Sermon "Voici que ton roi
vient à toi"
Saint Thomas d’Aquin
(sermon authentique)
Traduction Charles Duyck, 2004
Edition numérique http://docteurangelique.free.fr 2004
Les œuvres complètes de saint Thomas d'Aquin
Prologue
Voici que ton
Roi vient à toi, plein de douceur. (Zacharie 9, 9)
Nombreuses sont
les merveilles des œuvres divines. Comme dit le psaume 98, 1: "Merveilleuses
sont tes œuvres". Mais aucune œuvre de Dieu n’est aussi
merveilleuse que la venue du Christ dans la chair; la raison en est que, dans
ses autres œuvres, Dieu a imprimé à sa créature une ressemblance
[similitudinem] avec lui-même, tandis que dans l’œuvre de l’Incarnation, Dieu
s’est imprimé [impressit] lui-même et il s’est uni à la nature humaine dans
l’unité de la personne, ou encore il a uni notre nature à lui-même. Et ainsi,
alors que les autres œuvres de Dieu ne peuvent pas être sondées parfaitement,
cette œuvre-là, à savoir l’incarnation, est tout à fait hors de portée de notre
raison. D’où, chez Job 5, 9: "toi qui es l’auteur d’œuvres grandioses et
insondables, de merveilles qu’on ne peut compter". Il y a une
seule œuvre que je ne peux pas voir: "s’il passe sur moi, je ne le vois pas." Et chez Malachie 3, 1-2: "Voici
venir le Seigneur des armées, qui pourrait concevoir le jour de sa venue".
C’est comme s’il disait que cela dépasse les limites de la pensée humaine. Mais
l’Apôtre révèle qui peut concevoir le jour de sa venue, disant (2
Corinthiens 3, 5): "Ce n’est pas que de nous-mêmes nous soyons
capables de revendiquer quoi que ce soit comme venant de nous; non, notre
capacité vient de Dieu". Donc pour commencer nous demanderons
au Seigneur qu’il me donne lui-même quelque chose à dire, etc.
Première partie [Les quatre venues du Christ]
Voici que ton
Roi vient à toi, plein de douceur.
Ces mots sont
tirés de l’évangile que nous lisons aujourd’hui et ils sont empruntés à
Zacharie 9, 9, bien qu’ils soient prononcés un peu après d’autres paroles. Or
en ces paroles-là nous est clairement annoncée la venue du Christ. Pour que
nous n’avancions pas sur de l’incertain, vous devez savoir que la venue du
Christ s’entend de quatre manières:
1° La première manière est celle par laquelle il vient dans la chair;
2° sa seconde venue est celle par laquelle il vient dans notre esprit;
3° la troisième, celle par laquelle il vient à la mort des justes;
4° la quatrième venue du Christ, celle par laquelle il vient pour
juger.
1° Je parle tout d’abord de la venue du Christ dans la chair. Et il ne
faut pas comprendre qu’il vient dans la chair en changeant de lieu, puisqu’il
proclame dans Jérémie ( ?): "Est-ce que le ciel et la terre, je ne les
remplis pas ?" Comment donc est-il venu dans la
chair ? J’affirme qu’il est venu dans la chair en descendant du ciel, non
en abandonnant le ciel, mais en prenant sur lui notre nature. D’où chez
Jean 1, 11: "Il est venu chez lui". Et
comment puis-je dire qu’il était dans le monde ? Parce que "le
Verbe s’est fait chair" (Jean 1, 14). Et constatez que cette
venue introduit une autre venue du Christ, celle qui se fait dans notre esprit.
Il ne nous eût pas été utile que le Christ fût venu dans la chair si en même
temps il n’était venu dans notre esprit, bien entendu pour nous sanctifier.
D’où chez Jean 14, 23: "Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole,
et mon Père l’aimera et nous viendrons vers lui et nous ferons une demeure chez
lui".
2° Dans sa première venue, le Fils seulement est venu. Dans la seconde,
le Fils est venu avec le Père pour habiter notre âme. Par cette venue qui se
fait par la grâce qui justifie, l’âme est libérée du péché, mais non de toute
peine, parce que la grâce est conférée, mais pas encore la gloire.
3° Et c’est pour cette raison qu’est nécessaire la troisième venue du
Christ, quand il nous ramène nous-mêmes à lui. D’où chez Jean 14, 2: "si
je m’en vais – dans sa passion – et si je vous prépare une place –
enlevant tout obstacle – je viendrai de nouveau vers vous – c’est-à-dire
dans la mort – et je vous prendrai avec moi – c’est-à-dire dans la gloire
– pour que là où je suis, vous soyez vous aussi." De même (Jésus) dit dans saint Jean 10, 10: "Je
suis venu pour qu’ils aient la vie – c'est-à-dire sa présence dans
les âmes – et qu’ils l’aient en abondance" c'est-à-dire par la
participation à sa gloire.
4° La quatrième venue du Christ sera cella où il viendra pour juger, à
savoir quand le Seigneur viendra pour le jugement, et alors la gloire des
saints rejaillira sur les corps, et les morts ressusciteront. D’où chez
Jean 5, 28: "l’heure vient, et c’est maintenant, où tous
ceux qui sont dans les tombeaux entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui
l’auront entendue vivront."
Et c’est en
raison de ces quatre venues du Christ que l’Église célèbre justement quatre
dimanches de la venue du Christ. Or c’est en ce dimanche-ci quelle commémore la
première venue du Christ, et nous pouvons, dans les mots proposés, voir quatre
choses: d’abord, la présentation de la venue du Christ, ecce; ensuite la
qualité de celui qui vient, "ton roi", rex tuus;
troisièmement l’utilité de celui qui vient: "il vient à toi";
quatrièmement, la manière de sa venue: "plein de douceur".
Nous pouvons
d’abord, dis-je, voir dans ecce la présentation de la venue du Christ.
Et il faut noter que par ecce nous comprenons d’habitude quatre choses:
1° d’abord une confirmation [certificationem] de la chose; nous parlons
de quelque chose qui nous apparaît clairement: ecce;
2° en second lieu, nous entendons par ecce la fixation d’une
limite de temps;
3° troisièmement la manifestation d’une chose;
4° quatrièmement, la reconnaissance [confortationem] des hommes.
1° Par ecce,
dis-je, nous avons coutume d’entendre d’abord une confirmation de la chose.
Quand quelqu’un veut confirmer, il dit ecce. C’est ainsi que le Seigneur
dit dans la Genèse 9, 9: "Voici que j’établis mon alliance avec vous et
avec vos descendants après vous. Je mets mon arc entre vous et moi",
c'est-à-dire un signe de paix. Par le moyen de cet arc est signifié le Fils de
Dieu, parce que, de même que l’arc naît de la réverbération du soleil sur un
nuage humide, de même le Christ est né du Verbe de Dieu et de la nature humaine
qui est comme un nuage; et, de même que l’âme et la chair constituent un seul
homme, de même Dieu et l’homme sont un seul Christ; et du Christ il est dit qu’il
monte sur une nuée légère, c'est-à-dire sur la nature humaine en l’unissant à
lui-même. Et le Christ est venu à nous en signe de paix; et il fut nécessaire
que cela se passe ainsi parce que il y en a qui doutent de la seconde venue du
Christ. Ainsi, dit l’Apôtre (2 P 3, 3), "aux derniers jours viendront
des railleurs, s’écartant de la foi, "marchant" selon leurs passions,
et qui diront: "Où est maintenant la promesse ? Où est son
avènement ?". Ces gens diront en effet que l’âme ne subsistera
pas après (la disparition du) corps, et c’est pourquoi, pour la confirmation de
la venue du Christ, le prophète dit ecce, etc… Et chez Habacuc 2, 3: "le
Seigneur apparaîtra à la fin et ne mentira pas". Et chez Isaïe: "le
Seigneur des armées viendra".
2° En
second lieu, par ecce nous avons coutume de comprendre la fixation d’une
limite de temps. Pour la venue du Christ en vue d’un jugement, il n’y a pas
pour nous de temps fixé. Ainsi Job: "Je ne sais combien de temps je
subsisterai et quand mon Créateur m’emportera". Et chez Luc 17, 20: "Le
royaume de Dieu ne viendra pas avec des signes (à observer)". Et pour
quelle raison n’y a-t-il pas à cette venue un temps qui soit fixé pour
nous ? Sans doute parce que le Seigneur a voulu que nous soyons très
vigilants.
Mais pour la
venue du Christ dans la chair, un temps nous a été fixé. Ainsi Jérémie 23, 5: "Voici
que des jours viennent où je susciterai à David un germe juste; il règnera en
roi et il sera sage".
3° En
troisième lieu, par ecce nous avons l’habitude de comprendre la
manifestation d’une chose. Il y a une venue de Dieu qui est cachée pour nous, à
savoir celle par laquelle il vient dans notre esprit, et cette venue-là ne peut
pas être connue par une confirmation. D’où chez Job 9, 11: "s’il passe
près de moi, je ne le vois pas; s’il s’éloigne, je ne m’en aperçois pas".
Tandis que pour sa venue dans la chair, le Christ est manifeste et visible.
Chez Isaïe 52, 6: "C’est pourquoi mon peuple connaîtra mon nom, il
saura que c’est moi qui dis "me voici !". Et Jean(-Baptiste)
l’a montré du doigt quand il fut devant lui, disant: "Voici l’agneau de
Dieu". Zacharie l’a bien montré par ecce pour annoncer sa venue
future.
4° En
quatrième lieu, par ecce, nous entendons la reconnaissance
[confortationem] des hommes, et cela de deux manières. Si un homme subit des
désagréments de la part de ses ennemis et que ceux-ci prennent sa place, il dit
ecce. D’où Lamentations 2, 16: "Mes ennemis ouvrent la bouche
contre moi, et voici venir le jour que j’ai attendu". De la même
manière, quand un homme obtient quelque chose, il dit ecce. Ainsi le
Psaume: "Comme il est bon, comme il est agréable que des frères
habitent ensemble", etc. Nous avons obtenu ces deux choses par la
venue du Christ: l’homme a été libéré des insultes des démons, et il se réjouit
d’un espoir qui s’est réalisé. Ainsi Isaïe 35, 4: "Dites à ceux qui ont
le cœur troublé:’Prenez courage, ne craignez point, voici votre Dieu, il amène
la vengeance sur vos ennemis, il viendra lui-même, il vous sauvera’".
Voyons
maintenant les circonstances de sa venue. La venue d’une personne est
recherchée, attendue ou annoncée avec solennité, en raison de la grandeur de la
personne, si c’est un roi ou un légat du Souverain Pontife, ou en raison de
l’amitié et de la familiarité. Or celui qui vient en roi est familier et notre
ami. Pour cette raison nous devons l’attendre avec solennité. Vous savez qu’un
roi règne en vertu de son droit de propriété, mais n’est pas considéré comme
roi quiconque possède un droit de propriété; pour que quelqu’un soit considéré
comme roi, quatre conditions sont exigées, et si l’une d’entre elles fait
défaut, il n’est pas considéré comme roi. Un roi, en effet, doit 1°
d’abord être unique, 2° ensuite il doit avoir un pouvoir complet, 3°
ensuite un vaste droit de justice, 4° et quatrièmement un esprit de justice.
1° Un roi
doit, d’abord, dis-je, être unique: si dans un royaume il y a plusieurs maîtres
et si le droit de propriété n’échoit pas à un seul, il n’y a pas de roi. D’où
un royaume est comme une monarchie, et le Christ possède cette unicité. Ainsi
chez Ézéchiel 37, 22: "Un seul roi règnera sur eux tous". Il
dit rex unus pour signifier que ce ne sera pas un étranger, un maître "d’ailleurs", mais que notre toi sera le Fils avec le Père, un maître
unique. Le Christ dit: "Le Père et moi nous sommes un", ce qui
est contraire à la pensée d’Arius qui prétend qu’autre est le Père, autre le
Fils. L’Apôtre dit (1 Corinthiens 8, 5): "s’il y a beaucoup de dieux et
beaucoup de seigneurs, pour nous il y a un seul Dieu, un seul Seigneur".
2° En
second lieu, un roi porte en lui la plénitude du pouvoir. Celui qui
gouvernerait, non pas avec la plénitude du pouvoir, mais selon des lois
imposées, ne serait pas considéré comme roi mais comme consul ou magistrat
légitime [potestas]. Or il devait advenir que, à la venue du Christ, la loi
soit changée par Dieu, du moins pour ce qui est des lois religieuses. Le Christ
est ainsi celui qui peut établir la loi. Et il proclame: "Il a été dit
à vos pères: ‘tu ne tueras pas’, et bien, moi, je vous dis…", comme
s’il disait: je possède le pouvoir, je peux établir les lois. En Isaïe 33, 22: "Yahvé
est notre juge, notre législateur, lui-même viendra pour nous sauver".
On lit que le Père a donné à son Fils tout pouvoir de juger. Le Seigneur
est notre législateur et par conséquent il est notre roi. En Esther: "Dieu
tout-puissant, notre Seigneur, notre roi, en ta puissance sont placées toutes
choses". Et le Fils dit: "Tout pouvoir m’a été donné dans le
ciel et sur la terre".
3° En
troisième lieu, un roi porte en lui la totalité du droit de justice. Un père de
famille possède la plénitude de l’autorité dans sa maison, mais il n’est pas
considéré comme roi. De la même façon, celui qui possède une seule propriété
n’est pas considéré comme roi, alors que celui qui a pouvoir sur de nombreuses
terres et sur une grande cité, celui-là est un roi. C’est ce que nous voyons
dans celui qui vient à nous: toute créature lui est soumise car Dieu est le
roi de toute la terre, et il fallait que vînt quelqu’un qui eût un tel
pouvoir, car autrefois c’est aux Juifs seulement que fut donnée la loi, les
Juifs étaient considérés comme le peuple qui appartenait à Dieu en propre. Or
il fallait que tous soient amenés vers le salut, aussi fallait-il qu’il y eût
un roi de tous les hommes, qui pût sauver tous les hommes. Tel fut celui qui
vint à nous. Le Psaume 2, 8 dit: "Fais-m’en la demande, et je te
donnerai les nations pour héritage et pour domaine les extrémités de la
terre".
4° Quatrièmement,
il faut qu’un roi possède l’esprit de justice: il est différent du tyran, car
un tyran tourne à son propre profit tout ce qui se trouve dans son royaume,
tandis que le roi dispose son royaume en vue du bien commun. Dans les Proverbes
29, 4: "Un roi juste raffermit son territoire, celui qui est avide le
ruine". Or le Christ vient, non pas en recherchant son propre profit,
mais le tien, car "le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi,
mais pour servir". Et celui qui vient pour servir vient certes donner
sa vie pour la rédemption de la multitude et pour mener les rachetés à la
gloire éternelle vers laquelle il nous conduit, etc…
Deuxième partie:
Voici que ton
Roi vient à toi, plein de douceur.
Il a été dit
que, dans ces mots, nous pouvons voir: I.
la confirmation de la venue du Christ quand il dit ecce; II. ensuite l’utilité de sa venue: venit; III. et IV.
troisièmement et quatrièmement, la manière dont il vient: mansuetus.
I. Il a été dit que, par ce mot
que je prononce, ecce, nous pouvons comprendre quatre choses: d’abord la
confirmation de la chose, ensuite la fixation d’une limite de temps,
troisièmement la manifestation d’une chose, et quatrièmement, sa
reconnaissance.
De la qualité de
celui qui vient – qui est marquée quand il dit rex tuus – il a été dit
que la venue d’une personne est recherchée, attendue ou annoncée avec solennité
en raison de sa grandeur si c’est un roi ou un légat, ou en raison de l’amitié
et de la familiarité, et que ces éléments se trouvent présents dans Celui qui
vient.
Or il faut
considérer qu’il est lui-même roi de toute créature. Ainsi chez Judith 9, 17: "créateur
des eaux et de toute créature"; en particulier rex tuus –
c'est-à-dire roi de l’homme – se dit pour quatre raisons:
1° en raison de la ressemblance de son image,
2° en raison d’un amour particulier,
3° en raison d’un souci et d’une sollicitude particulière,
4° en raison de son association avec la nature humaine.
1° J’affirme d’abord que le Christ est dit rex tuus,
c'est-à-dire roi de l’homme, en raison de la ressemblance de son image. Vous
savez que ceux qui portent les insignes de roi, pour ainsi dire son image,
concernent, dit-on, particulièrement le roi; et alors que toute créature est de
Dieu, c’est cependant d’une manière plus spéciale qu’on considère comme
créature de Dieu celui qui porte en lui l’image de Dieu, et tel est l’homme.
Ainsi dans la Genèse 1, 26: "Faisons l’homme à notre image et à notre
ressemblance". En quoi consiste cette ressemblance ? J’affirme
qu’elle ne s’applique pas en raison d’une ressemblance corporelle, mais en
raison d’une clarté intelligible de l’esprit. Or il y a en Dieu une source
intelligible de clarté, et nous avons la marque de cette clarté. D’où, dans le
Psaume 4, 7 "la clarté de ton visage se lève sur nous, Seigneur".
L’homme possède l’empreinte de cette clarté. Ainsi cette image a été produite
en l’homme, mais il arrive qu’elle ait été retranchée et obscurcie par le
péché. Le psaume 73, 20 dit: "leurs images, tu les réduis à rien".
C’est pourquoi Dieu a envoyé son Fils pour restaurer cette image abîmée par le
péché.
Veillons donc à
nous corriger, selon ce que dit l’Apôtre Eph.4, 24: "… vous dépouillant
du vieil homme, revêtez l’homme nouveau qui a été créé selon Dieu et qui est
rénové à l’image de celui qui l’a créé". Et comment nous
rénover ? Certainement en imitant le Christ. Cette image qui, en nous, est
abîmée, est parfaite dans le Christ. Nous devons donc porter l’image du Christ.
Ainsi, dit l’Apôtre 1 Corinthiens 15, 49: "De même que nous avons porté
l’image du terrestre, nous portons aussi l’image du céleste", et dans
l’épître d’aujourd’hui: "Revêtez le Christ", c'est-à-dire
imitez le Christ. C’est en cela que consiste la perfection de la vie
chrétienne.
2° En second lieu, le Christ est dit rex tuus, c'est-à-dire roi
de l’homme, en raison d’un amour particulier. Il est habituel quand, dans une
assemblée, l’évêque aime les uns d’une manière plus spéciale que d’autres,
qu’on le dise leur évêque. Dieu aime tout ce qui existe, mais il aime les
hommes d’une manière plus particulière. Ainsi Isaïe 63, 15: "Où est ton
zèle, où est ta puissance ? Le frémissement de tes entrailles est pour
moi". Vous constatez que Dieu aime spécialement la nature humaine.
Nous découvrons en effet qu’il y a plusieurs degrés de nature, mais nous ne
voyons pas que Dieu transforme un degré inférieur de la nature en un degré
supérieur de la nature, comme le degré d’une étoile en degré du soleil, ou
comme le degré des Anges inférieurs en degré des Anges supérieurs; mais Dieu a
amené l’homme à un degré égal à celui des Anges. D’où Luc 20, 36 "fils
de la résurrection, ils seront pareils aux Anges". Donc Dieu aime les
hommes d’une manière spéciale. Nous ne devons donc pas être ingrats face à un
si grand amour, mais nous devons transporter totalement sur lui-même notre
amour. Si le roi aimait un pauvre, le pauvre se considérerait comme misérable
s’il ne rendait pas son amour en retour au roi, selon ses possibilités. Le
Seigneur, dans un amour infini, dit à l’homme (Prov 8, 31): "mes
délices sont avec les enfants des hommes". Donc nous devons lui rendre
cet amour en retour.
3° En
troisième lieu le Christ est dit rex tuus, c'est-à-dire roi de l’homme,
en raison d’un souci et d’une sollicitude particulière. Il est bien vrai que
Dieu a souci de tous. Dans le douzième livre de la Sagesse (12, 13): "il
a souci de tous". Il n’existe pas de chose si petite qu’elle soit
soustraite à la divine Providence, car, de même que la chose appartient à Dieu,
ainsi l’ordre également appartient à Dieu, et la Providence, c’est la même
chose que l’ordre. Les hommes sont particulièrement soumis à la divine
Providence. Ainsi, dit le Psaume 35, 7: "Les hommes et le bétail, tu
les sauves, Seigneur" - il s’agit d’un salut corporel – "les
fils d’Adam espèrent en l’abri de tes ailes". Et comment
espèrent-ils ?
Je dis que non
seulement les biens spirituels, mais aussi le bonheur éternel, sont préparés
par Dieu pour ceux qu’il conduit à la vie éternelle et, tout autant, que cela
n’est pas un souci pour Dieu au sujet des autres êtres vivants. L’Apôtre dit: "le
bétail n’est pas un souci pour Dieu". Dieu ne permet pas qu’un acte
humain n’ait pas été examiné à fond. Ainsi dans le livre de la Sagesse 12, 18: "Toi,
dominant ta force, tu juges le péché avec modération".
4° En
quatrième lieu, le Christ est dit rex tuus, c'est-à-dire roi de l’homme,
en raison de son association avec la nature humaine. Deut 17, 15: "Tu
ne pourras pas faire roi quelqu’un d’une race étrangère, qui ne soit pas ton
frère". En effet dans cette prophétie qui concerne le Christ, le
Seigneur disposait de ce qui constituerait un roi pour les hommes. Il n’a pas
voulu que ce soit quelqu’un d’une autre race, c'est-à-dire d’une autre nature,
qui ne soit pas notre frère. Ainsi l’Apôtre dit du Christ (He 2, 16): "Ce
n’est pas des Anges qu’il se charge, mais de la semence d’Abraham", en
quoi l’on voit que l’homme a la prééminence sur les Anges. Le Christ est roi
des Anges et il est homme, non Ange.
Même les Anges
sont au service de l’homme. D’où, dit l’Apôtre (He 1,14): "tous sont
des esprits chargés d’un ministère". Il a aussi fallu que le Christ
soit un homme pour qu’il soit sauveur, car – dit l’Apôtre aux Hébreux (He 2,
11) – "la sanctification et les sanctifiés ont la même origine";
c’est parce qu’il est touché de componction envers nos frères, qu'il dit (Ps
21, 23): "J’annoncerai mon nom à mes frères".
II. Cela est vraiment évident au
sujet de la présentation de la venue du Christ et au sujet de la qualité de
celui qui vient. Il s’ensuit que nous pouvons voir l’utilité de celui qui vient
qui est marquée quand il dit "il vient à toi", c'est-à-dire
qu’il n’est pas touché de componction en raison
de son utilité, mais en raison de la nôtre.
Or il vient pour
quatre raisons: d’abord, il vient pour manifester la majesté divine, ensuite
pour nous réconcilier avec Dieu, troisièmement pour nous libérer du péché,
enfin pour nous faire don de la vie éternelle.
1° D’abord,
dis-je, le Christ vient pour manifester la majesté divine. L’homme a un très
grand désir de connaître la vérité et, au premier chef, c’est au sujet de Dieu
que la vérité est envisagée. Or les hommes étaient dans une ignorance si grande
qu’ils ignoraient ce qu’était Dieu. Les uns disaient qu’il était corporel, les
autres disaient qu’il n’avait pas souci des êtres singuliers, et c’est pourquoi
le Fils de Dieu est venu pour nous enseigner la vérité. Ainsi, il proclame dans
Jn 18, 37: "Je suis né et je suis venu en ce monde pour rendre
témoignage à la vérité". Et chez Jean (1 Jn 4, 12): "Dieu,
personne ne l’a jamais vu", et c’est pourquoi le Fils de Dieu est venu
pour que tu connaisses la vérité. Nos pères furent dans une si grande erreur
qu’ils ignorèrent la vérité sur Dieu. Mais nous, grâce à la venue du Fils de
Dieu, nous sommes ramenés à la vérité de la foi.
2° En
second lieu, le Christ est venu pour nous réconcilier avec Dieu. On pouvait
dire: à cause du péché, Dieu m’était hostile; c’était donc mieux pour moi de ne
pas le connaître que de le connaître. C’est pourquoi le Christ est venu non
seulement pour nous manifester la majesté divine, mais aussi pour nous réconcilier
avec Dieu. Et l’Apôtre dit aux Éphésiens qu’en venant il apporte la paix à ceux
qui sont proches comme à ceux qui sont loin. Et ailleurs l’Apôtre dit (Rm 5,
10): "Nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de son
Fils"; c’est ainsi qu’à la naissance du Christ, les Anges chantaient: "Gloire
à Dieu au plus haut des cieux". Et, après la résurrection, le Seigneur
apporte la paix à ses disciples en disant "La paix soit avec vous".
3° En
troisième lieu, le Christ est venu pour nous libérer de l’esclavage du péché.
L’Apôtre dit (1 Tm 1, 15): "Jésus-Christ est venu dans le monde pour
sauver les pécheurs. Celui qui commet le péché est esclave du péché".
Il est dit (Jn 8, 36): "Si le Fils vous libère, vous serez
réellement libres". Et Luc 19, 10: "Le Fils de l’homme est
venu chercher et sauver ce qui était perdu".
4° En
quatrième lieu le Christ est venu pour nous donner, en ce monde, la vie de la
grâce et, dans l’au-delà, la vie en gloire. Ainsi chez Jean 10, 10: "Moi
je suis venu pour qu’ils aient la vie – c’est-à-dire la vie de la grâce en
ce monde-ci – et qu’ils l’aient en abondance - parce que – le juste
vit de la foi", c'est-à-dire la vie dans la gloire dans la vie future,
grâce à la charité. Jean dit encore (1 Jn 3, 14): "Nous savons que nous
sommes passés de la mort à la vie parce que nous aimons nos frères" et
que nous vivons dans les bonnes œuvres. De même chez Jean 17, 3: "La
vie éternelle, c’est qu’ils Te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui
que tu as envoyé, Jésus-Christ." Voilà donc ce qui apparaît clairement
au sujet de l’utilité de sa venue.
Mais comment
vient-il ?
III et IV. J’affirme qu’il vient "plein de
douceur", c'est-à-dire multum. Dans les Proverbes 19, 12: "Tel
le rugissement du lion, telle aussi la fureur du roi; telle sa bonté, telle la
rosée sur l’herbe". La mansuétude, c’est de la colère apaisée.
Et bien, Dieu
vient avec douceur, mais à la fin des temps, il viendra avec colère. Isaïe dit
(30, 27): "Voici que le nom du Seigneur viendra de loin, comme brûlant
de colère". Et Job 35, 15: "Car sa colère ne sévit pas encore,
ni son ardeur ne se venge". En effet, le Seigneur vient avec douceur
et nous, c’est avec douceur que nous devons le recevoir. Le bienheureux Jacques
dit (1, 21): "Recevez avec douceur la parole inscrite en vous, parce
qu’elle peut sauver vos âmes".
Voyez: nous
pouvons observer la douceur du Christ dans quatre domaines: d’abord dans sa
manière de parler, ensuite dans sa manière de réformer (les hommes),
troisièmement dans son obligeant accueil de l’homme, et enfin dans sa passion.
1° Nous pouvons d’abord voir, dis-je, la douceur
du Christ dans sa manière de parler, parce qu’elle fut tout entière pacifique;
il ne rechercha pas de prétextes à disputes et évita tout ce qui pouvait
provoquer des querelles. Et il proclame (Matthieu 11, 29): "Apprenez de
moi que je suis doux et humble de cœur". Et en cela nous avons à
l’imiter. Descendant à Jérusalem, le Christ s’assit sur un âne, qui est un
animal doux, et non sur un cheval. Et il fut un fils soumis. Nous devons donc
être doux. Ainsi dans l’Ecclésiastique (3, 17): "Mon fils, accomplis
tes œuvres avec douceur et tu seras aimé au-delà de la gloire des hommes".
2° De même la douceur du Christ apparaît dans sa
manière de réformer. Il subit beaucoup d’outrages de la part de ses
persécuteurs, et cependant il ne leur répondait pas avec colère ou querelle. En
outre (Ps 44, 5): "en faveur de la vérité et de la douceur".
Dans un exposé Augustin dit que, quand le Christ parlait, la vérité se
reconnaissait; quand il répondait à ses ennemis avec patience, on louait sa
douceur. Dans le Psaume 90, 17: "Sa douceur vient sur nous et nous
serons complètement saisis". Et Isaïe 53, 7: "Il ne se raidit
pas et ne pousse pas de cris".
3° Troisièmement, la douceur du Christ apparaît
dans son obligeant accueil de l’homme. Certains hommes ne savent pas accueillir
avec douceur. Mais le Christ accueillait les pécheurs avec bienveillance; il
prenait son repas avec eux, les admettait à ses repas ou assistait à leurs
repas, ce qui étonnait les Pharisiens qui disaient (Matthieu 9, 11): "Pourquoi
votre maître mange-t-il avec les publicains ?" Il fut donc plein
de douceur. Ainsi on peut dire aussi de son Eglise comme il est dit dans le deuxième Livre des Rois: "Ta douceur m’a
fait grandir". Donc ceux qui doivent gouverner les autres doivent être
pleins de douceur.
4° Enfin, la douceur du Christ apparaît dans sa
passion, car (Isaïe 53, 7): "comme un agneau, il souffrit sa passion
et, alors qu’il était insulté, il ne rendait pas l’insulte". Il pouvait
tous, cependant, les livrer à la mort. Et il dit, dans Jérémie 11, 19: "moi,
comme un agneau qui est mené au sacrifice". Le bienheureux André a
bien imité le Christ lui-même dans sa douceur, lui qui, alors qu’il était placé
sur la croix et que le peuple voulait l’en faire descendre, obtint par ses
prières et ses supplications qu’ils ne le fassent pas descendre de la croix et
qu’ils le suivent lui-même dans sa passion. Et ainsi, il est implicitement dit
de lui: "c’était un homme fort doux,
plus qu’aucun homme parmi le peuple". La douceur fait hériter de la
terre. Ainsi chez Matthieu 5, 4: "Heureux les doux, car ils possèderont
la terre", car il est digne de l’emporter sur nous lui qui, avec Dieu
le Père et l’Esprit Saint règne pour les siècles des siècles amen.