Sermon de Saint Thomas d’Aquin
« Mon âme »
Traduit par Marie-Louise Evrard, 2004
Edition numérique http://docteurangelique.free.fr 2004
Les œuvres complètes de saint Thomas d'Aquin
Cette
homélie, qui est le début du prologue au commentaire d'un verset du Cantique
des cantiques, a vu son authenticité mise en doute par les exégètes. C'est peut-être
un tort. La fin de la vie de saint Thomas livre sans doute la clef de son
origine: c'est probablement la trace de la dernière tentive
de prédication de saint Thomas, vers la fin de sa vie.
Le 6 décembre 1273, fête de saint Nicolas, célébrant
la messe dans la chapelle dédiée à ce saint au couvent de Naples, il eut une
révélation qui le changea tellement, que dès lors il ne lui fut plus possible
ni d'écrire ni de dicter. "Ou plutôt, dit un auteur ancien, le Docteur
brisa sa plume;" il était à la troisième partie de sa Somme, dans le
traité de la Pénitence.
Frère Réginald, son
secrétaire, voyant son maître cesser d'écrire, lui dit: "Père, comment
laissez-vous inachevée une oeuvre si grande entreprise, par vous pour la gloire
de Dieu et l'illumination du monde? — Je ne peux continuer," répondit le
Saint. Réginald, qui craignait que l'excès du travail
n'eût émoussé l'intelligence du grand Docteur, insistait toujours, pour qu'il
écrivît ou dictât, et Thomas lui répondait: "En vérité, mon fils, je ne
puis plus; tout ce que j'ai écrit me paraît un brin de paille."
Sur le conseil de ses supérieurs, qui pensèrent qu'une
absence de Naples le reposerait, Thomas se rendit chez la comtesse de San-Severino, sa soeur, pour laquelle il avait une vive
affection: Il n'y arriva qu'avec une extrême difficulté, et lorsque la comtesse
vint à sa rencontre, c'est à peine s'il lui parla. Elle en fut effrayée, et dit
au compagnon du Bienheureux: "Qu'est-il donc survenu à mon frère, qu'il
soit comme étranger à tout, et qu'il ne m'ait presque rien dit? — Depuis la
fête de saint Nicolas, répondit Réginald, il est
fréquemment dans des abstractions de ce genre, et il n'a plus écrit. Cependant
je ne l'avais pas vu encore si complètement absorbé." Et, après une ou
deux heures, s'approchant du Maître, il le tira vivement par sa chape, pour le
faire revenir à lui. Thomas poussa un soupir, comme un homme arraché aux
douceurs d'un profond sommeil, et dit: "Réginald,
mon fils, je vais vous apprendre un secret; mais je vous adjure, au nom du Dieu
tout-puissant, par votre attachement à notre Ordre et l'affection que vous me
portez, de ne le révéler à personne, tant que je vivrai. Le terme de mes
travaux est venu; tout ce que j'ai écrit et enseigné me semble un brin de
paille auprès de ce que j'ai vu et de ce
qui m'a été dévoilé. Désormais j'espère de la bonté de mon Dieu que la fin de
ma vie suivra de près celle de mes travaux."
Et effectivement, saint Thomas
mourut quelques temps après. Sans doute a-t-il eu, ce jour-là, la révélation brûlante
et expérimentale, l'apparition du Messie dans sa gloire venu lui prêcher
l'évangile pour l'heure de sa mort. Ce sermon n'est-il pas la trace d'un de ses
derniers essais de prédication?
L'histoire dit que, juste avant
sa mort, saint Thomas, se rendit à Lyon pour un Concile. Sur la pression des
moines d'un monastère où ils s'était arrêté pour l"étape, il voulut
commencer un commentaire du Cantique des cantiques. Il n'en reste pas de trace,
sauf peut-être cet extrait qui dit tout….
Prologue:
"Mon âme s’est liquéfiée quand mon
bien-aimé a parlé."
Ces paroles sont inscrites dans le Cantique (5,
6) à l’endroit où l’époux reconnaît le double bienfait de Dieu…
(Fin du texte du sermon).