Sermon "Beati qui habitant"

Saint Thomas d’Aquin

(Sermon authentique à l’occasion de la Toussaint)

Traduction Charles Duyck, mai 2005

Edition numérique http://docteurangelique.free.fr 2005

Les œuvres complètes de saint Thomas d'Aquin

 

Bref préambule

 

« Bienheureux ceux qui habitent dans ta maison, Seigneur » (Psaume 84, 5)

Personne parmi ceux qui pensent correctement n’ignore que la communion de Dieu, des anges et des hommes est une; 1 Corinthiens 1, 9: « Il est fidèle, le Dieu qui vous a appelés à la communion de son Fils, Jésus-Christ Notre Seigneur ». Et 1 Jean 1.7: « Si nous marchons dans la lumière, comme il est lui-même dans la lumière, nous sommes en communion les uns avec les autres ». C’est une communion dans la mesure où ceux qui y participent travaillent en commun à un but unique: la béatitude; en effet, Dieu est bienheureux et Anges et hommes obtiennent une part de cette béatitude, mais Dieu par essence, les Anges et les hommes par participation. D’où 1 Tite 6, 15: « … que fera voir en son temps le bienheureux et unique Seigneur Dieu ». Entre ceux qui forment cette communion en vue d’une fin unique, le partage des actions doit être tel que ceux qui n’ont pas encore atteint la fin, puissent y être conduits; et ainsi, en route vers la béatitude, nous sommes emmenés par les paroles et les exemples de ceux qui ont déjà atteint le but et aident les autres à l’atteindre. Et c’est la raison pour laquelle nous célébrons les fêtes des saints qui ont déjà atteint la béatitude, si bien que nous sommes aidés par leurs faveurs, édifiés par leurs exemples et stimulés par les récompenses qu’ils ont reçues. Mais parce que nous ne pouvons pas célébrer la fête de chacun des saints, dont le nombre nous est inconnu, et parce que nous nous rendons coupables de multiples négligences dans les solennités que nous célébrons, l’Église, avantageusement, a prévu de célébrer ensemble, en commun, les fêtes de tous les saints, afin que ce qui n’est pas réalisé pour chacun d’une manière spéciale – ce qui est négligé – le soit ainsi d’une certaine façon. Parce que nous achevons aujourd’hui de fêter la communion des bienheureux, il nous faut parler de la béatitude.

 

Première partie

 

Mais il faut bien savoir ceci: bien que chez tous les hommes, les mouvements de l’âme tendent vers la béatitude, cependant, à propos de la béatitude, les opinions sont diverses; entre autres beaucoup se trompent au sujet du lieu où se trouve la béatitude, certains au sujet de sa durée, de la manière dont on passe son temps au séjour des bienheureux et ce qu’on y fait.

 

            1/ Concernant la première erreur, on se trompe en plaçant la béatitude en ce monde-ci, comme par exemple dans les choses du corps, dans les vertus ou dans les connaissances. Contre cette erreur, Isaïe 3, 12 dit: « Mon peuple, ceux qui te disent heureux te trompent ». Et c’est à juste titre car cette opinion est d’abord en opposition avec la perfection de la béatitude; selon le philosophe en effet, la béatitude est le bien suprême pour cette raison même qu’elle est la fin ultime. Il faut donc que le désir se relâche, ce qui ne saurait se produire si, possédant la béatitude, on continuait à désirer. Or dans cette vie, la perfection du bien ne peut exister, ni dans les affaires du monde – parce que ceux qui possèdent ces biens continuent à en désirer de plus grands – ni dans les vertus et dans les sciences, parce que à n’importe quel homme il reste à faire des progrès en matière de vertus et de sciences. Psaume 138, 16: « Je n’étais qu’un germe informe, et tes yeux me voyaient »; 1 Corinthiens 13, 9: « Nous ne connaissons qu’en partie... ».

 

            2/ La deuxième erreur concerne la pureté de la béatitude, car comme la béatitude est le souverain bien, il faut que le mal n’y soit pas mélangé, comme la blanc le plus pur ne peut pas être mélangé au noir. Ainsi on ne peut pas dire bienheureux celui qui est sous le coup d’un malheur quelconque, et on ne peut être en même temps malheureux et heureux. Or dans cette vie on ne trouve personne qui ne soit sujet à quelque malheur, soit dans le mauvais état des affaires de ses amis, soit dans le mauvais état des siennes, et par là même, ses actions, ses vertus et ses connaissances sont entravées. Job 14, 1 dit de l’homme qu’ « il est rassasié de misères ».

 

            3/ La troisième erreur concerne la solidité de la béatitude; car la béatitude ne ferait pas cesser le désir s’elle n’était pas stable: en effet les biens que l’on possède, plus on les aime, plus on est accablé de chagrin si on craint leur perte. Ainsi selon le philosophe, il ne faut pas considérer comme heureux le caméléon qui change d’aspect et de couleur. Il faut au contraire que la béatitude ne change pas, ce qui ne peut, certes, se produire dans cette vie, car les événements extérieurs et nos corps d’hommes nous font subir divers imprévus, à tel point que, à l’expérience, nous pouvons dire qu’il n’y a pas de stabilité dans cette vie. Job 14, 2: « Jamais il ne demeure dans le même état ». Proverbes 14, 13: « Une grande joie se termine dans le deuil ». Si on interroge le Psalmiste: « Où se trouve le vraie béatitude ? », il répondra: « Heureux ceux qui demeurent dans ta maison, Seigneur ».

 

            4/ Pour ce qui est de la durée de la béatitude, certains se sont égarés en disant que les âmes, délivrées des corps, trouvent la béatitude: après un périple d’un grand nombre d’années, les âmes reviendraient dans les corps et, sujettes aux misères de la vie ici-bas, cesseraient d’être heureuses. Telle est l’erreur de Platon et de ses successeurs; Origène y est tombé lui aussi. On peut comprendre, à partir de cela, ce que dit Sagesse 2, 22: « Ils ne croient pas à la récompense des âmes pures » et Matthieu 25, 46: « Ceux-ci s’en iront au supplice éternel, et les justes à la vie éternelle ». Cette opinion me paraît contestable pour trois raisons:

 

                        a) D’abord parce qu’elle va à l’encontre du désir de notre nature. En effet, il y a naturellement en chaque chose une tendance à se garder dans son être et sa perfection propre. Mais il y a une différence: les êtres qui sont privés de raison ne sont pas tendus vers l’universel et il n’y a pas en eux cette tendance à garder leur perfection propre, tandis que les natures raisonnables, connaissant l’universel, tendent naturellement à conserver leur perfection en tout temps. D’où leur désir ne serait pas satisfait si leur âme ne possédait pas une béatitude perpétuelle; et, les natures raisonnables connaissaient des faiblesses futures ou si elles ne connaissaient pas à l’avance les événements à venir, leur béatitude ne serait pas véritable. A ce propos, l’Apôtre parle de ce désir naturel en 2 Corinthiens 5, 2: « Ainsi gémissons-nous dans cette tente, dans l’adent désir que nous avons d’être revêtus de notre demeure céleste ».

 

                        b) Cette opinion va à l’encontre de la perfection de la grâce. En effet, toute chose qui est totalement accomplie dans sa perfection, s’y maintient sans changer; c’est pourquoi la matière première ne reste pas toujours sous la forme du bronze, parce qu’une telle forme n’accomplit pas toute sa capacité de matière. Tandis que l’intelligence, elle, demeure sans changement dans son assentiment aux principes premiers, parce que, grâce à eux, l’intelligence s’accomplit totalement dans ce qui est vraisemblable et donc y acquiesce d’une manière immuable. Alors l’âme heureuse est totalement remplie de sa béatitude; autrement il ne saurait y avoir de béatitude parfaite. Ainsi Psaume 15, 11: « Il y a plénitude de joie devant ta face » et ensuite « des délices à ta droite pour jamais ! ». Et parce que de cette plénitude de grâce découle une durée perpétuelle, il est dit dans Apocalypse 3, 12: « Celui qui vaincra, j’en ferai une colonne dans le temple de mon Dieu, et il n’en sortira plus ».

 

                        c) Cette opinion va à l’encontre de l’équité de la justice divine. En effet, par la charité, l’homme adhère à Dieu, avec la promesse de ne jamais en être séparé. Romains 8, 35: « Qui nous séparera de l’amour de notre Dieu, Jésus-Christ ? » D’où l’amour ne serait pas satisfait pleinement, si la jouissance nous en était enlevée un jour. Ainsi Jean 6, 37: « Celui qui vient à moi, je ne le repousserai pas au dehors ». Si on interroge le Psalmiste au sujet de cette opinion, il répondra: « Ils te loueront dans les siècles des siècles ».

 

            5/ Sur la manière dont on passe son temps au séjour des bienheureux et sur ce qu’on y fait, les Juifs et les Sarrasins sont dans l’erreur, eux qui prétendent que les bienheureux sont occupés à des banquets, des beuveries et des unions avec les femmes. Ce que conteste Matthieu 22, 30: « A la résurrection, on n’épouse pas et on n’est pas épousé ». Et cette opinion est contestée à juste titre, car:

 

                        a) d’abord elle est en opposition avec le caractère privilégié de l’homme: car si la béatitude est fonction de l’usage de la nourriture et des plaisirs charnels qui existent aussi chez les autres êtres vivants, il faudra que non seulement existe un béatitude pour l’homme, mais aussi pour les animaux, alors que cela est le privilège de l’homme, lequel est, parmi les créatures inférieures, le seul qui soit capable d’être heureux; Psaume 35, 7: « Aux hommes et aux bêtes, tu portes secours, Seigneur » - c'est-à-dire au salut des corps – « à l’ombre de tes ailes les fils des hommes se réfugient ».

 

                        b) deuxièmement, elle est en opposition avec la joie de la nature, car une nature supérieure ne peut pas être rendue heureuse par une nature inférieure; or si la béatitude de l’homme consistait à manger, l’homme serait alors rendu bienheureux par les nourritures qu’il consommerait, et celles-ci seraient alors plus dignes que l’homme, puisque aussi bien l’homme est placé au-dessus des autres natures inférieures. Psaume 8, 8: « Tu as mis toutes choses sous ses pieds… ».

 

                        c) troisièmement, elle est en opposition avec le goût pour la vertu: la vertu consiste en effet en ceci que l’homme est détourné des voluptés; ainsi toutes les vertus qui concernent les plaisirs sont désignées à partir de l’idée de retenue, comme l’abstinence, la tempérance et d’autres de ce genre, au contraire de celles des vertus qui concernent un labeur ou une exigence, comme cela apparaît pour la force d’âme, la grandeur d’âme et d’autres vertus du même genre. Or si la béatitude de l’homme consistait dans les plaisirs de la chair, la vertu – qui est le chemin de la béatitude – ne détournerait pas des plaisirs; cela conviendrait plutôt à ceux dont il est question dans Philippiens 3, 19: « Leur dieu, c’est leur ventre ! ». Si on interroge le Psalmiste sur ce qu’il pense des occupations des bienheureux, il dira: « ils te loueront ».

 

 

Deuxième partie

 

Il nous reste à examiner de quelle manière on parvient à cette béatitude. Il faut savoir qu’il y a trois bonheurs:

 

            1/ Le premier bonheur est le bonheur mondain qui consiste dans l’abondance et la jouissance des biens de ce monde. Psaume 143, 15: « Heureux le peuple pour qui il en est ainsi ! ». Ce bonheur consiste surtout dans les honneurs, les richesses et les plaisirs, parce que, comme le dit saint Jean (1 Jean 2, 16): « Tout ce qui est dans le monde, la concupiscence de la chair… »

 

                        a) Dans le genre « honneur », il faut compter la dignité et la réputation: ces trois « bonheurs » contiennent les cinq choses dans lesquelles, dit Boèce, consiste la félicité terrestre. Or les ambitieux s’efforcent de parvenir à la dignité par le moyen du luxe et de l’argent; car il est écrit dans l’Ecclésiaste 10, 19: « Tout obéit à l’argent » et dans Proverbes 19, 6: « Nombreux sont les flatteurs de l’homme riche ». A l’opposé, le Seigneur enseigne de parvenir à la dignité par le chemin contraire, celui de la pauvreté et de l’humilité, parce que, comme le disent saint Luc 1, 52: « Il a renversé de leur trône les puissants » et saint Matthieu 5, 2: « Bienheureux les pauvres en esprit… ». Le Royaume (de Dieu) leur est proposé (en retour): car, parmi les honneurs, c’est le bien le plus précieux. Cette béatitude-là convient principalement à Jésus-Christ parce que, alors que nos anciens pères avaient mis en évidence les richesses, il fut, lui, le premier à l’annoncer et à l’enseigner; 2 Corinthiens 8, 9: « Vous connaissez la grâce de Notre Seigneur Jésus-Christ »; Matthieu 19, 21: « Si tu veux être parfait, va, vends… »

 

                        b) D’autre part, aux richesses, les hommes de notre monde parviennent souvent grâce aux contestations, soit en faisant la guerre, soit du moins en se mesurant dans les procès; Jacques 4, 2: « Vous êtes dans un état de lutte et de guerre ». Mais Dieu enseigne le chemin contraire, celui de la douceur, par lequel personne n’irrite ni n’est irrité. Cela n’est pas étonnant, puisque, comme on le dit dans Proverbes 3, 34: « Aux doux il donnera son Royaume ». Et donc Jésus dit: « Heureux les doux… » Et cette béatitude-là appartient aux martyrs qui ne se sont pas irrités contre leurs persécuteurs mais, bien plutôt, ont prié pour eux; 1 Corinthiens 4, 12: « Maudits, nous bénissons… » Ainsi on dit d’eux: « Ni murmure, ni plainte ne se sont fait entendre… ».

 

                        c) Quant aux plaisirs, les hommes s’efforcent de les atteindre au moyen de consolations diverses; ainsi dans Job 21, 12: « Ils chantent au son du tambourin ». Mais le Seigneur enseigne un chemin contraire, celui de l’affliction; ainsi l’on dit: « Heureux ceux qui pleurent… ». A ce sujet, il est dit dans Tobie 2, 6: « avec larmes et tremblement… ». Et cette béatitude-là appartient aux Confesseurs de la foi qui ont mené leur vie ici-bas dans les gémissements et les larmes, selon ce passage des Lamentations 1, 22: « Car mes gémissements sont nombreux ».

 

            2/ Le second bonheur est relatif au gouvernement de soi-même: il consiste à bien se gouverner dans ses actions, par des actes de prudence; le sommet qu’on peut atteindre dans ce domaine est de bien gouverner non seulement soi-même, mais également la cité et le royaume. Ainsi ce bonheur-là est surtout celui des rois et des princes. Voici ce qu’en dit Job 29, 11: « L’oreille qui m’entendait me proclamait heureux ». Il faut cependant savoir qu’il y a une différence entre un roi et un tyran: en effet le roi est celui qui, par son gouvernement, a en vue le bien du peuple, si bien que les projets d’un roi ne sont pas en discordance avec les dispositions de sa sagesse; Proverbes 8, 15: « Par moi, les rois règnent ». Tandis que le tyran, dans ses désirs, tend à s’écarter de l’ordre de la sagesse divine, car il tend davantage à satisfaire ses désirs, comme par exemple accomplir tout ce qu’il veut; et il parvient à cela en dépouillant les gens avec rapacité, injustement. Ainsi Proverbes 28, 15: « Un lion rugissant et un ours affamé, tel est le méchant qui domine sur un peuple pauvre ». Mais le Seigneur enseigne de parvenir (à ce bonheur) par un chemin contraire, celui de la justice, quand il dit: « Heureux ceux qui ont faim et soif de justice… ». Et c’est ce que dit Proverbes 13, 25: « Le juste mange et satisfait son appétit ». Ce bonheur-là est celui que connurent nos pères qui, dans un grand désir, étaient comme affamés de la parfaite justice du Christ; Isaïe 64.1: « Ah, si vous déchiriez les cieux !... ». En second lieu, le tyran tend à obtenir l’impunité pour le mal qu’il commet: il essaie d’obtenir par la cruauté de n’être craint que dans la mesure où personne ne le contredit; Psaume 78, 2: « Les nations ont livré les cadavres de tes serviteurs en pâture aux oiseaux du ciel ». Mais le Seigneur nous enseigne le chemin contraire pour trouver le chemin de la miséricorde, disant: « Heureux les miséricordieux… »; Matthieu 6, 15: « Si vous ne remettez pas leurs offenses aux hommes… ». Ce bonheur-là convient aux Anges qui, sans être perturbés, sont si miséricordieux envers nous quand ils viennent à notre aide, dans le malheur; Isaïe 33, 7: « Les messagers de paix pleurent amèrement ».

 

            3/ Le troisième bonheur est contemplatif: il est surtout celui de ceux qui s’efforcent d’acquérir la vérité et, en particulier, la vérité divine; Ecclésiastique 14, 22: « Heureux l’homme qui médite sur la sagesse ». Ce bonheur-là, seuls les philosophes peuvent l’atteindre, qui tendent à deux objectifs: connaître la vérité et obtenir de l’autorité morale [auctoritatem]. Connaître la vérité, cela ne peut se faire que par la pratique de l’étude. Mais Dieu enseigne un chemin plus court, celui de la pureté du cœur, quand il dit: « Heureux les cœurs purs… »; Sagesse 1, 4: « La sagesse n’entre pas dans une âme qui médite le mal, et n’habite pas… ». Ce bonheur-là est surtout l’apanage des vierges, dont l’esprit est resté pur et dont le corps n’a pas été souillé. Quant à l’autorité morale, les philosophes ont voulu l’obtenir à travers les discussions et les débats. Mais, comme le dit saint Paul (1 Corinthiens 11, 16): « Si quelqu’un parmi vous se plaît à contester… ». Ainsi le Seigneur enseigne d’acquérir de l’importance aux yeux de Dieu, de sorte que l’homme reçoive quasiment des autres cette autorité morale, selon ce que Dieu dit dans Exode 7, 1 à Moïse: «Vois, j’ai fait de toi un dieu pour Pharaon ». Et c’est ainsi qu’il est dit: « Heureux les pacifiques ». Ce bonheur-là est surtout celui des Apôtres dont il est dit (2 Corinthiens 5.19): « Dieu a placé sur nos lèvres la parole de réconciliation ». Quant à cette proclamation « Heureux ceux qui souffrent persécution… », elle ne parle pas d’un autre bonheur, mais elle vient en renfort de tout ce qui précède. En effet, il ne demeure pas ferme dans la pauvreté, dans la douceur et dans les autres vertus, celui qui en est écarté par les persécutions, et c’est pourquoi toutes les récompenses précédentes sont dues à cette béatitude. Le Christ ramène à l’essentiel en disant: « …parce que le Royaume des cieux est à eux ». Il faut comprendre de la même manière « parce qu’ils possèderont la terre », et ainsi des autres formules. Donc la béatitude des saints se caractérise par l’une quelconque de ces prédictions, en fonction de ce qui, dans chacune, se trouve être digne de louange. Et en effet, (le saint) possède une riche demeure, sur le plan du bonheur mondain, selon qu’il est dit: « Heureux ceux qui habitent dans ta maison ». Cette demeure est une demeure de gloire: Psaume 26, 4: « Il est une chose que j’ai demandée au Seigneur… ». Dans cette demeure, on obtient tout ce que l’on désire: Psaume 64, 5: « Puissions-nous être rassasiés des biens de ta maison »; Apocalypse 5, 10: « Vous nous avez faits rois et prêtres pour notre Dieu ». Là ils disposeront de richesses en suffisance: Psaume 93, 5: « Gloire et richesses dans ta maison ». Là seront des délices qui rétabliront tout homme; Psaume 35, 9: « Ils s’enivreront de l’abondance de ta maison ». Sur le plan de la béatitude « politique », les saints possèdent la durée perpétuelle, car celui qui gouverne la cité doit s’appliquer à conserver pour toujours la béatitude de la cité; ainsi Jésus dit: « dans les siècles des siècles ». Cette perpétuité provient de trois sources: d’abord du partage des biens; Psaume 17, 15: « Quand paraîtra ta gloire, je serai rassasié ». Ensuite de l’absence de l’aversion, parce que, bien qu’ils soient rassasiés, les saints auront toutefois toujours faim; Ecclésiastique 24, 21: « Ceux qui me mangent auront encore faim… ». Enfin de l’exemption de tous malheurs et de toutes misères; Apocalypse 7, 16: « ils n’auront plus faim, ils n’auront plus soif… ». Sur le plan de la béatitude contemplative, les saints auront des entretiens sur les choses divines, car la béatitude contemplative consiste principalement en contemplation. Ainsi Jésus dit: « ils te loueront ». En effet, ils verront Dieu d’une manière immédiate et évidente; 1 Corinthiens 13, 12: « Maintenant nous voyons comme dans un miroir… »; et Dieu, ils l’aimeront beaucoup, comme des fils; en effet, pour les Grecs, la notion de fils est issue de l’amour; 1 Jean 3, 1: « Voyez quel amour le Père nous a témoigné, que nous soyons appelés fils de Dieu, et que nous le soyons en effet ! ». Tout comme de bons fils, ils honoreront Dieu par la louange; Isaïe 35, 10: « la joie et l’allégresse les envahiront … ». Le Psaume établit donc ce qui fait comprendre ce que nous avons dit précédemment: ce qui est loué est connu et aimé. Et Augustin, au ch. 20 de la Cité de Dieu, dit: « Cette occupation, ces sentiments, ces attitudes seront communs à tous, de même que la vie éternelle ». Que le Fils nous y conduise, etc.