Les souvenirs pleins d'allégresse de l'eucharistie
Sermon pour
PAR SAINT THOMAS D'AQUIN
prononcé par saint
Thomas au Consistoire, devant le Pape et les Cardinaux
Edition numérique http://docteurangelique.free.fr
Révérendissimes Pères,
Les souvenirs pleins
d'allégresse qu'évoque la solennité de ce jour nous invitent à entourer de
joyeuses louanges le Corps très saint du Christ. Quoi de plus doux, quoi de
plus suave au coeur des élus que de chanter les trésors de la divine charité et
d'exalter l'ardeur d'un amour sans mesure ? C'est qu'à la table de la grâce
nouvelle, tous les jours, par les mains du prêtre, Dieu donne à ses enfants et
aux héritiers de son royaume sa chair en nourriture et son sang en breuvage. Ce
sont là tes oeuvres admirables, ô Christ, toi dont la puissance est infinie et
la bonté sans bornes ! Dans cet aliment sacré et ce pain super-substantiel qu'annonçaient les prodiges antiques, tu
as trouvé le secret d'une union merveilleuse et auguste : la chair immaculée de
Jésus-Christ, l'Agneau sans tache, devient le remède de ceux que le fruit
défendu avait rendus malades et qui avaient perdu l'éternelle et immarcescible
couronne.
O prodige qu'on ne peut
trop exalter ! Effusion permanente de la bonté divine et d'une miséricorde
sans mesure ! Dans ce sacrement, consommation de tous les sacrifices, Il
demeure, ce Dieu, indéfectiblement avec nous ; Il y est pour jusqu'à la fin des
siècles ; Il donne aux fils d'adoption le pain des anges et les enivre de
l'amour qu'on doit aux enfants. O humilité singulière,
délices de Dieu, et que le Christ pratique après l'avoir prêchée lui-même ! Il
ne se refuse à personne ; Il ne craint pas de prendre pour habitacle même un
coeur souillé.
O pureté, qui semblable à
celle du soleil n'est ternie par aucune fange et ne craint nulle contagion,
mais qui gagne les âmes et en fait disparaître toute tache !
O nourriture des esprits
bienheureux, qui sans cesse nous renouvelle et jamais ne s'épuise ! Tu
n'es ni brisée, ni divisée, ni transformée ; mais, gardant ton intégrité et ta
nature, tu nous rappelles le buisson antique, la farine et l'huile miraculeuses
qui ne diminuaient pas.
O Sacrement admirable, où
Dieu se cache et où notre Moïse à nous se couvre le visage du manteau de ses
oeuvres, objet de louanges dans toutes nos générations ! Par la vertu des
paroles sacrées, instrument de la puissance divine, les substances symboliques
sont changées en chair et en sang ; les espèces sacramentelles subsistent sans
support, et pourtant nulle loi naturelle n'a souffert violence. Par la vertu de
la consécration, un seul Christ, parfait et intègre, se trouve en divers
endroits, comme une parole se communique, toujours identique à elle-même. Quand
l'hostie se divise, Jésus s'y trouve comme un même visage dans les fragments
d'un miroir brisé. Les fidèles l'offrent à Dieu sous les deux espèces,
quoiqu'il soit tout entier sous chacune d'elles, et c'est à bon droit qu'on
agit ainsi, car ce sacrement donne aux hommes le double salut du corps et de
l'Ame, et il rappelle l'amertume d'une double Passion.
O Vertu ineffable du
Sacrement, qui embrase notre coeur du feu de la charité et marque du sang de
l'Agneau immaculé, au-dessus de leurs deux battants, les linteaux de nos portes !
O véritable viatique de notre exil militant, soutien des voyageurs, force des
faibles, antidote des infirmités, accroissement des vertus, abondance de la
grâce et purification des vices, réfection des âmes, vie des débiles et union
des membres dans l'organisme unique de la charité !
Sacrement ineffable de la
foi, Tu augmentes notre charité et nous communiques l'espérance ; soutien de
l'Eglise, Tu éteins la concupiscence et parfais le corps mystique du Christ.
Voici la substance de
l'arbre de vie, ô Seigneur Jésus !
O Pasteur et nourriture,
prêtre et sacrifice, aliment et breuvage des élus, pain vivant des esprits,
remède à nos faiblesses quotidiennes, festin suave, source de tout renouveau !
O sacrifice de louange et
de justice, holocauste de la nouvelle grâce, repas excellent, non de volailles
ou de taureaux, mais de viandes plus succulentes et de ce vin délicieux qui
renouvelle les amis de Dieu et enivre ses élus !
O table de bénédiction,
table de proposition garnie d'une nourriture substantielle ! Table immense où
tout est prodige étonnant ! Table plus douce que toute douceur, plus délectable
que toute saveur, plus suave que tout parfum, plus magnifique que toute parure,
plus succulente que toute nourriture ! Table que le Christ a préparée à ses
amis et commensaux, que le père de famille sert à son fils de retour, après le
repas de l'agneau symbolique.
Vous êtes le bain sacré que
figuraient les antiques piscines, ô notre Pâque, immolation du Christ, et vous
exigez la conversion du vice à la vertu, donnant ainsi la liberté aux Hébreux
de l'esprit. O nourriture qui rassasie et ne dégoûte point, qui demande la
mastication de la foi, le goût de la dévotion, l'union de la charité, et que
divise non les dents du corps, mais le courage de la croyance ! O viatique
de notre pèlerinage, qui attire les voyageurs sur les sommets des vertus ! O
pain vivant, engendré au ciel, fermenté dans le sein de
Voici le pain, le vrai
pain, consommé, mais non consumé, mangé, mais non transformé ; il assimile et
il ne s'assimile pas ; il renouvelle sans s'épuiser; il perfectionne et conduit
au salut ; il donne la vie, confère la grâce, remet les péchés, affaiblit la
concupiscence ; il nourrit les âmes fidèles, éclaire l'intelligence, enflamme
la volonté, fait disparaître les défauts, élève les désirs. O calice de toutes
suavités, où s'enivrent les âmes généreuses ! O calice brûlant, calice qui
tourne au sang du Christ ; sceau du Nouveau Testament, chasse le vieux levain,
remplis notre intime esprit, pour que nous soyons une pâte nouvelle, et que
nous mangions les azymes de la sincérité et de la vérité. O vrai repas de
Salomon, cénacle de toute consolation, soutien dans la présente tribulation,
aliment de joie et gage de la félicité éternelle, foyer de l'unité, source de
vertu et de douceur, symbole de sainteté !
La petitesse de l'hostie ne
signifie-t-elle pas l'humilité, sa rondeur l'obéissance parfaite, sa minceur
l'économie vertueuse, sa blancheur la pureté, l'absence de levain la
bienveillance, sa cuisson la patience et la charité, l'inscription qu'elle
porte la discrétion spirituelle, les espèces qui demeurent sa permanence, sa
circonférence la perfection consommée ? O pain vivifiant, ô azyme, siège caché
de la toute-puissance! Sous de modestes espèces visibles se cachent
d'étonnantes et sublimes réalités.
O Corps, ô Ame, et Toi de
tous deux inséparable, ô Substance Divine ! De ce dont on chante les grandeurs
dans ce sacrement auguste, ô bon Jésus, seules, pour la foi, après la
consécration, les espèces sacramentelles demeurent ; ce qui est mangé sans être
assimilé ne souffre ni augmentation ni diminution ; ce que tous reçoivent en
entier, mille ne le possèdent pas plus qu'un seul, un seul le possède autant que
mille. Ce que contiennent tous les autels, les parcelles intactes ou brisées le
contiennent toutes ; ta chair est mangée véritablement c'est véritablement ton
sang que nous buvons.
Et tu es ici le prêtre, et
tu es aussi l'hostie, et les saints Anges sont là présents, qui exaltent ta
magnificence et louent ta souveraine majesté. C'est là ta puissance, Seigneur,
qui seule opère de grandes choses ; elle dépasse tout sentiment et toute
compréhension, tout génie, toute raison et toute imagination. C'est Toi qui as
institué et confié à tes disciples ce sacrement où tout est miracle. N'approche
donc pas de cette table redoutable sans une dévotion respectueuse et un fervent
amour, homme ! Pleure tes péchés et souviens-toi de
Traduction du P. Sertillanges (Les plus
belles pages de saint Thomas d’Aquin)