EXPLICATION DU NOTRE PÈRE

Par saint Thomas d'Aquin

Docteur de l’Eglise

 

Traduction par un moine de Fontgombault, Nouvelles Editions Latines, 1978

 

Note de sermons donnés à Naples, printemps 1273, prises de notes par Pierre de Andria

 

Édition numérique, http://docteurangelique.free.fr, 2008

Les œuvres complètes de saint Thomas d'Aquin

 

INTRODUCTION A L’ÉDITION FONTGOMBAULT, 1978_ 1

PROLOGUE de saint Thomas d’Aquin. 3

I. Le Notre Père possède excellemment les cinq qualités requises pour toute prière. 3

II. Les heureux effets de la prière_ 6

NOTRE PÈRE_ 7

QUI EST DANS LES CIEUX_ 10

Première demande: QUE VOTRE NOM SOIT SANCTIFIÉ (commentaire par Aldobrandini de Toscanelle)  15

Deuxième demande: QUE VOTRE RÈGNE ARRIVE (Reprise du commentaire de saint Thomas d’Aquin). 18

Troisième demande : QUE VOTRE VOLONTÉ SOIT FAITE SUR LA TERRE COMME AU CIEL 22

Quatrième demande : DONNEZ-NOUS AUJOURD’HUI NOTRE PAIN QUOTIDIEN_ 29

Cinquième demande : ET REMETTEZ-NOUS NOS DETTES, COMME NOUS-MÊMES NOUS REMETTONS A NOS DÉBITEURS  33

Sixième demande : ET NE NOUS LAISSEZ PAS SUCCOMBER A LA TENTATION_ 39

Septième demande : MAIS DÉLIVREZ-NOUS DU MAL. AMEN_ 44

EXPLICATION ABRÉGÉE DE L’ORAISON DOMINICALE_ 48

 

 

 

INTRODUCTION A L’ÉDITION FONTGOMBAULT, 1978

 

Le témoignage de ses contemporains, au nombre desquels il faut compter plusieurs de ses Frères en religion, nous apprend qu’un an avant sa mort, depuis le Dimanche de la Sexagésime, 12 février 1273, au jour de Pâques, 9 avril, saint Thomas d’Aquin se consacra avec beaucoup de zèle à l’instruction des fidèles, dans l’église conventuelle de saint Dominique, à Naples.

Il y donna successivement en 1273 des sermons sur le Symbole des Apôtres, l’Oraison dominicale, la Salutation angélique, sur les deux préceptes de la charité et les dix commandements de la loi.

Le lien qui unit ces différents sujets n’apparaît pas à première vue ; mais le saint Docteur prit la peine de le montrer à ses auditeurs.

« Il y a, leur dit-il, trois choses nécessaires il l’homme pour son salut. La première est la connaissance de ce qu’il doit croire, la seconde la connaissance de ce qu’il doit désirer, la troisième la connaissance de ce qu’il doit accomplir. L’homme apprend la première de ces connaissances dans le Symbole des Apôtres. Il est instruit sur ce qu’il doit désirer dans l’Oraison dominicale ; les deux préceptes de la charité et les dix commandements de la loi le renseignent sur cc qu’il doit accomplir. »

L’ensemble de ces sermons constituent une véritable catéchèse prébaptismale.

Le Père Tocco, dominicain, qui assistait aux prédications, rapporte qu’elles attiraient chaque fois un grand concours de peuple ; la foule écoutait le Bienheureux avec vénération, comme si la parole fût venue de Dieu même. La seule vue de son maintien produisait une impression profonde. D’après Jean Blasio, juge de Naples, il donna ses deux sermons sur la salutation angélique, les yeux fermés ou levés au ciel l’air extatique.

Les nombreux auditeurs du saint, lors de ce Carême de 1273, appartenaient à toutes les classes sociales. Aussi ne leur adressait-il pas la parole en latin, mais en italien.

Le texte latin, qui nous est parvenu, des sermons de saint Thomas, n’est donc pas un texte original, mais seulement un résumé. Et il n’est pas certain que le saint les ait écrits lui-même de sa main, ni même qu’il les ait eus sous les yeux pour y apporter précisions et corrections.

Pourtant tous les auteurs, qui en ont parlé (Mandonnet, Michelitisch, Grabman, ... Walz) affirment unanimement leur authenticité. Tous assurent qu’ils expriment fidèlement la pensée du saint Docteur.

L’origine du texte explique que l’on y trouve parfois des obscurités dans l’expression et que l’on ne discerne pas toujours parfaitement le lien qui unit les pensées.

Les citations de l’Ecriture sainte sont fort nombreuses et il n’est pas rare que leur rapport avec le contexte ne paraisse pas clairement.

Pour rendre la lecture de la traduction plus aisée et plus coulante, nous n’avons pas hésité à supprimer quelques-unes de ces citations, toutes les fois que leur rapport avec le contexte n’était pas assez perceptible.

Pour la même raison, toutes les fois où cela nous a paru nécessaire, nous avons cherché à exprimer plus explicitement le mouvement de la pensée de saint Thomas, soit en développant ce que dans sa concision le texte latin ne faisait que suggérer, soit même en modifiant l’ordre matériel des propositions.

Nous avons adopté cette façon de procéder pour entrer dans l’esprit qui préside à cette collection et atteindre le but particulier qui lui a été assigné (cf. le premier volume de la Collection Docteur commun, par M. Jean Madiran, « Les principes de la réalité naturelle », pp. 15 et suivantes).

De toute façon, les lecteurs qui entendent le latin pourront toujours s’y référer.

Les différentes éditions ont réuni les sermons en quatre opuscules, qui ont pour titres :

 

 

« Explication du Symbole des Apôtres ou Sermons sur le « Je crois en Dieu » ;

« Explication de l’Oraison dominicale ou Sermons sur le « Notre Père

« Explication de la Salutation angélique ou Sermons sur le « Je vous salue Marie » ;

« Sermons sur les deux préceptes de la charité et les dix commandements de la loi.

Il n’y a pas de plus belles prières ni de plus familières aux chrétiens que la Salutation angélique et la prière composée par le Seigneur lui-même et appelée du nom même du Seigneur, Oraison dominicale. En latin, en effet, Seigneur se dit Dominus.

D’ailleurs, notre sainte Mère, l’Eglise, elle-même, dans le chapelet et le Rosaire, unit sans cesse le « Notre Père » et le « Je vous salue Marie ».

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Il est bien certain que l’homme ne peut rien faire de plus grand et que rien n’est plus nécessaire à son salut, que d’élever son âme vers Dieu, pour l’attacher à sa Majesté.

Or, c’est par la prière que l’homme s’élève vers le Seigneur et s’unit à lui.

Et plus sa prière est parfaite, plus son union avec Dieu est grande.

Mais quelle est au monde la prière la plus parfaite et la plus sanctifiante, sinon celle que le Fils de Dieu, Dieu lui-même, a composée et nous a donnée ?

Il importe donc souverainement de bien comprendre cette sublime prière dans toutes ses demandes pour la faire pleinement nôtre.

Puisse la lecture attentive des explications de saint Thomas sur l’Oraison dominicale nous aider à mieux pénétrer le sens profond des différentes parties de cette divine prière.

 

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Textum Taurini 1954 editum
ac automato translatum a Roberto Busa SJ in taenias magneticas
denuo recognovit Enrique Alarcón atque instruxit

Traduction par un moine de Fontgombault, Nouvelles Editions Latines, 1970

 

 

Prooemium

PROLOGUE de saint Thomas d’Aquin.

 [86695] In orationem dominicam, pr. Inter alias orationes oratio dominica principalior invenitur. Habet enim quinque excellentia, quae in oratione requiruntur. Debet enim esse oratio secura, recta, ordinata, devota et humilis. Secura quidem, ut cum fiducia adeamus ad thronum gratiae eius, ut dicitur Hebr. IV. In fide etiam non deficiens: dicitur enim Iac. I, 6: postulet autem in fide, nihil haesitans. Rationabiliter autem haec oratio est securissima: est enim ab advocato nostro formata, qui est sapientissimus petitor, in quo sunt omnes thesauri sapientiae, ut dicitur ad Coloss. II, de quo dicitur I Ioan. II: advocatum habemus apud patrem, Iesum Christum iustum; unde dicit Cyprianus in Lib. de oratione dominica: cum Christum habeamus advocatum apud patrem pro peccatis nostris, quando pro delictis nostris petimus, advocati nostri verba proponamus. Ulterius securior apparet ex hoc quod ipse qui orationem exaudit cum patre, docuit nos orare, secundum illud Psal. XC, 15: clamabit ad me, et ego exaudiam eum. Unde dicit Cyprianus: amica, familiaris et devota oratio, dominum de suo rogare. Unde ab hac oratione nunquam sine fructu receditur: nam per eam venialia dimittuntur, ut dicit Augustinus. Debet etiam esse oratio nostra recta, ut petat orans a Deo quae sibi conveniunt. Nam Damascenus dicit: oratio est petitio decentium a Deo. Multoties enim non exauditur oratio, quia indecentia postulantur. Iac. IV, 3: petitis et non accipitis, eo quod male petatis. Scire autem quid sit petendum, difficillimum est, cum difficillimum sit scire quid sit desiderandum. Ea enim quae licite petuntur in oratione, licite desiderantur: et ideo apostolus dicit, ad Rom. VIII, 26: nam quid oremus sicut oportet, nescimus. Ipse autem Christus doctor est: nam ipsius est docere quid nos orare oporteat. Nam discipuli dixerunt ei, Luc. XI, 1: domine, doce nos orare. Ea ergo quae ipse orare docuit, rectissime postulantur: unde Augustinus: quaecumque autem verba dicamus, nihil aliud dicimus quam quod in ista oratione dominica positum est, si recte et congruenter oramus. Debet etiam esse oratio ordinata sicut desiderium, cum oratio sit desiderii interpres. Est autem hic debitus ordo, ut spiritualia carnalibus, caelestia terrenis desiderando et orando praeferamus, secundum illud Matth. VI, 33: primum quaerite regnum Dei et iustitiam eius; et haec omnia adiicientur vobis. Hoc dominus in hac oratione servare docuit: in qua primo petuntur caelestia, et postmodum terrena. Debet etiam oratio esse devota, quia pinguedo devotionis facit sacrificium orationis esse Deo acceptum, secundum illud Psal. LXII, 5-6: in nomine tuo levabo manus meas: sicut adipe et pinguedine repleatur anima mea. Devotio autem plerumque propter prolixitatem orationis obtunditur: unde dominus superfluam orationis prolixitatem docuit vitare, dicens Matth. VI, 7: orantes autem nolite multum loqui. Et Augustinus dicit ad Probam: absit ab oratione multa locutio; sed non desit multa provocatio, si fervens perseveret intentio. Unde dominus hanc orationem brevem instituit. Consurgit autem devotio ex caritate, quae est amor Dei et proximi: quorum utrumque in hac oratione ostenditur. Nam ad insinuandum divinum amorem, vocamus eum patrem; ad insinuandum autem amorem proximi, communiter pro omnibus oramus dicentes, pater noster, et dimitte nobis debita nostra: ad quod proximorum dilectio nos induit. Debet etiam oratio esse humilis, secundum illud Psal. ci, 18: respexit in orationem humilium; et Luc. XVIII, et Pharisaeo et publicano; et Iudith IX, 16: humilium et mansuetorum semper tibi placuit deprecatio. Quae quidem humilitas in hac oratione servatur: nam vera humilitas est quando aliquis nihil ex suis viribus praesumit, sed totum ex divina virtute impetrandum expectat. Nota insuper, quod tria bona facit oratio. Primo enim est efficax et utile remedium contra mala. Liberat enim a peccatis commissis. Psal. XXXI, 5-6: tu remisisti impietatem peccati mei: pro hac orabit ad te omnis sanctus. Sic latro in cruce oravit, et remissionem obtinuit: quia, hodie mecum eris in Paradiso, Luc. XXIII, 43. Sic publicanus oravit, et iustificatus descendit in domum suam, Luc. XIII. Liberat etiam a timore peccatorum supervenientium, a tribulationibus et tristitiis. Iac. ult., 13: tristatur quis in vobis? Oret (aequo animo). Liberat etiam a persecutionibus et inimicis. Psal. CVIII, 4: pro eo ut me diligerent, detrahebant mihi: ego autem orabam. Secundo est efficax, et utilis ad omnia desideria obtinenda. Marc. XI, 24: omnia quaecumque orantes petitis credite quia accipietis. Et si non exaudimur, hoc est quia non instanter petimus: oportet (enim) semper orare, et non deficere, Luc. XVIII, 1, vel quia non petimus id quod magis expedit ad salutem: Augustinus: bonus dominus, qui saepe non tribuit quod volumus, ut tribuat quod mallemus. Et hoc reperitur de Paulo, qui ter petiit a se removeri stimulum, et non est exauditus: II Cor. XII. Tertio est utilis, quia facit nos familiares Deo. Psal. CXL, 2: dirigatur oratio mea sicut incensum in conspectu tuo. Dicit ergo, pater. Nota hic duo, quomodo scilicet pater sit, et quid debemus ei, quia pater est. Dicitur autem pater ratione specialis creationis, quia creavit nos ad imaginem et similitudinem suam quam aliis creaturis inferioribus non impressit. Deut. XXXII, 6: ipse est pater tuus, qui fecit et creavit te. Item ratione gubernationis: quanquam enim omnia gubernet, nos tamen gubernat ut dominos, alia ut servos. Sap. XIV, 3: tua, pater, providentia cuncta gubernat; et ibid. XII, 18: et cum magna reverentia disponis nos. Item ratione adoptionis: quia aliis creaturis dedit quasi munuscula, nobis autem hereditatem, et hoc quia filii; sed si filii et heredes. Apostolus, Rom. VIII, 15: non accepistis spiritum servitutis in timore, sed spiritum adoptionis filiorum, in quo clamamus, abba, pater. Debemus autem nos ei quatuor. Primo honorem. Mal. I, 6: si ego pater, ubi est honor meus?: Qui consistit in tribus. In laudis datione quoad Deum. Psal. XLIX, 23: sacrificium laudis honorificabit me: quae non solum debet esse in ore, sed etiam in corde. Isai. XXIX, 13: populus hic labiis me honorat; cor autem eorum longe est a me. In corporis puritate quoad seipsum. I Cor. VI, 20: glorificate et portate Deum in corpore vestro. In iudicii aequitate quoad proximum. Psal. XCVIII, 4: honor regis iudicium diligit. Secundo debemus ei imitationem, quia pater est. Ier. III, 19: patrem vocabis me, et post me ingredi non cessabis: quae perficitur in tribus. In dilectione. Ephes. V, 1: estote imitatores Dei, sicut filii carissimi, et ambulate in dilectione: et hoc oportet esse in corde. In miseratione. Dilectio enim debet esse cum miseratione. Luc. VI, 36: estote ergo misericordes: et hoc debet esse in opere. In perfectione. Quia dilectio et miseratio debet esse perfecta. Matth. V, 48: estote perfecti, sicut et pater vester caelestis perfectus est. Tertio debemus ei obedientiam. Hebr. XII, 9: multo magis obtemperabimus patri spirituum. Et hoc propter tria. Primo propter dominium: ipse enim est dominus. Exod. XXIV, 7: omnia quae locutus est dominus, faciemus, et erimus obedientes. Secundo propter exemplum: quia verus filius factus est patri obediens usque ad mortem, ut dicitur Philip. II. Tertio propter commodum: II Reg. VI, 21: ludam ante dominum qui elegit me. Quarto debemus ei patientiam in castigationibus. Prov. III, 11-12: disciplinam domini, fili mi, ne abiicias, nec deficies, cum ab eo corriperis. Quem enim diligit dominus, corripit, et quasi pater in filio complacet sibi. Noster. Ex hoc autem ostenditur quod duo debemus proximis. Primo amorem, quia fratres nostri sunt, nam omnes sunt filii Dei: I Ioan. IV, 20: qui non diligit fratrem suum quem videt; Deum, quem non videt, quomodo potest diligere?. Item reverentiam, quia filii Dei sunt. Mal. II, 10: nunquid non pater unus omnium nostrum? Numquid non Deus unus creavit nos? Quare ergo despicit unusquisque vestrum fratrem suum? Rom. XII, 10: honore invicem praevenientes. Et hoc propter fructum, quia ipse factus est omnibus obtemperantibus sibi causa salutis aeternae, Hebr. V, 9. Qui es in caelis. Inter cetera quae oranti sunt necessaria, fiducia plurimum valet. Iac. I, 6: postulet autem in fide, nihil haesitans. Unde dominus nos orare docens, ea praemittit ex quibus in nobis fiducia generetur: scilicet ex benignitate patris: unde pater noster dicit, secundum illud Luc. XI, 13: si vos, cum sitis mali, nostis bona data dare filiis vestris; quanto magis pater vester caelestis de caelo dabit spiritum bonum petentibus se? Et ex magnitudine potestatis: unde dicit, qui es in caelis. Unde Psal. CXXII, 1: ad te levavi oculos meos qui habitas in caelis. Potest autem hoc ad tria pertinere. Primo quidem ad orantis praeparationem: quia dicitur Eccli. XVIII, 23: ante orationem praepara animam tuam: ut intelligatur, in caelis, hoc est in caelesti gloria, secundum illud Matth. V, 12: merces vestra copiosa est in caelis. Et haec praeparatio debet esse per caelestium imitationem, quia filius debet imitari patrem. Unde dicitur I Cor. XV, 49: sicut portavimus imaginem terreni, portemus et imaginem caelestis. Item per caelestium contemplationem: quia homines solent frequentius cogitationem dirigere ubi habent patrem et alia quae diligunt, secundum illud Matth. VI, 21: ubi est thesaurus tuus, ibi est et cor tuum. Unde dicebat apostolus Philip. III, 20: nostra conversatio in caelis est. Et per caelestium intentionem, ut ab eo qui in caelis est, non nisi caelestia quaeramus, secundum illud Coloss. III, 1: quae sursum sunt quaerite, ubi Christus est. Secundo potest pertinere quod dicitur, qui es in caelis, ad audientis facilitatem, quia propinquus est nobis; ut intelligatur, qui es in caelis, idest in sanctis, in quibus Deus habitat, secundum illud Ier. XIV, 9: tu in nobis es domine. Sancti enim caeli dicuntur, secundum illud Psal. XVIII, 2: caeli enarrant gloriam Dei. Habitat autem Deus in sanctis per fidem: Ephes. III, 17: Christum habitare per fidem in cordibus vestris. Per dilectionem: I Ioan. IV, 16: qui manet in caritate in Deo manet, et Deus in eo. Per mandatorum impletionem Ioan. XIV, 23: si quis diligit me, sermonem meum servabit; et pater meus diliget eum, et ad eum veniemus, et mansionem apud eum faciemus. Tertio potest pertinere quod dicitur, qui es in caelis, ad efficaciam exaudientis; ut per caelos, corporeos caelos intelligamus: non quod Deus corporalibus caelis includatur, secundum illud III Reg. VIII, 27: caelum et caeli caelorum te capere non possunt; sed ut significetur quod Deus est perspicax in consideratione, utpote qui de alto videt: Psal. ci, 20: prospexit de excelso sancto suo; et quod sublimis est in potestate, secundum illud Psal. CII, 19: dominus in caelo paravit sedem suam; et quod stabilis est in aeternitate, secundum illud Psal. ci, 13: tu autem in aeternum permanes; item 28: et anni tui non deficient. Unde et de Christo dicitur Psal. LXXXVIII, 30: thronum eius sicut dies caeli. Et philosophus dicit in I de caelo, quod propter incorruptionem caeli, omnes posuerunt caelum esse locum spirituum. Per hoc ergo quod dicitur, qui es in caelis, datur nobis fiducia orandi, quantum ad tria: quantum ad potestatem, et quantum ad familiaritatem eius a quo petitur, et quantum ad congruitatem petitionis. Potestas enim eius a quo petitur, insinuatur, si per caelos intelligantur caeli corporei: et quamvis ipse locis corporalibus non comprehendatur, cum scriptum sit Ier. XXIII, 24: caelum et terram ego impleo, tamen dicitur esse in caelis corporeis ad insinuandum duo: scilicet potentiae eius virtutem, et sublimitatem naturae. Primum quidem est contra illos qui dicunt, omnia ex fato caelestium corporum ex necessitate accidere: secundum quam opinionem inutile esset aliquid a Deo orando petere. Sed hoc stultum est, cum Deus in caelis sic esse dicatur ut caelorum dominus et stellarum, secundum illud Psal. CII, 19: dominus in caelo paravit sedem suam. Secundum vero contra illos est qui in orando aliquas sibi corporeas phantasias de Deo proponunt et fingunt: ideo dicitur esse in caelis, ut per id quod in sensibilibus rebus est altissimum, ostendatur divina sublimitas omnia excedens, etiam hominum desiderium et intellectum: unde quidquid cogitari, vel desiderari potest, est minus quam Deus. Propter quod dicitur in Iob XXXVI, 26: ecce Deus magnus vincens scientiam nostram; Psal. CXII, 4: excelsus super omnes gentes dominus; Isai. XL, 18: cui similem fecistis Deum?. Familiaritas autem Dei ostenditur, si per caelos sancti accipiantur. Quia enim propter eius altitudinem aliqui dixerunt quod humana non curat, oportet considerare quia nobis est vicinus, immo intimus: quia dicitur esse in caelis, idest in sanctis, qui caeli dicuntur, secundum illud Psal. XVIII, 2: caeli enarrant gloriam Dei; Ierem. XIV, 9: tu in nobis es, domine. Hoc enim affert fiduciam orantibus quantum ad duo. Primo quantum ad propinquitatem Dei, secundum illud Psal. CXLIV, 18: prope est dominus omnibus invocantibus eum. Unde Matth. VI, 6: tu autem cum oraveris intra in cubiculum, scilicet cordis. Secundo, quia per patrocinium aliorum sanctorum possumus impetrare quod petimus, secundum illud Iob V, 1: ad aliquem sanctorum convertere; Iac. V, 16: orate pro invicem, ut salvemini. Idoneitatem etiam et congruitatem accipit oratio ex hoc quod dicitur esse in caelis, secundum quod per caelos spiritualia bona et aeterna intelliguntur, in quibus est beatitudo, propter duo. Primo, quia per hoc excitatur nostrum desiderium ad caelestia. Tendere enim debet illuc desiderium nostrum ubi patrem habemus, quia illic est hereditas nostra. Coloss. III, 1: quae sursum sunt quaerite. I Petr. I, 4: in hereditatem immarcescibilem, conservatam in caelis. Secundo, quia per hoc informamur ut sit vita caelestis, ut simus conformes patri caelesti, secundum illud I Cor. XV, 48: qualis caelestis, tales et caelestes. Et haec duo faciunt idoneum ad petendum, scilicet desiderium caeleste, et vita caelestis: ex quibus oratio congrua fit.

I. Le Notre Père possède excellemment les cinq qualités requises pour toute prière.

 

1. - Parmi toutes les prières, l’oraison dominicale occupe manifestement la place principale.

Elle possède en effet les cinq qualités excellentes, requises pour la prière.

Celle-ci doit être a) confiante, b) droite, c) ordonnée, d) dévote et e) humble.

 

2. - a) La prière doit être confiante, comme saint Paul l’écrit aux Hébreux (4, 16) : Approchons-nous donc avec assurance du trône de la grâce, dit-il, afin d’obtenir miséricorde et de trouver grâce pour un secours Opportun.

L’oraison doit aussi procéder d’une foi sans défaillance, d’après saint Jacques (1, 6) : L’un de vous, déclare-t-il, manque-t-il de sagesse, qu’il la demande à Dieu..., mais qu’il la demande avec foi, sans hésitation aucune.

Pour plusieurs raisons, le Notre Père est la prière la plus sûre, la plus confiante.

N’est-elle pas, en effet, l’œuvre de notre avocat, du plus sage des orants, du possesseur de tous les trésors de la sagesse (cf. Col 2, 3), de celui dont saint Jean a dit (1 Jean 2, 1) : Nous avons près du Père un avocat, Jésus-Christ le Juste ? Saint Cyprien écrit dans son traité de l’oraison dominicale : « Comme nous avons le Christ comme avocat auprès du Père pour nos péchés, dans nos demandes de pardon pour nos fautes, présentons en notre faveur les paroles de notre avocat. »

L’oraison dominicale nous paraît aussi une prière plus assurée d’être exaucée que tout autre pour le motif suivant : Celui qui, avec son Père, écoute favorablement cette prière, est le même qui nous l’a enseignée ; comme il l’affirme au Psaume 90 (Vers. 15) : Il criera vers moi et je l’exaucerai. « C’est faire au Seigneur une prière amie, familière et dévote, dit saint Cyprien, que de s’adresser à lui en reprenant ses propres paroles. »

Aussi en retire-t-on toujours quelque fruit, et, selon saint Augustin, par elle Dieu permet les péchés véniels.

 

3. - b) Notre prière doit, en second lieu, être droite, c’est-à-dire qu’elle doit nous faire demander à Dieu les biens qui nous conviennent. « La prière, dit saint Jean Damascène, est la demande à Dieu des dons qu’il convient de solliciter. »

Fort souvent, la prière n’est pas exaucée pour avoir imploré des biens qui ne nous conviennent pas vraiment. Vous demandez et vous ne recevez pas, dit saint Jacques (4, 3), parce que vous demandez mal.

Il est bien difficile de savoir avec certitude ce qu’il faut demander, car il l’est tout autant de savoir ce qu’il faut désirer. Et il n’est permis de demander dans la prière que ce qu’il est permis de désirer. Aussi bien l’Apôtre le reconnaît, quand il écrit aux Romains (8, 26) : Nous ne savons pas prier comme il faut, ajoutant d’ailleurs aussitôt : mais l’Esprit lui-même intercède pour nous en des gémissements ineffables.

Mais n’est-ce pas le Christ qui est notre docteur ? C’est bien à lui de nous enseigner ce que nous devons demander, puisque ses disciples lui dirent (Luc 11, 1) : Seigneur, apprenez-nous à prier.

Les biens qu’il nous a appris à demander dans la prière, il est donc très convenable et très sage de les demander. « Si nous prions d’une manière juste et convenable, dit saint Augustin, quels que soient les termes dont nous usons, nous ne disons rien d’autre que ce qui est contenu dans cette Oraison dominicale. »

 

4. - c) En troisième lieu, la prière doit être ordonnée et réglée, comme le désir lui-même, dont la prière est l’interprète.

L’ordre convenable consiste en ce que nous préférions dans nos désirs et nos prières les biens spirituels aux biens corporels, les réalités célestes aux réalités terrestres, conformément à la recommandation du Seigneur (Mt 6, 33) : Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice ; et le reste - le manger, le boire et le vivre - vous seront donnés par surcroît.

Dans l’oraison dominicale, le Seigneur nous a appris à observer cet ordre. On y demande en effet d’abord les réalités célestes et ensuite les biens terrestres.

 

5. - d) La prière, en quatrième lieu, doit être fervente.

L’excellence de la dévotion, en effet, rend le sacrifice de la prière agréable à Dieu. En votre nom, Seigneur, j’élèverai mes mains, dit le Psalmiste (Ps. 62, 5, 6), et mon âme se gorgera, comme de moelle et de graisse.

La prolixité de la prière, le plus souvent, affaiblit la dévotion ; aussi le Seigneur nous enseigne à éviter cette prolixité superflue. Dans vos prières, dit-il (Mt 6, 7), ne multipliez pas les paroles, comme font les païens. Saint Augustin écrivant à Proba, dit aussi : « Bannissez de la prière l’abondance des paroles ; cependant ne manquez pas, si votre attention demeure fervente, de beaucoup supplier. »

Telle est la raison pour laquelle le Seigneur institua cette brève prière du Notre Père.

 

6. - La dévotion vient de la charité, qui est inséparablement amour de Dieu et du prochain.

Cette prière du Notre Père est une manifestation de ces deux amours. Pour montrer en effet notre amour à Dieu, nous l’appelons « Père », et pour signifier notre amour pour le prochain, nous prions pour tous les hommes ensemble, en disant : notre Père, et poussés par le même amour, nous ajoutons : remettez-nous nos offenses.

 

7. - e) Notre oraison doit, en cinquième lieu, être humble, suivant cette parole du Psalmiste (Ps. 101, 18) : Dieu a regardé la prière des humbles.

Une prière humble est une prière sûrement exaucée. Le Seigneur nous le montre dans l’évangile du Pharisien et du Publicain (Luc 18,9-15). Et Judith (9, 16), priant le Seigneur, lui disait : Vous avez toujours eu pour agréable la supplication des humbles et des doux.

Cette humilité est pratiquée dans l’Oraison dominicale, car la véritable humilité existe, quand quelqu’un n’attend que de la puissance divine tout ce qu’il en doit obtenir.

 

II. Les heureux effets de la prière

8. - Il faut remarquer que la prière produit trois sortes de biens.

Premièrement, elle constitue un remède utile et efficace contre les maux. Elle nous délivre en effet des péchés commis. Vous avez remis, Seigneur, l’iniquité de mon péché, dit le Psalmiste (Ps. 31, 5, 6) ; c’est pourquoi tout homme saint vous adressera sa prière. Ainsi pria le larron sur la croix et il obtint son pardon, car Jésus lui répondit : En vérité je te le dis, aujourd’hui tu seras avec moi dans le Paradis (Luc 23, 43). De la même manière le publicain pria, et il revint à sa demeure justifié (cf. Luc 18, 14).

La prière nous affranchit de la crainte des péchés à venir, des tribulations et de la tristesse.

Quelqu’un d’entre vous est-il dans la tristesse dit saint Jacques (5, 13), qu’il prie avec une âme tranquille.

La prière nous délivre aussi des persécutions et de nos ennemis. Il est écrit en effet au Psaume 108 (vers. 4) : Au lieu de m’aimer, on me fait du tort, mais moi, je vous adresse ma prière.

 

9. - Deuxièmement, la prière est un moyen utile et efficace pour la réalisation de tous nos désirs. Tout ce que vous demanderez dans la prière, dit Jésus (Marc, 11, 24), croyez que vous le recevrez.

Et si nous ne sommes pas exaucés, c’est ou bien parce que nous ne demandons pas avec insistance ; il faut en effet toujours prier et ne pas se lasser, dit le Christ Jésus (Luc 18, 1) ou bien parce que nous ne demandons pas ce qui est le plus utile à notre salut. « Le Seigneur est bon, dit en effet saint Augustin, souvent il ne nous accorde pas ce que nous voulons, pour nous donner les biens que nous préférerions posséder, si notre volonté était davantage accordée avec la sienne. » Saint Paul en est un exemple, car par trois fois il demanda d’être délivré d’une douleur poignante dans sa chair et il ne fut pas exaucé (cf. 2 Co. 12,8).

 

10. - Troisièmement, l’oraison est utile, parce qu’elle nous rend les familiers de Dieu. Que ma prière, disait le Psalmiste (Ps. 140, 2), demeure devant vous, comme un encens à l’odeur pénétrante et persistante.

NOTRE PÈRE

En latin, le premier mot de l’oraison dominicale est : Pater, Père.

 

11. - Demandons-nous : Comment Dieu est-il Père ? Et quelles sont nos obligations à son égard, du fait de sa paternité ?

Nous l’appelons Père à cause de la manière particulière dont il nous a créés. Il nous créa en effet à son image et à sa ressemblance, image et ressemblance qu’il n’imprima pas dans les autres créatures inférieures à l’homme. Il est lui-même notre Père, dit le Deutéronome (32, 6), lui qui nous a faits et nous a créés.

Il mérite aussi le nom de Père, à cause de sa sollicitude particulière, envers les hommes, dans le gouvernement de l’univers. Si rien, en effet, n’échappe à son gouvernement, celui-ci s’exerce différemment envers nous et envers les créatures inférieures à nous. Celles-ci, il les gouverne comme des esclaves, mais nous, il nous gouverne comme des maîtres. Ô Père, dit le livre de la Sagesse (14, 3), votre providence régit et conduit toutes choses ; et (Sag. 12,18) vous disposez de nous avec beaucoup d’égards.

Dieu enfin a droit au nom de Père, parce qu’il nous a adoptés. Tandis qu’aux autres créatures il n’a fait que de petits présents, il nous a fait, à nous, don de son héritage, et cela parce que nous sommes ses fils. Parce que nous sommes ses fils, dit saint Paul (Rom 8, 17), nous sommes ses héritiers, et (verset 15) : Vous n’avez pas reçu un esprit de servitude pour retomber dans la crainte, mais vous avez reçu un esprit d’adoption, qui nous fait crier : Abba, Père.

 

12. - Parce que Dieu est notre Père, nous avons envers lui une dette quadruple.

1) Nous lui devons, en premier lieu, l’honneur. Si je suis Père, dit-il par Malachie (1, 6), où est l’honneur qui m’est dû ?

Cet honneur consiste en trois choses : la première regarde nos devoirs envers Dieu, la deuxième nos devoirs envers nous-mêmes, la troisième nos devoirs envers le prochain.

L’honneur dû au Seigneur consiste, d’abord, à offrir à Dieu le don de la louange, suivant ce qui est écrit (Ps. 49, 23) : Le sacrifice de la louange m’honorera. Cette louange doit se trouver non seulement sur les lèvres, mais aussi dans le cœur. Il est dit en effet dans Isaïe (29, 13) : Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi.

L’honneur dû à Dieu consiste, deuxièmement, dans la pureté de notre corps, car l’Apôtre écrit (l Co 6, 20) : Glorifiez et portez Dieu dans votre corps.

Il consiste, enfin, cet honneur, dans l’équité de nos jugements sur le prochain. Le Psaume 98 (Vers. 4) dit en effet : L’honneur du roi aime la justice.

 

13. - 2) Nous devons, en second lieu, imiter Dieu, parce qu’il est notre Père. Vous m’appellere2. Père, dit le Seigneur en Jérémie (3, 9), et vous ne cesserez de marcher après moi.

L’imitation de Dieu, pour être parfaite, requiert trois choses.

La première est l’amour. Soyez, dit saint Paul (Eph 5, 1-2), des imitateurs de Dieu, tels des enfants bien-aimés, et marchez dans l’amour. Et cet amour doit se trouver dans notre cœur.

La seconde, c’est la miséricorde. L’amour doit en effet s’accompagner de miséricorde, suivant cette recommandation de Jésus (Luc 6, 36) : Soyez miséricordieux. Et cette miséricorde doit se montrer par les œuvres.

L’imitation de Dieu requiert troisièmement la perfection, parce que dilection et perfection doivent être parfaites. C’est en effet après avoir parlé des dispositions et des œuvres serviles que le Seigneur a dit dans le sermon sur la Montagne (Mt, 5, 48) : Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait.

 

14. - 3) Nous devons, en troisième lieu, l’obéissance à notre Père. Nos pères selon la chair, dit saint Paul (Hebr 12, 9), nous ont corrigés et nous les respections ; à combien plus forte raison devons-nous nous soumettre au Père des esprits.

L’obéissance est due au Père céleste à cause de son souverain domaine ; il est en effet le Seigneur par excellence. Aussi les Hébreux au pied du Sinaï déclarèrent-ils à Moïse (Ex 24, 7) : Tout ce qu’à dit le Seigneur nous le mettrons en pratique et nous obéirons.

Notre obéissance est fondée ensuite sur l’exemple du Christ. Lui, le vrai Fils de dieu, dit saint Paul (Phil 2, 8) s’est fait obéissant à son Père jusqu’à la mort.

Le troisième motif de notre obéissance est enfin notre intérêt. David, en effet, dit de Dieu (2 Rois 6, 21) : Je jouerai devant le Seigneur qui m’a choisi.

15. - 4) En quatrième lieu, et toujours parce que Dieu est notre père, nous lui devons d’être patients, quand il nous châtie. Mon fils, disent les Proverbes (3, 11-12), ne rejette pas la correction du Seigneur ; ne faiblis pas, quand il te corrige. Le Seigneur en effet châtie celui qu’il aime et il se complait en lui, comme un Père en son fils.

 

16. - Le Seigneur nous prescrit de dire à son Père, dans l’Oraison dominicale, non pas « Père », mais « Notre Père ». Ce faisant, il nous montre quels sont nos devoirs envers nos proches.

A nos proches, nous devons, premièrement, l’amour, parce qu’ils sont nos frères ; tous, en effet, sont fils de Dieu. Qui n’aime pas son frère qu’il voit, dit saint Jean (1 Jean 4, 20), comment peut-il aimer Dieu qu’il ne voit pas ?

En second lieu, nous devons à nos semblables le respect. N’avons-nous pas tous un Père unique, dit Malachie (2, 10). N’est-ce pas un seul Dieu qui nous a créés ? Pourquoi donc chacun de vous méprise-t-il son frère ? Et saint Paul écrit aux Romains (12,10) : Prévenez-vous d’honneur les uns les autres.

L’accomplissement de ce double devoir nous procure un avantage très désirable, puisque le Christ, dit saint Paul (Heb 5, 9), est devenu pour tous ceux qui lui obéissent principe de salut éternel.

 

QUI EST DANS LES CIEUX

17. - Parmi les dispositions nécessaires à celui qui prie, la confiance a une importance considérable. Que celui qui fait une demande à Dieu, dit en effet saint Jacques (1, 6), la lui adresse avec foi, sans hésitation aucune.

Le Seigneur, au début de l’oraison qu’il nous à enseignée, expose les motifs qui font naître la confiance.

C’est d’abord la bienveillance du Père. Aussi le Seigneur dit-il : Notre Père. Si vous, dit le même Seigneur (Luc 11, 13), tout mauvais que vous êtes, savez donner à vos fils de bonnes choses, combien plus votre Père céleste vous donnera du haut du ciel, à vous qui le lui demandez, son bon Esprit.

Un autre motif de confiance, c’est la grandeur de la puissance du Père ; ce qui fait dire au Seigneur, non pas simplement : Notre Père, mais : Notre Père, qui êtes dans les cieux. Le psalmiste dit de même à Dieu (Ps. 122, 1) : J’ai élevé mes yeux vers vous, qui habitez dans les cieux.

 

18. - Le Seigneur a employé l’expression « qui êtes dans les cieux » pour trois raisons différentes.

En premier lieu, cette expression a pour objet de nous préparer à la prière, comme nous le commande l’Ecclésiastique (18, 2-3) : Avant la prière, prépare ton âme. Assurément la pensée que notre Père est dans les cieux, c’est-à-dire dans la gloire céleste, nous prépare à lui adresse nos demandes.

Dans la promesse du Seigneur à ses Apôtres (Mt 5, 12) : votre récompense sera grande dans les Cieux, l’expression « dans les cieux » a également le sens de « dans la gloire céleste ».

La préparation à la prière se réalise par l’imitation des réalités célestes car le, fils doit imiter son père. Aussi saint Paul écrit-il aux Corinthiens (1 Co 15, 49) : Comme nous avons revêtu l’image de l’homme terrestre, il nous faut aussi revêtir l’image de l’homme céleste.

La préparation à la prière requiert aussi la contemplation des choses célestes. Les hommes en effet ont coutume de diriger leur pensée plus fréquemment vers le lieu où est leur père et ou se trouvent les autres êtres, objet de leur amour, suivant cette parole du Seigneur (Mt 6, 21) : Là où est ton trésor, là est aussi ton cœur. C’est pourquoi l’Apôtre écrivait aux Philippiens (l, 20) : Notre demeure à nous est dans les cieux.

La préparation à la prière réclame enfin que nous aspirions aux choses célestes. A celui qui est dans les cieux en effet, nous ne devons demander que les choses célestes, suivant ces paroles de saint Paul (Col 3, 1) : Cherchez les choses d’en haut, là ou est le Christ.

 

19. - En second lieu, les paroles : Notre Père, qui êtes aux cieux peuvent se rapporter à la facilité de Dieu à entendre notre prière, du fait de sa proximité par rapport à nous. Ces paroles « Notre Père qui êtes aux cieux » signifie alors : notre Père qui êtes dans les saints ; Dieu en effet habite en eux. Jérémie le dit au Seigneur (14, 9) : Seigneur, vous êtes en nous. Les saints sont effectivement appelés cieux, d’après ces paroles du Psaume 18 (Vers. 2) : Les cieux racontent la gloire de Dieu.

Or Dieu habite dans les saints par la foi. Saint Paul écrit en effet aux Ephésiens (3, 17) : Que le Christ habite dans vos cœurs par la foi. Il habite également dans les saints par la charité. Celui en effet qui demeure dans la charité, dit saint Jean (1 Jean 4, 16), demeure en Dieu et Dieu en lui.

Dieu demeure aussi dans les saints, par l’accomplissement des commandements. Si quelqu’un m’aime, déclare le Seigneur (Jn 14, 23), il gardera ma parole, et nous viendrons à lui, et nous ferons en lui notre demeure.

 

20. - En troisième lieu, les paroles : « qui êtes aux cieux » peuvent se rapporter à la toute puissance du Père pour nous exaucer. Dans ce cas, le mot cieux désigne les cieux matériels et visibles ; non que nous voulions signifier que Dieu y soit renfermé, car il est écrit (2 Rois, 18, 27) : Voici que les cieux et les cieux des cieux ne peuvent vous contenir ; mais ces paroles : « qui êtes dans les cieux » montrent :

a) que Dieu, par son regard, est clairvoyant et pénétrant, parce qu’il voit de très haut. Il a regardé de sa sainte hauteur, dit le Psaume 101 (Vers. 20) ;

b) qu’il est sublime dans son pouvoir, selon cette parole (Ps. 102, 19) : Le Seigneur a disposé son trône dans les cieux ;

c) qu’il est stable dans son éternité, selon ces autres paroles (Ps. 101, 13 et 28) : Seigneur, vous demeurez éternellement et vos années n’ont pas de fin. C’est pourquoi il est dit du Christ (Ps. 88, 30) : Son trône est comme le jour du ciel, c’est-à-dire sans fin, comme la durée de ce qui est céleste. Et le Philosophe vient confirmer de son autorité la justesse de cette comparaison, lorsqu’il remarque dans son traité « Du ciel » : « C’est à cause de son incorruptibilité que le ciel a été regardé par tous comme étant la demeure des purs esprits ».

 

21. - Ces paroles, adressées à notre Père : Qui êtes dans les cieux nous donnent, au moment de la prière, un triple motif de confiance, confiance qui repose :

a.                   sur sa puissance,

b.                  sur l’amitié de ce Dieu, que nous invoquons et

c. sur la convenance de notre demande.

a) La puissance du Père que nous implorons nous est suggérée par l’expression : Qui êtes dans les cieux, si, par les cieux, nous entendons les cieux matériels et visibles. Sans doute Dieu n’est pas renfermé dans ces cieux matériels ; il le dit en Jérémie (23, 24) : Je remplis le ciel et la terre. On dit toutefois : « il est dans les cieux », pour insinuer et la vertu de sa puissance et la sublimité de sa nature.

 

22. - Contre ceux qui affirment : tout arrive nécessairement par l’influence des corps célestes, si bien qu’il est inutile de demander quoi que ce soit à Dieu par la prière, - quelle sottise ! - nous disons à Dieu : « qui êtes dans les cieux » et vous y êtes, par la vertu de votre puissance, comme le Maître de ces mêmes cieux et des étoiles, suivant cette parole (Ps. 102, 19) Le Seigneur a préparé son trône dans le ciel.

 

23. - C’est également contre ceux qui dans leurs prières se construisent et se composent des images corporelles de Dieu et à leur intention, que nous disons : Qui êtes dans les cieux. De la sorte, ‘par ce qu’il y a de plus élevé dans les choses sensibles, nous leur montrons la sublimité de Dieu, surpassant tellement toutes choses, y compris le désir et l’intelligence des hommes, que tout ce que l’on peut penser et désirer est inférieur à Dieu. C’est pourquoi il est dit dans Job (32, 26) : Dieu est grand et dépasse notre science, et le Psalmiste écrit (Ps. 112, 4) : Le Seigneur est élevé au-dessus de toutes les nations, et Isaïe déclare (40, 18) : A qui avez-vous égalé Dieu ?

 

24. - b) Plusieurs ont prétendu que Dieu, à cause de son élévation, ne prend pas soin des choses humaines. Il faut au contraire penser qu’il est proche de nous, bien plus, qu’il est présent intimement en nous. Cette familiarité de Dieu avec l’homme nous est signifiée par ces paroles de l’Oraison dominicale : vous, qui êtes dans.les cieux, à condition de l’entendre ainsi : vous, qui êtes dans les saints. Les saints en effet sont des cieux, d’après cette parole du Psaume 18 (Vers. 2) : Les cieux racontent la gloire de Dieu. Il est dit aussi en Jérémie (14, 9) : Vous êtes en nous, Seigneur.

 

25. - Cette intimité de Dieu avec les hommes nous inspire deux motifs de confiance quand nous prions le Seigneur.

Le premier s’appuie sur cette proximité divine, que le Psalmiste montre par ces paroles (Ps. 144, 18) : Le Seigneur est proche de ceux qui l’invoquent. C’est pourquoi le Seigneur nous donne cet avertissement (Mt 6, 6) : Pour vous, quand vous priez, entrez dans votre chambre, c’est-à-dire, dans l’intérieur de voire cœur.

Le deuxième motif de confiance repose sur le patronage des saints, par l’intercession desquels nous pouvons obtenir ce que nous demandons. Job (5, 1) dit en effet : adressez-vous à quelqu’un des saints, et saint Jacques (5, 16) : Priez les uns pour les autres, afin d’être sauvés.

 

26. - c) Si, en disant au Père céleste : vous, qui êtes dans les cieux, nous pensons que les cieux désignent les biens spirituels et éternels, objet de la béatitude, alors notre désir des choses célestes s’enflamme. Notre désir doit en effet tendre là où est notre Père, car là aussi est notre héritage. Saint Paul dit aux fidèles :

Cherchez les biens d’en haut (Col 3, 1) et saint Pierre (1 Pierre 1, 4) nous parle de cet héritage incorruptible qui nous est réservé dans les cieux.

La pensée que le Père est notre Bien spirituel éternel, l’objet de notre béatitude, nous invite avec force à mener une vie céleste, afin que nous lui devenions conformes. Tel est le céleste, tels aussi seront les célestes, déclare en effet l’Apôtre (l Co 15, 48).

Ces deux choses, - le désir de la béatitude du ciel, et une vie céleste, - nous disposent incontestablement à bien prier le Seigneur et à lui adresser une oraison digne de sa Majesté.

 

 

Articulus 1 [88731] Aldobrandini de Toscanella, In orationem dominicam, a. 1 tit. Sanctificetur nomen tuum[1]

Première demande: QUE VOTRE NOM SOIT SANCTIFIÉ (commentaire par Aldobrandini de Toscanelle)

[88732] Aldobrandinus de Toscanella, In orationem dominicam, a. 1 Haec est prima petitio, in qua petitur ut nomen eius in nobis manifestetur et declaretur. Est autem nomen Dei primo mirabile, quia in omnibus creaturis mirabilia operatur: unde dominus in Evangelio Marc. ult., 17: in nomine meo Daemonia eiicient, linguis loquentur novis, serpentes tollent: et si mortiferum quid biberint non eis nocebit. Secundo est amabile. Act. IV, 12: non est aliud nomen datum sub caelo in quo oporteat nos salvos fieri. Salus autem est ab omnibus diligenda. Exemplum de beato Ignatio, qui intantum nomen Christi dilexit, quod cum Traianus requireret ab eo ut nomen Christi negaret, respondit quod de ore eius removeri non posset; et cum ille minaretur sibi caput abscindere, et Christum de eius ore removere, dixit: et si de ore abstuleris, nunquam tamen de corde eripere poteris: hoc enim nomen cordi meo inscriptum habeo, et ideo ab eius invocatione cessare non valeo. Quod audiens Traianus, et probari cupiens, servi Dei abscisso capite, cor eius extrahi iussit, et inventum est habens nomen Christi in se scriptum litteris aureis. Posuerat enim super cor suum hoc nomen quasi signaculum. Tertio est venerabile. Apostolus, Phil. II, 10: ut in nomine Iesu omne genu flectatur, caelestium, terrestrium et Infernorum. Caelestium quantum ad Angelos et beatos; terrestrium quantum ad mundanos, qui hoc faciunt ex amore adipiscendae gloriae vel timore fugiendae poenae; et Infernorum quoad damnatos, qui hoc faciunt ex timore. Quarto inexplicabile, quia a narratione eius deficiunt omnes linguae. Et ideo explicatur aliquando per creaturas. Unde dicitur lapis ratione firmitatis: Matth. XVI, 18: super hanc petram aedificabo Ecclesiam meam. Item ignis ratione purificationis: quia sicut ignis metalla purificat, ita Deus purificat corda peccatorum: unde Deut. IV, 24: Deus tuus ignis consumens est. Item lux ratione illuminationis: quia sicut lux illuminat tenebras, ita nomen Dei illuminat tenebras mentis. Psal. XVII, 29: Deus meus, illumina tenebras meas. Unde istud nomen petimus manifestari, ut cognoscatur, et teneatur sanctum. Sanctum autem tripliciter dicitur. Sanctum enim idem est quod firmum: unde omnes beati qui in caelo sunt, sancti dicuntur, quia sunt aeterna felicitate firmati. In mundo non possunt esse sancti, quia sunt continue mobiles. Augustinus: defluxi, domine, a te, et erravi nimis: devius factus sum a stabilitate tua. Secundo sanctum idem est quod non terrenum: unde sancti qui in caelo sunt, nullum habent affectum terrenum: unde apostolus, Phil. III, 8: omnia arbitratus sum ut stercora ut Christum lucrifaciam. Per terram autem designantur peccatores. Primo ratione germinis: terra enim si non colitur, spinas et tribulos germinat; sic anima peccatoris, nisi colatur per gratiam, non germinat nisi tribulos et punctiones peccatorum. Gen. III, 18: spinas et tribulos germinabit tibi. Secundo ratione caliginis. Terra enim caliginosa est et opaca: sic etiam peccator caliginosus et opacus est. Gen. I, 2: tenebrae erant super faciem abyssi. Tertio ratione conditionis. Terra enim est elementum siccum, quod spargitur nisi contineatur ab aquae humiditate: nam Deus posuit terram super aquam, iuxta illud Psal. CXXXV, 6: qui firmavit terram super aquas, quia ex humiditate aquae continetur ariditas vel siccitas terrae. Sic peccator animam habet siccam et aridam, iuxta illud Psal. CXLII, 6: anima mea sicut terra sine aqua tibi. Item tertio dicitur sanctum, idest sanguine tinctum; unde sancti qui sunt in caelo, sancti dicuntur, eo quod sunt sanguine tincti, iuxta illud Apoc. VII, 14: isti sunt qui venerunt ex magna tribulatione, et laverunt stolas suas in sanguine agni. Item ibid. I, 5: lavit nos a peccatis nostris in sanguine suo.

 

27. - Telle est la première demande. Elle nous fait prier le Père céleste que son nom soit en nous manifesté et par nous proclamé.

Or le nom de Dieu est, tout d’abord, admirable, parce qu’en toutes créatures il opère des œuvres merveilleuses. C’est pourquoi le Seigneur déclare dans l’Evangile (Mc 16, 17) : En mon nom, ils expulseront les démons, ils parleront des langues nouvelles, et s’ils boivent quelque poison mortel, il ne leur fera aucun mal.

 

28. - En second lieu, le nom de Dieu est aimable. Il n’est sous le ciel, dit saint Pierre (Act 4, 12), aucun autre nom, parmi ceux qui ont été donnés aux hommes, qui puisse nous sauver. Or, tous se doivent d’aimer le salut ; et saint Ignace nous offre un exemple de cet amour. Il aima si ardemment le nom du Christ que, l’empereur Trajan l’ayant sommé de renier ce nom, il répondit : « Vous ne pourrez pas l’ôter de ma bouche ». Le tyran le menaça alors de lui trancher la tête et de retirer de la sorte le Christ de ses lèvres. « Si vous l’enlevez de ma bouche, réplique le bienheureux, vous ne pourrez jamais l’arracher de mon cœur ; j’ai en effet son nom gravé sur mon cœur ; c’est pourquoi je ne puis pas cesser de l’invoquer ». Trajan entendit ces paroles et, désireux d’en vérifier l’exactitude, il fit trancher la tête du serviteur de Dieu, puis il ordonna d’extraire son cœur et sur ce cœur on trouva le nom du Christ gravé en lettres d’or. Le Saint, en effet, avait placé ce nom sur son cœur, comme un sceau.

 

29. - En troisième lieu, le nom de Dieu est vénérable. L’Apôtre affirme en effet (Phil 2, 10) : Qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur la terre et dans les enfers : au ciel, dans le monde des Anges et des Bienheureux, sur la terre, chez les hommes vivant ici-bas, soit qu’ils désirent acquérir la gloire céleste, soit qu’ils craignent un châtiment et veuillent l’éviter, et dans les enfers, dans le monde des damnés, qui, eux, se prosternent avec effroi devant Jésus-Christ.

 

30. - En quatrième lieu, le nom de Dieu est inexprimable, en ce sens qu’aucune langue n’est capable d’en exprimer toute la richesse.

On tente cependant de le faire à l’aide des créatures. Ainsi donne-t-on à Dieu le nom de rocher, en raison de sa fermeté. Et notons que si le Seigneur donna à Simon, futur fondement de l’Eglise, le nom de Pierre (Mc 3, 16), c’est précisément parce que sa foi en la divinité de Jésus (cf. Mt 16, 18) devait le faire participer à sa divine fermeté.

On désigne Dieu par le nom de feu, en raison de sa vertu purificatrice ; de même en effet que le feu purifie les métaux, Dieu purifie le cœur des pécheurs. C’est pourquoi il est dit dans le Deutéronome (4, 24) : Votre Dieu est un feu consumant.

On appelle encore Dieu : lumière, à cause de la faculté qu’il possède d’illuminer ; comme la lumière en effet éclaire les ténèbres, ainsi Dieu illumine les ténèbres de l’esprit. Aussi le Psalmiste dans sa prière dit au Seigneur (Ps. 17, 29) : Mon Dieu, illuminez mes ténèbres.

 

31. - Nous demandons donc que ce nom de Dieu soit manifesté, qu’il soit connu et tenu pour saint.

Le mot Saint a trois significations.

Saint, d’abord, veut dire ferme, solide, inébranlable. Ainsi tous les Bienheureux qui habitent le ciel sont appelés saints, parce qu’ils sont, par la félicité éternelle, rendus inébranlables. En ce sens, il n’y a pas en ce monde de saints ; les hommes en effet y sont continuellement mobiles. « Seigneur, disait saint Augustin, je me suis éloigné de vous et j’ai beaucoup erré ; je me suis éloigné de votre stabilité ».

 

32. - Saint, en deuxième lieu, signifie ce qui n’est pas terrestre. C’est pourquoi les saints, qui vivent dans le ciel, n’ont aucune affection pour les choses terrestres. Je ne vois en tout qu’immondices, disait saint Paul (Phil 3, 8), afin de gagner le Christ.

Par le mot terre, on désigne les pécheurs. Premièrement, parce que la terre fait germer. Si on ne la cultive pas, des épines et des chardons, comme il est écrit dans la Genèse (3, 18) ; il en va de même de l’âme du pécheur ; si elle n’est pas cultivée par la grâce, elle ne produit que les chardons et les épines des péchés.

En second lieu, la terre désigne les pécheurs à cause de son obscurité naturelle et de son opacité, symbole de l’âme ténébreuse et opaque des pécheurs. Il est dit en effet dans la Genèse (1, 2) : Les ténèbres couvraient la face de l’abîme.

En troisième lieu, la terre est l’image des pécheurs, parce que, si elle n’est pas agglutinée par de l’eau, elle se divise et se désagrège, elle se pulvérise et devient sèche ; car le Seigneur a établi la terre sur les eaux, d’après les paroles du Psalmiste (Ps. 135, 6) : Dieu a affermi la terre sur l’eau. Ainsi l’humidité de l’eau remédie à l’aridité et à la sécheresse de la terre. De même le pécheur, privé de la grâce, n’a plus qu’une âme sèche et aride, ainsi que le constatait l’auteur du Psaume 142 (Vers. 6) : Mon âme, dit-il, est une terre sans eau.

 

33. - Enfin, troisièmement, saint signifie « teint de sang ». Aussi les saints qui sont dans le ciel sont appelés saints, parce qu’ils sont teints de sang, suivant ces paroles de l’Apocalypse (7, 14) : Ceux-là qui sont revêtus de robes blanches sont ceux qui viennent de la grande tribulation et qui ont lavé leurs vêtements dans le sang de [‘Agneau. De ces bienheureux il est dit également (Apoc 1, 5) : Jésus, qui nous a aimés, nous a lavés de nos péchés par son sang.

 

 

Articulus 2 [86696] In orationem dominicam, a. 2 tit. Adveniat regnum tuum

Deuxième demande: QUE VOTRE RÈGNE ARRIVE (Reprise du commentaire de saint Thomas d’Aquin).

[86697] In orationem dominicam, a. 2 Sicut dictum est, spiritus sanctus facit nos recte amare, desiderare et petere; et efficit in nobis primo timorem, per quem quaerimus quod nomen Dei sanctificetur. Aliud donum est donum pietatis. Et est proprie pietas, dulcis et devotus affectus ad patrem, et ad omnem hominem in miseria constitutum. Cum ergo Deus sit pater noster, ut patet, non solum debemus eum revereri et timere, sed etiam ad eum habere debemus dulcem et pium affectum. Hic autem affectus facit nos petere quod adveniat regnum Dei. Tit. II, 12-13: pie et iuste vivamus in hoc saeculo, expectantes beatam spem, et adventum gloriae magni Dei. Posset autem quaeri: regnum Dei semper fuit: quare ergo petimus quod veniat? Et ideo dicendum est, quod hoc potest tripliciter intelligi. Primo quia aliquando rex habet ius regni solum, seu dominii: et tamen nondum dominium ipsius regni est declaratum, quia nondum homines regni sunt ei subiecti. Tunc ergo apparebit primo eius regnum seu dominium, quando homines regni erunt sibi subiecti. Deus autem ex se et sua natura est dominus omnium: et Christus secundum quod Deus, et etiam secundum quod homo, habet a Deo quod sit dominus omnium. Dan. VII, 14: dedit ei potestatem et honorem et regnum. Oportet ergo quod sibi sint omnia subiecta. Hoc autem nondum est, sed erit in fine. I Cor. XV, 25: oportet illum regnare, donec ponat omnes inimicos sub pedibus eius. Et ideo petimus et dicimus: adveniat regnum tuum. Et hoc quantum ad tria: scilicet ut iusti convertantur, peccatores puniantur, et mors destruatur. Nam homines dupliciter subiiciuntur Christo: aut voluntarii, aut inviti. Cum enim voluntas Dei sit ita efficax quod oporteat penitus illam compleri, et Deus velit quod omnia subiiciantur Christo: alterum duorum erit necessarium: ut scilicet aut homo faciat voluntatem Dei subiiciendo se mandatis eius, et hoc facient iusti; aut Deus faciat de omnibus voluntatem suam puniendo eos, et hoc faciet peccatoribus et inimicis suis. Et hoc erit in fine mundi. Psal. CIX, 1: donec ponam inimicos tuos scabellum pedum tuorum. Et ideo sanctis est datum quaerere quod adveniat regnum Dei, scilicet quod ipsi totaliter subiiciantur ei; sed peccatoribus est horribile, quia nihil aliud est quaerere quod adveniat regnum Dei, nisi quod de voluntate Dei subiiciantur poenis. Amos V, 18: vae desiderantibus diem domini. Sed et ex hoc destruitur mors. Cum enim Christus sit vita, non potest in regno eius esse mors, quae est vitae contraria: ideo dicitur I Cor. XV, 26: novissime autem inimica destruetur mors. Et hoc erit in resurrectione. Phil. III, 21 reformabit corpus humilitatis nostrae, configuratum corpori claritatis suae. Secundo regnum caelorum dicitur gloria Paradisi. Nec mirum: nam regnum nihil aliud dicitur nisi regimen. Ibi autem est optimum regimen ubi nihil invenitur contra voluntatem regentis. Voluntas autem Dei est salus hominum, quia vult homines salvos fieri; et hoc potissime erit in Paradiso, ubi nihil erit saluti hominum repugnans. Matth. XIII, 41: auferentur de regno eius omnia scandala. In mundo autem isto sunt multa contra salutem hominum. Cum ergo petimus: adveniat regnum tuum, oramus, ut simus participes regni caelestis et gloriae Paradisi. Quod quidem regnum est valde desiderandum propter tria. Primum propter summam iustitiam quae est in eo. Isai. LX, 21: populus tuus omnes iusti. Hic enim mali sunt mixti bonis; sed ibi nullus malus erit, et nullus peccator. Item propter perfectissimam libertatem. Hic enim non est libertas, quanquam omnes naturaliter desiderent eam; sed ibi erit omnimoda libertas contra omnem servitutem. Rom. VIII, 21: ipsa creatura liberabitur a corruptione. Et non solum erunt ibi omnes liberi, sed erunt reges: Apoc. V, 10: fecisti nos Deo nostro regnum. Cuius ratio est, quia omnes erunt eiusdem voluntatis cum Deo, et Deus volet quidquid sancti volent, et sancti quidquid Deus voluerit: unde cum voluntate Dei fiet voluntas eorum. Et ideo omnes regnabunt, quia omnium voluntas fiet, et dominus erit corona omnium. Isai. XXVIII, 5: in die illa erit dominus exercituum corona gloriae, et sertum exultationis residuo populi sui. Item propter mirabilem affluentiam. Isai. LXIV, 4: oculus non vidit, Deus, absque te, quae praeparasti expectantibus te. Psal. CII, 5: qui replet in bonis desiderium tuum. Et nota quod homo inveniet omnia in solo Deo excellentius et perfectius omni eo quod in mundo quaeritur. Si delectationem quaeris, summam invenies in Deo; si divitias, ibi omnem sufficientiam invenies, propter quam sunt divitiae; et sic de aliis. Augustinus, in Confess.: anima cum fornicatur abs te, quaerit extra te, quae pura et limpida non invenit, nisi cum redit ad te. Tertio modo, quia aliquando in mundo isto regnat peccatum. Et hoc est quando homo est ita dispositus quod statim sequitur et prosequitur appetitum peccati. Apostolus, Rom. VI, 12: non ergo regnet peccatum in vestro mortali corpore: sed debet Deus regnare in corde tuo. Isai. VII, 7: Sion, regnabit Deus tuus. Et hoc est quando paratus est obedire Deo, et servare omnia mandata sua. Cum ergo petimus quod veniat regnum, oramus quod non regnet in nobis peccatum, sed Deus. Per hanc autem petitionem perveniemus ad beatitudinem, de qua dicitur Matth. V, 4: beati mites: nam secundum primam expositionem, ex quo homo desiderat quod Deus sit dominus omnium, non vindicat se de iniuria sibi illata, sed reservat eam Deo. Nam si vindicares te, non quaereres quod adveniret regnum eius. Secundum vero secundam expositionem, si tu expectas regnum eius, idest gloriam Paradisi, non debes curare si perdis res mundanas. Item secundum tertiam expositionem, si tu petis quod Deus regnet in te et Christus; cum ipse fuerit mitissimus, et tu debes esse mitis. Matth. XI, 29: discite a me, quia mitis sum. Hebr. X, 34: rapinam bonorum vestrorum cum gaudio suscepistis.

34. - Comme il a été dit, l’Esprit-Saint nous fait droitement aimer, désirer et demander ce qu’il convient d’aimer, de désirer, de demander (n° 3).

Cet Esprit produit en nous d’abord la crainte, qui nous porte à rechercher la sanctification du nom de Dieu.

Il nous accorde ensuite un autre don : le don de piété. La piété est proprement une affection tendre et dévouée pour un père et aussi pour tout homme plongé dans la misère.

Comme Dieu est bien notre Père, nous devons donc non seulement le vénérer et le craindre, mais aussi nourrir pour lui une affection tendre et délicate. C’est cette affection qui nous fait demander l’avènement du règne de Dieu. La grâce de Dieu est apparue..., déclare saint Paul (Tit 11, 11-13), nous enseignant à vivre avec modération, justice et piété dans le temps présent, dans l’attente de la bienheureuse espérance et de l’apparition glorieuse de notre grand Dieu.

 

35. - Mais on pourrait se poser la question : Le règne de Dieu a toujours existé, pourquoi donc demandons-nous son avènement ?

Il faut répondre : cette demande : Que votre règne arrive peut s’entendre de trois manières. a) En premier lieu, le règne de Dieu, sous sa forme achevée, suppose la parfaite soumission de toutes choses à Dieu.

Il arrive parfois qu’un roi ne possède que le droit de régner et de commander ; et cependant il ne semble pas encore être roi effectivement, parce que ses sujets ne lui sont pas encore soumis. Il n’apparaîtra vraiment roi et seigneur, que le jour où les sujets de son royaume lui obéiront.

Sans aucun doute Dieu, par lui-même et par tout ce qu’il est, est Maître de l’univers ; et le Christ, du fait qu’il est Dieu, et même en tant qu’homme, tient de Dieu d’être, lui aussi, le Seigneur de toutes choses. L’Ancien des jours, est-il dit dans Daniel (7, 14), lui a donné la puissance, l’honneur et la royauté. Il faut donc que tout lui soit soumis. Mais il n’en est pas encore ainsi ; cela se réalisera à la fin du monde. Il est écrit en effet (l Co 15, 25) : Il faut qu’il déploie son règne, jusqu’à ce qu’il ait placé tous ses ennemis sous ses pieds. Voilà pourquoi nous demandons et nous disons : Que votre règne arrive.

 

36. - Et ce faisant, nous demandons trois choses, à savoir :

Que les justes se convertissent,

Que les pécheurs soient punis et

Que la mort soit détruite.

Les hommes sont soumis au Christ de deux manières. Ils le sont, ou bien volontairement, ou bien contre leur gré. La volonté de Dieu possède en effet une efficacité telle, qu’elle ne peut pas ne pas s’accomplir totalement. Et puisque Dieu veut que toutes choses soient soumises au Christ, il faudra nécessairement, ou que l’homme accomplisse la volonté de Dieu, en se soumettant à ses commandements - ce que font les justes - ou que Dieu réalise sa volonté sur tous ceux qui lui désobéissent, c’est-à-dire sur les pécheurs et sur ses ennemis, en les punissant. Et cela aura lieu à la fin du monde, quand il placera tous ses ennemis sous ses pieds (cf. Ps. 109, 1). Et c’est pourquoi il est donné aux saints de demander à Dieu la venue de son règne, c’est-à-dire leur totale soumission à sa royauté. Mais pour les pécheurs, la demande de la venue du règne de Dieu est propre à faire frémir, puisque c’est la demande de leur soumission aux supplices, requis par le vouloir divin. Malheur à ceux (des pécheurs) qui désirent le jour du Seigneur, dit Amos (5, 18).

L’arrivée du règne de Dieu, à la fin des temps, sera aussi la destruction de la mort. Le Christ en effet est la vie ; aussi la mort - qui est contraire à la vie - ne peut exister dans son royaume, conformément à cette parole (1 Co 15, 26) : La mort, son ennemie, sera détruite en dernier lieu, c’est-à-dire, lors de la résurrection, lorsque, suivant la parole de saint Paul (Phil 3, 21), le Sauveur transformera notre corps de misère pour le rendre semblable à son corps de gloire.

 

37. - b) En second lieu, le règne des cieux désigne la gloire du paradis.

Il n’y a là rien d’étonnant ; car règne ne signifie rien d’autre que gouvernement. Un gouvernement atteint son plus haut point d’excellence, lorsque rien ne vient plus faire obstacle à la volonté de celui qui gouverne.

Or la volonté de Dieu est le salut des hommes, car Dieu veut les sauver tous (cf. 1 Tim 2, 4). Cette volonté divine s’accomplira surtout dans le paradis, où il n’y aura rien de contraire au salut des hommes ; car, dit le Seigneur (Mt 13, 41), les Anges mettront hors de son royaume tous les scandales. Dans ce monde, au contraire, abondent les obstacles au salut des hommes.

Quand donc nous demandons à Dieu : Que votre règne arrive, nous le prions de nous faire triompher de ces obstacles pour nous donner part à son royaume céleste et à la gloire du paradis.

 

38. - Trois motifs rendent ce royaume extrêmement désirable.

Le premier est la souveraine justice qui y règne. Parlant du peuple qui habite ce royaume, le Seigneur déclare en Isaïe (60, 21) qu’il ne sera composé que de justes. Ici-bas les méchants sont mélangés aux bons, mais là-haut il n’y aura aucun méchant et aucun pécheur.

 

39. - Le deuxième motif qui rend ce royaume désirable, est la très parfaite liberté (lui y est le partage de tous les élus.

Ici-bas tous désirent la liberté sans la posséder pleinement ; mais au ciel on jouit d’une liberté pleine et entière, sans la plus petite servitude. La création elle-même, dit saint Paul (Rom 8, 21), sera (alors) affranchie de l’esclavage de la corruption, pour connaître la glorieuse liberté des enfants de Dieu.

Et non seulement tous les élus possèderont la liberté, mais ils seront rois, selon cette parole de l’Apocalypse (5, 10), adressée à Jésus : De ceux que vous avez rachetés, vous avez fait pour notre Dieu un royaume et des prêtres, et ils règneront sur la terre.

Ils seront tous rois, parce qu’ils auront, avec Dieu, une seule volonté ; Dieu voudra tout ce que les saints voudront et les saints voudront tout ce que Dieu aura voulu. Ils règneront donc tous, parce que la volonté de tous se fera, et Dieu sera leur couronne à tous, selon cette parole d’Isaïe (28, 5) : En ce jour le Seigneur des armées sera pour le reste de son peuple une couronne de gloire et un diadème de joie.

 

40. - En troisième lieu, le royaume des cieux est on ne peut plus désirable, à cause de la merveilleuse abondance de ses biens. L’œil n’a pas vu, dit Isaïe au Seigneur (64, 4), hormis vous seul, ce que vous avez préparé à ceux qui vous attendent. Dieu, dit de son côté le Psalmiste (Ps. 102, 5), vous comblera de biens selon votre désir.

Et il faut remarquer ceci : L’homme trouvera « en Dieu seul » tout, beaucoup plus excellemment et plus parfaitement que tout ce qu’il cherche « en ce monde ».

Si vous cherchez la délectation, vous trouverez, en Dieu, la délectation suprême. Si vous cherchez les richesses, en Dieu, vous trouverez surabondamment tout ce dont vous aurez besoin et tout ce qui est la raison d’être des richesses. Et il en est de même pour les autres biens. « L’âme, qui commet cette fornication de s’éloigner de vous pour rechercher hors de vous des biens, ne trouve ces biens dans toute leur pureté et limpidité, que si elle revient à vous », reconnaissait saint Augustin dans ses Confessions.

 

41. - c) Le troisième motif de demander à Dieu la venue de son règne, c’est que parfois le péché règne et triomphe en ce monde.

Contre cette calamité, saint Paul s’élevait.

Que le péché, disait-il aux Romains (6, 12), ne règne pas dans votre cœur.

Ce malheur arrive, lorsque l’homme est ainsi disposé qu’il suit aussitôt sans résistance et jusqu’au bout son inclination au péché.

Dieu doit régner dans notre cœur et il y règne effectivement lorsque nous sommes prêts à lui obéir et à observer tous ses commandements.

Quand donc nous demandons la venue du règne de Dieu, nous demandons que ne règne plus en nous le péché, mais Dieu seul et pour toujours.

 

42. - Par cette demande de la venue du règne de Dieu, nous parviendrons à la béatitude proclamée par le Seigneur (Mt 5, 4) : Bienheureux.les doux.

En effet, d’après la première explication du « Que votre règne arrive » (n° 35 a), l’homme, du fait qu’il désire voir Dieu reconnu Maître souverain de tout, ne se venge pas de l’Injure subie, mais réserve ce soin à Dieu ; car, en se vengeant, il rechercherait son triomphe personnel et non la venue du règne de Dieu.

D’après la deuxième explication (n° 37), si vous attendez ce règne de Dieu, c’est-à-dire la gloire du paradis, vous ne devez pas, perdant les biens de ce monde, vous laisser aller à l’inquiétude.

De même, si dans la ligne de la troisième explication (n° 41), vous demandez que règnent en vous Dieu et son Christ, comme Jésus fut très doux, ainsi qu’il le dit lui-même (Mt 11, 29), vous devez, vous aussi, être doux et imiter les Hébreux dont saint Paul a dit (He 10, 34) : Ils acceptèrent joyeusement d’être dépouillés de leurs biens.

 

 

Articulus 3 [86698] In orationem dominicam, a. 3 tit. Fiat voluntas tua sicut in caelo, et in terra

Troisième demande : QUE VOTRE VOLONTÉ SOIT FAITE SUR LA TERRE COMME AU CIEL

[86699] In orationem dominicam, a. 3 Tertium donum quod efficit in nobis spiritus sanctus, dicitur donum scientiae. Ipse enim spiritus sanctus non solum efficit in bonis donum timoris et donum pietatis, quae est dulcis affectus ad Deum, ut dictum est, sed etiam facit hominem sapientem. Et hoc petebat David in Psal. CXVIII, 66, dicens: bonitatem et disciplinam et scientiam doce me. Et haec est scientia qua homo bene vivit, quam docuit nos spiritus sanctus. Inter alia autem quae faciunt ad scientiam et sapientiam hominis potissima sapientia est, quod homo non innitatur sensui suo. Prov. III, 5: ne innitaris prudentiae tuae. Nam illi qui praesumunt de sensu suo, ita quod non credunt aliis, sed sibi tantum, semper inveniuntur et iudicantur stulti. Prov. XXVI, 12: vidisti hominem sapientem sibi videri? Magis illo spem habebit insipiens. Quod autem homo non credat sensui suo, procedit ex humilitate: unde et locus humilitatis est sapientia, ut dicitur Prov. XI. Superbi autem sibi ipsis nimis credunt. Docet ergo hoc spiritus sanctus per donum scientiae, ut scilicet non faciamus voluntatem nostram, sed voluntatem Dei. Et ideo propter hoc donum petimus a Deo ut fiat voluntas sua sicut in caelo et in terra. Et in hoc apparet donum scientiae. Unde hoc modo dicitur Deo, fiat voluntas tua, sicut si esset unus infirmus, et vellet aliquid a medico, non praecise vult, sed de voluntate medici; alias si tantum de voluntate sua vellet, esset stultus. Sic nos a Deo nihil petere debemus nisi quod fiat de nobis voluntas sua, idest ut voluntas sua compleatur in nobis. Tunc enim est rectum cor hominis quando concordat cum voluntate divina. Hoc Christus fecit: Ioan. VI, 38: descendi de caelo, non ut faciam voluntatem meam, sed eius qui misit me. Christus enim, secundum quod Deus, eandem voluntatem habet cum patre; sed, secundum quod homo, habet aliam voluntatem a patre: et secundum hanc dicit se non facere voluntatem suam sed patris. Et ideo docet nos orare et petere: fiat voluntas tua. Sed quid est quod dicitur? Nonne in Psal. CXIII, 3; dicitur: omnia quaecumque voluit fecit? Si omnia facit quae vult in caelo et in terra, quid est hoc quod dicit: fiat voluntas tua sicut in caelo, et in terra? Ad hoc sciendum est, quod Deus tria vult de nobis, et nos petimus quod haec impleantur. Primum quidem quod Deus vult de nobis, est quod nos habeamus vitam aeternam. Quicumque enim facit aliquid propter aliquem finem, vult de illa re illud pro quo facit eam. Deus autem fecit hominem, sed non pro nihilo: quia, sicut dicitur in Psal. LXXXVIII, 48: numquid vane constituisti omnes filios hominum. Fecit ergo homines propter aliquid, sed non propter voluptates, quia et bruta habent eas, sed ut habeant vitam aeternam. Vult ergo dominus ut homo habeat vitam aeternam. Quando vero aliquid consequitur illud ad quod factum est, dicitur quod salvatur; quando vero non consequitur, dicitur quod res illa perditur. Deus autem fecit hominem propter vitam aeternam. Cum ergo consequitur vitam aeternam, salvatur; et hoc vult dominus: Ioan. VI, 40: haec est autem voluntas patris mei qui misit me, ut omnis qui videt filium et credit in eum, habeat vitam aeternam. Haec autem voluntas iam completa est in Angelis et in sanctis qui sunt in patria, quia vident Deum et cognoscunt, et fruuntur eo; sed nos desideramus quod sicut voluntas Dei completa est in beatis qui sunt in caelis, ita compleatur in nobis qui sumus in terra: et hoc petimus cum oramus: fiat voluntas tua in nobis qui sumus in terra, sicut in sanctis qui sunt in caelo. Alia voluntas Dei de nobis est ut servemus mandata eius. Quando enim aliquis desiderat aliquid, non solum vult illud quod desiderat, sed omnia per quae venitur ad illud; sicut medicus ut consequatur sanitatem, vult etiam dietam et medicinam et huiusmodi. Deus autem vult ut habeamus vitam aeternam. Matth. XIX, 17: si vis ad vitam ingredi, serva mandata. Vult ergo ut servemus mandata. Rom. XII, 1: rationabile obsequium vestrum, ib. 2: ut probetis quae sit voluntas Dei bona, beneplacens et perfecta. Bona, quia utilis: Isai. XLVIII, 17: ego dominus docens te utilia. Beneplacens amanti; et si aliis non sit grata, amanti tamen est delectabilis. Psal. XCVI, 11: lux orta est iusto, et rectis corde laetitia. Perfecta, quia honesta: Matth. V, 48: estote perfecti, sicut et pater vester caelestis perfectus est. Sic ergo cum dicimus, fiat voluntas tua, oramus ut impleamus mandata Dei. Haec autem voluntas Dei fit in iustis, sed in peccatoribus nondum fit. Iusti autem designantur per caelum, peccatores autem per terram. Petimus ergo ut fiat voluntas Dei ita in terra, idest in peccatoribus, sicut in caelo, idest in iustis. Notandum autem, quod ex modo loquendi datur nobis doctrina. Non enim dicit, fac, nec etiam faciamus; sed dicit, fiat voluntas tua: quia ad vitam aeternam duo sunt necessaria, scilicet gratia Dei et voluntas hominis; et licet Deus fecerit hominem sine homine, non tamen iustificat eum sine eo. Augustinus, super Ioan.: qui creavit te sine te, non iustificabit te sine te, quia vult quod homo cooperetur. Zach. I, 3: convertimini ad me, et ego convertar ad vos. Apostolus, I Cor. XV, 10: gratia Dei sum id quod sum, et gratia eius in me vacua non fuit. Non ergo praesumas de te, sed confidas de gratia Dei: nec negligas, sed adhibeas studium tuum: et ideo non dicit, faciamus, ne videretur quod nihil faceret gratia Dei; nec dicit, fac, ne videatur quod nihil faceret voluntas et conatus noster; sed dicit, fiat per gratiam Dei, adhibito studio et conatu nostro. Tertium quod vult Deus de nobis, est, ut restituatur homo ad statum et dignitatem in qua creatus fuit primus homo; quae tanta fuit ut spiritus et anima nullam repugnantiam sentiret a carne et sensualitate. Quandiu enim anima subiecta fuit Deo, caro ita subiecta fuit spiritui ut nullam corruptionem mortis seu infirmitatis et aliarum passionum sentiret; sed ex quo spiritus et anima, quae erat media inter Deum et carnem, rebellavit Deo per peccatum, tunc corpus rebellavit animae, et tunc mortem et infirmitates sentire coepit, et continuam rebellionem sensualitatis ad spiritum. Rom. VII, 23: video aliam legem in membris meis, repugnantem legi mentis meae; et Gal. V, 17: caro concupiscit adversus spiritum, spiritus autem adversus carnem. Sic est continua pugna inter carnem et spiritum, et homo continue deterioratur per peccatum. Est ergo voluntas Dei ut homo restituatur ad statum primum, ut scilicet nihil sit in carne contrarium spiritui: I Thess. IV, 3: haec est voluntas Dei, sanctificatio vestra. Haec autem voluntas Dei non potest impleri in vita ista, sed complebitur in resurrectione sanctorum, quando resurgent corpora glorificata, et erunt incorruptibilia et nobilissima: I Cor. XV, 43: seminatur in ignobilitate, surget in gloria. Est tamen voluntas Dei in iustis quantum ad spiritum per iustitiam et scientiam et vitam. Et ideo cum dicimus, fiat voluntas tua, oramus ut etiam fiat in carne. Nam hoc modo per caelum accipimus spiritum, per terram carnem; ut sit sensus: fiat voluntas tua ita in terra, idest in carne nostra, sicut fit in caelo, idest in spiritu nostro per iustitiam. Per hanc autem petitionem pervenimus ad beatitudinem luctus, de qua Matth. V, 5: beati qui lugent, quoniam ipsi consolabuntur. Et hoc secundum quamlibet trium expositionum. Nam secundum primam desideramus vitam aeternam: unde per eius dilectionem inducimur ad luctum: Psal. CXIX, 5: heu mihi, quia incolatus meus prolongatus est. Et hoc desiderium sanctorum est ita vehemens quod propter hoc desiderant mortem, quae secundum se fugienda est: II Cor. V, 8: audemus, et bonam voluntatem habemus magis peregrinari a corpore, et praesentes esse ad Deum. Item secundum secundam expositionem, illi qui servant mandata, sunt in luctu: quia licet sint dulcia animae, tamen carni sunt amara, quae continue maceratur: Psal. CXXV, 6: euntes ibant et flebant, quantum ad carnem; venientes autem venient cum exultatione, quantum ad animam. Item secundum tertiam expositionem, ex pugna quae continue est inter carnem et spiritum, provenit luctus. Non enim potest fieri quin anima saucietur ad minus per venialia a carne: et ideo ut expietur, est in luctu: Psal. VI, 7: lavabo per singulas noctes, idest obscuritates peccati, lectum meum, idest conscientiam meam. Et qui sic plorant, perveniunt ad patriam, ad quam nos perducat Deus.

 

 

43. - L’Esprit-Saint produit en nous un troisième don, appelé le don de science.

L’Esprit-Saint lui-même, en effet, ne produit pas seulement dans les bons le don de crainte et de piété, qui est, comme nous l’avons vu précédemment (n° 34), un amour délicat pour Dieu ; il rend aussi l’homme sage.

David demandait le don de la science par ces paroles (Ps. 118, 66) : Seigneur, enseignez-moi la bonté, la sagesse et la science. Et c’est effectivement cette science du bien vivre que le Saint-Esprit nous a enseignée.

Parmi les dispositions qui contribuent à la science et à la sagesse de l’homme, la plus importante est cette sagesse qui porte l’homme à ne pas s’appuyer sur son propre sens. Ne /Jo us reposez pas sur votre prudence, est-il recommandé dans les Proverbes (3, 5). Ceux en effet qui présument de leur propre jugement, au point de ne se fier qu’à eux-mêmes, et non aux autres, sont considérés comme des insensés, et ils le sont véritablement. Avez-vous vu un homme sage à ses propres yeux, déclarent les Proverbes (26, 12), il faut plus espérer d’un insensé que de lui.

Si un homme ne se fie pas à son propre jugement, il le doit à son humilité, car les Proverbes (11, 2) enseignent que où se trouve l’humilité, se rencontre aussi la sagesse. Les orgueilleux, au contraire, ont en eux une confiance exagérée.

 

44. - Le Saint-Esprit nous enseigne donc, par le don de science, à ne pas faire notre volonté, mais la volonté de Dieu. Par ce don, en effet, nous demandons à Dieu que sa volonté se fasse sur la terre comme au ciel. Et en ceci se manifeste le don de science.

Quand nous disons à Dieu : Que votre volonté soit faite, il en est de nous comme d’un malade, qui accepte quelque remède amer, prescrit par son médecin ; il ne le veut pas absolument, mais dans la mesure où le médecin le veut ; autrement, s’il le voulait de sa seule volonté, il serait un insensé. Nous de même, nous ne devons rien demander à Dieu, si ce n’est la réalisation de ses vouloirs sur nous, c’est-à-dire l’accomplissement de sa volonté en nous.

Le cœur de l’homme, en effet, est droit, dès lors qu’il s’accorde avec la volonté divine. Le Christ, lui, a réalisé cet accord entre sa volonté et la volonté divine. Je suis descendu du ciel, dit-il (Jn 6, 38), non pour faire ma volonté, mais pour accomplir la volonté de celui qui m’a envoyé. Le Christ, en effet, n’a, en tant que Dieu, qu’une seule et même volonté avec son

Père ; mais, en tant qu’homme, il a une volonté distincte de celle de son Père. C’est en parlant de cette volonté-ci, qu’il avait déclaré : Je ne fais pas ma volonté, mais celle de mon Père. Et c’est aussi pourquoi il nous apprend à prier et à demander : Que votre volonté soit faite.

 

45. - Mais quelle est la raison d’être de cette prière : Que votre volonté soit faite ?

N’est-il pas dit de Dieu au Psaume 113 (Vers. 3) : Tout ce qu’il veut, il l’accomplit ? Si Dieu fait tout ce qu’il veut, au ciel et sur la terre, pourquoi Jésus dit-il : Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel ?

 

46. - Pour comprendre l’à-propos de cette demande, il faut savoir que Dieu veut pour nous trois choses, dont notre prière demande la réalisation.

a) En premier lieu, Dieu veut pour nous la possession de la vie éternelle.

Quiconque en effet accomplit quelque chose pour une fin déterminée, veut que cette chose atteigne la fin pour laquelle il l’accomplit. Or Dieu fit l’homme, mais non pas sans dessein. Il est écrit, en effet (Ps. 88, 48) : Serait-ce pour rien, Seigneur, que vous avez créé tous les enfants des hommes ? Dieu créa donc les hommes pour une fin. Cette fin, ce ne sont pas les voluptés, car les animaux, eux aussi, en jouissent, mais c’est la possession de la vie éternelle (cf. Jn 3, 16 ; 10, 10).

La volonté de Dieu pour l’homme est donc qu’il entre en possession de la vie éternelle.

 

47. - Quand une chose atteint ce pourquoi elle a été faite, on dit d’elle qu’elle est sauve ; lorsqu’elle ne l’atteint pas, on dit d’elle qu’elle est perdue.

Or, l’homme a été fait par Dieu pour la vie éternelle. Lors donc qu’il y parvient, il est sauvé ; et telle est la volonté du Seigneur sur lui. C’est la volonté de mon Père qui m’a envoyé, dit Jésus (Jn 6, 40), que quiconque voit le Fils et croit en lui, possède la vie éternelle.

Cette volonté est déjà accomplie dans les Anges et dans les Saints, qui vivent dans la patrie céleste, car ils voient Dieu, le connaissent et jouissent de lui.

Mais nous, nous désirons que, comme la volonté divine s’est accomplie dans les Bienheureux qui sont au ciel, elle s’accomplisse aussi en nous, qui sommes sur la terre. Et notre désir, nous en demandons la réalisation au Père céleste par cette prière : Que votre volonté soit faite en nous, qui sommes sur la terre, comme elle est faite dans les Saints, qui sont au ciel.

 

48. - b) En second lieu, la volonté de Dieu à notre égard est que nous observions ses commandements.

Quelqu’un en effet désire-t-il un bien, non seulement il veut ce bien, objet de son désir, mais il veut aussi tous les moyens nécessaires à son obtention. Ainsi le médecin, pour obtenir au malade la santé, veut pour lui la diète, les remèdes et autres choses de ce genre.

Or Dieu veut ‘pour nous la possession de la vie éternelle.

Au jeune homme qui lui demande (Mt 19, 17) : Que dois-je faire de bon pour avoir en héritage la vie éternelle ? Jésus répond : Si tu veux entrer dans la vie éternelle, garde les commandements.

Saint Paul écrit à ce propos (Rom 12, 1-2) : Que votre obéissance soit spirituelle ; puissiez-vous expérimenter quelle est la volonté de Dieu, bonne, agréable et parfaite.

Bonne, cette volonté de Dieu, elle l’est, puisqu’elle est utile. Moi, le Seigneur, dit Dieu (Is 48, 17), je vous apprends des choses utiles.

Agréable, la volonté divine l’est à celui qui aime ; et si elle est rebutante pour celui qui n’aime pas, pour ses amants, du moins, elle est délectable. La lumière s’est levée pour le juste, dit le Psalmiste (Ps. 96, 11), la joie pour les cœurs droits.

La volonté de Dieu est aussi parfaite, parce qu’elle est d’une bonté supérieure à tout. Soyez parfaits, prescrivait Jésus aux foules (Mt 5, 48), comme votre Père céleste est parfait.

Ainsi donc quand nous disons : Que votre volonté soit faite, nous demandons la grâce d’observer les commandements de Dieu.

Or, cette volonté de Dieu est accomplie dans les justes, mais elle ne l’est pas encore dans les pécheurs. Les justes sont désignés par le ciel, les pécheurs par la terre.

Nous demandons donc que la volonté de Dieu soit faite sur la terre, c’est-à-dire dans les pécheurs, comme elle est accomplie au ciel, dans les justes.

 

49. - Il faut remarquer ceci : Jésus, par la manière même dont il a formulé la troisième demande du « Notre Père », nous donne un enseignement.

En effet, il ne nous fait pas dire à notre Père : « faites votre volonté », ni non plus : « que nous fassions votre volonté » ; mais il nous fait dire : Que votre volonté soit faite.

Deux choses en effet sont nécessaires pour parvenir à la vie éternelle ; à savoir la grâce de Dieu et la volonté de l’homme.

Et, bien que Dieu ait fait l’homme sans l’appeler à coopérer avec lui, cependant il ne le justifie pas sans sa coopération. « Celui qui t’a créé sans toi, ne te justifiera pas sans toi », dit saint Augustin, dans son Commentaire sur saint Jean. Dieu, en effet, veut cette coopération de l’homme. Il dit en Zacharie (1, 3) : Convertissez-vous à moi et je me convertirai à vous. Et saint Paul écrit (1 Co 15, 10) : C’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis, et sa grâce n’a pas été inactive en moi.

Ne présumez donc pas de vous-même, mais confiez-vous en la grâce de Dieu, ne renoncez pas à votre effort, mais apportez votre collaboration.

C’est pourquoi Jésus ne nous fait pas dire : « Que nous fassions votre volonté », autrement il semblerait que la grâce de Dieu n’a rien à faire. Et il ne nous prescrit pas non plus de dire : « Faites votre volonté », sinon il semblerait que notre volonté et notre effort ne servent à rien.

Mais Jésus nous fait dire : Que la volonté de Dieu soit faite, par la grâce de Dieu, à laquelle nous joignons notre travail et notre effort.

 

50. - c) En troisième lieu, Dieu veut de nous que nous soyons rétablis dans l’état et la dignité dans lesquels le premier homme fut créé, dignité et état si élevés que son esprit et son âme ne ressentaient aucune opposition de la part de la chair et de la sensualité.

Aussi longtemps que l’âme fut soumise à Dieu, la chair fut soumise à l’esprit si parfaitement qu’elle n’éprouva ni la corruption de la mort, ni l’altération de la maladie et des autres passions.

Mais à partir du moment où l’esprit et l’âme, qui tiennent le milieu entre Dieu et la chair, se rebellèrent contre Dieu par le péché, aussitôt le corps se rebella contre l’âme et il commença à éprouver les infirmités et la mort, et continuellement sa sensibilité se révolta contre l’esprit. Ce qui fait dire à saint Paul (Rom 7, 23) : Je vois dans mes membres une loi qui lutte contre la loi de ma raison et (Gal 5, 17) : La chair convoite contre l’esprit et l’esprit contre la chair. Ainsi il y a guerre incessante entre l’esprit et la chair ; et l’homme est sans cesse rendu de plus en plus mauvais par le péché.

C’est donc la volonté de Dieu que l’homme soit rétabli dans son premier état, c’est-à-dire qu’il n’y ait rien dans sa chair d’opposé à son esprit : ce que saint Paul exprime ainsi (1 Thess 4, 3) : Ce que Dieu veut, c’est voire sanctification.

 

51. - Or, cette volonté de Dieu ne peut être accomplie en cette vie. Elle sera réalisée à la résurrection des saints, quand leurs corps ressusciteront glorieux, incorruptibles et splendides, suivant la parole de l’Apôtre (1 Co 15, 43) : Semé dans l’ignominie, le corps ressuscitera dans la gloire.

Cependant la volonté de Dieu est réalisée ici-bas dans l’esprit des justes, par leur justice, leur science et leur vie. Aussi, quand nous disons : Que votre volonté soit faite, nous prions le Seigneur de réaliser également sa volonté dans notre chair.

Suivant cette explication, dans la demande : Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel, le mot ciel désigne notre esprit et le mot terre désigne notre chair. Et le sens de cette demande est : Que votre volonté soit faite sur la terre, c’est-à-dire dans notre chair, comme elle est faite au ciel, c’est-à-dire, dans notre esprit, par la justice.

 

52. - Cette troisième demande de l’oraison dominicale nous fait parvenir à la béatitude des larmes, que le Seigneur nous a fait connaître dans le sermon sur la montagne (Mt 5, 5) : Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu’ils seront consolés. Il est aisé de le montrer, en reprenant les trois points de notre exposition.

Premièrement, Dieu veut pour nous et nous fait désirer la vie éternelle. Par cet amour de la vie éternelle, nous sommes amenés à verser des larmes. Hélas, chantait le Psalmiste (Ps. 119, 5), qu’il est long mon exil ! Et ce désir de la vie éternelle chez les saints est si véhément, qu’il les fait aspirer à la mort, bien que celle-ci par elle-même soit un sujet d’aversion. Nous préférons quitter ce corps, disait saint Paul (2 Co 5, 8), et aller jouir de la présence du Seigneur.

En second lieu, ceux qui gardent les commandements de Dieu, pour obéir à la volonté de Dieu, sont aussi dans l’affliction, car si les préceptes sont doux pour l’âme, pour la chair ils sont amers, parce qu’ils la mortifient. Parlant de leur chair, le Psalmiste dit des justes (Ps. 125, 5) : Ils s’en vont tout en pleurs ; et, à propos de leur âme, il ajoute : Ils viennent en exultant.

En troisième lieu, nous avons parlé de la lutte incessante de notre chair et de notre esprit entre eux ; cette lutte est également un sujet de larmes. Il est en effet impossible que l’âme, dans ce combat, ne reçoive pas quelques blessures, de la part de la chair, au moins celles des péchés véniels. L’obligation d’expier ces fautes lui est un sujet de larmes. Chaque nuit, c’est-à-dire, aussi longtemps que durent les ténèbres de mes péchés, dit le Psalmiste (Ps 6, 7), de mes pleurs j’arroserai mon lit, c’est-à-dire ma conscience. Ceux qui pleurent ainsi parviennent à la patrie. Dieu daigne nous y conduire.

 

 

 

Articulus 4 [86700] In orationem dominicam, a. 4 tit. Panem nostrum quotidianum da nobis hodie

Quatrième demande : DONNEZ-NOUS AUJOURD’HUI NOTRE PAIN QUOTIDIEN

[86701] In orationem dominicam, a. 4 Multoties accidit quod aliquis ex magna scientia et sapientia efficitur timidus; et ideo est ei necessaria fortitudo cordis, ne deficiat in necessitatibus. Isai. XL, 29: qui dat lasso virtutem, et his qui non sunt, fortitudinem et robur multiplicat. Hanc autem fortitudinem spiritus sanctus dat: Ezech. II, 2: ingressus est in me spiritus (...) et statuit me super pedes meos. Est autem haec fortitudo quam spiritus sanctus dat, ut cor hominis non deficiat timore rerum necessariarum, sed credat firmiter quod omnia quae sunt ei necessaria, ministrentur sibi a Deo. Et ideo spiritus sanctus, qui hanc fortitudinem dat, docet nos petere a Deo: panem nostrum quotidianum da nobis hodie. Unde spiritus fortitudinis dicitur. Sciendum est autem, quod in tribus praecedentibus petitionibus petuntur spiritualia, quae hic inchoantur in hoc mundo, sed non perficiuntur nisi in vita aeterna. Cum enim petimus quod sanctificetur nomen Dei, petimus quod cognoscatur sanctitas Dei; cum vero petimus quod adveniat regnum Dei, petimus quod simus participes vitae aeternae; cum autem oramus quod fiat voluntas Dei, petimus quod compleatur voluntas eius in nobis; quae omnia etsi inchoentur in hoc mundo, non tamen possunt haberi perfecte nisi in vita aeterna. Et ideo necessarium fuit aliqua petere necessaria quae perfecte possent haberi in vita praesenti. Et inde est quod spiritus sanctus docuit petere necessaria in vita praesenti, quae perfecte hic habentur: simul etiam ut ostendat quod etiam temporalia providentur nobis a Deo. Et hoc est quod dicit: panem nostrum quotidianum da nobis hodie. In quibus quidem verbis docuit nos vitare quinque peccata quae consueverunt contingere ex desiderio rerum temporalium. Primum peccatum est quod homo per immoderatum appetitum petit ea quae statum et conditionem eius excedunt, non contentus his quae decent eum: sicut si desiderat vestes, non vult eas ut miles, si est miles, sed sicut comes; non ut clericus, si est clericus, sed sicut episcopus. Et hoc vitium retrahit homines a spiritualibus, inquantum nimis inhaeret eorum desiderium temporalibus. Hoc autem vitium docuit nos vitare dominus, docens nos petere panem tantum, idest necessaria ad praesentem vitam secundum conditionem uniuscuiusque; quae omnia sub nomine panis intelliguntur. Unde non docuit delicata petere, non diversa, non exquisita, sed panem, sine quo vita hominis duci non potest, quia omnibus communis est. Eccli. XXIX, 28: initium vitae hominis panis et aqua. Apostolus, I Tim. VI, 8: habentes alimenta et quibus tegamur, his contenti simus. Secundum vitium est quod aliqui in acquisitione rerum temporalium alios molestant et defraudant. Hoc vitium est adeo periculosum quod est difficile bona ablata restitui. Non enim dimittitur peccatum, nisi restituatur ablatum, secundum Augustinum. Quod quidem vitium docuit nos vitare, docens nos petere panem nostrum, non alienum. Raptores enim non comedunt panem suum, sed alienum. Tertium est superflua sollicitudo. Aliqui enim sunt qui nunquam sunt contenti de eo quod habent, sed semper plus volunt; quod quidem immoderatum est, quia desiderium debet moderari secundum necessitatem. Prov. XXX, 8: divitias et paupertatem ne dederis mihi; sed tantum victui meo tribue necessaria. Et hoc monuit nos vitare, dicens: panem nostrum quotidianum, idest unius diei, vel unius temporis. Quartum vitium est immoderata voracitas. Sunt enim aliqui qui tantum volunt consumere uno die quod sufficeret pluribus diebus; et isti petunt non panem quotidianum, sed decem dierum; et ex hoc quod nimis expendunt, contingit quod omnia consumunt. Prov. XXIII, 21: vacantes potibus, et dantes symbola, consumentur. Eccli. XIX, 1: operarius ebriosus non locupletabitur. Quintum vitium est ingratitudo. Nam cum aliquis ex divitiis superbit, et non recognoscit a Deo ea quae habet, hoc est valde malum: quia omnia quae habemus, sive spiritualia, sive temporalia, a Deo sunt. I Paral. XXIX, 14: omnia tua sunt, de manu tua accepimus. Ideo ad removendum hoc vitium, dicit: da nobis, et panem nostrum, ut sciamus quod omnia nostra a Deo sunt. Sed de hoc habemus unum documentum: quia aliquando aliquis habet multas divitias, et ex eis nullam utilitatem consequitur, sed damnum spirituale et temporale. Nam aliqui propter divitias perierunt. Eccl. VI, 1: est et aliud malum quod vidi sub sole, et quidem frequens apud homines. Vir cui dedit Deus divitias et substantiam et honorem, et nihil deest animae suae ex omnibus quae desiderat: nec tribuit ei potestatem Deus ut comedat ex eo, sed homo extraneus vorabit illud. Item ibid. V, 12: divitiae congregatae in malum domini sui. Debemus ergo petere ut divitiae nostrae sint nobis ad utilitatem. Et hoc petimus cum dicimus: panem nostrum da nobis; idest, fac divitias nobis utiles. Iob XX, 14-15: panis eius in utero illius vertetur in fel aspidum intrinsecus. Divitias quas devoravit, evomet; et de ventre illius extrahet eas Deus. Aliud vitium est in rebus mundi, scilicet superflua sollicitudo. Nam aliqui sunt qui hodie solicitantur de rebus temporalibus quae erunt usque ad unum annum: et qui hoc habent, nunquam quiescunt. Matth. VI, 31: nolite soliciti esse, dicentes: quid manducabimus, aut quid bibemus, aut quo operiemur? Et ideo dominus docet nos petere quod hodie detur nobis panis noster, idest ea quae sunt nobis necessaria ad praesens tempus. Invenitur quidem alius duplex panis: scilicet sacramentalis, et panis verbi Dei. Petimus ergo panem nostrum sacramentalem, qui quotidie in Ecclesia conficitur; ut sicut illud accipimus in sacramento, ita detur nobis ad salutem. Ioan. VI, 51: ego sum panis vivus, qui de caelo descendi. I Cor. XI, 29: qui manducat et bibit indigne, iudicium sibi manducat et bibit. Item alius panis est verbum Dei. Matth. IV, 4: non in solo pane vivit homo, sed in omni verbo quod procedit de ore Dei. Petimus ergo ut det nobis panem, idest verbum suum. Ex hoc autem provenit homini beatitudo quae est fames iustitiae. Nam postquam spiritualia habentur, magis desiderantur; et ex hoc desiderio provenit fames, et ex fame satietas vitae aeternae.

 

 

53. - Il arrive fréquemment que la grandeur de sa science et de sa sagesse rendent l’homme timide. Aussi la force est nécessaire à son cœur pour ne pas perdre courage dans la considération de ses besoins.

Le Seigneur, dit Isaïe (40, 29), donne la force et aux êtres anéantis il prodigue vigueur et courage. L’Esprit entra en moi, dit aussi Ezéchiel (2, 2), et il me fit tenir fermement debout.

L’Esprit-Saint donne donc la force, et il la donne d’une part pour empêcher le cœur rie l’homme de défaillir dans la crainte de manquer des choses nécessaires, et d’autre part pour lui faire croire fermement que Dieu lui accordera tout ce qui lui est nécessaire.

C’est pourquoi l’Esprit-Saint dispensateur de cette force, nous apprend à dire à Dieu : Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien. Et on l’appelle Esprit de force.

 

54. - Il faut savoir que, dans les trois demandes précédentes du « Notre Père », nous demandons des biens spirituels dont la possession, commencée en ce monde, ne sera parfaite que dans la vie éternelle.

En effet, demander à Dieu la sanctification de son nom, c’est demander la reconnaissance de sa sainteté ; demander l’avènement de son règne, c’est lui demander de nous faire parvenir à la vie éternelle ; prier pour que la volonté de Dieu se fasse, c’est prier Dieu d’accomplir en nous sa volonté. Tous ces biens, partiellement réalisés dans ce monde, ne le seront pleinement que dans la vie éternelle.

Aussi est-il nécessaire de demander à Dieu quelques biens indispensables, dont la possession parfaite est possible en la vie présente. C’est pourquoi l’Esprit-Saint nous a appris à demander ces biens nécessaires à la vie présente et possédés ici-bas parfaitement.

Et c’est aussi pour montrer que Dieu pourvoit à nos nécessités temporelles elles-mêmes, qu’il nous fait dire : Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien.

 

55. - Par ces paroles, Jésus nous a appris à éviter cinq péchés qui se commettent habituellement par un désir immodéré \les choses temporelles.

Le premier de ces péchés est que l’homme, insatiable des choses qui conviennent à son état et à sa condition, et poussé par un désir déréglé, demande des biens qui sont au-dessus de sa condition. Il en est de lui comme d’un soldat qui voudrait s’habiller comme un officier, ou d’un clerc, qui voudrait porter des vêtements d’évêque.

Ce vice détourne les hommes des choses spirituelles, parce qu’il attache avec excès leur désir aux choses temporelles.

Le Seigneur nous a enseigné à éviter un tel péché, en nous apprenant à demander seulement du pain, c’est-à-dire les biens nécessaires à chacun, en cette vie, suivant sa condition particulière. Ces biens nécessaires sont en effet tous compris sous le nom de pain. Le Seigneur ne nous a donc pas appris à demander des choses délicates, des choses variées, des choses exquises, mais du pain, sans lequel l’homme ne peut vivre et qui est la nourriture commune à tous. La première chose pour vivre, dit l’Ecclésiastique (29, 28), c’est l’eau et le pain. Et l’Apôtre écrit à Timothée (l, 6, 8) : Lorsque nous avons nourriture et vêtement, sachons nous contenter.

 

56. - Un deuxième vice consiste pour certain à commettre des injustices et des fraudes dans l’acquisition des biens temporels.

C’est un vice très dangereux, parce qu’il est difficile de restituer des biens volés, et que, d’après saint Augustin, « un tel péché n’est pas pardonné, si on ne restitue pas ce qui a été dérobé ».

Le Seigneur nous a enseigné à éviter ce vice, en nous apprenant à demander pour nous, non pas le pain d’autrui, mais le nôtre. Les voleurs, en effet, mangent le pain d’autrui et non le leur.

 

57. - Le troisième vice consiste dans une sollicitude excessive pour les biens terrestres.

Certains en effet ne sont jamais satisfaits de ce qu’ils possèdent, ils veulent toujours davantage. Pareille disposition d’esprit est un désordre, puisque le désir doit se régler sur le besoin.

Seigneur, ne me donnez ni la richesse, ni la pauvreté, disent les Proverbes (30, 8), mais accordez-moi seulement ce qui est nécessaire à ma subsistance.

Jésus nous enseigne à éviter ce péché par ces paroles : Donnez-nous notre pain quotidien, c’est-à-dire le pain d’un seul jour ou d’une seule unité de temps.

 

58. - Le quatrième vice, causé par l’appétit démesuré des choses d’ici-bas, consiste en une insatiable avidité des biens terrestres, une véritable voracité.

Elle est le fait de ceux qui veulent consommer en un seul jour ce qui pourrait leur suffire pour plusieurs jours. Ceux-là ne demandent pas le pain d’une journée, mais le pain de dix jours. Dépensant sans mesure, ils en arrivent à dissiper tous leurs biens, selon cette parole des Proverbes (23, 21) : Buveur et glouton se ruinent, et suivant cette autre parole (Ecclésiastique 19, 1) : L’ouvrier ivrogne ne s’enrichit pas.

 

59. - Le désir excessif des biens terrestres engendre un cinquième péché, l’ingratitude.

Ce vice déplorable est le vice de l’homme qui s’enorgueillit de ses richesses et ne reconnait pas qu’il les tient de Dieu, auteur de tous les biens spirituels et temporels, selon cette parole de David (1 Chr 29, 14) : Tout vient de vous, Seigneur, et ce que nous avons, nous le tenons de vos mains.

Pour écarter ce vice et nous apprendre que tous nos biens viennent de Dieu, Jésus nous fait dire : Donnez-nous notre pain.

 

60. - (Mais recueillons donc la leçon de l’expérience et de l’Ecriture au sujet du caractère dangereux et nuisible des richesses.)

On constate que, parfois, tel ou tel possède de grandes richesses sans en retirer aucune utilité, mais bien plutôt un dommage spirituel et temporel.

Il y eut en effet des hommes qui périrent à cause de leurs richesses. Il est un mal que j’ai constaté sous le soleil, dit l’Ecclésiaste (6, 1-2), mal qui est fréquent parmi les hommes ; l’homme à qui Dieu donne richesses, biens, honneurs ; il ne manque rien à son âme de ce qu’elle peut désirer ; mais Dieu ne le laisse pas maitre d’en jouir ; c’est un étranger qui dévorera ses richesse : - Il est un autre tort criant, dit encore l’Ecclésiaste (5, 12), que je vois sous le soleil ; les richesses accumulées par leur maître à son détriment.

Nous devons donc demander à Dieu que nos richesses nous soient utiles. Lorsque nous disons : Donnez-nous notre pain, c’est cela même que nous demandons, à savoir que nos biens nous soient avantageux, et que ne se vérifie pas pour nous ce qui est écrit du méchant (Job, 20, 14-15) : Sa nourriture deviendra dans son sein un venin d’aspic. Il a englouti des richesses, il les vomira ; Dieu les arrachera de son ventre.

 

61. - Si nous revenons à ce vice d’une sollicitude excessive à l’endroit des biens terrestres (n° 57), nous voyons des hommes qui s’inquiètent aujourd’hui pour le pain d’une année entière, et, s’ils viennent à le posséder, ils ne cessent pas pour autant de se tourmenter. Mais le Seigneur leur dit (Mt 6, 31) : N’allez donc pas vous inquiéter et n’allez pas dire : que mangerons-nous ? Ou que boirons-nous ? Ou de quoi nous vêtirons-nous ? Aussi nous enseigne-t-il à demander pour aujourd’hui notre pain, c’est-à-dire à demander le nécessaire pour le moment présent.

 

62. - Il existe, en plus du pain, nourriture du corps, deux autres sortes de pain, le pain sacramentel et le pain de la parole de Dieu.

Dans l’oraison dominicale, nous demandons également notre pain sacramentel ; il est chaque jour préparé dans l’Eglise et nous le recevons dans un sacrement, en gage de notre salut futur.

Je suis, déclarait Jésus aux Juifs (Jn 6, 51), je suis le pain vivant descendu du ciel. - Celui, qui mange ce pain et boit le Seigneur de façon indigne, mange el boit sa condamnation (l Co II, 29).

Nous demandons également, dans l’oraison dominicale, cet autre pain qu’est la parole de Dieu ; c’est de ce pain que Jésus a dit (Mt 4, 4) : L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu.

De cette parole, de ce verbe de Dieu provient, pour l’homme, la béatitude, qui consiste dans la faim et la soif de la justice.

En effet, lorsqu’on possède les biens spirituels, on les désire davantage et ce désir aiguise l’appétit et la faim, qu’assouvira le rassasiement de la vie éternelle.

 

 

Articulus 5 [86702] In orationem dominicam, a. 5 tit. Et dimitte nobis debita nostra, sicut et nos dimittimus debitoribus nostris

Cinquième demande : ET REMETTEZ-NOUS NOS DETTES, COMME NOUS-MÊMES NOUS REMETTONS A NOS DÉBITEURS

[86703] In orationem dominicam, a. 5 Inveniuntur aliqui magnae sapientiae et fortitudinis; et quia nimis confidunt de virtute sua, non agunt sapienter quae agunt, nec perducunt quod intendunt ad complementum. Prov. XX, 18: cogitationes consiliis roborantur. Sed notandum, quod spiritus sanctus, qui dat fortitudinem, dat etiam consilium. Nam omne bonum consilium de salute hominum est a spiritu sancto. Tunc autem consilium est homini necessarium quando est in tribulatione, sicut consilium medicorum cum aliquis infirmatur. Unde et homo cum spiritualiter infirmetur per peccatum, debet quaerere consilium, ut sanetur. Consilium autem peccatori necessarium ostenditur Dan. IV, 24, cum dicitur: consilium meum placeat tibi, rex. Peccata tua eleemosynis redime. Optimum ergo consilium contra peccata est eleemosyna et misericordia; et ideo spiritus sanctus docet peccatores petere et orare: dimitte nobis debita nostra. Debemus autem Deo illud quod auferimus de iure suo. Ius autem Dei est ut faciamus voluntatem suam, praeferendo eam voluntati nostrae. Auferimus ergo Deo ius suum, cum praeferimus voluntatem nostram voluntati suae; et hoc est peccatum. Peccata ergo sunt debita nostra. Est ergo consilium spiritus sancti ut petamus a Deo veniam peccatorum; et ideo dicimus: dimitte nobis debita nostra. Possumus autem in his verbis tria considerare. Primum est quare fit haec petitio; secundum quando impleatur; tertium est quid requiratur ex parte nostra ut impleatur. Circa primum sciendum, quod ex hac petitione possumus duo colligere, quae necessaria sunt hominibus in vita ista. Unum est quod homo semper sit in timore et humilitate. Aliqui enim fuerunt ita praesumptuosi quod dicerent quod homo poterat vivere in mundo isto ita quod ex se poterat vitare peccata. Sed hoc nulli datum est, nisi soli Christo, qui habuit spiritum non ad mensuram, et beatae virgini, quae fuit plena gratiae, in qua nullum peccatum fuit, sicut dicit Augustinus: de qua scilicet virgine cum de peccatis agitur, nullam volo fieri mentionem. Sed de aliis sanctis nulli concessum est quin ad minus veniale peccatum incurreret: I Ioan. I, 8: si dixerimus quoniam peccatum non habemus, ipsi nos seducimus, et veritas in nobis non est. Et hoc etiam probatur per petitionem istam. Constat enim quod omnibus sanctis etiam hominibus, convenit dicere: pater noster, in quo dicitur: dimitte nobis debita nostra. Ergo omnes recognoscunt et confitentur se peccatores vel debitores. Si ergo peccator es, debes timere et humiliari. Aliud est quod semper vivamus in spe: quia licet simus peccatores, non debemus desperare, ne desperatio ducat nos ad maiora et diversa peccata, sicut dicit apostolus, Ephes. IV, 19: qui desperantes, semetipsos tradiderunt impudicitiae, in operationem immunditiae omnis. Ergo multum est utile quod semper speremus: quia quantumcumque homo sit peccator, debet sperare quod Deus, si perfecte conteratur et convertatur, dimittet ei. Haec autem spes firmatur in nobis cum petimus: dimitte nobis debita nostra. Sed hanc spem abstulerunt Novatiani, qui dixerunt, quod qui semel peccabant post Baptismum, nunquam consequebantur misericordiam. Hoc autem non est verum, si verum dixit Christus dicendo, Matth. XVIII, 32: omne debitum dimisi tibi, quoniam rogasti me. In quacumque ergo die petes, poteris consequi misericordiam, si roges cum poenitudine peccati. Si igitur ex hac petitione consurgit timor et spes: quia omnes peccatores contriti et confitentes, misericordiam consequuntur. Et ideo necessaria fuit haec petitio. Circa secundum sciendum est, quod in peccato sunt duo: scilicet culpa qua offenditur Deus, et poena quae debetur pro culpa. Sed culpa remittitur in contritione, quae est cum proposito confitendi et satisfaciendi. Psal. XXXI, 5: dixi: confitebor adversum me iniustitiam meam domino: et tu remisisti impietatem peccati mei. Non est igitur desperandum, ex quo ad remissionem culpae sufficit contritio cum proposito confitendi. Sed forte quis dicet: ex quo dimittitur peccatum contritione, ad quid necessarius est sacerdos? Ad hoc dicendum est, quod Deus in contritione dimittit culpam, et poena aeterna commutatur in temporalem; sed nihilominus manet adhuc obligatus ad poenam temporalem. Unde si decederet sine confessione, non contempta tamen, sed praeventa, iret ad Purgatorium, cuius poena, sicut dicit Augustinus, est maxima. Quando ergo confiteris, sacerdos absolvit te de hac poena in clavium virtute, cui te subieceris in confessione; et ideo dixit Christus apostolis, Ioan. XX, 22-23: accipite spiritum sanctum: quorum remiseritis peccata, remittuntur eis; et quorum retinueritis, retenta sunt. Unde quando semel confitetur quis, dimittitur ei aliquid de poena huiusmodi, et similiter quando iterum confitetur: et posset toties confiteri, quod tota sibi dimitteretur. Invenerunt autem successores apostolorum alium modum remissionis huius poenae: scilicet beneficia indulgentiarum quae existenti in caritate tantum valent quantum sonant et quantum pronuntiantur. Quod autem Papa hoc possit, satis patet. Nam multi sancti multa bona fecerunt, et tamen isti non peccaverunt, ad minus mortaliter; et haec bona fecerunt in utilitatem Ecclesiae. Similiter meritum Christi et beatae virginis sunt sicut in thesauro. Unde summus pontifex, et illi quibus ipse committit, possunt huiusmodi merita, ubi necesse est, dispensare. Sic ergo dimittuntur peccata non solum quantum ad culpam in contritione, sed etiam quantum ad poenam in confessione, et per indulgentias. Circa tertium sciendum, quod ex parte nostra requiritur ut nos dimittamus proximis nostris offensas factas nobis. Unde dicitur: sicut et nos dimittimus debitoribus nostris: aliter Deus non dimitteret nobis. Eccli. XXVIII, 3: homo homini servat iram, et a Deo quaerit medelam. Luc. VI, 37: dimitte et dimittemini. Et ideo solummodo in ista petitione ponitur contritio, cum dicitur: sicut et nos dimittimus debitoribus nostris. Si ergo non dimittis, non dimittetur tibi. Sed posses dicere: ego dicam praecedentia, scilicet dimitte nobis, sed sicut et nos dimittimus debitoribus nostris, tacebo. Ergo Christum decipere quaeris? Sed certe non decipis. Nam Christus qui hanc orationem fecit, bene recordatur eius: unde non potest decipi. Ergo si dicis ore, adimpleas corde. Sed quaeritur utrum ille qui non proponit dimittere proximo suo, debeat dicere: sicut et nos dimittimus debitoribus nostris. Videtur quod non, quia mentitur. Dicendum, quod non mentitur, quia non orat in persona sua, sed Ecclesiae, quae non decipitur: et ideo ponitur ipsa petitio in plurali. Sed sciendum, quod duobus modis dimittitur. Unus est perfectorum, ut scilicet offensus requirat offendentem. Psal. XXXIII, 15: inquire pacem. Alius est communiter omnium, ad quem tenentur omnes, ut scilicet petenti veniam tribuat. Eccli. XXVIII, 2: relinque proximo tuo nocenti te, et tunc deprecanti tibi peccata solventur. Ex hoc sequitur alia beatitudo: beati misericordes: misericordia enim facit nos misereri proximo nostro.

 

 

63. - On rencontre des hommes, grands par la sagesse et par le courage, qui cependant, à cause de leur excessive confiance dans leur force, n’effectuent pas leurs ouvrages avec sagesse et ne conduisent pas jusqu’à leur achèvement ce qu’ils s’étaient proposé. Ils semblent ignorer que les conseils donnent de la force aux réflexions, comme l’enseignent les Proverbes (20, 18).

Mais remarquons-le, l’Esprit-Saint, s’il donne la force, donne aussi le conseil. Car un bon conseil relatif au salut de l’homme ne peut venir que du Saint-Esprit. C’est le cas de cette cinquième demande.

Le conseil est nécessaire à l’homme, quand il est soumis à la tribulation, tout comme le conseil des médecins lui est utile, lorsqu’il est malade. C’est pourquoi, un homme est-il spirituellement malade par le péché, il doit, pour guérir, demander conseil. Et Daniel montre que le conseil est nécessaire au pécheur, lorsqu’il dit au roi Nabuchodonosor (Dan 4, 24) : Ô roi, agrée mon conseil : rachète tes péchés par des aumônes.

Le conseil de faire l’aumône et d’exercer la miséricorde est un excellent conseil pour effacer les péchés. Aussi est-ce bien l’Esprit-Saint qui apprend à des pécheurs cette prière de demande : Remettez-nous nos dettes, en y ajoutant : comme nous-mêmes nous remettons à nos débiteurs.

 

64. - Par ailleurs nous devons à Dieu, d’une dette véritable, ce à quoi il a droit et que nous lui refusons. Or le droit dont Dieu exige le respect, c’est l’accomplissement de sa volonté, préférée à notre volonté propre. Nous portons atteinte au droit de Dieu, quand nous préférons notre volonté à la sienne ; et c’est en cela que consiste le péché. Ainsi nos péchés sont des dettes à l’égard de Dieu. Et c’est du Saint-Esprit que nous vient le conseil de demander à Dieu le pardon de nos péchés et de dire très justement ; Remettez-nous nos dettes.

 

65. - Au sujet de ces paroles : Remettez-nous nos dettes, nous pouvons nous poser trois questions :

a. Premièrement, pourquoi faisons-nous cette demande ?

b.                  Deuxièmement, quand est-elle exaucée ?

c.                   Troisièmement, que devons-nous accomplir pour que Dieu l’exauce ?

a) Pourquoi adressons-nous au Père cette demande : Remettez-nous nos dettes ?

La considération de son contenu nous permet de recueillir deux enseignements nécessaires aux hommes pendant cette vie.

Le premier enseignement, c’est que l’homme doit toujours se tenir dans la crainte et l’humilité.

Il y eut des hommes assez présomptueux pour oser affirmer que nous pouvions vivre en ce monde de manière à éviter le péché. Ce privilège ne fut accordé à personne, si ce n’est au Christ seul, qui posséda l’Esprit en plénitude, et à la Bienheureuse Vierge, pleine de grâce et immaculée, dont saint Augustin a dit : « De cette Vierge, je ne veux pas faire la moindre mention, lorsqu’il s’agit des péchés ». Mais à aucun autre des saints il ne fut accordé de ne pas tomber, au moins dans quelque faute vénielle. Si nous disons : nous sommes sans péché, affirme en effet saint Jean (1 Jean 1, 8), nous nous trompons nous-mêmes, et la vérité n’est pas en nous.

Et que les hommes soient pécheurs, cela est prouvé également par le contenu de cette demande : Remettez-nous nos dettes. Il convient, en effet, indubitablement, à tous les saints eux-mêmes de réciter ces paroles de l’oraison dominicale. Tous les hommes sans exception se reconnaissent donc et s’avouent pécheurs et débiteurs.

Par conséquent, si vous êtes pécheur, vous devez craindre et vous humilier.

 

66. - L’autre enseignement qui ressort de cette demande : Remettez-nous nos dettes, est que nous devons vivre toujours dans l’espérance. En effet, bien que pécheurs, nous ne devons pas perdre l’espérance ; le désespoir pourrait nous conduire à d’autres péchés plus graves, comme l’enseigne l’Apôtre (Eph 4, 19) : Ayant perdu l’espérance, dit-il, les païens se sont livrés à l’impudicité et à toute espèce d’impureté, avec frénésie.

Il nous est donc extrêmement utile de toujours espérer.

Quelque grand pécheur qu’il soit, l’homme en effet doit espérer toujours de Dieu son pardon, s’il se repent et se convertit parfaitement.

Or cette espérance se fortifie en nous, quand nous disons : Notre Père, remettez-nous nos dettes.

 

67. - Des hérétiques, qu’on nomme Novatiens, ont voulu enlever cette espérance du pardon divin. Ils déclarèrent : Si vous commettez un seul péché après le baptême, vous n’obtiendrez jamais miséricorde.

Une telle assertion est fausse, si la parole du Christ est vraie (Mt 18, 32) : Je t’ai remis, dit-il, toute ta dette, parce que tu m’avais supplié.

Donc, quel que soit le jour où vous implorez miséricorde, vous pourrez l’obtenir, si vous y joignez le repentir de vos péchés.

Ainsi donc, la considération du contenu de cette cinquième demande de l’oraison dominicale : Remettez-nous nos dettes, fait naître en nous la crainte et l’espérance ; elle nous montre que tous les pécheurs contrits, qui avouent leurs fautes, obtiennent miséricorde. Et elle nous fait conclure que cette demande avait sa place obligée dans le « Notre Père ».

 

68. - b) Quand cette demande : Remettez-nous nos dettes, est-elle exaucée ?

Pour répondre à cette question, il faut avoir présent à l’esprit les deux éléments contenus en tout péché, à savoir la faute ou l’offense faite à Dieu, et le châtiment mérité par la faute.

Or la faute est remise par la contrition, si la contrition est accompagnée du propos de se confesser et de satisfaire. J’ai dit, déclare le Psalmiste (Ps 31, 5), je confesserai contre moi-même mon injustice au Seigneur, et vous nous avez pardonné l’impiété de mon péché.

Si donc, comme nous venons de le dire, la contrition des péchés, avec le’ propos de les confesser, suffit à en obtenir la remise, le pécheur ne doit pas désespérer.

 

69. - Mais peut-être quelqu’un objectera-t-il : Puisque le péché est remis par la contrition, à quoi sert le prêtre ?

A cette question, il faut répondre : Dieu, par la contrition, remet la faute et change la peine éternelle en peine temporelle ; le pécheur contrit reste donc soumis à une peine temporelle. C’est pourquoi, s’il mourrait sans s’être confessé, non parce qu’il aurait méprisé la confession, mais parce que la mort l’aurait surpris, avant qu’il eût pu se confesser, il irait au purgatoire y souffrir, et, d’après saint Augustin, y souffrir extrêmement.

Mais si vous vous confessez, vous vous soumettez au pouvoir des clefs et, en vertu de ce pouvoir, le prêtre vous absout de la peine temporelle due à vos fautes ; car le Christ a dit aux Apôtres (Jn 20, 22-23) : Recevez le Saint-Esprit ; les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez, ils sont retenus à ceux à qui vous les retiendrez. C’est pourquoi si quelqu’un se confesse une seule fois, il lui est remis une partie de la peine de ses péchés, et il en est de même, s’il se confesse à nouveau ; et s’il se confesse un nombre de fois suffisant, il pourra obtenir la remise entière de sa peine.

 

70. - Les successeurs des Apôtres trouvèrent un autre moyen de remettre la peine temporelle, à savoir le bienfait des indulgences.

Pour celui qui vit dans la charité, les indulgences possèdent la valeur que le Pape a, sans aucun doute, le pouvoir de leur donner.

Beaucoup de saints firent un grand nombre de bonnes œuvres, sans pécher du moins mortellement ; ils firent ces œuvres pour l’utilité de l’Eglise. De même, les mérites du Christ et de la bienheureuse Vierge sont réunis comme en un trésor. Le Souverain Pontife et ceux à qui il en a confié le soin, peuvent dispenser ces mérites, là où il y a nécessité.

Ainsi donc, les péchés sont remis, quant à la faute, par la contrition, et, quant à la peine, par la confession et par les indulgences.

 

71. - c) A la question : Que devons-nous accomplir pour que le Seigneur exauce cette demande : Remettez-nous nos dettes ? Il faut répondre : Dieu requiert de notre part, que nous pardonnions à notre prochain les offenses qu’il nous fait. C’est pourquoi il nous demande de dire : comme nous, nous remettons leurs dettes à nos débiteurs. Si nous agissions autrement, Dieu ne nous pardonnerait pas.

Il est dit de même dans l’Ecclésiastique (28, 2-5) : Pardonne au prochain son injustice, et alors, à ta prière, tes péchés seront remis. L’homme conserve de la colère contre un autre homme, et il demande à Dieu sa guérison ! Il n’a pas pitié de son semblable, et il supplie pour ses propres fautes! Lui, qui n’est que chair, garde rancune ; qui donc lui obtiendra le pardon de ses péchés ? - Pardonnez donc, dit Jésus (Luc 6, 37), et il vous sera pardonné.

Et c’est pourquoi dans cette cinquième demande du « Notre Père » le Seigneur pose cette seule condition : pardonner à autrui. Si nous ne la réalisons pas, à nous non plus, il ne nous sera pas pardonné.

 

72. - Mais vous pourriez dire : Moi, je prononcerai les premiers mots de la demande, à savoir : Remettez-nous nos dettes, mais je ne réciterai pas les derniers : comme nous remettons à nos débiteurs.

Chercheriez-vous donc à tromper le Christ ?

Assurément vous ne le tromperiez pas. Le Christ a composé cette oraison, il se la rappelle parfaitement ; comment dès lors le tromper ? Votre cœur doit donc ratifier cette demande, quand vos lèvres la prononcent.

 

73. - Demandons-nous alors si celui qui n’a pas le propos intérieur de pardonner son prochain doit dire encore : comme nous, nous remettons à nos débiteurs.

Il semble que non, car alors il mentirait. Mais il faut répondre qu’il n’est pas pour autant dispensé de dire : comme nous, nous remettons à nos débiteurs. En fait, il ne ment pas, parce qu’il ne prie pas en son nom, mais au nom de l’Eglise qui, elle, ne s’y trompe pas ; c’est pourquoi d’ailleurs cette demande est exprimée au pluriel.

 

74. - Il importe de le savoir ; il Y a deux manières de pardonner au prochain.

La première est la manière des parfaits ; elle pousse l’offensé à aller au-devant de l’offenseur, pour lui pardonner, conformément à l’injonction du Psalmiste (Ps 33, 15) : Recherche.la paix.

La deuxième manière de pardonner est commune à tous et obligatoire pour tous ; elle consiste à accorder le pardon à qui le sollicite. Pardonne au prochain son injustice, dit l’Ecclésiastique (28, 2), alors à ta prière, tes péchés te seront remis.

 

75. - A cette cinquième demande de l’oraison dominicale se rattache la béatitude : Bienheureux les miséricordieux. La miséricorde, en effet, nous porte à avoir pitié de notre prochain.

 

 

Articulus 6 [86704] In orationem dominicam, a. 6 tit. Et ne nos inducas in tentationem

Sixième demande : ET NE NOUS LAISSEZ PAS SUCCOMBER A LA TENTATION

[86705] In orationem dominicam, a. 6 Sunt aliqui qui licet peccaverint, tamen desiderant veniam consequi de peccatis: unde et confitentur et poenitent; sed tamen non adhibent totum studium quod deberent, ut iterato in peccata non ruant. Quod quidem non est conveniens, ut scilicet ex una parte ploret quis peccata dum poenitet, ex alia unde ploret accumulet, dum peccat. Et propter hoc dicitur Isai. I, 16: lavamini, mundi estote, auferte malum cogitationum vestrarum ab oculis meis, quiescite agere perverse. Et ideo, sicut supra dictum est, Christus in praecedenti docuit nos petere veniam peccatorum; in hac vero docet nos petere ut possimus vitare peccata, ut scilicet non inducamur in tentationem per quam labamur in peccata, cum dixit: et ne nos inducas in tentationem. Circa quod tria quaeruntur. Primo quid sit tentatio; secundo qualiter homo tentatur, et a quo; tertio vero quomodo liberatur in tentatione. Circa primum sciendum est, quod tentare nihil aliud est quam experiri seu probare: unde tentare hominem est probare virtutem eius. Experitur autem seu probatur virtus hominis dupliciter, secundum quod duo exigit hominis virtus. Unum pertinet ad bene operandum, scilicet quod bene operetur; aliud est quod caveat a malo. Psal. XXXIII, 15: declina a malo, et fac bonum. Probatur ergo virtus hominis quandoque quantum ad hoc quod bene facit, quandoque vero quantum ad hoc quod cesset a malo. Quantum ad primum probatur homo utrum inveniatur promptus ad bonum, ut ad ieiunandum et huiusmodi. Tunc enim est virtus tua magna quando promptus inveniris ad bonum. Et hoc modo Deus probat aliquando hominem; non quod lateat eum virtus hominis, sed ut eam omnes cognoscant, et detur omnibus in exemplum. Sic tentavit Deus Abraham, Gen. XXII, et Iob. Et ideo Deus saepe immittit tribulationes iustis, ut dum patienter sustinent, appareat virtus eorum, et in virtute proficiant. Deut. XIII, 3: tentat vos dominus Deus vester, ut palam fiat utrum diligatis eum, an non. Sic ergo Deus tentat provocando ad bonum. Quantum ad secundum probatur virtus hominis per inductionem ad malum. Et si bene resistit, et non consentit, tunc virtus hominis magna est; si vero homo succumbit tentationi, tunc virtus hominis nulla est. Hoc autem modo nullus tentatur a Deo: quia, sicut dicitur Iac. I, 13: Deus intentator malorum est: ipse autem neminem tentat. Sed tentatur homo a propria carne, a Diabolo, et a mundo. A carne dupliciter. Primo quia caro instigat ad malum: caro enim semper quaerit delectationes suas, scilicet carnales, in quibus est saepe peccatum. Qui enim immoratur delectationibus carnalibus, negligit spiritualia. Iac. I, 14: unusquisque vero tentatur a concupiscentia sua. Secundo tentat caro retrahendo a bono. Nam spiritus, quantum est de se, semper delectaretur in spiritualibus bonis; sed caro aggravans impedit spiritum. Sap. IX, 15: corpus quod corrumpitur, aggravat animam. Rom. VII, 22: condelector legi Dei secundum interiorem hominem; video autem aliam legem in membris meis repugnantem legi mentis meae, et captivantem me in lege peccati, quae est in membris meis. Sed haec tentatio, scilicet carnis, est valde gravis, quia inimicus noster, scilicet caro, coniunctus est nobis: et, sicut dicit Boetius, nulla pestis efficacior est ad nocendum quam familiaris inimicus. Et ideo contra eam vigilandum est. Matth. XXVI, 41: vigilate et orate, ne intretis in tentationem. Diabolus fortissime tentat. Nam postquam conculcatur caro, insurgit alius, scilicet Diabolus, contra quem est nobis magna colluctatio. Apostolus, Ephes. VI, 12: non est nobis colluctatio adversus carnem et sanguinem, sed adversus principes et potestates, adversus mundi rectores tenebrarum harum. Unde et signanter dicitur tentator. I Thess. III, 5: ne forte tentaverit vos is qui tentat. In tentatione autem sua callidissime procedit. Ipse enim, sicut bonus dux exercitus qui obsidet aliquod castrum, considerat infirma eius quem impugnare vult, et ex illa parte unde magis est homo debilis, tentat eum. Et ideo tentat de illis vitiis ad quae homines conculcata carne magis proni sunt, ut de ira, de superbia, et de aliis spiritualibus vitiis. I Petr. V, 8: adversarius vester Diabolus tanquam leo rugiens circuit quaerens quem devoret. Facit autem duo Diabolus dum tentat: quia non statim proponit illi quem tentat, malum aliquod apparens, sed aliquid quod habeat speciem boni, ut saltem in ipso principio per illud removeat eum aliquantulum a proposito suo principali, quia postmodum facilius inducit ipsum ad peccandum, quando illum vel modicum avertit. Apostolus, II Cor. XI, 14: ipse Satanas transfigurat se in Angelum lucis. Deinde postquam induxit eum ad peccandum, sic alligat eum ut non permittat eum a peccatis resurgere. Iob XL, 12: nervi testiculorum eius perplexi sunt. Sic ergo duo facit Diabolus: quia decipit, et deceptum detinet in peccato. Sed mundus dupliciter tentat. Primo per nimium et immoderatum desiderium rerum temporalium. Apostolus, I Tim. VI, 10: radix omnium malorum est cupiditas. Secundo per persecutores et tyrannos terrendo. Iob XXXVII, 19: nos quoque involvimur tenebris. II Tim. III, 12: omnes qui pie volunt vivere in Christo Iesu, persecutionem patientur. Matth. X, 28: nolite timere eos qui occidunt corpus. Sic ergo patet quid est tentatio, et qualiter tentatur homo, et a quo. Sequitur videre qualiter homo liberatur. Circa quod sciendum est, quod Christus docet nos rogare non ut non tentemur, sed ut non inducamur in tentationem. Nam si homo vincit tentationem, meretur coronam; et ideo dicitur Iac. I, 2: omne gaudium existimate, fratres cum in tentationes varias incideritis. Eccli. II, 1: fili, accedens ad servitutem Dei (...) praepara animam tuam ad tentationem. Item Iac. I, 12: beatus vir qui suffert tentationem: quoniam cum probatus fuerit, accipiet coronam vitae. Et ideo docet petere ut non inducamur in tentationem per consensum. I Cor. X, 13: tentatio vos non apprehendat nisi humana. Nam tentari humanum est, sed consentire diabolicum est. Sed nunquid Deus inducit ad malum, quia dicit: et ne nos inducas in tentationem? Dico, quod Deus dicitur inducere ad malum permittendo, inquantum scilicet propter multa peccata subtrahit homini gratiam suam, qua sublata homo labitur in peccatum: et ideo cantamus in Psalmo LXX, 9: cum defecerit virtus mea, ne derelinquas me domine. Regit autem hominem ne inducatur in tentationem per fervorem caritatis: quia quaelibet caritas quantumcumque parva, potest resistere cuilibet peccato. Cant. VIII, 7: aquae multae non potuerunt extinguere caritatem. Item per lumen intellectus, quo instruit nos de agendis: quia, sicut dicit philosophus, omnis peccans est ignorans. Psal. XXXI, 8: intellectum tibi dabo, et instruam te. Hoc autem petebat David, qui dicebat, Psal. XII, 4-5: illumina oculos meos, ne unquam obdormiam in morte: ne quando dicat inimicus meus, praevalui adversus eum. Hoc autem habemus per donum intellectus. Et quia cum non assentimur tentationi, servamus cor mundum, de quo Matth. V, 8: beati mundo corde, quoniam ipsi Deum videbunt: ideo ex hoc pervenimus ad visionem Dei, ad quam nos perducat.

76. - Il existe des pécheurs désireux d’obtenir le pardon de leurs fautes ; ils se confessent et font pénitence ; mais ils n’apportent pas toute l’application nécessaire pour ne pas retomber dans le péché. Ils sont vraiment inconséquents avec eux-mêmes. En effet, à certaines heures, ils pleurent leurs péchés et s’en repentent, et à d’autres heures ils retombent dans leurs fautes, et accumulent ainsi la matière de larmes futures. C’est la raison pour laquelle le Seigneur leur dit en Isaïe (1, 16) : Lavez-vous, purifiez-vous, retirez de ma vue vos pensées mauvaises, cessez de mal faire.

Et c’est aussi pourquoi le Christ, comme nous l’avons dit, nous enseigne dans la demande précédente, à implorer le pardon de nos péchés et, dans celle-ci, nous apprend à demander la grâce de pouvoir éviter le péché, par ces paroles : Ne nous laissez pas succomber à la tentation, car à la tentation il appartient précisément de nous faire tomber dans le péché.

 

77. - Le contenu de cette sixième demande de l’oraison dominicale nous invite à examiner :

a.                  Ce qu’est la tentation,

b.                  Comment et par qui l’homme est tenté,

c.                   Comment il est délivré de la tentation.

 

 

78. - Qu’est-ce que la tentation ?

Tenter ne signifie rien d’autre que mettre à l’essai ou éprouver. Ainsi, tenter un homme, c’est éprouver sa vertu.

Sa vertu peut être mise à l’essai ou éprouvée de deux manières, dans la ligne des exigences de la vertu humaine. Il est requis d’une part que l’œuvre bonne soit accomplie d’une manière excellente et d’autre part que l’on se garde du mal. Ce qui est indiqué par le Psalmiste (Ps 33, 15) : Evite le mal et fais le bien.

La vertu de l’homme sera donc mise à l’épreuve tantôt au point de vue de l’excellence de son agir, tantôt au point de vue de son éloignement du mal.

 

79. - Si, en premier lieu, on vous éprouve pour savoir si vous êtes prompt à vous porter au bien, comme par exemple à jeûner, et si on vous trouve effectivement prompt au bien, ce sera le signe que votre vertu est grande.

C’est de cette façon que Dieu éprouve parfois l’homme ; ce n’est pas qu’il ignore sa vertu, mais il veut la faire connaitre à tous et à tous la donner en exemple. Dieu éprouva de cette manière Abraham (cf. Gn 2) et Job. Souvent en effet le Seigneur envoie des tribulations aux justes ; s’ils les supportent patiemment, leur vertu est manifestée et ils progressent dans la vertu. Le Seigneur vous tente, disait Moïse aux Hébreux (Deut 13, 3) afin de faire apparaître au grand jour si oui ou non vous l’aimez. C’est donc de cette manière seulement que Dieu tente l’homme, à savoir, en l’excitant à bien faire.

 

80. - En second lieu, pour éprouver la vertu de l’homme, on l’incitera au mal. S’il résiste fortement et ne consent pas, c’est l’indice de la grandeur de sa vertu ; mais s’il succombe à la tentation, sa vertu est manifestement inexistante.

Jamais Dieu ne tente qui que ce soit de cette manière ; car Dieu est incapable de tenter et de pousser personne au mal.

Sa propre chair, le diable et l’homme, voilà les tentateurs de l’homme.

 

81. - b) Comment et par qui l‘homme est-il tenté ?

La chair tente l’homme de deux manières. D’abord elle l’aiguillonne et le pousse au mal par la recherche incessante de ses délectations charnelles, occasions fréquentes de péché. Le fait de s’arrêter dans les délectations charnelles entraîne la négligence des choses spirituelles. Chacun, dit saint Jacques (1, 14), est tenté par sa propre convoitise, qui l’entraîne et le séduit.

En second lieu, la chair nous tente en nous détournant du bien. L’esprit, de lui-même, se délecterait toujours dans les biens spirituels, mais la chair rend l’esprit lourd et l’entrave. Le corps, sujet à la corruption, dit la Sagesse (9, 15), appesantit l’âme ; et saint Paul écrivait aux Romains (7, 22) : L’homme intérieur en moi se délecte dans la loi de Dieu ; mais je vois dans mes membres une autre loi ; cette loi-là lutte contre la loi de ma raison ; elle me tient captif sous la loi du péché, qui est dans mes membres.

Cette tentation de la chair est extrêmement forte, à cause de notre union intime à notre ennemie, la chair. « Aucune peste, dit Boèce, n’est plus nuisible qu’un ennemi familier ». Il faut donc veiller sur les assauts de notre chair. Veillez et priez, dit Jésus, (Mt 26, 41), pour ne pas entrer en tentation.

 

82. - 2° La chair, une fois domptée, un autre ennemi surgit, le diable. Il nous tente très fortement et il nous faut lutter contre lui avec vigueur. Nous n’avons pas à lutter contre la chair et le sang, dit saint Paul (Eph 6, 12), mais contre les Principautés et contre les Puissances, contre les Maîtres de ce monde de ténèbres, contre les Esprits répandus dans les airs. Aussi le diable est-il expressément appelé le tentateur, comme le montrent ces paroles de saint Paul (l Thess 3, 5) : Pourvu que le tentateur ne vous ait pas tentés.

Dans ses tentations, le diable se montre consommé en ruse. Semblable à un habile chef d’armée, occupé à assiéger une forteresse, il considère les points faibles de l’homme qu’il veut attaquer et fait alors porter l’effort de la tentation là où il constate que son adversaire est plus désarmé. Ainsi il tente les hommes, vainqueurs de leur chair, du côté des vices auxquels ils sont le plus enclins, comme la colère, l’orgueil et les autres maladies de l’esprit. Votre adversaire, le diable, dit saint Pierre (1 Pierre 5, 8), comme un lion rugissant, rôde autour de vous ; il cherche qui dévorer.

 

83. - Le démon, dans ses tentations, emploie une double tactique.

D’abord, il ne propose pas aussitôt à l’homme, au moment de la tentation, un mal manifeste, mais un bien apparent. Ainsi, au début, il ne détourne que légèrement l’homme de son orientation générale antérieure, mais suffisamment pour ensuite l’amener plus facilement à pécher. A ce sujet, l’Apôtre écrit aux Corinthiens (2 Jean 11, 14) ; Rien d’étonnant (si de faux apôtres se camouflent en apôtres du Christ), Satan lui-même se déguise bien, lui, en ange de lumière.

Après avoir amené l’homme à pécher, Satan l’enchaîne ensuite pour l’empêcher de se relever de ses fautes.

Ainsi donc le démon fait deux choses : il trompe l’homme et il maintient l’homme trompé dans son péché.

 

84. - Le monde, de son côté, nous tente de deux manières.

Il nous tente, en premier lieu, par un désir excessif et immodéré des choses temporelles. La cupidité, dit l’Apôtre (1 Tim 6, 10), est la racine de tous les maux.

En second lieu, le monde nous incite au mal par les frayeurs que nous inspirent les persécuteurs et les tyrans. De ce fait, nous sommes enveloppés de ténèbres, dit Jacob (37, 19), Tous ceux qui veulent vivre avec piété dans le Christ Jésus, écrit saint Paul (2 Tim 3, 12) souffriront persécution. Et à ce propos, le Seigneur a fait cette recommandation à ses disciples (Mt 10, 20) : Ne craignez pas ceux qui tuent le corps et ne peuvent tuer l’âme.

 

85. - c) Nous avons montré ce qu’est la tentation, comment et par quoi l’homme est tenté. Examinons maintenant de quelle manière l’homme est délivré de la tentation.

A ce sujet, il faut remarquer ceci : le Christ nous enseigne à demander au Père non pas la grâce de ne pas être tentés, mais bien celle d’éviter de nous établir passivement dans l’état où nous met la tentation. C’est en effet en surmontant et en dominant la tentation que l’homme mérite la couronne de gloire incorruptible (cf. 1 Co 9, 25 ; 1 Pierre 5, 4). C’est pourquoi saint Jacques (1, 2) déclare : Tenez pour une joie parfaite, mes frères, d’être en butte à toutes sortes d’épreuves. Et l’Ecclésiastique nous avertit (2, 1) : Mon fils, en entrant au service du Seigneur, préparez votre âme à l’épreuve. Saint Jacques déclare encore (1, 12) : Heureux l’homme qui supporte la tentation : sa valeur une fois reconnue, il recevra la couronne de vie. Ainsi donc, Jésus nous enseigne à demander au Père de ne pas nous laisser succomber à la tentation, en lui donnant notre consentement. Aucune tentation, dit saint Paul (1 Co 10, 13), ne nous est survenue, qui passât la mesure humaine. Que l’homme soit tenté en effet est chose normale, mais qu’il consente à la tentation et s’y abandonne, cela ne l’est pas, mais lui vient du diable.

 

86. - Mais objectera-t-on, puisque le Christ dit très précisément : Ne nous induisez pas en tentation, c’est-à-dire, ne soyez pas cause d’un entraînement et d’une entrée fatale dans la tentation, ne faut-il pas comprendre que c’est Dieu lui-même, plutôt que le diable, qui nous entraîne activement au mal ?

Je réponds ceci : C’est uniquement en permettant le mal et en n’y mettant pas d’obstacle que Dieu, si on peut dire, achemine l’homme au mal. Ainsi Dieu sera dit induire un homme en tentation, lorsqu’il retirera sa grâce, à cause des nombreux péchés de cet homme ; ce qui aura pour effet de faire tomber celui-ci dans le péché. C’est pour être préservé d’un tel malheur, que le Psalmiste demande à Dieu dans sa prière (Ps. 70, 9) : Lorsque mes forces déclineront, Seigneur, ne m’abandonnez pas.

Par contre, grâce à la ferveur de la charité qu’il lui donne, Dieu conduit l’homme de telle manière qu’il ne soit pas induit en tentation, au sens que nous avons expliqué plus haut (n° 82, 83). La charité en effet, si minime soit-elle, peut résister à n’importe quel péché. Car les grandes eaux (de la tentation) n’ont pu éteindre l’amour, dit le Cantique des Cantiques (8, 7).

De même le Seigneur nous dirige par la lumière de l’intelligence ; par elle, il nous montre les œuvres que nous devons accomplir. D’après le Philosophe Aristote, en effet, tout pécheur est un ignorant. - Cette lumière pour bien agir, David la demandait par ces paroles (Ps. 31, 8) : Seigneur, illuminez mes yeux, que je ne m’endorme pas dans la mort. Que mon ennemi ne dise pas : j’ai triomphé de lui.

 

87. - Cette lumière nous vient par le don d’intelligence.

Si nous refusons notre consentement à la tentation, nous gardons cette pureté du cœur, béatifiée par Jésus, en ces termes (Mt 5, 8) : Bienheureux les cœurs purs, car ils verront Dieu ; et nous parviendrons à la vision de Dieu.

Que Dieu nous y conduise effectivement !

 

 

Articulus 7 [86706] In orationem dominicam, a. 7 tit. Sed libera nos a malo. Amen

Septième demande : MAIS DÉLIVREZ-NOUS DU MAL. AMEN

[86707] In orationem dominicam, a. 7 Supra docuit nos dominus petere veniam peccatorum, et quomodo possumus vitare tentationes: hic vero docet petere praeservationem a malis. Et haec petitio est generalis contra omnia mala; scilicet peccata, infirmitates et afflictiones, sicut dicit Augustinus. Sed quia de peccato et tentatione dictum est, dicendum est de aliis malis, scilicet adversitatibus et afflictionibus omnibus huius mundi; a quibus Deus liberat quadrupliciter. Primo ne superveniat afflictio. Sed hoc raro contingit: quoniam sancti in mundo isto affliguntur, quia, ut dicitur II Tim. III, 12: omnes qui pie volunt vivere in Christo Iesu, persecutionem patientur. Sed tamen alicui Deus concedit aliquando ut non affligatur a malo; quando scilicet cognoscit eum impotentem, et non posse resistere; sicut medicus infirmo debili non dat violentas medicinas. Apoc. III, 8: ecce dedi coram te ostium apertum, quod nemo potest claudere, quia modicam habes virtutem. In patria autem erit generale hoc, quia nullus affligetur ibi. Iob V, 19: in sex tribulationibus, scilicet praesentis vitae, quae per sex aetates distinguitur, liberabit te; et in septima non tanget te malum. Apoc. VII, 16: non esurient neque sitient amplius. Secundo liberat quando in afflictionibus consolatur. Nam nisi Deus consolaretur, non posset homo subsistere. II Cor. I, 8: supra modum gravati sumus supra virtutem nostram; et ibid. VII, 6: sed qui consolatur humiles, consolatus est nos Deus. Psal. XCIII: secundum multitudinem dolorum meorum in corde meo consolationes tuae laetificaverunt animam meam. Tertio quia afflictis tot bona facit quot tradunt mala oblivioni. Tob. III, 22: post tempestatem tranquillum facis. Sic ergo afflictiones et tribulationes huius mundi non sunt timendae, quia facile tolerantur et propter consolationem admixtam, et propter brevitatem. Apostolus, II Cor. IV, 17: id quod in praesenti est momentaneum et leve tribulationis nostrae, supra modum in sublimitate aeternum gloriae pondus operatur in nobis: quia ex his pervenitur ad vitam aeternam. Quarto quia tentatio et tribulatio convertitur in bonum: et ideo non dicit, libera nos a tribulatione, sed a malo: quia tribulationes sunt sanctis ad coronam; et inde est quod gloriantur de tribulationibus. Apostolus, Rom. V, 3: non solum autem, sed et gloriamur in tribulationibus, scientes quod tribulatio patientiam operatur. Tob. III, 13: in tempore tribulationis peccata dimittis. Liberat ergo Deus hominem a malo et tribulationibus, eas in bonum convertendo; quod est signum maximae sapientiae, quia sapientis est malum ordinare in bonum; et hoc fit per patientiam, quae habetur in tribulationibus. Ceterae vero virtutes bonis utuntur, sed patientia malis; et ideo solum in malis, idest in adversitatibus, est necessaria: Prov. XIX, 11: doctrina viri per patientiam noscitur. Et ideo spiritus sanctus per donum sapientiae facit nos petere: et per hoc pervenimus ad beatitudinem ad quam ordinat pax, quia per patientiam pacem habemus et in tempore prospero et adverso: et ideo pacifici dicuntur filii Dei, qui sunt similes Deo, quia sicut Deo nihil nocere potest, ita nec eis, quia nec prospera nec adversa; et ideo beati pacifici, quoniam filii Dei vocabuntur, Matth. V, 9. Amen est confirmatio universalis omnium petitionum. Compendiosa expositio totius orationis pater noster. Ut in summa exponatur, sciendum est, quod in oratione dominica continentur omnia quae desiderantur, et omnia quae fugiuntur. Inter omnia autem desiderabilia illud plus desideratur quod plus amatur, et hoc est Deus; et ideo primo petis gloriam Dei, cum dicis: sanctificetur nomen tuum. A Deo autem desideranda sunt tria, quae pertinent ad te. Primum est quod pervenias ad vitam aeternam; et hoc petis cum dicis: adveniat regnum tuum. Secundum est quod facias voluntatem Dei et iustitiam; et hoc petis cum dicis: fiat voluntas tua sicut in caelo et in terra. Tertium est ut habeas necessaria ad vitam; et hoc petis cum dicis: panem nostrum quotidianum da nobis hodie. Et de his tribus dicit dominus, Matth. VI, 33: primum quaerite regnum Dei, quantum ad primum; et iustitiam eius quantum ad secundum; et haec omnia adiicientur vobis, quantum ad tertium. Illa autem quae vitanda sunt et fugienda, sunt illa quae contrariantur bono. Bonum autem quod primo desiderabile est, est quadruplex, ut dictum est. Et primum est gloria Dei, et huic nullum malum est contrarium. Iob XXXV, 6: si peccaveris, quid ei nocebis (...) si iuste egeris, quid donabis ei? Nam et de malo in quantum punit, et de bono inquantum remunerat, resultat gloria Dei. Secundum bonum est vita aeterna; et huic contrariatur peccatum, quia per peccatum perditur: et ideo ad hoc removendum dicimus: dimitte nobis debita nostra, sicut et nos dimittimus debitoribus nostris. Tertium bonum est iustitia et bona opera; et huic contrariatur tentatio, quia tentationes impediunt nos a bono operando: et ad hoc removendum petimus: et ne nos inducas in tentationem. Quartum bonum sunt bona necessaria; et huic contrariantur adversitates et tribulationes; et ad hoc removendum petimus: sed libera nos a malo. Amen.

88. - Dans les deux demandes précédentes, le Seigneur nous apprend à implorer le pardon de nos péchés, et il nous montre comment échapper aux tentations. Ici, il nous enseigne à demander d’être préservés du mal.

Cette demande est générale. D’après saint Augustin, elle vise les différentes espèces de maux, à savoir les péchés, les maladies, les afflictions. Nous avons déjà parlé du péché et de la tentation ; il nous reste à traiter des autres catégories de maux, c’est-à-dire de toutes les adversités et afflictions de ce monde.

De ces adversités et de ces afflictions, Dieu nous délivre de quatre manières.

 

89. - En premier lieu, Dieu délivre l’homme de l’affliction, quand il écarte celle-ci de lui ; cela, il le fait rarement. Dans ce monde, en effet, les saints sont affligés. Tous ceux, dit saint Paul (2 Tim 3, 12), qui veulent vivre pieusement dans le Christ Jésus connaîtront la persécution.

Cependant, Dieu accorde parfois à tel ou tel de n’être pas affligé par le mal. Quand, en effet, il le sait incapable de supporter l’épreuve, il agit comme un médecin, qui évite de donner à un grand malade des médecines violentes. Voici, dit le Seigneur (Ap 3, 8), que j’ai mis devant toi une porte ouverte, que nul ne peut fermer, et ce, à cause de ton défaut de vigueur.

Dans la patrie céleste, il en va tout autrement. Nul n’y est affligé. C’est la loi générale pour tous les élus. Ils n’auront plus faim, ils n’auront plus soif, est-il dit dans l’Apocalypse (7, 16-17), et jamais ne les accablera le soleil ni aucun vent brûlant. Car l’Agneau qui est au milieu du trône.les fera paître et les conduira aux sources des eaux de la vie. Et Dieu essuiera toute larme de leurs yeux.

 

90. - En second lieu, Dieu nous délivre du mal par l’octroi des consolations, au temps de l’affliction. Privé de ces divines consolations, l’homme ne pourrait subsister au milieu des épreuves. Nous sommes, disait saint Paul (2 Co 1, 8), accablés au delà de toute mesure, au delà de nos forces, et il ajoutait (2 Co 7, 6) : mais Dieu nous a consolés, lui qui réconforte les humbles. Vos consolations ré jouissent mon âme, chantait aussi le Psalmiste (Ps. 93, 19), à proportion des douleurs surabondantes de mon cœur.

 

91. - En troisième lieu, Dieu comble les affligés de tant de bienfaits qu’ils en viennent à oublier leurs maux. Après la tempête, disait Tobie (3, 22), vous ramenez le calme. Ainsi nous ne devons pas craindre les afflictions et les tribulations du monde ; elles sont en effet facilement supportables, à cause des consolations que Dieu y mêle et à cause de leur brève durée. La légère tribulation d’un moment, dit en effet saint Paul (2 Co 4, 17), nous prépare, au delà de toute mesure, un poids éternel de gloire ; car elle nous fait effectivement parvenir à la vie éternelle.

 

92. - En quatrième lieu, - et pour étendre l’idée du mal à tous les maux (n° 88) -, Dieu tire du bien de tous les maux, tentations et tribulations.

Aussi Jésus ne nous fait pas dire : Délivrez-nous de la tribulation, mais : Délivrez-nous du risque de mal véritable qu’elle porte avec elle.

Les tribulations sont en effet données aux saints pour leur bien, pour leur faire mériter la couronne de gloire ; et c’est pourquoi, loin de demander d’être délivrés des tribulations, les saints font leurs les paroles de l’Apôtre (Rom 5, 3) : Non seulement nous nous glorifions dans l’espérance de la gloire de Dieu, mais nous nous glorifions encore dans les tribulations, sachant que la tribulation produit la constance. Et ils répètent la prière du livre de Tobie (3, 12) : Au temps de la tribulation, Dieu de nos Pères, vous pardonnez les péchés de ceux qui vous invoquent.

Dieu donc délivre l’homme du mal et de la tribulation, en transformant tribulation et mal en bien ; et c’est là le signe d’une sagesse consommée, puisqu’en effet il appartient au sage d’ordonner le mal au bien. Dieu y parvient, en donnant à l’homme la grâce d’être patient dans ses tribulations. Les autres vertus se servent des biens, mais la patience est seule à tirer profit des maux ; eux seuls donc la rendent nécessaire. C’est pourquoi sa nécessité apparaît seulement au milieu des maux, c’est-à-dire dans les adversités. Nous lisons en effet dans les Proverbes (19, 11) : La sagesse d’un homme, vous la reconnaîtrez à sa patience, qui lui fait ordonner le mal au bien.

 

93. - C’est pourquoi l’Esprit-Saint nous fait adresser cette demande au Père, par le don de la sagesse. Grâce à ce don, nous parvenons à la béatitude, à laquelle nous ordonne la paix. La patience, en effet, nous assure la paix dans l’adversité comme dans la prospérité. C’est pourquoi les pacifiques sont appelés fils de Dieu. Ils sont, en effet, semblables à Dieu. A eux, comme à Dieu, rien ne peut nuire, ni la prospérité, ni l’adversité. Bienheureux donc les pacifiques, ils seront appelés fils de Dieu (Mt 5, 9).

 

94. - Le mot Amen est la réaffirmation générale des sept demandes de l’Oraison dominicale.

 

 

 

 

EXPLICATION ABRÉGÉE DE L’ORAISON DOMINICALE

 

95. - Pour avoir un aperçu général sur l’Oraison dominicale, il suffit de savoir qu’elle contient tout ce que nous devons désirer, et tout ce qu’il nous faut fuir et éviter.

Or, parmi tous les biens désirables, le plus désiré est aussi le plus aimé, et c’est Dieu. C’est pourquoi notre première demande : Que votre nom soit sanctifié est une demande de la gloire de Dieu.

De Dieu, vous attendez pour vous-même trois biens.

Le premier est l’obtention de la vie éternelle ; cette vie éternelle, vous la sollicitez par la demande : Que votre règne arrive.

Accomplir la volonté de Dieu et sa justice est le deuxième des biens, que vous désirez pour vous-même ; la prière : Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel est la demande de ce deuxième bien.

Le troisième bien que vous voulez pour vous-même consiste en la possession des choses nécessaires à votre vie ; la possession de ces choses, vous la sollicitez par cette prière : Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien.

Une parole du Seigneur citée par saint Matthieu (6, 33), se rapporte à ces trois objets de nos désirs, qui sont : le royaume de Dieu ou la vie éternelle, la volonté de Dieu et sa justice, les biens nécessaires à la vie d’ici-bas.

Cette parole, la voici : Cherchez le royaume de Dieu : et sa justice et tout le reste vous sera donné par surcroît. Elle correspond exactement dans ses trois parties aux trois objets de nos désirs, énumérés plus haut et que sollicitent les deuxième, troisième et quatrième demandes de l’oraison dominicale.

 

96. - Nous avons dit que le « Notre Père » contient également tout ce que nous devons fuir et éviter. Il nous faut fuir et éviter ce qui est contraire au bien. Le bien est ce qu’en toute chose nous désirons d’abord. Nous venons d’énumérer les quatre biens, que nous désirons.

Le premier est la gloire de Dieu. A ce bien, aucun mal ne s’oppose. Si tu pèches, dit le Livre de Job (35, 6), en quoi nuis-tu à Dieu ? Si tu multiplies les offenses, lui fais-tu quelque

mal ? Si tu es juste, que lui donnes-tu ou que reçoit-il de ta main ? En effet, la gloire de Dieu résulte et du mal, en tant que Dieu le punit, et du bien, en tant qu’il le récompense.

Le deuxième bien, objet de nos désirs, est la vie éternelle. A elle s’oppose le péché ; par le péché, en effet, nous perdons la vie éternelle. Aussi pour repousser le péché, nous disons :

Remettez-nous nos dettes, comme nous-mêmes, nous remettons à nos débiteurs.

Le troisième bien consiste dans la justice et les bonnes œuvres. La tentation s’oppose à rune et aux autres. En effet, les tentations nous empêchent d’accomplir le bien et pour les repousser, nous disons : Et ne nous laissez pas succomber à la tentation.

Le quatrième bien désiré de nous comprend les choses nécessaires à notre vie terrestre. A elles sont contraires les adversités et les tribulations. C’est pourquoi, nous en demandons l’éloignement par cette prière : Mais délivrez-nous du mal.

Amen

 

FIN DE L'EXPLICATION DU NOTRE PÈRE

 

 

 

 



[1] Articulus I collationis Sancti Thomae amissus est traditioni, ac suppletus commentario Aldobrandini de Toscanella.