Sermon "Voici que ton roi vient à toi"

 

Saint Thomas d’Aquin

(sermon authentique)

 

Traduction Charles Duyck, 2004

Edition numérique http://docteurangelique.free.fr 2004

Les œuvres complètes de saint Thomas d'Aquin

 

 

 

Prologue

 

Voici que ton Roi vient à toi, plein de douceur. (Zacharie 9, 9)

Nombreuses sont les merveilles des œuvres divines. Comme dit le psaume 98, 1: "Merveilleuses sont tes œuvres". Mais aucune œuvre de Dieu n’est aussi merveilleuse que la venue du Christ dans la chair; la raison en est que, dans ses autres œuvres, Dieu a imprimé à sa créature une ressemblance [similitudinem] avec lui-même, tandis que dans l’œuvre de l’Incarnation, Dieu s’est imprimé [impressit] lui-même et il s’est uni à la nature humaine dans l’unité de la personne, ou encore il a uni notre nature à lui-même. Et ainsi, alors que les autres œuvres de Dieu ne peuvent pas être sondées parfaitement, cette œuvre-là, à savoir l’incarnation, est tout à fait hors de portée de notre raison. D’où, chez Job 5, 9: "toi qui es l’auteur d’œuvres grandioses et insondables, de merveilles qu’on ne peut compter". Il y a une seule œuvre que je ne peux pas voir: "s’il passe sur moi, je ne le vois pas." Et chez Malachie 3, 1-2: "Voici venir le Seigneur des armées, qui pourrait concevoir le jour de sa venue". C’est comme s’il disait que cela dépasse les limites de la pensée humaine. Mais l’Apôtre révèle qui peut concevoir le jour de sa venue, disant (2 Corinthiens 3, 5): "Ce n’est pas que de nous-mêmes nous soyons capables de revendiquer quoi que ce soit comme venant de nous; non, notre capacité vient de Dieu". Donc pour commencer nous demanderons au Seigneur qu’il me donne lui-même quelque chose à dire, etc.

 

Première partie [Les quatre venues du Christ]

 

Voici que ton Roi vient à toi, plein de douceur.

Ces mots sont tirés de l’évangile que nous lisons aujourd’hui et ils sont empruntés à Zacharie 9, 9, bien qu’ils soient prononcés un peu après d’autres paroles. Or en ces paroles-là nous est clairement annoncée la venue du Christ. Pour que nous n’avancions pas sur de l’incertain, vous devez savoir que la venue du Christ s’entend de quatre manières:

La première manière est celle par laquelle il vient dans la chair;

sa seconde venue est celle par laquelle il vient dans notre esprit;

la troisième, celle par laquelle il vient à la mort des justes;

la quatrième venue du Christ, celle par laquelle il vient pour juger.

 

Je parle tout d’abord de la venue du Christ dans la chair. Et il ne faut pas comprendre qu’il vient dans la chair en changeant de lieu, puisqu’il proclame dans Jérémie ( ?): "Est-ce que le ciel et la terre, je ne les remplis pas ?" Comment donc est-il venu dans la chair ? J’affirme qu’il est venu dans la chair en descendant du ciel, non en abandonnant le ciel, mais en prenant sur lui notre nature. D’où chez Jean 1, 11: "Il est venu chez lui". Et comment puis-je dire qu’il était dans le monde ? Parce que "le Verbe s’est fait chair" (Jean 1, 14). Et constatez que cette venue introduit une autre venue du Christ, celle qui se fait dans notre esprit. Il ne nous eût pas été utile que le Christ fût venu dans la chair si en même temps il n’était venu dans notre esprit, bien entendu pour nous sanctifier. D’où chez Jean 14, 23: "Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera et nous viendrons vers lui et nous ferons une demeure chez lui".

Dans sa première venue, le Fils seulement est venu. Dans la seconde, le Fils est venu avec le Père pour habiter notre âme. Par cette venue qui se fait par la grâce qui justifie, l’âme est libérée du péché, mais non de toute peine, parce que la grâce est conférée, mais pas encore la gloire.

Et c’est pour cette raison qu’est nécessaire la troisième venue du Christ, quand il nous ramène nous-mêmes à lui. D’où chez Jean 14, 2: "si je m’en vais – dans sa passion – et si je vous prépare une place – enlevant tout obstacle – je viendrai de nouveau vers vous – c’est-à-dire dans la mort – et je vous prendrai avec moi – c’est-à-dire dans la gloire – pour que là où je suis, vous soyez vous aussi." De même (Jésus) dit dans saint Jean 10, 10: "Je suis venu pour qu’ils aient la vie – c'est-à-dire sa présence dans les âmes – et qu’ils l’aient en abondance" c'est-à-dire par la participation à sa gloire.

La quatrième venue du Christ sera cella où il viendra pour juger, à savoir quand le Seigneur viendra pour le jugement, et alors la gloire des saints rejaillira sur les corps, et les morts ressusciteront. D’où chez Jean 5, 28: "l’heure vient, et c’est maintenant, où tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l’auront entendue vivront."

Et c’est en raison de ces quatre venues du Christ que l’Église célèbre justement quatre dimanches de la venue du Christ. Or c’est en ce dimanche-ci quelle commémore la première venue du Christ, et nous pouvons, dans les mots proposés, voir quatre choses: d’abord, la présentation de la venue du Christ, ecce; ensuite la qualité de celui qui vient, "ton roi", rex tuus; troisièmement l’utilité de celui qui vient: "il vient à toi"; quatrièmement, la manière de sa venue: "plein de douceur".

 

Nous pouvons d’abord, dis-je, voir dans ecce la présentation de la venue du Christ. Et il faut noter que par ecce nous comprenons d’habitude quatre choses:

d’abord une confirmation [certificationem] de la chose; nous parlons de quelque chose qui nous apparaît clairement: ecce;

en second lieu, nous entendons par ecce la fixation d’une limite de temps;

troisièmement la manifestation d’une chose;

quatrièmement, la reconnaissance [confortationem] des hommes.

 

            Par ecce, dis-je, nous avons coutume d’entendre d’abord une confirmation de la chose. Quand quelqu’un veut confirmer, il dit ecce. C’est ainsi que le Seigneur dit dans la Genèse 9, 9: "Voici que j’établis mon alliance avec vous et avec vos descendants après vous. Je mets mon arc entre vous et moi", c'est-à-dire un signe de paix. Par le moyen de cet arc est signifié le Fils de Dieu, parce que, de même que l’arc naît de la réverbération du soleil sur un nuage humide, de même le Christ est né du Verbe de Dieu et de la nature humaine qui est comme un nuage; et, de même que l’âme et la chair constituent un seul homme, de même Dieu et l’homme sont un seul Christ; et du Christ il est dit qu’il monte sur une nuée légère, c'est-à-dire sur la nature humaine en l’unissant à lui-même. Et le Christ est venu à nous en signe de paix; et il fut nécessaire que cela se passe ainsi parce que il y en a qui doutent de la seconde venue du Christ. Ainsi, dit l’Apôtre (2 P 3, 3), "aux derniers jours viendront des railleurs, s’écartant de la foi, "marchant" selon leurs passions, et qui diront: "Où est maintenant la promesse ? Où est son avènement ?". Ces gens diront en effet que l’âme ne subsistera pas après (la disparition du) corps, et c’est pourquoi, pour la confirmation de la venue du Christ, le prophète dit ecce, etc… Et chez Habacuc 2, 3: "le Seigneur apparaîtra à la fin et ne mentira pas". Et chez Isaïe: "le Seigneur des armées viendra".

 

            En second lieu, par ecce nous avons coutume de comprendre la fixation d’une limite de temps. Pour la venue du Christ en vue d’un jugement, il n’y a pas pour nous de temps fixé. Ainsi Job: "Je ne sais combien de temps je subsisterai et quand mon Créateur m’emportera". Et chez Luc 17, 20: "Le royaume de Dieu ne viendra pas avec des signes (à observer)". Et pour quelle raison n’y a-t-il pas à cette venue un temps qui soit fixé pour nous ? Sans doute parce que le Seigneur a voulu que nous soyons très vigilants.

Mais pour la venue du Christ dans la chair, un temps nous a été fixé. Ainsi Jérémie 23, 5: "Voici que des jours viennent où je susciterai à David un germe juste; il règnera en roi et il sera sage".

 

            En troisième lieu, par ecce nous avons l’habitude de comprendre la manifestation d’une chose. Il y a une venue de Dieu qui est cachée pour nous, à savoir celle par laquelle il vient dans notre esprit, et cette venue-là ne peut pas être connue par une confirmation. D’où chez Job 9, 11: "s’il passe près de moi, je ne le vois pas; s’il s’éloigne, je ne m’en aperçois pas". Tandis que pour sa venue dans la chair, le Christ est manifeste et visible. Chez Isaïe 52, 6: "C’est pourquoi mon peuple connaîtra mon nom, il saura que c’est moi qui dis "me voici !". Et Jean(-Baptiste) l’a montré du doigt quand il fut devant lui, disant: "Voici l’agneau de Dieu". Zacharie l’a bien montré par ecce pour annoncer sa venue future.

 

            En quatrième lieu, par ecce, nous entendons la reconnaissance [confortationem] des hommes, et cela de deux manières. Si un homme subit des désagréments de la part de ses ennemis et que ceux-ci prennent sa place, il dit ecce. D’où Lamentations 2, 16: "Mes ennemis ouvrent la bouche contre moi, et voici venir le jour que j’ai attendu". De la même manière, quand un homme obtient quelque chose, il dit ecce. Ainsi le Psaume: "Comme il est bon, comme il est agréable que des frères habitent ensemble", etc. Nous avons obtenu ces deux choses par la venue du Christ: l’homme a été libéré des insultes des démons, et il se réjouit d’un espoir qui s’est réalisé. Ainsi Isaïe 35, 4: "Dites à ceux qui ont le cœur troublé:’Prenez courage, ne craignez point, voici votre Dieu, il amène la vengeance sur vos ennemis, il viendra lui-même, il vous sauvera’".

 

Voyons maintenant les circonstances de sa venue. La venue d’une personne est recherchée, attendue ou annoncée avec solennité, en raison de la grandeur de la personne, si c’est un roi ou un légat du Souverain Pontife, ou en raison de l’amitié et de la familiarité. Or celui qui vient en roi est familier et notre ami. Pour cette raison nous devons l’attendre avec solennité. Vous savez qu’un roi règne en vertu de son droit de propriété, mais n’est pas considéré comme roi quiconque possède un droit de propriété; pour que quelqu’un soit considéré comme roi, quatre conditions sont exigées, et si l’une d’entre elles fait défaut, il n’est pas considéré comme roi. Un roi, en effet, doit d’abord être unique, ensuite il doit avoir un pouvoir complet, ensuite un vaste droit de justice, et quatrièmement un esprit de justice.

 

            Un roi doit, d’abord, dis-je, être unique: si dans un royaume il y a plusieurs maîtres et si le droit de propriété n’échoit pas à un seul, il n’y a pas de roi. D’où un royaume est comme une monarchie, et le Christ possède cette unicité. Ainsi chez Ézéchiel 37, 22: "Un seul roi règnera sur eux tous". Il dit rex unus pour signifier que ce ne sera pas un étranger, un maître "d’ailleurs", mais que notre toi sera le Fils avec le Père, un maître unique. Le Christ dit: "Le Père et moi nous sommes un", ce qui est contraire à la pensée d’Arius qui prétend qu’autre est le Père, autre le Fils. L’Apôtre dit (1 Corinthiens 8, 5): "s’il y a beaucoup de dieux et beaucoup de seigneurs, pour nous il y a un seul Dieu, un seul Seigneur".

 

            En second lieu, un roi porte en lui la plénitude du pouvoir. Celui qui gouvernerait, non pas avec la plénitude du pouvoir, mais selon des lois imposées, ne serait pas considéré comme roi mais comme consul ou magistrat légitime [potestas]. Or il devait advenir que, à la venue du Christ, la loi soit changée par Dieu, du moins pour ce qui est des lois religieuses. Le Christ est ainsi celui qui peut établir la loi. Et il proclame: "Il a été dit à vos pères: ‘tu ne tueras pas’, et bien, moi, je vous dis…", comme s’il disait: je possède le pouvoir, je peux établir les lois. En Isaïe 33, 22: "Yahvé est notre juge, notre législateur, lui-même viendra pour nous sauver". On lit que le Père a donné à son Fils tout pouvoir de juger. Le Seigneur est notre législateur et par conséquent il est notre roi. En Esther: "Dieu tout-puissant, notre Seigneur, notre roi, en ta puissance sont placées toutes choses". Et le Fils dit: "Tout pouvoir m’a été donné dans le ciel et sur la terre".

 

            En troisième lieu, un roi porte en lui la totalité du droit de justice. Un père de famille possède la plénitude de l’autorité dans sa maison, mais il n’est pas considéré comme roi. De la même façon, celui qui possède une seule propriété n’est pas considéré comme roi, alors que celui qui a pouvoir sur de nombreuses terres et sur une grande cité, celui-là est un roi. C’est ce que nous voyons dans celui qui vient à nous: toute créature lui est soumise car Dieu est le roi de toute la terre, et il fallait que vînt quelqu’un qui eût un tel pouvoir, car autrefois c’est aux Juifs seulement que fut donnée la loi, les Juifs étaient considérés comme le peuple qui appartenait à Dieu en propre. Or il fallait que tous soient amenés vers le salut, aussi fallait-il qu’il y eût un roi de tous les hommes, qui pût sauver tous les hommes. Tel fut celui qui vint à nous. Le Psaume 2, 8 dit: "Fais-m’en la demande, et je te donnerai les nations pour héritage et pour domaine les extrémités de la terre".

 

            Quatrièmement, il faut qu’un roi possède l’esprit de justice: il est différent du tyran, car un tyran tourne à son propre profit tout ce qui se trouve dans son royaume, tandis que le roi dispose son royaume en vue du bien commun. Dans les Proverbes 29, 4: "Un roi juste raffermit son territoire, celui qui est avide le ruine". Or le Christ vient, non pas en recherchant son propre profit, mais le tien, car "le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir". Et celui qui vient pour servir vient certes donner sa vie pour la rédemption de la multitude et pour mener les rachetés à la gloire éternelle vers laquelle il nous conduit, etc…

 

 

Deuxième partie:

Voici que ton Roi vient à toi, plein de douceur.

Il a été dit que, dans ces mots, nous pouvons voir: I. la confirmation de la venue du Christ quand il dit ecce; II. ensuite l’utilité de sa venue: venit; III. et IV. troisièmement et quatrièmement, la manière dont il vient: mansuetus.

I. Il a été dit que, par ce mot que je prononce, ecce, nous pouvons comprendre quatre choses: d’abord la confirmation de la chose, ensuite la fixation d’une limite de temps, troisièmement la manifestation d’une chose, et quatrièmement, sa reconnaissance.

De la qualité de celui qui vient – qui est marquée quand il dit rex tuus – il a été dit que la venue d’une personne est recherchée, attendue ou annoncée avec solennité en raison de sa grandeur si c’est un roi ou un légat, ou en raison de l’amitié et de la familiarité, et que ces éléments se trouvent présents dans Celui qui vient.

Or il faut considérer qu’il est lui-même roi de toute créature. Ainsi chez Judith 9, 17: "créateur des eaux et de toute créature"; en particulier rex tuus – c'est-à-dire roi de l’homme – se dit pour quatre raisons:

en raison de la ressemblance de son image,

en raison d’un amour particulier,

en raison d’un souci et d’une sollicitude particulière,

en raison de son association avec la nature humaine.

 

            J’affirme d’abord que le Christ est dit rex tuus, c'est-à-dire roi de l’homme, en raison de la ressemblance de son image. Vous savez que ceux qui portent les insignes de roi, pour ainsi dire son image, concernent, dit-on, particulièrement le roi; et alors que toute créature est de Dieu, c’est cependant d’une manière plus spéciale qu’on considère comme créature de Dieu celui qui porte en lui l’image de Dieu, et tel est l’homme. Ainsi dans la Genèse 1, 26: "Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance". En quoi consiste cette ressemblance ? J’affirme qu’elle ne s’applique pas en raison d’une ressemblance corporelle, mais en raison d’une clarté intelligible de l’esprit. Or il y a en Dieu une source intelligible de clarté, et nous avons la marque de cette clarté. D’où, dans le Psaume 4, 7 "la clarté de ton visage se lève sur nous, Seigneur". L’homme possède l’empreinte de cette clarté. Ainsi cette image a été produite en l’homme, mais il arrive qu’elle ait été retranchée et obscurcie par le péché. Le psaume 73, 20 dit: "leurs images, tu les réduis à rien". C’est pourquoi Dieu a envoyé son Fils pour restaurer cette image abîmée par le péché.

Veillons donc à nous corriger, selon ce que dit l’Apôtre Eph.4, 24: "… vous dépouillant du vieil homme, revêtez l’homme nouveau qui a été créé selon Dieu et qui est rénové à l’image de celui qui l’a créé". Et comment nous rénover ? Certainement en imitant le Christ. Cette image qui, en nous, est abîmée, est parfaite dans le Christ. Nous devons donc porter l’image du Christ. Ainsi, dit l’Apôtre 1 Corinthiens 15, 49: "De même que nous avons porté l’image du terrestre, nous portons aussi l’image du céleste", et dans l’épître d’aujourd’hui: "Revêtez le Christ", c'est-à-dire imitez le Christ. C’est en cela que consiste la perfection de la vie chrétienne.

 

            En second lieu, le Christ est dit rex tuus, c'est-à-dire roi de l’homme, en raison d’un amour particulier. Il est habituel quand, dans une assemblée, l’évêque aime les uns d’une manière plus spéciale que d’autres, qu’on le dise leur évêque. Dieu aime tout ce qui existe, mais il aime les hommes d’une manière plus particulière. Ainsi Isaïe 63, 15: "Où est ton zèle, où est ta puissance ? Le frémissement de tes entrailles est pour moi". Vous constatez que Dieu aime spécialement la nature humaine. Nous découvrons en effet qu’il y a plusieurs degrés de nature, mais nous ne voyons pas que Dieu transforme un degré inférieur de la nature en un degré supérieur de la nature, comme le degré d’une étoile en degré du soleil, ou comme le degré des Anges inférieurs en degré des Anges supérieurs; mais Dieu a amené l’homme à un degré égal à celui des Anges. D’où Luc 20, 36 "fils de la résurrection, ils seront pareils aux Anges". Donc Dieu aime les hommes d’une manière spéciale. Nous ne devons donc pas être ingrats face à un si grand amour, mais nous devons transporter totalement sur lui-même notre amour. Si le roi aimait un pauvre, le pauvre se considérerait comme misérable s’il ne rendait pas son amour en retour au roi, selon ses possibilités. Le Seigneur, dans un amour infini, dit à l’homme (Prov 8, 31): "mes délices sont avec les enfants des hommes". Donc nous devons lui rendre cet amour en retour.

 

            En troisième lieu le Christ est dit rex tuus, c'est-à-dire roi de l’homme, en raison d’un souci et d’une sollicitude particulière. Il est bien vrai que Dieu a souci de tous. Dans le douzième livre de la Sagesse (12, 13): "il a souci de tous". Il n’existe pas de chose si petite qu’elle soit soustraite à la divine Providence, car, de même que la chose appartient à Dieu, ainsi l’ordre également appartient à Dieu, et la Providence, c’est la même chose que l’ordre. Les hommes sont particulièrement soumis à la divine Providence. Ainsi, dit le Psaume 35, 7: "Les hommes et le bétail, tu les sauves, Seigneur" - il s’agit d’un salut corporel – "les fils d’Adam espèrent en l’abri de tes ailes". Et comment espèrent-ils ?

Je dis que non seulement les biens spirituels, mais aussi le bonheur éternel, sont préparés par Dieu pour ceux qu’il conduit à la vie éternelle et, tout autant, que cela n’est pas un souci pour Dieu au sujet des autres êtres vivants. L’Apôtre dit: "le bétail n’est pas un souci pour Dieu". Dieu ne permet pas qu’un acte humain n’ait pas été examiné à fond. Ainsi dans le livre de la Sagesse 12, 18: "Toi, dominant ta force, tu juges le péché avec modération".

 

            En quatrième lieu, le Christ est dit rex tuus, c'est-à-dire roi de l’homme, en raison de son association avec la nature humaine. Deut 17, 15: "Tu ne pourras pas faire roi quelqu’un d’une race étrangère, qui ne soit pas ton frère". En effet dans cette prophétie qui concerne le Christ, le Seigneur disposait de ce qui constituerait un roi pour les hommes. Il n’a pas voulu que ce soit quelqu’un d’une autre race, c'est-à-dire d’une autre nature, qui ne soit pas notre frère. Ainsi l’Apôtre dit du Christ (He 2, 16): "Ce n’est pas des Anges qu’il se charge, mais de la semence d’Abraham", en quoi l’on voit que l’homme a la prééminence sur les Anges. Le Christ est roi des Anges et il est homme, non Ange.

Même les Anges sont au service de l’homme. D’où, dit l’Apôtre (He 1,14): "tous sont des esprits chargés d’un ministère". Il a aussi fallu que le Christ soit un homme pour qu’il soit sauveur, car – dit l’Apôtre aux Hébreux (He 2, 11) – "la sanctification et les sanctifiés ont la même origine"; c’est parce qu’il est touché de componction envers nos frères, qu'il dit (Ps 21, 23): "J’annoncerai mon nom à mes frères".

 

II. Cela est vraiment évident au sujet de la présentation de la venue du Christ et au sujet de la qualité de celui qui vient. Il s’ensuit que nous pouvons voir l’utilité de celui qui vient qui est marquée quand il dit "il vient à toi", c'est-à-dire qu’il n’est pas touché de componction en raison de son utilité, mais en raison de la nôtre.

Or il vient pour quatre raisons: d’abord, il vient pour manifester la majesté divine, ensuite pour nous réconcilier avec Dieu, troisièmement pour nous libérer du péché, enfin pour nous faire don de la vie éternelle.

            D’abord, dis-je, le Christ vient pour manifester la majesté divine. L’homme a un très grand désir de connaître la vérité et, au premier chef, c’est au sujet de Dieu que la vérité est envisagée. Or les hommes étaient dans une ignorance si grande qu’ils ignoraient ce qu’était Dieu. Les uns disaient qu’il était corporel, les autres disaient qu’il n’avait pas souci des êtres singuliers, et c’est pourquoi le Fils de Dieu est venu pour nous enseigner la vérité. Ainsi, il proclame dans Jn 18, 37: "Je suis né et je suis venu en ce monde pour rendre témoignage à la vérité". Et chez Jean (1 Jn 4, 12): "Dieu, personne ne l’a jamais vu", et c’est pourquoi le Fils de Dieu est venu pour que tu connaisses la vérité. Nos pères furent dans une si grande erreur qu’ils ignorèrent la vérité sur Dieu. Mais nous, grâce à la venue du Fils de Dieu, nous sommes ramenés à la vérité de la foi.

            En second lieu, le Christ est venu pour nous réconcilier avec Dieu. On pouvait dire: à cause du péché, Dieu m’était hostile; c’était donc mieux pour moi de ne pas le connaître que de le connaître. C’est pourquoi le Christ est venu non seulement pour nous manifester la majesté divine, mais aussi pour nous réconcilier avec Dieu. Et l’Apôtre dit aux Éphésiens qu’en venant il apporte la paix à ceux qui sont proches comme à ceux qui sont loin. Et ailleurs l’Apôtre dit (Rm 5, 10): "Nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils"; c’est ainsi qu’à la naissance du Christ, les Anges chantaient: "Gloire à Dieu au plus haut des cieux". Et, après la résurrection, le Seigneur apporte la paix à ses disciples en disant "La paix soit avec vous".

            En troisième lieu, le Christ est venu pour nous libérer de l’esclavage du péché. L’Apôtre dit (1 Tm 1, 15): "Jésus-Christ est venu dans le monde pour sauver les pécheurs. Celui qui commet le péché est esclave du péché". Il est dit (Jn 8, 36): "Si le Fils vous libère, vous serez réellement libres". Et Luc 19, 10: "Le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu".

            En quatrième lieu le Christ est venu pour nous donner, en ce monde, la vie de la grâce et, dans l’au-delà, la vie en gloire. Ainsi chez Jean 10, 10: "Moi je suis venu pour qu’ils aient la vie – c’est-à-dire la vie de la grâce en ce monde-ci – et qu’ils l’aient en abondance - parce que – le juste vit de la foi", c'est-à-dire la vie dans la gloire dans la vie future, grâce à la charité. Jean dit encore (1 Jn 3, 14): "Nous savons que nous sommes passés de la mort à la vie parce que nous aimons nos frères" et que nous vivons dans les bonnes œuvres. De même chez Jean 17, 3: "La vie éternelle, c’est qu’ils Te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ." Voilà donc ce qui apparaît clairement au sujet de l’utilité de sa venue.

Mais comment vient-il ?

 

III et IV. J’affirme qu’il vient "plein de douceur", c'est-à-dire multum. Dans les Proverbes 19, 12: "Tel le rugissement du lion, telle aussi la fureur du roi; telle sa bonté, telle la rosée sur l’herbe". La mansuétude, c’est de la colère apaisée.

Et bien, Dieu vient avec douceur, mais à la fin des temps, il viendra avec colère. Isaïe dit (30, 27): "Voici que le nom du Seigneur viendra de loin, comme brûlant de colère". Et Job 35, 15: "Car sa colère ne sévit pas encore, ni son ardeur ne se venge". En effet, le Seigneur vient avec douceur et nous, c’est avec douceur que nous devons le recevoir. Le bienheureux Jacques dit (1, 21): "Recevez avec douceur la parole inscrite en vous, parce qu’elle peut sauver vos âmes".

 

Voyez: nous pouvons observer la douceur du Christ dans quatre domaines: d’abord dans sa manière de parler, ensuite dans sa manière de réformer (les hommes), troisièmement dans son obligeant accueil de l’homme, et enfin dans sa passion.

            Nous pouvons d’abord voir, dis-je, la douceur du Christ dans sa manière de parler, parce qu’elle fut tout entière pacifique; il ne rechercha pas de prétextes à disputes et évita tout ce qui pouvait provoquer des querelles. Et il proclame (Matthieu 11, 29): "Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur". Et en cela nous avons à l’imiter. Descendant à Jérusalem, le Christ s’assit sur un âne, qui est un animal doux, et non sur un cheval. Et il fut un fils soumis. Nous devons donc être doux. Ainsi dans l’Ecclésiastique (3, 17): "Mon fils, accomplis tes œuvres avec douceur et tu seras aimé au-delà de la gloire des hommes".

            De même la douceur du Christ apparaît dans sa manière de réformer. Il subit beaucoup d’outrages de la part de ses persécuteurs, et cependant il ne leur répondait pas avec colère ou querelle. En outre (Ps 44, 5): "en faveur de la vérité et de la douceur". Dans un exposé Augustin dit que, quand le Christ parlait, la vérité se reconnaissait; quand il répondait à ses ennemis avec patience, on louait sa douceur. Dans le Psaume 90, 17: "Sa douceur vient sur nous et nous serons complètement saisis". Et Isaïe 53, 7: "Il ne se raidit pas et ne pousse pas de cris".

            Troisièmement, la douceur du Christ apparaît dans son obligeant accueil de l’homme. Certains hommes ne savent pas accueillir avec douceur. Mais le Christ accueillait les pécheurs avec bienveillance; il prenait son repas avec eux, les admettait à ses repas ou assistait à leurs repas, ce qui étonnait les Pharisiens qui disaient (Matthieu 9, 11): "Pourquoi votre maître mange-t-il avec les publicains ?" Il fut donc plein de douceur. Ainsi on peut dire aussi de son Eglise comme il est dit dans le deuxième Livre des Rois: "Ta douceur m’a fait grandir". Donc ceux qui doivent gouverner les autres doivent être pleins de douceur.

            Enfin, la douceur du Christ apparaît dans sa passion, car (Isaïe 53, 7): "comme un agneau, il souffrit sa passion et, alors qu’il était insulté, il ne rendait pas l’insulte". Il pouvait tous, cependant, les livrer à la mort. Et il dit, dans Jérémie 11, 19: "moi, comme un agneau qui est mené au sacrifice". Le bienheureux André a bien imité le Christ lui-même dans sa douceur, lui qui, alors qu’il était placé sur la croix et que le peuple voulait l’en faire descendre, obtint par ses prières et ses supplications qu’ils ne le fassent pas descendre de la croix et qu’ils le suivent lui-même dans sa passion. Et ainsi, il est implicitement dit de lui: "c’était un homme fort doux, plus qu’aucun homme parmi le peuple". La douceur fait hériter de la terre. Ainsi chez Matthieu 5, 4: "Heureux les doux, car ils possèderont la terre", car il est digne de l’emporter sur nous lui qui, avec Dieu le Père et l’Esprit Saint règne pour les siècles des siècles amen.