Sermon "Il viendra, désiré par toutes
les nations"
Veniet desideratus cunctis
(sermon authentique)
Traduction Anne Michel, mars 2005
Edition numérique http://docteurangelique.free.fr 2005
Les œuvres complètes de saint Thomas d'Aquin
Sermon du premier dimanche de l'Avent
"Il viendra, désiré par toutes les nations, et
emplira de gloire cette demeure." (Aggée 2, 7)
Prologue
Comme le dit Saint Augustin à Optatus: "A
cause de la condamnation du fait d’Adam, nul ne s’est racheté si ce n’est par
la foi en Jésus Christ." C’est ce que montre l’Apôtre au chapitre 11 de
l’Epître aux Hébreux, où il écrit que personne ne peut jamais plaire à Dieu
sans la foi. Et il en conclut que, de tout temps, après une chute a été
nécessaire une foi de régénérescence, parce qu’il n’y a pas d’autre remède, ni
à la faiblesse du péché originel, ni à celle du péché actuel. C’est pourquoi
tous les Saints, depuis l’origine du monde, souhaitaient et désiraient toujours
la venue du Sauveur.
C’est ce que montre, de manière claire et parfaite, la phrase précitée,
où le Prophète expose successivement trois points: tout d’abord le Fils de Dieu
lui-même, venant du ciel: "il viendra"; en second lieu,
réalisant le désir des pères avec miséricorde: "désiré par toutes
les nations"; enfin, donnant avec générosité et largesse un bienfait
précieux: "et il emplira de gloire cette demeure".
On montrera dans une première partie l’humilité de celui qui vient ou
de la venue, pour ce qui est du chemin; dans une deuxième partie, la nécessité
de la venue, pour ce qui est du genre humain; dans une troisième partie,
l’utilité de la venue, pour ce qui est du don offert.
D’abord il est proposé que nous lui préparions le gîte de notre cœur,
puis que nous lui offrions notre désir, et enfin que nous recevions le bienfait
offert.
I° Tout d’abord il
montre le Fils de Dieu qui descend du ciel avec humilité, quand il dit: "il
viendra". Il viendra, dis-je, vu qu’il est tout à fait indispensable
pour nous. Or la venue du Sauveur était nécessaire pour trois raisons: 1° parce
que le monde était imparfait sous plusieurs angles; 2° parce que l’homme était
déchu de son propre honneur d’un manière vile; 3° parce que Dieu était
extraordinairement irrité contre l’homme. C’est pourquoi il vient pour donner
au monde un très haut degré de dignité, pour reconduire l’homme au rang propre
de l’homme, pour faire disparaître la disgrâce entre l’homme et Dieu.
Or un triple degré de
perfection faisait défaut dans l’univers: une sorte de génération plus grande
que les autres, un degré d’union plus admirable que les autres, une sorte de
perfection plus distinguée que les autres. Or le Christ qui vient dans ce monde
a accompli une nouvelle union, a engendré une nouvelle génération, a apporté
une nouvelle perfection.
Faisait donc défaut
dans l’univers un degré d’union plus admirable que les autres. En effet il
existe une quadruple union dans l’univers: 1° le corruptible avec le corruptible,
comme dans la nature; 2° le corruptible avec l’incorruptible, comme dans
l’homme; 3° l’incorruptible avec l’incorruptible, comme dans les choses
spirituelles, telles que l’essence et la puissance. Or il manquait la quatrième:
4° le temporel et l’éternel. Or cette union a été réalisée quand "le
Verbe s’est fait chair et a habité parmi nous" (Jean 1, 14); "quand
lui-même a été réduit à néant…" (Epître aux Philippiens 2, 7); quand "le
roi d’Israël se déguisa" (1 Rois 22, 30); "Voici que je fais
toutes choses nouvelles" (Isaïe 43, 19).
Faisait aussi défaut
une sorte de génération plus admirable que les autres. En effet, en regardant
largement, il y a une quadruple génération: la première, qui procède du Père
sans mère, et qui se rencontre dans l’éternité; la deuxième, sans père et sans
mère, comme ce fut le cas originairement pour les premiers parents; la
troisième, qui procède du père et de la mère, et qui se rencontre
habituellement. La quatrième n’avait pas encore existé: celle qui procède de la
mère sans père, temporellement. Or cette génération a été réalisée quand "la
Vierge a conçu" (Isaïe 7, 14); quand "la pierre, détachée de
la montagne sans les mains de l’homme, est devenue une grande montagne et a
rempli la terre toute entière" (Daniel 2, 35): la pierre détachée de
la montagne est le Christ, né de la Vierge sans l’intervention d’un homme.
Alors en effet "Dieu a fait quelque chose de nouveau sur la terre…"
(Jérémie 31, 22).
Faisait aussi défaut
un degré de perfection plus distingué que les autres, étant donné qu’est
parfaite toute chose qui est unie à sa fin. C’est pourquoi une créature est
absolument parfaite quand elle est unie à son créateur. Or c’est par une triple
union que la créature est unie à son créateur: 1° virtuelle, par la dépendance
qui est dans toute chose; d’après Saint Grégoire: "Tout tombe dans le
néant s’il n’est pas préservé par la main du Tout-Puissant.";
2° particulière, par la grâce qui se trouve dans les hommes justes parce que,
selon Denys, l’amour est une force qui unit; 3° réelle, par l’essence. Celle-ci
n’a pas encore existé ainsi, mais elle a été réalisée au moment où la nature
humaine a été accueillie par le Fils de Dieu, dans l’unité d’un suppôt ou d’une
personne. Et dans cet accueil tout l’univers, pour ainsi dire, a été accueilli,
parce que, d’après Saint Grégoire, "suivant tel ou tel mode toute créature
est un homme".
II° En second lieu, il
vient pour réunir ceux qui sont dispersés et les ramener au rang propre de
l’homme ou à la pratique d’une seule religion. En effet les hommes étaient
assujettis à des rois divers, faisaient usage de diverses lois, étaient
corrompus par divers errements: "En ce temps-là il n’y avait pas de roi
en Israël" (Juges 17,
6), et "de nombreux jours les fils d’Israël sont demeurés sans roi,
sans chef…" (Osée 3, 4).
C’est pourquoi le
Christ vient pour être lui-même le seul roi qui règne sur l’univers, dont la
propriété est universelle, dont le pouvoir est universel, dont le royaume est
éternel. Cela apparaît parfaitement dans sa nativité parce qu’il montre alors
qu’il est le roi des hommes, quand les rois l’ont adoré, le roi des anges qui
célébraient Dieu par des chants de joie, le roi de ceux qui attendent, car les
bergers l’ont entendu, le roi des corps super-célestes,
car les étoiles l’ont reconnu. C’est pourquoi il est dit dans Zacharie 9, 9: "Voici
ton roi qui vient à toi…". Ce roi a unifié ceux qui étaient dispersés
quand il a appelé à la foi les Juifs et les païens: "Il y aura un seul
roi qui régnera sur tous et il n’y aura plus deux peuples" (Ezéchiel
37, 22); et dans le même chapitre (verset 23): "Ils seront mon
peuple, et moi, je serai leur Dieu, et mon serviteur David sera leur roi et il
n’y aura qu’un pasteur pour tous."
Il vient aussi pour être la seule loi qui régit tout le monde sans
exception. La loi de Moïse, en effet, a été spécialement donnée à quelques-uns
parce qu’elle n’obligeait pas tout le monde: charnelle dans les engagements,
parce qu’elle assurait ce qui touche au corps, pénale dans les punitions, parce
qu’elle infligeait le châtiment (Exode 21, 24): "dent pour dent,
œil pour œil…" Donc parce que la loi était imparfaite a dû venir un
autre législateur, dont la loi universelle serait donnée à tous: "Annoncez
l’Evangile à toute la création…" (Marc 13, 10). C’est aussi une loi
spirituelle, écrite dans les cœurs: "Je donnerai ma loi dans leurs
entrailles et je l’écrirai dans leur cœur" (Jérémie 31, 33). C’est
aussi une loi qui parle de l’amour des choses célestes: "Faites
pénitence, le Royaume des cieux est proche" (Matthieu 3, 2); "Le
Seigneur est notre roi, le Seigneur est notre législateur" (Isaïe 33,
22); "Etablis, Seigneur, un législateur sur eux pour qu’ils sachent…"
(Psaume ?).
Il vient aussi pour être le seul juge qui juge l’univers, qui soit
d’une autorité si grande qu’il puisse faire tout jugement. Il fut ainsi parce
que "le Père a donné tout jugement à son Fils" (Jean 5, 27).
Et qui soit d’une profondeur si grande qu’il puisse tout connaître. Il fut
ainsi, comme le dit Jérémie 29, 23: "Moi je suis juge et témoin…".
Et qui soit d’une puissance si grande que nul ne puisse lui résister: "Il
y a un seul législateur et juge qui peut épargner et libérer" (Jacques
4, 12). Dans ce jugement, en effet, tout ce qui est caché sera révélé: "Ne
jugez pas avant le temps" (1 Corinthiens 4, 5). Tout sera aussi
examiné: "Tout ce qu’ils font, Dieu le conduira au jugement" (Ecclésiaste 11, 9). Tout sera aussi
récompensé: "Ceux-ci iront au châtiment, mais les justes, à la vie
éternelle" (Matthieu 25, 46); "Notre roi nous jugera, il sortira
devant nous et combattra notre guerre pour nous" (1 Samuel 8, 20).
III° Troisièmement, il vient pour
faire disparaître la disgrâce et installer la paix entre nous et Dieu. Parce
que l’homme a transgressé, il est tombé dans la disgrâce de Dieu et devait
mourir. Dès lors on a agité pour ainsi dire une sorte de cause, depuis le début
du monde jusqu’à la venue du Seigneur. La vérité, en effet, cherchait à ce que
l’homme meure parce qu’il est écrit dans les Nombres 15, 30: "L’âme qui a péché par orgueil disparaîtra
de son peuple". Mais la miséricorde cherchait à ce que l’homme soit
libéré: "Est-ce pour l’éternité que Dieu rejettera et cessera d’être
favorable maintenant et à la fin ?…" (Psaume 85, 6). Enfin la
justice cherchait à ce qu’il soit condamné parce que "le jour où tu en
mangeras, alors tu mourras" (Genèse
2, 17); "Celui qui s’enorgueillira et ne voudra pas se soumettre
au pouvoir de la sagesse mourra par une décision du juge" (Deutéronome 18, 20). Mais la paix
cherchait à ce que la réconciliation se fasse et que la manière d’être change: "Est-ce
pour l’éternité que tu seras en colère contre nous ?…" (Psaume 85, 6). C’est pourquoi Isaïe
16, 1 demandait: "Envoie l’agneau, Seigneur, qui sera maître de la
terre"; et Moïse (Exode 4, 13): "Je t’en supplie,
Seigneur, envoie celui que tu dois envoyer". Mais parce que Dieu est
bon et miséricordieux, il n’a pas pu refuser lui-même, mais a répondu par
l’intermédiaire de Jérémie: "Mes entrailles sont troublées à cause de
lui, avec compassion j’aurai pitié de lui" (Jérémie 31, 20): et Osée
11, 8: "Mon cœur est bouleversé en moi, de même mon repentir est
bouleversé". Ainsi donc le Seigneur a envoyé quelqu’un pour mettre de
l’ordre, ni un homme, ni un ange, mais le fils de Dieu, pour qu’il s’acquitte
de la miséricorde, afin de ne déroger en rien à la justice. Et il en a été
ainsi pour qu’il y ait en lui-même une très grande justice et une miséricorde
infinie, et ainsi "la miséricorde et la vérité sont allées au-devant de
lui…". En lui, en effet, il y avait une très grande justice parce
qu’il punissait très sévèrement, mais aussi une miséricorde infinie parce qu’il
endurait la peine en lui-même: "Vraiment nos souffrances, il les a
portées lui-même, et nos douleurs, il les a supportées lui-même" (Isaïe
53, 5).
Ainsi donc il vient pour établir la paix entre l’homme et Dieu; c’est
pourquoi il est un juge propice, parce que "lui-même est notre paix qui
a réuni les deux choses en une" (Ephésiens 2, 14). Il vient pour
combattre le diable, comme un soldat empressé: "Le chef de l’armée du
Christ Seigneur" (Josué 5, 14). Il vient pour enlever la contagion du
péché, comme un médicament: "Je viendrai et le guérirai"
(Matthieu 8, 7). Il vient pour recevoir notre participation, comme un ami: "Une
joie m’est venue du Saint" (Baruch 5, 9).
Il a donc reçu notre état, lui qui avait d’abord donné le sien; il
s’est acquitté de notre dette, lui qui n’en avait contracté aucune; il a
racheté le malheureux qu’il avait créé auparavant: "Un désir satisfait
est un arbre de vie" (Proverbes 13, 12).
Deuxième
partie: [Le désir des anciens pères]
En second lieu il
montre qu’il réalise le désir des pères avec miséricorde: "désiré par
toutes les nations". En effet l’homme était malade à cause d’une
blessure incurable, écrasé par une tyrannie intolérable, assoiffé d’une soif
inextinguible. C’est pourquoi, comme un malade, il désirait un remède pour
guérir, opprimé, un maître doux, assoiffé, le creux d’une source. Ainsi le
genre humain souhaitait la venue du Sauveur.
L’homme, en effet,
était malade à cause d’une blessure incurable, parce qu’elle avait corrompu
toute la nature humaine: "De la plante du pied jusqu’à la tête il n’y a
rien de sain en lui" (Isaïe 1, 6); "Pourquoi ma douleur est
devenue constante et ma blessure, désespérée, et a-t-elle refusé de
guérir ?" (Jérémie 30, 15). C’est pourquoi il désirait beaucoup
un remède pour guérir: "Nous l’avons vu" (Isaïe 52, 8), et il
poursuit (53, 3): "Nous le désirions, méprisé et le dernier des hommes,
homme de douleur, qui connaît la souffrance."
Il était aussi accablé
par une tyrannie intolérable. En effet, considéré comme funeste, il fut livré
aux ennemis: "Israël a rejeté le bien, l’ennemi le poursuit" (Osée
8, 3); "Quand tu auras été libéré de la dure servitude à laquelle tu
étais asservi auparavant" (Isaïe 14, 3). C’est pourquoi ils désiraient
un doux maître: "Son aspect est celui du Liban et sa gorge, douce; il
est tout entier désirable" (Cantique 5, 15); "Ils désireront
ton Seigneur et te craindront" (Michée 7, 17).
Il est aussi assoiffé
d’une soif inextinguible, parce que la disparition d’une grâce
sacramentelle l’avait desséché: "Est-ce que le roseau peut vivre
sans liquide ou le jonc croît-il sans eau ?" (Job 8, 11). C’est
l’image du peuple qui manque d’eau dans le désert. C’est pourquoi ils désiraient
la cavité d’une source: "Comme le cerf désire…" (Psaume 42, 2).
C’est donc lui-même
qu’ils désiraient, parce que leurs soupirs montent haut: "Seigneur,
incline les cieux et descends" (Psaume 144, 5): "Puisses-tu
déchirer tes cieux et descendre !" (Isaïe 63, 19); "Mon
âme t’a désiré dans la nuit" (Isaïe 26, 9). Ils souhaitaient aussi
qu’il fasse preuve de paroles abondantes: "Eveille, Seigneur, ta
puissance et viens" (Psaume).
Ils attendaient aussi qu’il montre les signes de la révélation divine: "Dans
le sentier de tes jugements nous t’attendions, ton souvenir dans le désir de
l’âme" (Isaïe 26, 8); et au même endroit: "J’attendrai Dieu
mon sauveur". Ils aimaient aussi qu’il montre la supériorité de la
louange: "Toi, Bethléem, terre de Juda…" (Michée 5, 1).
Troisième
partie: [Un bienfait précieux, la demeure de Dieu]
En troisième lieu il
montre qu’il donne des bienfaits, de façon généreuse et admirable: "Il
emplira de gloire cette demeure".
La demeure singulière
est la Vierge Marie, qu’a édifiée la Providence du Père: "La sagesse a
édifié sa demeure" (Proverbes 9, 1). La sagesse du Fils y a habité: "Moi,
j’habite dans une maison en bois de cèdre" (2 Samuel 7, 2). La grâce
de l’Esprit Saint l’a préparée: "Cela est grand, et la demeure n’est
pas préparée pour l’homme mais pour Dieu" (1 Chroniques 29, 1).
La demeure
particulière est l’Eglise qui sert Dieu. Le Christ l’a édifiée à partir de
pierres vivantes: "La demeure que je veux édifier est grande" (2
Chroniques 2, 4). Il l’a consacrée à la grâce par des dons: "Ma demeure
sera appelée demeure de prière" (Isaïe 56, 7); "Je répandrai
sur la maison de David l’esprit de grâce" (Zacharie 12, 10). Il l’a
fondée à ses propres frais: "Les mains de Zorobabel ont fondé cette
demeure" (Zacharie 4, 9).
La demeure universelle
est la patrie céleste. Elle est la plus grande, autant que la charité: "O
Israël, qu’elle est grande la demeure de Dieu !" (Baruch 3, 24).
Elle est la plus noble, autant que ce qui est précieux, parce que "gloire
et richesse dans sa maison", dit un Psaume. Elle est la plus forte,
autant que l’éternité: "Nous savons que si notre demeure terrestre
-notre habitation- est détruite, nous avons un édifice érigé par Dieu, une
demeure éternelle non faite par la main de l’homme, dans les cieux" (2
Corinthiens 5, 1).
La première demeure,
la gloire de la divinité l’a remplie dans l’Incarnation: "Grande est la
gloire de cette demeure, la dernière plus que la première" (Aggée 2, 9);
"La demeure fut remplie de la nuée et l’entrée fut remplie de la gloire
éclatante de Dieu" (Ezéchiel 10, 4).
La seconde demeure a
été remplie de joie dans l’envoi de l’Esprit Saint, par la grâce des langues,
dons de grâces et œuvres de miracles: "Il a rempli Sion de justice et
de droit" (Isaïe 33, 5).
La troisième demeure a
été remplie de la grâce de la félicité dans l’Ascension. En effet est alors
apparue la splendeur brillante qui émanait de l’éclat du corps du Christ,
louange de la bonté divine venant de la manifestation de sa puissance, saveur
d’une alliance interne née d’une double joie: "Il avait rempli…"
(2 Chroniques 7, 1), comme ici; "La gloire du Seigneur avait rempli la
maison du Seigneur" (1 Rois 8, 11); "La demeure était remplie
de la gloire du Seigneur" (Ezéchiel 43, 4); "La gloire est
entrée dans le temple du Seigneur" (Zacharie 9 ?).