actions bonnes nous sont prescrits en vue de la rémission des péchés. Or, ce ne serait pas le cas si tous les péchés avaient été détruits par la mort du Christ. Il semble donc qu’il n’aient pas tous été détruits.

 [9792] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 5 Praeterea, eorum quae sunt aequalia, unum non destruit alterum. Sed quantum bonum fuit passio Christi ex parte patientis, tantum malum fuit occasio ipsius ex parte occidentium: quia occidebatur Deus, qui erat infinitum bonum. Ergo videtur quod illud peccatum per Christi mortem expiari non potuit.

5. Une parmi des choses égales n’en détruit pas une autre. Or, autant la passion du Christ était un bien du point de vue de celui qui la subissait, autant était-elle cause de chute du point de vue de ceux qui tuaient, car Dieu était tué, lui qui était le bien infini. Il semble donc que ce péché ne pouvait être expié par la mort du Christ.

 [9793] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, Coloss. 2, 13: vivificavit nos cum illo, donans nobis omnia delicta. Sed donare delicta est remittere peccata. Ergo per Christum omnia peccata sunt dimissa.

Cependant, [1] Col 2, 13 dit : Il nous a ramenés à la vie avec lui, en nous pardonnant toutes nos fautes. Or, pardonner les fautes, c’est remettre les péchés. Tous les péchés ont donc été remis par le Christ.

 [9794] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, passio Christi, quantum in se est, aequaliter se habet ad omnia peccata delenda. Si ergo aliqua peccata non delevit, nulla delevit: quod est absurdum.

 [2] En elle-même, la passion du Christ a un rapport égal avec tous les péchés qui doivent être détruits. Si donc elle n’a pas détruit certains péchés, elle n’en a détruit aucun, ce qui est absurde.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [9795] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod delere peccatum dicitur dupliciter. Uno modo formaliter, sicut albedo dicitur delere nigredinem per hoc quod advenit in subjecto; et sic gratiae est delere peccatum. Alio modo dicitur effective; et hoc contingit tripliciter, secundum tria genera causae efficientis. Dicitur enim causa efficiens, uno modo perficiens effectum, et hoc est principale agens inducens formam; et sic solus Deus peccatum delet, quia ipse solus gratiam infundit. Alio modo dicitur efficiens disponens materiam ad recipiendum formam: et sic dicitur peccatum delere ille, qui meretur peccati deletionem: quia ex merito efficitur aliquis dignus quasi materia disposita ad recipiendum gratiam, per quam peccata deleantur. Hoc autem contingit dupliciter: vel sufficienter, vel insufficienter. Sufficienter quidem disposita est materia, quando fit necessitas ad formam: et similiter aliquis sufficienter per meritum disponitur ad aliquid, quando illud efficitur sibi debitum; et hoc est meritum condigni; et sic nullus homo neque sibi neque alteri potest mereri gratiam vel peccati deletionem. Non sibi, quia antequam gratiam habeat, non est in statu merendi, ut patet ex dictis: aliis non, quia actio unius non potest sufficienter transire in alterum, nisi inquantum habet aliquam communitatem cum illo, quae potest esse vel per communionem in natura, vel per conjunctionem affectus. Sed prima conjunctio est essentialis, secunda autem accidentalis. Purus autem homo non potest in naturam, quia, ut supra dictum est, dist., 18, qu. 2, art. 6, quaestiunc. 1, est inferior quam natura; et ideo non potest actio ejus in alium hominem transire secundum quod conjungitur ei in natura, sed solum quantum ad conjunctionem affectus, quae est conjunctio accidentalis; et propter hoc non potest alteri sufficienter mereri, sed ex congruo. Solus autem Christus aliis potest sufficienter mereri: quia potest in naturam, inquantum Deus est, et caritas sua quodammodo est infinita, sicut et gratia, ut supra dictum est, dist. 13, qu. 1, art. 2, quaestiunc. 2. In hoc autem pro tota natura meruit, in quo debitum naturae, scilicet mortis, quae pro peccato ei debebatur, exsolvit ipse peccatum non habens; ut sic non pro se mortem solvere teneretur, sed pro natura solveret; unde satisfaciendo pro tota natura, sufficienter meruit peccatorum remissionem aliis qui peccata habebant. Tertio modo dicitur agens instrumentale; et hoc modo sacramenta delent peccata, quia sunt instrumenta divinae misericordiae salvantis.

On parle de détruire le péché de deux manières. Premièrement, d’une manière formelle, comme on dit de la blancheur qu’elle détruit le noir du fait qu’elle apparaît dans un sujet; il revient ainsi à la grâce de détruire le péché. Deuxièmement, d’une manière efficiente, et cela se produit de trois manières, selon les trois genres de cause efficiente. En effet, on appelle cause efficiente celle qui réalise un effet. Tel est l’agent principal qui amène une forme : seul Dieu détruit ainsi le péché, car lui seul infuse la grâce. D’une autre manière, on parle de cause efficiente pour celle qui dispose la matière à recevoir la forme : on dit ainsi de celui qui mérite la destruction du péché qu’il détruit le péché parce que, par le mérite, quelqu’un est rendu digne de recevoir comme une matière disposée la grâce par laquelle les péchés sont détruits. Or, cela se produit de deux manières : suffisante ou insuffisante. La matière est suffisamment disposée lorsque apparaît la nécessité de la forme; de la même manière, quelqu’un est suffisamment disposé à quelque chose par le mérite lorsque cela lui devient dû : c’est là mériter en justice (meritum condigni). Aucun homme ne peut ainsi mériter la grâce ou la destruction du péché ni pour lui-même ni pour un autre. Ni pour lui-même, car, avant qu’il n’ait la grâce, il n’est pas en état de mériter, comme cela ressort de ce qui a été dit; ni pour les autres, parce que l’action d’un seul ne peut passer de manière suffisante dans un autre, à moins qu’il n’ait quelque chose en commun avec lui, soit par une nature commune, soit par une union affective. Or, la première union est essentielle, mais la seconde, accidentelle. Un pur homme n’a pas pouvoir sur la nature, car, ainsi qu’on l’a dit plus haut, d. 18, q. 2, a. 6, qa 1, il est inférieur à la nature; aussi son action ne peut-elle passer dans un autre homme selon qu’il lui est uni par la nature, mais seulement selon une union affective, qui est une union accidentelle. Pour cette raison, il ne peut mériter suffisamment pour un autre, mais [mériter] par convenance (ex congruo). Or, seul le Christ peut mériter suffisamment pour les autres, car il peut agir sur la nature en tant que Dieu, et sa charité est d’une certaine manière infinie, comme sa grâce, comme on l’a dit plus haut, d. 13, q. 1, a. 2, qa 2. Or, il a mérité pour toute la nature du fait que lui qui n’avait pas de péché a acquitté la dette de la nature, c’est-à-dire la mort, qui lui était due en raison du péché, de telle sorte que, n’étant pas tenu d’acquitter la mort pour lui-même, il l’a acquittée pour toute la nature. En satisfaisant pour toute la nature, il a donc mérité suffisamment la rémission des péchés pour les autres qui avaient des péchés. Troisièmement, on parle d’agent instrumental. De cette manière, les sacrements détruisent les péchés parce qu’ils sont des instruments de la miséricorde divine salvatrice.

 [9796] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ea quae hominis erant, Christus supra hominem faciebat, secundum quod ejus actio habebat virtutem ex divino consortio, ut supra dictum est; et ideo quamvis passio ejus esset secundum quod homo, tamen per passionem peccata delevit, sicut per contactum corporalem leprosum mundavit.

1. Le Christ dépassait l’homme pour ce qui faisait partie de l’homme parce que son action possédait une puissance en vertu de son association avec Dieu, comme on l’a dit plus haut. Même si sa passion lui est arrivée en tant qu’homme, il a cependant détruit les péchés par sa passion, comme il a purifié le lépreux par un contact corporel.

 [9797] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis passio esset in corpore, tamen erat in spiritu acceptare passionem; et ideo per passionem meruit nostrorum spirituum emundationem.

2. Bien que la passion se soit réalisée dans le corps, il relevait cependant de l’esprit d’accepter la passion. Par sa passion, il a donc mérité la purification de nos esprits.

 [9798] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Christus est unius naturae nobiscum; unde ejus actio in nos est aliquo modo univoca, idest similitudinem habens cum effectu. Quamvis autem in justificatione peccata deleantur, tamen justificatio nominat illam mutationem de culpa in gratiam secundum terminum ad quem; peccati autem deletio secundum terminum a quo: et ideo attribuitur peccati deletio morti, quae vitam passibilem, vitae peccatrici similem in poena, a Christo ademit; justificatio autem resurrectioni, per quam nova vita in Christo inchoata est; et hoc est quod apostolus dicit, Rom. 4, 25, quod resurrexit propter justificationem nostram, et traditus est propter delicta nostra.

3. Le Christ a la même nature que nous. Aussi son action sur nous est-elle d’une certaine manière univoque, c’est-à-dire qu’elle a une ressemblance avec son effet. Or, bien que les péchés soient détruits par la justification, la justification désigne cependant le changement de la faute à la grâce selon le terme ad quem, mais la destruction du péché selon le terme a quo. C’est pourquoi la destruction du péché est attribuée à la mort, qui a enlevé au Christ la vie passible, semblable à [la vie] péchéresse pour la peine; mais la justification [a été attribuée] à la résurrection, par laquelle une vie nouvelle a commencé pour le Christ. C’est là ce que l’Apôtre dit, Rm 4, 25 : Il a ressuscité pour notre justification, et il a été livré à cause de nos fautes.

 [9799] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Christus, inquantum nobis influxit per meritum, dicitur caput nostrum, ut supra, dist. 13, qu. 2, art. 1, dictum est. Ex capite autem non recipitur influxus in membris divisis, sed in membris conjunctis capiti, quantumcumque caput ex se sufficiens sit ad influendum. Unde quamvis meritum Christi sit sufficiens ad delendum peccata, tamen ad efficientiam deletionis requiruntur ea quae capiti conjungunt. Hujusmodi autem sunt fides et caritas. Et ideo Magister assignat fidem passionis, et caritatem quasi causas efficientiae deletionis culpae; causam tamen sufficientiae assignat in hoc quod dicit, quod mors Christi est verum sacrificium, per quod peccata delentur. Unde quamvis ex aliis divinis beneficiis et sanctorum exemplis caritas excitetur, non tamen conjungit merito sufficienti ad culpae deletionem inquantum ex eis excitatur, sed inquantum excitatur ex passione Christi.

4. En tant qu’il a influé sur nous par son mérite, le Christ est appelé notre tête, comme on l’a dit plus haut, d. 13, q. 2, a. 1. Or, l’influx n’est pas reçu par les membres séparés, mais par les membres unis à la tête, aussi suffisante que soit la tête pour influer. Bien que le mérite du Christ soit suffisant pour détruire les péchés, est requis ce qui relie la tête pour l’efficacité de la destruction. Or, telles sont la foi et la charité. C’est pourquoi le Maître indique la foi en la passion et la charité comme causes de l’efficacité de la destruction de la fauteé. Mais il indique la cause de la suffisance lorsqu’il dit que la mort du Christ est un vrai sacrifice par lequel les péchés sont détruits. Bien que la charité soit stimulée par les autres bienfaits de Dieu et par les exemples des saints, elle ne relie cependant pas à un mérite suffisant pour détruire la faute pour autant qu’elle est strimulée par eux, mais pour autant qu’elle est stimulée par la passion du Christ.

 [9800] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 5 Similiter dicendum ad quintum de fide.

5. Il faut répondre de la même manière à propos de la foi.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [9801] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod ad hoc quod aliquid in alterum effectum inducere possit, duo requiruntur: unum ex parte agentis, scilicet quod habeat virtutem sufficientem ad inducendum illum effectum; alterum ex parte recipientis, ut scilicet dispositum sit ad suscipiendum actionem. Christi autem qui nobis meruit deletionem peccatorum, invenitur sufficientia ad delendum omnia peccata nostra ex duobus: scilicet ex actione, in qua meritum consistit, quae agit ut divina, eo quod est actio Dei et hominis, ut dictum est; et ex hoc habet infinitam in merendo efficaciam; et iterum ex eo quod passio abstulit, scilicet animam Deo unitam, quae etiam habebat infinitum valorem ex hoc quod est Deo unita; et ex hoc est infinita efficacia in satisfaciendo. Ex parte autem nostra requiritur ut nos praeparemus ad meriti Christi effectum in nobis suscipiendum per fidem intellectus, et caritatem affectus, et per imitationem operis, quod quidem non contingit in omnibus; et ideo quo ad sufficientiam satisfactionis et meriti, omnia peccata per Christi passionem deleta sunt, non autem quantum ad efficientiam.

Pour qu’une chose puisse produire un effet sur une autre, deux choses sont nécessaires : l’une, du point de vue de l’agent, à savoir qu’il ait une puissance suffisante pour entraîner cet effet; l’autre, du point de vue de ce qui reçoit, à savoir qu’il soit disposé à recevoir l’action. Or, la suffisance du Christ qui nous a mérité la destruction des péchés vient de deux choses : de l’action en laquelle consiste le mérite, qui agit comme une action divine du fait qu’elle est l’action de Dieu et de l’homme, comme on l’a dit; et du fait qu’elle a une efficacité infinie pour mériter, et, de plus, du fait que la passion a emporté l’âme unie à Dieu, qui avait aussi une valeur infinie par son union à Dieu. De là vient l’efficacité infinie de la satisfaction. Mais, de notre point de vue, il est nécessaire que nous nous préparions à recevoir l’effet du mérite du Christ par la foi de l’ntelligence et la charité de l’affectivité, et par l’imitation de son action, ce qui ne se produit pas chez tous. C’est pourquoi, pour ce qui est de la suffisance de la satisfaction et du mérite, tous les péchés ont été détruits par la passion du Christ, mais non pour ce qui est de l’efficacité.

 [9802] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in illis qui damnantur, est indispositio ad recipiendum effectum meriti Christi; unde ex hoc contingit quod eorum peccata non delentur, non ex insufficientia meriti passionis Christi.

1. Chez ceux qui sont damnés, il existe un manque de disposition à recevoir l’effet du mérite du Christ. De là vient que leurs péchés ne sont pas détruits, et non de l’insuffisance du mérite de la passion du Christ.

 [9803] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod etiam in sanctis qui fuerunt ante incarnationem, habuit effectum passio Christi, inquantum fidem habebant passionis ipsius, per quam justificabantur. Quia autem passio nondum erat in rerum natura, sed in fide eorum, inquantum personali actione in Christum credebant: ideo illa justificatio qua per fidem passionis Christi justificabantur, non se extendebat nisi ad removendum personale impedimentum, non autem ad removendum impedimentum naturae: et propter hoc ipsi quidem a peccato mundabantur, sed Paradisi januam non intrabant, quia nondum erat amotum impedimentum naturae.

2. Même chez les saints qui ont précédé l’incarnation, la passion du Christ a été efficace pour autant qu’ils ont eu la foi en sa passion, par laquelle ils étaient justifiés. Mais parce que la passion n’existait pas encore en réalité, mais dans leur foi, pour autant qu’ils croyaient à l’action personnelle chez le Christ, cette justification, par laquelle ils étaient justifiés par la foi en la passion du Christ, ne s’étendait qu’à l’enlèvement de l’empêchement personnel, mais non à l’enlèvement de l’empêchement de nature. Pour cette raison, ils étaient purifiés, mais ils n’entraient pas par la porte du paradis, car l’empêchement de nature n’était pas encore enlevé.

 [9804] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod passio Christi quantum ad sufficientiam potest delere peccata etiam antequam fiant; sed efficientia deletionis non est nisi postquam aliquis a peccato commisso avertitur; sicut medicina sufficiens ad sanandum paratur interdum antequam aliquis infirmetur; sed non sanatur per ipsam actu, nisi postquam infirmus fuerit.

3. La passion du Christ, du point de vue de sa suffisance, peut détruire les péchés même avant qu’ils ne soient commis; mais l’efficacité de la destruction ne se réalise qu’après que quelqu’un s’est détourné du péché commis, comme un remède suffisant pour guérir est parfois préparé avant que quelqu’un soit malade, mais il n’est guéri par lui en acte qu’après être devenu malade.

 [9805] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Baptismus, poenitentia, et alia sacramenta exiguntur ad deletionem peccatorum, sicut instrumentaliter agentia ad deletionem culpae: unde agunt in virtute passionis dominicae, et ipsam passionis virtutem in nos quodammodo transfundunt.

4. Le baptême, la pénitence et les autres sacrements sont nécessaires pour la destruction des péchés comme des agents instrumentaux de la destruction de la faute, Ils agissent donc par la puissance de la passion du Seigneur et versent d’une certane manière en nous la puissance de la passion.

 [9806] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quamvis ille qui occidebatur, esset Deus, non tamen cognoscebant occisores ipsum esse Deum: quia si cognovissent, nunquam dominum gloriae crucifixissent: 1 Corinth. 2, 8; unde eorum peccatum ex ignorantia minuitur, quamvis non ex toto excusetur. Et etiam quamvis habeant aequalitatem, eorum peccatum et meritum Christi, secundum quid, scilicet quantum ad objectum actus: quia vitam corporalem, quam Christus caritative dedit, illi nequiter extinxerunt: non tamen habent aequalitatem quantum ad modum: quia multo major fuit caritas ex parte Christi animam ponentis, quam nequitia ex parte illorum qui illam animam nequiter extorserunt: et iterum bonum est efficacius quam malum, quod non nisi virtute boni agit, ut dicit Dionysius.

5. Bien que celui qui était tué ait été Dieu, ceux qui le tuaient ne savaient pas qu’il était Dieu, car s’ils l’avaient su, jamais ils n’auraient crucifié le Seigneur de gloire, 1 Co 2, 8. Leur péché est donc diminué par l’ignorance, bien qu’il ne soit pas entièrement excusé. Et bien que leur péché et le mérite du Christ soient égaux d’un certain point de vue, à savoir, pour ce qui est de l’objet de l’acte, parce qu’ils n’ont pas méchamment éteint la vie corporelle que le Christ donnait par charité, ils n’ont cependant pas une égalité pour ce qui est de la manière, car la charité qui livrait son âme était bien plus grande du côté du Christ, que la méchanceté du côté de ceux qui arrachaient cette âme avec méchanceté. De plus, « le bien est plus efficace que le mal, qui n’agit que par la puissance du bien », comme le dit Denys.

 

 

Articulus 2 [9807] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 2 tit. Utrum simus liberati a Diabolo per passionem Christi

Article 2 – Sommes-nous libérés du Diable par la passion du Christ ?

 [9808] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod per Christi passionem non simus liberati a Diabolo. Libertas enim hominis in hoc consistit quod cogi non potest. Sed sicut nunc liberum arbitrium cogi non potest a Diabolo, ita nec ante Christi passionem. Ergo passio Christi non liberavit nos a potestate Daemonis.

1. Il semble que nous ne soyons pas libérés du Diable par la passion du Christ. En effet, la liberté de l’homme consiste en ce qu’il ne puisse être forcé. Or, de même que maintenant le libre arbitre ne peut pas être forcé par le Diable, de même non plus avant la passion du Christ. La passion du Christ ne nous a donc pas libérés du pouvoir du Diable.

 [9809] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, Diabolus non habuit potestatem in res ipsius Job, neque in carnem ejus, nisi cum accepit eam a Deo. Sed modo etiam accepta potestate a Deo, potest homines affligere in rebus et in personis. Ergo in nullo sumus modo magis liberi ab ejus potestate quam ante.

2. Le Diable n’avait pas pouvoir sur les biens de Job lui-même, ni sur sa chair, avant de l’avoir reçu de Dieu. Or, maintenant, par un pouvoir aussi reçu de Dieu, il peut affliger les hommes dans leur biens et dans leurs personnes. Nous ne sommes donc en rien plus libres de son pouvoir qu’antérieurement.

 [9810] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, ante passionem Christi, Daemon aliter non nocebat hominibus, nisi tentando quantum ad animam, et vexando quantum ad corpora. Sed hoc etiam quotidie facit. Ergo in nullo ejus virtus est diminuta.

3. Avant la passion du Christ, le Démon ne nuisait pas autrement aux hommes qu’en les tentant dans leur âme et en les tourmentant dans leurs corps. Or, il fait encore cela tous les jours. Sa puissance n’a donc pas été diminuée.

 [9811] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, illi proprie sub Diaboli servitute detinentur qui ipsi servitutem latriae impendunt. Sed adhuc hodie sunt idolatrae multi. Ergo humanum genus non est liberatum a servitute Diaboli.

4. Sont à proprement parler détenus au pouvoir du Diable ceux qui lui accordent un culte de latrie. Or, il y a encore aujourd’hui beaucoup d’idolâtres. Le genre humain n’a donc pas été libéré de la servitude du Diable.

 [9812] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, apostolus dicit, 2 Tim. 3, 1, quod in novissimis diebus instabunt tempora periculosa, et erunt homines seipsos amantes; et etiam tempore Antichristi magis praevalebit quam nunquam fecerit. Ergo videtur quod per passionem Christi non sit virtus Daemonis extincta.

5. L’Apôtre dit, 1 Tm 3, 1 : Dans les derniers jours, se présenteront des moments dangereux et les hommes s’aimeront eux-mêmes; et aussi, au temps de l’Antéchrist, il l’emportera davantage qu’il ne l’a jamais fait. Il semble donc que la puissance du Démon n’ait pas été anéantie.

 [9813] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, Joan. 12, 31, instante passione dixit dominus: princeps mundi hujus ejicietur foras. Ergo per passionem Christi principatus sui dominium amisit.

Cependant, [1] alors que la passion était imminente, le Seigneur a dit : Le prince de ce monde sera jeté dehors! Par la passion du Christ, il a donc perdu la puissance par laquelle il dominait.

 [9814] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, victoris est adversarium a potestate dominii ejicere. Sed Christus per passionem victor fuit: Apoc. 5, 5: vicit leo de tribu Juda. Ergo potestatem Daemonibus abstulit.

 [2] Il appartient au vainqueur d’écarter son adversaire du pouvoir. Or, le Christ a été victorieux par sa passion. Ap 5, 5 : Le lion de la tribu de Juda l’a emporté. Il a donc arraché le pouvoir du Diable.

 [9815] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 2 s. c. 3 Praeterea, Diabolus per peccatum homini dominatur. Sed Christus per passionem homines a peccato liberavit. Ergo et a potestate Daemonis.

 [3] Le Diable l’emporte sur l’homme par le péché. Or, le Christ a libéré les hommes du péché par sa passion. Il les a donc [libérés] aussi de son pouvoir.

 [9816] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod potestas Daemonis in duobus consistit, scilicet in impugnando, et detinendo devictos. Ex eo autem quod quis impugnatur, nondum servus factus est, sed ex eo quod victus est, ut patet 2 Petr., 2, 19. Devicerat autem Diabolus totum humanum genus in primis parentibus, et eis dominabatur, dum eos ad hoc secundum suum votum deduxerat ut nullus Paradisi januam introiret: devincit etiam unumquemque singulariter, dum eum ad peccatum inclinat, quia qui facit peccatum, servus est peccati; Joan. 8, 34. Potestatem igitur Diaboli qua victos detinet, Christus per passionem ex toto amovit quantum ad sufficientiam, licet non quantum ad efficientiam nisi in illis qui vim passionis suscipiunt per fidem, caritatem, et sacramenta: et per hoc dicitur dominium Diaboli evacuasse. Sed potestatem qua impugnat, non ex toto evacuavit, sed debilitavit, dum ipsum hostem vicit, et hominibus auxilia multa ad resistendum tribuit, sicut sacramenta, gratiam abundantiorem, et alia hujusmodi.

Réponse. Le pouvoir du Démon consiste en deux choses : à combatre et à retenir les vaincus. Or, du fait que quelqu’un est assailli, il n’est pas encore devenu esclave, mais [il l’est devenu] en étant vaincu, comme cela ressort de 2 P 2, 19. Or, le Diable avait vaincu tout le genre humain dans les premiers parents et ils les dominait, alors qu’il les avait conduits, comme il le voulait, à ce que personne n’entrerait par la porte du Paradis; il l’emporte aussi sur chacun en particulier lorsqu’il l’incline au péché, car celui qui commet le péché est l’esclave du péché, Jn 8, 34. Le Christ a donc écarté entièrement par sa passion, pour ce qui est de sa suffisance, le pouvoir par lequel le Diable retient les vaincus, bien que, du point de vue de l’efficacité, chez ceux-là seulement qui reçoivent la puissance de la passion par la foi, la charité et les sacrements. En ce sens, on dit qu’il a anéanti le pouvoir du Diable. Mais il n’a pas entièrement anéanti le pouvoir par lequel [celui-ci] assaille; il l’a cependant affaibli lorsqu’il a vaincu l’ennemi et a donné aux hommes beaucoup de secours pour résister, comme les sacrements, une grâce plus abondante et les autres choses de ce genre.

 [9817] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod quamvis ante passionem Christi non posset cogere liberum arbitrium, sicut nec modo, tamen poterat magis inclinare, inquantum homo erat debilior ad resistendum.

1. Bien qu’il n’ait pas pu forcer le libre arbitre avant la passion, comme il ne le peut pas maintenant, il pouvait cependant l’incliner davantage, pour autant que l’homme était plus faible pour résister.

 [9818] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod hoc quod homines in rebus et personis affligit, vel est ex merito culpae ipsorum, vel ad probationem justorum, et exercitium patientiae ipsorum; et non est ex insufficientia passionis Christi.

2. Le fait qu’il afflige les hommes dans leurs biens et dans leurs personnes vient soit de ce que leur faute a mérité, soit de la mise à l’épreuve des justes et de l’exercice de leur patience; et cela ne vient pas de l’insuffisance de la passion du Christ.

 [9819] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis modo tentet sicut et ante, non tamen ita de facili superat, inquantum homo plura remedia habet.

3. Bien qu’il tente maintenant comme auparavant, il ne l’emporte cependant pas aussi facilement, dans la mesure où l’homme a plusieurs remèdes.

 [9820] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod hoc quod idolatrae adhuc manent sub servitute Daemonis, contingit ex hoc quod auxilia quae sunt ex passione Christi, accipere negligunt.

4. Le fait que les idolâtres demeurent encore sous la servitude du Démon se produit parce qu’ils négligent de recevoir les secours qui viennent de la passion du Christ.

 [9821] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod multitudo malorum qui erunt in ultimis temporibus, non erit ex hoc quod virtus passionis Christi deficiat, sed quia armaturam Dei qua armati sunt per passionem Christi abjicient, vel contemnent: quia refrigescet caritas multorum; Matth. 24, 12; et ideo non est mirum, si devincantur.

5. La multitude des maux des derniers temps ne viendra pas du fait que la puissance de la passion du Christ fait défaut, mais parce que ceux qui ont été armés par la passion du Christ rejetteront leur armure ou la mépriseront, car la charité de beaucoup se refroidira, Mt 24, 12. Il n’est donc pas étonnant qu’ils soient défaits.

Articulus 3 [9822] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 3 tit. Utrum per passionem Christi a poena aeterna liberati sumus

Article 3 – Sommes-nous libérés de la peine éternelle par la passion du Christ ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Sommes-nous libérés de la peine éternelle par la passion du Christ ?]

 [9823] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod per passionem Christi non sumus liberati a poena aeterna. Poena enim aeterna est poena Inferni. Sed in Inferno nulla est redemptio. Igitur a poena aeterna Christi passio non liberat.

1. Il semble que nous ne soyons pas libérés de la peine éternelle par la passion du Christ. En effet, la peine éternelle est la peine de l’enfer. Or, il n’y a pas de rédemption dans l’enfer. La passion du Christ ne nous libère donc pas de la peine éternelle.

 [9824] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, si Christus non fuisset passus, nullus in Infernum ivisset, nisi peccasset mortaliter. Sed nunc etiam Christo passo, solum mortaliter peccantes in Infernum vadunt. Ergo Christi passio non liberavit nos a poena aeterna.

2. Si le Christ n’avait pas souffert, personne ne serait allé en enfer que ceux qui auraient péché mortellement. Or, maintenant aussi, après que le Christ a souffert, seuls ceux qui pèchent mortellement vont en enfer. La passion du Christ ne nous donc pas libérés de la peine éternelle.

 [9825] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, poena quae finiri potest, aeterna non fuit. Sed poena a qua Christus homines liberavit, finita est. Ergo a poena aeterna non liberavit.

3. Une peine qui peut se terminer n’était pas éternelle. Or, la peine par laquelle le Christ a libéré les hommes s’est terminée. Elle n’a donc pas libéré d’une peine éternelle.

  [9826] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, peccatum est causa mortis aeternae. Sed Christus liberavit a peccato. Ergo et a poena aeterna.

Cependant, [1] le péché est la cause de la mort éternelle. Or, le Christ a libéré du péché. Donc aussi, de la peine éternelle.

 [9827] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, Zach. 9, 11: tu autem in sanguine testamenti eduxisti vinctos de lacu in quo non est aqua.

 [2] Za 9, 11 : Par le sang de l’Alliance, tu as tiré les vaincus de l’étang où il n’y avait point d’eau.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le Christ nous a-t-il libérés de la peine temporelle ?]

 [9828] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non liberavit nos a poena temporali. Quia adhuc pro peccatis poena temporalis injungitur poenitentibus. Ergo ab ea per Christum non sumus liberati.

1. Il semble qu’il ne nous ait pas libéré de la peine temporelle, car une peine temporelle est encore imposée aux pénitents. Nous n’avons donc pas été libérés d’elle par le Christ.

 [9829] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, 1 Petr., 2, 21: Christus passus est pro nobis, vobis relinquens exemplum, ut sequamini vestigia ejus. Hoc autem non est nisi patiendo. Ergo Christus per suam passionem nos obligavit ad patiendum poenam temporalem, magis quam ab ea liberavit.

2. 1 P 2, 21 dit : Le Christ a souffert pour nous, en vous laissant un exemple pour que vous suiviez ses traces. Or, cela n’existe que par la patience. Par sa passion, le Christ nous a donc obligés à supporter la peine temporelle, plutôt qu’il ne nous en a libérés.

 [9830] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, per resurrectionem mortuorum liberamur ab omni poena temporali. Sed etiam si Christus non fuisset passus, mortui resurgerent: quia resurrectio mortuorum est articulus fidei. Ergo passio Christi non liberat nos a poena temporali.

3. Nous sommes libérés de toute peine temporelle par la résurrection des morts. Or, même si le Christ n’avait pas souffert, les morts auraient ressuscité, car la résurrection des morts est un article de foi. La passion du Christ ne nous libère donc pas de la peine temporelle.

 [9831] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 4 Praeterea, posita causa sufficienti ponitur effectus. Sed adhuc in illis qui vim passionis Christi omnibus modis in se excipiunt, manet poena temporalis. Ergo passio Christi non liberat a poena temporali.

4. Une fois mise en place une cause suffisante, l’effet suit. Or, la peine temporelle demeure encore pour ceux qui se soustraient de toutes les manières à la puissance de la passion du Christ. La passion du Christ ne libère donc pas de la peine temporelle.

 [9832] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, per claves Ecclesiae remittitur poena temporalis. Sed claves Ecclesiae virtutem habent a passione Christi. Ergo per passionem Christi tollitur poena temporalis.

Cependant, [1] la peine temporelle est remise par les clés de l’Église. Or, les clés de l’Église tirent leur puissance de la passion du Christ. La peine temporelle est donc enlevée par la passion du Christ.

 [9833] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, Deus non punit bis in idipsum: Naum, 1. Sed Deus posuit in Christo iniquitates omnium nostrum, dum ipse dolores nostros portavit; Isai. 53. Ergo nos a poena temporali per suam passionem liberavit.

 [2] Dieu ne punit pas deux fois pour la même chose, Ne 1. Or, Dieu a fait porter au Christ les fautes de nous tous, alors qu’il a porté nos douleurs, Is 53. Il nous a donc libérés de la peine temporelle par sa passion.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [9834] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod poena aeterna dicitur per oppositum ad vitam aeternam; unde poena per quam vita aeterna privantur, dicitur poena aeterna. Homo autem vitam aeternam amittere potest dupliciter: scilicet per peccatum naturae, scilicet originale, cujus poena est carentia visionis divinae, et per peccatum personale actuale, scilicet mortale. Poenam igitur aeternam, secundum quod ex originali consequitur, omnes incurrerunt: sed quidam secundum reatum tantum, sicut qui adhuc vivebant in carne: quidam autem secundum experientiam illius poenae, sicut qui jam mortui erant. Similiter etiam poenam aeternam quae debetur peccato actuali, non omnes incurrerunt; sed quidam, vel quantum ad reatum tantum, sicut existentes in mortali, vel quantum ad experientiam, sicut damnati. Christus igitur per passionem suam a poena aeterna quae debetur originali, quod omnes contrahunt, dupliciter absolvit: scilicet auferendo reatum quantum ad illos qui participes efficiebantur redemptionis ejus, et adhuc vivebant; et auferendo poenam quantum ad illos qui mortui erant: ab omnibus quidem quantum ad sufficientiam; sed quantum ad efficientiam ab illis in quibus nullum inveniebatur. Sed a poena debita mortali actuali dupliciter absolvit: uno modo, praebendo auxilium, ne aliquis reatum illum incurreret; alio modo, praebendo etiam medicamenta quibus reatus posset auferri ab illis qui in se vim passionis ejus receperunt. Sed quod a poena illa jam actualiter suscepta aliquis liberetur esse non potest: quia non est in statu viatoris, ut gratiam et caritatem suscipere possit, per quam vis passionis Christi in homines transfunditur.

Réponse. On parle de peine éternelle par opposition à la vie éternelle; la peine par laquelle on est privé de la vie éternelle est donc appelée la peine éternelle. Or, l’homme peut perdre la vie éternelle de deux manières : par le péché de nature, c’est-à-dire originel, dont la peine est la carence de la vision de Dieu; et par le péché personnel actuel, c’est-à-dire mortel. Tous ont donc encouru une peine éternelle selon qu’elle découle du péché originel; mais certains, selon la culpabilité seulement, comme c’est le cas de ceux qui vivaient dans la chair, et d’autres par l’expérience de cette peine, comme ceux qui sont déjà morts. De même aussi, tous n’ont pas encouru la peine éternelle qui est due au péché actuel, mais certains, selon la culpabilité seulement, comme ceux qui vivent dans le péché mortel, ou par l’expérience, comme les damnés. Par sa passion, le Christ a donc absous de deux manières la peine éternelle qui est due au péché originel que tous contractent : en enlevant le péché chez ceux qui devenaient participants de sa rédemption et étaient encore vivants; et en enlevant la peine chez ceux qui étaient morts, chez tous, cependant, d’une manière suffisante, mais par mode d’efficacité chez ceux où il ne s’en trouvait aucun. Mais il absout de la peine due pour le péché mortel actuel de deux manières. D’une manière, en portant secours pour que personne n’encoure ce péché; d’une autre manière, en fournissant les remèdes par lesquels le péché pourrait être enlevé de ceux qui n’ont pas reçu la puissance de sa passion. Mais il ne pourrait libérer quelqu’un de cette peine déjà effectivement reçue, car celui-ci n’est pas dans l’état de viator pour pouvoir recevoir la grâce et la charité, par lesquelles la puissance de la passion du Christ est versée dans les hommes.

 [9835] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod poena aeterna non solum dicitur poena Inferni, in qua sunt damnati, a qua non potest esse redemptio (quia illi nec gratiam habent nec gratiae capaces sunt, ut possit eis continuari passio Christi), sed dicitur poena aeterna etiam Limbi, in quo erant sancti patres, a qua poterat esse redemptio propter gratiam et caritatem quae in illis sanctis erat per quam eis Christi passio continuabatur.

1. On ne parle pas de peine éternelle seulement pour la peine de l’enfer, dans lequel se trouvent les damnés et pour laquelle il ne peut y avoir de rédemption (car ceux-là n’ont pas la grâce et ne sont pas capables de grâce, de sorte que la passion du Christ ne peut être en contact avec eux), mais on parle aussi de la peine éternelle des limbes, où se trouvaient les saints pères et dont il peut y avoir rédemption par la grâce et la charité qui existaient chez ces saints, grâce auxquelles ils étaient en contact avec la passion du Christ.

 [9836] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis illi qui peccant mortaliter post passionem Christi, in Infernum vadunt, tamen passio Christi poterat eos praeservare a peccato, et etiam sanare vulnus peccati in ipsis; et ideo quantum in se est, a poena infernali liberat.

2. Bien que ceux qui pêchent mortellement après la passion du Christ aillent en enfer, la passion du Christ pouvait cependant les préserver du péché et même guérir en eux la blessure du péché. En elle-même, elle libère donc de la peine de l’enfer.

 [9837] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod poena Inferni dicitur aeterna, tum quia in eo qui punitur, non est virtus ad liberandum se a poena illa: tum quia non est dispositio, ut virtus liberans in eo effectum habere possit; et ideo nullo modo terminari potest. Sed poena Limbi erat aeterna inquantum deficiebat in punito virtus ad liberandum; unde in aeternum durasset, nisi liberatio affuisset; quamvis esset dispositio ad recipiendum effectum liberantis, et ideo terminari poterat. Sed poena Purgatorii neutro modo est aeterna: quia per virtutem gratiae, quam ille qui punitur, habet, poena illa purgat, et terminatur purgatione completa.

3. On dit que la peine de l’enfer est éternelle parce que celui qui y est puni n’a pas la capacité de se libérer de cette peine et parce qu’il n’existe pas de disposition pour que la puissance libératrice puisse avoir un effet en lui. Aussi [cette peine] ne peut-elle se terminer d’aucune manière. Mais la peine des limbes était éternelle dans la mesure où il manquait chez celui qui est puni la capacité de se libérer. Aussi aurait-elle duré éternellement, s’il n’y avait pas eu de libération, bien qu’une disposition à recevoir l’effet de celui qui libérait ait existé. Elle pouvait donc se terminer. Mais la peine du purgatoire n’est éternelle d’aucune de ces manières, car, par la puissance de la grâce que possède celui qui est puni, cette peine purifie et se termine par une purification complète.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [9838] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod poena temporalis dicitur per quam privatur aliquod bonum temporale: quia bonum temporale non est natum manere semper. Haec autem temporalis poena in homine est duplex. Quaedam quae universaliter invenitur in tota humana natura, sicut necessitas moriendi, passibilitas, inobedientia carnis ad spiritum, et hujusmodi: et haec quidem poena naturae humanae debetur ex originali peccato: nihilominus hujusmodi ex principiis naturae consequuntur gratia innocentiae destitutae. Has igitur poenas per suam passionis poenam Christus ab omnibus sufficienter exclusit, quamvis non efficaciter ab omnibus, scilicet illis qui ejus passionis participes non sunt; nec tamen ita quod statim post passionem ab omnibus auferantur, vel ita quod auferantur ab illis qui sacramenta passionis ejus percipiunt, statim post perceptionem sacramenti: sed in fine mundi ab omnibus sanctis simul auferentur: quia istae poenae debentur naturae, in qua omnes sunt unum; unde tunc non solum hominum, sed totius mundi natura reparabitur per resurrectionem: quia et ipsa creatura liberabitur a servitute corruptionis in libertatem gloriae filiorum Dei: Rom. 8, 21. Aliae autem poenae sunt quae aliquibus hominibus specialiter infliguntur; et hae poenae dupliciter ad eos comparantur. Uno modo ut vindicantes culpam, secundum quod culpa facit debitum hujus poenae: et hoc modo Christus omnes istas poenas sua morte quantum ad sufficientiam abstulit, removendo causam. Sed ad hoc quod aliquis his poenis quantum ad efficaciam liberetur, exigitur quod passionis Christi particeps fiat; quod quidem contingit dupliciter. Primo quidem per sacramentum passionis, scilicet Baptismum, in quo consepelimur Christo in mortem, ut dicitur Rom. 6, in quo divina virtus quae inefficaciam nescit, operatur salutem; et ideo omnis talis poena in Baptismo tollitur. Secundo aliquis fit particeps Christi per realem conformitatem ad ipsum, scilicet inquantum Christo patiente patimur, quod quidem fit per poenitentiam. Et quia haec conformatio fit per nostram operationem, ideo contingit quod est imperfecta, et perfecta. Et quando quidem est perfecta conformatio secundum proportionem ad reatum culpae, tunc poena totaliter tollitur, sive hoc sit in contritione tantum, sive etiam sit in aliis partibus poenitentiae. Quando autem non est perfecta conformatio, tunc adhuc manet obligatio ad aliquam poenam vel hic vel in Purgatorio. Non tamen oportet quod sit conformatio ad passionem Christi secundum experientiam tantae poenae ad quantam aliquis obligatur ex culpa: quia passio capitis in membra redundat; et tanto plus, quanto est ei aliquis per caritatem magis conjunctus; unde ex vi passionis Christi diminuitur quantitas debitae poenae; et secundum hoc dicitur has poenas auferre, inquantum eas diminuit. Alio modo dictae poenae comparantur ad eos quibus infliguntur, ut medicinae: quia poenae sunt quaedam medicinae, ut dicitur 2 Ethic., vel sibi, inquantum scilicet praeservant a culpa, seu ad virtutem promovent; vel aliis, inquantum scilicet est aliis exemplum, ut unus pro aliis aliqualiter satisfaciat: et hoc modo per passionem Christi poena temporalis non est neque totaliter ablata, neque diminuta, sed magis augmentata caritate crescente, quantum ad praesentem statum, in quo et peccare possumus, et proficere nobis et aliis; sed in futuro, quando erit terminus viae, omnino poena tolletur per virtutem passionis Christi.

La peine temporelle est celle par laquelle on est privé d’un bien temporel, car le bien temporel n’est pas destiné à demeurer pour toujours. Or, cette peine temporelle chez l’homme est double. L’une est celle qui se trouve dans toute la nature humaine, comme la nécessité de mourir, la passibilité, l’insoumission de la chair à l’esprit et celles de ce genre. Cette peine de la nature humaine est due en raison du péché originel; néanmoins, [les peines] de ce genre découlent des principes de la nature déchue de la grâce de l’innocence. Le Christ a donc écarté ces peines pour tous de manière suffisante par la peine de sa passion, bien que non pour tous de manière efficace, à savoir, chez ceux qui ne participent pas à sa passion. Cependant, [il ne les a pas écartées] de telle sorte qu’elles soient immédiatement enlevées pour tous, ni de telle sorte qu’elles soient enlevées de ceux qui reçoivent les sacrements de sa passion, aussitôt après la réception du sacrement; mais elles seront enlevées pour tous les saints à la fin du monde, car ces peines sont dues à la nature, dans laquelle tous sont unis. Aussi, non seulement la nature des hommes, mais la nature du monde entier seront-elles restaurées par la résurrection, car la création même sera libérée de la servitude de la corruption en vue de la liberté de la gloire des fils de Dieu, Rm 8, 21. Il existe d’autres peines par lesquelles certains hommes sont affligés de manière particulière, et ces peines sont en rapport avec eux de deux manières. D’une manière, en tant qu’elles tirent vengeance de la faute, selon que la faute crée la dette de cette peine. Ainsi, le Christ a enlevé toutes ces peines par sa mort d’une manière suffisante en en enlevant la cause. Mais pour que quelqu’un soit libéré de manière efficace de ces peines, il est requis qu’il devienne participant de la passion du Christ, ce qui se produit de deux manières. Premièrement, par le sacrement de la passion, le baptême, par lequel nous sommes ensevelis avec le Christ dans la mort, comme il est dit dans Rm 6, dans lequel la puissance divine, qui ne connaît pas l’inefficacité, réalise le salut. C’est pourquoi toute peine de ce genre est enlevée par le baptême. Deuxièmement, quelqu’un devient participant du Christ par sa conformité réelle à lui, pour autant que nous souffrons avec le Christ souffrant, ce qui se réalise par la pénitence. Et parce que cette conformité se réalise par notre opération, il arrive qu’elle soit imparfaite et parfaite. Lorsque la conformité est parfaite selon la proportion de la culpabilité de la faute, alors la peine est entièrement enlevée, soit par la contrition seulement, soit aussi par les autres parties de la pénitence. Mais lorsque la conformité n’est pas parfaite, il reste alors l’obligation d’une peine soit ici, soit au purgatoire. Il n’est cependant pas nécessaire qu’il y ait conformité à la passion du Christ par l’expérience d’une peine égale à celle à laquelle on est obligé en raison de la faute, car la passion de la tête rejaillit sur les membres, et dans une mesure d’autant plus grande qu’on lui est davantage uni par la charité. Par la puissance de la passion du Christ, la quantité de la peine due est donc diminuée; sous cet aspect, on dit qu’elle enlève ces peines dans la mesure où elle les diminue. D’une autre manière, les peines indiquées se comparent à ceux à qui elles sont infligées comme des remèdes, car, ainsi que le dit Éthique, II, les peines sont des remèdes soit pour soi-même, pour autant qu’elles préservent de la faute ou poussent à la vertu, soit pour les autres, pour autant qu’elles sont un exemple pour les autres, de sorte qu’un seul satisfasse d’une certaine manière pour les autres. De cette manière, la peine temporelle n’est ni totalement enlevée ni diminuée par la passion du Christ, mais elle est plutôt augmentée alors qu’augmente la charité, dans l’état présent où nous pouvons pécher et progresser pour nous-mêmes et pour les autres; mais, à l’avenir, alors que ce sera le terme de la vie, la peine sera entièrement enlevée par la puissance de la passion du Christ.

 [9839] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod poena temporalis injungitur vel ut satisfactoria; et hoc sive ut aliquis passionis Christi per imitationem conformetur, unde ubi est conformitas per sacramentum Baptismi, non injungitur aliqua poena satisfactoria: vel etiam injungitur ut medicina praeservans vel promovens, et non tamquam debita.

1. La peine temporelle est imposée soit comme une satisfaction, et cela, pour que quelqu’un se conforme à la passion du Christ par l’imitation – aussi, là où existe une conformité par le sacrement de baptême, une peine satisfactoire n’est pas imposée ‑; ou encore, elle est imposée comme un remède qui préserve ou incite, et non parce qu’elle est due.

 [9840] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 2 Et per hoc patet etiam solutio ad secundum.

2. La réponse au deuxième argument est ainsi claire.

 [9841] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut causalitas justificationis attribuitur resurrectioni quantum ad terminum ad quem, passioni autem quantum ad terminum a quo; ita glorificationis causalitas attribuitur resurrectioni quantum ad gloriam quae dabitur, sed passioni quantum ad poenalitates quae tolluntur.

3. De même que la causalité de la justification est attribuée à la résurrection pour ce qui est du terme ad quem, et à la passion pour ce qui est du terme a quo, de même la causalité de la glorification est-elle attribuée à la résurrection pour ce qui est de la gloire qui sera donnée, mais à la passion pour ce qui est des peines qui sont enlevées.

 [9842] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in causis quae agunt ex ordinatione sapientiae, non est necessarium quod posita causa statim ponatur effectus; sed tunc effectus ponitur, quando sapientiae ordo requirit; et taliter agit passio Christi.

4. Pour les causes qui agissent en étant ordonnées par la sagesse, il n’est pas nécessaire qu’une fois la cause donnée, l’effet en découle immédiatement, mais l’effet est donné lorsque l’ordre de la sagesse l’exige. C’est ainsi que la passion du Christ agit.

 

 

Articulus 4 [9843] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 4 tit. Utrum Christus debeat dici redemptor ratione praedictae liberationis

Article 4 – Le Christ doit-il être appelé le Rédempteur en raison de la libération mentionnée ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le Christ doit-il être appelé le Rédempteur en raison de la raison de la libération mentionnée ?]

 [9844] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod ratione praedictae liberationis Christus non debeat dici redemptor. Redemptio enim emptionem significat iteratam. Sed Christus nos nunquam alias emerat. Ergo nec redimere dicendus est ex hoc quod nos liberavit.

1. Il semble qu’il ne faille pas appeler le Christ le Rédempteur en raison de la libération mentionnée. En effet, la rédemption signifie un nouvel achat. Or, le Christ ne nous pas déjà achetés. Il ne faut donc pas dire qu’il nous rachète du fait qu’il nous a libérés.

 [9845] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, nullus quod suum est emit, nisi forte solvendo pretium ei qui injuste detinebat. Sed Diabolus injuste nos detinebat; ei autem Christus proprii sanguinis pretium non solvit. Ergo nullo modo nos redemit.

2. Personne n’achète ce qui lui appartient, si ce n’est en acquittant un prix à celui qui le détenait injustement. Or, le Diable nous détenait injustement, mais le Christ ne lui a pas acquitté le prix de son propre sang. Il ne nous a donc rachetés d’aucune manière.

 [9846] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 3 Praeterea, ab eo qui aliquid usurpavit, non oportet quod suum est emere, sed violenter auferre, si facultas adsit. Sed Christo nos liberandi de potestate Diaboli facultas non defuit. Ergo non liberavit nos per modum emptionis.

3. Il n’est pas nécessaire que quelqu’un achète ce qui lui appartient à celui qui a usurpé quelque chose, mais de le lui enlever par la violence, si cela est possible. Or, la possibilité de nous libérer du pouvoir du Diable n’a pas manqué au Christ. Il ne nous a donc pas libérés par mode d’achat.

 [9847] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 4 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Apocal., 5, 9, dicitur de Christo: redemisti nos Deo in sanguine tuo. Ergo ipse est redemptor.

Cependant, [1] il est dit du Christ en Ap 5, 9 : Tu nous a rachetés à Dieu par ton sang. Il est donc le Rédempteur.

 [9848] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 4 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, ubicumque est aliqua commutatio, ibi videtur emptio. Sed in passione Christi fuit quaedam commutatio: quia accepit mortem, et largitus est vitam. Ergo fuit ibi emptio.

 [2] Partout où il y a échange, il semble qu’il y ait achat. Or, il y a eu un échange dans la passion du Christ, car il a reçu la mort et il a généreusement accordé la vie. Il y a donc eu achat.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le Fils peut-il seul être appelé le Rédempteur ?]

 [9849] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non solus filius sit dicendus redemptor. Ejus enim est redimere cujus est pretium dare. Sed Deus pater dedit nobis filium in pretium redemptionis: Galat. 4, 4: misit Deus filium suum (...) factum sub lege, ut eos qui sub lege erant redimeret. Ergo Deus pater redemit.

1. Il semble que le Fils ne doive pas seul être appelé le Rédempteur. En effet, il revient de racheter à celui à qui il revient de payer le prix. Or, Dieu le Père nous a donné son Fils comme prix de la rédemption. Ga 4, 4 : Dieu a envoyé son Fils…, soumis à la loi afin de racheter ceux qui étaient soumis à la loi. Dieu le Père a donc racheté.

 [9850] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, ejus est redimere ab hoste cujus est hostem vincere. Sed Christus per potentiam quam habet simul cum patre, hostem, qui nos detinebat vicit. Ergo pater nos redemit.

2. Il revient à celui à qui il revient de vaincre l’ennemi de racheter à l’ennemi. Or, le Christ a vaincu l’ennemi qui nous détenait par la puissance qu’il a en commun avec le Père. Le Père nous a donc rachetés.

 [9851] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 3 Praeterea, omne nomen significans effectum in creatura, est commune toti Trinitati. Sed redemptor est hujusmodi. Ergo et cetera.

3. Tout mot signifiant un effet chez la créature est commun à la Trinité entière. Or, « rédempteur » est de cette sosrte. Donc, etc.

 [9852] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 4 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, redempti sumus per passionem Christi: 1 Petr. 1, 18: redempti estis pretioso sanguine agni. Sed solus filius passus est. Ergo solus filius nos redemit.

Cependant, [1] nous avons été rachetés par la passion du Christ, 1 P 1, 18 : Vous avez été rachetés par la sang précieux de l’Agneau. Or, seul le Fils a souffert. Seul le Fils nous a donc rachetés.

 [9853] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 4 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, ad hoc incarnatus est, ut nos redimeret. Solus autem filius incarnatus est. Ergo ipse est redemptor.

 [2] Il s’est incarné pour nous racheter. Or, seul le Fils s’est incarné. Il est donc le Rédempteur.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [9854] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod per peccatum primi parentis totum humanum genus alienatum erat a Deo, ut dicitur Ephes. 2, non quidem a potestate Dei, sed a visione faciei Dei, ad quam filii et domestici admittuntur; et iterum in potestatem Diaboli usurpantis deveneramus, cui consentiendo homo se subdiderat, quantum in ipso erat, quamvis de jure non posset: quia suus non erat, sed alterius. Et ideo per suam passionem Christus duo fecit: liberavit enim nos a potestate hostis, vincendo ipsum per contraria eorum quibus hominem vicerat, scilicet humilitatem, obedientiam, et austeritatem poenae, quae delectationi cibi vetiti opponitur: et iterum, satisfaciendo pro culpa, Deo conjunxit, et domesticos Dei et filios fecit. Unde ista liberatio duas rationes habuit emptionis: inquantum enim a potestate Diaboli eripuit, dicitur nos redemisse, sicut rex regnum occupatum ab adversario, per laborem certaminis redimit; inquantum vero Deum nobis placavit, dicitur nos redemisse, sicut pretium solvens suae satisfactionis pro nobis, ut a poena et a peccato liberemur.

Par le péché du premier parent, tout le genre humain était devenu étranger à Dieu, comme il est dit dans Ep 2, non pas au pouvoir de Dieu, mais à la vision de la face de Dieu, à laquelle les fils et les serviteurs sont admis. De plus, nous étions passés au pouvoir du Diable usurpateur, à qui l’homme s’était soumis en lui consentant, pour autant que cela relevait de lui et même s’il ne le pouvait pas en droit, car [l’homme] ne lui appartenait pas, mais [il appartenait] à un autre. C’est pourquoi le Christ a fait deux choses par sa passion. En effet, il nous a libérés du pouvoir de l’ennemi en l’emportant sur lui par le contraire de ce par quoi il avait vaincu l’homme, à savoir, l’humilité, l’obéissance et la rigueur de la peine, qui s’opposait au plaisir de la nourriture défendue. De plus, en satisfaisant pour la faute, il a uni à Dieu les serviteurs et en a fait des fils. Aussi cette rédemption possédait-elle deux raisons d’achat. En effet, on dit qu’il nous a rachetés pour autant qu’il nous a arrachés àu pouvoir du Diable, comme le roi rachète par l’effort du combat son royaume occupé par un adversaire. Mais, pour autant qu’il nous a rendu Dieu favorable, on dit qu’il nous a rachetés parce qu’il a acquitté pour nous le prix de sa satisfaction afin que nous soyons libérés de la peine et du péché.

 [9855] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod iteratio importata per praepositionem, non refertur ad actum emptionis, quasi alias empti fuerimus; sed ad terminum actus, quia alias sui fueramus in statu innocentiae. Emere enim est aliquid suum facere. Vel dicendum, quod dicitur redemptio habito respectu ad illam venditionem qua nos Diabolo per consensum peccati vendideramus; a qua venditione haec emptio secunda est.

1. La répétiton impliquée par la préposition ne se rapporte pas à l’acte de l’achat, comme si nous avions été rachetés de nouveau, mais au terme de l’acte, car autrement nous lui avions appartenu dans l’état d’innocence. En effet, acheter, c’est rendre quelque chose sien. Ou bien il faut dire qu’on parle de récemption par rapport à la vente par laquelle nous nous étions vendus au Diable en lui consentant. Par rapport à cette vente, l’achat présent est le deuxième.

 [9856] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod pretium sanguinis sui non Diabolo, sed Deo obtulit, ut pro nobis satisfaceret. A Diabolo autem nos per victoriam suae passionis eripuit, ut dictum est.

2. Il a offert le prix de son sang non pas au Diable, mais à Dieu, afin de satisfaire pour nous. Mais il nous a arrachés au Diable par la victoire de sa passion, comme on l’a dit.

 [9857] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis Diabolus nos injuste usurpaverit, nos tamen in ejus potestatem devenimus ex quo ab eo victi sumus: et ideo oportuit etiam ut ipse vinceretur per contraria eorum quibus vicit: non enim violenter vicit, sed ad peccatum fraudulenter inducens.

3. Bien que le Diable se soit emparé de nous injustement, nous sommes cependant tombés en son pouvoir par le fait que nous avons été vaincus par lui. Il fallait donc aussi qu’il soit vaincu par le contraire de ce par quoi il nous a vaincus : en effet, il n’a pas vaincu par la violence, mais en incitant au péché trompeusement.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [9858] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod effectus redemptionis potest attribui causae proximae, et causae remotae. Si attribuatur causae proximae, sic Christus nos redimit per ea quae in humana natura fecit et sustinuit; quibus et patri satisfecit pro omnibus hominibus, et hostem vicit, ejus tentationibus resistendo. Si autem referatur ad causam primam et remotam, sic attribuitur toti Trinitati, inquantum tota Trinitas acceptavit nostram redemptionem, et filium dedit nobis redemptorem, inquantum per virtutem divinitatis habuit passio efficaciam ad satisfaciendum pro toto genere humano. Sed quia ille proprie dicitur emere qui emptionis pretium solvit, magis quam ille qui emptorem mittit; ideo proprie loquendo dicitur Christus tantum redemptor; quamvis etiam tota Trinitas possit dici redemptor.

L’effet de la rédemption peut être attribué à la cause prochaine et à la cause éloignée. S’il est attribué à la cause prochaine, le Christ nous a ainsi rachetés par ce qu’il a fait et supporté dans la nature humaine; il a satisfait par cela auprès du Père pour tous les hommes et il a vaincu l’ennemi, en résistant à ses tentations. Mais si on s’en reporte à la cause première et éloignée, [l’effet de la rédemption] est ainsi attribué à la Trinité entière, pour autant que la Trinité entière a accepté notre rédemption et nous a donné le Fils comme rédempteur, dans la mesure où la passion a eu par la puissance de la divinité une efficacité pour satisfaire pour tout le genre humain. Mais parce que celui-là est dit acheter qui acquitte le prix de l’achat, plutôt que celui qui envoie l’acheteur, à proprement parler, le Christ seul est appelé rédempteur, bien que la Trinité entière puisse être appelée rédemptrice.

 [9859] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 4 qc. 2 ad arg. Et per hoc patet solutio ad utramque partem.

La réponse aux arguments des deux parties est ainsi claire.

 

 

Articulus 5 [9860] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 tit. Utrum Christus reconciliaverit nos Deo

Article 5 – Le Christ nous a-t-il réconciliés avec Dieu ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le Christ nous a-t-il réconciliés avec Dieu ?]

 [9861] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod Christus non reconciliaverit nos Deo; quod mediatoris est officium. Nullus enim reconciliatur diligenti, sed odienti. Sed Deus pater nos diligebat: quia ipse diligit omnia quae sunt, et nihil odit eorum quae fecit; Sapient. 11. Ergo Christus nos ei non reconciliavit.

1. Il semble que le Christ ne nous ait pas réconciliés avec Dieu, ce qui est la fonction d’un médiateur. En effet, personne ne se réconcilie avec celui qui l’aime, mais avec celui qui le hait. Or, Dieu le Père nous aimait, car il aime tout ce qui existe et il ne hait rien de ce qu’il a fait, Sg 11. Le Christ ne nous a donc pas réconciliés avec lui.

 [9862] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 2 Praeterea, Joan. 3, 16: sic Deus dilexit mundum, ut filium suum unigenitum daret. Ergo magis amor patris est causa passionis quam e converso: et ita videtur quod per mortem Christi non simus Deo reconciliati.

2. Jn 3, 16 : Dieu a tellement aimé le monde qu’il lui a donné son Fils unique. L’amour du Père est donc davantage cause de la passion que le contraire. Il semble ainsi que nous n’ayons pas été réconciliés avec Dieu.

 [9863] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 3 Praeterea, Matth. 22, dicitur, quod homo rex, cujus filium cultores vineae occiderant, veniens perdidit homicidas illos: et per illum hominem significatur Deus pater, cujus filius occisus est. Ergo per mortem Christi sunt inimicitiae magis auctae quam ablatae.

3. Il est dit en Mt 22, qu’un roi, dont les ouvriers de la vigne avaient tué le fils, est venu abattre ces homicides; par cet homme, Dieu le Père est signifié, dont le Fils a été tué. Par la mort du Christ, les inimitiés ont donc été plutôt augmentées qu’enlevées.

 [9864] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Rom. 5, 10: cum inimici essemus, reconciliati sumus Deo per mortem filii ejus.

Cependant, [1] Rm 5, 10 : Alors que nous étions ennemis, nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils.

 [9865] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, per satisfactionem Deo reconciliamur. Sed Christus per passionem suam pro nobis satisfecit. Ergo nos Deo reconciliavit.

 [2] Nous sommes réconciliés avec Dieu par la satisfaction. Or, le Christ a satisfait pour nous par sa passion. Il nous a donc réconciliés avec Dieu.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le Christ est-il médiateur selon sa nature humaine ?]

 [9866] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod ipse non sit mediator secundum humanam naturam. Non enim est idem extremum et medium. Sed humana natura est extremum istius reconciliationis quae fit hominis ad Deum. Secundum ergo quod homo, Christus non est mediator.

1. Il semble que [le Christ] ne soit pas médiateur selon sa nature humaine. En effet, l’extrême et l’intermédiaire ne sont pas la même chose. Or, la nature humaine est le point extrême de cette réconciliation qui est réalisée entre l’homme et Dieu. Selon qu’il est homme, le Christ n’est donc pas médiateur.

 [9867] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 2 Praeterea, medium compositum est ex extremis. Sed compositum ex humana natura et divina non est in Christo nisi persona. Ergo non ratione humanae naturae, sed ratione compositae personae est mediator.

2. L’intermédiaire est composé des extrêmes. Or, le composé de nature humaine et de nature divine chez le Christ n’est rien d’autre que la personne. Ce n’est donc pas en raison de sa nature humaine, mais en raison de sa personne composée qu’il est médiateur.

 [9868] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 3 Praeterea, secundum hoc est mediator secundum quod nos Deo conjunxit. Sed non potuisset nos Deo conjungere, nisi inquantum est Deus. Ergo secundum quod Deus, est mediator.

3. [Le Christ] est médiateur selon qu’il nous a unis à Dieu. Or, il n’aurait pas pu nous unir à Dieu si ce n’est en tant qu’il est Dieu. Il est donc médiateur en tant qu’il est Dieu.

 [9869] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, mediator non est unum cum his inter quos mediat. Sed Christus, secundum quod Deus, est unum cum patre, Joan. 11. Ergo secundum quod Deus, non est mediator.

Cependant, [1] le médiateur n’est pas une seule chose avec ceux entre qui il exerce sa médiation. Or, le Christ, selon qu’il est Dieu, est un avec le Père, Jn 11. Selon qu’il est Dieu, il n’est donc pas médiateur.

 [9870] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, secundum hoc est mediator secundum quod est redemptor. Sed redemit nos secundum humanam naturam. Ergo et secundum ipsam est mediator.

 [2] [Le Christ] est médiateur selon qu’il est rédempteur. Or, il nous a rachetés selon sa nature humaine. Il est donc médiateur selon elle.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Convient-il au seul Christ d’être médiateur ?]

 [9871] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non soli Christo convenit esse mediatorem. Ille enim est mediator qui inter nos et Deum pacem facit. Hic autem est spiritus sanctus, qui est amor, quo Deus nos diligit, et in quo nos Deum diligimus, quantum ad caritatis donum, in quo ipse nobis datur. Ergo videtur quod spiritus sanctus debeat dici mediator.

1. Il semble qu’il ne convienne pas au seul Christ d’être médiateur. En effet, est médiateur celui qui fait la paix entre nous et Dieu. Or, celui-là est l’Esprit Saint, qui est amour, par lequel Dieu nous aime et par lequel nous-mêmes aimons Dieu par le don de la charité, par lequel il nous est lui-même donné. Il semble donc que l’Esprit Saint doive être appelé médiateur.

 [9872] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 3 arg. 2 Praeterea, medium est quod convenit cum extremis. Sed Daemones conveniunt cum Deo in hoc quod sunt immortales, nobiscum autem in hoc quod sunt miseri. Ergo Daemones sunt mediatores, non solum Christus.

2. L’intermédaire est ce qui a quelque chose en commun avec les extrêmes. Or, les démons ont quelque chose en commun avec Dieu du fait qu’ils sont immortels, mais avec nous du fait qu’ils sont misérables. Les démons sont donc des médiateurs, et non seulement le Christ.

 [9873] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 3 arg. 3 Praeterea, Angeli beati conveniunt etiam nobiscum, et cum Deo: cum Deo quidem, inquantum sunt immortales et beati; nobiscum vero, inquantum sunt creaturae. Ergo et ipsi sunt mediatores.

3. Les anges bienheureux ont aussi quelque chose en commun avec nous et avec Dieu : avec Dieu, pour autant qu’ils sont immortels et bienheureux; mais avec nous, pour autant qu’ils sont des créatures. Ils sont donc des médiateurs.

 [9874] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 3 arg. 4 Praeterea, Dionysius probat, quod divinae illuminationes non deferuntur ad nos nisi mediantibus Angelis. Ergo ipsi sunt mediatores.

4. Denys démontre que les illuminations divines ne sont portées jusqu’à nous que par l’intermédiaire des anges. Ils sont donc des médiateurs.

 [9875] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 3 arg. 5 Praeterea, sacerdos est medium inter Deum et populum; et similiter alii sancti; inquantum pro peccatoribus intercedunt. Ergo non solum Christus est mediator.

5. Le prêtre est un intermédiaire entre Dieu et le peuple; de même, les autres saints, pour autant qu’ils intercèdent pour les pécheurs. Le Christ n’est donc pas seul médiateur.

 [9876] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, officium mediatoris est reconciliare discordes. Sed solus Christus solvit inimicitias quae erant inter nos et Deum; Coloss. 1. Ergo ipse solus est mediator.

Cependant, [1] la fonction du médiateur est de réconcilier ceux qui ont un désaccord. Or, seul le Christ a délié les inimités qui existaient entre nous et Dieu, Col 1. Il est donc seul médiateur.

 [9877] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, ex hoc dicitur mediator, quia pro nobis satisfecit. Sed solus Christus pro humana natura satisfecit. Ergo ipse solus est mediator.

 [2] On l’appelle médiateur parce qu’il a satisfait pour nous. Or, seul le Christ a satisfait pour la nature humaine. Il est donc seul médiateur.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [9878] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod dilectio Dei ad nos secundum effectum indicatur. Cum enim ipse, quantum in se est, ad omnes aequaliter se habeat, secundum hoc aliquos dicitur diligere secundum quod eos suae bonitatis participes facit. Ultima autem et completissima participatio suae bonitatis consistit in visione essentiae ipsius, secundum quam ei convivimus socialiter, quasi amici, cum in ea suavitate beatitudo consistat. Unde illos dicitur simpliciter diligere quos admittit ad dictam visionem vel secundum rem, vel secundum causam, sicut patet in illis quibus dedit spiritum sanctum quasi pignus illius visionis. Ab hac igitur participatione divinae bonitatis, scilicet a visione essentiae ipsius, homo per peccatum amotus erat; et secundum hoc homo dicebatur privatus Dei dilectione. Et ideo inquantum Christus per passionem suam satisfaciens pro nobis, ad visionem Dei homines admitti impetravit, secundum hoc dicitur nos Deo reconciliasse.

L’amour de Dieu pour nous se manifeste par son effet. En effet, puisque lui-même, pour ce qui le concerne, a un égal rapport avec tous, on dit qu’il en aime certains selon qu’il les fait participer à sa bonté. Or, la participation ultime et la plus complète à sa bonté consiste dans la vision de son essence, selon laquelle nous vivons avec lui amicalement comme des amis, puisque la béatitude consiste dans cette douceur. Aussi dit-on qu’il aime tout simplement ceux qu’il admet à cette vision, soit en réalité, soit selon la cause, comme cela ressort chez ceux auxquels il a donné l’Esprit Saint comme gage de cette vision. Par le péché, l’homme avait donc été écarté d’une telle participation à la bonté divine, à savoir, de la vision de son essence; on disait donc que l’homme était ainsi privé de l’amour de Dieu. C’est pourquoi, dans la mesure où le Christ, en satisfaisant pour nous par sa passion, a obtenu que les hommes soient admis à la vision de Dieu, dans la même mesure dit-on qu’il nous réconciliés avec Dieu,.

 [9879] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod omnes creaturas diligit quantum ad aliquem modum, quo communicat eis bonitatem suam; sed illas dicitur simpliciter diligere quibus seipsum videndum communicat. Joan. 14, 21: ego diligam eum, et manifestabo ei me ipsum.

1. Il aime toutes les créatures dans une certaine mesure, selon laquelle il leur communique sa bonté. Mais on dit qu’il aime tout somplement celles à qui il communique de pouvoir le voir lui-même, Jn 14, 21 : Moi, je l’aimerai, et je me manifesterai moi-même à lui.

 [9880] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut Deus dicitur diligere creaturas quando jam sunt, inquantum eis actu suam bonitatem communicat, quas antequam essent, dilexit secundum propositum communicandi eis suam bonitatem; ita etiam dicitur Deus homines dilexisse secundum propositum communicandi vel concedendi hominibus suam visionem, ex qua dilectione filium dedit. Sed per mortem filii dilexit eos quasi actualiter ad visionem sui admittens, remoto impedimento quod eos a visione Dei impediebat.

2. Comme on dit que Dieu aime les créatures, alors qu’elles existent déjà, dans la mesure où il leur communique en acte sa bonté, et qu’il les a aimées avant qu’elles n’existent selon son propos de leur communiquer sa bonté, ainsi dit-on aussi que Dieu a aimé les hommes selon son propos de communiquer ou de concéder aux hommes sa vision, amour par lequel il a donné son Fils. Mais, par la mort de son Fils, il les a aimés en les admettant effectivement à cette vision, en enlevant l’obstacle qui s’opposait à la vision de Dieu.

 [9881] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ex parte illorum qui occiderunt Christum, non fuit aliquid quod misericordiam provocaret, sed magis iram; sed ex parte Christi qui pro nobis mortem sustinuit, fuit immensa caritas, quae fecit passionem ex parte patientiae Deo acceptam: et sic per ipsam sumus reconciliati.

3. Du point de vue de ceux qui ont tué le Christ, il n’existait rien qui pouvait provoquer la miséricorde, mais plutôt la colère; mais, du point de vue du Christ, qui a supporté la mort pour nous, existait une charité sans mesure, qui a fait que Dieu a accepté la passion en raison de sa patience. C’est ainsi que nous avons été réconciliés par elle.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [9882] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod in medio est duo considerare, scilicet rationem quare dicatur medium, et actum medii. Dicitur autem aliquid medium ex hoc quod est inter extrema. Actus autem medii est extrema conjungere. Mediator igitur dicitur aliquis ex hoc quod actum medii exercet conjungendo disjunctos. Non potest autem actum medii exercere nisi aliquo modo natura medii in ipso inveniatur, ut scilicet sit inter extrema. Esse autem inter extrema convenit quantum ad duo; scilicet quantum ad hoc quod medium participat utrumque extremorum; et secundum ordinem, inquantum est sub primo, et supra ultimum: et hoc exigitur ad rationem medii proprie dicti: quia medium dicitur secundum respectum ad primum et ultimum, quae ordinem dicunt. Christo autem secundum humanam naturam haec tria conveniunt. Ipse enim secundum humanam naturam pro hominibus satisfaciens, homines Deo conjunxit: ipse etiam ab utroque extremorum aliquid participat, inquantum homo; a Deo quidem beatitudinem, ab hominibus autem infirmitatem: ipse etiam inquantum homo, supra homines fuit per plenitudinem gratiarum, et unionem; et infra Deum propter naturam creatam assumptam. Et ideo, proprie loquendo, ratione humanae naturae est mediator. Ratione autem compositae personae potest etiam dici mediator quantum ad duas dictarum conditionum, scilicet inquantum conjunxit homines Deo, et inquantum utrique extremorum communicat in natura plenarie, non participative; sed tertia conditio deficit, quia secundum personam non fuit minor patre. Sed quantum ad divinam naturam nullo modo competit sibi ratio mediatoris: quia secundum divinam naturam, neque est inter extrema participative, neque secundum ordinem, neque iterum conjungit ut causa proxima, sed ut causa prima, ut dictum est.

Dans l’intermédiaire, il faut considérer deux choses : la raison pour laquelle il est appelé intermédiaire et l’acte de l’intermédiaire. Or, une chose est appelée intermédiaire du fait qu’elle se situe entre des extrêmes. Mais l’acte de l’intermédaire est d’unir les extrêmes. On appelle donc intermédiaire celui qui exerce l’acte de l’intermédiaire en unissant ceux qui sont désunis. Mais il ne peut exercer l’acte de l’intermédiaire que si la nature de l’intermédaire se trouve en lui de quelque manière, à savoir qu’il se situe entre les extrêmes. Or, se trouver entre des extrêmes convient de deux manières : selon que l’intermédiaire participe aux deux extrêmes, et selon l’ordre par lequel il se situe en-dessous du premier et au-dessus du dernier; cela est requis pour la raison d’intermédiaire au sens propre, car on l’appelle intermédiaire selon son rapport au premier et au dernier, qui expriment un ordre. Or, ces trois choses conviennent au Christ selon sa nature humaine. En effet, en satisfaisant pour les hommes selon sa nature humaine, il a uni les hommes à Dieu. Il participe aussi à quelque chose des deux extrêmes en tant qu’homme : à la béatitude de la part de Dieu, à la faiblesse de la part des hommes. En tant qu’homme, il était aussi supérieur aux hommes par la plénitude des grâces et par l’union, et inférieur à Dieu, en raison de la nature humaine assumée. C’est pourquoi, au sens propre, il est médiateur en raison de la nature humaine. Mais, en raison de la personne composée, on peut aussi dire qu’il est médiateur selon deux des conditions mentionnées : en tant qu’il a uni les hommes à Dieu, et en tant qu’il possède pleinement, et non par mode de participation, la nature des deux extrêmes; mais la troisième condition fait défaut, car il n’était pas inférieur au Père par sa personne. Mais, selon sa nature divine, la raison de médiateur ne lui convient d’aucune manière, car, selon la nature divine, il ne se situe pas entre les extrêmes par mode de participation, ni selon un ordre; de plus, il n’unit pas en tant que cause prochaine, mais en tant que cause première, comme on l’a dit.

 [9883] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod humana natura prout est in Christo, non est extremum, quia ipsa non eget reconciliatione, cum in ipsa peccatum non sit.

1. La nature humaine, telle qu’elle existe chez le Christ, n’est pas un extrême, car elle n’a pas besoin de réconciliation, puisqu’elle n’a pas de péché.

 [9884] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 2 Ad secundum patet solutio per id quod dictum est.

2. La réponse à cet argument est claire d’après ce qui a été dit.

 [9885] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis nos Deo conjungere non potuisset nisi Deus fuisset, quia humana natura ex divina sibi conjuncta in persona majorem efficaciam habebat, tamen satisfactionem, qua Deo reconciliati et conjuncti sumus, non exhibuit nisi per humanam naturam; et ideo secundum ipsam est proxima causa conjunctionis.

3. Bien qu’il n’aurait pu nous unir à Dieu si Dieu n’avait pas existé, puisque sa nature humaine avait une plus grande efficacité par la nature divine qui lui était unie, il n’a cependant manifesté la satisfaction, par laquelle nous avons été réconciliés et unis à Dieu, que par sa nature humaine. C’est la raison pour laquelle elle est par elle-même la cause rapprochée de l’union.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [9886] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 3 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod quantum ad hanc reconciliationem qua humana natura reconciliata est Deo, solus Christus est mediator: quia in ipso solo est reperire conditiones mediatoris praedictas.

1. Pour ce qui est de la réconciliation par laquelle la nature humaine a été réconciliée avec Dieu, seul le Christ est médiateur, car c’est en lui seul qu’on trouve les conditions indiquées pour le médiateur.

 [9887] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod spiritus sanctus quamvis conjungat sicut causa prima, non tamen est medium inter extrema, nec conjungens proximum: et ideo non est, proprie loquendo, mediator.

2. Bien qu’il unisse en tant que cause première, l’Esprit Saint n’est cependant pas un intermédiaire entre des extrêmes, ni celui qui unit de manière rapprochée. C’est pourquoi il n’est pas à proprement parler médiateur.

 [9888] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Daemones communicant cum Deo in immortalitate, nobiscum autem in miseriis; unde ad hoc se medios interponunt ut nos ad immortalitatem et aeternam miseriam adducant; et hoc faciunt, a Deo nos sejungendo, et non conjungendo. Et quia recedendo ab uno primo invenitur multitudo; ideo ipsi non sunt unus, sed plures medii; non mediatores, sed separatores. Christus autem cum Deo habuit communem beatitudinem, nobiscum autem mortalitatem; et ideo ad beatitudinem nos ducit aeternam, mortalitate quam habuit ad tempus consumpta; et hoc est quod dicit Augustinus 9 de Civ. Dei.

2. Les démons ont en commun avec Dieu l’immortalité, mais avec nous les misères. Aussi s’interposent-ils comme intermédiaires pour nous conduire à l’immortalité et à la misère éternelle; ils réalisent cela, non pas en nous unissant à Dieu, mais en nous en séparant. Et parce qu’en s’éloignant de ce qui est unique et premier, on trouve la multitude, ils ne sont donc pas un seul, mais plusieurs intermédiaires; ils ne sont pas des médiateurs, mais des séparateurs. Mais le Christ, en ayant en commun avec Dieu la béatitude, mais avec nous la mortalité, nous conduit à la béatitude éternelle, alors que la mortalité qu’il avait a été consommée au moment voulu. C’est ce que dit Augustin dans La cité de Dieu, IX.

 [9889] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Angeli sunt beati et immortales: unde non conveniunt nobiscum in hoc quod a nobis amovendum est per actum mediatoris; non enim ad hoc datur mediator, ut faciat nos non esse creaturas. Et ideo quamvis conveniant nobiscum in hoc quod sunt creaturae, non tamen competit eis ratio mediatoris.

3. Les anges sont bienheureux et immortels. Aussi n’ont-ils pas en commun avec nous ce qui doit nous être enlevé par l’acte du médiateur. En effet, le médiateur n’est pas donné pour faire en sorte que nous ne soyons pas des créatures. C’est pourquoi, bien qu’ils aient en commun avec nous d’être des créatures, la raison de médiateur ne leur convient pas.

 [9890] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod illud quod Angeli nobis a Deo deferunt, quasi medii inter nos et Deum, non est hoc per quod Deo conjungimur: quia gratia non est nobis ab Angelis, nec satisfactio; sed illa transfusio conjunctionem praesupponit vel eam praeparat; et ideo ipsi non sunt mediatores, sed eorum officium sequitur vel disponit ad officium mediatoris; et ideo ipsi sunt ministri mediatoris.

4. Le fait que les anges nous éloignent de Dieu en tant qu’intermédiaires entre nous et Dieu n’est pas ce par quoi nous sommes unis à Dieu, car la grâce ne nous vient pas des anges, ni la satisfaction. Mais cette transfusion présuppose l’union ou la prépare. C’est pourquoi ils ne sont pas médiateurs, mais leur fonction découle de la fonction de médiateur ou y dispose. Aussi sont-ils les ministres du médiateur.

 [9891] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod aliquis sanctorum non potest esse mediator, conjungens totam humanam naturam Deo, quamvis unam specialem personam Deo possit conjungere, non quidem merendo ei gratiam ex condigno, sicut Christus fecit, sed ex congruo tantum inducendo ad bonum.

5. L’un des saints ne peut pas être médiateur pour unir toute la nature humaine à Dieu, bien qu’une personne particulière puisse unir à Dieu, non pas en lui méritant la grâce en justice (ex condigno), comme le Christ l’a fait, mais seulement par convenance (ex congruo), en l’incitant au bien.

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Distinction 19

 [9892] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 3 expos. Morte quippe sua uno verissimo sacrificio quidquid culparum erat (...) Christus extinxit. Hic est tertius modus quo per passionem a peccatis liberamur: duo enim prius positi pertinent ad efficientiam justificationis ex parte nostra: hic autem pertinet ad sufficientiam ex parte sua: quia sua satisfactio fuit sicut quoddam sacrificium ad delendum omnia peccata, quantum in se est, sufficiens. Culparum chyrographa. Chyrographum dicitur a chyros, quod est manus et graphos, quod est Scriptura; quasi manualis Scriptura, quae memoriam debitorum facit, et obligationem ad solvendum. Dicuntur autem chyrographa nostrorum peccatorum per mortem Christi deleta, inquantum memoria nostrorum delictorum amota est, secundum quod Deus eorum non recordatur ad puniendum, vel inquantum obligatio poenae, sive reatus amotus est. In Baptismo penitus laxatur. Contra. Requiritur gemitus interior. Dicendum, quod non requiritur inquantum est poena, sed inquantum consequitur ex displicentia veteris vitae; cujus si non poeniteat, non potest novam vitam inchoare, sed victus abscedit. Implevit illa sacramenta. Sacramentum hic dicitur, non sacrum signum, sicut Baptismus, et hujusmodi, sed sacrum secretum, sicut passio, incarnatio, et hujusmodi. Si ergo Christus secundum vos, o haeretici, unam tantum habet naturam, unde medius erit ? Haec sunt verba Vigilii, qui ponit Christum mediatorem ratione personae compositae, ut dictum est. Possumus tamen dicere, quod si haberet humanam naturam tantum, secundum illam non esset sufficiens mediator: quia non haberet unde satisfaceret pro tota natura humana, sicut nec alii qui sunt puri homines.

 

 

 

Distinctio 20

Distinction 20 – [Les causes de la passion]

 

 

 

Question unique – [La nature humaine peut-elle être restaurée ?]

Prooemium

Prologue

 [9893] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister quomodo per passionem Christi liberamur a malis, hic determinat de causis passionis. Dividitur autem in duas partes: primo assignat passionis congruentiae causam; secundo determinat de causa ipsius efficiente, ibi: Christus ergo est sacerdos, idemque hostia et pretium nostrae reconciliationis. Prima in duas: in prima assignat causam congruentiae ex utilitate nostra; in secunda ex decentia justitiae ipsius, ibi: est et alia ratio. Et circa hoc tria facit: primo assignat congruentiam passionis ex justitia Dei; secundo prosequitur justitiae ordinem, ibi: sed qua justitia ? Jesu Christi; tertio ostendit quod, etiam isto ordine praetermisso, nulli injuria fieret; ut sic justitiae processus commendabilior appareat inquantum non fuit necessarius, ibi: si enim tres illi in causam venirent, scilicet Deus, Diabolus, et homo; Diabolus et homo quid adversus Deum dicerent non haberent. Christus ergo est sacerdos, idemque hostia et pretium nostrae reconciliationis. Hic determinat de causa efficiente passionis: et primo quantum ad ipsam operationem causae efficientis; secundo quantum ad opus operatum, ibi: passio ergo Christi et opus dicitur Judaeorum (...) et opus Dei. Et circa hoc duo facit: primo ostendit quomodo opus operatum ex diversis causis processit; secundo inquirit utrum ipsum opus operatum sit licitum, vel malum, ibi: cum autem passio Christi opus Dei sit, et ideo bonum est, eamdemque operati sint Judas et Judaei; quaeritur, an concedendum sit eos operatos ibi esse bonum. Hic quaeruntur quinque: 1 de reparabilitate humanae naturae; 2 an alius quam Christus potuit satisfacere pro humana natura; tertio utrum satisfactio convenienter facta sit per Christi passionem; 4 utrum potuit humanum genus alio modo liberari; 5 de passione Christi per comparationem ad causam efficientem.

Après avoir déterminé comment nous sommes libérés du mal par la passion du Christ, le Maître détermine ici des causes de la passion. Cela se divise en deux parties : premièrement, il signale la cause de la convenance de la passion; deuxièmement, il détermine de sa cause efficiente, à cet endroit : « Le Christ est donc prêtre et aussi victime et prix de notre réconciliation. » La première partie se divise en deux : dans la première, il signale la cause de la convenance en regard de ce qui nous est utile; dans la seconde, en raison de la convenance de sa propre justice, à cet endroit : « Il y a aussi une autre raison… » À ce propos, il fait trois choses. Premièrement, il indique la convenance de la passion du point de vue de la justice de Dieu; deuxièmement, il décrit l’ordre de la justice, à cet endroit : « Mais selon quelle justice ? Celle de Jésus, le Christ »; troisièmement, il montre que, même en outrepassant cet ordre, aucun tort ne serait fait, de sorte que le déroulement de la justice apparaisse plus louable parce qu’il n’était pas nécessaire, à cet endroit : « En effet, si ces trois entraient en procès : Dieu, le Diable et l’homme, le Diable et l’homme n’auraient rien à redire contre Dieu. » « Le Christ est donc prêtre et aussi victime et prix de notre réconciliation. » [Le Maître] détermine ici de la cause efficiente de la passion. Premièrement, quant à l’action même de la cause efficiente; deuxièmement, quant à l’œuvre accomplie, à cet endroit : « On dit donc que la passion du Christ est à la fois l’œuvre des Juifs… et l’œuvre de Dieu. » À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il montre comment l’œuvre accomplie vient de diverses causes; deuxièmement, il se demande si cette œuvre accomplie est permise ou mauvaise, à cet endroit : « Puisque la passion du Christ est l’œuvre de Dieu, et donc bonne, et que Judas et les Juifs ont accompli la même œuvre, on se demande s’il faut concéder que ce qu’ils ont fait là est bon. » Cinq questions sont soulevées ici : 1 – La possibilité de restaurer la nature humaine. 2 – Un autre que le Christ pouvait-il satisfaire pour la nature humaine ?; 3 – La satisfaction a-t-elle été convenablement accomplie par la passion du Christ ? 4 – Le genre humaine pouvait-il être libéré d’une autre manière ? 5 – La passion du Christ dans son rapport à sa cause efficiente.

Articulus 1 [9894] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 tit. Utrum humana natura fuerit reparanda

Article 1 – La nature humaine devait-elle être restaurée ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La nature humaine devait-elle être restaurée ?]

 [9895] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod humana natura non fuerit reparanda. Peccatum enim hominis non fuit gravius quam peccatum Angeli. Sed post peccatum Angeli, bona naturalia ipsius integra remanserunt, ut dicit Dionysius. Ergo in homine natura integra permansit, et ita reparatione non indiguit.

1. Il semble que la nature humaine ne devait pas être restaurée. En effet, le péché de l’homme n’était pas plus grave que le péché de l’ange. Or, après le péché de l’ange, ses biens naturels sont restés intacts, comme le dit Denys. Chez l’homme, la nature est donc demeurée intacte et ainsi elle n’avait pas besoin d’être restaurée.

 [9896] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, id quod consequitur humanam naturam, invenitur in omnibus habentibus humanam naturam. Sed non omnes homines erant reparandi, cum multi fuerint praevisi damnati. Ergo naturae humanae reparatio non debetur.

2. Ce qui découle de la nature humaine se trouve chez tous ceux qui ont la nature humaine. Or, tous les hommes ne devaient pas être restaurés, puisqu’il était prévu que beaucoup seraient damnés. Une restauration n’est donc pas due à la nature humaine.

 [9897] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, natura angelica non est minus pretiosa quam natura humana. Sed natura angelica post peccatum reparata non fuit. Ergo nec humana natura reparanda erat.

3. La nature angélique n’est pas moins précieuse que la nature humaine. Or, la nature angélique n’a pas été restaurée après le péché. La nature humaine ne devait donc pas non plus être restaurée.

 [9898] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 4 Praeterea, primus homo per peccatum meruit ut ipse et sua posteritas in aeternum a divina visione separaretur. Sed ad justitiam Dei pertinet ut reddat unicuique secundum sua merita. Ergo hoc reddere debuit, ut in aeternum excluderetur humana natura et humanum genus a divina visione; et sic reparari non debuit humana natura.

4. Par son péché, le premier homme a mérité que lui-même et sa postérité soient éternellement séparés de la vision de Dieu. Or, il convient à la justice de Dieu de rendre à chacun selon ses mérites. Elle ne devait donc pas rendre de telle manière que la nature humaine et le genre humain soient exclus de la vision de Dieu. La nature humaine ne devait donc pas être ainsi restaurée.

 [9899] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, non decet divinam sapientiam ut aliqua creatura suo fine frustretur: quia tunc vane facta esset. Sed finis ad quem facta est humana natura, est ut videat Deum, et fruatur eo. Cum igitur ad hunc finem pervenire non potuisset nisi reparata fuisset, quia per peccatum primi hominis ab hoc fine deordinata fuit, congruum fuit ut repararetur.

Cependant, [1] il ne convient pas à la sagesse divine qu’une créature soit privée de sa fin, car alors elle aurait été créée en vain. Or, la fin pour laquelle la nature humaine a été créée est de voir Dieu et d’en jouir. Puisqu’elle n’aurait pu parvenir à cette fin que si elle était réparée, car elle a été détournée de cette fin par le péché du premier homme, il était convenable qu’elle soit restaurée.

 [9900] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, non est decens ut aliqua perfectio universo deesset. Sed de perfectione universi est creatura rationalis beata, composita ex anima et corpore. Ergo congruum fuit ad perfectionem universi quod natura talis, scilicet humana, repararetur ad beatitudinem, a qua per peccatum abducta erat.

 [2] Il n’est pas convenable qu’une perfection fasse défaut à l’univers. Or, une créature raisonnable bienheureuse, composée d’âme et de corps, fait partie de la perfection de l’univers. Il était donc convenable pour la perfection de l’univers qu’une telle nature, la nature humaine, soit restaurée en vue de la béatitude dont elle avait été chassée par le péché.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La nature humaine devait-elle être restaurée par la satisfaction ?]

 [9901] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non debuerit per satisfactionem reparari. Per eadem enim res reparatur per quae constituitur. Sed humana natura instituta fuit solo verbo Dei: quia dixit, et facta sunt. Ergo solo verbo debuit reparari, et mandato; et non per aliquam satisfactionem creaturae.

1. Il semble que [la nature humaine] ne devait pas être restaurée par la satisfaction. En effet, une chose est restaurée par cela même dont elle est constituée. Or, la nature humaine a été établie par la seule parole de Dieu, puisqu’il dit, et cela fut. Elle devait donc être restaurée par la seule parole et un commandement, et non par la satisfaction d’une créature.

 [9902] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, sicut in opere conditionis maxime manifestatur potentia, ita in opere reparationis maxime manifestatur divina misericordia. Sed majoris misericordiae est peccatum absque omni poena satisfactionis dimittere quam satisfactionem requirere. Ergo absque omni satisfactione debuit humana natura reparari.

2. De même que, dans l’œuvre de la création, la puissance est au plus haut point manifestée, de même, dans l’œuvre de la restauration, la miséricorde divine est au plus haut point manifestée. Or, c’est le propre d’une plus grande miséricorde de remettre le péché sans aucune peine satisfactoire, plutôt que d’exiger une satisfaction. La nature humaine devait donc être restaurée sans aucune satisfaction.

 [9903] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, ejus est pro peccato satisfacere cujus est peccatum facere. Sed humana natura non est corrupta per actum quem natura fecit, sed per actum quem fecit persona. Ergo satisfactio aliqua non debet exigi pro natura, sed solum pro persona.

3. Il revient de satisfaire à celui qui a commis le péché. Or, la nature humaine n’a pas été corrompue par un acte que la nature a fait, mais par un acte qu’une personne a fait. Une satisfaction ne doit donc pas être exigée pour la nature, mais seulement pour une personne.

 [9904] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, culpa ordinatur per poenam. Sed si peccatum remitteretur absque omni satisfactione, remaneret culpa sine poena. Ergo remaneret aliquid inordinatum in universo, quod est inconveniens.

Cependant, [1] la faute reçoit son ordre de la peine. Or, si le péché était remis sans aucune satisfaction, la faute resterait sans peine. Il resterait donc quelque chose de désordonné dans l’univers, ce qui est inapproprié.

 [9905] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, satisfactio est medicina peccati. Sed dimittere morbum absque medicina, non est sapientis medici. Ergo non decuit Deum naturam humanam sine satisfactione reparare.

 [2] La satisfaction est un remède pour le péché. Or, écarter une maladie sans [y apporter] de remède n’est pas le propre d’un médecin sage. Dieu ne devait donc pas restaurer la nature humaine sans satisfaction.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Était-il nécessaire que la nature humaine soit réparée de la manière dite ?]

 [9906] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non fuerit necessarium naturam humanam reparari modo dicto. Solus enim Deus naturam reparare potest. Sed in Deum non cadit necessitas, sicut nec coactio. Ergo non fuit necessarium naturam humanam reparari modo dicto.

1. Il semble qu’il n’était pas nécessaire que la nature humaine soit restaurée de la manière dite. En effet, seul Dieu peut restaurer la nature humaine. Or, Dieu n’est pas soumis à la nécessité, pas davantage qu’à la coercition. Il n’était donc pas nécessaire que la nature humaine soit réparée de la manière dite.

 [9907] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, quanto aliquid est magis necessarium, tanto est minus voluntarium; et quanto est minus voluntarium, tanto est minus gratiarum actione dignum. Sed opus reparationis humanae est maxime dignum unde gratias Deo agamus. Ergo nullo modo est necessarium.

2. Plus une chose est nécessaire, moins elle est volontaire, et moins elle est volontaire, moins elle digne d’action de grâce. Or, l’œuvre de la restauration humaine est au plus haut point digne que nous en rendions grâce à Dieu. Elle n’est donc aucunement nécessaire.

 [9908] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, ad misericordiam Dei pertinet ut peccatum citra condignum puniat, aliquid de poena peccato debita diminuens. Sed per quam rationem dimittit partem, per eamdem potest dimittere totam. Ergo non est necessarium quod per satisfactionem humanam naturam reparaverit.

3. Il convient à la miséricorde de Dieu de punir le péché moins qu’il ne le mérite, en réduisant quelque chose de la peine due pour le péché. Or, il peut remettre toute la peine pour la même raison qu’il en remet une partie. Il n’est donc pas nécessaire qu’il restaure la nature humaine par la satisfaction.

 [9909] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 4 Praeterea, eadem ratione dona gratis dantur, et debita gratis remittuntur; unde sicut judex non potest rem unius alteri dare, ita non potest offensam alteri factam sine poena dimittere. Princeps autem cujus sunt omnia, potest poenas relaxare. Sed Deus gratis dat dona hominibus, nec ex hoc sequitur aliqua inordinatio. Ergo et potest poenas debitas dimittere, praecipue cum poena ex hoc debeatur, quia per culpam ipse offenditur.

4. Le dons gratuitement donnés le sont pour la même raison que les dettes sont gratuitement remises; de même donc qu’un ne peut donner une chose qui appartient à quelqu’un d’autre, il ne peut remettre sans peine une offense faite à quelqu’un d’autre. Or, le dirigeant à qui tout appartient peut annuler les peines. Or, Dieu, donne gratuitement des dons aux hommes et il n’en découle pas un désordre. Il peut donc remettre les peines dues, surtout lorsque la peine est due parce qu’il est lui-même offensé par la faute.

 [9910] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, impossibile est aliquid esse frustra factum a sapiente et omnipotente et optimo artifice. Sed si natura humana non repararetur, esset frustra facta. Ergo necesse est eam reparari.

Cependant, [1] il est impossible que quelque chose soit fait en vain par le Créateur sage, tout-puissant et très bon. Or, si la nature humaine n’était pas restaurée, elle aurait été créée en vain. Il est donc nécessaire qu’elle soit restaurée.

 [9911] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, impossibile est aliquid esse inordinatum in universo. Sed si culpae humanae naturae non adhiberetur poena vel satisfactionis vel condemnationis, esset aliquid inordinatum in universo. Ergo necessarium est, si a damnatione humana natura reparatur, quod hoc fiat per modum satisfactionis, cum culpa per poenam ordinetur.

 [2] Il est impossible qu’il y ait quelque chose de désordonné dans l’univers. Or, si une peine de satisfaction ou de condamnation n’était pas donnée pour la faute de la nature humaine, il y aurait quelque chose de désordonné dans l’univers. Si la nature humaine est restaurée de la damantion, il est donc nécessaire que cela soit fait par mode de satisfaction, puisque la faute est ordonnée par la peine.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [9912] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod congruentissimum fuit humanam naturam, ex quo lapsa fuit, reparari. Fuit enim conveniens quantum ad ipsum Deum: quia in hoc manifestatur misericordia Dei, potentia, et sapientia. Misericordia quidem sive bonitas, quia proprii plasmatis non despexit infirmitatem: potentia vero inquantum ipse omnium nostrorum defectum sua virtute vicit: sapientia autem inquantum nihil frustra fecisse invenitur. Conveniens etiam fuit quantum ad humanam naturam, quia generaliter lapsa erat. Similiter etiam ex perfectione universi, quod totum quodammodo ad salutem hominis ordinatur.

Il était au plus haut point convenable que la nature humaine soit restaurée par là où elle est tombée. En effet, cela était convenable pour ce qui est de Dieu, car la miséricorde, la puissance et la sagesse de Dieu sont par là manifestées. La miséricorde ou la bonté, parce qu’il n’a pas méprisé la faiblesse de sa propre créature; mais sa puissance, dans la mesure où il a lui-même vaincu les carences de nous tous par sa puissance; sa sagesse enfin, pour autant qu’il se trouve à n’avoir rien fait en vain. Cela est aussi convenable pour ce qui est de la nature humaine, car elle elle était universellement tombée. De même aussi, pour ce qui est de la perfection de l’univers, qui est d’une certaine manière entièrement ordonné au salut de l’homme.

 [9913] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod naturale dupliciter dicitur. Uno modo id quod consequitur ex principiis speciei; et hoc non mutatur per peccatum nec in homine nec in Daemone, sicut nec species. Alio modo dicitur naturale id ad quod natura est ordinata: et quantum ad hoc, naturale per peccatum tollitur, inquantum aufertur beatitudo ad quam natura ordinata est, et diminuitur habilitas ad ipsam: et sic natura corrupta erat, quia non poterat perduci ad beatitudinem ab aliquo illius naturae corruptae, nisi natura reparata esset.

1. On parle de naturel de deux manières. D’abord, pour ce qui découle des principes de l’espèce : et cela n’est pas changé par le péché ni chez l’homme, ni chez le démon, pas davantage que l’espèce. Ensuite, on appelle naturel ce à quoi la nature est ordonnée : sous cet aspect, ce qui est naturel est enlevé par le péché dans la mesure où est enlevée la béatitude à laquelle la nature a été ordonnée et l’aptitude à celle-ci est réduite. Et ainsi la nature avait-elle été corrompue, car elle ne pouvait être conduite à la béatitude par quelqu’un de cette nature corrompue, à moins que la nature ait été restaurée.

 [9914] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod hoc quod omnes homines non reparantur, non est ex insufficientia medicinae reparantis, cum sit sufficiens, quantum in se est, ad reparandum omnes qui naturam humanam habent, vel habere possunt; sed ex defectu eorum qui reparationis effectum in seipsis impediunt; sicut etiam carentia visus, qui humanam naturam consequitur, causatur in caecis natis ex defectu materiae.

2. Le fait que tous les hommes ne soient pas restaurés ne vient pas de l’insuffisance du remède qui restaure, puisqu’il est suffisant en lui-même pour restaurer tous ceux qui ont la nature humaine ou peuvent l’avoir; mais cela vient de la carence de ceux qui empêchent l’effet de la restauration en eux-mêmes, comme la carence de la vue, qui découle de la nature humaine, est causée chez les aveuglés nés par une carence de la matière.

 [9915] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod natura Angeli non tota corruerat; et iterum Angelus peccans, statim in malo confirmatus fuit, non autem homo; et ideo natura humana reparari debuit, non autem natura angelica. De hoc etiam sunt plura notata supra.

2. La nature de l’ange n’était pas entièrement déchue; de plus, l’ange qui péchait était immédiatement confirmé dans le mal, mais non l’homme. C’est pourquoi la nature humaine devait être restaurée, mais non la nature angélique. À ce sujet, on a indiqué plusieurs choses plus haut.

 [9916] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod exclusio a visione Dei potest dici aeterna propter duo. Aut quia in eo qui excluditur, non est virtus ad finiendum istam exclusionem, neque dispositio ad recipiendum effectum alicujus terminantis; et sic efficitur aeterna in obstinatis qui sunt in Inferno, unde ipsi nunquam reparabuntur. Aut dicitur aeterna, quia non est virtus in excluso, ad terminandum exclusionem, quamvis sit in eo dispositio ad recipiendum effectum alicujus terminantis; et sic homo per peccatum etiam actuale mortale meretur exclusionem aeternam, quamdiu est in vita ista; sed quando transit a vita ista, si sine gratia transit, efficitur aeterna secundum primum modum.

4. On peut appeler éternelle l’exclusion de la vision de Dieu de deux manières. Soit parce que, chez celui qui est exclu, n’existe pas la capacité de mettre un terme à cette exclusion, ni de disposition à recevoir l’effet de quelqu’un qui y met un terme : ainsi est-elle rendue éternelle chez ceux qui sont obstinés dans l’enfer; ils ne seront donc jamais restaurés. Soit elle est appelée éternelle parce que n’existe pas chez celui qui est exclu la capacité de mettre un terme à l’exclusion, bien qu’existe chez lui une disposition à recevoir l’effet de celui qui y met un terme : ainsi l’homme, même par le péché mortel actuel, mérite l’exclusion éternelle aussi longtemps qu’il est dans cette vie; mais lorsqu’il quitte cette vie, s’il quitte sans la grâce, [l’exclusion] devient éternelle de la première manière.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [9917] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod congruum etiam fuit quod natura humana per satisfactionem repararetur. Primo ex parte Dei, quia in hoc divina justitia manifestatur, quod culpa per poenam diluitur. Secundo ex parte hominis, qui satisfaciens, perfectius integratur: non enim tantae gloriae esset post peccatum, quantae erat in statu innocentiae, si non plenarie satisfecisset: quia magis est homini gloriosum ut peccatum commissum satisfaciendo plenarie expurget, quam si sine satisfactione dimitteretur; sicut etiam magis homini gloriosum est quod vitam aeternam ex meritis habeat, quam si sine meritis ad eam perveniret: quia quod quis meretur, quodammodo ex se habet, inquantum illud meruit. Similiter satisfactio facit ut satisfaciens sit quodammodo causa suae purgationis. Tertio etiam ex parte universi, ut scilicet culpa per poenam satisfactionis ordinetur; et sic nihil inordinatum in universo remaneat.

Il était aussi convenable que la nature humaine soit restaurée par la satisfaction. Premièrement, du point de vue de Dieu, parce que la justice divine se manifeste par le fait que la faute est dissoute par la peine. Deuxièmement, du point de vue de l’homme, qui, en satisfaisant, est plus parfaitement rétabli : en effet, il n’aurait pas une gloire aussi grande après le péché que celle qui existait dans l’état d’innocence, s’il n’avait pas pleinement satisfait, car il est plus glorieux pour l’homme de se purifier du péché commis par la satisfaction, que si celui-ci était remis sans satisfaction, de même qu’il est plus glorieux pour l’homme d’obtenir la vie éternelle par des mérites, que d’y parvenir sans mérites, car ce que quelqu’un mérite, il l’obtient en quelque sorte de lui-même, pour autant qu’il a mérité cela. De même, la satisfaction fait en sorte que celui qui satisfait est en quelque manière cause de sa purification. Troisièmement, du point de vue de l’univers, de telle sorte que la faute soit ordonnée par la peine satisfactoire, et ainsi, que rien ne demeure désordonné dans l’univers.

 [9918] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod esse rei praecedit operari ipsius; et ideo non potest esse quod aliquis per suam operationem in esse constituatur, nec quod sit aliquo modo causa sui ipsius; sed sicut homo est causa suae corruptionis peccando, ita et decens est ut sit quodammodo causa suae purgationis satisfaciendo.

1. L’être d’une chose précède son opération. C’est pourquoi il ne peut arriver que quelqu’un soit établi dans l’être par sa propre opération, ni qu’il soit d’une certaine manière cause de lui-même. Mais de même que l’homme est cause de sa corruption en péchant, de même est-il convenable qu’il soit d’une certaine manière cause de sa purification en satisfaisant.

 [9919] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in hoc quod Deus per satisfactionem hominem reparari voluit, maxime manifestatur ejus misericordia: quia non tantum culpam ab eo voluit removere, sed etiam ad pristinam dignitatem humanam naturam integraliter reducere: quae quidem dignitas perpetuo in natura manet, sed poena ad modicum transit; unde magis manifestatur misericordia in perducendo ad aeternam dignitatem, quam in dimittendo temporalem culpam.

2. Par le fait que Dieu a voulu que l’homme soit restauré par la satisfaction, sa miséricorde est manifestée au plus haut point, car il n’a pas voulu seulement en enlever la faute, mais aussi ramener intégralement la nature humaine à sa dignité première, dignité qui demeure pour toujours dans la nature, alors que la peine passe en peu de temps. Aussi la miséricorde est-elle davantage manifestée par le fait de le conduire à une dignité éternelle, que de lui remettre une faute temporelle.

 [9920] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod naturae, prout consideratur in nuda contemplatione, non est agere; sed agere est personae subsistentis in natura. Sicut igitur peccatum naturae inductum est ex actione personae peccantis, ita oportet quod actus personae satisfacientis, pro natura satisfaciat.

3. Il ne revient pas à la nature d’agir, si elle est envisagée dans sa nudité; mais il revient d’agir à la personne qui subsiste dans une nature. De même donc que le péché de nature a été entraîné par l’action personnelle de celui qui a péché, de même il est nécessaire que l’acte d’une personne qui satisfait satisfasse pour la nature.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [9921] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod reparatio humanae naturae a Deo facta est; unde potest dupliciter considerari: scilicet ex parte Dei, et ex parte ipsius naturae reparandae. Ex parte autem Dei potest attendi triplex necessitas. Una est necessitas coactionis: et haec respectu nullius potest Deo attribui, quia non potest in eo aliquid violentum esse, neque extra naturam, cum sit immutabilis, ut dicit philosophus. Alia necessitas est absoluta; et haec quidem cadit in Deo respectu illorum quae in ipso sunt, quae scilicet naturam suam consequuntur, quia impossibile est ea aliter se habere, sicut necessarium est Deum esse, vel esse bonum, et alia hujusmodi: sed haec necessitas non est Dei respectu alicujus effectus: quia non agit ex necessitate naturae, sed ex libertate voluntatis. Tertia necessitas est ex suppositione, non quidem finis, quia non est dubium quin Deus ad aliquem finem posset inducere multis aliis viis etiam quam illis quae modo determinatae sunt ad finem aliquem; sed ex suppositione alicujus quod est in ipso, scilicet praescientiae, vel voluntatis, quae mutari non possunt: secundum quem modum dicitur, quod necessarium est praedestinatum salvari; et haec dicitur necessitas immutabilitatis a quibusdam; et per hunc modum necessarium fuit ex parte Dei humanam naturam separari, quia ipse praeviderat et ordinaverat reparandam. Sed haec necessitas, ut dictum est, est necessitas conditionis, non absoluta; sive consequentiae, non consequentis. Et similiter ex parte hominis potest considerari triplex necessitas. Una necessitas absoluta, quae est respectu eorum quae naturaliter homini insunt, sicut hominem necessarium est esse risibilem, et alia hujusmodi: et sic non est necessarium humanam naturam reparari, quia reparatio non sequitur ex principiis naturalibus. Alia est necessitas coactionis; et haec quidem est respectu eorum quae homo majori virtute coactus facit, et involuntarius simpliciter, vel secundum quid: et talis necessitas non fuit in natura humana respectu reparationis, quia Deus ad virtutem non cogit. Tertia vero necessitas est ex suppositione finis, sicut necessarium est homini habere navem, si debet ire ultra mare; et hac necessitate necessarium fuit humanam naturam reparari, si scilicet ad visionem Dei admitti debuit.

La restauration de la nature humaine a été réalisée par Dieu. Aussi peut-elle être envisagée de deux manières : du point de vue de Dieu, et du point de vue de la nature même qui doit être restaurée. Or, du point de vue de Dieu, on peut envisager une triple nécessité. L’une est la nécessité de coercition : celle-ci ne peut être d’aucune manière attribuée à Dieu, car il ne peut exister en lui rien de violent ni d’extérieur à sa nature, puisqu’il est immuable, comme le dit le Philosophe. Une autre nécessité est absolue. Une telle nécessité se rencontre en Dieu par rapport à ce qui existe en lui et qui découle de sa nature, car il est impossible que cela existe autrement : ainsi, il est nécessaire que Dieu existe ou qu’il soit bon, et les autres choses de ce genre. Mais une telle nécessité n’existe pas en Dieu par rapport à l’un de ses effets, car il n’agit pas par nécessité de nature, mais par la liberté de sa volonté. Une troisième nécessité est celle qui vient d’une supposition, non pas [d’une supposition] de la fin, car il n’est pas douteux que Dieu pourrait conduire à une fin par d’autres moyens que ceux qui sont maintenant déterminés en vue d’une certaine fin, mais de la supposition de quelque chose qui existe en lui-même, à savoir, sa prescience ou sa volonté, qui ne peuvent être changées : de cette manière, on dit qu’il est nécessaire que celui qui est prédestiné soit sauvé. Cette nécessité est appelée par certains nécessité par immutabilité. De cette manière, il était nécessaire, du point de vue de Dieu, que la nature humaine soit restaurée, car il avait prévu et ordonné qu’elle devait être restaurée. Mais, comme on l’a dit, cette nécessité est une nécessité conditionnelle, et non absolue, ou encore une nécessité selon la conséquence, et non selon le conséquent. De même, du point de vue de l’homme, on peut envisager une triple nécessité. Une nécessité absolue, qui porte sur ce qui existe naturellement dans l’homme : ainsi, il est nécessaire que l’homme soit capable de rire, et les autres choses de ce genre. De cette manière, il n’est pas nécessaire que la nature humaine soit restaurée, car la restauration ne découle pas des principes naturels. Une autre nécessit est [la nécessité] de coercition : celle-ci existe pour les choses que l’homme réalise par une puissance plus grande et de manière involontaire, que ce soit simplement ou relativement. Une telle nécessité n’existait pas dans la nature humaine en regard de la restauration, parce que Dieu ne force pas à la vertu. Mais la troisième nécessité est celle qui vient de la supposition d’une fin : ainsi, il est nécessaire que l’homme ait un navire, s’il doit aller outre-mer. Et, selon une telle nécessité, il était nécessaire que la nature humaine soit restaurée, si elle devait être admise à la vision de Dieu.

 [9922] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non omnis necessitas est coactionis, ut patet ex dictis; et ideo in processu est fallacia consequentis.

1. Toute nécessité n’est pas coercitive, comme cela ressort de ce qui a été dit. C’est pourquoi la conclusion du raisonnement est fausse.

 [9923] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod necessitas quae est ex suppositione voluntatis, immutabiliter aliquid volentis, non minuit rationem voluntarii: sed auget tanto magis, quanto ponitur firmius inhaerens volito, ut moveri non possit.

2. La nécessité qui vient d’une supposition de la volonté qui veut de manière immuable ne diminue pas le caractère du volontaire, mais elle l’augmente plutôt, dans la mesure où elle adhère plus fermement à ce qui est voulu, de telle sorte qu’elle ne peut être mue.

 [9924] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quantum est de potentia Dei, Deus posset peccatum absque omni poena dimittere, nec injustus esset, si hoc faceret: sed quantum est ex parte illius qui peccavit, secundum ordinem quem nunc Deus imposuit rebus, non potest peccatum congrue sine poena dimitti. Nec sequitur, si congrue pars poenae dimittitur, quod etiam congrue tota dimittatur, propter duo. Primo, quia effectus habet aliquid et ab agente et a recipiente; unde sicut in collatione divinorum donorum, donum ex parte dantis elevat recipientem supra statum suum, ex parte autem recipientis est infra modum quo Deus influit; ita in remissione peccatorum oportet quod sit aliquid ex parte misericordiae remittentis, ut aliquid de poena debita dimittatur, et aliquid ex parte recipientis, ut scilicet in aliquo puniatur. Secundo, quia remissio poenae quae fit aliis hominibus, praecipue poenae satisfactoriae, fundatur supra virtutem satisfactoriam Christi, quae superabundavit ad amovendas omnes poenas quantum in se fuit; unde oportet quod particulata satisfactio fundetur supra satisfactionem Christi condignam, sicut imperfectum in quolibet genere oritur ex perfecto.

3. Pour ce qui est de la puissance de Dieu, Dieu pourrait remettre le péché sans aucune peine, et il ne serait pas injuste s’il faisait cela; mais, du point de celui qui a péché, selon l’ordre que Dieu a maintenant établi pour les choses, le péché ne peut être remis convenablement sans peine. Et il n’en découle pas, si une partie de la peine est remise de manière convenable, que la totalité de la peine soit remise convenablement, pour deux raisons. Premièrement, parce que l’effet reçoit quelque chose de l’agent et de ce qui reçoit. Comme dans l’octroi des dons divins, le don, du point de vue de celui qui donne, élève celui qui reçoit au-dessus de son état, mais, du point de vue de celui qui reçoit, il est inférieur à la manière dont Dieu le donne, de même, pour la rémission des péchés, il est nécessaire qu’il existe quelque chose du point de vue de la miséricorde qui remet, et quelque chose du point de vue de celui qui reçoit, à savoir qu’il puni par quelque chose. Deuxièmement, parce que la rémission de la peine accordée aux hommes, principalement de la peine satisfactoire, s’appuie sur la puissance satisfactoire du Christ, qui a surabondé en elle-même pour enlever toutes les peines. Il est donc nécessaire qu’une satisfaction particulière se fonde sur la juste satisfaction du Christ, comme ce qui est imparfait dans n’importe quel genre vient de ce qui est parfait.

 [9925] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in eo cui Deus dat sua dona gratis, non est aliquid quod donis illis repugnet, faciens collationem donorum indecentem; sed in eo qui peccavit, est aliquod quod repugnat impunitati; et ideo ex parte creaturae non est simile.

3. Chez celui à qui Dieu donne ses dons gratuitement, il n’existe rien qui s’oppose à ces dons et qui rende la collation des dons inappropriée; mais chez celui qui a péché, il existe quelque chose qui s’oppose à l’impunité. C’est pourquoi ce n’est pas la même chose du point de vue de la créature.

 

 

Articulus 2 [9926] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 2 tit. Utrum aliqua pura creatura potuerit satisfacere pro humana natura

Article 2 – Une pure créature aurait-elle pu satisfaire pour la nature humaine ?

 [9927] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur, quod aliqua pura creatura satisfacere poterat pro humana natura. Sicut enim pro peccato debetur satisfactio, ita pro beneficio debetur gratiarum actio. Sed sufficit Deo gratiarum actio quantum homo potest sibi reddere, etiam si non sit suis beneficiis aequalis: quia, ut dicit philosophus, secundum potentiam famulans homo diis et patribus, videtur justus esse, quamvis ad aequalia non possit. Ergo videtur quod similiter sit sufficiens satisfactio quam homo potest reddere ad expiandum peccatum.

1. Il semble qu’une pure créature pouvait satisfaire pour la nature humaine. En effet, de même qu’une satisfaction est due pour un péché, de même une action de grâce est-elle due pour un bienfait. Or, l’action de grâce, autant que l’homme puisse la rendre, suffit pour Dieu, même si elle n’est pas égale à ses bienfaits, car, ainsi que le dit le Philosophe, « l’homme qui sert les dieux et les ancêtres autant qu’il le peut semble juste, même s’il ne peut le faire selon l’égalité ». Il semble donc que soit de même suffisante la saitsfaction que l’homme peut rendre en vue d’expier le péché.

 [9928] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, bonum est potentius ad agendum quam malum: quia malum agit virtute boni, ut dicit Dionysius. Sed una pura creatura potuit per actum malum totam humanam naturam inficere. Ergo multo fortius potest per unum bonum actum pro tota humana natura satisfacere pura creatura.

2. Le bien est plus puissant pour agir que le mal, car « le mal agit en vertu du bien », comme le dit Denys. Or, une seule pure créature a pu infecter toute la nature humaine. À bien plus forte raison, une pure créature peut donc par un seul acte bon satisfaire pour toute la nature humaine.

 [9929] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, magnae crudelitatis videtur esse in domino vel judice, exigere ab aliquo plus quam possit. Sed a Deo longe est omnis crudelitas. Ergo non exigit ab aliquo plus quam possit. Ergo satisfactionem quam Deus ab homine requirebat, purus homo facere poterat.

3. Ce semble être une grande cruauté pour un seigneur ou pour un juge d’exiger de quelqu’un plus qu’il ne peut. Or, la cruauté est très éloignée de Dieu. Il n’exige donc pas de quelqu’un plus qu’il ne peut. Un pur homme pouvait donc accomplir la satisfaction que Dieu exigeait de l’homme.

 [9930] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, natura non reparatur nisi in individuis, ut supra dictum est. Sed unus homo est ita bonus sicut humana natura quae est in ipso. Ergo unus homo satisfacere poterat pro natura humana quae est in ipso, et omnes pro humana natura in omnibus individuis existente.

4. La nature n’est restaurée que chez les individus, comme on l’a dit plus haut. Or, un seul homme est aussi bon que la nature humaine qui se trouve en lui. Un seul homme pouvait donc satisfaire pour la nature humaine qui se trouve en lui, et tous pour la nature humaine qui existe chez tous les individus.

 [9931] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, natura angelica est supra humanam. Sed quod melius est, potest accipi pro recompensatione minus boni. Ergo Angelus poterat pro humana natura satisfacere.

5. La nature angélique est supérieure à la nature humaine. Mais ce qui est meilleur peut être accepté en compensation pour ce qui est moins bon. L’ange pouvait donc satisfaire pour la nature humaine.

 [9932] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, ille solus reparare potuit qui potuit condere. Sed solus Deus humanam naturam condere potuit: ergo ipse solus potuit reparare. Ergo ad hoc quod naturam aliquis satisfaciendo repararet, oportuit quod esset Deus.

Cependant, [1] seul pouvait restaurer celui qui avait créé. Or, seul Dieu pouvait créer la nature humaine. Seul, il pouvait donc la restaurer. Pour que quelqu’un restaure la nature en satisfaisant, il fallait donc qu’il soit Dieu.

 [9933] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, homo in instanti suae conditionis tantae erat dignitatis quod nulli creaturae debitor erat ratione suae beatitudinis. Sed est debitor et obnoxius ratione suae beatitudinis ei qui ipsum ad beatitudinem reparavit. Ergo si per aliquam puram creaturam facta esset reparatio, non esset homo redditus pristinae dignitati.

 [2] Dès l’instant de sa création, l’homme avait une telle dignité qu’il n’était débiteur d’aucune créature pour sa béatitude. Or, il est débiteur et redevable de sa béatitude à celui qui l’a rétabli dans la béatitude. Si donc la restauration avait été accomplie par une pure créature, l’homme n’aurait pas été rendu à sa dignité première.

 [9934] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 2 s. c. 3 Praeterea, nullus pro alio reddere potest quod pro se ipso debet. Sed quaelibet creatura totum quod est, Deo debet. Ergo nulla pura creatura potest pro alia sufficienter satisfacere.

 [3] Personne ne peut rendre à un autre ce qu’il doit pour lui-même. Or, toute créature doit à Dieu tout ce qu’elle est. Aucune pure créature ne peut donc satisfaire suffisamment pour une autre.

 [9935] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod sicut dictum est, oportebat quod pro peccato humanae naturae fieret condigna satisfactio: tum quia aliter homo non restitueretur pristinae dignitati: tum quia est conveniens esse unum primum in genere satisfactionis perfectum, supra quod omnes aliae imperfectae satisfactiones fundentur. Ad hoc autem quod satisfactio esset condigna, oportebat quod haberet virtutem infinitam: quia peccatum pro quo fiebat satisfactio, infinitatem quamdam habebat ex tribus. Primo ex infinitate divinae majestatis, inquantum offensa fuerat per contemptum inobedientiae: quanto enim major est in quem peccatur, tanto est gravior culpa. Secundo ex bono quod per peccatum auferebatur, quod est infinitum, idest ipse Deus, cujus participatione fiunt homines beati. Tertio ex ipsa natura quae corrupta erat, quae quidem infinitatem quamdam habet, inquantum in ea possunt supposita in infinitum multiplicari. Actio autem purae creaturae non potest habere infinitam efficaciam: et ideo nulla pura creatura poterat sufficienter satisfactionem facere.

Réponse. Comme on l’a dit, il fallait qu’une juste satisfaction soit accomplie pour la nature humaine, tant parce que l’homme ne serait pas autrement rétabli dans sa dignité première, que parce qu’il est convenable qu’il existe un premier parfait dans le genre de la satisfaction, sur lequel toutes les autres satisfactions seraient fondées. Or, pour que la satisfaction soit juste, il fallait qu’elle possède une puissance infinie, car le péché pour lequel la satisfaction était accomplie avait une certaine infinité sous trois aspects. Premièrement, en raison de l’infinité de la majesté divine, dans la mesure où l’offense avait été faite par le mépris de la désobéissance. En effet, plus est grand celui contre qui l’on pèche, plus la faute est grave. Deuxièmement, en raison du bien qui est infini et qui était enlevé par le péché, à savoir, Dieu, par la participation à qui les hommes sont rendus bienheureux. Troisièmement, en raison de la nature elle-même qui avait été corrompue, qui possède une certaine infinité dans la mesure où les suppôts peuvent être multipliés en elle à l’infini. Or, l’action d’une pure créature ne peut avoir une efficacité infinie. C’est pourquoi aucune simple créature ne pouvait accomplir une satisfaction suffisante.

 [9936] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod impossibile est ut homo ad hoc perducatur ut semper Deo debitor non sit gratiarum actionis, quasi ab eo habens totum quod est: ideo non exigitur in gratiarum actione ut sit aequivalens donis perceptis. Sed possibile est hominem esse in tanta dignitate, quanta fuit in statu innocentiae: et ideo ad perfectam reparationem, per quam totum reparatur quod reparari potest, exigitur quod satisfactio sit aequivalens culpae.

1. Il est impossible que l’homme soit amené au point de ne pas être toujours débiteur envers Dieu d’une action de grâce, dans la mesure où il tient de lui tout ce qu’il est. C’est pourquoi il n’est pas requis pour l’action de grâce qu’elle soit équivalente aux dons reçus. Mais il est possible que l’homme ait une dignité telle que celle qui existait dans l’état d’innocence. C’est pourquoi, pour la restauration parfaite par laquelle est restauré tout ce qui peut être restauré, il est requis que la satisfaction soit équivalente à la faute.

 [9937] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod comparando bonum et malum ad effectus ejus proportionabiliter respondentes, bonum potentius est quam malum: quia bonum agit virtute sua, malum autem non nisi per virtutem boni. Sed tamen homo potest facilius in actum malum quam in actum perfecte bonum: quia plura requiruntur ad bonum quam ad malum, quod ex uno singulari defectu contingit. Et ideo purus homo potuit in actum malum qui erat proportionatus ad corrumpendum totam humanam naturam; non autem potuit in actum bonum ita perfecte quod esset proportionatus ad reparationem.

2. En comparant le bien et le mal qui correspondent proportionnellement à leurs effets, le bien est plus puissant que le mal, car le bien agit par sa propre puissance, alors que le mal n’agit que par la puissance du bien. Cependant, l’homme peut plus facilement accomplir un acte mauvais qu’un acte parfaitement bon, car plus de choses sont nécessaires pour le bien que pour le mal, qui survient en raison d’une seule carence particulière. C’est pourquoi un pur homme pouvait accomplir un acte mauvais qui était susceptible de corrompre toute la nature humaine, mais il ne pouvait pas accomplir aussi parfaitement un acte bon, qui serait proportionné à la restauration.

 [9938] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod esset crudelitas in domino exigere plus quam possit, nisi cum hoc etiam servo detur unde solvere possit quod exigitur; unde in hoc maxime ejus misericordia commendatur quod ab homine perfectam satisfactionem exigit, ut perfecte reparetur: et quia hoc per se non poterat, ei filium suum, qui posset, dedit.

3. Ce serait de la cruauté pour un maître d’exiger plus que [le serviteur] ne peut, à moins que ne soit donné en même temps au serviteur ce par quoi il puisse acquitter ce qui est exigé. Aussi sa miséricorde est-elle louée au plus haut point du fait qu’il exige de l’homme une parfaite satisfaction, de sorte qu’il soit parfaitement restauré, et parce que ce que celui-ci ne pouvait pas accomplir, son Fils, qui le pouvait, le lui donnerait.

 [9939] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis natura non sit corrupta, nec reparatione indigens, nisi secundum quod est in persona; tamen aliqua corruptio debetur naturae, non secundum quod est determinata in hac persona, sed secundum hoc quod est in omnibus illis qui per vitiatam originem ab Adam humanam naturam acceperunt; unde pro ista communi corruptione non potest unus solus satisfacere, nec etiam simul omnes: quia natura excedit etiam illos omnes qui naturam humanam habent, cum ad plures se extendere possit.

4. Bien que la nature n’ait pas été pas corrompue et n’ait pas besoin d’être restaurée, si ce n’est qu’elle se trouve dans la personne, une certaine corruption revient cependant à la nature, non pas selon qu’elle est déterminée dans cette personne, mais selon qu’elle se trouve chez tous ceux qui ont reçu d’Adam la nature humaine par une origine viciée. Aussi un seul homme ne peut-il satisfaire pour cette corruption commune, ni tous ensemble, car la nature dépasse même tous ceux qui possèdent la nature humaine, puisqu’elle peut s’étendre à un plus grand nombre.

 [9940] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Angelus quamvis sit homine superior quantum ad naturam, non tamen quantum ad gloriam, in qua aequales Angelis erimus: et ideo Angelus ad gloriam non potest humanam naturam reparare: et etiam, cum sit creatura, quidquid potest, Deo debet.

5. Bien que l’ange soit supérieur à l’homme quant à sa nature, il ne l’est pas quant à la gloire, par laquelle nous serons égaux aux anges. C’est pourquoi l’ange ne peut rétablir la nature humaine dans la gloire, et même, puisqu’il est une créature, tout ce qu’il peut, il le doit à Dieu.

Articulus 3 [9941] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 3 tit. Utrum debuerit fieri satisfactio per passionem Christi

Article 3 – La satisfaction devait-elle être accomplie par la passion du Christ ?

 [9942] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod satisfactio non debuit fieri per passionem Christi. Minus enim peccatum non expiatur per majus, sed magis aggravatur. Sed majus fuit peccatum occidentium Christum quam comestio pomi vetiti, qua natura humana corrupta est. Ergo corruptio humanae naturae non potest expiari per passionem Christi.

1. Il semble que la satisfaction ne devait pas être accomplie par la passion du Christ. En effet, un péché moindre n’est pas expié par un plus grand, mais plutôt aggravé. Or, le péché de ceux qui ont tué le Christ était plus grand que le fait de manger un fruit défendu, par quoi la nature humaine a été corrompue. La corruption de la nature humaine ne peut donc être expiée par la passion du Christ.

 [9943] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, nihil corporale est aequivalens rei spirituali. Sed vita Christi, quam per passionem Christus dedit, fuit vita corporalis. Ergo non fuit sufficiens ad recompensandum vitam spiritualem, quae per peccatum amissa erat.

2. Rien de corporel n’a la même valeur qu’une réalité spirituelle. Or, la vie du Christ, que celui-ci a donnée par sa passion, était la vie corporelle. Elle ne suffisait donc pas à compenser la vie spirituelle, qui avait été perdue par le péché.

 [9944] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, peccatum primi hominis, per quod natura humana corrupta est, fuit peccatum superbiae, ut in 2 Lib., distinct. 22, quaest. 1, art. 1, dictum est. Sed major fuit humilitas Christi in assumptione humanae naturae, quando exinanivit semetipsum, formam servi accipiens, quam superbia Adae. Ergo ex ipsa assumptione humanae naturae sufficienter fuit satisfactum pro peccato hominis, et ita non fuit conveniens quod Christus pateretur.

3. Le péché du premier homme, par lequel la nature humaine a été corrompue, était un péché d’orgueuil, comme on l’a dit dans le livre II, d. 22, q. 1, a. 1. Or, l’humilité du Christ a été plus grande, dans l’assomption de la nature humaine, que l’orgueuil d’Adam, alors qu’il s’est dépouillé de lui-même en prenant la forme de l’esclave. Par l’assomption même de la nature humaine, la satisfaction pour le péché de l’homme était donc suffisante, et ainsi il ne convenait pas que le Christ souffre.

 [9945] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, Bernardus dicit, quod una gutta sanguinis Christi fuit sufficiens pretium nostrae redemptionis. Sed aliquid de sanguine Christi effusum est in circumcisione. Ergo non oportebat quod ulterius pateretur.

4. Bernard dit qu’une goutte du sang du Christ était un prix suffisant pour notre rédemption. Or, un peu de sang du Christ a été versé lors de sa circoncision. Il n’était donc pas nécessaire qu’il souffre davantage.

 [9946] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, tanta potest esse contritio in nobis peccantibus quod totum peccatum dimittatur et quantum ad poenam, et quantum ad culpam. Sed in Christo ab instanti suae conceptionis fuit perfectissima caritas, quae contritioni vim tribuit expurgandi peccatum. Ergo Christus ab instanti suae conceptionis sufficienter satisfecit pro omnibus peccatis nostris; et ita non oportuit quod per passionem mortis satisfaceret.

5. La contrition en nous qui péchons peut être assez grande pour que la totalité du péché soit remise quant à la peine et quant à la faute. Or, chez le Christ, la charité la plus parfaite a existé dès l’instant de sa conception, [charité] qui donne à la contrition la capacité de purifier du péché. Le Christ a donc satisfait suffisamment pour tous nos péchés dès l’instant de sa conception; ainsi, il n’était pas nécessaire qu’il satisfasse en supportant la mort.

 [9947] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 3 arg. 6 Praeterea, poena, qua quis punitur, quantitatem accipit, quantum ad virtutem satisfaciendi, ex conditione patientis. Sed Christus, inquantum Deus est et homo, habet infinitam dignitatem. Ergo quaelibet poena quam sustinuit, scilicet fames, fatigatio, et hujusmodi, fuit sufficiens ad satisfaciendum pro toto humano genere: ergo non oportuit quod mortem pateretur.

6. La peine, par laquelle quelqu’un est puni, reçoit une quantité, pour ce qui est de sa capacité de satisfaire, par la condition de celui qui la supporte. Or, le Christ, en tant qu’il est Dieu et homme, possède une dignité infinie. Toute peine qu’il a endurée : la faim, la fatigue et les choses de ce genre, suffisait donc à satisfaire pour tout le genre humaine. Il n’était donc pas nécessaire qu’il supporte la mort.

 [9948] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, Hebr. 2, 10: decebat eum (...) per passionem consummari.

Cependant, [1] He 2, 10 dit : Il convenait… qu’il atteigne sa perfection par la passion.

 [9949] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, homo erat debitor mortis. Ergo si debuit pro aliis satisfacere recompensando, oportuit quod ipse mortem, quam non debebat, exsolveret.

 [2] L’homme était débiteur de la mort. S’il devait satisfaire pour les autres en compensant, il fallait que [le Christ] acquitte la mort qu’il ne devait pas.

 [9950] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 3 s. c. 3 Praeterea, Christus non solum debuit hostem vincere, sed etiam exemplum vincendi nobis dare. Ergo debuit in difficillimis victor existere. Sed difficillimum est mortem sustinere. Ergo debuit per passionem mortis nos liberare.

 [3] Le Christ ne devait pas seulement vaincre l’ennemi, mais aussi nous donner l’exemple de la victoire. Il devait donc se montrer vainqueur dans les choses les plus difficiles. Or, supporter la mort est ce qu’il y a de plus difficile. Il devait donc nous libérer en supportant la mort.

 [9951] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod Christi satisfactio fuit non pro uno homine tantum, sed pro tota humana natura; unde duas conditiones concernere debuit: ut esset universalis respectu omnium satisfactionum quodammodo, et ut esset exemplaris omnium satisfactionum particularium. Universalis autem erat non per praedicationem de multis, quasi per multas particulares satisfactiones multiplicata, sed habens virtutem respectu omnium; unde non oportebat quod ipse omnes poenas quae ex peccato quocumque modo consequi possent, assumeret in seipso; sed illam ad quam omnes ordinantur, et quae continet in se virtute omnes poenas, quamvis non actu. Finis autem omnium terribilium est mors, ut dicit philosophus, 3 Ethic.; et ideo per passionem mortis debuit satisfacere. Inquantum vero fuit exemplaris respectu nostrarum satisfactionum, debuit habere magnitudinem excedentem omnes alias satisfactiones, quia exemplar debet esse praestantius exemplato; et ideo secundum maximam poenarum debuit satisfacere, scilicet mortem.

Réponse. La satisfaction du Christ n’était pas uniquement pour un seul homme, mais pour toute la nature humaine. Elle devait donc comporter deux conditions : être d’une certaine manière universelle par rapport à toutes les satisfactions, et être le modèle de toutes les satisfactions particulières. Or, elle n’était pas universelle par attribution à plusieurs, comme si elle était multipliée par plusieurs satisfactions particulières, mais en tant qu’elle possédait une puissance par rapport à tous. Aussi n’était-il pas nécessaire qu’il assume en lui-même toutes les peines qui pourraient découler du péché de quelque façon, mais celle à laquelle toutes sont ordonnées et qui contient en elle-même en puissance toutes les peines, bien que non en acte. Or, la fin de tout ce qui est à craindre est la mort, comme le dit le Philosophe, Éthique, III. Aussi devait-il satisfaire en supportant la mort. Mais, en tant qu’il était le modèle de nos satisfactions, [la satisfaction du Christ] devait avoir une ampleur qui dépassait toutes les autres satisfactions, car le modèle doit l’emporter sur ce qui le reproduit. C’est pourquoi il devait satisfaire selon la plus grande des peines, la mort.

 [9952] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod passio Christi non fuit satisfactoria ex parte occidentium Christum, sed ex parte ipsius patientis, qui ex maxima caritate pati voluit; et secundum hoc fuit Deo accepta.

1. La passion du Christ n’était pas satisfactoire du point de vue de ceux qui ont tué le Christ, mais du point de vue de ce que lui-même supportait, lui qui a voulu souffrir par la plus grande charité. Sous cet aspect, elle fut agréée par Dieu.

 [9953] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod vita corporalis Christi habebat quemdam infinitum valorem ex divinitate conjuncta, inquantum non erat vita puri hominis, sed Dei et hominis: et ideo poterat esse sufficiens recompensatio vitae spiritualis, et praecipue ratione caritatis eximiae ex qua offerebatur.

2. La vie corporelle du Christ avait une certaine valeur infinie du fait qu’elle était unie à la divinité, pour autant qu’elle n’était pas la vie d’un pur homme, mais de Dieu et de l’homme. La compensation de la vie spirituelle pouvait donc être suffisante, surtout en raison de la charité éminente par laquelle elle était offerte.

 [9954] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in peccato Adae non solum fuit superbia, sed delectatio: et ideo in satisfactione non solum debuit esse humilitas, quod in incarnatione factum est, sed etiam acerbitas doloris, quod in passione accidit.

3. Dans le péché d’Adam, il n’y avait pas seulement de l’orgueuil, mais du plaisir. Aussi, pour la satisfaction, ne devait-il pas y avoir seulement de l’humilité, ce qui a été réalisé par l’incarnation, mais aussi une douleur aiguë, qui se produisit dans la passion.

 [9955] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis gutta sanguinis quam in circumcisione fudit, esset sufficiens ad omnem satisfactionem, considerata conditione personae, non tamen quantum ad genus poenae: quia pro morte ad quam humanum genus obligatum erat, oportebat quod mortem exsolveret.

4. Bien qu’une goutte de sang, qu’il a versée lors de la circoncision, était suffisante pour toute la satisfaction, en prenant en considération la condition de la personne, elle ne l’était cependant pas pour ce qui était du genre de peine, car, pour la mort à laquelle le genre humain avait été obligé, il fallait qu’il acquitte la mort.

 [9956] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod contritio non tantum habet vim ex caritate, sed etiam ex dolore; et ideo ratione caritatis delet culpam, ratione autem doloris computatur in satisfactionem poenae.

5. La contrition ne tient pas sa puissance seulement de la charité, mais aussi de la douleur. Aussi, en raison de la charité, détruit-elle la faute, mais, en raison de la douleur, est-elle comptée comme satisfaction de la peine.

 [9957] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod aliae poenae quas Christus sustinuit, quamvis sufficientes essent ad satisfaciendum pro humana natura, considerata conditione patientis, non tamen considerato genere poenae: quia in poenis illis non continebantur omnes aliae poenae, sicut in passione mortis continentur.

6. Les autres peines que le Christ a supportées, bien qu’elles aient été suffisantes comme satisfaction pour la nature humaine, si l’on prend en compte la condition de celui qui souffrait, [ne l’était] cependant pas, si l’on prend en compte le genre de la peine, car, dans ces peines, n’étaient pas contenues toutes les autres peines, comme elles sont contenues dans la passion de la mort.

Articulus 4 [9958] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4 tit. Utrum fuerit possibilis alius modus satisfaciendi

Article 4 – Un autre mode de satisfaction était-il possible ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Un autre mode de satisfaction était-il possible ?]

 [9959] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur, quod alius modus non fuerit possibilis. Hebr. 2, 10: decebat eum per passionem (...) consummari; dicit Glossa: nisi Christus pateretur, homo non redimeretur.

1. Il semble qu’un autre mode [de satisfaction] n’était pas possible. À propos de He 2, 10 : Il convenait qu’il atteigne la perfection… par la passion, la Glose dit : « À moins que le Christ ne meure, l’homme ne serait pas racheté. »

 [9960] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, Anselmus in Lib. cur Deus homo: non potuit transire calix, nisi biberet; non quia mortem vitare nequiverit, sed quia aliter mundus salvari non posset. Ergo videtur quod alius modus possibilis non fuit.

2. Anselme dit dans le livre Pourquoi Dieu s’est-il fait homme ? : « Le calice ne pouvait pas passer sans qu’il le boive : non qu’il n’ait pu éviter la mort, mais parce que le monde ne pouvait pas être sauvé autrement. » Il semble donc qu’un autre mode n’était pas possible.

 [9961] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 3 Praeterea, minimum inconveniens est Deo impossibile. Sed inconveniens est peccatum dimittere sine debita satisfactione, ut dictum est. Cum igitur debita satisfactio non potuerit esse nisi per modum istum, videtur quod alius modus possibilis non fuit.

3. La plus petite inconvenance est impossible pour Dieu. Or, il ne convenait pas de remettre le péché sans une juste satisfaction, comme on l’a dit. Puisqu’une juste satisfaction ne pouvait exister sans ce mode, il semble donc qu’un autre mode n’était pas possible.

 [9962] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 4 Praeterea, fidei non potest subesse falsum. Sed antiqui patres crediderunt Christum passurum. Ergo non potuit aliter esse.

4. Quelque chose de faux ne peut être objet de la foi. Or, les pères anciens ont cru que le Christ devait souffrir. Il ne pouvait donc en être autrement.

 [9963] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Gregorius, 20 Lib. Moral.: qui fecit nos de nihilo, revocare etiam sine morte et passione sua nos potuit.

Cependant, [1] Grégoire dit, dans les Morales, XX : « Celui qui nous a créés de rien, pouvait aussi nous rappeler sans sa mort et sa passion. »

 [9964] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, Luc. 1, 37: non erit impossibile apud Deum omne verbum. Ergo quocumque alio modo potuisset nos liberare.

 [2] Lc 1, 37 dit : Rien de ce que Dieu dit n’est impossible. Il aurait donc pu nous libérer de n’importe quelle autre façon.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Une autre mode de satisfaction aurait-il été plus convenable ?]

 [9965] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod alius modus fuisset convenientior. Si enim Christus mortem subiisset naturalem, nihilominus genus humanum redemptum fuisset: quia mortem solvisset quam non debebat. Sed hoc fuisset sine peccato alicujus. Ergo videtur quod hic fuisset modus convenientior: quia unumquodque tanto est convenientius, quanto ad ipsum pauciora inconvenientia sequuntur.

1. Il semble qu’un autre mode aurait été plus convenable. En effet, si le Christ avait subi une mort naturelle, le genre humain aurait été quand même racheté, car il aurait acquitté une mort qu’il ne devait pas. Or, cela aurait pu être sans péché de la part d’un autre. Il semble donc que ce mode aurait été plus convenable, car une chose est d’autant plus convenable que moins d’inconvénients en découlent.

 [9966] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, Diabolus nos omnino injuste invaserat, nec aliquod jus in nobis habebat. Sed nihil est convenientius quam quod vis vi repellatur. Ergo convenientissimus modus fuisset ut per potentiam nos eriperet a potestate Diaboli, non redimendo.

2. Le Diable nous avait injustement assaillis, alors qu’il n’avait aucun droit sur nous. Or, rien n’est plus approprié que la force soit repoussée par la force. Le mode le plus convenable aurait donc été qu’il nous arrache au pouvoir du Diable par sa puissance, et non en nous rachetant.

 [9967] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 3 Praeterea, ipse venerat a Daemonis potestate hominem liberare, non autem a potestate hominis. Ergo convenientius fuisset quod a Daemone passus fuisset, quam ab homine.

3. Il était venu libérer l’homme du pouvoir du Démon, et non du pouvoir de l’homme. Il aurait donc été plus approprié que le Démon souffre plutôt qu’un homme.

 [9968] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 4 Praeterea, Christus ad hoc venit ut homines ad se traheret. Sed plures eum sequerentur, si per viam deliciarum incessisset, quam quod per viam passionis de hoc mundo exivit. Ergo videtur quod ille fuisset convenientior modus.

4. Le Christ était venu pour attirer les hommes à lui. Or, un plus grand nombre l’aurait suivi s’il avait marché sur un chemin de plaisirs, que ce n’a été le cas du chemin de la passion, par lequel il est sorti de ce monde. Il semble donc que ce mode aurait été plus approprié.

 [9969] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, super illud Psalm. 21: et non ad insipientiam mihi, dicit Glossa: nullus convenientior modus nostrae redemptionis fuit, quam quod homo, qui per superbiam ceciderat, per humilitatem resurgeret.

Cependant, [1] à propos de Ps 21 : Et non pour ma folie, la Glose dit : « Il n’y avait pas de mode plus approprié pour notre rédemption que l’homme, qui était tombé par orgueuil, se relève par l’humilité. »

 [9970] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, optimi est optima adducere. Si igitur Deus est optimus, modum optimum nostrae liberationis elegit.

 [2] Le plus grand apporte ce qu’il y a de meilleur. Si donc Dieu est le meilleur, il a choisi le meilleur mode pour notre libération.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [9971] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod quantum ex parte Dei est, fuit alius modus nostrae liberationis possibilis, quia ejus potentia limitata non est, quem si elegisset, convenientissimus fuisset: non tamen habuisset rationem redemptionis, sed liberationis tantum, quia liberatio non fuisset facta per solutionem pretii. Ex parte autem hominis non fuit alius modus possibilis nisi quem Deus ei dedit: quia per se satisfacere non poterat, sed solum divino munere. Sed ex parte nostra simul et Dei fuit quidem alius modus possibilis, sed nullus ita conveniens.

Du point de vue de Dieu, un autre mode de notre libération était possible, car sa puissance n’était pas limitée au mode qui été avait choisi comme le plus approprié. Cependant, il n’aurait pas eu le caractère d’une rédemption, mais d’une libération seulement, car la libération ne serait pas réalisée par l’acquittement d’un prix. Mais, du point de vue de l’homme, n’était pas possible un autre mode que celui que Dieu lui a donné, car il ne pouvait satisfaire par lui-même, mais seulement par un don de Dieu. Mais, de notre point de vue en même temps que de celui de Dieu, un autre mode était possible, mais aucun qui ne fût aussi approprié.

 [9972] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod si homo alio modo liberaretur, non redimeretur: quia redemptio sufficientem satisfactionem importat. Sed tamen alio modo liberari potuit.

1. Si l’homme avait été libéré d’une autre manière, il n’aurait pas été racheté, car la rédemption comporte une satisfaction suffisante. Cependant, il pouvait être libéré d’une autre manière.

 [9973] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Anselmus loquitur quantum est ex parte nostra, supposita Dei ordinatione.

2. Anselme parle de notre point de vue, en supposant une disposition de Dieu.

 [9974] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis sit inconveniens ex parte nostra secundum ordinem quem Deus rebus posuit, ut peccatum sine satisfactione dimittatur; tamen si ipse faceret, convenientissimum esset, quia ipse simul cum hoc faceret, aliquam convenientiam in re poneret.

3. Bien qu’il soit inapproprié de notre point de vue, selon la manière dont Dieu a disposé les choses, que le péché soit remis sans satisfaction, s’il l’avait fait, cela aurait été ce qui était le plus approprié, car, en même temps qu’il ferait cela, il donnerait une convenance à la chose.

 [9975] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod fides antiquorum fuit de passione Christi futura, praesupposita Dei ordinatione quod ita fieret; ex cujus suppositione, passio Christi necessitatem habet, ut dictum est.

4. La foi des anciens portait sur la passion à venir du Christ, en supposant que cela arriverait par une disposition de Dieu. La passion du Christ est nécessaire selon une telle supposition, comme on l’a dit.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [9976] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod quantum est ex parte nostra, convenientior modus esse non potuit. Sed tamen Deo non aufertur potentia, quin potuisset alium modum convenientiorem fecisse, cujus potentia limitata non est. Sed hoc esset secundum alium ordinem rebus impositum.

De notre point de vue, il ne pouvait exister un mode plus convenable. Cependant, Dieu ne perd pas le pouvoir par lequel il aurait pu avoir mis en œuvre un mode plus convenable, lui dont la puissance n’a pas été limitée. Mais cela serait conforme à un autre ordre imposé aux choses.

 [9977] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Christus pro omnibus peccatis quantum ad sufficientiam debuit satisfacere, non solum pro originali, sed etiam pro actuali, pro quo infligitur violenta mors; et ideo, ut sua satisfactio omnem comprehenderet, decens fuit ut morte turpissima quantum ad genus mortis moreretur, ut sic non solum sub Angelis descenderet per mortem, sed etiam sub hominibus per genus mortis, quantum ad acerbitatem simul et turpitudinem. Nec peccatum aliorum aliquid de convenientia satisfactionis adimit: quia satisfactio non est ex passione ex parte infligentium passionem, sed ex parte patientis.

1. Le Christ devait satisfaire d’une manière suffisante pour tous les péchés, non seulement pour le péché originel, mais aussi pour le péché actuel, pour lequel une peine de mort violente est infligé. Pour que sa satisfaction couvre tous [les péchés], il convenait donc qu’il meure de la mort la plus honteuse, pour ce qui est du genre de mort, afin qu’il ne descende pas seulement au-dessous des anges par la mort, mais aussi au-dessous des hommes par le genre de mort, par sa cruauté comme par son ignominie. Et le péché des autres n’enlève rien à la convenance de la satisfaction, car la satisfaction ne vient pas de la souffrance de ceux qui infligent la douleur, mais de celle de celui qui l’endure.

 [9978] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis Diabolus nos injuste detineret, tamen nos juste ab ipso detinebamur, ejus tyrannidem propter nostram culpam patientes; unde ex parte nostra fuit congruum ut satisfaciendo nos eriperet; ut non solum ipse juste nos liberaret, quod esset si violentia uteretur, sed etiam nos juste liberaremur.

2. Bien que le Diable [nous] ait détenus de manière injuste, nous étions cependant justement détenus par lui, en supportant sa tyrannie en raison de notre faute. De notre point de vue, il était donc convenable de nous arracher à lui en satisfaisant, afin que [le Christ] non seulement nous libère justement, ce qui serait le cas s’il faisait usage de la violence, mais aussi que nous soyons libérés justement.

 [9979] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut peccatum hominis fuit commissum ab homine, instigante Diabolo; ita etiam conveniens fuit, ut medicina morbo responderet, quod Christus occideretur ab homine suadente Diabolo.

3. De même que le péché de l’homme a été commis par l’homme à l’instigation du Diable, de même aussi convenait-il, pour que le remède corresponde à la maladie, que le Christ soit tué par l’homme sous la persuasion du Diable.

 [9980] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod satisfactio debet esse poenalis; et ideo, ut pro nobis satisfaceret, oportuit quod in hoc mundo poenas sustineret, et non deliciis uteretur. Vel dicendum, quod Christus ad hoc venit ut a terrenis bonis, pro quibus homines a Deo recesserant, ad caelestia nos revocaret; et ideo decuit ut terrena bona abjiceret, quatenus ea contemnendi nobis exemplum daret.

4. La satisfaction doit avoir le caractère de peine. C’est pourquoi, afin qu’il satisfasse pour nous, il fallait qu’il supporte des peines en ce monde et ne fasse pas usage des plaisirs. Ou bien il faut dire que le Christ est venu pour nous détourner des biens terrestres, par lesquels les hommes s’étaient éloignés de Dieu, [en nous tournant] vers les biens célestes. C’est pourquoi il convenait qu’il rejette les biens terrestres afin de nous donner l’exemple de les mépriser.

 

 

Articulus 5 [9981] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5 tit. Utrum Deus pater filium tradiderit ad passionem

Article 5 – Dieu le Père a-t-il livré son Fils à la passion ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Dieu le Père a-t-il livré son Fils à la passion ?]

 [9982] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod Deus pater filium non tradiderit ad passionem. Maxima enim crudelitas est filium innocentem tradere. Sed Christus fuit innocentissimus. Cum ergo crudelitas non sit in Deo, videtur quod ipse Christum ad passionem non tradiderit.

1. Il semble que Dieu le Père n’ait pas livré son Fils à la passion. En effet, la cruauté la plus grande consiste à livrer son fils innocent. Or, le Christ était innocent au plus haut point. Puisqu’il n’y a pas de cruauté en Dieu, il semble donc qu’il n’ait pas livré le Christ à la passion.

 [9983] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 2 Praeterea, si pater Christum in mortem tradidit, hoc non fuit nisi quia Christus ex obedientia ad patrem mortuus est. Sed quicumque facit aliquid ex obedientia, facit ex debito. Ergo Christus debitor mortis fuit, et sic non fuit mors ejus Deo gratissima: debitum enim diminuit de gratitudine actus.

2. Si le Père a livré le Christ à la passion, ce n’était que parce que le Christ est mort par obéissance à son Père. Or, quiconque fait quelque chose par obéissance le fait par obligation. Le Christ était donc débiteur de la mort, et ainsi sa mort n’a pas été la plus agréable à Dieu. En effet, le caractère de dette diminue le caractère agréable d’un acte.

 [9984] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 3 Praeterea, si pater tradidit filium, ergo voluit eum mori. Sed hoc etiam voluerunt Judaei. Ergo conformaverunt voluntatem suam voluntati divinae, et ita non peccaverunt.

3. Si le Père a livré son Fils, c’est qu’il voulait qu’il meure. Or, les Juifs aussi ont voulu cela. Ils ont donc conformé leur volonté à la volonté divine, et ainsi ils n’ont pas péché.

 [9985] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 4 Praeterea, philosophus dicit, quod pervenire ad bonum finem per mala media, est mali consiliatoris. Sed consilium divinum est optimum. Ergo si ex consilio voluntatis patris Christus esset mortuus, non esset hoc consilium expletum mediantibus malis actibus Judaeorum; quod tamen falsum est. Ergo pater filium ad passionem non tradidit.

4. Le Philosophe dit que parvenir à une fin bonne par des moyens mauvais est le fait d’un mauvais conseiller. Or, le conseil divin est le meilleur. Si le Christ était mort par le conseil de la volonté du Père, ce conseil n’aurait pas été accompli par l’intermédiaire d’actions mauvaises des Juifs. Le Père n’a donc pas livré son Fils à la passion.

 [9986] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Rom. 8, 32: proprio filio suo non pepercit et cetera.

Cependant, [1] Rm 8, 32 dit : Il n’a pas épargné son propre Fils, etc.

 [9987] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, omnis poena est a Deo. Sed passio Christi quaedam poena fuit. Ergo fuit a Deo.

 [2] Toute peine vient de Dieu. Or, la passion du Christ a été une peine. Elle venait donc de Dieu.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La passion du Christ était-elle bonne ?]

 [9988] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod passio Christi non fuerit bona. Quia secundum Boetium, cujus generatio est bona, corruptio est mala. Sed generatio Christi fuit optima. Ergo passio mortis ipsius fuit pessima.

1. Il semble que la passion du Christ n’ait pas été bonne, car, selon Boèce, ce dont la génération est bonne, la corruption est mauvaise. Or, la génération du Christ était la meilleure. La passion de sa mort était donc la plus mauvaise.

 [9989] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 2 Praeterea, omne injustum est malum. Sed Christus injuste passus est; 1 Petr. 2, 23: tradebat autem judicanti se injuste. Ergo illa passio Christi fuit mala.

2. Tout ce qui est injuste est mauvais. Or, le Christ a injustement souffert, 1 P 2, 23 : Il s’est livré à celui qui le jugeait injustement. Cette passion était donc mauvaise.

 [9990] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 3 Praeterea, sicut eadem materia non potest esse in naturalibus sub contrariis formis, ita unus actus in moralibus non potest esse bonus et malus. Sed opus Judaeorum, ut dicitur in littera, fuit passio Christi. Ergo cum opus Judaeorum fuerit malum, passio Christi non potest dici bona.

3. De même que, dans les choses naturelles, la même matière ne peut exister sous des formes contraires, de même un seul acte ne peut, en domaine moral, être bon et mauvais. Or, la passion du Christ a été l’action des Juifs, comme le dit le texte. Puisque l’action des Juifs était mauvaise, on ne peut donc dire que la passion du Christ était bonne.

 [9991] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, nihil est Deo acceptum nisi bonum. Sed mors Christi fuit Deo acceptissima: quia ipse tradidit semetipsum pro nobis oblationem et hostiam Deo in odorem suavitatis: Ephes. 5, 2. Ergo passio Christi fuit bona.

Cependant, [1] rien n’est agréable à Dieu si cela n’est pas bon. Or, la mort du Christ a été ce qu’il y avait de plus agréable à Dieu, car il s’est livré lui-même comme offrande et comme victime à Dieu avec une odeur suave, Ep 5, 2. La passion du Christ était donc bonne.

 [9992] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, omne quod est ex caritate, est bonum. Sed Christus ex maxima caritate fuit mortuus et passus. Ergo passio sua fuit optima.

 [2] Tout ce qui vient de la charité est bon. Or, le Christ est mort et a souffert par la plus grande charité. Sa passion était donc la meilleure.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [9993] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod in passione Christi fuit tria considerare. Unum ex parte patientis, quia scilicet voluntarie passus est ex caritate. Aliud autem ex parte occidentium, qui ex iniqua voluntate eum occiderunt. Tertium est ex parte ipsorum pro quibus passus est, scilicet effectus salutis in toto humano genere. Et secundum hoc tripliciter Deus pater, immo tota Trinitas, eum tradidit. Uno modo, praeordinando passionem ejus ad salutem humani generis. Secundo, Christo homini voluntatem dando, et caritatem, ex qua pati voluit. Tertio, dando potestatem, et non cohibendo voluntatem occidentium, sicut dicitur Joan. 19, 11: non haberes in me potestatem, nisi data tibi fuisset desuper.

Dans la passion du Christ, il faut considérer trois choses. L’une, du point de vue de celui qui souffrait, car il a volontairement souffert par charité. Une autre, du point de vue de ceux qui le tuaient, qui l’ont tué par une volonté injuste. La troisième, du point de vue de ceux pour qui il a souffert, à savoir, l’effet du salut pour tout le genre humaine. Dieu le Père, bien plus, la Trinité entière l’a ainsi livré de trois manières. D’une manière, en décidant à l’avance sa passion en vue du salut du genre humain. Deuxièmement, en donnant au Christ homme la volonté et la charité par lesquelles il a voulu souffrir. Troisièmement, en donnant la capacité à la volonté de ceux qui tuaient et en ne la retenant pas, comme il est dit en Jn 19, 11 : Tu n’aurais pas pouvoir sur moi s’il ne t’était donné d’en haut.

 [9994] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Deus pater non tradidit Christum in mortem, quasi cogendo ipsum mori, sed dando ei voluntatem bonam qua mori vellet; et ideo non sequitur quod fuerit aliqua crudelitas in Deo.

1. Dieu n’a pas livré le Christ à la mort comme s’il le forçait à mourir, mais en lui donnant la volonté bonne par laquelle il voudrait mourir. C’est pourquoi il n’en découle pas qu’il y ait de la cruauté en Dieu.

 [9995] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Christus non fuit debitor mortis ex necessitate, sed ex caritate ad homines, qua hominis salutem voluit, et ex caritate ad Deum qua ejus voluntatem implere voluit, sicut dixit Matth. 26, 39: non sicut ego volo, sed sicut tu; et hoc debitum non diminuit aliquid de gratitudine actus.

2. Le Christ n’était pas débiteur de la mort par nécessité, mais par la charité envers les hommes, par laquelle il a voulu le salut de l’homme, et par la charité envers Dieu, par laquelle il a voulu accomplir sa volonté, comme le dit Mt 26, 39 : Non pas comme je veux, mais comme tu veux. Aussi cette dette n’a-t-elle en rien diminué le caractère agréable de d’acte.

 [9996] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod conformitas voluntatis humanae ad divinam, non est simpliciter in volendo quod Deus vult, sed in volendo eodem modo, idest ex caritate, sicut Deus vult, vel ad eumdem finem; vel in volendo id quod Deus vult nos velle; et hoc modo Judaei voluntatem suam divinae non conformaverunt: quia Christum ex nequitia occiderunt ad impediendam salutem, quam ex ejus praedicatione sequi videbant.

3. La conformité de la volonté humaine à la volonté divine ne consiste pas seulement à vouloir ce que Dieu veut, mais à le vouloir de la même manière, c’est-à-dire par charité, comme Dieu veut, ou en vue de la même fin; ou bien, à vouloir ce que Dieu veut que nous voulions. De cette manière, les Juifs n’ont pas conformé leur volonté à la volonté divine, car ils ont tué le Christ injustement pour empêcher le salut qu’ils voyaient se réaliser par sa prédication.

 [9997] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod facere aliquod malum propter bonum finem consequendum, est mali consiliatoris; sed uti malitia aliorum, quam ipse non facit, ad bonum finem, hoc est summae sapientiae.

4. Accomplir quelque chose de mauvais pour obtenir une fin bonne relève d’un mauvais conseiller; mais faire usage de la méchanceté des autres, qu’on n’accomplit pas soi-même, en vue d’une fin bonne, relève de la plus grande sagesse.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [9998] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod judicium absolutum est de re, quando consideratur ipsa secundum quod est actu in rerum natura existens; et hoc est quando consideratur cum omnibus circumstantiis quae sunt in ipsa. Sed quando consideratur res secundum aliquid quod in re est sine consideratione aliorum; illud judicium non est de re simpliciter, sed secundum quid. Si igitur consideretur passio secundum quod est in patiente cum omnibus quae circumstant, scilicet caritate Christi, et efficacia ipsius, sic est dicenda simpliciter bona. Si autem consideretur secundum quod est passio tantum, scilicet inquantum adimit vitam, nihil aliud considerando; sic est malum in genere mali naturae; unde dicenda est bona simpliciter, et mala secundum quid.

Le jugement absolu porte sur une chose lorsqu’elle est envisagée selon qu’elle existe en acte dans la nature des choses : c’est le cas lorsqu’elle est envisagée selon toutes les circonstances qui lui appartiennent. Mais lorsqu’une chose est considérée selon un aspect qui existe dans la chose, sans envisager les autres, ce jugement ne porte pas sur la chose simplement, mais sous un aspect. Si donc la passion est envisagée selon qu’elle existe chez celui qui la supporte, avec tout ce qui l’entoure, à savoir, la charité du Christ et son efficacité, elle peut ainsi être appelée bonne simplement. Mais si elle est envisagée selon qu’elle est une passion seulement, c’est-à-dire selon qu’elle enlève la vie, en n’envisageant rien d’autre, elle est alors un mal du genre du mal de nature. Ainsi doit-elle être appelée bonne simplement, et mauvaise sous un aspect.

 [9999] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod passio Christi, inquantum est corruptionis inductiva, sic est mala; et hoc est considerare ipsam secundum quid: sed inquantum est passio volita, et ad humanam salutem ordinata, sic est optima.

1. La passion du Christ, selon qu’elle entraîne une corruption, est ainsi mauvaise : c’est là l’envisager sous un aspect. Mais en tant qu’elle est une passion voulue et ordonnée au salut de l’homme, elle est ainsi très bonne.

 [10000] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod injuste illata est ex parte occidentium: sed ex parte ipsius patientis ex justissima voluntate procedit.

2. Elle a été donnée injustement du point de vue de ceux qui tuaient; mais, du point de vue de celui qui la supportait, elle vient de la volonté la plus juste.

 [10001] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod opus operans Judaeorum est malum simpliciter; sed passio, quae est opus operatum, est quidem simpliciter bona, secundum quod est in patiente; quamvis possit dici mala secundum quid secundum quod est in actione illorum sicut in causa, et secundum quod est corruptiva naturae; et ita non est ponere contraria circa idem.

3. L’action réalisatrice (opus operans) de la part des Juifs est simplement un mal; mais la passion, qui est l’acte réalisé (opus operatum) est simplement bonne, selon qu’elle se trouve chez celui qui subit, bien qu’elle puisse être appelée mauvaise sous un aspect, selon qu’elle se trouve dans leur action comme dans sa cause et selon qu’elle entraîne une corruption de la nature. Ce n’est donc pas affirmer des contraires à propos de la même chose.

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Distinction 20

 [10002] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 2 expos. Quia sic justitia superatus est Diabolus, non potentia. Contra. Justitia Dei non potest esse sine potentia, nec e converso. Dicendum, quod intelligendum est: non potentia tantum. Sed si etiam potentia tantum Diabolum superasset, adhuc esset justitia ex parte nostra. Peccantem peccati auctor illico invasit. Contra. Magis peccavit Diabolus quam homo. Ergo magis debuit ipse invadi quam homo. Dicendum, quod ambos invasit sententia judicis secundum culpae modum, sed hominem invasit et peccati auctor; tum quia homo illi se subdidit, tum quia homo ex ordine naturae sub Angelis erat; unde etiam homini ad exercitium datur. Praedestinatis tantum effecit salutem. Contra. Aliqui etiam non praedestinati gratiam accipiunt. Dicendum, quod loquitur de salute finali, per quam homo ab omni malo liberatur. Hic distinguendum est: quia potest intelligi de opere operante; et sic malum operati sunt: vel de opere operato; et sic bonum operati sunt.

 

 

 

 

Distinction 21 – [La mort du Christ]

Quaestio 1

Question 1 – [La divinité a-t-elle été séparée de l’humanité dans la mort du Christ ?]

 

 

Prooemium

Prologue

 [10003] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de his quae Christus cum humana natura assumpsit, scilicet gratia et scientia et defectibus, et de his quae per humanam naturam operatus est, scilicet de meritis; hic determinat de morte quam in humana natura sustinuit. Dividitur autem haec pars in duas: primo determinat ea quae ad mortem Christi pertinent; secundo ea quae ad mortem Christi consequuntur, dist. 22, ibi: hic quaeritur, utrum in illo triduo mortis Christus fuerit homo. Prima dividitur in duas: primo inquirit utrum mors fuerit in Christo secundum separationem deitatis a carne; secundo, supposito quod non, ostenditur qua ratione Christus dicatur mortuus, ibi: recedente vero anima, mortua est Christi caro. Circa primum duo facit: primo movet quaestionem; secundo determinat eam, ibi: quidam putaverunt tunc carnem sicut ab anima, ita a divinitate in morte fuisse divisam. Et circa hoc duo facit: primo excludit errorem; secundo veritatem confirmat, ibi: sicut Augustinus super Joan (...) ait. Circa primum duo facit: primo excludit probationem erroris sumptam ex ratione et auctoritate Augustini; secundo probationem sumptam ex auctoritate Athanasii, ibi: alii quoque auctoritati innituntur. Circa primum tria facit: primo ponit rationem ipsorum; secundo auctoritatem quae videtur pro eis facere, ibi: huic suae probabilitati addunt auctoritatis testimonium; tertio solvit, ibi: quibus respondemus. Alii quoque auctoritati innituntur. Hic tria facit: primo ponit objectionem ex auctoritate Athanasii; secundo ostendit quod illa auctoritas non facit pro eis, ibi: quibus respondemus; tertio auctoritatem Athanasii exponit, ibi: sciendum est igitur. Hic est duplex quaestio. Prima de morte Christi. Secunda de resurrectione ejus. Circa primum quaeruntur tria: 1 utrum in morte Christi fuerit separata deitas ab humanitate; 2 utrum corpus Christi fuerit dissolutum, vel incineratum; 3 utrum debeat simpliciter concedi quod Christus, vel filius Dei, sit mortuus.

Après avoir déterminé de ce que le Christ a assumé avec la nature humaine : la grâce, la science et les carences, et de ce qu’il a accompli par la nature humaine : les mérites, le Maître détermine ici de la mort qu’il a supportée dans sa nature humaine. Cette partie se divise en deux : premièrement, il détermine de ce qui se rapporte à la mort du Christ; deuxièmement, de ce qui découle de la mort du Christ, d. 22, à cet endroit : « Ici, on se demande si, pendant ces trois jours de sa mort, le Christ était un homme. » La première partie se divise en deux : premièrement, [on se demande] si la mort s’est réalisée chez le Christ par la séparation de la divinité de la chair; deuxièmement, en supposant que non, il montre pour quelle raison on dit que le Christ est mort, à cet endroit : « Lorsque l’âme s’est retirée, la chair du Christ est morte. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il soulève une question; deuxièmement, il en détermine, à cet endroit : « Certains ont pensé qu’alors, de même que la chair fut divisée de l’âme, de même la divinité le fut-elle. » À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il écarte l’erreur; deuxièmement, il confirme la vérité, à cet endroit : « Comme le dit Augustin en commentant Jean… » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il écarte la démonstration de l’erreur tirée d’un raisonnement et de l’autorité d’Augustin; deuxièmement, la démonstration tirée de l’autorité d’Athanase, à cet endroit : « D’autres s’appuient aussi sur une autorité… » À propos du premier point, il fait trois choses : premièrement, il présente leur raisonnement; deuxièmement, l’autorité qui semble être en leur faveur, à cet endroit : « À leur démonstration, ils ajoutent le témoignage d’une autorité »; troisièmement, il la résout, à cet endroit : « Nous leur répondons… » « D’autres s’appuient aussi sur une autorité… » Ici, il fait trois choses : premièrement, il présente l’objection tirée de l’autorité d’Athanase; deuxièmement, il montre que cette autorité ne leur est pas favorable, à cet endroit : « Nous leur répondons… »; troisièmement, il explique l’autorité d’Athanase, à cet endroit : « Il faut donc savoir… » Ici, il y a une double question : la première, sur la mort du Christ; la seconde, sur sa résurrection. À propos du premier point, il pose trois questions : 1 – La divinité a-t-elle été séparée de l’humanité dans la mort du Christ ? 2 – Le corps du Christ a-t-il été dissous ou transformé en cendres ? 3 – Faut-il concéder simplement que le Christ ou le Fils de Dieu est mort ?

 

 

Articulus 1 [10004] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1 tit. Utrum in morte Christi deitas a carne separata sit

Article 1 – La divinité a-t-elle été séparée de la chair dans la mort du Christ ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La divinité a-t-elle été séparée de la chair dans la mort du Christ ?]

 [10005] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod in morte Christi deitas a carne separata sit. Remoto enim medio separantur extrema quae per medium conjunguntur. Sed, sicut in 2 dist., quaest. 2, art. 2, quaestiunc. 1, dictum est, divinitas conjungebatur carni mediante anima. Ergo separata anima a carne, separatur etiam divinitas.

1. Il semble que la divinité ait été séparée de la chair dans la mort du Christ. En effet, si on enlève le milieu, les extrêmes qui sont unis par le milieu sont séparés. Or, comme on l’a dit dans la d. 2, q. 2, a. 2, qa 1, la divinité était unie à la chair par l’intermédiaire de l’âme. Si l’âme est séparée de la chair, la divinité est donc aussi séparée.

 [10006] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, sicut in 2 dist., qu. 1, art. 3, quaestiunc. 2, dictum est, corpus insensibile non est assumptibile. Sed separata anima, caro remanet quoddam corpus insensibile. Ergo non potuit remanere deitati unita, cum nihil possit esse unitum quod non est assumptibile.

2. Comme on l’a dit dans la d. 2, q. 1, a. 3, qa 2, un corps insensible ne peut être assumé. Or, si l’âme est séparée, la chair demeure un corps insensible. Elle ne pouvait donc pas demeurer unie à la divinité, puisque rien ne peut être uni qui ne puisse être assumé.

 [10007] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, nulla res est mortua quae habet in se vitam. Sed si deitas in morte a carne separata non fuisset, habuisset in se vitam, quae etiam est fons indeficiens vitae. Ergo mortua non fuisset.

3. Aucune chose qui a la vie en elle-même n’est morte. Or, si la divinité n’avait pas été séparée de la chair par la mort, elle aurait eu en elle-même la vie qui est une source de vie intarissable. Elle ne serait donc pas morte.

 [10008] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 4 Praeterea, unio humanae naturae ad divinam est per gratiam. Sed corpus non est capax gratiae nisi mediante anima. Ergo corpus, separata anima, non potest remanere deitati unitum.

4. L’union de la nature humaine à la nature divine se réalise par une grâce. Or, le corps n’est apte à la grâce que par l’intermédiaire de l’âme. Si l’âme est séparée, le corps ne peut donc pas demeurer uni à la divinité.

 [10009] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, filius dicitur jacuisse in sepulcro: alias de hoc non esset fides, quae habet objectum veritatem increatam. Sed hoc non dicitur nisi quia corpus in sepulcro fuit. Ergo deitas a corpore separata non fuit.

Cependant, [1] on dit que le Fils a reposé au sépulcre, autrement, la foi ne porterait pas sur ce point, elle qui a pour objet la Vérité incréée. Or, on ne dit cela que parce que le corps était dans le sépulcre. La divinité n’a donc pas été séparée du corps.

 [10010] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, Leo Papa dicit: tanta fuit unio Dei et hominis, ut nec supplicio posset diminui, nec morte distingui. Sed supplicium pati et mori corporis est. Ergo corpus in morte a divinitate non est separatum.

 [2] Le pape Léon dit : « L’union de Dieu et de l’homme était si grande qu’elle ne pouvait être diminuée par le supplice ni séparée par la mort. » Or, subir un supplice et mourir sont le fait du corps. Le corps n’a donc pas été séparé de la divinité dans la mort.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La divinité a-t-elle été séparée de l’âme dans la mort ?]

 [10011] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod deitas sit separata ab anima. Utraque enim mors, ut dicitur in littera, scilicet qua separatur corpus ab anima, et qua separatur anima a Deo, Diaboli suasu homini propinata est. Sed Christus in se accepit mortem, qua separatur corpus ab anima, ut a nobis excluderet quod suasu Daemonis in nobis devenit. Ergo simpliciter debuit pati mortem, quae est separatio animae a deitate.

1. Il semble que la divinité ait été séparée de l’âme. En effet, comme il est dit dans le texte, les deux morts : celle par laquelle le corps est séparée de l’âme et celle par laquelle l’âme est séparée de Dieu, ont été absorbées par l’homme à l’incitation du Diable. Or, le Christ a accepté pour lui-même la mort par laquelle le corps est séparé de l’âme afin d’écarter ce qui nous et arrivé à l’instigation du Démon. Il devait donc tout simplement subir la mort qui est la séparation de l’âme et de la divinité.

 [10012] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, quicumque deponit aliquid, illud a se separat. Sed filius Dei dicit de seipso, Joan. 10, 10: ego pono animam meam. Ergo eam a se separavit.

2. Quiconque remet une chose la sépare de lui-même. Or, le Fils de Dieu dit de lui-même, Jn 10, 10 : Je remets mon âme. Il l’a donc séparée de lui-même.

 [10013] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, sicut supra, dist. 5, qu. 1, art. 1, quaestiunc. 3, dictum est, uniens est unitum sicut ratione unionis Deus est homo. Si igitur anima esset Deo unita post mortem; posset dici, quod Deus esset anima.

3. Comme on l’a dit plus haut, d. 5, q. 1, a. 1, qa 3, ce qui unit est ce qui est uni, comme Dieu est homme en raison de l’union. Si donc l’âme était unie à Dieu après la mort, on pourrait dire que Dieu était l’âme.

 [10014] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 4 Praeterea, ratione unionis Dei ad hominem est communicatio idiomatum, ut dicit Damascenus. Sed animae idiomata non dicuntur de filio Dei: non enim potest dici, quod filius Dei sit forma corporis. Ergo non remanet post mortem anima verbo unita.

4. « La communication des idiômes existe en raison de l’union de Dieu à l’homme », comme le dit [Jean] Damascène. Or, les idômes de l’âme ne sont pas affirmés du Fils de Dieu : en effet, on ne peut pas dire que le Fils de Dieu est la forme du corps. L’âme ne demeure donc pas unie au Verbe après la mort.

 [10015] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 5 Praeterea, si esset verbum unitum animae et corpori, cum illa sint ad invicem divisa, essent duae uniones verbi ad illa duo. Sed ante mortem erat tantum una unio. Ergo aliqua unio facta est de novo in morte Christi; quod est inconveniens.

5. Si le Verbe était uni à l’âme et au corps, puisque ceux-ci sont réciproquement divisés, il existerait deux unions du Verbe à ces deux choses. Or, avant la mort, il n’existait qu’une seule union. Une union a donc de nouveau été réalisée dans la mort du Christ, ce qui est inapproprié.

 [10016] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 6 Praeterea, anima et corpus separata fuerunt duo quaedam. Si ergo verbum utrique unitum remansit, videtur quod fuerunt duo vel tria Christus in morte: quia uniens est unitum.

6. L’âme et le corps séparés étaient deux réalités. Si donc le Verbe demeurait uni aux deux, il semble qu’il existait deux ou trois Christ dans la mort, car ce qui unit est ce qui est uni.

 [10017] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, major est conjunctio animae ad Deum per unionem in persona quam quae est per fruitionem. Sed anima Deo conjuncta per fruitionem, nunquam ab ipso separatur. Ergo multo minus conjuncta ei per unionem in persona.

Cependant, [1] l’union de l’âme à Dieu par l’union dans la personne est plus grande que celle qui se réalise par la jouissance (fruitionem). Or, l’âme unie à Dieu par la jouissance n’est jamais séparée de lui. Encore bien moins a-t-elle donc été unie à lui par l’union dans la personne.

 [10018] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, filius Dei dicitur descendisse ad Inferos. Sed hoc non convenit sibi nisi ratione animae. Ergo filius Dei post mortem habuit animam sibi unitam.

 [2] On dit que le Fils de Dieu est descendu aux enfers. Or, cela ne convient qu’en raison de l’âme. Le Fils de Dieu avait donc une âme qui lui était unie après la mort.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [10019] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod corpus Christi in morte non fuit separatum a deitate: cujus ratio ex tribus accipi potest. Primo ex parte Dei: quia cum sit immutabilis, ei quod perfecte sibi conjunctum est incommutabilitatem praestat, ut scilicet immutabiliter ei adhaereat. Secundo ex parte ipsius assumpti: quia per mortem, quam ex obedientia patris sustinuit, non debuit suam dignitatem amittere, sed magis clarificari. Tertio ex fine assumptionis: quia ea quae post mortem ipsius circa ipsum acta sunt, salutaria nobis non fuissent, nisi deitas adjuncta esset.

Le corps du Christ n’a pas été séparé de la divinité dans la mort. On peut en donner trois raisons. Premièrement, du point de vue de Dieu : puisqu’il est immuable, il confère l’immuabilité à ce qui lui a été uni, de sorte que cela adhère à lui de manière immuable. Deuxièmement, du point de vue de celui qui est assumé, car il ne devait pas perdre sa dignité, mais plutôt être glorifié par la mort qu’il a supportée par obéissance au Père. Troisièmement, en raison de la fin de l’assomption, car ce qui lui est arrivé après sa mort ne nous aurait pas été salutaire si la divinité n’y avait pas été unie.

 [10020] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut supra, dist. 2, qu. 2, art. 1, quaestiunc. 1, dictum est, anima quantum ad unibilitatem corporis, est medium necessitatis: quia corpus non esset unibile nisi inquantum est animatum: sed quantum ad unionem in actu, est medium congruentiae, quo remoto, non necessario unio tollitur, ut supra, dist. 2, dictum est; et ideo, quia separata anima a corpore, adhuc remansit in corpore ordo ad animam, et unibile remansit et unitum.

1. Comme on l’a dit plus haut, d. 2, q. 2, a. 1, qa 1, par rapport à la possibilité d’union au corps, l’âme est un intermédiaire nécessaire, car le corps ne serait pas apte à l’union s’il n’était pas animé. Mais, pour ce qui est de l’union en acte, elle est un intermédiaire de convenance : une fois celui-ci enlevé, l’union n’est pas nécessairement enlevée, comme on l’a dit plus haut, d. 2. Une fois l’âme séparée du corps, demeure donc dans le corps un ordre à l’âme, et ce qui peut être uni et ce qui est uni demeurent.

 [10021] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis esset actu insensibile, tamen hoc habebat supra alia corpora insensibilia quod inerat ei ordo ad animam humanam.

2. Bien que cela serait insensible en acte, y demeurerait cependant un ordre à l’âme humaine par-delà les autres corps insensibles.

 [10022] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod deitas non potest esse forma corporis. Ad hoc autem quod corpus sit vivum, oportet quod sit aliquid vivificans formaliter.

3. La divinité ne peut pas être forme du corps. Mais pour que le corps soit vivant, il est nécessaire qu’il y ait quelque chose qui le vivifie à la manière d’une forme.

 [10023] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod corpus non est susceptivum gratiae habitualis: quia illa ordinatur ad actus spirituales, qui non possunt corpori communicari. Haec autem gratia est medium congruentiae ad unionem ex parte animae. Sed gratia unionis, quae est ipsa unio gratis facta, potest esse in corpore: quia ista gratia ordinat ad esse in persona divina, cujus particeps est corpus, sicut et anima; ideo etiam corpus potest remanere unitum, anima separata; in quo etiam manet aliquis ordo ad gloriam ex eo quod fuit instrumentum animae habentis gratiam, ut dictum est; ut sic etiam habitualis gratia quodammodo in corpus redundet, ut supra, dist. 13, dictum est.

4. Le corps n’est pas apte à recevoir la grâce habituelle, car celle-ci est ordonnée aux actes spirituels, qui ne peuvent être communiqués au corps. Or, cette grâce est un intermédiaire de convenance pour l’union du point de vue de l’âme. Mais la grâce d’union, qui est l’union elle-même gratuitement réalisée, peut exister dans le corps, car cette grâce ordonne à exister dans la personne divine, ce à quoi le corps participe comme l’âme. Aussi le corps peut-il demeurer uni, alors que l’âme est séparée; en lui demeure aussi un ordre à la gloire du fait qu’il a été l’instrument de l’âme qui possédait la grâce, ainsi qu’on l’a dit, de sorte que la grâce habituelle rejaillit ainsi d’une certaine manière sur le corps, ainsi qu’on l’a dit plus haut, d. 13.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [10024] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod propter easdem rationes anima a verbo in morte Christi separata non fuit, et adhuc amplius, inquantum anima immediatius et pluribus modis verbo unitur quam corpus.

Pour les mêmes raisons, l’âme n’a pas été séparée du Verbe dans la mort du Christ, d’autant plus que l’âme est unie au Verbe de manière plus immédiate et d’un plus grand nombre de manières que le corps.

 [10025] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod mors animae est secundum separationem animae a Deo per peccatum, opposita conjunctioni quae est per caritatem; quam mortem Christum assumere non decuit sicut nec peccatum, ut supra, dist. 15, qu. 1, art. 1, dictum est; et ideo haec ratio non est ad propositum: quia etiam si esset separatio perfecta animae a verbo quantum ad conjunctionem quae est in persona, adhuc anima non esset mortua sed viva, inquantum remaneret Deo per caritatem conjuncta.

1. La mort de l’âme vient de la sépartion de l’âme et de Dieu par le péché, contrairement à l’union qui se réalise par la charité. Il ne convenait pas que le Christ assume cette mort, pas plus que le péché, comme on l’a dit plus haut, d. 15, q. 1, a. 1. Ce raisonnement porte donc à faux, car même s’il y avait une séparation complète de l’ame et du Verbe pour ce qui est de l’union qui existe dans la personne, l’âme ne serait pas encore morte mais vivante, dans la mesure où elle demeurerait unie à Dieu par la charité.

 [10026] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod filius Dei dicitur animam ponere, non quidem a se, sed a carne, a qua in morte separata fuit.

2. On dit que le Fils dépose son âme, non pas de lui-même, mais de la chair, dont elle a été séparée par la mort.

 [10027] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod anima non nominat personam, sed partem naturae; unde anima non est unita verbo sicut importans id in quo facta est unio, sicut est de hoc nomine homo; et ideo non potest dici quod filius Dei sit anima, sicut potest dici quod sit homo, secundum quod est habens animam.

3. L’âme ne désigne pas la personne, mais une partie de la nature. L’âme n’est donc pas unie au Verbe comme ce en quoi l’union s’est réalisée, comme c’est le cas pour le mot homme. C’est pourquoi on ne peut dire que le Fils de Dieu est l’âme, comme on peut dire qu’il est homme, selon qu’il a une âme.

 [10028] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut ea quae dicuntur de natura humana secundum rationem naturae non possunt praedicari de filio Dei, ut quod dicitur esse communis Christo et aliis hominibus; ita etiam ea quae praedicantur de anima Christi inquantum est pars naturae, non possunt dici de filio Dei, sicut quod est forma, vel aliquid hujusmodi. Ea autem quae praedicantur de ipsa inquantum est quid subsistens, possunt de filio Dei praedicari, sicut quod descendit ad Inferos, et alia hujusmodi.

4. De même que ce qu’on dit de la nature humaine selon la raison de nature ne peut être prédiqué du Fils de Dieu, comme le fait qu’elle soit commune au Christ et aux autres hommes, de même aussi ce qui est prédiqué de l’âme du Christ, en tant qu’elle est une partie de la nature, ne peut-il être prédiqué du Fils de Dieu, comme le fait d’être forme ou quelque chose de ce genre. Mais ce qui est attribué [à l’âme] en tant qu’elle quelque chose de subsistant peut être prédiqué du Fils de Dieu, comme le fait de descendre aux enfers et les autres choses de ce genre.

 [10029] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod, sicut supra, dist. 8, quaest. 1, art. 5, dictum est, relationes secundum rem multiplicantur secundum multiplicationem illorum supra quae fundantur elationes; unde contingit quod relatio ex parte unius extremi est una, quae ex parte alterius multiplicatur, sicut de illo qui una paternitate ad multos filios refertur, qui ad ipsum multis filiationibus referuntur. Ita etiam est hoc: quia ex parte ipsius filii Dei est una tantum, quamvis non sit ex parte ipsius relatio realis, sed rationis tantum; ex parte autem assumptorum, quae divisa sunt, sunt duae uniones in actu post mortem; ante autem erat una in actu, et multae in potentia: unde non oportet quod aliqua unio fiat ibi de novo, sicut nec in divisione continui fit aliquid de novo, inquantum id quod prius erat multa potentia, unum autem actu, fit actu plura.

5. Comme on l’a dit plus haut, d. 8, q. 1, a. 5, les relations réelles se multitplient selon la multiplication de ce sur quoi se fondent les relations (corr. elationes/relationes). Aussi arrive-t-il que la relation soit une du point de vue d’un des extrêmes, alors qu’elle est multiple du point de vue de l’autre, comme dans le cas de celui qui, par une seule paternité, est en rapport avec plusieurs fils, qui sont en rapport avec lui par plusieurs filiations. De même en est-il dans le cas présent, car, du point de vue du Fils de Dieu lui-même, il n’existe qu’une seule relation, bien qu’elle n’en soit pas une réelle de sa part, mais une relation de raison seulement. Mais, du point de vue de ce qui est assumé, qui est divisé, il existe deux unions en acte après la mort; avant, il n’y en avait qu’une seule en acte et plusieurs en puissance. Aussi n’est-il pas nécessaire qu’une union y soit de nouveau réalisée, comme, dans la division du continu, on ne fait pas non plus quelque chose de nouveau, dans la mesure où ce qui était plusieurs choses en puissance, mais une seule chose en acte, devient plusieurs choses en acte.

 [10030] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod sicut humana natura non est hypostasis in Christo, quamvis possit dici singulare et individuum, ut supra, dist. 6, qu. 1, art. 1, dictum est; ita etiam anima et corpus non sunt duae completae hypostases, sed unitae uni hypostasi filii Dei; quamvis possint dici duo singularia, vel duo individua. Sed non sequitur ex hoc quod Christus sit duo: quia neutrum illorum de Christo praedicatur, vel de filio Dei.

6. De même que la nature humaine n’est pas l’hypostase dans le Christ, bien qu’on puisse en parler au singulier et comme quelque chose d’individuel, comme on l’a dit plus haut, d. 6, q. 1, a. 1, de même aussi l’âme et le corps ne sont-ils pas deux hypostases complètes, mais unies dans la seule hypostase du Fils de Dieu, bien qu’on puisse parler de deux choses au singulier ou de deux choses individuelles. Mais il n’en découle pas que le Christ soit deux, car aucune de ces deux choses n’est prédiquée du Christ ou du Fils de Dieu.

 

 

Articulus 2 [10031] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 2 tit. Utrum corpus Christi post mortem debuerit dissolvi

Article 2 – Le corps du Christ devait-il se dissoudre après la mort ?

 [10032] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod corpus Christi post mortem debuit dissolvi, sive incinerari. Hebr. 2, 17, dicitur: Christus debuit per omnia fratribus assimilari. Sed alii homines, qui dicuntur fratres Christi, secundum corpus incinerantur. Ergo et corpus Christi incinerari debuit.

1. Il semble que le corps du Christ devait se dissoudre ou se transformer en cendres après la mort. He 2, 17 dit : Le Christ devait être en tout semblable à ses frères. Or, les autres hommes, qui sont appelés les frères du Christ, se transforment en cendres selon leur corps. Le corps du Christ devait donc se transformer en cendres.

 [10033] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, sicut separatio animae a carne fuit inflicta homini propter peccatum primi parentis, ita etiam incineratio: quia dicitur Genes. 3, 19: terra es, et in terram ibis. Sed Christus pro nobis sustinuit mortem, ut debitum naturae solveret. Ergo similiter corpus ejus incinerari debuit.

2. De même que la séparation de l’âme de la chair fut infligée à l’homme à cause du péché du premier parent, de même aussi la transformation en cendres, car il est dit en Gn 3, 19 : Tu es terre, et tu retourneras à la terre. Or, le Christ a supporté la mort pour nous, afin d’acquitter la dette de la nature. De la même manière, son corps devait-il donc se transformer en cendres.

 [10034] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, humilitas est meritum exaltationis, Philipp. 2. Sed corpus Christi fuit maxime exaltandum. Ergo debuit usque ad incinerationem humiliari.

3. L’humilité mérite l’élévation, Ph 2. Or, le corps du Christ devait être élevé au plus haut point. Il devait donc être humilié jusqu’à la transformation en cendres.

 [10035] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, omne compositum ex contrariis, naturaliter est dissolubile in contraria. Sed corpus Christi fuit ex contrariis compositum, quia fuit ejusdem naturae cujus sunt corpora nostra. Ergo cum incineratio nihil aliud sit quam resolutio corporis in contraria ex quibus constituitur, videtur quod corpus Christi incinerari debuit.

4. Tout composé de contraires est naturellement susceptible de se dissoudre dans les contraires. Or, le corps du Christ était composé de contraires, car il avait la même nature que nos corps. Puisque la transformation en cendres n’est rien d’autre que la dissolution du corps dans les contraires dont il est composé, il semble donc que le corps du Christ devait être transformé en cendres.

 [10036] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, anima non recedit a corpore quamdiu in corpore manet aequalitas complexionis, quae requiritur ut dispositio in corpore animato: quia per hanc dispositionem materia fit necessaria ad talem formam. Sed in morte Christi anima recessit a corpore. Ergo in corpore non remansit illa aequalitas quae exigitur ad corpoream animationem. Sed ablata aequalitate complexionis, unum contrarium superat aliud, et sic sequitur corporis dissolutio et incineratio. Ergo corpus Christi fuit corruptum et incineratum.

5. L’âme ne se retire pas du corps aussi longtemps que demeure dans le corps l’égalité de sa complexion, qui est nécessaire comme disposition dans le corps animé, car la matière devient nécessaire à telle forme par cette disposition. Or, dans la mort du Christ, l’âme s’est retirée du corps. Cette égalité n’est donc pas demeurée dans le corps, elle qui est requise pour l’animation corporelle. Or, une fois enlevée l’égalité de la complexion, un contraire l’emporte sur l’autre, et la dissolution du corps et sa transformation en cendres en découlent. Le corps du Christ a donc été corrompu et transformé en cendres.

 [10037] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, Psalm. 15, 10: non dabis sanctum tuum videre corruptionem. Hoc autem non potest intelligi de corruptione mortis, quia ipse mortuus fuit. Ergo intelligitur de corruptione incinerationis.

Cependant, [1] le Ps 15, 10 dit : Tu ne permettras pas que ton saint voie la corruption. Or, cela ne peut s’entendre de la corruption de la mort, car il est mort. Cela s’entend donc de la corruption de la transformation en poussière.

 [10038] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, corpori non debetur incineratio nisi propter corruptionem fomitis. Sed in Christo nunquam fuit corruptio fomitis: quia natus et conceptus fuit sine originali. Ergo corpus Christi non debuit incinerari.

 [2] La transformation en cendres n’est due au corps qu’en raison de la corruption de la convoitise. Or, chez le Christ, la corruption de la convoitise n’a jamais existé, car il est né et a été conçu sans le péché originel. Le corps du Christ ne devait donc pas se transformer en cendres.

 [10039] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 2 s. c. 3 Praeterea, anima conjuncta corpori ipsum servat ab incineratione. Sed virtus divina est major quam virtus animae. Ergo cum corpori sit conjuncta deitas, videtur quod non debuit incinerari.

3. L’âme unie au corps le préserve de la transformation en cendres. Or, la puissance divine est plus grande que la puissance de l’âme. Puisque la divinité est unie au corps, il semble donc qu’il ne devait pas être transformé en cendres.

 [10040] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod mors et incineratio et hujusmodi defectus sunt poenae originalis peccati: in Christo autem nunquam fuit originale: unde Christus non contraxit hujusmodi defectus ex necessitate suae originis, quia sine originali conceptus fuit. Nec in eo fuerunt quia ipse esset debitor eorum, quia peccatum in eo nunquam fuit: sed voluntarie defectus humanae naturae assumpsit ad complendum opus nostrae redemptionis et ut in his nobis mereretur. Unde cum opus redemptionis esset in passione completum, quia dixit: consummatum est, Joan. 19, 30, et corpus sine anima non est in statu merendi, ideo corpus ejus incineratum non fuit.

Réponse. La mort, la transformation en cendres et les carences de cette sorte sont des peines du péché originel. Or, chez le Christ, le péché originel n’a jamais existé. Le Christ n’a donc pas contracté nécessairement ces carences par son origine, car il a été conçu sans le péché originel. Elles ne se trouvaient pas non plus chez lui parce qu’il aurait été leur débiteur, car il n’y a jamais eu de péché en lui, mais il a assumé volontairement les carences de la nature humaine pour accomplir l’œuvre de notre dédemption et pour mériter par elles. Puisque l’œuvre de la rédemption avait été achevée par la passion, car il a dit : Tout est consommé, Jn 19, 30, et que le corps sans âme n’est pas en état de mériter, son corps ne s’est donc pas transformé en cendres.

 [10041] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod assimilatio illa intelligitur quantum ad illa quae sunt de veritate naturae, et quantum ad ea quae pertinent ad opus redemptionis.

1. Cette ressemblance s’entend de ce qui constitue la vérité de la nature et pour ce qui concerne l’œuvre de la rédemption.

 [10042] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod per passionem, qua separata est anima a carne, removit a nobis mortem, et omnes alios defectus humanae naturae, quantum ad sufficientiam causae; et ideo non oportuit quod ad removendum incinerationem corpus ejus incineraretur.

2. Par la passion, à cause de laquelle l’âme a été séparée de la chair, il nous a enlevé la mort et toutes les autres carences de la nature humaine, pour ce qui est de la suffisance de la cause. Il n’était donc pas nécessaire que, pour enlever la transformation en cendres, son corps soit transformé en cendres.

 [10043] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod humilitas illa fuit necessaria ante opus redemptionis, et quando Christus erat in statu merendi, non autem post, ut dictum est.

3. Cette humilité était nécessaire avant l’œuvre de la rédemption et lorsque le Christ était en état de mériter, mais non après, comme on l’a dit.

 [10044] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod compositum ex contrariis, necessario in ipsa resolvitur, nisi sit aliquid prohibens. In Christo autem erat aliquid prohibens, scilicet virtus divinitatis, et puritas a corruptione fomitis.

4. Le composé de contraires se dissout nécessairement en eux, à moins que quelque chose l’en empêche. Or, chez le Christ, quelque chose l’empêchait, la puissance de la divinité, et la pureté par rapport à la corruption de la convoitise.

 [10045] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quamvis illa temperies complexionis, quae est necessitas ad formam animae, fuerit amota in morte; non tamen inde secuta est dissolutio et putrefactio corporis, ratione praedicta.

5. Bien que cette modération de la complexion, qui est une nécessité pour la forme de l’âme, ait été enlevée par la mort, la dissolution et la putréfaction du corps n’en sont cependant pas découlées pour la raison déjà indiquée.

 

 

Articulus 3 [10046] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 3 tit. Utrum filius Dei debeat dici mortuus

Article 3 – Doit-on dire que le Fils de Dieu est mort ?

 [10047] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Christus, vel filius Dei, non debeat dici mortuus. Ea enim quae habent repugnantiam intellectuum ad filium Dei, de eo non praedicantur. Sed cum Dei filius sit vita, sicut dicitur Joan. 14, mortuum esse habet repugnantiam intellectus cum ipso. Ergo non debet dici quod sit mortuus.

1. Il semble qu’on ne doive pas dire que le Christ ou le Fils de Dieu est mort. En effet, ce qui répugne aux intelligences dans le cas du Fils de Dieu n’est pas prédiqué de lui. Or, puisque le Fils de Dieu est la vie, comme il est dit en Jn 14, cela s’oppose à l’intelligence qu’il soit mort. On ne doit donc pas dire qu’il est mort.

 [10048] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, esse creatum convenit alicui, secundum quod est a Deo; sed corrumpi, secundum quod est ex nihilo. Ergo magis pertinent ad defectum creaturae ea quae corruptionem important, quam nomen creaturae. Sed nomen creaturae non dicitur de Christo, ut supra, dist. 11, dictum est. Ergo multo minus potest dici quod sit mortuus.

2. Être créé convient à une chose selon qu’elle vient de Dieu; mais être corrompue [lui convient] selon qu’elle vient du néant. Les choses qui impliquent la corruption concernent donc davantage la carence de la nature, que le nom de créature. Or, on ne parle pas de créature pour le Christ, comme on l’a dit plus haut, d. 11. Encore bien moins peut-on dire qu’il est mort.

 [10049] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, filius Dei est divina essentia. Sed non potest dici quod divina essentia sit mortua. Ergo non debet dici, quod filius Dei sit mortuus.

3. Le Fils de Dieu est l’essence divine. Or, on ne peut dire que l’essence divine est morte. On ne doit donc pas dire que le Fils de Dieu est mort.

 [10050] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, contradictoria non sunt vera de eodem. Sed de filio Dei vere dicitur quod est immortalis, et per consequens non est mortuus. Ergo non potest dici quod fuerit mortuus.

4. Les contraires ne sont pas vrais pour une même chose. Or, on dit avec vérité du Fils de Dieu qu’il est immortel et, par conséquent, qu’il n’est pas mort. On ne peut donc pas dire qu’il était mort.

 [10051] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, illud quod est partis, non praedicatur de toto. Sed mori est corporis, a quo anima separatur. Ergo videtur quod Christus non possit dici mortuus.

5. Ce qui est le propre de la partie n’est pas prédiqué du tout. Or, mourir est le propre du corps dont l’âme est séparée. Il semble donc qu’on ne puisse dire que le Christ est mort.

 [10052] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur in symbolo: crucifixus, mortuus, et sepultus.

Cependant, [1] ce qui est dit dans le symbole va en sens contraire : « Il a été crucifié, est mort et a été enseveli. »

 [10053] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, nullus homo dicitur mortuus nisi ex eo quod anima ejus a corpore separata est. Sed anima Christi est a corpore separata. Ergo ipse est mortuus.

 [2] On ne dit d’aucun homme qu’il est mort que parce que son âme a été séparée de son corps. Or, l’âme du Christ a été séparée de son corps. Il est donc mort.

 [10054] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 3 s. c. 3 Praeterea, sicut supra dictum est, redemptio non potuit convenienter fieri nisi per mortem filii Dei. Ergo si ipse non est mortuus, videtur quod non simus adhuc redempti; quod est haereticum.

 [3] Comme on l’a dit plus haut, la rédemption ne pouvait être accomplie de manière appropriée que par la mort du Fils de Dieu. S’il n’est pas mort, il semble donc que nous ne soyons pas encore rachetés, ce qui est hérétique.

 [10055] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod sicut supra, dist. 11, quaest. 1, art. 4, dictum est, ea quae solum ad naturam pertinent, simpliciter et sine determinatione de Christo dici possunt. Mors autem in nobis est secundum separationem animae a corpore, et passio est secundum laesionem corporis, vel etiam secundum immutationem animae, quae sunt partes humanae naturae: et ideo simpliciter concedendum est quod Christus mortuus est et passus.

Réponse. Comme on l’a dit plus haut, d. 11, q. 1, a. 4, ce qui est propre à la nature seulement peut être affirmé du Christ simplement et sans précision. Or, la mort la mort se réalise en nous par la séparation de l’âme du corps et la passion, selon la blessure du corps, ou encore selon un changement de l’âme, lesquels sont des parties de la nature humaine. Il faut donc simplement concéder que le Christ est mort et a souffert.

 [10056] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non est ibi aliqua repugnantia intellectuum, quia mors, cum sit conditio naturae, refertur ad humanam; unde non opponitur divinae vitae.

1. Il n’y a là rien d’incompréhensible, car la mort, puisqu’elle est une condition de la nature, se rapporte à la nature humaine. Elle ne s’oppose donc pas à la vie divine.

 [10057] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod nomen creaturae non magis se habet ad naturam quam ad personam; et ideo non potest dici simpliciter ratione naturae, sicut supra dictum est; praecipue cum creatio respiciat esse, quod magis videtur pertinere ad suppositum quam ad naturam: et ideo quod magis vel minus ad defectum pertineat, non facit ad propositum.

2. Le nom de créature ne se rapporte pas davantage à la nature qu’à la personne. Aussi ne peut-il être simplement dit en raison de la nature, comme on l’a dit plus haut, surtout que la création concerne l’être, qui semble davantage se rapporter au suppôt qu’à la nature. Qu’il se rapporte plus ou moins à une carence, cela n’est donc pas à propos.

 [10058] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod unio non est facta in natura, sed in persona; et ideo ea quae sunt naturae, possunt praedicari de persona, non autem de alia natura.

3. L’union ne s’est pas réalisée dans la nature mais dans la personne. Ce qui appartient à la nature peut donc être prédiqué de la personne, mais non de l’autre nature.

 [10059] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod haec est simpliciter vera, filius Dei, vel Christus est immortalis; et similiter, filius Dei est mortuus: quia ea quae sunt utriusque naturae, possunt affirmari de persona. Sed tamen haec, Christus non est mortuus, est vera secundum quid, et falsa simpliciter: quia ad veritatem affirmativae sufficit quod secundum aliquam naturam conveniat quod de persona dicitur, sed ad veritatem negativae oportet quod secundum neutram conveniat; unde haec est falsa simpliciter, Christus non est animal, et vera secundum quid, scilicet secundum divinam. Non est autem inconveniens quod unum contradictoriorum dicatur de aliquo simpliciter, et alterum secundum quid.

4. Cette proposition est tout simplement vraie : « Le Fils de Dieu ou le Christ est immortel. » De même : « Le Fils de Dieu est mort », car ce qui appartient aux deux natures peut être affirmé de la personne. Cependant, cette proposition : « Le Christ n’est pas mort », est vraie sous un aspect et fausse simplement, car, pour la vérité d’une proposition affirmative, il suffit que ce qui est dit de la personne convienne selon une nature, mais, pour la vérité d’une proposition négative, il est nécessaire que cela ne convienne selon aucune des deux. Aussi cette proposition est-elle fausse simplement : « Le Christ n’est pas un animal », et elle est vraie sous un aspect, à savoir, selon sa nature divine. Mais il n’est pas inapproprié que l’une des contradictoires soit dite de quelqu’un simplement, et une l’autre sous un autre aspect.

 [10060] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod ea quae sunt partis tantum, et parti nata convenire, dicuntur de toto ratione partis; sicut homo dicitur Crispus propter capillos: et ita mors, quae est conditio corporis, de persona potest praedicari. Tamen sciendum est, quod sicut generari est compositi, ita et corrumpi; quamvis subjectum generationis et corruptionis sit materia.

5. Ce qui convient et est destiné à convenir à la partie seulement se dit du tout en raison de la partie; ainsi, on dit d’un homme qu’il est crépu en raison de ses cheveux. La mort, qui est une condition du corps, peut donc être prédiquée de la personne. Il faut cependant savoir que, de même que la génération est le fait du composé, de même en est-il de la corruption, bien que le sujet de la génération et de la corruption soit la matière.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [La résurrection du Christ]

Prooemium

Prologue

 [10061] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 pr. Deinde quaeritur de resurrectione Christi; et circa hoc quaeruntur quatuor: 1 de necessitate resurrectionis; 2 de tempore; 3 de argumentis resurrectionis in communi; 4 de eis in speciali.

On s’interroge ensuite sur la résurrection du Christ. À ce sujet, quatre questions sont posées : 1 – La nécessité de la résurrection. 2 – Le moment [de la résurrection]. 3 – Les arguments en faveur de la résurrection d’une manière générale. 4 – Ces arguments d’une manière particulière.

 

 

Articulus 1 [10062] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 1 tit. Utrum necesse fuerit Christum resurgere

Article 1 – Était-il nécessaire que le Christ ressuscite ?

 [10063] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod non fuerit necessarium Christum resurgere. Quia, sicut dicit Damascenus, resurrectio est ejus quod cecidit et dissolutum est, iterata surrectio. Sed Christus non cecidit per peccatum, nec ejus corpus dissolutum est. Ergo non debetur ei resurrectio.

1. Il semble qu’il n’était pas nécessaire que le Christ ressuscite, car, ainsi que le dit [Jean] Damascène, « la résurrection est le fait de celui qui a péri et s’est dissous, et qui se lève de nouveau ». Or, le Christ n’a pas péri par le péché et son corps ne s’est pas dissous. La résurrection ne lui est donc pas due.

 [10064] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, Augustinus dicit, quod per verbum Dei fit resurrectio animarum, per verbum incarnatum fit resurrectio corporum. Sed verbum caro factum est in incarnatione. Ergo non fuit necessaria resurrectio neque ad resurrectionem corporum, neque ad resurrectionem animarum.

2. Augustin dit que « la résurrection des âmes se réalise par la parole de Dieu, et que la résurrection des corps se réalise par le Verbe incarné ». Or, le Verbe s’est fait chair par l’incarnation. La résurrection n’était donc pas nécessaire, ni pour la résurrection des corps, ni pour la résurrection des âmes.

 [10065] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, post ultimam consummationem non est aliquid necessarium. Sed ultima consummatio facta est in passione: quia tunc dixit: consummatum est; Joan. 19, 30. Ergo non oportuit quod postea resurgeret.

3. Après la consommation ultime, rien n’est nécessaire. Or, la consommation ultime s’est réalisée par la passion, car il a alors dit : [Tout] est consommé, Jn 19, 30. Il n’était donc pas nécessaire qu’il ressuscite par la suite.

 [10066] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, ad hoc Christus humanam naturam assumpsit, ut ipsam restauraret. Sed plena restauratio facta est in passione; quia et janua aperta est, et liberati sumus a peccato, poena, et servitute Diaboli. Ergo non oportuit ut iterato corpus assumeret.

4. Le Christ a assumé la nature humaine afin de la restaurer. Or, la pleine restauration a été réalisée dans la passion, car la porte [du ciel] a été ouverte et nous avons été libérés du péché, de la peine et de la servitude du Diable. Il n’était donc pas nécessaire qu’il assume de nouveau son corps.

 [10067] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 1 s. c. 1 Sed contra, 1 Corinth. 15, 17: si Christus non resurrexit, inanis est fides nostra. Sed sine fide non justificamur. Ergo necessarium fuit Christum resurgere.

Cependant, [1] 1 Co 15, 17 dit : Si le Christ n’est pas ressuscité, notre foi est vain. Or, sans la foi, nous ne sommes pas justifiés. Il était donc nécessaire que le Christ ressuscite.

 [10068] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Gregorius dicit quod vitam nostram resurgendo reparavit. Ergo necessarium fuit quod Christus resurgeret.

 [2] Grégoire dit que [le Christ] a restauré notre vie en ressuscitant. Il était donc nécessaire que le Christ ressuscite.

 [10069] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod necessitas resurrectionis Christi ex tribus apparet. Primo ex ipsa conditione naturae assumptae. Anima enim et corpus sunt partes humanae naturae: omnis autem pars est imperfecta respectu totius, ut patet per philosophum in 3 Physic., unde nec corpori sine anima, nec animae sine corpore inest omnis perfectio quam nata sunt habere. Et quia naturae assumptae debebatur omnis perfectio quam contingit in natura reperire, ideo ei debebatur quod corpus animae semper esset conjunctum. Quod autem ad tempus separata fuerunt, hoc fuit propter necessitatem nostrae redemptionis. Secundo ex merito passionis ejus: quia ex humilitate passionis meruit gloriam resurrectionis. Tertio ex parte nostra, ut scilicet in capite gloriosa resurrectio inchoaretur, quae in membris futura erat. Et iterum ut illis qui sunt in patria, non solum sit gloria de visione divinitatis, sed etiam de visione humanitatis glorificatae in Christo quantum ad corpus et quantum ad animam.

Réponse. La nécessité de la résurrection se manifeste de trois manières. Premièrement, en raison de la condition même de la nature assumée. En effet, l’âme et le corps sont les parties de la nature humaine. Or, toute partie est imparfaite en regard du tout, comme cela ressort de ce que dit le Philosophe dans Physique, III. Toute la perfection qu’ils sont destinés à avoir n’existe donc pas dans l’âme sans le corps, ni dans le corps sans l’âme. Et parce que toute perfection qu’il arrive de trouver dans la nature était due à la nature assumée, il lui était donc dû que le corps soit toujours uni à l’âme. Or, qu’ils aient été séparés pour un temps, c’était en raison de ce qui était nécessaire à notre rédemption. Deuxièmement, en raison du mérite de sa passion, car il a mérité la gloire de la résurrection par l’humilité de la passion. Troisièmement, de notre point de vue, afin que la résurrection glorieuse qui doit exister dans les membres soit amorcée dans la tête. De plus, afin que ceux qui sont dans la patrie n’aient pas seulement la gloire par la vision de la divinité, mais aussi par la vision de l’humanité glorifiée dans le Christ en son corps et en son âme.

 [10070] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod illa definitio est resurrectionis secundum quod in aliis hominibus invenitur; sed resurrectio Christi potest sic proprie definiri: resurrectio est corporis facti incorruptibilis ad animam iterata unio. Vel potest dici, quod quamvis Christus non ceciderit per peccatum, cecidit tamen a vita naturae per mortem; et corpus quamvis non sit dissolutum per incinerationem, est tamen facta dissolutio corporis et animae.

1. Cette définition de la résurrection est celle qu’on trouve pour les autres hommes; mais la résurrection du Christ peut être ainsi définie au sens propre : « La résurrection est l’union renouvelée à l’âme du corps rendu incorruptible ». Ou bien on peut dire que, bien que le Christ n’ait pas péri par le péché, il a cependant péri selon la vie de la nature par la mort, et que, bien que son corps n’ait pas été dissous par la transformation en cendres, une dissolution du corps et de l’âme s’est cependant réalisée.

 [10071] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod verbum caro factum, non est proxima dispositio ad resurrectionem nostram, sed verbum caro factum, et a morte resurgens.

2. Le Verbe fait chair n’est pas une disposition prochaine à notre résurrection, mais le Verbe fait chair et ressuscité de la mort.

 [10072] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in morte Christi facta est consummatio omnium eorum quae exigebantur ad satisfactionem; quae quidem per resurrectionem non est facta, sed magis novae vitae inchoatio.

3. Dans la mort du Christ, s’est réalisée la consommation de tout ce qui était exigé pour la satisfaction, laquelle ne s’est pas réalisée par la résurrection, mais plutôt le commencement d’une vie nouvelle.

 [10073] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis Christus naturam nostram ad hoc assumpsit ut eam repararet; non tamen sequitur quod, reparata natura, debeat eam vel aliquam ejus partem abjicere, sed magis perpetuo tenere, sicut perpetua est reintegratio facta in natura. Vel dicendum, quod quamvis per passionem proprie loquendo sit facta reparatio quantum ad amotionem mali, tamen per resurrectionem oportuit quod consummaretur quantum ad perfectionem in bono.

4. Bien que le Christ ait assumé notre nature pour la restaurer, il n’en découle cependant pas que, une fois la nature restaurée, il doive la rejeter ou rejeter une de ses parties, mais plutôt les garder éternellement, comme une réintégration éternelle s’est réalisée dans la nature. Ou bien il faut dire que, bien que, par la passion au sens propre, ait été réalisée la restauration pour l’enlèvement du mal, il fallait cependant que, par la résurrection, elle soit consommée pour la perfection dans la bien.

 

 

Articulus 2 [10074] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 2 tit. Utrum Christus debuerit tertia die resurgere

Article 2 – Le Christ devait-il ressusciter le troisième jour ?

 [10075] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Christus non debuit tertia die resurgere. Caput enim est conforme membris in natura. Sed per resurrectionem natura reparatur quantum ad passibilitatem et mortalitatem. Ergo Christus debuit simul cum aliis resurgere, et non tertia die.

1. Il semble que le Christ ne devait pas ressusciter le troisième jour. En effet, il revient à la tête de se conformer aux membres dans leur nature. Or, par la résurrection, la nature est restaurée pour ce qui est de la passibilité et de la mortalité. Le Christ devait donc ressusciter en même temps que les autres, et non pas le troisième jour.

 [10076] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, ut dicit Glossa Hebr. 11, ad hoc est dilata resurrectio omnium in finem mundi, ut simul resurgentibus sit majus gaudium. Sed de resurrectione nullius sancti est tantum gaudium sicut de resurrectione Christi. Ergo etiam ipse debuit usque ad finem mundi suam resurrectionem differre, et non tertia die resurgere.

2. Comme le dit la Glose sur He 11, «la résurrection de tous a été reportée à la fin du monde pour que la joie de ceux qui ressusciteront ensemble soit plus grande ». Or, on ne se réjouit de la résurrection d’aucun saint autant que de la résurrection du Christ. Il devait donc lui aussi reporter sa résurrection jusqu’à la fin du monde, et ne pas ressusciter le troisième jour.

 [10077] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, separatio animae a corpore in Christo non fuit facta nisi propter redemptionem humanae naturae. Sed in instanti mortis, redemptio soluto pretio completa est. Ergo debuit statim resurgere.

3. La séparation de l’âme du corps chez le Christ ne s’est réalisée que pour la rédemption de la nature humaine. Or, à l’instant de la mort, la rédemption a été achevée par l’acquittement du prix. Il devait donc ressusciter immédiatement.

 [10078] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, plus conferendum fuit Christo quam alicui alteri homini. Sed quidam homines qui vivi invenientur in fine mundi, statim post mortem resurgent. Ergo multo magis Christus resurgere debuit statim, et non in tertium diem resurrectionem differre.

4. Il devait être davantage accorder au Christ qu’à un autre. Or, certains hommes qui se trouveront vivants à la fin du monde ressusciteront immédiatement après leur mort. Encore bien davantage, le Christ devait-il ressusciter aussitôt, et ne pas reporter sa résurrection au troisième jour.

 [10079] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 2 arg. 5 Praeterea, Matth. 12, 40, dominus dicit: sicut fuit Jonas in ventre ceti (...) sic erit filius hominis in corde terrae. Sed non fuit in corde terrae nisi quamdiu fuit mortuus. Ergo tribus diebus et tribus noctibus mortuus fuit. Ergo non resurrexit tertia die, sed magis quarta vel quinta.

5. En Mt 12, 40, le Seigneur dit : Comme Jonas s’est trouvé dans le ventre de la baleine…, ainsi le Fils de l’homme sera-t-il au cœur de la terre. Or, il n’a été au cœur de la terre qu’aussi longtemps qu’il a été mort. Il a donc été mort trois jours et trois nuits. Il n’est donc pas ressuscité le troisième jour, mais plutôt le quatrième ou le cinquième.

 [10080] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 2 arg. 6 Praeterea, nox contra diem dividitur. Sed Gregorius videtur dicere in Homil. Paschae, Christum de nocte resurrexisse, sicut Samson de nocte portas Gazae tulit. Ergo Christus non resurrexit tertia die, immo magis secunda nocte.

6. La nuit s’oppose au jour. Or, Grégoire semble dire, dans son homélie de Pâques, que « le Christ est ressuscité de nuit, comme Samson a emporté de nuit les portes de Gaza ». Le Christ n’est donc pas ressuscité le troisième jour, mais bien plutôt la deuxième nuit.

 [10081] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 2 s. c. 1 Sed contra, in symbolo dicitur: resurrexit tertia die secundum Scripturas.

Cependant, [1] il est dit dans le symbole : « Il est ressuscité le troisième jour selon les Écritures. »

 [10082] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Rom. 6, dicit Glossa: quievit in sepulcro una die et duabus noctibus: quia nostram duplicem vetustatem sua simpla consumpsit. Ergo tertia die resurrexit.

 [2] À propos de Rm 6, la Glose dit : « Il a reposé au tombeau un jour et deux nuits, son unicité a consommé notre double vétusté. » Il est donc ressuscité le troisième jour.

 [10083] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 2 s. c. 3 Praeterea, conveniens erat ut veritas mortis nobis manifestaretur. Sed in ore duorum vel trium testium stat omne verbum; 2 Corinth., 13, 1. Ergo conveniens fuit ut tertia die resurgeret.

 [3] Il était approprié que la vérité de sa mort nous soit manifestée. Or, toute parole s’appuie sur le témoignage de deux ou de trois, 2 Co 13, 1. Il était donc approprié qu’il ressuscite le troisième jour.

 [10084] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod, sicut dictum est, Christus non sustinuit mortem quia debitor mortis esset, sed ut mortem nostram sua morte destrueret. Ad hoc autem quod mors nostra destrueretur, duo requirebantur: unum scilicet ut ipse non debitor mortis mortem quam nos debebamus, pro nobis solveret; aliud est ut nos virtutem mortis ipsius cognosceremus, et per fidem mortis virtus mortis in nobis effectum haberet. Unde non oportuit quod morte detineretur nisi quantum congruebat ad ostendendam mortis veritatem: quae sufficienter manifestata fuit et congruenter per hoc quod tertia die resurrexit: tum quia sua morte duas nostras mortes destruxit, ut tangit Glossa inducta: tum quia confirmatio, quae fit per testes, ternario testium approbatur: tum quia perfectio in ternario consistit, ut dicitur in 1 de caelo et mundo. Alias etiam congruentias non difficile est assignare.

Réponse. Comme on l’a dit, le Christ n’a pas supporté la mort parce qu’il avait une dette envers la mort, mais afin de détruire notre mort par sa mort. Or, pour détruire notre mort, deux choses étaient nécessaires : l’une, que celui qui n’était pas débiteur de la mort acquitte la mort que nous devions; l’autre, que nous connaissions la puissance de sa mort et que la puissance de sa mort ait son effet en nous par la foi. Il n’était donc nécessaire que la mort le retienne qu’aussi longtemps que cela convenait pour montrer la vérité de sa mort, qui a été suffisamment et adéquatement manifestée par le fait qu’il est ressuscité le troisième jour, parce qu’il a détruit nos deux morts par sa mort, comme la Glose invoquée le suggère; parce que la confirmation qui vient de trois témoins, est approuvée par le nombre de trois témoins; et parce que la perfection consiste dans le nombre trois, comme il est dit dans Sur le ciel et le monde, I. Il n’est difficile d’indiquer encore d’autres convenances.

 [10085] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod alii homines debitores mortis erant, et mors in eis non fuit ex necessitate finis, sed ex necessitate culpae; non autem sic est in Christo; et ideo non oportuit quod Christi resurrectio usque in finem mundi differretur. Vel dicendum, quod illud quod est ultimum in operatione, oportet esse primum in intentione; unde oportet quod resurrectionem, quam in fine mundi consequemur, primo intendamus. Intentio autem et dirigitur et excitatur et roboratur ex inspectione alicujus exemplaris, in quo finis secundum rem praecedat; unde sicut intentio nostra qua intendimus in gloriam animae, excitatur ex inspectione divinae gloriae, quae est exemplar nostrae futurae beatitudinis; ita oportuit quod gloria resurrectionis in aliquo exemplari nobis proponeretur, ad cujus conformitatem tenderemus; et hoc est resurrectio Christi: unde dicitur Philip. 3, 21: reformabit corpus humilitatis nostrae configuratum corpori claritatis suae.

1. Les autres hommes étaient débiteurs de la mort et la mort n’existait pas exigée chez eux par la fin, mais par l’exigence de la faute. Mais il n’en est pas de même chez le Christ. Aussi n’était-il pas nécessaire que la résurrection du Christ soit reportée jusqu’à la fin du monde. Ou bien il faut dire que ce qui est dernier dans l’action doit être premier dans l’intention. Aussi faut-il que nous ayons d’abord l’intention de la résurrection, que nous obtenons à la fin du monde. Or, l’intention est dirigée, stimulée et renforcée par la vue d’un modèle, chez qui la fin précède réellement. De même donc que l’intention par laquelle nous tendons vers la gloire de l’âme est stimulée par la vue de la gloire divine, qui est le modèle de notre béatitude future, de même fallait-il que la gloire de la résurrection nous soit proposée dans un modèle auquel nous essaierions à nous conformer. Telle est la résurrection du Christ. Aussi est-il dit en Ph 3, 21 : Il restaurera notre corps humilié configuré à son corps glorifié.

 [10086] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod gaudium de resurrectione Christi movet ut exemplar ex quo dirigimur in finem; non autem ita est de aliis sanctis; et ideo non est simile de Christo et de illis.

2. La joie de la résurrection meut en tant que modèle par lequel nous sommes orientés vers la fin; mais il n’en va pas de même des autres saints. Ce n’est donc pas la même chose pour le Christ et pour ceux-ci.

 [10087] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non solum oportebat quod per mortem fieret redemptio; sed ad hoc quod redemptionis ejus participes essemus, oportuit ut veritas mortis nobis ostenderetur; et hoc non fuisset, si statim post mortem resurrexisset.

3. Non seulement fallait-il que la rédemption soit accomplie par la mort, mais pour que nous participions à la rédemption, il fallait que la mérité de la mort nous soit montré. Ce n’aurait pas été le cas s’il était ressuscité immédiatement après la mort.

 [10088] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod mortis aliorum hominum cognitio non est nobis necessaria ad salutem, sicut fides de morte Christi; et ideo resurrectio non est similis de ipso et de illis qui vivi invenientur in fine mundi.

4. La connaissance de la mort des autres hommes ne nous est pas nécessaire pour le salut, comme la foi en la mort du Christ. Aussi la résurrection n’est-elle pas semblable chez lui et chez ceux qui seront trouvés vivants à la fin du monde.

 [10089] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod dies, ut in 1 Lib., dist. 13, dictum est, diversis modis accipitur. Aliquando enim pro die naturali, quae continet spatium viginti quatuor horarum; unde includit diem et noctem; aliquando autem pro die artificiali: et sic Christus fuit mortuus una die integra, scilicet die sabbati, et duabus integris noctibus, scilicet praecedente diem sabbati, et sequenti, et adhuc plus per quamdam partem sextae feriae; et sic loquitur Glossa Rom. 6. Si autem loquamur de die naturali, sic accipiendo partem pro toto, fuit mortuus tribus diebus et tribus noctibus. Illa enim pars diei passionis Christi a nona et deinceps computatur pro tota die naturali cujus est pars: unde computatur pro una die artificiali, et pro una nocte. Similiter nox post sabbatum computatur pro tota die naturali sequente; et sic computatur pro una die, et una nocte artificiali: quibus si conjungatur una dies integra, scilicet dies sabbati, et una nox integra, scilicet nox praecedens; invenitur quod Christus fuit mortuus tribus diebus et tribus noctibus.

5. Comme on l’a dit dans le livre I, d. 13, « jour » s’entend de diverses manières. En effet, il est parfois utilisé pour le jour naturel, qui comporte une durée de vingt-quatre heures; ainsi inclut-il le jour et le nuit. Mais parfois il est utilisé pour un jour artificiel, et ainsi le Christ a été mort une journée complète : le jour du sabbat, et deux nuits complètes : la nuit précédant le jour du sabbat et la suivante, et plus encore par une partie du vendredi. Ainsi s’exprime la Glose sur Rm 6. Mais si nous parlons du jour naturel, en prenant ainsi la partie pour le tout, il a été mort trois jours et trois nuits. En effet, la partie du jour de la passion à partir de la neuvième et par la suite est comptée pour un jour artificiel et pour une nuit. De même, la nuit après le sabbat est-elle comptée pour tout le jour naturel suivant; ainsi est-elle comptée pour un jour et une nuit artificiels. Si on leur joint un jour complet, le jour du sabbat, et une nuit complète, la nuit précédente, on trouve que le Christ a été mort trois jours et trois nuits.

 [10090] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod Christus creditur resurrexisse in crepusculo quando adhuc est lux tenebris permixta; et ideo aliquando dicitur resurrexisse in die, et aliquando in nocte.

6. On croit que le Christ est ressuscité au crépuscule, alors qu’il y avait encore de la lumière mêlée aux ténèbres. C’est pourquoi on dit parfois qu’il est ressuscité le jour, et parfois la nuit.

 

 

Articulus 3 [10091] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 3 tit. Utrum Christus debuerit probare resurrectionem suam argumentis

Article 3 – Le Christ devait-il prouver sa résurrection par des arguments ?

 [10092] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Christus resurrectionem suam argumentis probare non debuit. Ambrosius enim dicit: tolle argumenta ubi fides quaeritur. Sed de resurrectione quaeritur fides. Ergo argumenta fieri ad resurrectionem non debent.

1. Il semble que le Christ ne devait pas prouver sa résurrection par des arguments. En effet, Ambroise dit : « Écarte les arguments là où la foi est recherchée. » Or, la foi en la résurrection est recherchée. Il ne faut donc pas présenter d’arguments pour la résurrection.

 [10093] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 3 arg. 2 Praeterea, aut argumenta illa fuerunt sufficientia ad probandum resurrectionem, aut non. Si non, hoc videtur in imperfectionem inducentis argumenta redundare. Si autem fuerunt sufficientia, et argumentum sufficiens facit scientiam vel agnitionem, quae non stat simul cum fide, quae est de non apparentibus; videtur quod evacuaverunt fidem, et abstulerunt meritum ejus.

2. Ces arguments étaient ou n’étaient pas suffisants pour prouver la résurrection. S’ils ne l’étaient pas, il semble qu’il revient à l’imperfection de celui qui invoque les arguments de se répéter. Mais s’ils étaient suffisants, un argument suffisant donne une science ou une connaissance qui ne cohabitent pas avec la foi, qui porte ce qui n’est pas évident. Il semble donc qu’on ait vidé la foi et qu’on en ait enlevé le mérite.

 [10094] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 3 arg. 3 Praeterea, sicut est fides de resurrectione, ita et de aliis articulis. Sed ad alios articulos non induxit aliqua argumenta probantia. Ergo neque ad resurrectionem inducere debuit.

3. Le rapport entre la foi et la résurrection est le même que celui entre la foi et les autres articles. Or, il n’a pas invoqué d’autres arguments pour prouver les autres articles. Il ne devait donc pas en invoquer pour la résurrection.

 [10095] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 3 arg. 4 Praeterea, argumenta ex quibus contrarium videtur sequi, potius confundunt intellectum quam elucidant. Sed in argumentis a Christo ostensis quasi contraria innuebantur: per hoc enim quod comedit, ostendebat in se animalem vitam; per hoc autem quod januis clausis intravit, ostendit spiritualem vitam. Ergo videtur quod argumenta incongruenter adducta fuerint.

4. Les arguments dont semble découler un contraire confondent plutôt l’intellect qu’ils ne l’éclairent. Or, dans les arguments montrés par le Christ, des contraires étaient pour ainsi dire suggérés. En effet, par le fait de manger, il montrait qu’il existait une vie animale en lui; mais par le fait qu’il est entré alors que les portes étaient fermées, il montrait une vie spirituelle. Il semble donc que les arguments aient été invoqués de manière inappropriée.

 [10096] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 3 arg. 5 Praeterea, sicut subtilitas est de gloria resurrectionis; ita et claritas. Sed Christus gloriam resurrectionis solum per subtilitatem probavit quando intravit ad discipulos januis clausis. Ergo videtur quod insufficienter ostenderit.

5. De même que la subtilité fait partie de la gloire de la résurrection, de même en est-il de l’éclat. Or, le Christ a prouvé sa résurrection seulement par la subtilité, lorsqu’il est entré chez les disciples alors que les portes étaient fermées. Il semble donc qu’il l’ait insuffisamment manifestée.

 [10097] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 3 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Actor. 1, 3: praebuit seipsum vivum post passionem suam in multis argumentis.

Cependant, [1] il est dit dans Ac 1, 3: Il se manifesta comme vivant après sa passion par de multiples arguments.

 [10098] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 3 s. c. 2 Praeterea, apostoli, debebant esse testes resurrectionis. Sed nullus potest esse testis idoneus eorum de quibus certitudinem per visum et auditum non habet. Ergo videtur quod ipse eis argumenta praebere debuit, quibus certificarentur de sua resurrectione.

 [2] Les apôtres devaient être les témoins de la résurrection. Or, personne ne peut être un témoin qualifié de ce dont il n’est pas certain par la vue et par l’ouïe. Il semble donc qu’il ait dû leur fournir des arguments par lesquels ils seraient assurés de sa résurrection.

 [10099] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 3 s. c. 3 Praeterea, magis necessarium erat quod apostoli haberent fidem de resurrectione quam alii homines: quia ipsi erant qui fidem praedicare debebant. Sed aliis hominibus facta est fides de resurrectione Christi per argumenta miraculorum: Marc. ultim., 20: sermonem confirmante sequentibus signis. Ergo apostolis per argumenta aliqua fides de resurrectione fieri debuit.

 [3] Il était plus nécessaire que les apôtres aient foi dans la résurrection que les autres, car c’étaient eux qui devaient prêcher la foi. Or, la foi en la résurrection du Christ a été donnée à d’autres hommes par les arguments des miracles. Mc 16, 20 : …confirmant la parole par les signes suivants. Une certaine foi en la résurrection devait donc être donnée par des arguments.

 [10100] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod, sicut dicit Dionysius, lumen divinum non recipitur in nobis nisi secundum nostram proportionem; fides autem causatur in nobis ex influentia divini luminis; et ideo oportet quod istud divinum lumen secundum nostram proportionem in nobis recipiatur. Cognitio autem nostra naturaliter ex sensu oritur, et per principia rationis procedit; unde licet illa quae fides tenet, sint supra rationem et sensum, inquantum sunt fidei subjecta, ratione cujus exigitur ad eorum cognitionem quod infundatur altius lumen, fidei scilicet; tamen ex parte nostra fuerunt aliqua adminicula fidei exhibenda. Attenditur autem triplex gradus in credendo. Primus est ut aliquis rationem transcendens his quae non videntur nec sensu nec ratione, assentire paratus sit; et sic adminiculantur fidei miracula, quae ex eo quod humana ratione non comprehenduntur, ostendunt aliquid supra rationem esse ei incomprehensibile. Secundus gradus est ut homini ea quae credenda sunt, determinentur. Et quia fides non innititur nisi veritati primae, inde est quod quantum ad hoc adminiculatur fidei auctoritas, per quam ostenditur divinitus esse dictum. Tertius gradus est ut fidem quam habet, aliis testificetur; et quantum ad hoc requiritur sensibilis cognitio eorum quae testificanda sunt; alias non esset idoneum testimonium. Primum gradum ascendunt qui de novo ad fidem convertuntur; et ideo signa infidelibus data sunt, 1 Corinth. 14. Secundum autem gradum ascendunt qui in fide instruendi sunt; et ideo eis ex auctoritate fides confirmatur. Sed apostoli testes fuerunt fidei; et ideo prius inducti sunt ad credendum per miracula, sicut dicitur Joan. 2, 11: hoc fecit initium signorum Jesus in Cana Galileae; postea instructi sunt per auctoritatem, ut patet in discipulis euntibus in Emaus, Luc. ult., et deinde per visibiles apparitiones idonei testes effecti sunt; 1 Joan. 1, 3: quod vidimus et audivimus. Sed quia ad resurrectionem, cum sit quaedam mutatio, exigitur quod idem sit quod de uno extremo ad aliud transivit, ideo dominus duo per apparitiones probare voluit, idest identitatem resurgentis, et conditionem resurrectionis. Conditionem autem resurrectionis probavit quantum ad tria: scilicet quantum ad veritatem vitae per hoc quod cum eis comitatus est; similiter quantum ad veritatem corporis per hoc quod eis se palpabilem praebuit: et quantum ad gloriam per hoc quod januis clausis intravit. Identitatem etiam probavit et quantum ad naturam per hoc quod comedit, et quantum ad personam per hoc quod se eis visibilem praebuit in eadem effigie in qua prius eum soliti erant videre, et quantum ad accidentia per hoc quod eis cicatrices ostendit.

Réponse. Comme le dit Denys, « la lumière divine n’est reçue en nous que selon notre proportion ». Or, la foi est causée en nous par l’influence de la la lumière divine. Il est donc nécessaire que cette lumière divine soit reçue en nous selon notre proportion. Or, notre connaissance prend naissance naturellement dans le sens et se prolonge dans les principes de la raison. Bien que ce que la foi tient soit plus élevé que la raison et que le sens, pour autant que cela est objet de la foi ‑ raison pour laquelle il est nécessaire que, pour le connaître, soit versée une lumière plus élevée, celle de la foi ‑, certaines appuis de la foi étaient cependant nécessaires de notre point de vue. Or, on peut observer trois degrés dans la foi. Le premier est que quelqu’un soit disposé à donner son assentiment à ce qui dépasse la raison et n’est vu ni par le sens ni par la raison; ainsi viennent en aide à la foi les miracles, qui, par le fait qu’ils ne sont pas compris par la raison humaine, montrent qu’il existe quelque chose de plus élevé que la raison et qui lui est incompréhensible. Le deuxième degré consiste en ce que ce qui doit être cru soit précisé à l’homme. Et parce que la foi ne s’appuie que sur la Vérité première, de là vient que, sur ce point, l’autorité par laquelle il est montré que cela a été divinement dit vient en aide à la foi. Le troisième degré consiste en ce que celui qui possède la foi en témoigne devant d’autres. Sous cet aspect, une connaissance sensible de ce dont on doit témoigner est nécessaire, autrement il n’y aurait pas de témoignage adéquat. Ceux qui se convertissent initialement à la foi montent le premier degré, 1 Co 14. Ceux qui doivent être instruits de la foi montent le deuxième degré; aussi la foi leur est-elle confirmée par l’autorité. Mais les apôtres ont été les témoins de la foi. C’est pourquoi ils ont d’abord incités à croire par des miracles, comme il est dit en Jn 2, 11 : Jésus commença ainsi ses signes à Cana en Galilée; par la suite, ils furent instruits par l’autorité, comme cela ressort chez les disciples qui allaient à Emmaüs, Lc 24, et ensuite ils ont été rendus des témoins adéquats par des apparitions visibles, 1 Jn 1, 3 : Ce que nous avons vu et entendu... Mais parce qu’il est nécessaire pour la résurrection, qui comporte un changement, que ce soit la même chose qui soit passée d’un extrême à l’autre, le Seigneur a voulu prouver deux choses par ses apparitions : l’identité de celui qui était ressuscité et la condition de la résurrection. Or, il a prouvé la condition de la résurrection sous trois aspects : pour ce qui est de la vérité de la vie, en les accompagnant; pour ce qui est de la vérité de son corps, en se prêtant à leur toucher; pour ce qui est de la gloire, en entrant alors que les portes étaient closes. Il a aussi prouvé son identité, pour ce qui est de la nature, en mangeant; pour ce qui est de sa personne, en se rendant visible pour eux sous la même forme sous laquelle ils étaient habitués à le voir; et pour ce qui est des accidents, en leur montrant ses cicatrices.

 [10101] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod intentio Ambrosii est dicere, quod fides non assentit alicui vel dissentit propter argumenta, sed propter veritatem primam; non autem quin possint induci adminiculantia fidei argumenta.

1. L’intention d’Ambroise est de dire que la foi ne donne pas ou refuse son assentiment à cause des arguments, mais en raison de la Vérité première, mais non pas sans que puissent être invoqués des arguments qui aident à croire.

 [10102] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod argumenta illa sufficienter probabant illud ad quod probandum inducebantur, ut dictum est. Sed fides non est directe de illo quod probabatur sicut de objecto, sed de divinitate, quae probari non potest homini in via: unde Thomas, de quo dictum est, Joan. 20, 29, quia vidisti, credidisti: vidit hominem, et Deum confessus est; et propter hoc argumenta illa ex suppositione fidei procedebant, quod scilicet homo ille, in quo naturae veritas, vel aliquid hujusmodi ostendebatur, esset Deus; unde non tollebatur neque meritum neque ratio fidei.

2. Ces arguments prouvaient suffisamment la démonstration pour laquelle ils étaient invoqués, comme qu’on l’a dit. Mais la foi n’a pas comme objet direct ce qui était prouvé, mais la divinité, qui ne peut être prouvée à l’homme in via. Aussi Thomas, de qui il est dit, Jn 20, 29 : Parce que tu as vu, tu as cru, a-t-il vu l’homme et a-t-il confessé Dieu. Pour cette raison, ces arguments se déroulaient en supposant la foi, à savoir, que cet homme, dans lequel la vérité de la nature ou quelque chose de ce genre était montré, était Dieu. Aussi n’étaient enlevés ni le mérite ni la raison de la foi.

 [10103] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod articuli fidei quidam sunt de divinitate tantum; et isti non possunt ad sensum probari, sed vel per miracula, vel per auctoritates; et sic probata sunt. Quidam autem sunt de humanitate unita divinitati; et isti etiam ad sensum omnes probati sunt. Sed quia passio et ascensio in seipsa visa est, resurrectio autem non; ideo signa resurrectionis visibiliter ostendi oportuit, ex quibus conferendo ad veritatem resurrectionis perveniretur: et propter hoc ista probatio dicta est argumentativa, non autem probatio ascensionis vel passionis.

3. Certains articles de foi portent sur la divinité seulement : ceux-ci ne peuvent pas être prouvés au sens que par des miracles ou par des autorités. C’est ainsi qu’ils ont été prouvés. Mais certains portent sur l’humanité unie à la divinité : ceux-là sont tous prouvés aux sens. Mais parce que la passion et l’ascension ont été vues en elles-mêmes, alors que la résurrection ne l’a pas été, il était nécessaire que des signes de la résurrection soient visiblement montrés, par lesquels on parviendrait à la vérité de la résurrection en les rassemblant. Pour cette raison, cette démonstration est appelée argumentative, mais non la preuve de l’ascension et de la passion.

 [10104] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod non erant in argumentis aliquae contrarietates: quia comestio referebatur ad naturam, et introire januis clausis referebatur ad gloriam; et non erat respectu ejusdem.

4. Il n’y avait pas de contraires dans les arguments, car le fait de manger se rapportait à la nature, et le fait d’entrer, alors que les portes étaient fermées, [se rapportait] à la gloire. Ils ne portaient donc pas sur la même chose.

 [10105] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in aliis corporibus etiam secundum naturam invenitur claritas et impassibilitas, sicut in corporibus caelestibus; sed subtilitas in nullo naturali corpore invenitur. Agilitas autem ostendi visibiliter non potest: quia sensus particularium est; agilitas autem est ut possit undecumque velit moveri; et praeterea loca multum distantia videri non possunt; et iterum quia simile agilitati in radio solis invenitur. Unde dicendum, quod discipulis euntibus in Emaus agilitatem demonstravit in hoc quod ab oculis eorum statim evanuit; Luc. ult.

5. On trouve l’éclat et l’impassibilité dans d’autres corps, comme dans les corps célestes; mais la subtilité ne se trouve dans aucun corps naturel. L’agilité ne peut être montrée de manière visible, car le sens porte sur des choses particulières; or, l’agilité consiste en ce qu’on puisse se mouvoir à partir de n’importe où. De plus, des lieux très distants ne peuvent pas être vus, et encore, parce que quelque chose de semblable à l’agilité se trouve dans le rayon du soleil. Il faut donc dire qu’il a démontré son agilité aux disciples qui se rendaient à Emmaüs par le fait qu’il disparut aussitôt à leurs yeux, Lc 24.

 

 

Articulus 4 [10106] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 tit. Utrum argumentum sumptum ex visibili apparitione fuerit conveniens

Article 4 – L’argument tiré d’une apparition visible était-il approprié ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [L’argument tiré d’une apparition visible était-il approprié ?]

 [10107] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod argumentum sumptum ex visibili apparitione non fuit conveniens. Quia ad veritatem resurrectionis exigitur quod sit verum corpus humanum quod resurgit. Sed Angeli, qui non habent vera corpora humana, apparuerunt multis in veteri testamento. Ergo per apparitionem visibilem non ostenditur veritas resurrectionis.

1. Il semble que l’argument tiré d’une apparition visible ne soit pas approprié, car, pour la vérité de la résurrection, il est nécessaire que le vrai corps humain soit ressuscité. Or, les anges, qui n’ont pas de vrais corps humains, sont apparus à plusieurs dans l’Ancien Testament. La vérité de la résurrection n’est donc pas montrée par une apparition visible.

 [10108] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, omne corpus videtur secundum formam quam habet. Sed forma corporis Christi est forma gloriosa. Si ergo apparuit eis, in forma gloriosa ipsum viderunt. Sed claritas gloriosi corporis non est proportionata oculo non glorificato, cum sit major claritate solis. Ergo Christus a discipulis videri non potuit.

2. Tout corps est vu selon la forme qu’il possède. Or, la forme du corps du Christ est la forme glorieuse. Si donc il leur est apparu, ils l’ont vu en sa forme glorieuse. Or, l’éclat du corps glorieux n’est pas proportionné a l’œil non glorifié, puisque son éclat dépasse l’éclat du soleil. Le Christ ne pouvait donc pas être vu.

 [10109] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 3 Praeterea, discipuli euntes in Emaus, viderunt eum in effigie peregrini. Aut ergo illa effigies inerat ei secundum veritatem, aut erat tantum in oculis videntium. Si erat in corpore Christi, cum in eo esset effigies propria, tunc duae effigies erant simul in uno corpore, quod est impossibile. Si autem erat tantum in oculis videntium, ergo erat praestigiosa apparitio. Sed ea quae praestigiose apparent, non demonstrant veritatem rei. Ergo per hoc non poterat demonstrari veritas resurrectionis.

3. Les disciples qui allaient à Emmaüs l’ont vu sous la forme d’un pèlerin. Soit cette forme était en lui selon la vérité, soit elle était seulement dans les yeux de ceux qui le voyaient. Si elle se trouvait dans le corps du Christ, puisqu’elle était pour lui une forme propre, deux formes se trouvaient donc simultanément dans un même corps, ce qui est impossible. Mais si elle se trouvait seulement dans les yeux de ceux qui le voyaient, il s’agissait donc d’une apparition trompeuse. Or, les apparitions trompeuses ne démontrent pas la vérité d’une chose. La vérité de la résurrection ne pouvait donc pas être démontrée par cela.

 [10110] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, inter omnes sensus majorem certitudinem facit visus, ut dicitur in 1 Metaph. Sed apostoli, qui erant testes resurrectionis, debebant habere certissimam fidem de resurrectione. Ergo debuit eis fieri argumentum ex visu.

Cependant, [1] parmi tous les sens, la plus grande certitude vient de la vue, comme il est dit dans Métaphysique, I. Or, les apôtres, qui étaient les témoins de la résurrection, devaient posséder une foi très certaine en la résurrection. On devait donc leur présenter un argument à partir de la vue.

 [10111] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, hoc patet per id quod dicitur 1 Joan., 1, 3: quod vidimus et audivimus annuntiamus vobis.

 [2] Cela ressort de ce qui est dit en 1 Jn 1, 3 : Ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le Christ devait-il se laisser palper par eux ?]

 [10112] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non debuit seipsis palpabilem exhibere. Palpabile enim incorruptibili contrarium est, ut dicit Gregorius. Sed contraria non possunt esse in eodem. Cum ergo corpus Christi esset incorruptibile, videtur quod non debuerit ipsum palpabile exhibere.

1. Il semble qu’il ne devait pas se laisser palper par eux. En effet, « ce qu’on peut toucher est contraire à ce qui est incorruptible », comme le dit Grégoire. Or, les contraires ne peuvent pas exister dans une même chose. Puisque le corps du Christ était incorruptible, il semble donc qu’il ne devait pas se laisser toucher par eux.

 [10113] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, differentiae tangibiles sunt calidum et frigidum, et hujusmodi contraria. Sed in glorificatis corporibus non erunt hujusmodi contrarietates, ut dicitur, nec etiam in elementis post mundi innovationem. Ergo corpus Christi palpari non potuit.

2. Les différences tangibles sont le chaud et le froid et leurs contraires. Or, ces réalités contraires ne se trouveront pas dans les corps glorieux, comme on dit, ni même dans les éléments après la rénovation du monde. Le corps du Christ ne pouvait donc pas être touché.

 [10114] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 3 Praeterea, hoc solum palpabile est quod est resistens tactui, et cui tactus resistit; unde aer quamvis sit tangibilis, non tamen est palpabilis. Sed corpori Christi non resistebat aliud corpus, quia januis clausis intravit. Ergo palpari non potuit.

3. Seul est palpable ce qui résiste au toucher et à quoi le toucher résiste; ainsi, l’air, bien qu’il soit tangible, n’est cependant pas palpable. Or, un autre corps ne résistait pas au corps du Christ, puisqu’il était entré alors que les portes étaient closes. Il ne pouvait donc pas être palpé.

 [10115] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 4 Praeterea, spiritus Angeli vel Daemonis posset assumere corpus solidum quod palpari posset. Ergo per palpationem non sufficienter probatur veritas corporis.

4. L’esprit d’un ange ou du Démon pourrait assumer un corps solide qui pourrait être palpé. La vérité d’un corps n’est donc pas suffisamment prouvée par la palpation.

 [10116] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 5 Praeterea, alii sensus sunt magis spirituales quam tactus. Ergo magis per eos debuit veritatem resurrectionis probare quam per tactum.

5. Les autres sens sont plus spirituels que le toucher. Il devait donc prouver la vérité de la résurrection par eux plutôt que par le toucher.

 [10117] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, Luc. ult., 39: palpate et videte; quia spiritus carnem et ossa non habet, sicut me videtis habere.

Cependant, [1] Lc 24, 39 dit : Palpez et voyez, car un esprit n’a pas de chair ni d’os, comme vous voyez que j’en ai.

 [10118] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, inter alios sensus homo certissimum habet tactum, ut dicitur in 2 de anima. Cum igitur cognitio resurrectionis debuerit esse certissima in apostolis, per tactum debuit eis ostendi.

 [2] Parmi les autres sens, l’homme a comme sens le plus certain le toucher, comme il est dit dans Sur l’âme, II. Puisque la connaissance de la résurrection devait être très certaine pour les apôtres, elle devait donc leur être montrée par le toucher.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Le Christ devait-il prouver sa résurrection par ses cicatrices ?]

 [10119] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non debuerit per cicatrices suam resurrectionem probare. Quia per suam resurrectionem Christus nostram demonstravit. Sed a resurgentibus omnis corruptio removebitur. Cum igitur cicatrix sit quaedam corruptio, videtur quod Christus per cicatrices suam resurrectionem probare non debuit.

1. Il semble que [le Christ] ne devait pas prouver sa résurrection par ses cicatrices, car, par sa résurrection, le Christ a mis en évidence notre résurrection. Or, toute corruption est enlevée de ceux qui ressuscitent. Puisqu’une cicatrice est une corruption, il semble donc que le Christ ne devait pas prouver sa résurrection par ses cicatrices.

 [10120] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 3 arg. 2 Praeterea, status resurgentium est status immutabilis. Ergo Christus in seipso non debuit demonstrare nisi quod semper in se futurum erat. Sed cicatrices non semper in Christo debebant remanere: quia dicit Damascenus, quod tantum secundum dispensationem in Christo fuerunt. Ergo cicatrices ostendere non debuit.

2. L’état de ceux qui ressuscitent est un état d’immuabilité. Le Christ ne devait donc montrer en lui-même que ce qui devait toujours exister à l’avenir. Or, les cicatrices ne devaient pas demeurer pour toujours, car [Jean] Damascène dit qu’elles ne se trouvaient chez le Christ que selon l’économie (dispensatio). Il ne devait donc pas montrer ses cicatrices.

 [10121] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 3 arg. 3 Praeterea, Hieronymus dicit ad Marcellam, quod non meretur tangere Christum qui resurrectionem ejus non credit; propter quod dictum est Magdalenae, Joan. 20, 17: noli me tangere. Sed Thomas resurrectionem non credebat. Ergo Christus cicatrices vulnerum ei palpabiles exhibere non debuit.

3. Jérôme dit à Marcella que celui qui ne croit pas à sa résurrection ne mérite pas de toucher le Christ; c’est pour cela qu’il a été dit à Madeleine, Jn 20, 17 : Ne me touche pas! Or, Thomas ne croyait pas à la résurrection. Le Christ ne devait donc pas lui donner à palper ses cicatrices.

 [10122] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, Leo Papa: quis dubitet a mortuis rediisse salvatorem, cujus praesentiam agnovit oculus, attrectavit manus, digitus perscrutatus est ? Ergo cum omnem dubitationem suae resurrectionis auferre debuerit, videtur quod cicatrices digito perscrutandas praebere debuit.

Cependant, [1] le pape Léon dit : « Qui doute que le Sauveur est revenu des morts, lui dont l’œil a reconnu la présence, la main a touché, que le doigt a palpé ? » Puisqu’il devait enlever tout doute à propos de sa résurrection, il semble donc qu’il devait donner ses cicatrices à scruter avec le doigt.

 [10123] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, decet victorem insignia suae victoriae et habere et ostendere. Sed, sicut dicit Augustinus in Lib. de civitate Dei, cicatrices vulnerum Christi fuerunt victoriae suae indicia. Ergo decuit ut eas haberet, et ostenderet.

 [2] Il convient que le vainqueur possède et montre les insignes de sa victoire. Or, comme le dit Augustin dans le livre sur La cité de Dieu, « les cicatrices des blessures du Christ étaient des signes de sa victoire ». Il convenait donc qu’il les possède et les montre.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Le Christ devait-il montrer sa résurrection en mangeant ?]

 [10124] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non debuit per manducationem suam resurrectionem ostendere. Comestio enim spectat ad vitam animalem. Sed per resurrectionem non transitur ad vitam animalem, ut dicunt Saraceni et Judaei. Ergo Christus per comestionem resurrectionem probare non debuit.

1. Il semble que [le Christ] ne devait pas montrer sa résurrection en mangeant. En effet, manger se rapporte à la vie animale. Or, par la résurrection, on ne passe pas à la vie animale, comme le disent les Sarrasins et les Juifs. Le Christ ne devait donc pas prouver [sa résurrection] en mangeant.

 [10125] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 4 arg. 2 Praeterea, cibus comestus convertitur in corpus comedentis. Sed in corpus Christi non potuit aliquid converti: quia jam erat extra statum generationis et corruptionis. Ergo videtur quod comedere non debuit.

2. La nourriture mangée se transforme dans le corps de celui qui mange. Or, rien ne pouvait être changé en corps du Christ, car il se trouvait déjà en dehors de l’état de génération et de corruption. Il semble donc qu’il ne devait pas manger.

 [10126] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 4 arg. 3 Praeterea, Angeli qui apparuerunt Abrahae, manducaverunt; nec tamen in eis fuit veritas humanae naturae. Ergo per comestionem veram resurrectionem humanae naturae probare non debuit.

3. Les anges qui sont apparus à Abraham ont mangé; cependant, il n’y avait pas de vérité de la nature humaine en eux. [Le Christ] ne devait donc pas prouver la vraie résurrection de sa nature humaine en mangeant.

 [10127] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 4 s. c. 1 Sed contra, Act. 10, 40: dedit eum notum fieri non omni populo, sed nobis, qui manducavimus et bibimus cum eo, postquam resurrexit a mortuis; et per hoc testificatus est Petrus resurrectionem. Ergo et hoc argumentum debuit exhibere suae resurrectionis.

Cependant, [1] Ac 10, 40 dit : Il s’est fait connaître, non pas à tout le peuple, mais à nous, qui avons mangé et bu avec lui après qu’il fut ressuscité des morts. Par cela, Pierre a témoigné de la résurrection. Il devait donc présenter cet argument de sa résurrection.

 [10128] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 4 s. c. 2 Praeterea, veritas incarnationis probatur per id quod est infimum in partibus hominis, scilicet per carnem; unde dictum est Joan. 1, 14: verbum caro factum est. Ergo etiam veritas naturae humanae debuit probari in Christo per id quod est infimum in operibus animae. Hae autem sunt operationes vegetabilis animae; quarum prima in animalibus est comestio. Ergo per hoc veritatem resurrectionis probare debuit.

 [2] La vérité de l’incarnation est prouvée par ce qui est la plus petite partie de l’homme, la chair. Aussi est-il dit en Jn 1, 14 : Le Verbe s’est fait chair. La vérité de la nature humaine devait donc aussi être prouvée chez le Christ par ce qui est la plus petite parmi les œuvres de l’âme. Or, telles sont les opérations de l’âme végétative, dont la première, chez le animaux, est le fait de manger. Il devait donc prouver par cela la vérité de la résurrection.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [10129] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod ad veritatem resurrectionis exigitur quod idem numero resurgat. Individuatio autem, secundum quam est aliquid unum numero, ex diversis accidentibus manifestatur, quorum collectio in alio non invenitur: et quia visus, ut dicit philosophus in principio Metaph., plures nobis rerum differentias ostendit, ideo quod sit idem numero, nunquam melius quam per visum manifestatur; et ideo visibilis apparitio fuit unum de argumentis resurrectionis.

Pour la vérité de la résurrection, il est requis que le même en nombre ressuscite. Or, l’individuation, selon laquelle une chose est la même en nombre, est manifestée par divers accidents, dont l’assemblage ne se trouve pas chez un autre. Et parce que, comme le dit le Philosophe au début de Métaphysique, la vue nous montre plusieurs différences des choses, le fait qu’une chose soit identique en nombre n’est jamais mieux manifesté que par la vue. C’est pourquoi l’apparition visible a été l’un des arguments de la résurrection.

 [10130] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod apparitio visibilis non inducebatur ad probandum veritatem carnis (quia hoc per alia argumenta probabatur), sed ad probandum identitatem suppositi, supposita veritate corporis.

1. L’apparition visible n’était pas invoquée pour prouver la vérité de la chair (car cela était prouvé par d’autres arguments), mais pour prouver l’identité du suppôt, en supposant la vérité du corps.

 [10131] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod secundum opinionem Praepositini, quae probabilior videtur, corpus glorificatum, est omnino in potestate animae quantum ad omnes actiones ejus; visibile autem videtur secundum quod agit in visum; et ideo dicebat, quod in potestate corporis gloriosi est quod videatur vel non videatur; et iterum quando videtur, quod videatur sub forma gloriae, vel non. Cum enim sit in eo forma naturalis corporis, et forma gloriae; potest secundum unam tantum immutare visum, vel secundum utramque; et immutare visum secundum formam gloriae secundum proportionem visus; ut non corrumpatur, sed delectetur, sicut ex visibili proportionato. Alii vero dicunt quod non potest videri nisi per miraculum. Sed primum est probabilius.

2. Selon l’opinion de Prévostin, qui semble plus probable, le corps glorifié se trouve complètement au pouvoir de l’âme pour ses actions. Mais le fait qu’il soit visible semble venir de qu’il agit sur la vision. C’est pourquoi il disait qu’il est au pouvoir du corps glorieux d’être vu ou de ne pas être vu, et, de plus, lorsqu’il est vu, d’être vu sous la forme de la gloire ou non. En effet, puisque la forme naturelle du corps et la forme de la gloire existent chez lui, il peut ne changer la vue que selon l’une [des formes] ou selon les deux, et changer la vue sous la forme de la gloire selon la proportion de la vue, de sorte que celle-ci ne soit pas corrompue, mais délectée, comme par une chose visible proportionnée. Mais d’autres disent qu’il ne peut être vu que par miracle. Mais la première position est plus probable.

 [10132] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod discipulis Christus formam naturalem sui corporis ostendit, qua est quodammodo corpus coloratum, et non formam claritatis gloriae. Quod autem ipsi eum non cognoverunt, fuit ex interiori eorum dispositione, quia eum resurrexisse non credebant; unde non ponebant se ad perquirendum judicia propria, quibus possent ipsum cognoscere: sicut etiam accideret, si videremus aliquem quem mortuum crederemus, quamvis notus fuisset nobis; et maxime si videremus illum in alio habitu. Unde quam cito eis ostendit signum fractionis panis speciale sibi, cognoverunt eum propter specialem modum frangendi: quia, ut dicitur, sua fractio erat similis incisioni cultelli. Et hac infidelitate vel dubitatione tenebantur oculi eorum ne eum cognoscerent; et ista detentio dicitur aorasia, de qua dicitur in Glossa, Gen. 19, non quod esset aliquod impedimentum ex parte visus corporalis in discipulis sicut potuit esse in Sodomitis. Vel potest dici quod quamvis visui repraesentaretur propria species, in qua soliti erant eum videre; tamen virtute divina impediebantur vires interiores, ne sequerentur judicium de persona illa quae esset; et sic ea quae exterius agebantur, conformabantur his quae interius contingebant in ipsis, ut praesentem haberent, et non cognoscerent: quia amabant, sed dubitabant, ut dicit Gregorius.

3. Le Christ a montré à ses disciples la forme naturelle de son corps, selon laquelle il est d’une certaine manière un corps coloré, et non la forme de l’éclat de la gloire. Le fait qu’ils ne l’aient pas reconnu venait de leur disposition intérieure, car ils ne croyaient pas qu’il était ressuscité. Aussi ne s’appliquaient-ils pas à interroger leurs propres jugements, par lesquels ils pouvaient le connaître, comme cela arriverait si nous voyions quelqu’un que nous aurions cru mort, aussi connu nous ait-il été, et surtout si nous le voyions habillé autrement. Aussi dès qu’il leur eut montré le signe de la fraction du pain qui lui était particulier, l’ont-ils reconnu à la manière particulière de rompre, car, ainsi qu’on le dit, sa manière de rompre était semblable à la coupure d’un couteau. À cause de cette infidélité ou de ce doute, leurs yeux étaient empêchés de le connaître : cet empêchement est appelé aorasia, dont il est question dans la Glose sur Gn 19, et non pas qu’il y ait eu un empêchement du point de vue de la vision corporelle chez les disciples, comme cela pouvait être le cas pour les gens de Sodome. Ou bien on peut dire que bien que sa forme habituelle ait été représentée à la vue, les puissances intérieures étaient cependant empêchées de suivre le jugement sur l’identité de cette personne. Ainsi, ce qui se passait extérieurement se conformait à ce qui arrivait intérieurement chez eux, de sorte qu’ils le voyaient comme présent, mais ne le reconnaissaient pas, parce qu’« ils aimaient, mais doutaient », comme le dit Grégoire.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [10133] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod propter vehementiam imaginationis contingit aliquando quod illud quod imaginatio apprehendit, videtur esse praesens in visu, non solum in dormiendo, sed etiam in vigilando. Similiter etiam contingit quod ex oppositione aliquorum corporum videtur aliqua effigies, ac si esset hominum, vel aliorum animalium. Iterum etiam apparitiones visibiles Daemonum et etiam Angelorum consueverunt fieri per corpora aerea inspissata; unde statim cum volunt, dissolvuntur. Et ideo dominus ad ostendendum veritatem resurrectionis, palpationem visui adjunxit, ut excluderetur visio per immutationem visus ab imaginatione, et visio umbrarum, et visio spirituum apparentium.

En raison de l’emportement de l’imagination, il arrive parfois que ce que l’imagination saisit semble être présent à la vue, non seulement lorsqu’on dort, mais aussi à l’état de veille. De même, il arrive qu’en raison du contraste de certains corps, il semble y avoir une forme ressemblant à des hommes ou à d’autres animaux. De plus, les apparitions visibles de démons et même d’anges ont coutume de se réaliser sous forme de corps aériens serrés, de sorte que, dès qu’ils s’envolent, ils se dissolvent. C’est pourquoi le Seigneur, afin de montrer la vérité de la résurrection, a ajouté la palpation à la vue afin d’écarter la vision provoquée par le changement de la vue par l’imagination, la vision d’ombres et la vision d’esprits qui se manifestent.

 [10134] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 1 Ad primum dicendum, quod omne corpus tangibile est per naturam corruptibile; unde secundum philosophos caelum est visibile, sed non tangibile. Sed quod est per naturam corruptibile, potest esse per gloriam incorruptibile. Unde quamvis corruptibile et incorruptibile sint contraria simpliciter propter quod dicit Gregorius, quod ostendit in se duo contraria; tamen corruptibile per naturam et incorruptibile per gratiam non sunt contraria. Unde sicut corpus gloriosum habet in potestate sua quod possit videri et non videri; ita habet in potestate quod possit palpari et non palpari, et utrumque sine miraculo: sed palpatur per naturam corporis; non palpabile autem est, inquantum corpus est instrumentum animae gloriosae.

1. Tout corps tangible est par nature corruptible. Aussi, selon les philosophes, le ciel est-il visible, mais il n’est pas tangible. Mais ce qui est par nature corruptible peut être incorruptible en vertu de la gloire. Bien que ce qui est corruptible et ce qui est incorruptible soient simplement des contraires – raison pour laquelle Grégoire dit qu’il a montré en soi deux contraires ‑, ce qui est corruptible par nature et incorruptible par grâce ne sont pas des contraires. De même que le corps glorieux a le pouvoir d’être vu ou de ne pas être vu, de même donc a-t-il le pouvoir de pouvoir être palpé et de ne pas être palpé, et les deux sans miracle : il est palpé selon la nature du corps, mais il n’est pas palpable pour autant que le corps est l’instrument de l’âme glorieuse.

 [10135] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod palpatio non pertinet ad sensum tactus inquantum est discretivus calidi et frigidi, et hujusmodi contrariorum; sed inquantum est discretivus corporum solidorum quae habent potentiam naturalem resistendi dividenti; et haec quidem soliditas est in corporibus gloriosis, etsi non sint qualitates illae contrariae. Vel dicendum, quod qualitates illae sunt in corpore glorioso, et erunt in elementis quantum ad substantiam, sed non quantum ad actionem, qua unum agat in alterum: continebuntur enim per formam gloriae ne agant, sicut continentur per formam naturalem ne dissolvant conjunctum.

2. La palpation ne relève pas du sens du toucher en tant qu’il peut distinguer le chaud et le froid et les contraires de ce genre, mais en tant qu’il peut distinguer les corps solides qui ont le pouvoir naturel de résister à celui qui les divise. Cette solidité existe dans les corps glorieux, même si ces qualités ne sont pas contraires. Ou bien il faut dire que ces qualités existent dans le corps glorieux et existeront dans les éléments quant à leur substance, mais non quant à l’action par laquelle ils agissent l’un sur l’autre. En effet, ils seront retenus d’agir par la forme de la gloire, comme le composé est empêché par la forme naturelle de se dissoudre.

 [10136] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis glorioso corpori nullum corpus non gloriosum possit resistere; tamen corpus gloriosum potest resistere cuilibet alteri corpori; et secundum hoc potest palpari quando vult.

3. Bien qu’aucun corps non glorieux ne puisse résister à un corps glorieux, le glorieux peut cependant résister à n’importe quel autre corps; sous cet aspect, il peut être palpé quand il le veut.

 [10137] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis spiritus possit corpus solidum accipere; non tamen potest assumere corpus solidum, in quo appareant omnes operationes vitae, sicut perfecte in Christi corpore apparebant: quia opus artis non potest esse simile operationi naturae. Unde quamvis statim non perciperetur deceptio, si Christus corpus solidum assumpsisset, tamen ex longa mora, qualem contraxit Christus cum discipulis, non potuisset latere: quia illa quae fiunt per artem Daemonis praeter viam naturae, non sunt diuturna.

4. Bien qu’un esprit puisse recevoir un corps solide, il ne peut cependant pas assumer un corps solide, dans lequel se manifestent toutes les opérations de la vie, comme elles se manifestaient dans le corps du Christ, car l’œuvre de l’art ne peut être semblable à l’opération de la nature. Bien que la supercherie n’aurait pas été immédiatement perçue si le Christ avait assumé un corps solide, à la longue il n’aurait pas pu cacher à ses disciples celui qu’il avait pris, car ce qui est réalisé par l’art du Diable en dehors de la voie de la nature ne dure pas longtemps.

 [10138] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod per tactum cognoscimus calidum et frigidum, durum et molle, et hujusmodi qualitates, ex quibus naturaliter constituitur corpus; et ideo quamvis tactus sit minus spiritualis inter alios sensus, tamen per eum veritas naturae resurgentis certius probari potuit.

5. Par le toucher, nous connaissons le chaud et le froid, le dur et le mou, et les qualités de ce genre, dont le corps est naturellement constitué. C’est pourquoi, bien que le toucher soit le moins spirituel des sens, la vérité de la nature ressuscitée peut cependant être plus sûrement prouvée par lui.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [10139] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod cicatrices signa erant mortis Christi: unde secundum hoc accidens ostendebatur quod ille idem qui mortuus fuerat resurrexit.

Les cicatrices étaient les signes de la mort du Christ. Aussi était-il montré par cet accident que celui qui était ressucité était le même que celui qui était mort.

 [10140] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod secundum Augustinum, 22 de Civ. Dei, hujusmodi cicatrices vulnerum remanent in victoribus, et in Christo remanserunt ad decorem quasi insignia victoriae suae, et non quod aliqua corruptio vel defectus ex istis cicatricibus in eis sit. Unde etsi aliquibus sanctis sunt amputata aliqua membra, non oportet quod sine illis resurgant, sed quod in loco incisionis aliquod vestigium ad decorem gloriae remaneat.

1. Selon Augustin, La cité de Dieu, XXII, « ces cicatrices des blessures demeurent chez les vainqueurs et sont demeurées chez le Christ comme un ornement, comme les insignes de sa victoire, et non pas parce qu’une corruption ou une carence s’est trouvée en lui en raison de ces cicatrices. Même si certains membres ont été amputés à des saints, il n’est donc pas nécessaire qu’ils ressuscitent sans eux, mais qu’à l’endroit de l’incision, un vestige demeure comme un ornement glorieux.

 [10141] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod cicatrices istae, ut probabilius videtur, semper in corpore Christi remanebunt ad decorem. Quod autem dicuntur dispensative assumptae, hoc est, non quia ad tempus assumptae sunt, sed quia non est de necessitate materiae quod in Christo remaneant, sicut in nobis accidit, sed propter aliquem finem: in omnibus quidem victoribus propter decorem, in Christo autem propter hoc et propter alia quatuor. Primo ut veritatem resurrectionis astrueret; secundo ut eas patris ejus aspectui praesentaret, pro nobis implorans; tertio ut nobis suae misericordiae et caritatis monstraret indicia; quarto ut in judicio per eas impiis ostenderet quam juste damnentur.

2. Il semble plus probable que ces cicatrices demeureront toujours dans le corps du Christ comme un ornement. On dit qu’elles ont été assumées selon une dispensation, non pas parce qu’elles ont été assumées temporairement, mais parce que ce n’est pas une nécessité de la matière qu’elles demeurent chez le Christ, comme cela arrive chez nous, mais en raison d’une fin : chez tous les vainqueurs, comme un ornement, mais chez le Christ, pour cette raison et pour quatre autres. Premièrement, pour affirmer la vérité de la résurrection; deuxièmement, pour les présenter à la vue de son Père en implorant pour nous; troisièmement, pour nous montrer des signes de sa miséricorde et de sa charité; quatrièmement, afin que, lors du jugement, il les montre aux impies à quel point ils sont justement damnés.

 [10142] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Thomas ad solum aspectum vulnerum credidit; unde dictum est ei, Joan. 20, 29: quia vidisti me, credidisti. Sed tamen tetigit eum, ut a nobis omnem dubitationem excluderet: quia testis erat futurae resurrectionis; unde Leo Papa dicit: suffecerat ad fidem propriam quod viderat; sed nobis operatus est, ut tangeret quod videbat. Gloriosa autem Magdalena non eligebatur ut testis resurrectionis in populis: quia non decet mulierem docere in Ecclesia, 1 Corinth. 14, et ideo non est permissa tangere.

3. Thomas a cru à la seule vue des blessures. Aussi lui a-t-il été dit, Jn 20, 29 : Tu as cru parce que tu m’as vu. Cependant, il l’a touché pour écarter de nous tout doute, car il était un futur témoin de la résurrection. Aussi le pape Léon dit-il : « Il aurait suffi pour sa propre foi qu’il ait vu; mais il a agi pour nous en touchant ce qu’il voyait. » Mais la glorieuse Madeleine n’était pas choisie comme témoin de la résurrection pour le peuple, car il ne convient pas qu’une femme enseigne dans l’Église, 1 Co 14. Aussi ne lui a-t-il pas été permis de toucher.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

 [10143] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod per comestionem ostendit veram remansisse naturam humanam ex illis vitae operibus quae infima sunt, ut prius dictum est.

En mangeant, il a montré que la vraie nature humaine était demeurée par les actes de cette vie qui sont les plus infimes, comme on l’a dit plus haut.

 [10144] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 4 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod magis difficile erat ad credendum veritas resurrectionis quam gloria resurgentis resurrectione supposita; et ideo maxime facta sunt argumenta ad probandum veritatem naturae humanae quae manet in statu gloriae quantum ad omnes potentias et membra, ut sit natura integra, quamvis non remaneant omnes usus potentiarum et membrorum, quia non inest necessitas. Et ideo ista comestio non fuit necessitatis, sicut est in animali vita, sed magis fuit potestatis, idest naturalis potentiae ostensiva.

1. La vérité de la résurrection était plus difficile à croire que la gloire du ressuscité, en supposant sa résurrection. Aussi des arguments ont-ils été présentés surtout pour prouver la vérité de la nature humaine qui demeure dans l’état de la gloire pour toutes les puissances et tous les membres, de sorte que la nature soit complète, bien que ne demeurent pas tous les usages des puissances et des membres, car cela n’est pas nécessaire. C’est pourquoi le fait de manger n’était pas nécessaire, comme il l’est pour la vie animale, mais il fut plutôt la manifestation d’une capacité, à savoir qu’il manifestait une puissance naturelle.

 [10145] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum quod fuit ibi comestio quantum ad divisionem cibi, et quantum ad trajectionem in ventrem, non autem quantum ad conversionem in humores. Cibus autem ille, ut dicit Augustinus, in spiritualem naturam conversus est, idest in vaporem resolutus, sicut aqua per radium solis.

2. C’était là une manducation sous l’aspect de division de la nourriture et de passage par la ventre, mais non sous l’aspect de conversion en humeurs. Cependant, comme le dit Augustin, « cette nourriture a été changée en nature spirituelle », c’est-à-dire qu’elle s’est transformée en vapeur, comme l’eau par le rayon du soleil.

 [10146] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in Angelis non est comestio ad ostendendum potentiam naturalem nutritivam, quia eam non habent, sicut Christus eam habuit; et ideo non est simile. Et quamvis unum istorum argumentorum ex se non sufficeret, tamen omnia simul certitudinem faciebant; et ideo etiam argumenta multiplicata sunt.

3. Chez les anges, il n’y a pas de manducation pour manifester une puissance nutritive naturelle, car ils ne la possèdent pas, comme le Christ l’a possédée. Ce n’est donc pas la même chose. Bien qu’un seul de ces arguments n’aurait pas suffi en lui-même, tous pris ensemble donnaient une certitude. C’est pourquoi les arguments ont été multipliés.

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 21

 [10147] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 4 expos. Nemo tollit eam a me. Contra. Ergo Christus non fuit per violentiam crucifigentium occisus. Dicendum, quod illi quantum in eis erat, violentiam intulerunt; quamvis Christo violentia inferri non potuit ex parte personae, sed solum ex parte corporis humani. Item, homo in illo mutatus est, ut melior fieret quam erat. Contra. Naturae manserunt utrinque in unitate. Dicendum, quod humana natura in Christo per hoc quod est assumpta in unitatem divinae personae, non est mutata a sua naturali conditione; sed accepit ampliorem perfectionem, secundum quam facta est melior.

 

 

 

Distinctio 22

Distinction 22 – [Les conséquences de la mort du Christ]

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [Le Christ était-il un homme pendant les trois jours de sa mort ?]

Prooemium

Prologue

 [10148] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de his quae pertinent ad mortem Christi, scilicet secundum quam rationem dicatur mortuus, hic determinat ea quae consequuntur ad mortem Christi. Dividitur autem in duas partes: in prima determinat de morte Christi per comparationem ad ejus humanitatem absolute; secundo per comparationem ad locum; ibi: hic quaeritur si Christus in morte alicubi erat homo. Circa primum tria facit: primo movet quaestionem, utrum Christus in triduo fuerit homo; secundo ponit aliorum opinionem, ibi: quod non videtur quibusdam; tertio ponit opinionem suam, ibi: quibus respondemus. Hic quaeritur, si Christus in morte alicubi erat homo. Hic inquirit de morte per comparationem ad locum in quo erat; et duo facit: primo ostendit quod erat secundum humanitatem in sepulcro et in Inferno, et secundum divinitatem ubique. Secundo inquirit, utrum de illo homine possit praedicari esse ubique, ibi: solet etiam quaeri, si congruenter dici possit filius hominis (...) ubique esse. Circa primum duo facit: primo ostendit quod Christus erat in diversis locis secundum diversa; secundo inquirit, utrum fuerit in illis locis totus, ibi: et utique totus eodem tempore erat in Inferno, in caelo totus, ubique totus. Hic est triplex quaestio. Prima de morte Christi per comparationem ad ejus humanitatem. Secunda de descensu ad Inferos. Tertia de ascensione ejus in caelum. Circa primum quaeruntur duo: 1 utrum Christus in illo triduo mortis fuerit homo; 2 utrum fuerit ubique homo tunc, vel etiam ante, vel nunc.

Après avoir déterminé de ce qui se rapporte à la mort du Christ, à savoir, selon quelle raison on dit qu’il est mort, le Maître détermine ici de ce qui découle de la mort du Christ. Cela se divise en deux parties : dans la première, il détermine de la mort du Christ comparée à son humanité de manière absolue; deuxièmement, comparée au lieu, en cet endroit : « Ici, on se demande si le Christ était un homme quelque part, alors qu’il était mort. » À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il soulève une question : le Christ était-il un homme pendant les trois jours [de sa mort] ? Deuxièmement, il présente l’opinion des autres, à cet endroit : « Il ne semble pas à certains… » Troisièmement, il présente son opinion, à cet endroit : « Nous répondons à cela... » « Ici, on se demande si le Christ était un homme quelque part, alors qu’il était mort. » Il s’interroge ici sur la mort comparée au lieu où [le Christ] se trouvait, et il fait deux choses : premièrement, il montre qu’il se trouvait dans le sépulcre et en enfer selon son humanité, et partout selon sa divinité; deuxièmement, il demande s’il est possible d’affirmer que cet homme est partout, à cet endroit : « On a aussi coutume de demander si on peut affirmer de manière appropriée que le Fils de l’homme… est partout. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il montre que le Christ se trouvait dans divers lieux sous divers aspects; deuxièmement, il demande s’il se trouve tout entier dans ces lieux, à cet endroit : « Assurément, il se trouvait en même temps tout entier en enfer, tout entier dans le ciel, tout entier partout. » Il y a ici trois questions. La première porte sur la mort du Christ comparée à son humanité. La deuxième, sur sa descente aux enfers. La troisième, sur son ascension au ciel. À propos du premier point, deux questions sont posées : 1 – Le Christ était-il un homme pendant les trois jours de sa mort ? 2 – Était-il partout un homme alors, auparavant ou maintenant ?

 

 

Articulus 1 [10149] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 1 tit. Utrum Christus in triduo quo jacuit in sepulcro, potuerit dici homo

Article 1 – Peut-on dire que le Christ était un homme pendant les trois jours où il a été dans le sépulcre ?

 [10150] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Christus in illo triduo fuerit homo. Rationale enim est differentia completiva hominis. Sed Christus poterat dici rationalis in illo triduo propter animam rationalem sibi unitam. Ergo poterat dici homo.

1. Il semble que le Christ était un homme pendant ces trois jours. En effet, le fait d’être raisonnable est la différence qui complète l’homme. Or, on pouvait dire que le Christ était raisonnable pendant ces trois jours en raison de l’âme raisonnable qui lui était unie. On pouvait donc l’appeler un homme.

 [10151] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, omnis persona subsistens in natura humana potest dici homo. Sed persona filii Dei subsistebat in natura humana, quia habebat omnes partes humanae naturae sibi unitas. Ergo poterat dici homo.

2. Toute personne subsistant dans la nature humaine peut être appelée un homme. Or, la personne du Fils de Dieu subsistait dans la nature humaine, car il avait toutes les parties de la nature humaine qui lui étaient unies. On pouvait donc l’appeler un homme.

 [10152] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, ad hoc quod aliquis dicatur homo oportet quod anima et corpus sint sibi unita. Sed in illo triduo anima et corpus erant unita in unam hypostasim filii Dei. Ergo poterat dici homo.

3. Pour que quelqu’un soit appelé un homme, il faut que l’âme et le corps lui soient unis. Or, pendant ces trois jours, l’âme et le corps était unis dans la seule hypostase du Fils de Dieu. On pouvait donc l’appeler un homme.

 [10153] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, omnis sacerdos est homo. Christus in illo triduo fuit sacerdos: quia dictum est ei, Psalm. 109, 4: tu es sacerdos in aeternum. Ergo Christus in illo triduo erat homo.

4. Tout prêtre est un homme. Or, le Christ était prêtre pendant ces trois jours, car il lui a été dit, Ps 109, 4 : Tu es prêtre pour l’éternité. Le Christ était donc un homme pendant ces trois jours.

 [10154] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, cum omnia esse desiderent, ut philosophus dicit in 2 de generatione, nullus desiderat non esse, sed semper verius esse. Sed sancti desiderant mori, ut patet Philipp. 1, 23: cupio dissolvi, et esse cum Christo. Ergo per mortem non desinunt esse id quod fuerant, sed verius esse incipiunt; et ita post mortem possunt dici homines.

5. Puisque « toutes choses désirent exister », comme le dit le Philosophe dans Sur la génération, II, personne ne désire ne pas exister, mais exister avec toujours plus de vérité. Or, les saints désirent mourir, comme cela ressort de Ph 1, 23 : Je désire disparaître et être avec le Christ. Ils ne cessent donc pas d’être ce qu’ils étaient, mais commencent à exister avec plus de vérité. Ainsi peuvent-ils être appelés des hommes après la mort.

 [10155] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 1 arg. 6 Praeterea, Petrus est nomen cujusdam singularis in natura humana. Sed post mortem Petri invocamus eum dicentes: sancte Petre, ora pro nobis. Ergo post mortem potest dici homo; et sic videtur quod eadem ratione Christus.

6. Pierre est le nom d’un individu de nature humaine. Or, après la mort, nous invoquons Pierre en lui disant : « Saint Pierre, priez pous nous. » On peut donc l’appeler un homme après la mort. Ainsi, il semble que, pour le Christ, on puisse aussi le faire pour la même raison.

 [10156] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 1 arg. 7 Praeterea, philosophus dicit in 9 Ethic., quod homo est intellectus suus. Sed intellectus hominis manet post mortem. Ergo potest post mortem dici homo.

7. Le Philosophe dit dans Éthique, IX, que l’homme est son intellect. Or, l’intellect de l’homme demeure après la mort. On peut donc l’appeler un homme après la mort.

 [10157] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, pars non praedicatur de toto, nec e contra. Sed post mortem Christi manserunt tantum partes humanae naturae. Ergo ratione illarum partium Christus non poterat dici homo.

Cependant, [1] la partie n’est pas prédiquée du tout, ni le contraire. Or, après la mort du Christ, seules des parties de la nature humaine demeuraient. Le Christ ne pouvait donc être appelé un homme en raison de ces parties.

 [10158] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, homo est nomen speciei. Sed species et genera sumuntur a forma totius; forma autem totius resultat ex compositione partium. Cum ergo anima et corpus non fuerint in illo triduo ad invicem composita, Christus non poterat dici homo.

 [2] « Homme » est le nom d’une espèce. Or, les espèces et les genres se prennent de la forme du tout, mais la forme du tout résulte de la composition des parties. Puisque l’âme et le corps n’étaient pas réciproquement composés pendant ces trois jours, le Christ ne pouvait donc pas être appelé un homme.

 [10159] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 1 s. c. 3 Praeterea, vivum est superius ad hominem, ut dicitur in Lib. de causis, mortuum autem opponitur vivo. Sed Christus erat mortuus. Ergo non erat homo.

 [3] Le vivant est supérieur à l’homme, comme le dit le livre Sur les causes, mais le mort est le contraire du vivant. Or, le Christ était mort. Il n’était donc pas un homme.

 [10160] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod opinio fuit Magistri, et etiam Hugonis de sancto Victore, quod Christus in illo triduo fuit homo; sed ad hoc movebantur diversis viis. Hugo enim dicebat, quod tota personalitas hominis est in anima, et in ipsa erat homo proprie loquendo: et ideo anima post mortem potest dici homo non solum in Christo, sed etiam in aliis hominibus. Haec autem positio non potest esse vera: quia postquam aliquid est completum in specie sua et personalitate, non potest ei advenire aliquid, ut componat cum eo naturam aliquam; sed vel adjungitur ei in persona, et non in natura, quod est singulare in Christo; vel adjungitur ei accidentaliter. Unde ex hac positione sequitur quod vel ex anima et corpore non efficiatur una natura; et sic anima non erit forma corporis, nec vivificabit corpus formaliter: vel iterum quod anima adjungatur corpori accidentaliter, ut nauta navi, vel homo vestimento, sicut dicebant antiqui philosophi; quorum Plato, ut Gregorius Nyssenus narrat, dicebat, quod homo non est aliquid compositum ex anima et corpore; sed est anima utens corpore. Et quia haec inconvenientia sunt; ideo Magister non voluit quod alii post mortem essent homines, sed solum hoc voluit de Christo: quia etiam post mortem anima et corpus aliquo modo manent unita in Christo, inquantum utrumque manet unitum verbo. Sed haec etiam positio non potest stare, si proprie accipiatur hoc nomen homo, propter duas rationes. Primo, quia ad hoc quod sit homo, oportet quod sint anima et corpus conjuncta ad constituendum naturam unam; quod fit per hoc quod informatur anima; quod in illo triduo non fuit. Secundo, quia recedente anima, illa caro non dicebatur nisi aequivoce caro; unde nec illud corpus erat humanum corpus, nisi aequivoce. Et ideo omnes moderni tenent, quod Christus in triduo non fuerit homo. Sciendum tamen, quod Magister non voluit quod Christus in triduo illo diceretur homo, nisi aequivoce; unde dicit, quod non secundum eamdem rationem dicebatur homo post mortem, sicut ante, vel sicut alii homines: et secundum hoc ex opinione Magistri non sequitur aliquod inconveniens secundum rem: quia secundum philosophum, 4 Metaph., non est inconveniens ut quod nos dicimus hominem alii dicant non hominem quantum ad convenientiam nominis; sed solum est improprietas in modo loquendi: quia non est in usu hujus nominis homo quod significet corpus et animam divisam.

Réponse. C’était l’opinion du Maître, et aussi celle de Hugues de Saint-Victor, que le Christ était un homme pendant ces trois jours; mais ils étaient conduits à cela par diverses approches. En effet, Hugues disait que toute la personnalité de l’homme se trouvait dans l’âme et que celle-ci était l’homme à proprement parler. Aussi, après la mort, on peut parler d’hommes non seulement pour le Christ, mais aussi pour les autres hommes. Mais cette position ne peut pas être vraie, car, après qu’une chose est achevée dans son espèce et sa personnalité, il ne peut lui advenir quelque chose qui compose avec cela une nature, mais soit cela lui est ajouté dans la personne, et non dans la nature, ce qui est unique au Christ; soit cela lui est ajouté accidentellement. Aussi découle-t-il de cette position soit qu’une seule nature n’est pas réalisée par l’âme et par le coprs, et ainsi l’âme ne sera pas la forme du corps et ne vivifiera pas le corps à la manière d’une forme; soit que l’âme est unie au corps accidentellement, comme le marin à un bateau ou l’homme à un vêtement, ainsi que le disaient des philosophes anciens, parmi lesquels, comme le raconte Grégoire de Nysse, Platon disait que l’homme n’est pas un composé d’âme et de corps, mais qu’il est une âme qui fait usage d’un corps. Parce que cela est inapproprié, le Maître ne voulait donc pas que les autres soient des hommes après la mort, mais il voulait cela seulement pour le Christ, car, même après la mort, les deux [l’âme et le corps] demeurent d’une certaine manière unis dans le Christ, pour autant que les deux demeurent unis au Verbe. Mais cette position ne peut pas non plus être tenue, si l’on prend ce mot « homme » au sens propre, pour deux raisons. Premièrement, pour qu’il y ait un homme, il faut que l’âme et le corps soient unis pour constituer la nature humaine, ce qui se réalise par le fait qu’il reçoit sa forme de l’âme, ce qui n’était pas le cas durant ces trois jours. Deuxièmement, parce que, si l’âme se retire, cette chair n’était appelée chair que de manière équivoque; aussi ce corps n’était-il un corps humain que de manière équivoque. Ainsi tous les modernes soutiennent-ils que le Christ n’était pas un homme pendant ces trois jours. Il faut cependant savoir que le Maître ne voulait pas que le Christ soit appelé un homme pendant ces trois jours, si ce n’est de manière équivoque. Aussi dit-il qu’il n’était pas appelé un homme, après la mort, selon la même raison qu’avant, ou comme les autres hommes. De ce point de vue, il ne découle en réalité de l’opinion du Maître rien d’inapproprié, car, selon le Philosophe, Métaphysique, IV, il n’y a pas d’inconvénient à ce que ce que nous appelons un homme, d’autres l’appellent un non-homme, selon la propriété du terme, mais il n’y a quelque chose d’impropre que dans la manière de parler, car il n’est pas usuel pour ce mot « homme » de signifier un corps et une âme divisée.

 [10161] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod rationale secundum quod est differentia, est ipsius compositi, ut dicit Avicenna, quamvis sumatur ab anima: et ideo post mortem sicut non erat homo, ita non erat rationale, secundum quod rationale nominat differentiam hominis, sed solum secundum quod nominat potentiam animae.

1. Raisonnable, en tant que différence, appartient au composé lui-même, comme le dit Avicenne, bien que cela vienne de l’âme. C’est pourquoi, après la mort, de même qu’il n’y avait pas d’homme, de même n’y avait-il pas de raisonnable, selon que « raisonnable » désigne la différence de l’homme, mais seulement seulement qu’il désigne une puissance de l’âme.

 [10162] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non subsistebat in natura humana, quia non erant omnes partes humanae naturae: non enim erat caro et os, nisi aequivoce, ut dictum est: et iterum non erat unio animae ad corpus.

2. Il ne subsistait pas dans la nature humaine, car toutes les parties de la nature humaine ne s’y trouvaient pas. En effet, il n’était de la chair et des os que de manière équivoque, comme on l’a dit. De nouveau, il n’y avait pas d’union de l’âme au corps.

 [10163] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ad hoc quod sit homo, non solum oportet quod anima et corpus uniantur in persona, sed etiam ad constitutionem unius naturae.

3. Pour qu’il soit un homme, il ne faut pas seulement que l’âme et le corps soient unis dans la personne, mais aussi constituent une seule nature.

 [10164] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Christus dicitur sacerdos in aeternum, quia ejus sacerdotio aliud sacerdotium non succedit. Vel aliter dicendum, quod Christus, ut dicitur Heb. 9, erat assistens pontifex futurorum bonorum spiritualium; et ideo illud sacerdotium est etiam animae Christi separatae a corpore.

4. Le Christ est appelé prêtre pour l’éternité parce qu’un autre sacerdoce ne succède pas à son sacerdoce. Ou bien il faut dire que le Christ, ainsi que le dit He 9, 11, était le grand-prêtre des biens spirituels à venir; ainsi ce sacerdoce est-il aussi celui de l’âme du Christ séparée du corps.

 [10165] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Paulus desiderabat verius esse quantum ad animam, quod erat nobilius, quam esse in mortali corpore.

5. Paul désirait exister avec plus de vérité pour ce qui est de l’âme, ce qui était plus noble, que d’exister dans son corps mortel.

 [10166] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod illae locutiones sunt synecdochicae, quia ponitur totum pro parte.

6. Ces manières de parler sont des synecdoques, car le tout est pris pour la partie.

 [10167] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod philosophus loquitur figurative, et non proprie: unde ipse dicit, quod ita homo dicitur intellectus sicut civitas rex, quia totum quod est in civitate, dependet ex voluntate regis.

7. Le Philosophe parle au figuré, et non au sens propre. Aussi dit-il que l’homme est appelé intellect comme le roi, la cité, car le tout qui se trouve dans la cité dépend de la volonté du roi.

 

 

Articulus 2 [10168] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 2 tit. Utrum Christus ubique fuerit homo

Article 2 – Le Christ était-il partout comme homme ?

 [10169] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Christus ubique fuerit homo. Secundum Damascenum enim, naturae communicant sibi sua idiomata. Sed Christus ubique est Deus. Ergo ubique est homo.

1. Il semble que le Christ ait été partout en tant qu’homme. En effet, selon [Jean] Damascène, les natures se communiquent leurs idiomes. Or, le Christ est partout comme Dieu. Il est donc partout comme homme.

 [10170] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, quaecumque sunt unum supposito, ubicumque est unum, est aliud. Sed homo et filius Dei sunt idem supposito. Ergo cum filius Dei sit ubique, ubique etiam erit homo.

2. Pour tout ce qui est un selon le suppôt, partout où se trouve une [des composantes], se trouve l’autre. Or, l’homme et le Fils de Dieu sont une même chose selon le suppôt. Puisque le Fils de Dieu est partout, l’homme aussi sera donc partout.

 [10171] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, sicut Petrus vere est homo, ita et Christus. Sed ubicumque est Petrus, ibi est homo. Ergo ubicumque est Christus, ibi est homo. Sed Christus est ubique. Ergo ubique est homo.

3. De même que Pierre est un homme véritable, de même aussi le Christ. Or, partout où est Pierre, là est un homme. Partout où se trouve le Christ, l’homme se trouve donc. Or, le Christ est partout. L’homme est donc aussi partout.

 [10172] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, omne quod est, aut est homo, aut non homo. Si ergo Christus non est ubique homo, erit alicubi non homo: quod est falsum.

4. Tout ce qui existe est soit un homme, soit un non-homme. Si donc le Christ n’est pas partout un homme, il sera partout un non-homme, ce qui est faux.

 [10173] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, esse ubique, non magis est remotum a creaturis quam aeternitas. Sed dicimus, quod iste homo fuit ab aeterno. Ergo similiter dicere possumus, quod est ubique homo.

5. Être partout n’est pas plus éloigné des créatures que l’éternité. Or, nous disons que cet homme a existé depuis l’éternité. Nous pouvons donc dire de la même façon que l’homme est partout

 [10174] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 2 arg. 6 Praeterea, totalitas rei dicitur respectu illorum ex quibus res componitur. Sed totus Christus dicitur esse ubique, ut dicitur in littera; et ut Damascenus dicit. Cum igitur totus ad personam pertineat, et persona sit composita ex divinitate et humanitate, videtur quod humanitas Christi sit ubique, et sic ubique est homo.

6. On parle de la totalité d’une chose par rapport à tout ce dont cette chose est composée. Or, on dit du Christ tout entier qu’il est partout, comme il est dit dans le texte et comme le dit [Jean] Damascène. Puisque « tout » se rapporte à la personne et que la personne est composée de la divinité et de l’humanité, il semble donc que l’humanité du Christ soit partout, et donc qu’il soit partout comme homme.

 [10175] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, humanitas Christi non consistit nisi in anima et carne. Sed neque corpus Christi neque anima sunt ubique. Ergo ipse secundum humanitatem non est ubique.

Cependant, [1] l’humanité du Christ ne consiste que dans l’âme et le corps. Or, ni le corps du Christ, ni son âme ne sont partout. Lui-même n’est donc pas partout selon son humanité.

 [10176] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea omne quod movetur de loco ad locum, habet locum determinatum, et non est ubique. Sed Christus, secundum quod homo, movebatur de loco ad locum. Ergo non erat ubique.

 [2] Tout ce qui est mû d’un lieu à un autre lieu possède un lieu déterminé, et n’est pas partout. Or, le Christ, selon qu’il était homme, se déplaçait d’un lieu à un autre. Il n’était donc pas partout.

 [10177] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 2 s. c. 3 Praeterea, esse ubique solius est Dei. Sed nullum tale convenit Christo secundum quod homo. Ergo non est ubique secundum quod homo.

 [3] Être partout appartient à Dieu seul. Or, rien de tel ne convenait au Christ selon qu’il était homme. Il n’est donc pas partout selon qu’il est homme.

 [10178] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod humana natura Christi non est ubique, neque quando anima et corpus fuerunt divisa, neque quando sunt conjuncta; sed persona illa ratione sui et ratione divinae naturae est ubique. Ad veritatem autem locutionis, ut supra dictum est, non exigitur quod praedicatum secundum se totum conveniat subjecto; sufficit autem quod conveniat ei ratione suppositi. Et ideo, quia homo signat suppositum humanae naturae, et ipsam naturam humanam, inde est quod haec est falsa: Christus est homo ubique; quia non convenit sibi ubique habere humanitatem. Adverbium autem ubique determinat esse hominem in praedicato positum ad id totum quod in homine importatur, et magis etiam quantum ad naturam, secundum quod termini in praedicato positi tenentur formaliter. Sed haec est vera: iste homo est ubique: quia esse ubique convenit personae. Haec autem, Christus secundum quod homo, est ubique, potest esse vera et falsa: secundum quod enim potest importare conditionem naturae, sic est falsa; sed unitatem suppositi, et sic est vera.

Réponse. La nature humaine du Christ n’est pas partout, ni lorsque l’âme et le corps étaient divisés, ni lorsqu’ils étaient unis; mais cette personne est partout en raison d’elle-même et en raison de sa nature divine. Comme on l’a dit plus haut, pour qu’une proposition soit vraie, il n’est pas requis que le prédicat convienne au sujet selon tout ce qu’il est, mais il suffit qu’il lui convienne en raison du suppôt. Parce que « homme » désigne le suppôt de la nature humaine et la nature humaine elle-même, de là vient que cette proposition est fausse : « Le Christ est un homme partout », car il ne lui convient pas d’avoir partout l’humanité. Or, l’adverbe « partout », mis comme prédicat, détermine « homme » par rapport au tout qui est indiqué par « homme », et plutôt selon la nature, selon que les termes mis dans le prédicat sont entendus en un sens formel. Mais cette proposition est vraie : « Cet homme est partout », car être partout convient à la personne. Mais celle-ci : « Le Christ, en tant qu’homme, est partout », peut être vraie ou fausse : en effet, selon qu’elle peut indiquer la condition de la nature, elle est fausse; mais [selon qu’elle peut indiquer] l’unité du suppôt, elle est vraie.

 [10179] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod communicatio idiomatum fit secundum quod naturae uniuntur in persona, vel in supposito; et ideo oportet quod ista communicatio attendatur secundum quod nomen significans utramque naturam, in subjecto ponitur, et non secundum quod ponitur in praedicato; non enim sequitur: factus est homo; ergo est factus Deus; et similiter non sequitur: est ubique Deus; ergo est ubique homo.

1. La communication des idomes se réalise du fait que les natures sont unies dans la personne ou dans le suppôt. Il faut donc que cette communication soit envisagée selon qu’un mot signifiant les deux natures est mis comme sujet, et non selon qu’il est mis comme prédicat. En effet, on ne peut conclure : « Il est devenu homme, donc il est devenu Dieu »; de même, on ne peut conclure : « Dieu est partout, donc l’homme est partout. »

 [10180] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ubicumque est Deus, hic homo est in illo loco; non est tamen ibi humana natura; et ideo non oportet quod ibi sit homo.

2. Partout où est Dieu, cet homme est dans ce lieu; mais la nature humaine n’y est cependant pas. Il n’est donc pas nécessaire que l’homme y soit.

 [10181] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Petrus non habet nisi humanam naturam: et ideo ubicumque ipse est, oportet quod sit illa natura. Sed Christus habet plures naturas: et ideo non oportet quod ubicumque est, ibi habeat utramque naturam; sicut non oportet quod ubicumque est totum, ibi sint omnes partes ejus; sed in uno loco secundum manum, et in alio secundum pedem.

3. Pierre ne possède que la nature humaine; c’est pourquoi partout où il se trouve, il est nécessaire que s’y trouve cette nature. Mais le Christ a plusieurs natures. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que partout où il est, il y ait les deux natures, comme il n’est pas nécessaire que partout où se trouve un tout, s’y trouvent toutes ses parties, mais il est dans un lieu par la main et dans un autre par le pied.

 [10182] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod cum dicitur, filius Dei non est ubique homo, locutio non verificatur secundum quod negatio absolute fertur ad hominem, sed secundum quod fertur ad hominem cum hoc quod est esse ubique; sed quando additur sibi per compositionem, negatio non fertur extra terminum illum; et ideo removet humanitatem absolute, et non respectu ejus quod dicitur ubique vel alicubi; et propter hoc haec est falsa: Christus alicubi est non homo; sed haec est vera: non est ubique homo.

4. Lorsqu’on dit que le Fils de l’homme n’est pas partout en tant qu’homme, l’expression « n’est pas » est vraie selon que la négation porte de manière absolue sur l’homme; mais selon qu’elle porte sur l’homme associé à « être partout ». Mais lorsqu’elle s’y ajoute par composition, la négation ne va pas au-delà de ce terme. C’est pourquoi elle écarte l’humanité de manière absolue, et non par rapport au fait de dire qu’elle est partout ou quelque part. Pour cette raison, cette proposition est fausse : « Le Christ est partout, mais non en tant qu’homme »; mais celle-ci est vraie : « Il n’est pas partout en tant qu’homme. »

 [10183] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod similiter est de hoc sicut de aeterno: haec enim est vera, iste homo fuit ab aeterno; sed haec est falsa: Christus fuit ab aeterno homo, sicut et de ubique dictum est.

5. Il en va de même que pour « éternel ». En effet, cette proposition est vraie : « Cet homme a existé depuis l’éternité »; mais celle-ci est fausse : « Le Christ a été un homme de toute éternité », comme on l’a dit pour le fait d’être partout.

 [10184] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod persona non proprie dicitur composita ex naturis, ut supra dictum est; unde totus non fertur ad personam, secundum quod totum dicitur quod habet partes, sed secundum quod totum dicitur perfectum, cui nihil deest: et secundum hoc dicitur totus ubique, quia nihil deest sibi de sua personalitate, secundum quod est ubique: totus enim cum sit masculini generis, ad personam pertinet. Deest ei autem aliquid de his quae ad humanam naturam pertinent secundum quod est ubique: quia secundum humanam naturam non est ubique; et ideo dicitur quod non est totum ubique: quia totum cum sit neutrius generis, ad naturam pertinet.

6. On ne dit pas qu’au sens propre, la personne est composée des natures, comme on l’a dit plus; « tout » ne porte donc pas sur la personne, au sens où un tout comporte des parties, mais au sens où un tout est dit parfait, à quoi rien ne manque. De cette manière, on dit de ce qui est « tout entier » qu’il se trouve partout parce que rien ne manque à sa personnalité, selon laquelle il est partout : en effet, « tout », lorsqu’il est de genre masculin, se rapporte à la personne. Mais il lui manque quelque chose de ce qui se rapporte à la nature humaine, selon qu’elle est partout, car il n’est pas partout selon sa nature humaine. C’est pourquoi on dit qu’il n’est pas en totalité partout, car « tout », lorsqu’il est de genre neutre, se rapporte à la nature.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [La descente aux enfers]

Prooemium

Prologue

 [10185] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 pr. Deinde quaeritur de descensu Christi ad Inferos; et circa hoc quaeruntur duo: 1 de descensu Christi ad Inferos; 2 de effectu quem ibi fecit.

On s’interroge ensuite sur la descente du Christ aux enfers. À ce propos, deux questions sont posées : 1 – Sur la descente du Christ aux enfers; 2 – Sur ce qu’il y a fait.

 

 

Articulus 1 [10186] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1 tit. Utrum Christus ad Inferos descenderit

Article 1 – Le Christ est-il descendu aux enfers ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le Christ est-il descendu aux enfers ?]

 [10187] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Christus ad Infernum non debuit descendere. Sicut enim dicit Augustinus ad Dardanum, nomen Inferni in Scriptura semper in malo accipitur. Sed id quod semper in malo accipitur, Christo non competit. Ergo nec descendere ad Infernum.

1. Il semble que le Christ ne devait pas descendre aux enfers. En effet, comme Augustin le dit à Dardanus, « le mot ‘enfer’ dans l’Écriture est toujours pris en mal ».Or, ce qui est toujours pris en mal ne convient pas au Christ. Donc, ni descendre aux enfers.

 [10188] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, Christus non descendit in mundum, nisi ut mundum liberaret. Sed per passionem non solum liberavit eos qui in mundo erant, sed etiam eos qui in Inferno detinebantur, soluto pretio pro peccato, pro quo detinebantur. Ergo videtur quod ad Infernum descendere non debuit.

2. Le Christ n’est descendu dans le monde que pour libérer le monde. Or, par la passion, il a libéré non seulement ceux qui étaient dans le monde, mais aussi ceux qui étaient retenus en enfer, en acquittant le prix du péché pour lequel ils étaient retenus. Il semble donc qu’il ne devait pas descendre aux enfers.

 [10189] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, descendere ad Infernum importat poenam damnationis pro peccato. Sed in Christo nullum peccatum fuit. Ergo nec aliqua damnatio sibi competit. Ergo ad Infernum descendere non debuit.

3. Descendre aux enfers comporte la peine de la damnation pour le péché. Or, chez le Christ, il n’y avait pas de péché. Aucune damnation ne lui convient donc. Il ne devait donc pas descendre en enfer.

 [10190] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur in symbolo: descendit ad Inferos.

Cependant, [1] il est dit dans le symbole : « Il est descendu aux enfers. »

 [10191] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, Act. 2, 24: quem Deus suscitavit solutis doloribus Inferni. Ergo videtur quod in Inferno fuerit.

 [2] Il est dit dans Ac 2, 24 : Lui que Dieu a relevé en le délivrant des douleurs de l’enfer. Il semble donc qu’il était en enfer.

 

 

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le Christ est-il descendu jusqu’à l’enfer des damnés ?]

 [10192] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod descenderit usque ad Infernum damnatorum. Ipse enim sua morte humanum genus non solum liberavit a peccato originali, sed etiam ab actuali. Sed Infernus damnatorum est locus poenalis respondens peccato actuali, sicut Limbus patrum locus debitus pro peccato originali. Ergo videtur quod etiam in illum Infernum descendere debuerit, sicut in Limbum descendit.

1. Il semble qu’il soit descendu jusqu’à l’enfer des damnés. En effet, par sa mort, il a non seulement libéré le genre humain du péché originel, mais aussi du [péché] actuel. Or, l’enfer des damnés est un lieu de peine répondant au péché actuel, comme les limbes des pères sont le lieu qui est dû pour le péché originel. Il semble donc que [le Christ] devait descendre aussi dans cet enfer, comme il est descendu aux limbes.

 [10193] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, Christi ascensio respondet suo descensui, quia qui ascendit ipse est et qui descendit, Eph. 4. Sed ipse ascendit super omnes caelos. Ergo debuit etiam usque ad inferiorem Infernum descendere.

2. L’ascension du Christ répond à sa descente, car celui qui est monté est le même que celui qui est descendu, Ep 4. Or, il est lui-même monté au-delà de tous les cieux. Il devait donc descendre jusqu’à l’enfer inférieur.

 [10194] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, Eccli. 24, 45, dicitur: penetrabo omnes inferiores partes terrae et inspiciam omnes dormientes. Sed inferiores partes terrae sunt Infernus damnatorum, in quo aliqui de dormientibus, idest mortuis, sunt. Ergo videtur quod ipse in illum Infernum descenderit.

3. Il est dit dans Si 24, 45 : Je pénétrerai dans toutes les régions inférieures de la terre et je regarderai tous ceux qui dorment. Or, les régions inférieures de la terre sont l’enfer des damnés, où se trouvent certains de ceux qui dorment, c’est-à-dire les morts. Il semble donc qu’il soit lui-même descendu dans cet enfer.

 [10195] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, Luc. 16, 26, dicitur: inter nos et vos chaos magnum firmatum est, ut illi qui volunt illuc ex nobis transire, non possint. Sed illud chaos magis erat firmatum inter Christum, qui jam erat comprehensor, et damnatos, quam inter sanctos qui erant in Limbo expectantes beatitudinem, et illos qui erant in Inferno. Ergo Christus ad illos non descendit.

Cependant, [1] il est dit en Lc 16, 26 : Entre vous et nous, un grand abîme a été établi, de sorte que ceux qui veulent passer de là à nous ne le puissent pas. Or, ce grand abîme avait été plutôt établi entre le Christ, qui était déjà comprehensor, et les damnés, qu’entre les saints qui étaient dans les limbes à attendre la béatitude et ceux qui étaient en enfer. Le Christ n’est donc pas descendu dans ces [enfers].

 [10196] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, sicut caelum Empyreum est locus aeternae gloriae, ita Infernus est locus aeternae miseriae. Sed nullus damnatus potest esse in caelo Empyreo. Ergo nulli beato competit esse in Inferno; et sic nec Christo.

 [2] De même que le ciel empyrée est le lieu de la gloire éternelle, de même l’enfer est-il le lieu de la misère éternelle. Or, aucun damné ne peut se trouver dans le ciel empyrée. Il ne convient donc à aucun bienheureux de se trouver en enfer, et donc, ni au Christ.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Le Christ a-t-il prolongé son séjour dans les limbes ?]

 [10197] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod in Limbo ullam moram non traxerit. Ad hoc enim descendit in Infernum, ut sanctos, qui ibi detinebantur, liberaret. Sed statim illuc descendens sanctos liberavit. Ergo videtur quod moram illic trahere non debuit.

1. Il semble que [le Christ] n’ait pas prolongé son séjour dans les limbes. En effet, il est descendi en enfer pour libérer les saints qui y étaient retenus. Or, il a libéré les saints dès sa descente. Il semble donc qu’il ne devait pas y prolonger son séjour.

 [10198] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, sicut per peccatum aliquis a caelo excluditur, ita per emundationem a peccato aliquis ab Inferno liberatur. Sed Diabolus, statim ut peccavit, de caelo cecidit. Ergo videtur quod sancti statim ut mundati fuerunt a peccato, de Inferno educti sint, et ita etiam Christus statim exivit.

2. De même que, par le péché, on est exclu du ciel, de même, par la purification du péché, est-on libéré de l’enfer. Or, le Diable est tombé du ciel dès qu’il a péché. Il semble donc que les saints soient tirés de l’enfer dès qu’ils ont été purifiés du péché, et ainsi le Christ en est-il aussitôt sorti.

 [10199] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, anima Christi non potuit esse simul in diversis locis. Sed Christus in die mortis suae fuit in Paradiso: quia pendens in cruce latroni dixit: hodie mecum eris in Paradiso. Ergo videtur quod illa eadem die de Inferno exierit.

3. L’âme du Christ ne pouvait pas se trouver en plusieurs endroits. Or, le Christ était au Paradis le jour de sa mort, car, suspendu à la croix, il dit au voleur : Aujourd’hui tu seras avec moi au Paradis. Il semble donc que, ce jour-là, il était sorti de l’enfer.

 [10200] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, Act. 2, 24: quem Deus suscitavit solutis doloribus Inferni. Ergo videtur quod in Inferno fuerit usque ad horam resurrectionis suae.

Cependant, [1] il est dit dans Ac 2, 24 : Lui que Dieu a relevé en le délivrant des douleurs de l’enfer. Il semble donc qu’il ait été en enfer jusqu’à l’heure de sa résurrection.

 [10201] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, locus animae separatae est Infernus vel caelum. Sed anima Christi ante diem ascensionis, in caelum non ascendit, et ita ante resurrectionem in caelo non fuit. Ergo mansit in Inferno usque ad diem resurrectionis.

 [2] Le lieu de l’âme séparée est l’enfer ou le ciel. Or, l’âme du Christ n’est pas montée au ciel avant le jour de l’ascension, et ainsi il n’était pas au ciel avant l’ascension. Il est donc resté dans l’enfer jusqu’au jour de la résurrection.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [10202] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod Christus, ut nos ab omnibus defectibus liberaret, in se nostros defectus qui universaliter omnium erant, et in defectum gratiae non vergebant, accipere voluit. Hoc autem erat omnibus hominibus commune ante passionem Christi quod pro debito originalis peccati ad Infernum descendebant. Sed in nomine Inferni duo importantur, scilicet locus, et poena vel damni, vel sensus, scilicet afflictiva. Poena autem damni, scilicet carentia divinae visionis, vergebat in defectum gratiae, quia scilicet non poterat in eis esse gratia consummata, scilicet gloria. Similiter etiam poena sensus post hanc vitam non est satisfactoria, quia illi non sunt in statu merendi; sed est vel purgativa vel damnativa. Purgatio autem debetur alicui impuritati et damnatio debetur peccato mortali; unde etiam poena sensus post hanc vitam in defectum gratiae vergit. Et ideo Christo fuit competens in Infernum descendere, secundum quod Infernus importat locum, non autem secundum quod importat poenam.

Pour nous libérer de toutes nos carences, le Christ a voulu prendre sur lui toutes les carences qui étaient d’une manière générale celles de tous et qui ne relevaient pas de la carence de la grâce. Or, avant la passion du Christ, il était commun à tous les hommes de descendre en enfer pour la dette du péché originel. Mais, le mot « enfer » comporte deux choses : le lieu et la peine, soit celle du dam, soit celle du sens, c’est-à-dire celle qui causait une affliction. Or, la peine du dam, c’est-à-dire la carence de la vision de Dieu, relevait de la carence de la grâce, car la grâce consommée ne pouvait exister en eux, à savoir la gloire. De même, la peine du sens n’est pas satisfactoire après cette vie, car ceux-là ne sont pas en état de mériter; mais elle est une peine de purification ou de damnation. Or, la purification est due pour une impureté et la damnation est due pour le péché mortel; aussi même la peine du sens relève-t-elle de la carence de la grâce après cette vie. C’est pourquoi il convenait que le Christ descende en enfer, selon que l’enfer comporte un lieu, mais non selon qu’il comporte une peine.

 [10203] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod nomen Inferni secundum quod importat locum, non sonat in malum tantum, et sic potest competere Christo: secundum autem quod importat poenam damni vel sensus, sic Christo competere non potest, quia sic sonat etiam in malum culpae. Vel dicendum, quod descendere ad Infernum, quasi sub potestate infernalium deduci, in malum sonat; sed descendere in Infernum ad expoliandum ipsum per modum domini, sonat in maximam dignitatem; et sic Christo competit.

1. Le mot « enfer », selon qu’il comporte un lieu, ne signale pas un mal seulement, et ainsi il peut convenir au Christ; mais selon qu’il comporte la peine du dam ou du sens, il ne peut convenir au Christ, car il indique ainsi le mal de la faute. Ou bien il faut dire que « descendre en enfer » signifie être entraîné au mal, comme sous le pouvoir des [puissances] infernales; mais « descendre en enfer » pour que lui-même dépouille à la manière d’un seigneur indique la plus grande dignité, et cela convient ainsi au Christ.

 [10204] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod per passionem ejus solutum erat pretium, unde amotum erat impedimentum quo sancti prohibebantur a visione Dei, et ideo statim Deum viderunt; sed tamen oportuit quod in Infernum localiter descenderet quantum ad liberationem eorum a loco poenali, et iterum ut in se omnes defectus acciperet.

2. Le prix avait été acquitté par sa passion. Ainsi l’empêchement par lequel les saints étaient empêchés de voir Dieu avait-il été enlevé; c’est pourquoi ils ont aussitôt vu Dieu. Il fallait cependant qu’il descende en enfer au sens local afin de les libérer du lieu de la peine et de prendre à nouveau sur lui toutes les carences.

 [10205] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod secundum quod nomen Inferni importat poenam sensus vel damni, sic Christus non dicitur in Infernum descendisse; sed secundum quod tantum locum nominat.

3. Selon que le mot « enfer » comporte la peine du sens et celle du dam, on ne dit pas que le Christ est descendu en enfer, mais selon que [le mot] déigne seulement un lieu.

 

Réponse à la sous-question 2

Quaestiuncula 2 [10206] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod quadruplex est Infernus. Unus est Infernus damnatorum, in quo sunt tenebrae et quantum ad carentiam divinae visionis, et quantum ad carentiam gratiae, et est ibi poena sensibilis; et hic Infernus est locus damnatorum. Alius est Infernus supra istum, in quo sunt tenebrae et propter carentiam divinae visionis, et propter carentiam gratiae, sed non est ibi poena sensibilis; et dicitur Limbus puerorum. Alius supra hunc est, in quo sunt tenebrae quantum ad carentiam divinae visionis, sed non quantum ad carentiam gratiae, sed est ibi poena sensus; et dicitur Purgatorium. Alius magis supra est, in quo est tenebra quantum ad carentiam divinae visionis, sed non quantum ad carentiam gratiae, neque est ibi poena sensibilis; et hic est Infernus sanctorum patrum; et in hunc tantum Christus descendit quantum ad locum, sed non quantum ad tenebrarum experientiam.

Il existe un quadruple enfer. L’un est l’enfer des damnés, dans lequel se trouvent les ténèbres pour ce qui est de la carence de la vision de Dieu et pour ce qui est de la carence de la grâce, et il existe là une peine sensible; cet enfer est l’enfer des damnés. Un autre enfer se trouve au-dessus de celui-ci, dans lequel existent les ténèbres en raison de la carence de la vision de Dieu et en raison de la carence de la grâce, mais il n’y a pas là de peine sensible. On l’appelle le limbe des enfants. Un autre existe au-dessus de celui-ci, dans lequel existent les ténèbres pour ce qui est de la carence de la vision de Dieu, mais non pour ce qui est de la carence de la grâce, mais il y a là une peine du sens. On l’appelle le purgatoire. L’autre se trouve bien au-dessus : en lui, existent les ténèbres pour ce qui est de la carence de la vision de Dieu, mais non pour ce qui est de la carence de la grâce, et il n’y a pas là de peine sensible. Celui-ci est l’enfer des saints pères. Le Christ n’est descendu que dans celui-ci pour ce qui est du lieu, mais non pour ce qui est de l’expérience des ténèbres.

 [10207] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Christus liberavit sua passione a peccato mortali eos qui in via sunt, ut vel non committant, vel a commisso absolvantur, si velint; non autem eos qui jam cum mortali peccato decesserunt, quibus debetur ille Infernus damnatorum.

1. Le Christ a libéré du péché mortel par sa passion ceux qui sont en route, de sorte qu’ils ne le commettent pas ou soient absous d’un [péché] commis, s’ils le veulent; mais [il n’a pas libéré] ceux qui étaient déjà morts avec un péché mortel et à qui est dû cet enfer des damnés.

 [10208] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ascensio congruit Christo ratione sui: et ideo quia ipse est altissimus, super omnes caelos ascendere debuit: sed descendere non competit sibi nisi pro nobis; ideo tantum descendit quantum expediebat nostrae liberationi, et non sub omnibus simpliciter.

2. L’ascension convenait au Christ en raison de lui-même. Parce qu’il est lui-même le Très-Haut, il devait monter au-dessus de tous les cieux. Mais il ne lui convient de descendre que pour nous. C’est pourquoi il est descendu dans la mesure où cela convenait à notre libération, et non pas au plus profond de tous [les enfers].

 [10209] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod inferiores partes terrae dicuntur etiam illa loca in quibus sancti patres erant; et qui ibi continebantur, dormientes dicebantur, propter spem gloriosae resurrectionis; non autem illi qui damnati erant in Inferno.

3. On appelle aussi « parties inférieures de la terre » les endroits où se trouvaient les saints pères. On disait de ceux qui y étaient confinés qu’ils étaient endormis en raison de l’espérance de la résurrection glorieuse, mais non de ceux qui étaient damnés en enfer.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [10210] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum; quod cum anima et corpus sint proportionabilia, tantum debuit anima stare in Inferno quantum corpus in sepulcro, ut per utrumque fratribus suis similaretur, et ut in resurrectione novam vitam inchoaret et quantum ad animarum liberationem, et quantum ad corporum resurrectionem, in suo corpore inchoatam.

Puisque l’âme et le corps sont sujets à une proportion, l’âme devait rester en enfer aussi longtemps que le corps dans le sépulcre, afin qu’il soit rendu semblable à ses frères par les deux et que, lors de la résurrection, il commence une nouvelle vie, aussi bien pour la libération des âmes que pour la résurrection des corps commencée dans son propre corps.

 [10211] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod liberare Christus nos voluit, defectus nostros in se portando; et ideo quamdiu mortuus fuit, voluit secundum animam in Inferno esse, sicut secundum corpus in sepulcro.

1. Le Christ a voulu nous libérer en portant en lui nos carences. C’est pourquoi, aussi longtemps qu’il a été mort, il a voulu être en enfer par son âme comme il était par son corps dans le sépulcre.

 [10212] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod dispensative factum est ut Christus tamdiu mortuus esset, ut veritas mortis ostenderetur; et tamdiu debuit anima ejus esse in Inferno, et corpus in sepulcro, quamdiu mortuus fuit, sicut et de aliis ante ejus resurrectionem fuit.

2. Il est arrivé par une disposition [de Dieu] que le Christ soit mort aussi longtemps afin de manifester la vérité de sa mort. Et son âme a dû être en enfer et son corps au sépulcre aussi longtemps qu’il a été mort, comme ce fut le cas des autres avant sa résurrection.

 [10213] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Paradisus est triplex. Unus Paradisus terrestris, in quo Adam positus est; alius corporalis caelestis, scilicet caelum Empyreum; alius spiritualis, scilicet gloria de visione Dei; et de isto Paradiso intelligitur quod dominus latroni dixit: quia statim peracta passione et ipse latro et omnes qui in Limbo patrum erant Deum per essentiam viderunt.

3. Il existe un triple Paradis. L’un est le Paradis terrestre, dans lequel Adam a été placé. L’autre est [le Paradis] corporel céleste, c’est-à-dire le ciel empyrée. L’autre est spirituel, à savoir, la gloire provenant de la vision de Dieu. C’est de ce Paradis que le Seigneur a parlé au voleur, car, aussitôt la passion accomplie, le voleur et tous ceux qui étaient dans les limbes des pères ont vu Dieu par son essence.

 

 

Articulus 2 [10214] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 tit. Utrum Christus Limbum patrum illuminaverit

Article 2 – Le Christ a-t-il illuminé le limbe des pères ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le Christ a-t-il illuminé les limbes des pères ?]

 [10215] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Christus Limbum patrum non illuminaverit. De ratione enim Inferni videtur esse tenebra, sicut de ratione Paradisi lux. Ergo Inferno non competit illuminari.

1. Il semble que le Christ n’ait pas illuminé les limbes des pères. En effet, il semble être de l’essence de l’enfer qu’il soit ténèbres, comme de l’essence du Paradis qu’il soit lumière. Il n’est donc pas approprié que l’enfer soit illuminé.

 [10216] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, si locus aliquis illuminatur, omnes qui sunt in loco illo lumen percipiunt. Sed aliqui erant in Inferno qui non debebant percipere lumen Christi, sicut Daemones. Igitur videtur quod illum locum non illuminaverit.

2. Si un lieu est éclairé, tous ceux qui sont dans ce lieu perçoivent la lumière. Or, certains se trouvaient en enfer qui ne devaient pas percevoir la lumière du Christ, tels les démons. Il semble donc qu’il n’ait pas éclairé cet endroit.

 [10217] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, in Psalm. 106, 14, dicitur: eduxit eos de tenebris et umbra mortis. Sed si Christus locum illum illuminasset, tenebrae ibi non fuissent. Ergo Christus locum illum non illuminavit.

3. Il est dit dans le Ps 106, 14 : Il les a menés hors des ténèbres et de l’ombre de la mort. Or, si le Christ avait éclairé cet endroit, il n’y aurait pas eu de ténèbres. Le Christ n’a donc pas éclairé cet endroit.

 [10218] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Damascenus dicit: descendit ad Infernum anima deificata, ut quemadmodum his qui in terra sunt, ortus est sol justitiae, ita et his qui in Inferno et tenebris et umbra mortis sedent, superlucescat.

Cependant, [1] [Jean] Damascène dit : « L’âme divinisée est descendue en enfer afin que, de même que le Soleil de justice s’est levé pour ceux qui sont sur la terre, de même reluise-t-il pour ceux qui sont en enfer, dans les ténèbres et à l’ombre de la mort. »

 [10219] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, Ambrosius dicit: in Inferno lumen vitae fundebat aeternae.

 [2] Ambroise dit : « Dans l’enfer, il répandait la lumière de la vie éternelle. »

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le Christ a-t-il aussi arraché des âmes de l’enfer des damnés ?]

 [10220] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod Christus animas extraxerit etiam de Inferno damnatorum. Ipse enim dixit: eruisti animam meam ex Inferno inferiori, et Job 17, 16: in profundissimum Infernum descendent ossa mea. Sed profundissimum Inferni in quod descendit Job, et de quo fuit eductus, constat quod fuit Infernus inferior: et Infernus inferior est Infernus damnatorum. Ergo animas eduxit de Inferno damnatorum.

1. Il semble que le Christ ait aussi arraché des âmes de l’enfer des damnés. En effet, lui-même a dit : Tu as arraché mon âme à l’enfer inférieur, et en Jb 17, 16 : Mes os descendront au plus profond de l’enfer. Or, il s’avère que le plus profond de l’enfer dans lequel Job est descendu et dont il a été ramené était l’enfer inférieur, et l’enfer inférieur est l’enfer des damnés. [Le Christ] a donc ramené de l’enfer des âmes des damnés.

 [10221] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, Zachar. 9, 11: tu quoque in sanguine testamenti tui emisisti vinctos tuos de lacu in quo non est aqua; dicit Glossa: eos qui tenebantur vincti in carceribus, ubi nulla misericordia eos refrigerabat, quam dives ille petebat, tu liberasti. Sed tales erant damnati in Inferno. Ergo ipsi fuerunt liberati.

2. À propos de Za 9, 11 : Toi aussi, par le sang de ton alliance, tu as arraché tes captifs de la fosse où il n’y a pas d’eau, la Glose dit : « Parmi les détenus captifs dans les prisons où aucune miséricorde ne les rafraîchissait, tu as libéré ceux que ce riche demandait. » Or, ceux-là étaient des damnés en effer. Ceux-ci ont donc été libérés.

 [10222] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, Sapient. 7, 30, dicitur: sapientia vincit malitiam. Sed hoc non esset, si non omnes qui per malitiam in Infernum descenderant, per sapientiam, quae Christus est, liberati sunt. Ergo omnes sunt liberati, etiam de Inferno damnatorum.

3. Il est dit dans Sg 7, 30 : La sagesse l’emporte sur la malice. Or, tel ne serait pas le cas si tous ceux qui étaient descendus en enfer à cause de leur malice étaient libérés par la Sagesse, qui est le Christ. Tous sont donc libérés, même parmi les damnés de l’enfer.

 [10223] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 4 Praeterea, Isai. 24, 22: congregabuntur congregatione unius fascis in lacum, et claudentur in carcere, et post multos dies visitabuntur; et loquitur ibi de damnatis, quod patet per hoc quod ipse praemisit de militia caeli. Ergo videtur quod etiam damnati per Christum visitati et liberati sunt.

4. Is 24, 22 dit : Ils seront rassemblés en un seul fagot dans une fosse et ils seront enfermés en prison, et longtemps après, ils seront visités. Et il parle là des damnés, ce qui ressort du fait qu’il a lui-même parlé plus haut de la milice du ciel. Il semble donc que même les damnés ont été visités et libérés.

 [10224] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, Isai. ult., 24: ignis eorum non extinguetur.

Cependant, [1] Is 66, 24 dit : Leur feu ne s’éteindra pas.

 [10225] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, in Inferno nulla est redemptio. Ergo inde aliqui liberati non sunt.

 [2] Il n’y a pas de rédemption en enfer. Certains n’en ont donc pas été libérés.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Le Christ a-t-il libéré ceux qui étaient dans les limbes des enfants ?]

 [10226] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod liberaverit illos qui erant in Limbo puerorum. Quia ipsi non detinebantur nisi pro peccato originali sicut patres sancti. Sed illi sunt educti. Ergo et pueri.

1. Il semble qu’il ait libéré ceux qui étaient dans les limbes des enfants, car ceux-ci n’étaient détenus qu’en raison du péché originel, comme les saints pères. Or, ces derniers ont été ramenés. Donc, les enfants aussi.

 [10227] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, in eis non est peccatum nisi per alium. Ergo per alium liberari debuerunt.

2. Il n’y a de péché chez eux qu’à cause d’un autre. Ils devaient donc être libérés par un autre.

 [10228] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, impotentia maximam meretur indulgentiam. Sed pueri non potuerunt peccatum originale vitare. Ergo ipsi maxime debuerunt consequi liberationem.

3. L’impuissance mérite la plus grande indulgence. Or, les enfants ne pouvaient pas éviter le péché originel. Eux surtout devaient donc obtenir miséricorde.

 [10229] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, nullus liberatur per Christum nisi membrum Christi. Sed pueri nunquam fuerunt membrum Christi neque per sacramentum fidei, neque per fidem. Ergo per Christum non sunt liberati.

Cependant, [1] personne n’est libéré par le Christ qu’un membre du Christ. Or, les enfants n’ont jamais été un membre du Christ, ni par le sacrement de la foi, ni par la foi. Ils n’ont donc pas été libérés par le Christ.

 [10230] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, post hanc vitam non datur gratia alicui, nisi habenti. Sed pueri non habuerunt gratiam cum decesserunt. Ergo non potest eis dari post vitam; et ita non possunt educi ad gloriam.

 [2] Après cette vie, la grâce n’est donnée qu’à celui qui la possède. Or, les enfants n’avaient pas la grâce lorsqu’ils sont morts. Elle ne peut donc pas leur être donnée après la vie. Ainsi, ils ne peuvent être conduits à la gloire.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Le Christ a-t-il libéré ceux qui étaient au purgatoire ?]

 [10231] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod liberaverit illos qui erant in Purgatorio. Quia majus erat impedimentum peccati originalis quam peccati venialis. Sed ab impedimento peccati originalis liberavit trahens de Limbo. Ergo multo fortius ab impedimento peccati venialis; et ita videtur quod a Purgatorio animas eduxerit.

1. Il semble qu’il ait libéré ceux qui étaient au purgatoire, car l’empêchement du péché originel était plus grand que celui qui péché véniel. Or, il a libéré de l’empêchement du péché originel en arrachant aux limbes. À bien plus forte raison [les a-t-il arrachés] à l’empêchement du péché véniel. Ainsi, il semble qu’il ait ramené les âmes du purgatoire.

 [10232] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 4 arg. 2 Praeterea, passio Christi non minorem habet efficaciam quam sacramentum passionis. Sed per sacramentum passionis Christi, scilicet per Baptismum, aliquis liberatur ab omni poena quae debetur in Purgatorio. Ergo videtur quod multo amplius per passionem Christi illi qui ibi erant, liberati sunt.

2. La passion du Christ n’a pas une efficacité moindre que le sacrement de la passion. Or, par le sacrement de la passion du Christ, le baptême, on est libéré de toute peine qui est due au purgatoire. Il semble donc que, par la passion du Christ, ceux qui s’y trouvaient aient été bien davantage libérés.

 [10233] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 4 arg. 3 Praeterea, Christus quod curavit in hac vita, totaliter curavit. Sed illos qui erant in Purgatorio, curavit Christus a reatu originalis. Ergo similiter curavit a reatu peccati venialis; et ita videtur quod a Purgatorio eos liberavit.

3. Le Christ a totalement guéri ce qu’il a guéri en cette vie. Or, le Christ a guéri de la dette du péché originel ceux qui se trouvaient au purgatire. De même donc a-t-il guéri de la dette du péché véniel. Il semble ainsi qu’il les a libérés du purgatoire.

 [10234] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 4 s. c. 1 Sed contra, passio Christi aequalem habet virtutem nunc quam tunc habuit. Sed nunc virtute passionis non liberantur omnes qui sunt in Purgatorio. Ergo nec tunc.

Cependant, [1] la passion du Christ a maintenant une puissance égale à celle qu’elle avait alors. Or, maintenant, tous ceux qui sont au purgatoire ne sont pas libérés par la puissance de la passion. Donc, ce n’était pas alors non plus le cas.

 [10235] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 4 s. c. 2 Praeterea, peccati quod quis per se commisit, per se debet purgationem pati. Sed poenam Purgatorii sustinet homo pro peccatis quae ex seipso commisit. Ergo per poenam quam ipse sustinet, purgari debet, et non per poenam tantum Christi.

 [2] Celui qui a commis un péché par lui-même doit par lui-même subir une purification. Or, l’homme supporte la peine du purgatoire pour les péchés qu’il a lui-même commis. Il doit donc être purifié par une peine qu’il supporte lui-même, et non par la seule peine du Christ.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [10236] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum, ad primam quaestionem, quod cum tenebrae exteriores Inferni tenebris interioribus respondeant; ex quo Christus a patribus qui erant in Limbo, omnes tenebras interiores expulerat per demonstrationem suae deitatis, congruum etiam fuit per praesentiam suae humanitatis quantum ad animam etiam tenebras exteriores ab eis excludere, locum illuminando.

Puisque les ténèbres extérieures de l’enfer correspondent aux ténèbres intérieures, raison pour laquelle le Christ a écarté des pères qui se trouvaient dans les limbes toutes les ténèbres intérieures par la manifestation de sa divinité, il convenait aussi que, par la présence de son humanité quant à l’âme, il écarte d’eux les ténèbres extérieures en éclairant l’endroit.

 [10237] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod jam ille Infernus evacuandus erat, quia post tempus illud nullus ad illum Limbum descendit: et ideo decens fuit ut aliquid in eo fieret quod est contra rationem Inferni.

1. Cet enfer devait être quitté, car, après ce moment, personne n’est descendu dans ces limbes. Il convenait donc que quelque chose de contraire à l’essence de l’enfer se réalise en lui.

 [10238] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut poena, quae est ignis Inferni, inquantum agit ut instrumentum divinae justitiae, non affligit nisi illos qui habent reatum poenae, etiam si aliquis alius ibi esset; ita lux illa ut instrumentum divinae misericordiae agens, illos tantum illuminabat exterius qui interius illuminati erant.

2. De même que la peine qui consiste dans le feu de l’enfer, en tant que celui-ci agit comme instrument de la justice divine, n’afflige que ceux qui ont la dette de la peine, même si quelqu’un d’autre se trouvait là, de même cette lumière, en agissant comme instrument de la miséricorde divine, éclairait-elle à l’extérieur seulement ceux qui avaient été éclairés à l’intérieur.

 [10239] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod eduxit eos de tenebris dum eos illuminavit: et educens eos de loco illo dicitur de tenebris eduxisse, quas locus ille de sui natura prius habuerat.

3. Il les a ramenés des ténèbres lorsqu’il les a illuminés. En les ramenant de cet endroit, on dit qu’il les a ramenés des ténèbres que cet endroit possédait auparavant par nature.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [10240] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod poena non potest tolli manente culpa: illi autem qui sunt damnati in Inferno, sunt obstinati in malitia, sicut Daemones; et ideo de poena illi liberari non potuerunt: et hoc non fuit ex insufficientia liberantis, sed ex indispositione ipsorum.

La peine ne peut être enlevée alors que la faute demeure. Or, ceux qui ont été damnés dans l’enfer sont obstinés dans la méchanceté, tels les démons. C’est pourquoi ils ne pouvaient être libérés de cette peine, et cela n’était pas dû à l’insuffisance de celui qui libérait, mais à leur absence de disposition.

 [10241] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Limbus patrum dicitur Infernus inferior, non simpliciter, sed respectu hujus habitationis, de quo anima David, vel etiam Christi educta fuit. Similiter etiam ille locus potest dici profundissimum Inferni comparative, ut profundum sit respectu caeli aer caliginosus, in quo sunt Daemones, profundius locus habitationis nostrae, profundissimum autem Limbus patrum, de quo Job liberatus fuit.

1. On appelle limbes des pères l’enfer inférieur, non pas tout simplement, mais par rapport à cette habitation d’où l’âme de David ou encore celle du Christ a été ramenée. De même encore, cet endroit peut être appelé le plus profond de l’enfer par mode de comparaison, de sorte que l’air embrumé du ciel, où résident les démons, est ce qui est profond, l’endroit où nous demeurons est ce qui est plus profond, mais les limbes des pères, ce qui est le plus profond, d’où Job a été libéré.

 [10242] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Glossa illa est impropria: loquitur enim de Inferno communiter, secundum quod comprehendit omnes praedictas distinctiones Inferni; unde Inferno aliquid attribuit ratione unius partis, aliquid ratione alterius. Quod autem dicitur: nulla eos misericordia refrigerabat, intelligitur quantum ad eos qui erant in alia parte Inferni: vel dicitur de misericordia omnino absolvente, quam etiam dives magis desiderabat, quamvis aliam peteret.

2. Cette glose est impropre. En effet, elle parle de l’enfer en un sens général, selon qu’il inclut toutes les distinctions précédentes sur l’enfer. Elle attribue donc quelque chose à l’enfer en raison d’une seule partie, et quelque chose en raison d’une autre partie. Ce qui est dit : « Aucune miséricorde ne les rafraîchissait », s’entend de ceux qui étaient dans une autre partie de l’enfer. Ou bien on parle de la miséricorde qui absout tout, que même le riche désirait davantage, bien qu’il en ait demandé une autre.

 [10243] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quantum in se est, sapientia omnem malitiam vincit; sed quod in aliquibus non vincitur, est ex eorum indispositione.

3. En elle-même, la sagesse l’emporte sur toute méchanceté. Mais le fait que celle-ci ne soit pas vaincue chez certains vient de leur manque de disposition.

 [10244] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod loquitur de visitatione quae erit in generali resurrectione, quando educentur de Inferno, iterum in perpetuum includendi.

4. Il parle de la visite qui surviendra lors de la résurrection générale, alors qu’ils seront tirés de l’enfer pour y être à nouveau enfermés pour l’éternité.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [10245] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod redemptio Christi non habuit locum nisi in illis qui fuerunt membra Christi: unde cum pueri qui erant in Limbo, nunquam fuerint membra Christi neque per propriam fidem, neque per fidei sacramentum (quod nunc est Baptismus, tunc autem erat circumcisio, vel sacrificium), constat quod ipsi liberati non fuerunt.

La rédemption du Christ n’a eu lieu que pour ceux qui étaient membres du Christ. Puisque les enfants qui étaient aux limbes n’ont jamais été membres du Christ, ni par leur foi propre, ni par le sacrement de la foi (qui est maintenant le baptême, mais qui était alors la circoncision ou le sacrifice), il est clair qu’ils n’ont pas été libérés.

 [10246] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in patribus erat gratia, quae non erat in pueris, per quam patres erant membra Christi; et ideo effectum redemptionis perceperunt, quod non fuit de pueris.

1. Chez les pères, il y avait une grâce qui n’existait pas chez les enfants, par laquelle les pères étaient membres du Christ. C’est pourquoi ils ont reçu l’effet de la rédemption, ce qui n’a pas été le cas des enfants.

 [10247] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod puerorum peccatum, quamvis esset per alium expiabile, quantum ad genus peccati, non tamen habebant in se fidem et caritatem, per quam conjungerentur illi per quem potuissent liberari quantum ad genus peccati.

2. Le péché des enfants pouvait être expié par un autre pour ce qui est du genre du péché. Cependant, ils n’avaient pas en eux-même la foi ni la charité, par lesquelles ils auraient été unis à celui par lequel ils auraient pu être libérés pour ce qui est du genre du péché.

 [10248] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis quantum ad genus peccati esset eorum peccatum propitiabile, tamen ex dispositione eorum, propitiationis participes esse non potuerunt; sicut etiam patet de veniali in illis qui mortaliter peccaverunt.

3. Bien que, pour ce qui était du genre du péché, leur péché pouvait être pardonné, cependant, en raison de leur disposition, ils ne pouvaient pas participer au pardon, comme cela apparaît pour le péché véniel chez ceux qui ont péché mortellement.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

 [10249] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod quamvis hoc non inveniatur determinatum a sanctis, potest tamen dici, quod illi qui erant in Purgatorio, non fuerunt liberati: quia cum poena Purgatorii debeatur peccato actuali; oportet quod expietur per proprium actum, vel passionem illius qui peccavit, vel alterius specialis personae agentis pro ipso. In Purgatorio autem non potest culpa expiari per aliquem actum meritorium, quia non sunt in statu merendi: unde oportet quod expietur eorum culpa per poenam, quam ipsi sustineant, nisi per suffragia eorum qui sunt in statu merendi, liberentur. Passio autem Christi immediate removet impedimentum ex peccato originali proveniens, quod ex altero contractum est; sed ad removendum poenam debitam actuali peccato, quod quisque ex seipso commisit, pertingit ejus efficacia mediante aliquo sacramento circa personam exhibito, aut aliquo actu ipsius personae, vel alterius ad ipsam relato; et ideo non decebat ut per solam Christi passionem a Purgatorio liberarentur. Nisi dicatur, quod in vita sua hoc meruerunt ut per passionem Christi liberarentur. Vel hoc ex speciali gratia fuit quod illi qui in Purgatorio inventi fuerunt, absoluti sint per passionem Christi; quamvis nunc illi qui sunt in Purgatorio, non consequantur effectum plenae liberationis ex sola passione Christi.

Bien que cela n’ait pas été déterminé par les saints, on peut cependant dire que ceux qui étaient au purgatoire n’ont pas été libérés. En effet, puisque la peine du purgatoire est due pour le péché actuel, il faut qu’il soit expié par un acte propre, par la passion de celui qui a péché ou par celle d’une personne particulière qui agissait pour lui. Or, dans le purgatoire, la faute ne peut être expié par un acte méritoire, car on n’est pas en état de mériter. Il faut donc que leur faute soit expiée par une peine qu’ils supportent eux-mêmes, à moins qu’ils ne soient libérés par les suffrages de ceux qui sont en état de mériter. Or, la passion du Christ enlève de manière immédiate l’empêchement qui vient du péché originel, qui a été contracté d’un autre. Mais pour enlever la peine due pour un péché actuel que quelqu’un a commis par lui-même, son efficacité l’atteint par l’intermédiaire d’un sacrement donné à la personne, ou par un acte de cette personne même ou d’une autre qui est en rapport avec elle. Il ne convenait donc pas qu’ils soient libérés du purgatoire par la seule passion du Christ, à moins de dire qu’ils ont mérité pendant leur vie d’être libérés par la passion du Christ. Ou bien cela venait d’une grâce particulière, que ceux qui se trouvaient au purgatoire ont été absous par la passion du Christ, bien que, maintenant, ceux qui se trouvent au purgatoire, n’obtiennent pas l’effet d’une pleine libération par la seule passion du Christ.

 [10250] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis impedimentum peccati originalis sit gravius, tamen est solubile per alium totaliter, quod non est de impedimento venialis peccati ratione praedicta.

1. Bien que l’empêchement du péché originel soit plus grave, il peut cependant être absous par un autre en totalité, ce qui n’est pas le cas de l’empêchement du péché véniel pour la raison déjà donnée.

 [10251] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod poena nunquam dimittitur virtute passionis Christi, nisi inquantum aliquis passioni conformatur: quod potest esse tripliciter. Uno modo sacramentaliter, sicut fit in Baptismo; alio modo per meritum dilectionis, et fidei ex passione surgentis; tertio modo per poenae similitudinem. Primi autem duo modi non possunt esse in Purgatorio, quia non sunt in statu recipiendi sacramentum, neque in statu merendi: unde oportet, si passio a veniali eos liberet, quod conformentur Christo passo per poenae passionem.

2. La peine n’est jamais remise en vertu de la passion du Christ, que pour autant que l’on est conformé à la passion, ce qui peut se faire de trois manières. Première manière : sacramentellement, comme cela se réalise par le baptême. Deuxième manière : par le mérite de l’amour et de la foi en vertu de la passion de celui qui ressuscite. Troisièmement : par la ressemblance de la peine. Les deux premières manières ne peuvent exister dans le purgatoire, car on n’y est pas en état de recevoir un sacrement, ni en état de mériter. Si la passion les libère du péché véniel, il faut donc qu’ils soient conformés au Christ souffrant par la souffrance de la peine.

 [10252] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quidquid erat in eis curabile per alium, totum curavit; sed poena purgans non erat eis per alium totaliter remissibilis, ut dictum est.

3. Tout ce qui pouvait être guéri par un autre chez eux, il l’a entièrement guéri; mais la peine qui purifie ne pouvait pas être entièrement remise par un autre, comme on l’a dit.

 [10253] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 4 ad s. c. Ad ea quae objiciuntur in oppositum, patet solutio ex dictis.

La réponse aux objections en sens contraire ressort de ce qui a été dit.

 

 

Quaestio 3

Question 3 – [L’ascension du Christ]

Prooemium

Prologue

 

 

 [10254] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 pr. Deinde quaeritur de ascensione Christi; et circa hoc quaeruntur tria: 1 utrum Christus ascenderit; 2 de modo ascensionis; 3 de termino ipsius.

On s’interroge ensuite sur l’ascension du Christ. À ce sujet, trois questions sont posées : 1 – Le Christ est-il monté [au ciel] ? 2 – Le mode de l’ascension. 3 – Le terme de l’ascension.

 

 

Articulus 1 [10255] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 1 tit. Utrum Christus debuerit ascendere

Article 1 – Le Christ devait-il monter [au ciel] ?

 [10256] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Christus non ascenderit. Omnis enim motus, cum sit exitus de potentia ad actum, est actus imperfecti, et est propter indigentiam. Sed ascensio motus est. Cum igitur in Christo jam glorificato totaliter per resurrectionem non fuerit aliqua imperfectio, vel indigentia, videtur quod ipse non ascenderit.

1. Il semble que le Christ ne soit pas monté [au ciel]. En effet, tout mouvement, puisqu’il est un passage de la puissance à l’acte, est l’acte de ce qui est imparfait et il existe en raison d’une indigence. Or, l’ascension est un mouvement. Puisque, chez le Christ déjà entièrement glorifié par la résurrection, il n’existait aucune imperfection ni indigence, il semble donc qu’il ne soit pas monté [au ciel].

 [10257] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 1 arg. 2 Praeterea, in Christo non est nisi duplex natura, scilicet divina, et humana. Sed secundum divinam naturam Christo non competit ascendere neque localiter, cum ipse, secundum quod Deus, sit ubique; neque secundum divinitatem, cum divinitas proficere non possit; neque iterum secundum humanam secundum locum; quia ipse de caelo non descendit, dicitur autem Joan. 3, 13: nemo ascendit in caelum, nisi qui descendit de caelo; neque iterum secundum dignitatem, quia gloria sua post resurrectionem gloriosam non crevit. Ergo videtur quod Christus nullo modo ascenderit.

2. Chez le Christ, il n’existe que deux natures: la divine et l’humaine. Or, selon sa nature divine, il ne convient pas au Christ de monter, ni localement, puisque, en tant qu’il est Dieu, il est partout, ni selon sa divinité, puisque la divinité ne peut progresser; [cela ne lui convient pas non plus] selon sa nature humaine par le lieu, car il n’est pas descendu du ciel. Or, il est dit en Jn 3, 13 : Personne ne monte au ciel que celui qui est descendu du ciel, ni non plus selon la dignité, car sa gloire n’a pas augmenté après sa résurrection glorieuse. Il semble donc que le Christ ne soit monté [au ciel] d’aucune manière.

 [10258] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 1 arg. 3 Praeterea, aliis sanctis competit ascendere ad caelum Empyreum: quia per locum illum congruentem suae gloriae augetur suum gaudium. Sed gaudium animae Christi non potuit aliquo modo crescere, sicut nec gratia, vel gloria. Ergo videtur quod ipse non ascenderit.

3. Il convient aux autres saints de monter au ciel empyrée, car, par ce lieu qui convient à leur gloire, leur joie est accrue. Or, la joie de l’âme du Christ ne pouvait s’accroître d’aucune manière, comme non plus sa grâce ni sa gloire. Il semble donc qu’il ne soit pas monté [au ciel].

 [10259] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 1 arg. 4 Praeterea, omne quod Christus in carne assumpta propter nos fecit, in nostram utilitatem cedere debuit. Sed per ascensionem nihil nobis accrevit: quia ante per passionem et descensum ad Inferos omne impedimentum remotum fuit, et janua per passionem aperta est, et similiter per Baptismum, quando caeli aperti sunt. Ergo non fuit necessarium quod Christus ascenderet.

4. Tout ce que le Christ a fait pour nous dans la chair devait tourner à notre utilité. Or, par l’ascension, rien ne nous a été ajouté, car, auparavant, par la passion et la descente aux enfers, tout empêchement a été enlevé et la porte [du ciel] a été ouverte par la passion; de même en a-t-il été par le baptême, alors que les cieux ont été ouverts. Il n’était donc pas nécessaire que le Christ monte [au ciel].

 [10260] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 1 arg. 5 Praeterea, omnis actio Christi ad nostram salutem ordinatur. Sed magis esset ad salutem nostram ejus praesentia corporalis quam ejus absentia. Ergo videtur quod a nobis per ascensionem discedere non debuit.

5. Toute action du Christ est ordonnée à notre salut. Or, sa présence corporelle serait plus favorable à notre salut que son absence. Il semble donc qu’il ne devait pas se séparer de nous par l’ascension.

 [10261] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 1 s. c. 1 Sed contra est quod in symbolo dicitur: ascendit ad caelos.

Cependant, [1] il est dit dans le symbole : « Il est monté au ciel. »

 [10262] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 1 s. c. 2 Praeterea, corpori nobilissimo debetur locus nobilissimus. Sed caelum Empyreum est locorum nobilissimus. Ergo corpus Christi, quod est nobilissimum, ad locum illum ascendere debuit.

 [2] Au corps le plus noble est dû le lieu le plus noble. Or, le ciel empyrée est le plus noble des lieux. Le corps du Christ, qui est le plus noble, devait donc monter jusqu’à ce lieu.

 [10263] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 1 s. c. 3 Praeterea, in Christo praemonstrata est gloria resurrectionis, quae membris ejus promittitur. Sed promittitur etiam membris Christi locus caelestis, unde Lucifer cecidit. Ergo videtur quod ipse prius ascendere debuit pandens iter ante eos, ut dicitur Michaeae 2, 13.

 [3] Chez le Christ, la gloire de la résurrection qui est promise à ses membres a été manifestée par anticipation. Or, un lieu céleste, dont Lucifer est tombé, est aussi promis aux membres du Christ. Il semble donc qu’il devait d’abord monter, en leur ouvrant la voie, comme il est dit dans Mi 2, 13.

 [10264] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod ascendere in caelum fuit congruum et ipsi Christo, et nobis. Christo quidem, quoniam ei omne quod ad gloriam pertinet, debebatur; unde cum caelum Empyreum sit locus congruus gloriae, et aliquod quasi praemium accidentale, Christo etiam debebatur ut ad locum illum ascenderet. Nobis autem congruum fuit quantum ad tria. Primo ut nos quasi in corporalem possessionem induceret caeli, quam nobis pretio sui sanguinis emerat. Secundo ut spem nostram ad caelum erigeret: quia dum humanam conditionem sideribus importavit, credentibus caelum posse patere monstravit, ut dicit Augustinus. Tertio ut jam Christum non secundum carnem cognoscentes, spiritualiter tantum ipsi conjungamur; et sic idonei efficiamur ad accipienda dona spiritus sancti, secundum quod dictum est, Eph. 4, 8: ascendit in altum, dedit dona hominibus.

Réponse. Monter au ciel était convenable pour le Christ et pour nous. Pour le Christ, parce que tout ce qui se rapporte à la gloire lui était dû; puisque le ciel empyrée est un lieu convenable pour la gloire et comme une récompense accidentelle, il était donc dû aussi au Christ qu’il monte vers ce lieu. Mais, pour nous, cela était convenable pour trois raisons. Premièrement, afin qu’il nous introduise en la possession corporelle du ciel, qu’il avait achetée au prix de son sang. Deuxièmement, afin d’élever notre espérance vers le ciel, car, « en introduisant la condition humaine parmi les astres, il a démontré que le ciel pouvait être ouvert », comme le dit Augustin. Troisièmement, afin que, ne connaissant pas le Christ selon la chair, nous lui soyons unis spirituellement seulement et qu’ainsi nous devenions aptes à recevoir les dons de l’Esprit Saint, selon ce qui a été dit en Ep 4, 8 : Il est monté dans les hauteurs, il a donné des dons aux hommes.

 [10265] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod motus localis, ut dicit philosophus, non mutat aliquid de eo quod est intra rem, sed solum est secundum id quod est extra; unde motus localis non ponit exitum de potentia ad actum aliquem intraneum rei, sed ad actum extrinsecum; et propter hoc non ponitur per motum localem aliqua imperfectio per hoc quod desit aliquid eorum quae debent inesse; sed ponit imperfectionem secundum quid per hoc quod dum est in loco isto non est in alio. Similiter dicendum est, quod ascensio Christi non fuit propter aliquam indigentiam, qua indigeret ipse ex parte sua aliquid in seipso habere, sed propter nostram indigentiam, et ut esset in loco sibi convenienti, in quo nondum erat.

1. Comme le dit le Philosophe, le mouvement local ne change rien d’intrinsèque à une chose, mais il concerne seulement ce qui lui est extérieur. Le mouvement local ne représente donc pas un passage de la puissance à l’acte intrinsèque à la chose; pour cette raison, n’est pas affirmée par le mouvement local une imperfection selon ce qui doit être intrinsèque à la chose, mais il affirme une imperfection sous un aspect, selon que, lorsque la chose est dans ce lieu, elle n’est pas dans un autre. De même faut-il dire que l’ascension du Christ n’était pas due à une indigence en vertu de laquelle il aurait eu besoin pour sa part de posséder quelque chose en lui-même, mais en raison de notre indigence, et afin d’être dans un lieu qui lui convenait, alors qu’il n’y était pas encore.

 [10266] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ascendere et descendere possunt dici proprie, et sic significant motum localem; unde non conveniunt Christo secundum divinam naturam, sed secundum humanam, secundum quam descendit ad Inferos et ascendit localiter ad caelos. Dicitur etiam metaphorice descendisse secundum divinam naturam inquantum se exinanivit formam servi accipiens, Philip. 2, et inquantum per novum effectum fuit in terris, secundum quem ibi ante non fuerat: ascendisse autem quantum ad notitiam aliorum. Similiter quantum ad humanam naturam ascendit, secundum quod exaltatus est ad gloriam resurrectionis, et notitiam populorum; descendit autem secundum passionis ignominiam. Quod autem dicitur, nemo ascendit, nisi qui descendit, ad personam referendum est, cui secundum naturam unam convenit descendere de caelo, scilicet secundum divinam, inquantum sibi carnem in persona copulavit; et secundum aliam, scilicet humanam, ascendere.

2. « Monter » et « descendre » peuvent être employés au sens propre : ils signifient alors un mouvement local. Ils ne conviennent donc pas au Christ selon sa nature divine, mais selon sa nature humaine, selon qu’il est descendu aux enfers et est monté localement dans les cieux. On dit aussi métaphoriquement qu’il est descendu selon sa nature divine, pour autant qu’il s’est abaissé en prenant la forme de l’esclave, Ph 2, et pour autant que, par un effet nouveau, il était sur la terre, alors qu’il n’y était pas auparavant; et [on dit] qu’il est monté du point de vue de la connaissance des autres. De même, il est monté selon sa nature humaine, selon qu’il a été élevé à la gloire de la résurrection et porté à la connaissance des peuples; mais il est descendu selon l’ignominie de la passion. Ce qui est dit : Personne ne monte que celui qui est descendu, doit être mis en rapport avec la personne, à qui il convient selon une nature , la nature divine, de descendre du ciel, pour autant qu’il s’est uni la chair dans sa personne; et selon une autre, la nature humaine, [il convient] de monter.

 [10267] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Christo in ascensione non accrevit aliquod gaudium neque quantum ad intensionem, neque quantum ad numerum eorum de quibus gaudendum erat: quia perfectum gaudium de omnibus ab instanti suae conceptionis habuit: sed accrevit sibi novus modus gaudendi: quia de illo de quo prius gaudebat ut de futuro, tunc gaudebat ut de praesenti.

3. Par l’ascension, ne s’est pas ajoutée au Christ une joie, ni selon l’intensité, ni selon le nombre de choses dont il se réjouissait, car il a eu une joie parfaite dès l’instant de sa conception. Mais s’est ajoutée à lui une nouvelle manière de se réjouir, car ce dont il se réjouissait d’abord comme à venir, il s’en réjouissait alors comme présent.

 [10268] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod per passionem Christi omnia impedimenta fuerunt a nobis amota et omnia bona data quantum ad meritum, quia scilicet per passionem Christus nobis meruit praedicta; sed oportuit ut per effectum in illa bona per eum induceremur, quasi in corporalem possessionem eorum quae jam nobis emerat. Dona autem gloriae in tribus consistunt. Primo in visione divina, quae est beatitudo animae; et hoc per effectum contulit descendendo ad Inferos. Secundum est gloria corporis; et hoc inchoavit in sua resurrectione. Tertium est locus congruus; et hoc praestitit in sua ascensione. In Baptismo autem caeli aperti sunt in signum quod per Baptismum, quem tunc inchoabat, in quo passio ejus operatur, plenarie caeli aditus pateret nobis.

4. Par la passion du Christ, tous les empêchements ont été écartés de nous et tous les biens ont été donnés pour ce qui est du mérite, car, par la passion, le Christ nous a mérité ce dont il a été question; mais il fallait que nous entrions effectivement dans ces biens, comme par une possession corporelle de ce qu’il avait déjà acheté. Or, les dons de la gloire consistent en trois choses. Premièrement, dans la vision de Dieu, qui est la béatitude de l’âme. Il a effectivement apporté cela en descendant aux enfers. Deuxièmement, la gloire du corps : il a amorcé cela par sa résurrection. Troisièmement, un lieu adéquat : il a fourni cela par son ascension. Mais, par le baptême, les cieux se sont ouverts comme signe que, par le baptême, qu’il commençait alors et dans lequel sa passion agit, l’accès au ciel nous était pleinement ouvert.

 [10269] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod corporalis praesentia Christi in duobus poterat esse nociva. Primo quantum ad fidem: quia videntes eum in forma in qua erat minor patre, non ita de facili crederent eum aequalem patri, ut dicit Glossa super Joannem. Secundo quantum ad dilectionem: quia eum non solum spiritualiter, sed etiam carnaliter diligeremus conversantes cum ipso corporaliter; et hoc est de imperfectione dilectionis.

5. La présence corporelle du Christ pouvait être nuisible sous deux aspects. Premièrement, pour ce qui est de la foi, car, « en le voyant sous une forme qui était inférieure au Père, on ne l’aurait pas cru aussi facilement égal au Père », comme le dit la Glose à propos de Jean. Deuxièmement, pour ce qui est de l’amour, car nous ne l’aimerions pas seulement spirituellement, mais aussi charnellement en entretenant avec lui des rapports corporels, et cela est une imperfection de l’amour.

 

 

Articulus 2 [10270] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 tit. Utrum motus ascensionis fuerit violentus

Article 2 – Le mouvement de l’ascension était-il violent ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [ ]

 [10271] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod motus ascensionis fuerit violentus. Act. 1: elevatis manibus ferebatur in caelum. Sed latio, ut dicitur 7 Physic., est species motus violenti. Ergo ascensio sua fuit violentus motus.

1. Il semble que le mouvement de l’ascension ait été violent. Ac 1 : Ayant levé les mains, il fut emporté vers le ciel. Or, ainsi que le dit Physique, VII, l’action d’emporter est une espèce de mouvement violent. L’ascension [du Christ] a donc été un mouvement violent

 [10272] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, in corpore suo, cum esset solidum, dominabatur terra. Sed omne tale naturaliter movetur deorsum, et per violentiam sursum. Ergo illa ascensio erat violenta.

2. Puisque le corps du Christ était solide, la terre l’emportait chez lui. Or, tout ce qui est tel est mû vers le bas et, vers le haut, par violence. Cette ascension a donc été violente.

 [10273] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, omnis motus naturalis causatur ex motu caeli. Sed caelum non habebat aliquam causalitatem supra corpus Christi. Ergo motus ille non erat naturalis.

3. Tout mouvement naturel est causé par le mouvement du ciel. Or, le ciel n’exerçait aucune causalité sur le corps du Christ. Ce mouvement n’était donc pas naturel.

 [10274] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 4 Praeterea, omnis motus qui est in locum peregrinum mobili, est motus innaturalis. Sed ascensio Christi fuit hujusmodi: quia dicit Gregorius, super illud: homo quidam peregre proficiscens: caro ad peregrinandum ducitur, dum per redemptorem in caelo collocatur. Ergo illa ascensio fuit motus violentus.

4. Tout mouvement vers un lieu étranger à un mobile est un mouvement non naturel. Or, l’ascension du Christ était de cette sorte, car Grégoire dit à ce sujet : « L’homme qui part à l’étranger : la chair est amenée à se déplacer vers l’étranger, alors qu’elle est placée au ciel par le Rédempteur. » Cette ascension a donc été un mouvement violent.

 [10275] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, omnis motus violentus inducit lassitudinem. Sed ascensio Christi non fuit talis. Ergo non fuit motus violentus.

Cependant, [1] tout mouvement violent entraîne une lassitude. Or, l’ascension du Christ n’était pas telle. Elle n’a donc pas été un mouvement violent.

 [10276] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, nullus motus violentus est propria virtute mobilis. Sed Christus propria virtute ascendit, ut patet Isai. 63, 1: gradiens in multitudine fortitudinis suae. Ergo ascensio ejus non fuit motus violentus.

 [2] Aucun mouvement violent n’est capable de mouvoir par sa propre puissance. Or, le Christ est monté par sa propre puissance, comme cela ressort de Is 63, 1 : Montant par la grandeur de sa force. Son ascension n’a donc pas été violente.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [L’ascension a-t-elle été un mouvement subit ?]

 [10277] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod ascensionis motus fuerit subitus. Quia Augustinus dicit in quaestionibus de resurrectione, quod tales sunt motus corporum glorificatorum, sicut motus radii solis. Sed motus radii est in instanti. Ergo et motus corporis Christi gloriosi.

1. Il semble que le mouvement ait été subit, car Augustin dit, dans les Questions sur la résurrection, que « les moouvements des corps glorieux sont comme les mouvements d’un rayon du soleil ». Or, les mouvements du rayon se produisent dans l’instant. Donc aussi le mouvement du corps du Christ glorieux.

 [10278] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, corpus Christi gloriosum, omnino erat subjectum voluntati spiritus. Sed voluntas in instanti potest moveri de loco ad locum. Ergo et corpus Christi glorificatum.

2. Le corps du Christ glorieux était entièrement soumis à la volonté de l’esprit. Or, la volonté peut être instantanément mue d’un lieu à un autre. Donc aussi le corps glorifié du Christ.

 [10279] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, potentia corporis Christi glorificati est improportionabilis potentiae alicujus corporis mobilis non glorificati. Sed secundum proportionem virtutis moventis est proportio temporis in quo fit motus: quia major virtus in minori tempore movet. Ergo si aliqua virtus movet in tanto tempore, virtus corporis Christi glorificati movebit in instanti ipsum corpus, quod instans tempori non proportionatur.

3. La puissance du corps du Christ glorifié est sans proportion par rapport à la puissance d’un corps mobile non glorifié. Or, la proportion du temps dans lequel se réalise le mouvement est proportionnelle à la puissance de celui qui meut, car une plus grande puissance meut dans un temps moindre. Si donc une puissance meut dans un temps déterminé, la puissance du corps du Christ glorifié mouvra son propre corps dans l’instant, instant qui n’a pas de proportion par rapport au temps.

 [10280] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, corpus Christi, cum sit divisibile, habet partem post partem. Sed ubi est una pars, ibi non est alia. Ergo oportet quod parti succedat pars: ergo motus ille non est subito.

Cependant, [1] puisqu’il est divisible, le corps du Christ possède une partie après l’autre. Or, là où se trouve une partie, là ne s’en trouve pas une autre. Il faut donc qu’une partie succède à une partie. Ce mouvement n’est pas donc subit.

 [10281] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, motus subitaneus non potest percipi. Sed apostoli viderunt Christi ascensionem. Ergo non fuit subita.

 [2] Un mouvement subit ne peut pas être perçu. Or, les apôtres ont vu l’ascension du Christ. Elle ne fut donc pas subite.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [L’ascension devait-elle avoir lieu aussitôt après la résurrection ?]

 [10282] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod statim post resurrectionem ascendere debuerit. Quia ascensio sua est exemplar aliorum sanctorum. Sed alii sancti post resurrectionem corporum futuram ascendent. Ergo et Christus debuit.

1. Il semble que [le Christ] devait monter [au ciel] aussitôt après la résurrection, car son ascension est le modèle des autres saints. Or, les autres saints monteront après la résurrection des corps à venir. Le Christ le devait donc.

 [10283] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, sicut debuit probari veritas resurrectionis, ita debuit probari veritas mortis. Sed ipse ut probaret veritatem mortis, distulit resurrectionem usque in tertium diem. Ergo similiter debuit ascendere tertia die post resurrectionem.

2. De même que [le Christ] devait prouver la vérité de la résurrection, de même devait-il prouver la vérité de sa mort. Or, pour prouver la vérité de sa mort, il a reporté la résurrection jusqu’au troisième jour. De la même manière, il devait donc monter [au ciel] le troisième jour après sa résurrection.

 [10284] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, non est aliquis locus animarum nisi Infernus vel caelum. Sed animae sanctorum patrum qui erant in Limbo, Christo resurgente eductae sunt de Inferno. Ergo statim ascenderunt in caelum. Sed nullus debuit in caelum ascendere ante Christum, sicut nullus ante ipsum resurgere. Ergo et Christus statim post resurrectionem debuit ascendere.

3. Il n’existe pas d’autre lieu des âmes que l’enfer ou le ciel. Or, les âmes des saints pères qui étaient dans les limbes ont été tirées de l’enfer lorsque le Christ est ressuscité. Ils sont donc aussitôt montés au ciel. Or, personne ne devait monter au ciel avant le Christ, comme personne ne devait ressusciter avant lui. Le Christ devait donc aussi monter immédiatement [au ciel] après la résurrection.

 [10285] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, Act. 1, 3: praebuit seipsum vivum per dies quadraginta.

Cependant, [1] Ac 1, 3 dit : Il se montra vivant pendant quarante jours.

 [10286] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, consolationes divinae excedunt tribulationem humanam. Sed apostoli fuerunt in angustia post mortem Christi per tres dies. Ergo multo amplius debuerunt esse in gaudio propter ipsius resurrectionem.

 [2] Les consolations divines dépassent les tribulations humaines. Or, les apôtres ont connu l’angoisse après la mort du Christ pendant trois jours. À bien plus forte raison, devaient-ils être dans la joie en raison de sa résurrection.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [10287] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum, quod motus naturalis dicitur cujus principium est natura. Natura autem dicitur dupliciter: scilicet de forma quae est principium activum motus, et de materia quae est principium passivum. Secundum hoc igitur dicitur aliquis motus dupliciter naturalis. Uno modo quia in eo quod movetur est principium activum motus; et sic corpora gravia et levia moventur naturaliter. Alio modo quia in eo quod movetur, est dispositio naturalis, per quam aliquid est mobile ab aliquo movente; et hoc contingit dupliciter. Quia vel inest ista aptitudo ad hoc quod moveatur ab illo movente cum inclinatione ad contrarium motum, sicut est in corpore animalis; et tunc motus ille dicitur violentus quantum ad naturam corporis, inquantum est corpus; naturalis autem quantum ad naturam corporis, inquantum est animatum, ut dicit philosophus. Aut non est aptitudo ad contrarium inclinans, sicut patet in motu caelestium, quae moventur a substantia separata, et tamen dicuntur moveri naturaliter, ut dicit Commentator in 1 caeli et Mund. Hoc modo motus ascensionis Christi fuit naturalis: quia cum corpus glorificatum sit omnino subjectum animae, non potest esse aliqua inclinatio ad contrarium ejus quod anima vult; unde removetur in eo inclinatio gravitatis et levitatis repugnans voluntati, sicut inclinatio calidi et frigidi, quae est ad mutuam corruptionem. Quidam autem dicunt, quod fuit etiam motus naturalis ex hoc quod principium activum fuit in corporis natura, sicut in motu gravium et levium: quia in corpore glorificato regnat natura caeli Empyrei, quae est de compositione corporis humani: quod est impossibile. Quia si aliquid de caelo Empyreo esset pars corporis nostri, oporteret quod esset commixtum elementis; alias esset distinctum ab eis, et non esset pars, quia non esset unum, nisi aggregatione. Praeterea, si esset pars, non inclinaret ad motum rectum sed ad nullum: quia de natura caeli Empyrei non est quod moveatur nisi ad motum circularem qui est naturalis quintae essentiae.

On appelle mouvement naturel celui dont le principe est la nature. Or, on parle de nature de deux manières : à propos de la forme qui est le principe actif du mouvement, et à propos de la matière qui est le principe passif. On parle ainsi de mouvement naturel de deux manières. Premièrement, parce qu’il existe un principe actif de mouvement dans ce qui est mû : ainsi, les corps lourds et légers sont-ils mus naturellement. Deuxièmement, parce que, dans ce qui est mû, existe une disposition naturelle, selon laquelle une chose peut être mue par quelque chose qui la meut. Cela se produit de deux manières. Soit cette aptitude est inhérente à ce que cette chose soit mue par ce qui la meut selon une inclination au mouvement contraire, comme c’est le cas dans le corps de l’animal : alors, on dit que ce mouvement est violent pour ce qui est de la nature du corps en tant qu’il est corps, mais naturel pour ce qui est de la nature du corps en tant qu’il est animé, comme le dit le Philosophe. Soit il n’existe pas d’aptitude inclinant en sens contraire, comme c’est le cas pour le mouvement des corps célestes, qui sont mus par une substance séparée, mais dont on dit cependant qu’ils sont mus naturellement, comme le dit le Commentateur dans Sur le ciel et le monde, I. Le mouvement de l’ascension du Christ fut ainsi naturel, car, le corps glorifié étant entièrement soumis à l’âme, il ne peut exister d’inclination en sens contraire de ce que l’âme veut. Ainsi est enlevée en lui l’inclination à la gravité et à la légèreté qui s’oppose à la volonté, de même que l’inclination au chaud et au froid, qui va vers la corruption mutuelle. Mais certains disent que le mouvement [d’ascension] était naturel du fait qu’il existait un principe actif dans la nature du corps, comme dans le mouvement des corps lourds et légers, car, dans le corps glorifié, règne la nature du ciel empyrée, qui vient de la composition du corps humain, ce qui est impossible. En effet, si quelque chose venant du ciel empyrée était une partie de notre corps, il faudrait que cela soit mêlé aux éléments, autrement cela serait distinct d’eux et n’en serait pas une partie, car cela ne serait une seule chose que par agrégation. De plus, si cela était une partie, elle n’inclinerait pas à un mouvement en ligne droite, mais à aucun [mouvement], car il est de la nature du ciel empyrée de n’être mû qu’à un mouvement circulaire qui est naturel à la quinte essence.

 [10288] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ferebatur quidem ab Angelis in obsequium dignitatis, non in adjutorium necessitatis; sicut reges etiam feruntur et episcopi: unde non sequitur quod fuerit motus violentus.

1. Il était porté par des anges, non pas en raison de la nécessité d’une aide, mais en hommage à sa dignité, comme les rois et les évêques sont portés. Il n’en découle donc pas que cela était un mouvement violent.

 [10289] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod motus ille non est naturalis corpori inquantum corpus, sed inquantum instrumentum animae glorificatae, per quam tollebatur inclinatio qualitatum contrariarum ad actiones et motus suos.

2. Ce mouvement n’est pas naturel au corps en tant que corps, mais en tant qu’il est un instrument de l’âme glorifiée par laquelle était enlevée à ses actions et à ses mouvements l’inclination des qualités contraires.

 [10290] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod hoc intelligitur de corporibus quamdiu sunt in statu generationis et corruptionis, et non de corporibus gloriosis.

3. Cela s’entend des corps pendant qu’ils sont dans un état de génération et de corruption, et non des corps glorieux.

 [10291] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ille locus est peregrinus carni inquantum est caro, non autem inquantum est instrumentum animae gloriosae.

4. Ce lieu est étranger à la chair en tant qu’elle est chair, mais non en tant qu’elle est l’instrument de l’âme glorieuse.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [10292] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod illa opinio est facilior ad sustinendum quae ponit, quod corpus Christi in ascensione movebatur tempore perceptibili, sua quidem voluntate; sed poterat moveri tempore imperceptibili, non autem in instanti: quia oportebat quod corpus Christi in ascensione transiret per media, cum per suam substantiam determinaretur ad locum, et impossibile est quod sit in diversis locis simul; et ita oportebat quod in mediis locis esset in diversis instantibus, et sic oportebat motum illum esse successivum.

Il est plus facile de soutenir l’opinion qui affirme que le corps du Christ, lors de l’ascension, était mû selon un temps perceptible, mais selon sa volonté. Toutefois, il pouvait être mû selon un temps imperceptible, mais non dans l’instant, car il fallait que le corps du Christ en ascension passe par des intermédiaires, puisqu’il était déterminé à un lieu par sa substance et qu’il est impossible qu’il soit en plusieurs endroits en même temps. Ainsi fallait-il qu’il se trouve en divers lieux à divers instants; il fallait donc que ce mouvement soit successif.

 [10293] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod similitudo attenditur quantum ad perceptibilitatem, et non quantum ad genus motus: quia motus radii non est motus alterationis, ut dicitur in Lib. de sensu et sensato; unde potest esse subitus: motus autem glorificatorum corporum est motus localis; et ideo oportet quod sit successivus.

1. La ressemblance se prend du point de vue de la possibilité de percevoir, et non du point de vue du genre du mouvement, car le mouvement du rayon n’est pas un mouvement d’altération, comme il est dit dans le livre Sur le sens et ce qui est senti. Il peut donc être subit. Or, le mouvement des corps glorifiés est un mouvement local. C’est pourquoi il faut qu’il soit successif.

 [10294] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis corpus sit subjectum spiritui, tamen esse non potest ut corpus ad naturam spiritus convertatur.

2. Bien que le corps soit soumis à l’esprit, il ne peut cependant se faire que le corps soit converti en la nature de l’esprit.

 [10295] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ratio illa procedit de virtute movente ex necessitate naturae, non autem de virtute movente per voluntatem, quae movet secundum exigentiam mobilis.

3. Cet argument vient de la puissance qui meut par nécessité de nature, mais non de la puissance qui meut par volonté, qui meut selon que l’exige le mobile.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [10296] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod ea quae circa Christum acta sunt, dispensative facta sunt propter aliquam utilitatem; et ideo ad ostendendum veritatem suae resurrectionis oportuit quod non statim post resurrectionem ascenderet, sed diu cum apostolis conversaretur, ut ex magna familiaritate omnis dubitatio tolleretur: quia si tantum apparuisset semel, potuisset videri esse aliqua illusio; et ideo pluries in illis quadraginta diebus illis apparuit. Fuit etiam dilata ascensio ad consolationem apostolorum, qui de morte contristati fuerunt; et ideo dicit Glossa Act. 1, quod sicut quadraginta horae fuerunt mortis Christi, ita quadraginta diebus cum eis conversatus est post resurrectionem, quia consolatio divina excedit tristitiam humanam.

Ce qui a été accompli à propos du Christ a été accompli selon une certaine disposition, en raison d’une certaine utilité. Pour montrer la vérité de sa résurrection, il fallait donc qu’il ne monte pas [au ciel] aussitôt après la résurrection, mais qu’il vive pendant un temps avec les apôtres, afin que tout doute soit écarté par sa grande intimité, car s’il était apparu une seule fois, cela aurait pu ressembler à une illusion; aussi leur est-il apparu souvent pendant ces quarante jours. L’ascension a aussi été reportée pour la consolation des apôtres, qui ont été attristés par sa mort. C’est pourquoi la Glose sur Ac 1 dit que, « de même que la mort du Christ a duré quarante heures, de même a-t-il vécu avec eux pendant quarante jours après la résurrection, car la consolation divine dépasse la tristesse humaine ».

 [10297] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod aliorum sanctorum non oportebit resurrectionem probare, quia omnibus manifesta erit: et ideo non oportet quod differatur.

1. Il ne sera pas nécessaire de prouver la résurrection des autres saints, car elle sera manifeste pour tous. Il n’est donc pas nécessaire qu’elle soit différée.

 [10298] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod major poterat esse dubitatio de resurrectione quam de morte; et ideo oportuit quod longiori tempore confirmaretur.

2. On pouvait douter davantage de la résurrection que de la mort. C’est pourquoi il fallait qu’elle soit confirmée pendant un temps plus long.

 [10299] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod interim animae sanctorum erant cum Christo, ut de ejus corporali praesentia gauderent; vel erant in Paradiso terrestri, quamvis locus ille non sit proprie locus spirituum; sed erant ibi dispensative ad tempus.

3. Entre-temps, les âmes des saints étaient avec le Christ pour se réjouir de sa présence corporelle; ou bien elles étaient au Paradis terrestre, bien que ce lieu n’ait pas été à proprement parler un lieu pour les esprits, mais elles s’y trouvaient selon une certaine disposition pour un temps.

 

 

Articulus 3 [10300] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 tit. Utrum Christus ascenderit super omnes caelos

Article 3 – Le Christ est-il monté au-dessus de tous les cieux ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le Christ est-il monté au-dessus de tous les cieux ?]

 [10301] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Christus non ascenderit supra omnes caelos. Corpus enim Christi necessario est in loco. Sed extra omnes caelos non est locus, secundum philosophum, 1 caeli et mundi. Ergo supra omnes caelos ascendere non potuit.

1. Il semble que le Christ ne soit pas monté au-dessus de tous les cieux. En effet, le corps du Christ se trouve nécessairement dans un lieu. Or, en dehors de tous les cieux, il n’y a pas de lieu, selon le Philosophe, Sur le ciel et le monde, I. Il ne pouvait donc pas monter au-dessus de tous les cieux.

 [10302] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, duo corpora non possunt esse in eodem loco. Cum igitur non possit fieri motus de extremo in extremum nisi per medium, videtur quod supra omnes caelos ascendere non potuit nisi caelum divideretur, quod est impossibile.

2. Deux corps ne peuvent se trouver dans un même lieu. Puisqu’il ne peut y avoir de mouvement d’un extrême à l’autre qu’en passant par un intermédiaire, il semble donc qu’il ne pouvait monter au-dessus de tous les cieux que si le ciel était divisé, ce qui est impossible.

 [10303] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, caelum Empyreum est locus spirituum. Sed diversorum diversa sunt loca. Ergo nec corpus Christi nec aliud corpus caelum Empyreum ascendit, quod est caelum ultimum.

3. Le ciel empyrée est le lieu des esprits. Or, les lieux varient selon les diverses choses. Donc, ni le corps du Christ ni un autre corps n’est donc monté au ciel empyrée, qui est le ciel ultime.

 [10304] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Hebr. 7, 26: excelsior caelis factus. Praeterea, Ephes. 4, 8: ascendens in altum; Glossa: loco et dignitate.

Cependant, à propos de He 7, 26 : Devenu plus élevé que les cieux, la Glose dit : « Par le lieu et par la dignité. »

 

 

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le Christ est-il monté à la droite du Père ?]

 [10305] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non ascenderit ad dexteram patris. Dextera enim vel sinistra sunt differentiae situs vel positionis. Sed Deus, cum sit summe spiritualis, non habet situm. Ergo non habet dexteram et sinistram.

1. Il semble qu’il ne soit pas monté à la droite du Père. En effet, la droite et la gauche sont des différences de site ou de position. Or, Dieu, qui est spirituel au plus haut point, n’a pas de site. Il n’a donc pas de droite ni de gauche.

 [10306] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, metaphorice filius ipse dicitur dextera patris, Psal.: manus tua confregit inimicum. Sed haec praepositio ad denotat distinctionem, quia praepositiones transitivae sunt. Cum ergo filius a seipso non distinguatur, videtur quod ei non conveniat ad dexteram patris sedere.

2. Le Fils lui-même est appelé la droite du Père. Ps : Ta main a détruit l’ennemi. Or, cette préposition « à » indique une distinction, car les prépositions sont transitives. Puisque le Fils ne se distingue pas de lui-même, il semble donc qu’il ne lui convienne pas de siéger à la droite du Père.

 [10307] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, Proverb. 3, 16, dicitur: in dextera ejus longitudo dierum, et in sinistra illius divitiae et gloria. Sed omnium bonorum patris Christus habet plenitudinem. Ergo non magis debet dici sedere ad dexteram quam sinistram.

3. Il est dit dans Pr 3, 16 : À sa droite se trouve la longueur des jours, et à sa gauche, les richesses et la gloire. Or, le Christ possède la plénitude de tous les biens du Père. Il ne faut donc pas dire qu’il siège à la droite plutôt qu’à la gauche.

 [10308] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 2 arg. 4 Praeterea, ipse dicitur esse in sinu patris, Joan. 1. Ergo non est ad dexteram.

4. Il est dit [du Fils] qu’il est dans le sein du Père, Jn 1. Il n’est donc pas à sa droite.

 [10309] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, Heb. 1, 7: sedet ad dexteram majestatis in excelsis.

Cependant, [1] He 1, 7 dit : Il siège à la droite de la majesté dans les hauteurs.

 [10310] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, in symbolo dicitur: ascendit ad caelos, sedet ad dexteram Dei patris omnipotentis.

 [2] Il est dit dans le symbole : « Il est monté aux cieux et il est assis à la droite de Dieu, le Père tout-puissant. »

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Convient-il au seul Christ de siéger à la droite du Père ?]

 [10311] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non soli Christo conveniat ad dexteram patris sedere. Ad Eph. 2, 6: consedere nos fecit in Christo in caelestibus. Si ergo Christus sedet ad dexteram, et nos ad dexteram sedere faciet.

1. Il semble qu’il ne convienne pas au seul Christ de siéger à la droite du Père. Ep 2, 6 : Il nous a fait asseoir avec le Christ dans les cieux. Si le Christ siège à la droite, il nous fera donc siéger à la droite.

 [10312] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, Ephes. 1, 20: constituens illum ad dexteram, Glossa: idest aeternam beatitudinem. Sed omnibus sanctis communicatur aeterna beatitudo. Ergo omnibus sanctis convenit ad dexteram sedere, et non soli Christo.

2. À propos de Ep 1, 20 : L’établissant à la droite, la Glose dit : « C’est-à-dire dans la béatitude éternelle. » Or, la béatitude éternelle est communiquée à tous les saints. Il convient donc à tous les saints de siéger à la droite, et non pas au seul Christ.

 [10313] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 3 arg. 3 Praeterea, beatae virgini convenit esse in potioribus donis Dei, quae est super omnes choros Angelorum exaltata; unde et in Psal. 44, 10, a dextris stare dicitur: astitit regina a dextris tuis. Ergo non soli Christo convenit sedere ad dexteram.

3. Il convient à la bienheureuse Vierge de jouir de meilleurs dons de Dieu, elle qui a été élevée au-dessus des chœurs des anges. Aussi dit-on, dans Ps 44, 10, qu’elle siège à la droite : La reine est assise à ta droite. Il ne convient donc pas au seul Christ de siéger à la droite.

 [10314] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 3 arg. 4 Praeterea, dextera patris est aequalitas patris. Sed spiritus sanctus est aequalis patri, sicut filius. Ergo sibi convenit sedere ad dexteram.

4. La droite du Père est l’égalité avec le Père. Or, l’Esprit Saint est égal au Père comme au Fils. Il lui convient donc de siéger à la droite.

 [10315] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, sedere ad dexteram convenit Christo secundum humanam naturam et divinam. Sed in nullo alio invenitur natura divina et humana simul. Ergo nulli alii convenit sicut Christo.

Cependant, [1] Siéger à la droite convient au Christ selon sa nature humaine et sa nature divine. Or, la nature divine et la nature humaine ne se trouvent en aucun autre simultanément. Cela ne convient donc à aucun autre qu’au Christ.

 [10316] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, aequalitas est in filio, ut dicit Augustinus per appropriationem. Sed dextera importat aequalitatem. Ergo videtur quod sedere ad dexteram soli filio conveniat.

 [2] L’égalité se trouve chez le Christ par appropriation, comme le dit Augustin. Or, la droite comporte une égalité. Il semble donc que siéger à la droite convienne au seul Fils.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [10317] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod terminus ascensionis Christi est et locus et dignitas, non quam tunc de novo acceperit, sed quae tunc innotuit. Secundum autem quod terminus est locus, sic est exaltatus usque ad supremum locorum corporalium; non quod non possit inde moveri, sed secundum congruentiam debetur sibi altissimus locus etiam ubicumque sit; sed ad id quod sibi secundum congruentiam debetur, tunc fuit actu exaltatus.

Le terme de l’ascension du Christ est un lieu et une dignité, non pas qu’il les ait alors reçus pour la première fois, mais ils furent alors connus. Selon que le terme est un lieu, il a ainsi été élevé jusqu’au lieu corporel le plus élevé, non pas qu’il ne puisse en être déplacé, mais le lieu le plus élevé lui est dû par convenance partout où il est. Or, il a été élevé en acte à ce qui lui est dû par convenance. C’est alors qu’il fut élevé en acte.

 [10318] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non dicitur ascendisse super caelos quia extra caelum Empyreum sit, sed quia in altissimam partem caeli Empyrei ascendit.

1. On ne dit pas qu’il est monté au-dessus des cieux parce qu’il se trouve en dehors du ciel empyrée, mais parce qu’il est monté jusqu’à la partie la plus élevée du ciel empyrée.

 [10319] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis de natura corporis non sit quod possit esse in eodem loco cum alio corpore, tamen potest hoc Deus facere per miraculum; sicut etiam fecit corpus Christi de clauso virginali utero exire, ut dicit Gregorius.

2. Bien qu’il ne fasse pas partie de la nature d’un corps qu’il puisse être dans le même lieu qu’un autre corps, Dieu peut cependant réaliser cela par miracle, « comme il a aussi fait que le corps du Christ sorte du sein fermé de la Vierge », comme le dit Grégoire.

 [10320] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis natura corporalis sit citra naturam spiritus, tamen natura corporis Christi transcendit omnes spiritus, inquantum est divinitati unita, quae est major et dignior unio quam ea quae est per fruitionem: et ideo altior locus debetur corpori Christi quam etiam ipsis spiritibus creatis. Unde Glossa Hebr. 7, super illud: excelsior caelis factus est, dicit: idest omni rationali creatura.

3. Bien que la nature corporelle soit en deça de la nature de l’esprit, la nature du corps Christ dépasse cependant tous les esprits en tant qu’elle est unie à la divinité, ce qui est une union plus grande et plus digne que celle qui se réalise par la jouissance (fruitio). C’est pourquoi un lieu plus élevé est dû au corps du Christ qu’aux esprits créés. Aussi, à propos de He 7 : Il est devenu plus élevé que les cieux, la Glose dit : « C’est-à-dire que toute créature raisonnable. »

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [10321] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod dextera est nobilior pars corporis; unde qui alteri ad dexteram sedet, nobilissimo modo ei conjungitur. Nobilissimus autem modus secundum quem aliquis patri conjungitur, vel est nobilissimus simpliciter, et sic est esse aequalem sibi, et hoc convenit filio secundum divinam naturam: vel est nobilissimus quantum possibile est creaturae; et hoc est conjungi ei in unione personae filii ejus; et sic sedere ad dexteram convenit Christo secundum humanam naturam: significat enim sessio firmitatem illius conjunctionis.

La droite est la partie la plus noble du corps; aussi celui qui siège à la droite d’un autre lui est-il uni de la manière la plus noble. Or, la manière la plus noble dont quelqu’un est uni au Père est soit la plus noble tout simplement, et ainsi elle consiste à lui être égal : cela convient au Fils selon sa nature divine; soit la plus noble selon qui est possible à une créature : cela consiste à lui être uni dans la personne de son Fils. Il convient ainsi au Chrit de siéger à la droite selon sa nature humaine : en effet, le fait d’être assis signifie la stabilité de cette union.

 [10322] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non dicitur proprie dextera, sed metaphorice.

1. On ne parle pas de droite au sens propre, mais au sens métaphorique.

 [10323] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non est inconveniens quod filius dicatur dextera et sedere ad dexteram secundum diversas similitudines: quia metaphorice utrumque dicitur. Dextera enim dicitur secundum quod per ipsum pater operatur: sed sedere ad dexteram dicitur ratione jam dicta.

2. Il n’est pas inapproprié que le Fils soit appelé la droite et qu’il siège à la droite selon des images différentes, car les deux sont employés métaphoriquement. En effet, il est appelé sa droite selon que le Père agit par lui; mais on dit qu’il siège à la droite pour la raison déjà donnée.

 [10324] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis sint Christi et majora et minora bona patris, tamen ipse in majoribus est collocatus; et ideo dicitur ad dexteram sedere.

3. Bien que les biens les plus grands et les plus petits du Père appartiennent au Christ, celui-ci a cependant été placé parmi les plus grands. Aussi dit-on qu’il siège à la droite.

 [10325] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Christus inquantum exit a patre per generationem, dicitur in sinu patris sedere, per quod significatur generativa potentia; sed inquantum est aequalis patri, et ei conregnat, dicitur sedere ad dexteram ejus.

4. On dit que le Christ siège dans le sein du Père en tant qu’il est issu du Père par génération : par cela est signifiée la puissance génératrice; mais, en tant qu’il est égal au Père et règne avec lui, on dit qu’il siège à sa droite.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [10326] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod nulli creaturae convenit esse aequalem patri, neque conjungi filio ejus in unitate personae, secundum quod dicitur Christus ad dexteram sedere; et ideo nulli creaturae convenit.

Il ne convient à aucune créature d’être égale au Père, ni d’être unie à son Fils dans l’unité de sa personne, selon quoi on dit que le Christ siège à sa droite. Cela ne convient donc à aucune créature.

 [10327] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod fecit nos consedere inquantum nos gloria stabilivit, et judiciariam potestatem dedit; non autem sedere ad dexteram. Vel dicendum, quod nos consedere fecit etiam ad dexteram, sed non in nobis, sed in Christo, inquantum ipse est unius naturae nobiscum, quam, prout est in Christo, ad dexteram patris collocavit.

1. Il nous a fait asseoir avec lui pour autant qu’il nous a établis dans la gloire et nous a donné un pouvoir judiciaire, mais non celui de nous asseoir à la droite. Ou bien il faut dire qu’il nous a aussi fait asseoir à la droite, non pas en nous-mêmes, mais dans le Christ, pour autant qu’il a une seule nature avec nous, laquelle, telle qu’elle existe chez le Christ, il a placée à la droite du Père.

 [10328] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non quaelibet beatitudo potest dici dextera simpliciter, sed quae debetur illi naturae assumptae: vel si quaelibet beatitudo dicatur dextera, hoc non erit secundum excellentissimum modum possibilem creaturae, sed possibilem creaturae non unitae; et hoc est secundum quid.

2. Ce n’est pas n’importe quelle béatitude qui peut être appelée la droite, mais celle qui est due à cette nature assumée. Ou bien, si toute béatitude est appelée la droite, ce ne sera pas selon le meilleur mode possible à la créature, mais selon celui qui est possible à la créature non unie; c’est là une manière relative.

 [10329] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis beata virgo sit super Angelos exaltata, non est tamen exaltata usque ad aequalitatem Dei, vel unionem in persona: et ideo non dicitur sedere ad dexteram, sed astare dextris, inquantum honor filii aliquo modo participative, non plenarie, redundat in ipsam, inquantum dicitur mater Dei, sed non Deus.

3. Bien que la bienheureuse Vierge ait été élevée au-dessus des anges, elle n’a cependant pas été élevée jusqu’à l’égalité avec Dieu ou à l’union dans la personne. Aussi ne dit-on pas qu’elle siège à la droite, mais qu’elle se tient à la droite, pour autant que l’honneur du Fils rejaillit d’une certaine manière sur elle par participation, mais non de manière plénière, pour autant qu’elle est appelée la mère de Dieu, mais non pas Dieu.

 [10330] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod spiritus sanctus potest dici sedere ad dexteram patris, inquantum est aequalis patri secundum veritatem; sed non appropriatur ei aequalitas, sed filio: et ideo nec sessio dexterae.

4. On peut dire que l’Esprit Saint est assis à la droite du Père pour autant qu’il est véritablement égal au Père; mais l’égalité ne lui est pas appropriée : elle l’est plutôt au Fils. C’est pourquoi le fait de siéger à droite [ne lui est pas non plus approprié].

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Distinction 22

 [10331] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 3 expos. Fidei argumentum a philosophicis argumentis est liberum: quia per ea nec probari nec improbari potest. Et ipse forte ante mortem hoc etiam modo erat homo, et post resurrectionem fuit. Hoc dicit propter tertiam opinionem, quae nondum erat suo tempore damnata, quae dicebat, quod etiam ante mortem erat hoc modo homo. Quia una eademque unione, quantum ex parte ipsius assumentis, non quantum ex parte assumptorum. Ad quod dicimus. Hoc dicit, non quia praemissae locutiones sint simpliciter concedendae, sed ut ostendat quam causam veritatis habeant. Nemo ascendit in caelum, nisi qui descendit de caelo. Ergo alii homines in caelum non ascendunt. Dicendum, quod alii non propria virtute scandunt, quod est ascendere. Vel loquitur de caelo sanctae Trinitatis, ad quod ascendit ratione divinae naturae. Vel dicendum, quod loquitur secundum quod caput et membra sunt una persona. Haec de corrigia calceamenti dominici sufficiant, ne ossa regis Idumaeae consumantur usque in cinerem. Calceamentum est humanitas tegens pedem, scilicet verbum, quo quasi omnia portantur, Heb. 2. Corrigia ipsa est unio. Rex Idumaeae, Christus, qui communicavit carni et sanguini; Hebr. 2. Idumaea enim sanguinea interpretatur. Ossa ejus sunt fortiora et difficiliora ad intelligendum de mysteriis humanitatis ejus, quae non sunt igne curiosi studii usque ad minima inquirenda, quod est ossa in pulverem redigere; sed sunt silentio honoranda, quasi intellectum excedentia. Et sumitur de Amos 2.

 

 

 

Distinctio 23

Distinction 23 – [Les facteurs de restauration chez le Christ]

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [Les habitus sont-ils nécessaires ?]

Prooemium

Prologue

 [10332] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de his quae ad Christum pertinent, quibus nos effective reparavit, hic incipit determinare de reparantibus formaliter, quae sunt habitus gratuiti animam informantes. Dividitur autem haec pars in duas; in prima determinat de ipsis habitibus gratuitis; in secunda de praeceptis quibus ipsi habitus in suos actus diriguntur, dist. 37, ibi: sed jam distributio Decalogi, quae in duobus mandatis completur, consideranda est. Prima dividitur in duas partes: in prima determinat de ipsis habitibus secundum se per singula; in secunda determinat connexionem eorum ad invicem, 36 dist., ibi: solet etiam quaeri, utrum virtutes ita sint sibi conjunctae, ut separatim non possint possideri. Prima in duas: in prima determinat de habitibus virtutum; in secunda de donis, 34 distinct., ibi: nunc de septem donis spiritus sancti agendum est. Prima dividitur in duas partes: in prima determinat de virtutibus theologicis; in secunda de virtutibus cardinalibus, 33 dist., ibi: post praedicta, de quatuor virtutibus quae principales vel cardinales vocantur, disserendum est. Prima dividitur in tres partes: in prima determinat de fide; in secunda de spe, 26 dist., ibi: est autem spes virtus qua spiritualia et aeterna bona sperantur; in tertia de caritate, 27 distinct., ibi: cum autem Christus fidem et spem non habuerit, dilectionem tamen habuit. Prima in tres: in prima determinat de fide secundum se; in secunda de fide per comparationem ad ea quae creduntur, 24 dist.: hic quaeritur, si fides tantum de non visis est, quomodo veritas apostolis ait: nunc dico vobis priusquam fiat, ut cum factum fuerit, credatis ? In tertia de ipsa per comparationem ad eos qui credunt, 25 dist., ibi: praedictis adjiciendum est de sufficientia fidei ad salutem. Circa primum duo facit: primo continuat se ad praecedentia; secundo prosequitur propositum, ibi: fides est virtus qua creduntur quae non videntur. Et haec pars dividitur in duas partes, secundum quod duas definitiones fidei ponit; secunda incipit ibi: notandum quoque est, quod fides de non apparentibus tantum est. Circa primum tria facit: primo definit fidem; secundo exponit definitionem quantum ad hanc particulam, quae non videntur, ibi: quod tamen non de omnibus quae non videntur, accipiendum est; quantum autem ad hanc particulam, virtus, ibi: accipitur autem fides tribus modis; quantum vero ad hanc particulam, qua creduntur, ibi: aliud est credere in Deum: tertio manifestantur quaedam quae possunt esse dubia ex praedictis, quae duo sunt; primum ibi: si vero quaeritur; secundum ibi: cumque diversis modis dicatur fides, sciendum est tamen unam esse fidem. Notandum quoque est. Hic ponit aliam definitionem fidei; et circa hoc tria facit; primo venatur definitionem; secundo definit, ibi: ait enim apostolus; tertio movet quamdam quaestionem circa praedictam definitionem, ibi: si vero quaeritur. Hic est triplex quaestio: prima de virtutibus in generali; secunda de fide communiter; tertia de formatione et informitate fidei. Circa primum quaeruntur quinque; 1 de necessitate habituum; 2 quomodo habitus qui sunt in nobis cognoscamus; 3 utrum virtutes sint habitus: 4 de divisione virtutum in intellectuales, morales, et theologicas; 5 de numero virtutum theologicarum.

Après avoir déterminé de ce qui concerne le Christ et par quoi il nous a restaurés de manière efficiente, le Maître commence ici à déterminer de ce qui restaure par mode de forme : ce sont les habitus gratuits qui donnent forme à l’âme. Cette partie se divise en deux : dans la première, il détermine des habitus gratuits; dans la seconde, des commandements par lesquels les habitus eux-mêmes sont dirigés dans leurs actes, d. 37, à cet endroit : « Mais il faut déjà considérer la répartition du décalogue, qui s’accomplit en deux commandements. » La première partie se divise en deux parties : dans la première, il détermine des habitus en eux-mêmes en particulier; dans la seconde, il détermine de leur connexion entre eux, d. 36, à cet endroit : « On a aussi l’habitude de se demander si les vertus sont à ce point unies entre elles qu’elle ne peuvent être possédées séparément. » La première partie se divise en deux parties : dans la pemière, il détermine des habitus des vertus; dans la seconde, des dons, d. 35, à cet endroit : « Il faut maintenant traiter des sept dons du Saint-Esprit. » La première partie se divise en deux : dans la première, il détermine des vertus théologales; dans la seconde, des vertus cardinales, d. 33, à cet endroit : « Après ce qui a été dit, il faut traiter des quatre vertus qui sont appelées principales ou cardinales. » La première partie se divise en trois parties. Dans la première, il détermine de la foi; dans la deuxième, de l’espérance, d. 26, à cet endroit : « L’espérance est une vertu par laquelle sont espérés les biens spirituels et éternels »; dans la troisième, de la charité, d. 27, à cet endroit : « Alors que le Christ n’avait pas la foi et l’espérance, il a cependant eu l’amour. » La première partie se divise en trois. Dans la première, il détermine de la foi en elle-même; dans la deuxième, de la foi par comparaison avec ce qui est cru, d. 24 : « On se demande ici, si la foi porte seulement sur ce qui n’est pas vu, comment la Vérité a dit aux apôtres : « Je vous le dis maintenant avant que cela n’arrive pour que vous croyiez lorsque cela se sera produit »; dans la troisième, de [la foi] par comparaison avec ceux qui croient, d. 25, à cet endroit : « Il faut ajouter à ce qui a été dit la suffisance de la foi pour le salut. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il s’attache à ce qui précède; deuxièmement, il poursuit son propos, à cet endroit : « La foi est la vertu par laquelle est cru ce qui n’est pas vu. » Cette partie est divisée en deux parties, selon qu’il présente deux définitions de la foi; la seconde commence à cet endroit : « Il faut aussi remarquer que la foi porte seulement sur ce qui n’est pas apparent. » À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il définit la foi. Deuxièmement, il explique cette partie de la définition : « …qui n’est pas vu », à cet endroit : « Il ne faut pas comprendre cela de tout ce qui n’est pas vu. » [Il explique] cette partie : « …une vertu », à cet endroit : « La foi s’entend de trois manières. » [Il explique] cette partie : « …par laquelle est cru », à cet endroit : « Autre chose est croire en Dieu. » Troisièmement, certaines choses sont expliquées qui peuvent être douteuses selon ce qui précède. Il y en a deux : la première, en cet endroit : « Mais si on demande… »; la deuxième : « Puisqu’on parle de foi de diverses manières, il faut cependant savoir qu’il n’existe qu’une seule foi. » « Il faut aussi remarquer… » Il présente ici une autre définition de la foi. À ce propos, il fait trois choses. Premièrement, il recherche la définition. Deuxièmement, il définit, à cet endroit : « En effet, l’Apôtre dit… » Troisièmement, il soulève une question à propos de cette définition, à cet endroit : « Mais si on demande… » Il y a ici trois questions : la première, sur les vertus en général; la deuxième, sur la foi d’une manière générale; la troisième, sur la formation et l’absence de forme de la foi. À propos du premier point, cinq questions sont posées : 1 – Sur la nécessité des habitus. 2 – Comment connaissons-nous les habitus qui sont en nous ? 3 – Les vertus sont-elles des habitus ? 4 – Sur la division des vertus en intellectuelles, morales et théologales. 5 – Sur le nombre des vertus théologales.

 

 

Articulus 1 [10333] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 1 tit. Utrum indigeamus habitibus in operationibus humanis

Article 1 – Avons-nous besoin d’habitus pour les actes humains ?

 [10334] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod habitibus non indigeamus in operibus humanis. Potentiae enim rationales, quae sunt hominis inquantum homo, sunt nobiliores potentiis naturalibus. Sed potentiae naturales non indigent habitibus ad suos actus producendos. Ergo nec potentiae rationales humanae.

1.Il semble que nous n’ayons pas besoin d’habitus pour les actes humains. En effet, les puissances rationnelles, qui sont celles de l’homme en tant qu’homme, sont plus nobles que les puissances naturelles. Or, les puissances naturelles n’ont pas besoin d’habitus pour produire leurs actes. Donc, ni les puissances rationnelles humaines.

 [10335] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, potentiae per se ordinantur ad actum proprium, et non per accidens. Sed habitus sunt accidentia. Ergo non ordinantur ad suos actus proprios mediantibus habitibus.

2. Les puissances sont par elles-mêmes ordonnées à leur acte propre, et non par accident. Or, les habitus sont des accidents. [Les puissances] ne sont donc pas ordonnées à leurs actes par l’intermédiaire d’habitus.

 [10336] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, nihil est tam facile quam id quod in sola voluntate consistit. Sed actus morales ad minus in sola voluntate consistunt. Cum igitur habitus ponat facilitatem operationis, videtur quod saltem ad dictos actus habitibus non indigeamus.

3. Rien n’est aussi facile que ce qui relève de la seule volonté. Or, les actes moraux tout au moins relèvent de la seule volonté. Puisque l’habitus donne une facilité pour agir, il semble donc qu’au moins pour les actes indiqués, nous n’ayons pas besoin d’habitus.

 [10337] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, difficultas cooperatur ad meritum. Sed habitus tollit difficultatem. Ergo ad actus illos quibus meremur, non sunt dandi nobis habitus.

4. La difficulté contribue au mérite. Or, l’habitus enlève la difficulté. Il ne faut donc pas que nous soient donnés des habitus pour les actes par lesquels nous méritons.

 [10338] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, scientia quae est habitus, nihil aliud videtur esse quam generatio specierum intelligibilium. Sed species non sunt in parte affectiva, sed in intellectiva tantum. Ergo ad minus in parte affectiva habitibus non indigemus.

5. La science, qui est un habitus, ne semble être rien d’autre que la génération d’espèces intelligibles. Or, les espèces ne se trouvent pas dans la partie affective, mais dans la partie intellective seulement. Au moins pour la partie affective, nous n’avons donc pas besoin d’habitus.

 [10339] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, Augustinus dicit in libro de bono conjugali: habitus est quo quis agit cum tempus affuerit; et Commentator dicit in 3 de anima, quod habitus est quo quis agit cum voluerit: et quasi in idem redit. Sed hoc valde necessarium est homini. Ergo indigemus habitibus.

Cependant, [1] Augustin dit dans le livre Sur le bien conjugal : « L’habitus est ce par quoi on agit lorsque le temps se présente. » Et le Commentateur dit, dans Sur l’âme, III, que « l’habitus est ce par quoi quelqu’un agit lorsqu’il le veut », ce qui revient presque au même. Or, cela est très nécessaire à l’homme. Nous avons donc besoin d’habitus.

 [10340] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, ad hoc quod bonum opus operemur, oportet quod in ipso opere delectemur, quia nullus est justus, qui non gaudeat justa operatione, ut dicit philosophus 1 Ethic. Sed delectationem in opere facit habitus: quia signum oportet accipere habitus fientem in opere delectationem, ut dicitur 2 Ethic. Ergo habitibus indigemus.

 [2] Pour poser une bonne action, il faut que nous prenions plaisir à l’acte lui-même, car « personne n’est juste qui ne se réjouit pas d’une action juste », comme le dit le Philosophe, Éthique, I. Or, l’habitus donne plaisir à agir, car il faut voir le signe d’un habitus dans le plaisir de celui qui agit, comme il est dit dans Éthique, II. Nous avons donc besoin d’habitus.

 [10341] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 1 s. c. 3 Praeterea, bonitas hominis in bonis operationibus consistit: unde ex eis laudatur. Sed impossibile est semper agere, ut dicitur in Lib. de Somn. et Vigil., nec sufficit ad laudem quod actus sit tantum in potentia: quia quod est in potentia bonum, non est bonum simpliciter, sed secundum quid. Ergo indigemus habitibus.

 [3] La bonté de l’homme consiste dans ses actions bonnes; aussi est-il louangé à cause d’elles. Or, il est impossible de toujours agir, comme il est dit dans le livre Sur le sommeil et la veille, et il ne suffit pas, pour être louangé, que l’acte soit seulement en puissance, car ce qui est bon en puissance n’est pas bon de manière absolue, mais relative. Nous avons donc besoin d’habitus.

 [10342] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 1 s. c. 4 Praeterea, oportet quandoque ex impraemeditato bene agere. Sed hoc non contingit nisi in eo qui habet habitum, sicut de forti dicit philosophus in 3 Ethicor. Ergo indigemus habitibus.

 [4] Il est parfois nécessaire d’agir sans préméditation. Or, cela ne se produit que chez celui qui a un habitus, comme le dit le Philosophe dans Éthique, III, en parlant du fort. Nous avons donc besoin d’habitus.

 [10343] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod in omnibus quae habent regulam et mensuram, eorum bonitas et rectitudo consistit in conformitate ad suam regulam vel mensuram; malitia autem, secundum quod ab ea discordant. Prima autem mensura et regula omnium est divina sapientia; unde bonitas et rectitudo sive virtus uniuscujusque consistit secundum quod attingit ad hoc quod ex sapientia divina ordinatur, ut dicit Anselmus; et similiter est etiam de aliis secundis regulis, quod in conformitate ad ipsas bonitas et rectitudo regulatorum consistit. Sunt autem quaedam potentiae limitatae ad determinatas actiones vel passiones; et secundum quod illas implent, regulae suae conformantur, quia per divinam sapientiam ad talia sunt ordinatae. Et quia naturae inclinatio semper est ad unum, ideo tales potentiae ex ipsa natura potentiae rectitudinem sufficienter habere possunt et bonitatem; malitia autem in eis contingit ex defectu potentiae. Potentiae vero altiores et universaliores, cujusmodi sunt potentiae rationales, non sunt limitatae ad aliquid unum vel objectum vel modum operandi: quia secundum diversa et diversimode rectitudinem habere possunt: et ideo ex natura potentiae non potuerunt determinari ad rectum et bonum ipsarum; sed oportet quod rectificentur, rectitudinem a sua regula recipientes. Hoc autem contingit dupliciter. Uno modo ut recipiatur per modum passionis, sicut in hoc ipso quod regulata potentia a regulante movetur. Sed quia in hoc quod aliquid patiatur et nihil ad actum conferat, violentiae definitio consistit, ut patet in 3 Ethic., violentia autem et difficultatem et tristitiam habet, ut dicitur in 5 Metaph.; ideo praedicta receptio rectitudinis non sufficit ad perfectam rectificationem potentiae regulatae. Oportet ergo ut alio modo recipiatur, scilicet per modum qualitatis inhaerentis, ut rectitudo regulae efficiatur forma potentiae regulatae: sic enim faciliter et delectabiliter quod rectum est, operabitur sicut id quod est conveniens suae formae: et haec quidem qualitas, sive forma, dum adhuc est imperfecta, dispositio dicitur; cum autem jam consummata est, et quasi in naturam versa, habitus nominatur, qui, ut ex 2 Ethic., et 5 Metaphys., accipitur, est secundum quem nos habemus ad aliquid bene vel male. Et inde est quod in praedicamentis dicitur dispositio facile mobilis, et habitus difficile mobilis: quia quod naturale est non cito transmutatur. Inde est etiam quod habitus ad unum inclinant, sicut et natura, ut dicitur 5 Ethic. Et propter hoc, signum generati habitus est delectatio in opere facta, ut dicitur in 2 Ethic., quia quod est naturae conveniens, delectabile est et facile. Et propter hoc habitus a Commentatore in 3 de anima definitur, quod est quo quis agit cum voluerit, quasi in promptu habens quod operandum est. Et ideo habitus possessioni comparatur in 1 Ethic., secundum quam res possessa ad nutum habetur; operatio vero usui. Patet ergo quod potentiae naturales, quia sunt ex seipsis determinatae ad unum, habitibus non indigent. Similiter etiam nec apprehensivae sensitivae, quia habent determinatum modum operandi, a quo non deficiunt nisi per potentiae defectum. Similiter etiam nec voluntas humana, secundum quod est naturaliter determinata ad ultimum finem, et ad bonum, secundum quod est objectum ejus. Similiter etiam nec intellectus agens, qui habet determinatam actionem, scilicet facere intelligibilia in actu; sicut lux facere visibilia in actu. Similiter etiam nec in ipso Deo est aliquis habitus, cum ipse sit prima regula ab alio non regulata: unde essentialiter bonus est, et non per participationem rectitudinis ab alio; nec malum in ipso incidere potest. Sed intellectus possibilis qui de se est indeterminatus, sicut materia prima, habitu indiget, quo participet rectitudinem suae regulae: et naturali quantum ad ea quae ex naturali lumine intellectus agentis, qui est ejus regula, statim determinantur, sicut sunt principia prima; et acquisito, quantum ad ea quae ex his principiis educi possunt; et infuso, quo participat rectitudinem primae regulae in his quae intellectum agentem excedunt. Similiter etiam in voluntate quantum ad illa ad quae ex natura non determinatur, et in irascibili et in concupiscibili, indigemus habitibus, secundum quod participant rectitudinem rationis, quae est eorum regula, vel rectitudinem primae mensurae in his quae humanam naturam excedunt, quantum ad habitus infusos. Et similiter in corpore animato est habitus sanitatis, prout participat ab anima dispositionem, qua potest suum opus recte perficere: quia oculus sanus dicitur qui opus oculi recte perficere potest, ut dicitur 10 de animalibus. Unde patet quod hujusmodi qualitates, quas habitus dicimus, in rebus animatis inveniuntur, et praecipue in habentibus electionem, ut dicitur in 5 Metaph.

Réponse. Dans tout ce qui a une règle et une mesure, la bonté et la rectitude consistent dans la conformité à sa règle ou à sa mesure, mais la malice, dans le fait que cela n’est pas en harmonie avec elles. Or, la première mesure et règle de tout est la sagesse divine. Aussi « la bonté et la rectitude ou vertu de toutes choses consistent à atteindre ce à quoi elles sont ordonnées par la sagesse divine », comme le dit Anselme. De même en est-il aussi pour les règles de deuxième degré : c’est dans sa conformité à elles que la bonté et la rectitude de ce qui est réglé consistent. Or, certaines puissances sont limitées à des actions ou à des passions déterminées : selon qu’elles les accomplissent, elles se conforment à leur règle, car elles ont été ordonnées à cela par la sagesse divine. Et parce que l’inclination de la nature tend toujours vers une seule chose, de telles puissances peuvent donc, par la nature même de la puissance, avoir une rectitude et une bonté suffisantes; mais la malice en elles vient d’une carence de la puissance. Toutefois, les puissances plus élevées et plus universelles, comme le sont les puissances rationnelles, ne sont pas limitées à un seul objet ou à une seule manière d’agir, car elles peuvent tirer leur rectitude de diverses choses et de diverses manières. C’est pourquoi, par la nature de la puissance, elles n’ont pu être déterminées à ce qui est droit et bon pour elles, mais il est nécessaire qu’elles soient redressées en recevant leur rectitude de leur règle. Or, cela se produit de deux manières. D’une manière, que cela soit reçu par mode de passion, comme par le fait même que la puissance réglée est mue par celui qui règle. Mais parce que la définition de la violence consiste dans le fait que quelque chose subit et n’apporte rien à un acte, comme cela ressort d’Éthique, III, et que la violence comporte difficulté et tristesse, comme il est dit dans Métaphysique, V, la réception de la rectitude mentionnée ne suffit donc pas au redressement parfait d’une puissance réglée. Il est donc nécessaire qu’elle soit reçue d’une autre manière : par mode de qualité inhérente, de sorte que la rectitude de la règle devienne la forme de la puissance réglée. En effet, ce qui est droit sera ainsi accompli facilement et de manière délectable, comme ce qui convient à sa forme. Or, cette qualité ou forme, lorsqu’elle est encore imparfaite, est appelée une disposition; mais lorsqu’elle a été achevée et est devenue comme une nature, elle est appelée un habitus, qui, ainsi qu’on l’apprend d’Éthique, II et de Métaphysique, V, est ce d’après quoi nous nous agissons bien ou mal. De là vient que, dans les prédicaments, on dit que la disposition est facilement mobile et l’habitus difficilement mobile, car ce qui est naturel n’est pas facilement changé. De là vient aussi que les habitus inclinent à une seule chose, comme la nature, ainsi qu’on le dit dans Éthique, V. Pour cette raison, le signe qu’un habitus a été engendré est le plaisir de l’action accomplie, comme il est dit dans Éthique, II, car ce qui convient à la nature est délectable et facile. C’est pourquoi l’habitus est défini par le Commentateur, dans Sur l’âme, III : ce    par quoi quelqu’un agit lorsqu’il le veut, en sachant immédiatement ce qu’il doit faire. C’est pourquoi aussi l’habitus est comparé à la propriété, dans Éthique, I, selon laquelle on dispose à volonté de la chose possédée; mais l’action est comparée à l’usage. Il est donc clair que les puissances naturelles, parce qu’elles sont par elles-mêmes déterminées à une seule chose, n’ont pas besoin d’habitus. Les [puissances] de connaissance sensible n’en ont pas non plus besoin, parce qu’elles ont une manière déterminée d’agir, dont elles ne s’écartent qu’en raison d’une carence de la puissance. La volonté humaine n’en a pas non plus besoin, selon qu’elle est naturellement déterminée à une fin ultime et au bien, qui est son objet. L’intellect agent n’en a pas non plus besoin, lui qui a une action déterminée : faire passeer à l’acte ce qui est intelligible, comme la lumière fait passer à l’acte ce qui est visible. De même aussi n’y a-t-il pas d’habitus en Dieu, puisqu’il est lui-même la première règle non réglée par un autre; aussi est-il essentiellement bon, et non pas par participation à la rectitude d’un autre, et le mal ne peut-il survenir en lui. Mais l’intellect possible, qui est indéterminé en soi, comme la matière première, a besoin d’un habitus, par lequel il participe à la rectitude de sa règle : d’un [habitus] naturel, pour ce qui est immédiatement déterminé par la lumière naturelle de l’intellect agent qui est sa règle, comme le sont les premiers principes; d’un [habitus] acquis pour ce qui peut être tiré des principes; et d’un habitus infus, par lequel il participe à la rectitude de la première règle pour ce qui dépasse l’intellect agent. De même, avons-nous besoin d’habitus dans la volonté pour ce qui n’est pas déterminé par la volonté, ainsi que dans l’irascible et le concupiscible, selon qu’ils participent à la rectitude de la raison, qui est leur règle, ou, pour les habitus infus, à la rectitude de la première mesure pour ce qui dépasse la nature humaine. De même, l’habitus de la santé existe-t-il dans le corps animé dans la mesure où il participe à la disposition de l’âme par laquelle il peut accomplir correctement son œuvre, car « on appelle un œil sain celui qui peut accomplir parfaitement l’action de l’œil », comme on le dit dans Sur les animaux, X. Il est donc clair que ces qualités, que nous appelons habitus, se trouvent chez les choses animées et, principalement, chez celles qui exercent un choix, comme il est dit dans Métaphysique, V.

 [10344] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod potentiae naturales sunt determinatae ex seipsis ad unum, et ideo non indigent aliquibus habitibus determinantibus: nec facit hoc dignitas, sed indignitas earum, inquantum ad pauciora se extendunt.

1. Les puissances naturelles sont déterminées par elles-mêmes à une seule chose. C’est pourquoi elles n’ont pas besoin d’habitus qui les déterminent; et cela n’est pas dû à leur dignité, mais à leur indignité, pour autant qu’elles portent sur moins de choses.

 [10345] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ad actum proprium per se rei potest res ipsa ordinari mediante aliquo accidente, non quidem extraneo, sed quod consequitur ex principiis rei: quia inter accidentia propinquius est substantiae unum quam aliud, sicut qualitas quam actio; et ideo ignis mediante calore calefacit. Et similiter erit in proposito, quia virtutes conformantur principiis naturalibus.

2. Une chose peut être par elle-même ordonnée à son acte propre par l’intermédiaire d’un accident, non pas externe, mais qui découle des principes de la chose, car, parmi les accidents, l’un est plus proche de la substance qu’un autre, comme la qualité plutôt que l’action. C’est pourquoi le feu réchauffe par l’intermédiaire de la chaleur. De même en sera-t-il pour ce qui est en cause, car les vertus se conforment aux principes naturels.

 [10346] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis producere talem actum sit in potestate voluntatis, tamen non est in voluntate tantum, sed etiam in inferioribus viribus, ex quibus potest accidere repugnantia et difficultas; et ideo indigemus habitibus, quibus omnis difficultas tollatur.

3. Bien que produire tel acte soit au pouvoir de la volonté, cela ne relève cependant pas de la seule volonté, mais aussi des puissances inférieures, d’où peuvent venir une résistance et une difficulté. C’est pourquoi nous avons besoin d’habitus par lesquels toute difficulté est enlevée.

 [10347] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut dicitur in 2 Metaph., difficultas potest esse ex nobis, et ex rebus, et similiter facilitas. Facilitas ergo quae est ex ratione actuum qui non sunt magni ponderis, diminuit, quantum in se est, rationem meriti; sed facilitas quae est ex promptitudine operantis, meritum non diminuit respectu praemii essentialis, sed auget: quia quanto majori caritate facit, tanto facilius tolerat, et magis meretur. Et similiter quanto delectabilius operatur propter habitum virtutis, tanto actus ejus est delectabilior, et magis meritorius.

4. Comme il est dit dans Métaphysique, II, la difficulté peut venir de nous et des choses; de même en est-il pour la facilité. La facilité qui vient de la nature des actes qui n’ont pas beaucoup d’importance diminue par elle-même la raison de mérite. Mais la facilité qui vient de l’empressement de celui qui agit ne diminue pas le mérite par rapport à la récompense essentielle, mais l’augmente, car plus grande est la charité par laquelle on agit, plus facilement supporte-t-on, et plus on mérite. De même, plus on agit avec plaisir en raison de l’habitus de la vertu, plus son acte est délectable et plus il est méritoire.

 [10348] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod perfectiones proportionantur suis perfectibilibus; quia proprius actus est in propria potentia, ut dicitur 2 de anima; et ideo non oportet quod habitus cognitivae et affectivae partis sint unius modi, sicut nec ipsae potentiae quae eis perficiuntur.

5. Les perfections sont proportionnées à ce qu’elles doivent perfectionner, car l’acte propre se trouve dans une puissance propre, comme il est dit dans Sur l’âme, II. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que les habitus de la partie cognitive et de la partie affective soient d’une seule sorte, comme ne le sont pas les puissances qui sont perfectionnées par eux.

 

 

Articulus 2 [10349] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 2 tit. Utrum habitus in nobis existens cognosci possit

Article 2 – Un habitus qui existe en nous peut-il être connu ?

 [10350] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod habitus in nobis existens cognosci non possit. Inter alios enim habitus praecipuus est caritas. Sed habens caritatem nescit se habere eam: quia nemo scit, an amore vel odio dignus sit, ut dicitur Eccle. 9, 1. Ergo nec alios habitus potest quis cognoscere.

1. Il semble qu’un habitus qui existe en nous ne puisse être connu. En effet, parmi les autres habitus, la charité est le principal. Or, celui qui a la charité ne sait pas qu’il l’a, car personne ne sait s’il est digne d’amour ou de haine, Si 9, 1. On ne peut donc connaître les autres habitus.

 [10351] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, magis sunt spirituales habitus virtutum quam etiam Angeli: quia ipsi per habitus virtutum spirituales efficiuntur. Sed Angelos in via cognoscere non possumus quantum ad eorum essentiam. Ergo nec habitus virtutum.

2. Les habitus des vertus sont plus spirituels que même les anges, car eux-mêmes deviennent spirituels par les habitus des vertus. Or, nous ne pouvons pas connaître les anges dans leur essence alors que nous sommes en route. Donc, ni les habitus des vertus.

 [10352] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 2 arg. 3 Si dicatur, quod habitus cognoscuntur per hoc quod sunt praesentes in anima, non autem Angeli: contra; per essentiam suam praesentialiter non sunt in intellectu, sed in affectu, habitus virtutum. Sed affectus non est cognoscere. Ergo hujusmodi habitus cognosci non possunt per praesentiam.

3. Les habitus sont connus par leur présence dans l’âme, mais non les anges. En sens contraire : les habitus des vertus ne sont pas présents dans l’intellect par leur essence, mais dans l’affectivité. Or, il ne relève pas de l’affectivité de connaître. Les habitus de ce genre ne peuvent donc être connus par leur présence.

 [10353] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, multi sunt qui habent virtutes, et de eis nihil cognoscunt: nesciunt enim quid sit virtus. Quidam etiam non habentes virtutem sciunt multa de eis. Ergo non cognoscuntur per sui praesentiam.

4. Plusieurs ont des vertus dont ils ne connaissent rien: en effet, ils ne savent pas ce qu’est une vertu. De même, certains qui n’ont pas de vertu en connaissent beaucoup sur elles. Elles ne sont donc pas connues par leur présence.

 [10354] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 2 arg. 5 Si dicatur, quod cognoscuntur per hoc quod habent sui similitudinem in intellectu: contra; similitudo quae est in intellectu, fundatur in similitudine quae est in imaginatione vel sensu: quia nequaquam sine phantasmate intelligit anima, ut dicitur in 5 de anima. Sed hujusmodi habitus non habent similitudinem in imaginatione vel sensu. Ergo non possunt cognosci per suam similitudinem.

5. [Les habitus] sont connus par le fait qu’il en existe une similitude dans l’intellect. En sens contraire : la similitude qui se trouve dans l’intellect s’appuie sur la similitude qui se trouve dans l’imagination ou dans le sens, car l’âme n’intellige jamais sans fantasme, comme il est dit dans Sur l’âme, V. Or, il n’existe de similitude de ce genre d’habitus dans l’imagination ou dans le sens. Ils ne peuvent donc pas être connus par leur similitude.

 [10355] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 2 arg. 6 Praeterea, similitudines rerum sunt magis spirituales quam res a quibus abstrahuntur. Sed ea quae sunt in intellectu, non sunt magis spiritualia quam ea quae sunt in affectu. Ergo ab habitibus existentibus in affectu non abstrahit intellectus similitudines, ut per eas cognoscat; et sic habitus illos nullo modo cognoscit.

6. Les similitudes des choses sont plus spirituelles que les choses dont elles sont abstraites. Or, les choses qui sont dans l’intellect ne sont pas plus spirituelles que celles qui sont dans l’affectivité. L’intellect n’abstrait donc pas des habitus qui existent dans l’affectivité des similitudes par lesquelles il peut connaître. Ainsi, il ne connaît aucunement ces habitus.

 [10356] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra Augustinus dicit in littera, quod fidem ipsam quisque videt esse in corde suo, si credit. Ergo eadem ratione et alios habitus.

Cependant, [1] Augustin dit dans le texte que « chacun voit que la foi elle-même existe dans son cœur s’il croit ». Pour la même raison, voit-il les autres habitus.

 [10357] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, philosophus dicit in Lib. 2 Posterior., quod inconveniens est nos habere habitus principiorum, et nos latere. Ergo eadem ratione et alios habitus.

2. Le Philosophe dit, dans les Postérieurs [Analytiques], qu’il est inapproprié que nous ayons les habitus des principes et qu’ils nous soient cachés. Il en va donc de même pour les autres habitus.

 [10358] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 2 s. c. 3 Praeterea, omne illud cujus est accipere signum, est cognoscibile. Sed habituum est accipere signum fientem in opere delectationem, ut dicitur in 2 Ethic. Ergo habitus cognosci possunt.

3. Tout ce dont le signe peut être perçu est connaissable. Or, on peut percevoir le signe des habitus chez celui qui trouve plaisir à agir, comme il est dit dans Éthique, II. Les habitus peuvent donc être connus.

 [10359] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod aliqua res potest cognosci dupliciter. Uno modo secundum id quod est; alio modo quantum ad ea quae ipsam consequuntur. Cognitio autem de re secundum id quod est, potest dupliciter haberi; scilicet dum cognoscitur quid est, et an est. Quid autem res est, cognoscitur, dum ipsius quidditas comprehenditur: quam quidem non comprehendit sensus, sed solum accidentia sensibilia; nec imaginatio, sed solum imagines corporum; sed est proprium objectum intellectus, ut dicitur in 3 de anima; et ideo Augustinus dicit, quod intellectus cognoscit res per essentiam suam, quia objectum ejus est ipsa essentia rei. Essentiam autem alicujus rei, intellectus noster tripliciter comprehendit. Uno modo comprehendit essentias rerum quae cadunt in sensu, abstrahendo ab omnibus individuantibus, sub quibus cadebat in sensu et in imaginatione; et sic remanebit pura essentia rei, puta hominis, quae consistit in his quae sunt hominis inquantum est homo. Alio modo essentias rerum quas non videmus, cognoscimus per causas vel effectus eis proportionatos, cadentes in sensu. Si autem effectus non fuerint proportionati causae, non facient causam cognoscere quid est, sed quia est tantum, sicut patet de Deo. Tertio modo cognoscit essentias artificialium nunquam visorum, investigando ex proportione finis ea quae exiguntur ad illud artificiatum. Similiter an res sit, tripliciter cognoscit. Uno modo quia cadit sub sensu. Alio modo ex causis et effectibus rerum cadentibus sub sensu, sicut ignem ex fumo perpendimus. Tertio modo cognoscit aliquid in seipso esse ex inclinatione quam habet ad aliquos actus: quam quidem inclinationem cognoscit ex hoc quod super actus suos reflectitur, dum cognoscit se operari. Loquendo autem de cognitione habituum, qua cognoscuntur quid sint, eorum cognitio ex duobus ultimis modis commiscetur: quia habitus ipsos per actus cognoscimus, sicut causam per effectum. Et quia nos sumus causa actuum, ideo actus cognoscimus per actum rationis investigantis quid sit necessarium in actu illo ex proportione objecti boni et finis, sicut dictum est de artificialibus. Similiter cognitio qua cognoscitur an habitus sint, ex duobus ultimis modis est: quia enim cognoscere quid est, est principium ad sciendum quia est; ideo aliquis praedicto modo cognoscendo quid sit aliquis habitus, ex hoc quod videt talem actum exire qualis requiritur ad illum habitum, cognoscit quod ille habitus est in aliquo, etiam si ipse illum habitum non habeat; sed ille qui habet habitum, praeter hunc modum, tertio modo cognoscit se habere habitum, inquantum percipit inclinationem sui ad actum, secundum quam se habet aliqualiter ad actum illum. Et hoc quidem cognoscit homo per modum reflexionis, inquantum scilicet cognoscit se operari quae operatur. Et ideo dicit Augustinus, quod hujusmodi habitus cognoscuntur per suam potentiam quantum ad hunc modum. Ea vero quae consequuntur ad habitus, idest proprietates et accidentia ipsorum, cognoscuntur partim ex cognitione naturae habituum, secundum quod cognitio quid est, est principium ad cognoscendum quia est; partim vero ex eorum actibus, secundum quod conditiones causarum in effectibus repraesentantur.

Réponse. Une chose peut être connue de deux manières : d’une manière, selon ce qu’elle est; d’une autre manière, selon ce qui en découle. Or, la connaissance d’une chose selon ce qu’elle est peut être obtenue de deux manières : lorsqu’en est connue la quiddité et [lorsqu’en est connue] l’existence. Or, on connaît ce qu’est une chose lorsque sa quiddité est comprise. Le sens ne la comprend pas, mais [il comprend] seulement les accidents sensibles. L’imagination non plus ne [la comprend pas], mais [elle comprend] seulement les images des corps. Mais cela est l’objet propre de l’intellect, comme il est dit dans Sur l’âme, III. C’est pourquoi Augustin dit que l’intellect connaît les choses par leur essence parce que son objet est l’essence même d’une chose. Or, notre intellect comprend l’essence d’une chose de trois manières. D’une manière, il comprend les essences des choses qui tombent sous le sens en abstrayant de tout ce qui l’individualise et selon quoi elle tombe sous le sens et sous l’imagination. Ainsi demeurera l’essence pure d’une chose, par exemple, celle de l’homme, qui consiste dans ce qui appartient à l’homme en tant qu’il est homme. D’une autre manière, nous connaissons les essences des choses que nous ne voyons pas par les causes et par les effets qui leur sont proportionnés et qui tombent sous le sens. Mais si les effets ne sont pas proportionnés à la cause, ils ne feront pas connaître de la cause ce qu’elle est, mais seulement qu’elle existe, comme cela ressort pour Dieu. D’une troisième manière, [notre intellect] connaît les essences des œuvres d’art qui n’ont jamais été vues en recherchant, par la proportion à la fin, ce qui est requis pour cette œuvre d’art. De même, [notre intellect] connaît-il l’existence d’une chose de trois manières. D’une manière, parce qu’elle tombe sous le sens. D’une autre manière, à partir des causes et des effets des choses, qui tombent sous le sens, comme nous estimons qu’il existe du feu à partir de la fumée. De la troisième manière, [notre intellect] connaît que quelque chose existe en soi-même par l’inclination qu’on a à certains actes; et il connaît cette inclination par le fait qu’il réfléchit sur ses actes, alors qu’il sait qu’il agit. Pour parler de la connaissance des habitus, par laquelle il est connu qu’ils existent, leur connaissance est un mélange des deux derniers modes, car nous connaissons les habitus par leurs actes, comme [nous connaissons] la cause par l’effet. Et parce que nous sommes la cause des actes, nous connaissons donc les actes par l’acte de la raison qui recherche ce qui est nécessaire pour cet acte comparé à l’objet bon et à la fin, comme on l’a dit pour les œuvres d’art. De même, la connaissance par laquelle on sait qu’il existe un habitus vient des deux derniers modes. En effet, parce que la connaissance de la quiddité est le principe de la connaissance de son existence, en connaissant la quiddité d’un habitus, on voit quel acte est requis pour cet habitus, on sait que cet habitus se trouve chez quelqu’un, même si on n’a pas soi-même cet habitus. Mais celui qui possède l’habitus, en plus de cette manière, sait de la troisième manière qu’il a l’habitus, pour autant qu’il perçoit son inclination à l’acte avec lequel il est en rapport d’une certaine manière. L’homme connaît cela par mode de réflexion, pour autant qu’il sait qu’il accomplit ce qu’il accomplit. C’est pourquoi Augustin dit que ces habitus sont connus de cette manière par leur puissance. Mais ce qui découle des habitus, leurs propriétés et leurs accidents, est connu en partie par la connaissance de la nature des habitus, selon que la connaissance de leur quiddité est le principe de la connaissance de leur existence; mais en partie par leurs actes, selon que les conditions des causes sont représentées dans les effets.

 [10360] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod caritas bene potest cognosci quid est ex hoc quod homo scit quid requiritur ad actum caritatis ratione instructa auctoritate et fide; sed an sit caritas, non potest certitudinaliter cognosci neque ab habente, neque ab alio: quia cum ad actum caritatis requiratur aliquid per quod sit meritorius vitae aeternae; an hoc sit in actu, videri non potest pro certo; sed ex aliquibus signis et de se et de alio potest aliquis conjecturare quod caritatem habeat.

1. La quiddité de la charité peut tout à fait être connue du fait que l’homme sait ce qui est requis pour l’acte de la charité par la raison éclairée par l’autorité et par la foi. Mais ni celui qui la possède ni un autre ne peuvent savoir avec certitude si la charité existe. En effet, puisqu’est requis pour l’acte de charité ce qui le rend méritoire de la vie éternelle, on ne peut voir avec certitude que cela existe en acte; mais, à partir de certains signes, quelqu’un peut conjecturer de soi-même et d’un autre qu’ils ont la charité.

 [10361] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Angelorum essentiam non comprehendimus nunc, quia cognoscimus eos per actum nostri intellectus, qui non est proportionatus actui intellectus ipsorum, cum multo altiori modo cognoscant; sed actus nostri sunt proportionati habitibus ex quibus educuntur.

2. Nous ne comprenons pas maintenant l’essence des anges parce que nous les connaissons par l’acte de notre intelligence, qui n’est pas proportionné à l’acte de leur intellect, puisqu’ils connaissent d’une manière beaucoup plus élevée. Mais nos actes sont proportionnés aux habitus dont ils sont tirés.

 [10362] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod animam reflecti per cognitionem supra seipsam, vel supra ea quae ipsius sunt, contingit dupliciter. Uno modo secundum quod potentia cognoscitiva cognoscit naturam sui, vel eorum quae in ipsa sunt; et hoc est tantum intellectus cujus est quidditates rerum cognoscere. Intellectus autem, ut dicitur in 3 de anima, sicut alia, cognoscit seipsum, quia scilicet per speciem non quidem sui, sed objecti, quae est forma ejus; ex qua cognoscit actus sui naturam, et ex natura actus naturam potentiae cognoscentis, et ex natura potentiae naturam essentiae, et per consequens aliarum potentiarum: non quod habeat de omnibus his diversas similitudines, sed quia in objecto suo non solum cognoscit rationem veri, secundum quam est ejus objectum, sed omnem rationem quae est in eo, unde et rationem boni: et ideo consequenter per illam eamdem speciem cognoscit actum voluntatis et naturam voluntatis, et similiter etiam alias potentias animae et actus earum. Alio modo anima reflectitur super actus suos cognoscendo illos actus esse. Hoc autem non potest esse ita quod aliqua potentia utens organo corporali reflectatur super proprium actum, quia oportet quod instrumentum quo cognoscit se cognoscere, caderet medium inter ipsam potentiam et instrumentum quo primo cognoscebat. Sed una potentia utens organo corporali potest cognoscere actum alterius potentiae, inquantum impressio inferioris potentiae redundat in superiorem, sicut sensu communi cognoscimus visum videre. Intellectus autem cum sit potentia non utens organo corporali, potest cognoscere actum suum, secundum quod patitur quodammodo ab objecto, et informatur per speciem objecti: sed actum voluntatis percipit per redundantiam motus voluntatis in intellectu ex hoc quod colligantur in una essentia animae, et secundum quod voluntas quodammodo movet intellectum, dum intelligo, quia volo; et intellectus voluntatem, dum volo aliquid, quia intelligo illud esse bonum. Et ita in hoc quod cognoscit intellectus actum voluntatis, potest cognoscere habitum in voluntate existentem.

3. La réflexion de l’âme sur elle-même ou sur ce qui relève d’elle se produit de deux manières. D’une manière, selon que la puissance cognitive connaît sa propre nature ou celle de ce qui se trouve en elle : cela n’est le fait que de l’intellect à qui il appartient de connaître les quiddités des choses. Or, comme on le dit dans Sur l’âme, III, l’intellect se connaît, ainsi que les autres choses, non pas par une espèce de lui-même, mais [par une espèce] de l’objet, qui est sa forme. Par elle, il connaît la nature de son acte, et à partir de la nature de son acte, la nature de la puissance qui connaît, et à partir de la nature de la puissance, la nature de l’essence, et, par conséquent, celle des autres puissances. Non pas qu’il ait diverses similitudes de toutes ces choses, mais parce que, dans son objet, il ne connaît pas seulement la raison de ce qui est vrai, selon que cela est son objet, mais toute raison qui se trouve en lui, et donc la raison de bien. C’est pourquoi il connaît en conséquence par cette même espèce l’acte de la volonté et la nature de la volonté, et, de la même manière, les autres puissances de l’âme et leurs actes. D’une autre manière, l’âme réfléchit sur ses actes en connaissant l’existence de ces actes. Or, il ne peut arriver qu’une puissance qui utilise un organe corporel réfléchisse sur son propre acte, car il faut que l’instrument par lequel elle connaît qu’elle connaît soit intermédiaire entre la puissance elle-même et l’instrument par lequel elle connaissait en premier lieu. Mais une puissance utilisant un organe corporel peut connaître l’acte d’une autre puissance pour autant que l’impression d’une puissance inférieure rejaillit sur une puissance supérieure, comme nous connaissons par le sens commun que la vue voit. Or, l’intellect, étant une puissance qui n’utilise pas d’organe corporel, peut connaître son acte selon qu’il subit d’une certaine manière son objet et reçoit une forme par l’espèce de l’objet. Mais il perçoit l’acte de la volonté par un rejaillissement du mouvement de la volonté sur l’intellect du fait qu’ils sont reliés dans une seule essence de l’âme, et selon que la volonté meut l’intellect d’une certaine manière, alors que j’intellige parce que je le veux, et que l’intellect [meut] la volonté, alors que je veux quelque chose parce que je comprends que cela est bon. Et ainsi, du fait que l’intellect connaît l’acte de la volonté, il peut connaître l’habitus qui existe dans la volonté.

 [10363] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod illi qui non habent virtutem, habent apud se aliqua principia ex quibus possunt cognoscere naturam virtutum modo praedicto, et esse virtutes non in se, sed in aliis, dum vident aliquos operari tales actus quales sunt virtutum, et eo modo quo debent virtuosi operari.

4. Ceux qui n’ont pas la vertu possèdent certains principes par lesquels ils peuvent connaître la nature des vertus de la manière dite, et savoir que les vertus n’existent pas en eux, mais chez d’autres, lorsqu’ils voient que certains accomplissent les actes qui sont ceux des vertus et de la manière dont ceux qui sont vertueux doivent les accomplir.

 [10364] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod, sicut dictum est, tota cognitio qua cognoscit intellectus ea quae sunt in anima, fundatur super hoc quod cognoscit objectum suum, quod habet phantasma sibi correspondens: non enim oportet quod solum in phantasmatibus cognitio stet; sed quod ex phantasmatibus sua cognitio oriatur, et quod imaginationem in aliquibus relinquat.

5. Comme on l’a dit, toute connaissance par laquelle l’intellect connaît ce qui se trouve dans l’âme se fonde sur le fait qu’elle connaît son objet, qu’elle en a un fantasme qui lui correspond. En effet, il n’est pas nécessaire que la connaissance s’arrête aux fantasmes, mais que sa connaissance s’amorce dans les fantasmes et qu’elle délaisse l’imagination pour certaines choses.

 [10365] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod non cognoscit voluntatem et ea quae ad ipsam pertinent, per aliquam similitudinem ab eis abstractam, sed solum per similitudinem objecti sui, ut dictum est.

6. Il ne connaît pas la volonté et ce qui s’y rapporte par une similitude qui en est abstraite, mais seulement par une similitude de son objet, comme on l’a dit.

 

 

Articulus 3 [10366] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3 tit. Utrum virtutes sint habitus, vel potentiae

Article 3 – Les vertus sont-elles des habitus ou des puissances ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Les vertus sont-elles des habitus ou des puissances ?]

 [10367] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod virtutes non sint habitus, sed potentiae. Nulla enim res habet esse per habitum, sed per potentiam naturalem. Sed omnes res habent virtutem essendi vel semper, vel determinato tempore, ut dicitur in 1 Cael. et Mun. Ergo virtus non est habitus.

1. Il semble que les vertus ne soient pas des habitus, mais des puissances. En effet, aucune chose n’a l’être par un habitus, mais par une puissance naturelle. Or, toutes les choses ont la puissance d’être soit pour toujours, soit pour un temps déterminé, comme il est dit dans Sur le ciel et le monde, I. La vertu n’est donc pas un habitus.

 [10368] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, eadem est proportio potentiarum animae ad suos actus, et potentiarum naturalium ad suos: quia utrobique potentia est principium actus. Sed ipsae potentiae naturales virtutes dicuntur. Ergo et virtutes sunt ipsae potentiae.

2. Il existe une proportion entre les puissances de l’âme et leurs actes, et les puissances naturelles et les leurs, car, dans les deux cas, la puissance est le principe de l’acte. Or, les puissances naturelles elles-mêmes sont appelées des « vertus » (virtutes). Les vertus sont donc les puissances elles-mêmes.

 [10369] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, nomen virtutis a vi sumitur. Sed potentiae animae dicuntur vires. Ergo ipsaemet sunt virtutes.

3. Le mot « vertu » vient de vis [puissance]. Or, les puissances de l’âme sont appelées des vires [vertus, puissances]. Elles sont donc elles-mêmes des vertus.

 [10370] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, ex virtutibus laudamur, non tamen ex potentiis; non enim laudatur quis quod potest ab ira abstinere, sed quod moderate abstineat. Ergo virtutes non sunt potentiae.

Cependant, [1] nous sommes louangés pour des vertus, mais non pour des puissances. En effet, on ne louange pas quelqu’un parce qu’il peut s’abstenir de colère, mais parce qu’il s’en abstient avec modération. Les vertus ne sont donc pas des puissances.

 [10371] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, potentiae sunt a natura, et omnibus communes; quod de virtutibus non contingit. Ergo, et cetera.

 [2] Les puissances viennent de la nature et sont communes à tous, ce qui n’est pas le cas des vertus. Donc, etc.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Les vertus sont-elles des passions ?]

 [10372] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod virtutes sint passiones. Medium enim et extrema sunt unjus generis. Sed quaedam virtutes sunt medium in passionibus, ut in 2 Ethic. dicitur. Ergo ad minus illae sunt passiones.

1. Il semble que les vertus soient des passions. En effet, l’intermédiaire et les extrêmes appartiennent au même genre. Or, certaines vertus sont un milieu dans les passions, comme il est dit dans Éthique, II. Au moins celles-là sont donc des passions.

 [10373] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, laudabile est proprietas virtutis. Sed quaedam passiones sunt laudabiles, sicut verecundia, poenitentia et hujusmodi. Ergo ad minus aliquae passiones sunt virtutes.

2. Pouvoir être louangée est une propriété de la vertu. Or, certaines passions sont louables, comme la retenue, la pénitence et celles de cette sorte. Au moins certaines passions sont donc des vertus.

 [10374] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, contraria sunt in eodem genere. Sed quaedam passiones, sicut primi motus, sunt peccata. Ergo et aliquae passiones sunt virtutes.

3. Les contraires se situent dans le même genre. Or, certaines passions, comme les premiers mouvements, sont des péchés. Certaines passions sont donc des vertus.

 [10375] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, in omnibus virtutibus requiritur voluntarium, cujus principium est in nobis, ut dicitur in 3 Ethic. Sed principium passionum non est in nobis. Ergo virtutes non sunt passiones. Sed secundum virtutes dicimur boni, non autem secundum passiones: non enim qui irascitur, sed qui recte irascitur, laudatur. Ergo et cetera.

Cependant, le volontaire, dont le principe se trouve en nous, est nécessaire pour toutes les vertus, comme on le dit dans Éthique, III. Or, le principe des passions ne se trouve pas en nous. Les vertus ne sont donc pas des passions. Or, nous sommes appelés bons en raison des vertus, et non en raison des passions : en effet, on ne loue pas celui qui se met en colère, mais qui se met en colère correctement. Donc, etc.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Les vertus sont-elles des habitus ou des actes ?]

 [10376] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod virtutes non sint habitus, sed actus. Solis enim virtutibus meremur. Sed non meremur nisi actibus: non enim optimi et fortissimi coronantur, sed agonizantes qui vincunt, ut dicitur in 1 Ethicor. Ergo virtutes sunt actus.

1. Il semble que les vertus ne soient pas des habitus, mais des actes. En effet, nous méritons par les seules vertus. Or, nous ne méritons que par des actes : en effet, ce ne sont pas les meilleurs ni les plus forts qui sont couronnés, mais les combattants qui l’emportent, comme on le dit dans Éthique, I. Les vertus sont donc des actes.

 [10377] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, virtus est ultimum potentiae, ut dicitur in 1 Cael. et Mund. Sed ultima perfectio potentiae est actus. Ergo virtus est actus.

2. La vertu est le point ultime d’une puissance, comme on le dit dans Sur le ciel et le monde, I. Or, la perfection ultime d’une puissance est l’acte. La vertu est donc un acte.

 [10378] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 3 Praeterea, sicut non laudamur ex hoc quod sumus potentes irasci vel non irasci; ita nec ex hoc solo quod sumus ad hoc habiles vel ad illud. Sed ex dicta ratione philosophus probat in 2 Ethic., quod potentiae non sunt virtutes. Ergo neque habitus virtutes dici possunt eadem ratione; et sic relinquitur quod sint actus.

3. De même que nous ne sommes pas louangés parce que nous pouvons nous mettre en colère ou ne pas nous mettre en colère, de même ne le sommes-nous pas du seul faut que nous sommes capables de ceci ou de cela. Or, dans Éthique, II, le Philosophe prouve par cette raison que les puissances ne sont pas des vertus. Les habitus ne peuvent donc pas être appelés des vertus pour la même raison. Il reste donc qu’elles sont des actes.

 [10379] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod dicit philosophus in 2 Ethic., quod virtus est habitus voluntarius.

Cependant, [1] va en sens contraire ce que dit le Philosophe, Éthique, II, que « la vertu est un habitus volontaire ».

 [10380] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, Augustinus dicit, quod virtutes in nobis solus Deus operatur. Sed nostrorum actuum etiam nos causa sumus. Ergo virtutes non sunt actus.

 [2] Augustin dit que Dieu seul réalise les vertus en nous. Or, nous sommes aussi causes de nos actes. Les vertus ne sont donc pas des actes.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [10381] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod nomen virtutis, secundum sui primam impositionem, videtur in quamdam violentiam sonare; unde in 3 caeli et Mund. dicitur, quod motus accidentalis, idest violentus, est qui est a virtute, idest a violentia, non cum auxilio naturae. Sed quia non potest aliquid alteri violentiam inferre nisi per potentiam perfectam, secundum quam agat et non patiatur; inde tractum est nomen virtutis ad significandum omnem potentiam perfectam, sive qua potest aliquid in seipso subsistere, sive qua potest operari: et sic dicitur in 1 Cael. et Mund. quod virtus est ultimum potentiae: quia perfectio potentiae mensuratur ex ultimo et maximo quod quis potest. Et quia malum in actu contingit ex defectu potentiae agentis, ideo ad perfectionem potentiae exigitur quod bene operetur in suo genere: et propter hoc in 2 Ethic. dicitur, quod virtus est quae bonum facit habentem, et opus ejus bonum reddit; et in 6 Physicor. dicitur quod virtus est dispositio perfecti ad optimum, eorum scilicet ad quae potentia se extendit. Et quia de virtutibus humanis loquimur; ideo virtus humana erit quae perficiet humanam potentiam ad actum bonum et optimum. Cum autem homo ex hoc sit homo quod habet rationem et intellectum, illae potentiae humanae sunt quae aliqualiter rationales sunt, vel per essentiam, sicut quae sunt in parte intellectiva, vel per participationem, sicut quae sunt in parte sensitiva rationi obedientes. Hae autem potentiae, ut prius dictum est, ex natura potentiae non possunt esse determinatae ad actus bonos, nec perfecte determinantur nisi per habitus: unde virtutes humanae, de quibus loquimur, non sunt potentiae, sed habitus.

Le mot « vertu », selon son premier sens, semble signifier une certaine violence; ainsi, dans Sur le ciel et le monde, III, on dit que le mouvement accidentel, c’est-à-dire violent, est celui qui vient d’une puissance [a virtute], c’est-à-dire de la violence, et non pas de l’aide de la nature. Or, comme une chose ne peut faire violence à une autre que par une puissance parfaite, selon laquelle elle agit et ne subit pas, le mot « vertu » a donc été amené à signifier toute puissance parfaite, par laquelle on peut soit subsister en soi-même, soit agir. Ainsi est-il dit dans Sur le ciel et le monde, I, que la vertu est « le point ultime d’une puissance », car la perfection d’une puissance se mesure par le point ultime et le plus grand que quelqu’un puisse atteindre. Et parce que le mal dans un acte vient de la carence de la puissance d’un agent, il est donc requis pour la perfection d’une puissance qu’elle agisse bien dans son genre. Pour cette raison, dans Éthique, II, il est dit que « la vertu est ce qui rend bon celui qui la possède et qui rend son acte bon ». Et, dans Physique, VI, on dit que la vertu est « la disposition de ce qui est parfait à ce qui est le meilleur de ce sur quoi porte une puissance ». Et parce que nous parlons des vertus humaines, la vertu humaine sera donc celle qui perfectionnera une puissance humaine en vue d’un acte bon et le meilleur. Or, puisque l’homme est homme du fait qu’il possède la raison et l’intellect, les puissances humaines sont celles qui sont raisonnables d’une certaine manière, soit par essence, comme ce qui se trouve dans la partie intellective, soit par participation, comme celles qui se trouvent dans la partie sensible et obéissent à la raison. Or, ces puissances, comme on l’a dit plus haut, ne peuvent être déterminées à des actes bons par la nature de la puissance, et elles n’y sont parfaitement déterminées que par des habitus. Les vertus humaines dont nous parlons ne sont donc pas des puissances, mais des habitus.

 [10382] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod potentia naturalis qua quis potest esse, determinata est ad unum, scilicet ad esse: ideo ipsius perfectio secundum ipsam naturam potentiae esse potest; et ideo ipsa potentia virtus dicitur. Et similiter dicendum est de aliis potentiis naturalibus. Secus autem est de potentiis rationalibus, quae ad plurima se extendunt.

1. La puissance naturelle par laquelle quelqu’un peut exister a été déterminée à une seule chose : exister. Sa perfection, selon sa nature même de puissance, peut donc exister. Ainsi, la puissance elle-même est-elle appelée une vertu (virtus). Il faut parler de la même façon des puissances naturelles. Mais il en va autrement pour les puissances raisonnables, qui portent sur un très grand nombre de choses.

 [10383] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 2 Et per hoc patet responsio ad secundum.

2. La réponse au deuxième argument est ainsi claire.

 [10384] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod vis accipitur pro omni eo quod est principium operationis perfectae, quod importat nomen virtutis: unde potentiae animae magis possunt dici vires quam virtutes, et illae praecipue quae habent ordinem ad actus qui exercentur per corporalia instrumenta.

3. La force [vis] s’entend de tout ce qui est principe d’une opération parfaite, ce que comporte le mot « vertu ». Aussi les puissances de l’âme pêuvent-elles être appelées des « forces » plutôt que des « vertus », surtout celles qui sont ordonnées aux actes qui sont exercés par des instruments corporels.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [10385] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod ratio passionis contrariatur rationi virtutis: quia virtus in perfectionem potentiae sonat, ut dictum est. Omnis autem passio contingit ex hoc quod passum vincitur ab agente, et trahitur ad terminos ejus: unde passio virtus dici non potest. Sed in hoc perfectio potentiae consistit quod non permittit se trahi ad aliud nisi secundum quod ei congruit: unde virtutis est potentiam continere, ne per passiones immoderate distrahatur: et ideo virtus non est passio, sed passionum ordinatrix.

La raison de passion s’oppose à la raison de vertu, car la vertu indique la perfection d’une puissance, comme on l’a dit. Or, toute passion vient du fait que ce qui subit est vaincu par un agent et est entraîné à l’intérieur de ses frontières. Aussi la vertu ne peut-elle pas être appelée une passion. Mais la perfection d’une puissance consiste en ce qu’elle ne permet pas qu’elle soit entraînée à autre chose que ce qui lui convient. Il revient donc à la vertu de contenir une puissance afin qu’elle ne soit pas entraînée par des passions de manière immodérée. La vertu n’est donc pas une passion, mais l’ordonnatrice des passions.

 [10386] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod virtus dicitur medium in passionibus active, inquantum passiones ad medium reducit: unde non oportet quod sit in genere passionum.

1. La vertu est appelée un milieu des passions au sens actif pour autant qu’elle ramène les passions à un milieu. Il n’est donc pas nécessaire qu’elle fasse partie du genre des passions.

 [10387] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod laudabile non solum debetur ei quod habet plenam rationem virtutis, sed etiam ei quod participat aliquid virtutis; sicut laudantur actus virtutem praecedentes, si sint ordinati: et hoc modo verecundia, misericordia, et hujusmodi passiones, laudantur, inquantum ex bona voluntate consequuntur, quae turpia vitat, et aliorum mala quasi sua reputat. Bona autem voluntas est eorum quae ad virtutem exiguntur.

2. Le caractère louable n’est pas dû seulement à ce qui a la pleine raison de vertu, mais aussi à ce qui participe à quelque chose de la vertu. Ainsi les actes qui précèdent la vertu sont-ils louangés, s’ils sont ordonnés. De cette manière, la retenue, la miséricorde et les passions de ce genre sont-elles louangées pour autant qu’elles découlent d’une volonté bonne, qui évite ce qui est honteux et considère comme siens les maux des autres. Or, la volonté bonne porte sur ce qui est exigé pour la vertu.

 [10388] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod peccatum sonat in defectum potentiae operantis: unde passio magis potest esse peccatum quam virtus: nec tamen plenam rationem peccati habere potest, inquantum non ex electione procedit: unde primi motus non sunt peccata mortalia, quae directe virtutibus opponuntur, sed venialia; non tamen ut habitus, sed ut actus.

3. Le péché signale une carence de la puissance agissante. Aussi la passion peut-elle être davantage un péché que la vertu. Cependant, elle ne peut avoir la pleine raison de péché pour autant qu’elle ne procède pas d’un choix. Ainsi les premiers mouvements ne sont pas des péchés mortels, qui s’opposent directement aux vertus, mais des péchés véniels, non pas cependant en tant qu’habitus, mais en tant qu’actes.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [10389] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod virtus proprie loquendo includit respectum ad aliquid cujus principium sit, sicut currendi, vel essendi. Et quia actus, inquantum hujusmodi, cum sit ultimum, non ordinatur ad aliquid sicut effectus; ideo actus virtus dici non potest, nisi eo modo loquendi, quo habitus per actus nominantur, sicut causae per effectus: et de hoc in 2 Lib., dist. 27, quaest. 1, art. 1, plenius dictum est.

Au sens propre, l’aptitude (virtus) inclut le rapport à quelque chose dont elle est le principe, comme le fait de courir ou d’exister. Et parce que l’acte en tant que tel, puisqu’il est ce qui est ultime, n’est pas ordonné à quelque chose comme à un effet, l’acte ne peut être appelé vertu, si ce n’est pour dire que les habitus sont désignés par les actes, comme les causes par les effets. On a traité plus longuement de cette question dans le livre II, d. 27, q. 1, a. 1.

 [10390] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod meremur et habitibus et actibus; sed actibus quasi instrumentis merendi, quia merita essentialiter sunt actus: habitibus autem quasi principiis meritorum; et sic virtutibus mereri dicimur.

1. Nous méritons par les habitus et par les actes, mais par les actes comme par des instruments du mérite, car les mérites sont essentiellement des actes; mais [nous méritons] par les habitus comme par des principes des mérites. Ainsi dit-on que nous méritons par les vertus.

 [10391] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod virtus dicitur ultimum potentiae in eodem genere, quod est genus principii respectu ejus cujus dicitur potentia vel virtus; sed actus est ultimum extra genus illud: et ideo non oportet quod actus sit virtus.

2. On appelle vertu le point ultime d’une puissance à l’intérieur du même genre, qui est le genre du principe par rapport à ce dont elle est appelée la puissance ou la vertu. Mais l’acte est le point ultime en dehors de ce genre. Il n’est donc pas nécessaire que l’acte soit une vertu.

 [10392] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod habitus sunt determinati ad actus laudabiles, potentiae autem non, sed sunt contrariorum, ut dicitur in 5 Ethic.; et ideo non est eadem ratio de potentiis et habitibus.

3. Les habitus sont déterminés à des actes louables, mais non les puissances, qui portent sur des choses contraires, comme il est dit dans Éthique, V. C’est pourquoi il n’en va pas de même des puissances et des habitus.

 

 

Articulus 4 [10393] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 tit. Utrum habitus intellectuales possint dici virtutes

Article 4 – Les habitus intellectuels peuvent-ils être appelés des vertus ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Les habitus intellectuels peuvent-ils être appelés des vertus ?]

 [10394] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod habitus intellectuales non possint dici virtutes. Virtus enim, ut dicitur 2 Ethic., est habitus voluntarius, et circa voluptates et tristitias optimorum operativa. Sed hoc habitibus intellectualibus non competit. Ergo non sunt virtutes.

1. Il semble que les habitus intellectuels ne puissent pas être appelés des vertus. En effet, comme il est dit dans Éthique, II, « la vertu est un habitus volontaire et elle agit sur les voluptés et les tristesses des meilleurs ». Or, cela n’est pas le fait des habitus intellectuels. Ils ne sont donc pas des vertus.

 [10395] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, philosophus dividit scientiam contra virtutem, quasi diversa genera non subalternatim posita. Sed talium generum unum non praedicatur de alio. Ergo scientia non est virtus, et eadem ratione neque alii habitus cognitivi.

2. Le Philosophe oppose la science à la vertu, comme des genres différents qui ne sont pas subordonnés. Or, l’un de ces genres n’est pas prédiqué de l’autre. La science n’est donc pas une vertu et, pour la même raison, les autres habitus cognitifs.

 [10396] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 3 Praeterea, virtus dicitur per ordinem ad bonum, quia virtus est quae bonum facit habentem, et opus ejus bonum reddit, ut praetactum est. Sed habitus cognitivi, et praecipue speculativi, non ordinantur ad bonum sed ad verum, ut dicitur in 2 Ethic. Ergo praedicti habitus non sunt virtutes.

3. On parle de vertu par rapport au bien, car « la vertu est ce qui rend bon celui qui la possède et rend son action bonne », comme on l’a abordé plus haut. Or, les habitus cognitifs, surtout spéculatifs, ne sont pas ordonnés au bien, mais au vrai, comme on le dit dans Éthique, II. Les habitus mentionnés ne sont donc pas des vertus.

 [10397] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 4 Praeterea, virtutes ordinantur ad operandum, quia ipsa est quae opus bonum reddit, ut dictum est. Sed praedicti habitus non ordinantur ad operandum, sed ad cognoscendum. Ergo non sunt virtutes.

4. Les vertus sont ordonnées à l’action, car c’est elle qui rend l’action bonne, comme on l’a dit. Or, les habitus en question ne sont pas ordonnés à agir, mais à connaître. Ils ne sont donc pas des vertus.

 [10398] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, vita contemplativa est nobilior quam activa. Si ergo habitus morales qui perficiunt in vita activa, dicuntur virtutes, multo fortius habitus intellectuales, qui perficiunt in contemplativa, virtutes dici debent.

Cependant, [1] la vie contemplative est plus noble que la vie active. Si donc les habitus moraux qui perfectionnent pour la vie active sont appelés des vertus, à bien plus forte raison les habitus intellectuels, qui perfectionnent pour la vie contemplative, peuvent-ils être appelés des vertus.

 [10399] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, propter quod unumquodque, et illud magis. Sed secundum philosophum in 6 Eth. temperantia, fortitudo, et hujusmodi, non possunt proprie dici virtutes, nisi in intellectu accipiantur. Ergo intellectuales habitus debent dici virtutes.

 [2] La raison pour laquelle on [l’attribue] à tout vaut encore davantage pour [ce dont on parle]. Or, selon le Philosophe, Éthique, VI, la tempérance, la force et les habitus de ce genre ne peuvent, au sens propre, être appelées des vertus, que s’ils sont reçus dans l’intellect. Les habitus intellectuels doivent donc être appelés des vertus.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Les vertus morales sont-elles distinctes des vertus intellectuelles ?]

 [10400] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod virtutes morales ab intellectualibus non distinguantur. Morales enim virtutes a more dicuntur: qui videtur idem quod consuetudo, vel parum differre, ut dicitur in 2 Ethic. Sed consuetudo facit facilitatem, ut dicit Victorinus; et hoc patet tam in agendis quam in considerandis. Ergo virtutes morales ab intellectualibus distingui non debent.

1. Il semble que les vertus morales ne se distinguent pas des vertus intellectuelles. En effet, les vertus morales tirent leur nom de mos [comportement], qui semble être la même chose que l’habitude ou en différer peu, comme on le dit dans Éthique, II. Or, l’habitude donne de la facilité, comme le dit Victorin, et cela ressort pour ce qui doit être fait comme pour ce qui doit être considéré. Les vertus morales ne doivent donc pas être distinguées des vertus intellectuelles.

 [10401] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, ad scientiam moralem nihil pertinet nisi morale. Sed ad eam pertinent virtutes intellectuales, de quibus philosophus, in 6 Ethicorum, determinat. Ergo intellectuales virtutes sunt morales.

2. Ne relève de la science morale que ce qui est moral. Or, les vertus intellectuelles en relèvent; le Philosophe en détermine dans Éthique, VI. Les vertus intellectuelles sont donc des [vertus] morales.

 [10402] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 3 Praeterea, prudentia inter intellectuales ponitur: numeratur etiam et ipsa inter morales, cum sit una de quatuor cardinalibus. Ergo idem quod prius.

3. La prudence est placée parmi les vertus intellectuelles; elle est aussi énumérée parmi les vertus morales, puisqu’elle est une des quatre vertus cardinales. La conclusion est donc la même que précédemment.

 [10403] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 4 Praeterea, omnis virtus moralis consistit in medio. Sed medium determinatur secundum rationem rectam, ut dicitur 2 Ethic. Cum ergo per intellectuales virtutes rectificetur, videtur quod ipsae intellectuales virtutes sint morales.

4. Toute vertu morale consiste dans un milieu. Or, le milieu est déterminé selon la raison droite, comme il est dit dans Éthique, II. Puisque celle-ci est rendue droite par des vertus intellectuelles, il semble donc que les vertus intellectuelles elles-mêmes soient des vertus morales.

 [10404] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod philosophus morales contra intellectuales dividit.

Cependant, [1] en sens contraire, le Philosophe distingue les vertus morales et les vertus intellectuelles.

 [10405] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, diversorum perfectibilium diversae sunt perfectiones. Sed virtutes intellectuales perficiunt rationale per essentiam, virtutes autem morales rationale per participationem. Ergo dictae virtutes ad invicem distinguuntur.

 [2] Les perfections de perfectibles différents sont différentes. Or, les vertus intellectuelles perfectionnent ce qui est raisonnable par essence, mais les vertus morales, ce qui est raisonnable par participation. Les vertus indiquées sont donc distinctes les unes des autres.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Les vertus théologales doivent-elles être distinguées des vertus morales et des vertus intellectuelles ?]

 [10406] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod virtutes theologicae non debeant distingui ab utrisque. Ad ea enim ad quae potentia est naturaliter determinata, non indiget aliquo habitu superinducto. Sed cognitio Dei omnibus naturaliter est inserta, ut dicit Damascenus; et similiter desiderium summi boni, ut dicit Boetius 4 de Consolat. Ergo non indigemus aliquibus virtutibus quae Deum habeant pro objecto, quod dicitur ad virtutes theologicas pertinere.

1. Il semble que les vertus théologales doivent être distinguées [des vertus intellectuelles et des vertus morales]. En effet, il n’est pas besoin d’un habitus ajouté pour ce qui est déterminé par la nature. Or, « la connaissance de Dieu est naturellement donnée à tous », comme le dit [Jean] Damascène; de même en est-il du désir du Bien suprême, comme le dit Boèce dans La consolation, IV. Nous n’avons donc pas besoin de vertus qui ont Dieu comme objet, ce qu’ont dit relever des vertus théologales.

 [10407] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 2 Praeterea, sicut nos ponimus fruitionem divinam finem omnium actuum humanorum, ita philosophi posuerunt felicitatem. Sed ipsi non posuerunt aliquas virtutes quae haberent felicitatem pro objecto. Ergo nec nos indigemus aliquibus virtutibus quae Deum habeant pro objecto.

2. De même que nous mettons la jouissance de Dieu comme fin de tous les actes humains, de même les philosophes mettent-ils la félicité. Or, ils n’ont pas mis de vertus qui auraient la félicité pour objet. Nous n’avons donc pas besoin de vertus qui auraient Dieu pour objet.

 [10408] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 3 Praeterea, ad eumdem habitum pertinet cognoscere principia, et quae ex principiis cognoscuntur. Sed finis est principium in operabilibus, ut dicit philosophus in 7 Ethic., et 2 Physic. Ergo virtutes theologicae quae habent finem pro objecto, non debent distingui a cardinalibus, quae dirigunt nos in his quae sunt ad finem.

3. La connaissance des principes et la connaissance de ce qui vient des principes relèvent du même habitus. Or, la fin est le principe pour les actions qui doivent être posées, comme le dit le Philosophe dans Éthique, VII et dans Physique, II. Les vertus théologales qui ont la fin comme objet ne doivent donc pas être distinguées des vertus cardinales, qui nous dirigent pour ce qui est ordonné à la fin.

 [10409] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 4 Praeterea, perfectiones perfectibilibus proportionantur. Sed in nobis non est aliqua potentia perfectibilis per virtutem humanam nisi rationale per essentiam, quod perficitur virtute intellectuali, et rationale per participationem, quod perficitur virtute morali. Ergo nec potest esse aliud genus virtutum praeter duo praedicta genera.

4. Les perfections sont proportionnées à ce qui peut être perfectionné. Or, chez nous, il n’existe de puissance perfectible par une vertu humaine que ce qui est raisonnable par essence, qui est perfectionné par la vertu intellectuelle, et ce qui est raisonnable par participation, qui est perfectionné par la vertu morale. Il ne peut donc y avoir un autre genre de vertus en plus des deux genres mentionnées plus haut.

 [10410] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod apostolus, 1 Corinth., 13, ponit has virtutes, fidem, spem et caritatem, quae nec sunt intellectuales nec morales, ut patet discurrendo per singulas virtutes quae a sanctis et philosophis numerantur. Ergo oportet ponere tertium genus virtutum quae theologicae dicuntur.

Cependant, [1] l’Apôtre affirme en sens contraire, en 1 Co 13, ces vertus : la foi, l’espérance et la charité, qui ne sont ni intellectuelles ni morales, comme cela ressort en parcourant chacune des vertus qui sont énumérées par les saints et les philosophes. Il faut donc affirmer un troisième genre de vertus qu’on appelle théologales.

 [10411] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, magis distat Deus a creaturis quam quaevis creaturae ab invicem. Sed diversitas aliquarum creaturarum requirit diversitatem habituum. Ergo virtutes quae habent Deum pro objecto, ab aliis distinguuntur.

 [2] Dieu est plus éloigné des créatures que n’importe quelle créature par rapport à une autre. Or, la diversité entre les créatures exige une diversité d’habitus. Les vertus qui ont Dieu pour objet sont donc distinctes des autres.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [10412] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod, sicut ex praedictis patet, virtus est habitus perficiens potentiam humanam ad bonum actum. Contingit autem aliquem actum dici bonum dupliciter: uno modo formaliter et per se; alio modo materialiter et per accidens. Quia enim actus a proprio objecto formam recipit, ille actus formaliter dicitur bonus cujus objectum est bonum secundum rationem boni: et quia bonum est objectum voluntatis, ideo per modum istum actus bonus dici non potest nisi actus voluntatis, aut appetitivae partis. Materialiter autem actus dicitur bonus qui congruit potentiae operanti, quamvis ejus objectum non sit bonum sub ratione boni, sicut cum quis recte intelligit, et oculus clare videt. Et inde est quod voluntas imperat actus aliarum potentiarum, inquantum actus earum materialiter se habent ad rationem boni, quod est voluntatis objectum: et secundum hoc aliquid de formali bonitate voluntatis pervenit ad alios actus qui a voluntate imperantur, secundum quam laudabiles et meritorii sunt; ut cum quis ex recta intentione considerat vel ambulat. Tamen ista bonitas est praeter propriam rationem actus secundum suam speciem. Contingit enim actum alicujus potentiae non appetitivae esse bonum bonitate voluntatis, non autem bonitate sui generis: sicut cum quis propter Deum ambulat claudicando, vel ex bona intentione considerat ea in quibus hebes est. Sic ergo virtus potest dici dupliciter. Uno modo habitus perficiens ad actum bonum potentiae humanae, sive sit bonus materialiter, sive formaliter; et sic habitus intellectuales et speculativi virtutes dici possunt, quibus intellectus et ratio ad verum determinantur, cujus consideratio bonus actus ipsorum est; et sic loquitur philosophus in Ethic. de virtute. Alio modo potest dici virtus magis stricte, et secundum quod est in usu loquendi, habitus perficiens ad actum qui est bonus non solum materialiter, sed etiam formaliter: et sic solum habitus respicientes appetitivam partem virtutes dici possunt, non autem intellectuales, et specialiter speculativi.

Comme cela ressort de ce qui a été dit, la vertu est un habitus qui perfectionne une puissance humaine en vue d’une action bonne. Or, il arrive qu’un acte est dit bon de deux manières : d’une manière, formellement et par soi; d’une autre manière, matériellemenet et par accident. En effet, parce qu’un acte reçoit sa forme de son objet propre, l’acte dont l’objet est le bien selon la raison de bien est appelé bon formellement; et parce que le bien est l’objet de la volonté, l’acte bon de cette manière ne peut être appelé qu’un acte de la volonté ou de la partie appétitive. Mais un acte est appelé bon matériellement lorsqu’il convient à la puissance qui agit, bien que son objet ne soit pas le bien selon la raison de bien, comme lorsque quelqu’un intellige correctement et que l’œil voit clairement. De là vient que la volonté commande les actes des autres puissances pour autant que leur actes jouent le rôle de matière selon la raison de bien, qui est l’objet de la volonté. Sous cet aspect quelque chose de la bonté formelle parvient aux actes qui sont commandés par la volonté, par laquelle ils sont louables et méritoires, comme lorsque quelqu’un considère ou marche avec une intention droite. Cependant, il arrive que l’acte d’une puissance non appétitive soit quelque chose de bien par la bonté de la volonté, mais non par la bonté de son genre, comme lorsque quelqu’un marche en boîtant pour Dieu ou considère avec une intention bonne ce en quoi il est obtus. On peut donc parler de vertu de deux manières. D’une manière, pour l’habitus qui perfectionne en vue de l’acte bon d’une puissance humaine, qu’il soit bon matériellement ou formellement. De cette manière, les habitus intellectuels et spéculatifs peuvent être appelés des vertus, par lesquelles l’intellect et la raison sont déterminés au vrai et dont la considération est leur acte bon. C’est ainsi que le Philosophe parle de la vertu dans Éthique. D’une autre manière, on peut parler de vertu en un sens plus strict et selon la façon usuelle d’en parler, pour l’habitus qui perfectionne en vue d’un acte qui est bon non seulement matériellement, mais aussi formellement. C’est seulement en ce sens qu’on peut appeler des vertus les actes qui concernent la partie appétitive, mais non les [habitus] intellectuels, en particulier, les [habitus] spéculatifs.

 [10413] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illa verba intelliguntur de virtute morali, de qua philosophus ibi agit, quae secundo modo dicitur virtus; et sic etiam accipit virtutem in 4 Topic.

1. Ces paroles s’entendent de la vertu morale, dont le Philosophe traite à cet endroit, et qui est appelée une vertu selon la seconde manière. Il entend aussi vertu en ce sens dans Topiques, IV.

 [10414] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 2 Ex quo patet solutio ad secundum.

2. La réponse au deuxième argument ressort de cela.

 [10415] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ipsa virtus est materialiter bonum intellectus, cum sit finis ejus: finis enim habet rationem boni, ut dicitur 3 Metaph.

3. La vertu elle-même est matériellement le bien de l’intellect puisqu’elle est sa fin : en effet, la fin a raison de bien, comme il est dit dans Métaphysique, III.

 [10416] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod consideratio veri est quaedam operatio intellectus, ad quam virtus intellectualis ordinatur: sed habitus qui operativi dicuntur, ordinantur ulterius ad exteriorem operationem quae dicitur factio, secundum quod transit in exteriorem materiam transmutandam, ut patet in operibus mechanicis: et dicitur actio, secundum quod sistit in operante, prout ejus operationes et passiones modificantur, quod contingit in operibus virtutum moralium; et ideo prudentia, quae in eis dirigit, dicitur in 6 Ethic., recta ratio agibilium; ars vero mechanica recta ratio factibilium.

4. La considération du vrai est une opération de l’intellect à la laquelle la vertu intellectuelle est ordonnée; mais les habitus qui sont appelés opératifs sont en plus ordonnés à une opération extérieure qu’on appelle réalisation (factio), selon qu’elle passe dans une matière extérieure pour la transformer, comme cela ressort dans les réalisations mécaniques. Et elle est appelée action (actio), selon qu’elle réside dans le sujet agissant, pour autant que ses opérations et passions sont modifiées, ce qui se produit dans les actes des vertus morales. C’est pourquoi la prudence, qui dirige en cette matière, est appelée la raison droite des actions à poser (agibilia), dans Éthique, VI, mais l’art mécanique est appelé la raison des réalisations à faire (factibilia).

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [10417] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod mos dicitur dupliciter. Uno modo idem est quod consuetudo. Consuetudo autem importat quamdam frequentiam circa ea quae facere vel non facere in nobis est. Naturalia enim, vel quae semper fiunt, consueta non dicuntur: sed per voluntatem contingit aliquid in nobis facere vel non facere. Inde tractum est nomen moris ad significandum actus voluntarios, vel appetitivae partis, secundum inclinationem appetitus ad hujusmodi actus: quae quidem inclinatio quandoque est ex natura, quandoque ex consuetudine, quandoque ex infusione. Unde et dicuntur mores animalium ea quae proveniunt in ipsis ex passionibus appetitivae partis, sicut quod solicitantur circa filios, et quod repugnant, et hujusmodi: sicut patet in 9 de animalibus quamvis in eis dicantur mores magis secundum similitudinem quam secundum proprietatem: quia non agunt quasi dominium suorum actuum habentia, sed magis a natura aguntur, ut dicit Damascenus. Et sic etiam apud Graecos hoc nomen ethos dupliciter sumitur: et secundum quod importat diuturnitatem quamdam, dicitur febris Ethica: secundum autem quod importat morem secundo modo acceptum, dicitur scientia Ethica, quam nos moralem dicimus. Sic ergo loquendo de more actus, ita se habet ad hoc quod sit moralis, sicut se habet ad voluntatem et appetitum. Sunt enim aliqui actus a parte appetitiva eliciti, sicut velle, eligere, concupiscere, et hujusmodi; et tales actus essentialiter morales sunt. Alii vero sunt actus a parte appetitiva non eliciti, sed imperati, sicut ambulare, considerare et hujusmodi; et isti non sunt morales quantum ad speciem suam, sed solum quantum ad usum eorum, prout imperantur a voluntate; et ita virtutes, quae perficiunt appetitivam partem, proprie dicuntur morales. Virtutes autem perficientes intellectivam, perficiunt eam ad actus perfectos in genere cognitionis, non autem secundum ordinem ad imperium voluntatis. Per scientiam enim non fit ut aliquis recta intentione consideret sed ut verum in singulis videatur ei: et ideo virtutes morales ab intellectualibus distinguuntur.

On parle de mos de deux manières. D’une manière, c’est la même chose que la coutume (consuetudo). Or, la coutume comporte une certaine fréquence pour ce que nous devons faire ou ne pas faire. En effet, les réalités naturelles ou celles qui sont toujours réalisées ne sont pas appelées coutumières; mais il arrive que nous réalisions ou non quelque chose volontairement. De là, le mot mos a été amené à signifier des actes volontaires ou [des actes] de la partie appétitive, selon l’inclination de l’appétit à des actes de ce genre. Cette inclination vient parfois de la nature, parfois de la coutume et parfois du caractère infus. Ainsi appelle-t-on habitudes des animaux ce qui provient chez eux des passions de la partie appétitive, comme le fait qu’ils s’occupent de leurs petits, qu’ils se battent, et les choses de ce genre, comme cela ressort dans Sur les animaux, IX, bien qu’on parle dans leur cas d’habitudes plutôt par ressemblance qu’en un sens propre, car ils n’agissent pas en tant qu’ils ont la maîtrise de leurs actes, mais plutôt en tant qu’ils sont mus par la nature, comme le dit [Jean] Damascène. Aussi, chez les Grecs, le mot éthos a-t-il deux sens et, selon qu’il comporte une certaine durée, la fièvre est appelé éthique; mais, selon qu’il désigne les mœurs entendues dans le second sens, il signifie la science éthique, que nous appelons morale. Parlant ainsi de l’habitude d’un acte, elle a avec son caractère moral le même rapport qu’avec la volonté et l’appétit. En effet, il existe des actes qui sont issus de la partie appétitive, comme vouloir, choisir, désirer et ceux de ce genre : ces actes sont moraux de manière essentielle. Mais il existe d’autres actes qui ne sont pas issus de la partie appétitive, mais qui sont commandés, comme marcher, considérer et ceux de ce genre : ceux-ci ne sont pas moraux selon leur espèce même, mais seulement selon leur usage, pour autant qu’ils sont commandés par la volonté. Ainsi, les vertus qui perfectionnent la partie appétitive sont-elles appelées morales au sens propre. Mais les vertus perfectionnent la [partie] intellective en vue d’actes parfaits dans le genre de la connaissance, mais non selon leur ordre par rapport au commandement de la volonté. En effet, la science ne fait pas en sorte que quelqu’un considère avec une intention droite, mais qu’il voie en chaque chose ce qui est vrai. C’est ainsi que les vertus morales se distinguent des vertus intellectuelles.

 [10418] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo patet solutio ex aequivocatione moris.

1. La solution ressort du sens équivoque de mos.

 [10419] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod virtutes intellectuales non pertinent ad scientiam Ethicam quasi sint essentialiter morales, sed inquantum earum usus moralis est, quod a voluntate imperatur.

2. Les vertus intellectuelles ne se rapportent pas à la science éthique comme s’il s’agissait par essence de vertus morales, mais en tant que leur usage est moral, ce qui est ordonné par la volonté.

 [10420] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod, sicut Commentator dicit in 6 Ethic., prudentia media est inter morales et intellectuales: est enim essentialiter intellectualis, cum sit habitus cognitivus, et rationem perficiens; sed est moralis quantum ad materiam, inquantum est directiva moralium virtutum, cum sit recta ratio agibilium, sicut dictum est.

3. Comme le dit le Commentateur dans Éthique, VI, la prudence est intermédiaire entre les [vertus] morales et les vertus intellectuelles. En effet, elle est essentiellement intellectuelle, puisqu’elle est un habitus cognitif et qu’elle parfait la raison; mais elle morale par sa matière, dans la mesure où elle dirige les vertus morales, puisqu’elle est la droite raison des actions à poser, comme on l’a dit.

 [10421] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod medium determinatur per virtutem intellectualem et moralem secundum prudentiam, sed diversimode: quia prudentia determinat medium per modum dirigentis et ostendentis; sed virtus moralis per modum exequentis et inclinantis in medium. Unde dicit Tullius, quod operatur per modum naturae: et in hoc defecit Socrates, morales ab intellectualibus non distinguens: posuit enim omnes virtutes esse scientias quasdam, ut dicitur in 6 Ethic.

4. Le milieu est déterminé par une vertu intellectuelle et morale selon la prudence, mais de manière différente, car la prudence détermine le milieu en dirigeant et en montrant, mais la vertu morale, en exécutant et en inclinant vers le milieu. Aussi Tullius [Cicéron] dit-il qu’elle agit par mode de nature et, en cela, Socrate a manqué en ne distinguant pas les [vertus] morales des [vertus] intellectuelles : en effet, il affirmait que toutes les vertus étaient des sciences, comme on le dit dans Éthique, VI.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [10422] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod in omnibus quae agunt propter finem oportet esse inclinationem ad finem, et quamdam inchoationem finis: alias nunquam operarentur propter finem. Finis autem ad quem divina largitas hominem ordinavit vel praedestinavit, scilicet fruitio sui ipsius, est omnino supra facultatem naturae creatae elevatus: quia nec oculus vidit, nec auris audivit, nec in cor hominis ascendit, quae praeparavit Deus diligentibus se, ut dicitur 1 Corinth., 2, 9. Unde per naturalia tantum homo non habet sufficienter inclinationem ad illum finem; et ideo oportet quod superaddatur homini aliquid per quod habeat inclinationem in finem illum, sicut per naturalia habet inclinationem in finem sibi connaturalem: et ista superaddita dicuntur virtutes theologicae ex tribus. Primo quantum ad objectum: quia cum finis ad quem ordinati sumus, sit ipse Deus, inclinatio quae praeexigitur, consistit in operatione quae est circa ipsum Deum. Secundo quantum ad causam: quia sicut ille finis est a Deo nobis ordinatus non per naturam nostram, ita inclinationem in finem operatur in nobis solus Deus: et sic dicuntur virtutes theologicae, quasi a solo Deo in nobis creatae. Tertio quantum ad cognitionem, inclinatio in finem non potest per naturalem rationem cognosci, sed per revelationem divinam: et ideo dicuntur theologicae, quia divino sermone sunt nobis manifestatae: unde philosophi nihil de eis cognoverunt.

Chez tout ce qui agit en vue d’une fin, il est nécessaire qu’existe une inclination à la fin et une certaine amorce de la fin, autrement cela n’agirait jamais en vue d’une fin. Or, la fin à laquelle la générosité divine a ordonné ou prédestiné l’homme : la jouissance de lui-même, est entièrement supérieure à la capacité de la nature créée, car l’œil n’a pas vu, l’oreille n’a pas entendu, ni le cœur de l’homme ne s’est élevé jusqu’à ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment, 1 Co 2, 9. Aussi l’homme ne possède-t-il pas par ce qui lui est naturel une inclination suffisante à cette fin. C’est pourquoi il est nécessaire que soit ajouté à l’homme quelque chose qui l’incline à cette fin, comme il possède par ce qui lui est naturel une inclination à la fin qui lui est connaturelle. Les réalités ainsi ajoutées sont appelées vertus théologales pour trois raisons. Premièrement, en raison de leur objet, car, puisque la fin à laquelle nous avons été ordonnés est Dieu lui-même, l’inclination qui est prérequise consiste dans une opération qui porte sur Dieu lui-même. Deuxièmement, en raison de leur cause, car, de même que cette fin n’a pas été ordonnée pour nous par Dieu par notre nature, de même seul Dieu accomplit-il en nous l’inclination à la fin. Ainsi parle-t-on de vertus théologales comme si elles étaient créées en nous par Dieu seul. Troisièmement, pour ce qui est de la connaissance, l’inclination à la fin ne peut être connue par la raison naturelle, mais par la révélation divine. Elles sont donc appelées théologales parce qu’elles nous ont été manifestées par la parole divine. Aussi les philosophes n’en ont-ils rien connu.

 [10423] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis homo naturaliter ordinetur ad Deum et per cognitionem et per affectionem, inquantum est naturaliter ejus particeps, tamen quia est quaedam ejus participatio supra naturam, ideo quaeritur quaedam cognitio et affectio supra naturam: et ad hanc exiguntur virtutes theologicae.

1. Bien que l’homme soit naturellement ordonné à Dieu par la connaissance comme par l’affection, pour autant qu’il participe à lui naturellement, toutefois, parce qu’il existe une participation à lui qui dépasse la nature, on recherche une connaissance et un amour qui dépassent la nature. C’est pour ceux-ci que les vertus théologales sont exigées.

 [10424] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod felicitas illa quam philosophi posuerunt, est ad quam per vires naturales homo pervenire potest; et ideo ex seipso habet inclinationem naturalem in finem illum: unde non praeexiguntur aliquae virtutes inclinantes in finem, sed solum dirigentes in operibus quae sunt ad finem. Non sic autem est in proposito.

2. La félicité que les philosophes ont affirmée est celle à laquelle l’homme peut parvenir par ses forces naturelles. C’est pourquoi il a par lui-même une inclination naturelle à cette fin et pourquoi des vertus inclinant à une telle fin ne sont pas prérequises, mais seulement [des vertus] qui dirigent les actions qui sont ordonnées à cette fin. Mais il n’en va pas de même dans la question en cause.

 [10425] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod principia speculativa cognoscuntur per alium habitum naturalem quam conclusiones, scilicet per intellectum; conclusiones vero per scientiam. Sed in affectu non praecedit aliquis habitus naturalis, sed ex ipsa natura potentiae est inclinatio ad finem ultimum naturae proportionatum, ut dictum est. Sed ad finem supra naturam elevatum oportet habitum gratuitum praecedere alios habitus et in intellectuali, ut fidem, et in affectu, ut caritatem et spem ad quam naturalis inclinatio non pertingit.

3. Les principes naturels sont connus par un autre habitus que les conclusions, à savoir, par l’intelligence, alors que les conclusions [sont connues] par la science. Mais un habitus naturel ne précède pas dans l’affectivité, mais, par la nature même de la puissance, existe une inclination à la fin ultime proportionnée à la nature, comme on l’a dit. Mais pour une fin qui dépasse la nature, il est nécessaire qu’un habitus gratuit précède les autres habitus tant dans la partie intellectuelle, telle la foi, que dans la partie affective, telles la charité et l’espérance, que n’atteint pas l’inclination naturelle.

 [10426] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod non solum habitus distinguuntur ex subjectis, sed etiam ex objectis. Virtutes ergo morales et intellectuales distinguuntur ab invicem ex parte subjecti, ut dictum est; sed virtutes theologicae distinguuntur ab utrisque ex parte objecti, quod est supra naturale posse utriusque partis. Unde theologicarum virtutum aliqua respicit cognitionem, sicut fides, et habet communionem quamdam cum intellectualibus virtutibus; et aliqua respicit affectionem, sicut caritas, et habet communionem cum moralibus.

4. Les habitus ne se distinguent pas seulement par leurs sujets, mais aussi selon leurs objets. Les vertus morales et intellectuelles se distinguent donc les unes des autres du point de vue de leur sujet, comme on l’a dit; mais les vertus théologales se distinguent des deux du point de vue de leur objet, qui dépasse la capacité naturelle des deux parties. Aussi l’une des vertus théologales concerne-t-elle la connaissance, telle la foi, et elle a quelque chose en commun avec les vertus intellectuelles; et une autre concerne l’affectivité, telle la charité, qui a quelque chose en commun avec les [vertus] morales.

 

 

Articulus 5 [10427] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 5 tit. Utrum virtutes theologicae sint tantum tres

Article 5 – N’existe-t-il que trois vertus théologales ?

 [10428] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod sint plures virtutes theologicae quam tres. Quia virtus theologica, ut dictum est, habet Deum pro objecto. Sed timor Dei habet Deum pro objecto. Ergo est virtus theologica.

1. Il semble qu’il existe plus que trois vertus théologales, car, ainsi qu’on l’a dit, la vertu théologale a Dieu comme objet. Or, la crainte de Dieu a Dieu comme objet. Elle est donc une vertu théologale.

 [10429] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 5 arg. 2 Praeterea, sapientia est de divinis, scientia autem de creaturis. Ergo sapientia etiam est virtus theologica.

2. La sagesse porte sur les réalités divines, mais la science sur les créatures. La sagesse est donc aussi une vertu théologale.

 [10430] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea, latria colit Deum. Sed colere Deum habet Deum pro objecto. Ergo latria est virtus theologica.

3. La latrie rend un culte à Dieu. Or, rendre un culte à Dieu a Dieu comme objet. La latrie est donc une vertu théologale.

 [10431] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 5 arg. 4 Praeterea, fides habet Deum pro objecto, inquantum est prima veritas; spes vero, inquantum est summa largitas vel majestas; caritas autem, inquantum est summa bonitas. Cum ergo sint plura attributa in Deo, videtur quod sint etiam plures virtutes theologicae.

4. La foi a comme objet Dieu en tant qu’il est la vérité première; l’espérance, en tant qu’il est la suprême générosité ou majesté; mais la charité, en tant qu’il est la bonté suprême. Puisqu’il existe plus d’attributs en Dieu, il semble donc qu’il existe un plus grand nombre de vertus théologales.

 [10432] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 5 arg. 5 Sed contra, videtur quod sint tantum duae. Quia ad operationem finis non praeexigitur nisi cognitio finis, quod facit fides; et desiderium finis, quod facit caritas. Ergo videtur quod sint tantum duae virtutes theologicae.

5. Il semble qu’il n’y ait que deux [vertus théologales], car, pour l’opération portant sur la fin, ne sont prérequis que la connaissance de la fin, que donne la foi, et le désir de la fin, que donne la charité. Il semble donc qu’il n’existe que deux vertus théologales.

 [10433] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 5 arg. 6 Item, videtur quod sola una. Quia sola caritas Deum attingit. Sed omnis virtus attingit suum objectum. Ergo sola caritas habet Deum pro objecto, et ita sola debet dici virtus theologica.

6. Il semble qu’il n’existe qu’une seule [vertu théologale], car seule la charité atteint Dieu. Or, toute vertu atteint son objet. Donc, seule la charité a Dieu comme objet, et ainsi seule doit-elle être appelée une vertu théologale.

 [10434] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 5 s. c. 1 Item, videtur quod tres; per hoc quod dicitur 1 Corinth. 13, 13: nunc autem manent fides, spes, caritas, tria haec.

Cependant, [1] il semble qu’il en existe trois, selon ce que dit 1 Co 13, 13 : Maintenant demeurent la foi, l’espérance et la charité, ces trois choses.

 [10435] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 5 s. c. 2 Praeterea, per virtutes theologicas conformamur Trinitati. Ergo debent esse tres.

 [2] Par les vertus théologales, nous sommes rendus conformes à la Trinité. Il doit donc en exister trois.

 [10436] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod, sicut dictum est, virtutes theologicae faciunt in nobis inclinationem in finem, scilicet in Deum. In omni autem agente propter finem, quod agit per voluntatem, duo praeexiguntur quae circa finem habet, antequam ad finem operetur; scilicet cognitio finis, et intentio perveniendi ad finem. Ad hoc autem quod finem intendat, duo requiruntur; scilicet possibilitas finis, quia nihil movetur ad impossibile; et bonitas ejus, quia intentio non est nisi boni; et ideo requiritur fides, quae facit finem cognitum, et spes, secundum quam inest fiducia de consecutione finis ultimi, quasi de re possibili sibi; et caritas, per quam finis reputatur bonum ipsi intendenti, inquantum facit quod homo afficiatur ad finem; alias nunquam tenderet in ipsum.

Réponse. Comme on l’a dit, les vertus théologales créent en nous une inclination vers la fin : Dieu. Or, en tout ce qui agit en vue d’une fin, et qui agit par la volonté, deux choses sont prérequises qui concernent la fin, avant qu’on agisse en vue de la fin : la connaissance de la fin et l’intention de parvenir à la fin. Or, pour tendre vers la fin, deux choses sont prérequises : la possibilité de la fin, car rien n’est mû vers l’impossible; et sa bonté, car l’intention ne porte que sur ce qui est bon. C’est pourquoi la foi est requise, qui rend la fin connue, ainsi que l’espérance, par laquelle existe en soi la confiance d’atteindre la fin ultime, comme une chose qui nous est possible. La charité est aussi [requise], par laquelle la fin est considérée comme bonne pour celui qui y tend, dans la mesure où elle fait en sorte que l’homme soit affectivement porté (afficiatur) vers la fin, autrement il ne tendrait jamais vers elle.

 [10437] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod timor non dicit motum in Deum, sed magis fugam ab ipso, inquantum homo ex ipsius majestatis consideratione per reverentiam resilit in propriam parvitatem: et ideo non dicit aliquid quod praeexigatur ad motum in finem.

1. La crainte n’exprime pas un mouvement vers Dieu, mais plutôt le fait de le fuir, pour autant que l’homme, par la considération de sa majesté, se replie vers sa propre petitesse. Aussi n’exprime-t-elle pas quelque chose qui est prérequis au mouvement vers la fin.

 [10438] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sapientia est de divinis in statu viae per rationem creaturarum ex quibus creatorem cognoscimus; unde non est circa Deum secundum id quod in seipso est ut finis supra posse naturae elevatus, sicut fides.

2. La sagesse porte sur les réalités divines dans l’état de cheminement, selon la raison des créatures à partir desquelles nous connaissons le Créateur. Elle ne porte donc pas sur Dieu selon qu’il est en lui-même la fin qui dépasse la capacité de la nature, comme le fait la foi.

 [10439] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod latria non habet Deum pro objecto, sed id quod Deo exhibet tamquam debitum Deo: Deum autem habet pro fine proximo; unde non est virtus theologica, sed cardinalis.

3. La latrie n’a pas Dieu comme objet, mais ce qui est manifesté à Dieu comme une dette envers Dieu; cependant, elle a Dieu comme fin rapprochée. Elle n’est donc pas une vertu théologale, mais une [vertu] cardinale.

 [10440] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod virtutes theologicae non distinguuntur penes attributa divina, sed penes ea quae exiguntur in eo qui operatur propter finem, antequam propter finem operetur.

4. Les vertus théologales ne se distinguent pas selon les attributs divins, mais selon ce qui est requis chez celui qui agit en vue de la fin avant qu’il n’agisse en vue de la fin.

 [10441] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod cognitio et affectio finis non sufficiunt ad hoc quod homo incipiat operari propter finem, nisi habeat fiduciam de consecutione finis: quia alias nunquam inciperet operari; et praecipue quando finis est elevatus supra naturam operantis.

5. La connaissance et l’amour de la fin ne suffisent pas pour que l’homme commence à agir en vue de la fin, à moins qu’il n’ait confiance d’obtenir la fin, car autrement il ne commencerait jamais à agir, surtout lorsque la fin dépasse la nature de celui qui agit.

 [10442] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 5 ad 6 Ad sextum dicendum, quod caritas conjungit quodammodo realiter Deo, et sic attingit ipsum realiter; quod non facit fides et spes. Nec hoc requiritur ad operationem quae est circa Deum, sed quod operans uniatur ei quasi objecto operationis, sicut visus visibili etiam distanti.

6. La charité unit en quelque sorte réellement à Dieu, et ainsi elle l’atteint réellement, ce que ne font pas la foi et l’espérance. Et cela n’est pas requis pour une action qui porte sur Dieu, mais [il est requis] que celui qui agit soit uni à lui en tant qu’objet de l’opération, comme la vue l’est à ce qui est visible, même si cela est éloigné.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [La foi]

Prooemium

Prologue

 [10443] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 pr. Deinde quaeritur specialiter de fide; et circa hoc quaeruntur quinque: 1 quid sit fides, 2 de ejus actu; 3 de subjecto; 4 utrum sit virtus; 5 de ordine ejus ad alias virtutes.

On s’interroge ensuite sur la foi. À ce sujet, cinq questions sont posées : 1 – Qu’est-ce que la foi ? 2 – À propos de son acte. 3 – À propos de son sujet. 4 – Est-elle une vertu ? 5 – À propos de son rapport avec les autres vertus.

 

 

Articulus 1 [10444] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 1 tit. Utrum definitio apostoli quam ponit de fide, sit conveniens secundum omnem partem

Article 1 – La définition que donne l’Apôtre de la foi est-elle en tous points appropriée ?

 [10445] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Apostolus Hebr. 11, 1, dicit, quod fides est substantia sperandarum rerum, argumentum non apparentium; et videtur quod inconvenienter definiat fidem. Nullus enim habitus est substantia. Fides est habitus. Ergo non est substantia.

1. L’Apôtre dit en He 11, 1 : La foi est la substance des réalités espérées, la preuve de ce qui n’est pas visible, et il semble qu’il définisse la foi de manière inappropriée. En effet, aucun habitus n’est une substance. Or, la foi est un habitus. Elle n’est donc pas une substance.

 [10446] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, definitio debet dari ex prioribus, et ex his quae per se sunt. Sed objectum per se fidei non est res speranda, sed res credenda, et spes est posterior fide. Ergo debuit dicere, rerum credendarum, non, sperandarum.

2. La définition doit être donnée à partir de choses qui précèdent et de choses qui existent par elles-mêmes. Or, l’objet par soi de la foi n’est pas une réalité espérée, mais une réalité à croire, et l’espérance vient après la foi. Il devait donc dire : « des choses à croire », et non : des réalités espérées.

 [10447] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, sicut ad fidem sequitur spes, ita et caritas: quia caritas est magis propinqua fini quam spes. Ergo debuit dicere, quod est substantia diligendarum rerum magis quam sperandarum.

3. De même que l’espérance suit la foi, de même aussi la charité, car la charité est plus rapprochée de la fin que l’espérance. Il devait donc dire : « qui est la substance des choses aimées », plutôt que : des réalités espérées.

 [10448] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, fides est de his quae sunt supra rationem. Sed argumentum est actus rationis. Ergo fides non est argumentum.

4. La foi porte sur ce qui dépasse la raison. Or, la preuve est un acte de la raison. La foi n’est donc pas une preuve.

 [10449] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 1 arg. 5 Praeterea, idem non debet poni in diversis generibus. Sed argumentum est aliud genus quam substantia. Ergo male definit per utrumque.

5. La même chose ne doit pas être placée dans des genres différents. Or, la preuve est d’un autre genre que la substance. [Paul] définit donc mal les deux.

 [10450] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 1 arg. 6 Praeterea, ea quae sunt vera et non apparentia, sunt dubia. Sed non apparentia possunt esse vera ignota. Ergo cum fides sit cognitio quaedam, videtur quod magis debuit dicere, dubiorum, quam, non apparentium.

6. Ce qui est vrai, mais n’est pas manifeste, est douteux. Or, ce qui n’est pas manifeste peut être quelque chose de vrai mais d’ignoré. Puisque la foi est une connaissance, il semble donc qu’il devait plutôt dire : « de ce qui est douteux », que : de ce qui n’est pas visible.

 [10451] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 1 arg. 7 Praeterea, cognitio praecedit affectionem. Sed hoc quod dicit, argumentum non apparentium, pertinet ad cognitionem; quod autem dicit, substantia rerum sperandarum, pertinet ad affectionem. Ergo male ordinavit partes definitionis.

7. La connaissance précède l’affectivité. Or, ce qu’il dit : la preuve de ce qui n’est pas visible, se rapporte à la connaissance; mais ce qu’il dit : la substance des réalités espérées, se rapporte à l’affectivité. Il a donc mal ordonné les parties de la définition.

 [10452] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 1 arg. 8 Praeterea, unius rei est una definitio sicut unum esse. Sed de fide dantur multae aliae definitiones. Ergo haec non videtur esse sufficiens.

8. Il n’existe qu’une seule définition, comme un seul être, pour une seule réalité. Or, plusieurs autres définitions sont données de la foi. Celle-ci ne semble donc pas suffisante.

 [10453] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod dicta assignatio apostoli est recta et propria definitio fidei quantum ad ea quae exiguntur ad definitionem, quamvis non quantum ad modum definitionis, quam auctores, et etiam philosophi, neglexerunt, sicut etiam et formam syllogismi praetermittunt ponentes ea ex quibus syllogismus formari potest. Habitus autem quilibet per actum cognoscitur, et actus ex objecto specificatur, et ex fine bonitatem habet; et ideo apostolus definit fidem per duo, scilicet per comparationem ad objectum, quod est res non apparens, scilicet secundum naturalem cognitionem; et per comparationem ad finem, in hoc quod dicit: substantia rerum sperandarum. Quamvis enim idem sit objectum et finis fidei, non tamen secundum eamdem rationem: est enim Deus objectum ejus, inquantum est prima veritas supra posse naturale intellectus nostri elevata; et sic dicitur non apparens; est vero finis ejus, secundum quod est quodammodo bonum sua altitudine facultatem humanam excedens, sed sua liberalitate seipsum communicabilem praebens; et hoc dicitur res speranda.

Réponse. Cette attribution de l’Apôtre est correcte et elle est une définition propre de la foi, du point de vue de ce qui est requis pour une définition, bien qu’elle ne soit pas conforme à la manière de définir que des auteurs, et même des philosophes, ont négligée, de même qu’ils négligent la forme du syllogisme en exprimant ce dont un syllogisme peut être formé. Or, chaque habitus est connu par son acte, et l’acte est spécifié par son objet et reçoit sa bonté de sa fin. C’est pourquoi l’Apôtre définit la foi par deux choses : par rapport à son objet, qui est une réalité non manifeste selon la connaissance naturelle; et par rapport à la fin, lorsqu’il dit : la substance des réalités espérées. En effet, bien que l’objet et la fin de la foi soient la même chose, ce n’est cependant pas selon la même raison. En effet, Dieu est son objet en tant que Vérité première dépassant la capacité de notre intellect : ainsi est-il appelé non manifeste. Mais il est sa fin selon qu’il est en quelque sorte un bien qui dépasse par son élévation la capacité humaine, mais qui se donne lui-même par sa libéralité : et cela est appelé une réalité espérée.

 [10454] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod fides dicitur substantia, non quia sit in genere substantiae, sed quia quamdam proprietatem habet substantiae: sicut enim substantia est fundamentum et basis omnium aliorum entium, ita fides est fundamentum totius spiritualis aedificii. Et per hunc modum dicitur etiam quod lux est hypostasis coloris, quia in natura lucis omnes colores fundantur.

1. La foi est appelée substance, non pas parce qu’elle est dans le genre de la substance, mais parce qu’elle possède une propriété de la substance. En effet, de même que la substance est le fondement et la base de tous les autres êtres, de même la foi est-elle le fondement de tout l’édifice spirituel. De cette manière, on dit aussi que la lumière est l’« hypostase » de la couleur, parce que, dans la nature, toutes les couleurs se fondent sur la nature de la lumière.

 [10455] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in hoc quod dicit, rerum sperandarum, non intendit ponere objectum fidei, sed finem. Finis autem fidei ultimus quamvis sit ipsa veritas, cujus visio pro fide redditur, non tamen verum dicit rationem finis. Sed cum spes designet quemdam motum tendentis in finem, res speranda importat terminum illius motus, et ita importat rationem finis. Finis autem quantum ad intentionem prius est in omnibus habitibus qui ad voluntatem pertinent, quamvis sit posterius in adeptione.

2. En parlant de réalités espérées, il n’entend pas exprimer l’objet de la foi, mais sa fin. Or, la fin ultime de la foi, bien qu’elle soit la Vérité elle-même, dont la vision remplace la foi, n’exprime pas la véritable raison de la fin. Cependant, puisque l’espérance désigne un mouvement tendant vers la fin, la réalité espérée comporte le terme de ce mouvement, et ainsi comporte la raison de la fin. Or, la fin, du point de vue de l’intention, est ce qu’il y a de premier dans tous les habitus qui se rapportent à la volonté, bien qu’elle soit ce qui vient après dans l’obtention [de la fin].

 [10456] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod amor est communiter et rei jam adeptae et rei adipiscendae; spes autem est tantum rei adipiscendae: quia illud quod videt quis, quid sperat ? Roman. 8, 24. Unde cum fides sit de non visis, res speranda importat relationem ad finem proprium, secundum statum in quo est fides, non autem res diligenda; et ideo magis dicit, rerum sperandarum quam, diligendarum: quia definitio ex propriis debet dari.

3. L’amour porte également sur une chose déjà obtenue et sur une chose à posséder; mais l’espérance ne porte que sur une chose à obtenir, car ce que l’on voit, comment peut-on l’espérer ?Rm 8, 24. Puisque la foi porte sur des réalités qui ne sont pas vues, la réalité espérée comporte donc un rapport à sa fin propre, selon l’état où se trouve la foi, mais non à une chose à aimer. C’est pourquoi [Paul] dit plutôt : des réalités espérées, que « des réalités à aimer », car une définition doit être donnée à partir de ce qui est propre.

 [10457] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod argumentum proprie dicitur processus rationis de notis ad ignota manifestanda, secundum quod dicit Boetius, quod est ratio rei dubiae faciens fidem. Et quia tota vis argumenti consistit in medio termino, ex quo ad ignotorum probationem proceditur; ideo dicitur ipsum medium argumentum, sive sit signum, sive causa, sive effectus. Et quia in medio termino, vel in principio ex quo argumentando proceditur, continetur virtute totus processus argumentationis; ideo tractum est nomen argumenti ad hoc quod quaelibet brevis praelibatio futurae narrationis dicatur argumentum, sicut in epistolis Pauli singulis praemittuntur argumenta. Et quia principium vel medium dicitur argumentum inquantum habet virtutem manifestandi conclusionem, et haec virtus inest ei ex lumine intellectus agentis, cujus est instrumentum, quia omnia quae arguuntur, a lumine manifestantur, ut dicitur Ephes. 5; ideo ipsum lumen quo manifestantur principia, sicut principiis manifestantur conclusiones, potest dici argumentum ipsorum principiorum. Et his tribus ultimis modis potest dici fides argumentum. Primo inquantum ipsa fides est manifestativa alterius, sive inquantum unus articulus manifestat alium, sicut resurrectio Christi resurrectionem futuram; sive inquantum ex ipsis articulis quaedam alia in theologia syllogizantur; sive inquantum fides unius hominis confirmat fidem alterius. Secundo potest dici argumentum, inquantum est praelibatio futurae visionis, in qua veritas plenarie cognoscitur. Tertio inquantum lumen infusum, quod est habitus fidei, manifestat articulos, sicut lumen intellectus agentis manifestat principia naturaliter nota. Sed esse argumentum secundum primum modum accidit fidei; et ideo in definitione fidei ponitur argumentum secundum alterum duorum modorum ultimorum.

4. Un raisonnement est à proprement parler une démarche de la raison à partir de réalités connues, en vue de mettre en lumière des réalités ignorées; ainsi Boèce dit-il que la raison d’une chose douteuse donne la foi. Et parce que toute la force d’un argument consiste dans le moyen terme, à partir duquel on avance vers la preuve de choses ignorées, le moyen terme est lui-même appelé une preuve, qu’il s’agisse d’un signe, d’une cause ou d’un effet. Et parce que toute la démarche d’une argumentation est contenue en puissance dans le moyen terme ou dans le principe à partir duquel on progresse dans le raisonnement, le mot « preuve » a été amené à désigner toute anticipation d’un discours à venir, comme dans chaque épître de Paul des arguments sont placés au début. Et parce que le principe ou le moyen terme est appelé une preuve pour autant qu’il a la capacité de mettre en lumière une conclusion, et que cette capacité lui est inhérente en vertu de la lumière de l’intellect agent dont il est l’instrument, car tout ce qui est objet de démonstration est éclairé par la lumière, comme il est dit dans Ep 5, la lumière même par laquelle les principes sont éclairés, de même que les conclusions sont mises en lumière par les principes, peut être appelées une preuve des principes eux-mêmes. Or, la foi peut être appelée une preuve de ces trois dernières manières. Premièrement, pour autant que la foi éclaire autre chose, soit qu’un article en éclaire un autre, comme la résurrection du Christ [éclaire] la résurrection future, soit qu’à partir des articles eux-mêmes, certaines autres choses font l’objet de syllogismes en théologie, soit que la foi d’un homme confirme la foi d’un autre. Deuxièmement, elle peut être appelée une preuve en tant qu’elle est une anticipation de la vision à venir, dans laquelle la vérité est connue d’une manière plénière. Troisièmement, en tant que la lumière infuse, qui est l’habitus de la foi, éclaire les articles, comme la lumière de l’intellect agent éclaire les principes naturellement connus. Mais il arrive que la foi soit une preuve de la première manière; c’est pourquoi, dans la définition de la foi, le mot « preuve » est mis selon l’une ou l’autre des deux dernières manières.

 [10458] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod argumentum et substantia non ponuntur in definitione fidei sicut genera, sed quasi actus, sicut consuetum est quod habitus definiuntur per actus, quia ex eis cognoscuntur; et illorum actuum unus importat comparationem fidei ab objectum, alius comparationem ejus ad finem ultimum, ut dictum est.

5. « Preuve » et « substance » ne sont pas mis dans la définition de la foi en tant que genres, mais en tant qu’actes, de même qu’on a coutume de définir les habitus par leur acte, parce qu’ils sont connus par eux. L’un de ces actes comporte le rapport de la foi à son objet, l’autre son rapport à la fin ultime, comme on l’a dit.

 [10459] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod dubietas tollit firmitatem adhaesionis, quod non tollit hoc quod dicitur non apparens; sed tollit tantum visionem rei creditae; et ideo non potuit dici, dubiorum, quia fides habet firmam adhaesionem; sed dicitur, non apparentium, quia non habet plenam visionem.

6. Le doute enlève la fermeté de l’adhésion, ce que n’enlève pas le fait de dire qu’une chose n’est pas manifeste; mais cela enlève seulement la vision de la réalité crue. On ne pouvait donc pas dire : « [la preuve] des choses douteuses », car la foi comporte une adhésion ferme, mais on dit : de ce qui n’est pas visible, parce que [la foi] n’a pas la pleine vision.

 [10460] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod cognitio fidei ex voluntate procedit: quia nullus credit nisi volens; et ideo non est mirum, si in definitione fidei ea quae ad affectionem pertinent, his quae pertinent ad cognitionem, praeponuntur.

7. La connaissance de la foi procède de la volonté, car personne ne croit à moins de le vouloir. Il n’est donc pas étonnant que, dans la définition de la foi, ce qui se rapporte à l’affectivité soit placé avant ce qui se rapporte à la connaissance.

 [10461] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod si definitio de re aliqua daretur quae complete comprehenderet omnia principia rei, non esset unius rei nisi una definitio. Sed quia in quibusdam definitionibus ponuntur quaedam principia sine aliis, ideo contingit variari definitiones de una et eadem re. Definitio autem fidei data ab apostolo comprehendit omnia principia fidei, ex quibus habitus consueverunt definiri, scilicet finem, objectum, et actum; ex quibus etiam intelligitur genus et subjectum: quia ex actu cognoscitur quae potentia sit subjectum fidei; et iterum ex actu cognoscitur habitus, quod est genus fidei remotum; et ex fine cognoscitur virtus, quod est genus proximum. Et hoc etiam ponit Damascenus dicens, quod fides est rerum quae sperantur, hypostasis, rerum quae non videntur, redargutio; et addit quoddam accidens fidei, scilicet certitudinem, subdens: injudicabilis species, et certa, et quae comprehendi non potest, eorum quae a Deo nobis annuntiata sunt, et petitionum nostrarum fruitionis, idest adimpletionis. Facit enim fides certitudinem et de credendis, secundum quod est argumentum, et de adipiscendis, secundum quod est substantia rerum sperandarum. Dionysius autem in libro de Divin. Nom., definit fidem dicens: fides est manens credentium collocatio, quae justos collocat in virtute, et hoc est idem quod apostolus dicit: substantia rerum sperandarum. Augustinus autem dicit, quod fides est virtus qua creduntur quae non videntur; et hoc est idem quod dicit apostolus: argumentum non apparentium; et in idem redit quod Damascenus dicit, quod fides est non inquisitivus consensus: quia per hoc quod dicit, non inquisitivus, ostendit quod ea quae fidei sunt, non sunt pervia rationi inquirenti. Hugo autem de sancto Victore definit fidem per aliquod ejus accidens, scilicet certitudinem, dicens, quod fides est certitudo quaedam animi de absentibus supra opinionem et infra scientiam constituta. Et hoc etiam accidens fidei potest haberi ex definitione apostoli ex hoc quod fides est argumentum non apparentium: argumentum enim importat certitudinem; unde ponit scientiam supra opinionem: non apparentium vero importat absentiam cognoscibilis, per quod ponitur fides sub scientia. Unde patet quod definitio apostoli includit omnes alias definitiones de fide datas.

8. Si on donnait une définition d’une chose qui comporterait tous les principes de la choses, il n’y aurait qu’une seule définition d’une chose. Mais parce que, dans certaines définitions, on met certains principes sans les autres, il arrive que les définitions d’une seule et même chose diffèrent. Or, la définition de la foi donnée par l’Apôtre comporte tous les principes de la foi, à partir desquels les habitus ont coutume d’être définis : la fin, l’objet et l’acte. À partir d’eux, on comprend aussi le genre et l’acte, car, par la connaissance de l’acte, on sait quelle puissance est le sujet de la foi. De plus, à partir de l’acte, on connaît l’habitus, qui est le genre éloigné de la foi, et à partir de la fin, on connaît la vertu, qui en est le genre rapproché. C’est aussi ce qu’exprime [Jean] Damscène lorsqu’il dit : « La foi est l’hypostase de ce qu’on espère, la preuve de ce qui n’est pas visible », et il ajoute un accident de la foi, la certitude, en disant plus loin : « … la représentation indiscutable et certaine, qui ne peut être comprise, de ce qui nous a été annoncé par Dieu et de l’aboutissement de nos demandes», c’est-à-dire de [leur. En effet, la foi donne la certitude de ce qui doit être cru, selon qu’elle est une preuve, et de ce qui doit être obtenu, selon qu’elle est la substance des réalités espérées. Mais Denys, dans le livre sur Les noms divins, définit la foi en disant : « La foi est l’établissement durable des croyants, qui établit les justes dans la vertu », et cela est la même chose que ce que l’Apôtre dit : La substance des réalités espérées. Mais Augustin dit que la foi est « la vertu par laquelle est cru ce qui n’est pas vu ». Cela est la même chose que ce dit l’Apôtre : La preuve de ce qui n’est pas visible. Et cela revient à la même chose que ce que dit [Jean] Damascène, que la foi est « un consentement sans recherche », car lorsqu’il dit : « sans recherche », il montre que ce qui relève de la foi n’est pas accessible à la raison qui recherche. Mais Hugues de Saint-Victor définit la foi par un de ses accidents : la certitude, lorsqu’il dit que la foi est « une certitude de l’esprit à propos de réalités absentes, supérieure à l’opinion et inférieure à la science ». Cet accident de la foi peut être aussi tiré de la définition de l’Apôtre du fait que la foi est la preuve de ce qui n’est pas visible. En effet, la preuve comporte la certitude. Ainsi place-t-il la science au-dessus de l’opinion, mais ce qui n’est pas visible comporte l’absence de ce qui ne peut être connu, par quoi la foi est ainsi placée en-dessous de la science. Il est donc clair que la définition de l’Apôtre inclut toutes les autres définitions données pour la foi.

 

 

Articulus 2 [10462] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 tit. Utrum credere sit cum assensu cogitare

Article 2 – Est-ce que croire consiste à « penser en donnant son assentiment » ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Est-ce que croire consiste à « penser en donnant son assentiment » ?]

 [10463] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod credere non sit cum assensione cogitare, ut dicit Augustinus. Assentire enim voluntatis esse videtur, sicut consentire. Sed credere ad cognitionem pertinet. Ergo credere non est assentire.

1. Il semble que croire consiste à « penser en donnant son assentiment », comme le dit Augustin. En effet, donner son assentiment semble relever de la volonté, comme donner son consentement. Or, croire relève de la connaissance. Croire, ce n’est donc pas donner son assentiment.

 [10464] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, cogitare inquisitionem importat; quia cogitare est simul coagitare. Sed fides, ut dicit Damascenus, est non inquisitivus consensus. Ergo credere, quod est actus fidei, magis est assentire sine cogitatione, quam cum cogitatione.

2. Penser comporte une recherche, car penser (cogitare), c’est remuer (coagitare). Or, « la foi, comme le dit [Jean] Damascène, est un consentement sans recherche ». Croire, qui est l’acte de la foi, c’est donc donner son assentiment sans réflexion, plutôt qu’avec réflexion.

 [10465] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, cogitare est actus cogitativae potentiae, quae ponitur a philosophis in parte sensitiva, cum habeat organum determinatum. Sed ea quae sunt fidei, solus intellectus percipit. Ergo credere non habet cogitationem adjunctam.

3. Penser est l’acte de la puissance cogitative, qui est placée par les philosophes dans la partie sensible, puisqu’elle possède un organe déterminé. Or, seule l’intelligence perçoit ce qui relève de la foi. Croire ne comporte donc pas de réflexion associée.

 [10466] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 4 Praeterea, si credere est cum assensione cogitare, est scire, et hujusmodi. Ergo scire est idem quod credere; quod falsum est.

4. Si croire consiste à penser en donnant son assentiment, c’est ainsi savoir et les choses de ce genre. Donc, savoir est la même chose que croire, ce qui est faux.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La foi comporte-t-elle un seul acte ?]

 [10467] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod inconvenienter multiplicetur credere, secundum quod est actus fidei. Unius enim habitus unus est actus, ex quo habitus per actus discernuntur. Sed fides est unus habitus. Ergo tantum unus actus debet assignari.

1. Il semble que multiplier l’acte de croire, selon qu’il est l’acte de la foi, est inapproprié. En effet, un seul habitus a un seul acte, par lequel les habitus sont distingués. Or, la foi est un seul habitus. Il faut donc lui assigner un seul acte.

 [10468] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, de eo quod demonstratur, non est fides, sed scientia: quia quod demonstratur, non est non apparens. Sed Deum esse, demonstrative probatur etiam a philosophis. Ergo actus fidei non est credere Deum esse.

2. Du fait que quelque chose est démontré, il n’y a pas foi, mais science, car ce qui est démontré n’est pas invisible. Or, le fait que Dieu existe est prouvé de manière démonstrative, même par les philosophes. L’acte de foi ne consiste donc pas à croire que Dieu existe.

 [10469] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, in actu fidei discernitur fidelis ab infideli. Sed nullus est ita infidelis quin credat quod Deus non loquitur nisi verum. Ergo credere vera esse quae Deus loquitur, non est actus fidei; sed magis credere vera esse quae nuntius Dei loquitur: et sic credere homini magis est actus fidei quam credere Deo.

3. Le fidèle se distingue de l’infidèle par l’acte de la foi. Or, personne n’est à ce point infidèle au point de croire que Dieu ne dit pas seulement la vérité. Croire que ce que Dieu dit est vrai n’est donc pas un acte de foi, mais plutôt croire que ce que le messager de Dieu dit est vrai. Ainsi, l’acte de foi consiste plutôt à croire un homme qu’à croire en Dieu.

 [10470] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 4 Praeterea, fides et caritas sunt virtutes distinctae. Sed amare Deum est actus caritatis. Ergo credendo amare non est actus fidei.

4. La foi et la charité sont des vertus distinctes. Or, aimer Dieu est un acte de charité. Aimer en croyant n’est donc pas un acte de foi.

 [10471] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 5 Praeterea, per hoc quod homo Deum amat, in eum tendit et adhaeret ei, et membris ejus incorporatur. Ergo videtur quod superflue ponatur ista verborum inculcatio.

5. Par le fait que l’homme aime Dieu, il tend vers lui et adhère à lui, et il est incorporé à ses membres. Il semble donc que cette inculcation de paroles soit superflue.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [L’acte de foi est-il moins certain que l’acte de la science ?]

 [10472] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod actus fidei habeat minorem certitudinem quam actus scientiae. Quia, ut dicit Hugo de sancto Victore, fides est certitudo de absentibus, infra scientiam, et supra opinionem. Ergo sicut fides est certior quam opinio, ita est minus certa quam scientia.

1. Il semble que l’acte de foi a une certitude moindre que l’acte de la science, car, ainsi que le dit Hugues de Saint-Victore, « la foi est une certitude de l’esprit à propos de réalités absentes, inférieure à la science et supérieure à l’opinion ». De même que la foi est plus certaine que l’opinion, de même donc est-elle moins certaine que la science.

 [10473] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, certius est quod est dubitationi impermixtius, sicut albius est quod est nigro impermixtius. Sed ea quae sunt scita, nullo modo possunt habere dubitationem; ea autem quae sunt credita, possunt habere aliquem motum dubitationis salva fide. Ergo fides non habet tantam certitudinem sicut scientia.

2. Est plus certain ce qui n’est pas mêlé de doute, comme est plus blanc ce qui n’est pas mélangé avec le noir. Or, ce qui est connu par la science ne peut comporter aucun doute, mais ce qui est cru peut comporter un mouvement de doute, la foi étant sauve. La foi ne comporte donc pas la même certitude que la science.

 [10474] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, omnis certitudo nostrae cognitionis procedit ex visione sensus, vel ex visione intellectus. Sed fides est de his quae non videntur a sensu neque intellectu. Ergo fides non habet aliquam certitudinem, ut videtur.

3. Toute certitude de notre pensée provient de la vision du sens ou de la vision de l’intellect. Or, la foi porte sur ce qui n’est vu ni par le sens ni par l’intellect. La foi ne comporte donc pas de certitude, semble-t-il.

 [10475] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, Augustinus dicit, quod nihil est certius homini sua fide.

Cependant, [1] Augustin dit que « rien n’est plus certain pour l’homme que sa foi ».

 [10476] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, quanto ratio quae facit fidem, firmior est, tanto fides est certior. Sed scientiam facit ratio humana, quae in infinitum deficit a ratione divina, quae fidem facit. Ergo fides est multo certior quam scientia.

 [2] Plus la raison qui donne la foi est ferme, plus la foi est certaine. Or, la raison humaine produit la science, qui est infiniment inférieure à la raison divine qui donne la foi. La foi est donc bien plus certaine que la science.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [10477] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod, sicut dicit philosophus in 3 de anima, duplex est operatio intellectus. Una quae comprehendit quidditates simplices rerum; et haec operatio vocatur a philosophis formatio vel simplex intelligentia; et huic intellectui respondet vox incomplexa significans hunc intellectum: unde sicut in voce incomplexa non invenitur veritas et falsitas, ita nec in hac operatione intellectus: et ideo sicut vox incomplexa propter hoc quod non est in ea veritas et falsitas, non conceditur nec negatur; ita secundum hanc operationem intellectus non assentit vel dissentit: et propter hoc in hac operatione non potest inveniri fides, cujus est assentire; sed in alia operatione, qua intellectus componit et dividit, in qua jam invenitur verum et falsum, sicut in enuntiatione: et propter hoc intellectus in hac sua operatione assentit vel dissentit, sicut et enuntiatio conceditur aut negatur: et ideo in hac operatione invenitur fides, quae habet assensum. Cum autem ab assentiendo sententia dicatur, quae, ut dicit Isaac, est determinata acceptio alterius partis contradictionis; oportet quod qui assentit, intellectum ad alteram partem contradictionis determinet. Quod quidem contingit tripliciter, secundum triplicem nostri intellectus considerationem. Potest enim intellectus noster considerari uno modo secundum se; et sic determinatur ex praesentia intelligibilis, sicut materia determinatur ex praesentia formae: et hoc quidem contingit in his quae statim lumine intellectus agentis intelligibilia fiunt, sicut sunt prima principia, quorum est intellectus: et similiter determinatur judicium sensitivae partis ex hoc quod sensibile subjacet sensibus, quorum principalior et certior est visus; et ideo praedicta cognitio intellectus vocatur visio. Alio modo potest considerari intellectus noster secundum ordinem ad rationem, quae ad intellectum terminatur, dum resolvendo conclusiones in principia per se nota, earum certitudinem efficit: et hoc est assensus scientiae. Tertio modo consideratur intellectus in ordine ad voluntatem; quae quidem omnes vires animae ad actus suos movet: et haec quidem voluntas determinat intellectum ad aliquid quod neque per seipsum videtur, neque ad ea quae per se videntur, resolvi posse determinat, ex hoc quod dignum reputat illi esse adhaerendum propter aliquam rationem, qua bonum videtur ei illi rei adhaerere; quamvis illa ratio ad intellectum terminandum non sufficiat propter imbecillitatem intellectus, qui non videt per se hoc cui assentiendum ratio judicat; neque ipsum ad principia per se nota resolvere valet: et hoc assentire proprie vocatur credere. Unde et fides captivare dicitur intellectum, inquantum non secundum proprium motum ad aliquid determinatur, sed secundum imperium voluntatis: et sic in credente ratio per se intellectum non terminat, sed mediante voluntate. Quando vero ratio quae movet ad alteram partem, neque sufficit ad intellectum terminandum, quia non resolvit conclusiones in principia per se nota; neque sufficit ad voluntatem terminandum, ut bonum videatur illi parti adhaerere: tunc homo opinatur illud cui adhaeret, et non terminatur intellectus ad unum, quia semper remanet motus ad contrarium: accipit enim unam partem cum formidine alterius; et ideo opinans non assentit. Quando vero homo non habet rationem ad alteram partem magis quam ad alteram; vel quia ad neutram habet, quod nescientis est; vel quia ad utramque habet, sed aequalem, quod dubitantis est: tunc nullo modo assentit, cum nullo modo determinetur ejus judicium, sed aequaliter se habeat ad diversas. Patet ergo ex praedictis, quod cum assensione cogitare separat credentem ab omnibus aliis. Cum enim cogitatio discursum rationis importet, intelligens assensum sine cogitatione habet: quia intellectus principiorum est, quae quisque statim probat audita, secundum Boetium in Lib. de hebdomadibus. Sciens autem et assensum et cogitationem habet; sed non cogitationem cum assensu, sed cogitationem ante assensum: quia ratio ad intellectum resolvendo perducit, ut dictum est; credens autem habet assensum simul et cogitationem; quia intellectus ad principia per se nota non perducitur: unde, quantum est in se, adhuc habet motum ad diversa, sed ab extrinseco determinatur ad unum, scilicet ex voluntate. Opinans autem habet cogitationem sine assensu perfecto; sed habet aliquid assensus, inquantum adhaeret uni magis quam alii. Dubitans autem nihil habet de assensu, sed habet cogitationem. Nesciens autem neque assensum neque cogitationem habet.

Comme le dit le Philosophe dans Sur l’âme, III, l’opération de l’intellect est double. L’une comprend les quiddités simples des choses : cette opération est appelée par les philosophes la « formation » ou la « simple intelligence »; à cette intelligence correspond un mot simple signifiant cette simple intelligence. De même que, dans un mot simple, on ne trouve pas de vérité ou de fausseté, de même donc [n’en trouve-t-on pas] dans cette opération de l’intellect. De même donc qu’on ne concède pas ni ne nie un mot simple parce qu’il n’y a pas en lui de vérité ni de fausseté, de même l’intellect ne donne-t-il pas son assentiment ou son opposition selon cette opération de l’intellect. Pour cette raison, on ne peut pas trouver de foi, à laquelle il revient de donner son assentiment, dans cette opération, mais dans une autre opération, par laquelle l’intellect compose et divise, et dans laquelle se trouve déjà du vrai et du faux, comme dans l’énonciation. Pour cette raison, l’intellect donne son assentiment ou s’oppose par cette opération, comme une énonciation est aussi concédée ou repoussée. C’est pourquoi la foi, qui comporte un assentiment, se trouve dans cette opération. Comme, en se référant à l’assentiment (assentiendo), on parle d’une position (sententia), qui est l’acceptation déterminée d’une des parties de la contradiction, il faut donc que celui donne son assentiment détermine son intellect à l’une des parties de la contradiction. Or, cela se produit de trois manières, selon une triple considération de notre intellect. En effet, notre intellect peut être considéré en premier lieu en lui-même; ainsi, il est déterminé par la présence de l’intelligible, comme la matière est déterminée par la présence de la forme. Cela se produit pour ce qui devient immédiatement intelligible par la lumière de l’intellect agent, comme c’est le cas des premiers principes, sur lesquels porte l’acte appelé « simple intelligence » (intellectus). De même, le jugement de la partie sensible est-il déterminé par le fait que l’objet sensible est soumis aux sens, dont le principal et le plus certain est la vue. Aussi la connaissance de l’intellect mentionnée plus haut [la simple intelligence] est-elle appelée « vision ». En deuxième lieu, notre intellect peut être considéré selon son rapport à la raison, qui a comme terme l’acte de simple intelligence, lorsque, en ramenant des conclusions à des principes connus par eux-mêmes, il en donne la certitude. C’est là l’assentiment de la science. En troisième lieu, l’intellect est considéré dans son rapport avec la volonté, qui meut toutes les puissances de l’âme à leurs actes. Cette volonté détermine l’intellect à quelque chose qui n’est pas vu par soi et elle ne détermine pas que cela peut se ramener à ce qui est vu par soi, du fait qu’elle estime qu’il est digne d’adhérer pour une autre raison pour laquelle il lui semble bon d’adhérer à cette chose, bien que cette raison ne suffise pas à réaliser la simple intelligence en raison de la faiblesse de l’intellect, qui ne voit pas par lui-même ce à quoi la raison juge devoir donner son assentiment. Elle ne peut pas non plus le ramener à des principes connus par eux-mêmes. C’est cet assentiment qui est appelé au sens propre croire. Aussi dit-on que la foi rend l’intelligence captive, pour autant que celle-ci n’est pas déterminée à quelque chose selon son propre mouvement, mais selon le commandement de la volonté. Ainsi, chez le croyant, la raison n’a-t-elle pas comme terme quelque chose de compris par soi, mais par l’intermédiaire de la volonté. Mais lorsque la raison qui meut à l’une des parties ne suffit pas à parfaire l’acte de comprendre, parce qu’elle ne ramène pas des conclusions aux principes connus par eux-mêmes; lorsqu’elle ne suffit pas non plus à parfaire la volonté de sorte qu’il paraisse bon d’adhérer à cette partie, alors l’homme a une opinion sur ce à quoi il adhère et son intelligence n’a pas comme terme quelque chose d’unique, car le mouvement vers ce qui est contraire demeure toujours : en effet, il accepte une partie en craignant l’autre.    C’est pourquoi en ayant une opinion, il ne donne pas son assentiment. Mais lorsqu’un homme n’a pas de raison d’aller dans un sens plutôt que dans l’autre, soit parce qu’il n’en a aucune, ce qui est le cas de l’ignorant, soit parce qu’il en a pour les deux, mais égale, ce qui est le cas de celui qui doute, alors il ne donne son assentiment d’aucune manière, puisque son jugement n’est aucunement déterminé, mais il se trouve devant des [raisons] diverses. Il est donc clair que penser en donnant son assentiment sépare le croyant de tous les autres. En effet, puisque la pensée comporte une démarche de la raison, celui qui intellige (intelligens) a un assentiment sans réflexion, car l’intelligence des principes est celle par laquelle n’importe qui fait aussitôt la preuve de ce qu’il a entendu, selon Boèce dans le Livre sur les semaines. Mais celui qui sait (sciens) a l’assentiment et la pensée, non pas une réflexion avec assentiment, mais une réflexion antérieure à l’assentiment, car la raison conduit à ramener [les conclusions aux premiers principes], comme on l’a dit. Mais le croyant (credens) a en même temps l’assentiment et la réflexion, car la raison n’est pas amenée à des principes connus par eux-mêmes. Par elle-même, elle conserve donc un mouvement vers différentes choses, mais elle est déterminée de l’extérieur à une seule par la volonté. Celui qui opine (opinans) a la réflexion sans un assentiment parfait; mais il a quelque chose de l’assentiment pour autant qu’il adhère davantage à l’une [des parties] qu’à l’autre. Mais celui qui doute (dubitans) n’a rien de l’assentiment, mais il a la réflexion. Cependant, l’ignorant (nesciens) n’a ni l’assentiment ni la réflexion.

 [10478] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quia sensus non habet se ad multa, sed determinate unum accipit, quia non confert; ideo determinatio potentiae, etiam superioris, a sensu denominatur, sed differenter: quia determinatio cogitationis ad aliquid, dicitur assensus, quia aliquid non praecedit; determinatio autem voluntatis ad unum, dicitur consensus, quia cogitationem praesupponit, cum qua simul sentit, dum in illud tendit quod ratio bonum esse judicat. Et ideo consentire dicitur voluntatis, sed assentire intellectus.

1. Parce que le sens n’a pas de rapport avec plusieurs choses, mais reçoit une seule chose de manière déterminée, puisqu’il n’établit pas de rapport, la détermination d’une puissance, même supérieure, est nommée d’après le sens, mais de manière différente, car la détermination de la réflexion à quelque chose s’appelle assentiment, parce que rien ne précède; mais la détermination de la volonté à une seule chose s’appelle le consentement parce qu’elle présuppose la pensée, avec laquelle elle est d’accord (con-sensus), lorsqu’elle tend vers ce que la raison juge être bon. C’est pourquoi on parle de consentement pour la volonté, mais d’assentiment pour l’intelligence.

 [10479] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod per hoc quod dicit Damascenus, quod fides est non inquisitivus assensus, excluditur inquisitio rationis intellectum terminantis, non inquisitio voluntatem inclinans: et ex hoc ipso quod intellectus terminatus non est, remanet motus intellectui, inquantum naturaliter tendit in sui determinationem. Unde fides consistit media inter duas cogitationes: quarum una voluntatem inclinat ad credendum, et haec praecedit fidem; illa vero tendit ad intellectum eorum quae jam credit: et haec est simul cum assensu fidei; unde dicitur Isaiae 7, 9: si non credideritis, non intelligetis.

2. Par ce que dit [Jean] Damascène, que « la foi est un consentement sans recherche », la recherche de la raison qui s’achève dans l’intellect est écartée, mais non une recherche qui incline la volonté. Par le fait même que l’intellect n’a pas atteint son terme, il demeure un mouvement dans l’intellect, pour autant qu’il tend naturellement vers sa détermination. La foi se tient donc entre deux réflexions : l’une incline la volonté à croire, et celle-ci précède la foi; mais l’autre tend à l’intelligence de ce qu’elle croit déjà, et celle-ci accompagne l’assentiment de la foi. Aussi est-il dit en Is 7, 9 : Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas.

 [10480] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illa potentia quae a philosophis dicitur cogitativa, est in confinio sensitivae et intellectivae partis, ubi pars sensitiva intellectivam attingit. Habet enim aliquid a parte sensitiva, scilicet quod consideret formas particulares; et habet aliquid ab intellectiva, scilicet quod conferat; unde et in solis hominibus est. Et quia pars sensitiva notior est quam intellectiva, ideo sicut determinatio intellectivae partis a sensu denominatur, ut dictum est, ita collatio omnis intellectus a cogitatione nominatur.

3. La puissance qui est appelée « cogitative » par les philosophes se situe aux confins de la partie sensible et de la partie intellective, là où la partie sensible est en contact avec la partie intellective. En effet, elle a quelque chose de la partie sensible : le fait de considérer des formes particulières; et elle a quelque chose de la partie intellective : le fait de mettre en rapport. Aussi se trouve-t-elle seulement chez les hommes. Et parce que la partie sensible est plus connue que la partie intellective, puisque la détermination de la partie intellective tire son nom du sens, comme on l’a dit, de même la mise en rapport par tout intellect est-elle appelée « cogitation ».

 [10481] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod jam patet ex dictis quod illa assignatio soli credenti convenit.

4. Il ressort déjà de ce qui a été dit que cette attribution convient au seul croyant.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [10482] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod sicut ex praedictis patet, actus credentis ex tribus dependet, scilicet ex intellectu, qui terminatur ad unum; ex voluntate, quae determinat intellectum per suum imperium; et ex ratione, quae inclinat voluntatem: et secundum hoc tres actus assignantur fidei. Ex hoc enim quod intellectus terminatur ad unum, actus fidei est credere Deum, quia objectum fidei est Deus secundum quod in se consideratur, vel aliquid circa ipsum, vel ab ipso. Ex hoc vero quod intellectus determinatur a voluntate, secundum hoc actus fidei est credere in Deum, idest amando in eum tendere: est enim voluntatis amare. Secundum autem quod ratio voluntatem inclinat ad actus fidei, est credere Deo: ratio enim qua voluntas inclinatur ad assentiendum his quae non videt, est quia Deus ea dicit: sicut homo in his quae non videt, credit testimonio alicujus boni viri qui videt ea quae ipse non videt.

Comme cela ressort de ce qui a été dit, l’acte du croyant dépend de trois choses : la simple intelligence, qui a son terme dans quelque chose d’un; la volonté, qui détermine l’intellect par son commandement; et la raison, qui incline la volonté. Conformément à cela, trois actes sont assignés à la foi. En effet, du fait que la simple intelligence a son terme dans quelque chose d’un, l’acte de foi consiste à croire Dieu, car l’objet de la foi est Dieu selon qu’il est considéré en lui-même ou quelque chose qui le concerne ou qui vient de lui. Mais du fait que l’intellect est déterminé par la volonté, l’acte de foi consiste à croire en Dieu, c’est-à-dire, en aimant, à tendre vers lui : en effet, il relève de la volonté d’aimer. Mais selon que la raison incline la volonté à des actes de foi, [l’acte de foi] consiste à croire à Dieu : en effet, la raison par laquelle la volonté est inclinée à donner son assentiment à ce qu’elle ne voit pas est que Dieu l’a dit, comme l’homme, pour ce qu’il ne voit pas, croit au témoignage d’un homme bon qui voit ce qu’il ne voit pas lui-même.

 [10483] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod per omnia praedicta non nominatur nisi unus completus actus fidei; sed ex diversis quae in fide inveniuntur diversimode nominatur: illo enim actu quo credit in Deum, credit Deo, et credit Deum.

1. Par tout ce qui a été dit, un seul acte de foi complet a été désigné; mais, selon les divers aspects qui se trouvent dans la foi, elle est désignée de diverses manières : en effet, dans l’acte par lequel elle croit en Dieu, elle croit à Dieu et elle croit Dieu.

 [10484] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis Deum esse, simpliciter possit demonstrari; tamen Deum esse trinum et unum, et alia hujusmodi, quae fides in Deo credit, non possunt demonstrari; secundum quae est actus fidei credere Deum.

2. Bien qu’on puisse simplement démontrer que Dieu existe, on ne peut cependant démontrer que Dieu est trine et un et les autres choses de ce genre, que la foi croit à propos de Dieu, aspects selon lesquels l’acte de foi croit à Dieu.

 [10485] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod fidelis credit homini non inquantum homo, sed inquantum Deus in eo loquitur, quod ex certis experimentis colligere potest: infidelis autem non credit Deo in homine loquenti.

3. Le fidèle croit à l’homme non pas en tant qu’homme, mais en tant que Dieu parle en lui, ce qu’il peut conclure de diverses preuves. Mais l’infidèle ne croit pas à Dieu qui parle dans l’homme.

 [10486] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod amare simpliciter est actus caritatis: sed amando credere est actus fidei per caritatem motae ad actum suum.

4. Aimer est simplement un acte de charité; mais croire en aimant est un acte de la foi mue à son acte par la charité.

 [10487] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod illa quatuor pertinent ad fidem secundum ordinem ad voluntatem, ut dictum est; voluntas autem est finis; et ideo ista quatuor distinguuntur secundum ea quae exiguntur ad consecutionem finis. Praeexigitur enim primo affectio ad finem; et ad hoc pertinet credendo amare. Ex amore autem et desiderio finis aliquis in finem incipit moveri; et ad hoc pertinet credendo in eum ire. Motus autem ad finem perducit ad hoc quod aliquis fini conjungatur; et ad hoc pertinet credendo ei adhaerere. Ex conjunctione autem ad finem aliquis in participationem perfectionum finis perducitur; et ad hoc pertinet credendo membris ejus incorporari.

5. Ces quatre choses concernent la foi dans son rapport avec la volonté, comme on l’a dit. Or, la volonté porte sur la fin. Aussi ces quatre choses se distinguent-elles selon ce qui est requis pour l’obtention de la fin. En effet, est d’abord exigée, en premier lieu, l’affection de la fin : à cela se rapporte le fait d’aimer en croyant, Or, à partir de l’amour et du désir de la fin, on commence à être mû vers la fin : à cela se rapporte le fait d’aller vers lui en croyant. Or, le mouvement vers la fin conduit à ce que l’on soit uni à la fin : à cela se rapporte le fait d’adhérer à lui en croyant. Or, a partir de l’union à la fin, on est amené à participer aux perfections de la fin : et à cela se rapporte le fait d’être incorporé à ses membres en croyant.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [10488] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod certitudo nihil aliud est quam determinatio intellectus ad unum. Tanto autem major est certitudo, quanto est fortius quod determinationem causat. Determinatur autem intellectus ad unum tripliciter, ut dictum est. In intellectu enim principiorum causatur determinatio ex hoc quod aliquid per lumen intellectus sufficienter inspici per ipsum potest. In scientia vero conclusionum causatur determinatio ex hoc quod conclusio secundum actum rationis in principia per se visa resolvitur: in fide vero ex hoc quod voluntas intellectui imperat. Sed quia voluntas hoc modo non determinat intellectum ut faciat inspici quae creduntur, sicut inspiciuntur principia per se nota, vel quae in ipsa resolvuntur; sed hoc modo ut intellectus firmiter adhaereat; ideo certitudo quae est in scientia et intellectu, est ex ipsa evidentia eorum quae certa esse dicuntur; certitudo autem fidei est ex firma adhaesione ad id quod creditur. In his ergo quae per fidem credimus, ratio voluntatem inclinans, ut dictum est, est ipsa veritas prima, sive Deus, cui creditur, quae habet majorem firmitatem quam lumen intellectus humani, in quo conspiciuntur principia, vel ratio humana, secundum quam conclusiones in principia resolvuntur; et ideo fides habet majorem certitudinem quantum ad firmitatem adhaesionis, quam sit certitudo scientiae vel intellectus: quamvis in scientia et intellectu sit major evidentia eorum quibus assentitur.

La certitude n’est rien d’autre que la détermination de l’intellect à une seule chose. Or, la certitude est d’autant plus grande qu’est plus fort ce qui cause la détermination. Cependant, l’intellect est déterminé à une seule chose de trois manières, comme on l’a dit. En effet, dans la simple intelligence, la détermination des principes est causée par le fait que quelque chose peut être suffisamment regardé par lui à la lumière de l’intellect. Mais, dans la science, la détermination des conclusions est causée par le fait qu’une conclusion se ramène, selon l’acte de la raison, aux principes vus en eux-mêmes. Mais, dans la foi, [la détermination est causée] par le fait que la volonté commande à la raison. Toutefois, parce que la volonté ne détermine pas l’intellect en lui faisant observer ce qui est cru, comme sont regardés les principes connus par soi ou ce qui est ramené à eux, de manière à ce que l’intellect adhère solidement, c’est la raison pour laquelle la certitude qui existe dans la science et dans la simple intelligence vient de l’évidence même de ce qu’on dit être certain, mais la certitude de la foi vient de la ferme adhésion à ce qui est cru. Dans ce que nous croyons par la foi, la raison inclinant la volonté, comme on l’a dit, est la Vérité première elle-même, Dieu, à qui l’on croit, qui a une solidité plus grande que la lumière de l’intellect humain, par lequel les principes sont regardés, ou la raison humaine, selon que les conclusions sont ramenées aux principes. C’est pourquoi la foi possède une plus grande certitude, pour ce qui est de la solidité de l’adhésion, que la certitude de la science ou de la simple intelligence, bien que, dans la science et dans la simple intelligence, existe une plus grande évidence de ce à quoi l’on donne son assentiment.

 [10489] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod certitudo fidei dicitur media inter certitudinem scientiae et opinionis non intensive per modum quantitatis continuae, sed extensive per modum numeri. Certitudo enim scientiae consistit in duobus, scilicet in evidentia, et firmitate adhaesionis. Certitudo autem fidei consistit in uno tantum, scilicet in firmitate adhaesionis. Certitudo vero opinionis in neutro. Quamvis certitudo fidei, de qua loquimur, quantum ad illud unum sit vehementior quam certitudo scientiae quantum ad illa duo. Vel dicendum, quod loquitur de fide quae est opinio firmata rationibus, non autem de fide infusa.

1. On dit que la certitude de la foi est intermédiaire entre la certitude de la science et celle de l’opinion, non pas selon l’intensité, à la manière d’une quantité continue, mais selon l’étendue, à la manière d’un nombre. En effet, la certitude de la science consiste en deux choses : l’évidence et la solidité de l’adhésion. Mais la certitude de la foi consiste dans une seule chose : la solidité de l’adhésion. Mais la certitude de l’opinion [ne consiste] en aucune des deux choses. Bien que la certitude la foi dont nous parlons soit plus intense sous ce seul aspect que la certitude de la science sous les deux aspects. Ou bien il faut dire qu’on parle de la foi qui est une opinion confirmée appuyée sur des arguments, mais non de la foi infuse.

 [10490] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod credenti accidit aliquis motus dubitationis ex hoc quod intellectus ejus non est secundum se terminatus in sui intelligibilis visione, sicut est in scientia et intellectu, sed solum ex imperio voluntatis; et ideo sciens quantum ad id non recedit a dubietate magis quam credens; sed credens secundum firmitatem adhaesionis magis recedit quam sciens secundum illa duo.

2. Le croyant connaît un mouvement de doute du fait que son intellect n’atteint pas son terme dans la vision de son objet intelligible, comme c’est le cas pour la science et pour la simple intelligence, mais seulement par le commandement de la volonté. C’est pourquoi, sur ce point, celui qui sait ne s’éloigne pas du doute plus que celui qui croit; mais le croyant s’éloigne davantage de celui qui sait, selon ces deux choses, par la solidité de son adhésion.

 [10491] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ratio illa ex insufficienti procedit, ut dictum est.

3. Cet argument vient de quelque chose d’insuffisant, comme on l’a dit.

 

 

Articulus 3 [10492] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 tit. Utrum fides sit in voluntate sicut in subjecto

Article 3 – La foi a-t-elle la volonté comme sujet ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La foi a-t-elle la volonté comme sujet ?]

 [10493] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod fides sit in voluntate sicut in subjecto. Quia, secundum Hugonem de Sanct. Vict., fides habet in cogitatione materiam, sed in affectu substantiam. Sed illud est subjectum accidentis ubi est sua essentia quae substantia dicitur. Ergo fides est in affectu sicut in subjecto.

1. Il semble que la foi n’ait pas la volonté comme sujet, car, selon Hugues de Saint-Victor, « la foi trouve sa matière dans l’intellect, mais sa substance dans l’affectivité ». Or, le sujet d’un accident est là où se trouve son essence, qui est appelée sa substance. La foi se trouve donc dans l’affectivité comme dans son sujet.

 [10494] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, sicut certitudo scientiae est ex intellectu, ita certitudo fidei est ex voluntate: quia credere non potest homo, nisi velit, ut dicit Augustinus. Sed subjectum scientiae est intellectus. Ergo eadem ratione subjectum fidei est voluntas.

2. De même que la certitude de la science se trouve dans l’intellect, de même la certitude de la foi se trouve-t-elle dans la volonté, car « l’homme ne peut croire que s’il le veut », comme le dit Augustin. Or, le sujet de la science est l’intellect. Pour la même raison, le sujet de la foi est donc la volonté.

 [10495] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, meritum in voluntate consistit. Sed actus fidei est meritorius. Ergo est actus voluntatis.

3. Le mérite se trouve dans la volonté. Or, l’acte de foi est méritoire. Il est donc un acte de la volonté.

 [10496] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 4 Praeterea, opposita sunt circa idem. Sed infidelitas est in voluntate, quia secundum quod est in intellectu, habet ignorantiam, quae non est peccatum, sed excusat. Ergo fides est in voluntate.

4. De plus, les contraires concernent la même chose. Or, l’infidélité se trouve dans la volonté, car, selon qu’elle se trouve dans l’intellect, elle comporte une ignorance, qui n’est pas un péché, mais qui l’excuse. La foi se trouve donc dans la volonté.

 [10497] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, objectum habitus concordat objecto potentiae, quae est ejus subjectum. Sed objectum fidei est verum, quod est objectum intellectus; non autem bonum quod est objectum voluntatis. Ergo subjectum fidei non est voluntas sed intellectus.

Cependant, [1] l’objet d’un habitus coïncide avec l’objet de la puissance qui est son sujet. Or, l’objet de la foi est le vrai, qui est l’objet de l’intellect, mais non le bien, qui est l’objet de la volonté. Le sujet de la foi n’est donc pas la volonté, mais l’intellect.

 [10498] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, ad eamdem vim pertinet fides et id quod fidei succedit in gloria. Sed id quod fidei succedit, scilicet visio, pertinet ad intellectum. Ergo et fides.

 [2] La foi concerne la même puissance que ce qui succède à la foi dans la gloire. Or, ce qui succède à la foi, la vision, se rapporte à l’intellect. Donc, la foi aussi.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La foi relève-t-elle de l’intellect pratique ?]

 [10499] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod pertineat ad intellectum practicum. Sicut enim dicit philosophus in 3 de anima, intellectus speculativus nihil dicit de fugiendo vel amabili. Sed per fidem instruimur quid vitare debeamus. Ergo fides est in intellectu practico.

1. Il semble que [la foi] relève de l’intellect pratique. En effet, ainsi que le dit le Philosophe dans Sur l’âme, III, l’intellect spéculatif ne dit rien à propos de ce qui doit être fui ou aimé. Or, par la foi, nous sommes instruits de ce que nous devons éviter. La foi se trouve donc dans l’intellect pratique.

 [10500] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, intellectus speculativus proportionaliter respondet imaginationi, sicut intellectus practicus aestimationi, quae est in parte sensitiva. Sed imaginatio non facit confidentiam et terrorem, ut dicitur in 2 de anima, immo per eam nos habemus ad terribilia ac si essemus in pictura considerantes. Ergo nec intellectus speculativus. Sed fides est principium spei et facit tremorem: quia Daemones credunt et contremiscunt, ut dicitur Jacob. 1. Ergo fides non est in intellectu speculativo.

2. L’intellect spéculatif correspond proportionnellement à l’imagination, comme l’intellect pratique [correspond] à l’estimative, qui se trouve dans la partie sensible. Or, l’imagination ne suscite pas la confiance et la terreur, ainsi qu’il est dit dans Sur l’âme, II, bien plus, nous regardons ce qui est objet de terreur comme si nous étions devant une peinture. Donc, l’intellect spéculatif [ne suscite pas la confiance ni la terreur]. Or, la foi est principe d’espérance et fait trembler, car les démons croient et tremblent, ainsi qu’il est dit en Jc 1. La foi ne se trouve donc pas dans l’intellect spéculatif.

 [10501] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, intellectus speculativus non permiscetur voluntati, sed practicus. Fides autem consistit in intellectu et voluntate, ut dictum est. Ergo subjectum ejus non est intellectus speculativus sed practicus.

3. L’intellect spéculatif ne se mêle pas à a volonté, mais l’intellect pratique [le fait]. Or, la foi se trouve dans l’intellect et dans la volonté, comme on l’a dit. Son sujet n’est donc pas l’intellect spéculatif, mais l’intellect pratique.

 [10502] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, intellectus practicus est contingentium operabilium a nobis. Sed fides est aeternorum. Ergo fides non est in intellectu practico.

Cependant, [1] l’intellect pratique porte sur des choses contingentes qui peuvent être accomplies par nous. Or, la foi porte sur des réalités éternelles. La foi ne se trouve donc pas dans l’intellect pratique.

 [10503] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, cognitio practica est causa cognitorum. Sed fides non est causa rerum quae creduntur. Ergo non est in intellectu practico.

 [2] La connaissance pratique est cause de ce qui est connu. Or, la foi n’est pas cause de ce qui est cru. Elle ne se trouve donc pas dans l’intellect pratique.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La foi est-elle une vertu intellectuelle ?]

 [10504] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod sit virtus intellectualis. Virtus enim intellectualis est quae habet pro subjecto intellectum. Sed fidei subjectum est intellectus. Ergo est virtus intellectualis.

1. Il semble que [la foi] soit une vertu intellectuelle. En effet, une vertu intellectuelle est celle qui a l’intellect comme sujet. Or, le sujet de la foi est l’intellect. Elle est donc une vertu intellectuelle.

 [10505] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, articuli fidei, quorum est fides, sunt sicut principia in aliis scientiis, ex quibus procedit theologia. Sed intellectus principiorum est virtus intellectualis, ut patet per philosophum in 6 Ethic. Ergo et fides articulorum est virtus intellectualis.

2. Les articles de foi, sur lesquels porte la foi, sont comme les principes dans les autres sciences : la théologie avance à partir d’eux. Or, l’intelligence des principes est une vertu intellectuelle, comme cela ressort de ce que dit le Philosophe dans Éthique, VI. La foi qui porte sur les articles [de foi] est donc une vertu intellectuelle.

 [10506] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 3 Praeterea, virtus intellectualis, ut dicit philosophus in 6 Ethic., est per quam non dicitur nisi verum. Sed fidei falsum subesse non potest. Ergo fides est virtus intellectualis.

3. Comme le dit le Philosophe dans Éthique, VI, une vertu intellectuelle est celle par laquelle on ne dit que ce qui est vrai. Or, ce qui est faux ne peut pas relever de la foi. La foi est donc une vertu intellectuelle.

 [10507] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod philosophus dicit in 6 Ethic., quod suspicio non est virtus intellectualis, sicut nec opinio; et eadem ratione nec fides, quae est ex eorum genere.

Cependant, [1] le Philosophe dit en sens inverse, dans Éthique, VI, que le soupçon n’est pas une vertu intellectuelle, pas plus que l’opinion. Pour la même raison, la foi non plus, qui fait partie de leur genre.

 [10508] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, virtus est ultimum in re de potentia, ut dicitur in 1 de caelo et Mun. Sed fides non ponit intellectum in ultimum sui, quia per ipsam intellectus non terminatur in aliqua visione. Ergo fides non est virtus intellectualis.

 [2] La vertu est le point ultime d’une puissance, comme il est dit dans Sur le ciel et le monde, I. Or, la foi ne fait pas de l’intellect sa réalité ultime, car l’intellect n’aboutit pas par elle à la vision. La foi n’est donc pas une vertu intellectuelle.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [10509] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod voluntas importat actum intellectus sicut et actum irascibilis et concupiscibilis. Ad hoc autem quod actus irascibilis et concupiscibilis sit perfectus, oportet quod non solum sit aliquis habitus in voluntate vel ratione imperante, sed etiam quod sit aliquis habitus in irascibili et concupiscibili exequente, ut faciliter actum exequatur; unde et oportet aliquem habitum esse in intellectu ad hoc quod voluntati faciliter obediat in his quae sunt supra rationem; et hoc est habitus fidei; et ideo subjectum fidei est intellectus.

La volonté implique un acte de l’intellect, comme un acte de l’irascible et du concupiscible. Or, pour que l’acte de l’irascible et du concupiscible soit parfait, il est nécessaire qu’existe non seulement un habitus dans la volonté ou dans la raison qui commande, mais aussi qu’existe un habitus dans l’irascible et le concupiscible qui exécutent, afin qu’ils exécutent facilement l’acte. Il est donc nécessaire qu’existe dans l’intellect un habitus pour que celui-ci obéisse facilement à la volonté pour ce qui dépasse la raison. C’est là l’habitus de la foi. Le sujet de la foi est donc l’intellect.

 [10510] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod substantia non sumitur ibi pro essentia, sed pro forma. Fidei autem forma quodammodo est caritas, ut infra patebit, quae in voluntate est.

1. « Substance » ne signifie pas là « essence », mais forme. Or, la forme de la foi est d’une certaine manière la charité, comme cela ressortira plus loin, laquelle se trouve dans la volonté.

 [10511] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod scientia et intellectus habent certitudinem per id quod ad cognitionem pertinet, scilicet evidentiam ejus cui assentitur; fides autem habet certitudinem ab eo quod est extra genus cognitionis, in genere affectionis existens; et ideo scientia et intellectus est sicut in subjecto in eo a quo habet certitudinem, non autem fides.

2. La science et la simple intelligence obtiennent leur certitude par ce qui se rapporte à la connaissance : l’évidence de ce à quoi elles donnent leur assentiment. Mais la foi tient sa certitude de ce qui se trouve hors du genre de la connaissance, et qui se trouve dans le genre de l’affectivité. C’est pourquoi la science et la simple intelligence se trouvent dans ce dont elles tiennent leur certitude comme dans leur sujet, mais non la foi.

 [10512] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod meritum consistit in voluntate sicut in causa, inquantum ipsa semper importat actum meritorium; non autem semper in ipsa est sicut in subjecto: quia actus meritorius quandoque elicitur ab aliis potentiis.

3. Le mérite se trouve dans la volonté comme dans sa cause, pour autant qu’elle suscite toujours un acte méritoire; mais il ne se trouve pas toujours en elle comme dans son sujet, car l’acte méritoire est parfois issu d’autres puissances.

 [10513] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod infidelitas est etiam in intellectu sicut in subjecto; in voluntate autem sicut in imperante infidelitatis actum ut est, actus infidelitatis demeritorius.

4. L’infidélité se trouve aussi dans l’intellect comme dans son sujet; mais l’acte déméritoire se trouve dans la volonté comme celle qui commande l’acte d’infidélité.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [10514] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod intellectus speculativus et practicus in hoc differunt quod intellectus speculativus considerat verum absolute, practicus autem considerat verum in ordine ad opus. Contingit autem quandoque quod verum ipsum quod in se considerabatur, non potest considerari ut regula operis, sicut accidit in mathematicis, et in his quae a motu separata sunt; unde hujusmodi veri consideratio est tantum in intellectu speculativo. Quandoque autem verum quod in re consideratur, potest ut regula operis considerari: et tunc intellectus speculativus fit practicus per extensionem ad opus. Hoc autem contingit dupliciter. Quia aliquando illud verum quod utroque modo potest considerari, non habet magnam utilitatem, nisi inquantum ordinatur ad opus: quia cum sit contingens, non habet fixam veritatem: sicut est consideratio de operibus virtutum; et tunc talis consideratio, quamvis possit esse et speculativi et practici intellectus, tamen principaliter est practici intellectus. Aliquando vero illius veri consideratio habet in se dignitatem quamdam, etiam si nunquam ad opus ordinetur, sicut accidit in consideratione divinorum, quorum cognitio dirigit in opere; et tamen visio Dei est ultimus finis operis; et tunc illa consideratio principaliter est in intellectu speculativo, et secundario in practico. Cum ergo fidei objectum proprium sit veritas prima, quae, inquantum est finis operis, regulat in opere: fides principaliter erit in intellectu speculativo, et secundario in practico: quia intellectus speculativus et practicus non sunt diversae potentiae, sed differunt fine, ut dicitur in 2 Metaphys., et 3 de anima, inquantum practicus ordinatur ad opus, speculativus autem ad veritatis inspectionem tantum.

L’intellect spéculatif et l’intellect pratique diffèrent en ce que l’intellect spéculatif considère le vrai de manière absolue, mais l’intellect pratique considère le vrai en rapport avec une œuvre. Or, il arrive parfois que le vrai qui était considéré en soi ne puisse être considéré comme règle d’une œuvre, comme cela se produit en mathématique et dans ce qui est séparé du mouvement. La considération de ce vrai se trouve donc seulement dans l’intellect spéculatif. Mais parfois le vrai qui est considéré dans une chose peut être considéré comme règle de l’œuvre : l’intellect spéculatif devient alors pratique en allant jusqu’à l’œuvre. Or, cela se produit de deux manières. Parce que ce vrai peut parfois être considéré des deux façons, il n’est d’une grande utilité que s’il est ordonné à l’œuvre, car, s’il est contingent, il ne comporte pas de vérité fixe, comme c’est le cas des actes des vertus. Une telle considération, bien qu’elle puisse relever de l’intellect spéculatif ou de l’intellect pratique, relève principalement de l’intellect pratique. Mais parfois la considération de ce vrai a en elle-même une certaine dignité, même si elle n’est jamais ordonnée à une œuvre, comme cela se produit pour la considération des réalités divines, dont la connaissance dirige l’action; et cependant la vision de Dieu est la fin ultime de l’action. Cette considération se trouve alors principalement dans l’intellect spéculatif et secondairement dans l’intellect pratique. Puisque l’objet propre de la foi est la Vérité première qui, en tant qu’elle est la fin de l’action, joue le rôle de règle pour l’action, la foi se trouvera donc principalement dans l’intellect spéculatif et secondairement dans l’intellect pratique, car l’intellect spéculatif et l’intellect pratique ne sont pas des puissances différentes, mais ils diffèrent par leur fin, comme il dit dans Métaphysique, II, et dans Sur l’âme, III, pour autant que l’intellect pratique est ordonné à l’action, mais l’intellect spéculatif à l’observation de la vérité seulement.

 [10515] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod fides inclinat ad operandum et fugiendum, inquantum illud verum quod in se considerari potest, accipitur ut regula operis.

1. La foi incline à agir et à fuir pour autant que cette vérité qui peut être considérée en elle-même est prise comme règle de l’action.

 [10516] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod inquantum verum quod fides considerat, accipitur ut conveniens vel contrarium, secundum hoc fides inducit vel tremorem vel spem vel aliquid hujusmodi.

2. Pour autant que la vérité que considère la foi est prise comme appropriée ou contraire, la foi entraîne ainsi le tremblement, l’espérance ou quelque chose de ce genre.

  [10517] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod conjunctio intellectus ad voluntatem non facit intellectum practicum, sed ordinatio ejus ad opus: quia voluntas communis est et speculativo et practico: voluntas enim est finis; sed finis invenitur in speculativo et practico intellectu.

3. L’union de l’intellect à la volonté ne fait pas l’intellect pratique, mais sa mise en rapport avec une action, car la volonté est commune à l’intellect spéculatif et à l’intellect pratique. En effet, la volonté porte sur la fin, mais la fin se rencontre dans l’intellect spéculatif et dans l’intellect pratique.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [10518] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod cum virtus ponat potentiam in ultimo quantum ad actum, non sufficit ad rationem virtutis quod potentia per actum ponatur in ultimo quantum ad objectum, sed oportet quod ponatur in ultimo quantum ad modum agendi, ut scilicet actus sit bonus non solum ex eo quod bonum est quod fit, sed eo quod bene fit, sicut patet in virtutibus moralibus. Bonum autem intellectus est verum, quod est finis et perfectio ejus. Unde non sufficit ad rationem virtutis intellectualis quod per eam cognoscatur verum; sed oportet quod actus quo verum consideratur, sit perfectus etiam ex modo, ut bene quis intelligat. Bene autem operari intellectum, non contingit ex hoc quod ex bona voluntate ejus operatio procedit, ut dictum est; sed efficacia intellectus ad objectum proprium conspiciendum vel in se vel per resolutionem ad id quod in se conspicitur. Fides autem per actum suum ponit intellectum in ultimo quantum ad objectum, inquantum facit assentire primae veritati; non autem quantum ad modum proprium ipsius intellectus: quia intellectus noster non est per fidem tantae efficaciae, ut id quod credit, inspicere per se possit, vel ad ea quae inspicit reducere; et ideo fides non est virtus intellectualis.

Puisque la vertu établit la puissance en son point ultime par rapport à son acte, il ne suffit pas pour la raison de vertu que la puissance soit établie par son acte au point ultime par rapport à son objet, mais il est nécessaire qu’elle soit établie en son point ultime par rapport à sa manière d’agir, de sorte que l’acte soit bon non seulement parce que ce qui est accompli est bon, mais la manière dont cela est accompli, comme cela ressort dans les vertus morales. Or, le bien de l’intellect est le vrai, qui est sa fin et sa perfection. Il ne suffit donc pas pour la raison de vertu intellectuelle que le vrai soit connu par elle, mais il est nécessaire que l’acte qui considère le vrai soit parfait aussi par sa manière, de sorte que l’on intellige bien. Or, la bonne opération de l’intellect ne vient pas du fait que son opération vienne d’une volonté bonne, comme on l’a dit, mais de l’efficacité de l’intellect pour regarder son objet propre en lui-même ou en le ramenant à ce qui est regardé en soi. Or, la foi place par son acte l’intellect en son point ultime du point de vue de son objet, pour autant qu’elle réalise un assentiment à la Vérité première, mais non quant à la manière qui est propre à l’intellect, car notre intellect n’a pas par la foi un telle efficacité qu’il puisse observer ce qu’il croit en soi ou ramener [ce qu’il observe] à ce qu’il observe. Aussi la foi n’est-elle pas une vertu intellectuelle.

 [10519] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non omnis habitus qui habet pro subjecto intellectum potest dici virtus intellectualis, nisi perficiat intellectum et quantum ad objectum et quantum ad modum actus.

1. Ce n’est pas n’importe quel habitus qui a l’intellect pour sujet et qui peut être appelé une vertu intellectuelle, à moins qu’il ne perfectionne l’intellect quant à son objeet et quant à au mode de son acte.

 [10520] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ad principia aliarum scientiarum videnda sufficit lumen intellectus agentis; et ideo habitus illorum principiorum est virtus; sed ad visionem articulorum neque lumen intellectus agentis sufficit, neque lumen fidei; et ideo non est virtus intellectualis.

2. Pour voir les principes des autres sciences, la lumière de l’intellect agent suffit. C’est pourquoi l’habitus qui porte sur ces principes est une vertu. Mais pour la vision des articles [de foi], ne suffisent ni la lumière de l’intellect agent, ni celle de la lumière de la foi. C’est pourquoi [la foi] n’est pas une vertu intellectuelle.

 [10521] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod hoc quod fides non errat, sed semper verum dicit, non est ex perfecto modo intelligendi, sed magis ex alio quod est extra intellectum, scilicet ex infallibili ratione, quae dirigit voluntatem.

3. Le fait que la foi n’erre pas, mais dit toujours ce qui est vrai ne vient pas du mode parfait d’intelliger, mais plutôt de quelque chose d’autre qui est extrinsèque à l’intellect : de la raison infaillible qui dirige la volonté.

 

 

Articulus 4 [10522] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4 tit. Utrum fides sit virtus, et utrum sit habitus

Article 4 – La foi est-elle une vertu et est-elle un habitus ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La foi est-elle une vertu ?]

 [10523] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod fides nullo modo sit virtus. Nulla enim virtus praeter intellectualem habet verum pro objecto, nec est habitus cognitivus, sed operativus. Sed fides est habitus cognitivus, et habet verum pro objecto. Ergo cum non sit virtus intellectualis, videtur quod nullo modo possit dici virtus.

1. Il semble que la foi ne soit aucunement une vertu. En effet, aucune vertu, à part une vertu intellectuelle, n’a le vrai comme objet, et elle n’elle pas un habitus cognitif, mais un habitus opératoire. Or, la foi est un habitus cognitif et elle a le vrai comme objet. Puisqu’elle n’est pas une vertu intellectuelle, il semble donc qu’elle ne puisse aucunement être appelée une vertu.

 [10524] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, credere videtur univoce dici, secundum quod dicimur aliis credere. Sed fides aliorum non est virtus. Ergo nec fides articulorum.

2. On parle de croire d’une manière univoque lorsqu’on dit que nous croyons les autres. Or, la foi aux autres n’est pas une vertu. Donc, ni la foi aux articles [de foi].

 [10525] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 3 Praeterea, omne quod est contra rationem, est vituperabile: quia malum hominis est contra rationem esse, ut dicit Dionysius. Sed fides cum faciat abnegare rationem, videtur contra rationem esse. Ergo credere est vituperabile; ergo fides non est virtus.

3. Tout ce qui va contre la raison est blâmable, car le mal pour l’homme consiste à être contraire à la raison, comme le dit Denys. Puisqu’elle fait renoncer la raison, la foi semble donc être contraire à la raison. Croire est donc blâmable. La foi n’est donc pas une vertu.

 [10526] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 4 Praeterea, sicut per fidem cognoscimus ea quae sunt supra rationem, ita et per prophetiam. Sed prophetia non dicitur virtus. Ergo nec fides.

4. De même que, par la foi, nous connaissons ce qui dépasse la raison, de même en est-il pour la prophétie. Or, la prophétie n’est pas appelée une vertu. Donc, ni la foi.

 [10527] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 5 Praeterea, in Deo dicuntur esse virtutes exemplares. Sed fides non habet exemplar in Deo. Ergo fides non est virtus.

5. On dit qu’en Dieu se trouvent les vertus qui ont caractère de modèles. Or, la foi n’a pas son modèle en Dieu. La foi n’est donc pas une vertu.

 [10528] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, nihil justificat nisi virtus. Sed fides justificat; Rom. 5, 1: justificati ergo ex fide. Ergo fides est virtus.

Cependant, [1] rien ne justifie à part la vertu. Or, la foi justifie, Rm 5, 1 : Justifiés donc par la foi. La foi est donc une vertu.

 [10529] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, vita spiritualis est per virtutem. Est autem vita spiritualis per fidem, ut dicitur Rom. 1 et 2. Ergo fides est virtus.

 [2] La vie spirituelle se réalise par la vertu. Or, la vie spirituelle existe par la foi, comme il est dit dans Rm 1 et 2. La foi est donc une vertu.

 [10530] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 1 s. c. 3 Praeterea, per virtutes efficimur filii Dei. Hoc autem fit per fidem; Joan. 1, 12: dedit eis potestatem filios Dei fieri, his qui credunt in nomine ejus. Ergo fides est virtus.

 [3] Nous devenons fils de Dieu par les vertus. Or, cela se réalise par la foi, Jn 1, 12 : Il a donné de pouvoir devenir fils de Dieu à ceux qui croient en son nom. La foi est donc une vertu.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La foi est-elle une seule vertu ?]

 [10531] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod fides non sit una virtus. Quidam enim articuli fidei sunt de aeternis, ut qui pertinent ad Trinitatem personarum; quidam vero de temporalibus, sicut qui pertinent ad incarnationem Christi. Sed scientia et sapientia sunt diversa dona per hoc quod sunt de temporalibus et aeternis. Ergo fides non est una virtus.

1. Il semble que la foi ne soit pas une seule vertu. En effet, certains articles portent sur des réalités éternelles, tels ceux qui se rapportent à la Trinité des personnes, mais certains sur des réalités temporelles, tels ceux qui se rapportent à l’incarnation du Christ. Or, la science et la sagesse sont des dons différents par le fait qu’elles portent [respectivement] sur des réalités temporelles et sur des réalités éternelles. La foi n’est donc pas une seule vertu.

 [10532] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, spes et timor differunt per hoc quod spes est de bonis futuris, timor vero de malis. Sed fides est de utrisque, quia est de suppliciis et praemiis. Ergo fides non est una virtus.

2. L’espérance et la crainte diffèrent par le fait que l’espérance porte sur les biens futurs, mais la crainte sur les maux. Or, la foi porte sur les deux, car elle porte sur les supplices et sur les récompenses. La foi n’est donc pas une seule vertu.

 [10533] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 3 Praeterea, ad fidem pertinent multa quae sunt moralis philosophiae, sicut fornicationem esse mortale peccatum; et quae sunt naturalis, sicut mundum non esse aeternum; et quae sunt philosophiae primae, sicut Deum habere curam de actibus humanis. Ergo videtur quod fides non sit unus habitus.

3. Beaucoup de choses qui font partie de la philosophie morale se rapportent à la foi, comme le fait que la fornication est un péché mortel; et à la philosophie naturelle, comme le fait que le monde n’est pas éternel; et à la philosophie première, comme le fait que Dieu prend soin des actes humains. Il semble donc que la foi ne soit pas un seul habitus.

 [10534] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, Ephes. 4, 5: una fides.

Cependant, [1] Ep 4, 5 dit : Il n’y a qu’une seule foi.

 [10535] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, sicut prudentia dirigit intentionem in politicis, ita fides in gratuitis, ut dicit Augustinus. Sed prudentia est una, quamvis in diversis intentionem dirigat. Ergo et fides.

 [2] « De même que la prudence dirige l’intention en matière politique, de même la foi pour les réalités gratuites », comme le dit Augustin. Or, la prudence est une, bien qu’elle dirige l’intention en diverses matières. Donc aussi, la foi.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [10536] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod, sicut supra dictum est, cum virtutis sit reddere opus bonum, operatio potest dici bona vel formaliter, inquantum procedit ex potentia quae movetur in bonum secundum rationem boni, vel materialiter, secundum quod est congruus et connaturalis potentiae. Et utroque modo actus fidei est bonus; quia et congruit intellectui inquantum est verorum; et iterum procedit a voluntate imperante, quae movetur in bonum quasi in objectum. Ex parte autem intellectus, quamvis habeat bonitatem ratione objecti, non tamen habet perfectionem, quia deficit modus, ut dictum est, eo quod non habeat conspicuam veritatem, cui adhaeret. Sed ex parte voluntatis potest habere perfectionem; inquantum voluntas perfecta in appetitu boni firmitatem et certitudinem facit in fide: et ideo Bernardus dicit, quod fides est voluntaria quaedam et certa praelibatio nondum propalatae veritatis. Unde patet quod fides est virtus, non quidem intellectualis, sed eo modo quo communiter loquimur de virtute, quae producit actum bonum ex bonitate voluntatis procedentem. Nec tamen est virtus moralis: quia non est ordinativa appetitus sensibilis, ut consistat circa delectationes et tristitias et operationes, sicut circa materiam et objectum: sed est virtus theologica; quod quidem genus philosophi non cognoverunt.

Comme on l’a dit dit plus haut, puisqu’il revient à la vertu de rendre l’action bonne, l’opération peut être appelée bonne soit formellement, pour autant qu’elle est issue d’une puissance qui est mue vers le bien selon la raison de bien, soit matériellement, selon qu’elle est appropriée et connaturelle à une puissance. L’acte de foi est bon des deux manières, car il convient à l’intellect pour autant que celui-ci porte sur ce qui est vrai, et il est issu de la volonté qui commande, qui meut vers le bien comme vers son objet. Mais, du point de vue de l’intellect, bien que [l’acte de foi] soit bon en raison de son objet, il n’atteint cependant pas la perfection, car la manière est déficiente, comme on l’a dit, du fait qu’il n’y a pas de vérité manifeste à laquelle il adhére. Mais, du point de vue de la volonté, [l’acte de foi] peut atteindre la perfection, pour autant que la volonté parfaite dans l’appétit du bien produit dans la foi la fermeté et la certitude. C’est pourquoi Bernard dit que la foi est « une anticipation volontaire et certaine d’une vérité qui n’est pas encore manifestée ». Il est donc clair que la foi est une vertu, non pas intellectuelle, mais au sens général où nous parlons de la vertu qui produit un acte bon provenant de la bonté de la volonté. Elle n’est cependant pas une vertu morale, car elle n’ordonne pas l’appétit sensible, de sorte qu’elle porte sur les plaisirs, les tristesses et les actes comme sur sa matière et son objet. Mais [la foi] est une vertu théologale, un genre que les philosophes n’ont pas connu.

 [10537] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod prima propositio habet veritatem de virtutibus quas philosophi cognoverunt, qui praeter intellectuales, nullas virtutes nisi morales posuerunt.

1. La première proposition est vraie pour les vertus que les philosophes ont connues, eux qui, en plus des vertus intellectuelles, n’ont pas affirmé d’autres vertus que les vertus morales.

 [10538] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ratio inclinans voluntatem ad credendum articulos, est ipsa veritas prima, quae est infallibilis; sed ratio quae inclinat voluntatem ad credendum alia, est vel aliquod signum fallibile, vel dictum alicujus scientis, qui et falli et fallere potest: unde voluntas non dat infallibilem veritatem intellectui credenti alia credibilia, sicut dat infallibilem veritatem credendi articulos fidei: et propter hoc haec fides est virtus et non alia.

2. La raison qui incline la volonté à croire les articles est la Vérité première elle-même, qui est infaillible. Mais la raison qui incline la volonté à croire d’autres choses est soit un signe faillible, soit ce que dit quelqu’un qui sait, qui peut se tromper et tromper. C’est pourquoi la volonté ne donne pas une vérité infaillible à l’intellect qui croit les autres choses croyables, comme elle donne une vérité infaillible en croyant aux articles. Pour cette raison, cette foi, et non une autre, est une vertu.

 [10539] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod fides non est contra rationem, sed supra rationem: et ideo non dicitur abnegare rationem quasi rationem veram destruens, sed quasi eam captivans in obsequium Christi, ut dicit apostolus 2 Corinth. 10.

3. La foi n’est pas contraire à la raison, mais elle dépasse la raison. C’est pourquoi on ne dit pas qu’elle renonce à la raison comme si elle détruisait la raison vraie, mais comme si elle la rendait captive pour obéir au Christ, comme le dit l’Apôtre, 2 Co 10.

 [10540] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod prophetia nullo modo potest esse virtus: neque intellectualis, cum non perficiatur per eam operatio intellectus secundum modum intellectui connaturalem: quia ea quae per prophetiam revelantur, non possunt resolvi ad principia naturaliter cognita: neque est virtus theologica, quia non habet Deum pro objecto, sed res temporales: neque iterum actus intellectus per prophetam a voluntate imperatur.

4. La prophétie ne peut être une vertu d’aucune façon : ni une vertu intellectuelle, puisque l’opération de l’intellect n’est pas perfectionnée par elle selon le mode connaturel à l’intellect, car ce qui est révélé par la prophétie ne peut être ramené aux principes naturellement connus; elle n’est pas non plus une vertu théologale, puisqu’elle n’a pas Dieu pour objet, mais des réalités temporelles. Il n’y a pas non plus dans la prophétie d’acte de l’intellect commandé par la volonté.

 [10541] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod fides habet exemplar in Deo quantum ad id quod perfectionis in ipsa est, scilicet cognitionem et certitudinem, sed non quantum ad id quod est imperfectionis: ex hoc enim non habet rationem virtutis.

5. La foi a un modèle en Dieu selon ce qui est parfait en elle : la connaissance et la certitude; mais non selon ce qui est imparfait. En cela, elle n’a pas raison de vertu.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [10542] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod habitus multitudinem et unitatem habet ex objecto. Objectum autem fidei est veritas prima, quae est simplex et invariabilis. Et ideo in fide invenitur duplex unitas: ex hoc enim quod unum et simplex est cui fides innititur, habitus fidei in habente non dividitur in plures habitus: ex hoc autem quod veritas est, habet potentiam uniendi diversos habentes fidem in similitudinem unius fidei, quae attenditur secundum idem creditum: quia, sicut dicit Dionysius, veritas habet vim colligendi et uniendi, e contrario error et ignorantia divisiva sunt.

Un habitus tire sa multiplicité et son unité de son objet. Or, l’objet de la foi est la Vérité première, qui est simple et invariable. C’est pourquoi on trouve une double unité dans la foi. En effet, du fait que ce sur quoi s’appuie la foi est unique et simple, l’habitus de la foi chez celui qui le possède n’est pas divisé en plusieurs habitus; mais du fait que c’est la Vérité, elle a le pouvoir d’unir ceux qui ont la foi dans la similitude d’une seule foi, qui se prend de l’identité de ce qui est cru, car, ainsi que le dit Denys, « la vérité a la capacité de rassembler et d’unir »; en sens contraire, l’erreur et l’ignorance sont facteurs de division.

 [10543] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod fides non est de aliquo temporali sicut de objecto; sed inquantum pertinet ad veritatem aeternam, quae est objectum fidei, sic cadit sub fide; sicut fides credit passionem, inquantum Deus passus est.

1. La foi ne porte pas sur quelque chose de temporel comme sur son objet; mais, dans la mesure où elle se rapporte à la Vérité éternelle, qui est l’objet de la foi, [cette chose temporelle] relève de la foi. Ainsi, la foi croit à la passion pour autant que Dieu a souffert.

 [10544] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod spes et timor ad affectum pertinent, cujus proprium objectum est bonum et malum, inquantum hujusmodi: et ideo diversificantur secundum differentiam boni et mali. Sed bonum et malum non differunt in ratione veri. Et ideo fides, cujus objectum est verum, non distinguitur ex hoc quod aliquo modo est de bonis et malis.

2. L’espérance et la crainte concernent l’affectivité, dont l’objet propre est le bien et le mal en tant que tels. C’est pourquoi elles se diversifient selon la différence entre le bien et le mal. Mais le bien et le mal ne diffèrent pas selon la raison de vrai. C’est pourquoi la foi, dont l’objet est le vrai, ne se diversifie pas par le fait qu’elle porte d’une certaine manière sur ce qui est bon et sur ce qui est mauvais.

 [10545] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod fides considerat omnia illa diversa sub una ratione, scilicet secundum quod innituntur veritati primae: et ideo fides non diversificatur penes ea, quamvis sint diversae scientiae de eis, quae ea considerant rationibus propriis, quae diversae sunt.

3. La foi considère toutes ces différentes choses selon une seule raison : selon qu’elles se fondent sur la Vérité première. C’est pourquoi la foi ne se diversifie pas selon elles, bien que diverses sciences existent à leur propos, qui les considèrent selon leurs raisons propres, qui sont diverses.

 

 

Articulus 5 [10546] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 5 tit. Utrum fides sit prior aliis virtutibus

Article 5 – La foi est-elle antérieure aux autres vertus ?

 [10547] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod fides non sit prior aliis virtutibus. Omnes enim virtutes simul infunduntur. Sed eorum quae sunt simul, unum non est post alterum. Ergo fides non est prior aliis virtutibus.

1. Il semble que la foi ne soit pas antérieure aux autres vertus. En effet, toutes les vertus sont infusées simultanément. Or, une chose ne vient pas après l’autre pour les choses qui sont simultanées. La foi n’est donc pas antérieure aux autres vertus.

 [10548] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 5 arg. 2 Praeterea, fundamentum est prima pars aedificii. Sed super illud Luc. 11: dico vobis amicis meis, ne terreamini, dicit Glossa: fortitudo est fundamentum fidei; et Bernardus dicit, quod in humilitate fundantur aliae virtutes. Et similiter timor videtur esse fundamentum: quia dicitur, Psalm. 110, 2: initium sapientiae timor domini. Ergo videtur quod fides non sit prima.

2. Le fondement est la première partie d’un édifice. Or, à propos de Lc 1 : Je le dis à vous, mes amis, afin que vous ne soyez pas terrorisés, la Glose dit : « La force est le fondement de la foi », et Bernard dit que les autres vertus sont fondées sur l’humilité. De même, la crainte semble être le fondement, car il est dit, Ps 110, 2 : Le commencement de la sagesse est la crainte du Seigneur. Il semble donc que la foi ne vienne pas en premier.

 [10549] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 5 arg. 3 Praeterea, virtutes theologicae, ut prius dictum est, ad hoc sunt ut fiat quaedam hominis ordinatio ad finem. Sed spes et caritas propinquiores sunt fini quam fides, quia habent finem pro objecto sub ratione finis. Ergo fide priores sunt.

3. Comme on l’a dit, les vertus théologales existent pour que se réalise une certaine orientation de l’homme vers sa fin. Or, l’espérance et la charité, parce qu’elles ont comme objet la fin en tant que fin, sont plus rapprochées de la fin que la foi. Elles sont donc antérieures à la foi.

 [10550] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 5 arg. 4 Praeterea, super Psalm. 36, noli aemulari etc., dicit Glossa, quod spes introducit ad fidem. Ergo spes est prior fide.

4. À propos de Ps 36 : N’imitez pas, etc., la Glose dit que « l’espérance introduit à la foi ». L’espérance est donc antérieure à la foi.

 [10551] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 5 arg. 5 Praeterea, secundum ordinem potentiarum est ordo habituum. Sed fides est in intellectu, secundum quod est motus a voluntate, ut patet ex praedictis. Cum ergo caritas sit in voluntate, videtur quod caritas sit prior fide; et sic fides non est prima.

5. L’ordre des habitus suit l’ordre des puissances. Or, la foi se trouve dans l’intellect en tant que celui-ci est mû par la volonté, comme cela ressort de ce qui a été dit. Puisque la charité se trouve dans la volonté, il semble donc que la charité soit antérieure à la foi, et ainsi la foi ne vient pas en premier.

 [10552] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 5 arg. 6 Praeterea, fides est principaliter in intellectu speculativo. Sed speculativa vita sequitur activam: quia nullus pervenit ad contemplativae otium, nisi prius depuretur mens per exercitium activae. Ergo virtutes morales, quae pertinent ad vitam activam, sunt priores fide.

6. La foi se trouve principalement dans l’intellect spéculatif. Or, la vie spéculative suit la vie active, car personne ne parvient au loisir de la vie contemplative si son esprit n’a pas d’abord été purifié par l’exercice de la vie active. Les vertus morales, qui se rapportent à la vie active, sont donc antérieures à la foi.

 [10553] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 5 s. c. 1 Sed contra, cognitio praecedit affectionem: quia nihil diligitur nisi cognitum, ut dicit Augustinus. Sed fides est in cognitione, ceterae autem virtutes in affectione consistunt. Ergo fides aliis prior est.

Cependant, [1] la connaissance précède l’affectivité, « car rien n’est aimé qui ne soit connu », comme le dit Augustin. Or, la foi se trouve dans la connaissance, mais les autres vertus se trouvent dans l’affectivité. La foi est donc antérieure aux autres [vertus].

 [10554] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 5 s. c. 2 Praeterea, in omnibus virtutibus requiritur recta intentio. Sed fides intentionem dirigit, ut dicit Augustinus. Ergo fides est ante alias virtutes.

 [2] Pour toutes les vertus, l’intention droite est requise. Or, « la foi dirige l’intention », comme le dit Augustin. La foi est donc antérieure aux autres vertus.

 [10555] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 5 s. c. 3 Praeterea, per omnes virtutes homo accedit ad Deum. Sed accedentem ad Deum oportet credere, ut dicitur Heb. 11. Ergo fides est ante alias virtutes.

 [3] L’homme approche de Dieu par toutes les vertus. Or, il faut que celui qui approche de Dieu ait la foi, comme le dit He 11. La foi est donc antérieure aux autres vertus.

 [10556] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod aliquid potest dici prius altero et tempore et natura. Tempore quidem omnes virtutes sunt simul, quia simul divinitus infunduntur; sed secundum naturam ordo virtutum pensandus est ex actibus, sicut et ordo potentiarum, quae simul in anima concreantur. Actus autem fidei consistit in cognitione veri, quam praesupponit affectio boni, quae exigitur in omnibus aliis virtutibus; et ideo fides, quantum ad id quod fidei est, prior est omnibus aliis virtutibus secundum naturam.

Réponse. On peut dire qu’une chose est antérieure à une autre dans le temps et par nature. Dans le temps, toutes les vertus sont simultanées, car elles sont toutes infusées par Dieu. Mais, par nature, l’ordre des vertus doit être évalué selon les actes, comme l’ordre des puissances, qui sont concréées dans l’âme. Or, l’acte de la foi consiste dans la connaissance du vrai, présupposée pas l’amour du bien, est requis pour toutes les autres vertus. C’est pourquoi la foi, pour ce qui relève de la foi, est antérieure à toutes les autres vertus par nature.

 [10557] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod objectio illa procedit de ordine temporis.

1. Cette objection vient de l’ordre dans le temps.

 [10558] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod fundamentum dicitur in spiritualibus metaphorice ad similitudinem fundamenti materialis. Potest autem ista similitudo attendi quantum ad duo: scilicet quantum ad ordinem, quia fundamentum praecedit alias partes; et etiam quantum ad virtutem fundamenti, quia fundamentum totum aedificium sustentat: quorum utrumque per similitudinem in fide invenitur: quia ipsa omnibus aliis naturaliter prior est, et aliae in ipsa firmantur: quia sine ipsa, impossibile est placere Deo, Hebr. 11. Fortitudo autem dicitur fundamentum quantum ad alterum, inquantum scilicet spirituale aedificium contra adversa firmum reddit; humilitas contra prospera, quae sunt occasio culpae; sed timor contra ipsam culpam, quia timor domini expellit peccatum, Eccli., 1, 27; unde timor praecedit alia quae ad affectionem pertinent, cum caritatem introducat, ut dicit Augustinus.

2. On parle métaphoriquement de fondement pour les réalités spirituelles, par ressemblance avec un fondement matériel. Or, cette ressemblance peut s’entendre de deux choses : de l’ordre, car le fondement précède les autres parties; et aussi de la puissance du fondement, car le fondement supporte tout l’édifice. Et les deux choses se trouvent dans la foi par ressemblance, car elle est naturellement antérieure à toutes les autres [vertus] et les autres s’appuient sur elle, car, sans elle, il est impossible de plaire à Dieu, He 11. Or, la force est appelée un fondement pour autre chose : en tant qu’elle rend l’édifice spirituel solide contre ce qui s’y oppose; l’humilité, contre la prospérité, qui est une occasion de faute; mais la crainte, contre la faute elle-même, car la crainte du Seigneur chasse le péché, Si 1, 27. La crainte précède donc les autres choses qui se rapportent à l’affectivité, puisqu’elle introduit la charité, comme le dit Augustin.

 [10559] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod spes et caritas sunt propinquiores fini quantum ad consecutionem, quia caritas quodammodo attingit finem; unde ex hoc non habent quod sint secundum naturam prius fide; sed consequuntur eam, quia eis finem ostendit.

3. L’espérance et la charité sont plus rapprochées de la fin quant à son obtention, car la charité atteint d’une certaine manière la fin. Elles ne tiennent donc pas de cela d’être par nature antérieures à la foi, mais elles la suivent, car elle leur montre la fin.

 [10560] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut finis est prior in intentione, et posterior in esse; ita quanto aliquid est propinquius fini, est prius in proposito, quamvis sit posterius in esse vel tempore vel natura; et ideo spes, secundum quod magis propinquat ad consecutionem finis quam fides, praecedit fidem in proposito, sed non in esse: et secundum hoc dicitur spes introducere ad fidem, non quae jam sit, sed quae proponitur futura: sicut cum alicui proponuntur aeterna bona, primo vult ea, secundo vult eis inhaerere per amorem, et tertio vult sperare ea, et quarto vult credere ea, ut credens possit jam sperare et amare et habere: unde in essendo fides prior est.

4. De même que la fin est antérieure dans l’intention, mais postérieure dans la réalité, de même, plus une chose est rapprochée de la fin, plus elle est antérieure dans l’intention, bien qu’elle soit postérieure dans la réalité, soit dans le temps, soit par nature. C’est pourquoi l’espérance, selon qu’elle s’approche davantage de l’obtention de la fin que la foi, précède la foi dans l’intention, mais non dans la réalité. De cette manière, on dit que l’espérance introduit à la foi, non pas qu’elle existe déjà, mais en tant qu’elle est proposée comme à venir. Ainsi, lorsque les biens éternels sont proposés à quelqu’un, d’abord, il les veut; deuxièmement, il veut adhérer à eux par l’amour; troisièmement, il veut les espérer; et quatrièmement, il veut les croire afin, qu’en croyant, il puisse déjà les espérer, les aimer et les posséder. Ainsi la foi est-elle antérieure dans l’ordre de l’être.

 [10561] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quamvis fides praesupponat voluntatem, non tamen praesupponit voluntatem jam amantem, sed amare intendentem, inquantum est fides: quia non potest affectus in aliquo firmari per amorem in quo intellectus non est firmatus per assensum; sicut etiam non potest tendere in aliquod per desiderium quod prius intellectus non apprehendit. Unde iste est naturalis ordo actuum, quod prius apprehenditur Deus, quod pertinet ad cogitationem praecedentem fidem, deinde aliquis vult ad eum pervenire, deinde amare vult, et sic deinceps, ut dictum est prius.

5. Bien que la foi présuppose la volonté, elle ne présuppose cependant pas une volonté qui aime déjà, mais qui a l’intention d’amer, pour autant qu’il y a foi, car l’affectivité ne peut être affermi par l’amour si l’intellect n’est pas affermi par l’assentiment, de même qu’elle ne peut aussi tendre par le désir vers quelque chose que l’intellect n’appréhende pas d’abord. C’est pourquoi l’ordre naturel des actes est le suivant : Dieu est d’abord appréhendé, ce qui relève de la réflexion précédant la foi; ensuite, on veut parvenir jusqu’à lui; ensuite, on veut l’aimer et ainsi de suite, comme on l’a dit antérieurement.

 [10562] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 5 ad 6 Ad sextum dicendum, quod fides non pertinet tantum ad vitam contemplativam; immo est principium et activae et contemplativae, inquantum ostendit finem utriusque.

6. La foi ne se rapporte pas seulement à la vie contemplative; bien plus, elle est le principe de la vie active comme de la vie contemplative, pour autant qu’elle montre la fin des deux.

 

 

Quaestio 3

Question 3 – [La foi formée par la charité]

Prooemium

Prologue

 [10563] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 pr. Deinde quaeritur de formatione fidei; et circa hoc quaeruntur quatuor: 1 utrum fides per caritatem formetur; 2 utrum fides informis sit donum Dei; 3 utrum sit in Daemonibus; 4 utrum remaneat caritate adveniente.

On s’interroge ensuite sur la formation de la foi. À ce propos, quatre questions sont posées : 1 – La charité est-elle la forme de la foi ? 2 – La foi informe est-elle un don de Dieu ? 3 – Existe-t-elle chez les démons ? 4 –Demeure-t-elle lorsque survient la charité ?

 

 

Articulus 1 [10564] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1 tit. Utrum fides formetur per caritatem

Article 1 – La charité est-elle la forme de la foi ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La charité est-elle la forme de la foi ?]

 [10565] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod fides non formetur per caritatem. Formae enim est praecedere, cum sit principium rei. Sed caritas est posterior fide, ut dictum est. Ergo fides non formatur per caritatem.

1. Il semble que la foi ne reçoive pas sa forme de la charité. En effet, il appartient à la forme de précéder, puisqu’elle est le principe d’une chose. Or, la charité est postérieure à la foi, comme on l’a dit. La foi ne reçoit donc pas sa forme de la charité.

 [10566] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, omnis res habet speciem a propria forma. Sed fides secundum suam speciem differt a caritate. Ergo caritas non est forma fidei.

2. Toute chose tire son espèce de sa forme propre. Or, la foi diffère de la charité selon son espèce. La charité n’est donc pas la forme de la foi.

 [10567] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, unius rei non sunt diversae formae. Sed fides formatur per gratiam. Ergo non formatur per caritatem.

3. Il n’y a pas de formes différentes pour une seule chose. Or, la grâce est la forme de la foi. La charité n’est donc pas la forme de la foi.

 [10568] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, fides sine caritate non potest elicere actum meritorium, quem caritate veniente elicit. Ergo caritas dat fidei aliquam vim; et ita videtur eam aliquo modo formare.

Cependant, [1] la foi sans la charité ne peut produire un acte méritoire, qu’elle produit si la charité survient. La charité donne donc une certaine force à la foi. Il semble ainsi qu’elle la forme d’une certaine manière.

 [10569] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, forma rei est decor ejus. Sed fides fit decora, ut Deus eam acceptet, per caritatem. Ergo caritas format fidem.

 [2] La forme d’une chose est sa beauté. Or, pour que Dieu l’accepte, la foi devient belle par la charité. La charité forme donc la foi.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La foi informe est-elle une vertu ?]

 [10570] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod fides informis sit virtus. Quia dicit Augustinus in Lib. de vera Innoc., quod ceterae virtutes praeter caritatem possunt inesse bonis et malis. Ergo fides, secundum quod est virtus, potest esse in malis. Sed fides quae est in malis, est informis. Ergo fides informis est virtus.

1. Il semble que la foi informe ne soit pas une vertu, car Augustin dit, dans Livre sur la véritable innocence, que « les autres vertus peuvent se trouver chez les bons et les méchants sans la charité ». La foi, en tant qu’elle est une vertu, peut donc se trouver chez les méchants. Or, la foi qui se trouve chez les méchants est informe. La foi informe est donc une vertu.

 [10571] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, virtus est circa difficilia, et ex hoc habet laudem, ut dicit philosophus. Sed difficillimum est credere articulos fidei; unde Augustinus dicit et habetur in sequenti distinctione, quod laus fidei est credere quae non videt. Ergo videtur quod fides informis, quae omnes articulos credit, sit virtus.

2. La vertu porte sur des choses difficiles; elle tire de là sa louange, comme le dit le Philosophe. Or, il est très difficile de croire les articles de foi; aussi Augustin dit-il, et on le voit dans la distinction suivante, que la louange de la foi consiste à croire ce qu’elle ne voit pas. Il semble donc que la foi informe, qui croit tous les articles, soit une vertu.

 [10572] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, nihil opponitur vitio, nisi sit virtus, aut vitium. Sed infidelitatis vitio opponitur fides informis. Cum ergo fides informis non sit vitium, videtur quod sit virtus.

3. Rien ne s’oppose à un vice si ce n’est une vertu ou un vice. Or, la foi informe s’oppose au vice d’infidélité. Puisque la foi informe n’est pas un vice, il semble donc qu’elle soit une vertu.

 [10573] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, fides informis est mortua, ut dicitur Jacob. 1. Sed nihil mortuum habet rationem virtutis. Ergo fides informis non est virtus.

Cependant, [1] la foi informe est morte, comme il est dit en Jc 1, 17. Or, rien de mort n’a raison de vertu. La foi informe n’est donc pas une vertu.

 [10574] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, virtute nullus male utitur, ut dicit Augustinus. Sed fide informi aliquis male utitur. Ergo fides informis non est virtus.

 [2] « Personne n’utilise mal une vertu », comme le dit Augustin. Or, on peut mal utiliser la foi informe. La foi informe n’est donc pas une vertu.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La foi formée et la foi informe sont-elles d’une espèce différente ?]

 [10575] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod fides formata et informis differant specie. Quia, ut dicit philosophus 5 Metaph., quaecumque differunt genere, differunt et specie. Sed fides formata et informis differunt genere: quia fides formata est virtus, non autem fides informis. Ergo fides formata et informis differunt specie.

1. Il semble que la foi formée et la foi informe diffèrent par l’espèce, car, ainsi que le dit le Philosophe dans Métaphysique, V, tout ce qui diffère par le genre diffère aussi par l’espèce. Or, la foi formée et la foi informe diffèrent par le genre, car la foi formée est une vertu, mais non la foi informe. La foi formée et la foi informe diffèrent donc pas l’espèce.

 [10576] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, species rei est de forma sua. Sed fidei forma est caritas. Ergo fides informis non est illius speciei cujus est fides formata.

2. L’espèce d’une chose vient de sa forme. Or, la forme de la foi est la charité. La foi informe n’est donc pas de la même espèce que la foi formée.

 [10577] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, ejusdem formae secundum speciem est idem actus secundum speciem. Sed fidei formatae actus est credere in Deum, non autem fidei informis. Ergo fides formata et informis differunt specie.

3. L’acte d’une espèce est le même que la forme d’une même espèce. Or, l’acte de la foi formée consiste à croire en Dieu, mais non celui de la foi informe. La foi formée et la foi informe diffèrent donc par l’espèce.

 [10578] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, habitus diversificantur ex actibus et objectis. Sed fides informis et formata non differunt quantum ad objectum proprium fidei, quod est veritas una. Ergo fides formata et informis non differunt specie.

Cependant, [1] les habitus se diversifient par leurs actes et leurs objets. Or, la foi informe et la foi formée ne diffèrent pas selon l’objet propre de la foi, qui est la Vérité unique. La foi formée et la foi informe ne diffèrent donc pas par l’espèce.

 [10579] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, illud quod est extra essentiam rei, non variat speciem, sicut lumen adveniens aeri in corpore lucenti. Sed caritas est habitus separatus a fide per essentiam. Ergo fides formata caritate non differt specie a fide informi.

 [2] Ce qui est extérieur à l’essence ne change pas l’espèce, comme la lumière qui survient dans l’air pour un corps lumineux. Or, la charité est par essence un habitus distinct de la foi. La foi formée par la charité ne diffère donc pas de la foi informe par l’espèce.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [10580] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod in agentibus ordinatis fines agentium secundorum ordinantur ad finem agentis primi sicut totum universum ordinatur ad primum bonum, quod est Deus, ut dicit philosophus, sicut exercitus ad bonum ducis; et ideo actio primi agentis est et prior et posterior. Prior in movendo: quia actiones omnium secundorum agentium fundantur super actionem primi agentis, quae cum sit una, communiter omnes firmans, specificatur ejus effectus in hoc et in illo secundum exigentiam illius; sicut uno praecepto ducis praecipientis bellum unus accipit gladium, alius parat equum, et sic de aliis. Est autem posterior in utendo aliorum actibus ad finem proprium; et sic omnes actiones aliorum agentium modificantur per actionem primi agentis. Cum ergo in viribus animae voluntas habeat locum primi motoris, actus ejus est prior quodammodo actibus aliarum virium, inquantum imperat eos secundum intentionem finis ultimi, et utitur eis in consecutione ejusdem. Et ideo vires motae a voluntate, duo ab ea recipiunt. Primo formam aliquam ipsius secundum quod omne movens et agens imprimit suam similitudinem in motis et patientibus ab eo. Haec autem forma vel est secundum formam ipsius voluntatis, secundum quod omnes vires motae a voluntate libertatem ab ea participant; vel est secundum habitum perficientem voluntatem, qui est caritas; et sic omnes habitus qui sunt in viribus motis a voluntate perfecta, participant formam caritatis. Haec tamen forma quam a voluntate vires motae participant, est omnibus communis; unde praeter eam habitus, qui sunt perfectiones earum, habent speciales formas, secundum quod congruit potentiae quam perficiunt, per comparationem ad actus et objecta. Secundo recipiunt a voluntate consummationem in fine; et sic caritas dicitur finis aliarum virtutum, inquantum per eam fini ultimo conjunguntur. Quia ergo fides, ut dictum est, est in intellectu secundum quod movetur a voluntate; ideo per caritatem, quae est perfectio voluntatis, formatur forma communis sibi et aliis virtutibus; tamen praeter eam habet formam specialem ex ratione proprii objecti, et potentiae in qua est: et similiter consummationem per caritatem recipit.

Dans les agents ordonnés, les fins des agents secondaires sont ordonnés à la fin du premier agent, de même que tout l’univers est ordonné au bien premier, qui est Dieu, comme le dit le Philosophe, et que l’armée [est ordonnée] au bien de celui qui la dirige. L’action de l’agent premier est donc à la fois antérieure et postérieure. Antérieure pour mouvoir, car les actions de tous les agents secondaires sont fondées sur l’action de l’agent premier, unique et les affermissant toutes, dont l’effet est spécifié en telle ou telle chose selon ce qu’elle le requiert. Ainsi, sous le commandement d’un seul qui commande une guerre, l’un reçoit une épée, l’autre prépare le cheval, et ainsi pour les autres. Mais il est postérieur en utilisant les actes des autres en vue de sa fin propre : ainsi, toutes les actions des autres agents sont modifiées par l’action de l’agent premier. Puisque, parmi les puissances de l’âme, la volonté tient lieu de premier moteur, son acte est d’une certaine manière antérieur aux actes des autres puissances, pour autant qu’elle les commande en vue de la fin ultime et les utilise pour son obtention. C’est pourquoi les puissances mues par la volonté en reçoivent deux choses. Premièrement, une certaine forme venue d’elle, selon que tout ce qui meut et tout agent imprime sa ressemblance dans ce qui est mû et subit son action. Or, cette forme reproduit la forme de la volonté elle-même selon que toutes les puissances mues par la volonté participent par elle à la liberté ; ou bien est reproduit l’habitus qui perfectionne la volonté, qui est la charité. Ainsi tous les habitus qui se trouvent dans les puissances mues par une volonté parfaite participent à la forme de la charité. Cependant, cette forme, à laquelle les puissances mues par la volonté participent, est commune à toutes. Aussi, en plus d’elle, les habitus, qui sont leur perfection, reçoivent-ils des formes spéciales, comme il convient à la puissance qu’ils perfectionnent, en rapport avec leurs actes et leurs objets. Deuxièmement, ils reçoivent de la volonté leur achèvement dans la fin. Ainsi la charité est-elle appelée la fin des autres vertus pour autant qu’elles sont unies par elle à la fin ultime. Parce que, ainsi qu’on l’a dit, la foi se trouve dans l’intellect selon qu’il est mû par la volonté, une forme commune à elle et autres vertus est donc formée par la charité, qui est la perfection de la volonté; cependant, en plus d’elle, elle possède une forme spéciale en raison de son objet propre et de la puissance dans laquelle elle se trouve; de même reçoit-elle son achèvement par la charité.

 [10581] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod fides simpliciter caritatem praecedit: quia velle, quod ad fidem exigitur, sine caritate esse potest: sed fides formata caritatem sequitur.

1. La foi précède simplement la charité, car le vouloir, qui est prérequis à la foi, peut exister sans la charité. Mais la foi formée suit la charité.

 [10582] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod omnes virtutes conveniunt in fine; unde earum actus non differunt secundum modum illum quem recipiunt ex ordine ad finem, quem modum dat eis caritas, sed secundum modum quem habent ex natura potentiae et objecto proprio; et ideo secundum hanc etiam formam distinguitur a caritate fides; et secundum hanc non formatur ab ea.

2. Toutes les vertus se rejoignent dans la fin. Aussi leurs actes ne diffèrent-ils pas selon le mode qu’elles reçoivent par leur rapport à la fin, mode que leur donne la charité, mais selon le mode qu’elles ont par la nature de la puissance et par son objet propre. C’est pourquoi la foi est aussi distincte de la charité selon cette forme. Elle n’est donc pas formée par elle.

 [10583] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod fides formatur a gratia mediante caritate: quia inquantum actus fidei est ex caritate, secundum hoc est Deo acceptus.

3. La foi reçoit sa forme de la grâce par l’intermédiaire de la charité, car, dans la mesure où l’acte de foi vient de la charité, il est ainsi agréable à Dieu.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [10584] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod virtutis est facere actum perfectum. Actus autem potentiae motae ab alia potentia non potest esse perfectus nisi et superior potentia sit perfecta per habitum, ut non deficiat in dirigendo vel movendo, et inferior, ut non deficiat in exequendo; sicut patet in actu concupiscibilis, qui ad hoc quod sit perfectus, requiritur quod concupiscibilis sit perfecta per habitum temperantiae et ratio per habitum prudentiae: quod si desit prudentia in ratione, quantumcumque sit dispositio in concupiscibili ad actum temperantiae, virtutis rationem non habebit, ut dicit philosophus. Quia ergo credere est actus intellectus, secundum quod est motus a voluntate; ad hoc quod iste actus perfectus sit, oportet quod intellectus perfectus sit per lumen fidei, et voluntas sit perfecta per habitum caritatis; et ideo informis fides non habet actum perfectum, et ideo non potest esse virtus.

Il relève de la vertu de rendre un acte parfait. Or, l’acte d’une puissance mue par une autre puissance ne peut être parfait que si la puissance supérieure est parfaite en raison d’un habitus, de sorte qu’elle ne soit pas déficiente dans sa direction et son mouvement, et que [la puissance] inférieure ne soit pas déficiente dans l’exécution, comme cela ressort dans l’acte du concupiscible, qui, pour être parfait, exige que le concupiscible soit perfectionné par l’habitus de la tempérance et la raison, par l’habitus de prudence – si la prudence fait défaut dans la raison, quelle que soit la disposition du concupiscible par rapport à l’acte de la tempérance, elle n’aura pas raison de vertu, comme le dit le Philosophe. Parce que croire est un acte de l’intellect selon qu’il est mû par la volonté, pour que cet acte soit parfait, il est nécessaire que l’intellect soit perfectionné par la lumière de la foi et que la volonté soit perfectionnée par l’habitus de la charité. C’est pourquoi la foi informe n’a pas un acte parfait, et c’est pourquoi elle ne peut pas être une vertu.

 [10585] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Augustinus large accipit nomen virtutis pro quacumque dispositione inclinante ad actum quo bonum agitur.

1. Augustin entend au sens large le mot « vertu » de toute disposition qui incline à un acte par lequel on fait le bien.

 [10586] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ad hoc quod sit virtus non solum oportet quod homo faciat ea quae sunt virtutis, ut quod faciat justa vel fortia, sed quod faciat eo modo quo virtuosus facit; quamvis etiam aliquo modo ex hoc quod facit ea quae virtutis sunt, laudari possit. Hic autem modus, ut ex dictis patet, deficit in actu fidei informis; et ideo non est virtus.

2. Pour qu’il y ait vertu, il n’est pas seulement nécessaire que l’homme accomplisse ce qui relève de la vertu, de sorte qu’il fasse ce qui est juste ou fort, mais qu’il l’accomplisse de la manière dont il est vertueux, bien que, d’une certaine manière, par le fait qu’il accomplit ce qui relève de la vertu, il puisse être loué. Or, cette manière, comme on l’a dit, manque à l’acte de la foi informe. C’est pourquoi elle n’est pas une vertu.

 [10587] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod etiam dispositio ad virtutem opponitur vitio; unde non oportet quod fides informis quae infidelitati opponitur, sit virtus.

3. La disposition à la vertu s’oppose aussi au vice. Aussi n’est-il pas nécessaire que la foi informe, qui s’oppose à l’infidélité, soit une vertu.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [10588] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod differentia habituum pensanda est ex actibus. Contingit autem aliquos actus dupliciter considerari: vel secundum speciem naturae, vel secundum speciem moris: et quandoque conveniunt secundum speciem quantum ad unum dictorum, et differunt secundum aliud; sicut occidere nocentem et innocentem non differunt secundum speciem naturae, sed secundum speciem moris: quia unum est actus vitii, scilicet homicidii, alterum actus virtutis, sive justitiae: sed occidere latronem et liberare innocentem, sunt actus diversi secundum speciem naturae, et conveniunt secundum speciem moris, quia sunt actus justitiae. Si ergo actus fidei formatae et informis considerentur secundum speciem naturae, sic sunt idem specie, quia speciem naturalem habet actus ex objecto proprio. Si autem considerentur secundum esse moris, tunc differunt secundum completum et incompletum in eadem specie; sicut actus quo facit justa non ut justus, et quo facit justa ut justus. Et similiter fides formata et informis in specie naturae sunt penitus idem; sed in specie moris differunt, non quasi in diversis speciebus existentes, sed sicut perfectum et imperfectum in eadem specie, sicut dispositio et habitus virtutis.

La différence entre les habtus doit être évaluée en fonction de leurs actes. Or, il se fait que certains habitus peuvent être envisagés de deux manières : selon leur espèce naturelle et selon leur espèce morale. Parfois, ils se rejoignent dans l’une des espèces mentionnées et diffèrent selon l’autre, comme tuer un homme nuisible et un innocent ne diffèrent pas par leur espèce naturelle, mais par leur espèce morale, car l’un est l’acte d’un vice, l’homicide, et l’autre est l’acte d’une vertu, la justice. Mais tuer un voleur et libérer un innocent sont des actes différents selon leur espèce naturelle et se rejoignent selon leur espèce morale, car ils sont des actes de justice. Si donc les actes de la foi formée et de la foi informe sont envisagés selon leur espèce naturelle, ils ont ainsi la même espèce, car un acte tire son espèce naturelle de son objet propre. Mais s’ils sont envisagés selon leur être moral, alors ils diffèrent comme un acte complet et un acte incomplet dans une même espèce, comme l’acte par lequel on accomplit ce qui est juste sans être juste, et par lequel on accomplit ce qui est juste en tant que juste. De même, la foi formée et la foi informe sont-elles tout à fait les mêmes selon leur espèce naturelle, mais elles diffèrent selon leur espèce morale, non pas parce qu’elles se trouvent dans des espèces différentes, mais comme ce qui parfait et ce qui est imparfait dans la même espèce, comme une disposition et l’habitus d’une vertu.

 [10589] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod virtus est genus fidei secundum esse moris; a quo tamen non penitus fides informis est aliena, sed est sicut imperfectum in illo genere.

1. La vertu est le genre de la foi selon son être moral; la foi informe ne lui est cependant pas entièrement étrangère, mais elle est comme quelque chose d’imparfait dans ce genre.

 [10590] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod a forma quam habet virtus ex ratione potentiae et objecti proprii, habet speciem naturae; sed speciem moris habet a forma quam habet a potentia movente et dirigente: et ideo non sequitur quod differant specie, nisi sicut dictum est.

2. La vertu tire son espèce naturelle de la forme qu’elle possède en raison de sa puissance et de son objet propres; mais elle tire son espèce morale de la forme qu’elle possède en raison de la puissance qui la meut et la dirige. C’est pourquoi il n’en découle pas qu’elles diffèrent selon l’espèce, si ce n’est selon ce qu’on a dit.

 [10591] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod, sicut supra dictum est, per illa tria unus numero actus designatur quantum ad diversa: unde aliquid est in actu fidei formatae quod non est in actu fidei informis; non tamen est penitus alius.

3. Comme on l’a dit plus haut, un seul acte en nombre est ainsi désigné selon divers aspects. Aussi existe-t-il dans l’acte de la foi formée quelque chose qui n’existe pas dans l’acte de la foi informe; il n’est cependant pas entièrement différent.

 

 

Articulus 2 [10592] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 2 tit. Utrum fides informis sit donum Dei, vel habitus acquisitus

Article 2 – La foi informe est-elle un don de Dieu ou un habitus acquis ?

 [10593] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod fides informis non sit donum Dei, sed habitus acquisitus. Augustinus enim dicit, quod per scientiam fides acquiritur, nutritur, et defenditur. Sed nullus habitus acquisitus per scientiam aliquam est donum Dei, quasi habitus infusus. Ergo fides informis non est habitus infusus.

1. Il semble que la foi informe ne soit pas un don de Dieu, mais un habitus acquis. En effet, Augustin dit que « la foi est acquise, nourrie et défendue par la science ». Or, aucun habitus acquis par une science n’est un don de Dieu en tant qu’habitus infus. La foi informe n’est donc pas un habitus infus.

 [10594] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 2 arg. 2 Praeterea, Rom. 11 dicitur, quod fides ex auditu est; et Joan. 20, 29, dicitur Thomae: quia vidisti me, credidisti; et Joan. 4, 16: voca virum tuum; Glossa, intellectum ad credendum; et Augustinus dicit, quod nullus credit nisi volens. Ex quibus omnibus habetur quod fides est ex aliquo quod in nobis est. Sed omne tale est habitus acquisitus. Ergo fides est habitus acquisitus.

2. Il est dit en Rm 10, 17, que la foi vient de de ce qu’on entend, et en Jn 20, 29, il est dit à Thomas : Parce que tu m’as vu, tu as cru, et en Jn 4, 16 : Appelle ton mari…; la Glose dit : « L’intelligence en vue de croire. » Et Augustin dit que « personne ne croit que celui qui le veut ». Par tout cela, on voit que la foi vient de quelque chose qui est en nous. Or, tout ce qui est tel est un habitus acquis. La foi est donc un habitus acquis.

 [10595] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 2 arg. 3 Praeterea, philosophi crediderunt Deum omnipotentem. Sed non habuerunt habitum infusum.

3. Les philosophes ont cru que Dieu était tout-puissant. Or, il n’avaient pas d’habitus infus.

 [10596] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 2 arg. 4 Praeterea, habitus per seipsum est sufficiens ad movendum potentiam in actum. Sed in actum fidei homo fidelis non potest, nisi instruatur. Ergo fides est habitus acquisitus.

4. L’habitus suffit par lui-même à mouvoir une puissance à l’acte. Or, le croyant ne peut parvenir à l’acte de foi que s’il est instruit. La foi est donc un habitus acquis.

 [10597] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 2 arg. 5 Praeterea, Dei perfecta sunt opera; Deuteron. 33, 4. Sed fides informis est quid imperfectum. Ergo non est a Deo.

5. Les œuvres de Dieu sont parfaites, Dt 33, 4. Or, la foi informe est quelque chose d’imparfait. Elle ne vient donc pas de Dieu.

 [10598] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 2 arg. 6 Praeterea, actio peccati non dicitur esse a Deo, propter deformitatem quam habet annexam, quae a Deo non est. Sed ex hoc ipso quod fides informis est, habet quamdam deformitatem. Ergo fides informis non est a Deo.

6. On ne dit pas que l’action du péché vient de Dieu en raison de la difformité qui lui est associée, qui ne vient pas de Dieu. Or, par le fait même que la foi est informe, elle a une certaine difformité. La foi informe ne vient donc pas de Dieu.

 [10599] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 2 s. c. 1 Sed contra, 1 Corinth. 13, 2: si habuero omnem fidem, dicit Glossa, quod fides quae est sine caritate, donum Dei est: quia etiam in malis sunt multa dona Dei. Ergo informis fides est a Deo infusa.

Cependant, [1] à propos de 1 Co 13, 2 : Même si je possédais la plénitude de la foi, la Glose dit que la foi qui existe sans la charité est un don de Dieu, car, même chez les méchants, il existe bien des dons de Dieu. La foi informe est donc infusée par Dieu.

 [10600] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 2 s. c. 2 Praeterea, nullus potest in his quae sunt supra naturam, nisi per aliquid divinitus datum. Sed aliquis habens fidem informem assentit his quae sunt supra naturam. Ergo oportet quod hoc fiat per aliquid divinitus infusum.

 [2] Personne ne peut accomplir ce qui dépasse la nature, que par un don de Dieu. Or, celui qui a une foi informe donne son assentiment à ce qui dépasse la nature. Il est donc nécéssaire que cela se réalise par quelque chose qui est infusé par Dieu.

 [10601] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 2 s. c. 3 Praeterea, altiora sunt ea de quibus est fides, quam ea de quibus est prophetia. Sed prophetia non potest esse sine lumine infuso, sicut in bonis, similiter in malis. Ergo multo minus fides.

 [3] La foi porte sur des choses plus élevées que la prophétie. Or, la prophétie ne peut exister sans lumière infuse, chez les méchants comme chez les bons. Donc, encore bien moins la foi.

 [10602] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod sicut supra dictum est, habitus ad hoc sunt necessarii, ut potentiae quae per naturam non sunt determinatae ad actum perfectum, determinentur per habitum. Contingit autem quandoque quod inferior potentia non est determinata ad actum illum perfectum, sed superior potentia determinatur ad ipsum; sicut concupiscibilis non est determinata ad tenendum medium in delectatione ex propria natura, sed ratio determinatur per naturam suam ad illud; et ideo habitus temperantiae acquiritur in concupiscibili ex vi superioris potentiae. Nulla autem potentia secundum suam naturam determinatur ad illa quae sunt supra naturam rationis nostrae, quorum est fides; et ideo ad hunc actum indigemus habitu, qui non est acquisitus: qui quidem in duobus nos adjuvat: in hoc scilicet quod intellectum facit facilem ad credendum credenda, contra duritiem, et discretum ad refutandum non credenda, contra errorem.

Réponse. Comme on l’a dit plus haut, les habitus sont nécessaires pour que les puissances qui ne sont pas déterminées par nature à un acte parfait soient déterminées par un habitus. Or, il arrive parfois qu’une puissance inférieure ne soit pas déterminée à cet acte parfait, mais qu’une puissance supérieure y soit déterminé : ainsi, la puissance concupiscible n’est pas déterminée par sa propre nature à garder le milieu dans le plaisir, mais la raison y est déterminée par nature. C’est pourquoi l’habitus de la tempérance est acquis par le concupiscible en vertu d’une puissance supérieure. Or, aucune puissance n’est déterminée par sa nature à ce qui dépasse la nature de notre raison, sur quoi porte la foi. C’est pourquoi nous avons besoin pour cet acte d’un habitus qui n’est pas acquis et qui nous aide pour deux choses : contre l’endurcissement, pour que l’intellect puisse facilement croire ce qui doit être cru; et contre l’erreur, pour qu’il discerne afin de repousser ce qui ne doit pas être cru.

 [10603] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod habitus infusus similis est habitui innato: quia sicut naturalis habitus datur in creatione, ita infusus in reparatione. Naturalis autem habitus, sicut intellectus principiorum, indiget ut cognitio determinetur per sensum, quo acquisitus non indiget: quia dum acquiritur, per actum determinationem recipit. Et similiter oportet quod fidei habitus determinationem recipiat ex parte nostra: et quantum ad istam determinationem dicitur fides acquiri per scientiam theologiae, quae articulos distinguit; sicut habitus principiorum dicitur acquiri per sensum quantum ad distinctionem principiorum, non quantum ad lumen quo principia cognoscuntur.

1. L’habitus infus est semblable à un habitus inné, car de même que l’habitus naturel est donné par la création, de même [l’habitus] infus est-il donné par la restauration. Or, l’habitus naturel, telle l’intelligence des principes, a besoin que la connaissance soit déterminée par le sens, ce dont l’habitus acquis n’a pas besoin, car, lorsqu’il est acquis, il reçoit une détermination par son acte. De même est-il nécessaire que l’habitus de foi reçoive une détermination de notre part. Pour ce qui est de cette détermination, on dit que la foi est acquise par la science de la théologie, qui distingue les articles, comme on dit que l’habitus des principes est acquis par le sens pour ce qui est de la distinction des principes, et non pour ce qui est de la lumière par laquelle les principes sont connus.

 [10604] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in fide quatuor considerantur; scilicet ipsum quod credendum est, ratio voluntatem determinans ad credendum, voluntas intellectui imperans, intellectus exequens: et secundum hoc fides quantum ad ejus determinationem, et quantum ad ejus actum qui in nobis est, quamvis habitus sit infusus, dicitur esse ex quatuor quae in nobis sunt. Quia quantum ad ipsum credendum dicitur esse ex auditu: quia determinatio credendorum fit in nobis per locutionem interiorem qua Deus nobis loquitur, vel vocem exteriorem. Quantum vero ad rationem, quae inducit voluntatem ad credendum, dicitur esse ex visione alicujus quod ostendit Deum esse qui loquitur in eo qui fidem annuntiat. Quantum vero ad imperium voluntatis dicitur fides esse ex voluntate. Quantum autem ad executionem intellectus, dicitur esse actus fidei ex intellectu.

2. Dans la foi, on relève quatre choses : ce qui doit être cru; la raison déterminant la volonté à croire; la volonté commandant à l’intelligence; l’intellect qui s’exécute. Ainsi dit-on que la foi, pour ce qui est de sa détermination et pour ce qui est de son acte, qui est en nous, bien qu’elle soit un habitus infus, vient de quatre choses qui sont en nous. Quant à ce qui doit être cru, on dit que [la foi] vient de ce qu’on entend, car la détermination de ce qui doit être cru se produit en nous par une parole intérieure, par laquelle Dieu nous parle, ou par une parole extérieure. Quant à la raison, qui pousse la volonté à croire, on dit qu’elle vient de la vision de quelque chose qui montre que c’est Dieu qui parle en celui qui annonce la foi. Mais, pour ce qui est du commandement de la volonté, on dit que la foi vient de la volonté. Pour ce qui est de l’intellect qui s’exécute, on dit que l’acte de foi vient de l’intelligence.

 [10605] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod philosophi, proprie loquendo, non crediderunt Deum omnipotentem, sed sciverunt: quia demonstrative illud probaverunt. Sed si aliqui illud sine demonstratione crediderunt, non crediderunt illud quasi Deo dicenti hoc, sed alicui signo ex quo illud conjecturati sunt.

3. À proprement parler, les philosophes n’ont pas cru au Dieu tout-puissant, mais ils l’ont connu par science, car ils ont démontré cela de manière démonstrative. Mais si certains ont cru cela sans démonstration, ils n’ont pas cru à cela comme si Dieu disait cela, mais par un signe selon lequel ils l’ont conjecturé.

 [10606] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod non potest habitus infusus fidei in actum exire, nisi fides determinetur vel a Deo per revelationem, vel ab homine per doctrinam: et simile est de habitu principiorum.

4. L’habitus infus de la foi ne peut passer à l’acte que si la foi est déterminée par Dieu par révélation ou par l’homme par l’enseignement. Et il en va de même de l’habitus des principes.

 [10607] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod perfectio divinorum operum est ex ipso; sed quod sit in eis aliqua imperfectio, hoc accidit ex parte recipientis.

5. La perfection des œuvres divines vient de lui-même. Mais qu’il y ait quelque imperfection chez les autres, cela vient de ce qui reçoit.

 [10608] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod in actu peccati non solum est defectus debitae circumstantiae, sed est ibi positio indebitae; et ideo non tantum est imperfectus, sed est etiam malus; et ideo peccatum non dicitur a Deo esse. Sed in actu fidei informis est defectus alicujus quod debet esse; non autem est ibi positio alicujus quod esse non debeat; et ideo actus ille est imperfectus, non autem malus; et propter hoc a Deo est actus, non autem defectus.

6. Dans l’acte du péché, il n’y a pas seulement l’absence d’une circonstance qui est due, mais il y là la présence d’une circonstance qui est indue. L’acte n’est donc pas seulement imparfait, mais il est aussi mauvais. C’est pourquoi on ne dit pas que le péché vient de Dieu. Mais, dans l’acte de la foi informe, il y a absence de quelque chose qui doit y être, mais il n’y a pas présence de ce qui ne doit pas être. C’est pourquoi cet acte est imparfait, mais il n’est pas mauvais. Pour cette raison, il est réalisé par Dieu, mais non la carence.

 

 

Articulus 3 [10609] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 3 tit. Utrum fides informis sit in Daemonibus

Article 3 – La foi informe existe-t-elle chez les démons ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La foi informe existe-t-elle chez les démons ?]

 [10610] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod fides informis non sit in Daemonibus. Visio enim fidei est in speculo et in aenigmate, ut dicitur 1 Corinth. 13. Sed aenigmatica et specularis cognitio est in nobis ex hoc quod per sensum naturaliter cognitionem accipimus; quod non est in Daemonibus. Ergo in eis non potest esse fides informis.

1. Il semble que la foi informe n’existe pas chez les démons. En effet, la vision de la foi se réalise dans un miroir et en énigme, comme il est dit dans 1 Co 13, 12. Or, la connaissance en énigme et dans un miroir vient en nous de ce que nous recevons naturellement notre connaissance des sens, ce qui n’est pas le cas chez les démons. Il ne peut donc exister de foi informe chez eux.

 [10611] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, fides informis est donum gratuitum, ut dictum est. Sed post peccatum, Angelo non est infusum aliquod donum gratuitum; ante autem in eis fides non erat, sed visio. Ergo non habent fidem informem.

2. La foi informe est un don gratuit, comme on l’a dit. Or, après le péché, aucun don gratuit n’a été infusé chez l’ange; avant cependant, la foi n’existait pas chez eux, mais la vision. Il n’ont donc pas la foi informe.

 [10612] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, actus fidei ex voluntate est. Sed nullus actus Daemonum ex voluntate deliberata procedens, bonus est, ut in 2 Lib., dist. 7, dictum est. Ergo cum actus fidei informis sit bonus, videtur quod non habeant fidem informem.

3. L’acte de foi vient de la volonté. Or, aucun acte provenant de la volonté délibérée des démons n’est bon, comme on l’a dit dans le livre II, d. 7. Puisque l’acte de foi informe est bon, il semble donc qu’ils n’aient pas la foi informe.

 [10613] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra Jacob. 11, 19: Daemones credunt, et contremiscunt.

Cependant, [1] Jc 11, 19 dit : Les démons croient et tremblent.

 [10614] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, Rom. 1, super illud: ex fide in fidem, dicit Glossa: fides informis Daemonum est.

 [2] À propos de Rm 1 : De la foi à la foi, la Glose dit : « La foi informe est celle des démons. »

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La foi informe demeure-t-elle chez les hérétiques ?]

 [10615] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod in haereticis maneat fides informis. Ipsi enim credunt Deum trinum et unum, et Deum factum hominem. Sed haec sunt supra naturam. Cum ergo ea quae sunt supra naturam, non possint credi sine habitu fidei infuso, videtur quod in eis maneat fides infusa.

1. Il semble que la foi informe demeure chez les hérétiques. En effet, ils croient au Dieu trine et unique, et que Dieu est devenu homme. Or, ce sont des réalités qui dépassent la nature. Puisque ce qui dépasse la nature ne peut être cru sans l’habitus de foi infus, il semble donc que la foi infuse demeure chez eux.

 [10616] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, in scientiis ita est quod qui obliviscitur unum scibilium quae pertinent ad unam scientiam, adhuc manet habitus quantum ad alia scibilia. Sed fides est habitus articulorum. Ergo si aliquis haereticus discredit unum articulum, adhuc manet fides in eo quantum ad alium articulum.

2. Dans les sciences, l’habitus par rapport aux autres objets de la science demeure chez celui qui oublie un des objets qui relèvent d’une science. Or, la foi est un habitus en rapport avec les articles [de foi]. Si un hérétique refuse un seul article, la foi demeure donc encore en lui pour ce qui est d’un autre article.

 [10617] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, fides informis est principium timoris servilis, qui est in Daemonibus vel haereticis. Ergo fides informis est in eis.

3. La foi informe est le principe de la crainte servile, qui existe chez les démons ou les hérétiques. La foi informe existe donc chez eux.

 [10618] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, omnis habitus infusus expellitur per actum contrarium, sicut patet inducendo in aliis. Sed haereticus habet actum oppositum fidei. Ergo habitus fidei in eo non manet.

Cependant, [1] tout habitus infus est chassé par un acte contraire, comme cela ressort en le concluant à partir d’autres cas. Or, l’hérétique pose un acte contraire à la foi. L’habitus de foi ne demeure donc pas chez lui.

 [10619] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 3 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, esset simul fidelis et infidelis quod est impossibile.

 [2] Il serait en même temps fidèle et infidèle, ce qui est impossible.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [10620] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod de ratione fidei est quod credens assentiat aliquibus quae non videt nec secundum se, nec resolvere ea potest ad ea quae videt, sed inclinatur ad credendum ex aliqua ratione quae sufficit ad determinandum assensum in id quod creditur, quamvis non sufficiat ad inducendum ad visionem ejus quod creditur. Ratio autem haec inducens ad credendum potest sumi vel ex aliquo creato, sicut quando per aliquod signum inducimur ad aliquod credendum vel de Deo vel de aliis rebus; vel sumitur ab ipsa veritate increata, sicut credimus aliqua quae nobis divinitus dicta sunt per ministros. Et primo modo dicta fides cogit intellectum ad credendum per hoc quod non apparet aliquid contrarium; sed secundo modo intellectus non cogitur, sed ex voluntate inclinatur. Et primo modo est fides in Daemonibus, inquantum ex ipsa naturali cognitione simul, et ex miraculis quae vident supra naturam esse multo subtilius quam nos, coguntur ad credendum ea quae naturalem ipsorum cognitionem excedunt, non autem secundo modo.

Il fait partie de la raison de la foi que le croyant donne son assentiment à certaines choses qu’il ne voit pas par elles-mêmes et qu’il ne peut pas non plus ramener à ce qu’il voit; mais il est enclin à croire pour une raison qui suffit à déterminer son assentiment à ce qui est cru, bien qu’elle ne suffise pas à mener à la vision de ce qui est cru. Or, la raison qui conduit à croire peut être prise d’une chose créée, comme lorsque, par un signe, nous sommes amenés à croire quelque chose, ou [elle peut être prise] de Dieu ou d’autres réalités; ou bien elle est prise de la Vérité incréée elle-même, comme nous croyons à certaines choses qui nous ont été dites par Dieu par l’intermédiaire de ses ministres. De la première manière, la foi force l’intelligence à croire du fait que ne se présente rien de contraire; mais, de la seconde manière, l’intellect n’est pas forcé, mais il est incliné par la volonté. Selon la première manière, la foi existe chez les démons, dans la mesure où ils voient d’une manière bien plus raffinée que nous que cela dépasse la nature, et où ils sont forcés à croire ce qui dépasse leur connaissance naturelle. Mais [la foi n’existe pas chez eux] de la seconde manière.

 [10621] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis in intellectu Daemonis non sit obscuritas quae est in nobis ex sensu, est tamen obscuritas alia per hoc quod non possunt per cognitionem supernaturalem ad visionem veritatis pertingere, quam credere per aliqua signa compelluntur.

1. Bien qu’il n’y ait pas dans l’intelligence du Démon l’obscurité qui existe chez nous en raison des sens, il existe cependant une obscurité du fait qu’il ne peuvent atteindre par une connaissance surnaturelle la vision de la vérité, qu’ils sont forcés de croire par certains signes.

 [10622] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod fides quae est in eis non est habitus infusus, sed ex naturali cognitione procedit.

2. La foi qui existe en eux n’est pas un habitus infus, mais vient de la connaissance naturelle.

 [10623] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in eis intellectus cogitur ad assentiendum; unde non omnino ex libera voluntate procedit.

3. Chez eux, l’intelligence est forcée de donner son assentiment. Il ne vient donc pas entièrement de la volonté libre.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [10624] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod sicut supra dictum est, fidei habitus infusus in duobus nos adjuvat, scilicet ut credamus quae credenda sunt, et ut eis quae non sunt credenda, nullo modo assentiamus. Primum autem homo potest ex ipsa aestimatione sine habitu infuso; sed secundum, scilicet ut discrete in haec et non in illa inclinetur, est ex habitu infuso tantum; quae quidem discretio est secundum quam non credimus omni spiritui: quae quia in haeretico non est, constat quod habitus fidei in ipso non manet. Et si aliqua credenda credat, hoc est ex ratione humana: si enim habitu fidei ad haec credenda inclinaretur, contraria fidei refutaret, sicut omnis habitus renititur eis quae contra illum habitum sunt.

Comme on l’a dit plus haut, l’habitus infus de la foi nous aide pour deux choses : pour que nous croyions ce qui doit être cru et pour que nous ne donnions en rien notre assentiment à ce qui ne doit pas être cru. Or, l’homme peut faire la première chose par son propre jugement sans habitus infus; mais la seconde chose, à savoir juger d’incliner à juste titre vers ceci et non vers cela, ne vient que de l’habitus infus. Ce jugement consiste à ne pas croire tout esprit. Parce qu’il ne se trouve pas chez l’hérétique, il est clair que l’habitus de foi ne demeure pas chez lui. Et s’il croit certaines choses qui doivent être crues, cela vient de la raison humaine. En effet, s’il était enclin à croire ce qui doit être cru par l’habitus de foi, il repousserait ce qui est contraire à la foi, comme tout habitus résiste à ce qui contraire à cet habitus.

 [10625] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis credant aliquid quod est supra naturam, non tamen credunt illud per habitum infusum quo dirigantur, sed per aestimationem humanam.

1. Bien qu’ils croient certaines choses qui dépassent la nature, ils ne croient cependant pas cela par un habitus infus, par lequel ils sont dirigés, mais par un jugement humain.

 [10626] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod habitus scientiae inclinat ad scibilia per modum rationis; et ideo potest habens habitum scientiae aliqua ignorare quae ad illum habitum pertinent. Sed habitus fidei cum non rationi innitatur, inclinat per modum naturae, sicut et habitus moralium virtutum, et sicut habitus principiorum; et ideo quamdiu manet, nihil contra fidem credit.

2. L’habitus de la science incline aux objets de connaissance par mode de raisonnement; c’est pourquoi celui qui possède l’habitus de la science peut ignorer certaines choses qui se rapportent à cet habitus. Or, l’habitus de la foi, puisqu’il ne repose pas sur la raison, incline par mode de nature comme les habitus des vertus morales et comme l’habitus des principes. C’est pourquoi, aussi longtemps qu’il demeure, il ne croit rien de contraire à la foi.

 [10627] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ex illa aestimatione humana etiam in eis timor servilis causatur sicut in Daemonibus.

3. Par ce jugement humain, est aussi causée en eux la crainte servile, comme chez les démons.

 

 

Articulus 4 [10628] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4 tit. Utrum fides informis evacuetur adveniente caritate

Article 4 – La foi informe est-il rejetée lorsque survient la charité ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La foi informe est-elle rejetée lorsque survient la charité ?]

 [10629] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod fides informis evacuetur caritate adveniente. 1 Corinth. 13, 10: cum venerit quod perfectum est, evacuabitur quod ex parte est, sicut veniente visione evacuabitur fides. Sed fides informis est imperfecta respectu fidei formatae. Ergo fides informis tollitur adveniente formata.

1. Il semble que la foi informe soit rejetée lorsque survient la charité. 1 Co 13, 10 : Lorsque surviendra ce qui est parfait, ce qui était imparfait sera rejeté, comme lorsque surviendra la vision, la foi sera rejetée. Or, la foi informe est imparfaite par rapport à la foi formée. La foi informe est donc écartée lorsque la foi formée survient.

 [10630] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, fides informis est principium timoris servilis. Sed adveniente caritate tollitur timor servilis. Ergo et fides informis.

2. La foi informe est le principe de la crainte servile. Or, lorsque survient la charité, la crainte servile est écartée. Donc aussi, la foi informe.

 [10631] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4 qc. 1 arg. 3 Praeterea, gratia adveniens non habet minorem efficaciam in fideli quam in infideli. Sed in infideli totum fidei habitum causat. Ergo et in fideli qui habet fidem formatam. Sed fides formata et informis sunt unius speciei, ut patet ex dictis. Ergo cum duae formae unius speciei non possint simul esse in eodem subjecto, oportet quod adveniente caritate et gratia, fides informis tollatur.

3. Lorsque survient la grâce, elle n’a pas une efficacité moindre chez le fidèle que chez l’infidèle. Or, chez l’infidèle, elle cause la totalité de l’habitus de la foi. Donc, chez le fidèle aussi qui a une foi formée. Or, la foi formée et la foi informe appartiennent à une seule espèce, comme cela ressort de ce qui a été dit. Puisque deux formes d’une seule espèce ne peuvent exister en même temps dans le même sujet, il est donc nécessaire que, lorsque surviennent la charité et la grâce, la foi informe soit écartée.

 [10632] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, dona infusa sunt permanentiora quam acquisita. Sed gratia adveniens non tollit habitus acquisitos. Ergo multo minus tollit habitum infusum fidei.

Cependant, [1] les dons infus sont plus durables que les [habitus] acquis. Or, lorsque survient la grâce, elle n’enlève pas les habitus acquis. Encore bien moins n’enlève-t-elle donc pas l’habitus infus de la foi.

 [10633] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, nihil corrumpitur nisi a suo contrario. Sed fides informis non contrariatur gratiae: quia habitus boni non sunt contrarii ad invicem, sed solum mali, seu bonus malo. Ergo fides informis non tollitur secundum habitum adveniente caritate.

 [2] Rien n’est corrompu que par son contraire. Or, la foi informe n’est pas le contraire de la grâce, car les habitus bons ne sont pas contraires les uns aux autres, mais seuls les mauvais ou un [habitus] bon sont contraires au mal. La foi informe n’est donc pas enlevée en tant qu’habitus lorsque survient la charité.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [L’habitus de la foi informe demeure-t-il quant à son acte ?]

 [10634] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod etiamsi maneat quantum ad habitum, non maneat quantum ad actum. Per actum enim fidei informis etsi aliquid fiat quod est bonum, non tamen aliquid bene. Sed per actum fidei formatae aliquid bene fit. Ergo fides informis non manet quantum ad actum suum adveniente caritate.

1. Il semble que, même s’il demeure quant à l’habitus, il ne demeure pas quant à son acte. En effet, même si quelque chose de bon est accompli par l’acte de la foi informe, ce n’est cependant pas bien accompli. Or, par l’acte de la foi formée, quelque chose est bien accompli. La foi informe ne demeure donc pas quant à son acte lorsque survient la charité.

 [10635] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, lumen minus non illuminat praesente majore lumine. Sed fides informis est minus lumen quam caritas. Ergo praesente caritate actus fidei informis non manet.

2. La lumière plus faible n’éclaire pas en présence d’une lumière plus grande. Or, la foi informe est une lumière moindre que la charité. En présence de la charité, l’acte de la foi informe ne demeure donc pas.

 [10636] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4 qc. 2 arg. 3 Praeterea, unusquisque virtuosus operatur quanto melius potest, sicut et natura. Sed actus fidei formatae quem virtuosus habens caritatem exercet, melior est actu fidei informis. Ergo in eo actus fidei informis vacat; sicut ille qui potest aliquid per syllogismum demonstrativum cognoscere, non curat per syllogismum dialecticum illud considerare.

3. Tous les vertueux agissent du mieux qu’ils le peuvent, comme la nature. Or, l’acte de la foi formée qu’accomplit le vertueux qui possède la charité est meilleur que l’acte de la foi informe. L’acte de la foi informe est donc inutile chez lui, comme celui qui peut connaître quelque chose par un syllogisme démonstratif ne s’occupe pas de le considérer par un syllogisme dialectique.

 [10637] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, in moralibus multo minus est aliquid frustra quam in naturalibus, et praecipue quantum ad habitus infusos. Sed habitus sine actu frustra est, cum actus sit finis ejus, sicut et potentiae. Ergo non est habitus fidei sine actu.

Cependant, [1] dans les réalités morales, quelque chose est encore bien moins inutile que dans les choses naturelles, surtout pour ce qui concerne les habitus infus. Or, un habitus sans acte est inutile, puisque l’acte est sa fin, comme il est celui de la puissance. Il n’y a donc pas d’habitus de foi sans acte.

 [10638] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, actus fidei informis est credere Deo vel Deum. Sed haec manet adveniente caritate. Ergo actus fidei informis non evacuatur.

 [2] L’acte de la foi informe consiste à croire à Dieu ou Dieu. Or, cela demeure lorsque survient la charité. L’acte de la foi informe n’est donc pas rejeté.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La foi informe peut-elle devenir la foi formée ?]

 [10639] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod fides informis non possit fieri fides formata. Fides enim informis mortua est, ut dicitur Jac. 2. Sed opus mortuum non vivificatur. Ergo nec fides informis vivificatur per formam caritatis.

1. Il semble que la informe ne puisse pas devenir la foi formée. En effet, la foi informe est une foi morte, comme il est dit en Jc 2. Or, une œuvre morte n’est pas ramenée à la vie. La foi informe n’est donc pas non plus ramenée à la vie par la foi formée.

 [10640] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4 qc. 3 arg. 2 Praeterea, fides est accidens. Sed accidentia, ut dicit Boetius, variari non possunt. Ergo videtur quod illa eadem fides quae fuit informis, non possit fieri formata.

2. La foi est un accident. Or, les accidents, comme le dit Boèce, ne peuvent être changés. Il semble donc que la même foi qui était informe ne puisse devenir formée.

 [10641] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4 qc. 3 arg. 3 Praeterea, ex duobus accidentibus non fit unum. Sed gratia adveniens est unum accidens. Ergo ipsa non format fidem informem prius, sed novum habitum fidei formatae causat.

3. Un seul accident ne provient pas de deux accidents. Or, la grâce qui survient est un seul accident. Elle ne donne donc pas forme à la foi qui était d’abord informe, mais elle cause un nouvel habitus de foi formée.

 [10642] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, natura semper operatur via brevissima. Ergo similiter et gratia. Sed haec via est magis brevis, ut habitus prius informis formetur, quam novus habitus infundatur. Ergo illa fides quae prius erat informis, informatur.

Cependant, [1] la nature agit toujours par le chemin le plus court. Il en va donc de même de la grâce. Or, c’est un chemin plus court que l’habitus d’abord informe soit formé, plutôt que l’infusion d’un nouvel habitus. Donc, la foi qui était d’abord informe est formée.

 [10643] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, habitus infusus plus convenit cum gratia quam potentia naturalis. Sed potentia naturalis imperfecta et informis per gratiam advenientem formatur. Ergo multo fortius habitus fidei informis.

 [2] L’habitus infus a plus en commun avec la grâce qu’avec une puissance naturelle. Or, une puissance naturelle imparfaite et informe est formée par la grâce qui survient. À bien plus forte raison donc, l’habitus de la foi informe.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [10644] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4 qc. 1 co. Respondeo ad primam quaestionem dicendum, quod remoto eo quod non pertinet ad speciem rei, non oportet quod substantia rei tollatur; sicut si ab aere tollatur tenebra, adhuc manet aer. Informitas autem fidei non pertinet ad speciem fidei: quia species fidei est per modum quem habet ex natura potentiae, in qua est sicut in subjecto per relationem ad suum objectum. Dicitur autem formata et informis per relationem ad aliquid extrinsecum, scilicet ad voluntatem, ut dictum est; sicut aer formatur lumine per oppositionem corporis luminosi; et ideo patet quod informitas non pertinet ad speciem fidei. Cum ergo caritas adveniens non tollat nisi informitatem a fide, constat quod substantia habitus fidei adhuc manet.

Si on enlève ce qui ne se rapporte pas à l’espèce d’une chose, il n’est pas nécessaire que la substance de la chose soit écartée : ainsi, si les ténèbres sont enlevées de l’air, l’air continue de demeurer. Or, le caractère informe de la foi ne se rapporte pas à l’espèce de la foi, car l’espèce de la foi existe selon le mode qu’elle tient de la nature de la puissance, dans laquelle elle existe comme dans son sujet en rapport avec son objet. Or, on parle de foi informe et de foi formée par rapport à quelque chose d’extrinsèque, à savoir à la volonté, comme on l’a dit, de même que l’air est formé par la lumière par opposition au corps lumineux. C’est pourquoi il est clair que le caractère informe ne se rapporte pas à l’espèce de la foi. Puisque la charité qui survient n’enlève que le caractère informe de la foi, il est donc clair que la substance de l’habitus de la foi continue de demeurer.

 [10645] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod imperfectio quam habet fides respectu visionis, est secundum genus cognitionis; et ideo pertinet ad speciem fidei; et propter hoc visio adveniens fidem evacuat; non autem ita est in proposito, ut dictum est.

1. L’imperfection de la foi par rapport à la vision se trouve dans la genre de la connaissance. C’est pourquoi elle se rapporte à l’espèce de la foi. Pour cette raison, la vision qui survient rejette la foi. Mais il n’en va pas de même dans la question en cause, comme on l’a dit.

 [10646] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod etiam timor servilis non tollitur quantum ad habitum, sed quantum ad servilitatem.

2. Même la crainte servile n’est pas écartée quant à l’habitus, mais quant au caractère servile.

 [10647] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod gratia in habente fidem non causat alium habitum fidei: et hoc non est per inefficaciam gratiae, sed accidit ex parte subjecti, quod non potest recipere id quod jam habet.

3. La grâce chez celui qui a la foi ne cause pas un autre habitus de foi, et cela ne vient pas de l’inefficacité de la grâce, mais cela vient du sujet, qui ne peut recevoir ce qu’il possède déjà.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [10648] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod sicut manet habitus fidei informis sine informitate, ita et actus sine informitate: quia habitus est quo quis agit, cum tempus affuerit, ut dicit Augustinus.

De même que demeure l’habitus de la foi informe sans le caractère informe, de même [demeure] l’acte sans le caractère informe, car « l’habitus est ce par quoi quelqu’un agit, lorsque c’est le temps », comme le dit Augustin.

 [10649] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod hoc quod aliquis per fidem informem faciat bonum, pertinet ad substantiam habitus; et ideo hoc manet: sed quod faciat non bene, hoc pertinet ad informitatem, et ideo non manet.

1. Ce que quelqu’un accomplit de bien par la foi informe se rapporte à la substance de l’habitus; c’est pourquoi cela demeure. Mais ce qu’il n’accomplit pas bien se rapporte au caractère informe; c’est pourquoi cela ne demeure pas.

 [10650] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod lumen fidei informis et caritatis non sunt unius rationis: et ideo unum non offuscat aliud, sed perficit illud, cum unum sit materiale respectu alterius.

2. La lumière de la foi informe et de la charité ne sont pas d’une seule raison. Aussi l’une n’obscurcit-elle pas l’autre, mais la perfectionne, puisqu’elle joue le rôle de matière par rapport à l’autre.

 [10651] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod actus fidei informis deficit ab actu fidei formatae ratione informitatis, et secundum hoc non manet.

3. L’acte de la foi informe est en état de carence par rapport à l’acte de la foi formée en raison de son caractère informe; sous cet aspect, il ne demeure pas.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [10652] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod, sicut dicit philosophus in 6 Ethic., in homine ante completum esse virtutis moralis, existit quaedam naturalis inclinatio ad virtutem illam, quae dicitur virtus naturalis; et haec eadem virtutis rationem sumit, secundum quod a superiori potentia, scilicet ratione, perfectionem accipit; et similiter fides informis praeexistit in intellectu ante completum esse virtutis; sed rationem virtutis accipit ex perfectione superioris potentiae, scilicet voluntatis: unde una et eadem fides quae prius erat informis, postea fit formata. Nec est alia fides quae advenit: quia fides formata et informis non differunt specie, ut ex dictis patet. Duae autem formae unius speciei simul esse non possunt: quia formae diversificantur secundum numerum ex diversitate materiae vel subjecti.

1. Comme le dit le Philosophe dans Éthique, VI, il existe chez l’homme, avant que n’existe complètement une vertu morale, une inclination naturelle à cette vertu, qu’on appelle une puissance naturelle (virtus naturalis). C’est celle-là même qui reçoit la raison de vertu selon qu’elle est perfectionnée par une puissance supérieure, à savoir, la raison. De même, la foi informe préexiste-t-elle dans l’intelligence avant l’être complet de cette vertu; mais elle reçoit la raison de vertu de la perfection d’une puissance supérieure, à savoir, la volonté. Aussi l’unique et la même foi, qui était d’abord informe, devient-elle par la suite formée. Et ce n’est pas une autre foi qui survient, car la foi formée et la foi informe ne diffèrent pas selon l’espèce, comme cela ressort de ce qui a été dit. Or, deux formes d’une seule espèce ne peuvent exister simultanément, car les formes se diversifient selon le nombre par la diversité de leur matière ou de leur sujet.

 [10653] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod opus mortuum transit, et non potest idem numero iterum sumi, et ideo vivificari non potest; sed habitus informis manet, et ideo formari potest.

1. L’œuvre morte passe, et la même en nombre ne peut être reprise; c’est pourquoi elle ne peut être ramenée à la vie. Mais l’habitus informe demeure : il peut donc être formé.

 [10654] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod accidens non variatur quasi subjectum variationis, sed quia secundum ipsum, subjectum diversimode se habet, quod subjectum variationis est, sicut patet in intensione et remissione caloris.

2. L’accident ne change pas comme sujet du changement, mais parce que le sujet du changement est disposé de manière différente, comme cela ressort dans l’intensification et la diminution de la chaleur.

 [10655] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ex gratia et fide non fit unum accidens; sed modus caritatis participatur ad perfectionem fidei, sicut modus prudentiae participatur ad perfectionem virtutis moralis: et ideo caritas adveniens dicitur formare fidem praeexistentem.

3. Un seul accident n’est pas réalisé par la grâce et par la foi, mais le mode de la charité participe à la perfection de la foi, comme le mode de la prudence participe à la perfection de la vertu morale. On dit donc que la charité qui survient donne forme à la foi préexistante.

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Distinction 23

 [10656] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4 qc. 3 expos. Accipitur autem fides tribus modis. Fides proprie dicitur ex hoc quod aliquis assentit eis quae non videt. Hoc autem contingit dupliciter. Uno modo secundum quod homo inducitur per rationem humanam: et sic dicitur fides opinio vehemens. Et adhuc magis extenso nomine omnis certitudo quae fit per rationem humanam, etiamsi ad visionem inducat, dicitur fides, secundum quod argumentum dicitur ratio rei dubiae faciens fidem. Dicitur autem et veracitas hominis fides, inquantum est causa quod credat quis etiam de his quae non videt; et sic dicit Tullius, quod fides est fundamentum justitiae, fidem pro fidelitate accipiens. Et ulterius ipsa conscientia secundum quam aliquis hanc veracitatem tenet, dicitur fides. Rom. 14, 23: omne quod non est ex fide, Glossa: idest ex conscientia. Alio modo secundum quod homo inducitur per rationem divinam: et sic dicitur fides ipse habitus quo creditur, sive sit formatus sive informis, et actus, et objectum, et sacramentum, inquantum est causa et signum hujus fidei, et quaelibet certitudo quae habetur de divinis, extenso nomine dicitur fides etiamsi videantur. Non sicut corpora. Sciendum, quod hic Augustinus experimentalem cognitionem quam quis habet de fide sua separat a quatuor generibus visionum: scilicet a visione exteriori, per hoc quod dicit: sicut corpora; et a visione imaginationis quae ex ipsa relinquitur, in hoc quod dicit: et per ipsorum imaginationem; et a visione imaginativae, quae ex diversis imaginibus rerum visarum format aliquam rem nunquam visam, in hoc quod dicit: non sicut ea quae non videmus; et a visione intellectuali eorum quae sunt extra nos, per hoc quod dixit: nec sicut hominem. Quid est fides nisi credere quod non vides ? Hic definit habitum fidei per actum proprium.

 

 

 

Distinctio 24

Distinction 24 – [L’objet de la foi]

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [Quel est l’objet de la foi ?]

Prooemium

Prologue

 [10657] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de fide secundum suam substantiam, hic determinat de ea in comparatione ad suum objectum; et introducitur pars ista occasione definitionis fidei ab apostolo datae, qua fidem argumentum non apparentium dicit. Dividitur autem pars haec in duas: in prima inquirit, utrum fides sit de non visis; in secunda utrum sit de incognitis, ibi: post haec quaeri solet. Circa primum duo facit: primo ostendit fidem, proprie loquendo, esse de non visis; secundo removet quamdam instantiam quae fieri posset, ibi: si vero quaeritur, utrum Petrus fidem passionis habuerit (...) dicimus eum fidem passionis habuisse. Hic quaeruntur tria: 1 quid sit objectum fidei; 2 qualiter se habeat ad cognitionem nostram; 3 de merito et laude fidei.

Après avoir déterminé de la substance de la foi, le Maître en détermine par rapport à son objet. Cette partie est introduite à cause de la définition donnée par l’Apôtre, selon laquelle il dit que la foi est la preuve de ce qui n’est pas visible. Cette partie se divise en deux : dans la première, il se demande si la foi porte sur ce qui n’est pas vu; dans la seconde, si elle porte sur ce qui n’est pas connu, à cet endroit : « Après cela, on a coutume de s’interroger… » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il montre qu’à proprement parler, la foi porte sur ce qui n’est pas vu; deuxièmement, il écarte la question insistante qu’on pourrait poser, à cet endroit : « Mais si l’on demande si Pierre a eu foi en la passion…, nous disons qu’il a eu foi en la passion. » Ici, trois questions sont posées : 1 – Quel est l’objet de la foi ? 2 – Quel rapport a-t-elle avec notre connaissance ? 3 – À propos du mérite et de la louange de la foi.

 

 

Articulus 1 [10658] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 tit. Utrum veritas increata sit objectum fidei

Article 1 – La Vérité incréée est-elle l’objet de la foi ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La Vérité incréée est-elle l’objet de la foi ?]

 [10659] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod veritas increata non sit objectum fidei. Fides enim est de his quae sub symbolo continentur, quod est collectio credendorum. Sed in symbolo continentur quaedam quae ad creaturam pertinent, sicut passio, et hujusmodi. Ergo objectum fidei non est veritas increata.

1. Il semble que la Vérité incréée ne soit pas l’objet de la foi. En effet, la foi porte sur ce qui est contenu dans le symbole, qui est un recueil de ce qui doit être cru. Or, dans le symbole, sont contenues certaines choses qui se rapportent à la créature, comme la passion et les choses de ce genre. L’objet de la foi n’est donc pas la Vérité incréée.

 [10660] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, fides, ut Augustinus dicit, per sanctam Scripturam instruitur. Sed in ea multa de creaturis continentur. Ergo fidei objectum non est tantum veritas increata.

2. Comme le dit Augustin, « on intruit de la foi par la Sainte Écriture ». Or, beaucoup de choses portant sur les créatures sont contenues en celle-ci. L’objet de la foi n’est donc pas seulement la Vérité incréée.

 [10661] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, fides a prophetica revelatione initium sumpsit. Sed prophetia est de rebus creatis, cum contineat differentias temporis, quibus creatura subjacet. Ergo et fides.

3. La foi a son origine dans la révélation prophétique. Or, la prophétie porte sur des réalités créées, puisqu’elle contient des différences de temps auxquelles la créature est soumise. Donc, la foi aussi.

 [10662] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 4 Praeterea, forma universalis non est principium operandi, quia est a motu remota; unde ratio universalis, quae est formarum universalium, non movet, sicut patet per philosophum in 3 de anima. Sed veritas prima est magis a materia et motu remota quam aliqua forma universalis. Cum ergo fides sit operativus habitus quodammodo, quia per dilectionem operatur, ut dicitur Galat. 4, videtur quod objectum fidei non possit esse veritas prima.

4. Une forme universelle n’est pas un principe d’opération, car elle est éloignée du mouvement. La raison universelle, qui porte sur les raisons universelles, ne meut donc pas, comme cela ressort de ce que dit le Philosophe dans Sur l’âme, III. Or, la Vérité première est plus éloignée de la matière et du mouvement qu’une forme universelle. Puisque la foi est d’une certaine manière un habitus opératif, car elle agit par l’amour, comme il est dit en Ga 4, il semble donc que l’objet de la foi ne puisse être la Vérité première.

 [10663] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 5 Praeterea, virtutes theologicae, ut supra dictum est, ordinant nos in finem. Sed finis noster non tantum est Deus, sed etiam gloria creata. Ergo et fides etiam circa veritatem creatam est.

5. Comme on l’a dit plus haut, les vertus théologales nous ordonnent à la fin. Or, notre fin n’est pas seulement Dieu, mais aussi la gloire créée. La foi porte donc aussi sur la vérité créée.

 [10664] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicit Dionysius, quod divina fides est circa simplicem et semper existentem veritatem. Hoc autem est veritas increata. Ergo objectum fidei est verum increatum.

Cependant, [1] Denys dit que la foi divine porte sur la Vérité simple et éternelle. Or, c’est là la Vérité incréée. L’objet de la foi est donc le Vrai incréé.

 [10665] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, ab eodem res denominatur a quo recipit speciem. Sed habitus speciem recipiunt ab objecto. Cum ergo fides dicatur a Deo virtus theologica, videtur quod objectum proprium ejus est veritas increata.

 [2] Une chose est nommée à partir de ce dont elle reçoit son espèce. Or, les habitus reçoivent leur espèce de leur objet. Puisque la foi est appelée par Dieu une vertu théologale, il semble donc que son objet propre soit la Vérité incréée.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La foi porte-t-elle sur une vérité complexe ?]

 [10666] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod fides non sit circa verum complexum. Quia, ut dictum est, objectum fidei est simplex veritas. Sed in simplici non cadit aliqua complexio. Ergo non est circa verum complexum.

1. Il semble que la foi ne porte pas sur une vérité complexe, car, ainsi qu’on l’a dit, l’objet de la foi est la Vérité simple. Or, il n’y a pas de complexité dans quelque chose de simple. Elle ne porte donc pas sur une vérité complexe.

 [10667] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, fidei succedit visio. Sed visio patriae erit de incomplexo. Ergo et fides.

2. La vision succède à la foi. Or, la vision de la patrie portera sur quelque chose de non complexe. Donc, la foi aussi.

 [10668] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, fides formatur caritate. Sed caritas habet pro objecto bonum incomplexum. Ergo et fides verum incomplexum.

3. La foi est formée par la charité. Or, la charité a comme objet un bien non complexe. La foi a donc [comme objet] le vrai non complexe.

 [10669] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 4 Praeterea, sicut dicit philosophus in 3 de anima, in compositione intellectuum cadit tempus. Sed de substantia fidei non videtur esse tempus; alioquin nullus fuisset tempore nativitatis Christi fidelis, nisi qui credidisset eum tunc nasci. Ergo fides non est circa verum complexum.

4. Comme le dit le Philosophe dans Sur l’âme, III, le temps intervient dans la composition des intellects. Or, il ne semble pas que le temps fasse partie de la substance de la foi, autrement personne n’aurait été croyant au temps de la naissance du Christ que celui qui aurait cru qu’il naissait alors. La foi ne porte donc pas sur le vrai complexe.

 [10670] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 5 Praeterea, fides eadem est semper. Sed enuntiabilia non manent eadem: quia nos credimus Christum natum, quem patres crediderunt nasciturum. Ergo fides non est enuntiabilium.

5. La foi est toujours la même. Or, les énoncés ne demeurent pas toujours les mêmes, car nous croyons que le Christ est né, alors que les pères croyaient qu’il devait naître. La foi ne porte donc pas sur des énoncés.

 [10671] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, fides est media inter opinionem et scientiam. Sed tam scientia quam opinio est enuntiabilium. Ergo et fides.

Cependant, [1] la foi est intermédiaire entre l’opinion et la science. Or, tant la science que l’opinion portent sur des énoncés. Donc, la foi aussi.

 [10672] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, per fidem differt fidelis ab infideli. Non autem differt per incomplexum: quia Judaeus credit adventum Christi sicut et nos; sed in hoc distinguimur, quia nos credimus eum venisse, quem ipsi expectant venturum. Ergo fides est de complexis.

 [2] C’est par la foi que le croyant diffère de l’incroyant. Or, il ne diffère pas par quelque chose qui n’est pas complexe, car le Juif a cru à l’avènement du Christ comme nous; mais nous nous distinguons parce que nous croyons qu’il est venu, alors qu’ils attendent sa venue. La foi porte donc sur des réalités complexes.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La foi peut-elle porter sur quelque chose de faux ?]

 [10673] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod fidei possit subesse falsum. Omne enim verum contingens potest esse falsum. Sed fidei subest aliquod verum contingens, scilicet passio Christi, quia fuit voluntaria, et ex libero arbitrio tam Christi quam Judaeorum dependens. Ergo fidei potest subesse falsum.

1. Il semble que la foi puisse porter sur quelque chose de faux. En effet, tout contingent vrai peut être faux. Or, la foi porte sur un contingent vrai, la passion du Christ, car elle a été volontaire et elle dépendait tant du libre arbitre du Christ que de celui des Juifs. La foi peut donc porter sur quelque chose de faux.

 [10674] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, in tempore ante passionem Christi postquam credidit Abraham Christi passionem futuram, constat quod possibile fuit tunc Deo alio modo humanum genus liberare: quod si fuisset, fides Abrahae falsificata fuisset. Ergo fidei potest subesse falsum.

2. Avant la passion du Christ, après que Abraham eut cru que à la passion future du Christ, il est clair qu’il était possible pour Dieu de libérer le genre humain d’une autre manière. Si cela avait été le cas, la foi d’Abraham aurait été fausse. La foi peut donc porter sur quelque chose de faux.

 [10675] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, spei potest subesse falsum: quia aliquis sperat se habiturum vitam aeternam qui nunquam habebit: et similiter caritati: quia aliquis promittit aliquid ex caritate quod non faciet, sicut de apostolo patet 1 Cor. 1. Ergo et fidei.

3. L’espérance peut porter sur quelque chose de faux, car quelqu’un espère obtenir la vie éternelle, alors qu’il ne l’obtiendra pas. De même pour la charité, car quelqu’un promet par charité quelque chose qu’il ne fera pas, comme cela ressort de 1 Co 1. C’est donc aussi le cas de la foi.

 [10676] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 4 Praeterea, latria per fidem dirigitur. Sed in actu latriae aliquis potest errare, sicut qui credit esse hostiam consecratam quae non est consecrata, et eam adorat. Ergo et fidei potest subesse falsum.

4. La latrie est dirigée par la foi. Or, quelqu’un peut se tromper dans l’acte de latrie, comme celui qui croit qu’une hostie non consacrée est consacrée et l’adore. La foi peut donc porter sur quelque chose de faux.

 [10677] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, fides est certior quam scientia, ut supra dictum est. Sed scientiae non subest falsum. Ergo multo minus fidei.

Cependant, [1] la foi est plus certaine que la science, comme on l’a dit plus haut. Or, le faux n’est pas objet de science. Donc, encore bien moins de la foi.

 [10678] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, per nullam virtutem producitur actus malus: quia bonus usus potentiae est actus virtutis, ut dicit Augustinus. Sed opinari falsum est malus usus intellectus. Cum ergo fides sit virtus, non contingit fidei subesse falsum.

 [2] Aucune vertu ne produit un acte mauvais, car « le bon usage d’une puissance est un acte de vertu », comme le dit Augustin. Or, avoir une fausse opinion est un mauvais usage de l’intelligence. Puisque la foi est une vertu, il n’arrive donc pas que la foi porte sur quelque chose de faux.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [10679] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum, ad primam quaestionem, quod in objecto alicujus potentiae contingit tria considerare: scilicet id quod est formale in objecto, et id quod est materiale, et id quod est accidentale; sicut patet in objecto visus: quia formale in ipso est lumen, quod facit colorem visibilem actu; materiale vero ipse color, qui est potentia visibilis; accidentale vero, sicut quantitas et alia hujusmodi, quae colorem comitantur. Et quia unumquodque agit secundum quod est in actu et per suam formam, objectum autem est activum in virtutibus passivis; ideo ratio objecti, ad quam proportionatur potentia passiva, est id quod est formale in objecto; et secundum hoc diversificantur potentiae et habitus, qui ex ratione objecti speciem recipiunt: et haec tria est invenire in objecto fidei. Cum enim fides non assentiat alicui, nisi propter veritatem primam credibilem, non habet quod sit actu credibile nisi ex veritate prima, sicut color est visibilis ex luce; et ideo veritas prima est formale in objecto fidei, et a qua est tota ratio objecti. Quidquid autem est illud quod de Deo creditur, sicut est passum esse, vel aliquid hujusmodi, hoc est materiale in objecto fidei; ea autem quae ex istis credibilibus consequuntur, sunt quasi accidentaliter. Et ideo concedendum est, quod objectum fidei, proprie loquendo, est veritas prima.

Dans l’objet d’une puissance, on peut considérer trois choses : ce qui se trouve formellement dans l’objet, ce qui est matériel et ce qui est accidentel, comme cela est clair pour l’objet de la vue : la lumière, qui rend la couleur visible en acte, est ce qui est formel en elle; la couleur elle-même, qui est visible en puissance, est ce qui est matériel; mais la quantité et les autres choses de ce genre, qui accompagnent la couleur, sont ce qui est accidentel. Et parce que toute chose agit selon qu’elle est en acte et par sa forme, mais que l’objet est actif pour les puissances passives, la raison d’objet, à laquelle la puissance passive est proportionnée, est ce qui est formel dans l’objet. Ainsi se différencient les puissances et les habitus, qui reçoivent leur espèce de la raison de l’objet. On trouve aussi ces trois choses dans l’objet de la foi. En effet, puisque la foi ne donne son assentiment à quelque chose qu’en raison de la Vérité première qui est crédible, et que cela n’est objet de la foi en acte qu’en vertu de la Vérité première, comme la couleur est visible par la lumière, la Vérité première est donc ce qui est formel dans l’objet de la foi et toute la raison de l’objet vient d’elle. Or, tout ce que l’on croit à propos de Dieu, comme le fait qu’il a souffert ou quelque chose de ce genre, cela est matériel dans l’objet de la foi; mais ce qui découle de ces objets de foi joue pour ainsi dire le rôle d’accidents. Il faut donc concéder que l’objet de la foi est à proprement parler la Vérité première.

 [10680] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod passio, et alia hujusmodi quae continentur in symbolo, se habent materialiter ad objectum fidei.

1. La passion et les autres choses de ce genre, qui sont contenues dans le symbole, jouent le rôle de matière par rapport à l’objet de la foi.

 [10681] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in sacra Scriptura instruitur fides quantum ad essentialia fidei, sicut sunt quae de Deo in ipsa dicuntur, et quantum ad accidentalia, sicut sunt gesta patrum, et alia hujusmodi, quae ad fidem pertinent, inquantum sunt divinitus inspirata et dicta.

2. Dans la Sainte Écriture, la foi est enseignée quant aux réalités essentielles de la foi, comme ce qui est dit de Dieu en elle, et quant aux choses accidentelles, comme les actions des pères et les autres choses de ce genre, qui relèvent de la foi pour autant qu’elles sont inspirées et dites par Dieu.

 [10682] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis prophetia et fides sunt de eodem, sicut de passione Christi, non tamen secundum idem: quia fides formaliter respicit passionem ex parte illa qua subest aliquid aeternum, scilicet inquantum Deus est passus; hoc autem quod temporale est, respicit materialiter: sed prophetia e contrario.

3. Bien que la prophétie et la foi portent sur la même chose, par exemple, la passion du Christ, [elles ne le font] cependant pas sous le même aspect, car la foi envisage formellement la passion selon que quelque chose d’éternel en fait partie, à savoir, que Dieu a souffert, mais elle envisage matériellement ce qui est temporel. Mais la prophétie fait le contraire.

 [10683] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod formae universales non movent secundum quod in sua universalitate considerantur, sed secundum quod applicantur ad aliquid particulare: et similiter prima veritas movet ad operandum, inquantum applicatur ad hunc vel ad illum, sicut dum consideratur quod est finis ad quem iste vel ille pervenire potest. Vel dicendum, quod formae universales non sunt subsistentes in rerum natura; et ideo ad operationem vel ad actionem se habere non possunt neque sicut principium neque sicut terminus; et ideo non est similis ratio de Deo, qui in seipso subsistit.

4. Les formes universelles ne meuvent pas selon qu’elles sont envisagées dans leur universalité, mais selon qu’elles sont appliquées à quelque chose de particulier. De même, la Vérité première meut-elle à agir pour autant qu’elle est appliquée à tel ou tel individu, comme lorsqu’elle est considérée comme la fin à laquelle tel ou tel peut parvenir. Ou bien il faut dire que les formes universelles ne subsistent pas dans la nature des choses. C’est pourquoi elles ne peuvent avoir de rapport avec une opération ou une action ni comme principe, ni comme terme. Le raisonnement n’est donc pas le même pour Dieu, qui subsiste en lui-même.

 [10684] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod beatitudo creata consistit in operatione nostra ad Deum; operatio autem ex objecto cognoscitur; unde principaliter est fides de ipso Deo, et secundario de beatitudine creata.

5. La béatitude créée consiste dans notre opération par rapport à Dieu. Or, l’opération est connue par son objet. Aussi la foi porte-t-elle principalement sur Dieu lui-même et secondairement sur la béatitude créée.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [10685] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod, sicut dicit Augustinus, credere est cum assensione cogitare; assentire autem non potest aliquis nisi ei quod verum est; veritas autem non consistit nisi in complexione vel intellectuum vel vocum; ideo objectum fidei oportet quod sit verum complexum. Et hoc patet per hoc quod quidam philosophi illam operationem intellectus qua componit et dividit, appellaverunt fidem. Unde illi qui dixerunt, quod fidei objectum est incomplexum, propriam vocem ignoraverunt. Quod enim dicitur, credo incarnationem, non potest intelligi in formando conceptionem incarnationis: quia sic quilibet qui intelligit quid significatur per nomen, crederet incarnationem. Unde sensus est: credo incarnationem esse, vel fuisse. Patet ergo quod fidei inquantum est fides, convenit circa verum complexum esse: convenit etiam sibi ex ipsa ratione objecti proprii, quod est veritas prima, de qua non potest sciri quod est, ut intellectus in ejus cognitione utatur formatione; sed cognoscitur quia est, quod fit per intellectum componentem et dividentem.

Comme le dit Augustin, « croire, c’est donner son assentiment en retournant dans son esprit ». Or, quelqu’un ne peut donner son assentiment qu’à ce qui est vrai, mais la vérité ne consiste que dans l’assemblage de pensées ou de paroles. Il faut donc que l’objet de la foi soit quelque chose de vrai qui est complexe. Cela ressort du fait que certains philosophes ont appelé « foi » cette opération de l’intellect par laquelle il compose et divise. Aussi ceux qui ont dit que l’objet de la foi est quelque chose qui n’est pas complexe ont-ils ignoré cela même dont ils parlaient. En effet, lorsque je dis : « Je crois dans l’incarnation », cela ne peut se comprendre en formant le concept de l’incarnation, car alors tous ceux qui comprennent ce qui est signifié par ce mot croiraient à l’incarnation. Le sens est donc : « Je crois que l’incarnation existe ou a existé. » Il est donc clair qu’il est approprié que la foi en tant que foi porte sur quelque chose de vrai qui est complexe. Cela lui convient aussi selon la raison même de son objet propre, qui est la Vérité première, dont on ne peut savoir ce qu’elle est, de sorte que l’intellect utilise une formation pour la connaître; mais on sait qu’elle existe, ce qui se réalise par l’intellect qui compose et divise.

 [10686] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis veritas prima sit simplex secundum rem, tamen in ea inveniuntur multa secundum rationem, prout intellectus diversas conceptiones de ipsa format: et secundum hoc etiam illas diversas conceptiones potest componere et dividere, et enuntiationem de Deo formare.

1. Bien que la Vérité première soit simple en elle-même, on y trouve cependant beaucoup de choses selon la raison, pour autant que l’intellect forme diverses conceptions à son sujet. Il peut aussi composer et diviser ces diverses conceptions, et former une énonciation à propos de Dieu.

 [10687] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod operatio intellectus componentis et dividentis resolvitur ad operationem ejus qua respicit aliquod incomplexum: quia quod quid est, est principium demonstrandi an est simpliciter, et quia est: et ideo etiam illud quod fidei succedit, in quo fides consummabitur, erit visio incomplexi.

2. L’opération de l’intellect qui compose et divise se ramène à l’opération par laquelle il considère quelque chose qui n’est pas complexe, car ce qu’est l’essence est le principe de la démonstration de sa simple existence et du fait que cela existe. C’est pourquoi ce qui succède à la foi et en quoi la foi sera consommée sera la vision de quelque chose qui n’est pas complexe.

 [10688] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod objectum caritatis est bonum, quod, secundum philosophum in 6 Metaph., est in rebus: objectum autem fidei est verum, quod completur per operationem animae. Et quia compositio et divisio, quae est in enuntiabilibus, non est nisi per animam; ideo complexum est objectum fidei, quamvis incomplexum sit objectum caritatis.

3. L’objet de la charité est le bien, qui existe dans les choses, selon le Philosophe dans Métaphysique, VI. Mais l’objet de la foi est le vrai, qui se réalise par une opération de l’âme. Et parce que la composition et la division, qui se trouvent dans ce qui peut faire l’objet d’énoncés, n’existent que par l’âme, ce qui est complexe est donc objet de la foi, bien que ce qui n’est pas complexe soit l’objet de la charité.

 [10689] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod tempus determinatum, est de his quae accidentaliter se habent ad fidem, sicut etiam se habet accidentaliter ad praedicatum et ad subjectum, quae intellectus componit et dividit. Ea autem quae se habent accidentaliter ad fidem, non sunt de necessitate salutis, nisi postquam determinata sunt per praedicationem et doctrinam.

4. Un temps déterminé fait partie de ce qui se rapporte accidentellement à la foi, comme il se rapporte accidentellement au prédicat et au sujet par lesquels l’intellect compose et divise. Or, ce qui se rapporte accidentellement à la foi n’est pas nécessaire au salut, sauf après que cela a été déterminé par la prédication et l’enseignement.

 [10690] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod sustinentium fidem esse circa verum complexum, quidam dixerunt, quod est idem enuntiabile, quod secundum tria tempora variatur: quod in 1 libro improbatum est, distinct. 24. Et propter hoc alii dixerunt, quod articuli fidei non sunt idem quantum ad essentiam, sed quantum ad utilitatem: quod etiam non bene dictum est: quia sic fides non esset eadem simpliciter, sed secundum quid. Et ideo dicendum est, quod in ipso articulo qui est objectum fidei complexum, est aliquid materiale, scilicet ipsa passio; et aliquid formale, scilicet res divina; et aliquid accidentale, scilicet ipsum tempus: unde fides variatur non quantum ad essentiam, sed quantum ad accidens.

5. Parmi ceux qui ont soutenu que la foi porte sur quelque chose de vrai qui est complexe, certains ont dit qu’il s’agit du même énoncé qui varie selon les temps, ce qui a été condamné dans le livre I, d. 24. À cause de cela, d’autres ont dit que les articles de foi ne sont pas la même chose selon l’essence, mais selon leur utilité. Cela non plus n’a pas été formulé correctement, car ainsi la foi ne serait pas la même simplement, mais de manière relative. Il faut donc dire que, dans l’article même qui est un objet complexe de la foi, il y a quelque chose de matériel, la passion elle-même; quelque chose de formel, la réalité divine, et quelque chose d’accidentel, le temps lui-même. La foi ne varie donc pas selon son essence, mais selon quelque chose d’accidentel.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [10691] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod fides innititur veritati primae; unde cum illa sit infallibilis, fidei non potest subesse falsum.

La foi s’appuie sur la Vérité première. Comme celle-ci est infaillible, la foi ne peut donc porter sur quelque chose de faux.

 [10692] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod contingens non potest esse objectum fidei nisi secundum quod stat sub divina praescientia, et secundum hoc habet necessitatem consequentiae, et sic cadit sub fide; unde sicut praescientia non potest falli, ita nec fides.

1. Le contingent ne peut être objet de la foi que dans la mesure où il est soumis à la prescience de Dieu et selon qu’il comporte une nécessité par mode de conséquence, et tombe ainsi sous la foi. Puisque la prescience [divine] ne peut se tromper, la foi ne le peut donc pas non plus.

 [10693] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod post tempus Abrahae Deus potuit alio modo genus humanum liberare quam per passionem Christi, loquendo de potentia absoluta, sed non secundum quod consideratur in ordine ad praescientiam: non enim potest Deus ut aliquid ab eo praescitum sit, et postmodum non fiat, sicut non potest falli vel mutari; et sic fides Abrahae fuerat de passione Christi, secundum quod subsistit divinae praescientiae.

2. Après le temps d’Abraham, Dieu pouvait libérer le genre humain d’une autre manière que par la passion du Christ, si l’on parle de puissance absolue, mais non pas selon que celle-ci est envisagée dans son rapport à la prescience. En effet, Dieu ne peut pas faire que quelque chose soit connu par lui et ne se réalise pas par la suite, de même qu’il ne peut se tromper ni changer. Et ainsi, la foi d’Abraham portait sur la passion du Christ, selon qu’elle est soumise à la prescience divine.

 [10694] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod spes non tendit in beatitudinem nisi ex suppositione meritorum: alias esset praesumptio, et non spes. Unde si deficientibus meritis iste ad beatitudinem non pervenit ut speravit, spes non decipitur; et similiter nec caritas decipitur: quia semper vult id quod Deo placitum est. Unde si aliquis postea comperiat non esse Deo placitum quod prius placitum aestimabat, aestimatio humana fallitur, non caritas.

3. L’espérance ne tend vers la béatitude qu’en supposant les mérites, autrement elle serait de la présomption, et non de l’espérance. Si, en l’absence de mérites, celui-ci ne parvient pas à la béatitude comme il l’espérait, l’espérance n’est pas trompée. De même aussi, la charité n’est pas trompée, car elle veut toujours ce qui plaît à Dieu. Si quelqu’un découvre par la suite que ce qu’il estimait plaire à Dieu ne lui plaisait pas, le jugement humain se trompe, mais non la charité.

 [10695] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod fides non est de hac hostia nisi rite consecrata; sed quod haec hostia sit rite consecrata, hoc est humanae aestimationis; et ex hac parte potest accidere error in latria.

4. La foi ne porte sur telle hostie que si elle est correctement consacrée. Mais le fait que telle hostie soit correctement consacrée relève d’un jugement humain. De ce point, il peut se produire une erreur dans la latrie.

 

 

Articulus 2 [10696] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 tit. Utrum fides possit esse de visis

Article 2 – La foi porte-t-elle sur ce qui est vu ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La foi porte-t-elle sur ce qui est vu ?]

 [10697] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod fides sit de visis; 1 Corinth. 13, 12: videmus nunc per speculum in aenigmate; et loquitur ibi de fide; ideo fides est visio. Ergo credita sunt visa.

1. Il semble que la foi porte sur ce qui est vu. 1 Co 13, 12 : Nous voyons maintenant dans un miroir et en énigme, et il parle ici de la foi. La foi est donc une vision. Ce qui est cru est donc vu.

 [10698] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, lumen fidei se habet ad articulos sicut lumen naturale ad principia naturaliter cognita. Sed lumen naturale facit videre principia per se nota. Ergo et lumen fidei facit videre articulos.

2. La lumière de la foi se rapporte aux articles [de la foi] comme la lumière naturelle aux principes naturellement connus. Or, la lumière naturelle fait voir les principes connus par eux-mêmes. La lumière de la foi fait donc aussi voir les articles.

 [10699] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, intelligere, videre est. Sed oportet eum qui audit intelligere quae dicuntur, ad hoc quod credat. Ergo fides, quae ex auditu est, de visis est.

3. Intelliger, c’est voir. Or, il est nécessaire que celui qui entend comprenne ce qui est dit pour qu’il croie. La foi, qui vient de ce qu’on entend, porte donc sur ce qui est vu.

 [10700] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 4 Praeterea, prophetia visionis causa est. Sed fides et prophetia in idem concurrunt, ut supra dictum est. Ergo fides de visis est.

4. La prophétie est la cause de la vision. Or, la foi et la prophétie ont quelque chose en commun, comme on l’a dit plus haut. La foi porte donc sur ce qui est vu.

 [10701] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 5 Praeterea, id quod est materiale in objecto fidei, est res creata, ut dictum est. Sed res illa creata visui humano subjacet etiam sensibili, sicut passio. Ergo cum fides sit de toto objecto suo, fides de visis erit.

5. Ce qui est matériel dans l’objet de foi est une réalité créée, comme on l’a dit. Or, cette réalité créée est soumise à la vision humaine, même sensible, comme la passion. Puisque la foi porte sur l’ensemble de son objet, la foi porte donc sur ce qui est vu.

 [10702] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Hebr. 11, 1: fides est argumentum non apparentium. Ergo non est de visis.

Cependant, [1] He 11, 1 dit : La foi est la preuve de ce qui n’est pas visible. Elle ne porte donc pas sur ce qui est vu.

 [10703] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, Deum nemo vidit unquam; Joan. 1, 18. Sed fides proprie est de Deo. Ergo fides est de non visis.

 [2] Dieu, personne ne l’a vu, Jn 1, 18. Or, la foi porte au sens propre sur Dieu. La foi porte donc sur ce qui n’est pas vu.

 [10704] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 3 Praeterea, fides gignit spem: Glossa Matth. 1. Sed spes est de non visis, Roman. 8. Ergo et fides.

 [3] « La foi engendre l’espérance », dit la Glose sur Mt 1. Or, l’espérance porte sur ce qui n’est pas vu, Rm 8. Donc, la foi aussi.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La foi peut-elle porter sur ce qui est su ?]

 [10705] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod fides possit esse de scitis. Deum enim esse, est creditum. Sed hoc est scitum, quia demonstrative probatum est. Ergo fides est de scitis.

1. Il semble que la foi puisse porter sur ce qui est su. En effet, on croit que Dieu existe. Or, cela est su, car cela a été prouvé de manière démonstrative. La foi porte donc sur ce qui est su.

 [10706] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, unum de generantibus scientiam est doctrina. Sed fides, quantum ad distinctionem credendorum, est per doctrinam, quia fides ex auditu est: Rom. 10. Ergo fides est de scitis.

2. Une des choses qui engendre la science est l’enseignement. Or, la foi dépend de l’enseignement, pour ce qui est de la distinction entre les choses à croire, car la foi vient de ce qu’on a entendu, Rm 10. La foi porte donc sur ce qui est su.

 [10707] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, omne illud ad quod habetur ratio probans, est scitum. Sed ad ea quae sunt fidei, potest haberi ratio probans: 1 Petr. 3, 15: parati semper ad reddendum rationem de ea quae in nobis est fide et spe; et Commentator super 1 cap. de Divin. Nom. dicit, quod ratio est prior auctoritate; et Richardus de sancto Victore dicit, quod ad nullam veritatem probandam deficit ratio. Ergo fides est de scitis.

3. Tout ce dont on a un argument probant est su. Or, il peut y avoir un argument probant pour ce qui relève de la foi. 1 P 3, 15 : Toujours prêts à rendre compte de ce qui est en nous par la foi et l’espérance. Et le Commentateur dit, à propos des Noms divins, chap. 1, que « la raison précède l’autorité ». Et Richard de Saint-Victor dit que « la raison ne manque pas de démontrer toute vérité ». La foi porte donc sur ce qui est su.

 [10708] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 4 Praeterea, omnis probatio convincens intellectum ad assentiendum, facit scientiam. Sed ad assentiendum his quae sunt fidei, convincitur intellectus per miracula, sicut supra dictum est de Daemonibus. Ergo fides est de scitis.

4. Toute démonstration convainquant l’intellect de donner son assentiment est science. Or, pour donner son assentiment à ce qui relève de la foi, l’intellect est convaincu par des miracles, comme on l’a dit plus haut à propos des démons. La foi porte donc sur ce qui est su.

 [10709] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, scientia ex intellectu principiorum causatur. Sed de his quae fides credit non possumus habere intellectum fide manente, scilicet in statu viae. Ergo fides non potest esse de scitis.

Cependant, [1] la science est causée par l’intelligence des principes. Or, nous ne pouvons comprendre ce que la foi croit aussi longtemps que demeure la foi, c’est-à-dire dans l’état du cheminement. La foi ne peut donc porter sur ce qui est su.

 [10710] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, scientia est effectus rationis. Sed ea de quibus est fides, sunt supra rationem. Ergo de his quae sunt fidei, non potest esse scientia.

 [2] La science est l’effet de la raison, Or, ce qui relève de la foi dépasse la raison. Il ne peut donc pas y avoir de science de ce sur quoi porte la foi.

 [10711] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 3 Praeterea, Deum nemo vidit unquam; Joan. 1, 18. Sed fides proprie de Deo est. Ergo est de non visis et cetera.

 [3] Dieu, personne ne l’a vu, Jn 1, 18. Or, la foi porte au sens propre sur Dieu. Elle porte donc sur ce qui n’est pas vu, etc.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Ce sur quoi porte la foi est-il ignoré ?]

 [10712] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod ea de quibus est fides, sint ignota. Quia secundum Gregorium, apparentia non habent fidem, sed agnitionem. Sed ea quae non habent agnitionem, sunt ignota. Ergo ea quae fidem habent ignota sunt.

1. Il semble que ce sur quoi porte la foi soit ignoré, car, selon Grégoire, « ce qui est visible n’est pas objet de foi, mais de connaissance ». Or, ce qui n’est pas objet de connaissance est ignoré. Ce qui relève de la foi est donc ignoré.

 [10713] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, 1 Corinth. 2, 9: oculus non vidit et auris non audivit, et in cor hominis non ascendit, quae praeparavit Deus diligentibus se. Sed quaecumque cognoscuntur, in cor ascendunt. Ergo fides, quae est de praedictis, est de ignotis.

2. 1 Co 2, 9 : L’œil n’a pas vu, l’oreille n’a pas entendu et rien n’est monté dans le cœur de l’homme de ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment. Or, tout ce qui est connu monte dans le cœur. La foi qui porte sur ce qui a été dit plus haut porte donc sur ce qui est ignoré.

 [10714] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, omnis nostra cognitio habet ortum a sensu, secundum philosophos. Sed ea quae cadunt sub fide, nullo modo possunt reduci ad cognitionem sensibilem. Ergo de eis non est cognitio aliqua.

3. Toute notre connaissance prend son origine dans le sens, selon les philosophes. Or, ce qui relève de la foi ne peut aucunement être ramené à la connaissance sensible. On n’en a donc aucune connaissance.

 [10715] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 4 Praeterea, omne quod cognoscitur, est praesens aliquo modo cognoscenti. Sed fides, ut dicit Augustinus, est de absentibus. Ergo ea quae sunt fidei, sunt ignota.

4. Tout ce qui est connu est présent d’une certaine manière à celui qui connaît. Or, « la foi, comme le dit Augustin, porte sur des réalités qui sont absentes ». Ce qui relève de la foi est donc ignoré.

 [10716] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, omnis habitus in potentia cognitiva existens facit cognoscere suum objectum. Sed fides est in cognitiva potentia existens sicut in subjecto, ut prius dictum est, dist. 23, qu. 1, art., 3. Ergo ea quae sunt fidei aliquo modo cognoscuntur.

Cependant, [1] tout habitus qui existe dans une puissance cognitive fait connaître son objet. Or, la foi se trouve dans une puissance cognitive comme dans son sujet, comme on l’a dit plus haut, d. 23, q. 1, a. 3. Ce qui relève de la foi est donc connu d’une certaine manière.

 [10717] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, infidelitas est ignorantia, ut patet 1 Tim. 1, 13: misericordiam consecutus sum, quia ignorans feci in incredulitate mea. Ergo fides est cognitio; et ita credita sunt cognita.

 [2] L’infidélité est une ignorance, comme cela ressort de 1 Tm 1, 13 : J’ai obtenu miséricorde, car j’ai agi par ignorance à cause de mon incrédulité. La foi est donc une connaissance, et ainsi ce qui est cru est connu,

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [10718] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum, ad primam quaestionem, quod visio, proprie loquendo, est actus sensus visus, sed propter nobilitatem istius sensus translatum est nomen visionis ad actus aliarum potentiarum cognitivarum secundum similitudinem ad sensum visus. Potest ergo attendi similitudo quantum ad genus cognitionis tantum; et sic largo modo, improprie omnis cognitio visio dicetur; et secundum hoc fides est de visis utcumque, sicut Magister dicit, non quidem visu exteriori, sed interiori. Potest etiam ulterius attendi haec similitudo non solum quantum ad genus cognitionis, sed etiam quantum ad modum cognoscendi. Modus autem quo sensus videt, est inquantum species visibilis in actu per lumen formatur in visu; unde transferendo nomen visionis ad intellectum, proprie intelligendo, videmus quando per lumen intellectuale ipsa forma intellectualis fit in intellectu nostro; sive illud lumen sit naturale; sicut cum intelligimus quidditatem hominis, aut alicujus hujusmodi; sive sit supernaturale, sicut quo Deum in patria videbimus. Et ulterius videri per intellectum dicuntur illa complexa quorum cognitio ex praedicta visione consurgit; sicut per lumen naturale videmus principia prima quae cognoscimus statim, ut terminos; sive per lumen supernaturale, sicut est visio prophetiae. Et ulterius etiam ea quae in ista principia resolvere possumus per rationem dicuntur videri, sicut ea quae scimus demonstrative probata. Et secundum hoc patet quod fides non potest esse de visis: quia forma illa intelligibilis quae principaliter est objectum fidei, idest Deus, formationem intellectus nostri subterfugit, et non est ei pervius in statu viae, ut dicit Augustinus. Nec iterum ea quae sunt fidei, ad principia visa reducere possumus demonstrando.

À proprement parler, la vision est un acte du sens de la vue, mais, en raison de la noblesse de ce sens, le mot « vision » a été transféré aux actes d’autres puissances cognitives à cause d’une ressemblance avec le sens de la vue. La ressemblance peut donc être envisagée quant au genre de connaissance seulement. Ainsi, au sens large, toute connaissance est-elle appelée vision et, de ce point de vue, la foi porte sur ce qui est vu de quelque manière, comme le dit le Maître, non pas d’une vision extérieure, mais intérieure. On peut aussi considérer cette ressemblance, non seulement quant au genre de connaissance, mais aussi quant au mode de connaissance. Or, le mode selon lequel le sens voit consiste en ce que l’espèce visible en acte est formée par la lumière dans la vision. A ussi, en transférant le mot « vision » à l’intellect, en l’entendant au sens propre, nous voyons lorsque, par la lumière intellectuelle, la forme intellectuelle elle-même apparaît dans notre intellect, soit que cette lumière soit naturelle, comme lorsque nous intelligeons la quiddité de l’homme ou quelque chose de ce genre, soit qu’elle soit surnaturelle, comme celle par laquelle nous verrons Dieu dans la patrie. De plus, on dit qu’on voit par l’intelligence les réalités compexes dont la connaissance provient de la vision susdite, comme lorsque nous voyons par la lumière naturelle les principes premiers que nous connaissons immédiatement comme des termes, soit par la lumière surnaturelle, comme la vision de la prophétie. Encore plus, nous disons que nous voyons ce que nous pouvons ramener à ces principes par la raison, comme ce que nous savons comme étant prouvé de manière démonstrative. Il ressort ainsi que la foi ne peut porter sur ce qui est vu, car la forme intelligible qui est principalement l’objet de la foi, Dieu, échappe à la formation de notre intellect et ne lui est pas accessible dans l’état du cheminement, comme le dit Augustin. Nous ne pouvons pas non plus ramener par démonstration à des principes vus ce qui relève de la foi.

 [10719] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod visio accipitur ibi large secundum primum modum.

1. La vision est entendue là au sens large selon le premier mode.

 [10720] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod termini principiorum naturaliter notorum sunt comprehensibiles nostro intellectui: ideo cognitio quae consurgit de illis principiis, est visio: sed non est ita de terminis articulorum. Unde in futuro, quando Deus videbitur per essentiam, articuli erunt ita per se noti et visi, sicut modo principia demonstrationis.

2. Les termes des principes naturellement connus sont compréhensibles par notre intelligence. C’est pourquoi la connaissance qui provient de ces principes est une vision. Mais il n’en va pas de même des termes des articles. Aussi, à l’avenir, lorsque Dieu sera vu par son essence, les articles seront-ils connus et vus par eux-mêmes à la manière des principes d’une démonstration.

 [10721] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod praecedit intellectus, quo intelligimus quid significatur per nomen, et non quo intelligimus quid sit res ipsa: quia nomina ex effectibus imponuntur.

3. L’intelligence, par laquelle nous intelligeons ce qui est signifié par un mot, précède, et non pas celle par laquelle nous intelligeons ce qu’est la chose elle-même, car les noms sont donnés à partir des effets.

 [10722] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod prophetia respicit temporale quasi proprium objectum, quod intellectu comprehendi potest; et ideo prophetia est visio.

4. La prophétie porte sur quelque chose de temporel comme son objet propre, qui peut peut être compris par l’intelligence. C’est pourquoi la prophétie est appelée une vision.

 [10723] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod de eo quod est materiale in objecto fidei, scilicet incarnatio, non est fides, nisi secundum quod stat sub illo formali; sicut visus non est de colore nisi secundum quod stat sub lumine; et sic non cadit sub visu corporali, nec intellectuali.

5. La foi ne porte sur ce qui est matériel dans l’objet de foi, l’incarnation, que pour autant que cela dépend de ce qui y est formel, comme la vision ne porte sur la couleur que pour autant qu’elle est exposée à la lumière. Et ainsi elle ne tombe pas sous la vision corporelle ni sous [la vision] intellectuelle.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [10724] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod fides, ut dictum est, comparatur ad aliquid dupliciter, scilicet per se et per accidens. Et quod per se pertinet ad fidem, pertinet ad eam semper et ubique; ideo quod pertinet ad fidem ratione hujus vel illius, non est fidei per se, sed per accidens. Ergo quod simpliciter humanum intellectum excedit ad Deum pertinens, nobis divinitus revelatum, per se ad fidem pertinet; quod autem excedit intellectum hujus vel illius, et non omnis hominis, non per se sed per accidens ad fidem pertinet. Ea autem quae omnem humanum intellectum excedunt non possunt per demonstrationem probari: quia demonstratio in intellectu principiorum fundatur; et ideo hujusmodi non possunt esse scita, sed quaedam quae sunt praecedentia ad fidem, quorum non est fides nisi per accidens, inquantum scilicet excedunt intellectum illius hominis, et non hominis simpliciter, possunt demonstrari et sciri; sicut hoc quod est Deum esse: quod quidem est creditum quantum ad eum cujus intellectus ad demonstrationem non attingit: quia fides, quantum in se est, ad omnia quae fidem concomitantur vel sequuntur vel praecedunt sufficienter inclinat.

Comme on l’a dit, la foi se compare à quelque chose de deux manières : par soi et par accident. Ce qui concerne par soi la foi la concerne toujours et partout; c’est pourquoi ce qui concerne la foi en raison de tel ou tel aspect ne concerne pas la foi par soi, mais par accident. Ce qui dépasse simplement l’intellect humain à propos de Dieu et qui nous est révélé par Dieu concerne la foi par soi; mais ce qui dépasse l’intellect de tel ou tel homme, mais non de tous, ne concerne pas la foi par soi, mais par accident. Or, ce qui dépasse tout intellect humain ne peut pas être prouvé par une démonstration, car la démonstration se fonde sur l’intelligence des principes. Aussi les choses de ce genre ne peuvent-elles être sues, mais certaines qui précèdent la foi, sur lesquelles la foi ne porte que par accident, dans la mesure où elles dépassent l’intelligence de tel homme, et non pas simplement de l’homme, peuvent-elles être démontrées et sues, par exemple, le fait que Dieu existe : cela est cru par celui dont l’intelligence de parvient pas à la démonstration, car la foi en elle-même incline suffisamment à tout ce qui accompagne, suit ou précède la foi.

 [10725] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 1 Et per hoc patet solutio ad primum.

1. La solution du premier argument est ainsi claire.

 [10726] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod fides determinatur per auditum doctrinae proponentis quid evitandum sit et quid tenendum sit, sed non probantis propositum; et ideo scientiam talis doctrina non facit.

2. La foi est déterminée par l’écoute de l’enseignement qui propose ce qu’il faut éviter et ce qu’il faut soutenir, mais qui ne prouve pas ce qui est proposé. Un tel enseignement ne donne donc pas la science.

 [10727] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ratio humana praecedit auctoritatem humanam, et ratio divina praecedit auctoritatem divinam, cui fides innititur; unde fides nostra ita se habet ad rationem divinam qua Deus cognoscit, sicut se habet fides illius qui supponit principia subalternatae scientiae ad scientiam subalternantem, quae per propriam rationem illa probavit. Unde apostolus non monet humanam rationem inducere ad probandum fidem, sed divinam, ut ostendatur quod Deus dixit; humanam autem ad defendendum, ut per eam ostendatur quod ea quae fides praesupponit, non sunt impossibilia; non ita autem quod sufficienter per rationem humanam ea quae fidei sunt, probari possint. Et ideo verbum Richardi intelligendum est de probatione non sufficienti, sed aliquo modo persuadenti.

3. La raison humaine précède l’autorité humaine et la raison divine précède l’autorité divine, sur laquelle s’appuie la foi. Notre foi a donc, avec la raison divine par laquelle elle connaît Dieu, le même rapport que la foi de celui qui suppose les principes d’une science subalterne avec la science subalternante, qui les a prouvés par sa propre raison. Aussi l’Apôtre n’avertit-il pas de faire appel à la raison humaine pour prouver la foi, mais à la raison divine afin de montrer ce que Dieu a dit. Mais [on doit faire appel à la raison] humaine pour la défendre, afin de montrer par celle-ci que ce que la foi présuppose n’est pas impossible, mais non que ce qui concerne la foi peut être suffisamment prouvé par la raison humaine. Aussi la parole de Richard doit-elle s’entendre d’une preuve qui n’est pas suffisante, mais qui persuade d’une certaine manière.

 [10728] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod argumenta quae cogunt ad fidem, sicut miracula, non probant fidem per se, sed probant veritatem annuntiantis fidem: et ideo de his quae fidei sunt, scientiam non faciunt.

4. Les arguments qui forcent à croire, comme les miracles, ne prouvent pas la foi en elle-même, mais ils prouvent la vérité de celui qui annonce la foi. C’est pourquoi ils ne donnent pas la science de ce qui relève de la foi.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [10729] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod ad perfectam rationem cognitionis intellectivae tria requiruntur. Primo quod id quod cognoscitur, intellectui proponatur; secundo quod intellectus illis adhaereat; tertio quod ea videat. Ea ergo quae fidei sunt, intellectui proponuntur non quidem in seipsis, sed quibusdam verbis quae ad eorum expressionem non sufficiunt, et quibusdam similitudinibus ab eorum repraesentatione deficientibus; et ideo dicuntur cognosci in speculo, et in aenigmate. Et propter hoc non videtur, proprie loquendo, sed tamen intellectus assentit eis: et propter hoc imperfecte cognoscuntur, nec omnino ignorantur.

Pour la parfaite raison de la connaissance intellectuelle, trois choses sont requises. Premièrement, que ce qui est connu soit proposé à l’intelligence; deuxièmement, que l’intelligence y adhère; troisièmement, qu’elle les voie. Ce qui relève de la foi est donc proposé à l’intelligence non pas en soi, mais par certaines paroles qui ne suffisent pas à l’exprimer et par certaines ressemblances qui ne parviennent pas à le représenter. C’est pourquoi on dit que cela est connu dans un miroir et en énigme. Pour cette raison, cela n’est pas vu au sens propre, mais l’intelligence y donne cependant son assentiment. Cela est donc imparfaitement connu, mais n’est pas totalement ignoré.

 [10730] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Gregorius loquitur de agnitione perfecta, quae visionem includit.

1. Grégoire parle d’une connaissance parfaite qui comporte la vision.

 [10731] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in cor ascendit quod per operationem cordis formari potest; et hoc est quod videtur: et per istum modum quae praeparavit Deus diligentibus se, in cor hominis non ascendunt.

2. Monte dans le cœur ce qui peut être formé par l’opération du cœur. C’est cela qui est vu. De cette manière, ne monte pas dans le cœur de l’homme ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment.

 [10732] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod cognitio fidei ortum habet a sensu, inquantum significationes nominum, quae proponuntur sensibus, cognovit; sed haec deficiunt a repraesentatione ejus circa quod est fides proprie; ideo fides non habet cognitionem perfectam.

3. La connaissance de la foi prend son origine dans le sens pour autant qu’il a connu les significations des mots qui sont proposés aux sens. Mais ceux-ci sont impuissants à représenter ce sur quoi la foi porte au sens propre. C’est pourquoi la foi n’a pas une connaissance parfaite.

 [10733] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod illud proprie dicitur praesens cujus essentia intellectui vel sensui praesentatur: et quia hoc facit visionem, ideo dicit Augustinus, quod videntur praesentia, sed creduntur absentia: et propter hoc etiam fides assimilatur auditui, quia de absentibus est, sicut auditu cognoscimus quae, cum sint absentia, nobis recitantur.

4. On appelle « présent » ce dont l’essence est présentée à l’intelligence ou au sens. Parce que cela donne la vision, Augustin dit donc que « ce qui est présent est vu, mais ce qui est cru est absent ». Pour cette raison aussi, la foi est assimilée à l’ouïe, car celle-ci porte sur ce qui est absent; ainsi nous connaissons par l’ouïe ce qui nous est raconté, alors que cela est absent.

 

 

Articulus 3 [10734] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3 tit. Utrum necessarium sit homini credere aliquid cujus non habet scientiam

Article 3 – Est-il nécessaire que l’homme croie quelque chose dont il n’a pas la science ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Est-il nécessaire que l’homme croie quelque chose dont il n’a pas la science ?]

 [10735] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod non sit necessarium quod homo credat aliquid cujus non habet scientiam neque visionem, super naturalem rationem existens. Nulli enim rei perfecte providetur, nisi sibi conferantur ea per quae potest in finem suum devenire. Sed humanae naturae in sua creatione sufficienter divina providentia providit. Ergo ei tribuit ea per quae possit in finem suum tendere; et ita videtur quod ratio naturalis sufficienter hominem in finem ordinet; et ita non oportet quod aliqua supra rationem credat.

1. Il semble qu’il ne soit pas nécessaire que l’homme croie quelque chose dont il n’a pas la science ni la vision, et qui dépasse la raison naturelle. En effet, on ne prend parfaitement soin d’une chose que si on lui donne ce par quoi elle peut parvenir à sa fin. Or, la providence divine a suffisamment pris soin de la nature humaine lors de sa création. Elle lui a donc attribué ce par quoi elle pourrait tendre vers sa fin; et ainsi, il semble que la raison naturelle ordonne suffisamment l’homme vers sa fin. Il n’est donc pas nécessaire qu’il croie certaines choses qui dépassent la raison.

 [10736] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, ultimus finis nostrae vitae est Deus, inquantum est summum bonum. Sed aliquid esse summum bonum, est probatum per rationem naturalem. Ergo non oportuit aliquid aliud credere supra rationem naturalem ad ordinationem hominis in finem.

2. La fin ultime de notre vie est Dieu, pour autant qu’il est le Bien suprême. Or, qu’il existe un Bien suprême, cela est démontré par la raison naturelle. Il n’était donc pas nécessaire de croire à quelque chose d’autre qui dépasse la raison naturelle pour ordonner l’homme vers sa fin.

 [10737] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, sapientia divina in infinitum nostram rationem excedit. Ergo infinita sunt in sapientia Dei quae nostram rationem excedunt. Sed non de omnibus illis possumus habere cognitionem. Ergo pari ratione nec de aliquibus quae supra rationem sunt: quia de similibus est idem judicium.

3. La sagesse divine dépasse infiniment notre raison. Il existe donc dans la sagesse divine une infinité de choses qui dépassent notre raison. Or, nous ne pouvons connaître toutes ces choses. Pour la même raison, ne pouvons-nous pas avoir la connaissance de certaines choses qui dépassent la raison, car le même jugement est porté sur des choses semblables.

 [10738] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, ubi est altior vita, debet esse altior operatio vitae. Sed vita gratiae est altior quam vita naturae. Ergo et cognitio gratiae debet excedere cognitionem naturae, cum cognitio sit operatio vitae.

Cependant, [1] là où il existe une vie plus élevée, il doit exister une opération plus élevée de la vie. Or, la vie de la grâce est plus élevée que la vie de la nature. La connaissance de la grâce doit donc dépasser la connaissance de la nature, puisque la connaissance est une opération de la vie.

 [10739] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, fides est substantia sperandarum rerum, Hebr. 11, 1. Sed ea quae speramus, sunt supra rationem: quia oculus non vidit nec auris audivit nec in cor hominis ascendit quae praeparavit Deus iis qui diligunt illum; 1 Corinth. 2, 9. Ergo et fides debet esse de his quae sunt supra rationem.

 [2] La foi est la substance des choses espérées, He 11, 1. Or, ce que nous espérons dépasse la raison, car l’œil n’a pas vu, l’oreille n’a pas entendu et n’est pas monté dans le cœur de l’homme ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment, 1 Co 2, 9. La foi aussi doit donc porter sur des choses qui dépassent la raison.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Croire ce que nous ne voyons pas est-il louable et méritoire ?]

 [10740] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod credere his quae non videmus, non sit laudabile neque meritorium. Quia qui cito credit levis est corde, ut dicitur Eccli. 19, 4. Sed qui credit his quae nullo modo videt, nimis cito credit. Ergo magis est vituperandus quam laudandus.

1. Il semble que croire ce que nous ne voyons pas ne soit ni louable ni méritoire, car celui qui croit rapidement a un cœur léger, comme il est dit dans Si 19, 4. Or, celui qui croit ce qu’il ne voit aucunement croit trop rapidement. Il doit être blâmé plutôt que loué.

 [10741] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, abnegare rationem, quae est nobilissimum eorum quae in nobis sunt, est vituperabile. Sed qui credit ea quae non sunt rationi consona, rationem abnegat. Ergo est vituperabilis.

2. Renoncer à la raison, qui est ce qu’il y a de plus noble en nous, est répréhensible. Or, celui qui croit ce qui n’est pas conforme à la raison, renonce à la raison. Il mérite donc d’être blâmé.

 [10742] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, discretio est illa quae facit omne opus hominis laudabile. Sed cum omnis nostra discretio sit per rationem, in his quae praeter rationem sunt, non habemus aliquid quo discernamus. Ergo hoc credere non est laudabile: quia ita potest aliquis credere falsis sicut veris.

3. La discrétion est ce qui rend louable toute action de l’homme. Or, puisque notre discrétion vient entièrement de la raison, nous n’avons pas ce par quoi nous exerçons notre discrétion dans les choses qui dépassent la raison. Croire cela n’est donc pas louable, car on peut ainsi croire des faussetés comme des vérités.

 [10743] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Joan. 20, 29: beati qui non viderunt, et crediderunt.

Cependant, [1] Jn 20, 29 dit : Bienheureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru!

 [10744] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, omnis actus virtutis est meritorius et laudabilis, quantum est in se. Sed credere quae non videntur, est actus fidei, quae est virtus. Ergo est laudabile et meritorium.

 [2] Tout acte de vertu est méritoire et louable en lui-même. Or, croire ce qu’on ne voit pas est un acte de foi, qui est une vertu. Cela est donc louable et méritoire.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La raison humaine diminue-t-elle le mérite de la foi ?]

 [10745] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod ratio humana diminuat meritum fidei. Ratio enim sufficienter probans, totaliter meritum fidei evacuaret: quia, ut dicit Gregorius: fides non habet meritum cui humana ratio praebet experimentum. Ergo ratio aliqualiter persuadens, meritum fidei diminuit.

1. Il semble que la raison humaine diminue le mérite de la foi. En effet, la raison qui prouve suffisamment enlèverait totalement le mérite de la foi, car, ainsi que le dit Grégoire, « la foi, à laquelle la raison fournit une preuve, n’a pas de mérite, ». La raison qui persuade d’une certaine manière diminue donc le mérite de la foi.

 [10746] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, illud quod inducit ad corruptionem fidei, diminuit meritum fidei. Sed rationes et disputationes inducunt corruptionem fidei, ut dicit Averroes in 3 Physic., ex hoc quod homo audit alia, et ex hoc minus adhaeret his quae consuevit audire, et dubitare incipit. Ergo videtur quod ratio humana meritum fidei diminuat.

2. Ce qui entraîne la corruption de la foi diminue le mérite de la foi. Or, « les arguments et les disputes entraînent la corruption de la foi », comme dit Averroès dans Physique, III, du fait que l’homme entend d’autres choses et, de ce fait, adhère moins à ce qu’il avait coutume d’écouter et se met à douter. Il semble donc que la raison humaine diminue le mérite de la foi.

 [10747] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 3 Praeterea, opus quod pure propter Deum fit, magis est meritorium quam quando cum hoc fine admiscetur aliquid aliud temporale. Ergo pari ratione humana ratio fidei admixta meritum fidei diminuit.

3. L’action qui est accomplie purement pour Dieu est plus méritoire que lorsqu’une autre chose temporelle y est mêlée. Pour la même raison, la raison mêlée à la foi diminue le mérite de la foi.

 [10748] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, per rationes humanas fides elucidatur. Sed elucidantibus vita aeterna promittitur; ut patet Eccli. 24, 31: qui elucidant me, vitam aeternam habebunt; quod non esset, si per elucidationem meritum fidei diminueretur. Ergo videtur quod ratio humana meritum fidei non diminuit.

Cependant, [1] la foi est mise en lumière par les raisons humaines. Or, la vie éternelle est promise à ceux qui mettent en lumière, comme cela ressort de Si 24, 31 : Ceux qui m’éclairent auront la vie éternelle, ce qui ne serait pas le cas si le mérite de la foi était diminué par la mise en lumière. Il semble donc que la raison humaine ne diminue pas le mérite de la foi.

 [10749] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, quanto virtus est magis propinqua fini, tanto est magis meritoria. Sed finis fidei, est intelligentia veritatis, ad quam homo propinquat per rationes humanas. Ergo ratio humana fidei meritum non diminuit, sed auget.

 [2] Plus une vertu est proche de la fin, plus elle est méritoire. Or, la fin de la foi est l’intelligence de la vérité, dont l’homme se rapproche par des raisons humaines. La raison humaine ne diminue donc pas le mérite de la foi, mais l’augmente.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [10750] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod in fide sunt quaedam quae sunt supra rationem humanam simpliciter, de quibus essentialiter est fides; et quaedam quae sunt supra rationem humanam alicujus, quamvis non supra rationem cujuslibet hominis; et ad utraque necessarium fuit dari fidem. Quia enim homini Deus providit finem qui est supra naturam hominis, scilicet plenam participationem suae beatitudinis; oportet autem eum qui in finem tendit, si libero arbitrio agat, cognoscere finem ex cujus consideratione dirigitur in his quae sunt ad finem; ideo oportuit ut homo alicujus rei cognitionem haberet quae naturalem cognitionem ejus excedit: quae quidem cognitio homini datur per gratiam fidei. Sicut autem est in gratia perficiente affectum quod praesupponit naturam, quia eam perficit; ita et fidei substernitur naturalis cognitio, quam fides praesupponit, et ratio probare potest; sicut Deum esse, et Deum esse unum, incorporeum, intelligentem, et alia hujusmodi: et ad hoc etiam sufficienter fides inclinat, ut qui rationem ad hoc habere non potest, fide eis assentiat. Quod quidem necessarium fuit propter quinque, ut dicit Rabbi Moyses in prima parte, capit. 33. Primo propter altitudinem materiae secundum elevationem a sensibus, quibus vita nostra connutritur; unde non est facile sensum et imaginationem deserere; quod tamen est necessarium in cognitione divinorum et spiritualium, ut dicit Boetius. Secundo, quia quamvis intellectus hominis naturaliter ordinatus sit ad divina cognoscenda, non tamen potest in actum exire per seipsum. Et quia cuilibet non potest adesse doctor paratus, ideo Deus lumen fidei providit, quod mentem ad hujusmodi elevet. Tertio, quia ad cognitionem divinorum per viam rationis multa praeexiguntur, cum fere tota philosophia ad cognitionem divinorum ordinetur: quae quidem non possunt nisi pauci cognoscere; et ideo oportuit fidem esse ut omnes aliquam cognitionem haberent de divinis. Quarto, quia quidam naturaliter sunt hebetes, et tamen cognitione divinorum indigent qua in vita dirigantur. Quinto, quia homines occupantur circa necessaria vitae, et retrahuntur a diligenti consideratione divinorum.

Dans la foi, il y a des choses qui dépassent simplement la raison humaine, et des choses qui dépassent la raison humaine d’un individu, bien qu’elles ne dépassent pas la raison de tous les hommes. Il était nécessaire que la foi soit donnée pour les deux. En effet, parce que Dieu a préparé à l’homme une fin qui est supérieure à la nature de l’homme, la pleine participation à sa béatitude, il est nécessaire que celui qui tend vers cette fin, s’il agit par libre arbitre, connaisse cette fin, par la considération de laquelle il est dirigé vers ce qui est ordonné à cette fin. Il fallait donc que l’homme ait la connaissance d’une chose qui dépasse sa connaissance naturelle : cette connaissance est donnée par la grâce de la foi. Or, de même que, pour la grâce qui perfectionne l’affectivité, la nature est présupposée, puisqu’elle la perfectionne, de même la connaissance naturelle, que présuppose la foi, est-elle sous-jacente à la foi et la raison peut-elle démontrer le fait que Dieu existe, qu’il est unique, incorporel, intelligent et d’autres choses de ce genre. À cela aussi la foi incline suffisamment, afin que celui qui ne peut en saisir la raison y donne son assentiment par la foi. Or, cela était nécessaire pour cinq raisons, comme le dit rabbi Moïse dans la première partie, c. 33. Premièrement, en raison de l’élévation de la matière par rapport aux sens, par lesquels notre vie est entretenue; ainsi il n’est pas facile de délaisser le sens et l’imagination, ce qui est cependant nécessaire pour la connaissance des réalités divines et spirituelles, comme le dit Boèce. Deuxièmement, parce que, bien que l’intelligence de l’homme soit naturellement ordonnée à la connaissance des réalités divines, elle ne peut cependant passer à l’acte par elle-même. Parce que chacun ne peut compter sur la présence d’un docteur bien disposé, Dieu a donc donné la lumière de la foi qui élève l’esprit jusqu’aux réalités de ce genre. Troisièmement, parce que beaucoup de choses sont prérequises à la connaissance des réalités divines par la voie de la raison, puisque presque toute la philosophie est ordonnée à la connaissance des réalités divines. Or, un petit nombre seulement peut connaître cela. C’est pourquoi il fallait que la foi existe afin que tous aient une certaine connaissance des réalités divines. Quatrièmement, parce que certains sont naturellement obtus et ont cependant besoin de la connaissance des réalités divines par laquelle ils sont dirigés dans la vie. Cinquièmement, parce que les hommes sont occupés par ce qui est nécessaire à la vie et sont retenus de la considération attentive des réalités divines.

 [10751] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod finis humanae vitae est cognitio Dei, etiam secundum philosophos qui ponunt felicitatem ultimam in actu sapientiae secundum cognitionem nobilissimi intelligibilis. Cognitio autem Dei quaedam excedit nostram naturam, sicut visio quae est per essentiam; et ad istum finem non potuit sufficienter nobis provideri per nostra naturalia; et ideo necessaria fuit fides eorum quae essentialiter ad fidem pertinent. Alia autem cognitio Dei est commensurata nostrae naturae, scilicet illa quam de Deo habere possumus per rationem naturalem. Sed quia haec habetur in ultimo humanae vitae, cum sit finis; et oportet humanam vitam regulari ex cognitione Dei, sicut ea quae sunt ad finem ex cognitione finis: ideo etiam per naturam hominis non potuit sufficienter provideri etiam quantum ad hanc cognitionem Dei. Unde oportuit quod per fidem a principio cognita fierent, ad quae ratio nondum poterat pervenire; et hoc quantum ad ea quae ad finem praeexiguntur.

1. La fin de la vie humaine est la connaissance de Dieu, même selon les philosophes qui place la félicité ultime dans l’acte de la sagesse par la connaissance de ce qui est le plus noble des intelligibles. Or, une certaine connaissance de Dieu dépasse notre nature, comme la vision qui se réalise par son essence, et nous ne pouvions être suffisamment équipés pour cette fin par notre capacité naturelle. Aussi la foi à ce qui relève essentiellement de la foi était-elle nécessaire. Mais une autre connaissance de Dieu est à la mesure de notre nature : celle que nous pouvons avoir de Dieu par la raison naturelle. Or, parce que celle-ci n’est obtenue qu’au terme de la vie humaine, puisqu’elle en est la fin, et parce qu’il est nécessaire que la vie humaine soit réglée par la connaissance de Dieu, comme ce qui est ordonné à une fin par la connaissance de la fin, la nature de l’homme ne pouvait donc pas non plus suffisamment assurer cette connaissance de Dieu. Il fallait donc que, dès le début, soit connu par la foi ce que ne pouvait atteindre la raison, et cela, pour ce qui est prérequis à ce qui est ordonné à la fin.

 [10752] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod bonum, ut dicit Dionysius, est sui diffusivum; unde ubi cognoscitur alia ratio diffusionis, cognoscitur alia ratio bonitatis. Per rationem ergo naturalem potest cognosci summum bonum, secundum quod diffundit se communicatione naturali, non autem secundum quod diffundit se communicatione supernaturali; et secundum hanc rationem summum bonum est finis nostrae vitae: de quo oportet haberi fidem, cum ratio in illud non possit.

2. Comme le dit Denys, « le bien se répand par lui-même », de sorte que là où est connue une autre raison de diffusion, est connue une autre raison de bien. Le Bien suprême peut donc être connu par la raison naturelle selon qu’il se diffuse par une communication naturelle, mais non selon qu’il se diffuse par une communication surnaturelle. Selon cette raison, le Bien suprême est la fin de notre vie, ce dont il faut en avoir la foi, puisque la raison ne peut y accéder.

 [10753] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ea quae sunt ad finem, debent proportionari fini: unde cum finis vitae humanae ultimus sit supra facultatem naturae, et per consequens rationis, quae ratio ex his quae sunt ad finem, de fine conjectat; oportet quod etiam illa quae sunt ordinata ad finem illum, supra facultatem humanae naturae sint et supra rationem; et ita non omnia quae in divina sapientia supra rationem sunt ad fidem pertinent, sed solum cognitio finis supernaturalis, et eorum quibus in finem illum supernaturaliter ordinamur.

3. Ce qui est ordonné à la fin doit être proportionné à la fin. Puisque la fin ultime de la vie humaine dépasse la capacité de la nature et, par conséquent, de la raison, qui juge de ce qui se rapporte à la fin à partir de la fin, il est nécessaire que même ce qui est ordonné à cette fin dépasse la capacité de la nature humaine et la raison. Ainsi, tout ce qui dépasse la raison dans la sagesse divine ne relève pas de la foi, mais seulement la connaissance de la fin surnaturelle et de ce par quoi nous sommes surnaturellement ordonnés à cette fin.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [10754] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod, sicut philosophus dicit 1 Ethic., laus proprie secundum respectum ad alterum quod dignius est attenditur; sicut videmus quod actus concupiscibilis laudatur inquantum ordinate se habet ad rationem; actus vero rationis inquantum ordinate se habet ad intellectum, quo dirigitur; et actus etiam supremarum potentiarum secundum quod convenienter se habent ad finem. Et propter hoc illa quae sunt optima, non laudantur, sed honorantur. Et quia virtus est dispositio perfecti ad optimum, ut dicitur in 7 Physic.; ideo proprie actus virtutis laudabilis est. Nostra autem naturalis cognitio se habet ad divinam sicut ad superiorem; et ideo cum ratio nostra divinae consentit, actus laudabilis est, sicut cum irascibilis subditur rationi; et ideo credere veritati primae in his quae non videntur, laudabile est, et opus meritorium, et opus virtutis.

Comme le dit le Philosophe dans Éthique, I, la louange se prend par rapport à quelque chose de plus digne, comme nous voyons que l’acte du concupiscible est loué pour autant qu’il se comporte de manière ordonnée par rapport à la raison; l’acte de la raison l’est pour autant qu’il se comporte de manière ordonnée par rapport à la simple intelligence, par laquelle il est dirigé; et même l’acte des puissances supérieures, selon qu’elles ont un rapport approprié avec la fin. Pour cette raison, ce qu’il y a de meilleuer n’est-il pas loué, mais honoré. Et parce que « la vertu est la disposition de ce qui est parfait à ce qui est le meilleur », ainsi qu’il est dit dans Physique, VII, l’acte de vertu est au sens propre louable. Or, notre connaissance se rapporte à [la connaissance] divine comme une [connaissance] supérieure; c’est pourquoi, lorsque notre raison consent à la [raison] divine, est-ce un acte louable, comme lorsque l’irascible est soumis à la raison. Ainsi, croire à la Vérité première pour ce que l’on ne voit pas est-il louable, un acte méritoire et un acte vertueux.

 [10755] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod credere homini absque ratione probabili est nimis cito credere: quia cognitio unius hominis non est naturaliter ordinata ad cognitionem alterius, ut per ipsam reguletur. Sed hoc modo ordinata est ad veritatem primam.

1. Croire à un homme sans raison probable, c’est croire trop rapidement, car la connaissance d’un homme n’est pas naturellement ordonnée à la connaissance d’un autre [homme] d’une manière telle qu’elle soit déterminée par celle-ci. Mais elle a été ordonnée de cette manière à la Vérité première.

 [10756] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod homo dum credit, rationem non abnegat, quasi contra eam faciens; sed eam transcendit, altiori dirigenti innixus, scilicet veritati primae: quia ea quae fidei sunt, etsi supra rationem sint, tamen non sunt contra rationem. Ea autem quae supra hominem sunt quaerere, non est vituperabile sed laudabile: quia homo debet se erigere ad divina, quantumcumque potest, ut dicit philosophus.

2. Lorsqu’il croit, l’homme ne renonce pas à sa raison, comme s’il agissait à l’encontre de celle-ci, mais il la dépasse en s’appuyant sur quelqu’un de plus grand qui la dirige : la Vérité première, car ce qui relève de la foi, même si cela dépasse la raison, n’est cependant pas contraire à la raison. Or, rechercher ce qui dépasse l’homme n’est pas blâmable mais louable, car l’homme doit s’élever jusqu’aux réalités divines, autant qu’il le peut, comme le dit le Philosophe.

 [10757] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod discretionem credendorum habet homo per lumen fidei, sicut discretionem spirituum per aliquam gratiam gratis datam; unde homo lumen fidei habens non consentit his quae sunt contra fidem, nisi inclinationem fidei derelinquat ex sua culpa.

3. L’homme juge de ce qui doit être cru par la lumière de la foi comme il juge des esprits par un charisme. L’homme qui possède la lumière de la foi ne consent donc pas à ce qui est contraire à la foi, à moins d’abandonner l’inclination de la foi par sa faute.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [10758] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod quantitas meriti ex duobus potest attendi; scilicet ex parte operis et ex parte operantis. Opus quidem oportet ut sit virtuosum. Et quia virtus est circa difficile et bonum, oportet quod habeat difficultatem et bonitatem quantum in se est; et ideo quod addit ad alterum eorum addit ad meritum, quantum est ex parte operis. Ex parte vero operantis requiritur voluntas; unde quanto magis quis voluntate facit, tanto magis meretur; et semper quantitas meriti attenditur secundum radicem caritatis. Haec autem quantitas est quasi formale respectu alterius; unde secundum eam certius est judicium de quantitate meriti. Ratio ergo naturalis dupliciter potest induci in his quae fidei sunt: vel cum ratio inducitur secundum fidem, vel contra fidem. Ratio autem inducta contra fidem addit difficultatem actus quantum in se est; unde manente eadem voluntate credendi magis meretur qui credit ad quod videt multas rationes naturales in contrarium, quam qui eas non videt: sicut qui cum tentatur vehementius de luxuria, si resistit aequali voluntate, plus meretur. Ratio autem quae secundum fidem inducitur non facit videri id quod creditur; et ideo difficultatem operis, quantum in se est, non diminuit; sed quantum in se est, facit voluntatem magis promptam ad credendum; et ex ista parte potest augere meritum fidei, sicut habitus virtutis qui inclinat ad actum in se difficilem, quem facilem reddit operanti. Unde patet quod tam causa rationalis pro fide inducta, quam contra fidem, quantum in se est, meritum fidei auget, quamvis possit etiam diminuere utrumque ex defectu credentis.

La quantité du mérite peut être évaluée de deux points de vue : du point de vue de l’acte et du point de vue de celui qui agit. Il faut donc que l’acte soit vertueux. Et parce que la vertu porte sur ce qui est difficile et bon, il est nécessaire que cela comporte une difficulté et une bonté en soi-même. C’est pourquoi ce qui ajoute à l’une de ces deux choses ajoute au mérite du point de vue de l’acte. Mais du point de vue de celui qui agit, est requise la volonté. Plus quelqu’un agit par volonté, plus donc il mérite. Et la quantité du mérite est toujours évaluée selon sa racine : la charité. Or, cette quantité joue pour ainsi dire le rôle de forme par rapport à l’autre; aussi le jugement sur la quantité du mérite est-il plus sûr selon elle. La raison naturelle peut donc être invoquée de deux manières dans ce qui relève de la foi : soit la raison est invoquée selon la foi; soit [elle l’est] contre la foi. Or, un raisonnement invoqué contre la foi ajoute en soi une difficulté à l’acte. Si la même volonté de croire demeure, celui qui croit, alors qu’il voit de multiples raisons naturelles contraires, mérite donc davantage que celui qui ne les voit pas, comme celui qui est fortement tenté par la luxure mérite davantage, s’il résiste. Mais la raison qui est invoquée selon la foi ne fait pas en sorte que ce qui est cru soit vu. Aussi la difficulté de l’acte, considéré en lui-même, ne diminue-t-elle pas, mais, en soi, elle rend la volonté plus disposée à croire et, de ce point de vue, elle peut accroître le mérite de la foi, comme l’habitus de la vertu, qui incline à un acte difficile en lui-même, qu’il rend cependant facile pour celui qui agit. Il est donc clair que tant la cause rationnelle invoquée en faveur de la foi que contre la foi accroît en soi le mérite de la foi, bien qu’elle puisse aussi diminuer les deux en raison d’une carence de celui qui croit.

 [10759] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ratio praebens sufficienter experimentum fidei facit visionem; et ideo difficultatem credendi evacuat. Sed talis ratio de his quae per se ad fidem pertinent, haberi non potest.

1. La raison qui fournit une preuve suffisante de la foi donne la vision; c’est pourquoi elle supprime la difficulté de croire. Mais on ne peut avoir une telle raison à propos de ce qui relève par soi de la foi.

 [10760] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ex disputationibus corrumpitur fides in eo qui fidem firmam non habet, ex culpa ipsius.

2. La foi est corrompue par les disputes chez celui qui n’a pas une foi solide, et par sa faute.

 [10761] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ratio humana adducta non facit ut homo non pure propter Deum credat, qua remota nihilominus crederet; unde quantum in se est, non diminuit meritum nisi ex culpa credentis.

3. La raison humaine invoquée ne fait pas en sorte que l’homme ne croie pas purement à cause de Dieu; si elle était enlevée, il croirait quand même. En soi, elle ne diminue donc pas le mérite, sauf par la faute de celui qui croit.

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Distinction 24

 [10762] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 3 expos. Quae non proprie dicitur fides, sed veritas. Contra. Hic dividit fidem contra veritatem. Ergo fides veritatem non habet. Dicendum, quod hic accipit veritatem manifestam quae fidei succedit. Ex fide verborum. Contra. Nunc etiam non credimus tantum verbis: quia cum apud diversas gentes sint diversa verba, esset diversa fides. Et dicendum, quod non dicitur esse fides verborum ut eorum in quae credatur; sed quia ea quae credenda sunt, nobis per verba proponuntur, insufficienter nobis res creditas ostendentia. Cum fides sit ex auditu. Contra. Auditus interior a visu non differt. Dicendum, quod utrumque dicitur in intellectu per similitudinem; unde proprie de illis rebus intellectus visio habetur quarum formae se ei offerunt, sed auditus de illis quae non videt. Alia sunt quae nisi intelligamus non credimus, sicut principia naturaliter cognita: alia quae nisi credamus, non intelligemus, sicut ea quae supra rationem sunt: et accipit hic credere communiter pro omni assensu. Nisi aliquid intelligat, scilicet quod significatur per nomen.

 

 

 

Distinctio 25

Distinction 25 – [La croissance de la foi chez le croyant]

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [Qu’est-ce qu’un article de foi ?]

Prooemium

Prologue

 [10763] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 pr. Postquam Magister determinavit de fide quantum ad suam essentiam, quae per definitionem cognoscitur, et de objecto fidei; hic determinat de ipsa per comparationem ad habentem ratione quantitatis, secundum quam crescit in habente fidem. Dividitur autem haec pars in duas: in prima determinat de fide prout comparatur ad credentes secundum quantitatem quam habet ex numero credibilium; in secunda secundum quantitatem quam habet ex intensione habitus, ibi: illud etiam non est praetermittendum. Circa primum tria facit: primo ostendit quod fides sufficiens ad salutem, se extendit ad cognitionem deitatis; secundo quod se extendit ad cognitionem redemptoris, ibi: sed quaeritur, utrum hoc credere ante adventum et ante legem ad salutem suffecerit; tertio ostendit ad quos articulos redemptoris fides se extendit, ibi: sed quaeritur, cum sine fide mediatoris antiquis non fuerit salus, sicut nec modernis, utrum oportuerit illos credere omnia illa de mediatore quae nos credimus. Sed quaeritur, utrum hoc credere ante adventum et ante legem ad salutem suffecerit. Hic duo facit: primo ostendit propositum; secundo removet quamdam quaestionem ex dictis, ibi: quid ergo dicetur de illis simplicibus quibus non erat revelatum mysterium incarnationis ? Sed quaeritur, cum sine fide mediatoris antiquis non fuerit salus et cetera. Hic etiam duo facit: primo ostendit propositum; secundo movet quaestionem, ibi: solet etiam quaeri de Cornelio. Illud etiam praetermittendum non est. Hic ostendit quod fides secundum quantitatem quam habet ex intensione habitus, aequatur spei, caritati, et operationi; et circa hoc duo facit: primo ostendit propositum; secundo solvit dubitationem, ibi: huic vero quod hic et superius dictum est (...) videtur obviare quod ait apostolus. Hic est duplex quaestio. Prima de definitione articulorum. Secunda de explicita eorum cognitione. Circa primum quaeruntur duo: 1 de articulo secundum se; 2 de distinctione articulorum ad invicem.

Après avoir déterminé de l’essence et de l’objet de la foi, le Maître en détermine ici par rapport à celui qui la possède en raison de sa quantité, selon laquelle elle augmente chez celui qui possède la foi. Cette partie se divise en deux : dans la première, il détermine de la foi dans son rapport avec les croyants selon la quantité qu’elle possède en raison du nombre des objets de la foi; dans la seconde, selon la quantité qu’elle possède par l’intensité de l’habitus, à cet endroit : « Cela ne doit pas non plus être omis... » À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il montre que la foi suffisante pour le salut va jusqu’à la connaissance de la divinité; deuxièmement, qu’elle va jusqu’à la connaissance du Rédempteur, à cet endroit : « Mais on se demande si le fait de croire avant l’avènement et avant la loi aura suffi au salut »; troisièmement, il montre sur quels articles portant sur le Rédempteur la foi porte, à cet endroit : « Mais on se demande, étant donné qu’il n’y avait pas de salut pour les anciens comme pour les modernes sans la foi au Médiateur, s’il était nécessaire qu’ils croient tout ce que nous croyons du Médiateur. » « Mais on se demande si le fait de croire avant l’avènement et avant la loi aura suffi au salut. » Ici, [le Maître] fait deux choses : premièrement, il montre son propos; deuxièmement, il écarte une question venant de ce qui a été dit, à cet endroit : « Que dira-t-on de ces gens non instruits à qui le mystère de l’incarnantion n’avait pas été révélé ? » « Mais on se demande si, étant donné qu’il n’y avait pas de salut pour les anciens, etc.… » [Le Mâitre] fait encore ici deux choses : premièrement, il monre son propos; deuxièmement, il soulève une question, à cet endroit : « On a aussi coutume de se demander à propos de Corneille… » « Cela ne doit pas non plus être omis. » Il montre ici que la foi, selon la quantité qu’elle possède en raison de l’intensité de l’habitus, est égale à l’espérance, à la charité et à l’acte. À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il montre son propos; deuxièmement, il résout un doute, à cet endroit : « À ce qui a été dit ici et plus haut…, semble s’opposer ce que l’Apôtre dit… » Il y a ici deux questions : la première, à propos de la définition des articles; la seconde, à propos de leur connaissance explicite. À propos de la première [question], deux questions sont posées : 1 – À propos de l’article en lui-même. 2 – À propos de la distinction des articles les uns par rapport aux autres.

 

 

Articulus 1 [10764] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 tit. Utrum definitio Richardi de s. Victore de articulo sit competens

Article 1 – La définition de l’artile donnée par Richard de Saint-Victor est-elle appropriée ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La définition de l’article donnée par Richard de Saint-Victor est-elle appropriée ?]

 [10765] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur, et exponitur definitio Richardi de sancto Victore, quae talis est: articulus est indivisibilis veritas de Deo, arctans nos ad credendum. Videtur autem quod sit incompetens. Quia indivisibilis veritas est veritas incomplexi. Sed fides est de complexi, ut supra dictum est. Ergo articulus fidei non est indivisibilis veritas.

1. La définition donnée par Richard de Saint-Victor est la suivante : « Un article est une vérité indivisible à propos de Dieu, qui nous contraint (arctans/articulus) à croire. » Or, il semble qu’elle soit inappropriée, car une vérité indivisible est une vérité non complexe. Or, la foi porte sur quelque chose de complexe, comme on l’a dit plus haut. L’article de foi n’est donc pas une vérité indivisible.

 [10766] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, inter articulos fidei ponuntur aliqua quae non pertinent ad Deum nisi sicut ad causam, sicut carnis resurrectio. Sed hoc non sufficit ad hoc quod dicatur veritas esse de Deo: quia sic omnis veritas a Deo est; non tamen omnis veritas ad articulum fidei pertinet. Ergo videtur quod inconvenienter dicatur de Deo.

2. Parmi les articles de foi, s’en trouvent certains qui ne se rapportent à Dieu qu’en tant que cause, comme la résurrection de la chair. Mais cela ne suffit pas pour dire que cette vérité vient de Dieu, car toute vérité vient de Dieu, mais toute vérité ne concerne cependant pas un article de foi. Il semble donc qu’on dise de manière inappropriée qu’il vient de Dieu.

 [10767] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, arctatio necessitatem importat. Sed fides voluntaria est: quia nullus credit nisi volens, ut dicit Augustinus. Ergo male dicit, quod est arctans ad credendum.

3. La contrainte comporte une nécessité. Or, la foi est volontaire, car « personne ne croit que s’il le veut », comme le dit Augustin. Il s’exprime donc mal en disant : « qui nous contraint à croire ».

 [10768] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 4 Item, ponitur alia definitio Isidori: articulus est perceptio divinae veritatis tendens in ipsam. Quia perceptio divinae veritatis est etiam per rationem naturalem, sicut quod scimus Deum esse; et tamen de hoc non est articulus. Ergo male definit articulum.

4. Une autre définition [de la foi] est donnée par Isidore : « Un article est la perception de la Vérité divine tendant vers celle-ci », car la perception de la Vérité divine se réalise aussi par la raison naturelle, comme nous savons que Dieu existe, et il n’y a cependant pas d’article à ce sujet. Il définit donc mal l’article.

 [10769] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 5 Item, objicitur de definitione Hugonis de sancto Victore: articulus est natura cum gratia. Quia articulus est res credita. Sed natura cum gratia est credens. Ergo, cum credens non sit creditum, articulus male definitur.

5. On objecte la définition de Hugues de Saint-Victor : « L’article est la nature avec la grâce », car un article est la réalité crue. Or, la nature avec la grâce est celui qui croit. Puisque le croyant n’est pas ce qui est cru, l’article est donc mal défini.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Un article peut-il être formé et informe ?]

 [10770] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod articulus possit dici formatus et informis. Objectum enim proportionatur habitui. Sed fidei objectum est articulus. Cum ergo fides sit formata et informis, videtur quod etiam articuli.

1. Il semble qu’un article puisse être appelé formé et informe. En effet, l’objet est proportionné à l’habitus. Or, l’objet de la foi est un article. Puisque la foi est formée et informe, il semble donc que les articles le soient aussi.

 [10771] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, tendere in Deum est actus fidei formatae. Sed articuli est tendere in Deum, ut patet per alteram definitionum assignatarum. Ergo articulus potest esse informis, et formatus.

2. Tendre vers Dieu est un acte de la foi formée. Or, il revient à un article de tendre vers Dieu, comme cela ressort de l’autre définition donnée. L’article peut donc être informe et formé.

 [10772] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, unus articulus est: credo in Deum. Sed hic est actus fidei formatae. Ergo articulus est etiam formatus et informis.

3. Un article est : « Je crois en Dieu. » Or, il s’agit d’un acte de la foi formée. L’article est donc aussi formé et informe.

 [10773] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, in articulis fidei non differt peccator et justus. Differt autem secundum formationem et informitatem. Ergo formatio et informitas non pertinent ad articulos.

Cependant, [1] le pécheur et le juste ne diffèrent pas par les articles de foi. Or, ils diffèrent par leur caractère formé ou informe. Le caractère formé et informe n’appartiennent donc pas aux articles.

 [10774] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, mutare articulos non est in potestate hominis. Sed informitas est in potestate hominis, inquantum ex peccato causatur. Ergo informitas non consideratur circa articulum.

 [2] Il n’est pas au pouvoir de l’homme de changer les articles. Or, le caractère informe est au pouvoir de l’homme, dans la mesure où il est causé par le péché. Le caractère informe n’est donc pris en compte à propos de l’article.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Les articles devaient-il être rassemblés dans un symbole ?]

 [10775] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod articuli non debuerunt colligi in symbolo. Quia tota fides sufficienter per sacram Scripturam instruitur. Ergo superfluum fuit symbolum condere.

1. Il semble que les articles ne devaient pas être rassemblés dans un symbole, car toute la foi est suffisamment enseignée par la Sainte Écriture. Il était donc superflu d’établir un symbole.

 [10776] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, symbolum proponitur ut regula fidei, cujus actus est assentire. Sed, sicut dicit Augustinus in epistola 19 ad Hieronymum, solis apostolis et prophetis est hic honor exhibendus, ut quaecumque dixerunt, haec ipsa vera esse credantur. Ergo post symbolum apostolorum non debuerunt alia symbola fieri.

2. Le symbole est proposé comme la règle de foi, dont l’acte consiste à donner son assentiment, Or, comme le dit Augustin dans sa lettre 19 à Jérôme, « il faut manifester aux seuls apôtres et prophètes l’honneur de croire que tout ce qu’ils ont dit est vrai ». D’autres symboles ne devaient donc pas être faits après le symbole des apôtres.

 [10777] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, quaeritur, quare symbolum apostolorum et Nicaenum dividitur in tres partes secundum tres personas; symbolum autem Athanasii secundum divinitatem et humanitatem partitur.

3. On se demande pourquoi les symboles des apôtres et de Nicée sont divisés en trois parties selon les trois personnes, alors que le symbole d’Athanase est divisé selon la divinité et l’humanité.

 [10778] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 4 Praeterea, quaeritur, quare symbolum apostolorum dicitur submisse in prima et completorio; alia vero duo alte, unum post Evangelium, alterum in prima.

4. On se demande pourquoi on dit que le symbole des apôtres est dit à voix basse à prime et a complies, mais les deux autres à haute voix, l’un après l’évangile et l’autre à prime.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [10779] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod articulus nomen Graecum est; et importat indivisionem; unde membra quae non dividuntur in alia membra, dicuntur articuli: et secundum istum modum conclusiones quae inquiruntur in aliqua scientia vel aliquo tractatu, dicuntur articuli: quia ex eis, sicut ex quibusdam principiis indivisibilibus, consurgit collectio quae tractatum perficit: et sic in judiciis ea quae per testes probata sunt vel probanda, dicuntur articuli. Fides autem non inquirit sed supponit ea quae sunt fidei ex testimonio Dei ea dicentis: unde illud quod habet specialem difficultatem in fide, et cujus suppositio non dependet ab alio supposito, proprie dicitur articulus fidei. Et ideo in definitione praedicta Richardus secutus est et proprietatem nominis, dicens, quod est indivisibilis veritas, et etymologiam, secundum quod sonat in lingua Latina, dicens quod arctat nos ad credendum.

« Article » est un mot grec : il comporte l’indivision. Aussi les membres qui ne sont pas divisés en d’autres membres sont-ils appelés des articles. De cette manière, les conclusions qui sont recherchées dans une science ou dans un traité sont-elles appelées des articles, car à partir d’elles, comme de principes indivisibles, provient la collection qui réalise le traité. Ainsi, dans les jugements, ce qui a été prouvé ou doit être prouvé par des témoins est-il appelé « articles ». Or, la foi ne recherche pas, mais elle suppose ce qui relève de la foi en vertu du témoignage de Dieu qui le dit. Aussi ce qui comporte une difficulté particulière dans la foi et dont la supposition ne dépend pas de quelque autre supposition, est-il appelé un article de foi. C’est pourquoi, dans la définition susdite, Richard s’est conformé au caractère propre du mot, en disant : « Il est une vérité indivisible », et à l’étymologie, selon son sens latin, en disant : « Qui nous force à croire. »

 [10780] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in incomplexis, per se loquendo, non est veritas nisi aequivoce: unde indivisibile intelligendum est non simpliciter, sed in genere complexorum.

1. Pour les réalités non complexes, il n’y a à proprement parler pas de vérité, si ce n’est de manière équivoque. Aussi faut-il entendre indivisible non pas simplement, mais à l’intérieur du genre des choses complexes.

 [10781] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod articuli fidei dicuntur esse de Deo, aut quia pertinent ad divinam naturam, aut quia ad personam (sive ratione sui, sive ratione naturae assumptae), aut effectus proprius ejus, qui non potest fieri aliqua virtute creata, nec percipitur ratione humana: et ideo objectio cessat.

2. On dit que les articles de foi portent sur Dieu soit parce qu’ils concernent la nature divine, soit parce qu’ [ils concernent] la personne (en elle-même ou en raison de la nature assumée) ou son effet propre, qui ne peut être réalisé par une puissance créée et n’est pas perçu par la raison humaine. Ainsi cesse l’objection.

 [10782] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod articulus dicitur arctare ad credendum non de necessitate coactionis, sed de necessitate finis: quia sine fide articulorum non potest esse salus.

3. On dit qu’un article force (articulus/arctare) à croire, non pas par une nécessité coercitive, mais par une nécessité tirée de la fin, car, sans la foi aux articles, il ne peut y avoir de salut.

 [10783] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod perceptio divinae veritatis quae fit per rationem naturalem, tendit, sicut in id cui innititur, in intellectum principiorum; sed perceptio divinae veritatis quae est articulus, tendit in primam veritatem non solum sicut in finem, vel objectum, sed sicut in id in quod resolvitur sicut in causam suae credulitatis.

4. La perception de la Vérité divine, qui est réalisée par la raison naturelle, tend à l’intelligence des principes, comme à ce sur quoi elle s’appuie. Mais la perception de la Vérité divine qui est un article tend à la Vérité première, non seulement comme à une fin ou à un objet, mais comme comme à ce à quoi elle se ramène comme à la cause de sa croyance.

 [10784] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Hugo non intendit definire articulum, sed ostendere quae sunt ea de quibus est fides: quia est de operibus conditionis, quibus instituta est natura, et de operibus reparationis, quibus collata est gratia Dei.

5. Hugues n’entend pas définir l’article, mais montrer ce sur quoi porte la foi, car elle porte sur les œuvres de la création, par lesquelles la nature a été établie, et sur les œuvres de la restauration, par lesquelles la grâce de Dieu a été conférée.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [10785] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod articulus nominat id quod credendum est quasi objectum fidei. Diversa autem dispositio operantis nihil variat in objecto operationis; nec objectum denominatur ex dispositione operantis, sed magis e converso; sicut color non denominatur ex diversa dispositione videntis, secundum quod quidam habent lippos oculos, et quidam claros: unde cum formatio fidei et informitas ad dispositionem credentis pertineant, nec etiam secundum id quod est proprium intellectus in quo est fides, sed secundum relationem ejus ad voluntatem, in qua est caritas, non potest proprie dici, quod articulus sit formatus vel informis.

L’article désigne ce qui doit être cru comme objet de la foi. Or, une disposition différente de celui qui agit ne change en rien l’objet de l’action, et l’objet n’est pas nommé à partir de la disposition de celui qui agit, mais c’est plutôt l’inverse : ainsi la couleur n’est pas nommée d’après la disposition de celui qui voit, selon que l’un a des yeux chassieux et l’autre, des yeux clairs. Comme le caractère formé et informe de la foi concerne une disposition du croyant, et ne vient pas de ce qui est propre à l’intelligence dans laquelle se trouve la foi, mais de sa relation à la volonté, où se trouve la charité, on ne peut donc dire à propre parler qu’un article soit formé ou informe.

 [10786] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod objectum proportionatur habitui in his quae ad naturam habitus pertinent, non in his quae accidunt ex dispositione habentis habitum.

1. L’objet est proportionné à l’habitus pour ce qui concerne la nature de l’habitus, et non pour ce qui survient en raison des dispositions de celui qui possède l’habitus.

 [10787] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illa definitio est data de articulo per actum fidei; unde dicit: perceptio divinae veritatis; et ideo ex parte actus accidit ibi id quod est fidei formatae, non ex parte objecti.

2. Cette définition de l’article est donnée à partir de l’acte de foi. Ainsi dit-il : « Une perception de la Vérité divine. » C’est pourquoi on y trouve ce qui appartient à la foi formée, mais non du point de vue de son objet.

 [10788] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 3 Et similiter dicendum ad tertium.

3. Il faut dire la même chose pour le troisième argument.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [10789] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod nomen symboli similitudinem et collectionem importat; unde a quatuor collectionibus nomen symboli imponitur. Primo a collectione multorum hominum in unam fidem. Secundo a collectione praedicantium fidem: quia omnes apostoli collecti hanc regulam fidei ediderunt, unusquisque quod suum est apponens. Tertio, quia ex diversis locis sacrae Scripturae colliguntur ea quae credenda sunt, ut in promptu habeantur. Quarto omnia beneficia divinitus collata ibi colliguntur; unde Dionysius, dicit, quod religionis symbolum congruentius potest appellari hierarchia eucharistica, quasi bona gratia.

Le mot « symbole » comporte ressemblance et rassemblement. Aussi le nom de symbole est-il donné à quatre rassemblements. Premièrement, au rassemblement d’un grand nombre d’hommes dans une seule foi. Deuxièmement, au rassemblement de ceux qui prêchent la foi, car tous les apôtres rassemblés ont produit cette rêgle de la foi, chacun lui apportant ce qui lui était propre. Troisièmement, parce que ce qui doit être cru a été rassemblé à partir de nombreux endroits de la Sainte Écriture, afin d’être facilement accessible. Quatrièmement, tous les bienfaits accordés par Dieu y sont rassemblés. Aussi Denys dit-il que « le symbole de la religion peut être appelé une hiérarchie eucharistique, une ‘bonne grâce’ ».

 [10790] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod oportuit ea quae in diversis locis sacrae Scripturae tradita sunt, in unum colligi locum, ut fides magis in promptu haberetur.

1. Il fallait que ce qui était transmis dans plusieurs endroits de la Sainte Écriture soit rassemblé en un seul endroit afin que la foi soit commodément accessible.

 [10791] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod patres qui alia symbola post apostolos ediderunt, nihil de suo apposuerunt; sed ex sacris Scripturis ea quae addiderunt, exceperunt. Et quia quaedam difficilia sunt in illo symbolo apostolorum, ideo ad ejus explanationem editum est symbolum Nicaenum, quod diffusius fidem quantum ad aliquos articulos prosequitur. Et quia quaedam implicite continebantur in illis symbolis, quae oportebat propter insurgentes haereses explicari; ideo additum est symbolum Athanasii, qui specialiter contra haereticos se opposuit.

2. Les pères qui ont formulé d’autres symboles après les apôtres n’y ont rien mis d’eux-mêmes, mais ils ont extrait des Saintes Écritures ce qu’ils ont ajouté. Et parce qu’il y a certaines choses difficiles dans ce symbole des apôtres, on a donc formulé pour l’expliquer le symbole de Nicée, qui expose plus explicitement la foi pour certains articles. Et parce que certaines choses étaient implicitement contenues dans ces symboles, qu’il fallait expliciter à cause des hérésies qui surgissaient, on a ajouté le symbole d’Athanase, qui s’est opposé d’une manière particulière aux hérétiques.

 [10792] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quia tempore Athanasii specialiter haereses insurrexerunt contra personam filii quantum ad utramque naturam, ideo secundum duas naturas symbolum illud in duas partes dividitur. Alia autem symbola, quae non sunt ex principali intentione contra haereticos facta, sed ad doctrinam fidei propalandam vel elucidandam, dividuntur in tres personas, in quibus principaliter nostra fides fundatur.

3. Parce que, à l’époque d’Athanase, des hérésies se sont élevées contre la personne du Fils pour ce qui concerne ses deux natures, ce symbole se divise donc en deux parties selon les deux natures. Mais les autres symboles, qui n’ont pas été faits selon leur intention principale contre les hérétiques, mais pour diffuser ou éclairer l’enseignement de la foi, sont donc divisés selon les trois personnes, sur lesquelles se fonde principalement notre foi.

 [10793] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod symbolum apostolorum fuit editum quando fides nondum erat propalata, et ideo in occulto dicitur. Et quia editum fuit ad proponendum fidei doctrinam, ideo quotidie dicitur et in prima et in completorio, quasi in principio diei et noctis, in signum quod omnis nostra operatio a fine debet accipere initium: et quia per ipsam contra adversa et in prosperis protegimur. Alia autem symbola edita fuerunt tempore fidei jam propalatae; et ideo publice cantantur. Et quia non ad proponendum fidem, sed ad defendendum vel elucidandum edita fuerunt; ideo non in singulis diebus dicuntur, sed in illis in quibus homines maxime ad Ecclesiam venire consueverunt, et in illis in quibus fit aliqua solemnizatio de illis quae ad articulos pertinent. Et quia symbolum Nicaenum editum est ad manifestationem fidei, ideo dicitur statim post Evangelium, quasi expositio ipsius. Symbolum autem Athanasii quod contra haereticos editum est, in prima dicitur, quasi jam pulsis haereticorum tenebris.

4. Le symbole des apôtres a été formulé alors que la foi n’avait pas encore été diffusée; aussi est-il dit dans le secret. Et parce qu’il a été formulé pour proposer l’enseignement de la foi, c’est pourquoi il est dit tous les jours à prime et à complies, pour ainsi dire au début du jour et de la nuit, comme signe que toutes nos actions doivent s’amorcer à partir de la fin et parce que nous sommes protégés par elle dans l’adversité comme dans la prospérité. Mais les autres symboles ont été formulés au moment où la foi avait déjà été diffusée; aussi sont-ils chantés publiquement. Et parce qu’ils n’ont pas été formulés pour proposer la foi, mais pour la défendre ou l’élucider, ils ne sont donc pas dits tous les jours, mais les jours l’on a surtout coutume de venir à l’église et où est faite une certaine célébration solennelle de ce qui concerne les articles. Et parce que le symbole de Nicée a été formulé pour manifester la foi, c’est pourquoi il est dit aussitôt après l’évangile, comme son explication. Mais le symbole d’Athanase, qui a été formulé contre les hérétiques, est dit à prime, comme si déjà étaient repoussées les ténèbres des hérétiques.

 

 

Articulus 2 [10794] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2 tit. Utrum articuli convenienter distinguantur in symbolo

Article 2 – Les articles sont-ils distingués de manière appropriée dans le symbole ?

 [10795] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod inconvenienter articuli distinguantur in symbolo. Tres enim personae sunt aequales. Sed articuli pertinentes ad personam filii et spiritus sancti ponuntur plures. Ergo similiter debent poni plures pertinentes ad personam patris.

1. Il semble que les articles soient distingués de manière inappropriée dans le symbole. En effet, les trois personnes sont égales. Or, les articles se rapportant à la personne du Fils et du Saint-Esprit sont plus nombreux. Il devrait donc y en avoir plus qui se rapportent à la personne du Père.

 [10796] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, Deum esse unum, est probabile per demonstrationem, et similiter Deum esse creatorem rerum; unde etiam quidam philosophi, ut Avicenna, demonstratione moti hoc concedunt. Sed articuli qui essentialiter ad fidem pertinent non possunt per demonstrationem probari, ut ex dictis patet. Ergo inconvenienter ponuntur in symbolis pro articulis.

2. Que Dieu soit unique, on peut le prouver par une démonstration; de même en est-il pour le fait que Dieu soit le créateur des choses. Aussi certains philosophes, comme Avicenne, mus par une démonstration, le concèdent-ils. Or, les articles qui relèvent essentiellement de la foi ne peuvent être prouvés par une démonstration, comme cela ressort de ce qui a été dit. Ils sont donc mis de manière inappropriée comme des articles dans les symboles.

 [10797] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, sicut potentia appropriatur patri, ita sapientia filio. Ergo sicut fit mentio in symbolo de omnipotentia, ita debet mentio fieri de sapientia, et aliis etiam attributis.

3. De même que la puissance est appropriée au Père, de même la sagesse au Fils. De même donc qu’il est fait mention de la toute-puissance dans le symbole, de même doit-il être fait mention de la sagesse, et aussi des autres attributs.

 [10798] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, in symbolo debet exponi fides quantum ad omnes credentes. Sed non omnibus credentibus convenit credere in Deum, sed tantum habentibus fidem formatam. Ergo videtur quod male dictum sit: credo in unum Deum; et quod habens fidem informem, hoc dicens peccet mentiendo.

4. Dans le symbole, la foi doit être exposée pour tous les croyants. Or, il ne convient pas à tous les croyants de croire en Dieu (credere in Deum), mais seulement à ceux qui ont une foi formée. Il semble donc que ce soit une mauvaise formulation : « Je crois en un seul Dieu. » Et celui qui possède une foi informe pèche par mensonge en disant cela.

 [10799] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, cum dicitur credere in Deum, designatur finis fidei. Sed solus Deus est finis fidei. Ergo cum in symbolo contineatur aliquid quod est pure creatum, sicut Ecclesia Catholica, videtur quod inconvenienter ponatur iste modus loquendi.

5. Lorsqu’on dit croire en Dieu (credere in Deum), on désigne la fin de la foi. Or, seul Dieu est la fin de la foi. Puisque quelque chose de purement créé est contenu dans le symbole, comme l’Église catholique, il semble donc que cette manière de parler soit utilisée de manière inappropriée.

 [10800] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2 arg. 6 Praeterea, sicut incarnationis sacramentum incepit in conceptione, et terminatum est in nativitate; ita et mysterium passionis incepit in passione, et terminatum est in sepultura. Sed assignatur alius articulus de conceptione et nativitate. Ergo et alius articulus debet assignari de passione et sepultura.

6. De même que le sacrement de l’incarnation a débuté par la conception et s’est terminé par la naissance, de même le mystère de la passion a-t-il débuté par la passion et s’est-il terminé par la sépulture. Or, un autre article est attribué à la conception et à la naissance. Un autre article doit donc être attribué à la passion et à sépulture.

 [10801] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2 arg. 7 Praeterea, sicut patri appropriatur aliquod opus, et spiritui sancto; ita et filio. Ergo sicut cum fide de patre ponitur aliquod opus divinum, sicut creatio, et cum articulo spiritus sancti opus remissionis peccatorum; ita et cum articulis filii deberet aliquod opus divinum poni.

7. De même qu’une œuvre est appropriée au Père et au Saint-Esprit, de même l’est-elle au Fils. De même donc qu’une œuvre divine est associée à la foi au Père, telle la création, et l’œuvre de la rémission des péchés, à l’article sur le Saint-Esprit, de même aussi une œuvre divine devrait-elle être associée aux articles sur le Fils.

 [10802] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2 arg. 8 Praeterea, in Nicaeno symbolo nulla fit mentio de descensu ad Inferos. Ergo videtur insufficienter articulos continere.

8. Dans le symbole de Nicée, aucune mention n’est faite de la descente aux enfers. Il semble donc qu’il contienne les articles de manière insuffisante.

 [10803] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2 arg. 9 Praeterea, quaeritur quare in Nicaeno symbolo dicitur, non creatorem, sed factorem.

9. On se demande pourquoi on ne dit pas « créateur » (creatorem), mais « artisan » (factorem) dans le symbole de Nicée.

 [10804] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2 arg. 10 Praeterea, fides de corpore Christi in sacramento altaris maximam difficultatem habet. Cum ergo in nullo symbolorum de hoc dicatur aliquid, videtur quod insufficienter in eis fides tradatur.

10. La foi au corps du Christ dans le sacrement de l’autel comporte une très grande difficulté. Puisqu’il n’en est rien dit dans aucun des symboles, il semble donc que la foi y soit insuffisamment transmise.

 [10805] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod articuli fidei distinguuntur dupliciter. Uno modo quantum ad ipsa credibilia; et sic sunt quatuordecim: alio modo quantum ad ipsos qui articulos distinxerunt; et sic sunt duodecim secundum numerum duodecim apostolorum. Quia autem articulus est veritas de Deo, hoc contingit esse dupliciter: quia aut est de ipso Deo tantum, aut de Deo ratione naturae assumptae. Si primo modo, contingit esse tripliciter: quia aut est de eo ratione naturae, aut ratione personarum, aut ratione effectus proprii. Si ratione naturae, sic habemus primum articulum: credo in unum Deum. Si ratione personae, aut ratione personae patris, et sic habemus secundum: patrem omnipotentem; aut ratione filii, et sic habemus tertium: et in Jesum Christum filium ejus; aut ratione personae spiritus sancti, et sic habemus quartum: credo in spiritum sanctum. Si ratione effectus, aut pertinet ad conditionem naturae, et sic est quintus: creatorem caeli et terrae; aut ad bonum gratiae, et sic habemus sextum: sanctam Ecclesiam Catholicam, sanctorum communionem, remissionem peccatorum; aut de perfectione gloriae, et sic habemus septimum: carnis resurrectionem, vitam aeternam. Quidam autem aliter distinguunt hos tres articulos: quia opus creationis includunt in primo articulo, qui pertinet ad veritatem essentiae; et ultimum opus dividunt in duos articulos, scilicet carnis resurrectionem, unum articulum dicentes, et vitam aeternam alium. Sed prima distinctio melior videtur: quia apostolus expresse ponit unum articulum de creatione, Hebr. 11, 3: fide credimus aptata esse saecula verbo Dei. Et iterum completio vitae aeternae et gloriae includit conjunctionem animae et corporis. Item sciendum, quod opus creationis conjungitur articulo de persona patris, quia pertinet ad potentiam, quae appropriatur patri. Duo autem alia opera adjunguntur articulis de spiritu sancto: unde sibi appropriatur unio Ecclesiae, quae importatur per hoc quod dicitur: sanctam Ecclesiam Catholicam, remissionem peccatorum: et communicatio bonorum operum quae est per caritatem, ut bonum unius alteri prosit. Articuli autem pertinentes ad naturam assumptam sunt etiam septem. Primus pertinet ad conceptionem: qui conceptus est de spiritu sancto. Secundus ad nativitatem: natus ex Maria. Tertius ad passionem: passus sub Pontio Pilato, crucifixus, mortuus, et sepultus. Quartus ad descensum ad Inferos: descendit ad Inferna. Quintus ad resurrectionem: tertio die resurrexit a mortuis. Sextus ad ascensionem: ascendit in caelos, sedet ad dexteram Dei patris. Septimus ad adventum ad judicium: inde venturus est judicare vivos et mortuos. Horum autem articulorum tres Petrus in unum complexus est, scilicet articulum de unitate essentiae, de omnipotentia patris, et de opere creationis, ideo quia opus creationis propter potentiam quam indicat, patri appropriatur qui est etiam fons totius deitatis; et ideo competit Petro, quod est caput apostolorum, sicut pater Trinitatis. Posuit autem Joannes articulum de persona filii. Articulum autem de conceptione et nativitate conjunxit in unum Jacobus Zebedaei. Articulum autem de passione posuit Andreas. Descensum ad Inferos posuit Philippus. Resurrectionem Thomas. Ascensionem Bartholomeus. Adventum ad judicium Matthaeus. Articulum de spiritus sancti persona Jacobus Alphaei. Opus gratiae diviserunt duo apostoli. Nam Simon posuit effectum gratiae in consecutione boni, scilicet: sanctam Ecclesiam Catholicam, sanctorum communionem; Judas Jacobi quantum ad remotionem mali, scilicet peccatorum remissionem. Effectum gloriae posuit Matthias, vel iterum Thomas, ut quidam dicunt. Alii autem aliter praedictos articulos attribuunt apostolis. Sed in hoc non est magna vis.

Réponse. Les articles de foi se distinguent de deux manières : premièrement, par les objets mêmes de la foi, et ainsi il y en a quatorze; deuxièmement, par ceux qui ont fait une distinction entre les articles, et ainsi il y en a douze selon le nombre des douze apôtres. Or, parce qu’un article est une vérité à propos de Dieu, cela se produit de deux manières : soit il porte sur Dieu seulement, soit il porte sur Dieu en raison de la nature assumée. Si c’est de la première manière, cela peut se produire de trois manières : soit il porte sur [Dieu] en raison de sa nature, soit en raison des personnes, soit en raison de son effet propre. Si c’est en raison de sa nature, nous avons ainsi le premier article : « Je crois en un seul Dieu.» Si c’est en raison de la personne, c’est soit en raison de la personne du Père, et ainsi nous avons le deuxième [article] : « Le Père tout-puissant »; soit en raison [de la personne] du Fils, et ainsi nous avons le troisième [article] : « Et en Jésus, le Christ, son Fils »; soit en raison de la personne de l’Esprit Saint, et ainsi nous avons le quatrième [article] : « Je crois au Saint-Esprit. » Si c’est en raison de l’effet, soit il se rapporte à la création de la nature, et ainsi nous avons le cinquième [article] : « Créateur du ciel et de la terre »; soit au bien de la grâce, et ainsi nous avons le sixième [article] : « À la sainte Église catholique, à la communion des saints, à la rémission des péchés »; soit à la perfection de la gloire, et ainsi nous avons le septième [article] : « À la résurrection de la chair, à la vie éternelle. » Mais certains distinguent ces trois articles d’une autre manière, car ils incluent l’œuvre de la création dans le premier article, qui se rapporte à la vérité de l’essence; et ils divisent la dernière œuvre en deux articles, en disant que : « À la résurrection de la chair» est un article et que : « À la vie éternelle » en est un autre. Mais la première distinction semble meilleure, car l’apôtre fait expressément de la création un article, He 11, 3 : Nous croyons par la foi que les siècles ont été disposés par la parole de Dieu. De plus, l’accomplissement de la vie éternelle et de la gloire inclut l’union de l’âme et du corps. Il faut aussi savoir que l’œuvre de la création est associée à l’article sur la personne du Père parce qu’elle relève de la puissance, qui est appropriée au Père. Mais les deux autres œuvres sont associées aux articles sur l’Esprit Saint. Ainsi l’union de l’Église lui est appropriée, signalée lorsqu’on dit : « À la sainte Église catholique, à la rémission des péchés », et la communication des œuvres bonnes, qui se réalise par la charité, de sorte que le bien de l’un soit utile à un autre. Mais les articles se rapportant à la nature assumée sont aussi au nombre de sept. Le premier se rapporte à la conception : « Qui a été conçu du Saint-Esprit »; le deuxième à la naissance : « Est né de Marie »; le troisième à la passion : « A souffert sous Ponce Pilate, a été crucifié, est mort et a été enseveli »; le quatrième à la descente aux enfers : « Est descendu aux enfers »; le cinquième, à la résurrection : « Le troisième jour est ressuscité des morts »; le sixième à l’ascension : « Est monté aux cieux, est assis à la droite de Dieu, le Père »; le septième à sa venue pour le jugement : « D’où il viendra juger les vivants et les morts. » Or, Pierre a regroupé trois de ces articles en un seul : l’article sur l’unité d’essence, sur la toute-puissance du Père et sur l’œuvre de la création. Ainsi, parce que l’œuvre de la création, en raison de la puissance qu’elle signale, est appropriée au Père, qui est aussi la source de toute la divinité, cela convenait aussi à Pierre, qui est la tête des apôtres, comme le Père l’est de la Trinité. Jean a formulé l’article sur la personne du Fils. Jacques, [le fils] de Zébédée, a réuni en un seul l’article sur la conception et sur la naissance. André a formulé l’article sur la passion, Thomas, celui sur la résurrection, Bartholomée, celui sur l’ascension, Matthieu, celui sur la venue [pour le jugement]. Jacques, [fils] d’Alphée, [a formulé] l’article sur l’Esprit Saint. Deux apôtres se sont répartis l’œuvre de la grâce, car Simon a formulé l’effet de la grâce par l’obtention d’un bien : « À la sainte Église catholique, à la communion des saints », et Jude, [fils] de Jacques, par l’enlèvement du mal, « la rémission des péchés ». Matthias a formulé l’effet de la gloire, ou à nouveau Thomas, comme certains le disent. Mais d’autres attribuent différemment aux apôtres les articles en question. Mais cela n’a pas beaucoup de poids.

 [10806] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod pater non est missus sicut aliae personae; et ideo eis propter effectum missionis plures articuli appropriantur quam patri.

1. Le Père n’a pas été envoyé comme les autres personnes. Aussi, en raison de l’effet de la mission, un plus grand nombre d’articles leur est-il attribué qu’au Père.

 [10807] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Deum esse simpliciter, non est articulus; sed Deum esse sicut fides supponit, scilicet habentem curam de omnibus, remunerantem, et punientem, ut patet per apostolum Hebr. 11: quia sic determinat, quia est, et quia remunerator est. Similiter Deum esse creatorem non cognoverunt philosophi, sicut fides ponit, ut scilicet postquam non fuerunt, in esse producta sint; sed secundum alium modum accipiunt creationem, ut in Lib. 2, dist. 1 dictum est.

2. Que Dieu existe simplement n’est pas un article, mais que Dieu existe tel que la foi le suppose, c’est-à-dire en tant qu’il prend soin de tout, récompense et en punisse, comme cela ressort de ce que dit l’Apôtre en He 11, car il détermine ainsi qu’il existe et qu’il est rémunérateur. De même, les philosophes n’ont pas connu le fait que Dieu est créateur, comme la foi l’affirme, c’est-à-dire qu’après n’avoir pas été, les choses aient été amenées à l’être; mais ils conçoivent la création d’une autre manière, comme on l’a dit dans le livre II, d. 1.

 [10808] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod omnes articuli, praecipue qui pertinent ad opera divina, probantur per omnipotentiam Dei, sicut et Angelus probavit incarnationem, veniens ad virginem, Lucae 1, 37: quia non erit impossibile apud Deum omne verbum; et ideo ponitur praecipue omnipotentia quasi radix fidei.

3. Tous les articles, surtout ceux qui se rapportent àux œuvres divines, sont prouvés par la toute-puissance de Dieu, comme l’ange prouve l’incarnation en venant vers la Vierge, Lc 1, 37 : Car aucune parole n’est impossible à Dieu. C’est pourquoi la toute-puissance est principalement donnée comme la racine de la foi.

 [10809] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in symbolo proponitur nobis regula fidei, ad quam omnes debent pertingere. Non autem debent pertingere solum ad actum fidei informis, sed etiam ad actum fidei formatae, et ideo ponitur in symbolis actus fidei formatae. Nihilominus habens fidem informem, dicens symbolum, non peccat: quia hoc dicit in persona Ecclesiae.

4. Dans le symbole, une règle de foi nous est proposée, à laquelle tous doivent adhérer. Or, ils ne doivent pas adhérer seulement à un acte de foi informe, mais aussi à un acte de foi formée. C’est pourquoi un acte de foi formée se trouve dans les symboles. Néanmoins, celui qui a une foi informe et qui récite le symbole ne pèche pas, car il le fait en la personne de l’Église.

 [10810] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Leo Papa dicit, quod non debet ibi addi haec praepositio in, ut dicatur: et in unam sanctam Catholicam etc., sed debet dici: et unam sanctam et cetera. Anselmus vero dicit, quod potest dici, in unam, inquantum in isto effectu intelligitur veritas increata, scilicet ut sit sensus in unam sanctam, idest in spiritum sanctum unientem Ecclesiam.

5. Le pape Léon dit qu’on ne doit pas ajouter la préposition « en », pour dire : « Et en une seule sainte [Église] catholique, etc. », mais on doit dire : « À une seule sainte [Église], etc. » Mais Anselme dit qu’on peut dire : « en une seule », dans la mesure où on entend sous cet effet la Vérité incréée, de sorte que le sens soit : « En une seule sainte », c’est-à-dire : « Dans l’Esprit Saint qui unit l’Église. »

 [10811] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod, sicut dictum est, articulus est indivisibilis veritas supra rationem existens: et ubi occurrunt diversae difficultates, quibus hoc quod dicitur, est supra rationem, oportet ponere diversos articulos. Ponere autem Deum sepultum, non habet aliam difficultatem, quam ponere eum passum vel mortuum; et ideo totum hoc comprehenditur sub uno articulo. Sed nativitas habet aliam difficultatem praeter difficultatem conceptionis: quia in conceptione est difficultas ex hoc quod Deus homo factus est, et quod est facta conceptio sine virili semine: in nativitate autem ex hoc quod clauso virginis utero exivit: et ideo sunt duo articuli.

6. Comme on l’a dit, l’article est une vérité indivisible dépassant la raison, et là où se présentent des difficultés distinctes, pour lesquelles ce qui est dit dépasse la raison, il est nécessaire de formuler des articles différents. Or, affirmer que Dieu a été enseveli ne comporte pas une autre difficulté qu’affirmer qu’il a souffert ou qu’il est mort; c’est pourquoi tout cela est compris sous un seul article. Mais la naissance comporte une autre difficulté que la difficulté de la conception, car, pour la conception, la difficulté vient de ce que Dieu s’est fait homme et que la conception s’est accomplie sans semence d’homme; mais, pour la naissance, [elle vient] de ce qu’il est sorti alors que le sein de la Vierge était fermé. C’est pourquoi ce sont deux articles.

 [10812] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod ex parte potentiae filii ponitur opus quod in natura assumpta operatus est quantum ad septem articulos, ut dictum est.

7. Du point de vue de la puissance du Fils, l’œuvre qu’il a accompli dans la nature assumée est affirmée en sept articles, comme on l’a dit.

 [10813] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2 ad 8 Ad octavum dicendum, quod, sicut dicit Innocentius tertius, Nicaena synodus praecipue congregata fuit contra Arium, qui negabat filium esse verum Deum; et ideo descensus ad Inferos suppressus fuit, in quo maxime videbatur derogari divinitati filii. Vel dicendum, quod quia illud symbolum editum est ad manifestandum fidem contra haereticos; nullus autem error acciderat de descensu ad Inferos: ideo illum articulum explicare non curaverunt, sed implicite posuerunt in articulo de resurrectione, in quo intelligitur terminus a quo resurrexit: sicut in articulo conceptionis implicite tradiderunt articulum nativitatis, quia non fuerat de nativitate aliquis specialis error.

8. Comme le dit Innocent III, le symbole de Nicée a été principalement formulé contre Arius, qui niait que le Fils est vrai Dieu. C’est pourquoi la descente aux enfers a été supprimée, par laquelle on semblait le plus déroger à la divinité du Fils. Ou bien il faut dire que parce que ce symbole a été publié afin de manifester la foi contre des hérétiques, et qu’aucune erreur n’était survenue à propos de la descente aux enfers, on n’a pas pris soin d’expliciter cet article, mais on l’a placé implicitement sous l’article concernant la résurrection, dans lequel on comprend le terme d’où il est ressuscité, comme sous l’article de la conception, on a implicitement transmis l’article sur la naissance parce qu’il n’y avait pas d’erreur particulière à propos de la naissance.

 [10814] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2 ad 9 Ad nonum dicendum, quod quia quidam philosophi posuerunt mundum creatum a Deo et tamen ab aeterno fuisse, ut Augustinus dicit; ideo symbolum Nicaenum, quod specialiter ad evacuandos errores editum fuit, posuit factorem, quod magis ostendit initium durationis mundi, et quod est a Deo agente per voluntatem, non per necessitatem naturae.

9. Parce que certains philosophes ont affirmé que le monde a été créé par Dieu et qu’il a cependant toujours existé, comme le dit Augustin, le symbole de Nicée, qui a été particulièrement formulé pour supprimeer des erreurs, a donc affirmé que [Dieu est] l’« artisan » (factorem), ce qui montre davantage le commencement de la durée du monde et qu’il existe par Dieu qui agit selon sa volonté, et non par une nécessité de nature.

 [10815] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2 ad 10 Ad decimum dicendum, quod fides de corpore Christi et de omnibus sacramentis et de clavibus et de omnibus hujusmodi includitur in articulo qui est de effectu gratiae, qui est: sanctam Ecclesiam Catholicam; et ideo in Nicaeno symbolo additum est: confiteor unum Baptisma. Quidam tamen dicunt, quod reducitur ad articulum de passione. Sed primum est probabilius.

10. La foi concernant le corps du Christ, tous les sacrements, les clés et toutes les choses de ce genre est comprise dans l’article qui porte sur l’effet de la grâce, qui est : « À la sainte Église catholique. » C’est pourquoi on a ajouté au concile de Nicée : « Je confesse un seul baptême. » Cependant, certains disent qu’elle se ramène à l’article sur la passion. Mais la première réponse est plus probable.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [Le caractère explicite de la foi]

Prooemium

Prologue

 [10816] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 pr. Deinde quaeritur de explicatione fidei; et circa hoc quaeruntur duo: 1 de necessitate explicationis; 2 quantum ad quae oportet esse fidem explicitam.

On s’interroge ensuite sur le caractère explicite de la foi. À ce propos, deux questions sont posées : 1 – Sur la nécessité du caractère explicite. 2 – Sur l’objet du caractère explicite de la foi.

 

 

Articulus 1 [10817] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 tit. Utrum explicatio fidei sit de necessitate salutis

Article 1 – La foi explicite est-elle nécessaire au salut ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La foi explicite est-elle nécessaire au salut ?]

 [10818] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod fidem esse explicitam non sit de necessitate salutis. Ad salutem enim sufficit gratia et liberum arbitrium. Sed ad explicationem fidei non sufficit habitus gratuitus fidei infusus, nec etiam liberum arbitrium gratia informatum; sed oportet quod veniat doctrina fidei determinans, quia fides ex auditu est, Rom. 10. Ergo explicatio fidei non est de necessitate salutis.

1. Il semble qu’il ne soit pas nécessaire au salut que la foi soit explicite. En effet, la grâce et le libre arbitre suffisent au salut. Or, pour l’explicitation de la foi, l’habitus infus gratuit de la foi ne suffit pas, ni même le libre arbitre formé par la grâce, mais il est nécessaire que survienne un enseignement déterminé de la foi, car la foi vient de ce qu’on écoute, Rm 10. L’explicitation de la foi n’est donc pas nécessaire au salut.

 [10819] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, nullus damnatur ex hoc quod vitare non potest. Sed aliquis natus in silvis, vel inter infideles, non potest distincte de fidei articulis cognitionem habere: quia doctor fidei non adest, nec unquam de fide audivit mentionem. Ergo iste non damnatur; et tamen non habet fidem explicitam: ergo videtur quod explicatio fidei non sit de necessitate salutis.

2. Personne n’est condamné pour ce qu’il ne peut éviter. Or, celui qui est né dans les forêts ou parmi les infidèles ne peut avoir une connaissance précise des articles de la foi, car il n’y a pas de docteur de la foi et il n’a jamais entendu parler de la foi. Celui-là n’est donc pas condamné, et pourtant il n’a pas une foi explicite. Il semble donc que l’explicitation de la foi ne soit pas nécessaire au salut.

 [10820] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, explicita cognitio de articulis fidei non potest esse nisi in eo qui habet usum liberi arbitrii. Sed multi salvantur qui usum liberi arbitrii non habent, sicut pueri baptizati et moriones. Ergo explicatio fidei non est de necessitate salutis.

3. Une connaissance explicite des articles de la foi ne peut exister que chez celui qui possède l’usage du libre arbitre. Or, beaucoup sont sauvés sans avoir l’usage du libre arbitre, tels les enfants baptisés et les monstres. L’explicitation de la foi n’est donc pas nécessaire au salut.

 [10821] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 4 Praeterea, simplicibus non sunt proponenda subtilia, sicut patet per apostolum 1 Corinth. 3. Sed nihil est subtilius his quae supra rationem sunt, qualia sunt ea quae ad fidem pertinent. Ergo simplicibus non est explicanda fides, et tamen ipsi salvantur; ergo explicatio fidei non est de necessitate salutis.

4. Il ne faut pas proposer de subtilités aux gens sans instruction, comme cela ressort de ce que dit l’Apôtre, 1 Co 3. Or, rien n’est plus subtil que ce qui se rapporte à la foi. Il ne faut donc pas expliciter la foi pour les gens sans instruction, et ils sont pourtant sauvés. L’explicitation de la foi n’est donc pas nécessaire au salut.

 [10822] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Heb. 11, accedentem ad Deum oportet credere quia est, et quia diligentibus se remunerator est. Sed accedere ad Deum est de necessitate salutis. Ergo et habere fidem explicitam quantum ad aliqua.

Cependant, [1] He 11 dit : Il est nécessaire pour celui qui s’approche de Dieu de croire que Dieu existe et qu’il récompense ceux qui l’aiment. Or, s’approcher de Dieu est nécessaire au salut. Avoir une foi explicite en certaines choses [est donc aussi nécessaire au salut].

 [10823] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, nullus sine spe salvatur. Sed ad spem oportet adesse explicitam cognitionem rerum quae sperantur: quia fides est substantia sperandarum rerum, Hebr. 11. Ergo habere fidem explicite de aliquibus est de necessitate salutis.

 [2] Personne n’est sauvé sans espérance. Or, il est nécessaire à l’espérance que soit présente une connaissance explicite de ce qui est espéré, car la foi est la substance de ce qu’on espère, He 11. Avoir une foi explicite en certaines choses est donc nécessaire au salut.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Tous sont-ils obligés d’avoir une foi explicite en tout ce qui se rapporte à la foi ?]

 [10824] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod quilibet teneatur habere fidem explicitam de omnibus quae ad fidem pertinent. Omnes enim articuli fidei aequaliter ad fidem pertinent. Si ergo de aliquibus oportet habere cognitionem explicitam, pari ratione de omnibus.

1. Il semble que tous soient obligés d’avoir une foi explicite en tout ce qui se rapporte à la foi. En effet, tous les articles de la foi se rapportent également à la foi. Si donc il faut avoir une connaissance explicite de certaines choses, pour la même raison [il faut en avoir une] de toutes.

 [10825] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, secundum id quod in universali scitur, non distinguitur unus homo ab alio: quia cognitio universalium principiorum omnibus hominibus est innata. Sed habere fidem implicite de aliquo articulo, est habere fidem in universali de illo articulo. Ergo per hoc quod habet fidem tantum implicitam de aliquo articulo, non differt quantum ad illum articulum a non credente: ergo oportet habere fidem explicitam de omnibus articulis.

2. Selon ce qui est connu dans l’universel, un homme ne se distingue pas d’un autre, car la connaissance des principes universels est inné à tous les hommes. Or, avoir une foi implicite en un article, c’est avoir une foi en cet article dans l’universel. Du fait qu’il a seulement une foi implicite en un article, il ne diffère donc pas d’un non croyant pour ce qui est de cet article. Il est donc nécessaire d’avoir une foi explicite en tous les articles.

 [10826] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, sicut per praecepta legis vitantur peccata mortalia, ita per articulos vitantur errores haeresum. Sed aliquis ita tenetur servare praecepta legis ut omnia peccata vitet. Ergo et ita tenetur cognoscere articulos fidei ut omnes errores et haereses vitet. Sed hoc non potest facere nisi qui habet fidem explicitam de omnibus articulis: quia qui scit aliquid implicite et in universali, potest errare in particulari. Ergo habere fidem explicitam de omnibus articulis, est de necessitate salutis.

3. De même que les péchés mortels sont évités par les commandements de la loi, de même les erreurs des hérésies sont-elles évitées par les articles. Or, on est obligé de respecter les commandements de la loi afin d’éviter tous les péchés. On est donc ainsi obligé de connaître les articles de foi afin d’éviter toutes les erreurs et hérésies. Or, seul celui qui a une foi explicite en tous les articles de foi peut faire cela, car celui qui sait quelque chose implicitement et dans l’universel peut errer dans le particulier. Avoir une foi explicite en tous les articles est donc nécessaire au salut.

 [10827] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, explicita cognitio de articulis fidei non habetur nisi per studium. Sed studere non est de necessitate salutis. Ergo explicita cognitio de omnibus articulis fidei non est de necessitate salutis.

Cependant, [1] une connaissance explicite des articles de foi ne s’obtient que par l’étude. Or, étudier n’est pas nécessaire au salut. La connaissance explicite de tous les articles de foi n’est donc pas nécessaire au salut.

 [10828] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, secundum hoc pauci essent qui haberent fidem, cum vix inveniatur aliquis qui possit explicare articulos quantum ad omnia quae in articulis implicite continentur.

 [2] Si c’était le cas, il y en aurait peu qui auraient la foi, puisqu’on en trouve à peine un qui puisse expliciter les articles pour tout ce qui est implicitement contenu dans les articles.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Les grands sont-ils davantage obligés que les petits ?]

 [10829] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod majores non magis teneantur quam minores. Quia homines simplices examinantur de difficilibus articulis, et damnantur haeretici, si male respondeant. Hoc autem non esset, nisi illos scire tenerentur. Ergo minores non minus tenentur scire quam majores.

1. Il semble que les grands (majores) ne soient pas davantage obligés que les petits (minores), car les gens sans instruction sont examinés sur les articles difficiles et les hérétiques sont condamnés s’ils répondent mal. Or, tel ne serait pas le cas, s’ils n’étaient pas obligés de les connaître. Les petits ne sont donc pas moins obligés que les grands.

 [10830] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, nullus tenetur ad plura quam alius, nisi inquantum ad illa se obligavit. Sed majores non obligaverunt se ad articulos sciendos explicite, ut videtur. Ergo non magis tenentur quam minores.

2. Personne n’est obligé à plus qu’un autre, à moins qu’il ne s’y soit obligé. Or, les grands ne se sont pas obligés à connaître les articles de manière explicite, semble-t-il. Ils ne sont donc pas davantage obligés que les petits.

 [10831] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, videntur majores illi qui magis sciunt. Si ergo ad plura credenda obligarentur, videtur quod ex sua scientia incommodum reportarent.

3. Les grands semblent être ceux qui en connaissent davantage. Si donc ils s’étaient obligés à croire plus de choses, il semble qu’ils encourraient un désavantage en raison de leur science.

 [10832] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, majores debent docere fidem minoribus. Sed qui docet, debet plenius scire. Ergo tenentur magis explicite scire quam minores.

Cependant, [1] les grands doivent enseigner aux petits. Or, celui qui enseigne doit avoir une connaissance plus complète. Ils sont donc tenus de connaître plus explicitement que les petits.

 [10833] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, ei cui plus est commissum, plus exigetur ab eo. Sed majoribus plus commissum est quam minoribus. Ergo plus ab eis exigetur de fidei cognitione.

 [2] On exige davantage de celui à qui on a davantage confié. Or, davantage a été confié aux grands qu’aux petits. Il sera donc davantage exigé d’eux à propos de la connaissance de la foi.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Les petits ont-ils une foi implicite dans la foi des grands ?]

 [10834] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod minores non habeant fidem implicitam in fide majorum. Sicut enim est fides implicita et explicita, ita et scientia. Sed scientiam habet quis implicitam, non in aliquo sciente, sed in universali rei scibilis. Ergo nec fidem habet unus implicitam in fide alterius.

1. Il semble que les petits n’aient pas une foi foi implicite dans la foi des grands. En effet, il en est de la foi implicite et explicite comme de la science. Or, on a une science implicite, non pas en quelqu’un connaît, mais en ce qui est universel dans un objet de connaissance. L’un n’a donc pas une foi implicite dans la foi d’un autre.

 [10835] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 4 arg. 2 Praeterea, illud in quo implicatur cognitio alicujus habentis cognitionem implicitam, est regula suae cognitionis. Sed regula nostrae fidei non est cognitio humana, quae potest decipi, sed cognitio divina, quae falli non potest. Ergo videtur quod homo non debeat habere fidem implicitam in fide alterius hominis, sed in cognitione Dei.

2. Ce en quoi la connaissance est implicite chez quelqu’un qui a une connaissance implicite est la règle de sa connaissance. Or, la règle de notre foi n’est pas la connaissance humaine, qui peut être prise en défaut, mais la connaissance divine, qui ne peut errer. Il semble donc qu’un homme ne doive pas avoir une foi implicite dans la foi d’un autre homme, mais dans la connaissance de Dieu.

 [10836] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 4 arg. 3 Praeterea, nullus peccat si se conformet suae regulae. Sed majores sunt praelati vel etiam doctores. Si ergo simplices debent habere implicitam fidem in fide majorum, non peccaret aliquis simplex dicens aliquid contra fidem, si ab aliquo magistro vel praelato praedicaretur: quod falsum videtur.

3. Personne ne pèche s’il se conforme à sa règle. Or, les grands sont les prélats ou même les docteurs. Si donc les gens sans instruction doivent avoir une foi implicite dans la foi des grands, quelqu’un qui est sans instruction ne pécherait pas en disant quelque chose de contraire à la foi, si cela était prêché par un maître ou un prélat, ce qui semble faux.

 [10837] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 4 arg. 4 Praeterea, illud in quo implicatur cognitio alicujus, oportet esse notum; sicut qui habet scientiam alicujus particularis implicitam in universalibus principiis, oportet quod illa principia cognoscat. Ergo homo non debet habere implicitam fidem in cognitione alterius hominis.

4. Ce en quoi la connaissance de quelqu’un est implicite doit être reconnu, comme celui qui possède la science implicite d’une chose particulière par des principes universels doit connaître ces principes. Un homme ne doit donc pas avoir de foi implicite dans la connaissance d’un autre homme.

 [10838] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 4 s. c. 1 Sed contra, omnis addiscens habet fidem implicitam in cognitione docentis; quia, secundum philosophum, oportet credere addiscentem. Sed majores positi sunt ad docendum fidem minoribus. Ergo minores debent habere fidem implicitam in cognitione majorum.

Cependant, [1] tous ceux qui apprennent ont une foi implicite dans la connaissance de celui qui enseigne, car, selon le Philosophe, « il est nécessaire que celui qui apprend croie ». Or, les grands ont été établis afin d’enseigner la foi aux petits. Les petits doivent donc avoir une foi implicite dans la connaissance des grands.

 [10839] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 4 s. c. 2 Praeterea, hoc patet per auctoritatem inductam in littera.

 [2] Cela ressort de l’autorité invoquée dans le texte.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [10840] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod ad salutem aliquis dupliciter pervenit. Quidam enim non perveniunt merito proprio, sed merito alieno, sicut pueri et stulti baptizati, quibus suffragatur meritum Christi, cujus facti sunt participes in perceptione sacramenti: quia meritum proprium habere non possunt, cum non habeant usum liberi arbitrii, quod exigitur ad meritum. Quicumque autem usum liberi arbitrii habent, tenentur ad merita Christi et meritum proprium addere. Meritum autem consistit in actu virtutum; unde ad salutem ipsorum oportet quod sit et actus et habitus virtutum. Actus autem omnium virtutum dependet ab actu fidei, quae intentionem dirigit: unde in omni qui habet liberum arbitrium exigitur ad salutem ejus quod habeat actum fidei, et non solum habitum. Fides autem non potest exire in actum, nisi aliquid determinate et explicite cognoscendo quod ad fidem pertineat; et ideo omni ei qui habet usum liberi arbitrii, habere fidem explicitam quantum ad aliquid, est de necessitate salutis.

On parvient au salut de deux manières. En effet, certains n’y parviennent pas par leur propre mérite, mais par le mérite d’un autre, comme les enfants et les idiots baptisés, en faveur de qui le mérite du Christ intervient, auquel ils participent par la réception du sacrement, car ils ne peuvent avoir de mérite propre, puisqu’ils n’ont pas l’usage du libre arbitre, qui est requis pour le mérite. Mais tous ceux qui possèdent l’usage du libre arbitre sont obligés d’ajouter aux mérites du Christ leur mérite propre. Or, le mérite consiste dans l’acte des vertus. Il est donc nécessaire pour leur salut qu’existent l’acte et l’habitus des vertus. Mais l’acte de toutes les vertus dépend de l’acte de la foi, qui dirige l’intention. Aussi, chez tous ceux qui possèdent le libre arbitre, est-il requis pour leur salut qu’ils aient l’acte de la foi, et non seulement l’habitus. Or, la foi ne peut passer à l’acte qu’en connaissant quelque chose qui se rapporte à la foi de manière déterminée et explicite. C’est pourquoi, pour tous ceux qui ont l’usage du libre arbitre, il est nécessaire au salut d’avoir une foi explicite en quelque chose.

 [10841] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in his quae sunt necessaria ad salutem, nunquam Deus homini quaerenti suam salutem deest vel defuit, nisi ex culpa sua remaneat; unde explicatio eorum quae sunt de necessitate salutis vel divinitus homini provideretur per praedicatorem fidei, sicut patet de Cornelio, Act. 10; vel per revelationem: qua supposita, in potestate liberi arbitrii est ut in actum fidei exeat.

1. Pour ce qui est nécessaire au salut, Dieu ne fait et n’a jamais fait défaut à l’homme qui cherche son salut, à moins que celui-ci ne reste avec sa faute. Aussi l’explicitation de ce qui est nécessaire au salut serait-elle divinement assurée soit par un prédicateur de la foi, comme cela ressort pour Corneille, Ac 10, soit par une révélation. En supposant celle-ci, il est au pouvoir du libre arbitre de passer à l’acte de la foi.

 [10842] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod si talis faceret quod in se est de quaerendo salutem, Deus illi aliquo dictorum modorum provideret de salute sua.

2. Si celui-là accomplissait ce qui est en son pouvoir pour la recherche du salut, Dieu pourvoirait à son salut selon l’une des manières indiquées.

 [10843] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium patet solutio per ea quae dicta sunt.

3. La réponse au troisième argument ressort de ce qui a été dit.

 [10844] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ea quae sunt supra rationem ad fidem pertinentia, non proponuntur hominibus simplicibus ita quod res ipsa discutiatur, sed in verborum aenigmate, quibus assentiant; et ideo dicitur esse fides verborum, ut supra, distinct. praecedenti, dictum est.

4. Ce qui dépasse la raison et relève de la foi n’est pas proposé aux gens sans instruction en discutant des réalités elles-mêmes, mais selon l’énigme des mots auxquels ils donnent leur assentiment. C’est pourquoi on dit qu’il s’agit d’une foi dans les mots, comme on l’a dit plus haut à la distinction précédente.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [10845] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod actus fidei ad hoc est necessarius ad salutem, quia intentionem dirigit in omnibus actibus aliarum virtutum; et ideo tantum oportet habere unicuique de fide explicita, quantum sufficit ad dirigendum ipsum in finem ultimum. Unde non est de necessitate salutis ut homo omnes articulos fidei explicite cognoscat: quia sine aliquorum explicatione potest homo habere rectam intentionem in finem.

L’acte de la foi est nécessaire au salut parce qu’il dirige l’intention de tous les actes des autres vertus. C’est pourquoi il est nécessaire pour chacun d’avoir une foi explicite dans la mesure qui suffit à se diriger vers la fin ultime. Aussi n’est-il pas nécessaire qu’on connaisse explicitement tous les articles de foi, car on peut avoir une intention droite vers la fin sans l’explicitation de certains [articles].

 [10846] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 1 Et per hoc patet responsio ad primum: quia non est eadem ratio de omnibus articulis.

1. La réponse au premier argument est claire, car il n’en va pas de même pour tous les articles.

 [10847] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod principia universalia, in quibus implicatur cognitio particularium conclusionum, sunt homini nota per lumen naturale; et ideo quantum ad implicitam cognitionem scientiae non distinguitur unus homo ab altero. Sed lumen fidei, secundum quod habetur cognitio implicita, est lumen infusum, quod uni infunditur, et alii non; et ideo non est similis ratio.

2. Les principes universels, dans lesquels est enveloppée la connaissance des conclusions particulières, sont connus de l’homme par une lumière naturelle. C’est pourquoi un homme ne se distingue pas d’un autre pour ce qui est de la connaissance implicite de la science. Mais la lumière de la foi, par laquelle on a une connaissance implicite, est une lumière infuse, qui est infusée chez l’un, et non chez l’autre. C’est pourquoi le raisonnement n’est pas le même.

 [10848] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ad praecepta negativa tenemur semper et ad semper; et per hoc vitantur sufficienter peccata transgressionis. Sed ad praecepta affirmativa tenetur homo semper, sed non ad semper, sed loco et tempore determinato. Praecepta autem affirmativa sunt de actibus virtutum. Ergo ad actum virtutis semper exercendum homo non tenetur, nec quantum ad omnes modos quibus potest ille exerceri; sed sufficit quod homo tempore debito operetur; et ideo etiam non oportet quod homo habeat explicitam cognitionem de omnibus articulis fidei, sed de aliquibus qui sunt necessarii secundum tempus illud; et per hoc sufficienter vitantur omnes errores et dubitationes: quia sicut habitus temperantiae inclinat ad resistendum luxuriae, ita habitus fidei inclinat ad resistendum omnibus quae sunt contra fidem. Unde in tempore quando emergit necessitas explicite cognoscendi vel propter doctrinam contrariam quae imminet, vel propter motum dubium qui insurgit, tunc homo fidelis ex inclinatione fidei non consentit his quae sunt contra fidem, sed differt assensum, quousque plenius instruatur.

3. Nous sommes obligés aux commandements négatifs toujours et en tout temps; ainsi sont suffisamment évités les péchés de transgression. Mais l’homme est toujours obligé aux commandements affirmatifs, non pas en tout temps, mais en un lieu et à un moment déterminés. Or, les commandements affirmatifs portent sur les actes des vertus. Un homme n’est donc pas obligé de toujours accomplir un acte de vertu, ni selon toutes les manières selon lesquelles celui-ci peut être accompli; mais il suffit qu’il l’accomplisse au moment dû. Il n’est donc pas non plus nécessaire qu’un homme ait une connaissance explicite de tous les articles de foi, mais de certains qui sont nécessaire à ce moment-là. Ainsi sont suffisamment évités toutes les erreurs et tous les doutes, car, de même que l’habitus de tempérance incline à résister à la luxure, de même l’habitus de la foi incline à résister à tout ce qui est contraire à la foi. Ainsi, au moment où apparaît la nécessité de connaître explicitement, soit en raison d’un enseignement contraire menaçant, soit en raison d’un mouvement de doute qui survient, alors le croyant, en vertu de l’inclination de la foi, ne consent pas à ce qui est contraire à la foi, mais il reporte son assentiment jusqu’à ce qu’il soit mieux renseigné.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [10849] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod explicare articulos fidei contingit dupliciter. Uno modo quantum ad ipsorum articulorum substantiam, secundum quod ipsos articulos distincte scit. Alio modo quantum ad ea quae in articulis continentur implicite: quod quidem contingit dum homo scit ea quae articulis consequuntur, et vim veritatis ipsorum articulorum, per quam possunt defendi ab omni impugnatione. Ad primam quidem explicationem totaliter tenentur omnes qui habent officium docendi fidem sive ex gradu dignitatis, sicut sacerdotes; sive ex revelatione, sicut prophetae; sive ex ministerio, sicut doctores et praedicatores: non autem alii, quibus non incumbit officium docendi fidem: quia cum ipsi non habeant nisi seipsos regulare, sufficit eis illos articulos cognoscere per quos possint propriam intentionem dirigere in finem ultimum. Ad secundam autem explicationem articulorum non tenetur aliquis totaliter ut sciat omnia explicare quae in articulis de salute continentur: quia hoc non potest esse nisi in patria, ubi ipsa articulorum veritas plene videbitur: sed unusquisque, cui incumbit officium instruendi alios de fide, qui dicuntur majores, tenetur tantum scire de ista explicatione, quantum pertinet ad suum officium. Sed ad hanc explicationem minores, quibus officium docendi non incumbit, non tenentur.

L’explicitation des articles de la foi se produit de deux manières. Premièrement, pour ce qui concerne la substance des articles eux-mêmes, selon qu’on connaît distinctement les articles eux-mêmes. Deuxièmement, pour ce qui est contenu implicitement dans les articles, ce qui se produit lorsque l’homme connaît ce qui découle des articles et la force de la vérité de ces articles, par laquelle ils peuvent être défendus de toute attaque. À la première explicitation, sont tenus tous ceux qui ont la fonction d’enseigner la foi, soit en raison du degré de leur dignité, comme les prêtres, soit en raison d’une révélation, comme les prophètes, soit en raison d’un ministère, comme les docteurs et les prédicateurs. Mais les autres [n’y sont pas tenus], à qui n’incombe pas la fonction d’enseigner la foi, car, n’ayant qu’eux-mêmes à diriger, il leur suffit de connaître les articles par lesquels ils peuvent diriger leur propre intention vers la fin ultime. Quant à la seconde explicitation, on n’est pas tenu de connaître entièrement tout ce qui est contenu dans les articles à propos du salut, car cela ne peut être le cas que dans la patrie, où la pleine vérité même de ces articles sera vue; mais chacun, à qui il incombe d’en instruire d’autres dans la foi et qui sont appelés les « grands » (majores), est obligé de connaître une telle explicitation dans la mesure seulement où cela relève de sa fonction. Mais les « petits » (minores), à qui n’incombe pas la fonction d’enseigner, n’y sont pas tenus.

 [10850] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non condemnantur simplices pro haereticis, quia nesciunt articulos: sed quia pertinaciter defendunt ea quae sunt contraria articulis; quod non facerent, nisi per haeresim fidem corruptam haberent.

1. Les gens non instruits ne sont pas condamnés comme hérétiques parce qu’ils ne connaissant pas les articles, mais parce qu’ils défendent avec entêtement ce qui est contraire aux articles, ce qu’ils ne feraient pas s’ils n’avaient pas une foi corrompue par l’hérésie.

 [10851] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod hoc ipso quod aliquis docendi officium assumit, obligatur ad sciendum ea quae docere debet.

2. Par le fait même que quelqu’un assume une fonction d’enseignement, il est obligé de connaître ce qu’il doit enseigner.

 [10852] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod majores non dicuntur qui magis sciunt, sed quibus incumbit officium docendi fidem; qui quandoque peccatis exigentibus minus sciunt, quibus dicitur Oseae 4, 6: quia scientiam repulisti, repellam te et ego, ne sacerdotio fungaris mihi. Nec tamen ex scientia quae ab eis exigitur, aliquod incommodum reportant, quia habere scientiam eis est honorificum.

3. On n’appelle pas « grands » ceux qui connaissent davantage, mais ceux à qui incombe la fonction d’enseigner la foi. Parfois, sous la pression des péchés, ils connaissant moins; à eux Osée dit, 4, 6 : Parce que tu as rejeté la science, je te rejetterai, moi aussi, de sorte que tu n’exerceras pas le sacerdoce. Toutefois, la science qui est exigée d’eux ne comporte aucun tort, car, pour eux, avoir la science est un honneur.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

 [10853] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod illi quibus incumbit officium docendi fidem, sunt medii inter Deum et homines; unde respectu Dei sunt homines, et respectu hominum sunt dii, inquantum divinae cognitionis participes sunt per scientiam Scripturarum, vel per revelationem, ut dicitur Joan. 10, 35: illos dixit deos ad quos sermo Dei factus est. Et ideo oportet quod minores, qui ab eis de fide doceri debent, habeant fidem implicitam in fide illorum, non inquantum homines sunt, sed inquantum sunt participatione dii.

Ceux à qui incombe la fonction d’enseigner la foi sont des intermédiaires entre Dieu et les hommes. Aussi, par rapport à Dieu, ils sont des hommes, et, par rapport aux hommes, ils sont des dieux, pour autant qu’ils participent à la connaissance divine par la connaissance des Écritures ou par révélation, comme le dit Jn 10, 35 : [La loi] a appelé ‘dieux’ ceux à qui la parole de Dieu a été adressée. C’est pourquoi il est nécessaire que les petits, qui doivent être enseignés par eux à propos de la foi, aient une foi implicite dans leur foi, non pas en tant qu’ils sont des hommes, mais en tant qu’ils sont des dieux par participation.

 [10854] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod determinata cognitio principiorum demonstrationis ex sensu acquiritur; unde ad eorum determinationem doctrina non indigemus: et in his principiis homo habet a principio implicitam scientiam omnium quae sequuntur; habet nihilominus scientiam implicitam in cognitione alterius scientis, inquantum oportet eum per doctrinam scientiam accipere: quia oportet addiscentem credere. Et ideo non est simile de scientia et fide: quia non sunt nobis innata aliqua principia naturalia ad quae possint reduci articuli fidei; sed tota determinatio fidei est in nobis per doctrinam; et ideo oportet in cognitione hominis habere fidem implicitam.

1. Une connaissance déterminée des principes de la démonsration est acquise par les sens; aussi n’avons-nous pas besoin d’enseignement pour leur détermination. Par ces principes, l’homme possède dès le départ une science implicite de tout ce qui en découle. Néanmoins, il a une science implicite dans la connaissance d’un autre qui sait, pour autant qu’il lui est nécessaire de recevoir la science par l’enseignement, car il faut que celui qui apprend croie. Aussi n’en va-t-il pas de même de la science et de la foi, car il n’existe pas en nous de principes naturels innés auxquels pourraient être ramenés les articles de foi, mais toute la détermination de la foi nous vient par l’enseignement. C’est pourquoi il est nécessaire d’avoir une foi implicite dans la connaissance de l’homme.

 [10855] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut in moventibus invenitur primum movens, quod est movens non motum; et secundum movens, quod est movens et motum, post quod est id quod est motum tantum; ita etiam est in regulantibus, quod est aliquid quod est regulans et nullo modo regulatum; et haec est ratio primae regulae, et tale est Deus: est et regulans regulatum, et talis regula humanae fidei est homo divinus: sicut etiam philosophus dicit in 3 Ethic., quod virtuosus est mensura omnium humanorum actuum; regulatum autem tantum sunt ipsi minores.

2. De même que, dans les choses qui meuvent, on trouve un premier moteur, qui meut sans être mû, et un deuxième moteur, qui meut et est mû, après quoi vient ce qui est mû seulement, de même aussi dans ce qui joue le rôle de règles, qui est quelque chose qui règle et n’est aucunement réglé – telle est la raison de règle première, qui est Dieu; et il y a aussi quelque chose qui règle et est réglé, et une telle règle de la foi humaine est un homme divin. Aussi le Philosophe dit-il dans Éthique, III, que le vertueux est la mesure de tous les actes humains. Mais les petits eux-mêmes sont seulement quelque chose de réglé.

 [10856] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut homo debet obedire inferiori potestati in his tantum in quibus non repugnat potestas superior; ita etiam debet homo se primae regulae in omnibus commensurare secundum suum modum; secundae autem regulae debet se homo commensurare in his in quibus non discordat a prima regula: quia in his in quibus discordat, jam non est regula; et propter hoc praelato contra fidem praedicanti non est assentiendum, quia in hoc discordat a prima regula. Nec per ignorantiam subditus excusatur a toto: quia habitus fidei facit inclinationem ad contrarium, cum necessario doceat de omnibus quae pertinent ad salutem, 1 Joan. 1. Unde si homo non sit facilis nimis ad credendum omni spiritui, quando aliquid insolitum praedicatur, non assentiet, sed aliunde requiret, vel Deo se committet in ejus secreta supra suum modum non se ingerendo.

3. De même que l’homme doit obéir à un pouvoir inférieur seulement pour ce qui ne s’oppose pas à un pouvoir supérieur, de même aussi l’homme doit-il se mesurer en tout à sa manière à la règle première; mais l’homme doit se mesurer à la règle seconde pour ce qui n’est pas en désaccord avec la règle première, car pour ce qui est en désaccord, [la règle seconde] n’est déjà plus une règle. C’est pourquoi il ne faut pas donner son assentiment à un prélat qui prêche contre la foi, car il est par là en désaccord avec la règle première. Et le sujet n’est pas totalement excusé par l’ignorance, car l’habitus de la foi incline en sens contraire, puisqu’il enseigne nécessairement tout ce qui concerne le salut, 1 Jn 1. Si donc un homme ne croit pas trop facilement en tout esprit, lorsque quelque chose d’insolite est prêché, il ne donnera pas son assentiment, mais s’informera par ailleurs ou s’en remettra en secret à Dieu, en ne se mêlant pas de ce qui le dépasse.

 [10857] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ad hoc datum est hominibus facere miracula, ut ostendatur quod Deus per illos loquitur. Nec oportet quod in tali homine revelationem habente aliquis suam fidem implicet, quousque talis homo ad ejus notitiam deveniat vel divinitus, vel per famam humanam.

4. Il a été donné aux hommes de faire des miracles afin de montrer que Dieu parle par eux. Et il n’est pas nécessaire que quelqu’un engage sa foi par rapport à un homme qui a une révélation, jusqu’à ce qu’un tel homme vienne à sa connaissance, soit divinement, soit par la renommée humaine.

 

 

Articulus 2 [10858] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 tit. Utrum per successionem temporum fides profecerit

Article 2 – La foi a-t-elle progressé selon la succession des temps ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La foi a-t-elle progressé selon la succession des temps ?]

 [10859] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod per successionem temporum fides non profecerit quantum ad ea quae explicite sunt credenda. Fides enim, ut dicitur in littera, caritati proportionatur. Sed caritas est eadem et aequalis per omnia tempora. Ergo et fides.

1. Il semble que la foi n’ait pas progressé selon la succesion des temps pour ce qui doit être cru explicitement. En effet, comme le dit le texte, « la foi est proportionnée à la charité ». Or, la charité est identique et égale en tous les temps. Donc aussi la foi.

 [10860] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, quod in scientiis crevit humana cognitio, hoc est propter imperfectionem eorum qui primitus artes adinvenerunt imperfecte, ut dicitur in 2 Elench. Sed fidei doctrina non habet principium ab inventione humana, sed ab inspiratione Dei, in quo non cadit aliqua imperfectio. Ergo non debuit per incrementa temporum proficere.

2. Le fait que la connaissance humaine ait progressé dans les sciences vient de l’imperfection de ceux qui ont imparfaitement découvert les arts, comme le dit l’Elenchus, II. Or, l’enseignement de la foi n’a pas son principe dans ce que l’homme trouve, mais dans l’inspiration de Dieu, chez qui n’existe aucune imperfection. [La foi] ne devait donc pas progresser selon l’avancée des temps.

 [10861] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, fides quantum ad substantiam semper eadem manet. Si ergo cognitio fidei secundum diversa tempora proficit, oportet quod in primo tempore habeatur, saltem implicite tantum, quod in sequenti etiam explicite cognoscitur. Sed minorum est habere fidem in cognitione majorum. Ergo quandocumque fides fuit implicita alicujus articuli in aliquo homine, fuit ejusdem articuli fides explicita in aliquo alio homine. Hoc autem secundum omne tempus convenit, quod aliqui articuli a quibusdam implicite, et ab aliquibus explicite cognoscantur. Ergo fides non crevit per successionem temporum.

3. La foi demeure toujours la même quant à sa substance. Si donc la connaissance de la foi progresse selon les divers temps, il est nécessaire qu’y soit présent en un premier moment, du moins implicitement, ce qui est aussi connu explicitement par la suite. Or, c’est le propre des petits d’avoir foi en la connaissance des grands. À chaque fois que la foi dans un article a été implicite chez un homme, une foi explicite dans le même article a donc existé chez un autre homme. Or, cela convient à tous les temps que certains articles soient connus par certains implicitement, et par certains explicitement. La foi n’a donc pas progressé selon la succession des temps.

 [10862] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 4 Praeterea, articulus est indivisibilis veritas. Sed quod est indivisibile, non potest ulterius distingui. Ergo cum semper fuerit fides contenta sub aliquibus articulis, videtur quod non potuerit magis distingui, ut articuli explicite cognoscerentur.

4. L’article est une vérité indivisible. Or, ce qui est indivisible ne peut être divisé davantage. Puisque la foi a toujours été contenue dans certains articles, il semble donc qu’elle ne pouvait être davantage divisée, de sorte que les articles seraient connus explicitement.

 [10863] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 5 Praeterea, per hoc videtur quod etiam modo eadem ratione possent articuli multiplicari per successionem temporum; quod falsum esse videtur.

5. On voit ainsi que, même maintenant, les articles pourraient être multipliés pour la même raison que pour la succession des temps, ce qui semble faux.

 [10864] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Exod. 6, 2, dominus dixit ad Moysem: ego sum Deus Abraham, Deus Isaac, et Deus Jacob; et nomen meum Adonai non manifestavi eis. Ergo Moysi fuit aliquid revelatum de Deo quod patribus revelatum non fuerat. Similiter etiam David dicit, Psalm. 118, 10: super senes intellexi; et Petrus suo tempore completum asserit, Act. 11, 17, quod dicitur Joelis 2: effundam de spiritu meo.

Cependant, [1] le Seigneur dit à Moïse dans Ex 6, 2 : Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isacc et le Dieu de Jacob, et je ne leur ai pas manifesté mon nom : Adonaï. Quelque chose a donc été révélé à Moïse à propos de Dieu, qui n’avait pas été révélé aux pères. De même, David dit, Ps 118, 10 : J’ai compris plus que les anciens. Et Pierre affirme que s’est accompli en son temps, Ac 11, 17, ce qui est dit en Jl 2 : Je verserai mon Esprit.

 [10865] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, Gregorius dicit, quod per successiones temporum crevit divinae cognitionis augmentum.

 [2] Grégoire dit que, selon la succession des temps, l’augmentation de la connaissance de Dieu s’est accrue.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [A-t-il toujours été nécessaire d’avoir une foi explicite dans le Rédempteur ?]

 [10866] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non oportuit semper habere fidem explicitam de redemptore. Non enim cognoverunt homines de eo per fidem quod Angeli ignoraverunt: quia cognitio fidei per revelationem quae est a Deo, est mediantibus Angelis, ut dicit Dionysius, 4 cap. Cael. Hier. Sed Angeli mysterium redemptionis non cognoverunt; unde apostolus dicit Ephes. 3, quod erat absconditum in Deo. Ergo nec homines de eo fidem explicitam habuerunt.

1. Il semble qu’il n’ait pas toujours été nécessaire d’avoir une foi explicite dans le Rédempteur. En effet, les hommes n’ont pas connu par la foi celui que les anges ont ignoré, car la connaissance de la foi par la révélation qui vient de Dieu se réalise par l’intermédiaire des anges, comme le dit Denys, La hiérarchie céleste, IV. Or, les anges n’ont pas connu le mystère de la rédemption. Aussi l’Apôtre dit-il, Ep 3, que cela était caché en Dieu. Les hommes non plus n’en ont donc pas eu une foi explicite.

 [10867] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, Adam suum casum non praescivit. Sed si non peccasset, humana redemptio non fuisset. Ergo homo non semper explicite cognovit mysterium redemptionis humanae.

2. Adam n’a pas connu d’avance sa chute. Or, s’il n’avait pas péché, il n’y aurait pas eu de rédemption humaine. L’homme n’a donc pas toujours connu le mystère de la rédemption humaine.

 [10868] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, sicut dicit Dionysius, multi etiam de gentilibus ante Christi adventum salvati sunt. Sed illi non habebant fidem explicitam de redemptione, quia eis revelatio non fuerat facta; Psalm. 147, 20: non fecit taliter omni nationi. Nec iterum in fide Judaeorum suam fidem implicitam habebant. Ergo fides redemptoris non fuit necessaria ad salutem secundum omne tempus.

3. Comme le dit Denys, plusieurs parmi les Gentils ont été sauvés avant la venue du Christ. Or, ceux-là n’avaient pas la foi explicite en la rédemption, car la révélation ne leur avait pas été faite, Ps 147, 20 : Il n’a pas traité ainsi toutes les nations. Ils n’avaient pas non plus une foi implicite dans la foi des Juifs. La foi au Rédempteur n’a donc pas été nécessaire au salut en tout temps.

 [10869] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 4 Praeterea, adventus redemptoris non est de dictamine legis naturalis. Sed qui erant in lege naturali, salvabantur implentes ea quae erant de dictamine legis naturalis, sicut tempore legis scriptae est de his quae dictat lex scripta. Ergo non fuit semper necessarium habere fidem explicitam de redemptore.

4. La venue du Rédempteur n’est pas soumise à un commandement de la loi naturelle. Or, ceux qui étaient sous la loi naturelle étaient sauvés en accomplissant ce qui relevait d’un commandement de la loi naturelle, comme c’est le cas de ce que commande la loi écrite au temps de la loi écrite,. Il n’a donc pas toujours été nécessaire d’avoir une foi explicite dans le Rédempteur.

 [10870] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, Christus est caput totius Ecclesiae. Nullus autem salvatus est extra Ecclesiam. Ergo nullus salvatus est qui non est membrum Christi vel non fuit. Sed nullus fuit membrum Christi qui in Christum non credidit. Ergo nullus salvatus est unquam sine fide Christi.

Cependant, [1] le Christ est la tête de toute l’Église. Or, personne n’est sauvé en dehors de l’Église. Personne n’a donc été sauvé sans être membre du Christ ou sans l’avoir été. Or, personne n’a été membre du Christ sans avoir cru au Christ. Personne n’a donc jamais été sauvé sans la foi au Christ.

 [10871] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, sicut creator est principium essendi in natura condita, ita etiam redemptor est principium reparationis naturae lapsae. Sed nullus potest salvari sine reparatione, sicut nec esse sine esse naturali. Cum ergo fides de creatore semper fuerit necessaria ad salutem, pari ratione et fides redemptoris semper fuit necessaria ad salutem post casum hominis.

 [2] De même que le Créateur est le principe de l’être pour la nature créée, de même le Rédempteur est-il aussi le principe de la restauration pour la nature déchue. Or, personne ne peut être sauvé sans la restauration, comme il ne peut exister sans l’acte naturel d’être. Puisque la foi au Créateur a toujours été nécessaire au salut, pour la même raison la foi au Rédempteur a donc toujours été nécessaire au salut après la chute de l’homme.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Était-il nécessaire de croire, à propos du Rédempteur, les articles que le Maître indique dans le texte ?]

 [10872] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non oportuit istos articulos de redemptore credere quos Magister tangit in littera. Quia Joannes Baptista inter majores fuit, qui tenebantur habere fidem explicitam secundum illud tempus. Sed ipse dubitavit de morte Christi, ut dicit Magister in littera. Ergo non videtur quod de morte Christi habuerint fidem explicitam antiqui patres.

1. Il semble qu’il n’ait pas toujours été nécessaire de croire, à propos du Rédempteur, les articles que le Maître indique dans le texte, car Jean-Baptiste comptait parmi les « grands », qui étaient tenus d’avoir une foi explicite en ce temps. Or, lui-même a douté de la mort du Christ, comme le dit le Maître dans le texte. Il ne semble donc pas que les pères anciens aient eu une foi explicite dans la mort du Christ.

 [10873] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, conceptio nativitatem praecedit. Sed non dicitur quod necessarium fuerit eos habere explicitam fidem de conceptione. Ergo nec fuit necessarium quod haberent explicitam fidem de nativitate.

2. La conception a précédé la naissance. Or, il n’est pas dit qu’il leur était nécessaire d’avoir une foi explicite en la conception. Il n’était donc pas nécessaire qu’ils aient une foi explicite en la naissance.

 [10874] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, sicut resurrectio Christi est causa nostrae resurrectionis, ita ascensio causa nostrae ascensionis. Sed salus nostra consistit in resurrectione corporum, et in ascensione ad locum gloriae. Ergo necessarium fuit credere ascensionem, sicut et resurrectionem.

3. De même que la résurrection du Christ est la cause de notre résurrection, de même son ascension est-elle la cause de notre ascension. Or, notre salut consiste dans la résurrection des corps et dans l’ascension vers le lieu de la gloire. Il était donc nécessaire de croire en l’ascension, comme en la résurrection.

 [10875] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 4 Praeterea, per descensum ad Inferos nos ab Inferis retraxit. Hoc autem est necessarium ad salutem. Ergo et credere Christum ad Inferos descendisse.

4. Par sa descente aux enfers, [le Christ] nous a retirés de l’enfer. Or, cela est nécessaire au salut. Il est donc aussi [nécessaire] de croire que le Christ est descendu aux enfers.

 [10876] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 5 Praeterea, salus hominum esse poterat sine hoc quod Christus ad judicium veniret: quia per hoc nihil nobis Christus meretur. Ergo videtur quod non fuerit necessarium credere Christum venturum ad judicium.

5. Le salut des hommes pouvait exister sans que le Christ vienne pour le jugement, car, par cela, le Christ n’a rien mérité pour nous. Il semble donc qu’il n’était pas nécessaire de croire que le Christ viendra pour le jugement.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Était-il nécessaire d’avoir une connaissance explicite de la Trinité ?]

 [10877] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non fuerit necessarium habere cognitionem Trinitatis explicitam. Quia Hebr. 11, 6, dicitur, quod de Deo oportet credere quia est, et inquirentibus se remunerator sit. Ergo videtur quod non oportuit cognoscere distinctionem personarum.

1. Il semble qu’il n’était pas nécessaire d’avoir une connaissance explicite de la Trinité, car il est dit en He 11, 6 qu’il est nécessaire de croire à propos de Dieu qu’il existe et qu’il est le rémunérateur de ceux qui le cherchent. Il semble donc qu’il n’était pas nécessaire de connaître la distinction des personnes.

 [10878] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 4 arg. 2 Praeterea, cognitio fidei est necessaria inquantum nos in finem dirigit. Sed Deus est finis noster, inquantum est summum bonum, quod ad essentiam pertinet. Ergo videtur quod sufficiebat de Deo credere essentialia.

2. La connaissance de la foi est nécessaire dans la mesure où elle nous dirige vers la fin. Or, Dieu est notre fin, pour autant qu’il est le bien suprême, ce qui relève de son essence. Il semble donc qu’il suffisait de croire aux  [attributs] essentiels à propos de Dieu.

 [10879] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 4 arg. 3 Praeterea, sacra Scriptura est regula fidei. Sed in Scriptura veteris testamenti non fuit mentio expressa facta de Trinitate. Ergo non erat necessaria ad credendum.

3. La Sainte Écriture est la règle de la foi. Or, dans l’Écriture de l’Ancien Testament, il n’est pas fait expressément mention de la Trinité. Il n’était donc pas nécessaire d’y croire.

 [10880] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 4 s. c. 1 Sed contra, magis est salutifera cognitio de Christo inquantum est Deus quam inquantum est homo. Sed necessarium fuit habere cognitionem de humanitate ipsius. Ergo multo fortius de deitate. Sed secundum quod est in sua deitate, est filius patris. Ergo necessarium fuit habere cognitionem de patre et filio.

Cependant, [1] la connaissance du Christ comme Dieu est plus salutaire que [sa connaissance] comme homme. Or, il était nécessaire d’avoir connaissance de son humanité. À bien plus forte raison, donc, de sa divinité. Or, selon sa divinité, il est le Fils du Père. Il était donc nécessaire d’avoir une connaissance du Père et du Fils.

 [10881] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 4 s. c. 2 Praeterea, missio divinarum personarum semper fuit de necessitate salutis. Sed Augustinus dicit, quod mitti est cognosci quod ab alio sit. Ergo semper fuit necessarium cognoscere in Deo quod sit ibi aliquis ab alio; et ita cognoscere Trinitatem per fidem.

 [2] La mission des personnes divines a toujours été nécesssaire pour le salut. Or, Augustin dit qu’« être envoyé, c’est être connu comme étant d’un autre ». Il a donc toujours été nécessaire de connaître de Dieu qu’il existe en lui quelqu’un qui vient d’un autre, et ainsi de connaître la Trinité par la foi.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [10882] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod fides cognitio quaedam est. Quantitas autem cognitionis dupliciter attenditur: scilicet secundum objecta, et secundum efficaciam actus circa objectum. Quia autem habitus specificatur ex objecto, ideo prima quantitas est habitui essentialis; et secundum hanc attenditur magnitudo fidei, quae est secundum articulorum quantitatem; et ideo secundum hanc quantitatem fides non crescit nec deficit, cum semper eadem maneat. Efficacia autem in agendo, est ex conditione agentis; et ideo quantum ad alias tres magnitudines potest fides proficere, ipsa manente eadem secundum diversas hominum conditiones. In actu autem fidei tria inveniuntur, secundum quae potest quantitas efficaciae fidei attendi; duo secundum naturam propriam: scilicet cogitare, et secundum hoc dicitur fides magna, cognitione; et assentire, et secundum hoc dicitur fides magna, constantia, quia assensus certitudinem et determinationem importat, ut supra, dist. 23, art. 2 in corp. et ad 1, dictum est: tertium autem est in actu fidei secundum quod informatur caritate; et secundum hoc dicitur fides magna, devotione. Sed quia certitudo fidei est ex voluntate determinante intellectum ad unum, et similiter formatio ex caritate, quae est in voluntate; voluntas autem est domina sui actus etiam secundum quodcumque tempus; ideo per se loquendo magnitudinis fidei quae est secundum constantiam et devotionem, attenditur profectus secundum promptitudinem voluntatis quae est ex gratia, non ex successione temporum nisi per accidens, inquantum in aliquo tempore sit plenior influentia gratiae quam in alio quantum ad communem statum, quamvis non quantum ad omnes personas. Sed cogitare ad intellectum pertinet, cujus virtutes experimento indigent et tempore, ut dicitur 2 Ethic.; et ideo quantitas fidei quae est secundum cognitionem articulorum, per se loquendo, crescit secundum diversitatem temporis.

La foi est une certaine connaissance. Or, la quantité d’une connaissance vient de deux choses : des objets et de l’efficacité de l’acte portant sur l’objet. Mais parce qu’un habitus reçoit son espèce de son objet, la première quantité est donc essentielle à l’habitus, et la grandeur de la foi, qui vient de la quantité des articles, est envisagée selon elle. C’est pourquoi quantité de la foi n’augmente pas et ne diminue pas selon cette quantité, puisqu’elle demeure toujours la même. Mais l’efficacité d’une action vient de la condition de l’agent. Du point de vue des trois autres grandeurs, la foi peut donc croître, alors qu’elle demeure la même selon les diverses conditions des hommes. Or, on trouve dans l’acte de la foi trois choses selon lesquelles la quantité de l’efficacité de la foi peut être envisagée. Deux [viennent] de sa nature propre : penser, et, de ce point de vue, on dit que la foi est grande par la connaissance; et donner son assentiment, et, de ce point de vue, on dit que la foi est grande par sa constance, car l’assentiment comporte la certitude et la détermination, comme on l’a dit plus haut, d. 23, a. 2, c et ad 1. La troisième existe dans l’acte de foi selon que celle-ci reçoit sa forme de la charité : de ce point de vue, on dit que la foi est grande par son attachement. Mais parce que la certitude de la foi vient de la volonté qui détermine l’intellect à une seule chose et que sa forme vient également de la charité, qui se trouve dans la volonté, et que la volonté est aussi maîtresse de son acte en tout temps, à proprement parler, le progrès de la grandeur de la foi qui vient de la constance et de l’attachement s’envisage selon la promptitude de la volonté qui vient de la grâce, et non de la succession des temps, si ce n’est par accident, pour autant que, en un certain temps, l’influence de la grâce a été plus complète que dans un autre pour ce qui est de l’état général, bien que ce n’ait pas été le cas pour toutes les personnes. Mais penser relève de l’intellect, dont les puissances ont besoin de l’expérience et du temps, ainsi qu’il est dit dans Éthique, II. C’est pourquoi, à proprement parler, la quantité de la foi considérée selon la connaissance des articles croît selon la diversité du temps.

 [10883] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod caritas in voluntate est. Ea autem quae ad voluntatem pertinent, non indigent experimento et tempore, sicut ea quae sunt in intellectu, in quo est fides, nisi quatenus oportet quod per exercitium acquiratur habitus, quod de caritate non est. Et ideo profectus caritatis, proprie loquendo, non attenditur secundum diversa tempora, nisi per accidens, inquantum tempore redemptionis plenior infunditur gratia quantum ad communem statum, non autem quantum ad omnes singulares personas.

1. La charité se trouve dans la volonté. Or, ce qui se rapporte à la volonté n’a pas besoin d’expérience et de temps, comme ce qui se trouve dans l’intelligence, où réside la foi, si ce n’est dans la mesure où un habitus est acquis par l’exercice. À proprement parler, la croissance de la charité n’est pas envisagée selon les divers temps, sauf par accident, pour autant qu’au temps de la rédemption, la grâce à été versée plus abondamment pour ce qui est de l’état général, mais non pour toutes les personnes en particulier.

 [10884] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod hoc quod scientiae profecerunt per successionem temporum non tantum est ex imperfectione inventorum, sed etiam ex impotentia addiscentium, qui a principio totum capere non possunt; et ita in his quae fidei sunt accidit quod oportuit paulatim humanum intellectum assuefieri ad ea quae fidei sunt; propter quod dominus discipulis dixit Joan. 16, 12: multa habeo vobis dicere; sed non potestis portare modo.

2. Le fait que les sciences aient progressé selon la succession des temps ne vient pas seulement de l’imperfection de ce qui a été trouvé, mais aussi de l’impuissance de ceux qui apprennent, qui ne peuvent tout saisir dès le début. Il arrive ainsi, pour ce qui relève de la foi, qu’il était nécessaire pour l’intelligence humaine de s’habituer peu à peu à ce qui relève de la foi. Pour cette raison, le Seigneur a dit à ses disciples, Jn 16, 12 : J’ai beaucoup de choses à vous dire; mais vous ne pouvez pas les porter maintenant.

 [10885] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illi qui immediate a Deo fidei cognitionem receperunt, quantum ad ea quae eis non explicabantur, non habebant fidem implicitam in fide alterius hominis, sed in cognitione ipsius Dei, cui reponebant id quod de secretis divinae sapientiae eis fuerat revelatum.

3. Ceux qui ont reçu immédiatement de Dieu la connaissance de la foi n’avaient pas une foi implicite dans la foi d’un autre homme pour ce qui n’était pas explicite, mais dans la connaissance de Dieu lui-même, à qui ils ramenaient ce qui leur avait été révélé des secrets de la Sagesse divine.

 [10886] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod articulus dicitur indivisibilis veritas quantum ad id quod actu explicatur in articulo; sed est divisibilis quantum ad ea quae potentia continentur in articulo, secundum quod qui dicit unum, quodammodo dicit multa: et haec sunt ea quae praecedunt ad articulum, et consequuntur ad ipsum: et quantum ad hoc potest explicari et dividi articulus fidei.

4. On dit que l’article est une vérité indivisible pour ce qui est explicité en acte dans l’article; mais il est divisible pour ce qui est contenu en puissance dans l’article, selon que celui qui dit une seule chose en dit d’une certaine manière plusieurs. Telles sont les choses qui précèdent l’article et en découlent. Sous cet aspect, l’article de foi peut être explicité et divisé.

 [10887] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod aliquid quod in articulo continetur, explicari potest dupliciter. Uno modo secundum quod unus articulus continetur quandoque in alio, vel duo in uno communi; sicut resurrectio mortuorum continetur quodammodo in resurrectione Christi; et passio et incarnatio in hoc communi quod est mysterium redemptionis: et sic fides implicita explicatur in articulis fidei determinatis; et haec explicatio completa est per Christum: unde ejus doctrinae quantum ad essentialia fidei nec addere nec diminuere licet, ut dicitur Apocal. ult. Sed ante Christi adventum non erat completa; unde etiam quantum ad majores crescebat secundum diversa tempora. Alio modo id quod in articulo continetur, non est articulus, sed aliquid concomitans articulum; et quantum ad hoc potest fides quotidie explicari, et per studium sanctorum magis et magis explicata fuit.

5. Ce qui est contenu dans un article peut être explicité de deux manières. Premièrement, selon qu’un article est parfois contenu dans un autre, ou deux [articles] dans un qui leur est commun, comme la résurrection des morts est d’une certaine manière contenue dans la résurrection du Christ, et la passion et l’incarnation dans cet [article] commun qu’est le mystère de la rédemption. Ainsi la foi implicite est-elle explicitée dans des articles de foi déterminés. Une telle explicitation a été achevée par le Christ. Aussi n’est-il permis de rien ajouter ni de rien enlever à son enseignement pour ce qui concerne l’essentiel de la foi, ainsi qu’il est dit dans Ap 22. Mais, avant la venue du Christ, elle n’était pas achevée. Aussi croissait-elle-même chez les grands selon les divers temps. Deuxièmement, ce qui est contenu dans un article n’est pas l’article, mais quelque chose qui accompagne l’article; de ce point de vue, la foi peut être quotidiennement explicitée et elle a été de plus en plus explicitée par l’étude des saints.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [10888] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod ad fidem redemptoris tripliciter se habet humanum genus secundum diversa tempora. In primo enim statu ante peccatum non oportebat ab aliquo homine haberi fidem explicitam de redemptore, quia nondum servitus erat inducta; sed sufficiebat habere fidem implicitam in cognitione Dei, ut scilicet homo crederet quod Deus ei provideret in eis quae essent necessaria ad salutem. In secundo autem statu post peccatum ante adventum Christi quidam habebant fidem explicitam de redemptore, quibus revelatio facta erat, qui majores dicebantur: quidam autem, ut minores, fidem implicitam habebant in fide majorum; unde eis sacramentum redemptionis sub signis sacrificiorum proponebatur. In tertio autem statu post adventum Christi, quia jam mysterium redemptionis impletum est corporaliter et visibiliter, et praedicatum, omnes tenentur ad explicite credendum: et si aliquis instructorem non haberet, Deus illi revelaret, nisi ex culpa sua removeret.

Le rapport du genre humain à la foi au Rédempteur est triple selon les divers temps. En effet, dans le premier état avant le péché, il n’était pas nécessaire qu’un homme ait une foi explicite au Rédempteur, car l’esclavage n’avait pas encore été introduit; mais il suffisait d’avoir une foi implicite dans la connaissance de Dieu, à savoir que l’homme croie que Dieu prendrait soin de lui pour ce qui serait nécessaire au salut. Mais, dans le deuxième état, après le péché et avant la venue du Christ, certains avaient une foi explicite dans le Rédempteur, à qui la révélation [en] avait été faite : on les appelait les grands. Mais certains, comme les petits, avaient une foi implicite dans la foi des grands. Aussi le mystère (sacramentum) de la Rédemption leur était-il proposé par les signes des sacrifices. Dans le troisième état, après la venue du Christ, parce que le mystère de la Rédemption a déjà été accompli corporellement et visiblement et qu’il a été prêché, tous sont obligés de croire explicitemenet, et si quelqu’un n’avait pas de maître, Dieu lui ferait révélation, à moins que celui-ci ne l’écarte par sa faute.

 [10889] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Angeli primitus mysterium incarnationis sunt edocti quam homines, ut dicit Dionysius, 4 cap. Caelest. Hierar., quantum ad ipsam substantiam ejus quod credendum est, quamvis non quantum ad omnes circumstantias articulorum, quas postea rebus evenientibus cognoverunt. Et de hoc plenius dictum est in 2 Lib., dist. 11.

1. Comme le dit Denys, La hiérarchie céleste, IV, les anges ont été informés du mystère de l’incarnation avant les hommes, quant à sa substance qu’on devait croire, mais non quant à toutes les circonstances des articles, qu’ils ont par la suite connues alors que les choses survenaient. On a parlé plus longuement de cela dans le livre II, d. 11.

 [10890] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod auctoritates inductae in littera loquuntur post peccatum, sive ante legem, sive post.

2. Les autorités invoquées dans le texte parlent de [l’état] consécutif au péché, soit avant la loi, soit après.

 [10891] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis aliis gentibus non esset data lex divinitus communiter omnibus sicut Judaeis, ex quibus nasciturus erat Christus, et sic oportebat in eis potius fidem vigere; tamen multis etiam gentilibus revelationes per Angelos factae sunt etiam de Christo, sicut patet de Sybilla, quae de Christo expresse prophetavit. In historiis Romanis etiam legitur, quod temporibus Constantini imperatoris inventum fuit in Graecia quoddam corpus in sepulcro quodam habens laminam auream supra pectus, in qua scriptum erat: Christus nascetur ex virgine et credo in eum. O sol, sub Irenes et Constantini temporibus iterum me videbis. Illi etiam quibus specialis revelatio facta non fuerat, salvari poterant, etiam si nihil de lege Moysi audissent, neque aliquid de ea scirent, quia lex illa non erat omnibus data, sed tantum Judaeis; unde alii non peccabant si legis observantias non servarent. Secus autem est de lege Christi, quae omnibus pronuntiata est. Salvabantur tamen fide implicita redemptoris, implicando fidem suam in cognitione Dei, vel eorum qui a Deo docti erant, indeterminate, quicumque illi essent; sicut majores Judaeorum quantum ad ea quae eis nondum fuerant revelata, dum contrarium pertinaciter non tenerent contra praedicantem fidem.

3. Bien qu’une loi n’ait pas été donnée par Dieu aux autres nations d’une manière générale, comme elle l’a été aux Juifs, dont le Christ devait naître, et qu’ainsi il était nécessaire que la foi soit vigoureuse chez eux, des révélations ont cependant aussi été faites par des anges aux païens à propos du Christ, comme cela ressort pour la Sibylle, qui a prophétisé de manière expresse à propos du Christ. On lit aussi dans l’histoire des Romains qu’au temps de l’empereur Constantin, on a découvert en Grèce dans un sépulcre un corps portant une plaque d’or sur la poitrine, sur laquelle avait été écrit : « Le Christ naîtra d’une vierge et je crois en lui. Ô Soleil, aux temps d’Irène et de Constantin, tu me verras de nouveau! » Ceux-là aussi à qui une révélation spéciale n’avait pas été faite pouvaient être sauvés, même s’ils n’avaient rien entendu de la loi de Moïse et n’en savaient rien, car cette loi n’avait pas été donnée à tous, mais seulement aux Juifs; aussi les autres ne péchaient-ils pas s’ils n’accomplissaient pas les observances de la loi. Mais il en va autrement de la loi du Christ, qui a été annoncée à tous. Ils seront cependant sauvés par une foi implicite au Rédempteur, en plaçant leur foi dans la connaissance de Dieu ou de ceux qui ont été instruits par Dieu de manière indéterminée, quels qu’ils aient été : ainsi les grands parmi les Juifs, quant à ce qui n’avaient pas encore été révélé, pourvu qu’ils ne s’opposent pas de manière entêtée à celui qui prêche la foi.

 [10892] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis ad cognitionem redemptoris non sufficeret natura per se, sufficiebat tamen cum lege scripta tempore legis; ante legem vero adjuta per gratiam.

4. Bien que la nature ne suffirait pas par elle-même à la connaissance du Rédempteur, elle suffisait cependant avec la loi écrite au temps de la loi, mais, avant la loi, avec l’aide de la grâce.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [10893] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod fides explicita ad hoc necessaria est quod in finem ultimum intentionem dirigat. Et quia per peccatum homo ab illo fine abductus fuerat, et non poterat reduci nisi per mediatorem Dei et hominum dominum Jesum Christum; ideo post peccatum oportuit haberi cognitionem explicitam de redemptore, et praecipue quantum ad ea quibus nos in finem reduxit victo hoste a quo captivi detinebamur. Ad hoc autem quod nos in finem reduceret, quatuor requirebantur. Primum est quod propugnator noster institueretur; quod factum est in nativitate. Secundum est quod propugnaret; quod factum est in passione. Tertium est quod vinceret; quod factum est in resurrectione, quando aeternitatis aditum devicta morte reseravit. Quarto quod victoriae suae omnes suos participes faceret; et hoc erit in judicio, quando bonis bona et malis mala reddet. Et ideo ista praecipue requirebantur ut de redemptore explicite scirentur. Tamen possibile est quod secundum diversa tempora horum distinctio et explicatio ante Christi adventum creverit, ut quanto adventui salvatoris viciniores existerent, tanto sacramenta salutis plenius perceperint, ut dicit Gregorius. Et secundum hoc utraque opinio in littera potest habere veritatem: prima quantum ad propinquos, secunda quantum ad remotos.

Une foi explicite est nécessaire afin qu’elle dirige l’intention vers la fin ultime. Parce que l’homme avait été détourné de cette fin par le péché et ne pouvait y être ramené que par le médiateur entre Dieu et les hommes, le Seigneur Jésus, le Christ, après le péché, il était donc nécessaire d’avoir une connaissance explicite du Rédempteur, surtout pour ce par quoi il nous a ramenés à la fin après avoir vaincu l’ennemi par lequel nous étions détenus captifs. Pour qu’il nous ramène à la fin, quatre choses étaient requises. Premièrement, que notre défenseur soit établi, ce qui a été réalisé par sa naissance. Deuxièmement, qu’il combatte pour nous, ce qui a été réalisé par la passion. Troisièmement, qu’il l’emporte, ce qui a été réalisé par sa résurrection, alors qu’il a rendu ouvert l’accès à l’éternité après avoir vaincu la mort. Quatrièmement, qu’il fasse participer tous les siens à sa victoire : cela se réalisera par le jugement, alors qu’il rendra le bien aux bons et le mal aux méchants. C’est pourquoi il était nécessaire que ces choses surtout soient connues à propos du Rédempteur. Cependant, il est possible que, selon les divers temps, leur distinction et leur explicitation aient augmenté avant la venue du Christ, de sorte que « plus on était proche de la venue du Sauveur, plus les sacrements du salut étaient pleinement reçus », comme le dit Grégoire. La double opinion exprimée dans le texte peut donc ainsi être vraie : la première, pour ceux qui étaient proches; la seconde, pour ceux qui étaient éloignés.

 [10894] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Joannes Baptista hos articulos plenissime scivit; unde de his non dubitavit. Potuit autem dubitare sine praejudicio salutis de alio articulo passionis implicito tunc temporis, scilicet de descensu ad Inferos, non pertinaciter; quod patet, quia doceri quaerebat. Vel dicendum, ut alii dicunt, quod ipse non dubitavit, sed quasi dubitasse visus est inquantum quaesivit non propter se, sed propter suos discipulos instruendos. Vel fuit dubitatio non ignorantiae, sed admirationis et pietatis.

1. Jean-Baptiste a connu avec le plus de plénitude ces articles; aussi n’en doutait-il pas. Mais il a pu douter sans préjudice pour son salut d’un autre article alors implicite de la passion : la descente aux enfers, mais sans entêtement, ce qui ressort du fait qu’il cherchait à être enseigné. Ou bien il faut dire, comme d’autres le disent, qu’il n’a pas douté, mais a semblé douter dans la mesure où il s’est enquis non pas pour lui, mais pour instruire ses disciples. Ou bien ce fut un doute dû non pas à l’ignorance, mais à l’admiration et à la piété.

 [10895] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod articulus conceptionis implicite continebatur in articulo nativitatis in quantum est via ad nativitatem; articulus autem de descensu ad Inferos, in articulo de passione; articulus autem de ascensione, in articulo de resurrectione, quia ibi terminatur victoria resurgentis.

2. L’article sur la conception était implicitement contenu dans l’article sur la naissance pour autant qu’elle conduit à la naissance. Mais l’article sur la descente aux enfers [était implicitement contenu] dans l’article sur la passion, et l’article sur l’ascension, dans l’article sur la résurrection, car là se termine la victoire du Ressuscité.

 [10896] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 3 Unde patet responsio ad tertium et quartum.

3-4. La réponse au troisième et au quatrième arguments ressort d’elle-même.

 [10897] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in judicio Christus nihil nobis merebitur; sed id quod prius meruit, reddet.

5. Le Christ ne nous méritera rien par le jugement, mais il rendra ce qu’il a préalablement mérité.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

 [10898] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod per missiones divinarum personarum in nos, homo in finem ultimum ducitur non solum post peccatum, sed etiam ante peccatum; et ideo explicita cognitio de Trinitate fuit necessaria non solum post peccatum, sed etiam ante peccatum. Non tamen eodem modo ante adventum Christi et post: quia ante adventum soli majores de hoc fidem explicitam habuerunt: post incarnationem vero omnes fidem explicitam de tribus personis habere tenentur, sicut et de mysterio incarnationis, quod cognosci non potest, nisi cognoscatur personarum distinctio: et quia sacramenta salutis cum invocatione Trinitatis conferuntur.

Par la mission des personnes divines en nous, l’homme est conduit a sa fin ultime, non seulement après le péché, mais aussi avant le péché. C’est pourquoi une connaissance explicite de la Trinité était nécessaire, non seulement après le péché, mais aussi avant le péché. Cependant, non pas de la même manière avant la venue du Christ et après, car, avant la venue du Christ, seuls les grands en ont eu une foi explicite; mais, après l’incarnation, tous sont obligés d’avoir une foi explicite aux trois personnes, comme au mystère de l’incarnation, qui ne peut être connu que si la distinction entre les trois personnes est connue, et parce que les sacrements du salut sont conférés avec une invocation de la Trinité.

 [10899] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod apostolus posuit illa quae oportuit credi explicite a quolibet homine in quocumque statu: hoc autem non fuit cognitio Trinitatis.

1. L’Apôtre a affirmé ce que tout homme devait croire explicitement en tout état, mais il ne s’agissait pas de la connaissance de la Trinité.

 [10900] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ad dirigendum in finem non solum oportet cognoscere finem, sed etiam ea sine quibus in finem iri non potest; et ideo oportuit habere cognitionem explicitam de fide Trinitatis, quia sine earum missione in finem beatitudinis veniri non potest.

2. Pour diriger vers la fin, il faut non seulement connaître la fin, mais aussi ce sans quoi on ne peut aller vers la fin. C’est pourquoi il était nécessaire d’avoir une connaissance explicite de la foi en la Trinité, car, sans la mission [des personnes divines], on ne peut atteindre la fin de la béatitude.

 [10901] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quia non erat necessarium ut explicite omnes cognoscerent, ideo non fuit positum mysterium Trinitatis manifeste in veteri testamento, sed velate ut sapientes capere possent.

3. Parce qu’il n’était pas nécessaire que tous le connaissent, le mystère de la Trinité n’a donc pas été présenté ouvertement dans l’Ancien Testament, mais de manière voilée afin que les sages puissent le saisir.

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Distinction 25

 [10902] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 4 expos. Sicut in Ecclesia aliqui sunt minus capaces. Contra. Modo non sufficit ad salutem ut etiam explicite mysterium incarnationis credatur. Dicendum, quod est similitudo non quantum ad omnia, sed quantum ad quaedam de articulis: quia nesciunt eos distinguere, quamvis explicite cognoscant illud quod in articulis continetur. Tenentur autem explicite articulos scire de quibus Ecclesia solemnizat, et facit continuam mentionem, sicut de Trinitate. Credunt hoc quod ignorant. Hoc est contra illud quod superius dictum est, quod fides non est de ignotis. Dicendum, quod sicut implicite creditur, ita et implicite cognoscitur. Dicitur autem ignorari quod nescitur explicite. Solet etiam quaeri de fide Cornelii. Sciendum, quod Cornelius habebat fidem explicitam de mysterio incarnationis, quamvis suffecisset ei ad salutem, etiamsi de hoc fidem implicitam habuisset: sed non habebat fidem distinctam de tempore incarnationis; et ideo, quia hoc jam incipiebat esse necessarium ad salutem, missus fuit Petrus ad eum instruendum. Illud etiam non est praetermittendum, quod fides, spes, caritas, et operatio secundum aliquid aequalia sunt in praesenti. De hac aequalitate habituum, et operatione dicitur infra, distinct. 36. Hic tamen sciendum est quod operationem hic videtur nominare virtutes regulantes in opere exteriori, sicut sunt virtutes cardinales, quae etiam habent actus interiores, secundum quas oportet istam aequalitatem attendi. Vel si loquitur de operibus exterioribus, attendenda est aequalitas quantum ad formationem operis magis quam secundum quantitatem actus: quia interdum aliquis ex majori caritate facit opera ex suo genere minora quam alius majora. Non ideo post fidem et spem ponitur, quod ex eis oriatur. Contra, Matth. 1, 2: Abraham genuit Isaac, Isaac Jacob; idest, fides spem, spes caritatem. Dicendum, quod intelligitur quantum ad actus non quantum ad habitus. Non quod fides et spes causa vel tempore praecedant. Contra. Aliquis habet fidem qui non habet caritatem, sicut qui ficte accedit ad Baptismum fidem tantum habens. Dicendum, quod loquitur de fide et spe secundum quod est virtus.

 

 

 

Distinctio 26

Distinction 26 – [L’espérance]

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [La nature de l’espérance]

Prooemium

Prologue

 [10903] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 pr. Postquam Magister determinavit de fide, hic secundo determinat de spe; et dividitur in duas partes: in prima determinat de spe; in secunda ostendit in quibus spes invenitur, ibi: post hoc superest investigare, utrum fides et spes in Christo fuerint. Circa primum duo facit: primo determinat de spe secundum se; secundo de spe per comparationem ad fidem, ibi: et sicut fides, ita et spes est de invisibilibus. Et circa hoc duo facit; primo ostendit convenientiam inter fidem et spem; secundo differentiam, ibi: distinguitur tamen fides a spe. Post hoc superest investigare, utrum fides et spes in Christo fuerint. Hic ostendit, quorum sit habere fidem; et circa hoc duo facit: primo inquirit, utrum in Christo fuerit fides vel spes: secundo utrum in antiquis patribus in Limbo existentibus, ibi: de antiquis vero patribus (...) non incongrue dici potest, quod fidem et spem virtutem habuerint. Hic quaeruntur duo. Primo de spe secundum quod est passio. Secundo de ipsa secundum quod est virtus. Circa primum quaeruntur quinque: 1 utrum spes sit passio; 2 in quo sit; 3 de differentia ejus ad alias passiones; 4 utrum sit una de quatuor passionibus principalibus; 5 utrum possit esse in parte intellectiva.

Après avoir déterminé de la foi, le Maître détermine ici de l’espérance. Cela se divise en deux parties : dans la première, il détermine de l’espérance; dans la seconde, il montre chez qui se trouve l’espérance, à cet endroit : « Après cela, il reste à rechercher si la foi et l’espérance existaient chez le Christ. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il détermine de l’espérance en elle-même; deuxièmement, de l’espérance par comparaison avec la foi, à cet endroit : « Comme la foi, l’espérance aussi porte sur des réalités invisibles. » À ce sujet, il fait deux choses : premièrement, il montre ce qu’il y a de commun entre la foi et l’espérance; deuxièmement, leur différence, à cet endroit : « Cependant, la foi se distingue de l’espérance. » « Après cela, il reste à rechercher si la foi et l’espérance existaient chez le Christ. » Ici, il montre à qui il appartient d’avoir la foi. À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il se demande si la foi et l’espérance existaient chez le Christ; deuxièmement, si elle a existé chez les pères anciens qui se trouvent dans les limbes, à cet endroit : « À propos des pères anciens…, on peut dire sans inconvenance qu’ils ont eu la vertu de foi et d’espérance. » Ici, deux questions sont posées. Premièrement, à propos de l’espoir qui est une passion. Deuxièmement, à propos de l’espérance qui est une vertu. À propos du premier point, cinq questions sont posées : 1 – L’espoir est-il une passion ? 2 – En qui réside l’espoir ? 3 – Comment il se diversifie des autres passions. 4 – Est-il l’une des quatre passions principales ? 5 – Peut-il se trouver dans la partie intellective ?

 

 

Articulus 1 [10904] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 1 tit. Utrum spes sit passio

Article 1 – L’espoir est-il une passion ?

 [10905] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod spes non sit passio. Spes enim est expectatio. Sed expectatio dicit immobilitatem. Cum ergo omnis passio in motu consistat, videtur quod spes non sit passio.

1. Il semble que l’espoir ne soit pas une passion. En effet, l’espoir est une attente. Or, l’attente indique une immobilité. Puisque toute passion consiste dans un mouvement, il semble donc que l’espoir ne soit pas une passion.

 [10906] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, opposita sunt in eodem genere. Sed philosophus, 7 Physicor., dividit spem contra memoriam, dividens actiones utriusque ad invicem. Cum ergo memoria non sit passio, nec spes passio erit.

2. Les contraires se trouvent dans le même genre. Or, dans Physique, VII, le Philosophe distingue l’espoir de la mémoire, en distinguant les actions des deux les unes des autres. Puisque la mémoire n’est pas une passion, l’espoir non plus ne sera pas une passion.

 [10907] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, expectare a spectando dicitur. Spectare autem est videre. Cum ergo videre non sit passio animalis, secundum quod proprie loquimur de passionibus animae; videtur quod spes, quae est expectatio, non sit passio.

3. Attendre (expectare) vient de regarder (spectare). Or, regarder, c’est voir. Puisque voir n’est pas une passion animale, au sens propre où nous parlons des passions de l’âme, il semble donc que l’espoir, qui est une attente, ne soit pas une passion.

 [10908] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, passio animae in parte sensitiva est, ut dicit philosophus in 7 Physic. Sed spes, cum sit de futuro bono, non potest esse in parte sensitiva: quia sensus est praesentium tantum. Ergo spes non est passio.

4. Une passion de l’âme se trouve dans la partie sensible, comme le dit le Philosophe dans Physique, VII. Or, l’espoir, puisqu’il porte sur un bien futur, ne peut se trouver dans la partie sensible, car le sens ne porte que sur ce qui est présent. L’espoir n’est donc pas une passion.

 [10909] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, nihil patitur nisi ex praesentia agentis. Sed spes non est de praesentibus, sed de futuris. Ergo non est passio.

5. Rien ne subit que par la présence d’un agent. Or, l’espoir ne porte pas sur des réalités présentes, mais sur des réalités à venir. Il n’est donc pas une passion.

 [10910] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, spes contra timorem dividitur. Sed timor est passio. Ergo et spes.

Cependant, [1] l’espoir s’oppose à la crainte. Or, la crainte est une passion. Donc, l’espoir aussi.

 [10911] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, spes ad appetitivam potentiam pertinet: quia habet bonum pro objecto. Sed motus appetitivae partis dicitur passio animae: quia ad eum sequitur delectatio et tristitia, quod proprium est passionum, ut dicitur in 2 Ethic. Ergo ut prius.

 [2] L’espoir relève de la puissance appétitive, car il a le bien comme objet. Or, le mouvement de la partie appétitive s’appelle une passion de l’âme, car il en découle une délectation et une tristesse, ce qui est le propre des passions, comme il est dit dans Éthique, II. La conclusion est donc la même que précédemment.

 [10912] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 1 s. c. 3 Praeterea, praesens et praeteritum non diversificant genus. Sed gaudium, quod est de praesenti bono, est in genere passionis. Ergo et spes, quae est de bono futuro.

 [3] Le présent et le passé ne diversifient pas un genre. Or, la joie, qui porte sur un bien présent, fait partie du genre de la passion. Donc, l’espoir aussi, qui porte sur un bien futur.

 [10913] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod, sicut prius, dist. 15, dictum est, quamvis omnis operatio potentiarum animae, quae per sua objecta in actum reducuntur, sicut intellectus possibilis, sensus, et appetitus, possint dici passiones, tamen proprie loquendo passio est in operationibus appetitus sensitivae partis, secundum quod Damascenus dicit in 2 libro, quod passio est motus appetitivae virtutis sensibilis, qui est ex imaginatione boni vel mali. Spes autem dicit extensionem appetitus in illud quod appetibile est. Invenitur autem non solum in hominibus, sed etiam in aliis animalibus: quod patet, quia inveniuntur animalia operari propter aliquod bonum futurum aestimatum possibile, sicut aves faciunt nidum propter filiorum educationem: nec propter finem aliquid facerent nisi in finem illum quasi eis possibilem tenderent: quia naturalis appetitus non est impossibilium. Similiter etiam patet quod unum animal aggreditur aliud non nisi ex spe victoriae. Patet ergo quod spes sit in appetitu sensitivae partis, quae nobis et brutis communis est; et ita sequitur quod sit passio.

Réponse. Comme on l’a dit plus haut à la d. 15, bien que toutes les opérations des puissances de l’âme, qui sont amenées à l’acte par leurs objets, tels l’intellect possible, le sens et l’appétit, puissent être appelées des passions, cependant, à proprement parler, la passion se trouve dans les opérations de la partie sensible, selon ce que dit [Jean] Damascène dans le livre II, que « la passion est un mouvement de la puissance appétitive sensible, qui vient de la représentation du bien ou du mal ». Or, l’espoir désigne un élan de l’appétit vers ce qui est désirable. Mais il se rencontre non seulement chez les hommes, mais aussi chez les autres animaux : cela ressort du fait qu’on trouve que les animaux agissent en vue d’un certain bien futur estimé possible, comme les oiseaux font un nid pour l’éducation de leur progéniture; ils ne feraient rien en vue d’une fin s’ils ne tendaient vers cette fin comme possible pour eux, car l’appétit naturel ne porte pas sur des choses impossibles. De même aussi, il est clair qu’un animal n’en attaque pas un autre sans espoir d’une victoire. Il est donc clair que l’espoir se trouve dans l’appétit de la partie sensible. Il en découle donc qu’il est une passion.

 [10914] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod appetitivae partis duplex est motus: scilicet prosecutio et fuga. Objectum autem spei, quod est bonum difficile et arduum, ratione suae bonitatis natum est movere ad prosecutionem: sed ratione suae difficultatis natum est movere ad fugam. Hic tamen motus retardatur per spem: et ideo spes importat motum primum, in quo salvatur ratio passionis, tamen cum quiete privante secundum motum, qui est fuga.

1. Il existe un double mouvement de la partie appétitive : la poursuite et la fuite. Or, l’objet de l’espoir, qui est un bien difficile et ardu, est naturellement destiné à pousser à la poursuite en raison de sa bonté, mais, en raison de sa difficulté, il est destiné à pousser à la fuite. Cependant, ce mouvement est retenu par l’espoir. Ainsi, l’espoir comporte un premier mouvement, par lequel la raison de passion est sauve; il comporte cependant un repos qui le prive d’un second mouvement, qui est la fuite.

 [10915] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod dividitur spes contra memoriam non quantum ad essentiam suam, sed quantum ad affectum, qui est communis memoriae et spei, scilicet delectatio; unde non sequitur quod in genere conveniant.

2. L’espoir se distingue de la mémoire non par son essence, mais par le mouvement affectif qui est commun à la mémoire et à l’espoir : le plaisir. Il n’en découle donc pas qu’il se rejoignent dans un genre.

 [10916] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod frequenter nomina imponuntur rebus occultis, ex suis signis, sicut essentiales differentiae ex accidentibus nominantur. Signum autem alicujus quiescentis cum extensione appetitus in aliquid desideratum solet esse quod frequenter visum dirigit in illud, ut videat si ex aliqua parte ad ipsum accedat; et ideo dispositio praedicta quietis cum motu dicitur expectatio.

3. Les noms sont fréquemmenet donnés à des réalités occultes à partir de signes, comme les différences essentielles sont nommées à partir des accidents. Or, le signe de quelqu’un qui se repose, en même temps que son appétit tend vers quelque chose de désiré, est habituellement qu’il dirige fréquemment le regard vers cela, pour voir si cela s’approche de lui de quelque manière. C’est pourquoi cette disposition du repos accompagné d’un mouvement est appelée une attente.

 [10917] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut animalia cognoscunt rationem convenientis et nocivi non per inquisitionem rationis, ut homo, sed per instinctum naturae, qui dicitur aestimatio; ita etiam cognoscunt aliquid quod futurum est, sine hoc quod cognoscant rationem futuri, non conferendo praesens ad futurum, sed ex instinctu naturali, secundum quod aguntur ad aliquid agendum vel ex impulsu naturae interioris vel exterioris; sicut quando agunt aliquid ad praecavendum de futuris quae dependent ex motu caeli, quasi ex eo impulsa: unde ex eorum operibus homines possunt aliquid scire de hujusmodi futuris, sicut nautae praesciunt tempestatem futuram ex motu delphinorum ad superficiem aquae descendentium; et formicae veniente pluvia reponunt granum in cavernis.

4. De même que les animaux connaissent la raison de ce qui convient et de ce qui est nuisible, non par une recherche de la raison, comme l’homme, mais par un instinct de la nature, qu’on appelle l’estimation, de même connaissent-ils quelque chose qui est à venir sans connaître la raison de ce qui est à venir, sans mettre en rapport le présent et le futur, mais par un instinct naturel, par lequel ils sont mus à accomplir quelque chose, soit par l’impulsion de leur nature intérieure, soit [par l’impulsion de la nature] extérieure. Ainsi ils font quelque chose afin d’éviter des réalités à venir qui dépendent du mouvement du ciel, comme s’ils étaient poussés par cela. Aussi les hommes peuvent-ils apprendre par leurs actions les choses à venir de ce genre, comme les marins apprennent d’avance qu’une tempête s’en vient par le mouvement des dauphins qui nagent à la surface de l’eau, et [par] les fourmis qui déposent du grain dans des cavernes lorsque s’en vient la pluie.

 [10918] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod id quod est futurum secundum rem, potest esse praesens in imaginatione. Et quia bonum est natum movere appetitum secundum quod est imaginatum vel intellectum, ut dicitur in 3 de anima, ideo ex tali praesentia potest sequi passio in appetitu.

5. Ce qui est à venir dans la réalité peut être présent par l’imagination. Et parce que « le bien tend naturellement à mouvoir l’appétit selon qu’il est imaginé ou compris », ainsi qu’il est dit dans Sur l’âme, III, une passion peut donc découler dans l’appétit du fait d’une telle présence.

 

 

Articulus 2 [10919] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 2 tit. Utrum spes sit in alia vi quam in concupiscibili

Article 2 – L’espoir existe-t-il dans une autre puissance que le concupiscible ?

 [10920] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod spes non sit in alia vi quam in concupiscibili. Arduum enim vel difficile non addit aliquam rationem appetibilis supra bonum: quia difficile magis habet rationem fugibilis quam appetibilis. Arduum autem non differt a bono non arduo nisi secundum magis et minus. Sed vis concupiscibilis est boni quod desideratur. Cum ergo objectum spei sit bonum arduum vel difficile, videtur quod spes sit in concupiscibili.

1. Il semble que l’espoir n’existe dans aucune autre puissance que le concupiscible. En effet, ce qui est pénible ou difficile n’ajoute pas quelque raison de désirable au-delà du bien, car ce qui est difficile a davantage raison de ce qui doit être fui que de ce qui doit être désiré. Or, ce qui est pénible ne diffère d’un bien qui n’est pas pénible qu’en plus ou en moins. Or, la puissance concupiscible porte sur le bien qui est désiré. Puisque l’objet de l’espoir est un bien ardu ou difficile, il semble donc que l’espoir se trouve dans le concupiscible.

 [10921] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, sicut voluntas est boni appetibilis in parte intellectiva, ita concupiscibilis in parte sensitiva. Sed in parte intellectiva omne quod ad appetitum pertinet, est voluntas. Ergo et in parte sensitiva omne quod ad appetitum pertinet, est vis concupiscibilis; et ita, cum spes ad appetitum pertineat, ut dictum est, videtur quod sit in concupiscibili.

2. De même que la volonté porte sur le bien désirable dans la partie intellective, de même le concupiscible [le fait-il] dans la partie sensible. Or, pour la partie intellective, tout ce qui se rapporte à l’appétit est la volonté. Pour la partie sensible aussi, tout ce qui se rapporte à l’appétit est donc la puissance concupiscible. Ainsi, puisque l’espoir se rapporte à l’appétit, comme on l’a dit, il semble donc qu’il se trouve dans le concupiscible.

 [10922] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, gaudium et delectatio in concupiscibili sunt. Sed spes facit gaudium; Rom. 12, 12: spe gaudentes; et delectationem, ut dicit philosophus in 7 Physic. Ergo spes est in concupiscibili.

3. La joie et le plaisir se trouvent dans le concupiscible. Or, c’est l’espoir qui donne la joie, Rm 12, 12 : [Nous] réjouissant dans l’espérance, ainsi que le plaisir, comme le dit le Philosophe dans Physique, VII. L’espoir se trouve donc dans le concupiscible.

 [10923] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, praesens et futurum non diversificant appetitivam potentiam, cum accidant appetibili inquantum hujusmodi. Sed gaudium et spes non differunt nisi secundum id quod gaudium est de bono praesenti, spes autem de bono futuro. Ergo cum gaudium sit in concupiscibili, et spes in eodem erit.

4. Le présent et le futur ne diversifient pas la puissance appétitive, puisqu’ils surviennent à l’appétit en tant que tels. Or, la joie et l’espoir ne diffèrent que selon que la joie porte sur un bien présent, mais l’espoir sur un bien futur. Puisque la joie se trouve dans le concupiscible, l’espoir aussi s’y trouvera donc.

 [10924] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, ejusdem est moveri ad terminum, et in termino quiescere. Sed spes importat motum in aliquem terminum, in quem cum aliquis devenerit, gaudet. Cum ergo gaudere sit concupiscibilis, et sperare erit concupiscibilis.

5. Il revient à la même chose d’être mue vers un terme et de se reposer dans le terme. Or, l’espoir comporte un mouvement vers un terme; lorsque quelqu’un y parvient, il se réjouit. Puisque se réjouir relève du concupiscible, espérer aussi relèvera donc du concupiscible.

 [10925] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, concupiscibilis, per se loquendo, non ordinatur ad arduum, sed magis irascibilis. Cum ergo objectum spei sit arduum, oportet quod spes non sit in concupiscibili, sed in irascibili.

Cependant, [1] à parler en soi, le concupiscible n’est pas ordonné à ce qui est pénible, mais c’est plutôt le fait de l’irascible. Puisque l’objet de l’espoir est quelque chose de pénible, il est donc nécessaire que l’espoir ne soit pas dans le concupiscible, mais dans l’irascible.

 [10926] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, idem est subjectum contrariorum. Sed spei opponitur timor. Cum ergo timor sit in irascibili, non in concupiscibili, sicut et audacia, quae iterum timori opponitur; videtur quod spes etiam sit in irascibili.

 [2] Le sujet de contraires est une même chose. Or, la crainte s’oppose à l’espoir. Puisque la crainte se trouve dans l’irascible, et non dans le concupiscible, comme l’audace qui s’oppose à la crainte, il semble donc que l’espoir se trouve dans l’irascible.

 [10927] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 2 s. c. 3 Praeterea, ira sine spe esse non potest, ut dicit Avicenna in 6 de naturalibus; unde ex offensa illa de cujus vindicta non est spes (sicut cum quis a rege offenditur) non est ira, sed odium magis, vel timor. Ergo cum ira non sit in concupiscibili, nec spes.

 [3] « La colère ne peut exister sans espoir », comme le dit Avicenne dans Les réalités naturelles, VI; aussi n’y a-t-il pas de colère à propos de l’offense dont on n’espère pas tirer vengeance (comme lorsque quelqu’un est offensé par le roi), mais plutôt de la haine ou de la crainte. Puisque la colère ne se trouve pas dans le concupiscible, l’espoir non plus.

 [10928] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod potentiae passivae variantur, secundum quod sunt natae moveri a diversis activis, per se loquendo. Proprium autem motivum appetitivae virtutis est bonum apprehensum; unde oportet quod secundum diversas virtutes apprehendentes sint etiam diversi appetitus: scilicet appetitus rationis, qui est de bono apprehenso secundum rationem vel intellectum, unde est de bono apprehenso simpliciter et in universali: et appetitus sensitivus, qui est de bono apprehenso secundum vires sensitivas, unde est de bono particulari, et ut nunc. Sed quia potentia passiva non extendit se ad plura quam virtus sui activi, secundum quod dicit Commentator in 9 Metaphysic., quod nulla potentia passiva est in natura, cui non respondeat sua potentia activa naturalis; ideo appetitus sensitivus ad illa tantum bona se extendit ad quae se extendit apprehensio sensitiva. Quia autem, ut dicit Dionysius, 7 capit. de Divin. Nomin., divina sapientia conjungit fines primorum principiis secundorum, quia omnis natura inferior in sui supremo attingit ad infimum naturae superioris, secundum quod participat aliquid de natura superioris, quamvis deficienter; ideo tam in apprehensione quam in appetitu sensitivo invenitur aliquid in quo sensitivum rationem attingit. Quod enim animal imaginetur formas apprehensas per sensum, hoc est de natura sensitivae apprehensionis secundum se: sed quod apprehendat illas intentiones quae non cadunt sub sensu, sicut amicitiam, odium, et hujusmodi, hoc est sensitivae partis secundum quod attingit rationem. Unde pars illa in hominibus, in quibus est perfectior propter conjunctionem ad animam rationalem, dicitur ratio particularis, quia confert de intentionibus particularibus; in aliis autem animalibus, quia non confert, sed ex instinctu naturali habet hujusmodi intentiones apprehendere, non dicitur ratio, sed aestimatio. Similiter etiam ex parte appetitus, quod animal appetat ea quae sunt convenientia sensui, delectationem facientia, secundum naturam sensitivam est, et pertinet ad vim concupiscibilem; sed quod tendat in aliquod bonum quod non facit delectationem in sensu, sed magis natum est facere tristitiam ratione suae difficultatis, sicut quod animal appetat pugnam cum alio animali, vel aggredi aliam quamcumque difficultatem, hoc est in appetitu sensitivo secundum quod natura sensitiva attingit intellectivam; et hoc pertinet ad irascibilem. Et ideo sicut aestimatio est alia vis quam imaginatio, ita irascibilis est alia vis quam concupiscibilis. Objectum enim concupiscibilis est bonum quod natum est facere delectationem in sensu: irascibilis autem bonum quod difficultatem habet. Et quia quod est difficile, non est appetibile inquantum hujusmodi, sed vel in ordine ad aliud delectabile, vel ratione bonitatis quae difficultati admiscetur; conferre autem unum ad aliud, et discernere intentionem difficultatis et bonitatis in uno et eodem, est rationis: ideo proprie istud bonum appetere est rationalis appetitus: sed convenit sensitivae, secundum quod attingit per quamdam imperfectam participationem ad rationalem, non quidem conferendo vel discernendo, sed naturali instinctu movendo se in illud, sicut dictum est de aestimatione. Et per hoc patet etiam quod irascibilis est altior quam concupiscibilis, et propinquior rationi; et ideo incontinens propter concupiscentiam, qui nulla lege utitur, magis est turpis quam iracundus, qui utitur legibus, sed perversis, ut dicitur in 7 Ethic. Unde etiam vitia quae sunt in concupiscibili, sunt majoris infamiae quam ea quae sunt in irascibili. Ex his ergo jam planum est videre quae passio sit in irascibili, et quae in concupiscibili. Omnis enim passio de cujus intellectu est appetitus in bonum vel conveniens simpliciter, est in concupiscibili, sicut amor et delectatio et hujusmodi, et eorum opposita. Omnis autem passio de cujus intellectu est appetitus in bonum cum circumstantia difficultatis, est in irascibili: et hujusmodi sunt omnia illa quae important bonum vel malum cum determinatione alicujus quantitatis, sicut ira, quae non ex qualibet laesione consurgit, sed ex ea quam potest aliquis vindicare, et tamen non habet in promptu vindictam. Timor etiam non est de quolibet malo, sed de malo cui non potest resisti, vel difficulter resistitur. Spes autem importat motum appetitus in aliquod bonum commensuratum appetenti: non enim est de bono tanto ad quod nullo modo possit perveniri, nec iterum de tam parvo quod pro nihilo habeatur; sed de eo quod est possibile haberi, et tamen est difficile ad habendum, propter quod dicitur arduum. Unde patet quod spes, secundum quod est passio, est in irascibili.

Réponse. À parler en soi, les puissances passives varient selon qu’elles sont destinées à être mues par diverses réalités actives. Or, l’objet propre qui meut la puissance appétitive est le bien perçu. Il faut donc que, selon les diverses puissances qui perçoivent, existent des appétits différents : l’appétit de la raison, qui porte sur le bien appréhendé par la raison et l’intellect – aussi porte-t-il sur le bien appréhendé simplement et de manière universelle; et l’appétit sensible, qui porte sur le bien appréhendé par les puissances sensibles – aussi porte-il sur un bien particulier et actuel. Or, parce qu’une puissance passive ne s’étend pas à plus de choses que ce qui meut la puissance, selon ce que dit le Commentateur dans Métaphysique, IX, qu’il n’existe dans la nature aucune puissance passive à laquelle ne corresponde sa puissance active naturelle, l’appétit sensible s’étend donc seulement aux biens auxquels s’étend la perception sensible. Puisque, comme Denys le dit dans Les noms divins, VII, la sagesse divine a uni les fins des premières choses aux principes des choses secondes – car toute nature inférieure atteint par ce qu’il y a de supérieur en elle ce qui est inférieur dans la nature supérieure, bien que de manière déficiente ‑, il se trouve donc, tant dans la perception que dans l’appétit sensible, quelque chose par quoi ce qui est sensible atteint la raison. En effet, le fait que l’animal imagine des formes appréhendées par le sens vient de la nature de la perception sensible en elle-même; mais qu’il appréhende les intentions qui ne tombent pas sous le sens, comme l’amitié, la haine et les choses de ce genre, cela vient de la partie sensible selon qu’elle est en contact avec la raison. Chez les hommes, cette partie, qui est plus parfaite en raison de l’union à l’âme raisonnable, est appelée raison particulière, parce qu’elle traite des intentions particulières; mais, chez les autres animaux, parce qu’elle ne les traite pas, mais est en mesure d’appréhender les intentions de ce genre par un instinct naturel, elle n’est pas appelée raison, mais estimative. Il en va aussi de même du côté de l’appétit : c’est par sa nature sensible que l’animal désire ce qui convient au sens et produit du plaisir, et cela relève de la puissance concupiscible; mais qu’il tende à un bien qui ne produit pas de plaisir dans le sens, mais qui, par sa nature, produit plutôt de la tristesse en raison de sa difficulté, comme le fait pour un animal de désirer se battre avec un autre animal ou de s’attaquer à n’importe quelle autre difficulté, cela revient à l’appétit sensible selon que la nature sensible est en contact avec la [nature] intellective, et cela relève de l’irascible. Puisque l’estimative est une autre puissance que l’imagination, de même donc l’irascible est-il une autre puissance que le concupiscible. En effet, l’objet du concupiscible est le bien qui, par sa nature, produit une délectation dans le sens, mais celui qui l’irascible est le bien qui comporte une difficulté. Et parce que ce qui est difficile n’est pas désirable en tant que tel, mais par rapport à quelque chose d’autre qui est désirable ou en raison d’une bonté qui est mêlée à la difficulté, rapprocher une chose de l’autre et discerner l’intention de la difficulté et de la bonté dans une seule et même chose relève de la raison. C’est pourquoi désirer ce bien relève à proprement parler de l’appétit de la raison. Mais cela convient à la partie sensible selon qu’elle parvient à une certaine participation à la partie raisonnable, non pas en comparant ou en discernant, mais en s’y portant par un instinct naturel, comme on l’a dit de l’estimative. De cela ressort que l’irascible est plus élevé que le concupiscible et plus proche de la raison. C’est pourquoi l’incontinent par concupiscence, qui ne recourt à aucune loi, est plus repoussant que le coléreux, qui recourt à des lois, mais qui sont perverses, comme il est dit dans Éthique, VII. Aussi les vices qui se trouvent dans le concupiscible sont-ils plus honteux que ceux qui se trouvent dans l’irascible. Par cela, on peut donc clairement voir quelle passion se trouve dans l’irascible, et laquelle se trouve dans l’irascible. En effet, toute passion où l’on saisit l’appétit d’un bien ou de ce qui convient simplement se trouve dans le concupiscible, tels l’amour, le plaisir, et celles de ce genre, et leurs contraires. Mais toute passion dont on comprend qu’elle est l’appétit d’un bien associé à une difficulté se trouve dans l’irascible : telles sont celles qui comportent un bien ou un mal déterminé par une certaine quantité, comme la colère, qui n’est pas issue de n’importe quelle blessure, mais de celle que quelqu’un peut venger, alors qu’il ne peut la venger facilement. De même, la crainte ne vient pas de n’importe quel mal, mais d’un mal auquel on ne peut résister ou auquel on résiste difficilement. Mais l’espoir comporte un mouvement de l’appétit vers un bien proportionné à celui qui le désire. En effet, elle ne porte pas seulement sur un bien auquel on ne peut parvenir d’aucune manière, ni sur un bien si petit qu’il ne peut être tenu pour rien, mais sur celui qu’il est possible de posséder, mais qu’il est difficile de posséder, ce pour quoi on le dit ardu. Il est donc clair que l’espoir, selon qu’il est une passion, se trouve dans l’irascible.

 [10929] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod difficile vel arduum addit quamdam specialem rationem bonitatis, scilicet pretiositatem quamdam, ex hoc ipso quod non de facili habetur, sicut dicitur omne rarum, carum.

1. La difficulté ou le caractère ardu ajoute une raison particulière de bonté : un certain caractère précieux, par le fait même qu’on ne l’atteint pas facilement, comme tout ce qu’on appelle rare et cher.

 [10930] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod natura rationalis ex seipsa conferre habet et discernere; unde bonum quod est ex seipso appetibile, vel quod indiget collatione et discretione ad hoc quod appetatur, secundum naturam rationalis apprehensionis appetitum rationalem movet; et ideo ex hoc non diversificatur appetitus rationalis, sed dicitur voluntas universaliter. Non sic autem est de appetitu sensitivo, ut patet ex dictis.

2. La nature raisonnable peut par elle-même mettre rapprocher et discerner; aussi le bien qui est désirable par lui-même ou qui a besoin d’être comparé et jugé pour être désiré meut-il l’appétit raisonnable selon la nature de la perception raisonnable. C’est pourquoi l’appétit raisonnable n’est pas par là diversifié, mais il est appelé volonté d’une manière universelle. Mais il n’en va pas de même pour l’appétit sensible, comme cela ressort de ce qui a été dit.

 [10931] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in quantum spes est de difficili et arduo non delectat, sed magis affligit, cum ex hoc ipso sit distans; sed inquantum est de bono possibili acquiri, sic facit delectationem: quia sicut quod est in potentia, jam habet inchoationem sui esse; ita quod apprehenditur ut possibile adipisci, apprehenditur ut jam quodammodo praesens: et ideo spes delectationem facit; et haec delectatio non est in concupiscibili, sed in irascibili. Quaelibet enim potentia appetit sibi conveniens, et de eo delectatur, ut infra, dicetur. Bonum autem arduum ex hoc ipso quod est possibile adipisci est conveniens irascibili; unde in ipsum tendit.

3. Pour autant que l’espoir porte sur ce qui est difficile et ardu, il ne donne pas de plaisir, mais plutôt de l’affliction, puisque, par là même, il est éloigné. Mais pour autant qu’il porte sur un bien qu’il est possible d’acquérir, il provoque ainsi le plaisir, car de même que ce qui est en puissance possède déjà une amorce de son être, de même ce qui est appréhendé comme possible à acquérir est-il appréhendé comme étant présent d’une certaine manière. Aussi l’espoir provoque-t-il un plaisir, et ce plaisir ne se trouve pas dans le concupiscible, mais dans l’irascible. En effet, toute puissance désire ce qui lui convient et s’en délecte, comme on le dira plus loin. Or, le bien ardu, du fait même qu’il est possible de l’acquérir, convient à l’irascible. Aussi celui-ci tend-il vers lui.

 [10932] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod objectum irascibilis est bonum difficile: quod autem habetur, jam non est difficile, sed tantum dum non habetur; et ideo non omnes passiones irascibilis sunt futuri, sicut timor et spes.

4. L’objet de l’irascible est le bien difficile. Or, ce qui est déjà possédé n’est plus difficile, mais seulement lorsqu’il n’est pas possédé. Aussi toutes les passions de l’irascible ne portent-elles pas sur le futur, comme la crainte et l’espoir.

 [10933] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod objectum irascibilis est bonum difficile, quod quandoque habet bonitatem ex ordine ad aliud. Unde in actu vel motu irascibilis est duplex terminus. Primus est proximus, secundum quod terminatur in objectum proprium, ut quando consequitur victoriam. Et quia proprium objectum irascibilis habet difficultatem, ideo non est delectabile alicui simpliciter, sed est delectabile ei secundum hanc vim, cujus actus est perfectus per hoc quod pertingit ad objectum proprium, quod jam consecutum est; sicut quando aliquis delectatur de hoc quod vincit, quamvis simpliciter sensibilem dolorem de vulneribus sustineat, et de fatigatione tristitiam habeat; et ideo haec delectatio non est concupiscibilis, sed est proprie irascibilis, sicut delectatio quae est propria in actu videndi est propria ipsius visus. Secundus terminus est ultimus finis, in quem objectum proprium ordinatum est. Hoc autem est aliquid quod secundum seipsum est conveniens et delectabile, sicut quod animal postquam vincit aliud animal, utitur ad libitum propria voluntate; et haec delectatio pertinet ad concupiscibilem. Irascibilis enim ad conservationem concupiscibilis ordinatur, ut scilicet propter difficultatem intervenientem delectatio conveniens non praetermittatur. Et ideo dicit Damascenus, quod ira est audax concupiscentiae vindex; et propter hoc etiam dicit philosophus in 6 de animalibus, quod animalia pugnant ad invicem propter cibum et propter coitum: quia circa has delectationes praecipue est concupiscibilis.

5. L’objet de l’irascible est le bien difficile, qui parfois tient sa bonté de son ordre à quelque chose d’autre. Ainsi y a-t-il deux termes dans l’acte ou le mouvement de l’irascible. Le premier est prochain, selon qu’il se termine à son objet propre, comme lorsqu’il remporte la victoire. Et parce que l’objet propre de l’irascible comporte une difficulté, il n’est donc pas délectable en lui-même pour quelqu’un, mais il est délectable pour lui selon la puissance dont l’acte est parfait par le fait qu’il atteint son objet propre, qui est déjà obtenu, comme lorsque quelqu’un tire plaisir du fait de vaincre, bien qu’il supporte simplement une douleur sensible en raison de ses blessures et soit triste en raison de la fatigue. C’est pourquoi un tel plaisir ne relève pas du concupiscible, mais relève à proprement parler de l’irascible, comme le plaisir qui est propre à l’acte de voir est propre à la vue elle-même. Le second terme est la fin ultime, à laquelle l’objet propre est ordonné. Or, c’est là quelque chose qui convient et donne plaisir par soi, comme le fait pour un animal, après qu’il l’a emporté sur un autre animal, de faire usage de sa propre volonté quand il le veut. Une telle délectation relève du concupiscible. En effet, l’irascible est ordonné à la conservation du concupiscible, à savoir qu’en raison d’une difficulté qui survient, on ne laisse pas échapper une délectation appropriée. C’est pourquoi [Jean] Damascène dit que « la colère est l’audacieuse vengeresse de la concupiscence »; pour cette raison aussi, le Philosophe dit, dans Sur les animaux, VI, que « les animaux se battent pour la nourriture et le rapport sexuel, car le concupiscible porte principalement sur ces délectations ».

Articulus 3 [10934] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 3 tit. Utrum spes differat ab aliis passionibus, scilicet timore et cetera

Article 3 – L’espoir est-il différent des autres passions, comme la crainte, etc. ?

 [10935] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod spes non differat ab aliis passionibus. Spes enim importat expectationem. Sed omnis motus appetitus videtur esse expectatio, quae nihil aliud dicit quam protensionem in aliquod bonum. Ergo spes non distinguitur ab aliis passionibus quae ad appetitum pertinent.

1. Il semble que l’espoir ne diffère par des autres passions. En effet, l’espoir comporte une attente. Or, tout mouvement de l’appétit semble être une attente, qui n’exprime rien d’autre que le fait de se projeter vers un bien. L’espoir ne se distingue donc pas des autres passions qui relèvent de l’appétit.

 [10936] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, expectatum bonum est objectum spei, quae est expectatio. Sed expectatum bonum concupiscentiam constituit, ut dicit Damascenus 2 Lib. Ergo concupiscentia est idem quod spes.

2. Le bien attendu est l’objet de l’espérance, qui est une attente. Or, « le bien attendu constitue la concupiscence », comme le dit [Jean] Damascène dans le livre II. La concupiscence est donc la même chose que l’espoir.

 [10937] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, idem motus est a termino et in terminum. Sed timor dicit motum appetitus a malo, spes autem dicit motum ejusdem in bonum. Ergo idem est timor et spes.

3. Le même mouvement vient d’un terme et va vers un terme. Or, la crainte exprime le mouvement de l’appétit qui s’éloigne d’un mal, mais l’espoir exprime le mouvement du même appétit vers un bien. La crainte est donc la même chose que l’espoir.

 [10938] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, sicut se habet album et nigrum ad visum; ita se habet bonum et malum ad appetitum. Sed album et nigrum non diversificant neque potentiam visivam neque passiones ejus. Ergo nec bonum et malum diversificant passiones appetitus; et ita timor et spes non sunt diversae passiones, quamvis sint de bono et malo.

4. Le rapport entre le blanc et le noir et la vue est le même que celui du bien et du mal avec l’appétit. Or, le blanc et le noir ne diversifient ni la puissance visuelle ni ses passions. Le bien et le mal non plus ne diversifient donc pas les passions de l’appétit. Et ainsi, la crainte et l’espoir ne sont pas des passions différentes, bien qu’ils portent sur le bien et le mal.

 [10939] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, spes, ut dictum est, art. praec. in corp., dicit protensionem appetitus in aliquod arduum. Sed hoc idem invenitur in audacia, confidentia, sive fiducia, et ira. Ergo omnia ista sunt idem quod spes.

5. Comme on l’a dit dans le corps de l’article précédent, l’espoir exprime le fait pour l’appétit de se projeter vers quelque chose d’ardu. Or, la même chose se trouve dans l’audace, dans la confiance ou l’assurance, et dans la colère. Toutes ces choses sont donc identiques à l’espoir.

 [10940] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, quorum definitiones sunt diversae, et ipsa differunt. Sed definitio spei non convenit aliis passionibus. Ergo et spes ab aliis passionibus distinguitur.

Cependant, [1] les choses dont les définitions sont différentes sont différentes. Or, la définition de l’espoir ne convient pas aux autres passions. L’espoir se distingue donc aussi des autres passions.

 [10941] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, quaecumque sunt idem, unum non potest esse sine altero. Sed spes potest esse sine aliis. Ergo spes ab aliis differt.

 [2] L’une ne peut exister sans l’autre parmi toutes les choses qui sont identiques. Or, l’espoir peut exister sans les autres [passions]. L’espoir diffère donc des autres.

 [10942] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 3 s. c. 3 Praeterea, motus differunt penes terminos. Sed non est idem terminus seu objectum spei, et aliarum passionum: quia speratum bonum est objectum spei; non autem, per se loquendo, aliarum passionum. Ergo spes differt ab aliis passionibus.

 [3] Les mouvements se différencient par leurs termes. Or, le terme ou l’objet de l’espérance n’est pas le même que celui des autres passions, car le bien espéré est l’objet de l’espoir, mais non celui des autres passions à proprement parler. L’espoir diffère donc des autres passions.

 [10943] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod passiones animae, de quibus loquimur, primo distinguuntur ex hoc quod quaedam important bonum et malum absolute; et hae pertinent ad concupiscibilem: quaedam vero important aliquam mensuram boni vel mali, ut ex praedictis patet; et hae pertinent ad irascibilem. Passionum ergo in concupiscibili existentium quaedam important habitudinem concupiscibilis ad suum objectum; quaedam vero motum ipsius respectu objecti; quaedam vero impressionem relictam in ipsa ex praesentia objecti. Cum autem objectum appetitus sit bonum vel malum, quodlibet istorum per haec duo dividitur. Amor enim importat habitudinem concupiscibilis ad bonum; odium vero ad malum: quia amor amatum ponit connaturale, et quasi unum amanti; cujus contrarium facit odium. Et quia haec habitudo perficitur ex praesentia objecti, ideo amor secundum perfectam sui rationem est habiti, ut dicit Augustinus. Motus autem concupiscibilis in bonum, dicitur desiderium: in malum autem est innominatus, sed dicatur fuga. Impressio vero relicta in concupiscibili ex praesentia boni, dicitur delectatio vel gaudium; sed praesentia mali dicitur tristitia vel dolor. Qualiter autem tristitia et dolor differant, supra, distinct. 15, dictum est. Eodem etiam modo differunt delectatio sensibilis et gaudium. Laetitia autem dicit effectum gaudii in dilatatione cordis; unde dicitur laetitia quasi latitia: exultatio autem effectum ipsius in signis exterioribus, inquantum gaudium interius ad exteriora prorumpens, quodammodo exilit. Quia autem irascibilis propter concupiscibilem est animalibus data, ut non deficiat in suo actu; ideo passiones irascibilis ex passionibus concupiscibilis originem habent. Adjuvat autem concupiscibilem irascibilis et in bono et malo. In bono quidem, ut delectabile concupiscibili conveniens non obstante difficultate prosequatur: in malo autem, ut nocivum difficile repellat. Passio ergo irascibilis vel oritur ex passione concupiscibilis, quam facit apprehensio appetibilis, vel quam facit praesentia ipsius. Si primo modo, vel respectu boni, et hoc vel possibilis consequi, in quod tendendum est, et sic est spes; vel non possibilis, quod dimittendum est, et sic est desperatio: aut respectu mali, et hoc vel possibilis repelli, cui resistendum est, et sic est audacia; vel non possibilis repelli, quod fugiendum est, et sic est timor. Si autem ex praescientia appetibilis, hoc non potest esse respectu boni: quia ex quo concupiscibilis suo delectabili fruitur, non indiget irascibili, quia non habet difficultatem in illo; sed est respectu mali quod repellendum est et difficultatem habens; et sic causatur ira, si est possibile repelli: alias passio in concupiscibili sistit. Et ideo ira non habet passionem contrariam, neque secundum contrarietatem boni vel mali, sicut gaudium et tristitia, quae contrarietas est propria passionum concupiscibilis, neque secundum contrarietatem possibilis et non possibilis, sicut spes et desperatio, quae contrarietas est propria passionum irascibilis. Sciendum tamen, quod ira causatur non solum ex re inconvenienti praesente, sicut cum quis irascitur de vulneratione, sed etiam ex inconvenienti aliquando praesente, sicut cum quis irascitur ex injuriis illatis; et etiam ex apprehensione habiti inconvenientis; et ideo ira causatur ex dolore quantum ad primum, et ex tristitia, ut dicit Damascenus, quantum ad secundum. Sic ergo passiones animae per essentiales differentias dividuntur. Inveniuntur etiam diversificari nomina passionum per differentias accidentales: quae quidem accidunt vel ipsi passioni, ut intentio ejus; vel ex objecto. Si primo modo, sic concupiscentia dicit intensionem desiderii: zelus intensionem amoris, non patiens consortium in amato: abominatio intensionem odii: exultatio intensionem gaudii, ut in signo exteriori prorumpat generaliter; et similiter hilaritas quantum ad signum quod ostenditur in facie; et jucunditas quantum ad signa quae ostenduntur etiam in actibus; accidia autem intensionem tristitiae, intantum ut immobilitet hominem, actionem retardans; unde dicitur a Damasceno, quod est tristitia aggravans, idest immobilitans, vel achos, inquantum prohibet locutionem: quia, ut dicit Damascenus, est vocem auferens: praesumptio autem intensionem spei: audacia autem excessum confidentiae in aggrediendo terribilia; furor autem intensionem irae. Cum autem objectum proprium et per se istarum passionum sit bonum vel malum apparens: ea quae accidentaliter se habent ad haec faciunt accidentalem differentiam in passionibus ex parte objecti: sicut tristitia quae est de malo quod est apparens malum tristanti; hoc autem accidit esse bonum vel malum alteri. Si ergo tristitia sit de malo quod est malum alteri, et per hoc apprehenditur malum ipsi tristanti, sic est misericordia. Si autem sit bonum alteri, et per hoc apprehenditur ut malum proprium, sic est invidia, quae est tristitia de prosperitate bonorum, vel Nemesis, quae est tristitia de prosperitate malorum, ut dicitur 2 Ethic. Similiter etiam timor distinguitur: quia malo difficili superanti facultatem timentis accidit aliquid dupliciter: vel ex parte ipsius mali, vel ex parte timentis. Primo modo accidit sibi turpitudo; et hoc vel in se, et sic est verecundia quae est de turpi actu; vel in opinione, et sic est erubescentia, quae est timor de convicio, ut dicit Damascenus: vel verecundia de turpitudine culpae, erubescentia de turpitudine poenae. Ex parte autem timentis sumuntur accidentales differentiae timoris hoc modo: quia terribile vel excedit facultatem timentis in agendo, et sic est segnities, vel ignavia, quae est timor futurae operationis, ut dicit Damascenus; vel in cognoscendo, et hoc tripliciter: vel propter cognoscibilis altitudinem, et sic est admiratio quae est timor ex magna imaginatione; vel propter ejus inconsuetudinem, et sic est stupor, qui est timor ex inassueta imaginatione; vel propter incertitudinem, et sic est agonia, quae est timor infortunii; et hoc idem dicitur trepidatio vel dubitatio. Sic ergo patet quomodo spes ab aliis passionibus differat, et quomodo etiam omnes aliae passiones ab invicem distinguantur.

Réponse. Les passions de l’âme dont nous parlons se distinguent premièrement par le fait que certaines comportent le bien et le mal de manière absolue : celles-ci relèvent du concupiscible; mais certaines comportent une certaine mesure de bien ou de mal, comme cela ressort de ce qui a été dit plus haut : celles-ci relèvent de l’irascible. Parmi les passions qui se trouvent dans le concupiscible, certaines comportent donc un rapport entre le concupiscible et son objet; mais certaines, un mouvement de celui-ci vers son objet, et certaines, l’empreinte laissée en lui par la présence de l’objet. Or, puisque l’objet de l’appétit est le bien ou le mal, chacun d’eux se distingue par ces deux choses. En effet, l’amour comporte un rapport entre le concupiscible et le bien; mais la haine, avec le mal, car l’amour rend ce qui est aimé connaturel et comme un avec celui qui aime; la haine produit le contraire. Et parce que ce rapport se réalise par la présence de l’objet, « l’amour, selon sa parfaite raison, a donc pour objet ce qui est possédé », comme le dit Augustin. Mais le mouvement du concupiscible vers le bien est appelé le désir; vers le mal, il ne porte pas de nom, mais appelons-le la fuite. L’empreinte laissée dans le concupiscible par la présence du bien est appelée délectation ou joie; mais, par la présence du mal, elle est appelée tristesse ou douleur. Comment la tristesse et la douleur diffèrent, on l’a dit plus haut, d. 15. De la même manière aussi diffèrent la délectation sensible et la joie. L’allégresse exprime l’effet de la joie par la dilatation du cœur; on parle donc de l’allégresse (laetitia) comme d’une largeur (latitia). L’exultation (exultatio) est son effet dans des signes extérieurs, pour autant que la joie, jaillissant de l’intérieur vers l’extérieur, s’élance vers le dehors (exilit). Mais parce que l’irascible a été donné aux animaux en fonction du concupiscible, afin que celui-ci ne fasse pas défaut dans son acte, les passions de l’irascible tirent leur origine des passions du concupiscible. Or, l’irascible vient en aide au concupisicible pour le bien et pour le mal. Pour le bien, afin que ce qui est délectable et convient au concupiscible soit poursuivi malgré la difficulté; pour le mal, afin qu’il repousse ce qui est nuisible et difficile. Une passion de l’irascible vient donc d’une passion du concupiscible, que suscite la perception de ce qui est désirable, ou que suscite sa présence. Si c’est de la première manière, [elle porte] sur le bien : celui-ci peut être poursuivi et il faut tendre vers lui, et l’on a alors l’espoir; ou il n’est pas possible et doit être écarté, et l’on a alors le désespoir. Ou bien elle porte sur le mal, qu’il lui est possible de repousser et auquel il faut résister, et l’on a alors l’audace; ou il ne lui est pas possible de le repousseer et il doit être fui, et l’on a alors la crainte. Mais si cela vient d’une prescience de ce qui est désirable, cela ne peut porter sur un bien, car du fait que le concupiscible jouit de ce qui lui est délectable, il n’a pas besoin de l’irascible, puisqu’il n’y rencontre pas de difficulté; on a ainsi la colère, s’il est possible de le repousser; autrement, la passion s’arrête au concupiscible. C’est pourquoi la colère n’a pas de passion contraire, ni selon le caractère contraire du bien ou du mal, comme la joie et la tristesse ‑ un tel caractère contraire est propre aux passions du concupiscible ‑, ni selon le caractère contraire de ce qui est possible et non possible, comme l’espoir et le désespoir – un tel caractère contraire est propre aux passions de l’irascible. Il faut cependant savoir que la colère est causée non seulement par une chose présente qui ne convient pas, comme lorsque quelqu’un se met en colère pour une blessure, mais aussi par une chose qui ne convient pas et est parfois présente, comme lorsque quelqu’un se met en colère en raison de blessures infligées, et aussi en raison de la perception de ce qu’on a et qui ne convient pas. C’est pourquoi la colère est causée par la douleur dans le premier cas, et par la tristesse dans le second, ainsi que le dit [Jean] Damascène. Les passions de l’âme se divisent donc selon leurs différences essentielles. On trouve aussi que les noms des passions se diversifient selon leurs différences essentielles, qui surviennent soit à la passion elle-même, telle son intensité, soit en raison de son objet. S’il s’agit de la première manière, la concupiscence indique ainsi l’intensité du désir; l’ardeur, l’intensité de l’amour, qui ne souffre pas le partage de l’aimé; l’abomination, l’intensité de la haine; l’exultation, l’intensité de la joie, de sorte qu’elle jaillit comme un signe extérieur d’une manière générale; de même, l’hilarité, du point de vue du signe qui se manifeste sur le visage, et la gaieté, du point de vue des signes qui se manifestent aussi dans les actes. Mais le dégoût (accidia/acedia) [manifeste] l’intensité de la tristesse, au point où elle immobilise un homme en retardant son action; aussi est-elle appelée par [Jean] Damascène une tristesse écrasante, c’est-à-dire immobilisante ou achos, dans la mesure où elle empêche de parler, car, ainsi que le dit [Jean] Damascène, « elle enlève la voix »; mais la présomption [indique] l’intensité de l’espoir, alors que l’audace [indique] l’excès de confiance dans l’attaque de réalités épouvantables; la fureur, l’intensité de la colère. Mais lorsque l’objet propre et par soi de ces passions est un bien ou un mal apparent, ce qui se rapporte à ceux-ci donnent aux passions une différence accidentelle du point de vue de l’objet, comme la tristesse qui porte sur un mal qui est un mal apparent pour celui qui s’attriste : il arrive que cela soit un bien ou un mal pour quelqu’un d’autre. Si donc la tristesse porte sur un mal qui est un mal pour un autre et que cela est perçu comme un mal pour celui qui s’attriste, on a alors la miséricorde. Mais s’il s’agit d’un bien pour un autre et que cela est perçu comme son propre mal, on a alors l’envie, qui est une tristesse devant la prospérité des bons, ou la nemesis, qui est une tristesse devant la prospérité des méchants, comme le dit Éthique, II. De même aussi y a-t-il une distinction à l’intérieur de la crainte, car quelque chose est associé de deux manières à un mal difficile qui dépasse la capacité de celui qui craint : soit du point de vue du mal lui-même, soit du point de vue de celui qui craint. Dans le premier cas, l’infamie lui est associée en soi, et l’on a ainsi la honte qui porte sur un acte infâme; ou par l’opinion, et l’on a ainsi « la gêne, qui est la crainte de la raillerie », comme le dit [Jean] Damascène; ou l’embarras à propos du caractère infâme de la faute et la honte à propos du caractère infâme de la peine. Du point de vue de celui qui craint, les différences accidentelles de la crainte sont envisagées de cette manière : soit ce qui est terrible dépasse la capacité d’agir de celui qui craint, et on a la lâcheté ou la faiblesse, qui est une crainte de l’action à venir, comme le dit [Jean] Damascène; soit [sa capacité] de connaître, et cela de trois manières. Soit en raison de l’élévation de ce qui peut être connu : on a ainsi l’étonnement, qui est une crainte venant d’une grande imagination; soit en raison de son caractère inusité : on a ainsi la stupéfaction, qui est la crainte venant d’une représentation imaginative inhabituelle; soit en raison de l’incertitude : on a ainsi l’angoisse, qui est la crainte d’un malheur. On appelle la même chose épouvante ou doute. La manière dont l’espoir diffère des autres passions et aussi la manière dont toutes les autres passions se distinguent les unes des autres sont ainsi claires.

 [10944] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod, sicut supra dictum est, art. 1 hujus quaest. ad 1 et 3, expectare importat protensionem appetitus in aliquid cum quiete privante fugam vel recessum. Haec autem quies contingit ex difficultate ejus in quod motus appetitus tendit, sed non in promptu est ut habeatur: quod enim in promptu est, sine mora acquiritur. Et quia bonum cum difficultate, proprie est objectum irascibilis, ideo expectare proprie ad irascibilem pertinet tendentem in aliquod bonum. Habet autem se ad spem sicut commune ad proprium, inquantum spes addit certitudinem circa expectationem.

1. Comme on l’a dit plus haut, à l’a. 1 de cette question, ad 1 et ad 3, attendre comporte le fait pour l’appétit de se projeter vers quelque chose, accompagné d’une pause qui empêche la fuite ou le retrait. Cette pause vient de la difficulté de ce vers quoi tend le mouvement de l’appétit, mais qui n’est pas à portée d’être obtenu; ce qui est à la portée est obtenu sans délai. Et parce que le bien difficile est à proprement parler l’objet de l’irascible, attendre relève donc à proprement parler de l’irascible qui tend vers un bien. Il se rapporte à l’espérance comme ce qui est général à ce qui est propre, pour autant que l’espérance ajoute la certitude à l’attente.

 [10945] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Damascenus loquitur large: accipit enim expectatum bonum pro bono quod nondum habetur, quod quidem commune est concupiscentiae et spei.

2. [Jean] Damascène parle au sens large : en effet, il considère le bien attendu comme un bien qui n’est pas encore possédé, ce qui est effectivement commun à la concupiscence et à l’espérance.

 [10946] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod motus a termino et in terminum quandoque sunt contrarii, quandoque idem, quandoque disparati. Si enim termini a quo et ad quem sunt contrarii, sic motus est contrarius, sicut a nigredine in albedinem. Si autem sit idem terminus a quo et in quem, sic motus sunt idem, sicut motus ab albedine et in albedinem. Si autem sint diversi, non contrarii, sic motus sunt diversi disparati, sicut motus ab albedine et ad calorem. His modis ultimis spes et timor se habent: quia contrarietas quae attenditur in irascibili, est secundum facile et difficile, sive possibile et impossibile; non autem circa bonum et malum, quia circa hoc est concupiscibilis. Unde si consideretur propria ratio obiecti irascibilis, sic timor contrariatur spei: quia timor est a difficili, ad quod est spes. Si autem consideretur ratio difficilis, sic sunt disparata: quia timor a difficili est in genere malorum; spes autem a difficili in genere bonorum.

3. Les mouvements depuis un terme et vers un terme sont parfois contraires, parfois identiques et parfois disparates. En effet, si les termes a quo et ad quem sont contraires, le mouvement est ainsi contraire, comme le passage de la noirceur à la blancheur. Mais si les terme a quo et in quem sont identiques, les mouvements sont alors identiques, comme le mouvement de la blancheur à la blancheur. Mais si [les termes] sont divers mais non pas contraires, alors les mouvements sont divers et disparates, comme le mouvement depuis la blancheur et vers la chaleur. L’espoir et la crainte se comportent de ces dernières façons, car la contrariété qui est prise en compte dans l’irascible est celle qui existe entre le facile et le difficile, ou entre le possible et l’impossible, mais non entre le bien et le mal, car c’est le concupiscible qui porte sur cela. Si donc on envisage la raison propre de l’irascible, la crainte est ainsi contraire à l’espoir, car la crainte porte sur ce qui vient de quelque chose de difficile, alors que l’espoir se dirige vers lui. Mais si on envisage la raison de ce qui est difficile, alors ils sont disparates, car la crainte qui vient de ce qui est difficile fait partie du genre des maux, mais l’espoir qui vient de ce qui est difficile fait partie du genre des biens.

 [10947] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod passiones cognitivarum virtutum sunt a rebus secundum esse spirituale. Et quia secundum hoc esse non habent contraria contrarietatem, ideo non causantur contrariae passiones ex contrariis in potentiis cognitivis. Sed passiones appetitivae sunt ex rebus secundum suum esse naturale: quia appetitus est de bono et malo, quae sunt in rebus, ut dicit philosophus in 6 Metaph.; et ideo cum secundum esse naturale contrarietatem habeant, contrarias passiones causant.

4. Les passions des puissances cognitives viennent des choses selon un être spirituel. Parce que, selon cet être, les contraires n’ont pas de caractère contraire, les passions contraires ne sont donc pas causées par des contraires dans les puissances cognitives. Mais les passions de l’appétit viennent des choses selon leur être naturel, car l’appétit porte sur le bien et le mal, qui existent dans les choses, comme le dit le Philosophe dans Métaphysique, VI. C’est pourquoi elles causent des passions contraires parce qu’elles ont un caractère contraire selon leur être naturel.

 [10948] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod cum arduum sive difficile sit proprium objectum irascibilis, differentiae facientes oppositiones in passionibus irascibilis sunt difficile facultatem superans, vel non superans; et utrumque est vel bonum vel malum. Fiducia ergo, seu confidentia, importat motum irascibilis, in id quod aestimatur ut facultatem non excedens, quod quidem specialiter circa bona importat spes, circa mala autem audacia, nisi quod audacia excessum importat quandoque, unde in malum quandoque accipitur. Motus autem appetitus in id quod aestimatur ut superans facultatem sive in bonum sive in malum, est diffidentia. In bonum autem specialiter est desperatio, in malum autem timor. Ira autem est passio composita ex audacia vel dolore, et spe, ut ex dictis patere potest.

5. Puisque ce qui est ardu ou difficile est l’objet propre de l’irascible, les différences qui créent des oppositions entre les passions de l’irascible sont ce qui est difficile dépassant la capacité ou ne la dépassant pas; et les deux sont soit un bien, soit un mal. L’assurance ou la confiance comporte donc un mouvement de l’irascible vers ce qui est estimé ne pas dépasser la capacité, ce que comportent spécialement l’espoir à propos des biens, et l’audace à propos des maux, sauf que l’audace comporte parfois un excès, ce qui la fait parfois considérer comme un mal. Mais le mouvement de l’appétit vers ce qui est estimé dépasser la capacité soit en bien soit en mal est le manque de confiance (diffidentia); en bien d’une manière particulière, ce sera le désespoir; en mal, la crainte. Mais la colère est une passion composée d’audace ou de douleur et d’espoir, comme cela peut ressortir de ce qui a été dit.

 

 

Articulus 4 [10949] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 4 tit. Utrum spes sit principalis passio, vel amor, vel desiderium, vel audacia, vel poenitentia

Article 4 – L’espoir est-il une passion principale, ou l’amour, le désir, l’audace ou la pénitence ?

 [10950] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod spes non sit principalis passio. Amor enim vehementius affectionem immutat quam spes; unde hominem extra se facit, ut dicit Dionysius, 4 cap. de Div. Nom. Sed amor non ponitur una de principalibus passionibus. Ergo neque spes.

1. Il semble que l’espoir ne soit pas une passion principale. En effet, l’amour modifie l’affectivité avec plus de force que l’espoir; aussi fait-il sortir l’homme de lui-même, comme le dit Denys, Les noms divins, IV. Or, l’amour n’est pas donné comme l’une des passions principales. Donc, ni l’espoir.

 [10951] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, concupiscere est de futuro bono, sicut et spes. Sed concupiscentia, vel desiderium, non ponitur passio principalis. Ergo nec spes.

2. Désirer avec concupiscence porte sur un bien futur, comme aussi l’espoir. Or, la concupiscence ou le désir n’est pas donné comme une passion principale. Donc, ni l’espoir.

 [10952] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, denominatio semper fit a principaliori. Sed irascibilis denominatur ab ira. Ergo est principalior spe, quae est in irascibili.

3. La dénomination se fait toujours à partir de ce qui est principal. Or, l’irascible tire son nom de la colère. Elle vient donc avant l’espoir, qui se trouve dans l’irascible.

 [10953] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, objectum irascibilis est difficile et arduum. Sed audacia tendit in arduum magis quam spes, vel non minus. Ergo audacia est magis principalis quam spes.

4. L’objet de l’irascible est une chose difficile et ardue. Or, l’audace tend davantage ou pas moins que l’espoir vers ce qui est ardu. L’audace vient donc avant l’espoir.

 [10954] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 4 arg. 5 Praeterea, sicut spes est de futuro, ita poenitentia est de praeterito. Sed praeteritum est certius quam futurum. Cum ergo poenitentia non ponatur principalis passio, nec spes principalis passio debet poni.

5. De même que l’espoir porte sur le futur, de même la pénitence porte-t-elle sur le passé. Or, le passé est plus sûr que le futur. Puisque la pénitence n’est pas donnée comme une passion principale, l’espoir non plus ne doit pas être donné comme une passion principale.

 [10955] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed contra est quod Boetius in Lib. de Consolat., dicit: gaudia pelle, pelle timorem; spemque fugato, nec dolor adsit: et ita spes connumeratur aliis principalibus passionibus.

Cependant, [1] Boèce dit dans le livre Sur la consolation : « Suscite la joie, suscite la crainte; donne espoir au fuyard et qu’il n’y ait pas de douleur! » Ainsi l’espoir est-il compté parmi les passions principales.

 [10956] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, spes opponitur quodammodo timori. Sed timor est principalis. Ergo et spes.

 [2] L’espoir est opposé d’une certaine manière à la crainte. Or, la crainte est une passion principale. Donc, l’espoir aussi.

 [10957] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 4 s. c. 3 Praeterea, passio quae est in concupiscibili de bono, est principalis, sicut gaudium. Ergo eadem ratione passio quae est de bono in irascibili, est principalis. Haec autem est spes. Ergo spes est principalis passio.

 [3] La passion qui se trouve dans le concupiscible et qui porte sur un bien est une passion principale, telle la joie. Donc, pour la même raison, la passion qui porte sur le bien qui se trouve dans l’irascible est-elle aussi principale. Or, tel est l’espoir. L’espoir est donc une passion principale.

 [10958] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod principalitas passionis in duobus consistit: quorum unum est ex parte objecti, ut scilicet passio sequatur secundum rationem et aptitudinem objecti, scilicet ut bonum prosequatur et malum fugiat; secundum est ex parte ipsius passionis, ut scilicet motus ille perfectus sit quantum possibile est secundum genus illud. Et ideo in concupiscibili sunt duae principales passiones tantum, scilicet, gaudium et tristitia: quia motus concupiscibilis terminatur in ipsa re conjuncta, quae facit gaudium et tristitiam; et iterum bonum de sua ratione natum est facere gaudium, inquantum est conveniens; et tristitiam, inquantum nocivum est. In irascibili etiam sunt tantum duae, scilicet timor et spes; quia in his perficitur motus irascibilis quantum est possibile in genere illo, unde non important motum perfectum simpliciter; sed inquantum possibile est in genere irascibilis: quia motus irascibilis, inquantum hujusmodi, non perficitur ad praesens, ut prius dictum est, art. praec., sicut concupiscibilis; sed perficitur in certitudine inclinationis respectu sui objecti. Unde timor et spes habent quamdam certam inclinationem ad objectum suum: timor ad non posse fugere malum, spes ad posse consequi bonum; unde confidentia non dicitur principalis passio, quae habeat certitudinem, nec importat. Similiter etiam timor consequitur ex malo inquantum est malum, quia de natura sui habet ut fugiatur; spes autem ex ratione boni inquantum est bonum, quia de natura sui habet ut expectetur. Et ideo consuevit numerus principalium passionum hoc modo accipi. Quia aut sunt de praesenti, in quo perficitur motus concupiscibilis; aut de futuro in quo consistit motus irascibilis, inquantum est de difficili. Si primo modo, aut de bono, et sic est gaudium; aut de malo, et sic est tristitia. Si secundo modo, aut de bono, et sic est spes; aut de malo, et sic est timor.

Réponse. Le caractère principal d’une passion tient à deux choses : l’une vient de l’objet, à savoir que la passion suive la raison et la convenance de l’objet, de sorte qu’elle recherche le bien et fuie le mal; la seconde vient de la passion elle-même, à savoir que ce mouvement soit aussi parfait que possible dans ce genre. C’est pourquoi il n’y a que deux passions principales dans le concupiscible : la joie et la tristesse, car le mouvement du concupiscible se termine dans la chose même qui est unie, et qui donne la joie et la tristesse. De plus, le bien, par sa raison, est destiné à donner la joie pour autant qu’il convient, et la tristesse pour autant qu’il est nuisible. Dans l’irascible aussi il n’y a que deux passions principales : la crainte et l’espoir, car le mouvement de l’irascible atteint en eux sa perfection autant qu’il est possible dans ce genre; il ne comporte donc pas un mouvement parfait simplement, mais autant qu’il est possible dans le genre de l’irascible, car le mouvement de l’irascible, en tant que tel, n’atteint pas sa perfection dans le présent comme le concupiscible, ainsi qu’on l’a dit à l’article précédent, mais il atteint sa perfection dans la certitude de l’inclination à son objet. La crainte et l’espoir ont donc une certaine inclination vers leur objet : la crainte, vers le fait de ne pouvoir obtenir un bien; l’espoir, vers le fait de pouvoir obtenir un bien. Aussi la confiance n’est-elle pas appelée une passion principale, qui aurait une certitude, et elle ne la dénote pas. De même, la crainte découle du mal en tant que mal, car il est de sa nature qu’il soit fui. Mais l’espoir [découle] de la raison du bien en tant que bien, car il est de sa nature qu’il soit attendu. C’est pourquoi on a coutume de comprendre le nombre des passions principales de cette manière. Soit elles portent sur le présent, dans lequel s’accomplit le mouvement du concupiscible; soit sur le futur, dans lequel consiste le mouvement de l’irascible, pour autant qu’il porte sur ce qui est difficile. Dans le premier cas, soit [elles portent] sur le bien : on a alors la joie; soit sur le mal : on a ainsi la tristesse. Dans le second cas, soit sur le bien : on a ainsi l’espoir; soit sur le mal : on a ainsi la crainte.

 [10959] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod amor non dicit terminum in motu concupiscibilis, cum non sequatur ex conjunctione rei, sicut delectatio vel gaudium.

1. L’amour n’indique pas le terme du mouvement du concupiscible puisqu’il ne découle pas de l’union avec la chose, comme la délectation ou la joie.

 [10960] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod motus concupiscibilis potest ulterius terminari quantum ad futurum; et ideo concupiscentia et desiderium non sunt passiones principales: motus autem irascibilis non; et ideo in futuro terminatur; et propter hoc spes et timor sunt principales passiones.

2. Un mouvement du concupiscible peut se terminer par la suite pour ce qui est du futur. C’est pourquoi la concupiscence et le désir ne sont pas des passions principales, mais le mouvement de l’irascible non plus; aussi se termine-t-il dans le futur. Pour cette raison, l’espoir et la crainte sont des passions principales.

 [10961] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod potentia in qua est spes, denominatur ab ira, quia est ultimum in passionibus ejus: denominatio autem consuevit fieri ab his quae sunt ultima in re. Non tamen est principalis, quia habet motum in nocivum, non quidem fugiendum, quod est de ratione mali et nocivi, sed aggrediendum.

3. La puissance où réside l’espoir tire son nom de la colère parce qu’elle est ce qu’il y a d’ultime dans ses passions. Or, les dénominations ont coutume d’être faites à partir de ce qui est ultime dans un chose. Elle n’est cependant pas principale parce qu’elle a un mouvement contre ce qui nuit, non pas pour fuir ce qui a caractère de mal et de nuisible, mais pour s’y attaquer.

 [10962] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum similiter dicendum est de audacia, quod timor qui fugam importat, consequitur ex ratione mali, quod de se est fugibile, non autem aggressibile, quod audacia facit; et ideo non est principalis passio.

4. Il faut dire la même chose de l’audace : la crainte qui comporte la fuite découle de la raison de mal, qui de soi est motif de fuite, mais non d’attaque, ce que fait l’audace. C’est pourquoi elle n’est pas une passion principale.

 [10963] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod poenitentia continetur sub tristitia. Unde sciendum est, quod omnes praedictae passiones ad has principales passiones reducuntur vel sicut species ad genus, sicut admiratio ad timorem; vel sicut imperfectum ad perfectum, sicut concupiscentia ad gaudium; vel sicut effectus ad causam, et participans ad participatum, sicut audacia et ira ad spem: quia spes tendit in bonum arduum, quod de se est tale ut in illud debeat tendi; audacia autem et ira tendunt in arduum nocivum repellendum; quod quidem non est tale ut in ipsum tendi debeat, sed magis ut fugiatur; tendunt tamen in ipsum inquantum participat aliquid de ratione boni, quod est victoria ipsius; et ideo etiam spes participatur quodammodo in audacia et ira, sicut quod est per se, in eo quod est per accidens.

5. La pénitence est comprise sous la tristesse. Il faut donc savoir que toutes les passions mentionnées se ramènent à ces passions principales, soit comme une espèce à un genre, comme l’étonnement à la crainte, soit comme ce qui est imparfait à ce qui est parfait, comme la concupiscence à la joie, soit comme un effet à sa cause et ce qui participe à ce qui est participé, comme l’audace et la colère à l’espoir, car l’espoir tend vers un bien ardu, qui de soi est tel qu’on doive y tendre; mais l’audace et la colère tendent vers un bien ardu nuisible qu’il faut repousser : il n’est toutefois pas tel qu’on doive y tendre, mais plutôt qu’on doive le fuir. Cependant, elles tendent à la même chose pour autant que celle-ci participe à la raison de bien, qui est sa victoire. Aussi y a-t-il d’une certaine manière participation à l’espoir dans l’audace et la colère, comme ce qui existe par soi dans ce qui existe par accident.

 

 

Articulus 5 [10964] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 5 tit. Utrum spes possit esse in parte intellectiva

Article 5 – L’espoir peut-il exister dans la partie intellective ?

 [10965] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod spes non possit esse in parte intellectiva. Quia passiones sunt tantum in parte sensitiva, ut dicit philosophus 7 Physic. Sed spes est passio. Ergo est in parte sensitiva.

1. Il semble que l’espoir ne puisse exister dans la partie intellective, car « les passions se trouvent seulement dans la partie sensible », comme le dit le Philosophe dans Physique, VII. Or, l’espoir est une passion. Elle se trouve donc dans la partie sensible.

 [10966] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 5 arg. 2 Praeterea, ea quae sunt in parte intellectiva, sunt ipsius animae secundum se sine hoc quod communicat corpori. Spes vero non est ipsius animae secundum se, sed cum conjunctione corporis, eadem ratione qua gaudium et amor, ut dicitur in 1 de anima. Ergo spes non est in parte intellectiva.

2. Ce qui se trouve dans la partie intellective fait partie de l’âme même en elle-même, sans qu’elle rejoigne le corps. Or, l’espoir ne fait pas partie de l’âme en elle-même, mais dans son union avec le corps, pour la même raison que la joie et l’amour, ainsi qu’il est dit dans Sur l’âme, I. l’espoir ne se trouve donc pas dans la partie intellective.

 [10967] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea, subjectum spei est irascibilis. Sed irascibilis non est in parte intellectiva, sed in sensitiva, quae animus dicitur in 3 de anima. Cum ergo passio non excedat subjectum suum, nec spes erit in rationali.

3. Le sujet de l’espoir est l’irascible. Or, l’irascible ne se trouve pas dans la partie intellective, mais dans la partie sensible, qui est appelée animus dans Sur l’âme, III. Puisque la passion ne dépasse pas son sujet, l’espoir ne se trouvera donc pas dans la partie rationnelle.

 [10968] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 5 arg. 4 Praeterea, sicut dicit philosophus in Lib. de Memor., memoria non est in parte intellectiva: quia concernit determinatam temporis differentiam, scilicet praeteritum. Sed sicut memoria concernit praeteritum, ita spes concernit futurum. Ergo spes non potest esse in parte intellectiva.

4. Ainsi que le dit le Philosophe dans Livre sur la mémoire, « la mémoire ne se trouve pas dans la partie intellective, car elle concerne une différence déterminée du temps », à savoir le passé. Or, de même que la mémoire concerne le passé, de même l’espoir concerne-t-il le futur. L’espoir ne peut donc pas se trouver dans la partie intellective.

 [10969] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 5 arg. 5 Praeterea, in parte intellectiva non sunt contrariae passiones: quia delectationi quae est secundum intellectum, nihil est contrarium, ut dicit philosophus 1 Topic. Cum ergo spes sit passio contrarietatem habens ad timorem et desperationem, videtur quod non possit esse in parte intellectiva.

5. Dans la partie intellective, il n’y a pas de passions contraires, car rien n’est contraire à la délectation qui vient de l’intellect, comme le dit le Philosophe, Topiques, I. Puisque l’espoir est une passion qui est contraire à la crainte et au désespoir, il semble qu’il ne puisse se trouver dans la partie intellective.

 [10970] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 5 s. c. 1 Sed contra, quidquid invenitur communiter in Deo et in nobis de operibus animae, ad partem intellectivam pertinet, quae solum est immaterialis, et in hoc Deo similis. Sed delectatio convenit non solum nobis, sed etiam Deo, ut dicitur in 7 Ethic., quia ipse simplici operatione gaudet. Ergo delectatio est in nobis etiam in parte intellectiva; et ita eadem ratione spes, quae est de delectatione futura.

Cependant, [1] tout ce qu’on trouve de commun entre Dieu et nous dans les opérations de l’âme se rapporte à la partie intellective, qui seule est immatérielle et est en cela semblable à Dieu. Or, la délectation ne convient pas à nous seuls, mais aussi à Dieu, comme on le dit dans Éthique, VII, car il se réjouit par une opération simple. La délectation existe donc aussi en nous dans la partie intellective, et ainsi, pour la même raison, l’espoir, qui porte sur une délectation future.

 [10971] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 5 s. c. 2 Praeterea, quidquid permanet in nobis post separationem animae a corpore, hoc ad partem intellectivam pertinet, quae sola est separabilis, secundum philosophum. Sed spes est hujusmodi: quia erat in illis patribus qui in Limbo erant, ut dicitur in littera. Ergo spes est in parte intellectiva.

 [2] Tout qui ce dure en nous après la séparation de l’âme et du corps se rapporte à la partie intellective, car elle seule peut être séparée, selon le Philosophe. Or, l’espoir est de cette sorte, car il se trouvait chez les pères qui étaient dans les limbes, comme le dit le texte. L’espoir se trouve donc dans la partie intellective.

 [10972] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 5 s. c. 3 Praeterea, ad quamcumque potentiam pertinet objectum passionis, et passio. Sed objectum spei est arduum bonum, quod etiam ad intellectivam partem pertinere potest. Ergo spes potest esse in parte intellectiva.

 [3] La passion se rapporte à la puissance à laquelle se rapporte l’objet de la passion. Or, l’objet de l’espoir est un bien ardu, qui peut aussi concerner la partie intellective. L’espoir peut donc exister dans la partie intellective.

 [10973] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod operationes sensitivae sunt nobis magis notae quam operationes partis intellectivae: quia cognitio nostra incipit a sensu, et terminatur ad intellectum. Et quia ex notioribus minus nota cognoscuntur, nomina autem ad innotescendum rebus imponuntur; ideo nomina operationum sensitivae partis transferuntur ad operationes intellectivae partis, et ulterius ex humanis in divina. Et hoc patet in apprehensivis operationibus: quia illud quod certitudinaliter quasi praesens tenemus per intellectum, dicimur sentire, vel videre; et imaginari dicimur, cum quidditatem rei intellectu concipimus; et sic de aliis: quamvis ista diversimode intelligantur, cum dicuntur de apprehensione sensitiva quae apprehendit materialiter et in particulari; et de intellectiva, quae apprehendit immaterialiter et in universali. Et ideo etiam imponitur nomen intellectivae operationi, per quod discernitur a sensitiva, sicut intelligere et scire, et hujusmodi. Similiter nomina operationum appetitivae sensibilis partis transferuntur in operationes appetitivae intellectivae partis: tamen in sensitiva parte sunt per modum materialis passionis, in parte autem intellectiva per modum simplicis actus non materialiter; et ideo etiam aliqua nomina imponuntur appetitui intellectivo, quae ipsum distinguunt ab aliis, sicut velle, eligere, et hujusmodi. Sic ergo spes in parte sensitiva nominat quamdam passionem materialem, sed in parte intellectiva simplicem operationem voluntatis immaterialiter tendentis in aliquod arduum.

Réponse. Les opérations sensibles nous sont mieux connues que les opérations de la partie intellective, car notre connaissance commence par le sens et se termine dans l’intelligence. Et parce que ce qui est moins connu est connu à partir de ce qui est plus connu, et que les noms sont donnés aux choses pour les faire connaître, les noms des opérations sensibles sont transférés aux opérations de la partie intellective, bien plus, des [opérations] humaines aux [opérations] divines. Et cela est manifeste pour les opérations de perception, car ce que nous considérons par l’intelligence comme présent de manière certaine, nous disons que nous le sentons ou le voyons; et nous disons que nous imaginons lorsque nous concevons la quiddité d’une chose par l’intellect, et ainsi de suite. Cela est cependant compris de manière différente lorsque cela est dit de la perception sensible qui perçoit de manière matérielle et particulière, et de la perception intellectuelle, qui perçoit de manière immatérielle et universelle. C’est pourquoi aussi nous donnons un nom à l’opération intellectuelle, par lequel elle est distinguée de l’opération sensible, comme intelliger et savoir, et [les noms] de ce genre. De même, les noms des opérations de la partie appétitive sensible sont-ils transférés aux opérations de la partie appétitive intellectuelle; cependant, dans la partie sensible, elles existent par mode de passion matérielle, mais, dans la partie intellectuelle, par mode d’acte simple et de manière non matérielle. C’est pourquoi certains noms sont aussi donnés à l’appétit intellectuel, qui le distinguent des autres, tels vouloir, choisir et ceux de ce genre. Ainsi donc, l’espoir de la partie sensible désigne une passion matérielle, mais, dans la partie intellectuelle, une opération simple de la volonté tendant de manière immatérielle à quelque chose d’ardu.

 [10974] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod spes, secundum quod est in appetitu rationali, scilicet voluntate, non est passio proprie loquendo, ut patet ex his quae dicta sunt 15 dist., quaest. 2, art. 1, in corp.

1. L’espoir, selon qu’il existe dans l’appétit rationnel, c’est-à-dire la volonté, n’est pas une passion à proprement parler, comme cela ressort de ce qui a été dit à la d. 15, q. 2, a. 1, c.

 [10975] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod philosophus loquitur ibi de istis secundum quod sunt passiones sensitivae partis, et ita indigent corpore materialiter: vel secundum quod sunt in parte intellectiva, quae indiget corpore, inquantum accipit a sensibus, vel a sensitivis potentiis, quantum ad statum viae.

2. Le Philosophe en parle là selon qu’il s’agit de passions de la partie sensible : elles ont ainsi matériellement besoin du corps. Ou bien, [il en parle] selon qu’elles se trouvent dans la partie intellective, qui a besoin du corps pour autant qu’elle reçoit des sens ou des puissances sensibles, pour ce qui est de l’état de cheminement (statum viae).

 [10976] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quidam distinguunt irascibilem humanam et brutalem, similiter et concupiscibilem; et dicunt, quod brutalis est in parte sensitiva, humana autem in parte intellectiva. Sed hoc non est verum: quia appetitus rationalis non dividitur per irascibilem et concupiscibilem, ut prius dictum est art. 2: unde irascibilis dicitur humana non per essentiam, sed per participationem, sicut dicit philosophus in 1 Ethic., et etiam Damascenus in 2 Lib. Unde quod objicitur quod spes in irascibili est; verum est de spe secundum quod est passio.

3. Certains distinguent l’irascible humain de l’irascible de l’animal sans raison; de même font-ils pour le concupiscible. Ils disent que ceux de l’animal sans raison se trouvent dans la partie sensible, mais que ceux de l’homme [se trouvent] dans la partie intellectuelle. Mais cela n’est pas vrai, car l’appétit rationnel ne se divise pas en irascible et concupiscible, comme on l’a dit plus haut, a. 2. Aussi l’irascible est-il appelé humain non pas par essence, mais par participation, comme le dit le Philosophe dans Éthique, I, et aussi [Jean] Damascène, dans le livre II. L’objection que l’espoir se trouve dans l’irascible est donc vraie de l’espoir selon qu’il est une passion.

 [10977] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod intellectiva apprehensio est secundum motum a rebus in animam; et quia in anima intellectiva recipitur aliquid abstractum ab omnibus conditionibus materialibus individuantibus, ideo nulla apprehensio intellectiva concernit aliquod tempus determinate, quamvis possit esse de quolibet tempore: unde componendo et dividendo implicat tempus, ut dicitur in 3 de anima: et ideo etiam memoria cum sit pars imaginis quae est in parte intellectiva, est omnium temporum, ut dictum est in 1 Lib., dist. 3. Operatio autem appetitus est secundum motum ab anima in res; et ideo quia res per se cadunt sub hic et nunc, ideo et operatio intellectivi appetitus potest aliquod tempus concernere.

4. La saisie intellectuelle se réalise selon le mouvement des choses vers l’âme; parce qu’est reçu dans l’âme intellectuelle quelque chose qui est abstrait de toutes ses conditions matérielles individuantes, aucune saisie intellectuelle ne concerne donc un temps de manière déterminée, bien que cela puisse exister en n’importe quel temps. Ainsi, la composition et la division impliquent le temps, comme on le dit dans Sur l’âme, III. Puisque la mémoire est elle aussi une partie de l’image qui se trouve dans la partie intellectuelle, elle est donc de tous les temps, comme on l’a dit dans le livre I, d. 3. Or, l’opération de l’appétit se réalise par un mouvement de l’âme vers les choses. Parce que les choses existent par elles-mêmes ici et maintenant, l’opération de l’appétit intellectuel peut donc concerner un temps.

 [10978] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod delectatio, ut prius dictum est, ex duobus consurgit. Uno modo ex ipso actu qui est conveniens potentiae; et hoc modo delectationi intellectus non est aliquid contrarium. Cum enim intelligibile omnino immaterialiter in intellectu recipiatur, non potest aliquam laesionem intellectui inferre, sicut sensibile excellens, quod corrumpit sensum. Et ideo omnis actus intellectus est conveniens intellectui, et delectabilis, quidquid sit illud quod intelligitur; et sic delectationi intellectus non est aliquid contrarium. Alio modo consurgit delectatio ex conjunctione rei convenientis, circa quam est operatio. Et quia id quod apprehenditur, potest esse conveniens intelligenti, vel inconveniens, inquantum est res quaedam, licet inquantum intellectum, semper sit conveniens; ideo ex parte ista delectationi quae est in parte intellectiva, potest esse tristitia contraria, non quae sit passio, ut dictum est.

5. Comme on l’a dit plus haut, la délectation vient de deux choses. Premièrement, de l’acte lui-même qui convient à la puissance : de cette manière, il n’existe rien de contraire à la délectation de l’intellect. En effet, puisque l’intelligible est reçu dans l’intellect de manière tout à fait immatérielle, il ne peut provoquer une blessure dans l’intellect, comme un objet sensible très puissant, qui corrompt le sens. C’est pourquoi tout acte de l’intellect convient à l’intellect et est délectable, quel qu’en soit l’objet. Il n’y a ainsi rien qui soit contraire à la délectation de l’intellect. D’une autre manière, la délectation provient de l’union avec la chose qui convient et sur laquelle porte l’opération. Parce que ce qui est saisi peut convenir à l’intellect ou ne pas lui convenir, pour autant que c’est une certaine chose, bien que, pour autant que cela est intelligé, cela convienne toujours, de ce point de vue, il peut exister une tristesse, mais qui n’est pas une passion, comme on l’a dit, contraire à la délectation qui existe dans la partie intellectuelle

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [L’espérance comme vertu]

Prooemium

Prologue

 [10979] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 pr. Deinde quaeritur de spe secundum quod est virtus; et circa hoc quaeruntur quinque: 1 utrum spes sit virtus; 2 utrum sit theologica; 3 quomodo se habeat ad alias virtutes theologicas; 4 de certitudine ipsius; 5 quorum sit habere spem.

On s’interroge eensuite sur l’espérance en tant que vertu. À ce propos, cinq questions sont posées : 1 – L’espérance est-elle une vertu ? 2 – Est-elle une vertu théologale ? 3 – Quel rapport a-t-elle avec les autres vertus théologales ? 4 – À propos de sa certitude. 5 – À qui revient-il d’espérer ?

 

 

Articulus 1 [10980] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 1 tit. Utrum spes sit virtus

Article 1 – L’espérance est-elle une vertu ?

 [10981] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod spes non sit virtus. Spes enim dividitur contra timorem, gaudium, et tristitiam. Sed nullum istorum ponitur in genere virtutis; quinimmo tristitia ponitur in genere vitii, quantum ad accidiam et invidiam: ponitur etiam inter sacramenta quantum ad poenitentiam; gaudium autem in genere fructus, ut patet Gal. 5; timor autem in genere doni, ut dicitur Isa. 11. Ergo neque spes debet esse virtus.

1. Il semble que l’espérance ne soit pas une vertu. En effet, l’espérance se distingue de la crainte, de la joie et de la tristesse. Or, aucune de celles-ci n’est placée dans le genre de la vertu; bien plus la tristesse est placée dans le genre du vice, pour ce qui est de l’acédie et de l’envie; elle est placée aussi parmi les sacrements, pour ce qui est de la pénitence. Mais la joie [est] placée dans le genre du fruit, comme cela ressort de Ga 5, et la crainte, dans le genre du don, comme il est dit en Is 11. L’espérance ne doit donc pas non plus être une vertu.

 [10982] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, sicut virtutes infusae ordinantur ad aliquod arduum, quod est vita aeterna; ita et virtutes acquisitae ad aliquod arduum, quod est felicitas civilis, vel contemplativa. Sed philosophi tractantes de virtutibus acquisitis, non posuerunt spem esse virtutem. Ergo apud theologos spes non debet poni virtus.

2. De même que les vertus infuses sont ordonnées à quelque chose d’ardu, qui est la vie éternelle, de même aussi les vertus acquises [sont-elles ordonnées] à quelque chose de difficile, qui est la félicité civile ou contemplative. Or, les philosophes qui traitent des vertus acquises n’ont pas affirmé que l’espérance est une vertu. L’espérance ne doit donc pas être donnée comme une vertu chez les théologiens.

 [10983] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, nulla virtus provenit ex meritis: quia virtutem Deus operatur in nobis sine nobis, ut Augustinus ait. Sed spes provenit ex meritis, ut in littera dicitur. Ergo spes non est virtus.

3. Aucune vertu ne provient de mérites, car « Dieu réalise en nous la vertu sans nous », comme le dit Augustin. Or, l’espérance provient de mérites, comme il est dit dans le texte. L’espérance n’est donc pas une vertu.

 [10984] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, nulla virtus opponitur alicui bono: quia bonum bono non est contrarium, sicut malum malo, ut dicitur in praedicamentis. Sed spes opponitur timori, quod est bonum et laudabile. Ergo spes non est virtus.

4. Aucune vertu ne s’oppose à un bien, car le bien n’est pas contraire au bien, comme le mal au mal, comme il est dit dans les Prédicaments. Or, l’espérance s’oppose à la crainte, ce qui est bien et louable. L’espérance n’est donc pas une vertu.

 [10985] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 1 arg. 5 Praeterea, nulla virtus habet actum mercenarium: quia virtus operatur bonum propter seipsum. Sed spes habet actum mercenarium, cum intendat in remunerationem. Ergo spes non est virtus.

5. Aucune vertu n’a un acte mercenaire, car la vertu fait le bien pour lui-même. Or, l’espérance a un acte mercenaire, puisqu’elle a en vue une récompense. L’espérance n’est donc pas une vertu.

 [10986] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 1 s. c. 1 Sed contra, nihil inducit ad vitam aeternam, nisi virtus. Sed spes inducit ad vitam aeternam, ut patet in Psal. 5, 12: laetentur omnes qui sperant in te: in aeternum exultabunt, et habitabis in eis. Ergo spes est virtus.

Cependant, [1] rien ne mène à la vie éternelle que la vertu. Or, l’espérance mène à la vie éternelle, comme cela ressort de Ps 5, 12 : Que se réjouissent tous ceux qui espèrent en toi : ils exulteront pour l’éternité et tu habiteras en eux! L’espérance est donc une vertu.

 [10987] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, spes est propinquior caritati, quae est mater omnium virtutum, quam fides, quia est in affectu. Sed fides est virtus. Ergo et spes.

 [2] L’espérance est plus proche de la charité, qui est la mère de toutes les vertus, que la foi, car elle se trouve dans l’affectivité. Or, la foi est une vertu. Donc, l’espérance aussi.

 [10988] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 1 s. c. 3 Praeterea, nihil est meritorium, nisi actus virtutis. Sed spei actus est meritorius: quia a confusione liberat. Psal. 30, 1: in te domine speravi: non confundar in aeternum. Ergo spes est virtus.

 [3] Rien n’est méritoire que l’acte de vertu. Or, l’acte d’espérance est méritoire, car il libère de l’humiliation. Ps 30, 1 : En toi, Seigneur, j’ai espéré : que je ne sois pas confondu pour l’éternité! L’espérance est donc une vertu.

 [10989] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod sicut supra, dist. 23, quaest. 1, art. 2 et 3, dictum est, virtus secundum communem usum loquendi dicitur habitus inclinans ad actum; qui est bonus dupliciter, scilicet secundum convenientiam ad potentiam agentem, et secundum objectum; quod habet rationem boni, inquantum est objectum talis actus. Haec autem duo sunt in actu spei. Cum enim spes in appetitiva parte sit, oportet quod objectum ejus sit bonum sub ratione boni; et sic actus spei habet bonitatem ex ratione objecti. Similiter etiam spes supra expectationem addit certitudinem, ut patet per definitionem in littera positam. Certitudo autem importat determinationem respectu ejus ad quod dicitur certitudo. Unde cum certitudo spei sit de bono expectato, importat determinationem ad bonum. Et ex hoc aliquis actus est perfectae potentiae conveniens, quod ad bonum ipsius determinationem habet; sicut actus scientiae, qui determinat intellectum ad verum, quod est bonum intellectus; non autem actus opinionis, quae est veri et falsi: propter quod scientia est virtus, et non opinio, ut dicitur in 6 Ethic. Unde patet quod spes virtus debet dici etiam secundum communem usum loquendi.

Réponse. Comme on l’a dit plus haut, d’ 23, q. 1, a. 2 et 3, selon la manière habituelle de parler, on appelle vertu un habitus inclinant à un acte qui est bon de deux manières : selon qu’il convient à la puissance agissante, et selon son objet, qui a raison de bien pour autant qu’il est l’objet d’un tel acte. Or, ces deux choses existent dans l’espérance. En effet, puisque l’espoir se trouve dans la partie appétitive, il est nécessaire que son objet soit le bien sous la raison de bien. Ainsi, l’acte d’espérance tire sa bonté de la raison de son objet. De même aussi, l’espérance ajoute à l’attente une certitude, comme cela ressort de la définition donnée dans le texte. Or, la certitude comporte une détermination par rapport à ce sur quoi porte la certitude. Puisque la certitude de l’espérance porte sur le bien attendu, elle comporte donc une détermination au bien. Et l’acte qui comporte une détermination par rapport à son bien convient à une puissance parfaite; ainsi, l’acte de science, qui détermine l’intelligence au vrai, qui est le bien de l’intelligence, mais non l’acte d’opinion, qui porte sur le vrai et sur le faux. C’est « la raison pour laquelle la science est une vertu, et non l’opinion », comme il est dit dans Éthique, VI. Il est donc clair que l’espérance doit être appelée une vertu, même selon qu’on en parle généralement de manière habituelle.

 [10990] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod spes, secundum quod est passio, non est virtus, sed secundum quod est in appetitu intellectivae partis. Nec aliarum passionum nomina ita convenienter ad virtutes transumi possunt sicut nomen spei: quia spes dicitur in ordine ad bonum, et propter hoc importat motum appetitus in bonum tendentis; et sic habet quamdam similitudinem cum intentione et electione boni, quae requiruntur in omni virtute; timor autem dicitur in ordine ad malum. Recedere autem a malo, quamvis ad virtutem pertineat, non tamen in hoc consistit perfectio virtutis, sed in electione boni. Gaudium autem et tristitia magis dicunt impressionem boni et mali in appetitum, quam motum appetitus in ea; unde non habent similitudinem cum electione virtutis.

1. L’espoir en tant que passion n’est pas une vertu, mais selon qu’il se trouve dans l’appétit de la partie intellectuelle. Et les noms des autres passions ne peuvent pas être transférés aux vertus aussi adéquatement que le nom de l’espérance, car on parle d’espérance en rapport avec le bien et, pour cette raison, elle comporte un mouvement de l’appétit qui tend vers le bien. Elle a ainsi une certaine ressemblance avec l’intention et le choix du bien, qui sont requis en toute vertu. Mais on parle de crainte en rapport avec le mal. Or, s’éloigner du mal, bien que cela relève de la vertu, n’est pas ce en quoi consiste la perfection de la vertu, mais le choix du bien. Mais la joie et la tristesse expriment plutôt l’empreinte du bien et du mal dans l’appétit, que le mouvement de l’appétit vers eux. Aussi n’ont-elles pas de ressemblance avec le choix de la vertu.

 [10991] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illud arduum in quod ordinant virtutes acquisitae, est finis proportionatus facultati naturae; et ideo natura per seipsam determinata est ad sperandum illum finem; unde non indiget aliquo habitu superaddito, per quem determinetur in illud. Sed hoc arduum quod est vita aeterna, excedit facultatem naturae. Unde cum ex se natura non sit determinata ad sperandum illud, oportet quod determinetur per aliquem habitum infusum; et haec est spes, quae est virtus.

2. L’ardu auquel ordonnent les vertus acquises est une fin proportionnée à la capacité de la nature. C’est pourquoi la nature a été déterminée par elle-même à espérer cette fin. Elle n’a donc pas besoin d’un habitus ajouté par lequel elle serait déterminée par rapport à lui. Mais l’ardu qu’est la vie éternelle dépasse la capacité de la nature. Puisque la nature n’est pas déterminée par elle-même à l’espérer, il faut donc qu’elle soit déterminée par un habitus infus. Telle est l’espérance, qui est une vertu.

 [10992] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod spes multis modis dicitur. Quandoque enim nominat passionem; et sic non est virtus. Quandoque nominat habitum inclinantem ad actum voluntatis similem spei quae est in parte sensitiva, quae est passio; et sic est virtus. Quandoque vero nominat ipsum actum; et sic est actus virtutis. Quandoque autem nominat ipsam rem speratam; Tit. 2, 13: expectantes beatam spem; et sic est objectum virtutis. Quandoque autem nominat certitudinem, quae consequitur spem; Rom. 5, 4: probatio vero spem, idest spei certitudinem; et sic nominat statum perfectionis in virtutem, quantum ad certitudinis intentionem. Habitus ergo spei quae est virtus, ex meritis non procedit: sed objectum, idest ipsa res sperata, pro meritis redditur; et ideo etiam actus spei in suum objectum tendit ex praesuppositione meritorum; et secundum hoc dicitur ex meritis provenire ratione sui actus.

3. On parle d’espérance de plusieurs manières. En effet, parfois elle désigne une passion : elle n’est pas ainsi une vertu. Parfois, elle désigne un habitus inclinant la volonté à un acte qui ressemble à l’espérance qui se trouve dans la partie sensible, qui est une passion : elle est ainsi une vertu. Mais parfois elle désigne l’acte lui-même : elle est ainsi un acte de la vertu. Parfois elle désigne la chose même qui est espérée. Tt 2, 13 : Dans l’attente d’une bienheureuse espérance : elle est ainsi l’objet de la vertu. Parfois, elle désigne la certitude qui découle de l’espérance, Rm 5, 4 : La mise à l’épreuve, l’espérance, c’est-à-dire la certitude de l’espérance : elle désigne ainsi un état de perfection dans la vertu pour ce qui est visé par la certitude. L’habitus de l’espérance ne vient donc pas de mérites, mais son objet, c’est-à-dire la chose espérée, est rendue en fonction des mérites. Aussi l’acte de l’espérance tend-il vers son objet selon des mérites présupposés. Sous cet aspect, on dit donc qu’elle vient de mérites en raison de son acte.

 [10993] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod spes quae est virtus, non opponitur timori qui est donum: quia spes extendit se in Deum ex consideratione divinae largitatis, timor vero dicit resilitionem ex consideratione propriae parvitatis; et ita non est secundum idem resilitio timoris et extensio spei; unde non sunt contraria.

4. L’espérance qui est une vertu ne s’oppose pas à la crainte qui est un don, car l’espérance se porte vers Dieu en considération de la générosité divine, mais la crainte exprime un recul en considération de sa propre malice. Ainsi le recul de la crainte et l’élan de l’espérance ne portent-ils pas sur la même chose. Ils ne sont donc pas contraires.

 [10994] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod facere aliquid propter aliquod commodum temporale, facit actum mercenarium, non autem facere propter remunerationem aeternam; quia continentia non sibi sufficit ad salutem, si pro solo amore pudicitiae retinetur, ut dicitur in Lib. de Eccles. Dogmat., et eadem ratio est de aliis humanis actibus. Vel dicendum, quod actus dicitur esse mercenarius qui propter mercedem fit, non autem qui est circa ipsam mercedem. Quamvis ergo actus spei sit expectare beatitudinem, quae est merces; non tamen eam expectat propter ipsam mercedem, sed ex inclinatione habitus, sicut et in aliis virtutibus contingit. Et praeterea non expectat eam inquantum est merces, sed inquantum est summum quoddam arduum: habet enim Deum pro principali objecto.

5. Faire quelque chose en vue d’un avantage temporel rend un acte mercenaire, mais non le faire en vue d’une récompense éternelle, car la continence ne se suffit pas à elle-même pour le salut, si elle est gardée par le seul amour de la chasteté, comme le dit le Livre sur les enseignements de l’Église. Et il en est de même pour les autres actes humains. Ou bien il faut dire qu’on appelle acte mercenaire celui qui est fait pour une récompense, mais non celui qui porte sur une récompense. Bien que l’acte de l’espérance consiste à attendre la béatitude, qui est une récompense, il ne l’attend cependant pas en raison de la récompense elle-même, mais par l’inclination de l’habitus, comme cela se produit dans les autres vertus. De plus, il ne l’attend pas en tant qu’elle est une récompense, mais en tant qu’elle est un bien suprême ardu : en effet, elle a Dieu comme objet principal.

 

 

Articulus 2 [10995] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 2 tit. Utrum spes sit virtus theologica

Article 2 – L’espérance est-elle une vertu théologale ?

 [10996] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod spes non sit virtus theologica. Omnis enim virtus theologica habet Deum pro objecto. Sed irascibilis objectum Deus esse non potest: quia cum sit appetitus sensitivae partis, non extendit se ultra bonum sensibile. Cum ergo spes ad irascibilem pertineat, videtur quod spes non sit virtus theologica.

1. Il semble que l’espérance ne soit pas une vertu théologale. En effet, toute vertu théologale a Dieu comme objet. Or, Dieu ne peut pas être l’objet de l’irascible, car, étant un appétit de la partie sensible, il ne va pas au-delà d’un bien sensible. Puisque l’espérance relève de l’irascible, il semble donc que l’espérance ne soit pas une vertu théologale.

 [10997] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, Isa. 30, 15, dicitur: in spe erit fortitudo vestra. Sed fortitudo non est virtus theologica, sed cardinalis. Ergo et spes; et praecipue cum eadem extrema videantur habere, scilicet timiditatem et audaciam.

2. En Is 30, 15, il est dit : Votre force sera dans votre espérance. Or, la force n’est pas une vertu théologale, mais cardinale. Donc, l’espérance aussi, surtout qu’elles semblent avoir les mêmes extrêmes : la timidité et l’audace.

 [10998] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, expectare est longanimitatis: Gal. 5, 22: longanimitas expectationis. Similiter videtur esse patientiae; Rom. 8, 25: si quae non videmus, speramus, per patientiam expectamus. Ergo cum spes sit expectatio, videtur quod spes sit idem quod patientia vel longanimitas: quae quidem non sunt virtutes theologicae: ergo nec spes.

3. Attendre relève de la longanimité. Ga 5, 2 : La longanimité de l’attente. De même cela semble-t-il relever de la patience. Rm 8, 25 : Si nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous l’attendons par la patience. Puisque l’espérance est une attente, il semble donc que l’espérance soit la même chose que la patience ou la longanimité, qui ne sont pas des vertus théologales. Donc, l’espérance non plus.

 [10999] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, spei est in arduum tendere. Sed hoc est magnanimitatis, quae maxime magnum attendit. Ergo spes est idem quod magnanimitas. Sed magnanimitas est virtus moralis et non theologica. Ergo et spes.

4. Il appartient à l’espérance de tendre vers ce qui est ardu. Or, cela relève de la magnanimité, qui porte surtout sur ce qui est grand. L’espérance est donc la même chose que la longanimité. Or, la magnanimité est une vertu morale, et non théologale. Donc, l’espérance aussi.

 [11000] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 2 s. c. 1 Sed contra, spes dividitur ex opposito aliis virtutibus theologicis; 1 Corinth. 13, 13: nunc autem manent fides, spes, caritas, tria haec. Ergo est virtus theologica.

Cependant, [1] l’espérance est opposée aux autres vertus théologales. 1 Co, 13, 13 : Maintenant, la foi, l’espérance et la charité demeurent, ces trois choses. Elle est donc une vertu théologale.

 [11001] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 2 s. c. 2 Praeterea, omnis virtus quae habet finem ultimum pro objecto, est virtus theologica. Talis autem est spes, cum sit expectatio futurae beatitudinis. Ergo spes est virtus theologica.

 [2] Toute vertu qui a la fin ultime comme objet est une vertu théologale. Or, telle est l’espérance, puisqu’elle est l’attente de la béatitude future. L’espérance est donc une vertu théologale.

 [11002] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 2 s. c. 3 Praeterea, omnis virtus moralis est circa passiones, ut dicitur in 2 Ethic. Hoc autem non competit spei. Ergo non est virtus moralis. Neque est intellectualis, quia non pertinet ad cognitionem, ut prius dictum est. Ergo est virtus theologica.

 [3] Toute vertu morale porte sur les passions, comme il est dit dans Éthique, II. Or, cela ne vaut pas pour l’espérance. Elle n’est donc pas une vertu morale. Elle n’est pas non plus une vertu intellectuelle, car elle ne concerne pas la connaissance, comme on l’a dit plus haut. Elle est donc une vertu théologale.

 [11003] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod spes de ratione sua dicit extensionem appetitus in aliquod arduum, quod non omnino excedit facultatem sperantis. Ea enim quae excedunt, et velut excedentia apprehenduntur, desperationem magis quam spem faciunt; unde secundum hoc quod inest alicui facultas in aliquod arduum, secundum hoc est inclinatio in illud arduum; et ideo in illud arduum quod proportionatur facultati naturae sensitivae, inclinatio sensitivi appetitus spem facit, quae est passio; in illud vero arduum quod proportionatur naturae intellectivae, inclinatio illius facit spem, quae est actus voluntatis. Sed quia est aliquod arduum quod excedit facultatem naturae, ad quod homo per gratiam potest pervenire, scilicet ipse Deus, inquantum est nostra beatitudo; ideo oportet quod ex aliquo dono gratuito naturae superaddito fiat inclinatio in illud arduum; et illud donum est habitus spei et quia habet objectum ipsum Deum, ideo oportet quod sit virtus theologica: et ideo in secunda definitione spei quam Magister ponit, exprimitur tota ratio spei secundum quod est virtus theologica. Expectatio enim, ut ex dictis patet, proprie loquendo, dicit extensionem appetitus in aliquod arduum; certa autem dicit completionem praedictae extensionis, et quasi determinationem; et in hoc completur ratio spei absolute. Objectum autem quod facit spem esse theologicam virtutem, est futura beatitudo. Illud autem unde est facultas perveniendi in finem istum, est gratia, et merita, sive accipiatur gratia pro divina liberalitate, sive pro dono gratuito.

Réponse. Par sa raison même, l’espoir exprime une élan de l’appétit vers quelque chose d’ardu, qui ne dépasse pas complètement la capacité de celui qui espère. En effet, ce qui dépasse et est perçu comme dépassant engendre plutôt le désespoir que l’espérance. Du fait donc que la possibilité de quelque chose d’ardu se trouve chez quelqu’un, l’inclination à ce qui est ainsi ardu existe. L’inclination de l’appétit sensible à une chose ardue qui est proportionnée à la capacité de la nature sensible suscite donc l’espoir, qui est une passion; l’inclination à une chose ardue qui est proportionnée à la nature intellectuelle suscite l’espérance, qui est un acte de la volonté. Mais parce qu’il existe quelque chose d’ardu qui dépasse la capacité de la nature, à quoi l’homme peut parvenir par la grâce, à savoir Dieu lui-même en tant qu’il est notre béatitude, il est donc nécessaire que l’inclination à cette chose ardue vienne d’un don gratuit ajouté à la nature. Ce don est l’habitus de l’espérance, et parce qu’il a Dieu comme objet, il est donc nécessaire qu’il soit une vertu théologale. Aussi, dans le seconde définition de l’espérance que le Maître donne, toute la raison de l’espérance, selon qu’elle est une vertu théologale, est donc exprimée. En effet, comme cela ressort de ce qui a été dit, l’attente exprime à proprement parler une élan de l’esprit vers quelque chose d’ardu; [l’attente] certaine exprime l’achèvement de l’élan mentionné et comme sa détermination. C’est en cela que s’accomplit de manière absolue la raison d’espérance. Mais l’objet qui fait de l’espérance une vertu théologale est la béatitude future. Or, ce dont vient la capacité de parvenir à cette fin est la grâce et les mérites, que la grâce soit entendue comme la générosité divine ou comme un don gratuit.

 [11004] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quidam dicunt quod etiam appetitus rationis dividitur per irascibilem et concupiscibilem: et secundum hoc propositio habet falsitatem. Sed quia omnes auctores distinguentes irascibilem a concupiscibili, sive sancti, sive philosophi, ponunt irascibilem et concupiscibilem in appetitu sensitivo; ideo dicendum, quod subjectum spei, prout dicitur virtus theologica, non est vis irascibilis, sed voluntas, inquantum actus ejus spes dici potest: nisi forte ipsam voluntatem, inquantum habet actus similes actibus irascibilis, dicamus irascibilem; sed tunc irascibilis et concupiscibilis non erunt diversae potentiae, sed nominabunt eamdem potentiam, scilicet voluntatem, secundum diversos actus.

1. Certains disent que même l’appétit de la raison se divise en irascible et en concupiscible; de ce point de vue, la proposition comporte une fausseté. Mais parce que tous les auteurs qui font une distinction entre irascible et concupiscible, qu’ils soient des saints ou des philosophes, placent l’irascible et le concupiscible dans l’appétit sensible, il faut donc dire que le sujet de l’espérance, pour autant qu’elle signifie une vertu théologale, n’est pas la puissance irascible, mais la volonté, pour autant que son acte peut être appelé l’espérance, à moins que nous appelions irascible cette volonté elle-même pour autant qu’elle a des actes semblables aux actes de l’irascible. Toutefois, l’irascible et le concupiscible ne seront pas alors des puissances différentes, mais ils désigneront la même puissance, à savoir, la volonté, selon divers actes.

 [11005] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod, sicut supra, praec. quaest., art. 3 et 4 ad 5, dictum est, extendi in aliquod arduum, est dupliciter: quia vel est bonum in quod extenditur ut acquiratur; et sic extendi est spei: vel in aliquod arduum, ut repellatur; et hoc est audaciae. Et similiter resilire ab aliquo arduo est dupliciter: quia vel est bonum quod propter difficultatem dimittitur; et sic est desperatio: vel est malum quod propter difficultatem fugitur; et sic est timor. Et sic patet quod spes non inter audaciam et timiditatem est, sed inter praesumptionem et desperationem. Fortitudo autem quae habet pericula pro objecto, est inter timiditatem et audaciam. Et ideo spes et fortitudo non est idem. Nec fortitudo potest esse virtus theologica: quia Deus, qui est objectum virtutis theologicae, non habet rationem periculi quamvis habeat rationem ardui. Sed quia ex fine diriguntur ea quae sunt ad finem, ideo virtutes theologicae, quae habent finem ultimum pro objecto, non solum operantur circa ipsum secundum se, sed ut est directivum aliorum quae sunt ad finem; et ideo sunt quodammodo principia aliarum virtutum. Sicut fides non solum cognoscit verum primum, sed etiam alia quae ex veritate prima manifestantur ordinantia in ipsam; unde et in articulis fidei multa continentur quae ad creaturas pertinent. Similiter et caritas non solum facit diligere Deum, sed etiam proximum propter Deum. Similiter et spes non facit tendere in ipsum Deum ut quoddam arduum consequendum, sed etiam ut ex ipso est auxilium in omnibus aliis arduis, vel bonis acquirendis, vel malis vincendis. Unde qui habet spem, sperat Deum consequi, speratque per ipsum omnia necessaria, quantumcumque sint difficilia, obtinere: sperat omnia nociva, quantumcumque sint difficilia, repellere. Et secundum hoc spes est in homine principium omnium operationum quae ad bonum arduum ordinantur, sicut caritas omnium quae in bonum tendunt, et sicut fides omnium quae ad cognitionem pertinent. Unde fides est in gratuitis, sicut intellectus principiorum in naturalibus et acquisitis; unde secundum hoc dicitur: in spe erit fortitudo vestra; non quasi spes sit ipsa fortitudo, sed quia est principium ipsius fortitudinis.

2. Comme on l’a dit à la question précédente, a. 3 et 4, ad 5, tendre vers quelque chose d’ardu se réalise de deux manières : soit qu’il s’agisse d’un bien vers lequel on tend pour l’acquérir, et tendre de cette manière relève de l’espérance; ou vers quelque chose d’ardu pour l’écarter, et cela relève de l’audace. De même, reculer devant quelque chose d’ardu se réalise de deux manières : soit il s’agit d’un bien qui est écarté en raison de sa difficulté, et on a ainsi le désespoir; soit il s’agit d’un mal qui est fui en raison des sa difficulté, et on a ainsi la crainte. Il ressort ainsi clairement que l’espérance n’est pas intermédiaire entre l’audace et la timidité, mais entre la présomption et le désespoir. Mais la force, qui a pour objet les dangers, se situe entre la timidité et l’audace. L’espérance et la force ne sont donc pas la même chose. La force ne peut pas non plus être une vertu théologale, car Dieu, qui est l’objet d’une vertu théologale, n’a pas le caractère d’un danger, bien qu’il ait le caractère d’ardu. Mais parce que ce qui tend vers la fin est dirigé par la fin, les vertus théologales, qui ont la fin ultime comme objet, n’agissent pas seulement en vue d’elle pour elles-mêmes, mais comme dirigeant les autres choses qui sont ordonnées à la fin. C’est pourquoi elles sont d’une certaine manière les principes des autres vertus – comme la foi ne connaît pas seulement la Vérité première, mais aussi les autres choses qui sont manifestées par la Vérité première et qui ordonnent à elle; ainsi plusieurs choses qui se rapportent à des créatures sont-elles contenues dans les articles de foi. De même la charité ne fait-elle pas seulement aimer Dieu, mais aussi le prochain à cause de Dieu. De même aussi, l’espérance ne fait-elle pas [seulement] tendre vers Dieu lui-même comme vers quelque chose d’ardu à obtenir, mais aussi comme vers une aide venant de lui-même pour toutes les autres choses difficiles, qu’il s’agisse de biens à acquérir ou de maux à vaincre. Aussi celui qui a l’espérance espère-t-il obtenir Dieu et il espère obtenir par lui tout ce qui est nécessaire, aussi difficile que ce soit, et il espère écarter tout ce qui nuit, aussi difficile que ce soit. De ce point de vue, l’espérance est chez l’homme le principe de toutes les opérations qui sont ordonnées à un bien ardu, comme la charité, de tout ce qui tend vers le bien, et comme la foi, de tout ce qui se rapporte à la connaissance. La foi est donc pour ce qui est gratuit comme l’intelligence des principes pour ce qui est naturel et acquis. Aussi est-il dit : Votre force sera dans l’espérance, non pas que l’espérance soit la force elle-même, mais parce qu’elle est le principe de la force même.

 [11006] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod expectatio patientiae est expectatio divini auxilii in periculis; expectatio autem longanimitatis est expectatio divini auxilii in laboribus actionis tendentis in aliquod bonum arduum obtinendum. Unde patet ex praedictis quod expectatio patientiae et longanimitatis est per participationem expectationis a spe, secundum quod virtutes posteriores participant aliquid a prioribus; sicut omnes morales a prudentia, et omnes aliae virtutes participant aliquid a caritate, scilicet desiderium summi boni, propter quod operantur.

3. L’attente de la patience est l’attente de l’aide divine dans les dangers; mais l’attente de la longanimité est l’attente de l’aide divine dans les efforts d’une action tendue vers l’obtention d’un bien ardu. Il ressort donc de ce qui a été dit que l’attente de la patience et celle de la longanimité participent à l’attente de l’espérance selon que les vertus secondes participent aux vertus premières, comme toutes les vertus morales [participent] à la prudence et toutes les autres vertus participent à quelque chose de la charité, à savoir le désir du Bien suprême en vue duquel elles agissent.

 [11007] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod magnanimitas magis accedit ad spem quam aliqua dictarum virtutum: quia est secundum extensionem appetitus in aliquod bonum arduum obtinendum; et ideo circa spem passionem versatur, et ejus opposita, ut sic sint in irascibili tres virtutes quantum ad tria genera passionum. Magnanimitas quidem quantum ad genus spei et aliarum passionum circumstantium ipsam, quae habent bonum arduum expectatum pro objecto; fortitudo autem circa timorem et audaciam; mansuetudo autem circa iram. Sed tamen magnanimitas non est idem quod spes virtus: quia est circa arduum quod consistit in rebus humanis, non circa arduum quod est Deus; unde non est virtus theologica, sed moralis, participans aliquid a spe.

4. La magnanimité se rapproche davantage de l’espérance que l’une des vertus mentionnées, car elle est l’élan de l’appétit vers l’obtention d’un bien ardu; elle porte donc sur la passion de l’espoir et ses contraires, de sorte que les trois vertus se trouvent dans l’irascible selon trois genres de passions : la magnanimité, pour le genre de l’espoir et des autres qui l’entourent, qui ont comme objet un bien ardu attendu; la force, pour la crainte et l’audace; la douceur, pour la colère. Cependant, la magnanimité n’est pas la même chose que la vertu d’espérance, car elle porte sur quelque chose d’ardu dans les choses humaines, et non sur quelque chose d’ardu qui est Dieu. Aussi n’est-elle pas une vertu théologale, mais morale, qui participe à quelque chose de l’espérance.

 

 

Articulus 3 [11008] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 3 tit. Utrum spes sit virtus distincta ab aliis

Article 3 – L’espérance est-elle une vertu distincte des autres [vertus théologales] ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [L’espérance est-elle une vertu distincte des vertus théologales ?]

 [11009] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod spes non sit virtus distincta ab aliis virtutibus theologicis. Virtutes enim distinguuntur per actus et objecta. Sed spes est expectatio futurae beatitudinis, quae est etiam objectum omnium virtutum theologicarum. Ergo spes non distinguitur ab aliis virtutibus theologicis.

1. Il semble que l’espérance ne soit pas une vertu distincte des autres vertus théologales. En effet, les vertus se distinguent par leurs actes et leurs objets. Or, l’espérance est l’attente de la béatitude future, qui est aussi l’objet des autres vertus théologales. L’espérance ne se distingue donc pas des autres vertus théologales.

 [11010] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, virtutes theologicae ordinant nos immediate ad Deum. Sed aliquis sufficienter ordinatur per hoc quod cognoscit eum, et amat ipsum: quod facit fides et caritas. Ergo spes non distinguitur ab utraque.

2. Les vertus théologales nous ordonnent immédiatement à Dieu. Or, on [lui] est suffisamment ordonné par le fait de le connaître et de l’aimer, ce que réalisent la foi et la charité. L’espérance ne se distingue pas des deux autres.

 [11011] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, expectare est actus spei. Sed expectare pertinet ad fidem: quia in symbolo dicitur: expecto resurrectionem mortuorum. Ergo spes non differt a fide.

3. Attendre est un acte d’espérance. Or, attendre relève de la foi, car il est dit dans le symbole : « J’attends la résurrection des morts. » L’espérance ne diffère donc pas de la foi.

 [11012] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 4 Praeterea, videtur quod nec a caritate. Quia spei est tendere in Deum, quod est proprium caritatis. Ergo spes non differt a fide, et caritate.

4. Il semble [que l’espérance ne se distingue] pas non plus de la charité, car il revient à l’espérance de tendre vers Dieu, ce qui est le propre de la charité. L’espérance ne diffère donc pas de la foi ni de la charité.

 [11013] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, 1 Corinth. 13, spes connumeratur aliis duabus. Ergo differt ab eis.

Cependant, [1] dans 1 Co 13, l’espérance est énumérée avec les deux autres. Elle diffère donc d’elles.

 [11014] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, spes in voluntate dicitur ad similitudinem spei quae est in irascibili, ut prius dictum est. Sed spes quae est passio irascibilis, differt a cognitione quae est fidei, et amore qui est caritatis. Ergo spes quae est in voluntate, differt a fide et caritate.

 [2] On parle de l’espérance qui se trouve dans la volonté par ressemblance avec l’espoir qui se trouve dans l’irascible, comme on l’a dit antérieurement. Or, l’espoir, qui est une passion de l’irascible, diffère de la connaissance qui est celle de la foi, et de l’amour qui est celui de la charité. L’espérance qui se trouve dans la volonté diffère donc de la foi et de la charité.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [L’espérance doit-elle être formée par la charité ?]

 [11015] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod spes non possit esse nisi formata caritate. Spes enim praesupponit merita, ut patet ex definitione ipsius. Sed meritum non potest esse in habente aliquam virtutem informem. Ergo spes non potest esse informis.

1. Il semble que l’espérance ne puisse exister que formée par la charité. En effet, l’espérance présuppose des mérites, comme cela ressort de sa définition. Or, le mérite ne peut exister chez celui qui a une vertu informe. L’espérance ne peut donc exister informe.

 [11016] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, ex hoc ipso quod tendit fides in Deum, est fides formata. Sed spes habet in Deum tendere. Ergo semper est spes formata.

2. Du fait même que la foi tend vers Dieu, elle est une foi formée. Or, l’espérance comporte de tendre vers Dieu. L’espérance est donc toujours formée.

 [11017] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, Augustinus dicit, quod omnis affectio ex amore est. Sed spes est affectio quaedam. Ergo est ex amore. Sed omne quod est ex amore, est formatum: quia caritatis est formare alias virtutes. Ergo spes semper est formata.

3. Augustin dit que « toute affection vient de l’amour ». Or, l’espérance est une affection. Elle vient donc de l’amour. Or, tout ce qui vient de l’amour est formé, car il appartient à la charité de former les autres vertus. L’espérance est donc toujours formée.

 [11018] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, sicut timor est suppliciorum aeternorum, ita et spes praemiorum. Sed timor potest esse formatus et informis. Ergo et spes.

Cependant, [1] de même que la crainte porte sur les supplices éternels, de même l’espérance [porte-elle] sur les récompenses [éternelles]. Or, la crainte peut être formée ou informe. Donc, l’espérance aussi.

 [11019] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 3 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, quicumque non habet spem, est desperatus. Sed quicumque peccat mortaliter, non habet spem formatam. Si ergo omnis spes esset formata, quicumque peccat mortaliter, esset desperatus. Sed desperatio est peccatum in spiritum sanctum. Ergo quicumque peccaret mortaliter, peccaret in spiritum sanctum, quod est falsum.

 [2] Quiconque ne possède pas l’espérance est désespéré. Or, quiconque pèche mortellement ne possède pas une espérance formée. Si donc toute espérance était formée, quiconque pèche mortellement serait désespéré. Or, le désespoir est le péché contre l’Esprit Saint. Quiconque pécherait mortellement pécherait donc contre l’Esprit, ce qui est faux.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [11020] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod, sicut supra, dist. 13, quaest. 1, art. 4, quaestiunc. 2, in corp., dictum est, virtutes theologicae sunt ad ordinandum nos in finem ultimum. Ad hoc autem quod aliquis incipiat operari propter finem aliquem, oportet primo quod cognoscat finem illum, et secundo quod desideret ipsum. Sed quia voluntas est possibilium et impossibilium; neque aliquis operatur propter aliquid quod est impossibile adipisci, quamvis illud appetat: ideo oportet quod voluntas ad hoc quod operari incipiat, tendat in illud sicut in possibile: et haec inclinatio voluntatis tendentis in bonum aeternum quasi possibile sibi per gratiam, est actus spei. Et ideo spes est aliquid distinctum a fide et caritate: quia fides facit cognitionem de fine, inquantum ostendit finem bonum esse, et sic insurgit motus caritatis; inquantum vero ostendit finem esse possibilem, sic insurgit motus spei: quia fides est fundamentum omnium virtutum, praecedens omnes quantum ad naturalem ordinem actuum.

Comme on l’a dit plus haut, d 13, q. 1, a. 4, qa 2, c., les vertus théologales existent afin de nous ordonner à la fin ultime. Or, pour que quelqu’un commence à agir en vue d’une fin, il faut, en premier lieu, qu’il connaisse cette fin, et, en second lieu, qu’il la désire. Mais parce que la volonté porte sur ce qui est possible et sur ce qui est impossible, et que l’on n’agit pas en vue de quelque chose qu’il est impossible d’obtenir, bien qu’on le désire, il est donc nécessaire que, pour que la volonté commence à agir, elle tende vers cela comme vers quelque chose de possible. Cette inclination de la volonté tendant vers le bien éternel comme quelque chose qui nous est possible par la grâce est l’acte de l’espérance. C’est pourquoi l’espérance est quelque chose de distinct de la foi et de la charité, car la foi donne la connaissance de la fin, pour autant qu’elle montre que la fin est bonne, et ainsi se lève le mouvement de la charité; mais, pour autant qu’elle montre que la fin est possible, le mouvement de l’espérance se lève ainsi, car la foi est le fondement de toutes les vertus et les précède toutes selon l’ordre naturel des actes.

 [11021] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod idem secundum rem est objectum omnium virtutum theologicarum, sed differt secundum rationem: quia inquantum est primum verum, est objectum fidei; inquantum est summum bonum, est objectum caritatis; inquantum est altissimum arduum, est objectum spei. Et quia beatitudo nominat maxime arduum, cum sit status omnium bonorum aggregatione completus, ut dicit Boetius, ideo in definitione spei praecipue ponitur beatitudo. Virtus autem et potentia non differunt ex objectis secundum differentiam realem objecti, sed secundum diversas rationes objecti: quae quidem rationes formaliter complent objectum ipsum.

1. La même réalité est en réalité l’objet de toutes les vertus théologales, mais elle difère selon la raison, car, en tant qu’elle est la Vérité première, elle est objet de la foi; en tant qu’elle est le Bien suprême, elle est objet de la charité; en tant qu’elle est ce qu’il y a de plus élevé et ardu, elle est objet de l’espérance. Et parce que la béatitude désigne ce qu’il y a de plus ardu, puisqu’elle est « l’état achevé de la concentration de tous les biens », comme le dit Boèce, c’est pourquoi la béatitude est placée comme élément principal dans la définition de l’espérance. Mais la vertu et la puissance ne diffèrent pas par les objets selon une différence réelle de l’objet, mais selon les diverses raisons de l’objet, raisons qui complètent de manière formelle l’objet lui-même.

 [11022] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illa duo non sufficiunt ad hoc quod aliquis incipiat operari propter finem, ut dictum est in corp. art.

2. Ces deux choses ne suffisent pas pour que quelqu’un commence à agir en vue d’une fin, comme on l’a dit dans le corps de l’article.

 [11023] Super Sent., lib. 3 d. 26, q. 2 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad tertium dicendum, quod fides dicitur expectare, inquantum est origo expectationis, ostendendo illud quod est expectandum, ex se possibile acquiri.

3. On dit que la foi attend dans la mesure où est elle est l’origine de l’attente, en montrant que ce qui doit être attendu peut en soi être acquis.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [11025] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod, sicut supra dictum est, quaest. praec., art. 8, in corp., desiderium et amor in hoc differunt quod amor quodammodo importat quamdam convenientiam et connaturalitatem ad amatum, quod quidem perficitur dum amatum aliquo modo habetur; desiderium autem importat motum in ipsum amabile nondum habitum; unde motus appetitus incipit in desiderio, et terminatur in amore completo; et ideo desiderium est quaedam inchoatio amoris, et quasi quidam amor imperfectus. Sed quia primum habere rei est secundum quod est in potentia: quia quod est in facultate habentis, quasi jam haberi reputatur: ideo primum quod amorem inducit, est facultas habendi id quod desideratur. In hac autem facultate spes consistit; et ideo amor rei distantis, quae actu non habetur, praesupponit spem. Sed quia spes non est nisi boni, et primus motus appetitus in bonum, est desiderium; ideo spes praesupponit desiderium, et est media inter amorem et desiderium. Et hoc rationabiliter accidit: quia enim irascibilis est propter concupiscibilem, ideo actus irascibilis a concupiscibili incipit, et in concupiscibili terminatur. Amor enim et desiderium in concupiscibili sunt; spes autem in irascibili; et similis est eorum ordo secundum quod est in voluntate. Unde patet quod actus fidei praecedit desiderium, quia omnis actus affectivae praesupponit actum cognitivae; desiderium autem praecedit spem, spes autem amorem; et ideo sicut fides potest esse informis, quia actus ejus praecedit actum amoris; ita et spes.

Comme on l’a dit plus haut, à la question précédente, a. 8, c., le désir et l’amour diffèrent en ceci que l’amour comporte parfois un certain caractère commun et une connaturalité avec ce qui est aimé, qui se réalise lorsque ce qui est aimé est possédé d’une certaine manière. Mais le désir comporte un mouvement vers cela même qui est aimable, mais non encore possédé. Aussi le mouvement de l’appétit commence-t-il par le désir et se termine-t-il par l’amour achevé. C’est pourquoi le désir est un commencement d’amour et comme un amour imparfait. Mais parce que la possession d’une chose se réalise d’abord selon ce qui existe en puissance – car ce qui existe dans la capacité de celui qui possède est considéré comme si cela était déjà possédé ‑, c’est la raison pour laquelle ce qui suscite en premier l’amour est la capacité de posséder ce qui est désiré. Or, l’espérance consiste dans cette capacité. C’est pourquoi l’amour d’une chose éloignée, qui n’est pas possédée en acte, présuppose l’espoir. Mais parce que l’espoir ne porte que sur le bien, et que le premier mouvement de l’appétit vers le bien est le désir, l’espoir présuppose donc le désir et est intermédiaire entre l’amour et le désir. Cela est d’ailleurs raisonnable. En effet, l’irascible existe en vue du concupiscible et se termine dans le concupiscible, car l’amour et le désir se trouvent dans le concupiscible, mais l’espoir dans l’irascible, et leur ordre est le même que celui qui existe dans la volonté. Il est donc clair que l’acte de la foi précède le désir, car tout acte de la partie affective présuppose un acte de la partie cognitive; mais le désir précède l’espoir, et l’espoir, l’amour. Aussi, de même que la foi peut être informe parce que son acte précède l’acte d’amour, de même en est-il de l’espérance.

 [11026] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod spes non praesupponit merita in actu, sed in proposito. Non enim aliquis sperat propter merita, quasi merita existentia producant actum spei; sed quia per merita quae proponit, ad beatitudinem se pervenire sperat.

1. L’espérance ne présuppose pas de mérites en acte, mais en intention. En effet, quelqu’un n’espère pas à cause des mérites, comme si les mérites existants produisaient l’acte d’espérance, mais parce que, par les mérites qu’il se propose, il espère parvenir à la béatitude.

 [11027] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod fides formata tendit in Deum ex amore; sed spes informis non est ex amore, sed ex desiderio.

2. La foi formée tend vers Dieu par l’amour, mais la foi informe [ne le fait pas] par l’amour, mais par le désir.

 [11028] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ibi accipitur amor large pro amore imperfecto, quod est desiderium, quod est primus motus appetitivae virtutis: desiderium autem non sufficit ad formandum actus virtutum.

3. L’amour est entendu là au sens large pour l’amour imparfait qu’est le désir, qui est le premier mouvement de la puissance appétitive; mais le désir ne suffit pas à donner forme aux actes des vertus.

Articulus 4 [11029] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 4 tit. Utrum spes habeat certitudinem in suo actu

Article 4 – L’acte de l’espérance comporte-il une certitude ?

 [11030] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod spes non habeat certitudinem in suo actu. Certitudo enim ad cognitionem pertinet, quia dubitationi opponitur. Sed spes non pertinet ad cognitionem, sed ad affectionem. Ergo ad spem non pertinet certitudo.

1. Il semble que l’acte d’espérance ne comporte pas de certitude. En effet, la certitude concerne la connaissance, car elle s’oppose au doute. Or, l’espérance ne concerne pas la connaissance, mais l’affectivité. La certitude ne concerne donc pas l’espérance.

 [11031] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 4 arg. 2 Praeterea, de eo quod nunquam erit, non potest esse certitudo. Sed aliquis habet spem de vita aeterna, quam nunquam habebit. Ergo spes non habet certitudinem.

2. Il ne peut y avoir de certitude de ce qui n’existera jamais. Or, quelqu’un a l’espérance de la vie éternelle qu’il ne possédera jamais. L’espérance ne comporte donc pas de certitude.

 [11032] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 4 arg. 3 Praeterea, omne quod dependet ex contingenti, non potest habere certitudinem, nisi quando jam est. Sed hunc habere vitam aeternam, dependet ex meritis, quae sunt ex libero arbitrio, quod est maxime contingens causa. Ergo non potest esse certitudo de hoc quod iste habeat vitam aeternam; ergo cum spes sit de hoc, videtur quod spes non habeat certitudinem.

3. Tout ce qui dépend de quelque chose de contingent ne peut avoir de certitude que lorsque cela existe déjà. Or, le fait pour quelqu’un d’avoir la vie éternelle dépend de ses mérites provenant du libre arbitre, qui est la cause la plus contingente. Il ne peut donc y avoir de certitude du fait que celui-là possédera la vie éternelle. Puisque l’espérance porte sur cela, il semble donc que l’espérance ne comporte pas de certitude.

 [11033] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 4 arg. 4 Praeterea, non potest de eodem esse certitudo, seu securitas, et timor. Sed homo quamdiu in hac vita est, habet timorem castum de separatione a Deo. Ergo non potest habere certitudinem de habendo vitam aeternam.

4. Il ne peut exister pour une même chose certitude, assurance et crainte. Or, l’homme, aussi longtemps qu’il est en cette vie, a une juste crainte d’être séparé de Dieu. Il ne peut donc avoir la certitude de posséder la vie éternelle.

 [11034] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 4 arg. 5 Praeterea, nullus habebit vitam aeternam, nisi habeat caritatem et gratiam. Sed nullus scit se habere gratiam et caritatem, necdum ut finaliter habeat. Ergo non potest esse in spe certitudo de vita aeterna.

5. Personne ne possédera la vie éternelle à moins d’avoir la charité et la grâce. Or, personne ne sait s’il a la grâce et la charité, ni s’il les aura à la fin. Il ne peut donc y avoir de certitude de la vie éternelle dans l’espérance.

 [11035] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 4 s. c. 1 Sed contra, 2 Tim. 1, 12: scio cui credidi, et certus sum quia potens est depositum meum servare in illum diem. Sed hoc ad spem pertinet. Ergo spes habet certitudinem.

Cependant, [1] 2 Tm 1, 12 dit : Je sais en qui j’ai mis ma foi, et j’ai la certitude, car il est capable de sauver mon dépôt en ce jour. Or, cela relève de l’espérance. L’espérance a donc une certitude.

 [11036] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 4 s. c. 2 Praeterea, philosophus dicit, quod virtus est certior omni arte. Sed spes est virtus. Ergo habet certitudinem.

 [2] Le Philosophe dit que la vertu est plus certaine que l’art. Or, l’espérance est une vertu. Elle possède donc une certitude.

 [11037] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 4 s. c. 3 Praeterea, sicut fides innititur primae veritati, ita spes summae largitati: quia ex gratia provenit, ut in littera dicitur. Sed summa largitas non potest alicui deficere, sicut neque prima veritas aliquem decipere. Ergo sicut fides habet certitudinem, ita et spes.

 [3] De même que la foi se fonde sur la Vérité première, de même l’espérance [se fonde-t-elle] sur la générosité suprême. Or, la libéralité suprême ne peut faire défaut à quelqu’un, pas plus que la Vérité première ne peut tromper quelqu’un. Donc, de même que la foi comporte une certitude, de même aussi l’espérance.

 [11038] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod quidam dixerunt, quod spes non habet aliam certitudinem nisi a fide; sed in hoc differunt quod certitudo fidei est in universali, sicut quod quilibet bonus habebit vitam aeternam; certitudo autem spei est in particulari, sicut quod iste, si bene facit, habebit vitam aeternam; et ideo certitudo fidei est absoluta et universalis, certitudo autem spei particularis est, et conditionata. Sed hoc non potest stare: quia universale et particulare non diversificant potentiam neque habitum; unde secundum hoc spes a fide non differret secundum habitum, neque in alia potentia esset; quod omnino falsum est. Et ideo aliter est dicendum, quod certitudo proprie dicitur firmitas adhaesionis virtutis cognitivae in suum cognoscibile. Sed omnis operatio et motus cujuscumque tendentis in finem est ex cognitione dirigente, vel conjuncta, sicut in agentibus per voluntatem, vel remota, sicut in agentibus per naturam. Quia vero non tenderet determinate in finem suum nisi ab aliqua cognitione praecedente in ipsum ordinaretur, inde est quod opus naturae est simile operi artis, inquantum per determinata media tendit in suum finem. Et hoc habet ex determinatione divinae sapientiae instituentis naturam; et ideo nomina quae ad cognitionem pertinent, ad naturales operationes transferuntur; sicut dicitur quod natura sagaciter operatur et infallibiliter; et sic etiam dicitur certitudo in natura tendente in finem. Et quia virtus in modum naturae operatur inclinando in determinatum finem, ideo virtus dicitur esse certior arte; sicut et natura inquantum inclinat infallibiliter, quantum ex ea est, in finem: et talis est certitudo spei; aliter tamen quam in aliis virtutibus. Quia enim spes supponit facultatem in finem perveniendi, quae quidem est ex liberalitate divina ordinante nos in finem, et ex meritis, secundum quae omnes virtutes in finem ultimum perveniunt; ideo certitudo spei causatur ex liberalitate divina ordinante nos in finem, et etiam ex inclinatione omnium aliarum virtutum, et etiam ex inclinatione ipsius habitus: et ideo praeter certitudinem quam habet ut quaedam virtus, includit certitudinem quae est in omnibus aliis virtutibus, et ulterius certitudinem divinae ordinationis.

Réponse. Certains ont dit que l’espérance n’a de certitude que celle de la foi Mais ils divergent sur le fait que la certitude la foi a un caractère universel. Ainsi, tout homme bon aura la vie éternelle. Mais la certitude de l’espérance a un caractère particulier : ainsi, si celui-ci agit bien, il aura la vie éternelle. C’est pourquoi la certitude de la foi est absolue et universelle, mais la certitude de l’espérance est particulière et conditionnelle. Mais cela ne tient pas, car l’universel et le particulier ne diversifient ni une puissance ni un habitus. Aussi l’espérance ne différerait-elle de la foi pour cette raison et ne se trouverait-elle pas non plus dans une autre puissance, ce qui est tout à fait faux. C’est pourquoi il faut dire autre chose. À proprement parler, on appelle certitude la fermeté de l’adhésion d’une puissance cognitive à ce qui est connaissable par elle. Or, toute opération et tout mouvement de celui qui tend vers une fin vient de la connaissance qui dirige ou qui lui est associée, comme dans le cas des agents volontaires, ou qui en est éloignée, comme dans le cas des agents naturels. Mais parce qu’elle ne tendrait pas de manière déterminée vers sa fin si elle n’était ordonnée vers elle par une connaissance préalable, de là vient que l’action de la nature est semblable à l’œuvre de l’art, pour autant qu’elle tend vers sa fin à travers des intermédiaires déterminés. Et elle tient cela de la détermination de la sagesse divine qui crée la nature. C’est ainsi que les mots qui se rapportent à la connaissance sont transférés aux opérations naturelles; ainsi on dit que la nature agit avec sagesse et de manière infaillible; de même aussi parle-t-on de la certitude de la nature qui tend vers sa fin. Et parce que la vertu agit selon le mode de la nature en inclinant vers une fin déterminée, on dit donc que la vertu est plus certaine que l’art, comme la nature, en tant que, d’elle-même, elle incline infailliblement vers sa fin. Telle est la certitude de l’espérance, mais autrement que pour les autres vertus. En effet, parce que l’espérance suppose la capacité de parvenir à la fin, qui vient de la générosité divine qui nous ordonne à cette fin, et des mérites par lesquels toutes les vertus parviennent à la fin ultime, la certitude de l’espérance est donc causée par la générosité divine qui nous ordonne à la fin, par l’inclination de toutes les autres vertus, et aussi par l’inclination de l’habitus lui-même. C’est pourquoi, en plus de la certitude qu’elle possède comme vertu, elle comporte la certitude qui existe dans toutes les autres vertus et, en plus, la certitude d’une disposition divine.

 [11039] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod certitudo primo et principaliter est in cognitione: sed per similitudinem et participative est in omnibus operibus naturae et virtutis.

1. La certitude se trouve en premier et principalement dans la connaissance; mais, par ressemblance et par mode de participation, elle se trouve dans toutes les actions de la nature et de la vertu.

 [11040] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod certitudo cognitionis est ex seipsa; certitudo autem naturae est ex alio ordinante in finem; et ideo certitudo cognitionis nunquam deficit, sed certitudo naturae deficit quidem non per se, sed per accidens, quia talis defectus non est ex ipso directivo in finem, ex quo habet certitudinem, sed ex aliquo accidente; sicut ignis habet certitudinem absolutam calefaciendi, et tamen deficit quandoque ex aliquo impedimento. Et similiter est de spe; unde etiam ipsa inclinationis naturae certitudo dicitur spes, ut patet Rom. 4, 18: qui contra spem in spem credidit.

2. La certitude de la connaissance vient d’elle-même; mais la certitude de la nature vient d’un autre qui ordonne à la fin. C’est pourquoi la certitude de la connaissance ne fait jamais défaut, mais la certitude de la nature fait parfois défaut, non pas par elle-même, mais par accident, car un tel défaut ne vient pas de celui-là même qui dirige vers la fin et dont elle tient sa certitude, mais d’un accident, comme le feu possède la certitude absolue de réchauffer, mais y fait cependant parfois défaut en raison d’un empêchement. De même en est-il de l’espérance. Ainsi, l’inclination de la nature elle-même est-elle appelée une espérance, comme cela ressort de Rm 4, 18 : Lui qui a cru en l’espérance contre toute espérance.

 [11041] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 4 ad 3 Et similiter dicendum ad tertium.

3. Il faut dire la même chose pour le troisième argument.

 [11042] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamdiu in hac vita sumus, potest esse accidentale impedimentum ne spes, quae de se certitudinem habet, suum finem consequatur; et ideo nunc cum spe adjungitur timor separationis; sed in futuro, quando non poterit esse accidentale impedimentum, tunc non erit timor separationis, neque etiam spes; quia quod sperabatur, tunc habebitur.

4. Aussi longtemps que nous sommes en cette vie, il peut exister un empêchement accidentel à ce que l’espérance, qui de soi possède la certitude, atteigne sa fin. C’est pourquoi la crainte de la séparation est maintenant associée à l’espérance. Mais, dans l’avenir, alors qu’il ne pourra y avoir d’empêchement accidentel, il n’y aura alors pas de crainte de la séparation, ni non plus d’espérance, car ce qui était espéré sera alors possédé.

 [11043] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod licet nesciam utrum finaliter habiturus sim caritatem, tamen scio quod caritas et merita quae in proposito habeo, ad vitam aeternam certitudinaliter perducunt. Ex praedictis patet quod certitudo spei et fidei in quatuor differunt. Primo in hoc quod certitudo fidei est intellectus, certitudo autem spei est affectus. Secundo, quia certitudo fidei non potest deficere; sed certitudo spei per accidens deficit. Tertio, quia certitudo fidei est de complexo; certitudo autem spei est de incomplexo, quod est appetitus objectum. Quarto, quia certitudini fidei opponitur dubitatio; certitudini autem spei opponitur diffidentia vel haesitatio. Ideo sciendum est, quod certitudo spei, quantum ad inclinationem habitus, est major in habente spem formatam, etiam praescito ad mortem, quam in praedestinato habente spem informem; sed inquantum includit certitudinem quae est ex Dei ordinatione, et ex meritis quae sunt in proposito, est aequalis in utroque.

5. Bien que je ne sache pas si j’aurai la charité à la fin, je sais cependant que la charité et les mérites que j’ai en vue conduisent avec certitude à la vie éternelle. Il ressort clairement de ce qui a été dit plus haut que la certitude de l’espérance et de la foi diffèrent sur quatre points. Premièrement, par le fait que la certitude de la foi relève de l’intellect, mais la certitude de l’espérance, de l’affectivité. Deuxièmement, parce que la certitude de la foi ne peut faire défaut, mais que la certitude de l’espérance peut faire défaut par accident. Troisièmement, la certitude de la foi porte sur une réalité complexe, mais la certitude de l’espérance sur une réalité non complexe, qui est l’objet de l’appétit. Quatrièmement, parce que la doute s’oppose à la certitude de la foi, mais que le manque de confiance ou l’hésitation s’oppose à la certitude de l’espérance. C’est pourquoi il faut savoir que la certitude de l’espérance, pour ce qui est de l’inclination de l’habitus, est plus grande chez celui qui possède une foi formée, même si l’on sait d’avance qu’il est destiné à la mort, que chez le prédestiné qui possède une foi informe; mais, dans la mesure où elle inclut la certitude qui vient d’une disposition divine et des mérites qu’on a en vue, elle est égale chez les deux.

Articulus 5 [11044] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5 tit. Utrum in Christo fuerit spes

Article 5 – L’espérance existait-elle chez le Christ ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [L’espérance existait-elle chez le Christ ?]

 [11045] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5 qc. 1 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod in Christo fuerit spes. Ps. 30, 1: in te domine speravi; et exponitur in persona Christi. Ergo habuit spem.

1. Il semble que l’espérance existait chez le Christ. Ps 30, 1 : En toi, Seigneur, j’ai espéré : on l’interprète de la personne du Christ. Il a donc possédé l’espérance.

 [11046] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5 qc. 1 arg. 2 Praeterea, deerat ei aliquid ad beatitudinem, scilicet gloria corporis. Ergo potuit illam sperare, cum spes sit expectatio beatitudinis.

2. Il lui manquait quelque chose pour la béatitude : la gloire du corps. Il pouvait donc l’espérer, puisque l’espérance est l’attente de la béatitude.

 [11047] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, spes est de non visis, Rom. 8. Sed Christus videbat bona aeterna, quorum est spes. Ergo non habuit spem.

Cependant, l’espérance porte sur ce qui n’est pas vu, Rm 8. Or, le Christ voyait les biens éternels, sur lesquels porte l’espérance. Il n’avait donc pas l’espérance.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Les anges et les âmes des saints ont-ils l’espérance ?]

 [11048] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod Angeli et animae sanctorum spem habeant. Angelis enim accrescit gaudium ex salute illorum quos custodiunt: Luc. 15, 10: gaudium est Angelis Dei super uno peccatore poenitentiam agente; et similiter etiam sancti gaudent de bonis aliorum, quae quotidie fiunt. Ergo habent aliquid quod sperent.

1. Il semble que les anges et les âmes des saints aient l’espérance. En effet, la joie pour le salut de ceux qu’ils gardent augmente chez les anges. Lc 5, 10 : Les anges de Dieu se réjouissent pour un pécheur qui fait pénitence; de même aussi, les saints se réjouissent-ils des biens des autres, qui sont accomplis chaque jour. Ils ont donc quelque chose à espérer.

 [11049] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5 qc. 2 arg. 2 Praeterea, animae sanctorum expectant stolam corporis; unde dictum est eis, Apoc. 6, 11, ut expectarent adhuc modicum tempus, donec compleantur conservi eorum. Sed expectatio est spei. Ergo ipsi habent spem.

2. Les âmes des saints attendent la tunique du corps. Aussi leur a-t-il été dit, Ap 6, 11 : Afin qu’ils attendent encore un peu, le temps que soient au complet ceux qui ont servi avec eux. Or, l’attente relève de l’espérance. Ils ont donc l’espérance.

 [11050] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5 qc. 2 s. c. 1 Sed contra: cum venerit quod perfectum est, evacuabitur quod ex parte est, 1 Corinth. 13, 10. Sed spes ex parte est, quia est de non habitis. Ergo cum sanctis venerit quod perfectum est, videtur quod spem non habeant.

Cependant, lorsque sera venu ce qui est parfait, ce qui est imparfait sera rejeté, 1 Co 13, 10. Or, l’espérance porte sur ce qui est imparfait, car elle porte sur ce qui n’est pas possédé. Lorsque ce qui est parfait sera venu pour les saints, il semble donc qu’ils n’auront pas l’espérance.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Les pères qui étaient dans les limbes avaient-ils l’espérance ?]

 [11051] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5 qc. 3 arg. 1 Videtur quod nec patres qui erant in Limbo, spem habuerint. Quia spes quae differtur, affligit animam, ut dicitur in Prov. 13, 12. Sed in sanctis patribus qui erant in Limbo, non erat aliqua afflictio. Ergo non habebant spem.

1. Il semble que les pères qui étaient dans les limbes n’avaient pas non plus l’espérance, car, l’espérance qui est reportée afflige l’âme, comme il est dit dans Pr 13, 12. Or, chez les saints pères qui se trouvaient dans les limbes, il n’y avait pas d’affliction. Ils n’avaient donc pas d’espérance.

 [11052] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5 qc. 3 arg. 2 Praeterea, spes procedit ex meritis. Sed ipsi non erant in statu merendi; similiter nec illi qui sunt in Purgatorio. Ergo non habent spem.

2. L’espérance vient des mérites. Or, ceux-ci n’étaient pas en état de mériter; de même ne le sont pas non plus ceux qui sont au purgatoire. Ils ne possèdent donc pas l’espérance.

 [11053] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, quicumque cupit aliquid quod nondum habet, expectat illud. Sed patres qui erant in Limbo, cupiebant beatitudinem, quam nondum habebant. Ergo expectabant illam; ergo habebant spem.

Cependant, quiconque désire quelque chose qu’il n’a pas encore l’attend. Or, les pères qui étaient dans les limbes désiraient la béatitude, qu’ils ne possédaient pas encore. Ils l’attendaient donc. Ils avaient donc l’espérance.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Les damnés et les démons ont-il l’espérance ?]

 [11054] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod etiam damnati et Daemones habeant spem. Job 40, 28, dicitur de ipso: spes ejus frustrabitur eum. Ergo habet spem.

1. Il semble que les damnés et les démons aient l’espérance. En Jb 40, 28, il est dit de lui-même : Son espoir sera illusoire. Il a donc l’espérance.

 [11055] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5 qc. 4 arg. 2 Praeterea, sicut fides est informis, ita et spes. Sed habent fidem informem. Ergo et spem.

2. De même que la foi est informe, de même aussi l’espérance. Or, ils ont une foi informe. Ils ont donc aussi l’espérance.

 [11056] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5 qc. 4 s. c. 1 Sed contra, spes non est de impossibili. Sed Daemones et damnati, cum sint in malitia obstinati, non possunt pervenire ad vitam aeternam. Ergo non possunt habere spem.

Cependant, l’espérance ne porte pas sur quelque chose d’impossible. Or, les démons et les damnés, puisqu’ils sont obstinés dans le mal, ne peuvent parvenir à la vie éternelle. Ils ne peuvent donc avoir l’espérance.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [11057] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod Christus non habuit spem: quia spes imperfectionem importat, cum fundetur supra agnitionem aenigmaticam; nihil autem imperfectionis ex parte perfectionum animae fuit in Christo; et ideo non fuit in ipso spes.

Le Christ n’avait pas l’espérance, car l’espérance comporte une imperfection, puisqu’elle se fonde sur une connaissance énigmatique. Or, aucune imperfection n’existait chez le Christ du côté des perfections de l’âme. C’est pourquoi il n’y avait pas d’espérance chez lui.

 [11058] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod spes sumitur ibi pro expectatione praemii accidentalis, de quo non est proprie spes, quae habet Deum pro objecto; et ideo non sequitur quod Christus proprie spem habuerit.

1. On entend là l’espérance de l’attente de la récompense accidentelle, sur laquelle ne porte pas à proprement parler l’espérance, qui a Dieu comme objet. Il n’en découle donc pas que le Christ ait eu l’espérance au sens propre.

 [11059] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5 qc. 1 ad 2 Et similiter dicendum ad secundum: quia gloria corporis non est principalis in beatitudine.

2. La gloire du corps n’est pas la principale dans la béatitude.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [11060] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod Angeli et beatorum animae, proprie loquendo, spem non habent; et hoc patet ex duobus. Primo, quia cum spes sit virtus theologica, habet Deum pro objecto; et quia gaudium eorum, quod de Deo habent, crescere non potest, ideo illud quod eis accrescit, non pertinet ad spem. Secundo, quia est de arduo et difficili; et quia habenti gloriam essentialem, quae in Dei visione consistit, quidquid aliud creatum est, parvum est; et ideo non potest esse spes neque de gaudio quod de salute aliorum eis accrescit, neque de gaudio quod accrescit animae de gloria corporis; sed potest esse de eis desiderium; et hoc desiderium expectatio large dicitur.

Au sens propre, les anges et les âmes des bienheureux n’ont pas l’espérance, et cela ressort de deux choses. Premièrement, parce l’espérance étant une vertu théologale, elle a Dieu pour objet; et parce que leur joie, qu’ils reçoivent de Dieu, ne peut croître; aussi ce qui s’accroît chez eux ne concerne pas à l’espérance. Deuxièmement, parce que [l’espérance] porte sur ce qui est ardu et difficile, et parce que, pour celui qui possède la gloire essentielle qui consiste dans la vision de Dieu, toute autre réalité créée est peu de chose. C’est pourquoi il ne peut exister d’espérance ni de joie qui s’ajoutent chez eux en raison du salut des autres, ni de joie qui s’ajoute à propos de la gloire du corps, mais il peut en exister le désir. Ce désir est appelé au sens large une attente.

 [11061] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5 qc. 2 ad arg. Et per hoc patet solutio ad objecta.

1-2. Ainsi ressort la réponse aux objections.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [11062] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod illi qui sunt in Purgatorio, et patres qui erant in Limbo, habebant spem: quia spes non evacuatur nisi secundum hoc quod aliquis habet actu id quod speravit; sicut fides evacuatur per id quod videt illud quod credidit. Illi autem qui in Limbo patrum erant, et qui sunt modo in Purgatorio, nondum habent beatitudinem, de qua est spes; et ideo spes eorum quam in hac vita habebant, non est evacuata.

Ceux qui sont au purgatoire et les pères qui étaient dans les limbes avaient l’espérance, car l’espérance n’est rejetée que parce que quelqu’un possède en acte ce qu’il espérait, comme la foi est rejetée du fait qu’il voit ce qu’il croyait. Or, ceux qui se trouvaient dans les limbes des pères et sont maintenant au purgatoire ne possèdent pas encore la béatitude sur laquelle porte l’espérance. C’est pourquoi l’espérance qu’ils avaient en cette vie n’a pas été rejetée.

 [11063] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod dilatio spei antiquis patribus non faciebat afflictionem, quia afflictionis capaces non erant. Vel dicendum, quod quamvis spes ratione absentiae speranti afflictionem faciat, tamen ratione certitudinis delectationem facit. Et quia certitudo spei in eis deficere non poterat, ideo delectatio quae ex certitudine causabatur, absorbebat omnem afflictionem, quae ex absentia contingere posset.

1. Le report de l’espérance ne causait pas d’affliction chez les pères anciens, car ils n’étaient pas capables d’affliction. Ou bien il faut dire que, bien que l’espérance cause une affliction chez celui qui espére en raison de l’absence, elle cause cependant une délectation en raison de sa certitude. Et parce que la certitude de l’espérance ne peut leur faire défaut, la délectation qui était causée par la certitude absorbait toute affliction qui pouvait survenir en raison de l’absence.

 [11064] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis non sint in statu merendi, tamen prius meruerunt, et ex illis meritis spes eorum provenit.

2. Bien qu’ils ne soient pas en état de mériter, ils avaient cependant mérité antérieurement, et leur espérance provenait de ces mérites.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

 [11065] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod spes fundatur super facultatem perveniendi ad illud quod speratur, vel veram vel aestimatam. In Daemonibus autem et damnatis non est facultas ad beatitudinem perveniendi neque in rei veritate neque in eorum aestimatione, quia suae damnationis ignari non sunt; et ideo in eis spes futurae beatitudinis esse non potest.

L’espérance se fonde sur la capacité vraie ou estimée de parvenir à ce qui est espéré. Or, chez les démons et les damnés, il n’existe pas de capacité de parvenir à la béatitude, ni en vérité ni selon leur estimation, car ils n’ignorent pas leur damnation. C’est pourquoi il ne peut exister chez eux d’espérance de la béatitude future.

 [11066] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod spes ibi improprie sumitur pro expectatione dilationis judicii: unde etiam Christo dicebant, Matth. 8, 29: venisti ante tempus torquere nos.

1. L’espérance est entendue là au sens impropre pour l’attente du report du jugement. Aussi disaient-ils aussi au Christ, Mt 8, 29 : Tu es venu avant le temps pour nous torturer.

 [11067] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod fides non est tantum de illis quae pertinent ad se, sicut spes; et ideo possunt habere fidem de Deo et de aliis, non autem spem de seipsis. Vel dicendum, quod fides informis nullo modo facit tendere in Deum, sicut facit spes etiam informis aliquo modo, ut prius dictum est; et ideo non est simile de fide et spe.

2. La foi ne porte pas seulement sur ce qui concerne soi-même, comme l’espérance. C’est pourquoi ils peuvent avoir la foi en Dieu et dans les autres, mais l’espérance pour eux-mêmes. Ou bien il faut dire que la foi informe ne fait aucunement tendre vers Dieu, comme le fait aussi d’une certaine manière l’espérance informe, ainsi qu’on l’a dit plus haut. C’est pourquoi il n’en va pas de même de la foi et de l’espérance.

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Distinction 26

 [11068] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5 qc. 4 expos. Qua spiritualia et aeterna bona sperantur. Contra. Aeternum est unum tantum. Ergo non debuit pluraliter dicere aeterna. Praeterea, spes est de futuro. Omne autem futurum, est temporale; nullum temporale aeternum. Ergo spes non est de aeternis. Praeterea, nullum temporale aeternum. Ergo superfluit quod dixit, spiritualia. Et dicendum, quod illud quod per se est aeternum, est unum tantum; sed ejus aeternitas participatur quantum ad multa bona in beatis, scilicet quantum ad diversas dotes; et hae participationes dicuntur bona aeterna, non quia careant principio, sed quia carent fine. Vel referendum est ad pluralitatem attributorum. Ad secundum dicendum, quod illud quod in se est aeternum, est futurum speranti; et sic de Deo potest esse spes. Ad tertium dicendum, quod spiritualia dicit propter dotes corporis, quae corporalia sunt, et quodammodo aeterna, inquantum in perpetuum durabunt. Vel dicendum, quod utrumque posuit, ut quasi gradatim ad objectum proprium spei perveniretur: quia est de bono spirituali, neque quolibet, sed de aeterno, quod est Deus. Est enim spes certa expectatio futurae beatitudinis. Haec definitio datur per actum, ut dictum est. Prima autem data fuit per genus. Quam natura praeit caritas. Verum est secundum quod est virtus, quod non habet nisi secundum quod est informata caritate. Vel natura praeit, sicut perfectum imperfecto prius est natura, tempore posterius. Spes est de invisibilibus. Contra, aliquis sperat pecuniam quam videt. Dicendum, quod spes, proprie loquendo, est de non habitis. In spiritualibus autem et aeternis, ea videre, est ipsa habere; non autem in corporalibus; et ideo dicitur esse de invisibilibus. Vel dicendum, quod dicitur esse de invisibilibus, inquantum est de futuris: quia pecunia etsi videatur in se, non tamen videtur ut possessa; et hoc modo spes in ipsam tendit. Spes autem non nisi bonarum rerum est, nec nisi futurarum rerum, et ad eum pertinentium qui earum spem gerere perhibetur. Contra, Luc. 24, 21: nos autem sperabamus quod ipse esset redempturus Israel. Ergo spes est etiam de alienis. Praeterea, aliquis desperat de aliquo alio, sicut dicit Augustinus, quod de nemine est desperandum, quamdiu est in hac vita. Ergo et sperari potest de alienis. Praeterea, sicut homo expectat bonum proprium, ita et per invidiam malum alienum. Ergo spes est etiam de malis. Praeterea, beatitudo nec in se est futura, sed aeterna; nec respectu praesciti, quia nunquam habebit eam. Ergo spes non semper est de futuris. Et dicendum ad primum, quod spes est de re aliqua, sicut dicitur: spero beatitudinem; et sic non est nisi de pertinentibus ad se. Est etiam de eventu, sicut dicimus: spero quod hoc eveniat; et sic est de illis quae ad alios pertinent: tamen de hoc eventu non est spes nisi inquantum aestimatur ut bonum speranti. Et per hoc patet solutio ad secundum. Ad tertium dicendum, quod malum alterius invidus aestimat bonum suum; unde est de malo alieno sicut de bono suo. Ad quartum dicendum, quod quamvis praescitus non sit habiturus vitam aeternam in rei veritate, et ita non sit ei futura; est tamen ei futura quantum ad suam aestimationem, alias non speraret; et iterum inquantum est in ordine divinae largitatis et possibilitatis istius vel ad recipiendum gratiam vel merendum; sicut dicitur illud futurum ad cujus eventum sunt causae ordinatae in natura, quamvis nunquam eveniat, secundum quod dicit philosophus 2 de generatione, quod futurus quis incedere, non incedet.

 

 

 

Distinctio 27

Distinction 27 – [La charité]

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [Qu’est-ce que l’amour ?]

Prooemium

Prologue

 [11069] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de fide et spe, hic tertio determinat de caritate. Dividitur autem haec pars in duas: in prima determinat de caritate qua nos diligimus Deum; in secunda de caritate qua nos diligit Deus, dist. 32: praemissis adjiciendum est de dilectione Dei qua ipse diligit nos. Prima in duas: in prima determinat de ipsa caritate; in secunda de caritatis duratione, ibi: illud quoque non est praetermittendum quod quidam asserunt caritatem semel habitam ab aliquo non posse excidere. Prima in duas: in prima determinat de ipsa dilectione caritatis; in secunda de his quae per caritatem diliguntur, dist. 28, ibi: hic quaeri potest, utrum in illo mandato dilectionis proximi totum proximum (...) diligere praecipiamur. Prima in tres partes: in prima continuat se ad praecedentia; in secunda prosequitur suam intentionem, ibi: caritas est dilectio qua diligitur Deus; in tertia continuat se ad sequentia, ibi: sed quae hac dilectione diligenda sint, inquiramus. Secunda harum partium dividitur in duas: in prima determinat de dilectione caritatis, secundum quod duobus praeceptis imperatur; in secunda ostendit quod illa duo praecepta mutuo se includunt, ibi: cum autem duo sint praecepta caritatis, pro utroque saepe unum ponitur. Prima in duas: in prima determinat de dilectione caritatis, secundum quod per duo praecepta in duo diligenda dirigitur, scilicet Deum et proximum; in secunda inquirit modum dilectionis quantum ad utrumque diligibile, ibi: consequenter modum utriusque dilectionis advertamus. Circa primum duo facit: primo ostendit quod per caritatem Deus et proximus diligitur; secundo ostendit quod ex eadem caritate, ibi: hic quaeritur, si ex eadem dilectione diligitur Deus qua diligitur proximus. Consequenter modum utriusque dilectionis advertamus. Hic ostendit modum praedictae dilectionis: et primo quantum ad dilectionem proximi; secundo quantum ad dilectionem Dei, ibi: dilectionis autem Dei modus insinuatur cum dicitur, ex toto corde. Et circa hoc tria facit: primo ostendit dilectionis nostrae modum respectu Dei; secundo ostendit ubi modus ille observari possit, ibi: illud autem praeceptum non penitus impletur ab homine in hac mortali vita. Tertio movet quamdam quaestionem, ibi: sed cur praecipitur homini ista perfectio. Hic est triplex quaestio. Prima de amore in generali. Secunda de caritate. Tertia de actu et modo caritatis. Circa primum quaeruntur quatuor: 1 quid sit amor; 2 in quo sit; 3 de comparatione ejus ad alias animi affectiones; 4 de comparatione ejus ad ea quae in cognitione sunt.

Après avoir déterminé de la foi et de l’espérance, le Maître détermine ici, en troisième lieu, de la charité. Cette partie se divise en deux : dans la première, il détermine de la charité par laquelle nous aimons Dieu; dans la seconde, de la charité par laquelle Dieu nous aime, d. 32 : « Il faut ajouter à ce qui a été dit plus haut l’amour de Dieu, par lequel lui-même nous aime. » La première partie se divise en deux : dans la première, il détermine de la charité elle-même; dans la seconde, de la durée de la charité, à cet endroit : « Il ne faut pas omettre que certains affirment que la charité une fois possédée par quelqu’un ne peut être retranchée... » La première partie se divise en deux : dans la première, il détermine de l’amour de charité lui-même; dans la seconde, de ceux qui sont aimés de charité, d. 28, à cet endroit : « Ici, on peut se demander si, par ce commandement de l’amour du prochain, il nous est ordonné d’aimer… tout prochain. » La première partie se divise en trois : dans la première, il poursuit ce qui précède; dans la deuxième, il traite de son intention, à cet endroit : « La charité est l’amour par lequel Dieu est aimé »; dans la troisième, il se rattache à ce qui suit, à cet endroit : « Mais recherchons ceux qui doivent être aimés de cet amour. » La seconde partie se divise en deux : dans la première, il détermine de l’amour de charité, selon qu’il relève de deux commandements; dans la seconde, il montre que ces deux commandements s’incluent mutuellement, à cet endroit : « Puisqu’il existe deux commandements de la charité, l’un est souvent pris pour les deux. » La première partie se divise en deux : dans la première, il détermine de l’amour de charité, selon qu’il est orienté par deux commandements à l’amour de deux réalités : Dieu et le prochain; dans la seconde, il s’enquiert du mode de l’amour selon ces deux objets d’amour, à cet endroit : « En conséquence, tournons-nous vers le mode des deux amours. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il montre que, par la charité, Dieu et le prochain sont aimés; deuxièmement, il montre que c’est par la même charité, à cet endroit : « Ici, on se demande si Dieu est aimé par la même charité que le prochain. » « En conséquence, tournons-nous vers le mode des deux amours. » Ici, il montre le mode de l’amour dont il a été question : premièrement, pour l’amour du prochain; deuxièment, pour l’amour de Dieu, à cet endroit : « Le mode de l’amour de Dieu est déclaré lorsqu’il est dit : De tout ton cœur. » À ce sujet, il fait trois choses. Premièrement, il montre le mode de notre amour envers Dieu. Deuxièmement, il montre où ce mode peut être observé, à cet endroit : « Mais ce commandement n’est pas pleinement accompli par l’homme en cette vie mortelle. » Troisièmement, il soulève une question, à cet endroit : « Mais pourquoi cette perfection est-elle ordonnée à l’homme ? » Il y a ici une triple question. La première porte sur l’amour en général. La deuxième, sur la charité. La troisième, sur l’acte et le mode de la charité. À propos du premier point, quatre questions sont posées : 1 – Qu’est-ce que l’amour ? 2 – Chez qui existe-t-il ? 3 –Sa comparaison avec les autres affections de l’âme. 4 – Sa comparaison avec ce qui existe dans la connaissance.

Articulus 1 [11070] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 1 tit. Utrum definitio Dionysii de amore, secundum omnem partem suam sit bona

Article 1 – La définition que Denys donne de l’amour est-elle bonne en toutes ses parties ?

 [11071] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Dionysius 4 cap. de Div. Nom. sic definit amorem: amor virtus est unitiva, movens superiora ad providentiam minus habentium, idest inferiorum: coordinata autem, idest aequalia, rursus ad communicativam alternam habitudinem: subjecta, idest inferiora, ad meliorum, idest superiorum, conversionem. Sed videtur quod inconvenienter definiatur hic amor. Nulla enim passio est virtus, ut dicitur 2 Eth. Sed amor est passio. Ergo non est virtus.

1. Denys définit ainsi l’amour dans Les noms divins, IV : « L’amour est une puissance unitive qui meut les réalités supérieures à s’occuper de ceux qui ont moins ‑ c’est-à-dire les inférieures; les réalités ordonnées entre elles, ‑ c’est-à-dire, les réalités égales ‑, à établir un rapport réciproque; celles qui sont soumises – c’est-à-dire les inférieures ‑, à se toourner vers les meilleures – c’est-à-dire les réalités supérieures. » Or, il semble que l’amour soit défini ici de manière inappropriée. En effet, aucune passion n’est une vertu, comme il est dit dans Éthique, II. Or, l’amour est une passion. Il n’est donc pas une vertu.

 [11072] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, Augustinus dicit, quod amor est jam habiti. Sed illud quod jam habitum est, quodammodo est unitum. Ergo amor non est virtus unitiva, sed unionem sequens.

2. Augustin dit que « l’amour porte sur ce qui est déjà possédé ». Or, ce qui est déjà possédé est uni d’une certaine manière. L’amour n’est donc pas une puissance unitive, mais il découle de l’union.

 [11073] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, illud quod magis salvatur in dissimilitudine non habet vim uniendi. Sed amor magis salvatur in dissimilitudine quam in similitudine. Videmus enim quod artifices unius artis, sicut figuli, corrixantur ad invicem; cum aliis autem artificibus pacifice vivunt. Similiter stomachus vacuus cibum amat, quem plenus abhorret. Ergo amor non habet vim uniendi.

3. Ce qui est davantage préservé dans la dissimilitude n’a pas de puissance unitive. Or, l’amour est davantage préservé dans la dissimilitude que dans la similitude. En effet, nous voyons que les artisans d’un art, comme les potiers, se querellent entre eux, mais ils vivent en paix avec les autres artisans. De même, un estomac vide aime la nourriture, que celui qui est rempli déteste. L’amour n’a donc pas la capacité d’unir.

 [11074] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, Dionysius, inter proprietates amoris ponit acutum et fervidum; et etiam liquefactio ponitur effectus amoris; Cant. 5, 6: anima mea liquefacta est. Dionysius etiam ponit effectum amoris extasim, idest extra se positionem. Haec autem omnia ad divisionem pertinere videntur, quia acuti est penetrando dividere; fervidi vero per exhalationem resolvi; liquefactio autem divisio quaedam est congelationi opposita: quod etiam est extra se positum, a seipso dividitur. Ergo amor magis est vis divisiva quam unitiva.

4. Parmi les propriétés de l’amour, on dit qu’il est pénétrant et fervent; la liquéfaction est aussi donnée comme un effet de l’amour, Ct 5, 6 : Mon âme a fondu. Denys donne aussi comme effet de l’amour l’extase, c’est-à-dire le fait d’être hors de soi. Or, toutes ces choses semblent se rapporter à la division, car il revient à ce qui est aigu de diviser en pénétrant, mais à ce qui est fervent, de se dissoudre en rendant l’âme; la liquéfaction est aussi une certaine division opposée à la congélation; et ce qui est mis hors de soi est divisé de soi. L’amour est donc plutôt une puissance de division que d’union.

 [11075] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, omnis concretio est quaedam unio. Ergo superfluum fuit utrumque ponere in definitione amoris, unitivum, et concretivum.

5. Toute cohésion est une union. Il était donc superflu de placer les deux dans la définition de l’amour : [sa capacité] d’union et de cohésion.

 [11076] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 1 arg. 6 Praeterea, amor est passio. Sed passionis non est movere, immo motionis et actionis effectum esse. Ergo amor non est movens superiora, ut ipse dicit.

6. L’amour est une passion. Or, il n’appartient pas à la passion de mouvoir, mais plutôt d’être l’effet d’un mouvement et d’une action. L’amour ne meut donc pas les réalités supérieures, comme il le dit.

 [11077] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 1 arg. 7 Praeterea, superiora inclinantur ad agendum in inferiora ex propriis formis. Sed agendo in ipsa eis provident. Ergo non est amoris movere superiora ad providendum inferioribus, sed naturae.

7. Les réalités supérieures sont inclinées à agir sur les inférieures en raison de leurs propres formes. Or, en agissant sur elles, elles s’en occupent. Il ne revient donc pas à l’amour, mais à la nature, de mouvoir les réalités supérieures afin de s’en occuper.

 [11078] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 1 arg. 8 Praeterea, omne quod communicat aliquid alicui praefertur illi. Ergo non est aequalium ut sibi mutuo per amorem communicent.

8. Tout ce qui communique quelque chose à quelqu’un le dépasse. Il ne revient donc pas aux réalités égales de se rejoindre mutuellement par l’amour.

 [11079] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 1 arg. 9 Praeterea, omne quod fit ex amore procedit ex principio intrinseco, quod est voluntarium. Sed conversio inferiorum ad superiora est ex principio extrinseco, scilicet ex ipsa actione superiorum, qua sibi ea assimilant. Ergo amor inferiora non convertit ad superiora.

9. Tout ce qui est fait par amour provient d’un principe intérieur qui est volontaire. Or, le fait pour les réalités inférieures de se tourner vers les réalités supérieures vient d’un principe extrinsèque : l’action même des réalités supérieures, par laquelle elles se les assimile. L’amour ne tourne donc pas les réalités inférieures vers les réalités supérieures.

 [11080] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod amor ad appetitum pertinet; appetitus autem est virtus passiva; unde in 3 de anima, dicit philosophus, quod appetibile movet sicut movens motum. Omne autem passivum perficitur secundum quod informatur per formam sui activi; et in hoc motus ejus terminatur et quiescit; sicut intellectus, antequam formetur per forma intelligibilis, inquirit et dubitat: qua cum informatus fuerit, inquisitio cessat, et intellectus in illo figitur; et tunc dicitur intellectus firmiter illi rei inhaerere. Similiter quando affectus vel appetitus omnino imbuitur forma boni quod est sibi objectum, complacet sibi in illo, et adhaeret ei quasi fixus in ipso; et tunc dicitur amare ipsum. Unde amor nihil aliud est quam quaedam transformatio affectus in rem amatam. Et quia omne quod efficitur forma alicujus, efficitur unum cum illo; ideo per amorem amans fit unum cum amato, quod est factum forma amantis; et ideo dicit philosophus 9 Ethic., quod amicus est alter ipse; et 1 Corinth. 6, 17: qui adhaeret Deo unus spiritus est. Unumquodque autem agit secundum exigentiam suae formae, quae est principium agendi et regula operis. Bonum autem amatum est finis: finis autem est principium in operabilibus sicut prima principia in cognoscendis. Unde sicut intellectus formatus per quidditates rerum ex hoc dirigitur in cognitione principiorum, quae scitis terminis cognoscuntur; et ulterius in cognitionibus conclusionum, quae notae fiunt ex principiis; ita amans, cujus affectus est informatus ipso bono, quod habet rationem finis, quamvis non semper ultimi, inclinatur per amorem ad operandum secundum exigentiam amati; et talis operatio est maxime sibi delectabilis, quasi formae suae conveniens; unde amans quidquid facit vel patitur pro amato, totum est sibi delectabile, et semper magis accenditur in amatum, inquantum majorem delectationem in amato experitur in his quae propter ipsum facit vel patitur. Et sicut ignis non potest retineri a motu qui competit sibi secundum exigentiam suae formae, nisi per violentiam; ita neque amans quin agat secundum amorem; et propter hoc dicit Gregorius, quod non potest esse otiosus, immo magna operatur, si est. Et quia omne violentum est tristabile, quasi voluntati repugnans, ut dicitur 5 Metaphys.; ideo etiam est poenosum contra inclinationem amoris operari, vel etiam praeter eam; operari autem secundum eam, est operari ea quae amato competunt. Cum enim amans amatum assumpserit quasi idem sibi, oportet ut quasi personam amati amans gerat in omnibus quae ad amatum spectant; et sic quodammodo amans amato inservit, inquantum amati terminis regulatur. Sic ergo Dionysius completissime rationem amoris in praedicta assignatione ponit. Ponit enim ipsam unionem amantis ad amatum, quae est facta per transformationem affectus amantis in amatum, in hoc quod dicit amorem esse unitivam et concretivam virtutem; et ponit inclinationem ipsius amoris ad operandum ea quae ad amatum spectant, sive sit superius, sive inferius, sive aequale, in hoc quod dicit: movens superiora et cetera.

Réponse. L’amour relève de l’appétit; or, l’appétit est une puissance passive. Aussi, dans Sur l’âme, III, le Philosophe dit-il que ce qui est désirable meut comme un moteur qui est mû. Or, tout ce qui est passif est achevé en recevant la forme de ce qui le meut; c’est en cela que son mouvement se termine et se repose, comme l’intellect, avant qu’il ne reçoive une forme par la forme (corr. forma/formam) de l’intelligible, cherche et doute; lorsqu’il en a reçu la forme, la recherche cesse et l’intellect se fixe sur cela. On dit alors que l’intellect adhère fermement à cette chose. De la même manière, lorsque l’affectivité ou l’appétit est entièrement imprégnée par la forme du bien qui est son objet, elle se plaît en lui et y adhère comme si elle était établie en lui. On dit alors qu’elle l’aime. L’amour n’est donc rien d’autre qu’une transformation de l’affectivité en la chose aimée. Et parce que tout ce qui devient la forme de quelque chose devient un avec lui, celui qui aime devient un par l’amour avec ce qui est aimé, qui est devenu la forme de celui qui aime. C’est pourquoi le Philosophe dit, dans Éthique, IX, que « l’ami est un autre soi-même »; et il est dit dans 1 Co 6, 17 : Celui qui adhère à Dieu est un seul esprit [avec lui]. Or, tout agit selon que sa forme l’exige, laquelle est le principe de l’action et la règle de l’œuvre. Or, le bien aimé est une fin, et la fin est, pour ce qui est objet d’action, comme les premiers principes pour ce qui objet de connaissance. De même donc que l’intellect, formé par les quiddités des choses, est ainsi dirigé dans la connaissance des principes, qui sont connus du fait que les termes sont connus, et, par la suite, dans la connaissance des conclusions, qui deviennent connues par les principes, de même celui qui aime, dont l’affectivité a reçu la forme du bien lui-même, qui a raison de fin, bien que ce ne soit pas toujours [le bien] ultime, est incliné par l’amour à agir selon que l’exige celui qui est aimé. Et une telle action lui est au plus haut point délectable, comme si elle convenait à sa forme. Quoi que fasse ou subisse pour l’aimé celui qui aime, tout lui est délectable, et il s’enflamme toujours davantage pour l’aimé, dans la mesure où il éprouve une plus grande délectation pour l’aimé dans ce qu’il fait ou supporte pour lui. Et de même que le feu ne peut être empêché que par la violence dans le mouvement qui lui convient selon que l’exige sa forme, de même celui qui aime [ne peut-il être empêché] d’agir selon son amour. Pour cette raison, Grégoire dit qu’« il ne peut rester inactif, bien plus, il fait de grandes choses, s’il aime ». Et parce que tout ce qui est violent est source de tristesse puisque que cela répugne à la volonté, ainsi qu’il est dit dans Métaphysique, V, il est aussi pénible d’agir à l’encontre de l’inclination de l’amour ou encore indépendamment d’elle; mais agir selon elle, c’est faire ce qui convient à l’aimé. En effet, puisque celui qui aime a considéré l’aimé comme identique à lui-même, il est nécessaire que celui qui aime joue le rôle de l’aimé en tout ce qui concerne l’aimé. Celui qui aime devient ainsi d’une certaine manière l’esclave de l’aimé, pour autant qu’il est soumis aux termes de l’aimé. Ainsi donc, Denys donne-t-il de manière très complète la raison de l’amour dans la définition rappelée. En effet, il indique l’union même de celui qui aime avec l’aimé, qui s’est réalisée par la transformation de l’affectivité de celui qui aime en l’aimé, lorsqu’il dit que l’amour a une capacité d’union et d’assemblage; et il indique l’inclination de l’amour lui-même à faire ce qui concerne l’aimé, qu’il [lui] soit supérieur, inférieur ou égal, lorsqu’il dit : « … qui meut les réalités supérieures, etc. »

 [11081] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod virtus hic non sumitur pro habitu, sicut in 2 Ethic., sed communiter pro omni eo quod potest esse principium alicujus operationis vel motus. Et quia amor inclinationem facit ad operandum, ut dictum est, ideo amorem virtutem dicit.

1. La vertu n’est pas considérée ici comme un habitus, comme dans Éthique, II, mais, d’une manière générale, pour tout ce qui peut être principe d’une action ou d’un mouvement. Et parce que l’amour donne une inclination à agir, ainsi qu’on l’a dit, il appelle donc l’amour une vertu.

 [11082] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod amor dicitur esse habiti, si ut formatum habet suam formam: quam quidem formationem desiderium praecedit in ipsam tendens, sicut ratio intellectum vel scientiam; et ideo dicitur esse non habiti. Unde amor dicitur virtus unitiva formaliter: quia est ipsa unio vel nexus vel transformatio qua amans in amatum transformatur, et quodammodo convertitur in ipsum. Vel dicendum, quod quietatio affectus in aliquo, quam amor importat, non potest esse nisi secundum convenientiam unius ad alterum: quae quidem convenientia est secundum quod ab uno participatur id quod est alterius; et sic amans quodammodo habet amatum; unde conjunctio quae in habere importatur, est conjunctio rei ad rem, et praecedit unionem rei ad affectum, quae est amor.

2. On dit que l’amour est le fait de ce qui est possédé comme si ce qui en a reçu la forme possédait sa forme. Le désir précède une telle formation en tendant vers elle, comme la raison [précède] la simple intelligence ou la science. C’est pourquoi on dit qu’il est le fait de ce qui n’est pas possédé. L’amour est ainsi appelé une puissance unitive de manière formelle, car il est l’union même, le nœud ou la transformation par lesquels celui qui aime est transformé en l’aimé et, d’une certaine manière, est changé en lui. Ou bien il faut dire que l’apaisement de l’affectivité en quelqu’un, entraîné par l’amour, ne peut exister que selon une conformité de l’un par rapport à l’autre, conformité qui vient de ce l’un participe à ce qu’est l’autre. Ainsi, celui qui aime possède d’une certaine manière l’aimé. L’union qui est impliquée par le fait de posséder est donc l’union d’une réalité à une autre et elle précède l’union de la réalité à l’affectivité qu’est l’amour.

 [11083] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod amoris radix, per se loquendo, est similitudo amati ad amantem; quia sic est ei bonum et conveniens. Contingit autem per accidens dissimilitudinem amoris et similitudinem odii esse causam tripliciter. Uno modo quando affectus amantis non sibi complacet, neque quiescit in conditione vel aliqua proprietate sui ipsius, sicut cum quis aliquid in se ipso odit; et tunc oportet quod diligat ipsum qui in hoc est sibi dissimilis, quia ex hoc ipso quod est dissimilis sibi in conditione, efficitur similis affectui suo; et e contrario odit illum qui sibi similatur, et affectui suo non similatur. Secundo quando aliquis ex ipsa similitudine impedit amantem ab amati fruitione; et hoc invenitur in omnibus rebus quae non possunt simul a multis haberi, sicut sunt res temporales; unde qui amat lucrum de aliqua re, vel delectationem, impeditur a fruitione sui amati per alium, qui sibi vult similiter illud appropriare; et hinc oritur zelotypia, quae non patitur consortium in amato; et invidia, inquantum bonum alterius aestimatur impeditivum boni proprii. Tertio secundum quod dissimilitudo praecedens facit percipi amorem sequentem. Quia enim sentimus in hoc quod sensus movetur (quae quidem motio cessat, quando sensibile jam effectum est forma sentientis), ideo ea quae consuevimus, non ita percipimus; sicut patet de fabris, quorum aures plenae sunt sonis malleorum; et propter hoc amor magis sentitur, quando affectus de novo per amorem ad aliquid transformatur. Et ideo etiam quando aliquis non habet praesentiam sui amati, magis fervet et anxiatur de amato, inquantum magis amorem percipit, quamvis apud praesentiam amati non sit amor minor, sed minus perceptus. Unde Augustinus: amor ipse non ita sentitur cum eum non prodit indigentia: quoniam semper praesto est quod amatur.

3. À parler en soi, la racine de l’amour est la ressemblance de l’aimé avec celui qui aime, car c’est ainsi qu’il est un bien pour lui et lui convient. Mais il arrive par accident qu’une dissemblance soit cause d’amour et une ressemblance, cause de haine de trois manières. Premièrement, lorsque l’affectivité de celui qui aime ne se plaît pas à elle-même et ne se repose pas dans sa condition ou dans une de ses propriétés, comme lorsque quelqu’un hait quelque chose en lui-même; il faut alors qu’il aime celui qui lui est en cela dissemblable, car par le fait même qu’il lui est dissemblable par sa condition, il lui devient semblable par son affectivité; en sens contraire, il hait celui qui est semblable à lui et n’est pas semblable à son affectivité. Deuxièmement, lorsque quelqu’un, en raison de la ressemblance elle-même, empêche celui qui aime de jouir de l’aimé. Cela se rencontre dans toutes les choses qui ne peuvent être possédées en même temps par plusieurs, comme le sont les choses temporelles; ainsi celui qui aime tirer un gain ou un plaisir d’une chose est empêché de jouir de ce qu’il aime par un autre, qui veut semblablement se l’approprier. De là naissent la jalousie, qui ne souffre pas le partage de ce qui est aimé, et l’envie, pour autant que le bien de l’autre est estimé empêcher son bien propre. Troisièmement, une dissimilitude précédente fait percevoir un amour subséquent. En effet, parce que nous sentons du fait que le sens est mû (ce mouvement cesse lorsque le sensible est devenu la forme de celui qui sent), nous ne percevons pas autant ce à quoi nous sommes habitués, comme cela ressort chez les artisans, dont les oreilles sont remplies par les bruits des marteaux. Pour cette raison, l’amour est davantage ressenti lorsque l’affectivité est transformée en quelque chose pour la première fois par l’amour. C’est pourquoi aussi, lorsque quelqu’un n’a pas la présence de ce qu’il aime, il s’échauffe et s’inquiète davantage de l’aimé, dans la mesure où il perçoit davantage l’amour, bien que, lors de la présence de l’aimé, l’amour ne soit pas plus faible, mais moins perçu. Aussi Augustin dit-il : « L’amour même n’est pas autant ressenti lorsque le manque ne le manifeste pas, car ce qui est aimé est toujours là. »

 [11084] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in amore est unio amantis ad amatum, sed est ibi triplex divisio. Ex hoc enim quod amor transformat amantem in amatum, facit amantem intrare ad interiora amati, et e contra; ut nihil amati amanti remaneat non unitum; sicut forma pervenit ad intima formati, et e converso; et ideo amans quodammodo penetrat in amatum, et secundum hoc amor dicitur acutus: acuti enim est dividendo ad intima rei devenire; et similiter amatum penetrat amantem, ad interiora ejus perveniens; et propter hoc dicitur quod amor vulnerat, et quod transfigit jecur. Sed quia nihil potest in alterum transformari nisi secundum quod a sua forma quodammodo recedit, quia unius una est forma, ideo hanc divisionem penetrationis praecedit alia divisio, qua amans a seipso separatur in amatum tendens; et secundum hoc dicitur amor extasim facere, et fervere, quia quod fervet extra se bullit, et exhalat. Quia vero nihil a se recedit nisi soluto eo quod intra seipsum continebatur, sicut res naturalis non amittit formam nisi solutis dispositionibus quibus forma in materia retinebatur, ideo oportet quod ab amante terminatio illa, qua infra terminos suos tantum continebatur, amoveatur; et propter hoc amor dicitur liquefacere cor, quia liquidum suis terminis non continetur; et contraria dispositio dicitur cordis duritia.

4. Dans l’amour, existe l’union de celui qui aime avec ce qui est aimé, mais il s’y trouve une triple division. En effet, parce que l’amour transforme celui qui aime en l’aimé, il fait entrer celui qui aime à l’intérieur de l’aimé, et vice-versa, de sorte que rien de l’aimé ne demeure non uni, comme une forme atteint l’intimité de ce qui est formé, et vice-versa. C’est pourquoi celui qui aime pénètre d’une certaine manière dans l’aimé. Sous cet aspect, on dit que l’amour est acéré. En effet, c’est le propre de ce qui est acéré de parvenir à l’intimité d’une chose en la divisant. De même, l’aimé pénètre dans celui qui aime en parvenant jusqu’à son intimité : pour cette raison, on dit que l’amour blesse et transperce le cœur. Mais parce que rien ne peut être transformé en un autre sans se retirer d’une certaine manière de sa propre forme, puisque il n’y a qu’une seule forme pour un seul être, une autre division précède cette division de la pénétration, par laquelle celui qui aime est séparé de lui-même en tendant vers l’aimé; on dit ainsi que l’amour provoque l’extase et brûle, car ce qui brûle bouillonne hors de soi et expire. Mais parce que rien ne se retire de soi qu’en rompant ce qui était contenu à l’intérieur de soi-même, comme une chose naturelle ne se défait de sa forme qu’en rompant les dispositions par lesquelles la forme était retenue dans la matière, il est nécessaire que soit enlevée par celui qui aime la délimitation par laquelle il était gardé à l’intérieur de ses limites, car un liquide n’est pas maintenu dans ses limites; une disposition contraire est appelée dureté de cœur.

 [11085] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod unio est duplex. Quaedam quae facit unum secundum quid, sicut unio congregatorum se superficialiter tangentium; et talis non est unio amoris, cum amans in interiora amati transferatur, ut dictum est. Alia est unio quae facit unum simpliciter, sicut unio continuorum, et formae et materiae; et talis est unio amoris, quia amor facit amatum esse formam amantis; et ideo supra unionem addit concretionem, ad differentiam primae unionis, quia concreta dicuntur quae simpliciter unum sunt effecta; unde et alia littera habet continuativa.

5. L’union est double. L’une qui rend un de manière relative, comme l’union d’aggrégats qui se touchent de manière superficielle. Telle n’est pas l’union d’amour, puisque celui qui aime est transporté à l’intérieur de l’aimé, comme on l’a dit. L’autre est une union qui rend un simplement, comme l’union de ce qui est continu et celle de la forme et de la matière. Telle est l’union d’amour, car l’amour fait en sorte que l’aimé est la forme de celui qui aime. C’est pourquoi il ajoute à l’union l’incorporation, à la différence de la première union, car on dit que les choses qui sont rendues unes simplement sont incorporées. Aussi une autre version porte-t-elle continuativa.

 [11086] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod appetitus, ut dictum est, movet motus: unde passio, quia movetur ab amato, est ulterius movens secundum exigentiam amati.

6. Comme on l’a dit, l’appétit meut en tant qu’il est mû. Aussi la passion, parce qu’elle est mue par ce qui est aimé, meut-elle par la suite comme l’exige ce qui est aimé.

 [11087] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod ipsa inclinatio superiorum ad providendum inferioribus, quae est eis ex propriis formis, amor eorum dicitur, ut infra patebit.

7. L’inclination même des réalités supérieures à s’occuper des réalités inférieures, qui se réalise chez elles par leurs propres formes, est appelée leur amour, comme cela ressortira plus loin.

 [11088] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod non est inconveniens aequalium simpliciter, unum altero, quo ad quid, majus esse, secundum quod unum indiget altero.

8. Il n’est pas inapproprié qu’un égal soit plus grand que l’autre sous un aspect, selon que l’un a besoin de l’autre.

 [11089] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 1 ad 9 Ad nonum dicendum, quod conversio qua inferiora ad superiora convertuntur, est ordinatio eorum ad finem a superioribus intentum. Et quamvis hujusmodi ordinatio sit a principio extrinseco inquantum ab ipsis superioribus inferiora ordinantur in fines superiorum; nihilominus est et a principio intrinseco, inquantum in inferioribus est quaedam inclinatio ad hoc, vel ex natura, sicut in amore naturali, vel ex voluntate, sicut est in amore animali; et propter hoc Deus dicitur omnia suaviter disponere, inquantum singula etiam ex seipsis faciunt hoc ad quod ordinata sunt.

9. La conversion par laquelle des réalités inférieures se tournent vers des réalités supérieures est leur orientation vers la fin visée par les réalités supérieures. Bien que cette orientation vienne d’un principe extrinsèque, dans la mesure où les réalités inférieures sont ordonnées aux fins des réalités supérieures par celles-ci, elle vient néanmoins aussi d’un principe intrinsèque, dans la mesure où il existe à cela une certaine inclination chez les réalités inférieures, soit par leur nature, comme dans l’amour naturel, soit par volonté, comme dans l’amour animal. Pour cette raison, on dit que Dieu a tout disposé avec douceur, dans la mesure où chaque chose fait aussi par soi-même ce à quoi elle a été ordonnée.

 

 

Articulus 2 [11090] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 2 tit. Utrum amor sit tantum in concupiscibili

Article 2 – L’amour se trouve-t-il seulement dans le concupiscible ?

 [11091] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod amor non sit tantum in concupiscibili. Dionysius enim ponit amorem esse divinum, angelicum, intellectualem, animalem, naturalem. Sed quidquid est in nobis, pertinet ad intellectum, vel animalitatem, vel naturam. Ergo in omnibus quae sunt in nobis, invenitur amor.

1. Il semble que l’amour se trouve seulement dans le concupiscible. En effet, Denys affirme que l’amour est divin, angélique, intellectuel, animal, naturel. Or, tout ce qui est en nous se rapporte à l’intellect, à l’animalité ou à la nature. On trouve donc l’amour dans tout ce qui est en nous.

 [11092] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, Commentator ibidem ponit duas definitiones amoris. Prima est haec: amor est connexio vel vinculum, quo omnium rerum universitas ineffabili amicitia insolubilique unitate copulatur. Secunda est: amor est naturalis motus omnium rerum quae in motu sunt, finis, quietaque statio, ultra quam nullius creaturae progreditur motus. Ex quibus est accipere quod amor in omnibus rebus invenitur. Ergo et in omnibus quae in nobis sunt, sive sint partes animae, sive corporis.

2. Le Commentateur donne au même endroit deux définitions de l’amour. La première est celle-ci : « L’amour est une union ou un lien, par lequel l’ensemble de toutes les choses est uni par une amitié ineffable et une unité indissoluble. » La seconde est : « L’amour est un mouvement naturel de toutes les choses qui sont en mouvement, une fin et un repos apaisé, au-delà desquels ne s’avance le mouvement d’aucune créature. » On comprend de cela que l’amour se trouve dans toutes les choses. [Il est donc] dans tout ce qui est en nous, que ce soit les parties de l’âme ou celles du corps.

 [11093] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, omnis potentia delectatur in conjunctione sui convenientis. Sed delectatio non est nisi in re animata. Ergo et cuilibet potentiae inest amor sui convenientis.

3. Toute puissance se délecte dans l’union avec ce qui lui convient. Or, la délectation n’existe que dans une chose animée. L’amour de ce qui lui convient se trouve donc dans n’importe quelle puissance.

 [11094] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, sicut praedictum est, art. praeced., et ex praedicta definitione colligitur, amor est finis et quietatio appetitivi motus. Sed cuilibet potentiae quae in nobis est, inest appetitus proprii boni, et tendit in ipsum. Ergo in qualibet potentia est invenire amorem.

4. Comme on l’a dit plus haut, à l’article précédent, et comme on le conclut de la définition rappelée plus haut, l’amour est la fin et l’apaisement d’un mouvement de l’appétit. Or, un appétit de son propre bien est présent dans toutes les puissances qui sont en nous et il tend vers lui. On trouve donc l’amour en toute puissance.

 [11095] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, ad minus irascibilis ad partem appetitivam pertinet. Appetitivae autem partis universale objectum est bonum. Cum ergo amor sit boni, videtur quod amor non sit tantum in concupiscibili, sed etiam in irascibili.

5. L’irascible appartient au moins à la partie appétitive. Or, l’objet universel de la partie appétitive est le bien. Puisque l’amour porte sur le bien, il semble donc que l’amour ne se trouve pas seulement dans le concupiscible, mais aussi dans l’irascible.

 [11096] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra est, quod dicit philosophus in 2 Top., quod amor est in concupiscibili.

Cependant, [1] le Philosophe dit en sens contraire, dans Topiques, II, que l’amour se trouve dans le concupiscible.

 [11097] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, ordo partium animae proportionatur ordini partium corporis. Sed in partibus corporis unum membrum officium suum exercet respectu omnium membrorum, sicut pes non solum se, sed omnia alia membra portat. Ergo et concupiscibilis non solum sibi, sed omnibus aliis concupiscit et amat; et ita amor eorum quae ad omnes potentias pertinent, in concupiscibili esse videtur.

 [2] L’ordre entre les parties de l’âme est proportionné à l’ordre entre les parties du corps. Or, dans les parties du corps, un seul membre exerce sa fonction par rapport à tous les membres, comme le pied porte non seulement lui-même, mais tous les autres membres. Le concupiscible ne désire et n’aime donc pas seulement pour lui-même, mais pour tous les autres, et ainsi l’amour de ce qui se rapporte à toutes les puissances semble se trouver dans le concupiscible.

 [11098] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 2 s. c. 3 Praeterea, amor non est nisi cogniti. Si ergo in omnibus viribus esset amor proprii boni, pari ratione in omnibus esset cognitio proprii boni; quod falsum est.

 [3] L’amour ne peut porter que sur ce qui est connu. Si donc existait un amour de son propre bien dans toutes les puissances, il existerait pour la même raison en toutes une connaissance de leur propre bien, ce qui est faux.

 [11099] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 2 s. c. 4 Praeterea, objectum concupiscibilis est bonum concupiscenti conveniens absolute. Sed quidquid est bonum secundum unamquamque potentiam est concupiscenti conveniens. Ergo appetere bonum uniuscujusque potentiae pertinet ad concupiscibilem, et eadem ratione amor; et ita amor non erit nisi in concupiscibili. Probatio primae. Si enim objectum concupiscibilis non esset bonum conveniens concupiscenti simpliciter, esset objectum ejus bonum conveniens solum concupiscibili. Bonum autem conveniens unicuique potentiae est per comparationem ad suum actum, sicut bonum conveniens visui, id quod est bonum ad videndum. Ergo secundum hoc, objectum concupiscibilis esset bonum sub hac ratione qua est bonum ad concupiscendum. Sed hoc est impossibile: quia concupiscere id quod est bonum ad concupiscendum, sequitur reflexionem concupiscibilis super actum suum, secundum quod concupiscit se concupiscere, vel bene concupiscere: illud enim ad quod aliquid est bonum, per prius desideratur, cum sit finis. Sed reflexionem potentiae super suum actum praecedit naturaliter simplex actus ipsius potentiae in suum objectum directe tendens, sicut per prius video colorem, quam videam me videre. Ergo objectum concupiscibilis non potest esse aliquid sub hac ratione quod est bonum ad concupiscendum: quia concupiscere hoc esset naturaliter prius et posterius reflexione concupiscibilis supra suum actum; quod est impossibile. Ergo necessarium est alterum dare, scilicet quod bonum conveniens concupiscenti absolute sit objectum concupiscibilis.

 [4] L’objet du concupiscible est un bien qui convient de manière absolue à celui qui désire. Or, tout ce qui est bon en chaque puissance convient à celui qui désire. Désirer le bien de toutes les puissances relève donc du concupiscible et, pour la même raison, l’amour. Ainsi, l’amour ne se trouvera que dans le concupiscible. Démonstration de la majeure. En effet, si l’objet du concupiscible n’était pas un bien qui convient simplement à celui désire, son objet ne conviendrait qu’au seul concupiscible. Or, le bien qui convient à chaque puissance se prend par rapport à son acte, comme le bien qui convient à la vue est ce qui est bon à voir. L’objet du concupiscible serait ainsi bon sous l’aspect où il est bon à désirer. Or, cela est impossible, car désirer ce qui est bon à désirer découle d’un retour du concupiscible sur son propre acte, selon qu’il désire lui-même désirer ou bien désirer. En effet, ce pour quoi quelque chose est bon est désiré en priorité, puisque cela est la fin. Or, l’acte simple de la puissance elle-même qui tend directement vers son objet précède le retour de la puissance sur son prope acte, comme je vois en priorité une couleur avant que je ne me voie voir. L’objet du concupiscible ne peut donc être quelque chose sous l’aspect où cela est bon à désirer, car désirer cela serait naturellement antérieur et postérieur au retour du concupiscible sur son propre acte, ce qui est impossible. Il est donc nécessaire de dire autre chose : le bien qui convient à celui qui désire est de manière absolue l’objet du concupiscible.

 [11100] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod omne quod sequitur aliquem finem, oportet quod fuerit aliquo modo determinatum ad illum finem: alias non magis in hunc finem quam in alium perveniret. Illa autem determinatio oportet quod proveniat ex intentione finis, non solum ex natura tendente in finem: quia sic omnia essent casu, ut quidam philosophi posuerunt. Intendere autem finem impossibile est, nisi cognoscatur finis sub ratione finis, et proportio eorum quae sunt ad finem in finem ipsum. Cognoscens autem finem et ea quae sunt ad finem, non solum seipsum in finem dirigit, sed etiam alia, sicut sagittator emittit sagittam ad signum. Sic ergo dupliciter aliquid tendit in finem. Uno modo directum in finem a seipso, quod est tantum in cognoscente finem et rationem finis. Alio modo directum ab alio; et hoc modo omnia secundum suam naturam tendunt in fines proprios et naturales, directa a sapientia instituente naturam. Et secundum hoc invenimus duos appetitus: scilicet appetitum naturalem, qui nihil aliud est quam inclinatio rei in finem suum naturalem qui est ex directione instituentis naturam, et iterum appetitum voluntarium, qui est inclinatio cognoscentis finem, et ordinem in finem illum; et inter hos duos appetitus est unus medius, qui procedit ex cognitione finis sine hoc quod cognoscatur ratio finis et proportio ejus quod est ad finem, in finem ipsum; et iste est appetitus sensitivus. Et hujusmodi duo appetitus inveniuntur tantum in natura vivente et cognoscente. Omne autem quod est proprium naturae viventis, oportet quod ad aliquam potentiam animae reducatur in habentibus animam; et ideo oportet unam potentiam animae esse cujus sit appetere, condivisam contra eam cujus est cognoscere, sicut etiam substantiae separatae dividuntur in intellectum et voluntatem, ut dicunt philosophi. Sic ergo patet quod in hoc differt appetitus naturalis et voluntarius, quod inclinatio naturalis appetitus est ex principio extrinseco; et ideo non habet libertatem, quia liberum est quod est sui causa: inclinatio autem voluntarii appetitus est in ipso volente; et ideo habet voluntas libertatem. Sed inclinatio appetitus sensitivi partim est ab appetente, inquantum sequitur apprehensionem appetibilis; unde dicit Augustinus, quod animalia moventur visis: partim ab objecto, inquantum deest cognitio ordinis in finem: et ideo oportet quod ab alio cognoscente finem, expedientia eis provideantur. Et propter hoc non omnino habent libertatem, sed participant aliquid libertatis. Omne autem quod est a Deo, accipit aliquam naturam qua in finem suum ultimum ordinetur. Unde oportet in omnibus creaturis habentibus aliquem finem inveniri appetitum naturalem etiam in ipsa voluntate respectu ultimi finis; unde naturali appetitu vult homo beatitudinem, et ea quae ad naturam voluntatis spectant. Sic ergo dicendum est, quod naturalis appetitus inest omnibus potentiis animae et partibus corporis respectu proprii boni; sed appetitus animalis, qui est boni determinati, ad quod non sufficit naturae inclinatio, est alicujus determinatae potentiae, vel voluntatis vel concupiscibilis. Et inde est quod omnes aliae vires animae coguntur a suis objectis praeter voluntatem: quia omnes aliae habent appetitum naturalem tantum respectu sui objecti; voluntas autem habet praeter inclinationem naturalem, aliam, cujus est ipse volens causa. Et similiter dicendum est de amore, qui est terminatio appetitivi motus: quia amor naturalis est in omnibus potentiis et omnibus rebus; amor autem animalis, ut ita dicam, est in aliqua potentia determinata, vel voluntate, secundum quod dicit terminationem appetitus intellectivae partis; vel in concupiscibili, secundum quod dicit determinationem sensitivi appetitus.

Réponse. Tout ce qui découle d’une fin doit d’une certaine manière avoir été déterminé à cette fin, autrement cela ne parviendrait pas à cette fin plutôt qu’à une autre [fin]. Or, cette détermination doit provenir de l’intention de la fin, et non seulement de la nature qui tend vers cette fin, car alors tout serait hasard, comme l’ont affirmé certains philosophes. Or, avoir l’intention d’une fin est impossible à moins que la fin ne soit connue sous la raison de fin, ainsi que la proportion de ce qui est ordonné à la fin vers la fin même. Or, celui qui connaît la fin et ce qui est ordonné à la fin ne dirige pas seulement lui-même vers la fin, mais aussi d’autres choses, comme l’archer lance la flèche vers la cible. Ainsi donc, quelque chose tend de deux manières vers la fin. Premièrement, en tant que dirigé vers la fin par lui-même, ce qui n’existe que chez celui qui connaît la fin et la raison de fin. D’une autre manière, en tant que dirigé par un autre, et, de cette manière, toutes choses tendent selon leur nature vers leurs fins propres et naturelles, dirigées par la sagesse qui crée la nature. De sorte que nous trouvons deux appétits : l’appétit naturel, qui n’est rien d’autre que l’inclination d’une chose à sa fin naturelle, qui vient de la direction de celui qui crée la nature; et l’appétit volontaire, qui est l’inclination de celui qui connaît la fin et l’ordre à cette fin. Entre ces deux appétits, il existe un qui est intermédiaire : il vient de la connaissance de la fin sans que la raison de fin ne soit connue, ni proportion à la fin elle-même de ce qui est ordonné à la fin : c’est l’appétit sensible. Ces deux appétits se trouvent seulement dans la nature vivante et connaissante. Or, tout ce qui est propre à la nature du vivant doit se ramener à une puissance de l’âme chez ceux qui ont une âme; aussi est-il nécessaire qu’existe une puissance de l’âme à qui il appartient de désirer, par opposition à celle à laquelle il appartient de connaître, de la même manière que les substances séparées se divisent en intellect et volonté, comme le disent les philosophes. Ainsi donc, il ressort que l’appétit naturel et l’appétit volontaire diffèrent en ceci que l’inclination de l’appétit naturel vient d’un principe extrinsèque : c’est pourquoi il n’a pas de liberté, car est libre ce qui est cause de soi. Mais l’inclination de l’appétit volontaire se trouve à l’intérieur de celui-là même qui veut : la volonté possède donc la liberté. Mais l’inclination de l’appétit sensible vient en partie de celui qui désire, pour autant qu’il découle de la perception de ce qui est désirable. Aussi Augustin dit-il que « les animaux sont mus par ce qui est vu », en partie par l’objet, dans la mesure où la connaissance de l’ordre à la fin leur fait défaut. C’est pourquoi il faut que ce qui leur convient leur soit assuré par un autre qui connaît la fin. Or, tout ce qui vient de Dieu reçoit une certaine nature par laquelle il est ordonné à sa fin ultime. Il faut donc que, dans toutes les créatures qui ont une fin, se trouve aussi dans la volonté elle-même un appétit naturel par rapport à la fin ultime. C’est ainsi que l’homme veut par appétit naturel la béatitude et ce qui concerne la nature de la volonté. Il faut donc dire qu’un appétit naturel est inhérent à toutes les puissances de l’âme et à toutes les parties du corps par rapport à leur propre bien; mais l’appétit animal, qui porte sur un bien déterminé, pour lequel l’inclination de la nature ne suffit pas, relève d’une puissance déterminée, soit de la volonté, soit du concupiscible. De là vient que toutes les puissances de l’âme sont entraînées par leurs objets au-delà de la volonté, car toutes les autres possèdent un appétit naturel seulement par rapport à leur objet, mais la volonté en possède un autre en plus de l’inclination naturelle, dont celui qui veut est lui-même la cause. Il faut dire la même chose de l’amour, qui est l’achèvemenet du mouvement appétitif, car un amour naturel existe dans toutes les puissances et dans toutes les choses; mais l’amour animal, pour ainsi parler, existe dans une puissance déterminée, soit dans la volonté, selon que [cette puissance] exprime l’achèvement de l’appétit de la partie intellectuelle, soit dans le concupiscible, selon qu’elle exprime une détermination de l’appétit sensible.

 [11101] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Dionysius accipit amorem communiter ad naturalem, sensitivum quem animalem dicit, et intellectivum, quem dicit intelligibilem, quantum ad homines; angelicum et divinum, quantum ad substantias separatas. Et ponit quinque haec, quia non possunt esse plures gradus appetitus: quia in Deo est voluntarius appetitus tantum, quia ipse determinat omnia et non determinatur ab aliquo: in Angelis autem voluntarius cum naturali, inquantum determinatur a Deo ad aliquid volendum naturaliter; in homine autem voluntarius cum sensibili et naturali; in animalibus sensibilis cum naturali; in aliis naturalis tantum.

1. D’une manière générale, Denys entend l’amour de l’amour naturel; sensible, qu’il appelle « animal »; intellectuel, qu’il appelle intelligible, pour ce qui est des hommes; angélique et divin, pour ce qui est des substances séparées. Il présente ces cinq [amours], parce qu’il ne peut y avoir plus de degrés de l’appétit, car, en Dieu, il n’existe qu’un appétit volontaire, puisqu’il détermine lui-même toutes choses et n’est déterminé par rien. Chez les anges, il existe un [appétit] volontaire associé à un appétit naturel, pour autant qu’il est déterminé par Dieu à vouloir quelque chose naturellement; chez l’homme, un [appétit] volontaire associé à un appétit sensible et à un appétit naturel; chez les animaux, un [appétit] sensible associé à un appétit naturel; chez les autres choses, un [appétit] naturel seulement.

 [11102] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 2 ad 2 Et similiter etiam dicendum ad secundum, quod Commentator definit amorem, secundum quod se habet ad omnes communiter.

2. Le Commentateur définit l’amour selon qu’il se rapporte à tous d’une manière générale.

 [11103] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod delectatio causatur ex conjunctione convenientis. Conveniens enim adveniens perficit id cui advenit, et quietat inclinationem in illud; et haec quietatio, secundum quod est percepta, est delectatio; unde Plato dixit, quod delectatio est generatio sensibilis, idest cognita, in naturam, idest connaturalis; unde in his quae cognitionem non habent, non est delectatio aliquo modo. In quodlibet autem conveniens habenti cognitionem est duplex inclinatio: scilicet appetitus naturalis, et appetitus animalis; et utraque inclinatio quietatur per rem praesentem, et utraque etiam quietatio percipitur; unde ex utraque parte delectatio causatur. Delectatio ergo quae est quietatio appetitus naturalis, invenitur in omni potentia cui conjungitur suum objectum; delectatio vero quae est quietatio appetitus animalis, est tantum in concupiscibili, vel voluntate. Prima autem delectatio dicitur tantum delectatio, proprie loquendo, et opposita passio dolor; sed secunda delectatio habet etiam nomen gaudii, et opposita passio dicitur tristitia. Unde quamvis delectatio et dolor sint aliquo modo in omnibus potentiis animae, tamen gaudium et tristitia sunt tantum in concupiscibili vel voluntate.

3. La délectation est causée par l’union avec ce qui convient. En effet, la venue de ce qui convient perfectionne ce à quoi cela est advenu et apaise son inclination vers lui. Cet apaisement, selon qu’il est perçu, est la délectation. Aussi Platon disait-il que la délectation est « une génération sensible », c’est-à-dire connue, « à l’intérieur de la nature », c’est-à-dire connaturelle. C’est ainsi que, là où il n’y a pas de connaissance, n’existe de délectation d’aucune manière. Or, il existe une double inclination à tout ce qui convient à celui qui a la connaissance : l’appétit naturel et l’appétit animal. Les deux inclinations sont apaisées par la présence de la chose et les deux apaisements sont aussi perçus. Aussi la délectation est-elle causée des deux côtés. La délectation qui est l’apaisement de l’appétit naturel se trouve donc en toute puissance à laquelle est uni son objet; mais la délection qui est l’apaisement de l’appétit animal existe seulement dans le concupiscible ou dans la volonté. Or, la première délectation s’appelle seulement plaisir (delectatio) au sens propre et la passion opposée est la douleur; mais la seconde délectation porte aussi le nom de joie et la passion opposée est la tristesse. Ainsi, bien que la délectation et la douleur existent d’une certaine manière dans toutes les puissances de l’âme, la joie et la tristesse n’existent cependant que dans le concupiscible ou la volonté.

 [11104] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum sicut ad primum: quia ratio procedit de appetitu naturali.

4. Il faut répondre comme au premier argument, car la raison fonctionne à partir de l’appétit naturel.

 [11105] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod amor animalis non pertinet ad irascibilem; quia objectum amoris est bonum sine adjunctione ardui vel difficilis, quod est proprium objectum irascibilis.

5. L’amour animal ne relève pas de l’irascible, car l’objet de l’amour est le bien sans ajout d’ardu ou de difficile, ce qui est l’objet propre de l’irascible.

Articulus 3 [11106] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 3 tit. Utrum amor sit prima et principalior affectio animae

Article 3 – L’amour est-il la première et la principale disposition affective de l’âme ?

 [11107] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod amor non sit prima et principalis inter omnes alias animae affectiones. Motus enim praecedit terminum. Sed amor est determinatio appetitivi motus, ut patet ex dictis, art. 1. Ergo amor sequitur desiderium quod motum ipsum appetitus importat.

1. Il semble que l’amour ne soit pas la première et la principale parmi toutes les autres dispositions affectives de l’âme. En effet, le mouvement précède le terme. Or, l’amour est une détermination du mouvement de l’appétit, comme cela ressort de ce qui a été dit, a. 1. L’amour suit donc le désir, qui exprime le mouvement même de l’appétit.

 [11108] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, propter quod unumquodque, illud magis. Sed amoris causa est delectatio; unde et quaedam amicitia super delectabili fundatur. Ergo delectatio est principalior affectio quam amor.

2. Ce pour quoi chaque chose existe l’emporte. Or, la cause de l’amour est la délectation; aussi toute amitié est-elle fondée sur quelque chose de délectable. La délectation est donc une disposition affective plus importante que l’amour.

 [11109] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, Augustinus dicit in Lib. 83 Quaestion., quod nemo est qui non magis dolorem fugiat quam appetat voluptatem. Sed fuga doloris facit odium, sicut appetitus delectationis facit amorem. Ergo odium est vehementior passio quam amor.

3. Augustin dit dans le Livre sur 83 questions, que « tous fuient la douleur plutôt qu’ils ne désirent la volupté ». Or, la fuite de la douleur engendre la haine, comme le désir de la délectation engendre l’amour. La haine est donc une passion plus impétueuse que l’amour.

 [11110] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, illud quod vincitur ab alio, est minus potens. Sed amor vincitur ab ira: quia ira odium parit, ut dicit Augustinus. Ergo ira est vehementior passio quam amor.

4. Ce qui est vaincu par un autre est moins puissant. Or, l’amour est vaincu par la colère, car « la colère engendre la haine », comme le dit Augustin. La colère est donc une passion plus impétueuse que l’amour.

 [11111] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, illud propter quod agunt quaecumque agunt, est efficacissimum. Sed sicut Dionysius dicit in Lib. de Divin. Nom. propter pacem agunt quaecumque. Ergo pax inter omnes affectiones est efficacissima, etiam respectu amoris.

5. Ce pour quoi on fait tout ce qu’on fait est ce qui est le plus efficace. Or, comme le dit Denys dans le Livre sur les noms divins, « tout agit en vue de la paix ». La paix est donc, parmi toutes les dispositions affectives, la plus efficace, même par rapport à l’amour.

 [11112] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra est quod dicit Augustinus, quod omnis affectio ex amore est.

Cependant, [1] Augustin dit que « toute disposition affective vient de l’amour ».

 [11113] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, bonum est objectum affectus. Sed illud quod primo respicit ad bonum, est amor. Ergo amor est principium totius affectionis, et principalior passio.

 [2] Le bien est l’objet de l’affectivité. Or, c’est l’amour qui regarde d’abord le bien. L’amour est donc le principe de toute disposition affective et la passion principale.

 [11114] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 3 s. c. 3 Praeterea, amor igni comparatur, et etiam morti, ut patet Cant. 8. Sed his nihil est vehementius. Ergo nulla passio est vehementior amore.

 [3] L’amour est comparé au feu et même à la mort, comme cela ressort de Ct 8. Or, rien n’est plus impétueux qu’eux. Aucune passion n’est donc plus forte que l’amour.

 [11115] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 3 s. c. 4 Praeterea, Chrysostomus dicit: magnum amor, nec est aliquid quod ejus impetum sustinere possit.

 [4] [Jean] Chrysostome dit : « L’amour est une grande chose, et il n’y a rien qui puisse résister à son élan. »

 [11116] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod inter alias affectiones animae amor est prior. Amor enim dicit terminationem affectus per hoc quod informatur suo objecto. In omnibus autem hoc invenitur quod motus procedit a primo immobili quieto: quod quidem patet in naturalibus: quia primum movens in quolibet genere est non motum illo genere motus, sicut primum alterans est non alteratum. Similiter patet de intellectualibus: quia motus rationis discurrentis procedit a principiis et quidditatibus rerum, quibus intellectus informatus terminatur. Cum ergo affectus informetur et terminetur amore, sicut intellectus principiis et quidditatibus, ut prius dictum est, oportet quod omnis motus affectivae procedat ex quietatione et terminatione amoris. Et quia omne quod est primum in aliquo genere, est perfectius, sicut intellectus principiorum in demonstrabilibus; et motus caeli in naturalibus; ideo oportet quod amor inter ceteras affectiones etiam sit vehementior, ut patebit per singula.

Réponse. Parmi toutes les dispositions affectives de l’âme, l’amour est la première. En effet, l’amour exprime l’achèvement de la puissance affective du fait qu’elle reçoit la forme de son objet. Or, en tout, l’on trouve que le mouvement vient de ce qui est le premier immobile au repos. Cela ressort dans les réalités naturelles, car le premier moteur de tous les genres est quelque chose qui n’est pas mû par ce genre de mouvement : ainsi, le premier qui altère n’est pas altéré. De même, cela ressort dans les réalités intellectuelles, car le mouvement discursif de la raison vient des principes et des quiddités des choses dans lesquelles l’intellect qui a reçu une forme trouve son terme. Puisque la puissance affective reçoit sa forme par l’amour et se termine par lui, comme l’intellect, par les principes et les quiddités, comme on l’a dit plus haut, il est donc nécessaire que tout mouvement de la partie affective provienne de l’apaisement et de l’accomplissement de l’amour. Et parce que tout ce qui est premier dans un genre est plus parfait, comme l’intelligence des principes pour ce qui est démontrable et le mouvement du ciel pour les réalités naturelles, il faut donc que l’amour soit aussi la plus impétueuse parmi les autres dispositions affectives, comme cela ressortira pour chaque cas.

 [11117] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut in operatione intellectus concluditur quidam circulus, ita et in operatione affectus. Intellectus enim ex certitudine principiorum, quibus immobiliter assentit, procedit ratiocinando ad conclusiones, in quarum cognitione certitudinaliter quiescit, secundum quod resolvuntur in prima principia, quae in eis sunt virtute. Similiter etiam affectus ex amore finis, qui est principium, procedit desiderando in ea quae sunt ad finem, quae prout accipit ut finem in se aliquo modo continentia, per amorem in eis quiescit; et ideo desiderium sequitur amorem finis, quamvis praecedat amorem eorum quae sunt ad finem. Est etiam amor vehementior affectio quam desiderium, inquantum dicit terminationem et informationem affectus per appetibile ad quod movetur desiderium.

1. De même que, dans l’opération de l’intellect, s’achève un cercle, de même dans l’opération de la puissance affective. En effet, l’intellect, à partir de la certitude des principes auxquels il donne un assentiment immuable, poursuit jusqu’aux conclusions en raisonnant; il se repose avec certitude dans la connaissance de celles-ci, selon qu’elles se ramènent aux premiers principes qui existent en puissance en elles. De la même manière aussi, la puissance affective, à partir de l’amour de la fin, qui est le principe, poursuit par le désir de ce qui est ordonné à la fin : elle s’y repose par l’amour, dans la mesure où elle le perçoit comme contenant en soi la fin d’une certaine manière. C’est pourquoi le désir découle de l’amour de la fin, bien qu’il précède l’amour de ce qui est ordonné à la fin. L’amour est aussi une disposition affective plus impétueuse que le désir dans la mesure où il exprime l’achèvement et la formation de la puissance affective par l’objet désirable vers lequel le désir est mû.

 [11118] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod amor naturaliter praecedit delectationem: delectatio enim contingit ex conjunctione rei convenientis realiter; amor autem facit quod amatum sit amanti conveniens, et quasi connaturale, inquantum unit affectum amantis amato, ut dictum est; et ideo ex amati reali praesentia consurgit delectatio. Sed quia delectabile etiam potest amari ut quoddam bonum, ideo contingit per accidens ut aliquis amor ex delectatione causetur, sicut actus ab objecto vel fine. Qui enim aliquid propter delectationem amat, delectationem ipsam praecipue amat. Quamvis ergo quaedam delectatio quodam amore sit prior, tamen amor delectatione simpliciter est prior. Similiter etiam vehementior: quia amor est per informationem appetitus ab appetibili; delectatio autem per conjunctionem rei, ex re praesente sibi conveniente. Non est autem tanta conjunctio rei ad rem, sicut appetitus ad appetibile: quia res adveniens, quae delectationem causat, non conjungitur secundum naturam, quia hoc non fit illud; unde est ibi conjunctio quasi contactus: sed appetitus est ipsius appetibilis secundum suam naturam et substantiam. Unde quando appetitus informatur per appetibile, est quasi conjunctio continuitatis et concretionis; unde amor plus unit quam delectatio, quia facit quod amans sit secundum affectum ipsa res amata; delectatio autem est per participationem alicujus ab illo, secundum quod est realiter praesens. Sciendum autem, quod quando amatum est praesens realiter, secundum quod possibile est, tunc est delectatio, sicut ex conjunctione maxime convenientis. Quando autem est omnino absens secundum rem, tunc maxime affligit; sicut ex divisione continui sequitur dolor, quia amor est continuativa vis, ut dictum est; et inde dicitur, quod amor languere facit. Quando autem est secundum aliquid praesens, et secundum aliquid absens, tunc habet delectationem admixtam afflictioni.

2. L’amour précède naturellement la délectation. En effet, la délectation vient de l’union effective de la réalité qui convient; mais l’amour fait en sorte que ce qui est aimé convienne à celui qui aime et lui devienne connaturel, dans la mesure où il unit la puissance affective de celui qui aime à ce qui est aimé, comme on l’a dit. C’est pourquoi la délectation est issue de la présence réelle de ce qui est aimé. Mais parce que ce qui est délectable peut aussi être aimé comme un bien, il arrive par accident qu’un amour soit causé par la délectation, comme l’acte par son objet ou par sa fin. En effet, celui qui aime quelque chose en raison de la délectation, aime principalement la délectation. Bien qu’une certaine délectation soit antérieure à un certain amour, l’amour est cependant simplement antérieur à la délectation. [L’amour] est aussi plus impétueux, car l’amour se réalise par la formation de l’appétit par ce qui est désirable, mais la délectation, par l’union avec la chose, par une réalité présente qui lui convient. Or, l’union d’une réalité à une autre n’est pas aussi grande que l’union de l’appétit et de ce qui est appétible, car la chose qui survient et qui cause la délectation n’est pas unie selon la nature, car cela ne devient pas ceci. Il y a donc là une union comme par contact. Mais [l’union] de l’appétit se réalise avec l’appétible lui-même selon sa nature et sa substance. Lorsque l’appétit est formé par l’appétible, il se réalise donc comme une union par continuité et par intégration. L’amour unit donc davantage que la délectation, car il fait en sorte que celui qui aime soit, par la puissance affective, la réalité aimée elle-même; mais la délectation se réalise par la participation à quelque chose de cette réalité, selon qu’elle est réellement présente. Mais il faut savoir que lorsque ce qui est aimé est réellement présent, lorsque cela est possible, alors se réalise la délectation par l’union de ce qui convient au plus haut point. Mais lorsque [ce qui est aimé] est en réalité complètement absent, alors [la puissance affective] s’afflige au plus haut point, comme la douleur découle de la division du continu, car l’amour est une puissance qui réalise un continu, ainsi qu’on l’a dit. Aussi dit-on que l’amour fait languir. Mais lorsque [ce qui est aimé] est présent sous un aspect et absent sous un autre, alors [la puissance affective] a une délectation mêlée d’affliction.

 [11119] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod bonum est vehementius in agendo quam malum: quia bonum non habet de necessitate admixtionem boni; et iterum bonum agit in virtute propria, sed malum agit in virtute boni, ut dicit Dionysius; unde magis amatur bonum quam odiatur malum illi oppositum. Sed dolor corporalis est magis malum quam delectatio quaedam sit bonum: quia delectatio de qua Augustinus ibi loquitur, contingit ex superadditione perfectionum secundarum, sicut in cibis vel in venereis; sed tristitia vel dolor, propter quae dimittitur delectatio talis, contingit ex subtractione primarum perfectionum, quae pertinent ad esse rei, sicut ex divisione continui. Unde si acciperetur tristitia opposita delectationi illi, magis appeteretur delectatio quam fugeretur tristitia; sicut qui appeteret delectationem in cibo, ut postea pateretur tristitiam quae est de subtractione cibi, vel alicujus hujusmodi.

3. Le bien est plus impétueux dans l’action que le mal, car le bien ne possède pas par nécessité un mélange de bien; aussi « le bien agit-il par sa propre puissance, mais le mal agit-il par la puissance du bien », comme le dit Denys. Aussi le bien est-il davantage aimé que n’est haï le mal qui lui est opposé. Or, la douleur corporelle est davantage un mal qu’une délectation n’est un bien, car la délectation dont parle là Augustin survient par l’ajout de perfections secondaires, comme c’est le cas de la nourriture et des plaisirs sexuels; mais la tristesse ou la douleur, par lesquelles une telle délectation est écartée, survient par la soustraction de perfections primaires, qui se rapportent à l’être d’une chose, comme par la division du continu. Si donc l’on prenait une tristesse opposée à cette délectation, la délectation serait davantage désirée que la tristesse ne serait fuie, comme ce serait le cas de celui qui désirerait la délectation de la nourriture afin de souffrir par la suite la tristesse qui vient de la soustraction de la nourriture ou de quelque chose de ce genre.

 [11120] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod amor est prior ira, et vehementior. Ira enim ex tristitia causatur, ut prius dictum est, dist. 26, quaest. 1, art. 3, corp., sicut omnes passiones irascibilis. Et ideo, cum amor sit prior et vehementior passionibus concupiscibilis, erit prior et vehementior passionibus irascibilis. Quamvis autem ira odium pariat, non tamen amorem destruit; sed amoris destructionem sequitur, quia non posset appetitus moveri in nocumentum alicujus, nisi antea affectus ab amore superatus esset.

4. L’amour vient avant la colère et est plus impétueux. En effet, la colère est causée par la tristesse, comme on l’a dit auparavant, d. 26, q. 1, a. 3, c. comme toutes les passions de l’irascible. Puisque l’amour vient avant et est plus impétueux que les passions du concupiscible, il viendra donc avant et sera plus impétueux que les passions de l’irascible. Bien que la colère engendre la haine, elle ne détruit cependant pas l’amour; mais elle découle de la destruction de l’amour, car l’appétit ne pourrait être mû de manière à nuire à quelqu’un que si la puissance affective avait été auparavant vaincue par l’amour.

 [11121] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod pax non distinguitur ab amore, sed est aliquid amoris: dicit enim quasi quietationem appetitus; sed amor dicit ulterius transformationem, et quamdam conversionem ipsius in amatum; unde pax est medium inter desiderium et amorem.

5. La paix ne se distingue pas de l’amour, mais elle est quelque chose de l’amour. En effet, elle exprime un certain apaisement de l’appétit. Mais l’amour exprime en plus une transformation et une certaine conversion de lui-même en ce qui est aimé. La paix tient donc le milieu entre le désir et l’amour.

 

 

Articulus 4 [11122] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4 tit. Utrum cognitio sit altior amore

Article 4 -‑ La connaissance est-elle plus élevée que l’amour ?

 [11123] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod cognitio sit altior amore. Quia altissimae potentiae est altissimus actus. Sed intellectus est altissima potentia in nobis, ut dicit philosophus in 10 Ethic. Ergo cognitio est altissima operatio eorum quae in nobis sunt, et ita dignior amore.

1. Il semble que la connaissance soit plus élevée que l’amour, car l’acte le plus élevé est celui de la puissance la plus élevée. Or, l’intellect est la puissance la plus élevée en nous, comme le dit le Philosophe dans Éthique, X. La connaissance est donc l’opération la plus élevée parmi celles qui existent en nous, et ainsi elle est plus digne que l’amour.

 [11124] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, sicut Boetius dicit in Lib. 3, natura a perfectis sumpsit originem. Sed cognitio praecedit amorem. Ergo cognitio est altior quam amor.

2. Comme le dit Boèce dans le livre III, la nature a pris origine dans des réalités parfaites. Or, la connaissance précède l’amour. La connaissance est donc plus élevée que l’amour.

 [11125] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, illud quod est proprium homini, est nobilius quam illud in quo communicat cum brutis. Sed intelligere est proprium hominis, in amore autem convenit cum brutis. Ergo scientia et intellectus sunt digniora quam amor.

3. Ce qui est propre à l’homme est plus noble que ce qu’il a en commun avec les animaux sans raison. Or, intelliger est le propre de l’homme, mais il a l’amour en commun avec les animaux sans raison. La science et l’intellect sont donc des choses plus dignes que l’amour.

 [11126] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, vita contemplativa est nobilior quam vita activa, et altior. Sed scientia pertinet ad vitam contemplativam: amor autem videtur ad praxim pertinere, quia objectum ejus est bonum. Ergo scientia est altior quam amor.

4. La vie contemplative est plus noble et plus élevée que la vie active. Or, la science se rapporte à la vie contemplative, mais l’amour semble relever de l’action, car son objet est le bien. La science est donc plus élevée que l’amour.

 [11127] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4 arg. 5 Praeterea, objectum amoris est bonum simpliciter. Sed verum est melius quam bonum simpliciter, quia verum est summum in genere bonorum; sicut et optimus homo est melior quam homo simpliciter. Ergo scientia et cognitio est altior quam amor.

5. L’objet de l’amour est simplement le bien. Or, le vrai est meilleur que le simple bien, car le vrai est ce qu’il y a de plus élevé dans le genre des biens, de même que l’homme le meilleur est meilleur que l’homme tout simplement. La science et la connaissance sont donc plus élevées que l’amour.

 [11128] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4 arg. 6 Praeterea, quanto aliquid est spiritualius, tanto est altius. Sed cognitio est spiritualior quam amor: quia secundum motum a rebus ad animam est cognitio, secundum autem motum ab anima ad res est amor. Ergo cognitio est nobilior quam amor.

6. Plus quelque chose est spirituel, plus cela est élevé. Or, la connaissance est plus spirituelle que l’amour, car la connaissance vient d’un mouvement des choses vers l’âme, mais l’amour va de l’âme vers les choses. La connaissance est donc plus noble que l’amour.

 [11129] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4 arg. 7 Praeterea, praemium est praestantius merito. Sed cognitio est praemium amoris; Joan. 14, 21: qui diligit me, diligetur a patre meo; et ego manifestabo ei me ipsum; et Augustinus dicit, quod visio est tota merces. Ergo cognitio praeeminet amori.

7. La récompense est supérieure au mérite. Or, la connaissance est la récompense de l’amour, Jn 14, 21 : Celui qui m’aime est aimé par mon Père, et je me manifesterai à lui; et Augustin dit que « la vision est la récompense entière ». La connaissance l’emporte donc sur l’amour.

 [11130] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4 arg. 8 Sed contra est quod dicitur Ephes. 3, 19: supereminentem scientiae caritatem Christi.

8. En sens contraire, il est dit dans Ep 3, 19 : L’amour du Christ qui dépasse toute connaissance.

 [11131] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4 arg. 9 Praeterea, 1 Cor. 13, dicitur, quod caritas est major fide. Ergo eadem ratione quilibet amor est major et dignior cognitione sibi respondente.

9. En 1 Co 13, il est dit que la charité est plus grande que la foi. Pour la même raison, tout amour est plus grand et plus digne que la connaissance qui lui correspond.

 [11132] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4 arg. 10 Praeterea, Hugo de sancto Victore super illud Dionysii: mobile et acutum, dicit: dilectio supereminet scientiae, et major est intelligentia; plus enim diligitur quam intelligitur: quia intrat dilectio, ubi scientia foris est. Ergo amor excedit scientiam.

10. Hugues de Saint-Victor dit, à propos de ce que dit Denys : « mobile et acéré » : « L’amour est supérieur à la science et plus grand que l’intelligence. En effet, on aime davantage qu’on connaît, car l’amour pénètre là où la science reste à l’extérieur. » L’amour dépasse donc la science.

 [11133] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4 arg. 11 Praeterea, finis in unaquaque re est potissimum. Sed objectum amoris est bonum, quod habet rationem finis. Ergo cum operationes distinguantur penes objecta, amor inter omnes operationes animae est potior.

11. La fin est ce qu’il y a de plus important en toute chose. Or, l’objet de l’amour est le bien, qui a raison de fin. Puisque les opérations se distinguent par leurs objets, l’amour est donc la plus importante de toutes les opérations de l’âme.

 [11134] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4 arg. 12 Praeterea, sicut se habet potentia ad potentiam, ita se habet operatio ad operationem. Sed voluntas est altior omnibus aliis potentiis animae; quia movet omnes alias et non cogitur. Ergo et amor, qui est operatio voluntatis, praeeminet omnibus aliis animae operationibus.

12. La proportion de puissance à puissance est la même que d’opération à opération. Or, la volonté est plus élevée que toutes les autres puissances de l’âme, car elle meut toutes les autres et elle n’est pas forcée. L’amour aussi, qui est l’opération de la volonté, l’emporte donc sur les autres opérations.

 [11135] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4 arg. 13 Praeterea, sicut dicit Dionysius, illud quod in pluribus invenitur, simplicius et nobilius est; sicut esse nobilius est quam vivere, quamvis viventia sint nobiliora quam existentia tantum, inquantum etiam viventia nobilius esse participant. Sed amor in pluribus participatur quam cognitio; quia in omnibus aliquo modo est amor, ut dictum est prius, in praec. art., non autem cognitio. Ergo amor est praestantior cognitione. Ridiculum enim est dicere, quod in lapidibus sit cognitio naturalis, sicut amor vel appetitus naturalis.

13. Comme le dit Denys, « ce qui se trouve en plusieurs choses est plus simple et plus noble, comme être est plus noble que vivre, bien que les vivants soient plus nobles que ce qui existe seulement, dans la mesure où les vivants participent plus noblement à l’être ». Or, plus de choses participent à l’amour que la connaissance, car l’amour existe d’une certaine manière en toutes choses, comme on l’a dit plus haut, dans l’article précédent, mais non la connaissance. L’amour est donc plus élevé que la connaissance. En effet, il est ridicule de dire qu’il existe une connaissance naturelle dans les pierres, comme un amour ou un appétit naturel.

 [11136] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod in rebus omnibus duplex perfectio invenitur; una qua in se subsistit; alia qua ad res alias ordinatur; et utraque perfectio in rebus materialibus terminata et finita est; quia et formam unam determinatam habet, per quam in una tantum specie est; et etiam per determinatam virtutem ad res quasdam sibi proportionatas inclinationem habet et ordinem, sicut grave ad centrum. Ex utraque autem parte res immateriales infinitatem habent quodammodo, quia sunt quodammodo omnia, sive inquantum essentia rei immaterialis est exemplar et similitudo omnium, sicut in Deo accidit, sive quia habet similitudinem omnium vel actu vel potentia, sicut accidit in Angelis et animabus; et ex hac parte accidit eis cognitio. Similiter etiam ad omnes res inclinationem et ordinem habent, ex qua parte accidit eis voluntas, secundum quam omnia placent vel displicent vel actu vel potentia. Et secundum quod aliquam immaterialitatem participant, secundum hoc cognitionis et voluntatis participativa sunt. Unde et animalia cognoscunt, inquantum species sensibilium immaterialiter in organis sensuum recipiuntur, et secundum intentiones spiritualiter ex rebus perceptas per appetitum sensibilem ad diversa inclinantur. Patet ergo quod cognitio pertinet ad perfectionem cognoscentis, qua in seipso perfectum est: voluntas autem pertinet ad perfectionem rei secundum ordinem ad alias res; et ideo objectum cognoscitivae virtutis est verum, quod est in anima, ut dicit philosophus, 6 Metaph.: objectum autem appetitivae bonum, quod est in rebus, ut dicitur ibidem. Potest ergo comparari potentia cognoscitiva ad appetitivam tripliciter. Primo secundum ordinem; et sic cognitiva potentia naturaliter prior est, quia prius est perfectio rei in seipsa quam secundum ordinem ad aliam. Secundo quantum ad capacitatem; et secundum hoc sunt aequales: quia sicut cognoscitiva est respectu omnium, ita et appetitiva; unde etiam mutuo se includunt, quia intellectus voluntatem cognoscit, et voluntas ea quae ad intellectum pertinent, appetit et amat. Tertio possunt comparari secundum eminentiam vel dignitatem; et sic se habent ut excedentia et excessa: quia si consideretur intellectus et voluntas, et quae ad ipsa pertinent, ut quaedam proprietates et accidentia ejus in quo sunt, sic intellectus est praestantior, et quae ad ipsum pertinent. Si autem considerentur ut potentiae, idest secundum ordinem ad actus et objecta; sic voluntas, et quae ad ipsam pertinent, excedit. Si autem quaeratur quid horum simpliciter dignius sit, dicendum quod res quaedam sunt anima superiores, et quaedam inferiores; unde cum per voluntatem et amorem homo in ipsas res volitas et amatas quodammodo trahatur, per cognitionem autem e converso res cognitae in cognoscente efficiantur per suas similitudines; respectu earum rerum quae sunt supra animam, nobilior et altior est amor quam cognitio; illarum vero quae sunt infra animam, cognitio est potior; unde etiam malarum rerum quarum est malus amor, est bona cognitio.

Réponse. En toute chose, on trouve deux perfections : l’une par laquelle elle subsiste en elle-même; l’autre par laquelle elle est ordonnée à d’autres choses. Et les deux perfections sont limitées et finies dans les réalités matérielles, car elles ont une forme déterminée, par laquelle elles se trouvent dans une seule espèce, et elles ont aussi, par une puissance déterminée, une inclination et un ordre à certaines choses qui leur sont proportionnées, comme ce qui est lourd par rapport à un centre. Or, sous les deux aspects, les réalités immatérielles possèdent en quelque sorte une infinité, car elles sont d’une certaine manière toutes choses, soit que l’essence de la réalité immatérielle est le modèle et la ressemblance de toutes choses, comme cela se produit en Dieu, soit qu’elle possède la ressemblance de toutes choses en acte ou en puissance, comme cela se produit chez les anges et les âmes; c’est ainsi que la connaissance leur est donnée. Elles ont aussi une inclination et un ordre par rapport à toutes choses, sous l’aspect où la volonté leur est donnée, selon laquelle toutes choses plaisent ou déplaisent en acte ou en puissance. Et selon qu’elles participent à une certaine immatérialité, elles participent ainsi à la connaissance et à la volonté. C’est pourquoi les animaux connaissent dans la mesure où les espèces des réalités sensibles sont reçues dans les organes des sens et que, selon les intentions, ils sont inclinées spirituellement par l’appétit sensible à diverses choses à partir des réalités perçues. Il est donc clair que la connaissance concerne la perfection de ce qui connaît, par laquelle cela est parfait en soi; mais la volonté concerne la perfection d’une chose dans son rapport à d’autres choses. C’est pourquoi l’objet de la puissance cognitive est le vrai, qui existe dans l’âme, comme le dit le Philosophe, Métaphysique, VI, mais l’objet de la partie appétitive est le bien, qui existe dans les choses, comme on le dit au même endroit. La puissance cognitive peut donc se comparer de trois manières à la puissance appétitive. Premièrement, selon l’ordre : la puissance cognitive est ainsi naturellement première, car la perfection d’une chose en elle-même vient avant son ordre à une autre chose. Deuxièmement, du point de vue de la capacité : sous cet aspect, elles sont égales, car de même que la puissance cognitive porte sur toutes choses, de même aussi la puissance appétitive. Aussi s’incluent-elles réciproquement, car l’intellect connaît la volonté et la volonté désire et aime ce qui se rapporte à l’intellect. Troisièmement, elles peuvent être comparées selon leur éminence et leur dignité : elles se comparent ainsi comme ce qui dépasse et ce qui est dépassé. En effet, si l’intellect et la volonté et ce qui s’y rapporte sont considérés comme des propriétés et des accidents de ce dans quoi elles se trouvent, l’intelligence et ce qui s’y rapporte sont ainsi plus élevés. Mais si elles sont envisagées comme des puissances, c’est-à-dire selon leur rapport aux actes et aux objets, la volonté et ce qui s’y rapporte l’emportent. Si l’on se demande laquelle est simplement plus digne, il faut dire que certaines choses sont supérieures à l’âme et certaines sont inférieures. Aussi, puisque, par la volonté et l’amour, l’homme est entraîné vers les réalités voulues et aimées elles-mêmes, mais que, par la connaissance, les réalités deviennent connues par celui qui connaît par leurs ressemblances, l’amour est plus noble et plus élevé que la connaissance par rapport aux réalités qui sont supérieures à l’âme; mais, par rapport aux réalités qui sont inférieures à l’âme, la connaissance est meilleure. Aussi existe-t-il une connaissance bonne, même de choses mauvaises, dont il existe un amour mauvais.

 [11137] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod philosophus loquitur de potentiis secundum quod sunt proprietates quaedam ejus in quo sunt. Vel dicendum, quod philosophus sub intellectu comprehendit voluntatem intellectui respondentem, sicut et sub ratione quandoque comprehenditur; et ideo non est ibi comparatio intellectus ad voluntatem, sed intellectus ad vires inferiores.

1. Le Philosophe parle des puissances selon qu’elles sont des propriétés de ce en quoi elles existent. Ou bien il faut dire que le Philosophe inclut sous l’intellect la volonté qui correspond à l’intellect, de même qu’elle est parfois inclus sous la raison. C’est pourquoi il n’y a pas là une comparaison entre l’intellect et la volonté, mais entre l’intellect et les puissances inférieures.

 [11138] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis primum principium in quolibet genere sit perfectissimum, non tamen oportet quod omne quod est prius, sit perfectius, cum aliquid sit prius in via generationis quod est imperfectius, sicut puer viro, et addiscens sciente: et ita etiam cognitio quodammodo amorem praecedit.

2. Bien que le premier principe soit en tout genre ce qu’il y a de plus parfait, il n’est cependant pas nécessaire que tout ce qui vient avant soit plus parfait, puisque quelque chose de plus imparfait est antérieur selon le processus de la génération, comme l’enfant par rapport à l’adulte et celui qui apprend par rapport à celui qui sait. C’est ainsi que la connaissance précède d’une certaine manière l’amour.

 [11139] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illa ratio procedit de intellectu et voluntate secundum respectum ad id in quo sunt. Vel dicendum, quod intellectu aliquo modo alia animalia participant per quamdam obscuram resonantiam, inquantum sentiunt; sicut et voluntate participant, inquantum habent appetitum sensualem, unde et in brutis voluntarium invenitur, ut dicit philosophus 3 Ethic., non quod simpliciter voluntatem habeant.

3. Cet argument vient de l’intellect et de la volonté dans leur rapport à ce en quoi elles existent. Ou bien il faut dire que les animaux participent d’une certaine manière à l’intellect par une obscur écho, dans la mesure où ils sentent, de même qu’ils participent à la volonté, dans la mesure où ils possèdent un appétit sensible grâce auquel on trouve aussi du volontaire chez les animaux sans raison, ainsi que le dit le Philosophe, Éthique, III, sans qu’ils possèdent tout simplement la volonté.

 [11140] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod a vita contemplativa non excluditur voluntas et amor, sicut nec intellectus a vita activa; et ideo non potest harum gradus distingui secundum gradus duarum vitarum.

4. La volonté et l’amour ne sont pas exclus de la vie contemplative, pas plus que l’intellect ne l’est de la vie active. C’est pourquoi les degrés entre les deux ne peuvent être distingués selon les degrés des deux vies.

 [11141] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod particulare non habet naturam et rationem sui universalis nisi secundum quod natura universalis invenitur in ipso; unde impossibile est quod ratio universalis magis sit in particulari quam in ipso universali, quamvis ratio alicujus alterius possit inveniri magis in particulari quam in universali: sicut homo non potest esse magis animal quam animal commune; potest tamen esse magis bonum, vel aliquid hujusmodi; et ideo neque verum neque aliquod bonum particulariter acceptum potest dici praestantius quam ipsum bonum.

5. Quelque chose de particulier ne possède la nature et la raison de son universel que selon que la nature universelle se trouve en cette chose. Il est ainsi impossible que la raison universelle existe davantage dans une chose particulière que dans la chose universelle elle-même, bien que la raison de quelque chose d’autre puisse plutôt se trouver dans une chose particulière que dans une chose universelle : ainsi l’homme ne peut être plus animal que l’animal au sens général; il peut cependant être meilleur ou quelque chose de ce genre. C’est pourquoi ni le vrai ni un bien considéré de manière particulière ne peuvent être appelés meilleurs que le bien même.

 [11142] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4 ad 6 Ad sextum dicendum, quod ratio illa procedit quantum ad illas res quae sunt infra animam; quae sunt minus spirituales quam anima.

6. Cet argument porte sur les réalités qui sont inférieures à l’âme, qui sont moins spirituelles que l’âme.

 [11143] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4 ad 7 Ad septimum dicendum, quod visio illa, non erit sine amore in praemio, sicut nec amor fuit sine cognitione in merito: ideo tamen praemium magis attribuitur cognitioni, meritum vero amori, quia praemium est secundum receptionem, qua aliquis in seipso perficitur; meritum vero secundum operationem, qua aliquis in remunerationem se extendit, et ei se conjungit.

7. Cette vision ne sera pas sans amour dans de la récompense, pas plus que l’amour n’a existé sans connaissance dans le mérite. Cependant, la raison pour laquelle la récompense est davantage attribuée à la connaissance, mais le mérite, à l’amour, est que la récompense se réalise par mode d’une réception, par laquelle on est perfectionné en soi-même; mais le mérite est attribué selon l’opération, par laquelle on atteint la récompense et l’on s’y unit.

 [11144] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4 ad 8 Et quia oportet etiam ad alia respondere, ideo dicendum ad octavum et nonum, quod illae rationes procedunt de cognitione Dei quae est supra animam; unde amor ejus cognitionem de ipso excedit.

8-9. Parce qu’il est nécessaire de répondre aussi aux autres arguments, il faut donc dire, pour le huitième et le neuvième, que ces arguments portent sur la connaissance de Dieu qui dépasse l’âme. Son amour dépasse donc la connaissance qu’on en a.

 [11145] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4 ad 10 Ad decimum dicendum, quod amor magis intrat ad rem quam cognitio: quia cognitio est de re secundum id quod recipitur in cognoscente: amor autem de re, inquantum ipse amans in rem ipsam transformatur, ut dictum est prius. In hac autem via, qua perficitur anima in ordine ad res alias, dictum est, quod voluntas cognitionem excedit, ad quam viam pertinet esse magis vel minus intimum rei.

10. L’amour pénètre davantage une chose que la connaissance, car la connaissance porte sur une chose selon ce qui est reçu dans celui qui connaît; mais l’amour porte sur une chose pour autant que celui qui aime est transformé en la chose elle-même, comme on l’a dit précédemment. Selon la manière dont l’âme est perfectionnée par rapport à d’autres choses, on a dit que la volonté dépasse la connaissance; il revient à cette manière d’être plus ou moins intime avec la chose.

 [11146] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod ratio finis proprie respicit motum et operationem, et ordinem rei ad rem, et non esse rei absolute; unde in mathematicis, in quibus non est operatio et motus, non invenitur finis, ut dicitur in 3 Metaph.; et ideo etiam haec ratio procedit secundum illum modum quo voluntas dicitur intellectui praeeminere.

11. La raison de fin concerne au sens propre le mouvement et l’opération et l’ordre entre une chose et une [autre] chose, et non pas l’être d’une chose de manière absolue. Aussi, dans les réalités mathématiques, où il n’y a pas d’opération et nni mouvement, on ne trouve pas de fin, comme il est dit dans Métaphysique, III. C’est pourquoi même cet argument se déroule de la manière dont on dit que la volonté l’emporte sur l’intelligence.

 [11147] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod movere alias vires et non cogi ab objecto, pertinet ad voluntatem secundum quod ipsa est primum determinans alias potentias humanas in ordine ad res alias circa quas operantur, et ipsa non determinatur ab alio: unde quantum ad hoc ad quod a Deo determinatur naturali inclinatione, quodammodo libertatem non habet, sed quasi cogitur naturali inclinatione, sicut respectu beatitudinis, quam nullus non potest non velle. Ex hac autem parte qua homo ab alio ordinatur, dictum est, quod amor cognitionem excedit.

12. Mouvoir les autres puissances et ne pas être forcée par un objet relèvent de la volonté, selon qu’elle détermine d’abord les autres puissances humaines par rapport aux choses sur lesquelles elles agissent, alors qu’elle-même n’est pas déterminée par autre chose. Aussi, dans la mesure où elle est déterminée par Dieu à une inclination naturelle, elle ne possède pas d’une certaine manière la liberté, mais elle est comme forcée par l’inclination naturelle, comme c’est le cas de la béatitude, que personne ne peut pas ne pas vouloir. Du point de vue où l’homme est ordonné par un autre, on a dit que l’amour dépasse la connaissance.

 [11148] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4 ad 13 Ad tertium decimum dicendum, quod amor, proprie loquendo, non est nisi in illis in quibus est cognitio; sed amoris nomen transumitur ad ea ad quae cognitionis nomen extendi non potest: quia amor dicitur secundum quod amans ad rem aliam ordinatur; aliquid autem ad alterum ordinari potest etiam ab exteriori ordinante; et ideo illa quae ad aliquid ordinantur ab habentibus cognitionem (quorum proprie est amor, inquantum ex seipsis ad amata ordinantur) nomen amoris vel appetitus recipere possunt. Cognitio autem dicitur secundum quod res cognita fit in cognoscente per modum cognoscentis, scilicet secundum esse spirituale et immateriale. Dispositio autem talis non inest alicui nisi ex proprietate suae naturae; unde nomen cognitionis ad animalia quae talem naturam non habent, extendi non potest, ut dicantur insensibilia naturaliter cognoscere, sicut naturaliter amant vel appetunt.

13. À proprement parler, il faut dire que l’amour n’existe que dans les choses où se trouve la connaissance; mais le mot « amour » a été reporté sur ce à quoi ne peut s’étendre le mot « connaissance », car on parle d’amour lorsque celui qui aime est ordonné à une autre chose. Or, une chose peut être ordonnée à une autre même par une chose extérieure qui ordonne. C’est pourquoi ce qui est ordonné à quelque chose par ce qui possède la connaissance (à qui l’amour appartient en propre, pour autant que cela est ordonné par soi-même à ce qui est aimé), peut porter le nom d’amour ou d’appétit. Mais on parle de connaissance selon que la chose connue apparaît dans celui qui connaît selon le mode de celui qui connaît, à savoir, selon un être spirituel et immatériel. Or, une telle disposition n’est inhérente à quelqu’un que selon ce qui est propre à sa nature. Aussi le mot « connaissance » ne peut-il être étendu aux animaux qui n’ont pas une telle nature, de sorte qu’on dise que les réalités insensibles connaissent naturellement, comme elles aiment ou désirent naturellement.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [La charité]

Prooemium

Prologue

 [11149] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 pr. Deinde quaeritur de caritate; et circa hoc quaeruntur quatuor: 1 quid sit caritas; 2 utrum sit virtus; 3 in quo sit sicut in subjecto; 4 de comparatione ejus ad alias virtutes.

On s’interroge ensuite sur la charité. À ce propos, quatre questions sont posées : 1 – Qu’est-ce que la charité ? 2 – Est-elle une vertu ? 3 – Quel est le sujet de la charité ? 4 ‑ Comment se compare-t-elle aux autres vertus ?

 

 

Articulus 1 [11150] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1 tit. Utrum caritas sit idem quod concupiscentia, vel quid sit caritas

Article 1 – La charité est-elle la même chose que la concupiscence ou qu’est-ce que la charité ?

 [11151] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod caritas sit idem quod concupiscentia. Augustinus enim dicit, quod caritas est virtus qua Deum videre perfruique eo desideramus. Hoc autem concupiscentiae est. Ergo caritas est concupiscentia.

1. Il semble que la charité soit la même chose que la concupiscence. En effet, Augustin dit que « la charité est une vertu par laquelle nous désirons voir Dieu et en jouir ». Or, cela relève de la concupiscence. La charité est donc la concupiscence.

 [11152] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1 arg. 2 Item, videtur quod sit idem quod amor. Quia, sicut dicit Dionysius, dilectio est idem quod amor. Sed in littera dicitur, quod amor est dilectio qua diligitur Deus propter se, et proximus propter Deum. Ergo caritas est idem quod amor.

2. Il semble que [la charité] soit la même chose que l’amour, car, selon ce que dit Denys, « la dilection est la même chose que l’amour ». Or, il est dit dans le texte que « l’amour est la dilection par laquelle Dieu est aimé pour lui-même et le prochain pour Dieu ». La charité est donc la même chose que l’amour.

 [11153] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1 arg. 3 Item, videtur quod sit idem quod benevolentia. Benevolentia enim est qua alicui aliquod bonum optamus. Sed hoc facit caritas, quia optat sibi et aliis vitam aeternam, secundum quod dicitur habens caritatem diligere proximum sicut seipsum. Ergo caritas est idem quod benevolentia.

3. Il semble que [la charité] soit la même chose que la bienveillance. En effet, la bienveillance est ce en vertu de quoi nous souhaitons un bien à quelqu’un. Or, la charité fait cela, car elle souhaite à soi-même et aux autres la vie éternelle, étant donné qu’on dit de celui qui a la charité qu’il aime son prochain comme soi-même. La charité est donc la même chose que la bienveillance.

 [11154] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, videtur quod sit idem quod concordia. Quia caritas unitatem Ecclesiae facit, quae in hoc consistit ut idem dicamus omnes, et non sint in nobis schismata, ut dicitur 1 Corinth., 1. Hoc autem ad concordiam pertinet. Ergo caritas est idem quod concordia.

4. Il semble que [la charité] soit la même chose que la concorde, car la charité réalise l’unité de l’Église, qui consiste en que nous disions que tous sont la même chose et qu’il n’existe pas de schisme parmi nous, comme il est dit dans 1 Co 1. Or, cela relève de la concorde. La charité est donc la même chose que la concorde.

 [11155] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1 arg. 5 Praeterea, videtur quod sit idem quod beneficentia. Quia modus caritatis est ut diligamus non lingua tantum, sed opere et veritate; 1 Joan. 3. Sed diligere per effectum, ad beneficentiam pertinet. Ergo caritas videtur esse idem quod beneficentia.

5. Il semble que [la charité] soit la même chose que la bienfaisance, car le monde de la charité consiste en ce que nous n’aimions pas en paroles seulement, mais en acte et en vérité, 1 Jn 3. Or, aimer efficacement relève de la bienfaisance. La charité semble donc être la même chose que la bienfaisance.

 [11156] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1 arg. 6 Praeterea, videtur quod sit idem quod pax. Caritas enim est vinculum faciens spirituum unitatem. Hoc autem paci attribuitur; Ephes. 4, 3: soliciti servare unitatem spiritus in vinculo pacis. Ergo caritas est idem quod pax.

6. Il semble qu’elle soit la même chose que la paix. En effet, la charité est le lien qui réalise l’unité entre les esprits. Or, cela est attribué à la paix, Ep 4, 3 : Prenez soin de maintenir l’unité de l’esprit dans le lien de la paix. La charité est donc la même chose que la paix.

 [11157] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1 arg. 7 Praeterea, videtur quod sit idem quod amicitia. Quia, ut dicit philosophus in 9 Ethic., amicitia superabundantiae amoris similatur. Sed caritas habet superabundantissimum amorem; unde et caritas dicitur, eo quod sub inaestimabili pretio, quasi carissimam rem, ponat amatum. Ergo caritas est idem quod amicitia.

7. Il semble que [la charité] soit la même chose que l’amitié, car, ainsi que le dit le Philosophe dans Éthique, IX, « l’amitié est assimilée à la surabondance de l’amour ». Or, la charité comporte un amour surabondant; aussi est-elle appelée « charité » du fait qu’elle confère à celui qui est aimé un prix inestimable, comme étant une réalité très chère. La charité est donc la même chose que l’amitié.

 [11158] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1 arg. 8 Sed contra, amicitia, ut dicit philosophus, est redamantium. Sed caritas est etiam ad inimicos. Ergo non est idem quod amicitia.

8. Comme le dit le Philosophe, « l’amitié est le fait de ceux qui sont aimés en retour ». Or, la charité s’adresse aussi aux ennemis. Elle n’est donc pas la même chose que l’amitié.

 [11159] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1 arg. 9 Praeterea, amicitia est non latens. Sed caritas maxime latet. Ergo non est amicitia.

9. L’amitié ne se cache pas. Or, la charité se cache au plus haut point. Elle n’est donc pas amitié.

 [11160] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1 arg. 10 Praeterea, amicitia est eorum qui convivunt ad invicem, et communicant in eisdem operibus. Sed caritas est ad Deum et ad Angelos, quorum conversatio non est cum hominibus. Ergo caritas non est amicitia.

10. L’amitié est le fait de ceux qui vivent ensemble et participent aux mêmes actions. Or, la charité s’adresse à Dieu et aux anges, qui ne vivent pas au milieu des hommes. La charité n’est donc pas une amitié.

 [11161] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1 arg. 11 Praeterea, amicitia quaerit maxime colloqui, et videre amicum, ut dicit philosophus. Sed hoc non quaerit caritas, ut dicit Hieronymus in prologo Bibliae. Ergo non est idem quod amicitia.

11. « L’amitié recherche surtout à parler avec l’ami et à le voir », comme le dit le Philosophe. Or, la charité ne recherche pas cela, comme le dit Jérôme dans le prologue de la Bible. Elle n’est donc pas la même chose que l’amitié.

 [11162] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1 arg. 12 Praeterea, amicitia non est nisi ad paucos, et virtuosos. Sed caritas est ad omnes, etiam malos. Ergo caritas non est idem quod amicitia.

12. L’amitié ne s’adresse qu’à un petit nombre et à ceux qui sont vertueux. Or, la charité s’adresse à tous, même aux méchants. La charité n’est donc pas la même chose que l’amitié.

 [11163] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod amor est quaedam quietatio, ut supra dictum est, quaest. praec., art. 1; unde sicut appetitus invenitur in parte sensitiva et intellectiva, ita et amor. Ea autem quae ad sensitivum appetitum pertinent, ad intellectivum transferuntur, sicut nomina passionum. Quod autem appetitus intellectivi est proprium, sensitivo appetitui non convenit, ut nomen voluntatis. Et ideo amor in utroque appetitu invenitur. Et secundum quod invenitur in appetitu sensitivo, proprie dicitur amor, eo quod passionem importat; secundum autem quod invenitur in intellectiva parte, dicitur dilectio, quae electionem includit, quae ad appetitum intellectivum pertinet. Nihilominus nomen amoris etiam ad superiorem partem transfertur; nomen autem dilectionis ad inferiorem nunquam. Omnia autem alia nomina quae ad amorem pertinere videntur, vel includuntur ab istis, vel includunt ea, quasi addentia aliquid supra dilectionem et amorem. Quia enim amor unit quodammodo amantem amato, ideo amans se habet ad amatum quasi ad seipsum, vel ad id quod est de perfectione sui. Ad seipsum autem et ad ea quae sui sunt, hoc modo se habet ut primo velit sibi praesens esse quidquid de perfectione sua est; et ideo amor includit concupiscentiam amati, qua desideratur ejus praesentia. Secundo homo alia in seipsum retorquet per affectum, et sibi appetit quaecumque sibi expediunt; et secundum quod hoc ad amatum efficitur, amor benevolentiam includit, secundum quam aliquis amato bona desiderat. Tertio homo ea quae sibi appetit, operando sibi acquirit; et secundum quod hoc ad alium exercetur, beneficentia in amore includitur. Quarto homo ea quae sibi bona videntur, implere consentit: et secundum quod hoc ad amicum fit, amor concordiam includit, secundum quam aliquis consentit in his quae amico videntur: non quidem in speculativis: quia concordia in his, secundum philosophum, 9 Ethic., ad amicitiam non pertinet, et discordia in eisdem esse potest sine amicitiae praejudicio, eo quod in his concordare vel discordare, voluntati non subjacet, cum intellectus ratione cogatur. Amor tamen super quatuor praedicta aliquid addit, scilicet quietationem appetitus in re amata, sine qua quodlibet praedictorum quatuor esse potest. Sunt etiam quaedam quae super dilectionem vel amorem aliquid addunt. Amatio enim addit super amorem intensionem quamdam amoris, quasi fervorem quemdam. Amicitia vero addit duo: quorum unum est societas quaedam amantis et amati in amore, ut scilicet mutuo se diligere sciant; aliud est ut ex electione operentur, non tantum ex passione. Unde dicit philosophus, quod amicitia similatur habitui, amatio autem passioni. Sic ergo patet quod amicitia est perfectissimum inter ea quae ad amorem pertinent, omnia praedicta includens; unde in genere hujusmodi ponenda est caritas, quae est quaedam amicitia hominis ad Deum, per quam homo Deum diligit, et Deus hominem; et sic efficitur quaedam associatio hominis ad Deum, ut 1 Joan., 1, 7: si in luce ambulamus, sicut et ipse in luce est, societatem habemus ad invicem.

Réponse. L’amour est un apaisement, comme on l’a dit plus haut, à la question précédente, a. 1; aussi, de même que l’appétit se trouve dans la partie sensible et dans la partie intellectuelle, de même aussi l’amour. Or, ce qui se rapporte à l’appétit sensible est reporté sur la partie intellectuelle, tels les noms des passions; mais ce qui est relève de l’appétit intellectuel ne convient pas à l’appétit sensible, tel le nom de volonté. C’est pourquoi l’amour se trouve dans les deux appétits. Selon qu’il se trouve dans l’appétit sensible, on parle au sens propre d’amour, du fait qu’il implique une passion; mais, selon qu’il se trouve dans la partie intellective, il s’appelle dilection, qui inclut un choix (dilectio/electio), lequel relève de l’appétit intellectuel. Néanmoins, le mot « amour » est aussi reporté sur la partie supérieure, mais le mot de « dilection » n’est jamais reporté sur la partie inférieure. Or, tous les mots qui semblent se rapporter à l’amour sont soit inclus dans ceux-ci, soit les incluent, parce qu’ils ajoutent quelque chose à la dilection et à l’amour. En effet, parce que l’amour unit d’une certaine manière celui qui aime à celui qui est aimé, celui qui aime a avec l’aimé les mêmes rapports qu’avec lui-même ou avec ce qui relève de sa perfection. Or, il se comporte par rapport à lui-même et à ce qui est sien en voulant, en premier lieu, que lui soit présent tout ce qui appartient à sa perfection; ainsi l’amour inclut-il la concupiscence de ce qui est aimé, par laquelle est désirée sa présence. Deuxièmement, l’homme ramène les autres choses à lui-même par l’amour et désire pour lui-même tout ce qui lui convient; si cela est fait pour celui qui est aimé, l’amour comporte donc la bienveillance, par laquelle quelqu’un désire des biens pour l’aimé. Troisièmement, l’homme acquiert pour lui-même en agissant ce qu’il désire pour lui-même; selon que cela est fait pour quelqu’un d’autre, l’amour comporte la bienfaisance. Quatrièmement, l’homme consent à accomplir ce qui semble bon pour lui-même; selon que cela est fait pour un ami, l’amour comporte donc la concorde, par laquelle quelqu’un consent à ce que pense son ami, mais non en matière spéculative, car la concorde sur ces choses ne relève pas de l’amitié, selon le Philosophe, Éthique, IX, et la discorde sur ces mêmes choses peut exister sans préjudice pour l’amitié, du fait qu’être en accord ou en désaccord n’est pas soumis à la volonté, lorsque l’intellect est contraint par la raison. Toutefois, l’amour ajoute quelque chose aux quatre points mentionnés : l’apaisement de l’appétit dans la réalité aimée, sans lequel peut exister n’importe laquelle des choses mentionnées. Il existe aussi certaines choses qui ajoutent quelque chose à la dilection ou à l’amour. En effet, la relation amoureuse (amatio) ajoute à l’amour une certaine intensité de l’amour, comme une certaine ferveur. Mais l’amitié ajoute deux choses : l’une est une certaine communion de celui qui aime et de celui qui est aimé dans l’amour, de sorte qu’ils savent qu’ils s’aiment mutuellement; l’autre est qu’ils agissent par choix, et pas seulement par passion. Aussi le Philosophe dit-il que « l’amitié ressemble à un habitus, mais la relation amoureuse à une passion ». Il est donc clair que l’amitié est la chose la plus parfaite parmi les choses qui se rapportent à l’amour, et qu’elle inclut tout ce qui a été dit plus haut. Aussi la charité doit-elle être placée dans ce genre, elle qui est une certaine amitié entre l’homme et Dieu, par laquelle l’homme aime Dieu et Dieu [aime] l’homme. Ainsi se réalise une certaine communion entre l’homme et Dieu, comme le dit 1 Jn 1, 7 : Si nous marchons dans la lumière, de même que lui est dans la lumière, nous sommes en communion les uns avec les autres.

 [11164] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quaelibet amicitia concupiscentiam seu desiderium includit, et aliquid super eam addit, ut dictum est.

1. Toute amitié inclut la concupiscence ou le désir, et y ajoute quelque chose, comme on l’a dit.

 [11165] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod caritas addit aliquid supra dilectionem et amorem.

2. La charité ajoute quelque chose à la dilection et à l’amour.

 [11166] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1 ad 3 Et similiter dicendum ad tertium de benevolentia, et ad quartum de concordia, et ad quintum de beneficentia.

3-5. Il faut dire la même chose pour le troisième argument sur la bienveillance, pour le quatrième sur la concorde et pour le cinquième sur la bienfaisance.

 [11167] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod pax ad concordiam reducitur: nisi quod magis pax dicitur quantum ad remotionem discordiae, concordia autem quantum ad ipsam unionem.

6. La paix se ramène à la concorde, sauf qu’on parle de paix pour l’éloignement de la discorde, mais de concorde pour l’union elle-même.

 [11168] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod caritas est amicitia, sed aliquid addit supra ipsam, scilicet determinationem amici: quia est amicitia ad Deum, quae omnibus pretiosior est et carior.

7. La charité est une amitié, mais elle lui ajoute quelque chose: la détermination de l’ami, car elle est une amitié envers Dieu, qui est plus précieuse et plus chère que toutes les autres.

 [11169] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod amicus non tantum diligit amicum ad quem amicitiam habet, sed omnia quae ad ipsum pertinent, quamvis ab illis non ametur, sicut filios ejus, fratres et hujusmodi. Similiter et caritas diligere facit principaliter Deum, qui amantes se amat, et in amando praevenit et homines, inquantum illius sunt. Unde quod dicitur, quod amicitia est redamantium, intelligitur quantum ad eos inter quos principaliter est amicitia.

8. L’ami n’aime pas seulement l’ami envers qui il a une amitié, mais tout ce qui le concerne, comme ses fils, ses frères et ceux de ce genre, bien qu’il ne soit pas aimé d’eux. De même, la charité fait principalement aimer Dieu, qui aime ceux qui l’aime et précède aussi les hommes dans l’amour, dans la mesure où ils sont à lui. Aussi que l’amitié soit le fait de ceux qui retournent l’amitié, cela s’entend de ceux entre qui existe principalement l’amitié.

 [11170] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1 ad 9 Ad nonum dicendum, quod inquantum homines per caritatem deiformes efficiuntur, sic sunt supra homines, et eorum conversatio in caelis est; et sic cum Deo et Angelis ejus conveniunt, inquantum ad similia se extendunt, secundum quod dominus docet: estote perfecti, sicut et pater vester perfectus est.

9. Pour autant que les hommes deviennent déiformes par la charité, ils sont ainsi au-dessus des hommes et leur séjour est dans le ciel. Ils ont ainsi semblables à Dieu et aux anges, pour autant qu’ils se portent sur les mêmes choses, comme le Seigneur l’enseigne : Soyez parfaits comme votre Père est parfait.

 [11171] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1 ad 10 Ad decimum dicendum, quod amicitia dicitur esse non latens, non quod per certitudinem amor amici cognoscatur, sed quia per signa probabilia amor mutuus hinc inde colligitur; et talis manifestatio potest esse de caritate inquantum per aliqua signa potest aliquis probabiliter aestimare se habere caritatem.

10. On dit que l’amitié n’est pas cachée, non pas parce que l’amour de l’ami est connu avec certitude, mais parce qu’on juge de l’amour mutuel par des signes probables. Une telle manifestation peut venir de la charité dans la mesure où quelqu’un peut estimer de manière probable qu’il possède la charité.

 [11172] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod amicitia vera desiderat videre amicum, et colloquiis mutuis gaudere facit, ad quem principaliter est amicitia; non autem ita quod delectatio quae est ex mutua visione et perfruitione, finis amicitiae ponatur, sicut est in amicitia delectabilis; et hoc intendit removere Hieronymus, scilicet quod non est amicitia caritatis principaliter ad homines, sed est Christi glutino copulata, et quod delectatio principaliter de amicis non est quaerenda.

11. La véritable amitié désire voir l’ami à qui s’adresse principalement l’amitié, et elle se réjouit de parler avec lui. Mais la délectation qui vient de la vision et du plaisir mutuels n’est cependant pas la fin de l’amitié, aussi délectable soit-elle dans l’amitié. C’est ce qu’entend écarter Jérôme : l’amitié de la charité ne s’adresse pas d’abord aux hommes, mais elle est unie au Christ par un lieu, et la délectation tirée des amis ne doit pas être principalement recherchée.

 [11173] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod objectio illa procedit quantum ad illum ad quem attenditur principaliter amicitia, et non de illis qui diliguntur inquantum ad amicum principaliter pertinent, quia sic multorum est.

12. Cette objection vient de celui à qui s’adresse principalement l’amitié, et non de ce qui est aimé pour autant que cela concerne l’ami, car elle porte ainsi sur plusieurs choses.

 

 

Articulus 2 [11174] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 2 tit. Utrum caritas sit virtus

Article 2 – La charité est-elle une vertu ?

 [11175] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod caritas non sit virtus. Caritas enim, ut dictum est, est quaedam amicitia hominis ad Deum. Sed amicitia a philosophis non ponitur virtus, sed habet virtutem pro fundamento; quia est propter bonum honestum, quod est virtus. Ergo caritas non est virtus.

1. Il semble que la charité ne soit pas une vertu. En effet, la charité, comme on l’a dit, est une amitié de l’homme envers Dieu. Or, l’amitié n’est pas donnée comme une vertu par les philosophes, mais elle a une vertu comme fondement, car elle existe en vue d’un bien honnête, ce qu’est la vertu. La charité n’est donc pas une vertu.

 [11176] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, praecepta legis sunt de actibus virtutum. Sed finis praecepti est caritas, 1 Timoth. 1. Ergo caritas est finis virtutum. Sed finis virtutum non est virtus, sed felicitas. Ergo caritas non est virtus.

2. Les commandements de la loi portent sur les actes des vertus. Or, la fin du commandement est la charité, 1 Tm 1. La charité est donc la fin des vertus. Or, la fin des vertus n’est pas une vertu, mais la félicité. La charité n’est donc pas une vertu.

 [11177] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, virtus est ultimum potentiae, ut dicitur in Lib. 1 de Cael. et Mun. Sed delectatio est magis ultimum quam amor: quia ipsa est ex ipsa conjunctione rei amatae, quam amor quaerit. Ergo delectatio magis debet esse virtus quam amor. Cum ergo delectatio non ponatur virtus, neque caritas virtus dici debet.

3. La vertu est le point ultime d’une puissance, comme on le dit dans le livre Sur le ciel et le monde. Or, la délectation est un point plus ultime que l’amour, car elle est ce que l’amour recherche par l’union elle-même à la chose aimée. La délectation doit donc être une vertu plutôt que l’amour. Puisque la délectation n’est pas donnée comme une vertu, la charité non plus ne doit donc pas être appelée une vertu.

 [11178] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, ad illud ad quod natura sufficit, non oportet quod elevetur per virtutem. Sed diligere Deum super omnia, quod est actus caritatis, potest homo per naturalia, inquantum naturali ratione potest cognoscere ipsum esse summum bonum. Ergo non oportet superaddi aliquam virtutem caritati.

4. Ce pour quoi la nature suffit n’a pas besoin d’être élevé par une vertu. Or, l’homme peut aimer Dieu par-dessus tout par ses capacités naturelles, ce qui est l’acte de la charité, dans la mesure où il peut le connaître comme étant le bien suprême. Il n’est donc pas nécessaire qu’une vertu soit ajoutée à la charité.

 [11179] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 2 arg. 5 Praeterea, ad hoc quod tendamus in finem, sufficit ipsum cognoscere et desiderare. Sed caritas plus facit; quia facit ipsum amare, et amicitiam ad ipsum habere. Ergo non fuit necessarium quod caritas esset virtus theologica, sed subjecisset desiderium.

5. Pour que nous tendions vers la fin, il suffit de la connaître et de la désirer. Or, la charité fait davantage, car elle la fait aimer et avoir de l’amitié pour elle. Il n’était donc pas nécessaire que la charité soit une vertu théologale, mais qu’elle soumette le désir.

 [11180] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 2 arg. 6 Praeterea, virtus est circa difficile, ut dicitur 2 Ethic. Sed amare non est difficile, immo amor omnia difficilia levigat. Ergo caritas non est virtus.

6. La vertu porte sur ce qui est difficile, comme on le dit dans Éthique, II. Or, aimer n’est pas difficile, bien plus, l’amour rend léger tout ce qui est difficile. La charité n’est donc pas une vertu.

 [11181] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 2 s. c. 1 Sed contra, praecepta legis sunt de actibus virtutum. Sed caritas est quae implet omnia praecepta legis: quia plenitudo legis est dilectio: Rom. 13, 10. Ergo caritas est virtus.

Cependant, [1] les commandements de la loi portent sur les actes des vertus. Or, la charité est ce qui accomplit tous les commandements de la loi, car la plénitude de la loi est l’amour, Rm 13, 10. La charité est donc une vertu.

 [11182] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 2 s. c. 2 Praeterea, esse spirituale est a virtute. Sed non est sine caritate; unde apostolus dicit 1 Corinth. 13, 2: si habuero omnem fidem (...) caritatem autem non habeam, nihil sum. Ergo caritas est maxima virtutum.

 [2] L’être spirituel vient de la vertu. Or, il n’existe pas sans la charité; aussi l’Apôtre dit-il, 1 Co 13, 2 : Si j’avais la plénitude de la foi…, mais sans avoir la charité, je ne suis rien. La charité est donc la plus grande des vertus.

 [11183] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 2 s. c. 3 Praeterea, nihil expellit peccatum nisi virtus. Hoc autem maxime facit caritas, quae operit universa delicta, ut dicitur Prov. 10; ergo caritas est virtus.

 [3] Rien ne chasse le péché que la vertu. Or, c’est ce que fait la charité au plus haut point, elle qui recouvre toutes les fautes, comme il est dit dans Pr 10. La charité est donc une vertu.

 [11184] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod finis humanae vitae est felicitas: unde secundum diversas vitas etiam distinguuntur diversae felicitates. Qui enim sunt extra vitam civilem, ad felicitatem civilem non possunt pervenire, quae attingit summum illius vitae. Similiter ad hoc quod ad felicitatem contemplativam quis perveniat, oportet quod illius vitae particeps fiat; unde felicitas ad quam homo per naturalia sua potest devenire, est secundum vitam humanam; et de hac philosophi locuti sunt; unde 1 Ethic. dicitur: beatos autem ut homines. Sed quia nobis promittitur quaedam felicitas in qua erimus Angelis aequales, ut patet Matth. 22, quae non solum vires hominis, sed etiam Angelorum, excedit, qui per gratiam ad hanc perducuntur sicut nos; soli autem Deo est naturalis; ideo oportet ad hoc quod ad felicitatem illam divinam homo perveniat quod divinae vitae particeps fiat. Illud autem quod ad alterum convivere facit, maxime amicitia est; quia, ut dicit philosophus 9 Ethic., unusquisque cum suo amico conversatur in illis quae maxime diligit, et quae suam vitam reputat, quasi amico convivere volens; unde quidam simul venantur, quidam simul potant, quidam philosophantur, et sic de aliis. Et ideo oportuit haberi quamdam amicitiam ad Deum, qua sibi conviveremus; et haec est caritas, ut dictum est. Haec autem communicatio divinae vitae facultatem naturae excedit, sicut et felicitas ad quam ordinatur; et ideo oportet quod per aliquod bonum superadditum natura in hoc perficiatur; et haec est ratio virtutis. Unde oportet dicere caritatem virtutem theologicam, quae diffunditur in cordibus nostris per spiritum sanctum qui datus est nobis: Rom. 5.

Réponse. La fin de la vie humaine est la félicité. Aussi distingue-t-on diverses félicités selon diverses vies. En effet, ceux qui sont hors de la vie civile ne peuvent parvenir à la félicité civile, qui atteint ce qu’il y a de plus élevé en cette vie. De même, pour parvenir à la félicité contemplative, il faut participer à cette vie. Aussi la félicité à laquelle l’homme peut parvenir par ses capacités naturelles est-elle conforme à la vie humaine; c’est d’elle que les philosophes ont parlé. Ainsi est-il dit dans Éthique, I : « Heureux comme des hommes… » Mais parce qu’une félicité nous est promise par laquelle nous serons les égaux des anges, comme cela ressort de Mt 22, [félicité] qui dépasse non seulement les forces de l’homme, mais aussi celles des anges, qui y sont conduits comme nous par la grâce, mais qui est naturelle à Dieu seul, il est donc nécessaire, pour que l’homme parvienne à cette félicité, qu’il devienne participant à la vie divine. Or, ce qui fait vivre pour un autre est surtout l’amitié, car, ainsi que le dit le Philosophe, Éthique, IX, « chacun échange avec son ami sur les choses qu’il aime en premier lieu et qu’il considère comme sa vie, comme s’il voulait vivre avec son ami ». Aussi certains chassent-ils ensemble, certains boivent-ils ensemble, certains s’exercent-ils à la philosophie, et ainsi de suite. C’est pourquoi il était nécessaire que nous ayons avec Dieu une amitié par laquelle nous vivrions avec lui : telle est la charité, comme on l’a dit. Or, ce partage de la vie divine dépasse la capacité de la nature, de même que la félicité à laquelle elle est ordonnée. Aussi est-il nécessaire que la nature soit perfectionnée sur ce point par un bien ajouté : telle est la raison de vertu. Il est donc nécessaire de dire que la charité est une vertu théologale, qui est répandue dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné, Rm 5, 5.

 [11185] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod amicitia de qua philosophus tractat, causatur vel ex inclinatione naturae quantum ad amicitiam delectabilis et utilis; vel ex inclinatione habitus virtuosi praesupposita inclinatione naturae quantum ad amicitiam honesti, inquantum omne quod facit similitudinem cum aliquo, inclinat ad amorem illius; et ideo non ponitur aliqua virtus, sed quiddam consequens ad virtutes. Sed amicitia quam habemus ad Deum, non potest habere aliquod hujusmodi fundamentum, cum naturae metas excedat; et ideo oportet quod per speciale donum in dictam amicitiam elevemur; et hoc donum dicimus virtutem.

1. L’amitié dont traite le Philosophe est causée soit par une inclination de la nature, pour ce qui est de l’amitié portant sur ce qui est délectable et utile, soit par l’inclination d’un habitus vertueux, l’inclination de la nature étant présupposée, pour ce qui est de l’amitié portant sur ce qui est honnête, dans la mesure où tout ce qui rend semblable à un autre incline à son amour. C’est pourquoi elle n’est pas donnée comme une vertu, mais comme quelque chose qui découle des vertus. Mais l’amitié que nous avons pour Dieu ne peut avoir un fondement de ce genre, puisqu’elle dépasse les limites de la nature. Aussi est-il nécessaire que nous soyons élevés à cette amitié par un don spécial. Nous appelons ce don une vertu.

 [11186] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod caritas non dicitur esse finis praecepti, quasi ultimus finis virtutum, sed sicut id quo omnes aliae virtutes in finem ultimum ordinantur. Et excludit ibi apostolus tria a caritate, quae verae amicitiae repugnant: quorum primum est fictio, sicut est in simulantibus amicitiam, cum non sint amici: quod removet per hoc quod dicit: fides non ficta; fidem pro fidelitate accipiens. Secundum est malum fundamentum, sicut eorum qui communicant in peccato, et ex hoc fiunt amici; et ad hoc removendum dicit: conscientia bona. Tertium obliquata intentio, sicut cum quis diligit amicum propter lucrum; et hoc excludit per hoc quod dicit: de corde puro.

2. On ne dit pas que la charité est la fin du commandement en tant que fin ultime des vertus, mais comme ce par quoi toutes les autres vertus sont ordonnées à la fin ultime. Et, à cet endroit, l’Apôtre écarte de la charité trois choses qui s’opposent à une amitié véritable. La première est la feinte, comme c’est le cas chez ceux qui simulent l’amitié, alors qu’ils ne sont pas des amis; il écarte cela lorsqu’il dit : Une foi sans feinte, en prenant la foi pour la fidélité. La deuxième est un fondement mauvais, comme c’est le cas de ceux qui communient dans le péché et, pour cette raison, deviennent amis; il dit que cela doit être écarté : une bonne conscience. La troisième est une intention déviée, comme lorsque quelqu’un aime son ami pour un gain; il écarte cela lorsqu’il dit : Avec un cœur pur.

 [11187] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod actus virtutum cum sint laudabiles, oportet quod habeant principium in nobis. Delectatio autem cum sit ex conjunctione rei convenientis, in quamdam receptionem sonat, et ita in passionem, cujus principium est ab agente; et ideo magis se tenet ex parte praemii: sed dilectio dicit extensionem appetitus in rem amatam, et hoc operationem importat: et ita caritas ponitur virtus: sed fruitio, quae delectationem importat, ponitur dos.

3. Puisqu’ils sont louables, les actes des vertus doivent avoir leur principe en nous. Or, puisqu’elle vient de l’union avec une chose qui convient, la délectation signale une certaine réception et ainsi une passion, dont le principe vient d’un agent. Elle doit donc plutôt être considérée comme une récompense. Mais la dilection exprime la tension de l’appétit vers une chose aimée et elle comporte cette opération. Ainsi, la charité est-elle donnée comme une vertu; mais la jouissance, qui comporte une délectation, est-elle donnée comme une dot.

 [11188] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod caritas, ut ex praedictis, art. praeced., patet, amicitiam et amorem et desiderium includit. Desiderium autem naturale non potest esse nisi rei quae naturaliter haberi potest; unde desiderium naturale summi boni inest nobis secundum naturam, inquantum summum bonum participabile est a nobis per effectus naturales. Similiter amor ex similitudine causatur; unde naturaliter diligitur summum bonum super omnia, inquantum habemus similitudinem ad ipsum per bona naturalia. Sed quia natura non potest pervenire ad operationes ejus, quae sunt vita sua, et beatitudo, scilicet visio divinae essentiae; ideo etiam ad amicitiam non pertingit, quae facit amicos convivere, et in omnibus communicare; et ideo oportet superaddi caritatem, per quam amicitiam ad Deum habeamus, et ipsum amemus, et desideremus assimilari ei per participationem spiritualium donorum, ut participabilem per gloriam ab amicis suis.

4. Comme cela ressort de l’article précédent, la charité inclut l’amitié, l’amour et le désir. Or, le désir naturel ne peut porter que sur une chose qui peut être obtenue naturellement; aussi le désir naturel du bien suprême existe-t-il en nous par la nature pour autant que nous pouvons participer au bien suprême par des effets naturels. De même, l’amour est causé par une similitude; aussi le bien suprême est-il naturellement plus que tout, pour autant que nous avons une similitude avec lui par des biens naturels. Mais parce que la nature ne peut parvenir à ses opérations, qui sont sa vie et sa béatitude, à savoir, la vision de l’essence divine, elle ne peut parvenir à l’amitié, qui fait que les amis vivent ensemble et partagent tout. C’est pourquoi il est nécessaire que soit ajoutée la charité, par laquelle nous avons une amitié envers Dieu, nous l’aimons et désirons lui ressembler par la participation aux dons spirituels, pour autant que ses amis peuvent participer à lui par la gloire.

 [11189] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod non sufficit desiderium, sed oportet esse communicationem in vita, ut dictum est, art. 1.

5. Le désir ne suffit pas, mais il est nécessaire qu’il y ait partiage de vie, comme on l’a dit.

 [11190] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod difficultas quae est in operibus virtutum, non semper est laboris, vel alicujus contristantis; sed proprie ea quorum est virtus dicuntur habere difficultatem, inquantum supra vires elevantur eorum qui virtutem non habent.

6. La difficulté qui existe dans les actes des vertus n’est pas toujours celle de l’effort ou de quelque chose qui attriste; mais ce sur quoi porte à proprement parler la vertu comporte une difficulté dans la mesure où cela dépasse les forces de ceux qui n’ont pas la vertu.

 

 

Articulus 3 [11191] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 3 tit. Utrum subjectum caritatis sit ratio

Article 3 – Le sujet de la charité est-il la raison ?

 [11192] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod subjectum caritatis sit ratio. Omnis enim virtutis, ut in 1 Ethic. dicitur, subjectum est rationale per participationem, vel rationale per essentiam. Sed caritas est virtus, ut dictum est. Cum ergo subjectum ejus non sit rationale per participationem, quia sic esset virtus moralis, videtur quod subjectum ejus sit rationale per essentiam.

1. Il semble que le sujet de la charité soit la raison. En effet, comme le dit Éthique, III, le sujet de toutes les vertus est ce qui est raisonnable par participation ou ce qui est raisonnable par essence. Or, la charité est une vertu, comme on l’a dit. Puisque son sujet n’est pas quelque chose de raisonnable par participation, car elle serait alors une vertu morale, il semble donc que son sujet soit ce qui est raisonnable par essence.

 [11193] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 3 arg. 2 Praeterea, ea quae mutuo se expellunt, oportet esse in eodem. Sed caritas et peccatum mortale mutuo se expellunt. Cum ergo omne peccatum mortale, sit vel in ratione superiori vel inferiori, ut in 2 Lib., dist. 30, dictum est; videtur quod etiam caritas sit in ratione.

2. Les choses qui se repoussent réciproquement doivent exister dans une même chose. Or, la charité et le péché mortel se repoussent. Puisque tout péché mortel se trouve soit dans la raison supérieure, soit dans la [raison] inférieure, comme on l’a dit dans le livre II, d. 30, il semble donc que la charité aussi se trouve dans la raison.

 [11194] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 3 arg. 3 Praeterea, sicut caritas est principalis in gratuitis virtutibus, ita prudentia in moralibus. Sed prudentiae subjectum est ratio. Ergo et caritatis.

3. Comme la charité est la principale des vertus gratuites, de même en est-il de la prudence parmi les vertus morales. Or, le sujet de la prudence est la raison. Elle est donc aussi celui de la charité.

 [11195] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 3 arg. 4 Praeterea, cum caritas sit virtus theologica, non potest esse in parte sensitiva, cujus objectum Deus esse non potest. Ergo oportet quod sit in parte intellectiva. Sed non est in libero arbitrio: quia objectum ejus est contingens operabile a nobis; caritas autem est ultimi finis, supra quem non cadit contingentia, neque nostra operatio, neque electio. Similiter non potest esse in voluntate: quia voluntas non habet determinatum actum, sed imperat omnes actus animae; unde si caritas esset in voluntate, eadem ratione quaelibet alia virtus. Ergo restat quod sit in ratione.

4. Puisque la charité est une vertu théologale, elle ne peut se trouver dans la partie sensible, dont l’objet ne peut être Dieu. Il est donc nécessaire qu’elle existe dans la partie intellectuelle. Or, elle ne se trouve dans le libre arbitre, car son objet est quelque chose de contingent qui peut être fait par nous. Or, la charité porte sur la fin ultime qui n’est pas affectée par la contingence, par notre opération ni par notre choix. De même ne peut-elle pas se trouver dans la volonté, car la volonté n’a pas d’acte déterminé, mais elle commande tous les actes de l’âme. Si la charité était dans la volonté, toute autre vertu s’y trouverait donc pour la même raison. Il reste donc qu’elle se trouve dans la raison.

 [11196] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 3 arg. 5 Praeterea, philosophi de virtutibus tractantes nullam virtutem in voluntate posuerunt, ponentes intellectuales in rationali per essentiam, morales vero in rationali per participationem, cujusmodi est irascibilis et concupiscibilis, ut patet ex 1 Ethic. Cum ergo caritas sit virtus, videtur quod non sit in voluntate.

5. Les philosophes qui traitent des vertus n’ont situé aucune vertu dans la volonté. Ils placent les [vertus] intellectuelles dans ce qui est raisonnable par essence, mais les vertus morales dans ce qui est raisonnable par participation, dont font partie l’irascible et le concupiscible, comme cela ressort d’Éthique, I. Puisque la charité est une vertu, il semble donc qu’elle ne se trouve pas dans la volonté.

 [11197] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 3 s. c. 1 Sed contra, objectum rationis est verum; caritatis autem non, sed magis bonum. Ergo caritas est in voluntate, non in ratione.

Cependant, [1] l’objet de la raison est le vrai. Or, il n’est pas celui de la charité, mais plutôt le bien. La charité se trouve donc dans la volonté, et non dans la raison.

 [11198] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 3 s. c. 2 Praeterea, amor ad appetitum pertinet. Sed ratio pertinet ad cognitionem. Ergo caritas non est in ratione.

 [2] L’amour se rapporte à l’appétit. Or, la raison se rapporte à la connaissance La charité ne se trouve donc pas dans la raison.

 [11199] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod ad sciendum in qua potentia est aliqua virtus, oportet considerare cui potentiae actus ejus competat. Actus autem principalis caritatis est diligere Deum: qui quidem rationis est quasi dirigentis, sed appetitus quasi exequentis. Unde oportet quod ad appetitum reducatur. Non potest autem hunc actum exequi appetitus sensitivus, quia ejus objectum Deus esse non potest. Ergo oportet quod ad appetitum intellectivae partis pertineat, non inquantum est electivus eorum quae sunt ad finem, sed inquantum se habet ad ipsum ultimum finem; et hoc est voluntatis; unde proprium subjectum caritatis est voluntas. Quidam autem dicunt, caritatem in concupiscibili esse; quod esse non potest: quia concupiscibilis pars appetitus sensitivae est partis. Et si dicatur concupiscibilis humana, hoc non habet nisi per participationem rationis; nisi forte ipsam voluntatem aequivoce irascibilem et concupiscibilem vocare vellent.

Réponse. Pour savoir dans quelle puissance se trouve une vertu, il faut considérer de quelle puissance son acte relève. Or, l’acte principal de la charité est d’aimer Dieu, ce qui est [un acte] de la raison en tant qu’elle dirige, mais de l’appétit en tant qu’il exécute. Il est donc nécessaire qu’il se ramène à l’appétit. Or, l’appétit sensible ne peut exécuter cet acte, car son objet ne peut être Dieu. Il faut donc que cela relève de l’appétit de la partie intellectuelle, non pas en tant qu’il choisit ce qui est ordonné à la fin, mais en tant qu’il se rapporte à la fin ultime elle-même. Cela est le fait de la volonté. Le sujet propre de la charité est donc la volonté. Mais certains disent que la charité se trouve dans le concupiscible, ce qui est impossible, car le concupiscible est une partie de l’appétit de la partie sensible. Et si l’on parle du concupiscible humain, il ne possède qu’une participation à la raison, à moins qu’on veuille appeler de manière équivoque l’irascible et le concupiscible la volonté elle-même.

 [11200] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod pars rationalis per essentiam non dicitur solum ipsa ratio, sed etiam appetitus rationi annexus, scilicet voluntas; unde philosophus dicit in 3 de anima, quod voluntas in ratione est. Et ideo caritas non est virtus moralis, quia non est circa passiones, quae sunt in appetitu sensitivo, qui est rationalis per participationem: neque est virtus intellectualis; non enim est in ratione per essentiam quantum ad vires apprehensivas; sed est virtus theologica.

1. On n’appelle pas seulement partie raisonnable par essence la raison elle-même, mais aussi l’appétit associé à la raison, à savoir, la volonté. Aussi le Philosophe dit-il, dans Sur l’âme, III, que la volonté se trouve dans la raison. C’est pourquoi la charité n’est pas une vertu morale, car elle ne porte pas sur les passions qui se trouvent dans l’appétit sensible et qui est raisonnable par participation. Elle n’est pas non plus une vertu intellectuelle : en effet, elle ne se trouve pas dans la raison par essence, pour ce qui est des puissances de perception. Mais elle est une vertu théologale.

 [11201] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod peccatum mortale non semper dicitur esse in ratione sicut in subjecto, cum quandoque sit in irascibili, quandoque in concupiscibili; sed est semper in ratione sicut in dirigente, et in voluntate, seu libero arbitrio, sicut imperante et dirigente actum ejus: et sic etiam caritas habet rationem quasi dirigentem in suo actu, vel magis intellectum.

2. On ne dit pas toujours que le péché mortel se trouve dans la raison comme dans son sujet, puisque parfois il se trouve dans l’irascible et parfois dans le concupiscible. Mais il se trouve toujours dans la raison en tant qu’elle dirige, et dans la volonté, ou dans le libre arbitre, en tant qu’elle commande et dirige son acte. La charité comporte donc aussi la raison en tant qu’elle dirige dans son acte, ou plutôt l’intellect.

 [11202] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod prudentia principalis est in virtutibus moralibus, inquantum est directiva omnium; et ideo ad rationem pertinet: sed caritas est principalis per modum imperantis et conjungentis fini et informantis; quod pertinet ad voluntatem.

3. La prudence est la principale des vertus morales pour autant qu’elle les dirige toutes. C’est pourquoi elle relève de la raison. Mais la charité est principale en tant qu’elle commande, unit à la fin et donne forme, ce qui relève de la volonté.

 [11203] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod nec appetitus sensitivus, nec liberum arbitrium, proprie loquendo, est subjectum caritatis; sed voluntas, quae quamvis habeat se quodammodo ut causa ad omnes actus humanos, non tamen eodem modo se habet ad omnes. Quosdam enim actus ipsa elicit, inquantum est quaedam specialis potentia, sicut velle; quosdam vero imperat, ut est universalis motor virium animae. Unde virtutes perficientes ad actus quod voluntas tantum imperat, non sunt in voluntate sicut in subjecto, sed in illis potentiis quae illos actus eliciunt; sed virtutes perficientes ad actus quos voluntas elicit, sunt in voluntate quasi in subjecto: et sic non est eadem ratio de omnibus. Diligere autem est actus a voluntate elicitus, cum importet quietationem voluntatis, et transformationem quamdam in rem amatam; et ideo caritas, quae ad hunc actum perficit, est in voluntate sicut in subjecto.

4. Ni l’appétit sensible ni le libre arbitre ne sont à proprement parler le sujet de la charité, mais la volonté qui, tout en étant d’une certaine manière la cause de tous les actes humains, n’a cependant pas le même rapport avec tous. En effet, elle-même suscite certains actes en tant qu’elle est une puissance particulière, tel l’acte de vouloir; mais elle en commande certains, en tant qu’elle est le moteur universel des puissances de l’âme. Les vertus qui perfectionnent en vue des actes que la volonté ne fait que commander ne se trouvent donc pas dans la volonté comme dans leur sujet, mais dans les puissances qui suscitent ces actes; mais les vertus qui perfectionnent en vue des actes que suscite la volonté se trouvent dans la volonté comme dans leur sujet. Il n’en va donc pas de même pour toutes. Or, aimer est un acte susciter suscité par la volonté, puisqu’il comporte l’apaisement de la volonté et une certaine transformation en la chose aimée. C’est pourquoi la charité, qui perfectionne en vue de cet acte, se trouve dans la volonté comme dans son sujet.

 [11204] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod virtutes, ut supra dictum est, dist. 23, quaest. 1, art. 1, sunt nobis necessariae ad hoc quod potentiae naturales determinentur ad bonum; unde in illis in quibus potentiae naturales sunt ex sui natura ad bonum determinatae, non requiruntur aliae virtutes. Voluntas autem habet bonum, quod est finis, pro objecto; unde quantum in se est, naturaliter est determinata ad bonum; quod est finis humanae naturae proportionatus: et ideo in voluntate respectu finis ultimi, philosophi nullam virtutem posuerunt. Tamen oportet ponere aliquam virtutem acquisitam in voluntate secundum quod est eorum quae sunt ad finem, scilicet justitiam, ut infra dicetur, dist. 33, quaest. 2, art. 4, quaestiunc. 2, quae est circa bona quae in usum vitae veniunt, et tamen inter morales computatur: quia voluntas quamvis secundum suam essentiam sit in rationali per essentiam, tamen quantum ad similitudinem actus convenit cum irascibili et concupiscibili, quae dicuntur rationales per participationem: et ipsa etiam voluntas aliqualiter rationem participat, inquantum a ratione apprehensiva dirigitur. At secundum doctrinam fidei ponitur finis ultimus naturalem inclinationem excedens; et ideo secundum theologos oportet ponere virtutem aliquam in voluntate ad elevandum in praedictum finem: et hanc dicimus caritatem.

5. Comme on l’a dit plus haut, d. 23, q. 1, a. 1, les vertus nous sont nécessaires pour que les puissances naturelles soient déterminées au bien. Chez ceux dont les puissances naturelles sont déterminées au bien par leur nature, d’autres vertus ne sont pas nécessaires. Mais la volonté a comme objet le bien, qui est la fin; en elle-même, elle est donc naturellement déterminée au bien, qui est la fin proportionnée à la nature humaine. Aussi les philosophes n’ont-ils situé aucune vertu dans la volonté par rapport à la fin ultime. Cependant, il est nécessaire de placer une vertu acquise dans la volonté selon qu’elle porte sur ce qui se rapporte à la fin, à savoir la justice, comme on le dira plus loin, d. 33, q. 2, a. 4, qa 2, qui porte sur les biens qui sont utilisés pour la vie, mais qui est cependant comptée par les [vertus] morales, car la volonté, bien qu’elle se trouve selon son essence dans la [partie] raisonnable par essence, a, par la ressemblance de l’acte, quelque chose en commun avec l’irascible et le concupiscible, dont on dit qu’ils sont raisonnables par participation. La volonté elle-même participe aussi d’une certaine manière à la raison pour autant qu’elle est dirigée par la raison qui appréhende. Mais, selon l’enseignement de la foi, on affirme une fin ultime qui dépasse l’inclination naturelle. C’est pourquoi il est nécessaire, selon les théologiens, d’affirmer une vertu se trouvant dans la volonté afin de l’élever à la fin mentionnée. C’est celle que nous appelons charité.

 

 

Articulus 4 [11205] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 tit. Utrum caritas sit una virtus vel plures

Article 4 – La charité est-elle une seule vertu ou plusieurs ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La charité est-elle une seule vertu ?]

 [11206] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod caritas non sit una virtus. Habitus enim distinguuntur per actus, et actus per objecta. Sed caritas habet duo objecta maxime distantia, scilicet Deum et proximum. Ergo non est una virtus.

1. Il semble que la charité ne soit pas une seule vertu. En effet, les habitus se distinguent par leurs actes, et les actes par les objets. Or, la charité a deux objets très éloignés : Dieu et le prochain. Elle n’est donc pas une seule vertu.

 [11207] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, virtutes theologicae a moralibus distinguuntur: quia virtutes morales dirigunt in his quae sunt ad finem, theologicae autem sunt de ipso fine. Sed caritas est et de fine, inquantum per eam diligitur Deus; et de his quae sunt ad finem, inquantum per eam diligitur proximus. Ergo caritas continet duas virtutes, quarum una est moralis et alia theologica.

2. Les vertus théologales se distinguent des vertus morales, car les vertus morales dirigent pour ce qui se rapporte à la fin, mais les vertus théologales portent sur la fin elle-même. Or, la charité porte sur la fin, pour autant que Dieu est aimé par elle, et sur ce qui se rapporte à la fin, pour autant que le prochain est aimé par elle. La charité contient donc deux vertus, dont l’une est morale et l’autre théologale.

 [11208] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 3 Praeterea, virtutes ad actus aliquos ordinantur: quia virtus est optimorum operativa, ut dicitur in 2 Eth., et modum aliquem in suis actibus ponunt: quia virtus est in hoc quod non solum bona, sed bene fiant; et iterum actus virtutum per praecepta legis imperantur. Sed caritas habet duos actus et duos modos et duo praecepta. Ergo non est una virtus.

3. Les vertus sont ordonnées à certains actes, car « la vertu accomplit ce qu’il y a de meilleur », comme il est dit dans Éthique, II, et elles établissent une certaine manière dans leurs actes, car la vertu ne consiste pas seulement à accomplir ce qui est bien, mais à bien l’accomplir; de plus, les actes des vertus sont commandés par les commandements de la loi. Or, la charité comporte deux actes, deux modes et deux commandements. Elle n’est donc pas une seule vertu.

 [11209] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, motor in quolibet genere est unus tantum. Sed caritas movet omnes alias virtutes ad suum finem per actus proprios. Ergo caritas est una virtus.

Cependant, [1] il n’y a qu’un seul moteur en chaque genre. Or, la charité meut toutes les autres vertus vers sa fin par leurs actes propres. La charité est donc une seule vertu.

 [11210] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, objectum caritatis est Deus, cum sit virtus theologica. Sed Deus est summe unus. Ergo caritas est una tantum virtus.

 [2] L’objet de la charité est Dieu, puisqu’elle est une vertu théologale. Or, Dieu est un au plus haut point. La charité est donc une seule vertu.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La charité est-elle distincte des autres vertus ?]

 [11211] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non sit distincta ab aliis virtutibus. Quidquid enim cadit in distinctione virtutis, non distinguitur a virtutibus. Sed caritas est hujusmodi; unde Hieronymus dicit: ut breviter omnem virtutis definitionem complectar, virtus est caritas qua diligitur Deus et proximus: et Augustinus dicit, quod virtus est ordo amoris. Ergo caritas non distinguitur ab aliis virtutibus.

1. Il semble que la charité ne soit pas distinte des autres vertus. En effet, tout ce qui fait partie du caractère distinct d’une vertu ne se distingue pas des vertus. Or, la charité est de ce genre. Aussi Jérôme dit-il : « Pour résumer brièvement toute la définition de la vertu, la vertu est la charité par laquelle Dieu et le prochain sont aimés. » Et Augustin dit que « la vertu est l’ordre de l’amour ». La charité ne se distingue donc pas des autres vertus.

 [11212] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, virtutes distinguuntur per actus. Sed actus omnium aliarum virtutum caritati attribuuntur, ut patet 1 Cor. 13. Ergo caritas non est virtus distincta ab aliis virtutibus.

2. Les vertus se distinguent par leurs actes. Or, les actes de toutes les autres vertus sont attribués à la charité, comme cela ressort de 1 Co 13. La charité n’est donc pas une vertu distincte des autres vertus.

 [11213] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 3 Praeterea, quaelibet virtus specialis habet speciale objectum. Sed caritas non habet speciale objectum, sed omnibus commune, scilicet bonum. Ergo caritas non est specialis virtus.

3. Toute vertu particulière a un objet particulier. Or, la charité n’a pas d’objet particulier, mais [un objet] commun à toutes [les vertus] : le bien. La charité n’est donc pas une vertu particulière.

 [11214] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 4 Praeterea, praecepta legis sunt de actibus virtutum. Sed praeceptum quod ad caritatem pertinet, non distinguitur ab aliis praeceptis; sed omnia alia praecepta complectitur. Ergo et caritas non distinguitur ab aliis virtutibus.

4. Les commandements de la loi portent sur les actes des vertus. Or, le commandement qui se rapporte à la charité ne se distingue pas des autres commandements, mais il embrasse tous les autres commandements. La charité ne se distingue donc pas des autres vertus.

 [11215] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, omne quod dividitur contra alia, est distinctum ab illis. Sed caritas distinguitur contra alias virtutes theologicas, ut patet 1 Corinth. 13, et per Gregorium, qui dicit, quod caritas signatur per unam de filiabus Job. Ergo est virtus specialis.

Cependant, [1] tout ce qui est séparé des autres choses est distinct de ces choses. Or, la charité se distingue des autres vertus théologales, comme cela ressort de 1 Co 13, et de Grégoire, qui dit que «la charité est indiquée par une des filles de Jacob». Elle est donc une vertu particulière.

 [11216] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, philosophus probat justitiam esse specialem virtutem per hoc quod habet aliquod vitium speciale sibi tantum oppositum. Sed caritas habet aliquod vitium speciale sibi tantum oppositum, scilicet odium. Ergo caritas est virtus specialis.

 [2] Le Philosophe prouve que la justice est une vertu particulière par le fait qu’elle a un vice particulier qui lui est opposé. Or, la charité a un vice particulier qui est opposé à elle seule : la haine. La charité est donc une vertu particulière.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La charité est-elle la forme des autres vertus ?]

 [11217] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod caritas non sit forma aliarum virtutum. Omnis enim forma vel est exemplaris vel intrinseca. Sed caritas non est forma exemplaris virtutum, quia tunc in eamdem speciem traherentur aliae virtutes: nec iterum est forma intrinseca: quia daret esse et speciem aliis virtutibus; et sic omnes virtutes essent eaedem specie, et essent in eodem subjecto ubi est caritas, nec ab ipsa distinguerentur. Ergo caritas nullo modo est forma virtutum.

1. Il semble que la charité ne soit pas la forme des autres vertus. En effet, toute forme est soit exemplaire ou intrinsèque. Or, la charité n’est pas la forme exemplaire des vertus, car alors les autres vertus seraient attirées vers la même espèce; elle n’est pas non plus leur forme intrinsèque, car elle donnerait l’être et l’espèce aux autres vertus. Toutes les vertus seraient ainsi de la même espèce, elles se trouveraient dans le même sujet où se trouve la charité et elles ne s’en distingueraient pas. La charité n’est donc d’aucune manière la forme des vertus.

 [11218] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 3 arg. 2 Praeterea, caritas differt a gratia. Sed gratia dicitur esse forma omnium virtutum, quia facit actum meritorium. Ergo caritas non est forma.

2. La charité diffère de la grâce. Or, on dit que la grâce est la forme de toutes les vertus, car elle rend un acte méritoire. La charité n’est donc pas la forme.

 [11219] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 3 arg. 3 Praeterea, sicut se habet potentia ad potentiam, ita habitus ad habitum. Sed ratio imponit modum omnibus aliis viribus. Ergo et habitus existens in ratione omnibus aliis habitibus; et ita fides est magis forma virtutum quam caritas; vel etiam prudentia, quae etiam ponitur a philosophis quasi forma omnium aliarum virtutum.

3. Le rapport de puissance à puissance est le même que celui d’habitus à habitus. Or, la raison impose un mode à toutes les puissances. L’habitus qui se trouve dans la raison [en impose donc] aussi un à tous les autres habitus. Ainsi, la foi est davantage que la charité la forme des vertus, ou même la prudence, qui est aussi donnée par les philosophes comme la forme de toutes les autres vertus.

 [11220] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 3 arg. 4 Praeterea, forma efficiens et finis non incidunt in idem numero, ut dicitur in 2 Phys. Sed caritas est finis praecepti, et ita virtutum: est etiam motor, inquantum imperat actus earum. Ergo ipsa non est forma.

4. La forme efficiente et la fin ne tombent pas sous le même nombre, comme il est dit dans Physique, II. Or, la charité est la fin du commandement, et ainsi, des vertus; elle en est aussi le moteur, pour autant qu’elle commande leurs actes. Elle n’en est donc pas la forme.

 [11221] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 3 arg. 5 Praeterea, habitus indicantur per actus. Sed unaquaeque virtus ponit suum modum vel formam in actu suo, secundum quem justus juste facit, et fortis fortiter. Ergo virtutes non formantur per caritatem, sed per seipsas formatae sunt.

5. Les habitus sont indiqués par leurs actes. Or, chaque vertu impose son mode ou sa forme à son acte; ainsi, le juste agit justement, et le fort, fortement. Les vertus ne sont donc pas formées par la charité, mais elles sont formées par elles-mêmes.

 [11222] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, Ambrosius dicit, quod caritas omnes alias virtutes informat et est mater earum.

Cependant, [1] Ambroise dit que la charité donne forme à toutes les autres vertus et en est la mère.

 [11223] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, illud quod est principale, etiam in corporalibus, est formale respectu aliorum; sicut ignis est quodammodo forma aeris, aer aquae, et aqua terrae, ut dicitur 4 Physic. Sed caritas est principalis inter alias virtutes. Ergo ipsa est forma aliarum virtutum.

 [2] Ce qui est principal, même dans les choses corporelles, a le caractère de forme par rapport aux autres choses; ainsi, le feu est d’une certaine manière la forme de l’air, l’air de l’eau et l’eau de la terre, comme il est dit dans Physique, IV. Or, la charité est la principale parmi les autres vertus. Elle est donc la forme des autres vertus.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [La charité peut-elle être informe ?]

 [11224] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod caritas possit esse informis. Sicut enim fides est in eo qui non operatur bene, ita et dilectio qua Deus diligitur: quia etiam peccatores et infideles Deum diligunt. Sed fides quae est sine operibus, est informis. Ergo similiter caritas.

1. Il semble que la charité puisse être informe. En effet, de même que la foi existe chez celui qui n’agit pas bien, de même aussi l.amour par lequel Dieu est aimé, car même les pécheurs et les infidèles aiment Dieu. Or, la foi sans les œuvres est informe. Donc, de la même manière, la charité.

 [11225] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 4 arg. 2 Praeterea, nullus scit se habere gratiam. Potest autem aliquis scire se habere dilectionem. Ergo dilectio Dei potest esse sine gratia; et ita potest esse informis.

2. Personne ne sait s’il a la grâce. Or, quelqu’un peut savoir s’il a l’amour. L’amour de Dieu peut donc exister sans la grâce, et ainsi [la charité] peut-elle être informe.

 [11226] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 4 arg. 3 Praeterea, ex fide oriuntur timor et amor. Sed timor potest esse informis, ut patet de timore servili. Ergo et amor.

3. La crainte et l’amour naissent de la foi. Or, la crainte peut être informe, comme cela ressort dans le cas de la crainte servile. Donc aussi, l’amour.

 [11227] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 4 s. c. 1 Sed contra, spiritus sanctus non potest esse sine gratia. Sed caritas Dei diffunditur in cordibus nostris per spiritum sanctum; Rom. 5. Ergo caritas non potest esse informis.

Cependant, [1] l’Esprit Saint ne peut être sans la grâce. Or, l’amour de Dieu est répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint, Rm 5. La charité ne peut donc être informe.

 [11228] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 4 s. c. 2 Praeterea, forma non potest esse informis. Sed caritas est forma omnium aliarum virtutum. Ergo ipsa non potest esse informis.

 [2] La forme ne peut être informe. Or, la charité est la forme de toutes les autres vertus. Elle-même ne peut donc pas être informe.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [11229] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod virtus specificatur ex objecto suo secundum illam rationem qua principaliter in ipsum tendit; unde cum caritas diligat Deum principaliter, et omnia alia non diligat nisi inquantum sunt Dei, constat quod ex unitate divinae bonitatis, quam caritas primo respicit, unitatem recipit, et est una virtus.

Une vertu est spécifiée par son objet selon la raison par laquelle elle tend principalement vers lui; aussi, puisque la charité aime principalement Dieu et n’aime toutes les autres choses que pour autant qu’elles sont à Dieu, il est clair qu’elle reçoit son unité de l’unité de la bonté divine, visée en premier par la charité, et qu’elle est une seule vertu.

 [11230] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod proximus non est objectum principale ipsius caritatis, ut dictum est.

1. Le prochain n’est pas l’objet principal de la charité elle-même, comme on l’a dit.

 [11231] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod virtutes etiam theologicae dirigunt in his quae sunt ad finem, non quidem secundum proprias rationes rerum quae sunt ad finem, sed secundum rationem finis; sicut fides facit etiam quaedam credere de creaturis propter veritatem primam, a qua accipit: similiter et caritas facit diligere homines inquantum sunt participabiles divinae bonitatis, quae est finis ultimus.

2. Les vertus théologales aussi dirigent pour ce qui se rapporte à la fin, non pas selon les raisons propres des choses qui sont ordonnées à la fin, mais selon la raison de fin. Ainsi, la foi fait croire certaines choses à propos des créatures à cause de la Vérité première dont elle a reçu. De même aussi, la charité fait aimer les hommes pour autant qu’ils peuvent participer à la bonté divine, qui est la fin ultime.

 [11232] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod materialis diversitas objectorum sufficit ad diversificandum actum secundum numerum; sed secundum speciem actus non diversificantur nisi ex diversitate formali objecti. Formalis autem objecti diversitas est secundum illam rationem quam principaliter attendit vel habitus vel potentia; et ideo diligere Deum et proximum sunt quidem diversi actus, sed ad eumdem habitum pertinent; sicut etiam videre album et nigrum, et propinquum et distans, sunt diversae visiones secundum numerum, et diversos modos habent, et tamen ad unam visivam potentiam pertinent: et sic etiam de actibus caritatis dantur diversa praecepta secundum diversos modos quos habent.

3. La diversité matérielle des objets suffit à diversifier l’acte selon le nombre; mais les actes ne se diversifient selon l’espèce que par la diversité formelle de l’objet. Or, la diversité formelle de l’objet vient de la raison selon laquelle l’habitus ou la puisance sont considérés. Aussi, aimer Dieu et [aimer] le prochain sont-ils des actes différents, mais ils relèvent du même habitus, comme voir le blanc et le noir, le proche et le lointain sont des visions diverses en nombre et elles comportent des modes différents; cependant, elles relèvent d’une seule puissance de vision. Aussi divers commandements sont-ils donnés à propos de actes de la charité selon les modes divers qui sont les leurs.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [11233] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod, ut dictum est, habitus specificantur ex objectis suis secundum rationem quam principaliter attendunt. Ratio autem objecti sumitur secundum proportionem rei circa quam est operatio habitus vel potentiae, ad actum animae, in qua sunt habitus vel potentiae. Quia autem per operationem animae dividuntur quandoque quae secundum rem conjuncta, et summe unum sunt; ideo contingit quod ubi res est eadem, sunt diversae rationes objecti, sicut eadem res objectum est liberalitatis, ut est donabilis, et justitiae, ut habet debiti rationem. Et similiter ubi res est communis, est ratio objecti particularis et propria: sicut philosophia prima est specialis scientia, quamvis consideret ens secundum quod est omnibus commune: quia specialem rationem entis considerat secundum quod non dependet a materia et a motu: et similiter est in proposito. Objectum enim caritatis proprium et principale est bonitas divina. In omnibus autem aliis virtutibus est aliquod bonum divinum; sed tamen hoc quod est commune secundum rem, habet specialem rationem: et ideo caritas est specialis virtus ab omnibus aliis distincta.

Comme on l’a dit, les habitus reçoivent leurs espèces de leurs objets selon la raison qu’ils envisagent principalement. Or, la raison de l’objet se prend de la proportion de la chose sur laquelle porte l’opération de l’habitus ou de la puissance par rapport à l’acte de l’âme, dans laquelle se trouvent les habitus et les puissances. Or, parce que, par une opération de l’âme, sont parfois divisées des choses qui sont en réalité unies et sont au plus haut point une seule chose, il arrive que, là où une chose est la même, il existe diverses raisons de l’objet : ainsi l’objet de la libéralité est-il la même chose, qui a raison de don possible, que celui de la justice, qui a raison de dette. De même, là où une chose est commune, la raison de l’objet peut être particulière et propre : ainsi, la philosophie première est une science particulière, bien qu’elle considère l’être selon qu’il est commun à toutes choses, car elle considère la raison particulière de l’être selon qu’il ne dépend pas de la matière ni du mouvement. De même en est-il dans le cas présent. En effet, l’objet propre et principal de la charité est la bonté divine. Or, dans toutes les autres vertus, il existe un bien divin. Cependant, ce qui est en réalité commun possède une raison particulière. C’est pourquoi la charité est une vertu particulière distincte de toutes les autres.

 [11234] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut est in scientiis, quod una scientia specialis ab aliis distincta, scilicet prima philosophia, omnibus aliis scientiis perfectionem impartitur, inquantum objectum suum est commune secundum rem objectis omnium aliarum scientiarum; ita etiam est in virtutibus, ubi illud quod ad aliquam virtutem pertinet, potest poni in definitione virtutis communis; sicut patet de prudentia, quae perficit rationem virtutis in omnibus virtutibus moralibus: et ideo ratio recta, quae ad prudentiam pertinet, ponitur in definitione virtutis, ut patet 2 Ethic.: virtus est habitus electivus in mediocritate consistens determinata ratione, prout sapiens determinabit. Nec ex hoc habetur quod prudentia non sit specialis virtus, sed quod est generalis regula omnium virtutum; et ita etiam caritas, quae perficit omnes alias virtutes, ponitur in definitione virtutis; nec ex hoc habetur quod sit generalis virtus, sed generalis perfectio virtutum. Tamen hoc quod dicit Augustinus, quod est virtus ordo amoris, potest dupliciter accipi: vel pro ipso amore caritatis, et tunc praedicta responsio tenet; vel pro amore in communi, et sic amor sumitur pro amore naturali, qui inest cuilibet potentiae respectu sui objecti, quem virtus determinat: quia est ordinatio affectionum animae. Quidam autem non attendentes differentiam naturalis amoris vel appetitus, ad amorem et appetitum animalem, intantum erraverunt, quod posuerunt concupiscibilem non esse specialem vim, sed diffusam in omnibus aliis viribus; et similiter caritatem indistinctam ab aliis virtutibus.

1. De même que dans les sciences, une science particulière distincte des autres, la philosophie première, communique sa perfection à toutes les autres sciences, pour autant que son objet est en réalité commun avec les objets de toutes les autres sciences, de même en est-il aussi pour les vertus où ce qui relève d’une vertu peut être mis dans la définition d’une vertu commune, comme cela ressort pour la prudence qui perfectionne la raison de vertu pour toutes les vertus morales. Aussi la raison droite, qui relève de la prudence, est-elle placée dans la définition de la vertu, comme cela ressort d’Éthique, II : « La vertu est un habitus électif consistant dans un milieu qui est déterminé par la raison, comme le sage en aura déterminé. » On n’en conclut pas que la prudence n’est pas une vertu particulière, mais qu’elle est la règle générale de toutes les vertus. Ainsi encore la charité, qui perfectionne toutes les autres vertus, est-elle placée dans la définition de la vertu; on n’en conclut pas qu’elle est une vertu générale, mais la perfection générale des vertus. Toutefois, ce que dit Augustin : « la vertu est l’ordre de l’amour », peut s’entendre de deux manières : soit de l’amour même de la charité, et alors la réponse précédente demeure, soit de l’amour en général, et ainsi l’amour est entendu de l’amour naturel, qui est inhérent à toute puissance par rapport à son objet et que la vertu détermine, car elle est la mise en ordre des dispositions affectives de l’âme. Mais certains, ne prenant pas en compte la différence de l’amour ou appétit naturel par rapport à l’amour et à l’appétit animal, se sont trompés en affirmant que le concupiscible n’est pas une puissance particulière, mais [une puissance] répandue dans toutes les autres puissances, et que la charité ne se distingue pas des autres vertus.

 [11235] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod actus aliarum virtutum non attribuuntur caritati quasi ipsa eos eliciat, sed quia ipsa eos imperat. Habet autem specialem actum quem elicit, diligere Deum.

2. Les actes des autres vertus ne sont pas attribués à la charité parce qu’elle les suscite, mais parce qu’elle les commande. Mais elle possède un acte qu’elle suscite : aimer Dieu.

 [11236] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non quodlibet bonum est objectum caritatis, sed bonum divinum; et hoc etiam quamvis sit in omnibus bonis aliqualiter, tamen habet specialem rationem, ut dictum est.

3. Ce n’est pas n’importe quel bien qui est l’objet de la charité, mais le bien divin; et celui-ci, même s’il existe dans tous les biens d’une certaine manière, possède une raison particulière, comme on l’a dit.

 [11237] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod praeceptum ad caritatem pertinens, non comprehendit omnia alia praecepta sicut universale ad illa, sed per quamdam reductionem, quia omnia praecepta ad illud ordinantur, sicut etiam actus omnium aliarum virtutum ad actum caritatis, inquantum omnes imperat. Unde ex hoc non ostenditur quod caritas sit generalis virtus, sed quod est generalis motor omnium virtutum.

4. Le commandement se rapportant à la charité ne comprend pas tous les autres commandements comme étant quelque chose d’universel par rapport à ceux-ci, mais comme s’ils se ramenaient à lui, car tous les commandements lui sont ordonnés, de même que les actes de toutes les autres vertus le sont par rapport à la charité, pour autant qu’elle les commande tous. On ne montre donc pas ainsi que la charité est une vertu générale, mais qu’elle est le moteur général de toutes les vertus.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [11238] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod caritas ad omnes alias virtutes comparatur et ut motor et ut finis et ut forma. Quod autem motor sit omnium aliarum virtutum, ex hoc patet, quia ipsum bonum, quod est objectum caritatis sub ratione finis, est finis virtutum. In omnibus autem potentiis vel artibus ordinatis ita accidit, quod ars vel potentia quae est circa finem, ordinat aliarum actus ad finem proprium; sicut militaris, quae est propter victoriam, ad quam omne officium bellicum ordinatur, ordinat equestrem et navalem et omnia hujusmodi in suum finem; et ideo dicitur caritas mater aliarum virtutum, inquantum earum actus producit ex conceptione finis, inquantum ipse finis habet se per modum seminis, cum sit principium in operabilibus, ut dicit philosophus: et secundum hoc dicitur imperare actus inferiorum virtutum, secundum quod facit eas operari propter finem suum; et secundum hoc movet alias artes inferiores ad finem suum; unde caritas etiam omnes alias virtutes ad suum finem movet, et secundum hoc dicitur actus earum imperare. Hoc enim interest inter elicere actum et imperare, quod habitus vel potentia elicit illum actum quem producit circa objectum nullo mediante: sed imperat actum qui producitur mediante potentia vel habitu inferiori circa objectum illius potentiae. Sic ergo caritas est motor aliarum virtutum: similiter etiam finis: quia hoc commune est in omnibus virtutibus, quod actus ipsarum sunt proximi fines earum cum actus sit perfectio prima; et minus completum ordinatur ad magis completum sicut ad finem. Finis autem inferioris potentiae vel habitus ordinatur ad finem superioris, sicut finis militaris ad finem civilis; unde actus omnium aliarum virtutum ordinantur ad actum caritatis sicut ad finem; et propter hoc dicitur caritas praecepti finis. Similiter etiam patet quod est forma perficiens unamquamque virtutem in ratione virtutis. Inferior enim potentia non habet perfectionem virtutis nisi secundum quod participat perfectionem potentiae superioris; sicut habitus qui est in irascibili, non habet rationem virtutis, ut dicitur in 4 Ethic., nisi inquantum intellectum et discretionem recipit a ratione, quam perficit prudentia; et secundum hoc prudentia ponit modum et formam in omnibus aliis virtutibus moralibus. Omnes autem aliae virtutes quae sunt meritoriae vitae aeternae, secundum quod nunc loquimur de virtutibus, sunt in potentiis voluntati subjectis: quia nullus actus alicujus potentiae potest esse meritorius nisi inquantum habet aliquid de voluntario: quod contingit ex hoc quod voluntas imperat et movet actus aliarum potentiarum. Unde non potest esse quod aliquis habitus existens in aliqua potentia animae habeat rationem virtutis loquendo de virtutibus meritoriis, de quibus hic loquimur, nisi secundum hoc quod in illa potentia participatur aliquid de perfectione voluntatis quam caritas perficit; et ideo caritas est forma virtutum aliarum omnium, sicut prudentia moralium. Et hic est unus modus quo caritas est forma aliarum virtutum. Alii autem duo modi possunt accipi ex hoc quod ipsa est motor et finis, inquantum movens ponit motum suum in instrumento, et ea quae sunt ad finem, diriguntur ex ratione finis; et ita modus caritatis participatur in aliis virtutibus, inquantum moventur a caritate, et inquantum ordinantur in ipsam sicut in finem.

La charité se compare à toutes les autres vertus comme un moteur, une fin et une forme. Qu’elle soit le moteur de toutes les autres vertus, cela est clair, car le bien lui-même, qui est l’objet de la charité sous son aspect de fin, est la fin des vertus. Or, dans toutes les puissances ou les arts ordonnés, il se fait que l’art ou la puissance qui porte sur la fin ordonne les actes des autres à sa fin propre, comme [l’art] militaire, qui existe en vue de la victoire à laquelle toutes les fonctions guerrières sont ordonnées, ordonne l’art de la chevalerie, l’art naval et tous les arts de ce genre à sa fin. C’est pourquoi on appelle la charité la mère des autres vertus, pour autant qu’elle fait apparaître leurs actes à partir de la conception de la fin, dans la mesure où la fin elle-même agit par soi à la manière d’une semence, puisqu’elle est le principe pour les choses à faire, ainsi que le dit le Philosophe. De cette manière, on dit qu’elle commande les actes des vertus inférieures selon qu’elle les fait agir en vue de sa propre fin. Elle meut ainsi les autres arts inférieurs vers sa propre fin. Aussi la charité meut-elle toutes les autres vertus vers sa propre fin; on dit ainsi qu’elle commande leurs actes. En effet, la différence entre susciter un acte et le commander est qu’un habitus ou une puissance suscite sans intermédiaire l’acte qu’ils produisent par rapport à leur objet; mais ils commandent un acte, qui est produit par l’intermédiaire d’une puissance ou d’un habitus inférieurs, par rapport à l’objet de cette puissance. Ainsi donc, la charité est le moteur des autres vertus. De même en est-elle la fin, car cela est commun à toutes les vertus que leurs actes sont leurs fins prochaines, puisque l’acte est la perfection première; et ce qui est moins achevé est ordonné à ce qui est plus achevé comme à sa fin. Or, la fin d’une puissance ou d’un habitus inférieurs est ordonnée à la fin [d’une puissance ou d’un habitus supérieurs], comme la fin [de l’art] militaire à la fin de la cité. Aussi les actes de toutes les autres vertus sont-ils ordonnés à l’acte de la charité comme à leur fin. Pour cette raison, on dit que la charité est la fin du commandement. De même, il est clair qu’une puissance ne possède la perfection d’une vertu que selon qu’elle participe à la perfection d’une puissance supérieure, comme l’habitus qui se trouve dans l’irascible n’a raison de vertu, comme il est dit dans Éthique, IV, que dans la mesure où il reçoit l’intelligence et le jugement de la raison, que perfectionne la prudence. Ainsi la prudence donne-t-elle mode et forme à toutes les autres vertus morales. Or, toutes les autres vertus qui sont méritoires de la vie éternelle, selon que nous parlons maintenant des vertus, se trouvent dans les puissances soumises à la volonté, car aucun acte d’une puissance ne peut être méritoire que dans la mesure où il possède quelque chose de volontaire, ce qui se produit du fait que la volonté commande et meut les actes des autres puissances. Il ne peut donc pas arriver qu’un habitus qui se trouve dans une puissance de l’âme ait raison de vertu, si l’on parle des vertus méritoires dont nous parlons ici, que si cette puissance participe à quelque chose de la perfection de la volonté, que perfectionne la charité. C’est pourquoi la charité est la forme des autres vertus, comme la prudence celle des vertus morales. C’est là un mode selon lequel la charité est la forme des autres vertus. Mais les deux autres modes peuvent se concevoir du fait qu’elle est le moteur et la fin, pour autant que ce qui meut instaure son mouvement dans l’instrument et que ce qui est ordonné à la fin est dirigé par la raison de la fin. Ainsi les autres vertus participent au mode de la charité dans la mesure où elles sont mues par la charité et dans la mesure où elles sont ordonnées à elle comme à leur fin.

 [11239] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod caritas est forma exemplaris virtutum; sed forma exemplaris est duplex. Una ad cujus repraesentationem aliquid fit: et ad hanc non exigitur nisi similitudo tantum: sicut dicimus res veras esse formas exemplares picturarum. Alio modo dicitur forma exemplaris ad cujus similitudinem aliquid fit, et per cujus participationem esse habet; sicut divina bonitas est forma exemplaris omnis bonitatis, et divina sapientia omnis sapientiae; et talis forma exemplaris non oportet quod sit unius speciei cum causatis: quia participantia non semper participant per modum participati; et hoc modo prudentia est forma aliarum virtutum moralium, inquantum sigillatio quedam prudentiae in inferioribus viribus dat habitibus qui ibi sunt, rationem virtutis. Et similiter est de caritate respectu omnium aliarum virtutum.

1. La charité est la forme exemplaire des vertus, mais il existe une double forme exemplaire. L’une selon la représentation de laquelle quelque chose est fait : pour celle-là, seule une similitude est requise, comme nous disons que les vraies réalités sont les formes exemplaires des peintures. D’une autre manière, on parle de la forme exemplaire selon la représentation de laquelle quelque chose est fait et par participation à laquelle cela possède l’être; ainsi, la bonté divine est la forme exemplaire de toute bonté, et la sagesse divine [est la forme exemplaire] de toute sagesse. Et il n’est pas nécessaire qu’une telle cause exemplaire soit de la même espèce que les choses causées, car ce qui participe ne participe pas toujours selon le mode de ce à quoi cela. De cette manière, la prudence est la forme des autres vertus morales pour autant qu’un sceau de la prudence donne aux puissances inférieures et aux habitus qui s’y trouvent la raison de vertu. De même en est-il pour la charité par rapport à toutes les autres vertus.

 [11240] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod inferiores vires non perficiuntur perfectione virtutis, nisi per participationem perfectionis a superioribus. Cum autem superiora sint formalia respectu inferiorum, quasi perfectiora; quod participatur a superioribus in inferioribus, formale est. Unde ad perfectionem virtutis in aliqua potentia tot formae exiguntur, quot superiora sunt respectu illius potentiae; sicut ratio superior est quam concupiscibilis, quasi ordinans ipsam; et ideo prudentia, quae est perfectio rationis, est forma temperantiae, quae est virtus concupiscibilis. Similiter voluntas est superior ratione, secundum quod actus rationis consideratur ut voluntarius et meritorius; et ideo caritas est forma prudentiae et temperantiae. Similiter essentia animae superior est voluntate, inquantum ab essentia et voluntas et omnes vires animae fluunt. Et ideo gratia, quae est perfectio essentiae animae, constituens ipsam in esse spirituali, est forma et caritatis et prudentiae et temperantiae; nec caritas esset virtus si esset sine gratia, sicut nec prudentia si esset sine caritate, loquendo de virtutibus infusis ordinatis ad merendum: neque temperantia sine caritate et prudentia. Quidam autem dicunt, quod caritas et gratia sunt idem per essentiam. Sed de hoc dictum est in 2 Lib., dist. 26, art. 4, corp.

2. Les puissances inférieures ne sont perfectionnées par la perfection de la vertu que par participation à la perfection issue des puissances supérieures. Mais puisque les réalités supérieures ont le caractère de formes par rapport aux réalités inférieures dans la mesure où elles sont plus parfaites, ce à quoi les réalités inférieures participent aux réalités supérieures a le caractère de forme. Aussi, pour la perfection de la vertu dans une puissance, autant de formes sont requises qu’il y a de [puissances] supérieures par rapport à cette puissance, comme la raison est supérieure au concupiscible en tant qu’elle l’ordonne. C’est pourquoi la prudence, qui est la perfection de la raison, est la forme de la tempérance, qui est une vertu du concupiscible. De même, la volonté est supérieure à la raison selon que l’acte de la raison est considéré comme volontaire et méritoire; la charité est donc la forme de la prudence et de la tempérance. De même l’essence de l’âme est-elle supérieure à la volonté pour autant que la volonté et toutes les puissances de l’âme découlent de son essence. C’est pourquoi la grâce, qui est une perfection de l’essence de l’âme l’établissant dans l’être spirituel, est la forme de la charité, de la prudence et de la tempérance; et la charité ne serait pas une vertu si elle était sans la grâce, de même que la prudence si elle était sans la charité, en parlant des vertus infuses ordonnées au mérite; ni la tempérance sans la charité et la prudence. Mais certains disent que la charité et la grâce sont la même chose par essence. Mais on a parlé de cela dans le livre II, d. 26, a. 4, c.

 [11241] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ratio imponit modum omnibus viribus quae sunt sub ipsa, et similiter voluntas omnibus viribus inferioribus ea. Sed ideo non posuerunt philosophi virtutem nisi a prudentia formari, quia in voluntate, prout est finis ultimi, et in essentia animae non posuerunt aliquam perfectionem superadditam naturae; naturalis autem perfectio constat quod in omnibus virtutibus participatur.

3. La raison impose son mode à toutes les puissances qui lui sont soumises, et de même la volonté à toutes les puissances inférieures à elle. Mais les philosophes ont affirmé seulement que la vertu est formée par la prudence parce qu’ils n’ont pas affirmé dans l’essence de l’âme une perfection ajoutée à la nature. Or, il est clair que toutes les vertus participent à la perfection naturelle.

 [11242] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod forma exemplaris incidit in idem numero cum agente et fine; sicut patet in Deo; non autem forma intrinseca.

4. La forme exemplaire est une en nombre avec l’agent et la fin, comme cela ressort en Dieu, mais non une forme intrinsèque.

 [11243] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod inferiora participant perfectiones superiorum secundum modum suum: et ideo participationes determinantur in participantibus ex capacitate et natura participantium. Et ideo unaquaeque virtus quae est in inferiori potentia, habet quidem formam, qua est virtus, ex participatione perfectionis superioris potentiae; sed forma qua est haec virtus, habet ex natura propriae potentiae per determinationem ad proprium objectum; et hanc formam et modum ponit unaquaeque virtus circa suum actum; et iterum illam formam vel modum quem habet ex superiori; sic temperantia in actu suo ponit modum proprium et prudentiae et caritatis et gratiae.

5. Les réalités inférieures participent aux perfections des réalités supérieures à leur manière. C’est pourquoi les participations sont déterminées chez les participants selon la capacité et la nature des participants. Aussi toute vertu qui se trouve dans une puissance inférieure possède une forme par laquelle elle est une vertu en raison de sa participation à la perfection d’une puissance supérieure; mais elle tient la forme par laquelle elle est cette vertu de la nature de sa propre puissance en vertu de la détermination à son objet propre, et toute vertu impose cette forme et ce mode à son acte; et en plus, [elle impose] la forme ou le mode qu’elle tient d’une puissance supérieure. Ainsi, la tempérance impose dans son acte le mode propre de la prudence, de la charité et de la grâce.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

 [11244] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 4 co. Ad quartum quaestionem dicendum, quod caritas nunquam potest esse informis: et in hoc omnes concordant. Hoc autem contingit secundum quosdam, ex hoc quod caritas nihil est aliud quam spiritus sanctus. Sed hoc in 1 Lib., dist. 17, qu. 1, art. 1 et 2, destructum est. Secundum alios vero caritas est idem quod gratia; quod in Lib. 2, dist. 26, art. 4, reprobatum est. Et ideo oportet alias rationes assignare. Potest autem hujusmodi ratio ex jam dictis haberi duplex. Prima ratio accipitur ex effectu caritatis: quia cum caritas sit amicitia quaedam, quae requirit convictum inter amatos, non potest esse caritas, nisi sit participatio divinae vitae, quae est per gratiam; ideo caritas sine gratia esse non potest. Secunda ratio potest assignari ex hoc quod ipsa motor est omnium virtutum et forma; unde omne peccatum caritatem tollit, inquantum opponitur actui alicujus virtutis. Et quia gratia non potest tolli nisi per peccatum, ideo caritas tollitur ablata gratia.

La charité ne peut jamais être informe : sur ce point, tous s’entendent. Mais, selon certains, cela vient du fait que la grâce n’est rien d’autre que l’Esprit saint. Mais cela a été démoli dans le livre I, d. 17, q. 1, a. 1 et 2. Mais, selon d’autres, la charité est la même chose que la grâce, ce qui a été rejeté dans le livre II, d. 26, a. 4. C’est pourquoi il faut fournir d’autres arguments. Or, on peut tirer une double justification à partir de ce qui a déjà été dit. La première se prend de l’effet de la charité : puisque la charité est une certaine amitié, qui exige une vie commune entre ceux qui sont aimés, il ne peut y avoir de charité s’il n’y a pas de participation à la vie divine, ce qui se réalise par la grâce. Aussi la charité ne peut-elle exister sans la grâce. La seconde jusification peut être tirée du fait qu’elle est le moteur et la forme de toutes les vertus. Aussi tout péché enlève-t-il la charité dans la mesure où il est opposé à l’acte d’une vertu. Et parce que la grâce ne peut être enlevée que par le péché, la charité est donc enlevée par la disparition de la grâce.

 [11245] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod fidei non opponitur omne peccatum, sed omnis infidelitas; et ideo sicut per hoc quod homo errat in uno articulo, tollitur habitus fidei, ut supra dictum est, dist. 23, quaest. 3, art. 3, quaestiunc. 1, ita per hoc quod fit quodcumque peccatum, quod caritati opponitur, tollitur totaliter habitus caritatis; unde in caritate nihil manet informe, sicut in aliis virtutibus.

1. Tout péché ne s’oppose pas à la foi, mais toute infidélité. C’est pourquoi, de même que du fait qu’un homme erre à propos d’un article, l’habitus de la foi est enlevé, comme on l’a dit plus haut, d. 23, q. 3, a. 3, qa 1, de même, du fait qu’est commis n’importe quel péché, qui s’oppose à la charité, l’habitus de la charité est entièrement enlevé. Aussi rien ne demeure-t-il d’informe dans la charité, comme dans les autres vertus.

 [11246] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod de dilectione quam aliquis scit se habere, nescit utrum sit dilectio caritatis; unde sicut homo nescit habere gratiam, ita nescit se habere caritatem.

2. À partir de l’amour que quelqu’un sait avoir, il ne sait pas si cela est un amour de charité. Aussi, de même que l’homme ne sait pas s’il a la grâce, ne sait-il pas s’il a la charité.

 [11247] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod timor non requirit participationem divinae vitae, sicut amor caritatis; et ideo non est simile de timore et amore.

3. La crainte ne requiert pas une participation à la vie divine. Il n’en va donc pas de même pour la crainte et pour l’amour.

 

 

Quaestio 3

Question 3 – [L’acte de la charité comme amour de Dieu]

Prooemium

Prologue

 [11248] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 pr. Deinde quaeritur de actu caritatis, secundum quem diligitur Deus; quia de dilectione proximi infra erit locus quaerendi. Quaeruntur autem quatuor: 1 utrum Deus immediate per suam essentiam possit amari; 2 utrum possit totaliter amari; 3 utrum dilectio qua Deum diligimus, habeat modum; 4 utrum ille modus qui in praecepto de caritate implicatur, scilicet: ex toto corde etc. possit in via servari.

On s’interroge ensuite sur l’acte de la charité selon lequel Dieu est aimé, car il y aura lieu de s’interroger plus loin sur l’amour du prochain. Or, quatre questions sont posées. 1 – Dieu peut-il être aimé de manière immédiate par son essence ? 2 – Dieu peut-il être aimé totalement ? 3 – L’amour par lequel nous aimons Dieu comporte-t-il une mode ? 4 – Cette mode, qui est impliqué dans le commandement : De tout ton cœur, etc., peut-il être observé dans l’état de cheminement ?

 

 

Articulus 1 [11249] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 1 tit. Utrum Deus per essentiam suam in statu viae possit a nobis amari

Article 1 – Dieu peut-il être aimé par nous par son essence dans l’état de cheminement ?

 [11250] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Deus non possit a nobis in statu viae immediate amari. Intellectus enim velocior est quam affectus: unde dicit Augustinus, quod praecedit intellectus; sequitur tardus aut nullus affectus. Sed intellectus noster in statu viae non potest Deum immediate videre. Ergo nec affectus amare.

1. Il semble que Dieu ne puisse être aimé par nous de manière immédiate dans l’état de cheminement. En effet, l’intellect est plus rapide que la puissance affective; aussi Augustin dit-il que « l’intellect précède, mais la disposition affective est lente ou il n’y en a aucune ». Or, notre intellect ne peut voir Dieu de manière immédiate dans l’état de cheminement. La puissance affective ne peut donc pas non plus l’aimer.

 [11251] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 1 arg. 2 Praeterea, amor non potest esse incogniti et non visi; unde philosophus in 9 Ethic., dicit, quod nullus amare incipit specie non praedelectatus. Sed in statu viae non videmus essentiam divinam. Ergo nec ipsum immediate per essentiam amare possumus.

2. Il ne peut pas y avoir d’amour de ce qui est inconnu et non vu. Aussi le Philosophe dit-il, dans Éthique, IX, que « personne ne commence à aimer sans avoir d’abord été délecté par la vision ». Or, dans l’état de cheminement, nous ne voyons pas l’essence divine. Nous ne pouvons donc pas non plus l’aimer par son essence de manière immédiate.

 [11252] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 1 arg. 3 Praeterea, cognitio patriae excedit cognitionem viae, inquantum homo in patria videt Deum per essentiam immediate. Si ergo in via homo Deum immediate amaret, caritas patriae non excederet caritatem viae.

3. La connaissance de la patrie dépasse la connaissance du cheminement, dans la mesure où, dans la patrie, l’homme voit Dieu par son essence de manière immédiate. Si donc l’homme aimait Dieu de manière immédiate, la charité de la patrie ne dépasserait pas la charité du cheminement.

 [11253] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 1 arg. 4 Praeterea, ex hoc contingit quod Deum in statu viae immediate videre non possumus, quia ex visibilibus in invisibilium cognitionem devenimus. Sed similiter devenimus ex amore visibilium in amorem invisibilium; unde Gregorius dicit in quadam Homil.: regnum caelorum rebus terrenis simile dicitur, ut per hoc quod animus novit diligere, discat et incognita amare; et in praefatione dicitur: ut dum visibiliter Deum cognoscimus, per hunc in invisibilium amorem rapiamur. Ergo similiter in statu viae non diligimus Deum immediate.

4. Le fait que, dans l’état de cheminement, nous ne puissions voir Dieu de manière immédiate vient de ce que nous accédons à la connaissance des réalités invisibles à partir de la connaissance des réalités visibles. Or, nous parvenons de la même manière à l’amour des réalités invisibles à partir de l’amour des réalités visibles. Aussi Grégoire dit-il dans une homélie : « On dit que le royaume des cieux est semblable aux réalités terrestres afin que, par ce que l’esprit a appris à aimer, il apprenne à aimer les réalités inconnues. » Et on dit dans une préface : « Afin que, connaissant Dieu de manière visible, nous soyons entraînés par lui à l’amour des réalités invisibles. » De la même manière, n’aimons-nous pas Dieu de manière immédiate dans l’état de cheminement.

 [11254] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 1 arg. 5 Praeterea, voluntas, quae est prima radix peccati, magis debuit corrumpi per peccatum quam aliqua alia potentiarum animae. Sed intellectus non potest actum suum, qui est videre, exercere circa Deum immediate. Ergo neque voluntas actum delectationis.

5. La volonté, qui est la racine première du péché, devait être davantage corrompue par le péché qu’une autre des puissances de l’âme. Or, l’intellect ne peut exercer de manière immédiate son acte, qui est de voir, à propos de Dieu. La volonté ne peut donc pas non plus exercer son acte de délectation.

 [11255] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 1 s. c. 1 Sed contra, Augustinus in Lib. Confess.: vae illis qui diligunt nutus tuos pro te. Nutus autem divini dicuntur participatio bonitatis divinae in creaturis. Ergo Deus amatur a sanctis in statu viae immediate, non solum secundum quod ejus bonitas in creaturis participatur.

Cependant, [1] Augustin dit, dans le livre des Confessions : « Malheur à ceux qui aiment tes gestes à ta place! » Or, on appelle gestes de Dieu la participation des créatures à la bonté divine. Dieu est donc aimé de manière immédiate par les saints dans l’état de cheminement, et non seulement selon que les créatures participent à sa bonté.

 [11256] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 1 s. c. 2 Praeterea cognitio viae, propter hoc quod Deum mediantibus creaturis cognoscit, evacuatur, et est aenigmatica. Sed caritas nunquam excidit, 1 Corinth. 13. Ergo non diligit Deum mediante creatura.

 [2] La connaissance du cheminement, parce qu’elle connaît Dieu par l’intermédiaire des créatures, est rejetée et elle est énigmatique. Or, la charité ne disparaît jamais, 1 Co 13. Elle n’aime donc pas Dieu par l’intermédiaire de la créature.

 [11257] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 1 s. c. 3 Praeterea, illud quod est medium cognoscendi, est ratio cognitionis; et similiter debet esse de dilectione. Sed ratio diligendi Deum non sunt creaturae, immo potius e converso, maxime loquendo de dilectione caritatis. Ergo Deus immediate per essentiam amatur.

 [3] Ce qui est le moyen de connaissance est la raison de la connaissance; et de même doit-il en être pour l’amour. Or, les créatures ne sont pas la raison d’aimer Dieu, bien plutôt, c’est l’inverse, surtout si l’on parle de l’amour de charité. Dieu est donc aimé de manière immédiate par son essence.

 [11258] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod in potentiis ordinatis ita est quod ubi terminatur operatio prioris potentiae, ibi incipit operatio sequentis; sicut patet quod sensus terminatur ad imaginationem, quae est motus factus a sensu secundum actum; et intellectus in termino imaginationis incipit, quia phantasmata accipit pro objecto, ut dicitur in 2 Lib. de anima; et ideo illarum rerum quae non habent phantasmata, cognitionem non potest accipere, nisi ex rebus quarum sibi repraesentantur phantasmata. Unde in statu viae, in qua accipit a phantasmatibus, non potest Deum immediate videre; sed oportet ut ex visibilibus, quorum phantasmata capit, in ejus cognitionem deveniat. Quamvis autem ipsam essentiam non videat immediate, tamen cognitio intellectus ad ipsum Deum terminatur, quia ipsum esse ex effectibus apprehendit; unde cum ad intellectum affectus sequatur, ubi terminatur operatio intellectus, ibi incipit operatio affectus, sive voluntatis. Dictum est autem, quod operatio intellectus, scilicet ejus cognitio, ad ipsum Deum terminatur, quem esse ex effectibus apprehendit; unde operatio voluntatis circa ipsum Deum potest esse immediate nullo medio interveniente quod ad voluntatem pertineat; multis tamen mediis praecedentibus ex parte intellectus, quibus in Deum cognoscendum pervenit.

Réponse. Dans les puissances ordonnées, la situation est telle que là où se termine l’opération de la première puissance, là commence l’opération de la puissance suivante, comme il est clair que le sens se termine à l’imagination, qui est un mouvement produit par le sens en fonction de son acte, et que l’intelligence commence là où se termine l’imagination, car elle reçoit les fantasmes comme objet, ainsi qu’il est dit dans le livre Sur l’âme, II. Aussi ne peut-elle recevoir de connaissance, pour les réalités qui n’ont pas de fantasmes, qu’à partir des réalités dont les fantasmes lui sont présentés. Aussi, dans l’état de cheminement, où [l’intelligence] reçoit des fantasmes, Dieu ne peut-il être vu de manière immédiate, mais il faut qu’elle parvienne à sa connaissance à partir des réalités visibles dont elle saisit les fantasmes. Bien qu’elle ne voie pas l’essence même [de Dieu] de manière immédiate, la connaissance de l’intellect a cependant Dieu lui-même comme terme parce qu’elle saisit qu’il existe à partir de ses effets. Puisque la puissance affective suit l’intellect, là où se termine l’opération de l’intellect, là commence donc l’opération de la puissance affective ou volonté. Or, on a dit que l’opération de l’intellect, à savoir, sa connaissance, a Dieu comme terme, dont elle saisit qu’il est à partir de ses effets. L’opération de la volonté portant sur Dieu peut donc exister de manière immédiate sans qu’intervienne aucun intermédiaire qui se rapporte à la volonté, mais cependant après plusieurs intermédiaires qui précèdent du côté de l’intelligence, par lesquels elle parvient à connaître Dieu.

 [11259] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod intellectus est velocior quantum ad hoc quod praevenit affectum: sed affectus in amando magis pertingit ad intima, ut supra dictum est.

1. L’intellect est plus rapide en ce qu’il précède la puissance affective; mais la puissance affective atteint davantage par l’amour ce qui est plus intime, comme on l’a dit plus haut.

 [11260] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod amor oportet quod sit cogniti et visi aliqualiter, sed non cogniti et visi in se; unde illud quod cognoscitur in alio, potest in seipso amari.

2. Il faut que l’amour porte sur quelque chose de connu et de vu d’une certaine manière, mais non pas de connu et de vu en soi. Aussi ce qui est connu dans autre chose peut-il être aimé en soi-même.

 [11261] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quanto bonum plenius cognoscitur, tanto magis est amabile; et praecipue illud bonum quod est finis, et in quo non invenitur aliquod quo offendatur affectus; et ideo, quia Deus plenius cognoscetur in patria, quam nunc, etiam plenius amabitur. Sed ista diversitas ex parte cognitionis erit per id quod est proprium cognitioni, scilicet cognoscere per se, non alio; et ideo non erit unius rationis cognitio. In affectu autem erit per diversitatem, non ejus quod per se ad ipsam pertineat, sed per diversitatem cognitionis; et tamen erit eadem ratio amoris, sed differt amor per magis et minus.

3. Mieux le bien est connu, plus il est aimable, surtout ce bien qui est la fin et dans lequel ne se trouve rien qui offense la puissance affective. Parce que Dieu est mieux connu dans la patrie que maintenant, il sera donc davantage aimé. Mais cette différence du point de vue de la connaissance viendra de ce qui est propre à la connaissance, à savoir, connaître par soi et non par un autre; aussi la connaissance ne sera-t-elle pas de même nature. Mais, dans la puissance affective, ce sera par une différence qui ne viendra pas de ce qui relève d’elle-même, mais par une différence de la connaissance; cependant, l’amour sera de même nature, mais il diffère en plus et en moins.

 [11262] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod hoc quod amor ex visibilibus ad invisibilia tendat, non est ex parte sui, sed ex parte cognitionis praecedentis; unde in utraque auctoritate inducta fit mentio de cognitione.

4. Le fait que l’amour tende vers les réalités invisibles à partir des réalités visibles ne vient pas de lui, mais de la connaissance qui précède. Aussi est-il fait mention de la connaissance dans les deux autorités invoquées.

 [11263] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod per peccatum non est ablata potentiarum animae natura, nec illud quod eas secundum naturam suam consequitur.

5. La nature des puissances de l’âme n’a pas été enlevée par le péché, ni ce qui découle d’elles selon leur nature.

 

 

Articulus 2 [11264] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 2 tit. Utrum Deus possit totaliter diligi

Article 2 – Dieu peut-il être totalement aimé ?

 [11265] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Deus non possit totaliter diligi. Dilectio enim cognitionem praesupponit. Sed Deus non totaliter cognoscitur etiam in patria a sanctis. Ergo nec ab aliqua creatura potest totaliter diligi.

1. Il semble que Dieu ne puisse être totalement aimé. En effet, l’amour présuppose la connaissance. Or, Dieu n’est pas totalement connu par les saints, même dans la patrie. Il ne peut donc pas non plus être totalement aimé par une créature.

 [11266] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 2 arg. 2 Praeterea, sicut divina lux est infinita, ita et divina bonitas. Sed lux divina ratione suae infinitatis comprehendi non potest intellectu, ut totaliter videatur. Ergo nec divina bonitas potest comprehendi affectu, ut totaliter diligatur.

2. De même que la lumière divine est infinie, de même aussi la bonté divine. Or, la lumière divine ne peut être saisie par l’intelligence en raison de son infinité, de sorte qu’elle soit totalement vue. Ni la divine bonté ne peut donc être saisie par la puissance affective, de sorte qu’elle soit totalement aimée.

 [11267] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 2 arg. 3 Praeterea, Deus seipsum non diligit plusquam totaliter. Si ergo aliqua creatura totaliter Deum diligere posset, dilectio alicujus creaturae adaequaretur dilectioni divinae; quod falsum est.

3. Dieu ne s’aime pas plus que totalement. Si donc une créature pouvait aimer Dieu totalement, l’amour d’une créature serait égal à l’amour divin, ce qui est faux.

 [11268] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 2 s. c. 1 Sed contra, Deut. 6, 5: diliges dominum Deum tuum ex toto corde tuo; ubi Glossa: hoc servabitur ad minus in patria. Ergo Deus potest ab homine totaliter diligi.

Cependant, Dt 6, 5 dit : Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur; la Glose dit à cet endroit : « Cela s’accomplira au moins dans la patrie. » Dieu peut donc être totalement aimé par l’homme.

 [11269] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod ad dilectionem tria concurrunt, scilicet diligens, dilectio, et dilectum; et cuilibet horum respondet suus modus. Habet enim res dilecta modum quo est diligibilis; et diligens modum quo est dilectivus, idest natus diligere. Sed dilectionis modus attenditur in comparatione diligentis ad dilectum, quia dilectio media est inter utrumque: et similiter etiam est de visione. Si ergo totaliter dicat modum rei dilectae et visae, sic sancti qui sunt in patria, Deum totaliter diligunt, et totaliter vident: quia sicut nihil est de sua essentia quod non videant et diligant (propter quod dicuntur totum videre et diligere), ita etiam nihil de modo quo Deus est, remanet ab eis non visum aut non dilectum; unde totaliter vident et diligunt: quia vident et diligunt totum quod Deus est. Similiter etiam si totaliter dicat modum diligentis; quia secundum totum modum suum, scilicet secundum totum suum posse diligent et videbunt, nihil suae potentiae subtrahentes divinae visioni et dilectioni; et sic Deus intelligitur diligi ex toto corde. Si autem totaliter dicat modum dilectionis, sic neque totaliter diligent, neque totaliter videbunt: quia modus dilectionis et visionis, ut dictum est, attenditur in comparatione diligibilis et visibilis ad diligentem et videntem. Modus autem quo Deus diligibilis est et visibilis, excedit modum quo homo diligere et videre potest: quia lux et bonitas ejus est infinita: et ideo non totaliter videtur et diligitur ab aliis, quia non diligitur ita intense et ferventer, nec videtur ita clare, sicut est diligibilis et visibilis, nisi a seipso; et ita ipse solus se comprehendit amando et videndo.

Réponse. Trois choses concourent à l’amour : celui qui aime, l’amour et ce qui est aimé, et à chacune correspond son mode. En effet, la chose aimée possède un mode selon lequel elle est aimable, et celui qui aime, un mode selon lequel il aime, à savoir qu’il est fait pour aimer. Mais le mode de l’amour se prend de la comparaison entre celui qui aime et ce qui est aimé, car l’amour se situe entre les deux, et il en va de même de la vision. Si donc par « totalement », on entend le mode de la chose aimée et vue, ainsi les saints qui sont dans la patrie aiment Dieu totalement et le voient totalement, car de même qu’il n’y a rien de son essence qu’ils ne voient pas et n’aiment pas (raison pour laquelle on dit qu’ils le voient et l’aiment en entier), de même aussi il n’y a rien du mode selon lequel Dieu existe qui demeure non vu ou non aimé. Ils voient donc et aiment totalement parce qu’ils voient et aiment tout ce que Dieu est. De même aussi, si [« totalement »] exprime le mode de celui qui aime, parce qu’il aimeront et verront selon tout leur mode, à savoir, selon tout leur pouvoir, en ne soustrayant rien de leur puissance à la vision et à l’amour de Dieu. C’est ainsi que l’on entend que Dieu est aimé de tout son cœur. Mais si « totalement » exprime le mode de l’amour, de cette manière ils n’aimeront pas totalement ni ne verront totalement, car le mode de l’amour et de la vision, comme on l’a dit, se prend de la comparaison entre ce qui est aimable et visible et celui qui aime et voit. Or, le mode selon lequel Dieu est aimable et visible dépasse le mode selon lequel l’homme peut aimer et voir, car sa lumière et sa bonté sont infinies. C’est pourquoi il n’est pas vu ni aimé totalement par les autres, parce qu’il n’est pas aimé avec autant d’intensité et de ferveur, et il n’est vu aussi clairement qu’il est aimable et visible que par lui-même. Ainsi, lui seul se saisit (comprehendit) en s’aimant et en se voyant.

 

 

Articulus 3 [11270] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 3 tit. Utrum dilectio qua Deum diligimus, habeat modum

Article 3 – L’amour dont nous aimons Dieu a-t-il un mode ?

 [11271] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod dilectio qua Deum diligimus, modum habeat. Omne enim finitum mensuram habet. Sed motus ex mensura causatur, ut dictum est, in 1 Lib., dist. 3. Cum ergo dilectio qua Deum diligimus, finita sit, oportet quod modum habeat.

1. Il semble que l’amour dont nous aimons Dieu ait un mode. En effet, tout ce qui est fini a un mode. Or, le mouvement est causé par la mesure, comme on l’a dit dans le livre I, d. 3. Puisque l’amour dont nous aimons Dieu est fini, il est donc nécessaire qu’il ait un mode.

 [11272] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 3 arg. 2 Praeterea, sicut dicit Bernardus, caritas in sapientiam proficit. Sed sapientia habet modum: Rom. 12: non plus sapere quam oportet. Ergo dilectio habet modum.

2. Comme le dit Bernard, « la charité progresse en sagesse ». Or, la sagesse a une mode, Rm 12 : Ne pas en savoir plus qu’il n’est nécessaire. L’amour a donc une mesure.

 [11273] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 3 arg. 3 Praeterea, omnis actus virtutis moderatus est: quia quod immoderatum est, vituperabile est et vitiosum. Sed dilectio qua Deum diligimus, actus est praecipuae virtutis. Ergo habet modum.

3. Tout acte de vertu est modéré, car ce qui est immodéré est blâmable et vicieux. Or, l’amour par lequel nous aimons Dieu est un acte de la principale vertu. Il a donc une mesure.

 [11274] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 3 arg. 4 Praeterea, omnes actus aliarum virtutum ex caritate fiunt. Si ergo caritas in suo actu non habet modum, nec aliae virtutes modum habent.

4. Tous les actes des autres vertus sont faits par charité. Si donc la charité n’a pas de mesure dans son acte, ni les autres vertus n’ont de mesure.

 [11275] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 3 s. c. 1 Sed contra, Bernardus in Lib. de diligendo Deum: causa diligendi Deum, Deus est: modus, sine modo diligere.

Cependant, [1] dans le livre Sur l’amour de Dieu, Bernard dit : « La cause de l’amour de Dieu est Dieu; sa mesure, aimer sans mesure. »

 [11276] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 3 s. c. 2 Praeterea, dilectio mensuranda est ad diligibile. Sed divina bonitas est immensa. Ergo dilectio ipsius non habet modum.

 [2] L’amour doit être mesuré par ce qui est aimable. Or, la bonté divine est sans mesure. Son amour n’a donc pas de mode.

 [11277] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod modus mensurationem quamdam importat. Actus autem ab eo mensuratur quod est ratio agendi; sicut misericordia accipit mensuram in subventione misero facienda ex quantitate miseriae quae misericordiam movet. Causa autem diligendi Deum est divina bonitas, quae est infinita. Actus autem creaturae est finitus, cum ex finita potentia procedat; et ideo non potest esse commensuratus rationi dilectionis; et propter hoc in dilectione Dei non ponitur aliquis modus, ultra quem non oporteat progredi; sed quantumcumque diligat, semper ad ulteriora se extendit: et propter hoc dicitur, quod non habet modum, scilicet praefixum, ultra quem non oportet progredi.

Réponse. Le mode comporte une certaine mesure. Or, un acte est mesuré par ce qui est la raison d’agir; ainsi, la miséricorde reçoit la mesure de l’aide à apporter au miséreux de la quantité de la misère qui meut la misécorde. Or, la cause de l’amour de Dieu est la bonté divine, qui est infinie. Mais l’acte de la créature est fini, puisqu’il procède d’une puissance finie. C’est pourquoi il ne peut avoir la même mesure que la raison d’aimer. Pour cette raison, aucun mode n’est donné à l’amour de Dieu au-delà duquel il ne lui serait pas nécessaire de progresser; mais, autant qu’il aime, il s’étend toujours au-delà. C’est pourquoi on dit que [l’amour de Dieu] n’a pas de mode fixé d’avance au-delà duquel il ne lui est pas nécessaire de progresser.

 [11278] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quia dilectio qua Deum diligimus, est finita, ideo habet quemdam modum ad quem pertingit; non autem habet modum in quo sistat vel sistere debeat, sicut est in aliis virtutibus.

1. Parce que l’amour dont nous aimons Dieu est fini, il a donc un certain mode auquel il parvient; mais il n’a pas de mode auquel il s’arrête ou devrait s’arrêter, comme c’est le cas pour les autres vertus.

 [11279] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut supra dictum est, qu. 1, art. 1, res per cognitionem quodammodo trahitur ad cognoscentem; et ideo ea quae ad cognitionem pertinent, ex potentia cognoscentis sunt mensurata, quamvis veritas cognitionis ad rem mensuretur. Sed per amorem amans trahitur ad ipsum amatum; et ideo amor mensurandus est ad ipsam rem amatam magis quam ad amantem.

2. Comme on l’a dit plus haut, q. 1, a. 1, par la connaissance, une chose est attirée vers celui qui connaît. C’est pourquoi ce qui concerne la connaissance est mesuré par la puissance de celui qui connaît, bien que la vérité de la connaissance soit mesurée par la chose. Mais, par l’amour, celui qui aime est attiré vers cela même qui est aimé. C’est pourquoi l’amour doit être mesuré selon la chose aimée elle-même, plutôt que selon celui qui aime.

 [11280] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quantumcumque Deus diligatur, actus non erit immoderatus, quia non excedit proportionem sui objecti.

3. Autant que Dieu est aimé, l’acte ne sera pas immodéré, car il ne dépasse pas la proportion avec son objet.

 [11281] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod hoc quod dicitur quod caritas non habet modum, intelligitur quantum ad actum quem caritas elicit, non quantum ad actus quos imperat: quia illi modos accipere debent ex ratione proprii objecti circa quod fiunt.

4. Qu’on dise que la charité n’a pas de mode, cela s’entend par rapport à l’acte qui est issu de la charité, et non aux actes qu’elle commande, car ceux-ci doivent recevoir leurs modes de la raison de l’objet propre sur lequel ils portent.

 

 

Articulus 4 [11282] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 4 tit. Utrum modus diligendi qui est in praecepto, possit in via servari

Article 4 – La manière d’aimer qui se trouve dans le commandement peut-elle être respectée en cours de cheminement ?

 [11283] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod modus ille qui in praecepto implicatur possit in via servari: quia Hieronymus dicit: qui dicit Deum homini aliquid impossibile praecepisse, anathema sit. Sed hoc Deus praecepit omnibus existentibus in statu viae. Ergo haereticum est dicere, quod non possit in via observari.

1. Il semble que la manière qui est impliquée par le commandement puisse être respectée en cours de cheminement, car Jérôme dit : « Celui qui dit que Dieu a ordonné à l’homme quelque chose d’impossible, qu’il soit anathème! » Or, Dieu l’a ordonné à tous ceux qui se trouvent dans l’état de cheminement. Il est donc hérétique de dire que [ce commandement] ne peut être observé en cours de cheminement.

 [11284] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 4 arg. 2 Praeterea, caritas est magis necessaria virtus quam aliae. Sed praecepta data de actibus aliarum virtutum, in via possunt impleri. Ergo et praeceptum datum de actu caritatis.

2. La charité est une vertu plus nécessaire que les autres. Or, les commandements donnés pour les actes des autres vertus peuvent être accomplis en cours du cheminement. Le commandement donné à propos de l’acte de la charité le peut donc aussi.

 [11285] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 4 arg. 3 Praeterea, omne praeceptum legis ligat, quia lex a ligando dicitur. Sed nullus potest dimittere illud ad quod obligatus est, quin peccet. Si ergo lex aliquid praecipiat quod observari non possit, non solum occasionaliter, ut dicit apostolus, sed etiam directe occideret; et sic erit mala; quod est inconveniens.

3. Tout commandement de la loi lie, car « loi » (lex) vient de « lier » (ligando). Or, personne ne peut sans pécher écarter ce à quoi il est obligé. Si donc la loi commande quelque chose qui ne peut être observé, elle tuerait, non seulement comme occasion, comme le dit l’Apôtre, mais aussi directement. Elle serait donc ainsi mauvaise, ce qui est inapproprié.

 [11286] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 4 s. c. 1 Sed contra, non possumus in hac vita sine peccato manere, sicut patet 1 Joan., 1. Sed cum quis peccat, non diligit Deum ex toto corde. Ergo illud praeceptum non potest totaliter impleri in via.

Cependant, [1] nous ne pouvons en cette vie demeurer sans péché, comme cela ressort de 1 Jn 1. Or, lorsque quelqu’un pèche, il n’aime pas Dieu de tout son cœur. Ce commandement ne peut donc être totalement observé en cours de cheminement.

 [11287] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 4 s. c. 2 Praeterea, non potest homo simul cor ad multa habere. Sed oportet, dum in hac vita sumus, quod cor rebus temporalibus aliquando apponamus. Ergo non potest homo in hac vita Deum ex toto corde diligere.

 [2] L’homme ne peut en même temps avoir le cœur à plusieurs choses. Or, pendant que nous sommes en cette vie, il est nécessaire que nous ayons parfois notre cœur à des réalités temporelles. L’homme ne peut donc pas aimer Dieu de tout son cœur en cette vie.

 [11288] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod totum et perfectum idem est, ut dicit philosophus. Ratio autem perfecti in hoc consistit ut nihil ei desit. Sed hoc contingit dupliciter: aut ita quod nihil desit eorum quae natum est habere; aut ita quod nihil desit eorum quae debet habere; sicut aliquis habet perfectam quantitatem, quando habet tantam quantitatem quantam requirit humana natura, etsi non habeat quantitatem gigantis quam possibile est esse in humana natura. Prima ergo perfectio humanae naturae est in statu gloriae, quando homo habebit totum hoc quod possibile est esse in humana natura; sed secunda perfectio est naturae conditae, quando scilicet homo habuit totum hoc quod debebat habere secundum tempus illud. Et secundum hoc etiam duplex totalitas in dilectione Dei attenditur. Una, qua nihil deerit de his quae homo potest expendere in amorem Dei, quin in dilectione ponat: et haec quidem perfectio, seu totalitas, non praecipitur, ut facienda, sed magis ostenditur, ut sciatur quo perveniendum est, ut dicit Augustinus; et per hanc perfectionem seu totalitatem excluditur omne quod etiam ad tempus actum dilectionis interrumpere posset. Alia secundum quam nihil homo subtrahit de his quae debet ponere secundum tempus illud in amore Dei; et haec perfectio seu totalitas ponitur in praecepto etiam ut nunc implenda, ut scilicet nihil omittat eorum quae ponere debet in amore Dei; et haec totalitas excludit omne illud quod est contrarium et repugnans dilectioni divinae, non autem illud quod ad tempus actum dilectionis intercipit: quia semper agere secundum actum virtutis, non est nisi eorum qui sunt in statu beatitudinis: quia perfectio felicis est in operatione; perfectio autem virtutis est in habitu.

Réponse. « Tout » et « parfait » sont la même chose, comme le dit le Philosophe. Or, la raison de « parfait » consiste en ce que rien ne lui manque. Or, cela se produit de deux manières : soit que rien ne manque de ce qu’il doit avoir par nature; soit que rien ne manque de ce qu’il doit avoir. Ainsi, quelqu’un possède une quantité parfaite lorsqu’il possède la quantité qu’exige la nature humaine, même s’il n’a pas la quantité d’un géant, qui peut se trouver dans la nature humaine. La première perfection de la nature humaine existe donc dans l’état de la gloire, alors que l’homme possédera tout ce qui peut exister dans la nature humaine. Mais la seconde perfection est celle de la nature créée, alors que l’homme a possédé tout ce qu’il devait avoir en ce temps-là. On relève ainsi une double totalité de l’amour de Dieu. L’une, par laquelle rien ne manquera de ce que l’homme peut dépenser pour l’amour de Dieu : cette perfection ou totalité n’est pas commandée comme si elle devait être accomplie, mais elle est plutôt montrée afin qu’on sache jusqu’où il faut parvenir, comme le dit Augustin. Par cette perfection ou totalité, est écarté tout ce qui pourrait interrompre pour un temps l’acte d’amour. L’autre, par laquelle l’homme ne soustrait rien de ce qui doit être placé dans l’amour de Dieu en ce temps : cette perfection ou totalité est donnée comme un commandement à accomplir maintenant, de sorte que l’homme n’omette rien de ce qu’il doit placer dans l’amour de Dieu. Une telle totalité exclut tout ce qui est contraire et s’oppose à l’amour de Dieu, mais non ce qui interrompt pour un temps l’acte d’amour, car toujours agir selon l’acte de la vertu ne revient qu’à ceux qui sont dans l’état de la béatitude, puisque la perfection du bienheureux se trouve dans l’acte, alors que la perfection de la vertu se trouve dans l’habitus.

 [11289] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illud quod praecipit lex ut faciendum, impleri potest, et impletur ab omnibus in statu salutis.

1. Ce que le commandement ordonne de faire peut être accompli et est accompli par tous dans l’état du salut.

 [11290] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod actus aliarum virtutum non sunt finis praecepti, quemadmodum actus caritatis; et ideo actus caritatis habet aliquem modum, qui competit uno modo fini, et alio modo viae; non autem ita est in aliis virtutibus.

2. Les actes des autres vertus ne sont pas la fin du commandement, comme c’est le cas pour l’acte de la charité. C’est pourquoi l’acte de la charité a un mode qui convient d’une manière à la fin et d’une autre, à la route. Mais il n’en va pas de même pour les autres vertus.

 [11291] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod secundum hoc quod ponitur ut legis praeceptum, secundum hoc ligat ad id quod implendum est in via; quantum vero ad id quod de ipso impletur in patria, magis ponitur ut documentum fidei, quam ut praeceptum legis.

3.Il doit être accompli en route de la manière dont il est donné comme un commandement de la loi. Mais pour ce qui est de la manière dont il est accompli dans la patrie, il est plutôt donné comme un enseignement de la foi que comme un commandement de la loi.

 [11292] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 4 ad s. c. Ad alia etiam patet solutio per ea quae dicta sunt.

La réponse aux autres arguments ressort de ce qui a été dit.

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 27

 [11293] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 4 expos. Non ergo jam se diligit. Contra. Omne peccatum, secundum Augustinum, est ex amore sui. Ergo videtur etiam quod immoderate se diligat. Dicendum, quod diligit in se naturam exteriorem, quam se aestimat esse; non autem naturam intellectivam, secundum quam vere est id quod est; et ita diligit id quod se esse existimat, non autem id quod vere est: quia unaquaeque res proprie est id quod est potissimum in ipsa; sicut civitas est rex, ut dicit philosophus. Sic condita est mens humana ut nunquam sui non meminerit, nunquam se non intelligat, nunquam se non diligat. De his quae in hac notula dicuntur, dictum est in 1 Lib., dist. 3. Ex toto corde, idest ex toto intellectu; ex tota anima, idest voluntate; ex tota mente, idest memoria. Sciendum quod ad caritatem exigitur aliquid tripliciter: uno modo sicut subjectum caritatis quod est ipsa voluntas; alio modo sicut praecedens ad caritatem, sicut memoria et intelligentia; tertio sicut consequens ad caritatem, quemadmodum irascibilis et concupiscibilis, et etiam membra corporalia quae imperium caritatis exequuntur. Quia ergo actum caritatis oportet esse perfectum, sicut cujuslibet virtutis; ideo praeceptum de actu caritatis, includit perfectionem omnium praedictorum secundum diversas expositiones: ut scilicet neque in voluntate neque in omnibus praecedentibus aut sequentibus aliquid sit quod caritati obsistat quantum ad perfectionem viae, vel quod actum caritatis interrumpere possit quantum ad perfectionem patriae. Et ideo secundum unam expositionem dicitur: ex tota mente, idest ex tota memoria, ut absit oblivio: ex toto corde, idest intellectu, ut desit error: ex tota anima, idest voluntate, ut tollatur omnis contraria affectio. Alio modo exponitur: ex toto corde, quantum ad concupiscibilem: ex tota anima, quantum ad irascibilem, ut nulla passione sensitivi appetitus dilectio Dei impediatur: ex tota mente, quantum ad rationalem, quae includit voluntatem et intellectum. Item Gregorius Nyssenus exponit: ex toto corde, quantum ad animam vegetabilem: ex tota anima, quantum ad sensibilem: ex tota mente, quantum ad rationalem. Sed Deuter. 6, ponitur: ex tota fortitudine, quod referendum est ad membra exteriora, quae imperium caritatis exequuntur; vel etiam ad irascibilem, ut quidam dicunt: vel ponitur circumstantia dilectionis, ut scilicet sit firma.

 

 

 

Distinctio 28

Distinction 28 – [L’objet de la charité]

 

 

Quaestio 1

Question unique – [L’objet de la charité]

Prooemium

Prologue

[11294] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 pr. Hic determinat de caritate per comparationem ad ipsum diligibile; et dividitur in duas partes: in prima inquirit quid sit per caritatem diligendum; in secunda quo ordine, distinct. 29, ibi: post praedicta de ordine caritatis agendum est. Prima in tres: in prima ostendit ad quos se extendit praeceptum caritatis quantum ad homines; in secunda quantum ad Angelos, ibi: oritur autem hic quaestio; in tertia elicit ex dictis quamdam distinctionem, ibi: hic notandum est. Circa primum duo facit: primo determinat veritatem; secundo removet dubitationem, ibi: hic videtur Augustinus tradere, quod ex praecepto non teneamur diligere nosmetipsos. Hic quaeruntur septem: 1 utrum virtutes sint ex caritate diligendae; 2 utrum inanimata; 3 utrum Angeli; 4 utrum Daemones; 5 utrum mali homines; 6 utrum homo ex caritate seipsum diligere possit; 7 utrum proprium corpus.

Le Maître détermine ici de la charité par rapport à l’objet de l’amour. Il y a deux parties : dans la première, il se demande ce qui doit être aimé par charité ; dans la seconde, [il se demande] selon quel ordre, d. 29, à cet endroit : « Après ce qui a été dit, il faut traiter de l’ordre de la charité. » La première partie [se divise] en trois : dans la pemière, il montre à qui s’étend le précepte de la charité pour ce qui est des hommes ; dans la deuxième, pour ce qui est des anges, à cet endroit : « Une question est ici soulevée… » ; dans la troisième, il tire de ce qui a été dit une distinction, à cet endroit : « Ici, il faut remarquer… » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il détermine de la vérité ; deuxièmement, il écarte un doute, à cet endroit : « Ici, Augustin semble enseigner que nous ne sommes pas obligés par un commandement à nous aimer nous-mêmes. » Ici, sept questions sont posées : 1. Les vertus doivent-elles être aimées par charité ? 2. Les choses inanimées ? 3. Les anges ? 4. Les démons ? 5. Les hommes mauvais ? 6. L’homme peut-il s’aimer lui-même par charité ? 7. Son propre corps [peut-il l’être] ?

 

 

Articulus 1 [11295] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 1 tit. Utrum virtutes sint diligendae ex caritate

Article 1 – Les vertus doivent-elles être aimées par charité ?

[11296] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod virtutes ex caritate sint diligendae. Augustinus enim dicit: qui diligit fratrem, dilectionem qua diligit magis diligit. Sed dilectio qua proximus diligitur, est virtus caritatis. Ergo virtutes ex caritate sunt diligendae, cum proximus diligatur ex caritate.

1. Il semble que les vertus doivent être aimées de charité. En effet, Augustin dit : « Celui qui aime son frère aime plutôt l’amour par lequel il aime. » Or, l’amour par lequel le prochain est aimé est la vertu de charité. Les vertus doivent donc être aimées de charité, puisque le prochain est aimé de charité.

[11297] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, propter quod unumquodque, illud magis. Sed amicitia vera diligit amicum propter honestum. Ergo diligit honestum etiam magis quam amicum. Ergo et caritas, quae est amicitia quaedam, ut dictum est, dist. 27, quaest. 2, art. 1, corp., magis est dilectiva virtutum quam etiam proximorum.

2. Ce pour quoi tout est fait l’emporte en tout. Or, l’amitié véritable aime l’ami pour ce qui est honnête. Elle aime donc aussi ce qui est honnête plus que l’ami. La charité aussi, qui est une certaine amitié, ainsi qu’on l’a dit, d. 27, q. 2, a. 1, c., aime donc davantage les vertus que le prochain.

[11298] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, actus primi et actus reflexi super eos ad eamdem potentiam pertinent, quia sunt ejusdem rationis; sicut intelligere aliquod intelligibile, et intelligere se intelligere. Sed ad actus ejusdem rationis pertinet eadem virtus. Ergo cum per caritatem diligatur proximus, per caritatem diligetur dilectio qua diligitur proximus: et eadem ratione aliae virtutes.

3. Les actes premiers et les actes réflexes portant sur eux relèvent de la même puissance, car elles relèvent de la même raison, comme intelliger quelque chose d’intelligible et intelliger qu’on intellige. Or, les actes de la même raison relèvent de la même vertu. Puisque le prochain est aimé de charité, l’amour sera donc davantage aimé par la charité selon laquelle le prochain est aimé et, pour la même raison, les autres vertus.

[11299] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, ex caritate diligenda sunt illa quae ad beatitudinem referuntur. Sed virtutibus in beatitudinem ducimur, et nobiscum manent in beatitudine. Ergo virtutes ex caritate sunt diligendae.

4. Doit être aimé de charité ce qui se rapporte à la béatitude. Or, nous sommes conduits à la béatitude par les vertus et elles demeurent en nous dans la béatitude. Les vertus doivent donc être aimées de charité.

[11300] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, caritas est dilectio finis ultimi. Sed ultimus finis nostrae vitae est beatitudo. Ergo beatitudinem ex caritate diligere debemus. Sed virtutes et gratiae, cum consummantur, in beatitudinem transeunt. Ergo virtutes diligendae sunt ex caritate.

5. La charité est l’amour de la fin ultime. Or, la fin ultime de notre vie est la béatitude. Nous devons donc aimer de charité la béatitude. Or, les vertus et les grâces, lorsqu’elles sont consommées, passent dans la béatitude. Les vertus doivent donc être aimées de charité.

[11301] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra est quod Augustinus sufficienter enumerat ea quae sunt diligenda ex caritate, et nullam mentionem facit de virtutibus, ut patet in littera.

Cependant, [1] Augustin énumère de manière suffisante ce qui doit être aimé de charité et il ne fait aucune mention des vertus, comme cela ressort du texte.

[11302] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, illud quod propter nos tantum diligimus, non diligitur ex caritate: quia caritas non quaerit quae sua sunt; 1 Cor. 13, 5. Sed virtutes propter nos tantum diligimus, quia in seipsis non subsistunt, cum accidentia sint; unde neque bonitatem habent, nisi secundum quod in nobis sunt. Ergo non sunt diligendae ex caritate.

[2] Ce que nous aimons pour nous seulement n’est pas aimé de charité, car la charité ne recherche pas son bien propre, 1 Co 13, 5. Or, nous aimons les vertus pour nous-mêmes, car elles ne subsistent pas par elles-mêmes, puisqu’elles sont des accidents ; elles n’ont donc non plus de bonté que selon qu’elles existent en nous. Elles ne doivent donc pas être aimées de charité.

[11303] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 1 s. c. 3 Praeterea, illa sola sunt ex caritate diligenda quae nobiscum participant beatitudinem. Sed virtutes, cum sint accidentia, non sunt capabilia beatitudinis, nec etiam vitae. Ergo non sunt ex caritate diligendae.

[3] Seul doit être aimé de charité ce qui participe avec nous à la béatitude. Or, les vertus, puisqu’elles sont des accidents, ne sont pas capables de béatitude ni même de vie. Elle ne doivent donc pas être aimées de charité.

[11304] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod cum caritas amorem includat, et aliquid addat, diligi aliquid ex caritate contingit dupliciter. Uno modo sicut id ad quod amicitia caritatis terminatur; et hoc modo non diligitur ex caritate nisi illud ad quod nata est amicitia esse. Amicitia autem non potest esse ad virtutes, nec ad aliqua accidentia, propter duo. Primo, quia amicitia facit ut homo velit amicum esse, et bona habere. Accidentia autem non habent esse per se, nec bonitatem per se, sed eorum esse et bene esse est eis in substantiis; unde quod volumus virtutes et accidentia esse, hoc ad substantiam refertur, quam volumus sub illis accidentibus esse vel bene esse habere. Secundo, quia amicitia consistit in quadam societate, secundum quod amati seipsos redamant, et eadem operantur, et simul conversantur; unde amicitia non potest esse nisi ad aliquid quod sit natum agere. Et quia agere non est accidentium, sed substantiarum, ideo non potest esse amicitia ad virtutes, neque ad alia accidentia; et ideo non possunt virtutes diligi ex caritate, sicut ad quae caritas terminetur. Alio modo potest aliquid diligi ex caritate sicut ad quod terminatur amor, seu dilectio, qui in caritate includitur, quamvis ad illud amicitia non sit; et hic amor ordinatur ad amorem alicujus quod principaliter amatur, et concupiscentiae dilectio dicitur; sicut amicus dicitur amare sanitatem amici sui; et hoc modo virtutes ex caritate diliguntur.

Réponse. Puisque la charité inclut l’amour et y ajoute quelque chose, il arrive qu’on aime quelque chose de charité de deux manières. D’une manière, comme ce qui constitue le terme de l’amitié qu’est la charité ; de cette manière, n’est aimé de charité que ce qui à quoi l’amitié est ordonnée par nature. Or, l’amitié ne peut porter sur les vertus ni sur des accidents pour deux raisons. Premièrement, parce que l’amitié fait en sorte qu’un homme veuille que l’ami existe et ait des biens. Or, les accidents n’ont pas d’être par eux-mêmes ni de bonté par eux-mêmes, mais leur être et leur bien leur vient des substances [où ils existent] ; aussi le fait que nous voulions des vertus et des accidents se rapporte à la substance, dont nous voulons qu’elle existe et existe bien sous ces accidents. Deuxièmement, parce que l’amitié consiste en une certaine communion, aux termes de laquelle ceux qui sont aimés s’aiment en retour, font les mêmes choses et vivent ensemble. L’amitié ne peut donc porter que sur ce qui est destiné à agir par nature. Et parce que l’action n’est pas le fait des accidents mais des substances, l’amitié ne peut donc porter sur les vertus ni sur d’autres accidents. Les vertus ne peuvent donc être aimées de charité, comme ce que la charité a comme terme. D’une autre manière, quelque chose peut être aimé de charité comme ce qui a pour terme l’amour ou la dilection, qui est inclus dans la charité, bien que l’amitié ne s’adresse pas à cela. Et cet amour est ordonné à l’amour de quelque chose qui est aimé de manière principale, et il est appelé un amour de concupiscence. Ainsi dit-on qu’un ami aime la santé de son ami. De cette manière, les vertus sont aimées de charité.

[11305] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Augustinus loquitur de dilectione quae Deus est, qua diligitur proximus effective et exemplariter.

1. Augustin parle de l’amour qui est Dieu, par lequel le prochain est aimé comme effet et comme image [de Dieu].

[11306] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod virtus vel honestum non est causa finalis quare amicus diligatur, sed formaliter facit eum diligibilem; unde non sequitur quod virtus sit magis diligibilis, vel eadem ratione diligibilis: sicut non sequitur quod albedo sit magis alba quam corpus album.

2. La vertu ou la justice n’est pas la cause finale pour laquelle un ami est aimé, mais elle le fait aimer comme cause formelle. Il n’en découle donc pas que la vertu soit plus aimable ou aimable pour la même raison, comme il ne découle pas que la blancheur soit plus blanche que le corps blanc.

[11307] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod diligere dilectionem, ad caritatem pertinet, sed non sicut ad quod caritas terminatur.

3. Aimer l’amour relève de la charité, mais non comme ce que la charité a comme terme.

[11308] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod caritas terminatur ad illa quae ad beatitudinem referuntur sicut possibilia participare beatitudinem. Sic autem non refertur ad beatitudinem virtus, quia virtus beata fieri non potest.

4. La charité a comme terme ce qui est en rapport avec la béatitude, comme ce qui peut participer à la béatitude. Mais la vertu n’est pas ainsi en rapport avec la béatitude parce que la vertu ne peut pas devenir bienheureuse.

[11309] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod finis ad quem principaliter terminatur caritas, est ipsa beatitudo increata. Sed de beatitudine creata est eadem ratio et de virtutibus.

5. La fin que la charité a comme terme principal est la béatitude incréée elle-même. Mais la béatitude créée et les vertus sont du même ordre.

 

 

Articulus 2 [11310] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 2 tit. Utrum creaturae irrationales ex caritate sint diligendae

Article 2 – Les créatures sans raison doivent-elles être aimées par charité ?

[11311] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod creaturae irrationales ex caritate diligendae sint. Omnis enim dilectio meritoria ad caritatem pertinet. Sed aliquis potest meritorie diligere aliqua irrationalia, sicut cum quis diligit ea referendo in Deum, vel quia factae sunt a Deo, vel quia juvant tendentes in Deum. Ergo creaturae irrationales sunt diligendae ex caritate.

1. Il semble que les créatures sans raison doivent être aimées de charité. En effet, tout amour méritoire relève de la charité. Or, quelqu’un peut aimer de manière méritoire des êtres sans raison, comme lorsqu’il les aime en les mettant en rapport avec Dieu, soit qu’elles aient été créées par Dieu, soit qu’elles aident ceux qui tendent vers Dieu. Les créatures sans raison doivent donc être aimées de charité.

[11312] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, caritas facit hominem conformem Deo in diligendo. Sed Deus ex caritate diligit creaturas irrationales. Sapient. 11, 25: diligis omnia quae sunt. Ergo et homo ex caritate creaturas irrationales diligere debet.

2. La charité rend l’homme conforme à Dieu par l’amour. Or, Dieu aime de charité les créatures sans raison, Sg 11, 25 : Tu aimes tout ce qui existe. L’homme aussi doit donc aimer de charité les créatures sans raison.

[11313] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, creaturae rationales sunt ex caritate diligendae, quia in ipsis est similitudo Dei. Sed in creaturis irrationalibus invenitur aliqua similitudo Dei, licet non tanta sicut in rationalibus. Ergo irrationalia sunt ex caritate diligenda.

3. Les créatures raisonnables doivent être aimées de charité parce qu’il y a en elles une similitude de Dieu. Or, il existe une certaine similitude de Dieu dans les créatires sans raison, bien qu’elle ne soit pas aussi grande que chez les créatures raisonnables. Les créatures sans raison doivent donc être aimées de charité.

[11314] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, fides est virtus theologica, sicut et caritas. Sed fides extendit se etiam ad irrationales creaturas, secundum quod homo eas a Deo creatas credit, et divina providentia regi. Ergo et caritas.

4. La foi est une vertu théologale, comme l’est aussi la charité. Or, la foi s’étend aussi à des créatures sans raison, pour autant que l’homme croit qu’elles sont créées par Dieu et qu’elles sont gouvernées par la providence divine. Donc, la charité aussi.

[11315] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, Augustinus dicit, quod illa sola sunt ex caritate diligenda quae nobiscum societate quadam referuntur in Deum. Sed irrationalia non sunt hujusmodi. Ergo non sunt ex caritate diligenda.

Cependant, [1] Augustin dit que « seul doit être aimé de charité ce qui se rapporte à Dieu selon une certaine communion avec nous ». Or, les êtres sans raison ne sont pas de cette sorte. Ils ne doivent donc pas être aimés de charité.

[11316] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, caritas includit benevolentiam; ut supra dictum est, dist. 27, art. 1. Sed benevolentia non potest esse ad irrationalia, ut dicit philosophus in 8 Ethic. Ergo nec caritas.

[2] La charité inclut la bienveillance, comme on l’a dit plus haut, d. 27, a. 1. Or, il ne peut y avoir de bienveillance envers les êtres sans raison, comme le dit le Philosophe dans Éthique, VIII. Donc, ni charité.

[11317] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod ad res irrationales non potest esse amicitia eisdem rationibus quibus nec ad accidentia. Quamvis enim esse habeant in quo subsistant, et operationes aliquas habeant, non tamen nobiscum in vita communicant humana neque quantum ad esse, neque quantum ad operationem vitae; et ideo non est ad ea benevolentia, secundum quam volumus amicum esse, et habere bona; quod irrationalibus non volumus, nisi secundum quod ad hominem referuntur: neque concordia, secundum quod eadem volumus et agimus amicis: quod ad irrationalia esse non potest, cum nobiscum in eisdem operibus non possint communicare; et ideo non possunt diligi ex caritate, sicut ad quae caritas terminatur: possunt tamen diligi ex caritate, sicut ea ad quae amor, quem caritas includit, terminatur, qui est amor concupiscentiae; sicut amicus amat possessiones, et alia sui amici, non tamen ad ea amicitiam habet. Nec ista dilectio est tantum imperata ex caritate, sed etiam elicita: quia caritas elicit actum dilectionis non tantum ad ea ad quae principaliter est caritas, sed etiam ad alia quae in illa ordinantur: et sic diliguntur ex caritate inanimata, inquantum ordinantur ad ea ad quae principaliter et directe est caritas.

Réponse. Il ne peut y avoir d’amitié pour les êtres sans raison pour les mêmes raisons qu’il n’y en a pas envers les accidents. En effet, bien qu’ils possèdent un être dans lequel ils subsistent et certaines opérations, ils n’ont cependant pas en commun avec nous ni la vie humaine, ni l’être, ni l’opération de la vie. Il n’y a donc pas de bienveillance envers eux, par laquelle nous voulons qu’un ami existe et ait des biens, ce que nous ne voulons pour les êtres sans raison que dans la mesure où ils sont en rapport avec l’homme. Il n’y a pas non plus de concorde par laquelle nous voulons et faisons la même chose que nos amis, ce qui ne peut exister envers les êtres sans raison, puisqu’ils ne peuvent avoir en commun avec nous les mêmes actions. C’est pourquoi ils ne peuvent être aimés de charité en tant que termes de la charité. Ils peuvent cependant être aimés de charité comme termes de l’amour qu’inclut la charité et qui est un amour de concupiscence, comme un ami aime les biens et les autres choses de son ami, mais n’a cependant pas d’amitié envers cela. Cet amour n’est pas non plus seulement commandé par la charité, mais il est issu d’elle, car la charité fait naître un acte d’amour non seulement pour ce à quoi la charité est principalement ordonnée, mais aussi pour les autres choses qui y sont ordonnées. Ainsi les êtres inanimés sont-ils aimés de charité, pour autant qu’ils sont ordonnés à ce qui est l’objet principal et direct de la charité.

[11318] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod dilectio inanimatorum ad caritatem pertinet non sicut ad quae caritas habeatur.

1. L’amour des êtres inanimés relève de la charité, mais non comme ce sur quoi porte la charité.

[11319] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Deus diligit ex caritate creaturas, non tamen habet caritatem nisi ad creaturas rationales, quas ad beatitudinem creavit per quam efficiuntur suae vitae participes.

2. Dieu aime les créatures de charité, mais il n’a cependant de charité qu’envers les créatures raisonnables, qu’il a créées pour la béatitude par laquelle elles participeront à sa propre vie.

[11320] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod similitudo imaginis quae est in creaturis rationalibus, facit eas cum Deo et ad invicem capaces unius et ejusdem vitae, scilicet gloriae, ad quod non sufficit similitudo vestigii, quae est in aliis creaturis; unde non est simile.

3. La similitude de l’image, qui se trouve dans les créatures raisonnables, les rend capables d’une seule et même vie avec Dieu et entre elles : la gloire. À cela ne suffit pas la similitude du vestige, qui se trouve dans les autres créatures. Ce n’est donc pas la même chose.

[11321] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod fides non importat aliquam associationem credentis ad creditum, sicut caritas amantis ad amatum; et ideo non est similis ratio utrobique.

4. La foi ne comporte pas d’association du croyant avec ce qui est cru, comme la charité de celui qui aime avec celui qui est aimé. C’est pourquoi le même raisonnement ne vaut pas pour les deux.

 

 

Articulus 3 [11322] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 3 tit. Utrum Angeli ex caritate sint diligendi

Article 3 – Les anges doivent-ils être aimés par charité ?

[11323] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Angeli non sint diligendi ex caritate. Quia, ut dictum est, art. 1 et 2, corp., caritas non est hominis ad ea quae vitam humanam non participant. Sed Angeli non vivunt vita humana. Ergo caritas non facit Angelos ab hominibus diligi.

1. Il semble que les anges ne doivent pas être aimés de charité, car, ainsi qu’on l’a dit dans les aa. 1 et 2, l’homme n’a pas de charité pour ce qui ne participe pas à la vie humaine. Or, les anges ne vivent pas de la vie humaine. La charité ne fait donc pas en sorte que les anges soient aimés par les hommes.

[11324] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, caritas, cum sit amicitia, est inter eos qui ad invicem nati sunt conversari. Sed Angelorum qui dicuntur dii, conversatio non est cum hominibus, ut dicitur Daniel. 11. Ergo Angeli ex caritate non sunt diligendi.

2. La charité, puisqu’elle est une amitié, existe entre ceux qui sont destinés à vivre ensemble. Or, les anges, qui sont appelés des dieux, ne vivent pas avec les hommes, comme il est dit dans Dn 11. Les anges ne doivent donc pas être aimés de charité.

[11325] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, caritas, cum sit amicitia, aequalitas quaedam est. Sed Angeli sunt nobis multo superiores. Ergo ad eos caritas vel amicitia haberi non potest.

3. La charité, puisqu’elle est une amitié, est une certaine égalité. Or, les anges nous sont de beaucoup supérieurs. On ne peut donc avoir de charité ou d’amitié envers eux.

[11326] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, plus distant a nobis Angeli, cum sint incorporei, et ita alterius generis, quam animalia irrationalia, quae sunt unius generis nobiscum. Sed animalia irrationalia non possumus diligere ex caritate. Ergo multo minus Angelos.

4. Les anges sont plus éloignés de nous, puisqu’ils sont incorporels et ainsi d’une autre genre, que les animaux sans raison, qui font partie du même genre que nous. Or, nous ne pouvons aimer de charité les animaux sans raison. Donc, encore bien moins les anges.

[11327] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, proximi sunt diligendi ex caritate. Sed Angeli sunt nobis proximi, ut dicitur in littera. Ergo sunt ex caritate diligendi.

Cependant, [1] le prochain doit être aimé de charité. Or, les anges sont notre prochain, comme le dit le texte. Ils doivent donc être aimés de charité.

[11328] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, amicitia facit amicos idem velle, et ejusdem amicos esse. Sed Deus ex caritate diligit Angelos, sicut et nos. Ergo et nos debemus ex caritate Angelos diligere.

[2] L’amitié fait en sorte que les amis veuillent la même chose et qu’ils soient amis de la même [personne]. Or, Dieu aime les anges de charité, comme nous. Nous devons donc aimer les anges de charité.

[11329] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, sicut dictum est, quod caritas non potest esse, sicut nec amicitia, nisi inter eos qui eamdem vitam participant. Vita autem hominis et Angeli est duplex. Una quae competit eis secundum naturam suam; et sic homines et Angeli non communicant in eadem vita; sed homines ad invicem, et Angeli ad invicem, quia convenit eis circa easdem operationes occupari. Alia vita utriusque est per gratiam, secundum quam fiunt participes divinae vitae; et in hac vita communicant et ad invicem, et cum Deo. Et ideo secundum hanc vitam potest esse amicitia eorum ad invicem, et haec amicitia est caritas.

Réponse. Comme on l’a dit, la charité ne peut exister, pas plus que l’amitié, qu’entre ceux qui participent à la même vie. Or, la vie de l’homme et de l’ange est double. L’une qui leur convient selon leur nature : ainsi, les hommes et les anges ne partagent pas la même vie, mais les hommes entre eux et les anges entre eux, car il leur convient de s’adonner aux mêmes opérations. L’autre vie pour les deux est celle qui vient de la grâce, selon laquelle ils participent à la vie divine, et ils ont cette vie en commun entre eux et avec Dieu. C’est pourquoi il peut exister une amitié entre eux selon cette vie, et cette amitié est la charité.

[11330] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod vita humana dicitur dupliciter: vel quae est secundum humanam naturam, et sic non communicant Angeli in vita humana; vel quae est hominis secundum participationem divinae vitae, et sic communicant in humana vita.

1. On parle de vie humaine de deux manières : soit pour celle qui existe selon la nature humaine, et ainsi les anges n’ont pas en commun [avec nous] la vie humaine ; soit pour celle de l’homme selon qu’il participe à la vie divine, et ainsi les anges ont en commun [avec nous] la vie humaine.

[11331] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod nati sunt ad invicem conversari homines et Angeli in patria, quando erimus aequales Angelis, ut dicitur Matth. 22: et sic in hac vita aliquo modo cum Angelis conversamur, inquantum angelicam vitam in terris ducimus.

2. Les hommes et les anges sont destinés à vivre les uns avec les autres dans la patrie, alors que nous serons les égaux des anges, comme il est dit en Mt 22. Ainsi vivons-nous d’une certaine manière avec les anges en cette vie, dans la mesure où nous menons une vie angélique sur terre.

[11332] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod amicitia non requirit aequalitatem aequiparantiae, sed aequalitatem proportionis, ut scilicet unus amicorum operetur ad alterum secundum suam proportionem, ut dicitur in 8 Ethic.: tamen magna inaequalitas amicitiam solvit, quando scilicet non communicant in eadem vita.

3. L’amitié n’exige pas une égalité parfaite, mais une égalité proportionnelle, à savoir que l’un des amis agisse envers l’autre selon sa proportion, comme il est dit dans Éthique, VIII. Cependant, une grande inégalité dissout l’amitié : c’est le cas lorsqu’ils ne partagent pas la même vie.

[11333] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod cum Angelis magis communicamus quam cum brutis quantum ad animam: sed cum brutis quantum ad corpus, et ad virtutes corporeas. Homo autem, ut dicit philosophus in 9 Ethic., magis est id quod est ex parte animae quam ex parte corporis: quia unumquodque est id quod est potissimum in ipso; et ideo, simpliciter loquendo, magis distamus a brutis quam ab Angelis.

4. Nous avons plus en commun avec les anges qu’avec les animaux sans raison pour ce qui est de l’âme, mais avec les animaux sans raison, pour ce qui est du corps et des puissances corporelles, comme le dit le Philosophe dans Éthique, IX. Or, l’homme est davantage ce qui concerne l’âme que ce qui concerne le corps, car toute chose est ce qu’il y a de meilleur en elle. C’est pourquoi, à parler simplement, nous sommes plus éloignés des animaux sans raison que des anges.

 

 

Articulus 4 [11334] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 4 tit. Utrum ad malos homines caritatem habere debeamus

Article 4 – Devons-nous avoir de la charité envers les méchants ?

[11335] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod ad malos homines caritatem habere non possimus. Caritas enim exigit communicationem in divina vita, quae est per gratiam, ut dictum est, 2, dist. 27, quaest. 2, art. 2. Sed haec vita non est in peccatoribus. Ergo non sunt ex caritate diligendi.

1. Il semble que nous ne puissions pas avoir de charité envers les méchants. En effet, la charité exige de partager la vie divine, ce qui se réalise par la grâce, comme on l’a dit au livre II, d. 27, q. 2, a. 2. Or, une telle vie n’existe pas chez les pécheurs. Ils ne doivent donc pas être aimés de charité.

[11336] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, sicut similitudo est causa dilectionis, ita dissimilitudo est causa contrarii. Sed mali sunt dissimiles bonis. Ergo non sunt ab eis ex caritate diligendi.

2. De même que la similitude est la cause de l’amour, de même la dissimilitude est-elle la cause du contraire. Or, les méchants ne ressemblent pas aux bons. Ils ne doivent donc pas être aimés de charité.

[11337] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, sicut philosophus dicit, 9 Ethic., impossibile est amicitiam esse inter eos qui non eisdem gaudent. Sed boni et mali non gaudent eisdem, sed contrariis. Ergo non potest esse amicitia eorum ad invicem.

3. Comme le dit le Philosophe dans Éthique, IX, il est impossible que l’amitié existe entre ceux qui ne se réjouissent pas des mêmes choses. Or, les bons et les méchants ne se réjouissent pas des mêmes choses, mais des choses contraires. Il ne peut donc exister d’amitié des uns envers les autres.

[11338] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, amicitia redamantium est, ut philosophus dicit. Sed mali non redamant nos, sed odiunt bonos. Ergo nec boni ex caritate debent diligere malos.

4. L’amitié est le fait de ceux qui aiment en retour. Or, les méchants ne nous aiment pas en retour, mais ils haïssent les bons. Les bons ne doivent donc pas non plus aimer de charité les méchants.

[11339] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 4 arg. 5 Praeterea, amicorum est ad eumdem amicitiam habere. Si ergo boni ex caritate diligunt malos, et mali seipsos diligent. Hoc autem falsum est: quia philosophus probat, quod nullus malus sui ipsius amicus est. Ergo mali non sunt ex caritate diligendi.

5. L’amitié consiste en ce que les amis aiment le même. Si donc les bons aiment d’amitié les méchants, les méchants s’aimeront aussi eux-mêmes. Or, cela est faux, car le Philosophe montre qu’aucun méchant n’est son propre ami. Les méchants ne doivent donc pas être aimés de charité.

[11340] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed contra, Matth. 5, 44: diligite inimicos vestros. Sed omnis qui inimicatur, malus est. Ergo mali ex caritate sunt diligendi.

Cependant, [1] il est dit en Mt 5, 44 : Aimez vos ennemis. Or, tous ceux qui sont des ennemis sont des méchants. Les méchants doivent donc être aimés de charité.

[11341] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, quibuscumque est benefaciendum, illi sunt ex caritate diligendi. Sed malis debemus benefacere, convertendo eos, et in necessariis subveniendo eis. Ergo mali sunt ex caritate diligendi.

[2] Tous ceux à qui on doit faire du bien doivent être aimés de charité. Or, nous devons faire du bien aux méchants en les convertissant et en venant à leur secours pour le nécessaire. Les méchants doivent donc être aimés de charité.

[11342] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod in malis est duo considerare: scilicet naturam qua homines sunt, et malitiam qua mali sunt. Quia ergo secundum naturam suam sunt ad imaginem Dei, et vitae divinae capaces sunt, ideo secundum naturam sunt ex caritate diligendi. Malitia autem ipsorum est contraria divinae bonitati, et ideo ipsa in eis odienda est. Unde Augustinus dicit: sic diligendi sunt homines, ut eorum non diligantur errores.

Réponse. Chez les méchants, il faut considérer deux choses : la nature par laquelle ils sont des hommes, et la malice par laquelle ils sont méchants. Parce qu’ils sont à l’image de Dieu et sont capables de la vie divine par leur nature, ils doivent donc être aimés de charité. Mais leur méchanceté est contraire à la bonté divine ; aussi faut-il la haïr en eux. C’est pourquoi Augustin dit : « Les hommes doivent être aimés de telle manière que ne soient pas aimées leurs erreurs. »

[11343] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod caritas non exigit communicationem in divina vita in actu, sed sufficit ut sit in potentia: quia quod est in potentia, quodammodo est.

1. La charité n’exige pas un partage de la vie divine en acte, mais il suffit qu’il existe en puissance, car ce qui est en puissance existe d’une certaine manière.

[11344] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illud secundum quod nobis dissimiles sunt, odire debemus naturam diligere, quia eorum malitia bonitati naturae repugnat.

2. Ce par quoi il nous sont dissemblables, nous devons le haïr ; mais nous devons aimer leur nature, car leur malice n’est pas incompatible avec la bonté de leur nature.

[11345] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis quantum ad id quod nunc est, non gaudeant eisdem, tamen possibile est ut eisdem gaudeant; et ideo dicit philosophus in 9 Ethic., quod non confestim dissolvenda est amicitia ad eum qui ex bono factus est malus, sed multo plus adjuvandi sunt ad recuperandam bonitatem virtutis quam ad recuperandam possessionem bonorum temporalium.

3. Bien que, par ce qui existe maintenant, ils ne se réjouissent pas des mêmes choses, il est cependant possible qu’ils se réjouissent des mêmes choses. C’est pourquoi le Philosophe dit, dans Éthique, IX, que l’amitié envers celui qui devient méchant après avoir été bon ne doit pas être immédiatement dissoute ; ils doivent bien plutôt être aidés à retrouver la bonté de la vertu qu’à retrouver la possession de biens temporels.

[11346] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis actu non redament, tamen nati sunt redamare, et praecipue in vita futura, cujus vitae communicationem praecipue attendit caritas; unde bene potest esse etiam inter eos qui se in hac vita non cognoscunt.

4. Bien qu’ils n’aiment pas en retour en acte, ils sont cependant destinés à aimer en retour, surtout dans la vie future, vie dont la charité vise surtout le partage. [L’amitié] peut donc aussi exister entre ceux qui ne se connaissent pas en cette vie.

[11347] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod malus in seipso divisus est, quia per affectum malitiae impugnat bonitatem naturae; et secundum hoc dicitur seipsum odire. Nos autem malos quantum ad naturam quam habent, diligere debemus, non quantum ad malitiam.

5. Le méchant est partagé en lui-même, car il combat la bonté de sa nature par sa méchanceté ; on dit ainsi qu’il se hait lui-même. Mais nous devons aimer les méchants pour la nature qu’ils possèdent, et non pour leur malice.

 

 

Articulus 5 [11348] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 5 tit. Utrum Daemones ex caritate sint diligendi

Article 5 – Les démons doivent-ils être aimés par charité ?

[11349] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod Daemones ex caritate sint diligendi. Lev. 19, 18: dilige proximum tuum. Glossa: proximus non propinquitate sanguinis intelligendus est, sed societate rationis. Sed Daemones et damnati nobiscum habent societatem in ratione. Ergo sunt ex caritate diligendi.

1. Il semble que les démons doivent être aimés de charité. Lv 19, 18 : Aime ton prochain. Glose : « Par prochain, il ne faut pas entendre une proximité du sang, mais une communauté de raison. » Or, les démons et les damnés partagent avec nous la raison. Ils doivent donc être aimés de charité.

[11350] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 5 arg. 2 Praeterea, dictum est, art. praec., quod malos debemus diligere ratione naturae, quae in eis bona est. Sed, sicut dicit Dionysius, in Daemonibus est etiam natura bona: quia bona naturalia per peccatum non amiserunt. Ergo sunt diligendi ex caritate.

2. Nous avons dit, à l’article précédent, que nous devons aimer les méchants en raison de leur nature, qui est bonne en eux. Or, comme le dit Denys, il existe aussi chez les démons une nature bonne, car ils n’ont pas perdu leurs biens naturels par le péché. Ils doivent donc être aimés de charité.

[11351] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea, omnem creaturam rationalem quam Deus diligit, ex caritate diligit. Sed Deus diligit Daemones, quia diligit omnia quae fecit. Ergo ex caritate diligit eos, cum sint rationales creaturae. Ergo et nos ex caritate debemus eos diligere.

3. Dieu aime de charité toutes les créatures raisonnables. Or, Dieu aime les démons, car il aime tout ce qu’il a fait. Il les aime donc de charité, puisqu’ils sont des créatures raisonnables. Nous devons donc les aimer de charité.

[11352] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 5 arg. 4 Praeterea, quod facit ad cumulum nostri meriti et ad Dei gloriam, debemus ex caritate diligere. Sed Daemones, inquantum nos tentant, nobis proficiunt, sicut in 2 Lib., dist. 6, dictum est; et iterum gloria Dei in eis manifestatur. Ergo sunt ex caritate diligendi.

4. Ce qui contribue à l’accroissement de notre mérite et à la gloire de Dieu, nous devons l’aimer de charité. Or, les démons, pour autant qu’ils nous tentent, nous sont utiles, comme on l’a dit dans le livre II, d. 6 ; de plus la gloire de Dieu est manifestée en eux. Ils doivent donc être aimés de charité.

[11353] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 5 s. c. 1 Sed contra, cum amicis communicandum est. Sed omnis communicatio ad Daemones est nobis interdicta; unde Isaiae 38 reprehenduntur illi qui dicuntur cum morte et Inferno pactum iniisse. Ergo Daemones non sunt ex caritate diligendi.

Cependant, [1] il faut partager avec ses amis. Or, tout partage avec les démons nous est interdit. Aussi, en Is 38, ceux dont on dit qu’ils ont fait un pacte avec la mort et avec l’enfer essuient-ils des reproches. Les démons ne doivent donc pas être aimés de charité.

[11354] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 5 s. c. 2 Praeterea, Augustinus dicit, quod proximus ex caritate diligitur, vel quia justus est, vel ut justus sit. Sed Daemones neque justi sunt, neque justi esse possunt. Ergo ex caritate diligendi non sunt.

[2] Augustin dit que le prochain est aimé de charité soit parce qu’il est juste, soit pour qu’il devienne juste. Or, les démons ne sont pas des justes et ne peuvent pas non plus être des justes. Ils ne doivent donc pas être aimés de charité.

[11355] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod, sicut praedictum est, ex caritate diligitur aliquid dupliciter: uno modo sicut id ad quod habetur caritas; alio modo sicut id ad quod terminatur aliquo modo amor, quem includit caritas, inquantum ordinatur ad aliquod eorum ad quae habetur caritas. Primo igitur modo Daemones non sunt ex caritate diligendi: quia non communicant nobiscum in vita divina neque actu neque potentia; et similiter est etiam de damnatis. Unde philosophus dicit, quod amicitia est dissolvenda ad illos qui sunt insanabiles propter malitiam abundantem. Haec autem insanabilitas quamvis in hac vita contingat in quibusdam consideratis humanis viribus, non tamen contingit nisi post hanc vitam considerato ordine divinae misericordiae. Caritas autem attendit quod divinum est, sed amicitia quod humanum; et ideo amicitia politica dissolvitur ad illos qui secundum humanas considerationes, insanabiles sunt effecti; quod etiam in hac vita quandoque contingit; sed caritas non dissolvitur ad aliquem in hac vita, quantumcumque sit malus: quia adhuc secundum ordinem divinae misericordiae, manet possibilitas ad vitam gloriae; sed post hanc vitam non manet; et ideo per modum praedictum neque damnati, neque Daemones sunt ex caritate diligendi. Quantum autem ad secundum modum, Daemonum natura ex caritate diligi potest, inquantum est creatura Dei; non autem Daemones, quia hoc nomen vitium principaliter ipsorum designat.

Réponse. Comme on l’a déjà dit, on aime quelque chose de charité de deux manières : d’une manière, comme ce pour quoi on a de la charité ; d’une autre manière, comme ce qui est en quelque sorte le terme de l’amour, que la charité inclut, pour autant que cela est ordonné à l’une des choses sur lesquelles porte la charité. Donc, de la première manière, les démons ne doivent pas être aimés, car ils ne partagent avec nous la vie divine ni en acte ni en puissance ; de même en est-il pour les damnés. C’est ainsi que le Philosophe dit que l’amitié envers ceux qui ne sont pas guérissables en raison de l’étendue de leur malice doit être rompue. Or, cette impossibilité de guérir, bien qu’elle se produise en cette vie, si l’on considère certaines puissances humaines, ne se produit cependant qu’après cette vie, si l’on considère l’ordre de la miséricorde divine. Or, la charité porte sur ce qui est divin, mais l’amitié, sur ce qui est humain. C’est pourquoi l’amitié politique est rompue envers ceux qui, selon des considérations humaines, sont devenus inguérissables, et cela se produit parfois en cette vie. Mais la charité envers quelqu’un n’est pas dissoute en cette vie, aussi méchant soit-il, car, toujours selon l’ordre de la miséricorde divine, demeure la possibilité de la vie de gloire. Toutefois, après cette vie, elle ne demeure pas. C’est pourquoi, conformément à ce qui a été dit, ni les damnés ni les démons ne doivent être aimés de charité. Pour ce qui est de la seconde manière, la nature des démons peut être aimée en tant qu’elle est une créature de Dieu, mais non les démons, car ce nom désigne principalement leur vice.

[11356] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod intelligendum est de societate rationis, in qua manet ordo ad vitam gratiae, cujusmodi communicationem requirit caritas.

1. Il faut l’entendre d’une communauté de la raison, dans laquelle demeure l’ordre à la vie de la grâce : la charité exige un tel partage.

[11357] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in peccatoribus quamdiu in hac vita sunt, adhuc ratione naturae manet potestas ad gratiam, non autem in damnatis et Daemonibus; et ideo non est similis ratio.

2. Aussi longtemps qu’ils sont dans la vie présente, demeure encore chez les pécheurs la capacité de la grâce, mais non chez les damnés et les démons. C’est pourquoi le raisonnement n’est pas le même.

[11358] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Deus diligit naturam Daemonum, non quasi ad eam caritatem habeat, sed inquantum est effectus ejus: et hoc modo etiam nos eam debemus diligere.

3. Dieu aime la nature des démons, non pas qu’il ait de la charité à son endroit, mais pour autant qu’elle est son effet. Nous devons nous aussi l’aimer de cette manière.

[11359] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod hoc quod Daemones prosint nobis ad meritum, et quod eorum actus et vita in gloriam Dei cedant, est per accidens, praeter intentionem eorum: et ex eo quod est secundum accidens, non est sumendum judicium de re aliqua.

4. Le fait que les démons contribuent à notre mérite et que leurs actes tournent aussi à la gloire de Dieu est accidentel et par-delà leur intention. Du fait qu’une chose est accidentelle, il ne faut pas en tirer un jugement.

 

 

Articulus 6 [11360] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 6 tit. Utrum homo debeat seipsum ex caritate diligere

Article 6 – L’homme doit-il s’aimer lui-même par charité ?

[11361] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 6 arg. 1 Ad sextum sic proceditur. Videtur quod homo non debeat seipsum diligere ex caritate. Quia, sicut dicit Gregorius, caritas minus quam inter duos haberi non potest. Ergo non potest esse alicujus ad seipsum.

1. Il semble que l’homme ne doive pas s’aimer lui-même de charité, car, ainsi que le dit Grégoire, « il ne peut exister de charité qu’entre au moins deux personnes ». Quelqu’un ne peut donc avoir de charité envers lui-même.

[11362] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 6 arg. 2 Praeterea, amicitia redamationem exigit, et communicationem in vita, et alia hujusmodi, quae non sunt hominis ad seipsum. Sed caritas amicitia quaedam est. Ergo caritas non est hominis ad seipsum.

2. L’amitié requiert un amour en retour, un partage de vie et d’autres choses de ce genre, qu’un homme n’a part à l’égard de lui-même. Or, la charité est une certaine amitié. Un homme ne peut donc avoir de charité envers lui-même.

[11363] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 6 arg. 3 Praeterea, caritas amor quidam est. Amor autem, ut dicit Dionysius, est unitiva virtus. Cum ergo unio non sit nisi diversorum, videtur quod caritas non possit esse ad seipsum.

3. La charité est un amour. Or, comme le dit Denys, « l’amour est une puissance unitive ». Puisque l’union n’existe qu’entre des personnes différentes, il semble donc que la charité ne puisse exister envers soi-même.

[11364] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 6 arg. 4 Praeterea, amicitia in aequalitate consistit, sicut justitia, ut dicitur 8 Ethic., cap. 9. Sed justitia non est ad seipsum, proprie loquendo, ut philosophus dicit. Ergo neque amicitia seu caritas.

4. L’amitié consiste en une égalité, comme la justice, comme on le dit dans Éthique, VIII, 9. Or, à proprement parler, il n’existe pas de justice envers soi-même, comme le dit le Philosophe. Il n’existe donc pas d’amitié ou de charité [envers soi-même].

[11365] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 6 arg. 5 Praeterea, nihil vituperabile est diligendum ex caritate. Sed amare seipsum est vituperabile, ut patet 2 Tim. 3, 2: erunt homines se ipsos amantes. Ergo ex caritate homo seipsum non diligit.

5. Rien de blâmable ne doit être aimé de charité. Or, s’aimer soi-même est blâmable, comme cela ressort de 2 Tm 3, 2 : Les hommes s’aimeront eux-mêmes. Un homme ne s’aime donc pas lui-même de charité.

[11366] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 6 s. c. 1 Sed contra, homo debet diligere proximum sicut seipsum. Sed proximum debet ex caritate diligere. Ergo et seipsum.

Cependant, [1] l’homme doit aimer son prochain comme soi-même. Or, il doit aimer son prochain de charité. Donc, lui-même aussi.

[11367] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 6 s. c. 2 Praeterea, misericordia ex caritate causatur. Sed homo sibi ipsi potest misericors esse. Ergo et seipsum potest ex caritate diligere.

[2] La miséricorde est causée par la charité. Or, l’homme peut être miséricordieux envers lui-même. Il peut donc aussi s’aimer lui-même de charité.

[11368] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 6 co. Respondeo dicendum, quod processus amoris se habet ad similitudinem processus cognitionis. In cognoscitivis autem invenitur aliquid ubi primo figitur intellectus cognoscentis, sicut in primis principiis, et ex his ad alia derivatur; et ipsa quidem cognitio, secundum quod stat in principiis, accipit nomen intellectus; secundum autem quod derivatur ad conclusiones, quae ex principiis cognoscuntur, accipit nomen scientiae. Sed quia cognitio principiorum est in conclusionibus sicut causa in causato, et e converso cognitio conclusionis est in principiis sicut causatum in causa; ideo etiam dicuntur intelligi conclusiones et sciri principia. Similiter et affectus amantis primo figitur in ipso amante, et ex eo derivatur ad alios; ut philosophus dicit in 9 Ethic., quod ex his quae sunt hominis ad seipsum venerunt ea quae sunt hominis ad amicum, dum se habet ad amicum sicut ad seipsum. Nec est mirum; quia unita ad similitudinem se habent eorum quae sunt unum. Et quamvis nomen amicitiae imponatur proprie secundum quod amor ad alios se diffundit, tamen etiam amor quem quis habet ad seipsum amicitia et caritas potest dici, inquantum amor quem quis habet ad alterum, procedit a similitudine amoris quem quis habet ad seipsum.

Réponse. Le déroulement de l’amour ressemble au déroulement de la connaissance. Or, en matière de connaissance, on trouve d’abord quelque chose sur lequel se fixe l’intellect de celui qui connaît, comme les premiers principes ; à partir d’eux, elle passe à d’autres choses. La connaissance elle-même, en tant qu’elle s’arrête aux principes, reçoit le nom d’« intelligence » ; mais, selon qu’elle passe à des conclusions, qui sont connues à partir des principes, elle reçoit le nom de « science ». Mais parce que la connaissance des principes se trouve dans les conclucions comme la cause dans ce qui est causé, et que, en sens inverse, la connaissance de la conclusion se trouve dans les principes comme ce qui est causé dans sa cause, on dit donc aussi qu’on « intellige » les conclusions et que les principes sont « sus ». De la même manière, l’affection de celui qui aime se trouve-t-il d’abord chez celui qui aime, et il passe de celui-ci à d’autres. Ainsi le Philosophe dit, dans Éthique, IX, que « les sentiments de l’homme envers un ami viennent des sentiments de l’homme envers lui-même, puisqu’il a avec son ami la même relation qu’avec lui-même ». Et cela n’est pas étonnant, car ce qui est uni par la ressemblance se comporte comme ce qui est un. Et bien que, à proprement parler, le nom d’« amitié » soit donné à l’amour qui se diffuse vers les autres, on peut cependant aussi parler d’amitié et de charité envers soi-même, pour autant que l’amour que l’on a envers l’autre vient de la ressemblance avec l’amour que l’on a envers soi-même.

[11369] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 6 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Gregorius loquitur quantum ad primam impositionem nominis caritatis.

1. Grégoire parle de la première imposition du nom de «charité».

[11370] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 6 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ratio illa procedit de amicitia secundum quod importat amorem diffusum ad alios.

2. Ce raisonnement se fonde sur l’amitié en tant qu’elle comporte un amour qui se diffuse vers les autres.

[11371] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 6 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illa quae sunt unum secundum numerum, possunt adhuc uniri per affectum; et ideo potest esse amor, etiam proprie dictus, ad seipsum.

3. Ce qui est un selon le nombre peut aussi être uni par l’affection. C’est pourquoi l’amour, même au sens propre, peut exister envers soi-même.

[11372] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 6 ad 4 Ad quartum dicendum, quod amicitia consistit in adaequatione quantum ad affectum; sed justitia in adaequatione rerum. Sed per operationem animae possunt accipi sicut diversa ut unum, ita idem ut plura; quod contingit quando actus animae in ipsum agentem reflectitur: et ideo amicitia magis potest esse ad se quam justitia: quamvis etiam justitia possit esse hominis ad seipsum metaphorice dictum, inquantum in homine etiam diversa secundum rem inveniuntur, scilicet diversae vires, quarum adaequatio in eo quod unicuique competit, justitiam metaphoricam facit, ut in 5 Ethic. dicitur.

4. L’amitié consiste dans l’égalité de sentiment ; mais la justice, dans l’égalité des choses. Or, par l’opération de l’âme, des choses diverses peuvent être considérées comme une seule chose ; de même, une seule chose peut-elle être considérée comme plusieurs. Cela se produit lorsque l’acte de l’âme se retourne vers l’agent lui-même. C’est pourquoi l’amitié peut davantage exister envers soi-même que la justice, bien que la justice, si on l’entend métaphoriquement, puisse aussi être le fait de l’homme envers lui-même, dans la mesure où, chez l’homme, on trouve aussi des choses, en réalité différentes : les diverses puissances, dont l’égalité par rapport à ce qui convient à chacune réalise la justice au sens métaphorique, comme il est dit dans Éthique, V.

[11373] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 6 ad 5 Ad quintum dicendum, quod amare seipsum quantum ad hominem exteriorem nimis est vituperabile: sed amare seipsum quantum ad hominem interiorem est valde laudabile; et hoc est caritatis.

5. S’aimer soi-même pour ce qui est de l’homme extérieur est tout à fait blâmable ; mais s’aimer soi-même pour ce qui est de l’homme intérieur est tout à fait louable. Et cela relève de la charité.

 

 

d [11374] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 7 tit. Utrum diligere debeamus corpora nostra ex caritate

Article 7 – Devons-nous aimer nos corps par charité ?

[11375] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 7 arg. 1 Ad septimum sic proceditur. Videtur quod corpora nostra non sint ex caritate diligenda. Caritas enim non refugit conversationem cum eo ad quem caritas est. Sed caritas facit refugere communicationem ad corpus, ut patet Rom. 7, 24: quis me liberabit de corpore mortis hujus? Ergo corpus non est ex caritate diligendum.

1. Il semble que nos corps ne doivent pas être aimés par charité. En effet, la charité ne fuit pas le partage avec celui envers qui la charité existe. Or, la charité fait fuir le partage avec le corps, comme cela ressort de Rm 7, 24 : Qui me délivrera de ce corps de mort ? Le corps ne doit donc pas être aimé par charité.

[11376] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 7 arg. 2 Praeterea, philosophus dicit, quod vituperabile est hominem seipsum diligere quantum ad id quod est exterius in seipso. Sed corpus nostrum est maxime exterius. Ergo vituperabile est corpus nostrum diligere. Ergo non diligitur ex caritate.

2. Le Philosophe dit qu’il est blâmable que l’homme s’aime lui-même pour ce qui est extérieur chez lui. Or, notre corps est extérieur au plus au point. Il est donc blâmable d’aimer notre corps. Il n’est donc pas aimé par charité.

[11377] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 7 arg. 3 Praeterea, beatitudo nostra erit in fruitione Dei. Sed illius fruitionis corpus nostrum particeps esse non potest. Ergo non est particeps nostrae beatitudinis: ergo non est ex caritate diligendum.

3. Notre béatitude consistera dans la jouissance de Dieu. Or, notre corps ne peut participer à cette jouissance. Il ne participe donc pas à notre béatitude. Il ne faut donc pas l’aimer de charité.

[11378] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 7 arg. 4 Praeterea, pars non ponitur in numerum contra totum. Sed corpus nostri pars est. Ergo non debet poni aliud diligibile corpus nostrum quam nos ipsi.

4. Une partie n’est mise dans un nombre par par opposition au tout. Or, notre corps est une partie. Notre corps ne doit donc pas être considéré comme un autre autre objet d’amour que nous-mêmes.

[11379] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 7 arg. 5 Praeterea, proximum debemus diligere sicut nos. Sed non ponitur aliud diligibile proximus et corpus proximi. Ergo non debet poni aliud diligibile nos ipsi et corpus nostrum.

5. Nous devons aimer le prochain comme nous-mêmes. Or, le corps du prochain n’est pas considéré comme un autre objet d’amour que le prochain. Nous ne devons donc pas considérer notre corps comme un autre objet d’amour que nous-mêmes.

[11380] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 7 s. c. 1 Sed contra, Eph. 5, viri debent diligere uxores suas sicut corpora. Sed uxores debent diligere ex caritate. Ergo et corpora.

Cependant, [1] Ep 5 dit que les maris doivent aimer leurs épouses comme leur propre corps. Or, ils doivent aimer leurs épouses par charité. Donc, leur corps aussi.

[11381] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 7 s. c. 2 Praeterea, omne beatificabile est ex caritate diligendum. Sed corpus nostrum est beatificabile. Ergo est diligendum ex caritate.

[2] Tout ce qui peut être bienheureux doit être aimé par charité. Or, notre corps peut devenir bienheureux. Il doit donc être aimé par charité.

[11382] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 7 co. Respondeo dicendum, quod corpus nostrum est unum de quatuor quae sunt ex caritate diligenda. Dilectio enim caritatis habet pro fundamento communicationem beatae vitae principaliter ut ex dictis patet, et vitae gratiae secundum quod ordinatur ad ipsam. Haec autem vita tripliciter habet relationem ad habentem caritatem. Est enim uno modo in aliquo sicut in principio diffundente vitam istam in aliis, et sic est in Deo. Est etiam in ipso amante sicut in participante vitam istam: et hoc dupliciter; quia secundum animam principaliter, et per quamdam redundantiam secundum corpus. Est etiam in aliis sicut comparticipantibus; et sic est in proximo. Et ideo quatuor sunt ex caritate diligenda, scilicet Deus, proximus, nos, et corpus nostrum.

Réponse. Notre corps est une des quatre choses qui doivent être aimées de charité. En effet, comme cela ressort de ce qui a été dit, l’amour de charité a comme fondement principal le partage de la vie bienheureuse et de la vie de la grâce, selon que celle-ci lui est ordonnée. Or, cette vie a un triple rapport avec celui qui a la charité. En effet, d’une manière, elle existe en lui comme dans le principe qui diffuse la vie chez les autres : elle existe ainsi chez Dieu. Elle existe aussi chez celui qui aime en tant qu’il participe à cette vie, et cela, de deux manières : selon l’âme principalement, et selon le corps par un certain rejaillissement. Elle existe aussi chez les autres comme chez ceux qui [la] partagent avec nous : elle existe ainsi chez le prochain. C’est pourquoi il existe quatre objets de la charité : Dieu, le prochain, nous et notre corps.

[11383] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 7 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod caritas non refugit communicationem corporis secundum quod est capax gloriae, sed secundum quod est subjectum miseriae, quae impedit ad gloriam.

1. La charité ne fuit pas les rapports avec le corps en tant qu’il est capable de la gloire, mais en tant qu’il est sujet de la misère qui empêche la gloire.

[11384] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 7 ad 2 Ad secundum dicendum, quod hominem diligere seipsum secundum exteriorem naturam in his quae repugnant rationi, est vituperabile; sed in his in quibus natura exterior interiori concordat, est laudabile.

2. Il est blâmable que l’homme s’aime lui-même selon la nature extérieure pour ce qui est contraire à la raison; mais cela est louable pour ce en quoi la nature extérieure est en accord avec la nature intérieure.

[11385] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 7 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis corpus non fruatur Deo immediate, tamen ex anima fruente erit quaedam redundantia gloriae in corpus.

3. Bien que le corps ne jouisse pas de Dieu de manière immédiate, il existera cependant un certain rejaillissement de la gloire dans le corps à partie de l’âme qui jouira [de Dieu de manière immédiate].

 

 

[11387] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 7 ad 5 Ad quintum dicendum, quod corpus proximi et anima in eadem relatione se habent ad habentem caritatem respectu beatae vitae, scilicet ut simul participans; et ideo non distinguitur diversum diligibile penes animam et corpus proximi.

5. Le corps et l’âme du prochain ont, par rapport à la vie bienheureuse, la même relation avec celui qui possède la charité, à savoir qu’ils y participent ensemble. C’est pourquoi on ne fait pas de distinction entre des objets d’amour différents selon l’âme et le corps du prochain.

b

 

Expositio textus[11388] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 7 expos. De secundo et quarto nulla praecepta danda erant. Contra. Lex debet universaliter hominem de omnibus ordinare quae ad virtutes pertinent. Praeterea, dilectio Dei similiter erat omnibus insita naturaliter. Et dicendum, quod sicut se habent scientiae speculativae ad cognoscenda, ita se habet lex ad operanda. Unde sicut in scientiis speculativis non traditur doctrina de principiis per se notis, quia per naturam cognoscuntur, sed tantum de conclusionibus quae per ea cognoscuntur; ita neque lex determinat explicite de dilectione sui ipsius ad quam natura inclinat, sed de dilectione proximi quae ex illa oritur, sicut conclusiones ex principiis. Dilectio autem Dei, quamvis nobis naturaliter insit, non tamen hoc modo quo per caritatem diligitur, ut supra dictum est. Ex hoc autem ipso quod praecipitur Deus diligi specialiter, docemur nos ipsos specialiter diligere. Nemo unquam carnem suam odio habuit. Contra. Multi seipsos interficiunt, ut dicit philosophus propter abundantem malitiam. Et dicendum, quod vitam suam corporalem quilibet diligit naturaliter; sed quod aliqui ad mortem suam corporalem anhelant, hoc contingit per accidens, vel inquantum retardantur ab aliquo bono magis amato per vitam corporalem, sicut in quaerentibus aliam vitam accidit; vel inquantum per corporalem vitam ipsorum aliquo modo consequuntur aliqua mala, quibus carere melius aestimant quam vitam corporalem habere. Oritur autem hic quaestio. Videtur quod dilectio Angelorum et beatae virginis et Christi secundum quod homo, non contineatur in dilectione proximi, sed magis debeat reduci ad dilectionem Dei, quia supra nos sunt. Et dicendum, quod Deus est supra nos quasi influens nobis aeternam vitam; sic autem neque Angeli neque homo virtuosus neque Christus secundum quod homo, supra nos sunt: quia sicut sola Trinitas nos creavit ad vitam naturae, ita ipsa sola nos sanctificat vita gratiae, et beatificabit vita gloriae. Sed sunt diligendi sicut simul nobiscum participantes a Deo vitam aeternam; et in hoc juxta nos sunt; quamvis sint supra nos in hoc quod plenius participant.

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 28

 

 

Distinctio 29

Distinction 29 – [L’ordre de la charité]

Prooemium

Prologue

[11389] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister quid esset ex caritate diligendum, hic determinat de ordine caritatis. Dividitur autem haec pars in duas: in prima determinat ordinem caritatis respectu diligibilium quantum ad quantitatem dilectionis; in secunda quantum ad quantitatem meriti, distinct. 30, ibi: hic quaeri solet. Prima pars dividitur in duas: in prima determinat de ordine caritatis quantum ad diversos gradus diligibilium; in secunda quantum ad diversos respectu status ipsius diligentis, ibi: sciendum quoque est, diversos esse gradus caritatis. Prima in duas: in prima determinat ordinem caritatis respectu diligibilium; in secunda movet quasdam quaestiones circa determinata, ibi: solet etiam quaeri, si parentes nostri mali sint, vel filii, vel fratres, an magis vel minus diligendi sint aliis bonis hac ratione nobis non copulatis. Circa primum duo facit: primo ostendit caritatem habere ordinem; secundo ostendit secundum quid attendendus sit ordo iste, ibi: unde super hoc saepe movetur quaestio. Et circa hoc duo facit: primo ponit diversas circa hoc opiniones; in secunda determinat quid sibi videatur, ibi: verum quia praemissa movetur quaestio. Circa primum duo facit: primo ponit quaestiones diversas, et rationes earum; secundo ostendit quomodo prima opinio rationibus alterius partis respondet, ibi: sed inquiunt illi, quae de ordine dilectionis supra dicuntur, esse referenda ad operis exhibitionem. Circa primum duo facit: primo ponit opinionem illorum qui dicunt, ordinem caritatis attendendum esse solum secundum effectum; secundo illorum qui dicunt etiam secundum affectum attendendum esse, ibi: quibus obviat illud praeceptum legis de diligendis parentibus. Sed inquiunt illi, quae de ordine dilectionis supra dicuntur, esse referenda ad operis exhibitionem. Hic ostendit quomodo prima opinio respondet rationibus alterius partis; et circa hoc duo facit: primo ostendit quomodo prima opinio respondet rationibus secundae. In secunda ostendit quomodo prima opinio addit aequalem dilectionem esse impendendam proximo quantum ad affectum, sicut et sibi ipsi, ibi: quorum etiam nonnulli tradunt affectu caritatis tantum proximos esse diligendos. Solet autem quaeri, si parentes nostri mali sint vel filii, vel fratres, an magis vel minus diligendi sint aliis bonis. Hic movet quasdam quaestiones circa veritatem determinatam; et dividitur in duas partes secundum duas quaestiones quas movet; secunda incipit ibi: quaeri etiam solet, cur dominus praeceperit diligere inimicos. Hic quaeruntur octo. 1 utrum caritatis sit habere ordinem; 2 utrum ille ordo sit attendendus secundum affectum et effectum simul, vel secundum affectum tantum; 3 utrum Deus super omnia diligendus sit; 4 utrum ejus dilectio admittat intuitum alicujus mercedis; 5 utrum proximos quantum nosipsos diligere debeamus; 6 utrum inter proximos propinqui extraneis praeferendi sint; 7 de ordine propinquorum ad invicem; 8 de perfectione caritatis, et gradibus enumeratis.

Après avoir déterminé de l’objet de la charité, le Maître détermine ici de l’ordre de la charité. Cette partie se divise en deux : dans la première, il détermine de l’ordre de la charité entre les objets de l’amour pour ce qui est de la quantité de l’amour ; dans la seconde, pour ce qui est de la quantité du mérite, d. 30, à cet endroit : « Ici, on a coutume de demander… » La première partie se divise en deux : dans la première, il détermine de l’ordre de la charité pour ce qui est des divers degrés entre les objets de l’amour ; dans la seconde, pour ce qui est des divers [degrés] par rapport à l’état de celui qui aime, à cet endroit : « Il faut savoir aussi qu’il existe divers degrés de la charité… » La première partie [se divise] en deux : dans la première, il détermine de l’ordre de la charité entre les divers objets d’amour ; dans la seconde il soulève des questions à propos de ce qui a été déterminé, à cet endroit : « On a aussi coutume de demander, si nos parents sont mauvais, ou nos fils ou nos frères, s’ils doivent être davantage aimés que les autres qui sont bons et qui ne nous sont pas unis de cette manière. » À propos du premier point, [le Maître] fait deux choses : premièrement, il montre qu’il existe un ordre de la charité ; deuxièmement, il montre d’après quoi cet ordre doit être envisagé, à cet endroit : « Aussi une question est-elle souvent soulevée à ce propos… » À ce sujet, il fait deux choses : premièrement, il présente diverses opinions à ce sujet ; dans la seconde, il détermine ce qu’il lui en semble, à cet endroit : « Puisqu’à vrai dire la question précédente est soulevée… » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il présente diverses questions et leurs raisons ; deuxièmement, il montre comment la première opinion répond aux arguments de l’autre partie, à cet endroit : « Mais ceux-là disent que ce qui a été dit plus haut à propos de l’ordre de l’amour doit être mis en rapport avec la manifestation de l’acte. » Ici, il montre comment la première opinion répond aux arguments de l’autre partie. À ce sujet, il fait deux choses : premièrement, il montre comment la première opinion répond aux arguments de la seconde ; dans la seconde, il montre comment la première opinion ajoute qu’un amour égal à celui qu’on a pour soi-même doit être manifesté au prochain pour ce qui est de la disposition affective, à cet endroit : « Certains d’entre eux affirment que les proches doivent être aimés selon la disposition affective de la charité seulement. » « On a aussi coutume de demander, si nos parents sont mauvais, ou nos fils ou nos frères, s’ils doivent être davantage aimés que les autres qui sont bons. » Ici, il soulève des questions à propos de la vérité déterminée. Cela se divise en deux parties selon les deux questions qu’il soulève ; la seconde commence à cet endroit : « On a aussi coutume de demander pourquoi le Seigneur a ordonné d’aimer ses ennemis. » Huit questions sont posées ici : 1. La charité doit-elle avoir un ordre ? 2. Cet ordre doit-il être envisagé selon la disposition affective et aussi l’effet, ou selon la disposition affective seulement ? 3. Dieu doit-il être aimé plus que tout ? 4. L’amour qu’on a pour lui admet-il qu’on ait à l’œil  une récompense ? 5. Devons-nous aimer le prochain comme nous-mêmes ? 6. Parmi le prochain, les proches doivent-ils être préférés aux étrangers ? 7. À propos de l’ordre entre les proches. 8. À propos de la perfection de la charité et des degrés énumérés.

 

 

Articulus 1 [11390] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 1 tit. Utrum caritas habeat ordinem

Article 1 – Existe-t-il un ordre de la charité ?

[11391] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod caritas ordinem non habeat, Bernardus enim dicit, quod amor gradum nescit, dignitatem non considerat. Sed omnis ordo habet aliquem gradum. Ergo in caritate non est aliquis ordo.

1. Il semble qu’il n’y ait pas d’ordre de la charité. En effet, Bernard dit que « l’amour ne connaît pas de degrés : il ne considère pas la dignité ». Or, tout ordre comporte un degré. Il n’y a donc pas d’ordre de la charité.

[11392] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, philosophus dicit, quod amicitia aequalitas quaedam est. Sed aequalitas est uniformis diversitatem non patiens, sicut nec unitas divisionem. Ergo caritas non habet ordinem.

2. Le Philosophe dit que l’amitié est une certaine égalité. Or, l’égalité est uniforme et ne souffre pas de diversité, pas plus que l’unité ne supporte la division. La charité ne comporte donc pas d’ordre.

[11393] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, ordinare rationis est, cujus est conferre. Sed caritas non est in ratione, sed in voluntate, quae non est vis collativa. Ergo in caritate non est ordo.

3. Ordonner relève de la raison, dont c’est le propre de comparer. Or, la charité ne se trouve pas dans la raison mais dans la volonté, qui n’est pas une puissance comparative. Il n’y a donc pas d’ordre dans la charité.

[11394] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, ordo distinctionem requirit. Sed caritas est magis unitiva inter alias virtutes. Cum ergo in aliis virtutibus non assignetur ordo, neque in caritate assignari debet.

4. L’ordre exige la distinction. Or, la charité est celle qui unit le plus parmi les autres vertus. Puisqu’un ordre n’est pas assigné dans les autres vertus, on ne doit donc pas en assigner à l’intérieur de la charité.

[11395] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, omne illud quod pertinet ad actum virtutis sicut circumstantia quaedam necessaria, cadit sub praecepto. Sed ordo dilectionis non cadit sub praecepto: quia ex quo impendo alicui quod debeo, lex non prohibet quin illi cui non teneor plus impendam. Ergo ordo dilectionis non est circumstantia debita in caritate.

5. Tout ce qui relève de l’acte d’une vertu, comme certaines circonstances nécessaires, tombe sous le commandement. Or, l’ordre de l’amour ne tombe pas sous le commandement, car du fait que je rends à quelqu’un ce que je lui dois, la loi n’empêche pas que je donne davantage à celui envers qui je n’ai pas d’obligation. L’ordre de l’amour n’est donc pas une circonstance nécessaire à l’intérieur de la charité.

[11396] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, sicut Dionysius dicit, malum hominis est contra bonum rationis esse. Sed malum hominis est contra virtutem esse. Ergo in qualibet virtute oportet bonum rationis esse. Sed bonum rationis est quod homo faciat ordinate unumquodque quod facit. Cum ergo caritas sit virtus, oportet quod ordinem habeat.

Cependant, [1] comme le dit Denys, le mal chez l’homme consiste à aller contre le bien de la raison. Or, le mal chez l’homme consiste à aller contre la vertu. Donc, en chaque vertu, il faut que se trouve le bien de la raison. Or, le bien de la raison consiste en ce que l’homme fasse de manière ordonnée tout ce qu’il fait. Puisque la charité est une vertu, il faut donc qu’elle ait un ordre.

[11397] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, actus virtutum variatur secundum exigentiam objectorum. Sed objectum caritatis, quod est bonum, ordinem habet, cum quoddam sit melius altero. Ergo et caritas debet ordinem habere.

[2] L’acte des vertus varie selon que l’exigent les objets. Or, l’objet de la charité, qui est le bien, possède un ordre, puisqu’une chose est meilleure qu’une autre. La charité aussi doit donc avoir un ordre.

[11398] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 1 s. c. 3 Praeterea, ubicumque unum est propter alterum, ibi est aliquis ordo. Sed caritas diligit aliquid propter alterum, sicut omnia propter Deum. Ergo caritas ordinem habet.

[3] Partout où une chose existe pour une autre, il existe un ordre. Or, la charité aime une chose pour autre chose : ainsi, [elle aime] tout pour Dieu. La charité possède  donc un ordre.

[11399] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod in quolibet actu virtutis oportet esse modum: quia non est justus aliquis, nisi justa juste faciat. Modus autem in actu virtutis est ex commensuratione potentiae ad objectum, ut ab eodem a quo speciem habet, mensuram recipiat. Objectum autem caritatis bonum est hoc modo quod bonum simpliciter, ut dicit philosophus, est amabile simpliciter: unicuique autem proprium bonum. Unde cum in hoc contingat esse magnam diversitatem, et gradus diversos, secundum quod unum est altero melius vel magis propinquum, oportet quod etiam et actus dilectionis ordinem habeat, ad hoc quod sit virtuosus.

Réponse. En tout acte de vertu, il doit exister une mesure, car on n’est juste que si l’on accomplit des choses justes de manière juste. Or, la mesure dans l’acte de vertu vient de la comparaison entre la puissance et l’objet, de sorte qu’elle reçoive une mesure de la même chose qui lui confère son espèce. Or, l’objet de la charité est le bien selon que ce qui est tout simplement bon est tout simplement aimable, comme le dit le Philosophe ; mais à chacun son propre bien. Puisqu’une grande diversité et divers degrés surviennenet selon qu’une chose est meilleure qu’une autre ou plus rapprochée, il faut donc aussi que l’acte d’amour ait un ordre pour qu’il soit vertueux.

[11400] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in amore potest accipi duplex gradus. Unus diligibilis ad diligibile; et de hoc gradu loquimur: alius gradus diligentis ad diligibile; et de hoc loquitur Bernardus. Hunc tamen gradum quodammodo scit amor, quodammodo nescit. Scit quidem quantum ad exteriorem effectum, quia non eadem superioribus et aequalibus impendit; sed nescit quantum ad affectum, inquantum unit amantem amato; et interdum aliquid de affectu in effectu relucet, ut scilicet ad superiores nos magis confidenter habeamus, et ad inferiores magis socialiter.

1. Dans l’amour, on peut saisir un double degré. L’un est celui qui existe entre les objets d’amour : c’est de cet ordre que nous parlons ; l’autre est celui existe entre celui qui aime et l’objet de l’amour : c’est de celui-là que parle Bernard. Cependant, il reconnaît d’une certaine manière ce degré et, d’une certaine manière, il ne le reconnaît pas. Il le reconnaît pour ce qui est de son effet extérieur, car il n’attribue les mêmes choses à ceux qui sont supérieurs et aux égaux. Mais il ne le reconnaît pas pour ce qui est de la disposition affective, dans la mesure où [l’amour] unit celui qui aime à celui qui est aimé. Et parfois, quelque chose de la disposition affective se réfléchit dans l’effet, comme lorsque nous nous comportons avec plus de confiance avec ceux qui sont supérieurs, et de manière plus liante avec les inférieurs.

[11401] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod amicitia non consistit in aequalitate aequiparantiae solum: quia potest esse ad superiores, inferiores, et aequales: sed consistit in aequalitate proportionis; quae quidem aequalitas diversitatem non refugit quantitatis; sicut eadem proportio, scilicet sesquialtera, est trium ad duo, et sex ad quatuor, quamvis inaequalis sit quantitatis excessus.

2. L’amitié ne consiste pas dans une égalité d’équivalence seulement, car elle peut exister avec les supérieurs, les inférieurs et les égaux ; mais elle consiste dans une égalité de proportion. Une telle égalité ne fuit pas la diversité dans la quantité : ainsi, la même proportion, une fois et demie, entre trois et deux et entre six et quatre, bien que le dépassement en quantité soit inégal.

[11402] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod actus rationis dilectionem praecedit. Priora autem aliquid sui in posterioribus relinquunt, et ordo quem facit ratio in dilectione invenitur, ut dilectio sit ordinata; non quod ipsa ordinem faciat, sed quia in ordinata bona per rationem accepta ordinate tendit.

3. L’acte de la raison précède l’amour. Or, ce qui est antérieur laisse quelque chose dans ce qui suit, et on trouve un ordre que réalise la raison dans l’amour, de sorte que l’amour soit ordonné ; non pas qu’il réalise lui-même l’ordre, mais parce qu’il tend de manière ordonnée aux biens ordonnés saisis par la raison.

[11403] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod aliae virtutes ordinant hominem in seipso, sicut fides, temperantia et hujusmodi: justitia vero ordinat ad alium, secundum quod aequatur ei quantum ad res circa quas est justitia; sed caritas ordinat ad alium secundum quod unit per affectum quantum ad ipsum; et ideo proprium objectum caritatis est ipsa rationalis natura, ad quam caritas habenda est, in qua plurimi gradus inveniuntur: et ideo magis assignatur ordo in caritate quam in aliqua alia virtute.

4. Les autres vertus ordonnent l’homme en lui-même, telles la foi, la tempérance et celles de ce genre ; mais la justice l’ordonne par rapport à un autre, pour autant qu’il lui est rendu égal pour les réalités sur lesquelles porte la justice. Toutefois, la charité ordonne par rapport à un autre selon qu’elle unit par une disposition affective à son endroit. C’est pourquoi l’objet propre de la charité est la nature raisonnable elle-même, à qui doit s’adresser la charité et à l’intérieur de laquelle se trouvent plusieurs degrés. Aussi  un ordre est assigné à la charité plutôt qu’aux autres vertus.

[11404] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in uno genere non potest esse nisi unum summum; et ideo si diligo aliquid quasi ultimum finem, non possum Deum diligere quasi ultimum finem. Ex hoc ergo ipso quod alterum quod est minus diligendum, aequiparo in dilectione ei quod diligendum est magis, non totum dilectionis quod debeo, impendo ei quod magis diligendum est; et similiter etiam patet in aliis. Unde caritatis ordo est in praecepto; et peccat qui praepostere agit, ut in littera dicitur.

5. Dans un seul genre, il ne peut exister qu’un seul plus élevé. Si j’aime quelque chose comme la fin ultime, je ne peux donc pas aimer Dieu comme la fin ultime. Du fait donc que je donne par l’amour, à ce qui doit être moins aimé, la même valeur qu’à ce qui doit être plus aimé, je ne donne pas à ce qui doit être plus aimé tout l’amour que je lui dois. Et il en est de même pour les autres. L’ordre de la charité fait donc partie du commandement et celui qui agit en inversant l’ordre pèche, comme il est dit dans le texte.

 

 

Articulus 2 [11405] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 2 tit. Utrum ordo caritatis sit attendendus secundum affectum, vel secundum effectum

Article 2 – L’ordre de la charité doit-il être envisagé selon la disposition affective ou selon l’effet ?

[11406] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod ordo caritatis non sit attendendus secundum affectum, sed secundum effectum tantum. Sicut enim prima veritas, cui innititur fides, est una in omnibus; ita summa bonitas, cui innititur caritas, una est. Sed fides aequaliter certa est de omnibus quae ex fide creduntur. Ergo et caritas aequaliter afficitur ad omnia quae ex caritate diligit.

1. Il semble que l’ordre de la charité doive être envisagé selon la disposition affective, et non pas selon l’effet seulement. En effet, de même que la Vérité première, sur laquelle s’appuie la foi, est unique pour tous, de même la Bonté suprême, sur laquelle s’appuie la charité, est-elle unique. Or, la foi est également certaine pour tout ce qui est cru par la foi. La charité a donc une même disposition affective à l’égard de tout ce qui est aimé par charité.

[11407] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, actus mensuratur secundum rationem objecti. Sed quamvis plura sint quae ex caritate diliguntur, tamen in omnibus est una ratio dilectionis, scilicet divina bonitas, quae est objectum caritatis. Ergo ad omnia quae ex caritate diliguntur est aequalis affectio.

2. L’acte est mesuré selon la raison de son objet. Or, bien qu’il y ait plusieurs réalités qui sont aimées par charité, il n’existe cependant en toutes qu’une seule raison d’amour, à savoir, la bonté divine, qui est l’objet de la charité. La disposition affective envers tout ce qui est aimé par charité est donc égale.

[11408] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, quanto aliquis ad alterum magis afficitur, tanto majus bonum ei desiderat. Sed omnibus quae ex caritate diligimus, idem bonum optamus, vel de habito complacet nobis, scilicet vita aeterna. Ergo aequali affectione omnes diliguntur.

3. Plus grande est la disposition affective envers un autre, plus grand est le bien désiré pour lui. Or, nous souhaitons le même bien à tous ceux que nous aimons de charité, ou nous nous en réjouissons, lorsqu’il est possédé : la vie éternelle. Tous sont donc aimés selon une égale disposition affective.

[11409] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, ordo caritatis est in praecepto. Non autem est in praecepto quantum ad affectum: quia dum exhibeam unicuique quod sibi debeo, etiam si sine affectu faciam, non sum reus praecepti. Ergo ordo caritatis non attenditur secundum affectum tantum.

4. L’ordre de la chairté fait partie du commandement. Or, il ne fait pas partie du commandement selon la disposition affective, car lorsque je manifeste à chacun ce que je lui dois, même si je le fais sans disposition affective, je ne suis pas coupable aux termes du commandement. L’ordre de la charité n’est donc pas envisagé seulement selon la disposition affective.

[11410] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, ubi est major affectus, est etiam majus meritum: quia meritum secundum radicem caritatis mensuratur. Sed non magis meretur homo in dilectione propinquorum quam aliorum, vel etiam sui ipsius quam aliorum. Ergo ordo amoris non est accipiendus secundum affectum.

5. Plus la disposition affective est grande, plus grand est le mérite, car le mérite se mesure selon la racine de la charité. Or, un homme ne mérite pas davantage en raison de l’amour de ses proches que des autres, ou encore, de lui-même que des autres. L’ordre de l’amour ne doit donc pas être pris de la disposition affective.

[11411] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, Gregorius dicit, quod probatio dilectionis est exhibitio operis. Si ergo secundum effectum est ordo, oportet quod etiam sit secundum affectum.

Cependant, [1] Grégoire dit que l’amour se manifeste par l’action. Si donc l’ordre existe selon l’effet, il est nécessaire qu’il existe aussi selon la disposition affective.

[11412] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, bonum est objectum caritatis quantum ad affectum. Sed ordo caritatis, ut dictum est, art. praec. in corp., attenditur secundum diversitatem bonorum. Ergo caritas habet ordinem non solum secundum effectum, sed etiam secundum affectum.

[2] Le bien est l’objet de la charité du point de vue de la disposition affective. Or, comme on l’a dit dans le corps de l’article précédent, l’ordre de la charité est envisagé selon la diversité des biens. La charité possède donc un ordre, non seulement selon l’effet, mais aussi selon la disposition affective.

[11413] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 2 s. c. 3 Praeterea, sicut caritas principaliter respicit affectum, ita beneficentia respicit effectum. Si ergo ordo esset solum secundum effectum, non esset haec ordinatio caritatis, sed solum beneficentiae; quod est contra auctoritatem canticorum in littera inductam.

[3] De même que la charité considère principalement la disposition affective, de même la bienfaisance considère-t-elle l’effet. Si donc elle existait seulement selon l’effet, il n’y aurait pas cette mise en ordre de la charité, mais seulement celui de la bienfaisance, ce qui va à l’encontre de l’autorité du Cantique des cantiques invoquée dans le texte.

[11414] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod effectus exterior non pertinet ad caritatem nisi inquantum ex affectu procedit, in quo primo est caritatis actus. Unde si esset ordo in effectu tantum attendendus, ordo ille nullo modo ad caritatem pertineret, sed ad alias virtutes magis, sicut ad liberalitatem vel misericordiam. Unde cum caritas ordinata perhibeatur, oportet quod ordo in affectu observetur, et ex affectu in effectum procedat: non hoc modo quod ei qui plus ex affectu diligitur, magis in effectu impendatur; sed quod homo sit paratus magis impendere, si necesse foret: quia quandoque qui diliguntur, nostris auxiliis non indigent. Et hoc etiam patet per simile in natura: quia unicuique rei naturali tantum inditum est a creatore de amore naturali erga aliquid, quantum necessarium est ut effectum circa id exhibeat; et similiter secundum gradum qui necesse est ut observetur in effectu, ordo affectus lege divina imperatur.

Réponse. L’effet extérieur ne relève de la charité que dans la mesure où il procède d’une disposition affective, dans laquelle existe en premier lieu l’acte de la charité. Si donc on devait envisager l’ordre dans l’effet seulement, cet ordre ne se rapporterait aucunement à la charité, mais plutôt à d’autres vertus, comme à la libéralité ou à la miséricorde. Lorsqu’on affirme que la charité est ordonnée, il faut donc que l’ordre soit respecté dans la disposition affective et qu’il passe de la disposition affective à l’effet, non pas selon qu’on donne plus par l’effet à celui qui est davantage aimé selon la disposition affective, mais selon que l’homme est disposé à donner davantage, si cela était nécessaire, car parfois ceux qui sont aimés n’ont pas besoin de notre aide. Cela ressort aussi de ce qui est semblable dans la nature, car chaque réalité naturelle a reçu du Créateur autant d’amour naturel envers quelque chose qu’il lui est nécessaire pour qu’elle manifeste un effet à son endroit. De même, l’ordre de la disposition affective est-il commandé par la loi divine selon le degré nécessaire pour qu’elle se manifeste dans l’effet.

[11415] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod objectum fidei non est veritas prima secundum quod est in re existens tantum, sed secundum quod est nobis divinitus annuntiata; quia fides ex auditu est; et ideo quia omnia quae sunt fidei, annuntiata sunt nobis eodem modo, ideo aequalis certitudo de eis habetur. Sed caritatis objectum est bonum, secundum quod est in rebus; et ideo cum in diversis rebus divina bonitas inveniatur, oportet quod diversimode affectio nostra in illa transeat.

1. L’objet de la foi n’est pas la Vérité première seulement selon qu’elle existe réellement, mais selon qu’elle nous est annoncée par Dieu, car la foi vient de l’écoute. Parce que tout ce qui relève de la foi nous a été annoncé de la même manière, on en a donc une certitude égale. Mais l’objet de la charité est le bien selon qu’il existe dans les choses. C’est pourquoi il est nécessaire que notre amour passe en elles de diverses manières, puisque la Bonté divine se trouve dans des réalités différentes.

[11416] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis sit eadem ratio communis diligendi in omnibus, tamen illa ratio non aequaliter participatur in singulis; et ideo nec aequalis affectio eis debetur.

2. Bien qu’il existe en toutes choses une raison commune d’aimer, chaque chose n’y participe cependant pas également. C’est pourquoi un amour égal ne leur est pas non plus dû.

[11417] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod intensio actus, praecipue in actibus animae (quae non necessario secundum totum suum posse agit sicut naturalia) non mensuratur ad quantitatem objecti tantum, sed ad efficaciam agentis, et conatum in agendo; unde non melius videt qui majorem rem intuetur, sed qui clarius videt; ideo etiam non oportet quod aequaliter afficiar ad illud cui aequale bonum desidero.

3. L’intensité de l’acte, principalement dans les actes de l’âme (qui n’agit pas nécessairement selon toute sa capacité, comme les réalités naturelles), n’est pas mesurée par la quantité de l’objet seulement, mais aussi par l’efficacité de l’agent et par l’effort qu’il met à agir. Aussi celui qui regarde une chose plus grande ne voit-il pas mieux que celui qui voit plus clairement. Il n’est donc pas non plus nécessaire que je sois également disposé envers celui pour qui je désire un bien égal.

[11418] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ille qui impendit quod debet alicui sine affectu, quamvis non sit reus praecepti quod est de actu justitiae, est tamen reus praecepti quod est de caritate; unde Rom. 1, sic vitium reputatur sine affectione esse.

4. Celui qui agit envers quelqu’un sans disposition affective, bien qu’il ne soit pas coupable aux termes du commandement qui porte sur un acte de justice, est cependant coupable aux termes du commandement qui porte sur la charité. Aussi Rm 1 considère-t-il que c’est un vice de ne pas avoir la disposition affective.

[11419] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod de quantitate meriti diligibilium diversorum quaestio erit in sequenti dist., et ideo ibi reservetur.

5. Il sera question par la suite de la quantité du mérite selon les différentes choses qui doivent être aimées. Ce sera donc réservé pour cet endroit.

 

 

Articulus 3[11420] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 3 tit. Utrum Deus sit super omnia diligendus ex caritate

Article 3 – Dieu doit-il être aimé par charité plus que tout ?

[11421] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Deus non sit supra omnia diligendus ex caritate. Quia, sicut dicit Dionysius, amor est unitiva virtus. Sed magis est sibi unusquisque unitus quam Deo. Ergo magis ex caritate debet se diligere quam Deum.

1. Il semble que Dieu ne doive pas être aimé par charité plus que tout, car, ainsi que le dit Denys, l’amour est une puissance unitive. Or, chacun est davantage uni à soi-même qu’à Dieu. On doit donc s’aimer davantage soi-même par charité que Dieu.

[11422] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, philosophus dicit, quod unicuique est amabile quod est sibi bonum. Sed quidquid diligit propter hoc quod est sibi bonum, propter seipsum diligit homo. Ergo quidquid diligit propter seipsum diligit. Ergo se magis diligit omnibus quae diligit; et ita non diligit Deum supra omnia.

2. Le Philosophe dit qu’est aimable pour chaque chose ce qui est bon pour elle. Or, l’homme aime pour lui-même ce qu’il aime parce que cela est bon pour lui. Tout ce qui aime aime donc pour soi-même. Il s’aime donc davantage que tout ce qu’il aime. Ainsi, il n’aime pas Dieu plus que tout.

[11423] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, philosophus dicit, quod amicabilia quae sunt ad alterum, veniunt ex amicabilibus quae sunt ad seipsum. Sed primum in quolibet genere est potissimum. Ergo amor quem quisque habet ad seipsum, est potior amore quem habet ad alterum; et ita quisque plus seipsum quam Deum diligit secundum naturam: et ita etiam secundum caritatem, cum gratia naturam non destruat.

3. Le Philosophe dit que les manifestations d’amitié qui s’adressent à un autre viennent des manifestations d’amitié envers soi-même. Or, ce qui est premier en tout genre est le plus puissant. L’amour que chacun a pour lui-même est donc plus puissant que l’amour qu’il a envers un autre. Ainsi, chacun s’aime davantage qu’il n’aime Dieu par nature, et, de la sorte, selon la charité aussi, puisque la grâce ne détruit pas la nature.

[11424] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, sicut dicit Gregorius, probatio dilectionis est exhibitio operis. Sed tantum quisque facit pro gratia conservanda, sive beatitudine creata habenda, quantum pro Deo. Ergo tantum diligit quis gratiam, vel beatitudinem creatam, quantum Deum. Sed dilectio qua dicimur diligere virtutem, vel aliquod accidens, refertur ad ipsum subjectum accidentis, cui desideratur illud accidens. Ergo tantum quisque diligit se habens caritatem, quantum Deum.

4. Comme le dit Grégoire, « l’amour se manifeste par l’action ». Or, chacun fait autant pour conserver la grâce ou pour avoir la béatitude créée, qu’il ne fait pour Dieu. On aime donc autant que Dieu la grâce ou la béatitude créée. Or, l’amour, en vertu duquel on dit que nous aimons la vertu ou un accident, se rapporte au sujet de l’accident pour lequel cet accident est désiré. Chacun s’aime donc autant, en tant que possédant la charité, que Dieu.

[11425] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, tantum quisque diligit proximum quantum diligit Deum in proximo vel in seipso: quia Deus non est melior in se quam ubicumque est. Ergo tantum quisque diligit seipsum vel proximum quantum diligit Deum: et ita non diligitur Deus ex caritate super omnia.

5. Chacun aime son prochain autant qu’il aime Dieu dans le prochain ou en lui-même, car Dieu n’est pas meilleur en lui-même que partout où il existe. Chacun aime donc soi-même et son prochain autant qu’il aime Dieu. Et ainsi, Dieu n’est pas aimé par charité plus que tout.

[11426] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, finis magis diligendus est his quae sunt ad finem. Sed Deus est finis omnium diligibilium ex caritate. Ergo ipse est maxime diligendus.

Cependant, [1] la fin doit être aimée davantage que ce qui est ordonné à la fin. Or, Dieu est la fin de tout ce qui doit être aimé par charité. Il doit donc être aimé au plus haut point.

[11427] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, unicuique est diligibile proprium bonum, secundum philosophum. Sed Deus est majus bonum quam aliquid aliud, et est proprium magis alicui quam aliquid aliud: quia est magis intimum animae quam etiam ipsa sibi, ut dicitur in libro de spiritu et anima. Ergo Deus super omnia diligendus est.

2. Son propre bien est aimable pour chacun, selon le Philosophe. Or, Dieu est un bien plus grand qu’autre chose, et il est davantage propre à quelqu’un qu’autre chose, car « il est plus intime à l’âme qu’elle ne l’est à elle-même », comme il est dit dans le livre Sur l’esprit et sur l’âme. Dieu doit donc être aimé plus que tout.

[11428] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 3 s. c. 3 Praeterea, quod est causa aliorum in unoquoque genere, maximum est in genere illo, ut dicitur in 2 Metaph. Sed Deus est causa et ratio quare omnia ex caritate diligantur, quia divina bonitas est per se objectum caritatis. Ergo magis diligendus est Deus quam aliquid aliud.

3. Ce qui est cause des autres choses en chaque genre est ce qu’il y a de plus grand dans ce genre, comme il est dit dans Métaphysique, II. Or, Dieu est la cause et la raison pour laquelle tout est aimé par charité, car la bonté divine est par soi objet de la charité. Dieu doit donc être aimé davantage qu’autre chose.

[11429] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod cum objectum amoris sit bonum, dupliciter aliquis tendere potest in bonum alicujus rei. Uno modo ita quod bonum illius rei ad alterum referat, sicut quod bonum unius rei optet alteri, si non habet; vel complaceat sibi, si habet: sicut amat quis vinum, in quantum dulcedinem vini peroptat, et in hoc gaudet quod ea fruitur, non quod vinum ipsam habet; et hic amor vocatur a quibusdam amor concupiscentiae. Amor autem iste non terminatur ad rem quae dicitur amari, sed reflectitur ad rem illam cui optatur bonum illius rei. Alio modo amor fertur in bonum alicujus rei ita quod ad rem ipsam terminatur, inquantum bonum quod habet, complacet quod habeat, et bonum quod non habet optatur ei; et hic est amor benevolentiae, qui est principium amicitiae, ut dicit philosophus. Unde gradus caritatis secundum hunc modum amoris attendendi sunt, quia caritas amicitiam includit, ut supra, dist. 27, quaest. 2, art. 1, corp., dictum est. Bonum autem illud unusquisque maxime vult salvari quod est sibi magis placens: quia hoc est appetitui informato per amorem magis conforme; hoc est autem suum bonum. Unde secundum quod bonum alicujus rei est vel aestimatur magis bonum ipsius amantis, hoc amans magis salvari vult in ipsa re amata. Bonum autem ipsius amantis magis invenitur ubi perfectius est; et ideo, quia pars quaelibet imperfecta est in seipsa, perfectionem autem habet in suo toto; ideo etiam naturali amore pars plus tendit ad conservationem sui totius quam sui ipsius. Unde etiam naturaliter animal opponit brachium ad defensionem capitis, ex quo pendet salus totius. Et inde est etiam quod particulares homines seipsos morti exponunt pro conservatione communitatis, cujus ipsi sunt pars. Quia ergo bonum nostrum in Deo perfectum est, sicut in causa universali prima et perfecta bonorum, ideo bonum in ipso esse magis naturaliter complacet quam in nobis ipsis; et ideo etiam amore amicitiae naturaliter Deus ab homine plus seipso diligitur. Et quia caritas naturam perficit, ideo etiam secundum caritatem Deum supra seipsum homo diligit, et super omnia alia particularia bona. Caritas autem supra naturalem dilectionem ipsius addit quamdam associationem in vita gratiae, ut supra dictum est. Quidam autem dicunt, quod aliquis naturaliter amore concupiscentiae Deum plus seipso diligit, inquantum divinum bonum est sibi delectabilius; sed amore amicitiae plus seipsum naturaliter quam Deum diligit, dum plus se vult esse et vivere et habere aliqua bona quam Deum; sed caritas ad hoc naturam elevat ut etiam per amicitiam aliquis plus Deum diligat quam seipsum. Sed prima opinio probabilior est: quia inclinatio naturae hominis inquantum est homo, nunquam contradicit inclinationi virtutis, sed est ei conformis

Réponse. Puisque l’objet de l’amour est le bien, on peut tendre vers le bien d’une chose de deux manières. D’une manière, selon que le bien de cette chose renvoie à autre chose, comme lorsqu’on souhaite le bien d’une chose pour quelqu’un d’autre, s’il ne le possède pas, ou qu’on s’y complaît avec lui, s’il le possède. C’est le cas de celui qui aime le vin, pour autant qu’il souhaite la douceur du vin et se réjouit du fait qu’il en jouit, et non que le vin la possède. Cet amour est appelé par certains l’amour de concupiscence. Or, cet amour n’a pas comme terme la chose dont on dit qu’elle est aimée, mais il renvoie à ce à quoi on souhaite le bien de cette chose. D’une autre manière, l’amour tend vers le bien d’une chose de telle sorte qu’il ait cette chose même comme terme, pour autant qu’il se complaît dans le fait qu’elle possède ce bien et lui souhaite le bien qu’elle ne possède pas. Cet [amour] est l’amour de bienveillance, qui est le principe de l’amitié, comme le dit le Philosophe. C’est pourquoi les degrés de la charité doivent être envisagés selon ce mode d’amour, car la charité inclut une amitié, comme on l’a dit plus haut, d. 27, q. 2, a. 1, c. Or, chacun veut au plus haut point préserver le bien qui lui plaît davantage, car il est davantage conforme à l’appétit qui est formé par l’amour. Or, il s’agit de son propre bien. Selon que le bien d’une chose est ou est estimé meilleur pour celui qui aime, celui qui l’aime veut donc qu’il soit davantage sauvegardé dans la chose aimée elle-même. Or, le bien de celui qui aime se trouve dans ce qui est plus parfait. C’est pourquoi, parce que n’importe quelle partie est imparfaite en elle-même, elle obtient sa perfection dans son tout. Ainsi, par un amour naturel, la partie tend-elle davantage à la conservation de son tout qu’à la sienne propre. Ainsi, naturellement encore, l’animal oppose aussi son bras pour défendre sa tête, dont dépend le salut du tout. Et de là vient que les hommes individuels s’exposent à la mort pour conserver la communauté dont ils sont une partie. Puisque notre bien est parfait en Dieu, en tant qu’il est la cause universelle première et parfaite des biens, il nous plaît donc naturellement davantage que le bien soit en lui qu’en nous-mêmes. C’est pourquoi Dieu est naturellement aimé davantage que lui-même par l’homme, même d’amour d’amitié. Et parce que la charité perfectionne la nature, l’homme aime aussi par charité Dieu plus que lui-même et plus que tous les biens particuliers. Or, la charité ajoute à son amour naturel une certaine association dans la vie de la grâce, comme on l’a dit plus haut. Mais certains disent que quelqu’un aime Dieu plus que lui-même d’un amour de concupiscence, pour autant que le bien divin lui est plus délectable ; mais il s’aime naturellement lui-même plus que Dieu d’un amour d’amitié, lorsqu’il veut être, vivre et posséder certains biens plutôt que Dieu ; mais la charité élève la nature pour que l’on  aime Dieu plus que soi-même. Mais la première opinion est plus probable, car l’inclination de la nature de l’homme en tant qu’homme ne contredit jamais l’inclination de la vertu, mais lui est conforme.

.[11430] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod amor non est unio ipsarum rerum essentialiter, sed affectuum. Non autem est inconveniens, ut illud quod est minus conjunctum secundum rem, sit magis conjunctum secundum affectum, dum plerumque ea quae realiter nobis conjuncta sunt, nobis displiceant, et ab affectu maxime discordent. Sed amor ad rerum unionem inducit, quantum possibile est; et ideo amor divinus facit hominem, secundum quod possibile est, non sua vita, sed Dei, vivere, sicut apostolus dicit Gal. 11, 20: vivo ego, jam non ego, vivit vero in me Christus.

1. L’amour n’est pas une union des choses elles-mêmes selon leur essence, mais selon leurs dispositions affectives. Or, il n’est pas inapproprié que ce qui est moins uni en réalité soit davantage uni selon les dispositions affectives, puisque la plupart du temps ce qui nous est réellement uni nous déplaît et est au plus haut point en désaccord avec notre disposition affective. Mais l’amour incite à l’union entre les choses autant qu’il est possible. C’est pourquoi l’amour de Dieu fait, autant qu’il est possible, vivre l’homme, non pas de sa propre vie, mais de celle de Dieu, comme le dit l’Apôtre en Ga 11, 20 : Je vis, non pas moi, mais à vrai dire le Christ vit en moi.

[11431] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis unicuique sit amabile quod sibi est bonum, non tamen oportet quod propter hoc sicut propter finem ametur, quia est sibi bonum; cum etiam amicitia non retorqueat ad seipsum bonum quod ad alterum optat: diligimus enim amicos, etiam si nihil nobis debeat inde fieri.

2. Bien que soit aimable pour chacun ce qui est bon pour lui, il n’est cependant pas nécessaire que, parce que cela est bon, cela soit aimé pour une fin, puisque l’amitié elle-même ne détourne pas pour soi le bien qu’elle souhaite pour un autre. En effet, nous aimons nos amis même si cela ne doit rien nous rapporter.

[11432] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod amicabilia quae sunt ad alterum, venerunt ex amicabilibus quae sunt ad seipsum, non sicut ex causa finali, sed sicut ex eo quod est prius in via generationis. Quia sicut quilibet sibi prius est notus quam alter, et quam Deus; ita etiam dilectio quam quisque habet ad seipsum, est prior ea dilectione quam habet ad alterum, in via generationis.

3. Les marques d’amitié destinées aux autres sont venues des marques d’amitié envers soi-même, non pas comme de la cause finale, mais comme de ce qui est premier sur le chemin de la génération. Parce que chacun est d’abord connu de lui-même plutôt qu’un autre et que Dieu, l’amour que quelqu’un a envers lui-même est donc premier par rapport à l’amour qu’il a envers un autre, sur le chemin de la génération.

[11433] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod opera nostra, proprie loquendo, non proportionantur affectioni qua Deum in seipso diligimus, quia ex nostris operibus nihil ei accrescit vel accrescere potest. Sed si esset possibile quod ex nostris operibus aliquid ei accresceret, habens caritatem multo plura faceret propter beatitudinem ei conservandam quam propter eam sibi adipiscendam.

4. À proprement parler, nos actions ne sont pas proportionnées à la disposition affective par laquelle nous aimons Dieu en lui-même, car rien ne lui est ajouté ou ne peut lui êre ajouté par nos actes. Mais s’il était possible que quelque chose lui soit ajouté par nos actions, celui qui a la charité ferait bien plus pour lui conserver la béatitude que pour l’obtenir pour lui-même.

[11434] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Deus ubique aequaliter diligitur; tamen divinum bonum in isto esse, non est tantum amabile sicut ipsum esse in Deo: quia non aeque perfecte in omnibus est.

5. Dieu est aimé partout également. Cependant, le fait que le bien divin existe chez un tel n’est pas aussi aimable que le fait qu’il existe en Dieu, car il n’existe pas en tous d’une manière également parfaite.

 

 

Articulus 4 [11435] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 4 tit. Utrum in dilectione Dei possit haberi respectus ad aliquam mercedem

Article 4 – Peut-on tenir compte d’une récompense en aimant Dieu ?

[11436] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod non possit in dilectione Dei haberi respectus ad aliquam mercedem. Quia Joan. 10, mercenarius vituperatur. Sed mercenarius dicitur qui mercedem quaerit. Ergo dilectio Dei ex caritate non admittit respectum mercedis.

1. Il semble qu’on ne puisse tenir compte d’une récompense en aimant Dieu, car, en Jn 10, le mercenaire est blâmé. Or, on appelle mercenaire celui qui cherche un salaire. L’amour de Dieu par charité ne permet donc pas de tenir compte d’une récompense.

[11437] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, Augustinus dicit: Deo licet sine praemio serviri non possit, tamen sine intuitu praemii serviendum est. Sed praemium nihil aliud est quam merces laboris. Ergo sine respectu mercedis Deo serviendum est.

2. Augustin dit : « Bien que Dieu ne puisse être servi sans récompense, il doit cependant être servi sans égard à la récompense. » Or, une récompense n’est rien d’autre qu’un salaire pour un travail. Dieu doit donc être servi sans égard à la récompense.

[11438] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, amicitia civilis quamvis habeat multas dilectiones et utilitates, tamen ad eas non respicit, sed supra honestum fundatur. Sed amicitia caritatis magis est honesta quam amicitia civilis. Ergo nec ipsa ad aliquam utilitatem respicit.

3. L’amitié civile, bien qu’elle comporte plusieurs amours et plusieurs choses utiles, ne les prend cependant pas en compte, mais elle se fonde sur ce qui est bon en soi. Or, l’amitié de la charité est meilleure que l’amitié civile. Elle ne prend donc pas en compte une certaine utilité.

[11439] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, merces est finis eorum quae propter mercedem fiunt. Sed finis diligitur magis quam ea quae sunt ad finem. Si ergo Deus propter aliquam mercedem diligeretur, aliquid aliud magis diligeretur Deo; quod est contra rationem caritatis.

4. La récompense est la fin de ce qui est accompli pour une récompense. Or, la fin est davantage aimée que ce qui est ordonné à la fin. Si donc Dieu était aimé pour une récompense, quelque chose d’autre serait davantage aimé que Dieu, ce qui est contraire à la notion de la charité.

[11440] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 4 arg. 5 Praeterea, sicut per caritatem homo adipiscitur praemium, ita etiam fugit poenam. Sed caritas expellit timorem poenae, maxime si sit perfecta. Ergo videtur quod etiam excludit intuitum mercedis.

5. De même que par la charité l’homme obtient sa récompense, de même fuit-il aussi la peine. Or, la charité rejette la crainte de la peine, surtout si elle est parfaite. Il semble donc qu’elle exclue aussi la considération de la récompense.

[11441] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed contra, sicut dicitur in Glossa Matth. 1, spes generat caritatem. Sed spes est expectatio mercedis. Ergo caritas potest esse cum intuitu mercedis.

Cependant, [1] comme il est dit dans la Glose sur Mt 1, « l’espérance engendre la charité ». Or, l’espérance est l’attente d’une récompense. La charité peut donc comporter la considération d’une récompense.

[11442] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, Hebr. 11, dicitur de sanctis patribus, quod aspiciebant in remunerationem. Sed constat quod ipsi diligebant Deum ex caritate. Ergo dilectio Dei ex caritate compatitur intuitum mercedis.

[2] En He 11, il est dit des saints pères qu’ils regardaient vers la récompense. Or, il est clair que ceux-ci aimaient Dieu par charité. L’amour de Dieu par charité est donc compatible avec une considération de la récompense.

[11443] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 4 s. c. 3 Praeterea, amicorum est quod quaerant invicem perfrui. Sed nihil aliud est merces nostra quam perfrui Deo, videndo ipsum. Ergo caritas non solum non excludit, sed etiam facit habere oculum ad mercedem.

[3] Il est propre aux amis de chercher à se réjouir les uns des autres. Or, notre récompense n’est rien d’autre que de jouir de Dieu en le voyant. Donc, non seulement la charité n’exclut pas, mais elle fait en sorte qu’on ait à l’œil la récompense.

[11444] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod merces proprie dicitur praemium quod quis ex labore vel aliquo opere meretur. Praemium autem est quod alicui in bonum ejus redditur; unde merces, inquantum hujusmodi, importat aliquid referibile per amorem ad id cui merces redditur: mercedem enim aliquis propter seipsum amat. Non tamen est de ratione mercedis quod sit intentionis finis: quia plerumque aliquis mercedem ex opere non quaerit, cui merces datur. Ea autem quae propter se aliquis diligit, vel sunt perfectiones illius formaliter, sicut sanitas, virtus, operatio, dilectio, et hujusmodi; vel sunt effectiva vel conservativa horum, aut contrariorum prohibitiva. Unde si aliquis amat aliquid extra se propter seipsum, illud potest dici merces, inquantum ex eo aliquid in ipso relinquitur vel conservatur. Sed, sicut supra dictum est, de ratione amicitiae est quod amicus sui gratia diligatur; unde amicus non habet in amicitia rationem mercedis, proprie loquendo, quamvis ea quae ex amico in nobis fiunt, rationem mercedis habere possint, sicut delectationes, et utilitates quas ex ipso amans consequitur, ratione quarum ipse amicus merces dicitur quasi causaliter, sicut dicitur Deus merces nostra ratione eorum quae ex ipso in nobis sunt. Patet ergo quod ponere mercedem aliquam finem amoris ex parte amati, est contra rationem amicitiae. Unde caritas per hunc modum oculum ad mercedem habere non potest: hoc enim esset Deum non ponere ultimum finem, sed bona quae ex ipso consequitur. Sed ponere mercedem esse finem amoris ex parte amantis, non tamen ultimum, prout scilicet ipse amor est quaedam operatio amantis, non est contra rationem amicitiae: quia ipsa amoris operatio cum sit quoddam accidens, non dicitur amari nisi propter suum subjectum, ut ex dictis patet: et inter ea quae propter se aliquis diligit, potest esse ordo, salva amicitia; unde et ipsam operationem amoris possum amare, non obstante amicitia, propter aliquid aliud. Erit tamen contra rationem virtutis, si virtutis operatio propter aliquid aliud virtute inferius, cujusmodi sunt temporalia bona, diligatur. Patet ergo quod habens caritatem non potest habere oculum ad mercedem, ut ponat aliquid quodcumque finem amati, scilicet Dei (hoc enim esset contra rationem caritatis, ut est amicitia quaedam), nec iterum ut ponat aliquod bonum temporale finem ipsius amoris; quia hoc est contra rationem caritatis, ut est virtus: potest tamen habere oculum ad mercedem, ut ponat beatitudinem creatam finem amoris, non autem finem amati: hoc enim neque est contra rationem amicitiae, neque contra rationem virtutis, cum beatitudo virtutum sit finis.

Réponse. Au sens propre, on appelle récompense la rétribution que quelqu’un mérite pour un travail ou pour une action. Or, la rétribution est ce qui est rendu à quelqu’un pour son bien. En tant que telle, la récompense comporte donc quelque chose qui peut être mis en rapport par l’amour avec celui à qui la récompense est donnée : en effet, on aime la récompense pour soi-même. Cependant, il n’est pas de la raison de récompense qu’elle fasse partie de l’intention de la fin, car, la plupart du temps, celui à qui la récompense est donnée ne cherche pas de récompense de l’action pour laquelle une récompense est donnée. Or, les choses que quelqu’un aime pour elles-mêmes sont soit des perfections de lui-même au sens formel, tels la santé, la vertu, l’opération, l’amour et les choses de ce genre, soit des réalités qui les perfectionnent ou les conservent, ou empêchent leurs contraires. Si quelqu’un aime pour lui-même quelque chose qui lui est extérieur, cela peut être appelé une récompense pour autant que quelque chose en est laissé ou conservé en lui. Mais, comme on l’a dit plus haut, il est de la raison de l’amitié qu’un ami soit aimé pour lui-même ; l’ami n’a donc pas dans l’amitié raison de récompense au sens propre, bien que ce qui est réalisé par l’ami en nous puisse avoir raison de récompense, comme les plaisirs et les services que celui qui aime reçoit de lui, et en raison desquels l’ami lui-même peut être appelé une récompense pour ainsi dire à la manière d’une cause ; Dieu est ainsi appelé notre récompense en raison de ce qui vient de lui en nous. Il est donc clair qu’affirmer qu’une récompense est la fin de l’amour du point de vue de celui qui est aimé est contraire à la notion d’amitié. La charité ne peut donc prendre en compte de cette manière la récompense : en effet, cela reviendrait à ne pas faire de Dieu la fin ultime, mais les biens qu’on reçoit de lui. Mais affirmer que la récompense est une fin de l’amour du point de vue de celui qui aime, mais non sa fin ultime, en tant que l’amour lui-même est une action de celui qui aime n’est pas contraire à la notion d’amitié : en effet, on ne dit pas que l’opération même de l’amour, étant un accident, n’est aimée qu’en raison de son sujet, comme cela ressort de ce qui a été dit ; et parmi ce que quelqu’un aime pour soi, il peut exister un ordre, tout en préservant l’amitié. Je peux donc aimer l’opération même de l’amour pour quelque chose d’autre, nonobstant l’amitié. Elle sera cependant contraire à la notion de vertu si l’opération de la vertu est aimée pour quelque chose d’autre qui est inférieur à la vertu, comme c’est le cas pour les biens temporels. Il est donc clair que celui qui a la charité ne peut prendre en considération la récompense de telle sorte qu’il fasse de n’importe quoi la fin de ce qui est aimé, à savoir, Dieu (en effet, cela serait contraire à la notion de charité pour autant qu’elle est une amitié), ni qu’il fasse d’un bien temporel la fin de l’amour lui-même, car cela est contraire à la notion de charité en tant qu’elle est une vertu. Il peut cependant prendre en considération la récompense en faisant de la béatitude créée la fin de l’amour, mais non la fin de ce qui est aimé : en effet, cela n’est pas contraire à la notion d’amitié, ni contraire à la notion de vertu, puisque la béatitude est la fin des vertus.

[11445] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod mercenarius ibi dicitur qui opus spirituale propter mercedem temporalem exercet.

1. On parle là du mercenaire qui exerce une action spirituelle pour une récompense temporelle.

[11446] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sine intuitu praemii serviendum est, ita quod praemium non ponatur finis ejus quod amatur et cui servitur, sed quod ponatur finis ipsius servitii vel amoris.

2. Il faut servir sans égard à la récompense, de telle sorte que la récompense ne soit pas établie comme fin de ce qui est aimé et qui est servi, mais qu’elle soit établie comme la fin du service lui-même ou de l’amour.

[11447] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod amicitia non respicit delectationes et utilitates amicorum quasi finem, propter quem amicus amat.

3. L’amitié ne porte pas sur les plaisirs et les services des amis comme sur la fin pour laquelle l’ami aime.

[11448] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum patet solutio per ea quae dicta sunt in corp.

4. La réponse au quatrième argument ressort de ce qui a été dit dans le corps.

[11449] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod bonum de quo est spes, magis est consonum amori quam malum de quo est timor; et ideo quamvis perfecta caritas foras mittat timorem poenae, non tamen oportet quod foras mittat intuitum mercedis.

5. Le bien sur lequel porte l’espérance est plus en accord avec l’amour que le mal sur lequel porte la crainte. C’est pourquoi, bien que la charité parfaite rejette la crainte de la peine, il n’est cependant pas nécessaire qu’elle rejette la considération de la récompense.

Articulus 5 [11450] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 5 tit. Utrum homo magis debeat seipsum ex caritate diligere quam proximum

Article 5 – L’homme doit-il s’aimer lui-même par charité davantage que son prochain ?

[11451] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod homo ex caritate non debeat seipsum magis quam proximum diligere. Illud enim propter quod aliud relinquitur, magis amatur. Sed caritas facit hominem seipsum relinquere quodammodo, et amato inhaerere: quia Dionysius dicit, quod amor ponit hominem extra se, et collocat eum in amato. Ergo plus amat amicum quam se.

1. Il semble que l’homme ne doive pas s’aimer lui-même par charité davantage que son prochain. En effet, ce pour quoi quelque chose est délaissé est davantage aimé. Or, la charité fait en sorte que l’homme se délaisse d’une certaine manière pour s’attacher à celui qui est aimé, car Denys dit que « l’amour fait sortir l’homme de lui-même et le situe dans l’être aimé ». Il aime donc davantage son ami que lui-même.

[11452] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 5 arg. 2 Praeterea, Deum magis quam nos ipsos diligimus, inquantum bonum nostrum perfectius in eo quam in nobis invenitur. Sed similiter perfectius invenitur in aliquo proximorum quam in nobis: quia bona quae nos habemus, perfectius habent. Ergo debemus magis proximum quam nos ipsos diligere.

2. Nous aimons Dieu plus que nous-mêmes pour autant que notre bien se trouve plus parfaitement en lui qu’en nous. Or, il se trouve de même plus parfaitement dans l’un de nos proches qu’en nous, car ils possèdent plus parfaitement les biens que nous avons. Nous devons donc aimer davantage le prochain que nous-mêmes.

[11453] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea, illud quod aliquis maxime in seipso diligit, est vivere, et esse. Sed caritas facit ponere vitam corporalem pro fratribus: quidam enim gentiles pro amore amicorum se morti exposuerunt sine aliqua spe vitae aeternae. Ergo amicitia et caritas facit magis diligere proximum quam seipsum.

3. Ce que quelqu’un aime le plus en lui-même, c’est vivre et être. Or, la charité fait donner sa vie corporelle pour ses frères : en effet, certains païens se sont exposés à la mort par amour de leurs amis, sans espérance de la vie éternelle. L’amitié et la charité font donc aimer le prochain davantage que soi-même.

[11454] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 5 arg. 4 Praeterea, illos magis diligimus quorum bona magis optamus, et mala magis vitamus. Sed, sicut dicit philosophus in 9 Ethicor., in tristitia amicos tarde vocandum, ad eorum autem tristitias prompte eundum; in laetitiis autem e converso, quia eos prompte vocandum, difficulter ad eorum laetitiam se ingerendum. Ergo caritas facit magis amare proximos quam seipsos.

4. Nous aimons davantage ceux à qui nous  souhaitons davantage de biens et à qui nous évitons davantage de maux. Or, comme le dit le Philosophe dans Éthique, IX, « dans la tristesse, il faut tarder à faire appel aux amis, mais il faut aller promptement vers leurs tristesses ; mais c’est le contraire pour la joie : il faut alors les appeler rapidement, mais s’immiscer difficilement  dans leur joie ». La charité fait donc aimer le prochain davantage que soi-même.

[11455] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 5 arg. 5 Praeterea, beneficentia est effectus caritatis. Sed magis laudantur qui sunt benefici ad amicos quam qui sunt benefici ad seipsos. Ergo caritas facit magis amare proximos quam seipsum.

5. La bienfaisance est l’effet de la charité. Or, on loue davantage ceux qui sont bienfaisants envers leurs amis que ceux qui sont bienfaisants envers eux-mêmes. La charité fait donc aimer le prochain davantage que soi-même.

[11456] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 5 arg. 6 Praeterea, amicitia facit hominem gaudere de conversatione cum amicis. Sed homo magis delectatur de conversatione ad amicos quam de conversatione sui ad seipsum. Ergo plus amicos et proximos quam seipsum diligit.

6. L’amitié fait que l’homme se réjouit de la fréquentation de ses amis. Or, l’homme se réjouit davantage de la fréquentation de ses amis que de la fréquentation de soi-même. Il aime donc davantage ses amis et ses proches plus que lui-même.

[11457] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 5 s. c. 1 Sed contra, quanto quis amat salutem alicujus, tanto vitat peccatum ejus. Sed homo magis debet vitare peccatum suum quam peccatum alterius. Ergo magis debet amare vitam suam quam salutem alterius.

Cependant, [1] plus on aime le salut de quelqu’un, plus on évite son péché. Or, on doit davantage éviter son propre péché que le péché d’un autre. On doit donc davantage aimer sa propre vie que le salut d’un autre.

[11458] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 5 s. c. 2 Praeterea, misericordia ex amore causatur. Sed homo debet incipere misereri a seipso, secundum quod dicit Augustinus. Ergo et a seipso debet incipere amorem.

[2] La miséricorde est causée par l’amour. Or, « l’homme doit commencer par avoir pitié de lui-même », selon ce que dit Augustin. Il doit donc commencer par s’aimer lui-même.

[11459] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 5 s. c. 3 Praeterea, illud quod est naturale, vehementius est quam illud quod est voluntarium tantum. Sed amor sui est ex inclinatione naturae; amor autem aliorum est ex voluntate rationis tantum. Ergo ex caritate homo plus seipsum quam alios diligit.

[3] Ce qui est naturel est plus impétueux que ce qui est seulement volontaire. Or, l’amour de soi vient de l’inclination de la nature, mais l’amour des autres vient de la volonté de la raison seulement. L’homme s’aime donc davantage que les autres.

[11460] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod sicut aliquid invenitur perfectius in causa perfecta in universali quam in effectu particulari; ita aliquid perfectius invenitur in re quam in sui similitudine; unde cum bonum proprium alicujus inveniatur in Deo sicut in causa universali, in se autem sicut in effectu, in proximo autem sicut in similitudine; sicut Deum plus quam seipsum diligere debet benevolentiae dilectione, ita etiam plus se quam proximum. Sed sciendum, quod cum in homine sit duplex natura, scilicet interior, videlicet rationis, quae dicitur homo interior; et exterior, scilicet natura sensualis, quae dicitur homo exterior: plus homo debet diligere se quantum ad naturam interiorem quam quantum ad naturam exteriorem; et ideo ea quae sunt bona naturae interioris, plus debet optare quam ea quae sunt bona sibi secundum naturam exteriorem. Omnia autem opera virtutis sunt sibi bona secundum interiorem naturam, inter quae etiam sunt illa quae quis ad amicum operatur; et ideo plura bona exteriora sunt impendenda amicis quam nobis ipsis, inquantum consistit in hoc bonum virtutis, quod est nostrum maximum bonum; sed de bonis spiritualibus semper plus nobis quam amicis impendere debemus et velle, et similiter etiam de malis vitandis.

Réponse. De même qu’une se trouve plus parfaitement dans la cause parfaite d’un effet universel que d’un effet particulier, de même une chose se trouve-t-elle plus parfaitement dans une réalité que dans sa ressemblance. Puisque le bien propre de quelqu’un se trouve en Dieu comme dans la cause universelle, en lui comme dans son effet, mais dans le prochain comme dans une similitude : de même qu’il doit aimer Dieu plus que lui-même d’un amour de bienveillance, de même aussi [doit-il s’aimer plus] que le prochain. Mais il faut savoir que, l’homme existant dans une double nature : intérieure, celle de la raison, qu’on appelle l’homme intérieur, et extérieure, celle de la nature sensible, qu’on appelle l’homme extérieur, l’homme doit s’aimer davantage pour sa nature intérieure que pour sa nature extérieure. C’est pourquoi il doit souhaiter davantage les biens qui se rapportent à sa nature intérieure que ceux qui se rapportent à sa nature extérieure. Or, tous les actes de vertu sont pour lui des biens qui se rapportent à sa nature intérieure, et parmi eux, se trouvent ceux que l’homme pose envers un ami. C’est pourquoi davantage de biens extérieurs doivent être donnés aux amis qu’à nous-mêmes, pour autant que le bien de la vertu consiste en cela, ce qui est notre plus grand bien ; mais nous devons toujours nous donner et vouloir plus de biens spirituels qu’aux amis, et de même en est-il aussi pour les maux à éviter.

[11461] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in amore amatum, ut amatum, potius est quam amans ut amans. Sed quia, ut amans est etiam amatum a seipso; ideo potius potest esse in amore, inquantum est amatum, quam amatum extrinsecum, et magis collocatur in ipso affectus amantis quam in exteriori amato.

1. Dans l’amour, celui qui est aimé est, en tant qu’aimé, préfér à celui qui aime, en tant qu’il aime. Mais parce que celui qui aime est aussi aimé de lui-même, il peut donc être préféré dans l’amour, en tant qu’aimé, plutôt que quelque chose d’extérieur qui est aimé, et la disposition affective de celui qui aime se situe plutôt en lui que dans quelque chose d’extérieur qui est aimé.

[11462] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis bonum quod ego habeo, possit in proximo perfectius inveniri quam in meipso, tamen in me semper invenitur perfectius ut proprium: quia bonum quod est in ipso, non est meum nisi per similitudinem. Bonum autem quod est in Deo, est meum etiam secundum causam.

2. Bien que le bien que je possède puisse se trouver chez le prochain de manière plus parfaite qu’en moi-même, il se trouve cependant toujours chez moi de manière plus parfaite en tant qu’il est propre, car le bien qui se trouve chez lui n’est mien que par ressemblance. Mais le bien qui se trouve en Dieu est mien. même selon sa cause.

[11463] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod tradere seipsum morti propter amicum, est perfectissimus actus virtutis; unde hunc actum magis appetit virtuosus quam vitam propriam corporalem. Unde quod aliquis vitam propriam corporalem propter amicum ponit, non contingit ex hoc quod aliquis plus amicum quam seipsum diligat; sed quia in se plus diligit quis bonum virtutis quam bonum corporale.

3. Se livrer à la mort pour un ami est un acte vertueux très parfait. Celui qui est vertueux désire donc davantage cet acte que sa propre vie corporelle. Le fait que quelqu’un expose sa propre vie corporelle pour un ami ne vient donc pas de ce que quelqu’un aime davantage son ami que lui-même, mais du fait qu’il aime davantage en lui-même le bien de la vertu qu’un bien corporel.

[11464] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in hoc ipso quod homo non vult esse onerosus amico, tristitias suas communicando eidem, sed magis beneficus et delectabilis, secundum virtutem operatur; et ita spirituale bonum plus sibi quam amico tribuit.

4. Par le fait même que quelqu’un ne veut pas être à charge à son ami en lui communiquant ses tristesses, mais lui être plutôt bienfaisant et agréable, il agit selon la vertu. Et ainsi, il se donne davantage un bien spirituel qu’à son ami.

[11465] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod de bonis spiritualibus magis nobis impendimus quam amicis; de corporalibus autem magis amicis quam nobis, ratione jam dicta in corp.

5. Nous nous donnons plus de biens spirituels qu’à nos amis ; mais [nous donnons] plus de biens corporels à nos amis qu’à nous-mêmes pour la raison déjà donnée dans le corps [de l’article].

[11466] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 5 ad 6 Ad sextum dicendum, quod conversatio cum amicis est nobis delectabilis, inquantum cognoscimus bonum ipsorum, quod nobis quasi nostrum complacet. Et quia per visum melius cognoscuntur res quam per alium sensum; ideo amici magis se videre desiderant; et quia magis potest homo cognoscere quae sunt alterius quam quae propria, ideo magis delectatur in conversando ad amicum quam etiam ad seipsum: quamvis virtuosus ad seipsum delectabiliter conversetur, inquantum in seipso considerat memoriam, et propositum, et spem bonorum, quae ei delectationem ingerunt, ut dicitur in 9 Ethic.

6. La fréquentation de nos amis nous est agréable dans la mesure où nous connaissons leur bien, qui nous réjouit comme s’il était le nôtre. Et parce que les choses sont mieux connues par la vue que par un autre sens, les amis désirent davantage se voir. Et parce que quelqu’un peut mieux connaîttre ce qui concerne un autre que ce qui le concerne lui-même, il se réjouit davantage dans la fréquentation de l’ami que dans la sienne propre, bien que celui qui est vertueux se fréquente avec plaisir, dans la mesure où il considère en lui-même la mémoire, le propos et l’espérance de biens, ce qui contribue à son plaisir, comme on le dit dans Éthique, IX.

 

 

Articulus 6 [11467] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 6 tit. Utrum homo debeat magis ex caritate diligere extraneos quam propinquos

Article 6 – L’homme doit-il aimer davantage par charité les étrangers que ses proches ?

[11468] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 6 arg. 1 Ad sextum sic proceditur. Videtur quod homo ex caritate magis debeat diligere extraneos quam propinquos. Caritas enim, sicut et amicitia, fundamentum habet honestum. Sed major honestas vel virtus invenitur quandoque in extraneis quam propinquis. Ergo magis sunt diligendi ex caritate extranei quam propinqui.

1. Il semble que l’homme doive aimer davantage par charité les étrangers que ses proches. En effet, la charité, comme l’amitié, a comme fondement ce qui est bon. Or, une plus grande bonté ou vertu se trouve parfois chez les étrangers que chez les proches. Les étrangers doivent donc être aimés davantage par charité que les proches.

[11469] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 6 arg. 2 Praeterea, caritas facit conformitatem hominis ad Deum. Sed Deus plus diligit extraneos nostros quam propinquos, si sunt meliores. Ergo et nos magis eos diligere debemus.

2. La charité rend l’homme conforme à Dieu. Or, Dieu aime davantage ceux qui nous sont étrangers que nos proches, s’ils sont meilleurs. Nous devons donc nous-mêmes les aimer davantage.

[11470] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 6 arg. 3 Praeterea, effectus respondet affectui. Sed in aliquibus debemus majorem affectum amoris ostendere ad extraneos quam ad propinquos, sicut in collatione beneficiorum ecclesiasticorum, si extranei meliores sint. Ergo magis sunt diligendi etiam ex affectu quandoque extranei quam propinqui.

3. L’effet correspond à la disposition affective. Or, pour certaines choses, nous devons manifester davantage aux étrangers une disposition d’amour qu’à nos proches, comme c’est le cas pour la collation des bénéfices ecclésiastiques, si les étrangers sont meilleurs. Par disposition affective, les étrangers doivent donc être aimés davantage que les proches.

[11471] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 6 arg. 4 Praeterea, concordia in caritate importatur, et ex caritate efficitur. Sed aliquando magis concordandum est extraneis quam propinquis, sicut in bellis magis obediendum est duci exercitus quam patri. Ergo magis sunt diligendi extranei quam propinqui.

4. La concorde fait partie de la charité et est réalisée par la charité. Or, parfois, il faut être davantage d’accord avec des étrangers qu’avec nos proches ; ainsi, à la guerre, il faut plutôt obéir au chef de l’armée qu’à son père. Les étrangers doivent donc davantage être aimés que les proches.

[11472] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 6 arg. 5 Praeterea, illud quod est debitum praeponendum est ei quod non est debitum. Sed reddere retributionem beneficiorum est debitum; benefacere autem propinquis non est debitum quandoque. Ergo magis benefaciendum est extraneis quam propinquis; et ita, ad minus quantum ad effectum amicitiae, extranei propinquis proponendi sunt.

5. Ce qui est dû doit l’emporter sur ce qui n’est pas dû. Or, rendre la récompense de bienfaits est quelue chose de dû ; mais faire du bien au prochain parfois n’est pas dû. Il faut donc faire du bien plutôt aux étrangers qu’aux proches, de sorte que, au moins pour ce qui est de l’effet de l’amitié, les étrangers doivent l’emporter sur les proches.

[11473] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 6 s. c. 1 Sed contra, Galat. 6, 10: operemur bonum ad omnes, maxime autem ad domesticos fidei. Ergo propinqui praeferendi sunt extraneis.

Cependant, [1] Ga 6, 10 dit : Faisons du bien à tous, mais surtout à ceux qui sont proches par la foi. Les proches doivent donc l’emporter sur les étrangers.

[11474] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 6 s. c. 2 Praeterea, 1 Timoth. 5, 8, dicitur: qui suorum, et maxime domesticorum, curam non habet, fidem negavit, et est infideli deterior. Ergo magis habenda est cura propinquorum quam aliorum.

[2] Il est dit en 1 Tm 5, 8 : Celui qui ne prend pas soin des siens, et surtout de ses proches, renie la foi et est pire que l’incroyant. Il faut donc prendre davantage soin des proches que des autres.

[11475] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 6 s. c. 3 Praeterea, magis homo debet seipsum diligere quam alios. Ergo quanto aliqui sunt sibi magis propinqui, magis debet eos diligere.

[3] L’homme doit s’aimer lui-même davantage que les autres. Plus certains lui sont proches, plus donc doit-il les aimer.

[11476] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 6 co. Respondeo dicendum, quod, sicut dictum est, in corp. praeced. art., proximos diligimus, inquantum in eis bonum nostrum per similitudinem invenitur, loquendo de amore benevolentiae. Haec autem similitudo attenditur secundum quod cum eis communicamus: unde et secundum diversas communicationes, diversas amicitias philosophus distinguit. Est enim communicatio alia quidem naturalis, secundum quod in naturali origine aliqui communicant; et in ista communicatione fundatur amicitia patris et filii, et aliorum consanguineorum. Alia vero communicatio est oeconomica, secundum quam homines sibi in domesticis officiis communicant. Alia vero communicatio est politica, secundum quam homines ad concives suos communicant. Quarta communicatio est divina, secundum quam omnes homines communicant in uno corpore Ecclesiae vel actu vel potentia; et haec est amicitia caritatis, quae habetur ad omnes, etiam ad inimicos. Quia ergo caritas benevolentiam importat, quae amicis bona optat, et operatur bonum ad ipsos; ideo secundum unamquamque praedictarum amicitiarum amandi sunt amici quantum ad bona pertinentia ad communicationem illam super quam amicitia fundatur; unde ad patrem et consanguineos amicabiliter nos habere debemus in eis quae ad conservationem naturae pertinent; et ad domesticos in his quae ad dispensationem domus pertinent; ad concives in his quae ad civilem vitam spectant, sicut est simul conversari, et morari in operibus civilibus; ad omnes autem homines in his quae ad Deum spectant, ut omnibus optemus vitam aeternam, et operemur ad salutem ipsorum secundum modum nostrum. Tamen, simpliciter loquendo, secundum illam amicitiam major debet esse dilectio, quae magis accedit ad id quod magis diligendum est. Maxime autem diligendus est Deus: et post hoc maxime debet homo seipsum diligere, ut dictum est. Et quia ultima dictarum amicitiarum, scilicet caritas, magis appropinquat ad dilectionem Dei; ideo si ab illa priores amicitiae separentur, potior simpliciter esset ipsa sine aliis, quam aliae sine ipsa. Non autem separantur quantum ad aliquem qui in hac vita vivat; sed post mortem separantur ab amicitia caritatis damnati. Unde plus debeo diligere hominem Christianum quam patrem meum infidelem defunctum, simpliciter loquendo; quamvis liceat secundum affectum naturalem in illud magis ferri quod magis secundum naturam nobis conjunctum est. Prima amicitia magis proxima est ei qua aliquis seipsum diligit, quam secunda; et secunda quam tertia; et tertia simpliciter quam quarta tantum. Et ideo Ambrosius (super illud Cantic. cap. 2: ordinavit in me caritatem) hunc ordinem dilectionis ponit, ut primo diligantur consanguinei, ad quos habetur prima amicitia: secundo domestici, ad quos habetur secunda, quantum ad illos qui nobiscum in domo conversantur; et tertia quantum ad illos qui nobis in civilibus et honestis actibus familiares sunt: tertio inimici, ad quos solum quarta amicitia habetur; et hoc intelligendum est simpliciter loquendo. Sed secundum quid potest ordo iste mutari, ut scilicet magis amicabiliter me habeam ad familiarem qui mihi convenit in operibus honestis quantum ad societatem in istis, quam ad patrem qui in istis non communicat; et sic est intelligendum de aliis.

Réponse. Comme on l’a dit dans le corps de l’article précédent, nous aimons nos proches pour autant que nous trouvons en eux notre bien par une ressemblance, si l’on parle de l’amour de bienveillance. Or, cette ressemblance se prend de ce que nous avons en commun avec eux. Aussi, selon les diverses choses que nous avons en commun, le Philosophe distingue-t-il diverses amitiés. En effet, il existe assurément une nature commune, selon laquelle certains ont en commun une origine naturelle ; l’amitié entre le père et le fils et les autres consanguins se fonde donc sur ce partage. Mais un autre partage est économique : selon lui, les hommes ont en commun les fonctions domestiques. Un autre partage est politique, selon lequel les hommes partagent avec leurs concitoyens. Un quatrième partage est divin, selon lequel tous les hommes sont en communion dans un seul corps de l’Église, en acte ou en puissance : telle est l’amitié de la charité, qui s’adresse à tous, même aux ennemis. Donc, parce que la charité comporte une bienveillance qui souhaite des biens aux amis et leur fait du bien, les amis doivent être aimés selon chacune des amitiés mentionnées pour ce qui est des biens qui se rapportent au partage sur lequel l’amitié est fondée. Aussi devons-nous nous comporter de manière amicale envers notre père et nos consanguins pour ce qui se rapporte à la conservation de la nature ; envers les familiers, pour ce qui se rapporte à l’administration du ménage ; envers nos concitoyens, pour ce qui concerne la vie civile, comme vivre ensemble et accorder du temps aux actions civiles ; mais envers tous les hommes, pour ce qui concerne Dieu, afin de souhaiter à tous la vie éternelle et d’agir pour leur salut à notre mesure. Cependant, à parler simplement, selon cette amitié, l’amour qui s’approche davantage de ce qui doit être davantage aimé doit être plus grand. Or, Dieu doit être aimé au plus haut point et, après cela, l’homme doit s’aimer lui-même au plus haut point, comme on l’a dit. Et parce que la dernière de ces amitiés, la charité, se rapproche davantage de l’amour de Dieu, si les amitiés antérieures en sont séparées, elle serait tout simplement meilleure sans les autres que les autres sans elle. Or, elles n’en sont pas séparées dans le cas de quelqu’un qui est encore dans la vie présente ; mais les damnés sont séparés de l’amitié de la charité après la mort. À parler simplement, je dois donc aimer davantage un chrétien que mon père mort incroyant, bien que, selon une disposition affective naturelle, nous puissions être davantage portés vers ce qui nous est davantage uni selon la nature. La première amitié se rapproche plus de celle par laquelle on s’aime soi-même que la deuxième, la deuxième que la troisième, et la troisième que la quatrième, à parler simplement seulement. C’est pourquoi Ambroise (en commentant Ct 2 : Il a ordonné en moi la charité) donne cet ordre de l’amour : que d’abord soient aimés les consanguins, à qui s’adresse la première amitié ; deuxièmement, les familiers, à qui s’adressent la deuxième, pour ce qui est de ceux qui vivent avec nous, et la troisième, envers ceux qui sont pour nous des familiers quant aux  actes civils et honnêtes ; troisièmement, les ennemis, à qui seulement s’adresse la quatrième amitié ; et cela doit s’entendre à parler simplement seulement. Mais cet ordre peut être changé sous un aspect : par exemple, je me comporterai plus amicalemeent avec un familier qui a commun avec moi des actes honnêtes, pour ce qui est de leur partage, qu’avec mon père qui n’a pas ces choses en commun [avec moi]. Et ainsi faut-il l’entendre pour les autres.

[11477] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 6 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod amicitia politica fundamentum habet communicationem in honestis operibus in quibus simul aliqui conversantur; sed amicitia naturalis habet fundamentum communicationem naturalem; et haec communicatio propinquior est illi qua homo sibi communicat. Unde sicut homo simpliciter se ipsum debet magis diligere quo ad naturam, etiamsi malus sit, quam alium bonum; ita etiam naturam patris sui magis diligere debet, simpliciter loquendo quam alium bonum; non quidem inquantum malus, sed ad hoc ut bonus sit.

1. L’amitié politique a comme fondement le partage d’actions honnêtes dans lequel  certains se retrouvent ; mais l’amitié naturelle a comme fondement l’échange naturel, et cet échange est plus rapproché de celui par lequel l’homme échange avec lui-même. Ainsi, de même que l’homme doit simplement s’aimer lui-même davantage qu’un autre bien, pour ce qui est de sa nature, même s’il est méchant, de même aussi doit-il, à parler simplement, aimer davantage la nature de son père qu’un autre bien, non pas assurément en tant qu’il est méchant, mais afin qu’il soit bon.

[11478] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 6 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in hoc Deo conformamur quod diligimus eos magis qui nobiscum magis communicant, sicut et ipse eos qui secum magis communicant, magis diligit: quamvis non sint iidem qui nobiscum et cum eo magis communicant.

2. Nous nous conformons à Dieu par le fait que nous aimons davantage ceux qui ont des rapports avec nous, comme lui-même aime davantage ceux qui ont davantage de rapports avec lui, bien que ce ne soit pas les mêmes qui soient en rapport avec nous et avec lui.

[11479] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 6 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in illis quae non pertinent ad communicationem naturalem quam cum patre vel consanguineis habemus, non oportet quod magis consanguineis benefaciamus, sed illis qui magis conjuncti sunt nobis secundum illam communicationem ad quam illa bona pertinent; et ideo beneficia ecclesiastica non sunt danda magis consanguineis, sed eis qui magis sunt idonei ad regimen Ecclesiae: quia illi, quantum ad hoc quod dispensatores divinorum sumus, magis nobiscum communicant. Sed de patrimonio proprio, et de his quae homo proprio et licito lucro acquirit, potest benefacere consanguineis potius quam aliis, et debet, nisi ex alia parte sit aliquid quod praeponderet, ut indigentia, vel utilitas.

3. Dans ce qui ne concerne pas les rapports naturels que nous avons avec notre père et nos consanguins, il n’est pas nécessaire que nous fassions plus de bien à nos consanguins, mais à ceux qui nous sont davantage unis selon les rapports que concernent ces biens. C’est pourquoi les bénéfices ecclésiastiques ne doivent pas être donnés plutôt aux consanguins, mais à ceux qui sont plus aptes au gouvernement de l’Église, car ceux-ci ont davantage de rapports avec nous pour autant que nous sommes les dispensateurs des réalités divines. Mais un homme peut et doit faire bénéficier ses consanguins plutôt que d’autres de son patrimoine propre et de ce qu’il acquiert par un gain légitime, à moins qu’il n’y ait par ailleurs quelque chose qui l’emporte, comme l’indigence ou l’utilité.

[11480] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 6 ad 4 Ad quartum patet solutio per jam dicta: quia ad unumquemque magis amicabiliter nos debemus habere in eis quae ad communicationem illam pertinent, secundum quod amicitia nobis junguntur.

4. La solution ressort de ce qui a déjà été dit, car nous devons avoir pour chacun une attitude plus amicale en ce qui concerne ces rapports, selon qu’ils nous sont unis par l’amitié.

[11481] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 6 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in his quae ad conservationem naturae pertinent, magis sumus debitores parentibus, a quibus naturam accepimus, quam aliquibus aliis; et consanguineis consequenter; et ideo magis liberare debemus patrem a morte quam extraneum, etiam si ille nos in casu simili liberasset. Sed in aliis beneficiis possumus nos quandoque magis amicabiliter habere ad extraneos quam ad propinquos.

5. Pour ce qui se rapporte à la conservation de la nature, nous sommes davantage redevables à nos parents, dont nous avons reçu notre nature, qu’à d’autres, et, en conséquence, à nos consanguins. C’est pourquoi nous devons libérer notre père de la mort plutôt qu’un étranger, même si celui-ci nous avait libérés dans une situation semblable. Mais, pour les autres bienfaits, nous pouvons parfois nous comporter de manière plus amicale envers des étrangers qu’envers nos proches.

 

 

Articulus 7 [11482] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 7 tit. Utrum pater sit maxime diligendus, vel filii, vel benefactores; vel seipsum debeat diligere, vel uxorem, vel fratres, vel matrem

Article 7 – Le père doit-il être préféré aux fils ou aux bienfaiteurs ? Doit-on s’aimer davantage que son épouse, ses frères ou sa mère ?

[11483] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 7 arg. 1 Ad septimum sic proceditur. Videtur quod pater non sit maxime diligendus. Effectus enim affectui respondet, et ipsum demonstrat. Sed magis ostendere debemus effectum amoris filiis quam patribus: non enim filii debent parentibus thesaurizare, sed e converso, 2 Corinth., cap. 12. Ergo filii magis amandi sunt quam parentes.

1. Il semble que le père ne doive pas être le plus aimé. En effet, l’effet répond à la disposition affective et la manifeste. Or, nous devons plutôt manifester l’effet de l’amour aux fils qu’aux pères. En effet, les fils ne doivent pas thésauriser pour leurs parents, mais c’est le contraire, 2 Co 12. Les fils doivent donc être davantage aimés que les parents.

[11484] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 7 arg. 2 Praeterea, caritatis ordo naturae ordini non repugnat, cum caritas naturam non destruat, sed perficiat. Sed naturaliter homo plus diligit filium quam patrem; sicut etiam naturaliter plus diligit beneficiatum, quam e converso, inquantum relucet in eo suum bonum magis, ut dicitur in 9 Ethic. Ergo et secundum caritatem filii parentibus sunt magis amandi.

2. L’ordre de la charité ne s’oppose pas à l’ordre de la nature, puisque la charité ne détruit pas la nature, mais la perfectionne. Or, l’homme aime naturellement davantage son fils que son père, de même aussi qu’il aime davantage celui à qui il a fait du bien que l’inverse, du fait que son propre bien brille davantage en lui, comme on le dit dans Éthique, IX. Selon la charité, les fils doivent donc être davantage aimés que les parents.

 [11485] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 7 arg. 3 Praeterea, unusquisque debet seipsum plus diligere quam aliquem alium post Deum. Sed uxorem debet homo diligere sicut seipsum, cum sit unum corpus cum ea. Ergo debet uxorem magis quam alium aliquem diligere.

3. Chacun doit s’aimer davantage qu’un autre après Dieu. Or, l’homme doit aimer son épouse comme lui-même, puisqu’il n’est qu’un seul corps avec elle. Il doit donc aimer davantage son épouse que quelqu’un d’autre.

[11486] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 7 arg. 4 Praeterea, magis debemus diligere eos qui nos magis diligunt. Sed matres magis diligunt filios quam patres. Ergo et filii magis debent diligere matres quam patres.

4. Nous devons aimer davantage ceux qui nous aiment davantage. Or, les mères aiment davantage leurs fils que les pères. Les fils aussi doivent donc aimer davantage leurs mères que leurs pères.

[11487] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 7 arg. 5 Praeterea, similitudo est causa amicitiae. Sed filiae magis similantur matribus quam patribus. Ergo ad minus filiae debent plus amare matres quam patres, et sorores quam fratres; et ita ordo qui in littera ponitur, non est universalis.

5. La ressemblance est la cause de l’amitié. Or, les filles ressemblent davantage à leurs mères qu’à leurs pères. Au moins les filles doivent donc aimer davantage leurs mères que leurs pères, et leurs sœurs que leurs frères. Ainsi l’ordre qui est indiqué dans le texte n’est-il pas universel.

[11488] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 7 arg. 6 Praeterea, fratres Petri sunt propinquiores patri ejus quam filii sui. Si ergo pater esset super omnes alios diligendus, fratres essent magis diligendi quam filii: cujus contrarium in littera dicitur.

6. Les frères de Pierre sont plus proches de son père que ses fils. Si donc le père devait être aimé plus que tous les autres, les frères devraient être davantage aimés que les fils. Or, on dit le contraire dans le texte.

[11489] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 7 s. c. 1 Sed contra, super omnia debemus diligere Deum. Sed amor quem habemus ad patrem, magis similatur amori quem habemus ad Deum, qui est pater noster. Ergo patrem super omnes alios magis debemus amare.

Cependant, [1] nous devons aimer Dieu plus que tout. Or, l’amour que nous avons pour notre père ressemble davantage à l’amour que nous avons pour Dieu, qui est notre père. Nous devons donc aimer notre père plus que tous les autres.

[11490] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 7 s. c. 2 Praeterea, ille cui nunquam sufficienter potest retribui, maxime est amandus. Sed, sicut dicit philosophus in 8 Ethic., nunquam sufficienter possumus retribuere patribus, a quibus esse, nutrimentum et disciplinam accepimus. Ergo maxime inter proximos debemus patrem amare.

[2] Celui qui jamais ne peut être rétribué doit être le plus aimé. Or, comme le dit le Philosophe dans Éthique, VIII, nous ne pouvons jamais rétribuer suffisamment nos pères, dont nous avons reçu l’être, la nourriture et l’éducation. Parmi les proches, nous devons donc le plus aimer notre père.

[11491] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 7 s. c. 3 Praeterea, quanto major est amor, tanto firmior est. Sed amor filii ad patrem est firmior quam e converso: quia filii non possunt abnegare parentes, sicut possent patres filios abnegare, et eos propter aliquod crimen accusare et expellere a se, ut dicitur 8 Ethic. Ergo magis diligendi sunt patres quam filii.

[3] Plus l’amour est grand, plus il est solide. Or, l’amour du fils pour son père est plus solide que l’inverse, car les fils ne peuvent pas renier leurs parents, comme les pères pourraient renier leurs fils, les accuser en raison d’un crime et les chasser, comme il est dit dans Éthique, VIII. Les pères doivent donc être davantage aimés que les fils.

[11492] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 7 co. Respondeo dicendum, quod amicitia propinquorum, ut dictum est, in corp. praeced. art., fundatur super communicatione naturali. Omnis autem communicatio naturalis fundatur super originem, secundum quam est pater et filius. Fratres enim dicuntur aliqui in hoc quod ab eodem patre nascuntur, et sic deinceps. Unde tota amicitia propinquorum fundatur super amicitia patris ad filium; et ideo haec amicitia est major quam aliqua alia propinquorum. In hac autem amicitia quodammodo filii praeponuntur parentibus, quodammodo parentes filiis, secundum duplicem modum amoris. Amatur enim aliquid ut res distincta, sicut amo hominem; et aliquid ut alterius existens, sicut amo manum meam, vel aliud membrum, uno amore quo amo me ipsum. Loquendo ergo de amore alicujus rei in se, sic magis amantur parentes quam filii; loquendo autem de amore quo aliquid amatur in altero, sic filii magis diliguntur quam parentes. Cujus ratio est, quia unumquodque tanto magis diligitur, quanto nobis magis propinquum est. Propinquius autem est aliquid alicui quod habet ordinem essentialem ad illum, quam quod accidentaliter ad ipsum ordinatur. Causa autem essentialis est effectui sicut genus speciei; sed effectus ad causam accidentaliter se habet, quia sequitur esse ejus sicut species ad genus, nisi effectus sit aliquid causae; quia sic effectus comparabitur ad causam per modum partis integralis, quae est actu et essentialiter in toto; secundum autem quod est aliquid causae, non est distinctum ab ea, sed est unum cum ipsa. Considerando ergo patrem et filium ut sunt quaedam personae in se distinctae, sic pater magis amatur, cum sit causa, quam filius, qui est effectus. Sed quia filius est quaedam res patris, et non e converso; ideo diligitur filius alia dilectione, inquantum res patris est, ut membrum diligentis ipsius. Unde philosophus dicit, quod illud quod est ex aliquo genitum, est propinquius, sicut membrum, puta pes vel dens. Et quia hoc modo quasi una dilectione diligitur cum illa qua aliquid seipsum diligit; ideo secundum hoc filius magis quam pater diligitur. Et secundum hanc viam assignat philosophus tres rationes quare filii magis diliguntur parentibus. Prima est quia filii sunt sicut membrum patris; unde aliquis diligit filium sicut seipsum. Secundo, quia patres sciunt magis aliquos esse suos filios quam e converso. Tertio, quia bonum patris in filio refulget, sicut bonum causae in effectu; unde naturaliter quilibet artifex diligit opera sua sicut filios. Sed quia amor quo diligitur aliquid in seipso, magis habet de ratione benevolentiae, quae est principium amicitiae et radix; ideo amicitia magis habetur ad patrem quam ad filium, et caritas similiter, quamvis aliquo modo amor sit magis ad filium. Quidam autem dicunt, quod magis amantur filii affectu naturali, sed patres affectu caritatis. Sed hoc non placet mihi: quia nihil naturalium inordinatum est: esset autem inclinatio inordinata, si inclinaret in diligendum magis quod minus diligendum est. Unde caritas ordinem naturae non mutat, sed perficit. Praeterea in quibusdam homo magis inclinatur naturaliter ad amorem patris quam ad amorem filii; sicut homo facilius expellit a se filium quam patrem, quem non expellit nisi propter abundantem malitiam, ut philosophus dicit in 8 Ethic. Similiter etiam quaedam animalia inclinantur magis ad parentes quam ad filios inclinatione naturali in quibusdam, sicut narrat Basilius in Hexameron, Lib. 8, de ciconiis, quae parentes suos aetate confectos fovent plumis, alimenta ministrant, et in volatu supportant. Unde constat quod etiam secundum naturalem inclinationem et secundum caritatem distinctione opus est.

Réponse. Comme on l’a dit dans le corps de l’article précédent, l’amitié pour les proches se fonde sur ce qui est naturellement commun. Or, tout ce qui est naturellement commun se fonde sur l’origine selon laquelle existent le père et le fils. En effet, on parle de frères pour ceux qui naissent d’un même père, et ainsi de suite. Toute l’amitié envers les proches se fonde donc sur l’amitié du père pour son fils. C’est pourquoi cette amitié est plus grande qu’une autre envers les proches. Or, dans cette amitié, les fils l’emportent d’une certaine manière sur les parents et les parents sur les fils, selon une double forme de l’amour. En effet, quelque chose est aimé comme une réalité distincte : ainsi, j’aime un homme ; et quelque chose comme faisant partie d’un autre : ainsi, j’aime ma main ou un autre membre de l’amour par lequel je m’aime. Si l’on parle de l’amour d’une chose en elle-même, les parents sont ainsi davantage aimés que les fils ; mais si l’on parle de l’amour par lequel quelque chose qui fait partie d’un autre est aimé, les fils sont ainsi davantage aimés que les parents. La raison en est qu’une chose est d’autant plus aimée qu’elle nous est plus proche. Or, une chose est plus proche d’une autre lorsqu’elle a un ordre essentiel à celle-ci, plutôt que celle qui lui est ordonnée de manière accidentelle. Or, la cause essentielle joue, en regard de l’effet, le rôle de genre pour l’espèce ; mais l’effet a un rapport accidentel avec la cause, car il en découle comme l’espèce [découle] du genre, à moins que l’effet ne fasse partie de la cause, car ainsi l’effet sera comparé à la cause comme une partie intégrale, qui existe en acte et de manière essentielle dans un tout. Or, selon que [l’effet] fait partie de la cause, il n’en est pas distinct, mais il est une seule chose avec elle. Considérant donc le père et le fils comme des personnes distinctes en elles-mêmes, le père est ainsi davantage aimé, puisqu’il est cause, que le fils, qui est effet. Mais parce que le fils est quelque chose du père, et non l’inverse, le fils est donc aimé d’un autre amour en tant qu’il est quelque chose du père, comme un membre de lui-même qu’il aime. Le Philosophe dit ainsi que ce qui est engendré par quelqu’un est plus proche, tel un membre, par exemple, le pied ou une dent. Et parce qu’il est aimé du même amour par lequel quelqu’un s’aime lui-même, le fils est donc ainsi plus aimé que le père. Le Philosophe donne ainsi trois raisons pour lesquelles les fils sont plus aimés que les parents. La première est que les fils sont comme un membre du père ; celui-ci aime donc son fils comme lui-même. Deuxièmement, les pères savent davantage que certains sont leurs fils que l’inverse. Troisièmement, le bien du père brille dans son fils comme le bien de la cause dans l’effet ; ainsi, n’importe quel artiste aime ses œuvres comme des fils. Mais parce que l’amour par lequel quelque chose est aimé en soi-même a davantage un caractère de bienveillance, qui est le principe et la racine de l’amitié, l’amitié envers le père est plus grande que celle envers le fils. De même en est-il de la charité, bien que l’amour envers le fils soit plus grande d’une certaine manière. Mais certains disent que les fils sont davantage aimés selon l’amour naturel, alors que les pères le sont davantage selon la disposition affective de la charité. Mais je ne suis pas d’accord avec cela, car rien de ce qui est naturel n’est désordonné. Or, ce serait une inclination désordonnée si elle inclinait à aimer davantage ce qui doit être moins aimé. La charité ne change donc pas l’ordre de la nature, mais elle le perfectionne. De plus, chez certains, l’homme est naturellement plus incliné à l’amour du père qu’à l’amour du fils ; ainsi, un homme chasse plus facilement son fils que son père, qu’il ne chasse qu’en raison d’une grande méchanceté, comme le dit le Philosophe dans Éthique, VIII. De même, certains animaux dont plus inclinés par une inclination naturelle vers leurs parents que vers leurs fils, comme le raconte Basile dans son Hexaméron, livre VIII, à propos des cigognes, qui réchauffent leurs parents avancés en âge de leurs plumes, leur apportent de la nourriture et les aident à voler. Il est donc clair que, même selon l’inclination naturelle et selon la charité, il faut faire une distinction.

[11493] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 7 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod pater causa est filii; causae autem est influere in causatum, et non e converso. Unde amor naturalis ad filium attenditur secundum inclinationem naturalem affectus ad benefaciendum sibi; sed amor filii ad patrem attenditur secundum inclinationem naturalem ad subjiciendum se ei; et haec inclinatio non est minor quam prima, immo major. Unde majorem malitiam oportet advenire ad hoc quod homo avertatur ab ista inclinatione quam a prima. Quamvis autem aliquo in casu pater sit inferior filio, inquantum indiget auxilio ejus; hoc tamen non convenit patri inquantum pater est: quia inquantum pater est, semper est superior et causa. Et quia natura semper inclinat ad illud quod semper est et per se, non ad illud quod accidit in casu; ideo non est tanta inclinatio naturalis ad benefaciendum patri sicut ad benefaciendum filio. Sed hanc inclinationem facit ratio, quae in hominibus supplet illud ad quod natura non sufficiebat. In aliis autem animalibus, in quibus hoc frequenter contingit, quod patres propter senectutem indigent filiorum auxilio, quia rationem non habent, indidit natura inclinationem filiis ut patribus providerent, sicut e converso, ut dictum est de ciconiis.

1. Le père est cause du fils. Or, il revient à la cause d’exercer une influence sur ce qui est causé, mais non l’inverse. L’amour naturel pour le fils est donc envisagé selon l’inclination affective naturelle à se faire du bien ; mais l’amour du fils pour son père est envisagé selon l’inclination naturelle à se soumettre à lui, et cette inclination n’est pas moindre que la première, bien plus, elle est plus grande. Il faut donc une plus grande méchanceté pour qu’un homme se détourne de cette inclination plutôt que de la première. Bien que, dans un cas, le père soit inférieur au fils pour autant qu’il a besoin de son aide, cela ne convient pas au père en tant qu’il est père, car, en tant que père, il est toujours supérieur et cause. Et parce que la nature incline toujours à qui existe toujours et par soi, et non à ce qui survient dans un cas, l’inclination naturelle à faire du bien à son père n’est pas aussi grande qu’à faire du bien à son fils. Toutefois, la raison, qui compense chez les hommes ce pour quoi la nature ne suffisait pas, réalise cette inclination. Mais, chez les autres animaux, chez qui il arrive fréquemment qu’en raison de leur vieilllesse, les pères aient besoin de l’aide de leurs fils, parce qu’il n’ont pas de raison, la nature a mis à l’intérieur des fils une inclination à prendre soin des parents, comme l’inverse, ainsi qu’on l’a dit des cigognes.

[11494] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 7 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ratio illa procedit de amore filii, secundum quod diligitur ut bonum patris: sic enim beneficiatum naturaliter plus diligitur quam beneficians, inquantum est factura benefacientis, quia relucet in eo opus suum.

2. Cet argument porte sur l’amour du fils en tant qu’il est aimé comme le bien du père. En effet, celui qui reçoit un bienfait est davantage aimé que celui qui le donne, pour autant qu’il est l’œuvre de celui qui donne le bienfait, car son action brille en lui.

[11495] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 7 ad 3 Ad tertium dicendum, quod uxor in actum generationis assumitur; unde videtur in eodem gradu ponenda esse, quantum ad amorem benevolentiae, cum filiis.

3. L’épouse est prise en vue de l’acte de la génération. Il semble donc qu’elle doive être située au même degré que les fils, pour ce qui est de l’amour de bienveillance.

[11496] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 7 ad 4 Ad quartum dicendum, quod matres naturaliter plus diligunt filios quam patres propter tres rationes. Primo, quia magis laborant in eorum generatione, unde ponunt magis ibi de suo. Secundo, quia magis sciunt quod sunt sui filii quam patres. Tertio, quia statim natos secum tenent et nutriunt; non autem patres: sicut et consanguineos cum quibus conversati sumus, magis diligimus, quia amicitiae naturali adjungitur amicitia socialis: et hoc totum redit ad hoc quod plus de suo ponit mater in filio quam pater. Sed plus de eo quod est filii, ponitur a patre quam a matre, quia pater dat formam, et mater dat materiam; et ideo naturaliter homo plus diligit patrem, et consanguineos ex parte patris, quam ex parte matris.

4. Les mères aiment plus leurs fils que les pères pour trois raisons. Premièrement, parce qu’elles peinent davantage à les engendrer ; elles y mettent donc davantage du leur. Deuxièmement, parce qu’elles savent davantage qu’ils sont leurs fils que ce n’est le cas de les pères. Troisièmement, parce que, dès qu’ils sont nés, elles les gardent avec elles et les nourrissent ; mais ce n’est pas le cas des pères. Nous aimons ainsi davantage les consanguins avec lesquels nous vivons parce qu’une amitié sociale s’ajoute à l’amitié naturelle. Tout cela revient à ce que la mère donne davantage d’elle-même au fils que le père. Mais le père contribue davantage que la mère à ce qui fait le fils parce que le père donne la forme et la mère donne la matière. C’est pourquoi un homme aime davantage son père et les consanguins paternels que les consanguins maternels.

[11497] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 7 ad 5 Ad quintum dicendum, quod filia in his quae ad perfectionem pertinent, quae ipsa magis in se diligit, plus similatur patri quam matri; sed in his quae pertinent ad defectus plus similatur matri quam patri, et hoc non est dilectionis ratio; et ideo etiam homo plus diligit naturaliter fratres quam sorores, inquantum perfectius imitantur patrem quam sorores.

5. La fille, pour ce qui se rapporte à la perfection qu’elle aime le plus en elle-même, ressemble plus à son père qu’à sa mère ; mais, pour ce qui se rapporte davantage à son insuffisance, elle ressemble davantage à sa mère qu’à son père, et cela n’est pas une raison d’aimer. C’est pourquoi un homme aime naturellement davantage ses frères que ses sœurs, en tant qu’ils imitent davantage le père que ne le font ses sœurs.

[11498] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 7 ad 6 Ad sextum dicendum, quod quamvis fratres sint propinquiores patri, tamen filii sunt propinquiores nobis. Nos autem debemus nosipsos magis diligere quam patres; et ideo magis filios quam fratres diligimus.

6. Bien que les frères soient plus proches du père, les fils nous sont cependant plus proches. Or, nous devons nous aimer nous-mêmes davantage que nos pères. C’est pourquoi nous aimons davantage nos fils que nos frères.

 

 

Articulus 8 [11499] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 tit. Utrum gradus caritatis convenienter distinguantur

Article 8 – Les degrés de la charité sont-ils distingués de manière appropriée ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Les degrés de la charité sont-ils distingués de manière inappropriée ?]

[11500] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 1 arg. 1 Ad octavum sic proceditur. Videtur quod inconvenienter distinguantur isti gradus caritatis. Quia perfectio caritatis consistit in hoc quod Deus ex toto corde diligatur. Sed hoc non est possibile in via, ut supra dictum est, distinct. 27, quaest. 3, art. 2. Ergo caritas in via non potest esse perfecta.

1. Il semble que ces degrés de la charité soient distingués de manière inappropriée, car la perfection de la charité consiste en ce que nous aimions Dieu de tout notre cœur. Or, cela n’est pas possible sur la route, comme on l’a dit plus haut, d. 27, q. 3, a. 2. La charité ne peut donc être parfaite sur la route.

[11501] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 1 arg. 2 Praeterea, illud quod est semper in augeri, non potest esse perfectum. Sed caritas, quamdiu in hac vita sumus, semper potest augeri, ut in 1 Lib., dist. 17, quaest. 1, art. 1, corp., dictum est. Ergo non potest esse perfecta.

2. Ce qui est destiné à toujours s’accroître ne peut être parfait. Or, la charité, aussi longtemps que nous sommes dans cette vie, peut toujours s’accroître, comme on l’a dit dans le livre I, d. 17, q. 1, a. 1, c. Elle ne peut donc être parfaite.

[11502] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 1 arg. 3 Praeterea, in quolibet motu possunt accipi infinita media inter primum et ultimum. Sed caritas incipiens est quasi principium motus; terminus autem perfectio caritatis est. Ergo possunt infiniti gradus assignari.

3. En tout mouvement, on peut envisager des moyens termes infinis entre ce qui est premier et ce qui est dernier. Or, la charité qui commence est comme le principe du mouvement, mais la perfection de la charité est comme le terme. On peut donc lui assigner des degrés infinis.

[11503] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 1 arg. 4 Praeterea, quando incipit, etiam est proficiens. Ergo non debet distingui proficiens ab incipiente.

4. Lorsquè [la charité] commence, elle est déjà en progrès. On ne doit donc pas faire de distinction entre celle qui progresse et celle qui commence.

[11504] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, vita spiritualis similatur vitae naturali. Sed in profectu naturalis vitae assignantur determinati gradus aetatum. Ergo et in caritate, secundum quam est spiritualis vita animae, debent determinati gradus assignari.

Cependant, [1] la vie spirituelle ressemble à la vie naturelle. Or, dans le progrès de la vie naturelle, des degrés déterminés sont assignés selon les âges. Selon qu’elle est la vie spirituelle de l’âme, on doit donc assigner des degrés déterminés à la charité.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Tous sont-ils tenus à une charité parfaite ?]

[11505] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod omnes teneantur ad caritatem perfectam. Quia stare in via Dei, ut dicit Bernardus, retrocedere est. Sed omnis qui procedit in via Dei, ad perfectionem tendit. Ergo omnes tenentur ad perfectionem caritatis tendere.

1. Il semble que tous soient tenus à une charité parfaite, car « s’arrêter sur le chemin de Dieu, c’est reculer », comme le dit Bernard. Or, tous ceux qui avancent sur le chemin de Dieu tendent à la perfection. Tous sont donc tenus de tendre à la perfection de la charité.

[11506] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 2 arg. 2 Praeterea, quilibet tenetur magis diligere proximum quam corpus proprium. Sed ponere vitam corporalem pro fratribus est perfectae caritatis. Ergo quilibet tenetur ad perfectam caritatem.

2. Tous sont tenus d’aimer davantage le prochain que leur propre corps. Or, donner sa vie corporelle pour ses frères relève d’une charité parfaite. Tous sont donc tenus à une charité parfaite.

[11507] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 2 arg. 3 Praeterea, illi qui negaverunt Deum propter timorem mortis, a peccato non excusantur. Sed non peccassent nisi tenerentur ad hoc. Ergo quilibet tenetur ad moriendum pro Christo, quod est perfectae caritatis.

3. Ceux qui ont renié Dieu par crainte de la mort ne sont pas exempts de péché. Or, ils n’auraient pas péché s’ils n’étaient tenus à cela. Tous sont donc tenus de mourir pour le Christ, ce qui relève d’une charité parfaite.

[11508] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 2 arg. 4 Praeterea, philosophus dicit in 8 Ethic., quod in honoribus qui sunt ad parentes et ad Deum, non possumus reddere aequivalens; sed justitia attenditur in hoc quod reddit illis quod potest. Sed ad opus justitiae omnes tenentur. Ergo quilibet debet pro Deo facere totum quod potest. Potest autem ad opera perfectionis se extendere. Ergo tenetur ad illa.

4. Le Philosophe dit, dans Éthique, VIII, que nous ne pouvons rendre l’équivalent des  honneurs qui s’adressent à nos parents et à Dieu ; mais considère en cela comme justice de leur rendre ce qu’on peut. Or, tous sont tenus d’agir avec justice. Tous sont donc tenus de faire pour Dieu tout ce qu’ils peuvent. Or, ils peuvent s’adonner aux œuvres de la perfection. Ils y sont donc  tenus.

[11509] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, quilibet peccat omittens id ad quod tenetur. Si ergo omnes tenentur ad perfectam caritatem, omnes imperfecti damnarentur; quod falsum est.

Cependant, tous pèchent en omettant ce à quoi ils sont tenus. Si donc tous sont tenus à une charité parfaite, tous ceux qui sont imparfaits seront damnés, ce qui est faux.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Ceux qui ont une charité parfaite sont-ils tenus à tout ce qui relève de la perfection ?]

[11510] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod habentes caritatem perfectam teneantur ad omnia quae sunt perfectionis. Quia, sicut dicit Gregorius, cum crescunt dona, rationes etiam crescunt donorum; et Luc. 10, 1, dicitur: cui plus committitur, plus ab eo exigitur. Sed ei qui habet perfectam caritatem, plus committitur. Ergo et plus tenetur secundum exigentiam doni accepti; et ita videtur quod teneatur ad ea quae perfectionis sunt.

1. Il semble que ceux qui ont une charité parfaite soient tenus à tout ce qui relève de la perfection, car, ainsi que le dit Grégoire, « lorsque les dons augmentent, le compte des dons augmente aussi » ; et il est dit en Lc 10, 1 : On exige plus de celui à qui on a davantage confié. Or, davantage est confié a celui qui a une charité plus grande. L’obligation est donc plus grande pour lui selon que l’exige le don reçu, et ainsi il semble qu’il soit tenu à ce qui relève de la perfection.

[11511] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 3 arg. 2 Praeterea, sicut se habet imperfectus ad communia, ita se habet perfectus ad ea quae perfectionis sunt. Sed imperfectus tenetur ad communia. Ergo et perfectus ad ea quae perfectionis sunt.

2. Le rapport de l’imparfait à ce qui est commun est le même que celui du parfait à ce qui relève de la perfection. Or, l’imparfait est tenu à ce qui est commun. Le parfait est tenu à ce qui relève de la perfection.

[11512] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 3 arg. 3 Praeterea, apostolus tenebatur ad evangelizandum (quia dicit 1 Corinth. 9, 16: si non evangelizavero, vae mihi est; necessitas enim mihi incumbit), quod est perfectionis; non nisi quia habebat perfectam caritatem. Ergo illi qui habent perfectam caritatem, tenentur ad ea quae perfectionis sunt.

3. L’Apôtre était tenu d’évangéliser (car il dit en 1 Co 9, 16 : Malheur à moi si je n’évangélise pas ; c’est pour moi une obligation), ce qui relève de la perfection ; ce ne pouvait être que parce qu’il avait une charité parfaite. Ceux qui ont une charité parfaite sont donc tenus à ce qui relève de la perfection.

[11513] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, quanto aliquis plus habet de caritate, plus habet de libertate: quia ubi spiritus domini, ibi libertas; 2 Corinth. 3, 17. Sed perfectam caritatem habens, potissime habet libertatem. Ergo minus habet de obligatione. Ergo obligatus est ad minora quam alii.

Cependant, [1] plus grande est la charité de quelqu’un, plus grande est sa liberté, car là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté, 2 Co 3, 17. Or, celui qui a une charité parfaite a la plus grande liberté. Il est donc moins obligé. Il est donc obligé à moins que les autres.

[11514] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, perfectionis est lingua non offendere et peccata venialia vitare. Sed hoc nullus facit, nec etiam apostoli. Ergo perfecti non obligantur ad ea quae perfectionis sunt.

[2] Il relève de la perfection de ne pas offenser par la langue et d’éviter les péchés véniels. Or, personne n’accomplit cela, pas même les apôtres. Les parfaits ne sont donc pas obligés à ce qui relève de la perfection.

 

 

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[11515] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod sicut in augmento corporali distinguuntur diversae aetates secundum diversos effectus notabiles in quos natura proficit, quos prius exercere non poterat; ita etiam in augmento spirituali assignantur gradus diversi caritatis secundum aliquos notabiles effectus quos in habente caritatem caritas relinquit. Primus ergo effectus caritatis est ut homo a peccato discedat; et ideo mens caritatem habentis in primis circa hoc maxime occupatur ut a peccatis praeteritis emundetur, et a futuris praecaveat; et quantum ad hunc effectum dicitur caritas incipiens. Secundus effectus est ut jam fiduciam de liberatione peccatorum habens ad bonum adipiscendum se extendat; et quantum ad hunc effectum dicitur caritas proficiens: non quin in aliis statibus proficiat, sed quia in hoc statu praecipua cura est de adipiscendis bonis, dum homo semper ad perfectionem anhelat. Tertius effectus est ut homo jam ad ipsa bona quasi connutritus, quodammodo sibi naturalia habeat ipsa, et in eis quiescat et delectetur: et hoc ad perfectam caritatem pertinet. Status autem medius duo habet: unum secundum quod comparatur ad primum statum, quia roboratur contra mala, de quibus caritas incipiens sollicita est; aliud quod nutritur, secundum quod tendit in statum tertium, semper magis ac magis bona quasi sibi incorporando. Similiter etiam perfecta caritas duos habet gradus. Unus est secundum quod in bonis communibus quasi jam secura conquiescit; et secundum hoc dicitur perfecta: alius secundum quod ad quaelibet difficilia manum mittit; et secundum hoc dicitur perfectissima; vel perfecta quantum ad statum viae, perfectissima quantum ad statum patriae.

De même que, dans la croissance corporelle, on distingue divers âges suivant divers effets observables selon lesquels la nature progresse, et qu’elle ne pouvait auparavant exercer, de même, pour la croissance spirituelle, assigne-t-on divers degrés de la charité selon certains effets observables qu’elle laisse chez celui qui possède la charité. Le premier effet de la charité consiste donc en ce que l’homme s’éloigne du péché. Ainsi, l’esprit de celui qui possède la charité s’occupe surtout d’être purifié des péchés passés et d’éviter les péchés futurs. Selon cet effet, on parle d’une charité débutante. Le deuxième effet consiste en ce que, confiante d’être libérée des péchés, elle s’applique à atteindre le bien. Selon cet effet, on parle de charité en progrès, non pas qu’elle progresse en d’autres états, mais parce que, dans cet état, la préoccupation principale est d’atteindre le bien, alors que l’homme aspire toujours à la perfection. Le troisième effet consiste en ce que l’homme, déjà nourri de biens, les possède comme s’ils lui étaient d’une certaine manière naturels, se repose en eux et s’en délecte. Et cela relève de la charité parfaite. Or, l’état intermédiaire comporte deux aspects : l’un, selon lequel il est comparé au premier état, car il est affermi contre les maux dont se préoccupait la charité débutante ; l’autre, qui nourrit, selon lequel il tend au troisième état, pour ainsi dire en s’incorporant toujours de plus en plus de biens. De même, la charité parfaite comporte-t-elle deux degrés. L’un consiste en ce qu’elle se repose dans les biens ordinaires comme s’ils étaient déjà assurés : [la charité] est ainsi appelée parfaite. L’autre [consiste] en ce qu’elle entreprend tout ce qui est difficile : la charité est ainsi appelée la plus parfaite. Ou bien, elle est appelée parfaite pour ce qui est de l’état de la route, et la plus parfaite pour ce qui est de l’état de la patrie.

[11516] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod praeceptum illud quodammodo servatur in via quantum ad perfectionem viae, quodammodo in patria quantum ad perfectionem patriae.

1. Ce commandement est observé d’une certaine manière sur la route, pour ce qui est de la perfection sur la route, et d’une certaine manière dans la patrie, pour ce qui est de la perfection de la patrie.

[11517] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis caritas semper augeatur quantum ad intensionem circa eosdem effectus; non tamen augetur ut addantur ei aliqui notabiles effectus qui prius non fuerunt.

2. Bien que la charité augmente toujours en intensité selon les mêmes effets, elle ne s’accroît cependant pas de manière à ce que lui soient ajoutés certains effets observables qui ne s’y trouvaient pas.

[11518] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis possint accipi infinita media, non tamen habent notabilem diversitatem.

3. Bien qu’on puisse concevoir des intermédiaires infinis, ils ne se distinguent cependant pas de manière notable.

[11519] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis incipiens proficiat, magis tamen occupatur mens ejus circa remotionem malorum quam circa profectum in bona; et ideo non dicitur proficiens quantum ad statum, quia moralia denominantur a fine.

4. Bien que le débutant progresse, son esprit est cependant davantage occupé à écarter le mal qu’à progresser dans le bien. C’est pourquoi on ne dit pas qu’il progresse selon  l’état, car les réalités morales tirent leur nom de leur fin.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[11520] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod quantitatis caritatis dupliciter potest attendi. Uno modo secundum intensionem caritatis; alio modo secundum objecta: sicut est etiam de quantitate cujuslibet virtutis vel moralis vel naturalis: et secundum hoc etiam potest attendi duplex perfectio caritatis: una secundum intensionem, scilicet ut perfecte diligat; alia secundum objecta vel effectus, ut perfecta faciat. Unaquaeque autem harum perfectionum potest dupliciter attendi in caritate. Habet enim perfectionem quantum ad esse suum, secundum quod est perfecta in specie sua: et haec est perfectio sufficientiae, et ad hanc omnes tenemur, sicut ad caritatem: quia caritas habet quantitatem determinatam utroque modo, citra quam non porrigitur; et in hoc stat perfectio essentialis ipsius. Habet etiam perfectionem quantum ad bene esse; et in hac perfectione distinguendum est: quia ad perfectionem quae est per intensionem tenetur tendere, quamvis non teneatur eam habere: sed ad perfectionem quae est secundum objecta non tenetur simpliciter quis neque tendere, neque eam habere; sed tenetur eam non contemnere, nec contra eam se obfirmare. Et ratio est, quia praemium essentiale, ad quod tendere tenemur, mensuratur secundum intensionem caritatis, non secundum magnitudinem factorum: quia Deus magis pensat ex quanto quam quantum fiat. Sed tamen tenetur in casu ad aliqua opera perfectionis operibus similia, ut dicetur.

On peut considérer la charité de deux manières. D’une manière, selon l’intensité de la charité ; d’une autre manière, selon les objets, comme c’est aussi le cas pour la quantité de toutes les vertus morales ou naturelles. On peut ainsi penser aussi à une double perfection de la charité : l’une, selon l’intensité, à savoir qu’on aime parfaitement ; l’autre, selon les objets ou les effets, à savoir qu’on réalise des choses parfaites. Or, on peut considérer chacune de ces deux perfections de la charité de deux manières. En effet, elle possède une perfection pour ce qui est de son être, selon qu’elle est parfaite dans son espèce : il s’agit d’une perfection suffisante, à laquelle nous sommes tous tenus, comme à la charité, car la charité possède une quantité déterminée des deux manières, au-delà desquelles elle ne s’étend pas. C’est en cela que consiste sa perfection essentielle. Elle possède aussi une perfection selon son mieux-être. Pour cette perfection, il faut faire une distinction, car on est tenu de tendre à la perfection qui se réalise par l’intensité, bien qu’on ne soit pas tenu de la posséder. Mais on n’est tenu ni de tendre, ni de posséder la perfection selon les objets ; on est cependant tenu de ne pas la mépriser ni de s’y opposer. La raison en est que la récompense essentielle, vers laquelle nous sommes obligés de tendre, se mesure selon l’intensité de la charité, et non selon la grandeur des actes, car Dieu évalue plutôt la grandeur de la source des actes que leur quantité. Cependant, nous sommes tenus occasionnellement à certains actes qui ressemblent aux actes de la perfection, comme on le dira.

[11521] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod intelligitur de profectu qui est secundum intensionem, in quem debet homo semper conari.

1. Il s’agit du progrès selon l’intensité, auquel on doit toujours s’efforcer.

[11522] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod cum scimus fratrem posse liberari per mortem corporis a morte animae sine periculo animae nostrae; tunc tradere animam pro fratribus non est perfectionis, sed necessitatis: alias autem est perfectionis.

2. Lorsque nous savons qu’un frère peut être libéré de la mort de l’âme par la mort de [notre] corps sans danger pour notre âme, livrer notre âme pour nos frères ne relève pas de la perfection, mais de la nécessité. Mais il en va autrement de la perfection.

[11523] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 2 ad 3 Et similiter dicendum ad tertium quod perfectionis est quod homo persecutionibus se offerat, quando incumbit periculum fidei; sed quod comprehensus non neget, hoc necessitatis est.

3. Il relève de la perfection qu’un homme s’expose à des persécutions, lorsque menace un danger pour la foi ; mais qu’il ne renie pas lorsqu’il a été capturé, cela relève de la nécessité.

[11524] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in illis quae non sunt determinata ad unum, non potest tota potentia obligari ad aliquid unum; quia periret ratio contingentiae, secundum quam aliquid deficere potest in minori parte. Cum ergo homines in statu isto non habeant liberum arbitrium determinatum, non exigitur quod totum posse expendatur in servitium Dei: hoc enim erit in patria, quando jam defectus incidere non poterit: sed sufficit quod nihil de posse nostro contra Deum expendamus, et illa quae nobis determinata sunt faciamus; alias periret ratio nostri status. Unde sicut Deus non exigit a nobis quantum ipse dedit nobis, quia non possumus; ita non exigit a nobis quantum possumus, quia hoc esset contra rationem nostri status.

4. Dans ce qui n’est pas déterminé à une seule chose, toute la puissance ne peut être liée à une seule chose, car la raison de contingence disparaîtrait, selon laquelle quelque chose peut faire défaut dans un petit nombre de cas. Puisque les hommes dans cet état n’ont pas un libre arbitre déterminé, il n’est donc pas requis que tout son pouvoir soit investi dans le service de Dieu. En effet, ce sera le cas dans la patrie, lorsque ne surviendra plus de carence. Mais il suffit que nous n’investissions contre Dieu rien de ce que nous pouvons et que nous accomplissions ce qui a été déterminé pour nous, autrement la raison de notre état disparaîtrait. De même donc que Dieu n’exige pas de nous autant qu’il nous a donné, car nous ne le pouvons pas, de même aussi n’exige-t-il pas de nous autant que nous pouvons, car cela serait contraire à la raison de notre état.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[11525] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod habens caritatem perfectam potest intelligi dupliciter. Uno modo quantum ad perfectionem caritatis quae est penes objecta; sicut dicuntur perfecti illi quibus competit opera perfectionis facere vel ex voto, sicut religiosis, vel ex officio, sicut praelatis; et sic ex debito non tenentur tales perfecti ad quae alii non teneantur, nisi ad illa quae voverunt, vel quae officio suo sunt annexa; unde nec praelati nec religiosi tenentur ad omnia consilia. Alio modo quantum ad perfectionem caritatis quae est secundum intensionem, sicut aliquis saecularis laicus fervens in caritate; et talis non obligatur ad opera perfectionis nisi sicut alii; sed obligatur ad intensius Deum diligendum pro bonis acceptis; et ad hoc ex habitu caritatis perfecto inclinatur.

On peut entendre celui qui a la charité parfaite de deux manières. D’une manière, quant à la perfection de la charité en rapport avec ses objets ; ainsi, on appelle parfaits ceux à qui il convient de poser les actes parfaits soit en raison d’un vœu, comme les religieux, soit en raison de leur fonction, comme les prélats. De cette manière, ces parfaits ne sont tenus par obligation à ce à quoi les autres ne sont pas tenus que pour ce dont ils ont fait vœu ou pour ce qui est associé à leur fonction. Ainsi, ni les prélats ni les religieux ne sont tenus à tous les conseils. D’une autre manière, quant à la perfection de la charité selon son intensité : ainsi, un laïc séculier à la charité fervente. Celui-ci n’est obligé aux œuvres de perfection que comme les autres, mais il est obligé d’aimer Dieu plus intensément pour les biens reçus. Et il est incliné à cela par l’habitus parfait de la charité.

[11526] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod tenetur ad plus et perfectius agendum, sed non ad opera alia facienda ex commisso; quamvis alius forte plus teneatur ex dimisso. Sed commissum multo majus est quam dimissum: quia bonum est magis bonum quam malum sit malum. Tamen ille qui est debitor ex dimisso, tenetur ad aliqua ad quae iste non tenetur, sicut ad satisfaciendum.

1. Il est tenu d’en faire plus et plus parfaitement, mais non de faire d’autres choses en vertu d’un engagement, bien qu’il soit tenu à plus en vertu de la rémission. Mais l’engagement est beaucoup plus grand que la rémission, car le bien est meilleur que le mal n’est mauvais. Cependant, celui qui est débiteur en vertu de la rémission est tenu à certaines choses auxquelles celui-là n’est pas tenu, par exemple, satisfaire.

[11527] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 3 ad 2 Ad secundam dicendum, quod illa ratio falsum supponit, nisi intelligatur de perfectis qui voverunt aliqua perfectionis opera, ad quae tenentur prae aliis.

2. Cet argument suppose une fausseté, à moins qu’il ne soit entendu des parfaits qui ont fait vœu de certaines œuvres de perfection, auxquelles ils sont davantage tenus que les autres.

[11528] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Paulo competebat hoc propter officium praelationis. Sciendum tamen, quod ratio facta ad oppositum, minus concludit: quia perfecti non minus tenentur, sed minus ex debito moventur: quia amor magis eos quam debitum movet, etiam in his quae debent; et quantum ad hoc dicitur major in eis esse libertas.

3. Cela revenait à Paul en raison de sa fonction de supérieur. Il faut cependant savoir que l’argument avancé en sens contraire est moins concluant, car les parfaits ne sont pas moins tenus, mais ils sont moins mus en vertu d’une obligation, car l’amour les meut davantage que la dette, même pour ce qu’ils doivent. Ainsi dit-on qu’une plus grande liberté existe en eux.

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 29

[11529] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 3 expos. Multorum caritas inordinata est. Caritatem hic large pro dilectione vel amicitia ponit. Qui si boni sint, malis filiis praeponendi sunt: non in illis quae ad naturalem communicationem pertinent, sicut est hereditatis dimissio, educatio, et hujusmodi; nisi forte superabundans malitia filiorum eos indignos paterno beneficio faciat. Perfecta caritas est, ut quis sit paratus pro fratribus mori. Contra. Imperfectus non est paratus pro Deo mori. Ergo perfectus magis diligit proximum quam imperfectus Deum. Et dicendum, quod hoc contingit ex hoc quod perfectus minus amat vitam corporalem quam imperfectus. Et iterum perfectus hoc facit ex superabundantia divinae caritatis. Non enim potest esse ut aliqua caritas tantum diligat proximum quantum aliqua Deum. Sed hae duae dilectiones non sunt nisi unius generis; sed una est ut finis et causa diligendi; alia ut ejus quod est ad finem, et ut ejus quod rationem diligendi ex alio sortitur; unde non sunt comparabiles. Cum ad perfectionem pervenerit, dicit: cupio dissolvi. Instantiam videtur habere in beato Petro, cui dominus dixit, Joan. 21, 18: extendes manum tuam, et alius ducet te quo tu non vis; et in beato Martino, qui vivere non recusavit. Ad primum ergo dicendum, quod illud intelligitur de voluntate naturali; hoc autem de voluntate rationis. Ad secundum dicendum, quod perfecta caritas, inquantum habet aliquid de amore concupiscentiae, sic vult potissime frui Deo; sed secundum quod consistit principalius in benevolentia, sic facit appetere id quod est Deo placitum; et secundum hoc loquebatur beatus Martinus. De augmento autem caritatis dictum est in Lib. 1, dist. 27, quaest. 2, art. 1, 2, 3, 4.

 

Distinctio 30

Distinction 30 – [L’ordre de la charité du point de vue de l’efficacité du mérite]

 

 

Prooemium

Prologue

[11530] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de ordine caritatis respectu diversorum diligendorum quantum ad quantitatem dilectionis, hic determinat ordinem quantum ad efficaciam merendi. Dividitur autem haec pars in duas: in prima prosequitur suam intentionem; in secunda movet quamdam dubitationem ex dictis, ibi: illud vero quod sequitur, magis nos movet. Prima in duas: in prima ponit quaestionem; in secunda determinat eam, ibi: sed haec comparatio implicita est. Et circa hoc tria facit: primo determinat quaestionem; secundo objicit in contrarium, ibi: Augustinus tamen sentire videtur majus esse diligere inimicum quam amicum; tertio solvit, ibi: quod si quis simpliciter concedere noluerit (...) determinet ista secundum praemissam intelligentiam. Illud vero quod sequitur, magis nos movet. Hic tria facit: primo ponit dubitationem; secundo ponit quamdam falsam solutionem, ibi: quidam quod hic dicitur, simpliciter tenere volentes, illud praeceptum determinant; tertio ponit opinionem propriam, ibi: sed melius est ut intelligatur omnibus illo mandato praecipi cunctos diligere, etiam inimicos. Hic quaeruntur quinque: 1 utrum omnes diligere teneantur inimicos; 2 utrum teneantur eis signa dilectionis exhibere; 3 quid majoris meriti sit, diligere inimicum, vel diligere amicum; 4 quid sit majoris meriti, diligere Deum, vel proximum; 5 utrum tota virtus merendi penes caritatem consistat.

Après avoir déterminé de l’ordre de la charité par rapport aux diverses personnes qui doivent être aimées et du point de vue de la quantité de l’amour, le Maître détermine ici de l’ordre du point de vue de l’efficacité du mérite. Cette partie est divisée en deux : dans la première, il poursuit son intention ; dans la seconde, il soulève un doute à propos de ce qui a été dit, à cet endroit : « Mais ce qui suit nous incite davantage… » La première partie [se divise] en deux : dans la première, il présente la question ; dans la seconde, il en détermine, à cet endroit : « Mais cette comparaison est implicite… » À ce propos, il fait trois choses : premièrement, il détermine de la question ; deuxièmement, il présente une objection en sens contraire, à cet endroit : « Mais Augustin semble penser qu’il est plus grand d’aimer un ennemi qu’un ami » ; troisièmement, il y répond, à cet endroit : « Si quelqu’un ne veut pas le concéder simplement…, qu’il en détermine selon l’interprétation qui précède. » Ici, il fait trois choses : premièrement, il présente le doute : deuxièmement, il présente une fausse réponse, à cet endroit : « Certains, en voulant simplement soutenir ce qui est dit ici,, déterminent de ce commandement… » ; troisièmement, il présente sa propre opinion, en cet endroit : « Mais il est mieux de comprendre que, par ce commandement, il est ordonné d’aimer tout le monde, même les ennemis. » Ici, cinq questions sont posées : 1. Tous sont-ils obligés d’aimer les ennemis ? 2. Sont-ils obligés de leur montrer des signes d’amour ? 3. Qu’est-ce qui est plus méritoire : aimer un ennemi ou aimer un ami ? 4. Qu’est-ce qui est plus méritoire : aimer Dieu ou aimer le prochain ? 5. Toute la capacité de mériter réside-t-elle dans la charité ?

Articulus 1 [11531] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 1 tit. Utrum omnes teneantur diligere inimicos

Article 1 – Tous sont-ils obligés d’aimer les ennemis ?

[11532] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod non omnes teneantur ad diligendum inimicos. Matth. 5: diligite inimicos vestros; dicit Glossa: hoc perfectorum est. Sed ad ea quae sunt perfectionis non omnes tenentur, ut supra dictum est. Ergo non tenentur omnes inimicos diligere.

1. Il semble que tous ne soient pas obligés d’aimer les ennemis. À propos de Mt 5 : Aimez vos ennemis, la Glose dit : « Cela est pour les parfaits. » Or, tous ne sont pas obligés à ce qui relève de la perfection, comme on l’a dit plus haut. Tous ne sont donc pas obligés d’aimer les ennemis

[11533] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, non tenentur ad plura homines in nova lege quam in veteri, ut patet Matth. 14, ubi super illud: acceptis quinque panibus etc., dicit Glossa: non alia quam quae scripta erant praedicat, sed legem et prophetas gravia esse demonstrat. Sed in veteri lege non tenebantur homines ad diligendum inimicos; Matth. 5, 43: dictum est antiquis: diliges amicum tuum, et odio habebis inimicum tuum. Ergo non tenemur ad dilectionem inimicorum.

2. Les hommes ne sont pas obligés à plus de choses sous la loi nouvelle que sous l’ancienne, comme cela ressort de Mt 14, où, à propos de ceci : Ayant pris cinq pains, etc., la Glose dit : « Il ne prêche que ce qui avait été écrit, mais il montre que la loi et les prophètes sont des réalités lourdes. » Or, sous la loi ancienne, les hommes n’étaient pas obligés d’aimer les ennemis. Mt 5, 43 : Il a été dit aux anciens : « Tu aimeras ton ami et tu haïras ton ennemi. » Nous ne sommes donc pas obligés à l’amour de nos ennemis.

[11534] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, natura non inclinat in aliquid contrarium caritati. Sed omnis natura inclinat in detestationem contrarii. Cum ergo inimicus, inquantum hujusmodi, sit contrarius nobis, videtur quod non teneamur ex caritate inimicos diligere.

3. La nature n’incline pas à quelque chose de contraire à la charité. Or, toute nature incline à la détestation de son contraire. Puisque l’ennemi en tant que tel nous est contraire, il semble donc que nous ne soyons pas tenus d’aimer nos ennemis en vertu de la charité.

[11535] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, illos quibus optamus, et de quorum malis gaudemus, non diligimus. Sed licet optare mala inimicis, et de eorum malis gaudere; unde in Scriptura sacra frequenter ponuntur imprecationes contra inimicos; et in consolationem fidelium inducitur hostium destructio. Ergo non tenemur inimicos diligere.

4. Nous n’aimons pas ceux à qui nous souhaitons des maux et nous nous en réjouissons. Or, il est permis de souhaiter des maux à nos ennemis et de nous réjouir de leurs maux ; c’est ainsi que, dans l’Écriture sainte, sont formulées des imprécations contre les ennemis et que, pour la consolation des croyants, on incite à leur destruction. Nous ne sommes donc pas tenus d’aimer nos ennemis.

[11536] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, caritas facit voluntatem hominis voluntati divinae conformari. Sed Deus odit aliquos, sicut dicitur Malach. 1, 2: Esau odio habui. Ergo licet inimicos odio habere.

5. La charité fait que la volonté de l’homme se conforme à la volonté divine. Or, Dieu hait certains, comme il est dit en Ml 1, 2 : J’ai haï Ésaü. Il est donc permis de haïr nos ennemis.

[11537] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 1 arg. 6 Praeterea, hoc videtur expresse in Psalm. 138, 22: perfecto odio oderam illos. Sed omnis perfectio ex caritate est. Ergo caritas facit inimicos odire, non solum quod non faciat eos diligere.

6. Cela semble être expressément le cas dans Ps 138, 22 : Je les haïssais d’une haine totale. Or, toute perfection vient de la charité. La charité nous fait donc haïr nos ennemis ; elle ne fait pas seulement que nous ne les aimions pas.

[11538] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, Levit. 19, 18: non quaeras ultionem, nec memor eris injuriae civium tuorum.

Cependant, [1] Lv 19,18 : Tu ne chercheras pas la vengeance et tu ne te souviendras pas du tort de tes concitoyens.

[11539] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Prov. 24, 17: si ceciderit inimicus tuus, ne gaudeas.

[2] Pr 24, 17 : Si ton ennemi est tombé, ne te réjouis pas.

[11540] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 1 s. c. 3 Praeterea, caritas attendit in homine imaginem Dei, secundum quam possibiles sunt ad communicandum nobiscum in vita gratiae, ut supra dictum est. Sed hoc invenitur in inimicis. Ergo tenemur diligere inimicos ex caritate.

[3] La charité porte attention à l’image de Dieu chez les hommes, selon qu’ils peuvent avoir en commun avec nous la vie de la grâce, comme on l’a dit plus haut. Or, cela se rencontre chez les ennemis. Nous sommes donc obligés d’aimer nos ennemis par la charité.

[11541] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod secundum hoc tenemur aliquem diligere secundum quod nobiscum aliquam communicationem habet. Inimicus autem noster habet quamdam nobiscum communicationem in natura, secundum quam est possibilis ad communicandum nobiscum in divina vita; et ideo in his quae pertinent ad naturam suam et ad gratiam habendam, debemus eum diligere; sed inimicitiam suam quam adversus nos habet, non debemus diligere: quia secundum eam nobiscum non communicat, nec etiam sibi ipsi, sed magis contrariatur; sicut etiam de aliis peccatis dictum est.

Réponse. Nous sommes obligés d’aimer quelqu’un selon selon qu’il possède quelque chose en commun avec nous. Or, notre ennemi a quelque chose en commun avec nous par la nature, selon laquelle il peut avoir la vie divine en commun avec nous. C’est pourquoi nous devons l’aimer pour ce qui se rapporte à sa nature et à l’obtention de la grâce. Mais nous ne devons pas aimer l’inimitié qu’il a envers nous, car, selon elle, il n’a rien en commun avec nous ni avec lui-même, mais il s’y oppose plutôt, comme nous l’avons dit des autres péchés.

[11542] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod diligere inimicos quantum ad ostensionem signorum benevolentiae, hoc perfectionis est, et ad hoc non omnes tenentur; sed quod homo inimico suo optet gratiam Dei et vitam aeternam, quod specialiter caritas respicit, hoc necessitatis est.

1. Aimer les ennemis en leur montrant des signes de bienveillance relève de la perfection. Tous ne sont pas obligés à cela, mais il est nécessaire de souhaiter à son ennemi la grâce de Dieu et la vie éternelle, ce qui intéresse la charité d’une manière particulière.

[11543] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in veteri lege etiam homines tenebantur ad dilectionem inimicorum, sicut patet per auctoritatem Levitici inductam. Unde quod dicitur: odio habebis inimicum tuum, non est ex lege sumptum, quia nusquam hoc in littera invenitur; sed est additum ex prava interpretatione Judaeorum, qui ex quo praecipiebatur dilectio proximi, concludebant quod inimici essent odiendi. Additum autem est consilium in nova lege de ostensione signorum benevolentiae ad inimicum.

2. Même sous la loi ancienne, les hommes étaient tenus d’aimer leurs ennemis, comme cela ressort de l’autorité du Lévitique qui a été invoquée. Ce qui est dit : Tu haïras ton ennemi, n’est pas tiré de la loi, car on ne le trouve jamais dans le texte, mais cela a été ajouté par une mauvaise interprétation des Juifs, qui, du fait que l’amour du prochain était commandé, concluaient que les ennemis devaient être haïs. Mais, dans la loi nouvelle, le conseil de montrer des signes de bienveillance à l’ennemi a été ajouté.

[11544] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod natura inclinat ad odiendum inimicum, non inquantum est similis secundum convenientiam in natura, aut in perceptibilitate gratiae, sed inquantum est dissimilis. Hoc autem contingit, inquantum est inimicitias exercens, quod summopere nobis displicere debet.

3. La nature incline à haïr l’ennemi, non pas en tant qu’il a la nature en commun avec nous ou qu’il peut recevoir la grâce, mais en tant qu’il est dissemblable. Or, cela se produit dans la mesure où il manifeste de l’inimitié, ce qui doit nous déplaire au plus haut point.

[11545] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod caritas attendit ad quaedam bona per se, scilicet ad bona gratiae; ad quaedam autem per accidens, inquantum ad ista ordinantur. Bona autem temporalia, quae per accidens caritas attendit, et ex consequenti, possunt se invicem in diversis impedire: quia prosperitas unius inducit adversitatem alterius. Unde quia caritas ordinem habet, et plus debet diligere quisque se quam alium, et propinquos quam extraneos, et amicos quam inimicos, et bonum commune multorum quam bonum privatum unius; potest aliquis salva caritate optare malum temporale alicui, et gaudere si contingit; non inquantum est malum illius, sed inquantum est impedimentum malorum alterius quem plus tenetur diligere, vel communitatis, aut Ecclesiae. Similiter de malo etiam ejus qui in malum temporale incidit, secundum quod per malum poenae impeditur frequenter malum culpae ejus. Sed bona gratiae mutuo se non impediunt: quia spiritualia bona a pluribus integre possideri possunt; et ideo quantum ad hoc, nullus salva caritate potest malum alteri optare, vel de malo gaudere; nisi inquantum in malo culpae vel damnationis alicujus relucet bonum divinae justitiae, quod plus tenetur diligere quam aliquem hominem. Sed hoc non est per se de malo gaudere, sed de bono quod adjunctum est malo.

4. La charité porte attention à certains biens en soi : les biens de la grâce, et à certains, par accident, selon qu’ils leur sont ordonnés. Or, les biens temporels, auxquels la charité porte attention par accident et par mode de conséquence, peuvent être des empêchements réciproques chez des sujets différents, car la prospérité de l’un entraîne l’adversité d’un autre. Parce que la charité comporte un ordre et doit davantage aimer soi-même qu’un autre, les proches plutôt que les étrangers, les amis plutôt que les ennemis et le bien commun plutôt le bien privé d’un seul, quelqu’un peut donc, la charité étant sauve, souhaiter un mal temporel à un autre et se réjouir s’il survient, non pas en tant qu’il est le mal de celui-ci, mais en tant qu’il empêche les maux d’un autre, de la communauté ou de l’Église, qu’il est davantage tenu d’aimer. Il en va de même pour celui qui tombe dans un mal temporel, selon que, par le mal de peine, le mal de faute est souvent empêché de sa part. Mais les biens de la grâce ne sont pas des empêchements les uns pour les autres, car les biens spirituels peuvent être entièrement possédés par plusieurs. C’est pourquoi, sur ce point, personne ne peut souhaiter de mal à autrui, la charité étant sauve, ni se réjouir du mal, si ce n’est dans la mesure où, dans le mal de faute ou de la damnation de quelqu’un, brille le bien de la justice divine, qu’on est davantage tenu d’aimer qu’un homme. Mais cela n’est pas par soi se réjouir du mal, mais d’un bien qui est associé à un  mal.

[11546] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Deus etiam non vult malum alicujus, loquendo de malo culpae; sed permittit, et haec permissio bona est. Malum autem poenae, cujus ipse est auctor, vult non inquantum malum, quia non delectatur in poenis, sed inquantum justum.

5. Même Dieu ne veut pas le mal de quelqu’un, si l’on parle du mal de faute ; mais il [le] permet, et cette permission est bonne. Mais il veut le mal de peine, dont il est lui-même l’auteur, non pas en tant qu’il est un mal, car il ne prend pas plaisir aux  peines, mais en tant qu’il est juste.

[11547] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod non oderat eos perfecto odio, nisi inquantum Deo inimici erant; hoc autem est inquantum peccabant; unde non odiebat in eis quos perfecto odio oderat, nisi peccatum.

6. Il ne les haïssait pas d’une haine totale, si ce n’est pas dans la mesure où ils étaient les ennemis de Dieu. Or, c’était le cas dans la memsure où ils péchaient. Aussi ne haïssait-il que le péché en ceux qu’il haïssait d’une haine totale.

 

 

Articulus 2 [11548] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 2 tit. Utrum omnes teneantur ostendere inimicis signa caritatis

Article 2 – Tous sont-ils obligés de montrer à leurs ennemis des signes de la charité ?

[11549] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod omnes teneantur ad ostendendum signa amicitiae inimicis. Signa enim amicitiae sunt praecipue beneficia ad amicos. Sed homo tenetur benefacere inimicis: Proverb. 25, 21: si esurierit inimicus tuus, ciba illum. Ergo tenetur ostendere signa amicitiae ad inimicos.

1. Il semble que tous soient obligés de montrer des signes d’amitié à leurs ennemis. En effet, les signes d’amitié sont principalement des biens accordés aux amis. Or, l’homme est tenu de faire du bien à ses ennemis, Pr 25, 21 : Si ton ennemi a faim, donne-lui à manger. On est donc tenu de manifester des signes d’amitié à ses ennemis.

[11550] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, Ecclesia orat pro inimicis, ut patet per Glossam, Matth. 5, et in collecta: pietate tua, ubi dicit: amicis et inimicis nostris veram caritatem largire. Sed oratio est praecipuum beneficium quod alicui impendi potest. Cum ergo actus Ecclesiae cuilibet membro Ecclesiae conveniat, videtur quod quilibet qui est membrum Ecclesiae, teneatur inimicis beneficus esse.

2. L’Église prie pour ses ennemis, comme cela ressort de la Glose sur Mt 5, et dans la collecte : Dans ta tendresse…, où elle dit : « … montrer une vraie charité à nos amis et à nos ennemis ». Or, la prière est le principal bienfait qui puisse être accordé à quelqu’un. Puisque l’acte de l’Église convient à tous les membres de l’Église, il semble donc que tous ceux qui sont membres de l’Église soient obligés de se montrer bienveillants envers leurs ennemis.

[11551] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, nullus debet habere simulatam dilectionem. Sed dilectio quae non ostendit se in opere, non est vera dilectio: quia probatio dilectionis est exhibitio operis, ut Gregorius dicit; et 1 Joan. 3, 18, dicitur: non diligamus lingua et verbo, sed opere et veritate. Ergo cum quilibet debeat inimicum diligere, quilibet tenetur opera dilectionis ad illum extendere.

3. Personne ne doit avoir un amour simulé. Or, l’amour qui ne se manifeste pas par l’action n’est pas un amour véritable, car « la preuve de l’amour se trouve dans la manifestation de l’action », comme Grégoire le dit. Et il est dit en 1 Jn 3, 18 : N’aimons pas de langue et en parole, mais en acte et en vérité. Puisque tous doivent aimer leur ennemi, tous sont donc obligés d’accomplir envers lui des actes d’amour.

[11552] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, simul, Matth. 5, praecipitur diligere inimicos, et benefacere eis. Ergo eadem ratione homines obligantur ad utrumque. Sed ad primum omnes tenentur. Ergo et ad secundum.

4. En Mt 5, il est commandé d’aimer les ennemis et de leur faire du bien. Pour la même raison, les hommes sont donc obligés aux deux choses. Or, tous sont obligés à la première. [Ils le sont] donc aussi à la seconde.

[11553] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, abnegare homini signa familiaritatis, et sua beneficia, quaedam vindicta est. Sed homo tenetur non se vindicare, sicut patet Rom. 12, 18: non vosmetipsos vindicantes. Ergo tenetur non subtrahere sua beneficia inimicos.

5. Refuser à quelqu’un des signes de familiarité et ses bienfaits est une vengeance. Or, on est tenu de ne pas se venger, comme cela ressort de Rm 12, 18 : Sans vous venger… On est donc tenu de ne pas refuser ses bienfaits à ses ennemis.

[11554] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 2 arg. 6 Sed contra, Matth. 5, dicit Glossa, quod benefacere inimicis et orare pro eis, est cumulus perfectionis. Sed ad illa quae sunt perfectionis, non omnes tenentur. Ergo neque ad praestandum inimicis beneficia.

6. À propos de Mt 5, la Glose dit que faire du bien à ses ennemis et prier pour eux est le sommet de la perfection. Or, tous ne sont pas tenus à ce qui relève de la perfection. Donc, non plus, à accorder des bienfaits aux  ennemis.

[11555] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 2 arg. 7 Praeterea, in veteri lege frequenter filiis Israel praeceptum fuit ut persequerentur hostes suos, et non inirent cum eis foedus. Ergo non tenebantur benefacere eis; ergo nec modo.

7. Sous la loi ancienne, il a été souvent ordonné aux fils d’Israël de poursuivre leurs ennemis et de ne pas contracter d’alliance avec eux. On n’était donc pas tenu de leur accorder des bienfaits. Donc, maintenant non plus.

[11556] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 2 arg. 8 Praeterea, videmus quod etiam modo Ecclesia indicit bella contra tyrannos et infideles. Ergo licet inimicis mala facere: multo igitur minus non oportet eis benefacere.

8. Nous voyons que, même maintenant, l’Église ordonne des guerres contre les tyrans et les infidèles. Il est donc permis de faire du mal aux ennemis. Encore bien moins ne faut-il pas leur faire de bien.

[11557] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod effectus caritatis debet affectui respondere; unde secundum quod tenetur quis affectum caritatis ad inimicum habere, ita et effectum ad eum extendere. Caritas autem, ut dictum est dist. 28, art. 4, respicit bona gratiae, quae sunt communia omnibus viventibus vel actu vel potentia; et ideo est communior vel latior quam aliqua alia amicitia, quae ad pauciores se extendit, inquantum fundatur super communicatione aliqua quae non ad omnes est. In omnibus autem illud quod est commune vehementius est; sed illud quod est proprium, plura complectitur actu; et perfectio communis est in hoc quod se extendit ad illa quae complectitur proprium, ut genus perficitur per additionem differentiae: sicut esse vehementius inhaeret quam vivere, et tamen vivere aliquid complectitur actu quod esse non habet nisi in potentia; unde perfectio esse est secundum quod se extendit ad vitam. Sic ergo caritas vehementius optat alicui bona gratiae, circa quae est principaliter, quam aliqua alia amicitia bona correspondentia illi amicitiae; tamen non est de necessitate caritatis, sed de perfectione, quod ad illa bona se extendat. Et ideo quilibet ex necessitate tenetur odienti se optare bona aeterna, non autem bona temporalia; sed hoc est de perfectione caritatis ut etiam ad ista se extendat. Sed quia remotio mali praecedit ordine generationis adeptionem boni, ideo affectus nulli optat aliquod bonum cui aliquod malum, inquantum est malum, optat. Unde quamvis sit de perfectione caritatis ut bona temporalia optemus inimicis; tamen est de necessitate salutis ut mala eis non optemus, vel optemus non inquantum mala, sed per accidens, ut prius dictum est. Et similiter est de effectu: quia cooperari in his quae sunt ad vitam aeternam pro loco, tempore, et modo suo, tenetur homo etiam inimico, saltem orando in communi, ut eum a suis orationibus non excludat, quamvis forte specialem mentionem de eo non faciat; sicut nec oportet quod de omnibus ad quos caritatem habet, specialem orationem faciat, sed communem. In aliis autem bonis non tenetur ei cooperari, nisi necessitas incumbat; sed est de perfectione caritatis. Sed tenetur non facere ei malum, nisi inquantum est impedimentum majoris mali, vel promotivum majoris boni, ut justitiae, vel alicujus hujusmodi.

Réponse. L’effet (effectus) de la charité doit correspondre à la disposition affective (affectui). Selon qu’on est tenu d’avoir une disposition affective de charité envers son ennemi, de même doit-on lui en manifester l’effet. Or, comme on l’a dit, d. 28, a. 4, la charité concerne les biens de la grâce, qui sont communs à tous les vivants en acte ou en puissance. C’est pourquoi elle est davantage partagée ou plus large qu’une autre amitié, qui s’étend à un plus petit nombre, dans la mesure où elle est fondée sur quelque chose qui n’est pas commun à tous. Or, en toutes choses, ce qui est commun est plus impétueux ; mais ce qui est propre embrasse plus de choses en acte ; et la perfection commune consiste dans ce qui s’étend aux réalités que comprend ce qui est propre, comme le genre est perfectionné par l’ajout de la différence. Ainsi, le fait d’être adhère plus impétueusemenet que le fait de vivre, et cependant le fait de vivre comprend en acte quelque chose que le fait d’être ne comprend qu’en puissance. En conséquence, la perfection de l’être consiste en ce qu’elle aille jusqu’à la vie. Ainsi donc, la charité souhaite à quelqu’un avec plus d’impétuosité les biens de la grâce, sur lesquels elle porte principalement, qu’une autre amitié les biens correspondant à cette amitié ; cependant, il ne relève pas de ce qui fait nécessairement partie de l’amitié, mais de sa perfection, qu’elle aille jusqu’à ces biens. C’est pourquoi tous sont nécessairement tenus de souhaiter les biens éternels à celui qui les hait, mais non les biens temporels ; mais il relève de la perfection [de la charité] qu’elle aille jusqu’à ces biens. Mais parce que, dans l’ordre de la génération, l’éloignement du mal précède l’obtention du bien, la disposition affective ne souhaite aucun bien à celui à qui elle souhaite un mal en tant que mal. Ainsi donc, bien qu’il relève de la perfection de la charité que nous souhaitions des biens temporels à nos ennemis, il n’est cependant pas nécessaire au salut que nous ne leur souhaitions pas de maux ou que nous [les] leur souhaitions, non en tant que maux, mais par accident, comme on l’a dit plus haut. Et de même en est-il pour l’effet, car l’homme est tenu de coopérer même avec son ennemi pour ce qui concourt à la vie éternelle, par le lieu, le temps et à sa manière, du moins en priant d’une manière générale sans l’exclure de ses prières, bien qu’il n’en fasse peut-être pas une mention spéciale, de même qu’il n’est pas nécessaire qu’il fasse une prière spéciale mais commune pour tous ceux envers qui il a la charité. Mais, pour les autres biens, il n’est pas obligé de coopérer avec lui, à moins que ne se présente une nécessité, mais cela relève de la perfection de la charité. Toutefois, il est obligé de ne pas lui faire de mal, sauf pour empêcher un mal plus grand ou pour promouvoir un bien plus grand, comme la justice ou quelque chose du genre.

[11558] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod beneficia amicabilia procedunt ex liberatione, non ex debito. Necessitas autem facit omnia communia; et ideo in necessitate subveniendum est etiam inimicis. Sed hic est magis effectus justitiae quam amicitiae.

1. Les bienfaits dus à l’amitié viennent de la liberté, et non d’une dette. Or, la nécessité rend tout commun. C’est pourquoi, en cas de nécessité, il faut venir au secours même des ennemis. Mais c’est là l’effet de la justice plutôt que de l’amitié.

[11559] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod oratio est de his bonis quae pertinent ad communicationem spiritualis vitae, quae caritas principaliter attendit; et ideo non est simile de hoc et de aliis.

2. La prière porte sur les biens qui relèvent d’une vie spirituelle commune, sur lesquels porte principalement la charité. Il n’en va donc pas de même de cela et des autres [biens].

[11560] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non est simulata dilectio, quando tantum exhibetur in opere, quantum habetur in affectu.

3. L’amour n’est pas simulé lorsqu’on le manifeste en acte autant qu’il existe comme disposition affective.

[11561] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod illa duo aequali passu currunt, ut dictum est.

4. Ces deux choses vont d’un même pas, comme on l’a dit.

[11562] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod negare homini signa familiaritatis quando necessitas expeteret, esset vindicta; vel etiam quando veniam peteret; vel quando se ille qui hostis habetur ad familiaritatem ingereret, si habeatur praesumptio quod non simulate, vel irrisorie facit: quia tunc diligit, et inter amicos deputandus est. Sed quod aliquis ultro se ad familiaritatem inimico ingerat, hoc perfectionis est.

5. Refuser à quelqu’un des signes de familiarité lorsque la nécessité l’exige serait une vengeance, ou encore s’il demandait pardon, ou si celui qui est considéré comme un ennemi s’introduisait parmi les familiers, alors qu’il n’y a pas présomption d’une simulation ou s’il ne le fait pas par dérision, car alors, il aime et doit être compté parmi les amis. Mais que quelqu’un, en se dépassant, s’introduise dans la familiarité d’un ennemi, cela relève de la perfection.

[11563] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod Glossa loquitur de illo beneficio quod sequitur caritatem perfectam, secundum quod procedit in illa quae sunt aliarum specialium amicitiarum.

6. La Glose parle d’un bienfait qui découle de la charité parfaite, selon que celle-ci progresse jusqu’à ce qui relève d’autres amitiés spéciales.

[11564] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod praeceptum fuit antiquis ut persequerentur hostes, et cum eis foedus non inirent, inquantum per eorum amicitiam in idolatriam pertrahebantur, et inquantum erant executores divinae justitiae ex praecepto ejus qui auctoritatem habebat; non autem ita quod ex vindicta facerent.

7. Le commandement de persécuter leurs ennemis a été donné aux anciens, alors qu’ils n’avaient pas contracté d’alliance, dans la mesure où, par leur amitié, ils étaient attirés vers l’idolâtrie et pour autant qu’ils étaient les instruments de la justice divine, en vertu d’un commandement de celui qui possédait l’autorité, et non de telle sorte qu’ils exercent des vengeances.

[11565] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 2 ad 8 Et similiter dicendum ad octavum, quod Ecclesia hoc modo movet bella adversus iniquos, vel ut justitiam faciat, vel ut majus malum evitet, aut majus bonum inducat.

8. Il faut dire la même chose à propos de l’Église qui suscite des guerres contre les injustes, soit pour faire justice, soit pour éviter un mal plus grand ou pour entraîner une plus grand bien.

 

 

Articulus 3 [11566] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 3 tit. Utrum majoris meriti sit diligere amicum vel inimicum

Article 3 – Y a-t-il plus de mérite à aimer un ami qu’un ennemi ?

[11567] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod majoris meriti sit diligere inimicum quam amicum. Matth. 5, 46, dominus dicit: si dilexeritis eos qui vos diligunt, quam mercedem habebitis? Sed meritum dicitur respectu mercedis. Ergo majoris meriti est diligere inimicum quam amicum.

1. Il semble qu’il y ait plus de mérite à aimer un ennemi qu’un ami. En Mt 5, 46, le Seigneur dit : Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense aurez-vous ? Or, on parle de mérite en rapport avec la récompense. Il y a donc plus de mérite à aimer un ennemi qu’un ami.

 [11568] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, illud quod est perfectionis, est majoris meriti: quia caritas perfecta plus meretur quam imperfecta. Sed diligere inimicum est caritatis perfectae, diligere autem amicum non. Ergo diligere inimicum est majoris meriti.

2. Ce qui relève de la perfection est plus méritoire, car la charité parfaite mérite davantage que [la charité] imparfaite. Or, aimer un ennemi relève de la charité parfaite, mais non aimer un ami. Aimer un ennemi est donc plus méritoire.

[11569] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, ubi major est difficultas, ibi majus meritum: quia magis pertinet ad virtutem quae est circa difficile. Sed diligere inimicum est difficilius quam diligere amicum. Ergo est majoris meriti.

3. Là où la difficulté est plus grande, là existe un plus grand mérite, car cela relève davantage de la vertu, qui porte sur ce qui est difficile. Or, aimer un ennemi est plus difficile qu’aimer un ami. Cela est donc plus méritoire.

[11570] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, secundum Gregorium, servitia tanto sunt magis accepta, quanto minus debita. Sed minus est debitum diligere inimicum quam diligere amicum. Ergo magis Deo acceptum et magis meritorium.

4. Selon Grégoire, les services sont d’autant plus agréables qu’ils sont moins dus. Or, il est moins dû d’aimer un ennemi qu’aimer un ami. Cela est donc plus agréable à Dieu et plus méritoire.

[11571] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, virtus merendi est ex gratia. Sed ad dilectionem inimicorum movet tantum gratia, ad dilectionem amicorum movet simul natura cum gratia. Ergo magis est meritorium diligere inimicum quam diligere amicum.

5. La capacité de mériter vient de la grâce. Or, seule la grâce incite à l’amour des ennemis, mais la nature avec la grâce incite ensemble à l’amour des amis. Il est donc plus méritoire d’aimer un ennemi qu’aimer un ami.

[11572] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 3 arg. 6 Sed contra, quanto aliquis actus est magis bonus, tanto est magis meritorius. Sed melius est diligere amicum quam inimicum, quia est actus magis cadens supra debitam materiam. Ergo melius est diligere amicum quam inimicum.

6. Meilleur est un acte, plus il est méritoire. Or, il est meilleur d’aimer un ami qu’un ennemi, car c’est un acte qui s’applique davantage à une matière obligatoire. Il est donc mieux d’aimer un ami qu’un ennemi.

[11573] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 3 arg. 7 Praeterea, minus bonum dimittendum est pro magis bono, si necessitas incumbit. Sed dilectio inimicorum dimittenda esset magis quam dilectio amicorum; quod patet ex effectu qui affectui proportionatur: quia quando non possumus amicis et inimicis in extrema necessitate existentibus subvenire, tenemur magis subvenire amicis quam inimicis. Ergo diligere amicum est magis bonum quam diligere inimicum.

7. Un bien moins bon doit être écarté pour un bien meilleur, si la nécessité se présente. Or, l’amour des ennemis doit être davantage écarté que l’amour des amis : cela ressort de l’effet qui est proportionné à la disposition affective, car lorsque nous ne pouvons pas venir au secours des amis et des ennemis en cas d’extrême nécessité, nous sommes davantage tenus de venir au secours des amis que des ennemis. Aimer un ami est meilleur qu’aimer un ennemi.

[11574] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 3 arg. 8 Praeterea, illud quod est commune et primum, melius est quam illud quod superadditur; sicut esse melius est quam vivere, si sine esse consideretur; ut dicit Dionysius. Sed diligere amicum est commune et primum fundamentum caritatis, cui superadditur dilectio inimicorum. Ergo diligere amicum est melius et magis meritorium quam diligere inimicum.

8. Ce qui est commun et premier est meilleur que ce qui s’y ajoute, comme être est meilleur que vivre, si on l’envisage sans l’être, comme le dit Denys. Or, aimer un ami est le fondement commun et premier de la charité, à quoi s’ajoute l’amour des ennemis. Aimer un ami est donc meilleur et plus méritoire qu’aimer un ennemi.

[11575] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod praedicta comparatio dilectionum potest intelligi dupliciter, scilicet quantum ad actus, et quantum ad habitus. Si quantum ad actus, sciendum est, quod quando quaeritur de duobus actibus quis sit melior et magis meritorius, oportet quod quaestio intelligatur de illis per se loquendo secundum genus suum. Contingit enim quod illud quod secundum genus est minus bonum vel meritorium, aliquo adveniente efficiatur magis bonum vel meritorium, sicut parvum opus ex magna caritate factum magis est meritorium quam magnum ex parva. Bonitas autem actus ad duo mensuratur, ex quibus bonitatem recipit; scilicet ex termino vel objecto, et ex principio, quod est voluntas. Ex termino autem habet speciem bonitatis, sed ex voluntate habet rationem merendi; quia secundum hoc est in potestate facientis quod ex voluntate procedit. Si ergo comparemus dilectionem amici et inimici quantum ad terminos sive objecta; cum objectum magis competens dilectioni sit amicus quam inimicus; sic melius est diligere amicum quam inimicum. Si vero comparemus duas dilectiones praedictas ad principium, quod est voluntas; sic ubi est major conatus voluntatis, ibi oportet esse majus meritum: quia quanto est major conatus voluntatis, tanto est ferventior voluntas de fine, propter quem attentat illud, quod secundum se sibi est magis repugnans; quamvis sit magis remissa quandoque circa id ad quod magis conatur. Meritum autem consistit ex hoc quod voluntas ad finem afficitur. Et ideo si comparemus actus talium dilectionum, dilectio inimici est magis meritoria, inquantum hujusmodi: quia secundum quod hujusmodi, exigit majorem conatum et majorem fervorem circa finem, quamvis dilectio amici sit magis intensa circa objectum; sed dilectio amici est melior quantum ad bonitatem essentialem quae consequitur speciem actus, quia actus specificatur ex objecto. Si autem comparentur praedictae dilectiones quantum ad habitus, sic oportet quod vel intelligatur de dilectione inimicorum quae est necessitatis; et sic nulla est comparatio, quia idem habitus est aequalis respectu utriusque; vel de dilectione inimicorum quae est perfectionis; et sic dilectio inimicorum includit dilectionem amicorum, et non e converso; et sic dilectio inimicorum melior est.

Réponse. La comparaison faite entre les amours peut s’entendre de deux manières : pour ce qui est de l’acte, et pour pour ce qui est de l’habitus. S’il s’agit de l’acte, il faut savoir que lorsqu’on se demande lequel de deux actes est meilleur et plus méritoire, la question doit s’entendre de ce qui relève de son genre à parler de soi. En effet, il arrive que ce qui est moins bon ou moins méritoire selon son genre, devienne meilleur ou plus méritoire en raison d’une circonstance : ainsi, une petite action accomplie par une charité plus grande est plus méritoire qu’une grande action accomplie par une petite charité. Or, la bonté d’un acte se mesure selon les deux choses dont il reçoit sa bonté : son terme ou son objet, et son principe, qui est la volonté. Or, il a une espèce de bonté en raison de son terme, mais il a une raison de mériter par la volonté, car il est ainsi au pouvoir de celui qui l’accomplit qu’il vienne de la volonté. Si donc nous comparons l’amour d’un ami et d’un ennemi pour ce qui est des termes ou des objets, puisque l’objet qui convient davantage à l’amour est l’ami plutôt que l’ennemi, il est ainsi meilleur d’aimer un ami qu’un ennemi. Mais si nous comparons les deux amours en question à leur principe, qui est la volonté, là où est le plus grand effort de volonté, là doit être le plus grand mérite, car plus grand est l’effort de la volonté, plus la volonté recherche intensément la fin pour laquelle elle entreprend ce qui lui répugne davantage, bien qu’elle soit parfois plus relâchée par rapport à ce à quoi elle s’efforce. Or, le mérite vient du fait que la volonté est affectée par la fin. Si nous comparons les actes de ces amours, l’amour d’un ennemi est donc plus méritoire en tant que tel, car, en tant que tel, il exige un plus grand effort et une plus grande intensité par rapport à la fin, bien que l’amour soit plus intense par rapport à l’objet ; mais l’amour d’un ami est meilleur pour ce qui est de la bonté essentielle qui découle de l’espèce de l’acte, car l’acte reçoit son espèce de l’objet. Mais si l’on compare les actes en question pour ce qui est des habitus, il faut alors l’entendre de l’amour des ennemis qui est nécessaire, et ainsi, il n’y a pas de comparaison, car le même habitus est égal par rapport aux deux ; ou de l’amour des ennemis qui relève de la perfection, et ainsi l’amour des ennemis inclut l’amour des amis, mais non l’inverse, et ainsi l’amour des ennemis est meilleur.

[11576] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod dilectio qua tantum amici diliguntur, non procedit ex gratia; et ideo non potest esse meritoria, nec mercedem habere: sed tamen si actus dilectionis qua amicos diligimus, sit gratia informatus, meritorius est, et mercedem habet.

1. L’amour par lequel seuls les amis sont aimés ne vient pas de la grâce. C’est pourquoi il ne peut être méritoire ni avoir de récompense. Cependant, si l’acte d’amour par lequel nous aimons nos amis tire sa forme de la grâce, il est méritoire et il obtient une récompense.

[11577] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod diligere inimicum non omnibus modis perfectionis est; sed inquantum perfectionis est, efficitur magis meritorium, secundum quod exigit majorem conatum.

2. Aimer un ennemi n’est pas le fait de tous les modes de perfection ; mais, en tant que cela relève de la perfection, cela devient plus méritoire selon que cela exige un effort plus grand.

[11578] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod difficultas non facit ad meritum nisi inquantum facit majorem inclinationem et conatum voluntatis in aliquid.

3. La difficulté ne contribue au mérite que pour autant qu’elle provoque une plus grande inclination et un plus effort de la volonté vers quelque chose.

[11579] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod debitum non diminuit rationem meriti nisi quatenus diminuit rationem voluntarii, secundum quod quamdam necessitatem importat. Sed si voluntarie debitum reddatur, nihilominus ibi erit tantum meriti quantum est ibi de ratione voluntarii.

4. Ce qui est dû ne diminue la raison de mérite que dans la mesure où cela diminue la raison de volontaire, selon que cela comporte une certaine nécessité. Mais si ce qui dû est volontairement rendu, il y aura là autant de mérite qu’il y a de volontaire.

[11580] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod natura non est contraria gratiae: unde admixtio naturae ad gratiam non facit remissionem in effectibus gratiae, quae causatur ex permixtione contrarii.

5. La nature n’est pas contraire à la grâce. Le mélange de la nature à la grâce n’affaiblit  pas les effets de la grâce, qui sont affaiblis par le mélange d’un contraire.

[11581] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod actus habet bonitatem ex objecto et ex fine: et bonitas quae est ex objecto, est materialis respectu illius quae est ex fine, quam voluntas attendit: et penes istam potius consistit meritum.

6. Un acte tire sa bonté de son objet et de sa fin. La bonté qui vient de l’objet joue le rôle de matière par rapport à celle qui vient de la fin, que vise la volonté. Or, le mérite vient plutôt de celle-ci.

[11582] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod in illis quae se habent secundum additionem unius ad alterum, est consequentia in contrario, non consequentia in ipso; sicut patet in homine et animali; sicut enim se habet homo ad animal, ita se habet non animal ad non homo. Unde quia conatus qui est in dilectione inimicorum, se habet ex additione ad illum qui est in dilectione amicorum; ideo sicut diligere inimicum est meriti, secundum quod est major conatus, ita dimittere dilectionem amicorum est magis malum.

7. Pour ce qui relève de l’ajout d’une chose à une autre, la conséquence se trouve dans le contraire, et l’absence de conséquence, en elle. Par exemple, pour l’homme et l’animal : le rapport de l’homme à l’animal est le même que ce qui n’est pas un animal par rapport à ce qui n’est pas un homme. Parce que l’effort qui existe dans l’amour des ennemis vient d’un ajout à celui qui existe dans l’amour des amis, de même qu’aimer un ennemi est méritoire en raison d’un plus grand effort, de même écarter l’amour des amis est-il un plus grand mal.

[11583] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 3 ad 8 Ad octavum dicendum, quod ratio illa procedit de bonitate quam actus habet ex propria ratione suae speciei, quae est ex objecto.

8. Ce raisonnement vient de la bonté que l’acte a en raison de son espèce, qui vient de l’objet.

 

 

Articulus 4 [11584] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 4 tit. Utrum diligere proximum sit magis meritorium quam diligere Deum

Article 4 – Aimer son prochain est-il plus méritoire qu’aimer Dieu ?

[11585] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod diligere proximum sit magis meritorium quam diligere Deum. Naturalibus enim non meremur. Sed diligere Deum est naturale: quia amor summi boni omnibus naturaliter inest, ut dicit Dionysius. Ergo diligere Deum est minus meritorium quam diligere proximum, quod non est adeo naturale.

1. Il semble qu’aimer le prochain soit plus méritoire qu’aimer Dieu. En effet, nous ne méritons par ce qui est naturel. Or, aimer Dieu est naturel, car l’amour du Bien suprême est naturellement intrinsèque à toutes choses, comme le dit Denys. Aimer Dieu est donc moins méritoire qu’aimer le prochain, qui n’est pas aussi naturel.

[11586] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, illud quod est fructuosius, videtur esse magis meritorium. Sed ea quae pertinent ad vitam activam, sunt magis laboriosa et fructuosa quam ea quae pertinent ad contemplativam. Ergo sunt magis meritoria. Sed dilectio proximi pertinet ad vitam activam, dilectio autem Dei ad contemplativam. Ergo est magis meritorium proximum diligere quam diligere Deum.

2. Ce qui porte plus de fruit semble être plus méritoire. Or, ce qui se rapporte à la vie active est plus pénible et fructueux que ce qui se rapporte à la vie contemplative. Cela est donc plus méritoire. Or, l’amour du prochain se rapporte à la vie active, mais l’amour de Dieu, à la vie contemplative. Il est donc plus méritoire d’aimer le prochain qu’aimer Dieu.

[11587] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, sicut diligere inimicum ponitur in ultimo gradu, ita diligere Deum ponitur in primo gradu caritatis. Sed diligere inimicum est magis meritorium quam diligere amicum. Ergo eadem ratione diligere proximum quam diligere Deum.

3. De même qu’aimer un ennemi se situe au dernier degré, de même aimer Dieu se situe au premier degré de la charité. Or, aimer un ennemi est plus méritoire qu’aimer un ami. Pour la même raison, aimer le prochain [est-il donc plus méritoire] qu’aimer Dieu.

[11588] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, illud quod praesupponit aliud et non convertitur, videtur esse perfectius. Sed dilectio proximi praesupponit dilectionem Dei, quia est ratio diligendi proximum. Ergo dilectio proximi est magis meritoria quam dilectio Dei.

4. Ce qui présuppose une autre chose sans être convertible semble être plus parfait. Or, l’amour du prochain présuppose l’amour de Dieu, car celui-ci est la raison d’aimer le prochain. L’amour du prochain est donc plus méritoire que l’amour de Dieu.

[11589] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 4 arg. 5 Praeterea, actus in quo exigitur major conatus, oportet quod sit magis meritorius. Sed major conatus exigitur ad diligendum inimicum quam ad diligendum Deum. Ergo dilectio proximi, ad minus quantum ad dilectionem inimicorum, est magis meritoria quam dilectio Dei.

5. L’acte pour lequel un effort plus grand est exigé doit nécessairement être plus méritoire. Or, un plus grand effort est exigé pour aimer un ennemi que pour aimer Dieu. L’amour du prochain, au moins pour ce qui est de l’amour des ennemis, est donc plus méritoire que l’amour de Dieu.

[11590] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed contra, propter quod unumquodque tale, et illud magis. Sed dilectio proximi non est meritoria nisi inquantum ordinatur ad Deum actu vel habitu. Ergo dilectio Dei est magis meritoria.

Cependant, [1] la raison pour laquelle existe une chose compte davantage. Or, l’amour du prochain n’est méritoire que pour autant qu’il ordonné à Dieu en acte ou en habitus. L’amour de Dieu est donc plus méritoire.

[11591] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, quanto caritas est magis intensa, magis erit meritoria. Sed intensius diligit caritas Deum quam proximum. Ergo in hoc magis meretur.

[2] Plus la charité est intense, plus elle est méritoire. Or, la charité aime Dieu plus intensément que le prochain. Pour cette raison, elle mérite donc davantage.

[11592] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 4 s. c. 3 Praeterea, quaelibet virtus efficacius operatur circa objectum suum, quanto est sibi magis proprium, et per se. Sed objectum per se caritatis est Deus, proximus autem non nisi consequenter; sicut magnitudo visus consequenter, color per se. Ergo cum mereri sit effectus caritatis, videtur quod sicut visus melius cognoscit colorem quam magnitudinem (quia circa colorem non decipitur, sicut circa magnitudinem); ita caritas magis mereatur in dilectione Dei quam in dilectione proximi.

[3] Toute vertu agit d’autant plus efficacement sur son objet, qu’il lui est davantage propre et par soi. Or, l’objet par soi de la charité est Dieu, mais le prochain ne l’est que par mode de conséquence, comme l’amplitude de la vue existe par mode de conséquence, mais la couleur, par soi. Puisque mériter est l’effet de la charité, il semble donc que, de même que la vue connaît mieux la couleur que l’amplitude (car elle ne se trompe pas à propos de la couleur, comme c’est le cas à propos de l’amplitude), de même la charité mérite-t-elle davantage par l’amour de Dieu que par l’amour du prochain.

[11593] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 4 s. c. 4 Praeterea, quod est difficilius, videtur esse magis meritorium. Sed diligere Deum videtur difficilius quam diligere proximum; dicitur enim 1 Joan. 4, 20: qui proximum quem videt, non diligit; Deum quem non videt, quomodo potest diligere? Ergo dilectio Dei est magis meritoria quam dilectio proximi.

4. Ce qui est plus difficile semble être plus méritoire. Or, aimer Dieu semble être plus difficile qu’aimer le prochain. En effet, il est dit en 1 Jn 4, 20 : Celui qui n’aime pas le prochain qu’il voit, comment peut-il aimer Dieu qu’il ne voit pas ? L’amour de Dieu est donc plus méritoire que l’amour du prochain.

[11594] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod dilectio Dei est causa et ratio dilectionis proximi; unde dilectio Dei includitur virtute in dilectione proximi sicut causa in effectu, et dilectio proximi includitur in dilectione Dei sicut effectus in causa potestate. Nihilominus tamen alius est motus dilectionis qui terminatur in proximum et qui sistit in Deo, sicut alius actus est quo considerantur principia et conclusiones, quamvis praedicto modo mutuo se includant. Comparando ergo hos duos motus ex duabus partibus, ut supra dictum est, invenimus dilectionem Dei potiorem quam dilectionem proximi, scilicet et quantum ad objectum, quod est competentius dilectioni, et quantum ad voluntatem, quae intensius et promptius afficitur in Deum quam in proximum; et ideo motus dilectionis in Deum est melior et magis meritorius quam motus dilectionis in proximum, nisi dilectio proximi procedat ex majore dilectione Dei, quam sit dilectio quae fertur in Deum immediate in aliquo actu: quod quidem aliquando contingit, sed non semper: quia minima dilectio caritatis in Deum sufficit ut extendat affectum in proximum.

Réponse. L’amour de Dieu est la cause et la raison de l’amour du prochain. L’amour de Dieu est donc inclus par sa puissance dans l’amour du prochain comme la cause dans son effet, et l’amour du prochain est inclus en puissance dans l’amour de Dieu comme effet dans sa cause. Toutefois, autre est le mouvement de l’amour qui a son terme dans le prochain et qui aboutit à Dieu, de même qu’autre est l’acte par lequel nous considérons les principes et les conclusions, bien qu’ils s’incluent mutuellement de la manière déjà exposée. En comparant donc les deux mouvements des deux côtés, comme on l’a dit, nous trouvons que l’amour de Dieu est plus puissant que l’amour du prochain quant à son objet, qui convient davantage à l’amour, et quant à la volonté, qui est plus intensément et plus promptement éprise de Deu que du prochain. C’est pourquoi le mouvement d’amour vers Dieu est meilleur et plus méritoire que le mouvement d’amour vers le prochain, à moins que l’amour du prochain ne vienne d’un plus grand amour de Dieu de manière immédiate dans un acte, ce qui se produit parfois, mais pas toujours, car le plus petit amour de Dieu suffit à ce que la disposition affective atteigne le prochain.

[11595] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illa quae sunt pure naturalia, non sunt meritoria; sed illa quae procedunt ex natura perfecta caritate et gratia, sunt meritoria, nec natura rationem meriti diminuit, ut dictum est.

1. Ce qui est purement naturel n’est pas méritoire ; mais ce qui vient de la nature perfectionnée par la charité et la grâce est méritoire, et la nature ne diminue pas la raison de mérite, comme on l’a dit.

[11596] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod supposito quod actus activae vitae sit magis meritorius quam actus contemplativae, quod forte non est verum, ut infra, dist. 35, quaest. 1, art. 4, quaestiunc. 2, dicetur, non oportet quod dilectio proximi sit magis meritoria quam dilectio Dei: quia dilectio Dei est principium eorum quae ad utramque vitam pertinent, ut dictum est. Vel aliter dicendum, quod dilectio Dei et proximi, quantum ad actum interiorem, pertinet ad vitam contemplativam; unde Gregorius dicit super Ezech. quod contemplativa vita insistit dilectioni Dei et proximi; sed quantum ad actus exteriores utraque ad vitam activam pertinet; quamvis hujusmodi actus in proximos extendatur, quia Deus operum nostrorum non eget.

2. En supposant que l’acte de la vie active soit plus méritoire que l’acte de la vie contemplative, ce qui n’est peut-être pas vrai, comme on le dira à la d. 35, q. 1, a. 4, qa 2, il n’est pas nécessaire que l’amour du prochain soit plus méritoire que l’amour de Dieu, car l’amour de Dieu est le principe de ce qui se rapporte aux deux vies, comme on l’a dit. Ou il faut dire autrement que l’amour de Dieu et du prochain, pour ce qui est de l’acte intérieur, relève de la vie contemplative ; aussi Grégoire dit-il, en commentant Ézéchiel, que la vie contemplative consiste dans l’amour de Dieu et du prochain ; mais, pour ce qui est des actes extérieurs, les deux [amours] se rapportent à la vie active, bien que ces actes atteignent le prochain, car Dieu n’a pas besoin de nos œuvres.

[11597] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod dilectio inimici non erat magis meritoria nisi inquantum procedebat ex fortiori virtute; quae fortitudo attendebatur secundum quod voluntas intensius Deo adhaerebat; unde non sequitur quod dilectio proximi sit magis meritoria, nisi magis etiam Deus diligeretur.

3. L’amour de l’ennemi n’était pas plus méritoire, sinon dans la mesure où il provenait d’une vertu plus forte. Cette force provenait de ce que la volonté adhérait à Dieu plus intensément. Il n’en découle donc pas que l’amour du prochain soit plus méritoire, à moins que Dieu ne soit aussi davantage aimé.

[11598] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod dilectio proximi praesupponit dilectionem Dei, non sicut perfectius minus perfectum, sicut erat in aliis gradibus, sed sicut effectus causam; et ideo ratio non sequitur.

4. L’amour du prochain présuppose l’amour de Dieu, non pas comme quelque chose de plus parfait présuppose ce qui est moins parfait, comme c’était le cas dans les autres degrés, mais comme l’effet [présuppose] la cause. Le raisonnement n’est donc pas concluant.

[11599] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod ille conatus voluntatis non est nisi ex hoc quod vehementius ad Deum afficitur, ut dictum est prius: quia nullus conatur ad aliquid, nisi secundum desiderium finis.

5. Cet effort de la volonté ne vient que de ce qu’elle est attirée vers Dieu de manière plus impétueuse, comme on l’a dit plus haut, car personne ne fait d’effort pour quelque chose que par le désir de la fin.

 [11600] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 4 ad s. c. Hoc autem quod in contrarium objicitur, quod diligere Deum est difficilius, intelligendum est non de dilectione naturali, qua omnia ipsum amant, sed de dilectione gratuita. Et haec etiam dicitur difficilior, non quasi laboriosior, cum sit dulcior, sed quia magis vires naturae excedit, quia est in altius objectum.

L’objection en sens contraire, qu’aimer Dieu est plus difficile, doit s’entendre non pas de l’amour naturel, par lequel toutes les choses l’aiment, mais de l’amour gratuit. On dit que celui-ci est plus difficile, non pas parce qu’il exigerait plus d’effort, puisqu’il est plus doux, mais parce qu’il dépasse davantage les forces de la nature, puisqu’il porte sur un objet plus élevé.

 

 

Articulus 5 [11601] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 5 tit. Utrum meritum consistat principaliter in caritate

Article 5 – Le mérite consiste-t-il  principalement dans la charité ?

[11602] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod meritum non consistat in caritate principaliter. Gratia enim dicitur esse principium merendi. Sed caritas non est idem quod gratia. Ergo non consistit meritum principaliter penes caritatem.

1. Il semble que le mérite ne consiste pas  principalement dans la charité. En effet, on dit que la grâce est le principe du mérite. Or, la charité n’est pas la même chose que la grâce. Le mérite ne se fonde donc pas principalement sur la charité.

[11603] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 5 arg. 2 Praeterea, actus est meritorius per ordinem ad finem, sicut et laudabilis. Sed cujuslibet virtutis est facere actum laudabilem. Ergo et facere actum meritorium; et ita videtur quod meritum non consistat penes caritatem.

2. Un acte est méritoire par rapport à sa fin, de la même manière qu’il est louable. Or, toutes les vertus réalisent des actes louables. Donc aussi, un acte méritoire. Et ainsi, il semble que le mérite ne consiste pas dans la charité.

[11604] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea, nullus meretur nisi justificatus. Sed fidei est justificare, ut patet Rom. 5. Ergo apud ipsam praecipue est virtus meritoria.

3. Celui-là seulement mérite qui est justifié. Or, il revient à la foi de justifier, comme cela ressort de Rm 5. C’est donc elle qui est principalement une vertu méritoire.

[11605] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 5 arg. 4 Praeterea, illud quod facit ad diminutionem meriti, non videtur esse radix merendi. Sed caritas facit diminutionem meriti, quia facit omnia facilia non solum inquantum est habitus, sed etiam inquantum est amor, ut ex praedictis patet. Cum ergo difficultas faciat ad meritum, videtur quod caritas non sit radix merendi.

4. Ce qui contribue à la diminution du mérite ne semble pas être la racine du mérite. Or, la charité provoque une diminution du mérite, car elle rend tout facile, non seulement en tant qu’habitus, mais aussi en tant qu’elle est amour, comme cela ressort de ce qui a été déjà été dit. Puisque la difficulté contribue au mérite, il semble donc que la charité ne soit pas la racine du mérite.

[11606] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 5 arg. 5 Praeterea, si caritas esset radix merendi, ubicumque esset aequalis caritas, esset aequale meritum. Sed aliquando aliquis habens parvam caritatem, facit aliquem actum in quo magis meretur quam ille qui habet magnam caritatem in aliquo parvo actu quem facit. Ergo caritas non est radix merendi.

5. Si la charité était la racine du mérite, partout où existerait une charité égale, le mérite serait égal. Or, parfois, quelqu’un qui a peu de charité pose un acte par lequel il mérite davantage que celui qui a une grande charité par le petit acte qu’il pose. La charité n’est donc pas la racine du mérite.

[11607] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 5 s. c. 1 Sed contra, illud videtur esse radix merendi sine quo nullum meritum valet. Sed caritas est hujusmodi, ut patet 1 Corinth. 13. Ergo caritas est radix merendi.

Cependant, [1] la racine du mérite est ce sans quoi aucun mérite n’a de valeur. Or, la charité est de ce genre, comme cela ressort de 1 Co 13. La charité est donc la racine du mérite.

[11608] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 5 s. c. 2 Praeterea, illud videtur esse radix merendi quod opponitur omni demerito. Sed caritas est hujusmodi. Ergo ipsa est radix merendi.

2. Ce qui s’oppose à tout démérite semble être la racine du mérite. Or, la charité est de cette sorte. Elle est donc la racine du mérite.

[11609] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 5 s. c. 3 Praeterea, ex hoc meremur quod Deo conjungimur. Sed hoc facit caritas. Ergo ipsa est radix merendi.

3. Nous méritons par le fait que nous sommes unis à Dieu. Or, la charité réalise cela. Elle est donc la racine du mérite.

[11610] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod sicut supra, dist. 18, art. 2, dictum est, meritum proprie dicitur quod aliquis exhibet ad hoc quod faciat aliquid suum, quod est praemium meriti. Unde ad meritum requiruntur duo principaliter. Unum est quod sit exhibitum, et non extortum. Et quia nihil potest exhiberi nisi quod in potestate exhibentis est, ideo requiritur quod sit voluntarium, quia voluntas facit nos esse dominos nostrorum actuum. Aliud requiritur ut hoc quod exhibetur, sit sufficiens ad faciendum suum illud quod exhibetur. Et ex utraque parte principalitas merendi est ex caritate. Ipsa enim est in voluntate, sicut in subjecto, ipsam perficiens quantum ad primum actum ejus, et principalem: et iterum cum sit amor Dei, facit amatum ipsum, quod est proemium, esse suum, inquantum unit ei; et ideo principalitas meriti est in caritate, in aliis autem secundum quod caritate informantur.

Réponse. Comme on l’a dit plus haut, d. 18, a. 2, on appelle mérite, au sens propre, ce que produit quelqu’un afin de rendre sien quelque chose, qui est la récompense du mérite. Deux choses sont donc principalement requises pour le mérite. L’une est que ce soit produit, et non arraché. Et parce que rien ne peut être produit qui ne soit au pouvoir de celui qui le produit, il est donc nécessaire que cela soit volontaire, car la volonté nous rend maîtres de nos actes. L’autre chose est requise afin que ce qui est produit suffise à rendre sien ce qui est produit. Et la source du mérite vient de la charité sous les deux aspects. En effet, la charité réside dans la volonté comme dans son sujet, la perfectionnant pour son acte premier et principal ; et puisqu’elle est amour de Dieu, elle fait en sorte que cela même qui est aimé, qui est la récompense, soit sien dans la mesure où elle unit à lui. La source du mérite se trouve donc dans la charité, mais dans d’autres choses selon qu’elles reçoivent leur forme de la charité.

[11611] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod gratia facit meritum sicut principium remotum constituens nos in esse spirituali, sine quo non possumus mereri aliquod spirituale; sed caritas est sicut principium proximum.

1. La grâce réalise le mérite en tant que principe éloigné nous établissant dans l’existence spirituelle, sans laquelle nous ne pouvons mériter quelque chose de spirituel ; mais la charité [en] est comme le principe prochain.

[11612] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod fides non justificat nisi per caritatem sit formata. Ideo autem specialiter fidei attribuitur justificatio, quia primum in quo distinguitur justus ab injusto, est actus fidei, sicut primum in quo distinguitur vivum a non vivo, est actus nutritivae potentiae; et ideo dicitur vivere secundum illam potentiam, et sentire secundum tactum, qui est primus sensuum, ut dicitur 2 de anima.

2. La foi ne justifie que si elle a reçu sa forme de la charité. La justification est donc spécialement attribuée à la foi parce que la première chose par laquelle le juste se distingue de l’injuste est l’acte de la foi, comme la première chose par laquelle le vivant se distingue du non-vivant est l’acte de la puissance nutritive. On dit donc qu’il vit selon cette puissance, et qu’il sent selon le toucher, qui est le premier des sens, comme il est dit dans Sur l’âme, II.

[11613] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod actus aliarum virtutum non sunt meritorii nisi inquantum sunt informati caritate; sicut nec actus virtutum sunt laudabiles nisi inquantum sunt voluntarii.

3. Les actes des autres vertus ne sont méritoires que dans la mesure où ils tirent leur forme de la charité, de même que les actes des vertus ne sont louables que dans la mesure où ils sont volontaires.

[11614] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod difficultas non facit ad meritum, nisi forte dimissionis poenae per modum cujusdam commutationis; sed ad meritum quod ordinatur ad consecutionem boni, ad quod proprie ordinem habet, non facit, nisi secundum quod exigitur major conatus, qui est secundum majorem inclinationem voluntatis in illud. Et quia habitus et amor ex hoc faciunt facilitatem, quia faciunt majorem inclinationem voluntatis; ideo talis facilitas non diminuit rationem meriti.

4. La difficulté ne contribue au mérite, peut-être, que par une remise de peine par mode d’échange ; mais elle ne contribue pas au mérite qui est ordonné à l’obtention d’un bien, auquel il n’est à proprement parler ordonné que dans la mesure où un effort plus grand est exigé, lequel provient d’une plus grande inclination de la volonté vers lui. Et parce que l’habitus et l’amour donnent ainsi de la facilité, puisqu’ils causent une plus grande inclination de la volonté, une telle facilité ne diminue pas la raison de mérite.

[11615] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod habitus virtutum quamvis inclinent voluntatem, tamen non cogunt: et ideo potest esse quod habitum majorem habens, quandoque minorem intensionem inducit in actu, sicut etiam quandoque nullam: et tunc actus ex majori caritate procedens minus intensus, est magis meritorius respectu praemii accidentalis, quod respicit ipsum actum; sed minus respectu praemii essentialis, quod respicit capacitatem, quae est ex habitu caritatis.

5. Bien que les habitus inclinent la volonté, ils ne la forcent cependant pas. C’est pourquoi il peut arriver que celui qui possède un habitus plus grand montre une intensité moindre dans un acte, et même parfois, d’une [intensité] nulle. Et alors, un acte moins intense provenant d’une charité plus grande est plus méritoire au regard de la récompense accidentelle, qui concerne l’acte lui-même, mais il l’est moins au regard de la récompense essentielle, qui concerne la capacité, laquelle vient de l’habitus de la charité.

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 30

[11616] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 5 expos. An unus et idem motus sit erga amicum et inimicum. Hoc est impossibile, nisi unus propter alterum diligatur, et actuali consideratione referatur in illud. Erga amicum ferventior. Hoc intelligendum respectu ipsius objecti; sed respectu finis, ille qui habet majorem conatum, inquantum hujusmodi, est ferventior. Cum dicitur in oratione: dimitte nobis debita nostra, sicut et nos dimittimus debitoribus nostris. Videtur secundum hoc quod quicumque servat rancorem, peccat dicendo hanc orationem. Et dicendum, quod non peccat: quia non dicit eam in persona sua, sed in persona Ecclesiae: vel si in persona sua, non quantum ad id quod agit, sed quantum ad id ad quod optat pervenire.

 

 

 

Distinctio 31

Distinction 31 – [La durée de la charité]

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [La charité peut-elle être perdue ?]

 

 

Prooemium

Prologue

[11617] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de caritate, hic determinat de ejus duratione. Dividitur autem in partes duas: in prima parte determinat de duratione caritatis quantum ad suam essentiam; in secunda de duratione ejus quantum ad ordinem ejus, ostendens qualis in Christo fuerit, et in beatis futurus sit, ibi: nunc autem superest investigare si Christus, secundum quod homo, ordinem diligendi praescriptum servaverit. Prima in duas: in prima determinat de duratione caritatis; in secunda de duratione aliorum habituum, ibi: advertendum etiam est et cetera. Circa primum tria facit: primo ponit opinionem falsam quorumdam, qui dixerunt caritatem non posse amitti, et rationes opinionis illius; secundo objicit in contrarium, ibi: quos ratio vincit, et auctoritas; tertio solvit rationes in contrarium inductas, ibi: quod vero apostolus ait, caritas nunquam excidit, pro illis nullatenus facit. Hic est duplex quaestio. Prima de evacuatione caritatis per peccatum. Secunda de evacuatione ejus per gloriam. Circa primum quaeruntur quatuor: 1 utrum caritas semel habita possit amitti; 2 utrum aliquis possit de libro vitae deleri; 3 utrum minima caritas possit cuilibet tentationi resistere; 4 de quantitate caritatis in resurgente.

Après avoir déterminé de la charité, le Maître détermine ici de sa durée. Il y a deux parties : dans la première partie, il détermine de la durée de la charité quant à son essence ; dans la seconde, de sa durée quant à son ordre, en montrant comment elle a existé chez le Christ et comment elle existera chez les bienheureux, à cet endroit : « Il reste maintenant à rechercher si le Christ, en tant qu’homme, a observé l’ordre de la charité qui a été prescrit. » La première partie se divise en deux : dans la première, il détermine de la durée de la charité ; dans la seconde, de la durée des autres habitus, à cet endroit : « Il faut aussi relever, etc. » À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il présente la fausse opinion de certains qui ont dit que la charité ne pouvait être perdue, et les raisons de cette opinion. Deuxièmement, il soulève une objection en sens contraire, à cet endroit : « La raison et l’autorité l’emportent sur eux… » Troisièmement, il répond aux arguments invoqués en sens contraire, à cet endroit : « Ce que dit l’Apôtre, que la charité ne meurt pas, n’apporte rien en leur faveur. » Il y a ici une double question : la première, sur la perte de la charité par le péché ; la seconde, sur la perte de la charité par la gloire. À propos du premier point, quatre questions sont posées : 1. Une fois possédée, la charité peut-elle être perdue ? 2. Quelqu’un peut-il être effacé du livre de vie ? 3. La plus petite charité peut-elle résister à n’importe quelle tentation ? 4. À propos de la quantité de la charité chez celui qui ressuscite.

 

 

Articulus 1 [11618] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 tit. Utrum qui habet caritatem, possit eam amittere

Article 1 – Celui qui possède la charité peut-elle la perdre ?

[11619] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod habens caritatem non possit eam amittere. Omnis enim qui habet caritatem, est natus ex Deo, quia caritas facit filios Dei. Sed omnis qui natus est ex Deo, non peccat, ut dicitur 1 Joan. 3. Ergo omnis qui habet caritatem non peccat; et ita caritas semel habita non potest amitti.

1. Il semble que celui qui possède la charité ne puisse pas la perdre. En effet, tous ceux qui ont la charité sont nés de Dieu, car la charité nous rend fils de Dieu. Or, quiconque est né de Dieu ne pèche pas, comme il est dit en 1 Jn 3. Tous ceux qui ont la charité ne pèchent donc pas, et ainsi la charité, une fois possédée, ne peut pas être perdue.

[11620] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, in quolibet habente caritatem est meritum vitae aeternae: quia caritas est principium merendi, ut dictum est. Sed injuste agitur cum aliquo, si non reddatur ei quod meruit, quia hoc est ei debitum. Ergo cuilibet habenti aliquando caritatem dabitur vita aeterna. Sed nulli dabitur vita aeterna nisi finaliter habeat caritatem. Ergo quicumque habet caritatem, finaliter habebit eam; et ita non potest ad minus finaliter amitti, ut videtur.

2. Chez tous ceux qui ont la charité existe le mérite de la vie éternelle, car la charité est le principe du mérite, comme on l’a dit. Or, on agit injustement si on ne rend pas à quelqu’un ce qu’il mérite, car cela lui est dû. La vie éternelle sera donc donnée à tous ceux qui ont eu un jour la charité. Or, la vie éternelle ne sera donnée à personne qui n’aura pas à la fin la charité. Tous ceux qui ont la charité la posséderont donc. Ainsi, il semble que [la charité] ne puisse être perdue, du moins à la fin.

[11621] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, illud quod est fortissimum, non potest vinci a debilissimo. Sed caritas est fortissima, quia est fortis ut mors, ut dicitur Cant. ult.: peccatum autem est debilissimum, quia malum est infirmum et pigrum, ut dicit Dionysius. Ergo caritas non potest per peccatum expelli. Sed nullo alio modo potest amitti. Ergo caritas semel habita amitti non potest.

3. Ce qui est le plus fort ne peut être vaincu par ce qui est le plus faible. Or, la charité est la plus forte, car elle est forte comme la mort, ainsi qu’il est dit dans le dernier chapitre du Cantique ; mais le péché est ce qu’il y a de plus faible, car le mal est faible et paresseux, comme le dit Denys. La charité ne peut donc pas être chassée par le péché. Or, elle ne peut être perdue d’aucune autre façon. La charité, une fois possédée, ne peut donc être perdue.

[11622] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, radix omnis mali est cupiditas: 1 Tim. 6. Sed caritas non compatitur secum cupiditatem, ad minus perfecta, ut dicit Augustinus in Lib. 83 quaestionum. Ergo qui habet caritatem, non potest incidere in aliquod malum; et ita non potest eam amittere.

4. La racine de tout mal est la cupidité, 1 Tm 6. Or, la charité ne supporte pas la cupidité, du moins, la [charité] parfaite, comme le dit Augustin dans le Livre sur 83 questions. Celui qui possède la charité ne peut donc tomber dans le mal, et ainsi, il ne peut la perdre.

[11623] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, si peccatum expellit caritatem, aut peccatum quod est, aut peccatum quod non est. Sed non peccatum quod est, quia illud caritatem non superat; nec illud quod non est, quia illud quod non est, non potest agere. Ergo peccatum nullo modo expellit caritatem.

5. Si le péché chasse la charité, ou bien il s’agit d’un péché qui existe, ou bien d’un péché qui n’existe pas. S’il ne s’agit pas d’un péché qui existe, puisque celui-ci ne l’emporte pas sur la charité ; il ne s’agit pas non plus de celui qui n’existe pas, car ce qui n’existe pas ne peut agir. Le péché ne chasse donc la charité d’aucune manière.

[11624] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 arg. 6 Praeterea, illud quod est in minori parte, magis distat ab eo quod est in pluribus, quam ab eo quod est ad utrumlibet. Sed ex eo quod est ad utrumlibet, non potest aliquid procedere, ut dicit Commentator in 2 Physic. Ergo multo minus ab eo quod est in minori parte. Sed caritas quamvis non faciat necessitatem ad bonum ut semper fiat, facit tamen inclinationem ut pluries fiat. Ergo non potest ille qui habet caritatem, facere malum, ad quod se habet sicut in minori parte; et ita non potest peccare, vel caritatem amittere.

6. Ce qui existe dans une minorité de cas s’éloigne davantage de ce qui existe dans une majorité, que ce qui s’éloigne des deux. Or, du fait que cela s’éloigne des deux, cela ne peut rien faire, comme le dit le Commentateur dans Physique, II. Encore bien moins donc, ce qui existe chez une minorité. Or, la charité, bien qu’elle ne fait pas en sorte que le bien soit toujours accompli, donne cependant une inclination à le faire la plupart du temps. Celui qui possède la charité ne peut donc faire le mal, avec lequel elle a un rapport dans une minorité de cas. Elle ne peut donc ainsi pécher ou perdre la charité.

 [11625] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 arg. 7 Praeterea, amor caritatis est fortior quam amor naturalis. Sed amor naturalis non amittitur per peccatum. Ergo nec amor caritatis.

7. L’amour de charité est plus fort que l’amour naturel. Or, l’amour naturel n’est pas perdu par la péché. Donc, ni l’amour de charité.

[11626] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 arg. 8 Praeterea caritas est major fide; et utrumque est donum Dei. Cum ergo fides non tollatur per peccatum mortale, videtur quod nec caritas.

8. La charité est plus grande que la foi, et les deux sont un don de Dieu. Puisque la foi n’est pas enlevée par le péché mortel, il semble donc que la charité non plus.

[11627] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, Apoc. 2, 4: habeo adversum te pauca, quia caritatem primam reliquisti. Ergo caritas potest amitti.

Cependant, [1] Ap 2, 4 dit : Mais j’ai contre toi peu de chose, car tu as perdu ta charité première. La charité peut donc être perdue.

[11628] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, in eo qui cadere non potest, non est necessaria cautela. Sed stanti per caritatem necessaria est cautela; 1 Corinth. 10, 12: qui stat, videat ne cadat. Ergo caritas potest amitti.

[2] Celui qui ne peut tomber n’a pas besoin de prendre garde. Or, celui qui tient debout par la charité doit prendre garde. 1 Co 10, 12 : Celui qui est debout, qu’il prenne garde de tomber. La charité peut donc être perdue.

[11629] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 s. c. 3 Praeterea, David caritatem prius habuit; alias non sibi reddendam laetitiam salutarem peteret; et tamen peccavit, et caritatem amisit, quam sibi restitui petit. Ergo caritas semel habita potest amitti.

[3] David a eu d’abord la charité, autrement, il ne demanderait pas que lui soit rendue la joie du salut. Cependant, il a péché et a perdu la charité, dont il demande qu’elle lui soit rendue. La charité une fois possédée peut donc être perdue.

[11630] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 s. c. 4 Praeterea, quicumque non potest peccare, habet liberum arbitrium confirmatum. Sed non omnis qui habet caritatem, habet liberum arbitrium confirmatum. Ergo aliquis habens caritatem potest peccare, et ita caritatem amittere.

[4] Quiconque ne peut pécher possède un libre arbitre affermi. Or, tous ceux qui ont la charité n’ont pas un libre arbitre affermi. Certains qui possèdent la charité peuvent donc pécher, et ainsi, perdre la charité.

[11631] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod opinio ponentium caritatem non posse amitti propter suam firmitatem, est similis opinioni Socratis, qui posuit, quod habens scientiam non potest peccare, propter nobilitatem et certitudinem scientiae, ut dicit philosophus in 8 Ethicor.: et ideo utriusque est similis et probatio et improbatio, et probationis solutio. Utraque enim potissime per experientiam improbatur; probatur autem per firmitatem scientiae et caritatis. Solvit autem philosophus praedictam probationem de scientia per hoc quod scientia principaliter in universali consistit, operationes autem circa singularia sunt. Et ideo concupiscentia, quae in particulare bonum tendit, nisi reprimatur, deductionem scientiae universalis ad particulare impedit, considerationem scientiae in particulari operabili absorbens, et rationem, ita ut quamvis incontinens in fervore concupiscentiae constitutus universale recte consideret, et non tantum habitu teneat (ut quod omnis fornicatio fugienda est), tamen quando ad hoc particulare descenditur per concupiscentiam, habitu rationis rectae ligato, in actum rectae considerationis circa particulare homo prodire non potest. Similiter etiam caritas principaliter est circa bonum aeternum; unde facit universalem conceptionem haberi, quia nihil contra Deum faciendum est; sed quando ad particulare descenditur, tentatio aliqua inclinationem praedictam caritatis absorbet, ut dictum est de scientia. Sed quia caritas vehementius diligit Deum quam aliqua concupiscentia diligat aliquod commutabile bonum; si aliquis affectum quem habet ad Deum, ad opus particulare extenderet, ut ad regulam operis, nunquam incideret in peccatum. Sed quia in potestate nostra est uti caritatis actu, vel non uti, cum caritas voluntatem non cogat; ideo affectio commutabilis boni praevalet, et inducit peccatum. Et propter hoc patet quod omne peccatum est ex errore, et ex contemptu negligentiae. Unde Boetius dicit: talia tibi contuleramus arma, quae nisi prior abjecisses, invicta te firmitate tuerentur. Sic ergo homo in peccatum lapsus caritatem amittit: quia per peccatum a Deo dividitur, cum sibi alium finem constituat, cum non possint duo esse fines ultimi. Unde cum caritas habeat causam conjunctam ad Deum, statim amittitur unico actu; et hoc invenitur in omnibus accidentibus quae habent causam extra subjectum: quia nihil potest permanere separatum a sua causa essentiali, sicut patet de lumine. Secus autem est de habitibus qui habent causam in subjecto: quia illi totaliter non destruuntur per unum actum peccati.

Réponse. L’opinion de ceux qui affirment que la charité ne peut être perdue en raison de sa faiblesse ressemble à l’opinion de Socrate, qui affirmait que celui possède la science ne peut pécher en raison de la noblesse et de la certitude de la science, comme le dit le Philosophe dans Éthique, VIII. C’est pourquoi la preuve et la réfutation des deux est semblable, ainsi que la démonstration. En effet, les deux sont démentis par l’expérience, mais sont démontrés par la fermeté de la science et de la charité. Or, le Philosophe a démontré la preuve en question à propos de la science par le fait que la science porte principalement sur l’universel, mais les opérations sur les choses singulières. C’est pourquoi la concupiscence, qui tend vers un bien particulier, si elle n’est pas réprimée, empêche de conclure de la science universelle au particulier, en absorbant la considération de la science universelle dans une action particulière, ainsi que la raison. Ainsi, bien que l’incontinent, plongé dans l’ardeur de la concupiscence, considère correctement l’universel et ne le possède pas seulement par habitus (à savoir que toute fornication doit être fuie), il ne peut cependant passer à l’acte avec une considération correcte du particulier, lorsqu’il descend vers ce particulier par la concupiscence. De même aussi, la charité porte principalement sur un bien éternel ; elle fait donc en sorte qu’on ait une considération universelle, car rien ne doit être fait contre Dieu. Mais lorsqu’elle descend vers le particulier, une tentation absorbe une telle inclination de la charité, comme on l’a dit de la science. Mais parce que la charité aime Dieu plus intensément qu’une concupiscence n’aime un bien changeant, si quelqu’un faisait de la disposition affective qu’il a envers Dieu la règle de l’action particulière, jamais il ne tomberait dans le péché. Mais parce qu’il est en notre pouvoir de recourir ou non à un acte de charité, puisque la charité ne contraint pas, l’amour du bien changeant l’emporte, et il mène au péché. Pour cette raison, il est clair que tout péché vient d’une erreur et du mépris de la négligence. C’est pourquoi Boèce dit : « Nous t’avions donné des armes ; si tu ne les avais pas d’abord rejetées, elles te protégeraient avec une fermeté invincible. » Ainsi donc, l’homme tombé dans le péché perd la charité, car, par le péché, il est séparé de Dieu, puisqu’il s’est donné une autre fin et qu’il ne peut y avoir deux fins ultimes. Puisque la cause de la charité fait un avec Dieu, elle est aussitôt perdue par un seul acte. Et cela se rencontre dans tous les accidents qui ont leur cause en dehors du sujet, car rien ne peut demeurer séparé de sa cause essentielle, comme cela ressort pour la lumière. Mais il en va autrement des habitus qui ont leur cause dans leur sujet, car ceux-ci ne sont pas totalement détruits par un seul acte de péché.

[11632] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod hoc intelligendum est, si velit uti gratia; per quod filius Dei est: per eam enim potest peccato resistere.

1. Cela veut dire : s’il veut faire usage de la grâce, par quoi il est fils de Dieu. En effet, il peut par elle résister au péché.

[11633] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quidam dixerunt, quod caritas nunquam meretur, nisi finalis. Sed hoc falsum est; quia caritas finalis non potest dici nisi quae est in ultimo termino vitae; et tunc forte homo nihil meretur, sed dormit. Unde dicendum, quod quolibet actu caritatis meretur vitam aeternam, et efficit eam sibi debitam. Sed quando peccat, jam efficitur quodammodo alius, ut philosophus  dicit 9 Ethic., quia transmutatur ab eo quod erat sibi conveniens secundum naturam, in id quod est praeter naturam; et ideo non oportet quod ei reddatur; sicut etiam id quod est debitum reddi sano, non redditur furioso.

2. Certains ont dit que la charité ne mérite jamais, sauf la charité finale. Mais cela est faux, car on ne peut parler de charité finale que pour celle qui existe au terme ultime de la vie ; et alors, l’homme ne peut rien mériter, car il dort. Il faut donc dire qu’on mérite la vie éternelle par n’importe quel acte de charité, et celui-ci fait en sorte que [la vie éternelle] soit due. Mais, lorsqu’on pèche, on devient en quelque sorte un autre, comme le dit le Philosophe dans Éthique, IX, car on est changé de ce qui convenait selon sa nature en ce qui est étranger à sa nature. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que [la vie éternelle] lui soit rendue, de même que ce qui est dû à celui qui est santé n’est pas rendu à celui qui est fou.

[11634] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non est ex defectu caritatis quod a peccato vincatur, sed ex defectu habentis caritatem, quia caritate non utitur, ut dictum est.

3. Ce n’est pas en raison d’une carence de la charité qu’il est vaincu par le péché, mais d’une carence de celui qui possède la charité, car il ne fait pas usage de la charité, comme on l’a dit.

[11635] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod cupiditas quamvis non sit in actu in eo qui habet caritatem, tamen est in radice, et potest caritatem impedire ne in actum prorumpat; et quando non impeditur, tunc germinat, et caritatem expellit.

4. Bien que la cupidité n’existe pas en acte chez celui qui a la charité, elle existe cependant dans sa racine, et elle peut empêcher la charité de s’élancer vers son acte ; lorsque [la cupidité] n’est pas empêchée, alors elle pousse et chasse la charité.

[11636] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in eodem instanti in quo peccatum advenit, caritas expellitur; et sicut illud est primum instans in quo peccatum esse incipit, ita illud est primum in quo caritas non esse incipit, sicut patet in naturalibus de duabus formis contrariis.

5. Au moment même où le péché survient, la charité est chassée. Et de même que c’est le premier instant où le péché commence à exister, de même est-ce le premier où la charité commence à ne pas exister, comme cela ressort pour deux formes contraires dans les choses naturelles

[11637] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod illud quod est ad utrumlibet, inquantum ex alia causa intrinseca movetur, sic determinatur ad alterum, et sic potest ab eo effectus procedere. Unde quando non est determinatum totaliter ab aliquo uno, potest etiam determinari ad oppositum; et sic ab eo quod est in paucioribus respectu ipsius jam determinati per primum, potest contrarium accidere ut in paucioribus propter aliud determinans quod est contrarium illi determinanti ut in pluribus; et sic est in proposito: quia sicut caritas, quantum est in se, ut in pluribus inclinat ad bonum, ita affectio sensibilis inclinat ad delectabile sensui, et ab hoc sicut ex quodam habitu inclinatur voluntas ad peccatum.

6. Ce qui est orienté vers deux choses, dans la mesure où cela est mû par une cause extrinsèque, cela est ainsi déterminé à l’une des deux, et ainsi un effet peut en provenir. C’est pourquoi, lorsque cela n’est pas totalement déterminé par une seule chose, cela peut être déterminé au contraire. Et ainsi, du fait que cela existe chez un petit nombre en regard de ce qui est déjà déterminé par la première chose, le contraire peut survenir chez un petit nombre en raison de quelque chose qui détermine à ce qui est contraire à ce qui est déterminé dans la majorité des cas. Ainsi en est-il dans le cas en question, car, de même que la charité en elle-même incline dans la plupart des cas vers le bien, de même l’amour sensible incline-t-il à ce qui est délectable pour le sens, et la volonté est-elle inclinée au péché comme par un habitus.

[11638] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod amor naturalis est secundum voluntatem totaliter determinatam ad unum; non autem sic est de amore caritatis, nisi in illis qui jam confirmati sunt.

7. L’amour naturel existe selon que la volonté est totalement déterminée à une seule chose. Mais il n’en va pas de même de l’amour de charité, sauf chez ceux qui [y] ont déjà été confirmés.

[11639] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod per peccatum non totaliter separatur homo a Deo, quia sic esse desineret; sed quantum ad ultimam et perfectam conjunctionem quam facit caritas. Et ideo non oportet quod fides per peccatum tollatur, sicut caritas; sicut per interpositionem nubis aer radios solis amittit, non tamen omnimodam claritatem, sicut quae est ex reverberatione, qualis etiam apparet ubi non sunt radii solis.

8. Par le péché, l’homme n’est pas totalement séparé de Dieu, car il cesserait alors d’exister, mais il l’est pour ce qui est de l’union ultime et parfaite que réalise la charité. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que la foi soit enlevée par le péché, comme la charité, comme, par l’interposition d’un  nuage, l’air perd les rayons du soleil, mais non toute sa clarté, telle celle qui vient de la réverbération, qui apparaît encore là où il n’y a pas de rayons du soleil.

 

 

Articulus 2 [11640] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 tit. Utrum liber vitae sit quid creatum

Article 2 – Le livre de vie est-il quelque chose de créé ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le livre de vie est-il quelque chose de créé ?]

[11641] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod liber vitae sit quid creatum. Eccli. 24, 32: haec omnia liber vitae, Glossa: hoc liber est vetus et novum testamentum. Hoc autem est quid creatum. Ergo et liber vitae.

1. Il semble que le livre de vie soit quelque chose de créé. À propos de Si 24, 32 : Tout cela est le livre de vie, la Glose dit : « Ce livre est l’Ancien et le Nouveau Testaments. » Or, cela est quelque chose de créé. Donc, le livre de vie aussi.

[11642] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, Apoc. 20, 12: alius liber est apertus, qui est vitae; Glossa: Christus, qui tunc apparebit omnibus patens. Sed non apparebit omnibus nisi secundum humanam naturam. Cum ergo humana natura in Christo creata sit, videtur quod liber vitae sit quid creatum.

2. À propos de Ap 20, 12 : Un autre livre fut ouvert : le livre de vie, la Glose dit : « Le Christ, qui alors apparaîtra à tous ouvertement. » Or, il n’apparaîtra à tous que selon sa nature humaine. Puisque la nature humaine chez le Christ est créée, il semble donc que le livre de vie soit quelque chose de créé.

[11643] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, liber, inquantum in eo Scriptura fit, est receptivus extraneae impressionis. Sed res increata non suscipit peregrinam impressionem. Ergo non est quid increatum, sed creatum.

3. Le livre, en tant qu’on y écrit, reçoit une impression extérieure. Or, une réalité incréée ne reçoit pas une impression passagère. [Le livre de vie] n’est donc pas quelque chose d’incréé, mais de créé.

[11644] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 4 Item, videtur quod sit proprium filii. Quia Psal. 39, 9: in capite libri scriptum est de me: Glossa: in patre, qui est caput nostrum. Sed illud in divinitate cujus caput est pater, est filius. Ergo liber vitae est filius.

4. Il semble qu’il soit propre au Fils, car, à propos de Ps 39, 9 : Au début du livre, il est écrit…, la Glose dit : « Dans le Père, qui est notre tête. » Or, c’est le Fils dont le Père est la tête dans la divinité. Le livre de vie est donc le Fils.

[11645] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 5 Item, videtur quod spiritus sanctus. Quia spiritui sancto attribuitur vivificatio et in symbolo et Joan. 6, 64: spiritus est qui vivificat. Ergo cum liber vitae ordinetur ad vitam, conveniet spiritui sancto vel proprie, vel per appropriationem.

5. Il semble qu’il soit le Saint-Esprit, car le don de la vie est attribué au Saint-Esprit et, dans le symbole et en Jn 6, 64, il est dit : C’est l’Esprit qui donne la vie. Puisque le livre de vie est ordonné à la vie, il conviendra donc à l’Esprit-Saint soit en propre, soit par appropriation.

[11646] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Augustinus, 20 de Civit. Dei: liber vitae est praescientia Dei, quae falli non potest. Sed praescientia est quid increatum essentiale et appropriabile filio. Ergo et liber vitae.

Cependant, Augustin dit, dans La cité de Dieu, XX : « Le livre de vie est la prescience de Dieu, qui ne peut se tromper. » Or, la prescience est quelque chose d’incréé qui est essentiel et peut être approprié au Fils. Donc aussi, le livre de vie.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le livre de vie concerne-t-il Dieu ?]

[11647] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod liber vitae sit respectu Dei. Psal. 68: deleantur de libro viventium; Glossa: liber viventium est Dei notitia. Sed Deus de se habet maxime notitiam. Ergo liber vitae est respectu Dei.

1. Il semble que le livre de vie concerne Dieu. À propos de Ps 68 : Qu’ils soient effacés du livre des vivants ! la Glose dit : « Le livre des vivants est la connaissance de Dieu. » Or, Dieu a de lui-même la plus haute connaissance. Le livre de vie concerne donc Dieu.

[11648] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, ipse est fons vitae cujuslibet. Si ergo est aliorum, quae habent vitam participative, multo amplius est sui ipsius, qui habet vitam originaliter.

2. Il est la source de vie de toutes choses. Si donc il l’est pour les autres, qui ont la vie par participation, à bien plus forte raison, pour lui-même, qui a la vie d’une manière originelle.

[11649] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 3 Item, videtur quod sit omnium creaturarum. Quia praescientia est omnium. Sed liber vitae est divina praescientia, ut supra dictum est. Ergo erit omnium.

3. Il semble qu’il concerne toutes les créatures, car la prescience porte sur toutes choses. Or, le livre de vie est la prescience divine, comme on l’a dit plus haut. Il portera donc sur toutes choses.

[11650] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 4 Praeterea, Joan. 1, 3: quod factum est, in ipso vita erat. Sed omnis creatura est facta. Ergo omnis creatura in libro vitae scribitur.

4. De plus, il est dit en Jn 1, 3 : Ce qui a été créé avait en soi la vie. Or, toute créature a été créée. Toute créature est donc inscrite dans le livre de vie.

[11651] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 5 Item, videtur quod sit etiam de malis. Luc. 10, super illud: nomina vestra scripta sunt in caelis, dicit Glossa: sive caelestia sive terrestria opera gesserit quis, per hoc quasi litteris annotatus, apud Dei memoriam aeternaliter est affixus. Sed gerere terrestria opera est malorum. Ergo cum nihil aliud sit liber vitae quam reservatio divinae memoriae, videtur quod liber vitae sit etiam malorum.

5. Il semble qu’il porte aussi sur le mal. À propos de Lc 10 : Vos noms sont inscrits dans le ciel, la Glose dit : « Que quelqu’un ait accompli des choses célestes ou des choses terrestres, il est éternellement gravé dans la mémoire de Dieu, comme s’il était inscrit avec des lettres. » Or, accomplir le mal est le fait des méchants. Puisque le livre de vie n’est rien d’autre que ce que conserve la mémoire divine, il semble donc que le livre de vie concerne aussi les méchants.

[11652] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 6 Item, liber vitae ordinatur ad vitam. Sed vita naturae est communis bonis et malis; vita autem gratiae communis praescitis et praedestinatis. Ergo liber vitae est malorum et bonorum, et praedestinatorum et praescitorum.

6. Le livre de vie est ordonné à la vie. Or, la vie de la nature est commune aux bons et aux méchants, mais la vie de la grâce est commune à ceux qui sont objets de la prescience et aux prédestinés. Le livre de vie concerne donc les bons, les prédestinés et ceux qui sont objets de la prescience.

[11653] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, illud dicitur esse scriptum in Deo quod habet exemplar in ipso. Sed mala inquantum hujusmodi, non habent exemplar in ipso. Ergo non sunt ibi scripta.

Cependant, on dit qu’est écrit en Dieu ce qui a son modèle en lui. Or, les maux, en tant que tels, n’ont pas leur modèle en lui. Ils ne sont donc pas écrits en lui.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Ce qui y est inscrit peut-il en être effacé ?]

 [11654] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod nihil quod sit ibi scriptum, debeat dici inde deleri. Quia liber vitae est divina praedestinatio, ut dicit Glossa Phil. 4. Sed a praedestinatione non dicitur aliquis excidere. Ergo nec a libro vitae deleri.

1. Il semble que de rien qui y est inscrit, on doive dire qu’il en est effacé, car le livre de vie est la prédestination divine, comme le dit la Glose sur Ph 4. Or, on ne dit de personne qu’il échappe à la prédestination. Il ne peut donc non plus être effacé du livre de vie.

[11655] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, liber in quo potest aliquid describi et deleri, est mutabilis. Sed liber vitae est immutabilis, quia est quid increatum. Ergo non potest aliquis inde deleri.

2. Un livre dans lequel quelque chose peut être inscrit et effacé est changeant. Or, le livre de vie est immuable, car il est quelque chose d’éternel. Personne ne peut donc en être effacé.

[11656] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, quod est secundum opinionem tantum, cum sit secundum quid, non debet enuntiari simpliciter. Sed Glossa super illud Psalm. 68: deleantur de libro viventium, dicit, hoc accipiendum forte tantum secundum spem illorum qui se esse scriptos putabant. Ergo videtur quod non debeat dici aliquem inde deleri.

3. Ce qui est objet d’opinion seulement, puisque cela est relatif, ne doit pas être affirmé simplement. Or, à propos de Ps 68 : Qu’ils soient effacés du livre des vivants ! la Glose dit que cela doit peut-être être entendu de l’espérance de ceux qui s’y croyaient inscrits. Il semble donc qu’on ne doive pas dire que quelqu’un peut en être effacé.

[11657] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, Exod. 32, 33: qui peccaverit mihi, delebo eum de libro meo. Sed multi peccant. Ergo multi delentur.

Cependant, [1] il est dit en Ex 32, 33 : Celui qui aura péché contre moi, je l’effacerai de mon livre. Or, beaucoup pèchent. Beaucoup seront donc effacés.

[11658] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, nullus simul est scriptus in libro vitae et damnatus. Sed multi qui prius fuerunt scripti in libro vitae, postea damnantur, sicut patet de discipulis Christi, quibus dictum est Lucae 10, 20: gaudete, quia nomina vestra scripta sunt in libro vitae: ex quibus tamen multi abierunt retrorsum, ut dicitur Joan. 6. Ergo aliqui qui prius fuerunt ibi scripti, delentur.

[2] Personne n’est en même temps inscrit dans le livre de vie et damné. Or, beaucoup, qui ont d’abord été inscrits dans le livre de vie, ont par la suite été damnés, comme cela ressort des disciples du Christ, à qui il a été dit, Lc 10, 20 : Réjouissez-vous, car vos noms sont inscrits dans le livre de vie, et parmi lesquels plusieurs sont retournés en arrière, comme il est dit en Jn 6. Certains qui y ont d’abord été inscrits seront donc effacés.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[11659] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod liber vitae, de quo nunc loquimur, metaphorice dicitur. Unde oportet quod ejus significatio accipiatur secundum similitudinem libri materialis; de cujus ratione videtur esse quod contineat figuras aliquas quasi similitudines aliquas illorum qui per librum illum cognoscuntur; unde et liber vitae dicitur, quia continet similitudines quibus potest cognosci vita. Non est autem sufficienter liber vitae, quasi perfectam cognitionem de vita faciens, nisi contineat similitudines de vita cujuslibet in particulari; quia cognitio in universali est imperfecta et in potentia. Sed habere hoc modo similitudines omnium habentium vitam determinate, non est nisi divinae mentis, in qua sunt exemplaria rerum omnium propria; et ideo liber vitae non est quid creatum, sed est divina notitia de vita non solum in universali, sed in particulari quantum ad omnes in quibus invenitur vita. Et quia notitia est essentiale et appropriatum filio, ideo liber vitae essentiale quiddam est in divinis, et filio appropriatur.

C’est par métaphore que nous parlons ici du livre de vie. Aussi faut-il que sa signification soit entendue selon la ressemblance avec un livre matériel, dont le propre est de contenir certaines figures qui sont comme des ressemblances de ce qui est connu par ce livre. On parle ainsi du livre de vie parce qu’il contient des ressemblances par lesquellles la vie peut être connue. Or, il n’est suffisamment le livre de vie, donnant une parfaite connaissance de la vie, que s’il contient les ressemblances de la vie de toutes choses de manière particulière, car la connaissance dans l’universel est imparfaite et en puissance. Or, posséder ainsi les ressemblances de tous les vivants d’une manière déterminée ne peut être le fait que de l’esprit divin, dans lequel existent les modèles propres de toutes choses. C’est pourquoi le livre de vie n’est pas quelque chose de créé, mais il est la connaissance divine de la vie, non seulement dans l’universel, mais de manière particulière pour tous ceux chez qui on trouve la vie. Et parce que la connaissance est quelque chose d’essentiel et d’approprié au Fils, le livre de vie est donc quelque chose d’essentiel en Dieu, et il est approprié au Fils.

[11660] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod vetus et novum testamentum dicitur liber vitae, quasi faciens cognitionem de vita universali, et docens praecepta quibus pervenitur ad vitam; non tamen facit notitiam de vita uniuscujusque; et ideo aliquo modo potest dici liber vitae, sed non secundum completam rationem.

1. L’Ancien et le Nouveau Testament sont appelés le livre de vie en tant qu’ils donnent une connaissance de la vie dans l’universel et qu’ils enseignent les commandements par lesquels on parvient à la vie ; cependant, ilss ne donnent pas une connaissance de la vie de chacun. C’est pourquoi on peut les appeler d’une certaine manière le livre de vie, mais non selon la raison complète [de celui-ci].

[11661] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Christus secundum humanam naturam dicitur liber vitae, quasi exemplar universale vitae, sed non quasi similitudo particulariter faciens cognoscere vitam uniuscujusque.

2. Le Christ est appelé le livre de vie selon sa nature humaine, en tant que modèle universel de la vie, mais non en tant que ressemblance faisant connaître d’une manière particulière la vie de chacun.

[11662] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod similitudines vel figurae istius libri non sunt aliquid additum essentiae ejus: quia rationes exemplares, ut in 1 libro dictum est, sunt ipsa divina essentia; et ideo non oportet quod recipiat peregrinas impressiones.

3. Les ressemblances ou les figures de ce livre ne sont pas quelque chose d’ajouté à son essence, car les raisons exemplaires, comme on l’a dit dans le livre I, sont l’essence divine elle-même. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire qu’il reçoive des impressions passagères.

[11663] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod pater dicitur caput libri, idest filii, secundum quod liber appropriatur filio.

4. Le Père est appelé tête du livre, c’est-à-dire du Fils, selon que le livre est approprié au Fils.

[11664] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quamvis vita approprietur spiritui sancto, tamen notitia de vita appropriatur filio.

5. Bien que la vie soit appropriée au Saint-Esprit, la connaissance de la vie est cependant appropriée au Fils.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[11665] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod liber vitae dicitur notitia Dei. Quia autem liber proprie est illorum quorum notitiam facit per figuras et similitudines existentes in libro; ideo illorum solum notitia dici potest liber quae cognoscit Deus per similitudinem. Mala autem non cognoscit Deus per similitudines existentes malorum in se, sed cognoscuntur per modum privationis. Similiter etiam Deus seipsum non cognoscit per similitudinem sui ipsius, sed per hoc quod sibi secundum essentiam suam praesens est. Unde neque notitia quam habet de seipso, neque notitia quam habet de malis, potest dici liber vitae, nisi de malis poenae, inquantum sunt justa et bona, secundum quod dicitur liber mortis. Vita autem inter bona computatur: unde oportet quod liber vitae intelligatur respectu vitae quae in creaturis invenitur. Et quamvis Deus habeat notitiam de vita naturae et gratiae et gloriae (unde respectu cujuslibet dictarum vitarum posset dici Dei notitia liber vitae); tamen perfecta ratio vitae non invenitur nisi in vita gloriae, quae permixtionem mortis non patitur; et ideo liber vitae secundum propriam sui acceptionem est notitia Dei quam habet de vita gloriae uniuscujusque. Sic ergo differt liber vitae a scientia Dei, quae est de temporalibus et aeternis; et a praescientia, quae est de bonis et malis; et etiam a praedestinatione, quia praedestinatio proprie de futuris est, et providentia directionem in finem importat, cum sit propositum miserendi. Sed liber vitae simplicem notitiam de vita importat, et non determinat aliquod tempus; unde scripti in libro vitae dicuntur et qui vitam habent, et qui habituri sunt.

C’est la connaissance de Dieu qui est appelée le livre de vie, car le livre porte au sens propre sur ceux dont il donne la connaissance par des figures et des ressemblances se trouvant dans le livre. Seule la connaissance de ce que Dieu connaît par leur représentation peut donc être appelée un livre. Or, Dieu ne connaît pas le mal par des ressemblances existant en lui, mais il est connu par mode de privation. De même aussi, Dieu ne se connaît pas lui-même par une ressemblance de lui-même, mais par le fait qu’il est présent à lui-même selon sa propre essence. En conséquence, ni la connaissance qu’il a de lui-même, ni la connaissance qu’il a du mal ne peut être appelée le livre de vie, sauf pour le mal de peine, en tant qu’il est juste et bon ; on parle alors du livre de la mort. Or, la vie est comptée parmi les biens. Il faut donc que le livre de vie s’entendre par rapport à la vie qui se trouve dans les créatures. Et bien que Dieu ait une connaissance de la vie de la nature, de la grâce et de la gloire (on pourrait ainsi parler du livre de vie pour la connaissance que Dieu a de chacune de ces vies), la raison parfaite de vie ne se trouve cependant que dans la vie de la gloire, qui ne souffre pas de mélange avec la mort. C’est pourquoi le livre de vie, au sens propre, est la connaissance que Dieu a de la vie de la gloire pour chacun. Le livre de vie diffère donc de la science de Dieu, qui porte sur les réalités temporelles et éternelles ; de la prescience, qui porte sur les bons et les méchants ; de la prédestination, car la prédestination, au sens propre, porte sur les réalités à venir, et de la providence, qui comporte une direction vers une fin, puisqu’elle est l’intention de faire miséricorde. Or, le livre de vie comporte une simple connaissance de la vie et ne détermine aucun temps. Aussi dit-on que ceux qui ont la vie et ceux qui l’auront sont inscrits au livre de vie.

[11666] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 2 ad arg. Et per hoc patet solutio ad omnia objecta.

La réponse à toutes les objections est ainsi claire.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[11667] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod liber vitae, ut dictum est, est notitia Dei de vita gloriae alicujus hominis. Res autem aliqua dupliciter habet esse, scilicet in se et in sua causa: in se quidem est simpliciter; in causa autem sua habet esse secundum quid. Causa autem gloriae est gratia, sufficiens quantum in se est: unde qui habet gratiam, habet jam vitam gloriae secundum quid. Cognitio ergo de vita gloriae alicujus habetur a Deo dupliciter. Uno modo, inquantum Deus scit ipsam vitam gloriae in isto esse, vel futuram esse simpliciter; et tunc talis dicitur esse scriptus in libro vitae simpliciter, vel adscriptus, ut quidam dicunt, ad similitudinem illorum qui adscribuntur ad militiam, vel ad aliquod officium. Alio modo, inquantum Deus scit vitam gloriae inesse isti, vel futuram esse in eo in causa sua, quae est gratia; et talis dicitur secundum quid scriptus in libro vitae, vel annotatus, ut quidam dicunt. Quia ergo non potest esse ut scientia Dei fallatur, ideo quemcumque scit habiturum vitam aeternam, habebit eam. Unde iste qui simpliciter scriptus est vel adscriptus in libro vitae, non potest inde deleri. Sed quia gratia, quae est causa gloriae in eo qui habet praesentem justitiam, quando ipse a justitia per peccatum decidit, desinit esse gloriae causa in eo; ideo notitia Dei de gratia istius non est ut de causa gloriae: unde jam ista cognitio gratiae istius quam Deus habet, non pertinet ad librum vitae gloriae: et secundum hoc dicitur deleri de libro vitae, non aliqua mutatione in libro facta, sed in ipso ex parte cujus accidit quod gratia non est jam causa gloriae; et dicitur Deus aliquem de libro vitae delere, inquantum permittit eum a justitia excidere per peccatum.

Comme on l’a dit, le livre de vie est la connaissance que Dieu a de la vie de la gloire pour un homme. Or, une chose possède l’être de deux manières : en soi et dans sa cause. En soi, elle est simplement ; dans sa cause, elle a l’être de manière relative. Or, la cause de la gloire est la grâce, qui est suffisante en elle-même ; celui qui a la grâce possède donc déjà la vie de la gloire de manière relative. Dieu a donc la connaissance de la vie de la gloire de quelqu’un de deux manières. D’une manière, pour autant que Dieu sait que la vie de la gloire elle-même existe ou existera simplement en celui-là : on dit alors qu’il est inscrit simplement dans le livre de vie ou qu’il [y] est inscrit, comme certains le disent, par ressemblance avec ceux qui sont inscrits dans l’armée ou pour une foncntion. D’une autre manière, en tant que Dieu sait que la vie de la gloire existe ou existera en celui-là en lui en sa cause, qui est la grâce : on dit que celui-ci est inscrit ou porté dans le livre de vie, comme le disent certains. Parce qu’il ne peut arriver que la science de Dieu se trompe, si elle sait que tel ou tel aura la vie éternelle, il l’aura donc. Aussi celui qui est inscrit simplement ou porté dans le livre de vie ne peut-il en être effacé. Mais parce que la grâce, qui est la cause de la gloire chez celui qui possède présentement la justice, lorsqu’il perd la justice par le péché, cesse d’être en lui cause de la gloire, la connaissance que Dieu a de la grâce de celui-ci n’existe pas comme cause de la gloire. Aussi cette connaissance que Dieu a de sa grâce ne relève-t-elle pas du livre de vie. Sous cet aspect, on dit qu’il est effacé du livre de vie, non pas par un changement apporté au livre, mais en lui-même, du fait que la grâce n’est pas plus cause de la gloire. Et on dit que Dieu efface quelqu’un du livre de vie pour autant qu’il permet qu’il perd la justice par le péché.

[11668] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod praedestinatio importat directionem in finem, quod non importat liber vitae, ut dictum est, et ideo non potest dici praedestinatus ille qui habet praesentem justitiam tantum; potest autem aliquo modo dici scriptus in libro vitae, ut dictum est.

1. La prédestination comporte une direction vers la fin, ce que ne comporte pas le livre de vie, comme on l’a dit. Aussi ne peut-on appeler prédestiné celui qui n’a que la justice présente ; mais on peut dire qu’il est inscrit d’une certaine manière dans le livre de vie, comme on l’a dit.

[11669] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum patet solutio per id quod supra dictum est.

2. La réponse ressort de ce qui a été dit plus haut.

[11670] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Glossa illa loquitur de Scriptura qua aliquis scriptus est in libro vitae simpliciter.

3. Cette glose parle de l’écriture par laquelle quelqu’un a été simplement inscrit dans le livre de vie.

 

 

Articulus 3 [11671] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 3 tit. Utrum quaelibet caritas possit resistere cuilibet tentationi

Article 3 – N’importe quelle charité peut-elle résister à n’importe quelle tentation ?

[11672] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod non quaelibet caritas possit resistere cuilibet tentationi. Sicut enim caritas obsistit peccato, ita et ratio, ut supra dictum est. Sed non quaelibet ratio potest tentationi resistere, sicut patet in incontinentibus, qui habent rationem rectam, et vincuntur, ut dicit philosophus. Ergo non quaelibet caritas potest tentationi cuilibet resistere.

1. Il semble que ce ne soit pas n’importe quelle charité qui puisse résister à n’importe quelle tentation. En effet, de même que la charité s’oppose au péché, de même aussi la raison le fait-elle, comme on l’a dit. Or, ce n’est pas n’importe quelle raison qui peut résister à la tentation, comme cela est clair pour les incontinents, qui ont une raison droite et sont vaincus, comme le dit le Philosophe. Ce n’est donc pas n’importe quelle charité qui peut résister à la tentation.

[11673] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, major est difficultas in resistendo malo quam in operando bonum simpliciter. Sed caritas minima non potest in quodlibet bonum. Ergo nec potest cuilibet tentationi resistere.

2. La difficulté de résister au mal est plus grande que de simplement faire le bien. Or, la plus petite charité ne suffit pas pour faire n’importe quel bien. Elle ne peut donc pas résister à n’importe quelle tentation.

[11674] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, in resistendo maximae tentationi est maximum meritum, cum sit ibi maxima pugna quae coronam meretur. Sed minima caritas non potest in maximum praemium. Ergo nec resistere maximae tentationi.

3. La résistance à la plus grande tentation obtient le plus grand mérite, puisqu’il y a là le plus grand combat qui mérite la couronne. Or, la plus petite charité ne peut obtenir le bien le plus grand. Elle ne peut donc pas non plus résister à la plus grande tentation.

[11675] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, caritas imperfecta non resistit venialibus. Sed major est impugnatio mortalium quam venialium. Ergo non resistit maximae tentationi.

4. La charité imparfaite ne résiste pas aux fautes vénielles. Or, le combat est plus grand contre les fautes mortelles que contre les vénielles. Elle ne résiste donc pas à la plus grande tentation.

[11676] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, 1 Corinth. 10, 13: fidelis Deus, qui non patietur vos tentari supra id quod potestis. Sed illi quibus scribebatur, habebant gratiam, sicut patet in principio epistolae. Ergo aliqua tentatio est supra posse habentis gratiam vel caritatem.

5. Il est dit en 1 Co 10, 13 : Le Dieu fidèle ne supportera pas que vous soyez tentés au-delà de vos forces. Or, ceux à qui on écrivait avaient la grâce, comme cela ressort du début de la lettre. Il existe donc une tentation qui dépasse le pouvoir de celui qui a la grâce ou la charité.

[11677] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, non potest evitari omne peccatum, nisi omni tentationi resistatur. Sed minima caritas potest vitare omne peccatum, cum etiam homo in puris naturalibus existens hoc potuisset. Ergo caritas quaelibet potest omnem tentationem vincere.

Cependant, [1] tout péché ne peut être évité que si l’on résiste à toute tentation. Or, la plus petite charité peut éviter tout péché, puisque l’homme établi dans sa pure condition naturelle l’aurait pu. N’importe quelle charité peut donc vaincre toute tentation.

[11678] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, plus diligit caritas legem Dei quam cupiditas millia auri et argenti, ut dicit Glossa super Psalm. 118. Sed major dilectio minori tentationi resistere potest. Ergo quaelibet caritas resistere potest cuilibet tentationi.

2. « La charité aime davantage la loi de Dieu que la cupidité n’aime des milliers d’or et d’argent », comme le dit la Glose sur Ps 118. Or, un plus grand amour peut résister à une plus petite tentation. Toute charité peut donc résister à toute tentation.

[11679] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 3 s. c. 3 Praeterea, nullus peccat in eo quod non potest vitare, ut Augustinus dicit. Si ergo habens caritatem non posset cuilibet tentationi resistere, videtur quod tentationi consentiens non peccaret.

3. Personne ne pèche pour ce qu’il ne peut éviter, comme le dit Augustin. Si donc celui qui possède la charité ne pouvait résister à n’importe quelle tentation, il semble que celui qui consent à la tentation ne pécherait pas.

[11680] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod resistere tentationi dupliciter dicitur. Uno modo ut quis a tentatione non vincatur; alio modo ut quis tentationem vincat. Dicitur enim aliquis a tentatione vinci, quando a proposito bono trahitur per tentationem in consensum peccati; sicut est in incontinente qui habet rationem rectam, sed deducitur. Qui enim non habet propositum bonum, ut intemperatus, sive luxuriosus, non vincitur, quia libenter id agit. Vincit autem qui non solum a tentatione superveniente in actum peccati non deducitur, sed etiam ex magnitudine virtutis, quasi nihil tentationem parvipendit. Qui vero difficultatem a tentatione patitur, sed non deducitur; resistit quidem tentationi cum non consentit, sed non vincit, proprie loquendo. Loquendo ergo primo modo de resistentia peccati, sic quaelibet caritas potest resistere peccato propter liberum arbitrium liberatum a servitute peccati, quamvis difficultatem patiatur propter tentationis impulsum. Loquendo vero de tentatione secundo modo, sic caritas quae est parva in principio tentationis, potest tentationibus resistere, quia in fine tentationis fit magna, cum Deus pugnanti auxilium semper administret. Si tamen ponatur quod semper parva maneret, non posset per modum dictum tentationi resistere.

Réponse. On parle de résister à la tentation de deux manières. D’une manière, de sorte qu’on ne soit pas vaincu par la tentation ; d’une autre manière, de sorte qu’on vainque sur la tentation. En effet, on dit que quelqu’un est vaincu par la tentation lorsqu’il est détourné par la tentation d’une bonne intention vers un consentement au péché, comme c’est le cas de l’incontinent qui a une raison droite, mais est entraîné. En effet, celui qui n’a pas une bonne intention, comme l’intempérant ou le débauché, n’est pas vaincu, puisqu’il fait cela librement. Mais l’emporte celui qui, non seulement n’est pas entraîné à l’acte d’un péché lorsque la tentation survient, mais aussi, en raison de la grandeur de sa vertu, dédaigne la tentation comme rien. Toutefois celui qui subit une difficulté en raison de la tentation, mais n’est pas entraîné, résiste à la tentation lorsqu’il ne consent pas, mais ne l’emporte pas, au sens propre. Si donc on parle de la première manière de résistance au péché, n’importe quelle charité peut résister au péché en raison du libre arbitre qui a été libéré de la servitude du péché, bien qu’il subisse une difficulté en raison de l’incitation de la tentation. Mais si on parle de la tentation de la seconde manière, la charité, qui est petite au début de la tentation, peut résister aux tentations, car, à la fin de la tentation, elle devient grande, puisque Dieu apporte toujours son aide à celui qui combat. Cependant, si on affirme qu’elle demeure toujours petite, elle ne pourrait résister à la tentation selon le mode mentionné.

[11681] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non est simile de incontinente et habente caritatem: quia habens caritatem habet jam habitum virtutis, quam non habet incontinens: et praeterea incontinens etiam non vincitur quando non posset resistere, si vellet ratione recta quam habet uti, ut supra dictum est.

1. Il n’en va pas de même de celui qui est incontinent et de celui qui possède la charité, car celui qui possède la charité possède déjà l’habitus de la vertu, que ne possède pas l’incontinent. De plus, l’incontinent n’est pas non plus vaincu alors qu’il ne pourrait résister, s’il voulait faire usage de la raison droite qu’il possède, comme on l’a dit.

[11682] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis sit major difficultas laboris, non tamen est major difficultas quae attenditur secundum excessum operis ad potentiam; qua attenditur in virtutibus, ut dictum est.

2. Bien que la difficulté de l’effort soit plus grande, la difficulté considérée selon que l’action dépasse la puissance n’est pas plus grande : c’est d’elle que s’occupe la vertu, comme on l’a dit.

[11683] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium potest dici, quod etiam minima caritas potest in magnum meritum respectu praemii accidentalis, non autem respectu praemii substantialis, ut supra dictum est.

3. Même la plus petite charité est capable d’un grand mérite en regard de la récompense accidentelle, mais non en regard de la récompense substantielle, comme on l’a dit plus haut.

[11684] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod venialibus etiam resistere posset, si aliquis caritate contra venialium tentationem uteretur, non ut vitaret omnia, sed quia potest singula vitare.

4. Elle peut résister aussi aux fautes vénielles, si quelqu’un faisait usage de la charité contre la tentation de fautes vénielles, non pas qu’il éviterait toutes les  [fautes], mais parce qu’il peut éviter chacune.

[11685] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod apostolus loquitur quantum ad id quod homo potest sustinere sine animi perturbatione; quod non potest nisi caritas perfecta, ut in magnis tribulationibus aequanimitatem servet.

5. L’Apôtre parle de ce que l’homme peut supporter sans trouble de l’âme. Il ne le peut sans une charité parfaite, par laquelle il conserve l’équanimité dans de grandes tribulations.

 

 

Articulus 4 [11686] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 tit. Utrum homo semper resurgat in minori caritate

Article 4 – L’homme se relève-t-il  toujours avec une charité moindre ?

 

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [L’homme se relève-t-il toujours avec une charité moindre ?]

[11687] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod homo semper in minori caritate resurgat. Amos 5, 2: virgo Israel cecidit etc.; Glossa: non negat ut resurgat, sed ut resurgere virgo possit: quia semel aberrans etsi reportetur humeris pastoris, non habet tantam gloriam quantam qui nunquam aberravit. Sed gloria commensuratur caritati. Ergo homo post peccatum non habet tantam caritatem resurgens, quantam primo.

1. Il semble que l’homme se relève toujours avec une charité moindre. À propos de Am 5, 2 : La vierge d’Israël est tombée, etc., la Glose dit : « Il ne nie pas qu’elle se relève, mais qu’elle puisse relever, car celle qui s’est égarée, même si elle est ramenée sur les épaules du pasteur, n’a pas une gloire aussi grande que celle qui ne s’est jamais égarée. » Or, la gloire se mesure à la charité. Lorsqu’il se relève, l’homme n’a donc pas après le péché une charité aussi grande qu’auparavant.

[11688] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, Ezech. 44, 10: Levitae qui recesserunt a me (...) nunquam appropinquabunt mihi, ut sacerdotio fungantur. Sed aliquis quantum ad spirituale sacerdotium appropinquat Deo per caritatem. Ergo non habet tantam caritatem qui aliquando recessit a Deo per peccatum, quantam ante.

2. Ez 44, 10 : Les lévites qui se seront éloignés de moi… ne m’approcheront jamais afin d’exercer le sacerdoce. Or, on s’approche de Dieu par la charité, pour ce qui est du sacerdoce spirituel. Celui qui, à un moment, s’est éloigné de Dieu par le péché n’a donc pas une charité aussi grande qu’auparavant.

[11689] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 3 Praeterea, caritas incipiens nunquam est tanta, quanta proficiens et perfecta. Sed aliquis quando cecidit, habuit caritatem proficientem, vel perfectam; quando autem resurgit, habet caritatem incipientem. Ergo non habet tantam caritatem quantam prius.

3. À ses débuts, la charité n’est jamais aussi grande que lorsqu’elle progresse et devient parfaite. Or, lorsque quelqu’un est tombé, il avait une charité en progrès ou parfaite ; mais lorsqu’il se relève, il a une charité débutante. Il n’a donc pas une charité aussi grande qu’auparavant.

[11690] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 4 Praeterea, nunquam potest tantum disponere se ad recipiendum divini luminis influentiam qui est sine caritate, quantum cum caritate. Sed secundum quod aliquis disposuit se ad gratiam, Deus illi gratiam infundit. Ergo semper magis recipit de influentia gratiae aliquis permanens in caritate, quam de novo caritatem accipiens; et sic idem quod prius.

4. Jamais celui qui n’a pas la charité ne peut se disposer à recevoir une aussi grande influence de la lumière divine que celui qui a la charité. Or, Dieu infuse la grâce à celui qui s’y est disposé. Celui qui demeure dans la charité reçoit donc toujours plus d’influence de la grâce que celui qui reçoit de nouveau la charité. La conclusion est ainsi la même que précédemment.

[11691] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, in Malach. 3, 4: placebit Deo sacrificium Juda et Hierusalem, sicut dies saeculi et anni antiqui. Sed caritas facit omnia nostra Deo esse accepta. Ergo aliquis post lapsum resurgens potest habere tantum de caritate, quantum prius.

Cependant, en Ml 3, 4, il est dit : Le sacrifice de Juda et de Jérusalem plaira à Dieu, comme les jours du siècle et de l’année écoulés. Or, la charité fait en sorte que tout ce que nous faisons est agréable à Dieu. Après la chute, celui qui se relève peut donc avoir autant de charité qu’auparavant.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Celui qui se relève a-t-il toujours une charité plus grande ?]

[11692] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod semper resurgat in majori. Gen. 1: factum est vespere et mane dies unus; Glossa: vespertina lux a qua quis cecidit, matutina in qua resurgit. Sed lux matutina est major quam vespertina. Ergo et gratia vel caritas in qua quis resurgit, illa quam prius habebat.

1. Il semble que celui qui se relève ait toujours une [charité] plus grande. À propos de Gn 1 : Il y eut un soir et il y eut un matin : un jour, la Glose dit : « La lumière du soir est celle où on tombe, celle du matin, celle où on se relève. » Or, la lumière du matin est plus grande que celle du soir. La grâce ou la charité dans laquelle quelqu’un se relève est donc plus grande que celle qu’il possédait auparavant.

[11693] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, Rom. 5, 20: ubi abundavit delictum, superabundavit et gratia. Sed ubi superabundat gratia, est ibi major caritas. Ergo et cetera.

2. Il est dit en Rm 5, 20 : Là où la faute a abondé, la grâce a surabondé. Or, là où la grâce surabonde, il y a une charité plus grande. Donc, etc.

[11694] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 3 Praeterea, peccatum vincit primam caritatem. Vincitur autem a secunda. Ergo secunda caritas est fortior et major quam prima.

3. Le péché l’emporte sur la première charité. Or, il est vaincu par la seconde. La seconde charité est donc plus forte et plus grande que la première.

[11695] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, innocens non est minus aptus ad recipiendum gratiam quam peccator. Sed primam gratiam accipit innocens, secundam accipit peccator. Ergo non oportet quod secunda sit major quam prima.

Cependant, l’innocent n’est pas moins apte à recevoir la grâce que le pécheur. Or, l’innocent a reçu la première grâce, le pécheur, la seconde. Il n’est donc pas nécessaire que la seconde [grâce] soit plus grande que la première.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La grâce après le péché est-il au moins aussi grande ?]

[11696] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod ad minus semper sit aequalis. Roman. 8, 28: diligentibus Deum omnia cooperantur in bonum; Glossa: etiam casus in peccatum. Sed hoc non esset, si in majori caritate resurgeret. Ergo nunquam in minori, sed semper in aequali resurgit.

1. Il semble qu’elle soit au moins égale. À propos de Rm 8, 28 : Tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu, la Glose dit : « Même le fait de tomber dans le péché. » Or, ce ne serait pas le cas s’il se relevait avec une charité plus grande. Il ne se relève donc jamais avec une charité moindre, mais toujours avec une charité égale.

[11697] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 2 Praeterea, Ambrosius dicit quod poenitentia omnia ablata restituit. Sed hoc non esset si non resurgeret ad minus in aequali caritate. Ergo semper resurgit aliquis in aequali caritate.

2. Ambroise dit que la pénitence restitue tout ce qui a été perdu. Or, ce ne serait pas le cas si l’on ne se relevait pas avec une charité au moins égale. On se relève donc toujours avec une charité égale.

[11698] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 3 Praeterea, contritio debet proportionari praecedenti peccato. Sed peccatum proportionatur quodammodo gratiae quam expellit. Ergo et gratia vel caritas per quam homo conteritur, debet esse aequalis gratiae praecedenti.

3. La contrition doit être proportionnée au péché précédent. Or, le péché est d’une certaine manière proportionné à la charité qu’il chasse. La grâce ou la charité, par laquelle un homme est contrit, doit donc être égale à la grâce précédente.

[11699] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 4 Praeterea, poenitentia vivificat merita per peccata mortificata. Ergo poenitens tantam habebit gloriam quantum ante peccatum meruerat. Sed tantum meruerat quantum de caritate habuerat. Gloria ergo quam poenitens habebit, proportionatur caritati quam ante peccatum habuit. Proportionatur autem caritati in qua in morte invenitur post poenitentiam: quia lignum ubi ceciderit, ibi erit: Eccles. penult. Ergo caritas in qua resurgit poenitens, est aequalis caritati a qua cecidit.

4. La pénitence donne vie aux mérites morts par les péchés. Donc, le pénitent aura autant de gloire qu’il en a mérité avant le péché. Or, il en a mérité autant qu’il avait de charité. La gloire que le pénitent aura est donc proportionnée à la charité qu’il avait avant le péché. Or, elle est proportionnée à la charité où le trouve la mort après la pénitence, car l’arbre se trouvera là où il est tombé, Si 50. La charité avec laquelle le pénitent se relèvera est donc égale à la charité avec laquelle il est tombé.

[11700] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, minima contritio sufficit ad deletionem omnium peccatorum. Sed secundum quantitatem contritionis attenditur quantitas caritatis in qua quis resurgit. Ergo cum potuerit, quando prius habuit gratiam, ex magna praeparatione gratiam accepisse, videtur quod possibile sit quod recipiat minorem gratiam et caritatem quam prius habuit.

Cependant, la plus petite contrition suffit à détruire tous les péchés. Or, la quantité de la charité avec laquelle on se relève se prend de la quantité de la contrition. Puisqu’il pouvait, alors qu’il avait d’abord la grâce, avoir reçu la grâce avec une grande préparation, il semble donc qu’il soit possible qu’il reçoive une grâce et une charité moindres qu’il n’avait antérieurement.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[11701] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod mensura caritati praefigitur a Deo secundum suam voluntatem, et aliquo modo commensuratur ad conatum illius qui gratiam recipit. Unde cum aliquis post peccatum possit multum et parum conari ad recipiendum caritatem, et divinae liberalitati non ponatur terminus per peccatum, cum ipse quantum in se est, sit paratus omnia peccata totaliter delere; oportet dicere sicut et communiter dicitur, quod aliquis potest post peccatum in majori et in minori et aequali caritate resurgere.

La mesure de la charité est fixée à l’avance par Dieu selon sa volonté et, d’une certaine manière, elle est proportionnée à l’effort de celui qui reçoit la grâce. Ainsi, lorsque quelqu’un, après un péché, peut faire plus ou moins d’effort pour recevoir la charité et qu’il n’est pas mis de limite à la libéralité divine par le péché, puisqu’il est en lui-même disposé à détruite tous les péchés, il faut dire et on dit généralement que quelqu’un, après le péché, se relève avec une charité plus grande, moins grande et égale.

[11702] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod loquitur de gloria praemii accidentalis, quae non commensuratur caritati, sed actui vel statui: quia post peccatum virgo aureolam non habebit; et similiter nec peccator resurgens gaudium de innocentia continua.

1. On parle de la gloire de la récompense accidentelle, qui n’est pas proportionelle à la charité, mais à l’acte ou à l’état, car, après le péché, une vierge ne recevra pas d’auréole. De même, le pécheur qui se relève n’aura-t-il pas non plus la joie d’une innocence continue.

[11703] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ab officio dignitatis aliquis repellitur propter peccatum commissum etiam si poenitentiam egerit, sicut propter homicidium repellitur a sacerdotio; et hoc est propter hoc quod non reducitur ad statum tantae dignitatis, quamvis reducatur ad aequalem caritatem.

2. Quelqu’un est écarté de la fonction d’une dignité en raison d’un péché commis, même s’il a fait pénitence ; ainsi est-il écarté du sacerdoce en raison d’un homicide. Cela est dû au fait qu’il n’est pas ramené à l’état d’une si grande dignité, bien qu’il soit ramené à une charité égale.

[11704] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod loquendo de una et eadem caritate, verum est quod caritas incipiens minor est quam proficiens vel perfecta; sed una incipiens potest esse major quam alterius qui est in statu proficientium, sicut aliquod animal statim natum est majus quam aliud etiam perfectum.

3. Si l’on parle d’une seule et même charité, il est vrai que la charité qui débute est moindre que celle qui progresse ou est parfaite. Mais une [charité] débutante peut être plus grande que celle d’un autre qui se trouve dans l’état de ceux qui progressent, de même qu’un animal naît d’un coup plus grand qu’un autre, même parfait.

[11705] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ceteris paribus semper ille qui habet caritatem, recipit plus de influentia divini luminis; sed ille qui non habet caritatem, potest plus conari, et magis recipiet.

4. Toutes choses étant égales, celui qui possède la charité reçoit toujours davantage l’influence de la lumière divine ; mais celui qui ne possède pas la charité peut faire plus d’efforts, et il en recevra davantage.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[11706] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod non est necessarium quod semper in majori caritate resurgat: quia etiam minor praeparatio, vel aequalis, sufficit ad hoc quod gratia infundatur.

Il n’est pas nécessaire qu’il se relève toujours avec une charité plus grande, car même une préparation moindre ou égale suffit pour que la grâce soit infusée.

[11707] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod similitudo illa attenditur non quantum ad quantitatem lucis, sed quantum ad ordinem lucis ad tenebras.

1. Cette compariason n’est pas envisagée selon la quantité de la lumière, mais selon le rapport entre la lumière et les ténèbres.

[11708] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod apostolus loquitur de gratia redemptionis, quae superabundavit ad delictum primi hominis; et non loquitur universaliter.

2. L’Apôtre parle de la grâce de la rédemption, qui a surabondé par rapport à la faute du premier homme, et il ne parle pas de manière universelle.

[11709] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod peccatum non vincit caritatem propter ejus debilitatem; sed quia ille qui peccat, non utitur auxilio caritatis; et ideo ratio non sequitur.

3. Le péché ne l’emporte pas sur la charité en raison de la faiblesse de celle-ci, mais parce que celui qui pèche ne fait pas usage de l’aide de la grâce. Le raisonnement n’est donc pas concluant.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[11710] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod etiam in minori caritate potest homo resurgere: quia quantulumcumque de peccato doleat, et ad gratiam se praeparet, dummodo ad terminum contritionis perveniat, qua plus displicet ei a Deo recessisse quam aliquod temporale placuit, gratiam habebit, etiam si non tantum praeparet se quantum prius, dum fuit innocens, praeparavit.

L’homme peut se relever même avec une charité moindre, car, aussi peu déplore-t-il son péché et se prépare-t-il à la grâce, pourvu qu’il atteigne la limite de la contrition, par laquelle il lui déplaît davantage de s’être éloigné de Dieu que quelque chose de temporel ne lui a plu, il aura la grâce, même s’il ne se prépare pas autant qu’il s’est préparé antérieurement, alors qu’il était innocent.

[11711] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod hoc intelligitur non semper quantum ad majorem quantitatem caritatis, sed quantum ad majorem diligentiam vel humilitatem, in qua poenitens resurgit, ad minus actuali. Minus autem malum est ut caritas diminuatur quam ut totaliter amittatur; et minus malum computatur pro magis bono, ut dicitur 5 Ethic. Et ideo in bonum diligentis Deum cedit peccatum, etiam si in minori caritate resurgat: quia per humilitatem et cautelam ab omnimoda gratiae amissione curatur.

1. Cela ne s’entend pas toujours d’une plus grande quantité de charité, mais de l’empressement plus grand ou de l’humilité [plus grande] avec laquelle le pénitent se relève, du moins pour ce qui est de l’acte. Or, c’est un mal moindre que la charité soit diminuée, qu’elle ne soit totalement enlevée, et un mal moindre est considéré comme un bien plus grand, comme on le dit dans Éthique, V. C’est pourquoi le péché tourne au bien de celui qui aime Dieu, même s’il se relève avec une charité moindre, car il est guéri de toute perte de la grâce par l’humilité et la prévoyance.

[11712] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod poenitentia omnia restituit; sed non oportet quod aequalia.

2. La pénitence a tout rendu, mais pas nécessairement à égalité.

[11713] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quantitas peccati non proportionatur gratiae quam exclusit: quia parvum peccatum potest maximam caritatem expellere, sicut e converso parva caritas dicitur maxima peccata delere, quia pendet ex conatu hominis potius quam ex quantitate habitus.

3. La quantité du péché n’est pas proportionnée à la grâce qu’elle écarte, car un petit péché peut chasser la plus grande charité, comme on dit en sens inverse qu’une petite charité détruit les plus grands péchés, car cela dépend davantage de l’effort de l’homme que de la quantité de l’habitus.

[11714] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut ex praedictis patet, per priora merita merebatur sibi tantam gloriam, quantam caritatem habebat. Sed ipse per peccatum factus est alter, et non plenarie ad pristinum gradum restitutus: et ideo non plenarie recipiet affectum priorum meritorum, nisi quantum ad praemium accidentale, quod mensuratur actibus magis quam habitu caritatis.

4. Comme cela ressort de ce qui a été dit auparavant, par les mérites antérieurs, il méritait une gloire aussi grande que la charité qu’il avait. Mais, par le péché, il est devenu un autre, et il n’est pas pleinement rétabli à son premier niveau. C’est pourquoi il ne recevra pas pleinement l’effet [corr. affectum/effectum] des mérites antérieurs, sauf pour la récompense accidentelle, qui se mesure plutôt selon les actes que selon l’habitus de la charité.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [La disparition de la charité en raison de la gloire]

Prooemium

Prologue

[11715] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 pr. Deinde quaeritur de evacuatione caritatis per gloriam; et circa hoc quaeruntur quatuor: 1 utrum fides et spes evacuentur gloria adveniente; 2 utrum caritas; 3 utrum ordo caritatis; 4 utrum scientia.

On s’interroge ensuite sur la disparition de la charité en raison de la gloire. À ce propos, quatre questions sont posées : 1. La foi et l’espérance seront-elles éliminées lorsque surviendra la gloire ? 2. La charité aussi ? 3. L’ordre de la charité aussi ? 4. La science aussi ?

 

 

Articulus 1 [11716] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 tit. Utrum fides evacuetur in patria

Article 1 – La foi sera-t-elle éliminée dans la patrie ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La foi sera-t-elle éliminée dans la patrie ?]

[11717] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod fides non evacuetur. Fides enim est fundamentum spiritualis aedificii. Sed fundamentum immobile manet, quidquid superaedificetur. Ergo fides non evacuatur adveniente gloria.

1. Il semble que la foi ne sera pas éliminée. En effet, la foi est le fondement de l’édifice spirituel. Or, le fondement demeure immuable, quoi qu’on construise par-dessus. La foi n’est donc pas éliminée lorsque survient la gloire.

[11718] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, nihil expellitur nisi a suo contrario. Sed gloria non est contraria fidei. Ergo adveniente gloria non evacuatur fides.

2. Rien n’est chassé que de ce qui lui est contraire. Or, la gloire n’est pas le contraire de la foi. Lorsque survient la gloire, la foi n’est donc pas éliminée.

[11719] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, perfectum et imperfectum circa ea quae sunt diversa specie, bene se compatiuntur in eodem, sicut quod homo habeat perfectam geometriam, et imperfectam grammaticam. Sed visio gloriae et fides sunt alterius speciei. Ergo visio gloriae non expellit fidem.

3. Le parfait et l’imparfait chez les choses qui diffèrent par l’espèce sont compatibles dans une même chose ; ainsi, un homme peut possèder parfaitement la géométrie et imparfaitement la grammaire. Or, la vision de la gloire et la foi sont d’espèce différente. La vision de la gloire ne chasse donc pas la foi.

[11720] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 4 Praeterea, opinio et scientia habent se sicut cognitio perfecta et imperfecta; et similiter cognitio matutina et vespertina in Angelis. Sed in hominibus manent simul scientia et opinio; et in Angelis simul cognitio matutina et vespertina. Ergo fides manet cum visione patriae.

4. Le rapport entre l’opinion et la science est le même qu’entre la connaissance parfaite et [la connaissance] imparfaite ; de même en est-il de la connaissance du matin et de la connaissance du soir chez les anges. Or, chez les hommes, la science et l’opinion cohabitent, et chez les anges, la connaissance du matin et la connaissance du soir. La foi cohabite donc avec la vision de la patrie.

[11721] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod apostolus dicit 1 Corinth. 13.

Cependant, [1] l’Apôtre dit le contraire, 1 Co 13.

[11722] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, fides est non apparentium. Sed in patria nihil erit non apparens eorum quorum est fides. Ergo ibi fides non erit.

2. La foi porte sur ce qui n’est pas visible. Or, dans la patrie, rien ne sera invisible de ce sur quoi porte la foi. Il n’y aura donc pas là de foi.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [L’espérance sera-t-elle éliminée ?]

[11723] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod nec spes evacuetur. Quia sicut se habet spes ad bona, ita se habet timor ad mala. Sed in damnatis semper manebit timor servilis. Ergo et similiter in beatis manebit spes.

1. Il semble que l’espérance non plus ne sera pas éliminée, car le rapport entre l’espérance et les biens est le même que le rapport entre la crainte et les maux. Or, la crainte servile demeurera toujours chez les damnés. Donc, de la même façon, l’espérance demeurera-t-elle chez les bienheureux.

[11724] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, Eccli. 24, 29: qui edunt me adhuc esurient; et loquitur de fruitione divinae sapientiae quae erit in patria. Sed esuriens expectat aliquid in futurum. Ergo sancti expectabunt aliquid in futurum etiam de praemio substantiali.

2. Il est dit dans Si 24, 29 : Ceux qui me mangent auront encore faim, et il parle de la jouissance [fruitione] de la sagesse divine qui existera dans la patrie. Or, celui qui a faim attend quelque chose dans l’avenir. Les saints attendront donc quelque chose dans l’avenir, même pour ce qui est de la récompense substantielle.

[11725] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, in fide quae evacuatur, invenitur aliquid commune fidei et gloriae, scilicet visio. Sed non invenitur aliquid in spe quod possit in patria esse: quia id quod est substantia spei, est expectatio, quae non manebit in patria. Ergo videtur quod non evacuetur spes.

3. Dans la foi qui est éliminée, se trouve quelque chose de commun à la foi et à la gloire, à savoir, la vision. Or, on ne trouve pas dans l’espérance quelque chose qui puisse exister dans la patrie, car ce qui est la substance de l’espérance est l’attente, qui ne demeurera pas dans la patrie. Il semble donc que l’espérance ne sera pas éliminée

[11726] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, Rom. 8, 24: quod videt quis quid sperat? Sed sancti videbunt in patria quidquid expectaverunt. Ergo spes in eis non erit.

Cependant, [1] il est dit en Rm 8, 24 : Ce que quelqu’un voit, comment l’espère-t-il ? Or, les saints verront dans la patrie tout ce qu’ils ont attendu. Il n’y aura donc pas d’espérance chez eux.

[11727] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, spes est expectatio beatitudinis futurae. Sed beatitudo in patria jam non erit futura. Ergo neque spes erit ibi.

[2] L’espérance est l’attente de la béatitude à venir. Or, la béatitude ne sera plus à venir dans la patrie. Il n’y aura donc pas non plus d’espérance.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Quelque chose de la substance de l’habitus de la foi et de l’espérance demeurera-t-il identique en nombre ?]

[11728] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod aliquid de substantia habitus fidei et spei remanebit idem numero. Quia in omni mutatione oportet esse aliquid commune utrique terminorum. Sed fides et spes mutantur in bona gloriae. Ergo oportet quod aliquid de substantia habitus fidei et spei maneat idem numero.

1. Il semble que quelque chose de l’habitus de la foi et l’espérance demeurera identique en nombre, car, en tout changement, il faut qu’il y ait quelque chose de commun aux deux termes. Or, la foi et l’espérance sont changées en biens de la gloire. Il faut donc que quelque chose de la substance de l’habitus de foi et d’espérance demeure identique en nombre.

[11729] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, sicut caritas adveniens opponitur fidei informi non secundum substantiam fidei, sed secundum informitatem; ita gloria adveniens opponitur fidei non secundum substantiam visionis, sed secundum imperfectionem tantum. Sed caritas adveniens tollit informitatem et remanet idem habitus numero fidei quantum ad substantiam, ut supra dictum est, dist. 23, quaest. 3, art. 4, quaestiunc. 1. Ergo et similiter gloria adveniens tollit tantum imperfectionem, et dimittit eamdem substantiam habitus numero.

2. De même que la charité qui survient s’oppose à la foi informe, non pas selon la substance de la foi, mais selon son caractère informe, de même, la gloire qui survient s’oppose à la foi, non pas selon la substance de la vision, mais selon son imperfection seulement. Or, la charité qui survient enlève le caractère informe et l’habitus de la foi demeure identique en nombre quant à sa substance, comme on l’a dit plus haut, d. 23, q. 3, a. 4, qa 1. De même, la gloire qui survient enlève-t-elle seulement l’imperfection et laisse-t-elle identique en nombre la substance de l’habitus.

[11730] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, quando scientia imperfecta crescit in perfectam, non tollitur substantia scientiae: similiter nec substantia corporis, quando ex puero fit vir; sed manet idem homo. Sed apostolus evacuationem fidei comparat perfectioni scientiae et aetatis. Ergo substantia fidei manet eadem numero.

3. Lorsque la science imparfaite progresse vers [la science] parfaite, la substance de la science n’est pas enlevée ; de la même façon, la substance du corps [ne l’est-elle pas] lorsque, d’enfant, il devient homme, mais il demeure le même homme. Or, l’Apôtre compare la disparition de la foi à la perfection de la science et de l’âge. La substance de la foi demeure donc la même en nombre.

[11731] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, formae quando destruuntur, sicut ex nihilo totaliter sunt, ita totaliter in nihilum tendunt. Sed fides et spes cum sint habitus, formae quaedam sunt. Ergo cum adveniente gloria destruantur, ut dicit apostolus, videtur quod nihil ipsarum maneat secundum numerum idem.

Cependant, [1] lorsque les formes sont détruites, comme elles viennent entièrement du néant, de même tendent-elles totalement vers le néant. Or, la foi et l’espérance, puisqu’elles sont des habitus, sont des formes. Puisqu’elles sont détruites lorsque survient la gloire, ainsi que le dit l’Apôtre, il semble donc que rien d’elles ne demeure identique en nombre.

[11732] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, impossibile est quod aliquid sit idem numero quod non sit idem specie, sicut dicit philosophus de fide et opinione in 4 Topicor. Sed visio patriae et fides differunt specie multo plus quam fides et opinio. Ergo visio fidei et patriae non est idem numero.

[2] Il est impossible que quelque chose soit identique en nombre sans être identique selon l’espèce, ainsi que le dit le Philosophe de la foi et de l’opinion dans les Topiques, IV. Or, la vision de la patrie et la foi diffèrent par l’espèce bien plus que la foi et l’opinion. La vision de la foi et de la patrie n’est donc pas identique en nombre.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [11733] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod in fide est cognitio quaedam et modus cognoscendi, quia cognoscit in speculo et in aenigmate; modus autem imperfectionis est, et obscuritatem importat. Unde cum gloria adveniens omnem imperfectionem et obscuritatem tollat, tollet quidem modum fidei quantum ad modum cognoscendi, sed remanebit cognitio eorum quorum est fides, non quidem jam aenigmatica, sed clara.

Dans la foi, il y a une certaine connaissance et une manière de connaître, car elle connaît dans un miroir et en énigme ; son mode est imparfait et comporte une obscurité. Puisque, lorsqu’elle survient, la gloire enlève toute imperfection et toute obscurité, elle enlèvera donc le mode de la foi pour ce qui est de la manière de connaître, mais la connaissance de ce sur quoi porte la foi demeurera, non plus énigmatique, mais claire.

[11734] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quantum ad id quod habet de cognitione, fides est fundamentum, non quantum ad id quod habet de aenigmate; unde quantum ad id quod est fundamentum, manebit.

1. Pour ce qu’elle comporte de connaissance, la foi est le fondement, mais non pour ce qu’elle comporte d’énigmatique. Pour ce qui est le fondement, elle demeurera donc.

[11735] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis gloriae visio non sit contraria fidei quantum ad id quod habet de cognitione, est tamen sibi contraria quantum ad id quod habet de aenigmate; et ex hac parte eam expellit.

2. Bien que la vision de la gloire ne soit pas contraire à la foi pour ce qu’elle comporte de connaissance, elle lui est cependant contraire pour ce qu’elle comporte d’énigmatique. Sous cet aspect, elle la chasse.

[11736] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod perfectio et imperfectio cognitionis circa diversa bene se compatiuntur, sed non circa idem; et ideo aliquis potest habere simul imperfectam cognitionem de his quae pertinent ad unum, et perfectam de his quae pertinent ad aliud. Sed non est simile in proposito; quia fides et visio gloriae est de eodem.

3. La perfection et l’imperfection de la connaissance par rapport à des choses différentes sont compatibles, mais non par rapport à une même chose. C’est pourquoi quelqu’un peut posséder en même temps une connaissance imparfaite de ce qui se rapporte à une chose, et parfaite, de ce qui est rapporte à une autre. Mais il n’en va pas de même ici, car la foi et la vision portent sur la même chose.

[11737] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod opinio et scientia, quamvis sint de eodem, non tamen secundum idem medium, sed secundum diversa; et ideo possunt esse simul; sed fides et visio patriae sunt de eodem, et secundum idem medium: quia fides assentit veritati primae propter se, et similiter visio gloriae; et ideo perfectio unius non patitur imperfectionem alterius. Cognitio autem matutina et vespertina quamvis sint de eodem secundum rem, non tamen sunt de eodem secundum idem esse; quia cognitio matutina est de re secundum quod habet esse in verbo; cognitio autem vespertina de re secundum quod habet esse in propria natura; et ideo non est simile.

4. L’opinion et la science, bien qu’elles portent sur la même chose, ne le font pas selon le même moyen, mais selon des moyens différents. Aussi peuvent-elles exister en même temps. Mais la foi et la vision de la patrie portent sur une même réalité et selon le même moyen, car la foi donne son assentiment à la Vérité première en raison d’elle-même, et de même en est-il de la vision de la gloire. C’est pourquoi la perfection de l’une ne supporte pas l’imperfection de l’autre. Mais la connaissance du matin et la connaissance du soir, bien qu’elles portent en réalité sur le même objet, ne portent cependant pas sur la même chose selon le même être, car la connaissance du matin porte sur une chose selon qu’elle existe dans le Verbe, mais la connaissance du soir, sur une chose selon qu’elle existe dans sa propre nature.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[11738] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod de habitibus oportet ex actibus judicium sumere. Est autem duplex actus; scilicet actus qui est actus imperfecti inquantum hujusmodi, sicut motus; et actus qui est actus perfecti inquantum hujusmodi, sicut operatio consequens formam. Contingit autem quandoque quod actus perfecti inveniantur in imperfecto secundum quod jam participat aliquid de perfectione, sicut aliquid de actu albi est in pallido. Quando ergo imperfectum ad perfectionem venit, actus qui est ejus inquantum habet aliquid de perfectione in quam tendebat, manet quantum ad id quod est substantia actus, sed tollitur quantum ad id quod erat de imperfectione actus; sicut loquela balbutientis pueri tollitur, quando venit ad perfectam aetatem, quantum ad id quod imperfectionis erat in ipso; manet autem quidquid erat de perfectione et de substantia loquelae. Sed motus qui est actus imperfecti, quando pervenitur ad terminum motus, non manet quantum ad aliquid substantiae actus, sed quantum ad radicem, secundum quam motus inerat, quae erat proportio quaedam et ordo imperfecti ad perfectionem. Cognitio autem, inquantum hujusmodi, importat actum perfecti; et ideo cognitio quae habetur in statu imperfectionis, manet quantum ad id quod cognitionis est, imperfectione sublata. Spes autem inquantum tendit in arduum quod est nondum habitum, et futurum expectatum, est sicut actus imperfecti, cum sit quasi quidam motus; et ideo cum ad perfectum venerit, non manet id quod expectationis aut spei est; sed hoc tantum in quo haec expectatio radicabatur, scilicet ordo et proportio ipsius hominis ad illa jam habita, quorum, dum non habebantur, erat spes; et ideo non ponitur aliquid speciale succedens spei, sed tentio sive comprehensio beatitudinis, quae dicit ordinem hominis ad Deum jam habitum, cujus non habiti erat spes; unde ordo iste communis est utrobique; et quantum ad hunc ordinem spes manet, sed quantum ad naturam actus sui transit.

Il faut juger des habitus selon les actes. Or, il existe un double acte : l’acte qui est l’acte de quelque chose d’imparfait en tant que tel, tel le mouvement ; et l’acte qui est l’acte de quelque chose de parfait en tant que tel, comme l’opération découlant d’une forme. Or, il arrive parfois que les actes de ce qui est parfait se trouvent dans quelque chose d’imparfait selon que cela participe déjà à quelque chose de la perfection, comme quelque chose de l’acte de ce qui est blanc se trouve dans ce qui est pâle. Lorsque l’imparfait atteint la perfection, l’acte qui est le sien, en tant qu’il possède quelque chose de la perfection vers laquelle il tendait, demeure donc pour ce qui est la substance de l’acte, mais il est enlevé pour ce qui était de l’imperfection de l’acte. Ainsi, le langage de l’enfant qui balbutie est-il enlevé lorsqu’il parvient à l’âge adulte, pour ce qui était de l’imperfection qui se trouvait en lui ; mais il demeure quelque chose de la perfection et la substance du langage. Mais le mouvement qui est l’acte de quelque chose d’imparfait, lorsqu’il a atteint le terme du mouvement, ne demeure pas pour ce qui est de la substance de l’acte, mais pour ce qui est de sa racine, selon laquelle le mouvement était présent en lui : il était une certaine proportion et un certain ordre de l’imparfait à la perfection. Or, la connaissance en tant que telle comporte l’acte de ce qui est parfait. Aussi la connaissance qui existe dans l’état d’imperfection demeure-t-elle pour ce qui est de la connaissance, lorsque l’imperfection est enlevée. Mais l’espérance, en tant qu’elle tend vers quelque chose de difficile qui n’est pas encore possédé et qui est attendu dans l’avenir, est comme l’acte de quelque chose d’imparfait, puisqu’elle est comme un mouvement. C’est pourquoi, lorsqu’elle parvient à ce qui est parfait, ce qui est attente ou espérance ne demeure pas, mais seulement ce en quoi s’enracinait cette attente, c’est-à-dire l’ordre et la proportion entre l’homme et ce qui est déjà possédé, sur quoi portait l’espérance alors que cela n’était pas possédé. Ainsi, rien de spécial n’est mis pour succède à l’espérance, mais la possession ou la pleine saisie (comprehensio) de la béatitude, qui exprime l’ordre de l’homme à Dieu déjà possédé, qui était objet de l’espérance lorsqu’il n’était pas possédé. Cet ordre est donc commun aux deux et l’espérance demeure quant à cet ordre, mais elle passe quant à la nature de son acte.

[11739] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod illi qui erunt in poenis, cum sint remoti a participatione aeternitatis, erunt semper in motu et successione; et propter hoc poterit esse timor futuri mali. Sed illi qui erunt in patria, erunt maxime quantum ad praemium substantiale in participatione aeternitatis; et ideo secundum hoc non erit in eis aliquid de praemio futuri, sed totum simul habent; unde non remanet in eis spes.

1. Ceux qui se trouveront dans les peines, puisqu’ils ont été éloignés de la participation à l’éternité, seront toujours en mouvement et en succesion ; pour cette raison, la crainte d’un mal à venir pourra demeurer. Mais ceux qui seront dans la patrie participeront à l’éternité, surtout pour ce qui est de la récompense substantielle. C’est pourquoi il n’y aura pas pour eux quelque chose d’une récompense à venir, mais ils la posséderont en entier simultanément. Ainsi l’espérance ne demeure-t-elle pas chez eux.

[11740] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illa fames non importat expectationem futuri, sed aufert fastidium jam habiti. Unde respectu praemii substantialis non erit ibi expectatio, sed fruitio plena: sed respectu aliquorum accidentalium, vel etiam stolae corporis, poterit ibi esse expectatio, sed non spes, ut supra, 26 dist., quaest. 2, art. 1, quaestiunc. 2, dictum est.

2. Cette faim ne comporte pas d’attente d’un avenir, mais elle enlève le dégoût de ce qui est déjà possédé. Par rapport à la récompense substantielle, il n’y aura donc pas là d’attente, mais une pleine jouissance ; mais par rapport à certaines chose accidentelles ou même au vêtement du corps, il pourra exister une attente, mais non une espérance, comme on l’a dit plus haut, d. 26, q. 2, a. 1, q. 2.

[11741] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod etiam in spe invenitur aliquid quod manet in patria, scilicet ordo et proportio ad expectatum bonum. Sed iste ordo erit perfectus in patria, in via autem imperfectus propter absentiam ejus ad quod est.

3. Même dans l’espérance, on trouve quelque chose qui demeure dans la patrie : l’ordre et la proportion par rapport au bien attendu. Or, cet ordre sera parfait dans la patrie, alors qu’en route (in via), il est imparfait en raison de l’absence de ce à quoi il se réfère.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[11742] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod ablatio alicujus quod est de substantia rei, inducit corruptionem rei illius; non autem sublatio alicujus quod se habet accidentaliter ad rem illam. Imperfectio autem illa quam tollit gloria a fide, est substantia fidei, et ad speciem ejus pertinens: quod patet ex hoc quod accipitur secundum rationem objecti, a quo fides speciem recipit. Obscuritas enim, quam aenigma importat, ad genus cognitionis pertinet. Et ideo oportet quod, remota ista imperfectione, substantia et species fidei destruantur, sicut si ab asino removeatur sua irrationabilitas. Quia autem fides forma quaedam est accidentalis simplex, non composita ex materia et forma; ideo ipsa destructa non remanet aliquid fidei idem numero, sed idem genere; sicut patet quod quando ex albo fit nigrum, vel e converso, manet id quod coloris est, non idem numero color, sed idem genere; sed manet eadem lux numero cum est perfecta et imperfecta; quia illa imperfectio vel perfectio non pertinet ad speciem lucis, sed accidentalis est. Et similiter est dicendum de spe, in qua etiam quod dictum est, magis apparet.

L’enlèvement de quelque chose qui fait partie de la substance d’une réalité entraîne la corruption de cette réalité, mais non l’enlèvement de quelque chose qui a un rapport accidentel avec cette réalité. Or, l’imperfection que la gloire enlève à la foi est la substance de la foi et se rapporte à son espèce, ce qui ressort du fait qu’elle s’entend de la raison de l’objet, dont la foi reçoit son espèce. En effet, l’obscurité que l’énigme comporte se rapporte au genre de connaissance. Il faut donc qu’une fois enlevée cette imperfection, la substance et l’espèce de la foi soient détruites, comme si on enlevait à l’âne le fait qu’il n’a pas de raison. Mais parce que la foi est une forme accidentelle simple, et non composée de matière et de forme, lorsqu’elle est détruite, il ne reste rien de la foi qui soit identique en nombre, mais quelque chose qui est identique selon le genre, comme cela ressort lorsque l’on passe du blanc au noir ou inversemenet : ce qui se rapporte à la couleur demeure, non pas identique en nombre, mais identique selon le genre ; mais la même lumière demeure en nombre, puisqu’elle est parfaite et imparfaite, car cette imperfection ou perfection ne se rapporte pas à l’espèce de la lumière, mais elle est accidentelle. Ainsi faut-il dire la même chose de l’espérance, dans laquelle ce qui a été dit apparaît encore davantage.

[11743] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod commune quod manet in mutatione, idem numero est subjectum, sed idem genere manet in natura generis; et ita in hac transmutatione manet eadem numero anima; sed visio vel cognitio idem genere.

1. L’élément commun qui demeure dans le changement est un sujet identique en nombre, mais il demeure identique par le genre selon la nature du genre. Ainsi, dans ce changement, l’âme demeure-t-elle la même en nombre, mais la vision ou la connaissance, la même selon le genre.

[11744] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod informitas illa non est de pertinentibus ad speciem fidei, sicut imperfectio aenigmatica; et ideo non est simile.

2. Cette absence de forme ne fait pas partie de ce qui se rapporte à l’espèce de la foi, comme l’imperfection de l’énigme. Ce n’est donc pas la même chose.

[11745] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 3 Et similiter dicendum ad tertium.

3. Il faut dire la même chose pour le troisième argument.

 

 

Articulus 2 [11746] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 2 tit. Utrum caritas viae evacuetur in patria

Article 2 – La charité de la route sera-t-elle éliminée dans la patrie ?

[11747] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod caritas viae evacuetur. 1 Corinth. 13, 10: cum venerit quod perfectum est, evacuabitur quod ex parte est. Sed caritas est ex parte: quia illud praeceptum: diliges dominum Deum tuum ex toto corde tuo, non totaliter impletur in via, ut supra dictum est, dist. 23, quaest. 3, art. 4. Ergo caritas evacuabitur.

1. Il semble que la charité de la route sera éliminée. 1 Co 13, 10 : Lorsque surviendra ce qui est parfait, disparaîtra ce qui n’est que partiel. Or, la charité est partielle, car ce commandement : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, n’est pas entièrement accompli sur la route, comme on l’a dit plus haut, d. 23, q. 3, a. 4. La charité sera donc éliminée.

[11748] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, destructa causa destruitur effectus. Sed fides generat caritatem, sicut dicitur Matth. 1, in Glossa. Cum ergo fides evacuetur, et caritas evacuabitur.

2. Lorsque la cause est détruite, l’effet est détruit. Or, la foi engendre la charité, comme il est dit dans la Glose à propos de Mt 1. Lorsque la foi disparaîtra, la charité sera donc aussi éliminée.

[11749] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, sicut fides est aenigmatica, ita et caritas; quia caritas movet affectum in id quod non per speciem videtur. Sed fides quae est aenigmatica, evacuabitur. Ergo et caritas.

3. De même que la foi est énigmatique, de même aussi la charité, car la charité meut la puissance affective vers ce qui n’est pas vu selon l’espèce. Or, la foi qui est énigmatique disparaîtra. Donc, la charité aussi.

 [11750] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, motus cessat cum perventum fuerit ad terminum. Sed caritas est quidam motus mentis in Deum. Ergo cum ad terminum pervenietur, caritas cessabit.

4. Le mouvement cesse lorsqu’on est parvenu au terme. Or, la charité est un mouvement de l’esprit vers Dieu. Lorsqu’elle sera parvenue au terme, la charité cessera donc.

[11751] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 2 arg. 5 Praeterea, ea quae sunt unius rationis, unum in alterum potest proficere, si differant secundum perfectum et imperfectum. Sed caritas viae quamvis possit crescere, nunquam tamen potest pervenire ad modum caritatis patriae. Ergo caritas viae et patriae non sunt unius speciei; et ita videtur quod caritas evacuetur.

5. Les choses qui ont la même raison peuvent progresser l’une vers l’autre, si elles diffèrent selon le parfait et l’imparfait. Or, la charité de la route, bien qu’elle puisse croître, ne peut jamais parvenir au mode de la charité de la patrie. La charité de la route et celle de la patrie ne sont donc pas d’une seule espèce, et il semble ainsi que la charité seera éliminée.

[11752] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 2 s. c. 1 Sed contra, 1 Corinth. 13, 8: caritas nunquam excidit.

Cependant, [1] 1 Co 13, 8 dit : La charité ne disparaîtra jamais.

[11753] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 2 s. c. 2 Praeterea, praesentia amati non tollit amorem, sed auget. Caritas autem est amor Dei. Ergo quando Deum praesentem videbimus, non tolletur caritas, sed magis augebitur.

2. La présence de celui qui est aimé n’enlève pas l’amour, mais l’augmente. Or, la charité est l’amour de Dieu. Lorsque nous verrons Dieu comme présent, la charité ne sera donc pas enlevée, mais elle sera plutôt augmentée.

[11754] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod amor secundum rationem suae speciei non importat aliquid imperfectionis, sed magis perfectionem, inquantum importat terminationem affectus, et quamdam informationem in re amata; unde gloria adveniens nihil de his quae ad speciem caritatis pertinent, tollet; et ideo caritas non destruetur.

Réponse. L’amour, selon la raison de son espèce, ne comporte pas d’imperfection, mais plutôt la perfection, dans la mesure où elle constitue un terme pour la puissance affective et une conformation selon la réalité aimée. Ainsi, lorsque surviendra la gloire, rien de ce qui fait partie de l’espèce de la charité ne sera enlevée. C’est pourquoi la charité ne sera pas détruite.

[11755] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illa imperfectio est accidentalis caritati; et ideo ea remota, nihilominus caritas eadem numero remanebit.

1. Cette imperfection est accidentelle pour la charité. Lorsqu’elle sera enlevée, la charité demeurera néanmoins identique en nombre.

[11756] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod fides est causa caritatis ratione cognitionis; cognitio autem manebit, ut dictum est, art. praeced. quaestiunc. 2.

2. La foi est la cause de la charité en raison de la connaissance. Or, la connaissance demeurera, comme on l’a dit dans l’article précédent, qa 2.

 [11757] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod aenigma est essentiale fidei, quia pertinet ad rationem proprii objecti; sed est accidentale caritati; et ideo non est similis ratio.

3. L’énigme est essentielle à la foi, car elle fait partie de la raison de son objet propre. Mais elle est accidentelle à la charité. C’est pourquoi le raisonnement n’est pas le même.

[11758] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod amare non dicit motum qui sit actus imperfecti, sed qui est actus perfecti, sicut sentire et intelligere, ut dicit philosophus in 3 de anima; et ideo ratio non sequitur.

4. Aimer n’exprime pas un mouvement qui serait l’acte de quelque chose d’imparfait, mais qui est l’acte de quelque chose de parfait, comme sentir et intelliger, ainsi que le dit le Philosophe dans Sur l’âme, III. Le raisonnement n’est donc pas concluant.

[11759] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod hoc quod caritas viae manens in via, non potest pervenire ad perfectionem caritatis patriae, est propter statum viatoris, et non quantum ad id quod est de ratione caritatis, inquantum viator non possidet perfecte quod amat.

5. Le fait que la charité de la route, qui demeure en cours de route, ne puisse parvenir à la perfection de la charité de la patrie provient de l’état de celui qui est en route, et non de ce qui fait partie de la raison de la charité, pour autant que celui qui est en route ne possède pas parfaitement ce qu’il aime.

 

 

Articulus 3 [11760] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 tit. Utrum ordo dilectionis, qui modo est, fuerit in Christo, vel in sanctis qui sunt in patria

Article 3 – L’ordre de l’amour, qui existe maintenant, existe-t-il chez le Christ ou chez les saints qui sont dans la patrie ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [L’ordre de l’amour, qui existe maintenant, existe-t-il chez le Christ ou chez les saints qui sont dans la patrie ?]

[11761] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod ordo dilectionis qui modo est, non fuerit in Christo, nec in sanctis qui sunt in patria, quantum ad dilectionem inimicorum. Quia inimici sanctorum, ad minus post diem judicii non erunt nisi Daemones et damnati. Sed ad illos non est habenda caritas, ut supra, dist. 28, art. 5, dictum est. Ergo non diligent inimicos.

1. Il semble que l’ordre de l’amour, qui existe maintenant, n’existe pas chez le Christ, ni chez les saints qui sont dans la patrie, pour ce qui est de l’amour des ennemis, car les ennemis des saints, du moins après le jour du jugement, ne seront que les démons et les damnés. Or, il ne faut pas avoir de charité à leur égard, comme on l’a dit plus haut, d. 28, a. 5. Ils n’aimeront donc pas leurs ennemis.

[11762] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, in eis erit summa conformitas voluntatum ad Deum. Sed Deus inimicos sanctorum non diligit, sed odit. Ergo nec Christus et beati suos inimicos diligent.

2. Il y aura chez [le Christ et chez les saints dans la patrie] la plus grande conformité de leurs volontés à Dieu. Or, Dieu n’aime pas les ennemis des saints, mais il les hait. Ni le Christ ni les bienheureux n’aimeront donc leurs ennemis.

[11763] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, quicumque diligit aliquem ex caritate, vult ei bonum vitae aeternae. Sed hoc Christus non voluit inimicis, nec beati: quia si vellent, etiam fieret. Ergo non diligunt inimicos ex caritate.

3. Quiconque aime quelqu’un de charité veut pour lui le bien de la vie éternelle. Or, le Christ n’a pas voulu cela pour ses ennemis, ni les bienheureux, car s’ils le voulaient, cela se réaliserait aussi. Ils n’aiment donc pas leurs ennemis par charité.

[11764] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, diligere inimicum ad perfectionem caritatis pertinet. Sed in Christo et in beatis est perfectissima et amplissima caritas. Ergo ipsi inimicos diligunt.

Cependant, [1] aimer son ennemi relève de la perfection de la charité. Or, chez le Christ et les bienheureux, la charité est la plus parfaite et la plus étendue. Ils aiment donc leurs ennemis.

[11765] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, Christus ex caritate dilexit illos pro quibus mortuus est; Joan. 15, 13: majorem hac dilectionem nemo habet ut animam suam ponat quis pro amicis suis. Sed mortuus est pro inimicis; Rom. 5. Ergo dilexit inimicos; et eadem ratione beati.

[2] Le Christ aime par charité ceux pour qui il est mort. Jn 15, 13 : Personne n’a de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. Or, il est mort pour ses ennemis, Rm 5. Il a donc aimé ses ennemis et, pour la même raison, les bienheureux aussi.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [L’ordre de la charité existe-t-il chez eux entre soi et son prochain, et entre les proches et les étrangers ?]

[11766] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod in eis non sit ordo caritatis quantum ad se et proximum, et propinquos et extraneos. Augustinus in libro de vera religione: perfecta justitia est, ut plus potiora bona, et minus minora diligamus. Sed in patria erit perfecta caritas. Ergo proximum meliorem se plus diliget aliquis quam seipsum, et similiter extraneum quam propinquum secundum carnem.

1. Il semble que l’ordre de la charité n’existe pas chez eux entre soi et son prochain, et entre les proches et les étrangers. Augustin dit dans le livre Sur la véritable religion : « La justice parfaite consiste à aimer davantage les biens plus importants, et moins les biens moindres. » Or, dans la patrie, une charité parfaite existera. On aimera donc davantage un proche meilleur que soi, et, de même, un étranger qu’un proche selon la chair.

[11767] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, in patria erit perfecta conformitas humanae voluntatis ad Deum. Sed Deus plus diligit meliorem. Ergo et quilibet plus diliget meliorem quam seipsum.

2. Dans la patrie, existera une conformité parfaite de la volonté humaine à Dieu. Or, Dieu aime davantage celui qui est meilleur. Chacun aimera donc davantage celui qui est meilleur que lui-même.

[11768] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, ille plus diligitur cui majus bonum optatur. Sed quilibet homo vult majus bonum meliori se quam sibi in patria: quia unicuique vult bonum quod habet, nec appetit alicui quod non habet: quia sic desiderium non esset quietatum. Ergo plus diligit meliorem se quam seipsum.

3. Est davantage aimé celui à qui on souhaite un plus grand bien. Or, tout homme veut un bien plus grand qu’à lui-même à celui qui est meilleur que lui dans la patrie : en effet, chacun veut pour un autre le bien qu’il possède et ne désire pas pour quelqu’un un bien qu’il ne possède pas, car ainsi le désir ne serait pas apaisé. Il aime donc davantage celui qui est meilleur que lui-même.

[11769] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, gloria perficit naturam. Sed ordo iste est a natura hominis progrediens, ut homo se plus altero diligat. Ergo et gloria hunc ordinem non aufert.

Cependant, [1] la gloire perfectionne la nature. Or, l’ordre voulant qu’un homme s’aime davantage qu’un autre provient de la nature de l’homme. La gloire n’enlève donc pas cet ordre.

[11770] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, si aliquis salutem suam negligeret pro salute alterius, peccaret. Sed in patria non erit aliquid inordinatum. Ergo homo ibi semper plus diliget salutem suam quam alterius; et ita plus amabit se quam alterum.

[2] Si quelqu’un négligeait son propre salut pour le salut d’un autre, il pécherait. Or, dans la patrie, il n’y aura rien de désordonné. L’homme y aimera donc toujours plus son propre salut que celui d’un autre. Et ainsi, il s’aimera davantage qu’un autre.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Le Christ aimera-t-il davantage Pierre que Jean ?]

[11771] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Quaeritur quem Christus plus dilexerit, Petrum vel Joannem; et videtur quod Joannem. Joan. ultim. 20: vidit illum discipulum quem diligebat Jesus, sequentem. Hoc autem non dicitur quia illum tantum diligeret. Ergo propter eminentiam dilectionis ad ipsum.

1. On demande qui le Christ a le plus aimé : Pierre ou Jean, et il semble que ce soit Jean. Jn 21, 20 : Il voit le disciple que Jésus aimait qui le suivait. Or, on ne dit pas cela parce qu’il aimait seulement celui-là. C’est donc en raison de l’élévation de l’amour qu’il avait pour lui.

[11772] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, dilectio in qua affectus effectui, vel signis dilectionis non respondet, est dilectio simulationis. Cum ergo Christus majorem familiaritatem Joanni exhibuerit quam Petro, et ejus dilectio nullo modo fuerit simulata; videtur quod Joannem plus Petro dilexerit.

2. L’amour dans lequel la disposition affective ne correspond pas à l’effet ou aux signes de l’amour est un amour simulé. Puisque le Christ a manifesté une plus grande familiarité à Jean qu’à Pierre et que son amour n’était d’aucune manière simulé, il semble donc qu’il ait aimé davantage Jean que Pierre.

[11773] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, Proverb. 8, 17: ego diligentes me diligo. Sed plus dilexit Petrus, ut patet Joan. ultim. Ergo et plus diligebatur.

Cependant, Pr 8, 17 dit : Moi, j’aime ceux qui m’aiment. Or, Pierre l’a aimé davantage, comme cela ressort du dernier chapitre de Jean. Il était donc aussi davantage aimé.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[11774] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod inimici Christi possunt accipi dupliciter; vel quantum ad finalem exitum, sicut damnati, vel in actu, vel in praevisione divina; vel quantum ad praesentem statum tantum, sicut Paulus tunc erat. Quantum ergo ad primos inimicos est eadem ratio dilectionis in Christo quae in nobis ad illos quos scimus damnatos; quia naturam ipsorum diligimus, et considerata natura tantum eis vitam aeternam vellemus; sed considerata justitia divina et eorum meritis, eis hoc non volumus, quia justitiam divinam plus diligimus quam eorum naturam. Et prima voluntas est voluntas antecedens, secunda est voluntas consequens; et ita Christus diligebat inimicos qui erant damnati vel damnandi, volens eis bonum voluntate antecedente, quae non semper impletur, sed non consequente, sicut nec Deus. Et eadem ratio est de aliis beatis quantum ad illos qui actu sunt damnati. Sed de damnandis forte nesciunt de omnibus qui sunt. Sed quantum ad alios inimicos, secundum praesentem statum tantum diligebat, et ad eos bona operabatur, quia pro eis mortem subiit.

Les ennemis du Christ peuvent s’entendre de deux manières : quant à l’issue finale, tels les damnés, en acte ou dans la prévision divine, ou quant à leur état présent seulement, comme c’était alors le cas de Paul. Pour ce qui est des premiers ennemis, la même raison d’amour existe chez le Christ et chez nous pour ceux que nous savons damnés, car nous aimons leur nature et, à considérer leur nature seulement, nous leur voudrions la vie éternelle ; mais, à considérer la justice divine et leurs mérites, nous ne voulons pas cela pour eux, car nous aimons davantage la justice divine que leur nature. Et la première volonté est la volonté antécédente, la seconde, la volonté conséquente. Ainsi, le Christ aimait ses ennemis qui étaient damnés ou seraient damnés, en leur voulant du bien selon sa volonté antécédente, qui ne s’accomplit pas toujours, mais non selon sa volonté conséquente, comme c’est le cas pour Dieu. La même raison vaut pour les autres bienheureux, quant à ceux qui sont damnés en acte. Mais, pour ceux qui doivent être damnés, peut-être ne savent-ils pas qui ils sont tous. Mais, pour les autres ennemis, il les aimait et leur faisait du bien selon leur état présent seulement, car il a subi la mort pour eux.

[11775] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 1 ad arg. Et per hoc patet responsio ad objecta.

La réponse aux objections est ainsi claire.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[11776] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod circa hoc est duplex opinio. Quidam dicunt, quod in patria erit Deus omnia in omnibus, et mens tota in Deo quiescens, totam rationem dilectionis habebit in Deum; et ideo Deum super omnia diliget, et alios tanto plus quanto erunt Deo proximiores, etiam alios plus quam se, si sunt meliores. Sed illud non videtur rationabiliter dictum: quia unusquisque tantum amabit Deo frui, quantum diliget Deum; unde cum Deum super omnia diliget, super omnia volet Deo frui; et ideo frui Deo plus optabit sibi quam alii. Unde videtur quod magis se quam alium diliget. Praeterea, affectus dilectionis non quiescit in aliquo, nisi in proprio objecto. Sicut autem proprium objectum amoris est bonum, ita proprium subjectum amoris istius hominis est bonum istius; unde et Deum summe diliget, inquantum est summum bonum suum. Unde non oportet quod tanto aliquem plus diligat quanto est simpliciter Deo proximior, sed quanto est Deo proximior, inquantum est bonum suum; et ideo videtur probabilius quod alii dicunt, quod quilibet ibi plus diliget se quam proximum. Sed de comparatione propinquorum ad extraneos credo quod simpliciter loquendo, plus unusquisque diliget extraneum meliorem quam consanguineum minus bonum: quia plus attenditur ordo dilectionis quantum ad proximitatem ad Deum quam quantum ad proximitatem ad seipsum, quamvis utrumque oportet quod attendatur. Unde de aequaliter bonis plus diligit proximiorem, sed de inaequalibus diligit meliorem.

À ce sujet, il y a deux opinions. Certains disent que, dans la patrie, Dieu sera tout en tous, et que l’esprit, se reposant tout entier en Dieu, trouvera en Dieu toute la raison d’aimer. C’est pourquoi il aimera Dieu par-dessus tout, et les autres, d’autant plus qu’ils seront plus proches de Dieu ; et [il aimera] même les autres plus que soi, s’ils sont meilleurs. Mais cela ne semble pas être affirmé de manière raisonnable, car chacun aimera d’autant plus jouir de Dieu qu’il aimera Dieu. Puisqu’il aimera Dieu par-dessus tout, il voudra donc jouir de Dieu par-dessus tout. Ainsi, il souhaitera jouir davantage de Dieu que les autres. Il semble donc qu’il s’aimera davantage qu’un autre. De plus, la disposition affective de l’amour ne se repose en rien d’autre que son propre objet. Or, de même que l’objet propre de l’amour est le bien, de même le sujet propre de l’amour d’un homme est le bien de cet homme ; aussi aimera-t-il Dieu au plus haut point, pour autant qu’il est son bien le plus grand. Il n’est donc pas nécessaire qu’il aime quelqu’un d’autant plus qu’il est simplement plus proche de Dieu, mais dans la mesure où il en est plus proche en tant que son propre bien. Ce que d’autres disent semble donc plus probable : chacun s’y aimera davantage que le prochain. Mais, pour ce qui est de la comparaison entre les proches et les étrangers, je pense qu’à parler simplement, chacun aime davantage un étranger meilleur qu’un consanguin moins bon, car on tient davantage compte de l’ordre de l’amour selon la proximité par rapport à Dieu que selon la proximité par rapport à soi, bien qu’il faille accorder aux deux choses leur importance. Entre deux qui sont également bons, il aime donc le plus proche, mais entre deux qui sont inégaux, il aime le meilleur.

[11777] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod intelligendum est quod plus diligit magis bona quae etiam sibi sunt magis bona, sicut bona spiritualia quam corporalia.

1. Il aime davantage les biens plus grands qui sont aussi pour lui des biens plus grands : ainsi, les biens spirituels plutôt que les biens corporels.

[11778] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in hoc ipso voluntas nostra voluntati divinae conformabitur quod sequetur motum naturaliter sibi impositum a Deo.

2. Notre volonté se conformera à la volonté divine par le fait même qu’elle découlera du mouvement naturel qui lui est imposé par Dieu.

[11779] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod voluntate consequente vult majus bonum alteri quam sibi, sibi autem intensius; sed voluntate antecedente vult sibi majus. Sed hoc non impedit quietem desiderii: quia haec voluntas non est voluntas simpliciter, sed conditionata, vel velleitas quaedam, ut quidam dicunt.

3. Selon la volonté conséquente, il veut un plus grand bien pour un autre que pour lui-même, mais un bien plus intense pour lui-même ; toutefois, selon la volonté antécédente, il veut un plus grand [bien] pour lui-même. Mais cela n’empêche pas le repos du désir, car cette volonté n’est pas simplement la volonté, mais la volonté conditionnée, ou bien une certaine vellité, comme certains le disent.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[11780] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod, sicut dicitur, Petrus plus dilexit Christum dilectione quae ab ipso in membra diffunditur; sed Joannes plus dilexit dilectione quae in Christo sistit; et ideo Petro dominus commisit curam membrorum; Joanni autem curam matris, quae ad personam ejus specialius spectabat. Unde et Petrus a Christo plus diligebatur quantum ad affectum interiorem, quia donum majoris caritatis erat ei tunc collatum. Sed Joannes magis diligebatur quantum ad signa exterioris familiaritatis; et hoc propter quatuor causas. Primo, quia per Joannem significatur vita contemplativa quae familiariorem habet Deum, quamvis activa sit fructuosior, quae significatur in Petro. Secundo propter aetatem, quia juvenis erat. Tertio propter castitatem. Quarto propter ingenitam mansuetudinem.

Comme on le dit, Pierre a davantage aimé le Christ selon l’amour qui se diffuse dans les membres à partir de lui ; mais Jean a davantage aimé selon l’amour qui se fixe sur le Christ. C’est pourquoi le Seigneur a confié à Pierre le soin de [ses] membres, mais à Jean le soin de sa mère, qui concernait sa personne d’une manière plus spéciale. Aussi Pierre était-il davantage aimé par le Christ selon une disposition affective intérieure, car le don d’une plus grande charité lui avait été fait. Mais Jean était aimé davantage quant aux signes de familiarité, et cela pour quatre raisons. Premièrement, parce que, par Jean, était signifiée la vie contemplative qui rend Dieu plus familier, bien que la vie active, signifiée par Pierre, soit plus fructueuse. Deuxièmement, en raison de l’âge, car il était jeune. Troisièmement, en raison de sa chasteté. Quatrièmement, en raison de sa douceur innée.

[11781] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 3 ad arg. Et per hoc patet solutio ad objecta: quia uterque plus diligebat, et quodammodo plus diligebatur.

Ainsi ressort la réponse aux objections, car [le Christ] aimait les deux davantage, et il en était aimé davantage.

 

 

Articulus 4 [11782] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 4 tit. Utrum scientia quam modo habemus, totaliter tolletur

Article 4 – La science que nous possédons maintenant disparaîtra-t-elle totalement ?

[11783] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod scientia quam modo habemus, totaliter tolletur; 1 Corinth. 13, 8: scientia destruetur. Sed accidens quod destruitur, totaliter tollitur. Ergo scientia totaliter tolletur.

1. Il semble que la science que nous possédons maintenant disparaîtra totalement. 1 Co 13, 8 : La science sera détruite. Or, un accident qui est détruit disparaît totalement. La science disparaîtra donc totalement.

[11784] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 4 arg. 2 Praeterea, fides est magis spiritualis quam scientia. Sed fides tolletur. Ergo et scientia.

2. La foi est plus spirituelle que la science. Or, la foi disparaîtra. Donc, la science aussi.

[11785] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 4 arg. 3 Praeterea, consideratio scientiae est de delectabilibus maxime. Si ergo scientia hic acquisita remanet, aliquis magnus clericus plus habebit de gaudio quam aliqua vetula, quae erit majoris caritatis; quod esse videtur impossibile.

3. La considération de la science est ce qu’il y a de plus délectable. Si donc la science acquise ici demeure, un grand clerc aura plus de joie qu’une petite vieille, qui aura une charité plus grande, ce qui paraît impossible.

[11786] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 4 arg. 4 Praeterea, illi qui sunt in patria, cognoscunt omnia quorum scientiam habuerunt, et multo plura et melius, in verbo. Si ergo scientia non est nisi ad cognoscendum, frustra in eis praeterita scientia remaneret.

4. Ceux qui sont dans la patrie connaissent dans le Verbe tout ce dont ils ont eu la science, et encore bien davantage et bien mieux. Si donc la science n’existe que pour connaître, c’est en vain que demeurerait en eux la science passée.

[11787] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 4 arg. 5 Praeterea, habitus ordinatur ad actum. Ergo ubi actus non remanet, neque habitus remanere potest, quia frustra remaneret. Sed actus scientiae qui modo est, non remanebit in patria: quia consideratio scientiarum est in intelligendo cum phantasmate, non solum in accipiendo scientiam, sed etiam in considerando ea quae aliquis jam didicit; unde laeso organo imaginationis, impeditur operatio intellectus etiam in aliis quae prius sciebat. Ergo nec scientia remanebit.

5. L’habitus est ordonné à l’acte. Là où l’acte de demeure pas, l’habitus non plus ne peut donc pas demeurer, car il demeurerait en vain. Or, l’acte de la science qui existe maintenant ne demeurera pas dans la patrie, car la considération des sciences consiste à intelliger avec un phantasme, non seulement pour recevoir la science, mais aussi pour considérer ce qu’on a déjà appris. C’est pourquoi, s’il y a lésion de l’organe de l’imagination, l’opération de l’intellect est empêchée, même pour ce qu’il savait antérieurement. Donc, la science non plus de demeurera pas.

[11788] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 4 arg. 6 Praeterea, scientiae quam nunc habemus, consideratio est collativa. Sed iste modus conferendi non erit in patria: quia tunc sequeretur quod esset ibi studium et disputatio, quod est absurdum. Ergo scientia hic acquisita non remanebit in patria.

6. La considération de la science que nous possédons maintenant fonctionne par rapprochement. Or, cette manière de rapprocher n’existera pas dans la patrie, car il en découlerait alors qu’il y aurait là étude et dispute, ce qui est absurde. La science acquise ici ne demeurera donc pas dans la patrie.

 [11789] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 4 s. c. 1 Sed contra, Magister in prima distinctione secundi libri dixit, et philosophi etiam plures dicunt, quod anima posita est in corpore, ut scientiis perficiatur. Sed frustra poneretur ad hoc, nisi post corpus ei scientia remaneret. Ergo scientia remanebit.

Cependant, [1] dans la première distinction du deuxième livre [des Sentences], le Maître a dit et plusieurs philosophes disent aussi que l’âme a été placée dans le corps pour qu’elle soit perfectionnée par les sciences. Or, c’est en vain qu’elle y aura été mise si la science ne demeurait pas en elle après le corps. La science demeurera donc.

[11790] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 4 s. c. 2 Praeterea, constat quod illi qui sunt in Inferno, aliquid cognoscunt esse de his quae prius cognoverunt, sicut patet de divite, qui suorum memoriam habebat. Sed eis non addetur alia cognitio quam hic habuerunt. Ergo prior scientia in eis remanebit.

[2] Il est clair que ceux qui sont en enfer connaissent quelque chose de ce qu’ils connaissaient auparavant, comme cela ressort pour le riche qui gardait la mémoire des siens. Or, il ne leur sera pas ajouté une autre connaissance que celle qu’ils avaient  ici. La science antérieure demeurera donc en eux.

[11791] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 4 s. c. 3 Praeterea, si scientia destruatur cum corpore, erit bonum temporale; et ita studium scientiae computabitur inter sollicitudines rerum temporalium; quod videtur absurdum.

[3] Si la science est détruite avec le corps, elle sera un bien temporel. Et ainsi, l’étude de la science sera comptée parmi les préoccupations des réalités temporelles, ce qui paraît absurde.

 [11792] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod in scientia quam modo habemus, est tria considerare: scilicet habitum, actum, et modum agendi. Modus autem agendi est ut intelligat cum phantasmate: quia in statu viae verum est quod dicit philosophus in 3 de anima, quod nequaquam sine phantasmate intelligeret anima non solum quantum ad acquirendam scientiam, sed etiam quo ad considerationem eorum quae quis jam scit: quia phantasmata se habent ad intellectum sicut sensibilia ad sensum. Actus autem scientiae proprius est ut cognoscat conclusiones, resolvendo eas ad principia prima per se nota. Habitus autem est quaedam qualitas hominem habilitans ad hunc actum. Modus autem intelligendi praedictus accidit humanae animae ex duobus. Uno modo ex hoc quod anima humana est ultima secundum naturae ordinem in gradibus intellectus; unde se habet intellectus ejus possibilis ad omnia intelligibilia, sicut se habet materia prima ad omnes formas sensibiles; et propter hoc non potest in actum exire prius quam recipiat rerum species, quod fit per sensum et imaginationem. Alio modo ex hoc quod est forma corporis; unde oportet quod operatio ejus sit operatio totius hominis; et ideo communicat ibi corpus non sicut instrumentum per quod operetur, sed sicut repraesentans objectum, scilicet phantasma; et inde contingit quod anima non potest intelligere sine phantasmate etiam ea quae prius novit. In anima ergo separata a corpore remanebit natura animae, sed non remanebit unio ad corpus in actu; et ideo ea considerata in natura sua tantum, non indigebit phantasmatibus quantum ad considerationem eorum quae prius scivit, sed solum quantum ad considerationem eorum quae de novo debet scire; et ideo ea quae prius scivit, poterit considerare non quidem utendo phantasmate, sed ex habitu scientiae prius habito. Ea vero quae ante nescivit, non poterit scire, nisi quatenus ex his quae scit, elici possunt, vel inquantum aliae species ei divinitus infunduntur. Dicere enim, quod secundum id quod modo anima habet in natura sua, non possit intelligere sine corpore aliquo modo, est valde familiare illis qui ponunt animam cum corpore deficere: quia, ut dicitur in 1 de anima, si nulla operationum quas habet, potest esse sine corpore, nec ipsa sine corpore esse posset, cum operatio naturalis consequatur naturam. In actu autem scientiae praedicta duo considerantur; scilicet motus inquisitionis et rationis discurrentis; et terminus, scilicet certitudo, quae habetur de conclusionibus, secundum quod jam sunt reductae in prima principia. Motus autem ille imperfectionis est quantum ad necessitatem discurrendi, ut causetur certitudo; et ideo in beatis non remanebit actus scientiae quantum ad necessitatem motus, sed quantum ad certitudinem tantum. Et ideo videtur dicendum, secundum quod quidam dicunt, quod in patria, quantum ad animas separatas, erit alius modus intelligendi, quia sine phantasmate considerabunt; sed post resurrectionem poterit esse uterque modus, inquantum anima non subjacebit corpori, sed ex toto ei dominabitur. Actus autem mutabitur, quia remanebit quantum ad terminum, sed non quantum ad discursum in sanctis. In damnatis autem non est remotum quin etiam collationis necessitas remaneat; et ideo remanet habitus scientiae quantum ad substantiam. Dicere enim, quod habitus remaneat, et actus nullo modo, videtur absurdum: quia habitus nihil est aliud quam habilitas ad actum.

Réponse. Dans la science que nous possédons maintenant, il faut considérer trois choses : l’habitus, l’acte et le mode de l’action. Or, le mode de l’action consiste en ce qu’elle intellige avec un phantasme, car, dans l’état de la route, ce que dit le Philosophe, Sur l’âme, III, est vrai : jamais l’âme n’intelligera sans phantasme, non seulement pour acquérir la science, mais aussi pour considérer les choses qu’elle connaît déjà, car les phantasmes ont avec l’intellect le même rapport que ce qui est sensible avec le sens. Or, l’acte propre de la science est qu’elle connaisse des conclusions en les ramenant aux principes premiers connus par soi. Mais l’habitus est une qualité préparant l’homme à cet acte. Or, la manière d’intelliger dont il est question vient à l’âme humaine de deux choses. Premièrement, du fait que l’âme humaine est la dernière dans l’ordre naturel des degrés de l’intellect. Aussi son intellect possible est-il en rapport avec tous les intelligibles, comme la matière première est en rapport avec toutes les formes sensibles. Pour cette raison, il ne peut passer à l’acte avant de recevoir les espèces des choses, ce qui se réalise par le sens et l’imagination. Deuxièmement, du fait que [l’âme] est la forme du corps. Aussi est-il nécessaire que son opération soit l’opération de tout l’homme. C’est pourquoi le corps a en commun [avec l’âme], non seulement le fait d’être l’instrument par lequel l’âme agit, mais celui de représenter l’objet, à savoir, le phantasme. De là vient que l’âme ne peut intelliger sans phantasme, même ce qu’elle a connu antérieurement. Dans l’âme séparée du corps, la nature de l’âme demeurera donc, mais l’union au corps ne demeurera pas en acte. C’est pourquoi, à la considérer selon sa nature seulement, elle n’aura pas besoin des phantasmes pour considérer ce qu’elle a connu antérieurement, mais seulement pour considérer ce dont elle doit acquérir la connaissance. Ainsi pourra-t-elle considérer ce qu’elle connaissait antérieurement, non pas en utilisant un phantasme, mais par l’habitus de la science possédé antérieurement. Mais ce qu’elle n’a pas connu antérieurement, elle ne pourra le savoir qu’en le tirant de ce qu’elle sait ou dans la mesure où d’autres espèces lui sont infusées par Dieu. En effet, dire que, selon ce que l’âme possède maintenant par sa nature, l’âme ne peut intelliger de quelque manière sans le corps se rapproche beaucoup de ceux qui affirment que l’âme unie au corps est affaiblie, car, ainsi qu’on le dit dans Sur l’âme, I, si aucune des opérations qu’elle possède ne pouvait exister sans le corps, elle-même ne pourrait exister sans le corps, puisque l’opération naturelle découle de la nature. Or, dans l’acte de la science, ces deux choses sont prises en considération : le mouvement de recherche et de raisonnement ; le terme, à savoir, la certitude qu’on a des conclusions, selon qu’elles sont déjà ramenées aux premiers principes. Or, ce mouvement relève d’une imperfection quant à la nécessité de raisonner afin que soit produite la certitude. C’est pourquoi, chez les bienheureux, l’acte de la science ne demeurera pas pour ce qui est de la nécessité du mouvement, mais pour ce qui est de la certitude seulement. Il semble donc qu’il faille dire, comme certains le disent, que, dans la patrie, existera un autre mode d’intelliger pour les âmes séparées, car elles considéreront sans phantasme. Mais, après la résurrection, les deux manières pourront exister, dans la mesure où l’âme ne sera pas soumise au corps, mais le maîtrisera complètement. Cependant, l’acte sera changé, car il demeurera chez les saints pour ce qui est du terme, mais non pour ce qui est du raisonnement. Mais, chez les damnés, même la nécessité de rapprocher n’est pas enlevée ; l’habitus de science demeure donc en sa substance. En effet, dire que l’habitus demeure, mais aucunement l’acte, semble absurde, car l’habitus n’est rien d’autre qu’une aptitude à l’acte.

[11793] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod destruetur scientia quantum ad modum, et quantum ad actum mutabitur; sed quantum ad habitum remanebit, ut dictum est.

1. La science sera détruite quant à son mode et quant à l’acte, mais elle demeurera quant à l’habitus, comme on l’a dit.

[11794] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod modus imperfectionis est essentialis fidei, et de ratione ejus; sed modus cognoscendi per phantasmata non est de ratione scientiae, sed accidit ei ex conditione subjecti.

2. Le mode qui relève de l’imperfection  est essentielle à la foi et fait partie de son essence ; mais le mode de la connaissance par des phantasmes ne fait pas partie de l’essence de la science, mais lui est associé en raison de la condition du sujet.

 [11795] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non est inconveniens quod ille qui habet minorem caritatem, habeat plus de gaudio quantum ad aliquem actum; cum tamen habeat minus gaudium de Deo, quod est praemium essentiale.

3. Il n’est pas inapproprié que celui qui a une charité moindre ait plus de joie en raison d’un acte, alors qu’il a moins de joie à propos de Dieu, qui est la récompense essentielle.

[11796] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod cognoscere aliquid pluribus modis non est frustra; sicut etiam Christus habuit scientiam naturalem eorum quae in verbo cognoscebat.

4. Connaître quelque chose de plusieurs manières n’est pas inutile. Ainsi, le Christ a eu une science naturelle de ce qu’il connaissait dans le Verbe.

 [11797] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod ille modus cognoscendi accidit scientiae ex statu ejus in quo est: non enim phantasma est objectum propinquum et proprium intellectus, cum sit intelligibile in potentia, non in actu; sed species intellecta est per se objectum ejus.

5. Cette manière de connaître est associée à la science en raison de l’état de celui chez lequel elle existe. En effet, le phantasme est l’objet rapproché et propre de l’intellect, puisqu’il est intelligible en puissance, mais non en acte ; mais l’espèce intelligée est son objet en soi.

[11798] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 4 ad 6 Ad sextum dicendum, quod non erit actus scientiae quantum ad discursum, sed quantum ad terminum certitudinis. Et praeterea non oporteret ibi esse studium vel disputationem quantum ad bonos, quia omnium illorum quae considerare vellent, in verbo cognitionem possent accipere, vel per illuminationem superiorum habere. Damnatis autem non vacabit disputare poenarum pondere pressis.

6. Il n’y aura pas d’acte de science pour ce qui est du raisonnement, mais pour ce qui est du terme qu’est la certitude. De plus, il ne serait pas nécessaire pour les bons de recourir à l’étude et à la dispute, car ils pourraient recevoir du Verbe ou d’une illumination des êtres supérieurs la connaissance de tout ce qu’ils voudraient considérer. Mais les damnés n’auront pas le loisir de disputer, écrasés qu’ils seront par le poids des peines.

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 31

[11799] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 4 expos. Caritas autem, quae deseri potest. Verum est, si posset deseri propter debilitatem amoris, ut scilicet aliquis minus diligeret Deum quam rem illam pro qua tunc peccat: tunc enim non esset vera caritas. De perfecta intelligitur. Perfecta dicitur quae est in confirmatis vel in via vel in patria; vel intelligitur non quod non possit amitti, sed quia difficile est quod amittatur.

 

 

 

Distinctio 32

Distinction 32 – [L’amour de Dieu]

 

 

Quaestio 1

Question unique – [L’amour de Dieu pour ses créatures]

Prooemium

Prologue

[11800] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de dilectione caritatis qua diligimus Deum, hic determinat de dilectione qua Deus diligit nos; et dividitur in partes duas: in prima ostendit quomodo Deus omnem creaturam diligit; in secunda movet quaestionem de reprobis, quos diligere non videtur, ibi: de reprobis vero qui praeparati non sunt ad vitam, sed ad mortem, si quaeritur, utrum debeat concedi quod Deus ab aeterno dilexit eos; dicimus de electis solis simpliciter hoc esse concedendum. Prima in duas. In prima determinat de dilectione Dei, secundum quod absolute dicitur creaturam diligere. In secunda determinat de gradibus divinae dilectionis, secundum quod unum plus et alium minus dicitur diligere, ibi: cum autem dilectio Dei immutabilis sit et cetera. Et dividitur haec pars in duas: in prima determinat de ordine dilectionis quantum ad diversos; in secunda quantum ad eumdem, ibi: si vero quaeritur de aliquo uno, utrum magis diligatur a Deo uno tempore quam alio; distinguenda est dilectionis intelligentia. Circa primum tria facit: primo movet quaestionem; secundo determinat eam, ibi, potest tamen sane intelligi etc.; tertio confirmat solutionem, ibi: consideratur enim duobus modis dilectio Dei. Hic quaeruntur quatuor: 1 utrum Deus creaturam diligat; 2 utrum omnem creaturam; 3 utrum aequaliter omnia; 4 quid plus et quid minus sive aequaliter.

Après avoir déterminé de l’amour de charité par lequel nous aimons Dieu, le Maître détermine ici de l’amour par lequel Dieu nous aime. Il y a deux parties : dans la première, il montre comment Dieu aime toute créature ; dans la seconde, il soulève une question à propos des réprouvés qu’il ne semble pas aimer, à cet endroit : « À propos des réprouvés qui n’ont pas été préparés pour la vie, mais pour la mort, à la question : doit-on concéder que Dieu les a éternellement aimés ? nous disons qu’il ne faut concéder cela simplement que pour les seuls élus. » La première partie se divise en deux. Dans la première, il détermine de l’amour de Dieu, selon qu’on dit de lui de manière absolue qu’il aime sa créature. Dans la seconde, il détermine des degrés de l’amour divin, selon qu’on dit de lui qu’il en aime un davantage et l’autre moins, à cet endroit : « Puisque l’amour de Dieu est immuable, etc. » Cette partie se divise en deux : dans la première, il détermine de l’ordre de l’amour pour les diverses [créatures] ; dans la seconde, pour la même, à cet endroit : « Mais si on s’interroge à propos d’un seul, à savoir s’il est aimé de Dieu davantage à un moment qu’à un autre, il faut faire une distinction dans la manière de comprendre l’amour. » À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il soulève une question. Deuxièmement, il en détermine, à cet endroit : « On peut cependant correctement comprendre, etc. » Troisièmement, il confirme la solution, à cet endroit : « En effet, l’amour de Dieu est envisagé de deux manières. » Ici, il y a quatre questions : 1. Dieu aime-t-il sa créature ? 2. Aime-t-il toute créature ? 3. Aime-t-il toutes choses également ? 4. Aime-t-il quelque chose plus, moins ou également ?

 

 

Articulus 1 [11801] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 1 tit. Utrum Deo competat creaturam amare

Article 1 – Convient-il à Dieu d’aimer sa créature ?

[11802] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Deo non competat creaturam amare. Amor enim quamdam passionem animi importat. Sed aliae passiones animi, ut ira, et hujusmodi, non sunt in Deo, nisi secundum effectum, et per similitudinem. Ergo nec amor est in ipso.

1. Il semble qu’il ne convienne pas à Dieu d’aimer sa créature. En effet, l’amour comporte une certaine passion de l’âme. Or, les autres passions de l’âme, comme la colère et celles de ce genre, n’existent en Dieu que selon leur effet et par ressemblance. L’amour non plus n’existe donc pas en lui.

[11803] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, inter multum distantia non potest esse amor; unde amici non optant amicis maxima bonorum, ne amicitia dissolvatur, ut philosophus dicit in 9 Ethic. Sed nulla est tanta distantia quanta creatoris a creatura. Ergo non potest esse amor Dei ad creaturam.

2. Il ne peut y avoir d’amour entre des réalités très éloignées. C’est pourquoi les amis ne souhaitent pas à leurs amis les plus grands parmi les biens de crainte que l’amitié ne soit dissoute, comme le dit le Philosophe dans Éthique, IX. Or, aucune distance n’est aussi grande que celle entre le Créateur et la créature.

[11804] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, amor transfert amantem in amatum, ut vivat jam vita amati, ut dicit Dionysius. Sed Deus non transfertur in aliquid aliud, cum sit immobilis; sed omnia ad se trahit, ut dicitur Joan. 12. Ergo ipse non amat creaturam.

3. L’amour transporte celui qui aime en celui qui est aimé, de sorte qu’il vive de la vie de celui qui est aimé, comme le dit Denys. Or, Dieu n’est pas transporté en quelque chose d’autre puisqu’il est immobile, mais il attire tout à lui, comme il est dit en Jn 12. Il n’aime donc pas la créature.

[11805] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, amans quodammodo subjicitur amato, inquantum affectus amantis amato informatur, ut supra dictum est. Sed Deus nullo modo creaturae subjicitur. Ergo nullo modo amat creaturam.

4. Celui qui aime est, d’une certaine manière, soumis à celui qui est aimé dans la mesure où la disposition affective de celui qui aime prend la forme de celui qui est aimé, comme on l’a dit plus haut. Or, Dieu n’est soumis à aucune créature. Il n’aime donc la créature d’aucune manière.

[11806] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, omnis nostra perfectio a divina perfectione exemplatur. Sed omnis virtus perfectio mentis est. Ergo cum quaedam aliae virtutes non sint in Deo, ut temperantia, et hujusmodi, videtur quod nec caritas.

5. Toute notre perfection a son modèle dans la perfection divine. Or, toute vertu est une perfection de l’esprit. Puisque certaines vertus n’existent pas en Dieu, telles la tempérance et celles de ce genre, il semble que la charité non plus.

[11807] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, sicut essentia sua est exemplar omnis creaturae, ita bonitas sua est causa omnis bonitatis in creatura. Sed cognoscendo essentiam cognoscit omnia quae ab ipsa exemplantur. Ergo amando bonitatem suam, amat omnia quae ab ipsa bonitatem participant.

Cependant, [1] de même que l’essence [de Dieu] est le modèle de toute créature, de même sa bonté est-elle la cause de toute bonté dans la créature. Or, en connaissant son essence, il connaît tout ce qui a son modèle en elle. En aimant sa bonté, il aime donc tout ce qui participe à sa bonté.

[11808] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Joan. 3, 16: sic Deus dilexit mundum, ut filium suum unigenitum daret.

[2] Jn 3, 16 : Dieu a tant aimé le monde qu’il lui a donné son Fils unique.

[11809] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 1 s. c. 3 Praeterea, Dionysius dicit quod divinus amor non permisit ipsum sine germine esse.

[3] Denys dit que l’amour divin n’a pas permis qu’il soit sans progéniture.

[11810] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod unicuique habenti cognitionem amabile est proprium bonum non solum amore naturali, sed amore animali, sive intellectuali. Unde cum in Deo sit sui perfecta cognitio, amat suam bonitatem. Bonum autem alicujus non solum dicitur secundum hoc quod in ipso est, sed secundum quod in alio est per similitudinem. Unde cum bonitas quae est in creatura, sit similitudo divinae bonitatis, sequitur quod ipse creaturam diligat.

Réponse. Tout ce qui a la connaissance aime son propre bien, non seulement d’un amour naturel, mais d’un amour de l’âme (amore animali), c’est-à-dire intellectuel. Puisqu’en Dieu existe une connaissance parfaite, il aime donc sa propre bonté. Or, on ne parle pas de la bonté d’une chose seulement pour ce qui existe en elle-même, mais pour ce qui se trouve dans un autre par ressemblance. Puisque la bonté qui existe dans la créature est une ressemblance de la bonté divine, il en découle donc que [Dieu] aime sa créature.

[11811] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod passiones quaedam important in sui ratione aliquam materialem transmutationem; et ideo non possunt transferri in Deum, nisi per similitudinem, sicut ira; et similiter illae quae important defectum, ut tristitia, et etiam ira secundum quod ex tristitia causatur. Quaedam vero passiones sunt quae de ratione sui non important aliquid materiale, vel aliquem defectum, sicut delectatio; unde etiam in operatione intellectuali delectatio est, non solum in corporali operatione, ut philosophus probat in 7 Ethic.: et propter hoc delectatio in Deo potest poni, non quidem ut passio, sed operationem suam simplicem et sine motu consequens per modum intelligendi, ut philosophus dicit in 7 Ethic., quod Deus simplici gaudet delectatione. Et similiter etiam de amore dicendum est.

1. Certaines passions comportent par essence une transformation matérielle ; c’est pourquoi elles ne peuvent être transposées en Dieu, si ce n’est par ressemblance, telle la colère. De même, celles qui comportent un manque, comme la tristesse et encore la colère, pour autant qu’elle est causée par la tristesse. Mais il y a certaines passions qui ne comportent rien de matériel ni manque par leur essence, comme la délectation. Aussi existe-t-il une délectation dans l’opération intellectuelle, et non seulement dans une opération corporelle, comme le montre le Philosophe dans Éthique, VII. Pour cette raison, on peut reconnaître en Dieu une délectation, non comme une passion, mais comme découlant de son opération simple et sans mouvement par mode d’intelligence ; ainsi le Philosophe dit, dans Éthique, VII, que Dieu se réjouit d’une délectation simple. Il faut parler de l’amour de la même façon.

[11812] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod inter multum distantia bene potest esse amor, sed non amicitia: quia non conversantur simul, quod est proprium amicitiae. Deus autem quamvis in infinitum distet a creatura; tamen operatur in omnibus, et in omnibus est: et ideo potest salvari etiam ratio amicitiae.

2. Entre des réalités très éloignées, il peut fort bien exister de l’amour, mais non de l’amitié, car elles ne se fréquentent pas, ce qui est le propre de l’amitié. Or, Dieu, bien qu’il soit infiniment distant de la créature, agit cependant en toutes choses et existe en toutes choses. C’est pourquoi même la notion d’amitié peut être sauvegardée.

[11813] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod amor omnis transfert quodammodo amantem in amatum, sed diversimode. Uno modo secundum quod amans transfertur in participandum ea quae sunt amati; alio modo ut communicet amato ea quae sunt sua. Primo ergo modo Deus non transfertur in amatum, quod est creatura; sed secundo modo, inquantum bonitatem suam ei communicat; et sic dicit Dionysius, quod ipse Deus est per amorem extasim passus.

3. Tout amour transporte d’une certaine manière celui qui aime en celui qui est aimé, mais de manières diverses. D’une manière, selon que celui qui aime est transporté en vue de participer à ce qui appartient à celui qui est aimé ; d’une autre manière, afin de communiquer ce qui lui appartient à celui qui est aimé. Dieu n’est donc pas transporté de la première façon en ce qui est aimé, qui est la créature, mais, de la seconde manière, pour autant qu’il lui communique sa propre bonté. C’est ainsi que Denys dit que Dieu lui-même connaît par l’amour une « extase » [sortie de soi].

[11814] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod potentia passiva informatur ex objecto suo; sed potentia activa ponit formam suam circa objectum, sicut patet de intellectu agente et possibili. Unde sicut intellectus divinus non informatur rebus quas cognoscit per essentiam suam, ita nec voluntas ejus informatur rebus quas amat: quia eas per bonitatem suam amat, et amando communicat eis suam bonitatem.

4. La puissance passive prend la forme de son objet, mais la puissance active confère à l’objet sa forme, comme cela ressort pour l’intellect agent et [l’intellect] possible. De même que l’intellect divin ne prend pas la forme des choses qu’il connaît par son essence, de même sa volonté ne prend-elle donc pas la forme des choses qu’elle aime, car elle les aime par sa bonté et, en les aimant, leur communique sa propre bonté.

[11815] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod virtutes quae habent materiam determinatam circa actus et passiones corporales, vel quae important aliquem defectum, sicut fides, non possunt habere exemplar in natura divina, ita scilicet quod illae virtutes in Deo sint; sed habent exemplar in intellectu divino, sicut habent reliquae res materiales; et ideo cum caritas nullum defectum nec aliquod materiale importet, invenitur in Deo prae quibusdam aliis virtutibus.

5. Les vertus qui ont une matière déterminée dans les actes et les passions corporels, ou qui comportent un certain manque, comme la foi, ne peuvent avoir leur modèle dans la nature divine, de telle sorte que ces vertus existent en Dieu. Mais elles ont leur modèle dans l’intellect divin, comme l’ont les autres réalités matérielles. Puisque la charité ne comporte aucun manque ni rien de matériel, c’est la raison pour laquelle elle se trouve en Dieu plus que les autres vertus.

 

 

Articulus 2 [11816] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 2 tit. Utrum Deus diligat omnem creaturam

Article 2 – Dieu aime-t-il toutes les créatures ?

[11817] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Deus non diligat omnem creaturam. Quidquid enim Deus diligit, ex caritate diligit. Sed creaturae irrationales non diliguntur ex caritate, ut supra, dist. 21, quaest. 1, art. 2, dictum est. Ergo eas Deus non diligit.

1. Il semble que Dieu n’aime pas toutes les créatures. En effet, tout ce que Dieu aime, il l’aime de charité. Or, les créatures sans raison ne sont pas aimées de charité, comme on l’a dit plus haut, d. 21, q. 1, a. 2. Dieu ne les aime donc pas.

[11818] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, sicut dicit philosophus in 8 Ethic., creaturae inanimatae non diliguntur nisi amore concupiscentiae, sicut patet de vino. Sed Deus non diligit amore concupiscentiae, quia ipse bonorum nostrorum non eget. Ergo creaturas inanimatas nullo modo diligit.

2. Comme le dit le Philosophe dans Éthique, VIII, les créatures inanimées ne sont aimées que d’un amour de concupiscence, comme cela ressort pour le vin. Or, Dieu n’aime pas d’un amour de concupiscence, car il n’a pas besoin de nos biens. Il n’aime donc aucunement les créatures inanimées.

[11819] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, dilectio est causa electionis. Sed Deus non omnes etiam homines eligit. Ergo non omnes diligit.

3. L’amour est la cause du choix. Or, Dieu ne choisit pas non plus tous les hommes. Il ne les aime donc pas tous.

[11820] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, quicumque diligit aliquid, vult ei bonum. Sed Deus non vult reprobis bonum, quod est perfectum bonum, scilicet vitam aeternam: quia si vellet, haberent. Ergo Deus non diligit omnem creaturam.

4. Quiconque aime quelque chose lui veut du bien. Or, Dieu ne veut pas pour les réprouvés le bien qui est le bien parfait : la vie éternelle, car, s’il la voulait, ils l’auraient. Dieu n’aime donc pas toutes les créatures.

[11821] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, non potest esse ejusdem ad idem amor et odium. Sed Deus aliquam creaturam odit; Malach. 1, 5: Esau odio habui. Ergo non omnem creaturam diligit.

5. Le même ne peut pas avoir d’amour et de haine à l’endroit de la même chose. Or, Dieu a haï une créature. Ml 1, 5 : J’ai haï Ésaü ! Il n’aime donc pas toutes les créatures.

[11822] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, Sap. 2, 25: diligis omnia quae sunt, et nihil odisti eorum quae fecisti.

Cependant, [1] Sg 2, 25 dit : Tu aimes tout ce qui existe, et tu n’as eu de haine envers rien de ce que tu as créé.

[11823] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Dionysius dicit quod etiam amor divinus movet superiora in providentiam inferiorum. Sed Deus habet providentiam de omnibus. Ergo ipse omnia diligit.

[2] Denys dit que l’amour divin meut aussi les êtres supérieurs en vue de prendre soin des êtres inférieurs. Or, Dieu exerce sa providence envers toutes choses. Il aime donc toutes choses.

[11824] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 2 s. c. 3 Praeterea, Genes. 1, 31, dicitur: vidit Deus cuncta quae fecerat, et erant valde bona; et Augustinus dicit, quod per hoc significatur quod omnia approbavit sed nihil approbatur nisi quod amatur. Ergo Deus omnia amat.

[3] Il est dit en Gn 1, 31 : Dieu vit tout ce qu’il avait fait, et cela était très bon. Et Augustin dit que, par là, il est signifié qu’il a approuvé toutes choses . Or, il n’approuve rien qu’il n’aime pas. Dieu aime donc toutes choses.

[11825] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod amicitia, sicut dictum est Sup. dist. 27, quaest. 2, art. 1, addit aliquid supra amorem, quia ad rationem amoris sufficit quod homo velit bonum quodcumque alicui; ad rationem autem amicitiae oportet quod aliquis velit ei bonum quod vult sibi, ut scilicet velit conversari cum ipso, et convivere in illis quae maxime amat. Sic ergo Deus, communiter loquendo de dilectione, diligit omnia, inquantum vult eis bonum aliquod, scilicet bonum naturale ipsorum; sed bonum quod ipse sibi vult, scilicet visionem sui, et fruitionem qua ipse beatus est, vult quidem omni creaturae rationali voluntate antecedente, sed voluntate consequente solum electis, quae est voluntas simpliciter; et ideo solos electos diligit amore amicitiae, alia autem diligit amore communiter dicto, inquantum sunt bona.

Réponse. Comme on l’a dit plus haut, d. 27, q. 2, a. 1, l’amitié ajoute quelque chose à l’amour, car il suffit pour la notion d’amour que l’homme veuille n’importe quel bien à quelqu’un ; mais, pour la notion d’amitié, il est nécessaire que quelqu’un lui veuille un bien qu’il veut pour lui-même, à savoir, qu’il veuille le fréquenter et vivre avec lui au sein de ce qu’il aime le plus. Ainsi donc, Dieu, à parler de l’amour d’une manière générale, aime toutes choses pour autant qu’il leur veut un bien, à savoir, leur bien naturel ; mais le bien qu’il veut pour lui-même, à savoir, la vision de lui-même et la jouissance par laquelle il est bienheureux, il le veut pour toute créature raisonnable d’une volonté antécédente, mais, pour les élus, d’une volonté conséquente seulement, qui est simplement la volonté. C’est pourquoi il aime seulement les élus d’un amour d’amitié, mais il aime les autres choses d’un amour au sens général, pour autant qu’elles sont bonnes.

[11826] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Deus omnia, idest creaturas irrationales, ex caritate diligit, non sicut caritatem habens ad illa, sed sicut ordinans ea ad illa ad quae ille caritatem habet.

1. Dieu aime toutes les créatures, à savoir, les créatures non raisonnables, non pas en ayant de la charité à leur endroit, mais en les ordonnant à ce envers quoi il a de la charité.

[11827] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis nos non diligamus creaturas inanimatas amore benevolentiae, quia eorum bonum non est a nobis; Deus tamen eas diligit amore benevolentiae: quia per hoc quod eis bonum vult, sunt, et bonae sunt. Tamen Deus quamvis non amet aliquid in concupiscendo sibi, amat tamen in concupiscendo alteri, ut non fiat vis in verbo concupiscentiae, quae anxietatem, non proprietatem desiderii importat.

2. Bien que nous n’aimions pas les créatures inanimées d’un amour de bienveillance, parce que leur bien ne vient pas de nous, Dieu les aime cependant d’un amour de bienveillance, car elles existent par le fait qu’il leur veut du bien et qu’elles sont bonnes. Cependant, bien que Dieu n’aime pas quelque chose en le désirant [concupiscendo] pour lui-même, il l’aime cependant en le désirant [concupiscendo] pour un autre, sans insister sur le mot « concupiscence », qui comporte une anxiété, et non le caractère propre du désir.

[11828] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod dilectio amicitiae est illa quae electionem causat; et hanc non habet ad omnia.

3. L’amour d’amitié est celui qui cause un choix, et celui-ci ne porte pas sur tout.

[11829] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Deus omnibus creaturis irrationalibus vult bonum eis proportionatum, et cujus sunt capaces; et ideo simpliciter loquendo potest dici quod Deus eas diligat. Sed reprobis voluntate consequente, secundum quam simpliciter dicitur aliquid velle, vult quidem bonum naturae, non autem bonum cujus sunt capaces, scilicet gratiae et gloriae, nisi voluntate antecedente: et ideo non est dicendum quod diligat Deus eos simpliciter, sed secundum quid, scilicet inquantum sunt creaturae.

4. Dieu veut pour toutes les créatures non raisonnables le bien qui leur est proportionné et dont elles sont capables. C’est pourquoi, à parler simplement, on peut dire que Dieu les aime. Mais, pour les réprouvés, il veut leur bien naturel d’une volonté conséquente, par laquelle on dit qu’il veut quelque chose simplement, mais non le bien dont ils sont capables, à savoir, celui de la grâce et de la gloire, si ce n’est d’une volonté antécédente. Aussi ne faut-il pas dire que Dieu les aime simplement, mais de manière relative, à savoir, pour autant qu’ils sont des créatures.

[11830] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod non odit reprobos inquantum creaturae sunt, sed inquantum mali sunt, quod ab ipso non est.

5. Il ne hait pas les réprouvés en tant qu’ils sont des créatures, mais en tant qu’ils sont mauvais, ce qui ne vient pas de lui.

 

 

Articulus 3 [11831] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 3 tit. Utrum Deus ab aeterno dilexerit creaturas

Article 3 – Dieu a-t-il aimé les créatures éternellement ?

[11832] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Deus ab aeterno non dilexerit creaturas. Dilectio enim non est nisi boni. Sed creaturae non fuerunt bonae ab aeterno. Ergo non diligit eas ab aeterno.

1. Il semble que Dieu n’ait pas aimé les créatures éternellement. En effet, l’amour ne porte que sur le bien. Or, les créatures n’ont pas été éternellement bonnes. Il ne les aime donc pas éternellement.

[11833] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, dilectio significat divinam essentiam, et connotat effectum in creatura. Sed ea quae important effectum in creatura, dicuntur de Deo ex tempore, sicut dominus, et salvator, et hujusmodi. Ergo et diligere creaturas non dicitur de Deo nisi ex tempore.

2. L’amour signifie l’essence divine et connote un effet dans la créature. Or, ce qui comporte un effet dans la créature est dit de Dieu de manière temporelle ; ainsi, Seigneur, Sauveur et les choses de ce genre. Aimer les créatures n’est donc dit de Dieu que de manière temporelle.

[11834] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, dilectio unit amantem amato. Sed res non potuerunt conjungi vel uniri Deo antequam essent. Ergo non poterant amari ab eo ab aeterno.

3. L’amour unit celui qui aime à ce qui est aimé. Or, les choses n’ont pu être reliées ou unies à Dieu avant d’exister. Elles ne pouvaient donc pas être aimées par lui éternellement.

[11835] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, eorum quae similiter se habent, est una ratio amoris. Sed creaturae antequam essent, in nullo distinguebantur. Ergo non erat in uno quare diligeretur magis quam in alio; et ita ab aeterno non dilexit electos, nisi forte sicut alia.

4. Pour les choses qui sont semblables, il n’existe qu’une seule raison d’aimer. Or, avant qu’elles n’existent, les créatures ne se distinguaient en rien. Il n’y avait donc pas chez l’un une raison de l’aimer davantage qu’un autre. Ainsi, [Dieu] n’a pas aimé les élus éternellement, sauf peut-être comme les autres choses.

[11836] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, amans vult esse amatum. Sed Deus non volebat esse creaturas antequam essent: quia si voluisset eas esse, fuissent. Ergo non amabat eas antequam essent.

5. Celui qui aime veut être aimé. Or, Dieu ne voulait pas qu’il y ait des créatures avant qu’elles n’existent, car s’il avait voulu qu’elles existent, elles auraient existé. Il ne les aimait donc pas avant qu’elles n’aient existé.

[11837] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, Ephes. 1: elegit nos ante mundi constitutionem. Sed electio est ex dilectione. Ergo etiam ab aeterno dilexit creaturas.

Cependant, [1] Ep 1 dit : Il nous a choisis avant la création du monde. Or, le choix vient de l’amour. Il a donc aimé des créatures éternellement.

[11838] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, Dionysius dicit, quod divinus amor fuit causa quare res fecit. Ergo amor rerum fuit in Deo antequam res essent, et ita ab aeterno.

2. Denys dit que l’amour divin a été la cause pour laquelle il a créé les choses. L’amour des choses a donc existé en Dieu avant que les choses ne soient, et ainsi, [il a existé] éternellement.

[11839] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 3 s. c. 3 Praeterea, affectus boni sequitur cognitionem de bono. Sed Deus ab aeterno cognovit quidquid boni est in creaturis. Ergo ab aeterno dilexit creaturas.

3. L’amour du bien découle de la connaissance du bien. Or, Dieu a éternellement connu tout ce qu’il y a de bien dans les créatures. Il a donc aimé les créatures éternellement.

[11840] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod illa sola nomina ex tempore de Deo dici possunt quae in principali significato important aliquid quod in Deo secundum rem non est: sicut ea quae important relationem Dei ad creaturam in principali significato, ut dominus, et hujusmodi: quae quidem relatio secundum rem est in creatura, sed in Deo est secundum rationem tantum: similiter ea quae important in principali significato actionem divinam terminatam ad aliquid extra se, sicut causare, et hujusmodi. Amor autem non importat in principali significato relationem, sed operationem voluntatis; cujus operationes, sicut et operationes intellectus proximae, et ab eis elicitae, in operante manent, et non transeunt ad constituendum aliquid in exteriori materia. Et ideo amor Deo ab aeterno convenit.

Réponse. Seuls peuvent être dits de Dieu de manière temporelle les noms qui comportent dans leur signification principale quelque chose qui n’existe pas réellement en Dieu, comme ceux qui comportent une relation de Dieu à la créature dans leur signification principale ; ainsi, Seigneur et ceux de ce genre. Cette relation existe réellement dans la créature, mais elle existe en Dieu selon la raison seulement. De même, [les noms] qui comportent dans leur signification principale une action de Dieu qui a comme terme quelque chose qui lui est extérieur, comme causer et ceux de ce genre. Or, l’amour ne comporte pas dans sa signification principale une relation, mais une opération de la volonté, dont les opérations, comme les opérations rapprochées de l’intellect et issues d’elles, demeurent dans celui qui agit et ne sortent pas en vue d’établir quelque chose dans une matière extérieure. C’est pourquoi l’amour convient à Dieu éternellement.

[11841] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod quamvis creaturae ab aeterno non fuerint bonae in propria natura, fuerunt tamen bonae in Dei praescientia.

1. Bien que les créatures n’aient pas été éternellement bonnes dans leur nature propre, elles furent cependant bonnes dans la prescience de Dieu.

[11842] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non connotat effectum in actu, sed in habitu; et hoc est, quia operationes animae non terminantur ad aliquid extra operantem; unde possunt extendi etiam ad id quod non est in actu.

2. [L’amour] ne connote pas l’effet en acte, mais selon l’habitus. Cela vient de ce que les opérations de l’âme n’ont pas comme terme quelque chose d’extérieur à celui qui agit ; elles peuvent donc aussi atteindre ce qui n’existe pas en acte.

[11843] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod amor non unit secundum rem semper, sed est unio affectus: quae quidem unio potest haberi etiam ad illud quod est absens, aut penitus non existens.

3. L’amour n’unit pas toujours réellement, mais il est une union affective. Cette union peut se réaliser même avec ce qui est absent ou n’existe pas du tout.

[11844] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis non differrent secundum id quod non erant in propria natura, differentiam tamen habebant in Dei praescientia, secundum quod eorum diversitates futuras praesciebat.

4. Bien qu’elles n’aient pas été différentes pour autant qu’elles n’existaient pas dans leur nature propre, elles avaient cependant une différence dans la prescience de Dieu, par laquelle il connaissait à l’avance leurs diversités futures.

[11845] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Deus volebat ab aeterno creaturas esse, sed non eas esse ab aeterno, sed secundum ordinem suae sapientiae.

5. Dieu voulait éternellement que les créatures soient, mais non pas qu’elles soient éternellement, mais selon l’ordre de sa sagesse.

 

 

Articulus 4 [11846] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 4 tit. Utrum Deus omnia aequaliter diligat

Article 4 – Dieu aime-t-il toutes choses également ?

[11847] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod Deus omnia aequaliter diligat. Quia providentia, ut dicit Dionysius, est effectus amoris. Sed aequaliter est illi cura de omnibus. Sap. 6. Ergo omnia aequaliter diligit.

1. Il semble que Dieu aime toutes choses également, car la providence est l’effet de l’amour, comme le dit Denys. Or, il prend un soin égal de toutes choses, Sg 6. Il aime donc toutes choses également.

[11848] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, dilectio Dei ad creaturas significat habitudinem ipsius ad creaturas. Sed Deus aequaliter se habet ad omnia, ut dicit philosophus, quamvis omnia inaequaliter se habeant ad ipsum. Ergo ipse aequaliter omnia diligit.

2. L’amour de Dieu pour les créatures signifie une relation de lui aux créatures. Or, Dieu a une relation égale avec toutes choses, comme le dit le Philosophe, bien que toutes aient un rapport inégal avec lui. Il aime donc toutes choses également.

[11849] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, sicut diligit omnia, ita cognoscit omnia. Sed aequaliter cognoscit omnia. Ergo aequaliter omnia diligit.

3. De même qu’il aime toutes choses, de même connaît-il toutes choses. Or, il connaît également toutes choses. Il aime donc également toutes choses.

[11850] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, idem actus non potest esse intensior et remissior, nisi secundum diversas sui partes. Sed eodem actu simplici diligit omnia. Ergo non diligit unum plus altero.

4. Le même acte ne peut être plus intense et plus relâché, sauf selon ses divers parties. Or, [Dieu] aime toutes choses par un acte simple. Il n’aime donc pas une chose plus qu’une autre.

[11851] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 4 arg. 5 Praeterea, qua ratione diligit unum plus altero, eadem ratione diligit aliquem quandoque plus quandoque minus: quia sicut una res est melior altera, ita idem secundum diversa tempora est melius seipso. Sed Deus non diligit aliquem quandoque plus quandoque minus: quia sic amor suus esset mutabilis, quod est impossibile. Ergo non diligit unum plus altero.

5. C’est pour la même raison qu’il en aime un plus qu’un autre et qu’il aime parfois quelqu’un davantage et parfois moins, car de même qu’une chose est meilleure qu’une autre, ainsi une même chose peut-elle être meilleure qu’elle-même à divers moments. Or, Dieu n’aime pas quelqu’un parfois plus et parfois moins, car son amour serait ainsi changeant, ce qui est impossible. Il n’aime donc pas l’un plus que l’autre.

[11852] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed contra, Prov. 16, 4: universa propter seipsum operatus est dominus; et similiter etiam dicitur quod omnia fecit propter hominem. Sed illud propter quod aliquid fit, plus diligitur. Ergo Deus magis diligit se quam alia, et inter alia magis amat unum quam aliud.

Cependant, [1] il est dit en Pr 16, 4 : Le Seigneur a fait toutes choses pour lui-même. De même est-il dit qu’il a fait toutes choses pour l’homme. Or, ce pour quoi quelque chose est fait est davantage aimé. Dieu s’aime donc lui-même plus que les autres choses et, parmi les autres choses, il en aime une plus qu’une autre.

[11853] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, caritas est boni inquantum bonum. Ergo magis bonum magis amat.

[2] La charité porte sur le bien en tant que bien. Elle aime donc davantage ce qui est meilleur.

[11854] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 4 s. c. 3 Praeterea, ordo caritatis est de perfectione ipsius. Sed caritas Dei perfectissima est. Ergo secundum ordinem diligit unum plus alio.

[3] L’ordre de la charité fait partie de sa perfection. Or, la charité de Dieu est la plus parfaite. Il aime donc l’un plus que l’autre de manière ordonnée.

[11855] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod amor dupliciter mensuratur. Uno modo ex suo principio; et sic dicitur magis amari illud ad quod amandum efficacius voluntas inclinatur; et sic Deus aequaliter omnia diligit: quia in dilectione sua respectu cujuslibet rei habet infinitam efficaciam in diligendo. Alio modo ex parte objecti, secundum quod dicitur aliquis magis diligere illud cui vult majus bonum; et sic Deus dicitur magis diligere unum quam aliud inquantum vult ei majus bonum: et ex hoc etiam habet majorem effectum in illo, quia voluntas ejus est causa rerum.

Réponse. L’amour se mesure de deux façons. D’une façon, par son principe : on dit ainsi qu’est davantage aimée la chose que la volonté est plus efficacement inclinée à aimer. Dieu aime ainsi également toutes choses, car, dans son amour pour chaque chose, il a une efficacité infinie en aimant. D’une autre façon, du point de vue de l’objet : on dit ainsi que quelqu’un aime davantage ce à quoi il veut un bien plus grand. Ainsi dit-on que Dieu aime davantage une chose qu’une autre pour autant qu’il lui veut un plus grand bien. De ce fait, il produit aussi un plus grand effet en elle, car sa volonté est la cause des choses.

[11856] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod aequaliter est ei cura de omnibus ex parte solicitudinis ipsius, sed non ex parte eorum quae eis providentur.

1. Il prend également soin de toutes choses du point de vue de sa sollicitude, mais non pas du point de vue de ce qui leur est assuré.

[11857] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod dilectio non tantum importat id quod est ex parte Dei, sed etiam id quod est ex parte creaturae; cujusmodi bonum, prout est a Deo volitum, in dilectione Dei includitur. Et quia creaturae non se habent aequaliter ad Deum, nec possunt aequaliter bonitatem ejus participare, ideo non aequaliter omnia diligit.

2. L’amour ne comporte pas seulement ce qui se trouve du côté de Dieu, mais aussi ce qui existe du côté de la créature, dont le bien, en tant qu’il est voulu par Dieu, est inclus dans l’amour de Dieu. Et parce que les créatures n’ont pas un égal rapport avec Dieu et ne peuvent pas participer également à sa bonté, [Dieu] n’aime donc pas toutes choses également.

[11858] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod cognitio est secundum motum rei ad animam, amor autem secundum motum animae ad res; et ideo cognitio mensuratur tantum ex parte cognoscentis, sed amor est ex parte utriusque. Non enim dicitur magis cognoscere, quia majorem rem inesse alicui cognoscit, sicut dicitur magis diligere cui majus bonum inesse vult. Unde non est simile de dilectione et cognitione.

3. La connaissance se réalise par le mouvement d’une chose vers l’âme, mais l’amour selon le mouvement de l’âme vers les choses. C’est pourquoi la connaissance se mesure seulement du point de vue de celui qui connaît, mais l’amour existe des deux côtés. En effet, on ne dit pas qu’on connaît davantage parce qu’on connaît qu’une chose plus grande se trouve dans quelque chose, comme on dit qu’on aime davantage celui dont on veut qu’il possède un bien plus grand. Il n’en va donc pas de même de l’amour et de la connaissance.

[11859] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod non dicitur magis diligere quia intensius diligit, sed quia majus bonum vult.

4. On ne dit pas qu’il aime davantage parce qu’il aime plus intensément, mais parce qu’il veut un bien plus grand.

[11860] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quantum ad effectum dilectionis semper eumdem aequaliter diligit: quia semper vult ei idem bonum finaliter, quamvis non velit quod semper habeat aequale bonum vel idem; et ideo secundum effectum non est aequalis.

5. Pour ce qui est de l’effet de l’amour, il aime toujours le même également, car il veut toujours comme fin pour lui le même bien, bien qu’il ne veuille pas toujours qu’il ait un bien égal ou le même bien. C’est pourquoi [l’amour] n’est pas égal selon son effet.

 

 

Articulus 5 [11861] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 tit. Utrum Deus plus diligat justum praescitum, quam peccatorem praedestinatum

Article 5 – Dieu aime-t-il davantage le juste connu d’avance [praescitum] que le pécheur prédestiné [praedestinatum] ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Dieu aime-t-il davantage le juste connu d’avance que le pécheur prédestiné ?]

[11862] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod Deus diligat plus justum praescitum quam peccatorem praedestinatum. Proverb. 8, 17: ego diligentes me diligo. Sed iste peccator praedestinatus non amat Deum, quem amat justus praescitus. Ergo plus diligit justum praescitum quam peccatorem praedestinatum.

1. Il semble que Dieu aime davantage le juste connu d’avance que le pécheur prédestiné. Pr 8, 17 : J’aime ceux qui m’aiment. Or, le pécheur prédestiné n’aime pas Dieu, que le juste connu d’avance aime. [Dieu] aime donc davantage le juste connu d’avance que le pécheur prédestiné.

[11863] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 2 Praeterea, magis bonum Deus magis diligit. Sed iste justus est magis bonum quam ille peccator. Ergo magis a Deo diligitur.

2. Dieu aime plus ce qui est meilleur. Or, ce juste est meilleur que ce pécheur. Il est donc davantage aimé par Dieu.

[11864] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 3 Praeterea, in littera dicitur, quod magis diligit membra unigeniti sui quam alios. Sed peccator praedestinatus non est membrum Christi. Ergo minus a Deo diligitur quam justus praescitus qui est membrum Christi.

3. Dans le texte, il est dit qu’il aime davantage les membres de son Fils unique que les autres. Or, le pécheur prédestiné n’est pas membre du Christ. Il est donc moins aimé de Dieu que le juste connu d’avance, qui est membre du Christ.

[11865] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, dilectio causa est electionis. Sed peccatorem praedestinatum Deus elegit. Ergo magis diligit eum quam justum praescitum, quem non elegit.

Cependant, [1] l’amour est la cause du choix. Or, Dieu a choisi le pécheur prédestiné. Il l’aime donc davantage que le juste connu d’avance, qu’il n’a pas choisi.

[11866] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, illud magis diligit cui majus bonum vult. Sed peccatori praedestinato vult majus bonum, quia vitam aeternam. Ergo magis eum diligit.

[2] Il aime davantage ce à quoi il veut un plus grand bien. Or, il veut un plus grand bien au pécheur prédestiné : la vie éternelle. Il l’aime donc davantage.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Dieu aime-t-il davantage celui qui se repent que l’innocent ?]

[11867] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod magis diligat poenitentem quam innocentem: quia gaudium ex amore consequitur. Sed plus gaudet de poenitente, ut patet Luc. 15. Ergo plus eum amat.

1. Il semble que [Dieu] aime davantage celui qui se repent que l’innocent, car la joie découle de l’amour. Or, il se réjouit davantage de celui qui se repent, comme cela ressort de Lc 15. Il l’aime donc plus.

[11868] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 2 Praeterea, ubi homo magis operatur, magis diligit: propter quod, ut philosophus dicit 9 Ethic., matres plus diligunt filios quam patres. Sed Deus plus operatur ad salutem poenitentis quam innocentis. Ergo plus eum amat.

2. Là où l’homme agit davantage, il aime davantage ; pour cette raison, comme le dit le Philosophe dans Éthique, IX, les mères aiment plus leurs fils que leurs pères. Or, Dieu agit davantage pour le salut de celui qui se repent que pour celui de l’innocent. Il l’aime donc davantage.

[11869] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 3 Praeterea, affectus amoris ex effectu pensatur. Sed major amoris effectus videtur revocare inimicum ad amicitiam, quam amicum in amicitia conservare. Ergo plus diligit poenitentem quam innocentem.

3. La disposition affective de l’amour se mesure à son effet, Or, ce semble être un plus grand effet de l’amour de ramener un ennemi à l’amitié, que de conserver l’amitié d’un ami. Il aime donc davantage celui qui se repent que l’innocent.

[11870] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, quod est diuturnius, est magis eligendum et diligendum. Sed bonum innocentis est diuturnius. Ergo magis diligitur a Deo.

Cependant, [1] il faut plutôt choisir et aimer ce qui dure plus longtemps. Or, le bien de l’innocent est plus durable. Il est donc davantage aimé par Dieu.

[11871] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, supra dictum est, dist. 31, qu. 1, art. 10, quod resurgens nunquam redit ad tantam dignitatem, quamvis redire possit ad tantam caritatem. Ergo Deus plus diligit innocentem quam poenitentem.

[2] On a dit plus haut, d. 31, q. 1, a. 10, que celui qui se relève ne revient jamais à une dignité aussi grande, bien qu’il puisse revenir à une charité aussi grande. Dieu aime donc davantage l’innocent que celui qui se repent.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Dieu aime-t-il davantage l’homme que l’ange ?]

[11872] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod diligat plus hominem quam Angelum. Quia nusquam Angelos apprehendit, sed semen Abrahae apprehendit; Hebr. 2, 16; et sic plus fecit pro hominibus quam pro Angelis. Ergo magis diligit eos.

1. Il semble qu’il aime plus l’homme que l’ange, car il n’a jamais pris possession des anges, mais il a pris possession de la descendance d’Abraham, He 2, 16. Ainsi a-t-il fait davantage pour les hommes que pour les anges. Il les aime donc davantage.

[11873] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 3 arg. 2 Praeterea, homines pluribus modis sunt membra Christi quam Angeli, scilicet quantum ad conformitatem naturae. Sed membra Christi magis diligit, ut in littera dicitur. Ergo homines plus diligit quam Angelos.

2. Les hommes sont membres du Christ de plus de façons que les anges, à savoir, par la conformité de leur nature. Or, il aime davantage les membres du Christ, comme il est dit dans le texte. Il aime donc davantage les hommes que les anges.

[11874] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 3 arg. 3 Praeterea, homines supra Angelos collocavit, scilicet Christum, et beatam virginem. Ergo plus homines Angelis diligit.

3. Il a placé des hommes au-dessus des anges : le Christ et la bienheureuse Vierge. Il aime donc davantage les hommes que les anges.

[11875] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, dilectio causatur ex convenientia amantis cum amato. Sed Angeli sunt similiores Deo, ut dicit Gregorius Lib. 32 Moral. Ergo Angelos plus diligit.

Cependant, [1] l’amour est causé par ce en quoi celui qui aime et celui qui est aimé se rejoignent. Or, les anges ressemblent davantage à Dieu, comme le dit Grégoire dans le livre des Morales, XXXII. Il aime donc davantage les anges.

[11876] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, Angelis in principio gratiam vel quasi gloriam contulit; non autem hominibus. Ergo Angelos magis hominibus diligit.

[2] Au commencement, Dieu a conféré aux anges la grâce ou presque la gloire, mais non aux hommes. Il aime donc davantage les anges que les hommes.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Dieu aime-t-il davantage le genre humain que le Christ ?]

[11877] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod magis diligat humanum genus quam Christum: quia ipsum pro redemptione humani generis dedit, ut patet Joan. 3.

1. Il semble que [Dieu] aime davantage le genre humain que le Christ, car il l’a livré pour la rédemption du genre humain, comme cela ressort de Jn 3.

[11878] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 4 arg. 2 Praeterea, bonum commune est divinius quam bonum unius. Sed bonum humani generis est bonum commune, bonum autem Christi est bonum unius singularis personae. Ergo plus diligit humanum genus quam Christum.

2. Le bien commun est plus divin que le bien d’un seul. Or, le bien du genre humain est un bien commun, mais le bien du Christ est le bien d’une seule personne. [Dieu] aime donc davantage le genre humain que le Christ.

[11879] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 4 s. c. 1 Sed contra, per Christum totum genus humanum fit Deo acceptum. Ergo Christum magis diligit.

Cependant, [1] par le Christ, tout le genre humain est rendu agréable à Dieu. [Dieu] aime donc davantage le Christ.

[11880] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 4 s. c. 2 Praeterea, datus est ei spiritus non ad mensuram; Joan. 3. Ergo plus eum diligit.

[2] L’Esprit a été donné [au Christ] sans mesure, Jn 3. Il l’aime donc davantage.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[11881] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod Deus, simpliciter loquendo, majus bonum vult peccatori praedestinato quam justo praescito; sed ut nunc vult justo praescito. Haec autem determinatio ut nunc non cadit ex parte dilectionis, sed magis ex parte objecti: quia dilectio Dei non variatur per tempora: ab aeterno enim isti praedestinato voluit majus bonum. Unde simpliciter concedendum est, quod magis diligit praedestinatum quam praescitum.

À parler simplement, Dieu veut un plus grand bien pour le pécheur prédestiné que pour le juste connu d’avance ; mais, maintenant, il le veut pour le juste connu d’avance. Cette détermination « maintenant » ne se prend pas du côté de l’amour, mais plutôt du côté de l’objet, car l’amour de Dieu ne varie pas dans le temps. En effet, il a éternellement voulu un plus grand bien pour ce prédestiné. Il faut donc concéder simplement qu’il aime davantage le prédestiné que celui qui est donnu d’avance.

[11882] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 1 ad arg. Et per hoc patet responsio ad objecta, quia procedunt ut nunc.

La réponse aux objections est ainsi claire, car elles portent sur « maintenant ».

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[11883] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod quantum ad bonum praemii essentialis aequaliter diligit poenitentem et innocentem, si aequalem habeant caritatem, vel illum magis qui majorem caritatem habet; sed quantum ad praemium accidentale plus diligit innocentem propter dignitatem innocentiae, ad quam non potest pervenire poenitens.

Par rapport au bien de la récompense essentielle, [Dieu] aime également celui qui se repent et l’innocent, s’ils ont une charité égale, ou davantage celui qui a une charité plus grande. Mais par rapport à la récompense accidentelle, il aime davantage l’innocent en raison de la dignité de l’innocence, à laquelle celui qui se repent ne peut parvenir.

[11884] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis poenitens resurgat in aequali caritate, et ita bonum quod sibi vult Deus, sit aequale consideratum in se, est tamen majus in comparatione ad ipsum cui datur: sicut quanto aliquis est magis indigens, magis sibi impensum reputatur beneficium; et propter hoc dicitur Deus et Angeli plus gaudere de conversione ejus; sicut homo plus gaudet de modico signo sanitatis alicujus infirmantis quam de integra sanitate, dum eam habebat. Vel dicendum, quod hoc dicitur ex hoc quod poenitens frequenter magis humilis et fervens et cautus resurgit.

1. Bien que celui qui se repent se relève avec une égale charité et ainsi, que le bien que Dieu lui veut soit égal, à le considérer en lui-même, il est cependant plus grand comparé à celui à qui il est donné. Ainsi, lorsque quelqu’un est indigent, on considère que le  bienfait accordé est plus grand. Pour cette raison, on dit que Dieu et les anges se réjouissent davantage de sa conversion, comme un homme se réjouit davantage d’un petit signe de santé chez celui qui est malade que de toute sa santé, alors qu’il la possédait. Ou bien il faut dire qu’on dit cela parce que souvent celui qui se repent se relève plus humble, plus fervent et plus vigilant.

[11885] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Deus non magis operatur in eo cui de novo infundit gratiam, quam in eo in quo eam continuat: sicut nec sol illuminans aerem tenebrosum plus quam continuans lumen: nihil enim potest subsistere, nisi Dei operatio continuetur in ipso.

2. Dieu n’agit pas davantage en celui à qui il infuse de nouveau la grâce qu’en celui chez qui il la poursuit, de même que le soleil n’illumine pas davantage l’air obscur que lorsqu’il fait durer la lumière. En effet, rien ne peut subsister, à moins que l’opération de Dieu s’y poursuive

[11886] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis sit majus respectu illius qui liberatur, non tamen est majus simpliciter.

3. Bien qu’il soit plus grand par rapport à celui qui est libéré, il n’est cependant pas plus grand tout simplement.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[11887] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod quantum ad bonum naturae plus diligit Deus Angelum quam hominem; sed quantum ad bonum gloriae se habent ut excedentia et excessa: quia quosdam homines plus, et quosdam Angelos plus, et quosdam aequaliter: quia homines erunt aequales Angelis, et quidam etiam superiores Angelis; et unicuique providit secundum exigentiam naturae et status sui.

Pour ce qui est du bien de la nature, Dieu aime davantage l’ange que l’homme ; mais, pour ce qui est du bien de la gloire, ils se comparent comme ce qui dépasse et ce qui est dépassé, car [Dieu aime] davantage certains hommes, davantage certains anges, et certains également, car des hommes seront égaux aux anges, et certains seront même supérieurs aux anges. Et il exerce sur chacun sa providence selon que l’exigent sa nature et son état.

[11888] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 3 ad arg. Et per hoc patet responsio ad objecta. Non enim plus diligit pater filium infirmum quam sanum, quia ei impendit remedia quae non impendit sano.

Ainsi ressort la réponse aux objections. En effet, un père n’aime pas davantage son fils malade que son fils en santé parce qu’il lui procure des remèdes qu’il ne procure pas à son fils en santé.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[11889] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod Christum diligit non solum plus quam homines, sed etiam plus quam totam creaturam, non solum quantum ad divinam naturam, sed etiam quantum ad humanam, inquantum eam praedestinavit ad majus bonum, scilicet ad unionem divinae personae.

[Dieu] aime le Christ non seulement plus que les hommes, mais aussi plus que l’ensemble de la création, non seulement pour sa nature divine, mais aussi pour [sa nature] humaine, pour autant qu’il l’a prédestinée à un bien plus grand : l’union à une personne divine.

[11890] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in hoc etiam quod Christus pro hominibus fuit datus, maximum bonum ipsi Christo fuit, secundum quod in hoc virtus sua manifesta fuit, et causa fuit salutis humanae, quod est sibi valde honorificum.

1. Par le fait que le Christ a été livré pour les hommes, un bien très grand a été donné au Christ, car sa puissance a ainsi été rendue manifeste et a été la cause du salut des hommes, ce qui est pour lui source d’une grande gloire.

[11891] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis sit singularis persona Christi, tamen est causa universalis salutis humani generis: et causa praestantior est causato.

2. Bien qu’il s’agisse de la personne singulière du Christ, elle est cependant la cause du salut universel du genre humain, et la cause est supérieure à ce qui est causé.

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 32

[11892] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 4 expos. Praemissis adjiciendum est de dilectione Dei qua ipse diligit nos. Videtur quod hoc in primo libro determinare debuerit. Et dicendum, quod etiam in primo libro poni convenienter potuit, inquantum divina dilectio est divina essentia; et hic poni congruenter potest, inquantum est exemplar nostrae dilectionis. Dilectio Dei usia est. Est enim essentia et dilectio in Deo idem re, sed differt ratione tantum, ut in primo libro dictum est.

 

 

 

Distinctio 33

Distinction 33 – [Les vertus cardinales]

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [Comment les vertus morales se distinguent-elles ?]

 

 

Prooemium

Prologue

[11893] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de virtutibus theologicis, hic determinat de virtutibus cardinalibus; et dividitur in partes duas: in prima determinat de ipsis cardinalibus virtutibus secundum se; in secunda ostendit in quibus esse habeant, ibi: quae in Christo plenissime fuerunt et sunt. Prima dividitur in tres: in prima enumerat eas; in secunda ostendit actus earum, ibi: de quibus Augustinus ait; in tertia ostendit qualiter cardinales dicantur, ibi: hae virtutes cardinales vocantur. Quae in Christo plenissime fuerunt et sunt. Hic ostendit in quibus sunt virtutes cardinales; et dividitur in duas partes: primo ostendit quod sunt et fuerunt in Christo; secundo inquirit, utrum futurae sint in patria, ibi: verumtamen an hae virtutes, cum ipsae in animo esse incipiant (...) desinant esse cum ad aeterna perduxerint, nonnulla quaestio est. Et circa hoc duo facit: primo movet quaestionem; secundo determinat eam, ibi: Augustinus autem 14 Lib. de Trin.. Hic est triplex quaestio. Prima de virtutibus moralibus in communi. Secunda de virtutibus cardinalibus. Tertia de partibus earum. Circa primum quaeruntur quatuor: 1 de distinctione moralium virtutum ab invicem: qualiter enim ab intellectualibus et theologicis distinguantur, supra, 23 dist., quaest. 1, art. 7, dictum est; 2 quaeritur de causa efficiente earum, utrum sint scilicet a natura, vel per infusionem, vel per acquisitionem; 3 de medio quod in eis requiritur; 4 utrum in patria evacuentur.

Après avoir déterminé des vertus théologales, le Maître détermine ici des vertus cardinales. Il y a deux parties : dans la première, il détermine des vertus cardinales en elles-mêmes ; dans la seconde, il montre chez qui elles se trouvent, à cet endroit : « …qui se sont trouvées et existent avec la plus grande plénitude chez le Christ. » La première partie se divise en trois. Dans la première, il les énumère. Dans la deuxième, il montre leurs actes, à cet endroit : « Augustin dit d’elles… » Dans la troisième, il montre comment les vertus cardinales sont appelées, à cet endroit : « Ces vertus sont appelées cardinales… » « …Qui se sont trouvées et existent avec la plus grande plénitude chez le Christ. » Il montre ici chez qui existent les vertus cardinales. Il y a deux parties : premièrement, il montre ce qu’elles sont et ce qu’elles ont été chez le Christ ; deuxièmement, il se demande si elles existent dans la patrie, à cet endroit : « À la vérité, on peut se demander si ces vertus, alors qu’elles commencent à exister dans l’âme…, cessent d’exister lorsqu’elles ont conduit à l’éternité. » À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il soulève une question ; deuxièmement, il en détermine, à cet endroit : « Mais, dans le livre Sur la Trinité, XIV, Augustin… » Il y a ici une triple question. La premièrement [porte] sur les vertus morales en général ; la deuxième, sur les vertus cardinales ; la troisième, sur leurs parties. Sur le premier point, quatre questions sont posées : 1. À propos de la distinction des vertus morales entre elles : comment se distinguent-elles des vertus intellectuelles et théologales ? 2. On s’interroge sur leur cause efficiente : viennent-elles de la nature, d’une infusion ou d’une acquisition ? 3. À propos du milieu qui est exigé chez elles. 4. Sont-elles éliminées dans la patrie ?

 

 

Articulus 1 [11894] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 tit. Utrum omnes virtutes morales sint una virtus

Article 1 – Toutes les vertus morales sont-elles une seule vertu ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Toutes les vertus sont-elles une seule vertu ?]

[11895] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod omnes virtutes morales sint una virtus. Augustinus enim dicit in Lib. de Morib. Ecclesiae: nihil virtutem esse assignaverim, nisi summum amorem Dei. Sed amor Dei, qui est caritas, est una virtus, ut ex dictis patet. Ergo omnes virtutes sunt tantum una virtus.

1. Il semble que toutes les vertus morales soient une seule vertu. En effet, Augustin dit, dans le livre Sur les mœurs de l’Église : « Je dirais que la vertu n’est rien d’autre que le plus grand amour de Dieu. » Or, l’amour de Dieu, qui est la charité, est une seule vertu, comme cela ressort de ce qui a été dit. Toutes les vertus ne sont donc qu’une seule vertu.

[11896] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, ubi est unum formale, non potest esse diversitas nisi materialis. Sed omnes virtutes morales conveniunt in uno formali, quia completivam rationem virtutis habent, secundum quod intellectum et rationem accipiunt, ut in 6 Ethic. dicitur. Ergo non differunt nisi materialiter, et non differunt secundum speciem.

2. Là où existe une unité formelle, ne peut exister qu’une diversité matérielle. Or, toutes les vertus morales se rejoignent dans un seul élément formel, car elles ont la raison achevée de vertu du fait qu’elles accueillent l’intellect et la raison, comme on le dit dans Éthique, VI. Elles ne diffèrent donc que matériellement, et elles ne diffèrent pas selon l’espèce.

[11897] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, potentiae apprehensivae magis diversificantur, vel non minus, quam appetitivae. Ergo et habitus similiter, cum potentiis proportionentur. Sed unus habitus cognoscitivus est omnium quae ad virtutes morales pertinent, sicut patet de scientia morali, et de ipsa prudentia, quae est recta ratio omnium agibilium, ut dicitur in 6 Ethic. Ergo et virtutes morales non debent esse distinctae secundum speciem.

3. Les puissances cognitives se diversifient davantage, ou pas moins, que les puissances appétitives. Il en va donc aussi de même pour les habitus, puisqu’ils sont proportionnés aux puissances. Or, il n’existe qu’un seul habitus cognitif pour tout ce qui se rapporte aux vertus morales, comme cela ressort de la science morale et de la prudence elle-même, qui est la raison droite de tout ce qui doit être accompli, ainsi qu’il est dit dans Éthique, VI. Les vertus morales ne doivent donc pas non plus être distinguées selon l’espèce.

[11898] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, per se accidentia secundum speciem distinguuntur ex sola differentia subjectorum, quae in eorum definitionibus ponuntur. Sed virtutes morales sunt etiam in diversis subjectis, cum quaedam sint in rationali, quaedam in concupiscibili, quaedam in irascibili; et semper in eisdem, quia temperantia nunquam est in irascibili et ceteris. Ergo videtur quod virtutes morales specie distinguantur.

Cependant, [1] les accidents se distinguent par soi selon l’espèce par la seule différence des sujets, qui sont mis dans leur définition. Or, les vertus morales existent aussi dans divers sujets, puisque certaines se trouvent dans la raison, certaines dans le concupiscible et certaines dans l’irascible, et toujours dans les mêmes [sujets], car la tempérance ne se trouve jamais dans l’irascible et dans les autres. Il semble donc que les vertus morales se distinguent par l’espèce.

[11899] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, plures formae unius speciei non possunt esse in eodem subjecto. Sed plures virtutes morales possunt esse in eodem etiam secundum partem eamdem animae, sicut fortitudo et mansuetudo sunt simul in irascibili. Ergo differunt specie.

[2] Plusieurs formes d’une seule espèce ne peuvent se trouver dans un même sujet. Or, plusieurs vertus morales peuvent se trouver dans le même [sujet], même selon la même partie de l’âme, comme la force et la douceur existent en même temps dans l’irascible. Elles diffèrent donc par l’espèce.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Les autres vertus morales se distinguent-elles de la prudence ?]

[11900] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod aliae virtutes morales a prudentia non distinguantur. Eorum enim quae ex opposito dividuntur, unum non ponitur in definitione alterius. Sed prudentia est recta ratio, quae ponitur in definitione moralium virtutum, ut patet in 2 Ethic. Ergo morales virtutes a prudentia non distinguuntur.

1. Il semble que les autres vertus morales ne se distinguent pas de la prudence. En effet, une chose n’est pas mise dans la définition d’une autre dans le cas de choses qui se distinguent comme des contraires. Or, la prudence est la raison droite, qui est mise dans la définition des vertus morales, comme cela ressort d’Éthique, II. Les vertus morales ne se distinguent donc pas de la prudence.

[11901] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, ad virtutis actum non exigitur nisi cognitio et operatio. Sed totum hoc prudentia facit; quia prudens non solum cognitivus sed etiam activus est, ut in 6 Ethic. et 7 dicitur. Ergo idem quod prius.

2. Pour l’acte vertueux, ne sont requises que la connaissance et l’opération. Or, la prudence fait tout cela, car le prudent non seulement connaît mais agit, comme on le dit dans Éthique, VI et VII. La conclusion est donc la même que précédemment.

[11902] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, sicut prudentia est recta ratio agibilium, ita ars est recta ratio factibilium, ut dicitur in 6 Ethic. Sed in factibilibus non distinguuntur aliqui habitus exequentes ab artibus quae sunt habitus dirigentes. Ergo nec in agibilibus morales virtutes, quae sunt exequentes, sunt distinguendae a prudentia dirigente.

3. De même que la prudence est la raison droite des actions à poser, de même l’art est-elle la raison droite de ce qui doit être fait, comme il est dit dans Éthique, VI. Or, dans les choses à faire, on ne distingue pas des arts qui sont des habitus qui dirigent les habitus qui exécutent. De même, pour les vertus morales, ne faut-il pas distinguer de la prudence qui dirige celles qui exécutent,.

[11903] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, virtutes morales ab intellectualibus distinguuntur, ut supra dictum est. Sed prudentia est intellectualis virtus, ut in 6 Ethic. patet. Ergo a virtutibus moralibus distinguitur.

Cependant, [1] les vertus morales sont distinctes des vertus intellectuelles, comme on l’a dit plus haut. Or, la prudence est une vertu intellectuelle, comme cela ressort d’Éthique, VI. Elle est donc distincte des vertus morales.

[11904] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, habitus distinguuntur per actus. Sed Augustinus assignat alium actum prudentiae et aliis virtutibus moralibus, ut patet in littera. Ergo distinguuntur ab invicem.

[2] Les habitus se distinguent par leurs actes. Or, Augustin assigne un autre acte à la prudence et aux autres vertus morales, comme cela ressort du texte. Elles sont donc distinctes les unes des autres.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Les autres vertus morales se distinguent-elles des trois vertus indiquées dans le texte ?]

[11905] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod nec ab aliis tribus virtutibus in littera positis reliquae morales virtutes distinguantur. Pars enim non dividitur contra totum. Sed harum aliae omnes partes esse dicuntur a Tullio. Ergo ab eis non distinguuntur.

1. Il semble que les autres vertus morales ne se distinguent pas des trois vertus indiquées dans le texte. En effet, la partie ne se distingue pas par opposition au tout. Or, Tullius [Cicéron] dit que toutes ces autres [vertus] sont des parties. Elles ne s’en distinguent donc pas.

[11906] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, proprietates rerum spiritualium ex earum nominibus investigantur, ut patet per Dionysium. Sed nomen temperantiae temperiem et modum quemdam importat: similiter autem nomen fortitudinis indeficientiam respectu difficilium: nomen autem justitiae aequalitatem vel rectitudinem; unde justum aequale dicimus, et quasi regulatum, ut ex 5 Eth. patet. Cum ergo haec requirantur in qualibet virtute morali, videtur quod aliae virtutes morales ab istis non distinguantur, nec ipsae ab invicem.

2. Les propriétés des réalités spirituelles sont recherchées à partir de leurs noms, comme cela ressort de Denys. Or, le nom de la tempérance comporte une certaine retenue et une certaine mesure ; de même, le nom de la force, une endurance sans faiblesse devant ce qui est difficile ; mais le nom de la justice, une égalité ou une rectitude : c’est pourquoi nous appelons juste ce qui est égal et pour ainsi dire mesuré par une règle, comme cela ressort d’Éthique, V. Puisque cela est exigé en toute vertu morale, il semble donc que les autres vertus morales ne se distinguent pas de celles-ci, ni elles-mêmes les unes des autres.

[11907] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, omne peccatum non expellitur nisi per omnem virtutem. Sed per justitiam expellitur omne peccatum, ut patet in justificatione impii. Ergo ad minus ab ipsa aliae virtutes morales non distinguuntur.

3. Tout péché n’est chassé que par toute vertu. Or, tout péché est chassé par la justice, comme cela apparaît dans la justification de l’impie. Les autres vertus morales, du moins, ne sont donc pas distinctes de celle-ci.

[11908] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, nihil est principale respectu sui ipsius. Sed hae virtutes dicuntur cardinales vel principales respectu aliarum. Ergo ab eis distinguuntur.

Cependant, [1] rien n’a de caractère principal par rapport à soi-même. Or, ces vertus sont appelées cardinales ou principales par rapport aux autres. Elles s’en distinguent donc.

[11909] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, habitus distinguuntur per actus et objecta. Sed istis virtutibus assignantur diversae materiae speciales, ut infra patebit. Ergo sunt speciales virtutes, ab aliis et a se invicem distinctae.

[2] Les habitus se distinguent par leurs actes et leurs objets. Or, diverses matières particulières sont assignées à ces vertus, comme cela ressortira plus loin. Elles sont donc des vertus particulières, distinctes des autres et entre elles.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[11910] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod cum unumquodque quod est ad finem, determinetur secundum exigentiam finis; potentiae et habitus, qui ordinantur ad actus sicut ad ultimam perfectionem, oportet quod secundum actus diversos distinguantur: sicut etiam potentiae materiae distinguuntur per relationem ad diversas formas. Non autem quaelibet diversitas actuum facit differentiam potentiarum et habituum; sed illa tantum quae est ex diversitate objectorum, a quibus actus specificantur, sicut motus a terminis. Solum autem illa differentia terminorum facit diversam speciem motus quae attenditur secundum illam rationem secundum quam terminat motum. Unde quod descensus terminetur ad aquam vel ad terram, non facit diversam speciem motus localis; quia motus localis non erat ad terram vel aquam inquantum hujusmodi, sed inquantum deorsum sunt. Generationes autem differunt secundum speciem quae terminantur ad formas aquae et terrae: et similiter objecta diversa non diversificant actus secundum speciem, nisi sit diversitas secundum illam rationem secundum quam est objectum. Videre enim album et nigrum non sunt diversi actus secundum speciem: quia utrumque est objectum visus secundum unam rationem, inquantum scilicet sunt colorata visibilia actu per lucem. Et inde contingit quod quanto aliqui habitus vel potentiae sunt immaterialiores, tanto sunt universaliores, et minus distinguuntur, quia attendunt universaliorem rationem objecti; sicut quinque sensibus propriis correspondet unus sensus communis, et una imaginatio. Sciendum tamen, quod cum plures habitus quandoque sint in una potentia, aliqua diversitas sufficit ad distinguendum habitus quae non sufficit ad distinguendum potentiam: quia potentia alio modo comparatur ad actum quam habitus; unde et secundum alteram rationem objectum utrique respondet. Potentia enim est principium agendi absolute; sed habitus est principium agendi prompte et faciliter; et ideo objectum secundum illam rationem qua se habet ad actum simpliciter, respondet potentiae; sed secundum quod se habet ad facilitatem actus respondet habitui. Et ideo diversitas materiae vel objecti in ordine ad ea quae faciunt facilitatem in actu, facit diversitatem habitus, et non potentiae. Et inde est quod in speculativis diversitas materiae, secundum quod est determinabilis per diversa media et principia, ex quibus est facilitas considerationis, facit diversas scientias; sicut naturalis, quae ex effectibus et his quae apparent in sensu demonstrat, a mathematica differt, quae circa suam materiam ex eisdem principiis et mediis procedere non potest. Sicut autem in speculativis est principium demonstrationis et medium; ita fines sunt in operativis, ut dicitur in 7 Ethic. Ex eorum enim intentione procedimus in ea quae sunt ad finem, sicut ex dignitatibus in conclusiones; et ideo secundum relationem ad finem omnes morales habitus distinguuntur, ex quo prima sumpta est differentia boni et mali: quia bonum importat finem, ut dicitur in 10 Metaph., malum autem deordinationem a fine: et secundum hoc virtutes a vitiis distinguuntur: et in virtutibus ubi invenitur diversa ratio boni, sunt diversae virtutes secundum speciem. Bonum autem ad quod humanae virtutes proxime ordinantur, est bonum rationis, contra quam esse est malum hominis, ut dicit Dionysius in Lib. de Divin. Nom. Et quia non in omnibus materiis moralibus eodem modo invenitur rationis bonum, ut patet; ideo oportet diversas virtutes morales esse specie differentes.

Puisque tout ce qui est ordonné à une fin est déterminé selon l’exigence de la fin, il est nécessaire que les puissances et les habitus qui sont ordonnés à leurs actes comme à leur ultime perfection soient distingués selon leurs différents actes, de même que les puissances de la matière se distinguent par leurs relations à diverses formes. Or, ce n’est pas n’importe quelle diversité des actes qui fait une différence entre les puissances et les habitus, mais seulement celle qui vient de la diversité des objets par lesquels les actes sont spécifiés, comme les mouvements par leurs termes. Or, seule la différence des termes, envisagée selon la raison qui termine le mouvement, confère une espèce différente au mouvement. Aussi le fait qu’une descente se terme à l’eau ou à la terre ne donne-t-il pas une espèce différente au mouvement local, car le mouvement local ne visait pas la terre ou l’eau en tant que telles, mais en tant qu’elles sont en bas. Mais les générations qui se terminent aux formes de l’eau et de la terre diffèrent selon l’espèce. De même, des objets différents ne diversifient-ils pas les actes spécifiquement, à moins qu’il n’existe une diversité par la raison selon laquelle elle est un objet. En effet, voir le blanc et le noir ne sont pas des actes d’espèce différente, car les deux sont l’objet de la vue selon une seule raison : en tant qu’ils sont colorés et visibles en acte par la lumière. De là vient que plus certains habitus ou puissances sont immatériels, plus ils sont universels et moins ils se distinguent, car ils portent sur une raison plus universelle de l’objet : ainsi, un seul sens commun et une seule imagination correspondent aux cinq sens propres. Cependant, il faut savoir que, puisqu’il existe parfois plusieurs habitus dans une seule puissance, une certaine diversité suffit pour distinguer les habitus, qui ne suffit pas pour distinguer la puissance, car la puissance a un autre rapport avec l’acte que l’habitus. L’objet correspond donc aux deux selon une autre raison. En effet, la puissance est le principe absolu de l’action ; mais l’habitus est le principe d’une action prompte et facile. C’est pourquoi l’objet correspond à la puissance par la raison selon laquelle elle a un simple rapport avec l’acte, mais l’acte correspond à l’habitus selon son rapport à la facilité de l’acte. Aussi la diversité de matière ou d’objet par rapport à ce qui rend l’acte facile réalise-t-elle une diversité de l’habitus, et non de la puissance. De là vient qu’en matière spéculative, la diversité de la matière, selon qu’elle peut être déterminée par divers moyens et principes qui rendent l’examen facile, réalise des sciences diverses. Ainsi, [la science] naturelle, qui démontre à partir des effets et de ce qui tombe sous le sens, diffère-t-elle de la [science] mathématique, qui, à propos de sa matière, ne peut procéder des mêmes principes et moyens. Or, de même qu’en matière spéculative, il y a un principe de démonstration et un moyen, de même les fins jouent-elles ce rôle en matière d’actions, comme il est dit dans Éthique, VII. En effet, à partir de leur intention, nous progressons vers ce qui se rapporte à la fin, comme des premiers principes [dignitatibus] vers les conclusions. C’est pourquoi tous les habitus moraux se distinguent selon leur rapport à la fin, dont est tirée la première différence du bien et du mal, car le bien a caractère de fin, comme il est dit dans Métaphysique, X, mais le mal, d’écart par rapport à la fin. C’est ainsi que les vertus se distinguent des vices, et que, dans les vertus où l’on trouve une raison différente de bien, existent des vertus différentes selon l’espèce. Or, le bien auquel les vertus humaines sont ordonnées de manière prochaine est le bien de la raison : agir à l’encontre de celle-ci est un mal pour l’homme, comme le dit Denys dans le livre Sur les noms divins. Et parce que le bien de la raison ne se trouve pas de la même manière dans toutes les matières morales, il est donc nécessaire qu’il y ait des vertus morales différentes selon l’espèce.

[11911] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod, sicut supra dictum est, duplex est amor. Unus naturalis, et hoc invenitur in omnibus virtutibus: unde talis amor non appropriatur caritati, sed est communis omnibus virtutibus: et si de hoc amore loquitur Augustinus, patet quod non probatur quod sit tantum una virtus. Alius autem est amor animalis, qui secundum quod est in superiori appetitu, et gratuitus, ad virtutem caritatis pertinet: et hic quidem amor invenitur in omnibus virtutibus, non quasi idem per essentiam eis, sed inquantum participatur ab ipsis prout sunt a caritate imperatae.

1. Comme on l’a dit plus haut, il existe un double amour. L’un naturel : cela se rencontre dans toutes les vertus. Un tel amour n’est donc pas propre à la charité, mais est commun à toutes les vertus. Si Augustin parle de cet amour, il est clair qu’on ne démontre pas qu’il n’existe qu’une seule vertu. L’autre amour est celui de l’âme (amor animalis), qui, selon qu’il existe dans l’appétit supérieur et est gratuit, est en rapport avec la charité. Cet amour se trouve dans toutes les vertus, non pas comme s’il était essentiellement le même en elles, mais pour autant qu’il y participe en tant qu’elles sont commandées par la charité.

[11912] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod id quod est rationis et intellectus, non eodem modo participatur in materiis omnium moralium virtutum, cum in diversis materiis diversimode medium rationis recte inveniatur: et ideo talis materiae diversitas diversitatem formae et speciei causat; sicut etiam accidit in naturalibus, quando diversae materiae non sunt proportionatae ad recipiendum formam unius rationis.

2. Les matières de toutes les vertus morales ne participent pas de la même façon à ce qui relève de la raison et de l’intellect, puisque le milieu de la raison se trouve correctement de diverses manières dans des matières diverses. C’est pourquoi une telle diversité de matière cause une diversité de forme et d’espèce, comme cela se produit pour les réalités naturelles, lorsque diverses matières ne sont pas proportionnées à recevoir la forme d’une seule nature.

[11913] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in omnibus moralibus invenitur una ratio veri, quod est verum contingens, in hominis actione consistens; et ideo ad unum actum cognoscitivum pertinent. Invenitur autem in eis ratio boni diversa, secundum quod in diversis diversimode ordo rationis constituitur: et ideo ex parte appetitivae oportet quod sint diversi habitus, qui dicuntur virtutes morales.

3. Dans toutes les réalités morales, on trouve une seule raison de vrai, qui est un vrai contingent, consistant dans l’action de l’homme. C’est pourquoi elles relèvent d’un seul acte cognitif. Mais on trouve en elles une raison différente de bien, selon que l’ordre de la raison est établi diversement dans des réalités diverses. C’est pourquoi, du point de vue de la puissance affective, il est nécessaire qu’existent divers habitus, qu’on appelle vertus morales.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[11914] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod sicut speculativa ratio dicitur esse recta secundum quod se conformiter ad prima principia habet; ita etiam ratio practica dicitur recta ratio secundum quod se habet conformiter ad rectos fines. Inclinatio autem ad finem ad appetitum pertinet; et ideo in 6 Ethic. dicitur, quod veritas et rectitudo rationis practicae est secundum quod se habet conformiter ad appetitum rectum. Appetitus autem respectu alicujus est rectus naturaliter, sicut respectu finis ultimi, prout quilibet naturaliter vult esse felix: sed respectu aliorum rectitudo appetitus ex ratione causatur, secundum quod appetitus aliqualiter ratione participat, ut in 2 Ethic. dicitur. Et quia prudentia facit rationem rectam, ideo praeter prudentiam requiruntur aliae virtutes morales, quae faciunt appetitum rectum in his in quibus naturaliter rectus non est. Et quia bonum rationis non eodem modo invenitur in ipsa ratione et in his quae rectitudinem rationis participative habent; ideo secundum ea quae prius dicta sunt, morales virtutes sunt alii habitus secundum speciem quam prudentia.

De même qu’on dit de la raison spéculative qu’elle est droite lorsqu’elle se conforme aux premiers principes, de même dit-on de la raison pratique qu’elle est droite lorsqu’elle se conforme à des fins droites. Or, l’incliantion à la fin relève de l’appétit. C’est pourquoi, dans Éthique, VI, on dit que la vérité et la droitue de la raison pratique se prennent de sa conformité à un appétit droit. Or, l’appétit est naturellement droit par rapport à quelque chose : la fin ultime, pour autant que tous veulent naturellement être heureux. Mais, par rapport aux autres [fins], la droiture de l’appétit est causée par la raison, selon que l’appétit participe d’une certaine manière à la raison, comme il est  dit dans Éthique, II. Et parce que la prudence rend la raison droite, d’autres vertus morales sont nécessaires en plus de la prudence pour rendre l’appétit droit là où il n’est pas naturellement droit. Et parce que le bien de la raison ne se trouve pas de la même manière dans la raison elle-même et dans ce qui participe à la droiture de la raison, conformémenet à ce qui a été dit plus haut, les vertus morales sont d’autres habitus que la prudence par leur espèce.

[11915] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod quando aliqua condividuntur aequaliter recipientia communis praedicationem, tunc unum non ponitur in definitione alterius: sed quando commune praedicatur de eis per prius et posterius, tunc primum ponitur in definitione aliorum, sicut substantia in definitione accidentium: et propter hoc prudentia ponitur in definitione aliarum virtutum, in qua per prius bonum rationis, et per consequens ratio virtutis invenitur: quia prius est quod est per essentiam quam quod est per participationem.

1. Lorsque certaines choses, qui reçoivent également comme prédicat quelque chose de commun, se divisent également, une chose n’est pas alors mise dans la définition de l’autre. Mais lorsque quelque chose de commun leur est attribué selon un ordre de priorité, la première chose est alors mise dans la définition des autres, comme la substance dans la définition des accidents. Pour cette raison, la prudence, dans laquelle se trouve en priorité le bien de la raison, est mise dans la définition des autres vertus, et, en conséquence, la raison de vertu, car ce qui existe par essence précède ce qui existe par participation.

[11916] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod prudens est activus adinveniendo ea quae ad finem rectum perducunt. Sed praeter hoc oportet esse virtutes morales quae faciant rectam intentionem, et inclinationem in finem, quae etiam exigitur ad hoc quod homo sit activus.

2. Le prudent est actif pour trouver ce qui mène à la fin droite. Mais, en plus de cela, il est nécessaire qu’existent des vertus morales qui réalisent une intention droite et une inclination vers la fin, qui sont aussi requises pour que l’homme soit actif.

[11917] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod bonum artis consistit in re exteriori quae per actum artis ad perfectum perducitur; sed bonum moris consistit in ipso operante: et ideo in artificialibus, dummodo aliquis bonum perficiat, non differt quantum ad rationem artis qualitercumque operans se secundum voluntatem ad operandum habeat, sive sit firmus in proposito, vel delectabiliter operetur, aut non; refert autem quantum ad perfectionem virtutis moralis. Et ideo oportet esse in moralibus habitus facientes appetitum rectum, non autem in artificialibus.

3. Le bien de l’art consiste dans une chose extérieure, qui est amenée à sa perfection par l’acte de l’art ; mais le bien moral réside dans celui-là même qui agit. C’est pourquoi, dans les réalisations de l’art, pourvu que quelqu’un réalise quelque chose de bon du point de vue de la raison de l’art, le rapport de la volonté à l’action, quel que soit la manière dont elle agit, qu’elle ait une intention ferme ou agisse avec plaisir ou non, ne fait pas de différence du point de vue de la raison de l’art ; mais cela a de l’importance pour la perfection de la vertu morale. Il faut donc qu’il existe en matière morale des habitus qui rendent l’appétit droit, mais non en matière d’art.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[11918] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod, sicut dictum est, habitus virtutum moralium ex bono rationis diversificantur: quod quidem in ipso rationis judicio essentialiter consistit, quod ad prudentiam pertinet; in his vero quae per rationem disponuntur, participative, quod ad morales virtutes spectat. Moralem autem materiam, idest actus et passiones humanas, ratio quantum ad tria ordinat sive disponit. Primo ordinando ipsas passiones per actiones secundum se, prout eas ad medium reducit secundum quamdam commensurationem; et sic dicitur modum in eis ponere, quia modus mensurationem importat. Secundo ordinando subjectum ad ipsas actiones et passiones primo modo ordinatas, ut scilicet homo firmiter inhaereat his quae ratio ordinavit. Tertio in ordine ad aliquid extra, ad quod oportet actus nostros proportionari, sive sit finis, sive alius homo, sive quidquid extrinsecum: et secundum hoc causatur rectitudo vel aequalitas in virtute. Haec igitur tria, scilicet modus et firmitas et rectitudo, in omnibus virtutibus moralibus inveniuntur. Sed in quibusdam materiis virtutum, bonum rationis attenditur praecipue secundum unum istorum; in quibusdam vero secundum aliud, secundum quod naturalis potentia, quam perficit habitus virtutis, magis deficit in hoc vel in illo. Unde tota intensio rationis et virtutis ad hoc fertur ubi natura deficit; sicut patet quod delectationes corporales sunt nobis connaturales, et ideo in his difficillimum est modum tenere; et propter hoc virtus quae est circa eas, scilicet temperantia, praecipue modum sibi adscribit, unde et nomen accepit: et similiter naturaliter homo mortem fugit, unde et difficillimum est in periculis mortis firmiter persistere; et ideo fortitudo quae circa hujusmodi est, firmitatem sibi adscribit, et inde nominatur: et similiter rectitudo praecipue in communicationibus ad alterum quaeritur; et ideo justitia, quae circa has est, a rectitudine nomen habet: et sic est etiam in aliis virtutibus moralibus, quia secundum speciem distinguuntur, prout bonum rationis quantum ad aliquid praedictorum diversimode in eis invenitur secundum conditionem materiae.

Comme on l’a dit, les habitus des vertus morales se diversifient selon le bien de la raison, qui consiste essentiellement dans le jugement de la raison, ce qui relève de la prudence ; mais pour ce qui est disposé par la raison, [le bien de la raison consiste dans le jugement de la raison] par mode de participation, ce qui concerne les vertus morales. Or, la raison ordonne ou dispose de trois manières la matière morale, à savoir les passions et les actes humains. Premièrement, en ordonnant les passions elles-mêmes par les actions mêmes, pour autant qu’elle les ramène à un milieu selon une certaine mesure : ainsi dit-on qu’elle leur impose une certaine mesure, car le mode comporte une mesure. Deuxièmement, en ordonnant le sujet aux actions et aux passions ordonnées de la première manière, afin que l’homme adhère fermement à celles qu’ordonne la raison. Troisièmement, par rapport à quelque chose de plus à quoi il est nécessaire que nos actes soient proportionnés, qu’il s’agisse de la fin, d’un autre homme ou de n’importe quoi d’extrinsèque : sous cet aspect, la droiture ou l’équité est causée par la vertu. Ces trois choses : le mode, la fermeté et la droiture, se trouvent dans toutes les vertus morales. Mais, dans certaines matières des vertus, le bien de la raison est envisagé principalement selon l’une de ces trois choses, mais, dans certaines, selon une autre, selon que la puissance naturelle que perfectionne l’habitus de la vertu est plus faible sur un point ou sur l’autre. Aussi tout l’effort de la raison et de la vertu se porte-t-il là où la nature est déficiente. Ainsi, il est clair que les plaisirs corporels nous sont connaturels : aussi est-il très difficile d’y garder la mesure ; pour cette raison, la vertu qui porte sur eux, la tempérance, leur impose-t-elle surtout la mesure, dont elle tire son nom. De même, l’homme fuit naturellement la mort ; il est donc très difficile de tenir fermement au milieu des dangers de mort. Aussi la force, qui porte sur ceux-ci, leur impose-t-elle la fermeté et en tire son nom. De même, la droiture est-elle surtout recherchée dans les rapports avec l’autre ; c’est pourquoi la justice, qui porte sur eux, tire son nom de la droiture. Et il en est de même pour les autres vertus morales, car elles se distinguent selon l’espèce pour autant que le bien de la raison pour l’une des choses mentionnées se trouve de manière diverse selon la condition de la matière.

[11919] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod aliae virtutes non dicuntur partes subjectivae harum, vel integrales: quod non impedit earum distinctionem ab istis: quod infra melius patebit, quaest. 3 hujus dist. per totam.

1. Les autres vertus ne sont pas appelées leurs parties subjectives ou intégrales, ce qui n’empêche pas leur distinction par rapport à celles-ci, ce qui apparaîtra mieux plus loin, à la q. 3 de la présente distinction.

[11920] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod istae virtutes denominantur ab hoc quod est principale in eis. Aliquid autem est principale in uno quod non est principale in altero, ut ex dictis patet; et ideo nihil prohibet eas esse distinctas. Tamen advertendum, quod sancti et philosophi inveniuntur dupliciter loqui de istis virtutibus. Quandoque secundum quod sunt speciales virtutes habentes determinatam materiam, sicut quod temperantiae attribuunt delectationes venereas cohibere; quandoque autem secundum quod habent quamdam generalitatem, prout illud a quo nomen accipiunt, et in quo perfectio earum principaliter consistit, ad alias materias et virtutes transfertur; sicut cum fortitudini attribuunt fortiter persistere non solum in periculis mortis, sed etiam in quibuscumque periculis. Sed primum dicitur proprie, secundum autem appropriate, vel per reductionem.

2. Ces vertus portent le nom de ce qui est principal en elles. Or, quelque chose est principal dans une chose, qui n’est pas principal dans une autre, comme cela ressort de ce qui a été dit. Aussi rien n’empêche-t-il qu’elles soient distinctes. Il faut cependant noter que les saints et les philosophes parlent de ces vertus de deux manières. Parfois, selon qu’elles sont des vertus spéciales ayant une matière particulière : ainsi, ils attribuent à la tempérance la maîtrise des plaisirs sexuels. Mais parfois, selon qu’elles ont un certain caractère général, pour autant que ce dont elles tirent leur nom et en quoi consiste principalement leur perfection est reporté sur d’autres matières et vertus. Ainsi, ils attribuent à la force, non seulement de tenir au milieu des dangers de mort, mais aussi de tous les dangers. Mais la première manière de parler est propre, alors que la seconde est une manière de les approprier ou de les ramener [à la première manière de parler].

[11921] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod justitia quaedam est generalis, quaedam autem specialis. Specialis quidem est secundum quod habet materiam determinatam in communicationibus quae ad alterum sunt secundum rationem debiti: et sic ponitur hic una de quatuor cardinalibus virtutibus. Alio modo dicitur generalis; et hoc dupliciter. Uno modo secundum quod est quaedam habitudo recta ipsius animae, prout homo debito modo ordinatur et in seipso et ad alia: et sic dicitur justificari impius. Alio modo, prout est idem quod omnis virtus, ratione differens, prout actum virtutis quis ordinat ad bonum commune, secundum imperium legis; quod contingit in actibus omnium virtutum, ut philosophus dicit, 5 Ethic.; et hoc infra melius patebit quaest. 2 et 3.

3. Il existe une justice générale et une justice spéciale. Elles est spéciale selon qu’elle a une matière déterminée dans les rapports avec les autres sous la raison de dette : elle est ainsi donnée comme une des quatre vertus cardinales. Elle est appelée générale d’une autre manière, et cela pour deux raisons. Premièrement, selon qu’elle est une manière droite d’être pour l’âme elle-même, en tant que l’homme est ordonné en lui-même et par rapport aux autres choses : ainsi dit-on que l’impie est justifié. Deuxièmement, en tant qu’elle est la même chose que toutes les vertus, mais différente par la raison, pour autant que quelqu’un ordonne un acte de vertu au bien commun comme l’ordonne la loi, ce qui se produit dans les actes de toutes les vertus, comme le dit le Philosophe dans Éthique, V. Cela ressortira plus clairement plus loin, qq. 2 et 3.

 

 

Articulus 2 [11922] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 tit. Utrum virtutes morales insint a natura

Article 2 – Les vertus morales existent-elles en nous naturellement ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Les vertus morales existent-elles en nous naturellement ?]

[11923] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod virtutes morales insint nobis a natura. Damascenus enim dicit in 3 Lib.: naturales sunt virtutes, et naturaliter et aequaliter insunt omnibus. Hoc idem etiam dicit Antonius in exhortatione ad monachos.

1. Il semble que les vertus morales existent en nous naturellement. En effet, [Jean] Damascène dit dans le livre III : « Les vertus sont naturelles, et elles sont naturellement et également présentes chez tous. » Antoine dit aussi la même chose dans son exhortation à des moines.

[11924] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, secundum philosophum in 2 Physic., quae ex principiis naturalibus causantur, natura sunt. Sed ratio est de principiis naturalibus hominis. Cum ergo virtutes ex ratione procedant, videtur quod sint naturales.

2. Selon le Philosophe dans Physique II, les choses qui sont causées par des principes naturels viennent de la nature. Or, la raison vient des principes naturels de l’homme. Puisque les vertus procèdent de la raison, il semble donc qu’elles soient naturelles.

[11925] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, homo est perfectior inter alia animalia. Sed aliis animalibus a natura inest dispositio ad agendum ea quae eis competunt, sicut hirundini ad faciendum nidum. Cum ergo virtutes nihil aliud sint quam inclinationes ad opera convenientia homini, videtur quod virtutes naturales sint homini inditae.

3. L’homme est plus parfait que les autres animaux. Or, chez les autres animaux, la disposition à faire ce qui leur convient est présente naturellement, comme faire son nid pour l’hirondelle. Puisque les vertus ne sont rien d’autre que des inclinations aux actions qui conviennent à l’homme, il semble donc que les vertus soient naturelles et innées chez l’homme.

[11926] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, secundum Dionysium bona naturalia non amittuntur per peccatum. Sed virtutes amittuntur. Ergo non sunt naturales.

Cependant, [1] selon Denys, les biens naturels ne sont pas enlevés par le péché. Or, les vertus sont enlevées. Elles ne sont donc pas naturelles.

[11927] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, ea quae sunt a natura, non assuefacimus. Sed in operibus virtutum valet assuefactio. Ergo virtutes non sunt a natura.

[2] Nous n’acquérons pas par habitude ce qui vient de la nature. Or, l’habitude intervient dans les actes des vertus. Les vertus ne viennent donc pas de la nature.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Les vertus peuvent-elles être acquises par nos actes ?]

[11928] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non possint acquiri ex actibus. Continentia enim, secundum philosophum in 7 Ethic., est aliquid minus virtute. Sed continentiam non possumus ex actibus nostris acquirere; Sap. 8, 21: scio quod non possum esse continens, nisi Deus det. Ergo multo minus aliae virtutes ex actibus acquiri possunt.

1. Il semble que [les vertus] ne puissent s’acquérir par nos actes. En effet, selon le Philosophe dans Éthique, VII, la continence est quelque chose de moins que la vertu. Or, nous ne pouvons pas acquérir la continence par nos actes. Sg 8, 21 : Je sais que je ne puis être continent, à moins que Dieu ne me l’accorde. Encore bien moins les autres vertus peuvent-elles donc être acquises par des actes.

[11929] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, in nulla re per aliquam actionem aliquid acquiritur, nisi per actiones aliquid res illa accipiat. Sed operans, inquantum operatur, nihil recipit, immo magis operationem a se emittit. Ergo ex hoc quod operatur, non acquiritur in ipso aliqua virtus.

2. En aucune chose quelque chose est-il acquis par une action, à moins que cette chose ne reçoive quelque chose par les actions. Or, celui qui agit, en tant qu’il agit, ne reçoit rien, bien plutôt, il fait sortir de lui-même une action. Par le fait qu’il agit, aucune vertu n’est donc acquise en lui.

[11930] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, nihil agit ultra suam speciem: quia effectus non potest esse nobilior causa. Sed operationes quae fiunt ante virtutem, non sunt virtutum, sed potentiarum naturalium tantum. Cum ergo virtus sit nobilior quam operatio, quae est ex potentia naturali tantum, videtur quod per hujusmodi operationes virtutes acquiri non possint.

3. Rien n’agit au-delà de son espèce, car l’effet ne peut être plus noble que la cause. Or, les opérations qui sont posées avant la vertu ne viennent pas des vertus, mais seulement des puissances naturelles. Puisque la vertu est plus noble que l’opération, qui vient seulement d’une puissance naturelle, il semble donc que les vertus ne puissent pas être acquises par les opérations de ce genre.

[11931] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 4 Praeterea, una operatio non potest habitum virtutis causare, sicut philosophus dicit in 1 Ethic.: similiter nec plures, ut videtur, quia plures operationes non sunt simul; et quod non est, non agit. Ergo nullo modo ex actibus virtutes acquiruntur.

4. Une seule opération ne peut causer l’habitus d’une vertu, comme le Philosophe le dit dans Éthique, I. De même, plusieurs [ne le peuvent] pas non plus, semble-t-il, car plusieurs opérations ne sont pas simultanées, et ce qui n’existe pas n’agit pas. Les vertus ne sont donc d’aucune manière acquises à partir des actes.

[11932] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, philosophus dicit, in libro de memoria et reminiscentia, quod consuetudo est quasi natura. Ergo consuetudine efficitur aliquid homini connaturale et facile. Sed nihil aliud virtus est quam quaedam facilitas et inclinatio per modum naturae ad bonum rationis, ut dicit Tullius. Ergo ex consuetudine acquiritur aliqua virtus.

Cependant, [1] le Philosophe dit, dans le livre sur La mémoire et la réminiscence, que l’habitude est comme une nature. Par l’habitude, quelque chose devient donc connaturel et facile pour l’homme. Or, la vertu n’est rien d’autre qu’une certaine facilité et inclination par mode de nature au bien de la raison, comme le dit Tullius [Cicéron]. Une vertu s’acquiert donc par l’habitude.

[11933] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, malum non est fortius in agendo quam bonum. Sed malis operibus acquiritur aliquis habitus vitiosus. Ergo ex bonis operibus acquiritur aliquis habitus virtuosus.

[2] Le mal n’agit pas plus fortement que le bien. Or, par des actes mauvais, un habitus vicieux s’acquiert. Par des actes bons, un habitus vertueux s’acquiert donc.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Est-il nécessaire d’affirmer qu’il existe des vertus morales infuses ?]

[11934] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non oporteat ponere aliquas virtutes morales infusas. Ea enim quae per principia naturalia possunt causari, non oportet quod divinitus praeter naturalia principia causentur, nisi aliquando miraculose fiat; sicut quod sanitas restituitur, quam etiam natura posset restituere, licet non statim. Sed ad virtutes morales possumus pervenire per naturalia principia, ut probatum est. Ergo non indigemus quod virtutes nobis infundantur.

1. Il semble qu’il ne soit pas nécessaire d’affirmer l’existence de vertus morales infuses. En effet, il n’est pas nécessaire que ce qui peut être causé par des principes naturels soit causé par Dieu par-delà les principes naturels, à moins que ce ne soit parfois de manière miraculeuse, comme le fait que la santé est redonnée, qui pourrait être redonnée par la nature, bien que ce ne soit pas immédiatement. Or, nous pouvons parvenir aux vertus morales par des principes naturels, comme cela a été démontré. Nous n’avons donc pas besoin que des vertus nous soient infusées.

[11935] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, ad actum quantumcumque perfectum non requiritur nisi quod sit actus rectus, et meritorius. Sed ad faciendum actum rectum sufficit virtus acquisita, ad faciendum autem meritorium sufficit caritas. Ergo non indigemus virtutibus moralibus infusis.

2. Pour qu’un acte soit pleinement parfait , il est seulement exigé que cet acte soit droit et méritoire. Or, pour poser un acte droit, la vertu acquise suffit, et pour poser un acte méritoire, la charité suffit. Nous n’avons donc pas besoin de vertus morales infuses.

[11936] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, virtutes quas Deus in nobis sine nobis operatur, sunt mentis qualitates, ut dicit Augustinus, et non in viribus organis affixis. Sed aliquae moralium virtutum, ut dictum est, sunt in irascibili et concupiscibili, quae non sunt partes mentis, cum sint vires organis affixae. Ergo virtutes istae ad minus non possunt esse infusae.

3. « Les vertus que Dieu réalisent en nous sans nous sont des qualités de l’esprit, comme le dit Augustin, et elles ne se trouvent pas dans des puissances liées à des organes. » Or, certaines des vertus morales, comme on l’a dit, se trouvent dans l’irascible et dans le concupiscible, qui ne sont pas des parties de l’esprit, puisqu’ils sont des puissances liées à des organes. Au moins ces vertus ne peuvent donc pas être infuses.

[11937] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 4 Praeterea, virtutes morales a consuetudine dicuntur, ut patet 2 Ethic. Sed quod est ex consuetudine, non est infusum. Ergo virtutes morales non possunt esse infusae.

4. Les vertus morales viennent de l’habitude, comme cela ressort d’Éthique, II. Or, ce qui vient de l’habitude n’est pas infus. Les vertus morales ne peuvent donc être infuses.

[11938] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, Sap. 8, 8: sobrietatem et prudentiam docet, et justitiam et virtutem; et tanguntur ibi istae quatuor cardinales virtutes, ut in littera Magister dicit, quae sunt virtutes morales. Sed sapientia Dei non solum docet intellectum instruendo, sed etiam affectum movendo. Ergo istae virtutes etiam sunt infusae.

Cependant, [1] Sg 8, 7 dit : Elle enseigne la tempérance et la prudence, la justice et la force ; comme le Maître le dit dans le texte, sont ainsi indiquées les quatre vertus cardinales, qui sont des vertus morales. Or, la sagesse de Dieu n’enseigne pas seulement en instruisant l’intelligence, mais aussi en mobilisant la puissance affective. Ces vertus sont donc aussi infuses.

[11939] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, in pueris baptizatis et in contritis de peccatis, sunt omnes virtutes. Sed non possunt esse acquisitae; quia proprium actum virtutis non participant, ut dicitur 1 Ethicor., neque etiam unus actus contritionis sufficere potest ad acquirendum omnes virtutes. Ergo omnes virtutes morales etiam sunt infusae.

[2] Chez les enfants baptisés et ceux qui se repentent de leurs péchés, toutes les vertus existent. Or, elles ne peuvent être acquises, car ils ne participent pas à l’acte propre de la vertu, comme il est dit dans Éthique, I. Un seul acte de contrition ne peut pas non plus suffire à acquérir toutes les vertus. Toutes les vertus morales sont donc aussi infuses.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Les vertus infuses diffèrent-elles des vertus acquises selon l’espèce ?]

[11940] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod etiam non differant specie infusae ab acquisitis. Agens enim, cum sit extra rem, non diversificat speciem: unde ejusdem speciei est oculus quem Deus caeco nato restituit, et quem in aliqua creatura causat. Sed virtutes infusae differunt ab acquisitis penes agens primum. Ergo non differunt specie.

1. Il semble que les vertus infuses ne diffèrent pas non plus des vertus acquises selon l’espèce. En effet, lorsqu’un agent est extérieur à une chose, il n’en diversifie pas l’espèce ; ainsi l’œil que Dieu rend à l’aveugle-né est-il de la même espèce que celui qu’il cause dans une autre créature. Or, les vertus infuses diffèrent des vertus acquises selon le premier agent. Elles ne diffèrent donc pas selon l’espèce.

[11941] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 2 Praeterea habitus specificantur ex actibus et objectis. Sed idem est objectum et idem actus temperantiae infusae et acquisitae. Ergo non differunt specie.

2. Les habitus reçoivent leur espèce des actes et des objets. Or, l’objet et l’acte de la tempérance infuse et de la tempérance acquise sont les mêmes. Elles ne diffèrent donc pas selon l’espèce.

[11942] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 3 Si dicatur, quod actus differunt, inquantum sunt meritorii actus infusarum, non autem actus acquisitarum; contra. Actus virtutis cujuslibet non est meritorius nisi inquantum est formatus a caritate. Sed formatum et informe in virtutibus non facit differentiam speciei, sicut patet in fide, cum sit differentia penes extrinsecum. Ergo virtutes infusae ab acquisitis non differunt specie.

3. Les actes diffèrent dans la mesure où ceux des vertus infuses sont méritoires, mais non ceux des vertus acquises. Contre : l’acte de n’importe quelle vertu n’est méritoire que dans la mesure où il reçoit sa forme de la charité. Or, ce qui est formé et ce qui est sans forme ne cause pas une différence spécifique entre les vertus, comme cela ressort pour la foi, puisque la différence vient de quelque chose d’extrinsèque. Les vertus infuses ne diffèrent donc pas des vertus acquises selon l’espèce.

[11943] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 4 Si dicatur, quod infusae propter Deum operantur, non autem acquisitae; contra. Deus non est objectum cardinalium virtutum, sed theologicarum. Cum igitur virtutes non recipiant speciem a fine ultimo, sed ab objecto et actu, videtur quod adhuc per hoc non differant specie virtutes acquisitae et infusae.

4. Les [vertus] infuses agissent pour Dieu, mais non les [vertus] acquises. Contre : Dieu n’est pas l’objet des vertus cardinales, mais des vertus théologales. Puisqu’elles ne reçoivent pas leur espèce de la fin ultime, mais de leur objet et de leur acte, il semble donc que les vertus infuses et les vertus acquises ne diffèrent pas davantage selon l’espèce.

[11944] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 4 s. c. 1 Sed contra, quaelibet pars posita in definitione, facit differre secundum speciem. Sed infusio ponitur in definitione virtutis ab Augustino, secundum quam Deus in nobis operatur sine nobis. Ergo infusa differt specie ab acquisita.

Cependant, [1] toute partie mise dans une définition cause une différence selon l’espèce. Or, l’infusion est mise dans la définition de la vertu par Augustin, selon laquelle « Dieu agit en nous sans nous ». [La vertu] infuse diffère donc [de la vertu] acquise selon son espèce.

[11945] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 4 s. c. 2 Praeterea, duae formae ejusdem speciei non possunt esse in uno subjecto. Sed virtus infusa est simul cum virtute acquisita, ut patet in adulto qui habens virtutem acquisitam ad Baptismum accedit, qui non minus recipit de infusis quam puer. Ergo virtus acquisita et infusa differunt specie.

[2] Deux formes de la même espèce ne peuvent se trouver dans le même sujet. Or, la vertu infuse se trouve avec la vertu acquise, comme cela ressort pour l’adulte qui accède au baptême avec la vertu acquise, et qui ne reçoit pas moins de vertus infuses que l’enfant. La vertu acquise et la vertu infuse diffèrent donc selon l’espèce.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[11946] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod sicut in naturalibus posuerunt quidam formas omnes existere in materia, et quod agens naturale extrahit eas de occulto ad manifestum, inquantum removet ea quae prohibebant formam illam apparere; ita etiam dixerunt quidam de habitibus animae; unde Plato dixit, quod omnes scientiae sunt in anima a natura, et addiscere non est aliud quam recordari: et similiter videtur dicere Damascenus, de virtutibus, quod insunt nobis a natura, et per exercitium tolluntur impedimenta virtutum; sicut ferri aeruginem auferentes, videmur claritatem, quae naturaliter ei inest, inducere. Omnes autem istae opiniones secundum aliquid verae sunt, et secundum aliquid falsae. Verae quidem sunt, inquantum praedictorum aliqua inchoatio est a natura, sicut forma existit in potentia materiae, et scientia conclusionum in principiis universalibus: quia quod in particulari discitur, prius in universali sciebatur; et virtutes praeexistunt in naturali ordinatione ad bonum virtutis, quae est in ratione cognoscente hujusmodi bonum, et etiam in voluntate naturaliter appetente illud, et etiam quandoque in inferioribus viribus, inquantum sunt naturaliter subjectae rationi: et in quibusdam ex ipsa complexione est minus de resistentia ad bonum rationis, secundum quod philosophus dicit in 6 Ethic., quod quidam confestim a nativitate sunt fortes et temperati: et ideo a Tullio dicitur, quod seminaria virtutum, sive initia, sunt naturalia. Falsae autem sunt praedictae opiniones, inquantum complementum formarum, secundum quod sunt in actu, est ab agente extrinseco: scientiae vero complementum est ex doctrina vel inventione; virtutum autem ex assuefactione vel infusione; et hoc est quod philosophus 2 Ethic. dicit innatis nobis eas suscipere, perfectis vero per assuefactionem.

De même que certains ont affirmé que, pour les réalités naturelles, toutes les formes existent dans la matière et que l’agent naturel les extrait de leur condition occulte vers une condition manifeste, pour autant qu’il enlève ce qui empêchait cette forme d’apparaître, de même aussi certains ont-ils parlé à propos des habitus de l’âme. Ainsi, Platon disait que toutes les sciences existent naturellement dans l’âme et qu’apprendre n’est rien d’autre que se souvenir. [Jean] Damascène semble dire la même chose à propos des vertus : elles sont en nous naturellement et, par l’exercice, les empêchements aux vertus sont enlevés, comme en enlevant la rouille du fer, nous paraissons lui apporter l’éclat qui est naturellement en lui. Or, toutes ces opinions sont partiellement vraies et partiellement fausses. Elles sont vraies pour autant qu’une certaine amorce des choses mentionnées vient de la nature, comme la forme existe dans la puissance de la matière et la science des conclusions, dans les principes universels, car ce qui est appris d’une réalité particulière était d’abord connu dans l’universel, et les vertus préexistent dans l’orientation naturelle au bien de la vertu, qui existe dans la raison qui connaît le bien de ce genre, et aussi dans la volonté qui le désire naturellement, et même parfois dans les puissances inférieures, pour autant qu’elles sont naturellement soumises à la raison. Et chez certains, en raison de leur complexion même, il existe moins de résistance au bien de la raison, selon ce que dit le Philosophe dans Éthique, VI, que « certains sont dès leur naissance forts et tempérés ». C’est pourquoi Tullius [Cicéron] dit que les semences des vertus ou leurs amorces sont naturelles. Mais les opinions qui précèdent sont fausses dans la mesure où l’achèvement des formes, selon qu’elles existent en acte, vient d’un agent extérieur. L’achèvement de la science vient de l’enseignement ou de l’invention ; celui des vertus, de l’habitude ou de l’infusion. Et c’est ce que dit le Philosophe dans Éthique, II, qu’elles sont chez nous innées, mais, chez les parfaits, par grâce à l’habitude.

[11947] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 Et per hoc patet responsio ad auctoritatem Damasceni.

1. La réponse à l’autorité de [Jean] Damascène ressort ainsi clairement.

[11948] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ratio et est natura hominis, et est ratio; unde ex hoc quod est ratio, addit aliquem modum causandi supra modum quo aliquid ex altero causatur naturaliter; et secundum hunc modum ratio est principium virtutum.

2. La raison est à la fois nature de l’homme et raison. Du fait qu’elle est raison, elle ajoute une manière de causer à la manière dont quelque chose est naturellement causé par autre chose. De cette manière, la raison est principe des vertus.

[11949] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod homo propter hoc quod habet rationem, quae collativa est, se habet ad multas operationes, quarum ratio principium est; et ideo non providentur homini a natura necessaria ad tegumentum et defensionem, sicut aliis animalibus, ut pili et ungues: quia non posset instrumentum aliquod determinatum competere ad tam varias et diversas operationes; et ideo dantur sibi manus, per quas possit sibi facere necessaria secundum quod ei competit ex ratione. Et similiter non potuit esse in homine complementum ex natura, quia non est idem conveniens omnibus. Oportet enim medium virtutis in diversis diversimode accipi.

3. Parce que l’homme possède la raison qui a la capacité de rapprocher, il est apte à  plusieurs opérations dont la raison est le principe. C’est pourquoi l’homme n’est pas pourvu par la nature de ce qui est nécessaire au vêtement et à la défense, tels les poils et les ongles, comme les autres animaux, car un instrument déterminé ne pourrait convenir à des opérations aussi variées et diverses. C’est pourquoi lui sont données des mains, par lesquelles il peut se procurer ce qui est nécessaire, selon ce qui lui convient en vertu de la raison. De même, il ne pouvait exister d’achèvement naturel chez l’homme en vertu de la nature, car la même chose ne convient pas à tous. En effet, il faut comprendre diversement le milieu de la vertu selon les divers individus.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[11950] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum est, quod quidam philosophi, quos sequitur Avicenna, posuerunt omnes formas esse a datore, et quod agens naturale non facit nisi dispositionem ad formas illas; et similiter etiam dicit Avicenna, quod scientia et virtus sunt a datore, et per studium et exercitium disponitur anima ad recipiendum influxum dictorum habituum. Haec autem positio tollit naturalem virtutem, quae inest cuilibet principio naturali ad faciendum sibi simile, secundum quod materia in quam agit, est receptiva suae similitudinis. Quod quidem necessarium est ex hoc quod omne quod agit, agit ex hoc quod est in actu: unde oportet quod omne quod est in actu aliquid, aliquo modo possit esse activum illius: et ideo omne naturale principium natum est inducere suam similitudinem per actum suum. Cum igitur principia scientiarum et virtutum sint naturaliter nobis indita, ut dictum est, oportet quod per actiones ex illis principiis prodeuntes, virtutum et scientiarum habitus compleantur: et huic quidem attestatur experientia: quia ex consuetudine efficitur aliquid facile et delectabile, quod prius erat difficile; et hoc est signum habitus generati, scilicet delectatio operis.

Certains philosophes, que suit Avicenne, ont affirmé que toutes les formes viennent de celui qui [les] donne, et que l’agent naturel ne fait que disposer à ces formes. Et Avicenne dit la même chose : la science et la vertu viennent de celui qui [les] donne et, par l’étude et l’exercice, l’âme est disposée à recevoir l’influence des habitus en question. Or, cette position écarte la capacité naturelle, présente en tout principe naturel, de faire quelque chose de semblable à soi, selon que la matière sur laquelle il agit est apte à recevoir sa ressemblance. Or, cela est nécessaire du fait que tout ce qui agit agit du fait qu’il est en acte. Il est donc nécessaire que tout ce qui est quelque chose en acte puisse le produire de quelque façon. C’est pourquoi tout principe naturel est naturellement apte à amener sa ressemblance par son acte. Puisque les principes des sciences et des vertus sont naturellement présents en nous, comme on l’a dit, il est donc nécessaire que, par les actions provenant de ces principes, les habitus des vertus et des sciences soient conduits à leur achèvement. Et l’expérience témoigne de cela, car, par l’habitude, quelque chose devient facile et délectable, alors que cela  était auparavant difficile. C’est là le signe d’un habitus engendré : la délectation que donne l’acte.

[11951] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod nullum bonum potest homo habere, nisi Deus det; sed quaedam habentur a Deo non cooperantibus nobis, sicut ea quae sunt infusa; et quaedam nobis cooperantibus, sicut acquisita; et quaedam cooperante natura, sicut naturalia.

1. L’homme ne peut avoir aucun bien, à moins que Dieu ne le lui donne. Mais certains [biens] nous viennent de Dieu sans que nous y coopérions, tels ceux qui sont infus ; certains, avec notre coopération, tels les biens acquis ; et certains, avec la coopération de la nature, tels les biens naturels.

[11952] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in operibus animae est quidam gradus, secundum quod una potentia alteri subjacet: et in eadem potentia est inveniri superius et inferius, secundum quod ad diversa objecta comparatur. Inferius autem natum est recipere a superiori; et ideo per operationes egredientes a ratione naturali et voluntate, in quibus praeexistunt seminaria virtutum, acquiritur habitus in irascibili et concupiscibili; et per operationem voluntatis et rationis, inquantum sunt finis et principiorum primorum, acquiritur in eis, quantum ad ea quae sunt ad finem, et quantum ad conclusiones, habitus scientiae et virtutis; et sic habitus acquiritur per operationem quae ab operante egreditur, secundum quam inferior pars a superiori recipit. In superiori autem parte non est habitus, nisi vel naturalis vel infusus.

2. Dans les actes de l’âme, il existe certains degrés, selon qu’une puissance est soumise à une autre ; et, dans la même puissance, on peut trouver supérieur et inférieur, selon qu’elle est en rapport avec divers objets. Or, ce qui est inférieur est destiné par nature à recevoir de ce qui est supérieur. C’est pourquoi, par les opérations issues de la raison naturelle et de la volonté, dans lesquelles préexistent des semences de vertus, un habitus est acquis dans l’irascible et dans le concupiscible. Et par l’opération de la volonté et de la raison, en tant qu’elles portent sur la fin et sur les principes premiers, sont acquis par elles, par rapport à ce qui est en rapport avec la fin et les conclusions, les habitus de la science et de la vertu. Ainsi l’habitus est-il acquis par l’opération, issue de celui qui agit, selon que la partie inférieure reçoit de la [partie] supérieure. Mais, dans la partie supérieure, il n’existe d’habitus que naturel ou infus.

[11953] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut principia sunt potiora conclusionibus, et virtute eas continentia, ita seminaria virtutum, quae sunt in suprema parte animae, sunt digniora virtutibus, quae sunt in partibus inferioribus, et continent eas virtute: et ideo operationes procedentes ex illis principiis, sunt similes operibus virtutum, et possunt habitum virtutis perficere; sicut ex consideratione principiorum generatur scientia conclusionum.

3. De même que les principes ont plus de valeur que les conclusions et les contiennent en puissance, de même, les semences de vertus, qui existent dans la partie supérieure de l’âme, sont-elles plus dignes que les vertus, qui existent dans les parties inférieures, et les contiennent-elles en puissance. C’est pourquoi les opérations issues de ces principes ressemblent aux actes des vertus et peuvent parfaire l’habitus de la vertu : ainsi, par l’examen des principes, la science des conclusions est-elle engendrée.

[11954] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut multae guttae cavant lapidem, inquantum ultima agit in virtute omnium praecedentium, quae tantum habilitabant materiam ad cavationem, nihil cavantes; ita ultima operatio agens in virtute omnium praecedentium, habitum virtutis causat.

4. De même que plusieurs gouttes creuvent la pierre, dans la mesure où la dernière agit avec la puissance de toutes les précédentes, qui ne faisaient que préparer la matière à être creusée sans rien creuser, de même la dernière opération, agissant avec la puissance de toutes les précédentes, cause-t-elle l’habitus de la vertu.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[11955] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod, sicut dictum est, seminaria virtutum quae sunt in nobis, sunt ordinatio voluntatis et rationis ad bonum nobis connaturale. Cum autem sit homo ex divina liberalitate ordinatus ad quoddam bonum supernaturale, scilicet aeternam gloriam; ex praedictis virtutum seminariis non possunt virtutes causari fini praedicto proportionatae. Unde oportet virtutes quae vitam nostram ordinant ad finem illum, ex eo causari, ex quo est nobis inclinatio in finem illum. Hoc autem est per Dei gratiam; unde oportet nos aliquas virtutes morales infusas habere.

Comme on l’a dit, les semences de vertus qui existent en nous sont l’orientation de la volonté et de la raison vers un bien qui nous est connaturel. Mais comme l’homme est ordonné par la libéralité divine à un bien surnaturel, la gloire éternelle, des vertus proportionnées à la fin mentionnée ne peuvent pas être causées par les semences de vertus dont il est question. Il est donc nécessaire que les vertus qui orientent notre vie vers cette fin soient causées par ce dont nous vient l’inclination vers cette fin. Or, cela vient de la grâce de Dieu. Il est donc nécessaire que nous ayons des vertus morales infuses.

[11956] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod sanitas per miraculum restituta, non est ad aliud ordinata quam sanitas quae fit ex natura; et ideo illis qui habent sanitatem ex naturalibus principiis, non est necessaria sanitas quae est per miracula. Et ideo non est simile de sanitate et virtutibus infusis, quae ad aliud ordinant quam acquisitae, ut dictum est.

1. La santé retrouvée par miracle n’est pas ordonnée à autre chose que la santé qui vient de la nature. C’est pourquoi la santé qui vient des miracles n’est pas nécessaire pour ceux qui ont la santé par des principes naturels. Il n’en va donc pas de même de la santé et des vertus infuses, qui ordonnent à autre chose que les [vertus] acquises, comme on l’a dit.

[11957] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod rectitudo actus est ex proportione ad finem; ad diversos autem fines diversimode accipitur actus proportio: unde aliquis actus est rectus proportionatus bono civili, qui non est rectus proportionatus gloriae aeternae: unde oportet quod sint aliae virtutes infusae, quae faciant actus rectos ex proportione ad finem.

2. La droiture d’un acte vient de la proportion par rapport à sa fin. Or, la proportion d’un acte se prend diversement par rapport à diverses fins. Aussi un acte droit est-il proportionné au bien civil, qui n’est pas droit et proportionné à la gloire éternelle. Il est donc nécessaire qu’il existe d’autres vertus infuses, qui rendent les actes droits en vertu d’une proportion par rapport à la fin.

[11958] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod virtutes infusae et acquisitae non sunt in irascibili et concupiscibili nisi secundum quod participant aliqualiter rationem: et ex hac parte non habent dependentiam ab organo corporali, sed continentur sub mente, sicut et sub ratione, inquantum ipsam participant.

3. Les vertus infuses et les [vertus] acquises ne se trouvent dans l’irascible et dans le concupiscible que dans la mesure où ceux-ci participent en acte à la raison. De ce point de vue, elles ne dépendent pas d’un organe corporel, mais elles sont maintenues sous l’esprit et sous la raison, dans la mesure où elles y participent.

[11959] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod mos secundum quem dicitur moralis virtus, importat inclinationem quamdam appetitus ad bonum vel malum faciendum. Et quia haec inclinatio frequenter est ab assuefactione, ideo mos sic dictus, a more prout consuetudinem importat, descendit. Sed dicta inclinatio non semper est ab assuefactione, sed quandoque a natura, sicut dicuntur mores brutorum in 8 de animalibus, vel etiam ex Dei dono; et sic virtutes infusae morales dici possunt.

4. Le comportement (mos), pour autant qu’on désigne par là la vertu morale, comporte une inclination de l’appétit à faire le bien ou le mal. Et parce que cette inclination vient souvent de l’habitude, le comportement (mos) ainsi désigné vient de (mœurs), pour autant qu’elles comportent une habitude. Or, l’inclination en question ne vient pas toujours de l’habitude, mais parfois de la nature : ainsi parle-t-on du comportement (mores) des animaux sans raison, dans Sur les animaux, VIII. [Cette inclination vient] aussi d’un don de Dieu. Et ainsi peuvent être désignées les vertus morales infuses.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[11960] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod virtutes acquisitae et infusae differunt specie, scilicet fortitudo a fortitudine, et temperantia a temperantia, et sic de aliis: quia, ut dictum est, fines sunt sicut principia in operativis. Si autem esset aliqua scientia quae non posset reduci ad principia naturaliter cognita, non esset ejusdem speciei cum aliis scientiis, nec univoce scientia diceretur. Unde cum fines virtutum infusarum non praeexistant in seminariis naturalibus virtutum, sed naturam humanam excedant; oportet quod virtutes infusae a virtutibus acquisitis, quae ab illis seminariis procedunt, differant specie. Unde et in alia vita hominem perficiunt, acquisitae quidem in vita civili, infusae in vita spirituali, quae est ex gratia, secundum quam homo virtuosus est membrum Ecclesiae.

Les vertus acquises et les [vertus] infuses diffèrent selon l’espèce : la force de la force, la tempérance de la tempérance, et ainsi des autres. En effet, comme on l’a dit, les fins jouent le rôle de principes en matière d’actions à poser. Or, s’il existait une science qui ne pouvait être ramenée aux principes naturellement connus, elle ne serait pas de la même espèce que les autres sciences et elle ne serait pas appelée une science de manière univoque. Puisque les fins des vertus infuses ne préexistent pas dans les semences naturelles des vertus, mais dépassent la nature humaine, il est donc nécessaire que les vertus infuses diffèrent selon l’espèce des vertus acquises, qui proviennent de ces semences. Aussi perfectionnent-elles l’homme pour une autre vie : les vertus acquises pour la vie civile, les vertus infuses pour la vie spirituelle, qui vient de la grâce, selon que l’homme vertueux est membre de l’Église.

[11961] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod effectus proportionatus agenti differt specie secundum diversitatem agentis: unde animalia generata ex semine et ex putrefactione non sunt ejusdem speciei. Virtus autem divina, quamvis possit super omnes effectus, et in infinitum eos excedat, tamen aliqui effectus sunt qui non possunt esse nisi ex virtute divina; et tales effectus non sunt proportionati aliis. Unde tales effectus differunt specie ab illis effectibus qui etiam ab aliis causis produci possunt, quamvis et divina virtus illos possit producere.

1. L’effet proportionné à l’agent diffère selon l’espèce selon la diversité de l’agent. Aussi les animaux engendrés d’une semence et de la putréfaction ne sont-ils pas de la même espèce. Or, bien que la puissance divine s’exerce sur tous les effets et les dépasse infiniment, il existe cependant certains effets qui ne peuvent exister que par la puissance divine ; de tels effets ne sont pas proportionnés à d’autres [causes]. Ces effets diffèrent donc selon l’espèce des effets qui peuvent aussi être produits par d’autres causes, bien que la puissance divine puisse les produire.

[11962] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis sit idem actus virtutis acquisitae et infusae materialiter, non tamen est idem actus formaliter: quia per virtutem acquisitam collimitantur circumstantiae secundum proportionem ad bonum civile, sed per virtutem infusam secundum proportionem ad bonum aeternae gloriae: unde etiam aliquid superfluum secundum virtutem civilem est moderatum secundum virtutem infusam, sicut quod homo jejunet, et se voluntarie morti offerat propter defensionem fidei.

2. Bien que l’acte de la vertu acquise et celui de la [vertu] infuse soient le même matériellement, ce n’est cependant pas le même acte formellement, car, par la vertu acquise, les circonstances sont confinées à une proportion au bien civil ; mais, par la vertu infuse, à une proportion au bien de la gloire éternelle. Aussi quelque chose de superflu selon la vertu civile est-il modéré selon la vertu infuse, comme le fait pour l’homme de jeûner et de s’offrir volontairement à la mort pour la défense de la foi.

[11963] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod penes hoc quod est esse meritorium, non differunt specie, nisi inquantum virtutes acquisitae sunt magis propinquae ad meritum propter finem ad quem ordinantur.

3. Sauf le fait d’être méritoires, elles ne diffèrent selon l’espèce que dans la mesure où les vertus infuses sont plus rapprochées du mérite en raison de la fin à laquelle elles sont ordonnées.

[11964] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis finis ultimus non faciat identitatem in specie, facit tamen diversitatem, sicut generis diversitas facit diversitatem in specie. Tamen sciendum, quod relatio actualis ad remotum finem non facit praedictam differentiam, sed originalis relatio ad ipsum, secundum scilicet quod ex diversitate finis fit diversa proportio in actu et habitu.

4. Bien que la fin ultime n’apporte pas l’identité selon l’espèce, elle apporte cependant une diversité, comme la diversité de genre apporte la diversité de l’espèce. Il faut cependant savoir que la relation actuelle à une fin éloignée ne cause pas ladite différence, mais la relation qui existait à l’origine par rapport à elle, à savoir, selon qu’une proportion différente est apportée à l’acte et à l’habitus.

 

 

Articulus 3 [11965] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 tit. Utrum virtutes morales consistant in medio

Article 3 – Les vertus morales consistent-elles dans un milieu ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Les vertus morales consistent-elles dans un milieu ?]

[11966] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod virtutes morales non consistant in medio. In nullo enim indivisibili est accipere medium et extrema. Sed passiones et operationes, circa quas sunt virtutes morales, sunt indivisibiles. Ergo non sunt in medio.

1. Il semble que les vertus morales ne consistent pas dans un milieu. En effet, dans rien de ce qui est indivisible, on ne conçoit un milieu et des extrêmes. Or, les passions et les opérations, sur lesquelles portent les vertus morales, sont indivisibles. Elle ne se situent donc pas dans un milieu.

[11967] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, medium aequaliter distat ab extremis. Sed quaedam virtutes plus appropinquant uni extremo quam alteri, sicut fortis plus assimilatur audaci quam timido, ut dicit philosophus in 3 Ethic. Ergo virtutes morales non sunt in medio.

2. Le milieu est équidistant des extrêmes. Or, certaines vertus s’approchent davantage d’un extrême que de l’autre, comme le fort ressemble davantage à l’audacieux qu’au timide, comme le dit le Philosophe dans Éthique, III. Les vertus morales ne se situent donc pas dans un milieu.

[11968] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, non est idem medium et extremum. Sed virtus est extremum, quia est ultimum potentiae, ut dicitur in 1 caeli et mundi. Ergo non est in medio.

3. Le milieu et l’extrême ne sont pas la même chose. Or, la vertu est un extrême, car elle est le point ultime d’une puissance, comme il est dit dans Sur le ciel et le monde, I. Elle ne se situe donc pas dans un milieu.

[11969] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 4 Praeterea, quandocumque bonum consistit in medio, malum consistit in extremo, ad minus uno; sicut in castitate quantumcumque homo abstineat a venereis, non peccat: similiter et in magnanimitate, quae est extremum in magnitudine, inquantum ad maxima tendit: similiter etiam in veritate, quia non potest homo nimis verum dicere. Ergo videtur quod bonum virtutis non consistat in medio.

4. Chaque fois que le bien consiste dans un milieu, le mal consiste dans quelque chose d’extrême, au moins dans un [extrême] ; ainsi, pour la chasteté, chaque fois que l’homme s’abstient des plaisirs sexuels, il ne pèche pas ; de même pour la magnanimité, qui est le point extrême de la grandeur, dans la mesure où elle tend à ce qu’il y a de plus grand ; de même aussi pour la vérité, car l’homme ne peut pas dire trop la vérité. Il semble donc que le bien de la vertu ne consiste pas dans un milieu.

[11970] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 5 Praeterea, si virtus sit medium, non est medium nisi inter duo vitia. Sed aliqua virtus est quae non est inter vitia, sicut justitia; quia si plura accipiat, peccat; si minus autem ei detur, non peccat. Ergo non omnis virtus moralis consistit in medio.

5. Si la vertu est un milieu, elle n’est que le milieu entre deux vices. Or, il existe une vertu qui ne se situe pas entre deux vices : la justice, car si elle prend trop, elle pèche, mais s’il lui est moins donné, elle ne pèche pas. Toute vertu morale ne consiste donc pas dans un milieu.

[11971] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, est quod dicit philosophus in 2 Eth.

Cependant, [1] ce que dit le Philosophe dans Éthique, II, va en sens contraire.

[11972] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, sicut se habet ars ad factibilia, ita se habet virtus ad agibilia. Sed ars corrumpitur ex superfluo et diminuto. Ergo et virtus: ergo est in medio.

[2] Le rapport de l’art avec l’objet à réaliser  est le même que celui de la vertu avec ce qui doit être accompli. Or, l’art est corrompu par quelque chose de superflu et d’amoindri. Donc, la vertu aussi. Elle se situe donc dans un milieu.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Existe-t-il un milieu objectif (medium rei) dans la justice ?]

[11973] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod in justitia non sit medium rei. Definitio enim generis debet salvari in qualibet specierum. Sed in definitione virtutis ponitur quod est medium secundum rationem. Ergo in justitia est medium rationis, et non medium rei.

1. Il semble qu’il n’existe pas de milieu objectif dans la justice. En effet, la définition du genre doit être préservée dans chacune des espèces. Or, dans la définition de la vertu, on met qu’il existe un milieu selon la raison. Dans la justice, il existe donc un milieu de la raison, et non un milieu objectif.

[11974] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, propter hoc in aliis virtutibus dicitur esse medium rationis et non medium rei, quia diversimode determinatur medium secundum diversas conditiones; sicut aliquid est multum ad comedendum uni, quod non est multum ad comedendum alteri. Sed diversa conditio etiam observatur in justitia: quia justitia distributiva non aequaliter tribuit omnibus, sed unicuique secundum quod dignus est: similiter etiam in commutativa non tantum punitur qui percutit privatum hominem quantum qui percutit principem. Ergo in justitia non est medium rei, sicut nec in aliis virtutibus.

2. On dit que, pour les autres vertus, il existe un milieu de la raison parce que le milieu est diversement déterminé selon les conditions diverses ; ainsi, ce qui est trop manger pour l’un n’est pas trop manger pour un autre. Or, une condition diverse est respectée dans la justice, car la justice distributive n’attribue pas également à tous, mais à chacun selon qu’il en est digne. De même aussi, dans la justice commutative, celui qui frappe une personne privée n’est pas puni autant que celui qui frappe un dirigeant. Il n’existe donc pas de milieu objectif dans la justice, pas davantage que pour les autres vertus.

[11975] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, in illo accipiendum est medium virtutis quod per virtutem rectificatur et perficitur. Sed finis virtutum non est rectificatio rei exterioris, sed operantis secundum rationem: quia eupraxia, idest bona operatio, est finis in omnibus virtutibus, ut dicit philosophus in 6 Eth. Ergo non est ibi rei medium, sed rationis tantum.

3. Il faut concevoir le milieu de la vertu comme ce qui est rectifié et perfectionné par la vertu. Or, la fin des vertus n’est pas la rectification d’une chose extérieure, mais celle de celui qui agit selon la raison, car l’eupraxia, c’est-à-dire le bien agir, est la fin de toutes les vertus, comme le dit le Philosophe dans Éthique, VI. Il n’y a donc pas là de milieu objectif, mais [un milieu] selon la raison seulement.

[11976] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, medium quod accipitur secundum proportionem rei ad rem, est medium rei. Sed medium justitiae accipitur secundum proportionem rei ad rem, ut geometricam in justitia distributiva, vel arithmeticam in commutativa, ut dicit philosophus in 5 Ethic. Ergo est ibi medium rei.

Cependant, [1] le moyen qui se prend de la proportion entre deux choses est un milieu objectif . Or, le milieu de la justice se prend de la proportion entre deux choses : géométrique, pour la justice distributive, ou arithmétique, pour la justice commutative, comme le dit le Philosophe dans Éthique, V. Il y a donc là un milieu objectif.

[11977] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, justitia est aequalitas quaedam. Sed aequalitas est etiam secundum rem medium inter plus et minus. Ergo etiam in justitia est medium rei.

[2] La justice est une certaine égalité. Or, l’égalité est un milieu objectif entre le plus et le moins. Il existe donc un milieu objectif dans la justice.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Existe-t-il un milieu dans les vertus intellectuelles ?]

[11978] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod in virtutibus intellectualibus non sit medium. Medium enim accipitur in passionibus, secundum quod mensuratur ad rationem. Sed in virtutibus intellectualibus non est accipere aliquid superius ad quod mensurentur. Ergo in eis non est accipere medium.

1. Il semble qu’il n’y ait pas de milieu pour les vertus intellectuelles. En effet, pour les passions, le milieu se prend selon sa mesure par rapport à la raison. Or, pour les vertus intellectuelles, on ne conçoit pas quelque chose de plus élevé par rapport à quoi elles seraient mesurées. On ne conçoit donc pas de milieu pour elles.

[11979] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, medium virtutis est inter contrarias passiones. Sed in intellectualibus non sunt contrariae passiones: quia rationes contrariorum in intellectu non sunt contrariae. Ergo in intellectualibus virtutibus non est accipere medium.

2. Le milieu de la vertu se situe entre des passions contraires. Or, pour les [vertus] intellectuelles, il n’exise pas de passions contraires, car les notions des contraires qui se trouvent dans l’intellect ne sont pas contraires. On ne peut donc concevoir de milieu pour les vertus intellectuelles.

[11980] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 3 Praeterea, ubicumque est accipere medium, est accipere extrema, quae corrumpunt medium. Sed in intellectu non est accipere extrema corrumpentia medium: quia intellectus non corrumpitur neque ex magno intelligibili neque ex parvo, ut dicitur in 3 de anima. Ergo in virtutibus intellectualibus non est medium.

3. Partout où l’on conçoit un milieu, il faut concevoir des extrêmes, qui corrompent le milieu. Or, pour l’intellect, on ne peut concevoir d’extrêmes qui corrompent le milieu, car l’intellect n’est corrompu ni par un grand intelligible ni par un petit, comme on le dit dans Sur l’âme, III. Il n’y a donc pas de milieu pour les vertus intellectuelles.

[11981] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, in virtutibus moralibus non invenitur medium nisi secundum quod participant rationem rectam. Sed ratio recta per prius invenitur in intellectualibus quam in moralibus. Ergo verius est medium in intellectualibus quam in moralibus.

Cependant, [1] dans les vertus morales, on ne trouve de milieu que selon leur participation à la raison droite. Or, la raison droite se trouve davantage dans les [vertus] intellectuelles que dans les vertus morales. Le milieu est donc plus vrai dans les vertus intellectuelles que dans les [vertus] morales.

[11982] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, ars est intellectualis virtus, ut patet in 6 Ethic. Sed philosophus in 2 Ethic., per medium artis probat medium virtutis. Ergo virtus intellectualis habet medium.

[2] L’art est une vertu intellectuelle, comme cela ressort d’Éthique, VI. Or, dans Éthique, II, le Philosophe prouve le milieu de la vertu par le milieu de l’art. La vertu intellectuelle comporte donc un milieu.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Les vertus théologales ont-elles un milieu ?]

[11983] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod etiam theologicae virtutes medium habeant. In moralibus enim virtutibus est medium, secundum quod earum actus ex ratione recta procedunt. Sed virtutum theologicarum actus non sunt contra rationem. Ergo sunt in medio.

1. Il semble que même les vertus théologales aient un milieu. En effet, pour les vertus morales, il existe un milieu selon que leur actes viennent de la raison droite. Or, les actes des vertus théologales ne vont pas contre la raison. Ils se situent donc dans un milieu.

[11984] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 2 Praeterea, spes est medium inter praesumptionem et desperationem. Sed spes est virtus theologica. Ergo virtutes sunt medium inter vitia.

2. L’espérance est le milieu entre la présomption et le désespoir. Or, l’espérance est une vertu théologale. Les vertus [théologales] sont donc un milieu entre des vices.

[11985] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 3 Praeterea, fides vadit media inter duas haereses, scilicet Nestorii et Eutychis. Sed fides est virtus theologica. Ergo virtutes theologicae in medio consistunt.

3. La foi suit un milieu entre deux hérésies, à savoir, celles de Nestorius et d’Eutychès. Or, la foi est une vertu théologale. Les vertus théologales se situent donc dans un milieu.

[11986] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 4 s. c. 1 Sed contra, Bernardus dicit, quod modus caritatis est non habere modum. Sed virtutes dicuntur in medio esse, inquantum sunt modificatae. Ergo caritas non est in medio, et eadem ratione nec aliae duae.

Cependant, [1] Bernard dit que « la mesure de la charité est qu’elle n’a pas de mesure ». Or, on dit que les vertus se situent au milieu pour autant qu’elles sont mesurées. La charité ne se situe donc pas dans un milieu et, pour la même raison, les deux autres non plus.

[11987] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 4 s. c. 2 Praeterea, ubi nunquam contingit aequale reddere, ibi non potest esse superfluum. Sed in illis quae sunt ad Deum, non contingit aequale reddere, ut etiam philosophus in 8 Ethic. dicit. Ergo non contingit superfluum in virtutibus theologicis, quae Deum habent pro objecto, accipere, et ita non sunt in medio.

[2] Là où il n’arrive jamais qu’on rende ce qui est égal, là ne peut exister de superflu. Or, en ce qui concerne Dieu, il n’arrive jamais qu’on rende ce qui est égal, comme même le Philosophe le dit dans Éthique, VIII. Il n’y a donc pas de superflu dans les vertus théologales, qui ont Dieu pour objet, et ainsi elles ne se situent pas dans un milieu.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[11988] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Respondeo ad primam quaestionem dicendum, quod omnes virtutes morales in medio constitutae sunt. Virtutes enim morales sunt circa passiones et operationes, quas oportet dirigere secundum regulam rationis. In omnibus autem regulatis consistit rectum, secundum quod regulae aequantur; aequalitas autem media est inter majus et minus; et ideo oportet quod rectum virtutis consistat in medio ejus quod superabundat, et ejus quod deficit a mensura rationis recta.

Toutes les vertus morales se situent dans un milieu. En effet, les vertus morales portent sur les passions et les opérations, qu’il faut diriger selon la règle de la raison. Or, dans tout ce qui est soumis à une règle, la droiture consiste en ce que cela soit égal à la règle. Or, l’égalité est un milieu entre le plus et le moins. C’est pourquoi il est nécessaire que la droiture de la vertu se situe au milieu de ce qui dépasse la droite mesure de la raison et de ce qui lui manque

[11989] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod actiones et passiones quamvis sint indivisibiles per essentiam, sunt tamen per accidens divisibiles, vel secundum intensionem, vel secundum tempus, vel secundum locum, vel secundum objecta, vel secundum aliquid hujusmodi; et ideo etiam secundum hoc est in eis medium accipere.

1. Les actions et les passions, bien qu’elles soient indivisibles par essence, sont cependant divisibles par accident, soit selon l’intensité, selon le temps, selon le lieu, selon les objets ou selon quelque chose de ce genre. C’est pourquoi il faut aussi concevoir un milieu pour elles.

[11990] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod medium accipitur in aliquo dupliciter. Uno modo ex comparatione ad extrema ejusdem rei, sicut medium in circulo; et tale medium oportet quod aeque distet ab extremis. Alio modo ex comparatione ad aliquam regulam extra; et tunc non oportet quod medium aeque distet ab extremis, sed quod aequetur regulae: sicut patet quod quando secatur lignum ad aliquam regulam, non semper tantum aufertur quantum dimittitur: et tale medium est medium virtutis moralis, quae habet rectam rationem pro regula: unde quandoque appropinquat plus uni extremo quam alteri, secundum quod competit rationi rectae.

2. On conçoit un milieu pour quelque chose de deux manières. Premièrement, par comparaison avec les extrêmes de la même chose, comme le milieu par rapport au cercle : il faut qu’un tel milieu soit à égale distance des extrêmes. Deuxièmement, par comparaison avec une règle extérieure : il n’est pas alors nécessaire que le milieu soit à égale distance des extrêmes, mais qu’il soit égal à la règle, comme il est clair que lorsqu’on coupe du bois selon une certaine règle, on n’en enlève pas toujours autant qu’on en rejette. C’est un tel milieu qu’est le milieu de la vertu morale : il a comme règle la raison droite. Aussi est-il parfois plus proche d’un extrême que de l’autre, selon que cela convient à la raison droite.

[11991] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod virtus est extremum quo ad contrarietatem boni et mali: quia bonum hominis in ratione consistit, et ita in extremo aequalitatis ad rationem; sed quantum ad contrarietates circa quas est, virtus est in medio, sicut dicit philosophus in 2 Ethic.

3. La vertu est un point extrême pour ce qui est contraire entre le bien et le mal, car le bien de l’homme consiste dans la raison, et ainsi dans un point extrême d’égalité par rapport à la raison. Mais, pour ce qui est des aspects contraires sur lesquels elle porte, la vertu se situe au milieu, comme le dit le Philosophe dans Éthique, II.

[11992] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod medium virtutis salvatur secundum adaequationem omnium circumstantiarum simul ad rationem. Contingit autem in aliquibus virtutibus, quod adaequatis omnibus aliis circumstantiis, non potest accipi extremum in altero: quia superfluum non potest accipi in illo nisi ex comparatione aliarum circumstantiarum, sicut in veritatis virtute patet: quia non potest homo nimis verum dicere, salvato quod dicat verum quod debet, et quando et ubi et cui et ceteris. Sed superfluum in hac circumstantia accipitur secundum excessum in aliis: qui enim dicit verum quod non oportet, etiam nimis verum dicit. Et similiter etiam in magnanimitate est ratione quanti, et similiter etiam in castitate: quia non potest homo nimis abstinere, dummodo salventur aliae circumstantiae.

4. Le milieu de la vertu est préservé selon un égal rapport à la raison de toutes les circonstances prises simultanément. Or, il arrive pour certaines vertus que, l’égalité existant pour toutes les autres circonstances, un extrême ne puisse être saisi pour une autre chose, car le superflu ne peut être saisi dans cette-chose que par comparaison avec les autres circonstances, comme cela ressort pour la vertu de vérité, car l’homme ne peut dire quelque chose de trop vrai, étant sauf qu’il dise la vérité qu’il doit [dire], et au moment, à l’endroit, à un tel, etc. Mais le superflu se prend dans cette circonstance selon l’excès dans les autres. En effet, celui qui dit une vérité qu’il ne doit pas [dire] dit quelque chose de trop vrai. De même en est-il pour la magnanimité en raison de la quantité, et de même encore pour la chasteté, car l’homme ne peut trop s’abstenir, pourvu que les autres circonstances soient sauvegardées.

[11993] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod virtus dicitur medium dupliciter. Uno modo ratione materiae circa quam est, inquantum adaequat eam rationi rectae; et hoc per se convenit omni virtuti morali; et sic est medium per participationem extremorum. Alio modo dicitur medium ratione habitus, inquantum scilicet habitus virtutis est medium inter habitus duarum malitiarum; et hoc est medium per abnegationem extremorum; et hoc accidit virtuti, nec oportet quod sit in omnibus virtutibus; et propter hoc non oportet quod justitiae habitus sit medius inter duas malitias, ut in 5 Ethic. dicitur, sed quod medium attingat in materia sua.

5. La vertu est appelée un milieu de deux manières. Premièrement, en raison de la matière sur laquelle elle porte, pour autant qu’elle la rend égale à la raison droite. Cela convient à toute vertu morale, et ainsi elle est un milieu par partitipation aux extrêmes. Deuxièmement, elle est appelée un milieu en raison de l’habitus, pour autant que l’habitus de la vertu est un milieu entre les habitus de deux méchancetés. Cela est un milieu par négation des extrêmes, et cela se produit pour la vertu. Mais il n’est pas nécessaire que ce soit le cas pour toutes les vertus. Pour cette raison, il n’est pas nécessaire que l’habitus de la justice soit le milieu entre deux méchancetés, comme il est dit dans Éthique, V, mais qu’elle atteigne le milieu dans sa matière.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[11994] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod in justitia oportet esse non solum medium rationis, sed etiam rei: cujus ratio est, quia justitia est circa operationes, et secundum ordinem ad alterum; unde illum ad quem sunt operationes justitiae, accipiunt quasi regulam. Et ideo sicut passiones circa quas sunt aliae virtutes oportet quod aequentur rationi; ita oportet quod operationes circa quas est justitia, adaequentur illi ad quem est justitia; quod non potest esse, nisi secundum rem tantum reddatur quantum ei debetur; et ideo ibi est medium rei. Sed inter aliquos duos potest constitui aequalitas dupliciter. Uno modo secundum quod utrisque aliquid reddendum est; et in hoc constituit ei aequalitatem justitia distributiva, quae non dat aequale utrique secundum quantitatem, sed secundum proportionem, quia utrique dat quantum sibi debetur; et ideo medium in justitia distributiva dicitur esse secundum proportionabilitatem geometricam, in qua salvatur eadem proportio, sed non eadem quantitas; sicut sex est medium inter quatuor et novem: quia in qua proportione se habet ad quatuor, scilicet in sesquialtera, in ipsa se habet novem ad ipsum; quamvis novem excedant sex in tribus, et sex quatuor in duobus. Alio modo constituitur aequalitas justitiae inter aliquos, inquantum unus debet recipere ab alio propter hoc quod ille prius recipit ab isto: et ad hoc est justitia commutativa. Et quia tantum debet secundum quantitatem aliquis ab altero recipere quantum ei tribuit, ideo in hac specie justitiae salvatur medium secundum proportionem arithmeticam, in qua salvatur eadem quantitas; sicut tria est medium inter quatuor et duo, quia utrinque est excessus in unitate.

Pour la justice, il est nécessaire qu’existe non seulement un milieu selon la raison (medium rationis), mais un milieu objectif (medium rei). La raison en est que la justice porte sur des opérations dans leur rapport à quelqu’un d’autre. Aussi prennent-elles comme règle celui envers qui sont faites les opérations de la justice. C’est pourquoi, de même qu’il est nécessaire que les passions sur lesquelles portent les autres vertus soient égales à la raison, de même est-il nécessaire que les opérations sur lesquelles porte la justice soient égales à celui envers qui existe la justice, ce qui ne peut exister à moins qu’il ne lui soit objectivement (secundum rem) rendu autant qu’il lui est dû. C’est pourquoi il y a là un milieu objectif. Or, entre deux personnes, l’égalité peut être réalisée de deux manières. Premièrement, selon que quelque chose doit être rendu aux deux : c’est en cela que la justice distributive réalise pour eux l’égalité de la justice, qui ne donne pas également aux deux en quantité, mais selon une proportion, car elle donne aux deux autant qu’il leur est dû. Aussi dit-on que le milieu, dans la justice distributive, existe selon une proportionnalité géométrique, par laquelle est sauvegardée la même proportion, mais non la même quantité. Ainsi, six est le milieu entre quatre et neuf, car son rapport de proportion avec quatre, une fois et demie, est le même que celui que neuf a par rapport à lui, bien que l’écart entre neuf et six soit de trois unités, et, entre six [et quatre], de deux unités. Deuxièmement, l’égalité de la justice est établie entre certains pour autant que l’un doit recevoir d’un autre ce que celui-ci a d’abord reçu de celui-là : c’est ce sur quoi porte la justice distributive. Et parce que quelqu’un doit recevoir d’un autre en quantité autant qu’il lui a donné, dans cette espèce de justice, le milieu est sauvegardé selon une proportion arithmétique, par laquelle est préservée la même quantité. Ainsi, trois est le milieu entre quatre et deux, car il existe un écart d’une unité par rapport aux deux.

[11995] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod in justitia est medium rationis, quod et idem est medium rei.

1. Dans la justice, il existe un milieu de la raison, qui est aussi le même que le milieu objectif.

[11996] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in justitia non consideratur conditio personae, nisi inquantum ex conditionibus personae variatur quantitas rei. Qui enim percutit principem, majorem offensam facit; et ideo plus debet puniri. Et similiter etiam patet in justitia distributiva, quod diversitas personarum in diversitatem rei redundat.

2. Pour la justice, on ne prend pas en compte la condition de la personne, sauf dans la mesure où la quantité objective varie selon les conditions de la personne. En effet, celui qui frappe un dirigeant perpètre une offense plus grande ; il doit donc être puni davantage. De même, il est clair que, dans la justice distributive, la diversité des personnes rejaillit sur la diversité objective.

[11997] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in justitia incidit in idem rectificatio operationis et rectificatio rerum, ut dictum est.

3. Pour la justice, la rectification de l’opération et la rectification objective sont la même chose.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[11998] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod bonum virtutum intellectualium consistit in hoc quod verum dicatur. Veritas autem consistit in quadam adaequatione intellectus et vocis ad rem. Et quia aequalitas est medium inter majus et minus, ideo oportet quod bonum virtutis intellectualis in medio consistat, ut scilicet dicatur de re hoc quod est. Si autem excedat vel in plus vel in minus, erit falsum; quod se habet ad virtutes intellectuales, sicut vitium ad morales; et hoc inquantum intellectus absolute considerat; inquantum vero de uno in aliud discurrit, accipitur medium non solum secundum commensurationem ad rem, sed secundum commensurationem conclusionum ad principia, vel eorum quae sunt ad finem in operativis.

Le bien des vertus intellectuelles consiste en ce que le vrai soit exprimé. Or, la vérité consiste dans un certain ajustement de l’intellect et de la parole à la réalité. Et parce que l’égalité est le milieu entre ce qui est plus grand et ce qui est moins grand, il est donc nécessaire que le bien de la vertu intellectuelle consiste dans un milieu, à savoir qu’on dise d’une chose ce qu’elle est. Mais si on s’en écarte en plus ou en moins, ce sera faux, ce qui est pour les vertus intellectuelles comme le vice pour les vertus morales. Cela est le cas lorsque l’intellect examine de manière absolue. Mais lorsqu’il passe (discurrit) d’une chose à une autre, le milieu se prend non seulement selon la proportion par rapport à une chose, mais selon la proportion  des conclusions par rapport aux principes ou, pour les actions, par rapport à ce qui se rapporte à la fin.

[11999] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod, sicut dicit philosophus in 10 Metaph., mensura intellectus nostri est res; et ideo secundum quod adaequatur rei, est rectum ipsius. Nihilominus et principia sunt regula conclusionum, et intelligens est quodammodo regula principiorum.

1. Comme le dit le Philosophe dans Métaphysique, X, « la mesure de notre intellect est la réalité ». Sa droiture vient donc de son ajustement à la réalité. Néanmoins, les principes sont aussi la règle des conclusions, et celui qui intellige est, d’une certaine manière, la règle des principes.

[12000] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod contrarietas passionum accedit ad medium virtutis moralis; unde circa iram, quae non habet passionem oppositam, est medium virtutis moralis secundum plus et minus in ipsa eadem passione.

2. Le caractère contraire des passions s’approche du milieu de la vertu morale. Ainsi, dans le cas de la colère, qui n’a pas de passion opposée, le milieu de la vertu morale se prend-il selon le plus et le moins de la passion elle-même.

[12001] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod extrema in virtutibus intellectualibus non accipiuntur secundum magnum et parvum intelligibile: sed extremum in plus est, quando attribuitur aliquid alicui quod non inest ei; extremum autem in minus, quando removetur ab eo quod ei inest. Utroque autem modo falsum contingit; verum autem, quando dicitur inesse quod inest, aut non inesse quod non inest; et haec extrema corrumpunt non substantiam, sed veritatem intellectus.

3. Les extrêmes pour les vertus intellectuelles ne se conçoivent pas selon un objet intelligible grand et petit, mais l’extrême en plus existe lorsqu’on attribue à une chose ce qui ne s’y trouve pas, et l’extrême en moins, lorsqu’on lui enlève ce qui s’y trouve. Or, la fausseté survient des deux manières. Mais [il y a] vérité lorsqu’on dit que se trouve dans une chose ce qui y existe, ou que ne s’y trouve pas ce qui n’y existe pas. Et ces extrêmes ne corrompent pas la substance, mais la vérité de l’intelligence.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[12002] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod medium in omnibus virtutibus quae habent medium, accipitur ex hoc quod virtus attingit in materia propria illud quod est aequale, et competens mensura. Unde si esset aliqua virtus quae haberet mensuram ipsam pro materia, non essent ibi extrema nec medium; sed bonum illius virtutis esset simpliciter attingere mensuram illam, sicut si alicujus virtutis materia esset veritas. Omnium autem prima mensura est ipse Deus, sicut etiam ipse philosophus, in 10 Metaph., dicit. Unde virtutes theologicae, quae habent Deum pro objecto, qui est ultimus finis, a quo omnia mensurantur, non possunt habere rationem medii, cum in materia illa non sit accipere extrema: sicut etiam in his quae conjuncta sunt malo fini, non potest accipi medium.

Le milieu pour toutes les vertus qui ont un milieu vient de ce que la vertu atteint dans sa matière propre ce qui est égal et une mesure adéquate. Donc, s’il existait une vertu qui avait sa propre mesure comme matière propre, il n’y aurait pas là d’extrêmes ni de milieu, mais le bien de cette vertu consisterait simplement à atteindre cette mesure, comme si la matière d’une vertu était la vérité. Or, la première mesure de toutes choses est Dieu lui-même, comme même le Philosophe le dit dans Métaphysique, X. Aussi les vertus théologales, qui ont Dieu pour objet, lui qui est la fin ultime à partir de qui toutes choses sont mesurées, ne peuvent-elles donc posséder la raison de milieu, puisqu’on ne peut concevoir d’extrêmes en cette matière.  Dans le cas aussi de ce qui est uni à une fin mauvaise, on ne peut concevoir de milieu.

[12003] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ratio recta non est ad hoc quod in materia illa vitentur extrema, in qua superfluum esse non potest.

1. La raison droite ne consiste pas en ce que, dans cette matière, soient evités les extrêmes, alors qu’un superflu ne peut exister en elle.

[12004] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod fides est virtus theologica, inquantum adhaeret primae veritati; et ex hac parte non potest in ipsa medium esse (non enim potest nimis Deo adhaerere): sed ex parte illa qua aliquid affirmat vel negat veritati primae adhaerens, ibi est medium, quia secundum hoc habet similitudinem cum virtutibus intellectualibus.

2. La foi est une vertu théologale pour autant qu’elle adhère à la Vérité première. De ce point de vue, il ne peut exister de milieu en elle (en effet, elle ne peut trop adhérer à Dieu). Mais, du point de vue où elle affirme ou nie quelque chose en adhérant à la Vérité première, il existe un milieu, car, sous cet aspect, elle a une ressemblance avec les vertus intellectuelles.

[12005] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 3 Et similiter dicendum ad tertium, quod spes non habet medium, secundum quod Deo adhaeret, sed ex parte subjecti.

3. L’espérance ne comporte pas de milieu selon qu’elle adhère à Dieu, mais [elle en comporte] du point de vue de son sujet.

 

 

Articulus 4 [12006] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 4 tit. Utrum virtutes morales maneant in patria

Article 4 – Les vertus morales demeurent-elles dans la patrie ?

[12007] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod virtutes morales non maneant in patria. Fides enim et spes sunt nobiliores quam virtutes morales. Sed fides et spes evacuantur. Ergo et morales virtutes.

1. Il semble que les vertus morales ne demeurent pas dans la patrie. En effet, la foi et l’espérance sont plus nobles que les vertus morales. Or, la foi et l’espérance sont éliminées. Donc aussi, les vertus morales.

[12008] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, virtutes morales perficiunt in vita activa. Sed haec vita cessabit in patria, in qua erit tantum contemplatio. Ergo et virtutes morales non erunt in patria.

2. Les vertus morales perfectionnent pour la vie active. Or, cette vie cessera dans la patrie, où n’existera que la contemplation. Les vertus morales aussi n’existeront donc pas dans la patrie.

[12009] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, virtutes morales quaedam sunt circa passiones. Sed hae non erunt in patria. Ergo nec virtutes morales.

3. Certaines vertus morales portent sur les passions. Or, celles-ci n’existeront pas dans la patrie. Donc, ni les vertus morales.

[12010] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, fortitudo et temperantia sunt in irascibili et concupiscibili. Sed, secundum quosdam, vires sensibiles non remanebunt in anima separata. Ergo nec temperantia et fortitudo.

4. La force et la tempérance se trouvent dans l’irascible et le concupiscible. Or, selon certains, les puissances sensibles ne demeureront pas dans l’âme séparée. Donc, ni la tempérance et la force.

[12011] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 4 arg. 5 Praeterea, in patria erimus sicut Angeli Dei; Matth. 22. Sed derisibiles videntur qui ponunt castitatem et sobrietatem in Angelis, quos deos nominat philosophus in 10 Metaph. Ergo nec in nobis erunt.

5. Dans la patrie, nous serons comme les anges de Dieu, Mt 22. Or, ceux qui attribuent la chasteté et la sobriété chez les anges, que le Philosophe appelle des dieux, Métaphysique, X, paraissent risibles. Elles n’existeront donc pas non plus chez nous.

[12012] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 4 arg. 6 Praeterea, patientia est valde nobilis virtus, quia ipsa opus perfectum habet. Sed non remanebit in patria nisi quantum ad fructum, ut Augustinus dicit in Lib. de patientia. Ergo nec aliae morales virtutes.

6. La patience est une vertu très noble, car elle mène une œuvre à son terme (Jc 1, 4). Or, elle ne demeurera dans la patrie que pour son fruit, comme le dit Augustin dans le livre Sur la patience. Donc, ni les autres vertus morales.

[12013] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed contra, istae virtutes plenissime fuerunt in Christo. Sed illae virtutes quae evacuantur in patria, non fuerunt in Christo, ut fides et spes. Ergo virtutes istae non evacuantur.

Cependant, [1] ces vertus ont existé chez le Christ dans la plus grande plénitude. Or, les vertus qui sont éliminées dans la patrie n’ont pas existé chez le Christ, telles la foi et l’espérance. Ces vertus ne sont donc pas éliminées [dans la patrie].

[12014] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, Sap. 1, 15: justitia est perpetua et immortalis. Sed non minus est necessaria ordinatio hominis ad seipsum quam ordinatio ad alterum quae est per justitiam. Ergo et aliae virtutes morales manent in patria.

[2] Sg 1, 15 : La justice est perpétuelle et immortelle. Or, le juste rapport de l’homme à lui-même n’est pas moins nécessaire que le juste rapport à l’autre, qui est le fait de la justice. Les autres vertus morales demeurent donc dans la patrie.

[12015] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 4 s. c. 3 Praeterea, in patria erunt homines Deo conformes. Sed hae virtutes in Deo sunt exemplares, ut dicit Macrobius. Ergo et in sanctis erunt aliquo modo.

[3] Dans la patrie, les hommes seront semblables à Dieu. Or, ces vertus existent en Dieu comme des modèles, ainsi que le dit Macrobe. Elles existeront donc aussi de quelque manière chez les saints.

 [12016] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod quaelibet virtutum praedictarum habet duos actus: unum quem exercet circa propriam materiam; alium quem habet quando pervenit ad finem: sicut fortis dum est in periculo pugnae, exercet actum qui est circa materiam propriam, scilicet timores et audacias: sed quando jam domum victor revertitur, habet hunc actum qui est gaudere de victoria per pugnam praecedentem adepta. Dictum est autem art. 2, quaest. 3, quod virtutes morales quaedam sunt infusae, et quaedam acquisitae, et quod acquisitae dirigunt in vita civili; unde habent bonum civile pro fine. Et quia haec civilitas non remanebit in patria, ideo non remanebit eis aliquis actus, nec circa finem, nec circa materiam propriam, secundum quam tendunt ad finem; et ideo habitus tollentur. Virtutes autem infusae morales perficiunt in vita spirituali, secundum quam homo est civis civitatis Dei, et membrum corporis Christi, quod est Ecclesia; et haec quidem civilitas in futuro non evacuabitur, sed perficietur. Unde remanebunt istis virtutibus actus qui sunt circa finem proximum uniuscujusque virtutis, et ideo remanebunt habitus virtutum moralium infusarum.

Réponse. Chacune des vertus mentionnées comporte deux actes : l’un qu’elle exerce sur sa matière propre ; l’autre qu’elle possède lorsqu’elle est parvenue à la fin. Ainsi, le fort, lorsqu’il est au milieu des dangers du combat, exerce l’acte qui porte sur la matière propre : les craintes et les audaces ; mais, lorsqu’il revient chez lui comme vainqueur, il possède l’acte qui consiste à se réjouir de la victoire obtenue par le combat précédent. Or, on a dit à la q. 3, a. 2, que certaines vertus morales sont infuses et certaines sont acquises, et que les vertus acquises dirigent pour la vie civile ; elles ont donc le bien civil comme fin. Et parce que la vie civile ne demeurera pas dans la patrie, elles ne garderont pas d’acte portant sur la fin ou sur leur matière propre, par lequel elles tendent vers la fin. C’est pourquoi les habitus seront enlevés. Mais les vertus morales infuses perfectionnent pour la vie spirituelle, selon laquelle l’homme est citoyen de la cité de Dieu et membre du corps du Christ, qui est l’Église. Or, cette citoyenneté ne sera pas éliminée à l’avenir, mais elle sera perfectionnée. Les actes qui portent sur la fin prochaine de toutes les vertus demeureront donc pour ces vertus ; c’est pourquoi les habitus des vertus morales infuses demeureront.

[12017] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod fides et spes sunt nobiliores moralibus virtutibus ratione objecti. Sed quia habent essentialiter annexam imperfectionem respectu sui objecti, quae non est annexa virtutibus moralibus; ideo non oportet quod morales evacuentur, sicut spes et fides.

1. La foi et l’espérance sont plus nobles que les vertus morales en raison de leur objet. Mais parce qu’elles comportent une imperfection par rapport à leur objet qui leur est associée de manière essentielle, [imperfection] qui n’est pas associée aux vertus morales, il n’est donc pas nécessaire que les vertus morales soient éliminées, comme la foi et l’espérance.

[12018] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod virtutes quae perficiunt in vita activa, etiam acquisitae, non oportet quod tollantur, cum aliquis se transfert ad vitam contemplativam; sed habent alios actus, inquantum pertingunt ad finem proximum, quia contemplativa vita est finis activae. Et ideo distinguit Macrobius harum virtutum tres gradus, secundum quod sunt in hominibus. Sunt enim politicae, secundum quod homo per eas in civilibus operibus rectificatur; purgatoriae autem, secundum quod civilibus utens ad quietem contemplationis aliquis anhelat; sed dicuntur purgati animi, inquantum aliquis abjecto omni exercitio civilis vitae, quieti contemplationis totum se tribuit. Et in hoc statu dicit quod actus temperantiae est cupiditatem non jam refrenare, sed penitus oblivisci; fortitudinis autem passiones ignorare, non vincere; et sic de aliis.

2. Il n’est pas nécessaire que les vertus qui perfectionnent pour la vie active, même les [vertus] acquises, soient enlevées lorsque quelqu’un passe à la vie contemplative ; mais elles ont d’autres actes, dans la mesure où elles atteignent leur fin prochaine, car la vie contemplative est la fin de la vie active. C’est pourquoi Macrobe à distingué trois degrés dans ces vertus, selon qu’elles existent chez les hommes. En effet, elles sont politiques selon que la droiture de l’homme est assurée par elles en matière civile ; purificatrices, selon que, par l’usage des réalités civiles, quelqu’un aspire au repos de la contemplation ; mais on dit qu’elles sont le fait de l’esprit purifié, pour autant que, après avoir rejeté tout exercice de la vie civile, quelqu’un se livre entièrement au repos de la contemplation. Et il dit que, dans cet état, l’acte de la tempérance consiste, non pas à réfréner la cupidité, mais à l’oublier tout simplement ; l’acte de la force, non pas à vaincre, mais à ignorer complètement les passions. Et ainsi de suite pour les autres.

[12019] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quantum ad actus quos habent circa materias proprias, non remanebunt, sed secundum actus quos habent in fine adepto, qui est a passionum tumultibus quietari.

3. Elles ne demeureront pas [dans la patrie] selon les actes qu’elles ont par rapport à leurs matières propres, mais selon les actes qu’elles auront lorsque la fin sera atteinte, qui consiste à se reposer du tumulte des passions.

[12020] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quidam dicunt, quod vires sensibiles non manent actu in anima separata, dicunt tamen, quod manent in essentia animae sicut in radice: et similiter etiam manent habitus virtutum inferioris partis, sicut in radice, in virtutibus quae sunt in ratione, et in ipsa gratia.

4. Certains disent que les puissances sensibles ne demeurent pas en acte dans l’âme séparée ; cependant, certains disent qu’elles demeurent dans l’essence de l’âme comme dans leur racine. De même aussi, les habitus des vertus de la partie inférieure demeurent-elles comme dans leur racine dans les vertus qui se trouvent dans la raison et dans la grâce elle-même.

[12021] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod istae virtutes sunt in Angelis alio modo quam in hominibus, etiam in patria: quia homines perpessi sunt hujusmodi passiones, quae per dictas virtutes refrenantur, vel naturam habent ut perpeti possint; quod non est de Angelis. Unde in Angelis et in Deo sunt sicut exemplares; in hominibus autem sicut virtutes purgati animi in patria. Tamen sciendum, quod philosophus loquitur de virtutibus acquisitis, quae perficiunt hominem in vita civitatis terrenae, in qua vita non habemus cum Angelis aliquam communicationem: unde non est simile de illis virtutibus quae perficiunt in vita civitatis Dei, quae constituitur ex Angelis et hominibus.

5. Ces vertus existent chez les anges d’une autre manière que chez les hommes, même dans la patrie, car les hommes ont souffert de ces passions qui sont réfrénées par les vertus mentionnées ou ont une nature telle qu’ils peuvent en souffrir, ce qui n’est pas le cas des anges. Elles existent donc chez les anges et en Dieu comme des modèles, mais, chez les hommes, comme des vertus de l’âme purifiée dans la patrie. Il faut cependant savoir que le Philosophe parle des vertus acquises qui perfectionnent l’homme pour la vie de la cité terrestre, vie dans laquelle nous n’avons rien en commun avec les anges. Aussi n’est-ce pas la même chose pour les vertus qui perfectionnent pour la vie de la cité de Dieu, qui est constituée des anges et des hommes.

[12022] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 4 ad 6 Ad sextum dicendum, quod patientia dicitur non manere quantum ad actum quem habet circa mala tolerabilia; manet tamen habitus, et actus quem habet in quiete finis proprii.

6. On dit que la patience ne demeure pas quant à son acte pour les maux qui doivent être supportés ; cependant, l’habitus demeure, ainsi que l’acte qu’il a dans le repos en sa fin propre.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [Les vertus cardinales]

Prooemium

Prologue

[12023] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 pr. Deinde quaeritur specialiter de virtutibus cardinalibus: 1 quae et quot debent dici cardinales; 2 de materiis et objectis earum, 3 de actibus; 4 de subjectis; 5 quae ipsarum sit principalior.

Ensuite, on s’interroge sur les vertus cardinales : 1. Quelles vertus doivent être appelées cardinales et quel en est le nombre ? 2. Leurs matières et leurs objets. 3. Leurs actes. 4. Leurs sujets. 5. Quelle est la principale ?

 

 

Articulus 1 [12024] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 tit. Utrum aliquae virtutes debeant dici cardinales

Article 1 – Doit-on appeler cardinales certaines vertus ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Doit-on appeler cardinales certaines vertus ?]

[12025] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod nullae virtutes debeant dici cardinales. Quia eaedem virtutes quae cardinales dicuntur, dicuntur etiam generales: unde et Tullius eis partes assignat. Sed virtutes sunt distinctae ab invicem; ut dictum est. Ergo videtur quod non debeant dici cardinales.

1. Il semble qu’aucune vertu ne doive être appelée cardinale, car les mêmes vertus qui sont appelées cardinales sont aussi appelées générales ; aussi Tullius [Cicéron] leur attribue-t-il des parties. Or, les vertus sont distinctes les unes des autres, comme on l’a dit. Il semble donc qu’on ne doive pas les appeler cardinales.

[12026] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, ea quae dividuntur ab invicem, sunt simul, secundum philosophum; et ita unum non est principalius altero. Sed virtutes condividunt ab invicem genus virtutis. Ergo una non est principalior altera; et ita nec una debet dici cardinalis respectu alterius.

2. Une chose divisée par rapport à une autre existe en même temps, selon le Philosophe ; et ainsi, l’une ne joue pas le rôle de principe par rapport à l’autre. Or, les vertus se répartissent entre elles le genre de la vertu. L’une ne joue donc pas le rôle de principe par rapport à une autre. Ainsi ne doit-on pas en appeler une cardinale par rapport à une autre.

[12027] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, virtutes dividuntur contra vitia. Sed vitia principalia non dicuntur cardinalia, sed capitalia. Ergo virtutes principales debent dici capitales, et non cardinales.

3. Les vertus sont opposées aux vices. Or, les vices principaux ne sont pas appelés cardinaux, mais capitaux. Les vertus principales doivent donc être appelées capitales, et non cardinales.

[12028] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 4 Praeterea, si dicuntur cardinales, quia eis pervenitur ad vitam aeternam, ut dicitur in littera; eadem ratione omnes virtutes sunt dicendae cardinales, quia omnibus vitam meremur.

4. Si on les appelle cardinales parce que, par elles, on parvient à la vie éternelle, comme on le dit dans le texte, pour la même raison, toutes les vertus doivent être appelées cardinales, car nous méritons la vie par elles.

[12029] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur in littera.

Cependant, ce que le texte dit s’oppose à cela.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [D’autres vertus devraient-elles être plutôt appelées cardinales ?]

[12030] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod morales virtutes non debeant dici cardinales, sed aliae. Quia theologicae virtutes propinquiores sunt fini, quia habent finem ultimum pro objecto. Cum ergo finis sit principium in operativis secundum philosophum 7 Ethic., virtutes theologicae erunt principaliores: et ita ipsae magis debent dici cardinales.

1. Il semble que des vertus morales ne doivent pas être appelées cardinales, mais d’autres [vertus], car les vertus théologales sont plus rapprochées de la fin, puisqu’elles ont la fin ultime comme objet. Puisque la fin est le principe en matière d’action, selon le Philosophe, Éthique, VII, les vertus théologales seront donc plus importantes, et ainsi ce sont elles qui doivent plutôt être appelées cardinales.

[12031] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, caritas dicitur radix virtutum, fides autem fundamentum, spes vero anchora. Sed quae est proportio radicis ad arborem, et fundamenti ad domum, et anchorae ad navem, eadem est proportio cardinis ad ostium. Ergo virtutes theologicae possunt dici cardinales, sicut et morales.

2. La charité est appelée la racine des vertus, mais la foi, le fondement, et l’espérance, l’ancre. Or, la proportion entre la racine et l’arbre, le fondement et la maison, et l’ancre et le bateau est la même que la proportion du gond (cardinis) par rapport à la porte. Les vertus théologales peuvent donc être appelées cardinales, comme certaines vertus morales.

[12032] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, virtutes intellectuales sunt nobiliores virtutibus moralibus: quia perficiunt in vita contemplativa, quae est nobilior activa. Ergo virtutes intellectuales magis debent dici cardinales quam morales.

3. Les vertus intellectuelles sont plus nobles que les vertus morales, car elles perfectionnent pour la vie contemplative, qui est plus noble que la vie active. Plutôt que des vertus morales, les vertus intellectuelles doivent donc être appelées cardinales.

[12033] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, una sola de cardinalibus hic enumeratis intellectualis est, scilicet prudentia, quae moralis est aliquo modo. Ergo virtutes cardinales magis sunt in genere moralium quam intellectualium virtutum.

Cependant, une seule des vertus cardinales énumérées ici est une vertu intellectuelle : la prudence, qui est d’une certaine manière une vertu morale. Les vertus cardinales se trouvent donc plutôt dans le genre des vertus morales que des vertus intellectuelles.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Quel est le nombre des vertus cardinales ?]

[12034] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non debeant dici tot virtutes cardinales in hoc numero. Quia virtutes istae sunt in tribus viribus animae. Sed inter eas est una tantum principalis, scilicet rationalis. Ergo et inter virtutes est tantum una cardinalis.

1. Il semble qu’on ne doive pas dire qu’il existe autant de vertus cardinales que le nombre [indiqué dans le texte], car ces vertus se trouvent dans trois puissances de l’âme. Or, une seule d’entre elles est principale : la [puissance] raisonnable. Il n’y a donc qu’une seule vertu cardinale parmi les vertus.

[12035] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, si virtutes dicuntur eaedem generales et cardinales; generales autem sunt tantum duae, scilicet justitia et prudentia, ut dictum est prius videtur etiam quod tantum sint duae cardinales.

2. Si les mêmes vertus sont appelées générales et cardinales, et qu’il n’y a que deux vertus générales : la justice et la prudence, comme on l’a dit plus haut, il semble aussi qu’il n’y ait que deux vertus cardinales.

[12036] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, in qualibet vi est aliquid principalissimum invenire eorum quae ad illam vim pertinent. Si ergo vires sunt tres, in quibus sunt virtutes, videtur quod etiam tantum tres debeant esse virtutes cardinales.

3. En toute puissance, on trouve quelque chose qui est le plus important de ce qui relève de cette puissance. Si donc il existe trois puissances dans lesquelles se trouvent des vertus, il semble aussi qu’il ne doive y avoir que trois vertus cardinales.

[12037] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 4 Sed contra, videtur quod debeant esse plures quam quatuor. Quia virtutes vitiis opponuntur. Sed vitia capitalia sunt septem. Ergo et virtutes cardinales debent esse septem.

Cependant, [4] il semble qu’il doive y en avoir plus que quatre, car les vertus s’opposent aux vices. Or, il y a sept vices capitaux. Il doit y avoir aussi sept vertus cardinales.

[12038] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 5 Praeterea, in rationali ponuntur duae virtutes cardinales, prudentia scilicet, et justitia. Ergo similiter in qualibet aliarum virium debent poni duae virtutes cardinales; et ita, cum vires sint tres, erunt sex cardinales virtutes.

[5] Dans la partie rationnelle, on situe deux vertus cardinales : la prudence et la justice. De la même manière, doit-on placer deux vertus cardinales dans toutes les autres puissances, et ainsi, puisqu’il existe trois puissances, il y aura six vertus cardinales.

[12039] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 6 Praeterea, sicut prudentia est perfectio rationis practicae, ita et ars. Sed rationis practicae rectitudo et veritas consistit, ut dicitur in 6 Ethic., in conformitate ad appetitum rectum; quod fit per virtutes morales, ut dictum est. Ergo sicut prudentia inter virtutes morales ponitur cardinalis virtus, ita et ars mechanica poni debet.

[6] De même que la prudence est une perfection de la raison pratique, de même aussi l’art. Or, ainsi qu’il est dit dans Éthique, VI, la droiture et la vérité de la raison pratique consistent dans la conformité à l’appétit droit, ce qui se réalise par les vertus morales, comme on l’a dit. De même que la prudence est mise comme une vertu cardinale parmi les vertus morales, de même aussi l’art mécanique doit-il donc y être mis.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [D’autres vertus morales que celles mentionnées dans le texte devraient-elles plutôt être cardinales ?]

[12040] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod aliae virtutes magis debeant esse cardinales quam istae. Quia unumquodque denominatur a principaliori quod est in ipso, ut dicit philosophus in 2 de anima. Sed vis irascibilis denominatur ab ira. Ergo cum mansuetudo sit contra iram, fortitudo autem contra timores et audacias, quae sunt etiam passiones irascibilis; videtur quod mansuetudo sit magis virtus cardinalis quam fortitudo.

1. Il semble que d’autres vertus que [celles mentionnées dans le texte] devraient être cardinales, car chaque chose tire son nom de ce qui est le plus important en elle, comme le dit le Philosophe dans Sur l’âme, II. Or, la puissance irascible tire son nom de la colère. Puisque la douceur s’oppose à la colère et la force aux craintes et aux audaces, qui sont aussi des passions de l’irascible, il semble donc que la douceur soit davantage une vertu cardinale que la force.

[12041] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 4 arg. 2 Praeterea, illud quod est magnum in quolibet genere, est principalius in illo genere. Sed magnanimitas operatur magna in omnibus virtutibus, ut dicit philosophus in 4. Ergo videtur quod magnanimitas sit magis cardinalis quam fortitudo, quia utraque est in irascibili.

2. Ce qui est grand en chaque genre est ce qui est le plus important dans ce genre. Or, la magnanimité réalise de grandes choses dans toutes les vertus, comme le dit le Philosophe au livre IV [de l’Éthique]. Il semble donc que la magnanimité plutôt que la force soit une vertu cardinale, car les deux sont dans l’irascible.

[12042] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 4 arg. 3 Praeterea, virtus cardinalis dicitur in qua aliae virtutes firmantur. Sed humilitas est firmamentum omnium virtutum: quia, sicut dicit Gregorius, qui ceteras virtutes sine humilitate congregat, quasi pulverem in ventum portat. Ergo videtur quod humilitas praecipue esse debeat cardinalis.

3. On appelle vertu cardinale celle sur laquelle les autres vertus sont appuyées. Or, l’humilité est l’appui de toutes les vertus, car, ainsi que le dit Grégoire, « celui qui rassemble les autres vertus sans l’humilité expose pour ainsi dire de la poussière au vent ». Il semble donc que surtout l’humilité doive être cardinale.

[12043] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 4 arg. 4 Praeterea, poenitentia omnes defectus ad perfectum revocat. Sed aliae virtutes defectus singulares removent. Ergo, cum poenitentia sit quaedam virtus, ut dicit Ambrosius, videtur quod ipsa potissime debeat dici cardinalis.

4. La pénitence ramène toutes les carences à la perfection. Or, les autres vertus enlèvent des carences particulières. Puisque la pénitence est une vertu, comme le dit Ambroise, il semble donc que ce soit elle qui doive plutôt être appelée cardinale.

[12044] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 4 arg. 5 Praeterea, magis est laudabile dare aliquid de proprio quam reddere alienum. Sed liberalitas propria largitur, justitia autem unicuique quod suum est reddit. Ergo liberalitas magis debet esse cardinalis virtus quam justitia.

5. Il est plus louable de donner quelque chose qui nous appartient que de rendre ce qui appartient à un autre. Or, la libéralité distribue ce qui nous est propre, mais la justice rend à chacun ce qui lui appartient. La libéralité doit donc être appelée une vertu cardinale plutôt que la justice.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[12045] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod virtutes quatuor quae hic enumerantur, dicuntur generales, et principales, et cardinales. Quia enim principium cujuslibet rei est potissima pars ejus, etiam plus quam dimidium, ut dicitur in 1 Ethic., ideo illud quod est potissimum in quolibet genere, dicitur principale in genere illo. Et quia habitus pensatur ex actibus, et actus ex objectis sive materia; ideo virtutes principales dicuntur quae sunt circa illud quod est potissimum in materia vel materiis virtutum; sicut potissimum in illis quae ad concupiscibilem pertinent, sunt delectationes secundum tactum; unde temperantia, quae est circa illas delectationes, est virtus principalis; et eutrapelia, quae est circa delectationes quae sunt in ludis, est virtus secundaria: sicut ars ad quam pertinet finis navis, qui est navigatio, scilicet gubernatoria, est principalis respectu illius artis quae facit navem, quia finis est potissimum in unoquoque; et in arte quae facit navem, est principalior illa quae inducit formam quam quae praestat materiam. Et quia ad illud quod est potissimum in qualibet re, ordinantur omnia quae sunt illius rei; ideo virtutes et artes principales movent secundum suum imperium virtutes et artes secundarias ad actus proprios, sicut ars gubernatoria imperat ei quae facit navem; et ex hoc dicitur architectonica respectu ejus, quasi princeps ipsius. Et quia actus moti fundantur super actione moventis, ideo actus secundariae virtutis fundantur super actione principali, sicut fundatur super cardinem motus ostii; et ideo virtus principalis dicitur esse cardinalis, et virtus secundaria dicitur adjuncta illi. Omne autem quod movetur ab aliquo, agit in virtute moventis sicut instrumentum ejus: et ideo etiam motus virtutis cardinalis participatur quodammodo in virtutibus adjunctis: et secundum hoc virtus cardinalis dicitur generalis, inquantum pluribus virtutibus adjuncta; dicitur pars ejus, inquantum modum suum participat.

Les quatre vertus énumérées ici sont appelées générales, principales et cardinales. En effet, parce que le principe de chaque chose est sa partie la plus importante, plus même que la partie médiane, ainsi qu’il est dit dans Éthique, I, ce qui est plus important dans chaque genre est appelé principal dans ce genre. Et parce que les habitus sont évalués à partir des actes, et les actes à partir des objects ou de la matière, on appelle donc vertus principales celles qui portent sur ce qui est le plus important dans la matière ou les matières des vertus. Ainsi, ce sont les plaisirs du toucher qui sont les plus importants dans ce qui se rapporte au concupiscible ; la tempérance, qui porte sur ces plaisirs, est donc la vertu principale, et l’eutrapélie, qui porte sur les plaisirs des jeux, est une vertu secondaire, comme l’art de gouverner, dont relève la fin d’un navire, qui est la navigation, est principal par rapport à l’art qui réalise le navire, puisque la fin est ce qu’il y a de plus important en tout. Et, dans l’art qui réalise le navire, l’art principal est celui qui donne la forme plutôt que celui qui fournit la matière. Et parce que tout ce qui relève d’une chose est ordonné à ce qui est le plus important en chaque chose, les vertus et les arts principaux meuvent par leur commandement les vertus et les arts secondaires vers leurs actes propres, comme l’art de gouverner commande à celui qui réalise le navire. Pour cette raison, on l’appelle architectonique par rapport à celui-ci, comme s’il en était le dirigeant. Et parce que les actes mus se fondent sur l’action de ce qui meut, les actes d’une vertu secondaire se fondent donc sur l’action principale, comme le mouvement d’une porte s’appuie sur le gond. C’est pourquoi la vertu principale est appelée cardinale et on dit que la vertu secondaire lui est associée. Or, tout ce qui est mû par quelque chose agit par la puissance de ce qui meut en tant que son instrument. Aussi, même les vertus associées participent-elles d’une certaine manière au mouvement d’une vertu cardinale. Sous cet aspect, la vertu cardinale est appelée générale, pour autant qu’elle est associée à plusieurs vertus ; celles-ci sont appelées ses parties pour autant qu’elles participent à son mode.

[12046] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod non dicuntur generales per praedicationem, sed per quamdam participationem, ut dictum est; unde eis non assignantur species, sed partes.

1. Elles ne sont pas appelées générales par prédication, mais selon une certaine participation, comme on l’a dit. Aussi ne leur assigne-t-on pas des espèces, mais des parties.

[12047] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ea quae dividunt aliquod commune univocum, sunt simul quantum ad intentionem generis, quamvis unum possit esse causa alterius quantum ad esse, sicut motus localis est causa aliorum motuum contra quos dividitur. Sed ea quae dividunt aliquod commune analogum se habent secundum prius et posterius etiam quantum ad intentionem communis quod dividitur, sicut patet de substantia et accidente. Unde ex hoc quod una virtus condividitur alteri, non oportet quod una non sit altera principalior.

2. Ce en quoi se répartit quelque chose de commun univoque existe simultanément pour ce qui est du genre, bien que l’un puisse être la cause de l’autre du point de vue de l’être, comme le mouvement local est la cause des autres mouvements dont il se distingue. Mais ce en quoi se répartit quelque chose de commun analogue comporte quelque chose d’antérieur et de postérieur, même pour ce qui est de l’intention de la réalité commune qui est divisée, comme cela ressort pour la substance et l’accident. Aussi, du fait qu’une vertu se distingue d’une autre, il n’est pas nécessaire que l’une ne soit pas principale par rapport à une autre.

[12048] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod perfectio peccatorum non est per ordinem ad finem, sed magis per aversionem a fine debito: unde motus peccatorum non assimilantur ostio, per quod intratur in domum: et ideo peccata principalia non assimilantur cardini; unde non dicuntur cardinalia, sed capitalia tantum, ex hoc quod important quosdam actus aliorum.

3. La perfection des péchés ne se prend pas de leur ordre à la fin, mais plutôt de leur détournement (aversionem) par rapport à la fin due. Aussi les mouvements des péchés ne ressemblent-ils pas à une porte par laquelle on entre dans une maison. C’est pourquoi les péchés principaux ne sont pas assimilés à un gond. Ils ne sont donc pas appelés cardinaux, mais seulement capitaux du fait qu’ils comportent les actes d’autres [péchés].

[12049] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis omnes virtutes gratuitae introducant ad regnum caelorum, ex hoc tamen non nanciscuntur nomen cardinis, sed ostii. Illae autem virtutes quibus ad aeternam vitam pervenitur et super eas aliarum virtutum motus fundantur, dicuntur proprie cardinales.

4. Bien que toutes les vertus gratuites introduisent dans le royaume des cieux, elles ne tirent cependanr pas de là le nom de gond, mais de porte. Mais les vertus par lesquelles on parvient à la vie éternelle et sur lesquelles se fondent les mouvements des autres vertus sont appelées cardinales au sens propre.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[12050] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod virtutes cardinales dicuntur, ut dictum est, ad similitudinem cardinis, in quo motus ostii firmatur. De ratione autem ostii est ut per ipsum interiora domus adeantur; et ideo illud per quod non est motus in aliquid ulterius, non habet rationem ostii. Virtutes autem theologicae, cum sint circa finem ultimum, non est aliquid aliud ulterius ex parte objecti in quod tendant; unde in virtutibus theologicis non invenitur ratio ostii, et propter hoc non possunt dici cardinales; similiter nec in virtutibus intellectualibus; quia perficiunt in vita contemplativa, quae non ordinatur ulterius ad alteram vitam, sed activa ad ipsam ordinatur. Unde cum virtutes morales perficiant in vita activa, et habeant actus suos non circa finem ultimum, sed circa objectum, ex utraque parte manet in eis ratio ostii; et propter hoc cardinales virtutes inveniuntur solum in genere moralium.

Comme on l’a dit, on parle de vertus cardinales par ressemblance avec le gond sur lequel s’appuie le mouvement d’une porte. Or, il fait partie de la notion de porte qu’on accède par elle à l’intérieur de la maison. C’est pourquoi ce par quoi il n’y a pas de mouvement vers quelque chose d’autre ne comporte pas la notion de porte. Or, les vertus théologales, puisqu’elles portent sur la fin ultime, ne tendent pas vers quelque chose d’autre du point de vue de leur objet. Aussi ne trouve-t-on pas la notion de porte pour les vertus théologales. Pour cette raison, elles ne peuvent pas être appelées cardinales. Il en va de même pour les vertus intellectuelles, car elles perfectionnent pour la vie contemplative, qui n’est pas ordonnée à une autre vie ; mais la [vie] active lui est ordonnée. Puisque les vertus morales perfectionnent pour la vie active et que leur actes ne portent pas sur la fin ultime, mais sur leur objet, la notion de porte leur revient donc des deux manières. Pour cette raison, les vertus cardinales se trouvent seulement dans le genre des [vertus] morales.

[12051] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod quamvis possint dici principales, non tamen dicuntur cardinales ratione jam dicta.

1. Bien qu’on puisse les appeler principales, elles ne sont cependant pas appelées cardinales pour la raison déjà donnée.

[12052] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod fundamentum, anchora et radix nominant id, in quo aliquid firmatur quantum ad suam quietem: et ideo competunt illa nomina virtutibus quae habent finem pro objecto, in quo est quies. Sed cardo dicit aliquid in quo alterum firmatur quantum ad motum, ut dictum est; et ideo convenit hoc nomen virtutibus quae sunt circa ea quae sunt ad finem, per quae est transitus in finem.

2. Le fondement, l’ancre et la racine désignent ce sur quoi s’appuie quelque chose du point de vue de son repos. C’est pourquoi ces noms conviennent aux vertus qui ont pour objet la fin dans laquelle se trouve le repos. Mais le gond désigne ce sur quoi une autre chose s’appuie pour son mouvement, comme on l’a dit. Aussi ce nom convient-il aux vertus qui portent sur ce qui se rapporte à la fin, par quoi l’on s’achemine vers la fin.

[12053] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium sicut ad primum dicendum est.

3. La réponse au troisième argument est la même que celle donnée au premier [argument].

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[12054] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod non sunt nisi quatuor virtutes cardinales; cujus ratio est, quia cum moralium virtutum materia sint ea quae ad appetitum pertinent, in quibus etiam ratio dirigit, praedicta materia potest dupliciter considerari. Uno modo prout habet rationem consiliabilis et eligibilis, secundum quod ratio circa eam operatur: et sic est prudentia, quae est media inter morales et intellectuales, ut supra dictum est, dist. 23, quaest. 1, art. 3. Alio modo secundum quod habet rationem boni appetibilis. Ad appetitum autem duo pertinent, scilicet actio et passio. Passio autem est in irascibili et concupiscibili. Circa actiones ergo est justitia; circa passiones irascibilis fortitudo; circa passiones concupiscibilis temperantia; et sic sunt quatuor virtutes cardinales.

Il n’existe que quatre vertus cardinales. La raison en est que, puisque la matière des vertus morales porte sur ce qui relève de l’appétit, que dirige aussi la raison, la matière mentionnée ne peut être envisagée que de deux manières. Premièrement, en tant qu’elle est objet de conseil et de choix, selon que la raison agit sur elle : il s’agit ainsi de la prudence, qui est à mi-chemin entre les vertus morales et les vertus intellectuelles, comme on l’a dit plus haut, d. 23, q. 1, a. 3. Deuxièmement, selon qu’elle a le caractère de bien désirable. Or, deux choses relèvent de l’appétit : l’action et la passion. Mais la passion se trouve dans l’irascible et dans le concupiscible. La justice porte donc sur les actions ; la force sur les passions du l’irascible ; la tempérance sur les passions du concupiscible. Il y a ainsi quatre vertus cardinales.

[12055] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod cardo est illud in quo proxime firmatur motus ostii; unde virtutem cardinalem oportet esse circa id quod est principale in singulis materiis, et non solum circa id quod est principale principium, quod ad rationem pertinet.

1. Le gond est ce sur quoi s’appuie de manière rapprochée le mouvement d’une porte. Aussi une vertu cardinale doit-elle porter sur ce qui est principal dans chaque matière, et non seulement sur ce qui est une principe principal, qui relève de la raison.

[12056] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod justitia et prudentia dicuntur generales respectu omnium virtutum; temperantia autem et fortitudo non respectu omnium; sed respectu virtutum tantum quae eis adjunguntur: et haec generalitas sufficit ad cardinalem virtutem, praecedens autem non requiritur. Quamvis justitia, secundum quod est idem quod omnis virtus, non sit virtus cardinalis, ut dictum est. Prudentia autem non est generalis quantum ad essentiam, cum contra alias dividatur, sed quantum ad materiam, quia in omnibus moralibus dirigit.

2. La justice et la prudence sont appelées générales par rapport à toutes les vertus ; mais la tempérance et la force ne le sont pas par rapport à toutes les vertus, mais seulement par rapport à celles qui leur sont associées. Ce caractère général suffit pour une vertu cardinale, mais celui qui précède n’est pas nécessaire. Bien que la justice, selon qu’elle est la même chose que toute vertu, ne soit pas une vertu cardinale, comme on l’a dit. Mais la prudence n’est pas générale par essence, puisqu’elle se distingue des autres, mais par sa matière, car elle dirige dans toutes les vertus morales.

[12057] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ratio quandoque comprehendit duas potentias, scilicet vim cognitivam, in qua est prudentia, et vim affectivam, quae voluntas dicitur, in qua est justitia, ut infra dicetur. Concupiscibilis autem et irascibilis sunt tantum appetitivae; et ideo non est ratio similis.

3. La raison comprend parfois deux puissances : la puissance cognitive, où se trouve la prudence ; et la puissance affective, qu’on appelle la volonté, dans laquelle se trouve la justice, comme on le dira plus loin. Mais le concupiscible et l’irascible font partie de la [partie] appétitive. Le raisonnement n’est donc pas le même.

[12058] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis virtutes opponantur, non tamen oportet quod virtus principalis opponatur vitio principali, quia principalitas virtutis attenditur penes id quod est principale simpliciter, cum idem sit judicium de re absolute, et secundum quod comparatur ad virtuosum, ut philosophus dicit. Sed principalitas vitii est secundum id quod magis est natum movere a rectitudine rationis; et hoc quidem in aliquibus consonat, in aliquibus autem non: unde aliquod vitium capitale opponitur cardinali virtuti, sicut luxuria et gula temperantiae: aliquod autem non opponitur principali, sicut ira mansuetudini.

4. Bien que les vertus soient opposées, il n’est cependant pas nécessaire que la vertu principale s’oppose au vice principal, car le caractère principal de la vertu se prend de ce qui est simplement principal, puisque le jugement portant sur une chose de manière absolue est le même que celui [qui porte sur elle] selon qu’elle se compare à ce qui est vertueux, comme le dit le Philosophe. Mais le caractère principal du vice vient de ce qu’il éloigne par nature de la droiture de la raison, et cela s’accorde pour certaines [vertus], mais non pour d’autres. Un vice capital s’oppose donc à une vertu cardinale, ainsi la luxure et la gourmandise à la tempérance ; mais un autre ne s’oppose pas à une [vertu] principale, comme la colère à la douceur.

[12059] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod irascibilis et concupiscibilis non sunt cognitivae sed appetitivae tantum; et ideo in eis non potest esse duplex virtus cardinalis, sicut in ratione dictum est.

5. L’irascible et le concupiscible ne relèvent pas de la [partie] cognitive, mais de la [partie] appétitive seulement. C’est pourquoi il ne peut y avoir en eux une double vertu cardinale, comme on l’a dit pour la raison.

[12060] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod appetitus dicitur rectus dupliciter. Uno modo in se, secundum quod ea quae in appetitu sunt, ordinata sunt: et hanc rectitudinem facit virtus moralis: et quia prudentia conformat rationem practicam appetitui sic directo; ideo cum moralibus virtutibus in materia communicat, et in eamdem operationem concurrit, propter quod inter morales computatur. Alio modo dicitur appetitus rectus a rectitudine quae est extra ipsum; et hoc est materialiter, inquantum scilicet tendit in aliquid rectum extra se faciendum, cujusmodi est rectitudo quae est in artificiatis; et sic conformat rationem appetitui recto ars mechanica; ideo non computatur inter morales virtutes.

6. On dit que l’appétit est droit de deux manières. Premièrement, en lui-même, selon que ce qui se trouve dans l’appétit est ordonné. La vertu morale réalise cette droiture, et parce que la prudence rend la raison pratique conforme à l’appétit ainsi redressé, puisqu’elle a une matière commune avec les vertus morales et concourt à la même opération, elle est ainsi comptée parmi les vertus morales. Deuxièmement, on parle d’appétit droit pour une droiture qui lui est extrinsèque : c’est là parler matériellement, pour autant qu’il tend vers quelque chose de droit à réaliser hors de lui-même. Ce genre de droiture se rencontre dans les œuvres de l’art. L’art mécanique rend ainsi la raison conforme à l’appétit droit. C’est pourquoi il n’est pas compté parmi les vertus morales.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[12061] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod, sicut ex dictis patet, omnis materia moralis ad quatuor reducitur, quae vel re vel ratione differunt (hoc enim sufficit ad differentiam habituum, ut prius dictum est): scilicet passio concupiscibilis, passio irascibilis, actio: et haec omnia secundum quod subjiciuntur rationi, sic omnia induunt rationem unius objecti vel materiae. Inter passiones autem concupiscibilis praecipuae sunt delectationes secundum tactum, ut ex supra dictis in 26 dist., quaest. 1, art. 4, patet, circa quas est temperantia: et ideo in hac materia ipsa est cardinalis virtus. In passionibus autem irascibilis praecipuae sunt illae quae sunt ex difficili, quod natum est mortem incutere: et ideo fortitudo, quae est circa hujusmodi passiones, est in hac materia cardinalis virtus. In actionibus autem quae sunt circa res quae in usum vitae veniunt, quibus ad invicem communicamus, praecipue sunt illae actiones quibus hujusmodi res distinguuntur, quia praedicta distinctio est communicationis principium; et ideo justitia, quae tribuit unicuique quod suum est, est cardinalis virtus in hac materia. Inter ea autem quae ratio circa moralia operatur, praecipuum est electio ad quam consilium et omnia hujusmodi ordinantur: et ideo prudentia quae electionem rectam, facit, est cardinalis in ista materia.

Comme cela ressort de ce qui a été dit, toute la matière morale se ramène à quatre choses, qui diffèrent soit réellement, soit selon la raison (en effet, cela suffit pour la différenciation des habitus, comme on l’a dit plus haut) : la passion du concupiscible, la passion de l’irascible, l’action. Tout cela, en tant que soumis à la raison, revêt le caractère d’un seul objet ou matière. Or, parmi les passions du concupiscible, les principales sont celles du toucher, comme cela ressort de ce qui a été dit plus haut, d. 26, q. 1, a. 4 : sur elles porte la tempérance. C’est pourquoi, en cette matière, elle est la vertu cardinale. Parmi les passions de l’irascible, les principales sont celles qui portent sur ce qui est difficile et qui est susceptible d’entraîner la mort. C’est pourquoi la force, qui porte sur ces passions, est la vertu cardinale en cette matière. Parmi les actions, qui portent sur les choses qui sont utilisées pur vivre et que nous avons en commun, les principales sont celles par lesquelles ces choses sont distinguées, car la distinction mentionnée est le principe du partage. C’est pourquoi la justice, qui attribue à chacun ce qui lui revient, est la vertu cardinale en cette matière. Mais parmi les choses que la raison fait en matière morale, c’est le choix qui est principal, auquel le conseil et toutes les choses de ce genre sont ordonnés. C’est pourquoi la prudence, qui rend le choix droit, est la vertu cardinale en cette matière.

[12062] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non idem requiritur ad hoc quod aliqua passio sit principalis et ad hoc quod sit materia principalis virtutis, et ad hoc quod denominet potentiam. Quia enim denominatio fit ex completo et ultimo et manifestiori: ideo potentia irascibilis denominatur a passione irae, quae est ultima aliarum passionum quae sunt in irascibili, et composita passio, sicut supra dictum est. Sed ad hoc quod sit principalis passio, requiritur quod afficiatur appetitus secundum conditionem appetibilis moventis, ut scilicet bonum prosequatur, et malum fugiat; et ita in irascibili timor et spes sunt principales passiones. Sed ad hoc quod sit materia principalis virtutis, requiritur quod sit passio excedens per modum intensionis alias passiones existentes in illa vi, sicut circa maximas delectationes concupiscibilis est temperantia. Magis autem intensam passionem facere natum est malum corruptivum imminens, sicut sunt mortis pericula, quam bonum expectatum, vel quam vindicta desiderata de malo illato: et ideo circa audacias et timores, quae sunt circa hujusmodi pericula, est principalis virtus, non autem circa spem vel circa iram.

1. La même chose n’est pas nécessaire pour qu’une passion soit principale, pour qu’elle soit la matière d’une vertu principale et pour qu’elle donne son nom à une puissance. En effet, le nom vient de ce qui est achevé, ultime et plus manifeste. C’est pourquoi la puissance de l’irascible tire son nom de la passion de la colère, qui est l’ultime passion parmi toutes celles qui se trouvent dans l’irascible, et une passion composée, comme on l’a dit plus haut. Mais pour qu’elle soit une passion principale, il est nécessaire que l’appétit soit affecté selon la condition de l’objet désiré qui meut, à savoir qu’il recherche le bien et fuit le mal. La crainte et l’espoir sont ainsi les passions principales de l’irascible. Mais pour qu’existe la matière d’une vertu principale, il est nécessaire qu’existe une passion qui dépasse en intensité les autres passions qui se trouvent dans cette puissance ; ainsi, pour les plus grands plaisirs du concupiscible, existe la tempérance. Mais un mal capable de corrompre de manière imminente est susceptible de rendre plus intense une passion plutôt qu’un bien attendu, comme c’est le cas des dangers de mort ou du désir de vengeance pour un mal causé. C’est pourquoi, pour les audaces et les craintes qui portent sur ce genre de dangers, il existe une vertu principale, mais non pour l’espoir ou pour la colère.

[12063] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illud circa quod est principalis virtus, non solum debet esse principalius secundum intensionem, sed etiam secundum dependentiam, ut scilicet illud principale non dependeat ab aliis, sed alia quodammodo ordinentur ad ipsum; sicut delectationes tactus non dependent ab aliis delectationibus, sed magis aliae ordinantur ad ipsas: alias enim non salvaretur ratio cardinalis virtutis. Magnum autem quod attendit magnanimitas, dependet ex aliis virtutibus, quia operatur magnum in actibus aliarum virtutum, et ideo praesupponit alias virtutes, ut philosophus dicit in 4 Ethic.: et propter hoc magnanimitas non potest esse cardinalis virtus.

2. Ce sur quoi porte une vertu principale doit non seulement être ce qu’il y a de principal selon l’intensité, mais aussi selon la dépendance, à savoir que ce principal ne dépende pas d’autres choses, mais que, d’une certaine manière, ces autres choses soient ordonnées lui, comme les plaisirs du toucher ne dépendent pas des autres plaisirs, mais les autres y sont plutôt ordonnés ; autrement, le caractère de vertu cardinale ne serait pas sauvegardé. Or, la grandeur sur laquelle porte la magnanimité dépend d’autres vertus, car ce qu’il y a de grand est fait par les actes d’autres vertus. C’est pourquoi elle présuppose les autres vertus, comme le Philosophe le dit dans Éthique, IV. Pour cette raison, la magnanimité ne peut être une vertu cardinale.

[12064] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod humilitas dicitur conservatio et fundamentum aliarum virtutum in esse suo, inquantum removet prohibens, scilicet superbiam, quae bonis operibus insidiatur ut pareant, sicut dicit Augustinus, non autem propter principalitatem materiae, ad quam aliarum virtutum materiae reducuntur, ut sic aliarum virtutum motus in humilitate firmentur, quod facit cardinalem virtutem. Humilitas autem habet idem pro materia quod magnanimitas, quamvis sub diversis rationibus: quia humilitas rationem parvi ex consideratione propriae fragilitatis; sed magnanimitas rationem magni ex consideratione divini auxilii, vel divini doni, vel gratuiti vel naturalis, sicut est rationis bonum.

3. On dit que l’humilité est la sauvegarde et le fondement des autres vertus pour leur existence, dans la mesure où elle écarte un obstacle : l’orgueil, qui s’insinue dans les actions bonnes pour les mettre en évidence, comme le dit Augustin, non pas en raison du caractère principal de la matière, à laquelle les matières des autres vertus sont ramenées, de sorte que les mouvement des autres vertus soient affermis par l’humilité, ce que fait une vertu cardinale. Or, l’humilité a la même chose comme matière que la magnanimité, bien que sous des raisons différentes, car l’humilité a le caractère de ce qui est petit en considération de sa propre fragilité, mais la magnanimité a la raison de ce qui est grand en considération de l’aide divine ou d’un don divin, gratuit ou naturel, comme l’est le bien de la raison.

[12065] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod dato quod poenitentia sit virtus, non erit cardinalis virtus, eo quod praesupponit aliarum virtutum materias, sicut et magnanimitas. Poenitentia enim est dolor de peccatis. Peccatorum autem et virtutum eadem est materia.

4. En supposant que la pénitence soit une vertu, elle ne sera pas une vertu cardinale du fait qu’elle présuppose les matières d’autres vertus, comme c’est aussi le cas de la magnanimité. En effet, la pénitence est une douleur à propos des péchés. Or, la matière des péchés et des vertus est la même.

[12066] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod liberalitas etiam praesupponit justitiam: quia nullus posset aliquid de proprio dare, nisi aliquid suum haberet; et hoc facit justitia; unde actus liberalitatis actum justitiae praesupponit; et ideo non est cardinalis virtus, sed justitiae annexa.

5. La libéralité présuppose aussi la justice, car personne ne pourrait donner de ce qui lui appartient s’il ne possédait pas quelque chose qui est sien : c’est ce que fait la justice. Aussi l’acte de la libéralité présuppose-t-il l’acte de la justice. C’est pourquoi elle n’est pas une vertu cardinale, mais une [vertu] associée à justice.

 

 

Articulus 2 [12067] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 tit. Utrum prudentia habeat aliquam materiam specialem

Article 2 – La prudence a-t-elle une matière spéciale ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La prudence a-t-elle une matière spéciale ?]

[12068] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod prudentia non habeat aliquam materiam specialem. Quia quidam philosophus dicit, quod sub prudentia comprehenduntur physica, dialectica, rhetorica. Sed nihil est in mundo quod ad aliquid istorum quatuor non reducatur: quia physica est de his quae sunt a natura, dialectica autem est de operibus rationis, politica de civilibus operibus. Ergo prudentia non habet aliquam materiam determinatam.

1. Il semble que la prudence n’ait pas de matière spéciale, car un philosophe dit que « la physique, la dialectique et la rhétorique font partie de la prudence ». Or, rien n’existe dans le monde, qui ne se ramène à ces quatre choses, car la physique porte sur ce qui est naturel, la dialectique sur les opérations de la raison et la politique sur les opérations civiles. La prudence n’a donc pas de matière déterminée.

[12069] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, secundum philosophum in 6 Ethic., prudens est totaliter consiliativus. Sed consilium est etiam in his quae ab artibus mechanicis fiunt. Ergo circa omnia illa est prudentia.

2. Selon le Philosophe, dans Éthique, VI, le prudent prend pleinement conseil. Or, le conseil fait aussi partie de ce qui se fait dans les arts mécaniques. La prudence porte donc sur tout cela.

[12070] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, dicit philosophus in 6 Ethic., quod prudentia est recta ratio agibilium. Sed agibilia sunt omnia quae ad alias virtutes pertinent. Ergo non habet materiam distinctam ab aliis virtutibus.

3. Le Philosophe dit dans Éthique, VI, que la prudence est la droite raison dans les actions à poser. Or, les actions à poser sont tout ce qui se rapporte aux autres vertus. [La prudence] n’a donc pas de matière distincte des autres vertus.

[12071] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, omnis virtus in cujus definitione ponitur materia, habet specialem et determinatam materiam. Sed materia aliqua ponitur in definitione prudentiae: quia est recta ratio agibilium. Ergo habet materiam determinatam.

Cependant, [1] toute vertu dont la définition comporte une matière a une matière spéciale et déterminée. Or, une certaine matière est mise dans la définition de la prudence, car elle est la raison droite des actions à poser. Elle possède donc une matière déterminée.

[12072] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, est virtus specialis. Ergo habet objectum speciale.

[2] [La prudence] est une vertu spéciale. Elle a donc un objet spécial.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Les passions sont-elles la matière de la tempérance et de la force ?]

[12073] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod passiones non sint materia temperantiae et fortitudinis. Materia enim salvatur in omnibus quae ex materia vel circa materiam fiunt. Sed praedictae virtutes sunt quietantes a passionibus. Ergo passiones non sunt materia earum.

1. Il semble que les passions ne soient pas la matière de la tempérance et de la force. En effet, la matière est sauvegardée dans tout ce qui est fait à partir ou à propos de la matière. Or, les vertus mentionnées apaisent les passions. Les passions ne sont donc pas leur matière.

[12074] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, illud penes quod distinguuntur virtutes, debet assignari materia virtutum: quia habitus per objecta distinguuntur. Sed virtutes praedictae et eis annexae distinguuntur penes res exteriores: quia quaedam sunt circa pericula mortis, quaedam circa delectabilia venerea, quaedam circa honores, et sic de aliis. Ergo res exteriores, et non passiones, sunt earum materia.

2. Ce par quoi les vertus se distinguent doit être assigné comme la matière des vertus, car les habitus se distinguent par les objets. Or, les vertus mentionnées et celles qui leur sont associées se distinguent selon des réalités extérieures, car certaines portent sur les dangers de mort, certaines sur les plaisirs sexuels, certaines sur les honneurs, et ainsi de suite pour les autres. Des réalités extérieures, et non les passions, sont donc leur matière.

[12075] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, illud quod est commune omni virtuti, non debet assignari materia alicui speciali virtuti. Sed delectatio invenitur in omnibus specialibus virtutibus: quia oportet accipere signum generati habitus fientem in opere delectationem. Ergo delectatio et aliae passiones non sunt materia alicujus determinatae virtutis.

3. Ce qui est commun à toute vertu ne doit pas être assigné comme matière à une vertu spéciale. Or, le plaisir se trouve dans toutes les vertus spéciales, car « on doit retenir comme signe d’un habitus engendré le plaisir à poser une action ». Donc, le plaisir et les autres passions ne sont pas la matière d’une vertu déterminée.

[12076] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, philosophus dicit in 3 Ethic., quod fortitudo est circa timores et audacias, temperantia autem circa concupiscentias. Hae autem passiones nominant. Ergo videtur quod materia harum virtutum sint passiones.

Cependant, [1] le Philosophe dit, dans Éthique, III, que la force porte sur les craintes et les audaces, mais la tempérance sur les convoitises. Or, ce sont là des noms de passions. Il semble donc que la matière de ces vertus soit les passions.

[12077] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, illud est materia rei circa quod ponitur forma ipsius. Sed forma praedictarum virtutum est medium. Ergo cum medium ponatur in passionibus, videtur quod passiones sint materia praedictarum virtutum.

[2] La matière d’une chose est ce sur quoi sa forme est placée. Or, la forme des vertus mentionnées est le milieu. Puisque le milieu est placé sur les passions, il semble donc que les passions soient la matière des vertus mentionnées.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La justice porte-t-elle sur des opérations ?]

[12078] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod justitia non sit circa operationes. Non enim potest esse idem materia, et actus circa materiam. Sed actus justitiae est quaedam operatio. Ergo operationes non possunt esse materia justitiae.

1. Il semble que la justice ne porte pas sur des opérations. En effet, la matière et les actes portant sur la matière ne peuvent pas être la même chose. Or, l’acte de la justice est une certaine opération. Les opérations ne peuvent donc pas être la matière de la justice.

[12079] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, operationes etiam exteriores ex interioribus passionibus oriuntur. Sed justitia non dicitur esse circa passiones, sed magis aliae virtutes. Ergo non est circa operationes.

2. Même les opérations extérieures naissent des passions intérieures. Or, on ne dit pas que la justice porte sur les passions, mais c’est plutôt le cas des autres vertus. [La justice] ne porte donc pas sur les opérations.

[12080] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, virtus quae circuit omnes virtutes, non habet aliquam specialem materiam. Sed justitia est hujusmodi, ut dicitur in Glossa Genes. 1, etiam specialis: quia inter commutationes, circa quas est commutativa justitia, quae est species specialis justitiae, ponit philosophus in 5 Ethic., moechiam, quae est circa materiam temperantiae, et occisionem dolo, quae est circa materiam mansuetudinis. Ergo videtur quod justitiae non sit attribuenda aliqua specialis materia.

3. La vertu qui entoure toutes les vertus n’a pas de matière spéciale. Or, la justice est de ce genre, comme il est dit dans la Glose à propos de Gn 1, même la justice spéciale, car, parmi les échanges sur lesquels porte la justice commutative, qui est une espèce de la justice spéciale, dans Éthique, V, le Philosophe met l’adultère, qui porte sur la matière de la tempérance, et le fait de tuer par ruse, qui porte sur la matière de la douceur. Il semble donc qu’il ne faille pas attribuer une matière spéciale à la justice.

[12081] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, est quod dicit philosophus in principio 5 Ethic. quod justitia est circa operationes.

Cependant, [1] le Philosophe dit, au début d’Éthique, V, que la justice porte sur les opérations.

[12082] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, ipsa est circa aliquid circa quod non est aliqua alia virtus, scilicet circa lucrum pecuniarum. Ergo habet aliquam specialem materiam.

[2] [La justice] porte sur quelque chose qui n’est l’objet d’aucune autre vertu : le gain d’argent. Elle a donc une matière spéciale.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[12083] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod prudentia circa illa est de quibus est consilium, eo quod ad prudentem pertinet bene se habere circa consilia, consiliando, judicando, et praecipiendo. Consilium autem est de contingentibus operabilibus a nobis; unde etiam circa hoc oportet prudentiam esse. Et quia prudens dicitur bene consiliativus simpliciter, oportet quod consilietur de his quae sunt ordinata ad bonum hominis simpliciter. Hoc autem consistit in animae perfectione, cujus ultima perfectio est debita operatio potentiarum animae; et ideo de his in quibus bonum operantis consistit, est prudentia; et haec agibilia dicuntur. Ea enim quae transeunt in exteriorem materiam ad perficiendum eam, dicuntur factiones magis quam actiones, et circa eas est ars mechanica praedicta. Ergo agibilia, secundum quod sunt consiliabilia, sunt propria materia prudentiae.

La prudence porte sur ce qui est objet de conseil, du fait qu’il revient à celui qui est prudent d’avoir un bon comportement vis-à-vis des conseils, en exerçant lorsqu’il conseille, juge et commande. Or, le conseil porte sur les actions contingentes à poser par nous ; aussi est-il nécessaire que la prudence porte là-dessus. Et parce qu’on appelle prudent celui qui exerce simplement un bon conseil, il est nécessaire qu’il exerce son conseil sur ce qui est simplement ordonné au bien de l’homme. Or, cela consiste dans la perfection de l’âme, dont la perfection ultime est l’opération appropriée des puissances de l’âme. C’est pourquoi la prudence porte sur ce en quoi consiste le bien de celui qui agit : cela s’appelle les actions à accomplir. En effet, ce qui passe dans une matière extérieure pour la perfectionner est appelé un ouvrage (factiones) plutôt qu’une action (actiones) : l’art mécanique dont il a été question porte sur celles-là. Les actions à poser, selon qu’elles sont objets de conseil, sont donc la matière propre de la prudence.

[12084] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod physica et dialectica non continentur sub prudentia quantum ad ea de quibus sunt, sed quantum ad usum et exercitium earum.

1. La physique et la dialectique ne font pas partie de la prudence pour ce qui est de leur objet, mais pour ce qui est de leur usage et de leur exercice.

[12085] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod operationes artis mechanicae ordinantur ad perfectionem exterioris materiae, et non ad perfectionem operantis, nisi per accidens, inquantum scilicet utitur eis quae facit: sed hoc accidit arti; et ideo bene consiliari de his, non est bene consiliari simpliciter, sed ad finem aliquem; et propter hoc secundum hoc non dicitur aliquis prudens simpliciter, sed prudens in hoc.

2. Les opérations de l’art mécanique sont ordonnées à la perfection d’une matière extérieure, et non à la perfection de celui qui agit, si ce n’est par accident, dans la mesure où il fait usage de ce qu’il réalise ; mais cela relève de l’art. C’est pourquoi avoir un bon conseil à ce sujet n’est pas avoir un bon conseil tout simplement, mais en vue d’une certaine fin. Pour cette raison, on ne dit pas à ce propos que quelqu’un est simplement prudent, mais prudent pour telle chose.

[12086] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut idem secundum rem est objectum intellectus inquantum est verum, et voluntatis inquantum est bonum; ita etiam idem secundum rem diversa ratione potest esse materia prudentiae, et aliarum moralium virtutum; prudentiae quidem inquantum est consiliabile, aliarum autem virtutum inquantum est agibile.

3. De même que l’objet de l’intellect : le vrai, et l’objet de la volonté : le bien, sont en réalité la même chose, de même aussi la matière de la prudence et celle des autres vertus, qui est en réalité la même, peut-elle être différente selon la raison : elle est celle de la prudence en tant qu’objet de conseil, et celle des autres vertus en tant qu’action à poser.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[12087] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod sicut dictum est, materia prudentiae est bonum operabile a nobis, pertinens ad perfectionem animae. Operatio autem animae recta, in qua perfectio ejus consistit quantum ad vitam activam pertinet, in duobus consistit, scilicet in moderatione passionum animae, et in usu debito exteriorum rerum. Quia ergo oportet virtutes morales haberi ad exequendum illud quod prudentia decrevit, oportet quod sint aliquae virtutes circa utrumque praedictorum. Circa passiones ergo moderandas est temperantia et fortitudo, et alia hujusmodi; unde propria materia temperantiae sunt passiones circa delectabilia tactus; fortitudinis autem timores et audaciae in maximis terribilibus.

Comme on l’a dit, la matière de la prudence est le bien que nous devons faire et qui se rapporte à la perfection de l’âme. Or, la droite opération de l’âme, en laquelle sa perfection consiste pour ce qui se rapporte à la vie active, consiste en deux choses : la modération des passions de l’âme et l’usage approprié des choses extérieures. Parce qu’il faut avoir les vertus morales pour mettre en œuvre ce que la prudence a décidé, il est donc nécessaire qu’il existe des vertus pour les deux choses mentionnées. Pour modérer les passions, il y a donc la tempérance et la force, et les autres de ce genre. Aussi les passions portant sur les plaisirs du toucher sont-elles la matière propre de la tempérance ; mais les craintes et les audaces dans les situations les plus terribles sont celle de la force.

[12088] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod virtutes non omnino extinguunt passiones, sed moderant eas; unde philosophus dicit in 2 Ethic., quod quidam determinant virtutes impassibilitates et quietes; non bene autem.

1. Les vertus n’éteignent pas complètement les passions, mais les modèrent. Aussi le Philosophe dit-il dans Éthique, II, que « certains disent que les vertus sont impassibilité et repos, mais ils ne parlent pas correctement ».

[12089] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod virtutes istae non distinguuntur ex rebus exterioribus, nisi quatenus circa eas contingit animam diversimode passionibus affici; unde passiones sunt proxima materia, res autem exteriores sunt materia remota, inquantum sunt objecta ipsarum passionum.

2. Ces vertus ne se distinguent pas à partir de choses extérieures, sauf dans la mesure où il arrive que l’âme soit affectée de diverses manières à leur endroit. Aussi les passions sont-elles la matière prochaine, mais les choses extérieures la matière éloignée, dans la mesure où elles sont objets des passions elles-mêmes.

[12090] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod aliae virtutes non sunt circa delectationes sicut circa materiam; sed magis delectatio est consequens actum virtutis.

3. Les autres vertus ne portent pas sur les plaisirs comme sur leur matière, mais le plaisir découle plutôt de l’acte de la vertu.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[12091] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod non solum oportet hominem moderari circa passiones interiores, sed etiam circa actiones exteriores. Sed moderatio in eis potest esse duplex. Uno modo per ordinem ad agentem; et sic eadem est ratio moderandi actiones exteriores, et interiores passiones; unde hoc pertinet ad alias virtutes quae sunt circa passiones. Alio modo per ordinem ad alium cum quo est convivendum; et sic habet specialem rationem moderationis, et ideo requiritur specialis virtus; unde ad hoc est justitia, et illa quae ad justitiam reducuntur. Propria ergo materia justitiae sunt operationes exteriores secundum quod ordinantur ad alterum; res autem exteriores, ut pecunia, vel aliquid hujusmodi, sunt materia justitiae inquantum in usum veniunt; et ideo sunt materia remota.

Il ne faut pas seulement que l’homme soit modéré pour les passions intérieures, mais aussi pour les actions extérieures. Or, la modération en celles-ci peut être double. Premièrement, par rapport à l’agent : ainsi, la raison de modérer les actions extérieures est la même que celle [de modérer] les passions intérieures. Aussi cela relève-t-il d’autres vertus qui portent sur les passions. Deuxièmement, par rapport à un autre avec qui on doit vivre : il existe ainsi une raison spéciale d’exercer la modération. C’est pourquoi une vertu spéciale est nécessaire. Aussi la justice porte-t-elle là-dessus et sur ce qui se ramène à la justice. Les opérations extérieures, selon qu’elles sont ordonnées à un autre, sont donc la matière propre de la justice ; mais les choses extérieures, comme l’argent ou quelque chose de ce genre, sont la matière de la justice pour autant qu’on en use. C’est pourquoi elles sont la matière éloignée.

[12092] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod actus virtutum primi et principales sunt actus interiores. Unde si ponimus exteriores operationes materiam justitiae, non erit idem actus et materia.

1. Les actes premiers et principaux des vertus sont les actes intérieurs. Si nous faisons des opérations extérieures la matière de la justice, l’acte et la matière ne seront donc pas la même chose.

[12093] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum patet solutio per id quod dictum est.

2. La solution ressort clairement de ce qui a été dit.

[12094] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod, sicut ex dictis patet, duplex est materia virtutum; scilicet remota, ut res exteriores, quae veniunt in usum vitae; et proxima, ut passiones, et operationes. Justitia igitur, secundum quod specialis est virtus, ordinat materiam omnium aliarum virtutum remotam: quia illae eaedem res quae sunt natae inferre passiones violentas, possunt assumi ut materia operationis ad alterum; tamen quaedam assumuntur ut materia operationis ad alterum, quae non multum nata sunt inferre passionem, sicut pecuniae, et hujusmodi. Et ideo quidquid est materia exterior aliarum virtutum, potest esse materia exterior justitiae, sed non convertitur. Quantum autem ad materiam proximam justitia specialis non circuit materiam aliarum virtutum, quia ad ipsam non spectat qualiter homo irascatur, dummodo non percutiat.

3. Comme cela ressort de ce qui a été dit, il existe une double matière des vertus : la matière éloignée, comme les choses extérieures dont on fait usage pour vivre ; et la [matière] prochaine, comme les passions et les opérations. Selon qu’elle est une vertu spéciale, la justice ordonne donc la matière éloignée de toutes les autres vertus, car ces mêmes choses, qui sont naturellement susceptibles de provoquer des passions violentes, peuvent être considérées comme matière d’une opération envers quelqu’un d’autre. Cependant, certaines choses sont considérées comme matière d’une opération envers quelqu’un d’autre, qui ne sont pas naturellement très susceptibles de provoquer une passion, tels l’argent et les choses de ce genre. C’est pourquoi tout ce qui est la matière extérieure des autres vertus peut être la matière extérieure de la justice, mais non l’inverse. Mais pour ce qui est de la matière rapprochée, la justice spéciale n’englobe pas la matière des autres vertus, car la manière dont un homme se met en colère ne la regarde pas, pourvu qu’il ne frappe pas.

 

 

Articulus 3 [12095] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 3 tit. Utrum prudentia habeat actum virtutis distinctum ab aliis

Article 3 – La prudence comporte-t-elle un acte de vertu distinct des autres ?

[12096] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod prudentia non habeat actum distinctum ab aliis virtutibus. Quia, ut philosophus dicit 6 Ethic., prudentia praeceptiva est. Sed praecipere de operandis idem videtur quod electio, quae est actus virtutis moralis, ut dicit philosophus in 6 Ethic. Ergo prudentia non habet distinctum actum ab aliis virtutibus.

1. Il semble que la prudence n’ait pas un acte distinct des autres vertus, car, ainsi que le dit le Philosophe dans Éthique, VI, la prudence commande. Or, commander à propos de ce qui doit être accompli semble être la même chose que le choix, qui est un acte de vertu morale, comme le dit le Philosophe dans Éthique, VI. La prudence n’a donc pas un acte distinct des autres vertus morales.

[12097] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 3 arg. 2 Praeterea, medium invenitur secundum rationem rectam, quae pertinet ad prudentiam. Sed attingere medium in qualibet materia est actus virtutis quae est circa materiam illam. Ergo actus prudentiae non distinguitur ab actu aliarum virtutum.

2. Le milieu se trouve selon la raison droite, qui relève de la prudence. Or, atteindre le milieu en toute matière est un acte de la vertu qui porte sur cette matière. L’acte de la prudence n’est donc pas distinct de l’acte des autres vertus.

[12098] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 3 arg. 3 Praeterea, ejusdem est operari circa finem et circa ea quae sunt ad finem. Sed aliae virtutes faciunt rectam electionem de propriis finibus. Ergo etiam dirigunt in hujusmodi quae sunt ad finem. Sed hoc pertinet ad prudentiam, ut dicitur in 6 Ethic. Ergo prudentia non habet actum distinctum ab aliis virtutibus.

3. Il revient au même d’agir sur une fin et sur ce qui se rapporte à cette fin. Or, les autres vertus rendent le choix droit pour leurs propres fins. Elles dirigent donc aussi pour ce qui se rapporte à la fin. Or, cela relève de la prudence, comme il est dit dans Éthique, VI. La prudence n’a donc pas un acte distinct des autres vertus.

[12099] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 3 arg. 4 Praeterea, secundum philosophum in 6 Ethic., finis proximus virtutis est bona operatio. Sed prudentia dirigit ad bonam operationem. Ergo dirigit ad finem virtutis. Sed hoc pertinet ad alias virtutes, ut dicit philosophus. Ergo actus prudentiae non distinguitur ab actibus aliarum virtutum.

4. Selon le Philosophe dans Éthique, VI, la fin prochaine d’une vertu est l’action bonne. Or, la prudence dirige en vue de l’action bonne. Elle dirige donc pour la fin de la vertu. Or, cela relève des autres vertus, comme le dit le Philosophe. L’acte de la prudence ne se distingue donc pas des actes des autres vertus.

[12100] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 3 arg. 5 Item, videtur quod inconvenienter ponantur in littera actus virtutum. Quia subvenire miseris est actus misericordiae; praecavere autem insidias pertinet ad cautionem, quam quidam ponunt prudentiae partem.

5. Il semble que les actes des vertus soient présentés de manière inappropriée dans le texte, car aider les miséreux est un acte de miséricorde, mais éviter les embûches relève de la prévoyance, dont certains font une partie de la prudence.

[12101] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 3 arg. 6 Item, perferre molestias non videtur actus fortitudinis esse: tum quia aggredi difficilia videtur esse virtuosius, et ita magis ad fortitudinem pertinere: tum quia perferre non videtur dicere actum, sed magis immobilitationem: tum quia perferre molestias videtur esse etiam aliarum virtutum actus, ut patientiae et caritatis, quae omnia sustinet, et mansuetudinis: tum etiam quia non circa quaslibet molestias est fortitudo, ut philosophus probat in 3 Ethic.

6. Supporter des désagréments ne semble pas être un acte de la force, tant parce qu’entreprendre des choses difficiles semble être plus vertueux, et ainsi relever plutôt de la force, que parce supporter ne semble pas exprimer un acte, mais plutôt une immobilisation, et que parce que supporter des désagréments semble être l’acte d’autres vertus, comme la patience et la charité, qui supporte tout [1 Co 13, 7], et de la douceur ; et aussi parce que la force ne porte pas sur n’importe quels désagréments, comme le montre le Philosophe dans Éthique, III.

[12102] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod ad perfectionem virtutis moralis tria sunt necessaria. Primum est praestitutio finis; secundum autem est inclinatio ad finem praestitutum; tertium est electio eorum quae sunt ad finem. Finis autem proximus humanae vitae est bonum rationis in communi; unde dicit Dionysius, quod malum hominis est contra rationem esse: et ideo est intentum in omnibus virtutibus moralibus, ut passiones et operationes ad rectitudinem rationis reducantur. Rectitudo autem rationis naturalis est; unde hoc modo praestitutio finis ad naturalem rationem pertinet, et praecedit prudentiam, sicut intellectus principiorum scientiam; et ideo dicit philosophus, 6 Ethic., quod prudentia habet principia fines virtutum. Sed hoc bonum rationis determinatur secundum quod constituitur medium in actionibus et passionibus per debitam commensurationem circumstantiarum, quod facit prudentia. Unde medium virtutis moralis, ut in 2 Ethic. dicitur, est secundum rationem rectam, quae est prudentia; et sic quodammodo prudentia praestituit finem virtutibus moralibus, et ejus actus in earum actibus immiscetur; sed inclinatio in finem illum pertinet ad virtutem moralem quae consentit in bonum rationis per modum naturae: et haec inclinatio in finem dicitur electio, inquantum finis proximus ad finem ultimum ordinatur. Et ideo dicit philosophus, 2 Ethic., quod virtus moralis facit electionem rectam. Sed discretio eorum quibus hoc bonum rationis consequi possumus et in operationibus et in passionibus, est actus prudentiae: unde praestitutio finis praecedit actum prudentiae et virtutis moralis; sed inclinatio in finem, sive recta electio finis proximi, est actus moralis virtutis principaliter, sed prudentiae originaliter. Unde philosophus dicit, quod rectitudo electionis est in aliis virtutibus a prudentia, sicut rectitudo in intentione naturae est ex sapientia divina ordinante naturam: et secundum hoc actus etiam prudentiae immixtus est actibus aliarum virtutum. Sicut enim inclinatio naturalis est a ratione naturali, ita inclinatio virtutis moralis a prudentia; electio autem eorum quae sunt ad finem, secundum quod electio importat praeceptum rationis de his prosequendis. Sed actus prudentiae sibi proprius est, et distinctus ab actibus aliarum virtutum.

Réponse. Trois choses sont nécessaires pour la perfection de la vertu morale : premièrement, la détermination de la fin ; deuxièmement, l’inclination vers la fin déterminée ; troisièmement, le choix de ce qui se rapporte à cette fin. Or, la fin prochaine de la vie humaine est le bien de la raison d’une manière générale. Aussi Denys dit-il que le mal pour l’homme consiste à être contre la raison. C’est pourquoi l’intention de toutes les vertus morales est de ramener les passions et les opérations à la droiture de la raison. Or, la droiture relève de la raison naturelle. C’est donc ainsi que la détermination de la fin relève de la raison naturelle et précède la prudence, comme l’intelligence des principes [précède] la science. C’est pourquoi le Philosophe dit dans Éthique,VI, que la prudence a comme principes les fins des vertus. Mais ce bien de la raison est déterminé par le milieu établi dans la actions et les passions selon l’évaluation appropriée des circonstances, ce que fait la prudence. Le milieu de la vertu morale, comme on le dit dans Éthique, II, est donc conforme à la raison droite, qui est la prudence. Et ainsi, la prudence a-t-elle d’une certaine manière déterminé la fin pour les vertus morales, et son acte est-il mêlé à leurs actes, mais l’inclination vers cette fin relève de la vertu morale qui consent au bien de la raison par mode de nature. Cette inclination vers la fin s’appelle le choix, pour autant qu’une fin prochaine est ordonnée à la fin ultime. C’est pourquoi le Philosophe dit dans Éthiques, II, que la vertu morale rend le choix droit. Mais le discernement de ce par quoi nous pouvons obtenir ce bien de la raison dans les opérations comme dans les passions est un acte de la prudence. Aussi la détermination de la fin précède-t-elle l’acte de la prudence et de la vertu morale ; mais l’inclination vers la fin, ou le choix correct de la fin prochaine, est-il principalement un acte de la vertu morale, mais un acte de la prudence par son origine. Aussi le Philosophe dit-il que, dans les autres vertus, la droiture du choix vient de la prudence, comme la droiture de l’intention de la nature vient de la sagesse divine qui ordonne la nature. L’acte de la prudence est donc ainsi mêlé aux actes des autres vertus. En effet, de même que l’inclination de la vertu morale vient de la raison naturelle, de même l’inclination de la vertu morale vient-elle de la prudence ; mais le choix de ce qui est ordonné à la fin [vient] de ce que le choix comporte un commandement de la raison de le poursuivre. Mais l’acte de la prudence lui est propre et il est distinct des actes des autres vertus.

[12103] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod electio finis proximi pertinet ad virtutem moralem quantum ad hoc quod electio ad appetitum pertinet; sed electio eorum quae ad illum finem ordinantur, pertinet ad prudentiam quantum ad id quod cognitionis est: electio enim aliquid habet de cognitione, et aliquid de appetitu.

1. Le choix de la fin prochaine relève de la vertu morale dans la mesure où le choix relève de l’appétit ; mais le choix de ce qui est ordonné à cette fin relève de la prudence pour ce qui relève de la connaissance. En effet, le choix comporte une part de  connaissance et une part d’appétit.

[12104] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod eligere medium, est actus uniuscujusque virtutis in propria materia; sed praefigere medium hoc, est actus prudentiae.

2. Choisir le milieu est l’acte de chaque vertu en sa propre matière ; mais établir par avance ce milieu est un acte de la prudence.

[12105] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod virtutis moralis inclinatio convenit quodammodo cum inclinatione naturae, et quodammodo differt. Convenit quidem in hoc, quia utraque inclinatio est in finem determinatum; differt autem in hoc quod in naturalibus sicut est finis determinatus, ita et ea quae sunt ad finem; sed in virtutibus moralibus est finis determinatus, non autem viae ad finem, quia potest medium inveniri in diversis diversimode. Et quia naturalis inclinatio est semper uno modo, ideo inclinatio virtutis moralis non sufficit in ea quae sunt ad finem, sed oportet quod determinetur per virtutem cognitivam, scilicet prudentiam.

3. L’inclination de la vertu morale a quelque chose en commun avec l’inclination de la nature et en diffère d’une certaine manière. Elle a quelque chose en commun parce que, dans les deux, l’inclination vise une fin déterminée. Mais elle en diffère en ce que, dans les choses naturelles, de même que la fin est déterminée, de même ce qui se rapporte à la fin l’est-il aussi ; mais, dans les vertus morales, la fin est déterminée, mais non les chemins vers la fin, car le milieu peut se trouver de diverses manières en diverses choses. Et parce que l’inclination va toujours dans le même sens, l’inclination de la vertu morale ne suffit pas pour ce qui se rapporte à la fin, mais il est nécessaire qu’elle soit déterminée par une vertu cognitive : la prudence.

[12106] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod non quaelibet operatio est finis moralis virtutis, sed illa qua attingitur medium, in quo est bonum rationis. Sed operationes illae in quibus quaeruntur debitae circumstantiae ut inveniatur medium, sunt operationes quae sunt fines.

4. N’importe quelle opération n’est pas la fin de la vertu morale, mais celle par laquelle le milieu est atteint, dans lequel se trouve le bien de la raison. Or, ces opérations, par lesquelles sont recherchées les circonstances appropriées pour y trouver le milieu, sont des opérations qui se rapportent aux fins.

[12107] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Augustinus intendit ponere actus virtutum secundum quod habentur hic differenter quam in patria: et ideo ponit actus virtutum respectu mali, quod non erit in patria. Nec curat utrum sint actus principales virtutis cui assignantur, dummodo ad ipsam, vel ad aliquam virtutem ei annexam, pertineant.

5. Augustin entend présenter les actes des vertus selon qu’elles sont possédées ici différemment de ce qu’elles le seront dans la patrie. C’est pourquoi il présente les actes des vertus en regard du mal, qui n’existera pas dans la patrie. Et il ne se soucie pas qu’il s’agisse des actes principaux de la vertu à laquelle ils sont assignés, pourvu qu’ils relèvent d’elle ou d’une vertu connexe.

[12108] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod perferre, secundum quod dicitur actus fortitudinis, non dicit immobilitatem, sed electionem immorandi in molestiis propter bonum virtutis sine perturbatione immoderati timoris; in quo differt ab aliis virtutibus: quia caritas facit imperturbatum contra odium, mansuetudo contra iram, patientia contra tristitiam: et hic quidem, ut philosophus dicit in 3 Ethic., est magis actus fortitudinis quam aggredi difficilia, quanto est difficilius praesentia mala non fugere, quam insurgere in mala quae nondum afficiunt. Quamvis autem fortitudo sit contra molestias mortis principaliter, tamen etiam secundario est contra omnes alias molestias: quia in omnibus fortis bene se habet, ut dicit philosophus in 3 Ethic.

6. Supporter, pour autant que cela désigne un acte de la force, n’indique pas une immobilité, mais le choix de demeurer dans des désagréments en vue du bien de la vertu, sans être troublés par une crainte immodérée. En cela, elle diffère des autres vertus, car la charité rend impertubable contre la haine, la douceur contre la colère, la patience contre la tristesse. Comme le dit le Philosophe dans Éthique, III, cet acte est davantage un acte de la force que d’entreprendre des choses difficiles, pour autant qu’il est plus difficile de ne pas fuir des maux présents que de se dresser contre des maux qui ne nous affectent pas encore. Bien que la force porte principalement sur les désagréments de la mort, elle s’oppose cependant de manière secondaire à tous les désagréments, car celui qui est fort se comporte bien dans tous [les désagréments], ainsi que le dit le Philosophe dans Éthique, III.

 

 

Articulus 4 [12109] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 tit. Utrum aliqua potentia animae sit subjectum alicujus virtutis

Article 4 – Une puissance de l’âme est-elle le sujet d’une vertu ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Une puissance de l’âme est-elle le sujet d’une vertu ?]

[12110] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod nulla potentia animae sit subjectum alicujus virtutis. Forma enim simplex, ut dicit Boetius, subjectum esse non potest. Sed potentiae animae sunt formae simplices. Ergo non possunt esse subjectum virtutis.

1. Il semble qu’aucune puissance de l’âme ne soit le sujet d’une vertu. En effet, une forme simple ne peut être un sujet, comme le dit Boèce. Or, les puissances de l’âme sont des formes simples. Elles ne peuvent donc pas être des sujets d’une vertu.

[12111] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, cujus est operatio, ejus est habitus. Sed potentiae non est operatio, sed suppositorum. Ergo potentiae animae non sunt subjecta habituum virtutum.

2. L’habitus se trouve là où est l’opération. Or, l’opération ne relève pas d’une puissance, mais des suppôts. Les puissances de l’âme ne sont donc pas des sujets des vertus.

[12112] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 3 Praeterea, virtute recte vivitur, secundum Augustinum. Sed vita non est per potentiam animae, sed magis per essentiam. Ergo virtutes non sunt in potentiis sicut in subjecto.

3. Selon Augustin, « par la vertu, on vit correctement ». Or, la vie ne relève pas d’une puissance de l’âme, mais plutôt de son essence. Les vertus ne se trouvent donc pas dans les puissances comme dans un sujet.

[12113] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, virtus est ultimum potentiae, secundum philosophum in 1 Cael. et Mund. Sed ultimum est in eo cujus est ultimum. Ergo virtus est in potentia animae sicut in subjecto.

Cependant, « la vertu est le point ultime d’une puissance », selon le Philosophe, Sur le ciel et le monde, I. Or, le point ultime se trouve là où se trouve ce qui est ultime. La vertu est donc dans une puissance de l’âme comme dans son sujet.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La tempérance et la force se trouvent-elles dans l’irascible et dans leconcupiscible ?]

[12114] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod temperantia et fortitudo non sint in irascibili et concupiscibili. Quia, secundum philosophum, 2 Ethic., virtus moralis facit electionem rectam. Sed electio non est actus irascibilis et concupiscibilis, sed liberi arbitrii. Ergo non sunt in irascibili et concupiscibili sicut in subjecto, sed in libero arbitrio.

1. Il semble que la tempérance et la force ne se trouvent pas dans l’irascible et dans le concupiscible, car, selon le Philosophe, Éthique, II, la vertu morale rend le choix droit. Or, le choix n’est pas un acte de l’irascible et du concupiscible, mais du libre arbitre. Elles ne se trouvent donc pas dans l’irascible et dans le concupiscible comme dans un sujet, mais dans le libre arbitre.

[12115] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, illud quod est perpetuae corruptionis, non potest esse subjectum virtutis. Sed sensualitas, cujus partes sunt irascibilis et concupiscibilis, perpetuae corruptionis est: unde signatur per serpentem. Ergo irascibilis et concupiscibilis non sunt subjectum alicujus virtutis.

2. Ce qui est perpétuellement corrompu ne peut être le sujet de la vertu. Or, la sensualité, dont les parties sont l’irascible et le concupiscible, est perpétuellement corrompue ; aussi est-elle signifiée par le serpent. L’irascible et le concupiscible ne sont donc pas les sujets d’une vertu.

[12116] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 3 Praeterea, irascibilis et concupiscibilis sunt imperata a ratione. Sed inconveniens est ponere quod actus virtutum imperentur a naturali ratione. Ergo non sunt aliquae virtutes in irascibili.

3. L’irascible et le concupiscible sont commandés par la volonté. Or, il est inapproprié d’affirmer que les actes des vertus sont commandés par la raison naturelle. Il n’y a donc pas de vertus dans l’irascible.

[12117] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 4 Praeterea, virtutes humanae debent esse in eo per quod homo ab aliis distinguitur. Sed hoc est ratio. Ergo omnes sunt in ratione, non in irascibili et concupiscibili.

4. Les vertus humaines doivent se trouver dans ce par quoi l’homme se distingue des autres choses. Or, cela est la raison. Toutes [les vertus] se trouvent donc dans la raison, et non dans l’irascible et dans le concupiscible.

[12118] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 5 Praeterea, contraria nata sunt fieri circa idem. Sed peccatum mortale opponitur virtuti. Cum ergo ejus subjectum non possit esse nisi ratio vel voluntas, quia omne peccatum in voluntate est; nec virtus poterit esse in irascibili et concupiscibili.

5. Les contraires sont par nature susceptibles d’être accomplis à propos de la même chose. Or, le péché mortel s’oppose à la vertu. Puisque son sujet ne peut être que la raison ou la volonté, car tout péché se trouve dans la volonté, la vertu ne pourra donc pas non plus se trouver dans l’irascible et dans le concupiscible.

[12119] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 6 Praeterea, sicut appetitiva sensibilis deservit voluntati et rationi; ita apprehensiva sensibilis intellectui. Sed in apprehensivis sensitivae partis non ponitur aliqua virtus. Ergo nec in appetitiva sensibili.

6. De même que la partie sensible appétitive est au service de la volonté et de la raison, de même la partie sensible cognitive est-elle de [au service de] l’intellect. Or, on ne situe aucune vertu dans les [puissances] cognitives de la partie sensible. Donc, ni dans la [puissance] appétitive sensible.

[12120] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, philosophus, in 1 Ethic., distinguit virtutes morales et intellectuales; et morales distinguit secundum rationale per essentiam et per participationem. Sed rationale per participationem est in irascibili et concupiscibili. Ergo et cetera.

Cependant, [1] dans Éthique, I, le Philosophe distingue les vertus morales des vertus intellectuelles ; et il distingue les vertus morales selon ce qui est raisonnable par essence et par participation. Or, ce qui est raisonnable par participation se trouve dans l’irascible et dans le concupiscible. Donc, etc.

[12121] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, philosophus assignat differentiam inter continentem et temperatum; quia continens patitur et non deducitur; temperatus autem non patitur. Sed hoc non potest esse nisi in temperato sit aliquid in illa vi in qua sunt natae esse passiones. Cum ergo passiones in irascibili et concupiscibili sint, videtur quod in irascibili et concupiscibili sit aliqua virtus.

[2] Le Philosophe donne comme différence entre le continent et le tempéré, que le continent éprouve [une passion] mais n’est pas entraîné [par elle], mais que le tempéré ne [l]’éprouve pas. Or, cela ne peut exister chez le tempéré que s’il y a quelque chose dans la puissance où se trouvent par nature les passions. Puisque les passions se trouvent dans l’irascible et dans le concupiscible, il semble donc que la vertu  se trouve dans l’irascible et dans le concupiscible.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La justice se trouve-t-elle aussi dans l’irascible et dans le concupiscible ?]

[12122] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod justitia sit etiam in irascibili et concupiscibili. Quia justitia est moralis virtus, cujus subjectum est rationale per participationem, quod est irascibilis et concupiscibilis. Ergo justitia est in irascibili et concupiscibili.

1. Il semble que la justice se trouve aussi dans l’irascible et dans le concupiscible, car la justice est une vertu morale dont le sujet est quelque chose de raisonnable par participation, ce qui est le propre de l’irascible et du concupiscible. La justice se trouve donc dans l’irascible et dans le concupiscible.

[12123] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 3 arg. 2 Praeterea, tres sunt vires motivae: rationalis, irascibilis, et concupiscibilis. Sed justitia non est in rationali, quia non est virtus cognitiva. Ergo est in irascibili vel concupiscibili.

2. Il existe trois puissances qui meuvent : la [puissance] raisonnable, l’irascible et le concupiscible. Or, la justice ne se trouve pas dans la puissance raisonnable, car elle n’est pas une vertu cognitive. Elle se trouve donc dans l’irascible et le concupiscible.

[12124] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 3 arg. 3 Praeterea, voluntas se habet aequaliter ad omnia opera virtutum: quia omnes virtutes sunt habitus voluntarii. Ergo eadem ratione vel omnes virtutes sunt in voluntate, vel nulla. Non autem omnes virtutes sunt in voluntate: quia fortitudo est in irascibili, temperantia in concupiscibili. Ergo justitia non est in voluntate nec in ratione, ut dictum est; ergo est in irascibili vel concupiscibili.

3. La volonté a un rapport égal à tous les actes des vertus, car toutes les vertus sont des habitus volontaires. Donc, pour la même raison, soit toutes les vertus se trouvent dans la volonté, soit aucune. Or, toutes les vertus ne se trouvent pas dans la volonté, car la force se trouve dans l’irascible et la tempérance, dans le concupiscible. La justice ne se trouve donc ni dans la volonté ni dans la raison, comme on l’a dit. Elle se trouve donc dans l’irascible ou le concupiscible.

[12125] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 3 arg. 4 Praeterea, in illa vi est virtus aliqua sicut in subjecto ad quam pertinet materia virtutis. Sed materia justitiae pertinet ad irascibilem et concupiscibilem: quia quantum ad materiam exteriorem circuit actus aliarum virtutum, ut dictum est. Ergo est in irascibili et concupiscibili.

4. Une vertu se trouve comme dans son sujet dans la puissance dont relève la matière de la vertu. Or, la matière de la justice relève de l’irascible et du concupiscible, car, pour ce qui est de sa matière extérieure, elle englober les actes des autres vertus, comme on l’a dit. Elle se trouve donc dans l’irascible et dans le concupiscible.

[12126] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, Anselmus dicit, quod justitia est rectitudo voluntatis propter se servata. Sed rectitudo voluntatis est in voluntate sicut in subjecto. Ergo justitia est in voluntate, et non in irascibili et concupiscibili.

Cependant, [1] Anselme dit que « la justice est la droiture de la volonté maintenue pour elle-même ». Or, la droiture de la volonté se trouve dans la volonté comme dans son sujet. La justice se trouve donc dans la volonté, et non dans l’irascible et dans le concupiscible.

[12127] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, justitia consistit in ordine ad alium. Sed ordinare non est nisi rationis. Ergo justitia non est in irascibili et concupiscibili, sed in ratione.

[2] La justice consiste dans un rapport à l’autre. Or, établir un rapport ne relève que de la raison. La justice ne se trouve donc pas dans l’irascible et dans le concupiscible, mais dans la raison.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [La prudence se trouve-t-elle dans la raison ?]

[12128] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod prudentia non sit in ratione. Quia, sicut dicit philosophus, in 6 Ethic., prudentia praeceptiva est. Sed praecipere pertinet ad voluntatem, quae est motor omnium virium, ut dicit Anselmus. Ergo prudentia est in voluntate sicut in subjecto.

1. Il semble que la prudence ne se trouve pas dans la raison, car, ainsi que le dit le Philosophe, Éthique, VI, la prudence commande. Or, commander relève de la volonté, qui est le moteur de toutes les puissances, comme le dit Anselme. La prudence se trouve donc dans la volonté comme dans son sujet.

[12129] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 4 arg. 2 Praeterea, eligere videtur esse actus prudentiae. Sed electio non est actus rationis, sed liberi arbitrii, quod est idem quod voluntas. Ergo prudentia non est in ratione sicut in subjecto, sed in voluntate.

2. Choisir semble être un acte de la prudence. Or, le choix n’est pas un acte de la raison, mais du libre arbitre, qui est la même chose que la volonté. La prudence ne se trouve donc pas dans la raison comme dans son sujet, mais dans la volonté.

[12130] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 4 arg. 3 Praeterea, habitui qui est in ratione sicut in subjecto, magis opponitur error involuntarius quam error voluntarius, sicut magis est vituperabilis grammaticus si involuntarius soloecizet quam si voluntarius. Sed magis opponitur prudentiae peccatum quod quis voluntarie committit, quam illud quod quis involuntarius facit. Ergo prudentia non est in ratione sicut in subjecto, sed magis in voluntate.

3. L’erreur involontaire s’oppose davantage à un habitus qui se trouve dans la raison comme dans son sujet, que l’erreur volontaire : ainsi, le grammairien est plus à blâmer s’il commet un solécisme involontairement plutôt que volontairement. Or, le péché que quelqu’un commet volontairement s’oppose davantage à la prudence, que celui que quelqu’un commet involontairement. La prudence ne se trouve donc pas dans la raison comme dans son sujet, mais plutôt dans la volonté.

[12131] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 4 s. c. 1 Sed contra est quod philosophus dicit in 6 Ethic., quod prudentia est recta ratio operabilium.

Cependant, [1] en Éthique, VI, le Philosophe dit que la prudence est la raison droite de ce qui doit être accompli.

[12132] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 4 s. c. 2 Praeterea, partes prudentiae, secundum Tullium, assignantur memoria, intelligentia, providentia. Sed haec non pertinent ad voluntatem, sed ad rationem. Ergo prudentia non est in voluntate, sed in ratione.

[2] Selon Tullius [Cicéron], les parties de la prudence sont la mémoire, l’intelligence et la prévoyance. Or, celles-ci ne relèvent pas de la volonté mais de la raison. La prudence ne se trouve donc pas dans la volonté mais dans la raison.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[12133] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod substantia, quae est subjectum omnium, recipit quaedam accidentia mediantibus aliis; et quaedam causantur ex principiis substantiae, mediantibus aliis accidentibus; sicut colorem recipit mediante superficie, et ex principiis corporis mixti causatur sapor mediante calido et frigido. Unde subjectum alicujus accidentis potest dupliciter assignari. Uno modo substantia, quae est primum fundamentum accidentium; et sic habitus virtutum non sunt in potentiis sicut in subjecto, sed magis in ipsa anima, vel etiam conjuncto. Alio modo dicitur accidens quo mediante inest alterum accidens substantiae, esse subjectum illius, sicut superficies coloris: et hoc modo habitus virtutum dicuntur esse in potentiis sicut in subjecto: quia habitus ordinantur ad actus; actus autem egrediuntur ab essentia animae mediante potentia.

La substance, qui est le sujet de tous les accidents, en reçoit certains par l’intermédiaire d’autres, et certains sont causés à partir des principes de la substance par l’intermédiaire d’autres accidents. Ainsi, [une substance reçoit] la couleur par l’intermédiaire de la surface, et la saveur est causée par l’intermédiaire du chaud et du froid à partir des principes d’un corps mixte. Le sujet d’un accident peut donc être présenté de deux manières. Premièrement, [ce peut être] la substance, qui est le fondement premier des accidents. Ainsi les habitus des vertus ne se trouvent pas dans les puissances comme dans leur sujet, mais plutôt dans l’âme elle-même ou encore dans le composé [d’âme et de corps]. Deuxièmement, on dit que l’accident, par l’intermédiaire duquel existe un autre accident de la substance, est son sujet, comme c’est le cas de la surface pour la couleur. On dit ainsi que les habitus des vertus se trouvent dans les puissances comme dans leur sujet parce que les habitus sont ordonnés aux actes ; or, les actes proviennent de l’essence de l’âme par l’intermédiaire d’une puissance.

[12134] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod forma quae neque habet materiam ex qua neque in qua, nullo modo potest esse subjectum; forma autem quae habet materiam in qua, quamvis non habeat materiam ex qua, potest esse subjectum non sicut primum sustinens accidens, sed sicut id quo mediante accidens substantiae inest.

1. La forme qui n’a pas de matière comme principe (ex qua) ni comme sujet (in qua) ne peut d’aucune manière être le sujet. Mais la forme qui a une matière comme sujet, bien qu’elle n’ait pas de matière comme principe, peut être sujet, non pas en tant que premier sujet supportant l’accident, mais comme ce par l’intermédiaire de quoi un accident se trouve dans la substance.

[12135] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis operatio non sit potentiae sicut operantis, est tamen potentiae sicut principii operationis, quo quis operatur.

2. Bien que l’opération ne soit pas le fait de la puissance comme sujet agissant, elle est cependant le fait de la puissance en tant que principe de l’opération par laquelle quelqu’un agit.

[12136] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod vivere uno modo dicitur esse viventis; et hoc modo vivere non est per potentias, sed per essentiam animae. Alio modo dicitur vivere operatio viventis; et sic vivere est per potentias, quae sunt operationum vitae principia.

3. D’une première manière, on dit que vivre, c’est être pour le vivant : de cette manière, vivre ne se réalise pas par les puissances, mais par l’essence de l’âme. D’une autre manière, on dit que vivre est l’opération du vivant : ainsi, vivre se réalise par l’intermédiaire des puissances, qui sont les principes des opérations de la vie.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[12137] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod virtutes humanae sunt quibus opus hominis bonum redditur; unde in omni potentia quae est principium humani operis, oportet esse habitum virtutis, quo opus ejus bonum redditur: alias non esset sufficienter homo per virtutem perfectus. Principium autem humani operis est omnis potentia in qua aliquid rationis invenitur, a qua homo habet quod homo sit. Unde cum in irascibili et concupiscibili, quae sunt partes sensibilis appetitus, sit aliquid rationis participative, inquantum rationi obedire possunt, quod non est de potentiis nutritivae partis; oportet quod in irascibili et concupiscibili sint aliquae virtutes sicut in subjecto, quibus efficitur ut facile rationi obediant illae potentiae in quibus sunt; quod quidem contingit inquantum passiones reprimuntur, ut non rationem perturbent. Unde in illo qui passiones vehementiores patitur, sed non deducitur, est quidem habitus in ratione, qui tenet eam ne deducatur, non autem in viribus illis in quibus sunt passiones; sicut patet in continente; et ideo continens, seu abstinens, non est perfecte virtuosus, sed temperatus vel mitis, in quo non solum superior pars est perfecta ut deduci non possit, sed etiam inferior moderata ut passiones vehementes non insurgant; et ideo in quacumque potentia est passio circa quam est virtus aliqua, illa potentia est subjectum illius virtutis; sicut concupiscibilis, temperantiae; fortitudinis autem et mansuetudinis, irascibilis.

Les vertus humaines sont ce par quoi l’action de l’homme est rendue bonne ; aussi, dans toute puissance qui est principe de l’action humaine, il est nécessaire qu’existe l’habitus d’une vertu par lequel son action est rendue bonne ; autrement, l’homme ne serait pas suffisamment perfectionné par la vertu. Or, le principe d’un acte humain est toute puissance dans laquelle on trouve quelque chose de la raison, par laquelle l’homme obtient d’être  homme. Puisque, dans l’irascible et dans le concupiscible, qui sont des parties de l’appétit sensible, existe quelque chose de la raison par mode de participation, pour autant qu’elles peuvent obéir à la raison, ce qui n’est pas le cas des puissances de la partie nutritive, il est donc nécessaire que, dans l’irascible et dans le concupiscible, existent certaines vertus comme dans leur sujet, par lesquelles les puissances dans lesquelles elles se trouvent obéissent facilement à la raison, ce qui se produit dans la mesure où  les passions sont réprimées pour qu’elles ne troublent pas la raison. Aussi, chez celui qui subit des passions plus impétueuses, mais n’est pas entraîné [par elles], existe dans la raison un habitus qui la retient pour qu’elle ne soit pas entraînée, mais non dans les puissances mêmes où se trouvent les passions, comme cela ressort pour le continent. C’est pourquoi le continent ou celui qui s’abstient n’est pas parfaitement vertueux, mais le tempéré ou le doux [l’est], chez qui, non seulement la partie supérieure est parfaite, de sorte qu’il n’est pas entraîné, mais aussi la [partie] inférieure, de sorte que ne s’élèvent pas des passions véhémentes. C’est pourquoi, en chaque puissance où existe une passion sur laquelle porte une vertu, cette puissance est le sujet de cette vertu, comme le concupiscible, pour la tempérance, et l’irascible, pour la force et la douceur.

[12138] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod electio, secundum philosophum in 6 Ethic., est appetitus, et intellectus sive rationis: completur enim in appetitu praecedente inquisitione rationis. Unde omnis appetitus ad quem potest pervenire rationis imperium, particeps electionis esse potest, inquantum hujusmodi: et praecipue illius electionis quae est de fine; quamvis non sit electio de qua loquitur philosophus.

1. Selon le Philosophe, Éthique, VI, le choix relève de l’appétit et de l’intellect ou de la raison. En effet, il s’achève dans l’appétit après une recherche par la raison. Aussi tout appétit auquel peut parvenir un commandement de la raison peut-il participer au choix en tant que tel, principalement au choix qui porte sur la fin, bien que ce ne soit pas le choix dont parle le Philosophe.

[12139] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sensibilis appetitus, secundum quod in natura sua consideratur, dicitur sensualitas, et sic est perpetuae corruptionis; et secundum ipsum non differt homo a brutis, nec potest esse subjectum virtutis, non autem secundum quod est participans aliqualiter ratione; et ideo nihil prohibet sic in eo esse virtutem sicut in proximo subjecto.

2. L’appétit sensible, considéré dans sa nature propre, est appelé sensualité, et ainsi il est corrompu de manière perpétuelle. Selon lui, l’homme ne diffère pas des animaux sans raison et ne peut pas non plus être le sujet de la vertu, mais non pas selon qu’il participe d’une certaine manière à la raison. C’est pourquoi rien n’empêche qu’existe en lui une vertu comme dans son sujet rapproché.

[12140] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod virtutes quaedam sunt acquisitae, et quaedam gratuitae. Virtutibus autem acquisitis nobilior est naturalis ordinatio in ratione et voluntate ad bonum. Unde non est inconveniens, si a naturali potentia earum actus imperentur, cum ex hoc sint virtutes in inferioribus partibus quod superioribus in eo quod naturale est eis, obediunt. Sed virtutes infusae sunt nobiliores potentiis naturalibus; eis tamen omnibus nobilior est caritas, quae est in voluntate, qua mediante ratio inferioribus viribus praecipit; et ideo non est inconveniens quod a caritate motus aliarum virtutum etiam imperentur.

3. Certaines vertus sont acquises et certaines sont gratuites. Pour les vertus acquises, l’orientation naturelle de la raison et de la volonté au bien est plus noble. Il n’est donc pas inapproprié que leurs actes soient commandés par une puissance naturelle, puisque les vertus des parties inférieures existent du fait qu’elles obéissent aux parties supérieures pour ce qui leur est naturel. Mais les vertus infuses sont plus nobles que les puissances naturelles. Cependant, la plus noble d’entre elles est la charité, qui se trouve dans la volonté, par l’intermédiaire de laquelle la raison commande aux puissances inférieures. C’est pourquoi il n’est pas inapproprié que les mouvements des autres vertus soient aussi commandés par la charité.

[12141] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod homo distinguitur a brutis non solum in eo quod est rationale essentialiter, sed etiam in eo quod est rationale per participationem.

4. L’homme se distingue des animaux sans raison, non seulement par ce qu’il y a d’essentiellement rationnel en lui, mais aussi par ce qu’il y a en lui de rationnel par participation.

[12142] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod non dicitur peccatum mortale semper esse in ratione quasi omnis actus peccati mortalis sit actus rationis elicitive, cum etiam in actibus exteriorum membrorum possit esse mortale peccatum; sed quia nullus actus peccati mortalis rationem accipit, nisi consensus adveniat; et similiter nullus actus potest esse virtutis, nisi a ratione ordinetur; et hoc est esse virtutem in inferioribus potentiis, inquantum participant ratione.

5. On ne dit pas que le péché mortel se situe toujours dans la raison, comme si tout acte de péché mortel était un acte choisi par la raison, puisqu’il peut y avoir un péché mortel même dans les actes des membres extérieurs, mais parce qu’aucun acte de péché ne reçoit le caractère de péché mortel que si un consentement survient. De la même façon, il ne peut exister aucun acte de vertu, à moins qu’il ne soit ordonné par la raison. C’est ainsi qu’existe la vertu dans les puissances inférieures, pour autant qu’elles participent à la raison.

[12143] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod apprehensivae sensitivae aliter serviunt intellectui quam appetitivae sensitivae rationi et voluntati. Apprehensiva enim sensitiva servit intellectui ministrando ei suum objectum; et ideo magis intellectus participat aliquid a sensu quam e converso; sed appetitiva sensibilis servit voluntati et rationi quasi moventi, et sic participat aliquid ab ea: et ideo est aliqualiter rationalis, scilicet participative, non autem vis apprehensiva sensibilis; et propter hoc apprehensiva sensibilis non potest esse subjectum virtutis, sicut appetitiva sensibilis.

6. Les puissances sensibles cognitives servent l’intellect autrement que les puissances sensibles appétitives ne servent la raison et la volonté. En effet, la puissance sensible cognitive est au service de l’intellect en lui présentant son objet. C’est pourquoi l’intellect reçoit davantage du sens par participation que l’inverse. Mais la puissance sensible appétitive est au service de la volonté et de la raison comme quelque chose qui meut, et ainsi elle reçoit d’elles quelque chose par participation. Elle est donc d’une certaine manière raisonnable, à savoir, par participation, mais non la puissance sensible cognitive. Pour cette raison, la puissance sensible cognitive ne peut être sujet de vertu, comme la puissance sensible appétitive.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[12144] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod justitia non potest esse in irascibili et concupiscibili sicut in subjecto, cum non sit circa passiones: ad ipsam enim non pertinet moderari passiones, sed exteriores actiones quae sunt ad alterum. Unde oportet quod sit in illa potentia sicut in subjecto ad quam pertinet usus rerum exteriorum in ordine ad alterum. Uti autem actus voluntatis est secundum Augustinum; sed non absolute secundum quod voluntas est finis, sed secundum quod praesupponit collationem rationis ordinantis ad alterum; et ideo in voluntate hoc modo accepta, est justitia sicut in subjecto. In voluntate enim, secundum quod est finis, non potest esse aliqua virtus moralis, quia ad bonum civile et naturale hominis, voluntas naturalem inclinationem habet sicut in proprium subjectum; sed secundum quod voluntas est eorum quae sunt ordinata ad finem, sic in voluntate potest esse moralis virtus, scilicet justitia, sicut et prudentia in ratione cognitiva. Hoc autem quod dictum est de subjecto justitiae, consonat omnibus quae dicuntur ab aliis de subjecto justitiae. Quidam enim dicunt eam esse in ratione: quod non potest esse secundum quod ratio est cognitiva potentia, sed secundum quod ratio comprehendit et cognitionem et affectionem: secundum quod dicitur quod voluntas in ratione est. Alii vero dicunt quod est in tota anima: quod quidem verificatur inquantum voluntas est universalis motor omnium virium animae; unde etiam Commentator in 5 Ethic. dicit quod est in rationali et concupiscibili. Et similis ratio est de omnibus virtutibus quae non sunt circa passiones, sed circa operationes, sicut liberalitas, magnificentia, et hujusmodi.

La justice ne peut se trouver dans l’irascible et dans le concupiscible comme dans un sujet, puisqu’elle ne porte pas sur les passions : en effet, il ne lui appartient pas de modérer les passions, mais les actions extérieures qui se rapportent à quelqu’un d’autre. Il est donc nécessaire qu’elle se trouve comme dans son sujet dans la puissance dont relève l’usage des choses extérieures en rapport avec quelqu’un d’autre. Or, l’usage est un acte de la volonté selon Augustin, non pas de manière absolue selon que la volonté porte sur la fin, mais selon qu’elle présuppose un rapprochement  de la raison qui ordonne à quelqu’un d’autre. C’est pourquoi la justice se trouve dans la volonté ainsi entendue comme dans son sujet. En effet, dans la volonté, selon qu’elle porte sur la fin, il ne peut y avoir de vertu morale, car la volonté a une inclination naturelle au bien civil et naturel de l’homme comme à son objet propre. Mais selon que la volonté porte sur ce qui est ordonné à la fin, une vertu morale peut exister dans la volonté, à savoir, la justice, comme aussi la prudence dans la raison cognitive. Or, ce qui a été dit du sujet de la justice est en accord avec tout ce qui est dit par d’autres à propos du sujet de la justice. En effet, certaines disent qu’elle se trouve dans la raison, ce qui ne peut être le cas selon que la raison est une puissance cognitive, mais selon que la raison comprend la connaissance et l’affectivité, pour autant qu’on dit de la volonté qu’elle se trouve dans la raison. Mais d’autres disent qu’elle se trouve dans toute l’âme, ce qui s’avère vrai pour autant que la volonté est le moteur universel de toutes les puissances de l’âme. Aussi, en Éthique, V, même le Commentateur dit-il qu’elle se trouve dans la [puissance] rationnelle et concupiscible. Et le raisonnement est le même pour toutes les vertus qui ne portent pas sur les passions, mais sur les opérations, comme la libéralité, la magnificence et celles de ce genre.

[12145] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod rationale per participationem non solum dicitur irascibilis et concupiscibilis, sed universaliter appetitus, ut ibidem dicit; et ideo voluntas quamvis per essentiam sit in parte intellectiva, tamen quantum ad actum aliqualiter ratione participat, et praecipue secundum quod est eorum quae sunt ad finem, in quae intendit secundum quod a ratione praeordinata sunt; et ideo potest esse subjectum virtutis moralis.

1. Non seulement l’irascible et le concupiscible sont-ils appelés raisonnables par participation, mais aussi l’appétit d’une manière universelle, comme il le dit au même endroit. C’est pourquoi la volonté, bien qu’elle se trouve par essence dans la partie intellective, participe-t-elle d’une certaine manière à la raison pour ce qui est de son acte, principalement selon qu’elle porte sur ce qui se rapporte à la fin, vers quoi elle tend selon que cela a d’abord été ordonné par la raison. Aussi peut-elle être sujet de la vertu morale.

[12146] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod rationale comprehendit non solum rationem cognitivam, sed etiam voluntatem; et sic justitia est in rationali sicut in subjecto.

2. Ce qui est raisonnable comprend non seulement la raison cognitive, mais aussi la volonté. Ainsi, la justice se trouve dans ce qui est raisonnable comme dans son sujet.

[12147] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis voluntas aequaliter habeat imperium super omnes materias et actus virtutum; tamen materiae quarumdam virtutum, sicut passiones, pertinent etiam ad alias potentias immediatius; et ideo virtutes quae sunt principaliter circa passiones, sunt in illis potentiis sicut in subjecto. Sed materiae quarumdam virtutum non pertinent ad aliam potentiam nisi ad voluntatem; et ideo virtutes quae sunt circa illas materias, sunt in voluntate sicut in subjecto.

3. Bien que la volonté commande à toutes les matières et à tous les actes des vertus, les matières de certaines vertus, telles les passions, relèvent cependant aussi d’autres puissances de manière plus immédiate. C’est pourquoi les vertus qui portent principalement sur les passions se trouvent dans ces puissances comme dans leurs sujets. Mais les matières de certaines vertus ne se rapportent à aucune autre puissance qu’à la volonté. C’est pourquoi les vertus qui portent sur ces matières se trouvent dans la volonté comme dans leur sujet.

[12148] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod materiae aliarum virtutum possunt esse materia justitiae non secundum quod passionem inferunt, sed secundum quod veniunt in usum operationis ad alterum.

4. Les matières d’autres vertus peuvent être la matière de la justice, non pas selon qu’elles suscitent une passion, mais selon qu’elles sont utilisées dans une opération se rapportant à quelqu’un d’autre.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[12149] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod prudentia est in ratione cognitiva practica sicut in subjecto. Sed sciendum, quod sicut in voluntate non potest esse virtus moralis ex parte illa qua est finis, propter naturalem inclinationem, ita etiam nec in ratione ex parte illa qua est de fine, quia finis est principium in operativis. Unde sicut in ratione speculativa sunt innata principia demonstrationum, ita in ratione practica sunt innati fines connaturales homini; unde circa illa non est habitus acquisitus aut infusus, sed naturalis, sicut synderesis, loco cujus philosophus in 6 Ethic. ponit intellectum in operativis. Relinquitur igitur quod prudentia sit in ratione practica secundum quod negotiatur de illis quae sunt ad finem. Sed quia naturalis inclinatio ad finem aliquem est ex praestituente naturam, qui talem ordinem naturae tribuit; ideo naturalis inclinatio voluntatis ad finem non est ex ratione, nisi forte secundum naturalem communicantiam, qua fit ut appetitus rationi conjunctus naturaliter tendat ad conformandum se rationi sicut regulae; et ex hoc est quod voluntas est naturaliter inclinata ad finem, qui naturaliter rationi est inditus. Unde cum negotiatio de his quae sunt ad finem, praesupponat naturalem cognitionem finis, quae sequitur naturalem inclinationem voluntatis in finem; oportet quod habitus perficiens rationem negotiantem de his quae sunt ad finem, praesupponat inclinationem appetitus ad finem: quae quidem inclinatio in appetitu superiori, scilicet voluntate, est naturalis; in appetitu autem inferiori est ex assuetudine, vel ex Dei dono, quantum ad sui complementum; sed aliqua ejus inchoatio etiam est a natura, inquantum est naturaliter obaudibilis rationi. In hoc igitur differt prudens a continente; quia continens habet perfectam rationem de his quae sunt ad finem, praesupposita tamen naturali inclinatione voluntatis ad finem; prudens autem praesupposita inclinatione quae est ex virtute acquisita vel infusa in potentiis inferioribus; et ideo prudentia, ut dicit philosophus, habet sua principia in aliis virtutibus moralibus.

La prudence se trouve dans la raison cognitive pratique comme dans son sujet. Mais il faut savoir que, de même qu’il ne peut y avoir de vertu morale dans la volonté sous l’aspect où elle porte sur la fin, en raison de l’inclination naturelle, de même aussi [ne peut-il y en avoir] dans la raison sous l’aspect où elle porte sur la fin, car la fin est le principe en matière d’actions. De même que, dans la raison spéculative, existent les principes innés des démonstrations, de même donc, dans la raison pratique, existent des fins innées connaturelles à l’homme. Il n’existe donc pas d’habitus acquis ou infus à leur propos, mais [un habitus] naturel, comme la syndérèse ; en Éthique, VI, le Philosophe, la remplace par l’intellect en matière d’opérations. Il reste donc que la prudence se trouve dans la raison pratique selon qu’elle traite de ce qui se rapporte à la fin. Mais parce que l’inclination naturelle à une fin vient de la nature qui l’a établie à l’avance et lui a conféré un tel ordre de la nature, l’inclination naturelle de la volonté à la fin ne vient donc de la raison que selon un échange naturel, par lequel l’appétit naturellement uni à la raison tend à se conformer à la raison comme à sa règle. De là vient que la volonté est naturellement inclinée à la fin qui est naturellement placée dans la raison. Comme le traitement de ce qui se rapporte à la fin présuppose une connaissance naturelle de la fin, qui découle de l’inclination naturelle de la volonté vers la fin, il est donc nécessaire que l’habitus qui perfectionne la raison qui traite de ce qui se rapporte à la fin, présuppose l’inclination de l’appétit vers la fin : cette inclination de l’appétit supérieur, la volonté, est naturelle. Mais, dans l’appétit inférieur, elle vient de l’habitude (assuetudine) ou d’un don de Dieu pour ce qui est de son accomplissement. Cependant, une amorce (inchoatio) vient de la nature pour autant qu’elle est naturellement susceptible d’obéir à la raison. En cela, donc, le prudent diffère du continent, que le continent possède une raison parfaite à propos de ce qui se rapporte à la fin, en présupposant cependant l’inclination naturelle de la volonté vers la fin, mais le prudent, en présupposant l’inclination qui vient de la vertu acquise ou infuse dans les puissances inférieures. C’est pourquoi la prudence, comme le dit le Philosophe, trouve ses principes dans les autres vertus morales.

[12150] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 4 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod ratio etiam praecipit mediante voluntate, inquantum sententiat aliquid esse faciendum.

1. La raison commande par l’intermédiaire de la volonté dans la mesure où elle détermine que quelque chose doit être fait.

[12151] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod eligere est actus prudentiae quantum ad id quod est de cognitione in electione.

2. Choisir est un acte de la prudence pour ce qui relève de la connaissance dans le choix.

[12152] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod hoc convenit prudentiae, inquantum praesupponit inclinationem voluntatis et inferiorum virium.

3. Cela convient à la prudence dans la mesure où elle présuppose une inclination de la volonté et des puissances inférieures.

 

 

Articulus 5 [12153] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 5 tit. Utrum aliae virtutes cardinales reducantur ad prudentiam sicut ad principaliorem, vel causam

Article 5 – Les autres vertus cardinales se ramènent-elles à la prudence comme à une vertu principale ou à leur cause ?

[12154] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod aliae virtutes cardinales non reducantur ad prudentiam sicut ad principaliorem et causam. Scire enim, ut dicit philosophus in 2 Ethic., parum aut nihil facit ad virtutem. Sed prudentia quaedam scientia est, ut in 4 Topic. dicitur. Ergo ipsa minimum habet de ratione virtutis.

1. Il semble que les autres vertus ne se ramènent pas à la prudence comme à une vertu principale et à leur cause. En effet, ainsi que le dit le Philosophe, Éthique, II, savoir contribue peu ou rien à la vertu. Or, la prudence est une science, comme il est dit dans les Topiques, IV. Elle possède donc très peu le caractère de vertu.

[12155] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 5 arg. 2 Praeterea, per virtutes morales sanantur animae passiones. Sed ad hoc quod aliquis corporaliter sanetur, non est necesse quod ipse scientiam medicinae habeat, sed sufficit quod aliquis alius habeat; et ipsa sanatio melius valet quam scientia medicinae, quia finis ejus est. Ergo non est necessarium ad virtutem quod aliquis prudentiam habeat; et etiam ipsa est minus principalis inter alias virtutes.

2. Les passions de l’âme sont guéries par les vertus morales. Or, pour que quelqu’un soit guéri en son corps, il n’est pas nécessaire qu’il possède la science de la médéecine, mais il suffit que quelqu’un d’autre la possède, et la guérison elle-même vaut mieux que la science de la médecine, car elle en est la fin. Il n’est donc pas nécessaire pour la vertu de posséder la prudence ; elle est même moins principale que les autres vertus.

[12156] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 5 arg. 3 Praeterea, secundum philosophum in 2 Metaph., eorum quae communicant in nomine et definitione, illud cui per prius convenit nomen, est maximum in illo genere, et causa aliorum. Sed nomen virtutis secundum Boetium ad alias virtutes a fortitudine derivatur; unde et Sap. 8, per virtutem fortitudo intelligitur. Ergo fortitudo est principalior inter omnes alias virtutes, et non prudentia.

3. Selon le Philosophe, Métaphysique, II, parmi ce dont le nom et la définition sont communs, ce à quoi convient en premier le nom est ce qu’il y a de plus grand dans ce genre et la cause des autres choses. Or, selon Boèce, le nom de vertu est passé de la force aux autres vertus ; aussi, dans Sg 8, entend-on la force au sens de vertu. La force est donc principale par rapport à toutes les autres vertus, et non pas la prudence.

[12157] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 5 arg. 4 Praeterea, illud propter quod intermittitur aliud, est principalius eo. Sed propter justitiam intermittuntur omnes aliae virtutes, ut probat Tullius in 1 de officiis. Ergo ipsa est principalior, et non prudentia.

4. Ce pour quoi quelque chose est suspendu est principal par rapport à cela. Or, toutes les autres vertus sont suspendues en raison de la justice, comme le montre Tullius [Cicéron] dans Sur les fonctions, I. Elle est donc [la vertu] principale, et non la prudence.

[12158] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 5 arg. 5 Praeterea, sicut oppositum in opposito, et propositum in proposito, ut docet philosophus in 2 Topic. Sed oppositum temperantiae est maxime vituperabile et turpe, ut dicit philosophus in 3 Ethic. Ergo temperantia est maxime laudabilis, et non prudentia.

5. Ce qui est visé par l’intention est comme le contraire par rapport au contraire, ainsi que l’enseigne le Philosophe dans Topiques, II. Or, le contraire de la tempérance est blâmable et honteux au plus haut point, comme le dit le Philosophe, Éthique, III. La tempérance est donc louable au plus haut point, et non la prudence.

[12159] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 5 arg. 6 Praeterea, philosophus dicit in 6 Ethic., quod principia prudentiae sunt in virtutibus moralibus. Sed principia sunt potiora his quae sunt ex principiis. Ergo aliae virtutes morales sunt prudentia digniores.

6. En Éthique, VI, le Philosophe dit que les principes de la prudence se trouvent dans les vertus morales. Or, les principes sont plus importants que ce qui découle des principes. Les autres vertus morales sont donc plus dignes que la prudence.

[12160] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 5 s. c. 1 Sed contra, in quolibet genere illud quod dirigit, nobilius est. Sed ad prudentiam pertinet dirigere in omnibus virtutibus moralibus, ut patet per definitionem virtutis in 2 Ethic. positam. Ergo ipsa est nobilior aliis virtutibus.

Cependant, [1] dans chaque genre, ce qui dirige est plus noble. Or, il revient à la prudence de diriger dans toutes les vertus morales, comme cela ressort de la définition donnée pour la vertu, Éthique, II. Elle est donc plus noble que les autres vertus.

[12161] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 5 s. c. 2 Praeterea, habitus proportionantur potentiis in quibus sunt. Sed ratio, in qua est prudentia, est superior aliis viribus, in quibus sunt aliae virtutes. Ergo prudentia est nobilior aliis virtutibus.

[2] Les habitus sont proportionnés aux puissances dans lesquelles ils se trouvent. Or, la raison, où se trouve la prudence, est supérieure aux autres puissances, où se trouvent les autres vertus.

[12162] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 5 s. c. 3 Praeterea, Gregorius dicit: virtus quo plus se posse conspicit, eo sine moderamine rationis deterius in praeceps ruit. Sed moderatio rationis ad prudentiam pertinet. Ergo sine prudentia aliae virtutes quanto majores sunt, tanto magis nocent; et ita videtur quod prudentia sit potissima inter alias virtutes.

[3] Grégoire dit : « La vertu [vertu] par laquelle on se voit capable de plus est plus dommageable sans la modération de la raison. » Or, la modération de la raison relève de la prudence. Donc, sans la prudence, plus les autres vertus sont grandes, plus elles nuisent. Il semble ainsi que la prudence soit plus importantes que les autres vertus.

[12163] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod prudentia inter alias virtutes cardinales principalior est, et ad ipsam reducuntur omnes aliae quasi ad causam. Unde Antonius dicit, quod discretio quae ad prudentiam pertinet, est genitrix et custos et moderatrix virtutum. Et hoc sic patet. Virtus enim, ut dicit Tullius, movet in modum naturae, scilicet per quamdam inclinationem affectus. Omnis autem naturae inclinatio praeexigit aliquam cognitionem quae et finem praestituat, et in finem inclinet, et ea quibus ad finem pervenitur provideat: haec enim sine cognitione fieri non possunt. Propter quod etiam a philosophis dicitur, opus naturae esse opus intelligentiae: alias ea quae natura fiunt, a casu acciderent. Et per hunc modum oportet quod per rationem, quam perficit prudentia, et rectam facit, praestituatur finis aliis virtutibus, non solum communis, sed etiam proximus, qui est attingere medium in propria natura. Medium autem secundum rationem rectam determinatur, ut in 2 Ethic. dicitur. Secundo per rationem rectam est inclinatio earum in finem proprium, quae est intentio finis in virtutibus acquisitis, inquantum ex operibus ratione regulatis habitus virtutis praedictam inclinationem causans inducitur; et quantum ad hoc dicitur genitrix virtutum. Tertio per prudentiam rectificatur via unicuique virtuti, quae tendit in finem, inquantum per consilium et electionem segregantur utilia a nocivis respectu finis virtutis; et quantum ad hoc moderatrix et custos dicitur virtutum. Unde Gregorius, 2 Moralium, dicit: nisi virtutes reliquae ea quae appetunt, prudenter agant, virtutes esse nequaquam possunt.

Réponse. La prudence est la principale des vertus cardinales et toutes les autres se ramènent à elle comme à leur cause. Aussi Antoine dit-il que « le discernement, qui relève de la prudence, engendre, garde et modère les vertus ». Cela se démontre de la manière suivante. Comme le dit Tullius [Cicéron], la vertu meut à la manière de la nature, c’est-à-dire par une certaine inclination de l’affectivité. Or, toute inclination de la nature exige à l’avance une certaine connaissance qui établit la fin, incline vers la fin et assure ce qui est nécessaire à la fin : en effet, ces choses ne peuvent se faire sans la connaissance. C’est pourquoi aussi les philosophes disent que l’œuvre de la nature est œuvre d’intelligence, autrement ce qui est fait par la nature se produirait par hasard. De cette manière, il est nécessaire qu’une fin soit établie pour les autres vertus par la raison que perfectionne la prudence et qui la rend droite, [une fin] non seulement commune, mais aussi rapprochée, qui consiste à atteindre le milieu selon leur nature propre. Or, le milieu est déterminé par la raison droite, comme il est dit dans Éthique, II. Deuxièmement, leur inclination vers leur fin propre, qui est l’intention de la fin dans les vertus acquises,  se réalise par la raison droite pour autant que l’habitus de la vertu causant l’inclination mentionnée est entraîné par les opérations de la raison soumises à la règle. Sous cet aspect, on dit que [la prudence] engendre les vertus. Troisièmement, le chemin de chaque vertu qui tend vers la fin est redressé par la prudence, pour autant que, par le conseil et le choix, ce qui est utile est séparé de ce qui est nuisible en regard de la fin de la vertu. Sous cet aspect, on dit que [la prudence] modère et garde les vertus. Aussi Grégoire dit-il, Morales, II : « À moins que les autres vertus ne fassent prudemment ce qu’elles désirent, elles ne peuvent jamais être des vertus. »

[12164] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 5 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod est duplex scientia. Una in universali: et haec quidem facit ad virtutem vel parum, si sit de operibus virtutis; vel nihil, si sit de aliis quae ad virtutem non pertinent. Alia scientia est directiva in particulari operatione, quam corrumpit delectatio faciens ignorantiam electionis; et haec scientia multum facit ad virtutem; immo sine hac non est virtus, nec haec sine virtute; et haec pertinet ad prudentiam: quia, ut philosophus dicit in 5 Ethic., existimationem prudentiae corrumpit delectatio.

1. Il y a une double science. L’une, dans l’universel : celle-ci contribue peu, si elle porte susr les actes de la vertu, ou pas du tout, si elle porte sur d’autres choses qui ne se rapportent pas à la vertu. L’autre science dirige l’action particulière : le plaisir qui provoque l’ignorance dans le choix la corrompt. Cette science contribue beaucoup à la vertu, bien plus, sans elle il n’existe pas de vertu et elle n’existe pas sans la vertu. Celle-ci relève de la prudence, car, ainsi que le dit le Philosophe, Éthique, V, « le plaisir corrompt l’estimation de la prudence ».

[12165] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sanitas corporalis non indiget arte medicinae ad perficiendum opera sani hominis; et ideo sic ad sanitatem habendam non indiget homo ut ipse medicinam habeat. Sed actum virtuosi non potest homo facere nisi per prudentiam: quia quanto virtus est intensior, tanto est magis nociva, nisi adsit discretio prudentiae, ut dicit philosophus, et patet ex auctoritate Gregorii inducta.

2. La santé corporelle n’a pas besoin de l’art de la médecine pour accomplir les actes d’un homme en santé ; sous cet aspect, l’homme n’a pas besoin d’avoir de remède pour avoir la santé. Mais l’homme ne peut accomplir l’acte de celui qui est vertueux que par la prudence, car plus une puissance est intense, plus elle est nuisible, à moins que ne soit présent le discernement de la prudence, comme le dit le Philosophe et comme cela ressort de l’autorité de Grégoire invoquée.

[12166] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod virtus est nomen generis; sed virtus humana vel virtus moralis, est nomen speciei. Quamvis ergo illud quod est virtus, inquantum est virtus, sit principalius in fortitudine propter difficultatem, tamen quod sit virtus moralis vel humana, hoc habet a ratione, per quam homo est homo, et electionem habens suorum operum, ut dicitur in 6 Ethic.

3. La vertu est un nom générique, mais la vertu humaine ou la vertu morale est un nom spécifique. Bien que ce qui est vertu, en tant que vertu, soit plus important dans la force, cependant il tient à la raison que cela soit  une vertu morale ou humaine par laquelle l’homme est homme, et possède le choix de ses actes, comme il est dit dans Éthique, VI.

[12167] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod hoc quod dicit Tullius, intelligendum est de justitia legali, quae attendit bonum commune: de qua etiam dicit philosophus, in 5 Ethic., quod est lucidior aliis virtutibus, sicut Lucifer aliis stellis. Hoc autem non dicitur per comparationem virtutis ad virtutem, sed per comparationem privati boni, quod attendit virtus simpliciter, ad commune bonum.

4. Ce que dit Tullius [Cicéron] doit s’entendre de la justice légale qui porte sur le bien commun. En Éthique, V, le Philosophe dit aussi d’elle qu’elle a plus d’éclat que les autres vertus, comme Lucifer par rapport aux autres étoiles. Mais on ne dit pas cela en comparant une vertu à une autre, mais en comparant au bien commun le bien privé, sur lequel porte simplement la vertu.

[12168] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in contrariis non semper est consequentia in ipso, sed quandoque consequentia e contrario: quod contingit praecipue in illis quae sunt ordinata ad invicem secundum perfectum et magis perfectum; et ideo illud quod de perfectione majoris boni diminuit, est minus malum quam hoc quod etiam ipsum parvum bonum quod restat, tollit.

5. Chez les contraires, la conséquence ne se trouve pas toujours en soi, mais elle vient parfois du contraire, ce qui se produit principalement pour les choses qui sont réciproquement ordonnées l’une à l’autre selon ce qui est parfait et ce qui est plus parfait. C’est pourquoi ce qui diminue la perfection d’un bien plus grand est moins moins mauvais que ce qui enlève même un peu du bien qui demeure.

[12169] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 5 ad 6 Ad sextum dicendum, quod sicut ratio speculativa procedit ad conclusionem ex principiis per se notis, ita ratio prudentiae procedit ad electionem et consilium de his quae sunt ad finem, ex fine; et ideo dicuntur fines aliarum virtutum esse principia prudentiae. Hi tamen fines praeexistunt in ratione essentialiter: quia ad hoc tendit virtus moralis ut appetitus rationi concordet; unde his finibus maxime prudentia quae rationem perficit, est affinis.

6. De même que la raison spéculative progresse vers une conclusion à partir de principes connus par soi, de même, à propos de ce qui se rapporte à la fin, la raison de la prudence progresse-t-elle vers le choix et le conseil à partir de la fin. C’est pourquoi on dit que les fins des autres vertus sont les principes de la prudence. Cependant, ces fins préexistent dans la raison de manière essentielle, car la vertu morale tend à ce que l’appétit s’accorde avec la raison. Aussi la prudence qui perfectionne la raison a-t-elle la plus grande affinité avec ces fins.

 

 

Quaestio 3

Question 3 – [Les parties des vertus cardinales]

Prooemium

Prologue

[126170] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 pr. Deinde quaeritur de partibus virtutum cardinalium; et circa hoc quaeruntur quatuor: 1 de partibus prudentiae; 2 de partibus temperantiae; 3 de partibus fortitudinis; 4 de partibus justitiae.

Ensuite, on s’interroge sur les parties des vertus cardinales. À ce propos, quatre questions sont posées : 1. À propos des parties de la prudence. 2. À propos des parties de la tempérance. 3. À propos des parties de la force. 4. À propos des parties de la justice.

 

 

Articulus 1 [12171] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 tit. An memoria praeteritorum, intelligentia praesentium, et providentia futurorum sint partes prudentiae, sicut dicit Tullius

Article 1 – La mémoire du passé, l’intelligence du présent et la prévision de l’avenir sont-elles les parties de la prudence, comme le dit Tullius [Cicéron] ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Les parties de la prudence sont-elles correctement attribuées par Tullius [Cicéron] ?]

[12172] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod partes prudentiae a Tullio male assignentur. Dividit enim prudentiam in memoriam praeteritorum, et intelligentiam praesentium et providentiam futurorum. Providentia enim, secundum philosophum in 6 Ethic., non se extendit ultra humana bona. Sed intelligentia est etiam divinorum. Ergo non potest esse pars prudentiae.

1. Il semble que les parties de la prudence aient été mal attribuées par Tullius [Cicéron]. En effet, il divise la prudence en mémoire du passé, intelligence du présent et prévision de l’avenir, car la prévision ne va pas au-delà des biens humains, Éthique, VI. Or, l’intelligence porte aussi sur des réalités divines. Elle ne peut donc être une partie de la prudence.

[12173] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, ad prudentem, ut dicitur in 6 Ethic., praecipue pertinet bene consiliari. Sed consilium non est de praeteritis. Cum igitur memoria sit praeteritorum, videtur quod memoria non sit pars prudentiae.

2. Il revient principalemenet au prudent de bien conseiller, comme il est dit dans Éthique, VI. Or, le conseil ne porte pas sur le passé. Puisque la mémoire porte sur le passé, il semble donc que la mémoire ne soit pas une partie de la prudence.

[12174] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, providentia idem videtur quod prudentia. Ergo non debet ei assignari ut pars.

3. La prévision (providentia) semble être la même chose que la prudence (prudentia). Elle ne doit donc pas lui être attribuée comme une partie.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Faut-il attribuer comme parties de la prudence la prévision, la précaution, la circonspection et l’aptitude à apprendre ?]

[12175] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. A quibusdam assignantur partes prudentiae providentia, cautio, circumspectio, docilitas; et videtur quod male. Quia ad quemlibet actum prudentiae omnia oportet praedicta concurrere. Sed habitus distinguuntur per actus. Ergo non sunt virtutes distinctae ab invicem.

1. Certains donnent, à tort, semble-t-il, comme parties de la prudence la prévision, la discrétion, la circonspection et l’aptitude à apprendre, car tout ce qui a été mentionné concourt à tous les actes de la prudence. Or, les habitus se différencient par leurs actes. Il ne s’agit donc pas de vertus distinctes les unes des autres.

[12176] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, docilitas est ex natura. Sed prudentia est virtus acquisita, vel infusa. Ergo non debet poni pars ejus.

2. L’aptitude à apprendre vient de la nature. Or, la prudence est une vertu acquise ou infuse. Elle ne doit donc pas être mise comme une de ses parties.

[12177] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, cavere oppositum pertinet ad quamlibet virtutem. Ergo cautio non debet poni magis pars prudentiae quam aliarum virtutum.

3. Éviter son contraire relève de toute vertu. La précaution ne doit donc pas être davantage donnée comme une partie de la prudence que des autres vertus.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [L’eubulia, la synesis et le gnomen sont-ils des parties de la prudence ?

[12178] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Philosophus, in 6 Ethic., adjungit prudentiae tres, scilicet eubuliam, synesim, et gnomen; et videtur quod male. Quia ipse dicit in eodem Lib. quod prudens est totaliter consiliativus. Sed eubulia, ut ipse dicit, est bona consiliatio. Ergo eubulia idem est quod prudentia, et non pars ejus.

1. En Éthique, VI, le Philosophe ajoute, à tort, semble-t-il, trois choses à la prudence : l’eubulia, la synesis et le gnomen, car lui-même dit dans le même livre que le prudent est pénétré de conseil. Or, l’eubulia, comme il le dit, est le bon conseil. L’eubulia est donc la même chose que la prudence, et non une de ses parties.

[12179] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, synesis est bona dijudicatio. Sed judicium in operabilibus est ipsa electio. Cum igitur eligere recte sit prudentiae proprium, videtur quod synesis sit idem quod prudentia.

2. La synesis est le bon jugement. Or, le jugement dans les actions à poser est le choix lui-même. Puisque choisir correctement est le propre de la prudence, il semble donc que la synesis soit la même chose que la prudence.

[12180] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, Damascenus, in 3 Lib. de fide, dicit, quod gnome idem est quod sententia. Sed sententia ad judicium pertinet. Ergo videtur quod synesis et gnome non differant.

3. Dans Sur la foi, III, [Jean] Damascène dit que la gnomè est la même chose que la décision. Or, la décision relève du jugement. Il semble donc que la synesis et la gnomè ne soient pas différentes.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Les dix parties de la prudence données par un philosophe grec sont-elles correctes ?]

[12181] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 4 arg. 1 Ulterius. A quodam philosopho Graeco attribuuntur prudentiae partes decem, scilicet eubulia, solertia, providentia, regnativa, militaris, politica, oeconomica, dialectica, rhetorica, physica; et videtur quod male. Quia physica scientia quaedam est de necessariis, et de his non est prudentia, ut dicit philosophus in 6 Ethic. Ergo physica non est pars prudentiae.

1. Un philosophe grec attribue, à tort, semble-t-il, dix parties à la prudence : l’eubulia, l’ingéniosité, la prévision, la prudence du dirigeant, la prudence militaire, politique, économique, dialectique, rhétorique, physique ; et il semble que ce soit à tort, car la physique est une science qui porte sur ce qui est nécessaire, et la prudence ne porte pas sur cela, comme le dit le Philosophe, Éthique, VI. La physique n’est donc pas une partie de la prudence.

[12182] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 4 arg. 2 Praeterea, dialectica et rhetorica artes quaedam sunt et scientiae. Sed prudentia dividitur contra scientiam et artem in 6 Ethic. Ergo non sunt partes ejus.

2. La dialectique et la rhétorique sont des arts et des sciences. Or, la prudence se distingue de la science et de l’art, Éthique, VI. Elles n’en sont donc pas des parties.

[12183] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 4 arg. 3 Praeterea, philosophus dicit in 6 Ethic., quod politica est idem quod prudentia. Ergo non debet poni pars ejus.

3. En Éthique, VI, le Philosophe dit que la politique est la même chose que la prudence. Elle ne doit donc pas être mise comme une de ses parties.

[12184] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 4 arg. 4 Praeterea, multa alia exercitia sunt in civitatibus quam militaris. Ergo non debet magis ipsa poni pars prudentiae quam alia civitatis officia, sicut est gubernatoria, negotiativa, et hujusmodi.

4. Beaucoup d’autres activités que la prudence militaire existent dans les villes. Elle ne doit donc pas être davantage donnée comme une partie de la prudence que les autres fonctions de la ville, comme celles de gouverner, de pratiquer le commerce et celles de ce genre.

[12185] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 4 arg. 5 Praeterea, urbanitates, ut dicit philosophus in 8 Ethic., sunt tres, scilicet regnum quando unus praesidet ad utilitatem populi, leges condens; aristocratia, quando plures principantur in diversis officiis propter virtutem; timocratia quando divites aequaliter praesunt. In omnibus autem istis est aliquid prudentiae. Ergo non magis debuit ponere regnativam quam alias duas.

5. Comme le dit le Philosophe, Éthique, VIII, il existe trois formes de gouvernement : le gouvernement royal, lorsqu’un seul préside au bien du peuple faisant les lois ; l’aristocratie, lorsque plusieurs dirigent selon diverses fonctions en raison de leur vertu ; la timocratie, lorsque les riches gouvernent également. Or, dans toutes ces formes de gouvernement, il existe quelque chose de la prudence. Il ne devait donc pas mettre la prudence royale davantage que les deux autres.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[12186] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod omne totum ad tria genera reducitur, scilicet universale, integrale et potentiale; et similiter pars triplex invenitur dictis tribus respondens. Integralis enim pars intrat in constitutionem totius, sicut paries domus; universalis vero totius pars suscipit totius praedicationem, sicut homo animalis; potentialis vero pars neque praedicationem totius recipit, neque in constitutionem ipsius oportet quod veniat, sed aliquid de potentia totius participat, sicut patet in anima. Rationalis enim anima tota anima dicitur, eo quod in ipsa omnes animae potentiae congregantur. Sensibilis vero in brutis, et in plantis vegetabilis, dicuntur partes animae, quia aliquid de potentia animae habent, sed non totum. Unde dicitur in Lib. de plantis, quod non habent animam, sed partes animae. Et secundum hunc modum tripliciter assignantur partes prudentiae et aliis virtutibus. Uno enim modo assignantur ei partes quasi integrales, cum scilicet partes virtutis alicujus ponuntur aliqua quae exiguntur ad virtutem, in quibus perfectio virtutis consistit; et hae partes, proprie loquendo, non nominant per se virtutes, sed conditiones unius virtutis integrantes ipsam. Alio modo per modum partium subjectivarum; et sic partes illae nominant quidem virtutes, et ad invicem distinctas, sed non quidem a toto, cujus partes assignantur, quia illud de eis praedicatur. Tertio modo per modum totius potentialis, inquantum scilicet aliquae virtutes participant aliquid de modo qui principaliter et perfecte invenitur in aliqua virtute; et hoc patebit per singula. Sic igitur dico, quod partes quas assignat Tullius prudentiae, sunt partes integrales. Quia enim prudentia circa particularia operabilia est, in quibus universalia principia dirigunt propter eorum contingentiam et varietatem; oportet, sicut dicitur de scientiis in libro posteriorum, ex eodem genere principia accipere, ut ex similitudine aliorum factorum de his quae facere oportet, recte ratiocinetur prudens; et ideo indiget experientia et tempore, ut ex his quae fuerunt, quae memoria tenet, et ex his quae intelligentia respicit, de futuris provideat. Memoria enim est, secundum ipsum, per quam animus repetit illa quae fuerunt; intelligentia per quam prospicit ea quae sunt; providentia per quam aliquid futurum videtur antequam factum sit. Unde providentia est completiva et formalis pars prudentiae; aliae vero quasi materiales ad ipsam reducuntur.

Les touts se ramènent à trois genres : universel, intégral et potentiel. De même, on trouve trois parties correspondant aux trois choses mentionnées. En effet, la partie intégrale entre dans la constitution d’un tout : ainsi, le mur d’une maison. Mais la partie d’un tout universel reçoit ce qui est attribué au tout : ainsi, le fait pour l’homme d’être un animal. Toutefois, la partie d’un tout potentiel n’est jamais prédiquée du tout et il n’est pas nécessaire qu’elle entre dans sa constitution ; mais elle participe à quelque chose de la puissance du tout, comme cela ressort pour l’âme. En effet, l’âme raisonnable est tout entière appelée âme, du fait qu’en elle toutes les puissances de l’âme sont rassemblées. Mais l’âme sensible chez les animaux sans raison et chez les végétaux sont appelées des parties de l’âme parce qu’elles possèdent quelque chose de la puissance de l’âme, mais non sa totalité. Aussi dit-on dans le livre Sur les plantes, qu’elles n’ont pas l’âme, mais des parties de l’âme. Ainsi, trois parties sont attribuées à la prudence et aussi aux autres vertus. En effet, on lui attribue premièrement des parties pour ainsi dire intégrales, lorsqu’on donne  comme parties d’un vertu quelque chose qui est nécessaire pour la vertu et en quoi consiste la perfection de la vertu. À proprement parler, ces parties ne désignent pas par soi des vertus, mais les conditions qui concourent à l’intégrité d’une vertu. Deuxièmement, par mode de parties subjectives. Ces parties désignent ainsi des vertus distinctes les unes des autres, mais non pas du tout dont elles sont données comme des parties, car ce [tout] est prédiqué d’elles. Troisièmement, par mode de tout potentiel, pour autant que certaines vertus participent à quelque chose du mode qui se trouve principalement et parfaitement dans une vertu ; cela ressortira pour chaque cas. Je dis donc que les parties que Tullius [Cicéron] attribue à la prudence sont des parties intégrales. En effet, parce que la prudence porte sur des choses particulières susceptibles d’être accomplies, où des principes universels exercent une direction en raison de leur contingence et de leur diversité, il est nécessaire, comme on le dit dans le livre des Postérieurs analytiques, que le prudent tire des principes d’un même genre, afin que raisonner correctement sur ce qu’il doit faire à partir de la ressemblance avec d’autres actions posées. C’est pourquoi il a besoin de l’expérience et du temps afin que, à partir de ce qui a été, ce que retient la mémoire, et de ce que l’intelligence considère, il prévoie l’avenir. En effet, selon lui, la mémoire est ce par quoi l’esprit rappelle ce qui a été, l’intelligence, ce par quoi on considère ce qui est, la prévision, ce par quoi on envisage quelque chose à venir avant que cela ne soit accompli. La prévision est donc une partie formelle de la prudence, qui la complète, mais les autres se ramènent à elle comme des parties pour ainsi dire matérielles.

[12187] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod intelligentia hic dicitur cognitio eorum quae ad opus eligibile accommodata sunt. Et quia intelligentia est proprie universalium, quae sub tempore non cadunt, et ita quodammodo praesentis formam retinent; ideo intelligentia dicitur praesentium non solum universalium, quibus indiget prudens ad recte ratiocinandum de agendis, sed etiam singularium quae nunc sunt.

1. L’intelligence s’entend ici de la connaissance de ce qui est approprié à l’action qui doit être choisie. Et parce que l’intelligence porte à proprement parler sur ce qui est universel, qui n’est pas affecté par le temps et retient ainsi, d’une certaine manière, la forme du présent, on parle d’intelligence du présent, non seulement de ce qui est universel, dont le prudent a besoin pour raisonner correctement sur les actions à poser, mais aussi du singulier qui existe maintenant.

[12188] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod memoria praeteritorum indiget prudens non propter se, sed in ordine ad praesentia eligibilia, ut dictum est.

2. Le prudent a besoin de la mémoire du passé non pas pour lui-même, mais en rapport avec le présent qui doit être choisi, comme on l’a dit.

[12189] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod prudentia est formalis pars et completiva providentiae; et ideo etiam quodammodo prudentia illa complectitur ex quibus ratio procedit in provisionem futurorum.

3. La prudence est la partie formelle et achevée de la prévision. C’est pourquoi cette prudence est aussi formée d’une certaine manière de ce à partir de quoi la raison progresse en prévision du futur.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[12190] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem de partibus aliis assignatis a quibusdam, dicendum, quod etiam illae sunt sicut partes integrales: requiruntur enim ad prudentiam, secundum quod de futuris conjectat ex parte praeteritorum et praesentium, ex quibus procedit. Oportet enim prudentem viam accommodam ad finem intentum invenire; quod per providentiam facit, quae est praesens notio futurum pertractans eventum; et iterum prohibentia removere. Contingit autem providentiam tripliciter impediri. Uno modo ex parte ipsius viae inveniendae, quae quandoque videtur bona, et non est; et hoc impedimentum cautio aufert, cujus est ex virtutibus vitia virtutum speciem praeferentia discernere. Alio modo ex ordine ipsius in finem, ne scilicet via quae de se apta est ad finem, aliquo extrinseco impediatur ne in finem ducere possit; et hoc ad circumspectionem pertinet, quae est cautela vitiorum contrariorum, quibus praecipue prudentia impeditur. Tertio modo ex parte ipsius hominis tendentis in finem, qui vias accommodas ad finem intentum invenire non potest: unde oportet quod per doctrinam ab aliis accipiat. Quia oportet principia operabilia vel a se habere prudentem, vel ab alio faciliter accipere. Qui autem neutrum habet, hic inutilis est vir, ut dicitur in 1 Ethic. Et sic est docilitas passive dicta. Si autem docilitas accipiatur active, tunc pertinebit ad prudentiam secundum suum perfectissimum esse, prout scilicet non solum sibi, sed etiam aliis quae sunt utilia ad finem invenit; et sic dicitur prudentia erudiendi imperitos.

À propos des autres parties indiquées par certains, il faut dire que ces parties sont aussi des parties intégrales. En effet, elles sont nécessaires à la prudence, selon qu’elle conjecture l’avenir à partir du passé et du présent d’où elle prend son point de départ. En effet, il faut que le prudent trouve un chemin approprié vers la fin visée, ce qu’il réalise par la prévision, qui est une connaissance présente portant sur un événement futur ; il doit aussi écarter les empêchements. Or, il arrive que la prévision soit empêchée de trois manières. Premièrement, du côté du chemin même qu’il faut trouver, qui parfois paraît bon et ne l’est pas. C’est cet empêchement que la précaution écarte : il lui revient de discerner, à partir des vertus, les vices qui mettent en évidence l’espèce des vertus. Deuxièmement, en raison de son ordre à la fin, de crainte que le chemin qui, par soi, est apte à la fin, ne soit empêché de pouvoir conduire à la fin par quelque chose d’extérieur. Cela relève de la circonspection, qui est l’attention portée aux vices contraires, par lesquels la prudence est principalement empêchée. Troisièmement, du côté de l’homme qui tend vers la fin, qui ne peut trouver de chemins appropriés à la fin visée : il faut donc qu’il l’apprenne par l’enseignement des autres, car il faut que le prudent possède par lui-même les principes de l’action ou les reçoive facilement d’un autre. Celui qui n’a ni l’un ni l’autre est ici un homme inutile, comme le dit Éthique, I. On a ainsi la capacité d’apprendre au sens passif. Mais si la capacité d’apprendre est entendue au sens actif, elle relèvera alors du prudent selon son être le plus parfait, par lequel il trouve non seulement pour lui-même, mais aussi pour les autres ce qui est utile en regard de la fin. Ainsi entend-on la prudence qui enseigne à ceux qui sont inexpérimentés.

[12191] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non est contra rationem partium quasi integralium virtutis quod omnes concurrant ad actum unum.

1. Il n’est pas contraire au caractère des parties pour ainsi dire intégrales de la vertu qu’elles concourent toutes à un seul acte.

[12192] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis docilitas habeat principium in naturali dispositione, tamen complementum habet per gratiam, vel per consuetudinem, ut dicit philosophus 1 Ethic., quod oportet consuetudinibus duci de civilibus: quia talis principia operabilium habet, vel suscipere potest faciliter.

2. Bien que la capacité d’apprendre ait son principe dans une disposition naturelle, elle trouve cependant son achèvement par la grâce ou par la coutume ; ainsi, en Éthique, I, le Philosophe dit qu’« il faut se laisseer guider par les coutumes en matière civile, car on peut ainsi posséder ou facilement recevoir les principes pour agir ».

[12193] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quia prudentia regulat omnes alias virtutes, ideo omnes participant aliquid prudentiae; sicut irascibilis et concupiscibilis participant aliqualiter rationem. Unde illud quod ad alias virtutes pertinet participative, cautio scilicet, ad prudentiam pertinet essentialiter.

3. Parce que la prudence est la règle de toutes les autres vertus, toutes participent donc à quelque chose de la prudence, comme l’irascible et le concupiscible participent d’une certaine manière à la raison. Ainsi ce qui appartient aux autres vertus par participation, à savoir, la circonspection, appartient à la prudence de manière essentielle.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[12194] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem de partibus quas ponit philosophus sciendum est, quod sunt partes quasi potentiales, eo quod sunt virtutes et ab invicem et a prudentia distinctae, sicut ipse vult. Ad rationem enim pertinet praecipere quod faciendum est, quia aliae vires obediunt aliqualiter rationi. Ratio autem non praecipit nisi prius in se perfecta sit quantum ad id quod est sui ipsius, sicut nec aliqua res movet ante sui perfectionem. Perfectio autem rationis practicae, sicut et speculativae, consistit in duobus, scilicet in inveniendo et judicando de inventis. Inventio autem in agendis consilium est; et ideo oportet haberi virtutem per quam ratio consilietur; et haec est eubulia, quae, secundum philosophum, est rectitudo consilii, qua bonum inquiritur convenientibus mediis secundum debitum tempus, et alias circumstantias; et oportet haberi virtutem qua bene judicet de consiliatis; et haec est synesis, et gnome, quae qualiter differant, dicetur; et oportet haberi virtutem quae bene praecipiat; et haec est prudentia, quae, ut philosophus ibidem dicit, praeceptiva est. Sed quia in operabilibus cognitio ordinatur ad opus; ideo et consilium et judicium de consiliatis ad praeceptum de opere reducitur sicut ad finem; et propter hoc prudentia est usualis et principalis respectu aliarum, et aliae participant modum ipsius, sicut supra dictum est.

À propos des parties que le Philosophe indique, il faut savoir qu’elles sont des parties pour ainsi dire potentielles, du fait qu’elles sont des vertus distinctes l’une de l’autre et de la prudence, comme il le dit lui-même. En effet, il appartient à la raison de commander ce qui doit être fait, car les autres puissances obéissent d’une certaine manière à la raison. Or, la raison ne commande que si elle a d’abord été perfectionnée pour ce qui relève d’elle-même, de même qu’aucune chose ne meut rien avant d’être parfaite. Or, la perfection de la raison pratique, comme de la [raison] spéculative, consiste en deux choses : trouver et juger de ce qui a été trouvé. Or, trouver en matière d’actions à poser relève du conseil. C’est pourquoi il est nécessaire qu’il y ait une vertu par laquelle la raison est conseillée : c’est l’eubulia, qui, selon le Philosophe, est la droiture du conseil par laquelle le bien est recherché par les moyens qui conviennent, compte tenu du temps approprié et des autres circonstances. Et il est nécessaire qu’il y ait une vertu par laquelle elle porte un bon jugement sur ce qui est conseillé. Telles sont la synesis et la gnomè, dont nous dirons comment elles se différencient. Et il faut qu’il y ait une vertu qui commande bien : telle est la prudence, qui, comme le dit là le Philosophe, « est [la vertu] qui commande ». Mais parce que, dans les actions à poser, la connaissance est ordonnée à l’action, le conseil et le jugement à propos de ce qui est conseillé s’y ramènent comme à la fin. Pour cette raison, la prudence est commune et principale par rapport aux autres [vertus], et les autres participent à son mode, comme on l’a dit plus haut.

[12195] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod et consilium et judicium pertinent ad prudentem, non sicut principales actus ejus, sed sicut ea quibus utitur ad suum actum.

1. Le conseil et le jugement relèvent du prudent, non pas comme ses actes principaux, mais comme ce qui utilisé pour son acte.

[12196] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod judicium consistit adhuc in cognitivis terminis; sed electio est applicatio cognitionis ad opus; unde judicium praecedit electionem.

2. Le jugement porte aussi sur des termes cognitifs ; mais le choix est l’application de la connaissance à l’action. Aussi le jugement précède-t-il le choix.

[12197] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ad synesim pertinet recte judicare in illis ad quae se extendunt legis praecepta communiter: unde synesis est habitus judicativus agibilium; sed ad gnomen pertinet rectum judicium de illis in quibus lex deficit quae specialem habent difficultatem, in quibus epiceia dirigit, ut dicitur 6 Ethic.; unde gnome secundum philosophum est rectum judicium epiceios.

3. Il appartient à la synesis de juger correctement de ce sur quoi portent les  commandements de la loi d’une manière générale. Aussi la synesis est-elle un habitus qui juge des actions qui doivent être accomplies. Mais il appartient à la gnomè de juger correctement de ce sur quoi la loi fait défaut et qui comporte une difficulté particulière ; en une telle matière, l’epikeia dirige, comme il est dit dans Éthique, VI. Selon le Philosophe, la gnomè est donc le jugement droit portant sur ce qui est objet d’epikeia.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[12198] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem de partibus decem quas assignat philosophus Graecus, dicendum est, quod non sunt partes unius rationis; unde divisio est minus artificialis. Sciendum enim est, quod prudentia potest dupliciter considerari. Uno modo secundum esse absolutum; alio modo secundum perfectum esse ipsius. Salvatur autem ratio prudentiae in his quae ad ipsum prudentem pertinent, sed completum esse ejus secundum quod etiam ad alios se extendit. Primo ergo modo considerando prudentiam, sic providentia est pars ejus quasi integralis formalis, ut dictum est, quae secundum ipsum est habitus viam facere potens ad majus, idest melius, ut fiat sicut oportet; unde ipsa ponitur loco omnium aliarum partium ejusdem rationis. Eubulia autem est pars ejus quasi potentialis; quae secundum ipsum est scientia conferentium, idest utilium ad finem de quibus est consilium: et quia ipsa est prima, ideo ponitur loco aliarum quae consequuntur, et sunt unius rationis. Solertia autem eodem modo reducitur ad prudentiam, sicut eubulia: sed in hoc differunt, quia eubulia invenit medium conveniens ad opus ratiocinando et inquirendo, quia consilium quaestio est, ut dicitur in 3 Ethic.: sed solertia invenit quasi subito: est enim habitus ex repentino inveniens quod convenit, vel ut in 1 posteriorum dicitur, subtilitas quaedam in non prospecto tempore medii; non tamen ponitur virtus, in 6 Ethic., sicut eubulia: tum quia eubulia se habet ad bonum tantum, solertia autem ad bonum et ad malum: tum quia solertia magis dependet ex naturali ingenio quam ex assuetudine. Sciendum etiam, quod solertia est inventio medii sine perspecto tempore tam in operativis quam in speculativis, tam in necessariis quam in contingentibus; sed Eustochia est tantum in operativis, quae est bona conjectatio de contingentibus. Si autem consideretur prudentia secundum quod ad alios se extendit, sic non assignantur ei integrales aliae quam etiam prudentiae absolute consideratae; subjectivae autem et potentiales aliae. Potest enim aliquis coordinari alii dupliciter. Uno modo ad aliquem actum specialem, sicut scholares in his quae ad studium spectant, milites in his quae ad pugnandum; unde talis adunatio non remanet sed quamdiu actus talis exercetur respectu talis coordinationis ad alterum; et sic ordinat militaris, quae est habitus speculativus et practicus exercitui conferentium. Alio modo coordinatur aliquis alicui in vita simpliciter; unde talis coordinatio nata est semper manere, nisi per accidens dissolvatur. Haec autem vel est respectu eorum qui sunt in domo una; et sic est oeconomica, quae est habitus speculativus, idest considerativus, et practicus, idest activus, domui conferentium: vel est respectu eorum qui sunt in eadem civitate, et sic est politica, quae est habitus et speculativus et practicus civitati conferentium. Unde hae sunt partes subjectivae prudentiae. Sed quia in qualibet multitudine est duplex ordo, ut in 12 Metaph. dicitur: unus quo ordinatur tota multitudo ad finem communem; alius quo singulariter partes multitudinis ordinantur ad invicem secundum fines proprios; ideo politica habet duas partes: unam quae regi civitatis competit, cujus est bonum commune totius multitudinis conjectare, et haec dicitur regnativa, quae est experientia ejus quod est gubernare multitudinem innocue, vel legis positiva, ut in 6 Ethic. dicitur. Alia est quae competit cuilibet de civitate, secundum quod ad bonum commune ordinatur; et haec politica dicitur, nomen commune retinens. Et ideo dicit philosophus, quod legis positiva est architectonica, quia fines proximi ordinantur ad finem communem. Et similiter potest dividi militaris in ductivam; quae competit duci exercitus, et militarem simpliciter; et similiter oeconomica in paternam, quae competit patrifamilias; et oeconomicam simpliciter. Partes autem prudentiae sic acceptae potentiales, sunt omnes artes et disciplinae, quia politica de omnibus ordinat a quibus et quantum sunt addiscendae vel exercendae, ut dicitur in 1 Ethic. Et ideo physica quae est de operibus quae non sunt a nobis, quia est scientia eorum quae circa naturam sunt; et dialectica, quae est ex operibus quae sunt a nobis ordinatis ad sciendum, cum sit scientia bene disputandi; et rhetorica, quae est de his quae sunt a nobis ordinatis ad orandum, cum sit scientia bene dicendi ad persuadendum, dicuntur partes prudentiae, ut dictum est.

À propos des dix parties que donne un philosophe grec, il faut dire qu’elles ne sont pas des parties ayant une seule raison ; aussi la division est-elle faite avec un art moindre. En effet, il faut savoir que la prudence peut être envisagée de deux manières. Premièrement, selon son être absolu ; deuxièmement, selon son être parfait. Or, la raison de prudence est sauvegardée dans ce qui se rapporte au prudent lui-même, mais son être complet, selon qu’elle s’étend aussi à d’autres. En envisageant la prudence de la première manière, la prévison en est pour ainsi dire une partie intégrale formelle, comme on l’a dit, qui est en soi un habitus qui peut ouvrir la route vers quelque chose de plus grand, c’est-à-dire de meilleur, pour que cela soit accompli comme il le faut. Aussi [la prévision] est-elle mise à la place de toutes les autres parties qui ont le même caractère. Mais l’eubulia est pour ainsi dire une partie potentielle [de la prudence], qui, selon lui, est la science de ce qui se rapporte, c’est-à-dire, de ce qui est utile à la fin sur laquelle porte le conseil. Parce qu’elle vient en premier, elle est donc mise à la place des autres qui suivent et ont le même caractère. Mais l’ingéniosité (solertia) se ramène à la prudence de la même manière que l’eubulia ; elles diffèrent cependant en cela que l’eubulia trouve un moyen approprié pour l’action en raisonnant et en recherchant, car le conseil est une enquête (quaestio), comme il est dit dans Éthique, III ; mais l’ingéniosité trouve pour ainsi dire d’un coup. En effet, elle est l’habitus qui trouve d’un coup ce qui est approprié ou, comme il est dit dans les Postérieurs analytiques, I, « une subtilité concernant le moyen sans y consacrer de temps ». Cependant, dans Éthique, VI, on ne la présente pas comme une vertu semblable à l’eubulia, tant parce que l’eubulia porte seulement sur le bien, alors que l’ingéniosité porte sur le bien et le mal, que parce l’ingénioisité dépend davantage d’une capacité naturelle que d’une habitude. Il faut aussi savoir que l’ingéniosité consiste à trouver un moyen sans y consacrer de temps aussi bien dans le domaine pratique que dans le domaine spéculatif, aussi bien pour les choses nécessaires que pour les choses contingentes ; mais l’eustochia porte seulement sur ce qui est à faire : elle est une bonne estimation des réalités contingentes. Mais si l’on envisage la prudence selon qu’elle se rapporte à d’autres, on ne lui assigne pas alors d’autres parties intégrales que celles de la prudence considérée de manière absolue ; cependant, [on lui assignera] d’autres parties subjectives et potentielles. En effet, quelqu’un peut être en rapport avec un autre de deux manières. Premièrement, pour un acte particulier, comme les gens d’école, pour ce qui concerne l’étude, et les soldats, pour ce qui concerne le combat. Une telle réunion ne dure donc qu’aussi longtemps que cet acte sera exercé en rapport avec une telle mise en relation avec l’autre. C’est ainsi que la [prudence] militaire ordonne : elle est un habitus spéculatif et pratique portant sur ce qui se rapporte à l’armée. Deuxièmement, quelqu’un est mis en rapport avec un autre simplement pour vivre. Une telle réunion est donc destinée à durer toujours, à moins qu’elle ne soit dissoute par accident. Elle concerne soit ceux qui font partie d’une même maisonnée ; [la prudence] est ainsi économique : elle est un habitus spéculatif, à savoir, qui examine, et pratique, à savoir, qui agit, portant sur ce qui se rapporte à la maisonnée. Ou bien elle concerne ceux qui font partie de la même ville ; [la prudence] est ainsi politique : elle est un habitus spéculatif et pratique portant sur ce qui rapporte à la cité. Telles sont donc les parties subjectives de la prudence. Mais parce que, en chaque multitude, existe un double ordre, comme il est dit dans Métaphysique, XII : l’un par lequel toute la multitude est ordonnée à une fin commune, l’autre par lequel les parties de la multitude sont chacune ordonnées les unes par rapport aux autres selon leurs fins propres, la [prudence] politique comporte donc deux parties. L’une convient au dirigeant de la cité, à laquelle il revient de bien estimer le bien commun de toute la multitude : on l’appelle la [prudence] du gouvernement, qui est l’habileté à gouverner vertueusement la multitude, ou à établir la loi, comme il est dit dans Éthique, VI. L’autre est celle qui convient à chaque membre de la cité, selon qu’elle est ordonnée au bien commun : celle-ci s’appelle la [prudence] politique et elle conserve le nom commun. C’est pourquoi le Philosophe dit que « la [prudence] législative est architectonique », car les fins prochaines sont ordonnées à la fin commune. De même, on peut diviser la [prudence] militaire en [prudence] du chef, qui convient au chef de l’armée, et en [prudence] militaire simplement. De la même manière, [on peut diviser la prudence] économique en [prudence ] paternelle, qui convient au père de famille, et [prudence] économique simplement. Or, tous les arts et toutes les disciplines peuvent être ainsi compris comme des parties potentielles de la prudence, car la [prudence] politique ordonne par qui et dans quelle mesure ils doivent être appris et exercés, comme il est dit dans Éthique, I. C’est pourquoi, ainsi qu’on l’a dit, la physique, qui porte sur les actions qui ne viennent pas de nous, puisqu’elle est la science de ce qui concerne la nature ; la dialectique, qui porte sur des actes qui sont ordonnés par nous en vue du savoir, puisqu’elle est la science de bien disputer ; et la rhétorique, qui porte qui ce qui est ordonné par nous en vue de discourir, puisqu’elle est la science de bien parler en vue de persuader, sont appelées des parties de la prudence.

[12199] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod physica ponitur pars prudentiae, inquantum de ipsa ordinat et praecipit prudentia, ut dictum est, non autem ita quod sit pars ejus subjectiva vel integralis.

1. On donne la physique comme une partie de la prudence pour autant que la prudence ordonne et commande à son sujet, comme on l’a dit, mais non de telle sorte qu’elle en soit une partie subjective ou intégrale.

[12200] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 4 ad 2 Similiter autem est dicendum ad secundum de dialectica et rhetorica.

2. On doit répondre de la même manière à propos de la dialectique et de la rhétorique.

[12201] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod politica est prudentia quaedam, qua homo dirigitur in his quae ad alium spectant; unde nominat prudentiam completam. Et quia non omnis prudentia habet istam completionem; ideo ponitur pars ejus. Tamen in eo in quo completum habet esse, prudentia non differt secundum substantiam habitus prudentiae et politicae, sed ratione tantum.

3. La [prudence] politique est une prudence par laquelle l’homme est dirigé dans ce qui se rapporte à un ‘autre ; elle désigne donc une prudence achevée. Et parce que toute prudence ne comporte pas un tel achèvement, elle en est ainsi présentée comme une partie. Cependant, pour ce par quoi elle a un être achevé, l’habitus de la prudence et de la [prudence] politique ne diffèrent pas selon leur substance, mais selon la raison seulement.

[12202] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod militare exercitium maxime pertinet ad conservationem communitatis; et ideo militaris potius ponitur quam aliae, ut negotialis et hujusmodi: per eam enim intelliguntur; sicut etiam per artes liberales quas tangit, dicuntur intelligi mechanicae, quae simili modo sunt partes prudentiae.

4. L’exercice militaire concerne au plus haut point la conservation de la communauté ; c’est pourquoi on mentionne plutôt la [prudence] militaire que les autres, telles la [prudence] commerciale et celles de ce genre. En effet, c’est par elle qu’elles se comprennent, de même aussi qu’on dit des [arts] mécaniques, qui sont semblablement des parties de la prudence, qu’ils se comprennent par les arts libéraux qu’elle aborde.

[12203] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod regnum inter alia regimina dignius est, ut philosophus in 8 Ethic. dicit, et ideo potius regnum quam alia posuit.

5. Le gouvernement royal est plus digne que les autres gouvernements, comme le dit le Philosophe dans Éthique, VIII. C’est pourquoi il est mentionné plutôt que les autres.

 

 

Articulus 2 [12204] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 2 tit. Utrum continentia, clementia et modestia sint partes temperantiae, sicut dicit Tullius

Article 2 – La continence, la clémence et la modestie sont-elles des parties de la tempérance, comme le dit Tullis [Cicéron] ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Les parties de la prudence sont-elles bien présentées dans la Première Rhétorique de Tullius [Cicéron] ?]

[12205] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod partes temperantiae male assignentur a Tullio in prima rhetorica. Dicit enim, quod partes temperantiae sunt continentia, clementia et modestia; et videtur quod male. Quia continentia, ut dicit philosophus in 7 Ethic., dividitur contra virtutem universalem. Ergo non debet poni pars alicujus virtutis.

1. Il semble que les parties de la prudence soient mal présentées dans la Première Rhétorique de Tullius [Cicéron]. En effet, il dit que les parties de la tempérance sont la continence, la clémence et la modestie, et il semble que ce soit à tort, car la continence, comme le dit le Philosophe dans Éthique, VII, se distingue de la vertu universelle. Elle ne doit donc pas être présentée comme une  partie d’une vertu.

[12206] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, clementia, ut dicit Tullius, est virtus per quam animus concitatus in odium alicujus, benignitate retinetur. Hoc autem videtur ad mansuetudinem pertinere: mansuetudo autem non est pars temperantiae, cum sit in irascibili, temperantia autem in concupiscibili. Ergo videtur quod nec clementia debeat poni pars temperantiae.

2. Comme le dit Tullius [Cicéron], « la clémence est la vertu par laquelle l’esprit, poussé à la haine de quelqu’un, est retenu par l’indulgence ». Or, cela semble se rapporter à la douceur ; mais la douceur n’est pas une partie de la tempérance, puisqu’elle se trouve dans l’irascible, alors que la tempérance [se trouve] dans le concupiscible. Il semble donc que la clémence non plus ne doive pas être présentée comme une partie de la tempérance.

[12207] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, modestia a modo observando dicitur. Sed hoc est necessarium in qualibet virtute. Ergo modestia non est pars alicujus virtutis; sed consequitur omnem virtutem.

3. Modestie (modestia) vient de « mesure (modo) à observer ». Or, cela n’est pas nécessaire dans toutes les vertus. La modestie n’est donc pas une partie d’une vertu, mais elle découle de toutes les vertus.

[12208] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 4 Praeterea, Tullius dicit, quod modestia est pudor honestatis, puram et stabilem comparans auctoritatem. Pudor autem videtur esse idem quod verecundia. Cum ergo verecundia non sit virtus, sed passio, ut dicit philosophus in 4 Ethic., videtur quod modestia non debeat poni pars virtutis.

4. Tullius [Cicéron] dit que « la modestie est la pudeur de l’honnêteté, procurant une autorité pure et solide ». Or, la pudeur semble être la même chose que la gêne. Puisque la gêne n’est pas une vertu, mais une passion, comme le dit le Philosophe dans Éthique, IV, il semble donc que la modestie ne doive être présentée comme une partie d’une vertu.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La sobriété et la chasteté sont-elles des parties de la tempérance ?]

[12209] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. A quibusdam ponuntur partes temperantiae sobrietas et castitas; et potest haberi ex 3 Ethic.; et videtur quod insufficienter. Quia sobrietas est circa delectationes gustus, castitas autem circa delectationes tactus. Cum igitur etiam alii sensus habeant suas delectationes, videtur etiam quod circa eas debeant assignari aliquae virtutes.

1. La sobriété et la chasteté sont présentées par certains comme des parties de la tempérance ; on trouve cela dans Éthique, III. Et il semble que ce soit insuffisant, car la sobriété porte sur les plaisirs du goût, mais la chasteté sur les plaisirs du toucher. Puisque les autres sens ont aussi leurs plaisirs, il semble donc qu’on doive aussi leur assigner des vertus.

[12210] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, contingit peccare non solum in delectationibus sensuum exteriorum, sed etiam in delectationibus sensuum interiorum, et etiam intellectus, sicut patet de curiositate. Similiter etiam in delectationibus et concupiscentia exteriorum rerum, ut honoris, pecuniae, et hujusmodi, quae secundum se videntur eligibilia, contingit esse peccatum per superabundantiam, ut dicitur in 7 Ethic. Sed virtus et vitium sunt circa idem. Ergo et circa illas delectationes debet aliqua virtus poni.

2. Il arrive qu’on pèche non seulement dans les plaisirs des sens extérieurs, mais aussi dans les plaisirs des sens intérieurs, et même de l’intelligence, comme cela ressort pour la curiosité. De même, le péché survient par excès dans les plaisirs et la convoitise des choses extérieures, comme l’honneur, l’argent et les choses de ce genre, qui semblent être par elles-mêmes objets de choix, comme il est dit dans Éthique, VII. Or, la vertu et le vice portent sur la même chose. Il faut donc proposer une vertu pour ces plaisirs.

[12211] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, virtus est circa difficile et bonum. Sed magis sunt difficilia ad quae non omnes tenentur, sicut virginitas, et abstinentia etiam ciborum necessariorum, quam sobrietas et castitas. Ergo magis debent poni partes virtutis.

3. La vertu porte sur ce qui est difficile et bon. Or, ce à quoi tous ne sont pas tenus est plus difficile que la sobriété et la chasteté : ainsi, la virginité et aussi l’abstinence de nourritures nécessaires. Elles doivent donc être plutôt proposées comme des parties de la vertu.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Les sept parties de la tempérance présentées par un philosophe grec sont-elles correctes ?]

 [12212] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Quidam philosophus Graecus ponit septem partes temperantiae, scilicet austeritatem, continentiam, humilitatem, simplicitatem, ornatum, bonam ordinationem, per se sufficientiam; et videtur quod male. Austeritas enim, ut ipse dicit, est habitus secundum quem aliqui neque afferunt aliis delectationes collocutionum, neque ab aliis recipiunt. Hoc autem videtur esse vitiosum, et contrarium amicitiae, quae maxime collocutionibus amicorum gaudet. Ergo austeritas non debet poni pars virtutis.

1. Un philosophe grec donne sept parties de la tempérance : l’austérité, la continence, l’humilité, la simplicité, le costume, le bon maintien, l’autosuffisance, et il semble que ce soit à tort. En effet, comme il le dit, l’austérité est un habitus selon lequel certains ne donnent pas aux autres le plaisir des échanges, ni n’en reçoivent des autres. Or, cela semble être le fait d’un vice et contraire à l’amitié, qui se réjouit surtout des échanges entre amis. L’austérité ne doit donc pas être présentée comme une partie de vertu.

[12213] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, humilitas superbiae opponitur. Sed superbiam philosophus ponit inter vitia quae opponuntur fortitudini, ut patet in 3 Ethic. Ergo humilitas non est adjuncta temperantiae, sed fortitudini.

2. L’humilité s’oppose à l’orgueil. Or, le Philosophe place l’orgueil parmi les vices qui s’opposent à la force, comme cela ressort d’Éthique, III. L’humilité n’est donc pas associée à la tempérance, mais à la force.

[12214] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, ipse dicit, quod humilitas est habitus non superabundans in sumptibus et praeparationibus. Sed quicumque non superabundat, est contentus illis quibus oportet. Ergo cum ipse dicat quod hoc pertinet ad per se sufficientiam, videtur quod idem sit humilitas quod per se sufficientia.

3. Le Philosophe dit que l’humilité est l’habitus qui ne fait pas d’excès dans les dépenses et les préparatifs. Or, quiconque ne fait pas d’excès se contente de ce qui lui est nécessaire. Puisque [le Philosophe] dit que cela relève de l’autosuffisance, il semble donc que l’humilité soit la même chose que l’autosuffisance.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[12215] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod illae partes quas Tullius ponit, partes potentiales sunt, inquantum participant modum temperantiae. Sicut enim in scientiis modum oportet secundum materiam inquirere, ut dicitur in 1 Ethic., ita et in virtutibus. Materia autem virtutum moralium actiones et passiones humanae sunt. In passionibus autem quaedam sunt in quibus passionem inferens de sui ratione natum est in prosecutionem movere, sicut delectabile quod concupiscibili passiones infert; et in his difficile est retrahi a prosecutione, et facile est prosequi. Unde temperantia, quae circa principalia delectabilia est, modum habet in retrahendo; et propter hoc temperatus plus assimilatur insensibili, qui superabundat in fuga, quam intemperato qui superabundat in prosecutione talium delectabilium. In passionibus autem in quibus passionem inferentia nata sunt ad fugam movere, sicut sunt timores et audaciae, difficile est prosequi vel sustinere, facile autem fugere; unde modus fortitudinis, quae circa timores et audacias maximorum terribilium est, modus est in aggrediendo; et ideo fortis magis similatur audaci qui superabundat in aggrediendo, quam timido qui superabundat in fugiendo. In actionibus autem non consideratur inclinatio affectus magis ad unum quam ad aliud nisi per accidens, inquantum convincitur passionibus. Et ideo justitiae, quae circa actiones est, modus est aequalitas, sicut fortitudinis superextensio, et temperantiae refrenatio et diminutio. Omnes igitur virtutes in quibus difficultas consistit in refrenando prosecutionem, conveniunt in modo cum temperantia: hoc autem contingit in omnibus in quibus est inclinatio ad prosequendum. Haec autem inclinatio duplex est. Una qua affectus inclinatur per passionem; alia qua ex passionibus ipsius est inclinatio ad exteriores gestus, quae sunt signa interioris passionis. Affectus autem inclinat ad prosequendum vel bonum proprium; et hanc inclinationem refrenat continentia, quae, ut dicit Tullius est per quam cupiditas consilii gubernatione regitur; vel malum alienum, inquantum est contrarium bono proprio; et hanc inclinationem refrenat clementia, quae, ut dicit Tullius ibid. est virtus per quam animus in odium alicujus concitatus, benignitate retinetur. Inclinationem autem quae ad exteriores gestus est, quibus interior affectus ostenditur, refrenat modestia, ut nihil in eis immoderatum sit; quae est virtus per quam pudor honestatis puram et stabilem comparat auctoritatem. Sed quia difficillimum est refrenare a delectationibus tactus, ideo iste modus in temperantia quae est circa hujusmodi delectationes consistit principaliter, et quasi integraliter, in aliis autem participative.

Ces parties que propose Tullius [Cicéron] sont des parties potentielles dans la mesure où elles participent au mode de la tempérance. En effet, de même que, pour les sciences, il faut chercher le mode selon la matière, comme il est dit dans Éthique, I, de même aussi pour les vertus. Or, ce sont les actions et les passions humaines qui sont la matière des vertus morales. Mais, parmi les passions, il y en a certaines où ce qui provoque la passion pousse par nature à les rechercher, comme ce qui est délectable provoque des passions dans le concupiscible. Dans ces cas-là, il est difficile d’être empêché de rechercher et il est facile de rechercher. La tempérance, qui porte sur les principaux plaisirs, a donc comme mode la retenue. Pour cette raison, celui qui est tempéré ressemble davantage à celui qui est insensible, qui commet un excès en fuyant, qu’à celui qui est intempérant, qui commet un excès en poursuivant de tels plaisirs. Mais pour les passions où ce qui provoque une passion pousse par nature à la fuite, comme les craintes et les audaces, il est difficile de poursuivre ou de supporter, mais facile de fuir. Le mode de la force, qui porte sur les craintes et les audaces concernant les choses les plus terribles, consiste à attaquer. Aussi le fort ressemble-t-il davantage à l’audacieux qui commet un excès dans l’attaque, qu’au timide qui commet une excès dans la fuite. Or, dans les actions, on ne considère que par accident l’inclination de la puissance affective à une chose plutôt qu’à une autre, sauf lorsqu’elle est vaincue par les passions. C’est pourquoi le mode de la justice, qui porte sur les actions, est l’égalité, comme un effort supplémentaire l’est pour la force, et la retenue et la réduction pour la tempérance. Toutes les vertus pour lesquelles la difficulté consiste à réfréner la poursuite ont donc dans leur mode quelque chose en commun avec la tempérance : cela se produit dans toutes celles où existe une inclination à la poursuite. Or, cette inclination est double. L’une, par laquelle la puisance affective est inclinée par la passion ; l’autre, par laquelle, en raison de ses passions, existe une inclination vers des gestes extérieurs, qui sont les signes d’une passion intérieure. Or, la puissance affective incline à rechercher soit son bien propre : la continence réfrène cette inclination, qui, comme le dit Tullius [Cicéron], est celle par laquelle la cupidité est dirigée par le gouvernement du conseil ; soit le mal d’un autre, pour autant qu’il est contraire à son bien propre : la clémence réfrène cette inclination, qui, comme le dit Tullius [Cicéron] au même endroit, est la vertu par laquelle l’esprit, poussé à la haine de quelqu’un, est retenu par la bienveillance. Mais la modestie réfrène l’inclination vers les gestes extérieurs, par lesquels un sentiment intérieur est manifesté, afin que rien ne soit démesuré en eux. C’est la vertu par laquelle la retenue de l’honnêteté procure une autorité pure et solide. Mais parce qu’il est très difficile de réfréner les plaisirs du toucher, le mode de la tempérance qui porte sur ces plaisirs se retrouve principalement et presque intégralement dans les autres par manière de participation.

[12216] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod continentia tripliciter dicitur. Uno modo secundum quod aliquis habet rationem rectam, quae a passionibus excellentibus nondum edomitis refrenat; et est circa eadem ac temperantia, ut in 7 Ethic. dicitur: sic enim philosophus continentiam accipit; et differt a temperantia in hoc quod temperatus hujusmodi passiones non patitur; et secundum hoc continentia non est virtus, quia operatur quod bonum est, non delectabiliter et faciliter, quod requiritur ad virtutem; et ita reducitur ad temperantiam sicut imperfectum ad perfectum, et ut pars potentialis. Alio modo dicitur continentia secundum quam homo se refrenat non solum ab illicitis delectationibus, sed etiam a licitis; et sic dicit quemdam perfectum statum temperantiae, sicut et virginitas; unde reducitur ad temperantiam per modum partis subjectivae. Tertio modo dicitur continentia per quam retinetur animus a quibuslibet concupiscentiis; et hanc acceptionem ponit etiam philosophus in 7 Ethicor., et sic videtur eam accipere Tullius, ut patet per definitionem positam. Unde sic ponitur pars temperantiae, inquantum participat modum temperantiae, etiam circa alienum.

1. On parle de continence de trois manières. Premièrement, selon que quelqu’un possède une raison droite qui [le] retient de passions excessives qui ne sont pas encore domptées. Elle porte sur les mêmes réalités que la tempérance, comme on le dit dans Éthique, VII : en effet, c’est ainsi que le Philosophe la conçoit ; et elle diffère de la tempérance en ce que celui qui a la tempérance ne subit pas de telles passions. De ce point de vue, la continence n’est pas une vertu, car elle ne fait pas ce qui est bien de manière délectable et facile, ce qui est requis pour la vertu. Elle se ramène ainsi à la tempérance comme l’imparfait au parfait, et comme une partie potentielle. Deuxièmement, on parle de continence par laquelle l’homme se retient non seulement de plaisirs défendus, mais aussi de [plaisirs] permis. Elle exprime ainsi un état parfait de la tempérance, comme la virginité. Elle se ramène donc à la tempérance par mode de partie subjective. Troisièmement, on parle de continence par laquelle l’esprit est retenu de toutes les convoitises. Le Philosophe propose aussi ce sens dans Éthique, VII, et c’est ainsi que Tullius [Cicéron] l’entend, comme cela ressort de la définition mentionnée. Elle est donc ainsi présentée comme une partie de la tempérance, dans la mesure où elle participe au mode de la tempérance, même par rapport à ce qui appartient à un autre.

[12217] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod clementia non est omnino idem quod mansuetudo: quia mansuetudo refrenat a concitatione, ut scilicet quis per iram non incitetur: est enim secundum philosophum Graecum virtus irascibilis, secundum quam ad iras sumus difficile mobiles; clementia autem refrenat ab executione vindictae etiam post comminationem; et sic clementia magis est circa actiones; et sic est pars justitiae epiceia, quia epiceius est diminutivus poenarum, ut dicit philosophus in 5 Ethic. Tamen possunt ratione praedicta clementia et mansuetudo sicut partes potentiales ad temperantiam reduci: quia partes potentiales virtutum non oportet quod communicent cum eis in materia et subjecto, sed in modo.

2. La clémence n’est pas du tout la même chose que la douceur, car la douceur réfrène l’emportement, de sorte qu’on ne soit pas poussé par la colère. En effet, selon un philosophe grec, elle est une vertu de l’irascible par laquelle nous sommes difficilement ébranlés par la colère. Mais la clémence met un frein à l’exécution de la vengeance, même après une menace. La clémence porte donc plutôt sur des actions. Elle est ainsi une partie de l’épikeia de la justice, car celui qui possède l’épikeia tend à diminuer les peines, comme le dit le Philosophe dans Éthique, V. Toutefois, la clémence et la douceur peuvent pour la raison mentionnée être ramenées à la tempérance comme ses parties potentielles, car il n’est pas nécessaire que les parties potentielles des vertus aient en commun la matière et le sujet, mais le mode.

[12218] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod modestia non dicitur ex hoc quod imponat modum in qualibet materia secundum quod hic accipitur, sed tantum in exterioribus gestibus, ut scilicet in eis maturitas debita observetur; et hujus virtutis pars potissima est eutrapelia, quam philosophus ponit 5 Ethic., quia etiam in ludicris, in quibus est difficilius, modum debitum non excedit.

3. On ne parle pas de modestie du fait qu’elle impose une mesure en n’importe quelle matière, au sens où on l’entend ici, mais seulement pour les gestes extérieurs, de sorte que la maturité appropriée y soit respectée. La partie la plus importante de cette vertu est l’eutrapélie, que présente le Philosophe dans Éthique, V, car même dans les jeux, où cela est plus difficile, elle ne dépasse pas la mesure.

[12219] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod pudor non ponitur hic pro passione verecundiae, sed pro quadam exteriori compositione, cujus pudor causa esse potest; sicut etiam castitas pudor interdum dicitur, quia contrarium ejus maxime est turpe, quod verecundia timet. Similiter contrarium modestiae est maxime apparens; et sic est natum confusionem inducere, quam pudor timet.

4. La pudeur n’est pas présentée ici comme la passion de la gêne, mais comme un comportement extérieur dont la pudeur peut être la cause, comme on parle aussi parfois de pudeur pour la chasteté parce que son contraire est très honteux, ce que craint la pudeur. De même, le contraire de la modestie est très apparent ; il peut ainsi entraîner naturellement la confusion, que craint la pudeur.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[12220] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum de aliis partibus, scilicet sobrietate et castitate, quod sunt partes subjectivae temperantiae; quia castitas est circa delectabilia tactus absolute, quae sunt in venereis: sobrietas autem circa delectabilia gustus, prout est tactus quidam, quae sunt in cibis et potibus.

Il faut dire à propos des autres parties: la sobriété et la chasteté, qu’elles sont des parties subjectives de la tempérance, car la chasteté porte sur les plaisirs du toucher de manière absolue, qui concernent les [plaisirs] sexuels ; mais la sobriété porte sur les plaisirs du goût en tant qu’il est une forme de toucher, et qui concerne la nourriture et les boissons.

[12221] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod delectationes aliorum sensuum non sunt vehementes sicut delectationes tactus, eo quod non sunt per conjunctionem rei, sed speciei. Unde difficultas refrenandi istas delectationes non est ex impetu earum; et ideo non oportet quod sit aliqua virtus in parte affectiva circa eas; sed sufficit ad hoc prudentia, quae est in ratione.

1. Les plaisirs des autres sens ne sont pas aussi intenses que les plaisirs du toucher du fait qu’ils ne viennent pas de l’union avec une chose, mais avec une espèce. La difficulté de réfréner ces plaisirs ne vient donc pas de leur ardeur. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire qu’il y ait une vertu de la partie affective portant sur eux, mais la prudence y suffit, qui se trouve dans la raison.

[12222] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum similiter de aliis delectationibus.

2. Il faut dire la même chose des autres plaisirs.

[12223] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod virginitas et hujusmodi non sunt virtutes, sed nominant statum virtutis; et ideo de eis non fit mentio.

3. La virginité et [les vertus] de ce genre ne sont pas des vertus, mais elles désignent un état vertueux. C’est pourquoi il n’en est pas fait mention.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[12224] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem de aliis partibus quas philosophus Graecus ponit dicendum est, quod accipiuntur eodem modo sicut partes Tullii, nisi quod clementiam omittit. Continentiam enim ponit, et videtur eam accipere sicut philosophus; unde dicit, quod continentia est habitus invictus a delectatione. Sed modestiam in multa dividit secundum diversa exteriora in quibus oportet hominem modum imponere. Exteriora enim in quibus modestia modum imponit, sunt tria. Primum est collocutiones ad eos quibus convivimus; et in his ponit modum austeritas cujus definitio in objiciendo supra posita est. Secundum est bona exteriora, ut vestes, equi, et hujusmodi, et in his ponit modum humilitas quantum ad quantitatem in usu; unde secundum ipsum, humilitas est habitus non superabundans in sumptibus et praeparationibus; sed simplicitas quantum ad modum quaerendi, quae secundum ipsum est habitus contentus his quae contingunt, non enim multum solicitus est de talibus. Tertium est actiones propriae quae ad corpus pertinent; et in his ponit modum quantum ad agentem ornatus, qui secundum ipsum est scientia circa decens in motu et habitudine: quantum autem ad exteriora, quae consideranda sunt ut debito tempore, et loco, et hujusmodi, ordinatio, quae secundum ipsum est experientia separationis et discretionis actuum, ut sciat loqui verum in tempore suo; quantum vero ad instrumenta, vel auxilia quibus indigemus ad actionem, est per se sufficientia, quae secundum ipsum est habitus contentus quibus oportet.

Il faut dire des autres parties que le philosophe grec donne qu’elles s’entendent de la même manière que les parties de Tullius [Cicéron], sauf qu’il omet la clémence. En effet, il donne la continence, et il semble qu’il l’entende comme le Philosophe ; aussi dit-il que la continence est un habitus qui reste invaincu par le plaisir. Mais il divise la modestie en plusieurs choses selon les diverses réalités auxquelles  l’homme doit imposer une mesure. En effet, les choses extérieures, pour lesquelles la modestie impose une mesure, sont au nombre de trois. Premièrement, il y a les échanges verbaux avec ceux qui vivent avec nous. Pour ceux-là, l’austérité, dont la définition est donnée dans une objection précédente, impose une mesure. Deuxièmement, il y a les biens extérieurs, comme les vêtements, les chevaux et les choses de ce genre. Pour eux, l’humilité impose une mesure pour ce qui est de la quantité dont on fait usage. Selon lui, l’humilité est donc « un habitus qui ne fait pas d’excès dans les dépenses et les préparatifs » ; mais la simplicité impose une mesure dans la recherche : selon lui, elle est « un habitus qui se contente de ce qui arrive ; en effet, il ne se préoccupe pas beaucoup de telles choses ». Troisièmement, il y a les actions propres qui se rapportent au corps. Pour eux, la tenue impose une mesure du point de vue de celui qui agit. Selon lui, c’est « la science de ce qui est approprié dans le mouvement et l’attitude ». Pour les choses extérieures, il faut tenir compte du bon ordre selon le temps approprié, le lieu et les choses de ce genre. Selon lui, il s’agit de la pratique  de la distinction et du discernement dans les actes, de sorte qu’on sache dire la vérité en son temps. Pour les instruments ou les aides dont nous avons besoin pour l’action, il s’agit de l’autosuffisance, qui, selon lui, « se satisfait de ce qui est nécessaire ».

[12225] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod austeritas, secundum quod ponitur virtus, non omnino aufert delectationem quae est in colloquiis, sed aufert superabundantiam in illa. Et quia major difficultas accidit in abstinendo ab his, ideo a defectu haec virtus nomen accepit.

1. L’austérité, si elle est proposée comme une vertu, n’enlève pas complètement le plaisir des conversations, mais elle enlève l’excès qui s’y rencontre. Et parce qu’il y a une difficulté plus grande de s’abstenir en de telles choses, c’est pourquoi cette vertu reçoit son nom à partir de l’absence.

[12226] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod superbus, inquantum se superextendit ad ea quae sunt supra ipsum, sic habet aliquid de modo audacis; et ideo reducitur aliquo modo ad vitia opposita fortitudini; quamvis proprie loquendo, secundum quod communiter de superbia loquimur, magis sit excessus magnanimitatis. Humilitas autem, inquantum diminutio est, habet aliquid de modo temperantiae; et ideo ad ipsam reducitur sicut pars potentialis.

2. L’orgueil, dans la mesure où il s’étend indûment à ce qui le dépasse, a quelque chose du comportement de l’audacieux. C’est pourquoi [l’orgueil] se ramène d’une certaine manière aux vices opposés à la force, bien que, à proprement parler, si nous parlons de l’orgueil d’une manière générale, il soit davantage un excès de magnanimité. Mais l’humilité, pour autant qu’elle est une diminution, a quelque chose de la tempérance. C’est pourquoi elle se ramène à elle comme une partie potentielle.

[12227] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod differentia humilitatis et per se sufficientiae patet ex his quae dicta sunt.

3. La différence entre l’humilité et l’autosuffisance ressort de ce qui a été dit.

Articulus 3 [12228] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 tit. Utrum magnificentia, fidentia, patientia, perseverantia bene assignentur a Tullio esse partes fortitudinis

Article 3 – La magnificence, l’assurance, la patience et la persévérance sont-elles incorrectement assignées par Tullius [Cicéron] comme parties de la force ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Tullius [Cicéron] assigne-t-il incorrectement les parties de la force ?]

[12229] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod partes fortitudinis male assignentur a Tullio. Assignat enim has partes, magnificentiam, fidentiam, patientiam, perseverantiam. Magnificentia enim, ut dicit philosophus, est idem liberalitati. Sed liberalitas ad justitiam reducitur. Ergo et magnificentia.

1. Il semble que Tullius [Cicéron] assigne  mal les parties de la force. En effet, il propose ces parties : la magnificence, la confiance, la patience, la persévérance. En effet, la magnificence, comme le dit le Philosophe, est la même chose que la libéralité. Or, la libéralité se ramène à la justice. Donc, la magnificence aussi.

[12230] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, fiducia ad spem pertinet. Sed materia fortitudinis non est spei passio, sed timor et audacia, ut dicit philosophus. Ergo pars fortitudinis non est fiducia.

2. La confiance relève de l’espérance. Or, la matière de la force n’est pas la passion de l’espoir, mais la crainte et l’audace, comme le dit le Philosophe. La confiance n’est donc pas une partie de la force.

[12231] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, philosophus reducit in idem mitem et abstinentem, qui videtur idem quod patiens: quia abstinens est qui patitur et non deducitur: mitis qui non patitur. Sed mansuetudo sive clementia ponitur pars temperantiae. Ergo et patientia.

3. Le Philosophe ramène au même le doux et l’abstinent, qui semble se ramener à celui qui est patient, puisque l’abstinent est celui qui éprouve sans être entraîné, mais le doux, celui qui n’éprouve pas. Or, la douceur ou la clémence ne sont pas présentées comme des parties de la tempérance. Donc, la patience non plus.

[12232] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 1 arg. 4 Praeterea, ad perseverantiam pertinere videtur immobiliter operari. Sed hoc in omni virtute requiritur, ut dicit philosophus in 2 Ethic. Ergo perseverantia non debet poni pars fortitudinis.

4. Agir de manière immuable semble relever de la persévérance. Or, cela est requis pour toute vertu, comme le dit le Philosophe dans Éthique, II. La persévérance ne doit donc pas ête présentée comme une partie de la force.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Les sept parties de la force indiquées par Macrobe sont-elles correctes ?]

[12233] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. A Macrobio ponuntur septem partes fortitudinis, scilicet magnanimitas, fiducia, securitas, magnificentia, constantia, tolerantia, firmitas; et videtur quod male. Magnanimitas enim est circa magnos honores qui inter bona computantur, ut dicitur in 4 Ethicor.: fortitudo autem est circa audacias et timores quae sunt magnorum malorum. Ergo magnanimitas non est fortitudinis pars, cum sit circa oppositam materiam.

1. Macrobe donne sept parties de la force : la magnanimité, la confiance, l’assurance, la magnificence, la constance, la tolérance, la fermeté, et il semble que ce soit à tort. En effet, la magnanimité porte sur les grands honneurs qui sont comptés parmi les biens, comme il est dit dans Éthique, IV ; mais la force porte sur les audaces et les craintes qui ont pour objets de grands maux. La magnanimité n’est donc pas une partie de la force, puisqu’elle porte sur une matière opposée.

[12234] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, unum vitium non opponitur duabus virtutibus. Sed timiditas opponitur securitati et fiduciae. Ergo non sunt duae virtutes, sed una.

2. Un seul vice n’est pas l’opposé de deux vertus. Or, la timidité s’oppose à l’assurance et la confiance. Elles ne sont donc pas deux vertus, mais une seule.

[12235] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, constantia mutabilitati opponitur: similiter etiam et firmitas. Ergo non debent poni duae partes fortitudinis.

3. La constance s’oppose à la possibilité de changer ; de même aussi, la fermeté. Elles ne doivent donc pas être proposées comme deux parties de la force.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Les cinq modes que le Philosophe associe à la force sont-ils corrects ?]

[12236] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Philosophus ponit quinque modos adjunctos fortitudini verae, scilicet civilem, militarem, illam quae ex furore vel tristitia, illam quae procedit ex experientia, quae facit spem vincendi propter frequenter vicisse, et illam quae procedit ex ignorantia; et videtur quod male. Quia istae virtutes cardinales sunt virtutes politicae. Sed genus additum speciei non contrahit in partem speciei. Ergo civilis fortitudo non est pars fortitudinis.

1. Le Philosophe propose cinq modes associés à la vraie force : la force civile, la force militaire, celle qui vient de la fureur ou de la tristesse, celle qui vient de l’expérience et qui donne l’espoir de l’emporter parce qu’on l’a souvent emporté, et celle qui vient de l’ignorance ; et il semble que ce soit à tort, car ces vertus cardinales sont des vertus politiques. Or, le genre ajouté à l’espèce ne restreint pas une partie de l’espèce. La force civile n’est donc pas une partie de la force.

[12237] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, militaris sub politica ordinatur, ut dicit philosophus. Ergo non debet dividi militaris fortitudo contra civilem.

2. La [force] militaire se range sous la [force] politique, comme le dit le Philosophe. La [force] militaire ne doit donc pas être séparée de la [force] civile.

[12238] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 3 arg. 3 Praeterea, ignorantia excusat a peccato propter hoc quod tollit voluntarium. Sed voluntarium requiritur ad virtutem, sicut ad peccatum. Ergo non debet poni aliqua pars virtutis per ignorantiam.

3. L’ignorance exempte du péché parce qu’elle enlève le volontaire. Or, le volontaire est exigé pour la vertu, comme pour le péché. On ne doit donc pas proposer comme partie d’une vertu ce qui est fait par ignorance.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Les sept choses associées à la force par un philosophe grec sont-elles correctes ?]

[12239] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Quidam philosophus Graecus ponit septem annexa fortitudini, scilicet eupsychiam, leniam, magnanimitatem, virilitatem, perseverantiam, magnificentiam, andragathiam; et videtur quod male. Quia, ut ipse dicit, eupsychia dicitur robur animae ad perficiendum opera ipsius. Hoc autem in omnibus virtutibus requiritur. Ergo non est pars alicujus virtutis.

1. Un philosophe grec donne sept choses associées à la force : l’eupsychia, la promptitude, la magnanimité, la virilité, la persévérance, la magnificence, l’andragathia ; et cela semble à tort, car, ainsi qu’il le dit lui-même, on appelle eupsychia la force d’âme pour accomplir ses propres actions. Or, cela est nécessaire pour toutes les vertus. Elle n’est donc pas une partie d’une vertu.

[12240] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 4 arg. 2 Praeterea, lenia secundum ipsum est habitus promptos tribuens ad conari qualiter oportet, et sustinere quae ratio dicit. Sed promptitudo idem videtur esse quod facilitas, quae relinquitur ex quolibet habitu. Ergo lenia est magis genus virtutis quam species alicujus virtutis.

2. La promptitude est l’habitus qui donne à ceux qui sont prompts d’essayer comme il le faut et de supporter ce que dicte la raison. Or, la promptitude semble être la même chose que la facilité, qui vient de chaque habitus. La promptitude est donc plutôt un genre de la vertu qu’une espèce de vertu.

[12241] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 4 arg. 3 Praeterea, ipse dicit, quod andragathia est viri virtus adinventiva communicabilium operationum. Sed opera communicabilia sunt materia justitiae. Ergo haec virtus non debet poni pars fortitudinis, sed magis justitiae.

3. Ce philosophe dit que l’andragathia est la capacité de trouver les actes qu’on peut avoir en commun. Or, les actes qu’on peut avoir en commun sont la matière de la justice. Cette vertu ne doit donc pas être donnée comme une partie de la force, mais plutôt de la justice.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[12242] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod partes quas Tullius assignat, sunt partes potentiales, inquantum participant aliquid de materia fortitudinis. Fortitudo enim, ut dicit philosophus, proprie loquendo est circa pericula mortis, et maxime quae in bellicis est, quia in illis est maxime difficultas. Unde fortitudo, secundum Graecum praedictum, virtus est irascibilis non facile obstupefactibilis a timoribus qui sunt circa mortem, circa quae habet duos actus, scilicet aggredi, et sustinere sine stupore; et hoc est ejus magis proprium, ut ipse dicit. Et quamvis principaliter fortis sit circa ista, tamen in omnibus aliis periculis et arduis etiam bene se habet et in aggrediendo et in sustinendo. Et ideo omnes virtutes in quibus consistit difficultas ex aggressione alicujus ardui, vel ex sustinentia difficilis, aliquid de fortitudinis modo participant, et ad ipsam reducuntur sicut partes potentiales, eo quod non est tanta difficultas in aliis sicut in illis periculis circa quae est fortitudo. Arduum autem in cujus aggressione consistit difficultas, est ad aliquod magnum opus faciendum; et sic est magnificentia, quae secundum ipsum, est rerum magnarum et excelsarum cum animi ampla quaedam et splendidissima proportione cognitio, vel cogitatio atque ministratio. Aut est ad aliquod bonum magnum consequendum, et sic est fidentia, quae est certa spes perducendi ad finem rem inchoatam, vel magis consequendi rem speratam; et secundum hanc acceptionem credo quod magnanimitas est idem quod fidentia. Id vero quod facit difficultatem in sustinendo, vel est bonum laboriosum, et circa hoc est perseverantia, quae est in ratione bene considerata stabilis et perpetua permansio, et praecipue ut quis a ratione recta propter tristitiam, quae in laboribus accidit, non recedat: quia sicut continentia facit invictum a delectationibus, ita perseverantia a tristitiis, ut dicitur 7 Ethic. Vel est malum nocivum, et sic est patientia, quae secundum Tullium est honestatis aut utilitatis causa rerum arduarum et terribilium voluntaria ac diuturna perpessio.

Les parties que Tullius [Cicéron] indique sont des parties potentielles dans la mesure où elles participent à quelque chose de la matière de la force. En effet, comme le dit le Philosophe, la force porte à proprement parler sur les dangers de mort, surtout chez ceux qui combattent, car là est la plus grande difficulté. Selon le [philosophe] grec mentionné, la force est donc une vertu de l’irascible qui n’est pas facilement paralysée par les craintes associées à la mort. À leur sujet, elle a deux actes : attaquer et supporter sans stupeur ; c’est plutôt ce qui lui est propre, comme il le dit lui-même. Et bien que celui qui est fort agisse surtout dans ces cas, il se comporte cependant bien dans tous les autres dangers et difficultés, tant pour l’attaque que pour l’endurance. C’est pourquoi toutes les vertus qui consistent à s’attaquer à quelque chose de difficile ou à supporter quelque chose de difficile participent d’une certaine manière au mode de la force et se ramènent à elle comme des parties potentielles, du fait qu’il n’existe pas une aussi grande difficulté dans les autres dangers que dans ceux sur lesquels porte la force. Or, l’attaque de quelque chose d’ardu en quoi consiste la difficulté est en vue de réaliser quelque chose de grand : elle est ainsi la magnificence, qui, selon lui, est « la connaissance ou la pensée et le service de choses grandes et élevées selon une proportion de l’esprit large et très noble ». Soit elle cherche à obtenir un grand bien : elle est ainsi la confiance, qui est l’espoir certain de mener à sa fin la chose entreprise ou plutôt d’obtenir la chose espérée. En ce sens, je pense que la magnanimité est la même chose que la confiance. Mais ce qui fait difficulté pour l’endurance est soit un bien qui est le fruit d’un travail : sur lui porte la persévérance, qui « consiste à demeurer perpétuellement stable pour une raison bien considérée », et surtout à ce que quelqu’un ne s’éloigne pas de la droite raison en raison de la tristesse, qui survient dans les efforts, car, de même que la continence rend invaincu par les plaisirs, de même la persévérance [rend-elle invaincu] par les tristesses, comme il est dit dans Éthique, VII. Ou bien il s’agit d’un mal nuisible : on a alors la patience, qui, selon Tullius [Cicéron], est « la fermeté volontaire et durable dans les choses difficiles et effrayantes pour cause d’honnêteté et d’utilité ».

[12243] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis magnificentia communicet cum liberalitate in materia, quia magna facta magnis sumptibus fiunt, tamen communicat cum fortitudine in modo.

1. Bien que la magnificence ait une matière commune avec la libéralité, puisque les grandes entreprises sont réalisées à grands frais, elle a cependant avec la force un mode commun.

[12244] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis fortitudo non sit circa spem sicut circa materiam, sed magis magnanimitas; tamen habet spem concomitantem: quia fortis optimae spei est circa materiam suam. Unde fidentia et aliae supradictae partes in fortitudine etiam secundum quod est specialis virtus, inveniuntur quantum ad id quod est difficillimum in eis, ut quaedam conditiones fortis; et sic etiam possent dici aliquo modo partes quasi integrales fortitudinis.

2. Bien que la force n’ait pas l’espoir comme matière, mais que ce soit plutôt le cas de la magnanimité, cependant l’espoir est concomitant, car le fort a le plus grand espoir au sujet de sa matière. Aussi la confiance et les autres parties ajoutées à la force, même selon qu’elle est une vertu particulière, se retrouvent-elles en elles pour ce qui est le plus difficile, comme des conditions pour celui qui est fort. D’une certaine manière, elles pourraient être ainsi appelées des parties pour ainsi dire intégrales de la force.

[12245] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod malum nocivum tres passiones natum est generare: scilicet timorem, tristitiam, et iram. Unde tres virtutes faciunt sustinere hujusmodi nociva. Fortitudo, ut homo non perturbetur per timorem; patientia, ut non perturbetur per tristitiam immoderatam; et similiter perseverantia, quae facit ut propter tristitiam homo a rationis operibus non discedat, sicut patientia non permittit propter tristitiam discedere ab ab aequanimitate mentis. Unde secundum Gregorium: vera patientia est mala aliena, idest ab aliis illata, aequanimiter perpeti. Mansuetudo autem facit ut homo non perturbetur per iram; unde abstinens, de quo loquitur philosophus in 4 Topic., non est idem quod patiens, sed se habet ad fortem et mitem, similiter et ad patientem, sicut continens ad temperatum. Unde non oportet, si mansuetudo reducitur ad temperantiam, quod et patientia: quia passio tristitiae est ex victoria nociva sicut et timor; et ideo difficultas in patientia et fortitudine est etiam in non vinci a nocivis. Unde patientia participat modum fortitudinis; sed ira est ad victoriam contra nocivum; unde difficilius est in refrenando: propter quod mansuetudo participat modum temperantiae.

3. Un mal nuisible est susceptible d’engendrer trois passions : la crainte, la tristesse et la colère. Aussi trois vertus font-elles supporter ces nuisances : la force, pour que l’homme ne soit pas troublé par la crainte ; la patience, pour qu’il ne soit pas troublé par une tristesse démesurée ; et aussi la persévérance, qui fait en sorte qu’en raison de la tristesse, l’homme ne s’écarte pas des actions raisonnables, comme la patience ne permet pas qu’en raison de la tristesse, il s’écarte de l’équanimité de l’esprit. Aussi, selon Grégoire, « la véritable patience consiste-t-elle à supporter avec équanimité des maux étrangers », c’est-à-dire infligés par d’autres. Mais la douceur fait en sorte que l’homme ne soit pas troublé par la colère. Ainsi l’homme abstinent, dont le Philosophe parle dans les Topiques, IV, n’est pas la même chose que l’homme patient, mais son rapport à l’homme fort et doux, ainsi qu’à l’homme patient, est le même que cellui de l’homme continent avec l’homme tempéré. Il n’est donc pas nécessaire que la patience soit ramenée à la tempérance, si la douceur l’est, car la passion de la tristesse vient d’une victoire nuisible, comme la crainte. C’est pourquoi la difficulté de la patience et de la force consiste aussi à ne pas être vaincu par ce qui est nuisible. La patience participe donc au mode de la force ; mais la colère existe en vue de la victoire sur ce qui est nuisible. Aussi est-elle plus difficile à réfréner ; c’est la raison pour laquelle la douceur participe au mode de la tempérance.

[12246] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod perseverantia uno modo dicit continuationem virtutis, et sic est actus omnium virtutum; alio modo dicit propositum persistendi, et sic est specialis virtus: quia habet specialem rationem objecti, scilicet laboriosum opus, prout natum est tristitiam inferre.

4. D’une manière, la persévérance exprime la continuité de la vertu : elle est ainsi un acte de toutes les vertus. D’une autre manière, elle exprime le propos de persister : elle est ainsi une vertu particulière, car elle a un objet d’un caractère spécial, à savoir, une action pénible, pour autant qu’elle est susceptible de provoquer la tristesse.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[12247] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem de partibus quas Macrobius ponit, dicendum, quod sunt ejusdem rationis cum partibus quas ponit Tullius, nisi quod duas harum dividit in duas species, scilicet fidentiam, quam ponit Tullius, dividit in magnanimitatem, quae est in sperando magna consequenda, ut magnos honores, et fiduciam, quae est in consequendis honoribus mediocribus, ac hujusmodi; quam philosophus innominatam dicit. Item perseverantiam dividit in firmitatem, quae facit permanentiam in opere, et constantiam, quae facit permanentiam in proposito animi. Et addit etiam unam, scilicet securitatem, quae timori opponitur; unde propinquius se habet ad veram fortitudinem; sed tamen differt a fortitudine, quia reprimit timorem non solum circa maxima terribilia quemadmodum fortitudo, sed etiam circa quaecumque. Tolerantia vero est idem quod patientia: magnificentiam autem proprio nomine ponit.

À propos des parties que propose Macrobe, il faut dire qu’elles ont le même caractère que les parties proposées par Tullius [Cicéron], sauf que, pour deux d’entre elles, il les divise en deux espèces : il divise la confiance proposée par Tullius [Cicéron] en magnanimité, qui porte sur l’espoir d’obtenir de grandes choses, comme de grands honneurs, et la confiance, qui porte sur l’obtention d’honneurs ordinaires et de choses de ce genre, à laquelle le Philosophe ne donne pas de nom. De même, il divise la persévérance en fermeté, qui donne la persistance dans l’action, et la constance, qui donne la persistance dans le propos de l’âme. Et il en ajoute aussi une troisième : l’assurance, qui s’oppose à la crainte. Aussi s’approche-t-elle davantage de la véritable force, mais elle diffère cependant de la force parce qu’elle réprime la crainte, non seulement contre les plus grands dangers, comme c’est le cas de la force, mais aussi contre n’importe quel [danger]. Cependant, la tolérance est la même chose que la patience. Il propose cependant la magnificence sous un nom propre.

[12248] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod magnanimitas, quamvis non conveniat in materia cum fortitudine, convenit tamen in modo, ut dictum est.

1. La magnanimité, bien qu’elle n’ait pas la même matière que la force, a cependant le même mode, comme on l’a dit.

[12249] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod timiditas opponitur securitati, non autem fiduciae, sed magis desperatio.

2. La timidité s’oppose à l’assurance, et non à la confiance : c’est plutôt le désespoir [qui s’y oppose].

[12250] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod constantia opponitur mutabilitati in facto aliquo.

3. La constance s’oppose à la tendance à changer au sein d’une action.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[12251] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem de partibus quas philosophus ponit in 3 Ethic., sciendum, quod sunt etiam partes potentiales, aliter tamen quam praedictae: praedictae enim partes a fortitudine deficiunt quantum ad difficultatem materiae: sed illae quas philosophus ponit, quantum ad rectitudinem motivi; et ideo non sunt virtutes, sed participant aliquid de virtute fortitudinis. Motivum autem ad actum fortitudinis potest esse triplex. Uno modo intentio boni vel honesti; et sic fortitudinis virtus est vel alicujus temporalis boni vel honoris, vel alicujus hujusmodi; et sic deficit a ratione virtutis, et est fortitudo quam nominat politicam. Alio modo ex hoc quod removetur faciens difficultatem in actu fortitudinis, scilicet magnitudo periculi; et hoc quidem removetur per ignorantiam, et sic est ultimus modus; et per spem vincendi, quae potest ex duobus consurgere; vel ex arte sive exercitio; et sic est militaris fortitudo; vel experientia victoriae, sicut illi qui alias talia pericula evaserunt, et sic est penultimus modus. Tertio modo ex passione furoris, vel tristitiae illatae, vel etiam timoris, vel desperationis; et sic est tertius modus.

À propos des parties que donne le Philosophe dans Éthique, III, il faut savoir qu’elles sont aussi des parties potentielles, mais différemment de celles qui ont été mentionnées. En effet, la carence de celles-ci par rapport à la force vient de la difficulté de la matière, mais [la carence] de celles que propose le Philosophe vient de la droiture du motif. Elles ne sont donc pas des vertus, mais elles participent à quelque chose de la vertu de force. Or, le motif d’un acte de force peut être triple. Premièrement, l’intention de ce qui est bon ou digne ; ainsi, la vertu de force porte soit sur un bien ou un honneur temporel, soit sur quelque chose de ce genre. Il lui manque donc le caractère de vertu : c’est la force qu’il appelle politique. Deuxièmement, le fait d’écarter ce qui fait difficulté dans l’acte de force : la grandeur du danger. Cela est écarté par l’ignorance : c’est ainsi le dernier mode ; et par l’espoir de vaincre, qui peut venir de deux choses : de l’art ou de l’exercice, et c’est ainsi la force militaire ; ou de l’expérience de la victoire, comme ceux qui ont autrement échappé à de tels dangers, et c’est ainsi l’avant-dernier mode. Troisièmement, de la passion de la fureur, de la tristesse provoquée ou même de la crainte ou du désespoir : c’est ainsi le troisième mode.

[12252] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod fortitudo politica dicitur ex motivo, quia scilicet aliquod bonum quod a civitatibus praestari fortibus solet, ad actum fortitudinis movet. Sic autem non dicuntur politicae virtutes cardinales, sed inquantum in vita civili perficiunt.

1. On parle de la force politique en raison du motif, parce que le bien que les cités ont coutume d’accorder à ceux qui sont forts meut à un acte de force. Mais les vertus cardinales ne sont pas appelées politiques pour cette raison, mais pour autant qu’elles s’exercent dans la vie civile.

[12253] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod militaris fortitudo dicitur, quia eam consueverunt habere milites, qui habent exercitium et artem bellandi; unde aequivocatur in militari et politica.

2. Une force est appelée militaire parce que les soldats, qui ont la pratique et l’art de faire la guerre, ont coutume de l’avoir. Aussi y a-t-il équivoque entre la [force] militaire et la [force] politique.

[12254] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non est ignorantia de periculo omnino, sed de quantitate periculi; et ideo non tollit totaliter rationem fortitudinis, sed diminuit aliquid de laude ejus.

3. Il ne s’agit pas d’une complète ignorance du danger, mais de la grandeur du danger. C’est pourquoi elle n’enlève pas totalement la raison de la force, mais elle enlève quelque chose à la raison de la louer.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[12255] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem de partibus quas alius philosophus Graecus ponit, sciendum, quod sunt fere eaedem cum illis quas ponit Macrobius: magnanimitatem enim et magnificentiam et perseverantiam proprio nomine ponit, et eas sic definit: magnanimitas est habitus plus faciens communiter accidente pravis et studiosis. Magnanimus enim non est contentus vitare prava et facere bona secundum quod communiter sufficit, nisi excellentius faciat hoc; et ideo dicitur in 4 Ethic., quod operatur magnum in omnibus virtutibus. Magnificentia vero est habitus superferens habentes ipsum, et elatione adimplens, inquantum scilicet effert propositum ejus ad aliqua sumptuosa et magna facienda. Perseverantia vero est scientia vel habitus eorum quibus immanendum, idest bonorum, et non immanendum, idest malorum, vel neutrorum, idest indifferentium. Eupsychia autem, quae secundum ipsum est robur animae ad perficiendum opera ipsius, videtur idem esse quod constantia, et praecipue in spiritualibus, quae sunt opera animae. Lenia autem, quae secundum philosophum est habitus promptos tribuens ad tolerare et sustinere quae ratio dicit, videtur idem quod patientia. Virilitas autem videtur idem quod fiducia, quam diximus differre a magnanimitate in hoc quod est communium bonorum, vel hujusmodi, cum magnanimitas sit magnorum, et quae sunt ultra necessitatem virtutis. Virilitas autem secundum ipsum est habitus per se sufficiens in his quae sunt secundum virtutem, et de necessitate virtutis; et sic differt virilitas a magnanimitate. Item ponit andragathiam, quae est virtus adinventiva communicabilium operum communiter, scilicet juxta magnificentiam, quae tendit ad magna in communitatibus facienda; et in hoc differt a Macrobio, qui hanc definitionem non ponit propter hoc quod videtur esse idem liberalitati, nisi quod intantum differat quod liberalitas respicit bonum singulare, sed andragathia bonum commune. Unde magis accedit ad magnificentiam: quia ea quae indigent magnis sumptibus, maxime sunt ea quae ad communitatem pertinent. Sed dictus philosophus omittit securitatem, quam Macrobius ponit: quia securitas videtur intrinseca fortitudini, ut dictum est.

À propos des parties qu’un autre philosophe grec propose, il faut savoir qu’elles sont presque les mêmes que celles que propose Macrobe. En effet, il propose sous leurs propres noms la magnanimité, la magnificence et la persévérance, et il les définit ainsi : « La magnanimité est un habitus qui, d’une manière générale, fait davantage que ce n’est le cas pour les méchants et pour ceux qui s’appliquent. » En effet, le magnanime ne se contente pas d’éviter ce qui est mauvais et de faire ce qui est bon selon ce qui suffit d’une manière générale, mais il le fait d’une meilleure façon. Aussi est-il dit dans Éthique, IV, qu’il fait ce qui est grand dans toutes les vertus. « Mais la magnificence est un habitus qui fait se dépasser ceux qui le possèdent et les remplit d’un sentiment de grandeur », pour autant qu’elle les amène à faire des choses coûteuses et grandes. « La persévérance est la science ou l’habitus de ce dans quoi il faut demeurer, c’est-à-dire le bien, et ne pas demeurer, c’est-à-dire le mal, ou ni l’un ni l’autre, c’est-à-dire ce qui est indifférent. » « L’eupsychia », qui est, selon lui, « une force d’âme dans l’accomplissement de ses actions », semble être la même chose que la constance, principalement pour les réalités spirituelles, qui sont des œuvres de l’âme. « La lenia, qui est, selon le philosophe, un habitus qui rend pompt à tolérer et à supporter ce que dit la raison », semble être la même chose que la patience. « La virilité » semble être la même chose que l’assurance, dont nous disons qu’elle diffère de la magnanimité en ceci qu’elle porte sur les biens ordinaires ou ceux de ce genre, alors que la magninimité porte sur de grands [biens], qui dépassent même ce qui est nécessaire à la vertu. « La virilité est, selon lui, un habitus qui se suffit à lui-même pour ce qui est conforme à la vertu et nécessaire à la vertu » ; la virilité diffère ainsi de la magnanimité. Il présente aussi « l’andragathia, qui la vertu qui trouve les actions susceptibles d’être transmises d’une manière générale », selon la magnificence, qui est portée vers les grandes réalisations dans les communautés. Sur ce point, [ce philosophe] s’écarte de Macrobe, qui ne présente pas cette définition parce qu’elle semble être la même que celle de la libéralité, sauf qu’elle diffère de la libéralité pour autant que celle-ci concerne un bien individuel, mais l’andragathia, le bien commun. Elle se rapproche donc de la magnificence, car ce qui exige de grandes dépenses est surtout ce qui se rapporte à la communauté. Mais le philosophe en question omet la tranquillité de l’âme (securitas), que propose Macrobe, parce que la tranquillité de l’âme semble faire intrinsèquement partie de la force, comme on l’a dit.

[12256] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod, sicut dictum est supra de perseverantia, quod potest esse specialis virtus, inquantum respicit specialem rationem objecti, quamvis forte illa ratio possit inveniri in actibus diversarum aut omnium virtutum, sicut esse de magno quod respicit magnanimitas; ita etiam est dicendum de constantia et eupsychia, quod idem est.

1. Comme on a dit plus haut de la persévérance qu’elle peut être une vertu spéciale dans la mesure où elle vise une raison spéciale de l’objet, bien que cette raison puisse se trouver dans les actes de diverses vertus ou de toutes les vertus, comme de faire partie d’une grande chose que considère la magnanimité, de même aussi faut-il parler de la constance et de l’eupsychia, qui sont la même chose.

[12257] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod promptitudo illa intelligitur, ut homo propter difficultatem terribilium non turbetur, quod ad patientiam pertinet; unde sicut patientia specialis virtus est, ita et lenia, quae idem est.

2. Cette promptitude s’entend de l’homme qui n’est pas troublé par une difficulté, ce qui relève de la patience. De même que la patience est une vertu spéciale, de même l’est la lenia, qui est la même chose.

[12258] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis communicet cum justitia quantum ad materiam, convenit tamen cum fortitudine quantum ad modum, sicut et magnificentia.

3. Bien qu’elle ait quelque chose en commun avec la justice du point de vue de la matière, elle rejoint cependant la force, de même que la magnificence, pour ce qui est du mode,.

Articulus 4 [12259] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 tit. Utrum religio, pietas, gratia, vindicatio, observantia, veritas sint partes justitiae, sicut dicit Tullius

Article 4 – La religion, la piété, la gratitude, la vengeance, l’observance et la vérité sont-elles des parties de la justice, comme le dit Tullius [Cicéron] ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Ces parties sont-elles attribuées de manière appropriée par Tullius [Cicéron] ?

[12260] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod partes justitiae male assignentur a Tullio. Assignat enim justitiae sex species, quae sunt religio, pietas, gratia, vindicatio, observantia, veritas; et videtur quod male. Quia philosophus dicit in 8 Ethic., quod servi ad dominum non potest esse justitia. Sed Deus maxime dominus est. Ergo cum religio sit hominis ad Deum, videtur quod non sit pars justitiae.

1. Il semble que ces parties soient attribuées de manière inappropriée par Tullius [Cicéron]. En effet, il attribue à la justice six parties : la religion, la piété, la gratitude, la vengeance, l’observance et la vérité, et il semble que ce soit à tort, car le Philosophe dit, dans Éthique, VIII, qu’il ne peut y avoir de justice entre l’esclave et le seigneur. Or, Dieu est Seigneur au plus haut point. Puisque que la religion concerne les rapports de l’homme avec Dieu, il semble donc qu’elle ne soit pas une partie de la justice.

[12261] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, sicut latria debetur Deo, ita etiam dulia debetur homini. Ergo sicut religio, quae est idem quod latria, ponitur pars justitiae, ita debet poni et dulia.

2. De même que la latrie est due à Dieu, de même la dulie est-elle due à l’homme. De même que la religion, qui est la même chose que la latrie, est mise comme une partie de la justice, de même donc doit-il en être pour la dulie.

[12262] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 1 arg. 3 Praeterea, supra, distinct. 11, dictum est, quod pietas est idem quod latria; latria autem idem quod religio. Ergo pietas non debet dividi contra religionem.

3. On a dit plus haut, d. 11, que la piété est la même chose que la latrie, et la latrie, la même chose que la religion. La piété ne doit donc pas être distinguée à la religion.

[12263] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 1 arg. 4 Praeterea, vindicatio videtur pertinere ad vitium irae, quae est appetitus vindictae. Ergo non debet poni pars virtutis.

4. La vengeance semble relever du vice de la colère, qui est un désir de vengeance. Elle ne doit donc pas être présentée comme une partie d’une vertu.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Macrobe a-t-il bien indiqué les parties de la justice ?]

[12264] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 2 arg. 1 Ulterius. A Macrobio, ponuntur hae partes: innocentia, amicitia, concordia, religio, pietas, humanitas, affectus; et videtur quod male. Quia innocentia omni peccato opponitur. Sed omni peccato non opponitur nisi virtus communis. Ergo et innocentia vel est virtus communis, vel sequens omnem virtutem; ergo non debet poni pars justitiae.

1. Macrobe donne ces parties [de la justice] : l’innocence, l’amitié, la concorde, la religion, la piété, l’humanité, la volonté, et il semble que ce soit à tort, car l’innocence s’oppose à tout péché. Or, seule une vertu commune s’oppose à tout péché. Donc, soit l’innocence est une vertu commune, soit elle découle de toutes les vertus. Elle ne doit pas être donnée comme une partie de la justice.

[12265] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, illud quod consequitur ad omnes virtutes, non debet poni alicujus virtutis pars. Sed amicitia est hujusmodi: quia verae amicitiae fundamentum est honestum. Ergo non debet poni pars justitiae.

2. Ce qui découle de toutes les vertus ne doit pas être donnée comme une partie d’une vertu. Or, l’amitié est de ce genre, car le fondement de l’amitié véritable est la probité. Elle ne doit donc pas être donnée comme une partie de la justice.

[12266] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 2 arg. 3 Praeterea, philosophus, in 9 Ethic., ponit circa amicitiam tria, scilicet beneficentiam, benevolentiam, et concordiam; a quibus omnibus dicit amicitiam differre. Ergo sicut posuit concordiam, ita debuit ponere alia duo.

3. Dans Éthique, IX, le Philosophe propose trois choses à propos de l’amitié : la bienfaisance, la bienveillance et la concorde. Et il dit que l’amitié diffère de toutes ces choses. De même qu’il a proposé la concorde, de même devait-il donc proposer les deux autres.

 [12267] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 2 arg. 4 Praeterea, affectus in omnibus moralibus requiritur. Ergo non debet poni pars alicujus virtutis.

4. La volonté est nécessaire dans tout ce qui est moral. Elle ne doit donc pas être donnée comme une partie d’une vertu.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Les cinq parties indiquées par certains sont-elles appropriées ?]

[12268] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Quidam ponunt quinque partes, quae sunt obedientia respectu superioris, disciplina respectu inferioris, aequitas respectu parium, fides et veritas respectu omnium: et videtur quod male. Quia justitia generalis, ut dicitur in 5 Ethic., attendit praecepta legis. Sed obedire est attendere praeceptum. Ergo est idem quod justitia generalis: ergo non est pars justitiae quae est specialis virtus, sed magis e converso.

1. Certains proposent cinq parties [de la justice] : l’obéissance envers un supérieur, la correction envers un inférieur, l’équité envers les égaux, la foi et la vérité envers tous, et il semble que ce soit à tort, car la justice générale, comme on le dit dans Éthique, V, concerne les commandements de la loi. Or, obéir, c’est tenir compte d’un commandement. C’est donc la même chose que la justice générale. Ce n’est donc pas une partie de la justice qui est une vertu spéciale, mais plutôt l’inverse.

[12269] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 3 arg. 2 Praeterea rigor ad justitiam pertinet, sicut aequitas; ergo sicut ponunt aequitatem, ita ponere debent rigorem.

2. La rigueur appartient à la justice, comme l’équité. De même qu’ils proposent l’équité, de même doivent-ils donc proposer la rigueur.

[12270] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 3 arg. 3 Praeterea, fides est virtus theologica. Ergo non debet poni pars justitiae, quae est virtus cardinalis.

3. La foi est une vertu théologale. Elle ne doit donc pas être présentée comme une partie de la justice, qui est une vertu cardinale.

[12271] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 3 arg. 4 Praeterea, veritas ad intellectum pertinet: justitia autem magis ad voluntatem: quia, ut dicit Anselmus, est rectitudo voluntatis propter se servata. Ergo videtur quod veritas non sit pars justitiae.

4. La vérité relève de l’intelligence, mais la justice relève plutôt de la volonté, car, ainsi que le dit Anselme, « elle est la droiture de la volonté observée pour elle-même ». Il semble donc que la vérité ne soit pas une partie de la justice.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [La division de la justice en libéralité et sévérité est-elle appropriée ?]

[12272] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Quidam dividunt justitiam in liberalitatem et severitatem: quam dividunt in benignitatem et beneficentiam: benignitatem vero in septem partes, scilicet religionem, pietatem, innocentiam, amicitiam, reverentiam, concordiam, misericordiam. Et videtur quod non bene. Quia, ut dicit philosophus 5 Ethicor., virtuosus est diminutivus poenarum. Sed severitas dicit hujusmodi oppositum. Ergo non est pars virtutis.

1. Certains divisent la justice en libéralité et sévérité. Or, ils divisent celle-ci en bienveillance et bienfaisance, mais la bienveillance en sept parties : la religion, la piété, l’innocence, l’amitié, la révérence, la concorde, la miséricorde. Et il semble que ce ne soit pas correct, car, ainsi que le dit le Philosophe dans Éthique, V, l’homme vertueux réduit les peines. Or, la sévérité exprime le contraire de ceci. Elle n’est donc pas une partie d’une vertu.

[12273] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 4 arg. 2 Praeterea, liberalitas dat alicui quod est proprium dantis. Sed justitia dat alteri quod suum est et ei debitum. Ergo liberalitas non est pars justitiae.

2. La libéralité donne à quelqu’un ce qui appartient en propre à celui qui donne. Or, la justice donne à autrui ce qui lui appartient et lui est dû. La libéralité n’est donc pas une partie de la justice.

[12274] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 4 arg. 3 Praeterea, misericordia est passio, ut dicit philosophus in 2 Eth. Sed nulla passio est virtus, nec pars virtutis. Ergo misericordia non est virtus, nec pars ejus.

3. La miséricorde est une passion, comme le dit le Philosophe dans Éthique, II. Or, aucune passion n’est une vertu, ni une partie de vertu. La miséricorde n’est donc pas une vertu ni une partie de celle-ci.

Quaestiuncula 5

Sous-question 5 – [La division de la justice en justice légale et justice spéciale est-elle appropriée ?]

[12275] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 5 arg. 1 Ulterius. Philosophus in 5 Ethic., dividit justitiam in legalem et specialem, quae est aequalitas quaedam in bonis et malis exterioribus: quam dividit in distributivam et commutativam. Dividit etiam justum in politicum, paternum, et uxorium; politicum autem in legalem et naturalem. Ponit etiam circa justitiam, epiceiam et justitiam metaphoricam. Et videtur quod male. Species enim non debet dividi contra genus. Sed justitia particularis est species justitiae legalis. Ergo non debet dividi contra eam.

1. Dans Éthique, V, le Philosophe divise la justice en [justice] légale et [justice] spéciale, qui est une certaine égalité dans les biens et les maux extérieurs ; il divise celle-ci en distributive et commutative. Il divise aussi ce qui est juste en politique, paternel et matrimonial ; et le juste politique en légal et naturel. Il présente aussi, à propos de la justice, l’épikeia et la justice métaphorique. Et il semble que ce soit à tort. En effet, l’espèce ne doit pas être opposée au genre. Or, la justice particulière est une espèce de la justice légale. Elle ne doit donc pas lui être opposée.

[12276] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 5 arg. 2 Praeterea, justitia dirigimur in his quae ad alterum sunt. Sed omnis operatio unius ad alterum commutatio quaedam est. Ergo justitia commutativa non debet poni pars justitiae specialis, sed idem ei.

2. Nous sommes dirigés par la justice dans ce qui concerne un autre. Or, toute opération de l’un envers un autre est un échange (commutatio). La justice commutative ne doit donc pas être proposée comme une partie de la justice spéciale, mais la même chose qu’elle.

[12277] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 5 arg. 3 Praeterea, justum politicum videtur ad justitiam legalem pertinere. Ergo non debet poni pars justitiae specialis.

3. Le justice politique semble se rapporter à la justice légale. Elle ne doit donc pas être présentée comme une partie de la justice spéciale.

[12278] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 5 arg. 4 Praeterea, paternum et dominativum et uxorium non videntur differre nisi secundum materiam. Ergo non debet distingui justum per praedicta.

4. La [justice] paternelle, seigneuriale et matrimoniale ne semblent différer que selon la matière. La justice ne doit pas être distinguée selon ce qui précède.

 [12279] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 5 arg. 5 Praeterea, epieicia, ut ipse dicit, est aliquid melius justitia. Ergo magis debet justitia poni pars ejus quam e converso.

5. L’épieikia, comme lui-même le dit, est quelque chose de meilleur que la justice. La justice doit donc être présentée comme sa partie plutôt que l’inverse.

Quaestiuncula 6

Sous-question 6 – [Ce que dit un philosophe à propos des composantes habituelles de la justice est-il approprié ?]

[12280] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 6 arg. 1 Ulterius. Quidam philosophus Graecus dicit, quod familiares justitiae sunt liberalitas, benignitas, vindicativa, eugnomosine, eusebia, Eucharistia, sanctitas, bona commutatio, legis positiva: et videtur quod male. Ipse enim et dicit, quod eugnomosine est voluntaria justificatio. Sed hoc necessarium est in omni justitia, ut volens quis operetur, ut dicitur in 5 Ethic. Ergo non est pars justitiae, sed idem sibi.

1. Un philosophe grec dit que les composantes habituelles de la justice sont la libéralité, la bienveillance, la vengeance, l’eugnomosinè, l’eusébeia, l’eucharistia, la sainteté, les bons échanges, la [justice] législative ; et il semble que ce soit à tort. En effet, lui-même dit aussi que l’eugnomosinè est une justification volontaire. Or, il est nécessaire qu’on agisse volontairement en toute justice, ainsi qu’on le dit dans Éthique, V. Elle n’est donc pas une partie de la justice, mais la même chose qu’elle.

[12281] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 6 arg. 2 Praeterea, ad Eucharistiam, secundum ipsum, pertinet quibus sit facienda gratia, et a quibus accipienda. Sed hoc videtur ad liberalitatem pertinere, cujus est gratis tribuere. Ergo non debet dividi contra liberalitatem.

2. Selon lui, l’eucharistia porte sur ceux envers qui la gratitude doit être manifestée et ceux par qui elle est reçue. Or, cela semble relever de la libéralité, à qui il appartient d’accorder gratuitement. Elle ne doit donc pas être opposée à la libéralité.

[12282] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 6 arg. 3 Praeterea, secundum ipsum, sanctitas est scientia faciens fideles et servantes quae ad Deum sunt justa. Sed hoc ad eusebiam pertinet, sive ad religionem. Ergo non debet dividi contra eusebiam.

3. Selon lui, la sainteté est la science par laquelle ses fidèles et ses serviteurs rendent à Dieu ce qui est juste. Or, cela relève de l’eusébeia ou de la religion. Elle ne doit donc pas être opposée à l’eusébeia.

[12283] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 6 arg. 4 Praeterea, philosophus ponit in 6 Ethicor., legis positivam speciem politicae, quam ponit idem prudentiae. Ergo legis positiva magis pertinet ad prudentiam quam ad justitiam.

4. En Éthique, VI, le Philosophe présente la [justice] législative comme une espèce de la [justice] politique, qu’il identifie à la prudence. La [justice] législative relève donc plutôt de la prudence que de la justice.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[12284] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod justitia in hoc differt a temperantia et fortitudine, quod illae moderant passiones intrinsecas, sed justitia moderat extrinsecas operationes: unde philosophus dicit, circa operationes justitiam esse. In adulterio enim, secundum quod est contra justitiam, attenditur usus inordinatus, scilicet rei alienae; secundum autem quod opponitur temperantiae, attenditur concupiscentia non refrenata sub debito rationis. Moderatio autem actionum exteriorum ex duobus regulatur. Primo per comparationem operationis ad ipsum operantem; et sic ejusdem rationis est et regulatio exteriorum operationum et interiorum passionum, quae ad exteriores inclinant operationes. Alio modo per comparationem ad alium; et in hoc est jam alius modus regulandi: et ideo exigitur alia virtus; et hoc proprie ad justitiam pertinet; unde ab eodem actu, scilicet percussione alicujus, retrahit mansuetudo, scilicet secundum quod procedit ex passione interiori, et justitia in ordine ad alium. In omni autem moderationem; oportet quod illud quod moderatur, mensurae sive regulae alicui adaequetur. Unde sicut moderatio passionum est adaequatio ipsarum ad ratione: ita moderatio exteriorum actuum, secundum quod sunt ad alterum, est quod adaequentur illi ex comparatione ad quem moderantur. Et haec quidem adaequatio est quando ei redditur quod et quantum ei debetur; et haec adaequatio proprius modus justitiae est. Unde ubicumque invenitur ista adaequatio complete, est justitia quae est virtus specialis; et omnes virtutes in quibus salvatur, sunt partes subjectivae justitiae. Ubi autem ista adaequatio non secundum totum salvatur, sed secundum aliquid, reducitur ad justitiam ut pars potentialis, aliquid de modo ejus participans. Ista autem adaequatio tria complectitur, ut ex dictis patet, scilicet ut sit ordinatum ad alterum; ut sit ei debitum, alias superexcederet actio eum ad quem fit; et ut tantum reddatur quantum debetur; alias deficeret in minus. Sunt autem quaedam virtutes quibus redditur alteri quod debetur ex necessitate legis, non tamen tantum, quia impossibile est; sicut in honore qui est ad Deum, quod facit religio; et qui ad parentes et ad patriam, quod facit pietas. Unde istae virtutes deficiunt quidem a justitia, et sunt partes ejus potentiales, et propinquissime se habent ad ipsam. Quaedam vero sunt quibus redditur alteri quod debetur non ex necessitate legis, sed quadam honestate, sicut philosophus dicit in 8 Ethic.: sicut gratia quae est retributio beneficiorum, secundum Tullium, misericordia, et hujusmodi: et hae virtutes aliquantulum magis distant a vera justitia. Quaedam autem virtutes sunt quibus hoc circa quod principaliter est virtus, ordinatur ad alterum, non tamen secundum rationem debiti, sicut liberalitas; et hae adhuc magis distant a vera justitia. Quaedam vero hoc circa quod est virtus, non principaliter, sed secundario, ordinant ad alterum; sicut quando fortitudo actum exteriorem, circa quem secundario est, ordinat ad alterum ut ad bonum gratiae, et sic induit quodammodo formam justitiae; et sic omnis virtus potest reduci ad justitiam; unde justitia legalis est idem quod omnis virtus in 5 Ethic. Quantum ad passiones autem, circa quas principaliter sunt illae virtutes, nihil possunt habere de modo justitiae, eo quod per passiones immediate homo non ordinatur nisi ad seipsum; tamen per quamdam similitudinem est ibi quaedam forma justitiae, secundum quod diversae vires computantur ut diversae personae; unde sic est justitia metaphorica, de qua philosophus loquitur in 5 Ethic. Ex dictis igitur potest patere de facili, qualiter omnes partes a philosophis assignatae, sunt partes justitiae: quia inter partes quas Tullius ponit vindicatio et observantia sunt partes subjectivae verae justitiae: quia vindicatio reddit malum debitum, observantia autem bonum ad quod se obligavit. Vindicatio enim, secundum eum, est virtus, qua vis aut injuria, et omne quod obfuturum est, defendendo et ulciscendo propulsatur. Religio autem quae est ad Deum, et pietas quae est ad parentes et conjunctos sanguine vel patria, sunt partes potentiales, sed propinquae: quia reddunt quod debent, et ex obligatione legis, sed non quantum; quia impossibile est. Has autem sic definit: religio est quae superiori cuidam naturae, quam divinam vocant, curam caeremoniamque affert; et dicitur a religando secundum Isidorum, vel secundum Augustinum, a reeligendo Deum quem amiseramus. Pietas vero est per quam sanguine conjunctis patriaeque benevolis officium et diligens tribuitur cultus. Gratia autem et veritas reddunt quod debent ex quadam honestate, qua fit ut homo gratiam beneficio impendat (quamvis non possit ad id in judicio cogi), et quod talem se in dictis et factis exhibeat qualis est, quod ad veritatem pertinet: de qua philosophus etiam determinat in 4 Ethic. Est enim gratia in qua amicitiarum et obsequiorum alterius memoria, et remunerandi voluntas continentur.

La justice diffère de la tempérance et de la force par le fait que celles-ci modèrent les passions intérieures, mais que la justice modère les opérations extérieures. Aussi le Philosophe dit-il que la justice porte sur les opérations. En effet, dans l’adultère, pour autant qu’il s’oppose à la justice, on envisage l’usage désordonné du bien d’un autre ; mais, pour autant qu’il s’oppose à la tempérance, on est attentif à la convoitise qui n’est pas réfrénée comme le doit la raison. Or, la modération des actions extérieures est réglée par deux choses. Premièrement, par la comparaison de l’opération avec celui qui agit : la régulation des opérations extérieures et celle des passions intérieures, qui inclinent à des opérations extérieures, ont ainsi le même raison. Deuxièmement, par la comparaison avec un autre, et il y a en cela un autre mode de régulation. C’est pourquoi une autre vertu est nécessaire, et cela relève au sens propre de la justice. Ainsi, la douceur retient du même coup, selon qu’il procède d’une passion intérieure, que la justice, selon le rapport avec un autre. Or, en toute modération, il est nécessaire que ce qui est modéré s’ajuste à une mesure ou à une règle. De même que la modération des passions est ajustée par rapport à la raison, de même la modération des actes extérieurs, selon qu’il s’adressent à un autre, consiste-t-elle en ce qu’ils s’ajustent par rapport à qui ils sont modérés. Et cet ajustement se réalise lorsque lui est rendu ce qui lui est dû : cet ajustement est le mode propre de la justice. Donc, partout où se trouve cet ajustement de manière complète, il s’agit de la justice qui est une vertu spéciale, et toutes les vertus où il est sauvegardé sont des parties subjectives de la justice. Mais là où cet ajustement n’est pas respecté en totalité mais partiellement, il se ramène à la justice comme une partie potentielle en participant à quelque chose de son mode. Or, cet ajustement comprend trois choses, comme cela ressort de ce qui a été dit : il faut qu’il soit ordonné à quelqu’un d’autre ; qu’il lui soit dû, autrement l’action dépasserait celui pour qui elle est faite ; qu’il lui soit rendu autant qu’il lui est dû, autrement il y manquerait en moins. Or, il existe certaines vertus par lesquelles on rend à un autre ce qui lui est dû par obligation de la loi, mais non pas cependant autant [qu’il lui est dû], car cela est impossible : c’est le cas de l’honneur rendu à Dieu, ce que réalise la religion, et de celui qui est rendu aux parents et à la patrie, ce que réalise la piété. Il manque donc à ces vertus quelque chose de la justice : elles en sont les parties potentielles et elles ont un rapport très étroit avec elle. Mais il existe [d’autres vertus] par lesquelles on rend à un autre ce qui [lui] est dû, non pas par obligation de la loi, mais en vertu d’une certaine considération, comme le dit le Philosophe dans Éthique, VIII : ainsi, la gratitude, qui est une compensation pour les bienfaits, selon Tullius [Cicéron], la miséricorde et celles de ce genre. Ces vertus sont un peu plus éloignées de la véritable justice. Il existe encore certaines vertus par lesquelles ce qui est principalement vertu est ordonné à quelqu’un d’autre, mais non en tant que dette, comme c’est le cas de la libéralité. Ces vertus s’éloignent encore davantage de la véritable justice. Mais certaines ordonnent ce qui est principalement vertu à quelqu’un d’autre, non pas principalement, mais de manière secondaire, comme lorsque la force ordonne à quelque chose d’autre comme un bien gratuit un acte extérieur, sur lequel elle porte de manière secondaire, et revêt ainsi d’une certaine manière la forme de la justice. Ainsi toute vertu peut-elle être ramenée à la justice. La justice légale est ansi la même chose que toute vertu, Éthique, V. Pour ce qui est des passions sur lesquelles portent principalement ces vertus, elles ne peuvent rien avoir du mode de la justice du fait que, l’homme n’est immédiatement ordonné qu’à lui-même par les passions. Toutefois, selon une certaine ressemblance, il existe là une certaine forme de justice, selon que diverses puissances sont considérées comme des personnes différentes. Ainsi existe la justice métaphorique, dont parle le Philosophe dans Éthique, V. Il ressort donc facilement de ce qui a été dit que toutes les parties attribuées par les philosophes sont des parties de la justice, car, parmi les parties que Tullius [Cicéron] présente, la vengeance et l’observance sont des parties subjectives de la véritable justice, car la vengeance rend le mal dû, mais le respect, le bien auquel on s’est obligé. En effet, selon lui, la vengeance est « la vertu par laquelle une puissance est poussée à se défendre et à compenser un outrage ou tout ce qui fait obstacle ». Mais la religion, qui se rapporte à Dieu, et la piété, qui se rapporte aux parents et à ceux qui sont unis par le sang ou la patrie, sont des parties potentielles, mais rapprochées, car elles rendent ce qui est dû et en vertu de la loi, mais non pas autant [qu’il est dû], car cela est impossible. Il définit donc celles-ci : « la religion est [la vertu] qui porte à une nature supérieure, appelée divine, attention et culte ». Selon Isidore, le mot vient de « relier » (religando) ou, selon Augustin, de « choisir de nouveau » (reeligendo) Dieu que nous avions perdu. Mais la piété est [la vertu] « par laquelle soin et culte sont rendus à ceux qui nous sont unis par le sang et qui recherchent le bien de la patrie ». La gratitude et la vérité rendent ce qui est dû selon une certaine considération en vertu de laquelle un homme rend grâce pour un bienfait (bien qu’il ne puisse y être forcé par jugement), et se montre tel qu’il est dans ses paroles et dans ses actes, ce qui relève de la vérité. Le Philosophe en traite aussi dans Éthique, IV. En effet, la gratitude est « celle dans laquelle sont contenus le souvenir des amitiés et des services d’un autre, et la volonté de les lui rendre ».

[12285] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod objectio illa probat quod religio non sit pars subjectiva justitiae; non autem quod non sit pars potentialis propinqua.

1. Cette objection prouve que la religion n’est pas une partie subjective de la justice, mais non qu’elle n’est pas une partie potentielle rapprochée.

[12286] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut pietas quae principaliter debetur parentibus, se extendit ad omnes sanguine conjunctos, inquantum ex eisdem parentibus descenderunt, et ulterius ad compatriotas, inquantum communicant in natali solo; ita religio, quae Deo debetur, se extendit quodammodo ad eos qui Dei imagine sunt insigniti; unde religio et dulia sunt in proximo genere; et ideo sub una comprehenditur a Tullio altera.

2. De même que la piété, qui est principalement due aux parents, s’étend à tous ceux qui sont unis par le sang, pour autant qu’ils descendent des mêmes parents, et, plus loin, aux compatriotes, pour autant qu’ils ont en commun le sol natal, de même la religion, qui est due à Dieu, s,étend-elle d’une certaine manière à ceux qui sont marqués de l’image de Dieu. Aussi la religion et la dulie font-elles partie d’un genre rapproché. C’est pourquoi l’une est comprise dans l’autre selon Tullius [Cicéron].

[12287] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod pietas alio modo sumitur hic quam ibi.

3. La piété est entendue ici dans un autre sens que là.

[12288] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod vindicare ex poenae desiderio, vitiosum est; sed ex sola justitia, et secundum ordinem juris, justitiae est.

4. Venger par désir de la peine est vicieux ; mais [venger] par la seule justice et selon l’ordre du droit relève de la justice.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[12289] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem de partibus quas ponit Macrobius, sciendum, quod una est pars subjectiva justitiae proprie dictae, scilicet innocentia, ut nullus alteri quod suum est auferat; et condividitur contra illam partem quae unicuique reddit quod debet. Aliae vero sunt partes potentiales, quarum duae sunt respectu superioris, scilicet religio et pietas, ut reddant debitum, sed non tantum. Aliae vero quatuor reddunt debitum ex honestate; et hoc vel aequali, et sic est amicitia, de qua philosophus in 4 Ethic., qua nostris operibus congruenter ad alios utimur; et concordia, qua operibus aliorum auxilia praestamus: vel respectu inferiorum, quibus quantum ad affectum interiorem impendimus ex debito honestatis humanitatem, et quantum ad exterius affectum subventionis.

À propos des parties que présente Macrobe, il faut savoir que l’une est une partie subjective de la justice proprement dite : l’innocence, qui consiste en ce que personne n’enlève à un autre ce qui lui appartient. Et elle s’oppose à la partie qui rend à chacun ce qu’elle doit. Mais les autres sont des parties potentielles, dont deux se rapportent à un supérieur : la religion et la piété, afin qu’elles rendent ce qui est dû, mais pas autant [qu’il est dû]. Les quatre autres rendent ce qui est dû par considération, soit à un égal : on a ainsi l’amitié, dont parle le Philosophe dans Éthique, IV, par laquelle nous faisons convenablement usage des actions envers les autres ; et la concorde, par laquelle nous apportons de l’aide aux actions des autres, soit à des inférieurs, auxquels nous montrons de l’humanité quant à [notre] attitude affective intérieure selon une dette de considération, et une volonté de leur venir en aide quant à l’extérieur.

[12290] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod innocentia hic sumitur stricte secundum quod privat nocumentum alteri illatum.

1. L’innocence est entendue ici au sens strict de ne pas nuire à un autre.

[12291] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod amicitia hic sumitur non sicut in 8 Ethic., quae consistit principaliter in affectu, sed ut in 4, cap. 13, quae consistit principaliter in affabilitate exteriori, quae habetur etiam ad extraneos.

2. L’amitié est entendue ici, non pas comme dans Éthique, VIII, où elle consiste principalement dans une disposition affective, mais comme dans Éthique, IV, c.  13, où elle consiste principalement dans une affabilité extérieure manifestée même aux étrangers.

[12292] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod beneficentia includitur in humanitate, benevolentia autem in affectu.

3. La bienfaisance est incluse dans l’humanité, mais la bienveillance dans l’affection.

[12293] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod affectus hic sumitur stricte pro affectu subventionis et compassionis ad alterum.

4. L’affection s’entend ici au sens strict d’une volonté de venir en aide à l’autre et de compatir avec lui.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[12294] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem de partibus aliis sciendum est quod videntur esse subjectivae justitiae proprie dictae: quia ex obligatione legis tenetur homo ut superiori obediat, ut inferiori suae curae commisso disciplinam exhibeat, et ad aequales etiam, et ad omnes servet aequalitatem in rebus, fidem in factis, quae est idem quod observantia, et veritatem in dictis, si tamen veritas sumatur ea quae est in confessionibus judicii; alias si sumeretur sicut supra, esset pars potentialis justitiae.

À propos des autres parties, il faut savoir qu’elles semblent être des [parties] subjectives de la justice proprement dite, car, par une obligation de la loi, l’homme est tenu d’obéir à son supérieur, afin qu’il corrige l’inférieur confié à ses soins, et aussi envers ses égaux et envers tous, afin de préserver l’égalité dans les choses, la foi dans les actes, qui est la même chose que l’observance, et la vérité dans les paroles, si l’on parle toutefois de la vérité qu’on rencontre dans les confessions d’un procès ; autrement, si elle était entendue comme elle l’a été plus haut, elle serait une partie potentielle de la justice.

[12295] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod obedientia, secundum quod attendit principaliter rationem praecepti, est specialis virtus; unde etiam obedit in illis quae ad alias virtutes non pertinent; sed secundum quod ex consequente respicit praeceptum et bonum virtutis principaliter in eo quod facit, sic est consequens ad omnes virtutes.

1. L’obéissance, selon qu’elle concerne principalement la raison de commandement, est une vertu spéciale. Elle obéit donc aussi pour ce qui ne relève pas d’autres vertus. Mais selon qu’elle concerne par mode de conséquence le commandement et le bien de la vertu principalement dans ce qu’on fait, elle découle ainsi de toutes les vertus.

[12296] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod hic sumitur aequitas secundum aequalitatem simpliciter, quae est in rebus commutabilibus; unde includit severitatem sive rigorem, inquantum servat formam legis in his ad quae legis intentio se extendit, et aequitatem, quae, dimissa forma legis intentionem ipsam sequitur.

2. L’équité s’entend ici simplement de l’égalité qui existe dans les choses qui peuvent être objets d’échanges. Aussi comprend-elle la sévérité ou la rigueur, dans la mesure où elle préserve la forme de la loi pour ce sur quoi porte l’intention de la loi ; et l’équité, qui poursuit son intention, en laissant de côté la forme de la loi.

[12297] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod fides hic sumitur pro fidelitate, non secundum quod est virtus theologica.

3. La foi s’entend ici de la fidélité, et non au sens de la vertu théologale.

[12298] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod veritas hic sumitur secundum quod est in signo exteriori, vel verbo, vel quocumque alio.

4. La vérité est entendue ici selon qu’elle existe dans un signe extérieur, une parole ou quelque autre chose.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 3

[12299] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem de aliis partibus a quibusdam aliis assignatis, sciendum est, quod in idem incidunt cum partibus prius tactis: quia severitas, secundum quod hic accipitur, idem est quod vindicatio; et dividitur contra omnes alias partes justitiae, quia ipsa sola malum reddit: liberalitas autem valde large sumitur pro qualibet boni exhibitione, vel debiti vel non debiti, vel in affectu vel in effectu; unde dividitur in beneficentiam et benevolentiam, et hic etiam largissime accipiuntur hujusmodi. Unde dividitur beneficentia in septem partes quae omnes comprehensae sunt in superioribus partibus: quia misericordia comprehenditur in affectu, reverentia vero, quae videtur idem quod dulia, comprehenditur sub religione, ut prius dictum est, et etiam sub pietate.

À propos des autres parties indiquées par d’autres, il faut savoir qu’elles reviennent à la même chose que les parties abordées antérieuremenet, car la sévérité, au sens où elle est entendue ici, est la même chose que la vengeance ; elle se distingue des autres parties de la justice, car seule elle rend le mal ; mais la libéralité est entendue au sens très large de toute manifestation de bien, dû ou non dû, selon une attitude affective ou par un acte extérieur. Aussi se divise-t-elle en bienfaisance et en bienveillance, et ici aussi elles sont entendues au sens très large. Ainsi la bienfaisance se divise-t-elle en sept parties qui sont toutes comprises dans les parties indiquées antérieuremenet, car la miséricorde est comprise dans l’affection, mais la révérence, qui semble être la même chose que la dulie, est comprise dans la religion, comme on l’a dit plus haut, et même dans la piété.

[12300] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod virtuosus diminuit poenam quam debet servata intentione legis, non tamen contra legem.

1. L’homme vertueux diminue la peine qu’il doit en respectant l’intention de la loi, mais non pas en allant contre la loi.

[12301] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod liberalitas large hic accipitur, ut dictum est.

2. La libéralité est entendue ici au sens large, comme on l’a dit.

[12302] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod aliquae passiones, quamvis proprie loquendo non sint virtutes, tamen inquantum sunt laudabiles, habent aliquid de ratione virtutis; sicut misericordia et verecundia; et praecipue secundum quod est ibi electio.

3. Certaines passions, bien qu’elles ne soient pas à proprement parler des vertus, dans la mesure où elles sont cependant louables, possèdent quelque chose du caractère de la vertu. C’est le cas de la miséricorde et de la modestie. Surtout lorsqu’il y a un choix.

Quaestiuncula 5

Réponse à la sous-question 5

[12303] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 5 co. Ad quintam quaestionem de aliis partibus quas philosophus ponit in 5 Ethic. dicendum, quod divisio philosophi complectitur omnia ad quae vera justitia habet se extendere; et ideo ponit justitiam metaphoricam, in qua salvatur similitudo tantum justitiae, et legalem, quae ordinat ad alterum etiam circa id quod non principaliter est virtus, si illud sit ordinatum a lege: et in idem reducitur epiceia quae differt a justitia legali in hoc quod servat intentionem legis in his ad quae forma legis se non extendit; et similiter dominativum, et paternum justum, in quibus redditur debitum, sed non tantum; et iterum distributiva, et commutativa, quae sunt partes subjectivae justitiae specialis. Legale autem et principale justum non dividunt justitiam; sed illud ex quo est obligatio debiti et justitiae: quia vel est jus naturale, vel positivum.

À propos des parties que le Philosophe présente dans Éthique, V, il faut dire que la division du Philosophe comprend tout ce à quoi doit s’étendre la justice véritable. C’est pourquoi il présente la justice métaphorique, dans laquelle seule est sauvegardée une ressemblance avec la justice, et la justice légale, qui ordonne à l’autre, même pour ce qui n’est pas principalement une vertu, si cela est ordonné par la loi. Et l’épikeia, qui diffère de la justice légale en ce qu’elle sauvegarde l’intention de la loi dans ce à quoi la forme de la loi ne s’étend pas ; de même, la justice du seigneur et la justice paternelle, dans lesquelles ce qui est dû est rendu, mais non autant [qu’il ne devrait être rendu]. De plus, [la justice] distributive et la [justice] commutative, qui sont des parties subjectives de la justice spéciale. Ce qui est légal et principalement juste n’établit pas de distinction à l’intérieur de la justice, mais ce dont provient l’obligation d’une dette et de la justice, car cela est soit le droit naturel, soit le droit positif.

[12304] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod species potest dividi contra genus divisione quae est nominis aequivoci in suo significato.

1. Une espèce peut être distinguée du genre par la division d’un nom à la signification équivoque.

[12305] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod commutatio proprie est, quando ex mutuis operibus sit aliquid alicui debitum; sicut ex hoc quod unus laboravit in vinea alterius, alter constituitur sibi debitor in tanto, quantum valet labor ejus; et in his dirigit commutativa justitia. Est enim aequalitas in ea, commutationis: quia quantum unus dedit alteri, debet tantum ab eo recipere: et propter hoc etiam commutativa dicitur. Sed in distributiva non attenditur aequalitas recipientis ad eum qui dat, sed ad alium qui etiam recipit; unde non est ibi aequalitas commutationis, sed distributionis; et propter hoc dicitur distributiva, non commutativa.

2. L’échange au sens propre survient lorsque quelque chose est dû à quelqu’un en vertu d’actes réciproques : ainsi, du fait que quelqu’un a travaillé dans la vigne d’un autre, l’autre devient son débiteur pour la valeur de son travail. C’est en cela que la justice commutative dirige. En effet, il existe par elle une égalité dans l’échange, car l’un doit recevoir de l’autre autant qu’il lui a donné ; c’est la raison pour laquelle elle est appelée commutative. Mais dans la [justice] distributive, on ne s’arrête pas à l’égalité entre celui qui reçoit et celui qui donne, mais à un autre qui reçoit lui aussi. Aussi n’y a-t-il pas là une égalité dans l’échange, mais dans la distribution. Pour cette raison, elle est appelée distributive, et non commutative.

[12306] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod politicum tribus modis dicitur. Uno modo secundum quod respicit civilem vitam; et sic omnes virtutes morales quandoque dicuntur politicae. Alio modo secundum quod in vita civili ex civili ordinatione dirigitur quis; et hoc modo dicitur etiam justitia particularis politica, inquantum dirigit in commutationibus secundum civilia statuta: et tunc dividitur politicum justum contra dominativum et uxorium et hujusmodi: quia lex se extendit ad dirigendum in his, cum servus sit res domini, et filius patris, et uxor viri. Unde directio in his magis est secundum oeconomicam prudentiam, quam secundum civilia statuta. Tertio modo dicitur politicum a vita civili et civilibus statutis, et ulterius ex intentione communis boni; et sic politicum pertinet ad justitiam legalem.

3. On parle de politique de trois manières. Premièrement, en rapport avec ce qui concerne la vie civile ; ainsi toutes les vertus morales sont parfois appelées politiques. Deuxièmement, selon que quelqu’un est dirigé dans la vie civile par une ordonnance civile. De cette manière, la justice particulière est aussi appelée politique pour autant qu’elle dirige en matière d’échanges selon des statuts civils. Alors la justice politique se distingue de la justice seigneuriale et de la [justice] matrimoniale, et de celles de ce genre, car la loi va jusqu’à diriger en ces matières, puisque le serf est la chose du seigneur, le fils celle du père et l’épouse celle du mari. La direction en ces matières se fait plutôt selon la prudence économique que selon les statuts civils. Troisièmement, on parle de justice politique pour la vie civile et les statuts civils et, au-delà, pour l’intention du bien commun. Ainsi [la justice] politique relève-t-elle de la justice légale.

[12307] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in his tribus est diversa ratio regendi, secundum quod ille ad quem est justitia, minus vel magis est in potestate alterius; et ideo uxorium justum magis convenit cum justo politico quam paternum, et paternum quam dominativum: quia magis appropinquat ad aequalitatem uxor viri quam filius patris, et quam servus domini. Unde non est differentia tantum secundum materiam, sed etiam aliquo modo formalis.

4. Pour ces trois choses, la raison de diriger est différente, selon que celui qui est visé par la justice est plus ou moins au pouvoir d’un autre. C’est pourquoi ce qui est juste pour l’épouse a davantage en commun avec ce qui est juste politiquement que ce qui est juste pour le père, et [ce qui est juste] pour le père [a davantage en commun avec ce qui est juste politiquement] que ce qui est juste pour le seigneur, car l’épouse du mari se rapproche davantage de l’égalité que le fils du père et que le serf du seigneur. La différence ne porte donc pas seulement sur la matière, mais elle est aussi formelle d’une certaine manière.

[12308] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod epieicia adjungitur legali justitiae, et circa eadem est, quamvis non ex eodem dirigit: quia legalis dirigit in scripto legis, sed epieicia ex intentione legislatoris; et quamvis sit excellentior quam justitia legalis, non tamen potest dici cardinalis: tum quia est in supplementum legalis justitiae, et etiam quodammodo praesupponit illam; tum quia est idem omni virtuti aliqualiter, sicut et legalis justitia.

5. L’épieikia est associée à la justice légale et porte sur les mêmes choses, bien qu’elle ne dirige pas à partir de la même chose, car [la justice] légale dirige selon ce qui est écrit dans la loi, mais l’épieikia, selon l’intention du législateur. Et bien qu’elle soit meilleure que la justice légale, elle ne peut cependant être appelée cardinale, tant parce qu’elle s’ajoute à la justice légale et la présuppose aussi d’une certaine manière, que parce que c’est en quelque sorte la même chose que la justice légale pour toutes les vertus.

Quaestiuncula 6

Réponse à la sous-question 6

[12309] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 6 co. Ad sextam quaestionem de aliis partibus sciendum est, quod assignatio illius philosophi non differt a praedictis assignationibus nisi in duobus. Primo, quia dividit religionem in eusebiam, quae ordinat ad Deum in cultu qui exhibetur in protestatione servitutis, sicut sacrificia, et hujusmodi; unde dicit quod est scientia Dei famulatus; et sanctitatem, quae ordinat ad Deum in omnibus aliis operibus vitae; unde dicit, quod sanctitas est scientia faciens fideles et servantes quae ad Deum justa sunt. Secundo, quia assignat partes subjectivas justitiae alio modo: quia justitia et est in judice sicut in regulante, et est in aliis sicut in regulatis. Ad judicem autem duo pertinent: unum est quod aequalitates in aliis faciat, et ad hoc est legis positiva; aliud est ut inaequalitatem facientes puniat, et ad hoc est vindicativa. Ex parte autem aliorum similiter duo requiruntur ad justitiam. Unum est quod aequalitatem in commutando servent, quia aequalitatem justitiae distributivae servare non est subditorum qui recipiunt, sed superioris qui distribuit; et ad hoc est bona commutatio. Aliud est quod si quando aequalitatem praetereunt, ad eam voluntarie revertantur; et ad hoc est eugnomosyne, id est, voluntaria justificatio. Aliae autem partes supra positae sunt: liberalitas quidem et benignitas etiam per nomina; Eucharistia autem idem est quod gratia, quae etiam supra posita est: est enim secundum ipsum Eucharistia scientia ejus quod est quibus et quando impendendum gratiam, et qualiter et a quibus sumendum. Ponitur autem in definitione dictarum virtutum scientia, secundum quod omnes virtutes morales participant aliquid rationis et prudentiae; unde Socrates omnes virtutes dicebat esse scientias, ut dicitur 6 Ethic.

À propos des autres parties, il faut dire que la présentation de ce philosophe ne diffère des présentations déjà rappelées que sur deux points. Premièrement, parce qu’elle divise la religion en eusebeia, qui ordonne à Dieu par un culte rendu comme témoignage de service, tels les sacrifices et les choses de ce genre – aussi dit-il qu’elle est la science du service de Dieu ; et en sainteté, qui ordonne à Dieu dans toutes les actions de la vie – aussi dit-il que la sainteté est la science qui rend fidèles et serviteurs pour tout ce qui est juste envers Dieu. Deuxièmement, parce qu’il présente les parties subjectives de la justice d’une autre manière, car la justice existe chez le juge comme chez celui qui applique la règle, et elle existe chez les autres comme chez ceux à qui la règle est appliquée. Or, deux choses relèvent du juge : l’une est d’établir les égalités chez les autres : c’est là le but de la [justice] qui établit la loi ; l’autre est de punir ceux qui causent des inégalités : c’est là le but de la [justice] vengeresse. Du point de vue des autres, deux choses sont aussi nécessaires pour la justice. L’une est qu’ils observent l’égalité dans les échanges, car il ne relève pas des sujets qui reçoivent d’observer l’égalité de la justice distributive, mais du supérieur qui distribue, et c’est là un bon échange. L’autre est que s’ils outrepassent l’égalité, ils y reviennent volontairement ; c’est à cela que sert l’eugnomosynè, c’est-à-dire la justification volontaire. Mais les autres parties indiquées plus haut sont la bénignité et les noms qui servent à la désigner ; l’eucharistia est la même chose que la gratitude, qui a aussi été indiquée plus haut. En effet, selon lui, l’eucharistia est « la science de ceux à qui et du moment où il faut rendre grâce, et de la manière et par qui elle doit être prise en charge ». Mais, dans la définition de ces vertus, on parle de « science » selon que toutes les vertus morales participent de quelque manière à la raison et à la prudence. Aussi Socrate disait-il que toutes les vertus sont des sciences, ainsi qu’il est dit dans Éthique, VI.

[12310] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 6 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod voluntaria justificatio accipienda est hic non quaelibet, sed in determinato modo, ut dictum est.

1. La justification volontaire doit s’entendre ici non pas de n’importe quelle [justification], mais selon un mode déterminé, comme on l’a dit.

[12311] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 6 ad 2 Ad secundum dicendum, quod impendere gratiam accipitur hic pro rependere ratione beneficii accepti; et sic patet quod non est idem quod liberalitas.

2. Rendre grâce veut dire ici compenser en raison d’un bienfait reçu. Il ressort ainsi clairement que ce n’est pas la même chose que la libéralité.

[12312] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 6 ad 3 Ad tertium dicendum, quod jam patet distinctio sanctitatis et eusebiae ex his quae dicta sunt; unde sanctitas eodem modo comparatur ad omnes virtutes, sicut et justitia legalis: quia sicut justitia legalis operatur actus omnium virtutum propter bonum commune, ita sanctitas propter Deum.

3. La distinction entre la sainteté et l’eusébeia ressort clairement de ce qui a été dit. Aussi la sainteté se compare-t-elle à toutes les vertus de la même manière que la justice légale, car de même que la justice légale exerce les actes de toutes les vertus en vue du bien commun, de même la sainteté le fait-elle pour Dieu.

[12313] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 6 ad 4 Ad quartum dicendum, quod politica aequivocatur et ad cognitionem prudentiae et ad executionem justitiae; et similiter legis positiva quae est pars politicae, ut ipse ibidem dicit.

4. La [justice] politique désigne de manière équivoque la connaissance de la prudence et l’exécution de la justice. De même aussi la [justice] qui établit la loi, qui est une partie de la politique, comme il le dit lui-même en cet endroit.

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 33

[12314] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 6 expos. In quo habuerunt usus eosdem. Virtutes enim quae consistunt circa passiones illatas, habuerunt eumdem usum in Christo quem in nobis propter passibilitatem corporis. Habuerunt etiam usum quem habent in patria propter perfectionem animae. Sed de virtutibus quae sunt circa passiones innatas secus est: quia istae passiones in Christo non fuerunt, ut necessarium esset eas per virtutem cohibere; unde etiam tentari potuit ab hoste; sed non a carne. Sed alios usus habebunt. Ergo sunt aliae virtutes: quia habitus distinguuntur per actus. Et dicendum, quod sicut motus ad terminum et quies in termino pertinent ad eamdem virtutem naturalem, ita quies in fine non requirit alium habitum quam motus tendens in finem ipsum. Et hoc modo diversificantur actus virtutum in via et in patria.

 

 

 

Distinctio 34

Distinction 34 – [Les dons]

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [Les dons en général]

Prooemium

Prologue

[12315] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de virtutibus, hic incipit determinare de donis. Dividitur autem haec pars in partes tres: in prima determinat de donis in communi; in secunda de quodam donorum, scilicet de timore, quod specialem difficultatem habet propter sui multiplicitatem, ibi: et quia de timore tractandi nobis occurrit locus, sciendum est, quatuor esse timores; in tertia ostendit differentiam aliquorum donorum ad invicem propter maximam eorum convenientiam, 35 distinct., ibi: post praemissa diligenter considerandum est in quo differat sapientia a scientia. Prima dividitur in duas: primo determinat de donis secundum veritatem; in secunda movet quamdam dubitationem contra veritatem praedeterminatam, ibi: his autem videtur obviare quod Beda de timore domini dicit. Circa primum duo facit: primo ostendit dona virtutes esse, et in patria permanere; secundo ostendit quod in Christo plenissime fuerunt, ibi: in Christo etiam haec eadem fuisse Isaias ostendit. His autem videtur obviare quod Beda de timore domini dicit. Hic movet dubitationem contra determinata: et primo objicit; secundo solvit, ibi: ad quod dicimus et cetera. Hic quaeruntur sex: 1 utrum dona sint virtutes; 2 de numero donorum; 3 utrum maneant in patria; 4 quomodo se habeant ad beatitudinem; 5 quomodo se habeant ad fructus; 6 quomodo se habeant ad petitiones.

Après avoir déterminé des vertus, le Maître commence à déterminer des dons. Cette partie se divise en trois : premièrement, il détermine des dons en généréal ; deuxìèmement, d’un parmi les dons : la crainte, qui comporte une difficulté particulière en raison de sa multiplicité, à cet endroit : « Et parce que c’est l’endroit pour nous de traiter de la crainte, il faut savoir qu’il peut exister quatre craintes » ; troisièmement, il montre la différence entre certains dons en raison de leur caractère hautement commun, d. 35, à cet endroit : « Après ce qui a été dit, il faut examiner avec soin en quoi la sagesse diffère de la science. » La première partie se divise en deux : premièrement, il détermine des dons selon la vérité ; deuxièmement, il soulève un doute contraire à la vérité déterminée auparavant, à cet endroit : « Mais à cela semble s’opposer ce que Bède dit de la crainte du Seigneur. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il montre que les dons sont des vertus et qu’ils demeureront dans la patrie ; deuxièmement, il montre qu’ils ont existé dans leur plus grande plénitude chez le Christ, à cet endroit : « Isaïe montre que ces mêmes [dons] ont aussi existé chez le Christ. » « Mais à cela semble s’opposer ce que Bède dit de la crainte du Seigneur. » Ici, il soulève un doute contre ce qui a été déterminé. Premièrement, il présente l’objection ; deuxièmement, il la résout, à cet endroit : « À cela nous disons, etc. » Ici, six questions sont posées : 1. Les dons sont-ils des vertus ? 2. Sur le nombre des dons. 3. Demeurent-ils dans la patrie ? 4. Quel est leur rapport avec la béatitude ? 5. Quel est leur rapport avec les fruits ? 6. Quel est leur rapport avec les demandes ?

 

 

Articulus 1 [12316] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 1 tit. Utrum dona sint virtutes

Article 1 – Les dons sont-ils des vertus ?

[12317] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod dona sint virtutes. Gregorius enim dicit in moralibus, quod per septem filios Job, septem virtutes intelliguntur, scilicet sapientia, intellectus, scientia, consilium et cetera. Haec autem dicuntur septem dona spiritus sancti. Ergo dona sunt virtutes.

1. Il semble que les dons soient des vertus. En effet, Grégoire dit, dans les Morales, que par les sept fils de Job, on entend sept vertus : la sagesse, l’intelligence, la science, le conseil, etc. Or, ces sept choses sont appelées dons du Saint-Esprit. Les dons sont donc des vertus.

[12318] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, Jacob. 1 dicit Glossa, quod per donum perfectum, quod dicitur esse desursum descendens a patre luminum, intelliguntur dona gratuita. Sed virtutes inter bona gratuita continentur, cum Deus sine meritis praecedentibus eas nobis infundat, ut Augustinus dicit. Ergo virtutes sunt dona.

2. La Glose dit, à propos de Jc, que, par le don parfait, dont on dit qu’il descend du ciel depuis le Père des lumières, on entend les dons gratuits. Or, les vertus sont comprises dans les biens gratuits, puisque « Dieu nous les infuse sans mérites qui les précèdent », comme le dit Augustin. Les vertus sont donc des dons.

[12319] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, per nomina in proprietates rerum spiritualium oportet devenire. Sed fere omnia nomina donorum ad aliquas virtutes pertinent: quia pietas ad justitiam pertinet; fortitudo autem una de quatuor cardinalibus est; consilium autem pertinet ad prudentiam, ut dicit philosophus, in 6 Ethic.; scientia autem et intellectus et sapientia ponuntur a philosopho virtutes intellectuales. Ergo dona a virtutibus non distinguuntur.

3. Nous devons parvenir aux propriétés des réalités spirituelles à partir de leurs noms. Or, presque tous les noms des dons se rapportent à des vertus, car la piété se rapporte à la justice, la force est une des quatre [vertus] cardinales, le conseil se rapporte à la prudence, comme le dit le Philosophe, la science, l’intelligence et la sagesse sont présentées par le Philosophe comme des vertus intellectuelles. Les dons ne se distinguent donc pas des vertus.

[12320] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, cuicumque convenit definitio, et definitum. Sed definitio virtutis, quam ponit Augustinus: virtus est bona qualitas mentis, qua recte vivitur, qua nullus male utitur, quam Deus in nobis operatur sine nobis, convenit donis; et similiter etiam quaecumque aliae definitiones quae de virtutibus communiter assignantur. Ergo dona sunt virtutes.

4. Ce qui est défini convient à tout ce à quoi convient une définition. Or, la définition de la vertu donnée par Augustin : « La vertu est une qualité bonne de l’esprit, par laquelle on vit bien, dont personne ne fait un mauvais usage, que Dieu réalise en nous sans nous », convient aux dons. De même en est-il pour toutes les autres définitions des vertus qui sont communément proposées. Les dons sont donc des vertus.

[12321] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 1 arg. 5 Si dicatur quod dona differunt a virtutibus quia donum est aliquid perfectius virtute; contra. Secundum apostolum, et Augustinum, inter omnia alia dona Dei excellentius donum est caritas. Sed caritas ponitur virtus. Ergo donum non est perfectius virtute.

5. Si l’on dit que les dons diffèrent des vertus parce que le don est quelque chose de plus parfait que la vertu, on opposera, selon l’Apôtre et Augustin, que, parmi tous les autres dons de Dieu, le don le plus grand est la charité. Or, la charité est présentée comme une vertu. Le don n’est donc pas plus parfait que la vertu.

[12322] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 1 arg. 6 Praeterea, Macrobius distinguit quatuor gradus virtutum, scilicet politicas, purgatorias, purgati animi, et exemplares, et unus gradus est super alium. In omnibus tamen gradibus nomen virtutis servatur. Ergo dona non possunt differre a virtutibus pro eo quod sunt supra virtutes.

6. Macrobe distingue quatre degrés de vertus : les [vertus] politiques, les [vertus] purificatrices, celles de l’esprit purifié et les [vertus] exemplaires ; et un degré est supérieur à l’autre. Cependant, on maintient le nom de vertu pour tous les degrés. Les dons ne peuvent donc pas différer des vertus parce qu’ils sont plus élevées que les vertus.

[12323] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, ea quae ex opposito dividuntur, non sunt idem. Sed Gregorius, in principio Moral., dividit dona contra virtutes, dicens per septem filios Job significari septem dona, per tres filias significari virtutes. Ergo dona non sunt virtutes.

Cependant, [1] les choses qui sont distinguées selon une opposition ne sont pas identiques. Or, au début des Morales, Grégoire distingue les dons par opposition aux vertus, en disant que les sept dons sont signifiés par les sept fils de Job, et les vertus par ses trois filles. Les dons ne sont donc pas des vertus.

[12324] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, ea quae non sunt unius divisionis, non sunt eadem. Sed virtus alio modo dividitur in suas species quam donum. Ergo virtus non est idem quod donum.

[2] Les choses qui ne font pas partie d’une seule division ne sont pas identiques. Or, la vertu se divise en ses espèces d’une autre manière que le don. La vertu n’est donc pas la même chose que le don.

 [12325] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 1 s. c. 3 Praeterea, timor ponitur inter septem dona. Non tamen potest dici quod sit virtus: quia nec theologica, nec cardinalis. Ergo dona non sunt virtutes.

[3] La crainte est mise parmi les sept dons. Cependant, on ne peut pas dire qu’elle est une vertu, car elle n’est ni une [vertu] théologale, ni une [vertu] cardinale. Les dons ne sont donc pas des vertus.

[12326] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod circa hanc quaestionem diversimode determinatum est a diversis. Quidam enim moti ex diversitate nominum, hanc differentiam assignaverunt inter virtutes et dona, quod dona dicuntur per comparationem ad Deum dantem, virtutes autem per comparationem ad opera specialia et speciales materias; et ideo ponunt dona in superiori parte animae, virtutes autem in inferiori. Sed hoc non potest stare: quia comparatio donorum ad Deum dantem non potest esse nisi vel sicut ad efficientem, vel sicut ad objectum, vel finem. Comparatio autem ad Deum sicut ad objectum, non potest diversificare dona a virtutibus: quia non omnia dona habent Deum pro objecto, cum scientia de temporalibus sit, fortitudo etiam circa difficilia; virtutes autem theologicae magis habent Deum pro objecto quam dona. Similiter etiam nec comparatio ad Deum sicut ad causam efficientem vel finem: quia hoc commune est omnibus habitibus infusis; et secundum commune non attenditur differentia. Non enim potest dici quod immediatius a Deo procedant dona quam virtutes: quia caritas, quae est virtus, est donum, in quo omnia dona alia nobis donantur. Et ideo alii dicunt, quod dona sunt magis in ratione, sed virtutes sunt magis in voluntate: quia de virtutibus tantum duae inveniuntur in ratione sive intellectu, scilicet fides et prudentia; de donis autem quatuor. Sed hoc iterum non potest stare: quia eadem est differentia quae est divisiva generis et constitutiva speciei; unde si habitus infusus dividitur in virtutem et donum per hoc quod est in ratione vel voluntate esse, oportet quod esse in ratione sit differentia constitutiva vel quasi constitutiva doni, et esse in voluntate virtutis; et ita oportet dicere quod salvetur in omnibus quae continentur sub eis, et non in pluribus: quod patet esse falsum. Et ideo alii dicunt, quod virtutes sunt ad bene operandum, sed dona ad resistendum tentationibus. Sed hoc iterum nihil est: quia sicut eadem qualitas naturalis est qua ignis calefacit et qua resistit omni infrigidanti, ita idem habitus est quo quis bona operatur et contrariis operibus repugnat: quia unicuique, secundum philosophum, delectabilis est operatio secundum proprium habitum, et contrarium est quod illi operationi repugnat. Et ideo alii dicunt, quod virtutes sunt ad expurgandum animam a peccatis, sed dona ad sanandum animam a sequelis peccati, innitentes verbo Gregorii, qui dicit, quod sapientia datur contra stultitiam, intellectus contra hebetudinem, et sic de ceteris quae non nominant peccata, sed sequelas peccati. Sed hoc iterum, ut videtur, non sufficit: quia ad actum peccati consequitur macula, et reatus, quae per gratiam removentur; et iterum dispositio vel habitus, qui per habitus contrarios tolluntur; et sic videtur quod dona non possunt esse ad hoc specialiter quod sequelas peccati removeant. Et praeterea omnia illa quae Gregorius dicit, tolluntur per virtutes: quia praecipitationem tollit prudentia vel providentia, superbiam tollit humilitas; et sic non potest secundum hoc esse differentia propria inter virtutes et dona. Et ideo alii dicunt, quod virtutes sunt ad conformandum nos Christo in his quae bene operatus est, sed dona sunt ad conformandum ipsi in his quae fortiter passus est. Sed hoc iterum nihil videtur esse dictu: quia in passione Christi praecipue a sanctis proponuntur nobis imitanda caritas, humilitas, patientia, quae sunt virtutes, et magis quam sapientia et scientia, quae sunt dona. Unde videtur adinventio quaedam esse, et rationi non concordat. Et ideo alii dicunt, quod dona dantur ad altiores actus quam sint actus virtutum; et haec opinio inter omnes vera videtur. Unde ad hujus intellectum sciendum, quod cum virtus in omnibus rebus inveniri possit, secundum quod habent aliquas proprias operationes, in quibus ad bene operandum ex propria virtute perficiuntur; loquentes tamen in morali materia de virtute, intelligimus de virtute humana, quae quidem ad operationem humanam bene exequendam perficit. Operatio autem hominis potest dici tripliciter. Primo ex potentia eliciente vel imperante operationem; sicut operatio rationis vel alicujus potentiae quae obedit rationi, quia a ratione habet homo quod sit homo; nutriri autem et videre non sunt operationes hominis inquantum est homo, sed inquantum est vivum vel animal; et secundum hoc omnes habitus perficientes ad operationes aliquas in quibus non communicat homo cum brutis, possunt dici virtutes humanae. Secundo dicitur operatio humana ex materia, sive objecto, sicut illae quae habent pro materia passiones, sive operationes humanas: sic enim virtutes morales proprie virtutes humanae dicuntur. Unde dicit philosophus 10 Ethicor., quod opus speculativae virtutis est magis divinum quam humanum: quia habet necessaria et aeterna pro materia, non autem humana. Tertio dicitur humana ex modo, quia scilicet in operationibus humanis vel primo vel secundo modo, etiam modus humanus servatur. Si autem ea quae hominis sunt, supra humanum modum quis exequatur, erit operatio non humana simpliciter, sed quodammodo divina. Unde philosophus, in 7 Ethic., contra virtutem simpliciter dividit virtutem heroicam, quam divinam dicit, eo quod per excellentiam virtutis homo fit quasi Deus. Et secundum hoc dico, quod dona a virtutibus distinguuntur in hoc quod virtutes perficiunt ad actus modo humano, sed dona ultra humanum modum: quod patet in fide et intellectu. Connaturalis enim modus humanae naturae est ut divina non nisi per speculum creaturarum et aenigmata similitudinum percipiat; et ad sic percipienda divina perficit fides, quae virtus dicitur. Sed intellectus donum, ut Gregorius dicit, de auditis mentem illustrat, ut homo etiam in hac vita praelibationem futurae manifestationis accipiat; et ad hoc etiam consonat nomen doni. Illud enim proprie donum dici debet quod ex sola liberalitate donantis competit ei in quo est, et non ex debito suae conditionis.

Réponse. À propos de cette question, diverses déterminations ont été données par différents [maîtres]. En effet, certains, poussés par la diversité des noms, ont proposé comme différence entre les vertus et les dons qu’on parle de dons par rapport à Dieu qui [les] donne, mais de vertus par rapport aux actes particuliers et aux matières particulières. Ils placent donc les dons dans la partie supérieure de l’âme, mais les vertus dans la partie inférieure. Mais ceci ne tient pas, car le rapport des dons avec Dieu qui [les] donne ne peut être qu’avec celui qui en est [la cause] efficiente, qu’avec leur objet ou avec leur fin. Or, le rapport avec Dieu comme objet ne peut réaliser une différence entre les dons et les vertus, car tous les dons n’ont pas Dieu pour objet, puisque la science porte sur des réalités temporelles, et aussi la force sur des réalités difficiles. Or, les vertus théologales ont davantage Dieu comme objet que le dons. De même en est-il du rapport avec Dieu comme cause efficiente ou à la fin, car cela est commun à tous les habitus infus, et on ne tient pas compte d’une différence pour ce qui est commun. En effet, on ne peut pas dire que les dons procèdent de manière plus immédiate que les vertus, car la charité, qui est une vertu, est un don par lequel tous les autres dons nous sont donnés. C’est pourquoi d’autres disent que les dons se trouvent plutôt dans la raison, mais les vertus plutôt dans la volonté, car, parmi les vertus, deux seulement se trouvent dans la raison ou l’intelligence : la foi et la prudence ; mais, parmi les dons, il y en a quatre. Mais, à nouveau, cela ne peut pas se tenir, car c’est la même différence qui divise le genre et qui constitue de l’espèce. Si donc l’habitus infus se divise en vertu et en don par le fait qu’il se trouve dans la raison ou dans la volonté, il est nécessaire que le fait d’être dans la raison soit une différence constitutive ou pour ainsi dire constitutive du don, et que le fait d’être dans la volonté [soit une différence constitutive] de la vertu. Il est ainsi nécessaire de dire que cela est sauvegardé dans tout ce qui est compris sous eux, et non dans un plus grand nombre, ce qui est manifestement faux. C’est pourquoi d’autres disent que les vertus existent en vue de bien agir, mais les bons en vue de résister aux tentations. Mais, à nouveau, cela est futile, car de même que la même qualité naturelle réchauffe et résiste à tout ce qui refroidit, de même est-ce le même habitus par lequel quelqu’un agit bien et combat les actes contraires, car, selon le Philosophe, l’acte conforme à son propre habitus est délectable pour tous et combat l’habitus contraire à cet acte. C’est pourquoi d’autres disent que les vertus existent en vue de purifier l’âme des péchés, mais les dons en vue de guérir l’âme des suites du péché. Mais il semble que cela encore ne soit pas suffisant, car les suites du péché sont la tache et la culpabilité, qui sont enlevées par la grâce ; et aussi une disposition ou habitus, qui sont enlevés par des habitus contraires. Il semble ainsi que les dons ne peuvent exister pour cette raison particulière qu’ils enlèvent les suites du péché. De plus, tout ce que Grégoire dit est enlevé par les vertus, car la prudence ou la prévoyance enlèvent l’orgueuil ; aussi, pour cette raison, ne peut-il y avoir de différence propre entre les vertus et les dons. C’est pourquoi d’autres disent que les vertus existent pour nous rendre conformes au Christ en ce qu’il a bien agi, mais les dons pour nous conformer à lui en ce qu’il a supporté avec force. Mais, à nouveau, cela semble ne rien dire, car, dans la passion du Christ, les saints nous proposent surtout d’imiter sa charité, son humilité et sa patience, qui sont des vertus, plutôt que sa sagesse et sa science, qui sont des dons. Il semble donc que c’est une invention et que cela n’est pas d’accord avec la raison. C’est pourquoi d’autres disent que les dons sont donnés en vue d’actes plus élevés que ne le sont les actes des vertus. Parmi toutes les opinions, cette opinion semble la vraie. Pour comprendre cela, il faut donc savoir que, la vertu pouvant se trouver en toutes choses, selon qu’elles possèdent certaines opérations propres, par lesquelles elles sont perfectionnées en vue de bien agir par leur propre vertu ; lorsqu’on parle de vertu en matière morale, nous l’entendons de la vertu humaine, qui perfectionne en vue de bien accomplir une opération humaine. Or, on peut parler d’une opération de l’homme de trois manières. Premièrement, en vertu de la puissance qui fait suscite ou commande l’opération : ainsi, l’opération de la raison ou d’une puissance qui obéit à la raison, car l’homme tient de la raison d’être homme ; mais se nourrir et voir ne sont pas des opérations de l’homme en tant qu’homme, mais en tant qu’il est un vivant et un animal. De cette manière, tous les habitus qui perfectionnent en vue de certaines opérations que l’homme n’a pas en commun avec les animaux sans raison peuvent être appelés vertus humaines. Deuxièmement, on parle d’une opération humaine en raison de sa matière ou de son objet, comme c’est le cas pour celles qui ont pour matière des passions ou des opérations humaines. En effet, les vertus morales sont ainsi appelées au sens propre des vertus humaines. Aussi, dans Éthique, X, le Philosophe dit-il que l’acte d’une vertu spéculative est plus divin qu’humain, car il a comme matière des réalités nécessaires et éternelles, mais non des réalités humaines. Troisièmement, [une opération] est dite humaine en raison de son mode, à savoir que le mode humain est sauvegardé dans les opérations humaines du premier ou du second mode. Mais si quelqu’un accomplit ce qui relève de l’homme d’une manière qui dépasse le mode humain, son opération ne sera pas simplement humaine, mais en quelque sorte divine. Aussi, dans Éthique, VII, le Philosophe fait-il une distinction entre ce qui est simplement vertu et une vertu héroïque, qu’il appelle divine, du fait que, par l’excellence de [cette] vertu, l’homme devient pour ainsi dire Dieu. Je dis ainsi que les dons se distinguent des vertus du fait que les vertus perfectionnent en vue des actes selon un mode humain, mais les dons, au-delà d’un mode humain, ce qui ressort pour la foi et l’intelligence. En effet, le mode connaturel à la nature humaine est qu’elle ne perçoive les réalités divines que dans le miroir des créatures et dans les énigmes des ressemblances. La foi, qui est appelée une vertu, perfectionne pour percevoir ainsi les réalités divines. Mais, comme le dit Grégoire, le don d’intelligence éclaire l’esprit sur ce qui a été entendu, afin que, même en cette vie, l’homme déguste à l’avance la manifestation à venir. Et le nom même de « don » s’accorde avec cela. En effet, on doit parler de don au sens propre pour ce qui ne relève que de la seule libéralité de celui qui donne en faveur de  celui où [le don] se trouve, et non de ce qui est dû à sa condition.

[12327] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod dona possunt dici virtutes, inquantum perficiunt ad bene operandum, et humanae, secundum quod operationes quae ex donis eliciuntur, non sunt communes hominibus et brutis; sed sunt supra virtutes, inquantum ultra humanum modum perficiunt.

1. Les dons peuvent être appelés des vertus pour autant qu’ils perfectionnent en vue de bien agir, et [des vertus] humaines, selon que les opérations qui proviennent des dons ne sont pas communes aux hommes et aux animaux sans raison. Mais ils dépassent les vertus dans la mesure où ils perfectionnent au-delà du mode humain.

[12328] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ratio doni non salvatur in virtutibus etiam infusis, quantum ad omnia, secundum quod salvatur in donis praedictis: quia modus operandi qui est in virtutibus, est secundum conditionem humanam, quamvis substantia habitus sit ex divino munere; et ita aliquo modo potest dici virtus donum.

2. La notion de don n’est pas en tout sauvegardée dans les vertus qui ne sont pas infuses, alors qu’elle est sauvegardée dans les dons mentionnés, car le mode d’agir qui se trouve dans les vertus est conforme à la condition humaine, bien que la substance de l’habitus vienne d’un don divin. Et ainsi, le don peut être appelé vertu d’une certaine manière.

[12329] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quia ea quae sunt supra nos, non possumus cognoscere nisi ex his quae secundum nos sunt; ideo nomina donorum sumuntur ex his quae virtutibus conveniunt, quamvis in donis illa quae sunt virtutum, sint modo eminentiori quam in virtutibus: unde aequivoce praedicta nomina de virtutibus et donis dicuntur.

3. Nous ne pouvons connaître ce qui nous dépasse qu’à partir de ce qui nous est conforme. C’est pourquoi les noms des dons viennent de ce qui convient aux vertus, bien que, dans les dons, ce qui fait partie des vertus existe selon un mode plus éminent que dans les vertus. Aussi les noms rappelés sont-ils employés de manière équivoque pour les vertus et pour les dons.

[12330] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in omnibus definitionibus datis de virtutibus humanis vel exprimitur aliquid quod ad modum humanum pertinet, vel in ipso actu, ex quo sumitur definitio virtutis, intelligitur modus agendi homini proportionatus: unde definitiones illae non conveniunt donis secundum quod de virtutibus dantur.

4. Dans toutes les définitions qui ont été données des vertus humaines, soit on exprime quelque chose qui relève du mode humain, soit on entend un mode d’agir proportionné à l’homme dans l’acte même dont provient la définition de la vertu. Ces définitions ne conviennent donc pas aux dons selon qu’elles sont données des vertus.

[12331] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod voluntas non habet aliquam imperfectionem de ratione sua in nobis quantum ad modum suae operationis, sicut intellectus, qui cognoscit accipiendo a phantasmatibus; unde in statu viae Deum per essentiam amamus, non autem videmus. Et ideo non potest accipi supra illam virtutem quae est in voluntate, aliquod donum perficiens ad agendum nobiliori modo quam sit modus virtutis; et ideo cum donum non sit supra virtutem nisi ratione modi, non erit inconveniens quod virtus perficiens voluntatem quantum ad sui supremum, dignior sit quolibet dono.

5. La volonté, par sa raison même, ne comporte pas en nous d’imperfection pour ce qui est du mode de son opération, comme c’est le cas de l’intelligence, qui connaît en recevant à partir des phantasmes. Aussi, en cours de route, aimons-nous Dieu selon son essence, mais nous ne le voyons pas [selon son essence]. C’est pourquoi on ne peut concevoir, au-delà de la vertu qui existe dans la volonté, un don qui perfectionne en vue d’agir selon un mode plus noble que ne l’est le mode de la vertu. Puisque le don ne dépasse la vertu qu’en raison de son mode, il ne sera donc pas inapproprié que la vertu qui perfectionne la volonté pour ce qui est suprême en elle soit plus digne que n’importe quel don.

[12332] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod dona de quibus nunc loquimur, sunt virtutes divinae; unde reducuntur ad virtutes exemplares quas ponit in Deo, quae non sunt idem specie cum virtutibus politicis, sed sunt supra eas, ut dicit philosophus in 7 Ethic.

6. Les dons dont nous parlons ici sont des vertus divines. Ils se ramènent donc aux vertus exemplaires qu’il met en Dieu, qui ne sont pas la même chose selon l’espèce que les vertus politiques, mais les dépassent, comme le dit le Philosophe dans Éthique, VII.

Articulus 2 [12333] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 2 tit. Utrum dona debeant esse plura quam septem

Article 2 – Doit-il y avoir plus que sept dons ?

[12334] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod plura debeant esse dona quam septem assignata. Dona enim perficiunt ad modum altiorem quam virtus. Ergo singulis virtutibus debent respondere singula dona. Sed inter theologicas virtutes soli fidei videntur dona aliqua respondere, sicut intellectus, et sapientia. Ergo videtur quod debeant esse alia dona quae respondeant spei et caritati.

1. Il semble qu’il doive y avoir plus que les sept dons indiqués. En effet, les dons perfectionnent en vue d’un mode plus élevé que la vertu. Chaque don doit donc correspondre à chaque vertu. Or, parmi les vertus théologales, des dons semblent correspondre à la seule foi, telles l’intelligence et la sagesse. Il semble donc qu’il doive exister d’autres dons qui correspondent à l’espérance et à la charité.

[12335] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, circa ea quae sunt temperantiae magis homo infirmatur quam circa materiam alicujus alterius. Sed dona dantur ad tollendam imperfectionem quae est in virtutum actibus ex conditione humanae naturae. Ergo temperantiae debet respondere aliquod donum.

2. L’homme est davantage affaibli pour ce qui relève de la tempérance que pour la matière d’une autre [vertu]. Or, les dons sont donnés en vue d’enlever l’imperfection qui existe dans les actes des vertus en raison de la condition de la nature humaine. Un don doit donc correspondre à la tempérance.

[12336] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, inter ista dona ponuntur tria quae pertinent ad executionem, ut pietas, fortitudo et timor. Sed fortitudini adjungitur suum motivum, scilicet consilium; pietati vero scientia. Ergo timori debet aliquod directivum alterum assignari.

3. Parmi ces dons, il y en a trois qui se rapportent à l’exécution : la piété, la force et la crainte. Or, à la force est associé ce qui la meut : le conseil ; et à la piété, la science. Quelque chose qui dirige doit donc être assigné à la crainte.

[12337] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, ad justitiam reducuntur, sicut partes, pietas, latria, amicitia, et multa alia, ut supra dictum est. Ergo qua ratione pietas ponitur donum, eadem ratione omnes aliae partes justitiae.

4. La piété, la latrie, l’amitié et beaucoup d’autres choses, comme on l’a dit plus haut, se ramènent à la justice. C’est donc pour la même raison que la piété est présentée comme un don, que toutes les autres parties de la justice le sont.

[12338] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, ad prudentiam pertinet non solum consilium, sed etiam judicium, sicut supra dictum est. Ergo sicut consilium ponitur donum, ita et judicium.

5. Comme on l’a dit plus haut, non seulement le conseil, mais aussi le jugement relève de la prudence. De même que le conseil est présenté comme un don, de même aussi le jugement [doit-il l’être].

[12339] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 2 arg. 6 Sed contra, videtur quod debeant esse pauciora. Quia quanto aliqua cognitio est altior, tanto magis universalis, et minus multiplex. Sed dona sunt supra virtutes. Cum igitur virtutes ad cognitionem pertinentes sint fides et prudentia, non debent eis quatuor dona ad cognitionem pertinentia respondere.

[6] Cependant, il semble qu’il doive y en avoir moins, car plus une connaissance est élevée, plus elle est universelle et moins multiple. Or, les dons dépassent les vertus. Puisque les vertus qui se rapportent à la connaissance sont la foi et la prudence, il ne faut donc pas que leur correspondent quatre dons se rapportant à la connaissance.

[12340] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 2 arg. 7 Praeterea, donum, ut dictum est, videtur aliquid altius quam bonum virtutis esse. Sed timor non videtur sonare in aliquam eminentiam. Ergo non videtur quod debeat inter dona computari.

[7] Comme on l’a dit, il semble que le don soit quelque chose de plus élevé que le bien de la vertu. Or, la crainte ne semble pas évoquer quelque chose d’élevé. Il ne semble donc pas qu’elle doive être comptée parmi les dons.

 [12341] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 2 arg. 8 Praeterea, non potest esse species altior suo genere, neque aliquid altius seipso. Sed donum est aliquid altius virtute. Cum ergo pietas sit pars justitiae, et fortitudo sit quaedam virtus cardinalis, videtur quod neutra debeat dici donum.

[8] Une espèce ne peut pas être plus élevée que son genre, ni une chose plus élevée qu’elle-même. Or, le don est quelque chose de plus élevé que la vertu. Puisque la piété est une partie de la justice et la force une vertu cardinale, il semble donc qu’aucune des deux ne doive être appelée un don.

[12342] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod, sicut ex praedictis patet, tria sunt genera virtutum. Sunt enim virtutes intellectuales, theologicae et morales, in quibus omnibus hoc commune invenitur quod perficiunt ad actus suos secundum humanum modum. Unde cum donum elevet ad operationem quae est supra humanum modum, oportet quod circa materias omnium virtutum sit aliquod donum quod habeat aliquem modum excellentem in materia illa; nec tamen oportet quod tot sint dona quot sunt virtutes: quia in unoquoque genere in quo multa continentur, convenit esse unum summum; et ita respectu multarum virtutum quae sunt unius coordinationis, potest unum donum excellentiam importare. Sicut etiam supra dictum est, multae virtutes, etiam quae sunt circa diversas materias, assignantur partes unius virtutis, secundum quod in materia ejus communicant. Operatio autem humana, ad quam humano modo virtus perficit, vel pertinet ad contemplationem, secundum quam conspiciuntur necessaria et aeterna; vel pertinet ad actionem, secundum quam disponuntur contingentia, quae libero arbitrio sunt subjecta. In contemplatione autem humana duplex est via. Una secundum quam proceditur ad agnitionem necessariorum et aeternorum, quae pertinet ad inventionem. Alia secundum quam ex principiis primis alia ordinantur, quae pertinet ad judicium. In prima autem via proceditur humano modo ex sensu in memoriam, ex memoria in experimentum, et ex experimento in prima principia, quae statim notis terminis cognoscuntur; et hunc processum perficit intellectus, qui est habitus principiorum. Ulterius in eadem via proceditur inquirendo ex istis principiis in conclusiones; et ad hoc perficit alia virtus intellectualis, quae dicitur scientia quantum ad ea quae rationi subjacent; in his autem quae super rationem sunt, perficit fides, quae est inspectio divinorum in speculo et in aenigmate. Quod autem spiritualia quasi nuda veritate capiantur, supra humanum modum est; et hoc facit donum intellectus, qui de auditis per fidem mentem illustrat, ut dicit Gregorius. In alia autem via contemplationis modus humanus est ut ex simplici inspectione primorum principiorum et altissimarum causarum homo de inferioribus judicet et ordinet; et hoc fit per sapientiam, quam ponit philosophus intellectualem virtutem in 6 Ethic., quia sapientis est ordinare, ut in principio Metaphysic. dicitur. Sed quod homo illis causis altissimis uniatur transformatus in earum similitudinem, per modum quo qui adhaeret Deo, unus spiritus est, 1 Corinth. 6, ut sic quasi ex intimo sui de aliis judicet et ordinet non solum cognoscibilia, sed etiam actiones humanas et passiones; hoc supra humanum modum est, et hoc per sapientiae donum efficitur. Ex parte autem actionis duo inveniuntur; scilicet dirigere, quod pertinet ad cognitionem; et exequi, quod est affectionis. In cognitione autem practica, quae dirigit in operibus moralibus, invenitur duplex via, sicut et in contemplationis cognitione, scilicet inventio, et judicium. In inventione autem modus humanus est quod procedatur inquirendo et conjecturando ex his quae solent accidere: quia ex talibus et circa talia est moralis consideratio, ut philosophus dicit: et haec inventio secundum hunc modum perficitur per eubuliam, quae est bona consiliatio. Sed quod homo accipiat hoc quod agendum est, quasi per certitudinem a spiritu sancto edoctus, supra humanum modum est; et ad hoc perficit donum consilii. In via autem altera modus humanus est quod ex his quae frequenter solent accidere, homo de inventis per consilium judicet probabiliter, quod fit per gnomen, et synesim; et ulterius ordinem hujus judicii imponat inferioribus, quod fit per prudentiam, quae praeceptiva est. Sed quod homo certitudinaliter sentiat de his quae agenda occurrunt, supra hominem est, et hoc fit per donum scientiae, quae docet conversari in medio pravae et perversae nationis; unde et ipsum nomen certitudinem importat. Executio autem activae vitae in duobus consistit: scilicet in operationibus, quibus fit communicatio ad alterum, et in passionibus, quibus homo ad seipsum disponitur. Operationes autem quibus fit communicatio ad alterum, secundum humanum modum regulantur, vel ex eo ad quem est communicatio, sicut cum ei aliquid exhibetur, quod facit justitia; vel ex ipso qui ad alterum sua communicat, inquantum bonum ejus relucet in tali communicatione, ut mensura harum communicationum: quae quidem communicatio vel est in hoc quod homo sua tribuit, quod facit liberalitas in mediocribus, et magnificentia in maximis donis vel sumptibus: vel in eo quod seipsum alteri exhibet sive per cognitionem, ut scilicet cognoscatur talis qualis est per dicta et facta, quod facit virtus quaedam quae a philosopho dicitur veritas; sive per affectionem, inquantum se delectabilem exhibet sociis, ut in ludis, quod facit eutrapelia; vel in communi vita, quod facit amicitia, quae a philosopho virtus ponitur per quam homo ad unumquemque decenter se habet in dictis et factis. Sed quod ratio communicationis quantum ad omnia praedicta non attendatur ex bono communicantis, vel ejus ad quem est communicatio, ut in his terminis includatur, ut homo alteri tantum tribuat quantum debet, vel quantum ei expedit qui tribuit, sed quantum est Deo acceptum divinum bonum quod in se vel in proximo relucet, hoc supra humanum modum est; et hoc fit per donum pietatis. Passiones autem vel pertinent ad concupiscibilem vel ad irascibilem. In passionibus ergo irascibilis dirigendis secundum humanum modum accipitur pro mensura vel regula, rationis bonum. Passiones enim irascibilis ad tria reducuntur. Primum est spes, quae est respectu ardui boni consequendi: quae quidem dirigitur per hoc quod homo pensatis viribus propriis secundum eorum mensuram ad ardua virtutis opera se extendat; et hoc facit magnanimitas quae est circa magnos honores, et quaedam virtus innominata, quae est circa mediocres. Honor enim virtuti debetur. Secundum autem est timor et audacia, quae sunt respectu mali difficilis imminentis; et in his passionibus dirigimur, ut secundum quantitatem suarum virium quis hujusmodi aggrediatur vel fugiat, quod ad fortitudinis virtutem pertinet. Tertium ira, quae consurgit ex laesione praecedente, in qua dirigimur ut homo non insurgat in vindictam ultra quantitatem offensae; et ordinem juris, quod facit mansuetudo. Sed quod homo in omnibus his pro mensura accipiat divinam virtutem, ut scilicet ad ardua virtutis opera se extendat, ad quae scit se suis viribus non sufficere, et pericula quae vires suas excedant, non formidet divino auxilio innixus, et de illatis injuriis non solum vindictam non requirat, sed etiam gloriam habeat in remuneratione intendens, supra humanum modum est: et hoc totum efficitur per donum fortitudinis. In passionibus autem concupiscibilis, quae sunt amor, concupiscentia et delectatio, secundum humanum modum dirigimur ad bonum rationis, ut scilicet tantum homo ad temporalia bona afficiatur quantum indiget; quod fit per temperantiam, quae est circa maximas delectationes et concupiscentias, et secundum alias ei annexas. Sed quod homo ex reverentia divinae majestatis omnia haec ut stercora arbitretur, supra humanum modum est; et hoc per donum timoris perficitur; unde in Psalm. 118, 120, dicitur: confige timore tuo carnes meas. Quidam vero accipiunt numerum donorum secundum pronitates ad peccatum, eo quod donum est ad auferendum defectum potentiae in qua est virtus; unde dicunt quod contra pronitatem ad superbiam est timor ad humilitatem inclinans; contra pronitatem ad invidiam, quae proximo compati nescit, est pietas; contra avaritiam scientia, cujus est bene conversari cum hominibus, unicuique reddendo quod suum est, quod avaritiae opponitur; contra accidiam, fortitudo; contra iram, quae agit omnia in praecipiti, consilium; contra gulam quae sensus hebetat, intellectus; contra luxuriam sapientia, quia gustato spiritu desipit omnis caro. Alii vero accipiunt numerum donorum secundum ea quae in Christo exigebantur ad patiendum: quae quidem fuerunt quatuor: scilicet reverentia ad patrem mittentem, et sic est timor; compassio vel misericordia ad eos pro quibus patiebatur, et sic est pietas; virilitas ad passiones sustinendas, et sic est fortitudo; et fructus passionis consideratio, et sic est intellectus. Consilium autem fortitudinem dirigit, scientia pietatem, sapientia intellectum. Alii vero accipiunt secundum ea quae ex peccato consequuntur. Consequuntur enim in concupiscibili duritia, ut non subveniatur proximo, et contra hanc est pietas; in irascibili timiditas, contra quam est fortitudo; et praesumptio, sive audacia, contra quam est timor. In rationali vero respectu finis, hebetudo ut non cognoscatur, contra quam est intellectus; et stultitia, ut non afficiatur aliquis debite ad finem, et contra hanc est sapientia. Sed respectu eorum quae sunt ad finem, ignorantia, qua scilicet homo nescit quid expediat ad prosecutionem finis, et contra hanc est scientia; et praecipitatio, per quam homo ex impetu passionis magis ducitur in his quae sunt agenda, quam ex electione, et contra hanc est consilium. Alii vero aliter accipiunt, dicentes, quod dona perficiunt in duplici vita. In contemplativa quidem sapientia per modum gustus experientis; intellectus per modum visus inspicientis. In activa autem quantum ad recessum a malo, timor; quantum ad operationem boni, ad quod omnes tenentur, pietas ut exequens, et scientia ut dirigens; quantum vero ad operationem boni, ad quod non omnes tenentur, fortitudo ut exequens, et consilium ut dirigens. Sed prima assignatio magis videtur accepta secundum proprias rationes donorum.

Réponse. Comme cela ressort de ce qui a déjà été dit, il existe trois genres de vertus. En effet, il existe des vertus intellectuelles, théologales et morales, qui ont en commun de perfectionner en vue de leurs actes selon un mode humain. Puisque le don élève à une opération qui dépasse le mode humain, il est donc nécessaire que, pour les matières de toutes les vertus, existe un don qui ait un mode excellent en cette matière. Cependant, il n’est pas nécessaire qu’il y ait autant de dons que de vertus, car, en chaque genre où sont contenues plusieurs choses, il convient qu’il y en ait une qui soit la plus élevée. Ainsi, par rapport à plusieurs vertus qui sont coordonnées, un seul don peut apporter une excellence. Comme on l’a dit plus haut, plusieurs vertus, même si elles portent sur des matières différentes, sont aussi assignées comme des parties d’une seule vertu, dans la mesure où elles ont une matière commune avec la sienne. Or, l’opération humaine, en vue de laquelle la vertu perfectionne selon un mode humain, se rapporte soit à la contemplation, par laquelle les réalitées nécessaires et éternelles sont regardées, soit elle se rapporte à l’action, par laquelle on dispose des réalités contingentes, qui sont soumises au libre arbitre. Or, il existe deux voies pour la contemplation humaine. L’une, dans laquelle on progresse vers la connaissance des réalités nécessaires et éternelles : elle relève de l’invention. L’autre, selon laquelle d’autres choses sont ordonnées à partir des principes premiers : elle relève du jugement. Or, par la première voie, on progresse selon un mode humain du sens vers la mémoire, de la mémoire vers l’expérience, et de l’expérience vers les premiers principes, qui sont connus dès que les termes en sont connus. C’est cette démarche que perfectionne l’intelligence, qui est un habitus portant sur les principes. De plus, sur la même voie, on progresse par la recherche à partir de ces principes en direction de conclusions. Une autre vertu intellectuelle perfectionne pour cela : elle est appelée science, pour ce qui est soumis à la raison ; mais pour ce qui dépasse la raison, la foi perfectionne, qui est une considération des réalités divines dans un miroir et en énigme. Mais que les réalités spirituelles soient pour ainsi dire saisies dans leur vérité nue, cela dépasse le mode humain. C’est ce que fait le don d’intelligence, qui éclaire l’esprit par la foi à partir de ce qui a été entendu, comme le dit Grégoire. Sur l’autre voie de la contemplation, le mode humain consiste en ce que, d’un simple examen des principes premiers et des causes les plus élevées, l’homme juge des réalités inférieures et les ordonne. Cela est réalisé par la sagesse, que le Philosophe présente comme une vertu intellectuelle, dans Éthique, VI, car c’est le propre du sage de mettre de l’ordre, comme il est dit au début de Métaphysique. Mais que l’homme soit uni à ces causes les plus élevées et transformé en leur ressemblance, de la manière dont celui qui s’attache à Dieu est un seul esprit [avec lui], 1 Co 6, 17, de sorte qu’il juge et ordonne les autres choses comme du plus intime de lui-même, non seulement ce qui peut être connu, mais aussi les actions et les passions humaines, cela dépasse le mode humain, et cela est réalisé par le don de sagesse. Mais, du côté de l’action, on trouve deux choses : diriger, ce qui relève de la connaissance ; et exécuter, ce qui relève de l’affectivité. Or, dans la connaissance pratique, qui dirige dans les actions morales, on trouve deux voies, comme dans la connaissance contemplative : l’invention et le jugement. Pour l’invention, le mode humain consiste à avancer en recherchant et en conjecturant à partir de ce qui a coutume de se produire, car le regard moral vient de cela et porte sur cela, comme le dit le Philosophe. Cette invention, selon ce mode, est perfectionnée par l’eubulia, qui est le bon conseil. Mais, que l’homme perçoive ce qui doit être accompli avec une certitude provenant de l’enseignement du Saint-Esprit, cela dépasse le mode humain. C’est en vue de cela que perfectionne le don de conseil. Sur l’autre voie, le mode humain consiste en ce que, à partir de ce qui a coutume de se produire fréquemment, l’homme, par le conseil, juge d’une manière probable de ce qui a été trouvé, ce qui se réalise par la gnomè et la synésis ; de plus, il impose l’ordre de ce jugement aux inférieurs, ce qui se réalise par la prudence qui commande. Mais que l’homme perçoive de manière certaine ce qui doit être accompli, cela se réalise par le don de science, qui enseigne à se comporter au milieu d’une nation mauvaise et perverse. C’est la raison pour laquelle le nom lui-même comporte une certitude. Mais l’exécution de la vie active consiste en deux choses : dans des opérations, par lesquelles se réalise la communication avec l’autre ; et dans des passions, par lesquelles l’homme est disposé envers lui-même. Or, les opérations par lesquelles se réalise la communication avec l’autre sont mesurées selon un mode humain soit à partir de celui avec qui la communication est établie, comme lorsque quelque chose lui est présenté, ce que réalise la justice, soit à partir de celui qui transmet à un autre ce qui lui appartient, pour autant que son bien est réflété dans une telle communication, en tant qu’il est la mesure de telles communications. Une telle communication consiste soit en ce qu’un homme partage ce qui lui appartient, ce que réalisent la libéralité pour les choses de moindre valeur, et la magnificence pour les plus grands dons ou [les plus grandes] dépenses ; soit en ce qu’il se montre lui-même à un autre par la connaissance, de sorte qu’il soit connu tel qu’il est par ses paroles et ses actes, ce que réalise une vertu qui est appelée « vérité » par le Philosophe ; ou par l’affection, pour autant qu’il se montre agréable à ses compagnons, par exemple, dans les jeux, ce que réalise l’eutrapélie, ou dans une vie commune, ce que réalise l’amitié, qui est présentée par le Philosophe comme la vertu par laquelle un homme se comporte de manière convenable dans ses paroles et ses actes. Mais que la raison de communication pour tout ce qui a été dit ne soit pas envisagée à partir du bien de celui qui communique ou de celui à qui s’adresse la communication, de sorte qu’elle soit comprise dans les limites où un homme n’accorde à un autre qu’autant qu’il lui doit, ou autant qu’il convient à celui qui accorde, mais autant que le bien divin est reflété en lui-même ou dans le prochain, cela dépasse le mode humain, et cela est réalisé par le don de piété. Toutefois, les passions se rapportent soit au concupiscible, soit à l’irascible. Pour diriger les passions de l’irascible selon un mode humain, le bien de la raison est pris comme mesure ou comme  règle. En effet, les passions de l’irascible se ramènent à trois choses. Premièrement, il y a l’espoir, qui porte sur un bien difficile à obtenir : elle est dirigée par le fait que l’homme, après avoir évalué ses propres forces, se porte selon leur mesure vers les actes difficiles de la vertu. C’est ce que fait la magnanimité, qui porte sur les grands honneurs, et une vertu qui ne porte pas de nom, qui porte sur les [honneurs] ordinaires. En effet, l’honneur est dû à la vertu. En deuxième lieu, il y a la crainte et l’audace, qui portent sur un mal difficile imminent. Nous sommes dirigés pour ces passions de manière à attaquer ou à fuir [un mal] de ce genre dans la mesure de nos forces, ce qui relève de la vertu de force. Troisièmement, il y a la colère qui vient d’une blessure précédente : nous y sommes dirigés de manière à ne pas passer à une vengeance qui dépasse la grandeur de l’offense et l’ordre du droit, ce que fait la douceur. Mais cela dépasse le mode humain, qu’un homme prenne comme mesure pour tout cela la vertu divine, de sorte qu’il se porte vers les actes difficiles de la vertu pour lesquels il sait que ses forces ne sont pas suffisantes, qu’il ne soit pas effrayé en raison de son appui sur le secours divin, et que, non seulement il ne cherche pas à se venger des torts qui lui ont été faits, mais qu’il [y] prenne gloire en songeant à la récompense. Tout cela est accompli par le don de force. Pour les passions du concupiscible : l’amour, le désir et le plaisir, nous sommes dirigés vers le bien de la raison selon un mode humain, de sorte que nous ne soyons affectés par les biens temporels que dans la mesure de nos besoins, ce qui est réalisé par la tempérance, qui porte sur les plus grands plaisirs et [les plus grandes] désirs, et sur les autres qui leur sont associés. Mais que, par révérence pour la divine majesté, on juge que tout cela n’est qu’ordures, cela dépasse le mode humain. Cela se réalise par le don de crainte. Aussi est-il dit dans Ps 118, 120 : Crucifie ma chair par ta crainte. Mais certains envisagent le nombre des dons selon les inclinations au péché, du fait que le don vise à enlever la carence de la puissance où se trouve la vertu. Aussi disent-ils que, contre la tendance à l’orgueuil, il y a la crainte qui incline à l’humilité ; contre la tendance à l’envie, qui ne sait pas compatir avec le prochain, il y a la piété ; contre l’avarice, la science, à qui il revient de bien se comporter avec les hommes, en rendant à chacun ce qui lui appartient, ce qui s’oppose à l’avarice ; contre l’acédie, la force ; contre la colère, qui agit toujours avec précipitation, le conseil ; contre la gourmandise, qui émousse les sens, l’intelligence ; contre la luxure, la sagesse, car, après qu’on a goûté à l’esprit, toute chair perd son goût. Mais d’autres considèrent le nombre des dons selon ce que le Christ devait souffrir. Il y avait quatre choses. La révérence envers son Père qui l’envoie : on a ainsi la crainte. La compassion ou la miséricorde envers ceux pour lesquels il souffrait : on a ainsi la piété. La virilité pour supporter les souffrances : on a ainsi la force. Et la considération du fruit de la passion : et on a ainsi l’intelligence. Mais le conseil dirige la force, la science, la piété, et la sagesse, l’intelligence. D’autres envisagent [le nombre des dons] selon ce qui découle du péché. En effet, l’endurcissement est la conséquence [du péché] dans le concupiscible, de sorte qu’on ne vient pas au secours du prochain ; contre elle, il y a la piété ; [de la conséquence du péché] dans l’irascible, [découle] la timidité : contre elle, il y a la force ; [aussi conséquence du péché dans l’irascible], la présomption ou l’audace : contre elle, il y a l’intelligence ; [conséquence encore du péché dans l’rascible, la folie, de telle sorte que l’on ne soit pas correctement attiré par la fin : contre elle, il y a la sagesse. Mais, par rapport à ce qui se rapporte à la fin, [la conséquence est] l’ignorance, par laquelle l’homme ne sait pas ce qui convient à la recherche de la fin : contre elle, il y a la science. [Conséquence aussi] aussi, la précipitation par laquelle l’homme est davantage mû à ce qu’il faut faire sous l’impulsion de la passion que par choix : contre elle, il y a le conseil. Mais d’autres l’entendent autrement, en disant que les dons perfectionnent pour les deux vies. Pour la vie contemplative, la sagesse, à la façon du goût de celui qui fait l’expérience ; l’intelligence, à la manière de la vision de celui qui regarde. Mais pour la vie active : afin de s’éloigner du mal, la crainte ; afin de faire le bien, auquel tous sont tenus, la piété comme exécutante, et la science comme dirigeante ; afin de faire le bien auquel tous ne sont pas tenus, la force comme exécutante, et le conseil comme dirigeante. Mais la première explication semble se conformer davantage aux raisons propres des dons.

[12343] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod fides est in intellectu, spes autem et caritas in voluntate, ut prius dictum est. Intellectus autem humanus ex sua natura habet imperfectionem in modo intelligendi, quia spiritualia non potest percipere nisi deveniens in ea ex sensibilibus; sed voluntas non habet ex sui natura aliquem modum imperfectionis, ut dictum est; et ideo caritati et spei non respondet aliquod donum quod perfectiori modo operetur: imperfectio enim quae est in actu spei, non est ex modo operandi, sed magis ex distantia objecti.

1. La foi se trouve dans l’intelligence, mais l’espérance et la charité dans la volonté, comme on l’a dit antérieurement. Or, l’intellect humain est par sa nature imparfait dans son mode d’intelliger, car il ne peut percevoir les réalités spirituelles qu’en les atteignant à partir des réalités sensibles. Mais la volonté n’a pas d’imperfection en raison de sa nature, comme on l’a dit. C’est pourquoi un don qui agit selon un mode plus parfait ne correspond pas à la charité et à l’espérance. En effet, l’imperfection qu’il y a dans l’acte d’espérance ne vient pas du mode d’agir, mais plutôt de la distance de l’objet.

[12344] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod perfectio temperantiae consistit in retrahendo a delectationibus circa quae est, unde et nomen accepit; perfectio autem fortitudinis in sustinendo, vel aggrediendo; justitiae autem in operando quae ad alterum sunt. Et ideo justitiae respondet donum quod est ad operandum, scilicet pietas; et fortitudini donum quod est ad sustinendum et aggrediendum, quod eodem nomine nominatur: temperantiae autem donum quod sonat in recessum ab aliquo, scilicet timor, ut prius dictum est.

2. La perfection de la tempérance consiste à s’éloigner des plaisirs sur lesquels elle porte : c’est de là que vient son nom. Mais la perfection de la force [consiste] à supporter ou à entreprendre ; celle de la justice, à faire ce qui se rapporte à un autre. C’est pourquoi correspond à la justice un don qui est tourné vers l’action : la piété ; et à la force, un don qui vise à supporter et à entreprendre, qui porte le même nom ; mais à la tempérance, un don qui évoque un éloignement de quelque chose : la crainte, comme on l’a dit plus haut.

[12345] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod idem est directivum in recessu a termino et in accessu ad alium terminum; et ideo timor, qui sonat in recessum, non habet aliquod speciale directivum praeter ea quae dirigunt in aliis exequentibus, quae pertinent ad accessum ad terminum.

3. C’est la même chose qui dirige pour l’éloignement par rapport à un terme et pour l’approche d’un autre terme. C’est pourquoi la crainte, qui évoque un éloignement, n’a rien de particulier qui la dirige, à part ce qui dirige dans les autres choses qui exécutent, qui se rapportent à l’approche du terme.

[12346] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quia donum elevat hominem ad id quod est supra se, ideo convenienter donum respondens justitiae ex illa parte justitiae sumitur quae ei quod maxime supremum est, debetur. Hujusmodi autem est pietas, quae debetur Deo, et patri carnali, vel etiam patriae.

4. Parce que le don élève l’homme à ce qui le dépasse, c’est de manière appropriée qu’un don correspondant à la justice est tiré de cette partie de la justice qui est due à ce qui est le plus élevé. Or, celle-ci est la piété qui est due à Dieu, à son père charnel ou encore à la patrie.

[12347] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod judicium prudentiae per donum scientiae perficitur, sicut et consilium per donum consilii.

5. Le jugement de la prudence est perfectionné par le don de science, comme le conseil par le don de conseil.

[12348] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod multae aliae virtutes pertinent ad cognitionem quam fides et prudentia, sicut patet de omnibus intellectualibus; et ideo ratio procedit ex falsis.

6. Beaucoup d’autres vertus que la foi et la prudence se rapportent à la connaissance, comme cela ressort pour toutes les [vertus] intellectuelles. Le raisonnement s’appuie donc sur des faussetés.

[12349] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod timor sonat in quamdam subjectionem hominis per quamdam reverentiam. Quanto autem creatura magis creatori subjicitur, tanto altior est; sicut materia quanto magis subjicitur formae, tanto perfectior est; et ideo timor in excellentiam sonat, secundum quod importat reverentiam ad Deum: sic enim maxime donum est.

7. La crainte évoque une certaine soumission de l’homme en raison d’une certaine révérence. Or, plus la créature est soumise au Créateur, plus elle est élevée, comme plus la matière est soumise à la forme, plus elle est parfaite. La crainte évoque donc une élévation pour autant qu’elle comporte une révérence envers Dieu. En effet, c’est ainsi qu’elle est surtout un don.

[12350] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 2 ad 8 Ad octavum dicendum, quod pietas quae est donum, est supra justitiam, et supra omnes partes ejus, ut ex praedictis patet, et ideo non est idem cum pietate, quae est pars justitiae.

8. La piété qui est un don dépasse la justice et toutes ses parties, comme cela ressort de ce qui a été dit. C’est pourquoi elle n’est pas la même chose que la piété qui est une partie de la justice.

 

 

Articulus 3 [12351] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 3 tit. Utrum dona maneant in patria

Article 3 – Les dons demeurent-ils dans la patrie ?

[12352] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod dona non remaneant in patria. Donum enim fortitudinis videtur esse contra difficultates ordinatum. Sed in patria non erit aliqua difficultas. Ergo ibi non erit fortitudinis donum.

1. Il semble que les dons ne demeurent pas dans la patrie. En effet, le don de force semble être exister contre les difficultés. Or, dans la patrie, il n’y aura pas de difficulté. Il n’y aura donc pas de don de force.

[12353] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, pietas est ad compatiendum proximo. Sed in patria non erit compassio. Ergo nec pietas donum.

2. La piété est orientée vers la compassion envers le prochain. Or, dans la patrie, il n’y aura pas de compassion. Donc, ni de piété comme don.

[12354] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, timor est ad retrahendum a malo, et ex fide consequitur. Sed in patria evacuabitur fides, et omne malum cessabit. Ergo non erit ibi timor.

3. La crainte vise à éloigner du mal, et elle découle de la foi. Or, dans la patrie, la foi sera évacuée et tout mal cessera. Il n’y aura donc pas de crainte.

[12355] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, secundum Damascenum, consilium est de dubiis. Sed in patria non erit dubitatio. Ergo nec consilium.

4. Selon [Jean] Damascène, le conseil porte sur ce qui est douteux. Or, dans la patrie, il n’y aura pas de doute. Il n’y aura donc pas non plus de conseil.

[12356] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, 1 Corinth. 13, 8: scientia destruetur; ipsa enim docet conversari in medio pravae et perversae nationis; quod in patria penitus non erit. Ergo neque donum scientiae erit in patria.

5. Selon 1 Co 13, 8, la science sera détruite. En effet, celle-ci enseigne à se comporter au milieu d’une nation mauvaise et perverse, ce qui n’existera pas du tout dans la patrie. Il n’y aura donc pas non plus de don de science dans la patrie.

[12357] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 3 arg. 6 Praeterea, dona omnia, ut dictum est, tollunt imperfectionem quae est in virtutibus quantum ad modum operandi. Sed in patria non erit imperfectio. Ergo donis non indigebimus; sed ipsae virtutes perfectae sufficient.

6. Comme on l’a dit, tous les dons enlèvent l’imperfection qui existe dans les vertus pour ce qui est du mode d’agir. Or, dans la patrie, il n’y aura pas d’imperfection. Nous n’aurons donc pas besoin des dons, mais les vertus parfaites suffiront.

[12358] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, Christus fuit simul verus viator et comprehensor. Sed in Christo fuerunt dona excellentissima, ut patet per id quod dicitur Isai. 2. Ergo per comprehensionem gloriae non excluduntur, et ita remanebunt in patria.

Cependant, [1] le Christ a été en même temps viator et comprehensor. Or, chez les Christ, les dons les plus parfaits ont existé, comme cela ressort de ce qui est dit en Is 2. Ils ne sont donc pas exclus par la compréhension de la gloire, et ainsi ils demeureront dans la patrie.

[12359] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, dona sunt perfectiora virtutibus cardinalibus. Sed illae manent in patria. Ergo multo fortius dona.

[2] Les dons sont plus parfaits que les vertus cardinales. Or, celles-ci demeureront dans la patrie. Donc, à bien plus forte raison, les dons.

[12360] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 3 s. c. 3 Praeterea, per donum elevatur homo supra humanum modum, sicut patet ex dictis. Sed hoc praecipue erit in patria, quando erimus aequales Angelis Dei, ut dicitur Matth. 22. Ergo dona permanebunt in patria.

[3] Par le don, l’homme est élevé au-dessus du mode humain, comme cela ressort de ce qui a été dit. Or, ce sera principalement le cas dans la patrie, alors que nous serons égaux aux anges de Dieu, comme il est dit en Mt 22. Les dons demeureront donc dans la patrie.

[12361] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod modus unicuique rei ex propria mensura praefigitur; unde modus actionis sumitur ex eo quod est mensura et regula actionis; et ideo cum dona sint ad operandum supra humanum modum, oportet quod donorum operationes mensurentur ex altera regula quam sit regula humanae virtutis, quae est ipsa divinitas ab homine participata suo modo, ut jam non humanitus, sed quasi Deus factus participatione, operetur, ut ex praedictis patet; et ita omnia dona communicant in mensura operationis; differunt autem in materia circa quam operantur. Illa enim quae in vita activa perficiunt, habent materiam communem cum moralibus virtutibus; illa vero quae perficiunt in vita contemplativa, habent materiam communem cum theologicis et intellectualibus virtutibus, eo quod praecipuum objectum contemplationis Deus est, qui est objectum theologicarum virtutum. Dona igitur illa quae perficiunt in vita activa, non manent quantum ad actus quos habent circa propriam materiam, sicut nec virtutes cardinales: quia nec timor a noxiis retrahit, nec fortitudo difficilia sustinere facit: sed remanebunt quantum ad actus quos habent circa Deum, qui est mensura operationis in illis, sicut timor hominem per reverentiam Deo subjiciet. Dona autem illa quae perficiunt in vita contemplativa, remanebunt quantum ad actus quos habent circa propriam materiam, et quantum ad actus quos habent circa propriam mensuram; sed perficientur quantum ad modum: quia quantumcumque dona ad altiorem modum elevent quam sit communis homini modus, nunquam tamen in via ad modum patriae pertingere possunt.

Réponse. Le mode de chaque chose est déterminé selon sa propre mesure. Aussi le mode de l’action vient-il de ce qui est la mesure et la règle de l’action. Puisque les dons existent en vue d’agir selon un mode surhumain, il est donc nécessaire que les opérations des dons soient mesurées selon une autre règle que la règle de la vertu humaine, laquelle est la divinité elle-même à laquelle l’homme participe selon son mode, de sorte qu’il agisse non pas humainement, mais comme s’il était devenu Dieu par participation, comme cela ressort de ce qui a été dit. Et ainsi tous les dons ont en commun une mesure de l’action, mais ils diffèrent par la matière sur laquelle ils agissent. En effet, [les dons] qui perfectionnent pour la vie active ont une matière commune avec les vertus morales ; mais ceux qui perfectionnent pour la vie contemplative ont une matière commune avec les vertus théologales et intellectuelles, du fait que Dieu, qui est l’objet des vertus théologales, est l’objet principal de la contemplation. Les dons qui perfectionnent pour la vie active ne demeurent donc pas pour les actes portant sur leur matière propre, comme non plus les vertus cardinales, car ni la crainte n’éloigne de ce qui est nuisible, ni la force ne fait supporter ce qui est difficile ; mais ils demeureront pour les actes qui portent sur Dieu, qui est la mesure de leur opération, comme la crainte soumettra l’homme par révérence pour Dieu. Mais les dons qui perfectionnent pour la vie contemplative demeureront pour leurs actes portant sur leur matière propre et pour leurs actes portant sur leur propre mesure ; ils seront cependant perfectionnés dans leur mode, car autant que les dons élèvent à un mode plus élevé que le mode commun pour l’homme, jamais ils ne peuvent cependant atteindre en chemin le mode de la patrie.

[12362] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 3 ad 1 Et per hoc patet responsio ad prima quinque, quae procedunt de donis perficientibus in vita activa secundum actus quos habent circa propriam materiam.

1-5. Les réponses aux cinq premiers arguments sont claires : ils portent sur les dons qui perfectionnent pour la vie active, selon les actes qu’ils exercent sur leur propre matière.

[12363] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod dona illa quae communicant cum virtutibus in objecto quod in patria remanebit, non remanebunt in patria a virtutibus illis distincta, a quibus non distinguuntur nisi ex imperfectione et perfectione in modo operationis; quod patet de intellectu et fide: quia visio, quae fidei succedit, ad intellectus donum perfectum pertinet, ut patet in Glossa, Matth. 5. Et similiter est de sapientia, per quam filii Dei vocabimur in comparatione ad spem, quae ad hanc celsitudinem aspirat. Sed dona illa quae communicant cum virtutibus moralibus in materia quae in patria non remanebit, non remanebunt quo ad actus quos habent circa materiam illam in qua cum virtutibus communicabant, sed quantum ad actus quos habent circa mensuram, in qua non communicant cum virtutibus. Et ideo actus illorum donorum remanebunt distincti ab actibus virtutum qui erunt in patria; et erunt actus horum donorum medii inter actus virtutum theologicarum et actus moralium virtutum, sicut qui in patria remanebunt: quia actus virtutum theologicarum erunt circa Deum secundum se, sicut caritatis in diligendo ipsum; actus vero doni erunt circa Deum, inquantum est regula dirigens ad operandum in omnibus aliis; sicut timor reverentiam ad Deum habebit, ex qua in hac vita omnia mundi prospera contempsit. Actus vero virtutis cardinalis erit circa finem proprium, quem quis consecutus est ex meritoriis actibus virtutum; sicut actus temperantiae nullo defectu noxio delectari, ut in praecedenti distinctione dictum est.

6. Les dons qui ont en commun avec les vertus un objet qui demeurera dans la patrie ne demeureront pas dans la patrie comme distincts de ces vertus, dont ils ne se distinguent que par l’imperfection et la perfection dans le mode d’agir. Cela ressort pour l’intelligence et la foi, car la vision, qui succéde à la foi, relève du don parfait d’intelligence, comme cela est clair d’après la Glose sur Mt 5. De même en est-il de la sagesse, par laquelle nous serons appelés fils de Dieu, par rapport à l’espérance, qui aspire à cette éminence. Mais les dons qui ont en commun avec les vertus morales une matière qui ne demeurera pas dans la patrie ne demeureront pas pour ce qui est de leurs actes qui portent sur la matière qu’ils ont en commun avec les vertus, mais pour ce qui est des actes qui portent sur la mesure, qu’ils n’ont pas en commun avec les vertus. C’est pourquoi les actes de ces dons demeureront comme distincts des actes des vertus qui existeront dans la patrie. Et ces actes seront à mi-chemin entre les actes des vertus théologales et les actes des vertus morales, comme ceux qui demeureront dans la patrie, car les actes des vertus théologales porteront sur Dieu en lui-même, telle la charité qui l’aimera ; mais les actes du don porteront sur Dieu en tant qu’il est la règle qui dirige dans toutes les autres choses. Ainsi, la crainte donnera la révérence envers Dieu, par laquelle elle a méprisé en cette vie toutes les faveurs du monde. Mais l’acte de la vertu cardinale portera sur la fin propre que l’on obtient par les mérites des actes des vertus, comme le fait de prendre plaisir à l’acte de la tempérance sans carence nuisible, comme on l’a dit dans la distinction précédente.

Articulus 4 [12364] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 4 tit. Utrum beatitudines respondeant singulis donis

Article 4 – Les béatitudes correspondent-elles à chacun des dons ?

[12365] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod beatitudines non respondeant singulis donis. Sicut enim supra dictum est, singulis virtutibus non respondent singula dona. Sed beatitudines sunt virtutes, ut dicit Glossa: in sermone, inquit, domini septem praemittuntur virtutes, quae et beatitudines dicuntur, quia perfectos et bonos faciunt. Ergo beatitudines et dona non respondent sibi invicem.

1. Il semble que les béatitudes ne correspondent pas à chacun des dons. En effet, comme on l’a dit plus haut, chaque don ne correspond pas à chaque vertu. Or, les béatitudes sont des vertus, comme le dit la Glose : « Dans le discours du Seigneur, sept vertus sont mises de l’avant, qu’on appelle béatitudes, parce qu’elles rendent parfaits et bons. » Les béatitudes et les dons ne correspondent donc pas les uns aux autres.

[12366] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, in via non potest esse beatitudo rei, sed spei tantum. Sed quilibet actus meritorius facit sperare beatitudinem, quia spes est ex meritis proveniens, ut supra, dist. 26, dictum est. Ergo non oportet quod beatitudines respondeant donis, quae sunt supra modum humanum perficientia, sed virtutibus, quantumcumque imperfectis.

2. En chemin, il ne peut y avoir de béatitude réelle, mais en espérance seulement. Or, tout acte méritoire de vertu fait espérer la béatitude, car l’espérance vient des mérites, comme on l’a dit plus haut, d. 26. Il n’est donc pas nécessaire que les béatitudes correspondent aux dons, qui perfectionnent d’une manière qui dépasse le mode humain, mais aux vertus, quelle que soit leur imperfection.

 [12367] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, beatitudines ponuntur geminatae, sicut patet Matth. 5, 3: beati pauperes spiritu, quoniam ipsorum est regnum caelorum; hoc totum ad unam beatitudinem pertinet. Dona autem ponuntur singillatim. Ergo dona et beatitudines non correspondent sibi invicem.

3. Les béatitudes se présentent jumelées, comme cela ressort de Mt 5, 3 : Bienheureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux : cet ensemble relève d’une seule béatitude. Or, les dons se présentent séparément. Les dons et les béatitudes ne se correspondent donc pas mutuellement.

[12368] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, inter dona primo computatur sapientia. Sed sapientiae non correspondet paupertas spiritus quae prima inter beatitudines ponitur. Ergo beatitudines non recte respondent donis.

4. Parmi les dons, on compte d’abord la sagesse. Or, à la sagesse ne correspond pas à la pauvreté en esprit, qui est donnée comme première des béatitudes. Les béatitudes ne correspondent pas correctement aux dons.

[12369] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 4 arg. 5 Praeterea, dona sunt tantum septem; beatitudines autem octo. Ergo non respondent sibi invicem.

5. Il n’y a que sept dons, alors qu’il y a huit béatitudes. Elles se se correspondent donc pas mutuellement.

[12370] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 4 arg. 6 Praeterea, inter dona ponuntur quatuor ad cognitionem pertinentia. Sed inter beatitudines una tantum pertinet ad cognitionem, illa scilicet qua dicitur: beati mundo corde, quoniam Deum videbunt. Ergo non respondent beatitudines donis.

6. Parmi les dons, quatre choses sont indiquées qui se rapportent à la connaissance. Or, parmi les béatitudes, une seule se rapporte à la connaissance, celle qui dit : Bienheureux ceux qui ont un cœur pur, car ils verront Dieu. Elles ne correspondent donc pas aux dons.

[12371] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 4 arg. 7 Praeterea, scientia in omnibus actibus qui ad vitam activam pertinent, videtur dirigere. Ergo scientiae non magis correspondet illa beatitudo: beati qui lugent, ut Glossa dicit, quam aliqua aliarum.

7. La science semble diriger dans tous les actes qui se rapportent à la vie active. Cette béatitude : Bienheureux ceux qui pleurent, ne correspond donc pas plus qu’une des autres à la science, comme le dit la Glose.

[12372] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur in Glossa Matth. 5: ibi enim singulae beatitudines singulis donis adaptantur.

Cependant, [1] La Glose sur Mt 5 dit : « Là, chaque béatitude est adaptée à chaque  don. »

[12373] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, beatitudo, sive felicitas, secundum philosophum, est operatio secundum perfectam virtutem. Sed dona sunt perfectissimae virtutes, ut ex dictis patet. Ergo et beatitudines correspondent donis.

[2] La béatitude ou la félicité, selon le Philosophe, consiste à agir selon une vertu parfaite. Or, les dons sont les vertus les plus parfaites, comme cela ressort de ce qui a été dit. Les béatitudes aussi correspondent donc aux dons.

[12374] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 4 s. c. 3 Praeterea, dona a magistris ponuntur media inter virtutes et beatitudines. Sed dona respondent virtutibus, ut ex dictis patet. Ergo et beatitudines respondent donis.

[3] Les maîtres situent les dons entre les vertus et les béatitudes. Or, les dons correspondent aux vertus, comme cela ressort de ce qui a été dit. Les béatitudes aussi correspondent donc aux dons.

[12375] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod quidam dicunt, quod beatitudines sunt quidam habitus perfectiores donis, sicut dona sunt perfectiora virtutibus. Unde dicunt, quod virtutes perficiunt ad actus primos, dona autem ad actus secundos, sed beatitudines ad actus tertios. Sed non de facili potest assignari differentia inter actus beatitudinum et donorum, quae sufficiat ad differentiam habituum: quod patet ex differentia quam assignant, quae non est nisi secundum intensionem et remissionem, quod non sufficit ad diversificandum habitum. Et ideo aliter dicendum, quod beatitudines non sunt habitus distincti a virtutibus et donis; sed sunt operationes virtutum perfectarum ex adjunctione donorum, sive potius operationes ipsorum donorum. Et hoc consonat dictis sanctorum, qui beatitudines virtutes nominant eo modo loquendi quo virtus dicitur actus virtutis. Consonat etiam ipsi Evangelio, quod inter beatitudines multa enumerat quae manifeste ad dona vel virtutes pertinent. Consonare etiam videtur ad hoc Magister, qui de beatitudinibus specialem tractatum non facit sicut de virtutibus et donis. Consonat etiam philosophorum dictis, qui felicitatem dicunt etiam esse operationem secundum perfectam virtutem. Perfectio autem virtutis potest tripliciter accipi. Primo quantum ad speciem virtutis, sicut prudentia quae dirigit alias virtutes morales, et sapientia quae dirigit alias intellectuales. Unde a philosopho felicitas civilis ponitur operatio prudentiae; felicitas autem contemplativa, sapientiae. Secundo quantum ad statum perfectionis, ad quam perfectionem virtus pervenit per augmentum: et haec etiam perfectio requiritur ad felicitatem secundum philosophum: quia sicut una dies non facit ver, ita nec beatum. Tertio quantum ad modum; et sic dona possunt dici perfectae virtutes, ut ex dictis patet: vel etiam virtutes quibus dona adjunguntur, secundum quod unus habitus ex additione alterius adjuvatur; et sic beatitudines, de quibus loquitur dominus, Matth. 5, dicuntur operationes perfectae virtutis. Et quia dona, ut dictum est, habent duplices actus, quosdam qui pertinent ad viam, et quosdam qui pertinent ad patriam; ideo in singulis beatitudinibus duo ponuntur: unum pertinens ad statum viae, aliud autem ad statum patriae. Differt tamen in his quae pertinent ad vitam contemplativam et activam. Vita enim contemplativa et hic incipit, et in futuro consummatur; unde actus qui erunt perfecti in patria, quodammodo in hac vita inchoantur, sed imperfecti sunt. Donum autem intellectus cujus est spiritualia apprehendere, in patria ad ipsam divinam essentiam pertinget, eam intuendo; unde in sexta beatitudine quae ad donum intellectus pertinet, ponitur quantum ad statum patriae: quoniam ipsi Deum videbunt. Sed in statu viae spiritualia, et praecipue Deum, magis videmus cognoscendo quid non est, quam apprehendendo quid est; et ideo quantum ad statum viae ponitur cordis munditia non solum a passionum illecebris (quam munditiam donum intellectus non facit, sed praesupponitur per vitam activam perfectam), sed etiam ab erroribus, et phantasmatibus, et spiritualibus formis a quibus omnibus docet abscedere Dionysius in Lib. de mystica theologia tendentes in divinam contemplationem. Similiter etiam donum sapientiae, cujus est spiritualia quae intellectus apprehendit, judicare sive ordinare sive approbare, infallibiliter et recte judicabit et ordinabit de omnibus quae ei subduntur, sive sint apprehensiones sive operationes; et in hoc quaedam similitudo deitatis in homine apparebit, cum Deus a providendo et judicando nomen acceperit, secundum quam homo filius Dei manifeste ostendetur. Unde in septima beatitudine, quae ad sapientiam, reducitur dicitur: quoniam filii Dei vocabuntur. In statu autem viae magis operatur in removendo impedimenta, quae praedictam ordinationem perturbare possunt, quam eam assequatur; et ideo pacificatio ponitur in septima beatitudine quantum ad statum viae, per quam perturbantia pacem, quae est ordinationis praedictae terminus, quietare conatur et in seipso et etiam quantum ad alios qui quocumque modo ei obediunt. Activae autem vitae finis est non cognitio, sed operatio; et ideo actus consilii et scientiae, quae in vita activa dirigunt, non computantur inter beatitudines; sed tamen beatitudines, quae sunt actus donorum exequentium, in Glossa, Matth. 5, ei attribuuntur inquantum actus habitus exequentis est etiam quodammodo habitus dirigentis. Ad donum autem timoris, ut dictum est, pertinet omnia temporalia bona ex reverentia divinae majestatis despicere: quorum quaedam sunt extrinseca, sicut divitiae et honores, et horum contemptus ad primam beatitudinem pertinet, qua dicitur: beati pauperes spiritu. Paupertas enim spiritus, ut dicit Glossa, duas habet partes: scilicet rerum abdicationem, et spiritus, idest superbiae, contritionem. In patria enim non erit actus timoris circa temporalia bona, sed circa id quod erat ratio contemnendi ista temporalia. Et ideo in hac beatitudine ponitur quantum ad statum patriae, dominium regni caelorum, in quo divitiae et honores caelestes comprehenduntur, ex quorum consideratione temporalia contemnebantur. Alia vero temporalium bonorum intrinseca sunt homini, scilicet deliciae; et horum contemptus pertinet ad tertiam beatitudinem, qua dicitur: beati qui lugent; et ponitur quantum ad statum patriae consolatio futura, ex cujus respectu consolatio temporalis despiciebatur. Et quia circa difficiliora magis rationis directione indigemus; ideo tertia beatitudo attribuitur dono dirigenti, scilicet scientiae; prima autem dono exequenti, scilicet timori: difficilius enim abnegantur intrinseca quam extrinseca bona. Ad donum autem fortitudinis pertinet omnia difficilia sustinere cum gaudio. Est autem duplex difficultas. Una in labore operationum, et talis sustinentia ad quartam beatitudinem pertinet, qua dicitur: beati qui esuriunt et sitiunt justitiam; idest, qui quaelibet laboriosa et difficilia in prosecutione operationum justitiae sustinent. Sed quantum ad statum patriae ponitur saturitas, in qua comprehenditur omne illud quod laborantes recreare solet. Alia difficultas est in passionibus illatis tolerandis, cujus sustinentia ad octavam beatitudinem pertinet, qua dicitur: beati qui persecutionem patiuntur propter justitiam. Sed quia ista justitia est manifestativa omnium praecedentium, ideo nec speciale sibi praemium redditur, sed redditur ad caput, idest ad praemium positum in prima beatitudine, ut per hoc ostendatur quod omnium beatitudinum praemia ei debentur; et propter hoc etiam non attribuitur alicui speciali dono. Sed quarta attribuitur dono fortitudinis. Ad donum autem pietatis pertinet perficere in his quae ad alterum sunt. Ad alterum autem aliquis bene se habet dupliciter. Uno modo, ut molestiae ei non inferantur, etiam si ipse prius intulerit; et hoc pertinet ad secundam beatitudinem, qua dicitur: beati mites; Glossa: qui cedunt improbis, et vincunt in bono malum. Et quia impugnatio proximi plerumque contingit propter pacificam possessionem temporalium bonorum, ideo in hac beatitudine ponitur, quantum ad statum patriae, possessio terrae, scilicet viventium. Alio modo aliquis se habet bene ad alterum, ut beneficia ei exhibeat: et hoc pertinet ad quintam beatitudinem, qua dicitur: beati misericordes, et ponitur pro praemio liberatio ab omni miseria, cujus intuitu aliquis miserias aliorum relevat. Sed quia difficilius est benefacere quam non nocere; ideo secunda beatitudo attribuitur dono exequenti, scilicet pietati; quinta autem dono dirigenti, scilicet consilio, quod ad alterum est, sicut et pietas. Scientia enim non dicit ordinem ad alterum, sicut nec timor. Ordo autem harum beatitudinum accipitur secundum quod ab exterioribus homo magis ad interiora progreditur: quia maxime extrinseca sunt bona temporalia exteriora; post hoc autem passiones innatae; post hoc operationes propriae exteriores: tum quia in his est labor: post hoc compassio interior; post hoc apprehensio; post hoc ordinatio. Passio vero illata ponitur ultima, quasi aliorum manifestativa.

Réponse. Certains disent que les béatitudes sont des habitus plus parfaits que les dons, comme les dons sont plus parfaits que les vertus. Aussi disent-ils que les vertus perfectionnent en vue des premiers actes, les dons en vue des deuxièmes actes, mais les béatitudes en vue des troisièmes actes. Mais on ne peut pas facilement établir une différence, qui suffirait à différencier les habitus, entre les actes des béatitudes et des dons. Cela ressort clairement de la différence qu’ils établissent, qui vient seulement de l’intensité ou de la retenue, ce qui ne suffit pas à différencier un habitus. Il faut donc parler autrement : les béatitudes ne sont pas des habitus distincts des vertus et des dons, mais elles sont les opérations des vertus rendues parfaites par l’ajout des dons, ou plutôt les opérations des dons eux-mêmes. Et cela est en harmonie avec ce que disent les saints, qui appellent les béatitudes des vertus, conformément à la manière de parler selon laquelle l’acte d’une vertu est appelé vertu. Cela est aussi en harmonie avec l’évangile, qui énumère parmi les béatitudes plusieurs choses qui relèvent manifestement des dons et des vertus. Le Maître semble aussi être d’accord avec cela, lui qui ne donne pas de traité particulier sur les béatitudes, comme il le fait pour les vertus et pour les dons. Cela est aussi en harmonie avec ce que disent les philosophes, qui disent que la félicité consiste en l’opération d’une vertu parfaite. Or, la perfection de la vertu peut s’entendre de trois manières. Premièrement, selon l’espèce de la vertu, comme la prudence qui dirige les autres vertus, et la sagesse qui dirige les autres vertus intellectuelles. Aussi le Philosophe affirme-t-il que la félicité civile consiste dans l’opération de la prudence, mais la félicité contemplative, dans celle de la sagesse. Deuxièmement, selon un état de perfection, perfection à laquelle la vertu parvient par sa croissance. Cette perfection est aussi nécessaire à la félicité selon le Philosophe, car de même qu’une seule journée ne fait pas le printemps, de même [un seul acte de vertu] ne fait-il pas non plus le bienheureux. Troisièmement, selon le mode ; ainsi les vertus parfaites euvent-elles vertus parfaites peuvent-elles être appelées des dons, comme cela ressort de ce qui a été dit ; ou même, les vertus auxquelles des dons sont associés, selon qu’un habitus est aidé par l’ajout d’un autre. Ainsi, les béatitudes dont parle le Seigneur, Mt 5, sont-elles appelées des opérations d’une vertu parfaite. Et parce que, comme on l’a dit, les dons possèdent un double acte : l’un qui relève du  cheminement, l’autre qui relève de la patrie, deux choses sont affirmées pour chaque béatitude : l’une qui se rapporte à l’état du cheminement, mais l’autre, à l’état de la patrie. Cependant, ils diffèrent pour ce qui se rapporte à la vie contemplative et à la vie active. En effet, la vie contemplative commence ici et est consommée dans l’avenir ; aussi les actes qui seront parfaits dans la patrie sont-ils amorcés en cette vie, mais ils sont imparfaits. Le don d’intelligence, à qui il revient de saisir les réalités spirituelles, atteindra dans la patrie l’essence divine elle-même en la regardant ; aussi, dans la sixième béatitude qui concerne le don d’intelligence, est-elle indiquée selon l’état de la patrie : car ils verront Dieu. Mais, dans l’état du cheminement, nous voyons les réalités spirituelles, et surtout Dieu, en connaissant ce qu’il n’est pas plutôt qu’en saisissant ce qu’il est ; aussi, pour ce qui est de l’état du cheminement, indique-t-on la pureté du cœur non seulement par rapport aux séductions des passions (le don d’intelligence ne réalise pas cette pureté, mais elle est présupposée par une vie active parfaite), mais aussi par rapport aux erreurs, aux phantasmes et aux formes spirituelles, tout ce dont Denys, dans le livre sur La théologie mystique, enseigne à se séparer à ceux qui tendent à la contemplation divine. De même aussi, le don de sagesse, à qui il revient de juger, d’ordonner ou d’approuver les réalités spirituelles que l’intelligence a saisies, jugera et ordonnera de manière infaillible et droite tout ce qui lui est soumis, que ce soient des perceptions ou des opérations ; par cela, une certaine ressemblance de la divinité apparaîtra dans l’homme, selon laquelle l’homme sera ouvertement manifesté comme fils de Dieu, puisque Dieu a reçu son nom du fait qu’il exerce sa providence et juge. Aussi, dans la septième béatitude, qui se ramène à la sagesse, est-il dit : car ils seront appelés fils de Dieu. Mais, dans l’état du cheminement, elle agit surtout en enlèvant les obstacles qui peuvent troubler la mise en ordre mentionnée, plutôt qu’elle ne l’atteint. C’est pourquoi la pacification est indiquée dans la septième béatitude, pour ce qui est de l’état du cheminement, par laquelle elle s’efforce d’apaiser, en soi-même et par rapport aux autres qui lui obéissent de quelque manière, ce qui trouble la paix. Or, la fin de la vie active n’est pas la connaissance, mais l’action. C’est pourquoi les actes du conseil et de la science, qui dirigent dans la vie active, ne sont pas comptés parmi les béatitudes ; cependant, les béatitudes, qui sont des actes des dons qui exécutent, lui sont attribuées dans la Glose sur Mt 5, dans la mesure où les actes de l’habitus qui exécute relèvent aussi d’une certaine manière de l’habitus qui dirige. Comme on l’a dit, il relève du don de crainte de mépriser tous les biens temporels par révérence pour la majesté divine. Certains sont extérieurs, comme les richesses et les honneurs : leur mépris relève de la première béatitude dans laquelle il est dit : Bienheureux les pauvres en esprit. En effet, la pauvreté en esprit, comme le dit la Glose, comporte deux parties : l’abandon des choses et la contrition de l’esprit, c’est-à-dire de l’orgueil. En effet, dans la patrie, il n’y aura pas d’acte de crainte par rapport aux biens temporels, mais par rapport à ce qui était la raison de mépriser ces biens temporels. C’est pourquoi, dans cette béatitude, on indique, pour ce qui est de l’état de la patrie, la possession du royaume des cieux, dans laquelle sont inclus les richesses et les honneurs célestes et pour laquelle les réalités temporelles étaient méprisées. Mais d’autres parmi les biens temporels sont intérieurs à l’homme : les plaisirs ; le mépris de ceux-ci relève de la troisième béatitude où il est dit : Bienheureux ceux qui pleurent. Pour ce qui est de l’état de la patrie, on indique la consolation à venir, en regard de laquelle une consolation temporelle était méprisée. Et parce que nous avons davantage besoin de la direction de la raison pour les choses plus difficiles, c’est la raison pour laquelle la troisième béatitude est attribuée à un don qui dirige : la science, mais la première, à un don qui exécute : la crainte. En effet, il est plus difficile de renoncer aux biens intérieurs qu’aux biens extérieurs. Mais il appartient au don de force de supporter tout ce qui est difficile avec joie. Or, il existe une double difficulté. L’une, dans l’effort des opérations : supporter celui-ci relève de la quatrième béatitude où il est dit : Bienheureux ceux qui ont faim et soif de justice, c’est-à-dire ceux qui supportent tout ce qui demande des efforts et est difficile dans la poursuite des opérations de la justice. Mais, pour l’état de la patrie, est présentée la satiété, dans laquelle est compris tout ce qui a coutume de reposer ceux qui peinent. L’autre difficulté consiste à tolérer les passions qui se présentent : le fait de les supporter relève de la huitième béatitude, où il est dit ; Bienheureux ceux qui souffre  persécution pour la justice. Mais parce que cette justice manifeste tout ce qui précède, aucune récompense particulière ne lui est accordée, mais elle est accordée à ce qui vient en tête : la récompensée indiquée dans la première béatitude, afin que soit montré par là que les récompenses de toutes les béatitudes lui sont dues ; pour cette raison, on ne lui attribue pas non plus de don particulier. Mais la quatrième est attribuée au don de force. Il relève toutefois du don de piété de perfectionner pour ce qui se rapporte à un autre. Or, on a un bon rapport avec un autre de deux manières. D’une manière, lorsqu’on ne lui cause pas de désagréments, même s’il en a d’abord causé. Cela relève de la deuxième béatitude, où il est dit : Bienheureux les doux. La Glose dit : « … qui plient devant les méchants et vainquent le mal par le bien ». Et parce qu’on s’en prend la plupart du temps au prochain pour la possession pacifique de biens temporels, c’est la raison pour laquelle on indique dans cette béatitude, pour ce qui est de l’état de la patrie, la possession de la terre, à savoir, [celle] des vivants. D’une autre manière, on se comporte bien envers un autre en lui accordant des bienfaits : cela relève de la cinquième béatitude, où il est dit : Bienheureux les miséricordieux, et l’on indique comme récompense la libération de toute misère, dont la constatation fait venir au secours des misères des autres. Mais parce qu’il est plus difficile de faire du bien que de ne pas nuire, la deuxième béatitude est donc attribuée à un don qui exécute : la piété, mais la cinquième, à un don qui dirige : le conseil, qui est tourné vers l’autre, comme la piété. En effet, la science n’indique pas de rapport avec un autre, pas davantage que la crainte. Mais l’ordre de ces béatitudes se prend du fait que l’homme progresse plutôt vers les réalités intérieures à partir des réalités extérieures, car les biens temporels sont ce qu’il y a de plus extérieur, ensuite, les passions innées, ensuite, les opérations propres extérieures, car on y peine. Ensuite vient la compassion intérieure, puis la perception, enfin, la mise en ordre. Mais la passion causée est placée en dernier, comme si elle manifestait les autres choses.

[12376] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod beatitudines dicuntur virtutes, inquantum sunt actus perfectarum virtutum, scilicet donorum; et ideo beatitudines respondent donis sicut operationes habitibus.

1. Les béatitudes sont appelées des vertus pour autant qu’elles sont des actes de vertus parfaites, à savoir, des dons. C’est pourquoi les béatitudes correspondent aux dons comme les opérations aux habitus.

[12377] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod virtus imperfecta facit sperare beatitudinem futuram solum merendo ipsam; sed virtus perfecta per meritum et assimilationem ad ipsam; sicut etiam pueros bonae indolis dicimus felices, secundum philosophum in 1 Ethic., inquantum in eis quoddam indicium futurae felicitatis apparet.

2. La vertu imparfaite fait espérer la béatitude à venir seulement en la méritant ; mais la vertu parfaite, par le mérite et en rendant semblable à elle. Ainsi, disons-nous que les enfants qui ont bon caractère sont bienheureux, selon le Philosophe, Éthique, I, pour autant que se manifeste en eux un indice de la félicité à venir.

[12378] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod habitus donorum sunt idem in via et in patria; actus autem non; et ideo beatitudines geminantur, non autem dona.

3. Les habitus des dons sont les mêmes en route et dans la patrie, mais non les actes. C’est pourquoi les béatitudes sont jumelées, mais non les dons.

[12379] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod dona sunt tantum a Deo, et ideo praeordinantur secundum quod sunt perfectiora: sic enim sunt Deo propinquiora. Sed operationes donorum, quae sunt etiam beatitudines, sunt etiam a nobis; et ideo ordinantur secundum quod sunt priora quo ad nos, quibus est ascensus ab inferioribus ad superiora, et de imperfectis ad perfecta.

4. Les dons ne viennent que de Dieu ; c’est pourquoi ils sont ordonnés d’avance à être plus parfaits : en effet, ils sont ainsi plus proches de Dieu. Mais les opérations des dons, que sont aussi les béatitudes, viennent aussi de nous. C’est pourquoi elles sont ordonnées selon ce qui vient en premier pour nous, qui nous élevons des réalités inférieures vers les réalités supérieures, et des réalités imparfaites vers les réalités parfaites.

[12380] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod non oportet quod singulis donis singulae beatitudines respondeant; quia alicui dono respondent duae beatitudines, et alicui beatitudini duo dona, unum sicut dirigens, alterum sicut exequens, ut ex dictis patet. Sed secundum hoc dicuntur beatitudines donis respondere, quia non est aliqua beatitudo quae directe non respondeat alicui dono, neque aliquod donum cui non respondeat aliqua beatitudo.

5. Il n’est pas nécessaire qu’une béatitude corresponde à chaque don, car à un don correspondent deux béatitudes, à une béatitude deux dons : l’un qui dirige, l’autre qui exécute, comme cela ressort de ce qui a été dit. Mais on dit que les béatitudes correspondent aux dons parce qu’il n’y a pas de béatitude qui ne corresponde directement à un don, ni de don auquel ne corresponde une béatitude.

[12381] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 4 ad 6 Ad sextum dicendum, quod vitae activae finis non est cognitio; et ideo cum beatitudo finem quemdam nominet, non potest poni in vita activa aliqua beatitudo pertinens ad cognitionem, sed solum in vita contemplativa, cujus perfectio in cognitione consistit. Sed dona nominant habitus, qui non sunt fines; et ideo non est similis ratio de donis et beatitudinibus.

6. La fin de la vie active n’est pas la connaissance. C’est pourquoi, puisque la béatitude indique une fin, on ne peut mettre dans la vie active une béatitude qui se rapporte à la connaissance, mais seulement dans la vie contemplative, dont la perfection consiste dans la connaissance. Mais les dons indiquent des habitus, qui ne sont pas des fins. C’est pourquoi le raisonnement n’est pas le même pour les dons et pour les béatitudes.

[12382] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 4 ad 7 Ad septimum dicendum, quod quamvis scientia et consilium dirigant in omnibus actibus activae, tamen quidam eorum magis per quamdam appropriationem reducuntur ad scientiam vel consilium quam alii, ut ex dictis patet.

7. Bien que la science et le conseil dirigent dans tous les actes de la [vie] active, toutefois certains parmi eux se ramènent davantage que d’autres à la science ou au conseil selon une certaine appropriation, comme cela ressort de ce qui a été dit.

 

 

Articulus 5 [12383] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 5 tit. Utrum fructus correspondeant donis

Article 5 – Les fruits correspondent-ils aux dons ?

[12384] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod fructus non correspondeant donis. Quia, ut dicit Ambrosius, virtutes fructus dicuntur, quia suos possessores sancta et sincera delectatione reficiunt. Sed virtutes non respondent donis, sed praecedunt ea. Ergo nec fructus.

1. Il semble que les fruits ne correspondent pas aux dons, car, comme le dit Ambroise, « les vertus sont appelées des fruits par qu’elles restaurent ceux qui les possèdent avec un plaisir saint et sincère ». Or, les vertus ne correspondent pas aux dons, mais elles les précèdent. Donc, les fruits non plus [ne correspondent pas aux dons].

[12385] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 5 arg. 2 Praeterea, fructus videtur in praemium sonare. Sed dona non tantum ad praemium, sed ad statum meriti pertinent. Ergo donis fructus non respondent.

2. Le fruit semble évoquer une récompense. Or, les dons ne se rapportent pas seulement à une récompense, mais à l’état de mérite. Les fruits ne correspondent donc pas aux dons.

[12386] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea, fructus a fruendo dicitur. Sed Deo solum fruendum est, ut Augustinus dicit. Ergo videtur esse tantum unus fructus, sicut una fruitio; et ita non possunt fructus correspondere donis, quae sunt septem.

3. Le mot « fruit » vient de frui (jouir). Or, « on ne doit jouir (fruendum) que de Dieu seul », comme le dit Augustin. Il ne semble donc exister qu’un seul fruit, comme il n’existe qu’une seule jouissance. Les fruits ne peuvent donc pas correspondre aux dons, qui sont au nombre de sept.

[12387] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 5 arg. 4 Praeterea, fructus distinguuntur secundum diversos status virtutum, ut patet Matth. 13, in Glossa: quia fructus tricesimus debetur conjugatis, sexagesimus autem viduis, sed centesimus virginibus. Dona autem non distinguuntur secundum diversos status, quia in omnibus statibus possunt aliquo modo dona haberi. Ergo fructus non respondent donis.

4. Les fruits se distinguent selon les divers états des vertus, comme cela ressort de Mt 13, sur lequel la Glose dit : « Un fruit au nombre de trente est dû aux gens mariés, au nombre de soixante aux veufs, mais au nombre de cent aux vierges. » Or, les dons ne se distinguent pas selon les divers états, car, dans tous les états, les dons peuvent exister d’une certaine manière. Les fruits ne correspondent donc pas aux dons.

[12388] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 5 arg. 5 Praeterea, Gal. 5, ponuntur multo plures fructus quam septem. Cum ergo dona sint tantum septem, fructus autem duodecim; videtur quod fructus non respondeant donis.

5. En Ga 5, beaucoup plus que sept fruits sont présentés. Puisque les dons sont au nombre de sept seulement, mais les fruits au nombre de douze, il semble donc que les fruits ne correspondent pas aux dons.

[12389] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 5 s. c. 1 Sed contra, beatitudines respondent donis. Sed beatitudo continet fructum, cum non sit sine delectatione, ut dicitur 1 Ethic. Ergo fructus donis respondent.

Cependant, [1] les béatitudes correspondent aux dons. Or, une béatitude contient un fruit, puisqu’elle ne peut exister sans délectation, comme il est dit dans Éthique, 1. Les fruits correspondent donc aux dons.

 [12390] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 5 s. c. 2 Praeterea, Sap. 4, 15, dicitur: bonorum laborum gloriosus est fructus. Sed non sunt aliqui labores digniores quam in operibus donorum. Ergo fructus donis respondent.

[2] Il est dit dans Sg 4, 15 : Le fruit de bons efforts est glorieux. Or, il n’existe pas de d’efforts plus dignes que celui des actes des dons. Les fruits correspondent donc aux dons.

[12391] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 5 s. c. 3 Praeterea, delectationes virtutum dicuntur fructus, ut patet ex auctoritate Ambrosii inducta. Sed non minor est delectatio in donorum actibus quam in actibus virtutum. Ergo fructus respondent donis.

[3] Les délectations des vertus sont appelées des fruits, comme cela ressort de l’autorité d’Ambroise qui est invoquée. Or, la délectation dans les actes des dons n’est pas moindre que dans les actes des vertus. Les fruits correspondent donc aux dons.

[12392] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod nomen fructus a corporalibus ad spiritualia transfertur. Dicitur enim in corporalibus fructus quod de terrae nascentibus expectatur; et ideo omne illud quod de re aliqua quis consequitur, quasi mercedem laboris circa illam impensi, dicitur fructus. Hoc autem est et illud quod de re aliqua principaliter expectatur; et sic fructus omnis nostri operis Deus est; et iterum illud quod quis consequitur ex operatione, non principaliter propter hoc operans, dicitur fructus; et sic delectationes quae in bonis operibus sunt, sunt quidam fructus bonorum operum; et hoc modo in auctoritate praedicta accipit Ambrosius fructum, dicens ipsas virtutes fructus esse, inquantum delectant. Secundum philosophum autem, omnis operatio procedens ex habitu perficiente naturam, habet delectationem annexam; unde cum felicitas vel beatitudo sit operatio secundum virtutem perfectam, quoddam formale completivum beatitudinis est ipsa delectatio; et ideo fructus qui delectationem nominant, beatitudinibus respondent, sicut beatitudines donis. Inter fructus autem computantur quidam qui sunt essentialiter delectatio, ut gaudium quantum ad unionem et praesentiam bonorum; et pax quantum ad remotionem impedimentorum perturbantium delectationem; et ideo hi duo fructus respondent omnibus donis et beatitudinibus. Quidam vero ponuntur quasi ratio delectationis et causa. Est autem delectatio in operibus activae et contemplativae vitae. In operibus autem activae vitae ratio delectationis est duplex. Uno modo ex remotione impedientium veram delectationem spiritus: delectatio enim ex operatione non impedita causatur, secundum philosophum. Alio modo ex praesentia bonorum spiritui convenientium. Impeditur autem spiritualis delectatio vitae activae dupliciter. Uno modo per delectationes contrarias, scilicet bonorum temporalium: sicut enim operationes contrariae sunt, ita et delectationes, ut dicit philosophus in 10 Ethic. Temporalis autem delectatio vel est in bonis exterioribus, scilicet divitiis et honoribus; et hanc delectationem cohibet modestia, quae fructus ponitur, et respondet paupertati spiritus: vel etiam in delectationibus carnis; et sic reprimuntur vel abstinendo ab illicitis, quod facit castitas, vel etiam a licitis, quod facit continentia, secundum Glossam: et hi duo fructus respondent beatitudini luctus; et per consequens hi tres fructus respondent dono timoris quasi exequenti. Vel aliter secundum philosophum in 7 Ethic., potest distingui castitas a continentia, ut per continentiam sic reprimantur concupiscentiae ut non dominentur, per castitatem autem ut etiam subjiciantur. Alio modo impeditur delectatio spiritualis per exteriores difficultates: quae quidem consistunt vel in labore actionum, quem vincit longanimitas; unde hic fructus respondet quartae beatitudini, et dono fortitudinis: vel etiam in dolore passionum; et hic dupliciter vincitur. Uno modo ut per eas constantia animi non frangatur quantum ad seipsum; et hoc facit patientia; et hic fructus respondet octavae beatitudini: beati qui persecutionem patiuntur, et dono fortitudinis. Alio modo ut homo ab inferente non turbetur ad nocendum ei; et hoc facit mansuetudo; et hic fructus respondet mititati, quae est secunda beatitudo, et dono pietatis. Bonum autem conveniens secundum activam vitam, quod delectationem facit, est etiam in affectu, secundum quod homini omne bonum complacet et sui et alterius: hoc enim est hominem dulcem habere animum, et sic est bonitas; Glossa, dulcedo animi; et in ordine ad effectum, secundum quod homo est bene communicativus suorum ad alios; et sic est benignitas; et hi duo fructus respondent beatitudini quintae, quae est de misericordia, et dono pietatis. Omnes autem praedicti fructus respondent donis consilii et scientiae quasi dirigentibus. In vita autem contemplativa non potest esse aliquid delectationem impediens, nisi ex parte activae vitae: quia secundum philosophum delectationi quae est in considerando, non est contrarium. Unde non est ibi ratio delectationis nisi ex praesentia boni in quo mens quiescit; et hoc dupliciter. Uno modo per cognitionem spiritualium sine dubitatione, et sic est fides, Glossa, de invisibilibus certitudo, et respondet sextae beatitudini, et dono intellectus. Alio modo per intimam unionem ad spiritualia, ex quo potest judicare de omnibus aliis, quia spiritualis omnia judicat, 1 Corinth. 11, 15, et sic est caritas, et respondet septimae beatitudini, scilicet, beati pacifici, et dono sapientiae.

Réponse. Le nom de « fruit » est transposé des réalités corporelles aux réalités spirituelles. En effet, dans les réalités corporelles, on parle de fruit pour ce qui naît de la terre. C’est pourquoi tout ce que l’on obtient d’une chose, comme récompense pour le labeur déployé à son propos, est appelé fruit. C’est aussi le cas de ce qui principalement attendu d’une chose ; ainsi Dieu est-il le fruit de notre action. De plus, ce que l’on obtient d’une opération, qui n’est pas accomplie principalement pour cela, est appelé fruit. Ainsi, les délectations qui existent dans les actions bonnes sont les fruits des bonnes actions. C’est de cette manière qu’Ambroise entend fruit dans l’autorité mentionnée, lorsqu’il dit que « les vertus elles-mêmes sont des fruits pour autant qu’elles donnent une délectation ». Or, selon le Philosophe, toute opération qui vient d’un habitus qui perfectionne la nature comporte une délectation. Puisque la félicité ou la béatitude est une opération conforme à une vertu parfaite, la délectation elle-même est donc un complément formel de la béatitude. C’est pourquoi les fruits qui désignent une délectation correspondent aux béatitudes, comme les béatitudes aux dons. Or, parmi les fruits, on en compte certains qui sont essentiellement une délectation, telles la joie, pour l’union et la présence des biens, et la paix, pour l’enlèvement des empêchements qui troublent la délectation. C’est pourquoi ces deux fruits correspondent à tous les dons et béatitudes. Mais certains sont donnés comme la raison de la délectation et sa cause. Or, il existe une délectation dans les actes de la vie active et de la vie contemplative. Dans les actes de la vie active, la raison de la délectation est double. L’une vient de l’enlèvement de ce qui empêche une véritable délectation de l’esprit : en effet, la délectation est causée par une opération qui n’est pas empêchée, selon le Philosophe. L’autre vient de la présence de biens qui conviennent à l’esprit. Or, la délectation spirituelle de la vie active est empêchée de deux manières. D’une manière, par les délectations contraires, celles des biens temporels : en effet, de même que les opérations sont contraires, de même aussi le sont les délectations, comme le dit le Philosophe dans Éthique, X. Or, la délectation temporelle porte soit sur les biens extérieurs : les richesses et les honneurs. La modestie réprime cette délectation : elle est donnée comme un fruit et correspond à la pauvreté en esprit ; soit sur les délectations de la chair : elles sont réprimées soit par l’abstention de ce qui est défendu, ce que réalise la chasteté, soit même de ce qui est permis, ce que réalise la continence, selon la Glose. Ces deux fruits correspondent à la béatitude des pleurs. Par voie de conséquence, ces trois fruits correspondent au don de crainte comme à celui qui exécute. Ou bien on peut, selon le Philosophe, Éthique, VII, faire une autre distinction entre la chasteté et la continence : par la continence, les convoitises sont réprimées de telle manière qu’elles ne l’emportent pas, mais par la charité, de telle sorte qu’elles sont soumises. D’une autre manière, la délectation spirituelle est empêchée par les difficultés extérieures, qui consistent dans les efforts des actions, sur lesquels l’emporte la longanimité. Aussi ce fruit correspond-il à quatrième béatitude et au don de force. Elle est aussi [empêchée] par la douleur des souffrances, et celle-ci est vaincue de deux manières. D’abord, pour que la constance de l’esprit ne soit pas brisée en lui par elles : cela est réalisé par la patience. Ce fruit correspond à la huitième béatitude : Bienheureux ceux qui sont persécutés, et au don de force. Ensuite, pour que l’homme ne soit pas perturbé par celui qui lui donne [des douleurs ] en cherchant à lui nuire. C’est cela que réalise la douceur, et ce fruit correspond à la douceur, qui est la deuxième béatitude, et au don de piété. Mais le bien qui convient selon la vie active et qui cause une délectation se trouve encore dans la puissance affective, selon que tout bien propre et tout bien d’un autre plaît à l’homme. En effet, c’est en cela que consiste le fait d’avoir un esprit doux, et l’on a ainsi la bonté. La Glose [dit] : « La douceur de l’esprit. » Il se trouve aussi dans l’acte, selon que l’homme partage bien ce qui lui appartient avec d’autres : on a ainsi la bénignité. Ces deux fruits correspondent à la cinquième béatitude, qui porte sur la miséricorde, et au don de piété. Or, tous les dons qui précèdent correspondent aux dons de conseil et de science en tant qu’ils dirigent. Mais, dans la vie contemplative, il ne peut y avoir quelque chose qui fait obstacle que du côté de la vie active, car, selon le Philosophe, il n’y a rien de contraire à la délectation qui se réalise dans le fait de considérer. Il n’existe donc là de raison de se délecter que par la présence du bien dans lequel l’esprit se repose, et cela de deux manières. Premièrement, par la connaissance indubitable des réalités spirituelles : on a ainsi la foi. La Glose [dit] : « La certitude à propos des réalités invisibles. » Elle correspond ainsi à la sixième béatitude et au don d’intelligence. Deuxièmement, par l’union intime avec les réalités spirituelles, à partir de quoi on peut juger de tout le reste, car l’homme spirituel juge de tout, 1 Co 11, 15. On a ainsi la charité, qui correspond à la septième béatitude : Bienheureux les pacifiques, et au don de sagesse.

[12393] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod virtutes dicuntur fructus non ratione habituum, sed quia in operibus delectationem annexam habent; unde et virtutes quae inter fructus nominantur, sicut castitas, mansuetudo, et hujusmodi, non ponuntur inquantum sunt virtutes, sed inquantum habent aliquam rationem delectandi.

1. Les vertus sont appelées des fruits, non pas en raison des habitus, mais parce qu’elles comportent une délectation qui est associée à leurs actes. Aussi les vertus qui sont nommées parmi les fruits, comme la chasteté, la douceur et celles de ce genre, n’y sont-elles pas placées en tant qu’elles sont des vertus, mais en tant qu’elles possèdent la raison de délecter.

[12394] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut peccatum habet suam poenam annexam aliquam quia omnis inordinatus animus sibi est poena, ut dicit Augustinus in Lib. Confess., ita et meritum habet suum fructum adjunctum; qui tamen fructus in futuro complebitur, sicut et malorum poena; et ideo donis respondent fructus etiam quantum ad actus quos in via habent.

2. De même que le péché comporte une peine qui lui est associée, car « tout esprit désordonné est une peine pour lui-même », comme le dit Augustin dans le livre des Confessions, de même aussi le mérite a-t-il un fruit qui lui est associé. Toutefois, ce fruit sera réalisé dans l’avenir, comme la peine pour les maux. C’est pourquoi des fruits correspondent aux dons selon les actes qu’ils ont en cours de route.

[12395] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod frui aliquo, proprie est ipsum ut fructum habere. Hoc autem habet aliquis ut fructum quem expectat principaliter ex suo opere. Unde illo quod consequitur ex opere non principaliter expectato, non proprie dicitur aliquis frui, sed solum illo quod principaliter expectatur, quod est solum Deus. Et ideo quamvis sit una tantum fruitio, sunt tamen multi fructus: quia quidquid consequitur, etiam si non principaliter expectatur, potest dici fructus.

3. Jouir (frui) de quelque chose, c’est à proprement parler l’avoir comme fruit (fructum). Or, on a comme fruit ce que l’on attend principalement de son acte. Aussi ne dit-on pas qu’on jouit de ce que l’on obtient pour son acte sans que ce soit principalement attendu, mais seulement de ce qui est principalement attendu, qui est Dieu seulement. C’est pourquoi bien qu’il n’existe qu’une seule jouissance, il existe cependant de nombreux fruits, car tout ce que l’on obtient peut être appelé fruit, même si ce n’est principalement attendu.

[12396] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod distinctio fructuum fit dupliciter. Uno modo secundum intensionem et remissionem; et sic fructus distinguuntur in Evangelio, quia de quibusdam operibus majus erit gaudium quam de aliis. Alio modo quantum ad diversas rationes gaudendi; et sic dividitur quasi essentialiter et per se: et hoc modo distinguitur Galat. 5: et sic donis respondent fructus, ut dictum est.

4. La distinction entre les fruits se fait de deux manières. Premièrement, selon l’intensité et le relâchement : ainsi les fruits sont-ils distingués dans l’évangile, car il y a plus de joie pour certains actes que pour d’autres. Deuxièmement, selon les diverses raisons de se réjouir. La division se réalise alors de manière pour ainsi dire essentielle et par soi. C’est ainsi qu’est faite la distinction en Ga 5, et ainsi les fruits correspondent-ils aux dons, comme on l’a dit.

[12397] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod eidem dono possunt respondere multi fructus, secundum quod habet multos actus, ut dictum est; et ideo non oportet quod sint tot fructus quot dona.

5. Plusieurs fruits peuvent correspondre au même don selon que celui-ci comporte plusieurs actes, comme on l’a dit. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire qu’il y ait autant de fruits que de dons.

 

 

Articulus 6 [12398] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 6 tit. Utrum petitiones respondeant donis

Article 6 – Les demandes correspondent-elles aux dons ?

[12399] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 6 arg. 1 Ad sextum sic proceditur. Videtur quod petitiones donis non respondeant. Augustinus enim dicit in Ench., quod tribus primis petitionibus aeterna poscuntur, reliquis vero quatuor temporalia. Sed unumquodque donorum pertinet ad praesentem vitam, in qua temporaliter vivitur, et ad futuram, in qua ad aeternitatem pervenimus, ut ex dictis patet. Ergo donis petitiones non respondent.

1. Il semble que les demandes ne correspondent pas aux dons. En effet, Augustin dit, dans l’Enchiridion, que des réalités éternelles sont demandées par les trois premières demandes, et des réalités temporelles par les quatre autres. Or, chacun des dons concerne la vie présente où l’on vit temporellement, et la vie future, dans laquelle nous atteignons l’éternité, comme cela ressort de ce qui a été dit. Les demandes ne correspondent donc pas aux demandes.

[12400] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 6 arg. 2 Praeterea, Augustinus in epistola ad Probam dicit: quisquis dicit, petendo scilicet, quod ad istam evangelicam precem pertinere non possit, etiam si non illicite orat, carnaliter orat. Sed multa alia possunt peti a Deo non carnaliter quam septem dona, sicut septem virtutes, et gratiam, et necessaria vitae. Ergo petitiones dominicae orationis septem donis non respondent.

2. Dans sa lettre à Proba, Augustin dit : « Quiconque exprime par une demande ce qui ne pourrait relever de cette prière évangélique, même s’il ne prie pas d’une manière défendue, prie de manière charnelle. » Or, beaucoup d’autres choses que les sept dons peuvent être demandées à Dieu de manière non charnelle : ainsi, les sept vertus, la grâce et ce qui est nécessaire à la vie. Les demandes de la prière du Seigneur ne correspondent donc pas aux sept dons.

[12401] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 6 arg. 3 Praeterea, omnia dona sunt quaedam bona a Deo donata. Sed petitiones orationis dominicae non tantum sunt ad consecutionem boni, sed etiam ad remotionem mali. Ergo dona petitionibus non respondent.

3. Tous les dons sont des biens donnés par Dieu. Or, les demandes de la prière du Seigneur ne visent pas seulement à obtenir le bien, mais aussi à écarter le mal. Les dons ne correspondent donc pas aux demandes.

[12402] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 6 arg. 4 Praeterea, in donis sunt quatuor quae ad cognitionem pertinent. Sed in petitionibus nulla videtur ad cognitionem pertinere. Ergo petitiones donis non respondent.

4. Parmi les dons, il y en a quatre qui se rapportent à la connaissance. Or, dans les demandes [de la prière du Seigneur], aucune ne semble se rapporter à la connaissance. Les demandes ne correspondent donc pas aux dons.

[12403] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 6 arg. 5 Praeterea, petitiones ad impetrandum ordinatae sunt. Sed impetrare aliquid a Deo non est nisi habentis virtutem. Cum igitur dona simul cum virtutibus infundantur, videtur quod petitiones non ordinentur ad dona.

5. Les demandes sont ordonnées à l’obtention. Or, obtenir quelque chose de Dieu n’est le fait que de celui qui a la vertu. Puisque les dons sont infusés en même temps que les vertus, il semble donc que les demandes ne sont pas ordonnées aux dons.

[12404] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 6 arg. 6 Praeterea, Augustinus in Ench. dicit, quod hoc totum est una petitio: et ne nos inducas in tentationem; sed libera nos a malo; quod patet ex hoc quod non ponitur ibi: et libera nos a malo, sed ponitur ibi: sed. Similiter dicit, quod tertia petitio, scilicet, fiat voluntas tua, concluditur in duabus primis: et ita videtur quod non sint nisi quinque petitiones, sicut etiam Lucas ponit. Sed dona sunt septem. Ergo petitiones non respondent donis.

6. Dans l’Enchiridion, Augustin dit que cet ensemble est une seule demande : Et ne nous soumets pas à la tentation, mais délivre-nous du mal. Cela ressort de ce qu’on dit là : … mais [délivre-nous…], et non pas : et délivre-nous du mal. De même, il dit que la troisième demande : Que ta volonté soit faite, se conclue dans les deux premières. Il semble ainsi qu’il n’y ait que cinq demandes, comme Luc d’ailleurs les présente. Or, les dons sont au nombre de sept. Les demandes ne correspondent donc pas aux dons.

[12405] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 6 arg. 7 Praeterea, secunda petitio, secundum Augustinum ibidem, pertinet ad resurrectionem corporis. Sed nullum donum ad resurrectionem pertinet. Ergo petitiones donis non respondent.

7. Selon Augustin, au même endroit, la deuxième demande se rapporte à la résurrection du corps. Or, aucun don ne se rapporte à la résurrection. Les demandes ne correspondent donc pas aux dons.

[12406] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 6 s. c. 1 Sed contra, idem est quod a Deo petitur, et ab ipso accipitur; unde dicitur Joan. 16, 24: petite, et accipietis. Sed dona sunt quae per petitiones petuntur; et ita petitiones et dona mutuo sibi correspondent.

Cependant, [1] c’est la même chose qui est demandée à Dieu et qui est reçue de lui. Aussi est-il dit en Jn 16, 24 : Demandez et vous recevrez. Or, les dons sont ce qui est demandé par les demandes. Ainsi, les demandes et les dons se correspondent-ils mutuellement.

[12407] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 6 s. c. 2 Praeterea, in Glossa, Matth. 6, dicitur: in precibus est ut impetremus dona, in donis ut operemur: de operatione beatitudines consequentur. Ergo sicut beatitudines respondent donis, ita dona respondent petitionibus.

[2] Dans la Glose, il est dit à propos de Mt 6 : « Par les prières, nous obtenons les dons, et par les dons, [nous obtenons] d’agir. Les béatitudes découleront de l’action. » De même que les béatitudes correspondent aux dons, de même les dons correspondent-ils donc aux demandes.

[12408] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 6 s. c. 3 Praeterea, sicut eadem Glossa dicit, septem petitionibus omnia dona praesentis vitae vel futurae continentur. Sed in his omnibus etiam dona perficiunt, ut ex dictis patet. Ergo dona et petitiones correspondent sibi.

[3] Comme le dit la même Glose, « tous les dons de la vie présente ou de la vie future sont contenus dans les sept demandes ». Or, par tout cela, elles perfectionnent même les dons, comme cela ressort de ce qui a été dit. Les dons et les demandes se correspondent donc.

[12409] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 6 co. Respondeo dicendum, quod reductio petitionum ad dona non intelligitur hoc modo quod in petitionibus solum habitus donorum petantur, sed quia petitur per quamlibet petitionem aliquid eorum quae ad aliquod donorum pertinent. Haec autem reductio potest attendi dupliciter. Uno modo in generali, ut scilicet quidquid ad dona pertinet, etiam ad petitiones pertineat, et e converso; et sic fit reductio eorum ad invicem non solum per appropriationem sed etiam per proprietatem: quia sicut dona sufficienter perficiunt in omnibus quae sunt activae et contemplativae vitae, sive in praesenti sive in futuro, ita et in omnibus per petitiones divinum auxilium imploratur. Alio modo in speciali: et sic per proprietatem non potest fieri reductio singulorum donorum ad singulas petitiones: quia ea quae in diversis petitionibus postulantur, possunt pertinere ad unum donum, et e converso; sed per appropriationem quamdam, inquantum singulae petitiones habent aliquam similitudinem cum singulis donis, sicut et de beatitudinibus dictum est. Est enim alia ratio distinguendi dona et petitiones. Cum enim dona sint habitus ordinati ad operandum, oportet quod distinguantur secundum objecta, in quibus diversificari oportet actus secundum speciem. Sed petere oportet omnia quibus indigemus ad operandum, quae non possumus nisi a Deo habere. Unum autem donum ad sui operationem indiget pluribus auxiliis, et idem auxilium valet ad actus multorum donorum. Indigemus autem auxilio divino tam in operibus contemplativae quam in operibus activae. In operibus autem contemplativae indigemus duplici auxilio. Unum est ut ipsorum contemplabilium, scilicet divinorum, majestas et dignitas appareat; alias contemplatione et admiratione quae contemplationem allicit, digna non essent: et hoc auxilium petitur per primam petitionem: sanctificetur nomen tuum, in qua petitur ut nomen ejus, quod semper sanctum est, etiam apud homines sanctum habeatur; hoc est, non contemnatur, ut Augustinus dicit ad Probam. Unde idem est petere hoc quod illud Eccli. 36, 4: sicut in conspectu eorum sanctificatus es in nobis, ita et in conspectu nostro magnificare in eis. Et quia ex hoc quod homo hujus excellentiae particeps fit, ordinare et judicare habet, quod est sapientiae; ideo haec petitio ad sapientiam reducitur, et ad septimam beatitudinem. Aliud autem auxilium est ut in contemplatione horum magnalium nostram beatitudinem cognoscamus, ut sic magis his contemplandis homo inhaerescat: et hoc auxilium petitur per secundam petitionem: adveniat regnum tuum; Glossa: idest, manifestetur hominibus, ut scilicet in nobis veniat, et in Christo regnare mereamur secundum Augustinum ad Probam. Unde idem est hoc petere, ut idem dicit, quod dicere: ostende faciem tuam, et salvi erimus, Psal. 79, 8; et ideo haec petitio reducitur ad sextam beatitudinem, et donum intellectus. In operibus autem activae indigemus duplici auxilio. Primum est ut bona nobis conferantur, quibus ad bene operandum adjuvemur. Secundum est ut mala impedientia removeantur. Bonum autem duplex est nobis necessarium ad vitam activam. Unum quod est directe ad opus virtutis ordinans, sicut ipsum honestum bonum; et hoc petitur in tertia petitione: fiat voluntas tua sicut in caelo et in terra: in qua secundum Augustinum petimus obedientiam ad Deum, ut sic fiat a nobis voluntas ejus in terris, sicut fit ab Angelis in caelis. Unde secundum ipsum, idem est hoc petere, quod dicere: gressus meos dirige secundum eloquium tuum, Psal. 118, 133; et hoc reducitur ad quintam beatitudinem, quae est de misericordia: quia misericordiam praecipue nobis Deus praecepit: et per consequens ad donum consilii. Aliud est organice ad virtutem serviens, sicut temporalia subsidia, quibus homo ad bene operandum juvatur; et hoc pertinet ad quartam petitionem, qua dicitur: panem nostrum quotidianum da nobis hodie; quia, secundum Augustinum ibidem, per hoc quod dicitur hodie significatur hoc tempus: ubi vel sufficientiam illam petimus a patre quae superexcellit, in nomine panis totum significantes: vel sacramentum fidelium; et hoc est idem quod petitur Prov. 30, 8: divitias et paupertatem ne dederis mihi; sed tantum victui meo tribue necessaria; et haec petitio reducitur ad quartam beatitudinem: quia hujusmodi subsidia vitae sunt quae nos in laboribus hujus vitae sustentant: et per consequens ad donum fortitudinis. Impediens autem operationem activae vitae est triplex. Primo malum culpae, praeteritum quidem in actu, sed manens in reatu, macula et inquinatione; et contra hoc malum petitur auxilium per quintam petitionem, qua dicitur: dimitte nobis debita nostra, sicut et nos dimittimus debitoribus nostris; ubi, ut dicit Augustinus ibidem, nos admonemur et quid petamus, et quid faciamus, ut accipere mereamur; et hoc idem petiit qui dixit, Psal. 7, 5: si reddidi retribuentibus mihi mala, decidam merito ab inimicis meis inanis; et hoc reducitur ad tertiam beatitudinem, quae est de luctu: quia ea remittuntur peccata, et per consequens ad donum scientiae. Secundum est malum futurum, quia timemus inclinans ad peccatum; et circa hoc petitur auxilium in sexta petitione, cum dicitur: et ne nos inducas in tentationem; in qua, secundum Augustinum, petimus, ne deserti divino auxilio alicui tentationi vel consentiamus decepti, vel cedamus afflicti. Et hoc idem petitur Eccli. 23, 6: aufer a me ventris concupiscentias; et hoc reducitur ad secundam beatitudinem, quae est de mititate: quia praecipue tentationes ad malum, sunt molestiae quae a proximis inferuntur, quibus provocamur ut eis noceamus, quas tentationes per illam beatitudinem vincimus, et per consequens ad donum pietatis. Tertium est malum praesens, quodcumque sit illud; et contra hoc petitur auxilium per septimam petitionem, qua dicitur: sed libera nos a malo. Unde Augustinus dicit quod homo Christianus in qualibet tribulatione constitutus in hac petitione gemitus edit; et hoc idem petivit qui dixit Psalm. 58, 1: eripe me ab inimicis meis, Deus meus; et hoc reducitur ad beatitudinem quae est paupertas spiritus; quia ejus est in tribulatione auxilium petere: et per consequens ad donum timoris. Possunt autem tres ultimae petitiones aliter distingui secundum Augustinum: ut prima earum petatur auxilium contra malum culpae; secunda autem contra inclinantia in culpam; tertia vero contra poenae malum.

Réponse. Ramener les demandes aux dons ne veut pas dire que seuls les habitus des dons sont demandés par les demandes, mais que, dans toutes les demandes, on demande quelque chose qui se rapporte à l’un des dons. Or, cette manière de ramener peut être considérée de deux façons. Premièrement, en général, à savoir que tout ce qui se rapporte aux dons se rapporte aussi aux demandes, et inversement. Ainsi se ramènent-ils les uns aux autres mutuellement, non seulement par appropriation, mais aussi d’une manière propre, car de même que les dons perfectionnent suffisamment pour tout ce qui relève de la vie active et de la vie contemplative, dans le présent comme à l’avenir, de même aussi le secours de Dieu est-il imploré en tout par les demandes. Deuxièmement, d’une manière particulière. De cette manière, on ne peut ramener en propre chacun des dons à chacune des demandes, car ce qui est demandé par les diverses demandes peut se rapporter à un seul don, et inversement [à plusieurs] ; mais, [on peut les ramener] selon une certaine appropriation, du fait que chacune des demandes a une certaine ressemblance avec chacun des dons, comme on l’a dit aussi à propos des béatitudes. En effet, il y a une autre manière de faire une distinction entre les dons et les demandes. Puisque les dons sont des habitus ordonnés à l’action, il est nécessaire qu’ils se distinguent selon leurs objets, par lesquels leurs actes doivent se diversifier selon l’espèce. Or, il nous faut demander tout ce dont nous avons besoin pour agir et que nous ne pouvons recevoir que de Dieu. Or, un seul don a besoin pour son opération de plusieurs aides, et la même aide vaut pour les actes de plusieurs dons. Or, nous avons besoin de l’aide de Dieu tant pour les actes de la vie contemplative que pour ceux de la vie active. Pour les actes de la vie contemplative, nous avons besoin d’une double aide. L’une est que se manifestent la majesté et la dignité de ce qui peut être contemplé, à savoir, les réalités divines, autrement cela ne serait pas digne de la contemplation et de l’admiration qui incitent à la contemplation. Cette aide est demandée par la première demande : Que ton nom soit sanctifié, dans laquelle on demande que son nom, qui est toujours saint, soit aussi tenu pour saint par les hommes, à savoir qu’il ne soit pas méprisé, comme le dit Augustin à Proba. Demander cela est donc la même chose que ce qui est dit dans Si 36, 4 : De même que tu as été sanctifié à leur regard, de même sois-tu magnifié en eux à notre regard. Et parce que l’homme devient participant d’une telle élévation, il peut ordonner et juger, ce qui relève de la sagesse. C’est pourquoi cette demande se ramène à la sagesse et à la septième béatitude. L’autre aide consiste en ce que, dans la contemplation de ces grandes choses, nous connaissions notre béatitude, afin qu’ainsi l’homme s’attache davantage à les contempler. Cette aide est demandée par la deuxième demande : Que ton règne vienne. La Glose dit : « C’est-à-dire, qu’ils soit manifesté aux hommes », de sorte qu’il vienne en nous et que nous méritions de régner dans le Christ, comme le dit Augustin à Proba. Aussi est-ce la même chose de demander cela et de dire : Montre ton visage, et nous serons sauvés, Ps 79, 8. C’est pourquoi cette demande se ramène à la sixième béatitude et au don d’intelligence. Mais, pour les actes de la vie, nous avons besoin d’une double aide. L’une est que nous soient donnés les biens par lesquels nous sommes aidés à bien agir. La deuxième est que soient enlevés les maux qui font obstacle. Or, un double bien nous est nécessaire pour la vie active. L’un qui ordonne directement à l’acte vertueux, comme le bien honnête lui-même. Cela est demandé par la troisième demande : Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel, par laquelle, selon Augustin, nous demandons l’obéissance à Dieu afin que sa volonté soit accomplie par nous sur la terre, comme elle l’est par les anges dans le ciel. Selon lui, c’est donc la même chose de demander cela que de dire : Dirige mes pas selon ta parole, Ps 118, 133. Et cela se ramène à la cinquième béatitude, qui porte sur la miséricorde, car Dieu nous a surtout commandé la miséricorde, et, par conséquent, au don de conseil. L’autre [bien] sert d’instrument à la vertu, comme les secours temporels, par lesquels l’homme est aidé à bien agir. Cela relève de la quatrième demande, dans laquelle on dit : Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour, car Augustin dit au même endroit qu’en disant : aujourd’hui, on indique soit le temps pour lequel nous demandons ce qui suffit au Père qui déborde [de générosité] en signifiant le tout par le mot « pain », soit le sacrement des fidèles. C’est la même chose qui est demandée en Pr 30, 8 : Ne me donne ni la richesse ni la pauvreté, mais accorde-moi seulement ce qui m’est nécessaire pour vivre. Et cette demande se ramène à la quatrième béatitude, car ces aides à la vie sont ce qui nous soutient dans les labeurs de cette vie et, par conséquent, au don de force. Mais l’empêchement à la vie active est triple. Premièrement, le mal de la faute, passé pour ce qui est de l’acte, mais qui demeure, pour ce qui est de la culpabilité, par la tache et par la souillure. Contre un tel mal, l’aide est demandée par la cinquième demande dans laquelle on dit : Remets-nous nos dettes comme nous remettons à nos débiteurs. Là, comme le dit Augustin au même endroit, nous sommes avertis de ce que nous devons demander et de ce que nous devons faire afin de mériter. C’est ce qu’a demandé celui qui a dit, Ps 7, 5 : Si j’ai rendu le mal à ceux qui me font du bien, à juste titre je m’éloignerai de mes ennemis les mains vides. Et cela se ramène à troisième béatitude, qui porte sur les larmes, car, par elle, les péchés sont remis, et, par conséquent, au don de science. Deuxièmement, le mal à venir, car nous craignons ce qui incline au péché. À ce sujet, une aide est demandée dans la sixième demande lorsqu’on dit : Et ne nous soumets pas à la tentation, par laquelle, selon Augustin, nous demandons de ne pas consentir par tromperie à la tentation, abandonnés par l’aide divine, ou de ne pas céder alors que nous sommes affligés. C’est la même chose qui est demandée en Si 23, 6 : Enlève-moi les désirs du ventre. Et cela se ramène à la deuxième béatitude, qui porte sur la douceur, car les principales tentations pour le mal sont les désagréments causés par les proches, par lesquels nous sommes incités à leur nuire ; nous vainquons ces tentations par cette béatitude et, par conséquent, par le don de piété. Troisièmement, il y a le mal présent, quel qu’il soit. Contre lui, on demande une aide par la septième demande, par laquelle on dit : Mais délivre-nous du mal. Aussi Augustin dit-il que le chrétien, en quelque tribulation qu’il se trouve, profère sa plainte par cette demande. C’est la même chose qu’a demandée celui qui a dit dans Ps 58, 1 : Arrache-moi à mes ennemis, mon Dieu. Et cela se ramène à la béatitude qui porte sur la pauvreté en esprit, car il lui revient de demander de l’aide dans l’épreuve ; par conséquent, cela relève du don de crainte. Mais les trois dernières demandes peuvent se distinguer autrement, selon Augustin : la première d’entre elles demanderait une aide contre le mal de faute ; la deuxième, contre ce qui incline à la faute ; mais la troisième, contre le mal de peine.

[12410] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 6 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod in obedientia ad Deum, quae omne honestum actionis complectitur, et contemplationis bona in hac vita incipiunt, et in futura consummantur; et quantum ad hanc consummationem Augustinus dicit, quod per tres primas petitiones petimus bona aeterna; in aliis autem petitionibus petimus ea quae tantum in hac vita sunt.

1. Par l’obéissance à Dieu, qui embrasse tout ce qui honnête dans l’action, les biens de la contemplation commencent en cette vie et sont consommés dans la vie future. Par rapport à cette consommation, Augustin dit que nous demandons des biens éternels par les trois premières demandes ; mais, dans les autres demandes, nous demandons ce qui n’existe qu’en cette vie.

[12411] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 6 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in hac oratione non solum petuntur habitus donorum: quia petitiones horum habituum, quantum ad intellectum et sapientiam, comprehenduntur in primis duabus petitionibus: sed quantum ad omnes habitus donorum vel virtutum, qui dirigunt in vita activa, petuntur in tertia petitione, quia omnes habitus operativi non sunt nisi ad obediendum Deo: sed per singulas petitiones petuntur ea quae aliquo modo pertinent ad omnia dona.

2. Dans cette prière, nous ne demandons pas seulement les habitus des dons, car les demandes de tels habitus, pour ce qui est de l’intelligence et de la sagesse, sont incluses dans les deux premières demandes ; mais, pour ce qui est de tous les habitus des dons ou des vertus, qui dirigent dans la vie active, ils sont demandés dans la troisième demande, car tous les habitus concernant l’action ne visent qu’à obéir à Dieu ; mais, par chacune des demandes, est demandé ce qui se rapporte de quelque manière à tous les dons.

[12412] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 6 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis dona sint quaedam bona a Deo data, tamen ad hoc quod possint habere debitas operationes, oportet quod a malis homo liberetur.

3. Bien que les dons soient des biens donnés par Dieu, il faut cependant que l’homme soit libéré du mal pour qu’ils puissent avoir les opérations appropriées.

[12413] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 6 ad 4 Ad quartum dicendum, quod duae petitiones pertinent ad cognitionem contemplativam; sed ad cognitionem practicam non ponuntur aliquae petitiones pertinentes, eadem ratione qua nec aliquae beatitudines, ut dictum est.

4. Deux demandes se rapportent à la connaissance contemplative ; mais on ne présente pas de demandes se rapportant à la connaissance pratique pour la même raison qu’on ne présente pas des béatitudes, coomme on l’a dit.

[12414] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 6 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quamvis homo non habens virtutes, non possit dona impetrare ea merendo; potest tamen impetrare per modum dispositionis ad illa; et iterum aliquis habens virtutes et dona potest impetrare perseverantiam in eis.

5. Bien qu’un homme qui ne possède pas les vertus ne puisse obtenir les dons en les méritant, il peut cependant les obtenir en s’y disposant. De plus, celui qui possède les vertus et les dons peut obtenir de persévérer en eux.

[12415] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 6 ad 6 Ad sextum dicendum, quod, simpliciter loquendo, sunt septem petitiones, ut dictum est; non tamen est inconveniens ut earum una aliquo modo includatur in alia, sicut aliquid est in alio in potentia.

6. À parler simplement, il existe sept demandes, comme on l’a dit. Il n’est cependant pas inapproprié que l’une d’elles soit d’une certaine manière incluse dans une autre, comme une chose existe dans une autre en puissance.

[12416] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 6 ad 7 Ad septimum dicendum, quod quia in resurrectione corporis praecipue et totaliter participes erimus regni divini; ideo dicit Augustinus, quod secunda petitio pertinet ad resurrectionem corporum, non quia directe corporis resurrectio petatur.

7. Parce que nous participerons principalement et entièrement au règne de Dieu par la résurrection du corps, c’est pourquoi Augustin dit que la deuxième demande se rapporte à la résurrection des corps, non qu’y soit directement demandée la résurrection du corps.

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 34

[12417] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 6 expos. Spiritus sapientiae et intellectus et cetera. Ratio ordinis ex praedictis patet. Combinationis autem ratio haec est, quia simul combinantur dona duo, quorum unum dirigit alterum sicut sapientia dirigit intellectum, proprie loquendo; consilium autem fortitudinem per quamdam appropriationem: quia sicut praecipue consilio indigemus in operationibus supererogationis, ita et in fortitudine: scientia pietatem, quia neutrum sonat nisi id ad quod omnes tenentur. Timor autem, quia est recessus a malo, ideo non indiget proprio directivo, ut ex dictis patet; tamen, proprie loquendo, consilium et scientia dirigunt in omnibus tribus donis exequentibus. Spiritus timoris. Hic specialiter dicitur Christum replevisse, quia propter suam imperfectionem minus in ipso esse videbatur; ideo quia principaliter ad patiendum venerat, quod per humilitatem est completum, quae pertinet ad donum timoris domini. Quidam tamen secundum effectum timorem in Christo et in Angelis tantum esse contendunt. Hoc est verum de timore secundum actum affectus qui est timere separationem, et non quantum ad quemlibet actum affectus, ut postea dicetur.

 

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [Le don de crainte]

Prooemium

Prologue

[12418] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 pr. Postquam determinavit de donis in generali, hic determinat de dono timoris, qui propter sui multiplicem acceptionem, specialem difficultatem habet. Dividitur autem haec pars in duas: primo determinat de timore in generali; secundo autem de timore Christi specialiter, ibi: cum autem fuerit in Christo timor poenae, quaeritur, an iste timor fuerit mundanus, vel servilis, vel initialis. Prima in duas: in prima ponit distinctionem timoris; in secunda solvit quamdam contrarietatem, ibi: et attende quod quatuor hic distinguuntur timores. De his eisdem timoribus latius disputat Augustinus. Hic ponit comparationem timorum ad invicem, et circa hoc duo facit: primo comparat timores ad invicem; secundo ex dictis quamdam conclusionem infert, ibi: illud quoque diligenter est notandum. Circa primum duo facit: primo comparat timorem filialem ad servilem; secundo initialem ad utrumque, ibi: in quibus etiam timorem initialem significavit. Circa primum autem tria facit: primo ponit proprietatem timoris servilis; secundo ostendit differentias timoris casti, vel filialis ad ipsum, ibi: est autem alia sententia; tertio per similitudinem differentiam manifestat, ibi: non potest melius explanare quid intersit inter hos duos timores, quam si ponas duas mulieres maritatas et cetera. In quibus etiam initialem timorem significavit. Hic comparat timorem initialem ad alios duos, et circa hoc duo facit: primo ostendit distinctionem ejus ab utroque dictorum; secundo ponit quamdam convenientiam ipsius ad timorem servilem, ibi: sciendum autem est, quod uterque timor (...) in Scripturae diversis locis dicitur initium sapientiae. Hic est duplex quaestio. Prima de timore, de quo agitur hic. Secunda autem de aliis donis exequentibus, scilicet pietate et fortitudine. Circa primum quaeruntur tria: primo de timore in generali; 2 de timore servili; 3 de timore filiali.

Après avoir déterminé des dons en général, [le Maître] détermine ici du don de crainte qui, en raison de sa multiple compréhension, comporte une difficulté particulière. Cette partie se divise en deux : premièrement, il détermine de la crainte en général ; deuxièmement, de la crainte du Christ en particulier, à cet endroit : « Mais puisqu’a existé chez le Christ la crainte de la peine, on se demande si cette crainte était mondaine, servile ou initiale. » La première partie se divise en deux : dans la première, il présente une distinction de la crainte ; dans la seconde, il résout une certaine contradiction, à cet endroit : « Et fais attention que quatre craintes sont ici distinguées. Augustin dispute plus longuement des mêmes craintes. » Ici, il présente une comparaison des craintes entre elles et, à ce sujet, il fait deux choses : premièrement, il compare les craintes entre elles ; deuxièmement, il tire une conclusion de ce qui a été dit, à cet endroit : « Il faut aussi noter avec soin… » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il compare la crainte filiale et la crainte servile ; deuxièmement, la [crainte] initiale aux deux, à cet endroit : « Il a aussi indiqué par là crainte initiale. » À propos du premier point, il fait trois choses : premièrement, il présente une propriété de la crainte servivle ; deuxièmement, il montre les différences entre la crainte chaste ou filiale et elle, à cet endroit ; « On ne peut mieux expliquer la différence entre ces deux craintes qu’en présentant deux femmes mariées, etc. Il a aussi indiqué par là la crainte initiale. » Ici, il compare la crainte initiale aux deux autres et, à ce sujet, il fait deux choses : premièrement, il montre qu’elle se distingue des deux qui ont été mentionnées ; deuxièmement, il présente un aspect qu’elle a en commun avec la crainte servile, à cet endroit : « Il faut cependant savoir que les deux craintes… En divers endroits de l’Écriture, on dit qu’elle est le commencement de la sagesse. » Ici, il y a deux questions. La première, sur la crainte dont il est question ici. La seconde, sur les autres dons qui exécutent : la piété et la force. À propos du premier point, trois questions sont posées : 1. Sur la crainte en général. 2 Sur la crainte servile. 3. Sur la crainte filiale.

 

 

Articulus 1 [12419] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 tit. Utrum definitio Damasceni de timore sit bona

Article 1 – La définition de la crainte donnée par [Jean] Damascène est-elle bonne ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [[Jean] Damascène définit-il la crainte de manière appropriée ?]

[12420] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Damascenus inconvenienter timorem definiat, dicens: timor est desiderium secundum systolem movens. Desiderium enim ad concupiscibilem pertinet; timor autem est in irascibili. Ergo timor non est desiderium.

1. Il semble que [Jean] Damascène définisse la crainte de manière inappropriée : « La crainte est un désir qui meut par contraction. » En effet, le désir relève du concupiscible, mais la crainte se trouve dans l’irascible. La crainte n’est donc pas un désir.

[12421] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, desiderium est respectu boni. Sed objectum timoris est malum; unde philosophus dicit in 3 Ethic., quod timor est expectatio mali. Ergo timor non est desiderium.

2. Le désir se rapporte au bien. Or, l’objet de la crainte est le mal ; ainsi le Philosophe dit-il, dans Éthique, III, que la crainte est l’attente du mal. La crainte n’est donc pas un désir.

[12422] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, desiderium ad persecutionem pertinet. Sed timor est fuga mali, ut dicit Glossa, Joan. 10. Ergo timor non est desiderium.

3. Le désir est en rapport avec la poursuite. Or, la crainte est une fuite du mal, comme le dit la Glose, Jn 10. La crainte n’est donc pas un désir.

[12423] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 4 Praeterea, secundum systolem movere, est movere secundum contractionem. Sed tractio cum sit motus corporalis cordis, non est in omnibus in quibus est timor scilicet in Angelis. Ergo male definit timorem.

4. Mouvoir selon le systole, c’est mouvoir par contraction. Or, puisque la contraction est un mouvement du cœur, elle n’existe pas chez tous ceux où la crainte existe, à savoir, les anges. [Jean Damascène] définit donc mal la crainte.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 –[Le Maître distingue-t-il mal les parties de la crainte ?]

[12424] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod Magister hic male distinguat timoris partes. Quia secundum philosophum, si unum oppositorum dicitur multipliciter, et reliquum. Sed timor et spes sunt opposita. Cum igitur spes non dicatur multipliciter, nec timor distingui debet.

1. Il semble que le Maître distingue mal ici les parties de la crainte, car, selon le Philosophe, si l’un des contraires est dit de manière multiple, l’autre aussi l’est. Or, la crainte et l’espoir sont des contraires. Puisqu’on ne parle pas d’espoir de manière multiple, il ne faut donc pas non plus faire de distinction dans la crainte.

[12425] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, passiones et actus et habitus diversificantur secundum objecta. Sed idem est objectum timoris mundani, servilis, et initialis, scilicet poena. Ergo videtur quod non debeant ad invicem distingui.

2. Les passions, les actes et les habitus se distinguent selon leurs objets. Or, l’objet de la crainte mondaine, servile et initiale est le même, à savoir, la peine. Il semble donc qu’on ne doive pas les distinguer.

[12426] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, perfectum et imperfectum circa amorem non diversificant caritatem. Sed timor initialis et castus non differunt nisi secundum perfectum et imperfectum. Ergo non debent distingui ad invicem.

3. Ce qui est parfait et ce qui est imparfait dans l’amour ne diversifient pas la charité. Or, la crainte initiale et la crainte chaste ne se distinguent que selon le parfait et l’imparfait. Il ne faut donc pas les distinguer l’une de l’autre.

[12427] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 4 Sed contra, videtur quod debuerit plures partes timoris assignare. Timor enim ex concupiscentiis causatur. Sed concupiscentia carnis contra concupiscentiam oculorum, quae est concupiscentia mundi, dividitur 1 Joan. 22. Ergo mundanus timor, quo timemus mundi bona perdere, debet distingui contra timorem carnis quo timemus carnis pericula pati.

4. Il semble que [le Maître] aurait dû attribuer davantage de parties à la crainte. En effet, la crainte est causée par les convoitises. Or, la convoitise de la chair est distinguée en 1 Jn 22 de la convoitise des yeux, qui est la convoitise du monde. La crainte mondaine, par laquelle nous craignons de perdre les biens du monde, doit donc être distinguée de la crainte de la chair, par laquelle nous craignons de subir des dangers de la chair.

[12428] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 5 Praeterea, Magister ponit in fine lectionis timorem quemdam naturalem, qui differt, secundum ipsum, ab omnibus aliis. Ergo videtur quod insufficienter assignet tantum quatuor timores.

5. En fin de leçon, le Maître présente la crainte naturelle, qui diffère, selon lui, de toutes les autres. Il semble donc qu’il indique de manière insuffisante quatre craintes seulement.

[12429] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 6 Praeterea, Damascenus 2 Lib., assignat plures differentias, scilicet segnitiem, erubescentiam, verecundiam, admirationem, stuporem, agoniam. Ergo videtur quod haec divisio quae hic ponitur, sit insufficiens.

6. Dans le livre II, [Jean] Damascène indique plusieurs différences : l’inertie, le rougissement, la honte, l’étonnement, la stupeur et l’agonie. Il semble donc que la division est donnée ici soit insuffisante.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La crainte doit-elle être comptée parmi les dons ?]

[12430] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod timor non debeat inter dona computari. Timor enim ponitur una de quatuor principalibus passionibus. Sed nulla aliarum ponitur donum, immo spes ponitur virtus, gaudium ponitur fructus, dolor ponitur pars poenitentiae, scilicet contritio. Ergo nec timor similiter debet poni donum.

1. Il semble que la crainte ne doive pas être comptée parmi les dons. En effet, la crainte est présentée comme une des quatre passions principales. Or, aucune des autres n’est présentée comme un don ; bien plus, l’espérance est donnée comme une vertu, la joie comme un fruit, la douleur, à savoir, la contrition, comme une partie de la pénitence. La crainte ne doit donc pas non plus être donnée comme un don.

[12431] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, dona dantur nobis in adjutorium humanae infirmitatis. Sed ipse timor infirmitatem importat. Ergo non debet dici donum.

2. Les dons nous sont donnés comme une aide pour la faiblesse humaine. Or, la crainte elle-même comporte une faiblesse. Elle ne doit donc pas être appelée un don.

[12432] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, Augustinus dicit: timor est amor fugiens quod ei adversatur. Sed amor non est donum, immo virtus. Ergo nec timor donum debet poni.

3. De plus, Augustin dit : « La crainte est l’amour qui fuit ce qui s’oppose à lui. » Or, l’amour n’est pas un don : il est plutôt une vertu. La crainte ne doit donc pas non plus être présentée comme un don.

[12433] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Isai. 11, ubi timor inter alia dona sancti spiritus nominatur.

Cependant, [1] s’oppose à cela ce qui est dit en Is 11, où la crainte est nommée parmi les autres dons du Saint-Esprit.

[12434] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, illud quod est principium salutis, non est a nobis, sed donum Dei est, ut dicit Augustinus. Sed timor est principium salutis; Isai. 26, 17: a timore tuo, domine, concepimus spiritum salutis. Ergo timor est donum spiritus sancti.

[2] Ce qui est le principe du salut ne vient pas de nous, mais est un don de Dieu, comme le dit Augustin. Or, la crainte est le principe du salut. Is 26, 7 : C’est par ta crainte, Seigneur, que nous avons conçu l’esprit du salut. La crainte est donc un don du Saint-Esprit.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[12435] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum, quod definitio data, secundum Damascenum, convenit omni timori. Sed quia nomina passionum a passionibus sensitivae partis ad operationes superioris partis transferuntur, ut supra dictum est, ideo videamus primo qualiter dicta definitio competat timori qui est passio sensitivae partis. Quaelibet autem illarum passionum pertinet ad appetitivam partem, sed inter eas est differentia, secundum Avicennam in 6 de naturalibus, quia dispositiones cordis in quibusdam passionibus sunt quasi activae, in quibusdam quasi passivae. Dispositio autem cordis activa est vel secundum perfectionem cordis in seipso, sicut est amplitudo et dilatatio cordis, quae est in gaudio; vel secundum etiam perfectionem cordis ad aliquid agendum vel patiendum vel obtinendum, sicut est fortitudo cordis, quae requiritur in audacia et spe. Dispositio autem passiva cordis per oppositum est, vel secundum defectum ipsius in seipso, quae dicitur coangustatio, quae requiritur in tristitia; vel secundum defectum ipsius per comparationem ad aliquid agendum, quae dicitur debilitas cordis, quae requiritur in timore et desperatione. Contractio autem significat motum alicujus ab alio, a quo retrahitur in seipsum, ubi quodammodo congregatur; et ideo importat dispositionem cordis quae est debilitas, per quam aliquas ab alio deficit, in seipso consistens. Sic igitur patet intellectus definitionis Damasceni: quia dixit desiderium ad significandum genus timoris, qui est actio, vel motus appetitus. Quod autem dixit, secundum systolem movens, differentiam propriam assignavit, quae a causa materiali ejus sumitur. Et per hanc similitudinem dicitur etiam timor in spiritualibus, dum motus voluntatis ab aliquo resilit, et in seipso consistit.

Selon [Jean] Damascène, la définition donnée convient à toute crainte. Or, parce que les noms des passions sont reportés des passions de la partie sensible aux opérations de la partie supérieure, comme on l’a dit plus haut, voyons donc premièrement comment cette définition convient à la crainte qui est une passion de la partie sensible. Chacune de ces passions relève de la partie appétitive, mais il y a une différence entre elles, selon Avicenne, Sur les choses naturelles, VI, car les dispositions du cœur sont, dans certains passions, pour ainsi dire actives, mais, dans d’autres, pour ainsi dire passives. Or, une disposition active du cœur vient soit de la perfection du cœur en lui-même, comme le sont l’amplification et la dilatation du cœur qui existent dans la joie, soit aussi de la perfection du cœur en vue de supporter ou d’obtenir quelque chose, comme l’est la force du cœur, qui est exigée dans l’audace et l’espérance. Mais, en sens contraire, la disposition passive du cœur vient soit de sa propre carence, appelée rétrécissement, qui se rencontre nécessairement dans la tristesse, soit selon sa carence par comparaison à une action à poser, qui est appelée faiblesse du cœur, et qui se trouve nécessairement dans la crainte et dans le désespoir. Or, la contraction signifie un mouvement provoqué par quelque chose d’autre, par lequel on se retire en soi-même et, d’une certaine manière, on se recueille. Elle comporte donc une disposition du cœur qui est une faiblesse, par laquelle il est en carence de certaines [dispositions] venues d’un autre, en s’immobilisant en lui-même. Le sens de la définition de [Jean] Damascène ressort donc ainsi clairement, car il a parlé de « désir » pour signifier le genre de la crainte, qui est une action ou un mouvement de l’appétit. Mais en disant : « …qui meut selon le systole », il a donné la différence propre, qui se prend de sa cause matérielle. Selon cette ressemblance, on parle aussi de crainte pour les réalités spirituelles, lorsque le mouvement de la volonté recule devant quelque chose et s’immobilise en lui-même.

[12436] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod desiderium ponitur ibi large pro appetitu, qui communis est irascibili et concupiscibili.

1. « Désir » est pris ici au sens large pour appétit, qui est commun à l’irascible et au concupiscible.

[12437] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 2 Et per hoc patet solutio ad secundum.

2. La réponse au deuxième argument est ainsi claire.

[12438] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod etiam in fuga est appetitus fugiendi, qui hic desiderium dicitur.

3. Même dans la fuite, il y a appétit de fuir, qui est appelé ici « désir ».

[12439] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in spiritualibus est contractio per similitudinem, ut dictum est in corp. art.

4. Pour les réalités spirituelles, il existe une contraction par ressemblance, comme on l’a dit dans le corps de l’article.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[12440] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod timor hic distinguitur secundum ordinem timentis ad Deum, cui per unum timorem magis appropinquat vel distat, quam per alium. Cum enim timor in fuga mali consistat; malum autem est poenae et culpae; erit timor quidam qui consistit in fuga mali culpae tantum, per quam homo a Deo separatur, scilicet timor castus vel filialis; alius autem qui consistit in fuga mali poenae. Poena autem est duplex. Una pro cujus vitatione peccatum quandoque committitur, sicut sunt temporales poenae; et hanc poenam refugit timor mundanus vel humanus. Alia est pro cujus vitatione nunquam fit peccatum, sed magis vitatur, sicut poena quae erit post hanc vitam; et hanc poenam fugit timor servilis. Alius autem timor est qui fugit utrumque malum, poenae scilicet et culpae, scilicet initialis, qui habet oculum ad utrumque; et ideo est medius inter servilem et castum.

La crainte se distingue ici selon l’ordre de celui qui craint à Dieu, de qui il se rapproche ou s’éloigne par une crainte plutôt que par une autre. En effet, puisque la crainte consiste dans la fuite du mal et que le mal est soit [le mal] de peine, soit [le mal] de faute, il y aura une crainte qui consiste dans la fuite du mal de faute seulement, par laquelle l’homme est séparé de Dieu : c’est la crainte chaste ou filiale ; mais [il y aura] une autre [crainte] qui consiste dans la fuite du mal de peine. Or, la peine est double. L’une, à cause de laquelle le péché est parfois commis pour l’éviter, comme c’est le cas des peines temporelles : c’est cette peine que la crainte mondaine ou humaine fuit. L’autre, à cause de laquelle le péché n’est jamais commis pour l’éviter, mais est plutôt évité, comme c’est le cas de la peine qui existera après cette vie : c’est cette peine que fuit la crainte servile. Mais il existe une autre crainte qui fuit les deux maux, celui de peine et celui de faute : c’est la crainte initiale, qui regarde les deux. Elle est donc intermédiaire entre la crainte servile et la crainte chaste.

 [12441] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod malum contingit multifariam; bonum autem uno modo, secundum Dionysium, et philosophum; et ideo spes quae respicit bonum, non ita dividitur sicut timor qui respicit malum.

1. Le mal se produit de multiples façons, mais le bien d’une seule façon, selon Denys et le Philosophe. C’est pourquoi l’espérance, qui concerne le bien, ne se divise pas comme la crainte, qui concerne le mal.

[12442] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non eadem poena est quam respicit timor mundanus et servilis, ut ex dictis patet. Servilis vero et initialis eamdem poenam respiciunt; sed servilis tamquam principale objectum, initialis autem non, sed magis malum culpae; unde magis se tenet cum casto timore quam cum servili.

2. Ce n’est pas la même peine que considère la crainte mondaine et la crainte servile, comme cela ressort de ce qui a été dit. La crainte servile et la crainte initiale considèrent cependant la même peine, mais la crainte servile, comme objet principal, alors que la crainte initiale considère plutôt le mal de faute. Elle se rapproche donc davantage de la crainte chaste que de la crainte servile.

[12443] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod timor initialis distinguitur a casto, non secundum quod imperfecte se habet ad id quod perfecte se habet castus timor; sed quia se habet etiam ad aliud objectum, quamvis ex consequenti, ut dictum est.

3. La crainte initiale se distingue de la crainte chaste, non pas par un rapport imparfait à ce avec quoi la crainte chaste a un rapport parfait, mais parce qu’elle se rapporte aussi à un autre objet, bien que par mode de conséquence, comme on l’a dit.

[12444] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod timor mundanus secundum speciem naturae ab humano distinguitur; sed in eodem gradu ponuntur secundum propinquitatem ad meritum et demeritum, secundum quod hic timores distinguuntur.

4. La crainte mondaine se distingue de la crainte humaine selon l’espèce ; mais elles sont placées au même degré par leur proximité avec le mérite et le démérite, selon que les craintes sont ici distinguées.

[12445] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod natura salvatur etiam in merito et demerito; et ideo timor naturalis non ponit aliquem gradum distantiae vel propinquitatis ad meritum vel demeritum; et propter hoc de ipso non facit mentionem in divisione prima.

5. La nature est aussi sauvegardée dans le mérite et le démérite. C’est pourquoi la crainte naturelle ne présente pas de degré dans la distance ou la proximité par rapport au mérite ou au démérite. Pour cette raison, [le Maître] ne la mentionne pas dans la première division.

[12446] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod illae partes timoris assignantur secundum objecta. Sic autem non intendit hic dividere timorem, sed sicut dictum est in corp.

6. Ces parties de la crainte sont attribuées selon les objets. Mais il n’entend pas ici diviser ainsi la crainte, comme on l’a dit dans le corps.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[12447] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod timor mundanus et humanus, cum sint inordinati, non possunt esse donum spiritus sancti; sed sunt vel passiones vel electiones similes passionibus, aut etiam habitus, secundum quod habitus nomine operationis vel passionis nominantur. Similiter etiam timor servilis non pertingit ad perfectionem doni, sicut nec fides informis ad perfectam rationem virtutis. In omni enim virtute hoc est commune, secundum philosophum, quod virtuosus operatur boni gratia, vel propter turpis vitationem. Timor autem servilis operatur bonum non propter fugam turpis, sed propter fugam tristis; unde deficit a perfectione virtutis, et multo amplius a perfectione doni, quod est virtute perfectius. Timor autem castus, et initialis secundum quod participat timorem castum, habet rationem doni: cujus ratio est, quod altiori mensura suos actus modificat quam fit mensura humana. Mensura enim humanorum operum est rationis bonum; unde virtuosus abstinet a malis, fugiens et timens inconveniens rationis, quod est turpe; et iste timor est annexus cuilibet virtuti. Sed timor qui est donum, facit abstinere a malis propter fugam inconvenientis, quod est in separatione a Deo; et ideo ipsum Deum habet pro mensura suae operationis. Et quia modus a mensura causatur, ideo operatur supra humanum modum, et propter hoc est donum.

La crainte mondaine et humaine, puisqu’elles sont désordonnées, ne peuvent pas être un don du Saint-Esprit, mais elles sont soit des passions, soit des choix semblables à des passions, ou même des habitus, selon que les habitus sont désignés par le nom de l’opération ou de la passion. De même, la crainte servile n’atteint pas la perfection d’un don, pas davantage que la foi informe ne parvient à la raison parfaite de vertu. En effet, en toute vertu il y a ceci de commun, selon le Philosophe, que le vertueux agit en raison du bien ou pour éviter ce qui est honteux. Or, la crainte servile fait le bien, non pas pour fuir ce qui est honteux, mais pour fuir ce qui est triste. Elle a donc une carence par rapport à la perfection de la vertu, et encore bien davantage par rapport à la perfection d’un don, qui est plus parfait que la vertu. Mais la crainte chaste et la crainte initiale, pour autant qu’elle participe à la crainte chaste, ont le caractère de don : la raison en est qu’elle modifie ses actes selon une mesure plus élevée que ne le fait une mesure humaine. En effet, la mesure des actes humains est le bien de la raison ; aussi le vertueux s’abstient-il de ce qui est mal, en fuyant et en craignant ce qui ne convient pas à la raison, ce qui est honteux. Cette crainte est associée à toutes les vertus. Mais la crainte qui est un don fait qu’on s’abstient de ce qui est mal pour fuir ce qui ne convient pas, ce qui consiste dans la séparation d’avec Dieu. C’est pourquoi elle a Dieu comme mesure de sa propre opération. Et parce que le mode est causé par la mesure, elle agit donc selon un mode surhumain. Pour cette raison, elle est un don.

[12448] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod timor secundum quod est passio, non est donum, sed secundum quod est habitus quidam a Deo infusus. Similiter etiam neque spes secundum quod est passio, est virtus, sed secundum quod est habitus quidam perficiens ad actum similem passioni, quae est spes. Dolor autem qui est passio sensitivae partis, non est pars poenitentiae, quamvis etiam talis possit esse poenitentiae adjuncta; sed dolor in rationali parte consistens, qui est operatio magis quam passio. Gaudium etiam quod est in parte sensitiva animae non est fructus; sed quod est in ratione, non potest dici passio, proprie loquendo, quamvis aliquid habeat de similitudine passionis.

1. La crainte, selon qu’elle est une passion, n’est pas un don, mais selon qu’elle est un habitus infusé par Dieu. De même aussi l’espoir, selon qu’il est une passion, n’est-il pas une vertu, mais selon qu’il est un habitus perfectionnant en vue d’un acte qui ressemble à une passion, et qui est l’espérance. Cependant, la douleur qui est une passion de la partie sensible n’est pas une partie de la pénitence, bien qu’elle puisse être associée à la pénitence. Mais la douleur qui réside dans la partie raisonnable [l’est] : elle est une opération plutôt qu’une passion. La joie qui est aussi dans la partie sensible de l’âme n’est pas un fruit ; mais celle qui existe dans la raison ne peut être appelée une passion, au sens propre, bien qu’elle ait quelque chose qui ressemble à une passion.

[12449] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod timor eorum quae sunt sub homine, ad infirmitatem hominis pertinet; sed timor Dei, qui est supra hominem, non est infirmitatis, sed maximae perfectionis in ipso: quia in hoc ipso inferius perfectissimum est quod suo superiori maxime subditur.

2. La crainte de ce qui est inférieur à l’homme relève de la faiblesse de l’homme ; mais la crainte de Dieu, qui est supérieur à l’homme, ne relève pas de la faiblesse, mais de la plus grande perfection qui soit en lui, car ce qui est inférieur est d’autant plus parfait qu’il se soumet davantage à ce qui lui est supérieur.

[12450] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod timor Dei est amor, non essentialiter loquendo, sed per causam: quia amor est causa timoris.

3. La crainte de Dieu est un amour, non pas à parler essentiellement, mais selon sa cause, car l’amour est cause de la crainte.

 

 

Articulus 2 [12451] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 2 tit. Utrum timor servilis sit a spiritu sancto

Article 4 – La crainte servile vient-elle du Saint-Esprit ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La crainte servile vient-elle du Saint-Esprit ?]

[12452] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod timor servilis non sit a spiritu sancto. Quidquid enim est a spiritu sancto, potest esse simul cum ipso. Sed timor servilis non habetur simul cum spiritu sancto, qui sine caritate non habetur, cum qua non est timor servilis. Ergo timor servilis non est a spiritu sancto.

1. Il semble que la crainte servile ne vienne pas du Saint-Esprit. En effet, tout ce qui vient de l’Esprit saint peut exister en même temps que lui. Or, la crainte servile n’existe pas en même temps que l’Esprit saint : elle n’existe pas sans la charité, avec laquelle il n’existe pas de crainte servile. La crainte servile ne vient donc pas de l’Esprit saint.

[12453] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, sicut Deus propter seipsum amandus est, ita propter seipsum timendus est. Sed amor mercenarius quo quis amat Deum propter bona temporalia, non est a spiritu sancto, cum sit illicitus: quia plus amantur illa bona temporalia quam Deus. Ergo et timor servilis, quo Deus propter poenas timetur, non est a spiritu sancto.

2. De même que Dieu doit être aimé pour lui-même, de même doit-il être craint pour lui-même. Or, l’amour mercenaire, par lequel quelqu’un aime Dieu pour des biens temporels, ne vient pas de l’Esprit saint, puisqu’il est défendu, puisque ces biens temporels sont davantage aimés que Dieu. La crainte servile, par laquelle Dieu est craint en raison des peines, ne vient donc pas non plus de l’Esprit saint.

[12454] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, illud quod nascitur ex radice peccati, non est a spiritu sancto. Sed timor servilis ex timore nascitur, qui est radix peccati; unde super illud Job 3, 2: quare non in vulva mortuus sum? etc., dicit Gregorius: cum ex peccato praesens poena metuitur, et amissa Dei facies non amatur, timor ex tumore est, non autem ex humilitate. Ergo videtur quod timor servilis non sit a spiritu sancto.

3. Ce qui provient de la racine du péché ne vient pas de l’Esprit saint. Or, la crainte servile naît de la crainte qui est la racine du péché. Aussi, à propos de Jb 3, 2 : Pourquoi ne suis-je pas mort dans le sein ? Grégoire dit-il : « Puisque la peine présente est redoutée en raison du péché et que le visage de Dieu n’est pas aimé, la crainte vient d’une enflure (timor ex tumore), mais non de l’humilité. » Il semble donc que la crainte servile ne vienne pas de l’Esprit saint.

[12455] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Rom. 8: non accepistis spiritum servitutis etc., Glossa: unus spiritus est, qui facit duos timores, scilicet servilem, et castum. Sed castus timor constat quod est a spiritu sancto. Ergo et servilis.

Cependant, [1] à propos de Rm 8 : Vous n’avez pas reçu un Esprit de servitude, etc., la Glose dit : « Il n’y a qu’un seul Esprit, qui suscite deux craintes : la crainte servile et la crainte chaste. » Or, la crainte chaste vient manifestement de l’Esprit saint. Donc, la crainte servile aussi.

[12456] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, non est minus timere Deum quam credere. Sed fides, etiam informis, est a spiritu sancto. Ergo et timor servilis est a spiritu sancto.

[2] Craindre Dieu n’est pas moindre que croire [en lui]. Or, la foi, même informe, vient de l’Esprit saint. La crainte servile aussi vient donc de l’Esprit saint.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [L’usage de la crainte servile est-il bon ?]

[12457] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod usus timoris servilis non sit bonus. Usus enim bonus est quo fit bonum, et bene. Sed secundum Augustinum super illud Rom. 8, non accepistis spiritum servitutis etc., in timore servili etiam si aliquid fiat bonum, non tamen bene. Ergo usus ejus est malus.

1. Il semble que l’usage de la crainte servile ne soit pas bon. En effet, l’usage bon est ce par quoi on fait le bien et on le fait bien. Or, selon Augustin, à propos de Rm 8 : Vous n’avez pas reçu un Esprit de servitude, etc., par la crainte servile, même si on fait quelque chose de bon, on ne le fait cependant pas bien. Son usage est donc mauvais.

[12458] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, omnis actus timoris ex aliquo amore procedit. Sed actus timoris servilis non procedit ex amore caritatis. Ergo procedit ex amore libidinoso: ergo est malus.

2. Tout acte de crainte procède d’un certain amour. Or, l’acte de la crainte servile ne procède pas de l’amour de charité. Il procède donc d’un amour dissolu. Il est donc mauvais.

[12459] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, una circumstantia indebita facit totum actum malum. Sed actus timoris servilis videtur esse serviliter timere, quae est circumstantia turpis. Ergo usus timoris servilis est malus.

3. Une seule circonstance indue rend tout l’acte mauvais. Or, l’acte de crainte servile semble être de craindre de manière servile, ce qui est une circonstance mauvaise. L’usage de la crainte servile est donc mauvais.

[12460] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, cujus usus malus est, ipsum etiam malum est: quia non potest arbor bona fructus malos facere; Matth. 7, 7. Sed timor servilis est bonum, cum sit a Deo. Ergo usus ejus bonus est.

Cependant, [1] ce dont l’usage est mauvais est soi-même mauvais, car un arbre bon ne peut pas porter des fruits mauvais, Mt 7, 7. Or, la crainte servile est quelque chose de bon, puisqu’elle vient de Dieu. Son usage est donc bon.

[12461] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 2 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, usus timoris servilis est abstinere a peccato, et ad sapientiam introducere. Hoc autem est bonum. Ergo usus servilis timoris est bonus.

[2] L’usage de la crainte servile consiste à s’abstenir du péché et introduire dans la sagesse. Or, cela est bon. L’usage de la crainte servile est donc bon.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La crainte servile disparaît-elle lorsque survient la charité ?]

[12462] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod timor servilis non tollatur adveniente caritate. Timor enim servilis a fide informi consurgit. Sed fides informis manet secundum substantiam habitus, et formatur caritate quae advenit. Ergo et timor non expellitur caritate adveniente.

1. Il semble que la crainte servile n’est pas enlevée lorsque survient la charité. En effet, la crainte servile provient de la foi informe. Or, la foi informe demeure selon la substance de l’habitus et elle est formée lorsque survient la charité. La crainte n’est donc pas non plus chassée lorsque la charité survient.

[12463] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, per caritatem advenientem non tollitur nisi peccatum, et quod est ex peccato introductum. Hoc autem non est timor servilis, cum sit a Deo. Ergo non expellitur caritate adveniente.

2. Lorsque survient la charité, seul le péché est chassé et ce qui est introduit par le péché. Or, tel n’est pas le cas de la crainte servile, puisqu’elle vient de Dieu. Elle n’est donc pas chassée lorsque survient la charité.

[12464] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, quod se habet ex additione ad aliud, includit illud, et non tollit. Sed timor initialis se habet ex additione ad servilem: quia timet poenam sicut servilis, et ulterius separationem. Ergo timore initiali adveniente, non expellitur timor servilis. Ergo nec adveniente caritate, sine qua non est timor initialis.

3. Ce qui vient de l’ajout à une autre chose l’inclut et ne l’enlève pas. Or, la crainte initiale vient d’un ajout à la crainte servile, car elle craint la peine comme la [crainte] servile, et en plus, la séparation. La crainte servile n’est donc pas chassée lorsque survient la crainte initiale. Elle ne l’est donc pas lorsque survient la charité, sans laquelle il n’existe pas de crainte initiale.

[12465] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod dicit Augustinus in littera, quod adveniente caritate pellitur timor servilis.

Cependant, [1]Augustin dit dans le texte que, lorsque survient la charité, la crainte servile est chassée.

[12466] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, libertas non compatitur secum servitutem. Sed caritas adveniens libertatem facit: quia ubi spiritus domini, qui sine caritate non est, ibi libertas; 2 Corinth., 3, 17. Ergo timor servilis expellitur adveniente caritate.

[2] La liberté ne supporte pas la servitude. Or, lorsque survient la charité, elle donne la liberté, car là où est l’Esprit du Seigneur, qui n’existe pas sans la charité, là est la liberté, 2 Co 3, 17. La crainte servile est donc chassée lorsque survient la charité.

[12467] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. 3 Praeterea, nullus principaliter timens poenam, habet caritatem. Sed quicumque habet timorem servilem, est hujusmodi. Ergo et cetera.

[3] Personne craignant principalement la peine n’a la charité. Or, quiconque a une crainte servile est de cette sorte. Donc, etc.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[12468] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod secundum philosophum in 1 Metaph., liber est qui sui causa est; servus autem per contrarium intelligendus est qui alterius causa est, et non sui. Sumus autem causa eorum quae ad nos pertinent per voluntatem: unde illud dicitur aliquis facere libere quod spontanea voluntate facit; illud autem serviliter ad quod faciendum sibi voluntas deest: facit autem illud coactus ab alio violentia vel metu; et ideo cum tristitia, quia omne coactum est contra voluntatem et triste, ut dicitur in 5 Metaph.: et secundum hoc dicitur aliquis ex libertate spiritus aliquid facere, quia beneplacito suae voluntatis delectabiliter facit; timore autem servili, quod facit coactus metu poenae, et per consequens cum tristitia: mallet enim non facere, nisi poena timeretur. Patet igitur quod servilitas ex illa parte consequitur timorem qua ad aliquid faciendum vel dimittendum inclinat. Haec autem inclinatio non intrat essentiam timoris, sed est effectus ejus; essentiam vero suam habet ex comparatione ad proprium objectum, quod est poena aeterna, quam fides indicat. Unde servilitas est accidens timoris, et non intrat essentiam ejus: et ideo essentia ejus bona est, quia refugere poenas aeternas non est nisi bonum. Unde servilis timor secundum essentiam suam est a spiritu sancto non tamen donum spiritus sancti, nisi communiter loquendo, ut dicimus, omne quod a spiritu sancto datur, donum ejus esse. Sic autem non loquimur de donis. Sed illa servilitatis conditio quae includit privationem voluntatis justitiae, non est a spiritu sancto.

Selon le Philosophe, dans Métaphysique, I, est libre celui qui est cause de soi-même ; mais il faut comprendre par le contraire qu’est esclave celui qui est cause d’un autre, mais non de soi-même. Or, nous sommes cause de ce qui relève de nous par la volonté. C’est pourquoi on dit que quelqu’un fait librement quelque chose lorsqu’il le fait avec une volonté spontanée, mais qu’il l’accomplit de manière servile lorsque la volonté de le faire lui fait défaut. Mais il accomplit cela de force lorsqu’il subit une violence ou une crainte de la part d’un autre. C’est pourquoi il le fait avec tristesse, car tout ce qui est forcé est contraire à la volonté et triste, comme on le dit dans Métaphysique, V. On dit ainsi que quelqu’un accomplit quelque chose selon la liberté de son esprit parce qu’il le fait avec plaisir selon le bon plaisir de sa volonté ; mais [il accomplit] par la crainte servile ce qu’il accomplit poussé par la crainte de la peine et, par conséquent, avec tristesse. En effet, il préférerait ne pas l’accomplir s’il ne craignait pas la peine. Il est donc clair que la servilité découle de la crainte par laquelle elle incline à accomplir ou à laisser quelque chose de côté. Or, cette inclination ne fait pas partie de l’essence de la crainte, mais elle en est l’effet ; elle tient cependant son essence de son rapport à son objet propre, qui est la peine éternelle, que la foi indique. La servilité est donc un accident de la crainte et ne fait pas partie de son essence. C’est pourquoi son essence est bonne, car fuir les peines éternelles ne peut être qu’un bien. Selon son essence, la crainte servile vient donc du Saint-Esprit ; elle n’est cependant pas un don du Saint-Esprit, à moins de parler d’une manière générale en disant que tout ce qui est donné par le Saint-Esprit est un don de sa part. Mais nous ne parlons ainsi des dons. Toutefois, la condition de servilité qui comporte une privation de la volonté de justice, ne vient pas du Saint-Esprit.

[12469] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod quaedam sunt a spiritu sancto quae non sunt cum spiritu sancto, sicut fides informis, et timor servilis: quod quidem non est nisi propter defectum comitantem: quaedam vero sunt a spiritu sancto et cum ipso sunt, sicut caritas; quaedam vero cum ipso, sed non ab ipso, sicut peccatum veniale; quaedam vero nec ab ipso nec cum ipso, sicut mortale.

1. Certaines choses viennent du Saint-Esprit sans être accompagnées du Saint-Esprit, comme la foi informe et la crainte servile. Cela n’est dû qu’à la carence qui les accompagne. Mais certaines viennent du Saint-Esprit et l’accompagnent, comme la charité. Certaines choses l’accompagnent, mais elles ne sont pas de lui, comme le péché véniel. Enfin, certaines ne viennent pas de lui et ne l’accompagnent pas, comme le péché mortel.

[12470] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod objectum amoris est bonum; sed objectum timoris, prout nunc loquimur, est malum quod fugitur. In Deo autem est bonitatem invenire; et ideo est propter seipsum et non propter aliud diligendus. Sed nullum malum in ipso est; est autem ab ipso aliquod malum, scilicet malum poenae: et ideo propter poenam quam infligit, Deum timere, non est malum secundum se. Quomodo autem timore reverentiae bonum excellens timeatur, infra, art. 3, quaestiunc. 4, dicetur.

2. L’objet de l’amour est le bien; mais l’objet de la crainte, comme nous en parlons maintenant, est un mal qui est fui. Or, c’est en Dieu qu’on trouve la bonté. C’est pourquoi il doit être aimé pour lui-même et ne doit pas être aimé pour autre chose. Or, il n’y a en lui aucun mal. Toutefois, un mal vient de lui : le mal de peine. C’est pourquoi craindre Dieu en raison de la peine qu’il inflige n’est pas un mal en soi. Comment un bien excellent est craint d’une crainte révérentielle, on le dira plus loin, a. 3, q. 4.

[12471] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Gregorius loquitur de timore ratione servilitatis, inquantum scilicet peccatum voluntatem retinet: quod patet ex hoc quod praemissis verbis subjungit: superbit quippe qui peccatum, si liceat non puniri, non deserit. Vel dicendum, quod timor ille ex quo nascitur timor servilis poenae, quantum ad actum suum non est timor inordinatus, qui est radix peccati; sed est timor naturalis, quo quis omne nocivum naturaliter refugit.

3. Grégoire parle de la crainte en raison de la servilité, pour autant que le péché retient la volonté. Cela ressort de ce qu’il ajoute aux paroles déjà dites : « Il s’enorgueillit, celui qui n’abandonne pas le péché s’il peut ne pas être puni. » Ou bien il faut dire que cette crainte dont provient la crainte servile de la peine n’est pas une crainte désordonnée, racine du péché, pour ce qui est de son acte, mais qu’elle est une crainte naturelle par laquelle quelqu’un fuit naturellement tout ce qui est nuisible.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[12472] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod quidquid est de substantia habitus, oportet quod in actu ejus elucescat, eo quod quales sunt habitus, tales actus reddunt, ut dicitur in 2 Ethic.: non autem oportet quod omne quod accidit alicui habitui, semper in actu ejus manifestetur; sicut fidei informi accidit habere aliquid repugnans caritati; non tamen oportet quod semper in actu ejus caritati repugnans aliquid inveniatur. Cum igitur servilitas timoris habitui accidat ex imperfectione subjecti, ut ex dictis patet, non oportet quod actus ejus semper conditiones servilitatis in se habeat; sed poterit habere bonitatem proportionatam substantiae sui habitus, non scilicet meritoriam, sicut nec habitus habet bonitatem gratuitam. Et quia habitus perfectam rationem bonitatis non habet, ideo defectus alicujus debitae bonitatis in actu, sive deordinatio aliqua, non repugnat substantiae habitus, sicut repugnat omnis actus inordinatus habitui virtutis, qui habet bonitatem perfectam. Et propter hoc virtutis usus semper est bonus, peccati autem semper est malus; sed timoris servilis actus potest esse et bonus et malus.

Tout ce qui fait partie de la substance d’un habitus doit se manifester dans son acte, du fait que tels sont les habitus, tels ils rendent les actes, comme il est dit dans Éthique, II. Mais il n’est pas nécessaire que tout ce qui s’ajoute à un habitus se manifeste toujours dans son acte. Ainsi, il arrive à la foi informe d’avoir quelque chose qui s’oppose à la charité ; cependant, il n’est pas nécessaire de toujours trouver dans son acte quelque chose qui s’oppose à la charité. Puisque la servilité de la crainte s’ajoute à l’habitus en raison de l’imperfection de son sujet, comme cela ressort de ce qui a été dit, il n’est donc pas nécessaire que son acte ait toujours en lui-même les conditions de la servilité, mais il pourra avoir une bonté proportionnée à la substance de son habitus, à savoir, non méritoire, de même que l’habitus ne possède pas une bonté gratuite. Et parce que l’habitus ne possède la raison parfaite de bonté, sa carence d’une bonté nécessaire dans son acte ou un certain désordre ne s’oppose pas à la substance de l’habitus, comme tout acte désordonné s’oppose à l’habitus d’une vertu qui possède une bonté parfaite. Pour cette raison, l’usage de la vertu est toujours bon, mais celui du péché est toujours mauvais ; mais l’acte de la crainte servile peut être bon et mauvais.

[12473] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Augustinus loquitur quando aliquid fit timore servili ratione suae servilitatis.

1. Augustin parle du cas où quelque chose est accompli par crainte servile en raison de sa servilité.

[12474] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod actus timoris servilis quando bonus est, non est ex amore gratuito, neque ex amore libidinoso, sed ex amore naturali, quo quis vult consistentiam et bene esse sui subjecti; et ideo horret omnem poenam, sive quam experientia docet, sicut in naturali timore, sive quam fides demonstrat, sicut in servili.

2. Lorsqu’il est bon, l’acte de la crainte servile ne vient pas de l’amour gratuit, ni de l’amour dissolu, mais de l’amour naturel, par lequel on veut la solidité et le bien-être de son sujet. Aussi a-t-il en horreur toute peine, soit celle que l’expérience enseigne, comme dans le cas de la crainte naturelle, soit celle que la foi montre, comme dans la crainte servile.

[12475] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non semper timere serviliter est actus timoris servilis, ut ex dictis patet.

3. Craindre de manière servile n’est pas toujours un acte de la crainte servile, comme cela ressort de ce qui a été dit.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[12476] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod timor servilis manet adveniente caritate quantum ad substantiam, sed non quantum ad servilitatem. Constat enim quod homo caritatem habens timet poenas aeternas, quod erat proprium objectum ejus quantum ad substantiam habitus: quod enim haec plus quam alia timeat, non est de ratione habitus, sed de ratione servilitatis.

La crainte servile demeure quant à sa substance, lorsque survient la charité, mais non quant à la servilité. En effet, il est clair que l’homme qui a la charité craint les peines éternelles, ce qui était l’objet propre [de la crainte servile] quant à la substance de l’habitus. Qu’il craigne cela plus que d’autres choses, cela ne relève pas de la raison de l’habitus, mais de la raison de la servilité.

[12477] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 2 qc. 3 ad arg. Et per hoc patet solutio ad utramque partem rationum.

La solution aux deux parties des arguments ressort ainsi clairement.

 

 

Articulus 3 [12478] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 tit. Utrum timor castus sit idem in substantia cum timore servili

Article 3 – La crainte chaste est-elle la même chose que la crainte servile ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La crainte chaste est-elle la même chose que la crainte servile ?]

[12479] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod timor castus sit idem in substantia cum timore servili. Sicut enim se habet timor servilis ad fidem informem, ita timor castus se habet ad fidem formatam. Ergo commutatim, sicut se habet fides informis ad fidem formatam, ita se habet timor servilis ad castum. Sed fides formata est idem in substantia cum fide informi. Ergo et timor castus cum servili.

1. Il semble que la crainte chaste soit la même chose en substance que la crainte servile. En effet, le rapport de la crainte servile à la foi informe est le même que celui de la crainte chaste à la foi formée. En d’autres termes, le rapport de la foi informe à la foi formée est le même que celui de la crainte servile à la crainte chaste. Or, la foi formée est par sa substance la même chose que la foi informe. La crainte chaste est donc aussi [en substance la même chose que] la [crainte] servile.

[12480] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, separatio a Deo, quam timet timor castus, includitur in poena aeterna, quam timet timor servilis. Sed sicut se habent objecta, ita se habent habitus. Ergo timor castus includitur in timore servili, et ita non differunt secundum substantiam.

2. La séparation de Dieu, que craint la crainte chaste, fait partie de la peine éternelle, que craint la crainte servile. Or, le rapport entre les objets est le même que le rapport entre les habitus. La crainte chaste fait donc partie de la crainte servile, et ainsi elles ne diffèrent pas en substance.

[12481] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, ea quorum unum est ratio alterius, ad eumdem habitum pertinent, sicut dilectio Dei et proximi. Sed separatio a Deo est ratio omnis poenae aeternae. Ergo ad eumdem habitum pertinent; ergo timor castus et servilis non differunt secundum substantiam habitus.

3. Ce dont une chose est la raison d’une autre relève du même habitus, comme l’amour de Dieu et du prochain. Or, la séparation de Dieu est la raison de toute peine éternelle. Elles relèvent donc du même habitus. La crainte chaste et la crainte servile ne diffèrent donc pas selon la substance de l’habitus.

[12482] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, plus distat a perfectione doni timor servilis quam virtus, quae est timore servili perfectior, ut dictum est. Sed donum timoris differt secundum substantiam habitus a virtute. Ergo multo fortius a timore servili.

Cependant, [1] la crainte servile est plus éloignée de la perfection du don que la vertu, qui est plus parfaite que la crainte servile, comme on l’a dit. Or, le don de crainte diffère de la vertu selon la substance de l’habitus. À bien plus forte raison [diffère-t-il] donc de la crainte servile.

[12483] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, habitus diversificantur per actus et objecta. Sed inhonestum vel turpe, quod timet timor castus, et triste, sive poenale, quod timet servilis timor, non dicuntur malum una ratione, neque univoce. Ergo timor servilis et castus non sunt idem habitus.

[2] Les habitus se diversifient selon leurs actes et leurs objets. Or, ce qui est malhonnête ou honteux, que craint la crainte chaste, et ce qui est triste ou a le caractère de peine, que craint la crainte servile, ne sont pas appelés des maux pour une seule raison, ni de manière univoque. La crainte servile et la crainte chaste ne sont donc pas les mêmes habitus.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La crainte initiale diffère-t-elle de la crainte chaste par sa substance ?]

[12484] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod initialis differat secundum substantiam a casto. Initialis enim includit servilem, quia timet poenam. Sed servilis secundum substantiam habitus differt a casto. Ergo et initialis.

1. Il semble que la crainte initiale diffère de la crainte chaste par sa substance. En effet, la crainte initiale comprend la crainte servile, car elle craint la peine. Or, la crainte servile diffère de la crainte chaste par la substance de l’habitus. Donc, la crainte initiale aussi.

[12485] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, idem non dividitur contra seipsum. Sed timor castus in littera dividitur contra initialem. Ergo non est idem secundum substantiam cum ipso.

2. Une même chose n’est pas distincte d’elle-même. Or, la crainte chaste est distinguée de la crainte initiale dans le texte. Elle n’est donc pas la même chose qu’elle par sa substance.

[12486] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, sicut initialis est perfectior servili, ita castus est perfectior initiali. Sed initialis non est idem cum servili: si enim sit idem, non erit idem cum casto, qui differt secundum substantiam a servili, ut probatum est. Ergo et castus non est idem cum initiali.

3. De même que la crainte initiale est plus parfaite que la crainte servile, de même la crainte chaste est-elle plus parfaite que la crainte initiale. Or, la crainte initiale n’est pas la même chose que la crainte servile. En effet, si elle est la même chose, elle ne sera pas la même chose que la crainte chaste par sa substance, comme on l’a démontré. La [crainte] chaste aussi n’est donc pas la même chose que la [crainte] initiale.

[12487] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, perfectum et imperfectum non variat substantiam habitus. Sed timor castus et initialis differunt secundum perfectum et imperfectum. Ergo non differunt secundum substantiam habitus.

Cependant, [1] le parfait et l’imparfait ne diversifient pas la substance d’un habitus. Or, la crainte chaste et la crainte intiale diffèrent selon le parfait et l’imparfait. Elles ne diffèrent donc pas par la substance de l’habitus.

[12488] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, habitus distinguuntur per actus et objecta. Sed idem est objectum quod principaliter respicit timor initialis et castus, ut probatum est. Ergo sunt idem secundum substantiam habitus.

[2] Les habitus se distinguent par leurs actes et par leurs objets. Or, c’est le même objet qui concerne principalement la crainte servile et la crainte chaste, comme on l’a démontré. Elles sont donc la même chose par la substance.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La crainte chaste diminue-t-elle lorsque la charité augmente ?]

[12489] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod timor castus diminuatur caritate crescente. Timor enim initialis et castus, ut probatum est, sunt idem secundum substantiam. Sed timor initialis decrescit caritate crescente, ut in littera dicitur. Ergo et timor castus.

1. Il semble que la crainte chaste diminue lorsque la charité augmente. En effet, la crainte initiale et la crainte chaste, comme on l’a démontré, sont la même chose par la substance. Or, la crainte initiale diminue lorsque la charité augmente, comme on le dit dans le texte. Donc, la crainte chaste aussi.

[12490] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, omnis timor habet poenam, ut dicitur 1 Joan. 4. Sed caritas perfecta non habet poenam. Ergo quanto crescit caritas, tanto quilibet timor decrescit.

2. Toute crainte comporte une peine, comme il est dit en 1 Jn 4. Or, la charité parfaite ne comporte pas de peine. Donc, dans la mesure où la charité augmente, dans la même mesure toute crainte diminue.

[12491] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 3 Praeterea, ubi est impossibilitas separationis, ibi non est timor separationis. Ergo quanto aliquis difficilius separatur a Deo, tanto minuitur separationis timor. Sed quanto caritas magis crescit, tanto aliquis difficilius a Deo separatur, quia strictius ei colligatur. Ergo quanto magis crescit caritas, tanto magis decrescit separationis timor, qui dicitur castus.

3. Là où la séparation est impossible, là n’existe pas la crainte de la séparation. Donc, plus difficilement quelqu’un est séparé de Dieu, plus la crainte de la séparation diminue. Or, plus la charité augmente, plus difficilement est-on séparé de Dieu, car on lui est plus étroitement attaché. Donc, plus la charité augmente, plus diminue la crainte de la séparation, qu’on appelle chaste.

 [12492] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, timor castus est donum spiritus sancti. Sed omnes virtutes et dona simul crescunt, sicut et simul infunduntur. Ergo crescente caritate, crescit timor castus.

Cependant, [1] la crainte chaste est un don du Saint-Esprit. Or, toutes les vertus et les dons croissent en même temps, de même qu’ils sont infusés en même temps. Donc, lorsque la charité augmente, la crainte chaste diminue.

[12493] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, amor est timoris causa. Sed crescente causa crescit effectus. Ergo caritate crescente crescit timor.

[2] L’amour est la cause de la crainte. Or, lorsque la cause augmente, l’effet augmente. Donc, lorsque la charité augmente, la crainte diminue.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Lorsque surviendra la gloire, la crainte disparaîtra-t-elle ?]

[12494] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod timor evacuetur gloria adveniente. Ratio enim timoris est possibilitas ad malum. Sed in illis qui sunt in gloria, non est possibilitas ad aliquod malum, quod est timoris objectum. Ergo non erit ibi timor aliquis.

1. Il semble que la crainte disparaîtra lorsque la gloire surviendra. En effet, la raison de la crainte est la possibilité de mal agir. Or, chez ceux qui sont dans la gloire, il n’y a pas de possibilité de faire le mal, ce qui est l’objet de la crainte. Il n’y aura donc [alors] aucune crainte.

[12495] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 4 arg. 2 Praeterea, spes videtur esse majoris perfectionis quam timor: quia spes perficitur per fortitudinem cordis, timor autem per debilitatem, ut dictum est. Sed spes non manet in patria. Ergo multo minus timor.

2. L’espérance semble être plus parfaite que la crainte, car l’espérance se réalise par la force du cœur, mais la crainte, par sa faiblesse, comme on l’a dit. Or, l’espérance ne demeure pas dans la patrie. Donc, encore bien moins la crainte.

[12496] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 4 arg. 3 Praeterea, omne quod est perfectionis, est in Deo. Sed timor non est in Deo. Ergo non est perfectionis: ergo excluditur adveniente gloria.

3. Tout ce qui relève de la perfection existe en Dieu. Or, la crainte n’existe pas en Dieu. Elle ne relève donc pas de la perfection. Elle est donc écartée lorsque survient la gloire.

[12497] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 4 s. c. 1 Sed contra Psalm. 18, 10: timor domini sanctus permanet in saeculum saeculi.

Cependant, [1] le Ps 18, 10 dit : La crainte du Seigeur demeure pour les siècles des siècles.

[12498] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 4 s. c. 2 Praeterea, timor debetur summae majestati. Malachiae, 1, 6: si ego dominus, ubi est timor meus? Sed in futuro exsolvemus Deo quidquid ei debemus. Ergo timebimus ipsum.

[2] La crainte est due à la majesté suprême. Ml 1, 6 : Si je suis le Seigneur, où est la crainte que j’inspire ? Or, dans l’avenir, nous rendrons à Dieu tout ce que nous lui devons. Nous le craindrons donc.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[12499] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod duplex est malum: quoddam quod consistit in voluntate ejus cui inest, quod dicitur malum culpae; quoddam vero est malum contra voluntatem ejus cui inest, quod dicitur malum poenae. Malum autem culpae abhorret quis vel ex hoc quod declinat a rectitudine rationis, et sic est timor inhonesti contrarii, inditus cuilibet virtuti; vel, ex hoc quod declinare facit ab ipso Deo, et sic pertinet ad donum timoris. Horror autem declinationis a regula aliqua, est propter amorem regulae. Unde timor qui est donum, causatur ex amore Dei; et ideo dicitur timor amicabilis vel filialis, inquantum Deus dicitur pater noster; vel etiam castus, inquantum Deus dicitur metaphorice sponsus animarum nostrarum. Timor autem servilis, ut supra dictum est, inclinat ad aliquid faciendum contra voluntatem. Unde oportet quod illud malum habeat quasi objectum proprium quod est contra voluntatem, ex hoc rationem mali habens quod est malum poenae; et ita servilis et castus non habent idem objectum, sed diversa; et propter hoc differunt secundum substantiam habitus.

Il existe deux maux : l’un qui se trouve dans la volonté de celui où il existe, que l’on appelle le mal de faute ; mais il existe un mal qui est contraire à la volonté de celui où il existe, que l’on appelle le mal de peine. Or, on déteste le mal de faute soit parce qu’il s’écarte de la droiture de la raison : c’est là la crainte de ce qui est contraire et mauvais, inhérente à toute vertu ; soit parce que cela fait s’écarter de Dieu lui-même : cela relève ainsi du don de crainte. Or, la crainte de s’écarter d’une règle vient de l’amour de la règle. La crainte qui est un don est donc causée par l’amour de Dieu. C’est pourquoi on l’appelle crainte amicale ou filiale, du fait que Dieu est appelé notre père ; ou encore [on l’appelle crainte] chaste, du fait que Dieu est appelé métaphoriquement l’époux de nos âmes. Mais la crainte servile, comme on l’a dit plus haut, incline à faire quelque chose contre sa volonté. Il faut donc qu’elle ait comme objet propre un mal qui est contraire à sa volonté ; il a ainsi raison de mal du fait qu’il est un mal de peine. Ainsi, la crainte servile et la crainte chaste n’ont pas le même objet, mais des objets différents. Pour cette raison, elles diffèrent selon la substance de l’habitus.

[12500] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod idem est fidei formatae et informis objectum; non autem timoris servilis et casti. Proportio autem commutata non tenet in omnibus, sed in numeris et magnitudinibus, ut dicitur in 1 posteriorum.

1. L’objet de la foi informe et de la foi formée est le même, mais non celui de la crainte servile et de la crainte chaste. Mais la proportion interchangeable ne vaut pas en toutes choses, mais pour les nombres et les grandeurs, comme il est dit dans les Posdtérieurs analytiques, I.

[12501] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut amicus, quamvis delectationem habeat ex praesentia amici, non tamen propter hoc quaerit amici praesentiam ut in ipso delectetur, sed propter amicum ipsum, cui vult conjungi quantumcumque potest; ita et timor castus non timet separationem inquantum est poena, sed inquantum est elongatio ab amato.

2. De même qu’un ami, bien qu’il trouve plaisir à la présence de son ami, ne recherche cependant pas pour cette raison la présence de son ami pour s’en délecter, mais pour l’ami lui-même, à qui il veut être uni autant qu’il le peut, de même la crainte chaste ne craint pas la séparation en tant qu’elle est une peine, mais en tant qu’elle est un éloignement de ce qui est aimé.

[12502] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illud quod est ratio alterius sicut formaliter complens objectum, non pertinet ad alium habitum vel potentiam, sicut lux et color: et hoc modo Deus est ratio diligendi proximum per caritatem. Sed illud quod est ratio alterius sicut causa, non oportet quod ad eumdem habitum pertineat, nec etiam ad eamdem potentiam; sicut calor qui est ratio odoris, cognoscitur tactu, odor autem olfactu. Et similiter separatio a Deo dicitur esse ratio poenae aeternae sicut causa; unde non oportet quod ad eumdem habitum pertineat.

3. Ce qui est la raison de quelque chose d’autre qui réalise formellement l’objet ne relève pas d’un autre habitus ou d’une autre puissance, comme la lumière et la couleur. De cette manière, Dieu est la raison d’aimer le prochain par charité. Or, il n’est pas nécessaire que ce qui est la raison de quelque chose d’autre pour autant qu’il en est la cause relève du même habitus, ni même de la même puissance ; ainsi la chaleur, qui est la raison de l’odeur, est connue par le toucher, mais l’odeur par l’odorat. De même, on dit que la séparation de Dieu est la raison de la peine éternelle en tant que sa cause. Il n’est donc pas nécessaire qu’elle relève du même habitus.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[12503] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod in quolibet dictorum est considerare duos actus. Unum principalem, quem timor elicit, scilicet refugere hoc malum vel illud. Alius est secundarius, quem timor imperat, scilicet facere aut dimittere hoc vel illud propter fugam illius mali cujus est timor. Timor ergo initialis quantum ad primum actum non differt a timore casto: quia timere poenas aeternas non est actus timoris initialis, sed compatitur secum istum actum, sicut et timor castus: sed actus timoris initialis est timere separationem, sicut et casti; quamvis non ita perfecte. Sed in secundo actu differt castus timor et initialis: quia initialis non solum imperat actum aliquem vel dimissionem propter separationem, sed etiam propter poenam: quod non contingit in timore casto, qui ad solam separationem oculum habet. Actus autem imperati per accidens comparantur ad habitus imperantes; et ideo timor initialis et castus sunt idem in substantia habitus, differunt tamen accidentaliter, ut ex dictis patet.

En tout ce qui a été dit, il faut considérer deux actes. L’un principal, que la crainte provoque, à savoir, fuir tel ou tel mal. L’autre secondaire, que commande la crainte, à savoir faire ou rejeter ceci ou cela en raison de la fuite du mal qu’on craint. Pour ce qui est du premier acte, la crainte initiale ne diffère pas de la crainte chaste, car craindre les peines éternelles n’est pas un acte de la crainte initiale, mais elle comporte cet aacte en elle-même, comme l’amour chaste ; mais l’acte de la crainte initiale consiste à craindre la séparation, comme c’est le cas de l’acte de la crainte chaste, bien que d’une manière moins parfaite. Mais, la crainte chaste et la crainte initiale diffèrent pour le second acte, car la crainte initiale non seulement commande un acte ou un rejet en raison de la séparation, mais aussi en raison de la peine, ce qui ne se produit pas pour la crainte chaste, qui ne porte le regard que sur la séparation. Or, les actes commandés sont comparés par accident aux habitus qui commandent. C’est pourquoi la crainte initiale et la crainte chaste sont la même chose quant à la substance de l’habitus ; elles diffèrent cependant de manière accidentelle, comme cela ressort de ce qui a été dit.

[12504] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod initialis non includit servilem secundum essentiam, sed inquantum concurrunt ad unum actum imperandum.

1. La crainte initiale ne comprend pas la crainte servile selon son essence, mais en tant qu’elles concourent à commander un seul acte.

[12505] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod dividuntur ex opposito ratione illius accidentis in quo differunt, scilicet perfectionis et imperfectionis in actu elicito, et quantum ad motivum in actu imperato, ut dictum est.

2. Elles se distinguent par mode de contraire en raison de l’accident par lequel elles diffèrent : la perfection et l’imperfection de l’acte issu d’elles, et pour ce qui meut dans l’acte commandé, comme on l’a dit.

[12506] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod timor servilis differt in objecto, et per consequens in principali actu, a timore initiali, non autem initialis a casto; unde non est similis ratio.

3. La crainte servile diffère de la crainte initiale par son objet et, par conséquent, par son acte principal, mais non la crainte initiale de la crainte chaste. Le raisonnement n’est donc pas le même.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[12507] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod in istis timoribus est duplex actus, ut dictum est. Si ergo loquamur de actu elicito, sic aliter dicendum est in timore servili, et aliter in initiali et casto. Actus enim elicitus a timore initiali et casto est timere separationem, ad quod duo requiruntur: unum ex parte subjecti, quod imperfectionis est; scilicet possibilitas ad separationem, quia de impossibili non est timor; aliud ex parte objecti, scilicet amor ejus a quo quis timet separari, quia ab eo quod quis non amat, separari non curat; et hoc perfectionis est. Augmentum ergo caritatis facit crescere actum timoris separationis quantum ad hoc quod perfectionis est, sed facit decrescere quantum ad hoc quod imperfectionis est. Et quia habitus ad hoc sunt ut imperfectionem a subjecto abjiciant, ideo crescente caritate crescit habitus timoris casti et initialis. Actum autem quem elicit habitus timoris, qui prius erat servilis, caritas similiter facit decrescere quantum ad possibilitatem poenae; quia quanto caritas est major, tanto est major remotio a poena. Sed non facit ipsum crescere quantum ad comparationem ad objectum: quia caritas non est amor directe illius boni cui contrariatur illa poena. Nec iterum quantum ad hoc facit decrescere nisi secundum comparationem, secundum quod caritate crescente semper exceditur magis et magis a timoris casti actu. Si autem loquamur de actu imperato istis duobus timoribus, sic nullo modo actum timoris casti diminuit: et perfecta caritas quantum ad hoc eum foras mittit, ut nunquam jam oculus habeatur ad poenam in agendis vel dimittendis. Actum vero timoris initialis diminuit quantum ad hoc quod habet oculum ad separationem.

Dans ces craintes, il y a deux actes, comme on l’a dit. Si donc nous parlons de l’acte provoqué par elle, il faut parler autrement de la crainte servile et de la crainte initiale et chaste. En effet, l’acte issu de la crainte initiale et de la crainte chaste consiste à craindre la séparation, ce pour quoi deux choses sont nécessaires : l’une, du côté du sujet, qui est le fait d’une imperfection, à savoir, la possibilité d’une séparation, car on ne craint pas ce qui est impossible ; l’autre, du côté de l’objet, à savoir l’amour de ce dont l’on craint d’être séparé, car on ne se préoccupe pas d’être séparé de ce que l’on n’aime pas, et cela est le fait d’une perfection. L’augmentation de la charité fait donc augmenter l’acte de crainte de la séparation pour ce qui est de la perfection, mais elle le fait diminuer pour ce qui est de l’imperfection. Et parce que les habitus existent pour enlever l’imperfection du sujet, l’habitus de la crainte chaste et initiale augmente donc lorsque la charité augmente. Mais la charité fait de même diminuer l’acte provoqué par l’habitus de la crainte, qui était d’abord servile, pour ce qui est de la possibilité de la peine, car plus la charité est grande, plus l’on s’éloigne de la peine. Mais elle ne le fait pas augmenter pour ce qui est de son rapport à l’objet, car la charité n’est pas directement l’amour du bien auquel s’oppose cette peine. Elle ne le fait pas non plus diminuer sous cet aspect, si ce n’est par comparaison, selon que, la charité augmentant, elle dépasse toujours de plus en plus l’acte de la crainte chaste. Mais si nous parlons de l’acte commandé par ces deux craintes, il ne diminue d’aucune manière l’acte de la crainte chaste ; sous cet aspect, la charité parfaite l’expulse, de sorte qu’on n’aie jamais l’œil sur la peine dans ce qu’il faut faire ou rejeter. Mais il diminue l’acte de la crainte initiale en ce qu’elle a à l’œil la séparation.

[12508] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod initialis in littera non dicitur diminui quantum ad hoc quod habet commune cum casto amore, sed quantum ad hoc quod habet commune cum servili.

1. Dans le texte, on ne dit pas que la crainte initiale est diminuée pour ce qu’elle a en commun avec l’amour chaste, mais pour ce qu’elle a en commun avec la crainte servile.

[12509] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod timor non habet poenam, nisi inquantum respicit aliquid quod contrariatur voluntati, scilicet poenam: et hoc est servilis et initialis timoris.

2. La crainte ne comporte de peine que dans la mesure où elle se rapporte à quelque chose qui contrarie la volonté : la peine. Et cela relève de la crainte servile et de la crainte initiale.

[12510] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 3 Ad tertium et ad alia sequentia patet solutio per id quod dictum est in corp.

3. Pour le troisième argument et pour ceux qui suivent, la solution ressort clairement de ce qui a été dit dans le corps [de la question].

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[12511] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod timor, proprie loquendo, habet malum pro objecto: non autem quodlibet malum, sed malum in arduo constitutum: alias non esset in irascibili. Malum autem quod facile vinci aut vitari potest, non timemus; sed odimus tantum. Malum autem separationis a Deo est in arduissimo constitutum: unde quando possibilitas ad hoc malum tolletur, remanebit adhuc operatio hominis ad Deum ut ad arduum; et ideo tolletur timor quantum ad hunc actum qui est timere separationem, sed manebit quantum ad actum qui est admirari vel revereri illud arduum, quod fit quando ex consideratione tantae altitudinis homo in propriam resilit parvitatem.

À proprement parler, la crainte a comme objet un mal : non pas n’importe quel  mal, mais un mal qui a le caractère de difficile, autrement elle ne se trouverait pas dans l’irascible. Le mal qui peut être facilement vaincu ou évité, nous ne le craignons pas, mais nous le haïssons seulement. Or, le mal de la séparation de Dieu a le caractère de ce qui est le plus difficile. Aussi, lorsque la possibilité de ce mal sera enlevée, demeurera encore l’opération de l’homme qui tend à Dieu comme à quelque chose de difficile. C’est pourquoi la crainte sera écartée pour ce qui est de l’acte qui consiste à craindre la séparation ; mais elle demeurera pour ce qui est d’admirer ou de révérer ce qui est ainsi difficile, ce qui se produit lorsque, considérant une telle élévation, l’homme se replie sur sa petitesse.

[12512] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 4 ad 1 Et per hoc patet solutio ad primum.

1. La réponse au premier argument ressort ainsi clairement.

[12513] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod spes ponit distantiam ad illud arduum, non autem timor; et ideo spes non manet sicut timor.

2. L’espérance met une distance par rapport à ce qui est ainsi difficile, mais non la crainte. C’est pourquoi l’espérance ne demeure pas comme la crainte.

[12514] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod subdi superiori est de perfectione creaturae, non autem de perfectione creatoris. Non enim quod est perfectionis in uno, est perfectionis in altero, et praecipue in Deo. Differt enim perfectio naturae conditae et glorificatae et increatae, ut in 2, dist. 4, dixit Magister.

3. Être soumis à ce qui est supérieur fait partie de la perfection de la créature, mais non de la perfection du Créateur. En effet, ce qui fait partie de la perfection chez l’un ne fait pas partie de la perfection chez un autre, et surtout en Dieu, car la perfection de la nature créée, glorifiée et incréée diffère, comme l’a dit le Maître dans le livre II, d. 4.

 

 

Quaestio 3

Question 3 – [Le don de force]

Prooemium

Prologue

[12515] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 pr. Deinde quaeritur de aliis duobus donis subsequentibus: et 1 quaeritur de fortitudine; 2 de pietate.

On s’interroge ensuite sur les deux autres dons suivants : 1. On s’interroge sur la force. 2. Sur la piété.

 

 

Articulus 1 [12516] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 1 tit. Utrum fortitudo quae est donum, differat a fortitudine quae est virtus

Article 1 – La force qui est un don diffère-t-elle de la force qui est une vertu ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La force qui est un don diffère-t-elle de la force qui est une vertu ?]

[12517] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod fortitudo quae est donum, non differat a fortitudine quae est virtus. Quia secundum Dionysium in Cael. Hierar., spiritualium proprietates ex nominibus nos oportet accipere. Sed habitus virtutis et doni communicant in nomine fortitudinis. Ergo communicant in proprietate; et ita videntur esse idem secundum rem.

1. Il semble que la force qui est un don  ne diffère pas de la force qui est une vertu, car, selon Denys, La hiérarchie céleste, nous devons tirer de leurs noms les propriétés des réalités spirituelles. Or, les habitus de la vertu et du don ont en commun le nom de « force ». Ils ont donc en commun ce qui leur est propre, et ainsi ils semblent être en réalité la même chose.

[12518] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, Gregorius dicit in 1 Moralium, quod fortitudo est quae dat confidentiam trepidanti; et loquitur de dono fortitudinis. Sed hoc idem pertinet ad fortitudinem quae est virtus, quia est circa timores imperturbatus virtuosus fortis, ut dicitur in 3 Ethic. Ergo sunt idem.

2. Dans les Morales, I, Grégoire dit que la force est ce qui donne confiance à celui craint, et il parle du don de force. Or, c’est la même chose qui relève de la force qui est une vertu, car l’homme vertueux fort n’est pas troublé par les craintes, comme on le dit dans Éthique, III. Ils sont donc la même chose.

[12519] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, donum, ut dictum est, differt a virtute, inquantum excedit ipsam. Sed fortitudinis virtus, cum sit circa difficillimum, quod est mors, non potest excedi ab aliquo. Ergo donum fortitudinis non differt a fortitudine virtute.

3. Comme on l’a dit, le don diffère de la vertu par le fait qu’il la dépasse. Or, la vertu de force, puisqu’elle porte sur ce qui est le plus difficile : la mort, ne peut être dépassée par quelque chose. Le don de force ne diffère donc pas de la force qui est une vertu.

[12520] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, diversorum generum et non subalternatim positorum, diversae sunt species et differentiae, secundum philosophum in antepraedicamentis. Sed donum et virtus sunt hujusmodi genera. Ergo fortitudo quae est in genere doni differt a fortitudine quae est in genere virtutis.

Cependant, [1] selon le Philosophe, dans les Antéprédicaments, les espèces et les différences des genres différents et subalternés sont différentes. Or, le don et la vertu sont des genres de cette sorte. La force qui fait partie du genre du don diffère donc de la force qui fait partie du genre de la vertu.

[12521] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, in Lib. de spiritu et anima dicitur, quod fortitudinis est non tantum terrenas cupiditates reprimere, sed penitus oblivisci. Sed cupiditates non sunt materia fortitudinis quae est virtus. Ergo oportet quod intelligatur de dono fortitudinis; et ita videtur quod non sit una fortitudo quae est donum, et quae est virtus.

[2] Dans le livre Sur l’esprit et l’âme, on dit qu’il relève de la force, non seulement de réprimer les convoitises terrestres, mais de les oublier complètement. Or, les convoitises ne sont pas la matière de la force qui est une vertu. Il faut donc qu’on l’entende du don de force. Ainsi, il semble que la force qui est un don et celle qui est une vertu ne soient pas une seule chose.

 Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Quel est l’acte de la force en cours de route ?]

[12522] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Quaeritur, quis sit actus ejus in via. Et videtur quod non habeat unum actum. Quia, sicut communiter dicitur, fortitudo exequitur in illis ad quae non omnes tenentur, in quibus etiam consilium dirigit, sicut sunt opera supererogationis. Sed haec non possunt reduci ad unum actum secundum speciem, cum hujusmodi opera fere secundum omnes virtutes inveniantur. Ergo fortitudo non habet unum actum secundum speciem.

1. On se demande quel est l’acte de la force en cours de route. Il semble qu’elle n’ait pas un seul acte, car, ainsi qu’on le dit communément, la force agit dans les choses auxquelles tous ne sont pas tenus, dans lesquelles aussi le conseil dirige, comme c’est le cas des actes surérogatoires. Or, cela ne peut se ramener à un seul acte selon l’espèce, puisque ces actes se trouvent dans presque toutes les vertus. La force n’a donc pas un seul acte selon l’espèce.

[12523] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, Gregorius dicit, quod spiritus fortitudinis est miraculis et doctrina fulgere. Sed haec duo sunt diversa genera et ad invicem, et ad alios actus, qui dono fortitudinis assignantur. Ergo idem quod prius.

2. Grégoire dit que briller par les miracles et l’enseignement relève de l’Esprit de force. Or, ces deux choses sont de genres différents l’un par rapport à l’autre et tournés vers d’autres actes qui sont attribués au don de force. La conclusion est donc la même que précédemment.

[12524] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, Augustinus dicit in Lib. de doctrina Christiana, ubi loquitur de donis, quod fortitudinis est ab omnium transeuntium mortifera jucunditate seipsum sequestrare. Gregorius autem dicit, quod fortitudo circa adversa fiduciam dat trepidanti. Sed haec duo non reducuntur ad unum genus, cum unum videatur pertinere ad materiam temperantiae, aliud autem ad materiam fortitudinis, vel patientiae. Ergo videtur quod non habeant unum actum.

3. Dans le livre Sur l’enseignement chrétien,  là où il parle des dons, Augustin dit qu’« il relève de la force de se tenir éloigné du plaisir mortel de toutes les réalités transitoires ». Mais Grégoire dit que la force donne de la confiance à celui qui tremble devant l’adversité. Or, ces deux choses ne se ramènent pas à un seul genre, puisque l’une semble se rapporter à la matière de la tempérance, mais l’autre à la matière de la force ou de la patience. Il semble donc qu’elles n’ont pas un seul acte.

[12525] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, habitus distinguuntur per actus. Sed fortitudo donum est unus habitus. Ergo habet unum actum.

Cependant, [1] les habitus se distinguent par leurs actes. Or, la force comme don est un habitus unique. Il possède donc un acte unique.

[12526] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, donum est simplicius quam virtus, cum sit sublimius. Sed fortitudo virtus habet unum actum principalem, scilicet sustinere pericula propter bonum. Ergo multo fortius donum fortitudinis habet unum actum.

[2] Le don est plus simple que la vertu, puisqu’il est plus élevé. Or, la vertu de force possède un seul acte principal : supporter des dangers en vue d’un bien. À bien plus forte raison, le don de force possède-t-il donc un seul acte.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Quel est l’acte de la force dans la patrie ?]

[12527] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Quaeritur de actu fortitudinis in patria. Et videtur quod ibi nullum actum habeat. Quia in quarta beatitudine ponitur ad statum gloriae pertinens saturari. Sed hoc non significat aliquem actum. Cum ergo quarta beatitudo dono fortitudinis adaptetur, videtur quod non habeat aliquem actum in patria.

1. Il semble qu’elle n’ait là aucun acte, car, dans la quatrième béatitude, on affirme qu’il relève de l’état de la gloire qu’on soit rassasié. Or, cela ne signifie pas un acte. Puisque la quatrième béatitude est associée au don de force, il semble donc que [celui-ci] n’ait pas d’acte dans la patrie.

[12528] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, proprium fortitudinis videtur esse difficilia sustinere. Sed in patria omnis difficultas tolletur: alias non esset ibi summa delectatio. Ergo non erit ibi actus fortitudinis.

2. Le propre de la force semble être de supporter ce qui est difficile. Or, dans la patrie, toute difficulté sera écartée, autrement il n’y aurait pas là la délectation la plus élevée. Il n’y aura donc pas là d’acte de la force.

[12529] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, fortitudinis actus ad vitam activam pertinet. Sed vita activa, ut sancti dicunt, non remanebit in patria, sed contemplativa tantum. Ergo non erit ibi actus fortitudinis.

3. L’acte de la force relève de la vie active. Or, comme le disent les saints, la vie active ne demeurera pas dans la patrie, mais seulement la [vie] contemplative. Il n’y aura donc pas là d’acte de la force.

[12530] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, habitus nihil aliud videtur esse quam habilitatio ad actum; unde Commentator dicit in 3 de anima, quod habitus est quo quis agit quando vult. Sed habitus fortitudinis manebit in patria, ut Magister supra per auctoritates probavit. Ergo et actus fortitudinis ibi erit.

Cependant, [1] un habitus ne semble consister en rien d’autre que rendre apte à un  acte. Aussi le Commentateur dit-il, dans Sur l’âme, III, que l’habitus est ce par quoi quelqu’un agit quand il le veut. Or, l’habitus de force demeurera dans la patrie, comme le Maître l’a démontré plus haut par des autorités. Il y aura donc là un acte de la force.

[12531] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 1 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, habitus sine actu est similis somno, secundum philosophum in 1 Ethic. Sed felix et beatus, ut ibi dicitur, non est similis dormienti, sed vigilanti, cum sit in ultima sua perfectione. Ergo, cum sit ibi habitus fortitudinis, erit actus.

[2] L’habitus sans acte ressemble au sommeil, selon le Philosophe, dans Éthique, I. Or, celui qui est heureux et bienheureux n’est pas semblable à quelqu’un qui dort, mais à celui qui est en état de veille, puisqu’il atteint le point le plus élevé de sa perfection. Puisqu’il y a là un habitus de force, il y aura donc un acte [de la force].

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[12532] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod dona a virtutibus, ut dictum est, differunt, inquantum dona altiori modo operantur; et secundum hoc oportet accipere differentiam doni fortitudinis a fortitudinis virtute. Modus autem unicuique ex propria mensura praefigitur, ut dictum est prius. Unde sciendum est, quod fortitudinis virtus mensuram sui actus habet humanas vires; unde ea quae supergrediuntur vires hominis, neque aggreditur, neque sustinet. Unde philosophus in 3 Ethic. dicit, quod fortis est instupefactibilis ut homo, in his scilicet terribilibus quae sunt secundum hominem. Sed donum fortitudinis habet pro mensura sui actus divinam potentiam, de cujus auxilio confidit, sicut dicitur in Psal. 17, 30: in Deo meo transgrediar murum, idest omne quod posset humanae infirmitati obviare.

Comme on l’a dit, les dons diffèrent des en ce que les dons opèrent selon un mode plus élevé ; il faut donc comprendre de cette manière la différence entre le don de force et la vertu de force. Or, le mode est déterminé pour chaque chose par sa propre mesure, comme on l’a dit antérieurement. Il faut donc savoir que la vertu de force a les forces humaines comme mesure de son acte; en conséquence, elle n’entreprend ni ne supporte ce qui dépasse les forces humaines. Aussi le Philosophe dit-il, dans Éthique, III, que le fort ne peut être étonné comme homme par les réalités terribles qui existent du point de vue de l’homme. Mais le don de force a comme mesure de son acte la puissance divine, à l’aide de laquelle il fait confiance, comme il est dit dans Ps 17, 30 : Grâce à mon Dieu, je traverserai le mur, c’est-à-dire tout ce qui peut faire obstacle à la faiblesse humaine.

[12533] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod fortitudo donum et virtus conveniunt in aliqua proprietate, quia utrumque est ad aliquid difficile sustinendum; sed non oportet quod sint omnino idem in re.

1. Le don de force et la vertu de force ont une propriété commune, car les deux visent à supporter quelque chose de difficile ; mais il n’est pas nécessaire qu’ils soient en réalité tout à fait la même chose.

[12534] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod trepidatio ex duobus potest consurgere. Uno modo tantum ex difficultate adversantium; et hanc trepidationem reprimit fortitudinis virtus. Alio modo ex difficultate adversantis simul et infirmitate hominis ad resistendum, vel etiam impotentia; et hanc trepidationem reprimit donum fortitudinis ex fiducia divini auxilii.

2. Le tremblement peut venir de deux choses. Premièrement, de la difficulté de ce qui fait obstacle seulement ; c’est ce tremblement que réprime la vertu de force. Deuxièmement, de la difficulté de ce qui fait obstacle en même temps que de la faiblesse ou même de l’impuissance de l’homme à y résister ; c’est ce tremblement que réprime le don de force par la confiance dans l’aide de Dieu.

[12535] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod virtus fortitudinis est circa difficillima secundum genus, non tamen secundum comparationem ad operantem, quia non excedunt vires ejus: sed fortitudinis donum etiam est circa illa quae excedunt humanam facultatem; nec tamen stulte, quia non excedunt facultatem divinae potentiae cui donum illud innititur.

3. La vertu de force porte sur ce qui est le plus difficile par son genre, mais non cependant si on le compare à celui qui agit, car cela ne dépasse pas ses forces. Mais le don de force porte aussi sur ce qui dépasse les capacités humaines, non pas sottemenet toutefois, car cela ne dépasse pas la capacité de la puissance divine sur laquelle s’appuie ce don.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[12536] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod quanto aliqua potentia altior est, tanto ad plura se extendit. Et quia humana facultas est infirma respectu divinae facultatis, ideo ad diversas difficultates sunt ordinatae diversae humanae facultates, et quandoque separantur ab invicem; aliquis enim habet facultatem ut facile superare possit difficultates quae sunt in delectationibus, qui tamen non facile superare potest difficultates quae sunt in passionibus illatis; et sic de aliis. Sed divina facultas est una et eadem respectu omnium praedictarum difficultatum. Et ideo, quia fortitudinis virtus facultati humanae innititur, non est respectu omnium difficultatum, sed respectu aliquarum, quae sunt maximae in genere humanarum; unde excellenter fortitudinis nomen habet: ad alias autem difficultates sunt ordinatae aliae virtutes, quae sunt facultates quaedam. Sed fortitudinis donum utitur divina voluntate quasi sua, secundum quod in Psal. 17, 1, dicitur: diligam te domine virtus mea; et ideo unum donum fortitudinis se extendit ad omnes difficultates quae in humanis rebus possunt accidere etiam supra facultatem humanam, sicut apostolus dicebat Philipp. ult., 13: omnia possum in eo qui me confortat. Et ideo oportet actum doni fortitudinis accipere circa omnia difficilia proportionabiliter actui fortitudinis circa quaedam difficilia. Cum autem fortitudo virtus sit circa timores et audacias, habet duos actus: unum qui est aggredi, inquantum moderatur audacias; alium qui est sustinere, inquantum moderatur timores. Sed hic actus est principalior, inquantum difficilius est sustinere difficultates praesentes quam tendere in absentes. Et similiter actus doni fortitudinis principalis est sustinere omnes difficultates sive in passionibus sive in operationibus; et ad hunc ordinatur alius actus qui est difficilia et ardua aggredi spe divini auxilii. Hi autem duo actus non differunt secundum speciem, quia unus ad alium ordinatur, et eadem est ratio dirigendi in ipsis; et ideo donum fortitudinis habet unum actum secundum speciem.

Plus une puissance est élevée, plus le nombre de choses auxquelles elle s’étend est grand. Parce que la puissance humaine est faible en regard de la puissance divine, les différentes capacités humaines sont donc ordonnées à des difficultés différentes, et elles sont parfois séparées l’une de l’autre. En effet, quelqu’un a la capacité de l’emporter en matière de plaisirs, qui ne peut facilement l’emporter sur les souffrances qui lui sont imposées. Et il est en de même pour les autres. Or, la puissance divine est unique et identique en regard de toutes les difficultés mentionnées. Parce que la vertu de force s’appuie sur la puissance humaine, elle ne porte donc pas sur toutes les difficultés, mais sur certaines qui sont les plus grandes dans le genre des [difficultés] humaines. Aussi porte-t-elle par excellence le nom de force ; mais les autres vertus, qui sont des aptitudes, sont ordonnées à d’autres difficultés. Mais le don de force fait usage de  la volonté divine comme de la sienne, selon ce qui est dit en Ps 17, 1 : Je t’aimerai, Seigneur, ma force. C’est pourquoi l’unique don de force s’étend à toutes les difficultés qui peuvent survenir dans les affaires humaines, même au-delà de la puissance humaine, comme l’Apôtre le disait dans Ph 4, 13 : Je puis tout en Celui qui me rend fort. C’est pourquoi il faut concevoir le don de force par rapport à toutes les difficultés d’une manière proportionnelle en regard de [la vertu] de force par rapport à certaines difficultés. Mais puisque la vertu de force porte sur les craintes et les audaces, elle a deux actes : l’un qui consiste à attaquer, dans la mesure où elle modère les audaces ; l’autre qui consiste à supporter, dans la mesure où elle modère les craintes. Mais ce dernier acte est le principal pour autant qu’il est plus difficile de supporter les difficultés présentes que de tendre vers [des difficultés] absentes. De même, l’acte principal du don de force consiste-t-il à suppporter toutes les difficultés, soit pour les passions, soit pour les opérations ; c’est à lui qu’est ordonné un autre acte qui consiste à s’attaquer à des choses difficiles et pénibles avec l’espérance de l’aide divine. Or, ces deux actes ne diffèrent pas selon l’espèce, car l’un est ordonné à l’autre et la raison de diriger est la même même chez eux. C’est pourquoi le don de force a un seul acte selon l’espèce.

[12537] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod quia supererogationis opera maxime videntur habere difficultatem humanas vires excedentem, ideo praecipue circa illa dicitur esse donum fortitudinis: nihilominus est et circa alias difficultates, circa quas est etiam virtus communiter, sed non eodem modo, ut dictum est.

1. Parce que les actes surérogatoires semblent comporter une difficulté qui dépasse les forces humaines, on dit du don de force qu’il porte principalement sur ces choses ; il porte néanmoins sur les autres difficultés sur lesquelles porte la vertu de manière générale, mais non de la même manière, comme on l’a dit.

[12538] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ad virtutem fortitudinis pertinet aliquid dupliciter. Uno modo sicut principale objectum vel actus, sicut mortis pericula quae propter bonum sustinentur. Alio modo sicut instrumenta, vel auxilia, quibus indiget fortis ad suum actum, ut arma et societates bellantium. Ita etiam donum respicit ipsas difficultates quae sunt in passionibus et in operationibus humanis principaliter, sed miracula et doctrinam quasi auxilia ad suum actum; sicut patet in apostolis, qui miraculis et doctrina totum mundum sub fide captivum duxerunt in obsequium Christi; et secundum hoc dicit Gregorius, quod ad donum fortitudinis pertinet miraculis et doctrina fulgere.

2. Quelque chose relève de la vertu de force de deux manières. Premièrement, comme son objet propre ou son acte : ainsi, les dangers de mort qui sont supportés en vue d’un bien. Deuxièmement, comme des instruments ou des aides dont le fort a besoin pour son acte : ainsi, les armes et les regroupements de combattants. De même aussi, le don concerne les diffficultés qui existent dans les passions et les opérations humaines d’une manière principale, mais [il concerne] les miracles et l’enseignement comme des aides en vue de son acte. Cela ressort clairement chez les apôtres, qui, par des miracles et par l’enseignement, ont rendu captif par la foi le monde entier au service du Christ. C’est ainsi que Grégoire dit qu’il appartient au don de force de briller par les miracles et l’enseignement.

[12539] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illa quamvis pertineant ad diversas virtutes, possunt tamen pertinere ad unum donum, ut dictum est; et sic sunt idem objectum specie, secundum quod specificantur inde unde specificatur donum.

3. Même si cela peut relever de diverses vertus, cela peut cependant relever d’un seul don, comme on l’a dit. Il s’agit donc du même objet selon l’espèce, selon que qu’elles tirent leur spécificité interne de ce qui spécifie le don.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[12540] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod quicumque operatur secundum aliquam mensuram, oportet quod habeat aliquem actum secundum quem respicit ad mensuram illam, et aliquem secundum quem respicit ad mensuratum. Unde cum fortitudo mensuret actum suum circa difficultates ex divina potestate, habet aliquem actum in comparatione ad difficultates quas sustinet vel aggreditur, et aliquem in comparatione ad divinam potestatem, cui innititur; et primus actus non erit in patria, ubi difficultas nulla erit; sed secundus erit ibi, quia perfectissime divinae potentiae innitetur.

Quiconque agit selon une mesure doit posséder un acte selon lequel il considère cette mesure et un acte selon lequel il considère ce qui est mesuré. Puisque la force mesure les difficultés de son acte à partir de la puissance divine, elle a donc un acte par rapport aux difficultés qu’elle supporte ou attaque, et un acte par rapport à la puissance divine sur laquelle elle s’appuie. Le premier acte n’existera pas dans la patrie, où il n’y aura aucune difficulté. Mais le second s’y trouvera, car elle s’appuiera sur la puissance divine de la manière la plus parfaite.

[12541] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod etiam in corporalibus quamvis saturitas non nominet aliquem actum, tamen aliquid praesupponit, scilicet sumptionem cibi; ita et saturitas quae ibi ponitur, quae est repletio omnium ex quorum defectu difficultas contingebat, praesupponit quemdam spiritualem esum, secundum quem homo ab ipsa divina potentia bona praedicta sumit, ei innixus.

1. Même dans les réalités corporelles, bien que la satiété ne désigne pas un acte, elle suppose cependant quelque chose : la prise de nourriture. De même, la satiété qui est indiquée là, qui consiste à être comblé de tout ce dont le manque constituait une difficulté, présuppose une certaine alimentation spirituelle, par laquelle l’homme reçoit des biens de la puissance divine elle-même, en s’appuyant sur elle.

[12542] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis vita activa non maneat quantum ad sui essentiam, manet tamen quantum ad sui mensuram in finem: quia in his quae activae vitae sunt, ex ipsa divina veritate regulamur.

2. Bien que la vie active ne demeure pas quant à son essence, elle demeure cependant quant à sa mesure par rapport à la fin, car nous sommes soumis à la règle de la vérité divine elle-même pour ce qui relève de la vie active.

[12543] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium patet solutio ex praedictis.

3. La réponse au troisième argument ressort clairement de ce qui a déjà été dit.

Articulus 2 [12544] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 2 tit. Utrum pietas sit donum

Article 2 – La piété est-elle un don ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La piété est-elle un don ?]

[12545] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod pietas non sit donum. Donum enim immediatius ordinat ad Deum quam virtus. Sed pietas quae est virtus, immediate in Deum ordinat: quia secundum Augustinum in 10 de Civit. Dei, proprie pietas Dei cultus solet intelligi, quam Graeci theosebiam vocant. Ergo pietas non est donum, cum non conjungat Deo immediatius quam pietatis virtus.

1. Il semble que la piété ne soit pas un don. En effet, le don ordonne à Dieu de manière plus immédiate que la vertu. Or, la piété qui est une vertu ordonne à Dieu de manière immédiate, car, selon Augustin, dans La cité de Dieu, X, au sens propre, on a coutume de comprendre que la piété est le culte de Dieu, que le Grecs appellent théosébeia. La piété n’est donc pas un don, puisqu’elle n’unit pas à Dieu de manière plus immédiate que la vertu de piété.

[12546] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, pietas secundum Gregorium in 1 Moralium, est quae docet opera misericordiae frequentare. Haec autem pietas videtur esse idem cum misericordia, quae est virtus. Ergo cum Gregorius ibi loquatur de pietate quae ponitur donum, videtur quod pietas quae ponitur donum, sit virtus. Nulla autem virtus est donum. Ergo pietas nullo modo potest esse donum.

2. Selon Grégoire, dans Morales, I, c’est la piété qui enseigne à pratiquer les œuvres de miséricorde. Or, cette piété être la même chose que la miséricorde, qui est une vertu. Puisque Grégoire parle là de la piété qui est mise comme un don, il semble donc que la piété qui est mise comme un don soit une vertu. Or, aucune vertu n’est un don. La piété ne peut donc d’aucune manière être un don.

[12547] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, pietas, secundum Tullium, est benevolentia in parentes; et ponit eam partem justitiae. Sed justitia est virtus. Ergo et pietas: ergo non est donum.

3. Selon Tullius [Cicéron], la piété est la bienveillance à l’égard des parents : il en fait une partie de la justice. Or, la justice est une vertu. Donc, la piété aussi. Elle n’est donc pas un don.

[12548] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Isai. 11: ibi enim inter dona computatur.

Cependant, [1] ce qui est dit en Is 11 va à l’encontre de cela : en effet, elle est comptée là parmi les dons.

 [12549] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, pietas videtur esse excellentissimum in tota Christiana vita: quia ad omnia valet, ut dicitur 1 Tim. Et hoc etiam dicit ibi Glossa Ambrosii. Ergo pietas maxime debet poni donum.

[2] La piété semble être ce qu’il y a de plus élevé dans toute la vie chrétienne, car elle sert à tout, comme il est dit en 1 Tm. La glose d’Ambroise dit aussi la même chose au même endroit. La piété surtout doit donc être présentée comme un don.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La piété qui existe sur la route a-t-elle un seul acte selon l’espèce ?]

[12550] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Quaeritur de actu pietatis quam habet in via. Et videtur quod non habeat unum actum secundum speciem. Augustinus enim in Lib. de Doct. Christiana dicit, quod pietatis est honorare sanctos, non contradicere Scripturae, sive intellectae, sive non intellectae: et loquitur ibi de dono pietatis: quod patet ex his quae dicit in quodam sermone de Trinitate, ubi eumdem actum attribuit pietati, ad quem secundo loco inter dona ascenditur. Gregorius autem assignat ei pro actu misericordiae operibus insistere. Ergo cum ista duo non reducantur in idem genus, videtur quod actus pietatis non sit in idem secundum speciem.

1. Il semble que la piété qui existe sur la  route n’ait pas un seul acte selon l’espèce. En effet, Augustin dit, dans le livre Sur l’enseignement chrétien, qu’il relève de la piété d’honorer les saints, de ne pas contredire l’Écriture, qu’on la comprenne ou non ; et il parle là du don de piété, ce qui ressort de ce qu’il dit dans un sermon sur la Trinité, où il attribue le même acte à la piété, qui est comptée parmi les dons au deuxième endroit. Or, Grégoire attribue comme acte [à la piété] de s’adonner aux œuvres de miséricorde. Puisque ces deux choses ne se ramènent pas au même genre, il semble donc que l’acte de la piété ne soit pas le même selon l’espèce.

[12551] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, pietas, ut communiter dicitur, in eisdem exequitur in quibus scientia dirigit. Sed scientia dirigit in omnibus actibus humanis, quia docet conversari sine offensione in medio pravae et perversae nationis. Ergo et pietas est circa omnes humanos actus; et ita non habet solum unum actum in specie.

2. Comme on le dit communément, la piété exécute les mêmes choses que la science dirige. Or, la science dirige tous les actes humains, car elle enseigne à se comporter sans offense au sein d’une nation mauvaise et perverse. La piété aussi porte donc sur tous les actes humains. Elle n’a donc pas un seul acte selon l’espèce.

[12552] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, secunda beatitudo qua dicitur beati mites, ad pietatem reducitur. Sed mititas, sive mansuetudo, est circa passiones irae, ut philosophus dicit in 4 Ethic. Ergo et circa eadem est pietas. Sed ipsa est etiam in communicationibus quae sunt ad alterum, ut patet per auctoritatem Gregorii inductam. Cum ergo haec duo non reducantur ad idem genus, videtur quod pietas non habeat unum actum secundum speciem.

3. La deuxième béatitude, dans laquelle il est dit : Bienheureux les doux, se ramène à la piété. Or, la douceur ou la tendresse porte sur les passions de la colère, comme le dit le Philosophe dans Éthique, IV. La piété porte donc sur les mêmes choses. Or, celle-ci s’exerce aussi dans les rapports avec les autres, comme cela ressort clairement de l’autorité de Grégoire qui a été invoquée. Puisque ces deux choses ne se ramènent pas au même genre, il semble donc que la piété n’ait pas un seul acte selon l’espèce.

[12553] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, est unus habitus. Ergo habet unum actum principalem.

Cependant, il y a un seul habitus. Elle a donc un seul acte principal.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Quel est l’acte du don de piété dans la patrie ?]

[12554] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Quaeritur de actu ejus in patria. Et videtur quod non habeat ibi aliquem actum. Quia pietas in communicationibus consistit quae ad alterum sunt. Sed hujusmodi communicationes non erunt in patria, quia omnes sufficientiam ibi a Deo accipient: propter insufficientiam enim uniuscujusque in se introductae sunt communicationes, ut patet per philosophum in 5 Ethic. Ergo non erit ibi pietatis actus.

1. Il semble qu’il n’ait pas d’acte en cet endroit, car la piété porte sur les échanges avec un autre. Or, ces échanges n’auront pas lieu dans la patrie, car tous trouveront là en Dieu ce qui leur suffit. En effet, c’est en raison de l’insuffisance de chacun que les échanges ont été établis, comme cela ressort de ce que dit le Philosophe dans Éthique, V. Il n’y aura donc pas là d’acte de piété.

[12555] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, ad pietatem pertinet misericordiae opera frequentare, ut dictum est per auctoritatem Gregorii. Sed ibi non erunt opera misericordiae, ubi nulla erit miseria. Ergo actus pietatis non erit in patria.

2. Il relève de la piété de s’adonner aux œuvres de miséricorde, comme on l’a dit en suivant l’autorité de Grégoire. Or, il n’y aura pas là d’œuvres de miséricorde, alors qu’il n’y aura aucune misère. Il n’y aura donc pas d’acte de piété dans la patrie.

[12556] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, in secunda beatitudine, quae pertinet ad pietatem, ponitur quantum ad statum patriae, possessio terrae. Sed hoc non videtur aliquem actum importare. Ergo pietas in patria nullum actum habebit.

3. Dans la deuxième béatitude, qui se rapporte à la piété, la possession de la terre est indiquée pour ce qui est de l’état de la patrie. Or, cela ne semble pas comporter d’acte. La piété dans la patrie n’aura donc pas d’acte.

[12557] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, justitiae virtus magis videtur in patria permanere quam fortitudo, ut prius dictum est. Cum ergo donum fortitudinis, quod respondet virtuti fortitudinis, habeat aliquem actum in patria: multo fortius pietas, quae respondet justitiae, ut videtur.

Cependant, [1] la vertu de justice semble davantage demeurer dans la patrie que la force, comme on l’a dit antérieurement. Puisque le don de force, qui est en rapport avec la vertu de force, possède un acte dans la patrie, à bien plus forte raison donc la piété, qui est en rapport avec la justice, [en possédera-t-elle un], semble-t-il.

[12558] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, in patria nihil erit otiosum et frustra. Sed habitus frustra esset, si non in actum exiret, quia operatio est finis habitus. Cum ergo habitus doni pietatis in patria maneat, et actus ejus ibidem manebit.

[2] Dans la patrie, rien ne sera inactif et inutile. Or, un habitus serait inutile s’il ne passait pas l’acte, car l’opération est la fin de l’habitus. Puisque l’habitus du don de piété demeure dans la patrie, son acte aussi y demeurera donc.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[12559] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod tota moralis materia in tres partes dividitur: scilicet in delectabilia, quae carnalis affectus prosequitur; in difficilia, quae refugit; et in communicabilia, quae ad alterum sunt, quae potius in actione quam passione consistunt. In singulis ergo eorum dirigit et donum et virtus, sed differenter. Virtus enim dirigit in his accipiens regulam aliquid humanum, sed donum accipiens pro regula aliquid divinum. In delectationibus ergo virtute dirigimur quasi dignitate humanae naturae, cujus deturpationem per temporales delectationes refugimus; sed dono dirigimur quasi regula ipsa dignitate divina, a qua separari per inquinationem hujusmodi bonorum refugimus; quod ad timorem pertinet. Similiter patet ex dictis, art. 1, quaestiunc. 1, quod differenter dirigit donum fortitudinis a virtutibus, quae ad difficultates sustinendas vel aggrediendas ordinantur. Et similiter contingit in communicationibus quae ad alterum sunt: quia in his dirigunt virtutes, accipientes pro mensura aliquid humanum, puta observantes decentiam, vel debitum ejus qui communicationes facit; sed donum accipit in his regulam ipsum Deum, ut sicut dictum est, quod in fortitudine homo aggreditur difficilia utens divina potentia per confidentiam quasi sua; ita communicat se ad alterum utens Deo quasi seipso, ut scilicet ea quae ipsum decent in hujusmodi communicationibus, quasi Deo unitus exequatur. Unde dominus, Matth. 5, ad beneficentiam caelestis patris hortatur, qui solem suum facit oriri super bonos et malos. Et quia communicatio quae ad divina est, nomen pietatis habet; ideo et donum quod in communicationibus divinam mensuram habet, pietas nominatur.

Toute la matière morale se divise en trois parties : ce qui peut être objet de délectation, que recherch l’affectivité charnelle ; ce qui est difficile, que [celle-ci] fuit ; ce qui peut être objet d’échanges, qui concerne les autres et qui consiste plutôt dans l’action que dans la passion. Dans chacune d’elles, un don et une vertu dirigent, mais de manière différente. En effet, la vertu dirige en acceptant comme règle dans ces [matières] quelque chose d’humain, mais le don, en acceptant comme règle quelque chose de divin. Dans les délectations, nous sommes donc dirigés par la vertu pour ainsi dire par  la dignité de la nature humaine, dont nous fuyons la souillure par les plaisirs temporels ; mais nous sommes dirigés par le don comme par une règle pour ainsi dire par la dignité divine, dont nous fuyons la séparation par la souillure de ces biens, ce qui relève de la crainte. De même ressort-il de ce qui a été dit, a. 1, qa 1, que le don de force dirige de manière différente que les vertus, qui sont ordonnées à supporter ou à attaquer les difficultés. Il en est de même dans les échanges qui concernent un autre, car les vertus dirigent dans ceux-ci en prenant pour mesure quelque chose d’humain, par exemple, la décence ou ce qui est dû par celui qui accomplit les échanges ; mais le don prend en cela comme règle Dieu lui-même, de sorte que, ainsi qu’on l’a dit, l’homme s’attaque aux choses difficiles par la force en faisant usage, par la confiance, de la puissance divine comme si elle était la sienne ; ainsi, il se donne en échange à un autre en faisant usage de Dieu comme s’il était lui-même, de sorte que ce qui lui convient dans de tels échanges, il l’accomplit en tant qu’uni à Dieu. De là vient que le Seigneur, en Mt 5, exhorte à se montrer bon comme le Père céleste, qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants. Et parce que l’échange qui concerne les réalités divines porte le nom de piété, le don qui comporte une mesure divine dans les échanges s’appelle donc la piété.

[12560] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod donum immediatius ordinat ad Deum quantum ad modum operandi, sive mensuram operis, quam virtus; non autem quantum ad objectum vel finem. Quamvis ergo pietas virtus, quae latria dicitur, ipsi Deo exhibeatur; in hoc tamen accipit aliquid humanum pro mensura, scilicet beneficium a Deo acceptum, ratione cujus est debitor ei: sed pietas quae est donum, accipit in hoc aliquid divinum pro mensura, ut scilicet Deo honorem impendat, non quia sit ei debitus, sed quia Deus honore dignus est, per quem modum etiam ipse Deus sibi honori est.

1. Le don ordonne à Dieu de manière plus immédiate que la vertu du point de vue de la manière d’agir ou de la mesure de l’action, mais non du point de vue de l’objet ou de la fin. Bien que la vertu de piété, appelée latrie, soit manifestée à Dieu lui-même, elle prend cependant pour mesure quelque chose d’humain : un bienfait reçu de Dieu, en raison duquel elle est débitrice envers lui. Mais la piété qui est un don prend comme mesure en cela quelque chose de divin : rendre honneur à Dieu, non pas parce qu’il lui est dû, mais parce que Dieu est digne d’honneur. De cette manière, Dieu est honoré pour lui-même.

[12561] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod pietas donum in hoc differt a misericordia, quia misericordia studet ad relevandas miserias proximorum ex hoc quod sunt conjuncti vel sanguine, vel familiaritate, vel saltem naturae similitudine, in omnibus aliquid humanum pro mensura accipiens, sicut aliae virtutes; sed pietas donum movetur ad relevandas eorum miserias ex aliquo divino; scilicet inquantum sunt filii Dei, vel divina similitudine insigniti; unde et magis proprie nomen pietatis habet, quae divinum quid sonat: quamvis et ipsa misericordia, secundum Augustinum 10 de Civit. Dei, more vulgi pietas dicatur: quod ideo accidit, quia eam sibi Deus quasi sacrificium placere testatur. Unde et philosophus dicit in 4 Ethic., quod dona habent aliquid simile Deo sacratis.

2. Le don de piété diffère de la miséricorde en ce que la miséricorde s’efforce de soulager la misère du prochain parce qu’ils sont unis par le sang, par la participation à la famille ou au moins par une ressemblance naturelle ; elle prend en tout cela comme mesure quelque chose d’humain, comme les autres vertus. Mais le don de piété est mû à soulager la misère par quelque chose de divin, à savoir, que ce sont des fils de Dieu ou qu’ils sont marqués de la ressemblance divine. Aussi porte-t-il d’une manière plus propre le nom de piété, qui évoque quelque chose de divin, bien que la miséricorde, selon Augustin, La cité de Dieu, X, soit communément appelée piété : cela vient de ce qu’il attesté qu’elle plaît à Dieu comme sacrifice. Aussi le Philosophe dit-il, dans Éthique, IV, que les dons ont quelque chose de semblable aux sacrifices faits à Dieu.

[12562] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod etiam in parentibus est aliquid divinum respectu filiorum, inquantum ipsi filiis causa sunt essendi; et ideo virtus beneficentiae ad ipsos, pietas vocatur: accipit tamen mensuram aliquid humanum, ut dictum est, in quo differt a dono.

3. Chez les parents aussi, il y a quelque chose de divin par rapport à leurs enfants, dans la mesure où ils sont eux-mêmes la cause de l’être pour leurs enfants. C’est pourquoi la vertu de bienfaisance à leur égard est appelée piété. Cependant, elle prend comme mesure quelque chose d’humain, ainsi qu’on l’a dit, en quoi elle diffère du don.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[12563] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod pietas donum uno et eodem modo dirigit in communicationibus omnibus quae ad alterum sunt, aliam tamen mensuram accipiens quam virtutes: quae mensura, quia simplex est et una, ideo pietas unus habitus est specialis: et ex comparatione ad hanc mensuram omnis ejus actus specificatur.

Le don de piété dirige d’une seule et même manière dans tous les échanges avec un autre, en prenant cependant une autre mesure que les vertus. Cette mesure, parce qu’elle est simple et unique, fait donc que la piété est un seul habitus particulier. C’est par comparaison avec cette mesure que tous ses actes sont spécifiés.

[12564] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod donum pietatis operatur et in materia latriae et in materia misericordiae, quamvis alio modo ab eis; et ideo non est inconveniens, si illa duo ad pietatem pertinent: exhibere enim reverentiam sacrae Scripturae et aliis divinis, ad latriam pertinere videtur.

1. Le don de piété agit en matière de latrie et en matière de miséricorde, bien que d’une autre manière qu’elles. C’est pourquoi il n’est pas inapproprié que ces deux choses relèvent de la piété : en effet, manifester de la révérence envers la Sainte Écriture et les autres réalités divines semble relever de la latrie.

[12565] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod scientia dirigit in omnibus humanis, in quibus exequuntur et timor et pietas et fortitudo; sed per quamdam adaptationem scientia et pietas combinantur: quia in his quae ad alterum sunt, homo operans quasi judicium quoddam exercet: judicium autem et imperium de agendis ad scientiam pertinet, sicut ad prudentiam: et similiter per quamdam adaptationem fortitudini consilium combinatur: quia in rebus difficilibus, in quibus habet fortitudo executionem, praecipue consilia inquirimus, quamvis consilium in omnibus humanis dirigat.

2. La science dirige dans toutes les choses humaines pour lesquelles crainte, piété et force sont mises en œuvre. Mais la science et la piété sont combinées par une certaine adaptation, car, pour ce qui se rapporte à un autre, l’homme qui agit exerce pour ainsi dire un jugement. Or, le jugement et le commandement sur ce qu’il faut faire relève de la science comme de la prudence. De même, le conseil est-il combiné à la force par une certaine adaptation, car c’est dans  les choses difficiles, où l’exécution relève de la force, que nous cherchons surtout conseil, bien que le conseil dirige dans toutes les choses humaines.

[12566] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ira et perturbat hominem in seipso, et commovet eum ad alium, inquantum est appetitus vindictae; et per consequens mansuetudo hominem et in seipso perficit et ad alterum; et ex hac parte mititas ad pietatem reducitur.

3. La colère trouble l’homme en lui-même et le meut envers un autre, dans la mesure où elle est un désir de vengeance. Par conséquent, la douceur perfectionne l’homme en lui-même et envers un autre. De ce point de vue, la douceur se ramène donc à la piété.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[12567] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod de actu pietatis plus potest in patria remanere quam de actu fortitudinis: potest enim non tantum remanere actus qui est per comparationem ad mensuram quam pietas donum attendit, scilicet adhaerere ipsi Deo; sed etiam actus qui est per comparationem ad eos quibus beneficia praestare paratus erat secundum affectum, ut scilicet benevolentiam ad eos servet, et de eorum bonis congaudeat, et de suis etiam largiatur secundum modum istius vitae, secundum quem superiores aliquid influunt inferioribus, secundum doctrinam Dionysii.

Dans la patrie, quelque chose de l’acte de la piété peut davantage demeurer que de l’acte de la force. En effet, peut demeurer non seulement l’acte posé par comparaison à la mesure que le don de piété considère, à savoir, adhérer à Dieu lui-même, mais aussi l’acte posé par comparaison à ceux à qui il était disposé à accorder des bienfaits selon une disposition affective, à savoir, leur garder sa bienveillance, se réjouir avec eux de leurs biens et leur dispenser des siens selon le mode de cette vie, d’après lequel les êtres supérieurs exercent une influence sur les êtres inférieurs, selon l’enseignement de Denys.

[12568] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non erit communicatio ad supplendam indigentiam, sed ad augendam laetitiam.

1. Il n’y aura pas d’échange pour combler une indigence, mais pour augmenter la joie.

[12569] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod loquitur de pietate secundum actum quem habet in via.

2. Il parle de la piété selon l’acte qu’elle a en cours de route.

[12570] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod possessio terrae praesupponit haustum sufficientiae a Deo, per quem possint in alios influere vel secundum affectum vel secundum effectum.

3. La possession de la terre présuppose qu’on ait suffisamment puisé en Dieu, par qui on pourra exercer une influence sur d’autres, soit par une disposition affective, soit par l’effet.

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 34

[12571] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 2 qc. 3 expos. Hic timor malus est. Non enim quandocumque timetur periculum carnis, dicitur timor humanus; neque quando timetur amissio boni temporalis, dicitur timor mundanus; sed tantum quando talis timor est inordinatus; et ideo semper sonat in malum. Cum supra Beda duos dixerit esse timores. Beda distinxit timores secundum quod retrahunt a malo culpae, et distinxit secundum retrahentia, quae sunt duo, poena futura, et separatio a Deo. Sed Magister distinxit timores secundum inclinationes ad malum et secundum retractionem, non solum quantum ad motiva, sed etiam quantum ad status. Sed eo quod mala times, corrigis te. Contra. Augustinus dicit, quod in timore servili manet voluntas peccandi. Ergo non corrigit se. Et dicendum, quod manet voluntas non absoluta, sed conditionata, quae velleitas dicitur, ut scilicet peccaret, si impune liceret. Sciendum tamen, quod uterque timor, scilicet servilis et initialis, in Scripturae diversis locis dicitur initium sapientiae. Videtur hoc esse falsum: quia sapientia est perfectius donum quam timor, et ita timor non est principium ejus. Et dicendum, quod non est principium sicut creans essentiam ejus, sed sicut dispositio ad ipsam, a quo incipit motus in sapientiam perveniens.

 

 

 

Distinctio 35

Distinction 35 – [La vie active et la vie contemplative]

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [La vie active et la vie contemplative]

Prooemium

Prologue

[12572] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de donis, hic ostendit differentiam quorumdam donorum ad invicem, quae maxime convenire videntur, idest sapientiae, scientiae, et intellectus; et dividitur in partes duas: in prima assignat differentiam; in secunda removet quaedam dubia, ibi: et notandum quod intellectus et scientia quae dicuntur dona spiritus sancti alia sunt ab intellectu et scientia quae naturaliter sunt in hominis anima. Circa primum duo facit: primo assignat differentiam inter scientiam et sapientiam; secundo inter sapientiam et intellectum, ibi: ostensa differentia inter sapientiam et scientiam. Et notandum et cetera. Hic removet quaedam dubia; et primo circa scientiam et intellectum; secundo circa sapientiam, ibi: illud etiam sciendum, quod sapientia de qua nunc disserimus, non est illa Dei sapientia quae Deus est. Hic est duplex quaestio. Primo de vita activa et contemplativa. Secundo de donis perficientibus in utraque vita. Circa primum quaeruntur quatuor: 1 de divisione vitae in activam et contemplativam; 2 de vita contemplativa; 3 de activa; 4 de comparatione unius ad aliam.

Après avoir déterminé des dons, le Maître montre ici la différence entre certains dons, qui semblent le plus se rejoindre : la sagesse, la science et l’intelligence. Cela se divise en deux parties : dans la première, il indique la différence ; dans la seconde, il écarte certains doutes, à cet endroit : « Et il faut noter que l’intelligence et la science, qu’on appelle dons du Saint-Esprit, sont différentes de l’intelligence et de la science qui existent naturellement dans l’âme de l’homme. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il indique la différence entre la science et la sagesse ; deuxièmement, entre la sagesse et l’intelligence, à cet endroit : « Après avoir montré la différence entre la sagesse et la science… » « Et il faut noter, etc… » Il écarte ici certains doutes : premièrement, à propos de la science et de l’intelligence ; deuxièmement, à propos de la sagesse, en cet endroit : « Il faut aussi savoir que la sagesse dont nous parlons n’est pas la sagesse qui est Dieu. » Il y a ici deux questions : la première, sur la vie active et la vie contemplative ; la deuxième, sur les dons qui sont à l’œuvre dans les deux vies. À propos du premier point, quatre questions sont posées : 1. À propos de la division de la vie en active et contemplative. 2. À propos de la vie contemplative. 3. À propos de la vie active. 4. À propos de la comparaison de l’une avec l’autre.

 

 

Articulus 1 [12573] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 1 tit. Utrum vita convenienter dividatur per activam et contemplativam

Article 1 – La vie est-elle divisée de manière appropriée en active et contemplative ?

[12574] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod vita inconvenienter dividatur per activam et contemplativam. Vivere enim, ut dicit philosophus in 2 de anima, viventibus est esse. Sed contemplativum et activum non ostendunt differentiam in essendo, sed magis in operando. Ergo non sunt differentiae vitae.

1. Il semble qu’il soit inapproprié de diviser la vie en active et contemplative. En effet, comme le dit le Philosophe dans Sur l’âme, II, vivre, c’est être pour les vivants. Or, « contemplatif » et « actif » ne mettent pas en évidence une différence dans l’être, mais plutôt dans l’agir. Ce ne sont donc pas des différences de la vie.

[12575] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, philosophus, in 2 de anima, dicit: vivere secundum hoc principium, scilicet animam vegetabilem, inest viventibus. Sed anima vegetabilis nullo modo participat contemplationem, neque etiam agere ipsius est, sicut dicitur in 6 Ethic. Ergo vita inconvenienter dividitur per activam et contemplativam.

2. Dans Sur l’âme, II, le Philosophe dit : « Vivre selon ce principe, à savoir, selon l’âme végétative, est intrinsèque aux vivants ». Or, l’âme végétative ne participe aucunement à la contemplation, elle n’est pas non plus son acte propre, comme on le dit dans Éthique, VI. La vie est donc divisée de manière inappropriée en active et contemplative.

[12576] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, in Lib. de causis dicitur, quod vita est continuus motus ab ente sempiterno. Sed motus operationem importat. Cum ergo omnis operatio sit actio quaedam, videtur quod omnis vita sit activa; et ita non erit differentia vitae activum.

3. Dans le livre Sur les causes, on dit que la vie est un mouvement continu issu de l’être éternel. Or, le mouvement comporte une opération. Puisque toute opération est une action, il semble donc que tout vie soit active. Ainsi, ce qui est actif dans la vie ne sera pas une différence.

[12577] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, philosophus, in 2 de anima, dividit vivere in quatuor, scilicet nutriri, sentire, et moveri secundum locum, et intelligere. Ergo insufficienter dividitur per has duas differentias, activum et contemplativum.

4. Dans Sur l’âme, II, le Philosophe divise l’action de vivre en quatre : se nourrir, sentir, se mouvoir localemenet et intelliger. [La vie] est donc insuffisamment divisée par ces deux différences : ce qui est actif et ce qui est contemplatif.

[12578] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, Augustinus, in Lib. de Civ. Dei, apponit tertium membrum, scilicet compositum ex utroque. Ergo videtur quod insufficienter dividatur per activum et contemplativum.

5. Dans le livre La cité de Dieu, Augustin ajoute un troisième membre : un composé des deux. Il semble donc que [la vie humaine] soit divisée de manière insuffisante en active et contemplative.

[12579] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed in contrarium sunt multae auctoritates sanctorum, quae dicunt per Martham et Mariam, Luc. 10, signari duas vitas, activam et contemplativam.

Cependant, [1] beaucoup d’autorités des saints vont en sens contnraire : elles disent que, par Marthe et Marie, Lc 10, les deux vies sont indiquées : l’active et la contemplative.

 [12580] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, vita hominis est secundum id a quo homo est homo. Hoc autem est intellectus. Cum ergo intellectus dividatur in activum et contemplativum, idest speculativum et practicum, videtur quod humana vita in haec duo dividi debeat.

[2] La vie de l’homme est conforme à ce par quoi l’homme est homme. Or, cela est l’intelligence. Puisque l’intelligence se divise en active et contemplative, c’est-à-dire spéculative et pratique, il semble donc que la vie humaine doive être divisée entre ces deux choses.

[12581] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 1 s. c. 3 Praeterea, secundum philosophum in 9 Ethic. illud dicitur esse uniuscujusque vita in quo maxime studet, sicut militis in pugnando, et ebriosi in potando; unde et in talibus ad amicos convivere volunt. Sed hoc in quo maxime studet quis, est illud quod finem suae vitae ponit. Cum igitur finis humanae vitae felicitas ponatur, quae secundum philosophos in civilem et contemplativam dividitur, ut patet in 10 Ethic., videtur etiam quod humana vita in activam et contemplativam dividi debeat.

[3] Selon le Philosophe, Éthique, IX, on dit qu’est la vie de quelqu’un ce à quoi il s’applique le plus : ainsi, pour le soldat, combattre, et pour les ivrognes, boire. Aussi veulent-ils partager cela avec leurs amis. Or, ce à quoi quelqu’un s’applique est ce qu’il donne comme fin à sa vie. Puisque la félicité est donnée comme la fin de la vie humaine, qui, selon les philosophes, se divise en civile et contemplative, comme cela ressort d’Éthique, X, il semble donc que la vie humaine doive être divisée en active et contemplative.

[12582] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod nomen vitae ex hoc sumptum videtur quod aliquid a seipso potest moveri; et ideo ex hoc dicta sunt primo aliqua vivere, quia visa sunt a seipsis moveri, sicut plantae per motum augmenti, et animalia per motum insuper localem; ea vero quae visa sunt non moveri nisi ab aliis mota, dicta sunt mortua, vel vita carentia, sicut lapides et ligna. Unde etiam per quamdam transumptionem ea quorum principium motus in ipsis est dicuntur viventia, quamvis non seipsa moveant, sicut aquae scaturientes impetu sui motus a terra dicuntur vivae: aquae autem immobiles congregatae in lacunis dicuntur aquae mortuae. Ulterius, nomen vitae attributum est omnibus operationibus quas aliquis a seipso exercet non ab alio motus, etiam si motus non sint; sicut nomen motus ad operationem quamlibet solet transferri, sicut dicitur sentire et intelligere motus; et secundum hoc non solum quae moventur a seipsis vel per augmentum vel localiter, dicuntur vivere, sed omnia quae ex seipsis appetunt, sentiunt, intelligunt: haec enim dicuntur operationes vitae. Quamvis autem plures dictarum operationum in aliquo sint, ex illa tamen dicitur vita ejus quae principalis in ipso est; sicut animalium vita dicitur in sentiendo, quamvis etiam nutriantur; et hominum in intelligendo, quamvis etiam sentiant; et hoc non solum est accipiendum secundum naturales potentias, sed etiam secundum habitus superadditos. Unde vita uniuscujusque hominis dicitur in hoc consistere in quo summum studium impendit et curam, ut dicit philosophus in 9 Ethic.: et sic accipiendo vitam, dividitur in activam et contemplativam. Cum enim vita humana ordinata (quia de inordinata non intendimus, sicut est voluptuosa, quae nec humana est, sed bestialis) consistat in operatione intellectus et rationis; habeat autem intellectiva pars duas operationes, unam quae est ipsius secundum se, aliam quae ipsius est secundum quod regit inferiores vires; erit duplex vita humana: una quae consistit in operatione quae est intellectus secundum seipsum, et haec dicitur contemplativa; alia quae consistit in operatione intellectus et rationis secundum quod ordinat et regit et imperat inferioribus partibus, et haec dicitur activa vita. Unde secundum philosophum agere proprie dicitur operatio quae est a voluntate imperata, in ipso operante consistens, non in materiam exteriorem transmutandam transiens: quia hoc esset facere, quod est operatio mechanicae artis. Morales enim virtutes quae in vita activa perficiunt, circa agibilia dicuntur.

Réponse. Le nom de « vie » semble venir de ce que quelque chose peut se mouvoir par soi-même. C’est pourquoi on dit d’abord que certaines choses vivent parce qu’elles semblent se mouvoir elles-mêmes, comme les plantes par un mouvement de croissance, et les animaux par un mouvement local qui s’y ajoute. Mais celles qui ne semblent n’être mues que par d’autres sont dites mortes ou manquant de vie, comme les pierres et le bois. Ainsi, par une certaine transposition, les choses dont le principe du mouvement est en elles sont-elles appelées vivantes, bien qu’elles ne se meuvent pas elles-mêmes, comme les eaux qui jaillissent de la terre sous l’impulsion de leur mouvement sont-elles appelées [eaux] vives, mais les eaux immobiles rassemblées dans une mare sont-elles dites mortes. Au-delà, le nom de « vie » a été attribué à toutes les opérations que quelqu’un exerce sans être mû par un autre, même s’il ne s’agit pas de mouvements ; ainsi, on a coutume de reporter le nom de «mouvement » sur toute opération, comme on dit que sentir et intelliger sont des mouvements. Sous cet aspect, non seulement dit-on que vivent les choses qui sont mues par elles-mêmes, soit par la croissance, soit localement, mais tout ce qui désire, sent, intellige par soi. On appelle cela des opérations de la vie. Or, même si plusieurs de ces opérations existent dans une chose, on dit qu’est sa vie l’opération qui y est principale. Ainsi, on parle de la vie des animaux pour la sensation, bien qu’ils se nourrissent aussi ; de la vie des hommes pour l’intellection, bien qu’ils aient aussi des sensations. Et cela ne doit pas être entendu seulement des puissances naturelles, mais aussi des habitus ajoutés. On dit donc que la vie de chaque homme consiste en ce à quoi il accorde le plus d’application et de soin, comme le dit le Philosophe, Éthique, IX. Ainsi entendue, la vie se divise en active et contemplative. En effet, puisque la vie humaine ordonnée (nous ne parlons pas de la vie désordonnée, comme l’est la vie voluptueuse, qui n’est pas humaine, mais bestiale) consiste dans l’opération de l’intellect et de la raison, et que la partie intellective comporte deux opérations : l’une qui lui revient par elle-même ; l’autre, qui lui revient selon qu’elle dirige les puissances inférieures, il y aura une double vie humaine : l’une qui consiste dans l’opération de l’intellect en lui-même, et celle-ci s’appelle [la vie] contemplative ; l’autre qui consiste dans l’opération de l’intellect et de la raison selon qu’elle ordonne, dirige et commande les parties inférieures, et celle-ci est appelée la vie active. Selon le Philosophe, on parle donc d’« accomplir » (agere) au sens propre pour l’opération qui est commandée par la volonté, qui demeure à l’intérieur de celui-là même qui agit, et qui ne passe pas dans une matière extérieure pour la transformer, car il s’agirait alors de « faire » (facere), ce qui est l’opération de l’art mécanique. En effet, on dit que les vertus morales, qui perfectionnent pour la vie active, portent sur ce qui doit être accompli (agibilia/agere).

[12583] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod essentia rei ex operatione ipsius cognoscitur; et ideo ex operationibus quibus per prius convenit nomen vitae translatum est nomen ad ipsum esse, secundum quod alius est effectus talium operationum.

1. L’essence d’une chose est connue à partir de son opération. C’est pourquoi le nom de « vie » a d’abord été reporté sur l’être lui-même à partir des opérations auxquelles il convient, selon que l’effet de telles opérations est différent.

[12584] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod secundum animam vegetabilem dicitur esse vivere, non quasi in operationibus ejus tantum vita consistat; sed quia operationes ejus sunt primae operationes vitae in nobis; per quem modum dicitur secundum tactum inesse sensus animalibus.

2. On dit qu’être selon l’âme végétative, c’est vivre, non pas que la vie consiste seulement dans ses opérations, mais parce que ses opérations sont les premières opérations de la vie en nous. De cette manière, on dit que la sensation existe chez les animaux par le toucher.

[12585] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illa auctoritas intelligenda est de vita qua corpora caelestia ponebantur a quibusdam vivere velut ex se mota: quam opinionem videtur sequi ille qui librum illum condidit.

3. Cette autorité doit s’entendre de la vie par laquelle certains affirmaient que les corps célestes vivent, comme s’ils étaient mus par eux-mêmes. Celui qui a écrit ce livre semble suivre cette opinion.

[12586] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod philosophus distinxit vitam secundum quod est communis omnibus viventibus; sed nunc loquimur de divisione vitae humanae.

4. Le Philosophe a fait une distinction pour la vie qui est commune à tous les vivants. Mais nous parlons maintenant de la division de la vie humaine.

[12587] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod illud tertium membrum apponitur ab Augustino non quantum ad diversitatem vitae, sed magis quantum ad diversitatem viventium. Quidam enim sunt qui exercitiis activae insistunt principaliter, quamvis etiam quandoque contemplationis actus exequantur: quidam vero sunt qui postpositis curis activae, principaliter contemplationi student; alii vero qui circa utrumque insistunt. Sunt nihilominus et quaedam operationes quae utrumque requirunt, sicut praedicatio et doctrina, quae a contemplatione inchoatae in actionem terminant, sicut a causa in effectum procedentes; et hoc medium in extremis includitur.

5. Ce troisième membre est donné par Augustin, non pas pour faire une distinction dans la vie, mais plutôt pour distinguer les vivants. En effet, certains s’adonnent principalement aux exercices de la vie active, bien qu’ils accomplissent aussi parfois des actes de contemplation. Mais certains, après avoir écarté les préoccupations de la vie active, s’appliquent principalement à la contemplation. Mais certains s’adonnent aux deux. Il existe néanmoins certaines opérations qui exigent les deux, comme la prédication et l’enseignement, qui, commencées par la contemplation, s’achèvent dans l’action, comme passant de la cause à l’effet. Cet état intermédiaire est compris dans les extrêmes.

 

 

Articulus 2 [12588] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 2 tit. Utrum vita contemplativa consistat tantum in actu cognitivae

Article 2 – La vie contemplative consiste-t-elle seulement dans l’acte de la [puissance] cognitive ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La vie contemplative consiste-t-elle seulement dans l’acte de la puissance cognitive ?]

[12589] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod vita contemplativa consistat tantum in actu cognitivae. Quia contemplationis finis est veritas. Sed veritas tantum ad cognitionem pertinet. Ergo vita contemplativa tantum in operatione cognitivae consistit.

1. Il semble que la vie contemplative consiste seulement dans l’acte de la puissance cognitive, car la fin de la contemplation est la vérité. Or, la vérité ne relève que de la connaissance. La vie contemplative consiste donc uniquement dans l’opération de la puissance cognitive.

[12590] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, vita contemplativa a sanctis otium dicitur; et philosophus etiam in 10 Ethic. dicit ipsam vacationem. Sed voluntas est vis motiva. Cum ergo motus otio et vacationi repugnet, videtur quod vita contemplativa non consistat in actu affectivae, sed solum in actu cognitivae.

2. La vie contemplative est appelée par les saints un « loisir » (otium) ; dans Éthique, X, le Philosophe l’appelle aussi une retraite (vacatio). Or, la volonté est une puissance motrice. Puisque le mouvement s’oppose au loisir et à la retraite, il semble donc que la vie contemplative ne consiste pas dans l’acte de la [puissance] affective, mais seulement dans l’acte de la [puissance] cognitive.

[12591] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, proportionantur operationes habitibus. Sed dona quae perficiunt in vita contemplativa tantum, ad cognitionem pertinent, scilicet sapientia et intellectus. Ergo vita contemplativa consistit tantum in cognitione.

3. Les opérations sont proportionnées aux habitus. Or, les dons, qui ne perfectionnent que pour la vie contemplative, ne relèvent que de la connaissance : la sagesse et l’intelligence. La vie contemplative consiste donc seulement dans la connaissance.

[12592] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Isidorus dicit in Lib. differentiarum, quod contemplativa vita est quae vacans ab omni negotio, in sola Dei dilectione defigitur. Sed dilectio ad affectivam pertinet. Ergo vita contemplativa non consistit tantum in cognitione.

Cependant, [1] Isidore dit dans le Livre sur les différences, que « la vie contemplative est celle qui, soustraite à tout travail, se consacre au seul amour de Dieu ». Or, l’amour relève de la partie affective. La vie contemplative ne consiste donc pas seulement dans la connaissance.

[12593] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, gustare ad affectum pertinet, sicut videre ad intellectum. Sed Gregorius dicit, quod contemplativa vita sapore intimo venturam jam requiem degustat. Ergo contemplativa vita non consistit tantum in cognitione.

[2] Goûter relève de la puissance affective, comme voir relève de l’intellect. Or, Grégoire dit que « la vie contemplative goûte déjà par une dégustation intime le repos à venir ». La vie contemplative ne consiste donc pas seulement dans la connaissance.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La vie contemplative consiste-t-elle dans l’opération de la raison ?]

[12594] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod consistat in operatione rationis. Vita enim contemplativa est vita humana. Sed humana vita est secundum operationem humanam. Cum ergo operatio humana sit secundum rationem, a qua dicitur homo, videtur quod vita contemplativa consistat in operatione rationis principaliter.

1. Il semble qu’elle consiste dans l’opération de la raison. En effet, la vie contemplative est une vie humaine. Or, la vie humaine consiste dans une opération humaine. Puisque l’opération humaine est conforme à la raison, en vertu de quoi on parle de l’homme, il semble donc que la vie contemplative consiste principalement dans l’opération de la raison.

[12595] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, vita contemplativa praecipue consistit in cognitione divinorum. Sed invisibilia Dei per ea quae facta sunt cognoscuntur, Roman. 1; cognoscere autem ex aliquibus alia, rationis est. Ergo vita contemplativa praecipue consistit in operatione rationis.

2. La vie contemplative consiste principalement dans la connaissance des réalités divines. Or, ce qui est invisible en Dieu est connu par ce qui a été créé, Rm 1. Or, connaître à partir d’autres choses relève de la raison. La vie contemplative consiste donc principalement dans l’opération de la raison.

[12596] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, Richardus de sancto Victore dicit in libro de contemplatione: contemplationis nostrae volatus multiformiter variatur; nunc de inferioribus ad summa ascendit, nunc de superioribus ad ima descendit; et nunc de parte ad totum, nunc de toto ad partem discurrit; nunc a majori, nunc a minori argumentum trahit. Sed iste discursus videtur ad rationem pertinere. Ergo vita contemplativa principaliter in actu rationis consistit.

3. Richard de Saint-Victor dit, dans le livre Sur la contemplation : « L’envol de notre contemplation change de plusieurs façons. Parfois, il monte depuis les réalités inférieures vers les réalités les plus élevées ; parfois, il descend des réalités supérieures vers les réalités les plus infimes ; parfois, il passe (discurrit) de la partie au tout, parfois, du tout à la partie ; parfois, il tire argument de ce qui est plus grand, parfois, de ce qui est plus petit. » Or, cette démarche (discursus) semble relever de la raison. La vie contemplative consiste donc principalement dans l’acte de la raison.

[12597] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, Bernardus in libro 2 de consideratione dicit, quod contemplatio in hoc distat a consideratione, quia consideratio ad inquisitionem magis se habet, contemplatio autem est verus certusque animi intuitus. Sed intueri est intellectus, inquirere autem rationis. Ergo contemplativa vita non consistit in actu rationis, sed intellectus.

Cependant, [1] dans le livre Sur la considération, Bernard dit que « la contemplation diffère de la considération en cela que la considération s’adonne davantage à la recherche, mais que la contemplation est un regard vrai et certain de l’esprit ». Or, regarder relève de l’intellect, mais rechercher, de la raison. La vie contemplative ne consiste donc pas dans l’acte de la raison, mais de l’intellect.

[12598] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, secundum philosophum in 10 Ethic., secundum vitam contemplativam communicamus cum Deo. Non autem communicamus cum eo secundum inquisitionem rationis, sed magis secundum intellectus intuitum. Ergo contemplativa vita non consistit in actu rationis, sed intellectus tantum.

[2] Selon le Philosophe, Éthique, X, nous avons en commun avec Dieu la vie contemplative. Or, nous n’avons pas en commun avec lui la recherche de la raison, mais plutôt le regard de l’intellect. La vie contemplative ne consiste donc pas dans l’acte de la raison, mais dans l’acte de l’intellect seulement.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Tout acte de l’intellect relève-t-il de la vie contemplative ?]

[12599] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod omnis actus intellectus ad vitam contemplativam pertineat. Sicut enim se habet vita activa ad agibilia, ita se habet contemplativa ad contemplabilia. Sed omnes actus circa agibilia ad vitam activam pertinent. Ergo omnes actus intellectus circa intelligibilia ad contemplativam vitam pertinent.

1. Il semble que tout acte de l’intellect relève de la vie contemplative. En effet, le rapport de la vie active aux actes à poser est le même que celui de la vie contemplative à ce qui doit être contemplé. Or, tous les actes portant sur ce qui doit être accompli relèvent de la vie active. Tous les actes de l’intellect portant sur les intelligibles relèvent donc de la vie contemplative.

[12600] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, vita contemplativa, secundum philosophum in 10 Ethic., in philosophiae consideratione consistit. Sed philosophia est de omnibus entibus. Ergo omnis operatio intellectus pertinet ad vitam contemplativam, cum intellectus non sit non entium.

2. La vie contemplative, selon le Philosophe, Éthique, X, consiste dans la considération de la philosophie. Or, la philosophie porte sur tous les êtres. Toute opération de l’intellect relève donc de la vie contemplative, puisque l’intellect ne porte pas sur ce qui n’est pas.

[12601] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, Richardus de sancto Victore ponit sex species contemplationis. Prima est, quando sensibilia per imaginationem considerantes, in eis divinam sapientiam admiramur. Secunda est, quando earum rationes inquirimus. Tertia, quando ex visibilibus in invisibilia ascendimus. Quarta, quando, remota imaginatione, in solis intelligibilibus versamur. Quinta, quando ea consideramus quae ex divina revelatione cognoscimus, non humana ratione. Sexta, quando ea consideramus quibus etiam humana ratio contradicere videtur. Sed in his speciebus comprehenditur omnis operatio intellectus. Ergo omnis operatio intellectus ad vitam contemplativam pertinet.

3. Richard de Saint-Victor indique six espèces de contemplation. La première consiste en ce que, en considérant les réalités sensibles par l’imagination, nous admirions en elles la sagesse divine. La seconde consiste à en rechercher les raisons. La troisième, à monter depuis les réalités visibles vers les réalités invisibles. La quatrième, à nous tourner vers les seules réalités intelligibles, après avoir écarté l’imagination. La cinquième, à considérer ce que nous connaissons par la révélation divine, et non par la raison humaine. La sixième, à considérer celles avec lesquelles la raison humaine semble être encore en contradiction. Or, toute les opérations de l’intellect sont comprises dans ces espèces. Toute opération de l’intellect relève donc de la vie contemplative.

[12602] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, Isidorus in Lib. de Sum. bono: contemplativa vita mundo renuntians, soli Deo vivere delectatur. Sed non vivit soli Deo nisi quando Deum solum cogitat. Ergo non omnis operatio intellectus ad contemplativam vitam pertinet.

Cependant, [1] dans le livre Sur le bien suprême, Isidore dit : « En renonçant au monde, la vie contemplative se délecte de vivre seulement pour Dieu. » Or, on ne vit pour Dieu seul que lorsqu’on pense à Dieu seul. Toute opération de l’intellect ne relève donc pas de la vie contemplative.

[12603] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, circa idem videtur esse vita contemplativa et felicitas contemplativa. Sed felicitas contemplativa est tantum in consideratione nobilissimi intelligibilis, quod constat Deum esse, secundum philosophum in 10 Ethic. Ergo vita contemplativa in sola Dei consideratione consistit.

[2] La vie contemplative et la félicité contemplative semblent porter sur la même chose. Or, la félicité contemplative porte seulement sur la considération de l’intelligible le plus noble, qui s’avère être Dieu, selon le Philosophe, Éthique, X. La vie contemplative consiste donc seulement dans la considération de Dieu.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[12604] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod vita, secundum quod nunc loquimur, consistit in operatione cui aliquis principaliter mancipatur: cujus ratione omnia quae impedire possunt, dimittit; quae autem adjuvant, quaerit et prosequitur. Hoc autem non potest esse nisi per voluntatem, cujus est inter opera humana unum prae aliis acceptare, quidquid sit illud. Voluntas autem cum sit motor omnium potentiarum animae, oportet quod ad objecta et actus omnium potentiarum se habeat, prout habent rationem boni: quia unusquisque actus debitus cujuscumque potentiae est bonum ejus. Et ideo vita contemplativa consistit in actu cognitivae virtutis praeacceptatae per affectivam. Sed cum operatio sit quodammodo media inter operantem et objectum, velut perfectio ipsius operantis, et perfecta per objectum, a quo speciem recipit; ex duplici parte potest operatio cognitivae affectari. Uno modo inquantum est perfectio cognoscentis; et talis affectatio operationis cognitivae procedit ex amore sui: et sic erat affectio in vita contemplativa philosophorum. Alio modo inquantum terminatur ad objectum; et sic contemplationis desiderium procedit ex amore objecti: quia ubi amor, ibi oculus; et Matth. 6, 21: ubi est thesaurus tuus, ibi est et cor tuum; et sic habet affectionem vita contemplativa sanctorum, de qua loquimur. Sed tamen contemplatio essentialiter in actu cognitivae consistit, praeexigens caritatem ratione praedicta; unde Gregorius dicit super Ezech.: contemplativae vitae est caritatem Dei et proximi tota mente retinere, ab exteriori actione quiescere; ita ut nil jam agere libeat, sed calcatis curis omnibus, ad videndam faciem sui creatoris animus inardescat.

Comme nous en parlons ici, la vie consiste dans l’opération à laquelle quelqu’un s’adonne principalement ; pour cette raison, on écarte tout ce qui peut l’empêcher et on poursuit et recherche ce qui peut l’aider. Or, cela ne peut exister que par la volonté, dont il relève d’accepter une action humaine, quelle qu’elle soit, plutôt que les autres. Puisque la volonté est le moteur de toutes les puissances de l’âme, il est donc nécessaire qu’elle porte sur tous les objets et tous les actes de toutes les puissances, dans la mesure où elles ont le caractère de bien, car chaque acte qui revient à n’importe quelle puissance est son bien. C’est pourquoi la vie contemplative consiste dans l’acte de la puissance cognitive préalablement accepté par la puissance affective. Toutefois, puisque l’opération est d’une certaine manière intermédiaire entre celui qui agit et l’objet, comme une perfection de celui même qui agit et comme perfectionnée par l’objet, dont elle reçoit l’espèce, l’opération de la puissance cognitive peut être affectée de deux manières. Premièrement, en tant qu’elle est une perfection de celui qui connaît. Une telle affection de l’opération de la puissance cognitive vient ainsi de l’amour de soi. Telle était l’affection de la vie contemplative des philosophes. Deuxièmement, en tant que [l’opération] se termine à l’objet. Le désir de la contemplation vient ainsi de l’amour de l’objet, car là où est l’amour, là porte le regard. Et Mt 6, 21 dit : Là où est ton trésor, là est ton cœur. La vie contemplative des saints possède ainsi l’affection dont nous parlons. Cependant, la contemplation consiste essentiellement dans l’acte de la puissance cognitive, en exigeant au préalable la charité pour la raison évoquée. Aussi Grégoire dit-il en commentant Ézéchiel : « La vie contemplative consiste à conserver la charité pour Dieu et le prochain de tout son esprit, à se reposer de l’action extérieure, de telle sorte qu’il ne soit permis de rien faire, mais que, foulant aux pieds tous les soucis, l’âme brûle de voir le visage de son Créateur. »

[12605] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod finis contemplationis, inquantum contemplatio, est veritas tantum; sed secundum quod contemplatio accipit rationem vitae, sic induit rationem affectati et boni, ut dictum est.

1. La fin de la contemplation, en tant que contemplation, est la seule vérité. Mais, selon que la contemplation reçoit le caractère de la vie, elle revêt ainsi le caractère de ce qui est aimé et bon, comme on l’a dit.

[12606] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod voluntas non solum est motiva quantum ad exteriores motus qui vacationi repugnant, sed etiam motuum interiorum, etiam ipsius intellectus: qui quidem motus aequivoce dicuntur, ut patet in 3 de anima; sunt enim actus perfecti; et ideo magis assimilantur quieti quam motui: et propter hoc qui operatur secundum intellectum, vacare dicitur ab exteriorum actione, ut patet in praedicta auctoritate.

2. La volonté n’est pas le moteur des seuls mouvements extérieurs qui s’opposent au repos, mais aussi des mouvements intérieurs, même de l’intellect. Ces mouvements sont désignés de manière équivoque, comme cela ressort de Sur l’âme, III. En effet, ce sont des actes achevés. Ils ressemblent donc davantage au repos qu’au mouvement. Pour cette raison, on dit que celui qui agit selon l’intellect se repose de l’action extérieure, comme cela ressort de l’autorité déjà mentionnée.

[12607] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod habitus contemplativae, quamvis sint in parte cognitiva, tamen possunt eorum actus a voluntate imperari vel acceptari; et sic in eis vita contemplativa consistit.

3. Les habitus de la vie contemplative, bien qu’ils se trouvent dans la partie cognitive, peuvent cependant voir leur actes commandés ou acceptés par la volonté. La vie contemplative consiste ainsi en eux.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[12608] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod vita contemplativa consistit in illa operatione quam homo prae aliis acceptat; unde habet rationem finis respectu aliarum humanarum operationum, quia aliae propter ipsam exercentur. Inquisitio autem rationis sicut a simplici intuitu intellectus progreditur (quia ex principiis quae quis intellectu tenet, ad inquisitionem procedit), ita etiam ad intellectus certitudinem terminatur, dum conclusiones inventae in principia resolvuntur, in quibus certitudinem habent. Et ideo vita contemplativa principaliter in operatione intellectus consistit; et hoc ipsum nomen contemplationis importat, quod visionem significat. Utitur tamen inquisitione rationis contemplativus, ut deveniat ad visionem contemplationis, quam principaliter intendit; et haec inquisitio, secundum Bernardum, dicitur consideratio.

La vie contemplative consiste dans l’opération que l’homme accepte avant toutes les autres. Elle a donc raison de fin en regard des autres opérations humaines, car les autres sont exercées en vue d’elle. Or, la recherche de la raison, de même qu’elle progresse à partir d’un simple regard de l’intellect (car l’on progresse vers la recherche à partir des principes que l’on possède par l’intellect), de même elle se termine à la certitude lorsque les conclusions trouvées se ramènent aux principes par lesquels elle a la certitude. C’est pourquoi la vie contemplative consiste principalement dans l’opération de l’intellect : c’est cela même que suggère le mot contemplation, qui signifie « vision ». Le contemplatif fait cependant usage de la recherche de la raison afin de parvenir à la vision de la contemplation, qu’il a principalement comme fin. Selon Bernard, cette recherche s’appelle la « considération ».

[12609] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod homo, inquantum est contemplativus, est aliquid supra hominem: quia in intellectus simplici visione continuatur homo superioribus substantiis, quae intelligentiae vel Angeli dicuntur, sicut animalia continuantur hominibus in vi aestimativa, quae est supremum in eis, secundum quam aliquid simile operibus rationis operantur.

1. En tant que contemplatif, l’homme est quelque chose de supérieur à l’homme, car, par la vision simple de l’intellect, l’homme est aux confins des substances supérieures, qui sont appelées intelligences ou anges, comme les animaux sont aux confins des hommes par la puissance estimative, qui est ce qu’il y a de plus élevé chez eux, et selon laquelle ils accomplissent quelque chose de semblable aux actes de la raison.

[12610] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis creaturae visibiles sint via deveniendi in contemplationem divinorum, tamen in hac via non consistit principaliter contemplatio, sed in termino viae, ut dictum est.

2. Bien que les créatures visibles soient le chemin pour parvenir à la contemplation des réalités divines, la contemplation ne consiste cependant pas principalement en ce chemin, mais dans le terme du chemin, comme on l’a dit.

[12611] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Richardus non intendit quod in illis discursibus principaliter consistat vita contemplativa, sed quia utitur eis ad suum finem, sicut dictum est.

3. Richard ne veut pas dire que la vie contemplative consiste principalement dans ces opérations discursives, mais qu’elle en fait usage en vue de sa fin, comme on l’a dit.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[12612] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod vita contemplativa sanctorum praesupponit amorem ipsius contemplati, ex quo procedit. Unde cum vita contemplativa consistat in operatione quam quis maxime intendit, oportet quod sit circa contemplationem maxime amati: hoc autem Deus est: unde principaliter consistit in operatione intellectus circa Deum; unde Gregorius, super Ezech., dicit, quod contemplativa vita ad solum videndum principium anhelat, scilicet Deum. Nihilominus tamen et contemplativus considerat alia, inquantum ad Dei contemplationem ordinantur sicut ad finem, puta creaturas, in quibus admiratur divinam majestatem et sapientiam et beneficia Dei, ex quibus inardescit in ejus amorem; et peccata propria, ex quorum ablutione mundatur cor, ut Deum videre possit. Unde et nomen contemplationis significat illum actum principalem, quo quis Deum in seipso contemplatur; sed speculatio magis nominat illum actum quo quis divina in rebus creatis quasi in speculo inspicit. Et similiter etiam felicitas contemplativa, de qua philosophi tractaverunt, in contemplatione Dei consistit: quia, secundum philosophum, consistit in actu altissimae potentiae quae in nobis est, scilicet intellectus, et in habitu nobilissimo, scilicet sapientia, et etiam objecto dignissimo, quod Deus est. Unde enim philosophi ultimum tempus vitae suae reservabant, ut dicitur, ad contemplandum divina, praecedens tempus in aliis scientiis expendentes, ut ex illis habiliores fierent ad considerandum divina.

La vie contemplative des saints présuppose l’amour de celui qui est contemplé, dont elle procède. Puisque la vie contemplative consiste dans l’opération que quelqu’un a surtout en vue, il est donc nécessaire qu’elle porte sur la contemplation de ce qui est le plus aimé. Or, cela est Dieu. Elle consiste donc principalement dans l’opération de l’intellect portant sur Dieu. Aussi, en commentant Ézéchiel, Grégoire dit-il que « la vie contemplative aspire à ne voir que le principe, à savoir, Dieu ». Cependant, le contemplatif considère aussi d’autres choses, dans la mesure où elles sont ordonnées à la contemplation de Dieu comme à leur fin, par exemple, les créatures, dans lesquelles sont admirées la majesté, la sagesse et les bienfaits de Dieu, à partir desquels il s’enflamme en vue de son amour. [Il considère aussi] ses propres péchés, dont le cœur est purifié par leur effacement, afin qu’il puisse voir Dieu. Le mot « contemplation » signifie donc l’acte principal par lequel quelqu’un contemple Dieu en lui-même ; mais le mot « spéculation » (speculatio) désigne plutôt l’acte par lequel quelqu’un regarde les réalités divines dans les réalités créées comme dans un miroir (in speculo). De même aussi, la félicité contemplative dont les philosophes ont parlé consiste-t-elle dans la contemplation de Dieu, car, selon le Philosophe, elle consiste dans l’acte de la puissance la plus élevée qui soit en nous, l’intellect, et dans l’habitus le plus noble, la sagesse, et aussi dans l’objet le plus digne, qui est Dieu. Aussi, comme on l’a dit, les philosophes réservaient-ils la dernière partie de leur vie à contempler les réalités divines, en consacrant le temps qui précédait aux autres sciences, afin de devenir par celles-ci plus aptes à considérer les réalités divines.

[12613] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod actus vitae activae non habent ex seipsis ordinem sicut actus vitae contemplativae; unde non potest dici, simpliciter loquendo, quod consistat in aliquo illorum principaliter; sed quo ad aliquem consistit principaliter in hoc in quo ille magis exercitatur; sicut quidam magis insistunt operibus justitiae, quidam vero operibus temperantiae, et sic de aliis.

1. Les actes de la vie active ne possèdent pas d’ordre par eux-mêmes, comme c’est le cas des actes de la vie contemplative. À parler simplement, on ne peut donc pas dire qu’elle consiste principalement dans l’un eux, mais elle consiste principalement dans ce à quoi quelqu’un s’applique avec soin. Ainsi, certains s’adonnent surtout aux actes de justice, mais d’autres aux actes de tempérance, et ainsi de suite pour les autres.

[12614] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod philosophus ibi accipit philosophiam stricte pro sapientia de divinis, quae speciali nomine philosophia prima dicitur.

2. Le Philosophe entend ici « philosophie » de la sagesse portant sur les réalités divines, qui est appelée du nom particulier de « philosophie première ».

[12615] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis illa consideret interdum contemplativus, non tamen in his principaliter consistit contemplativa vita.

3. Bien que le contemplatif considère parfois ces choses, la vie contemplative ne consiste cependant pas principalement en elles.

 

 

Articulus 3 [12616] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 3 tit. Utrum vita activa consistat tantum in his quae sunt ad alterum

Article 3 – La vie active consiste-t-elle seulement dans ce qui se rapporte à autrui ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La vie active consiste-t-elle principalement dans ce qui se rapporte à autrui ?]

[12617] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod activa vita non consistat principaliter in his quae ad alterum sunt. Vita enim activa ordinatur ad contemplativam, inquantum disponit hominem ad contemplationis actum. Sed per virtutes quae ordinant hominem in seipso, maxime disponitur homo ad contemplationem, sicut per castitatem, ut dicit Commentator in 7 Physic. Ergo vita activa praecipue consistit in his quae sunt hominis ad seipsum.

1. Il semble que la vie ne consiste pas  principalement dans ce qui se rapporte à autrui. En effet, la vie active est ordonnée à la vie contemplative dans la mesure où elle dispose l’homme à l’acte de contemplation. Or, l’homme est surtout disposé à la contemplation par les vertus qui ordonnent l’homme en lui-même, comme par la chasteté, ainsi que le dit le Commentateur dans Physique, VII. La vie active consiste donc principalement dans ce qui se rapporte à l’homme en lui-même.

[12618] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, vita contemplativa principaliter consistit in contemplatione ejus quod maxime diligitur. Ergo et vita activa similiter. Sed homo magis debet seipsum diligere quam alios in his quae virtutis sunt, ut supra, dist. 29, qu. 1, art. 5, dictum est. Ergo et vita activa magis consistit in hoc quod homo seipsum ordinet quam aliis intendat.

2. La vie contemplative consiste principalement dans ce qui est le plus aimé. De même donc en est-il de la vie active. Or, l’homme doit s’aimer lui-même davantage que les autres pour ce qui relève de la vertu, comme on l’a dit plus haut, d. 29, q. 1, a. 5. La vie active consiste donc surtout en ce que l’homme s’ordonne lui-même plutôt que les autres.

[12619] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, in his praecipue videtur consistere activa vita in quibus a contemplativa dividitur. Sed in his quae ad alium sunt etiam contemplativa communicat: quia ad eamdem vitam pertinere videtur contemplari et contemplata docere. In passionibus autem propriis moderandis non communicat activa vita cum contemplativa. Ergo activa vita praecipue consistit in his quae sunt ad seipsum.

3. La vie active semble principalement consister dans ce qui la distingue de la vie contemplative. Or, la vie contemplative a aussi en commun [avec la vie active] ce qui se rapporte à autrui, car il semble relever de la même vie de contempler et d’enseigner ce qui a été contemplé. Or, [la vie contemplative] n’a pas en commun avec la vie active de modérer ses propres passions. La vie active consiste donc principalement dans ce qui se rapporte à autrui.

[12620] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Isidorus in Lib. differentiarum: activa vita est quae in operibus justitiae et proximi utilitate versatur. Sed utrumque istorum ad alterum pertinere videtur. Ergo in his quae ad alterum sunt, praecipue vita activa consistit.

Cependant, [1] dans le livre sur Les différences, Isidore dit : « La vie active est celle qui s’adonne aux œuvres de justice et au service du prochain. » Or, ces deux choses semblent se rapporter à autrui. La vie active consiste donc principalement dans ce qui se rapporte à autrui.

[12621] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, vita activa fecunda dicitur; unde per Liam significatur. Sed fecunditas ista non consistit nisi in operationibus quae fiunt ad alios. Ergo vita activa in his praecipue consistit.

[2] On dit que la vie active est féconde ; elle est donc signifiée par Liam. Or, cette fécondité ne consiste que dans les opérations qui concernent les autres. La vie active consiste donc principalemet en elles.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La connaissance a-t-elle un rapport avec la vie active ?]

[12622] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod cognitio nullo modo ad activam pertineat. Sicut enim se habet vita contemplativa ad cognitionem, ita se habet vita activa ad actionem. Ergo proportionalitate transversa, sicut se habet vita contemplativa ad actionem, ita se habet vita activa ad cognitionem. Sed nihil actionis ad contemplativam vitam pertinet. Ergo nihil cognitionis pertinet ad activam.

1. Il semble que la connaissance n’ait aucun rapport avec la vie active. En effet, le rapport entre la vie contemplative et la connaissance est le même que celui de la vie active et de l’action. Selon une proportionnalité inverse, le rapport entre la vie contemplative et l’action est donc le même que celui entre la vie active et la connaissance. Or, rien de l’action ne se rapporte à la vie contemplative. Rien de la connaissance ne se rapporte donc à la vie active.

[12623] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, vita activa consistit totaliter in operationibus virtutum moralium, ad quas scire parum vel nihil confert, ut philosophus dicit in 2 Ethic. Ergo videtur quod ad activam nihil cognitionis pertineat.

2. La vie active consiste entièrement dans les opérations des vertus morales, avec lesquelles la connaissance a peu ou pas de rapport, comme le dit le Philosophe dans Éthique, II. Il semble donc que rien de la connaissance ne se rapporte à la vie active.

[12624] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, si aliqua cognitio ad activam vitam pertineret, praecipue videretur ad ipsam pertinere consideratio propriorum actuum. Sed considerare peccata quae quis fecit, pertinet ad vitam contemplativam, ut dicit Bernardus, qui secundam speciem contemplationis ponit, qua quisque judicia Dei et peccata sua recogitat. Ergo nulla cognitio ad activam vitam pertinet.

3. Si une connaissance avait un rapport avec la vie active, il semble que ce serait principalement la considération de ses actes propres. Or, la considération des péchés que quelqu’un a commis relève de la vie contemplative, comme le dit Bernard, qui présente une seconde espèce de contemplation par laquelle chacun se remémore les jugements de Dieu et ses péchés. Aucune connaissance n’a donc de rapport avec la vie active.

[12625] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, ad activam vitam pertinent consilii et scientiae dona, quae quidem cognitionem important. Ergo aliqua cognitio est in vita activa.

Cependant, [1] les dons de conseil et de science, qui comportent une connaissance, se rapportent à la vie active. Il y a donc une certaine connaissance dans la vie active.

[12626] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, philosophus dicit quod prudentia est cognata morali virtuti. Sed prudentia cognitionem importat. Ergo cum in moralibus virtutibus activa vita constet, videtur quod in activa vita sit aliquid cognitionis.

[2] Le Philosophe dit que la prudence comporte une connaissance. Puisque la vie active consiste dans les vertus morales, il semble donc qu’il y a une certaine connaissance dans la vie active.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La vie active peut-elle exister en même temps que la vie contemplative ?]

[12627] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod vita activa non possit esse simul cum contemplativa. Quia vita de qua hic loquimur, consistit in hoc in quo homo maxime studet. Sed impossibile est quod homo duobus summum studium apponat. Ergo impossibile est quod in homine sit simul vita activa et contemplativa.

1. Il semble que la vie active ne puisse pas exister en même temps que la vie contemplative, car la vie dont nous parlons ici consiste dans ce à quoi un homme s’applique principalement. Or, il est impossible qu’un homme s’applique au plus haut point à deux choses. Il est donc impossible qu’existent simultanément chez l’homme la vie active et la vie contemplative.

[12628] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, vita activa significatur per Martham, quae turbatur circa plurima, Luc. 10. Sed turbatio vacationi repugnat quam contemplatio requirit. Ergo vita activa non est simul cum contemplativa.

2. La vie active est signifiée par Marthe, qui est troublée par beaucoup de choses, Lc 10. Or, le trouble s’oppose à la liberté d’esprit qu’exige la contemplation. La vie active n’existe donc pas en même temps que la vie contemplative.

[12629] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 3 Praeterea, vita activa introducit ad contemplativam; unde Gregorius: qui ad arcem contemplationis ascendere desiderat, prius necesse est ut in campo actionis se exerceat. Sed quod introducit ad aliquid non est necessarium illo adveniente: quia secundum Bernardum, quid necesse est scalis tenenti jam solium? Ergo activa vita non est simul cum contemplativa.

3. De plus, la vie active introduit à la vie contemplative. Aussi Grégoire dit-il : « Celui qui désire accéder au sommet de la contemplation doit d’abord s’entraîner dans le domaine de l’action. » Or, ce qui introduit à quelque chose n’est pas nécessaire lorsque cela survient, car, selon Bernard, « à quoi sert une échelle à celui qui a déjà atteint le sommet ? ». La vie active n’existe donc pas en même temps que la vie contemplative.

[12630] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod Augustinus dicit in Lib. de Civ. Dei, quod quoddam genus hominum est compositum ex otioso et actuoso; et loquitur de otio contemplationis. Gregorius etiam dicit super Ezech., quod plerumque a contemplativa vita ad activam utiliter animus reflectitur. Ergo contemplativa vita et activa possunt esse simul.

Cependant, [1] dans le livre Sur la cité de Dieu, Augustin dit qu’un certain genre d’homme est composé de celui qui se repose et de celui qui travaille, et il parle du repos de la contemplation. Grégoire aussi dit, en commentant Ézéchiel, que souvent l’esprit se tourne de la vie contemplative vers la vie active. La vie contemplative et la vie active peuvent donc exister en même temps.

[12631] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, beata virgo fuit in utraque vita; et ideo secundum Anselmum in assumptione ejus legitur Evangelium de Martha et Maria, quae significant vitam activam et contemplativam. Sed beata virgo fuit tantum viatrix. Ergo in aliquo viatore potest esse simul activa et contemplativa vita.

[2] La bienheureuse Vierge se trouvait dans les deux vies. C’est pourquoi, selon Anselme, lors de son assomption, on lit l’évangile de Marthe et de Marie, qui signifient la vie active et la vie contemplative. Or, la bienheureuse Vierge était seulement en route. Chez celui qui est en route, la vie active peut donc exister en même temps que la vie contemplative.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[12632] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod activa vita consistit in omnibus agibilibus, sive sint ad seipsum, sive ad alium; sed principaliter consistit in his quae ad alium sunt; quia bonum multorum, secundum philosophum in principio Ethic., est divinius quam bonum unius; unde et justitia quae ad alterum est, a philosopho in 5 Ethic., dicitur esse pulcherrima virtutum. Sicut autem vita contemplativa consistit principaliter in optimo contemplabili, ita vita activa in optimo agibili.

La vie active consiste dans tout ce qui peut être accompli, en soi-même ou par rapport à autrui ; mais elle consiste principalement dans ce qui se rapporte à autrui, car, selon le Philosophe, au début de l’Éthique, le bien d’un grand nombre est plus divin que le bien d’un seul. Aussi la justice, qui a rapport à autrui, est-elle appelée par le Philosophe, dans Éthique, V, « la plus belle des vertus ». Or, de même que la vie contemplative consiste principalement dans le meilleur objet de contemplation, de même la vie active consiste-t-elle dans le meilleur qui puisse être accompli.

[12633] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod per ea quae ad seipsum sunt homo disponit se tantum ad contemplativam; licet per ea quae ad alium comparantur, homo et se et alios disponat, ubi divinius est.

1. Par ce qui se rapporte à lui-même, l’homme ne dispose que lui-même à la vie contemplative, bien que, par ce qui se rapporte à autrui, il dispose lui-même et les autres, ce qui est plus divin.

[12634] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 3 qc.  1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in hoc ipso quod homo aliorum saluti et regimini studet, se plus diligit, et sibi meliorem partem reservat: quia divinius est et sibi et aliis causam bonae operationis esse, quam sibi tantum, sicut dicit philosophus in 10 Ethic.

2. Du fait qu’un homme s’applique au salut et au gouvernement d’autrui, il s’aime davantage et il se réserve la meilleure part, car il est plus divin d’être pour soi et pour d’autres cause de l’action bonne, que pour soi-même seulement, comme le dit le Philosophe dans Éthique, X.

[12635] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod doctrina est duplex. Quaedam quae ad cognitionem veritatis tantum ordinatur; et haec quamvis ad alterum sit, limites tamen vitae contemplativae non exit. Est autem quaedam doctrina quae ordinatur ad persuadendum bonos mores, quae praedicatio dicitur; et haec ad vitam activam pertinet. Unde Gregorius: qui ad laborem praedicationis se dirigit, minus videt, et amplius parit: et sic significatur per Liam, quae erat fecunda, et lippis oculis. Vel dicendum, quod doctrina potest dupliciter considerari. Uno modo secundum quod est ad exercitium cognitionis, et profectum ipsius docentis; et sic ad vitam contemplativam pertinet. Alio modo secundum quod intenditur bonum alterius. Sic autem ea quae cognitionis sunt etiam speculativae, exercentur per modum dispositionis rerum temporalium (inter quae proximus computatur), quod activae vitae est; et ideo Gregorius dicit super Ezech., quod activa vita est panem esurienti tribuere, verbum sapientiae nescientem docere et cetera.

3. Il existe un double enseignement. L’un, qui est ordonné seulement à la connaissance de la vérité : bien qu’il se rapporte à autrui, il ne sort cependant pas des limites de la vie contemplative. Mais il existe un enseignement qui est ordonné à persuader de bien agir, qu’on appelle la prédication. Celui-ci relève de la vie active. Aussi Grégoire dit-il : « Celui qui s’oriente vers la tâche de la prédication voit moins et produit davantage. » Ainsi [la vie active] est-elle signifiée par Liam, qui était féconde et avait les yeux chassieux. Ou bien il faut dire que l’enseignement peut être envisagé de deux manières. Premièrement, selon qu’il existe pour l’usage de la connaissance et le progrès de celui qui enseigne : il relève ainsi de la vie contemplative. Deuxièmement, selon qu’il a pour fin le bien d’autrui. Ainsi, ce qui relève de la connaissance, même spéculative, est pratiqué comme une disposition à des réalités temporelles (dont le prochain fait partie), ce qui relève de la vie active. C’est pourquoi Grégoire dit, en commentant Ézéchiel, que « la vie active consiste à donner du pain à celui qui a faim et à enseigner la parole de sagesse à l’ignorant, etc. »

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[12636] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod duplex est cognitio. Una speculativa, cujus finis est veritas, secundum philosophum in 2 Metaph. Alia cujus finis est operatio, quae est causa et regula eorum quae per hominem fiunt. Quae autem ab homine fiunt, quaedam dicuntur factibilia, quae fiunt per transmutationem aliquam exterioris materiae, sicut contingit in operationibus artis mechanicae; quaedam vero non transeunt in transmutationem exterioris materiae, sed in moderationem propriarum passionum et operationum. Ad utrumque autem istorum practica cognitio dirigit. Unde non omnis practica cognitio in vita activa essentialiter invenitur, sed illa tantum quae in agibilibus dirigit opera quae sunt virtutis moralis. Haec enim cognitio ad electionem requiritur, in qua principaliter consistit moralis virtus. Contemplativa autem cognitio essentialiter non ingreditur activam vitam, quia in operabilibus humanis, cum non habeant veritatem nisi contingentem, propter seipsam veritas nunquam quaereretur: unde etiam in scientiis moralibus finis non est cognitio, sed opus, secundum philosophum in 2 Ethic. Sed tamen cognitio contemplativa aeternorum aliquando pertinet ad activam vitam, non quod sit de essentia ejus, sed quia praeexigitur ad ipsam sicut causa, dum rationes vivendi ex contemplatione aeternorum sumuntur. Sicut enim intellectus est rationis et principium et terminus, ita et vita contemplativa respectu activae; et ideo Gregorius dicit super Ezech., quod per hoc quod contemplativa mentem accendit, perfectius activa tenetur.

Il existe une double connaissance. L’une, spéculative, dont la fin est la vérité, selon le Philosophe, Métaphysique, II. L’autre, dont la fin est l’action : elle est cause et règle de ce qui est accompli par l’homme. Or, dans ce qui est accompli par l’homme, on dit que certaines choses sont de l’ordre du faire : elles sont réalisées par la transformation d’une matière extérieure, comme cela se produit pour les opérations de l’art mécanique. Mais d’autres ne consistent pas en la transformation d’une matière extérieure, mais dans la modération de ses propres passions et opérations. Or, la connaissance pratique dirige dans les deux cas. Ce n’est donc pas n’importe quelle connaissance pratique qu’on trouve essentiellement dans la vie active, mais seulement celle qui dirige les actions pour ce qui doit être accompli et qui relève de la vertu morale. En effet, c’est cette connaissance qui est requise pour le choix dans lequel consiste principalement la vertu morale. Or, la connaissance contemplative ne s’engage pas essentiellement dans la vie active, car, dans ce que l’homme doit accomplir, la vérité ne serait jamais recherchée pour elle-même, puisqu’elle ne comporte qu’une vérité contingente. Même dans les sciences morales, donc, la fin n’est pas la connaissance, mais l’action, selon le Philosophe, Éthique, II. Cependant, la connaissance contemplative des réalités éternelles concerne parfois la vie active, non pas qu’elle fasse partie de son essence, mais parce qu’elle est un préalable nécessaire en tant que cause, les raisons de vivre étant tirées de la contemplation des réalités éternelles. En effet, puisque l’intellect est le principe et le terme de la raison, de même en est-il aussi de la vie contemplative par rapport à la vie active. C’est pourquoi Grégoire dit, en commentant Ézéchiel, que, « du fait que la vie contemplative enflamme l’esprit, la vie active est plus parfaitement embrassée ».

[12637] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod actio non dirigit contemplationem, sicut cognitio activa dirigit actionem; et ideo non est similis ratio.

1. L’action ne dirige pas la contemplation comme la connaissance active dirige l’action. Le raisonnement n’est donc pas le même.

[12638] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ad virtutem moralem scire speculative de his quae ab homine non fiunt, nihil prodest; de his autem quae ab homine fiunt, parum confert; sed scientia practica multum confert, cum sit regula actionis.

2. La connaissance spéculative de ce qui n’est pas accompli par l’homme ne sert en rien à la vertu morale ; elle apporte peu à ce qui est accompli par l’homme. Mais la science pratique y contribue beaucoup puisqu’elle est la règle de l’action.

[12639] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod praeteritum jam transit in necessarium; unde consideratio praeteritorum peccatorum magis ad contemplationem quam ad practicam pertinet.

3. Le passé a déjà pris le caractère de nécessaire. Aussi la considération des péchés passés relève-t-elle davantage de la contemplation que de la [connaissance] pratique.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[12640] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod in omnibus dispositionibus naturalibus contingit quod dispositio in suo perfecto esse attingit id ad quod disponit, quod etiam erat per quamdam inchoationem, dum dispositio ad perfectionem tendebat, sicut patet de calore et forma ignis; quia quando calor completus est in termino alterationis, forma ignis inducitur, et calor simul cum forma ignis manet; dum vero erat alteratio, non erat forma ignis, nisi secundum quamdam inchoationem. Vita autem activa est dispositio ad contemplativam; unde Isidorus in Lib. de Sum. bono: qui prius in vita activa proficit, bene ad contemplationem conscendit. Et ideo quamdiu homo non pervenit ad perfectionem in vita activa, non potest in eo esse contemplativa vita, nisi secundum quamdam inchoationem imperfecte: tunc enim difficultatem homo patitur in actibus virtutum moralium, et oportet quod tota solicitudine ad ipsos intendat, unde retrahitur a studio contemplationis. Sed quando jam vita activa perfecta est, tunc operationes virtutum moralium in promptu habet, ut eis non impeditus libere contemplationi vacet. Tamen secundum quod homo est magis vel minus perfectus in vita activa, circa plura vel pauciora occupari potest activae vitae simul cum contemplativa. Et quia praelatorum est in utraque vita perfectos esse, utpote qui medii sunt inter Deum et plebem, a Deo recipientes per contemplationem, et populo tradentes per actionem; ideo oportet eos in moralibus virtutibus perfectos esse; et similiter praedicatores; alias indigne quis praelationis vel praedicationis officium assumit.

Dans toutes les dispositions naturelles, il arrive que la disposition atteint dans son être achevé ce à quoi elle dispose, qui existait aussi selon une certaine amorce alors que la disposition tendait à l’achèvement, comme cela ressort pour la chaleur et la forme du feu, car lorsque la chaleur est complète au terme de l’altération, la forme du feu est introduite, et la chaleur demeure en même temps que la forme du feu ; mais, alors que l’altération se produisait, la forme du feu n’existait pas, si ce n’est selon une certaine amorce. Or, la vie active est une disposition à la vie contemplative. Aussi Isidore dit-il, dans le livre Sur le bien suprême : « Celui qui a d’abord progressé dans la vie active s’élève aisément à la vie contemplative. » Aussi longtemps que l’homme n’est pas parvenu à la perfection dans la vie active, il ne peut donc exister en lui de vie contemplative, si ce n’est imparfaitement selon une certaine amorce. En effet, l’homme éprouve alors de la difficulté dans les actes des vertus morales, et il lui faut s’y appliquer avec toute son attention : à cause de cela, il est donc empêché de s’appliquer à la contemplation. Mais lorsque la vie active est déjà parfaite, alors [l’homme] accomplit aisément les opérations des vertus morales, de sorte qu’il s’adonne librement à la contemplation sans être empêché par elles. Toutefois, selon qu’un homme est plus ou moins parfait dans la vie active, il peut s’occuper de plus ou moins de choses de la vie active en même temps que de la vie contemplative. Et parce qu’il revient aux prélats d’être parfaits dans les deux vies, en tant qu’ils sont des médiateurs entre Dieu et le peuple, recevant de Dieu par la contemplation et transmettant au peuple par l’action, il faut donc qu’ils soient parfaits dans les vertus morales. De même en est-il pour les prédicateurs, autrement quelqu’un  assume indignement la fonction de prélat ou de prédicateur.

[12641] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod ad diversa potest homo principaliter intendere diversis temporibus, quamvis non simul.

1. L’homme peut porter principalement son attention sur des choses diverses à des moments différents, mais non en même temps.

[12642] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod turbatio in vita activa non contingit postquam ad perfectionem venit: quia tunc jam delectabiliter et faciliter operatur non perturbatus.

2. Le trouble dans la vie active ne survient pas après qu’elle a atteint sa perfection, car alors on agit avec plaisir et facilement sans être troublé.

[12643] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod dispositiones quae essentialiter habent imperfectionem annexam, non manent cum eo ad quod disponunt, sicut fides non manet cum visione; sed aliae dispositiones possunt simul manere, sicut dictum est, et sic est de vita activa.

3. Les dispositions auxquelles est associée par essence une imperfection ne demeurent pas en même temps que ce à quoi elles disposent, comme la foi ne demeure pas avec la vision ; mais d’autres dispositions peuvent demeurer en même temps, comme on l’a dit. Il en est ainsi pour la vie active.

 

 

Articulus 4 [12644] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 tit. Utrum activa vita sit nobilior quam contemplativa

Article 4 – La vie active est-elle plus noble que la vie contemplative ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La vie active est-elle plus noble que la vie contemplative ?]

[12645] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod activa vita sit nobilior quam contemplativa. Tullius enim, in Lib. de Offic., probat praeeminentiam justitiae ad alias virtutes; quia propter exercitium actus ejus, actus aliarum interimuntur. Sed similiter aliquis revocatur ab otio contemplationis, ut fructum faciat per laborem actionis. Ergo activa vita est dignior quam contemplativa.

1. Il semble que la vie active soit plus noble que la vie contemplative. En effet, Tullius [Cicéron], dans le livre Sur les fonctions, démontre la prééminence de la justice sur les autres vertus, car, pour l’exercice de son acte, les actes des autres [vertus] sont abolis. Or, quelqu’un peut de même être rappelé du loisir de la contemplation afin de porter du fruit par le travail de l’action. La vie active est donc plus digne que la vie contemplative.

[12646] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, bonum gentis divinius est quam bonum unius. Sed vita contemplativa consistit in bono unius hominis, vita activa in bono multorum. Ergo vita activa est nobilior quam contemplativa.

2. Le bien du peuple est plus divin que le bien d’un seul. Or, la vie contemplative consiste dans le bien d’un seul homme, mais la vie active dans le bien d’un grand nombre. La vie active est donc plus noble que la vie contemplative.

[12647] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 3 Praeterea, in omnibus artibus et potentiis imperans est nobilius imperato. Sed politica quae ad vitam activam pertinet, imperat omnibus disciplinis, et disponit de his quae ad contemplativam vitam pertinent, secundum philosophum in 1 Ethic. Ergo vita activa est dignior quam contemplativa.

3. Dans tous les arts et dans toutes les puissances, ce qui commande est plus noble que ce à quoi il est commandé. Or, la politique, qui relève de la vie active, commande à toutes les disciplines et elle dispose de ce qui se rapporte à la vie contemplative, selon le Philosophe, Éthique, I. La vie active est donc plus digne que la vie contemplative.

[12648] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 4 Praeterea, secundum Dionysium, nihil est divinius quam Dei cooperatorem fieri. Hoc autem fit per exercitium activae, qua homo aliorum reductioni in Deo studet. Ergo videtur esse nobilissimum.

4. Selon Denys, rien n’est plus divin que de devenir le collaborateur de Dieu. Or, on le devient par la pratique de la vie active, par laquelle l’homme s’efforce d’en ramener d’autres à Dieu. Il semble donc qu’elle soit plus noble.

[12649] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicit dominus, Luc. 10, 43: Maria optimam partem elegit. Per Mariam autem vita contemplativa significatur. Ergo vita contemplativa nobilior est quam activa.

Cependant, [1] le Seigneur dit en sens contraire, Lc 10, 43 : Marie a choisi la meilleure part. Or, par Marie, la vie contemplative est signifiée. La vie contemplative est donc plus noble que la vie active.

[12650] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, quanto vita alicujus est caelesti vitae similior, tanto est nobilior. Sed vita contemplativa est similior caelesti quam activa: quia in caelesti vita, ut dicit Augustinus, vacabimus et videbimus; videbimus et amabimus; amabimus et laudabimus: quod ad vitam contemplativam pertinet. Ergo vita contemplativa est nobilior quam activa.

[2] Plus la vie de quelqu’un ressemble à la vie du ciel, plus elle est noble. Or, la vie contemplative ressemble davantage à la vie du ciel que la vie active, car, « dans la vie du ciel, comme le dit Augustin, nous serons libres et nous verrons ; nous verrons et nous aimerons ; nous aimerons et nous louerons », ce qui relève de la vie contemplative. La vie contemplative est donc plus noble que la vie active.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La vie contemplative est-elle plus méritoire que la vie active ?]

[12651] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod etiam vita contemplativa sit majoris meriti quam activa. Gregorius enim dicit in moralibus: contemplativa major est merito quam activa: quia activa in usu praesentis operis laborat; contemplativa vero in sapore intimo venturam jam requiem degustat.

1. Il semble que la vie contemplative soit aussi plus méritoire que la vie active. En effet, Grégoire dit, dans les Morales : « La vie contemplative est plus méritoire que la vie active, car la vie active déploie ses efforts dans l’usage de l’action présente, mais la vie contemplative goûte déjà le repos à venir par une dégustation intime. »

[12652] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, supra dictum est, distinct. 30, quaest. unica, art. 4, quod magis consistit meritum in dilectione Dei quam proximi. Sed in contemplativa vita homo magis insistit dilectioni Dei, in activa autem magis proximi. Ergo contemplativa est majoris meriti quam activa.

2. On a dit plus haut, d. 30, q. 1, a. 4, qu’il y a plus de mérite à aimer Dieu qu’à aimer le prochain. Or, dans la vie contemplative, l’homme s’applique davantage à l’amour de Dieu, mais, dans la vie active, davantage à [l’amour] du prochain. La vie contemplative est donc plus méritoire que la vie active.

[12653] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 3 Praeterea, quanto magis aliquid beneficiatur a Deo, tanto est majoris meriti. Sed secundum philosophum in 10 Ethic., Deus maxime beneficiat eos qui contemplationi student, quasi sibi simillimos. Ergo videtur quod vita contemplativa plus habeat de merito quam activa.

3. Plus grand est le bien reçu de Dieu, plus cela est méritoire. Or, selon le Philosophe, Éthique, X, Dieu accorde davantage de bienfaits à ceux qui s’appliquent à la contemplation, car ils lui sont plus semblables. Il semble donc que la vie contemplative soit plus méritoire que la vie active.

[12654] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, totum meritum hominis consistit in acceptatione divina. Sed Gregorius dicit super Ezech.: nullum sacrificium est Deo magis acceptum quam regimen animarum. Ergo cum hoc pertineat ad laborem activae, videtur quod in activa sit majus meritum.

Cependant, [1] tout le mérite de l’homme consiste a être agréable à Dieu. Or, Grégoire dit, en commentant Ézéchiel : « Aucun sacrifice n’est plus agréable à Dieu que le gouvernement des âmes. » Puisque cela relève du travail de la vie active, il semble donc qu’il y ait plus de mérite dans la vie active.

[12655] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, meritum contra praemium dividitur. Sed contemplativa vita plus habet de ratione praemii quam activa: quia pascitur a domino contemplativa, sed activa pascit, ut dicit Gregorius. Ergo activa plus habet de merito.

[2] Le mérite se distingue de la récompense. Or, la vie contemplative a davantage le caractère de récompense que la vie active, car « la vie contemplative est dirigée par le Seigneur, mais la vie active dirige », comme le dit Grégoire. La vie active est donc plus méritoire.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La vie contemplative est-elle plus durable que la vie active ?]

[12656] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod contemplativa vita non sit diuturnior quam activa. Vita enim activa fuit in Christo perfecta. Sed ipse fuit perfectus comprehensor. Ergo vita activa manebit in patria; et ita non est minus diuturna quam contemplativa.

1. Il semble que la vie contemplative ne soit pas plus durable que la vie active. En effet, la vie active était parfaite chez le Christ. Or, il était un parfait bienheureux (comprehensor). La vie active demeurera donc dans la patrie, et ainsi elle n’est pas moins durable que la vie contemplative.

[12657] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 2 Praeterea, homines erunt in patria aequales Angelis. Sed in Angelis est utraque vita: quia quidam sunt assistentes, quod ad contemplationem pertinet; quidam ministrantes, quod pertinet ad actionem. Ergo utraque vita etiam in hominibus in patria erit; et sic idem quod prius.

2. Les hommes seront égaux aux anges dans la patrie. Or, chez les anges, les deux vies existent, car certains seront présents, ce qui relève de la contemplation, et certains assureront le service, ce qui relève de l’action. Les deux vies seront donc aussi présentes chez les hommes dans la patrie. La conclusion est ainsi la même que précédemment.

[12658] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 3 Praeterea, in patria manebunt virtutes cardinales, et habebunt aliquos actus: similiter etiam et dona omnia. Sed virtutes cardinales perficiunt in activa vita, et similiter quaedam dona. Ergo in patria manebit vita activa; et sic idem quod prius.

3. Les vertus cardinales demeureront dans la patrie et elles auront d’autres actes ; il en sera aussi de même pour tous les dons. Or, les vertus cardinales perfectionnent pour la vie active et, de même, certains dons. La vie active demeurera donc dans la patrie. La conclusion est ainsi la même que précédemment.

[12659] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, Luc. 10, 43: Maria optimam partem elegit. Glossa: contemplativa hic incipit, et in caelesti patria perficitur; activa autem cum corpore deficit.

Cependant, [1] Lc 10, 43 dit en sens contraire : Marie a choisi la meilleure part. Glose : « La vie contemplative commence ici et s’achève dans la patrie céleste ; mais la vie active cesse avec le corps. »

[12660] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, philosophus in 10 Ethic. dicit, quod contemplativa vita diuturnior est quam activa.

[2] Dans Éthique, X, le Philosophe dit que la vie contemplative est plus durable que la vie active.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[12661] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod duplex est ratio boni. Aliquid enim dicitur bonum, quod propter seipsum est desiderandum: et sic vita contemplativa simpliciter melior est quam activa, inquantum magis assimilatur illi vitae ad quam per activam et contemplativam nitimur pervenire; unde et contemplativa est finis activae, et fini ultimo vicinior. Aliquid vero dicitur bonum quasi propter aliud eligendum; et in hac via vita activa praeeminet contemplativae. Vita enim contemplativa non ordinatur ad aliquid aliud in ipso in quo est: quia vita aeterna non est nisi quaedam consummatio contemplativae vitae, quae per vitam contemplativam in praesenti quodammodo praelibatur: unde non restat quod ordinetur ad aliud, nisi secundum quod bonum unius hominis ordinatur ad bonum multorum, ad quod propinquius se habet vita activa quam contemplativa. Unde activa quantum ad hanc partem quae saluti proximorum studet, est utilior quam contemplativa; sed contemplativa est dignior: quia dignitas significat bonitatem alicujus propter seipsum, utilitas vero propter aliud. Sed vita activa quae non ad alium, sed ad seipsum tantum ordinatur, neque dignior neque utilior est quam contemplativa, immo comparatur ad contemplativam sicut utile ad id ad quod est utile.

La notion de bien est double. En effet, quelque chose est appelé bon parce que cela doit être désiré pour soi. Ainsi, la vie contemplative est simplement meilleure que la vie active, dans la mesure où elle ressemble davantage à la vie à laquelle nous nous efforçons de parvenir par la vie active et la vie contemplative. La vie contemplative est donc la fin de la vie active et elle est plus proche de la fin ultime. Cependant, quelque chose est appelé bon parce que cela doit être choisi en vue d’autre chose. Sous cet aspect, la vie active l’emporte sur la vie contemplative. En effet, la vie contemplative n’est pas ordonnée à quelque chose d’autre que ce en quoi elle existe, car la vie éternelle n’est que la consommation de la vie contemplative, qui est d’une certaine manière goûtée dans la vie présente. Aussi ne reste-t-il qu’elle est ordonnée à autre chose que selon que le bien d’un seul homme est ordonné au bien du grand nombre, ce dont la vie active se rapproche davantage que la vie contemplative. Sous l’aspect où elle s’applique au salut du prochain, la vie active est donc plus utile que la vie contemplative ; la vie contemplative est cependant plus digne, car la dignité signifie la bonté d’une chose en elle-même, mais l’utilité, [sa bonté] en vue d’autre chose. Toutefois, la vie active qui n’est pas ordonnée à autrui mais à soi-même seulement n’est ni plus digne ni plus utile que la vie contemplative, bien plus, elle se compare à la vie contemplative comme quelque chose d’utile par rapport à ce à quoi cela est utile.

[12662] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod vita contemplativa propter activam intermittitur ad tempus, non simpliciter; seu ratione utilitatis, non ratione dignitatis.

1. La vie contemplative est interrompue pour un temps en raison de la vie active, mais non pas simplement ; ou bien [elle est interrompue] en raison de l’utilité, mais non en raison de la dignité.

[12663] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut bonum unius consistit in actione et contemplatione; ita et bonum multitudinis, secundum quod contingit multitudinem contemplationi vacare. Sed ad bonum multitudinis pervenitur per regimen activae vitae: unde ex hoc non probatur quod activa sit dignior, sed utilior.

2. De même que le bien d’un seul consiste dans l’action et la contemplation, de même en est-il du bien de la multitude, selon qu’il arrive à une multitude de s’adonner à la contemplation. Mais l’on parvient au bien de la multitude par le gouvernement de la vie active. Aussi cela ne démontre-t-il pas que la vie active est plus digne, mais qu’elle est plus utile.

[12664] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod politica, ut dicit philosophus in 6 Ethic., non praecipit sapientiae, et aliis quae ad vitam contemplativam pertinent, sed imperat quaedam propter ipsa; sicut etiam imperat quaedam propter Deum, cui praecipit sic vel sic cultum exhiberi.

3. Comme le dit le Philosophe, Éthique, VI, la politique ne commande pas à la sagesse et aux autres [vertus] qui relèvent de la vie contemplative, mais elle commande certaines choses en vue d’elles, comme elle commande aussi certaines choses en vue de Dieu, pour qui elle commande qu’un culte soit rendu de telle ou telle manière.

[12665] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod intelligendum est ratione utilitatis in alterum provenientis.

4. Il faut l’entendre de la raison d’utilité pour autrui.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[12666] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod meritum pendet ex radice caritatis; unde contingit quandoque quod in activa quis plus mereatur quam in contemplativa, vel e converso, secundum quod majorem habet caritatem vel minorem. Nihilominus tamen cum quaeritur de duobus in genere quid sit majoris meriti, intelligendum est quantum pertinet ad rationem ipsorum actuum, non quantum ad ipsos operantes. Est ergo duplex meritum; scilicet dimissionis culpae, et consecutionis gloriae: quantum ad primum, majoris meriti dicitur activa quam contemplativa, inquantum laboriosior; unde habet plus de ratione satisfactionis. Quantum autem ad meritum consecutionis gloriae, sic contemplativa vita est majoris meriti quam activa quantum ad puritatem: quia non admiscetur ei tantum de pulvere terrenorum, sicut fit in activa vita. Sed quantum ad intensionem meriti videtur contemplativa iterum majoris meriti illa parte activae quae circa sui moderationem studet; minoris autem quantum ad illam partem quae profectui aliorum invigilat: quia hoc ipsum videtur esse fortioris caritatis secundum genus, quod homo, praetermissa consolatione qua in Dei contemplatione reficitur, gloriam Dei in aliorum conversione quaerat: quia etiam in humana amicitia verus amicus quaerit magis bonum amici quam de ejus praesentia delectari.

Le mérite découle de la racine de la charité. Aussi arrive-t-il parfois que, dans la vie active, quelqu’un mérite plus que dans la vie contemplative, ou le contraire, parce qu’il a une plus grande ou une moins grande charité. Toutefois, lorsqu’on se demande, à propos des deux, laquelle est la plus méritoire par son genre, il faut l’entendre de ce qui concerne la nature des actes eux-mêmes, et non de ceux qui agissent. Il existe donc un double mérite : celui de la rémission de la faute et celui de l’obtention de la gloire. Pour ce qui est du premier, on dit que la vie active est plus méritoire que la vie contemplative parce qu’elle est plus pénible ; elle a donc davantage le caractère de satisfaction. Pour ce qui est du mérite de l’obtention de la gloire, la vie contemplative est ainsi plus méritoire que la vie active en raison de sa pureté, car la poussière des réalités terrestres ne s’y mêle pas autant qu’à la vie active. Mais du point de vue de l’intensité du mérite, il semble que la vie contemplative soit aussi plus méritoire que cet aspect par lequel la vie active s’applique à la maîtrise de soi-même, mais qu’elle soit moins méritoire sous l’aspect qui veille au progrès des autres. En effet, il semble relever d’une charité plus grande par son genre que l’homme, mettant de côté la consolation qui le réconforte dans la contemplation de Dieu, cherche la gloire de Dieu par la conversion des autres, car, même dans l’amitié humaine, le véritable ami cherche davantage le bien de son ami que le plaisir de sa présence.

[12667] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod contemplativa dicitur esse a Gregorio major merito, quia minus habet de impuritate demeriti admixtum.

1. Grégoire dit que la vie contemplative est plus méritoire parce que moins d’impureté du démérite lui est mêlé.

[12668] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ex dilectione Dei videtur procedere quod homo praetermissa propria consolatione voluntatem Dei implere studeat in aliorum salute; unde Gregorius super Ezech.: est amanti animae non parva consolatio, si cum ipsa differtur, per eam multae colligantur.

2. Le fait qu’un homme s’applique à accomplir la volonté de Dieu par le salut des autres, en mettant de côté sa propre consolation, semble provenir de l’amour de Dieu. Aussi Grégoire dit-il, en commentant Ézéchiel : « Ce n’est pas une petite consolation de l’âme pour celui qui aime que beaucoup soient rassemblés par elle, alors qu’elle est tourmentée. »

[12669] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod philosophus loquitur de contemplativa vita per comparationem ad activam, quae in rebus humanis negotiatur, non autem respectu illius quae proximorum saluti insistit.

3. Le Philosophe parle de la vie contemplative en la comparant à la vie active qui s’occupe des réalités humaines, mais non à celle qui s’applique au salut du prochain.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[12670] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod, sicut dictum est de donis et virtutibus perficientibus in vita activa, quod manent in patria, sed non quantum ad eosdem actus; similiter etiam dicendum est de vita activa: unde vita activa quantum ad illos actus quos modo habet, quibus turbatur de proximorum necessitatibus et de propriis passionibus, non remanebit: quia tunc panem esurienti non porriget, ut in Glossa inducta subjungitur. Manebit autem quantum ad alios actus qui erunt virtutum et donorum in patria. Vita autem contemplativa nihilominus est diuturnior quam activa: quia manet etiam quo ad illos actus quos in via habet: qui quidem in statu viae sunt imperfecti, sed in patria perficientur. Unde Gregorius dicit super Ezech. de contemplativa vita: etiam cum contendimus, vix aliquid aut parum attingere valemus.

De même qu’on a dit des dons et des vertus, qui perfectionnent dans la vie active, qu’ils demeurent dans la patrie, mais non pour les mêmes actes, de même faut-il parler de la vie active. Aussi la vie active, pour ce qui est des actes qu’elle a maintenant, par lesquels elle est troublée par les besoins du prochain et ses propres passions, ne demeurera-t-elle pas, car alors « elle ne donnera pas de pain à celui qui a faim », comme il est ajouté dans la Glose invoquée. Mais elle demeurera pour ce qui est des autres actes qui proviendront des vertus et des dons dans la patrie. Néanmoins, la vie contemplative durera plus longtemps que la vie active, car elle demeure même pour les actes qu’elle a en cours de route : en cours de route, ils sont imparfaits, mais ils deviendront parfaits dans la patrie. Aussi, en commentant Ézéchiel, Grégoire dit-il, à propos de la vie contemplative : « Même en nous y efforçant, nous pouvons à peine ou peu y parvenir. »

[12671] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 1 Ad primum tamen dicendum, quod non est simile de Christo et de aliis: quia ipse erat verus viator et comprehensor; unde simul erat in actu perfecto quantum ad utramque vitam etiam secundum actus viae.

1. Il n’en est pas de même du Christ et des autres, car il était vraiment viator et comprehensor. Aussi était-il parfait en acte pour les deux vies, même selon les actes de la route.

[12672] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Angeli ex ordine naturae sunt medii inter Deum et homines: et ideo eis competit ministerium custodiae, et hujusmodi; non autem animabus sanctorum.

2. Selon un ordre de nature, les anges sont des intermédiaires entre Dieu et les hommes. C’est pourquoi le ministère de la garde leur convient, et celui-là, mais non aux âmes des saints.

[12673] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 3 Ad tertium patet solutio per id quod dictum est in corp.

3. La réponse ressort clairement de ce qui a été dit dans le corps.

 [12674] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 3 ad s. c. Ad alia etiam patet solutio ex praedictis.

La réponse aux autres arguments ressort de ce qui a déjà été dit.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [Les dons qui perfectionnent dans les deux vies]

Prooemium

Prologue

[12675] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 pr. Deinde quaeritur de donis perficientibus in utraque vita: et 1 de dono sapientiae; 2 de dono intellectus; 3 de dono scientiae; 4 de dono consilii.

En s’interroge ensuite sur les dons qui perfectionnent dans les deux vies : 1. Le don de sagesse. 2. Le don d’intelligence. 3. Le don de science. 4. Le don de conseil.

 

 

Articulus 1 [12676] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 1 tit. Utrum sapientia sit donum

Article 1 – La sagesse est-elle un don ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La sagesse est-elle un don ?]

[12677] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod sapientia non sit donum. Sapientia enim in littera dicitur cognitio divinorum. Hoc autem videtur esse fidei, cujus objectum est veritas prima. Cum ergo fides non sit donum, sed virtus, videtur quod nec sapientia.

1. Il semble que la sagesse ne soit pas un don. En effet, dans le texte, on dit de la sagesse qu’elle est une connaissance des réalités divines. Or, cela semble relever de la foi, dont l’objet est la Vérité première. Puisque la foi n’est pas un don mais une vertu, il semble donc que la sagesse non plus [ne soit pas un don].

[12678] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, in littera dicitur, quod sapientia est cultus Dei: et sumitur de Job 28, secundum aliam translationem. Sed latria, quae cultus dicitur, est virtus, et non donum. Ergo sapientia non est donum.

2. Dans le texte, on dit que la sagesse est un culte rendu à Dieu. On tire cela de Jb 28, selon une autre traduction. Or, la latrie, dont on dit qu’elle est un culte, est une vertu, et non un don. La sagesse n’est donc pas un don.

[12679] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, nullum donum habetur per acquisitionem. Sed sapientia habetur per acquisitionem: quia philosophus philosophiam primam sapientiam nominat, quae per doctrinam habetur. Ergo sapientia non est donum.

3. Aucun don n’est obtenu par acquisition. Or, la sagesse s’obtient par acquisition, car le Philosophe appelle la philosophe la sagesse première, qui s’obtient par l’enseignement. La sagesse n’est donc pas un don.

[12680] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Isai. 11 computatur inter alia dona.

Cependant, [1] en Is 11, [la sagesse] est comptée parmi les autres dons.

[12681] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, dona ponuntur virtutibus altiora. Sed inter omnes habitus videtur sapientia nobilissimum, maxime eorum quae ad cognitionem pertinent, ut philosophus dicit in 10 Ethic. Ergo sapientia maxime debet dici donum.

[2] Les dons sont placés plus haut que les vertus. Or, parmi tous les habitus, la sagesse semble être ce qu’il y a de plus noble, surtout pour ce qui se rapporte à la connaissance, comme le dit le Philosophe, Éthique, X. La sagesse surtout doit donc être appelée un don.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La sagesse porte-t-elle seulement sur les réalités divines ?]

[12682] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod sapientia non sit tantum de divinis. Quia, sicut dicit philosophus in 1 Metaph., oportet sapientem certissimum esse de omnibus. Ergo non est de divinis tantum.

1. Il semble que la sagesse ne porte pas seulement sur les réalités divines, car, ainsi que le dit le Philosophe, Métaphysique, I, il faut que le sage ait la plus grande certitude sur toutes choses. [La sagesse] ne porte donc pas seulement sur les réalités divines.

[12683] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, ad sapientem pertinet determinare medium in virtutibus moralibus, ut patet per definitionem philosophi in 2 Eth. de virtute. Sed divina non sunt operabilia a nobis. Ergo cum medium virtutis moralis sit de operabilibus a nobis, videtur quod non sit sapientia tantum de divinis.

2. Il revient au sage de déterminer le milieu pour les vertus morales, comme cela ressort de la définition que le Philosophe donne de la vertu, Éthique, II. Or, les réalités divines ne sont pas objets d’actions de notre part. Puisque le milieu de la vertu morale porte sur ce qui peut être accompli par nous, il semble donc que la sagesse ne porte pas seulement sur les réalités divines.

[12684] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, sapientia videtur esse circa illa quorum est ars mechanica; 1 Corinth. 3, 10: ut sapiens architectus fundamentum posui. Ergo non est tantum de divinis.

3. La sagesse semble porter sur les objets de l’art mécanique. 1 Co 3 : Comme un sage architecte, j’ai posé les fondations. Elle ne porte donc pas seulement sur les réalités divines.

[12685] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod sapientia est de causis altissimis, secundum philosophum in principio Metaph. Sed causae altissimae sunt divina. Ergo est tantum de divinis.

Cependant, [1] la sagesse porte sur les causes les plus élevées, selon le Philosophe, au début de la Métaphysique. Or, les causes les plus élevées sont les réalités divines. Elle porte donc seulement sur les réalités divines.

[12686] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, philosophus in 6 Ethicor. dicit, quod sapientia est quasi caput scientiarum. Sed omnis cognitionis caput est cognitio quae est de divinis. Ergo sapientia est circa divina.

[2] En Éthique, VI, le Philosophe dit que la sagesse est comme la source des sciences. Or, la source de toutes les sciences est la connaissance qui porte sur les réalités divines. La sagesse porte donc sur les réalités divines.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La sagesse se trouve-t-elle seulement dans l’intelligence ou plutôt dans l’affectivité ?]

[12687] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod sapientia non sit in intellectu, sed in affectu magis. Quia sapientia secundum nomen suum est, ut dicitur Eccli. 6. Sed dicitur a sapore. Cum ergo sapor ad gustum pertineat, qui ad affectum transfertur, sicut visus ad intellectum; videtur quod sapientia sit in affectu.

1. Il semble que la sagesse ne se trouve pas seulement dans l’intelligence, mais plutôt dans l’affectivité, car la sagesse existe selon son nom, Si 6. Or, celui-ci vient de « saveur » (sapor). Puisque la saveur relève du goût, qui est reporté sur l’affectivité, comme la vue sur l’intelligence, il semble donc que la sagesse se trouve dans l’affectivité.

[12688] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea in littera dicitur, quod sapientia est in cognitione et dilectione ejus quod semper incommutabiliter manet, quod est Deus. Sed dilectio ad affectionem pertinet. Ergo sapientia est in affectione.

2. Il est dit dans le texte que « la sagesse consiste dans la connaissance et dans l’amour de celui qui demeure toujours sans changement, qui est Dieu ». Or, l’amour relève de l’affectivité. La sagesse se trouve donc dans l’affectivité.

[12689] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, septima beatitudo, qua dicitur: beati pacifici, ad sapientiam reducitur. Sed pax ad affectum pertinet. Ergo et sapientia.

3. La septième béatitude, par laquelle on dit: Bienheureux les pacifiques ! se ramène à la sagesse. Or, la paix relève de l’affectivité. Donc, la sagesse aussi.

[12690] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod in littera definitur per cognitionem.

Cependant, [1] ce qui est défini par la connaissance dans le texte va en sens contraire.

[12691] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 1 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, omnis virtus intellectualis est in parte cognitiva. Sed sapientia ponitur a philosopho virtus intellectualis. Ergo tam ipsa quam sapientiae donum quod ei respondet, in parte cognitiva est.

[2] Toute vertu intellectuelle se trouve dans la partie cognitive. Or, la sagesse est présentée par le Philosophe comme une vertu intellectuelle. Aussi bien la sagesse elle-même que le don de sagesse qui lui correspond se trouvent donc dans la partie cognitive.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[12692] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod sapientia secundum nominis sui usum videtur importare eminentem quamdam sufficientiam in cognoscendo, ut etiam in seipso certitudinem habeat de magnis et mirabilibus quae aliis ignota sunt, et possit de omnibus judicare, quia unusquisque bene judicat quae cognoscit, possit etiam et alios ordinare per dictam eminentiam. Haec autem sufficientia in quibusdam quidem est per studium et doctrinam, adjuncta vivacitati intellectus: et talis sapientia a philosopho ponitur virtus intellectualis in 6 Ethic. Sed in quibusdam talis sufficientia accidit per quamdam affinitatem ad divina, sicut dicit Dionysius de Hierotheo, quod patiendo divina, didicit divina: et de talibus dicit apostolus, 1 Cor., 2, 15: spiritualis judicat omnia; et 1 Joan. 2, 27: unctio docebit vos de omnibus.

Selon la manière usuelle de parler de la sagesse, elle semble comporter une suffisance éminente dans la connaissance, de sorte qu’elle ait en elle-même une certitude sur des réalités grandes et étonnantes, qui sont ignorées des autres, qu’elle puisse juger de tout, car chacun juge bien ce qu’il connaît, et qu’elle puisse aussi en ordonner d’autres par l’élévation mentionnée. Or, chez certains, cette suffisance existe par l’étude et l’enseignement, joints à la vivacité de l’intelligence. Une telle sagesse est présentée par le Philosophe comme une vertu intellectuelle, Éthique, VI. Mais, chez certains, une telle suffisance se produit par une affinité avec les réalités divines, comme Denys dit de Hiérothée qu’elle apprit les réalités divines en les éprouvant. C’est de cela que parle l’Apôtre en 1 Co 2, 15 : L’homme spirituel juge de tout ; et aussi 1 Jn 2, 27 : L’onction vous enseignera à propos de toutes choses.

[12693] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut se habet sapientia quae est virtus intellectualis, ad intellectum principiorum, quia quodammodo comprehendit ipsum, ut dicitur in 7 Ethic., secundum quod ex principiis negotiatur circa altissima et difficillima, et de his etiam quodammodo ordinat, inquantum reducit omnia ad unum principium, et ejus est disputare contra negantes ipsa: ita se habet sapientia quae est donum, ad fidem, quae est cognitio simplex articulorum, quae sunt principia totius Christianae sapientiae. Procedit enim sapientiae donum ad quamdam deiformem contemplationem, et quodammodo explicitam, articulorum quos fides sub quodam modo involuto tenet secundum humanum modum. Et ideo sapientia est donum, fides autem virtus.

1. La sagesse qui est une vertu intellectuelle se rapporte à l’intelligence des principes, car elle l’englobe d’une certaine manière, comme on le dit dans Éthique, VI, selon qu’à partir des principes, elle s’occupe des réalités les plus élevées et les plus difficiles, et les ordonne aussi, pour autant qu’elle ramène tout à un seul principe, et qu’il lui revient de disputer contre ceux qui les nient. De même, la sagesse qui est un don se rapporte-t-elle à la foi, qui est une connaissance simple des articles [de foi], qui sont les principes de toute la sagesse chrétienne. En effet, le don de sagesse accède à une contemplation déiforme et, d’une certaine manière, explicite des articles que la foi garde sous un mode enveloppé selon un mode humain. Ainsi donc, la sagesse est un don, mais la foi est une vertu.

[12694] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sapientia non dicitur pietas, quae est latria, per essentiam, sed quasi per causam, quia proxime ad latriam inclinat.

2. La sagesse n’est pas appelée la piété selon son essence, ce qui est la latrie, mais selon sa cause, car elle incline à la latrie d’une manière prochaine.

[12695] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod aequivocatio est in sapientia, ut dictum est.

3. Il y a équivoque à propos de la sagesse, comme on l’a dit.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[12696] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod, sicut dictum est, ad sapientem pertinet judicare, et ordinare. Judicium autem de aliquibus fieri non potest nisi per ea quae sunt lex et regula eorum. Semper autem oportet quod superiora sint inferiorum regula; et ideo oportet de infimis per superiora judicare: unde quamvis intentio quandoque ab infimis incipiat, et ad suprema tendat, tamen judicium nunquam perficitur nisi per superiora, in quibus inferiora resolvuntur: et ideo oportet sapientem de altissimis cognitorem esse. Altissimum autem dicitur dupliciter. Uno modo simpliciter, quod praeeminet omnibus; et hoc modo divina altissima sunt: unde eum qui simpliciter sapiens dicitur, oportet circa divina instructum esse. Alio modo dicitur altissimum in genere aliquo; et qui circa hoc instructus est, non simpliciter, sed in genere illo sapiens dicitur: sicut in artificialibus altissimum est usus illorum propter quod fiunt: unde qui habet artem usualem, quae architectonica dicitur, in singulis artificiis sapiens illius artificii dicitur: et per modum istum prudens in rebus humanis quibus praecipit, sapiens dicitur. Et quia per delectationes et alias passiones corrumpitur aestimatio prudentiae, ut dicitur in 6 Ethic.; ideo apud Senecam et alios morales philosophos translatum est nomen sapientiae ad temperantiam et alias morales virtutes, inquantum passiones refrenant, et sic prudentiam conservant: unde dicunt, quod sapiens non perturbatur, et hujusmodi. Patet ergo quod sapientia quae simpliciter sapientia dicitur, sive sit virtus intellectualis, sive donum, de divinis est principaliter: et inquantum per ea de omnibus aliis judicare potest, sapiens omnium certissimus esse dicitur.

Comme on l’a dit, il relève de la sagesse de juger et d’ordonner. Or, un jugement ne peut être porté sur certaines choses qu’à partir de ce qui est une loi et une règle pour elles. Or, il est nécessaire que des réalités supérieures soient une règle pour les réalités inférieures. C’est pourquoi il est nécessaire de juger des plus petites choses par des réalités supérieures. Bien que l’attention se porte parfois pour commencer sur les plus petites choses et tende vers les réalités suprêmes, le jugement n’est cependant jamais réalisé que selon les réalités supérieures auxquelles les réalités inférieures se ramènent. Aussi faut-il que le sage connaisse les réalités les plus élevées. Or, on parle de ce qui est le plus élevé de deux manières. D’une manière, simplement, ce qui dépasse toutes choses. De cette manière, les réalités divines sont les plus élevées. Aussi faut-il que celui qui est appelé sage simplement ait été instruit des réalités divines. D’une autre manière, on parle de plus élevé dans un genre. Celui qui en a été instruit n’est donc pas appelé sage simplement, mais dans ce genre. Ainsi, pour les réalités qui relèvent de l’art, ce qui est le plus élevé est l’usage pour lequel elles sont réalisées. Aussi, dans chacun des arts, celui qui possède l’art d’en user, qu’on appelle architectonique, est-il appelé sage en cet art. De cette manière, celui qui est prudent pour les affaires humaines qu’il commande est-il appelé sage. Et parce que l’estimation de la prudence est corrompue par les plaisirs et les autres passions, comme on le dit dans Éthique, VI, chez Sénèque et chez les autres philosophes moralistes, le nom de sagesse a été reporté sur la tempérance et sur les autres vertus morales dans la mesure où elles réfrènent les passions et sauvegardent ainsi la prudence. Ils disent donc que le sage n’est pas troublé, et d’autres choses de ce genre. Il est donc clair que la sagesse, appelée simplement sagesse, qu’elle soit une vertu intellectuelle ou qu’elle soit un don, porte principalement sur les réalités divines, et, pour autant qu’elle peut juger de toutes les autres réalités selon elle, on dit que le sage est celui qui possède la plus grande certitude sur toutes choses.

[12697] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 1 qc. 2 ad arg. Et per hoc patet solutio ad objecta.

Ainsi ressort clairement la réponse aux objections.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[12698] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod, sicut dictum est, sapientiae donum eminentiam cognitionis habet, per quamdam unionem ad divina, quibus non unimur nisi per amorem, ut qui adhaeret Deo, sit unus spiritus cum eo: 1 Corinth., 6. Unde et dominus, Joan. 15, secreta patris se revelasse discipulis dicit, inquantum amici erant. Et ideo sapientiae donum dilectionem quasi principium praesupponit, et sic in affectione est. Sed quantum ad essentiam in cognitione est; unde ipsius actus videtur esse et hic et in futuro divina amata contemplari, et per ea de aliis judicare non solum in speculativis, sed etiam in agendis, in quibus ex fine judicium sumitur; et ideo Gregorius sapientiam contra stultitiam ponit; quae importat errorem circa finem intentum.

Comme on l’a dit, le don de sagesse comporte une élévation de la connaissance par une certaine union aux réalités divines, auxquelles nous ne sommes unis que par l’amour, de sorte que celui qui s’attache à Dieu est un seul esprit avec lui, 1 Co 6. Ainsi le Seigneur dit-il qu’il a révélé à ses disciples les secrets du Père, Jn 15, parce qu’ils étaient ses amis. C’est pourquoi le don de sagesse présuppose l’amour comme principe et se trouve ainsi dans l’affectivité. Mais, pour ce qui est de son essence, il se trouve dans la connaissance. Aussi son acte semble-t-il être de contempler les réalités divines aimées ici et dans l’avenir, et de juger par elles des autres choses, non seulement spéculatives, mais aussi à accomplir, pour lesquelles il tire son jugement de la fin. C’est pourquoi Grégoire oppose la sagesse à la sottise, qui comporte une erreur sur la fin visée.

[12699] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod saporem sapientia importat quantum ad dilectionem praecedentem, non quantum ad cognitionem sequentem, nisi ratione delectationis, quae ipsam cognitionem in actu exequitur. Vel dicendum, quod dictum Ecclesiastici non intelligitur quantum ad similitudinem nominis cum sapore: quia illa similitudo, etsi sit in lingua Latina, non tamen est in aliis linguis: sed loquitur quantum ad significatum quod omnes concipiunt de nomine sapientiae, in quacumque lingua dicatur.

1. La sagesse comporte un goût pour ce qui est de l’amour qui la précède, mais non pour ce qui de la connaissance qui la suit, si ce n’est en raison de la délectation qui suit la connaissance en acte. Ou bien il faut dire que ce que dit l’Ecclésiastique ne s’entend pas de la ressemblance du nom avec le goût, car cette ressemblance, même si elle existe en latin, n’existe cependant pas dans les autres langues. Mais il parle d’un sens que tous conçoivent à propos du nom de la sagesse, quelle que soit la langue dans laquelle il est exprimé.

[12700] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum patet solutio per id quod dictum est in corp.

2. La réponse ressort clairement de ce qui a été dit dans le corps.

[12701] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod pacificatio illa pertinet ad effectum ordinationis sapientiae, quia omnis ordinans pacem intendit; non autem quantum ad essentialem ipsum actum.

3. Cet apaisement relève de l’effet de la mise en ordre par la sagesse, car tout ce qui met en ordre vise la paix ; mais il ne relève pas de son acte essentiel même.

 

 

Articulus 2 [12702] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 2 tit. Utrum intellectus sit donum

Article 2 – L’intelligence est-elle un don ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [L’intelligence est-elle un don ?]

[12703] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod intellectus non sit donum. Nullum enim donum, secundum quod nunc de dono loquimur, est nobis a natura. Sed intellectus est nobis naturaliter insitus. Ergo intellectus non est donum.

1. Il semble que l’intelligence ne soit pas un don. En effet, aucun don, tel que nous en parlons ici, ne nous vient de la nature. Or, l’intelligence nous est donnée naturellement. L’intelligence n’est donc pas un don.

[12704] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, ea quae sunt unius divisionis, videntur esse unius rationis. Sed intellectus quandoque dividitur contra voluntatem, quandoque autem contra rationem. Sed voluntas non est donum neque ratio. Ergo neque intellectus.

2. Ce qui ne fait pas partie de la même division ne relève pas d’une même raison. Or, l’intelligence est parfois divisée par opposition à la volonté, mais parfois par rapport à la raison. Or, ni volonté ni la raison ne sont un don. Donc, ni l’intelligence.

[12705] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, Gregorius dicit in principio Moral., quod intellectus in die suo pascit, dum de auditis mentem illustrat. Ergo intellectus est ex auditu, sicut et fides. Sed fides non est donum, sed virtus. Ergo intellectus non est donum.

3. Au début des Morales, Grégoire dit que « l’intelligence paît lorsqu’il fait jour, alors qu’elle éclaire l’esprit sur ce qui a été entendu ». L’intelligence vient donc de l’ouïe comme la foi. Or, la foi n’est pas un don, mais une vertu. L’intelligence n’est donc pas un don.

[12706] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Isai. 11, ubi spiritus intellectus computatur inter septem dona spiritus sancti.

Cependant, [1] Is 11 parle en sens contraire : il y est dit que l’intelligence est comptée parmi les sept dons de l’Esprit saint.

[12707] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, donorum propria est ratio, ut prius dictum est, ut per ea quis super humanum modum operetur. Sed operatio intellectus praecipue est supra hominem, ut dicitur in Ethic. Ergo intellectus maxime debet dici donum.

[2] La raison propre des dons, comme on l’a dit auparavant, est que, par eux, quelqu’un agisse au-delà d’un mode humain. Or, l’opération de l’intelligence porte surtout sur ce qui dépasse l’homme, comme il est dit dans Éthique. L’intelligence surtout doit donc être appelée un don.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le don d’intelligence possède-t-il un acte en cours de route ?]

[12708] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod donum intellectus non habeat aliquem actum in via. Intellectus enim importat quamdam cognitionem sine obumbratione: unde Isaac dicit, quod ubi obumbratur intellectus, oritur ratio. Sed impossibile est quod in statu viae cognoscamus sine obumbratione phantasmatum, ut philosophus ostendit in 3 de anima. Ergo intellectus non habet aliquem actum in via.

1. Il semble que le don d’intelligence ne possède pas d’acte en cours de route. En effet, l’intelligence implique une connaissance sans ombre. Aussi Isaac dit-il que « là où l’intelligence est voilée, là se lève la raison ». Or, il est impossible qu’en cours de route, nous connaissions sans l’ombre des phantasmes, comme le Philosophe le montre dans Sur l’âme, III. L’intelligence ne possède donc pas d’acte en cours de route.

[12709] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, Dionysius dicit, 1 cap. Cael. Hier., quod impossibile est nobis aliter lucere divinum radium, nisi varietate sacrorum velaminum circumvelatum. Sed ubicumque est cognoscere per aliqua velamina, oportet esse collationem, quae non ad intellectum sed ad rationem pertinet. Ergo non est possibile quod in statu viae sit nobis intellectus actus.

2. Dans La hiérarchie céleste, I, Denys dit qu’un rayon divin ne peut nous éclairer autrement que voilé par une diversité de voiles sacrés. Or, partout où l’on connaît sous des voiles, il faut un rapprochement qui ne relève pas de l’intelligence, mais de la raison. Il n’est donc pas possible qu’il y ait pour nous un acte d’intelligence pendant que nous sommes en route.

[12710] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, actus intellectus est videre Deum: hoc enim ponitur in sexta beatitudine, quae ad intellectum refertur. Sed Deum nullus potest videre in hac mortali carne existens. Ergo in statu viae non habemus usum intellectus.

3. L’acte de l’intelligence consiste à voir Dieu. En effet, ce qui est dit dans la sixième béatitude se rapporte à l’intelligence. Or, personne ne peut voir Dieu alors qu’il se trouve dans cette chair mortelle. Nous n’avons donc pas l’usage de l’intelligence pendant que nous sommes en route.

[12711] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 4 Praeterea, Augustinus dicit in quodam sermone de timore, quod intellectus vocatur quo ab omni infirmitate corda mundantur, ut pura intentio dirigatur in finem. Sed impossibile est in statu viae ab omni infirmitate corda mundari. Ergo impossibile est in statu viae actum intellectus esse.

4. Dans un sermon sur la crainte, Augustin dit qu’on parle d’intelligence pour les cœurs qui sont purifiés de toute faiblesse, de sorte que leur intention pure est dirigée vers la fin. Or, il est impossible que les cœurs soient purifiés de toute faiblesse dans l’état du cheminement. Il est donc impossible qu’existe un acte d’intelligence dans l’état du cheminement.

[12712] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, habitus ordinatur ad actum. Si ergo actus intellectus a nobis in via haberi non posset, frustra nobis donum intellectus daretur.

Cependant, [1] l’habitus est ordonné à l’acte. Si donc nous ne pouvions pas avoir un acte d’intelligence en cours de route, le don d’intelligence nous serait donné en vain.

[12713] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 2 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, sexta beatitudo ad intellectus donum refertur. Sed in illa ponitur aliquid pertinens ad statum viae, et aliquid ad statum patriae. Ergo intellectus habet actum in nobis et quantum ad statum viae, et quantum ad statum patriae.

[2] La sixième béatitude se rapporte au don d’intelligence. Or, dans celle-ci, on met quelque chose qui se rapporte à l’état du cheminement et quelque chose qui se rapporte à la patrie. L’intelligence a donc en nous un acte tant pour l’état du cheminement que pour l’état de la patrie.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [L’intelligence se différencie-t-elle de la sagesse ?]

[12714] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod intellectus a sapientia non differat. Totum enim a parte essentialiter non distinguitur. Sed intellectus videtur esse totum respectu sapientiae, quae est tantum de Deo, cum intellectus sit de Deo et spiritualibus creaturis. Ergo intellectus essentialiter a sapientia non differt.

1. Il semble que l’intelligence ne se différencie pas de la sagesse. En effet, le tout ne se différencie pas de la partie par essence. Or, l’intelligence semble être un tout par rapport à la sagesse, qui porte seulement sur Dieu, alors que l’intelligence porte sur Dieu et les créatures spirituelles. L’intelligence ne se différencie donc pas de la sagesse par essence.

[12715] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, sapientia, ut in littera Magister dicit, delectationem circa divina experitur. Sed hoc idem videtur ad intellectum pertinere: in consideratione enim intellectus est maxima delectatio, sicut dicit philosophus in 10 Ethic. Ergo intellectus a sapientia non differt.

2. Comme le dit le Maître dans le texte, la sagesse fait l’expérience d’une délectation à propos des réalités divines. Or, la même chose semble relever de l’intelligence. En effet, « la plus grande délectation se trouve  dans la considération », comme le dit le Philosophe, Éthique, X. L’intelligence ne se différencie donc pas de la sagesse.

[12716] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, ad eumdem actum non oportet ordinari diversos habitus, cum habitus distinguantur per actus. Sed tam sapientia quam intellectus ordinantur ad contemplationem. Cum ergo contemplatio sit unus actus, videtur quod sapientia et intellectus sit unus habitus.

3. Des habitus différents ne doivent pas être ordonnés à un même acte, puisque les habitus se distinguent par les actes. Or, aussi bien la sagesse que l’intelligence sont ordonnées à la contemplation. Puisque la contemplation est un seul acte, il semble donc que la sagesse et l’intelligence soient un seul habitus.

[12717] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod dividuntur ex opposito, Isai. 11.

Cependant, [1] elles sont distinguées par mode d’opposition, Is 11.

[12718] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, dona correspondent virtutibus. Sed alia virtus est intellectus, et alia sapientia, ut patet in 6 Ethic. Ergo et aliud est unum donum ab alio.

[2] Les dons correspondent aux vertus. Or, autre est la vertu d’intelligence, autre la vertu de sagesse, comme cela ressort clairement d’Éthique, VI. Un don est donc différent de l’autre.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[12719] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod intellectus secundum suum nomen importat cognitionem pertingentem ad intima rei. Unde cum sensus et imaginatio circa accidentia occupentur quae quasi circumstant essentiam rei, intellectus ad essentiam ejus pertingit. Unde secundum philosophum, objectum intellectus est quid. Sed in apprehensione hujus essentiae est differentia. Aliquando enim apprehenditur ipsa essentia per seipsam, non quod ad eam ingrediatur intellectus ex ipsis quae quasi circumvolvuntur ipsi essentiae; et hic est modus apprehendendi substantiis separatis; unde intelligentiae dicuntur. Aliquando vero ad intima non pervenitur nisi per circumposita quasi per quaedam ostia; et hic est modus apprehendendi in hominibus, qui ex effectibus et proprietatibus procedunt ad cognitionem essentiae rei. Et quia in hoc oportet esse quemdam discursum; ideo hominis apprehensio ratio dicitur, quamvis ad intellectum terminetur in hoc quod inquisitio ad essentiam rei perducit. Unde si aliqua sunt quae statim sine discursu rationis apprehendantur, horum non dicitur esse ratio, sed intellectus; sicut principia prima, quae quisque statim probat audita. Primo ergo modo intellectus potentia est; sed secundo modo accipiendo, habitus principiorum dicitur. Sicut autem mens humana in essentiam rei non ingreditur nisi per accidentia, ita etiam in spiritualia non ingreditur nisi per corporalia, et sensibilium similitudines, ut Dionysius dicit. Unde fides quae spiritualia in speculo et aenigmate quasi involuta tenere facit, humano modo mentem perficit; et ideo virtus est. Sed si supernaturali lumine mens intantum elevetur ut ad ipsa spiritualia aspicienda introducatur, hoc supra humanum modum est; et hoc facit intellectus donum, quod de auditis mentem illustrat, ut ad modum primorum principiorum statim audita probentur; et ideo intellectus donum est.

L’intelligence, d’après son nom, comporte une connaissance qui atteint jusqu’au cœur d’une chose. Puisque le sens et l’imagination sont occupés par les accidents, qui entourent pour ainsi dire l’essence d’une chose, l’intelligence en atteint donc l’essence. Selon le Philosophe, l’objet de l’intelligence est donc est l’essence. Or, dans la saisie de cette essence, il existe une différence. En effet, l’essence est parfois saisie par elle-même, sans que l’intelligence la pénètre à partir de ce qui entoure pour ainsi dire l’essence elle-même. Tel est le mode de la saisie chez les substances séparées ; aussi sont-elles appelées des intelligences. Mais parfois on n’atteint le cœur que par ce qui l’entoure, comme par des portes. Tel est le mode de la saisie pour les hommes, qui passent des effets et des propriétés à la connaissance de l’essence d’une chose. Et parce qu’il est nécessaire qu’il y ait là une certaine démarche, la saisie de l’homme est donc appelée raison, bien qu’elle se termine à l’intelligence du fait que la recherche mène à l’essence de la chose. Si donc il existe certaines choses qui sont saisies immédiatement sans démarche, on ne dit pas qu’il existe un raisonnement à leur sujet, mais l’intelligence, comme c’est le cas des principes premiers, que chacun reconnaît dès qu’il les a entendus. Selon la première manière de saisir, l’intelligence est une puissance ; mais, selon la seconde, elle est appelée l’habitus des principes. Or, de même que l’esprit humain n’accède à l’essence d’une chose que par les accidents, de même aussi il n’accède-t-il aux réalités spirituelles que par les réalités corporelles et par les ressemblances des réalités sensibles, comme le dit Denys. Aussi la foi qui fait saisir les réalités spirituelles dans un miroir et en énigme perfectionne-t-elle l’esprit selon un mode humain ; c’est pourquoi elle est une vertu. Mais si l’esprit est élevé par une lumière surnaturelle au point d’accéder à regarder les réalités spirituelles, cela dépasse le mode humain. C’est ce que fait le don d’intelligence, qui éclaire l’esprit à propos de ce qui a été entendu, afin que cela soit immédiatement reconnu à la manière des premiers principes. C’est pourquoi l’intelligence est un don.

[12720] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 2 qc. 1 ad arg. Et per hoc patet solutio ad objecta.

La réponse aux objections ressort ainsi clairement.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[12721] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod intellectus ad spiritualia ingreditur dupliciter. Uno modo per viam remotionis, dum a spiritualibus viam quae in corporalibus invenitur, removet. Alio modo secundum quod ulterius in ipsa spiritualia defigit intuitum. In statu ergo viae intellectus ingreditur ad spiritualia primo modo, maxime ad divina: quia in hoc perficitur cognitio humana secundum statum viae, ut intelligamus Deum ab omnibus separatum, super omnia esse, ut dicit Dionysius in Lib. de mystica theologia. Et ad hoc pervenit Moyses, qui dicitur intrasse ad caliginem, in qua Deus erat, Exod. 19. Et propter hoc etiam quantum ad statum viae munditia ponitur in sexta beatitudine, quae pertinet ad depurationem intellectus ab omnibus corporalibus. Sed ad secundum modum pertingere non possumus in statu viae, maxime quantum ad Deum; sed hoc erit in patria. Unde Gregorius super Ezech.: quamdiu in hac carne mortali vivitur, nullus ita in contemplationis virtute proficit, ut in ipso jam incircumscripto luminis radio mentis oculos infigat; sed quidquid de illo modo conspicitur, non est ipse, sed sub ipso est. Hoc tamen infirmae mentis desiderio satisfacit: quia secundum quod philosophus dicit in 11 de animalibus, amans in parva comprehensione amati magis delectatur quam in magna aliorum comprehensione. Et ideo, ut ipse dicit, illud parum quod de substantiis separatis cognoscere possumus, plus desideratur et delectat quam quidquid de aliis rebus cognoscimus.

L’intellect accède aux réalités spirituelles de deux manières. D’une manière, par mode de soustraction, lorsqu’il enlève des réalités spirituelles le chemin qui se trouve dans les réalités corporelles. D’une autre manière, selon qu’il fixe en plus le regard sur les réalités spirituelles. Dans l’état du cheminement, l’intelligence accède aux  réalités spirituelles, et surtout aux réalités divines, de la première manière, car la connaissance humaine dans l’état du cheminement se réalise par le fait que nous comprenons que Dieu est séparé de toutes choses et au-dessus de toutes, comme le dit Denys dans le livre sur La théologie mystique. C’est à ce point qu’est parvenu Moïse, qui dit avoir pénétré dans une nuée dans laquelle se trouvait Dieu, Ex 19. Aussi, pour ce qui est de l’état du cheminement, il est question de pureté dans la sixième béatitude, qui se rapporte à la purification de l’intelligence de toutes les réalités corporelles. Mais nous ne pouvons pas parvenir au second mode dans l’état du cheminement, surtout en ce qui concerne Dieu, mais ce sera le cas dans la patrie. Aussi Grégoire dit-il en commentant Ézéchiel : « Aussi longtemps qu’il vit en cette chair mortelle, personne ne progresse dans la puissance de la contemplation au point de fixer les yeux de l’esprit sur le rayon lumineux infini ; mais tout ce qui est vu de cette manière n’est pas lui, mais lui est inférieur. » Toutefois, cela satisfait le désir d’un esprit faible, car, ainsi que le dit le Philosophe dans Sur les animaux, XI, « celui qui aime prend davantage plaisir dans une faible saisie de celui qui est aimé que dans une grande saisie des autres. » C’est pourquoi, ainsi que lui-même le dit, le peu que nous pouvons connaître des substances séparées est davantage désiré et donne plus de plaisir que tout ce que nous connaissons des autres choses.

[12722] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod umbra quae in statu viae in intellectu nostro est, nos impedit ne in divinam essentiam mentis oculos defigere valeamus.

1. L’ombre qui existe dans notre intelligence dans l’état du cheminement n’empêche pas que nous puissions fixer les yeux de l’esprit sur l’essence divine.

[12723] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Dionysius loquitur quantum ad principium revelationis divinorum, in qua quasi per sermonem quemdam nobis in signis et figuris proponuntur; sed ulterius de auditis, sicut per donum intellectus, mens illustratur.

2. Denys parle du commencement de la révélation des réalités divines, par laquelle elles nous sont proposées dans des signes et des figures comme par un discours ; mais, par la suite, l’esprit est éclairé à propos de ce qui a été entendu, comme par le don d’intelligence.

[12724] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod videre Deum defigendo intuitum in essentiam ejus non possumus in statu viae, sed alio modo, ut dictum est in corp.

3. Dans l’état du cheminement, nous ne pouvons pas voir Dieu dans son essence, mais d’une autre manière, comme on l’a dit dans le corps.

 [12725] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Augustinus nominat infirmitatem humanam corporalia phantasmata, quae oportet removere per intellectum tendentes in Deum.

4. Augustin appelle faiblesse humaine les phantasmes corporels, que ceux qui tendent vers Dieu doivent écarter par l’intellect.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[12726] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod intellectus videtur nominare simplicem apprehensionem; sed sapientia nominat quamdam plenitudinem certitudinis ad judicandum de apprehensis: et ideo intellectus videtur pertinere ad viam inventionis, sed sapientia ad viam judicii. Sed quia judicium non potest esse de apprehensis nisi per suprema, quibus sapiens mente unitur, ut quasi in superiori collocatus de omnibus judicet, quae quidem unio ad divina per dilectionem est; ideo sapientia circa divina principaliter est, et habet circa ea delectationem ex dilectione causatam; intellectus autem est indifferenter circa omnia apprehensa spiritualia, et delectationem ex amore ad apprehensa causatam, quantum est in se, non importat.

L’intelligence semble désigner une simple saisie ; mais la sagesse désigne une plénitude de certitude pour juger de ce qui a été saisi. C’est pourquoi l’intelligence semble être en rapport avec l’invention, mais la sagesse, avec le jugement. Mais parce que le jugement ne peut porter sur ce qui a été saisi qu’à partir des réalités les plus élevées, auxquelles le sage est uni par l’esprit, comme s’il jugeait de tout à partir d’un point élevé qui est l’union aux réalités divines par l’amour, la sagesse porte donc principalement sur les réalités divines et possède à leur propos un plaisir causé par l’amour. Mais l’intelligence porte indifféremment sur toutes les réalités spirituelles saisies et ne comporte pas en elle-même un plaisir causé par l’amour de ce qui est saisi.

[12727] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non eodem modo considerat de Deo intellectus et sapientia; et ideo sapientia non includitur in intellectu; sed alio modo, ut dictum est in corp.

1. L’intelligence et la sagesse ne considèrent pas Dieu de la même manière. C’est pourquoi la sagesse n’est pas incluse dans l’intelligence. Mais [ils le considèrent] d’une autre manière, comme on l’a dit dans le corps.

[12728] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod delectatio quae est in actu intellectus, causatur ex congruentia operationis ad operantem; non autem ex dilectione ad ea circa quae est operatio, sicut est in sapientia.

2. Le plaisir qui se trouve dans l’acte d’intelligence est causé par ce en quoi l’action et celui agit se conviennent, et non par l’amour de ce sur quoi porte l’opération, comme c’est le cas pour la sagesse.

[12729] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in contemplatione est necessaria apprehensio quae est per intellectum et judicium, quod est per sapientiam: et ideo necessaria sunt dona.

3. Dans la contemplation, il existe une saisie nécessaire qui se réalise par l’intelligence et le jugement, qui vient de la sagesse. C’est pourquoi ils sont des dons nécessaires.

 

 

Articulus 3 [12730] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 3 tit. Utrum donum scientiae sit tantum de humanis

Article 2 – Le don de science porte-t-il seulement sur les réalités humaines ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le don de science porte-t-il seulement sur des réalités humaines ?]

[12731] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod donum scientiae non sit tantum de humanis, sed etiam de divinis. Dicit enim Augustinus in littera, quod scientia donum est, qua fides defenditur et roboratur. Sed fides est de divinis. Ergo scientia est de divinis.

1. Il semble que le don de science ne porte pas seulement sur des réalités humaines, mais aussi sur les réalités divines. En effet, Augustin dit dans le texte que « le don de science est ce par quoi la foi est défendue et renforcée ». Or, la foi porte sur des réalités divines. La science porte donc sur des réalités divines.

[12732] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, scientia donum est altior quam scientia virtus. Sed scientia virtus de divinis est, sicut metaphysica, vel etiam theologia. Ergo et scientia donum de divinis est.

2. Le don de science est plus élevé que la vertu de science. Or, la vertu de science porte sur les réalités divines, telle la métaphysique ou encore la théologie. Le don de science aussi porte donc sur les réalités divines.

[12733] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, caput est conforme membris. Sed sapientia quae est de divinis, in metaphysicis dicitur caput scientiarum. Ergo scientia de divinis est.

3. La tête est conforme aux membres. Or, la sagesse qui porte sur les réalités divines est appelée, en métaphysique, la tête des sciences. La science porte donc sur les réalités divines.

[12734] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, per scientiam scimus conversari in medio pravae et perversae nationis, ut in littera dicitur. Sed hoc non pertinet ad divina, sed ad humana. Ergo scientia non est divinorum, sed humanorum.

Cependant, [1] par la science, nous savons nous comporter au sein d’une nation dépravée et perverse, comme il est dit dans le texte. Or, cela ne se rapporte pas aux réalités divines, mais aux réalités humaines. La science ne porte donc pas sur les réalités divines, mais sur les réalités humaines.

[12735] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, ad idem non sunt necessarii duo habitus. Sed ad divina ordinatur sapientia. Ergo scientia non est divinorum.

[2] Deux habitus ne sont pas nécessaires pour la même chose. Or, la sagesse est ordonnée aux réalités divines. La science ne porte donc pas sur les réalités divines.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le don de science est-il seulement pratique ou aussi spéculatif ?]

[12736] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non sit tantum practica, sed etiam speculativa. Quia quanto aliqua cognitio est altior, tanto ad plura se extendit. Sed scientia donum est altior quam scientia quae ponitur virtus intellectualis. Ergo cum scientia quae est virtus intellectualis, se extendat ad operabilia et speculabilia, videtur quod multo fortius scientia quae est donum.

1. Il semble que [le don de science] ne soit pas seulement pratique, mais aussi spéculatif, car plus une connaissance est élevée, plus nombreuses sont les réalités sur lesquelles elle porte. Or, le don de science est plus élevé que la science qui est présentée comme une vertu intellectuelle. Puisque la science qui est une vertu intellectuelle couvre ce qui peut être accompli et ce qui est objet de spéculation, il semble donc qu’à bien plus forte raison, ce soit le cas du don de science.

[12737] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, philosophus in principio Metaph. probat quod scientia speculativa est nobilior quam practica, inquantum per se speculativae expetuntur, non autem practicae. Sed scientia quae est donum, debet esse altissima scientia. Ergo est magis speculativa quam practica.

2. Au début de la Métaphysique, le Philosophe montre que la science spéculative est plus noble que la science pratique dans la mesure où ce qui relève de la [science spéculative] est recherché pour lui-même, mais non ce qui relève de la [la science] pratique. Or, la science qui est un don doit être la science la plus élevée. Elle est donc plus spéculative que pratique.

[12738] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, scientia perficit inferiorem rationem, ut Augustinus dicit: inferior autem ratio contra superiorem dividitur. Superior autem est tam speculativa quam practica: quia, secundum Augustinum, inhaeret aeternis conspiciendis, quod speculationis est; et consulendis, quod actionis est. Ergo similiter ratio inferior. Ergo sapientia et scientia sunt speculativae et practicae.

3. La science perfectionne la raison inférieure, comme le dit Augustin ; mais la raison inférieure se distingue de la raison supérieure. Or, la raison supérieure est aussi bien spéculative que pratique, car, selon Augustin, « elle s’attache à regarder les réalités éternelles – ce qui relève de la spéculation ‑, et à conseiller – ce qui relève de l’action ». Donc, la raison inférieure aussi [est aussi bien spéculative que pratique]. La science et la sagesse appartiennenet donc aussi à la [raison] spéculative et à la [raison] pratique.

[12739] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod Augustinus dicit, quod actio qua bene utimur rebus temporalibus, scientiae deputatur. Sed usus rerum temporalium ad practicam pertinet. Ergo scientia, de qua hic loquimur, est practica.

Cependant, [1] Augustin dit que « l’action par laquelle nous faisons un bon usage des réalités temporelles est attribuée à la science ». Or, l’usage des réalités temporelles relève de la [raison] pratique. La science dont nous parlons ici est donc pratique.

[12740] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 3 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, ab omnibus dicitur, quod scientia donum dirigit pietatem. Sed pietas ad activam vitam pertinet. Ergo et scientia: ergo est practica.

[2] Tous disent que le don de science dirige la piété. Or, la piété relève de la vie active. Donc, la science aussi. Elle est donc pratique.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La science des réalités humaines peut-elle comporter une curiosité nuisible ?]

[12741] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod in scientia humanorum non sit aliquid noxiae curiositatis. Maxime enim cognoscere mala, malum esse videtur. Sed scientia malorum bona est; alias in Deo non esset. Ergo in scientia non potest esse aliquid noxiae curiositatis.

1. Il semble qu’il n’y ait pas de curiosité nuisible dans la science de réalités humaines. En effet, connaître surtout les réalités mauvaises semble être un mal. Or, la science de réalités mauvaises est bonne, autrement elle n’existerait pas en Dieu. Il ne peut donc pas y avoir de curiosité nuisible dans la science.

[12742] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, quanto aliquis magis accedit ad suam perfectionem, tanto magis laudabilis est. Sed homo per scientiam cujuslibet rei perficitur, quia trahitur de potentia ad actum, cum intellectus noster sit potentia omnia intelligibilia, ut dicitur in 3 de anima. Ergo in scientia non potest accidere peccatum.

2. Plus quelqu’un s’approche de sa perfection, plus il est louable. Or, l’homme est perfectionné par la science de n’importe quoi, car il est amené de la puissance à l’acte, puisque « notre intelligence est en puissance tous les intelligibles », comme on le dit dans Sur l’âme, III. Le péché ne peut donc pas survenir dans la science.

[12743] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 3 Praeterea, in medio non est accipere superfluum, sicut nullus potest esse nimis castus. Sed scientia in medio consistit, cum sit virtus intellectualis, ut in 33 distinct., quaest. 1, art. 3, dictum est. Ergo non potest esse superfluitas in sciendo; et ita non potest esse aliqua noxietas curiositatis.

3. Au milieu, on ne conçoit rien de superflu ; ainsi personne ne peut être trop chaste. Or, la science consiste dans un milieu, puisqu’elle est une vertu intellectuelle, ainsi qu’on l’a dit, d. 33, q. 1, a. 3. Il ne peut donc y avoir de superflu dans la science, et ainsi la faute de la curiosité ne peut exister.

[12744] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, nullus punitur nisi pro peccato. Sed Hieronymus, se punitum astruit pro eo quod in libris Ciceronis studebat. Ergo potest esse in scientia humanorum peccatum.

Cependant, [1] personne n’est puni que pour un péché. Or, Jérôme estime être puni pour s’être appliqué aux livres de Cicéron. Il peut donc exister un péché dans la science de réalités humaines.

[12745] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 3 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, expendere tempus in inutilibus, videtur non esse sine peccato. Sed quaedam scientiae videntur esse vel parum vel nihil utiles ad bene vivendum, cui homo debet totus insistere; sicut scientiae mathematicae. Ergo videtur quod in eis studere sit peccatum.

[2] Consacrer du temps à des choses inutiles ne semble pas être sans péché. Or, certaines sciences semblent être peu ou pas utiles pour bien vivre, ce à quoi l’homme doit se consacrer entièremenet ; c’est le cas des sciences mathématiques, par exemple. Il semble donc que s’y appliquer soit un péché.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[12746] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod duorum dividentium aliquod commune, illud quod aliquam excellentiam super rationem communis addit, proprium nomen ex illa differentia addita accipit. Quod autem nullam differentiam dignitatis addit, nomen commune retinet; sicut patet in proprio et definitione: quia proprium essentiale dicitur definitio, proprium autem non essentiale vocatur nomine communi proprium. Similiter etiam est in proposito. Omnis enim certitudinalis cognitio alicujus, et praecipue si sit complexi, per rationis collationem habita, scientia dicitur. Sed illa quae est de altissimis, quasi aliarum ordinatrix et judex, proprium nomen superaddit, et sapientia dicitur; aliae vero scientiae quae ei subduntur, simpliciter scientiae nomen retinent. Et hoc modo accipiendo scientiam, est tantum de rebus creatis, sapientia vero de divinis; sive loquamur in virtutibus intellectualibus, sive in donis.

Ce qui ajoute une supériorité à la raison du facteur commun à deux choses qui divisent tire son nom propre de la différence ajoutée. Mais ce qui n’ajoute aucune différence en dignité garde le nom commun. Cela ressort clairement pour ce qui est propre et pour la définition, car ce qui est propre et essentiel est appelé définition, mais ce qui propre et non essentiel est désigné en propre par le nom commun. Il en est de même dans ce qui est en cause. En effet, toute connaissance certaine d’une chose, surtout si elle porte sur quelque chose de complexe, et obtenue par un rapprochement de la raison est appelée science. Or, à la connaissance qui porte sur ce qui est le plus élevé et qui, comme telle, ordonne et juge les autres choses, s’ajoute un nom propre : elle est appelée sagesse ; mais les autres sciences qui lui sont soumises gardent simplement le nom de science. Si l’on entend science de cette manière, elle porte seulement sur les réalités créées, mais la sagesse, sur les réalités divines, que l’on parle des vertus intellectuelles ou que l’on parle des dons.

[12747] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod etiam ex humanis cognitio divinorum et nutritur et defenditur, quia invisibilia Dei per ea quae facta sunt, intellecta conspiciuntur; Rom. 1, 20.

1. Même la connaissance des réalités divines est nourrie et défendue à partir des réalités humaines, car ce qui est invisible en Dieu est connu par l’intelligence à partir de ce qui a été créé, Rm 1, 20.

[12748] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum et tertium patet solutio ex dictis.

La réponse au deuxième et au troisième argument ressort clairement de ce qui a été dit.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[12749] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod sicut est in sensibus corporis, quod sensus qui est ad esse, scilicet tactus, est in omnibus membris; qui autem sunt ad bene esse, sunt in corde tantum, per quod alia membra reguntur; ita etiam est de donis gratuitis quae in Ecclesia dantur. Quaedam enim sunt de necessitate salutis; et haec oportet quod omnibus membris Christi dentur: et hujusmodi sunt quae pertinent ad gratiam gratum facientem, ut virtutes et dona. Quaedam autem sunt, quae sunt ad bene esse, sicut gratiae gratis datae, ut operatio miraculorum, et hujusmodi; et haec non omnibus Christi membris dantur, sed illis tantum quibus expedit ad aedificationem fidei. Cum ergo scientia sit donum, et sit circa res creatas, oportet quod de ratione scientiae sit tantum illa cognitio quae est ad necessitatem salutis. Non est autem de necessitate salutis cognitio rerum quantum ad naturas et quidditates suas, sed solum cognitio eorum quae quis debet facere vel vitare: et ipsa scientia contemplativa non pertinet ad rationem doni scientiae, sed solum scientia practica, qua homo quamdam certitudinem concipit de agendis ex praesentia spiritus: et in hoc differt a prudentia, quae non certitudinaliter, sed magis aestimative de agendis judicium habet; unde et hoc donum a certitudine judicii nomen habet: scientia vero quae ad defensionem fidei ordinatur, pertinet ad gratiam gratis datam, de qua dicitur 1 Corinth. 12, 8: alii datur sermo scientiae secundum eumdem spiritum, et non est de necessitate doni, sed de perfectione fidei. Unde dicit Augustinus in littera, quod tali scientia multi qui fidem habent, non pollent.

De même que, pour les sens du corps, le sens qui se rapporte à l’être, à savoir, le toucher, se trouve dans tous les membres, mais ceux qui se rapportent au bon état se trouvent seulement dans le cœur, par lequel les autres membres sont dirigés ; de même en va-t-il pour les dons gratuits qui sont donnés dans l’Église. En effet, certains sont nécessaires au salut, et il est nécessaire qu’ils soient donnés à tous les membres du Christ : ce sont ceux qui sont en rapport avec la grâce qui rend agréable [à Dieu][3], comme les vertus et les dons. Mais il y en a certains qui existent pour le bon état, tels les charismes, comme le fait d’accomplir des miracles et les choses de ce genre. Ceux-ci ne sont pas donnés à tous les membres du Christ, mais seulement à ceux à qui revient l’édification de la foi. Puisque la science est un don et qu’elle porte sur les réalités créées, il est donc nécessaire à la raison de la science qu’elle soit seulement une connaissance qui est nécessaire au salut. Or, la connaissance des natures et des essences des choses n’est pas nécessaire au salut, mais seulement la connaissance de ce que l’on doit accomplir ou éviter ; et la science contemplative elle-même ne relève pas du don de science, mais seulement de la science pratique, par laquelle l’homme conçoit une certitude de ce qu’il faut faire par la présence de l’Esprit. Elle diffère en cela de la prudence, qui juge de ce qu’il faut faire non pas de manière certaine, mais plutôt par mode d’estimation. Aussi ce don tire-t-il son nom de la certitude du jugement. Mais la science qui est ordonnée à la défense de la foi relève de la grâce qui rend agréable [à Dieu][4], dont il est dit en 1 Co 12, 8 : À un autre est donné le discours de la science selon le même Esprit, et elle ne fait pas nécessairement partie du don, mais de la perfection de la foi. Aussi Augustin dit-il dans le texte qu’« un grand nombre de ceux qui ont la foi ne possèdent pas une telle science ».

[12750] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod scientia altior non oportet quod extendat se ad plura nisi in illis ad quae ordinatur; et ita scientia donum ad plura se extendit quam acquisita scientia de operibus humanis: quia in multis illa deficit in quibus ista dirigit.

1. Il n’est pas nécessaire qu’une science plus élevée s’étende à plus de choses que celles auxquelles elle est ordonnée. Ainsi, le don de science s’étend à un plus grand nombre de choses que la science acquise à propos des actions humaines, parce que celle-ci est déficiente en beaucoup de choses que dirige celle-là.

[12751] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non oportet dona quantum ad omnes conditiones esse perfectiora virtutibus, sed quantum ad modum operandi qui est supra hominem, ut dictum est.

2. Il n’est pas nécessaire que les dons soient plus parfaits que les vertus selon toutes les conditions, mais quant au mode d’agir qui dépasse l’homme, comme on l’a dit.

[12752] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non est inconveniens unam potentiam diversis habitibus perfici; unde et inferior ratio, quae et speculativa et practica potest esse, perficitur dono scientiae quantum ad operabilia, scientiis vero speculativis inquantum est speculativa. Sapientia autem rationem superiorem quantum ad utrumque perficit: quia superiores rationes quibus contemplandis sapientia inhaeret, etiam operationum nostrarum regulae sunt. Unde secundum quod assumit eas ut regulas operabilium, sic in praxim extenditur.

3. Il n’est pas inapproprié qu’une seule puissance soit perfectionnée par des habitus différents. C’est pourquoi la raison inférieure, qui peut être aussi bien spéculative que pratique, est-elle perfectionnée par le don de science pour ce qui doit être accompli, mais par les sciences spéculatives en tant qu’elle est spéculative. Mais la sagesse perfectionne la raison supérieure pour les deux choses, car les raisons supérieures auxquelles la sagesse s’attache pour les contempler sont aussi les règles de nos actions. Aussi s’étend-elle à la pratique [praxis] selon qu’elle les prend comme règles de ce qui doit être accompli.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[12753] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod scire, quantum in se est, nunquam malum est, et per consequens nec addiscere: quia cujus generatio est mala, ipsum est malum. Sed per accidens contingit esse peccatum in sciendo vel addiscendo, sive considerando. Hoc autem accidens potest accidere vel ex parte cognoscibilis, vel ex parte cognoscentis. Ex parte cognoscentis est duplex accidens. Unum est quando propter occupationem in studio alicujus scientiae impeditur ab executione officii ad quod tenetur; sicut si judex propter studium geometriae desisteret a causis expediendis, vel sacerdos a confessionibus audiendis quando eas audire tenetur. Aliud est quando propter delectationem in aliqua scientia veniret in contemptum alicujus quod revereri oportet; sicut de Hieronymo accidit: quia tantum delectabatur in ornatu verborum Tullii, quod desipiebat ei incultus sermo prophetarum, ut ipse dicit. Sicut etiam accidit illis qui tantum adhaerent rationibus humanis quod a fide discedunt et eam impugnant. Ex parte vero cognoscibilis est triplex accidens. Unum est quando cognoscibile de facili ad malum inclinat, et praeterea in se parvae utilitatis est; et propter hoc prohibitae sunt scientiae magicae, ne homo in exercitium earum labatur. Aliud est quando cognoscibile est supra potentiam cognoscentis, sicut dicitur Eccli. 3, 22: altiora te ne quaesieris. Tertium est quando in se nullius utilitatis est, sicut facta contingentia hominum; unde et curiosi dicuntur qui sunt scrutatores conscientiarum proximi. In omnibus autem istis tribus contingit quod illud quod est uni curiosum non est curiosum alteri: quia aliquid est supra unius intellectum quod non est supra intellectum alterius: aliquid etiam est utile uni quod non est utile alteri: aliquid etiam facile in peccatum praecipitat unum quod non praecipitat alium.

Savoir n’est jamais mal en soi et, par conséquent, apprendre, car est mal ce même dont la génération même est mauvaise. Or,  il arrive par accident qu’il existe un péché à connaître et à apprendre ou à considérer. Toutefois, un tel accident peut se produire soit du côté de ce qui est l’objet de la connaissance, soit du côté de celui qui connaît. Du côté de celui qui connaît, il existe un double accident. L’un survient lorsque, en raison de l’occupation à l’étude d’une science, on est empêché d’accomplir une fonction à laquelle on est tenu ; ainsi, si un juge, en raison de l’étude de la géométrie, ferait défaut d’expédier les causes ou un prêtre, d’entendre les confessions, lorsqu’il est tenu de les entendre. L’autre survient lorsque, en raison du plaisir pris à une science, on en viendrait à mépriser ce qui doit être révéré, comme cela est arrivé à Jérôme : «… parce qu’il prenait tellement de plaisir à la beauté des paroles de Tullius [Cicéron] qu’elle lui faisait perdre le goût de la parole inculte des prophètes », comme il le dit lui-même. Comme il arrive aussi à ceux qui s’attachent tellement aux raisonnements humains qu’ils s’écartent de la foi et la combattent. Mais, du côté de ce qui objet de connaissance, il existe un triple accident. L’un, lorsque ce qui est objet de connaissance incline facilement au mal et est au surplus peu utile. Pour cette raison, les sciences magiques ont été interdites de crainte que l’homme ne s’égare en les pratiquant. Un autre, lorsque ce qui est objet de connaissance dépasse la puissance de celui qui connaît, comme le dit Si 3, 22 : Ne recherche pas ce qui te dépasse. Le troisième, lorsqu’il n’est d’aucune utilité, tels les actes contingents des hommes. Aussi ceux qui scrutent les consciences du prochain sont-ils appelés des curieux. Dans l’ensemble de ces trois accidents, il arrive que ce qui est curiosité pour l’un n’est pas curiosité pour un autre, car quelque chose dépasse l’intelligence de l’un qui ne dépasse pas l’intelligence d’un autre ; quelque chose aussi est utile à l’un qui n’est pas utile à un autre ; et quelque chose précipite facilement l’un dans le péché, qui n’y précipite pas un autre.

[12754] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 3 qc. 3 ad arg. Et per hoc patet solutio ad objecta.

La réponse aux objections ressort ainsi clairement.

 

 

Articulus 4 [12755] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 4 tit. Utrum consilium sit donum

Article 4 – Le conseil est-il un don ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le conseil est-il un don ?]

[12756] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod consilium non sit donum. Donum enim a seipso quis habere non potest. Sed consilium cuilibet est a seipso: quia consilium quaestio est, ut dicitur in 3 Ethic. Quilibet autem quaerere potest. Ergo consilium non est donum.

1. Il semble que le conseil ne doit pas un don. En effet, quelqu’un ne peut recevoir de lui-même un don. Or, chacun se donne conseil, car le conseil est une recherche, comme il est dit dans Éthique, III. Or, tous peuvent chercher. Le conseil n’est donc pas un don.

[12757] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, sicut in cognitione practica humana est inquisitio, ita et in cognitione speculativa. Sed in donis pertinentibus ad vitam contemplativam non ponitur aliquid quod inquisitionem importet. Cum ergo consilium inquisitionem importet, videtur quod consilium non debeat poni donum dirigens in vita activa.

2. De même qu’il y a une recherche dans la connaissance humaine pratique, de même y en a-t-il une dans la connaissance spéculative. Or, pour les dons qui sont en rapport avec la vie contemplative, on n’indique rien qui comporte une recherche. Puisque le conseil comporte une recherche, il semble donc que le conseil ne doive pas être présenté comme un don qui dirige dans la vie active.

[12758] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 3 Praeterea, dona se extendunt ad illa quae sunt de necessitate salutis, sicut dictum est. Sed consilium, secundum quod communiter dicitur, dirigit in his ad quae non omnes tenentur. Ergo consilium non est donum.

3. Les dons s’étendent à ce qui est nécessaire au salut, comme on l’a dit. Or, le conseil, tel qu’on l’entend communément, dirige pour ce à quoi tous ne sont pas tenus. Le conseil n’est donc pas un don.

[12759] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 4 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod Isai. 11 inter dona computatur.

Cependant, [1] en sens contraire, Is 11 le compte parmi les dons.

[12760] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 4 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, virtutibus respondent dona. Sed quaedam virtus est ordinata ad bene consiliandum, scilicet eubulia, de qua philosophus in 6 Ethic. determinat. Ergo videtur quod debeat esse aliquod donum quod perficiat nos ad recte consiliandum.

[2] Les dons correspondent aux vertus. Or, une vertu est ordonnée à bien conseiller, l’eubulia, dont traite le Philosophe dans Éthique, VI. Il semble donc qu’il doive exister un don qui nous perfectionne pour bien conseiller.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le don de conseil diffère-t-il du don de science ?]

[12761] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod consilium donum non differat a dono scientiae. Scientia enim est qua bene conversamur in medio pravae et perversae nationis. Sed hoc non potest fieri sine consilio. Ergo consilium non distinguitur a scientia.

1. Il semble que le don de conseil ne diffère pas du don de science. En effet, la science est ce par quoi nous nous comportons bien au sein d’une nation dépravée et perverse. Or, cela ne peut se faire sans le conseil. Le conseil ne se distingue donc pas de la science.

[12762] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, in donis quae ad executionem pertinent, idem donum respondet omnibus virtutibus quae sunt circa materiam unam, sicut pietas omnibus virtutibus quae sunt circa communicationes. Sed prudentia et eubulia sunt circa unam materiam, quia circa actum rationis in agibilibus. Cum ergo prudentiae respondeat scientia, eubuliae autem consilium, videtur quod consilium et scientia sint unum donum.

2. Dans les dons qui se rapportent à l’exécution, le même don correspond à toutes les vertus qui portent sur une seule matière, comme [le don] de piété à toutes les vertus qui portent sur les échanges. Or, la prudence et l’eubulia portent sur une seule matière, car elles portent sur l’acte de la raison en matière d’action. Puisque la science correspond à la prudence, mais l’eubulia au conseil, il semble donc que le conseil et la science soient un seul don.

[12763] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 3 Praeterea, sicut prudentiae subservit eubulia, ita et synesis. Sed praeter donum scientiae, quod respondet prudentiae, non invenitur aliud donum quod respondeat synesi ad judicium pertinens. Ergo nec oportet esse aliud donum a scientia quod respondeat eubuliae.

3. De même que l’eubulia est au service de la prudence, de même aussi la synésis. Or, en plus du don de science qui correspond à la prudence, on ne trouve pas un autre don qui corresponde à la synésis et se rapporte au jugement. Un autre don n’est donc pas non plus nécessaire, qui corresponde à l’eubulia.

[12764] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 4 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod Isai. 11 unum alteri connumeratur; quod non esset, si unum donum forent.

Cependant, l’un est énuméré avec l’autre dans Is 11, ce qui ne serait pas le cas s’ils étaient un seul don.

[12765] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 4 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, sicut in speculativis est via inventionis et judicii, ita et in practicis. Sed in donis pertinentibus ad vitam contemplativam est aliud donum quod respondet inventioni, scilicet intellectus, et aliud quod respondet judicio, scilicet sapientia. Ergo et in donis dirigentibus in vita activa, praeter scientiam quae respondet judicio, erit aliud donum quod pertinet ad inventionem, et hoc est consilium.

[2] De même qu’il y a une démarche d’invention et de jugement dans les choses spéculatives, de même y en a-t-il dans les choses pratiques. Or, parmi les dons qui se rapportent à la vie contemplative, il existe un don qui correspond à l’invention : l’intelligence, et un autre qui correspond au jugement : la sagesse. Parmi les dons qui dirigent dans la vie active, il y aura donc, en plus de la science qui correspond au jugement, un autre don qui se rapporte à l’invention. C’est le conseil.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Le don de conseil aura-t-il un acte dans la patrie ?]

[12766] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 4 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod actus consilii non erit in patria. Consilium enim, secundum Gregorium, contra praecipitationem mentem munit; et Damascenus dicit 2 Lib., quod consilium dubitantis est. Sed in patria non erit praecipitatio neque dubitatio. Ergo neque consilium.

1. Il semble que l’acte du [don de] conseil n’existera pas dans la patrie. En effet, selon Grégoire, le conseil protège l’esprit contre la précipitation. Et [Jean] Damascène dit, dans le livre II, que le conseil est le propre de celui qui doute. Or, dans la patrie, il n’y aura ni précipitation ni doute. Il n’y aura donc pas non plus de conseil.

[12767] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 4 qc. 3 arg. 2 Praeterea, consilium inquisitionem et discursum importat, ut patet per philosophum in 3 Ethic. Sed in patria, secundum Augustinum, non erunt volubiles cogitationes, sed utemur deiformi intellectu ad similitudinem Angelorum. Ergo in patria non erit consilii actus.

2. Le conseil comporte une recherche et un raisonnement, comme cela ressort de ce que dit le Philosophe dans Éthique, III. Or, selon Augustin, dans la patrie, il n’y aura pas de pensées changeantes, mais nous ferons usage d’une intelligence déiforme à la ressemblance des anges. Dans la patrie, il n’y aura donc pas d’acte du [don de] conseil.

[12768] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 4 qc. 3 arg. 3 Praeterea, eadem ratione esset ibi actus scientiae; nec est dare in quo unus actus ab alio ibi differat, quia ibi inventio non erit. Ergo non erit ibi actus consilii.

3. C’est pour la même raison qu’il y aurait là un acte du [don de] science, et il n’y a rien par quoi un acte diffère là de l’autre, car il n’y aura pas d’invention. Il n’y aura donc pas là d’acte du [du don] de conseil.

[12769] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 4 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, directivum nobilius est executivo. Sed in patria erit aliquis actus timoris, fortitudinis et pietatis, quae sunt exequentia in vita activa. Ergo multo fortius erit ibi actus scientiae et consilii quae sunt dirigentia.

Cependant, [1] ce qui dirige est plus noble que ce qui exécute. Or, dans la patrie, existera l’acte de la crainte, de la force et de la piété, qui exécutent dans la vie active. Donc, à bien plus forte raison, existeront là les actes de la science et du conseil, qui dirigent.

[12770] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 4 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, sancti in patria erunt Deo similes. Sed in Deo est consilium, Isai. 25, 1: consilium tuum verum fiat, secundum aliam litteram. Ergo et in sanctis erit consilii actus.

[2] Dans la patrie, les saints seront semblables à Dieu. Or, le conseil existe en Dieu, Is 25, 1 : Que ton conseil se réalise ! selon un autre texte. L’acte du conseil existera donc aussi chez les saints.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[12771] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod secundum philosophum in 3 Ethic., consilium est quaestio de operabilibus a nobis, non tamen de omnibus. Quae enim determinata sunt qualiter fieri debeant, sicut litterarum figurae, in dubitationem non veniunt, neque in quaestionem; et ita de eis non est consilium. Similiter etiam cum finis sit principium movens agentem in omnibus operabilibus, non est consilium de fine, sicut nec in aliis scientiis est quaestio de principiis illius scientiae; sed de his quae sunt ad finem, consilium est. In his autem recte consiliatur quis, si debitum finem praestituat; si media accommoda ad finem inveniat, ut non faciat mala propter bona; si tempus sit conveniens rebus agendis, ne per diuturnitatem consilii tempus transeat; et ad hanc rectitudinem consilii perducit eubulia, ut dicit philosophus in 6 Ethicor. Sed quia operabilia humana contingentia sunt, et possunt deficere ne ad finem intentum perducantur; ideo certitudinem consilii attingere non est humanum, sed divinum, cujus est per certitudinem eventus contingentium praevidere. Et ideo oportet quod ad hanc certitudinem mens elevetur supra humanum modum instinctu spiritus sancti: qui enim spiritu Dei aguntur, hi filii Dei sunt, Rom. 8, 14, et ideo consilium est donum.

Selon le Philosophe, dans Éthique, III, le conseil est une recherche sur ce que nous pouvons accomplir, mais non pas cependant sur tout. En effet, ce dont la manière de l’accomplir a été déterminée, comme les formes des lettres, n’est pas soumis au doute ni à la recherche ; aussi le conseil ne porte-t-il pas sur cela. De même, puisque la fin est le principe qui meut l’agent dans tout ce qui doit être accompli, le conseil ne porte pas sur la fin, de même que, dans les autres sciences, il n’y a pas de recherche sur les principes de cette science ; mais le conseil porte sur ce qui se rapporte à la fin. Or, en cette matière, quelqu’un conseille bien s’il propose la fin appropriée, s’il trouve les moyens adaptés à la fin, de sorte qu’il n’accomplisse pas le mal en vue du bien ; si le temps pour agir est convenable, de telle sorte que le temps du conseil ne soit pas dépassé par un long retard. L’eubulia conduit à cette rectitude du conseil, comme le dit le Philosophe dans Éthique, VI. Mais parce que les actes humains sont contingents et peuvent échouer à conduire à la fin visée, atteindre la certitude du conseil ne relève pas de l’homme mais de Dieu, à qui il appartient de prévoir avec certitude ce qui arrive en matière contingente. C’est pourquoi il est nécessaire que l’esprit soit élevé à cette certitude supérieure au mode humain par l’inspiration de l’Esprit saint. En effet, ceux qui sont mus par l’Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu, Rm 8, 14. Le conseil est donc un don.

[12772] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod donum consilii non est ad quaerendum consilium, sed ad inveniendum.

1. Le but du don de conseil n’est pas de chercher conseil, mais de trouver.

[12773] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod dona dirigentia in vita activa sunt circa contingentia; et ideo oportet quod sit ibi magis inquisitio quam in contemplativa vita, quae circa aeterna est.

2. Les dons qui dirigent dans la vie active portent sur des réalités contingentes. C’est pourquoi il est nécessaire qu’il y ait là plus de recherche que dans la vie contemplative, qui porte sur des réalités éternelles.

[12774] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod secundum philosophum in 3 Ethic. consilium adhibetur in difficilibus, in quibus nobis non credimus; et propter hoc in arduis, ad quae omnes non tenentur, praecipue est donum consilii, sed non tantum in illis.

3. Selon le Philosophe, Éthique, III, on a recours au conseil pour les choses difficiles, pour lesquelles nous n’avons pas foi en nous. Pour cette raison, le conseil existe surtout pour les choses difficiles auxquelles tous ne sont pas tenus, mais pas seulement pour celles-là.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[12775] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod habitus dirigentes in vita activa distinguuntur quantum ad tria. Primo quantum ad modum operandi: et sic a virtutibus prudentia et eubulia, quae operantur humano modo, distinguuntur scientia et consilium, quae operantur supra humanum modum, ut ex dictis patet. Alio modo quantum ad actus sive vias quae exiguntur ad directionem, quae sunt invenire et judicare; et sic consilium, quod consistit in inveniendo, distinguitur a scientia, quae consistit in judicando de inventis per consilium. Tertio modo quantum ad medium; et sic sapientia distinguitur a scientia, inquantum sapientia quandoque dirigit in agendis per rationes aeternas, scientia autem per rationes inferiores.

Les habitus qui dirigent dans la vie active se distinguent sur trois points. Premièrement, quant au mode d’agir. La science et le conseil, qui agissent au-delà du mode humain, comme cela ressort de ce qui a été dit, se distinguent ainsi des vertus de prudence et d’eubulia. Deuxièmement, quant aux actes ou moyens qui sont requis pour diriger, qui consistent à chercher et à juger. Le conseil, qui consiste à rechercher, se distingue ainsi de la science, qui consiste à juger de ce qui a été trouvé par le conseil. Troisièmement, quant au moyen. Et ainsi, la sagesse se distingue de la science dans la mesure où la sagesse dirige parfois l’action selon les raisons éternelles, mais la science, par les raisons inférieures.

[12776] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ad bene conversandum, ut dictum est, duo requiruntur; et ideo oportet esse duo dona.

1. Comme on l’a dit, pour bien se comporter, deux choses sont nécessaires. C’est pourquoi il faut qu’il y ait deux dons.

[12777] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod diversae virtutes exequentes circa unum genus materiae distinguuntur penes diversas partes materiae, non penes actus agentis. Et ideo ab unitate actus poterit inveniri unus modus altior, qui competit uni dono. Sed virtutes dirigentes pertinent ad diversos actus ex parte agentis; et ideo requiruntur diversi modi et diversa dona elevantia ad modos digniores.

2. Les diverses vertus qui exécutent pour un seul genre de matière se distinguent selon les actes de l’agent. C’est pourquoi, à partir de l’unité de l’acte, on pourra trouver un seul mode plus élevé qui convient à un seul don. Or, les vertus qui dirigent se rapportent à divers actes du côté de l’agent. C’est pourquoi sont nécessaires des manières différentes et des dons différents élevant à des modes plus dignes.

[12778] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod judicium, quod est synesis, et praecipere applicanda ad opus, quod est prudentiae, totum pertinet ad unam viam, scilicet judicativam; et ideo eis non respondet nisi unum donum. Sed eubuliae quae pertinet ad aliam viam, respondet aliud donum.

3. Le jugement, qui est la synésis, et le commandement portant sur ce qui doit être appliqué à l’action, qui relève de la prudence, relèvent entièrement d’un seul moyen : la capacité de juger. Aussi un seul don leur correspond-il. Mais un autre don correspond à l’eubulia, qui se rapporte à un autre moyen.

 Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[12779] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 4 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod, sicut dictum est de donis exequentibus in vita activa, quod remanebunt eorum actus circa mensuram ex qua erat modus supra hominem in eorum actibus, non autem circa propriam materiam, quia fortitudo nullam difficultatem sustinebit, ut dictum est; ita in scientia et consilio: quia in patria non remanebunt eorum actus, nec contingentia operabilia dubia, in quibus nunc judicant et inveniunt; unde non oportet quod sit ibi dubitatio neque etiam discursus. Sed remanebunt in hoc quod convertent se ad illum a quo erat certitudo in eorum judicio et inventione supra humanum modum, et erit actus scientiae circa ipsum secundum quod est regula ad judicandum; actus vero consilii erit circa ipsum, secundum quod est illuminans ad inveniendum.

Comme on a dit que les actes des dons qui exécutent dans la vie active demeureront dans la mesure où le mode de leurs actes dépasse l’homme, mais non quant à leur matière propre, puisque la force ne supportera aucune difficulté, ainsi qu’on l’a dit, de même en sera-t-il pour la science et le conseil, car, dans la patrie, leurs actes ne demeureront pas, ni les réalités contingentes à accomplir qui sont douteuses, qu’elles jugent et recherchent maintenant. Il n’est donc pas nécessaire qu’il y ait là doute ni raisonnement. Mais ils demeureront en ce qu’ils se tourneront vers celui dont ils tenaient leur certitude supérieure au mode humain dans leur jugement et leur recherche, et l’acte de la science portera sur lui selon qu’il est la règle pour juger. Mais l’acte du conseil portera sur lui selon qu’il éclaire dans la recherche.

[12780] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 4 qc. 3 ad arg. Et secundum hoc patet solutio ab objecta.

La réponse aux objections ressort ainsi clairement.

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 35

[12781] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 4 qc. 3 expos. Quo fides saluberrima gignitur. Hoc intelligendum est quantum ad distinctionem articulorum, sive quantum ad exhortationem ad fidem, secundum quod fides ex auditu est, non quantum ad habitum fidei qui est ex infusione. Abstinere vero a malis est in medio pravae nationis prudenter versari. Hoc est timoris sicut exequentis, scientiae sicut dirigentis. Quae naturaliter sunt in natura hominis, quantum ad seminaria scientiae, non autem quantum ad habitum completum. Intellectus autem similiter a natura est.

 

 

 

Distinctio 36

Distinction 36 – [Les vertus sont-elles connexes ?]

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [Les vertus politiques sont-elles connexes ?]

Prooemium 

Prologue

[12782] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de virtutibus et donis, hic determinat de connexione eorum. Dividitur autem haec pars in duas: in prima determinat de connexione virtutum; in secunda de connexione praeceptorum, quibus actus virtutum imperantur, ibi: cum autem duo sint praecepta caritatis, in quibus (...) tota lex pendet et prophetae, advertendum est quomodo hoc fit. Prima dividitur in duas: in prima probat virtutes esse connexas; in secunda probat eas esse aequales, ibi: utrum vero pariter quis omnes possideat virtutes, an aliae magis, aliae minus in aliquo fuerint, quaestio est. Et circa hoc tria facit: primo movet quaestionem; secundo ponit unam opinionem cum sua probatione, ibi: quibusdam enim videtur quod aliae magis aliae minus habeantur ab aliquo; tertio ponit aliam opinionem, quae vera est, ibi: alii verius dicunt virtutes omnes et simul et pares esse in quocumque sunt. Et circa hoc tria facit: primo ponit opinionem cum sua probatione; secundo solvit probationem primae opinionis, ibi: cum ergo dicitur aliquis aliqua praeeminere virtute (...) secundum usus exteriores accipiendum est; tertio confirmat per auctoritatem, ibi: secundum hunc modum, scilicet secundum rationem actuum exteriorum (excellere dicitur) ut alibi Augustinus dicit. Hic quaeruntur sex: 1 utrum virtutes politicae sint connexae; 2 utrum virtutes gratuitae; 3 utrum dona; 4 utrum virtutes sint aequales; 5 utrum vitia sint connexa et paria; 6 utrum praecepta connectantur in caritate, ita quod modus sit in praecepto.

Après avoir déterminé des vertus et des dons, le Maître détermine ici de leur connexion. Cette partie se divise en deux : dans la première, il détermine de la connexion des vertus ; dans la seconde, de la connexion des commandements, pour lesquels les actes des vertus sont ordonnés, à cet endroit : « Mais puisqu’il y a deux commandements sur la charité, dans lesquels… sont contenus toute la loi et les prophètes, il faut observer comment cela se réalise. » La première partie se divise en deux : dans la première, il montre que les vertus sont connexes ; dans la seconde, il montre qu’elles sont égales, à cet endroit : « Mais la question est : quelqu’un possède-t-il également toutes les vertus, certaines existent-elles chez lui davantage, et d’autres moins ? » À ce sujet, il fait trois choses. Premièrement, il soulève la question. Deuxièmement, il présente une opinion avec sa démonstration, à cet endroit : « En effet, il leur semble que quelqu’un possède davantage certaines [vertus], et d’autres moins. » Troisièmement, il présente une autre opinion, qui est la vraie, à cet endroit : « Mais d’autres disent avec une plus grande vérité que toutes les vertus existent simultanément et de manière égale chez tous. » À ce sujet, il fait trois choses. Premièrement, il présente l’opinion avec sa démonstration. Deuxièmement, il résout la démonstration de la première opinion, à cet endroit : « Lorsqu’on dit que quelqu’un est prééminent par une vertu…, il faut l’entendre des usages extérieurs. » Troisièmement, il confirme par une autorité, à cet endroit : « De cette manière, c’est-à-dire selon la raison des actes extérieurs, on dit qu’il excelle, comme le dit ailleurs Augustin. » Ici, six questions sont posées : 1. Les vertus politiques sont-elles connexes ? 2. Les vertus gratuites le sont-ils ? 3. Les dons le sont-ils ? 4. Les vertus sont-elles égales ? 5. Les vices sont-ils connexes et égaux ? 6. Les commandements sont-ils connexes dans la charité, de telle sorte que leur mode soit présent dans le commandement ?

 

 

Articulus 1 [12783] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 1 tit. Utrum virtutes politicae sint connexae

Article 1 – Les vertus politiques sont-elles connexes ?

[12784] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod virtutes politicae non sit connexae. Virtutes enim istae ex actibus acquiruntur, ut probat philosophus. Sed actus non sunt connexi. Ergo neque praedictae virtutes.

1. Il semble que les vertus politiques ne soient pas connexes. En effet, ces vertus sont acquises par des actes, comme le montre le Philosophe. Or, les actes ne sont pas connexes. Donc, ni les vertus mentionnées plus haut.

[12785] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, quaecumque connectuntur, oportet quod in aliquo uno connectantur. Sed non est dare aliquod unum in quo connectantur virtutes, nisi prudentiam, in qua connecti non possunt: quia cum prudentia sit quasi ars quaedam operabilium, non est inconveniens quod habeat quis prudentiam quantum ad unam materiam, et non quantum ad aliam. Ergo non est necessarium quod virtutes sint connexae.

2. Tout ce qui est connexe doit être connexe dans quelque chose d’unique. Or, on ne peut indiquer quelque chose d’unique en quoi les vertus sont connexes, si ce n’est la prudence, dans laquelle elles ne peuvent pas être connexes. En effet, puisque la prudence est pour ainsi dire l’art de ce qui doit être accompli, il n’est pas approprié que quelqu’un ait la prudence pour une matière, et non pour une autre. Il n’est donc pas nécessaire que les vertus soient connexes.

[12786] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, sicut prudentia omnes virtutes morales ordinat, ita sapientia ordinat omnes scientias, quasi caput scientiarum, ut dicitur 6 Ethic. Sed propter hoc scientiae non sunt connexae quia communiter ordinantur a sapientia. Ergo nec propter hoc virtutes morales sunt connexae, quia communiter ordinantur a prudentia.

3. De même que la prudence ordonne toutes les vertus morales, de même la sagesse ordonne-t-elle toutes les sciences en tant que tête des sciences, comme on le dit dans Éthique, VI. Or, les sciences ne sont pas connexes parce qu’elles sont communément ordonnées par la sagesse. Les vertus morales ne sont donc pas connexes parce qu’elles sont communément ordonnées par la prudence.

[12787] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, secundum philosophum, qui circa mediocres honores moderate se habet, non est magnanimus. Constat autem quod virtuosus est secundum aliam virtutem, quam ipse innominatam dicit. Ergo una virtus haberi potest alia non habita.

4. Selon le Philosophe, celui qui cherche modérément les honneurs ordinaires n’est pas magnanime. Or, il est clair que l’on est vertueux par une autre vertu, dont il dit qu’elle n’a pas de nom. Une vertu peut donc être possédée sans qu’une autre le soit.

[12788] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, ad unamquamque virtutem politicam pertinet medium in propria materia tenere. Sed videmus ad sensum quod quidam se habent moderate circa materiam unius virtutis qui non habent se moderate circa materiam alterius. Ergo una politica habetur sine alia.

5. Il relève de chaque vertu politique de garder le milieu en sa matière propre. Or, nous constatons que certains se comportent avec modération pour la matière d’une vertu, qui ne se comportent pas avec modération pour la matière d’une autre. Une vertu politique est donc possédée sans une autre.

[12789] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 1 arg. 6 Praeterea, Augustinus dicit ad Hieronymum, quod non est divina sententia qua dicitur: qui habet unam habet omnes. Ergo cum omnis vera sententia sit divina, quia secundum Ambrosium, omne verum, a quocumque dicatur, est a spiritu sancto, videtur quod non sit vera sententia.

6. En s’adressant à Jérôme, Augustin dit que ce n’est pas une manière de penser divine qui dit : « Celui qui a l’une les a toutes. » Puisque toute manière de penser vraie est divine, car, selon Ambroise, « tout ce qui est vrai, quel que soit celui qui l’exprime, vient du Saint-Esprit », il semble donc que ce ne soit pas une manière de penser vraie.

[12790] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, philosophus probat, quod nullus potest habere prudentiam nisi habeat virtutes morales, neque potest quis habere virtutes morales nisi prudentiam habeat. Ergo oportet ad hoc quod una virtus habeatur, omnes simul haberi.

Cependant, [1] le Philosophe montre que personne ne peut posséder la prudence s’il n’a pas les vertus morales, et que personne ne peut posséder les vertus morales s’il n’a pas la prudence. Il est donc nécessaire que toutes les vertus soient possédées pour que l’une soit possédée.

[12791] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Tullius dicit: si unam de virtutibus tuis amiseris, nullam te habiturum necesse est confitearis; et loquitur de virtutibus politicis, quia de gratuitis nihil ponit. Ergo virtutes politicae sunt connexae.

[2] Tullius [Cicéron] dit : « Si tu écartes l’une de tes vertus, il te faut reconnaître que tu n’en posséderas aucune », et il parle des vertus politiques, car il ne dit rien des vertus gratuites. Les vertus politiques sont donc connexes.

[12792] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 1 s. c. 3 Praeterea, qui habet castitatem, castus est. Sed qui est castus, virtuosus est: quia autem virtuosus est, nullum vitium ei inest. Ergo qui habet castitatem, caret omni vitio, et ita videtur habere omnem virtutem; et eadem ratio est de aliis virtutibus. Ergo qui habet unam, habet omnes.

[3] Celui qui possède la chasteté est chaste ; mais celui qui est chaste est vertueux. Or, parce qu’il est vertueux, il n’y a aucun vice en lui. Tout vice fait donc défaut à celui qui possède la chasteté, et ainsi il semble posséder toutes les vertus. Et le raisonnement est le même pour les autres vertus. Celui qui possède [une vertu] les possède donc toutes.

[12793] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum quod virtus dupliciter potest considerari. Uno modo secundum esse ipsius imperfectum, secundum quod seminaria virtutum insunt nobis a natura; et sic virtus dicitur quaedam naturalis inclinatio ad virtutis actum; et hoc modo una virtus potest haberi sine alia. Quidam enim sunt naturaliter apti ad liberalitatem, quidam sunt proni ad luxuriam ex natura suae complexionis, et sic etiam contingit in aliis. Alio modo consideratur virtus secundum esse perfectum quod ex assuefactione recipit; et sic accipit nomen politicae virtutis; et hoc modo oportet virtutes omnes esse simul. Et potest triplex ratio ex dictis philosophorum accipi. Assignatur autem prima a philosopho in 6 Ethic. quae sumitur ab eo quo perficitur quaelibet virtus politica. Inest enim homini inclinatio quaedam naturalis ad actum prudentiae, quae virtus naturalis dicitur, et vocatur a philosopho dinotica, quam nos industriam dicere possumus: quae quidem et ad bona et ad mala se habere potest, unde non est virtus: quia virtus est quae opus habentis semper bonum reddit. Unde si debeat ad hoc perduci quod semper ejus judicium sit rectum, oportet quod addatur aliquid per quod omnis error prohibeatur. Est autem duplex error in judicio. Unus qui est circa finem, sicut habens habitum vitii, qui quidem inclinat ad suum actum sicut ad per se bonum; et talis error in agendis assimilatur errori qui est circa principia in speculandis. Alius error est in prosecutione finis, qui contingit cum quis a recta conceptione quam de fine habet, abducitur per passiones; sicut dicitur, quod delectatio corrumpit aestimationem prudentiae; et hic error assimilatur in agendis errori qui est in speculativis circa discursum principiorum ad conclusionem. Utrumque autem errorem prohibet moralis virtus, quae in finem rectum inclinationem facit, et passionem comprimit; et ideo non potest esse prudentia sine morali virtute, dico temperantia, fortitudine et hujusmodi. Similiter etiam inclinatio naturalis ad ea quae virtutis sunt, quanto major est, tanto est magis noxia, nisi rationis discretio adhibeatur; sicut caecus quanto fortius currit, tanto magis offenditur. Et ideo ad hoc quod virtus moralis perficiatur, oportet quod a prudentia dirigatur; unde prudentia in definitione moralis virtutis ponitur, ut patet in 2 Ethic. Et ideo oportet virtutes politicas connexas esse. Alia ratio connexionis sumitur ex his quae communiter in omni virtute esse oportet; quorum tamen unumquodque aliqua virtus principaliter sibi vindicat; sicut difficile vindicat sibi fortitudo; medium inter superfluum et diminutum, quod est moderatum, vindicat sibi temperantia; rectum vindicat sibi justitia; scientiam autem sibi habet prudentia. Et ideo ab his conditionibus unaquaeque dictarum virtutum nomen accipit. Quia autem illud quod est maximum in quolibet genere, est causa aliorum; ideo aliae virtutes participant quodammodo aliquam praedictarum conditionum ex virtute quae illud principaliter sibi vindicat. Quia enim fortis est circa maxime difficilia perseverans, facile etiam in aliis difficultatibus minoribus perseverabit. Et hanc causam assignare videtur Seneca, qui dicit, omne quod bene fit, juste prudenter, fortiter, temperate fieri. Tertia ratio potest sumi ex fine quem intendit quaelibet virtus. Quaelibet enim virtus operatur propter bonum virtutis; unde si bonum virtutis, quemadmodum virtuosum decet, intendit, nullo modo ab ipso intentionem deflectit. Unde philosophus dicit quod prodigus qui expendit non curans bonum, facile in quantumcumque malum declinat.

Réponse. La vertu peut être envisagée de deux manières. Premièrement, selon qu’elle existe imparfaitement, pour autant que des semences des vertus nous sont données par la nature. On parle ainsi de vertu pour une certaine inclination naturelle à l’acte d’une vertu. En effet, certains sont naturellement aptes à la libéralité, certains sont portés à la luxure par la nature de leur constitution ; et il en va de même pour les autres vertus. Deuxièmement, la vertu est envisagée selon l’être parfait qu’elle reçoit de l’habitude. Elle reçoit ainsi le nom de vertu politique, et il est nécessaire que toutes les vertus existent simultanément de cette manière. Trois raisons en sont données à partir de ce que disent les philosophes. La première est donnée par le Philosophe dans Éthique, VI : elle est tirée de ce par quoi toute vertu politique se réalise. En effet, il existe dans l’homme une inclination naturelle à l’acte de la prudence, appelée vertu naturelle : le Philosophe la nomme dinotica, que nous pouvons nommer « propos délibéré ». Celui-ci peut concerner le bien et le mal : il n’est donc pas une vertu, car la vertu est ce qui rend toujours bon l’acte de celui qui la possède. S’il doit être amené à ce que son jugement soit toujours droit, il faut donc que quelque chose soit ajouté, par quoi toute erreur est empêchée. Or, il existe une double erreur dans le jugement. L’une qui porte sur la fin, comme dans le cas de celui qui possède l’habitude du vice, qui incline à son acte comme à ce qui est bon par soi. Une telle erreur en matière d’action ressemble à l’erreur qui porte sur les principes en matière spéculative. L’autre erreur porte sur la poursuite de la fin : elle survient lorsque quelqu’un est détourné de la droite conception qu’il a de la fin. Ainsi, on dit que le plaisir corrompt l’estimation de la prudence. En matière d’action, cette erreur ressemble à l’erreur qui porte en matière spéculative sur le raisonnement qui va des  principes à la conclusion. Or, la vertu morale, qui réalise une inclination à la fin droite et réprime la passion, empêche cette double erreur. C’est pourquoi il ne peut pas y avoir de vertu morale sans prudence – je parle de la tempérance, de la force et de celles de ce genre. De même, plus est grande l’inclination naturelle à ce qui relève de la vertu, plus elle est nuisible, à moins que le discernement (discretio) de la raison n’intervienne. Ainsi, plus l’aveugle court fort, plus il bute. Aussi, pour que la vertu morale se réalise, est-il nécessaire qu’elle soit dirigée par la prudence. C’est pourquooi la prudence entre dans la définition de la vertu morale, comme cela ressort d’Éthique, II. Il est donc nécessaire que les vertus politiques soient connexes. L’autre raison de la connexion est tirée de ce qui doit se trouver en toute vertu de manière générale, mais dont chaque élément est revendiqué pour elle-même par une vertu. Ainsi, la force revendique pour elle-même ce qui est difficile ; la tempérance revendique pour elle-même le milieu entre le superflu et l’insuffisant, qui est ce qui est modéré ; la justice revendique pour elle-même ce qui est droit ; mais la prudence a pour elle-même la science. C’est pourquoi chacune des vertus mentionnées tire son nom de cela, car ce qui est le plus grand dans un genre est la cause des autres choses [dans ce genre]. Aussi les autres vertus participent-elles d’une certaine façon à l’une des conditions mentionnées à partir de la vertu qui la revendique principalement pour elle-même. En effet, parce que celui qui est fort persévère dans les difficultés les plus grandes, il persévérera aussi dans les autres difficultés moins grandes. C’est cette cause que semble donner Sénèque : il dit que « tout ce qui est bien accompli est accompli avec justice, prudence, force et tempérance ». La troisième raison peut être tirée de la fin visée par toute vertu. En effet, toute vertu agit pour le bien de la vertu. Si elle vise le bien de la vertu, quelle que soit la façon dont cela convient à qui est vertueux, elle n’en écarte  aucunement la visée. Aussi le Philosophe dit-il que le prodigue qui dépense son bien sans prendre garde tombe facilement dans n’importe quel mal.

 [12794] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quando aliquis exercetur in actu alicujus virtutis, si simul exercetur in actu alicujus vitii, nunquam acquiret aliquam virtutem, quia non acquirit prudentiam. Unde oportet ad hoc quod una virtus habeatur, quod bene se habeat quis circa omnia quae in usum vitae veniunt; et sic istis virtutibus simul cum prudentia acquisitis, ex hoc causabuntur aliae virtutes quae sunt circa ea quae non ita frequenter in usum vitae veniunt, ex hoc ipso quod ratio assuefacta est inferioribus viribus praeesse, et inferiores ejus nutum sequi, in quo consistit tota ratio moralis virtutis.

1. Lorsque quelqu’un s’entraîne à l’acte d’une vertu, s’il s’adonne en même temps à l’acte d’un vice, il n’acquerra jamais une vertu, car il n’acquiert pas la prudence. Pour qu’une vertu soit possédée, il faut donc que quelqu’un se comporte bien par rapport à tout ce qui entre dans l’usage la vie. Ces vertus étant acquises en même temps que la prudence, les autres vertus qui n’entrent pas aussi fréquemment dans l’usage de la vie seront causées par le fait même que la raison a été habituée à commander aux forces inférieures et les forces inférieures, à suivre son commandement, ce en quoi consiste toute l’essence de la vertu morale.

[12795] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ex eodem principio procedit prudens circa omnes materias virtutum, scilicet ex intentione boni rationis. Unde non potest esse quod prudentia acquiratur secundum unam partem materiae moralis virtutis et non secundum aliam, sicut contingit in artibus quantum ad illas materias circa quas eodem modo operantur; sicut carpentarius de nuce et de quercu similiter facit arcam.

2. L’homme prudent part du même principe pour toutes les matières des vertus : l’intention du bien de la raison. Il ne peut donc arriver que la prudence soit acquise pour une partie de la matière de la vertu morale et non pour une autre, comme cela arrive dans les arts pour les matières sur lesquelles ils agissent de la même manière : ainsi, le charpentier construit de la même manière un coffre de noyer et de chêne.

[12796] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 1 ad 3 Et per hoc etiam patet solutio ad tertium: quia scientiae aliae addunt principia specialia ad principia communia sapientiae; et ideo una illarum potest sciri altera ignorata. Sed morales virtutes non addunt alia principia super principia prudentiae; immo principia prudentiae sunt secundum virtutes morales: quae quidem principia sunt fines moralium virtutum secundum philosophum.

3. Ainsi ressort clairement la réponse au troisième argument, car les autres sciences ajoutent des principes particuliers aux principes de la sagesse ; c’est pourquoi l’une d’entre elles peut être connue alors qu’une autre est ignorée. Mais les vertus morales n’ajoutent pas d’autres principes aux principes de la prudence, bien plus, les principes de la prudence se conforment aux vertus morales : ces principes sont les fins des vertus morales, selon le Philosophe.

[12797] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod qui moderate se habet circa mediocres honores, non habet semper actum magnanimitatis; quia ejus materia non sibi competit; habet tamen habitum, quo etiam circa illas optime se haberet, si materia illa sibi competeret. Et similiter est de liberali et magnifico: non enim est inconveniens quod alicui habenti unam virtutem desit exercitium alterius virtutis quia non habet materiam.

4. Celui qui se comporte de manière modérée pour les honneurs ordinaires ne possède pas toujours l’acte de la magnanimité, car sa matière ne relève pas de lui. Cependant, il possède l’habitus par lequel il se comporterait très bien pour ceux-ci, si cette matière relevait de lui. De même en est-il de celui qui est libéral et qui fait de grandes choses. En effet, il est inapproprié que celui qui possède une vertu soit dépourvu de la pratique d’une autre vertu parce qu’il n’en a pas la matière.

[12798] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod ratio illa procedit de virtutibus naturalibus, ut ex dictis patet.

5. Ce raisonnement se réfère aux vertus naturelles, comme cela ressort de ce qui a été dit.

 [12799] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod negatur esse divina sententia, quia non est ex sacra Scriptura prolata, ut ei necesse sit consentire.

6. On nie qu’il s’agisse d’une manière de penser divine, car elle n’est pas exprimée par la Sainte Écriture, de sorte qu’il soit nécessaire d’y consentir.

 

 

Articulus 2 [12800] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 2 tit. Utrum virtutes gratuitae sint connexae

Article 2 – Les vertus gratuites sont-elles connexes ?

[12801] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod virtutes gratuitae non sint connexae. Beda enim dicit, quod sancti magis humiliantur de virtutibus quas non habent, quam de virtutibus quas habent, glorientur. Ergo habent aliquas virtutes et aliquas non habent.

1. Il semble que les vertus gratuites ne soient pas connexes. En effet, Bède dit que « les saints s’humilient davantage pour les vertus qu’ils ne possèdent pas, qu’ils ne se glorifient des vertus qu’ils possèdent ». Ils possèdent donc certaines vertus et n’en possèdent pas d’autres.

[12802] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, constat quod multi habent fidem qui non habent caritatem. Utraque autem est virtus gratuita. Ergo et cetera.

2. Il est clair que beaucoup ont la foi sans avoir la charité. Or, les deux sont des vertus gratuites. Donc, etc.

[12803] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, Christus habuit omnes virtutes alias, cui tamen defuit fides et spes. Ergo una virtus potest haberi sine alia.

3. Le Christ a possédé toutes les autres vertus, alors que la foi et l’espérance lui faisaient défaut. Une vertu peut donc être possédée sans une autre.

[12804] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, perseverantia est quaedam virtus. Sed multi habent virtutes aliquas, in quibus non perseverant. Ergo una virtus potest haberi sine alia.

4. La persévérance est une vertu. Or, beaucoup possèdent certaines vertus sans y persévérer. Une vertu peut donc être possédée sans une autre.

[12805] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, conjugati et innocentes possunt habere castitatem. Sed conjugati non habent virginitatem, innocentes autem non habent poenitentiam. Ergo non est necessarium quod qui habet unam, habeat omnes.

5. Les gens mariés et les gens innocents peuvent posséder la chasteté. Or, les gens mariés ne possèdent pas la virginité, alors que les innocents n’ont pas la pénitence. Il n’est donc pas nécessaire que celui qui possède une vertu les possède toutes.

[12806] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 2 arg. 6 Praeterea, nihil est laudabile nisi actus virtutis, neque vituperabile nisi vitium. Sed in sacra Scriptura quidam laudantur de uno, et vituperantur de alio, ut patet Apocal. 2. Ergo potest haberi una virtus sine alia cujus oppositum vitium habetur.

6. Rien n’est louable que l’acte de la vertu, et rien n’est blâmable que le vice. Or, dans l’Écriture Sainte, certains sont loués pour l’un et sont blâmés pour l’autre, comme cela ressort de Ap 2. Une vertu peut donc être possédée sans une autre, dont le vice opposé est possédé.

[12807] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, super illud: feci judicium et justitiam, Glossa: a parte totum, ut qui habet unam omnes habeat virtutes; et qui una caret, omnibus careat.

Cependant, [1] à propos de : J’ai accompli le jugement et la justice, la Glose dit : « La partie pour le tout, de sorte que celui qui possède une vertu les possède toutes, et celui à qui l’une fait défaut, toutes font défaut. »

[12808] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 2 s. c. 2 Idem potest haberi ex Glossa Hieronymi super illud Isai. 16: venter meus ad Moab quasi cithara sonabit; ubi dicit Glossa: cithara sonum compositum non emittit, si una chorda rupta fuerit: sic spiritualis venter prophetae, si una virtus defuerit.

[2] On peut le tirer d’une glose de Jérôme sur Is 6 : Mon ventre résonnera comme une cithare pour Moab, à propos de quoi la Glose dit : « La cithare n’émet pas de son composé si une corde a été rompue ; de même, le ventre spirituel du prophète si une seule vertu fait défaut. »

[12809] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 2 s. c. 3 Praeterea, qui habet caritatem, oportet quod habeat alias virtutes: similiter qui habet alias virtutes, oportet quod caritatem habeat, quae est forma virtutum. Ergo qui habet unam virtutem omnes habet.

[3] Celui qui possède la charité, qui est la forme des vertus, doit posséder les autres vertus. Celui qui possède une seule vertu les posséde donc toutes.

[12810] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod virtutes gratuitae, quantum ad id quod essentialiter se habet ad virtutem, connexionem habent; quantum autem ad id quod accidit virtuti inquantum est virtus, quamvis forte non accidat ei inquantum est talis virtus, non oportet connexionem esse. Ratio autem connexionis ex tribus sumi potest. Primo ex caritate, quae est forma virtutum, cum qua omnes virtutes simul infunduntur. Secundo ex gratia, quae est quasi totum potentiale ad virtutes, ex qua quodammodo fluunt virtutes, sicut ex essentia animae potentiae. Unde sicut omnes potentiae sunt simul, inquantum connectuntur in essentia; ita omnes virtutes gratuitae sunt simul, inquantum connectuntur in gratia. Tertio ex ipsa justitia generali, qua justificatur impius, quae nihil imperfectum relinquit: quia impium est a Deo dimidiam sperare salutem, ut sancti dicunt. Unde cum quis justificatur, omnes virtutes ei simul infunduntur.

Réponse. Pour ce qui concerne essentiellement la vertu, les vertus gratuites sont connexes ; pour ce qui est accidentel dans la vertu en tant que vertu, bien que cela ne lui soit pas accidentel en tant qu’elle est telle vertu, il n’est pas nécessaire qu’il y ait connexion. Or, la raison de la connexion peut venir de trois choses. Premièrement, de la charité, qui est la forme des vertus, avec laquelle toutes les vertus sont simultanément infusées. Deuxièmement, de la grâce, qui est comme un tout potentiel par rapport aux vertus, et dont découlent d’une certaine manière les vertus, comme les puissances de l’âme [découlent] de son essence. De même que toutes les puissances existent en même temps, dans la mesure où elles sont connexes dans l’essence, de même donc toutes les vertus gratuites existent-elles simultanément, dans la mesure où elles sont connexes dans la grâce. Troisièmement, de la justice générale elle-même, par laquelle l’impie est justifié et qui ne laisse rien d’imparfait, car « il est impie d’espérer de Dieu une moitié de salut », comme le disent les saints. Lorsque quelqu’un est justifié, toutes les vertus lui sont donc infusées en même temps.

[12811] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod verbum Bedae intelligendum est de virtutibus quantum ad usus, et non quantum ad habitus. Diversi enim sancti diversimode excedunt se invicem in usibus diversarum virtutum, secundum quod de quolibet confessore dictum est: non est inventus similis illi qui conservaret legem excelsi.

1. La parole de Bède doit des vertus du point de vue de leur usage, et non des habitus. En effet, les divers saints se dépassent les uns les autres de diverses manières dans l’usage des diverses vertus, comme il est dit d’un confesseur : « On n’en a pas trouvé de semblable à lui qui garderait avec soin la loi du Très-Haut. »

[12812] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut virtutes morales non habent perfectam rationem virtutis, nisi sint directae per prudentiam; ita nec virtutes gratuitae, nisi sint formatae per caritatem. Unde supra, distinct. 23, qu. 3, art. 1, quaestiunc. 1 in corp., dictum est quod fides informis non est virtus.

2. De même que les vertus morales ne possèdent pas la raison parfaite de vertu si elles ne sont pas dirigées par la prudence, de même non plus les vertus gratuites si elles ne tirent pas leur forme de la charité. Aussi a-t-on dit plus haut, d. 23, q. 3, a. 1, qa 1, c., que la foi informe n’est pas une vertu.

[12813] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in Christo fuit de fide quidquid perfectionis est, scilicet visio: hoc enim per se ad virtutem pertinet: non autem fuit in Christo imperfectio, quae quidem accidit virtuti, quamvis per se conveniat fidei.

3. Il y avait chez le Christ tout ce qu’il y a de perfection dans la foi, à savoir, la vision : en effet, cela relève par soi de la vertu. Mais une imperfection qui survient dans une vertu n’existait pas chez le Christ, bien qu’elle appartienne par soi à la foi.

[12814] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod perseverantia uno modo est specialis virtus, secundum quod dicit propositum persistendi, ut non recedat quis a ratione recta propter tristitias, ut dicitur 7 Ethic.: et sic est simul de necessitate cum aliis virtutibus. Alio modo est quoddam accidens virtutibus, secundum quod dicit continuationem virtutum usque in finem; et sic non est necessario simul cum aliis virtutibus.

4. D’une manière, la persévérance est une vertu particulière, pour autant qu’elle exprime la volonté de persister, de sorte qu’on ne s’écarte pas de la raison droite à cause de tristesses, comme il est dit dans Éthique, VII. Elle existe ainsi de manière nécessaire en même temps que les autres vertus. D’une autre manière, est elle quelque chose d’accidentel dans les vertus, pour autant qu’elle exprime la poursuite des vertus jusqu’à la fin. Ainsi, elle n’existe pas nécessairement en même temps que les autres vertus.

[12815] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod virginitas non dicit virtutem, sed quoddam accidens virtuti; unde potest sine peccato amitti. Poenitentia autem si sit specialis virtus, potest esse in innocentibus sub conditione, ut scilicet si peccarent, poeniterent sicut philosophus dicit de verecundia in 4 Ethic.

5. La virginité n’exprime pas la vertu, mais un accident par rapport à la vertu. Aussi peut-elle être perdue sans péché. Mais la pénitence, si elle est une vertu particulière, peut exister chez ceux qui sont innocents à une condition : s’ils péchaient, ils se repentiraient, comme le dit le Philosophe à propos de la honte, Éthique, IV.

[12816] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod non solum laudatur actus qui est a virtute, sed actus qui est ad virtutem, quo fiunt bona, sed non bene. Similiter non solum semper vituperatur peccatum mortale, quod expellit virtutem, sed etiam veniale, quod est simul cum virtute.

6. Non seulement l’acte qui vient de la vertu est-il loué, mais l’acte qui est tourné vers la vertu, par lequel ce qui est bien est accompli, mais d’une manière qui n’est pas bonne. De même, non seulement le péché mortel, qui enlève la vertu, est-il toujours blâmé, mais aussi le péché véniel, qui existe en même temps que la vertu.

 

 

Articulus 3 [12817] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 3 tit. Utrum dona sint connexa

Article 3 – Les dons sont-ils connexes ?

[12818] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod dona non sint connexa. 1 Cor., 12, 8: alii datur sermo sapientiae per spiritum; alii sermo scientiae secundum eumdem spiritum. Sed sapientia et scientia sunt dona. Ergo alii datur unum donum, et alii aliud; et ita non sunt connexa.

1. Il semble que les dons ne soient pas connexes. 1 Co 12, 8 : À l’un est donné une parole de sagesse par l’Esprit ; à un autre, une parole de science selon le même Esprit. Or, la sagesse et la science sont des dons. Donc, à l’un est donné un [don], à un autre, un autre [don], et ainsi, ils ne sont pas connexes.

[12819] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, Gregorius dicit in Moral., quod minor est sapientia, si intellectu careat. Ergo sapientia sine intellectu haberi potest.

2. Dans les Morales, Grégoire dit que la sagesse est moindre, si l’intelligence lui fait défaut. On peut donc posséder la sagesse sans l’intelligence.

[12820] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, Augustinus dicit de sermone domini in monte secundum Matth., quod ab uno dono paulatim fit processus ad aliud. Hoc autem non esset, si necesse foret ea simul esse. Ergo dona non sunt connexa.

3. Augustin dit, à propos du sermon sur la montagne selon Matthieu, que l’on passe peu à peu d’un don à un autre. Or, tel ne serait pas le cas si ceux-ci devaient nécessairement exister en même temps. Les dons sont donc connexes.

[12821] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, plus distat a communi statu virtutum perfectio transcendens genus virtutis quam perfectio manens in genere virtutum. Sed qui habet virtutes, non oportet quod habeat eas in perfecto statu virtutum: quae quidem perfectio in genere virtutis manet. Ergo multo minus oportet quod habeat perfectionem donorum, quae genus virtutis transcendit; et ita dona non connectuntur sibi in gratia, caritate, vel justificatione: nec est aliud dare in quo sibi connectantur; ergo non sunt connexa.

4. La perfection des vertus dépassant le genre de la vertu est plus éloignée de l’état commun des vertus que la perfection qui demeure à l’intérieur du genre des vertus. Or, il n’est pas nécessaire que celui qui possède les vertus les possède dans l’état parfait des vertus : une telle perfection demeure à l’intérieur du genre de la vertu. Il est donc encore bien moins nécessaire qu’il possède la perfection des dons, qui dépasse le genre de la vertu. Et ainsi, les dons ne sont pas connexes dans la grâce, la charité ou la justification, et on ne peut indiquer rien d’autre en quoi ils seraient connexes. Ils ne sont donc pas connexes.

[12822] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, donorum quaedam perficiunt in vita activa, quaedam in contemplativa. Sed multi sunt perfecti in vita activa qui gradum vitae contemplativae nondum attingunt. Ergo dona non habentur omnia simul.

5. Certains parmi les dons agissent dans la vie active, d’autres, dans la [vie] contemplative. Or, beaucoup sont parfaits dans la vie active qui n’atteignent pas encore le degré de la vie contemplative. Les dons ne sont donc pas tous possédés simultanément.

[12823] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, quidquid est de necessitate salutis, oportet esse simul cum gratia. Sed dona sunt de necessitate salutis; quod patet per Glossam, Matth. 6, quae dicit, quod in donis est ut operemur mandata, in quibus est ut ad beatitudinem veniamus. Ergo videtur quod dona sint connexa in gratia, sicut et virtutes.

Cependant, [1] tout ce qui est nécessaire au salut doit exister en même temps que la grâce. Or, les dons sont nécessaires au salut, ce qui ressort de la Glose sur Mt 6, qui dit que « le rôle des dons est que nous accomplissions les commandements, par lesquels nous parvenons à la béatitude ». Il semble donc que les dons soient connexes dans la grâce, comme les vertus.

[12824] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, sapientiae donum ex caritate causatur, ut ex dictis, dist. praec., patet. Ergo quicumque habet caritatem, habet sapientiam. Sed sapientia ponitur in ultimo gradu. Ergo quicumque habet eam, habet omnia alia dona; et sic omnia dona sunt connexa in caritate.

2. Le don de sagesse est causé par la charité, comme cela ressort de ce qui a été dit à la distinction précédente. Quiconque possède la charité possède donc la sagesse. Or, la sagesse se situe au degré le plus élevé. Quiconque la possède possède donc tous les autres dons, et ainsi tous les dons sont connexes dans la charité.

[12825] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 3 s. c. 3 Praeterea, justitia generalis, defectus qui peccatum implicant, tollit. Sed contra tales defectus dona dantur, sicut consilium contra praecipitationem, ut dicit Gregorius, et timor contra superbiae timorem. Ergo simul cum justificatur anima, omnia dona infunduntur.

3. La justice générale enlève les carences qui impliquent le péché. Or, les dons sont donnés contre de telles carences, comme le [don de] conseil, contre la précipitation, ainsi que le dit Grégoire, et le [don de] crainte, contre la crainte de l’orgueil. En même temps que l’âme est justifiée, tous les dons sont donc infusés.

[12826] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod, sicut dictum est, dist. 34, quaest. 3, art. 1, donum in hoc transcendit virtutem quod supra modum humanum operatur: qui quidem modus ex mensura altiori quam sit humana mensura, causatur. Huic autem mensurae, quae Deus est, mens humana per caritatem innititur. Et ideo modum istum habent ex ipsa caritate quantum ad esse absolutum, quod esse dicimus secundum quod perficiunt in his quae sunt necessaria ad salutem. Sed quantum ad perfectum esse secundum quod dona ad altiora se extendunt, quod quidem est per gratiam gratis datam, non oportet quod sint connexa.

Réponse. Comme on l’a dit, livre III, d. 36, q. 1, a. 3, c., le don dépasse la vertu en ce qu’il agit au-delà du mode humain : ce mode est causé par une mesure plus élevée que ne l’est la mesure humaine. Or, l’esprit humain adhère à cette mesure par la charité, qui est Dieu. C’est pourquoi on possède ce mode par la charité quant à son être absolu : nous parlons d’être selon qu’ils perfectionnent pour ce qui est nécessaire au salut. Mais, pour ce qui est de leur être parfait, selon que les dons atteignent ce qui est plus élevé, ce qui est le fait d’un charisme (gratiam gratis datam) il n’est pas nécessaire que [les dons] soient connexes.

[12827] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ibi non ponitur simpliciter donum sapientiae et scientiae, sed sermo sapientiae et scientiae; et hoc quidem ad perfectionem donorum pertinet, ut scilicet homo ita sapientia et scientia abundet ut non solum sibi sufficiat, sed per sermonem in alios redundet; unde ponitur inter gratias gratis datas.

1. On ne parle pas là simplement du don de sagesse et du don de science, mais d’une parole de sagesse et d’une parole de science. Cela relève de la perfection des dons que l’homme possède la sagesse et la science en telle abondance qu’elles ne soient pas suffisantes pour lui seulement, mais qu’elles rejaillissent sur les autres par la parole. Elles se situent donc parmi les charismes.

[12828] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod dictum Gregorii facit ad ostendendum connexionem donorum. Vult enim ostendere quod perfectio unius doni non est sine alio; unde sapientia quae sine intellectu est, et hebes est, et rationem doni non habet.

2. La parole de Grégoire contribue à montrer la connexion des dons. En effet, il veut montrer que la perfection d’un don n’existe pas sans un autre. Aussi la sagesse qui est sans intelligence est-elle émoussée et n’a-t-elle pas raison de don.

[12829] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod gradus ille, sive processus, attenditur quantum ad usus donorum; sicut etiam dicitur quod fides praecedit et gignit alias virtutes, cum quibus tamen simul quandoque infunditur.

3. Ce degré ou cette avancée ne se prend pas de l’usage des dons ; ainsi dit-on que la foi précède et engendre les autres vertus, alors qu’elle est toujours infusée en même temps qu’elles.

[12830] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod perfectio virtutum secundum intensionem non est de necessitate salutis, sicut perfectio quae est ex donis, ut in omnibus scilicet Deum pro regula habeat.

4. La perfection des vertus en intensité n’est pas nécessaire au salut, comme la perfection qui vient des dons qui doit avoir en tout Dieu comme règle.

 [12831] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quamvis ad perfectum statum contemplationis non perveniat omnis qui in vita activa est; tamen omnis Christianus qui in statu salutis est, oportet quod aliquid de contemplatione participet, cum praeceptum sit omnibus: vacate, et videte quoniam ego sum Deus, Psal. 45, 2; ad quod etiam est tertium praeceptum legis.

5. Bien que tous ceux qui sont dans la vie active ne parviennent pas un état parfait de contemplation, tout chrétien qui est en état de salut doit participer d’une certaine manière à la contemplation, puisque le commandement est donné à tous : Faites relâche, et voyez que je suis Dieu ! Ps 45, 2. Le troisième commandement de la loi porte aussi sur cela.

 

 

Articulus 4 [12832] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 4 tit. Utrum virtutes sint aequales

Article 4 – Les vertus sont-elles égales ?

[12833] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod virtutes non sint aequales. 1 Corinth. 13, dicitur, quod caritas est major fide et spe. Sed quaelibet harum est virtus. Ergo una virtus est minor quam alia.

1. Il semble que les vertus ne soient pas égales. Il est dit, en 1 Co 13, que la charité est plus grande que la foi et l’espérance. Or, chacune d’elles est une vertu. Une vertu est donc inférieure à une autre.

[12834] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, quantitas virtutis objecto mensuratur. Sed una virtus ad plura se extendit objecta quam alia. Ergo una virtus est major quam alia.

2. La quantité d’une vertu se mesure à son objet. Or, une vertu s’étend à plus d’objets qu’une autre. Une vertu est donc plus grande qu’une autre.

[12835] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, habitus est ad actum habilitare. Sed homo quandoque est magis habilis ad actum unius virtutis quam ad actum alterius. Ergo habet unam virtutem magis intensam quam aliam.

3. Un habitus est destiné à rendre apte à un acte. Or, l’homme est parfois plus apte à l’acte d’une vertu qu’à l’acte d’une autre. Il possède donc une vertu plus intense qu’une autre.

[12836] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, supra, dist. 25, dictum est, quod fides, spes et caritas et operatio adaequantur. Sed non omnes operationem virtutum sunt aequales. Ergo nec omnes virtutes.

4. On a dit plus haut, d. 25, que la foi, l’espérance et la charité et leurs actes sont égaux. Or, tous les actes [corr. operationem/operationes] des vertus ne sont pas égaux. Donc, ni toutes les vertus non plus.

[12837] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 4 arg. 5 Praeterea, de quolibet sancto legitur: non est inventus similis illi, qui conservaret legem excelsi. Hoc autem non potest esse nisi quia unus excedit alium secundum unam, et alius secundum aliam. Ergo in uno homine virtutes non sunt aequales: alias qui excederet in una, excederet in omnibus.

5. On lit de n’importe quel saint : « On n’en a pas trouvé de semblable à lui pour observer la loi du Très Haut. » Or, cela ne peut être le cas que parce que l’un en dépasse un autre selon une [vertu], et un autre selon une autre. Chez un seul homme, les vertus ne sont donc pas égales, autrement celui qui l’emporterait pour l’une l’emporterait pour toutes.

[12838] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Apocal. 21, 16: latera civitatis sunt aequalia; in quo significatur secundum Glossam quod virtutes gratuitae sunt aequales.

Cependant, [1] il est dit en sens contraire dans Ap 21, 16 : Les côtés de la ville sont égaux ; selon la Glose, on signifie par là que les vertus gratuites sont égales.

[12839] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, per idem per quod habitus causantur, augentur, secundum philosophum in 2 Ethic. Sed omnes habitus virtutum simul infunduntur cum gratia. Ergo simul augentur cum augmento gratiae. Sed quaecumque simul intenduntur et remittuntur, sunt aequalia. Ergo omnes virtutes sunt aequales.

[2] Selon le Philosophe, Éthique, II, les habitus sont augmentés par la même chose qui les cause. Or, tous les habitus des vertus sont infusés en même temps que la grâce. Ils sont donc augmentés en même temps que l’augmentation de la grâce. Or, tout ce qui est intensifié ou diminué en même temps est égal.Toutes les vertus sont donc égales.

[12840] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 4 s. c. 3 Praeterea, secundum quantitatem virtutis est quantitas meriti, et per consequens quantitas praemii. Si ergo una virtus esset altera major, eidem deberetur majus et minus praemium quam alteri in quo esset, et e converso: quod est impossibile, cum non sit nisi unum praemium.

4. La quantité du mérite dépend de la quantité de la vertu et, par conséquent, la quantité de la récompense. Si donc une vertu était plus grande qu’une autre, une plus ou moins grande récompense lui serait due qu’à un autre où elle se trouverait, et inversement ; ce qui est impossible, puisqu’il n’y a qu’une seule récompense.

[12841] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod est aequalitas secundum quantitatem absolutam, et aequalitas secundum quantitatem comparatam, quae dicitur proportionis aequalitas; sicut patet in digitis manus, qui non sunt aequales secundum quantitatem absolutam, cum unus alteri superpositus excedat ipsum; sunt tamen aequales secundum proportionem: quia sicut quantitas unius digiti sufficit ad suum officium, ita et quantitas alterius digiti: unde et digiti proportionaliter augentur. Quantitas ergo absoluta virtutis potest attendi quantum ad tria: primo quantum ad dignitatem; secundo quantum ad objecta ad quae se extendit; tertio quantum ad intensionem, quae cognoscitur in efficacia et modo agendi. Et his tribus modis contingit quod una virtus excedatur ab alia absolute loquendo: quia una est dignior alia, sicut caritas fide, et prudentia temperantia. Item una est plurium objectorum quam alia, sicut prudentia quam temperantia. Item una secundum speciem suam requirit majorem intensionem quam alia: quia quanto est difficilius objectum, tanto oportet magis contra tendere, et intensius in ipsum moveri. Sed secundum quantitatem comparatam sunt aequales, quia proportionaliter in his tribus se habent respectu suorum objectorum: et ideo proportionaliter crescunt.

Réponse. Il existe une égalité selon la quantité absolue, et une égalité selon la quantité comparée, qu’on appelle une égalité proportionnelle, comme cela ressort pour les doigts de la main, qui ne sont pas égaux selon la quantité absolue, puisque l’un placé sur l’autre le dépasse ; mais ils sont cependant égaux proportionnellement, car de même que la quantité d’un doigt suffit à sa fonction, de même la quantité d’un autre doigt. Aussi les doigts croissent-ils proportionnellement. La quantité absolue de la vertu peut donc être considérée selon trois choses : premièrement, selon sa dignité ; deuxièmement, selon les objets auxquels elle s’étend ; troisièmement, selon son intensité, qu’on connaît par son efficacité et sa manière d’agir. Et il arrive que, à parler absolument, une vertu en dépasse une autre de ces trois manières, car l’une est plus digne qu’une autre, comme la charité par rapport à la foi et la prudence par rapport à la tempérance. De même, l’une porte sur plus d’objets qu’une autre, comme la prudence par rapport à la tempérance. De même, l’une exige une plus grande intensité qu’une autre autre par son espèce, car plus l’objet est difficile, plus elle doit déployer d’effort à son encontre et plus intensément doit-elle être mue vers lui. Mais, selon la quantité comparée, elles sont égales, car elles ont un rapport proportionnel en regard de leurs objets selon ces trois choses. C’est pourquoi elles croissent de manière proportionnelle.

[12842] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo et secundum patet solutio ex dictis.

1-2. La réponse au premier et au deuxième argument ressort clairement de ce qui a été dit.

[12843] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod hoc quod homo est magis habilis ad actum unius virtutis quam ad actum alterius, non est ex diversitate habituum semper, sed ex diversa dispositione naturali, aut etiam ex exercitio.

3. Le fait qu’un homme soit plus apte à l’acte d’une vertu qu’à l’acte d’une autre ne vient pas toujours de la diversité des habitus, mais d’une disposition naturelle différente ou même de la pratique.

[12844] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod per operationem accipitur ibi exterior actus, qui per morales virtutes completur, quas oportet theologicis proportionabiliter aequari, ut dictum est. Vel aliter dicendum, quod intelligitur de operationibus quae essentialiter consequuntur ad virtutes, sicut sunt actus interiores, quos etiam oportet aequales secundum proportionem esse; non autem secundum actus exteriores, qui possunt esse vel expeditiores vel impeditiores propter aliqua accidentia.

4. Par opération, on entend ici l’acte extérieur qui est accompli par les vertus morales, qui doivent être proportionnellement égales aux [vertus] théologales, comme on l’a dit. Ou bien il faut dire qu’on entend cela des opérations qui découlent essentiellement des vertus, comme le font les actes intérieurs, qui doivent aussi être proportionnellement égaux, mais non des actes extérieurs, qui peuvent être soit plus empressés ou plus retenus en raison de certains accidents.

[12845] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod hoc dicitur quantum ad exercitium virtutum, et usum, et non quantum ad habitum.

5. On dit cela de la pratique des vertus et de leur usage, et non de l’habitus.

 

 

Articulus 5 [12846] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 5 tit. Utrum vitia sint connexa

Article 5 – Les vices sont-ils connexes ?

[12847] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod vitia sint connexa. Jacob. 2, 10: qui offendit in uno, factus est omnium reus. Sed non efficitur omnium reus mandatorum, nisi per peccata. Ergo qui facit unum peccatum, habet omnia peccata.

1. Il semble que les vices soient connexes. Jc 2, 10 : Celui qui pèche pour une chose devient coupable de tous [les péchés]. Or, on ne devient coupable pour tous les commandements que par des péchés. Celui qui commet un seul péché commet donc tous les péchés.

[12848] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 5 arg. 2 Praeterea, peccatum nihil videtur esse in anima nisi privatio virtutis. Sed per unum peccatum mortale privantur omnes virtutes. Qui ergo habet unum peccatum, habet omnia.

2. Le péché ne semble être rien d’autre dans l’âme que la privation de la vertu. Or, par un seul péché mortel, on est privé de toutes les vertus. Celui qui a un seul péché les a donc tous.

[12849] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea, sicut virtutes procedunt ex bono amore Dei, ita peccata omnia procedunt ex inordinato amore sui, secundum Augustinum. Sed virtutes habent connexionem propter hoc quod conveniunt in caritate. Ergo etiam peccata habebunt connexionem propter inordinatum amorem, ex quo procedunt.

3. Selon Augustin, de même que les vertus viennent de l’amour bon de Dieu, de même les péchés viennent-ils d’un amour désordonné de soi. Or, les vertus ont une connexion parce qu’elles se rejoignent dans la charité. Donc, les péchés aussi auront une connexion en raison de l’amour désordonné dont ils proviennent.

[12850] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 5 arg. 4 Praeterea, virtus et vitium sunt opposita immediate, ad minus secundum theologos. Sed nulla virtus inest habenti aliquod peccatum. Ergo insunt omnia vitia opposita singulis virtutibus; et sic idem quod prius.

4. La vertu et le vice sont immédiatement contraires, du moins selon les théologiens. Or, aucune vertu n’existe chez celui qui a un péché. Tous les vices contraires à toutes les vertus sont donc présents en lui, et ainsi la conclusion est la même que précédemment.

[12851] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 5 arg. 5 Praeterea, pronior est homo ad peccatum, ad minus in statu naturae corruptae, quam ad virtutem: virtus enim est circa difficile. Sed qui habet unam virtutem, habet omnes. Ergo multo fortius qui habet unum vitium, habet omnia.

5. L’homme est davantage enclin au péché, du moins dans l’état de la nature corrompue, qu’à la vertu : en effet, la vertu porte sur ce qui est difficile. Or, celui qui possède une seule vertu les possède toutes. À bien plus forte raison, celui qui a un vice les possède donc tous.

[12852] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 5 s. c. 1 Sed contra, peccatum contingit infinitis modis, secundum Dionysium, et philosophum. Sed impossibile est infinita inesse eidem. Ergo non possunt omnia peccata connexa esse.

Cependant, [1] le péché arrive selon des modes infinis, selon Denys et le Philosophe. Or, il est impossible que des réalités infinies soient présentes dans une même chose. Tous les péchés ne peuvent donc pas être connexes.

[12853] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 5 s. c. 2 Praeterea, philosophus dicit in 4 Eth., quod malum si sit integrum, importabile fieret, et seipsum corrumperet. Sed si inessent omnia peccata uni, esset malitia moralis integra. Ergo hoc non potest stare.

[2] Le Philosophe dit dans Éthique, IV, que si le mal était total, il deviendrait insupportable et se corromprait lui-même. Or, si tous les péchés étaient présents chez le même, la malice morale serait totale. Cela ne peut donc se produire.

[12854] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 5 s. c. 3 Praeterea, contraria impossibile est inesse eidem. Sed contrarium est unum vitium alii, sicut prodigalitas liberalitati. Ergo impossibile est esse peccata connexa.

[3] Il est impossible que des contraires soient présents dans une même chose. Or, un vice est contraire à un autre, comme la prodigalité à la libéralité. Il est donc impossible que les péchés soient connexes.

[12855] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod in peccato duo sunt, scilicet aversio et conversio. Ex parte aversionis peccata connexionem habent, inquantum avertuntur a bono incommutabili: sed ex parte conversionis nullo modo connexionem habere possunt, sicut habent virtutes. Virtutes enim habent esse ordinatum, quia in ipsa potentiarum ordinatione consistit ratio virtutis; sed peccata praeter intentionem et per accidens fiunt; et ideo non reducuntur ad rectum ordinem, nec in aliquo uno connecti possunt. Et praeterea, peccata ex operibus sunt, et contingunt omnifariam, nec sunt ab aliquo principio infundente, sicut virtutes.

Réponse. Dans le péché, il y a deux choses : l’aversion (aversio) et la conversion (conversio). Du point de vue de l’aversion, les péchés ont une connexion pour autant qu’ils se détournent du bien immuable ; mais, du point de vue de la conversion, ils ne peuvent avoir aucune connexion, comme c’est le cas des vertus. En effet, les vertus possèdent un être ordonné, car la raison de vertu consiste dans la mise en ordre même des puissances. Mais les péchés sont accomplis en dépassant l’intention et par accident. C’est pourquoi ils ne sont pas ramenés à l’ordre correct et ils ne peuvent pas être connectés dans une seule chose. De plus, les péchés viennent des actions et se produisent de multiples façons, et ils ne proviennent pas d’un seul principe qui les infuse, comme les vertus.

[12856] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod hoc intelligitur quantum ad amissionem summi boni, a quo omne peccatum avertit: quo amisso, quidquid virtutis habebatur deperit, et omnia virtutum merita mortificantur.

1. Cela s’entend de la perte du bien suprême, dont tout péché détourne. Une fois celui-ci perdu, tout ce qui existait de vertu est perdu et tous les mérites des vertus meurent.

[12857] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod peccatum quandoque nominat actum; quandoque autem nominat maculam, quae est privatio gratiae et virtutis per comparationem ad actum praecedentem; quandoque etiam nominat reatum, qui est obligatio ad poenam propter actus inordinate commissos; et ideo secundum diversos actus diversae maculae sunt, et diversi reatus, quamvis sit eadem virtus, vel gratia, qua privantur.

2. Parfois le péché désigne l’acte ; mais parfois il désigne la souillure, qui est la privation de la grâce et de la vertu en rapport avec l’acte précédent ; parfois aussi, il désigne la culpabilité, qui est l’obligation à une peine en raison des actes commis de manière désordonnée. C’est pourquoi il existe diverses souillures et diverses culpabilités selon les différents actes, bien qu’elles soient privées de la même vertu et de la même grâce.

[12858] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod a caritate procedunt virtutes secundum ordinem rectum; et ideo consonantiam et connexionem habent: sed ex amore inordinato sequuntur vitia extra ordinem; et ideo contrarietatem ad invicem habent, et multifariam dividuntur.

3. Les vertus proviennent de la charité selon un ordre correct : c’est pourquoi elles sont en harmonie et elles sont connexes. Mais les vices découlenet d’un amour désordonné en dehors de l’ordre ; c’est pourquoi ils sont contraires les uns aux autres et se divisent de plusieurs manières.

[12859] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod immediata oppositio, secundum theologos, virtutis et vitii, intelligitur quantum ad actus, et non quantum ad habitus. Aliquis enim per unum actum peccati mortalis perdit omnes habitus virtutum, non tamen per illum actum aggeneratur in ipso aliquis habitus; unde tunc caret utroque habitu. Non est autem inconveniens ut in illo qui habet actum luxuriae, et caret per hoc habitu mansuetudinis, inveniatur actus ejus, non quidem ab ipsa procedens, sed ei similis, sicut actus virtutum dicuntur qui sunt ad virtutem.

4. Selon les théologiens, l’opposition immédiate entre la vertu et le vice se prend de l’acte, et non de l’habitus. En effet, quelqu’un perd par un seul acte de péché mortel tous les habitus des vertus, mais, par cet acte, un habitus n’est pas engendré en lui ; les deux habitus lui font donc défaut. Mais il n’est pas inapproprié que, chez celui qui commet un acte de luxure et à qui fait ainsi défaut l’habitus de la douceur, on trouve leur acte, non pas qu’il procède d’elles, mais parce qu’il leur est semblable, comme on appelle actes de vertus ceux qui sont orientés vers la vertu.

[12860] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod ex hoc ipso quod homo pronior est ad peccandum, non requiruntur tot ad unum peccatum, sicut ad unam virtutem; et ideo non est necessarium ut qui habet unum peccatum, habeat omnia, sicut qui habet unam virtutem, habeat omnes. Utrum autem omnia peccata sint paria, quaere in 2 Lib., distinct. 42, quaest. 1, art. 5.

5. Par le fait même qu’un homme est plus enclin à pécher, autant de choses ne sont pas requises pour un seul péché que pour une seule vertu. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que celui qui a un péché les ait tous, comme celui qui a une seule vertu les a toutes. Que tous les péchés soient égaux, on verra à ce sujet le livre II, d. 42, q. 1, a. 5.

 

 

Articulus 6 [12861] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 6 tit. Utrum modus caritatis sit in praecepto

Article 6 – Le mode de la charité fait-il partie du commandement ?

[12862] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 6 arg. 1 Ad sextum sic proceditur. Videtur quod modus caritatis sit in praecepto. Sicut enim virtutes connectuntur sibi invicem in caritate, ita et omnia mandata ad caritatem reducuntur. Sed virtutes ideo connectuntur sibi in caritate, quia per caritatem formantur. Ergo et praecepta ad caritatem reducuntur, quia modus caritatis sub praecepto cadit.

1. Il semble que le mode de la charité fasse partie du commandement. En effet, de même que les vertus sont connectées les unes aux autres dans la charité, de même tous les commandement se ramènent-ils à la charité. Or, les vertus sont ainsi connexes dans la charité parce qu’elles reçoivent leur forme de la charité. Les commandements aussi se ramènent donc à la charité parce que le mode de la charité fait partie du commandement.

[12863] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 6 arg. 2 Praeterea, Deut. 6, 6, dicitur: diliges dominum Deum tuum ex toto corde tuo, et ex tota anima tua, et ex tota fortitudine tua. Et constat quod ibi praecipitur actus caritatis. Sed ex actu caritatis modificantur opera quae sunt in praecepto. Ergo praedictus modus est in praecepto.

2. Il est dit en Dt 6, 6 : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et toutes tes forces, et il est clair que l’acte de la charité y est commandé. Or, les actes qui relèvent d’un commandement sont modifiés par la charité. Le mode mentionné fait donc partie du commandement.

[12864] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 6 arg. 3 Praeterea, Matth., 19, 17, dicitur: si vis ad vitam ingredi, serva mandata. Sed nullus potest ad vitam ingredi sine caritate. Ergo modus caritatis est in praecepto.

3. Il est dit en Mt 19, 17 : Si tu veux entrer dans la vie, observe les commandements. Or, personne ne peut entrer dans la vie sans la charité. Le mode de la charité fait donc partie du commandement.

[12865] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 6 arg. 4 Praeterea, sicut deformationi opponitur formatio, ita prohibitioni opponitur praeceptum. Sed deformatio operum cadit sub prohibitione. Ergo formatio, quae fit per modum caritatis, cadit sub praecepto.

4. De même que la déformation s’oppose à la formation, de même le commandement s’oppose-t-il à l’interdiction. Or, la déformation des actes tombe sous une interdiction. La formation, qui se réalise par le mode de la charité, tombe donc sous le commandement.

[12866] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 6 arg. 5 Praeterea, per caritatem actus praeceptorum ordinantur in finem debitum. Sed hoc cadit sub praecepto, ut patet per apostolum, 1 Corinth. 10, 31: omnia in gloriam Dei facite. Ergo et modus caritatis.

5. Par la charité, les actes des commandements sont ordonnés à la fin appropriée. Or, cela tombe sous le commandement, comme cela ressort de ce que dit l’Apôtre, 1 Co 10, 31 : Faites tout pour la gloire de Dieu. Donc, le mode de la charité aussi.

[12867] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 6 s. c. 1 Sed contra, nihil cadit sub praecepto nisi quod est in potestate nostra; unde Hieronymus, anathematizat eos qui dicunt Deum aliquid impossibile homini praecepisse. Sed habere caritatem non est in potestate nostra. Ergo modus caritatis non cadit sub praecepto.

Cependant, [1] rien ne tombe sous le commandement que ce qui est en notre pouvoir ; aussi Jérôme anathématise-t-il ceux qui disent que Dieu a commandé à l’homme quelque chose d’impossible. Or, avoir la charité n’est pas en notre pouvoir. Le mode de la charité ne tombe donc pas sous le commandement.

[12868] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 6 s. c. 2 Praeterea, quicumque omittit hoc quod est de substantia praecepti, peccat. Sed aliquis diligens Deum dilectione naturali, vel opera pietatis faciens caritate carens, hoc ipso non peccat. Ergo modus non cadit sub praecepto.

[2] Quiconque omet ce qui fait partie de la substance d’un commandement pèche. Or, celui qui aime Dieu d’un amour naturel ou accomplit des actes de piété, alors que la charité lui fait défaut, ne pèche pas par le fait même. Le mode ne tombe donc pas sous le commandement.

[12869] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 6 s. c. 3 Praeterea, homo in statu innocentiae, etiam si gratiam non habuit, habebat unde poterat stare: quod non esset, si modus esset sub praecepto: quia caderet, si sine modo praecepta servaret. Ergo modus non est in praecepto.

[3] Dans l’état d’innocence, l’homme, même s’il n’avait pas la grâce, avait le moyen de se tenir debout, ce qui ne serait pas le cas si le mode tombait sous le commandement, car il chuterait s’il observait les commandements sans le mode. Le mode ne fait donc pas partie du commandement.

[12870] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 6 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc sunt quatuor opiniones. Prima opinio est, quod modus cadit sub praecepto: quia tamen illud praeceptum est affirmativum, non obligat ad semper, quamvis obliget semper: et sic homo non tenetur ex caritate implere mandata, nisi pro tempore illo quo caritatem habet; et sic non obligatur ad impossibile. Sed hoc dictum non videtur sufficiens: quia si modus est de substantia praecepti, simul curret obligatio ad actum et ad modum. Contingit autem quod erit tempus honorandi parentes quando etiam caritatem non habet: unde videtur quod tunc teneatur ex caritate implere. Et ideo alii dicunt, quod aequaliter currit obligatio praecepti et modi, ut scilicet quandocumque tenetur homo implere praeceptum, tenetur implere illud ex caritate. Nec propter hoc Deus aliquod impossibile praecipit: quia quamvis homo per se caritatem habere non possit, tamen potest facere aliquid unde ipsam a Deo accipiat: quia secundum philosophum in 3 Ethic., quae per amicos facimus, aliquo modo possibilia sunt. Sed hoc non potest stare: quia aliquis in peccato mortali existens, in quolibet actu de genere bonorum, quo praeceptum impleret quo ad substantiam operis, peccaret peccato omissionis, inquantum omitteret modum; quod falsum est. Et ideo alii dicunt, quod modus nullo modo cadit sub praecepto, et quod homo sine caritate praeceptum legis implet. Sed hoc videtur vicinum Pelagianae haeresi, quae ponebat omnia praecepta sine gratia posse impleri. Ideo alii mediam viam tenent, et dicunt, quod modus quodammodo in praecepto cadit, et quodammodo non. Dicimur enim ad mandata teneri dupliciter. Uno modo ita quod nisi impleamus hoc ad quod tenemur, sumus omissionis vel transgressionis rei, et secundum hoc tenemur solum ad substantiam mandati, non ad modum. Alio modo ita quod si non impleamus id ad quod tenemur, non percipimus mandati fructum; et sic tenemur ad substantiam operis, et ad modum, sine quo quantumcumque homo substantiam operis exequatur, ad vitam non perveniet. Et haec opinio videtur rationabilior. Constat enim quod praeceptum potest dupliciter considerari. Uno modo inquantum imponitur secundum necessitatem quamdam implendi: et sic nihil debet imponi alicui nisi quod statim est in ipso ut impleat; quod si non implet, punitur: quia sic lex habet vim coactivam, secundum philosophum in 10 Ethic. Alio modo quantum ad intentionem legislatoris, qui per legis praecepta intendit ad virtutem perducere, ut dicitur in 2 Ethic.: et sic quantum ad intentionem legislatoris modus virtutis cadit sub praecepto, non quantum ad obligationem legis.

Réponse. À ce sujet, il y a quatre opinions. La première opinion est que le mode tombe sous le précepte ; cependant, parce que ce commandement est affirmatif, il n’oblige pas dans chaque cas, bien qu’il oblige toujours. Ainsi, l’homme n’est pas tenu d’accomplir les commandements par charité, sauf au moment où il a la charité. Ainsi, il n’est pas obligé à l’impossible. Mais ce qui est dit là ne semble pas suffisant, car si le mode fait partie de la substance du commandement, l’obligation à l’acte et au mode courrait en même temps. Or, le temps arrive d’honorer ses parents, même si l’on n’a pas la charité. Il semble donc qu’on soit alors tenu de l’accomplir par charité. C’est pourquoi d’autres disent que l’obligation et le mode du commandement courent également, de sorte que chaque fois que l’homme est tenu d’accomplir le commandement, il est tenu de l’accomplir par charité. Et Dieu ne commande pas ainsi quelque chose d’impossible, car, bien que l’homme ne puisse avoir la charité par lui-même, il peut cependant faire quelque chose pour la recevoir de Dieu, car, selon le Philosophe, ce que nous faisons par nos amis nous est possible d’une certaine manière. Mais cela ne peut tenir, car celui qui se trouve dans le péché mortel pécherait par un péché d’omission, en omettant le mode, par chaque acte faisant partie du genre de ce qui est bon, par lequel il accomplirait le commandement pour ce qui fait partie de la substance de l’acte : ce qui est faux. C’est pourquoi d’autres disent que le mode ne tombe aucunement sous le commandement et que l’homme accomplit le commandement de la loi sans la charité. Mais cela semble proche de l’hérésie pélagienne, qui affirmait que tous les commandements pouvaient être accomplis sans la grâce. C’est pourquoi d’autres tiennent une voie moyenne, et disent que le mode tombe d’une certaine manière sous le commandement, et, d’une certaine manière, non. En effet, on dit que nous sommes tenus aux commandements de deux manières. Premièrement, de sorte qu’à moins d’accomplir ce à quoi nous sommes tenus, nous sommes coupables d’omission ou de transgression ; de cette manière, nous sommes tenus seulement à la substance du commandement, mais non à son mode. Deuxièmement, de sorte que, si nous n’accomplissons pas ce à quoi nous sommes tenus, nous ne percevons pas le fruit du commandement ; nous sommes ainsi tenus à la substance de l’acte et à son mode, sans lequel, autant que l’homme accomplisse la substance de l’acte, il ne parviendra pas à la vie éternelle. Et cette opinion semble être plus raisonnable. En effet, il apparaît que le commandement peut être envisagé de deux manières. D’une manière, pour autant qu’il est imposé en vertu d’une certaine nécessité de l’accomplir : rien ne doit ainsi être imposé à quelqu’un que ce qu’il est immédiatement en son pouvoir d’accomplir ; s’il ne l’accomplit pas, il est puni, car la loi a ainsi une force coercitive, selon le Philosophe, Éthique, X. D’une autre manière, selon l’intention du législateur, qui veut conduire à la vertu par les commandements de la loi, comme on le dit dans Éthique, II ; le mode de la vertu tombe ainsi sous le commandement pour ce qui est de l’intention du législateur, mais non pour ce qui est de l’obligation de la loi.

[12871] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 6 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod praecepta quodammodo connectuntur in caritate sicut in fine: quia per ipsam fructum mandati observati quis percipit.

1. Les commandements sont connexes d’une certaine manière dans la charité comme dans leur fin, parce que l’on reçoit par elle le fruit du commandement observé.

[12872] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 6 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illo praecepto praecipitur actus caritatis non qui sit a caritate, sed qui est similis actui caritatis, sicut est actus naturalis dilectionis. Vel si praecipitur actus caritatis, praeceptum illud magis est ad ostendendum quo tendere debeamus, quam ad obligandum, sicut supra, distinct. 27, dictum est.

2. Par ce commandement, est ordonné un acte de charité, qui ne vient pas de la charité, mais qui est semblable à l’acte de la charité, comme l’est l’acte de l’amour naturel. Ou bien, si l’acte de charité est commandé, ce commandement vise plutôt à montrer vers quoi nous devons tendre qu’à obliger, comme on l’a dit plus haut, d. 27.

[12873] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 6 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ratio illa procedit quantum ad intentionem legislatoris, magis quam quantum ad obligationem legis.

3. Ce raisonnement est tiré davantage de l’intention du législateur que de l’obligation de la loi.

[12874] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 6 ad 4 Ad quartum dicendum, quod facere actum deformem, et abstinere ab ipso, est in potestate nostra, non autem facere actum formatum; et ideo non est similis ratio.

4. Accomplir un acte sans forme et nous en abstenir est en notre pouvoir, mais non pas accomplir un acte formé. Ce n’est donc pas le même raisonnement.

[12875] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 6 ad 5 Ad quintum dicendum, quod modus caritatis plus importat quam relationem operis in finem debitum; importat enim quod actus ex habitu caritatis procedat, qua multi carentes, actus suos in Deum referunt.

5. Le mode de la charité importe plus que le rapport de l’acte à la fin appropriée. En effet, il importe que l’acte vienne de l’habitus de la charité ; alors qu’il fait défaut à beaucoup, ils réfèrent leur actes à Dieu.

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 36

[12876] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 6 expos. Ubi caritas est, quid est quod possit deesse? Ergo omnes aliae virtutes superfluunt. Et dicendum, quod hoc dicitur propter necessariam connexionem aliarum virtutum, quarum ipsa quodammodo est causa. Sequitur ut ejus fortitudo minus sit prudens. Hoc dicitur secundum quod ab una virtute aliquid in aliam redundat, ut dictum est. Quia vero non justificationis gratia, quam facit caritas, instituta sunt, sed in figura futuri, et in onus imposita, ideo clarescente veritate, cessaverunt velut umbra. De hoc dicendum in 1 dist. 4 libri. Sicut in sermone domini octo virtutes praemittuntur, ad quas cetera referuntur. Loquitur de beatitudinibus, quae virtutes dicuntur, inquantum sunt actus virtutum. Quia per caritatem implentur. Videtur quod dicat duo contraria, scilicet quod caritas sit principium et finis mandatorum. Et dicendum, quod hoc non est inconveniens: quia sicut in naturalibus forma et finis incidunt in idem, ita et in moralibus. Habitus enim, qui est principium actus, ut imperans actum, est etiam quodammodo finis, inquantum ad finem proprium utitur actu imperato. Totam magnitudinem et amplitudinem divinorum eloquiorum possidet caritas. Secundum hoc videtur quod prolixitas sacrae Scripturae sit superflua. Et dicendum, quod continentur omnia divina eloquia in praecepto caritatis sicut in radice; sed oportuit per ramos distingui.

 

 

 

Distinctio 37

Distinction 37 – [Les commandements de la loi]

 

 

Prooemium

Prologue

 

 

[12877] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de virtutibus et donis, quae nos ad bene operandum inclinant, in parte ista determinat de praeceptis legis, quibus ad opera virtutum et donorum dirigimur. Dividitur autem in duas partes: in prima determinat de octo primis mandatis, quae aliquo modo opus respiciunt; in secunda determinat de duobus mandatis ultimis, quae respiciunt tantum concupiscentiam cordis, 40 dist., ibi: sextum praeceptum est: non desiderabis uxorem proximi tui. Prima in duas: in prima determinat de primis octo mandatis; in secunda determinat de quibusdam quae uno illorum mandatorum intelliguntur prohiberi; quae specialem difficultatem habent, 38 dist., ibi: sciendum tamen, tria esse genera mandatorum. Prima in duas: in prima determinat de praeceptis primae tabulae; in secunda de praeceptis secundae tabulae, ibi: in secunda vero tabula septem erant mandata. Prima in tres secundum tria mandata de quibus determinat; secunda incipit ibi: secundum praeceptum est: non assumes nomen Dei tui in vanum; tertia, ibi: memento ut diem sabbati sanctifices. Circa primum tria facit: primo distinguit praecepta; secundo exponit primum ipsorum, ibi: primum in prima tabula est: non habebis deos alienos etc.; tertio solvit quaestionem ex praedictis ortam, ibi: sed quaeritur quomodo hic dicatur forma idoli non esse facta per verbum. In secunda vero tabula septem erant mandata. Hic determinat de praeceptis secundae tabulae; et dividitur in quinque partes secundum quinque mandata, quae satis patent in littera: quarum quarta pars dividitur in duas: in prima exponit quartum mandatum; in secunda movet quaestionem, ibi: si vero quaeritur de filiis Israel (...) utrum furtum commiserint; dicimus eos non fecisse furtum; secunda incipit ibi: hic opponitur quod etiam boni in illo opere peccaverunt. Et similiter quinta pars dividitur in expositionem praecepti, et quaestionem, quae incipit ibi: solet autem quaeri utrum prohibitum sit omne mendacium. Hic quaeruntur sex: 1 de necessitate legis scriptae; 2 de distinctione, ordine et assignatione mandatorum; 3 utrum omnia mandata legis ad haec decem referantur; 4 utrum dispensationem in aliquo casu recipiant; 5 de observatione sabbati; 6 de usura.

Après avoir déterminé des vertus et des dons, qui nous inclinent à bien agir, le Maître détermine dans cette partie des commandements de la loi, par lesquels nous sommes orientés vers les actes des vertus et des dons. Elle se divise en deux parties : dans la première, il détermine des huit premiers commandements, qui concernent d’une certaine manière l’action ; dans la seconde, il détermine des deux derniers commandements, qui concernent seulement la concupiscence du cœur, d. 40, à cet endroit : « Le sixième commandement est : Tu ne désireras pas l’épouse de ton prochain. » La première [partie] se divise en deux : dans la première, il détermine des huit premiers commandements ; dans la seconde, il détermine de certaines choses dont on comprend qu’elles sont défendues par un de ces commandements, et qui comportent une difficulté particulière, d. 38, à cet endroit : « Il faut cependant savoir qu’il y a trois genres de commandements. » La première [partie] se divise en deux : dans la première, il détermine des commandements de la première table ; dans la seconde, des commandements de la seconde table, à cet endroit : « Mais, dans la seconde table, il y avait sept commandements. ». La première [partie] se divise en trois selon les trois commandements dont elle détermine ; la seconde commence en cet endroit : « Le deuxième commandement est : Tu ne feras pas en vain usage du nom de ton Dieu» ; la troisième, à cet endroit : « Souviens-toi de sanctifier le jour du sabbat. » À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il fait une distinction entre les commandements ; deuxièmement, il explique le premier d’entre eux, à cet endroit : « Premièrement, la première table porte : Tu n’auras pas de dieux étrangers, etc. » ; troisièmement, il répond à une question issue de ce qui a été dit auparavant, à cet endroit : « Mais on se demande comment on dit que la forme de l’idole n’a pas été réalisée par une parole. » « Mais, dans la seconde table, il y avait seept commandements. » Ici, il détermine des commandements de la seconde table, et cela se divise en cinq parties selon cinq commandements, qui ressortent assez clairement d’eux-mêmes dans le texte. La quatrième de ces [parties] se divise en deux : dans la première, il explique le quatrième commandement ; dans la seconde, il soulève une question, à cet endroit : « Si on demande, à propos des fils d’Israël…, s’ils ont commis un vol, nous disons qu’ils n’ont pas commis de vol ». La deuxième [partie] commence à cet endroit : « Ici, on oppose que même les bons ont péché par cet acte. » De même, la cinquième partie se divise en explication du commandement et en question, qui commence à cet endroit : « On a coutume de se demander si tout mensonge est défendu. » Ici, six questions sont posées : 1. À propos de la nécessité de la loi écrite. 2. À propos de la distinction, de l’ordre et de la distribution des commandements. 3. Tous les commandements de la loi se ramènent-ils à ces dix [commandements] ? 4. En est-on dispensé dans certains cas ? 5. À propos de l’observance du sabbat. 6. À propos de l’usure.

Articulus 1 [12878] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 1 tit. Utrum fuerit necessarium tradi legem scriptam

Article 1 – Était-il nécessaire de donner une loi écrite ?

[12879] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod non fuit necessarium legem scriptam tradi, maxime de his decem praeceptis. Ea enim quae sunt naturaliter scripta in intellectu speculativo, nulla scientia in Scripturam colligit, sed utitur eis quantum indiget unaquaeque. Sed haec decem praecepta sunt naturaliter scripta in intellectu practico uniuscujusque. Ergo non fuit necesse ea in Scripturam redigere.

1. Il semble qu’il n’était pas nécessaire de donner une loi écrite, surtout à propos de ces dix commandements. En effet, aucune science n’a recueilli sous forme écrite ce qui est naturellement écrit dans l’intellect spéculatif, mais elle en utilise chaque élément comme elle en a besoin. Or, ces dix commandements sont naturellement écrits dans l’intellect pratique de chacun. Il n’était donc pas nécessaire de leur donner une forme écrite.

[12880] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, Scriptura videtur esse inventa ad succurrendum labilitati memoriae. Sed alia praecepta legis quae non sunt ita scripta in corde hominis, sicut judicialia et caeremonialia, facilius poterant tradi oblivioni. Ergo ea magis debuerunt in tabulis lapideis scribi.

2. L’écriture semble avoir été inventée pour venir en aide aux défallances de la mémoire. Or, les autres commandements de la loi qui n’ont pas été ainsi écrits dans le cœur de l’homme, tels les [commandements] judiciaires et les cérémoniels, pouvaient plus facilement être oubliés. Ils devaient donc d’autant plus être écrits sur des tables de pierre.

[12881] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, ea quae scripto traduntur, ad plebem per sapientes perveniunt. Sed haec decem mandata ipsa plebs immediate audivit a Deo, ut patet Exod. 20. Ergo non debuerunt in scriptum redigi.

3. Ce qui est mis par écrit parvient au peuple par l’intermédiaire des sages. Or, le peuple a entendu immédiatement de Dieu ces dix commandements, comme cela ressort de Ex 20. Ils ne devaient donc pas être mis par écrit.

[12882] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, legislator qui intendit sibi subjectos bonos facere, non debet aliquid pro lege ferre ex quo vitia augeantur, eo praevidente. Sed ex hoc quod ista mandata obligatoria populo sunt tradita, praevaricatio crevit; 1 Corinth. 15, 56: virtus peccati lex; Glossa: lex prohibendo auget peccati cupiditatem. Ergo non debuerunt hujusmodi praecepta legis a Deo dari, qui omnia praevidet.

4. Le législateur qui a en vue de rendre ses sujets bons ne doit pas faire de loi par laquelle les vices seraient accrus, alors qu’il le prévoit. Or, par le fait que ces commandements ont été transmis au peuple comme obligatoires, la prévarication a augmenté, 1 Co 15, 56 : La force du péché, c’est la loi. La Glose dit : « En interdisant, la loi augmente le désir de pécher. » Ces commandements ne devaient donc pas être donnés par Dieu qui prévoit tout.

[12883] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, servitia coacta sunt minus Deo accepta. Sed per legem fit coactio quaedam, inquantum obligat. Ergo videtur quod hujusmodi obligatoriam legem edere non debuit.

5. Les services forcés sont moins agréables à Dieu. Or, par la loi, une certaine coercition est créée dans la mesure où elle oblige. Il semble donc que [Dieu] ne devait pas formuler une telle loi obligatoire.

[12884] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, non minor cura est Deo de rebus humanis quam de rebus naturalibus, quas propter hominem fecit. Sed rebus naturalibus certas leges posuit. Ergo etiam rebus humanis aliquas leges ponere debuit.

Cependant, [1] Dieu ne prend pas moins soin des réalités humaines que des réalités naturelles, qu’il a faites pour l’homme. Or, il a établi des lois déterminées pour les choses naturelles. Il devait donc aussi établir des lois pour les réalités humaines.

[12885] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, in quolibet regimine oportet quod voluntas rectoris innotescat. Sed Dei voluntas nobis per legis praecepta innotescit, inquantum est signum divinae voluntatis. Ergo oportuit quod ab ipso qui orbem regit, praecepta mundo ederentur.

[2] En tout gouvernement, il faut que la volonté de celui qui dirige soit connue. Or, la volonté de Dieu nous est connue par les commandements de la loi, dans la mesure où elle est le signe de la volonté divine. Il fallait donc que des commandements soient donnés au monde par celui qui dirige le monde.

[12886] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 1 s. c. 3 Praeterea, dicit philosophus, quod rex per imperium suum movet eos qui in regno suo sunt. Sed Deus omnia movet. Ergo oportuit quod ad homines ejus imperium deveniret, quo in Deum moverentur.

[3] Le Philosophe dit que le roi meut ceux qui sont dans son royaume par son commandement. Or, Dieu meut toutes choses. Il fallait donc que parvienne aux hommes son commandement, par lequel ils sont mus vers Dieu.

[12887] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod necessarium fuit ea quae naturalis ratio dictat, quae dicuntur ad legem naturae pertinere, populo in praeceptum dari, et in scriptum redigi, propter quatuor rationes. Primo, quia per contrariam consuetudinem, qua multi in peccato praecipitabantur, jam apud multos ratio naturalis, in qua scripta erant, obtenebrata erat. Secundo, quia etsi in aliquibus vigebat ratio, tamen amor boni in eis deficiebat; unde per quamdam coactionem legis obligatoriae ad bonum inducendi erant. Tertio ut ad opera virtutis non solum natura inclinaret, sed etiam reverentia divini imperii. Quarto ut magis memoria tenerentur, et frequentius in cogitatione versarentur.

Réponse. Il était nécessaire que ce que dicte la raison naturelle, dont on dit que cela relève de la loi de la nature, soit donné au peuple sous forme de commandement et mis par écrit pour quatre raisons. Premièrement, parce que, en raison d’une coutume contraire, par laquelle beaucoup étaient précipités dans le péché, la raison naturelle avait déjà été obscurcie chez beaucoup à propos de ce qui avait été écrit. Deuxièmement, parce que, même si la raison était ferme chez certains, l’amour du bien faisait cependant défaut chez eux ; aussi devaient-ils être incités au bien par une certaine coercition de la loi obligatoire. Troisièmement, afin que non seulement la nature incline aux actes de vertu, mais aussi la révérence envers le commandement divin. Quatrièmement, afin qu’ils soient davantage gardés en mémoire et viennent plus fréquemment à la pensée.

[12888] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod passiones animae non corrumpunt existimationem speculativam, sicut corrumpunt existimationem practicam; et ideo magis oportuit praecepta legis naturae in scriptis redigi, quam principia speculativa.

1. Les passions de l’âme ne corrompent pas le jugement spéculatif, comme elles corrompent le jugement pratique. C’est pourquoi il fallait plutôt mettre par écrit les commandements de la loi de la nature que les principes spéculatifs.

[12889] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod praecepta judicialia et caeremonialia erant mutabilia secundum diversos status et conditiones hominum; sed praecepta ista legis naturae immobiliter permansura erant, in cujus signum in tabulis lapideis Deus ea scribi voluit.

2. Les commandements judiciaires et cérémoniels pouvaient être changés selon les divers états et conditions des hommes ; mais ces commandements de la loi naturelle devaient immuablement demeurer, en signe de quoi Dieu a voulu qu’ils soient mis par écrit sur des tables de pierre.

[12890] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ista praecepta omnibus indita erant in naturali cognitione; et ideo in hujus signum Deus toti populo per se ea edidit; sed propter multos qui secundum passiones vivunt, in quibus judicium rationis obtenebratur, voluit ut per sapientiores, in quibus judicium rationis viget, in aliis cognitio horum praeceptorum conservaretur; et ideo scribi ea voluit.

3. Ces commandements avaient été donnés à tous par la connaissance naturelle ; en signe de cela, Dieu les a formulés par lui-même pour tout le peuple. Mais, à cause du grand nombre qui vit selon les passions, chez qui le jugement de la raison était obscurci, il a voulu que la connaissance de ces commandements soit conservée pour les autres par l’intermédiaire des sages, chez qui le jugement de la raison est ferme. C’est pourquoi il a voulu qu’ils soient écrits.

[12891] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod lex, quantum erat in se, nullo modo nec occasio nec causa erat augendae cupiditatis, sed propter corruptionem fomitis hoc contingebat, occasione accepta ex lege ab ipsis peccantibus, non data ipsis a lege.

4. En elle-même, la loi n’était aucunement une occasion ou une cause d’augmentation de la cupidité, mais cela se produisait en raison de la corruption de la convoitise, les pécheurs eux-mêmes prenant occasion de la loi, alors qu’elle ne leur était pas donnée par la loi.

[12892] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod boni qui habent voluntatem bene faciendi non operantur quasi coacti a lege, sed ipsi sibi sunt lex; unde non propter eos lex est posita, sed propter transgressores, ut dicitur Gal. 3, in quibus melius est ut coacti a malo desistant quam ut mala libere exequantur.

5. Les bons, qui ont la volonté de bien agir, n’agissent pas comme s’ils était forcés par la loi, mais ils sont la loi pour eux-mêmes. Aussi la loi n’a-t-elle pas été mise par écrit pour eux, mais pour ceux qui la transgressent, comme il est dit dans Ga 3, pour qui il est mieux de renoncer au mal par la force que d’accomplir le mal librement.

 

 

Articulus 2 [12893] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 2 tit. Utrum praecepta Decalogi convenienter assignentur

Article 3 – Les commandements du décalogue sont-ils présentés de manière appropriée ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Les commandements du décalogue sont-ils présentés de manière appropriée ?]

[12894] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod praecepta Decalogi non convenienter assignentur. Praecepta enim legis ad merendum ordinantur. Sed meritum in aliquo actu consistit. Cum ergo in praeceptis negativis non ponatur aliquis actus, sed solum negetur, videtur quod praecepta Decalogi non debuerunt per negationem assignari.

1. Il semble que les commandements du décalogue ne soient pas présentés de manière appropriée. En effet, les commandements de la loi sont ordonnés au mérite. Or, le mérite consiste dans un acte. Puisque, dans les commandements négatifs, aucun acte n’est proposé mais seulement nié, il semble donc que les commandements du décalogue ne devaient pas être présentés sous une forme négative.

[12895] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, illud ex quo datur aliud intelligi, debet aliquo modo continere illud. Sed prohibitio majoris mali non continet prohibitionem minoris mali, nec praeceptum magis debiti continet praeceptum minus debiti. Cum ergo per prohibitionem moechiae detur intelligi omnis illicitus usus membrorum, ut in littera dicitur, cum moechia sit gravius quam simplex fornicatio, videtur quod non fuerit rectus modus assignandi praeceptum, per prohibitionem moechiae alia minora prohibere. Et similiter potest objici de honoratione parentum quod est magis debitum quam beneficia quae aliis hominibus sunt exhibenda, quae ad hoc praeceptum reducuntur.

2. Ce par quoi quelque chose est donné à entendre doit le contenir d’une certaine manière. Or, l’interdiction d’un plus grand mal ne contient pas l’interdiction d’un mal moindre, ni le commandement d’une plus grande dette ne contient-elle le commandement d’une dette moindre. Puisque, par l’interdiction de l’adultère, on donne à entendre tout usage interdit des membres, comme on le dit dans le texte, l’adultère étant plus grave que la simple fornication, il semble donc que ce n’était pas une manière correcte de présenter le commandement que d’interdire les [fautes] moindres par l’interdiction de l’adultère. De même, peut-on objecter, à propos de l’honneur dû aux parents, qu’il est davantage dû que les bienfaits qui doivent être faits aux autres hommes, qui se ramènent à ce commandement.

[12896] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, omnia praecepta legis debent aequaliter in memoria contineri. Ergo cum in tertio praecepto fiat mentio de memoria, videtur quod eadem ratione debuerit in aliis praeceptis poni.

3. Tous les commandements de la loi doivent être également gardés en mémoire. Puisque, dans le troisième commandement, on mentionne la mémoire, il semble donc que, pour la même raison, elle devait être mentionnée dans les autres commandements.

[12897] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 4 Praeterea, praecepta Decalogi ad legem naturalem pertinent. Sed legis naturalis dictamen per rationem naturalem est. Ergo non oportet in alio praecepto legis aliam rationem assignari, nisi quod naturalis ratio dictat.

4. Les commandements du décalogue relèvent de la loi naturelle. Or, l’expression de la loi naturelle se réalise par la raison naturelle. Il n’est donc pas nécessaire que, dans un autre commandement de la loi, soit donnée une raison autre que le fait que la raison naturelle le dicte.

[12898] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 5 Praeterea, omnibus praeceptis observatis praemium debetur. Sed in quarto praecepto praemium ponitur, ut scilicet longaevus sit super terram. Ergo eadem ratione in aliis praeceptis poni deberet.

5. Une récompense est due pour tous les commandements observés. Or, dans le quatrième commandement, une récompense est présentée : la longévité sur la terre. Pour la même raison, [une récompense] devait donc être présentée dans les autres commandements.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Doit-il y avoir dix commandements de la loi ?]

[12899] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non debeant esse decem legis praecepta. Sicut enim dicitur in Glossa, Matth. 6, in precibus est ut impetrentur dona; in donis ut impleantur mandata; in mandatis ut beatitudines consequamur. Sed preces, et etiam dona, similiter et beatitudines quodammodo sunt septem. Ergo et mandata legis debebant esse tantum septem.

1. Il semble qu’il ne doive pas y avoir dix commandements de la loi. En effet, comme le dit la Glose à propos de Mt 6 : « Par les prières, on demande des dons ; par les dons, on accomplit les commandements ; par les commandements, on obtient les béatitudes. » Or, les prières, les dons et, d’une certaine manière, les béatitudes sont au nombre de sept. Les commandements de la loi devaient donc aussi n’être qu’au nombre de sept.

[12900] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, Rom. 13, 8: dilectio proximi legem implevit. Sed intentio legislatoris in omnibus praeceptis est ut lex impleatur. Ergo sufficiens fuit unum praeceptum tantum, scilicet de dilectione proximi, ponere.

2. Rm 13, 8 dit : L’amour du prochain a accompli la loi. Or, l’intention du législateur pour tous les commandements est que la loi soit accomplie. Il était donc suffisant de proposer un seul commandement : l’amour du prochain.

[12901] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, Rom. 7, dicit Glossa: bona est lex, quae dum concupiscentiam prohibet, malum prohibet. Sed praecepta ordinantur contra peccata, ut patet per Augustinum in Lib. de decem Chord. Ergo suffecisset unum praeceptum ponere, in quo concupiscentia prohiberetur.

3. À propos de Rm 7, la Glose dit : « La loi est bonne : en interdisant la concupiscence, elle interdit le mal. » Or, les commandements sont ordonnés contre les péchés, comme cela ressort de ce que dit Augustin dans le livre Sur les dix cordes. Il aurait donc suffi de proposer un seul commandement dans lequel la concupiscence serait interdite.

[12902] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 4 Sed contra, videtur quod debeant esse plus quam decem. Ubicumque enim contingit esse peccatum in opere, contingit esse peccatum et in interiori concupiscentia: quia consensus in peccatum, peccatum est. Sed furtum et moechia prohibentur diversis praeceptis quantum ad actum et quantum ad concupiscentiam. Ergo eadem ratione et alia peccata debuerunt duplicibus praeceptis prohiberi.

Cependant, [4] il semble qu’il aurait dû y en avoir plus de dix. En effet, partout où il arrive qu’il y a péché en acte, il arrive qu’il y a aussi péché dans la concupiscence intérieure, car le consentement au péché est un péché. Or, le vol et l’adultère sont défendus par divers commandements quant à l’acte et quant à la concupiscence. Pour la même raison, les autres péchés devaient donc aussi être défendus par deux commandements.

[12903] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 5 Praeterea, ut in 2 Lib., distinct. 42, dicit Magister, tribus modis aliquis peccat: scilicet in Deum, in proximum, in seipsum. Cum ergo quaedam praecepta ordinentur contra peccatum in Deum, quaedam vero contra peccatum in proximum; videtur etiam quod quaedam debuerunt ordinari contra peccatum in seipsum.

[5] Le Maître dit que l’on pèche de trois manières : contre Dieu, contre le prochain et contre soi-même. Puisque certains commandements sont ordonnés au péché contre Dieu et certains, au péché contre le prochain, il semble que certains devaient aussi être ordonnés au péché contre soi-même.

[12904] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 6 Praeterea, secundum philosophum in 2 Ethic., intentio legislatoris est ad virtutem cives inducere; unde et de singulis virtutibus aliquid lex praecipit, sicut patet in 5 Ethic. Sed multo plures virtutes sunt quam decem. Ergo debent esse plura praecepta.

[6] Selon le Philosophe, Éthique, VI, l’intention du législateur est d’inciter les citoyens à la vertu ; aussi la loi commande-t-elle quelque chose pour chacune des vertus, comme cela ressort d’Éthique, V. Or, il existe beaucoup plus que dix vertus. Il doit donc y avoir un plus grand nombre de commandements.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Les commandements sont-ils mal ordonnés ?]

[12905] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod praecepta male ordinentur. Quia, sicut Gregorius dicit, ex visibilibus in amorem invisibilium rapimur. Sed praecepta secundae tabulae ordinant ad dilectionem proximi, quem videmus; praecepta vero primae tabulae ad dilectionem Dei, qui invisibilis est. Ergo praecepta secundae tabulae prius poni debuerunt.

1. Il semble que les commandements soient mal ordonnés, car, ainsi que le dit Grégoire, « nous sommes emportés vers l’amour des réalités invisibles à partir des réalités visibles ». Or, les commandements de la seconde table sont tournés vers l’amour du prochain, que nous voyons ; mais les commandements de la première table, vers l’amour de Dieu, qui est invisible. Les commandements de la seconde table devaient donc être présentés en premier.

[12906] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, prius est aliquid in corde quam sit in executione operis. Sed praeceptum tertium primae tabulae videtur ad cor pertinere, praeceptum vero secundum ad opus interius, primum autem ad opus exterius, quia ad actus latriae pertinet. Ergo inconvenienter ordinantur.

2. Quelque chose se trouve d’abord dans le cœur avant de se trouver dans l’accomplissement d’un acte. Or, le troisième commandement de la première table semble se rapporter au cœur, mais le deuxième commandement, à un acte intérieur et le premier, à un acte extérieur, puisqu’il se rapporte aux actes de latrie. Ils sont donc ordonnés de manière inappropriée.

[12907] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, secundum Boetium, prius extirpanda sunt vitia quam inserantur virtutes. Sed praecepta negativa ordinantur ad extirpationem vitiorum, affirmativa autem ad habendas virtutes. Ergo in secunda tabula praeceptum affirmativum non debuit esse primum, sed ultimum.

3. Selon Boèce, « les vices doivent d’abord être extirpés avant que les vertus ne soient semées ». Or, les commandements négatifs sont ordonnés à extirper les vices, mais les [commandements] affirmatifs, à posséder les vertus. Le premier et le dernier de la seconde table ne devaient donc pas être affirmatifs.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[12908] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod cum intentio legislatoris sit ad virtutes homines inducere, quibus legem tradit, oportet quod illo modo in assignandis praeceptis legis utatur, qui competat viae ad virtutem; quae quidem est ut ex his quae magis in promptu sunt, in difficiliora tendatur; sicut etiam in disciplinis ex magis notis in minus nota proceditur. Et ideo legislator in istis decem praeceptis, quae sunt quasi prima legis initia, illa prohibuit vel praecepit, quae primo occurrunt facienda vel dimittenda eunti ad virtutem; et ex his alia intelligi voluit, quae in eis quasi in suis principiis includuntur; et propter hoc plura negativa posuit quam affirmativa, quia magis in promptu est et facile ut mala dimittantur, quam ut bona perficiantur. In malis etiam illa prohibuit quae statim in primo aspectu detestanda videntur, et similiter in bonis illa praecepit quae cuilibet esse debita manifestum est.

Puisque l’intention du législateur est d’inciter les hommes auxquels il les donne aux vertus, il faut qu’il emploie, en présentant les commandements de la loi, un mode qui convient au chemin vers la vertu, lequel consiste en ce qu’on tende vers ce qui est plus difficile à partir de ce qui est plus facile ; ainsi, dans l’enseignement, on passe de ce qui est plus connu à ce qui est moins connu. C’est pourquoi, dans ces dix commandements, qui sont comme les premières amorces de la loi, le législateur a ordonné ou défendu ce qui s’offre en premier à être accompli ou évité pour celui qui se dirige vers la vertu. À partir de cela, il a voulu que d’autres choses soient comprises, qui y sont incluses comme dans leurs principes. Pour cette raison, il a proposé un plus grand nombre de [commandements] négatifs que positifs parce qu’il est plus facile et qu’il s’offre en premier d’éviter le mal que d’accomplir le bien. Pour le mal, il a aussi défendu ce qui, au premier regard, semble devoir être détesté ; de même, pour le bien, il a ordonné ce qui est manifestement dû à chacun.

[12909] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis in praeceptis negativis privetur actus exterior potius quam ponatur; includitur tamen actus rationis eligentis repressionem cupiditatis vel concupiscentiae, quae ad actus prohibitos inclinabat; et in hoc meritum consistit.

1. Bien que, par les commandements négatifs, un acte extérieur soit plutôt écarté que proposé, l’acte de la raison qui choisit de réprimer la cupidité ou la concupiscence, qui inclinait aux actes défendus, est cependant inclus. C’est en lui que consiste le mérite.

[12910] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis prohibitio minoris mali in magis malo non includatur via syllogistica, ut argui possit, si magis malum dimittendum est, quod et minus malum; includitur tamen eo modo quo ea quae ex seminibus naturae progrediuntur, in rationibus seminalibus continentur. Sicut enim natura ex parvis seminibus in maximas arbores proficit, ita etiam et lex ex his quae in principio et in promptu sunt, in alia procedit, quae sunt quandoque difficiliora et perfectiora; et ideo legislator per prohibitionem moechiae prohibuit fornicationem simplicem, et per falsum testimonium prohibuit omne mendacium, et per furtum prohibuit omnem turpem quaestum, et sic de aliis.

2. Bien que l’interdiction d’un moindre mal ne soit pas incluse dans celle d’un mal plus grand au moyen d’un syllogisme, de sorte qu’on pourrait dire que si un plus grand mal doit être écarté, un mal moindre aussi, elle est cependant incluse à la manière dont ce qui sort des semences de la nature est contenu dans les raisons séminales. En effet, de même que la nature se développe en de très grands arbres à partir de petites semences, de même aussi la loi passe-t-elle à d’autres choses à partir de ce qui se trouve dans le principe et est facilement accessible : parfois, ces choses sont plus difficiles et plus parfaites. C’est pourquoi le législateur, en défendant l’adultère, a défendu la simple fornication ; par [l’interdiction] du faux témoignage, il a défendu tout mensonge ; et par [l’interdiction] du vol, il a défendu toute sollicitation honteuse, et ainsi de suite pour les autres.

[12911] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod tertium praeceptum primae tabulae non erat simpliciter inditum rationi: quia determinatio diei qua vacandum est divinis obsequiis, est caeremonialis, non moralis, quamvis substantia praecepti moralis sit; unde magis natum erat a mente excidere quam ea quae totaliter naturalis ratio dictat; et ideo potius in hoc praecepto induxit memoriam et rationem praecepti assignavit quam in aliis praeceptis.

3. Le troisième commandement de la première table n’avait pas été simplement implanté dans la raison, car la détermination du dieu auquel on doit se vouer par le service divin est d’ordre cérémoniel, et non moral, bien que la substance du commandement soit morale. Aussi était-il plutôt destiné à sortir [quelque chose] de l’esprit qu’à [imposer] ce que la raison naturelle impose en totalité. C’est pourquoi, dans ce commandement, il a fait appel à la mémoire et a indiqué la raison du commandement plutôt que dans les autres commandements.

[12912] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 4 Et ex hoc patet solutio ad quartum.

4. La réponse au quatrième argument ressort clairement de cela.

[12913] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quartum praeceptum maxime videtur habere de debito et de naturali inclinatione et privato amore; et ideo minus videbatur esse meritorium quam alia; et ideo propter hoc oportuit ut ei adderetur praemium. Vel dicendum, quod quartum praeceptum est primum secundae tabulae, unde ipsi praemium additur; sicut et in primo praecepto primae tabulae praemium innuitur ex hoc quod Dei misericordia commemoratur; ut ex his duobus mandatis ostendantur omnia sequentia praemiabilia esse.

5. Le quatrième commandement semble surtout porter sur ce qui est dû, sur l’inclination naturelle et l’amour privé. C’est pourquoi il paraissait moins méritoire que les autres. Pour cette raison, il fallait que lui soit ajoutée une récompense. Ou bien il faut dire que le quatrième commandement est le premier de la seconde table ; aussi une récompense lui est-elle ajoutée, comme, dans le premier commandement de la première table, une récompense est suggérée du fait que la miséricorde de Dieu est rappelée. Par ces deux commandements, tout ce qui en découle comme objet de récompense devait être montré.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[12914] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod lex civilis suis praeceptis dirigit hominem in communicationibus quae sunt ad alterum secundum vitam politicam; quae quidem non potest esse nisi hominis ad hominem. Derisibiles enim videntur laudes politicae vitae in deos transferentes, ut dicitur in 10 Ethic. Sed lex divina dirigit nos suis praeceptis in spirituali vita, secundum quam, societatem habemus non solum ad hominem, sed ad Deum, 1 Joan. 1; et ideo oportuit praecepta legis divinae hoc modo distingui quod quaedam dirigerent hominem in his quae ad Deum spectant, quae dicuntur praecepta primae tabulae; quaedam vero in his quae spectant ad proximum, quae dicuntur praecepta secundae tabulae. Ordinatur autem homo ad Deum tripliciter. Uno modo per meditationem cordis, ut dicitur in Psalm. 45, 11: vacate, et videte quia ego sum Deus, et ad hoc dirigit tertium praeceptum, scilicet sanctificatio sabbati, quo aliquod tempus deputatur ad vacandum divinis, cessando ab omnibus quae hoc otium perturbare possent. Alio modo per reverentiam oris, quod fit dum laudatur, et nomen ejus cum reverentia enuntiatur. Et quia primo occurrit in reverentiam divini nominis jurare quam laudes debitas Deo reddere, ideo in secundo praecepto ponitur: non assumes nomen Dei tui in vanum. Tertio, ut in opere servitium debitum exhibeatur, quod latria dicitur, ad cujus actum primum praeceptum ordinatur similiter per prohibitionem contrarii: non habebis deos alienos. Ad proximum autem homo dupliciter ordinatur. Uno modo ut ei beneficium impendatur, quod maxime parentibus faciendum est; unde in primo praecepto secundae tabulae honoratio parentum praecipitur, in quo intelligitur esse beneficium proximo exhibendum. Alio modo ut proximo nocumentum non inferatur; quod quidem contingit tripliciter. Primo quantum ad cor; et sic sunt duo praecepta ultima: non desiderabis uxorem proximi tui; et non concupisces domum proximi tui. Secundo potest inferri nocumentum proximo ore; et hoc prohibetur quinto praecepto: non loqueris contra proximum tuum falsum testimonium; in quo secundum regulam prius datam detractio et objurgatio et omnia hujusmodi prohibentur. Tertio infertur proximo nocumentum opere: quod quidem contingit dupliciter. Uno modo inquantum subtrahuntur ea quae sunt necessaria vitae; et sic est quartum praeceptum: non furtum facies. Alio modo inquantum ipsi vitae impedimentum paratur; quod dupliciter contingit. Uno modo circa vitam qua ipse in seipso idem numero vivit; et contra hoc est secundum praeceptum: non occides; in quo etiam omne nocumentum in personam prohibetur. Alio modo circa vitam qua aliquis vivit in prole idem specie; et contra hoc nocumentum est tertium praeceptum: non moechaberis, quia adulterium contra certitudinem prolis est.

Par ses commandements, la loi civile dirige l’homme dans les échanges qu’il a avec l’autre dans la vie politique, ce qui ne peut être le cas que d’un homme par rapport à un autre. En effet, les louanges politiques reportées sur des dieux sont risibles, comme il est dit dans Éthique, X. Mais, par ses commandements, la loi divine nous dirige dans la vie spirituelle, selon laquelle nous sommes en rapport non seulement avec l’homme, mais avec Dieu, 1 Jn 1. C’est pourquoi il fallait que les commandements de la loi divine se distinguent de telle manière que certains dirigent l’homme pour ce qui concerne Dieu, qu’on appelle les commandements de la première table ; mais que certains [le fassent] pour ce qui concerne le prochain, qu’on appelle les commandements de la seconde table. Or, l’homme est ordonné à Dieu de trois manières. Premièrement, par la méditation du cœur, comme le dit le Ps 45, 11 : Faites relâche, et voyez que je suis Dieu. Le troisième commandement oriente vers cela : la sanctification du sabbat, par quoi un temps est consacré à s’adonner aux réalités divines, en cessant tout ce qui pourrait troubler le repos. Deuxièmement, par le respect de la bouche, ce qui est accompli lorsque [Dieu] est loué et que son nom est prononcé avec respect. Et parce que se présente en premier le fait de jurer en faisant appel au respect du nom divin, plutôt que de rendre à Dieu les louanges qui lui sont dues, il est donc proposé dans le deuxième commandement : Tu ne prendras pas le nom de ton Dieu en vain. Troisièmement, pour que le service dû soit manifesté par un acte, appelé latrie, acte auquel le premier commandement ordonne en interdisant aussi le contraire : Tu n’auras pas d’autres dieux. Mais l’homme est ordonné au prochain de deux manières. Premièrement, en agissant bien à son égard,  ce qui doit être surtout accompli envers les parents. Aussi l’honneur envers les parents est-il ordonné dans le premier commandement de la seconde table, par quoi il faut entendre qu’il faut bien agir envers le prochain. Deuxièmement, en ne nuisant pas au prochain, ce qui se réalise de trois manières. Premièrement, en son cœur ; il y a ainsi les deux derniers commandements : Tu ne désireras pas l’épouse du prochain, et : Tu ne désireras pas la maison de ton prochain. Deuxièmement, on peut nuire au prochain par la bouche ; cela est défendu par le cinquième commandement : Tu ne feras pas de faux témoignage contre ton prochain, par quoi sont interdits, selon la règle déjà donnée, la médisance, les récriminations et toutes les choses de ce genre. Troisièmement, on nuit au prochain en acte, ce qui se produit de deux manières. Premièrement, en lui enlevant ce qui est nécessaire à la vie, et l’on a ainsi le quatrième commandement : Tu ne voleras pas. Deuxièmement, en préparant un obstacle à sa vie même, ce qui se produit de deux manières. D’une manière, à la vie par laquelle il vit lui-même comme individu ; s’oppose à cela le deuxième commandement : Tu ne tueras pas, par quoi tout dommage à la personne est défendu. D’une autre manière, à la vie par laquelle quelqu’un vit dans sa descendance, identique par l’espèce ; s’oppose à cela le troisième commandement : Tu ne commettras pas d’adultère, car l’adultère est contraire à la certitude de la descendance.

[12915] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod virtutes, dona, beatitudines, petitiones, et praecepta legis, sicut dictum est supra, correspondent sibi in generali: quia quaelibet istorum se extendunt ad totam humanam vitam. Non tamen oportet quod particulariter singula singulis respondeant, nisi per adaptationem aliquam, eo quod non est eadem ratio distinguendi in omnibus praedictis.

1. Les vertus, les dons, les béatitudes, les demandes et les commandements de la loi, comme on l’a dit plus haut, se correspondent d’une manière générale, car chacune de ces choses s’étend à toute la vie humaine. Cependant, il n’est pas nécessaire qu’elles correspondent l’une à l’autre d’une manière particulière, si ce n’est par une certaine adaptation, du fait que la raison de la distinction n’est pas la même pour tout ce qui a été dit.

[12916] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod dilectio proximi est sicut prima radix observandi praecepta, prout in dilectione proximi etiam dilectio Dei includitur: est enim finis praecepti, ut dicitur 1 Tim. 1; unde tenet locum primi principii in disciplinis. Unde sicut ibi post primum principium, ad quod omnia reducuntur, ut dicitur in 4 Metaph. (scilicet quod affirmatio et negatio non verificatur de eodem), ponuntur alia principia magis propinqua particularibus conditionibus; ita etiam in lege praeter dilectionem proximi oportuit poni aliqua specialia praecepta quae dirigerent in particularibus actibus.

2. L’amour du prochain est comme la racine première de l’observance des commandements, pour autant que l’amour de Dieu est aussi inclus dans l’amour du prochain ; c’est en effet la fin du commandement, comme le dit 1 Tm 1. Elle joue donc le rôle de premier principe pour apprendre. De même donc que, après le premier principe, auquel tout se ramène, ainsi qu’il est dit dans Métaphysique, IV (à savoir que l’affirmation et la négation ne peuvent être vraies pour une même chose), d’autres principes sont posés, plus rapprochés des conditions particulières, de même aussi était-il nécessaire de présenter dans la loi, en plus de l’amour du prochain, d’autres commandements particuliers qui dirigeraient dans les actes particuliers.

[12917] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 3 Et similiter dicendum ad tertium de concupiscentia, quae est sicut radix omnium malorum.

3. Il faut dire la même chose pour le troisième argument à propos de la concupiscence, qui est pour ainsi dire la racine de tous les maux.

[12918] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod nocumentum quod alicui in persona infertur, naturalem horrorem habet, nec terminatur ad aliquod reale bonum facientis, sed solum ad bonum aestimatum, quod est vindicta. Sed nocumentum quod infertur in subtractione rerum, vel in abusu uxoris, natum est habere quamdam delectationem, inquantum terminatur ad aliquod bonum reale, ad minus sensibile, ipsius operantis. Et ideo ista duo nocumenta distinguuntur praeceptis pertinentibus ad cor et ad actum; non autem praeceptum quod est de nocumento personae proximi, talem distinctionem recipit.

4. Le tort qui est fait à quelqu’un dans sa personne comporte une horreur naturelle et n’a pas comme terme un bien réel de celui qui l’accomplit, mais seulement un bien estimé : la vengeance. Mais le tort qui est fait par la soustraction de biens ou par l’abus de l’épouse comporte naturellement une certaine délectation, dans la mesure où il a comme terme un bien, tout au moins sensible, pour celui qui l’accomplit. C’est pourquoi ces deux torts sont isolés par des commandements qui se rapportent au cœur et à l’acte ; mais le commandement qui porte sur le tort causé à la personne d’autrui n’est pas isolé de cette manière.

[12919] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod secundum philosophum in 5 Ethic., legislator intendit commune bonum per lationem legis; et ideo actus particulares unius hominis non praecipit nisi secundum quod ad alium ordinatur. Et propter hoc etiam quantum ad modum tradendi ista praecepta, hoc modo fuerunt assignanda, ut per ea ordinaretur homo tantum ad alterum quamvis in ordinatione ad alterum includatur etiam ordinatio ad seipsum, sicut in dilectione proximi includitur dilectio sui.

5. Selon le Philosophe, Éthique, V, le législateur a en vue le bien commun en établissant la loi ; c’est pourquoi il ne commande les actes particuliers d’un seul homme que dans la mesure où celui-ci est ordonné à un autre. C’est aussi pour cette raison qu’ils ont été proposés de cette manière, pour ce qui est de la manière de communiquer ces commandements, afin que par eux l’homme soit ordonné seulement à un autre, bien que, dans l’ordre à l’autre, soit aussi inclus l’ordre à soi-même, comme l’amour de soi est inclus dans l’amour du prochain.

[12920] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod non oportuit in praeceptis Decalogi omnium virtutum actus praecipi, quia hoc ad perfectionem vitae virtuosae pertinet; sed oportuit tantum in illis hominem dirigi per praecepta Decalogi quae primo facienda occurrunt tendentibus in virtutem, ut dictum est.

6. Il n’était pas nécessaire que, dans les commandements du décalogue, les actes de toutes les vertus soient commandés, parce que cela relève de la perfection de la vie vertueuse ; mais il était seulement nécessaire que l’homme soit dirigé par les commandements du décalogue dans ce qui se présente en premier à ceux qui tendent à la vertu, comme on l’a dit.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[12921] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod praecepta Decalogi ordinantur secundum quod primo et principaliter facienda vel vitanda occurrunt. Et quia in spirituali vita, ad cujus directionem Decalogus datur, ratio agendi Deus est quasi finis; ideo praecepta quae ad Deum ordinant, primo ponuntur, inter quae talis ordo consideratur ut prius illud praeceptum ponatur cujus contrarium a Deo magis elongat: quia gradatim Deo approximamus a remotioribus discedentes. Et ideo praeceptum quo prohibetur contrarius cultus, per quem homo quasi totaliter a Deo recedit, prius ponitur quam praeceptum quo prohibetur irreverentia in vane assumendo divinum nomen; et ultimo ponitur praeceptum de quiete cordis in Deum, in quo homo Deo maxime appropinquat. In praeceptis autem secundae tabulae etiam similis ordo observatur, ut scilicet prius ponatur illud praeceptum quod primo in bona conversatione occurrit. Et quia prius est ordinatio hominis ad domesticos quam ad extraneos, ideo praeceptum de honoratione parentum praemittitur aliis quae ad omnes communiter pertinent, in quibus etiam praemittuntur prohibitiones illorum quae principaliter occurrunt cavenda. Tendentibus autem ad virtutem prius occurrit vitandum nocumentum operis quam oris, et oris quam cordis; et inter nocumenta operis gravius nocumentum prius vitandum occurrit; et ideo prohibitio homicidii praecedit prohibitionem moechiae, quae praecedit prohibitionem furti: et hae tres prohibitiones praecedunt prohibitionem falsi testimonii; et ultimo ponitur prohibitio concupiscentiae, in quo jam perfectio virtutis consistit.

Les commandements du décalogue sont ordonnés selon ce qui doit être fait ou évité en premier lieu et de manière principale. Et parce que, dans la vie spirituelle, pour la direction de laquelle le décalogue est donné, la raison d’agir est Dieu en tant que fin, les commandements qui ordonnent à Dieu sont proposés en premier ; parmi eux, on envisage l’ordre selon lequel est d’abord donné le commandement dont le contraire éloigne le plus de Dieu, car nous approchons de Dieu en nous éloignant de ce qui en est plus éloigné. C’est pourquoi le commandement par lequel est défendu un culte contraire, par lequel l’homme s’éloigne pour ainsi dire totalement de Dieu, est proposé avant le commandement par lequel l’irrespect de prendre le nom de Dieu en vain est défendu. En dernier lieu, est proposé le commandement portant sur le repos du cœur en Dieu, par lequel l’homme s’approche le plus de Dieu. Pour les commandements de la seconde table, un ordre similaire est respecté, de sorte que soit proposé en premier le commandement qui se présente en premier dans le bon comportement. Et parce que les rapports de l’homme avec les membres de sa maison viennent avant ceux avec les étrangers, le commandement portant sur l’honneur dû aux parents vient avant les autres qui se rapportent à tous de manière générale, dans lesquels sont aussi mises en premier lieu les interdictions de ce qu’il faut principalement éviter. Or, pour ceux qui tendent à la vertu, vient d’abord la nécessité d’éviter un tort en actes plutôt qu’en paroles, et en paroles plutôt que dans le cœur. Parmi les torts en actes, le tort le plus grave doit d’abord être évité ; c’est pourquoi la défense de l’homicide précède la défense de l’adultère, qui précède la défense du vol. Et ces trois défenses précèdent la défense du faux témoignage. En dernier lieu, est présentée la défense de la concupiscence, en quoi consiste déjà la perfection de la vertu.

[12922] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 2 qc. 3 ad arg. Et per hoc patet solutio ad objecta.

Les réponses aux objections ressortent ainsi clairement.

 

 

Articulus 3 [12923] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 3 tit. Utrum omnia legis praecepta ad haec decem ordinentur

Article 3 – Tous les commandements de la loi sont-ils ordonnés à ces dix [commandements] ?

[12924] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod non omnia legis praecepta ad haec decem reducantur. Cum enim haec praecepta jus naturale contineant, non poterunt ad ea reduci nisi quae ex jure naturali proficiscuntur. Sed quaedam prohibentur in lege quae non videntur modo aliquo ex lege naturali proficisci, quae nihil differunt utrum sic vel sic fiant, antequam lege posita sint, ut quod sacrificetur hircus vel taurus, sicut etiam philosophus, in 5 Ethicor., dicit. Ergo non omnia praecepta legis ad haec decem reducuntur.

1. Il semble que tous les commandements de la loi ne se ramènent pas à ces dix [commandements]. En effet, puisque ces commandements contiennent la loi naturelle, ne pourra être ramené à eux que ce qui provient de la loi naturelle. Or, certaines choses sont interdites par la loi qui ne semblent par provenir en quelque manière de la loi naturelle, dont le fait de les accomplir de telle ou telle manière ne semble pas avoir d’importance avant qu’elles aient été établies par la loi : par exemple, le fait de sacrifier un bouc ou un taureau, comme le dit le Philosophe, Éthique, V. Tous les commandements de la loi ne se ramènent donc pas à ces dix [commandements].

[12925] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, ea quae sunt diversorum generum, invicem non reducuntur in principia naturalia, sed in principium quod est voluntas, ut in 7 Metaph. dicitur. Sed haec praecepta naturalia sunt, cum sint de lege naturali. Ergo praecepta caeremonialia, quae sunt alterius generis, ad ipsa non reducuntur.

2. Ce qui relève de genres différents ne se ramène pas à des principes naturels, mais à un principe qui est la volonté, comme on le dit dans Métaphysique, VII. Or, ces commandements sont naturels puisqu’ils font partie de la loi naturelle. Les commandements cérémoniels, qui sont d’un autre genre, ne se ramènent donc pas à ceux-là.

[12926] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, manente causa, manet effectus. Sed quaedam praecepta legis mutata sunt illis praeceptis manentibus. Ergo non reducuntur ad ista sicut ad causam.

3. L’effet demeure lorsque la cause demeure. Or, certains commandements de la loi ont été changés, alors que ces commandements sont demeuré. Ils ne se ramènent donc pas à eux comme à leur cause.

[12927] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, omnia ista praecepta naturalis ratio dictat. Sed non omnium quae in lege posita sunt, quaerenda est ratio, ut Ff. de Leg. et Se. Ergo non omnia praecepta legis ad haec reducuntur.

4. La raison naturelle dicte tous ces commandements. Or, il ne faut pas chercher la raison de tout ce qui a été mis dans la loi, comme le disent… Tous les commandements de la loi ne se ramènenet donc pas à ceux-là.

[12928] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, ubi est eadem causa, et idem effectus. Haec autem praecepta eadem sunt apud omnes. Cum ergo multa praecepta legis divinae et legis civilis apud diversos diversa sint, videtur quod non omnia praecepta legalia ad haec reducantur.

5. Là où il y a une même cause, l’effet est le même. Or, ces commandements sont les mêmes pour tous. Puisque plusieurs commandements de la loi divine et de la loi civile sont différents chez des hommes différents, il semble donc que tous les commandements légaux ne se ramènent pas à eux.

[12929] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, omnia praecepta legis ad dilectionem Dei et proximi aliqualiter reducuntur, ut in praecedenti distinct. 36 dixit Magister. Sed dilectio Dei et proximi sufficienter continetur in istis praeceptis. Ergo omnia alia praecepta legis ad haec reducuntur.

Cependant, [1] tous les commandements de la loi se ramènent d’une certaine manière à l’amour de Dieu et du prochain, comme on l’a dit dans la distinction précédente, d. 36. Or, l’amour de Dieu et du prochain est contenu de manière suffisante dans ces commandements. Tous les autres commandements de la loi se ramènent donc à ceux-là.

[12930] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, sicut celsus dixit, jus est ars aequi et boni. Sed quidquid continetur in aliqua arte, reducitur ad prima principia illius artis, sicut in scientiis demonstrativis ad dignitates. Cum ergo praecepta legis naturalis sint in agibilibus, sicut principia naturaliter cognita in demonstrativis, videtur quod omnia praecepta legalia ad haec praecepta legis naturaliter reducantur.

[2] Comme le dit Celse, « le droit est l’art de ce qui est juste et bon ». Or, tout ce qui est contenu dans un art se ramène aux premiers principes de cet art, comme aux premiers principes dans les sciences démonstratives. Puisque les commandements de la loi naturelle portent sur ce qui doit être accompli, comme les principes connus naturellement pour ce qui est objet de déémonstration, il semble donc que tous les commandements légaux se ramènent naturellement à ces commandements de la loi.

[12931] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 3 s. c. 3 Praeterea, nullum praeceptum legis justum est, nisi rationabiliter positum sit. Sed omnis recta ratiocinatio oportet quod a naturali cognitione deducatur: quia principium rationis intellectus principiorum est. Ergo oportet quod omnia legis praecepta, si justa sunt, a praeceptis legis naturae deducantur; et sic omnia alia in haec praecepta reducuntur.

[3] Aucun commandement de la loi n’est juste que s’il a été établi de manière raisonnable. Or, tout raisonnement correct est déduit par la connaissance naturelle, car le principe de la raison est l’intelligence des principes. Il faut donc que tous les commandements de la loi, pour être justes, soient déduits des commandements de la loi naturelle. Et ainsi, tous les autres se ramènent à ces commandements.

[12932] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod in rebus naturalibus invenitur triplex cursus rerum. Quaedam enim sunt semper, quae nunquam deficiunt, ex natura hoc habentia ut sint, et impediri non possint: quaedam vero sunt frequenter, quae in paucioribus impediuntur: quaedam vero sunt raro, vel in minori parte. Ea autem quae sunt semper, sunt causa et origo eorum quae sunt frequenter et raro; unde etiam in ea quae sunt semper, reducuntur, ut in 6 Metaph. probatur; sicut motus caelestes, qui semper sunt, sunt causa et regula motus pluviarum et imbrium, qui ut frequenter currunt eodem modo; et utrique sunt regula et causa causalium motuum, ut inventionis thesauri, vel alicujus hujusmodi, secundum quod homo vel ex pluvia vel ex aliquo hujusmodi, quod ad motum caeli reducitur, habet occasionem fodiendi in agrum, ubi thesaurum invenit. Ita etiam est de legibus, quibus humani motus diriguntur. Quaedam enim sunt leges quae ipsi rationi sunt inditae, quae sunt prima mensura et regula omnium humanorum actuum; et haec nullo modo deficiunt, sicut nec regimen rationis deficere potest, ut aliquando esse non debeat; et hae leges jus naturale dicuntur. Quaedam vero leges sunt quae secundum id quod sunt, habent rationem ut observari debeant, quamvis aliquibus concurrentibus earum observatio impediatur; sicut quod depositum reddatur deponenti, impeditur quando gladius furioso deponenti reddendus esset; et hae leges similantur his quae frequenter in natura accidunt; et ideo directe et immediate ad jus naturale reducuntur. Et ideo Tullius, in 1 rhetoricae, nominat hujusmodi jus a naturali jure profectum. Quaedam vero leges sunt quae secundum se consideratae nullam rationem habere videntur suae observationis; sed rationem hujusmodi nanciscuntur ex aliquibus concurrentibus quae faciunt decentiam observandi; et hujusmodi similantur his quae raro accidunt in natura. Unde sicut illa non reducuntur in causas naturales nisi observato concursu omnium, quibus aliquis rarus eventus accidebat; ita etiam hujusmodi legalia, quae dicuntur positiva jura, reducuntur ad legem naturae non secundum se absolute, sed consideratis omnibus circumstantiis particularibus, quae faciebant decentiam suae observationis. Unde patet quod omnia praecepta legis divinae vel civilis, ad haec praecepta reducuntur aliquo modo.

Réponse. Parmi les réalités, on trouve un triple cours des choses. En effet, certaines choses existent toujours, qui jamais ne font défaut et qui, par nature, ne peuvent être empêchées ; mais certaines existent fréquemment, qui sont empêchées dans un petit nombre de cas ; certaines enfin existent rarement ou pour une moindre part. Or, les choses qui existent toujours sont la cause et l’origine de ce qui existe fréquemment et rarement ; aussi se ramènent-elles à ce qui existe toujours, comme il est démontré dans Métaphysique, VI. Ainsi, les mouvements célestes, qui existent toujours, sont-ils la cause et la règle des mouvements des pluies et des orages, qui ont fréquemment cours de la même manière ; et ils sont pour les deux la règle et la cause des mouvements relatifs aux causes, comme celui de la trouvaille d’un trésor ou de quelque chose du genre, selon que l’homme, soit en raison de la pluie, soit en raison de quelque chose de ce genre, a l’occasion de creuser dans un champ, où il trouve un trésor. Il en est de même des lois par lesquelles les mouvements humains sont dirigés. En effet, il y a certaines lois qui sont implantées dans la raison, qui sont la mesure et la règle première de tous les actes humains. Cela ne fait jamais défaut, de même que le gouvernement de la raison ne peut non plus faire défaut, de sorte qu’il ne doive exister à un certain moment. Ces lois sont appelées le droit naturel. Mais il existe certaines lois qui, en elles-mêmes, comportent une raison d’être observées, bien que, en raison de circonstances, leur observance soit empêchée ; ainsi, qu’un dépôt soit rendu à celui qui l’a déposé, cela est empêché lorsqu’un glaive devrait être rendu au fou qui l’a déposé. Ces lois ressemblent à ce qui se produit fréquemment dans la nature ; c’est pourquoi elles se ramènent directement et immédiatement au droit naturel. Aussi, dans la Rhétorique, I, Tullius [Cicéron] appelle-t-il cela un droit dérivé du droit naturel. Mais il existe certaines lois qui, considérées en elles-mêmes, ne semblent avoir aucune raison d’être observées, mais qui en obtiennent une en raison de circonstances qui créent une convenance de les observer. Ces [lois] ressemblent à ce qui se produit rarement dans la nature. De même donc que celles-ci ne se ramènent à des causes naturelles qu’en prenant en compte toutes les circonstances selon lesquelles un événement rare se produisait, de même aussi ces réalités légales, qu’on appelle des droits positifs, se ramènent-elles à la loi de la nature, non pas en elles-mêmes de manière absolue, mais en prenant en compte toutes les circonstances particulières qui en rendaient l’observance convenable. Il ressort donc clairement que tous les commandements de la loi divine ou civile se ramènent d’une certaine manière aux [dix] commandements.

[12933] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illa lege posita, de quibus philosophus loquitur, secundum se considerata differentiam non habent utrum sic vel sic fieri debeant, sed hujusmodi differentiam sortiuntur ex diversis concurrentibus, ut dictum est.

1. Une fois cette loi établie, dont parle le Philosophe, cela ne fait pas de différence, si on le considère en soi, qu’on doive l’accomplir de telle ou telle manière, mais la différence vient des diverses circonstances, comme on l’a dit.

[12934] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod artificialia non reducuntur in naturalia ita quod natura sit eorum primum et principale principium, sed inquantum ars utitur naturalibus organis ad complementum artificii. Similiter etiam praecepta caeremonialia vel juris positivi non reducuntur ad naturalia quasi ex ipsa natura vim obligandi habeant; sed hoc habent ex voluntate instituentis, quae in institutione naturali ratione utitur, si recte instituit.

2. Les réalités de l’art ne se ramènent pas aux réalités naturelles de telle sorte que la nature soit leur principe premier et principal, mais pour autant que l’art emploie des instruments naturels pour réaliser une œuvre d’art. De même, les commandements cérémoniels ou du droit positif ne se ramènent-ils pas aux commandements naturels comme s’ils recevaient de la nature leur capacité d’obliger, mais ils tiennent cela de la volonté de celui qui les a établis, qui fait usage de la raison naturelle pour les établir, s’il les établit correctement.

[12935] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illa praecepta legis quae mutata sunt, observantiae suae rationem habebant non ex ipsa substantia facti, sed ex aliquibus circumstantibus causis, sicut quod oportebat nostrae redemptionis mysterium aliquibus signis praefigurare, vel aliquid hujusmodi; unde cessantibus his causis, non manet reductio istorum praeceptorum ad praecepta naturalia.

3. Les commandements de la loi qui ont été changés ne tenaient pas la raison de leur observance de la substance même du fait, mais de certaines causes circonstantielles, comme de la nécessité de préfigurer le mystère de notre rédemption par certains signes, ou de quelque chose du genre. Aussi, ces causes cessant, la réduction de ces commandements à ces commandements naturels ne demeure pas.

[12936] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod hoc intelligendum est quantum ad substantiam facti, quod lege praecipitur, quod aliquando non habet rationem quare sic vel aliter fiat, ut dictum est.

4. Cela doit s’entendre de la substance du fait, qui est commandé par la loi, et qui parfois n’a pas de raison d’être accompli de telle ou telle manière, comme on l’a dit.

[12937] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod praecepta legis quae apud diversos diversa sunt, dependent a praeceptis naturalibus quae sunt eadem apud omnes, mediantibus aliquibus circumstantiis, ut dictum est, et horum varietas varietatem in jure positivo causat.

5. Les commandements de la loi qui sont différents selon les différents [peuples] dépendent des commandements naturels, qui sont les mêmes chez tous, par l’intermédiaire de certaines circonstances, comme on l’a dit ; leur diversité cause la diversité du droit positif.

 

 

Articulus 4 [12938] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 4 tit. Utrum praecepta Decalogi sint dispensabilia

Article 4 – Peut-il y avoir dispense des commandements du décalogue ?

[12939] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod praecepta Decalogi sint dispensabilia. Quia secundum philosophum in humanis actibus propter eorum varietatem non potest una communis regula inveniri, quam non oporteat in aliquibus casibus deficere ad similitudinem Lesbiae aedificationis. Sed praecepta legis sunt mensura humanorum actuum. Cum igitur omne praeceptum quod in aliquo casu intermittendum est dispensabile sit, videtur quod omnia praecepta legis dispensabilia sint.

1. Il semble qu’il puisse y avoir dispense des commandements du décalogue, car, selon le Philosophe, on ne peut trouver dans les actes humains, en raison de leur diversité, une seule règle commune, dont il ne faille pas s’écarter dans certains cas, comme ce fut le cas de la construction de Lesbos. Or, les commandements de la loi sont la mesure des actes humains, Puisque tout commandement dont on doit s’écarter dans un cas est objet de dispense, il semble donc que tous les commandements de la loi peuvent faire l’objet d’une dispense.

[12940] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, philosophus dicit, quod justum naturale non est idem apud omnes, sicut nec alia quae naturam hominis consequuntur, eadem in omnibus inveniuntur, ut quod dextera sit fortior sinistra, cum contingat aliquos ambidextros esse. Sed omnia praecepta quae non ab omnibus sunt observanda, sunt dispensabilia. Ergo praecepta Decalogi, quae sunt de jure naturali, sunt dispensabilia.

2. Le Philosophe dit que ce qui est naturellement juste n’est pas la même chose pour tous, comme on ne trouve pas non plus [également] chez tous les autres choses qui découlent de la nature de l’homme, par exemple, que la droite soit plus forte que la gauche, puisqu’il arrive que certains sont ambidextres. Or, tous les commandements qui ne doivent pas être observés par tous peuvent faire l’objet d’une dispense.

[12941] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, praeceptum divinum non potest esse injustum. Sed Deus aliquando praecepit fieri aliquod contrarium praeceptis Decalogi, sicut patet Exod. 12, de spoliatione Aegyptiorum; et Osee 1, de accessu ad fornicariam. Ergo aliquando justum est fieri contra praecepta Decalogi. Ergo praecepta Decalogi sunt dispensabilia.

3. Un commandement divin ne peut pas être injuste. Or, Dieu ordonne parfois que soit accompli quelque chose de contraire aux commandements du décalogue, comme cela ressort de Ex 12, à propos du pillage des Égyptiens, et de Os 1, à propos de l’approche d’une fornicatrice. Il est donc parfois juste que quelque chose de contraire aux commandements du décalogue soit accompli. Les commandements du décalogue peuvent donc faire l’objet d’une dispense.

[12942] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, inter Decalogi praecepta continetur homicidii prohibitio. Sed aliquibus casibus contingentibus judex praecipit hominem occidi, et juste. Ergo et similiter alia praecepta aliquibus casibus emergentibus possunt non observanda esse.

4. Parmi les commandements du décalogue, se trouve l’interdiction de l’homicide. Or, dans certains cas, le juge ordonne qu’un homme soit tué, et de manière juste. De même, les autres commandements peuvent-ils ne pas devoir être observés dans certains cas.

[12943] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 4 arg. 5 Praeterea, sicut prius dictum est, in corp. praec. art., omnia praecepta legis aliquo modo ad praecepta Decalogi reducuntur. Sed praelatis Ecclesiae licet in aliquibus legis praeceptis dispensare. Ergo et similiter in praeceptis Decalogi.

5. Comme on l’a dit dans le corps de l’article précédent, tous les commandements de la loi se ramènent d’une certaine manière aux commandements du décalogue. Or, il est permis aux prélats de l’Église de dispenser de certains commandements de la loi.

[12944] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed contra, secundum Bernardum in Lib. de praecepto et regula, nulli licet dispensare in praecepto quod a suo superiore est impositum. Sed praecepta Decalogi sunt imposita a Deo, qui est superior omnibus. Ergo nulli licet in praeceptis hujusmodi dispensare.

Cependant, [1], selon Bernard dans le livre Sur le commandement et la règle, il n’est permis à personne de dispenser de ce qui a été imposé par son supérieur. Or, les commandements du décalogue ont été imposés par Dieu, qui est supérieur à tous. Il n’est donc permis à personne de dispenser de ce genre de commandements.

[12945] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, in quolibet genere est una prima mensura, quam oportet esse certissimam et infallibilem, ut patet in 10 Metaph., et 5 Metaph. Sed prima mensura omnium humanorum actuum est lex Decalogi. Ergo in nullo casu ab ea discedere licet, et ita indispensabilis est.

[2] En tout genre, il existe une première mesure, qui doit être très certaine et infaillible, comme cela ressort de Métaphysique , X et de Métaphysique, V. Or, la première mesure de tous les actes humains est la loi du décalogue. En aucun cas il n’est donc permis de s’en écarter, et ainsi elle ne peut faire l’objet d’une dispense.

[12946] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 4 s. c. 3 Praeterea, illud quod est per se verum, semper et ubique est verum. Ergo illud quod est per se justum, semper et ubique observandum est. Sed praecepta Decalogi sunt hujusmodi. Ergo et cetera.

[3] Ce qui est vrai par soi est vrai toujours et partout. Donc, ce qui est juste par soi doit être observé toujours et partout. Or, les commandements du décalogue sont de ce genre. Donc, etc.

[12947] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod in qualibet legislatione oportet duo considerare; scilicet substantiam legis quae ponitur, et id ad quod legislator respicit. Et sicut lex lata est mensura subditorum in suis actibus, ita hoc ad quod respicit legislator, quod est legis intentio et finis, est mensura legis positivae. Sicut ergo actus subditorum sunt distorti si a lege positiva discordant; ita lex rectitudinem non habet si ab intentione legislatoris deficeret; quae est rectitudinem constituere et conservare. Si ergo sint aliqua praecepta quae continent ipsam intentionem legislatoris, impossibile est quod in aliquo casu salva justitia possit aliquis ab eis deflectere; sicut si esset hoc praeceptum, nulli faciendam esse injuriam; et ideo cum omnia praecepta Decalogi sint hujusmodi, impossibile est quod dispensationem recipiant. Praecepta autem quae legislator edidit, ad mensuram praedictorum metienda sunt. Unde quamdiu illa praecepta posita non possunt praeteriri sine praejudicio primae mensurae ad quam instituta sunt, nulli licet in eis dispensare. Si quando vero possunt salva intentione legis praeteriri, tunc est licitum dispensare in illis praeceptis ei qui auctoritatem habet. Si vero in aliquibus casibus lex posita ab intentione legislatoris discedat, quia non potuit legislator ad omnes casus intendere, legem statuens, sed ad ea quae pluries accidunt; tunc etiam licitum est legem positam praeterire, et intentionem legislatoris sequi, sicut patet in eo qui non reddit depositum impugnanti fidem vel patriam; et ad hoc perficit quaedam virtus quae vocatur a philosopho, in 5 Ethic., epiceia, per quam homo, praetermissa lege, legislatoris intentionem sequitur.

Réponse. En toute législation, il faut prendre en compte deux choses : la substance de la loi qui est établie, et ce que le législateur a en vue. De même que la loi a été établie comme une mesure des actes des sujets, de même ce que le législateur a en vue, qui est l’intention et la fin de la loi, est la mesure de la loi positive. De même donc que les actes des sujets sont difformes s’ils sont en désaccord avec la loi positive, de même la loi n’est-elle pas droite si elle s’écarte de l’intention du législateur, qui vise à établir et à conserver la droiture. S’il existe donc certains commandements qui contiennent l’intention même du législateur, il est impossible que quelqu’un s’en écarte dans un cas, en sauvegardant la justice, par exemple, on ne devrait faire de tort à personne, si le commandement de ne faire de tort à personne existait. Puisque tous les commandements du décalogue sont de genre, il est donc impossible qu’ils fassent l’objet d’une dispense. Or, les commandements que le législateur a formulés doivent être mesurés selon la mesure des [commandements] déjà mentionnés. Aussi longtemps que ces commandements ne peuvent pas être négligés sans faire tort à la première mesure en vue de laquelle ils ont été établis, il n’est donc permis à personne d’en dispenser. S’ils peuvent parfois être négligés tout en sauvergardant l’intention de la loi, alors il est est permis à celui qui a l’autorité de dispenser de ces commandements. Mais si, dans certains cas, la loi établie s’écarte de l’intention du législateur parce que le législateur n’a pas pu viser tous les cas en établissant la loi, mais ceux qui surviennent le plus souvent, il est alors aussi permis de négliger la loi établie et de suivre l’intention du législateur, comme c’est le cas de celui qui ne rend pas son dépôt à celui qui combat la foi ou la patrie. En cette matière, une vertu perfectionne, appelée épikeia par le Philosophe, Éthique, V, par laquelle l’homme, mettant la loi de côté, suit l’intention du législateur.

[12948] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod philosophus loquitur de praeceptis legis positivae, et non de illis quae intentionem legislatoris includunt.

1. Le Philosophe parle des commandements de la loi positive, et non de ceux qui incluent l’intention du législateur.

[12949] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod justum naturale est duplex, ut supra dictum est, in corp. praec. art. Quoddam quod semper et ubique est justum, sicut hoc in quo consistit forma justitiae et virtutis in generali, sicut medium tenere, rectitudinem servare, et alia hujusmodi. Quoddam vero est ex hoc profectum, secundum Tullium; et hoc in pluribus ita contingit, sed potest in paucioribus deficere, ut dictum est: quod contingit ex hoc quod justum hujusmodi est applicatio quaedam universali et primae mensurae ad materiam difformem et mutabilem; et de hujusmodi justo loquitur philosophus.

2. Ce qui est naturellement juste est double, comme on l’a dit plus haut, dans le corps de l’article précédent. D’une part, ce qui est juste toujours et partout, comme ce en quoi consiste la forme de la justice et de la vertu en général : ainsi, tenir le milieu, respecter la droiture et les autres choses de ce genre. Mais il existe ce qui est dérivé de cela, selon Cicéron ; et cela se rencontre en beaucoup de choses, mais peut s’avérer déficient dans un petit nombre de cas, comme on l’a dit. Cela vient du fait que ce qui est juste de cette manière est l’application d’ume mesure universelle et première à une matière difforme et changeante. Le Philosophe parle de ce qui est juste de cette manière.

[12950] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod circa praecepta Decalogi, secundum quod ad Decalogum pertinent, nunquam Deus contrarium fieri praecepit. Prohibitio enim furti ad Decalogum pertinet inquantum res furata aliena est ab accipiente. Retenta ergo hac conditione, si res illa fiat ipsius accipientis, jam non erit contra Decalogum. Hoc autem non solum Deus, qui est omnium dominus, facere poterat, sed etiam quandoque homines auctoritatem habentes, rem quae unius fuerat alteri conferunt, ex aliqua causa. Potest tamen Deus in aliquibus factis conditiones contrarias Decalogo auferre, qui et naturam mutare potest, quod homo facere non potest; sicut ab ea quae non est matrimonio juncta, potest auferre hanc conditionem non suam, sine hoc quod uxor plenaria fiat, ut sic accedere ad eam non sit contra Decalogum.

3. À propos des commandements du décalogue en tant qu’ils relèvent du décalogue, Dieu n’a jamais ordonné de faire le contraire. En effet, l’interdiction du vol relève du décalogue pour autant que la chose volée passe aux mains d’un autre du fait de celui qui la reçoit. En maintenant cette condition, si cette chose devient la propriété de celui qui reçoit, elle ne sera donc pas contraire au décalogue. Or, non seulement Dieu, qui est le Seigneur de toutes choses, pouvait-il faire cela, mais aussi parfois des hommes qui ont l’autorité attribuent-ils à quelqu’un une chose qui appartenait à un autre. Cependant, Dieu peut dans certains cas enlever les conditions contraires au décalogue, qui peuvent aussi changer la nature, ce que l’homme ne peut faire. Ainsi, à celle qui n’est pas unie par le mariage, il peut enlever la condition : « qui n’est pas sienne », sans qu’elle devienne pleinement épouse, de sorte que l’approcher ne soit pas contraire au décalogue.

[12951] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod non prohibetur in Decalogo occisio simpliciter, sed occisio ejus qui mortem pati non debuit.

4. Tuer n’est pas interdit simplement dans le décalogue, mais tuer celui qui ne devait pas subir la mort.

[12952] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod non est eadem ratio de praeceptis Decalogi, et de aliis praeceptis legis, ut ex praedictis patet.

5. Il n’en va pas de même des commandements du décalogue et des autres commandements de la loi, comme cela ressort clairement de ce qui a été dit plus haut.

 

 

Articulus 5 [12953] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 tit. Utrum fuerit conveniens observationem sabbati praecipere

Article 5 – Était-il approprié d’ordonner l’observance du sabbat ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Était-il approprié d’ordonner l’observance du sabbat ?]

[12954] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod inconveniens fuerit sabbati observationem praecipere. Sabbatum enim est septima pars temporis totius vitae hominis. Sed valde irrationabile videtur quod homo septimam partem vitae suae in otio amittat, sicut Seneca dicit deridens caeremonias Judaeorum, sicut Augustinus narrat in Lib. de Civ. Dei. Ergo irrationabile fuit sabbati observantiam praecipere.

1. Il semble qu’il était inapproprié d’ordonner l’observance du sabbat. En effet, le sabbat est la septième partie du temps de toute la vie humaine. Or, il semble tout à fait déraisonnable que l’homme réserve la septième partie de sa vie au loisir, comme le dit Sénèque en raillant les cérémonies des Juifs, ainsi que le raconte Augustin dans le livre sur La cité de Dieu. Il était donc déraisonnable d’ordonner l’observance du sabbat.

[12955] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 2 Praeterea, quanto exercitatio alicujus rei magis discontinuatur, tanto homo in illa re minus proficit. Sed sabbati observantia instituta fuit ad vacandum divinis. Multo autem continuatius esset exercitium divinorum, si ei cujuslibet diei una hora saltem deputaretur. Ergo videtur quod ad majorem profectum hoc fuisset quam diem septimam observare.

2. Plus la pratique d’une chose est discontinuée, moins l’homme progresse dans cette chose. Or, l’observance du sabbat a été instituée pour s’adonner aux réalités  divines. Or, la pratique des réalités divines serait beaucoup plus continue si au moins une heure de chaque jour lui était consacrée. Il semble donc qu’on aurait ainsi progressé davantage qu’en observant le septième jour.

[12956] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 3 Praeterea, ab operibus virtutis nullo tempore vacandum est. Sed opera servilia sunt materia virtutis. Ergo non debuit praecipi ut die sabbati a servilibus operibus abstineretur.

3. Il ne faut à aucun moment s’abstenir de s’adonner aux actes vertueux. Or, les œuvres serviles sont matière à vertu. On ne devait donc pas ordonner de s’abstenir des œuvres serviles le jour du sabbat.

[12957] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, ad legislatorem pertinet omnes humanos actus moderare. Sed cum impossibile sit semper agere, ut philosophus in Lib. de Somn. et Vigil. dicit; ad moderationem humanorum actuum pertinet ut aliquod tempus quieti deputetur. Ergo conveniens fuit ut legislator hoc institueret.

Cependant, [1] il revient au législateur de gouverner tous les actes humains. Or, puisqu’il est impossible de toujours agir, comme le dit le Philosophe dans le livre sur Les songes et la veille, la consécration d’un certain temps au repos relève donc du gouvernement des actes humains. Il était donc approprié que le législateur l’institue.

[12958] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, hominibus spirituali vita viventibus maxima cura adhibenda est ut Dei omnipotentiam et providentiam cognoscant. Sed lex Moysi data est ad instruendam vitam spiritualem. Ergo praecipue hoc lege illa debuit praecipi, quod ad Dei omnipotentiam et providentiam credendam homines assuefaceret. Hoc autem est observatio sabbati, quae in memoriam reducit, ut Rabbi Moyses dicit, principium mundi, cujus factura septima die consummata est: qua supposita, cunctis etiam simplicibus evidens est Deum omnipotentem esse, et ex providentia, non ex necessitate agere. Ergo conveniens fuit ut observatio sabbati lege statueretur.

[2] Il faut mettre le plus grand soin à ce que ceux qui vivent d’une vie spirituelle connaissent la toute-puissance et la providence de Dieu. Or, la loi de Moïse a été donnée pour former à la vie spirituelle. Cette loi devait donc surtout commander ce qui accoutumerait les hommes à croire à la toute-puissance et à la providence de Dieu. Or, telle est l’observance du sabbat, « qui remet en mémoire, comme le dit le rabbin Moïse, le commencement du monde, dont la réalisation a été achevée le septième jour » ; si l’on suppose celle-ci, il est évident, même pour les gens simples, que Dieu est tout-puissant et qu’il agit par sa providence, et non par nécessité. Il était donc approprié que l’observance du sabbat soit établie par la loi.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le commandement de l’observance du sabbat était-il simplement moral ?]

[12959] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod praeceptum de sabbato observando fuerit morale simpliciter. Ea enim quae in unam divisionem veniunt, unius rationis esse videntur. Sed praeceptum de sabbato observando condividitur aliis praeceptis Decalogi; quae sunt praecepta moralia legis naturae. Ergo praeceptum de sabbato est morale.

1. Il semble que le commandement de l’observance du sabbat était simplement moral. En effet, ce qui se trouve dans une seule division semble être d’une seule nature. Or, le commandement d’observer le sabbat est opposé aux autres commandements du décalogue, qui sont des commandements moraux de la loi naturelle. Le commandement sur le sabbat est donc moral.

[12960] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 2 Praeterea, super illud Luc. 13, sex dies sunt in quibus operari licet, dicit Glossa: lex in sabbato non hominem curare, sed servilia opera facere, idest peccatis gravari, prohibet. Sed vacare a peccato est morale praeceptum. Ergo et praeceptum de sabbato observando.

2. À propos de Lc 13 : Il y a six jours pendant lesquels il est permis de travailler, la Glose dit : « Le jour du sabbat, la loi n’interdit pas de guérir un homme, mais d’accomplir des œuvres serviles, c’est-à-dire de se charger de péchés. » Or, s’abstenir du péché est un commandement moral. Donc aussi, le commandement d’observer le sabbat.

[12961] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 3 Praeterea, illud quod habet rationem moralem, videtur esse morale praeceptum. Sed observatio sabbati est hujusmodi, quod patet ex causa quam assignat Damascenus Lib. 4: vacationis, inquit, gratia quae est ad Deum, et ut particulam vitae Deo tribuant et requiescant servus et subjugale, sabbati observantia excogitata est. Ergo praeceptum de sabbato observando est morale.

3. Ce qui a une justification morale semble être un commandement moral. Or, l’observance du sabbat est de ce genre, ce qui ressort de la raison qu’en assigne [Jean] Damascène, IV : « L’observance du sabbat a été inventée afin de s’adonner à Dieu et de réserver une petite partie de la vie à Dieu, et pour que l’esclave et l’animal sous le joug se reposent. » Le commandement de l’observance du sabbat est donc moral.

[12962] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, praecepta quae sunt data in signum, non sunt moralia, sed caeremonialia. Sed praeceptum de sabbato est hujusmodi, ut patet Exod. 31, 13: videte ut sabbatum meum custodiatis, quia signum est inter me et vos. Ergo praeceptum de sabbato est caeremoniale.

Cependant, [1] les commandements qui sont donnés comme un signe ne sont pas moraux, mais cérémoniels. Or, le commandement sur le sabbat est de ce genre, comme cela ressort de Ex 31, 13 : Voyez à observer mon sabbat, car il est un signe entre moi et vous. Le commandement sur le sabbat est donc cérémoniel.

[12963] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, Levit. 26 dicit Glossa: mandatum sabbati quamvis in decem mandatis numeratum sit, non tamen ex eis est. Videtur ergo quod sit caeremoniale, et non morale.

[2] À propos de Lv 26, la Glose dit : « Bien que le commandement sur le sabbat soit compté parmi les dix commandements, il n’en fait cependant pas partie. » Il semble donc qu’il soit cérémoniel, et non moral.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Le commandement sur le sabbat devait-il cesser au temps de la grâce ?]

[12964] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non debuerit cessare tempore gratiae. Thurificatio enim, ut dicunt sancti et magistri, non cessavit: quia significat illud quod semper faciendum est, scilicet devotionem orationis. Sed observatio sabbati significat requiem in Deo, ut Augustinus dicit, super Exod. cap. 31, quae quidem semper facienda est. Ergo non debuit tempore gratiae cessare.

1. Il semble qu’il ne devait pas cesser au temps de la grâce. En effet, l’offrande d’encens, comme le disent les saints et les maîtres, n’a pas cessé, car il signifie ce qui doit toujours être accompli : la dévotion de la prière. Or, l’observance du sabbat signifie le repos en Dieu, comme le dit Augustin, à propos de Ex 31, lequel doit toujours être accompli. [Ce commandement] ne devait donc pas cesser au temps de la grâce.

[12965] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 qc. 3 arg. 2 Praeterea, observatio sabbati ad maximam perfectionem ordinabat, scilicet ad vacandum divinae contemplationi. Sed status gratiae est perfectior statu legis. Ergo etiam magis debet observari in hoc statu quam in illo.

2. L’observance du sabbat ordonnait à une plus grande perfection : s’adonner à la contemplation de Dieu. Or, l’état de la grâce est plus parfait que l’état de la loi. [Le sabbat] doit donc être encore davantage observé dans cet état que dans l’autre.

[12966] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 qc. 3 arg. 3 Si dicas, quod observatur, sed mutata die, scilicet dominica; contra. Magis est in reverentia habendum quod ad divinitatem pertinet quam quod ad humanitatem. Sed ratio observandi sabbatum fuit mysterium divinae quietis. Ergo non fuit observatio sabbati commutanda in observationem dominicae propter mysterium resurrectionis, quod Christo secundum humanam naturam competit.

3. Si on dit qu’il est observé, mais un autre jour, à savoir, le dimanche, on objectera que doit être davantage respecté ce qui relève de la divinité que ce qui relève de l’humanité. Or, la raison d’observer le sabbat était le mystère du repos de Dieu. L’observance du sabbat n’a donc pas été changée en observance du dimanche en raison du mystère de la résurrection, qui convient au Christ selon sa nature humaine.

[12967] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 qc. 3 arg. 4 Praeterea, tempore gratiae tenemur perfectius Deo vacare quam tempore legis. Sed tempore legis a multis abstinebatur quae nunc in die dominico licite fiunt: non enim erat licitum cibos coquere, nec itinerare. Ergo observatio sabbati non est mutata in dominicam: ergo adhuc debet observatio sabbati remanere.

4. Au temps de la grâce, nous sommes tenus de nous adonner à Dieu plus parfaitement qu’au temps de la loi. Or, au temps de la loi, on s’abstenait de beaucoup de choses qui sont maintenant permises le jour du Seigneur : en effet, il n’était pas permis de faire cuire de la nourriture ni de voyager. L’observance de la loi n’a donc pas été changée pour [l’observance] du dimanche. L’observance du sabbat doit donc encore demeurer.

[12968] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, Exod. 31, 15: septima dies erit sabbatum, idest requies: Glossa: alia praecepta servanda in novo testamento ad litteram non dubitamus; illud autem de sabbato, velatum et in mysterio praeceptum fuit, ut hodie a nobis non servetur, sed solum signatum intueamur.

Cependant, [1] à propos de Ex 31, 15 : Le septième jour, ce sera le sabbat, c’est-à-dire, le repos, la Glose dit : « Nous n’avons aucune doute que les autres commandements doivent être observés à la lettre sous la Nouvelle Alliance ; mais celui sur le sabbat est recouvert d’un voile et a été ordonné en mystère, de sorte qu’il ne soit pas observé aujourd’hui, mais que nous le regardions seulement comme un signe. »

[12969] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, Damascenus dicit quod sabbati observatio excogitata fuit parvulis, et sub elementis mundi servientibus. Sed a tali servitio liberati sumus per adventum Christi. Ergo et sabbati observatio cessavit.

[2] [Jean] Damascène dit que l’observance du sabbat a été inventée pour les petits et pour ceux qui sont assujettis aux éléments du monde. Or, nous avons été libérés d’une telle servitude par la venue du Christ. L’observance du sabbat a donc aussi cessé.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[12970] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod sicut praeceptum de sacrificiis habuit aliquam causam moralem non simpliciter, sed secundum congruentiam illorum quibus lex dabatur, qui ad idolatriam proni erant, ut Deo offerrent quod alias idolis obtulissent; et aliam causam mysticam, scilicet ad significandum sacrificium passionis Christi: ita et praeceptum de observatione sabbati habuit aliquam causam moralem ex conditione eorum quibus lex dabatur, qui propter avaritiam eis inditam intantum se et sibi subditos operibus servilibus occupassent quod omnino mens eorum a divinis subtraheretur: et hanc causam tangit Damascenus. Similiter etiam quia ad errores gentium proni erant, indicta est eis observatio sabbati, ut creationem mundi semper prae oculis haberent, et sic Deum recognoscerent et timerent: quam causam tangit Rabbi Moyses. Habuit nihilominus et causam mysticam triplicem. Unam allegoricam, ad significandum quietem Christi in sepulcro. Aliam moralem, ad significandum requiem humanae mentis a peccatis, et ab omnibus aliis rebus, in quibus requiem non invenit, nisi in Deo, in quo solo est quies. Tertiam anagogicam, ad significandum aeternam requiem qua sancti in gloria quiescent. Et ideo conveniens fuit institutio sabbati pro tempore illo.

De même que le commandement sur les sacrifices avait une justification morale non pas simplement, mais selon la convenance de ceux à qui la loi était donnée, qui étaient enclins à l’idolâtrie, afin qu’ils offrent à Dieu ce qu’ils auraient autrement offert à des idoles, et selon une autre justification mystique, à savoir, pour signifier le sacrifice de la passion du Christ ; de même, le commandement sur l’observance du sabbat avait-il une justification morale en raison de la condition de ceux à qui il était donné, qui, à cause de l’avarice qui était à ce point implantée en eux qu’eux-mêmes et leurs sujets se seraient adonnés aux œuvres serviles au point où leur esprit aurait été entièrement éloigné des réalités divines. C’est cette raison qu’aborde [Jean] Damascène. De même encore, parce qu’ils étaient enclins aux erreurs des païens, l’observance du sabbat leur a-t-elle été imposée pour qu’ils aient toujours sous les yeux la création du monde, et ainsi reconnaissent et craignent Dieu. C’est cette cause qu’aborde le rabbin Moïse. Néanmoins, [le commandement] avait aussi une triple justification mystique. L’une allégorique, pour signifier le repos du Christ au sépulcre. Une autre, morale, pour signifier le repos de l’esprit humain par rapport aux péchés et à toutes les autres choses dans lesquelles il ne trouve pas le repos, si ce n’est en Dieu, en qui seul se trouve le repos. Une troisième, anagogique, pour signifier le repos éternel par lequel les saints se reposent dans la gloire. C’est pourquoi l’institution du sabbat était appropriée pour cette époque.

[12971] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sabbati tempus non amittitur, si hoc in sabbato fiat ad quod deputatum est, scilicet divinorum contemplatio. Sed quia Judaei omissis divinis in sabbatis magis inutilibus rebus vacabant, ideo eos Seneca derisit, ut dicitur Thren. 1, 7: viderunt eam hostes, et deriserunt sabbata ejus.

1. Le temps du sabbat n’est pas écarté, si l’on accomplit pendant le sabbat ce à quoi il a été destiné : la contemplation des réalités divines. Mais parce que les Juifs, en omettant les réalités divines, s’adonnaient plutôt à des choses inutiles les jours de sabbat, Sénèque les a donc raillés, ainsi qu’il est dit dans Lm 1, 7 : Les ennemis l’ont regardé, et ils ont raillé ses sabbats.

[12972] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod labor non solum impedit contemplationis actus dum exercetur, sed etiam postquam transiit, dum remanent ex labore membra fessa, et mens distracta. Unde convenientius fuit ut unus dies integer divinis deputaretur quam in singulis diebus aliquae horae.

2. Le travail non seulement empêche les actes de contemplation pendant qu’il est accompli, mais aussi après qu’il est terminé, alors que demeurent des membres fatigués par le travail et un esprit distrait. Il était donc plus approprié qu’un jour entier soit consacré aux réalités divines que certaines heures à chaque jour.

[12973] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quandoque actus unius virtutis intermittendus est propter actum excellentioris virtutis; sicut opera aliarum virtutum aliquando propter opus justitiae intermittuntur, ut dicit Tullius in 1 de Offic. Virtutes autem omnes contemplativae sunt digniores virtutibus activis, quarum materia esse possunt servilia opera. Unde non est inconveniens quod opus servile intermittatur ad tempus, ut contemplationi vacetur.

3. Parfois, l’acte d’une vertu doit être interrompu pour l’acte d’une vertu plus excellente, comme les actes des autres vertus sont parfois interrompus en vue de l’acte de la justice, ainsi que le dit Tullius [Cicéron] dans Sur les fonctions. Or, toutes les vertus contemplatives sont plus dignes que les vertus actives, dont les œuvres serviles peuvent être la matière. Il n’est donc pas inapproprié qu’une œuvre servile soit interrompue pour un temps afin de s’adonner à la contemplation.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[12974] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod praeceptum de sabbato observando, quantum ad aliquid morale est, et quantum ad aliquid caeremoniale, et quantum ad aliquid potest etiam dici judiciale. Secundum enim illud ejus quod naturalis ratio dictat, praeceptum morale est, ut scilicet aliquo tempore homo contemplationi vacet. Sed taxatio temporis in qua vacandum sit, non est de dictamine naturalis legis, et ideo est morale praeceptum. Sed secundum quod habet pro causa significationem, sic est caeremoniale. Secundum autem quod habet pro causa conditionem illius populi, cui subveniendum erat per hoc praeceptum, judiciale est.

Le commandement sur l’observance du sabbat est moral sous un aspect et cérémoniel sous un autre, et on peut dire aussi qu’il est judiciaire sous un autre. En effet, selon ce que dicte la raison naturelle, il est un commandement moral, à savoir, que l’homme s’adonne pendant un certain temps à la contemplation. Mais l’établissement du temps où il faut s’y adonner ne vient pas d’une prescription de la loi naturelle. Il est donc un commandement moral. Mais sous l’aspect où il a pour raison de signifier, il est ainsi cérémoniel. Mais selon qu’il a pour raison la condition du peuple que ce commandement devait aider, il est judiciaire.

[12975] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod connumeratur aliis praeceptis Decalogi quantum ad id quod habet de ratione moralis praecepti.

1. Il est compté parmi les autres commandements du décalogue pour ce qu’il comporte de précepte moral.

[12976] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod opera servilia mystice intelliguntur peccata; sed ad litteram opera servilia dicuntur ad quorum exercitium servos deputatos habemus, in quibus debent artes mechanicae dirigere, quae contra liberales dividuntur.

2. Par œuvres serviles, on entend les péchés. Mais, au sens littéral, on appelle œuvres serviles celles à l’exercice desquelles nous assignons des esclaves, et dans lesquelles doivent diriger les arts mécaniques, qui s’opposent aux [arts] libéraux.

[12977] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod causae illae non sunt morales nisi considerata conditione illius populi cui lex dabatur. Unde ex hoc magis potest concludi quod sit judiciale praeceptum quam morale.

3. Ces justifications ne sont pas morales, sauf si l’on considère la condition du peuple auquel la loi était donnée. Aussi peut-on davantage conclure de cela que ce commandement est judiciaire plutôt moral.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[12978] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod sabbati observatio quantum ad illud quod de lege naturali habebat, prout morale praeceptum est, tempore gratiae non cessavit, immo perfectius implendum est, sicut et alia moralia praecepta; et ideo apostolus, 1 Corinth. 7, dat consilium de virginibus, ut extra solicitudinem existentes, semper quae Dei sunt, cogitent. Sed taxatio diei vel temporis, quae ad legem moralem non pertinebat, veniente statu gratiae cessavit, sicut et alia legalia.

L’observance du sabbat, pour ce qu’il comprenait de la loi naturelle, pour autant qu’elle est un commandement moral, n’a pas cessé au temps de la grâce, bien plus, il doit être accompli plus parfaitement, comme les autres commandements moraux. C’est pourquoi, dans 1 Co 7, l’Apôtre donne un conseil à propos des vierges, afin que, libérées des soucis, elles pensent toujours à ce qui concerne Dieu. Mais l’établissement du jour ou du temps, qui ne relevait pas de la loi morale, a cessé lorsqu’est venu l’état de la grâce, comme les autres [éléments] de la loi.

[12979] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod observatio sabbati, inquantum caeremonialis est, signat principaliter requiem Christi in sepulcro, et per consequens quietem quam habemus per ipsum, consepulti cum eo per Baptismum in mortem; Rom. 6. Unde veniente veritate, figura cessavit. Et non est simile de thurificatione, quae principaliter non est signum futuri, sed ejus quod semper esse debet.

1. L’observance du sabbat, pour autant qu’elle est cérémonielle, signifie principalement le repos du Christ au sépulcre et, par conséquent, le repos que nous avons par lui, ensevelis avec lui par le baptême dans la mort, Rm 6. Aussi, une fois la vérité venue, la figure a-t-elle cessé. Et il n’en va pas de même de l’offrande de l’encens, qui n’est pas principalement un signe du futr, mais de ce qui doit toujours exister.

[12980] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quia perfectius in nova lege debemus Deo vacare, ideo non fuit taxandum tempus illis quibus injungitur, ut sine intermissione orent.

2. Parce que nous devons nous adonner à Dieu plus parfaitement sous la loi nouvelle, un temps n’a donc pas été établi à ceux à qui il a été enjoint de prier sans cesse.

[12981] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod observatio dominicae non obligat ex praecepto Decalogi nisi quantum ad hoc quod est de dictamine legis naturae: taxatio enim illius diei est ex institutione Ecclesiae volentis resurrectionem Christi, cui nostram vitam conformare debemus, in jugi memoria esse. Quamvis autem resurrectio Christi ei secundum humanitatem conveniat, tamen opus divinitatis est, quae eum a mortuis suscitavit. Unde non in minori reverentia est habenda quam requies artificis, et consummatio conditoris facta in die sabbati; immo amplius, secundum quod opus conditionis opere reparationis perficitur.

3. L’observance du jour du Seigneur n’oblige en vertu du commandement du décalogue que dans la mesure où il relève d’une prescription de la loi naturelle : en effet, l’établissement de ce jour vient de l’institution de l’Église, qui voulait que la résurrection du Christ, à laquelle nous devons conformer notre vie, soit toujours rappelée. Bien que la résurrection du Christ lui convienne selon son humanité, elle est cependant une œuvre de la divinité, qui l’a ressuscité des morts. Aussi ne doit-elle pas être moins respectée que le repos de l’artisan et l’achèvement [de l’œuvre] du Créateur, qui a eu lieu le jour du sabbat ; bien plus, elle doit être l’objet d’un plus grand respect, dans la mesure où l’œuvre du Créateur est perfectionnée par l’œuvre de la réparation.

[12982] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in die dominica tenemur vacare ex constitutione Ecclesiae ab operibus quae nos impedire possent a cultu divino, qui indicitur in tali die exercendus, nisi ex causa per eum qui habet auctoritatem, in aliquo dispensetur. Neque oportet quod ab omnibus in die dominica cessemus a quibus in die sabbati cessabant: quia antiquorum cessatio ab omnibus operibus servilibus in significationem erat, non autem nostra cessatio.

4. Le jour du Seigneur, nous sommes tenus par une décision de l’Église de nous abstenir des œuvres qui pourraient être un obstacle au culte divin, dont la pratique a été établie pour ce jour, à moins que, pour une raison, on en soit en quelque manière dispensé par celui qui a l’autorité. Il n’est pas non plus nécessaire que nous cessions tout ce qu’ils cessaient de faire le jour du sabbat, car la cessation par les anciens de pratiquer toutes les œuvres serviles comportait une signification, mais non notre cessation.

 

 

Articulus 6 [12983] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 6 tit. Utrum usuras accipere sit peccatum

Article 6 – Recevoir des intérêts est-il un péché ?

[12984] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 6 arg. 1 Ad sextum sic proceditur. Videtur quod usuras accipere non sit peccatum. Nihil enim est peccatum nisi quod est contra praeceptum aliquod morale: caeremonialia autem, et judicialia legis Mosaicae nos non obligant. Sed praeceptum de non accipiendo usuram, non est morale: quia praecepta moralia obligant respectu omnium, et ad omnes; sed Deut. 23, Judaeis conceditur quod fenerentur non proximis, sed extraneis. Ergo usuras accipere non est peccatum.

Sous-question 1 – Il semble que recevoir des intérêts soit un péché. En effet, rien n’est un péché que ce qui est contraire à un commandement moral ; les [commandements] cérémoniels et judiciaires de la loi mosaïque ne nous obligent pas. Or, le commandement de ne pas recevoir d’intérêts n’est pas un [commandement] moral, car les commandements moraux nous obligent en tout et envers tous, mais, en Dt 23, il est permis aux Juifs de prêter à intérêt aux étrangers, mais non aux proches. Recevoir des intérêts n’est donc pas un péché.

[12985] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 6 arg. 2 Praeterea, constat quod ille qui alicui pecuniam mutuat, aliquod commodum ei facit. Sed secundum philosophum in 5 Ethic., in retributione commanet civitas, ut scilicet quantum quis fecit, tantum ei fiat. Ergo non est peccatum, sed licitum et justum, ut pro commodo quod mutuando fecit, aliquod lucrum reportet.

2. Il est clair que celui qui prête de l’argent à quelqu’un lui rend un service. Or, selon le Philosophe, Éthique, V, « une cité dure par le dédommagement », à savoir que l’on reçoive autant qu’on a donné. Ce n’est donc pas un péché, mais permis et juste qu’on tire un gain du service rendu en prêtant.

[12986] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 6 arg. 3 Si dicas, quod tenebatur ei gratis mutuare; unde in hoc peccat quod vendit alicui quod ei debebat: contra. Secundum hoc ergo non peccabit lucrum de mutuo quaerens, nisi quando mutuare tenetur. Sed non semper tenetur mutuare. Ergo aliquando licet ei usuras accipere.

3. Si tu dis qu’on était obligé de prêter gratuitement et que, par conséquent, on péchait en vendant à quelqu’un ce qu’on lui devait, on dira en sens contraire qu’on ne péchera, en recherchant un gain pour son prêt, que lorsqu’on est tenu de prêter. Or, on n’est pas toujours tenu de prêter. Il est donc parfois permis de recevoir des intérêts.

[12987] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 6 arg. 4 Praeterea, non minus possum accipere ab eo cui beneficus extiti, quam ab eo cui nullum beneficium contuli. Sed si aliquis cui non mutuassem, aliquid mihi daret de suo, etiam si sperassem accipere, licite detinere possem. Ergo et ab eo cui beneficus extiti, mutuum concedendo, licet mihi aliquid expectare, recipere, et detinere.

4. Je ne peux recevoir moins de celui envers qui je me suis montré bienfaisant, que de celui à qui je n’ai accordé aucun bienfait. Or, si quelqu’un à qui ne j’aurais pas prêté me donnait quelque chose qui lui appartient, même si j’avais espéré le recevoir, il me serait permis de le garder. Donc, en faisant un prêt, il m’est permis d’attendre, de recevoir et de garder quelque chose de celui envers qui je me suis montré bienfaisant.

[12988] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 6 arg. 5 Praeterea, plus efficitur mihi debitor ille in quem transtuli dominium rei meae, quam ille cui solum usum rei meae concessi. Sed in rebus in quibus non transfertur dominium, si concedantur ad aliquem usum, licet inde aliquid accipere, sicut patet in locationibus domorum, equorum, et hujusmodi. Ergo multo amplius licet mihi accipere ab eo in quem per mutuum pecuniae meae dominium transtuli.

5. Celui à qui j’ai transféré la propriété de ce qui m’appartenait me doit davantage que celui à qui j’ai accordé uniquement l’usage de mon bien. Or, pour les choses où la propriété n’est pas transférée, si elles sont accordées en vue de l’usage, il est permis de recevoir quelque chose, comme cela ressort pour les locations de maisons, de chevaux et des choses de ce genre. À bien plus forte raison m’est-il donc permis de recevoir de celui à qui j’ai transféré par un prêt la propriété de mon argent.

[12989] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 6 arg. 6 Praeterea, quicumque communicat alicui in peccato mortali, peccat mortaliter. Sed ille qui dat usuras accipiens mutuum, communicat ei qui accipit usuras dans mutuum. Si ergo accipiens usuras semper peccat, videtur quod et dans; quod falsum est.

6. Quiconque en rejoint un autre dans un péché mortel pèche mortellement. Or, celui qui paye des intérêts en recevant un prêt rejoint celui qui reçoit des intérêts en accordant un prêt. Si on pèche toujours en recevant des intérêts, il semble donc que ce soit aussi le cas en en payant, ce qui est faux.

[12990] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 6 s. c. 1 Sed contra, Luc. 6: date mutuum, nihil inde sperantes. Sed contra hoc veniunt feneratores. Ergo peccant.

Cependant, [1] Lc 6 dit en sens contraire : Prêtez sans espérer de compensation. Or, les usuriers font le contraire. Ils pèchent donc.

[12991] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 6 s. c. 2 Praeterea, ea quae veniunt in eamdem divisionem, sunt unius rationis. Sed dare pecuniam ad usuram connumeratur aliis quae sunt peccata mortalia, ut patet in Psalm. 14: domine, quis habitabit in tabernaculo tuo? Ergo est peccatum mortale.

[2] Les choses qui appartiennent à la même division ont la même raison. Or, donner de l’argent en vue de l’usure est compté parmi les autres choses qui sont des péchés mortels, comme cela ressort de Ps 14 : Seigneur, qui habitera sous ta tente ? C’est donc un péché mortel.

[12992] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 6 s. c. 3 Praeterea, ubicumque est turpe lucrum, est peccatum. Sed philosophus ponit in 4 Ethic. feneratores inter turpes lucratores. Ergo et cetera.

[3] Partout où il y a un gain honteux, il y a péché. Or, en Éthique, IV, le Philosophe place les usuriers parmi ceux qui font des gains honteux. Donc, etc.

[12993] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 6 co. Respondeo dicendum, quod ab omnibus dicitur communiter quod dare ad usuram peccatum mortale est. Sed diversi diversas rationes assignant. Quidam enim dicunt, quod ideo pecuniam pro certo lucro concedere non licet, sicut donum vel equum, vel alia hujusmodi, quia pecunia non deterioratur ex usu, sed aliis rebus aliquid deperit ex usu. Sed ista ratio non est generalis: quia in aliquibus rebus, pro quarum concessione aliquid accipi potest licite, nihil ex usu deperit, sicut in concessione domus ad usum ad unum diem; et praeterea pretium quod accipitur, non commensuratur damno quod accidit ex usu rei; non enim tantum deperit in mutuo quantum datur. Et ideo alii assignant aliam rationem, quia videlicet quando pecunia mutuatur, transfertur dominium, quod non fit in domo et in aliis rebus. Justum autem videtur ut pro usu rei quae mea remanet, scilicet domus, aliquid accipere possim; sed pro usu pecuniae, quae fit alterius ex hoc ipso quod mutuatur, aliquid accipere, nihil aliud est quam accipere aliquid ab aliquo pro usu rei propriae; et ideo videtur quod est quaedam exactio, et peccatum. Et haec ratio satis probabilis videtur; et ideo simile accidit in omnibus rebus in quibus transfertur dominium per mutuum, sicut granum, vinum, et hujusmodi, pro quorum usu nihil accipere licet ultra valorem ejus quod mutuatum est. Potest tamen et alia ratio assignari; quia omnes aliae res ex seipsis habent aliquam utilitatem, pecunia autem non, sed est mensura utilitatis aliarum rerum, ut patet per philosophum in 5 Ethic. Et ideo pecuniae usus non habet mensuram utilitatis ex ipsa pecunia, sed ex rebus quae per pecuniam mensurantur secundum differentiam ejus qui pecuniam ad res transmutat. Unde accipere majorem pecuniam pro minori, nihil aliud esse videtur quam diversificare mensuram in accipiendo, et dando; quod manifeste iniquitatem continet.

Réponse. Tous disent d’une manière générale que donner en vue de l’usure est un péché mortel. Mais on en donne des raisons différentes. En effet, certains disent qu’il n’est pas permis de donner de l’argent pour un gain déterminé, tel un don, un cheval ou d’autres choses du genre, parce que l’argent ne se détériore pas par l’usage, mais que les autres choses se détériorent par l’usage. Mais cette raison n’est pas générale, car, pour certaines choses, dont il est permis de recevoir quelque chose pour les avoir accordées, rien n’est détérioré par l’usage, comme pour la maison cédée pour qu’on l’utilise pendant une journée. De plus, le prix qui est reçu n’est pas comparable au dommage qui vient de l’usage de la chose : en effet, dans le prêt, il n’y a pas détérioration équivalente au montant. C’est pourquoi d’autres donnent une autre raison : lorsque de l’argent est prêté, la propriété est transférée, ce qui n’est pas le cas pour une maison et pour d’autres choses. Or, il semble juste que, pour l’usage d’une chose qui demeure ma propriété, à savoir, la maison, je puisse recevoir quelque chose ; mais, recevoir quelque chose pour l’usage de l’argent, qui devient propriété d’un autre par le fait même qu’il est prêté, n’est rien d’autre que de recevoir quelque chose de quelqu’un pour l’usage de sa propriété. Il semble donc que ce soit une exaction et un péché. Et cette raison parait assez convaincante. C’est pourquoi la même chose se produit pour tout ce dont la propriété est transférée par le prêt, comme le grain, le vin et les choses de ce genre, pour l’usage desquels il n’est permis de rien recevoir au-delà de la valeur de ce qui a été prêté. On peut cependant en donner aussi une autre raison, car toutes les autres choses ont par elles-mêmes une certaine utilité, mais non l’argent, qui est plutôt une mesure de l’utilité des autres choses, comme cela ressort de ce que dit le Philosophe, Éthique, V. Ainsi l’usage de l’argent n’est pas une mesure de l’utilité par l’argent lui-même, mais par les choses qui sont mesurées par l’argent, selon la différence de ce qui transforme l’argent en choses. Aussi recevoir plus d’argent pour un bien moindre ne semble être rien d’autre que modifier la mesure en recevant et en donnant, ce qui comporte manifestement une iniquité.

[12994] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 6 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod lex Deuteronomii loquitur de Judaeis respectu aliarum nationum quae terram promissionis Judaeis divinitus concessam detinebant; et ideo permissum fuit eis, usuris, et quibuscumque exactionibus extorquere ab injuste possidentibus quod eis juste debebatur, sicut etiam dicitur de spoliatione Aegyptiorum, qui Judaeis mercedem laboris quo eis servierant, subtraxerunt. Vel dicendum, quod sicut libellus repudii permissus est eis ad duritiam cordis eorum, ne uxores interficerent, ad quod proni erant; ita etiam permissum fuit eis fenerare extraneis, ne fratribus suis fenerarent, ad quod eos innata avaritia incitabat.

1. La loi du Deutéronome parle des Juifs par rapport aux autres nations qui détenaient la terre qui avait été accordée aux Juifs par Dieu comme terre promise. C’est pourquoi il leur fut permis d’arracher par des intérêts et par n’importe quelle exaction à ceux qui le possédaient injustement ce qui leur était dû en justice, comme on le dit aussi de la spoliation des Égyptiens, qui enlevaient aux Juifs le salaire du travail qu’ils leur avaient fourni. Ou bien il faut dire que de même que le livret de répudiation a été permis [aux Juifs] en raison de la dureté de leur cœur, de sorte qu’ils ne tuent pas leur épouses, ce à quoi ils étaient enclins, de même il leur fut permis de prêter à intérêt aux étrangers de crainte qu’ils ne prêtent à intérêt à leurs frères, ce à quoi leur avarice innée les incitait.

[12995] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 6 ad 2 Ad secundum dicendum, quod beneficium mutui non est amplius quam pecunia mutuata; unde si plus exigitur, exigitur plus quam debitum est; et ideo est injusta exactio.

2. Le bienfait du prêt n’est pas plus grand que l’argent du prêt. Si on exige davantage, on exige plus qu’il n’est dû. C’est donc une exaction injuste.

[12996] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 6 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis homo non teneatur semper mutuum concedere, tenetur tamen ad hoc ut quandocumque mutuum exigit, non plus exigat quam dederat.

3. Bien que l’homme ne soit pas toujours obligé de prêter, il est cependant tenu à ce que, lorsqu’il exige un prêt, il n’exige pas plus qu’il n’avait donné.

[12997] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 6 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ab eo cui beneficium contuli, licet mihi tantum sperare et accipere quantum feci, et non plus. Quidquid autem de utilitate contingit ei cui mutuum dedi, ultra mensuram mutui ex pecunia mutuata, hoc est ex industria ejus qui sagaciter pecunia usus est: industriam autem ejus sibi vendere non debeo, sicut nec pro stultitia ejus minus habere debeo.

4. De celui à qui j’ai accordé un bienfait, il m’est permis d’espérer et de recevoir autant que ce que j’ai accordé, et non plus. Tout ce qui survient d’utile à celui à qui j’ai accordé un prêt au-delà de la mesure du prêt selon l’argent prêté, vient des efforts de celui qui a sagement utilisé l’argent. Or, je ne dois pas lui vendre ses efforts, pas davantage que je dois recevoir moins en raison de sa stupidité.

[12998] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 6 ad 5 Ad quintum dicendum, quod hoc ipso quod dominium pecuniae transfertur, est ratio quare pro usu ejus nihil accipere debeam vel sperare quasi mihi debitum.

5. Le fait même que la propriété de l’argent est transférée est la raison pour laquelle je ne dois rien recevoir ni espérer pour son usage comme si cela m’était dû.

[12999] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 6 ad 6 Ad sextum dicendum, quod ille qui usuras dat et mutuum accipit in necessitate, non peccat, nec usurario communicat inquantum hujusmodi: quia non voluntarius usuram dat, sed quasi coactus necessitate.

6. Celui qui paye des intérêts et reçoit un prêt en cas de nécessité ne pèche pas, et il ne partage pas non plus le sort de l’usurier en tant que tel, car il ne donne pas volontairement un intérêt, mais comme forcé par la nécessité.

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 37

[13000] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 6 expos. Haec Origenes dicit esse duo mandata. Sicut Origenes primum mandatum dividit in duo, ita duo ultima mandata, quae sunt de prohibitione concupiscentiae, conjungit in unum; et sic praecepta denarium non transcendunt. Idolum nihil est in mundo. Hoc autem multipliciter intelligi potest. Uno modo inquantum idolum est similitudo; et sic exponit Origenes, ut dicatur idolum nihil esse, quia nulla res est in mundo cujus sit similitudo. Alio modo potest intelligi de idolo secundum quod est res quaedam; et hoc dupliciter. Uno modo quantum ad formam quae aestimatur esse in idolo, et non est in eo, scilicet forma deitatis. Alio modo quantum ad effectum, quia scilicet ad peccatum inducit, quod nihil est. Non assumes nomen Dei tui in vanum. Assumere est ad aliquid sumere. Sumitur autem nomen Dei ad alicujus veritatis confirmationem per modum juramenti. Si ergo sumatur ad confirmandum aliquod falsum, quod in se nullo modo confirmabile est, tunc in vanum assumitur, et pro nihilo juratur: quia vanum est quod est ad finem aliquem quem non inducit, ut dicitur in 2 Physic. Nomine igitur moechiae, omnis illicitus concubitus, illorumque membrorum non legitimus usus prohibitus debet intelligi. Cum peccatum contra naturam sit gravius quam moechia, videtur quod illud potius prohiberi debuerit, quasi primo tramite relinquendum. Et dicendum, quod quia legislator hominibus legem dabat, ideo in primis legis mandatis non debebat nisi peccata humana prohibere; peccatum autem contra naturam non est humanum, sed bestiale, secundum philosophum in 7 Ethic. Ut si in hieme credimus decem modios, in messe quindecim recipiamus. Hoc est intelligendum, si plus valeant in messe quindecim modii secundum commune forum quam in hieme decem; alias si fiat commensuratio dati et accepti ad valorem pecuniae, non erit usura, sed aequalis commutatio.

 

 

 

Distinctio 38 

Distinction 38 – [Les commandements de la seconde table]

Prooemium

Prologue

 [13001] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 pr. Distinctis quinque praeceptis secundae tabulae et expositis, hic Magister determinat de quibusdam quae praecepto quinto contrariantur, scilicet de mendacio, et perjurio. Dividitur autem haec pars in duas: in prima determinat de mendacio; in secunda de perjurio, 39 dist.: nunc de perjurio videamus. Prima pars in duas: primo distinguit diversos modos mendacii; in secunda definit mendacium, ibi: hic videndum est quid sit mendacium. Prima in duas: in prima parte ponit quamdam divisionem mendacii, per quam scitur quod mendacium sit mortale, et quod veniale peccatum; in secunda ponit quamdam aliam, per quam scitur quod mendacium sit alio gravius, ibi: sciendum est, octo esse genera mendacii. Circa primum duo facit: primo distinguit tres mendacii modos; secundo ex dictis manifestat quoddam quod dubium esse poterat, ibi: de mendacio autem obstetricum et Raab quod fuit veniale Augustinus tradit. Hic videndum est quid sit mendacium. Hic definit mendacium; et circa hoc tria facit: primo ostendit quid sit mendacium; secundo ostendit quod omne mendacium est peccatum, ibi: quod vero mendacium omne sit peccatum, Augustinus insinuat. Tertio solvit quoddam quod videbatur contrarium, ibi: solet quaeri de Jacob. Circa primum tria facit: primo ostendit quid sit mendacium; secundo quid sit mentiri, ibi: mentiri vero est loqui contra hoc quod animo sentit quis. Tertio solvit quamdam quaestionem, ibi: hic solet quaeri, si Judaeus dicat Christum esse Deum, cum non ita sentiat animo, utrum loquatur mendacium. Quod vero mendacium sit peccatum, Augustinus insinuat. Circa hoc duo facit: primo ostendit in omni mendacio esse peccati periculum; secundo ostendit de errore, qui est mendacii effectus, quod quandoque potest esse cum peccato; quandoque sine peccato, ibi: illud etiam sciendum est (...) quod in quibusdam rebus magno malo, in quibusdam parvo, in quibusdam nullo fallimur. Hic quaeruntur quinque: 1 quid sit mendacium; 2 de divisione quam ponit; 3 utrum omne mendacium sit peccatum; 4 utrum omne mendacium sit peccatum mortale; 5 de ordine mendaciorum in gravitate peccati.

Après avoir distingué les cinq commandements de la seconde table, le Maître détermine ici de certaines choses qui sont contraires au cinquième commandement, à savoir, le mensonge et le parjure. Cette partie se divise en deux : dans la première, il détermine du mensonge ; dans la seconde, du parjure, d. 39 : « Voyons maintenant le parjure. » La première partie [se divise] en deux : dans la première, il distingue les diverses manières de mentir ; dans la seconde, il définit le mensonge, à cet endroit : « Il faut voir ici ce qu’est le mensonge. » La première partie [se divise] en deux : dans la première partie, il présente une division du mensonge, selon laquelle on sait qu’un mensonge est un péché mortel ou un péché véniel ; dans la seconde, il en présente une autre, selon laquelle on sait qu’un mensonge est plus grave qu’un autre, à cet endroit : « Il faut savoir qu’il existe huit genres de mensonge. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il distingue trois manières de mentir ; deuxièmement, par ce qui a été dit, il en montre un qui est douteux, à cet endroit : « À propos du mensonge des sages-femmes et de Raab, Augustin enseigne qu’il était véniel.» « Il faut voir ici ce qu’est le mensonge. » Ici, il définit le mensonge. À ce propos, il fait trois choses. Premièrement, il montre ce qu’est le mensonge. Deuxièmement, il montre que tout mensonge est un péché, à cet endroit : « Mais que tout mensonge est un péché, Augustin le suggère. » Troisièmement, il répond à quelque chose qui paraissait contraire, à cet endroit : « On a coutume de se demander à propos de Jacob… » À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il montre ce qu’est le mensonge. Deuxièmement, ce qu’est mentir, à cet endroit : « Mentir, c’est dire le contraire de ce qu’on pense intérieurement. » Troisièmement, il répond à une question, à cet endroit : « Ici, on a coutume de se demander, si un Juif dit que le Christ est Dieu, alors qu’il ne le pense pas intérieurement, s’il dit un mensonge. » « Mais que tout mensonge est un péché, Augustin le suggère. » À ce propos, il fait deux choses. Premièrement, il montre qu’en tout mensonge il y a danger de péché. Deuxièmement, il montre, à propos de l’erreur qui est l’effet du mensonge, qu’elle peut être parfois accompagnée de péché et parfois sans péché, à cet endroit : « Nous devons aussi savoir… que, pour certaines choses, nous sommes abusés pour un grand mal, pour certaines, pour un mal petit, pour certaines, sans aucun mal. » Cinq questions sont ici posées : 1. Qu’est-ce que le mensonge ? 2. À propos de la division qu’il propose. 3. Tout mensonge est-il un péché ? 4. Tout mensonge est-il un péché mortel ? 5. À propos de l’ordre des mensonges selon la gravité du péché.

 

 

Articulus 1[13002] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 1 tit. Utrum definitio mendacii in littera sit conveniens

Article 1 – La définition du mensonge donnée dans le texte est-elle appropriée ?

[13003] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod inconvenienter definiatur mendacium in littera. Qui enim verum loquitur quod falsum esse credit, mentitur, sicut dicit Augustinus in Lib. de mendacio. Sed ibi non est falsa vocis significatio. Ergo male mendacium definitur esse falsa vocis significatio.

1. Il semble que le mensonge soit défini de manière inappropriée dans le texte. En effet, « celui-là ment qui affirme être vrai ce qu’il croit faux », comme le dit Augustin dans le livre Sur le mensonge. Or, il n’y a pas là de fausse signification d’une parole. On définit donc mal le mensonge en disant qu’il est une fausse signification d’une parole.

[13004] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, mendacium opponitur veritati. Virtus autem veritatis non solum in dictis, sed etiam in factis consistit, secundum philosophum in 4 Ethic. Ergo non omne mendacium est falsa vocis significatio.

2. Le mensonge s’oppose à la véracité. Or, la vertu de véracité ne consiste pas seulement dans des paroles, mais aussi dans des actes, selon le Philosophe, Éthique, IV. Tout mensonge n’est donc pas une signification fausse d’une parole.

[13005] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, sicut in 2 Lib., distinct. 38, qu. 1, art. 3, dictum est, intentio respicit finem ultimum. Sed a fine ultimo non recipit aliquid speciem, sed a proximo, quod est objectum cujus est voluntas. Cum ergo in definitione non debeant poni nisi specificantia definitum, videtur quod inconvenienter ponatur in definitione mendacii intentio fallendi.

3. Comme on l’a dit dans le livre II, d. 38, q. 1, a. 3, l’intention porte sur la fin ultime. Or, elle ne reçoit pas une espèce de la fin ultime, mais de la fin rapprochée, qui est l’objet sur lequel porte la volonté. Puisque dans une définition on ne doit mettre que ce qui spécifie ce qui est défini, il semble donc que l’intention de tromper soit mise de manière inappropriée dans la définition du mensonge.

[13006] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, id quod est commune bene et male factis, non debet poni in definitione alicujus mali, maxime quasi completivum definitionis. Sed intentio mala potest communiter inveniri et in his quae sunt bona ex genere, et in his quae sunt mala ex genere; sicut etiam in proposito patet de illo qui verum dicit, ne ei credatur, si aestimet quidquid dixerit, sibi non credi. Ergo intentio fallendi non debet poni in definitione mendacii.

4. Ce qui est commun à ce qui est bien ou mal accompli ne doit pas être mis dans la définition d’un mal, surtout comme ce qui complète la définition. Or, l’intention mauvaise peut se trouver de manière commune dans ce qui est bien selon son genre et dans ce qui est mal selon son genre, comme c’est le cas de celui qui dit la vérité et qu’on ne croit pas, s’il estime que, quoi qu’il dise, on ne le croit pas. L’intention de tromper ne doit donc pas être mise dans la définition du mensonge.

[13007] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, ille qui joco mentitur, fallere non intendit, quia scit sibi non credi. Sed tamen jocosum mendacium inter mendacia reputatur. Ergo intentio fallendi non debet poni in definitione mendacii.

5. Celui qui ment par jeu n’a pas l’intention de tromper, car il sait qu’on ne le croit pas. Or, le mensonge par jeu est compté parmi les mensonges. L’intention de tromper ne doit donc pas être mise dans la définition du mensonge.

[13008] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod duobus modis in actibus humanis contingit esse peccatum. Uno modo ex ipsa natura facti, quod in se malum est, sicut in illis quae sunt mala ex genere. Alio modo ex abusu scientis, sicut cum quis ea quae sunt bona ex genere, ex intentione prava facit. Mendacium ergo utrumque istorum complectitur: quia quantum est de se, inordinatum est. Et quia inordinatio in significando non potest esse nisi ex falsitate significationis, ideo in mendacio falsa significatio includitur. Falsa autem significatio ad rationem peccati in moralibus non sufficit, cum non sit in potestate hominis verum significare, sicut nec verum scire. Unde oportet quod sit talis falsa significatio in mendacio, qua quis volens a recto deviet. Hoc autem non est, nisi quando sciens falsum loquitur, quia ignorans non voluntarius est. Ex hoc autem ipso quod aliquis scienter falsum loquitur, falsitatem intendit significare; et ideo completivum in definitione mendacii ponitur intentio fallendi, sed quasi materiale falsa vocis significatio.

Réponse. Le péché se présente de deux manières dans les actes humains. D’une manière, en raison de la nature même de l’acte, qui est mauvais en lui-même, comme c’est le cas de ce qui est mal par son genre. D’une autre manière, en raison d’un abus conscient, comme lorsque quelqu’un fait avec une intention mauvaise ce qui est bon par son genre. Le mensonge comporte donc ces deux choses, car il est en lui-même désordonné. Et parce que le désordre dans la signification ne peut exister que par la fausseté de la signification, c’est la raison pour laquelle la fausse signification est incluse dans le mensonge. Or, la fausse signification ne suffit pas pour qu’il y ait péché en matière morale, lorsqu’il n’est pas au pouvoir de l’homme de signifier ce qui est vrai, pas plus que de connaître ce qui est vrai. Il faut donc qu’existe dans le mensonge une fausse signification telle qu’on s’écarte volontairement de ce qui est droit. Or, cela n’est le cas que lorsque quelqu’un dit sciemment quelque chose faux, car celui qui l’ignore n’agit pas volontairement. Par le fait même que quelqu’un dit sciemment quelque chose de faux, il a donc l’intention de signifier une fausseté. C’est pourquoi l’intention de tromper est mise dans la définition du mensonge comme ce qui le l’achève, mais la fausse signification comme son élément matériel.

[13009] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod mentiri et mendacium in hoc differunt, quia mendacium nominat aliquid quod secundum se est de genere malorum per abstractionem suam; mentiri autem ratione suae concretionis importat obliquitatem, sive peccatum ex parte dicentis. Unde aliquis dicendo illud quod secundum se a vero non deviat, si secundum suam opinionem deviet, mentitur; non autem quod dicit, est mendacium.

1. Mentir et le mensonge diffèrent par le fait que le mensonge désigne quelque chose qui fait de soi partie du genre de ce qui est mal en raison par son abstraction ; mais, en raison de son caractère concret, mentir comporte une obscurité, ou un péché du côté de celui qui parle. Aussi celui qui, en disant  ce qui, selon lui, ne s’écarte pas [de la vérité] ment s’il s’écarte de son opinion ; mais ce qu’il dit n’est pas un mensonge.

[13010] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod vox homini principaliter data est ad significandum. Unde omne signum quo quis aliquid significat, nomine vocis intelligitur, et eo mendacium perfici potest, sicut patet in signis et nutibus monachorum; sicut et omnes alii sensus sortiuntur nomen visus, qui est principalior inter eos.

2. La parole a été donnée à l’homme principalement en vue de signifier. Aussi entend-on par le mot « parole » tout signe par lequel quelqu’un signifie quelque chose, et le mensonge peut être fait par cela, comme cela ressort des signes et des gestes des moines. De la même manière, tous les autres sens portent le nom de la vue, qui est le principal d’entre eux.

[13011] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod finis est duplex. Unus qui est proprius alicui virtuti vel vitio, et commensuratur objecto ejus; et hujusmodi finis intentio ad speciem virtutis vel vitii pertinet sicut et voluntas objecti: aequaliter enim est essentiale fortitudini velle sustinere difficilia, et intendere bonum, quod est secundum habitum. Alius est finis communis, sicut felicitas respectu omnium virtutum; et intentio hujusmodi finis non specificat virtutem. Intentio autem quae in definitione mendacii ponitur, est finis proprii, et objecto proportionati. Sicut enim verax vera loquitur amore veri, ita mendax falsum loquitur falsitatem intendens.

3. Il existe une double fin. L’une qui est propre à une vertu ou à un vice, et qui est mesuré par son objet. L’intention de cette fin se rapporte à l’espèce de la vertu ou du vice, de même que la volonté de l’objet. En effet, il est également essentiel à la force de supporter ce qui est difficile et d’avoir l’intention du bien, ce qui est conforme à l’habitus. L’autre fin est commune, comme la félicité pour toutes les vertus. L’intention d’une telle fin ne confère pas son espèce à la vertu. Or, l’intention qui est mise dans la définition du mensonge est la fin de ce qui propre et proportionné à son objet. En effet, de même que celui qui dit vrai le dit par amour de ce qui est vrai, de même le menteur dit ce qui est faux en ayant l’intention de la fausseté.

[13012] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ex hoc ipso quod factum quod est de genere bonorum, fit perversa intentione alicui vitio appropriata, ad speciem illius vitii trahitur, sicut qui vadit ad Ecclesiam ut furetur: unde et vera vocis significatio, quando intentione fallendi fit, ad speciem mendacii trahitur.

4. Par le fait même que ce qui est fait, et qui appartient au genre de ce qui est bon, est accompli avec une intention perverse propre à un vice, il est attiré vers l’espèce de ce vice, comme celui qui se rend à l’église pour voler. Aussi la signification vraie d’une parole, lorsqu’elle est réalisée avec l’intention de tromper, est-elle attirée vers l’espèce du mensonge.

[13013] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 1 ad 5 Ad ultimum dicendum, quod intentio fallendi potest intelligi dupliciter. Uno modo respectu fallaciae prout est in ipso fallente tantum; alio modo prout est in fallente et in eo qui fallitur. Quicumque enim falsum loquitur, quantum est in se, fallit, quamvis non semper aliquis per ejus verbum fallatur. Quicumque ergo sciens, falsum loquitur, fallaciam intendit secundum quod est in fallente. Unde ista intentio fallendi communis est omni mendacio. Sed intentio qua aliquis intendit fallaciam non solum ut ipse fallat, sed ut alii fallantur, non est in mendacio jocoso: unde minimum habet de ratione mendacii.

5. Enfin, l’intention de tromper peut s’entendre de deux manières : d’une manière, par rapport à la tromperie en tant qu’elle se trouve seulement chez celui qui trompe ; d’une autre manière, en tant qu’elle se trouve chez celui qui trompe et chez celui qui est trompé. En effet, quiconque dit ce qui est faux se trompe lui-même, bien que quelqu’un ne soit pas toujours trompé par sa parole. Quiconque le sachant dit ce qui est faux a donc comme intention de tromper, pour ce qui se trouve chez celui qui trompe. Cette intention de tromper est donc commune à tout mensonge. Mais l’intention par laquelle quelqu’un entend tromper, non seulement pour se tromper lui-même, mais pour que d’autres soient trompés, ne se rencontre pas dans le mensonge par jeu. Il comporte donc très peu la raison de mensonge.

 

 

Articulus 2 [13014] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 2 tit. Utrum divisio mendacii in littera sit conveniens

Article 2 – La division du mensonge donnée dans le texte est-elle appropriée ?

[13015] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod inconvenienter mendacium dividatur in littera. Ea enim quae secundum accidens sunt, cum infinita sint, dimittenda sunt. Sed mendacio, inquantum hujusmodi, accidit quod fiat loco, vel commodo, vel damno alicujus. Ergo secundum ista inconvenienter dividitur mendacium.

1. Il semble que le mensonge soit divisé de manière inappropriée dans le texte. En effet, ce qui a le caractère d’accident, puisque cela  est infini, doit être écarté. Or, il arrive par accident que le mensonge, en tant que tel, ait eu lieu dans un endroit pour l’avantage ou pour le tort de quelqu’un. Le mensonge est donc divisé de manière inappropriée selon ces choses.

[13016] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, secundum philosophum in 4 Ethic., ludus, cum sit quaedam requies, utilis est ad vitam etiam virtuosam. Sed mendacium officiosum dicitur quod fit ad utilitatem alicujus, jocosum autem quod fit causa joci. Ergo mendacium jocosum in officioso includitur, nec deberet contra ipsum dividi.

2. Selon le Philosophe, Éthique, IV, le jeu, puisqu’il est un repos, est utile aussi pour la vie vertueuse. Or, on appelle mensonge de complaisance ce qui est fait pour l’utilité de quelqu’un, mais le mensonge par jeu, celui qui est fait pour s’amuser. Le mensonge par jeu est donc compris dans le mensonge de complaisance et ne devrait pas lui être opposé.

[13017] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, philosophus in 4 Ethic., dicit, quod aliquis fallax est qui nullius gratia majora existentibus fingit. Sed mendacium jocosum, officiosum, et perniciosum alicujus causa fit. Ergo est aliquod mendacium praeter ista tria.

3. En Éthique, IV, le Philosophe dit qu’est trompeur celui qui, sans aucune raison, invente des choses plus grandes que ce qui existe. Or, les mensonges de complaisance, par jeu et pernicieux sont faits en vue de quelque chose. Il en existe donc un en plus de ces trois.

[13018] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, Augustinus ponit octo mendacii genera. Ergo insufficienter per tria tantum dividitur.

4. Augustin propose huit genres de mensonges. Celui-ci est donc insuffisamment divisé en trois.

[13019] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, videtur quod in illis octo sit etiam aliqua superfluitas. Mendacium enim quod fit in doctrina religionis, non distinguitur ab aliis nisi secundum materiam. Sed materialis multiplicatio relinquenda est. Ergo non debuit hoc mendacium contra alia distingui.

5. Il semble qu’il y ait quelque chose de superflu dans ces huit [mensonges]. En effet, le mensonge qui est fait dans l’enseignement de la religion ne se distingue des autres que selon la matière. Or, une multiplication matérielle doit être laissée de côté. Il ne devait donc pas opposer ce mensonge aux autres.

[13020] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 2 arg. 6 Praeterea, philosophus, in 4 Eth., dividit mendacium in jactantiam et ironiam. Cum ergo haec membra hic praetermittantur, videtur divisio insufficiens.

6. En Éthique, IV, le Philosophe divise le mensonge en vantardise et ironie. Puisque ces éléments sont omis ici, la division semble donc insuffisante.

[13021] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod mendacium hic dividitur, ut cognoscatur quomodo diversimode contingit mendacio peccare; et ideo non assignantur hic modi mendacii facientes diversitatem in ipso secundum quod est hujusmodi, sed magis secundum quod est peccatum. Et propter hoc assignantur tres modi mendacii, secundum quod fallacia, quae est mendacii complementum, in tribus gradibus consistere potest. Primus gradus est ut sit tantum in fallente qui fallit, quamvis nullus ab ipso fallatur; et hoc contingit in mendacio jocoso. Secundus gradus est ut fallacia tantum ad opinionem audientis perveniat, ut scilicet verum aestimet quod falsum est sibi a dicente prolatum; et in hoc gradu consistit mendacium officiosum, in quo non pervenitur ad plus mali, nisi quod audiens falsam intentionem concipiat quantum ad intentionem dicentis. Tertius gradus est ut secundum ejusdem intentionem fallacia perducatur ulterius usque ad damnum in rebus vel persona alicujus; et hoc est perniciosum mendacium.

Réponse. Le mensonge est divisé ici de afin de savoir comment on arrive à pécher de diverses manières par le mensonge. C’est pourquoi on n’indique pas ici les manières de mentir qui le diversifient en tant que tel, mais plutôt selon qu’il est un péché. Pour cette raison, trois manières de mentir sont indiquées selon que la tromperie, qui complète le mensonge, peut avoir trois degrés. Le premier degré est qu’il se trouve seulement chez celui qui trompe, bien que personne ne soit trompé par lui : cela se produit dans le mensonge par jeu. Le deuxième degré est que la tromperie atteigne seulement l’opinion ce celui qui l’entend, de sorte qu’il estime vraie la fausseté proférée par celui qui parle : se trouve sur ce degré le mensonge de complaisance, par lequel on ne fait pas plus de mal que le fait pour l’auditeur de concevoir une fausse opinion quant à l’intention de celui qui parle. Le troisième degré consiste en ce que, selon l’intention de celui [qui parle], la tromperie aille plus loin, jusqu’à un tort causé aux biens ou à la personne de quelqu’un : tel est le mensonge pernicieux.

[13022] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 2 ad 1 Et per hoc patet solutio ad primum: quia quamvis hujusmodi accidant mendacio inquantum hujusmodi, non tamen accidunt ei inquantum peccatum.

1. La réponse au premier argument ressort ainsi clairement, car, bien que cela se produise en raison d’un mensonge en tant que tel, cela n’y arrive cependant pas en tant que péché.

[13023] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis ludus aliquis sit utilis, non tamen ludus ille talis qualis est ludus mentientis.

2. Bien qu’un certain jeu soit utile, ce jeu n’est cependant pas tel que le jeu de celui qui ment.

[13024] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ille qui nullius gratia mentitur, ad mendacium jocosum reducitur, maxime si mentiatur de indifferentibus, et quae ad nullius damnum pertinere possunt: operationes enim ludicrae nullius gratia fiunt, ut dicitur in 10 Eth.

3. Celui qui ment pour rien se ramène au mensonge d’amusement, surtout s’il ment à propos de choses indifférentes et qui ne peuvent aucunement avoir de rapport avec un tort causé à quelqu’un. En effet, les actes de jeu sont faits en vue de quelque chose, comme il est dit dans Éthique, X.

[13025] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod illa octo genera mendacii sub tribus primis continentur; sed ideo magis particulatim dividuntur quia in diversis materiis contingit esse majus vel minus peccatum; unde tria membra secundae divisionis reducuntur ad mendacium perniciosum. Potest enim alicui inferri nocumentum vel in spirituali vita (et sic est primum quod fit in doctrina religionis), vel in aliis; sive nocumentum alicui illatum in nullius profectum cedat, quod est secundus modus; sive cedat in profectum alicujus, quod est tertius modus. Duo vero alii modi reducuntur ad mendacium jocosum. Quia aliquando aliquis mentitur propter suam delectationem quam habet in mentiendo, et sic est quartus modus; aliquando autem propter delectationem alterius, cui ex mendacio placet, et sic est quintus modus. Tres vero ultimi modi reducuntur ad officiosum mendacium. Aliquando enim aliquis mentitur ad vitandum damnum alterius in pecunia, et sic est sextus modus; aliquando in persona quantum ad vitam corporalem, et sic est septimus modus; aliquando vero quantum ad ea quae virtutis sunt, et sic est octavus.

4. Ces huit genres de mensonges sont contenus sous les trois premiers, mais il sont divisés de manière plus précise parce que, en raison des diverses matières, il arrive qu’il y ait un péché plus ou moins grand ; aussi les trois membres de la seconde division se ramènent-ils au mensonge pernicieux. En effet, on peut nuire à quelqu’un dans sa vie spirituelle (tel est le cas du premier [mensonge] qui est fait dans l’enseignement de la religion) ou dans d’autres choses, soit que le tort causé à quelqu’un aboutisse à l’absence de progrès de personne, ce qui est la deuxième manière [de mentir], soit qu’il aboutisse au progrès de quelqu’un, ce qui est la troisième manière. Mais les deux autres manières se ramènent au mensonge d’amusement, car on ment parfois pour le plaisir qu’on a de mentir : c’est ainsi la quatrième manière ; mais parfois pour le plaisir d’un autre, qui prend plaisir au mensonge : c’est ainsi la cinquième manière. Les trois dernières manières se ramènent au mensonge de complaisance. En effet, on ment parfois pour éviter un dommage à quelqu’un en matière d’argent : c’est la sixième manière ; parfois, [pour éviter un dommage] à la personne pour sa vie corporelle : c’est la septième manière ; mais parfois, pour ce qui relève de la vertu : c’est ainsi la huitième manière.

[13026] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod materialis multiplicatio debuit hic tangi, inquantum diversa quantitas culpae per eam insinuatur.

5. La multiplication matérielle devait être ici abordée pour autant qu’une quantité différente de la faute est suggérée par elle.

[13027] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 2 ad 6 Ad ultimum dicendum, quod philosophus assignat duas species mendacii secundum quod opponitur virtuti; et ideo divisit mendacium in superfluum, quod est jactantia, et diminutum, quod est ironia. Jactator enim est qui majora de se fingit quam sint; ironia autem quae minora. Hic autem dividitur mendacium ad cognoscendum quantitatem in ipso; et ideo oportuit aliter dividere.

6. Enfin, le Philosophe signale deux espèces de mensonge selon qu’il s’oppose à la vertu. Il divise ainsi le mensonge en superflu, ce qui est la vantardise, et en diminué, ce qui est l’ironie. En effet, le vantard est celui qui invente à son sujet des choses plus grandes qu’elles ne le sont, mais l’ironie, des choses moindres. Le mensonge est divisé ici afin d’en connaître la quantité ; il fallait donc le diviser autrement.

 

 

Articulus 3 [13028] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 3 tit. Utrum omne mendacium sit peccatum

Article 3 – Tout mensonge est-il un péché ?

[13029] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod non omne mendacium sit peccatum. Nullum enim peccatum fit instinctu spiritus sancti. Sed Jacob, ut in littera dicitur, propter familiare consilium spiritus sancti, quod a matre acceperat, dixit se esse primogenitum, cum non esset, Genes. 27: et ita mentitus est. Ergo aliquod mendacium non est peccatum.

1. Il semble que tout mensonge ne soit pas un péché. En effet, aucun péché n’est commis sous l’inspiration du Saint-Esprit. Or, Jacob, comme le dit le texte, en raison d’un conseil intime du Saint-Esprit qu’il avait reçu de sa mère, a dit qu’il était le premier-né, alors qu’il ne l’était pas, Gn 27. Il a donc ainsi menti. Un certain mensonge n’est donc pas un péché.

[13030] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, nullum peccatum remuneratur a Deo. Sed obstetrices Aegypti sunt remuneratae a Deo pro mendacio quod Pharaoni dixerunt, ut dicitur Exod. 1. Ergo aliquod mendacium non est peccatum.

2. Aucun péché n’est récompensé par Dieu Or, les sages-femmes de l’Égypte ont été récompensées par Dieu pour le mensonge qu’elles ont dit au pharaon, comme on le dit dans Ex 1. Un certain mensonge n’est donc pas un péché.

[13031] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, nullus virtuosus, inquantum hujusmodi, peccat. Sed secundum philosophum in 4 Ethic., ad virtutem veritatis pertinet declinare ad minus, in quo aliquod mendacium est. Ergo non omne mendacium est peccatum.

3. Aucun homme vertueux en tant que tel ne pèche. Or, selon le Philosophe, Éthique, IV, il relève de la vertu de véracité de pencher vers le moins, ce en quoi il y a un certain mensonge. Tout mensonge n’est donc pas un péché.

[13032] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, ut dicitur 2 Petr. 1, 21: spiritu sancto inspirati locuti sunt sancti Dei homines, qui Scripturas divinas ediderunt. Sed inveniuntur in Scripturis aliquae locutiones quae non sunt verae secundum quod verba sonant, sicut quod ligna silvae iverunt ad rhamnum, ut eis imperaret, Judic. 9. Cum ergo per inspirationem spiritus sancti non fiat aliquod peccatum, videtur quod non omne mendacium sit peccatum.

4. Ainsi qu’il est dit en 2 P 1, 21 : Les saints de Dieu ont parlé sous l’inspiration de l’Esprit saint, eux qui ont produit les Écritures divines. Or, on trouve dans les Écritures certaines formules qui ne sont pas vraies au sens propre des mots, comme le fait que les arbres de la forêt se mirent en marche vers un arbrisseau épineux pour qu’il leur commande, Jg 9, 8. Puisque que, sous l’inspiration de l’Esprit saint, aucun péché n’est commis, il semble donc que tout mensonge ne soit pas un péché.

[13033] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, vitium mendacii, quod virtuti veritatis opponitur, non solum est in dictis, sed etiam in factis. Sed sine peccato potest aliquis aliquando significare facto quod non est, sicut de Christo legitur Luc. ultimi, quod finxit se longius ire: similiter etiam Josue, qui simulavit se fugere ante habitatores hai, et David qui simulavit se stultum ante regem Achis. Ergo et verbo potest aliquis sine peccato mentiri.

5. Le vice du mensonge, qui s’oppose à la vertu de véracité, n’est pas accompli en paroles seulement, mais aussi en actes. Or, quelqu’un peut-il parfois signifier sans péché ce qui n’existe pas, comme on lit du Christ, Lc 24, qu’il fit semblant de s’éloigner. De même aussi, à propos de Josué, qui fit semblant de fuir devant les habitants de Hai, et David, qui fit semblant d’être fou devant le roi Achis. Quelqu’un peut donc sans péché mentir aussi en paroles.

[13034] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 3 arg. 6 Praeterea, mendacium non videtur esse peccatum nisi ex eo quod fallit. Sed aliquando expedit homini ut in aliquo fallatur et erret, ut in littera dicitur, et in multis casibus patet. Ergo aliquando potest aliquis sine peccato mentiri.

6. Le mensonge ne semble exister que du fait qu’il trompe. Or, il convient parfois à l’homme qu’il soit trompé ou qu’il erre sur quelque point, comme on le dit dans le texte, et comme cela ressort clairement dans bien des cas. Quelqu’un peut donc parfois mentir sans péché.

[13035] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 3 arg. 7 Praeterea, nullus actus congruus est peccatum. Sed mendacium officiosum est hujusmodi: quia officium est congruus actus personae secundum statuta patriae. Igitur et cetera.

7. Aucun acte convenable n’est un péché. Or, le mensonge de complaisance est de ce genre, car la fonction est l’acte qui convient à une personne selon les décisions de la patrie. Donc, etc.

[13036] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, Augustinus in Lib. de Mend., dicit: quisquis aliquod genus mendacii quod peccatum non sit, esse putaverit, seipsum turpiter decipit. Ergo omne mendacium peccatum est.

Cependant, [1] Augustin dit dans le livre Sur le mensonge : « Quiconque pense qu’il existe un genre de mensonge qui n’est pas péché se trompe honteusement. » Tout mensonge est donc un péché.

[13037] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, omnis inordinatio in actibus humanis, si voluntaria sit, peccatum est. Sed ubicumque est mendacium, est aliqua inordinatio, quia adhibetur vox ad significandum aliquid quod significabile non est. Ergo omne mendacium est peccatum.

[2] Tout désordre dans les actes humains, s’il est volontaire, est un péché. Or, partout où il y a mensonge, existe un désordre, car la parole est prise pour signifier quelque chose qui ne doit pas être signifié. Tout mensonge est donc un péché.

[13038] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 3 s. c. 3 Praeterea, nihil opponitur virtuti nisi peccatum. Sed omne mendacium opponitur virtuti, quae est veritas, ut in 4 Ethic. patet. Ergo omne mendacium est peccatum.

[3] Rien ne s’oppose à la vertu que le péché. Or, tout mensonge s’oppose à la vertu qu’est la véracité, comme cela ressort d’Éthique, IV. Tout mensonge est donc un péché.

[13039] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod cum malum omnifariam contingat, cujuslibet circumstantiae perversitas, etiam aliis circumstantiis debitis existentibus, peccatum in moribus facit; ut si aliquis accipiat unde non debet, quantumcumque bonum intendat, vel aliae circumstantiae ordinatae videantur, peccatum non evitabit. Cum autem locutio inventa sit ad exprimendam conceptionem cordis, quandocumque aliquis loquitur quod in corde non habet, loquitur quod non debet. Hoc autem contingit in omni mendacio; unde omne mendacium est peccatum, quantumcumque aliquis propter bonum mentiatur.

Réponse. Puisque le mal arrive de multiples façons, le caractère déraisonnable de n’importe quelle circonstance, même si les autres circonstances nécessaires existent, cause un péché dans le comportement, de sorte que si quelqu’un saisit ce qu’il ne doit pas [saisir], aussi grand soit le bien qu’on ait en vue ou même si les autres circonstances paraissent ordonnées, on n’évitera pas le péché. Puisque le langage a été inventé pour exprimer ce que le cœur conçoit, chaque fois donc que quelqu’un exprime par la parole ce qu’il n’a pas dans le cœur, il dit ce qu’il ne doit pas [dire]. Or, cela se produit dans tout mensonge. Tout mensonge est donc un péché, quel que soit le bien pour lequel quelqu’un ment.

[13040] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod verba quae Jacob protulit, secundum aliquem intellectum necessitatem vel veritatem habuerunt: sibi enim primogenitura Dei electione debebatur, et ad illum intellectum spiritus sanctus verba ordinabat, cujus instinctu et intellectu loquebatur, sive ipse illum intellectum ex verbis acciperet explicite, sive implicite hoc significare intenderet ad quod spiritus sanctus ordinabat; unde a mendacio excusatur. Et eadem ratio est de omnibus verbis quae mendacium sapere videntur ab illis viris prolata in quibus mendacium concedere nefarium videtur.

1. Les paroles proférées par Jacob avaient une certaine nécessité ou vérité, selon une certaine interprétation. En effet, la primogéniture lui était due selon l’élection par Dieu, et le Saint-Esprit, sous l’inspiration et l’intelligence de qui il parlait, ordonnait ces paroles vers cette interprétation, soit que [Jacob] lui-même tire explicitement l’interprétation de ces paroles, soit qu’il ait eu implicitement l’intention de signifier ce à quoi le Saint-Esprit les ordonnait. Il est donc exempt de mensonge. Le même raisonnement vaut pour toutes les paroles qui paraissent avoir une saveur de mensonge, proférées qu’elles sont par des hommes chez qui il paraît abominable de reconnaître un mensonge.

[13041] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod obstetrices mentitae sunt ad litteram: nec pro mendacio remuneratae sunt, sed pro pietate, quia pueros Hebraeorum liberaverunt.

2. Les sages-femmes ont menti au sens littéral, et elles n’ont pas été récompensées pour leur mensonge, mais pour leur piété, car elles ont libéré les enfants des Hébreux.

[13042] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in majori includitur minus, et non e converso. Et quando virtuosus eligit minus dicere de se quam possit, secundum rei veritatem non mentitur, sed aliquod verum tacet.

3. Le moins est compris dans le plus, mais non l’inverse. Et lorsqu’un homme vertueux choisit d’en dire moins à son sujet qu’il ne le peut, il ne ment pas vraiment, mais il tait quelque chose de vrai.

 [13043] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod verba quae in sacra Scriptura sunt scripta, aut sunt verba ejus qui Scripturam edidit, aut sunt verba alicujus qui in Scriptura recitatur loquens. Si primo modo, sic non contingit in eis mendacium, quia in figurativis locutionibus non est sensus verborum quem primo aspectu faciunt, sed quem proferens sub tali modo loquendi facere intendit, sicut qui dicit, quod pratum ridet, sub quadam rei similitudine intendit significare prati floritionem. Si autem sunt verba alicujus qui recitatur loquens, aut sunt alicujus cujus malitia in Scriptura arguitur, et sic non est inconveniens quod sint ibi etiam mendacia, sicut verba Judaeorum Christum blasphemantium: aut alicujus qui commendatur non de perfectione virtutis, sed de profectu, sicut obstetrices commendantur quod in hoc profecerunt quod non in damnum alicujus, sed in obsequium divinum mentitae sunt: aut sunt verba alicujus qui commendatur de perfectione virtutis, et in exemplum proponitur; et tunc est eadem ratio sicut de verbis Scripturae.

4. Les mots qui ont été écrits dans la Sainte Écriture sont soit les mots de celui qui a produit l’Écriture, soit les mots de quelqu’un qui rapporte [quelque chose] dans l’Écriture en parlant. S’il s’agit du premier cas, le mensonge n’existe pas ainsi en elles, car, dans les expressions figurées, ce n’est pas le le sens que les mots ont à première vue, mais celui que celui qui parle entend exprimer par une telle manière de parler ; ainsi celui qui dit que le pré est riant entend signifier par la ressemblance d’une chose la floraison du pré. Mais s’il s’agit des paroles de quelqu’un qui rapporte en parlant, ce sont soit celles de quelqu’un dont la malice est blâmée dans l’Écriture, et ainsi il n’est pas inapproprié qu’il y ait là aussi des mensonges, comme les paroles des Juifs blasphémant le Christ ; soit celles de quelqu’un qui est loué, non pas pour la perfection de sa vertu, mais pour son succès, comme les sages-femmes sont louangées parce qu’elles ont fait ce qui n’était pas nuisible à quelqu’un, mais elles ont menti au service de Dieu ; soit les paroles de quelqu’un qui est loué pour la perfection de sa vertu et est proposé en exemple ; le raisonnement est alors le même que pour les paroles de l’Écriture.

[13044] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod facta non sunt ordinata de se ad significandum sicut voces: et ideo non oportet quod si aliquid fiat per quod aliquid falsum detur intelligi, hoc ipso fiat quod non debet fieri, sicut dicitur quod non debet dici quando falsum voce significatur. Unde non oportet quod omne tale factum sit peccatum, et praecipue quando factum in significationem alicujus exhibetur: tunc enim eadem ratio est de illis factis, et de locutionibus figurativis. Sicut enim locutio figurativa veritatem habet non a sensu quem verba habent in primo aspectu, sed ab eo quem loquens facere intendit; ita etiam quod dominus ostendit se velle longius ire, quasi per similitudinem elongationis in itinere, significabat elongationem sui a cognitione discipulorum; et in hoc veritatem habebat.

5. Les actes ne sont pas ordonnés en eux-mêmes à signifier comme les paroles. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que, si quelque chose est fait qui prête à une fausse interprétation, ce soit par le fait même quelque chose qui ne doit pas être fait, comme on dit qu’il ne faut pas parler lorsque quelque chose de faux est signifié par une parole. Il n’est donc pas nécessaire que tout acte de ce genre soit un péché, surtout lorsque l’acte sert à signifier quelque chose. En effet, le raisonnement est alors le même pour ces actes et pour les expressons figuratives. En effet, de même qu’une expression figurative tient sa vérité, non pas du sens qu’ont les paroles à première vue, mais du [sens] que celui qui parle entend exprimer en parlant, de même aussi le fait que le Seigneur montre qu’il veut aller plus loin, par une ressemblance avec l’éloignement sur la route, signifiait son éloignement par rapport à la connaissance de ses disciples. En cela, il était vrai.

[13045] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod quamvis alicui prosit in aliquo casu falli, non tamen propter hoc bonum, aliquod malum faciendum est, sicut nec est furandum, ut eleemosynae dentur: et ita cum mendacium de se inordinationem habeat, non est mentiendum pro quocumque alterius commodo.

6. Bien qu’il soit utile à quelqu’un d’être trompé dans un cas, un mal ne doit cependant pas être fait en vue de ce bien, de même qu’on ne doit pas voler pour faire l’aumône. Ainsi, puisque le mensonge comporte en soi un désordre, on ne doit pas mentir pour n’importe quel bien d’un autre.

[13046] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 3 ad 7 Ad ultimum dicendum, quod mendacium dicitur officiosum non ratione sui, sed ratione causae quae ad mentiendum inclinat.

7. Enfin, on parle de mensonge de complaisance non pas pour lui-même, mais en raison de la cause qui incline à mentir.

 

 

Articulus 4 [13047] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 4 tit. Utrum omne mendacium sit peccatum mortale

Article 4 – Tout mensonge est-il un péché mortel ?

[13048] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod omne mendacium sit peccatum mortale. Omne enim peccatum quod in perditionem adducit, est peccatum mortale. Sed in Psalm. 5, 7, dicitur: perdes omnes qui loquuntur mendacium. Ergo omne mendacium est peccatum mortale.

1. Il semble que tout mensonge soit un péché mortel. En effet, tout péché qui mène à la perdition est un péché mortel. Or, dans Ps 5, 7, il est dit : Tu perdras tous ceux qui mentent. Tout mensonge est donc un péché mortel.

[13049] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, omne id quod in subversionem fidei vergit, est peccatum mortale. Sed mendacium est hujusmodi, ut Augustinus probat in Lib. de Mendac. Ergo omne mendacium est peccatum mortale. Minor patet ex hoc quod si in aliquo casu mentiri licet, tunc non semper oportet fidem bono homini adhibere; et si in aliquo non sibi creditur, non erit necessitas ut in aliis sibi credatur.

2. Tout ce qui tourne au renversement de la foi est un péché mortel. Or, le mensonge est de ce genre, comme le montre Augustin dans le livre Sur le mensonge. Tout mensonge est donc un péché mortel. La mineure ressort du fait que, s’il est permis de mentir dans un cas, il ne faut donc pas toujours croire un homme bon, et si on ne le croit pas sur un point, il ne sera pas nécessaire de le croire pour les autres choses.

[13050] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, si aliquod mendacium excusetur a peccato mortali, praecipue mendacium officiosum tale esse videtur. Sed mendacium officiosum est peccatum mortale, cum per ipsum aeterna merces in temporalem commutetur. Gregorius enim dicit in Glossa Exod. 1 de obstetricibus: benignitatis earum merces, quae in aeterna vita remunerari poterat, per culpam mendacii in terrenam recompensationem commutata est. Ergo omne mendacium est peccatum mortale.

3. Si un mensonge est exempt de péché mortel, il semble que ce soit surtout le cas du mensonge de complaisance. Or, le mensonge de complaisance est un péché mortel, puisqu’une récompense éternelle est changée par lui en récompense temporelle. En effet, Grégoire dit dans la Glose sur Ex 1, à propos des sages-femmes : « La récompense de leur bonté, qui pouvait être récompensée dans la vie éternelle, a été changée en récompense terrestre par la faute du mensonge. » Tout mensonge est donc un péché mortel.

[13051] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, in littera dicitur, quod perfectis viris damnabile est pro commodo alterius mentiri. Sed nullum peccatum dicitur esse damnabile, nisi mortale. Ergo mendacium officiosum perfectis est mortale; et eadem ratione omne aliud mendacium, cum mendacium officiosum minus videatur esse damnosum; et per consequens etiam in aliis omne mendacium peccatum mortale est, quia perfecti non sunt pejoris conditionis quam alii.

4. Il est dit dans le texte qu’il est répréhensible pour des hommes parfaits de mentir à l’avantage d’un autre. Or, aucun péché n’est dit répréhensible, sauf le péché mortel. Le mensonge de complaisance est donc mortel pour les parfaits et, pour la même raison, tout autre mensonge, puisque le mensonge de complaisance semble être le moins dommageable. Par conséquent, tout mensonge en d’autres matières est un péché mortel, parce que les parfaits n’ont pas une condition pire que les autres.

[13052] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 4 arg. 5 Praeterea, nihil prohibetur divino praecepto nisi peccatum mortale. Sed in prohibitione falsi testimonii prohibetur omne mendacium, sicut Augustinus dicit in Lib. de mendacio. Ergo omne mendacium est peccatum mortale.

5. Rien n’est interdit par un commandement divin que le péché mortel. Or, tout mensonge est interdit par l’interdiction du faux témoignage, comme le dit Augustin dans le livre Sur le mensonge. Tout mensonge est donc un péché mortel.

[13053] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed contra, propter peccatum mortale non aedificantur spirituales domus. Sed obstetricibus aedificavit Deus spirituales domos, secundum Hieronymum. Ergo obstetrices mentiendo mortaliter non peccaverunt; et ita non omne mendacium est mortale peccatum.

Cependant, [1] des demeures spirituelles ne sont pas édifiées en raison du péché mortel, Or, Dieu a édifié pour les sages-femmes des demeures spirituelles, selon Jérôme. En mentant, les sages-femmes n’ont donc pas péché mortellement, et ainsi tout mensonge n’est pas un péché mortel.

[13054] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, nullum peccatum mortale alicui conceditur. Sed in Glossa super 1 Exod. dicitur quod infirmis conceditur mentiri. Ergo non omne mendacium est peccatum mortale.

[2] Aucun péché mortel n’est autorisé pour un autre. Or, dans la Glose, à propos de Ex 1, il est dit qu’il est permis de mentir aux malades. Tout mensonge n’est donc pas un péché mortel.

[13055] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 4 s. c. 3 Praeterea, Gregorius dicit, quod mendacium officiosum facile credimus relaxari. Sed peccatum ex hoc dicitur veniale quod facile remittitur. Ergo mendacium officiosum est peccatum veniale.

[3] Grégoire dit que nous croyons que le mensonge de complaisance est facilement pardonné. Or, un péché est appelé véniel parce qu’il facilement remis. Le mensonge de complaisance est donc un péché véniel.

[13056] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod peccatum mortale dicitur quod hominem vita spirituali privat. Spiritualis autem vita per caritatem est; unde illa peccata ex sui genere mortalia sunt quae contra dilectionem Dei vel proximi vergunt. Et ideo duplex genus mendacii peccatum mortale ponendum est. Primum quod contra Deum est, sicut cum quis in doctrina religionis mentitur. Secundum est quod in detrimentum justitiae ad proximum vergit: sive sit tale mendacium quod ad perversionem judicii ordinatur, sicut cum quis in loco judicii falsum dicit; sive sit in nocumentum alicujus, quod sine mortali peccato esse non potest. Alia vero mendacia, quia inordinationem quamdam habent, non tamen a dilectione Dei et proximi avertunt; peccata sunt, sed sunt venialia.

Réponse. On appelle péché mortel celui qui prive l’homme de la vie spirituelle. Or, la vie spirituelle vient de la charité ; aussi les péchés qui vont contre l’amour de Dieu ou du prochain sont-ils mortels par leur genre. C’est pourquoi il faut affirmer qu’un double genre de mensonge est péché mortel. Le premier, celui qui va à l’encontre de Dieu, comme lorsque quelqu’un ment dans l’enseignement de la religion. Le second est celui qui va à l’encontre de la justice envers le prochain, qu’un tel mensonge soit celui qui est ordonné à la subversion d’un jugement, comme lorsque quelqu’un dit une fausseté en procès, ou qu’il soit nuisible à quelqu’un, ce qui ne peut exister sans péché mortel. Mais les autres mensonges sont des péchés parce qu’ils comportent un certain désordre, mais ils ne détournent cependant pas de l’amour de Dieu et du prochain. Ce sont des péchés, mais ils sont véniels.

[13057] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod auctoritas illa non loquitur de omni mendacio, sed de pernicioso tantum.

1. Cette autorité ne parle pas de tout mensonge, mais du mensonge pernicieux seulement.

[13058] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod mendacium prolatum, si aestimetur esse licitum, ipsa aestimatio in subversionem fidei verget; non tamen oportet quod omne mendacium ad subversionem fidei ordinetur, praecipue cum non sit de his quae ad fidem spectant.

2. Si l’on juge qu’un mensonge proféré est permis, le jugement lui-même tourne à la subversion de la foi ; il n’est cependant pas nécessaire que tout mensonge soit ordonné à la subversion de la foi, surtout lorsqu’il ne porte pas sur ce qui concerne la foi.

[13059] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod de mendacio obstetricum diversa est opinio. Quidam enim dicunt quod mendacium fuit ad conservandum vitam puerorum; et sic fuit officiosum, et veniale peccatum. Fuit etiam ad conservandum vitam propriam; et sic fuit libidinosum, et mortale peccatum. Sed hoc non videtur rationabile: quia non minus debet homo suam vitam tueri quam alterius. Et ideo alii dicunt, quod in actibus obstetricum tria est considerare. Primo ipsam pietatem qua pueris parcere voluerunt; et quantum ad hoc vel meruerunt, vel ad meritum disponebantur; et secundum hoc intelligendum est verbum Hieronymi, quod aedificavit eis Deus domos spirituales. Fuit etiam ibi mendacium, quod sive pro liberatione puerorum sive pro liberatione vitae propriae (quod magis videtur subtiliter discutienti secundum Gregorii dictum) peccatum veniale fuit; et sic habent laudem secundum Augustinum in Lib. de mendacio, non perfectae justitiae, sed profectus ad justitiam. Fuit etiam ibi omissio confessionis divinae veritatis et justitiae, si tamen coram Pharaone tunc confiteri tenebantur; et quantum ad hoc potuit ibi esse peccatum mortale. Et secundum hoc potest intelligi quod merces aeterna eis in temporalem commutata est. Vel si ex hoc mortaliter non peccaverunt, dicitur merces aeterna in temporalem commutata, quia earum benignitas gratia non informata remunerationem temporalem habuit, quae gratiae adjuncta habuisset aeternam.

3. À propos du mensonge des sages-femmes, les opinions varient. En effet, certains disent que le mensonge visait à préserver la vie des enfants ; c’était ainsi un mensonge de complaisance et un péché véniel. Il visait aussi à préserver leur propre vie ; il suivait ainsi la passion et était mortel. Mais cela ne semble pas raisonnable, car on ne doit pas moins protéger sa vie que celle d’un autre. C’est pourquoi d’autres disent que, parmi les actes des sages-femmes, trois choses doivent être envisagées. Premièrement, la piété par laquelle elles ont voulu protéger les enfants : sur ce point, elles ont mérité ou elles étaient disposées à mériter. C’est de cette manière que doit être comprise la parole de Jérôme, que « Dieu leur a édifié des demeures spirituelles ». Il y avait aussi là un mensonge en vue de la libération des enfants ou de la libération de leur propre vie (ce qui apparaît à celui qui examine la chose avec une plus grande finesse, selon ce que dit Grégoire) ; c’est là un péché véniel, et elles méritent ainsi d’être louangées, selon Augustin, dans le livre Sur le mensonge, non pas pour leur parfaite justice, mais pour leur progrès vers la justice. Il y avait aussi là une omission de la confession de la vérité et de la justice divines, à supposer qu’elles étaient obligées de faire une telle confession devant le pharaon : sur ce point, il pouvait y avoir péché mortel. On peut ainsi penser que leur récompense éternelle a été changée en [récompense] temporelle. Ou bien, si elles n’ont pas péché mortellement, on dit que leur récompense éternelle a été changée en [récompense] temporelle parce que leur bonté, sans la forme de la grâce, a obtenu une récompense temporelle ; associée à la grâce, elle aurait été une [récompense] éternelle.

 [13060] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod secundum quosdam omne mendacium viris perfectis peccatum mortale est; cujus rationem dupliciter aliqui assignant. Quidam enim sumunt rationem ex perfectione caritatis, per quam mens hominis summae veritati adhaeret; adeo quod omne mendacium eorum cum deliberatione et ex contemptu est; unde non potest esse veniale, sicut nec homo in primo statu venialiter peccare potuit. Sed hoc nihil est dictu: quia eadem ratione nullum aliud peccatum veniale committere possent, quod falsissimum est in quantumcumque perfectissimis viris, cum etiam in apostolis peccatum veniale fuerit. 1 Joan. 1, 8: si dixerimus, quod peccatum non habemus, ipsi nos seducimus. Alii vero sumunt rationem ex perfectione status secundum quod aliqui perfectionem in publico praetendunt, ut religiosi et praelati; et istis adhibetur fides tamquam conservatoribus veritatis; unde si in aliquo a veritate deviarent, nec eis nec aliis fides adhiberetur, et sic fieret magnum praejudicium veritati. Sed hoc iterum nihil est: quia non creditur eis tamquam conservatoribus veritatis in omnibus eorum factis vel dictis, sed in illis tantum quae ad officium conservandae veritatis spectant, sicut doctrina et judicium, in quibus si a veritate deviarent, non est dubium quin peccarent mortaliter. Et ideo dicendum, quod nec mendacium nec aliquod peccatum quod ex genere suo peccatum mortale non est, perfectis viris mortale peccatum fit, nisi sit contra eorum votum. Sed per accidens potest eis mortale fieri sicut et aliis, ut si fiat contra conscientiam, quamvis errantem, vel ratione scandali, vel alicujus hujusmodi. Quod vero dicitur in littera, quod mendacium officiosum perfectis viris est damnabile, intelligendum est comparative: quia in eodem genere peccati magis peccat perfectus quam imperfectus, quamvis uterque venialiter vel mortaliter. Non tamen haec circumstantia aggravans aggravat in infinitum, ut quod uni est veniale, alteri mortale fiat.

4. Selon certains, tout mensonge est un péché mortel pour les parfaits. Ils en donnent deux raisons. En effet, certains tirent argument de la perfection de la charité, par laquelle l’esprit de l’homme adhère à la Vérité suprême, au point que chacun de leurs mensonges est fait délibérément et par mépris. Il ne peut donc être véniel, de même que l’homme ne pouvait pécher véniellement dans son premier état. Mais c’est là ne rien dire, car, pour la même raison, ils ne pourraient commettre aucun péché véniel, ce qui est tout à fait faux dans tous les cas pour les hommes parfaits, puisque le péché véniel a existé même chez les apôtres, 1 Jn 1, 8 : Si nous disons que nous n’avons pas de péché, nous nous séduisons nous-mêmes. Mais d’autres tirent argument de la perfection de l’état par lequel certains prétendent publiquement à la perfection, comme les religieux et les prélats. Nous leur faisons confiance comme à ceux qui préservent la vérité. Si donc ils s’écartent en quelque manière de la vérité, on ne pourrait accorder foi ni à eux ni aux autres, et ainsi serait causée un grand préjudice à la vérité. Mais cela non plus ne vaut rien, car on ne croit pas à eux comme à ceux qui préservent la vérité dans tous leurs actes paroles et toutes leurs paroles, mais seulement seulement dans ceux qui se rapportent à leur fonction de préservation de la vérité, comme l’enseignement et le jugement ; s’ils devaient s’écarter de la vérité dans ces choses, il ne fait aucun doute qu’ils pécheraient mortellement. C’est pourquoi il faut dire que ni un mensonge ni un péché, qui n’est pas un péché mortel par son genre, ne devient un péché mortel pour les parfaits, que s’il est accompli contre leur vœu. Mais il peut être mortel par accident, comme pour les autres, de sorte que, s’il est accompli à l’encontre de leur conscience, tout errante qu’elle soit, ou en raison d’un scandale ou de quelque chose de cette sorte. Ce qu’on dit dans le texte, que le mensonge de complaisance est dommageable pour les parfaits, doit s’entendre de manière comparative, car, à l’intérieur d’un même genre de péché, le parfait pèche davantage que l’imparfait, bien que les deux [pèchent] véniellement ou mortellement. Cependant, cette circonstance aggravante n’aggrave pas à l’infini, de sorte qu’il devienne véniel pour l’un et mortel pour un autre.

[13061] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod divino praecepto prohibetur aliquid dupliciter. Uno modo directe, quod contra praeceptum dicitur; et sic prohibetur mendacium perniciosum, quod ex ipsa forma praecepti patet: non loqueris contra proximum tuum falsum testimonium. Alio modo indirecte, quod praeter praeceptum dicitur; et sic mendacium jocosum et officiosum, sicut et alia peccata venialia, praecepto divino prohibentur.

5. Quelque chose est interdit par un commandement divin de deux manières. D’une manière, directement : on dit que cela va à l’encontre du commandement. Ainsi est interdit le mensonge pernicieux, ce qui ressort de la forme même du commandement : Tu ne porteras pas de faux témoignage contre ton prochain. D’une autre manière, indirectement : on dit que cela va au-delà du commandement. Ainsi le mensonge par jeu et le mensonge de complaisance, comme tous les autres péchés véniels, sont-ils interdits par le commandement divin.

 

 

Articulus 5 [13062] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 5 tit. Utrum gradus mendaciorum convenienter assignentur in littera

Article 5 – Les degrés de mensonges sont-ils attribués de manière appropriée dans le texte ?

[13063] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod inconvenienter gradus mendaciorum in littera assignentur. Quandocumque enim aliquis falsum scienter loquitur, mentitur. Sed aliquis disputando falsum scienter loquitur etiam in his quae ad fidem pertinent. Ergo dicit mendacium in doctrina religionis. Sed hoc non est gravius mendacio pernicioso. Ergo mendacium quod fit in doctrina, non est primum et gravissimum mendacium.

1. Il semble que les degrés de mensonges soient attribués de manière inappropriée dans le texte. En effet, chaque fois que quelqu’un dit sciemment une fausseté, il ment. Or, en disputant, on dit une fausseté, même pour ce qui relève de la foi. On dit donc un mensonge dans l’enseignement de la religion. Or, cela n’est pas plus grave qu’un mensonge pernicieux. Le mensonge qui est fait en enseignant n’est donc pas le premier et le plus grave des mensonges.

[13064] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 5 arg. 2 Praeterea, contingit quod de his quae ad fidei religionem pertinent, aliquis joco mentiatur; nec tamen hoc gravius reputaretur quam mendacium vergens in grave damnum proximi. Ergo idem quod prius.

2. Il arrive que l’on mente par jeu à propos de ce qui relève de la religion de la foi; cependant, cela ne serait pas considéré comme plus grave qu’un mensonge tendant à un tort grave fait au prochain. La conclusion est ainsi la même que précédemment.

[13065] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea, officiosum mendacium plus habet de ratione mendacii quam jocosum, ut ex dictis patet. Cum ergo jocosum mendacium praeponatur officioso, videtur quod inconvenienter ordinetur.

3. Le mensonge de complaisance comporte une plus grande part de la raison du mensonge, comme cela ressort de ce qui a été dit. Puisque que le mensonge par jeu est placé avant le mensonge de complaisance, il semble donc qu’il soit ordonné de manière inappropriée.

[13066] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 5 arg. 4 Praeterea, cuicumque malitia propter seipsam placet, videtur in spiritum sanctum peccare. Sed peccatum in spiritum sanctum est gravissimum, ut in 2 Lib., dist. 43, qu. 1, art. 2, dictum est. Cum ergo ille qui mentitur sola mentiendi libidine, in ipsa malitia delectari videatur, videtur quod hoc mendacium ceteris sit gravius, quod tamen quarto loco ponitur.

4. Tous ceux à qui plaît la méchanceté pour elle-même semblent pécher contre l’Esprit saint. Or, le péché contre l’Esprit saint est le plus grave, comme on l’a dit dans le livre II, d. 43, q, 1, a. 2. Puisque celui qui ment par le seul désir de mentir semble se délecter de la malice elle-même, il semble donc que ce mensonge soit plus grave que les autres, alors qu’on lui donne la quatrième place.

[13067] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 5 arg. 5 Praeterea, quanto majus nocumentum per mendacium evitatur, tanto est minus peccatum. Sed majus damnum est corporis mors quam corporis immunditia. Ergo septimum mendacium quod fit ad tuendum vitam, deberet postponi octavo, quod fit ad tuendum aliquem ab immunditia corporali.

5. Plus grande est le tort évité par le mensonge, plus petit est le péché. Or, la mort corporelle est un plus grand tort que l’impureté du corps. Le septième mensonge, qui est fait pour préserver sa vie, devrait donc être le huitième, qui est fait pour préserver quelqu’un d’une impureté corporelle.

[13068] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 5 s. c. 1 In contrarium est auctoritas Augustini in libro de mendacio.

Cependant, [1] l’autorité d’Augustin, dans le livre Sur le mensonge, va en sens contraire.

[13069] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod quodlibet peccatum secundum suum genus habet aliquam quantitatem, cui addi vel subtrahi potest ratione alicujus adjuncti; unde et quantitas mendacii secundum tres gradus potest considerari. Primus gradus est, quando quantitas mendacii ex aliquo adjuncto augmentatur. Hoc autem adjunctum, mendacium aggravans, est vel profanatio divinorum, quae est conditio maxime aggravans; et ideo mendacium quod fit in doctrina religionis, ponitur primum; vel est nocumentum proximorum, quod quidem mitigatur, si nocumento aliqua utilitas adjungatur; et ideo in secundo ordine ponitur mendacium quod alicui obest, et nulli prodest; in tertio vero mendacium quod alicui prodest, et nulli obest. Secundus vero gradus mendacii consideratur sine additione vel diminutione. Sed quia in quolibet genere peccati gravius est peccatum quod ex habitu procedit inquantum ex libidine majori fit; ideo in quarto loco ponitur mendacium quod fit ex libidine mentiendi; quia unicuique habenti habitum delectabilis est operatio secundum proprium habitum. Quinto vero loco ponitur mendacium quod non videtur ex habitu procedere, sed ex intentione alicujus finis extranei, quae tamen mendacium non aggravat nec alleviat, sicut quod fit ex intentione placendi vel delectandi. Tertius gradus est in quo consideratur quantitas mendacii diminuta ex aliquo adjuncto, quod est intentio utilitatis, quae tanto magis alleviat, quanto damnum est gravius quod vitatur; et ideo in sexto loco ponitur mendacium quod fit ad vitandum sublevationem pecuniae: septimum mendacium quod fit ad vitandum occisionem: octavum ad vitandum deturpationem libidinis, quod propter propinquitatem consensus vix sine peccato esse potest.

Réponse. Tout péché possède une certaine quantité selon son genre ; on peut y ajouter ou en soustraire en raison de quelque chose qui y est associé. La quantité du mensonge peut ainsi être envisagée selon trois degrés. Le premier degré vient de l’augmentation de la quantité du mensonge par quelque chose d’ajouté. Or, cet ajout aggravant le mensonge est soit la profanation des réalités divines, qui est la condition la plus aggravante : aussi le mensonge qui est fait dans l’enseignement de la religion est-il mis en premier. Ou [cette condition] est un tort fait au prochain, qui est adouci si une certaine utilité est associée au tort : c’est pourquoi le mensonge qui en affecte un autre et qui n’est utile à personne est mis en deuxième. En troisième lieu, [est mis] le mensonge qui est utile à quelqu’un et ne nuit à personne. Mais le deuxième degré de mensonge est envisagé sans ajout ni diminution. Or, parce qu’en chaque genre de péché, le péché qui procède d’un habitus est plus grave, dans la mesure où il est accompli avec un désir plus désordonné, est mis en quatrième lieu le mensonge qui est fait par désir désordonné de mentir, car une opération dépendant de son propre habitus est délectable pour tous ceux qui possèdent l’habitus. En cinquième lieu, est mis le mensonge qui ne semble pas venir d’un habitus, mais de l’intention d’une fin extrinsèque, qui n’aggrave cependant pas ni n’allège le mensonge, comme celui qui est fait dans l’intention de plaire ou de faire plaisir. Le troisième degré est celui dans lequel est considérée la quantité du mensonge, diminuée par quelque chose qui lui est associé : l’intention de rendre service, qui allège d’autant plus que le tort évité est plus grand. Aussi met-on en sixième place le mensonge qui est fait pour éviter un vol d’argent ; le septième mensonge est celui qui est fait pour éviter un meurtre ; le huitième, pour éviter la laideur du désir désordonné, qui peut rarement exister sans péché en raison de sa proximité du consentement.

[13070] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ille qui disputando falsum loquitur, quamvis scienter, non mentitur, nisi asserendo dicat: quia non ex sua persona falsum illud enuntiat, sed gerens personam veritatem negantis.

1. Celui qui, en disputant, dit sciemment quelque chose de faux ne ment pas, à moins qu’il ne le dise en l’affirmant, car il ne formule pas cette fausseté en son propre nom, mais au nom de celui qui nie la vérité.

[13071] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod distinctio istorum graduum et ordo accipiuntur ceteris paribus; unde in aliquo casu illud quod est secundum, potest esse primum; et sic de aliis est.

2. La distinction et l’ordre de ces degrés s’entendent selon toutes choses égales. Aussi, dans un cas, ce qui est deuxième peut-il être premier. Et il en est de même des autres.

[13072] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis mendacium officiosum habeat plus de ratione mendacii quam jocosum, inquantum habet plus de assertione; tamen officiosum habet minus de malo ratione utilitatis adjunctae; et ideo est minus peccatum.

3. Bien que le mensonge de complaisance comporte plus de mensonge que le mensonge par jeu, dans la mesure où il comporte une plus grande affirmation, il comporte cependant moins de mal en raison de l’utilité qui lui est associée. Il est donc un péché moindre.

[13073] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod, sicut in Lib. 2, dist. penult., qu. 1, art. 2, in corp., dictum est, non omne peccatum quod fit ex electione habitus, est peccatum in spiritum sanctum; alias non esset speciale genus peccati; et ideo hoc mendacium quod fit ex mentiendi libidine, cum procedat ex inclinatione habitus, et non ex rebellione voluntatis ad aliquod eorum quibus a peccato liberamur, quod est proprium peccati in spiritum sanctum, non erit peccatum in spiritum sanctum.

4. Comme on l’a dit dans livre II, d. 43, q. 1, a. 2, c., tout péché qui est commis selon le choix d’un habitus n’est pas un péché contre l’Esprit saint, autrement ce ne serait pas un genre particulier de péché. Aussi le mensonge qui est fait par désir désordonné de mentir, puisqu’il vient de l’inclination d’un habitus, et non de la résistance de la volonté à l’une des choses par lesquelles nous sommes libérés du péché, qui est propre au péché contre l’Esprit saint, ne sera-t-il pas un péché contre l’Esprit saint.

[13074] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod immunditia corporalis hic intelligitur quae habet vicinitatem ad peccatum, ratione cujus majus damnum reputatur quam corporis mors.

5. L’impureté corporelle s’entend ici de celle qui se rapproche du péché, raison pour laquelle on la considère comme un tort plus grand que la mort corporelle.

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 38

[13075] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 5 expos. Ne pro corpore alterius animam suam occidat. Quod sic vitari potest secundum Augustinum in Lib. de mendacio. Si enim aliquis ad mortem quaeratur, simpliciter nobis interrogatis de eo sine loci determinatione, respondendum est, quod eum non prodemus, etiam si oporteat nos tormenta sustinere: pro quo facto quemdam episcopum laudat. Si autem interrogamur, utrum sit in illo loco determinato, respondendum est: scio ubi est, sed non dicam. Praecipue si iteretur. Hoc dicitur inquantum multiplicatio venialium disponit ad mortale. Ut ab immunditia corporali aliquem tueatur. Sed quid faciendum est ipsi mulieri, si propter libidinem vel immunditiam quaeratur? Quidam dicunt, quod si sentit se perfectam, non debet mentiri: quia in ipsius violationem non consentiet, et sic immunis a peccato erit. Si autem sentit se imperfectam, debet veniale peccatum committere potius quam incurrat peccati mortalis periculum. Sed melius dicendum, quod si propositum non consentiendi habet, spem suam in Deo ponere debet, qui non patitur tentari supra posse; et non debet venialiter peccare. Ex hoc enim ipso quod ponitur aliquid debitum vel dignum fieri, aufertur omnis ratio peccati. Et ita omne mendacium non esset peccatum, quod est contra Augustinum. Nec omne mendacium isto praecepto prohiberi videtur. Intelligendum est directe sicut contrarium praecepto. Nec praemissa descriptione mendacium jocosum includi. Verum est, si intelligitur intentio fallendi, secundum quod fallacia est, non tantum in dicente, sed etiam in audiente, quia fallitur, ut dictum est.

 

 

 

Distinctio 39

Distinction 39 – [Le parjure]

Prooemium

Prologue

[13076] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de mendacio; hic determinat de perjurio; et dividitur in duas partes: in prima determinat de perjurio; in secunda de juramento, ibi: si autem quaeritur, utrum jurare sit malum; dicimus aliquando malum esse, aliquando non. Circa primum duo facit: primo definit perjurium; secundo circa definitionem movet quamdam quaestionem, ibi: hic quaeritur, utrum sit perjurium ubi non est mendacium. Circa quod tria facit: primo movet quaestionem, et ponit opinionem ad alteram partem quaestionis; secundo ponit opinionem ad contrariam partem, ibi: quibusdam placet, quibusdam non placet; tertio veritatem determinat, ibi: sed melius creditur. Circa quod duo facit: primo determinat veritatem; secundo circa determinationem movet duas quaestiones: quarum prima incipit ibi: cum vero quis jurat quod verum est, aestimans esse falsum, quaeritur quid sit ibi perjurium; secunda ibi: hic opponitur et cetera. Si autem quaeratur, utrum jurare sit malum; dicimus aliquando malum esse, aliquando non. Hic determinat de juramento; et primo determinat de ipso ex parte jurantis; secundo ex parte juramentum exigentis, ibi: quaeritur etiam, si peccat qui hominem jurare cogit. Circa primum tria facit: primo inquirit, an juramentum sit licitum; secundo determinat de forma juramenti: ibi: quaeritur etiam si liceat jurare per creaturam; tertio determinat de obligatione ipsius, ibi: nunc superest videre, utrum omne juramentum implendum sit. Circa secundum duo facit: primo determinat formam debitam juramenti; secundo inquirit, utrum liceat uti juramento quod habet indebitam formam, ibi: post hoc quaeritur, utrum fide ejus utendum sit qui per Daemonia vel idola juraverit. Circa primum duo facit: primo tangit formam juramenti quod fit per execrationem, ibi: est etiam quoddam genus juramenti gravissimum, quod fit per execrationem. Circa primum duo facit: primo ponit formam juramenti; secundo exponit eam, ibi: hic quaeritur quid sit dicere: per Deum juro. Circa primum duo facit: primo ponit formam juramenti secundum diversa; secundo comparat juramenta secundum diversa facta, ibi: si quaeritur quis magis teneatur; an qui per Deum, an qui per Evangelium, vel per creaturas jurat; dicimus qui per Deum. Nunc superest videre, utrum omne juramentum implendum sit. Hic determinat de obligatione juramenti; et circa hoc tria facit: primo ostendit in quo casu juramentum obliget; secundo utrum incurratur perjurium ex juramento non obligatorio, ibi: qui vero immutat, utrum perjurus debeat dici, solet quaeri. Quaeritur etiam si peccat qui hominem jurare cogit. Hic duo facit: primo inquirit, utrum liceat juramentum exigere; secundo quo tempore ad juramenta convenire debeant, ibi: sancta synodus decrevit et cetera. Hic quaeruntur quinque: 1 quid sit juramentum; 2 an juramentum sit licitum; 3 de obligatione juramenti; 4 quid sit perjurium; 5 utrum omne perjurium, sive juramenti abusio, sit peccatum mortale.

Après avoir déterminé du mensonge, le Maître détermine ici du parjure. Il y a deux parties : dans la première, il détermine du parjure ; dans la seconde, du serment, à cet endroit : « Mais si on se demande si faire serment est mal, nous disons que parfois cela est mal, et parfois non. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il définit le parjure ; deuxièmement, il soulève une question à propos de la définition, à cet endroit : « On se demande ici s’il y a parjure là où il n’y a pas mensonge. » À ce propos, il fait trois choses. Premièrement, il soulève la question et présente une opinion en faveur de l’une des positions. Deuxièmement, il présente une opinion favorable à son contraire, à cet endroit : « Cela est accepté par certains, mais cela n’est pas accepté par d’autres. » Troisièmement, il détermine de la vérité, à cet endroit : « Mais on croit qu’il est mieux… » À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il détermine de la vérité ; deuxièmement, il soulève deux questions à propos de la détermination. La première commence à cet endroit : « Lorsque quelqu’un jure que quelque chose est vrai, alors qu’il estime que cela est faux, on se demande s’il y a là parjure. » La seconde [commence] là : « Ici, on oppose que, etc.… » « Mais si on se demande si jurer est mal, nous disons que parfois cela est mal, et parfois non. » Ici, il détermine du serment. Premièrement, il en détermine du point de vue de celui qui fait serment ; deuxièmement, du point de vue de celui qui exige un serment, à cet endroit : « On se demande aussi si celui qui force quelqu’un à faire serment pèche. » À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il demande si le serment est permis. Deuxièmement, il détermine de la forme du serment, à cet endroit : « On se demande aussi s’il est permis de faire serment par une créature. » Troisièmement, il détermine du caractère obligatoire de celui-ci, à cet endroit : « Il reste maintenant à voir si tout serment doit être accompli. » À propos du deuxième point, il fait deux choses : premièrement, il détermine de la forme appropriée du serment ; deuxièmement, il demande s’il est permis de recourir à un serment qui a une forme inappropriée, à cet endroit : « Après cela, on se demande si l’on doit accorder foi à celui qui a juré par les démons ou par des idoles. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il aborde la forme du serment fait sous forme de malédiction ; deuxièmement, il l’explique, à cet endroit : « On se demande ici ce que veut dire : « ’Je jure par Dieu’. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il présente la forme du serment fait par le nom de diverses choses ; deuxièmement, il compare les serments selon les diverses choses, à cet endroit : « Si l’on se demande lequel à le plus grand caractère obligatoire : celui qui jure par Dieu, par l’évangile ou par des créatures ? Nous disons que [c’est celui qui jure par Dieu]. » « Il reste maintenant à voir si tout serment doit être accompli. » Il détermine ici de l’obligation du serment. À ce propos, il fait trois choses. Premièrement, il montre dans quel cas le serment oblige. Deuxièmement, commet-on un parjure en vertu d’un serment qui n’oblige pas, à cet endroit : « On a coutume de se demander si celui qui modifie [le serment] doit être appelé parjure.» « On se demande aussi si celui qui force quelqu’un à faire serment pèche. » Ici, il fait deux choses. Premièrement, il demande s’il est permis d’exiger un serment ; deuxièmement, à quel moment doit-on convenir par des serments, à cet endroit : « Le saint synode a décrété, etc. » Ici, cinq questions sont posées : 1. Qu’est-ce qu’un serment ? 2. Le serment est-il permis ? 3. À propos de l’obligation du serment. 4. Qu’est-ce que le parjure ? 5. Tout parjure ou abus du serment est-il péché mortel ?

 

 

Articulus 1 [13077] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 1 tit. Utrum jurare sit idem quod Deum in testem invocare

Article 1 – Le serment consiste-t-il à prendre Dieu à témoin ?

[13078] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod jurare non sit idem quod Deum in testem invocare. Aliquando enim, ut in littera dicitur, licitum est per creaturas jurare. Sed tunc non videtur invocari divinum testimonium, sed magis testimonium creaturae. Ergo jurare non est Deum in testem invocare.

1. Il semble que faire serment ne soit pas la même chose que prendre Dieu à témoin. En effet, comme le texte le dit, il est parfois permis de faire serment par des créatures. Or, il ne semble pas qu’on fasse alors appel au témoignage de Dieu, mais plutôt au témoignage d’une créature. Faire serment n’est donc pas prendre Dieu à témoin.

[13079] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, apostolus ad Hebr., dicit quod homines per majorem se jurant: nec hoc solum de Deo intelligitur, sed etiam de hominibus, qui supra nos sunt: quia Joseph per salutem Pharaonis juravit. Ergo jurare non est idem quod Deum in testem invocare.

2. Dans He, l’Apôtre dit que les hommes jurent par quelqu’un de plus grand, et cela ne s’entend pas de Dieu seulement, mais aussi d’hommes qui sont au-dessus de nous, car Joseph a juré par le salut du pharaon. Jurer n’est donc pas la même chose que prendre Dieu à témoin.

[13080] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, non est idem esse judicem et testem. Sed in juramento quod fit per execrationem, Deus videtur invocari ut judex, ut cum dicimus: si hoc feci, ita mihi accidat; qui modus ponitur Job 31. Ergo non omne juramentum fit per invocationem divini testimonii.

3. Être juge et être témoin n’est pas la même chose. Or, dans le serment qui est fait sous forme de malédiction, il semble qu’on fasse appel à Dieu comme juge, comme lorsque nous disons : « Si j’ai fait cela, que telle chose m’arrive ! » Cette manière est présentée dans Jb 31. Tout serment n’est donc pas fait en prenant Dieu à témoin.

[13081] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, accipere testimonium a Deo et ab homine non differt nisi materialiter. Sed ille qui invocat hominem in testem, non dicitur per hominem jurare. Ergo et ille qui invocat Deum in testem, non dicitur per Deum jurare.

4. Accepter le témoignage de Dieu et d’un homme ne diffère que matériellement. Or, on ne dit pas que celui qui prend un homme à témoin jure par un homme. On ne dit donc pas que celui qui prend Dieu à témoin jure par Dieu.

[13082] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, in littera dicitur ex verbis Augustini: jurare est jus veritatis Deo reddere. Sed quicumque verum dicit, etiam si nullum invocet testimonium, jus veritatis Deo reddit. Ergo ad juramentum non exigitur invocatio divini testimonii.

5. Il est dit dans le texte, à partir de paroles d’Augustin : « Jurer, c’est rendre à Dieu le droit qu’Il a à la vérité. » Or, quiconque dit la vérité, même s’il ne prend personne à témoin, rend à Dieu le droit qu’Il a à la vérité. Faire appel au témoignage de Dieu n’est donc pas requis pour le serment.

[13083] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicit Augustinus, et habetur in littera: quid est jurare per Deum, nisi, testis est Deus? Sed ista est communissima forma jurandi. Ergo juramentum est invocatio divini testimonii.

Cependant, [1] Augustin dit en sens contraire, et on trouve cela dans le texte : « Qu’est-ce que jurer par Dieu, si ce n’est prendre Dieu à témoin ? » Or, c’est là la manière la plus commune de faire serment. Le serment consiste donc à faire appel au témoignage de Dieu.

[13084] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, omne illud quod ad confirmandum aliquid assumitur, quodammodo dat ei testimonium. Sed in juramento divina veritas ad confirmationem nostri dicti inducitur. Ergo jurare est Deum testem invocare.

[2] Tout ce qui est pris pour confirmer quelque chose lui rend d’une certane manière témoignage. Or, dans le serment, la vérité divine est invoquée pour confirmer ce que nous disons. Jurer, c’est donc prendre Dieu à témoin.

[13085] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 1 s. c. 3 Praeterea, controversiae non solent nisi testibus terminari. Sed finis omnis controversiae est juramentum, ut dicit apostolus ad Heb. Ergo juramentum videtur esse aliqua invocatio divini testimonii.

[3] Les controverses ne se terminent d’habitude qu’en faisant appel à des témoins. Or, « la fin de toute controverse est le serment », comme le dit l’Apôtre dans He. Le serment semble donc consister à invoquer le témoignage de Dieu.

[13086] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod juramentum proprie fit ad confirmationem eorum quae in dubium veniunt audienti, de quibus loquens vel certitudinem habet, vel dicit se habere; et de illis dubiis quae ex sui natura dubitationem habent, sicut sunt facta contingentia, quae per rationem confirmari non possunt. In aliis enim ridiculum videtur juramentum exhibere. Horum ergo dubiorum certitudo fieri non potest nisi per aliquem cujus scientiae nihil desit, et cujus veritas infallibilis sit. Hoc autem in solo Deo invenitur; et ideo ejus testimonium solum ad hujusmodi confirmationem efficax est. Sed testimonium ejus aut assumitur ad hujus confirmationem quod jam exhibitum est; et hoc non vocatur juramentum, sed magis probatio per auctoritatem; vel invocatur ad exhibendum; et hoc proprie juramentum est. Et ideo aliquod juramentum fit in quo simpliciter divinum testimonium invocatur, ut cum dicitur: testis est mihi Deus: aliquod vero in quo ipsius testis invocati reverentia, qui testimonium credibile facit, proponitur vel in seipso, ut cum dicitur, per Deum, vel vivit dominus; vel in aliquo ejus effectu praecipuo, ut cum juratur per caelum, vel per Evangelium, vel per sanctos. Aliquando vero ipse modus testificationis specificatur, ut cum dicitur: si non est ita, hoc mihi accidat.

Réponse. Au sens propre, le serment est fait pour confirmer ce qui est douteux pour celui qui écoute, à propos de quoi celui qui parle est certain ou dit qu’il l’est ; [il est fait] à propos de ce qui est douteux par sa nature même, comme le sont les faits contingents, qui ne peuvent être confirmés par la raison. En effet, pour les autres choses, il paraît ridicule de recourir au serment. Une certitude à propos de ces choses douteuses ne peut donc être établie que par quelqu’un à qui ne manque rien de la science et dont la vérité est infaillible. Or, cela ne se trouve qu’en Dieu seul. C’est pourquoi seul son témoignage est efficace pour confirmer ces choses. Or, l’on reçoit son témoignage soit pour confirmer ce qui a déjà eu lieu : cela n’est pas appelé un serment, mais plutôt une preuve par voie d’autorité ; soit [son témoignage] est invoqué pour le faire voir : et cela est à proprement parler un serment. Ainsi, il existe un serment par lequel on fait simplement appel au témoignage de Dieu, comme lorsqu’on dit : « Dieu m’est témoin » ; mais un autre, par lequel le respect envers le témoin auquel on fait appel et qui le rend crédible est proposé en lui-même, comme lorsqu’on dit : « Par Dieu ! » ou : « Le Seigneur est vivant ! », ou par un de ses effets principaux, comme lorsqu’on jure par le ciel, par l’évangile ou par les saints. Mais la manière de témoigner est parfois précisée, comme lorsqu’on dit : « S’il n’en est pas ainsi, que ceci m’arrive ! »

[13087] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod cum quis per creaturam jurat, ejus Deum invocat. Hoc autem potest dupliciter fieri. Uno modo per aliquam creaturam, in qua divina magnificentia ostenditur, quae in testimonium inducitur. Alio modo dicitur in illa creatura effectus divinae testificationis exquiri, ut cum dicitur: per caput meum; vel per salutem meam.

1. Lorsque quelqu’un jure par une créature, il fait appel au Dieu de celle-ci. Or, cela peut se faire de deux manières. D’une manière, par une créature, dans laquelle la magnificence divine est manifestée et qui est invoquée comme témoin. D’une autre manière, on dit que l’effet du témoignage de Dieu est recherché dans cette créature, comme lorsqu’on dit : « Sur ma tête ! » ou : « Sur mon salut !»

[13088] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Joseph jurans per salutem Pharaonis, utroque dictorum modorum jurare potuit, vel quasi oppignorans Deo salutem Pharaonis, cui astrictus erat; vel in potestate Pharaonis divinam magnificentiam venerans, et in testimonium inducens.

2. En jurant par le salut du pharaon, Joseph pouvait faire serment des deux manières dites : en confiant [oppignorans ?] à Dieu le salut du pharaon, auquel il avait été lié, ou en vénérant la magnificence divine dans la puissance du pharaon et en l’invoquant comme témoin.

[13089] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod hoc ipso quod Deus judex efficitur, mendacium vindicans, testificatur veritatem vel falsitatem dicentis.

3. Par le fait même que Dieu est fait juge en vengeant le mensonge, il témoigne de la vérité ou de la fausseté de celui qui parle.

[13090] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut veneratio quae fit summae majestati, habet specialem modum et nomen prae aliis venerationibus exhibitis quibuscumque, dicitur enim latria; ita etiam invocatio testimonii infallibilis veritatis habet specialem rationem et nomen testificandi prae aliis testimoniis; et ideo invocare hominem in testem, et similiter servire homini, non est ei latriam exhibere, sicut servire Deo. Ideo tamen licet per creaturam jurare, non autem creaturae latriam exhibere, quia testificatio divina in manifestatione consistit: divina autem nobis per creaturas manifestantur. Sed latria exhibetur ipsi inquantum in se summus est, et ideo non exhibetur sibi in aliqua creatura.

4. De même que la vénération qui est rendue à la majesté suprême comporte une forme spéciale et un nom qui dépassent toutes les autres manifestations de vénération – en effet, elle est appelée latrie ‑, de même l’invocation du témoignage de la vérité infaillible comporte-t-elle un sens particulier et un nom qui dépassent les autres témoignages. Aussi appeler un homme comme témoin et servir un homme, ce n’est pas lui manifester de la latrie, comme servir Dieu. C’est pourquoi il est permis de faire serment par une créature, mais non de rendre un culte de latrie à une créature, parce que le témoignage de Dieu consiste dans une manifestation, mais les réalités divines nous sont manifestées à travers les créatures. Mais le culte de latrie est rendu [à Dieu] en tant qu’il est le plus grand ; il ne lui est donc pas rendu dans une créature.

[13091] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 1 ad 5 Ad ultimum dicendum, quod tunc proprie dicitur aliquis jus veritatis dictae a se Deo reddere, quando in ipsum sicut in primam originem omnis veritatis suum dictum reducit; quod non fit in simplici assertione. Et ideo sciendum, quod juramentum quod fit per creaturas, quodammodo est licitum, et quodammodo illicitum. Si enim aliquis per creaturam juret quasi per primam originem veritatis, illicitum est juramentum, et ad idolatriam pertinet. Si autem juret quis per creaturam ut in qua prima veritas relucet, sic licitum est juramentum.

5. Enfin, on dit que quelqu’un a rendu à Dieu le droit à la vérité de ce qu’il a dit  lorsqu’il ramène à lui ce qu’il dit comme à la première origine de toute vérité, ce qui ne se fait pas par une simple affirmation. Aussi faut-il savoir que le serment qui est fait par des créatures est parfois licite et parfois illicite. En effet, si quelqu’un fait serment par une créature comme par la première origine de la vérité, le serment est défendu et relève de l’idolâtrie. Mais si quelqu’un fait serment par une créature dans laquelle brille la Vérité première, le serment est ainsi permis.

 

 

Articulus 2 [13092] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 2 tit. Utrum juramentum sit de per se appetendis

Article 2 – Le serment porte-t-il sur ce qui doit être désiré par soi ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le serment porte-t-il sur ce qui doit être désiré par soi ?]

[13093] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod juramentum sit de per se appetendis. Sicut enim in littera dicitur, jurare est jus veritatis Deo reddere. Hoc autem est honestissimum, et appetendum. Ergo et juramentum.

1. Il semble que le serment ne porte pas sur ce qui doit être désiré par soi. En effet, comme il est dit dans le texte, « faire serment, c’est rendre à Dieu le droit à la vérité ». Or, cela est très bon et doit être désiré. Donc, le serment aussi.

[13094] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, in littera dicitur ex verbis Augustini: quicumque jurat per aliquid, veneratur illud. Sed venerationem Deo exhibere est appetendum, et frequentandum. Ergo juramentum est hujusmodi.

2. Il est dit dans le texte, à partir d’une parole d’Augustin : « Quiconque jure par quelque chose le vénère. » Or, il est désirable de montrer de manière assidue du respect envers Dieu. Le serment est donc de cette sorte.

[13095] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, omnis actus in quo Deo conformamur, est per se bonus. Sed jurare est hujusmodi: quia in Psal. 109, 4, dicitur: juravit dominus, et non poenitebit eum. Ergo juramentum est per se bonum.

3. Tout acte par lequel nous sommes rendus conformes à Dieu est bon par soi. Or, faire serment est de cette sorte, car, dans le Ps 109, 4, il est dit : Le Seigneur a juré, et il ne se repentira pas. Le serment est donc bon par soi.

[13096] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, nullius per se boni cupiditas vel delectatio prohibetur. Sed, sicut dicit Augustinus, prohibemur jurare cupiditate vel delectatione jurandi. Ergo jurare non est per se bonum.

Cependant, [1] ni la convoitise ni la délectation de rien de ce qui est bon par soi n’est défendu. Or, comme le dit Augustin, il nous est défendu de faire serment par convoitise ou par plaisir de jurer. Faire serment n’est donc pas bon par soi.

[13097] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, cujuslibet per se boni frequentatio est utilis. Sed frequens juratio prohibetur in Eccli. 23, 9: jurationi non assuescat os tuum. Ergo jurare non est bonum.

[2] L’usage assidu de ce qui est bon par soi est utile. Or, le serment fréquent est défendu par Si 23, 9 : N’habitue pas ta bouche au serment. Faire serment n’est donc pas bon.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Est-il permis de faire serment ?]

[13098] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod etiam non sit licitum. Omne enim quod prohibetur, est illicitum. Sed juramentum est prohibitum, Matth. 5, 34: ego autem dico, non jurare omnino; et Jac. ult. 12: ante omnia fratres mei, nolite jurare. Ergo juramentum est illicitum.

1. Il semble qu’il ne soit même pas permis de faire serment. En effet, tout ce qui est interdit est défendu. Or, le serment est interdit. Mt 5, 34 : Mais moi, je dis de ne pas du tout jurer. Et Jc 5, 12 : Avant tout, frères, ne jurez pas. Le serment est donc défendu.

[13099] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, nullius rei voluntas prohibetur, nisi peccati. Sed voluntas jurandi prohibetur, cum dicitur, nolite jurare, ut sancti et magistri dicunt. Ergo jurare est illicitum.

2. La volonté d’aucune chose n’est interdite, sauf du péché. Or, la volonté de jurer est défendue, lorsqu’il est dit : Ne jurez pas, ainsi que le disent les saints et les maîtres. Jurer est donc licite.

[13100] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, in sortibus, et judiciis quae fiunt per ignem et aquam vel per duellum, expectatur divinum testimonium; et propter hoc sunt prohibita, quia in his videtur esse quaedam Dei tentatio. Sed juramentum est invocatio divini testimonii, ut dictum est. Ergo juramentum est illicitum.

3. Dans les tirages au sort et les jugements par le feu, l’eau et le duel, on attend un jugement divin ; pour cette raison, ils sont défendus, car il semble y avoir là une tentation de Dieu. Or, le serment est l’appel au témoignage divin, ainsi qu’on l’a dit. Le serment est donc défendu.

[13101] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod apostolus in multis locis juravit, ut patet Rom. 1, 9: testis est mihi Deus et cetera.

Cependant, [1], en sens contraire, l’Apôtre a juré en beaucoup d’endroits, comme cela ressort de Rm 1, 9 : Dieu m’est témoin, etc.

[13102] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, nullus actus cadens supra debitam materiam est illicitus, si non fiat ibi alterius circumstantiae corruptio. Sed jurare per Deum est actus cadens super debitam materiam. Ergo cum non importetur in hoc alicujus circumstantiae corruptio, videtur quod sit licitum.

[2] Aucun acte qui s’applique à la matière appropriée n’est illicite, s’il n’y a pas là de corruption d’une autre circonstance. Or, jurer par Dieu est un acte qui s’applique à une matière appropriée. Puisque cela n’entraîne pas de corruption d’une circonstance, il semble donc ce soit permis.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La véracité, la justice et le jugement doivent-ils accompagner le serment ?]

[13103] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non requirantur isti tres comites qui in littera ponuntur, ad hoc quod juramentum sit licitum, scilicet veritas, justitia, et judicium. Ubi enim non est veritas, non est justitia, quia veritas justitiae pars est. Sed pars non debet dividi contra totum. Ergo veritas non debet connumerari justitiae.

1. Il semble qu’il ne soit pas nécessaire qu’existent les trois circonstances présentées dans le texte : la véracité, la justice et le jugement, pour que le serment soit licite. En effet, là où la véracité n’existe pas, il n’y a pas de justice, parce que la véracité est une partie de la justice. Or, une partie ne doit pas être opposée au tout. La véracité ne doit donc pas être énumérée avec la justice.

[13104] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, judicium non videtur aliud esse quam executio justitiae. Ergo posita justitia superfluum est ponere judicium.

2. Le jugement ne semble pas être autre chose que l’exécution de la justice. Si l’on met la justice, il est donc superflu de mettre le jugement.

[13105] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, juramentum quod fit sine istis comitibus, est perjurium, ut in littera dicitur. Si ergo judicium est comes juramenti, nunquam licebit jurare extra judicium: quod falsum est.

3. Le serment qui est fait sans être ainsi accompagné est un parjure, comme on le dit dans le texte. Si donc le jugement est le compagnon du serment, il ne sera jamais permis de jurer en dehors d’un procès, ce qui est faux.

[13106] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 4 Praeterea, multa alia requiruntur ad juramentum quam ista tria, sicut debita forma jurandi, debitum tempus statutum, ut scilicet jejuni ad juramentum accedant, et multa hujusmodi. Ergo videtur quod non sint tantum tres comites juramenti.

4. Beaucoup d’autres choses sont nécessaires au serment à part ces trois, tels la forme appropriée du serment, le temps approprié, à savoir, qu’on se présente à jeun pour jurer, et plusieurs autres choses de ce genre. Il semble donc qu’il n’y ait pas seulement trois compagnons du serment.

[13107] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 5 Praeterea, in omnibus factis nostris requiruntur ista tria. Ergo non magis debent poni comites juramenti quam aliorum nostrorum operum.

5. Ces trois choses sont nécessaires dans tout ce que nous faisons. Elles ne doivent donc pas être davantage présentées comme accompagnant le serment que nos autres actes.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[13108] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod sicut in confirmatione, quae fit per rationes, duo sunt, scilicet medium probans et id quod probatur; ita etiam in confirmatione juramenti est dictum humanum quasi probandum, et divinum testimonium quasi medium probans. Medium autem secundum artem syllogisticam debet esse ex eodem genere; unde in necessariis sumuntur necessaria, et in contingentibus contingentia. Veritas autem humanorum verborum est minimae firmitatis, tum ex hoc quod error facile rationi accidit, tum ex hoc quod lingua prona est ad defectum; et ideo divinam veritatem, quae est omnino infallibilis, ad dicta nostra confirmanda assumere non multum convenit, nisi necessitas incumbat. Et ideo juramentum non est computandum inter ea quae sunt per se appetenda, sed inter ea quae propter necessitatem fiunt, sicut sunt bona utilia, ut sectio vulneris, vel aliquid hujusmodi.

De mème que, dans la confirmation qui est réalisée par des arguments, il existe deux choses : le moyen par lequel on prouve et ce qui est prouvé, de même, dans la confirmation par le serment, une parole humaine est pour ainsi dire prouvée, et le témoignage divin est pour ainsi dire le moyen qui prouve. Or, selon l’art du syllogisme, le moyen doit appartenir au même genre. Ainsi, pour les choses nécessaires, on prend des choses nécessaires, et pour les choses contingentes, [on prend] des choses contingentes. Or, la véracité des paroles humaines est ce qui possède le moins de fermeté parce qu’il arrive souvent à la raison de se tromper et aussi parce que la langue est encline au manquement. C’est pourquoi il ne convient pas beaucoup de recourir à la Vérité divine, qui est entièrement infaillible, pour confirmer ce que nous disons, à moins que la nécessité ne l’impose. Aussi le serment ne doit-il pas être compté parmi les choses qui doivent être désirées, mais parmi les choses qui sont accomplies par nécessité, comme le sont les biens utiles : ainsi, l’amputation d’une blessure ou quelque chose de ce genre.

[13109] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod supposito quod jurandum sit, justum est quod per Deum juretur, quia in hoc vis originalis omnis veritatis verbi recognoscitur; non tamen oportet quod jurare simpliciter sit per se justum et bonum.

1. À supposer qu’il faille jurer, il est juste qu’on jure par Dieu, car la puissance originelle de toute la vérité de la parole est ainsi reconnue. Il n’est cependant pas nécessaire que jurer soit juste et bon par soi.

[13110] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod veneratio divina consistit in ipso juramento quasi medio assumpto: sed applicatio ejus ad materiam in qua de facili est defectus, non est omnino conveniens.

2. La vénération de Dieu consiste dans le serment lui-même comme moyen choisi ; mais son application à une matière où il y a facilement un manquement n’est pas en tout approprié.

[13111] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in juramento divino medium assumitur ex eodem genere: quia sicut Deus est immutabilis, ita etiam in dicto suo falsitas esse non potest; et propter hoc juramentum ejus est per se bonum: nec est simile de nostro juramento.

3. Dans le serment divin, le moyen [de démonstration] est tiré du même genre, car de même que Dieu est immuable, de même aussi ne peut-il pas y avoir de fausseté dans sa parole. Pour cette raison, son serment est bon par soi. Mais il n’en va pas de même de notre serment.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[13112] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod aliquid potest habere indecentiam dupliciter; vel per se, vel ex eo quod sequitur. Quod autem ex se indecentiam habet, nullo modo potest licitum esse, quantumcumque necessitas incumbat; sicut patet in stupro, et in aliis quae sunt mala ex genere. Quod autem habet indecentiam propter periculum sequens, duo requirit ad hoc quod convenienter fiat. Unum est cautela sufficienter cavens illud periculum: aliud est utilitas consequens: sicut patet in sectione vulneris. Si enim per eam sanitas reddatur, et talis cautela adhibeatur quod membra cetera non laedantur, convenienter fit. Juramentum autem inconvenientiam quamdam videtur habere, ut dictum est, propter defectibilitatem humanorum verborum, ad quae assumitur veritas immutabilis. Si autem humana verba essent hoc modo defectibilia quod semper necesse esset ea deficere, omnino juramentum de se indecentiam haberet, et nulla necessitate liceret jurare. Sed quia verba humana non semper deficiunt, sed aliquando veritatem habent; ideo diligenti cautela adhibita, ut defectus evitetur, licet jurare propter aliquam necessitatem.

Quelque chose peut être inapproprié de deux manières : par soi ou par ce qui en découle. Ce qui est inapproprié par soi ne peut d’aucune manière être permis, quelle qu’en soit la nécessité, comme cela ressort pour l’attentat à la pudeur et pour les autres choses qui sont mauvaises par leur genre. Mais ce qui est inapproprié à cause d’un danger qui en découle exige deux choses pour être accompli de manière convenable : l’une est le soin suffisant mis à éviter ce danger ; l’autre est l’utilité qui en découle, comme cela ressort clairement pour l’amputation : en effet, si la santé est rendue par elle et qu’on a pris soin que les autres membres ne soient pas endommagés, elle est faite de manière convenable. Or, comme on l’a dit, le serment semble comporter une inconvenance en raison de la défaillanace possible des paroles humaines pour lesquelles on fait appel à la Vérité immuable. Mais si les paroles humaines étaient à ce point déficientes qu’il serait toujours nécessaire qu’elles soient déficientes, le serment comporterait toujours et totalement une inconvenance et il ne serait permis de faire serment pour aucune nécessité. Mais parce que les paroles humaines ne sont pas toujours déficientes, mais comportent parfois de la vérité, à supposer qu’on ait pris un soin consciencieux pour que la défaillance soit évitée, il est permis de faire serment en raison d’une nécessité.

[13113] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod juramentum omnino non est prohibitum neque per Christum, neque per apostolum ejus: sed est prohibita facilitas jurandi propter periculum, ut scilicet quis non ex quacumque causa juret, nec juramentum affectet tamquam per se bonum.

1. Le serment n’a été complètement défendu ni par le Christ, ni par son apôtre ; mais la facilité avec laquelle on ferait serment a été défendue en raison du danger que l’on fasse serment pour n’importe quelle raison et que l’on aime le serment comme quelque chose de bon par soi.

[13114] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod voluntas absoluta est per se boni; sed ejus quod est bonum tantum propter imminentem necessitatem, non est voluntas absoluta, sed ex suppositione. In his ergo quae sunt per se mala, utraque voluntas prohibetur; in his vero quae sunt per se bona, neutra: in his vero quae sunt bona propter necessitatem aliquam, prohibetur prima voluntas, et non secunda; et hoc modo prohibetur voluntas jurandi.

2. La volonté absolue porte sur un bien par soi ; mais [la volonté] qui porte sur ce qui est bon seulement en raison d’une nécessité urgente n’est pas une volonté absolue, mais [une volonté] qui suppose quelque chose. Pour ce qui est mal par soi, les deux volontés sont interdites ; mais pour ce qui est bien par soi, aucune [n’est interdite] ; pour ce qui est bien en raison d’une nécessité, la première volonté est interdite, mais non la seconde. C’est de cette façon que la volonté de faire serment est interdite.

[13115] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in praedictis factis ubi expectamus divinum judicium vel testimonium, praefigit homo quasi terminum et modum Deo testimonium reddendi; et ideo est quaedam Dei tentatio: sed in juramento non fit ita, et ideo non est simile.

3. Pour les faits mentionnés, où nous attendons un jugement ou un témoignage de Dieu, l’homme détermine à l’avance un terme et une manière pour Dieu de rendre témoignage. C’est pourquoi il s’agit d’une tentation de Dieu. Mais, pour le serment, on n’agit pas ainsi. Ce n’est donc pas la même chose.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[13116] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod ad hoc quod juramentum sit rectum, tria requiruntur. Unum ex parte ipsius rei de qua juratur; et sic requiritur veritas per quam dictum rei adaequatur, alias dictum non esset confirmatione dignum. Aliud requiritur ex parte causae pro qua juratur; et sic requiritur justitia, alias non esset debita necessitas. Tertium requiritur ex parte jurantis; et sic requiritur ut cum discretione juret, alias non adhiberetur debita cautela; et sic est judicium.

Pour que le serment soit correct, trois choses sont nécessaires. L’une, du côté de la chose elle-même à propos de laquelle on jure. La vérité est ainsi requise, par laquelle la parole est adéquate par rapport à la chose, autrement la parole ne serait pas digne d’être confirmée. La deuxième chose est requise du côté de la cause pour laquelle on fait serment. La justice est ainsi requise, autrement, il n’y aurait pas de nécessité appropriée. La troisième est requise du côté de celui qui fait serment. Il est ainsi requis qu’il jure avec discernement, autrement il ne prendrait pas le soin approprié. On a ainsi le jugement.

[13117] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod veritas non accipitur hic secundum quod est pars justitiae, sed secundum quod est adaequatio vocis ad rem.

1. La vérité n’est pas prise ici au sens où elle est une partie de la justice, mais selon qu’elle est l’adéquation de la parole à la réalité.

[13118] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod judicium non accipitur hic quod est unius in ordine ad alterum, quod est executio justitiae; sed quod est alicujus ad seipsum in hoc quod discutit quid facere debeat, et quid accidere possit.

2. Il ne s’agit pas ici du jugement que l’un exerce sur un autre, ce qui est l’exécution de la justice, mais du un rapport à soi-même où l’on évalue ce qu’on doit faire et ce qui peut arriver.

[13119] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 3 Et per hoc patet solutio ad tertium.

3. La réponse au troisième argument ressort ainsi clairement.

[13120] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in judicio, quod est discretio jurantis, includitur debita forma et eventus et tempus et omnia quae ex parte jurantis consideranda occurrunt.

4. Dans le jugement, qui est le discernemenet de celui qui jure, sont inclus la forme appropriée, l’événement, le temps et tout ce qui doit être envisagé de la part de celui qui jure.

[13121] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod propter periculum quod in juramento imminet, prae aliis nostris actibus, praecipue juramento isti comites adhibentur.

5. En raison du danger qui menace dans le serment, plus que dans nos autres actions, ces compagnons sont surtout donnés pour le serment.

 

 

Articulus 3 [13122] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 3 tit. Utrum juramentum incautum sit obligatorium

Article 4 – Un serment imprudent est-il obligatoire ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Un serment imprudent est-il obligatoire ?]

[13123] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod juramentum incautum sit obligatorium. Juramentum enim incautum dicitur quod vergit in exitum malum vel minus bonum. Sed tale fuit juramentum quod Josue Gabaonitis exhibuit, quod contra praeceptum Dei fuit, quo praeceperat ne cum gentibus foedus inirent; et tamen observavit illud juramentum, reputans se obligatum. Ergo juramentum incautum est obligatorium.

1. Il semble qu’un serment imprudent soit obligatoire. En effet, on dit qu’un serment est imprudent lorsqu’il penche vers une issue mauvaise ou moins bonne. Or, tel fut le serment que Josué fit aux Gabaonites : il allait à l’encontre d’un commandement de Dieu, par lequel celui-ci avait ordonné de ne pas contracter d’alliance avec des païens ; cependant, il observa ce serment en estimant qu’il y était obligé. Le serment imprudent est donc obligatoire.

[13124] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, esto quod aliquis juret nunquam se intraturum religionem: illud juramentum incautum reputatur; et tamen videtur quod sit obligatorium, quia sine peccato potest religionem non ingredi: si autem intret, perjurium incurrit. Quilibet autem obligatur ad hoc ut bonum illud dimittat quod sine peccato fieri non potest. Ergo juramentum incautum videtur obligatorium.

2. À supposer que quelqu’un fait serment de ne pas entrer en religion, ce serment est considéré comme imprudent. Cependant, il semble qu’il soit obligatoire, car il peut ne pas entrer en religion sans péché ; mais s’il y entre, il commet un parjure. Or, tous sont obligés d’écarter le bien qui ne peut être fait sans péché. Le serment imprudent semble donc obligatoire.

[13125] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, si aliquis juret se nunquam praelationem recipere, hoc juramentum similiter reputatur incautum, eo quod impeditur utilitas communis; et tamen, ut videtur, obligat ad sui observationem: quia si etiam non jurasset, laudabile est ut praelationem quis fugiat. Ergo juramentum incautum est obligatorium.

3. Si quelqu’un fait serment de ne jamais recevoir de fonction élevée, ce serment est également jugé imprudent, du fait que l’utilité commune est empêchée. Cependant, il semble que son observance soit obligatoire, car, s’il n’avait pas juré, il serait louable que quelqu’un fuie une fonction élevée. Le serment imprudent est donc obligatoire.

[13126] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, sicut Bernardus dicit, quod pro caritate institutum est, contra caritatem non militat. Sed juramentum pro caritate institutum est. Cum ergo per juramentum incautum caritas impugnetur, quia est de aliquo malo faciendo, vel de aliquo bono omittendo, videtur quod tale juramentum non sit obligatorium.

Cependant, [1] comme le dit Bernard, « ce qui a été établi en vue de la charité ne combat pas la charité ». Or, le serment a été institué en vue de la charité. Comme la charité est combattue par un serment imprudent, puisqu’il porte sur l’accomplissement de ce qui est mal ou sur l’omission de ce qui est bien, il semble donc qu’un tel serment ne soit pas obligatoire.

[13127] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, nihil attingit propriam virtutem nisi quando perfectum est, ut dicitur 7 Phys. Sed virtus juramenti est obligare. Cum ergo juramentum perficiatur tribus comitibus, videtur quod juramentum, ubi tres comites non occurrunt, non sit obligatorium. Sed in omni juramento incauto deest justitia, si illicitum sit quod juratur, vel judicium, si per hoc aliquod bonum impediatur. Ergo juramentum incautum non est obligatorium.

[2] Rien ne parvient à sa puissance propre que lorsqu’il est parfait, comme on le dit dans Physique, VII. Or, la puissance du serment consiste à obliger. Puisque le serment atteint sa perfection par ses trois compagnons, il semble donc que le serment, lorsqu’il ne comporte pas les trois compagnons, n’est pas obligatoire. Or, en tout serment imprudent, la justice fait défaut, si ce qui est juré est défendu, ou le jugement, si un bien est empêché par lui. Le serment imprudent n’est donc pas obligatoire.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le serment forcé est-il obligatoire ?]

[13128] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod juramentum coactum non sit obligatorium. Nullus enim potest ad aliquod speciale obligari, nisi seipsum obliget. Sed nullus dicitur aliquid facere nisi quod volens facit. Cum ergo juramentum coactum voluntatem jurantis excludat, videtur quod tale juramentum non sit obligatorium.

1. Il semble que le serment forcé ne soit pas obligatoire. En effet, personne ne peut être obligé à quelque chose en particulier à moins de s’obliger soi-même. Or, on ne dit de personne qu’il fait quelque chose s’il ne le fait pas volontairement. Puisque le serment forcé exclut la volonté de celui qui fait serment, il semble donc qu’un tel serment ne soit pas obligatoire.

[13129] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, major est obligatio matrimonii quam juramenti: quia si aliquis juravit se nunquam matrimonium initurum, et postea matrimonium consummaverit, tenetur in matrimonio perseverare. Sed coactio contractum impedit matrimonium. Ergo etiam impedit obligationem juramenti.

2. L’obligation du mariage est plus grande que celle du serment, car, si quelqu’un a fait serment de ne jamais contracter mariage et consomme par la suite un mariage, il est tenu de persévérer dans le mariage. Or, le caractère forcé est un empêchement du mariage. Il empêche donc aussi l’obligation du serment.

[13130] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, juramentum non obligat nisi in hac necessitate ut peccatum evitetur. Sed coactio excludit reatum peccati; unde Lucia dixit: si invitam me violare feceris, castitas mihi duplicabitur ad coronam. Ergo etiam obligationem juramenti tollit.

3. Le serment n’oblige qu’en vertu de la nécessité d’éviter le péché. Or, le caractère forcé exclut la culpabilité du péché ; ainsi Lucie a-t-elle dit : « Si tu me fais violer malgré moi, la chasteté comptera pour moi deux fois pour la couronne. » Il enlève donc aussi l’obligation du serment.

[13131] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est auctoritas Augustini, qui respondit ex consilio b. Ambrosii cuidam, qui coactus juraverat quamdam ducere uxorem, quod matrimonium teneret. Ergo videtur quod coactum juramentum sit obligatorium.

Cependant, [1] une autorité d’Augustin s’oppose à cela : sur le conseil du bienheureux Ambroise, il répond à quelqu’un qui avait juré sous la contrainte de prendre une épouse, que le mariage tenait. Il semble donc que le serment forcé soit obligatoire.

[13132] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, juramentum cui non deest aliquis suorum comitum, est obligatorium. Sed coactio non tollit aliquem comitem juramenti. Ergo non aufert obligationem a juramento.

[2] Le serment auquel aucun de ses compagnons ne fait défaut est obligatoire. Or, la contrainte n’enlève aucun des compagnons du serment. Elle n’enlève donc pas l’obligation du serment.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Le serment oblige-t-il selon l’intention de celui qui le reçoit ?]

[13133] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod juramentum non obliget secundum intentionem recipientis. Nullus enim debet ad ignotum obligari. Sed intentio juramentum recipientis est mihi ignota. Ergo juramentum meum non obligat me secundum intentionem illius.

1. Il semble que le serment n’oblige pas selon l’intention de celui qui le reçoit. En effet, personne ne doit être obligé à ce qui est ignoré. Or, l’intention de celui qui reçoit le serment m’est inconnue. Mon serment ne m’oblige donc pas selon l’intention de celui-ci.

[13134] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, juramentum exhibetur ad confirmationem sermonis jurantis. Sed intentio jurantis propinquior est sermoni suo quam intentio alterius. Ergo magis obligat secundum intentionem jurantis quam recipientis.

2. Le serment est fait pour confirmer la parole de celui qui fait serment. Or, l’intention de celui qui jure est plus rapprochée de sa parole que l’intention d’un autre. Il oblige donc davantage selon l’intention de celui qui fait serment que de celui qui le reçoit.

[13135] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 3 Praeterea, ad obligationem juramenti voluntas jurantis requiritur, qui seipsum obligat. Sed si desit ei intentio obligandi se secundum intentionem recipientis, non est ibi voluntas obligationis. Ergo juramentum illud non erit obligatorium secundum intentionem recipientis.

3. Pour le caractère obligatoire du serment, est nécessaire la volonté de celui qui fait serment, qui s’oblige lui-même. Or, s’il lui manque l’intention de s’obliger selon l’intention de celui qui le reçoit, il n’y a pas là de volonté de s’obliger. Ce serment ne sera donc pas obligatoire selon l’intention de celui qui le reçoit.

[13136] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, juramentum institutum est ut per ipsum fiat fides de sermonibus jurantis recipienti. Sed hoc non esset nisi secundum suum intellectum juramentum accipiendum esset. Ergo juramentum obligat secundum intentionem recipientis.

Cependant, [1] le serment a été établi afin que, par lui, celui qui le reçoit prête foi aux paroles de celui qui fait serment. Or, ce ne serait pas le cas, si le serment ne devait être interprété dans le sens où il l’entendait. Le serment oblige donc selon l’intention de celui qui le reçoit.

[13137] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, fraus et dolus nemini debet patrocinari. Hoc autem accideret, si aliquis dolose jurans secundum suam intentionem tantum obligaretur. Ergo obligatur secundum intentionem recipientis.

[2] La fraude et la tromperie ne doivent excuser personne. Or, tel serait le cas si quelqu’un, en faisant serment par tromperie, était obligé seulement selon son intention. Il est donc obligé selon l’intention de celui qui reçoit [le serment].

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[13138] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod duplex est juramentum: unum assertorium, et aliud promissorium. Promissorium juramentum est de eo quod in futurum a jurante faciendum expectatur vel per se vel per alium. Assertorium vero est quod fit ad confirmationem veritatis et praesentis et praeteritae, si etiam causa non simus. In juramento ergo assertorio est una tantum obligatio, scilicet qua quis obligatur ad peccatum, si veritas suo juramento desit. In juramento autem promissorio est duplex obligatio. Una qua quis obligatur ad faciendum hoc quod juramento promisit; alia qua obligatur ad peccatum, si non fecerit. His ergo visis, sciendum, quod sicut non omnis assertio est digna ut juramento firmetur, ita nec omnis promissio, sed illa tantum quae utilitatem aliquam continet: unde si promissio quae est de aliquo quod salutem impediat, sive sit contrarium saluti, sive viae perfectae in salutem, juramento firmetur, ex hoc ipso juramentum efficitur indebitum, quasi actus cadens super indebitam materiam: unde obligat secunda obligatione quae est ad peccatum, nec remanet ei virtus obligandi prima obligatione ad faciendum. Prima enim obligatio est ad vitandum secundam obligationem: unde juramentum quod de necessitate ad peccatum obligat, ipso facto ab alia obligatione vacuatur.

Il existe un double serment : affirmatif et promissoire. Le serment promissoire porte sur ce qu’on s’attend à ce que celui qui jure  accomplisse dans l’avenir par lui-même ou par un autre. Mais le serment affirmatif est celui qui est fait pour confirmer la vérité tant présente que passée, si nous n’en sommes pas la cause. Dans le serment affirmatif, il existe donc une seule obligation : celle par laquelle quelqu’un est obligé au péché, si la vérité fait défaut à son serment. Mais, dans le serment promissoire, il y a une double obligation. L’une, par laquelle quelqu’un est obligé de faire ce qu’il a promis par serment ; l’autre, par laquelle il est obligé au péché, s’il ne le fait pas. Après avoir vu cela, il faut savoir que, de même que toute affirmation n’est pas digne d’être confirmée par un serment, de même non plus toute promesse ne l’est pas, mais celle-là seulement qui comporte une certaine utilité. Si la promesse qui porte sur quelque chose qui empêche le salut, que ce soit contraire au salut ou à la voie parfaite vers le salut, est confirmée par un serment, le serment est par le fait même rendu non obligatoire, en tant qu’acte qui s’applique à une matière non obligatoire. Aussi oblige-t-il selon la seconde obligation, qui est celle du péché, et il ne lui reste aucune capacité d’obliger à le faire selon la première obligation. En effet, la première obligation a comme but d’éviter la seconde obligation ; aussi le serment qui oblige nécessairement au péché est-il par le fait même vidé de l’autre obligation.

[13139] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod juramentum Josue non erat de eo quod secundum se esset illicitum, sed de eo quod factum erat illicitum, quia prohibitum: unde in hoc sufficiebat intentionem servare prohibentis. Et ideo, ut dicit Ambrosius in Lib. de Offic., mulctavit eos meliori morte, scilicet obsequio mysterii divini, ut esset clementior sententia: et sic quodammodo occisi sunt servilitate, quae est mors interpretativa secundum leges.

1. Le serment de Josué ne portait pas sur quelque chose qui était en soi illicite, mais sur ce qui avait été accompli de manière illicite parce que cela était défendu. Aussi suffisait-il qu’y soit respectée l’intention de celui qui interdisait. C’est pourquoi, comme le dit Ambroise dans le livre Sur les fonctions, il les punit d’une mort meilleure, au service du mystère divin, afin que la sentence soit plus clémente. Ainsi ont-ils été tués d’une certaine manière par l’esclavage, qui signifie la mort selon les lois.

[13140] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ipso facto quo quis jurat se religionem non intraturum, perjurus est. Quamvis enim liceat sibi religionem non intrare, non tamen licet obicem spiritui sancto ponere; et ideo non oportet ut ad cavendum crimen perjurii, quod jam vitari non potest, religionis ingressum omittat.

2. Par le fait même que quelqu’un jure qu’il n’entrera pas en religion, il est parjure. En effet, bien qu’il lui soit permis de ne pas entrer en religion, il n’est cependant pas permis de mettre un obstacle à l’Esprit saint. Il n’est donc pas nécessaire que, pour éviter le crime du parjure qu’il ne peut déjà pas éviter, il omette d’entrer en religion.

[13141] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis praelationem fugere possit quandoque ex bono procedere, tamen pertinaciter resistere, semper malum est, sicut patet in Glossa Gregorii Hierem. 1 qui hoc probat exemplo Hieremiae et Moysi, qui cum primo recusassent praelationis officium, ad ultimum humiliter obedierunt. Unde hujusmodi juramentum incautum reputatur: quia, quantum in se est, providentiae divinae praejudicat, et obedientiam ad superiores excludit, quibus in hoc obedire tenetur.

3. Bien que fuir une fonction élevée puisse parfois procéder de quelque chose de bien, résister de manière entêtée est toujours mauvais, comme cela ressort de la glose de Grégoire sur Jr 1, qui démontre cela par l’exemple de Jérémie et de Moïse, qui, après avoir d’abord refusé une fonction élevée, ont finalement obéi avec humilité. Aussi ce serment est-il estimé imprudent, car, en lui-même, il préjuge de la providence divine et exclut l’obéissance aux supérieurs, auxquels on est tenu d’obéir en cette matière.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[13142] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod coactio in juramento assertorio non potest esse sufficiens, quia nihil potest sufficienter cogere ad hoc quod homo mortaliter peccet; quod contingit, si falsum cum juramento asserat; unde tale juramentum quantumcumque coactum, est obligatorium ad peccatum. In juramento autem promissorio sciendum, quod coactio potest esse sufficienter cogens ad promittendum: quia ut majus periculum evitetur, potest aliquis aliquid promittere sibi damnosum; quod sine peccato contingere potest: et tunc talis coactio, si sit sufficiens quae in constantem virum cadere possit, tollit obligationem juramenti in foro contentioso: quia ei qui vim intulit, non competit actio ex obligatione illius juramenti. Sed in foro conscientiae est obligatorium: quia magis debet homo subire temporale damnum quam fidem frangere. Habet tamen remedium ut in judicio ab eo repetat. Quod si juraverit se non repetiturum, potest judici denuntiare, qui ex officio suo debet raptorem ad restituendum cogere. Si autem juraverit se non denuntiaturum, contra correptionem fraternam juravit, et non tenetur observare.

La contrainte ne peut être suffisante dans le serment affirmatif, parce que rien ne peut forcer suffisamment un homme à pécher mortellement, ce qui est le cas s’il affirme une fausseté par serment. Un tel serment, aussi contraint soit-il, oblige donc au péché. Mais, pour le serment promissoire, il faut savoir que la contrainte peut être suffisamment contraignante pour promettre, car, pour éviter un plus grand mal, quelqu’un peut promettre quelque chose qui lui est dommageable, ce qui peut se produire sans péché. Si la contrainte est suffisante pour faire tomber un homme constant, elle enlève donc l’obligation du serment devant un tribunal, car l’action ne relève pas de l’obligation de ce serment pour celui qui a exercé la force. Mais, au for de la conscience, il est obligatoire, car un homme doit plutôt subir un tort temporel que rompre la foi [donnée]. Il possède cependant le remède de poursuivre en justice. S’il a juré de ne pas poursuivre, il peut [le] dénoncer au juge, qui, en vertu de sa fonction, doit forcer le ravisseur à restituer. Mais s’il a juré de ne pas dénoncer, il a juré à l’encontre de la correction fraternelle, et il n’est pas tenu de l’observer.

[13143] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod coactio non potest facere in tali casu violentum absolute, sed violentum mixtum: quia oportet ut qui jurat, membra moveat ad loquendum, et sua voluntate: tale autem violentum, ut dicit philosophus in 3 Ethic., quamvis simpliciter sit involuntarium, tamen hic et nunc est voluntarium: quia ad vitandum majus malum vult minus damnum subire.

1. Dans un tel cas, une violence absolue ne peut contraindre, mais une violence mixte, car il faut que celui qui jure bouge des membres pour parler, et par sa volonté. Comme le dit le Philosophe dans Éthique, III, une telle violence, bien qu’elle soit tout simplement involontaire, est cependant volontaire ici et maintenant, car, pour éviter un plus grand mal, on veut subir un moindre tort.

[13144] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod coactio tollit obligationem matrimonii, quia non solum requirit consensum, sed etiam consensum liberum: quod non est in obligatione juramenti.

2. La contrainte enlève l’obligation du mariage, car celui-ci ne requiert pas seulement le consentement, mais aussi le libre consentement, ce qui n’est pas le cas de l’obligation du serment.

[13145] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Lucia loquitur de violento simpliciter, in quo patiens nihil confert agenti. Tale autem violentum non potest esse in tali casu.

3. Lucie parle de la pure violence, dans laquelle celui qui subit n’apporte rien à celui qui agit. Mais une telle violence ne peut exister dans un tel cas.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[13146] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod juramentum promissorium, ut dictum est, obligat hac necessitate ut culpa evitetur: unde obligat ad omne illud faciendum quo non facto culpa incurritur. Distinguendum est ergo in eo qui jurat; aut enim simpliciter, aut dolose jurat. Si jurat dolose, ex duabus partibus potest culpa sequi: scilicet ex fractione juramenti, et ex dolo. Quamvis ergo ex ipsa ratione juramenti, inquantum juramentum, non obligetur ad servandum ipsum nisi secundum suam intentionem; tamen ex necessitate juramenti, inquantum fuit dolosum, obligatur ad observandum taliter quod ex dolo alius non laedatur: et hoc est quando secundum intentionem recipientis implet juramentum. Si autem simpliciter juret absque dolo, tunc in foro conscientiae non obligatur nisi secundum suam intentionem; sed in foro contentioso, ubi intentio ignoratur, obligatur secundum quod verba communiter accipi solent.

Comme on l’a dit, le serment promissoire oblige par la nécessité qu’une faute soit évitée. Aussi oblige-t-il à faire tout ce sans quoi une faute est encourue. Il faut donc faire une distinction chez celui qui jure : soit il jure tout simplement, soit il jure par tromperie. S’il jure par tromperie, une faute peut en découler sous deuxaspects : par la rupture du serment et par la tromperie. Bien que, selon la raison même du serment, il ne soit obligé de le respecter que selon son intention, il est cependant obligé, selon la nécessité du serment qui était trompeur, de l’observer de manière que l’autre ne soit pas lésé par la tromperie. Cela se produit lorsqu’il accomplit le serment selon l’intention de celui qui le reçoit. Mais s’il jure simplement sans tromperie, il n’est alors obligé au for de la conscience que selon son intention ; mais au for de la justice, où l’intention est ignorée, il est obligé au sens où les paroles sont généralement comprises. 

[13147] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 3 qc. 3 ad arg. Et per hoc patet solutio ad objecta.

La réponse aux objections ressort ainsi clairement.

Articulus 4 [13148] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 4 tit. Utrum perjurium sit mendacium juramento firmatum.

Article 4 – Le parjure est-il un mensonge confirmé par un serment ?

 [13149] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod perjurium non sit mendacium juramento firmatum. Omne enim mendacium est falsa vocis significatio, ut in praecedenti dist. dictum est. Sed perjurium potest esse sine falsa vocis significatione: quia, sicut in littera dicitur, qui jurat verum quod putat esse falsum, perjurus est. Ergo non omne perjurium est mendacium juramento confirmatum.

1. Il semble que le parjure ne soit pas un mensonge confirmé par un serment. En effet, tout mensonge est une fausse signification d’une parole, comme on l’a dit dans la distinction précédente. Or, le parjure peut exister sans une fausse signification d’une parole, car, ainsi qu’on le dit dans le texte, celui qui jure une vérité qu’il croit être fausse est parjure. Tout parjure n’est donc pas un mensonge confirmé par un serment.

[13150] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, perjurium quandoque incurritur in juramentis quae de futuris contingentibus fiunt. Sed in futuris contingentibus non est veritas vel falsitas determinata, ut probat philosophus; et sic perjurium potest esse sine falsa vocis significatione, et sine mendacio.

2. Le parjure est parfois encouru par les serments qui portent sur des futurs contingents. Or, pour les futurs contingents, il n’existe pas de vérité ou de fausseté déterminée, comme le montre le Philosophe. Ainsi, le parjure peut exister sans la fausse signification d’une parole et sans mensonge.

[13151] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, in littera dicitur, quod qui falsum jurat, quod credit esse verum, perjurus est. Sed talis non mentitur. Ergo perjurium potest esse sine mendacio.

3. Il est dit dans le texte que celui qui jure une fausseté qu’il croit être vraie est parjure. Or, celui-là ne ment pas. Le parjure peut donc exister sans le mensonge.

[13152] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, Hieronymus dicit, quod juramentum quod tres comites non habet, est perjurium. Sed defectus justitiae vel judicii non facit mendacium, sed solum defectus veritatis. Ergo non omne perjurium est mendacium.

4. Jérôme dit que le serment qui n’a pas ses trois compagnons est un parjure. Or, le manque de justice ou de jugement ne fait pas un mensonge, mais seulement un manque de vérité. Tout parjure n’est donc pas un mensonge.

[13153] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 4 arg. 5 Praeterea, perjurium nihil aliud est, ut videtur, quam perversum juramentum. Sed juramentum pervertitur non mendacio tantum, sed etiam per falsam formam jurandi, sicut qui jurat per idola. Ergo perjurium potest esse sine mendacio.

5. Le parjure n’est rien d’autre, semble-t-il, qu’un mauvais serment. Or, le serment est rendu mauvais non seulement par le mensonge, mais aussi par la fausse forme du serment, comme celui qui jure par des idoles. Le parjure peut donc exister sans mensonge.

[13154] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 4 s. c. 1 In contrarium est definitio quae in littera ponitur.

Cependant, [1] la définition qui est donnée dans le texte va en sens contraire.

[13155] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, juramentum est ad confirmationem veritatis. Sed mendacium veritati opponitur. Ergo perjurium, quod est perversitas juramenti, est mendacium.

[2] Le serment est destiné à la confirmation de la vérité. Or, le mensonge s’oppose à la vérité. Le parjure, qui est un vice du serment, est donc un mensonge.

[13156] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 4 s. c. 3 Praeterea, jurare est jus veritatis Deo reddere. Sed quicumque sine mendacio jurat, jus veritatis Deo reddit. Ergo sine mendacio est juramentum, et non perjurium.

[3] Faire serment, c’est rendre à Dieu le droit à la vérité. Or, quiconque jure sans mensonge rend à Dieu le droit à la vérité. Le serment existe donc sans mensonge, mais non le parjure.

[13157] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod quaelibet res denominatur a suo complemento: et nomen quod sumitur a defectu alicujus rei, proprie denominat defectum qui accidit circa complementum alicujus rei. Juramentum autem in confirmatione veritatis completur, sicut syllogismus in confirmatione conclusionis. Unde sicut dicitur insyllogizatum esse, quando conclusio non sequitur ex praemissis, non autem quando aliqua praemissarum est falsa manente forma debita; ita etiam perjurium, quod defectum juramenti nominat, significat defectum qui accidit in re quae juramento confirmanda erat. Defectus autem confirmationi veritatis contrarius, est mendacium; et ideo perjurium, proprie loquendo, nominat defectum mendacii in juramento.

Réponse. Toute chose est désignée selon son état achevé, et le nom qui est tiré de la carence d’une chose désigne à proprement parler la carence qui affecte l’achèvement d’une chose. Or, le serment est achevé par la confirmation de la vérité, comme le syllogisme, par la confirmation de la conclusion. De même donc qu’on dit qu’il n’y a pas de syllogisme lorsque la conclusion ne découle pas des prémisses, mais non lorsque l’une des prémisses est fausse, alors que la forme appropriée demeure, de même aussi le parjure, qui désigne une carence du serment, signifie-t-il une carence qui survient dans la chose qui avait été confirmée par serment. Or, la carence contraire à la confirmation de la vérité est le mensonge. C’est pourquoi le parjure, à proprement parler, désigne la carence du mensonge dans un serment.

[13158] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis assertio illius qui dicit verum, putans esse falsum, non sit mendacium absolute, est tamen mendacium in comparatione ad dicentem, unde et ipse mentiri dicitur; unde et in hoc perjurio est aliquo modo mendacium.

1. Bien que l’affirmation de celui qui dit vrai, en pensant que cela est faux, ne soit pas un mensonge au sens absolu, elle est cependant un mensonge par rapport à celui qui l’exprime. Aussi dit-on qu’il ment. Dans ce parjure, il y a donc un mensonge d’une certaine manière.

[13159] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod futurum non potest habere veritatem determinatam nisi in sua causa quae determinatur ad effectum illum. Causa autem contingentium quae per nos fiunt, est nostra voluntas; quae quidem determinatur ad effectum per propositum fixum de aliquo faciendo; et tale propositum significat se habere qui jurat se aliquid facturum; unde ex hoc ipso quod jurat illud ad quod fixum propositum non habet, mendacium incurrit, et perjurium.

2. Le futur ne peut avoir de vérité déterminée que dans sa cause qui est déterminée par cet effet. Or, la cause des contingents qui sont réalisés par nous est notre volonté, laquelle est déterminée à un effet par l’intention arrêtée de faire quelque chose, et celui qui jure de faire quelque chose signifie qu’il a une telle intention. Par le fait même qu’il jure quelque chose dont il n’a pas l’intention arrêtée, il encourt donc un mensonge, et aussi un parjure.

[13160] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod juramentum non est exhibendum nisi de eo de quo quis certitudinem habet; unde quicumque jurat aliquid, significat se de hoc certum esse. De falso autem certitudo esse non potest; unde qui jurat falsum quod putat esse verum, ex ipso modo assertionis quodammodo mendacium incurrit, quamvis assertum ipsum secundum se non sit mendacium.

3. Le serment ne doit être fait que de ce dont quelqu’un a la certitude. Aussi quiconque jure quelque chose signifie qu’il est certain de cela. Or, il ne peut y avoir de certitude de ce qui est faux. Aussi celui qui jure une fausseté qu’il croit être vraie encourt-il d’une certaine manière un mensonge par le fait même de son affirmation, bien que ce qui est affirmé ne soit pas un mensonge par soi.

 [13161] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod juramentum promissorium, in quo deest justitia vel judicium, aliquo modo continet mendacium quantum ad id quod fieri debet: quia unusquisque tenetur abstinere ab eo quod est illicitum, et bonis et perfectionibus non contra niti; unde ex hoc quod jurat aliquid illicitum, obligatus remanet quodammodo ad mentiendum.

4. Le serment promissoire, dans lequel la justice ou le jugement fait défaut, contient d’une certaine manière un mensonge quant à ce qui doit être fait, car chacun est tenu de s’abstenir de ce qui est défendu et de ne pas déployer d’efforts contre des biens ou des perfections. Du fait donc qu’il jure quelque chose de défendu, il reste obligé de mentir d’une certaine manière.

[13162] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod non omnis perversitas juramenti facit perjurium, sed illa tantum quae est in ejus complemento, ut dictum est.

5. Ce n’est pas toute méchanceté du serment qui fait le parjure, mais seulement celle qui se situe dans son achèvement, comme on l’a dit.

 

 

Articulus 5 [13163] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 5 tit. Utrum omne perjurium sit peccatum mortale

Article ‑ Tout parjure est-il un péché mortel ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Tout parjure est-il un péché mortel ?]

[13164] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod non omne perjurium sit peccatum mortale. Sicut enim contingit mentiri jocose, ita et perjurare. Sed mendacium jocosum non est peccatum mortale. Ergo nec perjurium.

1. Il semble que ce ne soit pas tout parjure qui soit un péché mortel. En effet, de même qu’il arrive de mentir par jeu, de même aussi de faire serment. Or, le mensonge par jeu n’est pas un péché mortel. Donc, ni le parjure.

[13165] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 2 Praeterea, contingit quod propter consuetudinem jurandi aliquis ex lapsu linguae falsum jurat; et esset grave dicere, quod talis mortaliter peccaret. Ergo non omne perjurium est mortale peccatum.

2. Il arrive qu’en raison de l’habitude de jurer, quelqu’un jure quelque chose de faux par un lapsus, et il serait grave de dire qu’il aurait péché mortellement. Tout parjure n’est donc pas un péché mortel.

[13166] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 3 Praeterea, sicut jurare falsum, ita etiam jurare sine causa prohibetur praecepto secundo Decalogi: non assumes nomen Dei tui in vanum. Sed jurare sine causa non semper est peccatum mortale. Ergo nec jurare falsum: ergo ut prius.

3. De même que jurer une fausseté, de même jurer sans raison est-il défendu par le deuxième commandement du décalogue : Tu ne prendras pas le nom de Dieu en vain. Or, jurer sans raison n’est pas toujours un péché mortel. Donc, ni jurer une fausseté. La conclusion est donc la même que précédemment.

[13167] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 5 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Augustinus in quodam sermone dicit, quod falsa juratio perniciosa est. Sed nihil dicitur esse perniciosum nisi peccatum mortale. Ergo perjurium est peccatum mortale.

Cependant, [1] Augustin dit dans un sermon que le faux serment est pernicieux. Or, rien n’est appelé pernicieux que le péché mortel. Le parjure est donc un péché mortel.

[13168] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 5 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, omne quod est contrarium praecepto legis, est peccatum mortale. Sed perjurium directe contrariatur huic praecepto: non assumes nomen Dei tui in vanum. Ergo et cetera.

[2] Tout ce qui est contraire à un commandement de la loi est un péché mortel. Or, le parjure contrarie directement ce commandement : Tu ne prendras pas le nom de Dieu en vain. Donc, etc.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Est-il permis de recevoir ou d’exiger un serment ?]

[13169] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non liceat juramentum recipere vel exigere. Nam super illud Roman. 1, 9: testis est mihi Deus, dicit Glossa: tu non facis malum qui bene uteris juratione, ut alteri suadeas quod utile est; sed a malo est, supple illius qui recipit juramentum. Ergo recipiens juramentum peccat.

1. Il semble qu’il ne soit pas permis de recevoir ou d’exiger un serment, car, à propos de Rm 1, 9 : Dieu m’est témoin, la Glose dit : « Tu n’agis pas mal en utilisant bien le serment afin de persuader un autre de ce qui est utile ; mais cela est mal – en ajoutant :  pour celui qui reçoit le serment. » Celui qui reçoit un serment pèche donc.

[13170] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 2 Praeterea, ille qui exigit ab aliquo juramentum, vel scit eum jurare verum, vel scit eum jurare falsum, vel nescit an falsum an verum juret. Si scit eum jurare verum, videtur peccare, quia pro nihilo facit eum jurare. Si scit eum juraturum falsum, homicida illius est, ut in littera dicitur. Si autem nesciat alterutrum, de hoc dicit Augustinus super illud Rom. 1: testis est mihi Deus: non audeo dicere hoc non esse peccatum, sed humana tentatio est. Ergo exigere juramentum quolibet modo peccatum est.

2. Celui qui exige un serment de quelqu’un ou bien sait qu’il jure quelque chose de vrai, ou bien sait qu’il jure quelque chose de faux, ou ne sait pas s’il jure quelque chose de faux ou de vrai. S’il sait qu’il jure quelque chose de vrai, il semble pécher, car il le fait jurer pour rien. S’il sait qu’il va jurer quelque chose de faux, il le tue, comme dit le texte. Mais s’il ne sait ni l’un ni l’autre, Augustin dit à ce sujet, en commentant Rm 1 : Dieu m’est témoin : « Je n’ose dire que cela n’est pas un péché, mais une tentation humaine. » Exiger un serment est donc de toutes les façons un péché.

[13171] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 3 Praeterea, Rom. 1, dicitur, quod qui consentiunt male facientibus, digni sunt morte. Sed qui jurat per idola, peccat mortaliter: qui autem ab eo juramentum recipit, videtur ei consentire. Ergo ad minus recipiens tale juramentum, peccat.

3. En Rm 1, il est dit que ceux qui donnent leur accord à ceux qui agissent mal sont dignes de mort. Or, celui qui jure par des idoles pèche mortellement ; mais celui qui reçoit de lui un serment semble lui donner son accord. Celui qui reçoit un tel serment semble donc tout au moins pécher.

[13172] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 5 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod legitur Gen. 31, de Jacob, qui recepit juramentum Laban, qui scilicet per deos suos juravit: nec est dicendum quod peccaverit.

Cependant, [1] en Gn 31, on lit, à propos de Jacob, qu’il a reçu le serment de Laban, qui avait juré par ses propres dieux. Et on ne doit  pas dire qu’il a péché.

[13173] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 5 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, sine quo non potest ordo judiciarius observari, non videtur esse peccatum. Sed ordo judiciarius in multis casibus sine receptione juramenti observari non posset. Ergo recipere juramentum non est peccatum.

[2] Ce sans quoi la procédure judiciaire ne peut être observée ne semble pas être un péché. Or, dans beaucoup de cas, la procédure judiciaire ne pourrait pas être observée sans la réception d’un serment. Recevoir un serment n’est donc pas un péché.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[13174] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 5 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod juramentum est duplex. Quoddam in quo aliquis percipit se jurare; et tunc si falsum jurat, credo quod semper peccet mortaliter, sive sit juramentum solemne, sive non solemne; et praecipue quando percipit esse falsum quod jurat. Quoddam vero juramentum est in quo homo non attendit ad juramentum, et quasi non percipit se jurare, sed ex lapsu linguae in juramentum prolabitur; et quia tunc quasi nesciens jurat, et nesciens non reputatur voluntarius, ideo in tali casu videtur quis non voluntarie jurare. Unde si sit falsum hoc de quo jurat, sive percipiat esse falsum, sive non, dummodo non sit mendacium perniciosum, non dico quod sit peccatum mortale, sed veniale; valde tamen cavendum propter vicinitatem ad mortale.

Il existe un double serment. L’un, par lequel quelqu’un perçoit qu’il jure. S’il jure alors faussement, je crois qu’il pèche toujours mortellement, qu’il s’agisse d’un serment solennel ou d’un serment non solennel, et surtout lorsqu’il perçoit que ce qu’il jure est faux. Mais il existe un serment par lequel l’homme n’a pas l’intention de jurer et pour ainsi dire ne perçoit pas qu’il jure, mais par lequel il fait un lapsus. Et parce qu’il jure alors sans pour ainsi dire le savoir, et que celui qui ne sait pas n’est pas estimé volontaire, il semble que, dans un tel cas, il ne jure pas volontairement. Si ce qu’il jure est faux, qu’il le perçoive comme faux ou non, pourvu que ce ne soit pas un mensonge pernicieux, je ne dis pas qu’il s’agit d’un péché mortel, mais véniel. Toutefois, il faut l’éviter avec soin en raison de sa proximité par rapport au péché mortel.

[13175] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 5 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non est simile de mendacio et perjurio: quia juramentum non est nisi cum magna cautela adhibendum, ut dictum est, et propter utilitatem aliquam; unde si jocose aliquis perjurat, non excusabitur.

1. Il n’en va pas de même du mensonge et du parjure, car le serment ne doit être prêté qu’avec un grand soin, comme on l’a dit, et en vue d’une certaine utilité. Aussi si quelqu’un jure par jeu, il ne sera pas excusé [de péché].

[13176] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 5 qc. 1 ad 2 Ad secundum patet solutio ex dictis.

2. La réponse ressort clairement de ce qui a été dit.

[13177] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 5 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod jurare sine causa non directe opponitur illi praecepto, sed indirecte. Directe autem opponitur ei jurare falsum; quia hoc est quod confirmari non potest, unde vana est juratio. Unde non oportet quod jurare sine causa semper sit mortale peccatum, sicut jurare falsum.

3. Jurer sans raison ne s’oppose pas directement à ce commandement, mais indirectement. Mais jurer faussement s’y oppose, car c’est cela qui ne peut être confirmé ; aussi le serment est-il vain. Il n’est donc pas nécessaire que jurer sans raison soit toujours un péché mortel, comme jurer faussement.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[13178] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 5 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod sicut jurare non semper malum est, sed quandoque est licitum, quando pro necessitate aliqua et cum cautela juratur; ita etiam juramentum recipere vel exigere ex causa necessaria, et aliis debitis circumstantiis observatis, potest esse sine peccato.

De même que jurer n’est pas toujours un mal mais est parfois permis, lorsqu’on jure par nécessité et avec soin, de même aussi recevoir ou exiger un serment pour une raison nécessaire et en observant les autres circonstances appropriées peut être accompli sans péché.

[13179] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non intelligitur ibi malum culpae, sed malum poenae, quod est ex ignorantia illius qui juramentum recipit: si enim sciret an esset verum hoc pro quo juratur, juramento opus non esset.

1. On n’entend pas là le mal de faute, mais le mal de peine, qui vient de l’ignorance de celui qui reçoit le serment. En effet, s’il savait qu’était vrai ce pour quoi on fait serment, un serment ne serait pas nécessaire.

 [13180] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quando aliquis scit vel probabiliter credit quod aliquis pejerabit, non licet ei juramentum exigere, nisi forte sit in loco judicii: quia juramentum in judiciis non tantum exhibetur propter judicem, sed propter alios; unde non est in potestate ejus juramentum remittere, quod secundum ordinem juris exhibendum esset. Similiter si sciat eum juraturum verum, potest licite juramentum exigere non pro se, sed pro aliis qui hoc nesciunt. Si autem dubitet, dubitatio ex tanta suspicione procedere potest, quod cum peccato erit. Et ideo Augustinus non audet dicere quod sit sine peccato; non tamen dicit quod semper sit peccatum.

2. Lorsque quelqu’un sait ou croit de manière probable que quelqu’un se parjurera, il n’est pas permis d’en exiger un serment, sauf peut-être lors d’un jugement, car le serment lors des jugements n’est pas prêté seulement pour le juge, mais pour les autres. Aussi n’est-il au pouvoir [du juge] de dispenser du serment qui devrait être prêté selon l’ordre du droit. De même, si [le juge]  sait qu’il jurera ce qui est vrai, il peut légitimement exiger un serment, non pas pour lui-même, mais pour les autres qui ne le savent pas. Mais s’il doute, le doute peut aller de l’avant en soupçonnant fortement que ce sera un péché. C’est pourquoi Augustin n’ose pas dire que cela est sans péché ; il ne dit cependant pas que cela est toujours un péché.

[13181] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ille qui jurat per idola, peccat quidem quantum ad formam juramenti, sed non quantum ad assertionem veri, vel promissionem alicujus quod redundat in bonum commune; et quantum ad hoc potest ei consentiri sine peccato, sed non quantum ad primum; et ideo juramento ejus uti possumus quandoque sine peccato.

3. Celui qui jure par des idoles pèche quant à la forme du serment, mais non quant à l’affirmation de ce qui est vrai ou à la promesse de quelque chose qui rejaillira sur le bien commun. De ce point de vue, on peut lui donner son consentement sans péché, mais non sur le premier point. C’est pourquoi nous pouvons parfois utiliser son serment sans péché.

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 39

[13182] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 5 qc. 2 expos. Nunc de perjurio videamus. Videtur quod tractatum istum ponere debuerit in expositione secundi praecepti. Sed dicendum, quod perjurium ad sui cognitionem praesupponit e perjurio tractavit. Infirmis ergo illud prohibuit. Propter duo pericula. Primo ne aliquod numen creaturis inesse crederent. Secundo ne tali juramento se obligari non credentes, fidem frangerent. Qui vero per Evangelium, majus quiddam fecisse videtur. Hoc ideo contingit, quia in solemni juratione, ubi major deliberatio adhibetur, tali forma in jurando utimur. Sancta synodus decrevit et cetera. Ratio institutionis fuit, quia ad juramentum requiritur summa cautela, quae exigit sobrietatem. Excipiuntur tamen casus illi in quibus mora protraheret periculum, sicut est pro pace facienda.

 

 

 

Distinctio 40

Distinction 40 – [Les commandemenets se rapportant à la convoitise du cœur]

Prooemium

Prologue

[13183] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de praeceptis Decalogi quae respiciunt opus exterius et locutionem, hic ponit duo ultima praecepta quae respiciunt concupiscentiam cordis; et circa hoc tria facit: primo enumerat ipsa praecepta; secundo movet quaestiones circa ea, ibi: sed videtur praeceptum de non concupiscendis rebus proximi unum cum eo esse quo dicitur: non furaberis; tertio recapitulat quod dixerat, et continuat se ad sequentia, ibi: audistis decem chordas Psalterii. Circa secundam partem movet duas quaestiones: prima est de differentia horum praeceptorum ad alia praecepta Decalogi; secunda est de differentia totius veteris legis ad novam, quae ex solutione primae quaestionis ortum habet; et hoc ponit ibi: sed cum hic prohibeatur concupiscentia alienae uxoris, et alienae rei; quare dicitur lex comprimere manum, et non animum? Et circa hoc tria facit: primo movet quaestionem, et eam solvit; secundo movet quaestionem de effectu litterae veteris legis, ibi: si vero quaeritur quam vocat apostolus litteram occidentem, ea certe est Decalogus; tertio breviter colligit differentiam inter litteram Evangelii et litteram legis, ibi: distat autem Evangelii littera a legis littera, quia diversa sunt promissa. Hic quaeruntur quatuor: 1 de assignatione istorum praeceptorum; 2 utrum verum sit quod lex Moysi tantum manum cohibuerit; 3 utrum eadem lex justificaret vel occideret; 4 utrum aeterna promitteret vel terrena.

Après avoir déterminé des commandements qui portent sur l’action extérieure et la parole, le maître présente ici les deux derniers commandements qui portent sur la convoitise du cœur. À ce propos, il fait trois choses. Premièrement, il énumère ces commandements. Deuxièmement, il soulève des questions à leur sujet, à cet endroit : « Mais il semble que le commandement de ne pas convoiter les biens du prochain ne fasse qu’un avec celui qui dit : ‘Tu ne voleras pas’. » Troisièmement, il résume ce qu’il avait dit et il poursuit, à cet endroit : « Vous avez entendu les dix cordes du psaltérion. » À propos de la deuxième partie, il soulève deux questions : la première porte sur la différence entre ces commandements et les autres commandements du décalogue ; la seconde porte sur la différence de toute la loi ancienne par rapport à la loi nouvelle, qui tire son origine de la réponse à la première question ; il présente cela à cet endroit : « Mais puisque la convoitise de l’épouse et du bien d’un autre est défendue ici, pourquoi dit-on que la loi contraint la main, mais non l’âme ? » À ce propos, il fait trois choses. Premièrement, il soulève une question et la résout. Deuxièmement, il soulève une question sur l’effet de la loi ancienne, à cet endroit : « Mais si l’on demande de quelle lettre l’Apôtre dit qu’elle tue, il s’agit à coup sûr du décalogue. » Troisièmement, il résume brièvement la différence entre la lettre de l’évangile et la lettre de la loi, à cet endroit : « La lettre de l’évangile est éloignée de la lettre de la loi, car ce qui est promis est différent. », Ici, quatre questions sont posées : 1. Sur la distribution de ces commandements. 2. Est-il vrai que la loi de Moïse ne contraint que la main ? 3. La même loi justifierait-elle ou tuerait-elle ? 4. Promettrait-elle des réalités éternelles ou terrestres ?

 

 

Articulus 1 [13184] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 1 tit. Utrum duo praecepta de concupiscentia convenienter assignentur

Article 1 – Est-ce que les deux commandements sur la convoitise sont distribués de manière appropriée ?

[13197] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod lex Mosaica non solum manum, sed etiam animum cohibere debeat. Ejusdem enim est animum ordinare ad virtutem, et cohibere a peccato. Sed lex Mosaica ordinat animum ad virtutem, ut patet Deut. 6, 5: diliges dominum Deum tuum ex toto corde tuo. Ergo et ipsa etiam cohibet animum a peccato.

1. Il semble que la loi mosaïque ne doive pas contraindre seulement la main, mais aussi l’âme. En effet, il revient au même d’ordonner l’âme à la vertu et de réprimer le péché. Or, la loi mosaïque ordonne l’âme à la vertu, comme cela ressort de Dt 6, 5 : Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur. Elle empêche donc aussi l’âme de pécher.

[13198] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, concupiscentia in anima est. Sed lex vetus cohibet a concupiscentia, ut patet in his duobus praeceptis. Ergo cohibet animum a peccato.

2. La convoitise se situe dans l’âme. Or, la loi ancienne réprime la convoitise, comme cela ressort de ces deux commandements. Elle empêche donc l’âme de pécher.

[13199] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 2 arg. 3 Si dicatur, quod non cohibeat ab omni concupiscentia; contra. Sub his duobus praeceptis, ut dictum est, omnis concupiscentia prohibetur. Sed haec duo praecepta in veteri lege edita sunt. Ergo totaliter animum a peccato cohibebat.

3. Si l’on dit qu’elle réprime toute convoitise, on objectera que, par ces deux commandements, ainsi qu’on l’a dit, toute convoitise est interdite. Or, ces deux commandements ont été formulés dans la loi ancienne. Elle empêchait donc entièrement l’âme de pécher.

[13200] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 2 arg. 4 Si dicas, quod hoc intelligitur quo ad caeremonialia; contra. Caeremonialia enim legis non praecipiebant ab aliquo peccato abstinere, sed potius quid in figuram esset faciendum. Ergo non magis manum quam animum cohibebant.

4. Si l’on dit qu’il faut l’entendre seulement des aspects cérémoniels, on objectera que les aspects cérémoniels de la loi ne commandaient pas de s’abstenir de pécher, mais plutôt d’accomplir quelque chose qui avait valeur de figure. Ils ne contraignaient donc pas davantage la main que l’âme.

[13201] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, lex Moysi perfectior erat quam lex civilis. Sed lex civilis non tantum cohibet manum, sed etiam animum; alias ad virtutem non induceret, quae principaliter in animo consistit. Ergo lex Mosaica non tantum cohibet manum, sed animum.

5. La loi de Moïse était plus parfaite que la loi civile. Or, la loi civile ne contraint pas seulement la main, mais aussi l’âme, autrement, elle n’inciterait pas à la vertu, qui se trouve principalement dans l’âme. La loi mosaïque ne contraint donc pas seulement la main, mais aussi l’âme.

[13202] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, lex nova est perfectior quam lex vetus. Sed nihil potest esse perfectius quam cohibitio animi et manus. Ergo in lege veteri non cohibebatur utrumque.

Cependant, [1] la loi nouvelle est plus parfaite que la loi ancienne. Or, rien ne peut être plus parfait que contraindre l’âme et la main. Les deux n’étaient donc pas contraintes dans la loi ancienne.

[13203] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Matth. 5, dominus supra praecepta legis, quae ad factum exterius pertinent, sicut de homicidio, facit additionem de interiori actu peccati, sicut de ira: quod non esset, si lex vetus animum cohiberet. Ergo lex vetus animum non cohibebat.

[2] En Mt 5, le Seigneur ajoute aux commandements de la loi, qui concernent l’action extérieure, comme l’homicide, l’acte intérieur du péché, comme la colère ; ce qui ne serait pas le cas si la loi ancienne contraignait l’âme. La loi ancienne ne contraignait donc pas l’âme.

 [13204] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 2 s. c. 3 Praeterea, nihil cohibet animum nisi gratia. Sed vetus lex gratiam non conferebat. Ergo animum non cohibebat.

[3] Rien ne contraint l’âme sinon la grâce. Or, la loi ancienne ne conférait pas la grâce. Elle ne contraignait donc pas l’âme.

[13205] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod coactio legis, secundum philosophum in fine Ethic., ad hoc necessaria est, ut illi qui persuasionibus ad bonum non inclinantur, per poenas cogantur: unde cohibitio legis se extendit quantum poena inflicta per legem. Sicut autem lex vetus infirmis animis non nisi terrena promittebat, ita etiam pro peccatis temporalem poenam infligebat, oculum pro oculo, dentem pro dente. Poenae autem temporales pro peccatis animi infligi non possunt nisi quatenus in actum exteriorem prorumpunt; alias enim ab homine de eis judicari non potest; et ideo lex vetus manum et non animum cohibere dicebatur. Lex autem nova aeterna promittit et comminatur in praemium et poenam; aeterna autem poena ab illo judice infligitur qui est cordis scrutator; et ideo non solum manum, sed etiam animum cohibet: quod patet in hoc praecepto: non occides, pro cujus transgressione lex vetus hominem occidebat: sed pro ira interiori lex nova poenam aeternam comminatur: qui enim irascitur fratri suo, reus erit Concilio; Matth. 5, 22.

Réponse. Selon le Philosophe, à la fin de l’Éthique, la force de la loi était nécessaire afin que ceux qui n’étaient pas inclinés au bien par la persuasion, y soient forcés par des peines. Aussi la force de la loi s’étend-elle autant que la peine infligée par la loi. Or, de même que la loi ancienne ne promettait aux âmes malades que des biens terrestres, de même aussi infligeait-elle une peine temporelle pour les péchés : œil pour œil, dent pour dent. Mais les peines temporelles ne peuvent être infligées pour les péchés de l’âme que dans la mesure où ils passent à un acte extérieur, autrement, l’homme ne pourrait en juger. C’est pourquoi on dit que la loi ancienne contraignait la main, et non l’âme. Mais la loi nouvelle promet et menace de réalités éternelles comme récompense et comme peine. Or, la peine éternelle est infligée par le juge qui scrute les cœurs. C’est pourquoi elle ne contraint pas seulement la main, mais aussi l’âme, ce qui ressort dans ce commandement : Tu ne tueras pas. Pour sa transgression, la loi ancienne tuait l’homme ; mais, pour la colère intérieure, la loi nouvelle menace d’une peine éternelle : Celui qui se met en colère contre son frère sera coupable devant l’assemblée, Mt 5, 22.

[13206] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod lex praeceptis affirmativis et negativis animum ordinabat ad virtutem, et a vitio retrahebat: non tamen contra transgressores hujusmodi praeceptorum poenam aliquam ordinare poterat, secundum quam cohibere vel cogere dicitur; et ideo non sequitur quod animum cohiberet.

1. La loi ordonnait l’âme à la vertu et l’éloignait du vice par des commandements affirmatifs et négatifs ; mais elle ne pouvait cependant pas ordonner une peine, par laquelle on dit qu’elle contraint ou force, contre ceux qui transgressaient de tels commandements. C’est pourquoi il n’en  découle pas qu’elle contraignait l’âme.

[13207] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 2 ad 2 Et per hoc patet solutio ad secundum.

2. La réponse au deuxième argument ressort ainsi clairement.

[13208] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod omnem concupiscentiam quantum ad genus suum lex prohibebat; non tamen ab omni cohibebat per poenas, sed solum ab ea quae prorumpebat in actum.

3. La loi interdisait toute convoitise quant à son genre ; elle n’empêchait cependant pas toute [convoitise] par des peines, mais seulement celle qui passait à l’acte.

[13209] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod caeremonialia praecepta indicebant sacrificia pro certis peccatis, non autem ita pro peccatis cordis sicut pro peccatis operis; et ita caeremonialia magis manum quam animum cohibebant.

4. Les commandements cérémoniels imposaient des sacrifices pour certains péchés, mais non pour les péchés du cœur, comme pour les péchés par action. Ainsi contraignaient-ils plutôt la main que l’âme.

[13210] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod lex civilis quamvis intendat per cohibitionem poenarum ad virtutes inducere, non tamen cogit per poenas animum, sed solum manum.

5. Bien que la loi civile vise à inciter aux vertus par la contrainte de peines, elle ne force cependant l’âme par des peines, mais seulement la main.

 

 

Articulus 3 [13211] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 3 tit. Utrum lex vetus justificabat

Article 3 – La loi ancienne justifiait-elle ?

[13212] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod lex vetus justificabat et non occidebat. Matth. 19, 17: si vis ad vitam ingredi, serva mandata; et loquitur de mandatis Decalogi, sicut ibidem patet. Sed nullus ad vitam ingreditur nisi justificatus. Ergo lex vetus justificabat.

1. Il semble que la loi ancienne justifiait et ne tuait pas. Mt 19, 17 : Si tu veux entrer dans la vie, observe les commandements ; [Jésus] parle des commandements du décalogue. Or, personne n’entre dans la vie à moins d’être justifié. La loi ancienne justifiait donc.

[13213] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, lex est justitiae quaedam doctrina: quia est ars aequi et boni. Ergo non potest justificare nisi docendo justitiam. Sed lex vetus justitiam docebat: nam, concupiscentiam nesciebam esse peccatum, nisi lex diceret, non concupisces; Roman. 7, 7. Ergo lex vetus justificabat.

2. La loi est un enseignement de la justice, car elle est l’art de ce qui est juste et bon. Elle ne peut donc justifier qu’en enseignant la justice. Or, la loi ancienne enseignait la justice, car je ne savais que la convoitise est un péché que si la loi disait : « Tu ne convoiteras pas », Rm 7, 7. La loi ancienne justifiait donc.

[13214] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, omne quod removet dispositiones et causas mortis, non occidit, sed justificat. Lex vetus hoc faciebat, peccatum prohibendo. Ergo et cetera.

3. Tout ce qui enlève les dispositions et les causes de la mort ne tue pas mais justifie. La loi ancienne faisait cela en interdisant le péché. Donc, etc.

[13215] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, in naturis ita contingit, quod unumquodque ut fit frequenter, ita natum est fieri, ut dicitur in 2 Phys. Si ergo lex vetus occidebat ut frequenter, tunc ad hoc nata erat. Sed omne quod naturam habet ordinatam ad occisionem, est malum. Ergo lex vetus fuisset mala; quod falsum est.

4. Dans les natures, il arrive que ce que chaque chose devient fréquemment, elle est naturellement disposée à le devenir, ainsi qu’il est dit dans Physique, II. Si donc la loi ancienne tuait fréquemment, elle y serait donc naturellement disposée. Or, tout ce qui a une nature disposée à tuer est mauvais. La loi ancienne aurait donc été mauvaise, ce qui est faux.

[13216] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, mors non sequebatur ex veteri lege, nisi per occasionem. Sed etiam ex lege nova sequitur mors per occasionem; 2 Cor. 2, 16: aliis sumus odor mortis in mortem. Sed propter hoc lex nova non dicitur occidens. Ergo nec lex vetus occidens, sed justificans, debet dici.

5. La mort ne découlait de la loi ancienne que par mode d’occasion. Or, la mort découle aussi de la loi nouvelle par mode d’occasion, 2 Co 2, 16 : Nous sommes pour eux odeur de mort pour la mort. Or, on ne dit pas que la loi nouvelle tue à cause de cela. On ne doit donc pas dire que la loi ancienne tue, mais justifie.

[13217] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, 2 Corinth. 3, 6: littera occidit, spiritus autem vivificat; et loquitur de littera veteris legis. Ergo lex vetus non justificabat.

Cependant, [1] en sens contraire, 2 Co 3, 6 dit : La lettre tue, mais l’Esprit vivifie, et il parle de la lettre de la loi ancienne. La loi ancienne ne justifiait donc pas.

[13218] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, Rom. 10, 5, justitiam quae ex lege est, qui fecerit homo, vivit in ea. Glossa: qui operibus legis justificatur, temporalem habet mercedem, non apud Deum. Sed vera justitia est quae habet mercedem apud Deum. Ergo lex vetus non justificabat.

[2] Rm 10, 5 : L’homme qui aura accompli la justice qui vient de la loi vit par elle. Glose : « Celui qui est justifié par les œuvres de la loi obtient une récompense temporelle, mais non auprès de Dieu. » Or, la véritable justice est celle qui obtient une récompense auprès de Dieu. La loi ancienne ne justifiait donc pas.

[13219] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 3 s. c. 3 Praeterea, qui justificatur ex operibus, non justificatur gratis. Sed justificatio legis non potest esse nisi per opera. Cum ergo vera justificatio sit gratis, ut patet Rom. 3, videtur quod lex non justificaret.

[3] Celui qui est justifié par les œuvres n’est pas justifié gratuitement. Or, la justification de la loi ne peut se réaliser que par les œuvres. Puisque la véritable justification est gratuite, comme cela ressort de Rm 3, il semble donc que la loi ne justifierait pas.

[13220] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod lex quodammodo justificabat, et quodammodo occidebat. Ad cujus intellectum sciendum est, quod justificare dupliciter hic potest accipi. Uno modo justitiam facere; alio modo justitiam docere. Justitia autem est duplex: quaedam acquisita; quaedam infusa. Justitia acquisita ex operibus causatur; et per hunc modum lex civilis homines justos facit, inquantum per exercitium operum, habitum justitiae in observatoribus causat; et per hunc modum etiam lex Mosaica justificare poterat, justitiam acquisitam causando. Sed de hac justitia nihil ad praesens. Justitia autem infusa a solo Deo effective est; unde lex per opera eam inducere non potest: sed per legem novam talis inducitur justitia, quia per sacramenta ejus gratia confertur, quae justificat formaliter. Sacramenta vero veteris legis gratiam non conferebant, ut in 4 Lib. dicetur; et ideo lex vetus nullo modo justificabat quasi justitiam causans, sed quasi justitiam docens: quia in observatione mandatorum ejus, forma justitiae consistit. Occidere autem legis littera dicitur et quantum ad moralia, et quantum ad caeremonialia; sed differenter. Quia quantum ad caeremonialia, per se loquendo; tempore enim gratiae revelatae coeperunt esse mortifera. Sed quantum ad moralia non, nisi accidentaliter, inquantum ex ipsa lege peccatum prohibente, et auxilium gratiae contra ipsum non ferente, infirmus periculum mortis sumebat tripliciter. Primo, quia ex hoc ipso quod peccati commemorationem faciebat ei in quo concupiscentia peccati extincta non erat, magis in ipsum exardescebat, sicut cum aqua ostenditur sitienti. Secundo, quia ex hoc ipso quod prohibebatur, ponebatur quasi in quodam alto et difficili ad habendum; et ideo mens humana peccato subjecta, vehementius in illud tendebat, sicut scriptum est Prov. 9, 17: aquae furtivae dulciores sunt. Tertio, quia lex prohibens, peccati specialem reatum addebat, inquantum non solum naturalem legem transgrediebatur, sed etiam legis scriptae praevaricator erat.

Réponse. La loi justifiait d’une certaine manière et elle tuait d’une certaine manière. Pour le comprendre, il faut savoir que « justifier » peut s’entendre ici de deux manières : d’une manière, accomplir la justice ; d’une autre manière, enseigner la justice. Or, la justice est double : l’une acquise ; l’autre, infuse. La justice acquise est causée par les oeuvres ; de cette manière, la loi civile rend les hommes justes, dans la mesure où, par la pratique des œuvres, elle cause chez ceux qui l’observent l’habitus de la justice. De cette manière aussi, la loi mosaïque pouvait justifier, en causant une justice acquise. On ne parle toutefois pas de cette justice pour le moment. Mais la justice infuse est effectivement donnée par Dieu seul. La loi ne peut donc l’amener par les œuvres, mais une telle justice est introduite par la loi nouvelle, car elle est conférée dans les sacrements par la grâce de Celui qui justifie formellement. Or, les sacrements de la loi ancienne ne conféraient par la grâce, comme on le dira dans le livre IV. C’est pourquoi la loi ancienne ne justifiait d’aucune manière en tant causant la justice, mais en tant qu’enseignant la justice, car la forme de la justice consiste dans l’observation de ses commandements. Mais on dit que la lettre de la loi tue tant pour les [commandements] moraux que pour les [commandements] cérémoniels, mais de manière différente. Pour les [commandements] cérémoniels, en parlant par soi. En effet, au temps de la grâce révélée, ils ont commencé à causer la mort. Mais ce n’est pas le cas des [commandements] moraux, sauf par accident, dans la mesure où, en raison de la loi elle-même qui interdisait le péché et n’apportait pas l’aide de la grâce contre lui, le malade encourait un danger de mort de trois manières. Premièrement, parce que du fait même qu’elle rappelait le péché à celui en qui la convoitise du péché n’était pas éteinte, elle l’attisait en lui, comme lorsque l’eau est montrée à celui qui a soif. Deuxièmement, parce que, du fait que cela était interdit, cela était mis placé quelque chose d’élevé et de difficile à posséder. Ainsi l’esprit humain soumis au péché y tendait-il de manière plus impétueuse, comme il est écrit en Pr 9, 17 : Les eaux fuyantes sont plus douces. Troisièmement, parce que la loi, en interdisant, ajoutait une culpabilité particulière au péché dans la mesure où, non seulement il transgressait la loi naturelle, mais il outrepassait aussi la loi écrite.

[13221] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod observatio mandatorum legis necessaria est ad vitam aeternam consequendam, quia sine ea ad vitam aeternam intrare non potest qui tempus habet operandi; non tamen observatio mandatorum legis ad vitam consequendam sufficiebat, nisi modus caritatis adjungeretur; quam lex nullo modo causare poterat; et ideo non perfecte justificabat.

1. L’observance des commandements de la loi est nécessaire pour l’obtention de la vie éternelle parce que, sans eux, celui qui a le temps d’agir ne peut entrer dans la vie éternelle. Cependant, l’observance des commandements de la loi ne suffisait pas pour obtenir la vie éternelle, à moins que le mode de la charité n’y soit associé. La loi ne pouvait aucunement causer celle-ci. C’est pourquoi elle ne justifiait pas parfaitement.

[13222] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod docere justitiam, non est justitiam facere perfecte, sed solum dispositive. Invenitur autem aliqua lex, scilicet lex nova, quae justitiam facit effective per sacramenta, quae gratiam conferunt.

2. Enseigner la justice n’est pas causer parfaitement la justice, mais seulement par mode de disposition. Or, il y a une loi, la loi nouvelle, qui réalise effectivement la justice par les sacrements qui confèrent la grâce.

[13223] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod per hoc probatur quod lex non occidebat per se loquendo, sed dispositive justificabat.

3. Il est montré par là que la loi ne tuait pas à parler par soi, mais justifiait par mode de disposition.

[13224] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ratio sequeretur, si causa mortis esset ex lege; non autem erat ex ea, immo potius ad contrarium ordinata erat; sed causa mortis erat ex peccato eorum quibus lex dabatur; sicut causa mortis non est ex sole, si febricitantes ad solem stantes moriuntur.

4. Le raisonnement serait concluant si la cause de la mort venait de la loi. Or, mais elle ne venait pas d’elle, bien plus, elle avait été ordonnée à son contraire. Mais la cause de la mort venait du péché de ceux à qui la loi était donnée, comme la cause de la mort ne vient pas du soleil, si ceux qui ont la fièvre meurent en se tenant au soleil.

[13225] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in lege nova non est aliquis defectus quin justificare possit, sicut erat in veteri lege; et ideo magis poterat accipi occasio mortis ex veteri lege quam nova. Ex nova enim lege non sequitur occasio mortis nisi contemnentibus ipsam, quia volentibus observare, auxilium praebet: sed lex vetus etiam volentibus observare, et deficientibus propter infirmitatem, occasio mortis erat.

5. Dans la loi nouvelle, il n’y a pas de carence qui l’empêcherait de justifier, comme c’était le cas pour la loi ancienne ; c’est pourquoi une occasion de mort venait de la loi ancienne plutôt que de la nouvelle. En effet, une occasion de mort ne découle de la loi nouvelle que pour ceux qui la méprisent, car, pour ceux qui veulent l’observer, elle apporte une aide ; mais la loi ancienne était une occasion de mort, même pour ceux qui voulaient l’observer et pour ceux qui y manquaient par faiblesse.

 

 

Articulus 4 [13226] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 4 tit. Utrum lex vetus promittebat tantum temporalia, vel etiam aeterna

Article 4 – La loi ancienne promettait-elle seulement des biens temporels ou aussi des biens éternels ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La loi ancienne promettait-elle seulement des biens temporels ou aussi des biens éternels ?]

[13227] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod lex vetus non solum temporalia, sed aeterna promittebat. Illud enim in lege promittitur quod merces legis ponitur. Sed Deus seipsum mercedem Abrahae promisit, qui est bonum aeternum, ut patet Genes. 15. Ergo non solum temporalia, sed aeterna promittebat.

1. Il semble que la loi ancienne ne promettait pas seulement des biens temporels, mais des biens éternels. En effet, la loi promet ce qui y est donné comme récompense. Or, Dieu, qui est le bien éternel, s’est lui-même promis comme récompense à Abraham, comme cela ressort de Gn 15. Elle ne promettait donc pas seulement des biens temporels, mais des biens éternels.

[13228] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, quod promittitur in lege, est praemium virtutis. Sed praemium virtutis debet esse melius virtute. Cum igitur virtus sit melior omni mercede temporali, videtur quod lex terrena promittere non debuerit.

2. Ce qui est promis dans la loi est la récompense de la vertu. Or, la récompense de la vertu doit être meilleure que la vertu. Puisque la vertu est meilleure que toute récompense temporelle, il semble donc que la loi ne devait pas promettre des biens terrestres.

[13229] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 3 Praeterea, illud quod est contra rationem virtutis, in lege fieri non debet. Sed virtuti contrarium est, et ejus corruptivum, ut actus ejus propter bonum terrenum fiat. Ergo promissio terrenorum in lege fieri non debuit.

3. Ce qui est contraire à la notion de vertu ne doit pas être fait sous la loi. Or, il est contraire à la vertu et cela la corrompt, que son acte soit accompli pour un bien terrestre. La promesse de biens terrestres ne devait donc pas être être faite sous la loi.

[13230] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 4 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, illis solis potest homo ad bene faciendum invitari, quae in pretio habet. Sed carnalis populus, cui lex vetus data fuit, sola bona temporalia in pretio habebat. Ergo eorum sibi promissio fieri debuit.

Cependant, [1] l’homme ne peut être invité à bien agir que pour ce à quoi il accorde un prix. Or, le peuple charnel, à qui la loi ancienne a été donnée, n’accordait de prix qu’aux biens temporels. La promesse devait donc lui en être faite.

[13231] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 4 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, 1 Corinth. 15, 46: non prius quod spirituale, sed quod animale. Sed lex vetus primo danda erat. Ergo non spiritualis promissio, sed temporalis in ea fieri debuit.

[2] 1 Co 15, 46 : Non pas d’abord ce qui est spirituel, mais ce qui est animal. Or, la loi ancienne devait être donnée en premier. Une promesse spirituelle ne devait donc pas être faite en elle, mais une promesse temporelle.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La loi ancienne diffère-t-elle de la loi nouvelle par le principe de la crainte et de l’amour ?]

[13232] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod lex vetus non differat a nova per radicem timoris et amoris. Differentia enim legis non attenditur ex diversitate observantium legem, sed potius e converso; cum lex sit regula et mensura observantium ipsam. Sed facere aliquid ex timore vel amore contingit ex diversa dispositione observantium legem. Ergo penes hoc duae leges non distinguuntur.

1. Il semble que la loi ancienne ne diffère pas de la loi nouvelle par le principe de la crainte et de l’amour. En effet, la différence d’une loi ne se prend pas de la diversité de ceux qui observent la loi, mais c’est plutôt le contraire, puisque la loi est la règle et la mesure de ceux qui l’observent. Or, accomplir quelque chose par crainte ou par amour vient d’une disposition différente chez ceux qui observent la loi. Les deux lois ne se distinguent pas par cela.

[13233] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, nullus fructuose legem custodit, nisi qui ex amore eam observat. Sed in statu veteris legis multi fuerunt qui eam fructuose observabant, vitam aeternam ex hoc promerentes. Ergo lex vetus et nova non distinguuntur per timorem et amorem.

2. Personne ne garde la loi avec fruit que s’il l’observe par amour. Or, dans l’état de la loi ancienne, il y en avait beaucoup qui l’observaient avec fruit, en méritant ainsi la vie éternelle. La loi ancienne et la loi nouvelle ne se distinguent donc pas par la crainte et par l’amour.

[13234] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 3 Praeterea, timor servilis, qui contra amorem dividitur, respicit poenam. Sed majoris poenae comminatio fit in nova lege quam in veteri, ut patet Hebr. 10, 29: quanto, inquit, putatis deteriora mereri supplicia qui filium Dei conculcaverit? Ergo lex nova magis in timore consistit quam vetus.

3. La crainte servile, qui s’oppose à l’amour, concerne la peine. Or, la menace d’une plus grande peine est faite dans la loi nouvelle que dans la loi ancienne, comme cela ressort de He 10, 29 : Quels plus grands supplices, pensez-vous, mérite celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu ? La loi nouvelle consiste donc davantage dans la crainte que la loi ancienne.

[13235] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 4 qc. 2 s. c. 1 In contrarium est quod Augustinus dicit, quod brevis differentia legis et Evangelii est timor et amor.

Cependant, [1] en sens contraire, Augustin dit qu’une brève distinction entre la loi et l’évangile est la crainte et l’amour.

[13236] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 4 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, Rom. 8, 15: non accepistis spiritum servitutis iterum in timore; dicit Glossa: praecepta in veteri lege timore servabantur.

[2] À propos de Rm 8, 15 : Vous n’avez pas reçu un Esprit d’esclavage être de nouveau dans la crainte, la Glose dit : « Les commandements de la loi ancienne étaient observés dans la crainte. »

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La loi ancienne était-elle plus lourde que la loi nouvelle ?]

[13237] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod lex vetus non sit magis onerosa quam nova. Quod enim se habet ex additione ad aliud, plura continet. Sed nova addit supra veterem, Matth. 5. Ergo plura continet; et ita videtur difficilior.

1. Il semble que la loi ancienne était plus lourde que la loi nouvelle. En effet, ce qui s’ajoute à une chose contient plus de choses. Or, la loi nouvelle s’ajoute à la loi ancienne, Mt 5. Elle contient donc plus de choses, et ainsi elle semble plus difficile.

[13238] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 2 Praeterea, quanto est perfectior status virtutis, tanto majorem difficultatem habet: quia ars et virtus circa difficile et bonum sunt, ut dicitur in 1 Ethic. Sed status novae legis est perfectior quam status veteris. Ergo lex nova est difficilior.

2. Plus l’état de la vertu est parfait, plus il est difficile, car l’art et la vertu ne portent que sur ce qui est difficile et bon, comme on le dit dans Éthique, I. Or, l’état de la loi nouvelle est plus parfait que l’état de la loi ancienne. La loi nouvelle est donc plus difficile.

[13239] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 3 Praeterea, infirmis et parvulis levia onera sunt imponenda. Sed illi qui erant in veteri lege, parvulis comparantur; qui autem sunt in nova, viris perfectis, ut patet Gal. 4. Ergo lex nova est gravior quam vetus.

3. Des charges plus lègères doivent être imposées aux malades et aux enfants. Or, ceux qui étaient sous la loi ancienne se comparent à des enfants ; mais ceux qui sont sous la loi nouvelle [se comparent] à des adultes, comme cela ressort de Ga 4. La loi nouvelle est donc plus lourde que la loi ancienne.

[13240] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 4 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Matth. 11, 30: jugum meum suave est, et onus leve.

Cependant, [1] il est dit en Mt 11, 30 : Mon joug est doux et mon fardeau léger.

[13241] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 4 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, Act. 15, 10, dicit Petrus de veteri lege: hoc est onus quod nec nos nec patres nostri potuerunt portare. Ergo et cetera.

[2] En Ac 15, 10, Pierre dit de la loi ancienne : C’était une charge que ni nous ni nos pères n’ont pu porter. Donc, etc.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[13242] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod secundum Dionysium in 5 cap. Ecclesiast. Hierarch., lex nova media est inter Ecclesiam caelestem et statum veteris legis; et ideo aeterna bona, quae in caelesti Ecclesia palam et copiose exhibentur, in nova lege manifeste promittuntur; in veteri autem lege non promittebantur, nisi sub quibusdam figuris. Unde Hebr. 10, 1, dicitur: umbram habens lex futurorum bonorum. Et hoc propter tres causas praecipue. Primo ut ex his quae cognoscebant, assuefierent etiam a Deo majora sperare. Secundo ut non solum cognitio, sed affectus, a temporalibus ad aeterna manuduceretur. Tertio, quia bona aeterna nondum statim eis poterant exhiberi, nondum soluto pretio; unde dilatio promissorum inefficacem faceret apud infirmos promissionem.

Selon Denys, La hiérarchie ecclésiastique, V, la loi nouvelle est à mi-chemin entre l’Église céleste et l’état de la loi ancienne. C’est pourquoi les biens éternels, qui sont clairement et abondamment manifestés dans l’Église céleste, sont clairement promis dans la loi nouvelle ; mais, dans la loi ancienne,  ils n’étaient promis que sous des figures. Aussi est-il dit en He 10, 1 : La loi n’ayant que l’ombre des biens à venir. Et cela, principalement pour trois raisons. Premièrement, à partir de ce qu’ils connaissaient, ils seraient aussi habitués à espérer de Dieu de plus grands biens. Deuxièmement, pour que non seulement la connaissance, mais aussi la puissance affective soit menée aux biens éternels à partir des biens temporels. Troisièmement, parce que les biens éternels ne pouvaient pas leur être immédiatement manifestés, puisque le prix n’en avait pas été payé. Aussi le report des biens promis rendrait-il la promesse inefficace pour les faibles.

[13243] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ubicumque promittuntur aeterna in veteri lege, hoc est sub quadam figura et similitudine temporalium; et secundum hoc etiam Deus se mercedem Abrahae constituit ad litteram, quasi remuneratorem in multiplicatione seminis et in terrae promissae collatione. Vel dicendum, quod hoc intelligitur de promissione communiter omnibus facta in veteri lege, non autem de illa quae fiebat specialiter ad aliquos perfectos viros, qui ad legem novam pertinebant.

1. Partout où sont promis des biens éternels dans la loi ancienne, c’est sous une figure et une ressemblance avec les biens temporels. De cette manière, selon le texte, Dieu s’est aussi donné en récompense à Abraham, en tant que rémunérateur par la multiplication de sa semence et par le rassemblement dans la terre promise. Ou bien il faut dire que cela s’entend de la promesse faite d’une manière générale dans la loi ancienne, mais non de celle qui était faite d’une manière particulière à certains hommes parfaits, qui appartenaient à la loi nouvelle.

[13244] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod promissiones temporales non ponuntur in lege quasi praemia virtutum, sed quasi incitamenta quaedam ad virtutem.

2. Les promesses temporelles ne sont pas présentées dans la loi comme des récompenses pour les vertus, mais comme des incitations à la vertu.

[13245] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut facere aliquid timore poenae est contra rationem perfectae virtutis, tamen ducit ad virtutem; ita etiam facere aliquid propter retributionem temporalem; et ideo sicut in lege fit comminatio poenae, ita etiam potest fieri promissio temporalis mercedis.

3. De même qu’accomplir quelque chose par crainte d’une peine est contraire à la notion de vertu parfaite, mais conduit cependant à la vertu, de même accomplir quelque chose pour une récompense temporelle. C’est pourquoi, de même que, dans la loi, est faite la menace d’une peine, de même aussi peut être faite la promesse d’une récompense temporelle.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[13246] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod ex ipso modo legislationis apparet quod lex vetus est lex timoris, lex autem nova lex amoris. Lex enim nova ex ostensione divinae caritatis initium sumpsit: quia in effusione sanguinis Jesu Christi, qui fuit perfectissimae caritatis signum, novum testamentum consummatum est. Lex autem vetus in ostensione divinae potestatis, quae timorem incutit, initium sumpsit; unde et in ipsa legislatione propter fulgura, voces, et tonitrua terror audientes invasit, ut dicerent: non loquatur nobis dominus, ne forte moriamur, Exod. 20, 19; et ideo vetus lex homines praecipue inducebat per comminationem poenarum; nova vero lex per beneficia exhibita, et speranda; et hoc satis competebat statui humani generis, ut prius quasi rudis populus per timorem poenae cogeretur, postmodum vero per amorem in bono perficeretur; sicut enim timor est via ad amorem, ita lex vetus ad novam.

Par le mode même de l’établissement de la loi, il apparaît que la loi ancienne est une loi de crainte, mais la loi nouvelle, une loi d’amour. En effet, la loi nouvelle a pris son origine dans la manifestation de la charité divine, car l’alliance nouvelle a été consommée dans l’effusion du sang de Jésus, le Christ, ce qui était le signe de la plus parfaite charité. Mais la loi ancienne [a été consommée] dans la manifestation de la puissance divine, qui frappe de crainte. Aussi, lors de l’établissemenet même de la loi, la terreur a-t-elle envahi ceux qui l’entendaient en raison des éclairs, des voix et du tonnerre, de sorte qu’ils disaient : Ne nous parle pas, Seigneur, pour que nous ne mourions pas, Ex 20, 19. C’est pourquoi la loi ancienne incitait les hommes par la menace de peines, mais la loi nouvelle, par les bienfaits montrés et à espérer. Et cela convenait assez bien à l’état du genre humain, qu’un peuple inculte soit contraint par la crainte d’une peine, mais que, par la suite, il soit perfectionné dans le bien par l’amour. En effet, de même que la crainte est le chemin vers l’amour, de même la loi ancienne [est-elle le chemin] vers la loi nouvelle.

[13247] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ista differentia non tantum sumitur ex parte observantium legem, sed ex modo editionis legis, ut dictum est.

1. Cette différence ne se prend pas seulement du côté de ceux qui observent la loi, mais du mode d’établissemenet de la loi, comme on l’a dit.

[13248] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illi qui in veteri lege ex amore legem observabant, perfecti erant; unde ad legem novam pertinebant, in qua est status perfectionis.

2. Ceux qui, sous la loi ancienne, observaient la loi par amour étaient parfaits. Ils appartenaient donc à la loi nouvelle, dans laquelle se trouve l’état de perfection.

[13249] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis lex nova majora supplicia comminetur, tamen comminatio suppliciorum non est principalis inductio in legem novam, sicut erat in lege veteri; sed magis promissio praemiorum, et commemoratio beneficiorum quae ad amorem incitant; et ideo lex nova non timorem, sed amorem, principalem radicem habet.

3. Bien que la loi nouvelle menace de supplices plus grands, la menace des supplices n’est cependant pas la principale incitation à la loi nouvelle, comme elle l’était pour la loi ancienne, mais plutôt la promesse de récompenses et le souvenir de bienfaits qui incitent à l’amour. C’est pourquoi la loi nouvelle a comme principe premier non pas la crainte, mais l’amour.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[13250] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 4 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod difficile et onerosum mensuratur secundum virtutem sustinentis: aliquid enim onerosum est debili quod forti est leve. Et ideo de onere legis et Evangelii possumus loqui dupliciter: aut quantum ad gravitatem praeceptorum secundum se, aut per comparationem ad virtutem observantium. Si primo modo; sic quantum ad numerum praecepta veteris legis erant magis onerosa: quia lex vetus arctabat ad caeremonialia multa, et judicialia: lex autem nova ad moralia tantum, quae etiam lex naturae imperat, et in uno verbo abbreviato dilectionis Dei et proximi concluduntur. Sed quantum ad explicationem istorum praeceptorum, sic praecepta novae legis quodammodo sunt difficiliora: quia magis explicatur virtus praeceptorum moralium in nova lege quam veteri; et superaddit lex nova consilia, quamvis ad ea non cogat; et quaedam etiam prohibet quae lex vetus permittebat, infirmitati deferens, sicut libellum repudii, et hujusmodi. Si autem secundo modo, sic absolute lex vetus onerosior erat: tum quia auxilium gratiae non conferebat ad mandata implenda, sicut nova facit; tum quia vetus lex per modum timoris cogebat ad hoc, ad quod nova lex ex amore inducit, qui omnia levia facit.

Ce qui est difficile et lourd se mesure selon la puissance de celui qui le porte. En effet, quelque chose est lourd pour celui qui est faible, mais léger pour celui qui est fort. C’est pourquoi nous pouvons parler de la charge de la loi et de l’évangile de deux manières : soit quant au poids des commandements en eux-mêmes ; soit [de leur poids] par comparaison avec ceux qui observent la vertu. Si [on parle] de la première manière, les commandements de la loi ancienne étaient plus lourds en raison de leur nombre, car la loi ancienne insistait sur un grand nombre de commandements cérémoniels et judiciaires ; mais la loi nouvelle [insiste] sur les [commandements] moraux seulement, que la loi naturelle commande aussi, et ils se résument dans une simple parole : l’amour de Dieu et du prochain. Mais, du point de vue de l’explicitation de ces commandements, les commandements de la loi nouvelle sont d’une certaine manière plus difficiles, car la puissance des commandements moraux est davantage explicitée dans la loi nouvelle que dans l’ancienne, et la loi nouvelle y ajoute les conseils, bien qu’elle n’y contraigne pas ; elle interdit aussi certaines choses que la loi ancienne permettait, en tenant compte de la faiblesse, tel le livret de répudiation et les choses de ce genre. Mais si l’on parle de la seconde manière, la loi ancienne est ainsi plus lourde de manière absolue, tant parce que l’aide de la grâce de contribuait pas à l’accomplissement des commandements, comme le fait la loi nouvelle, que parce que la loi ancienne contraignait par mode de crainte à ce à quoi la loi nouvelle entraîne par l’amour qui rend tout léger.

[13251] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod additio novae legis ad veterem vel est quantum ad consilia ad quae nova lex non obligat, vel etiam quantum ad explicationem eorum quae in veteri lege implicite habebantur; unde ex hoc non potest concludi quod lex nova sit gravior.

1. L’ajout de la loi nouvelle à la loi ancienne porte soit sur les conseils, auxquels la loi nouvelle n’oblige pas, soit encore sur l’explicitation de ce qui se trouvait implicitement dans la loi ancienne. On ne peut donc en conclure que la loi nouvelle est plus lourde.

[13252] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod virtuosus ea quae ad virtutem pertinent, delectabiliter exequitur, ut dicitur in 1 Ethic.; et ideo virtus perfecta levius quantumcumque difficilia exequetur, quam carens virtute facilia: cui hoc ipsum triste est, quod a delectationibus illicitis abstineat.

2. Le vertueux accomplit avec plaisir ce qui relève de la vertu, comme il est dit dans Éthique, I. C’est pourquoi la vertu parfaite accomplira plus légèrement même ce qui est le plus difficile, que celui à qui la vertu fait défaut, les choses faciles : pour celui-ci, il est triste de s’abstenir des plaisirs défendus.

[13253] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut qui tortuosa ligna dirigunt, ad partem contrariam magis deflectunt, ut sic ad rectitudinem etiam, ut dicitur in 2 Ethic. veniant; ita tendentibus ad virtutem faciendum est, ut qui a rectitudine virtutis distorti fuerunt, magis a contrariis vitiis abstrahantur. Et propter hoc etiam poenitentibus graviora onera imponuntur quam innocentibus. Et ita etiam carnali populo et cervicoso majora onera imponenda fuerunt ad ejus duritiam edomandam, cum tamen modum ejus non excederent, sicut etiam infirmis diaeta arctior, et pueris disciplina strictior imponitur.

3. De même que ceux qui redressent des lignes sinueuses les infléchissent en sens contraire pour qu’elles en viennent ainsi à être droites, ainsi qu’il est dit dans Éthique, II, de même ceux qui tendent vers la vertu doivent-ils agir de manière à ce que ce qui s’était écarté de la rectitude de la vertu soit plutôt éloigné des vices contraires. Pour cette raison, des charges plus lourdes sont imposées aux pénitents plutôt qu’aux innocents. De la même manière, de plus grandes charges ont été imposées à un peuple charnel et entêté afin de dompter don endurcissemenet, alors qu’ils n’en dépassaient cependant pas la mesure, de la même manière qu’un régime plus sévère est imposée aux malades et une discipline plus rigoureuse, aux enfants.

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 40

[13254] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 4 qc. 3 expos. Non ancillam et cetera. Sciendum, quod ancilla dupliciter concupisci potest. Uno modo ad concubitum, et sic pertinet ad sextum praeceptum; alio modo ad dominium, et sic pertinet ad septimum. Audistis decem chordas Psalterii. Per decem chordas Psalterii decem praecepta legis intelliguntur. Sicut enim David egregius psaltes sono citharae et Psalterii spiritum malum a Saul expellebat, ut dicitur 1 Reg. 16, et ursum et leonem interfecit, ut dicitur in eodem, 17, ita Christus qui per David significatur, corda nostra quasi Psalterium his decem praeceptis percutiens, omnium mortalium peccatorum feras in nobis occidit, et virtutes perficit, quibus ad vitam pervenitur aeternam, in qua cum Christo vivamus per omnia saecula saeculorum. Amen.

 

 

Fin du livre 3

 

 

 

 

 

 

 

 

 



[1]Comprehensor(es), qui n’a pas d’équivalent en français, pourrait être traduit par «bienheureux». En effet, comprehensor(es) est un terme technique désignant ceux qui voient déjà Dieu selon son essence, l’«embrassent», l’« enserrent » ou le «comprennent» dans la béatitude éternelle. Par contre, on parlera de viator(es) pour désigner la condition de ceux qui sont en route (in via) vers la béatitude dans la vie présente. Voir III, q. 15, a. 10, c : Aliquis dicitur viator ex eo quod tendit in beatitudinem, comprehensor autem dicitur ex hoc quod jam beatitudinem obtinet.

[2] Je traduis fomes par « convoitise » pour bien montrer qu’elle est comme une distorsion de l’appétit sensible et de la concupiscence, comme une « concupiscence désordonnée ». Fomes : « Une inclination de l’appétit sensible à ce qui est contre la raison fait partie de la nature de la convoitise (fomes). » Ad rationem autem fomitis pertinet inclinatio sensualis appetitus in id quod est contra rationem (Somme de théologie, III, q. 15, a. 2, c.). « La convoitise (fomes) n’est rien d’autre qu’une concupiscence désordonnée de l’appétit sensible à l’état habituel… Il est de la nature même de la convoitise qu’elle incline au mal ou rende le bien difficile ». Ad rationem ipsam fomitis pertinet quod inclinet ad malum vel difficultatem facit in bono (Somme de théologie, III, q. 27, a. 3, c.). Voir aussi Sent. III, d. 17, q. 1, a. 2, qa 2, ad 2.

[3] C’est la grâce qu’on appellera « sanctifiante ».

[4] Voir la note précédente.