Sermon "Pousse des cris de joie"

Saint Thomas d’Aquin

(sermon authentique)

Traduction Charles Duyck, 2005

Edition numérique http://docteurangelique.free.fr mars 2005

Les œuvres complètes de saint Thomas d'Aquin

 

“Pousse des cris de joie et sois dans l’allégresse, fille de Sion, car voici que je viens et j’habiterai au milieu de toi, dit le Seigneur” (Zacharie 2, 14)

Comme dit saint Bernard: “Réfléchissant très souvent à l’ardeur du désir de nos pères attendant la venue de Jésus-Christ, je serai(s) troublé en moi-même.” En effet, celui qui réfléchit aux soupirs de ceux qui réclament, aux désirs de ceux qui attendent, aux joies de ceux qui annoncent la venue de notre Sauveur peut suffisamment se rendre compte de sa propre tiédeur vis-à-vis des bienfaits déjà reçus depuis sa venue. Cette venue, c’est avec de fréquents soupirs que la réclamait Isaïe 16, 1: “Envoyez, Seigneur, l’agneau…”. Et ailleurs, 64, 1: “Ah, si vous déchiriez les cieux…”. Dans un grand désir, Jérémie (31, 22) attendait le Sauveur: “Le Seigneur a fait une chose nouvelle sur la terre.” Et c’est avec une grande joie que Zacharie l’annonçait, comme cela apparaît dans la citation ci-dessus.

 

Dans ces paroles, le prophète fait trois choses: d’abord il révèle les sentiments des saints Pères qui ont précédé la venue du Sauveur en insistant continuellement sur ses louanges ; ainsi “Pousse des cris de joie et sois dans l’allégresse, fille de Sion”. Il révèle ensuite que le Fils de Dieu lui-même descendra du ciel: “Voici que je viens”. En troisième lieu, il montre (le Sauveur) apparaissant dans l’humilité de son incarnation humaine: “et j’habiterai au milieu de toi”.

 

1/ Est donc révélée tout d’abord la joie de la venue (du Sauveur) qu’il fait ressentir en redoublant le mot “joie”: joie parfaite. A ce propos, il faut noter que pour atteindre la joie parfaite, trois choses sont requises: d’abord que l’esprit s’élève à la grâce divine, ce qui est marqué par “fille de Sion” ; ensuite que le sentiment se dilate par l’effet d’une joie spirituelle, ce qui est marqué par “sois dans l’allégresse” ; troisièmement, que la langue soit portée à l’accomplissement de la divine louange, d’où “Pousse des cris de joie”. En effet, si tu considères attentivement les faveurs divines, tu seras alors la “fille de Sion” ; si, dans l’exultation, tu chantes et combles de louanges et d’éloges la gloire de Dieu, alors tu connaîtras la joie parfaite ; si de cette considération naît la joie spirituelle, alors, fille de Sion, tu seras dans l’allégresse, ce dont a prévenu le prophète disant: “Pousse des cris de joie et sois dans l’allégresse, fille de Sion”.

 

            (A) Il faut donc d’abord pour atteindre la joie parfaite que l’esprit s’élève à la grâce divine, ce qui est indiqué par “Fille de Sion”. Sion en effet signifie “lieu élevé”, “hauteur”, et partout, dans l’interprétation spirituelle, le mot symbolise l’âme contemplative. L’homme en effet est passé <…..> pour annoncer, par la prédication, la venue du Seigneur. Isaïe 52, 7: “Qu’ils sont beaux les pieds des messagers qui publient la bonne nouvelle de la paix” et plus loin “…de celui qui dit à Sion: ‘Ton Dieu règnera’” Mérite en effet d’entendre la prédication divine celui qui ne veut avoir d’entretien que “du Christ et avec le Christ”. Ainsi le Seigneur dans Matthieu 21, 5 et Zacharie 9, 9: “Dites à la fille de Sion”, c'est-à-dire à l’âme attachée, par la méditation, à la contemplation des faveurs de Dieu, “Voici que ton roi vient à toi”. Adressez-vous, dis-je, à celui qui désire entendre parler de la joie de sa venue, en vue d’être consolé. Isaïe 1é, 6 : “Réjouis-toi, sois dans la joie, Sion, parce que ton Sauveur viendra du milieu des nations”. En effet, selon ce que dit saint Bernard: “La consolation de Dieu, qui n’est pas accordée à ceux qui en admettent une autre, s’offre à lui”. Telles sont les filles de Sion, et ainsi leur est annoncée et promise la vue, par la contemplation, de sa venue. Zacharie 9, 9 : “Tressaille d’une grande joie, fille de Sion” et Cantique 3, 11: “Sortez, filles de Sion, et voyez…”. “Sortez” des laideurs du vice et soyez “les filles de Sion” par la contemplation des choses d’en haut, et ainsi vous pourrez voir “le roi Salomon”, c'est-à-dire le Seigneur des Anges “avec la couronne dont sa mère l’a couronné”, c'est-à-dire, selon la Glose, celle qui a reçu sa nature humaine de sa race juive.

 

            (B) Il faut ensuite, pour atteindre la joie parfaite, que le sentiment se dilate par l’effet d’une joie spirituelle, ce qui est marqué par “sois dans l’allégresse”.

 

 

(C) Il faut troisièmement, pour atteindre la joie parfaite, que la langue soit portée à l’accomplissement de la divine louange, ce qui est indiqué par “Pousse des cris de joie”. A partir de là, la connaissance de Dieu est un plaisir pour notre intelligence, et, pour nos sentiments intimes, un transport de joie. Il ne reste alors rien d’autre (à faire) que de chanter, par tous nos sens, la louange (de Dieu). C’est pourquoi l’auteur dit “Pousse des cris de joie”. L’âme fidèle a en effet largement de quoi rapporter ses louanges à son Rédempteur, car il est dans Philippiens 4, 7: “La paix de Dieu, qui surpasse toute intelligence, gardera vos cœurs et vos pensées…” Ainsi il est dit dans l’Ecclésiastique 43, 30: “En louant le Seigneur, exaltez-le tant que vous pourrez, car il sera toujours plus haut encore que toute louange”.

 

 

Nous devons vraiment louer la puissance du Défenseur qui nous a éloignés des périls. C’est en effet un terrible péril que d’être au service du démon et du péché, c’est en effet (comme) le joug de Pharaon ; Romains 6, 22: “Mais maintenant, affranchis du péché et devenus esclaves de Dieu”, chantons au Seigneur, Exode 15, 2: “Le Seigneur a fait éclater sa gloire. Il est ma force et l’objet de ma louange”. Ecclésiastique 51, 8-12: “Mon âme louera le Seigneur jusqu’à la mort… parce que tu arraches (à la ruine) ceux qui te font confiance et tu les libères des mains de ceux qui les écrasent[1].

(Nous devons) aussi (louer) la justice de notre Rédempteur parce que “en mourant, il a détruit la mort”. En effet, que la mort soit expiée par la mort, c’était de la justice ; mais qu’elle soit expiée par le Christ, c’était de la miséricorde. Car il a payé “ce qu’il n’a pas pris”, et cela avec une justice souverainement digne de  louange ; Ecclésiastique 15, 10: “C’est par la justice qu’est dictée la louange” et Isaïe 61, 11: “Le Seigneur fera germer la justice et la louange devant toutes les nations”.

(Nous devons) aussi (louer) la clémence de notre Sauveur, qui nous a conduits à la vie éternelle. Comme le dit en effet l’Apôtre aux Colossiens (1, 13): “Nous devons rendre grâces à Dieu le Père, dans la joie, qui nous a arrachés au pouvoir des ténèbres et nous a transportés dans le Royaume de son Fils bien-aimé”. C’est pourquoi Isaïe 44, 23 dit: “Louez le Seigneur, cieux, parce qu’il a fait miséricorde”.

 

 

2/ Deuxièmement, dans les paroles citées au début, le prophète décrit la proximité de la venue (du Christ) qu’il présente (comme devant se produire) à brève échéance. Ainsi: “voici que je viens”. Je viens, dis-je, de manière visible, avec une forme humaine, en quoi nous est révélée une nouveauté inouïe: “voici”, dit-il.

Dans cette manière de parler, il excite notre tiédeur à aller au devant de lui. Isaïe 25, 9: “Voici notre Dieu, nous avons espéré en lui, et il nous sauvera”. Zacharie 9, 9: “Voici que ton roi vient…”. Il montre aussi la grandeur de cette venue pour que nous l’attendions et que nous soyons pleins d’admiration. Ainsi parle l’Épouse du Cantique (2, 8): “Voici que mon bien-aimé vient, bondissant sur les montagnes”. Et Isaïe 43, 19: Voici que je vais faire une merveille nouvelle, elle est près d’éclore.” Il fait comprendre aussi la proximité (de sa venue) pour que nous nous disposions à le recevoir. Malachie 3, 1: “Voici qu’il viendra dans son temple”. Et Daniel 7, 13: “Voici que sur les nuées vint comme un fils d’homme”. Donc, par cette même manière de parler, le Fils de Dieu se montrait comme visible dans sa forme humaine. Et c’est pour cela qu’on dit “voici”.

 

< Il vient aussi > personnellement dans sa nature divine: en cela se révèle une infinie grandeur. Et cela est marqué par ce mot: “Moi, je”. Car c’est là la personne qui s’est exprimée par la bouche de tous les prophètes: Isaïe 52, 6: “C’est moi qui dis: ‘Me voici’” ; qui annonce la rédemption de tous les pécheurs: Isaïe 63, 1: “C’est moi qui parle avec justice” ; qui proclame le jugement à la fin des temps: Psaume 75, 3: Quand j’aurai atteint le temps fixé, je jugerai avec justice”. Et de même (Psaume 37, 30): “Sa langue exprime la justice”. Et c’est à juste titre. Car il possède l’éternité et il est avant toutes choses. Exode 3, 14: “Je suis celui qui suis”. Il procède en effet de Dieu d’une manière consubstantielle et de toute éternité ; Jean 8, 42: “C’est de Dieu que je suis parti et que je suis venu”.

 

De même il possède une puissance infinie et ainsi il a tout créé. Isaïe 45, 6-7: “Je suis Yahvé et n’y en a point d’autre, je forme la lumière et crée les ténèbres”. Comme en effet le Fils est Dieu, principe né du principe, il possède avec lui l’existence et la puissance.

 

De même il possède une connaissance parfaite et ainsi il gouverne toutes choses, Ecclésiastique 24, 5: “Je suis sortie de la bouche du Très-Haut, engendrée la première avant toute créature”. Comme lui-même est “lumière née de la lumière”, “clarté née de la clarté”, comme le Père il est infiniment puissant, le Fils l’est aussi ; Jean 8, 12: “Je suis la lumière du monde”.

Cependant, comme je suis tellement sublime et d’une dignité si grande, “voici que je viens” comme un ami, revêtu de l’habit du service. “Je viens”, c’est comme s’il disait: Je n’envoie pas un ange, ni un esprit, ni un lieutenant, mais je viens par moi-même: en cela se révèle le plus grand amour. “Je viens”, dis-je, invité par les saints pères: en effet, tous les saints depuis le commencement du monde l’avaient invité, dont la Fiancée représente la figure, Cantique 6, 2: “Mon bien-aimé est venu dans son jardin”. Et au dernier chapitre de l’Apocalypse: “Viens, Seigneur Jésus”. Et ainsi d’Isaïe, de Jérémie et des autres prophètes.

De même je viens, ému, poussé au fond de mon cœur, par la pitié ; Luc 1, 78: “par l’effet de la tendre miséricorde de notre Dieu, par laquelle…”. Là il avait montré sa puissance et sa sagesse, ici sa miséricorde, comme dit Bernard.

Il a aussi compassion de nos infirmités ; Matthieu 8, 7: “Je vais aller le guérir”. Et Luc 19, 10: “Le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu”. Jean 3, 17: Le Fils de l’homme “n’est pas venu dans le monde pour juger le monde mais pour que le monde soit sauvé par lui”. En effet, parce que nous étions déchus de tout honneur, il est venu comme un chef d’une dignité infinie. Josué 5, 14: “C’est comme un chef de l’armée de Yahvé que je viens maintenant”. De même parce que nous étions privés de l’amour de Dieu, il est venu selon la paix de sa charité[2]. Ephésiens 2, 14: “C’est lui qui est notre paix, lui qui des deux peuples n’en a fait qu’un”. En venant, il a prêché la paix, à vous qui (en) étiez loin. Et ce ne fut pas seulement l’amour du Fils qui venait, mais aussi celui du Père qui nous envoyait (son Fils). Jean 5, 43: “Je suis venu au nom de mon Père”.

De même, parce que nous étions privés de la lumière et de sa clarté, il est venu comme lumière d’un éclat infini ; Jean 12, 46: “Je suis venu dans le monde en tant que lumière”.

 

 

3/ Troisièmement, dans les paroles citées au début, nous est montrée l’humilité de la venue (du Christ). Ainsi “j’habiterai au milieu de toi”, comme s’il disait: “Je serai ton allié pendant ton long voyage”. Il dit donc “j’habiterai”.

Il a habité avec nous de trois manières:

 

·        d’une manière générale, (il a habité) avec tous les hommes par sa substance de chair ; Jean 1, 14: “Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous” ; Baruch 3, 38: “Après cela, il a paru sur la terre et il a conversé avec les hommes”.

·        d’une manière particulière, (il a habité) avec les saints par la grâce répandue sur eux ; 2 Corinthiens 6, 16: “J’habiterai au milieu d’eux et je serai leur Dieu”.

·        d’une manière toute familière, (il a habité) avec les bons par la vision [de son Essence] ; Psaume 5, 12: “Pour l’éternité ils exulteront et tu habiteras en eux”. Saint Bernard: “Il est venu pour habiter avec les hommes, et en eux, pour illuminer les ténèbres des hommes, pour abréger leurs souffrances et les éloigner des dangers”.

 

Il est aussi venu comme intercesseur dans notre réconciliation: “au milieu de toi” ; Luc 22, 27: “Moi, au milieu de vous, je suis…”. Or il a été médiateur pour réconcilier Dieu et l’homme ; Jean 1, 26: “Au milieu de vous se tient quelqu’un que vous ne connaissez pas”. Deutéronome 5, 5: “Je me suis tenu comme médiateur entre vous et Dieu”.

 

Il a aussi voulu nous apporter la plénitude de la joie ; Jean 20, 19-20: “Jésus se tint au milieu de ses disciples et leur dit: “’La paix soit avec vous’” et plus loin: “Les disciples furent remplis de joie” ; Isaïe 12, 6: “Pousse des cris de joie et tressaille d’allégresse, maison de Sion[3], parce que le Saint d’Israël est grand au milieu de toi”.

Il fut aussi (médiateur) pour la distribution des récompenses de Dieu: “dit le Seigneur”. Ce point est clair. Va comme tu veux…

 



[1] angustantium 

[2] « sicut pax maudite caritatis » ? Incompréhensible à cause de “maudite”, inconnu ; vérifier le texte

[3] Crampon: “habitante de Sion”