Les 10 QUESTIONS DISPUTÉES SUR LA
PUISSANCE
(DE POTENTIA)
Saint Thomas d'Aquin
Docteur de l'Eglise
Texte,
traduction et notes
© Raymond
Berton, Docteur en Philosophie
Première édition numérique, http://www.tradere.org Février 2004
Deuxième édition numérique http://docteurangelique.free.fr Janvier 2005
Les œuvres complètes de saint Thomas d'Aquin
Question 1: La puissance en
Dieu
Article 1: Y a-t-il de la puissance en Dieu?
Article 2: La puissance de Dieu est-elle infinie?
Article 3: Ce qui est impossible à la nature
est-il possible à Dieu?
Article 4: Faut-il juger le possible et
l'impossible selon les causes inférieures ou supérieures?
Article 5: Dieu peut-il faire ce qu'il ne fait pas
et abandonner ce qu'il fait?
Article 6: Dieu peut-il faire ce qui est possible
à d'autres, comme pécher, marcher etc.?
Article 7: Pourquoi dit-on que Dieu est
tout-puissant?
Question 2: La puissance générative en Dieu.
Article 1: Y a-t-il une puissance générative en
Dieu?
Article 2: Parle-t-on de la puissance générative
en Dieu selon l'essence ou la notion ?
Article 4: Peut-il y avoir plusieurs Fils en Dieu?
Article 5: La puissance d'engendrer est-elle
comprise dans la toute puissance?
Article 6: La puissance d'engendrer et celle de
créer sont-elles identiques?
Question 3: La création qui est le premier effet
de la puissance divine.
Article 1: Dieu peut-il créer de rien?
Article 2: La création est-elle un changement?
Article 3: La création est-elle une réalité dans
la créature et si oui, quelle est-elle?
Article 4: Le pouvoir ou même l'acte de créer
peut-il être communiqué à une créature?
Article 5: Est-il possible que quelque chose ne
soit pas créé par Dieu?
Article 6: N'y a-t-il qu'un seul principe de
création?
Article 7: Dieu agit-il dans l'opération de
nature?
Article 10: L'âme rationnelle est-elle créée dans
le corps ou hors du corps?
Article 13: Un être qui dépend d'un autre peut-il
être éternel?
Article 14: Ce qui est diffèrent de Dieu par
essence peut-il être éternel?
Article 16: La pluralité peut-elle procéder d'un
premier être unique?
Article 17: Le monde a-t-il toujours existé?
Article 18: Les anges ont-ils été créés avant le
monde visible?
Article 19: Les anges ont-ils pu exister avant le
monde visible?
Question 4: La création de la matière sans forme
Article 1: La création de la matière sans forme
a-t-elle précédé la création dans la durée?
Article 2: La mise en forme de la matière a-t-elle
eu lieu toute en même temps ou successivement?
Question 5: La conservation des créatures dans
l'être par Dieu.
Article 3: Dieu peut-il ramener la créature au
néant?
Article 4: Une créature doit-elle retourner au
néant, ou même y retournera-t-elle?
Article 5: Le mouvement du ciel cessera-t-il un
jour?
Article 6: L'homme peut-il savoir quand le
mouvement du ciel s'arrêtera?
Article 7: Quand cessera le mouvement du ciel, les
éléments demeureront-ils?
Article 9: Les plantes, les animaux et les
minéraux demeureront-ils après la fin du monde?
Article 10: Les corps humains demeureront-ils
quand cessera le mouvement du ciel?
Article 3: Les créatures spirituelles peuvent-elles
accomplir des miracles par leur pouvoir naturel?
Article 4: Les bons anges et les hommes
peuvent-ils faire des miracles par un don de la grâce?_
Article 5: Les démons aussi travaillent-ils à
faire des miracles?
Article 6: Les anges et les démons ont-ils des
corps qui leur sont unis naturellement?
Article 7: Les anges ou les démons peuvent-ils
assumer un corps?
Article 9: Faut-il attribuer le miracle à la foi?
Question 7: La simplicité de l’essence divine
Article 1:
Dieu est-il simple?
Article 2: La substance ou l’essence en Dieu
sont-elles la même chose que son être
Article 3: Dieu est-il dans un genre
Article 4: 'Bon', 'sage', 'juste' etc.
attribuent-ils un accident à Dieu?
Article 5: Ces noms attribués à Dieu
signifient-ils sa substance?
Article 6: Ces noms sont-ils synonymes?
Article 7: Les noms sont-ils utilisés pour Dieu et
les créatures de manière univoque ou équivoque?
Article 8: Y a-t-il une relation entre Dieu et la
créature?
Article 9: De telles relations entre les créatures
et Dieu sont-elles réellement en elles? i
Article 11: Ces relations temporelles en Dieu
sont-elles de raison?
Question 8: Ce qu'on appelle relations éternelles
en Dieu
Article 2: La relation en Dieu est-elle sa
substance?
Article 3: Si on exclut en esprit la relation,
l'hypostase demeure-t-elle en Dieu?
Article 4: Si on exclut en esprit la relation,
l'hypostase demeure-t-elle en Dieu?
Question 9: Les personnes divines
Article 2: Qu'est-ce que la personne?
Article 3: Peut-il y avoir une personne en Dieu?
Article 4: Ce nom "personne"
signifie-t-il en Dieu, le relatif ou l'absolu1?
Article 5: Le nombre des personnes est-il en Dieu?
Article 6: Le nom de personne peut-il être
convenablement attribué à Dieu au pluriel?
Article 8: Y a-t-il de la diversité en Dieu?
Article 9: En Dieu, y a-t-il trois personnes, ou
plus, ou moins?
Question 10: Les processions des Personnes divines
Article 1: Y a-t-il une procession dans les
personnes divines?
Article 2: En Dieu n'y a-t-il qu'une seule
procession ou plusieurs?
Article 3: L’ordre de la procession à la relation
en Dieu
Article 4: L’Esprit saint procède-t-il du Fils?
q.
1 pr. 1 Et primo quaeritur utrum in Deo sit potentia.
1. Y a-t-il de la puissance en Dieu?
q. 1
pr. 2 Secundo utrum potentia Dei sit infinita.
2. La puissance de Dieu est-elle infinie?
q. 1 pr. 3 Tertio
utrum ea quae sunt naturae impossibilia, Deo sint possibilia.
3. Ce qui est impossible à la nature est-il possible à Dieu?
q. 1 pr. 4 Quarto
utrum iudicandum sit aliquid possibile vel impossibile, secundum causas
inferiores vel superiores.
4. Faut-il juger du possible ou de l'impossible selon les causes
inférieures ou les causes supérieures?
q. 1 pr. 5 Quinto
utrum Deus possit facere quae non facit, et dimittere quae facit.
5. Dieu pourrait-il faire ce qu'il ne fait pas et défaire ce qu'il fait?
q. 1 pr. 6 Sexto
utrum Deus possit facere quae alii faciunt, ut peccare, ambulare, et cetera.
6. Peut-il faire ce que d'autres font, c'est-à-dire pécher, marcher,
etc.?
q. 1 pr. 7 Septimo
utrum Deus dicatur omnipotens.
7. Dit-on que Dieu est tout-puissant?
q. 1 a. 1 tit. 1 Et
primo quaeritur utrum in Deo sit potentia. Et videtur quod non.
Il semble que non[1].
Objections
q. 1 a. 1 arg. 1
Potentia enim est operationis principium. Sed operatio Dei, quae est eius
essentia, non habet principium, quia neque est genita neque procedens. Ergo in
Deo non est potentia.
1. La puissance est en effet le principe[2] de l'opération. Mais
l’opération de Dieu, qui est son essence, n’a pas de principe[3], parce qu’elle
n'est ni engendrée, ni dépendante. Donc en Dieu il n’y a pas de puissance.
q. 1 a. 1 arg. 2
Praeterea, omne perfectissimum est Deo attribuendum, secundum Anselmum. Ergo
quod respicit aliquid se perfectius, non debet Deo attribui. Sed omnis potentia
respicit se perfectius, scilicet passiva formam et activa operationem. Ergo
potentia Deo attribui non potest.
2. On doit attribuer à Dieu tout ce qu'il y a de plus parfait, selon
Anselme (Monologium, XV[4]). Donc, on
ne doit pas lui attribuer ce qui trouve plus parfait que soi. Mais toute
puissance trouve plus parfait qu’elle, à savoir la forme pour la puissance
passive, et l’opération pour la puissance active (Métaphysique, IX, 9, 1051 a 4-15). Donc on ne peut attribuer la
puissance à Dieu.
q. 1 a. 1 arg. 3
Praeterea, potentia est principium transmutandi in aliud secundum quod est
aliud: secundum philosophum; sed principium relatio quaedam est; et est relatio
Dei ad creaturas, prout significatur in potentia creandi vel movendi. Nulla
autem talis relatio est in Deo secundum rem, sed solum secundum rationem. Ergo
potentia non est in Deo secundum rem.
3. La puissance est le principe de changement dans un autre être en
tant qu’autre, selon le Philosophe[5], (Métaphysique,
V, 12, 1019 a 15-16[6]), mais ce principe est une relation et c’est la relation
de Dieu à ses créatures, telle qu'elle est signifiée dans sa puissance à créer
ou à mouvoir. Mais en Dieu, il n’y a aucune relation de ce genre en réalité,
mais seulement en raison[7]. Donc, il n'y a pas réellement de puissance en
Dieu.
q. 1
a. 1 arg. 4 Praeterea, habitus est perfectior potentia, utpote operanti
propinquior. Sed habitus non ponitur in Deo. Ergo nec potentia
4. L'habitus[8] est plus parfait que la puissance, en tant que plus
proche de celui qui opère, mais on n’admet pas d’habitus en Dieu. Donc pas de
puissance non plus.
. q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, nihil debet in Deo significari per quod
derogetur eius primitiae vel simplicitati. Sed Deus, in quantum est simplex, et
primum agens, agit per essentiam suam. Ergo non debet significari agere per
potentiam, quae saltem secundum modum significandi super essentiam addit.
5. On ne doit rien signaler en Dieu qui dérogerait à sa prééminence ou
à sa simplicité. Mais Dieu, en tant qu'être simple et agent premier, agit par
son essence. Donc, on ne doit pas signifier qu’il agit par une puissance qui,
au moins, selon la manière de la signifier, ajoute à son essence.
q. 1 a. 1 arg. 6
Praeterea, secundum philosophum, in perpetuis non differt esse et posse: multo
minus ergo in divinis. Sed ubi est eadem res, debet esse idem nomen a digniori
sumptum. Dignius autem est essentia quam potentia: quia potentia essentiae
advenit. Ergo in Deo debet nominari essentia tantum, non autem potentia.
6. Selon le Philosophe (Physique,
III, 4, 203 b 28[9]), dans ce qui est éternel, être et pouvoir ne diffèrent pas
toujours; donc encore beaucoup moins en Dieu. Mais là où plusieurs choses sont
identiques, il doit y avoir un nom identique pris de la plus digne. L’essence
est plus digne que la puissance, parce que cette dernière s’ajoute à l’essence.
Donc en Dieu, on ne doit désigner que l’essence seule et non la puissance [10].
q. 1
a. 1 arg. 7 Praeterea, sicut materia prima est pura potentia, ita Deus est
purus actus. Sed prima materia secundum essentiam suam considerata, est
denudata ab omni actu. Ergo Deus in essentia sua consideratus,
est absque omnipotentia.
7. De même que la matière première[11] est puissance pure, de même Dieu
est acte pur. Mais la matière première, considérée en son essence, est dénuée
de tout acte. Donc Dieu, considéré en son essence, est dénué de toute
puissance.
q. 1 a. 1 arg. 8
Praeterea, omnis potentia ab actu separata est imperfecta: et ita, cum nihil
imperfectum Deo conveniat, talis potentia in Deo esse non potest. Si ergo in
Deo est potentia, oportet quod semper sit actui coniuncta: et ita potentia
creandi est coniuncta actui semper; et sic sequitur quod ab aeterno creavit res;
quod est haereticum.
8. Toute puissance séparée de l'acte est imparfaite et ainsi, comme
rien d’imparfait ne convient à Dieu, une telle puissance ne peut pas exister en
lui[12]. Si donc il y a une puissance en Dieu, il faut qu’elle soit toujours
jointe à l’acte, et si la puissance de créer est toujours jointe à son acte, il
en découle alors qu’il a créé de toute éternité, ce qui est hérétique.
q. 1 a. 1 arg. 9 Praeterea, quando aliquid
sufficit ad aliquid agendum, superflue aliquid superadditur. Sed essentia Dei
sufficit ad hoc quod Deus per eam aliquid agat. Ergo superflue
ponitur in eo potentia per quam agat.
9. Quand quelque chose suffit pour agir, il est superflu d’ajouter
autre chose. Mais l’essence de Dieu est suffisante pour qu’il agisse par elle.
Donc il est superflu de lui ajouter une puissance pour agir.
q. 1 a. 1 arg. 10
Sed dices, quod potentia non est aliud quam essentia secundum rem; sed solum
secundum modum intelligendi.- Sed contra, omnis intellectus cui non respondet
aliquid in re est cassus et vanus.
10. Mais on pourrait dire que la puissance n’est pas en réalité autre
chose que l’essence; mais seulement selon la manière de la comprendre. — En
sens contraire, tout concept à quoi rien ne correspond dans la réalité est vide
et vain.
q. 1 a. 1 arg. 11
Praeterea, praedicamentum substantiae est nobilius aliis praedicamentis. Sed
Deo non attribuitur, ut Augustinus dicit. Multo ergo minus praedicamentum
qualitatis. Sed potentia est in secunda specie qualitatis. Ergo Deo attribui
non debet.
11. La catégorie de substance[13] est plus noble que les autres
catégories. Mais on ne l’attribue pas à Dieu, comme le dit Augustin (La
Trinité. VII, 5, 10[14]). Donc on lui attribue encore moins la catégorie de
qualité. Mais la puissance est dans la seconde espèce de qualité[15]. Donc on
ne doit pas l’attribuer à Dieu.
q. 1 a. 1 arg. 12
Sed dices, quod potentia quae Deo attribuitur, non est qualitas, sed Dei
essentia, sola ratione differens.- Sed contra, aut isti rationi aliquid respondet
in re, aut nihil. Si nihil ratio vana est. Si autem aliquid in re ei respondet,
sequitur quod aliquid in Deo sit potentia praeter essentiam, sicut ratio
potentiae est praeter rationem essentiae
12. Mais on pourrait dire que la puissance, attribuée à Dieu, n’est pas
une qualité mais son essence qui diffère en raison seulement. En sens
contraire, à cette notion (ratio[16]), quelque chose correspond en réalité ou
rien. Si ce n’est rien, la notion est vaine. Mais si quelque chose lui
correspond en réalité, il s’ensuit que quelque chose serait en Dieu puissance
en plus de l’essence, ainsi la notion de puissance est en plus de celle
d’essence.
q. 1 a. 1 arg. 13
Praeterea, secundum philosophum, omnis potestas et omne effectivum est propter
aliud eligendum. Nullum autem huiusmodi Deo convenit: quia ipse non est propter
aliud. Ergo potentia Deo non convenit.
13. Selon le Philosophe (Les Topiques, IV, 5, 126 b 5[17]) tout pouvoir
et tout ce qui agit est en vue d'autre chose. Rien de ce genre ne convient à
Dieu, parce qu’il n’est pas lui-même en vue d’une autre chose. Donc la
puissance ne convient pas à Dieu.
q. 1 a. 1 arg. 14
Praeterea, virtus a Dionysio ponitur media inter substantiam et operationem.
Sed Deus non agit per aliquod medium. Ergo non agit per virtutem; et ita nec
per potentiam: et sic potentia non est in Deo.
14. Le pouvoir[18] est considéré par Denys (La hiérarchie céleste, XI, 284 D[19]) comme intermédiaire entre la
substance et l'opération, Mais Dieu n’agit pas par un intermédiaire. Donc il
n’agit pas par pouvoir, ni en conséquence par puissance. Et ainsi il n’y a pas
de puissance en Dieu.
q. 1 a. 1 arg. 15
Praeterea, secundum philosophum potentia activa, quae soli Deo potest
competere, est principium transmutationis in aliud, secundum quod est aliud.
Sed Deus agit sine transmutatione, sicut patet in creatione. Ergo Deo potentia
activa attribui non potest.
15. Selon le Philosophe (Métaphysique
IX, 1, 1046 a 10 - et V, 12, 1019 a 15-16) la puissance active, la seule qui
peut convenir à Dieu, est le principe d’un changement en autre chose en tant
qu’autre. Mais Dieu opère sans changement, comme cela apparaît dans la
création[20] . Donc on ne peut pas lui attribuer la puissance.
q. 1 a. 1 arg. 16
Praeterea, philosophus dicit, quod eiusdem est potentia actionis et passionis.
Sed potentia passionis Deo non convenit. Ergo nec potentia actionis.
16. Le Philosophe (Métaphysique,
IX, 1, 1046 a 19) dit que la puissance active et la puissance passive sont de
même nature. Mais cette dernière ne convient pas à Dieu. En conséquence la
puissance active non plus.
q. 1 a. 1 arg. 17
Praeterea, philosophus dicit, quod potentiae activae est contraria privatio.
Sed contraria nata sunt fieri circa idem. Cum ergo in Deo nullo modo sit
privatio, non erit ibi potentia.
17. Le Philosophe (Métaphysique,
IX, 1, 1046 a 29) dit que la privation est le contraire de la puissance active.
Mais les contraires concernent un même genre. Donc, comme en Dieu il n’y a en
aucune manière de privation, il n’y aura pas de puissance.
q. 1 a. 1 arg. 18
Praeterea, Magister dicit quod agere non proprie competit Deo. Sed ubi non est
actio, ibi non potest esse potentia activa nec passiva, ut patet. Ergo nulla.
18. Le Maître des Sentences (II Sent., Dist. 1[21]) dit qu’agir
n’appartient pas au sens propre à Dieu. Mais là où il n’y a pas d’action, il ne
peut y avoir de puissance, ni active, ni passive, c'est évident. Donc pas de
puissance en Dieu.
En sens contraire:
q. 1 a. 1 s. c. 1
Sed contra. Est quod dicitur in Psalm. LXXXVIII, 9: potens es, domine, et
veritas tua in circuitu tuo.
1. On lit dans le Ps. 88, 9: "Tu es puissant, Seigneur et ta
Vérité t’entoure[22] ."
1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Matth. III, 9: potens est Deus de lapidibus
istis suscitare filios Abrahae.
2. Mt. 3, 9: "Dieu a le pouvoir de faire naître de ces pierres des
enfants à Abraham."
q. 1
a. 1 s. c. 3 Praeterea, omnis operatio ab aliqua potentia procedit. Sed Deo
maxime convenit operari. Ergo Deo maxime potentia convenit.
3. Toute opération procède d’une puissance. Mais il convient tout à
fait à Dieu d’agir. Donc, la puissance lui convient tout à fait[23].
Réponse
q. 1 a. 1 co.
Respondeo. Ad huius quaestionis evidentiam sciendum, quod potentia dicitur ab
actu: actus autem est duplex: scilicet primus, qui est forma; et secundus, qui
est operatio: et sicut videtur ex communi hominum intellectu, nomen actus primo
fuit attributum operationi: sic enim quasi omnes intelligunt actum; secundo
autem exinde fuit translatum ad formam, in quantum forma est principium
operationis et finis.
Pour éclairer cette question, il faut savoir qu’on parle de la
puissance à partir de l’acte. Or celui-ci est double: d'abord une forme et
ensuite une opération[24]. Et d’après la manière générale de le comprendre[25],
le nom d’acte a d’abord été attribué à l’opération. En effet, c’est ainsi que
presque tout le monde comprend l’acte, mais ensuite il fut transmis à la forme,
dans la mesure où elle est le principe de l’opération et sa fin.
Unde et similiter duplex est potentia: una activa cui respondet actus,
qui est operatio; et huic primo nomen potentiae videtur fuisse attributum: alia
est potentia passiva, cui respondet actus primus, qui est forma, ad quam
similiter videtur secundario nomen potentiae devolutum. Sicut autem nihil
patitur nisi ratione potentiae passivae, ita nihil agit nisi ratione actus
primi, qui est forma. Dictum est enim, quod ad ipsum primo nomen actus ex
actione devenit. Deo autem convenit esse actum purum et primum; unde ipsi
convenit maxime agere, et suam similitudinem in alias diffundere, et ideo ei
maxime convenit potentia activa; nam potentia activa dicitur secundum quod est
principium actionis.
De la même manière, il y a aussi deux sortes de puissances: l’une est
active, à quoi correspond l’acte en tant qu’opération; c’est à celle-ci d’abord
que le nom de puissance paraît avoir été attribué; l’autre est la puissance
passive à quoi correspond l’acte premier qui est la forme, à qui de la même
manière le nom de puissance paraît avoir été dévolu en second. De même que rien
ne subit sinon en raison de la puissance passive, de même rien n’agit qu’en
raison de l’acte premier qui est la forme. Car il a été dit que le nom d’acte
vient d'abord de l’action. Mais il convient à Dieu d'être acte pur et premier:
il lui convient donc éminemment d’agir et de diffuser sa ressemblance dans les
autres[26] et c’est pourquoi la puissance active lui convient tout à fait; car
on l’appelle ainsi parce qu’elle est le principe de l’action.
Sed et sciendum, quod intellectus noster Deum exprimere nititur sicut
aliquid perfectissimum. Et quia in ipsum devenire non potest nisi ex effectuum
similitudine; neque in creaturis invenit aliquid summe perfectum quod omnino
imperfectione careat: ideo ex diversis perfectionibus in creaturis repertis,
ipsum nititur designare, quamvis cuilibet illarum perfectionum aliquid desit;
ita tamen quod quidquid alicui istarum perfectionum imperfectionis adiungitur,
totum a Deo amoveatur. Verbi gratia esse significat aliquid completum et
simplex sed non subsistens; substantia autem aliquid subsistens significat sed
alii subiectum.
Mais il faut savoir que notre esprit s'efforce d’exprimer Dieu comme un
être absolument parfait. Et parce qu'il ne peut parvenir à lui que par une
ressemblance dans ses effets et que dans les créatures, il ne trouve rien
d'absolument parfait, exempt de toute imperfection, à partir des différentes
perfections qu'il trouve dans les créatures, il s’efforce de le représenter,
bien qu'il y ait quelque manque à chacune de ces perfections[27]. De sorte
cependant qu'on exclut de Dieu entièrement ce qui d'imparfait est ajouté à une
de ces perfections. Par exemple l’être désigne quelque chose de complet et de
simple, mais de non subsistant; mais la substance signifie quelque chose de
subsistant mais substrat pour un autre.
Ponimus ergo in Deo substantiam et esse, sed substantiam ratione
subsistentiae non ratione substandi; esse vero ratione simplicitatis et
complementi, non ratione inhaerentiae, qua alteri inhaeret. Et similiter
attribuimus Deo operationem ratione ultimi complementi, non ratione eius in
quod operatio transit. Potentiam vero attribuimus ratione eius quod permanet et
quod est principium eius, non ratione eius quod per operationem completur.
Nous plaçons donc en Dieu la substance et l’être, mais la substance en
raison de sa subsistance, non du fait d’être substrat[28], l’être en raison de
sa simplicité et de sa perfection, non en raison de l’inhérence à un sujet[29].
Et de même nous attribuons à Dieu l’opération en raison de sa perfection
ultime, non en raison de ce en quoi elle passe. Nous attribuons la puissance du
fait qu'elle demeure et est son principe, mais non pas parce qu'elle est
complétée par l'opération.
Solutions:
q. 1 a. 1 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod potentia non solum est operationis principium, sed
etiam effectus; unde non oportet, quod si potentia in Deo ponitur quae sit
effectus principium, quod essentiae divinae quae est operatio, sit aliquod
principium. Vel dicendum, et melius, quod in divinis invenitur duplex relatio.
Una realis, illa scilicet qua personae ad invicem distinguuntur, ut
paternitas et filiatio; alias personae divinae non realiter sed ratione
distinguerentur, ut Sabellius dixit.
Alia rationis tantum, quae significatur, cum dicitur quod operatio
divina est ab essentia divina, vel quod Deus operatur per essentiam suam.
Praepositiones enim quasdam habitudines designant. Et hoc ideo contingit, quia
cum attribuitur Deo operatio secundum suam rationem quae requirit aliquod
principium, attribuitur etiam ei relatio existentis a principio, unde ista
relatio non est nisi rationis tantum. Est autem de ratione operationis habere
principium, non de ratione essentiae; unde licet essentia divina non habeat
aliquod principium neque re neque ratione, tamen operatio divina habet aliquod
principium secundum rationem.
# 1. La puissance est non seulement le principe de l’opération, mais
aussi de l'effet[30]; c'est pourquoi, il ne faut pas, si on place en Dieu une
puissance qui est le principe de l’effet, qu’elle soit un principe de l’essence
divine, qui est l’opération. Ou pour mieux dire, on trouve en Dieu une double
relation[31]:
a) une première relation réelle, c’est-à-dire celle par laquelle on
distingue les personnes entre elles, comme la paternité et la filiation;
autrement les personnes divines ne seraient pas distinguées réellement mais en
raison, comme l'a dit Sabellius[32].
b) L’autre relation de raison[33] seulement, qu'on désigne, quand on
dit que l’opération divine vient de (ab) son essence ou que Dieu opère par
(per) son essence. Car ces prépositions désignent des relations. Et cela
arrive, parce que, quand on attribue à Dieu une opération selon sa nature qui
requiert un principe, on lui attribue une relation avec ce qui existe par ce
principe. C'est pourquoi, cette relation n’est qu’en raison seulement. Mais il
est de la nature de l’opération d’avoir un principe, non de celle de l’essence;
c'est pourquoi, bien que l’essence divine n’ait pas de principe, ni en réalité,
ni en raison, cependant l’opération divine a un principe en raison[34].
q. 1 a. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod licet omne perfectissimum sit Deo attribuendum, non
tamen oportet quod omne illud quod Deo attribuitur, sit perfectissimum; sed
oportet quod sit conveniens ad designationem perfectissimi, ad quod competit
aliquid ratione suae perfectionis quod habet aliquid se perfectius, cui tamen
deest illa quam aliud habet.
# 2. Bien qu'il faille attribuer tout ce qu'il y a de très parfait à
Dieu, il ne faut pas cependant que tout ce qui lui est attribué le soit absolument[35],
mais il faut que cela convienne pour désigner ce qui est très parfait, à quoi
correspond une réalité en raison de sa perfection qui a plus parfait que lui, à
qui cependant manque celle que l'autre possède[36].
q. 1 a. 1 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod potentia dicitur principium non quia sit ipsa relatio
quam significat nomen principii sed quia est id quod est principium.
# 3. La puissance est appelée principe, non pas parce qu’elle est la
relation même que signifie ce nom, mais parce qu’elle est ce qu'est un principe
q. 1 a. 1 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod habitus numquam est in potentia activa, sed solum in
passiva, et ea est perfectior: talis autem potentia Deo non attribuitur.
# 4. L’habitus n’est jamais dans la puissance active, mais seulement
dans la puissance passive[37] et il est plus parfait qu’elle, aussi on
n’attribue pas une telle puissance à Dieu.
q. 1 a. 1 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod ista sunt impossibilia, quod Deus ponatur agere per
essentiam suam, et quod non sit in Deo potentia: hoc enim quod est actionis
principium, potentia est: unde essentia divina ex hoc ipso quod ponitur Deus
per ipsam agere, ponitur esse potentia. Et sic ratio potentiae in Deo non
derogat neque simplicitati neque primitiae eius, quia non ponitur quasi aliquid
additum essentiae.
# 5. Il est impossible de penser que Dieu agit par son essence sans
penser qu’il y a de puissance en lui[38]. Car le principe de son action, c’est
sa puissance; c'est pourquoi du fait qu’on pense que Dieu agit par son essence,
on la pense comme puissance. Et ainsi la nature de la puissance en Dieu ne
déroge ni à sa simplicité[39] ni à sa prééminence, parce qu’on ne la pense pas
comme ajoutée à son essence.
q. 1 a. 1 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod cum dicitur, quod in perpetuis non differt esse et posse,
intelligitur passiva; et sic nihil facit ad propositum, quia talis potentia non
est in Deo. Tamen quia verum est quod potentia activa est idem in Deo quod eius
essentia, ideo dicendum, quod licet essentia divina et potentia sint idem
secundum rem, tamen quia potentia maxime modum significandi addit, ideo
speciale nomen requirit: nam nomina respondent intellectibus, secundum
philosophum.
# 6. Quand on dit que être et pouvoir ne diffèrent pas dans ce qui est
éternel, on le comprend de la puissance passive et ainsi, cela ne change rien à
notre propos, puisqu’une telle puissance n’existe pas en Dieu. Cependant parce
qu’il est vrai que la puissance active en Dieu est identique à son essence, il
faut dire que, bien que l’essence divine et sa puissance soient identiques en
réalité, cependant, parce que la puissance ajoute surtout une manière de
signifier, elle requiert un nom spécial, car les noms répondent à ce que
l’esprit conçoit, selon le philosophe (L'Interprétation[40], I, 16 a 4).
q. 1 a. 1 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod ratio illa probat quod in Deo non sit potentia passiva,
et hoc concedimus.
# 7. Cet argument prouve qu'en Dieu il n’y a pas de puissance passive
et cela nous le concédons.
q. 1 a. 1 ad 8 Ad
octavum dicendum, quod potentia Dei semper est coniuncta actui, id est
operationi (nam operatio est divina essentia); sed effectus sequuntur secundum
imperium voluntatis et ordinem sapientiae. Unde non oportet quod semper sit
coniuncta effectui; sicut nec quod creaturae fuerint ab aeterno.
# 8. La puissance de Dieu est toujours jointe à un acte, c'est-à-dire à
son opération (car l'opération est l’essence divine), mais les effets en
découlent selon le pouvoir de sa volonté et l’ordre de sa sagesse. C'est
pourquoi, il ne faut pas qu’elle soit toujours jointe à l’effet; ainsi les
créatures n’auront pas existé éternellement.
q. 1 a. 1 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod essentia Dei sufficit ad hoc quod per eam Deus agat, nec
tamen superfluit potentia: quia potentia intelligitur quasi quaedam res addita
supra essentiam, sed superaddit secundum intellectum solam relationem principii:
ipsa enim essentia ex hoc quod est principium agendi, habet rationem potentiae.
# 9. L’essence suffit à Dieu pour agir et cependant sa puissance n’est
pas superflue, parce qu’elle est comprise comme ajoutée à l’essence, mais elle
surajoute seulement, en esprit, une relation de principe, car, l’essence
elle-même, du fait qu’elle est le principe d’action, a nature de puissance.
q. 1 a. 1 ad 10 Ad
decimum dicendum, quod intellectui respondet aliquid in re dupliciter. Uno modo
immediate, quando videlicet intellectus concipit formam rei alicuius extra
animam existentis, ut hominis vel lapidis.
# 10. Quelque chose répond à l’esprit dans la réalité de deux
manières[41]:
a) D’abord immédiatement, quand, par exemple, l’esprit[42] conçoit la
forme de ce qui existe hors de l’âme comme celle d’homme ou de pierre.
Alio modo mediate, quando videlicet aliquid sequitur actum
intelligendi, et intellectus reflexus supra ipsum considerat illud. Unde res
respondet illi considerationi intellectus mediate, id est mediante
intelligentia rei: verbi gratia, intellectus intelligit naturam animalis in
homine, in equo, et multis aliis speciebus: ex hoc sequitur quod intelligit eam
ut genus. Huic intellectui quo intellectus intelligit genus, non respondet
aliqua res extra immediate quae sit genus; sed intelligentiae, ex qua
consequitur ista intentio, respondet aliqua res. Et similiter est de relatione
principii quam addit potentia supra essentiam: nam ei respondet aliquid in re
mediate, et non immediate. Intellectus enim noster intelligit creaturam cum
aliqua relatione et dependentia ad creatorem: et ex hoc ipso quia non potest
intelligere aliquid relatum alteri, nisi e contrario reintelligat relationem ex
opposito, ideo intelligit in Deo quamdam relationem principii, quae consequitur
modum intelligendi, et sic refertur ad rem mediate.
b) D’une autre manière, indirectement, quand par exemple, un concept
découle de l’acte d’intellection et que l’esprit le considère, en réfléchissant
sur lui. C'est pourquoi, la chose correspond à cette considération de l’esprit
indirectement, c’est-à-dire par le moyen de l’intellection de la chose: par
exemple, l’esprit comprend la nature de l’animal dans l’homme, dans le cheval
et dans beaucoup d’autres espèces. Il en découle que l’esprit les comprend
comme genre. A cette conception par laquelle l’esprit comprend le genre, rien
ne correspond immédiatement dans l’objet extérieur qui soit un genre, mais pour
l’intelligence d’où découle ce concept répond une réalité. Et il en est de même
de la relation de principe que la puissance ajoute à l'essence; car quelque
chose lui correspond dans la réalité indirectement et non immédiatement. Car
notre esprit comprend la créature en relation et en dépendance au créateur[43]
et du fait qu'il ne peut comprendre une chose en rapport à une autre, à moins
au contraire de comprendre de nouveau la relation, à son opposé, il comprend
ainsi en Dieu une relation de principe, qui accompagne le mode de compréhension
et ainsi notre esprit est indirectement en relation avec la réalité[44].
q. 1 a. 1 ad 11 Ad
undecimum dicendum, quod potentia, quae est in secunda specie qualitatis, non
attribuitur Deo: haec enim est creaturarum, quae non immediate per formas suas
essentiales agunt, sed mediantibus formis accidentalibus: Deus autem immediate
agit per suam essentiam.
# 11. Cette puissance, qui est dans la seconde espèce de qualité[45],
n’est pas attribuée à Dieu, car c'est celle des créatures qui agissent non pas
immédiatement par leurs formes essentielles, mais par l'intermédiaire de formes
accidentelles. Mais Dieu agit par son essence sans intermédiaire.
q. 1 a. 1 ad 12 Ad
duodecimum dicendum, quod diversis rationibus attributorum respondet aliquid in
re divina, scilicet unum et idem. Quia rem simplicissimam, quae Deus est,
propter eius incomprehensibilitatem, intellectus noster cogitur diversis formis
repraesentare; et ita istae diversae formae quas intellectus concipit de Deo,
sunt quidem in Deo sicut in causa veritatis, in quantum ipsa res quae Deus est,
est repraesentabilis per omnes istas formas; sunt tamen in intellectu nostro
sicut in subiecto.
# 12. Aux diverses notions d'attributs correspond réellement quelque
chose en Dieu, à savoir l'un et le même. Parce que notre esprit est forcé de
représenter cet être absolument simple qu’est Dieu, à cause de son
incompréhensibilité, par des formes diverses, et ainsi ces formes, que l’esprit
conçoit à son sujet, sont en lui comme dans la cause de la vérité[46], en tant
que ce qui est Dieu est représentable par toutes ces formes; elles sont
cependant dans notre esprit comme dans un substrat.
q. 1 a. 1 ad 13 Ad
decimumtertium dicendum, quod philosophus intelligit de potentiis activis et
effectivis, et huiusmodi, quae sunt in artificialibus et in rebus humanis: nam
nec etiam in rebus naturalibus verum est quod potentia activa sit semper
propter suos effectus. Ridiculum enim est dicere, quod potentia solis sit
propter vermes, qui eius virtute generantur; multo minus divina potentia est
propter suos effectus.
# 13. Le Philosophe comprend au sujet des puissances actives et
pratiques etc., celles qui sont dans les réalisations artistiques et les
affaires humaines, car, dans les choses naturelles, il n’est pas vrai que la
puissance active soit toujours en vue de ses effets. Il est ridicule de dire en
effet que la puissance du soleil est pour les vers qui sont engendrés par son
pouvoir[47]: la puissance divine est, beaucoup moins en vue de ses effets.
q. 1 a. 1 ad 14 Ad
decimumquartum dicendum quod potentia Dei non est media secundum rem, quia non
distinguitur ab essentia, nisi ratione; et ex hoc habetur quod significetur ut
medium. Deus autem non agit per medium realiter differens a se ipso: unde ratio
non sequitur.
# 14. La puissance de Dieu n’est pas réellement un intermédiaire, parce
qu’elle n’est distinguée de l’essence qu'en raison et de là vient qu’on la
signifie comme intermédiaire. Mais Dieu n’agit pas par un intermédiaire
différent réellement de lui-même. C'est pourquoi l’argument n’a pas de valeur
pas.
q. 1 a. 1 ad 15 Ad
decimumquintum dicendum, quod duplex est actio. Una quae est cum transmutatione
materiae; alia est quae materiam non praesupponit; ut patet in creatione: et
utroque modo Deus agere potest, ut infra patebit. Unde patet quod Deo recte
potentia activa potest attribui, licet non semper agat transmutando.
# 15. L’action est double. L’une, avec changement de la matière,
l’autre ne présuppose pas de matière, comme on le voit dans la création et Dieu
peut agir de deux manières, comme cela apparaîtra plus loin[48]. Donc il est
clair qu'on peut lui attribuer une puissance active, bien qu’il n’agisse pas
toujours en opérant des changements.
q. 1 a. 1 ad 16 Ad
decimumsextum dicendum, quod philosophus non loquitur universaliter, sed
particulariter, quando scilicet aliquid movet se ipsum, sicut animal. Quando
autem aliquid movetur ab altero, tunc non est eadem potentia passionis et
actionis.
# 16. Le philosophe ne parle pas de manière universelle mais
particulière[49], quand par exemple quelque chose se meut lui-même comme
l’animal. Quand un être est mû par un autre, alors ce n’est pas la même
puissance pour la passion et l’action.
q. 1 a. 1 ad 17 Ad
decimumseptimum dicendum, quod potentiae dicitur esse contraria privatio,
scilicet impotentia; non tamen de contrarietate facienda est circa Deum mentio,
quia nihil quod est in Deo, habet contrarium, cum non sit in genere.
# 17. On dit que la privation est le contraire de la puissance,
c'est-à-dire que c'est l'impuissance: cependant on ne doit pas faire mention de
contradiction en Dieu, parce que rien en lui n’a de contraire, puisqu’il n’est
pas dans un genre.
q. 1 a. 1 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod
agere non removetur a Deo simpliciter, sed per modum rerum naturalium, quae
agunt et patiuntur simul.
# 18. Agir n'est absolument pas refusé à Dieu, mais seulement par
comparaison aux êtres naturels qui agissent et subissent en même temps.
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[1] Parall.: Ia, 25, 1, — CG. I,
16; II, 7-10 — 1 Sent. d42q1a1.— Pot.
7, 1 — In Méta 5, texte 17 — In Phys. III, texte 32.
[2]
C’est le premier sens donné par Aristote (Métaphysique,
V, 1, 1012 b 33): "Point de départ du mouvement (ici de l'opération),
origine". "Le principe est ce dont quelque chose procède, de quelque
manière que ce soit" (J. Elders, La Philosophie de la nature de saint
Thomas d’Aquin, p. 45), soit donc dans l'ordre logique, ontologique ou
chronologique.
[3]
En Ia, 25, 1, obj.4, Thomas nous dit: "La cause et le principe sont une
même chose." Mais précise-t-il (Pot. qu. 10, a. 1, ad 9) "le principe
est plus commun que la cause; car la première partie du mouvement ou de la
ligne est appelée principe mais pas cause. En quoi il apparaît qu’on peut dire
que le principe est quelque chose qui n’est pas distinct de l’essence, comme le
point de la ligne, mais non pas la cause, surtout si nous parlons de la cause
d’origine qu’est la cause efficiente." Pour Dieu, avoir un principe
supposerait qu'il dépendrait d'un être supérieur à lui. De plus l'opération est
son essence: "Donc rien n'est principe de son essence parce qu'elle n'est
pas engendrée, et ne procède de rien" Cf. I Sent, d42qa1, obj. 4. Le mot
principe évoque une idée de relation entre deux termes, alors que la cause
exprime surtout une activité efficiente.
[4]
"Il est impie (nefas) de penser que quelque chose de la nature suprême
soit en quelque manière meilleur et il est nécessaire qu'elle soit absolument
meilleure que ce qui n'est pas elle, car elle est la seule dont rien n'est tout
à fait meilleur.." Monologium
XV. Cité aussi par Bonaventure. L'axiome se retrouve plusieurs fois dans
l'œuvre. Dans les dernières questions il est cité sans référence à Anselme. Ia,
qu. 13, a. 3, donne les modalités propres à cette attribution.
[5]
Pour Thomas et ses contemporains, par antonomase, le philosophe (par
excellence) c'est Aristote.
[6]
Définition classique de la puissance. (Métaphysique,
Thomas, V, lectio 14). C’est à cette définition que se rattache la notion de
toutes les puissances, en leur sens premier (Métaphysique, IX, 1, 1046 a 10).
[7]
Il n’y a pas de relation réelle de Dieu à la créature, mais il y en a de la
créature à Dieu. Thomas revient plusieurs fois dans cet article sur ce point de
vue. Ce genre de relation sera explicité en Pot. qu. 7, a. 8, 9, 10, qu. 8. Cf.
CG. II, 11 à 14.
[8]
Habitus fait partie de ces mots difficiles à traduire en français (Cf. Ia/IIæ,
qu. 49, et 50). Il n'est pas l'équivalent d'habitude, ni de possession. C'est
une puissance plus achevée, intermédiaire entre l’acte et la puissance (Ia, qu.
14, a. 1, obj. 1), parce qu'elle vient parfaire la puissance. Or en Dieu, il
n'y a pas de puissance passive. "On compare ceux qui ont des habitus à des
gens qui dorment." (CG. I, 92, § 3) C'est en effet une possibilité, qui
n'a pas toujours le pouvoir de passer de la puissance à l'acte. Les vertus et
les vices sont des habitus. C'est la dernière catégorie de l'être et le
neuvième et dernier accident. "Mais en Dieu l'acte est absolument parfait.
Donc pas d'habitus". (CG. I, 56). En un autre sens (tiré de habere et non
se habere comme le premier sens) c'est la possession.
[9]
"…entre le possible et l'être il n'y a aucune différence, dans les choses
éternelles." (Trad. H. Carteron) Thomas (n° 285) ajoute pas toujours.
Texte cité à nouveau en Pot. 3, 14 et 9, 9, obj. 1.
[10]
Si l’essence et la puissance sont identiques, on ne doit conserver que le nom
de la plus noble, c'est-à-dire de l’essence. On supprime ainsi la distinction.
[11]
La matière première est puissance passive seulement; le parallélisme entre la
matière première (prima potentia) et l’acte pur est plus marqué en I Sent.
d42q1a1, obj. 1: "L’acte premier se comporte vis-à-vis de la puissance
comme la puissance première vis-à-vis de l’acte".
[12]
L'objection est reprise en Pot. 2, 1, obj. 4, avec des conséquences
différentes.
[13]
Les catégories comprennent la substance et les neuf accidents. La substance
n'est pas dans les accidents.
[14]
"Dieu ne sert pas de sujet à quelque chose en lui…Donc il est interdit de
dire qu'il subsiste" . § 2: appeler Dieu substance est une impropriété… "il
est essence, terme juste et propre au point d'ailleurs que peut-être, le terme
d'essence appartient à Dieu seul." (Trad. BA. 15 ). Car les substances les
plus simples "sont la cause de ce qui est composé, au moins la substance
première et simple qui est Dieu.". Dans la solution, Thomas ne répond pas
directement au texte d'Augustin.
[15]
Cf. Aristote, Catégories, 8, 9 a 13 ss. . Cf. Ia/IIæ, qu. 49, a. 1. La qualité
est un accident et il n’y a pas d’accident en Dieu.
[16]
Ratio a de nombreux sens (Thomas les énumère dans le Commentaire sur les Noms
divins, ch. VII, lectio 5, n° 735). Il semble meilleur ici de distinguer deux
traductions: la raison (pouvoir de connaissance quaedam cognoscitiva virtus) et
la notion (la notion de puissance aliquid simplex abstractum a multis…), pour
mieux comprendre la pensée de Thomas, même si c'est dans un même paragraphe.
[17]
"Car toute puissance, tout possible et tout facteur de production n'est
désirable qu'en vue d'autre chose." (Trad. J. Tricot, p.143, §1).
[18]
Le sens de virtus est très proche de celui de puissance (active). (IIIa, qu. 1,
a. 1, sc.: "…potentia Dei vel virtus…") "Il signifie la
puissance à son plus haut degré." (A. Krempel, La doctrine de la relation
chez saint Thomas, Paris, Vrin, 1952,, p. 183 et 213.) Il renvoie à l’Op de
occultis operationibus naturae, n° 444, "…potentia secundum refertur ad
ultimum in quo aliquid potest, acceptit nomen et rationem virtutis." Nous
le traduisons le plus souvent par pouvoir, puisque Thomas emploie les deux mots
quelquefois dans une même phrase ou un même paragraphe comme ici. Mais à cause
de cet emploi, on a l’impression que par la suite, il ne parle plus tellement
de puissance parce que la puissance divine correspond plus à virtus qu’à
potentia. Ici le texte de Denys suggère le terme de puissance (voir note
suivante).
[19]
"Au sens de toutes les intelligence divines, on distingue en effet… trois
qualités: l'essence, la puissance et l'acte" (Trad. M. de Gandillac).
[20]
Bonaventure (I sent, d42a1q1.) donne à ce sujet plus d'importance que Thomas.
Et pourtant l’objection est importante. La puissance telle que définit par
Aristote ne convient pas à la création, puisqu’il n’y a pas de changement. La
solution n’est pas convaincante.
[21]
"Mais il faut savoir que ces mots: créer, faire, agir, ne peuvent être
employés pour Dieu de la même manière qu'ils sont employés pour les créatures".
L'argument se sert d'un texte interprété tendancieusement. Cf. Augustin, La Genèse au sens littéral, I, XVIII, 36:
"…Dieu n'agit pas comme l'homme ou l'ange, par mouvements spirituels ou
corporels qui se développent dans le temps" (Trad. P. Agaësse et A.
Solignac; BA. 48.) L'action n'est pas refusée à Dieu mais seulement par
comparaison aux créatures. – Pierre Lombard, évêque de Paris, a publié les
Sentences entre 1145-1150.
[22]
L’autorité tirée du Ps 88, 9 concerne plus la toute puissance, telle qu'elle
est conçue dans l'AT que la puissance active, notion fortement imprégnée
d'aristotélisme.
[23]
Cf. le sed contra de I Sent. d42q1a1: "Tout effet est produit par la
puissance de la cause efficiente. Mais Dieu est la cause efficiente des créatures.
Donc il faut placer en lui la puissance". Il y a là un rapport qui n’est
pas évoqué ici.
[24]
Les deux sens de l'acte: forme, l'acte entitatif, et l'opération, l'acte
opératif considéré comme second.
[25]
Ex communi hominum intellectu: Emploi particulier du terme intellectus. Cf. J.
Pesghaire, Intellectus et ratio d’après saint Thomas, p. 24.
[26]
Ce sont deux conséquences de l'acte pur.
[27]
Il y a ici un rapprochement évident avec la quatrième voie des preuves de
l'existence de Dieu (Ia, qu. 2, a. 3). Le plus et le moins dans l'ordre
qualitatif se dit par rapport à un maximum. Ici raisonnement sur la perfection,
plus ou moins grande dans les créatures, maximale, absolue en Dieu.
[28]
La substance n'est attribuée à Dieu que par analogie. Dieu est nécessaire et ne
sert de support à aucun accident..
[29]
L'inhérence est le propre de l'accident.
[30]
Pour approfondir le sens de cette solution, on lira CG. II, 8, 9 et surtout 10
§ 1. Thomas ajoute en Ia, qu. 25, a. 1, ad 3: "Donc ainsi on sauvegarde en
Dieu la raison de la puissance du fait qu'elle est principe de l'effet, mais
non du fait qu'elle est principe de l'action qui est son essence." Ce qui
veut dire que la puissance est ce qui permet à Dieu d'étendre son action ad
extra.
[31]
L'action ad intra et ad extra est envisagée ici sous l'angle de la relation. La
première en Dieu est réelle. Elle est par nécessité, l'autre est volontaire. La
relation de Dieu à la créature est de raison et celle de la créature à Dieu est
réelle (qu. 7, etc.).
[32]
Sabellius est un Libyen, qui est à Rome vers 217. Il prêche le modalisme, et
est condamné par le Pape Callixte. Le Sabellianisme, hérésie du IIIe et IVe
siècle, est apparenté au Modalisme. Il désigne un même et unique Dieu sous
trois noms différents. C’est dans les modalités de son action extérieure que
Dieu prend une forme trinitaire.
[33]
C’est le raisonnement qui la découvre mais elle n'est pas réelle.
[34]
En Dieu il y a l’essence (sans principe), la puissance et l'opération Les deux
dernières appartiennent à l'essence ("la puissance de Dieu est son essence",
démontré en CG. II, 8). La puissance est son action et Dieu est acte lui-même,
parce que la puissance n'est pas participée. Il n'y a rien de participé en Dieu
(CG. II, 8, § 3), parce que la puissance est son être. Dieu est son être. Donc
il est sa puissance (§4).
La
puissance a une double relation: a) interne, en quelque sorte, à Dieu,
puisqu'elle est principe de l'opération (qui est l'essence même de Dieu) b)
externe, puisqu'elle est principe de l'effet produit par l'opération de Dieu en
tant que cause. D'où la distinction entre l'action ad intra et ad extra par la
puissance, étant donné la relation quasiment causale de la puissance à l'effet
(le principe est proche de la cause et en relation avec l'effet.) Il distingue
donc une relation réelle en Dieu (Trinité) et une relation "de
raison" avec les créatures.
[35]
C'est-à-dire ce qui n'est pas tout à fait parfait dans les créatures, mais peut
l'être en Dieu.
[36]
L’esprit humain se sert de ce qui est plus ou moins parfait pour concevoir une
qualité absolument parfaite en Dieu, à condition que le terme le supporte, ou
si cela correspond à une réalité en lui.
[37]
Parce que par nature l'habitus n'est pas en acte.
[38]
L'essence quand elle agit est aussi puissance (Cf. note 34).
[39]
L'essence et la puissance sont une même chose, car Dieu est absolument simple.
Cf. Pot. qu. 7, a. 1. Chaque fois que Thomas parle de simplicité, il faut
considérer son texte comme une réponse à Avicenne.
[40]
C'est-à-dire le Perihermeneias.
[41]
L'esprit conçoit la réalité de trois manières.
a)
Le concept répond immédiatement (sans intermédiaire) à l’objet extérieur.
L’esprit conçoit l’image de cet objet, ou sa forme, "ce qui est conçu de
ce nom ‘homme’". Le fondement est la chose réelle. "Une telle
conception… par sa conformité avec l’esprit, fait que celle-ci est vraie et que
le nom qui signifie ce concept est dit de la chose elle-même" (I Sent. d
2q1 a1) "Ce sont des étants complets comme l’homme ou la pierre." (I
Sent. d19q5a1). Rapport avec la substance première et la substance seconde,
Pot. 9, 1, note 4.
b)
Le concept répond par l’intermédiaire d’une réflexion (conception seconde). Ce
qui est conçu c'est l'abstraction, le genre, les concepts universels de temps,
d’espace, de vérité, de substance, etc..
c)
Le concept est complètement étranger au monde réel: c’est le fruit de
l’imagination comme la chimère.
Ces
trois conceptions sont évoquées en I Sent. d19q 5a1 et d30q1a3. Ici la
troisième est omise, comme inutile. On retrouve les deux premières en Pot. qu.
7, a. 6 et la deuxième conception est signalée en Pot. qu. 7, a. 11: "…l’esprit
découvre ces relations en considérant l’ordre qui est dans l’esprit pour ce qui
est à l'extérieur, ou l’ordre des conceptions entre elles. (Cf. A. Krempel, La
doctrine de la relation chez Thomas, p. 313 ss).
[42]
Le mot qui peut le mieux traduire intellectus est intellect. Celui-ci est la
faculté des êtres intellectuels sur le plan naturel (Cf. Ia, qu. 79, a. 10). "Intelligere
enim est simpliciter veritatem intelligibilem apprehendere" C'est de
l'extérieur que vient l'intelligible.par lequel l'intellectus possibilis est
informé. (Cf. Floucat, L'intime fécondité de l'intelligence, p. 23.Mais c'est
un mot peu facile à employer. Aussi nous le réservons en quelques cas à Dieu et
nous traduisons le plus souvent par esprit, ce qui peut faciliter la lecture du
texte. Mais il faut se souvenir de cette distinction. Dans le Commentaire des
Sentences, Thomas emploie le plus souvent mens, ici dans des raisonnements
semblables, il emploie exclusivement intellectus.
[43]
"Notre manière humaine de connaître l'exigence d'une relation réelle entre
Dieu et les créatures, relation descendante qui répondrait à une relation
ascendante." (Geiger, La participation dans la philosophie de st Thomas
d'Aquin, p. 182, note 1)
[44]
"Ce passage fait comprendre "pourquoi nos concepts des relations de
Dieu à nous manque de fondement objectif immédiat." A. Krempel, op.cit. p.
318.
[45]
Cf. Ia / IIæ, qu. 49, a. 2, Cf. CG II, 8, § 5: La puissance en Dieu n'est pas
celle qui appartient à la catégorie de qualité, qui est celle des créatures.
Elle ne lui convient pas. Cf. Aristote , Les
Catégories, 8, Les qualités, 9 a 15-20. Dans les créatures où la puissance
n'appartient pas à la substance, elle est un accident.
[46]
La vérité prend sa source en Dieu. "Omnis alia veritas est a prima
veritate quae est Deus." (Verit. qu. 1, a. 8, sc 2.)
[47]
Il s'agit de la génération dite spontanée, qui a une grande importance dans la
science de l’époque.
[48]
La première action, avec changement, est l'action naturelle, qui n'est jamais
création pure, mais modification (l’œuvre artisanale), l'autre est la création
ex nihilo par Dieu.
[49]
Il semble qu'il faille entendre cette manière particulière comme celle qui
s'applique aux créatures. De manière universelle elle s'appliquerait à Dieu et
aux créatures. S'il y a puissance en Dieu, elle ne peut qu'être active, à la
différence de la puissance dans les créatures.
q. 1 a. 2 tit. 1
Secundo quaeritur utrum potentia Dei sit infinita
Et videtur quod non.
Il semble que non.
Objections[1]:
1 q. 1 a. 2 arg. 1 Quia, ut dicitur in IX Metaph., frustra
esset in natura aliqua potentia activa cui non responderet aliqua passiva. Sed
potentiae infinitae divinae non respondet aliqua passiva in natura. Ergo
frustra esset divina potentia infinita.
1. Parce que, comme il est dit en Métaphysique
(IX, 1, 1046 a 18[2]), une puissance active
serait vaine dans la nature si ne lui correspondait pas une puissance passive.
Mais à la puissance divine infinie ne correspond pas de puissance passive dans
la nature. Donc la puissance divine infinie serait sans raison.
q. 1 a. 2 arg. 2
Praeterea philosophus probat, non esse potentiam infinitam magnitudine infinita:
quia sequeretur quod ageret in non tempore. Nam maior virtus agit in minori
tempore: unde quanto virtus est maior, tanto tempus est minus. Sed potentiae
infinitae ad finitam nulla est proportio. Ergo nec temporis in quo agit
potentia infinita, ad tempus in quo agit potentia finita. Cuiuslibet autem
temporis ad quodlibet tempus est proportio. Ergo cum potentia finita moveat in
tempore, potentia infinita movebit in non tempore. Eadem ratione si potentia
Dei est infinita, semper operabitur in non tempore; quod falsum est.
2. Le Philosophe prouve (Physique,
VIII, 10, 266 a 24 Ð b 5) qu'il n'y a pas de puissance infinie de grandeur
infinie, parce qu'il s'ensuivrait qu'elle n'agirait pas dans le temps. Car un
plus grand pouvoir agit dans un temps plus court; aussi, plus le pouvoir est
grand, plus le temps est court. Mais il n'y a aucune proportion d'une puissance
infinie à une puissance finie. Donc, non plus du temps dans lesquels agit la
puissance infinie au temps dans lequel agit une puissance finie. Or d'un temps
à un autre, il y a une proportion. Donc comme une puissance finie meut dans le
temps, la puissance infinie le fera hors du temps. Par la même raison, si la
puissance de Dieu est infinie, il opérera toujours hors du temps, ce qui est
faux.
q. 1 a. 2 arg. 3 Sed
dices, quod voluntas divina non determinat quanto tempore velit effectum suum
compleri; et sic non oportet quod potentia divina semper agat in non tempore.-
Sed contra, voluntas divina non potest immutare eius potentiam. Sed de ratione
potentiae infinitae est quod agat in non tempore. Ergo hoc per voluntatem
divinam immutari non potest.
3. Mais on pourrait dire que la volonté divine ne détermine pas en
combien de temps elle veut que son effet soit accompli; et ainsi il ne faut pas
que le puissance divine agisse toujours hors du temps. – En sens contraire, la
volonté de Dieu ne peut pas modifier sa puissance. Mais il est de la nature
d'une puissance infinie d'agir hors du temps. Donc cela ne peut pas être changé
par la volonté divine.
q. 1 a. 2 arg. 4
Praeterea, omnis potentia manifestatur per suum effectum. Sed Deus non potest
facere effectum infinitum. Ergo potentia Dei non est infinita.
4. Toute puissance se manifeste par son effet. Mais Dieu ne peut pas
produire un effet infini. Donc la puissance de Dieu n'est pas infinie.
q. 1 a. 2 arg. 5
Praeterea, potentia proportionatur operationi. Sed operatio Dei est simplex.
Ergo et potentia. Simplex autem et infinitum ad invicem repugnant. Ergo ut
prius.
5. La puissance est proportionnée à l'opération. Mais l'opération de
Dieu est simple. Donc sa puissance aussi. Mais le simple et l'infini s'opposent
l'un à l'autre. Donc comme ci-dessus.
q. 1 a. 2 arg. 6
Praeterea, infinitum est passio quantitatis, ut philosophus dicit. Sed Deus est
absque quantitate et magnitudine. Ergo eius potentia non potest esse infinita.
6. L'infini est le support de la quantité, comme le dit Aristote (Physique, I, 2, 185 a 15 - b 33-34[3]), mais Dieu est sans quantité ni grandeur.
Donc sa puissance ne peut pas être infinie.
q. 1 a. 2 arg. 7
Praeterea, omne quod est distinctum est finitum. Sed potentia Dei est distincta
a rebus aliis. Ergo est finita.
7. Tout ce qui est distinct est fini. Mais la puissance de Dieu est
distincte des autres choses. Donc elle est finie.
q. 1 a. 2 arg. 8
Praeterea, infinitum dicitur per remotionem finis. Finis autem est triplex;
scilicet magnitudinis, ut punctus; perfectionis, ut forma; intentionis, ut
causa finalis. Haec autem duo ultima, cum sint
perfectionis, a Deo removeri non debent. Ergo divina potentia non debet
dici infinita.
8. 0n parle d'infini si on exclut la fin. Mais la fin est triple:
c'est-à-dire celle de la grandeur, comme le point; de la perfection comme la
forme; de la fin comme la cause finale. Ces deux dernières, puisqu'elles
concernent la perfection ne doivent pas être exclues de Dieu. Donc on ne peut
pas dire que la puissance divine est infinie.
q. 1 a. 2 arg. 9
Praeterea, si potentia Dei est infinita, hoc non potest esse nisi quia est
effectuum infinitorum. Sed multa alia sunt quae habent effectus infinitos in
potentia, ut intellectus, qui potest intelligere infinita in potentia, et sol
qui potest producere effectus infinitos. Si ergo potentia Dei dicatur infinita,
pari ratione et multae aliae erunt infinitae; quod est impossibile.
9. Si la puissance de Dieu est infinie, cela n'est possible que parce
qu'il s'agit d'effets infinis. Mais il y a beaucoup d'autres choses qui ont des
effets infinis en puissance, comme l'esprit, qui peut comprendre l'infini en
puissance et le soleil qui peut produire des effets infinis. Donc, si on dit
que la puissance de Dieu est infinie, à raison égale, beaucoup d'autres choses
seront infinies, ce qui est impossible.
q. 1 a. 2 arg. 10 Praeterea, finis est quoddam
ad nobilitatem pertinens. Sed omne quod est huiusmodi, rebus
divinis debet attribui. Ergo potentia divina debet dici finita.
10. La fin a quelque rapport avec la noblesse. Mais tout ce qui est de
ce genre doit être attribué à Dieu. Donc on doit dire que la puissance divine
est finie.
q. 1 a. 2 arg. 11
Praeterea, infinitum, secundum philosophum, est partis, et materiae: quae
imperfectionis sunt, et Deo non conveniunt. Ergo nec infinitum est in potentia
divina.
11. L'infini, selon le Philosophe (Physique,
III, 6, 207 a 26[4]), concerne la partie et la
matière, qui sont imparfaites et ne conviennent pas à Dieu. Donc il n'y a pas
d'infini dans la puissance divine.
q. 1 a. 2 arg. 12
Praeterea, secundum philosophum, terminus neque finitus neque infinitus est.
Sed divina potentia est omnium rerum terminus. Ergo non est infinita.
12. Selon le Philosophe (Physique,
I, 2, 185 b 16-18[5]), le terme n'est ni fini,
ni infini. Mais la puissance divine est le terme de tout. Donc elle n'est pas
infinie.
q. 1 a. 2 arg. 13
Praeterea, Deus agit tota potentia sua. Si ergo potentia eius est infinita,
semper effectus eius erit infinitus; quod erat impossibile.
13. Dieu agit par toute sa puissance. Si donc elle est infinie, son
effet sera toujours infini; ce qui était impossible.
En sens contraire
q. 1 a. 2 s. c. 1
Sed contra. Est quod dicit Damascenus, quod infinitum est quod neque tempore
neque loco neque comprehensione finitur. Hoc autem convenit
divinae potentiae. Ergo divina potentia est infinita.
1. Il y a ce que dit Jean Damascène (La foi orthodoxe, I, 4[6]): l'infini est ce qui est sans limite, ni dans
le temps, ni le lieu, ni dans son appréhension[7].
Cela convient à la puissance divine. Donc la puissance divine est infinie.
q. 1 a. 2 s. c. 2
Praeterea, Hilarius dicit: Deus immensae virtutis, vivens potestas, quae
nusquam non adsit nec usquam desit. Omne autem immensum est infinitum. Ergo
potentia Dei est infinita.
2. Hilaire dit (La Trinité, VIII,
24[8]): "Dieu d'immense pouvoir, puissance
vivante, qui jamais n'est absente ni jamais ne manque". Tout ce qui est
immense est infini. Donc la puissance de Dieu est infinie[9].
Réponse
q. 1 a. 2 co.
Respondeo. Dicendum, quod infinitum dicitur dupliciter. Uno modo privative; et
sic dicitur infinitum quod natum est habere finem et non habet: tale autem
infinitum non invenitur nisi in quantitatibus. Alio modo dicitur infinitum
negative, id est quod non habet finem.
On parle de l'infini de deux manières.
a) D'une manière privative et ainsi on appelle infini ce qui est
destiné à avoir une fin et n'en a pas; un tel infini ne se trouve que dans les
quantités.
b) D'une autre manière, on parle d'infini de manière négative, c'est-à-dire
de ce qui n'a pas de fin.
Infinitum primo modo acceptum Deo convenire non potest, tum
quia Deus est absque quantitate, tum quia omnis privatio imperfectionem
designat, quae longe a Deo est.
L'infini reçu en Dieu de la première manière ne peut pas convenir,
d'une part parce qu'il n'y a pas de quantité en lui, d'autre part parce que
toute privation désigne une imperfection, ce qui ne convient pas à Dieu.
Infinitum autem
dictum negative convenit Deo quantum ad omnia quae in ipso sunt. Quia nec ipse
aliquo finitur, nec eius essentia, nec sapientia, nec potentia, nec bonitas;
unde omnia in ipso sunt infinita. Sed de infinitate eius potentiae specialiter
sciendum est, quod cum potentia activa sequatur actum, quantitas potentiae
sequitur quantitatem actus; unumquodque enim tantum abundat in virtute agendi
quantum est in actu.
L'infini exprimé négativement convient à Dieu pour tout ce qui est en
lui. Parce que lui-même n'est fini par rien, ni son essence, ni sa sagesse, ni
sa puissance, ni sa bonté, non plus; c'est pourquoi tout en lui est infini.
Mais à propos de l'infinité de sa puissance, il faut savoir spécialement que,
puisque la puissance active suit l'acte, la grandeur de la puissance suit la
grandeur de l'acte; car chaque chose est riche en pouvoir d'agir qu'autant
qu'il est en acte.
Deus autem est actus infinitus, quod patet ex hoc quod actus
non finitur nisi dupliciter. Uno modo ex parte agentis; sicut ex voluntate
artificis recipit quantitatem et terminum pulchritudo domus. Alio modo ex parte
recipientis; sicut calor in lignis terminatur et quantitatem recipit secundum
dispositionem lignorum.
Dieu est aussi acte infini, ce qui paraît du fait que l'acte n'est fini
que de deux manières:
a) Du côté de l'agent; ainsi la beauté de la maison reçoit de la
volonté de l'artisan sa grandeur et sa destination.
b) Du côté de celui qui reçoit; ainsi la chaleur s'achève dans les
morceaux de bois et reçoit son intensité de leur disposition[10].
Ipse autem divinus actus non finitur ex aliquo agente, quia
non est ab alio, sed est a se ipso; neque finitur ex alio recipiente, quia cum
nihil potentiae passivae ei admisceatur, ipse est actus purus non receptus in
aliquo; est enim Deus ipsum esse suum in nullo receptum.
Mais l'acte divin même n'est limité par aucun agent, parce qu'il ne
dépend pas d'un autre mais de lui-même, et il n'est pas limité par un autre qui
le reçoit, parce que, rien en lui n'est mêlé à une puissance passive, il est
acte pur, reçu en rien; car Dieu est son être même, reçu en rien[11].
Unde patet quod Deus est infinitus; quod sic videri potest.
Esse enim hominis terminatum est ad hominis speciem, quia est receptum in
natura speciei humanae; et simile est de esse equi, vel cuiuslibet creaturae.
Esse autem Dei, cum non sit in aliquo receptum, sed sit esse purum, non
limitatur ad aliquem modum perfectionis essendi, sed totum esse in se habet; et
sic sicut esse in universali acceptum ad infinita se potest extendere, ita
divinum esse infinitum est; et ex hoc patet quod virtus vel potentia sua
activa, est infinita.
Par là, il apparaît que Dieu est infini: ce qu'on peut montrer ainsi:
l'être de l'homme, en effet, se termine à son espèce, parce qu'il est reçu dans
la nature de l'espèce humaine; et c'est pareil pour l'être du cheval ou celui
de n'importe quelle créature. Mais comme l'être de Dieu n'est reçu en rien,
mais qu'il est pur, il n'est pas limité à un mode de perfection d'être, mais il
possède tout l'être en lui; et ainsi de même que l'être reçu en son sens
universel peut s'étendre à l'infini, de même l'être divin est infini; et cela
montre que son pouvoir ou sa puissance active[12]
est infinie.
Sed sciendum quod quamvis potentia habeat infinitatem ex
essentia, tamen ex hoc ipso quod comparatur ad ea quorum est principium,
recipit quemdam modum infinitatis quem essentia non habet. Nam in obiectis
potentiae, quaedam multitudo invenitur; in actione etiam invenitur quaedam
intensio secundum efficaciam agendi, et sic potest potentiae activae attribui
quaedam infinitas secundum conformitatem ad infinitatem quantitatis et
continuae et discretae. Discretae quidem secundum quod quantitas potentiae
attenditur secundum multa vel pauca obiecta; et haec vocatur quantitas
extensiva: continuae vero, secundum quod quantitas potentiae attenditur in hoc
quod remisse vel intense agit; et haec vocatur quantitas intensiva. Prima autem
quantitas convenit potentiae respectu obiectorum, secunda vero respectu
actionis. Istorum enim duorum activa potentia est principium.
Mais il faut savoir que, quoique la puissance possède l'infinité par
l'essence, cependant du fait qu'elle est comparée à ce dont elle est le
principe, elle reçoit un mode d'infinité que l'essence ne possède pas. Car dans
ce qui présente de la puissance, on trouve une certaine pluralité; mais dans
l'action aussi, on trouve un accroissement selon l'efficacité de l'action et
ainsi on peut attribuer à la puissance active une infinité en conformité à
l'infini d'une quantité continue et discrète. Discrète[13]
selon que la quantité de la puissance est dirigée vers beaucoup ou peu d'objets;
on l'appelle quantité extensive; continue, selon que la quantité de la
puissance est poussée à agir doucement ou intensément et on l'appelle la
quantité intensive. La première quantité convient à la puissance par rapport
aux objets, la seconde par rapport à l'action. Car la puissance active est le
principe des deux.
Utroque autem modo divina potentia est infinita. Nam nunquam
tot effectus facit quin plures facere possit, nec unquam ita intense operatur
quin intensius operari possit. Intensio autem in operatione divina non est
attendenda secundum quod operatio est in operante, quia sic semper est
infinita, cum operatio sit divina essentia; sed attendenda est secundum quod
attingit effectum; sic enim a Deo moventur quaedam efficacius, quaedam minus
efficaciter.
Des deux manières la puissance divine est infinie. Car jamais elle ne
produit tant d'effets qu'elle ne puisse en produire davantage, et jamais elle
n'opère de façon si intense qu'elle ne puisse opérer plus intensément. Mais
l'intensité ne doit pas être établie dans l'opération divine selon que
l'opération est dans celui qui opère, parce qu'elle est toujours infinie,
puisque l'opération est l'essence divine; mais elle doit être établie selon
qu'elle arrive à un effet; car certaines choses sont ainsi mues par Dieu plus
efficacement, d'autres moins.
Solutions:
q. 1 a. 2 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod nihil quod est in Deo, potest dici frustra, quia
frustra est quod est ad aliquem finem quem non potest attingere; Deus autem et
quae in ipso sunt, non sunt ad finem, sed sunt finis. Vel dicendum, quod
philosophus loquitur activa naturali. Res enim naturales coordinatae sunt ad
invicem, et etiam omnes creaturae: Deus autem est extra hunc ordinem; ipse enim
est ad quem totus hic ordo ordinatur, sicut ad bonum extrinsecum, ut exercitus
ad ducem, secundum philosophum. Et ideo non oportet ut ei quod est in Deo,
aliquid in creaturis respondeat.
# 1. Rien de ce qui est en Dieu ne peut être considéré comme vain,
parce qu'est vain ce qui est en vue d'une fin qu'il ne peut atteindre. Mais
Dieu, ainsi que ce qui est en lui, n'est pas en vue d'une fin, mais est la fin.
Ou bien il faut dire que le Philosophe parle de puissance active naturelle. Car
les choses naturelles sont coordonnées entre elles, toutes les créatures aussi:
mais Dieu est hors de cet ordre; car lui-même est celui à quoi tout cet ordre
est ordonné comme à un bien extrinsèque, comme l'armée est ordonnée au général,
selon le Philosophe (Métaphysique,
XII, 10, 1075 a 13). Et c'est pourquoi il ne faut pas que quelque chose dans
les créatures corresponde à ce qui est en Dieu.
q. 1 a. 2 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod secundum Commentatorem in VIII Physic., demonstratio
illa de proportione temporis et potentia moventis procedit infinita in
magnitudine, quae proportionatur infinito temporis cum sint unius generis
determinati, scilicet continuae quantitatis, non autem tenet de infinito extra
magnitudinem, quod non est proportionale infinito temporis, utpote alterius
rationis existens. Vel dicendum, ut tactum est in obiiciendo, quod Deus quia
agit voluntarie, mensurat motum eius quod ab eo movetur, sicut vult.
# 2. Il faut dire que, pour le Commentateur[14]
(Physique, VIII, 10[15]),
cette démonstration au sujet de la proportionnalité du temps et de la puissance
du moteur, procède d'une puissance infinie en grandeur, proportionnée à un
infini de temps, puisqu'ils sont d'un seul genre déterminé, à savoir de la
quantité continue, mais elle ne tient pas d'un infini hors grandeur, qui est
sans proportion avec l'infini du temps, du fait qu'il existe d'une autre
manière. Ou il faut dire, comme cependant on l'a signalé dans l'objection, que
parce qu'il agit volontairement, Dieu mesure le mouvement de ce qu'il meut,
comme il le veut.
q. 1 a. 2 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod licet voluntas Dei non possit mutare eius potentiam,
potest tamen determinare eius effectum. Nam voluntas potentiam movet.
# 3. Quoique la volonté de Dieu ne puisse pas modifier sa puissance, il
peut cependant déterminer son effet. Car c'est la volonté qui met en mouvement
la puissance.
q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ipsa ratio
facti vel creati repugnat infinito. Nam ex hoc ipso
quod fit ex nihilo, habet aliquem defectum, et est in potentia, non actus purus;
et ideo non potest aequari primo infinito ut sit infinitum.
# 4. La nature de l'objet fabriqué ou de la créature répugne à
l'infini. En effet, ce qui est fait de rien a une imperfection et est en
puissance et non acte pur; et c'est pourquoi, cela ne peut être égalé au
premier infini pour être infini.
q. 1 a. 2 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod infinitum privative dictum, quod est passio quantitatis,
repugnat simplicitati, non autem infinitum quod est negative dictum.
# 5. L'infini dit privatif qui est ce qui supporte la quantité,
s'oppose à la simplicité mais pas l'infini dit négatif.
q. 1 a. 2 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod illa ratio procedit de infinito privative dicto.
# 6. Cette raison procède de l'infini dit privatif.
q. 1 a. 2 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod aliquid potest esse distinctum dupliciter. Uno modo per
aliud sibi adiunctum, sicut homo distinguitur per rationalem differentiam ab
asino, et tale distinctum oportet esse finitum, quia illud adiunctum determinat
ipsum ad aliquid.
Alio modo per se ipsum; et sic Deus est distinctus ab
omnibus rebus, et hoc eo ipso quia nihil addi ei est possibile; unde non
oportet quod sit finitus neque ipse neque aliquid quod in ipso significatur.
# 7. Quelque chose peut être distinct de deux façons:
a) Par ce qui d'autre lui est ajouté, ainsi l'homme est distingué de
l'âne par la raison et ce qui est distinct de cette façon doit être fini, parce
que ce qui est ajouté, le limite à une chose.
b) Par soi-même. Ainsi Dieu est distingué de tout, et cela parce qu'il
est impossible de rien lui ajouter; c'est pourquoi il ne faut pas qu'il soit
fini, ni lui-même ni rien de ce qui est signifié en lui.
q. 1 a. 2 ad 8 Ad
octavum dicendum, quod finis cum sit perfectionis, Deo nobilissimo modo
attribuitur, scilicet ut ipse essentialiter sit finis, non denominative
finitus.
# 8. Il faut dire que, comme la fin concerne la perfection, elle est
attribuée à Dieu par le mode le plus noble, à savoir pour qu'il soit lui-même
essentiellement la fin et qu'on ne le désigne pas comme fini.
q. 1 a. 2 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod sicut in quantitatibus potest considerari infinitum
secundum unam dimensionem et non secundum aliam, et iterum infinitum secundum
omnem dimensionem, ita et in effectibus. Possibile est enim aliquam creaturam
posse producere effectus infinitos quantum est de se, secundum aliquid, utpote
secundum numerum in eadem specie; et sic omnium illorum effectuum natura est
finita, utpote ad unam speciem determinata, ut si accipiamus homines vel asinos
infinitos. Non est autem possibile ut sit aliqua creatura quae possit in
effectus infinitos omnibus modis et secundum numerum et secundum species et secundum
genera; sed hoc solius Dei est, et ideo sola eius potentia est simpliciter
infinita.
# 9. Dans les quantités, on peut considérer l'infini selon une
dimension et non selon une autre, et à nouveau l'infini selon toute dimension;
il en est de même pour les effets. Car il est possible qu'une créature puisse
produire des effets infinis quant à elle, sous un rapport, par exemple, selon
le nombre dans la même espèce; et ainsi la nature de tous ces effets est finie,
en tant que limitée à une seule espèce, comme si nous admettions des hommes ou
des ânes infinis. Mais il n'est pas possible qu'il y ait une créature qui
puisse avoir des effets infinis de toutes les manières, selon le nombre,
l'espèce et le genre; cela n'appartient qu'à Dieu seul et c'est pourquoi seule
sa puissance est absolument infinie.
q. 1 a. 2 ad 10 Ad decimum dicendum, sicut ad
octavum.
# 10. Il faut dire comme pour la solution 8.
q. 1 a. 2 ad 11 Ad
undecimum dicendum, quod ratio illa procedit de infinito privative dicto.
# 11. Cette raison procède de l'infini dit privatif.
q. 1 a. 2 ad 12 Et
similiter dicendum ad duodecimum.
# 12. Il faut dire de même.
q. 1 a. 2 ad 13 Ad
decimumtertium dicendum, quod Deus semper agit tota sua potentia; sed effectus
terminatur secundum imperium voluntatis, et ordinem rationis.
# 13. Dieu agit toujours par toute sa puissance, mais son effet est
limité selon le pouvoir de sa volonté et l'ordre de la raison.
[1] Parall.: Ia, qu. 25, a. 2- CG. I, 43
- I Sent. d43q1a1 – Comp. 18 - Phys. 8, lectio 23 - Métaphysique XII, lectio 8.
[2]
"Il est donc manifeste que la puissance active et la puissance passive ne
sont, en un sens, qu'une seule puissance (car un être est puissant, soit parce
qu'il a lui-même la puissance d'être modifié, soit parce qu'un autre être a la
puissance d'être modifié par lui), tandis que, en un autre sens, elles sont
différentes." Trad. J. Tricot. Différentes parce que situé différemment.
Cf. Thomas, lect. 21, n° 1146 ss.
[3]
Physique, 1, 2, 185 a 32: "Or
Mélissos dit que l'être est infini; l'être est donc une quantité; car l'infini
est dans la quantité, mais la substance ne peut être infinie, ni la qualité, ni
l'affection, si ce n'est par accident, existant à titre de telle ou telle
quantité, car, dans la définition de l'infini, la quantité intervient...."
(Trad. H. Carteron). Cf. Thomas I, lectio 3, n° 21.
[4]
"...Il apparaît que l'infini rentre plutôt dans la notion de la partie que
dans celle du tout; car la matière est partie du tout, comme l'airain l'est
dans la statue d'airain." (Trad. H. Carteron).
[5]
"...Maintenant si l'un est indivisible, on supprime quantité et qualité,
alors l'être ne sera ni infini, comme le voulait Mélissos, ni fini comme le
voulait Parménide." (Trad. H. Carteron).
[6]
PG. 94, 79.
[7]
Manière de le comprendre sous tous ses aspects. L'infini est insaisissable par
l'esprit,en rapport avec le fait qu'on ne peut savoir qui est Dieu.
[8]
PL. 10, 253 B.
[9]
On trouve un Sed contra, basée sur le Ps. 144, 3: "Le Seigneur est grand
et digne de toute louange et sa grandeur n'a pas de fin". en I Sent.
D43q1a1 et CG. I, 43, § 16.
[10]
"La distinction affirmée dans ce texte de deux manières au moins
d'expliquer la limitation de l'acte, montre assez avec quels discernement il
convient d'user du principe: actus finitur per potentiam. Non seulement il faut
distinguer dans la notion d'acte par où elle s'oppose à la puissance dans
l'ordre existentiel et l'aspect par lequel elle exprime une certaine plénitude
dans l'ordre quodditatif, mais encore le rôle du sujet peut varier
considérablement suivant son indépendance plus ou moins grande à l'égard de la
cause productrice et l'action qu'il est capable d'exercer sur l'acte qu'il est
censé concevoir." G.L.Geiger . La participation dans la philosophie de st
Thomas d'Aquin, Paris, Vrin 1953, p. 394, note 1 et 2.
[11]
"Ce qui a un esse absolu, en aucune manière reçu en quelque chose
est tout à fait son être, cet être est absolument infini, et ses attributs sont
infinis" (I Sent. d43q1a1.) "Tout acte, inhérent à un autre, reçoit
sa limite... L'acte qui n'existe en rien n'est déterminé par rien. C'est le cas
de Dieu, donc il est infini." (CG. I, 43, § 2). Cf. Les Noms divins, V, 1,
n° 629. La démonstration fait appel à l'acte pur, reçu en rien sans dépendance.
[12]
Un cas parmi d'autres où potentia et virtus sont employés dans une même
phrase, tout en étant pratiquement synonymes.
[13]
Quantité discrète: composée d'éléments séparés.
[14]
Averroès. Né à Cordoue en 1126, mort à Marrakech en 1198. Il écrivit de
nombreux commentaires sur Aristote, en essayant de revenir à la pure doctrine,
sans le platonisme d'Avicenne.
[15]
Cf. Aristote, Physique, VIII, 266 a
24 - b 5.
q. 1 a. 3 tit. 1
Tertio quaeritur utrum ea quae sunt naturae impossibilia, sint Deo possibilia.
Et videtur quod non.
Il semble que non.
Objections[1]:
q. 1 a. 3 arg. 1
Dicit enim quaedam Glossa, Rom. XI, vers. 24, quod Deus cum sit auctor naturae
non potest facere contra naturam. Sed ea quae sunt impossibilia naturae sunt
contra naturam. Ergo Deus ea facere non potest.
1. Une glose[2], au sujet de Rm. 11, 24: ("Greffé contre nature..."),
dit que, puisque Dieu est l'auteur de la nature, il ne peut pas agir contre
elle. Mais ce qui est impossible à la nature est contre elle. Donc Dieu ne peut
pas le faire.
q. 1 a. 3 arg. 2
Praeterea, sicut omne in natura necessarium est demonstrabile, ita omne
impossibile in natura, est improbabile per demonstrationem. Sed in omni
conclusione demonstrationis includuntur demonstrationis principia; in omnibus
autem demonstrationis principiis includitur hoc principium, quod affirmatio et
negatio non sunt simul vera. Ergo istud principium includitur in quolibet
impossibili naturae. Sed Deus non potest facere quod negatio et affirmatio sint
simul vera, ut respondens dicebat. Ergo nullum impossibile in natura potest
facere.
. 2. Tout ce qui est nécessaire dans la nature peut être démontré, de
même tout ce qui y est impossible ne peut pas être prouvé par démonstration.
Mais les principes sont inclus dans toute conclusion d'une démonstration; donc
dans toutes est inclus ce principe: "L'affirmation et la négation ne sont
pas vraies en même temps". Donc ce principe est inclus dans tout ce qui
est impossible dans la nature. Mais Dieu ne peut faire que la négation et
l'affirmation soient vraies en même temps, comme un objecteur le disait. Donc
il ne peut rien faire d'impossible dans la nature.
q. 1
a. 3 arg. 3 Praeterea, sub Deo sunt duo principia, ratio et natura. Sed Deus
ea quae sunt impossibilia rationi, facere non potest, sicut quod genus non
praedicetur de specie. Ergo nec illa quae sunt impossibilia naturae.
3. Il y a deux principes sous Dieu: la raison[3] et la nature. Mais
Dieu ne peut pas faire ce qui est impossible pour la raison, par exemple que le
genre ne soit pas attribué à l'espèce. Donc il ne peut pas faire ce qui est
impossible à la nature
q. 1 a. 3 arg. 4
Praeterea, sicut se habet falsum et verum ad cognitionem, ita se habet
possibile et impossibile ad operationem. Sed illud quod est falsum in natura,
Deus scire non potest. Ergo quod est impossibile in natura, Deus non potest
operari.
4. De la même manière que le faux et le vrai se comportent par rapport
à la connaissance, le possible et l'impossible le font par rapport à
l'opération. Mais Dieu ne peut pas connaître ce qui est faux dans la nature[4].
Donc Dieu ne peut pas faire ce qui est impossible dans la nature.
q. 1 a. 3 arg. 5
Praeterea, quando est simile de uno et omnibus, quod probatur de uno,
intelligitur de omnibus esse probatum; sicut si probatur de uno triangulo,
demonstrato quod habeat tres aequales duobus rectis, de omnibus intelligitur
esse probatum. Sed similis ratio videtur de omni impossibili, quod Deus illud
possit et non possit; tum ex parte facientis, quia divina potentia infinita est:
tum ex parte facti, quia omnis res habet potentiam obedientiae ad Deum. Ergo si
aliquod impossibile est naturae quod facere non possit, ut respondens dicebat,
videtur quod nullum impossibile facere possit.
5. Quand la partie et le tout sont semblables, ce qui est prouvé pour
la partie est compris comme prouvé pour le tout. Ainsi si on prouve, après
démonstration, qu'un triangle a trois angles égaux à deux droits, on comprend
que c'est prouvé pour tous les triangles. Mais une raison semblable paraît
s'appliquer à tout ce qui est impossible, que Dieu le puisse ou ne le puisse
pas; d'une part du côté de celui qui agit, parce que la puissance divine est
infinie, d'autre part du côté de ce qui est fait, parce que toute chose a une
puissance obédientielle à Dieu. Donc s'il y a quelque chose d'impossible à la
nature qu'il ne puisse pas faire, comme celui qui a répondu le disait, il
semble qu'il ne puisse rien faire d'impossible.
q. 1 a. 3 arg. 6 Praeterea, II Timoth. II, 13,
dicitur: fidelis Deus, qui se ipsum negare non potest. Negaret autem se ipsum,
ut dicit Glossa, si promissum non impleret. Sicut autem promissum Dei est a Deo,
ita omne verum est a Deo: quia, ut dicit Glossa Ambrosii I Cor. XII, 3, super
illud: nemo potest dicere, dominus Iesus, omne verum, a quocumque dicatur, a
spiritu sancto est. Ergo non potest facere contra aliquod verum. Faceret autem
contra verum, si faceret aliquid impossibile. Ergo Deus non potest facere
aliquid impossibile in natura.
6. En 2 Tm. 2,13, il est dit: "Le Dieu fidèle qui ne peut pas se
nier lui-même...". Il se nierait lui-même, comme le dit la glose
[interlinéaire[5]], s'il n'accomplissait pas ce qu'il a promis. De même que la
promesse de Dieu vient de lui, de même toute vérité vient de lui, parce que,
comme le dit la glose d'Ambroise (Ambrosiaster) au sujet de I Co. 12, 3: "Personne
ne peut dire, Seigneur Jésus...", toute vérité, qui que soit celui qui la
dise, vient de l'Esprit Saint. Donc il ne peut pas agir contre la vérité. Il
agirait contre elle, s'il faisait quelque chose d'impossible. Donc Dieu ne peut
rien faire d'impossible dans la nature.
q. 1 a. 3 arg. 7
Praeterea, Anselmus dicit, quod minimum inconveniens Deo est impossibile. Sed
inconveniens esset quod affirmatio et negatio essent simul vera, quia
intellectus esset ligatus. Ergo Deus non potest facere hoc; et ita non potest
facere omnia impossibilia in natura.
7. Anselme dit (Cur Deus homo, livre 1, ch. 20[6]) que la plus petite
inconvenance est impossible à Dieu. Mais il serait inconvenant que
l'affirmation et la négation soient vraies en même temps, parce que l'esprit
aurait été lié. Donc Dieu ne peut pas le faire; et ainsi il ne peut pas faire
tout ce qui est impossible dans la nature.
q. 1 a. 3 arg. 8
Praeterea, nullus artifex potest operari contra artem suam: quia principium
suae operationis est ars. Sed Deus faceret contra artem suam, si faceret
aliquid impossibile in natura: quia naturae ordo, secundum quem illud est
impossibile, est secundum artem divinam. Ergo Deus et cetera.
8. Aucun artisan ne peut opérer contre son art, parce que celui-ci est
le principe de son opération. Mais Dieu agirait contre son art, s'il faisait
quelque chose d'impossible dans la nature; parce que l'ordre de la nature, qui
entraîne l'impossibilité, dépend de l'art divin. Donc Dieu, etc..
q. 1 a. 3 arg. 9
Praeterea, magis est impossibile quod est impossibile per se quam quod est
impossibile per accidens. Sed Deus non potest facere quod est impossibile per
accidens, scilicet quod id quod fuit non fuerit, ut patet per Hieronymum qui
dicit, quod cum cetera Deus possit, non potest facere virginem de corrupta; et
per Augustinum, et per philosophum. Ergo Deus non potest facere id quod est
impossibile per se in natura.
9. Plus est impossible ce qui est impossible en soi que ce qui l'est
par accident. Mais Dieu ne peut pas faire ce qui est impossible par
accident[7], par exemple que ce qui a existé ne l'ait pas été, comme on le voit
chez Jérôme (Lettre à Eustochium sur la sauvegarde de la virginité) qui dit
qu'encore que Dieu puisse toutes les autres choses, il ne peut pas rendre
vierge celle qui est déflorée. Augustin (C. Faust. 26[8]) et le philosophe (Éthique,
VI, 2, 1139 b 10[9]) le montrent aussi. Donc Dieu ne peut pas faire ce qui est
impossible en soi dans la nature[10].
En sens contraire[11].
q. 1 a. 3 s. c. 1
Sed contra. Est quod dicitur Lucae I, 37: non erit impossibile apud Deum omne
verbum.
1. En Lc (1, 37) il est dit: "Aucune parole[12] ne sera impossible
à Dieu."
q. 1 a. 3 s. c. 2
Praeterea, omnis potentia quae potest facere hoc et non illud, est potentia
limitata. Si ergo Deus potest facere possibilia in natura, et non impossibilia,
vel haec impossibilia et non illa, videtur quod Dei potentia sit limitata, quod
est contra supra determinata. Ergo et cetera.
2. Toute puissance qui peut faire ceci et non cela est une puissance
limitée. Si donc Dieu peut faire dans la nature ce qui est possible et ne pas
faire ce qui y est impossible, ou certaines choses impossibles et non d'autres,
sa puissance semble limitée, ce qui est contre ce qui a été expliqué
ci-dessus[13] . Donc...
q. 1 a. 3 s. c. 3
Praeterea, omne illud quod non limitatur per aliquid quod est in re, per nihil
quod est in re impediri potest. Sed Deus non limitatur per aliquid quod est in
re. Ergo per nihil quod est in re potest impediri; et ita veritas huius
principii: affirmatio et negatio non possunt esse simul, non potest impedire quin
Deus possit facere. Et pari ratione de omnibus aliis.
3. Tout ce qui n'est pas limité par quelque chose de réel, ne peut être
empêché par rien de réel. Mais Dieu n'est limité par rien de réel. Donc il ne
peut être empêché par rien en réalité et ainsi la vérité de ce principe: "L'affirmation
et la négation ne peuvent exister simultanément", ne peut pas empêcher que
Dieu puisse agir. Et à raison égale pour tout le reste.
q. 1 a. 3 s. c. 4
Praeterea, privationes non suscipiunt magis et minus. Sed impossibile dicitur
secundum privationem potentiae. Si ergo unum impossibile est quod Deus facere
potest, ut caecum illuminare, videtur pari ratione quod potest facere omnia.
4. Les privations ne reçoivent ni plus ni moins. Mais on parle
d'impossible en raison de la privation de puissance. Si donc il y a une seule
chose impossible que Dieu peut faire, comme rendre la vue à un aveugle, à
raison égale, il semble qu'il peut tout faire.
q. 1 a. 3 s. c. 5
Praeterea, omne quod resistit alicui, resistit in ratione alicuius
oppositionis. Sed potentiae divinae nihil est oppositum, ut ex supra dictis
patet. Ergo ei nihil potest resistere; et ita potest facere omnia impossibilia.
5. Tout ce qui résiste à quelque chose, lui résiste en raison d'une
opposition. Mais rien n'est opposé à la puissance divine, comme on le voit dans
ce qui a été dit ci-dessus. Donc rien ne peut lui résister et ainsi il peut
accomplir tout ce qui est impossible.
q. 1
a. 3 s. c. 6 Praeterea, sicut caecitas opponitur visioni, ita virginitas
partui. Sed Deus fecit quod virgo, manens virgo, pareret. Ergo pari ratione
potest facere quod caecus, manens caecus, videat, et potest facere quod
affirmatio et negatio sint simul vera, et per consequens omnia impossibilia.
6. La cécité est opposée à la vision, comme la virginité à
l'enfantement. Mais Dieu a fait qu'une vierge enfante, en demeurant vierge.
Donc à raison égale, il peut faire que l'aveugle voit tout en demeurant aveugle
et que l'affirmation et la négation soient vraies en même temps et par
conséquence il peut faire tout ce qui est impossible.
q. 1 a. 3 s. c. 7
Praeterea, difficilius est coniungere formas substantiales disparatas quam
formas accidentales. Sed Deus coniunxit in unum formas substantiales maxime
disparatas, scilicet divinam et humanam, quae differunt secundum creatum et
increatum. Ergo multo amplius potest coniungere duas formas accidentales in
unum, ut faciat quod idem sit album et nigrum: et sic idem quod prius.
7. Il est plus difficile d'unir des formes substantielles différentes
que des formes accidentelles. Mais Dieu a réuni en un être les formes
substantielles les plus éloignées, c'est-à-dire la forme divine et la forme
humaine qui diffèrent en tant que créée et incréée. Donc il peut bien davantage
unir deux formes accidentelles en une seule, pour faire qu'une même chose soit blanche
et noire, et ainsi de même que plus haut[14].
q. 1 a. 3 s. c. 8
Praeterea, posito quod a definito removeatur aliquid quod cadat in eius
definitione, sequitur contraria esse simul, sicut quod homo non sit rationalis.
Sed terminari ad duo puncta est in definitione
lineae rectae. Ergo si quis hoc removeat a linea recta, sequitur
quod duo contraria sint simul. Sed Deus hoc fecit quando intravit ianuis
clausis ad discipulos: tunc enim fuerunt duo corpora simul, et sic sequitur
quod duae lineae fuerunt terminatae ad duo puncta tantum, et unaquaeque ad duo
puncta. Ergo Deus potest facere quod affirmatio et negatio sint simul vera, et
per consequens potest facere omnia impossibilia.
8. Supposé qu'on exclut de ce qui est défini quelque chose qui tombe
dans sa définition, il en découle que les contraires sont ensemble; ainsi que
l'homme ne soit pas raisonnable. Mais la ligne droite est par définition
terminée par deux points. Donc si on exclut cela de la ligne droite, il
s'ensuit que deux contraires sont ensemble. Mais Dieu le fit quand il entra
chez les disciples, les portes fermées: car il y eut deux corps en même temps,
et ainsi il s'ensuit que deux lignes se sont terminées à deux points seulement,
et chacune à deux points. Donc Dieu peut faire que l'affirmation et la négation
soit vraies en même temps et par conséquence il peut faire tout ce qui est
impossible.
Réponse
q. 1 a. 3 co.
Respondeo. Dicendum, quod, secundum philosophum, possibile et impossibile
dicuntur tripliciter.
Uno modo secundum aliquam potentiam activam vel passivam;
sicut dicitur homini possibile ambulare secundum potentiam gressivam, volare
vero impossibile.
Alio modo non secundum aliquam potentiam, sed secundum se
ipsum, sicut dicimus possibile quod non est impossibile esse, et impossibile
dicimus quod necesse est non esse.
Il faut dire que, selon le Philosophe (Métaphysique, V, 12, 1019 b 23 ss.), on parle de possible et
d'impossible de trois manières[15]:
a) Selon une puissance active ou passive; ainsi on dit qu'il est
possible à un homme de marcher selon qu'il en a le pouvoir, mais voler lui est
impossible.
b) Hors puissance mais en soi; ainsi nous appelons possible ce qui n'a
pas l'impossibilité d'être et nous appelons impossible ce qui a nécessité de ne
pas être.
Sciendum est ergo quod impossibile quod dicitur secundum
nullam potentiam, sed secundum se ipsum, dicitur ratione discohaerentiae
terminorum. Omnis autem discoherentia terminorum est in ratione alicuius
oppositionis; in omni autem oppositione includitur affirmatio et negatio, ut
probatur X Metaph.; unde in omni tali impossibili implicatur affirmationem et
negationem esse simul. Hoc autem nulli activae potentiae attribui potest; quod
sic patet. Omnis activa potentia consequitur actualitatem et entitatem eius
cuius est.
Donc il faut savoir que l'impossible dont on parle hors puissance, mais
en soi, est défini en raison de la contradiction des termes. Toute
contradiction des termes vient d'une opposition: dans toute opposition sont
incluses l'affirmation et la négation, comme c'est prouvé en Métaphysique (IV, 3, 1005 b 18[16]).
C'est pourquoi en toute impossibilité de ce genre est impliqué que
l'affirmation et la négation soient en même temps. Cela ne peut être attribué à
aucune puissance active; ce qui paraît ainsi: toute puissance active suit
l'actualité et l'entité de ce dont elle dépend.
Unumquodque autem agens est natum agere sibi simile; unde
omnis actio activae potentiae terminatur ad esse. Etsi enim aliquando fit per
actionem non esse, ut in corruptione patet, tamen hoc non est nisi in quantum
esse unius non compatitur esse alterius, sicut esse calidi non compatitur esse
frigidi; et ideo calor ex principali intentione generat calidum, sed quod
corrumpat frigidum, hoc est ex consequenti. Hoc autem quod est affirmationem et
negationem esse simul, rationem entis habere non potest, nec etiam non entis,
quia esse tollit non esse, et non esse tollit esse: unde nec principaliter nec
ex consequenti potest esse terminus alicuius actionis potentiae activae.
Tout agent est destiné à faire du semblable à soi: c'est pourquoi toute
action d'une puissance active se termine à l'être. Car même si quelquefois par
son action, cela devient du non être, comme cela se voit dans la corruption, cependant
cela n'arrive que dans la mesure où l'être de l'un ne supporte pas celui de
l'autre; ainsi l'être du chaud ne supporte pas celui du froid; et c'est
pourquoi la chaleur tend principalement à engendrer le chaud, mais elle détruit
le froid, en conséquence. Le fait que l'affirmation et la négation soient
ensemble, ne peut avoir nature d'être, ni même de non être, parce que l'être
enlève le non être et le non être enlève l'être: c'est pourquoi ni
principalement, ni par conséquence, cela ne peut pas être le terme de l'action
d'une puissance active.
Impossibile vero quod dicitur secundum aliquam potentiam
potest attendi dupliciter.
Uno modo propter defectum ipsius potentiae ex se ipsa, quia
videlicet ad illum effectum non potest se extendere, utpote quando non potest
agens naturale transmutare aliquam materiam.
Ce qu'on désigne comme impossible selon la puissance peut
être atteint de deux manières:
1) A cause de la défaillance de la puissance même par soi, parce qu'il
est clair qu'elle ne peut parvenir à cet effet; par exemple quand l'agent
naturel ne peut pas opérer un changement dans la matière.
alio modo ab extrinseco, utpote cum potentia
alicuius impeditur vel ligatur. Sic ergo aliquid dicitur impossibile fieri
tribus modis.
Uno modo propter defectum activae potentiae,
sive in transmutando materiam, sive in quocumque alio;
alio modo propter aliquod resistens vel
impediens;
tertio modo propter hoc quod id quod dicitur impossibile
fieri, non potest esse terminus actionis.
2) De l'extérieur, par exemple, quand la puissance est empêchée ou
liée. Ainsi donc, on dit qu'une chose devient impossible de trois manières:
a) A cause de la défaillance de la puissance active, soit dans la
transformation de la matière, soit en tout autre chose d'autre.
b) A cause d'une résistance ou d'un empêchement.
c) Parce que ce qu'on dit impossible à réaliser ne peut pas être le
terme de l'action.
Ea ergo quae sunt impossibilia in natura primo
vel secundo modo, Deus facere potest. Quia eius potentia, cum sit infinita, in
nullo defectum patitur, nec est aliqua materia quam transmutare non possit ad
libitum; eius enim potentiae resisti non potest. Sed id quod tertio modo dicitur
impossibile, Deus facere non potest, cum Deus sit actus maxime, et principale
ens. Unde eius actio non nisi ad ens terminari potest principaliter, et ad non
ens consequenter. Et ideo non potest facere quod affirmatio et negatio sint
simul vera, nec aliquod eorum in quibus hoc impossibile includitur. Nec hoc
dicitur non posse facere propter defectum suae potentiae: sed propter defectum
possibilis, quod a ratione possibilis deficit; propter quod dicitur a quibusdam
quod Deus potest facere, sed non potest fieri.
Donc ce qui est impossible dans la nature de la première ou de la
deuxième manière, Dieu peut le faire. Parce que, comme sa puissance est
infinie, elle ne souffre de défaillance en rien et il n'y pas de matière qu'il
ne puisse transformer à sa guise, car elle ne peut résister à sa puissance.
Mais pour l'impossible de la troisième manière, Dieu ne peut pas le faire,
parce qu'il est acte au plus haut point et l'être principe. C'est pourquoi son
action ne peut se terminer qu'à l'étant, et en conséquence au non étant. Et
c'est pourquoi il ne peut pas faire que l'affirmation et la négation soient
vraies en même temps, ni rien dans ce en quoi cette impossibilité est inclue.
Et on ne peut pas dire qu'il ne peut pas le faire à cause de la défaillance de
sa puissance: mais à cause de la défaillance du possible, parce que celui-ci a
perdu sa raison de possible, c'est pour cela que certains ont dit que Dieu peut
le faire, mais cela ne peut pas être fait.
Solutions
q. 1 a. 3 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod verbum Augustini in Glossa illa non est
intelligendum quod Deus non possit facere aliter quam natura faciat, cum ipse
frequenter faciat contra consuetum cursum naturae; sed quia quidquid in rebus
facit, non est contra naturam, sed est eis natura, eo quod ipse est conditor et
ordinator naturae. Sic enim in rebus naturalibus videtur, quod quando aliquod
corpus inferius a superiori movetur, est ei ille motus naturalis, quamvis non
videatur conveniens motui quem naturaliter habet ex seipso; sicut mare movetur
secundum fluxum et refluxum a luna; et hic motus est ei naturalis, ut
Commentator dicit, licet aquae secundum se ipsum motus naturalis sit ferri
deorsum; et hoc modo omnes creaturae quasi pro naturali habent quod a Deo in
eis fit. Et propter hoc in eis distinguitur potentia duplex: una naturalis ad
proprias operationes vel motus; alia quae obedientiae dicitur, ad ea quae a Deo
recipiunt.
# 1. Par la parole d'Augustin dans cette glose, on ne doit pas
comprendre que Dieu ne pourrait pas agir autrement que la nature, puisque
lui-même fréquemment agit contre son cours habituel; mais parce que tout ce qu'il
fait dans les choses n'est pas contre leur nature, mais c'est leur nature, du
fait qu'il en est lui-même le créateur et l'ordonnateur. Ainsi dans ce qui est
naturel, il semble que, quand un corps inférieur est mis en mouvement par un
corps supérieur, ce mouvement lui est naturel, quoiqu'il ne paraisse pas
convenir au mouvement qu'il possède naturellement de lui-même; ainsi la mer est
mise en mouvement, selon le flux et le reflux, par la lune, et ce mouvement lui
est naturel[17], comme le dit le Commentateur (Le ciel et le monde, III, com. 20), bien que le mouvement naturel
de l'eau en lui-même la porte vers le bas et de cette manière ce que Dieu
accomplit dans les créatures est pour ainsi dire naturel en elles. Et à cause
de cela on distingue en elles une double puissance: l'une, naturelle pour les
opérations ou les mouvements propres; l'autre qui est appelée obédientielle,
pour ce qu'elles reçoivent de Dieu.
q. 1 a. 3 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod in quolibet impossibili implicatur affirmationem et negationem
esse simul secundum hoc quod est impossibile; sed ea quae sunt impossibilia
propter defectum potentiae naturalis, ut caecum, videntem fieri, vel aliquid
huiusmodi, cum non sint impossibilia secundum se ipsa, non implicant huiusmodi
impossibile secundum se ipsa, sed per comparationem ad potentiam naturalem cui
sunt impossibilia, ut si dicamus, natura potest facere caecum videntem,
implicatur praedictum impossibile, quia naturae potentia est terminata ad
aliquid, ultra quod est id quod ei attribuitur.
# 2. N'importe quel impossible implique que l'affirmation et la
négation sont ensemble, du fait que c'est impossible; mais ce qui est
impossible à cause de la défaillance de la puissance naturelle, ainsi rendre la
vue à un aveugle, ou autre chose de ce genre, puisque ce n'est pas impossible
en soi, n'implique pas une telle impossibilité en soi, mais par comparaison à
la puissance naturelle pour qui cela est impossible; comme si on disait: la
Nature peut rendre la vue à un aveugle, cela implique une affirmation
impossible, parce que la puissance de la nature est limitée à une chose au-delà
de laquelle il y a ce qui lui est attribué.
q. 1 a. 3 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod impossibilia rationalis philosophiae non sunt secundum
aliquam potentiam, sed secundum se ipsa: quia ea quae sunt in rationali
philosophia, non sunt applicata ad materiam, vel ad aliquas potentias
naturales.
# 3. Ce qui est impossible pour la philosophie rationnelle ne l'est pas
selon une puissance, mais de soi, parce que ce qui est en cette philosophie
n'est pas appliqué à la matière ou à des puissances naturelles.
q. 1 a. 3 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod illud quod est falsum in natura, est falsum simpliciter,
et ideo non est simile.
# 4. Ce qui est faux dans la nature est faux absolument et c'est
pourquoi ce n'est pas pareil.
q. 1 a. 3 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod non est eadem ratio de omni impossibili: quia quaedam
sunt impossibilia per se, quaedam per respectum ad aliquam potentiam, ut supra
dictum est. Nec hoc quod dissimiliter se habent ad divinam potentiam, impedit
infinitatem divinae potentiae, vel obedientiam creaturae.
# 5. Toute impossibilité n'est pas identique; parce que certaines
choses sont impossibles en soi, certaines par rapport à une puissance, comme on
l'a dit ci-dessus. Et ce qui se comporte différemment vis-à-vis de la puissance
divine, n'entrave pas l'infinité de sa puissance, ni l'obédience de la
créature.
q. 1 a. 3 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod Deus id quod iam verum est, non destruit; quia non facit
ut quod verum fuit, non fuerit; sed facit quod aliquod non sit verum, quod
alias verum esset. Sicut cum suscitat mortuum, facit quod non sit verum eum
esse mortuum, quod aliter verum esset. Vel aliter dicendum, quod non est
simile, quia ex hoc quod Deus non impleret promissum, sequeretur eum non esse
veracem: ex hoc autem quod aliquem suum effectum destruit, hoc non sequitur:
quia non ordinavit ut suus effectus perpetuo maneret, sicut ordinavit quod
promissum impleret.
# 6. Dieu ne détruit pas ce qui est désormais vrai; parce qu'il ne fait
pas que ce qui a été vrai n'ait pas été; mais il fait que quelque chose ne soit
pas vrai, qui autrement serait vrai. Ainsi quand il ressuscite un mort, il fait
que ce ne soit pas vrai qu'il soit mort, ce qui autrement serait vrai. Ou bien
il faut dire autrement, ce qui n'est pas pareil; parce que du fait que Dieu
n'accomplirait pas ce qu'il a promis, il en découlerait qu'il n'est pas
véridique; mais cela ne découle pas du fait qu'il détruit un de ses effets,
parce qu'il n'a pas disposé son effet pour demeurer toujours, de même qu'il a
disposé qu'il accomplirait sa promesse.
q. 1 a. 3 ad s. c. 7
Ad septimum dicendum, quod illa opposita, creatum et increatum, non fuerunt in
Christo secundum idem, sed secundum diversas naturas; unde non sequitur quod
Deus potest facere opposita inesse eidem secundum idem.
# 7. Ces opposés, le créé et l'incréé, ne furent pas dans le Christ
selon le même ordre, mais selon des natures différentes. C'est pourquoi il n'en
découle pas que Dieu peut faire que des opposés soient dans le même être sous
un même rapport.
q. 1 a. 3 ad s. c. 8
Ad octavum dicendum, quod quando Christus intravit ianuis clausis, et duo
corpora fuerunt simul, non est aliquid factum contra geometriae principia. Nam ad duo puncta diversorum corporum ex una parte, non terminabatur una
linea, sed duae. Quamvis enim duae lineae mathematicae non sint distinguibiles
nisi secundum situm, ita quod intelligi non potest duas lineas tales simul esse;
tamen duae naturales distinguuntur in subiecto; ita quod, posito quod duo
corpora sint simul, sequitur quod duae lineae sint simul, et duo puncta, et
duae superficies.
# 8. Quand le Christ est entré, les portes étant closes, deux corps
furent ensemble, ce n'est pas quelque chose de fait contre les principes de la
géométrie. Car en deux points des corps différents d'un côté se terminait une
ligne mais pas deux. Car, quoique deux lignes mathématiques ne puisent pas être
distinguées, sinon par le lieu, de sorte qu'on ne peut pas comprendre que deux
lignes telles soient ensemble, cependant on distingue deux [lignes] naturelles
dans le sujet, de sorte que, une fois les deux corps placés ensemble, il en
découle que deux lignes sont ensemble, ainsi que deux points et deux surfaces.
--------------------------------------------------------------------------------
[1] Parall.: Ia, q. 25, a. 4 –CG.
Il, 25 – I Sent. d42q2 – Qudl., V,
q. 2 a, l – Éth., VI, 1. 2.
[2]
Le texte en est donné en Pot. 6, 1, obj. 1: "Dieu, le créateur de toutes
les natures, ne peut rien faire contre la nature."
[3]
Il s'agit ici de logique en opposition à la réalité, les deux étant considérées
comme parallèles.
[4]
L'impossible, le faux, c'est-à-dire le non être, sont inconnaissables. Seul
l'être est connaissable.
[5]
Cet argument est repris en Pot. 3, 15, obj. 12, à propos de la bonté de Dieu.
[6]
"Ce qui est impossible si Dieu n'a rien laissé sans ordre en son règne,
mais cela est limité parce que n'importe quelle petite inconvenance est
impossible en Dieu." PL 158, 392 A.
[7]
Le syllogisme se trouve déjà en I Sent. d42q2a2: A propos de l'impossible par
soi et l'impossible par accident; le premier est plus impossible que le second,
mais, Dieu ne peut pas faire le deuxième. Donc encore plus le premier. C'est un
argument contre Pierre Damien qui reconnaissait à Dieu le pouvoir de faire que
ce qui a existé n'ait jamais existé. De divina omnipotentia, PL. 145, 620.
[8]
C. Faustum, 26: "Celui qui dit: Dieu est tout puissant, qu'il fasse que ce
qui est fait ne le soit pas, ne voit-il pas qu'en disant cela, il fait que ce
qui est vrai par le fait même que cela est vrai, est faux."
[9]
"Cela seul manque à Dieu, de faire que ce qui a été n'existe pas."
[10]
Cf. Ia, qu. 25, a. 4, obj. 3. et I Sent. d42q2a3, obj. 3. On y lit: "Il
est clair... que donner une conception à une vierge est impossible par nature."
Problèmedéjà examiné par Pierre Damien. Quodl. V, qu. 2, Sed contra.
[11]
Contrairement aux habitudes, certains des Sed contra ne représentent pas la
pensée définitive de Thomas. On verra plus loin les limites à ces affirmations
(Réponses
aux arguments en sens contraire), qui peuvent paraître surprenantes au premier
abord. On peut supposer que Thomas avait de bonnes raisons pour présenter ces
objections, pour pouvoir en démontrer leur fausseté.
[12]
Aucune parole, aucun "verbe". A propos de cette traduction, voir les Réponses aux
arguments en sens contraire.
[13]
a. 2. Sa puissance est infinie.
[14]
C'est la liaison des deux propositions qui est mise en avant ici. Si Dieu peut
unir deux formes aussi éloignées que la forme divine et la forme humaine, il
peut faire la même chose pour le blanc et le noir. Mais la solution: l'union
forme divine, forme humaine est différente de ce qui est annoncé. Donc la
deuxième proposition: deux contraires ensemble n'est pas valable.
[15]
Apparemment, il faut compter la puissance pour deux: puissance active et
puissance passive.
[16]
En Ia/IIæ, qu. 94, a. 2, on lit: "Ce qui est appréhendé en premier (par
l'esprit), c'est l'étant dont l'intellection est incluse dans tout ce qu'on
appréhende. Et c'est pourquoi le premier principe indémontrable est que
affirmer et nier en même temps est impossible, ce qui se fonde sur la nature de
l'étant et du non étant et tout le reste est fondé sur ce principe, comme il
est dit en Métaphysique IV." Cf.
I Sent. d42q2a3. c. § 1 Cf. Pot.1, 4. obj. 5, sol. 5. Cf. P.-C. Courtès, L'être
et le non être, p. 134-135.
[17]
Même argument en Pot. 4, 1, sol. 20.
q. 1 a. 4 tit. 1
Quarto quaeritur utrum sit iudicandum aliquid possibile vel impossibile
secundum causas inferiores aut secundum causas superiores
Et videtur quod secundum superiores.
Il semble que ce soit selon les causes supérieures:
Objections [1]:
q. 1 a. 4 arg. 1
Quia sicut dicit quaedam Glossa I Cor. I, 20: stultitia sapientium mundi fuit,
quia iudicaverunt possibile et impossibile secundum quod videbant in rerum
natura. Ergo non est iudicandum de possibili et impossibili secundum causas
inferiores, sed secundum superiores.
1. Comme le dit la glose (interlinéaire) à
propos de 1 Co. 1, 20: La sottise des sages de ce monde fut qu'ils jugèrent du
possible et de l'impossible selon ce qu'ils voyaient dans la nature. Donc on ne
doit pas en juger selon les causes inférieures, mais selon les causes
supérieures.
q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea,
secundum philosophum, illud quod est primum in omni genere, est mensura omnium
quae sunt illius generis. Sed divina potentia est prima potentia. Ergo secundum
eam debet aliquid iudicari possibile et impossibile.
2. Selon le philosophe (Métaphysique X, 1, 1052 b 18[2])
ce qui est premier en tout genre est la mesure de tout ce qui appartient à ce
genre. Mais la puissance divine est la première puissance. Donc c'est selon
elle qu'on doit juger du possible et de l'impossible[3].
q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, quanto
causa magis influit in effectum, tanto secundum eam magis debet iudicium sumi. Sed causa prima magis influit in effectum quam causa secunda. Ergo
secundum causam primam magis debet iudicari de effectu. Effectus ergo iudicandi
sunt possibiles vel impossibiles secundum causas superiores.
3. Plus une cause a d'influence sur l'effet,
plus c'est sur elle qu'on doit baser son jugement. Mais la cause première
influe plus sur l'effet que la cause seconde[4].
Donc c'est plus sur la cause première qu'on doit juger de l'effet. Donc les
effets doivent être jugés possibles ou impossibles selon les causes
supérieures.
q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea,
illuminare caecum est impossibile secundum causas inferiores; et tamen hoc est
possibile, cum quandoque fiat. Ergo non est iudicandum si aliquid impossibile
sit, secundum causas inferiores, sed secundum superiores.
4. Rendre la vue à un aveugle est impossible
par les causes inférieures et cependant cela est possible puisque cela arrive
quelquefois. Donc il ne faut pas juger si quelque chose est impossible selon
les causes inférieures mais selon les causes supérieures.
q. 1 a. 4 arg. 5 Praeterea, mundum
fore fuit possibile antequam mundus esset. Non autem fuit possibile secundum
causas inferiores. Ergo idem quod prius.
5. Que le monde existe a dû être possible
avant qu'il existe[5]. Mais il ne fut pas possible selon les
causes inférieures. Donc de même que ci-dessus.
En sens contraire:
q. 1 a. 4 s. c. 1
Sed contra. Secundum illam causam effectus debet iudicari possibilis a qua
recipit possibilitatem. Sed effectus recipit possibilitatem vel contingentiam,
aut etiam necessitatem, a causa proxima, non autem a remota; sicut meritum
recipit contingentiam a libero arbitrio, quod est causa proxima; non autem
necessitatem a praedestinatione divina, quae est causa remota. Ergo secundum causas inferiores, quae sunt proximae, debet iudicari
aliquid possibile vel impossibile.
1. L'effet doit être jugé possible selon la
cause dont il reçoit sa possibilité. Mais l'effet reçoit sa possibilité, sa
contingence ou même sa nécessité de la cause la plus proche, et non d'une cause
éloignée; ainsi le mérite reçoit sa contingence du libre arbitre qui est la
cause la plus proche; mais il ne reçoit pas sa nécessité de la prédestination
divine qui est sa cause éloignée. Donc c'est selon les causes inférieures, qui
sont les plus proches, qu'on doit juger du possible ou de l'impossible.
q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, quod
est possibile secundum causas inferiores, est etiam possibile secundum causas
superiores, et ita est possibile secundum omnem modum. Sed quod est possibile
secundum omnem modum, est possibile simpliciter. Ergo secundum causas
inferiores est aliquid iudicandum possibile simpliciter.
2. Ce qui est possible selon les causes
inférieures est aussi possible selon les cause supérieures, et ainsi c'est
possible de toute manière. Mais ce qui est possible de toute manière est
possible dans l'absolu. Donc il faut juger dans l'absolu du possible selon les
causes inférieures.
q. 1 a. 4 s. c. 3 Praeterea,
causae superiores sunt necessariae. Si ergo secundum eas essent iudicandi
effectus, omnes effectus erunt necessarii: quod est impossibile.
3. Les causes supérieures sont nécessaires.
Donc si les effets devaient être jugés selon elles, tous les effets seraient
nécessaires, ce qui est impossible.
q. 1 a. 4 s. c. 4
Praeterea, Deo sunt omnia possibilia. Si ergo secundum ipsum possibile
et impossibile iudicetur, omnino nihil est impossibile: quod est inconveniens.
4. Tout est possible à Dieu. Si donc on juge
selon lui du possible ou de l'impossible, il n'y a absolument rien d'impossible;
ce qui ne convient pas.
q. 1 a. 4 s. c. 5 Praeterea,
nominibus utendum est secundum quod plures loquuntur. Sed hoc modo homines
loquuntur, quod sint ita ordinatae, potentia, dispositio, necessitas et actus.
Haec autem inveniuntur in causis inferioribus non superioribus. Ergo non est iudicandum de possibilitate rerum secundum causas
superiores, sed secundum inferiores.
5. Il faut utiliser les noms que la plupart
des hommes emploient. Mais les hommes parlent de la puissance de manière que la
puissance, la disposition, la nécessité et l'acte soient ordonnés de telle
sorte. Cela se trouve dans les causes inférieures et non dans les causes
supérieures. Donc il ne faut pas juger de la possibilité selon les causes
supérieures, mais selon les causes inférieures.
Réponse
q. 1 a. 4 co. Respondeo. Dicendum quod iudicium de
possibili et impossibili potest considerari dupliciter: uno modo ex parte
iudicantium; alio modo ex parte eius de quo iudicatur. On peut juger du possible et de l'impossible de deux manières: d'abord du
côté de ceux qui jugent, d'autre part de côté de ce qui est jugé.
Quantum ad primum, sciendum est, quod si sunt duae
scientiae, quarum una considerat causas altiores, et alia minus altas; iudicium
in utraque non eodem modo sumetur, sed secundum causas quas utraque considerat,
ut patet in medico et astrologo; quorum astrologus considerat causas supremas,
medicus autem causas proximas. Unde medicus dabit iudicium de sanitate vel
morte infirmi secundum causas proximas, id est virtutem naturae et virtutem
morbi; astrologus vero secundum causas remotas, scilicet secundum positionem
siderum.
1) Pour le premier cas, il faut savoir que s'il y a
deux sciences, dont l'une considère les causes les plus hautes, et l'autre les
moins hautes, le jugement en l'une et l'autre n'est pas pris de la même
manière, mais selon les causes que chacune considère, comme on le voit chez le
médecin et l'astronome[6]; ce dernier considère
les causes suprêmes, mais le médecin les causes les plus proches. Donc le
médecin donnera son jugement sur la santé ou la mort du malade selon les causes
les plus proches, c'est-à-dire le pouvoir de la nature et celui de la maladie;
l'astronome jugera selon les causes éloignées, c'est-à-dire selon la position
des astres.
Eodem modo est in
proposito. Est enim duplex sapientia: scilicet mundana, quae dicitur
philosophia, quae considerat causas inferiores, scilicet causas causatas, et
secundum eas iudicat; et divina, quae dicitur theologia, quae considerat causas
superiores, id est divinas, secundum quas iudicat. Dicuntur autem superiores
causae, divina attributa, ut sapientia, bonitas, et voluntas divina, et
huiusmodi.
Il en est de même pour notre sujet. Car la sagesse est
double: c'est-à-dire celle du monde, qu'on appelle philosophie, qui considère
les causes inférieures, c'est-à-dire les causes causées[7],
et qui juge selon elles; et (la sagesse) divine qu'on appelle théologie qui
considère les causes supérieures, c'est-à-dire divines, selon lesquelles elle
juge. On appelle causes supérieures les attributs divins, comme la sagesse, la
bonté, et la volonté[8], etc.
Sciendum tamen, quod ista quaestio frustra
movetur de affectibus qui non possunt esse nisi superiorum causarum, id est
quos solus Deus facere potest; illos enim non convenit dici possibiles vel
impossibiles secundum causas inferiores. Sed haec quaestio movetur de illis
effectibus qui sunt causarum inferiorum: hi enim effectus sunt inferiorum et
superiorum: sic enim potest in dubitationem verti. Similiter etiam ista
quaestio non habet locum in illis possibilibus et impossibilibus, quae non
dicuntur secundum aliquam potentiam, sed secundum se ipsa. Effectus autem
causarum secundarum, de quibus est quaestio, secundum iudicium theologi,
dicuntur possibiles et impossibiles secundum causas superiores; secundum autem
iudicium philosophi, dicuntur possibiles vel impossibiles secundum causas
inferiores.
Cependant il faut savoir qu'on traite en vain cette
question pour les effets qui ne peuvent être que par des causes supérieures,
c'est-à-dire celles que Dieu seul peut faire; car il ne convient pas de les
appeler possibles ou impossibles selon les causes inférieures. Mais on traite
cette question pour ces effets qui viennent des causes inférieures; ainsi, en
effet, elle peut être mise en doute. De la même manière cette question n'a pas
place dans ce genre de possible ou d'impossible, dont on ne parle pas selon une
puissance mais en soi. Les effets des causes secondes, dont il est question,
selon le jugement du théologien, sont appelées possibles et impossibles selon
les causes supérieures; mais selon le jugement du philosophe, elles sont
appelées possibles ou impossibles selon les causes inférieures.
Si autem consideretur istud iudicium
quantum ad naturam eius de quo iudicatur, sic patet quod effectus debent
iudicari possibiles secundum causas proximas, cum actio causarum remotarum,
secundum causas proximas determinetur, quas praecipue effectus imitantur: et
ideo secundum eas praecipue iudicium de effectibus sumitur. Et hoc patet etiam
per simile passiva. Nam materia non dicitur, proprie loquendo, in potentia ad
aliquid, quae est remota, sicut terra ad scyphum; sed quae est propinqua, uno
motore potens exire in actum, ut patet per philosophum, sicut aurum est
potentia scyphus sola arte educente in actum. Et similiter effectus, in quantum
est ex sui natura, non nisi propinquis causis possibiles vel impossibiles
dicuntur.
2) Mais si on considère ce jugement quant à la nature
de ce dont on le juge, il est clair ainsi que les effets doivent être jugés
possibles selon les causes les plus proches, puisque l'action des causes
éloignées est limitée par les causes les plus proches, que les effets imitent
surtout et c'est pourquoi c'est à partir de ces effets qu'on tire surtout le
jugement. Et il apparaît que c'est la même chose pour la puissance passive. Car
on ne dit pas, à proprement parler, que la matière est en puissance à quelque
chose, si elle en est éloignée comme l'argile pour une coupe, mais elle l'est
pour celle qui est proche, qui peut par un moteur passer en acte[9]
, comme on le voit chez le philosophe (Métaphysique IX, 1, 1046 a 12[10]).
Ainsi l'or est une coupe en puissance par le seul art qui la conduit à l'acte.
Et de même les effets, autant qu'il en est de leur nature, ne sont appelés
possibles ou impossibles que par les causes proches.
Solutions:
q. 1 a. 4 ad 1 Ad
primum dicendum, quod sapientes mundi propter hoc stulti vocantur, quia quae
secundum causas inferiores sunt impossibilia simpliciter et absolute
impossibilia iudicabant, etiam Deo.
# 1. Les sages de ce monde sont appelés des
sots, parce qu'ils jugeaient simplement et absolument impossible même pour Dieu
ce qui était impossible selon les causes inférieures.
q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod comparatio possibilis ad
potentiam, non est sicut mensurati ad mensuram, sed sicut obiecti ad potentiam.
Contingit tamen divinam potentiam omnium potentiarum esse mensuram.
2. La comparaison du possible à la puissance
n'est pas comme celle du mesurée à la mesure, mais comme celle de l'objet à la
puissance. Cependant il arrive que la puissance divine soit la mesure de toutes
les puissances[11].
q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod licet causa prima maxime influat in effectum, tamen eius
influentia per causam proximam determinatur et specificatur; et ideo eius
similitudinem imitatur effectus.
# 3. Bien que la cause première soit celle
qui influe le plus sur l'effet, cependant son influence est déterminée et
spécifiée par la cause la plus proche; et c'est pourquoi l'effet est à sa
ressemblance.
q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod quamvis illuminare caecum sit Deo possibile, non tamen potest
dici omnino possibile.
# 4. Quoique rendre la vue à l'aveugle soit
possible à Dieu, on ne peut cependant le dire comme tout à fait possible[12].
q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum
dicendum, quod mundum fore, fuit possibile respectu causarum superiorum: unde
hoc non pertinet ad quaestionem praesentem. Et propterea istud dictum: mundum
fore, est possibile non solum secundum divinam potentiam activam, sed secundum
se ipsum, quia termini non sunt discohaerentes.
# 5. Il faut dire que le monde à venir a été
possible par rapport aux causes supérieures: c'est pourquoi cela ne concerne
pas la présente question. Et à cause de cela, cette parole: le monde à venir
est possible non seulement selon la puissance divine active, mais en soi, parce
que les termes ne sont pas contradictoires.
Réponses aux
arguments contraires
q. 1 a. 4 ad s. c. 1 Ad primum
quod in contrarium obiicitur, dicendum, quod ratio illa procedit quantum ad
naturam effectus de quo iudicatur.
## 1. Cette raison procède de la nature de l'effet sur
lequel porte le jugement.
q. 1 a. 4 ad s. c. 2
Ad secundum dicendum, quod licet illud quod est possibile secundum causas
inferiores, sit etiam possibile secundum superiores, non tamen est ita de impossibili,
immo magis e contrario; unde non sequitur quod iudicium debeat sumi universale
sive universaliter secundum causas inferiores de possibili et impossibili.
## 2. Bien que ce qui est possible, selon les
causes inférieures, soit aussi possible selon les causes supérieures, cependant
il n'en est pas de même pour l'impossible, bien au contraire. C'est pourquoi il
n'en découle pas que le jugement doit être pris comme universel ou
universellement selon les causes inférieures au sujet du possible et de
l'impossible.
q. 1 a. 4 ad s. c. 3 Ad tertium
dicendum, quod non iudicantur aliqua impossibilia vel possibilia secundum
aliquas causas, quia sint similes illis causis in possibilitate vel in
impossibilitate, sed quia causis illis sunt possibiles vel impossibiles.
## 3. Le possible et l'impossible ne sont pas
jugés selon des causes, parce qu'ils leur seraient semblables en possibilité et
impossibilité, mais parce qu'ils sont possibles ou impossibles par ces causes.
q. 1 a. 4 ad s. c. 4 Ad quartum
dicendum, quod secundum considerationem theologi, omnia illa quae non sunt in
se impossibilia, possibilia dicuntur, secundum illud, Marc. IX, 22: omnia
possibilia sunt credenti; et: non est impossibile apud Deum omne verbum: Luc.
I, 37.
## 4. Selon la considération du théologien,
tout ce qui n'est pas en soi impossible est appelé possible, selon ce mot de Mc
(9, 22): "Tout est possible à celui qui croit" et "Aucune parole
n'est impossible à Dieu" (Lc 1, 37).
q. 1 a. 4 ad s. c. 5 Ad quintum
dicendum, quod licet omnia illa in causis superioribus non inveniantur, tamen
causis superioribus sunt subiecta; et propterea obiectio illa procedit passiva,
non de activa de qua nunc loquimur.
# 5. Bien qu'on ne trouve pas tout cela[13] dans les causes supérieures, cependant cela est soumis à
des causes supérieures et c'est pourquoi cette objection procède de la
puissance passive et non de la puissance active dont nous parlons maintenant.
[1] Parall.: I Sent. d42q2a3 –Ia, 25,
a.3, ad 4.
[2] L'essence
de l'Un..."enfin et surtout, c'est être la mesure première de chaque
genre." Cf. Thomas, lectio 2, n° 1938.
[3] Selon cet argument, la puissance divine serait la mesure
de la possibilité. Cf. G Stolarski, La possibilité et l'être, p. 99.
[4] C'est
la proposition I du De causis.
[5] Cela sera repris en Pot. qu. 3, a. 3 qui traite de la
création. Les causes inférieures ne jouent pas puisque la création se fait à
partir du néant. La solution ajoute cependant une condition supplémentaire.
[6] "Les
astronomes (astrologus ou astrologues) peuvent prédire l'avenir en général mais
pas dans les cas particuliers." (Ia, qu. 115, a. 4, ad 3) (Ils prévoient
ce qui concerne l'astronomie, et pour le reste, les hommes peuvent résister à
l'influence des astres).
[7] Ou causes secondes.
[8] Parce
que c'est sa sagesse et sa bonté qui incitent Dieu à créer et il le fait selon
sa volonté.
[9] Cf. I Sent. d42q2a3,
c.
[10] "...la
puissance passive c'est-à-dire dans l'être passif le principe du changement qui
est susceptible de subir par l'action d'un autre être, ou de lui-même en tant
qu'autre." (Cf. Thomas, lectio 1, n° 1773 ss.)
[11] "La puissance divine ne peut pas être la mesure des
objets des autres puissances, parce que c'est l'objet de la puissance qui est
appelé possible selon cette puissance. L'objet de la puissance est mesuré par
elle-même, et jamais par l'autre puissance, même la puissance divine".
Stolarski, p. 100 § 1.
[12] Cf.
Pot. qu. 6, a. 1.
[13] C'est-à-dire puissance, disposition, nécessité (voir Sed
contra).
q. 1 a. 5 tit. 1
Quinto quaeritur utrum Deus possit facere quae non facit et dimittere quae
facit. Et videtur quod non.
Il semble que non.`
Objections[1].
q. 1 a. 5 arg. 1
Deus non potest facere nisi quod praescit se facturum. Sed non praescit se
facturum nisi quod facit. Ergo Deus non potest facere nisi quod facit.
1. Dieu ne peut faire que ce qu'il prévoit de faire. Mais il ne prévoit
de faire que ce qu'il fait. Donc Dieu ne peut faire que ce qu'il fait .
q. 1 a. 5 arg. 2 Sed
dicit respondens, quod ratio ista procedit de potentia in ordine ad
praescientiam, non de potentia absoluta.- Sed contra, immobiliora sunt divina
humanis. Sed apud nos quae fuerunt, non possunt non fuisse. Ergo multo minus
quae Deus praescivit, non potest non praescivisse. Sed praescientia manente,
non potest alia facere. Ergo Deus, absolute loquendo, non potest alia facere
quam quae facit.
2. Mais, dit celui qui répond: cette raison procède de la puissance en
rapport avec la prescience, mais pas de puissance absolue. – En sens contraire,
le divin est plus immuable que l'humain. Mais pour nous ce qui a été ne peut
pas ne pas avoir été. Donc encore beaucoup moins ce que Dieu a prévu, il ne
peut pas ne pas l'avoir prévu. Mais si la prescience demeure, il ne peut pas
faire autre chose. Donc Dieu, absolument parlant, ne peut faire autre chose que
ce qu'il fait.
q. 1 a. 5 arg. 3
Praeterea, sicut divina natura est immutabilis, ita et divina sapientia. Sed
ponentes Deum agere ex necessitate naturae ponebant eum non posse alia quam
quae fecit. Ergo similiter et nos debemus ponere, qui dicimus Deum agere
secundum ordinem sapientiae.
3. La nature de Dieu est immuable, sa sagesse aussi. Mais ceux[2] qui
pensaient que Dieu agissait par nécessité de nature pensaient qu'il ne peut
faire autre chose que ce qu'il a fait. Donc, de la même façon, nous devons
aussi le penser, nous qui disons que Dieu agit selon l'ordre de sa sagesse[3].
q. 1 a. 5 arg. 4 Sed
dicet respondens, quod ratio ista procedit de potentia regulata per sapientiam,
non de potentia absoluta. - Sed contra, illud quod non potest fieri secundum
ordinem sapientiae absolute homini Christo impossibile dicitur; quamvis illud
potuerit absoluta. Dicitur enim Ioan. VIII, 55: si dixero quod non novi eum,
ero similis vobis mendax. Poterat enim Christus haec verba pronuntiare; sed
quia contra ordinem sapientiae erat, dicitur absolute, quod Christus non
potuerit mentiri. Ergo multo amplius quod non est secundum ordinem sapientiae,
absolute loquendo, Deus non potest.
4. Mais dira celui qui nous répond: cette raison procède de la
puissance ordonnée par la sagesse, non de la puissance absolue. – En sens
contraire, on dit que ce qui ne peut pas être fait selon l'ordre de la sagesse
est absolument impossible pour le Christ en tant qu'homme, bien qu'il l'aurait
pu en puissance absolue. Car il est dit en Jn (8, 55): "Si je vous avais
dit que je ne le connais pas, je serais menteur, comme vous". Le Christ
pouvait, en effet, prononcer ces paroles; mais parce que c'était contre l'ordre
de la sagesse, on dit de façon absolue qu'il n'a pas pu mentir. Donc beaucoup
plus, Dieu ne peut pas, absolument parlant, ce qui n'est pas selon l'ordre de
la sagesse.
q. 1 a. 5 arg. 5
Praeterea, in Deo duo contradictoria simul esse non possunt. Sed absolutum et
regulatum contradictionem implicant; nam absolutum est quod secundum se
consideratur; illud vero quod regulatur, ordinem ad aliud habet. Ergo in Deo non debet poni potentia absoluta et regulata.
5. Deux contradictoires ne peuvent exister en Dieu en même temps. Mais
l'absolu et l'ordonné impliquent contradiction, car l'absolu est ce qui est
considéré en soi, mais ce qui est ordonné a rapport à un autre. Donc en Dieu on
ne doit pas poser une puissance absolue et une puissance ordonnée.
q. 1
a. 5 arg. 6 Praeterea, potentia et sapientia Dei sunt aequales. Una ergo aliam
non excedit; potentia ergo absque sapientia esse non potest; et ita potentia
divina semper est sapientia regulata.
6. La puissance et la sagesse de Dieu sont égales. Donc l'une n'excède
pas l'autre; donc la puissance ne peut exister sans la sagesse et ainsi la
puissance divine est toujours ordonnée à la sagesse.
q. 1 a. 5 arg. 7
Praeterea, quod Deus fecit, est iustum. Sed non potest facere nisi iustum. Ergo
non potest facere nisi quod fecit vel faciet.
7. Ce que Dieu a fait est juste. Mais il ne peut faire que ce qui est
juste. Donc il ne peut faire que ce qu'il a fait ou fera.
q. 1 a. 5 arg. 8
Praeterea, bonitatis divinae est ut non solum se communicet, sed ordinatissime
se communicet. Sic ergo ea quae
fiunt a Deo, ordinate fiunt. Sed praeter ordinem Deus facere non potest. Ergo non
potest facere alia quam quae fecit.
8. Le propre de la bonté divine est non seulement de se communiquer,
mais de le faire avec beaucoup d'ordre. Ainsi donc ce qui est fait par Dieu est
fait de manière ordonnée. Mais il ne peut pas le faire contre l'ordre. Donc il
ne peut faire autre chose que ce qu'il a fait.
q. 1 a. 5 arg. 9 Praeterea, Deus non potest
facere nisi quod vult; quia in agentibus per voluntatem potentia sequitur
voluntatem, velut imperantem. Sed non vult nisi quae facit. Ergo
non potest facere nisi quod facit.
9. Dieu ne peut faire que ce qu'il veut, parce que, pour celui qui agit
par volonté, la puissance suit la volonté, en tant qu'elle gouverne. Mais il ne
veut que ce qu'il fait. Donc il ne peut faire que ce qu'il fait.
q. 1 a. 5 arg. 10
Praeterea, Deus, cum sit sapientissimus operator, nihil agit sine ratione.
Rationes autem quibus Deus agit, Dionysius dicit esse productivas existentium;
existentia autem sunt quae sunt; et sic Deus rationes non habet nisi eorum quae
sunt. Ergo non potest facere nisi ea quae facit.
10. Puisque Dieu est un "ouvrier" suprêmement sage, il ne
fait rien sans raison. Denys (Les noms
divins, 5) dit que les raisons[4] pour lesquelles Dieu agit, produisent ce
qui existe; mais ce qui existe est ce qui est, et ainsi Dieu n'a de raisons que
de ce qui est. Donc il ne peut faire que ce qu'il fait.
q. 1 a. 5 arg. 11
Praeterea, secundum philosophos, res naturales sunt in primo motore, qui Deus
est, sicut artificiata in artifice; et sic Deus operatur tamquam artifex. Sed
artifex non operatur sine forma vel idea sui operis; domus enim quae est in
materia, est a domo quae est in mente artificis, secundum philosophum. Sed Deus
non habet ideas nisi eorum quae fecit, vel facit, vel facturus est. Ergo
praeter hoc Deus nihil agere potest.
11. Selon les philosophes, les êtres naturels sont dans le premier
moteur qui est Dieu, comme les oeuvres dans [l'esprit de] l'artisan et ainsi
Dieu opère comme un artisan. Mais l'artisan n'opère pas sans forme ni idée de
son oeuvre; car la maison qui est dans la matière tire son origine de la maison
qui est dans l'esprit de l'artisan, selon le Philosophe (La génération des animaux, II, 1). Mais Dieu n'a d'idées que de ce
qu'il a fait, de ce qu'il fait ou fera. Donc, en dehors de cela, Dieu ne peut
rien faire.
q. 1 a. 5 arg. 12
Praeterea, Augustinus in Lib. de symbolo dicit: hoc solum Deus non potest nisi
quod non vult. Sed non vult nisi quae fecit. Ergo non potest nisi quae facit.
12. Augustin dans Le symbole, dit: "Dieu ne peut pas que ce qu'il
ne veut pas". Mais il ne veut que ce qu'il a fait. Donc il ne peut faire que
ce qu'il fait.
q. 1 a. 5 arg. 13
Praeterea, Deus mutari non potest. Ergo non se habet ad utrumlibet contrariorum;
et sic sua potentia est determinata ad unum. Ergo non potest facere nisi quae
facit.
13. Dieu ne peut pas subir de changement. Donc il n'a à faire à aucun
de deux contraires; et ainsi sa puissance est limitée à un seul objet. Donc il
ne peut faire que ce qu'il fait.
q. 1 a. 5 arg. 14
Praeterea, quidquid Deus facit aut dimittit, facit aut dimittit optima ratione.
Sed Deus non potest facere aliquid aut dimittere nisi optima ratione. Ergo non
potest facere nec dimittere, nisi quod facit aut dimittit.
14. Tout ce que Dieu fait ou omet, il le fait ou l'omet pour la
meilleure raison. Mais Dieu ne peut le faire ou l'omettre que pour la meilleure
raison. Donc il ne peut faire ni abandonner que ce qu'il fait ou abandonne.
q. 1 a. 5 arg. 15 Praeterea, optimi est optima
adducere, secundum Platonem, et sic Deus, cum sit optimus, optimum facit. Sed
optimum cum sit superlativum, uno modo est. Ergo Deus non potest facere alio modo vel alia quam quae fecit.
15. C'est au meilleur d'être cause du meilleur selon Platon[5], et
ainsi comme Dieu est le meilleur, il fait le meilleur. Mais comme le meilleur
est un superlatif, il n'existe que d'une seule manière. Donc Dieu ne peut pas
faire d'autre manière ou d'autre choses que ce qu'il a fait.
En sens contraire.
q. 1 a. 5 s. c. 1
Sed contra. Est quod dicit Christus Deus et homo: Matth. XXVI, 53: an non
possum rogare patrem? Poterat ergo Christus aliquid quod non faciebat.
1. Il y a ce que dit le Christ, Dieu et homme: (Mt. 26, 53): "Ne
puis-je pas prier mon Père?" Donc le Christ pouvait faire ce qu'il ne
faisait pas.
q. 1 a. 5 s. c. 2
Praeterea, Ephes. III, 20, dicitur: ei qui potest omnia facere superabundanter
quam intelligimus aut petimus. Non tamen omnia
facit. Ergo potest alia facere quam quae facit.
2. En Ep. 3, 20, il est dit: "A celui qui peut tout faire bien
au-delà de ce que nous pensons et demandons". C'est donc qu'il ne fait pas
tout. Donc il peut faire d'autres choses que ce qu'il fait.
q. 1 a. 5 s. c. 3
Praeterea, potentia Dei est infinita. Hoc autem non esset si determinaretur ad
ea tantum quae facit: ergo potest alia facere quam quae facit.
3. La puissance de Dieu est infinie. Mais cela ne serait pas si elle
était déterminée seulement à ce qu'il fait; donc il peut faire autre chose que
ce qu'il fait.
q. 1 a. 5 s. c. 4
Praeterea, Hugo de sancto Victore dicit, quod omnipotentiae Dei non adaequatur
opus. Ergo potentia excedit opus: et ita plura potest facere quam quae facit.
4. Hugues de Saint Victor dit que l'oeuvre de Dieu n'égale pas sa
toute-puissance. Donc sa puissance excède son oeuvre et ainsi il peut faire
plus que ce qu'il fait.
q. 1 a. 5 s. c. 5
Praeterea, potentia Dei est actus non finitus, quia non per aliquid finitur.
Hoc autem non esset, si limitaretur ad ea quae facit. Ergo idem quod prius.
5. La puissance de Dieu est un acte infini, parce qu'elle n'est limitée
par rien. Cela ne serait pas, si elle se limitait à ce qu'il fait. Donc de même
que ci-dessus.
Réponse.
q. 1 a. 5 co.
Respondeo. Dicendum quod hic error, scilicet Deum non posse facere nisi quae
facit, duorum fuit:
Cette erreur, que Dieu ne peut faire que ce qu'il fait, vient de deux
opinions:
primo fuit quorumdam philosophorum dicentium Deum agere ex
necessitate naturae. Quod si esset, cum natura sit determinata ad unum, divina
potentia ad alia agenda se extendere non posset quam ad ea quae facit.
1. D'abord elle fut celle de certains philosophes[6] qui disaient que
Dieu agit par nécessité de nature. Si c'était vrai, comme sa nature serait
limitée à un seul objet, la puissance divine ne pourrait parvenir à faire
d'autres choses, que ce qu'il fait.
Secundo fuit quorumdam theologorum considerantium ordinem
divinae iustitiae et sapientiae, secundum quem res fiunt a Deo, quem Deum
praeterire non posse dicebant; et incidebant in hoc, ut dicerent, quod Deus non
potest facere nisi quae facit. Et imponitur hic error magistro Petro Almalareo.
2. Ensuite, elle fut celle de certains théologiens qui, considérant
l'ordre de sa justice et de sa sagesse selon laquelle les choses sont faites
par Dieu, disaient qu'il ne pouvait passer outre, et ils en arrivaient à dire
qu'il ne peut faire que ce qu'il fait. Et on attribue cette erreur au maître
Pierre Abélard[7].
Harum ergo positionum veritatem inquiramus, vel falsitatem;
et primo primae. Quod enim Deus non agat ex necessitate naturae planum est
videre. Omne enim agens agit propter finem, quia omnia optant bonum. Actio
autem agentis, ad hoc quod sit conveniens fini, oportet quod ei adaptetur et
proportionetur quod non potest fieri nisi ab aliquo intellectu, qui finem et
rationem finis cognoscat, et proportionem finis ad id quod est ad finem; aliter
convenientia actionis ad finem casualis esset. Sed intellectus praeordinans in
finem, quandoque quidem est coniunctus agenti vel moventi, ut homo in sua
actione; quandoque separatus, ut patet in sagitta, quae ad determinatum finem
tendit, non per intellectum sibi coniunctum, sed per intellectum hominis ipsam
dirigentem. Impossibile est autem, id quod agit ex naturae necessitate, sibi
ipsi determinare finem: quia quod est tale, est ex se agens; et quod est agens
vel motum ex se ipso, in ipso est agere vel non agere, moveri vel non moveri,
ut dicitur VIII Physic., et hoc non potest competere ei quod ex necessitate
movetur, cum sit determinatum ad unum.
A) Cherchons donc la vérité ou la fausseté de ces positions et d'abord
de la première. Il est aisé de voir que Dieu n'agit pas par nécessité de
nature. Car tout agent agit en vue d'une fin, parce que tout aspire au bien.
L'action de l'agent du fait qu'elle s'accorde à une fin, doit lui être adaptée
et proportionnée, ce qui ne peut se faire que par un esprit qui connaît la fin,
sa nature et son rapport avec la fin qui la concerne; autrement la conformité
de l'action à sa fin serait fortuite. Mais l'esprit qui pré-ordonne à une fin,
quelquefois est joint à l'agent ou au moteur, comme l'homme dans son action;
quelquefois il en est séparé, comme cela apparaît dans la flèche qui tend à un
but déterminé, non par un esprit qui lui est ajouté, mais par celui de l'homme
qui la dirige. Il est impossible que ce qui agit par nécessité de nature,
détermine une fin pour soi, parce que ce qui est tel est agent par soi, et ce
qui est agent ou mû par soi agit ou pas, se meut ou pas, comme il est dit en Physique (VIII), et cela ne peut
convenir à ce qui est mû par nécessité, puisqu'il est limité à un seul objet.
Unde oportet quod omni ei quod agit ex necessitate naturae,
determinetur finis ab aliquo quod sit intelligens. Propter quod dicitur a
philosophis, quod opus naturae est opus intelligentiae. Unde si aliquando
aliquod corpus naturale adiungitur alicui intellectui, sicut in homine patet,
quantum ad illas actiones quibus intellectus illius finem determinat, obedit
natura voluntati, sicut ex motu locali hominis patet: quantum vero ad illas
actiones in quibus ei finem non determinat, non obedit, sicut in actu
nutrimenti et augmenti. Ex his ergo colligitur quod id quod ex necessitate
natura agit, impossibile est esse principium agens, cum determinetur sibi finis
ab alio. Et sic patet quod impossibile est Deum agere ex necessitate naturae;
et ita radix primae positionis falsa est.
C'est pourquoi il faut que, pour tout ce qui agit par nécessité de
nature, la fin soit programmée par un être intelligent. En raison de quoi les
philosophes disent que l'oeuvre de la nature est l'oeuvre d'une intelligence.
C'est pourquoi, si quelquefois un corps naturel est uni à un esprit, comme on
le voit dans l'homme, pour ces actions pour lesquelles son esprit détermine une
fin, la nature obéit à la volonté, comme cela apparaît dans ses déplacements:
mais pour les actions pour lesquelles il ne détermine pas de fin, elle n'obéit
pas, comme pour la nourriture ou la croissance. Par là on comprend que pour ce
que fait la nature par nécessité il est impossible que ce soit un principe
agent puisque sa fin est déterminée par un autre. Donc il est clair qu'il est
impossible que Dieu agisse par nécessité de nature; ainsi le fondement de la
première proposition est fausse.
Sic autem restat investigare de secunda positione. Circa
quod sciendum est, quod dupliciter dicitur aliquis non posse aliquid.
Uno modo absolute; quando scilicet aliquid principiorum,
quod sit necessariam actioni, ad actionem illam non se extendit; ut si pes sit
confractus, homo non potest ambulare.
Il reste à faire des recherches sur la seconde proposition: à ce sujet
il faut savoir qu'on dit que quelqu'un ne peut pas quelque chose de deux manières:
a) L'une, de manière absolue, quand par exemple un des principes, qui
serait nécessaire pour l'action, ne s'étend pas jusqu'à là; ainsi avec un pied
cassé, l'homme ne peut pas marcher.
Alio modo ex suppositione; posito enim opposito alicuius actionis,
actio fieri non potest; non enim possum ambulare dum sedeo. Cum autem Deus sit
agens per voluntatem et intellectum, ut probatum est, oportet in ipso tria
actionis principia considerare; et primo intellectum, secundo voluntatem,
tertio potentiam naturae. Intellectus ergo voluntatem dirigit, voluntas vero
potentiae imperat quae exequitur. Sed intellectus non movet nisi in quantum
proponit voluntati suum appetibile; unde totum movere intellectum est in
voluntate.
b) L'autre par hypothèse, car si on établit ce qui s'oppose à l'action,
celle-ci ne peut être accomplie; en effet, je ne peux pas marcher tant que je
suis assis. Comme Dieu est un agent par volonté et esprit, comme on l'a prouvé,
il faut considérer en lui trois principes d'action; l'intellect, la volonté, et
la puissance de sa nature. Donc l'esprit dirige la volonté, et la volonté
commande à la puissance qui l'exécute. Mais l'esprit ne met en mouvement que
dans la mesure où il propose à la volonté ce qui est désirable pour elle; donc
mouvoir tout l'esprit dépend de la volonté.
Sed dupliciter dicitur Deum absolute non posse aliquid.
Mais on dit que Dieu ne peut absolument pas quelque chose de deux
manières:
Uno modo quando potentia Dei non se extendit in illud: sicut
dicimus quod Deus non potest facere quod affirmatio et negatio sint simul vera,
ut ex supra dictis patet. Sic autem non potest dici quod Deus non potest facere
nisi quod facit; constat enim quod potentia Dei ad multa alia potest se
extendere.
a) D'une première manière quand sa puissance ne vas pas jusqu'à là;
ainsi nous disons qu'il ne peut pas faire que l'affirmation et la négation
soient vraies en même temps, comme c'est clair d'après de ce qu'on a dit plus
haut. Mais on ne peut pas dire que Dieu ne peut faire que ce qu'il fait; car il
est clair que sa puissance peut s'étendre à beaucoup d'autres effets.
Alio modo quando voluntas Dei ad illud se
extendere non potest. Oportet enim quod quaelibet voluntas habeat aliquem finem
quem naturaliter velit, et cuius contrarium velle non possit; sicut homo
naturaliter et de necessitate vult beatitudinem, et miseriam velle non potest.
Cum hoc autem quod voluntas velit necessario finem suum naturalem, vult etiam
de necessitate ea sine quibus finem habere non potest, si hoc cognoscat; et haec
sunt quae sunt commensurata fini; sicut si volo vitam, volo cibum. Ea vero sine quibus finis haberi
potest, quae non sunt fini commensurata; non de necessitate vult.
b) D'une autre manière, quand la volonté de Dieu ne peut pas s'étendre
jusqu'à là. Car il faut que n'importe quelle volonté ait une fin qu'elle veut
naturellement, et qu'elle ne puisse pas vouloir le contraire; ainsi l'homme
naturellement et par nécessité veut son bonheur et il ne peut pas vouloir le
malheur. Mais comme la volonté veut nécessairement sa fin naturelle, elle veut
aussi par nécessité ce sans quoi elle ne peut obtenir cette fin, si elle la
connaît; et c'est ce qui est proportionné à la fin; ainsi si on veut la vie, on
veut la nourriture. Mais ce sans quoi on ne peut atteindre la fin qui n'est pas
proportionné à cette fin, elle ne le veut pas par nécessité.
Finis ergo naturalis divinae voluntatis est eius bonitas,
quam non velle non potest. Sed fini huic non commensurantur creaturae, ita quod
sine his divina bonitas manifestari non possit; quod Deus intendit ex
creaturis. Sicut enim manifestatur divina bonitas per has res quae nunc sunt et
per hunc rerum ordinem, ita potest manifestari per alias creaturas et alio modo
ordinatas: et ideo divina voluntas absque praeiudicio bonitatis, iustitiae et
sapientiae, potest se extendere in alia quam quae facit. Et in hoc fuerunt
decepti errantes: aestimaverunt enim ordinem creaturarum esse quasi
commensuratum divinae bonitati quasi absque eo esse non posset.
Donc la fin naturelle de la volonté de Dieu est sa bonté, qu'il ne peut
pas ne pas vouloir. Mais les créatures ne sont pas proportionnées à cette fin,
de sorte que la bonté divine ne puisse pas manifester sans elles ce que Dieu
atteint par elles. Car, de même que la bonté divine se manifeste par ce qui est
maintenant et par cet ordre des choses, de même elle peut se manifester par
d'autres créatures, ordonnées autrement; et c'est pourquoi la volonté divine,
sans préjudice de sa bonté, de sa justice et de sa sagesse, peut s'étendre à
d'autres choses que ce qu'il fait. Et c'est en cela que ceux qui sont dans
l'erreur se sont trompés: car ils ont pensé que l'ordre des créatures était
proportionné à la bonté divine comme si, sans lui, cet ordre ne pouvait pas
exister.
Patet ergo quod absolute Deus potest facere
alia quam quae fecit. Sed quia ipse non potest facere quod contradictoria sint
simul vera, ex suppositione potest dici, quod Deus non potest alia facere quam
quae fecit: supposito enim quod ipse non velit alia facere, vel quod praesciverit
se non alia facturum, non potest alia facere, ut intelligatur composite, non
divisim.
Il est donc clair que Dieu peut absolument faire d'autres choses que ce
qu'il fait. Mais, parce qu'il ne peut pas faire que les contradictoires soient
vrais en même temps, on peut dire par hypothèse que Dieu ne peut pas faire
autre chose que ce qu'il a fait: car supposé que lui-même ne veuille pas faire
autre chose ou qu'il ait prévu qu'il ne ferait rien d'autre, il ne peut pas
faire autre chose, pour qu'on le comprenne avec ordre et non séparément.
Solutions
q. 1 a. 5 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod haec locutio, Deus non potest facere nisi quod
praescit se facturum, est duplex: quia exceptio potest referri ad potentiam
quae importatur per ly potest, vel ad actum, qui importatur per ly facere. Si
primo modo, tunc locutio est falsa. Plura enim potest facere quam praesciat se
facturum; et in hoc sensu ratio procedebat. Si autem secundo modo, sic locutio
est vera; et est sensus, quod non potest esse quod aliquid fiat a Deo, et non
sit a Deo praescitum. Sed hic sensus non est ad propositum.
# 1. Cette proposition: "Dieu ne peut faire que ce qu'il prévoit
de faire", a deux sens. La restriction peut porter sur la puissance
désignée par potest (peut), ou sur l'acte désigné par facere (faire[8]). Selon
le premier sens la proposition est fausse. Car il peut faire plus qu'il ne
prévoit de faire; et c'est en ce sens que l'objection était avancée. Si c'est
l'autre sens, la proposition est vraie, et le sens est qu'il n'est pas possible
que quelque chose soit fait par Dieu sans qu'il l'ait prévu. Mais ce sens ne
convient pas à notre propos.
q. 1 a. 5 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod in Deo non cadit praeteritum et futurum; sed quidquid
est in eo, est totum in praesenti aeternitatis. Nec praeteritum vel futurum in
eo verbum significatur, nisi per respectum ad nos; unde non habet hic locum
obiectio de necessitate praeteriti. Nihilominus dicendum est, quod obiectio non
est ad propositum: quia praescientia non commensuratur potentiae faciendi, de
qua est quaestio; sed solum divinae actioni, ut dictum est.
# 2. En Dieu, il n'y a ni passé ni futur, mais tout ce qui est en lui
est tout entier dans un présent d'éternité. Le mot de passé et de futur n'a de
sens en lui que par rapport à nous. C'est pourquoi l'objection sur la nécessité
du passé n'a pas d'objet ici. Cependant il faut dire que l'objection est hors
sujet: parce que la prescience n'est pas proportionnée à la puissance d'agir
dont il est question; mais seulement à l'action divine, comme on l'a dit.
q. 1 a. 5 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod illi qui dicebant Deum agere ex necessitate naturae,
ponebant positionem de qua agitur, non solum ratione immutabilitatis naturae,
sed ratione determinationis naturae ad unum. Sapientia autem divina non est
determinata ad unum, sed se habet ad multa scienda; unde non est simile.
# 3. Ceux qui disaient que Dieu agit par nécessité de nature, prenaient
cette position, non seulement en raison de l'immutabilité de sa nature[9], mais
de sa détermination à un seul objet. La sagesse de Dieu n'est pas limitée à un
seul objet mais elle est pour connaître beaucoup de choses. C'est pourquoi ce
n'est pas pareil.
q. 1 a. 5 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod Christus non poterat velle dicere illa verba absolute,
quae mendacium important, sine praeiudicio suae bonitatis. Sic autem non est in
proposito, ut ex dictis patet; et ideo non sequitur.
# 4. Le Christ ne pouvait pas, dans l'absolu, vouloir dire ces paroles,
qui apportent un mensonge, sans préjudice pour sa bonté. Mais ce n'est pas
notre sujet, comme on le voit par ce qui a été dit, et c'est pourquoi cela ne
vaut pas.
q. 1 a. 5 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod absolutum et regulatum non attribuuntur divinae
potentiae nisi ex nostra consideratione: quae potentiae Dei in se consideratae,
quae absoluta dicitur, aliquid attribuit quod non attribuit ei secundum quod ad
sapientiam comparatur, prout dicitur ordinata.
# 5. L'absolu et ce qui est ordonné ne sont attribués à la puissance
divine que par notre réflexion. A cette puissance de Dieu, considérée en soi,
qu'on appelle absolue, elle attribue quelque chose qu'elle ne lui a pas
attribué selon qu'elle est comparée à la sagesse, dans la mesure où on la dit
ordonnée.
q. 1 a. 5 ad 6 Ad sextum dicendum, quod potentia
Dei numquam est in re sine sapientia: sed a nobis consideratur sine ratione
sapientiae.
# 6. La puissance de Dieu n'est jamais en réalité sans sagesse; mais
c'est nous qui la considérons sans rapport avec elle.
q. 1 a. 5 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod Deus fecit quidquid est iustum in actu, non autem
quidquid est iustum in potentia; potest enim aliquid facere quod nunc non est
iustum, quia non est: tamen si esset, faceret iustum.
# 7. Dieu a fait tout ce qui est juste en acte, mais pas tout ce qui
est juste en puissance; car il peut faire une chose qui maintenant n'est pas
juste, parce qu'elle n'existe pas: cependant si elle existait, il la ferait
juste.
q. 1 a. 5 ad 8 Ad
octavum dicendum, quod divina bonitas potest se communicare ordinate, non solum
isto modo quo res operatur, sed multis aliis.
# 8. La divine bonté peut se communiquer avec ordre, non seulement de
la manière dont elle opère, mais de nombreuses autres manières.
q. 1 a. 5 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod licet Deus non velit facere nisi quae facit, potest tamen
alia velle; et ideo, absolute loquendo, potest alia facere.
# 9. Bien que Dieu ne veuille faire que ce qu'il fait, il peut
cependant vouloir d'autres choses, et c'est pourquoi, absolument parlant, il
peut en faire d'autres.
q. 1 a. 5 ad 10 Ad
decimum dicendum, quod rationes illas, de quibus Dionysius loquitur, intelligit
esse productivas existentium absolute, non solum autem eorum quae nunc sunt in
actu.
# 10. Denys comprend que ces raisons dont il parle sont productives
d'êtres dans l'absolu, mais pas seulement de ceux qui sont en acte maintenant.
q. 1 a. 5 ad 11 Ad
undecimum dicendum, quod in hac quaestione versatur, utrum eorum quae nec sunt,
nec erunt, nec fuerunt, quae tamen Deus facere potest, sit idea. Videtur
dicendum, quod si idea secundum completam rationem accipiatur, scilicet
secundum quod idea nominat formam artis, non solum intellectu excogitatam, sed
etiam per voluntatem ad opus ordinatam, sic praedicta non habent ideam; si vero
accipiatur secundum imperfectam rationem, prout scilicet est solum excogitata
in intellectu artificis, sic habent ideam. Patet enim in artifice creato quod
excogitat aliquas operationes quas nunquam operari intendit. In Deo vero
quidquid ipse cognoscit, est in eo per modum excogitati; cum in ipso non differat
cognoscere actu et habitu. Ipse enim novit totam potentiam suam, et quidquid
potest: unde omnium quae potest habet rationes quasi excogitatas.
# 11. Dans cette question, on cherche à savoir s'il y a une idée de ce
qui n'est pas, ne sera pas et n'a pas été, et que cependant Dieu peut réaliser.
Il semble qu'il faut dire que, si on conçoit l'idée, selon sa pleine acception,
c'est-à-dire selon que l'idée désigne une forme de l'art, non seulement pensée
par l'esprit, mais aussi ordonnée à l'oeuvre par la volonté, ce dont on parle
n'a pas d'idée, mais si on le prend selon une acception imparfaite dans la
mesure où elle est seulement pensée dans l'esprit de l'artisan, alors ce dont
on parle a une idée. Car on voit dans l'oeuvre créée qu'il invente des opérations
qu'il n'a jamais l'intention de faire. Mais ce qu'il connaît lui-même est en
lui par mode de pensée; puisqu'il n'y a pas en lui de différence entre
connaître en acte et en habitus. Car il connaît lui-même toute sa puissance, et
tout ce qu'il peut. C'est pourquoi il possède les raisons de tout ce qu'il
peut, en tant qu'elles sont pensées.
q. 1 a. 5 ad 12 Ad
duodecimum dicendum, quod intelligendum est hoc Deum non posse quod non vult se
posse: et sic non facit ad propositum.
# 12. Il faut comprendre que Dieu ne peut pas ce qu'il ne veut pas
pouvoir et c'est à dessein qu'il ne le fait pas.
q. 1 a. 5 ad 13 Ad
decimumtertium dicendum, quod licet Deus sit immutabilis, tamen eius voluntas
non est determinata ad unum in his quae facienda sunt: et ideo habet liberum
arbitrium.
# 13. Bien que Dieu soit immuable, cependant sa volonté n'est pas
déterminée à un seul objet parmi ce qu'il doit faire et c'est pourquoi il a le
libre arbitre.
q 1 a. 5 ad 14 Ad decimumquartum dicen. dum, quod optima ratio, qua
Deus omnia facit, est sua bonitas et sua sapientia: quae maneret, etiam si
alia, vel alio modo faceret.
# 14. La meilleure raison, par laquelle Dieu fait tout, c'est sa bonté
et sa sagesse, qui demeureraient même s'il faisait d'autres choses ou d'une
autre manière.
q. 1 a. 5 ad 15 Ad
decimumquintum dicendum, quod illud quod facit, est optimum per ordinem ad Dei
bonitatem: et ideo quidquid aliud est ordinabile ad eius bonitatem secundum
ordinem suae sapientiae, est optimum.
# 15. Ce que Dieu fait est le meilleur par rapport à sa bonté et c'est
pourquoi toute autre chose qui peut être ordonnée à sa bonté selon l'ordre de
sa sagesse est le meilleur.
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[1] Parall.: Ia, qu. 25, a. 5 –
CG. II, 23, 26-27 – III, 98 – I Sent. d43q2a2.
[2]
Parmi ces auteurs inconnus, il faut compter Avicenne.
[3]
Assimilation de la soumission à la sagesse à une nécessité de nature.
[4]
Le sens de ratio est proche de "idée". Il s'agit des idées divines.
Voir objection suivante.
[5]
Cf. Pot. 5, 1, obj. 14, où il précise que cet axiome vient du Timée.
[6]
Héraclite, les stoïciens, les Néoplatoniciens et quelques auteurs attachés au
déterminisme ou à l'optimisme. Il faut ajouter Avicenne.
[7]
On lit sur les mns Petro Almalareo. On peut vraisemblablement conjecturer qu'il
s'agit d'Abélard, car cela correspond à ce qu'il dit dans son Introduction à la
Théologie, III, 5. PL 178, 1096. Denz. 726.
[8]
Soit Dieu ne peut pas faire, ou il peut ne pas faire.
[9]
Pour certains, dont Avicenne, l'immutabilité entraîne la nécessité de nature.
Cf. ad 13.
q. 1 a. 6 tit. 1
Sexto quaeritur utrum Deus possit facere quae sunt aliis possibilia, ut
peccare, ambulare et huiusmodi. Et videtur quod sic.
Il semble que oui:
Objections[1]:
q. 1 a. 6 arg. 1
Quia Augustinus dicit, quod melior est natura quae potest peccare, quam quae
peccare non potest. Sed omne quod est optimum, est Deo attribuendum. Ergo Deus
potest peccare.
1. Parce que Augustin (Enchiridium,
105[2]) dit que meilleure est la nature qui peut pécher
que celle qui ne le peut pas[3]. Mais tout ce qui est le
meilleur doit être attribué à Dieu. Donc il peut pécher.
q. 1 a. 6 arg. 2
Praeterea, illud quod est laudabilitatis, non debet Deo subtrahi. Sed in laudem
viri dicitur Eccli. XXXI, 10: qui potuit transgredi et non est transgressus.
Ergo posse transgredi et non transgredi Deo debet attribui.
2. Ce qui est louable ne doit pas être retiré à Dieu. Mais à la louange
de l'homme, l'Ecclésiaste (Si 31, 10) dit: "Qui a pu pécher et n'a pas péché..."
Donc le pouvoir de pécher et ne pas pécher doit être attribué à Dieu.
q. 1 a. 6 arg. 3
Praeterea, philosophus dicit: potest Deus et studiosus prava agere. Ergo Deus
potest peccare.
3. Le Philosophe dit (Topique.
IV, 5, 126 a 37-39[4]): "Dieu peut et avec zèle faire de mauvaises actions". Donc Dieu
peut pécher.
q. 1 a. 6 arg. 4
Praeterea, quicumque consentit in peccatum mortale, peccat mortaliter. Sed
quicumque praecipit peccatum mortale, consentit, immo quodammodo principaliter
facit. Cum ergo Deus praeceperit peccatum mortale Abrahae, scilicet quod
interficeret filium innocentem; et Oseae, quo acciperet mulierem fornicariam,
et faceret ex ea filios fornicationis, et Semei, ut malediceret David, ut
habetur II Reg. XVI, 7, quem constat peccasse ex poena sibi inflicta III Reg.
II, 36, videtur quod ipse peccaverit mortaliter.
4. Quiconque consent à un péché mortel, pèche mortellement. Mais
quiconque l'ordonne consent; bien plus d'une certaine manière c'est surtout lui
qui l'accomplit. Donc, comme Dieu a ordonné un péché mortel à Abraham, à savoir
tuer son fils innocent; à Osée (Os.1,
2), de prendre pour épouse une prostituée et d'avoir d'elle des enfants de
prostitution et à Shimeï (II Sam. 16,
7) de maudire David, lequel est reconnu avoir péché vu le châtiment qui lui fut
infligé (I Rois 2, 36[5]),
il semble que Dieu a lui-même péché mortellement.
q. 1 a. 6 arg. 5
Praeterea, quicumque cooperatur peccanti mortaliter, ipse peccat mortaliter.
Sed Deus cooperatur peccanti mortaliter: ipse enim operatur in omni operatione,
et per consequens in omni eo qui mortaliter peccat. Ergo Deus peccat.
5. Quiconque coopère avec qui pèche mortellement, pèche mortellement
lui aussi. Mais Dieu coopère ainsi car il agit lui-même dans toute opération[6] et par conséquent dans tout homme qui pèche mortellement.
Donc Dieu pèche.
q. 1 a. 6 arg. 6
Praeterea, Augustinus dicit, quod Deus operatur in cordibus hominum, inclinando
voluntates eorum in quodcumque voluerit, sive in bonum, sive in malum. Sed inclinare voluntatem hominis in malum, est
peccatum. Ergo Deus peccat.
6. Augustin dit (De la grâce et
du libre arbitre, ch. 21), comme on le voit dans la glose, (Rm 1) que Dieu opère dans le coeur des
hommes, en inclinant leur volonté vers tout ce qu'il aura voulu, soit en bien,
soit en mal. Mais incliner la volonté de l'homme au mal est un péché. Donc Dieu
pèche.
q. 1 a. 6 arg. 7
Praeterea, homo factus est ad imaginem Dei, ut habetur Gen. I, 26. Sed quod
invenitur in imagine oportet inveniri in exemplari. Hominis autem voluntas est
ad utrumlibet. Ergo et voluntas Dei; et ita potest peccare et non peccare.
7. L'homme a été créé à l'image de Dieu (Gn. 1, 26). Mais ce qu'on trouve dans l'image, on doit le trouver
dans l'exemplaire[7]. Mais la volonté de l'homme penche
vers le bien et vers le mal. Donc la volonté de Dieu aussi. Et ainsi il peut
pécher et ne pas pécher.
q. 1 a. 6 arg. 8
Praeterea, quidquid potest virtus inferior, potest et superior. Sed homo cuius
virtus est inferior divina virtute, potest ambulare, peccare et alia huiusmodi
facere. Ergo et Deus.
8. Ce que peut un pouvoir inférieur, un pouvoir supérieur le peut aussi.
Mais l'homme dont le pouvoir est inférieur au pouvoir divin peut marcher,
pécher et accomplir d'autres actes de ce genre. Donc Dieu aussi.
q. 1 a. 6 arg. 9
Praeterea, tunc aliquis omittit quando non facit bona quae potest. Sed Deus
potest multa bona facere quae non facit. Ergo omittit, et ita peccat.
9. Quelqu'un commet une négligence, quand il ne fait pas le bien qu'il
peut faire. Mais Dieu peut faire beaucoup de bien qu'il ne fait pas. Donc, il
commet une négligence et ainsi il pèche.
q. 1 a. 6 arg. 10
Praeterea, quicumque potest prohibere peccatum et non prohibet, videtur
peccare. Sed Deus potest prohibere omnia peccata. Cum ergo non prohibeat,
videtur quod peccet.
10. Qui peut empêcher le péché et ne le fait pas, semble pécher. Mais
Dieu peut empêcher tous les péchés. Donc, comme il ne le fait pas, il semble
qu'il pèche.
q. 1 a. 6 arg. 11
Praeterea, Amos III, 6, habetur: non est malum in civitate quod Deus non
faciat. Hoc autem non potest intelligi de malo poenae: nam dicitur Sap. I, 13,
quod Deus mortem non fecit. Ergo oportet intelligi de malo culpae; et sic Deus
est auctor mali culpae.
11. On lit dans Amos ((3, 6[8]): "Il n'y a pas de mal dans la cité sans que
Dieu ne le fasse". Mais cela ne peut pas être compris du mal du châtiment.
Car il est dit (Sg 1, 13) que "Dieu n'a pas fait la mort". Donc il
faut le comprendre du mal de la faute et ainsi Dieu est l'auteur de ce mal.
En sens contraire:
q. 1 a. 6 s. c. 1
Sed contra. I Ioan. I, 5, dicitur: Deus lux est, et tenebrae in eo non sunt
ullae. Sed peccata sunt tenebrae spirituales. Ergo peccatum
in Deo esse non potest.
1. Il est dit en I Jean 1, 5
que "Dieu est lumière et il n'y a
pas de ténèbres en lui". Mais les péchés sont des ténèbres
spirituelles. Donc le péché ne peut pas exister en Dieu.
q. 1 a. 6 s. c. 2
Praeterea, princeps propriis legibus astrictus non tenetur. Sed omne peccatum
est contra legem divinam, ut Augustinus dicit. Ergo Deus peccato astringi non
potest.
2. Le prince n'est pas assujetti à ses propres lois. Mais tout péché
est contre la loi divine, comme Augustin le dit (Contre. Fauste, XXII, 27). Donc Dieu ne peut y être assujetti.
Réponse
q. 1 a. 6 co. Respondeo. Dicendum, quod sicut supra dictum est, Deum absolute aliquid
non posse dicitur dupliciter: uno modo ex parte voluntatis; alio modo ex parte
potentiae.
Comme on l'a indiqué ci-dessus, on dit que Dieu ne peut absolument pas
quelque chose, de deux manières: 1) du côté de sa volonté, 2) du côté de sa
puissance.
Ex parte siquidem voluntatis, Deus non potest facere quod
non potest velle. Cum autem nulla voluntas possit velle contrarium eius quod
naturaliter vult, sicut voluntas hominis non potest velle miseriam; constat
quod voluntas divina non potest velle contrarium suae bonitatis, quam
naturaliter vult. Peccatum autem est defectus quidam a divina bonitate: unde
Deus non potest velle peccare. Et ideo absolute concedendum est, quod Deus
peccare non potest.
1) Du côté de sa volonté:
Dieu ne peut pas faire ce qu'il ne peut pas vouloir. Puisque aucune volonté ne
peut vouloir le contraire de ce qu'elle veut naturellement, – ainsi la volonté
de l'homme ne peut pas vouloir le malheur –, il est clair que la volonté divine
ne peut vouloir le contraire de sa bonté qu'il veut naturellement. Mais le
péché est un manquement à la divine bonté; c'est pourquoi Dieu ne peut pas
vouloir pécher. Et c'est pourquoi il faut absolument concéder que Dieu ne peut
pas pécher.
Ex parte vero potentiae dicitur Deum non posse
aliquid, dupliciter: uno modo ratione ipsius potentiae; alio modo ratione
possibilis.
2) Du côté de sa puissance,
on dit que Dieu ne peut pas une chose pour deux raisons: a) en raison de la
puissance même; b) en raison de la possibilité.
Potentia siquidem eius quantum in se est, cum sit infinita,
in nullo deficiens invenitur quod ad potentiam pertineat. Sed quaedam sunt quae
secundum nomen potentiam important, quae secundum rem sunt potentiae defectus;
sicut multae negationes sunt, quae in affirmationibus includuntur; ut cum
dicitur posse deficere, videtur secundum modum loquendi, quaedam potentia
importari, cum magis potentiae defectus importetur. Et propter hoc potentia
aliqua dicitur esse perfecta, secundum philosophum, quando ista non potest. Sicut enim
illae affirmationes habent vim negationum secundum rem, ita istae negationes
habent vim affirmationum. Et propter hoc dicimus, Deum non posse deficere, et per consequens
non posse moveri (quia motus et defectus quamdam imperfectionem important) et
per consequens non posse eum ambulare, nec alios actus corporeos exercere, qui
sine motu non fiunt.
a) Sa puissance, quant à elle, étant infinie, on ne la
trouve défaillante en rien qui la concerne. Mais il y a des choses qui sous le
nom de puissance apportent ce qui en réalité est une défaillance de la
puissance. Ainsi il y a de nombreuses négations incluses dans les affirmations;
comme quand on dit 'pouvoir défaillir', il semble, selon la manière de parler,
qu'on apporte une puissance, alors que c'est plutôt sa défaillance. Et c'est
pour cela qu'on dit qu'une puissance est parfaite, selon le Philosophe (Métaphysique V, 17, 1021 b 25 ss.),
quand elle ne le peut pas. Car de même que ces affirmations ont force de
négation en réalité, ainsi ces négations ont force d'affirmation. Et c'est pour
cela que nous disons que Dieu ne peut pas avoir de défaillance et par
conséquent, ne peut être mû (parce que le mouvement et la défaillance apportent
une imperfection) et par conséquence, il ne peut pas marcher, ni accomplir
d'autres actes corporels qui ne se font pas sans mouvement[9].
Ratione vero possibilis dicitur Deum aliquid non posse
facere quia id contradictionem implicat, ut ex supra dictis, art. 5, patet; et
per hunc modum dicitur quod non potest facere alium Deum aequalem sibi.
Implicatur enim contradictio ex eo quod factum oportet esse in potentia aliquo
modo, cum recipiat esse ab alio, et sic non potest esse actus purus, quod est
proprium ipsius Dei.
b) En raison de la possibilité,
on dit que Dieu ne peut pas faire une chose parce qu'elle implique contradiction,
comme on l'a dit à l'article 5 et c'est pourquoi on dit qu'il ne peut faire un
autre Dieu égal à lui. Car cela implique contradiction: il faut que ce qui est
fait soit en puissance d'une certaine manière, puisqu'il reçoit l'être d'un
autre et ainsi il ne peut pas être acte pur, ce qui est le propre de Dieu
lui-même.
Solutions:
q. 1 a. 6 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod illa comparatio non est intelligenda universaliter,
sed solum inter hominem et animalia bruta.
# 1. Cette comparaison ne doit pas être comprise universellement, mais
seulement de l'homme et de l'animal.
q. 1 a. 6 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod id quod dicitur in laudem hominis non semper est
congruum laudi divinae, immo esset blasphemia; ut si dicerem Deum poenitere et
huiusmodi. Aliquid enim, ut dicit Dionysius est in inferiori natura laudabile
quod in superiori natura vituperatur.
# 2. Ce qu'on dit à la louange de l'homme ne convient pas toujours à la
louange divine. Bien plus ce serait un blasphème; ainsi si je disais que Dieu
se repend, etc.. Car, comme le dit Denys (Les
noms divins 4), est louable dans une nature inférieure ce qui est blâmé
dans une nature supérieure.
q. 1 a. 6 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod verbum philosophi est intelligendum sub conditione
voluntatis. Haec enim conditionalis est vera: Deus potest prava agere si vult:
nihil enim prohibet conditionalem esse veram, licet antecedens et consequens
sint impossibilia; ut patet in hac: si homo volat, habet alas.
# 3. Il faut comprendre le mot du Philosophe sous condition de volonté.
Car, si elle est conditionnelle, elle est vraie: Dieu peut commettre des choses
perverses s'il le veut: car rien n'empêche la condition d'être vraie, bien que
l'antécédent et la conséquence soient impossibles, comme cela paraît dans cet
exemple: si un homme vole, il a des ailes.
q. 1 a. 6 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod nihil prohibet aliquem actum qui in se esset peccatum
mortale, aliqua circumstantia addita fieri virtuosum: occidere enim hominem
absolute peccatum mortale est; sed ministro iudicis occidere hominem propter
iustitiam ex praecepto iudicis, non est peccatum, sed actus iustitiae. Sicut
autem princeps civitatis habet disponere de hominibus quantum ad vitam et
mortem, et alia quaecumque pertinent ad finem sui regiminis, qui est iustitia,
ita Deus habet omnia in sui dispositione dirigere ad finem sui regiminis quod
est eius bonitas. Et ideo licet occidere filium innocentem, de se possit esse
peccatum mortale, tamen si hoc fiat ex praecepto Dei propter finem quem Deus
praevidit et ordinavit, licet etiam sit homini ignotus, non est peccatum, sed
meritum. Et similiter etiam dicendum est de fornicatione Oseae, cum constet
Deum esse ordinatorem totius humanae generationis: quamvis quidam dicant, quod
hoc non acciderit secundum veritatem rei, sed secundum visionem prophetiae. De
praecepto autem Semei est dicendum aliter. Dicitur enim Deus dupliciter
praecipere.
# 4. Rien n'empêche qu'un acte qui serait en soi un péché mortel, si on
ajoute les circonstances, ne devienne vertueux; car tuer un homme est
absolument un péché mortel; mais pour l'assistant du juge tuer un homme à cause
de la justice et sur l'ordre du juge, ce n'est pas un péché, mais un acte de
justice. De même que le prince d'une cité doit disposer des hommes à la vie et
à la mort, et [prendre] d'autres décisions qui concernent le but de son
gouvernement, qui est la justice; de même Dieu a tout à sa disposition pour
parvenir à la finalité de son gouvernement qui est sa bonté. Et c'est pourquoi,
bien que tuer son fils innocent puisse être en soi un péché mortel, cependant
si cela se fait sur l'ordre de Dieu en vue d'une fin qu'il a lui-même prévue et
ordonnée, même si elle est ignorée de l'homme, ce n'est pas un péché mais un
mérite. Et il faut parler de la fornication d'Osée de la même manière, puisque
il est clair que Dieu est celui qui ordonne toute la génération humaine.
Cependant certains disent que cela ne serait pas arrivé en réalité mais selon
une vision prophétique. Pour ce qui est prescrit à Shiméï, il faut parler
autrement. Car on dit que Dieu donne ses prescriptions de deux manières:
Uno modo loquendo spiritualiter vel corporaliter per
substantiam creatam; et sic praecepit Abrahae et prophetis.
Alio modo inclinando, sicut dicitur praecepisse vermi ut
comederet hederam, Ionae I. Et per hunc modum praecepit Semei ut malediceret
David, in quantum cor eius inclinavit; et hoc per modum qui infra in solutione
ad sextum, dicetur.
a) La première, en parlant spirituellement ou corporellement par une
substance créée, et ainsi il commande à Abraham et aux prophètes.
b) En inclinant: ainsi on dit qu'il prescrivit aux vers de manger le
lierre (Jonas 4, 7). Et de cette même
manière il prescrivit à Shimeï de maudire David, dans la mesure où il y inclina
son coeur et par le moyen signalé ci-dessous, à la solution six.
q. 1 a. 6 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod operatio peccati, quantum ad id quod habet de entitate
et actualitate, refertur in Deum sicut in causam; quantum vero ad id quod habet
de deformitate peccati, refertur in liberum arbitrium, non in Deum; sicut
quidquid motus est in claudicatione, est a virtute gressiva; deformitas autem
eius est a curvitate cruris.
# 5. L'action pécheresse quant à ce qui concerne son entité et son
actualité, se réfère à Dieu comme à sa cause; mais on rapporte l'infamie du
péché au libre arbitre, non à Dieu; ainsi tout mouvement dans la claudication
vient du pouvoir de marcher, mais la difformité vient de la courbure de la
jambe.
q. 1 a. 6 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod Deus non dicitur inclinare voluntates hominum in malum,
immittendo malitiam, vel ad malitiam commovendo; sed permittendo et ordinando,
ut videlicet qui crudelitatem exercere consentiunt, in illos exerceant quos
dignos Deus iudicat.
# 6. On ne dit pas que Dieu incline la volonté de l'homme au mal, en
envoyant la malice ou en les y incitant, mais en permettant et en ordonnant;
pour qu'assurément ceux qui consentent à exercer la cruauté, l'exercent contre
ceux que Dieu en juge dignes.
q. 1 a. 6 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod non est necessarium, quidquid in homine invenitur,
quamvis sit ad imaginem Dei, in Deo inveniri; et tamen in proposito voluntas
Dei est ad utrumlibet, quia non est ad unum obiectum determinata. Potest enim
hoc facere vel non facere, aut facere hoc vel illud: non tamen sequitur quod
aliquid istorum possit male facere, quod est peccare.
# 7. Il n'est pas nécessaire que ce qu'on trouve dans l'homme, quoique
qu'il soit à l'image de Dieu, se retrouve en Dieu et cependant dans le propos,
la volonté de Dieu concerne deux aspects, parce qu'elle n'est pas déterminée à
un seul objet. Car il peut faire ou ne pas faire, faire ceci ou cela; cependant
il n'en découle pas qu'il puisse mal faire l'une d'elle, ce qui est pécher.
q. 1 a. 6 ad 8 Ad octavum dicendum, quod
obiectio illa tenet in his quae pertinent ad potestatis perfectionem, non autem
in his quae important potestatis defectum.
# 8. Cette objection tient à ce qui concerne la perfection de la
puissance, mais non à ce qui en cause la défaillance.
q. 1 a. 6 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod licet Deus possit multa bona facere quae non facit, non
tamen omittit: quia non debet illa facere, quod requiritur ad rationem
omissionis.
# 9. Bien que Dieu puisse faire beaucoup de bien qu'il ne fait pas,
cependant il ne commet pas d'omission, parce qu'il ne doit pas le faire,
condition requise pour définir une omission.
q. 1 a. 6 ad 10 Et
similiter dicendum est ad decimum; nam non est reus peccati qui peccatum non
impedit nisi quando impedire debet.
# 10. Ici il faut dire la même chose, car celui qui n'empêche pas un
péché n'est coupable de péché que quand il doit l'empêcher .
q. 1
a. 6 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod verbum Amos intelligitur de malo poenae.
Quod autem dicitur Sap. I, 13: Deus mortem non fecit intelligitur quantum ad
ipsam causam mortis, quae est meritum culpae, vel quantum ad primam naturae
institutionem, qua fecit hominem suo modo immortalem.
# 11. Le mot d'Amos est à comprendre comme la peine du châtiment. Ce
qui est dit en Sagesse (1, 13): "Dieu n'a pas fait la mort" est
compris quant à la cause même de la mort, qui est la conséquence de la faute;
ou quant à la première institution de la nature, par laquelle il rendit l'homme
immortel à sa manière.
[1] Parall.: C. G. II, 25 – I Sent. d4q2a1 – Ia, q.
25, a. 3, ad 2.
[2]
"Mais il ne fallait pas renoncer à l'ordre d'après lequel Dieu voulait
faire voir quel bien représente cet animal raisonnable qui est même capable de
ne pas pécher, bien qu'il fût mieux encore (pour lui) d'être incapable de
pécher." BA. 9, trad. J. Rivière. Le traducteur note que "beaucoup
d'éditions anciennement omettent la négation. Mais elle figure dans les
manuscrits et d'ailleurs est indispensable au sens".
[3]
Ce qui peut pécher est doué de raison.
[4]
"...puisque même Dieu et l'honnête homme ont la capacité de faire de
mauvaises actions, et pourtant ce n'est pas leur caractère..." (Trad. J.
Tricot)
[5]
Il fut tué sur ordre de Salomon pour ne pas avoir obéi à son ordre de ne pas
quitter Jérusalem.
[6]
Cette notion, le concours divin, sera expliquée longuement en Pot. qu. 3, a. 7.
[7]
A comprendre comme un modèle.
[8]
"Arrive-t-il un malheur dans une ville sans que Yahvé en soit l'auteur?"
(B.J.)
[9]
Il y a deux sortes de mouvements: le mouvement physique, imparfait (parce
qu'inachevé), et le mouvement parfait qui est le propre du vivant: la chose se
meut elle-même. La sensation et l'intellection sont des mouvements parfaits
considérés comme d'une autre espèce par Aristote (De anima, III, 7, 431 a 5 ss.); le mouvement a été défini comme
l'acte de ce qui est inachevé, tandis que l'acte au sens absolu est différent (Pot. qu. 10, a. 1, c.).
q. 1 a. 7 tit. 1
Septimo quaeritur quare Deus dicatur omnipotens. Et videtur quod dicatur
omnipotens quia simpliciter omnia possit.
On le dit tout puissant, semble-t-il, parce qu'il peut absolument tout.
Objections[1]:
q. 1 a. 7 arg. 1
Sicut enim Deus dicitur omnipotens, ita dicitur omnisciens. Sed dicitur
omnisciens, quia simpliciter omnia scit. Ergo et omnipotens dicitur, quia
simpliciter omnia potest.
1. Car de même qu'on dit Dieu tout-puissant, on le dit omniscient. Mais
on le dit omniscient parce qu'il connaît absolument tout. Donc on le dit tout
puissant parce qu'il peut absolument tout.
q. 1 a. 7 arg. 2
Praeterea, si non ideo dicatur omnipotens quia simpliciter omnia possit, tunc
haec distributio importata, non est absoluta, sed accommodata. Talis autem
distributio non est universalis, sed determinatur ad aliquid. Ergo divina
potentia esset ad aliquid determinata, et non esset infinita.
2. Si on ne le dit pas tout puissant parce qu'il pourrait absolument
tout, alors cette attribution ajoutée n'est pas absolue, mais appropriée. Or
une telle attribution n'est pas universelle, elle est limitée à un objet. Donc
la puissance divine serait limitée à un objet et ne serait pas infinie.
Sed contra, Deus non potest facere, sicut dictum est, art. 3
et 5, ut affirmatio et negatio sint simul vera; nec potest peccare nec mori.
Haec autem includuntur in hac distributione, si absolute sumatur. Ergo non
debet absolute sumi; et ita Deus non potest dici omnipotens quia omnia possit
absolute.
En sens contraire: Dieu ne peut pas faire, comme on l'a dit, aux
articles 3 et 5, que l'affirmation et la négation soient vraies en même temps;
et il ne peut pas pécher ni mourir. Cela est inclus dans cette attribution, si
elle est prise dans l'absolu. Donc elle ne doit pas être prise dans l'absolu,
et ainsi on ne peut pas dire que Dieu soit tout-puissant parce qu'il peut absolument
tout.
q. 1 a. 7 arg. 3
Item videtur quod dicatur omnipotens quia potest omnia quae vult: dicit enim
Augustinus in Enchiridion: non ob
aliud vocatur omnipotens, nisi quia quidquid vult, potest.
3. Il semble qu'on le dit tout-puissant "parce qu'il peut tout ce
qu'il veut". Car Augustin dit (Enchiridion
ch. 96): "Il n'est appelé tout-puissant pour rien d'autre sinon qu'il peut
tout ce qu'il veut".
Sed contra, beati possunt quidquid volunt: aliter voluntas
eorum non esset perfecta. Non tamen dicuntur omnipotentes. Ergo hoc non
sufficit ad rationem omnipotentiae, quod Deus possit quidquid vult. Praeterea,
voluntas sapientis non est de impossibili: unde nullus sapiens vult nisi quod
potest; nec tamen quilibet sapiens est omnipotens. Ergo idem quod prius.
En sens contraire: Les bienheureux peuvent ce qu'ils veulent,
autrement leur volonté ne serait pas parfaite[2].
Cependant on ne dit pas qu'ils sont tout-puissants. Donc cela ne suffit pas à
la nature de la toute-puissance, que Dieu puisse tout ce qu'il veut. En plus la
volonté du sage ne concerne pas l'impossible. C'est pourquoi aucun sage ne veut
que ce qu'il peut; et cependant n'importe quel sage n'est pas tout-puissant.
Donc de même que ci-dessus.
q. 1 a. 7 arg. 4
Item videtur quod dicatur omnipotens, quia possit omnia possibilia. Dicitur
enim omnisciens, quia scit omnia scibilia. Ergo pari ratione dicitur
omnipotens, quia potest omnia possibilia.
4. Il semble qu'on l'appelle tout-puissant "parce qu'il peut tout
ce qui est possible". On l'appelle en effet omniscient, parce qu'il
connaît tout ce qui peut être connu. Donc à raison égale, on l'appelle
tout-puissant parce qu'il peut tout ce qui est possible.
Sed contra, si dicitur omnipotens quia potest omnia
possibilia; aut hoc est quia potest omnia possibilia sibi, aut quia potest
omnia possibilia naturae. Si quia potest omnia possibilia naturae, tunc eius
omnipotentia naturae potentiam non excedit; quod est absurdum. Si vero quia
potest omnia possibilia sibi, tunc pari ratione quilibet dicetur omnipotens,
quia quilibet potest omnia possibilia sibi. Et praeterea est ibi quaedam
expositio per circumlocutionem, quae non est conveniens.
En sens contraire: si on l'appelle tout-puissant parce qu'il peut
tout ce qui est possible, ou bien c'est parce qu'il peut tout ce qui est
possible pour lui, ou parce qu'il peut tout ce qui est possible à la nature. Si
c'est parce qu'il peut tout ce qui est possible à la nature, alors sa
toute-puissance n'excède pas la puissance de la nature, ce qui est absurde.
Mais si c'est parce qu'il peut tout ce qui est possible pour lui, alors à
raison égale, n'importe qui est appelé tout-puissant parce qu'il peut ce qui
est possible pour lui. Et en plus il y a là une exposition par une
circonlocution qui ne convient pas.
q. 1 a. 7 arg. 5
Item quaeritur quare Deus dicitur omnipotens et omnisciens, et non omnivolens.
5. De même, on cherche pourquoi Dieu est appelé celui qui peut tout,
qui sait tout et pas celui qui veut tout.
Réponse.
q.
1 a. 7 co. Respondeo. Dicendum, quod quidam volentes rationem
omnipotentiae assignare, quaedam acceperunt quae ad rationem omnipotentiae non
pertinent, sed magis sunt causa omnipotentiae, vel pertinentia ad perfectionem
omnipotentiae, vel pertinentia ad rationem potentiae, vel ad modum habendi
potentiam.
Certains voulant assigner une définition à la toute-puissance ont
accepté des notions qui ne conviennent pas à sa définition; mais qui en sont
plutôt la cause ou ce qui appartient à la perfection de la toute puissance ou à
celle de la puissance ou à son mode de possession.
Quidam enim dixerunt, quod ideo Deus est omnipotens, quia
habet potentiam infinitam. Qui non dicunt rationem omnipotentiae, sed causam;
sicut anima rationalis est causa hominis, sed non est eius definitio. Quidam
vero ideo dixerunt Deum omnipotentem, quia non potest aliquid pati nec potest
deficere, nec aliquid potest in ipsum, et alia huiusmodi, quae ad perfectionem
potentiae pertinent.
Certains, en effet, ont dit que Dieu est tout-puissant, parce qu'il a
une puissance infinie. Ils n'en donnent pas la raison mais la cause; ainsi
l'âme raisonnable est cause de l'homme, mais ce n'est pas sa définition.
Certains aussi ont dit que Dieu est tout-puissant, parce qu'il ne peut rien
subir, ni être défaillant et il ne peut rien en lui ni autres choses de ce
genre qui concernent la perfection de sa puissance.
Quidam etiam dixerunt, quod ideo dicitur omnipotens, quia
potest quidquid vult; et hoc habet a se et per se; quod pertinet ad modum
habendi potentiam.
Certains même ont dit qu'on l'appelle tout-puissant parce qu'il peut
tout ce qu'il veut, et cela il l'a de lui et par lui, ce qui concerne sa
manière de posséder la puissance.
Hae autem rationes omnes ideo sunt insufficientes, quia
praetermittunt rationes operationum ad obiecta, quas implicat omnipotentia. Et
ideo dicendum est, quod accipienda est aliqua trium viarum quae tactae sunt in
obiiciendo, et dicunt comparationem ad obiecta.
Mais toutes ces raisons sont insuffisantes, parce qu'elles omettent les
raisons des opérations pour les objets qu'implique la toute-puissance. Et c'est
pourquoi on doit dire qu'il faut accepter l'une des trois voies qui ont été
avancées en objections et qui apportent une comparaison avec les objets.
Dicendum ergo est, quod, sicut supra dictum est, potentia
Dei, quantum est de se, ad omnia illa obiecta se extendit quae contradictionem
non implicant. Nec etiam instantia de illis est quae defectum important, vel
corporalem motum; quia posse ea, Deo est non posse. Ea vero quae
contradictionem implicant Deus non potest; quae quidem sunt impossibilia
secundum se. Relinquitur ergo quod Dei potentia ad ea se extendat quae sunt possibilia
secundum se. Haec autem sunt quae contradictionem non implicant. Constat ergo
quod Deus ideo dicitur omnipotens quia potest omnia quae sunt possibilia
secundum se.
Il faut donc dire, comme on l'a dit plus haut, que la puissance de
Dieu, quant à elle, s'étend à tout ces objets qui n'impliquent pas
contradiction. Et cela ne concerne pas ce qui apporte une défaillance ou un mouvement
corporel, parce que ce pouvoir, Dieu ne l'a pas. Ce qui implique une
contradiction Dieu ne le peut pas; cela est impossible en soi. Donc il reste
que la puissance de Dieu s'étend à ce qui est possible en soi. C'est ce qui
n'implique pas contradiction. Donc il est clair qu'on dit que Dieu est
tout-puissant parce qu'il peut tout ce qui est possible en soi[3].
Solutions
q. 1 a. 7 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod Deus dicitur omnisciens quia scit omnia scibilia;
falsa autem, quae non sunt scibilia, nescit. Impossibilia autem secundum se
comparantur ad potentiam sicut falsa ad scientiam.
# 1. Dieu est appelé omniscient parce qu'il connaît tout ce qui peut
être connu; il ignore l'erreur qui n'est pas connaissable. Ce qui est impossible
en soi est comparé pour la puissance à l'erreur pour la science.
q. 1 a. 7 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod ratio illa procederet, si distributio terminaretur
infra genus possibilium hoc modo quod non se extenderet ad omnia possibilia.
# 2. Cette raison conviendrait si l'attribution se terminait à
l'intérieur du genre des possibles; de telle manière qu'elle ne s'étendrait pas
à tous les possibles.
Ad illud quod quaeritur de alia ratione omnipotentiae,
dicendum, quod posse quidquid vult facere non est sufficiens ratio
omnipotentiae, sed est sufficiens signum omnipotentiae; et sic intelligendum
est verbum Augustini.
Pour ce qu'on cherche au sujet de l'autre raison de la toute-puissance,
il faut dire que pouvoir ce qu'on veut faire n'est pas une raison suffisante de
toute puissance, mais en est un signe suffisant. C'est ainsi qu'il faut
comprendre la parole d'Augustin.
q. 1 a. 7 ad 3 Ad
illud quod arguitur de tertia ratione, dicendum, quod Deus dicitur omnipotens,
quia potest omnia possibilia absolute; et ideo obiectio non recte procedit de
possibilibus Deo vel naturae.
# Pour le troisième argument, il faut dire qu'on appelle Dieu le
tout-puissant, parce qu'il peut absolument tout ce qui est possible et c'est
pourquoi l'objection ne procède pas correctement[4]
ce qui possible pour Dieu ou pour la nature.
q. 1 a. 7 ad 5 Ad
illud quod ultimo quaeritur, dicendum, quod in his quae aguntur per voluntatem,
ut dicitur IX Metaph., potentia et scientia determinantur ad opus per
voluntatem; et ideo scientia et potentia in Deo quasi non determinata
universaliter pronuntiantur, ut cum dicitur omnisciens vel omnipotens, sed
voluntas quae determinat, non potest esse omnium, sed eorum tantum ad quae
potentiam et scientiam determinat; et ideo Deus non potest dici omnivolens.
# 5. Pour ce qu'on cherche à la dernière objection, il faut dire que
dans ce qui est fait par volonté, comme il est dit (Métaphysique IX, 5, 1048 a 10), la puissance et la connaissance
sont limitées à une oeuvre par la volonté; et c'est pourquoi la science et la
puissance sont annoncées en Dieu comme non limitées universellement, comme
quand on le dit omniscient ou tout puissant, mais la volonté qui limite ne peut
pas être pour tout, mais seulement pour ce à quoi elle limite sa puissance et
sa connaissance et c'est pourquoi on ne peut pas dire que Dieu veuille tout.
[1] Parall.: Ia, qu. 25, a. 3 - IIIa,
13, 1 – CG. II, 22, 25 – I Sent.
d42q2a2 – III Sent. d1q2a3 – Pot. 5, 3 – Qudl III, qu. 1, a. 1 – XII, qu. 2, a.
1 – Éth.,V, lectio 2.
[2]
"En effet, si tu dis qu'il est appelé tout-puissant parce qu'il peut tout
ce qu'il veut pouvoir, Pierre aussi peut de même être dit tout-puissant (ou n'importe
lequel des saints bienheureux) car il peut tout ce qu'il veut pouvoir, et il
peut faire tout ce qu'il veut faire." Pierre Lombard, I Sent. d42, ch. 3,
4.
[3]
La nuance est minime entre tout ce qui est possible en soi et ce qui est
possible pour lui (obj. 4). La grammaire du reste permet les deux traductions:
possible en soi, possible pour lui.
[4]
Elle ne tient pas compte de ce qui est impossible.
q. 2 pr. 1 Et primo
quaeritur utrum in divinis sit generativa potentia.
1. Y a-t-il une puissance générative en Dieu?
q. 2 pr. 2 Secundo
utrum potentia generativa in divinis dicatur essentialiter vel notionaliter.
2. Parle-t-on de la puissance générative en Dieu selon l'essence ou la
notion?
q. 2 pr. 3 Tertio
utrum potentia generativa in actum generationis procedat per imperium
voluntatis.
3. La puissance générative en son acte dépend-elle par le pouvoir de la
volonté?
q. 2 pr. 4 Quarto
utrum in divinis possint esse plures filii.
4. En Dieu peut-il y avoir plusieurs fils?
q. 2 pr. 5 Quinto
utrum potentia generandi sub omnipotentia comprehendatur.
5. La puissance d'engendrer est-elle incluse dans la toute puissance?
q. 2 pr. 6 Sexto
utrum potentia generandi et potentia creandi sint idem.
6. La puissance d'engendrer et celle de créer sont-elles une même
puissance?
q. 2 a. 1 tit. 1 Et
primo quaeritur utrum in divinis sit potentia generativa. Et videtur quod non.
Il semble que non[1]:
Objections.
q. 2 a. 1 arg. 1
Omnis enim potentia vel est activa vel passiva. Sed in divinis non potest esse
potentia passiva aliqua; nec ibi generativa potentia potest esse activa; quia
sic filius esset actus vel factus, quod est contra fidem. Ergo in divinis non
est potentia generativa.
1. Car toute puissance est active ou passive. Mais en Dieu il ne peut
pas y avoir de puissance passive, et la puissance générative ne peut pas y être
active, parce que le Fils de Dieu serait un acte ou un produit[2]; ce qui est
contre la foi. Donc, en Dieu, il n'y a pas de puissance générative.
q. 2 a. 1 arg. 2
Praeterea, secundum philosophum, cuius est potentia, eius est actio. Sed generatio non est in divinis. Ergo nec generativa potentia. Probatio
mediae. Ubicumque est generatio ibi est communicatio naturae, et receptio
eiusdem. Sed cum recipere sit materiae, vel passivae potentiae, quae in divinis
non est, receptio Deo competere non potest. Ergo in divinis non potest esse
generatio.
2. Selon le philosophe (Le Sommeil et Veille ch.1), l'action vient de
celui qui a la puissance [1]. Mais il n'y a pas de génération en Dieu [2]. Donc
pas de puissance générative [3]. Preuve intermédiaire[3]: Partout où il y a
génération, il y a communication d'une nature et sa réception. Mais comme
recevoir est propre à la matière ou à la puissance passive, qui (toutes deux)
n'existent pas en Dieu, la réception ne peut lui convenir. Donc en Dieu il ne
peut pas y avoir de génération.
q. 2 a. 1 arg. 3
Praeterea, generans oportet esse distinctum a genito. Non autem secundum illud
quod generans communicat genito, quia in hoc potius conveniunt. Ergo debet esse
in genito aliquid aliud ab eo quod est sibi per generationem communicatum; et
ita oportet omne genitum esse compositum, ut videtur. In divinis autem non est
aliqua compositio. Ergo non potest esse genitus Deus; et sic non est ibi
generatio; et ita ut prius.
3. L'engendeur doit être distinct de l'engendré. Mais pas sur ce que
communique l'engendreur à l'engendré, parce que c'est en cela qu'ils se
rencontrent le plus. Donc il doit y avoir dans l'engendré quelque chose d'autre
que ce qui lui est communiqué par génération; et ainsi il faut, comme on le
voit, que tout ce qui est engendré soit composé. Mais en Dieu il n'y a pas de
composition. Donc il ne peut y avoir un Dieu engendré; et ainsi il n'y a pas de
génération. Et de même que ci-dessus.
q. 2 a. 1 arg. 4
Praeterea, nihil imperfectionis est Deo attribuendum. Sed omnis potentia respectu sui actus, imperfecta est, tam activa quam
passiva. Ergo potentia generativa in Deo ponenda non est.
4. Il ne faut rien attribuer d'imparfait à Dieu[4]; mais toute
puissance, tant active que passive, est imparfaite par rapport à son acte[5].
Donc on ne doit pas attribuer de puissance générative à Dieu.
q. 2 a. 1 arg. 5 Sed
dicit respondens, quod hoc est verum de potentia non coniuncta actui.- Sed
contra, omne quod perficitur per alterum est minus perfectum eo per quod
perficitur. Sed potentia coniuncta actui perficitur per actum. Ergo actus est
ea perfectior; et sic etiam potentia actui coniuncta, respectu actus,
imperfecta est.
5. Mais celui qui répond dit que c'est vrai de la puissance qui n'est
pas jointe à un acte l'acte – Mais en sens contraire, tout ce qui est achevé
par un autre est moins parfait que ce par quoi il est achevé. Mais la puissance
jointe à l'acte est achevée par lui. Donc l'acte est plus parfait qu'elle, et
ainsi même la puissance jointe à l'acte, par rapport à lui, est imparfaite.
q. 2
a. 1 arg. 6 Praeterea, natura divina est efficacior in agendo quam natura
creata. Sed in creaturis invenitur natura aliqua quae non operatur per aliquam
potentiam mediam sed per se ipsam, sicut sol illuminat aerem et anima vivificat
corpus. Ergo multo fortius divina natura non per aliquam potentiam, sed per se
ipsam est principium generationis; et ita in divinis non est ponenda potentia
generativa.
6. La nature divine est plus efficace en agissant que la nature créée.
Mais on trouve dans les créatures une nature qui n'opère pas par une puissance
intermédiaire mais par elle-même; ainsi le soleil illumine l'air et l'âme donne
vie au corps. Donc la nature divine, beaucoup plus intensément est principe de
génération, non pas par quelque puissance, mais par elle-même, et ainsi il ne
faut pas placer en Dieu de puissance générative.
q. 2 a. 1 arg. 7
Praeterea, generativa potentia aut attestatur dignitati aut indignitati. Non
autem attestatur dignitati, quia sic in superioribus creaturis esset magis quam
in infimis, scilicet in Angelis et caelestibus corporibus magis vel potius quam
in animalibus et in plantis. Ergo attestatur indignitati, et sic non est in Deo
ponenda.
7. La puissance générative révèle sa dignité ou son indignité. Mais
elle ne révèle pas sa dignité, sinon elle serait plus dans les créatures
supérieures que dans les créatures inférieures, c'est-à-dire dans les anges et
les corps célestes, plus ou mieux que dans les animaux et les plantes. Donc
elle révèle son indignité et il ne faut pas la placer en Dieu.
q. 2 a. 1 arg. 8 Praeterea, in rebus
inferioribus duplex invenitur generativa potentia: scilicet completa ut in his
quorum generatio est per sexuum commixtionem; et incompleta quae est sine
sexuum commixtione ut in plantis. Cum ergo completa Deo non attribuatur, quia
non potest poni in divinis sexuum commixtio, videtur quod nullo modo sit ibi
potentia generativa.
8. Dans les êtres inférieurs, on trouve deux sortes de puissance
générative; à savoir une puissance complète, comme dans ceux dont la génération
s'accomplit par union des sexes; et incomplète, sans union des sexes comme dans
les plantes. Donc, comme la génération complète n'est pas attribuée à Dieu,
parce qu'il n'est pas possible de placer en lui l'union des sexes, on voit bien
qu'en aucune manière il n'y a en lui de puissance générative.
q. 2 a. 1 arg. 9
Praeterea, sub potentia non cadit nisi possibile, cum potentia respectu
possibilis dicatur. Sed generationem esse in divinis, non est possibile vel
contingens, cum sit aeternum. Ergo respectu eius, potentia in divinis dici non
potest; et sic non est ibi generativa potentia.
9. Sous la puissance ne tombe que le possible, puisqu'on dit que la
puissance est en rapport avec lui[6]. Mais qu'il y ait de la génération en Dieu
n'est ni possible, ni contingent, puisqu'il est éternel. Donc on ne peut parler
de puissance en rapport avec lui et ainsi il n'y a pas de puissance générative
en lui.
q. 2 a. 1 arg. 10
Praeterea, potentia Dei cum sit infinita, non finitur neque ad actum neque ad
obiectum. Sed si sit in Deo potentia generativa, eius actus erit generatio,
effectus vero filius. Ergo potentia patris non se habebit tantum ad unum filium
generandum, sed ad plures; quod est absurdum.
10. Comme la puissance de Dieu est infinie, elle ne se termine ni à
l'acte, ni à l'objet. Mais s'il y a en Dieu une puissance générative, son
action sera la génération, et son effet un fils. Donc la puissance du Père ne
consistera pas à engendrer seulement un fils, mais plusieurs, ce qui est
absurde.
q. 2 a. 1 arg. 11 Praeterea,
secundum Avicennam quando res aliqua habet aliquid tantum ab altero, ei
secundum se consideratae attribuitur oppositum eius, sicut aer qui non habet
lumen nisi ab alio secundum se consideratus est tenebrosus, et per hunc modum
omnes creaturae, quae habent ab alio esse, veritatem et necessitatem, secundum
se consideratae, sunt non entes, falsae et impossibiles. Sed nihil tale potest
esse in divinis. Ergo non potest ibi esse aliquis qui tantum habeat esse ab
altero; et ita non potest ibi esse aliquis genitus; et per consequens nec
generatio nec generativa potentia.
11. Selon Avicenne[7], quand une chose ne possède quelque chose que
d'une autre, c'est son contraire qui lui est attribué[8], considérée en soi;
ainsi l'air sans lumière, à moins de la recevoir d'une autre chose, considéré
en soi, est ténébreux et de cette manière toutes les créatures qui tiennent
d'un autre l'être, la vérité et la nécessité, considérées en soi, sont des non
étants, des créatures fausses et impossibles. Mais il ne peut y avoir rien de
tel en Dieu. Donc il ne peut y avoir en lui quelqu'un qui tienne son être
seulement d'un autre, et ainsi il ne peut y avoir quelqu'un d'engendré, et par
conséquent ni génération, ni puissance générative.
q. 2 a. 1 arg. 12
Praeterea, in divinis filius non habet aliquid nisi quod a patre accipit;
aliter sequeretur quod esset ibi compositio. Sed a patre accepit essentiam.
Ergo in filio non est nisi essentia. Si ergo est ibi generatio, vel filius est
genitus, oportebit essentiam esse genitam; quod est falsum, quia sic essentia
distingueretur in divinis.
12. En Dieu, le Fils n'a rien d'autre que ce qu'il reçoit du Père,
autrement il s'ensuivrait qu'il y aurait composition. Mais du Père il a reçu
l'essence. Donc en lui, il n'y a que l'essence. Si donc il y a génération, ou
si le Fils est engendré, il faudra que l'essence soit engendrée, ce qui est
faux, parce qu'ainsi elle serait différente.
q. 2 a. 1 arg. 13
Praeterea, si pater generat in divinis, oportet quod ei conveniat secundum suam
naturam. Sed eadem est natura in patre et filio et spiritu sancto. Ergo eadem
ratione et filius et spiritus sanctus generabunt; quod est contra fidei
documenta.
13. Si, en Dieu, le Père engendre, il faut que cela convienne à sa
nature. Mais la nature est identique dans le Père, le Fils et l'Esprit Saint.
Donc pour la même raison, le Fils et l'Esprit Saint engendreront, ce qui est
contre les dogmes de la foi.
q. 2 a. 1 arg. 14
Praeterea, natura quae perpetuo et perfecte in uno supposito invenitur, non
communicatur alteri supposito. Sed natura divina perfecte invenitur in patre,
et perpetuo, cum sit incorruptibilis. Ergo alteri supposito non communicatur;
et ita non est ibi generatio.
14. La nature qui se trouve de façon perpétuelle et parfaitement dans
un suppôt unique, n'est pas communiquée à un autre. Mais la nature divine se
trouve parfaitement dans le Père, et perpétuellement, puisqu'elle est
incorruptible. Donc elle n'est pas communiquée à un autre suppôt et ainsi il
n'y a pas là de génération.
q. 2 a. 1 arg. 15 Praeterea,
generatio est species mutationis. Sed in divinis non est aliqua mutatio. Ergo
nec generatio: ergo nec generativa potentia.
15. La génération est une espèce de changement. Mais en Dieu il n'y pas
de changement: donc pas de génération, donc pas de puissance générative.
En sens contraire:
q. 2 a. 1 s. c. 1
Sed contra. Secundum philosophum perfectum unumquodque est quando potest
alterum tale facere quale ipsum est. Sed Deus pater est perfectus. Ergo potest
alterum talem facere qualis ipse est; et sic potest filium generare.
1. Selon le philosophe (Métaphysique,
V, 16, 1022 a 2[9]) un être est parfait quand il peut faire un autre tel que
lui. Mais Dieu le Père est parfait. Donc il peut faire une autre tel que lui et
ainsi il peut engendrer un Fils.
q. 2 a. 1 s. c. 2
Praeterea, Augustinus dicit quod si pater generare non potuit, impotens fuit.
Sed in Deo nullo modo est impotentia. Ergo potuit generare: et sic est ibi
potentia generandi.
2. Augustin (Contre Maximinien, III,
ch. 7[10]) dit que, si le Père n'a pu engendrer, il a été impuissant. Mais, en
Dieu, il n'y a absolument pas d'impuissance. Donc il a pu engendrer et ainsi il
a la puissance d'engendrer.
Réponse
q. 2 a. 1 co.
Respondeo. Dicendum, quod natura cuiuslibet actus est, quod seipsum communicet
quantum possibile est. Unde unumquodque agens agit secundum quod in actu est.
Agere vero nihil aliud est quam communicare illud per quod agens est actu,
secundum quod est possibile. Natura autem divina maxime et purissime actus est.
Unde et ipsa seipsam communicat quantum possibile est. Communicat autem se
ipsam per solam similitudinem creaturis, quod omnibus patet; nam quaelibet
creatura est ens secundum similitudinem ad ipsam. Sed fides Catholica etiam
alium modum communicationis ipsius ponit, prout ipsamet communicatur
communicatione quasi naturali: ut sicut ille cui communicatur humanitas, est
homo, ita ille cui communicatur deitas, non solum sit Deo similis, sed vere sit
Deus.
Il est de la nature de n'importe quel acte de se communiquer autant que
possible. C'est pourquoi chaque agent agit selon qu'il est en acte. Mais agir
n'est rien d'autre que communiquer ce par quoi l'agent est acte, dans la mesure
du possible. Mais la nature divine est au plus haut point et très exclusivement
un acte[11]. C'est pourquoi elle se communique dans la mesure du possible[12].
Elle se communique par sa seule ressemblance aux créatures, ce qui se voit en
toutes, car une créature est un étant à sa ressemblance. Mais la foi catholique
aussi place un autre moyen de communication selon qu'elle est communiquée d'une
manière pour ainsi dire naturelle[13]; ainsi de même que celui à qui est
communiquée l'humanité est un homme, de même celui à qui est communiquée la
divinité, non seulement est semblable à Dieu, mais il est vraiment Dieu.
Oportet autem circa hoc advertere, quod natura divina a formis
materialibus in duobus differt:
Mais à ce sujet, il faut faire attention que la nature divine est
différente des formes matérielles de deux manières:
primo quidem per hoc quod formae materiales non sunt subsistentes; unde
humanitas in homine non est idem quod homo qui subsistit: deitas autem est idem
quod Deus; unde ipsa natura divina est subsistens.
1) Du fait que ces dernières ne sont pas subsistantes; c'est pourquoi
l'humanité dans l'homme n'est pas identique à l'homme qui subsiste; mais la
divinité est identique à Dieu, c'est pourquoi sa nature propre est subsistante.
Aliud est quod nulla forma vel natura creata est suum esse; sed ipsum
esse Dei est eius natura et quidditas; et inde est quod proprium nomen ipsius
est: qui est, ut patet Exod. cap. III, 14, quia sic denominatur quasi a propria
sua forma.
2) Nulle forme ou nature créée n'est son être, mais l'être même de Dieu
est sa nature et sa quiddité[14]; et pour cela son nom propre est Qui est,
comme on le voit en Ex. 3,14[15], parce qu'il est ainsi défini comme par sa
propre forme.
Forma ergo in istis inferioribus, quia per se non subsistit, oportet
quod in eo cui communicatur, sit aliquid aliud per quod forma vel natura subsistentiam
recipiat: et haec est materia, quae subsistit formis materialibus et naturis.
Quia vero natura materialis vel forma, non est suum esse, recipit esse per hoc
quod in alio suscipitur; unde secundum quod in diversis est, de necessitate
habet diversum esse: unde humanitas non est una in Socrate et Platone secundum
esse, quamvis sit una secundum propriam rationem.
Donc, parce que la forme dans les êtres inférieurs ne subsiste pas par
elle-même, il faut que ce en quoi elle est communiquée soit quelque chose
d'autre par laquelle la forme ou la nature reçoit sa subsistance[16]; et c'est
la matière qui subsiste par les formes et les natures matérielles. Mais, parce
que la nature matérielle ou la forme n'est pas son être, elle le reçoit du fait
qu'elle est reçue dans un autre. C'est pourquoi, selon qu'elle est dans ce qui
est différent, elle a nécessairement un être différent. Ainsi l'humanité n'est
pas une dans Socrate et Platon selon l'être, bien qu'elle le soit selon sa
propre définition.
In communicatione vero qua divina natura communicatur, quia ipsa est
per se subsistens, non requiritur aliquid materiale per quod subsistentiam
recipiat; unde non recipitur in aliquo quasi in materia, ut sic genitus, ex
materia et forma inveniatur compositus. Et quia iterum ipsa essentia est suum
esse, non accipit esse per supposita in quibus est: unde per unum et idem esse
est in communicante et in eo qui communicatur; et sic manet eadem secundum
numerum in utroque.
Dans l'acte par lequel la nature divine se communique, parce qu'elle
est subsistante par soi, elle n'a pas besoin de quelque chose de matériel pour
recevoir sa subsistance; donc elle n'est pas reçue dans quelque chose comme
dans la matière, de sorte que ce qui est engendré se trouverait composé de
matière et de forme. Et parce que, à nouveau, sa propre essence est son être,
elle ne le reçoit pas par les suppôts en qui elle est; c'est pourquoi par un
seul et même être, elle est dans celui qui communique et dans celui qui est
communiqué et ainsi elle demeure la même selon le nombre dans les deux.
Huius autem communicationis exemplum in operatione intellectus
congruentissime invenitur. Nam ipsa divina natura spiritualis est, unde per
exempla spiritualia melius manifestatur. Cum enim alicuius rei extra animam per
se subsistentis noster intellectus concipit quidditatem, fit quaedam
communicatio rei quae per se existit, prout a re exteriori intellectus noster
eius formam aliquo modo recipit; quae quidem forma intelligibilis, in
intellectu nostro existens, aliquo modo a re exteriori progreditur. Sed quia
res exterior diversa a natura intelligentis est; aliud est esse formae
intellectus comprehensae, et rei per se subsistentis.
L'exemple de cette communication, on le trouve de manière très
pertinente dans l'opération de l'esprit[17]. Car la nature divine est
spirituelle; c'est pourquoi elle est plus facilement révélée par des exemples
spirituels. Car lorsque notre esprit conçoit la quiddité de ce qui subsiste par
soi hors de l'âme, ce qui existe par soi se communique dans la mesure où notre
esprit reçoit sa forme d'une certaine manière de la réalité extérieure; cette
forme intelligible, qui existe dans notre esprit, vient de la réalité
extérieure d'une certaine manière. Mais parce que cela est différent de la
nature de celui qui la pense, l'être de la forme pensée par l'intellect et de
ce qui subsiste par soi est différent.
Cum vero intellectus noster sui ipsius quidditatem concipit, utrumque
servatur: quia videlicet et ipsa forma intellecta ab intelligente in intellectum
aliquo modo progreditur cum intellectus eam format; et unitas quaedam servatur
inter formam conceptam quae progreditur et rem unde progreditur, quia utrumque
habet intelligibile esse, nam unum est intellectus, et aliud est intelligibilis
forma, quae dicitur verbum intellectus. Quia tamen intellectus noster non est
secundum suam essentiam in actu perfecto intellectualitatis, nec idem est
intellectus hominis quod humana natura; sequitur quod verbum praedictum etsi
sit in intellectu, et ei quodammodo conforme, non tamen sit idem quod ipsa
essentia intellectus, sed eius expressa similitudo. Nec iterum in conceptione
huiusmodi formae intelligibilis, natura humana communicatur, ut generatio
proprie dici possit, quae communicationem naturae importat.
Mais quand notre esprit conçoit sa propre quiddité, l'un et l'autre
sont conservés, parce que la forme même pensée par celui qui la pense en son
esprit sort en quelque manière quand l'esprit lui donne forme et une certaine
unité est conservée entre la forme conçue qui sort et ce dont elle sort, parce
que les deux ont un être intelligible, car l'un est l'esprit et l'autre la
forme intelligible qu'on appelle le verbe de l'esprit. Cependant parce que
notre esprit n'est pas, en son essence, en acte parfait d'intelligibilité, et
que l'esprit de l'homme n'est pas identique à la nature humaine, il en découle
que ce verbe, même s'il est dans l'esprit et de même forme d'une certaine
manière, n'est cependant pas le même que l'essence même de l'esprit, mais sa
ressemblance exprimée. Et à nouveau, dans la conception d'une forme
intelligible de ce genre, la nature humaine n'est pas communiquée, comme on
pourrait le dire à proprement parler de la génération qui apporte communication
de la nature.
Sicut autem in nostro intellectu seipsum intelligente invenitur quoddam
verbum progrediens, eius a quo progreditur similitudinem gerens; et ita in
divinis invenitur verbum similitudinem eius a quo progreditur habens. Cuius
processione in duobus verbi nostri processionem superat.
Dans notre esprit qui se comprend lui-même, on trouve un verbe qui
sort, portant ressemblance de ce dont il sort; et de même, en Dieu, on trouve
un verbe qui a ressemblance de celui dont il sort. Par sa procession il dépasse
en deux points celle de notre verbe.
Primo in hoc quod verbum nostrum est diversum ab essentia intellectus,
ut dictum est; intellectus vero divinus qui in perfecto actu intellectualitatis
est secundum suam essentiam, non potest aliquam formam intelligibilem recipere
quae non sit sua essentia; unde verbum eius unius essentiae cum ipso est, et
iterum ipsa divina natura eius intellectualitas est; et sic communicatio quae
fit per modum intelligibilem, est etiam per modum naturae, ut generatio dici
possit;
1) Premièrement, en ce que notre verbe est différent de l'essence de
l'esprit comme on l'a dit; mais l'esprit divin qui est, selon son essence, en
acte parfait d'intelligibilité, ne peut recevoir une forme intelligible qui ne
soit pas son essence. C'est pourquoi son verbe est d'une seule essence avec lui
et en plus la nature divine elle-même est son intellectualité et ainsi la
communication qui se fait par mode intelligible est aussi par mode de nature
pour qu'on puisse l'appeler génération.
in quo secundo processionem verbi nostri Dei verbum excedit.
Et hunc modum generationis
Augustinus assignat.
2) Deuxièmement, le verbe de Dieu dépasse la procession de notre verbe.
Et c'est ce mode de génération qu'Augustin attribue à Dieu (La Trinité).
Quia vero de divinis loquimur secundum modum nostrum,- quem intellectus
noster capit ex rebus inferioribus, ex quibus scientiam sumit,- ideo sicut in
rebus inferioribus cuicumque attribuitur actio, attribuitur aliquod actionis
principium, quod potentia nominatur; ita et in divinis, quamvis in Deo non sit
differentia potentiae et actionis, sicut in rebus creatis. Et propter hoc,
generatione in Deo posita, quae per modum actionis significatur, oportet ibi
concedere potentiam generandi, vel potentiam generativam.
Parce que nous parlons de Dieu à notre manière: notre esprit prend des
choses inférieurs, et il en tire sa connaissance, –aussi de même que dans les
êtres inférieurs, à qui que ce soit qu'on attribue l'action, on attribue un
principe d'action, qu'on appelle puissance; de même on l'attribue à Dieu,
quoique en lui il n'y ait pas, comme dans les créatures, de différence entre la
puissance et l'action. Et c'est pour cela qu'une fois établie la génération en
Dieu qui est signifiée par son mode d'action, il faut lui accorder la puissance
d'engendrer ou puissance générative.
Solutions
q. 2 a. 1 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod potentia quae in Deo ponitur nec proprie activa nec
passiva est, cum in ipso non sit nec praedicamentum actionis nec passionis, sed
sua actio est sua substantia; sed ibi est potentia per modum potentiae activae
significata. Nec tamen oportet quod filius sit actus vel factus, sicut nec
oportet quod proprie sit ibi actio vel passio.
# 1. La puissance qu'on place en Dieu n'est, à proprement parler, ni
active ni passive, puisqu'il n'y a pas en lui les catégories d'action ou de
passion[18], mais son action est sa substance, mais c'est là qu'est la
puissance signifiée par le mode de puissance active. Cependant il ne faut que
le Fils soit ni un acte ou un produit, de même qu'il ne faut pas qu'il y ait là
proprement action ou passion.
q. 2 a. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod cum recipere terminetur ad habere, sicut ad finem;
dupliciter dicitur aliquid esse recipiens, sicut dupliciter est, habens.
# 2. Comme la réception se termine à la possession en tant qu'elle en
est la fin, on parle de deux manières de ce qui reçoit, de même que de ce qui
possède.
Habet enim uno modo materia formam suam, et subiectum accidens, vel
qualitercumque habitum est extra essentiam habentis;
a) Car la matière possède d'une seule manière sa forme et le sujet son
accident, même de quelque manière que ce qui est possédé soit hors de l'essence
de celui qui le possède.
habet autem alio modo suppositum naturam, ut hic homo humanitatem; quae
quidem non est extra essentiam habentis, immo est eius essentia. Socrates enim
est vere id quod homo est. Genitus ergo in humanis etiam non recipit formam
generantis sicut materia formam, vel sicut subiectum accidens sed sicut
suppositum vel hypostasis habet naturam speciei; et similiter est in divinis.
Unde non oportet quod sit in Deo genito aliqua materia vel subiectum naturae
divinae: sed quod ipse filius subsistens sit qui naturam divinam habeat.
b) Mais le suppôt possède sa nature d'une autre manière, comme cet
homme possède l'humanité, qui n'est pas hors de l'essence de son possesseur,
mais est tout à fait son essence. Car Socrate est véritablement ce qu'est un
homme. Donc celui qui est engendré chez les hommes, ne reçoit pas la forme de
celui qui l'engendre, comme la matière reçoit sa forme, ou comme le sujet
l'accident, mais comme le suppôt ou l'hypostase possède la nature de l'espèce;
il en est de même en Dieu. C'est pourquoi il ne faut pas qu'il y ait en ce Dieu
qui est engendré de la matière ou un substrat de nature divine: mais que le
Fils subsistant soit lui-même celui qui possède la nature divine[19].
q. 2 a. 1 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod Deus genitus non distinguitur a Deo generante per
aliquam essentiam additam, cum, sicut dictum est, non requiratur aliqua materia
in qua recipiatur natura divina. Distinguitur autem per ipsam relationem, quae
est ab alio habere naturam, ita quod in filio ipsa relatio filiationis tenet
locum omnium principiorum individuantium in rebus creatis (propter quod dicitur
proprietas personalis), ipsa autem natura divina tenet locum naturae speciei.
Quia autem ipsa relatio secundum rem a natura divina non differt, non fit ibi
aliqua compositio, sicut apud nos ex principio speciei et ex individuantibus
quaedam compositio relinquitur.
# 3. Dieu engendré n'est pas distinct du Dieu qui engendre par une
essence ajoutée, puisque, comme on le dit (dans le corps de l'article), il n'a
pas besoin de matière dans laquelle serait reçue la nature divine. Mais il est
distingué par la relation qui consiste à posséder sa nature d'un autre, de
sorte que dans le Fils la relation de filiation tient lieu de tous les
principes qui individualisent dans les créatures (c'est pour cela qu'on
l'appelle propriété personnelle), mais la nature divine même tient lieu de la
nature de forme (species). Parce que la relation en réalité ne diffère pas de
la nature divine; il ne se fait là aucune composition, comme chez nous, une
certaine composition demeure par le principe de l'espèce et ce qui
l'individualise.
q. 2 a. 1 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod ratio illa procedit, quando potentia illa ab actu
differt, sive sit coniuncta actui, sive non; hoc autem non habet locum in
divinis.
# 4. Cette raison[20] est valable quand cette puissance est différente
de l'acte, qu'elle lui soit jointe, ou non, mais cela n'a pas de place en Dieu.
q. 2 a. 1 ad 5 Et
sic patet solutio ad quintum.
# 5. Et ainsi la solution à l'objection 5 est évidente.
q. 2 a. 1 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod omne illud quod est principium actionis, ut quo agitur,
habet potentiae rationem; sive sit essentia, sive aliquod accidens medium, puta
qualitas quaedam inter essentiam et actionem. In creaturis tamen corporalibus
vel vix vel nunquam invenitur aliqua actio alicuius naturae substantialis nisi
mediante aliquo accidente: sol enim mediante luce quae in ipso est, illuminat.
Quia vero anima vivificat corpus est per essentiam animae. Sed vivificare,
licet per modum actionis dicatur, non tamen est in genere actionis, cum sit
actus primus magis quam secundus.
# 6. Tout ce qui est principe d'action, comme par quoi il subit, a
valeur de puissance; que ce soit l'essence, ou quelque accident intermédiaire;
par exemple une qualité entre l'essence et l'action. Cependant dans les
créatures corporelles, rarement ou jamais, on ne trouve une action d'une nature
substantielle, sinon par quelque accident intermédiaire. Le soleil, en effet,
éclaire à l'aide de la lumière, qui est en lui. Ainsi parce que l'âme donne vie
au corps c'est par son essence. Mais donner vie, bien qu'on le dise par mode d'action,
n'est cependant pas dans le genre de l'action, puisque c'est un acte premier
plus qu'un acte second[21].
q. 2 a. 1 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod in creaturis non potest esse generatio sine divisione
essentiae vel naturae secundum esse, cum natura non sit suum esse; et ideo in
creaturis est generatio cum aliqua indignitate: et propter hoc in creaturis
nobilioribus non competit generatio. Sed in Deo potest esse generatio huiusmodi
sine huiusmodi vel alia imperfectione; et ideo nihil prohibet generationem ibi
ponere.
# 7. Dans les créatures il ne peut y avoir génération sans division de
l'essence ou de la nature selon l'être, puisque la nature n'est pas son être et
c'est pourquoi en elles, il y a une génération avec une certaine indignité et
c'est pour cela que la génération ne convient pas aux créatures plus nobles.
Mais en Dieu il peut y avoir une telle génération sans imperfection de ce genre
ou autre et c'est pourquoi rien n'empêche de placer la génération en lui.
q. 2 a. 1 ad 8 Ad
octavum dicendum, quod illa ratio procedit de generatione materiali; unde ad
propositum, locum non habet.
# 8. Cette raison procède de la génération matérielle; donc elle n'a
pas place dans notre propos.
q. 2 a. 1 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod illud quod est obiectum potentiae activae vel passivae
cuius actio vel passio est cum motu, oportet esse possibile et contingens, cum
omne mobile huiusmodi sit. Talis autem non est potentia generativa in Deo, ut
dictum est; unde ratio non sequitur.
# 9. Ce qui est l'objet d'une puissance active ou passive, dont
l'action ou la passion est avec mouvement, doit être possible et contingent,
puisque tout ce qui est mobile est de ce genre. Mais telle n'est pas la
puissance générative en Dieu, comme on l'a dit; donc cette raison ne convient
pas.
q. 2 a. 1 ad 10 Ad
decimum dicendum, quod filius Dei non se habet ad potentiam generativam sicut
effectus, cum eum genitum, non factum confiteamur. Si tamen esset effectus,
potentia generantis non finiretur ad ipsum, quamvis alius generari filius non
possit, quia ipse infinitus est. Quod autem alius filius in divinis esse non
potest, contingit, quia ipsa filiatio est proprietas personalis ipsius; et hoc
quo, ut ita dicam, individuatur. Cuilibet autem individuo principia
individuantia sunt soli sibi; alias sequeretur quod persona vel individuum
esset communicabile ratione.
# 10. Le Fils de Dieu ne se comporte pas vis-à-vis de la puissance
générative comme un effet, puisque nous confessons qu'il est engendré et non
créé. Si cependant il était un effet, la puissance de celui qui engendre ne se
terminerait pas à lui bien qu'un autre fils ne puisse être engendré, puisqu'il
est lui-même infini. Mais le fait qu'un autre fils ne puisse pas exister en
Dieu, arrive parce que la filiation même est sa propriété personnelle et ce par
quoi il est personalisé pour ainsi dire. Pour n'importe quel individu les
principes qui individualisent sont pour lui seul; autrement il s'ensuivrait que
la personne ou l'individu serait communicable en raison.
q. 2 a. 1 ad 11 Ad undecimum
dicendum, quod verbum illud Avicennae intelligendum est, quando id quod
recipitur ab alio, non idem numero est in recipiente et dante, sicut accidit in
creaturis respectu Dei. Unde omne receptum in creatura, est quasi unitas
respectu esse divini: quia creatura non potest esse recipere secundum illam
perfectionem quae in Deo est. Sed filius in divinis accipit a patre eamdem
naturam numero quam pater habet: et ideo non procedit.
# 11. Il faut comprendre que ce mot d'Avicenne s'applique quand ce qui
est reçu d'un autre n'est pas identique en nombre dans celui qui reçoit et
celui qui donne, comme cela arrive pour les créatures par rapport à Dieu. C'est
pourquoi tout ce qui est reçu dans la créature est comme une unité par rapport
à l'être divin; parce que la créature ne peut pas recevoir l'être selon cette
perfection qui est en Dieu. Mais le Fils reçoit du Père une nature identique en
nombre à celle du Père; et c'est pourquoi, cette objection n'est pas valable.
q. 2 a. 1 ad 12 Ad
duodecimum dicendum, quod filius non habet aliquid realiter divisum ab essentia
quam a patre recipit: sed hoc ipso quod a patre recipit, oportet in ipso esse
relationem qua ad patrem referatur, et per quam ab eo distinguatur. Ipsa tamen
relatio realiter ab essentia non differt.
# 12. Le Fils n'a rien qui soit réellement séparé de l'essence qu'il
reçoit du Père; mais il faut que ce qu'il reçoit du Père soit en lui une
relation par laquelle il se réfère au Père, et par laquelle il est distingué de
lui. Cependant cette relation n'est pas réellement différente de l'essence[22].
q. 2 a. 1 ad 13 Ad
decimumtertium dicendum, quod licet eadem natura sit in patre et filio, est
tamen secundum alium modum existendi, scilicet cum alia relatione et ideo non
oportet quod quidquid convenit patri per naturam suam, conveniat filio.
#13. Bien que la nature soit la même dans le Père et le Fils, elle
présente un autre mode d'existence, c'est-à-dire avec une autre relation et
c'est pourquoi il ne faut pas que ce qui convient au Père par sa nature convienne
au Fils.
q. 2 a. 1 ad 14 Ad
decimumquartum dicendum, quod creaturae per hoc quod participant naturam
speciei, pertingunt ad divinam similitudinem: unde quod aliquod suppositum
creatum subsistat in natura creata, est ordinatum ad alterum tamquam ad finem;
et ideo ex quo sufficienter pervenitur ad finem per unum individuum, secundum
perfectam et propriam participationem naturae speciei, non oportet aliud
individuum in illa natura subsistere. Sed natura divina est finis: et non
propter aliquem finem. Fini autem congruit ut communicetur secundum omnem
possibilem modum. Unde quamvis ibi in uno supposito perfecte et proprie
inveniatur; nihil prohibet quin etiam inveniatur in alio.
# 14. En participant à la nature de l'espèce, les créatures parviennent
à la ressemblance divine: c'est pourquoi le fait qu'un suppôt créé subsiste
dans la nature créée est ordonné à un autre comme à sa fin, et ainsi du fait
qu'on parvient avec suffisance à la fin par un individu, selon la participation
parfaite et propre de la nature de l'espèce, il ne faut pas qu'un autre
individu demeure dans cette nature. Mais la nature divine est la fin et non en
vue d'une fin. Il convient à une fin d'être communiquée, de toute manière
possible. C'est pourquoi, quoique là on le trouve dans un suppôt parfaitement
et en propre, rien n'empêche qu'on le trouve dans un autre.
q. 2 a. 1 ad 15 Ad
decimumquintum dicendum, quod generatio est species mutationis ex parte illa
qua natura per generationem communicata recipitur in aliqua materia, quae est
mutationis subiectum. Hoc autem non accidit in divina generatione; ideo ratio
non sequitur.
# 15. La génération est une espèce de changement du côté où la nature
communiquée par génération est reçue dans une matière qui est le sujet du
changement. Mais cela n'arrive pas dans la génération divine, c'est pourquoi
l'argument ne convient pas.
--------------------------------------------------------------------------------
[1]
Parall.: Ia. qu. 27. a. 2 – Ia, q. 41, a. 4 –1 Sent., d7q1a1. Contra Graecos,
3, Compendium 40, 43 – (Ad Col. 1, lectio 4).
[2]
La puissance active est comprise ici comme dans la question I, comme puissance
créatrice, puissance de faire, qui aboutit à une créature.
[3]
Démonstration de la deuxième proposition du syllogisme. Les propositions sont
ici numérotées. La génération est ici conçue à l'image de la génération des
créatures où il y a communication et réception dans la matière.
[4]Anselme, Monologium, XV. Cf. Pot. 1, 1, obj. 2.
[5]Vient
d'Aristote. Métaphysique, IX, 9, 1051
a 4-15. L'argument est utilisé pour la puissance en général. "Toute
puissance trouve plus parfait qu'elle, à savoir la forme pour la puissance
passive et l'opération pour la puissance active." Cf. obj. suivante.
[6]
Cela a été démontré qu. 1, a. 3.
[7]
Avicenne, Ibn Sina, 980-1037, médecin, philosophe et théologien arabe. Il vécut
en Perse de 980 à 1037. Son oeuvre a eu une influence importante sur la
philosophie chrétienne de l'âge scolastique. Il est souvent cité dans le De
potentia. Son influence y est importante."...l'ordre du De potentia
s'explique bien si on l'oppose à une philosophie émanatiste, analogue à celle
d'Avicenne..." Maurice Bouyges, l'idée génératrice du De potentia de saint
Thomas, p. 267.
L'objection
courantes des Musulmans contre la Trinité est qu'elle est impossible à cause de
la simplicité de Dieu. Ici c'est une seconde objection.
[8]
La génération s'opère dans l'opposé.
[9]
De Finance, p. 187, note 1. Les références en Pot. 3, 9, obj. 25, sont Météores
IV, 3, 380 a 11-15 - L'âme, II, 4, 415
a 33. Cf. Ia, qu. 4, a. 1.
[10]
PL 42, 762.
[11]
Il est acte pur.
[12]
Il s'agit du possible dans ce qui reçoit. Cf. Rosemann, P.W. Omne ens est
aliquid Louvain, Paris 1996. "Puisque "l'autre" sur lequel porte
l'opération porte aussi une tendance à s'épanouir qui s'opposera à celle de
l'agent, aucun action ne parviendra à s'assimiler tout à fait
"l'autre" avec lequel elle entre en contact." p. 66.
L'argumentation
est la même que chez Albert. Cf. P. Vanier, Théologie trinitaire chez saint
Thomas d'Aquin, Montréal, Paris, 1953, p. 46.
[13]
Thomas démontrera que la création dépend de la volonté et la génération est de
la nature (a. 3). En I Sent, d7q1a1, en parallèle à la puissance naturelle chez
l'homme, il place en Dieu une puissance rationnelle (potentia rationalis), et
en Ia,qu. 27,a. 2, c, un modus intelligibilis actionis (mode d'activité
intellectuelle, Trad. Éd. des Jeunes). La conception de l'esprit est la
ressemblance de la chose conçue, mais ici il ne parle pas de puissance, mais de
communication.
[14]
Quiddité: nature d'une chose telle qu'elle est exprimée par sa définition.
[15]
Cf. note de la solution 9 en Pot. qu. 10, a. 1. Ce nom est considéré comme
celui qui convient le mieux.
[16]
Au sens scolastique du terme. "Car selon que la substance existe par soi
et non dans un autre, elle est appelée subsistance, car nous disons que
subsiste ce qui n'est pas dans un autre, mais qui existe en soi" (Ia, qu.
29, a. 2, Cf. Pot. 9, 1, c). La subsistance est "le mode substantiel
terminant l'essence individuelle et la rendant incommunicable", (Gardeil, Métaphysique, p. 231). Elle est
différente de l'essence et de l'existence.
[17]
Thomas emploie ici presque exclusivement dans le de Potentia, le terme
intellectus, mais dans les passages parallèles des Sentences, il se sert plutôt
du mot mens.
[18]
La substance est la première catégories, mais elle n'est pas un accident.
[19]
On peut résumer ainsi la sol. 2: Deux réceptions, c'est-à-dire 1. Le devenir en
acte: la matière reçoit la forme, le sujet l'accident. 2. La génération: le
suppôt reçoit la nature de son espèce qui est son essence. C'est identique en
Dieu où il n'y a pas de matière. Le Fils reçoit la nature divine.
[20]
La puissance est imparfaite par rapport à l'acte. "Toute puissance trouve
plus parfait qu'elle ..." Cf. Pot. qu. 1, a. 1. qui renvoie à Métaphysique, IX, 9,1051 a 4-15.
[21]
Il s'agit d'une mise en forme et non d'une action réelle.
[22]
Cf. qu. 8, a. 2.
q. 2 a. 2 tit. 1 Secundo quaeritur utrum potentia generativa in
divinis dicatur essentialiter vel notionaliter. Et videtur quod notionaliter
tantum.
Il semble que c'est selon la notion seulement.
Objections[1][1]:
q. 2 a. 2 arg. 1 Potentia enim rationem principii habet, ut patet
per definitiones positas V Metaph. Sed principium in divinis respectu divinae
personae notionaliter dicitur. Cum ergo potentia generandi hoc modo principium
importet, videtur quod notionaliter dicatur.
1.
Car la puissance a raison de principe, comme on le voit dans les définitions
données au livre V de la Métaphysique (V, 12, 1019 a 15-16[2][2]). Mais on parle de principe en Dieu
en rapport avec la personne divine selon la notion. Donc comme la puissance
d'engendrer de cette manière apporte un principe, il semble qu'on en parle
selon la notion.
q. 2 a. 2 arg. 2 Sed dicitur, quod significat simul essentiam et
notionem. Sed contra, in divinis,
secundum Boetium, sunt haec duo praedicamenta; substantia, ad quam pertinet
essentia; et ad aliquid, ad quod pertinent notionalia. Non potest autem aliquid esse in duobus
praedicamentis, quia homo albus non est aliquid unum nisi per accidens, ut
habetur V Metaph. Ergo potentia generandi non potest in sua ratione utrumque
complecti, scilicet substantiam et notionem.
2.
Mais on dit que la puissance signifie en même temps l'essence et la notion. – En
sens contraire en Dieu, selon Boèce[3][3] (la Trinité, V), il y a ces
deux catégories: la substance à laquelle se rattache l'essence; et la relation
à laquelle se rattachent les notions[4][4]. Mais rien ne peut être dans deux
catégories, parce que l'homme blanc n'est quelque chose d'unique que par
accident, comme on le dit (Cf. Métaphysique V, 7, 1017 a 8 ss[5][5].). Donc la puissance d'engendrer ne
peut pas par définition embrasser les deux, c'est-à-dire la substance et la
notion.
q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, principium in
divinis distinguitur ab eo cuius est principium. Sed essentia non debet
distingui. Ergo non competit ei ratio principii: et ita potentia, quae rationem
principii includit, non significat essentiam.
3. En Dieu, on distingue le principe de ce dont il est
le principe. Mais on ne doit pas faire de distinctions pour l'essence. Donc la
raison de principe ne lui convient pas, et ainsi la puissance, qui inclut la
raison du principe, ne signifie pas l'essence[6][6].
q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, in divinis quod
est proprium, est relativum et notionale; quod vero est commune, est essentiale
et absolutum. Potentia autem generandi non est communis patri et filio, sed
propria patris. Ergo dicitur relative sive notionaliter, non essentialiter nec
absolute.
4. En Dieu, ce qui est en propre est relatif et
notionnel[7][7], et ce qui est commun, essentiel et
absolu. Mais la puissance d'engendrer n'est pas commune au Père et au Fils,
mais propre au Père. Donc on la définit comme relative ou notionnelle, mais non
comme essentielle ou absolue.
q. 2 a. 2 arg. 5 Praeterea, propriae
actionis est principium propria forma, non communis; sicut homo per intellectum
intelligit: nam haec actio est sibi propria respectu animalium aliorum, sicut
et forma rationalitatis sive intellectualitatis. Sed generatio est propria
operatio patris in quantum est pater. Ergo eius principium est paternitas, quae
est propria forma patris, et non deitas, quae est forma communis. Paternitas
vero ad aliquid dicitur. Ergo potentia generandi non solum quantum ad rationem
principii, sed etiam quantum ad id quod est principium, dicitur ad aliquid.
5. Le principe de l'action propre est la forme propre,
non commune; ainsi l'homme comprend par son esprit; car cette action lui est
propre par rapport aux autres êtres animaux, de même que la forme de la
rationalité ou de l'intellectualité. Mais la génération est l'opération propre
du Père en tant que tel. Donc son principe est la paternité qui est la forme
propre du Père et non la divinité qui est la forme commune. Et la paternité est
désignée comme une relation. Donc la puissance d'engendrer, non seulement quant
à la nature du principe, mais aussi quant à ce pour quoi elle est principe, est
appelée relation.
q. 2 a. 2 arg. 6 Praeterea, sicut potentia
generandi realiter ab essentia divina non differt, ita nec etiam paternitas.
Sed hoc non obstante paternitas dicitur tantum ad aliquid. Ergo nec propter hoc
debet dici quod potentia generandi, cum relatione significet essentiam.
6. La puissance d'engendrer ne diffère pas réellement
de l'essence divine, la paternité non plus. Cependant cela n'empêche pas que la
paternité ne soit définie qu'en tant que relation. Donc ce n'est pas à cause de
cela qu'on doit dire que la puissance d'engendrer signifie l'essence avec une
relation.
q. 2 a. 2 arg. 7 Praeterea, in divinis tria
invenimus quae rationem principii habent, scilicet potentiam et scientiam et
voluntatem, quae essentialiter dicuntur in Deo. Sed scientia et voluntas non
simul significantur cum aliqua relatione vel notione in divinis. Ergo pari
ratione nec potentia; et sic non potest dici quod potentia generandi significet
simul essentiam ex parte potentiae, et notionem ex parte generationis; sed
videtur quod significet tantum notionem per rationes inductas.
7. En Dieu, nous trouvons trois attributs qui ont
raison de principe, à savoir la puissance, la science et la volonté, dont on
parle en lui en rapport avec l'essence. Mais on ne signifie pas la science et
la volonté en même temps avec une relation ou une notion. Donc, à raison égale,
la puissance non plus, et ainsi on ne peut pas dire que la puissance
d'engendrer signifie en même temps l'essence du côté de la puissance et la
notion du côté de la génération, mais il semble qu'elle signifie seulement la
notion pour les raisons invoquées.
q. 2 a. 2 s. c. 1 Sed contra. Est quod
Magister dicit, 7 dist., I Senten., quod potentia generandi in patre est ipsa
divina essentia.
1. Il y a ce que dit la Maître des sentences (I Sent.
d7[8][8]) que la puissance d'engendrer dans le Père est
l'essence divine même.
q. 2 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Hilarius
dicit, quod pater generat virtute naturae divinae. Ergo ipsa natura est
generationis principium; et sic rationem potentiae habet.
2. Hilaire dit (Les synodes[9][9])
que le Père engendre par le pouvoir de sa nature divine. Donc sa propre nature
est le principe de la génération et ainsi elle a raison de puissance.
q. 2 a. 2 s. c. 3 Praeterea, Damascenus
dicit, quod generatio est opus naturae existens; et sic idem quod prius.
3. Jean Damascène (La foi orthodoxe, 1, 8[10][10]) dit que la génération est l'oeuvre
de la nature et ainsi de même que ci-dessus.
q. 2 a. 2 s. c. 4 Praeterea, in divinis est tantum una potentia.
Sed potentia creandi dicitur essentialis. Ergo et potentia generandi.
4.
En Dieu, il n'y a qu'une seule puissance[11][11].
Mais on dit que la puissance de créer est essentielle[12][12].
Donc la puissance d'engendrer aussi.
q. 2 a. 2
co. Respondeo. Dicendum quod circa hoc est multiplex opinio.
Quidam
enim dixerunt, quod potentia generandi in divinis dicitur tantum ad aliquid: et
movebantur hac ratione: quia potentia secundum suam rationem est principium
quoddam; principium autem relative dicitur et est notionale, si referatur ad
divinam potentiam et non ad creaturas. Sed in hac ratione videntur fuisse
decepti propter duo: `
Sur ce sujet les
opinions sont nombreuses.
A)
Car certains ont dit qu'on parle de la puissance d'engendrer en Dieu
seulement comme relation[13][13], et ils y étaient poussés parce que
la puissance par nature est un principe; on dit d'un principe qu'il est relatif
et il est notionnel, si on le rapporte à la puissance divine et non aux créatures.Mais
dans ce raisonnement, ils paraissent s'être trompés pour deux raisons:
primo, quia licet potentiae conveniat ratio principii, quod in
genere relationis est, tamen id quod est principium actionis vel passionis, non
est relatio, sed aliqua forma absoluta; et id est essentia potentiae; et inde
est quod philosophus ponit potentiam non in genere relationis, sed qualitatis,
sicut et scientiam, quamvis utrique aliqua relatio accidat.
a)
Parce que, bien que la nature du principe, qui est dans le genre de la
relation, convienne à la puissance, cependant ce qui est principe d'action ou
de passion n'est pas une relation mais une forme absolue; et c'est l'essence de
la puissance; et de là vient que le philosophe place la puissance non pas dans
le genre de la relation mais dans celui de qualité comme la connaissance aussi,
quoique en chacune des deux on trouve une relation[14][14].
Secundo, quia ea quae in divinis important principium respectu
operationis, non dicuntur notionaliter, sed solum ea quae dicunt principium
respectu eius quod est operationis terminus: principium enim quod notionaliter
dicitur in divinis, est respectu personae subsistentis; operatio autem non
significatur ut subsistens: unde ea quae respectu operationis rationem
principii habent, non oportet in divinis notionaliter dici; alias voluntas et
scientia et intellectus et omnia huiusmodi notionaliter dicerentur.
b)
Parce qu'on ne désigne pas comme notion ce qui apporte en Dieu un principe en
rapport avec l'opération, mais seulement de ce qu'ils appellent le principe en
rapport avec le terme de l'opération[15][15];
car le principe qu'on désigne comme notion en Dieu, est en rapport avec une
personne subsistante; mais l'opération n'est pas signifiée comme subsistante.
C'est pourquoi ce qui a raison de principe en rapport avec l'opération ne doit
pas être signifié en Dieu comme une notion, autrement la volonté, la
connaissance, l'esprit et tout ce qui est de ce genre serait signifié comme
notions.
Potentia autem, licet sit principium quandoque et actionis et eius
quod est per actionem productum, tamen unum accidit ei, alterum vero competit
ei per se: non enim potentia activa semper, per suam actionem, aliquam rem
producit quae sit terminus actionis, cum sint multae operationes quae non
habent aliquid operatum, ut philosophus dicit; semper enim potentia est
actionis vel operationis principium. Unde non oportet quod propter relationem
principii, quam nomen potentiae importat, relative dicatur in divinis.
Mais
bien que la puissance soit parfois principe de l'action et de ce qu'elle
produit, cependant une seule chose lui arrive, et l'autre lui convient par soi;
car la puissance active, par son action, ne produit pas toujours ce qui est le
terme de l'action, puisqu'il y a de nombreuses opérations qui n'ont aucun
résultat, comme le philosophe le dit (Éthique I, 1, 1094 a 4 et Métaphysique
IX, 8, 1050 a 3[16][16]), car la puissance est toujours
principe de l'action ou de l'opération. Donc il ne faut pas que, à cause de la
relation de principe qu'introduit le nom de puissance, on en parle selon la
relation en Dieu.
Ipsa etiam positio veritati consona non videtur. Nam si id quod est
potentia, est ipsa res quae est principium actionis, oportet naturam divinam
esse id quod est principium in divinis: cum enim omne agens, in quantum
huiusmodi, agat simile sibi, illud est principium generationis in generante
secundum quod genitus generanti similatur, homo enim virtute humanae naturae
generat filium, qui sibi in natura humana similis invenitur: Deo autem patri
conformis est Deus genitus in natura divina: unde natura divina est
generationis principium, ut cuius virtute generat pater, sicut Hilarius dicit,
loc. cit.
Cette
position ne semble pas non plus en accord avec la vérité. Car si ce qui est la
puissance est ce qui est principe de l'action, il faut que la nature divine
soit ce qui est le principe en Dieu; puisque, en effet, tout agent, en tant que
tel, fait du semblable à lui; c'est cela le principe de la génération dans
celui qui engendre selon que l'engendré lui ressemble, car l'homme par le
pouvoir de sa nature, engendre un fils qui se trouve lui ressembler dans la
nature humaine, mais le Dieu engendré dans la nature divine est conforme à Dieu
le Père. C'est pourquoi la nature divine est principe de génération, comme de
ce que le Père engendre par son pouvoir, comme le dit Hilaire (Loc. cit.).
et propter hoc alii dixerunt, quod potentia generandi significat
essentiam tantum. Sed illud etiam conveniens non videtur: actio enim quae fit
virtute naturae communis per aliquid sub natura communi contentum, aliquem
modum accipit ex propriis illius principiis; sicut actio quae debetur naturae
animalis, fit in homine secundum quod competit principiis speciei humanae: unde
et homo perfectius habet actum virtutis imaginativae quam alia animalia,
secundum quod competit eius rationalitati. Similiter etiam actio hominis
invenitur in hoc et in illo homine secundum quod competit principiis
individualibus huius vel illius, ex quibus contingit quod unus homo clarius
alio intelligit. Et ideo oportet quod si natura communis sit principium
alicuius operationis quae solum patri convenit, oportet quod sit principium,
secundum quod competit proprietati personali patri. Et propter hoc in ratione
potentiae includitur quodammodo paternitas, etiam quantum ad id quod est
generationis principium.
B)
Et c'est pour cela que d'autres ont dit que la puissance d'engendrer
signifie l'essence seulement. Mais même cela ne paraît pas convenir. Car
l'action qui se fait par le pouvoir d'une nature commune par quelque chose
contenu dans la nature commune, reçoit un mode par ses propres principes; de
même que l'action, due à la nature de l'animal est accomplie dans l'homme selon
qu'elle répond aux principes de l'espèce humaine: c'est pourquoi l'homme a un
acte de son pouvoir imaginatif plus
parfait que les autre animaux, selon qu'il répond à sa rationalité. De la même
manière, on trouve l'action de l'homme dans cet homme et dans celui-là, selon
qu'il répond aux principes individuels de celui-ci ou celui-là, par lesquels il
se trouve qu'un homme pense plus clairement qu'un autre. Et c'est pourquoi, si
la nature commune est le principe d'une opération qui convient seulement au
Père, il faut qu'elle soit le principe, selon qu'elle convient par la propriété
personnelle du Père. Et à cause de cela la paternité est incluse d'une certaine
manière aussi dans la nature de la puissance, pour ce qui est aussi le principe
de la génération.
Et propter hoc cum aliis dicendum est, quod potentia generandi
simul essentiam et notionem significat.
C)
Et c'est pour cela qu'il faut le dire avec d'autres[17][17],
la puissance d'engendrer signifie en même temps essence et notion.
q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod potentia importat
rationem principii respectu operationis, quae notionaliter non dicitur in
divinis, ut dictum est.
#
1. La puissance apporte une raison de principe en rapport avec l'opération dont
on ne parle pas comme une notion en Dieu, comme on l'a dit[18][18].
q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in rebus creatis unum
praedicamentum accidit alteri, propter quod non potest ex duobus fieri unum,
nisi unum per accidens; sed in divinis relatio est realiter ipsa essentia: et
ideo non est simile.
#
2. Dans les créatures, il n'y a qu'une seule catégorie qui arrive dans
une autre, parce qu'on ne peut de deux en faire une à moins qu'elle ne soit
une, par accident[19][19]; mais en Dieu, la relation est
réellement l'essence même et c'est pourquoi ce n'est pas pareil.
q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in rebus creatis
principium generationis est duplex, scilicet generans et quo generatur: sed
generans quidem per generationem distinguitur a genito, cum nulla res generet
se ipsam; sed id quod generans generat, non distinguitur, sed est commune
utrique, ut dictum est, in corp. art. unde non oportet naturam divinam
distingui, sicut potentia generandi, cum potentia sit principium ut quo.
#
3. Dans les créatures, le principe de la génération est double: celui qui
engendre et ce par quoi il est engendré; mais celui qui engendre est différent
de l'engendré par la génération, puisque rien ne s'engendre soi-même; mais ce
que ce qui engendre engendre n'est pas différent, mais est commun à l'un et à
l'autre, comme on l'a dit, dans le corps de l'article. C'est pourquoi il ne
faut pas que la nature divine soit différent comme la puissance d'engendrer,
puisque la puissance est le principe d'origine.
q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ratione relationis
implicitae, potentia generandi non est communis, sed propria.
#
4. Par la nature de la relation implicite, le pouvoir d'engendrer n'est pas
commun, mais personnel.
q. 2 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in qualibet generatione
principium generationis principaliter non est aliqua forma individualis, sed
forma quae pertinet ad naturam speciei. Item non oportet quod genitum similetur
generanti quantum ad conditiones individuales, sed quantum ad naturam speciei.
Paternitas autem non est in patre per modum formae speciei, sicut humanitas in
homine, sic enim in eo est divina natura; sed est in eo, ut ita dicam, sicut
principium individuale, est enim proprietas personalis: et ideo non oportet
quod sit generationis principium principaliter, sed quodammodo cointellectum
ratione supradicta: aliter sequeretur quod pater per generationem non solum
deitatem, sed paternitatem communicaret; quod est inconveniens.
#
5. Dans n'importe quelle génération, le principe n'est pas
principalement une forme individuelle, mais celle qui répond à la nature de
l'espèce. D'autre part, il ne faut pas que l'engendré ressemble à celui qui
engendre pour les caractères individuels, mais pour la nature de l'espèce. La
paternité n'est pas dans le Père à la manière d'une forme d'espèce, comme
l'humanité dans l'homme, car ainsi il y a en lui la nature divine; mais elle
est en lui, pour ainsi dire, comme principe individuel, car elle est une
propriété personnelle; et c'est pourquoi il ne faut pas qu'elle soit
principalement le principe de la génération mais d'une certaine manière,
comprise avec lui pour la raison qu'on a donnée; autrement il en découlerait
que le Père communiquerait non seulement la divinité par génération mais aussi
sa paternité, ce qui ne convient pas.
q. 2 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod potentia generandi est idem
realiter cum natura divina ita quod natura includitur in ratione ipsius: non
autem sic est de paternitate, unde non est simile.
#
6. La puissance d'engendrer est identique en réalité à la nature divine, de
sorte que la nature est incluse dans sa raison d'être, mais il n'en est pas ainsi
de la paternité, donc ce n'est pas pareil.
q. 2 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod scientia vel voluntas non
est principium generationis, cum generatio sit naturae, quae in quantum est
actionis principium, rationem potentiae habet. Et inde est quod potentia
consignificatur cum eo quod est ad aliquid in divinis, non autem scientia vel
voluntas.
#
7. La science ou la volonté n'est pas un principe de génération, puisque
celle-ci vient de la nature, qui, en tant que principe d'action, a raison de
puissance. Et de là vient que la puissance est signifiée en même temps avec ce
qui est relation en Dieu, mais non la connaissance ou la volonté.
q. 2 a. 2 ad s. c. Ad ea autem quae sunt in contrarium de facili
patet responsio ex praedictis.
A
partir de ce qui vient d'être dit, la réponse est facile pour les arguments
contraires.
[20][1] Parall.: Ia,
qu. 41, a. 1, ad 1 et 2, a.5 – I Sent. d7q1a1, ad 2 et a.2– d6q1a.3 – (Sur les notions voir I
Sent. d33a2 - Ia, 32, a. 2). L'article revient à poser la question suivante:
la puissance générative procède-t-elle de l'essence ou bien elle est une
notion, c'est-à-dire la propriété caractéristique d'une personne. On désigne
les notions en Dieu non comme des réalités mais des raisons formelle par
lesquelles sont connues les personnes, bien que les notions ou les relations
soient réellement en Dieu » (Ia, qu. 28, a.1). «L'Écriture n'en fait pas
mention: mais elle signale les personnes en qui on comprend les notions comme
l'abstrait dans le concret.» Ia, qu. 32, a. 2, sol. 1. Les actes qui
désignent l'ordre des origines sont appelés des actes notionnels (notionales) quia
notiones personarum sunt personarum habitudinem ad invicem (Cf. Ia, 32, 2,
3). Les notions personnelles sont au nombre de 3: paternité, filiation,
procession. «L'origine ne peut être désignées que par des actes», C'est
pourquoi il a fallu attribuer des actes notionnels aux personnes. Ia,
qu. 41, a, 1 c2). Cet élément doit appartenir aux relation d'origine en dehors
desquelles tout en Dieu est commun.
[21][2] . «On appelle puissance le principe du mouvement ou
du changement, qui est dans un autre être, ou dans le même être en tant
qu'autre.» (Trad. J.Tricot, p.
283-284). Déjà cité qu. 1. a. 1. Ici, et plusieurs fois ailleurs, Thomas ne
retient que la notion de principe parce que le principe suppose une relation.
[22][3] . Boèce, philosophe chrétien, (480- 524 ou
526). Thomas a commenté son De Trinitate, et le De hebdomadibus.
Il cite aussi dans le De potentia les Deux natures du Christ. Ses
opuscules ont été lus et commentés par les scolastiques. Il est le dernier
représentant de la philosophie occidentale avant le Moyen Age.
[23][4] . Rappelons que les Catégories (ou
prédicaments) genres suprêmes de l'être, comprennent la substance et neuf
accidents, la relation est le troisième (Aristote
Catégories, (c. 5 et 7). On parle de substance en Dieu par analogie.
Quant à la relation, vu son peu de réalité, et le fait qu'elle renvoie à autre
chose, elle peut-être acceptée pour Dieu, parce qu'elle n'est pas réellement un
accident.
[24][5] . L'être par accident: «Il est par accident quand,
par exemple, nous disons que le juste est musicien, ou que l'homme est
musicien...» "L'homme blanc" est un exemple donné par Boèce.
[25][6] . En Pot. qu. 1. a. 1, il a montré que la
puissance appartient à l'essence. (v.g. ad 5, ad 9. Cf. ici sc. 1)
[26][7] . Cela sera montré plus clairement dans la question
8. En Dieu, ce qui est commun, c'est l'essence ; la personne est signifiée
par la relation. A ce sujet, il cite Jean Damascène (la foi orthodoxe)
I, 11. (qu. 8, a. 1, obj. 1).
[27][8] . «Le Père n'est puissant pour engendrer que par
nature. Car sa puissance est sa nature ou son essence» (§6).
[28][9] . PL 10, 520 C, XXIV, 58.
[29][10] . I, 8, PG. 94, 813 A. «C'est de la nature du Père
que vient la génération.» (Trad. E. Ponsoye).
[30][11] . Cette affirmation anticipe l'article 6 de la
question.
[31][12] . Concerne l'essence.
[32][13] . Cf. Pot. qu. 1 a. 1, obj. 3: Le principe
est une relation.
[33][14] . Cf. Aristote,
Catégories, 8, 9 a 17. Il s'agit de la relation de celui qui connaît au
connaissable, très souvent évoquée comme typique.
[34][15] . Cf. Pot. qu. 1, a. 1, ad 1, la puissance
est non seulement le principe de l'opération, mais aussi de l'effet, mais ici
l'effet est différent.
[35][16] . Il s'agit de l'action ad intra. Aristote, Éthique « Mais on
observe en fait une certaine différence entre les fins: les unes consistent
dans des activités, et les autres dans certaines oeuvres distinctes des
activités elles-mêmes.» (Trad. J.
Tricot).
[36][17] . Cf. Ia, qu. 41, a. 5, «Il faut dire que la
puissance d'engendrer signifie principalement l'essence divine, comme le
Maître des Sentences le dit (I Sent. d7), mais pas la relation
seulement.».
[37][18] . Voir Pot.
I, qu. 1, a. 1, ad 3. Cf. I Sent. d42q1a2, ad 1. «La puissance générative désigne ce qui concerne
l'essence joint à ce qui concerne la notion, comme, quand on dit Dieu engendre
... Car le Père engendre par la même puissance que le Fils naît, mais la notion
demeure le propre du Père».
[38][19] . Les catégories sont ici la substance et la notion.
Qu. 2, a. 3q. 2 a. 3 tit. 1 Tertio quaeritur utrum potentia generativa
in actum generationis procedat per imperium voluntatis. Et videtur quod sic.
Il semble que oui.
Objections[1].
q. 2 a. 3 arg. 1
Hilarius enim dicit, quod non naturali ductus necessitate pater genuit filium.
Sed si non genuit voluntate, genuit naturali necessitate, quia agens vel est
voluntarium vel naturale. Ergo pater genuit
filium voluntate; et sic potentia generativa per imperium voluntatis exit in
actum generandi.
1. Hilaire dit, en effet, dans Les Synodes (PL. 10, 59[2]) que "ce
n'est pas poussé par une nécessité naturelle que le Père a engendré le Fils".
Mais s'il n'a pas engendré volontairement, il l'a engendré par nécessité
naturelle, parce qu'un agent agit par volonté ou par nature. Donc le Père a
engendré le Fils par volonté, et ainsi la puissance générative en vient à
l'acte d'engendrer par le pouvoir de la volonté.
q. 2 a. 3 arg. 2 Sed
dicebat, quod pater non genuit filium neque voluntate praecedente, neque
voluntate consequente, sed concomitante.- Sed contra, videtur quod haec ratio
sit insufficiens. Cum enim quidquid est in Deo sit aeternum, nihil quod est in
Deo, potest tempore praecedere aliquid in Deo existens: et tamen invenitur quod
aliquid habet ad aliud rationem principii, sicut voluntas Dei ad electionem qua
eligit iustos ex hoc solo quod ab intellectu procedit. Ergo quamvis voluntas
generationem filii tempore non praecedat, nihilominus, ut videtur, potest poni
principium generationis filii ex hoc quod procedit ab intellectu.
2. Mais on pourrait dire que le Père n'a engendré le Fils, ni par
volonté antécédente ni volonté conséquente, mais volonté concomitante. – En
sens contraire, cette raison semble insuffisante. Comme, en effet, tout ce qui
est en Dieu est éternel, rien de ce qui est en lui ne peut précéder
chronologiquement ce qui existe en lui et cependant on trouve que quelque chose
a raison de principe pour une autre; comme la volonté de Dieu pour l'élection
par laquelle il élit les justes du seul fait que cela procède de son esprit.
Donc quoique la volonté ne précède pas la génération du Fils chronologiquement,
néanmoins, à ce qu'il semble, on peut poser le principe de la génération du
Fils du fait qu'il procède de son esprit.
q. 2 a. 3 arg. 3
Praeterea, filius procedit per actum intellectus cum procedat ut verbum: verbum
enim intellectuale non est nisi cum intelligimus aliquid cogitantes, ut Augustinus
dicit. Sed voluntas est principium intellectualis operationis: imperat enim
actum intellectus, sicut et aliarum potentiarum, ut Anselmus dicit; intelligo
enim quia volo, sicut et ambulo quia volo. Ergo voluntas est principium
processionis filii.
3. Le Fils procède par un acte de l'esprit, puisqu'il procède en tant
que Verbe, car le verbe intellectuel n'existe que lorsque nous saisissons
quelque chose par la pensée, comme Augustin le dit (la Trinité, IX, VII, 11).
Mais la volonté est le principe de l'opération intellectuelle; car elle
commande l'acte de l'esprit, comme celui des autres puissances, comme le dit
Anselme (De similit. 2); car je pense, parce que je le veux, de même que je me
promène parce que je le veux. Donc la volonté est le principe de la procession
du Fils.
q. 2 a. 3 arg. 4 Sed
dices, quod in humanis verum est quod voluntas imperat actum intellectus, non
autem in divinis.- Sed contra, praedestinatio quodammodo est actus intellectus:
dicimus enim, quod Deus praedestinavit Petrum quia voluit, secundum illud Rom.
IX, 18: cuius vult miseretur et quem vult indurat. Ergo non solum in humanis
sed etiam in divinis voluntas imperat actum intellectus.
4. Mais on dira que chez l'homme, il est vrai que la volonté commande
l'acte de l'esprit, mais pas en Dieu. – En sens contraire, la prédestination
est d'une certaine manière un acte de l'esprit; car nous disons que Dieu a
prédestiné Pierre parce qu'il l'a voulu, selon cette parole de Rm. 9,18: "Il
a pitié de qui il veut et il endurcit qui il veut." Donc non seulement
chez l'homme mais aussi en Dieu, la volonté commande l'acte de l'esprit.
q. 2 a. 3 arg. 5
Praeterea, secundum philosophum, quod movetur ex se ipso potest moveri et non
moveri; et eadem ratione quod agit ex se ipso agere potest et non agere. Sed
natura non potest agere et non agere, cum sit determinata ad unum. Ergo non
agit ex se ipsa, sed quasi mota ab alio. Hoc autem in divinis esse non potest.
Nulla ergo actio in divinis est a natura; et sic nec generatio. Et ita
generatio est a voluntate, cum omnia agentia reducantur in naturam vel
voluntatem, ut patet II Physic.
5. Selon le philosophe (Physique,
VIII, 5, 256 a 13), ce qui se meut de lui-même a pouvoir de se mouvoir ou pas;
et pour la même raison, ce qui agit de soi-même a pouvoir d'agir ou pas. Mais
la nature ne peut pas agir ou ne pas agir, puisqu'elle est déterminée à un seul
objet. Donc elle n'agit pas d'elle-même, mais comme mue par un autre. Mais cela
ne peut pas exister en Dieu. Donc nulle action en lui ne dépend de la nature, la
génération non plus. Et ainsi la génération dépend de la volonté, puisque tous
les agents sont ramenés à la nature ou à la volonté, comme on le voit en Physique (II, 4, 196 a 28[3]).
q. 2 a. 3 arg. 6
Praeterea, si actio naturae praecedat actionem voluntatis, sequitur
inconveniens, quod scilicet ratio voluntatis tollatur. Nam cum natura sit
determinata ad unum, si voluntatem moveat, eam ad unum tantum movebit; quod est
contra rationem voluntatis, quae secundum quod huiusmodi, libera est. Si vero
voluntas naturam moveat, neque tolletur ratio naturae neque voluntatis, quia
quod se habet ad plura, nihil prohibet quod ad unum moveat. Ergo rationabiliter actio voluntatis praecedit actionem naturae, magis
quam e converso. Sed generatio filii est pura actio sive operatio. Ergo est
a voluntate.
6. Si l'action de la nature précède l'action de la volonté, il en
découle un inconvénient: on exclut la raison d'être de la volonté. Car, puisque
la nature est déterminée à un seul objet, si elle meut la volonté, elle la mettra
en mouvement pour un seul objet, ce qui est contre la nature de la volonté,
qui, en tant que telle, est libre. Mais si la volonté meut la nature, et que la
raison d'être de la nature et de la volonté n'est pas exclue, parce qu'elle
s'étend à plusieurs objets, rien n'empêche qu'elle meuve pour un seul objet.
Donc en raison, l'action de la volonté précède l'action de nature, plus que le
contraire. Mais la génération du Fils est pure action ou pure opération. Donc
elle dépend de la volonté.
q. 2 a. 3 arg. 7
Praeterea, in Psalm. CXLVIII, 5, dicitur: dixit, et facta sunt, quod Augustinus
exponit: id est, verbum genuit in quo erant ut fierent. Sic ergo processio
verbi a patre, est ratio creaturae producendae. Si ergo filius non procedit a
patre per imperium voluntatis sed naturae, videtur sequi quod omnes creaturae a
Deo naturaliter et non solum voluntarie procedant, quod est erroneum.
7. Dans le Ps. 148,5 il est dit: "Il dit et ce fut fait"
qu'Augustin expose ainsi (La Genèse au
sens littéral, II, VI, 13 et II, VII) "C'est-à-dire il engendra le
Verbe dans lequel il était que cela serait fait[4]". Ainsi donc la
procession du Verbe à partir du Père est la raison de la production de la
créature. Si donc le Fils ne procède pas du Père par le pouvoir de la volonté,
mais par celui de la nature, il paraît en découler que toutes les créatures
procèdent de Dieu naturellement et pas seulement volontairement, ce qui est une
erreur[5].
q. 2 a. 3 arg. 8
Praeterea, Hilarius dicit in libro de synodis: si quis nolente patre natum
dicat filium, anathema sit. Non ergo pater genuit filium involuntarie; et sic
idem quod prius.
8. Hilaire dit dans le livre des Synodes (57, PL. 10, 520 C, canon 25):
"Si quelqu'un dit que le Fils est né sans que le Père le veuille, qu'il
soit anathème". Donc le Père ne l'a pas engendré involontairement et ainsi
de même que plus haut.
q. 2 a. 3 arg. 9
Praeterea, Ioan. III, 35, dicitur: pater diligit filium, et omnia dedit in manu
eius, quod secundum unam Glossam exponitur de datione generationis aeternae.
Dilectio ergo patris ad filium est signum potius quam ratio generationis
aeternae. Sed dilectio est a voluntate. Ergo voluntas est principium
generationis filii.
9. En Jean 3, 35, il est dit: "Le Père aime le Fils et a tout mis
dans sa main", qu'on expose, selon une glose, comme le don de la
génération éternelle. Donc l'amour du Père pour le Fils est le signe plus que
la raison de la génération éternelle. Mais l'amour vient de la volonté. Donc la
volonté est le principe de la génération du Fils.
q. 2 a. 3 arg. 10
Praeterea, Dionysius dicit, quod divinus amor non permittit ipsum sine germine
esse. Ex quo etiam videtur idem, scilicet quod amor sit ratio generationis.
10. Denys (Les Noms divins, ch. 4) dit que l'amour de Dieu ne lui
permet pas d'être sans descendance. Cela montre la même chose, à savoir que
l'amour est la raison de la génération.
q. 2 a. 3 arg. 11 Praeterea, positio ad quam non
sequitur aliquod inconveniens sive error, potest poni in divinis. Sed si
ponatur quod pater genuerit filium voluntate, non sequitur aliquod inconveniens:
neque enim sequitur quod filius non sit aeternus, ut videtur; neque quod non
sit consubstantialis aut aequalis patri: quia spiritus sanctus, qui procedit
per modum voluntatis, coaeternus est, coaequalis et consubstantialis patri et
filio. Ergo videtur quod non sit erroneum dicere, quod pater genuit filium
voluntate.
11. On peut émettre sur Dieu une hypothèse d'où ne découle ni
inconvénient ni erreur. Si l'on pense que le Père a engendré le Fils par
volonté, il n'en découle aucun d'inconvénient; en effet il n'en découle pas que
le Fils n'est pas éternel, à l'évidence; ni qu'il ne soit pas consubstantiel ou
égal au Père, parce que l'Esprit Saint qui procède par mode de volonté est
coéternel, coégal et consubstantiel au Père et au Fils. Donc il semble que ce
n'est pas une erreur de dire que le Père engendre le Fils par volonté.
q. 2 a. 3 arg. 12
Praeterea, voluntas quaelibet non potest non velle suum ultimum finem. Sed
finis divinae voluntatis est communicatio suae bonitatis, quae maxime fit per
generationem. Ergo voluntas patris non potest non velle generationem filii:
voluntate ergo genuit filium.
12. Toute volonté ne peut pas ne pas vouloir sa fin ultime. Mais la fin
de la volonté divine est la communication de sa bonté, ce qui se fait au plus
haut degré par génération. Donc la volonté du Père ne peut pas ne pas vouloir
la génération du Fils; donc il a engendré le Fils par sa volonté.
q. 2
a. 3 arg. 13 Praeterea, humana generatio a divina extrahitur, secundum illud Ephes.
cap. III, 15: ex quo omnis paternitas in caelo et in terra nominatur. Sed
humana generatio subiacet imperio voluntatis: aliter in actu generationis
peccatum non esset. Ergo etiam divina; et sic idem quod
prius.
13. La génération humaine découle de celle de Dieu, selon cette parole
de Ep. 3,15: "De lui toute paternité dans le ciel et sur la terre tire son
nom." Mais la génération humaine est soumise au pouvoir de la volonté.
Autrement, dans l'acte de génération, il n'y aurait pas de péché. Donc de même dans
la génération divine et ainsi de même que plus haut.
q. 2
a. 3 arg. 14 Praeterea, omnis actio naturae immutabilis est necessaria. Sed
natura divina omnino est immutabilis. Si ergo generatio sit operatio naturae et
non voluntatis, sequitur quod sit necessaria, et ita quod pater genuit filium
necessitate: quod est contra Augustinum.
14. Toute action d'une nature immuable est nécessaire. Mais la nature
divine est tout à fait immuable. Si donc la génération est une opération de
nature et non de la volonté, il s'ensuit qu'elle est nécessaire et ainsi que le
Père a engendré le Fils par nécessité, ce qui s'oppose à Augustin (à Orose, ch.
7[6]).
q. 2 a. 3 arg. 15
Praeterea, Augustinus dicit, quod filius est consilium de consilio et voluntas
de voluntate. Sed haec praepositio de denotat principium. Ergo voluntas est
principium generationis filii, et sic idem quod prius.
15. Augustin dit (la Trinité, XV, XX, 38) que le Fils est le conseil du
conseil, le volonté de la volonté[7]. Mais cette préposition de désigne un
principe. Donc la volonté est le principe de la génération du Fils et ainsi de
même que ci-dessus.
En sens contraire.
q. 2 a. 3 s. c. 1
Sed contra. Est quod Augustinus dicit: pater neque voluntate neque necessitate
genuit filium.
1. Il y a ce que dit Augustin (à Orose[8]): "Le Père n'a engendré
le Fils, ni par volonté, ni par nécessité".
q. 2 a. 3 s. c. 2
Praeterea, summa diffusio voluntatis est per modum amoris. Filius autem non
procedit per modum amoris, sed potius spiritus sanctus. Ergo voluntas non est
principium generationis filii.
2. La plus haute diffusion de la volonté s'accomplit par mode d'amour.
Le Fils ne procède pas par mode d'amour, mais c'est plutôt l'Esprit Saint. Donc
la volonté n'est pas le principe de la génération du Fils.
q. 2 a.
3 s. c. 3 Praeterea, filius procedit a patre ut splendor a luce, secundum illud
Hebr. cap. I, vers. 3: qui cum sit splendor gloriae et figura
substantiae eius. Sed splendor non procedit a luce voluntate
mediante. Ergo nec filius a patre.
3. Le Fils procède du Père comme la splendeur (procède) de la lumière,
selon ce mot de Héb. 1, 3: "Il est la splendeur de sa gloire et l'effigie
de sa substance[9]". Mais la splendeur ne procède pas de la lumière par
l'intermédiaire de la volonté. Donc ni le Fils du Père.
Réponse
q. 2 a. 3 co.
Respondeo. Dicendum, quod generatio filii potest se habere ad voluntatem ut
voluntatis obiectum: pater enim et filium voluit et filii generationem ab
aeterno: nullo autem modo voluntas esse potest divinae generationis principium:
quod sic patet. Voluntas, inquantum voluntas,
cum sit libera, ad utrumlibet se habet. Potest enim voluntas agere vel non
agere, sic vel sic facere, velle et non velle. Et si respectu alicuius hoc
voluntati non conveniat, hoc accidet voluntati non in quantum voluntas est, sed
ex inclinatione naturali quam habet ad aliquid, sicut ad finem ultimum, quem
non potest non velle; sicut voluntas humana non potest non velle beatitudinem,
nec potest velle miseriam. Ex quo patet quod omne illud cuius voluntas est
principium, quantum in se est, possibile est esse vel non esse, et esse tale
vel tale, et tunc vel nunc (...)
Il faut dire que la génération du Fils se comporte par rapport à la
volonté comme son objet. Car le Père a voulu le Fils et sa génération
éternellement. Mais en aucune manière, la volonté ne peut être le principe de
la génération divine; ce qu'on montre ainsi. Comme la volonté, en tant que
telle, est libre, elle choisit entre deux solutions. Car la volonté peut agir
ou pas, agir ainsi ou différemment, vouloir ou ne pas vouloir. Et si par
rapport à quelque chose cela ne convient pas à la volonté, cela lui arrive, non
en tant que telle, mais par l'inclination naturelle qu'elle a pour quelque
chose comme à sa fin ultime qu'elle ne peut pas ne pas vouloir; ainsi la
volonté humaine ne peut pas ne pas vouloir la béatitude, et elle ne peut
vouloir le malheur. Par là il est clair que tout ce dont la volonté est le
principe quant à soi, a la possibilité d'être ou ne pas être, et être tel ou
tel et alors ou maintenant.
omne autem illud quod sic se habet, est creatum: quia in eo quod
increatum est, non est potestas ad esse vel non esse. Sed per se necesse est
esse, ut Avicenna probat. Si ergo ponitur filius voluntate genitus, necessario
sequitur ipsum esse creaturam. Et propter hoc Ariani qui ponebant filium
creaturam, dicebant eum esse genitum voluntate. Catholici autem dicunt filium
non natum voluntate, sed natura. Natura enim ad unum determinata est. Et
secundum hoc ex hoc quod filius est a patre genitus natura, oportet quod ipse
non possit esse non genitus, et quod non possit esse alio modo quam est, aut
patri non consubstantialis; cum quod naturaliter procedit, procedat in
similitudinem eius a quo procedit. Et hoc est quod Hilarius dicit: omnibus
creaturis substantiam Dei voluntas attulit; sed naturam filio dedit perfecta
nativitas; et ideo talia sunt cuncta qualia Deus esse voluit; filius autem
talis est qualis est Deus.
Tout ce qui se comporte ainsi est créé, parce que, en ce qui est
incréé, le pouvoir d'être ou ne pas être n'existe pas. Mais il lui est
nécessaire d'être par soi, comme Avicenne le prouve (Métaphysique VIII, 4[10]). Donc si on pense que la Fils a été
engendré par volonté, il en découle nécessairement qu'il est une créature. Et
c'est pour cela que les Ariens, qui affirmaient que le Christ était une
créature, disaient qu'il avait été engendré par volonté. Mais les Catholiques
disent que le Fils n'est pas né par volonté mais par nature. Car la nature est
déterminée à un seul but. Et du fait que le Fils a été engendré du Père par
nature, il faut que lui-même ne puisse pas ne pas être engendré, et qu'il ne
puisse pas exister d'une autre manière qu'il n'est, ou sans être consubstantiel
au Père; puisque ce qui procède naturellement procède dans la ressemblance de
ce dont il procède. Et c'est ce que Hilaire dit (Les Synodes, n°58[11]): "La
volonté de Dieu apporte la substance à toutes les créatures, mais une naissance
parfaite a donné la nature au Fils"; et ainsi toute chose est telle que
Dieu a voulu qu'elle existe, mais le Fils est tel que Dieu.
Sicut autem dictum est, voluntas licet respectu aliquorum ad utrumlibet
se habeat, tamen respectu finis ultimi naturalem inclinationem habet; et
similiter intellectus respectu cognitionis principiorum primorum, naturalem
quemdam motum habet. Principium autem divinae cognitionis est ipse Deus qui est
finis suae voluntatis; unde illud quod procedit in Deo per actum intellectus
cognoscentis seipsum realiter procedit; et similiter quod procedit per actum
voluntatis diligentis se ipsam. Et propter hoc cum filius procedat ut verbum
per actum intellectus divini in quantum pater cognoscit seipsum et spiritus
sanctus per actum voluntatis in quantum pater diligit filium: sequitur quod tam
filius quam spiritus sanctus naturaliter procedant, et ex hoc ulterius quod
sint consubstantiales et coaequales et coaeterni patri et sibi invicem.
Comme on l'a dit, bien que la volonté choisisse entre deux solutions,
cependant elle a une inclination naturelle par rapport à la fin ultime; et semblablement
l'esprit a un mouvement naturel en rapport avec la connaissance des premiers
principes. Mais le principe de la connaissance divine est Dieu lui-même qui est
la fin de sa volonté, c'est pourquoi ce qui procède en Dieu par un acte de
l'esprit qui se connaît lui-même procède réellement de lui et il en est de même
pour ce qui procède par un acte de la volonté qui s'aime elle-même. Et à cause
de cela, comme le Fils procède comme Verbe, par un acte de l'esprit divin, dans
la mesure où le Père se connaît lui-même, et comme l'Esprit Saint procède par
un acte de la volonté dans la mesure où le Père aime le Fils, il s'ensuit que
tant le Fils que l'Esprit Saint procèdent naturellement et par là en plus ils
sont consubstantiels et co-égaux et coéternels au Père et l'un avec l'autre.
Solutions:
q. 2 a. 3 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod Hilarius loquitur de necessitate quae importat
violentiam: quod patet per hoc quod subdit: non naturali necessitate ductus,
cum vellet generare filium.
# 1. Hilaire parle d'une nécessité qui apporte la violence, ce qui
apparaît par ce qu'il ajoute: "Il n'était pas poussé par une nécessité
naturelle, quand il voulait engendrer son Fils[12]."
q. 2 a. 3 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod respectu nullius rei est in Deo voluntas antecedens;
quia quidquid aliquando Deus vult, ab aeterno voluit. Concomitans vero est
respectu omnium bonorum quae sunt tam in ipso quam in creaturis; vult enim se
esse et creaturam esse. Sed praecedens vel antecedens tempore quidem non est
nisi respectu creaturae, quae ab aeterno non fuit; praecedens vero intellectus
est respectu actuum aeternorum qui significantur ad creaturas terminari; sicut
dispositio, praedestinatio et huiusmodi. Generatio vero filii, neque est
creatura, neque ad creaturam significatur terminari. Unde respectu eius non est
voluntas praecedens nec tempore neque intellectu, sed solum voluntas
concomitans.
# 2. La volonté antécédente en Dieu n'est en rapport avec rien; parce
que tout ce que Dieu veut quelquefois il l'a voulu éternellement. Mais la
volonté concomitante est en rapport avec tous les biens qui sont tant en lui
que dans les créatures; car il veut être et que la créature soit. Mais la
[volonté] antécédente chronologiquement ne peut l'être qu'en rapport avec la
créature qui n'a pas existé éternellement, mais l'esprit précédent est en
rapport avec les actes éternels qui sont désignés comme se terminant aux
créatures, comme la disposition, la prédestination, etc.. Mais la génération du
Fils n'est pas une créature, et n'est pas signifiée comme se terminant à une
créature. C'est pourquoi, par rapport à lui, il n'y a pas de volonté
précédente, ni chronologiquement, ni selon l'esprit, mais seulement une volonté
concomitante.
q. 2 a. 3 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod sicut actus intellectus videtur sequi actum voluntatis,
in quantum a voluntate imperatur; ita e converso actus voluntatis videtur sequi
actum intellectus, in quantum per intellectum praesentatur voluntati suum
obiectum, quod est bonum intellectum. Unde esset procedere in infinitum, nisi
esset ponere statum vel in actu intellectus vel in actu voluntatis. Non autem
potest status poni in actu voluntatis, cum obiectum praesupponatur ad actum;
unde oportet ponere statum in actu intellectus, qui naturaliter intellectum
consequitur; ita quod a voluntate non imperatur. Et per hunc modum procedit
filius Dei ut verbum secundum actum intellectus divini, ut ex dictis, in corp.
art., patet.
# 3. De même que l'acte de l'esprit paraît suivre celui de la volonté,
dans la mesure où elle le commande, ainsi à l'inverse, l'acte de la volonté
parait suivre celui de l'esprit dans la mesure où son objet qui est un bien
conçu est présenté à la volonté. C'est pourquoi, il faudrait procéder à
l'infini, sinon il faut placer un arrêt dans l'acte de l'esprit ou dans celui
de la volonté. Mais on ne peut pas le placer dans un acte de la volonté,
puisque l'objet est présupposé à l'acte; c'est pourquoi il faut le placer dans
l'acte de la volonté qui suit naturellement la conception de sorte qu'il ne
soit pas commandé par la volonté. Et de cette manière, le Fils de Dieu procède
comme Verbe selon l'acte de l'esprit divin, comme cela apparaît dans ce qui a
été dit dans le corps de l'article.
q. 2 a. 3 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod actus intellectus divini naturalis est secundum quod ad
ipsum Deum terminatur, qui est principium suae cognitionis; secundum vero quod
significatur ad creaturas terminari, ad quas sic se habet quodammodo ut
intellectus noster ad conclusiones, non naturaliter ab intellectu progreditur sed
voluntarie; et ideo in divinis aliqui actus intellectus significantur ut
imperati a voluntate.
# 4. L'acte de l'esprit divin est naturel, dans la mesure où il se
termine en Dieu même, qui est le principe de sa connaissance; mais selon qu'on
le signifie comme se terminant aux créatures, envers lesquelles il se comporte
d'une certaine manière comme notre esprit vis-à-vis des conclusions, il ne sort
pas de l'esprit naturellement mais volontairement; et c'est pourquoi en Dieu,
certains actes de l'esprit sont décrits comme commandés par la volonté.
q. 2 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quoad
ea ad quae natura potest se extendere secundum propria principia essentialia,
non indiget ut ab alio determinetur, sed ad ea tantum ad quae propria principia
non sufficiunt. Unde philosophi non sunt ducti ut ponerent opus naturae, opus
intelligentiae, ex operibus quae competunt calido et frigido secundum se ipsa;
quia in has, etiam ponentes res naturales ex necessitate materiae accidere,
omnia naturae opera reducebant. Ducti sunt autem ex illis
operationibus ad quas non possunt sufficere virtus calidi et frigidi, et
huiusmodi qualitatum; sicut ex membris ordinatis in corpore animalis tali modo
quod natura salvatur. Quia ergo naturae divinae secundum se opus est generatio
non oportet quod ad hanc actionem ab aliqua voluntate determinetur.- Vel
dicendum, quod natura determinatur ab aliquo, ut in finem. Illi autem naturae
quae est finis, et non ad finem, non competit ab aliquo determinari.
# 5. Jusqu'où la nature peut s'étendre selon ses propres principes
essentiels, cela n'a pas besoin d'être déterminé par un autre, mais seulement
pour ce à quoi les principes propres ne suffisent pas. C'est pourquoi les
philosophes par ces opérations à qui conviennent le chaud et le froid en soi
n'ont pas été amenés à penser l'oeuvre de la nature, comme l'oeuvre d'une
intelligence. Parce que, pensant qu'en elles les choses naturelles arrivent par
nécessité de la matière, ils y ramenaient toutes les oeuvres de la nature. Mais
ils y ont été amenés par ces opérations où le pouvoir du chaud et du froid et
les qualités de ce genre ne peuvent pas suffire; de même ils y ont été amenés
par la disposition des membres dans le corps d'un animal de telle sorte que la
nature se conserve. Donc parce que l'oeuvre de la nature divine en soi est la
génération, il ne faut pas qu'elle soit déterminée à cette action par une
volonté – Ou bien il faut dire que la nature est déterminée par quelque chose
comme à sa fin. Mais à cette nature, qui est la fin, il ne convient pas d'être
déterminée par quelque chose pour la fin.
q. 2 a. 3 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod in diversis considerando, actio voluntatis actionem
naturae praecedit. Unde totius naturae inferioris actio ex voluntate
gubernantis procedit. Sed in eodem oportet quod actio naturae praecedat
actionem voluntatis. Natura enim secundum intellectum praecedit voluntatem, cum
natura intelligatur esse principium quo res subsistit, voluntas vero ultimum
quo ad finem ordinatur. Nec tamen sequitur quod tollatur ratio voluntatis.
Quamvis enim ad inclinationem naturae voluntas ad aliquid unum determinetur,
quod est ultimus finis a natura intentus, respectu tamen aliorum indeterminata
manet; sicut patet in homine, qui naturaliter vult beatitudinem et de
necessitate, non autem alia. Sic ergo in Deo naturae actio actionem voluntatis
praecedit natura et intellectu; nam generatio filii est ratio omnium eorum quae
per voluntatem producuntur, scilicet creaturarum.
# 6. En prenant en considération divers éléments, l'action de la volonté
précède celle de la nature. C'est pourquoi, l'action de toute la nature
inférieure procède de la volonté de celui qui gouverne. Mais dans un même être,
il faut que l'action de la nature précède celle de la volonté. Car la nature
selon l'esprit précède la volonté, puisqu'on comprend la nature comme le
principe par lequel un être subsiste, mais la volonté est le principe ultime
par lequel elle est ordonnée à sa fin. Cependant il n'en découle pas qu'on
exclut la raison d'être de la volonté. Car quoique pour l'inclination de la
nature la volonté soit déterminée, à un objet unique, qui est sa fin ultime
décidée par la nature, cependant, par rapport aux autres, elle demeure
indéterminée; comme on le voit chez l'homme qui veut la béatitude naturellement
et nécessairement, mais pas autre chose. Ainsi donc en Dieu l'action de la
nature précède celle de la volonté par nature et par l'esprit; car la
génération du Fils est la raison de tout ce qui est produit par la volonté, à
savoir les créatures[13].
q. 2 a. 3 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod licet in verbo Dei a patre genito fuerit ut omnes
creaturae fierent, non tamen oportet, si verbum naturaliter procedit, quod
creaturae etiam naturaliter procedant; sicut nec sequitur, si intellectus
noster principia naturaliter cognoscit, quod naturaliter cognoscat ea quae ex
principiis consequuntur: eo enim quod naturaliter habemus, voluntas utitur ad
utramque partem.
# 7. Bien que dans le Verbe de Dieu, engendré par le Père, il y ait le
pouvoir de créer toutes les créatures, cependant il ne faut pas, si le Verbe
procède par nature, que les créatures procèdent aussi par nature, il n'en
découle pas, non plus, si notre esprit connaît naturellement les principes,
qu'il connaisse naturellement ce qui découle d'eux; car la volonté se sert de
ce que nous avons naturellement pour l'une et l'autre solution.
q. 2 a. 3 ad 8 Ad
octavum dicendum, quod pater voluntarie genuit; sed in hoc non designatur nisi
voluntas concomitans.
# 8. La Père a engendré volontairement, mais on ne désigne par là que
la volonté concomitante.
q. 2 a. 3 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod si verbum illud de generatione aeterna intelligatur,
dilectio patris ad filium non est intelligenda ut ratio illius dationis qua
pater filio aeternaliter omnia dat, ut signum. Similitudo enim ratio est
amoris.
# 9. Si cette parole[14] est comprise de la génération éternelle,
l'amour du Père pour le Fils ne doit pas être compris comme la raison de ce
don, par lequel il donne tout au Fils éternellement, comme un sceau. Car la
ressemblance est la raison de l'amour.
q. 2 a. 3 ad 10 Ad
decimum dicendum, quod Dionysius loquitur de productione creaturae, non de
generatione filii.
# 10. Denys parle de la production de la créature, non de la génération
du Fils.
q. 2 a. 3 ad 11 Ad
undecimum dicendum, quod spiritus sanctus procedere dicitur per modum
voluntatis, quia procedit per actum qui naturaliter est a voluntate, scilicet
per hoc quod pater amat filium, et e converso. Ipse enim amor est spiritus
sanctus, sicut filius est verbum quo pater dixit se ipsum.
# 11. On dit que l'Esprit Saint procède par mode de volonté, parce
qu'il procède par un acte qui dépend naturellement de la volonté[15], à savoir
que le Père aime le Fils et inversement. Car l'Esprit Saint est l'amour même,
comme le Fils est le Verbe, par lequel le Père se dit lui-même.
q. 2 a. 3 ad 12 Ad
duodecimum dicendum, quod ex illa etiam ratione non sequitur nisi quod pater
rationem filii velit; quod pertinet ad voluntatem concomitantem, quae respicit
generationem sicut obiectum, non sicut id cuius sit principium.
# 12. De cette raison[16] il découle seulement que le Père veut la
nature du Fils, ce qui convient à la volonté concomitante, qui regarde la
génération comme objet, non comme ce dont elle est le principe.
q. 2 a. 3 ad 13 Ad
decimumtertium dicendum, quod humana generatio fit per virtutem naturalem,
scilicet generativam potentiam, mediante potentia motiva, quae imperio subiacet
voluntatis, non autem generativa potentia. Hoc autem non accidit in divinis; et
ideo non est simile.
# 13. La génération chez l'homme se fait par un pouvoir naturel,
c'est-à-dire la puissance générative; par l'intermédiaire de la puissance
motrice, qui est soumise au pouvoir de la volonté, mais pas la puissance
générative. Mais cela n'arrive pas en Dieu; et c'est pourquoi ce n'est pas
pareil.
q. 2 a. 3 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod
Augustinus non intendit negare necessitatem immutabilitatis, de qua ratio
procedit, sed necessitatem coactionis.
# 14. Augustin n'entend pas nier la nécessité de l'immutabilité, d'où
procède cet argument, mais la nécessité de coaction[17].
q. 2 a. 3 ad 15 Ad
decimumquintum dicendum, quod cum dicitur filius esse voluntas de voluntate,
intelligitur esse de patre, qui est voluntas. Unde haec praepositio de notat
generationis principium, quod est generans, non id quo generatur, de quo est
praesens quaestio.
# 15. Quand on dit que le Fils est volonté de la volonté, on comprend
qu'il est du Père qui est la volonté. C'est pourquoi cette préposition de
indique le principe de la génération qui est celui qui engendre, non ce par
quoi il est engendré, ce dont il s'agit dans la présente question.
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[1] Parall.: Ia , qu. 41 a. 2 –
CG. IV, 11 – I Sent. d6q1a1, 2, 3 – Pot. 10, a. 2, ad 4, 5.
[2]
PL 520 C, canon 25 de la première profession de Sirmium (351) n° 140, Denz.
247). A propos de ce texte Ia, 41, 2 ad 1m: "Cette autorité (celle
d'Hilaire) est contre ceux qui rejetaient la concomitance du vouloir paternel
de la génération du Fils, en disant qu'il avait engendré le Fils par nature, de
sorte qu'il n'en avait pas la volonté.. de même que nous subissons par
nécessité naturelle bien des maux contre notre volonté: mort, vieillesse et
autres afflictions. Cette intention de l'auteur ressort clairement du contexte."
[3]
"Les animaux ni les plantes
n'existent ni ne sont engendrés par fortune (c'est-à-dire par le hasard), la
cause de cette génération étant nature, intelligence, ou quelque autre chose de
tel." (Trad. H. Carteron)
[4]
Pot. qu. 10, a. 2, obj. 19 et ailleurs: id est, Verbum genuit a quo erant, ut
fierent. Augustin "Dixit: fiat, id est, in Verbo Dei aeterno erat, ut
fieret. ("Il était dans le Verbe éternel que cela fut fait." (Trad.
BA. 48, p. 166-167).
[5]
Ce qui sera démontré en Pot. qu. 3, a. 15.
[6]
Dialogue des 65 questions, qu. 7, PL 40, 736 D, "Il n'a engendré ni par
volonté ni par nécessité parce qu'il n'y a pas de nécessité en Dieu".
Îuvre attribuée à Augustin (La Clavis Patrum latinorum n'en parle pas),
composée d'extraits de son oeuvre. La question 7 serait tirée du de Trinitate
(PL, Admonitio 734-735).
[7]
Après avoir réfuté les Eunomiens, qui prétendaient que le Fils était non de la
nature de la substance et l'essence, mais de sa volonté, il ajoute:"Certains,
pour ne pas dire que le verbe unique était Fils du conseil et de la volonté de
Dieu, ont dit que le Verbe était le conseil même, la volonté même du Père. Il
vaut mieux, à mon sens, dire que le Verbe est conseil du conseil, volonté de la
volonté.", pour éviter "cette opinion absurde... que le Fils
donnerait au Père sagesse et vouloir." (Trad. BA. 16).
[8]
Contre les Ariens. (Denz. 71. Formule appelée Fides Damasi.).
[9]
Même citation, Pot. 2, 4, obj. 13, qu. 9, a. 9 obj. 13. en 9, 9. En 2, 3 il est
question de lumière, mais précise Thomas, qui admet l'image, il ne faut pas
appliquer la comparaison intégralement.
[10]
Anawati, 345. L'incréé est nécessaire; il n'a pas le pouvoir d'être ou ne pas
être.
[11]
Canon 24 de la profession de Sirmium. PL 10, 520C.
Le
concile de Sirmium: Photin, évêque de Sirmium, passait pour reproduire les
idées de Marcel d'Ancyre. Il fut condamné à Milan en 345 et 347, mais refusa de
se retirer de son siège épiscopal. En 351, Constance est à Sirmium. Les
orientaux en profitent, pour convoquer une assemblée contre Photin. Le concile
émet une profession de foi pour combattre la doctrine antitrinitaire de Photin
et établir la distinction des personnes divines. Photin est déposé et expulsé.
Ce concile dont les textes sont dans le de Synodis de saint Athanase, (PG. 26,
735 ss.) présente un texte à tendance subordinationniste (3e et 4e anathèmes:
nous ne plaçons pas le Fils sur la même ligne que le Père, mais nous le
subordonnons au Père") Mais Hilaire qui rapporte le concile en donne une
interprétation favorable (PL. 10, 518)
[12]
Canon 25, Sirmium,PL.10, 520 C. Sur la nécessité cf. Ia, 41, 2 ad 5: "Il y
a le nécessaire par soi, et le nécessaire par un autre. Nécessaire par un
autre. On peut l'être par un autre de deux manières. D'abord, par une cause
efficiente et contraignante; on appelle ainsi nécessaire ce qui est violent.
Ensuite, par la cause finale; ainsi dans ce qui est en vue d'une fin, on
appellera "nécessaire" ce sans quoi la fin ne peut se réaliser, ni
bien se réaliser. Mais la génération divine est nécessaire d'aucune des deux
manières; car Dieu n'est pas ordonné à une fin, et aucune contrainte n'a prise
sur lui. Le nécessaire par soi, c'est ce qui ne peut pas ne pas être; ainsi
est-il nécessaire que Dieu existe. Et de cette manière il est nécessaire que le
Père engendre le Fils."
[13]
C'est par le Fils que tout est créé.
[14]
De saint Jean (obj. 9).
[15]
L'amour est volontaire.
[16]
A savoir la communication de la bonté.
[17]
Nécessité de coaction: elle ne peut en aucune manière arriver à ce qui agit par
volonté, puisqu'elle est liée à la violence. "La nécessité d'inclination
naturelle: Dieu vit nécessairement et en telle nécessité, la volonté veut
quelque chose nécessairement". (De Ver. qu. 22, a. 5, c ).
q. 2 a. 4 tit. 1
Quarto quaeritur utrum in divinis possint esse plures filii. Et videtur quod
sic.
Il semble que oui:
Objections[1]:
q. 2 a. 4 arg. 1
Operatio enim naturae quae convenit uni supposito, convenit etiam omnibus
suppositis eiusdem naturae. Sed generatio, secundum Damascenum, est opus
naturae, et convenit patri. Ergo etiam filio et spiritui sancto qui sunt
supposita eiusdem naturae. Sed filius non generat se ipsum: nam, secundum
Augustinum, nulla res potest generare se ipsam. Ergo generat alium filium, et
sic in divinis possunt esse plures filii.
1.Car l'opération de nature qui convient à un suppôt, convient aussi à
tous les suppôts de même nature. Mais la génération, selon Jean Damascène (la foi orthodoxe, II, 27) est l'oeuvre
de la nature et convient au Père. Donc aussi au Fils et à l'Esprit Saint qui
sont des suppôts de même nature. Mais le Fils ne s'engendre pas lui-même, car
selon Augustin, rien ne peut s'engendrer soi-même. Donc il engendre un autre
fils et ainsi il peut y avoir plusieurs fils en Dieu.
q. 2 a. 4 arg. 2 Praeterea, totam virtutem suam
pater in filium transfundit. Sed potentia generandi pertinet ad virtutem
patris. Ergo huiusmodi potentiam habet filius a patre; et sic idem quod prius.
2. Le Père a transmis tout son pouvoir au Fils. Mais la puissance
d'engendrer appartient au pouvoir du Père. Donc le Fils reçoit du Père une
puissance de ce genre, et ainsi de même que ci-dessus.
q. 2 a. 4 arg. 3
Praeterea, filius est perfecta imago patris, ad quod requiritur perfecta
assimilatio; quae non esset si filius non quantum ad omnia patrem imitaretur.
Ergo sicut pater filium generat, ita et filius; et sic idem quod prius.
3. Le Fils est l'image parfaite du Père, cela requiert une ressemblance
parfaite, qui n'existerait pas si le Fils n'imitait pas en tout le Père. Donc,
comme le Père engendre le Fils, le Fils aussi engendre et ainsi de même que
ci-dessus.
q. 2 a. 4 arg. 4
Praeterea, perfectior est assimilatio ad Deum secundum conformitatem actionis
quam secundum conformitatem alicuius formae, ut patet per Dionysium: sicut soli
magis assimilatur quod lucet et illuminat quam quod lucet tantum. Sed filius
perfectissime assimilatur patri. Ergo est ei conformis non solum in potentia,
sed etiam in actu generandi; et sic idem quod prius.
4. La ressemblance à Dieu est plus parfaite en conformité avec l'action
qu'avec celle d'une forme, comme le montre Denys (La hiérarchie céleste, 3[2]); ainsi ce qui
brille et illumine ressemble plus au soleil que ce qui brille seulement. Mais
le Fils ressemble très parfaitement au Père. Donc il lui est conforme non
seulement en puissance, mais aussi dans l'acte d'engendrer; et ainsi de même
que ci-dessus.
q. 2 a. 4 arg. 5
Praeterea, ex hoc contingit quod Deus facta una creatura potest facere aliam,
quia eius potentia neque exhauritur neque diminuitur in creando. Sed similiter
potentia patris neque exhauritur neque diminuitur ex hoc quod generat filium.
Ergo per hoc quod generat filium, non prohibetur quin possit alium filium
generare; et sic possunt esse plures filii in divinis.
5. De ce fait il arrive que Dieu, ayant créé une créature, peut en
créer une autre, parce que sa puissance n'est ni augmentée ni diminuée en
créant. Mais de la même manière la puissance du Père n'est ni augmentée ni
diminuée du fait qu'il engendre le Fils. Donc par le fait qu'il l'engendre, il
n'est pas empêché de pouvoir engendrer un autre fils et ainsi il peut y avoir
plusieurs fils en Dieu.
q. 2 a. 4 arg. 6 Sed
dices, quod ideo non generat alium filium, quia sequeretur inconveniens quod
Augustinus ponit, scilicet quod infinita esset divina generatio, si pater
plures filios generaret vel filius patri generaret nepotem, et sic de aliis.
Sed contra. In Deo nihil est in potentia quod non sit in actu: esset enim
imperfectus. Si ergo est in potentia patris quod plures filios generet, nullo
inconvenienti prohibente, erunt plures filii in divinis.
6. Mais on pourrait dire qu'il
n'engendre pas un autre fils, parce qu'il en découlerait un inconvénient
qu'Augustin expose, à savoir que la génération divine serait infinie, soit que
le Père engendre plusieurs fils, soit que le Fils engendre un petit-fils au
Père, etc.. – En sens contraire: en Dieu rien n'est en puissance qui ne soit en
acte: car il serait imparfait. Si donc il est dans la puissance du Père
d'engendrer plusieurs fils, si nul inconvénient ne l'empêche, il y aura
plusieurs fils en Dieu.
q. 2 a. 4 arg. 7
Praeterea, de natura geniti est ut procedat in similitudinem generantis. Sed
sicut filius est similis patri, ita et spiritus sanctus; et ita spiritus
sanctus est filius, et sic sunt plures filii in divinis.
7. Il est de la nature de celui qui est engendré d'aboutir à la
ressemblance de celui qui l'engendre. Mais le Fils est semblable au Père,
l'Esprit Saint aussi et ainsi il est aussi fils et il y a donc plusieurs fils
en Dieu.
q. 2 a. 4 arg. 8
Praeterea, secundum Anselmum, nihil est aliud dicere patrem filium generare,
quam patrem dicere se ipsum. Sed sicut pater potest dicere se ipsum, ita et
filius et spiritus sanctus. Ergo pater et filius et spiritus sanctus possunt
filios generare; et sic idem quod supra.
8. Selon Anselme (Monologium,
62), que le Père engendre le Fils, ce n'est rien d'autre que le Père se dit
lui-même. Mais de même que le Père peut se dire lui-même, le Fils et l'Esprit
Saint aussi. Donc le Père, le Fils et l'Esprit saint peuvent engendrer des
fils, et ainsi de même que ci-dessus.
q. 2 a. 4 arg. 9
Praeterea, ex hoc pater dicitur filium generare, quod similitudinem suam in
intellectu suo concipit. Sed hoc idem possunt facere filius et spiritus
sanctus. Ergo idem quod prius.
9. On dit que du fait que le Père engendre le Fils, il conçoit sa
ressemblance dans son esprit. Mais le Fils et l'Esprit Saint peuvent faire de
même. Donc de même que ci-dessus.
q. 2 a. 4 arg. 10
Praeterea, potentia est media inter essentiam et operationem. Sed una est
essentia patris et filii, eademque potentia. Ergo et una operatio; et sic filio
convenit generare; et ita ut prius.
10. La puissance est intermédiaire entre l'essence et l'opération. Mais
l'essence du Père et du Fils est une, et la puissance est la même. Donc il y a
une seule opération et ainsi il convient au Fils d'engendrer et de même que
plus haut.
q. 2 a. 4 arg. 11
Praeterea, bonitas est diffusionis principium. Sed sicut est infinita bonitas
in patre et filio, ita etiam in spiritu sancto. Ergo sicut pater infinita
communicatione suam naturam communicat filium generando, ita spiritus sanctus
aliquam divinam personam producendo; non enim infinite communicatur divina
bonitas creaturae; et sic videtur quod possint esse plures filii in divinis.
11. La bonté est le principe de la diffusion. Mais la bonté dans le
Père et le Fils est infinie, de même aussi dans l'Esprit saint. Donc le Père
communique sa nature dans une communication infinie en engendrant le Fils; de
même l'Esprit Saint aussi en produisant une personne divine; car la divine
bonté n'est pas communiquée de manière infinie à la créature et ainsi il semble
qu'il peut y avoir plusieurs fils en Dieu.
q. 2 a. 4 arg. 12
Praeterea, nullius boni sine consortio potest esse iucunda possessio. Sed
filiatio est quoddam bonum in filio. Ergo videtur oportere ad perfectam
iucunditatem filii, esse alium filium in divinis.
12. Une possession agréable ne peut exister sans partage d'aucun bien[3]. Mais la filiation dans le Fils est un bien. Donc on voit
bien qu'il faut pour la joie parfaite du Fils qu'il y ait un autre fils en
Dieu.
q. 2 a. 4 arg. 13
Praeterea, filius procedit a patre ut splendor a luce, ut patet Hebr. I, 3: qui
cum sit splendor gloriae, et figura substantiae eius. Sed splendor potest alium
splendorem producere, et ille alium, et alius alium. Ergo similiter videtur
esse in processione divinarum personarum, quod filius possit alium filium
generare, et sic idem ut prius.
13. Le Fils procède du Père comme la splendeur de la lumière, comme il
est dit en Héb. 1,3[4]:
"Il est la splendeur de sa gloire et
l'effigie de sa substance" Mais la splendeur peut produire une autre
splendeur et celle-ci une autre et l'autre une autre. Donc de la même manière,
il semble que dans la procession des personnes divines, il soit possible que le
Fils puisse engendrer un autre fils et ainsi de même que plus haut.
q. 2 a. 4 arg. 14 Praeterea, paternitas in patre
ad eius dignitatem pertinet. Sed eadem est dignitas patris et filii.
Ergo paternitas convenit filio; et sic sunt plures filii in divinis.
14. La paternité dans le Père convient à sa dignité. Mais elle est
identique pour le Père et le Fils. Donc la paternité convient au Fils, et ainsi
il y a plusieurs fils en Dieu.
q. 2 a. 4 arg. 15
Praeterea, eius est potentia cuius est actus. Sed potentia generandi est in
filio. Ergo filius generat.
15. La puissance dépend de ce dont elle est l'acte. Mais la puissance
d'engendrer est dans le Fils. Donc le Fils engendre.
En sens contraire.
q. 2 a. 4 s. c. 1
Sed contra. Illa sunt perfectissima in creaturis quae ex tota materia sua
constant, et sunt eorum in singulis speciebus singula tantum. Sed sicut
creaturae materiales individuantur per materiam, ita filii persona constituitur
filiatione. Ergo cum Deus filius sit perfectus filius, videtur quod in ipso
solo in divinis filiatio inveniatur.
1. Sont très parfaites parmi les créatures celles qui sont composées de
toute leur matière et sont seules dans leur espèce. Mais de même que les
créatures matérielles sont individualisées par la matière, de même la personne
du Fils est constituée par la filiation. Donc, comme Dieu le Fils est un fils
parfait, il est clair qu'on ne trouve la filiation en Dieu qu'en lui seul.
q. 2 a. 4 s. c. 2
Praeterea, Augustinus dicit, quod si pater posset generare et non generaret,
invidus esset. Sed filius non est invidus. Ergo cum non generet, generare non
potest. Et sic non possunt esse plures filii in divinis.
2. Augustin dit (Contre
Maximinien, III, ch. 7, 18 et 23[5]) que, si le Père
pouvait engendrer et n'engendrait pas, il serait envieux, mais le Fils n'est
pas envieux. Donc puisqu'il n'engendre pas, il ne peut engendrer. Et ainsi il
ne peut y avoir plusieurs fils en Dieu.
q. 2 a. 4 s. c. 3
Praeterea, quod perfecte dictum est semel iterum dici non oportet. Sed filius
est verbum perfectum, cui nihil deest, secundum Augustinum. Ergo non oportet
esse plura verba in divinis, et ita nec plures filios.
3. Ce qui est parfaitement
dit une fois n'a pas besoin d'être répété. Mais le Fils est le verbe parfait à
qui rien ne manque, selon Augustin (La
Trinité VI, 10 et VII, 2). Donc, il ne faut pas qu'il y ait plusieurs
verbes en Dieu, ni plusieurs fils non plus.
Réponse.
q. 2 a. 4 co.
Respondeo. Dicendum, quod in divinis impossibile est esse plures filios; quod
sic patet. Personae namque divinae cum in omnibus absolutis conveniant, utpote
sibi invicem essentiales, distingui non possunt nisi secundum relationes, nec
secundum alias nisi secundum relationes originis. Nam aliarum relationum
quaedam distinctionem praesupponunt, ut aequalitas et similitudo; quaedam vero
inaequalitatem designant, ut dominus et servus, et alia huiusmodi. Relationes
vero originis ex sui ratione conformitatem important: quia quod oritur ex alio,
eius similitudinem retinet in quantum huiusmodi.
Il est impossible qu'en Dieu il y ait plusieurs fils, ce qu'on montre
ainsi: les personnes divines, en effet, s'accordent en tous les absolus, dans
la mesure où elles sont de la même essence l'une et l'autre, elles ne peuvent
être distinguées que par des relations et par rien d'autre que les relations
d'origine. Car certaines présupposent qu'on les distinguent des autres
relations comme l'égalité et la ressemblance; certaines désignent l'inégalité,
comme maître et esclave, etc.. Mais les relations d'origine apportent une
conformité par leur propre nature; parce que ce qui sort d'un autre, conserve
sa ressemblance en tant qu'il est de ce genre.
Non est igitur aliquid in divinis quo filius distinguatur ab
aliis personis nisi sola relatio filiationis, quae est eius personalis
proprietas, et qua filius non solum est filius, sed est hoc suppositum vel haec
persona.
Il n'y a rien en Dieu qui distingue le Fils des autres personnes que la
seule relation de filiation qui est sa propriété personnelle, par laquelle il
est non seulement le Fils, mais aussi ce suppôt ou cette personne.
Impossibile autem est quod illud quo aliquod suppositum est
hoc in pluribus inveniri: quia sic suppositum ipsum esset communicabile; quod
est contra rationem individui, suppositi, vel personae. Unde nullo modo potest
esse alius filius in divinis quam unus. Non enim potest dici, quod una filiatio
constituat hunc filium et alia alium: quia cum filiationes ratione non
differant, oporteret quod si materia vel quocumque supposito distinguerentur,
esset in divinis materia, aut aliquid aliud distinguens quam relatio.
Il est impossible que ce par quoi quelque chose est un suppôt se trouve
en plusieurs; parce qu'ainsi le suppôt même serait communicable, ce qui est
contre la notion d'individu, de suppôt ou de personne. Donc en aucune manière,
il ne peut y avoir un autre fils en Dieu; il n'y en a qu'un. Car on ne peut pas
dire qu'une filiation constitue ce fils et une autre filiation en constitue un
autre, parce que, comme les filiations ne diffèrent pas en raison, il faudrait
que, si elles sont distinguées par la matière ou un suppôt quelconque, qu'il y
ait de la matière en Dieu ou quelque chose d'autre que la relation qui les
distingue.
Potest autem et alia ratio specialis assignari, quare pater
tantum unum filium gignere possit. Natura enim ad unum determinatur; unde cum
pater natura generet filium, non potest esse nisi unus filius a patre genitus.
Nec potest dici, quod sint plures numero in eadem specie existentes, sicut apud
nos accidit; cum ibi non sit materia, quae est principium distinctionis
secundum numerum in eadem specie.
On peut attribuer une autre raison spécifique pour laquelle le Père ne
peut engendrer qu'un seul fils. Car la nature est déterminée à un seul objet,
donc, comme le Père engendre le Fils par nature il ne peut y avoir qu'un fils
unique engendré par le Père. Et on ne peut pas dire qu'ils soient plusieurs en nombre
dans une même espèce, comme cela arrive pour nous, puisque là, il n'y a pas la
matière qui est le principe de la distinction selon le nombre dans la même
espèce.
Solutions:
q. 2 a. 4 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod generatio quamvis in patre sit quodammodo opus
naturae divinae, est tamen eius cum quadam concomitantia personalis
proprietatis patris, ut supra, art. 2, dictum est; unde non oportet quod
conveniat filio, in quo natura divina sine tali proprietate invenitur.
# 1. Quoique d'une certaine manière, la génération soit dans le Père
l'oeuvre de la nature divine, elle est en même temps sa propriété personnelle
de Père, comme on la dit (a. 2). C'est pourquoi il ne faut pas qu'elle
convienne au Fils en qui la nature divine se trouve sans une telle propriété.
q. 2 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod pater
totam virtutem suam communicat filio, quae naturam divinam sequitur absolute. Potentia
vere generandi sequitur naturam divinam cum adiunctione proprietatis patris, ut
dictum est.
# 2. Le Père communique au Fils tout son pouvoir qui découle de la
nature divine dans l'absolu. Mais la puissance d'engendrer suit la nature
divine avec adjonction de la propriété du Père, comme on l'a dit.
q. 2 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod imago
assimilatur ei cuius est imago quantum ad speciem, non quantum ad relationem.
Non enim oportet quod si imago est ab aliquo quod id cuius est imago, sit ab
alio: quia nec similitudo proprie secundum relationem attenditur, sed secundum
formam.
# 3. L'image ressemble à celui dont il est l'image quant à la forme,
non quant à la relation. Car il ne faut pas que, si l'image vient de quelque
chose dont elle est l'image, elle vienne d'un autre, parce que la ressemblance
n'est pas atteinte en propre par la relation, mais par la forme[6].
q. 2 a. 4 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod sicut filius assimilatur patri in natura divina, non in
proprietate personali; ita et assimilatur ei in actione quae concomitatur
naturam, sine concomitantia proprietatis praedictae. Talis autem actio non est
generatio; unde ratio non sequitur.
# 4. Le Fils ressemble au Père dans sa nature divine, mais pas dans une propriété personnelle, et de même il lui
ressemble dans l'action qui accompagne la nature, sans être accompagné de cette
propriété. Mais une telle action n'est pas la génération; donc l'argument ne
vaut pas.
q. 2 a. 4 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod licet potentia generativa patris non exhauriatur neque
minuatur per generationem filii; tamen eius infinitatem adaequat filius, qui est
intellectus infinitus, non autem creatura finita; unde non est simile.
# 5. Bien que la puissance générative du Père ne soit ni augmentée ni
diminuée par la génération du Fils, cependant le Fils, qui est un esprit
infini, mais non une créature finie, égale son infinité; c'est pourquoi ce
n'est pas pareil.
q. 2 a. 4 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod in ratione ducente ad inconveniens non oportet quod sola
inconvenientis vitatio sit causa removendae positionis ex qua inconveniens
sequitur, sed etiam causae manifestationis inconvenientis; unde non oportet
quod propter hoc solum non sint plures filii in divinis, ne sit generatio
infinita.
# 6. Si une raison conduit à un inconvénient, il ne faut pas que
l'éviter soit une raison pour exclure la position d'où il vient, mais aussi la
cause de sa manifestation. C'est pourquoi, il ne faut pas que pour cette seule
raison il n'y ait pas plusieurs fils en Dieu, pour que la génération ne soit
pas infinie.
q. 2 a. 4 ad 7 Ad septimum dicendum, quod
spiritus sanctus procedit per modum amoris. Amor autem non significat aliquid
figuratum vel specificatum specie amantis vel amati, sicut verbum significat
speciem dicentis et eius quod dicitur habens; et ideo cum filius procedat per
modum verbi, ex ipsa ratione suae processionis habet, ut procedat in similem
speciem generantis, et sic quod sit filius, et eius processio generatio
dicatur. Non autem spiritus sanctus hoc habet ratione suae processionis, sed
magis ex proprietate divinae naturae, quia in Deo non potest esse aliquid quod non
sit Deus; et sic ipse amor divinus Deus est, in quantum quidem divinus, non in
quantum amor.
# 7. L'Esprit Saint procède
par mode d'amour. Mais l'amour ne signifie rien de figuré ou de spécifié par la
forme de l'amant et de l'aimé, comme le verbe signifie la forme de celui qui
parle et de celui qui est dit le posséder; et ainsi comme le Fils procède par
mode de verbe, par la nature même de la procession, il peut aboutir à une forme
semblable à celui qui l'engendre et ainsi parce qu'il est le Fils, sa procession
est appelée génération. Mais l'Esprit saint ne l'a pas en raison de sa
procession, mais plus par la propriété de la nature divine, parce qu'en Dieu,
il ne peut rien y avoir qui ne soit pas Dieu, et ainsi l'amour divin même est
Dieu, en tant que divin, non en tant qu' amour.
q. 2 a. 4 ad 8 Ad
octavum dicendum, quod hoc verbum dicere potest accipi dupliciter: stricte et
large: stricte accipiendo dicere, idem est quod verbum a se emittere; et sic
est notionale, et convenit tantum patri: et sic accipit dicere Augustinus; unde
ponit in principio VI de Trinitate, quod solus pater dicit se. Alio modo potest
accipi communiter, prout dicere idem est quod intelligere; et sic essentiale.
Et hoc modo Anselmus accipit in Monologio, ubi dicit, quod pater et filius et
spiritus sanctus dicunt se.
# 8. Ce mot dire peut être compris en deux sens, au
sens strict ou au sens large. En le prenant au sens strict, dire c'est la même chose qu'émettre une
parole de soi, et ainsi il est notionnel et il convient seulement au Père. Et
c'est ainsi que le dit Augustin; c'est pourquoi au début du livre VI de La Trinité (VII) il pense en principe
que seul le Père se dit. D'une autre manière on peut le prendre communément,
selon que dire est la même chose que
l'intellection; et ainsi cela concerne l'essence. Et c'est de cette manière
qu'Anselme le prend dans le Monologium
(62[7]) où il dit que le Père, le Fils et l'Esprit saint
se disent.
q. 2 a. 4 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod sicut generare soli patri convenit in divinis, ita et
concipere; unde solus pater suam similitudinem concipit in intellectu, quamvis
filius et spiritus sanctus intelligant; quia in intelligendo nulla relatio
exprimitur, nisi forte secundum modum intelligendi tantum; sed in generando et
in concipiendo exprimitur realis origo.
# 9. En Dieu, engendrer convient au Père seul, concevoir aussi. C'est
pourquoi, seul le Père conçoit sa ressemblance dans son esprit, quoique le Fils
et l'Esprit saint pensent (intelligant),
parce que, en pensant, aucune relation n'est exprimée, sinon par hasard selon
le mode de l'intellection seulement; mais dans le fait d'engendrer et de
concevoir s'exprime l'origine réelle.
q. 2 a. 4 ad 10 Ad
decimum dicendum, quod ratio illa recte procedit de actione quae consequitur naturam
absolute sine aliquo respectu ad proprietatem: talis autem non est generatio;
unde ratio non sequitur.
# 10. Cette raison procède directement de l'action qui suit la nature
dans l'absolu sans aucun rapport avec la propriété; mais telle n'est pas la
génération, c'est pourquoi la raison ne vaut pas.
q. 2 a. 4 ad 11 Ad
undecimum dicendum, quod in divinis non potest esse nisi spiritualis processio,
quae quidem est solum secundum intellectum et voluntatem: et ideo non potest a
spiritu sancto alia persona divina procedere; quia ipse procedit per modum
voluntatis ut amor. Filius per modum intellectus ut verbum.
# 11. En Dieu, il ne peut y avoir qu'une procession spirituelle, qui
est seulement selon l'esprit et la volonté et c'est pourquoi une autre personne
divine ne peut pas procéder de l'Esprit saint, parce que lui-même procède par
mode de volonté comme (l')amour. Le Fils par l'esprit (intellectus) en tant que verbe.
q. 2 a. 4 ad 12 Ad
duodecimum dicendum, quod proprietas personalis oportet ut sit incommunicabilis,
ut supra dictum est; unde in ea consortium fieri non requirit iucunditas.
# 12. Il faut que la propriété personnelle soit incommunicable comme on
l'a dit ci-dessus, donc y participer ne requiert pas la joie.
q. 2 a. 4 ad 13 Ad
decimumtertium dicendum, quod illa similitudo non oportet quod teneat quantum
ad omnia.
# 13. Il ne faut qu'il ait une ressemblance totale pour tout[8].
q. 2 a. 4 ad 14 Ad
decimumquartum dicendum, quod sicut paternitas in patre et filiatio in filio sunt
una essentia: ita et sunt una dignitas et una bonitas.
# 14. De même que la paternité dans le Père et la filiation dans Fils
sont une seule essence, il y a une seule dignité et une seule bonté.
q. 2 a. 4 ad 15 Ad
decimumquintum dicendum quod cum dicitur potentia generandi, hoc gerundium
generandi tripliciter potest accipi.
# 15. Quand on parle de la
puissance d'engendrer ce gérondif d'engendrer, peut être compris en trois sens:
Uno modo prout est gerundium verbi activi; et sic ille habet
potentiam generandi qui habet potentiam ad hoc quod generet
a) Selon qu'il est le gérondif d'un verbe actif, et ainsi a la
puissance d'engendrer celui qui en a la puissance pour le faire
. Alio modo prout gerundium est verbi passivi; et sic ille
habet generandi potentiam qui habet potentiam ad hoc ut generetur.
b) Selon que le gérondif est d'un verbe passif; et ainsi a la puissance
(être engendré[9]) celui qui en a la puissance.
Tertio modo prout est gerundium verbi impersonalis; et sic
dicitur ille habere potentiam generandi qui habet potentiam illam qua ab alio
generatur.
c) Selon qu'il est le gérondif d'un verbe impersonnel. et ainsi on dit
qu'a la puissance d'être engendré celui qui a cette puissance par laquelle il
est engendré par un autre.
Primo ergo modo potentia generandi non
convenit filio, sed secundo et tertio; unde ratio non sequitur.
Selon le premier mode la puissance d'engendrer ne convient pas au Fils,
mais selon le second et le troisième, oui. Donc la raison ne vaut pas[10].
q. 2 a. 5 tit. 1
Quinto quaeritur utrum potentia generandi sub omnipotentia comprehendatur. Et
videtur quod non.
Il semble que non.
Objections[1]:
q. 2 a. 5 arg. 1
Omnipotentia enim convenit filio, secundum illud symboli: omnipotens pater,
omnipotens filius, omnipotens spiritus sanctus. Non autem convenit ei potentia
generandi. Ergo sub omnipotentia non comprehenditur.
1. Car la toute puissance convient au Fils selon ce que dit le Symbole[2]: "Le Père
tout-puissant, le Fils tout-puissant et l'Esprit saint tout puissant."
Mais la puissance d'engendrer ne lui convient pas. Donc elle n'est pas comprise
sous la toute puissance.
q. 2 a. 5 arg. 2
Praeterea, Augustinus dicit, quod Deus dicitur omnipotens, quia potest omnia
quae vult. Ex quo videtur quod potentia illa ad omnipotentiam pertineat quae a
voluntate imperatur. Potentia autem generandi non est huiusmodi: quia pater non
genuit filium voluntate, ut supra, art. 3, habitum est. Ergo potentia generandi
ad omnipotentiam non pertinet.
2. Augustin dit (Enchiridion,
XXIV, 96[3]) que Dieu est appelé tout-puissant, parce
qu'il peut tout ce qu'il veut. Cela montre que cette puissance concerne la
toute-puissance qui est commandée par la volonté. Mais la puissance d'engendrer
n'est pas de ce genre; parce que le Père n'a pas engendré le Fils par volonté,
comme on la dit ci-dessus (a. 3). Donc la puissance d'engendrer ne concerne pas
la toute-puissance.
q. 2 a. 5 arg. 3
Praeterea, omnipotentia Deo attribuitur, in quantum eius omnipotentia ad omnia
quae sunt in se possibilia se extendit. Sed generatio filii vel ipse filius non
est de possibilibus, sed de necessariis. Ergo potentia generandi sub
omnipotentia non comprehenditur.
3. On attribue la toute puissance à Dieu dans la mesure où elle s'étend
à tout ce qui est possible en soi. Mais la génération du Fils ou le Fils
lui-même ne sont pas du domaine du possible mais de celui du nécessaire. Donc
la puissance d'engendrer n'est pas comprise sous la toute-puissance.
q. 2 a. 5 arg. 4
Praeterea, quod convenit pluribus communiter, convenit eis secundum aliquid eis
commune, sicut habere tres aequilatero et gradato, secundum hoc quod triangulus
sunt. Ergo quod convenit alicui soli, convenit ei secundum hoc quod sibi est
proprium. Omnipotentia autem non est propria patris. Cum ergo potentia
generandi soli patri conveniat in divinis, non convenit ei in quantum est
omnipotens; et ita ad omnipotentiam non pertinebit.
4. Ce qui convient en commun à plusieurs leur convient selon ce qui
leur est commun; ainsi avoir trois angles équilatéraux ou des côtés inégaux
convient en cela au triangle. Donc ce qui convient à un seul, lui convient
selon ce qui lui est propre. Mais la toute-puissance n'est pas le propre du
Père. Donc, comme la puissance d'engendrer en Dieu ne convient qu'au Père seul,
elle ne lui convient pas en tant que tout-puissant et ainsi elle ne concernera
pas la toute-puissance.
q. 2 a. 5 arg. 5
Praeterea, sicut est una essentia patris et filii, ita et una omnipotentia. Sed
ad omnipotentiam filii non reducitur posse generare. Ergo nec ad omnipotentiam
patris; et sic nullo modo potentia generandi ad omnipotentiam pertinet.
5. Il y a une seule essence pour le Père et le Fils, de même une seule
toute-puissance. Mais pouvoir engendrer n'est pas ramené à la toute-puissance
du Fils. Donc ni à la toute puissance du Père, et ainsi la puissance
d'engendrer ne concerne en aucune manière la toute puissance[4].
q. 2 a. 5 arg. 6
Praeterea, ea quae non sunt unius rationis, sub una distributione non cadunt:
non enim cum dicitur omnis canis, distributio sumitur pro latrabili et
caelesti. Sed generatio filii et productio aliorum quae omnipotentiae
subiacent, non sunt unius rationis. Ergo cum dicitur: Deus est omnipotens, non
includitur ibi potentia generandi.
6. Ce qui n'est pas d'une seule nature ne tombe pas sous une seule
répartition. En effet, quand on parle de n'importe quel chien, on ne l'attribue ni à celui qui aboie, ni à la
constellation du chien. Mais la génération du Fils et la création des autres
qui sont soumis à la toute puissance ne sont pas d'une seule nature. Donc quand
on dit: Dieu est tout puissant, on n'y inclut pas la puissance d'engendrer.
q. 2 a. 5 arg. 7
Praeterea, illud ad quod omnipotentia se extendit, est omnipotentiae subiectum.
Sed in divinis nihil est subiectum, ut Hieronymus dicit Damascenus, libro IV,
capit. XIX et libro III, capit. XXI. Ergo nec generatio filii nec filius
omnipotentiae subditur; et sic idem quod prius.
7. Ce à quoi s'étend la toute-puissance en est le sujet. Mais en Dieu,
rien n'est sujet, comme le dit Jean Damascène, (IV, 19 et III, 21). Donc ni la
génération du Fils, ni le Fils ne sont soumis à la toute-puissance; et ainsi de
même que ci-dessus.
q. 2 a. 5 arg. 8 Praeterea,
secundum philosophum relatio non potest esse terminus motus per se, et per
consequens nec actionis; et ita nec potentiae obiectum, quae dicitur respectu
actionis. Sed generatio et filius in divinis relative dicuntur. Ergo Dei
potentia ad ea se non extendit; et sic posse generare non includitur in
omnipotentia.
8 Selon le philosophe (Physique,
V, 2, 225 b 10[5] et précédent), la relation ne peut être
le terme du mouvement par soi ni, par conséquence, celui de l'action et non
plus de l'objet de la puissance dont on parle en rapport avec l'action. Mais on
parle de la génération et du Fils en Dieu selon la relation. Donc la puissance
de Dieu ne s'y étend pas et pouvoir engendrer n'est pas inclus dans la toute
puissance.
En sens contraire:
q. 2 a. 5 s. c. 1
Sed contra. Est quod Augustinus dicit, si pater non potest generare filium sibi
aequalem, ubi est eius omnipotentia? Ergo omnipotentia ad generationem se
extendit.
1. Augustin dit Contra Maximinien (III, c. 7, 17 et 18): "Si le
Père ne peut engendrer un Fils égal à lui, où est sa toute puissance?"
Donc la toute-puissance s'étend à la génération[6].
q. 2 a. 5 s. c. 2
Praeterea, omnipotentia in Deo dicitur non solum respectu actuum exteriorum, ut
creare, gubernare et huiusmodi, qui ad effectus exterius terminari
significantur; sed etiam respectu actuum interiorum; ut intelligere et velle.
Si quis enim Deum non posse intelligere diceret, eius omnipotentiae derogaret.
Sed filius procedit ut verbum per actum intellectus. Ergo respectu generationis
filii omnipotentia Dei intelligitur.
2. On parle de la toute-puissance en Dieu, non seulement en rapport
avec les actes extérieurs, comme créer, gouverner etc., qui sont signifiés se
terminer aux effets à l'extérieur, mais aussi en rapport avec les actes
intérieurs, comme penser et vouloir. Car si quelqu'un disait que Dieu ne peut
pas penser, cela dérogerait à sa toute-puissance. Mais le Fils procède en tant
que Verbe par un acte de l'esprit. Donc on comprend la toute-puissance de Dieu
en rapport avec la génération du Fils[7].
q. 2 a. 5 s. c. 3
Praeterea, maius est generare filium quam creare caelum et terram. Sed posse
creare caelum et terram est omnipotentiae. Ergo multo magis posse filium generare.
3. Il est plus grand d'engendrer le Fils que de créer le ciel et la
terre. Mais pouvoir créer le ciel et la terre est le propre de la
toute-puissance. Donc beaucoup plus le pouvoir d'engendrer un Fils.
q. 2 a. 5 s. c. 4
Praeterea, in quolibet genere est unum principium, ad quod omnia quae sunt
illius generis, reducuntur. In genere autem potentiarum principium est
omnipotentia. Ergo omnis potentia ad omnipotentiam reducitur; ergo et potentia
generandi vel continetur sub omnipotentia, vel in genere potentiarum erunt duo
principia, quod est impossibile.
4. Dans n'importe quel genre, il y a un seul principe auquel est ramené
tout ce qui est de ce genre. Or dans le genre des puissances, le principe c'est
la toute-puissance. Donc chaque puissance est ramenée à la toute-puissance.
Donc la puissance d'engendrer, ou bien est contenue sous la toute puissance, ou
bien elle sera dans le genre des puissances, il y aura deux principes, ce qui
est impossible.
Réponse:
q. 2 a. 5 co.
Respondeo. Dicendum, quod potentia generandi pertinet ad omnipotentiam patris,
non autem ad omnipotentiam simpliciter: quod sic patet. Cum enim potentia in
essentia radicari intelligatur, et sit principium actionis, oportet idem esse
iudicium de potentia et actione quod est de essentia. In essentia autem divina
hoc considerandum est, quod propter eius summam simplicitatem quidquid est in
Deo, est divina essentia; unde et ipsae relationes quibus personae ad invicem
distinguuntur, sunt ipsa divina essentia secundum rem. Et quamvis una et eadem
essentia sit communis tribus personis, non tamen relatio unius personae
communis est tribus, propter oppositionem relationum ad invicem. Ipsa enim
paternitas est divina essentia, nec tamen paternitas filio inest, propter
oppositionem paternitatis et filiationis.
La puissance d'engendrer convient à la toute-puissance du Père, mais
pas la toute-puissance dans l'absolu[8]; ce qui apparaît
ainsi: étant donné que la puissance, en effet, est comprise comme ayant sa
racine dans l'essence, et est ainsi principe d'action, il faut que le jugement
sur la puissance et sur l'action soit identique, parce qu'il concerne
l'essence. Il faut considérer dans l'essence divine qu'à cause de sa suprême
simplicité suprême, tout ce qui est en Dieu est son essence; c'est pourquoi les
relations mêmes par lesquelles les personnes se distinguent entre elles, sont
réellement l'essence divine elle-même. Et quoiqu'une seule et même essence soit
commune aux trois personnes, cependant la relation d'une personne n'est pas
commune aux trois à cause de l'opposition des relations entre elles. Car la
paternité même est l'essence divine et cependant elle n'est pas dans le Fils à
cause de l'opposition de la paternité et de la filiation.
Unde potest dici, quod paternitas est divina essentia prout
est in patre, non prout est in filio: non enim eodem modo est in patre et
filio, sed in filio ut ab altero accepta, in patre autem non. Nec tamen
sequitur quod quamvis paternitatem filius non habeat quam pater habet, aliquid
habeat pater quod non habet filius: nam ipsa relatio secundum rationem sui
generis, in quantum est relatio, non habet quod sit aliquid, sed solum quod sit
ad aliquid. Quod sit vero aliquid secundum rem, habet ex illa parte qua inest,
vel ut idem secundum rem, ut in divinis, vel ut habens causam in subiecto,
sicut in creaturis. Unde cum id quod est absolutum, communiter sit in patre et
filio, non distinguuntur secundum aliquid, sed secundum ad aliquid tantum; unde
non potest dici quod aliquid habet pater quod non habet filius; sed quod
aliquid secundum unum respectum convenit patri, et secundum alium aliquid
filio.
C'est pourquoi, on peut dire que la paternité est l'essence divine
selon qu'elle est dans le Père, mais non selon qu'elle est dans le Fils, car
elle n'est pas de la même manière dans le Père et le Fils; elle est dans le
Fils comme reçue d'un autre mais pas dans le Père. Et cependant il n'en découle
pas que, quoique le Fils n'ait pas la paternité qu'a le Père, le Père a quelque
chose que n'a pas le Fils; car la relation en tant que telle selon la nature de
son genre n'a pas à être quelque chose mais seulement à être relation. Mais que
ce soit quelque chose en réalité vient de cette partie dans laquelle elle est
ou comme identique en réalité, comme en Dieu, ou comme ayant sa cause dans le
sujet, comme dans les créatures. C'est pourquoi puisque ce qui est absolu est
en commun dans le Père et dans le Fils, ils ne sont pas distingués par leur
nature, mais par la relation seulement. C'est pourquoi on ne peut pas dire que
le Père a quelque chose que le Fils n'a pas, mais que quelque chose convient
selon un rapport au Père et selon un autre au Fils.
Similiter ergo dicendum est de actione et potentia. Nam
generatio significat potentiam cum aliquo respectu, et potentia generandi
significat potentiam cum respectu; unde ipsa generatio est Dei actio, sed prout
est patris tantum; et similiter ipsa potentia generandi est Dei omnipotentia,
sed prout est patris tantum. Nec tamen sequitur quod aliquid possit pater quod
non possit filius. Sed omnia quaecumque potest pater, potest filius, quamvis
generare non possit: nam generare ad aliquid dicitur.
Il faut en dire autant de l'action et de la puissance. Car la
génération signifie la puissance avec une certaine relation et la puissance
d'engendrer signifie la puissance avec une relation; c'est pourquoi la
génération même est l'action de Dieu, mais en tant qu'il est Père seulement, et
semblablement la puissance même d'engendrer est la toute-puissance de Dieu
selon qu'elle est du Père seulement. Et cependant il n'en découle pas que le
Père puisse ce que ne peut pas le Fils. Mais tout ce que peut le Père, le Fils
le peut, quoiqu'il ne puisse engendrer, car on dit qu'engendrer est une
relation.
Solutions
q. 2 a. 5 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod posse generare, ad omnipotentiam pertinet, sed non
prout est in filio, ut dictum est, in corp. articuli.
# 1. Pouvoir engendrer concerne la toute-puissance, mais pas dans la
mesure où elle est dans le Fils, comme on l'a dit dans le corps de l'article.
q. 2 a. 5 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod Augustinus non intendit ostendere totam rationem
omnipotentiae in verbis illis, sed quoddam omnipotentiae signum. Nec loquitur de omnipotentia nisi secundum quod ad creaturas se extendit.
# 2. Augustin n'a pas l'intention de montrer toute la nature de la
toute-puissance dans ces paroles, mais d'en montrer un aspect. Et il n'en parle
que dans la mesure où elle s'étend aux créatures.
q. 2 a. 5 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod possibile ad quod omnipotentia se extendit, non est
accipiendum solum pro contingenti: quia et necessaria sunt per divinam
potentiam ad esse producta: et sic nihil prohibet generationem filii computari
inter possibilia divinae potentiae.
# 3. Le possible à quoi s'étend la toute-puissance n'est pas à recevoir
seulement pour ce qui est contingent, parce que ce qui est nécessaire est amené
à l'être par la puissance divine, et ainsi rien n'empêche que la génération du
Fils soit comptée parmi les possibilités de la puissance divine.
q. 2 a. 5 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod licet omnipotentia absolute considerata non sit propria
patris, tamen prout cointelligitur ei determinatus modus existendi, sive
determinata relatio, propria fit patri; sicut hoc quod dicitur Deus pater,
patri proprium est, quamvis Deus sit tribus commune.
# 4. Quoique la toute-puissance, considérée dans l'absolu, ne soit pas
le propre du Père, cependant dans la mesure où un mode déterminé d'existence ou
une relation déterminée est comprise en lui, elle devient propre au Père; ainsi
ce qui est appelé Dieu Père est propre au Père, quoique Dieu soit commun aux
trois personnes.
q. 2 a. 5 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod sicut una et eadem est essentia trium personarum, non
tamen sub eadem relatione, vel secundum eumdem modum existendi est in tribus
personis; ita est et de omnipotentia.
# 5. Une seule et même essence pour les trois personnes, non cependant
sous la même relation, ou selon le même mode d'existence est dans les trois
personnes, il en est de même pour la toute-puissance.
q. 2 a. 5 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod generatio filii et productio creaturarum non sunt unius
rationis secundum univocationem, sed secundum analogiam tantum. Dicit enim
Basilius quod accipere filius habet commune cum omni creatura; et ratione huius
dicitur primogenitus omnis creaturae et hac ratione potest eius generatio
productionibus creaturae communicari sub una distributione.
# 6. La génération du Fils et la production des créatures ne sont pas
d'une même nature selon l'univocité, mais par analogie seulement. Car Basile
dit (Hom. 15 Sur le foi ) que le fait de recevoir, le Fils l'a eu en commun
avec toute créature, et sous ce rapport, il est appelé "premier-né de
toute créature" (Col. 1, 15) et pour cette raison sa génération peut être
attribuée aux productions de la créature sous une seule attribution[9].
q. 2 a. 5 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod generatio filii est subiecta omnipotentiae, non hoc
modo quo subiectum inferioritatem designat sed hoc modo quo designat solummodo
potentiae obiectum.
# 7. La génération du Fils est soumise à la toute-puissance, non de
cette manière où elle désigne un sujet inférieur, mais de celle où elle désigne
seulement l'objet de la puissance.
q. 2 a. 5 ad 8 Ad
octavum dicendum, quod generatio filii significat relationem per modum
actionis, et filius per modum hypostasis subsistentis; et ideo nihil prohibet
quin respectu horum omnipotentia dicatur.
# 8. La génération du Fils signifie une relation par mode d'action[10] et le Fils [est signifié] par mode d'hypostase
subsistante[11]; et c'est pourquoi rien n'empêche qu'on
désigne la toute-puissance en rapport avec cela.
q. 2 a. 5 ad s. c. Aliae vero rationes non
concludunt, nisi quod posse generare ad omnipotentiam patris pertineat.
Les autres raisons n'apportent pas de conclusions, sinon que le pouvoir
d'engendrer concerne la toute-puissance du Père.
[1] . Parall.: Ia, qu. 28, a. 3 – I Sent. d7q1a1.
[2]
. Symbole Quicumque, dit d'Athanase.
[3]
. Si Dieu le Père "reçoit avec raison le nom de tout puissant, c'est
uniquement pour ce motif que tout ce qu'il veut il le peut, sans que la volonté
d'aucune créature puisse empêcher sa volonté toute puissante de sortir son
effet." Trad. BA. 9
[4]
. Si on considère ce sur quoi porte la toute puissance, c'est-à-dire la
création, elle n'est qu'en rapport avec les créatures. Mais si on considère
l'opération, la toute puissance s'étend à celui qui engendre (le Père). I Sent. d20,q1a1, ad 4.
[5]
."Selon la substance, il n'y a pas mouvement, parce qu'il n'y a aucun être
qui soit contraire à la substance. Pas davantage pour la relation; car à la
suite du changement de l'un des relatifs, cela peut aussi se vérifier aussi
pour l'autre sans qu'il ait changé en rien." (Trad. H. Carteron)
[6]
. Id. Pot. 2, 1, sed contra. 2.
[7]
.Cet argument est présenté comme solution en I Sent.d20q1a1.
[8]
. Pour la raison que le Fils et l'Esprit saint n'engendrent pas. L'absolu
correspond à l'essence
[9]
. "La procession des créatures à partir d Dieu a pour cause exemplaire la
procession même des personnes divines." (Geiger, La participation dans la philosophie de s. Thomas d'Aquin, p. 225
[10]
. Elle signifie l'identité réelle de l'action notionnelle et de la relation
divine.(Vanier p. 41)
[11]
. "Dans cette relation signifiant l'émanation de l'action notionnelle et
distincte pour l'esprit de la relation personnelle, il ne faut sans doute voir
qu'une relation de raison (relatio
intellecta in origine) – laissant intacte l'identification réelle et
d'action notionnelle et de la relation personnelle. Vanier Théologie trinitaire chez Saint Thomas d'Aquin. p. 47.
q. 2 a. 6 tit. 1
Sexto quaeritur utrum potentia generandi et potentia creandi sint idemq. Et
videtur quod non.
Il semble que non[1].
Objections:
q. 2 a. 6 arg. 1
Generatio enim est operatio vel opus naturae, sicut Damascenus dicit; creatio
vero est opus voluntatis, ut patet per Hilarium in libro de Synod. sed voluntas
et natura non sunt idem principium, sed ex opposito dividuntur, ut patet II
Phys. Ergo potentia generandi et potentia creandi non sunt idem.
1. Car la génération est l'opération ou l'oeuvre de la nature, comme
Jean Damascène le dit (II, 27): mais la création est l'oeuvre de la volonté,
comme le montre Hilaire (Les synodes). Mais la volonté et la
nature ne sont pas un même principe, mais elles sont divisées par opposition,
comme on le voit en Physique (II, 4,
196 a 28 et 5, 196 b 18[2]). Donc la puissance d'engendrer
et celle de créer ne sont pas identiques.
q. 2 a. 6 arg. 2
Praeterea, potentiae distinguuntur per actus, ut habetur II de anima. Sed
generatio et creatio sunt actus multum differentes. Ergo et potentia generandi
et potentia creandi non sunt una potentia.
2. On distingue les puissances par les actes, comme il est dit dans L'âme, II, 4, 415 a 20[3].
Mais la génération et la création sont des actes très différents. Donc la
puissance d'engendrer et celle de créer ne sont pas une seule puissance.
q. 2 a. 6 arg. 3
Praeterea, minor unitas est eorum quae in aliquo univocantur, quam eorum quae
habent idem esse. Sed potentia generandi et potentia creandi in nullo
univocantur; sicut nec generatio et creatio nec filius et creatura. Ergo
potentia generandi et potentia creandi non sunt idem secundum esse.
3. L'unité de ceux qui sont désignés par un même nom est moindre que
celle de ceux qui ont un être identique. Mais la puissance d'engendrer et celle
de créer ne sont univoques en rien, la génération et la création, non plus, le
Fils et la créature, non plus. Donc la puissance d'engendrer et celle de créer
ne sont pas identiques selon l'être.
q. 2 a. 6 arg. 4
Praeterea, inter ea quae sunt idem, non cadit ordo. Sed potentia creandi est
prior quam potentia generandi secundum intellectum, sicut essentiale notionali.
Ergo praedictae potentiae non sunt idem.
4. Il n'y a pas d'ordre en ce qui est identique. Mais la puissance de
créer est avant la puissance d'engendrer selon l'esprit, comme ce qui est de
l'essence est avant ce qui est de la notion. Donc les puissances dont on parle
ne sont pas identiques.
En sens contraire:
q. 2 a. 6 s. c. 1
Sed contra. In Deo non differt potentia et essentia. Sed una tantum est divina essentia. Ergo et una tantum potentia. Non ergo
praedictae potentiae distinguuntur.
1. En Dieu la puissance et l'essence ne sont pas différentes. Il y a
seulement une seule essence divine. Donc une seule puissance. Donc ces
puissances ne sont pas distinguées.
q. 2 a. 6 s. c. 2
Praeterea, Deus non facit per plura quod potest facere per unum. Sed per unam
potentiam Deus potest generare et creare, praecipue cum generatio filii sit
ratio productionis creaturae; secundum illam Augustini expositionem: dixit, et
facta sunt; id est, verbum genuit, in quo erat ut fierent. Ergo una tantum
potentia est generandi et creandi.
2. Dieu ne fait pas par plusieurs moyens ce qu'il peut faire par un
seul. Mais par une seule puissance Dieu peut engendrer et créer, surtout parce
que la génération du Fils est la raison de la production de la créature; selon
ce qu'expose Augustin (La Genèse au sens
littéral, II, 6 et 7): "Il dit
et ce fut fait, c'est-à-dire, il engendra le Verbe en qui était ce qui était à
faire." Donc la puissance d'engendrer et de créer est une seulement.
Réponse:
q. 2 a. 6 co.
Respondeo. Dicendum, quod, sicut supra, dictum est, ea quae de potentia
dicuntur in divinis, consideranda sunt ex ipsa essentia. In divinis autem licet
una relatio ab altera distinguatur realiter propter oppositionem relationum,
quae reales in Deo sunt; ipsa tamen relatio non est aliud secundum rem quam
ipsa essentia, sed solum ratione differens: nam relatio ad essentiam
oppositionem non habet. Et ideo non est concedendum quod aliquid absolutum in
divinis multiplicetur, sicut quidam dicunt, quod in divinis est duplex esse,
essentiale et personale.
Comme on l'a dit ci-dessus (a. 5) ce qui est dit de la puissance en
Dieu doit être considéré à partir de l'essence même. En Dieu, bien qu'une
relation soit distinguée d'une autre, réellement à cause de l'opposition des
relations qui sont réelles en lui, cependant elle n'est pas autre chose en
réalité que l'essence même, mais différente en raison seulement, car la
relation ne s'oppose pas à l'essence. Et c'est pourquoi il ne faut pas concéder
que ce qui est absolu en Dieu est multiplié, comme certains disent qu'en lui il
y a une être double, essentiel et personnel.
Omne enim esse in divinis essentiale est, nec persona est
nisi per esse essentiae. In potentia vero, praeter id quod est ipsa potentia,
consideratur respectus quidam vel ordo ad id quod potentiae subiacet. Si ergo
potentia quae est respectu actus essentialis, sicut potentia intelligendi vel
creandi, comparetur ad potentiam quae est respectu actus notionalis (cuiusmodi
est potentia generandi) secundum id quod est ipsa potentia, invenitur una et
eadem potentia, sicut est unum et idem esse naturae et personae. Sed tamen
utrique potentiae cointelligitur alius et alius respectus, secundum diversos
actus ad quos potentiae dicuntur.
Car tout l'être en Dieu est essentiel et la personne n'est que par
l'être de l'essence. Mais dans la puissance, au-delà de ce qu'elle est
elle-même, on considère un rapport ou un ordre à ce qui lui est soumis. Donc si
la puissance, qui est en rapport avec l'acte essentiel, comme la puissance de
penser (intelligendi) et de créer, est assimilée à celle qui est en rapport
avec l'acte notionnel (la puissance d'engendrer est de ce genre) selon ce qui
est la puissance même, on trouve une seule et même puissance de même que l'être
de la nature et de la personne est un et identique. Mais cependant, on comprend
avec chaque puissance un rapport différent selon les actes différents pour
lesquels elles sont appelées puissance.
Sic ergo potentia generandi et creandi est una et eadem
potentia, si consideretur id quod est potentia; differunt tamen secundum
diversos respectus ad actus diversos.
Donc ainsi la puissance d'engendrer et celle de créer sont une seule et
même puissance, si on considère ce qu'est la puissance, elles diffèrent
cependant selon des rapports différents à des actes différents.
Solutions:
q. 2 a. 6 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod licet in creaturis differant natura et propositum,
in divinis tamen sunt idem secundum rem. Vel potest dici, quod potentia creandi
non nominat propositum sive voluntatem, sed potentiam prout a voluntate
imperatur. Potentia autem generandi, secundum quod natura inclinat, agit. Hoc autem non facit diversitatem potentiae, nam
nihil prohibet aliquam potentiam ad aliquem actum imperari a voluntate et ad
alium inclinari a natura. Sicut intellectus noster ad credendum
inclinatur a voluntate, ad intelligendum prima principia ducitur ex natura.
1. Bien que, dans les créatures, la nature et l'intention soient
différentes, cependant en Dieu elles sont identiques en réalité. Ou bien, on
peut dire que la puissance de créer ne désigne pas l'intention ou la volonté,
mais une puissance dans la mesure où elle est commandée par la volonté. Mais la
puissance d'engendrer agit selon ce à quoi la nature l'incline. Mais cela ne
crée pas la diversité de la puissance, car rien n'empêche qu'une puissance soit
commandée pour un acte par la volonté et inclinée à un autre par la nature.
Ainsi notre esprit est poussé à croire par la volonté, il est conduit à
comprendre les premiers principes par la nature.
q. 2 a. 6 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod quanto aliqua potentia est superior, tanto ad plura se
extendit, unde minus est distinguibilis per diversitatem obiectorum; sicut
imaginatio una potentia est respectu omnium sensibilium, respectu quorum sensus
proprii distinguuntur. Divina autem potentia est summe elevata: unde
differentia actuum in ipsa potentia, quantum ad id quod est, diversitatem non
inducit, sed secundum unam potentiam Deus omnia potest.
2. Plus une puissance est supérieure, puis elle s'étend à de nombreux
objets; c'est pourquoi elle est moins distincte par la diversité des objets,
ainsi l'imagination est une seule puissance par rapport à tout le sensible, par
le rapport dont les sens propres se distinguent. Mais la puissance divine est
très au-dessus; c'est pourquoi la différence des actes dans la puissance même,
quant à ce qu'il en est, n'apporte pas de diversité, mais, Dieu peut tout par
une seule puissance..
q. 2 a. 6 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod potentia generandi et potentia creandi quantum ad ipsam
(ut ita loquar) potentiae substantiam, non solum univocantur, sed sunt unum.
Sed quod analogice dicantur, hoc est ex ordine actus.
3. La puissance d'engendrer et celle de créer, quant à la substance de
la puissance, pour ainsi dire, ne sont pas univoques, mais sont une seule même
puissance. Mais ce qui est dit analogiquement vient de la nature de l'acte.
q. 2 a. 6 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod praedictae potentiae non ordinantur secundum prius et
posterius, nisi prout distinguuntur. Unde ordo earum non attenditur nisi per respectum ad actus. Et ex hoc
patet quod potentia generandi est prior potentia creandi, sicut generatio
creatione. Quantum vero ad hoc quod ad essentiam comparantur, sunt idem, et non
est in eis ordo
4. Les puissances dont on a parlé ne sont ordonnées selon l'avant et
l'après, que si on les distingue. Donc leur ordre n'est atteint que par rapport
à l'acte. Cela montre que la puissance d'engendrer reste avant la puissance de
créer, comme la génération est avant la création. Mais dans la mesure où on les
compare à l'essence, elles sont identiques et il n'y a pas d'ordre en elles.
q. 3 pr. 1 Et primo
quaeritur utrum Deus possit aliquid creare.
Article 1. Dieu peut-il créer?
q. 3
pr. 2 Secundo utrum creatio sit mutatio.
Article 2. La création est-elle un changement?
q. 3 pr. 3 Tertio
utrum creatio sit aliquid realiter in creatura.
Article 3. La création est-elle quelque chose de réel dans la créature?
q. 3 pr. 4 Quarto
utrum potentia creandi sit creaturae communicabilis.
Article 4. La puissance de créer est-elle communicable à la créature?
q. 3 pr. 5 Quinto
utrum possit esse aliquid quod non sit a Deo creatum.
Article 5. Peut-il exister quelque chose qui ne soit pas créé par Dieu?
q. 3 pr. 6 Sexto utrum sit unum tantum
creationis principium.
Article 6. N'y a-t-il qu'un seul principe de création?
q. 3 pr. 7 Septimo
utrum Deus operetur in omni operatione naturae.
Article 7. Dieu opère-t-il dans tout opération de la nature?
q. 3
pr. 8 Octavo utrum creatio operi naturae admisceatur.
Article 8. La création est-elle mêlée à l'opération de nature?
q. 3
pr. 9 Nono utrum anima creetur.
Article 9. L'âme est-elle créée?
q. 3 pr. 10 Decimo
utrum anima sit creata in corpore, vel extra corpus.
Article 10. L'âme est-elle créée dans le corps ou hors du corps?
q. 3 pr. 11 Undecimo
utrum anima sensibilis et vegetabilis sint per creationem.
Article 11. L'âme sensitive et l'âme végétative existent-elles par
création ou par transmission de la semence?
q. 3 pr. 12
Duodecimo utrum sint in semine quando discinditur.
Article 12. L'âme sensitive et l'âme végétative sont-elles dans la
semence dès le moment où elle se sépare?
q. 3 pr. 13
Decimotertio utrum aliquod ens ab alio, possit esse aeternum.
Article 13. Un étant qui dépend d'un autre peut-il être éternel?
q. 3 pr. 14
Decimoquarto utrum id quod est divisum a Deo per essentiam, possit semper
fuisse.
Article 14. Ce qui est différent de Dieu en essence peut-il avoir
toujours existé?
q. 3 pr. 15
Decimoquinto utrum res processerint a Deo per necessitatem naturae.
Article 15. Les créatures procèdent-elles de Dieu par nécessité de
nature?
q. 3
pr. 16 Decimosexto utrum ab uno primo possit procedere multitudo.
Article 16. La pluralité procède-t-elle d'une unité première?
q. 3
pr. 17 Decimoseptimo utrum mundus semper fuerit.
Article 17. Le monde a-t-il toujours existé?
q. 3
pr. 18 Decimoctavo utrum Angeli sint creati ante mundum visibilem.
Article 18. Les anges ont-ils été créés avant le monde visible?
q. 3 pr. 19
Undevigesimo utrum potuerint esse Angeli ante mundum visibilem.
Article 19. Les anges ont-ils pu exister avant le monde visible?
q. 3 a. 1 tit. 1 Et
primo quaeritur utrum Deus possit aliquid creare ex nihilo. Et videtur quod
non.
Il semble que non[1].
Objections:
q. 3 a. 1 arg. 1
Deus enim non potest facere contra communem animi conceptionem, sicut quod
totum non sit maius sua parte. Sed, sicut dicit philosophus [in I Phys.,
text.33], communis conceptio ex sententia philosophorum fuit, quod ex nihilo
nihil fiat. Ergo Deus non potest de nihilo aliquid facere.
1. Dieu ne peut agir contre la conception commune de l'esprit: faire
comme par exemple que le tout ne soit pas plus grand que la partie. Mais, comme
le dit le philosophe (I Phys. 4, 187 a 26), la conception commune: "Rien
ne vient à partir de rien[2]" provient de l'opinion des philosophes[3].
Donc Dieu ne peut rien faire à partir de rien.
q. 3 a. 1 arg. 2
Praeterea, omne quod fit, antequam esset, possibile erat esse: si enim erat
impossibile esse, non erat possibile fieri: nihil enim mutatur ad id quod est
impossibile. Sed potentia qua aliquid potest esse, non potest esse nisi in
aliquo subiecto; nisi forte ipsamet sit subiectum; nam accidens absque subiecto
esse non potest. Ergo omne quod fit, fit ex materia vel subiecto. Impossibile
est ergo ex nihilo aliquid fieri.
2. Tout ce qui est fait, avant d'exister, en avait la possibilité[4]:
car s'il lui était impossible d'être, il ne pouvait pas être fait. Car rien ne
se change en ce qui est impossible. Mais la puissance par laquelle quelque
chose peut exister ne peut être que dans un substrat, à moins que par hasard
elle-même soit le substrat; car un accident ne peut pas exister sans substrat.
Donc tout ce qui est fait est fait à partir de la matière ou d'un substrat. En
conséquence, il est impossible que quelque chose soit fait à partir de rien.
q. 3 a. 1 arg. 3
Praeterea, infinitam distantiam non contingit pertransire. Sed non entis
simpliciter ad ens est infinita distantia; quod ex hoc patet, quia quanto
potentia est minus ad actum disposita, tanto magis ab actu distat; unde si
omnino potentia subtrahatur, erit infinita distantia. Ergo impossibile est quod
aliquid transeat simpliciter de non ente ad ens.
3. On ne peut traverser une distance infinie. Mais du non étant absolu
à l'étant, la distance est infinie. Ce qui apparaît ainsi: moins une puissance
est disposée à l'acte, plus elle en est distante. C'est pourquoi, si on
supprime tout à fait la puissance, la distance sera infinie. Donc il est
impossible que quelque chose passe du non étant absolu à l'étant.
q. 3 a. 1 arg. 4
Praeterea, philosophus dicit [in I de Gen.,comm. 48], quod omnifariam
dissimile, non agit in omnifariam dissimile; oportet enim quod agens et patiens
conveniant in genere et in materia. Sed non ens simpliciter et Deus in nullo
conveniunt. Ergo Deus non potest agere in non ens simpliciter, et ita non
potest facere aliquid de nihilo.
4. Le philosophe (De la Génération et de la corruption, I, 10[5]) dit
que des objets tout à fait dissemblables n'interagissent pas entre eux. Car il
faut que l'agent et le patient s'accordent dans le genre et la matière. Mais le
non étant absolu et Dieu ne s'accordent en rien. Donc Dieu ne peut agir sur le
non étant absolu et ainsi il ne peut pas faire quelque chose de rien.
q. 3 a. 1 arg. 5 Sed
dicebat, quod ratio ista procedit de agente cuius actio differt a sua
substantia, quam oportet in aliquo subiecto recipi.- Sed contra Avicenna dicit
[lib. IX Metaph., cap II] quod si calor esset a materia expoliatus, per se
ipsum ageret absque materia; et tamen eius actio non esset sua substantia. Ergo
hoc quod actio Dei est sua essentia, non est ratio quod materia non indigeat.
5. Mais on pourrait dire que cette raison procède d'un agent dont
l'action est différente de la substance, qui doit être reçue dans un substrat.
En sens contraire, Avicenne (Métaphysique,
IX, ch. 2) dit que si la chaleur était dépourvue de matière, elle agirait par
elle-même, sans matière et cependant son action ne serait pas sa substance.
Donc le fait que l'action de Dieu soit son essence n'est pas une raison pour
qu'il n'ait pas besoin de matière[6].
q. 3 a. 1 arg. 6
Praeterea, ex nihilo nihil concluditur: quod est quoddam fieri rationis. Sed
esse rationis consequitur esse naturae. Ergo etiam in natura ex nihilo nihil
fieri potest.
6. A partir de rien, on ne conclut rien, ce qui est un certain
cheminement de la raison[7]. Mais l'être de raison suit l'être de nature. Donc
même dans la nature, on ne peut rien faire à partir de rien
q. 3 a. 1 arg. 7
Praeterea, si ex nihilo aliquid fiat, haec praepositio ex aut notat causam, aut
ordinem. Causam autem non videtur notare nisi efficientem, vel materialem.
Nihil autem neque efficiens causa entis esse potest, neque materia; et sic in
proposito non denotat causam; similiter nec ordinem, quia, ut dicit Boetius,
entis ad non ens non est aliquis ordo. Ergo nullo modo ex nihilo potest aliquid
fieri.
7. [Dans la phrase]: “Si quelque chose est fait à partir de (ex) rien,
la préposition “ex” (de[8]) désigne la cause ou une relation. Si c'est la
cause, elle paraît ne signifier qu'une cause efficiente ou matérielle. Mais le
néant ne peut pas être la cause efficiente de l'étant, la matière non plus et
ainsi dans cette proposition, elle n'indique pas la cause, ni de la même
manière la relation, parce que, comme le dit Boèce, de l'être au non-être, il
n'y a pas de relation. Donc, en aucune manière, rien ne peut être fait de
rien[9].
q. 3 a. 1 arg. 8
Praeterea, potentia activa secundum philosophum [IV Metaph., com. 17] est
principium transmutationis in aliud, secundum quod est aliud. Potentia autem
Dei non est nisi potentia activa. Ergo requirit aliquod subiectum
transmutationis; et sic non potest ex nihilo aliquid facere.
8. La puissance active, selon le philosophe (Métaphysique V, 12, 1019 a 15-16), est le principe d'un changement
en autre chose, en tant qu'autre. Mais la puissance de Dieu est uniquement
active. Donc elle requiert un substrat à transformer et ainsi elle ne peut pas
faire quelque chose à partir de rien.
q. 3 a. 1 arg. 9
Praeterea, in rebus invenitur diversitas, prout una res est alia perfectior.
Huius autem diversitatis causa non est ex parte Dei, qui est unus et simplex.
Ergo oportet huius diversitatis causam assignare ex parte materiae. Oportet
ergo ponere res factas esse ex materia et non ex nihilo.
9. Dans les êtres, on trouve la diversité du fait qu'une chose est plus
parfaite qu'une autre. Mais la cause de cette diversité ne vient pas de Dieu
qui est un et simple[10]. Donc il faut en assigner la cause à la matière. En
conséquence, il faut penser que les créatures ont été faites de matière et non
à partir de rien.
q. 3 a. 1 arg. 10
Praeterea, quod ex nihilo factum est, habet esse post non esse. Est ergo considerare
aliquod instans in quo ultimo non est, ex quo non esse desinit, et aliquod in
quo primo est, ex quo esse incipit. Aut ergo est unum et idem instans, aut
diversa. Si idem, sequitur duo contradictoria esse in eodem instanti; si
diversa, cum inter duo instantia sit tempus medium, sequitur aliquid esse
medium inter affirmationem et negationem: nam non potest dici non esse post
ultimum instans in quo non fuit, nec esse ante primum instans in quo fuit.
Utrumque autem est impossibile, scilicet contradictionem esse simul, et eam
habere medium. Ergo impossibile est aliquid fieri ex nihilo.
10. Ce qui est fait à partir de rien possède l'être après le non être.
Il faut donc considérer un instant, à la fin duquel il n'existe pas et où cesse
le non être et un autre instant au début duquel il existe et auquel il commence
à être. Donc ou c'est un même et unique instant ou ce sont des instants
différents. Si c'est le même, il s'ensuit que deux choses contradictoires
existent en même temps; s'ils sont différents, comme entre deux instants il y a
un temps intermédiaire, il s'ensuit que quelque chose est intermédiaire entre
l'affirmation et la négation; car on ne peut pas dire qu'il n'était pas après
l'ultime instant en lequel il ne fut pas, ni qu'il est avant le premier dans
lequel il a existé. L'un et l'autre sont impossibles, c'est-à-dire que les deux
termes de la contradiction soient en même temps et qu'elle ait un
intermédiaire. Donc il est impossible que quelque chose soit fait à partir de
rien.
q. 3 a. 1 arg. 11
Praeterea, quod factum est, necesse est aliquando fieri; et quod creatum est,
aliquando creari. Aut ergo simul fit et factum est, quod creatur, aut non
simul. Sed non potest dici quod non simul, quia creatura non est antequam facta
sit. Si ergo fieri eius sit antequam facta sit, oportebit esse aliquod
factionis subiectum, quod est contra creationis rationem. Si autem simul fit et
factum est, sequitur quod simul fit et non fit, quia quod factum est in
permanentibus, est; quod tamen fit, non est. Hoc autem est impossibile. Ergo
impossibile est aliquid fieri ex nihilo, vel creari.
11. Il est nécessaire que ce qui a été fait, le soit dans un temps
donné et ce qui a été créé aussi. Ou bien donc ce qui est créé est fait et a
été fait en même temps ou pas. Mais on ne peut pas dire que ce n'est pas en
même temps, parce que la créature n'existe pas avant d'avoir été faite. Si donc
son devenir est avant d'avoir été faite, il faudra qu'il y ait quelque substrat
de l'action, ce qui est contre la notion de création. S'il se fait et a été
fait en même temps, il s'ensuit qu'il est fait et non fait en même temps, parce
que ce qui a été fait dans ce qui demeure existe; ce qui cependant se fait
n'est pas. Mais cela est impossible. Donc il est impossible que quelque chose
soit fait ou créé à partir de rien.
q. 3 a. 1 arg. 12
Praeterea, omne agens agit simile sibi. Omne autem agens agit secundum quod est
in actu. Ergo nihil fit nisi quod est in actu. Sed materia prima non est in
actu. Ergo fieri non potest, praecipue a Deo, qui est purus actus; et sic
quaecumque fiunt, fiunt ex praesupposita materia, et non ex nihilo.
12. Tout agent fait du semblable à lui. Mais tout agent n'agit que
selon qu'il est en acte. Donc rien n'est fait que ce qui est en acte[11]. Mais
la matière première n'est pas en acte. Donc elle ne peut pas être faite,
surtout par Dieu qui est acte pur; et ainsi tout ce qui est fait, est fait
d'une matière présupposée, et non à partir de rien.
q. 3 a. 1 arg. 13
Praeterea, quidquid facit Deus, per ideam operatur, sicut artifex agit
artificiata per formas artis. Sed materia prima non habet ideam in Deo: quia
idea forma est, et similitudo ideati. Materia autem prima cum intelligatur
secundum suam essentiam absque omni forma, non potest forma eius esse
similitudo. Ergo materia prima a Deo fieri non potest; et sic idem quod prius.
13. Tout ce que Dieu fait, il l'opère par l'idée, comme l'artisan fait
ses oeuvres par les formes de son art. Mais la matière première n'a pas d'idée
en Dieu, parce que l'idée est une forme, et une ressemblance de l'idéat[12].
Comme on comprend la matière première, selon son essence, hors de toute forme,
sa forme ne peut pas en être une ressemblance. Donc elle ne peut avoir été
faite par Dieu; et de même que ci-dessus.
q. 3 a. 1 arg. 14
Praeterea, non potest esse idem perfectionis et imperfectionis principium. In
rebus autem imperfectio invenitur, cum rerum quaedam aliis potiores sint; quod
contingere non potest nisi per inferiorum imperfectionem. Cum ergo perfectionis
principium sit Deus, oportebit imperfectionem in aliud principium reducere. Sed
non nisi in materiam. Ergo oportebit res ex aliqua materia esse factas, et non
ex nihilo.
14. Il ne peut pas y avoir de principe identique pour la perfection et
l'imperfection. On trouve l'imperfection dans des choses, puisque certaines
sont meilleures que d'autres, ce qui ne peut arriver que par l'imperfection des
inférieures. Donc puisque le principe de la perfection est Dieu, il faudra
ramener l'imperfection à un autre principe. Mais il n'est que dans la matière.
Donc il faudra que les choses aient été faites d'une matière et non à partir de
rien[13].
q. 3 a. 1 arg. 15
Praeterea, si aliquid fit ex nihilo aut fit ex eo sicut ex subiecto, sicut
statua ex aere; aut sicut ex opposito, sicut figuratum ex infigurato; aut ex
composito, sicut statua ex aere infigurato. Sed aliquid non potest fieri ex
nihilo sicut ex subiecto, quia non ens non potest esse entis materia; neque
sicut ex composito, quia sic non ens converteretur in ens, sicut aes
infiguratum convertitur in aes figuratum; et ita oporteret aliquid esse commune
enti et non enti, quod est impossibile; neque etiam sicut ex opposito, cum plus
differant non esse simpliciter et ens quam duo entia diversorum generum, ex
quorum uno non fit aliud, sicut figura non fit color, nisi forte per accidens.
Ergo nullo modo aliquid potest fieri ex nihilo.
15. Si quelque chose est fait à partir de rien ou il en est fait comme
d'un substrat; - ainsi la statue est faite d'airain, ou bien comme d'un
opposé[14], comme ce qui est formé est fait de ce qui est sans forme - ou bien
d'un composé comme la statue est faite de l'airain sans forme. Mais rien ne
peut être fait à partir du néant comme d'un substrat, parce que le non étant ne
peut être la matière d'un étant, ni fait comme d'un composé, parce qu'ainsi le
non étant serait transformé en étant, comme l'airain sans forme est transformé
en airain en forme et ainsi il faudrait que quelque chose soit commun à l'étant
et au non étant, ce qui est impossible; ni même fait comme de l'opposé, puisque
le non étant absolu et l'étant diffèrent encore plus que deux étant de genres
différents; il ne devient pas autre à partir de l'un d'eux; ainsi la figure ne
devient pas couleur, sinon par hasard par accident. Donc en aucune manière, quelque
chose ne peut être fait à partir de rien.
q. 3 a. 1 arg. 16 Praeterea, omne quod est per
accidens, reducitur ad per se. Sed ex opposito fit aliquid per accidens, ex
subiecto autem per se; sicut statua ex infigurato fit per accidens, ex aere
autem per se, quia aeri accidit esse infiguratum. Si ergo aliquid
fiat ex non ente, hoc erit per accidens. Ergo oportet quod fiat per se ex
aliquo subiecto; et ita non fit ex nihilo.
16. Tout ce qui est par accident est ramené au par soi. A partir de
l'opposé, on fait quelque chose par accident et à partir du substrat, on fait
quelque chose par soi; ainsi la statue est faite à partir de quelque chose sans
forme par accident, mais elle est faite à partir de l'airain par soi, parce
qu'il arrive à l'airain d'être sans forme. Si donc quelque chose est fait à
partir du non être, il le sera par accident. Donc il faut qu'il soit fait par
soi à partir d'un substrat, et ainsi il n'est pas fait à partir de rien.
q. 3 a. 1 arg. 17
Praeterea, ei quod fit faciens dat esse. Si ergo Deus facit aliquid ex nihilo,
Deus alicui dat esse. Aut ergo est aliquid recipiens esse, aut nihil. Si nihil:
ergo nihil constituitur in esse per illam actionem; et sic non fit aliquid. Si
autem est aliquid recipiens esse, hoc erit aliud ab eo quod est Deus; quia non
est idem recipiens et receptum. Ergo Deus facit ex aliquo praeexistenti, et ita
non ex nihilo.
17. Celui qui fait donne l'être à ce qui est fait. Si donc Dieu fait
quelque chose à partir de rien, il donne l'être à quelque chose. Donc, ou il y
a quelque chose qui reçoit l'être, ou il n'y a rien. S'il n'a a rien, donc ce
rien est constitué dans l'être par cette action, et ainsi il ne devient pas
quelque chose. Mais s'il y a quelque chose qui reçoit l'être, cela sera autre
chose que ce qui est Dieu, parce que celui qui reçoit et ce qui est reçu ne
sont pas identiques. Donc Dieu crée à partir de quelques chose qui préexiste,
et non à partir de rien.
En sens contraire:
q. 3 a. 1 s. c. 1
Sed contra. Genes. I, 1: in principio creavit Deus caelum et terram, dicit
Glossa, ex Beda, quod creare est ex nihilo facere aliquid. Ergo Deus potest
facere aliquid ex nihilo.
1. "Au commencement Dieu créa le ciel et la terre" (Gn. 1,
1). La glose de Bède dit que “Créer, c'est faire quelque chose à partir de rien”.
Donc Dieu peut faire quelque chose à partir de rien .
q. 3 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Avicenna dicit quod
agens cui accidit agere, requirit materiam in quam agat. Sed Deo non accidit
agere, immo sua actio est sua substantia. Ergo non requirit materiam in quam
agat, et ita potest ex nihilo aliquid facere.
2. Avicenne (Métaphysique
VII, 2) dit que l'agent qui agit par accident a besoin de la matière sur
laquelle il agit. Mais Dieu n'agit pas par accident[15], au contraire son
action est sa substance. Donc il n'a pas besoin de matière sur laquelle agir et
ainsi il peut faire quelque chose à partir de rien.
q. 3 a. 1 s. c. 3
Praeterea, virtus divina est potentior quam virtus naturae. Sed virtus naturae
facit aliquod ens ex hoc quod erat in potentia. Ergo virtus divina aliquid
amplius facit, et ita facit ex nihilo.
3. La pouvoir de Dieu est plus puissant que celui de la nature. Mais
celui-ci fait un étant de ce qui était en puissance[16]. Donc le pouvoir de
Dieu fait quelque chose de plus et ainsi il le fait à partir de rien.
Réponse
q. 3 a. 1 co.
Respondeo. Dicendum, quod tenendum est firmiter, quod Deus potest facere
aliquid ex nihilo et facit. Ad cuius evidentiam sciendum est, quod omne agens
agit, secundum quod est actu; unde oportet quod per illum modum actio alicui
agenti attribuatur quo convenit ei esse in actu. Res autem particularis est
particulariter in actu: et hoc dupliciter:
primo ex comparatione sui, quia non tota substantia sua est actus, cum
huiusmodi res sint compositae ex materia et forma; et inde est quod res
naturalis non agit secundum se totam, sed agit per formam suam, per quam est in
actu.
Il faut affirmer fermement que Dieu peut faire quelque chose à partir
de rien et qu'il le fait. Pour le mettre en évidence, il faut savoir que tout agent
agit selon qu'il est en acte. C'est pourquoi il faut que de cette manière,
l'action soit attribuée à un agent à qui il convient d'être en acte. Un être
particulier est en acte partiellement. Et cela de deux manières:
1) Par comparaison à lui-même, parce que ce n'est pas toute sa
substance qui est acte, puisque les choses de ce genre sont composées de
matière et de forme et de là vient qu'une chose naturelle n'agit pas tout
entière par soi mais agit par la forme par laquelle elle est en acte.
Secundo in comparatione ad ea
quae sunt in actu. Nam in nulla re naturali includuntur actus et perfectiones
omnium eorum quae sunt in actu; sed quaelibet illarum habet actum determinatum
ad unum genus et ad unam speciem; et inde est quod nulla earum est activa entis
secundum quod est ens, sed eius entis secundum quod est hoc ens, determinatum
in hac vel illa specie: nam agens agit sibi simile.
2) Par comparaison à ce qui est en acte. Car en rien de naturel ne sont
inclus l'acte et les perfections de tout ce qui est en l'acte, mais n'importe
lesquels parmi eux a un acte limité à un seul genre et à une seule espèce, et
de là vient qu'aucun n'est actif en son être, en tant qu'étant, mais en cet
étant, en tant qu'il est, limité à cette espèce-ci ou à celle-là, car l'agent
fait quelque chose de semblable à lui.
Et ideo agens naturale non producit simpliciter ens, sed ens
praeexistens et determinatum ad hoc vel ad aliud, ut puta ad speciem ignis, vel
ad albedinem, vel ad aliquid huiusmodi. Et propter hoc, agens naturale agit
movendo; et ideo requirit materiam, quae sit subiectum mutationis vel motus, et
propter hoc non potest aliquid ex nihilo facere. Ipse autem Deus e contrario
est totaliter actus,- et in comparatione sui, quia est actus purus non habens
potentiam permixtam - et in comparatione rerum quae sunt in actu, quia in eo
est omnium entium origo; unde per suam actionem producit totum ens subsistens,
nullo praesupposito, utpote qui est totius esse principium, et secundum se
totum. Et propter hoc ex nihilo aliquid facere potest; et haec eius actio
vocatur creatio.
Et c'est pourquoi l'agent naturel ne produit absolument pas un étant,
mais l'étant préexistant et limité à ceci ou à cela, comme par exemple limité à
l'espèce du feu, à la blancheur ou à quelque chose de ce genre. Et c'est
pourquoi, l'agent naturel agit en provoquant le mouvement et ainsi il a besoin
de la matière qui est le substrat du changement ou du mouvement et, pour cela,
il ne peut pas faire quelque chose à partir de rien. Dieu au contraire est totalement
acte – et par rapport à lui-même, parce qu'il est acte pur, sans puissance
mêlée – et par rapport à ce qui est en acte, parce que l'origine de tous les
êtres est en lui. C'est pourquoi, par son action, il produit l'étant subsistant
tout entier, sans rien de présupposé, étant donné qu'il est le principe de
l'être entier et tout entier principe en soi. Et à cause de cela il peut faire
quelque chose à partir de rien et cette action est appelée création.
Et inde est quod in Lib. de causis, dicitur, quod esse eius est per
creationem, vivere vero, et caetera huiusmodi, per informationem. Causalitates
enim entis absolute reducuntur in primam causam universalem; causalitas vero
aliorum quae ad esse superadduntur; vel quibus esse specificatur, pertinet ad
causas secundas, quae agunt per informationem, quasi supposito effectu causae
universalis: et inde etiam est quod nulla res dat esse, nisi in quantum est in
ea participatio divinae virtutis. Propter quod etiam dicitur in Lib. de causis,
quod anima nobilis habet operationem divinam in quantum dat esse.
C'est pour cela qu'il est dit dans le Livre des Causes (prop. 18) que l'être existe par création, mais
que la vie et les autres choses de ce genre existent par mise en forme. Car les
causalités de l'être sont ramenées absolument à la cause première universelle,
mais pour ce qui est ajouté à l'être ou ce par quoi il est spécifié, la
causalité appartient aux causes secondes qui agissent par mise en forme,
l'effet de la cause universelle étant pour ainsi dire supposée. Et de là vient
que rien ne donne l'être que dans la mesure où il y a en lui participation[17]
du pouvoir divin. C'est pour cela qu'on dit aussi dans le Livre des Causes (prop. 3[18]) que l'âme noble a une opération
divine dans la mesure où elle donne l'être.
Solutions:
q. 3 a. 1 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod ex nihilo nihil fieri, philosophus dicit esse
communem animi conceptionem vel opinionem naturalium, quia agens naturale, quod
ab eis consideratur, non agit nisi per motum; unde oportet esse aliquod
subiectum motus vel mutationis, quod in agente supernaturali non oportet, ut
dictum est.
# 1. “Rien ne vient à partir de rien”. Le philosophe dit que c'est la
conception du sens commun ou l'opinion des Naturalistes, parce que l'agent
naturel qu'ils considèrent n'agit que par mouvement. C'est pour cela qu'il faut
qu'il y ait un substrat au mouvement ou au changement, qui n'est pas nécessaire
pour l'agent surnaturel, comme on l'a dit.
q. 3 a. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod antequam mundus esset, possibile erat mundum esse; non
tamen oportet quod aliqua materia praeexisteret, in qua potentia fundaretur.
Dicitur enim V Metaph., aliquid aliquando dici possibile, non secundum aliquam
potentiam, sed quia in terminis ipsius enuntiabilis non est aliqua repugnantia,
secundum quod possibile opponitur impossibili. Sic ergo dicitur, antequam
mundus esset, possibile mundum fieri, quia non erat repugnantia inter
praedicatum enuntiabilis et subiectum. Vel potest dici, quod erat possibile
propter potentiam activam agentis, non propter aliquam potentiam passivam
materiae. Philosophus autem utitur hoc argumento, in generationibus naturalibus
contra Platonicos, qui dicebant formas separatas esse naturalis generationis
principia.
# 2. Avant que le monde ait existé, son existence était possible: il ne
faut pas cependant qu'une matière préexiste dans laquelle serait établie la
puissance. Car on lit (Métaphysique
V, 3, 1047 a, 24-26[19]), qu'on dit que quelque chose est quelquefois possible,
non en raison d'une puissance, mais parce que, dans les termes de son énoncé,
il n'y a rien qui s'y oppose, selon que le possible est opposé à l'impossible.
Ainsi donc, on dit qu'avant que le monde ait existé, il était possible qu'il
soit fait, parce qu'il n'y avait aucune opposition entre le prédicat de
l'énoncé et le sujet. On peut dire aussi qu'il était possible à cause d'une
puissance active de l'agent, non à cause de la puissance passive de la matière.
Le philosophe use de cet argument (Métaphysique
VII, 8, 1033 b 26[20]) dans les générations naturelles contre les Platoniciens
qui disaient que les formes séparées étaient les principes de la génération
naturelle.
q. 3 a. 1 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod entis et non entis simpliciter est aliquo modo et semper
infinita distantia, non tamen eodem modo: sed quandoque quidem ex utraque parte
infinita, sicut cum comparatur non esse ad esse divinum quod infinitum est, ac
si comparetur albedo infinita ad nigredinem infinitam; quandoque autem est
finita ex una parte tantum, sicut cum comparatur non esse simpliciter ad esse
creatum quod finitum est, ac si comparetur nigredo infinita ad albedinem
finitam. In illud ergo esse quod est infinitum, non potest fieri transitus ex
non esse; sed in illud esse quod est finitum, talis transitus fieri potest,
prout distantia non esse ad illud esse ex una parte terminatur, quamvis non sit
transitus proprie: sic enim est in motibus continuis, per quos transit pars
post partem. Sic enim contingit nullo modo infinitum transire.
# 3. Il faut dire que de l'être au non être absolu, il y a de quelque
manière et toujours une distance infinie, mais pas cependant de la même
manière. Quelquefois d'une partie infinie à une autre infinie, comme lorsqu'on
compare le non être à l'être divin qui est infini, comme si on comparait la
blancheur infinie au noir infini. Quelquefois ce n'est fini que d'un côté,
comme quand on compare le non être absolu à l'être créé qui est fini, comme si
on comparaît le noir infini à une blancheur finie. Donc en cet être qui est
infini, le passage à partir du non être ne peut pas se faire, mais dans celui
qui est fini un tel passage peut se faire, selon que la distance du non être à
cet être est limitée d'un côté, quoique ce ne soit pas à proprement parler un
passage: car c'est ainsi dans les mouvements continus par lesquels passe partie
après partie. Car ainsi, en aucune manière, on n'arrive à traverser
l'infini[21].
q. 3 a. 1 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod cum fit aliquid ex nihilo, non esse, sive nihil, non se
habet per modum patientis nisi per accidens, sed magis per modum oppositi ad id
quod fit per actionem. Nec etiam in naturalibus oppositum se habet per modum
patientis nisi per accidens, sed magis subiectum.
# 4. Quand quelque chose est fait à partir de rien, le non être ou le
néant ne joue le rôle de patient que par accident, mais il joue davantage le
rôle de contraire, pour qui se fait par l'action. Et même dans ce qui est
naturel, l'opposé ne joue le rôle de patient que par accident, mais c'est
plutôt le substrat qui le joue.
q. 3 a. 1 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod calor, si esset expoliatus a materia, ageret quidem sine
materia quae requireretur ex parte agentis, sed non sine materia quae
requireretur ex parte patientis.
# 5. Si la chaleur était exclue de matière, elle agirait sans la matière
requise du côté de l'agent, mais non sans celle nécessaire du côté au patient.
q. 3 a. 1 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod concludi se habet in actibus rationis sicut moveri in
actibus naturae, eo quod in concludendo ratio ab uno in aliud discurrit; et ideo
sicut motus omnis naturalis est ex aliquo, ita et omnis conclusio rationis.
Sicut vero intelligere principia, quod est concludendi principium, non est ex
aliquo ex quo concludatur, ita creatio, quae est omnis motus principium, non
est ex aliquo.
# 6. La conclusion se comporte dans les actions de raison comme le
mouvement dans les actions de la nature, parce qu'en concluant, la raison passe
d'un objet à une autre. Et de même que tout mouvement naturel dépend de quelque
chose, toute conclusion de la raison aussi. De même que comprendre les
principes, ce qui est le principe pour conclure, ne dépend pas de quelque chose
d'où l'on conclut, de même la création, qui est le principe de tout mouvement,
ne dépend de rien.
q. 3 a. 1 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod cum dicitur aliquid fieri ex nihilo, duplex est sensus,
ut patet per Anselmum in suo Monologio. Nam negatio importata in nihilo potest
negare praepositionem ex, vel potest includi sub praepositione. Si autem neget
praepositionem, adhuc potest esse duplex sensus
# 7. Quand on dit que quelque chose est fait à partir de rien, il y a
deux sens, comme le montre Anselme dans son Monologium
(ch. 5 et 7). Car la négation exprimée par “rien” peut nier la préposition[22]
ex, ou peut être incluse sous elle[23]. Mais si elle nie la préposition, elle
peut encore avoir deux sens:
unus, ut negatio feratur ad totum, et negetur non solum praepositio,
sed etiam verbum, ut si dicatur aliquid ex nihilo fieri quia non fit, sicut de
tacente possumus dicere quod de nihilo loquitur: et sic de Deo possumus dicere
quod de nihilo fit, quia omnino non fit; quamvis iste modus loquendi non sit
consuetus.
a) Comme la négation porte sur le tout, non seulement la préposition
est niée, mais encore le mot (verbum), comme si on disait quelque chose est
fait à partir de rien, parce qu'il n'est pas fait, comme on peut dire de celui
qui se tait qu'il ne parle de rien (de nihilo[24]): et ainsi nous pouvons dire
de Dieu qu'il est fait de rien (de nihilo), parce qu'il n'est absolument pas
fait: cependant ce mode de parler n'est pas habituel.
Alius sensus est, ut verbum remaneat affirmatum, sed negatio feratur
solum ad praepositionem; et ideo dicatur aliquid ex nihilo fieri, quia fit
quidem, sed non praeexistit aliquid ex quo fiat; sicut dicimus aliquem tristari
ex nihilo, quia non habet tristitiae suae causam: et hoc modo per creationem
dicitur aliquid ex nihilo fieri. Si vero praepositio includit negationem, tunc
est duplex sensus: unus verus, et alius falsus.
b) Autre sens: de sorte que le mot (verbum) demeure affirmé, mais la
négation porte seulement sur la préposition et ainsi on dit que quelque chose
est fait à partir de rien parce qu'il est fait, mais rien de ce à partir de
quoi il est fait n'a préexisté. Ainsi nous disons que quelqu'un s'attriste à
partir de rien parce que sa tristesse n'a pas de cause, et de cette manière,
pour la création on dit, que quelque chose est fait à partir de rien. Mais si
la préposition inclut la négation, alors le sens est double: l'un est vrai,
l'autre faux.
Falsus quidem, si positio importet habitudinem causae (non ens enim
esse nullo modo potest causa entis); verus autem, si importet ordinem tantum,
ut dicatur aliquid fieri ex nihilo quia fit post nihilum, quod etiam verum est
in creatione. Quod autem Boetius dicit, quod non entis ad ens non est ordo,
intelligendum est de ordine determinatae proportionis, vel de ordine qui sit
realis relatio, quae inter ens et non ens esse non potest, ut Avicenna dicit.
i) Faux si sa position exprime une relation de cause (car le non étant
ne peut en aucune manière être cause de l'étant);
ii) vrai si elle exprime l'ordre seulement, comme on dit que quelque
chose est fait à partir de rien parce qu'il est fait après rien, ce qui est
vrai dans la création. Mais quand Boèce dit que du non étant à l'étant, il n'y
a pas d'ordre, il faut le comprendre de l'ordre d'un rapport déterminé ou de
celui d'une relation réelle, qui ne peut exister entre l'étant et le non étant,
comme Avicenne le dit (Métaphysique,
III[25]).
q. 3
a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod definitio illa intelligitur de potentia
activa naturali.
# 8. Cette définition est comprise de la puissance active naturelle.
q. 3 a. 1 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod Deus non producit res ex necessitate naturae, sed ex
ordine suae sapientiae. Et ideo diversitas rerum non oportet quod sit ex
materia, sed ex ordine divinae sapientiae; quae ad complementum universi
diversas naturas instituit.
# 9. Dieu ne crée pas par nécessité de nature[26], mais selon l'ordre
de sa sagesse. Et c'est pourquoi il ne faut pas que la diversité des choses[27]
viennent de la matière, mais de l'ordre de la sagesse divine, qui institua des
natures diverses pour parfaire l'univers[28] .
q. 3 a. 1 ad 10 Ad
decimum dicendum, quod cum fit aliquid ex nihilo, esse quidem eius quod fit,
est primo in aliquo instanti; non esse autem non est in illo instanti nec in
aliquo reali, sed in aliquo imaginario tantum. Sicut enim extra universum non
est aliqua dimensio realis, sed imaginaria tantum, secundum quam possumus dicere
quod Deus potest aliquid facere extra universum tantum, vel tantum distans ab
universo; ita ante principium mundi non fuit aliquod tempus reale, sed
imaginarium; et in illo possibile est imaginari aliquod instans in quo ultimo
fuit non ens. Nec oportet quod inter ista duo instantia sit tempus medium, cum
tempus verum et tempus imaginarium non continuentur.
# 10. Quand une chose est fait à partir de rien, son être est d'abord
dans un instant, mais le non être n'est ni dans cet instant ni dans un instant
réel, mais imaginaire seulement, En effet, hors de l'univers, il n'y a pas de
dimension réelle, mais imaginaire seulement, selon laquelle nous pouvons dire
que Dieu peut faire quelque chose hors de l'univers seulement ou seulement
quelque chose d'éloigné de l'univers: de la même manière avant le commencement
du monde, il n'y eut pas de temps réel, mais un temps imaginaire, et en lui il
est possible d'imaginer un instant à la fin duquel il y eut le non étant. Et il
ne faut pas, qu'entre ces deux instants, il y ait un temps intermédiaire,
puisque le temps réel et le temps imaginaire n'ont pas de rapport.
q. 3 a. 1 ad 11 Ad
undecimum dicendum, quod illud quod fit ex nihilo, simul fit et factum est; et
similiter est in omnibus mutationibus momentaneis; simul enim aer illuminatur
et illuminatus est. Ipsum enim factum esse in talibus dicitur fieri, secundum
quod est in primo instanti in quo factum est. Vel potest dici quod id quod fit
ex nihilo, dicitur fieri quando factum est non secundum motum, quod est ab uno termino
in alterum, sed secundum effluxum ab agente in factum. Haec enim duo in
generatione naturali inveniuntur, scilicet transitus de uno termino in alterum,
et effluxus ab agente in factum, quorum alterum tantum proprie est in
creatione.
# 11. Ce qui est fait à partir de rien, se fait et est fait en même
temps[29]. Et il en est de même dans tous les changements instantanés. Car au
même moment l'air s'illumine et est illuminé. Car on dit qu'avoir été fait en
telles conditions, c'est être fait, selon qu'il est dans le premier instant
dans lequel il a été fait. Ou bien on peut dire que ce qui est fait de rien,
est dit fait, quand il a été fait non selon le mouvement, qui passe d'un terme
à un autre, mais selon l'écoulement à partir de l'agent à ce qui est fait. Car
on trouve les deux dans la génération naturelle, à savoir le passage d'un terme
à un autre et l'écoulement à partir de l'agent dans ce qui est fait, dont l'un
des deux seulement est proprement dans la création.
q. 3 a. 1 ad 12 Ad
duodecimum dicendum, quod neque materia neque forma neque accidens proprie
dicuntur fieri; sed id quod fit est res subsistens. Cum enim fieri terminetur
ad esse, proprie ei convenit fieri cui convenit per se esse, scilicet rei
subsistenti: unde neque materia neque forma neque accidens proprie dicuntur
creari, sed concreari. Proprie autem creatur res subsistens, quaecumque sit. Si
tamen in hoc vis non fiat, tunc dicendum, quod materia prima habet
similitudinem cum Deo in quantum participat de ente. Sicut enim lapis est similis
Deo in quantum ens, licet non sit intellectualis sicut Deus, ita materia prima
habet similitudinem cum Deo in quantum ens, non in quantum est ens actu. Nam
ens, commune est quodammodo potentiae et actui.
# 12. On ne peut pas dire à proprement parler que la matière, la forme,
et l'accident sont faits, mais ce qui est fait c'est ce qui subsiste. En effet,
comme le devenir se termine à l'être, il convient proprement d'être fait à ce à
quoi il convient d'être par soi, c'est-à-dire à ce qui subsiste; c'est pourquoi
on dit que ni la matière, ni la forme, ni l'accident sont proprement créés mais
concréés. Proprement c'est la chose subsistante qui est créée, quelle qu'elle
soit. Si cependant le caractère essentiel n'y est pas fait, alors il faut dire
que la matière première a une ressemblance avec Dieu dans la mesure où elle
participe de l'étant. Car de même que la pierre est semblable à Dieu en tant
qu'étant, bien qu'elle ne soit pas spirituelle comme lui, de même la matière
première ressemble à Dieu en tant qu'étant, non en tant qu'étant en acte. Car
l'être est commun d'un certaine manière à la puissance et à l'acte[30].
q. 3 a. 1 ad 13 Et sic etiam patet responsio ad
decimumtertium.
# 13. Et ainsi on répond à la 13e objection. Car à proprement parler la
matière n'a pas d'idée[31], mais le composé en a une, puisque l'idée est une
forme qui crée. Cependant on peut dire qu'il y a une idée de la matière selon
qu'elle imite l'essence divine d'une certaine manière.
q. 3 a. 1 ad 14 Ad
decimumquartum dicendum, quod non oportet, si duarum creaturarum est aliqua
dignior, quod minus digna habeat aliquam imperfectionem: nam imperfectio
designat carentiam alicuius quod natum est haberi vel debet haberi. Unde et in
gloria, quamvis unus sanctorum alium excedat, nullus tamen imperfectus erit. Si
tamen aliqua imperfectio in creaturis sit, non oportet quod sit ex Deo neque ex
materia; sed in quantum creatura est ex nihilo.
# 14. Il ne faut pas, si de deux créatures l'une est plus digne, que la
moins digne ait une imperfection. Car l'imperfection désigne un manque de ce
qu'elle est destinée à avoir ou qu'elle doit avoir. Donc dans la gloire,
quoique un des saints en dépasse un autre, cependant aucun ne sera imparfait.
Mais s'il y a quelque imperfection dans les créatures, il ne faut pas qu'elle
vienne de Dieu ni de la matière, mais du fait que la créature ne vient de rien.
q. 3 a. 1 ad 15 Ad
decimumquintum dicendum, quod ex nihilo dicitur aliquid fieri sicut ex opposito
secundum unum sensum superius expositum. Nec tamen oportet quod ex ente unius
generis fiat ens alterius generis, sicut ex colore et figura; ens enim et non
ens non possunt esse simul; color autem et figura simul esse possunt. In autem
ex quo aliquid fit, debet esse in contingens ei quod fit, ut dicitur I Phys.,
quod non contingat simul esse.
15. On dit que quelque chose est fait à partir de rien comme de son
opposé selon le sens exposé plus haut. Cependant il ne faut pas que d'un être
d'un genre soit fait un être d'un autre genre, comme de la couleur et la
figure. Car l'étant et le non étant ne peuvent coexister, mais la couleur et la
figure le peuvent. Mais le "dans" (in) à partir duquel la chose se
fait doit être un "dans" (in) qui arrive à qui se fait, comme on le
dit en I Physique, V, (188 a - 188b)
parce qu'il n'arriverait pas à être en même temps.
q. 3 a. 1 ad 16 Ad decimumsextum
dicendum, quod si ly ex nominet causam, non fit aliquid ex opposito nisi per
accidens, ratione scilicet subiecti. Si vero nominet ordinem, tunc fit aliquid
ex opposito etiam per se; unde et privatio dicitur principium esse fiendi, sed
non essendi. Hoc autem modo dicitur aliquid fieri ex nihilo, ut prius dictum
est, in corp. art.
16. Si la préposition “ex” (de) désigne la cause, ce qui se fait n'est
fait à partir de son opposé que par accident, à savoir en raison du substrat.
Si elle désigne l'ordre, alors ce qui est fait est fait de l'opposé même par
soi, c'est pourquoi la privation est appelée principe de l'être à faire, mais
non d'être. De cette manière, on dit que quelque chose est fait à partir de
rien, comme on l'a dit plus haut dans le corps de l'article.
q. 3 a. 1 ad 17 Ad
decimumseptimum dicendum, quod Deus simul dans esse, producit id quod esse
recipit: et sic non oportet quod agat ex aliquo praeexistenti.
17. Dieu, en même temps qu'il donne l'être, produit ce qui le reçoit.
Et ainsi il ne faut pas qu'il agisse à partir de quelque chose de préexistant.
--------------------------------------------------------------------------------
[1]
. Parall.: laq. 45, a. 2 – CG. II 16 –II Sent., dlqla2 – Compendium, c. 69
–Opusc. De quatuor opposit., c. 4 – VIII Phy., I, 2.
[2]
. J'emploie sans enthousiasme cette traduction un peu lourde qui permet de
faire la distinction entre ex nihilo et de nihilo.
[3]
. Thomas puise sa documentation sur l'histoire des philosophies présocratiques
chez Aristote. Physique I, 187 a 20: "Anaxagore,
semble-t-il, tient aussi pour l'infinité, parce qu'il acceptait l'opinion
commune des physiciens, que rien ne peut être engendré de rien." Trad. H.
Carteron.
[4]
. Cette objection se retrouve en Ia, qu. 46, a. 1, obj. 1, à propos de
l'éternité du monde. On y trouve plus clairement énoncé que la matière paraît
nécessaire. "Mais ce qui a possibilité d'être c'est la matière qui est en
puissance pour être". Si le monde a existé, il y avait la matière avant,
dit l'objecteur. Mais ajoute-t-il, la matière sans forme ne peut pas exister.
Donc le monde a existé avant de commencer ce qui est impossible. Cf. Pot. qu.
3, a. 17, obj. 10: "S'il était possible qu'il existât, il y avait alors
une puissance par rapport à lui et même ainsi il y avait un substrat ou une
matière puisque la puissance ne peut exister que dans un substrat."
Il
faut distinguer le possible, conception dans l'esprit qui le conçoit, et qui
n'est pas dans la réalité, de l'objet en puissance qui a besoin d'un substrat.
C'est pourquoi la création est possible, mais elle n'est pas en puissance.
[5]
. La génération. "La mixtion (le mélange) exige que les deux corps (qui
doivent se mélanger) soient dans une condition semblable"(32 7 b 3 ou 4).
– Aristote démontre ensuite que certaines "mixtions", certains
mélanges ne peuvent se faire parce que les éléments en question sont
dissemblables (ainsi 327 b 11: bois et feu. Conclusion (20): "Tout ne peut
pas être mélangé à tout". b 22: il constate que les êtres en actes et ceux
qui sont en puissance ne peuvent se mélanger. "On a distingué par la suite
le corpus mixtum ou les éléments sont différents du composé (comme l'eau est
différente de l'oxygène et l'hydrogène) et la mixtio imperfecta ou mélange
comme le sucre et l'eau." (Elders, La philosophie de la nature de saint
Thomas, 189-190).
[6]
. "Si une intelligibilité signifie pour elle-même, telle l'humanité ou la
blancheur, se trouvant être subsistante (c'est-à-dire existant par soi et pour
soi, et non point dans autre chose à titre d'attribut) alors elle serait
nécessairement unique. Ce qui permet de conclure que toutes les choses autres
que Dieu ne sauraient être leur propre être, mais ne sont qu'en participant à
l'être et de l'être." (Cf. Ia, qu. 11, a. 3 et 4). Dubarle, Ontologie, p.
204.
[7]
. L'être de raison est l'objet de la logique. Il peut y avoir analogie avec la
réalité, mais le parallélisme n'est pas toujours vrai. Thomas en donne des
exemples. "On ne peut pas être surpris que les lois des concepts et celles
du langage ne s'appliquent pas toujours aux relations du réel... Autres sont
les agencements des choses, objet de la science, autres les agencements des
êtres de raison qui sont les moyens de la science.” Sertillanges, Dieu II, (Éd.
des Jeunes) note 42 p. 334. On trouve en de nombreux autres endroits une
analogie entre la démarche intellectuelle et les faits naturels.
[8]
. Ex soit "de", soit locution prépositive "à partir de".
[9]
. Cf. Ia, qu. 45, a. 1, obj. 3: "Cette préposition " de "
implique un rapport de causalité, surtout de causalité matérielle, comme
lorsque nous disons qu'une statue est faite " de " bronze. Mais rien
ne peut être la matière de l'être, ni en être cause d'aucune manière. Donc
créer n'est pas faire quelque chose de rien." (Trad. J-M. Maldamé, Éd du
Cerf).
[10]
. Objection inspirée d'Avicenne
[11]
L'agent est en acte. Il fait du semblable, donc quelque chose en acte. En
effet, l'apport de la forme met l'étant en acte.
[12]
. C'est-à-dire à l'effet de l'idée.
[13]
. L'objecteur suppose deux principes, un bon et un mauvais. Cf. Pot. qu. 3, a.
6.
[14]
La génération et le changement supposent un opposé. L'objecteur pense la
création comme un changement. Cf. Pot. qu. 3, a. 2.
[15]
. Il arrive à la créature d'agir, mais Dieu est acte pur. Il agit toujours.
[16]
. C'est-à-dire un être potentiel. Ainsi l'enfant avant sa conception est en
puissance.
[17].
Cette participation, c'est que Dieu donne l'être et alors les causes secondes
peuvent agir. Il ne faut pas comprendre que Dieu donne le pouvoir de créer (Cf.
article 4).
[18].
Prop. 3: "n° 27 – "Toute âme noble a trois opérations; car parmi ses
opération il y l'opération animante, intellectuelle et divine." Cf. Pot.
3, 7, Concours divin; "Rien ne donne l'être que... par participation du pouvoir
divin" par l'action de la cause première, et de la cause seconde. Le livre
des causes, prop. 18.
[19]
. Cf. Ia, qu. 45, a. 2, ad 4m: La distance infinie entre l'étant et le non
étant: Cette objection procède d'une fausse imagination. Comme s'il y avait un
intervalle infini entre le néant et l'être. Cela apparaît comme faux. Cette
fausse imagination vient du fait qu'on décrit la création comme un changement
entre deux termes qui existent.
"...du
non-être à l'être il n'y a ni ordre ni proportions, ni relations. On en parle
comme s'il n'y avait entre eux une succession c'est-à-dire une relation réelle,
mais il ne faut pas se rendre dupe des mots... En réalité le néant ne peut rien
précéder, et au néant rien ne peut suivre" Sertillanges, L'idée de création,
p. 14.
[20]
. "Il est donc évident que la causalité des Idées que certains philosophes
ont coutume d'attribuer aux Idées, ne peut, en supposant qu'il existe de telles
réalités, distinctes des individus, servir à rien, du moins pour la génération
et la constitution des substances." (Trad. J. Tricot).
[21]
. Cf. De Veritate 27, 3, ad 9m. les trois solutions possibles sont envisagées;
infini infini, fini fini, infini fini. Puissance passive: ici le possible n'en
dépend pas puisque cette puissance est la matière, qui n'existe pas avant la
création, la puissance active: dernière partie de la réponse, et enfin en
deuxième position le possible sans rapport avec la puissance. C'est ce qu
démontre Aristote en Métaphysique,
IX, 3, 1047 a 24: "Une chose est possible si son passage à acte dont elle
est dite avoir la puissance n'entraîne aucune impossibilité." Cf. I
Analytiques, I, 13, 32 a 18. ("Cette définition du possible ...renferme
peut-être un cercle vicieux." remarque J. Tricot).
[22]
. Si on s'en tient à la traduction à partir de, il faut parler alors de
locution prépositionnelle.
[23]
. Voir Pot. qu. 3, a. 8, obj. 4. Ex indique une cause efficiente ou une cause
matérielle.
[24]
. L'expression de nihilo est employée en deux endroits dans l'article. la nuance
dans l'objection 4 est minime et n'est plus reprise dans la solution. "Le
rien", le néant est considéré par l'objecteur comme un substrat, qui
pourrait être "un patient", ce que nie la solution. Ici (sol. 7) le
de nihilo n'est pas appliqué à la création: le silencieux parle au sujet de
rien. Il n'y a pas non plus création ou passage à partir du néant pour Dieu
(mode inhabituel de parler, remarque Thomas.
[25]
. "Thomas se persuada que si Avicenne niait la création, du moins il
réfutait bien le concept erroné de création des Mokekallim qui imaginaient le
néant comme une privation ou une puissance." (Chossat, DTC, Dieu, 1224)
[26]
. Cela est démontré plus loin, Pot. 3, 15.
[27]
. L'ultime raison de la multiplicité et de la vérité des choses réside... dans
l'ordo sapientiae. Cf. Pot. 3, 16. La pluralité peut-elle procéder d'un [être]
premier unique? Cf. Ia, qu. 47, a. 1, - Ia , qu. 47, a. 2 - CG II, 26 etc.
M.Seckler, le salut et l'histoire, p. 110. "La distinction et la pluralité
dépendent de l'intention du premier agent qui est Dieu." Le principe est
confirmé en Ia, qu. 42, a. 2: "La distinction et l'inégalité des choses
viennent de Dieu.". l'inégalité dans la perfection parce que les choses
viennent du néant (Ia, qu. 90, a. 3 ou 3)
[28]
. Il ne faut du reste pas parler de perfection et d'imperfection. Voir Ia, qu.
90, 2 ou 3?
[29]
. Cf. I, qu. 45, a. 2, ad 3m.
[30]
. L'étant commun est composé de matière (en puissance) et de la forme (en
acte).
[31]
. Il s'agit de l'idée en Dieu. Dans le De veritate qu. 3, a. 5, c, on lit que
1° A la différence de Platon, il est nécessaire de placer une idée en Dieu
parce que la matière première est créée et ce qui est causé par Dieu possède
quelque ressemblance avec lui. 2° Cependant la matière n'a pas en Dieu d'idée
distincte de celle de la forme ou du composé..
q. 3 a. 2 tit. 1
Secundo quaeritur utrum creatio sit mutatio. Et videtur quod sic.
Il semble que oui.
Objections[1]:
q. 3 a. 2 arg. 1
Mutatio enim secundum nomen suum designat hoc esse post hoc, ut patet V Phys.
Sed hoc habet creatio: nam fit esse post non esse. Ergo creatio est mutatio.
1. Car un changement, d'après son nom, montre qu'une chose est après
l'autre, comme on le démontre (Phys.
V, 7, 224 b 35 - 225 a[2]). Mais c'est ainsi que se
comporte la création: l'être, en effet, est créé après le non être. Donc la
création est un changement.
q. 3 a. 2 arg. 2
Praeterea, omne quod fit, fit aliquo modo ex non ente; quia quod est, non fit.
Sicut ergo se habet generatio, secundum quam fit res secundum partem
substantiae suae, ad privationem formae, quae est non esse secundum quid; ita
se habet creatio, per quam fit secundum totam substantiam suam, ad non esse
simpliciter. Sed privatio proprie loquendo, est terminus generationis. Ergo et
non esse simpliciter, proprie loquendo, est terminus creationis; et sic
creatio, proprie loquendo, est mutatio.
2. Tout ce qui est fait est fait d'une certaine manière à partir du non
être, parce que ce qui est ne se fait pas. Donc, de la même manière que se
comporte la génération, d'après laquelle une chose est faite selon une partie
de sa substance, pour combler la privation de la forme, qui est un non être
relatif, de cette même manière se comporte la création par laquelle la chose
est faite selon toute sa substance pour combler le non être absolu. Mais la
privation de la forme est à proprement parler le terme de la génération. Donc
le non être absolu est proprement le terme de la création et ainsi, à vrai
dire, la création est un changement.
q. 3 a. 2 arg. 3
Praeterea, quanto est maior distantia inter terminos, tanto maior est mutatio.
Maior enim est mutatio de albo in nigrum quam de albo in pallidum. Sed plus
distat non ens simpliciter ab ente quam contrarium a contrario, vel non ens
secundum quid ab ente. Ergo cum transitus de contrario in contrarium, vel de
non ente secundum quid in ens, fit mutatio, multo magis transitus de non ente
simpliciter in ens, quod est creatio, erit mutatio.
3. Plus grande est la distance entre les termes, plus grand est le
changement. Car le changement est plus grand de blanc à noir que de blanc à
blanc pâle. Mais le non être absolu est plus distant de l'être qu'un contraire
de son contraire ou le non étant relatif de l'étant[3].
Donc comme le passage d'un contraire à son contraire, ou du non être relatif de
l'être, devient changement, le passage du non être absolu à l'être, qu'est la
création, sera beaucoup plus un changement[4].
q. 3 a. 2 arg. 4
Praeterea, quod non similiter habet se nunc et prius, mutatur vel movetur. Sed
quod creatur non similiter se habet nunc et prius: quia prius erat simpliciter
non ens, et postea fit ens. Ergo quod creatur, movetur vel mutatur.
4. Ce qui ne se comporte pas de la même manière maintenant
qu'auparavant est soumis au changement ou au mouvement. Mais ce qui est créé ne
se comporte pas de la même manière maintenant qu'auparavant; parce qu'avant
c'était un non étant absolu et après il est devenu un étant. Donc, ce qui est
créé est mû ou changé.
q. 3 a. 2 arg. 5
Praeterea, illud quod exit de potentia in actum, mutatur. Sed quod creatur,
exit de potentia in actum; quia ante creationem erat tantum in potentia
facientis, postea autem est in actu. Ergo quod creatur, movetur vel mutatur:
ergo creatio est mutatio.
5. Ce qui passe de la puissance à l'acte subit un changement. Mais ce
qui est créé passe de la puissance à l'acte; parce qu'avant la création il
était seulement dans la puissance du créateur, mais ensuite il est en acte.
Donc ce qui est créé, a subi un mouvement ou un changement: donc la création
est un changement.
En sens contraire.
q. 3 a. 2 s. c. Sed
contra, species motus vel mutationis sunt sex, secundum philosophum in
praedicamentis. Nulla autem earum est creatio ut patet per singula inducenti.
Ergo creatio non est mutatio.
Les espèces de mouvements ou de changements sont au nombre de six,
selon Aristote, dans Les catégories (chapitre
sur le mouvement). Aucun d'elles n'est création, comme cela paraît à qui les
examine une à une. Donc la création n'est pas un changement.
Réponse:
q. 3 a. 2 co.
Respondeo. Dicendum, quod in mutatione qualibet requiritur quod sit aliquid
idem commune utrique mutationis termino. Si enim termini mutationis oppositi in
nullo eodem convenirent, non posset vocari transitus ex uno in alterum. In
nomine enim mutationis et transitus designatur aliquid idem, aliter se habere
nunc et prius; et etiam ipsi mutationis termini non sunt incontingentes, quod
requiritur ad hoc ut sint mutationis termini, nisi in quantum referuntur ad
idem. Nam duo contraria si ad diversa subiecta referantur,
contingit simul esse.
Dans un changement, il faut quelque chose de commun à chacun des deux
termes du changement. Car si les termes opposés du changement ne concordaient
en rien, on ne pourrait pas parler de passage de l'un à l'autre. En effet, sous
le nom de changement et celui de passage, on désigne une même chose, qui
se comporte autrement maintenant qu'auparavant. Et aussi ces termes du
changement ne sont pas incompatibles, ce qui est requis pour qu'ils en soient
les termes, à moins qu'ils se rapportent à un même être. Il arrive en effet que
deux contraires soient ensemble s'ils se rapportent à des sujets différents.
Quandoque ergo contingit quod utrique mutationis termino est
unum commune subiectum actu existens; et tunc proprie est motus; sicut accidit
in alteratione et augmento et diminutione et loci mutatione. Nam in omnibus his
motibus subiectum unum et idem actu existens, de opposito in oppositum mutatur.
Quandoque vero est idem commune subiectum utrique termino, non quidem ens actu,
sed ens in potentia tantum, sicut accidit in generatione et corruptione
simpliciter. Formae enim substantialis et privationis subiectum est materia
prima, quae non est ens actu: unde nec generatio nec corruptio proprie dicuntur
motus, sed mutationes quaedam.//
Donc parfois il arrive que, pour chaque terme du changement, il y a un
seul substrat commun[5] qui existe en acte; c'est alors
proprement un mouvement, comme cela arrive dans l'altération, la croissance, la
diminution et le changement de lieu. Car dans tous ces mouvements un seul et
même substrat, qui existe en acte, est changé en opposé à partir de son. Mais
quelquefois c'est le même substrat commun aux deux termes[6],
non un étant en acte, mais en puissance seulement, comme cela arrive simplement
dans la génération et la corruption. Car le substrat de la forme substantielle
et celui de la privation est la matière première qui n'est pas un étant en
acte. C'est pour cela que ni la génération, ni la corruption ne sont à
proprement parler des mouvements, mais des changements.
Quandoque vero non est aliquod subiectum commune neque actu
neque potentia existens; sed est idem tempus continuum, in cuius prima parte
est unum oppositum et in secunda aliud, ut cum dicimus hoc fieri ex hoc, id est
post hoc, sicut ex mane fit meridies. Sed haec non proprie vocatur mutatio, sed
per similitudinem, prout ipsum tempus imaginamur quasi subiectum eorum quae in
tempore aguntur.
Mais parfois il n'y a de substrat commun ni en acte ni en puissance:
mais c'est le même temps continu, dans la première partie duquel il y a un
opposé et dans la seconde un autre, comme quand on dit que ceci a été fait de
cela, c'est-à-dire après cela, comme le midi est fait du matin. Mais on
n'appelle pas cela un changement au sens propre, mais par analogie, dans la
mesure où on imagine le temps lui-même comme sujet de ce qui se fait dans ce
temps.
In creatione autem non est aliquid commune aliquo
praedictorum modorum. Neque enim est aliquod commune subiectum actu existens,
neque potentia. Tempus etiam non est idem, si loquamur de creatione universi;
nam ante mundum tempus non erat. Invenitur tamen aliquod commune subiectum esse
secundum imaginationem tantum, prout scilicet imaginamur unum tempus commune
dum mundus non erat, et postquam mundus in esse productus est. Sicut enim extra
universum non est aliqua realis magnitudo, possumus tamen eam imaginari; ita et
ante principium mundi non fuit aliquod tempus, quamvis sit possibile ipsum
imaginari: et quantum ad hoc creatio secundum veritatem, proprie loquendo, non
habet rationem mutationis, sed solum secundum imaginationem quamdam; non
proprie, sed similitudinarie.
Mais dans la création, il n'y a rien de commun avec l'un des modes dont
on a parlé. Car il n'y a pas de substrat commun ni en acte ni en puissance. Le
temps non plus n'est pas le même, si nous parlons de la création de l'univers[7]: car avant le monde, le temps n'existait pas. Cependant
on trouve un sujet commun en imagination seulement, c'est-à-dire dans la mesure
où nous imaginons un seul temps commun, pendant lequel le monde n'existait pas
et après lequel il a été produit dans l'être. Car hors de l'univers il n'y a
pas de grandeur réelle, nous pouvons cependant en imaginer une; de la même
manière, avant le commencement du monde, le temps n'a pas existé, quoiqu'il
soit possible de l'imaginer. Et pour cela, la création, à proprement parler,
n'est pas véritablement définie comme un changement mais l'est seulement e n
imagination; non au sens propre, mais par analogie.
Solutions:
q. 3 a. 2 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod mutatio secundum suum nomen designat hoc esse post
hoc circa aliquid idem, ut praedictum est, in corp. art. Hoc autem in creatione
non est.
# 1. Le changement, par son nom, désigne un état qui existe après un
premier état, pour quelque chose de semblable, comme il a été dit dans le corps
de l'article. Cela n'existe pas dans la création.
q. 3 a. 2 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod in generatione, secundum quam fit aliquid secundum
partem substantiae suae, est aliquid commune subiectum privationi et formae, et
non est in actu existens: et ideo sicut proprie ibi accipitur terminus, sic
etiam et proprie accipitur ibi transitus; quod in creatione non est.
# 2. Dans la génération, d'après laquelle une chose est faite selon une
partie de sa substance, il y a un substrat commun à la privation et à la forme
et il n'existe pas en acte et c'est pourquoi de même qu'on prend ici le terme
au sens propre, on prend aussi le passage au sens propre, ce qui n'existe pas
dans la création, comme on l'a dit dans le corps de l'article.
q. 3 a. 2 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod ubi est maior distantia terminorum, est maior mutatio,
supposita identitate subiecti.
# 3. Plus grande est la distance entre les termes, plus grand est le
changement, si on suppose l'identité du sujet.
q. 3 a. 2 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod id quod non similiter se habet nunc et prius, mutatur,
supposita consistentia subiecti: alias non ens simpliciter mutaretur; quia non
ens simpliciter, non similiter se habet nunc et prius, neque dissimiliter.
Oportet autem ad hoc quod sit mutatio, quod sit aliquid idem dissimiliter se
habens nunc et prius.
# 4. Ce qui ne se comporte pas de la même manière maintenant et avant,
subit un changement, si on suppose la préservation du substrat. Autrement le
non être absolu serait changé, parce qu'il ne se comporte pas d'une manière
semblable maintenant et avant ni même d'une manière différente. Mais il faut,
pour qu'il y ait un changement, qu'il y ait une même chose qui se comporte de
manière différente maintenant et auparavant.
q. 3 a. 2 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod potentia passiva est subiectum mutationis, non autem
activa; et ideo quod exit de potentia passiva in actum, mutatur, non autem quod
de potentia activa exit: et ideo non valet obiectio.
# 5. La puissance passive est substrat de changement, mais pas la
puissance active et c'est pourquoi ce qui passe de la puissance passive à
l'acte est changé, mais non ce qui sort de la puissance active et c'est
pourquoi l'objection ne vaut pas.
[1] Parall.: Ia, 45, 1, ad 2– CG. II,
17, – II Sent. d1q1a 2.
[2]
Aristote, Physique, V, 224 b 35- 225
a "Or, puisque tout changement va d'un terme à un autre (c'est aussi ce
que [en grec] montre le mot (metabolê): en effet, il exprime une succession,
c'est-à-dire la distinction d'un antérieur et d'un postérieur."
[3]
Les contraires appartiennent au même genre. Le non étant relatif est celui du
changement, ce qui n'existe pas encore, mais existera.
[4]
Ils sont cités au resp. § 2. Thomas fait appel à une autorité. Aristote en
l'occurrence. Sinon il n'y aurait pas de preuve que le création ne soit pas un
mouvement.– 6. Il s'agit de potentialité. Le créé avant la création est
possible. Il n'y a aucune contradiction dans les termes. Cf. Pot. 3, 1 obj.?
[5]
Différence entre le changement et le mouvement.
[6]
C'est-à-dire celui de départ et celui d'arrivée.
[7]
Parce qu'il y a deux sortes de création, la première, celle de l'univers, et la
création contraire (celle qui se poursuit dans le temps).
q. 3 a. 3 tit. 1
Tertio quaeritur utrum creatio sit aliquid realiter in creatura, et si est,
quid sit. Et videtur quod non sit aliquid reale in creatura.
La création n'est pas, semble-t-il, une réalité dans la créature[1]..
Objections:
q. 3 a. 3 arg. 1 Ut
enim dicitur in libro de causis, omne quod recipitur in aliquo, est in eo per
modum recipientis. Sed actio Dei creantis recipitur simpliciter in
non ente: quia Deus creando ex nihilo aliquid facit. Ergo creatio
nihil reale ponit in creatura.
1. Comme on le dit dans le Livre
des Causes (prop. 10[2]) tout ce qui est
reçu en quelque chose, y est selon le mode de celui qui reçoit. Mais l'action
de Dieu Créateur est entièrement reçue dans le non étant: parce que Dieu en
créant fait quelque chose à partir de rien. Donc la création n'apporte rien de
réel dans la créature.
q. 3 a. 3 arg. 2
Praeterea, omne quod est in rerum natura, aut est creator aut creatura. Sed
creatio non est creator, quia sic esset ab aeterno; nec etiam creatura, quia
aliqua creatione crearetur; quae etiam creatio, aliqua creatione indigeret
creari, et sic in infinitum. Ergo creatio non est aliquid in rerum natura.
2. Tout ce qui est dans le nature est créateur ou créature. Mais la
création n'est ni le créateur, parce qu'ainsi elle serait éternelle, ni non
plus une créature, parce qu'elle serait créée par une création; laquelle aurait
besoin d'être créée par une création et ainsi à l'infini. Donc la création
n'est rien dans la nature des choses.
q. 3 a. 3 arg. 3
Praeterea, omne quod est, vel est substantia vel accidens. Sed creatio non est
substantia, cum non sit nec materia neque forma neque compositum, ut de facili
patere potest: nec etiam accidens, quia accidens sequitur suum subiectum;
creatio autem est naturaliter prior creato, quod nullum sibi supponit subiectum.
Ergo creatio non est aliquid in rerum natura.
3. Tout ce qui existe est substance ou accident. Mais la création n'est
pas une substance, puisque elle n'est ni matière, ni forme, ni composé, comme
on peut le découvrir facilement. Elle n'est pas non plus un accident parce que
celui-ci suit son substrat. Mais la création est naturellement antérieure au
créé, parce qu'il ne suppose en soi aucun substrat. Donc la création n'est rien
dans la nature des choses.
q. 3 a. 3 arg. 4
Praeterea, sicut se habet generatio ad rem generatam, ita se habet creatio ad
rem creatam. Sed generationis subiectum non est res generata, sed magis
terminus; subiectum vero eius est materia prima, ut dicitur in de Generat. et
Corrupt. Ergo nec subiectum creationis est res creata. Nec potest dici quod
subiectum eius sit aliqua materia, cum res creata non creetur ex aliqua
materia. Ergo creatio non habet subiectum aliquod, et ita non est accidens.
Constat autem quod non est substantia. Ergo non est aliquid in rerum natura.
4. La création se comporte vis-à-vis de la créature comme la génération
vis-à-vis de l'engendré. Mais le substrat de la génération n'est pas ce qui est
engendré, mais c'est plutôt son terme. Son substrat est la matière première,
comme il est dit dans La génération et la
corruption (texte 1). Donc le substrat de la création n'est pas la
créature. Et on ne peut pas dire que son substrat soit une certaine matière
puisque la créature n'est pas créée à partir de la matière. Donc la création
n'a pas de substrat et ainsi elle n'est pas un accident. Il est clair qu'elle
n'est pas une substance. Donc elle n'est rien[3]
dans la nature des choses.
q. 3 a. 3 arg. 5
Praeterea, si creatio est aliquid in rerum natura, cum non sit mutatio, ut
supra dictum est, maxime videtur esse relatio. Sed non est relatio, cum in
nulla relationis specie contineri possit. Simpliciter enim non enti, ex quo est
relatio, ens simpliciter neque supponitur neque aequatur. Ergo creatio non est
aliquid in rerum natura.
5. Si la création est quelque chose dans la nature des choses, comme
elle n'est pas changement, comme on l'a dit plus haut, elle paraît être surtout
une relation. Mais ce n'en est pas une, puisqu'elle ne peut être contenue dans
aucune espèce de relation. Car l'étant n'est absolument ni soumis, ni égalé au
non étant absolu d'où part la relation. Donc la création n'est rien dans la
nature des choses.
q. 3 a. 3 arg. 6
Praeterea, si creatio importet relationem entis creati ad Deum a quo esse habet;
cum ista relatio semper maneat in creatura, non solum quando incipit esse, sed
quamdiu res est; continue aliquid crearetur: quod videtur absurdum. Ergo
creatio non est relatio: et sic idem quod prius.
6. Si la création apporte une relation de l'étant créé à Dieu de qui il
tient l'être, comme cette relation demeure toujours dans la créature, non
seulement quand elle commence à être, mais aussi longtemps qu'elle existe,
quelque chose serait créé continuellement, ce qui paraît absurde. Donc la
création n'est pas une relation et ainsi de même que plus haut.
q. 3 a. 3 arg. 7
Praeterea, omnis relatio realiter in rebus existens, acquiritur ex aliquo quod
est diversum ab ipsa relatione, sicut aequalitas a quantitate, et similitudo a
qualitate. Si ergo creatio sit aliqua relatio in creatura realiter existens,
oportet quod differat ab eo ex quo acquiritur relatio. Hoc autem est quod per
creationem accipitur. Sequitur ergo quod ipsa creatio non sit per creationem
accepta; et ita sequitur quod sit aliquid increatum: quod est impossibile.
7. Toute relation qui existe réellement dans les choses est acquise de
quelque chose qui est différent de la relation même, comme l'égalité est
différente de la quantité et la ressemblance de la qualité. Donc si la création
est une relation qui existe réellement dans la créature, il faut qu'elle
diffère de ce par quoi la relation est acquise. Mais c'est ce qui est reçu par
création. Donc il s'ensuit que la création même ne serait pas reçue par une
création et ainsi il en découle qu'elle serait quelque chose d'incréé, ce qui
est impossible.
q. 3 a. 3 arg. 8 Praeterea, omnis mutatio
reducitur ad illud genus ad quod terminatur, sicut alteratio ad qualitatem, et
augmentum ad quantitatem; et propter hoc dicitur, in III Phys., quod quot sunt
species entis, tot sunt species motus. Sed creatio terminatur ad substantiam;
nec tamen potest dici quod sit in genere substantiae, ut supra, argum. 3, dictum
est. Ergo non videtur quod sit aliquid secundum rem.
8. Tout changement est ramené au genre où il se termine, comme
l'altération à la qualité et la croissance à la quantité et à cause de cela il
est dit (III Physique, 201 a 8[4]) qu'il y a autant d'espèces de mouvements qu'il y a
d'espèces d'étants. Mais la création se termine à la substance; et cependant on
ne peut pas dire qu'elle soit dans le genre de la substance, comme on l'a dit
ci-dessus à l'objection 3. Donc il ne paraît pas que ce soit quelque chose de
réel.
En sens contraire:
q. 3 a. 3 s. c. 1
Sed contra. Si creatio non est aliqua res, ergo nec aliquid realiter creatur.
Hoc autem apparet esse falsum. Ergo creatio aliquid est in rerum natura.
1. Si la création n'est rien, donc rien n'est réellement créé. Ce qui
paraît faux. Donc la création est quelque chose dans la nature des choses.
q. 3 a. 3 s. c. 2
Praeterea, ex hoc Deus est dominus creaturae, quia eam creando in esse
produxit. Sed dominium est quaedam relatio realiter in creatura existens. Ergo
multo fortius creatio.
2. Dieu est le maître de la créature, parce qu'en la créant, il l'a
fait venir à l'être. Mais son pouvoir est une relation, qui existe réellement
dans la créature. Donc la création encore beaucoup plus.
Réponse:
q. 3 a. 3 co.
Respondeo. Dicendum quod quidam dixerunt creationem aliquid esse in rerum
natura medium inter creatorem et creaturam. Et quia medium neutrum extremorum
est, ideo sequebatur quod creatio neque esset creator neque creatura. Sed hoc a
magistris erroneum est iudicatum, cum omnis res quocumque modo existens non
habeat esse nisi a Deo, et sic est creatura.
Certains ont dit que la création est quelque chose
dans la nature des choses, intermédiaire entre le créateur et la créature. Et
parce qu'il n'y a aucun intermédiaire entre les extrêmes, il s'ensuivrait que
la création ne serait ni créateur, ni créature. Mais cela a été jugé faux par
les docteurs, puisque toute chose de quelque manière qu'elle existe n'a l'être
que de Dieu et est ainsi une créature.
Et ideo alii dixerunt, quod ipsa creatio non ponit aliquid
realiter ex parte creaturae. Sed hoc etiam videtur inconveniens. Nam in omnibus
quae secundum respectum ad invicem referuntur, quorum unum ab altero dependet,
et non e converso, in eo quod ab altero dependet, relatio realiter invenitur,
in altero vero secundum rationem tantum; sicut patet in scientia et scibili, ut
dicit philosophus. Creatura autem secundum nomen refertur ad creatorem.
Dependet autem creatura a creatore, et non e converso. Unde oportet quod
relatio qua creatura ad creatorem refertur, sit realis; sed in Deo est relatio
secundum rationem tantum. Et hoc expresse dicit Magister in I Sent. distinct.
30.
A cause de cela, d'autres ont
dit que la création elle-même n'établit rien en réalité du côté de la créature.
Mais cela ne paraît pas convenir. Car dans tout ce qui est mis en relation
réciproquement sous un rapport dont l'un dépend de l'autre et non le contraire,
dans ce qui dépend de l'un, on trouve réellement une relation, mais dans
l'autre on la trouve en raison seulement, comme cela paraît dans la science et
le savoir, comme le philosophe le dit, (Métaphysique
V, 20, 1022 b 5[5]). La créature d'après son nom a rapport
au créateur. Elle dépend de lui, et non le contraire. Donc il faut que la
relation, par laquelle la créature est référée au créateur, soit réelle. Mais
en Dieu ce n'est qu'une relation de raison seulement. Et cela le Maître le dit
expressément (I Sent., d. 30).
Et ideo dicendum est, quod creatio potest sumi active et
passive. Si sumatur active, sic designat Dei actionem, quae est eius essentia,
cum relatione ad creaturam; quae non est realis relatio, sed secundum rationem
tantum. Si autem passive accipiatur, cum creatio, sicut iam supra dictum est,
proprie loquendo non sit mutatio, non potest dici quod sit aliquid in genere
passionis, sed est in genere relationis.
Et c'est pourquoi il faut
dire que la création peut être considérée de façon active ou passive. Si on
la considère comme active, elle désigne ainsi l'action de Dieu, qui est son
essence, avec relation à la créature, qui n'est pas une relation réelle, mais
de raison seulement. Si on la prend au sens passif, la création, comme on l'a
dit plus haut, à proprement parler n'est pas un changement, on ne peut pas dire
qu'elle soit quelque chose (aliquid)
dans le genre de la passivité, mais elle est dans celui en relation.
Quod sic patet. In omni vera mutatione et motu invenitur
duplex processus. Unus ab uno termino motus in alium, sicut ab albedine in
nigredinem; alius ab agente in patiens, sicut a faciente in factum. Sed hi
processus non similiter se habent in ipso moveri, et in termino motus. Nam ipso
moveri, id quod movetur recedit ab uno termino motus et accedit ad alterum;
quod non est in termino motus; ut patet in eo quod movetur de albedine in
nigredinem: quia in ipso termino motus iam non accedit in nigredinem, sed
incipit esse nigrum. Similiter dum est in ipso moveri, patiens vel factum
transmutatur ab agente; cum autem est in termino motus, non ulterius
transmutatur ab agente, sed consequitur factum quamdam relationem ad agentem,
prout habet esse ab ipso, et prout est ei simile quoquomodo, sicut in termino
generationis humanae consequitur natus filiationem.
Ce qui apparaît ainsi: en tout vrai changement et vrai mouvement, on
trouve un double processus. L'un est
le mouvement d'un terme à un autre, comme de la blancheur à la noirceur; l'autre de l'agent au patient, comme de
celui qui fait à ce qui est fait. Mais ces processus ne se comportent pas de la
même manière, dans le mouvement lui-même et au terme du mouvement. Car par la
mise en mouvement même, ce qui est mû s'éloigne d'un terme du mouvement et
arrive à un autre, ce qui n'est pas dans le terme
du mouvement; comme cela paraît dans ce qui passe de la blancheur à la
noirceur; parce qu'au terme même du mouvement déjà, il n'arrive pas encore à la
noirceur, mais il commence à être noir. De même pendant qu'il est dans le
mouvement même, le patient ou ce qui est fait, est changé par l'agent, mais
quand il est au terme du mouvement, il n'est plus changé par l'agent, mais ce
qui est fait reçoit une relation à l'agent dans la mesure où il a l'être de
lui, et où il lui est semblable d'une certaine manière, comme au terme de la
génération humaine, l'enfant reçoit la filiation.
Creatio autem, sicut dictum est, non potest accipi ut
moveri, quod est ante terminum motus, sed accipitur ut in facto esse; unde in
ipsa creatione non importatur aliquis accessus ad esse, nec transmutatio a
creante, sed solummodo inceptio essendi, et relatio ad creatorem a quo esse
habet; et sic creatio nihil est aliud realiter quam relatio quaedam ad Deum cum
novitate essendi.
Mais la création, comme on l'a dit (art.
précéd.) ne peut être reçue comme une mise en mouvement qui est avant le
terme du mouvement, mais elle est reçue comme être dans ce qui est fait; c'est
pourquoi dans la création même, ce n'est pas un accès à l'être qui est apporté,
ni un changement par le créateur, mais seulement un commencement d'être et une
relation au créateur de qui il tient l'être et ainsi la création n'est
réellement rien d'autre qu'une relation à Dieu avec la nouveauté de l'être.
Solutions:
q. 3 a. 3 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod in creatione non ens non se habet sicut recipiens
divinam actionem, sed id quod creatum est, ut supra dictum est.
# 1. Dans la création, le non étant ne se comporte pas comme recevant l'action
divine, mais c'est ce qui est créé, comme on l'a dit ci-dessus[6].
q. 3 a. 3 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod creatio active accepta significat divinam actionem cum
quadam relatione cointellecta, et sic est increatum; accepta vero passive,
sicut dictum est, realiter relatio quaedam est significata per modum mutationis
ratione novitatis vel inceptionis importatae. Haec autem relatio, creatura
quaedam est, accepto communiter nomine creaturae pro omni eo quod est a Deo.
Nec oportet procedere in infinitum, quia creationis relatio non refertur ad
Deum alia relatione reali, sed seipsa. Nulla enim relatio refertur alia
relatione, ut Avicenna dicit in sua Metaph. Si vero nomen creaturae accipiamus
magis stricte pro eo tantum quod subsistit (quod proprie fit et creatur, sicut
proprie habet esse), tunc relatio praedicta non est quoddam creatum, sed
concreatum, sicut nec est ens proprie loquendo, sed inhaerens. Et simile est de
omnibus accidentibus.
# 2. La création, prise au sens actif, signifie l'action divine avec
une relation conçue en même temps, et ainsi c'est de l'incréé; mais prise au
sens passif, comme on l'a dit, une relation est réellement désignée par mode de
changement en raison de la nouveauté, ou du commencement qui est apporté. Mais
cette relation est une créature; on accepte communément le nom de créature pour
tout ce qui vient de Dieu. Et il ne faut pas procéder à l'infini, parce que la
relation de création n'est pas en rapport avec Dieu par une autre relation
réelle, mais par elle-même. Car aucune relation n'est en rapport avec une autre
relation, comme Avicenne le dit (Métaphysique
l. III, ch. 10). Si nous acceptons le nom de créature plus strictement pour
autant qu'elle subsiste seulement (ce qui proprement est fait et créé, comme
ayant proprement l'être, alors cette relation n'est pas quelque chose de créé,
mais quelque chose de concréé, de même qu'elle n'est pas un étant à proprement
parler, mais quelque chose d'inhérent. Il en est de même de tous les accidents[7].
q. 3 a. 3 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod illa relatio accidens est, et secundum esse suum
considerata, prout inhaeret subiecto, posterius est quam res creata; sicut
accidens subiecto, intellectu et natura, posterius est; quamvis non sit tale
accidens quod causetur ex principiis subiecti. Si vero consideretur secundum suam rationem, prout ex actione agentis
innascitur praedicta relatio, sic est quodammodo prior subiecto, sicut ipsa
divina actio, est eius causa proxima.
# 3. Cette relation est un accident et considérée selon son être, dans
la mesure où elle adhère au substrat, elle est postérieure à ce qui est créé;
comme l'accident est postérieur au substrat, en esprit et par nature; bien que
ce ne soit pas un accident tel qu'il soit causé à partir des principes du
substrat. Si on la considère selon sa raison, dans la mesure où la relation
susdite naît de l'action de l'agent, elle est ainsi d'une certaine manière
avant le substrat, de même que l'action divine même, elle est sa cause la plus
proche.
q. 3 a. 3 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod in generatione est et mutatio et relatio, qua refertur
genitum ad generans. Ratione ergo mutationis non habet pro subiecto ipsum
generatum, sed eius materiam; sed ratione relationis habet subiectum ipsum generatum.
In creatione vero est relatio, sed non mutatio proprie, ut dictum est; et ideo
non est simile.
# 4. Dans la génération il y a un changement et une relation, par
laquelle l'engendré est en rapport avec celui qui l'engendre. Donc par sa
raison de changement elle n'a pas pour substrat ce qui est engendré mais sa
matière; mais par sa raison de relation, elle a comme substrat ce qui est
engendré. Mais dans la création, il y a une relation mais pas de changement à
proprement parler, comme on l'a dit; et c'est pourquoi ce n'est pas pareil.
q. 3 a. 3 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod relatio praedicta non est intelligenda entis ad non ens;
quia talis relatio non potest esse realis, ut Avicenna dicit, sed est entis
creati ad creatorem; unde patet quod est relatio suppositionis.
# 5. La relation dont on a parlé, n'est pas à comprendre de l'étant au
non étant, parce qu'une telle relation ne peut pas être réelle, comme le dit
Avicenne (Métaphysique III, dernier
chapitre) mais elle est de l'étant créé au Créateur. C'est pourquoi il apparaît
que c'est une relation d'assujettissement.
q. 3 a. 3 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod creatio importat relationem praedictam cum novitate
essendi; unde non oportet quod res, quandocumque est, creetur, licet semper
referatur ad Deum: quamvis non esset inconveniens dicere quod sicut aer quamdiu
lucet, illuminetur a sole, ita creatura, quamdiu habet esse, fiat a Deo, ut
etiam Augustinus dicit super Genes. ad Litt. Sed in hoc non est diversitas nisi
secundum nomen, prout nomen creationis potest accipi cum novitate, vel sine.
# 6. La création apporte la relation dont on a parlé avec la nouveauté
de l'être; c'est pourquoi il ne faut pas que la chose, tant qu'elle existe,
soit créée, bien qu'elle soit toujours en rapport avec Dieu. Cependant il
n'aurait pas été inconvenant de dire que, de même que tant que l'air brille, il
est illuminé par le soleil, de même la créature tant qu'elle a l'être, est
créée par Dieu, comme Augustin aussi le dit (La Genèse au sens littéral, VIII, 12). Mais en cela il n'y a
différence que de nom, selon que le nom de création peut être reçu avec la
nouveauté ou sans elle.
q. 3 a. 3 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod id ex quo acquiritur relatio creationis principaliter,
est res subsistens, a qua differt ipsa creationis relatio, quae et ipsa
creatura est; et non principaliter, sed quasi secundario, sicut quid
concreatum.
# 7. Ce dont est acquise la relation de création principalement est ce
qui subsiste, dont diffère la relation même de création, qui est elle-même
créature; et non principalement, mais comme secondairement, comme quelque chose
de concréé.
q. 3 a. 3 ad 8 Ad
octavum dicendum, quod motus reducitur ad genus sui termini, in quantum
proceditur de potentia in actum: nam in ipso motu terminus motus est in
potentia, et potentia et actus reducuntur ad idem genus. In creatione autem non
est exitus de potentia in actum; et ideo non est simile.
# 8. Le mouvement est ramené au genre de son terme, dans la mesure où
il passe de la puissance à l'acte. Car dans le mouvement même, le terme du
mouvement est en puissance et la puissance et l'acte sont ramené au même genre.
Dans la création, il n'y a pas de passage de puissance à l'acte et ainsi ce
n'est pas pareil.
[1] . Parall.: Ia, 45, 3 – CG. II, 18 – I Sent. D.
40 q. 1, a 1. – II Sent. D. 1q. 1, a. 2, ad 4-5. La relation Dieu créature,
envisagée ici sous l'angle de la création, sera étudiée plus longuement qu. 7,
a. 8 à 11.
[2]
. "Les intelligences secondes jettent leur regard sur la forme universelle
qui est dans les intelligences universelles. Elles la divisent et la séparent
puisqu'elles ne peuvent recevoir ces formes selon leur unités ou leur nécessité
que par la manière dont elles peuvent les recevoir c'est-à-dire la séparation
et la division."– De la même manière, certaine ne reçoit de ce qui est
au-dessus d'elle que par le mode selon lequel elle peut le recevoir, non par le
mode selon lequel la chose est reçue.
[3]
. ...n'est pas quelque chose. Cf. début §.
[4]
. "Ainsi il y a autant d'espèce de mouvements que d'être".
[5]
. "...entre l'artiste et son oeuvre s'insère la création. Ainsi entre ce
qui porte un vêtement et le vêtement porté, il y a un intermédiaire, le port du
vêtement. Il est manifeste que cette sorte d'état ne peut avoir lui-même un
état car on irait ainsi à l'infini...". Commentaire de Thomas ( 1062) "Quelque
chose est intermédiaire entre celui qui possède et ce qui est possédé. Car bien
que posséder ne soit pas une action, cela s'exprimer par manière d'action. Et
c'est pourquoi entre les deux, on comprend qu'il y a un avoir intermédiaire et
comme une action, comme l'échauffement est compris comme intermédiaire entre ce
qui chauffe et ce qui est chauffé."
[6]
. Cf. Ia, qu. 27, a 2, ad 3: "Tout
ce qui est reçu n'est pas nécessairement reçu dans un sujet; sans quoi l'on ne
pourrait pas dire que toute la substance de la chose créée est reçue de Dieu,
puisqu'il n'y a pas de récepteur de toute substance."
[7]
. La création est créée en même temps que la créature, donc elle est un
accident.
q. 3 a. 4 tit. 1
Quarto quaeritur utrum potentia creandi sit alicui creaturae communicabilis,
vel etiam actus creationis Et videtur quod sic.
Il semble que oui[1].
Objections:
q. 3 a. 4 arg. 1
Eodem enim modo et ordine quo res exeunt a primo principio, reordinantur in
ultimum finem, cum idem sit primum principium et ultimus rerum finis. Sed
inferiores creaturae ordinantur in Deum sicut in finem mediantibus superioribus
creaturis; quia, sicut Dionysius dicit, lex divinitatis est, per prima, ultima
ad se adducere. Ergo et creaturae inferiores exeunt a primo principio per
creationem mediantibus superioribus creaturis; et ita creationis actus
creaturae communicatur.
1. De la même manière et dans le même ordre que les créatures sortent
du premier principe, elles sont réordonnées à leur fin ultime, puisque le
premier principe et la fin ultime des êtres sont identiques. Mais les créatures
inférieures sont ordonnées à Dieu comme à leur fin par l'intermédiaire des
créatures supérieures, parce que, comme le dit Denys (La Hiérarchie céleste, 5,1) la loi de la divinité est de reconduire
à elle les dernières par les premières. Donc les créatures inférieures sortent du
premier principe par création, par l'intermédiaire des créatures supérieures,
et c'est ainsi que l'acte de création est communiqué à la créature.
q. 3 a. 4 arg. 2
Praeterea, illud quod communicatum creaturae non trahit ipsam extra terminos
creaturae, est alicui creaturae communicabile per potentiam creatoris, qui
potest etiam nova genera condere creaturarum. Sed posse creare, si creaturae
communicaretur, non poneret ipsam extra terminos creaturae. Ergo posse creare
est creaturae communicabile. Probatio mediae. Illud dicitur extra terminos
creaturae rem aliquam ponere quod rationi creaturae repugnat. Posse autem
creare non repugnat rationi creaturae, nisi propter infinitatem virtutis quae
videtur ad creationem requiri. Non autem requiritur, ut videtur; nam
unumquodque tantum distat ab uno oppositorum quantum de natura alterius
participat. Tantum enim aliquid est album, quantum distat a nigro. Ens autem
creatum finite participat naturam entis. Ergo finite distat a non esse
simpliciter. Educere autem aliquid in esse ex distantia finita, non demonstrat
potentiam infinitam; et sic relinquitur quod potentiae finitae possit esse
creationis actus; et sic posse creare rationi creaturae non repugnat, nec ponit
ipsam extra terminos creaturae.
2. [1] Ce qui est communiqué à la créature et ne l'entraîne pas hors de
ses limites, lui est communicable par la puissance du créateur, qui peut même
créer de nouveaux genres de créatures. [2] Mais le pouvoir de créer, s'il était
communiqué à la créature, ne la mettrait pas hors de ses limites. [3] Donc le
pouvoir de créer lui est communicable. Preuve intermédiaire[2]: [2] on dit que
ce qui place une chose hors des limites de la créature s'oppose à sa nature.
Mais pouvoir créer ne s'oppose à la nature de la créature qu'à cause de l'infinité
du pouvoir qui semble requis pour la création. Mais ce n'est pas requis, à ce
qu'il semble, car chaque chose est éloignée de l'un de ses opposés qu'autant
qu'elle participe à la nature de l'autre. Car plus un objet est blanc, plus il
est éloigné du noir. Mais l'étant créé participe de façon limitée à la nature
de l'étant. Donc, il est éloigné du non être absolu de façon limitée. Amener
quelque chose à l'être à partir d'une distance finie ne révèle pas une
puissance infinie et ainsi il reste que l'acte de création pourrait appartenir
à une puissance finie et ainsi le pouvoir de créer n'est pas opposé à la
condition de créature et il ne la place pas hors de ses limites.
q. 3 a. 4 arg. 3 Sed
diceretur, quod hoc quod dicitur, quod unumquodque tantum distat ab uno
oppositorum quantum participat de alio, locum habet in illis oppositis quorum
utrumque est natura quaedam, sicut sunt contraria; non autem in illis quorum
alterum tantum est natura, sicut in privatione et habitu, affirmatione et
negatione.- Sed contra, praedicta oppositio locum habet in contrariis secundum
hoc quod ad invicem distant; quod quidem eis competit in quantum opposita sunt.
Sed causa oppositionis in contrariis et radix, est oppositio affirmationis et
negationis, ut probatur. Ergo in oppositione affirmationis et negationis maxime
debet locum habere.
3. Mais on pourrait dire que cette assertion: chaque chose est éloignée
de l'un de ses opposés qu'autant qu'elle participe de l'autre, trouve sa place
dans ces opposés dont l'un et l'autre sont une certaine nature, comme le sont
les contraires, mais non dans ceux dont l'un seulement est cette nature, ainsi
dans la privation, et la possession, l'affirmation et la négation. En sens
contraire, l'opposition susdite trouve sa place dans les contraires selon
qu'ils sont éloignés l'un de l'autre, ce qui se rencontre en eux dans la mesure
où ils sont opposés. Mais la cause de l'opposition dans les contraires, ainsi
que sa racine est l'opposition de l'affirmation et de la négation, comme on le
prouve (Cf. Métaphysique, IV, 6, 1011
b 20[3]). Donc c'est dans l'opposition de l'affirmation et de la négation
qu'elle doit avoir lieu.
q. 3
a. 4 arg. 4 Praeterea, secundum Augustinum tripliciter res fieri dicuntur. Uno
modo in verbo, alio modo in angelica cognitione, et tertio modo in propria
natura. Propter quod Genes., I, 1-2, dicit: dixit, fiat, et
factum est. Modus autem quo res dicuntur in angelica intelligentia fieri,
medius est inter illos duos modos. Ergo videtur quod res creatae procedant ut
sint in propria natura a verbo creatoris cognitione angelica mediante; et sic
videtur quod mediantibus Angelis res creentur.
4. Selon Augustin (La Genèse au
sens littéral, II, 8, 16[4]), dit qu'une chose est faite de trois façons:
1) dans le Verbe, 2) dans la connaissance angélique, 3) dans sa nature propre.
C'est pour cela que la Genèse (1, 1-2) dit: "Il dit: que cela soit fait et
cela fut fait". Mais la manière dont on dit que les choses sont créées
dans l'intelligence angélique est intermédiaire entre ces deux modes. Donc il
semble que les créatures procèdent, pour venir à l'être dans leur propre
nature, du Verbe du Créateur, par l'intermédiaire de la connaissance angélique,
et ainsi il semble que les choses sont créées par l'intermédiaire des anges.
q. 3 a. 4 arg. 5
Praeterea, nihil et aliquid plus distant quam aliquid et esse, cum nihil et
aliquid nihil habeant commune, aliquid autem sit entis pars. Deus autem facit
creando, ut quod nihil erat, aliquid fiat, et per consequens quod nulla
potentia fiat aliqua potentia. Ergo multo amplius facere potest quod aliqua
potentia terminata, cuiusmodi est potentia creaturae, fiat omnipotentia, cuius
est creare. Et sic communicari potest creaturae quod creet.
5. Il y a plus de distance entre le néant et une chose qu'entre une
chose et l'être[5], puisque le néant et la chose n'ont rien de commun[6], alors
que la chose est une partie de l'étant. Mais Dieu, en créant, fait que ce qui
était néant devienne quelque chose et par conséquent qu'une puissance nulle
devienne une puissance. Donc il peut faire beaucoup plus, à savoir qu'une
puissance limitée, de quelque manière que soit la puissance de la créature,
devienne une toute puissance qui crée. Et ainsi le pouvoir de créer peut être
communiqué à la créature.
q. 3 a. 4 arg. 6 Praeterea,
lux spiritualis est nobilior et potentior quam corporalis. Sed lux corporalis
se ipsam multiplicat. Ergo Angelus, qui est lux spiritualis secundum
Augustinum, potest se ipsum multiplicare. Sed hoc non potest facere nisi creando. Ergo Angelus potest creare.
6. La lumière spirituelle est plus noble et plus puissante que la
lumière corporelle. Mais celle-ci se multiplie elle-même. Donc l'ange, qui est
lumière spirituelle selon Augustin (La
Genèse au sens littéral, II, 8, 17[7]) peut se multiplier lui-même. Mais il
ne peut le faire qu'en créant. Donc l'ange peut créer.
q. 3 a. 4 arg. 7
Praeterea, cum formae substantiales non generentur, eo quod solum compositum
generatur, ut probat philosophus, non possunt deduci in esse nisi per
creationem. Sed natura creata disponit
materiam ad formam. Ergo ministerio aliquid operatur ad creationem; et sic
communicari potest creaturae, quod habeat in creatione ministerium.
7. Comme les formes substantielles ne sont pas engendrées, parce que
seul le composé est engendré, comme le prouve le philosophe (Métaphysique VII, 8, 1033 b 5 - 1033b
16[8]), elles ne peuvent venir à l'être que par création. Mais la nature créée
dispose la matière pour la forme. Donc par fonction, quelque chose travaille
pour la création, et ainsi le fait d'avoir cette fonction dans la création peut
être communiqué à la créature
q. 3 a. 4 arg. 8
Praeterea, opus iustificationis est nobilius quam creationis, cum gratia sit
supra naturam. Unde et Augustinus dicit quod maius est iustificare impium quam
creare caelum et terram. Sed in iustificatione impii ministerium exhibet
creatura: sacerdos enim dicitur ut minister iustificare, sive peccata
remittere. Ergo multo magis potest creatura ministerium exhibere in creationis
actu.
8. L'oeuvre de justification est plus noble que celle de création,
puisque la grâce est au-dessus de la nature. D'où ce que dit Augustin (Sur
saint Jean, traité 34) qu'il est plus important de justifier un impie que de
créer le ciel et la terre. Mais dans la justification de l'impie, la créature
révèle son ministère; car on dit que le prêtre justifie ou remet les péchés en
tant que ministre. Donc la créature peut beaucoup plus montrer sa fonction dans
l'acte de création
q. 3 a. 4 arg. 9
Praeterea, oportet omne factum simile esse agenti, ut probatur in VII Metaph.
Sed creatura corporalis non est similis Deo neque specie neque genere. Ergo non
potest a Deo per creationem procedere nisi mediante aliqua creatura, quae sit
similis saltem in genere; et sic videtur quod res corporales creentur a Deo
mediantibus superioribus creaturis.
9. Il faut que tout ce qui est fait ressemble à l'agent, comme on le
prouve (Métaphysique VII, 8, 1033 b
29[9]). Mais la créature corporelle n'est semblable à Dieu ni en espèce ni en
genre. Donc elle ne peut procéder de Dieu par création que par l'intermédiaire
d'une créature, qui serait semblable, au moins en genre. Et ainsi il semble que
ce qui est corporel est créé par Dieu par l'intermédiaire des créatures
supérieures.
q. 3 a. 4 arg. 10
Praeterea, in Lib. de causis dicitur, quod illa quae est intelligentia secunda,
non recipit ex bonitatibus primis, quae procedunt ex causa prima, nisi mediante
intelligentia superiori. Sed de primis bonitatibus est ipsum esse. Ergo
intelligentia secunda non recipit esse a Deo nisi mediante intelligentia prima;
et sic videtur quod Deus actum creationis alicui creaturae communicet.
10. Dans le Livre des Causes
(prop. 19[10]), il est dit que celle qui est l'intelligence seconde ne reçoit
des perfections premières qui procèdent de la cause première, que par
l'intermédiaire de l'intelligence supérieure[11]. Mais l'être même vient des
bontés premières. Donc l'intelligence seconde ne reçoit l'être de Dieu que par
l'intermédiaire de l'intelligence première et ainsi il apparaît que Dieu
communique l'action de créer à une créature.
q. 3 a. 4 arg. 11
Praeterea, in eodem Lib. dicitur, quod intelligentia scit quod sub se est, per
modum substantiae suae, in quantum est ei causa. Sed una intelligentia
cognoscit intelligentiam aliam quae est sub ipsa: ergo est eius causa. Sed non
causatur nisi per creationem, cum non sit composita. Ergo intelligentia creare
potest.
11. Dans le même livre (prop. 8[12]), on dit que l'intelligence connaît
ce qui est sous elle, au moyen de sa substance, dans la mesure où elle en est
la cause. Mais une intelligence en connaît une autre qui est sous elle. Donc
elle en est la cause. Mais elle n'est causée que par création, puisqu'elle
n'est pas composée. Donc l'intelligence peut créer.
q. 3 a. 4 arg. 12
Praeterea, Augustinus dicit, quod creatura spiritualis communicat corporali
speciem et esse; et sic videtur quod creaturae corporales creentur mediantibus
spiritualibus.
12. Augustin (L'immortalité de l'âme, XVI, 25[13]) dit que la créature
spirituelle communique à la créature corporelle l'espèce et l'être et ainsi il
semble que les créatures corporelles seraient créées par l'intermédiaire des
créatures spirituelles.
q. 3 a. 4 arg. 13
Praeterea, duplex est cognitionis genus; una siquidem cognitio est ad rem, et
alia quae est a rebus. Angelus autem cognoscit res corporales non cognitione
quae est a rebus, cum careat potentiis sensitivis, quibus mediantibus pervenit
cognitio sensibilium ad intellectum. Ergo cognoscit res cognitione quae est ad
rem, quae est similis divinae cognitioni. Sicut ergo Deus per suam scientiam
est causa rerum, ita et scientia Angeli rerum causa esse videtur.
13. Il y a deux sortes de connaissance: la première va vers l'objet,
l'autre en vient. Or l'ange connaît ce qui est corporel, non par une
connaissance qui vient de la réalité, puisqu'il n'a pas d'organes sensitifs par
l'intermédiaire desquelles la connaissance du sensible lui parvient à l'esprit.
Donc il le connaît d'une connaissance qui va vers l'objet et qui est semblable
à la connaissance divine. Donc, comme Dieu, par sa science, est la cause des
choses, ainsi la science de l'ange semble aussi en être la cause.
q. 3 a. 4 arg. 14
Praeterea, duplex est modus quo res in esse exeunt: unus secundum quod exeunt
de puro non esse in esse, quod fit per creationem: alius secundum quod exeunt
de potentia in actum. Virtus autem materialis, quae est rerum naturalium,
potest res producere modo secundo, scilicet extrahendo res de potentia in
actum. Ergo virtus immaterialis, quae est potentior, qualis est virtus Angeli,
potest aliquid producere in esse modo primo, quod est maioris virtutis,
scilicet de puro non esse in esse, quod est creare; et sic videtur quod Angelus
possit creare.
14. Le processus par lequel les êtres viennent à l'existence est double:
1) ils passent du pur non être à l'être, ce qui se fait par création; 2) ils
passent de la puissance à l'acte[14]. Mais le pouvoir matériel des choses
naturelles peut produire des êtres de la seconde manière, c'est-à-dire en les
faisant passer de la puissance à l'acte. Donc un pouvoir immatériel qui est
plus puissant, tel celui de l'ange, peut amener à l'être de la première
manière, ce qui dépend d'un plus grand pouvoir, c'est-à-dire [l'amener] du pur
non être à l'être, ce qui est créer et ainsi il semble que l'ange puisse créer.
q. 3 a. 4 arg. 15
Praeterea, infinito non est maius aliquid. Sed infinitae potentiae est educere
aliquid de nihilo in esse: alias nihil prohiberet creaturas creare. Nulla ergo
potentia potest esse maior quam ista. Et sic non est maius facere creaturam ex
nihilo et dare ei potentiam creandi quam creare. Primum autem Deus potest. Ergo
et secundum.
15. Rien n'est plus grand que l'infini. Mais c'est le pouvoir d'une
puissance infinie de faire passer quelque chose du néant à l'être; autrement,
rien n'empêcherait de créer des créatures. Donc nulle puissance ne peut être
plus grande que celle-la. Et ainsi ce n'est pas plus grand de faire une
créature de rien et lui donner la puissance de créer que créer. Dieu peut le
premier. Donc aussi le second.
q. 3 a. 4 arg. 16
Praeterea, quanto maior est resistentia patientis ad agens, tanto maior est
difficultas in agendo. Sed contrarium magis resistit quam non ens; non ens enim
agere non potest sicut agit contrarium. Cum ergo creatura possit aliquid ex
contrario facere, videtur quod multo magis possit aliquid facere ex nihilo,
quod est creare. Ergo potest creatura creare.
16. Plus grande est la résistance du patient à l'agent, plus grande est
la difficulté de celui-ci pour agir. Mais le contraire résiste plus que le non
être, car le non être ne peut agir comme agit le contraire. Comme donc la
créature pourrait faire quelque chose de contraire, il semble qu'elle puisse
beaucoup plus faire quelque chose de rien, ce qui est créer. Donc une créature
peut créer.
En sens contraire:
q. 3 a. 4 s. c. 1
Sed contra. Ens et non ens in infinitum distant. Sed operari aliquid ex
distantia infinita est infinitae virtutis. Ergo creare est infinitae virtutis;
et ita non potest alicui creaturae communicari.
1. L'étant et le non étant sont séparés par une distance infinie[15].
Mais produire quelque chose à partir d'une distance infinie dépend d'un pouvoir
infini. Donc créer est le propre d'un pouvoir infini, et il ne peut être
communiqué à aucune créature.
q. 3 a. 4 s. c. 2
Praeterea, superiores creaturae ut Angeli, secundum Dionysium dividuntur in
essentiam, virtutem, et operationem: ex quo haberi potest quod nullius
creaturae virtus est sua essentia, et sic nulla creatura agit se tota, cum id
quo res agit sit virtus eius. Sed secundum quod agens agit, effectus agitur.
Ergo nulla creatura potest aliquem effectum totum producere; et sic non potest
creare, sed semper in sua actione materiam praesupponit.
2. Les créatures supérieures, comme les anges, selon Denys (La hiérarchie céleste, XI), sont
divisées en essence, puissance et opération: de là on peut constater que le
pouvoir d'aucune créature n'est son essence et ainsi aucune créature n'agit
elle-même toute entière, puisque ce par quoi quelque chose agit c'est sa puissance[16].
Mais l'effet est produit selon que l'agent agit. Donc aucune créature ne peut
produire un effet total, et ainsi elle ne peut créer, mais elle présuppose
toujours une matière pour son action.
q. 3 a. 4 s. c. 3
Praeterea, Augustinus dicit, quod Angeli non possunt esse creatores alicuius
rei, nec boni nec mali. Inter ceteras vero creaturas
Angelus est nobilior. Ergo multo minus aliqua alia creatura potest creare.
3. Augustin ( (La Trinité, III,
ch. 8 et 9[17]) dit que les anges ne peuvent être créateurs de rien, ni les
bons ni les mauvais. Parmi les autres créatures, l'ange est le plus noble. Donc
les autres peuvent encore beaucoup moins créer.
q. 3 a. 4 s. c. 4
Praeterea, eiusdem virtutis est creare et creaturas in esse conservare. Sed
creaturae non possunt in esse conservari nisi per virtutem divinam, quae si se
rebus subtraheret, in momento deficerent, secundum Augustinum. Ergo res non
possunt creari nisi per virtutem divinam.
4. Créer et conserver les créatures dans l'être est un même pouvoir. Mais
les créatures ne peuvent être conservées dans l'être que par le pouvoir divin;
s'il se retirait des créatures, elles retourneraient au néant à l'instant,
selon Augustin (La Genèse au sens
littéral, IV, 12, 22 et 23[18]). Donc les choses ne peuvent être créées que
par la puissance divine.
q. 3 a. 4 s. c. 5
Praeterea, illud quod est alicuius proprie proprium, alteri convenire non
potest. Sed creare dicitur communiter proprium esse Deo. Ergo creare non potest
alteri convenire.
5. Ce qui est vraiment propre à une chose ne peut convenir à un autre.
Mais on dit communément que créer est propre à Dieu. Donc créer ne peut pas
convenir à un autre.
Réponse:
q. 3 a. 4 co.
Respondeo. Dicendum, quod quorumdam philosophorum fuit positio, quod Deus
creavit creaturas inferiores mediantibus superioribus, ut patet in Lib. de
causis; et in Metaphys. Avicennae, et Algazelis, et movebantur ad hoc opinandum
propter quod credebant quod ab uno simplici non posset immediate nisi unum
provenire, et illo mediante ex uno primo multitudo procedebat. Hoc autem
dicebant, ac si Deus ageret per necessitatem naturae, per quem modum ex uno
simplici non fit nisi unum.
La position de certains philosophes fut que Dieu créa les créatures
inférieures par l'intermédiaire des créatures supérieures, comme cela apparaît
dans le Livre des Causes, prop.
10[19]– Avicenne, Métaphysique, IX,
4[20] et Algazel et ils étaient poussés à le penser parce qu'ils croyaient que,
d'un être unique et simple ne pouvait immédiatement provenir qu'un être unique
et que c'est par son intermédiaire que la multitude procédait du premier être
unique. Ils disaient cela comme si Dieu agissait par nécessité de nature, de
cette manière d'un seul être simple, il n'est fait qu'un être unique.
Nos autem ponimus, quod a Deo procedunt res per modum scientiae et
intellectus, secundum quem modum nihil prohibet ab uno primo et simplici Deo
multitudinem immediate provenire, secundum quod sua sapientia continet
universa. Et ideo secundum fidem Catholicam ponimus, quod omnes substantias
spirituales et materiam corporalium Deus immediate creavit, haereticum
reputantes si dicatur per Angelum vel aliquam creaturam aliquid esse creatum;
unde Damascenus dicit: quicumque dixerit Angelum aliquid creare, anathema sit.
Nous, nous pensons que les créatures procèdent de Dieu par mode de
science et d'intellect[21]; de cette manière, rien n'empêche que de Dieu,
unique, premier et simple, provienne la multitude sans intermédiaire, selon que
sa sagesse contient toutes choses. Et c'est pourquoi, selon la foi catholique,
nous pensons que Dieu a créé toutes les substances spirituelles et la matière
des êtres corporels sans intermédiaire, considérant comme hérétique de dire que
quelque chose a été créé par un ange ou par quelque créature. C'est pourquoi Jean
Damascène dit (La foi orthodoxe, II, 2) que "quiconque aura dit qu'un ange
crée quelque chose, qu'il soit anathème".
Quidam tamen Catholici tractatores dixerunt quod, etsi nulla creatura
possit aliquid creare, communicari tamen potuit creaturae ut per eius
ministerium Deus aliquid crearet. Et hoc ponit Magister in 5 dist., IV libro
Sentent.
Certains auteurs catholiques cependant ont dit que même si aucune
créature ne peut créer, Dieu a pu lui communiquer le pouvoir de créer par son
ministère. Le maître des Sentences le dit (4 Sent. Dist. 5[22]).
Quidam vero e contrario dicunt, quod nullo modo creaturae communicari
potuit ut aliquid crearet; quod etiam communius tenetur.
Certains, au contraire, disent que le pouvoir de créer n'a pu en aucune
manière être communiqué à la créature, ce qui est le plus communément admis.
Ad horum autem evidentiam sciendum est quod creatio nominat activam
potentiam, qua res in esse producuntur; et ideo est absque praesuppositione
materiae praeexistentis et alicuius prioris agentis: hae enim solae causae
praesupponuntur ad actionem. Nam forma geniti est terminus actionis generantis,
et ipsa est etiam finis generationis quae secundum esse non praecedit sed
sequitur actionem.
Pour le mettre en évidence, il faut savoir que la création désigne une
puissance active par laquelle les choses sont amenées à l'être et sans
présupposer une matière préexistante et un agent antérieur[23]. Car seules, ces
causes[24] sont présupposées pour l'action. En effet la forme de l'engendré est
le terme de l'action de celui qui engendre et elle-même est la fin de la
génération qui, selon l'être, ne précède pas mais suit l'action.
Quod enim creatio materiam non praesupponat, patet ex ipsa nominis
ratione. Dicitur enim creari quod ex nihilo fit. Quod etiam non praesupponat
aliquam priorem causam agentem, patet ex hoc quod Augustinus dicit, ubi probat
Angelos non esse creatores, quia operantur ex seminibus naturae inditis quae
sunt virtutes activae in natura.
Que la création, en effet, ne présuppose pas la matière, cela apparaît
dans la définition même du nom. Car on dit que “créer” c'est faire quelque
chose de rien. Qu'elle ne présuppose pas non plus une cause première
efficiente, est éclairé par ce que dit Augustin (La Trinité, III, 8[25]), là où il prouve que les anges ne sont pas
créateurs, parce qu'il opèrent à partir des semences introduites dans la
nature, qui sont des pouvoirs actifs en elle[26].
Si igitur sic stricte creatio accipitur, constat quod creatio non
potest nisi primo agenti convenire, nam causa secunda non agit nisi ex
influentia causae primae; et sic omnis actio causae secundae est ex
praesuppositione causae agentis.
Donc si on comprend la création au sens strict, il est clair qu'elle ne
peut convenir qu'au premier agent, car la cause seconde n'agit que sous
l'influence de la cause première, et ainsi toute action de la cause seconde
présuppose une cause efficiente.
Nec etiam ipsi philosophi posuerunt Angelos vel intelligentias aliquid
creare, nisi per virtutem divinam in ipsis existentem, ut intelligamus quod
causa secunda duplicem actionem habere potest; unam ex propria natura, aliam ex
virtute prioris causae. Impossibile est autem quod causa secunda ex propria
virtute sit principium esse in quantum huiusmodi; hoc enim est proprium causae
primae; nam ordo effectuum est secundum ordinem causarum.
Et les philosophes eux-mêmes ont pensé que les anges ou les
intelligences ne créaient que par la puissance divine qui existait en eux, de
sorte que nous comprenons que la cause seconde peut avoir une double action:
l'une de sa propre nature, l'autre du pouvoir de la cause première. Il est
impossible que la cause seconde de son propre pouvoir soit le principe d'être
en tant que tel, cela, en effet, est le propre de la cause première, car l'ordre
des effets dépend de l'ordre des causes.
Primus autem effectus est ipsum esse, quod omnibus aliis effectibus
praesupponitur et ipsum non praesupponit aliquem alium effectum; et ideo
oportet quod dare esse in quantum huiusmodi sit effectus primae causae solius
secundum propriam virtutem; et quaecumque alia causa dat esse, hoc habet in
quantum est in ea virtus et operatio primae causae, et non per propriam
virtutem; sicut et instrumentum efficit actionem instrumentalem non per
virtutem propriae naturae, sed per virtutem moventis; sicut calor naturalis per
virtutem animae generat carnem vivam, per virtutem autem propriae naturae
solummodo calefacit et dissolvit.
Le premier effet est l'être même, qui est présupposé à tous les autres
effets; et il n'en présuppose pas d'autre; et c'est pourquoi donner l'être en
tant que tel doit être l'effet de la seule cause première selon son propre
pouvoir; et que toute autre cause donne l'être, cela arrive dans la mesure où
il y a en elle le pouvoir et l'opération de la cause première, et non par son
propre pouvoir; de la même manière, l'instrument effectue l'action
instrumentale, non par le pouvoir de sa propre nature, mais par le pouvoir du
moteur; ainsi la chaleur naturelle, par le pouvoir de l'âme, engendre la chair
vivante mais, par le pouvoir de sa propre nature, seulement elle réchauffe et
dissout.
Et per hunc modum posuerunt quidam philosophi, quod intelligentiae
primae sunt creatrices secundarum, in quantum dant eis esse per virtutem causae
primae in eis existentem. Nam esse per creationem, bonum vero et vita et
huiusmodi, per informationem, ut in libro de causis habetur. Et hoc fuit
idolatriae principium, dum ipsis creatis substantiis quasi creatricibus
aliarum, latriae cultus exhibebatur. Magister vero in IV sententiarum ponit hoc
esse communicabile creaturae non quidem ut propria virtute creet, quasi
auctoritate, sed ministerio quasi instrumentum.
Et de cette manière, certains philosophes ont pensé que les
intelligences premières sont créatrices des secondes dans la mesure où elles
leur donnent l'être par le pouvoir de la cause première qui existe en
elles[27]. Car l'être est par création, le bien et la vie etc. sont par mise en
forme, comme on le dit dans le Livre des
Causes. Et cela fut l'origine de l'idolâtrie, puisque, à ces substances
créées, en tant que créatrices des autres, on offrait un culte de latrie. Mais
le Maître des Sentences (IV Sent.) pense que ce pouvoir est communicable à la
créature, non pour qu'elle crée par son propre pouvoir, comme par son autorité,
mais par fonction en tant qu'instrument.
Sed diligenter consideranti apparet hoc esse impossibile. Nam actio
alicuius, etiamsi sit eius ut instrumenti, oportet ut ab eius potentia
egrediatur. Cum autem omnis creaturae potentia sit finita, impossibile est quod
aliqua creatura ad creationem operetur, etiam quasi instrumentum.
Mais pour celui qui examine avec attention, cela paraît impossible. Car
il faut que l'action de quelqu'un, même si elle est comme celle d'un
instrument, vienne de sa puissance. Comme la puissance de toute créature est
limitée, il est impossible qu'une créature agisse pour créer, même comme
instrument. Car la création demande un pouvoir infini, à la puissance d'où elle
sort: ce qui apparaît pour cinq raisons.
Prima est ex hoc quod potentia facientis proportionatur distantiae quae
est inter id quod fit et oppositum ex quo fit. Quanto enim frigus est
vehementius, et sic a calore magis distans, tanto maiori virtute caloris opus
est ut ex frigido fiat calidum. Non esse autem simpliciter, in infinitum ab
esse distat, quod ex hoc patet, quia a quolibet ente determinato plus distat
non esse quam quodlibet ens, quantumcumque ab alio ente distans invenitur; et
ideo ex omnino non ente aliquid facere non potest esse nisi potentiae
infinitae.
1. Première raison: la puissance de celui qui agit est proportionnée à
la distance qui est entre ce qui est fait et l'opposé dont il est fait. En effet
plus le froid est violent, et plus il est éloigné de la chaleur, plus grand
doit être le pouvoir de la chaleur qu'il faut pour passer du froid au chaud. Le
non être absolu est éloigné de l'être à l'infini, ce qui apparaît du fait que
le non être est plus éloigné de quelque étant déterminé que n'importe quel
étant, à quelque distance qu'on le trouve de cet autre étant et c'est pourquoi,
de ce qui est tout à fait du non étant, on ne peut absolument rien créer sans
faire venir l'être d'une puissance infinie.
Secunda ratio est, quia hoc modo factum agitur quo faciens agit. Agens
autem agit secundum quod actu est; unde id solum se toto agit quod totum actu
est, quod non est nisi actus infiniti qui est actus primus; unde et rem agere
secundum totam eius substantiam solius infinitae virtutis est.
2. Seconde raison: parce que ce qui est fait de cette manière subit
l'action là où celui qui le fait agit. L'agent agit selon qu'il est en acte.
C'est pourquoi seul agit par soi tout entier ce qui est tout entier en acte, ce
qui n'est le propre que de l'acte infini qui est l'acte premier. C'est pourquoi
faire une chose selon toute sa substance est le propre du seul pouvoir infini.
Tertia ratio est, quia cum accidens oporteat esse in subiecto,
subiectum autem actionis sit recipiens actionem; illud solum faciendo aliquid
recipientem materiam non requirit, cuius actio non est accidens, sed ipsa
substantia sua, quod solius Dei est; et ideo solius eius est creare.
3. Troisième raison: comme l'accident doit être dans le substrat, le
substrat de l'action serait ce qui la reçoit. En faisant cela seulement, il n'a
pas besoin de matière pour le recevoir, celui dont l'action n'est pas un
accident, mais sa substance même, ce qui est le propre de Dieu seul et ainsi il
est seul à créer.
Quarta ratio est, quia cum omnes secundae causae agentes a primo agente
habeant hoc ipsum quod agant, ut in Lib. de causis probatur; oportet quod a
primo agente, omnibus secundis agentibus modus et ordo imponatur; ei autem non
imponitur modus vel ordo ab aliquo. Cum autem modus actionis ex materia
dependeat quae recipit actionem agentis, solius primi agentis erit absque
materia praesupposita ab alio agente agere, et aliis omnibus secundis agentibus
materiam ministrare.
4. Quatrième raison: parce que, comme toutes les causes efficientes
secondes reçoivent du premier agent leur pouvoir d'agir, comme on le prouve
dans le Livre des Causes (prop. 19 et
20[28] ), il faut que le mode et l'ordre soient imposés par le premier agent à
tous les agents seconds; mais le mode ou l'ordre ne lui sont imposés par
personne. Comme le mode de l'action dépend de la matière qui reçoit l'action de
l'agent, ce ne sera le propre que du seul premier agent d'agir sans matière
présupposée par un autre agent et de fournir la matière à tous les autres
agents seconds.
Quinta ratio est ducens ad impossibile. Nam secundum elongationem
potentiae ab actu, est proportio potentiarum de potentia in actum aliquid
reducentium: quanto enim plus distat potentia ab actu, tanto maiori potentia indigetur.
Si ergo sit aliqua potentia finita quae de nulla potentia praesupposita aliquid
operetur, oportet eius esse aliquam proportionem ad illam potentiam activam
quae educit aliquid de potentia in actum; et sic est aliqua proportio nullius
potentiae ad aliquam potentiam, quod est impossibile. Non entis enim ad ens
nulla est proportio, ut habetur IV Physic. Relinquitur ergo quod nulla potentia
creaturae potest aliquid creare neque propria virtute, neque sicut alterius
instrumentum.
5. La cinquième raison conduit à une impossibilité. Car selon
l'éloignement de la puissance à l'acte, il y a un rapport des puissances qui
ramènent quelque chose de la puissance à l'acte. Car plus la puissance est
éloignée de l'acte, plus grande est la puissance dont elle a besoin. Si donc il
y a une puissance finie qui agit à partir d'une puissance présupposée nulle, il
faut qu'elle ait une proportion à cette puissance active qui conduit quelque
chose de la puissance à l'acte, et ainsi il y a une proportion d'une puissance
nulle à une puissance, ce qui est impossible. Car il n'y a aucune proportion du
non étant à l'étant (Cf. Physique
IV[29]). Donc il reste qu'aucune puissance d'une créature ne peut créer quelque
chose ni par son propre pouvoir, ni en tant qu'instrument d'un autre.
Solutions:
q. 3 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in
reducendo ad finem, praeexistunt ea quae sunt ad finem: et ideo non impossibile
est per actionem alicuius cooperari Deo ad hoc quod res aliquae in finem
ultimum reducantur. Sed in universali eductione rerum in
esse, nihil praesupponitur; unde non est simile.
# 1. Quand on ramène les créatures à leur fin, ce qui est en vue de
cette fin préexiste et c'est pourquoi il n'est pas impossible par l'action de
quelque être de coopèrer avec Dieu pour que les choses soient ramenées à leur
fin ultime. Mais dans la venue universelle des créatures à l'être, rien n'est
présupposé, c'est pourquoi ce n'est pas pareil[30].
q. 3
a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod nihil prohibet aliquam distantiam
imaginari infinitam ex una parte et ex alia finitam. Ex utraque autem parte
infinitam imaginamur distantiam, quando utrumque oppositorum ponitur infinitum;
puta si sint calor et frigus infinita. Ex parte autem altera, quando alterum
est finitum; sicut si calor esset infinitus, et frigus finitum. Distantia ergo
infiniti entis a non esse simpliciter, est infinita ex utraque parte. Distantia
autem entis finiti a non esse simpliciter est infinita ex una parte tantum, et
requirit nihilominus potentiam infinitam agentem.
# 2. Rien n'empêche d'imaginer une distance infinie d'un côté et une
distance finie de l'autre. Mais on imagine la distance infinie de deux côtés,
quand on pense que l'un et l'autre des opposés sont infinis; par exemple s'il y
avait une chaleur et un froid infini. Mais de l'autre côté, quelquefois l'autre
est fini, comme si par exemple la chaleur était infinie et le froid fini. Donc
la distance de l'être infini au non être absolu est infinie de chaque côté.
Mais la distance de l'étant fini au non être absolu est infinie d'un côté
seulement et elle requiert néanmoins une puissance agissante infinie.
q. 3 a. 4 ad 3 Tertium concedimus, non enim
quantum ad hoc differt, an utrumque oppositorum sit natura quaedam an alterum
tantum.
# 3. Nous concédons la troisième objection, mais non pour les
différence, si les deux opposés sont une certaine nature, ou l'un des deux
seulement.
q. 3 a. 4 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod res in intelligentia dicuntur fieri secundum cognitionem
tantum, non secundum rationem operativae virtutis: unde res non producuntur a
Deo mediantibus Angelis operantibus, sed solum Angelis cognoscentibus.
# 4. On dit que les créatures dans l'intelligence se font selon la
connaissance seulement, non selon un pouvoir opératif. C'est pourquoi les êtres
ne sont pas produits par Dieu par l'intermédiaire des anges qui opèrent, mais
les anges en ont seulement connaissance.
q. 3 a. 4 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod aliquid dicitur non posse fieri ab aliquo, non solum
propter distantiam extremorum, sed etiam propter hoc quod omnino fieri non
potest; ut si dicamus quod ex aliquo corpore non potest fieri Deus, quia Deus
omnino fieri non potest. Sic ergo dicendum quod ex aliqua potentia non potest
fieri omnipotentia, non solum propter distantiam utriusque potentiae, sed etiam
propter hoc quod omnipotentia omnino fieri non potest. Nam omne quod fit, purus
actus esse non potest, cum ex hoc ipso quod ex alio esse habeat, potentia in eo
deprehendatur: et ideo non potest esse potentia infinita.
# 5. On dit qu'une chose ne peut pas être faite par une autre, non
seulement à cause de la distance des extrêmes, mais aussi parce qu'elle ne peut
absolument pas être faite. Comme si on disait que Dieu ne peut être fait d'un
corps, parce qu'il ne peut absolument pas être fait. Donc il faut dire ainsi
que d'une puissance on ne peut faire une toute-puissance, non seulement à cause
de la distance de l'une à l'autre des puissances, mais aussi parce qu'une
toute-puissance ne peut absolument pas être faite. Car tout ce qui est fait ne
peut pas être acte pur, puisque, du fait qu'il reçoit l'être d'un autre, c'est
en lui qu'est saisie la puissance. C'est pourquoi elle ne peut pas être
infinie.
q. 3 a. 4 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod lux corporalis multiplicat se non per creationem novae
lucis, sed diffundendo se super materiam: quod de Angelis dici non potest, cum
sint substantiae per se stantes.
# 6. La lumière corporelle se multiplie non par création d'une nouvelle
lumière, mais en se diffusant sur la matière, ce qu'on ne peut pas dire des anges,
puisque ce sont des substances subsistantes par soi.
q. 3 a. 4 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod forma potest considerari dupliciter:
# 7. On peut considérer une forme de deux manières:
uno modo secundum quod est in potentia; et sic a Deo
materia concreatur, nulla disponentis naturae actione interveniente.
A) Selon qu'elle est en puissance, et ainsi la matière est concréée par
Dieu, sans l'intervention d'une action de la nature qui la dispose.
Alio modo secundum quod est in actu; et sic non creatur, sed de
potentia materiae educitur per agens naturale; unde non oportet quod natura
aliquid agat dispositive ad hoc quod aliquid creetur. Quia tamen aliqua forma
naturalis est quae per creationem in esse producitur, scilicet anima
rationalis, cuius materiam natura disponit; ideo sciendum est, quod cum
creationis opus materiam tollat, dupliciter aliquid creari dicitur. Nam quaedam
creantur nulla materia praesupposita, nec ex qua nec in qua, sicut Angeli et
corpora caelestia; et ad horum creationem natura nihil operari potest
dispositive.
B) Selon qu'elle est en acte et ainsi, elle n'est pas créée, mais elle
est tirée de la puissance de la matière par un agent naturel. C'est pourquoi il
ne faut pas que la nature agisse régulièrement en vue de créer quelque chose.
Cependant, parce qu'il y a une forme naturelle qui est amenée à l'être par
création, à savoir l'âme raisonnable, dont la nature dispose la matière, il
faut savoir que, puisque l'oeuvre de création n'a pas besoin de la matière, une
chose est dite créée de deux manières. a) Certaines choses en effet, sont
créées sans aucune matière présupposée, ni d'où elles viennent , ni où elles
sont, comme les anges et les corps célestes, et pour leur création, la nature
ne peut rien faire par disposition.
Quaedam vero creantur, etsi non praesupposita materia ex
qua sint, praesupposita tamen materia in qua sint, ut animae humanae. Ex parte
ergo illa qua habent materiam in qua, natura potest dispositive operari; non
tamen quod ad ipsam substantiam creati, naturae actio se extendat.
b) Mais certaines autres sont créées, même sans matière présupposée
d'où elles viennent, cependant avec la matière présupposée dans laquelle elles
sont, comme pour l'âme humaine. Donc de ce côté où elles ont la matière dans
laquelle elles sont, la nature peut opérer par disposition, non cependant que
l'action de la nature s'étende à la substance même du créé.
q. 3 a. 4 ad 8 Ad
octavum dicendum, quod in opere iustificationis homo aliquid operatur
ministerio tantum per hoc quod adhibet sacramenta: unde cum sacramenta
iustificare dicantur instrumentaliter et dispositive, solutio redit in idem cum
solutione praedicta.
cum solutione praedicta.
# 8. Dans l'oeuvre de justification, l'homme agit seulement par sa
fonction en recourant généralement aux sacrements. C'est pourquoi, comme on dit
que les sacrements justifient de manière instrumentale et par disposition, la
solution revient au même que la précédente.
q. 3 a. 4 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod quamvis inter Deum et creaturam non possit esse similitudo
generis vel speciei; potest tamen esse similitudo quaedam analogiae, sicut
inter potentiam et actum, et substantiam et accidens.
# 9. Quoique entre Dieu et la créature, il ne puisse pas y avoir
ressemblance de genre ou d'espèce, il peut cependant y avoir une certaine
ressemblance par analogie, comme entre la puissance et l'acte, la substance et
l'accident.
Et hoc dicitur uno modo in quantum res creatae imitantur
suo modo ideam divinae mentis, sicut artificiata formam quae est in mente
artificis.
On le dit a) dans la mesure où les créatures imitent à leur manière
l'idée qui est dans l'esprit[31] divin, comme l'oeuvre d'art imite la forme qui
est dans l'esprit de l'artisan.
Alio modo secundum quod res creatae ipsi naturae divinae
quodammodo similantur, prout a primo ente alia sunt entia, et a bono bona, et
sic de aliis. Tamen haec obiectio non est ad propositum: quia supposito quod
creaturae a Deo procedant mediante aliqua potentia creata, adhuc redibit eadem
difficultas, qualiter scilicet illa prima natura creata esse possit a Deo,
similitudine non existente.
b) Selon que les créatures ressemblent d'une certaine manière à la
nature divine, selon que les autres étant viennent de l'étant premier, et les
biens du Bien, etc.. Cependant cette objection ne concerne pas le sujet, parce
que, supposé que les créatures procèdent de Dieu par l'intermédiaire d'une
puissance créée, alors reviendra la même difficulté, c'est-à-dire comment cette
première nature pourrait avoir été créée par Dieu, sans ressemblance.
q. 3 a. 4 ad 10 Ad
decimum dicendum, quod error iste expresse in libro de causis invenitur, quod
creaturae inferiores creatae sunt a Deo superioribus mediantibus: unde in hoc
auctoritas illius non est recipienda.
# 10. On trouve cette erreur expressément dans le Livre des Causes (prop. 10): à savoir que les créatures inférieures
ont été créées par Dieu, par l'intermédiaire de créatures supérieures. C'est
pourquoi en cela on ne doit pas accepter son autorité.
q. 3 a. 4 ad 11 Et
similiter dicendum ad undecimum.
# 11. Il faut dire de même.
q. 3 a. 4 ad 12 Ad
duodecimum dicendum, quod Augustinus ibi loquitur de anima, quae communicat
corpori esse et speciem non per modum creantis, sed per modum formae.
# 12. En cet endroit, Augustin parle de l'âme, qui communique l'être et
l'espèce au corps, non comme un créateur, mais à la manière d'une forme.
q. 3 a. 4 ad 13 Ad
decimumtertium dicendum, quod licet Angelus non cognoscat res cognitione quae
est a rebus accepta, non tamen oportet quod cognoscat tali cognitione quae sit
causa rerum: est enim cognitio eius media inter duas cognitiones praedictas.
Cognoscit enim res naturali cognitione, quae est per rerum similitudines in
eius intellectum effluxas a divino intellectu; ut sic eius cognitio non sit ad
rem quasi rerum causa, sed sit quaedam similitudo divinae cognitionis, quae res
causat.
# 13. Bien que l'ange ne connaisse pas les choses par une connaissance
reçue d'elles, cependant il ne faut pas qu'il connaisse d'une connaissance
telle qu'elle serait leur cause, car sa connaissance est intermédiaire entre
les deux connaissances dont on a parlé. Car il connaît d'une connaissance
naturelle par les images des êtres infusées en son esprit par l'esprit divin;
de sorte que sa connaissance n'irait pas à l'être comme cause des choses, mais
serait une image de la connaissance divine qui cause les êtres
q. 3 a. 4 ad 14 Ad
decimumquartum dicendum, quod in educendo res de potentia in actum multi gradus
attendi possunt, in quantum aliquid potest educi de potentia magis vel minus
remota in actum, et etiam facilius vel minus faciliter: unde non oportet, si
virtus Angeli virtutem naturae materialis excedat, quod possit aliquid facere
de puro non esse, natura educente aliquid de potentia in actum; sed quod hoc
possit multo facilius quam natura; sicut etiam Augustinus dicit, quod Daemones
seminibus naturae occultius et efficacius operantur quam nos operari sciamus.
# 14. Dans le passage de la puissance à l'acte on peut passer par de
nombreux degrés, selon qu'une chose peut être menée d'une puissance plus ou
moins éloignée à l'acte et même plus ou moins facilement; c'est pourquoi il ne
faut pas, si le pouvoir de l'ange dépasse le pouvoir d'une nature matérielle,
qu'il puisse faire quelque chose du pur non être, puisque la nature fait passer
une chose de la puissance à l'acte, mais qu'il puisse le faire beaucoup plus
facilement que la nature. Ainsi Augustin dit (La Trinité, III, 8 et 9), que les démons opèrent avec des semences
naturelles de façon plus occulte et plus efficace que nous savons le faire.
q. 3 a. 4 ad 15 Ad
decimumquintum dicendum, quod nulla est maior potentia quam potentia creandi:
nec oportet quod potentia creantis ad hoc se extendat quod alicui creaturae
potentiam creandi communicet, eo quod creaturae communicabilis nullo modo est.
Quod enim aliquid fieri non possit, non solum provenit ex defectum potentiae
facientis, sed quandoque ex ipsa factione rei, quae fieri non potest; sicut
Deus non potest facere Deum, non propter defectum suae potentiae, sed quia Deus
a nullo fieri potest; et similiter potentia creandi finita esse non potest, nec
creaturae communicari, cum sit infinita.
# 15. Il n'y a aucune puissance plus grande que celle de créer. Et il
ne faut pas que la puissance du créateur s'étende jusqu'à communiquer la puissance
de créer à une autre créature parce qu'elle ne lui est en aucune manière
communicable. Car ce qui ne pourrait pas être fait non seulement provient de la
défaillance de la puissance de celui qui produit, mais quelquefois de la
production de la chose elle-même qui ne peut pas être accomplie. Ainsi Dieu ne
peut faire un Dieu, non à cause de la défaillance de sa puissance, mais parce
Dieu ne peut être fait par personne, et de la même manière la puissance de
créer ne peut être limitée ni communiquée aux créatures, puisqu'elle est
infinie.
q. 3 a. 4 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod
in actu potest attendi difficultas dupliciter:
# 16. Dans un acte on peut atteindre une difficulté de deux manières:
uno modo ex hoc quod patiens resistit contra agentem; et hoc non est in
omnibus generale, sed solum in his quae mutuo agunt et patiuntur in invicem, in
quibus agens patitur ex contraria actione patientis: et sic corpora caelestia,
quae contrarium non habent agendo, non patiuntur difficultatem in agendo ex
contraria actione patientis; multo minus Deus
a) D'une première manière, le patient résiste à l'agent et cela n'est
pas général dans toutes les créatures, mais seulement en des êtres qui agissent
avec réciprocité et se supportent l'une l'autre; en eux l'agent supporte par
l'action contraire du "patient". Ainsi les corps célestes qui n'ont
pas de contraire, n'éprouvent pas de difficulté en agissant du fait de l'action
contraire d'un patient, et Dieu encore bien moins.
Alio modo, qui generalis est, secundum quod patiens elongatur ab actu.
Quanto enim potentia magis ab actu elongata invenitur, tanto maior est
difficultas in actione agentis. Unde cum magis elongetur ab actu purum non ens
quam materia cuicumque contrario subiecta, quantumcumque intenso, manifestum
est maioris esse virtutis producere aliquid de nihilo quam facere contrarium de
contrario.
b) D'une autre manière, qui est générale, dans la mesure où le patient
est éloigné de l'acte. Car plus une puissance se trouve éloignée de l'acte,
plus grande est la difficulté pour l'action de l'agent. C'est pourquoi, comme
le pur non étant est plus éloigné de l'acte que la matière soumise à quelque
contraire, quelque intense qu'il soit, il est clair que c'est le fait d'un plus
grand pouvoir de produire quelque chose de rien que de faire le contraire d'un
contraire.
q. 3 a. 4 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod
in actu potest attendi difficultas dupliciter:
uno modo ex hoc quod patiens
resistit contra agentem; et hoc non est in omnibus generale, sed solum in his
quae mutuo agunt et patiuntur in invicem, in quibus agens patitur ex contraria
actione patientis: et sic corpora caelestia, quae contrarium non habent agendo,
non patiuntur difficultatem in agendo ex contraria actione patientis; multo
minus Deus.
Alio modo, qui generalis est,
secundum quod patiens elongatur ab actu. Quanto enim potentia magis ab actu
elongata invenitur, tanto maior est difficultas in actione agentis. Unde cum
magis elongetur ab actu purum non ens quam materia cuicumque contrario subiecta,
quantumcumque intenso, manifestum est maioris esse virtutis producere aliquid
de nihilo quam facere contrarium de contrario.
16. Dans un acte on peut rencontrer une difficulté de deux manières:
a) D'une première manière, le patient résiste à l'agent et cela n'est
pas général dans toutes les créatures, mais seulement en des êtres qui agissent
avec réciprocité et se supportent l'une l'autre; en eux l'agent supporte par
l'action contraire du "patient". Ainsi les corps célestes qui n'ont
pas de contraire, n'éprouvent pas de difficulté en agissant du fait de l'action
contraire d'un patient, et Dieu encore bien moins.
b) D'une autre manière, qui est générale, dans la mesure où le patient
est éloigné de l'acte. Car plus une puissance se trouve éloignée de l'acte,
plus grande est la difficulté pour l'action de l'agent. C'est pourquoi, comme
le pur non étant est plus éloigné de l'acte que la matière soumise à quelque
contraire, quelque intense qu'il soit, il est clair que c'est le fait d'un plus
grand pouvoir de produire quelque chose de rien que de faire le contraire d'un
contraire.
--------------------------------------------------------------------------------
[1]
PARALL: Ia q. 45, a. 5 – q. 65, a. 3 – q. 90, a. 3 – CG., II, 2o, 21 – II
Sent., d1q1a3 – IV, d5q1a3, ad 3 – De Verit.q. 5, a. 9 – Quodl., III, qu. 3,
a.1 – Compend. Theol., c. 70 – Opusc. XV, De Angeli, c, 10 – Opusc. XXXVII, De
quatuor opposit, c. 4. Autre référence donnée dans II Sent. D.1 a. 3. Eccl.
hierarch.ch. V, § 4.
[2]
Les chiffres entre parenthèse indique les trois termes du syllogisme.
L'objecteur donne une preuve pour la deuxième.
[3]
Métaphysique IV, 6, 1011 b 20. "Si
donc il est impossible que l'affirmation et la négation soient vraies en même
temps..."
[4]
"Dans le Verbe, lumière non crée mais engendrée, dans les anges, lumière
créée, parce que formée à partir d'un état informe... ciel...créature
constituée en son espèce propre." Augustin commente Dieu dit que la
lumière soit...
[5]
Reprise de l'objection 1 de Pot. 3, 1: la distance entre l'étant et le néant
est infinie.
[6]
Ni relations entre eux. Cf. Pot. qu. 7, a. 9, obj. 1.
[7]
"Car en eux est cette lumière qui fut créée la première, si nous pensons
qu'ils sont la lumière spirituelle créée le premier jour."
[8]
a) "Il est donc manifeste que la forme non plus, ou quel que soit le nom
qu'il faille donner à la configuration réalisée dans le sensible n'est pas
soumise au devenir, que d'elle il n'y a pas de génération". 1033 b 5.
Trad. J. tricot.– Thomas n°1423: "Les formes, en effet, ne se font pas à
proprement parler, mais elles sortent de la puissance de la matière en tant que
telle; ce qui est en puissance à la forme devient l'acte sous la forme, ce qui
est faire un composé."
b)
"Il résulte manifestement de ce que nous venons de dire que ce qu'on
appelle forme ou substance n'est pas engendré mais ce qui est engendré, c'est
le composé de matière et de forme, lequel reçoit son nom de la forme."...
1033 b 16..
[9]
"Il est manifeste que, dans certains cas, la génération est de même espèce
que l'engendré." (Trad. J. Tricot).
[10]
Proposition 19.Texte: 149: "Parmi les Intelligences, il y a celle qui est
l'Intelligence divine, puisqu'elle reçoit des bontés premières qui procèdent de
la cause première, par réception multiple".
"a)
et parmi celles-ci il y a celle qui est Intelligence seulement puisqu'elle
reçoit des Bontés premières que par l'intermédiaire de l'intelligence."
"b)
Parmi les Âmes il y a celle qui est l'âme Celle qui est de l'âme intelligible
parce qu'elle dépend de l'Intelligence, et celle qui est Âme seulement."
Thomas
n° 353: "Donc ceux qui sont les plus haut dans l'ordre des esprits ou des
intelligences dépendent par une participation plus parfaite de Dieu et
participent plus de sa bonté et de sa causalité universelle et c'est pourquoi
elle sont appelées des Esprit divins ou des Intelligences divines, comme Denys
le dit (La hiérarchie céleste, VII,
2, Les Noms divins. V,8 n° 276, 656) que les anges les plus hauts sont comme
placés dans le vestibule de la divinité."
Thomas
n° 79 cite le texte 32: "La cause première créa l'être de l'âme par
l'intermédiaire de l'Intelligence", et il ajoute: "certains [sans
doute parmi eux Avicenne] qui ont mal compris, ont pensé que l'auteur de ce
livre voulait que les Intelligences soient créatrices de la substance des âmes.
(80) Mais cela est contre les positions platoniciennes car ils établissaient de
telles causalités des êtres simples selon la participation." Il explique
que les Platoniciens pensaient que ce qui est l'être même est cause de
l'existence pour tous. "Ce qui est la vie est la cause de vie pour tous,
ce qui est intelligence est cause d'intellection pour tous."
[11]
Les intelligence secondes. Le livre des Causes, proposition X, § 98 "Les
intelligences secondes jettent leurs regard sur la forme universelle qui est
dans les intelligences universelles. Elles la divisent et la séparent
puisqu'elles ne peuvent recevoir ces formes selon leur unité ou leur nécessité,
que par la manière dont elles peuvent les recevoir, c'est-à-dire la séparation
et la division." (Il s'agit de la transmission des formes dans les
intelligences.) Thomas n° 353 § 2 "Les intelligences inférieures qui ne
parviennent pas par à aussi parfaite ressemblance divine, sont intelligences
seulement, sans dignité divine."
[12]
Le Livre des Causes, Proposition
8.Texte 72: "Toute intelligence sait ce qui est au-dessus d'elle et sous
elle. Mais cependant elle sait ce qui est sous elle, puisqu'elle en est la
cause et elle sait ce qui est au-dessus d'elle puisqu'elle en reçoit des
bontés."
[13]
Augustin, L'immortalité de l'âme, XVI, 25: "Dans l'ordre naturel les êtres
plus puissants livrent aux plus faibles la forme qu'ils ont reçue de la
souveraine Beauté... Si ces êtres existent, c'est qu'une forme leur est livrée
par les êtres plus puissants, grâce à quoi ils "sont"".(Trad. P.
de Labriolle).
[14]
Il s'agit de la génération.
[15]
Cf. Pot. Qu. 3, a. 1. Obj. 3. (et sol. 3)
[16]
Cf. Pot. qu. 1, a. 1, c
[17]
Augustin, La Trinité, III, 8, 13: "On
ne saurait donner raisonnablement le nom de créateurs à ces mauvais anges sous
prétexte que, grâce à eux, les magiciens qui bravaient Moïse... fabriquèrent
des grenouilles et des serpents. Ils n'en furent pas les créateurs Comme on
n'appelle point nos parents créateurs d'homme...pareillement ne se permet-on
pas de prendre les anges pour des créateurs, les mauvais anges, c'est évident,
mais les bons non plus". (Trad. BA).
[18]
La Genèse au sens littéral XII, 22: "Car
la puissance du Créateur et la vertu du Tout-Puissant et du Tout-Tenant est la
cause par laquelle subsiste toute créature. Si cette puissance cessait un
instant de s'exercer dans les êtres créés, du même coup ceux-ci perdraient leur
forme et toute nature s'abîmerait dans le néant . (Trad. P. Agaësse, et A. Solignac,
BA. 5). Ia, qu. 104, a. 2. est aussi consacré à ce sujet. Cf. Pot. qu. 5.
[19]
Prop. 10, n° 92: "a) "Toute intelligence est pleine de formes. Des
intelligences, viennent celles qui contiennent les formes les plus universelles
et de ces dernières viennent celles qui contiennent les formes les moins
universelles." Voir prop. 3, 9, 16 (Cf. II Sent. D1qa1).
[20]
L'opinion d'Avicenne: II Sent. d18q2a2. CG. II, 42, 10: ... l'opinion
d'Avicenne qui dit que Dieu intelligence produit une seule intelligence
première, dans lequel il y a puissance et acte, qui, dans la mesure où elle
comprend Dieu produit une intelligence seconde. Dans la mesure où elle se
comprend, selon qu'elle est en acte, elle produit l'âme du monde. Dans la
mesure où elle est en puissance, elle produit la substance du premier ciel et
ainsi procédant de là, elle constitue la diversité des êtres par la cause
seconde.
[21]
Cf. Ia, qu. 14, a. 8: "La science de Dieu est la cause des choses?"
[22]
La position de Pierre Lombard: IV Sent. d5q3 Bonaventure. p. 356 § 1) "Dieu
peut aussi créer quelque chose par quelqu'un non par lui en tant qu'auteur,
mais en tant que ministre, avec lequel et en qui il opère, de même qu'il opère
en nous dans nos bonnes oeuvres, et nous et pas lui seulement, pas nous
seulement mais lui avec nous et en nous".
II
sent. d1q4 c. (p. 22): Il présente aussi la position du Lombard, contrairement
à Pot. 3, 4 et Ia, 45, 5, il est hésitant: "C'est pourquoi d'autres ont
dit que la création ne convient à aucune créature et elle n'est pas
communicable; de même que l'être d'une puissance infinie qu'exige l'oeuvre de
création." "D'autres ont dit que la création n'a été communiquée à
aucune créature, mais cependant pouvait être communiquée: ce que le Maître (des
Sentences) affirme au livre IV, d.5."
"Chacune
des deux dernières opinions semble avoir un point d'appui. Car, comme il est de
la raison de la créature que rien ne lui préexiste, au moins selon l'ordre de
la nature, on peut le prendre du côté du créateur ou de celui de la créature.
Si c'est du côté du créateur, on dit qu'ainsi cette action est une création qui
ne s'appuie pas sur l'action d'une cause qui précède. Et ainsi c'est seulement
l'action de la cause première: parce que toute action de la cause seconde
s'appuie sur l'action de la cause première. C'est pourquoi, de même que le fait
d'être cause première ne peut être communiqué à aucune créature, ainsi le fait
de créer ne peut lui être communiquée. Si on prend du côté de la créature, la
création est proprement ce à quoi rien ne préexiste en réalité et c'est cela
être. C'est pourquoi on dit au Livre des
Causes (proposition 4) que la première des choses créées est l'être, et
ailleurs dans le même livre (proposition 1), on dit que l'être est par création
et les autres perfections ajoutées par mise en forme et dans les composés
surtout cette être qui est de la première partie c'est-à-dire de la matière et
de cette partie en recevant la création, elle a pu être communiquée aux
créatures pour que par le pouvoir de la cause première qui opère en elle, soit
produit une être simple ou la matière. Et de cette manière, les philosophes ont
pensé que les intelligences créaient quoique cela soit hérétique."
[23]
Comprendre sans un agent autre que Dieu, car dans le changement, il faut la
matière et un agent.
[24]
Entendre la matière (cause matérielle) et l'agent (cause efficiente).
[25]
Cité en note dans le Sed contra 3.
[26]
Il s'agit des vertus séminales...
[27]
Le Livre des causes prop. 3, n° 32: "Parce que la cause première a causé
l'être de l'Âme par l'intermédiaire de l'Intelligence".Il s'agit aussi
d'Avicenne: De substantiis separatis, ch. 10: "C'est la position
d'Avicenne qui semble l'avoir tirée du livre des Causes".
[28]
Proposition 20 (n° 155): "La cause première régit tout ce qui est créé
sauf ce qui lui est mêlé". Voit Thomas, nn° 359-360.
[29]
Krempel, La doctrine de la relation chez saint Thomas, Paris 1952 p. 104, Cf.
qu. 7, a. 9. Avicenne le dit (Métaphysique,
IV, 10)
[30]
II Sent. d1a1q1a3, sol. 1: "Bien que les choses inférieures soient ramenés
à leur fin ultime par des intermédiaires, jamais cependant l'influence de la
fin dernière n'est communiquée à l'un des intermédiaires de sorte naturellement
qu'il soit le désiré ultime et ainsi jamais l'influence du premier agent qui
est création ne peut être communiquée à l'un des seconds principes."
[31]
L'emploi de mens est à remarquer.
q. 3 a. 5 tit. 1
Quinto quaeritur utrum possit esse aliquid quod non sit a Deo creatum. Et
videtur quod sic.
Il semble que oui[1].
Objections
q. 3 a. 5 arg. 1 Cum
enim causa sit potentior effectu, illud quod est possibile nostro intellectui,
qui a rebus notitiam sumit, videtur magis esse possibile in natura. Sed
intellectus noster potest aliquid intelligere non intelligendo illud esse a
Deo, cum causa efficiens non sit de natura rei, et sic sine ea res intelligi
possit. Ergo multo magis in rerum natura potest aliquid esse quod non sit a
Deo.
1. En effet, comme la cause est plus puissante que l'effet; ce qui est
possible pour notre esprit, qui tire sa connaissance de la réalité, semble être
encore plus possible dans la nature. Mais notre esprit peut comprendre quelque
chose sans comprendre que cela vient de Dieu, puisque la cause efficiente ne
fait pas partie de la nature de la chose et ainsi on peut la comprendre sans
elle. Donc à plus forte raison, il peut exister dans la nature un être qui ne
viendrait pas de Dieu.
q. 3
a. 5 arg. 2 Praeterea, omnia quae a Deo sunt facta dicuntur esse Dei creaturae.
Creatio autem terminatur ad esse: prima enim rerum creatarum est esse, ut
habetur in Lib. de causis. Cum ergo quidditas rei sit praeter esse
ipsius, videtur quod quidditas rei non sit a Deo.
2. Tout ce qui a été fait par Dieu est appelé créature de Dieu. Mais la
création se termine à l'être. Car la première des choses créées est l'être[2], comme on le dit dans le Livre des Causes (prop. 4). Donc comme la quiddité[3]
est en plus de son être, elle ne semble pas venir de Dieu.
q. 3 a. 5 arg. 3
Praeterea, omnis actio terminatur ad aliquem actum, sicut et procedit ab aliquo
actu: nam omne agens agit in quantum actu est, et omne agens agit sibi simile
in natura. Sed materia prima est pura potentia. Ergo actio
creantis ad ipsam terminari non potest; et ita non omnia sunt a Deo creata.
3. Toute action se termine à l'acte, de même qu'elle procède de l'acte:
car tout agent agit en tant qu'il est en acte et fait du semblable à lui dans
la nature. Mais la matière première est pure puissance. Donc l'action du
créateur ne peut pas se terminer à elle, et ainsi tout n'est pas créé par Dieu.
En sens contraire:
q. 3 a. 5 s. c. Sed
contra. Est quod dicitur Rom. XI, 36: ex ipso et per ipsum et in ipso sunt
omnia.
Il est dit en Rm. 11, 36: "Tout est de lui, par lui et en lui."
Réponse:
q. 3 a. 5 co.
Respondeo. Dicendum, quod secundum ordinem cognitionis humanae processerunt
antiqui in consideratione naturae rerum. Unde cum cognitio humana a sensu
incipiens in intellectum perveniat priores philosophi circa sensibilia fuerunt
occupati, et ex his paulatim in intelligibilia pervenerunt. Et quia
accidentales formae sunt secundum se sensibiles, non autem substantiales, ideo
primi philosophi omnes formas accidentia esse dixerunt, et solam materiam esse
substantiam. Et quia substantia sufficit ad hoc quod sit accidentium causa,
quae ex principiis substantiae causantur, inde est quod primi philosophi,
praeter materiam, nullam aliam causam posuerunt; sed ex ea causari dicebant
omnia quae in rebus sensibilibus provenire videntur; unde ponere cogebantur
materiae causam non esse, et negare totaliter causam efficientem.
Les anciens[4] ont progressé dans la considération
de la nature des choses selon l'ordre de la connaissance humaine. Ainsi, comme
la connaissance chez l'homme parvient à l'esprit en commençant par les sens,
les premiers philosophes se sont occupés du sensible et de là, peu à peu, en
sont venus aux intelligibles. Et parce que les formes accidentelles sont du
domaine du sensible en soi, mais non les formes substantielles, les premiers
philosophes ont dit que toutes les formes étaient des accidents, et que seule
la matière était une substance. Et parce que la substance suffit pour être la
cause des accidents qui sont causés à partir de ses principes, les premiers philosophes
n'ont établi aucune autre cause, en dehors de la matière, mais ils disaient que
c'est d'elle qu'était causé tout ce qui semblait naître dans les choses
sensibles; c'est pourquoi ils étaient forcés de penser qu'il n'y avait pas de
cause pour la matière et forcés de nier totalement la cause efficiente.
Posteriores vero philosophi, substantiales formas
aliquatenus considerare coeperunt; non tamen pervenerunt ad cognitionem
universalium, sed tota eorum intentio circa formas speciales versabatur: et ideo
posuerunt quidam aliquas causas agentes, non tamen quae universaliter rebus
esse conferrent, sed quae ad hanc vel ad illam formam, materiam permutarent;
sicut intellectum et amicitiam et litem, quorum actionem ponebant in segregando
et congregando; et ideo etiam secundum ipsos non omnia entia a causa efficiente
procedebant, sed materia actioni causae agentis praesupponebatur.
Les philosophes suivants commencèrent à considérer jusqu'à un certain
point les formes substantielles. Ils ne parvinrent pas cependant à la
connaissance de l'universel mais toute leur pensée était occupée avec les
formes spéciales; et c'est pourquoi certains établirent des causes efficientes,
non cependant pour conférer universellement l'être aux créatures, mais pour
modifier la matière en une forme ou en une autre; comme l'intelligence,
l'amitié et le procès dont ils établissaient qu'ils agissaient par répulsion et
attraction; et c'est pourquoi, même selon eux, tous les êtres ne procédaient
pas d'une cause efficiente, mais la matière était présupposée à l'action de
cette cause efficiente.
Posteriores vero philosophi, ut Plato, Aristoteles et eorum
sequaces, pervenerunt ad considerationem ipsius esse universalis; et ideo ipsi
soli posuerunt aliquam universalem causam rerum, a qua omnia alia in esse
prodirent, ut patet per Augustinum.
Les philosophes suivants, comme Platon, Aristote et leurs disciples,
parvinrent à considérer l'être universel même et c'est pourquoi eux seuls ont
établi une cause universelle des choses par laquelle toutes les autres
créatures parviennent à l'être, comme le montre Augustin (La Cité de Dieu, VIII, 4).
Cui quidem sententiae etiam Catholica fides consentit. Et
hoc triplici ratione demonstrari potest: quarum prima est haec.
La foi catholique est d'accord avec cette opinion. Et on peut le
démontrer par trois raisons:
Oportet enim, si aliquid unum communiter in pluribus
invenitur, quod ab aliqua una causa in illis causetur; non enim potest esse
quod illud commune utrique ex se ipso conveniat, cum utrumque, secundum quod
ipsum est, ab altero distinguatur; et diversitas causarum diversos effectus
producit. Cum ergo esse inveniatur omnibus rebus commune, quae secundum illud
quod sunt, ad invicem distinctae sunt, oportet quod de necessitate eis non ex
se ipsis, sed ab aliqua una causa esse attribuatur. Et ista videtur ratio
Platonis, qui voluit, quod ante omnem multitudinem esset aliqua unitas non
solum in numeris, sed etiam in rerum naturis.
1. Si on trouve quelque chose de commun à plusieurs êtres, il faut que
cela soit causé en eux par une cause unique[5]. Car il
n'est pas possible que ce qui est commun à l'un et à l'autre vienne
d'eux-mêmes, en tant que tels puisque l'un est distingué de l'autre; et la
diversité des causes produit des effets divers. Comme il se trouve que l'être
est commun à toutes les créatures, qui selon ce qu'elles sont, sont distinctes
les unes des autres, il faut que nécessairement l'être leur soit attribué non
par elles-mêmes mais par une cause unique. Et cela paraît être le raisonnement
de Platon qui voulut qu'avant toute multiplicité, il y eut l'unité non
seulement dans les nombres, mais encore dans la nature des choses .
Secunda ratio est, quia, cum aliquid invenitur a pluribus
diversimode participatum oportet quod ab eo in quo perfectissime invenitur,
attribuatur omnibus illis in quibus imperfectius invenitur. Nam ea quae
positive secundum magis et minus dicuntur, hoc habent ex accessu remotiori vel
propinquiori ad aliquid unum: si enim unicuique eorum ex se ipso illud
conveniret, non esset ratio cur perfectius in uno quam in alio inveniretur;
sicut videmus quod ignis, qui est in fine caliditatis, est caloris principium
in omnibus calidis. Est autem ponere unum ens, quod est perfectissimum et
verissimum ens: quod ex hoc probatur, quia est aliquid movens omnino immobile
et perfectissimum, ut a philosophis est probatum. Oportet ergo quod
omnia alia minus perfecta ab ipso esse recipiant. Et haec est probatio philosophi.
2. Quand une chose se trouve participée de diverses manières par
plusieurs, il faut que ce soit à partir du plus parfait où on la trouve qu'on
l'attribue à tout ce qui se trouve moins parfait. Car ces êtres qu'on désigne
positivement selon la plus ou le moins, le possède d'une source plus éloignée
ou plus proche pour un effet unique; car si cela convenait de soi à chacun
d'eux, il n'y aurait pas de raison pour qu'on le trouve plus parfait dans l'un
que dans l'autre. Ainsi nous voyons que le feu qui a pour but l'échauffement
est principe de la chaleur dans les corps chauds. Il faut établir un être
unique qui est absolument parfait et absolument vrai, ce qui est prouvé par le
fait qu'il est un moteur, absolument immobile et absolument parfait, comme le
prouvent les philosophes. Il faut donc que tous les autres êtres qui sont moins
parfaits reçoivent de lui leur existence. C'est la preuve du philosophe (Métaphysique, II, 1, 993 b 23[6]).
Tertia ratio est, quia illud quod est per alterum, reducitur
sicut in causam ad illud quod est per se. Unde si esset unus calor per se
existens, oporteret ipsum esse causam omnium calidorum, quae per modum
participationis calorem habent. Est autem ponere aliquod ens quod est ipsum
suum esse: quod ex hoc probatur, quia oportet esse aliquod primum ens quod sit
actus purus, in quo nulla sit compositio. Unde oportet quod ab uno illo ente
omnia alia sint, quaecumque non sunt suum esse, sed habent esse per modum
participationis. Haec est ratio Avicennae.
3. Ce qui existe par un autre est ramené comme à sa cause à ce qui est
par soi. C'est pourquoi, s'il y avait une seule chaleur existant par soi, il
faudrait qu'elle soit la cause de tout ce qui est chaud, qui aurait la chaleur
par mode de participation. Mais c'est établir un étant qui est son être propre.
On le prouve par le fait qu'il faut qu'il y ait un étant premier qui soit acte
pur, en qui n'entre aucune composition. C'est pourquoi, il faut que tous les
autres qui ne sont pas leur être mais qui ont l'être par participation existent
à partir d'un étant unique. C'est le raisonnement d'Avicenne (Métaphysique VIII, ch. 7 et IX, ch. 4[7]).
Sic ergo ratione demonstratur et fide tenetur quod omnia
sint a Deo creata.
Ainsi on démontre par la raison[8] et on tient par
la foi que tout a été créé par Dieu.
Solutions:
q. 3 a. 5 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod licet causa prima, quae Deus est, non intret
essentiam rerum creatarum; tamen esse, quod rebus creatis inest, non potest
intelligi nisi ut deductum ab esse divino; sicut nec proprius effectus potest
intelligi nisi ut deductus a causa propria.
# 1. Bien que la cause première, qui est Dieu, n'entre pas dans
l'essence des créatures, cependant l'être qui est en elles ne peut être compris
que découlant de l'être divin; de même que l'effet le plus proche ne peut être
compris que déduit de sa propre cause[9] .
q. 3 a. 5 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod ex hoc ipso quod quidditati esse attribuitur, non solum
esse, sed ipsa quidditas creari dicitur: quia antequam esse habeat, nihil est,
nisi forte in intellectu creantis, ubi non est creatura, sed creatrix essentia.
# 2. Du fait que l'être est attribué à la quiddité, on dit que non
seulement l'être mais la quiddité elle-même est créée car avant d'avoir l'être,
elle n'est rien, sinon peut-être dans l'esprit du Créateur où elle n'est pas
créature, mais essence créatrice .
q. 3 a. 5 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod ratio illa probat, quod materia prima per se non creatur;
sed ex hoc non sequitur quod non creetur sub forma; sic enim habet esse in
actu.
# 3. Cette raison prouve que la matière première n'est pas créée par
soi, mais il n'en découle pas qu'elle ne soit pas crée sous une forme, car
c'est ainsi qu'elle a l'être en acte.
[1] Parall.: Ia, qu. 44, a. 1-2 – Ia,
qu. 65, 1 – CG. II, 15 – II Sent. d1q1a2 - I Sent. d39q1a2 – Compendium.
ch. 68, Opus. XV, De
angelis, ch. 9 – Les noms divins,
ch. 5, 1. – Vernier p. 150 Æ.
[2]
Proposition 4: "La première des choses créées est l'être et avant il n'y a
rien de créé".
[3]
La quiddité exprime l'essence ou la définition d'une chose.
[4]
Cette histoire de l'élaboration du concept de cause efficiente, en grande
partie inspiré par Aristote est repris en plusieurs endroits de son oeuvre par
Thomas: Ia, qu. 44, a. 2; CG. II, 16; De subst. separ. Voir B. Decossas, Les exigences de la causalité créatrice, RThom II, 94, p. 242 et
notes. Rép. 1
[5]
Appel au principe premier de la participation: "Si quelque chose se trouve
en un étant par participation, il est nécessaire qu'il ait été créé par celui à
qui convient l'essence", “principe évident par lui-même pour ceux qui sont
capables de le comprendre.” J.-H. Nicolas, Synthèse
dogmatique, p. 21. Cf. Ia, qu.
44, a. 1 c.
[6]
Métaphysique 10. "La chose qui,
parmi les autres, possède éminemment une nature est toujours celle dont les
autres choses contiennent en commun cette nature..." Thomas, lect. 2, n°
290 - 298 . Repris en Ia, q. 44, a. 1: “Ce qui est l'être et la vérité absolue
est cause de tout être et de toute vérité. Comme ce qui est chaud au maximum
est cause de toute chaleur”. (Ce dernier membre de phrase ne serait plus
accepté aujourd'hui. Il a valeur démonstrative, selon les lois de la physique
de l'époque. Cf. De causis, 340.
[7]
Repris en Ia, q. 44, a. 1 resp. Cf.
Parménide 164 c -165 e-. J.-M. Vernier, Théologie
et métaphysique de la Création, p. 159. 2me argument du De Pot. causalité dépendance de
l'imparfait vis-à-vis du parfait. Cf. II
CG. 15, § 2.
[8]
Thomas démontre par la métaphysique, "par la raison", la création. Il
le fait aussi en II Sent. d1q1a2,
mais il apporte une restriction à cette démonstration.
[9]
Parce qu'une créature est un être par participation, il en découle qu'elle est
causée par un autre. Donc un étant de ce genre ne peut exister que s'il est
causé; de même qu'il n'y a pas d'homme qui ne soit doué du rire. Mais parce que
avoir une cause ne fait pas partie de la définition de l'être dans l'absolu, on
trouve un être qui n'est pas causé. Cf. Ia,
q. 44, a. 1.
q. 3 a. 6 tit. 1
Sexto quaeritur utrum sit unum tantum creationis principium. Et videtur quod
non.
Il semble que non[1].
Objections:
q. 3 a. 6 arg. 1
Dicit enim Dionysius: non est causa mali bonum. Aliquod autem malum est in
mundo. Aut ergo est causatum ab aliqua causa quae non est bonum; aut nullo modo
est causatum, sed est causa prima; et utrolibet modo oportet ponere plura
creationis principia: nam constat primum principium creationis bonorum esse
bonum.
1. Car Denys dit (Les noms divins,
ch. 4, 14): "Le bien n'est pas la cause du mal[2]". Mais il y a du
mal dans le monde. Donc, ou il a une cause qui n'est pas le bien, ou alors il
n'est causé en aucune manière, mais il est la cause première; et des deux
manières, il faut poser plusieurs principes de création; car il est clair que
le premier principe de création des biens est le bien.
q. 3 a. 6 arg. 2 Sed
diceretur, quod bonum non est causa mali per se, sed per accidens.- Sed contra,
omnis effectus qui est alicuius causae per accidens, est alterius causae per se;
cum omne per accidens ad per se reducatur. Si ergo malum est effectus boni per
accidens, erit per se effectus alicuius alterius; et sic idem quod prius.
2. Mais on pourrait dire que le bien n'est pas la cause du mal par soi,
mais par accident. – En sens contraire, tout effet qui dépend d'une cause par
accident vient d'une autre cause par soi; puisque tout ce qui est par accident
est ramené au par soi. Si donc le mal est l'effet du bien par accident, il sera
l'effet par soi de quelque chose d'autre, et ainsi de même que ci-dessus.
q. 3 a. 6 arg. 3
Praeterea, effectus causae per accidens, accidit praeter intentionem causae, et
non fit. Si ergo bonum est causa mali per accidens, sequeretur quod malum non
sit factum. Sed nihil est non creatum
nisi creationis principium, ut supra, art. praeced., ostensum est. Ergo
malum est creationis principium.
3. L'effet de la cause par accident arrive au-delà de l'intention de la
cause et il ne se fait pas. Donc si le bien est la cause du mal par accident,
il en découlerait que le mal ne serait pas fait. Mais il n'y a rien qui ne soit
créé sinon le principe de création[3], comme on l'a montré ci-dessus, à
l'article précédant. Donc le mal est un principe de création.
q. 3 a. 6 arg. 4
Praeterea, nullum nocumentum accidit in effectu praeter intentionem agentis,
nisi vel propter ignorantiam agentis qui non providet, vel propter impotentiam
quam vitare non potest. Sed in Deo, qui est creator boni, non est neque
impotentia neque ignorantia. Ergo malum, quod nocivum est, Dei effectibus non
potest praeter intentionem provenire. Nam Augustinus dicit, quod ideo dicitur
malum, quia nocet.
4. Aucun dommage n'arrive dans l'effet au-delà de l'intention de
l'agent, sinon à cause de l'ignorance de l'agent qui ne le prévoit pas, ou à
cause d'une impuissance qu'il ne peut pas éviter. Mais en Dieu qui est le
créateur du bien, il n'y a ni impuissance, ni ignorance. Donc le mal, qui est
nuisible, ne peut pas provenir par des effets qui dépendent de Dieu au-delà de
son intention. Car Augustin dit (Enchiridion
III, 11) qu'on l'appelle mal parce qu'il nuit.
q. 3 a. 6 arg. 5
Praeterea, quod est per accidens est ut in paucioribus, ut habetur in II
Physic. Malum autem est ut in pluribus, ut habetur in II Topic. Ergo malum non
est ab aliqua causa per accidens.
5. Ce qui est par accident, est, pour ainsi dire, dans le plus petit
nombre, comme on le voit en Physique,
II, 5, 196 b 10[4]. Mais le mal est dans le plus grand nombre, comme on le lit
dans les Topiques (II, 6, 112 b 10[5] ). Donc le mal ne vient pas d'une cause
par accident.
q. 3 a. 6 arg. 6 Praeterea, malum, secundum
Augustinum, non habet causam efficientem sed deficientem. Sed causa
per accidens est causa efficiens. Ergo bonum non est causa mali per accidens.
6. Le mal, selon Augustin (Cité de Dieu, XII, 7) n'a pas une cause
efficiente, mais déficiente. Mais la cause par accident est une cause efficiente.
Donc le bien n'est pas cause du mal par accident.
q. 3 a. 6 arg. 7
Praeterea, quod non est, non habet causam; quia quod non est, neque causa neque
causatum est. Sed malum nihil est, secundum Augustinum. Ergo malum non habet
aliquam causam nec per se nec per accidens. Falsum est ergo quod dicebatur,
quod bonum est causa mali per accidens.
7. Ce qui n'existe pas n'a pas de cause, parce que ce qui n'existe pas
n'est ni cause ni causé. Mais le mal n'est rien, selon Augustin (Sur Jean.
Tract. 1). Donc le mal n'a de cause ni par soi, ni par accident. Donc dire que
le bien est la cause du mal par accident, est faux.
q. 3 a. 6 arg. 8
Praeterea, secundum philosophum, illud cui aliquid inest per prius, est causa
omnium in quibus illud per posterius invenitur: sicut ignis est causa caloris
in omnibus calidis. Sed malitia per prius fuit in Diabolo. Ergo ipse est causa
malitiae in omnibus malis; et sic est unum principium omnium malorum, sicut et
bonorum.
8. Selon le philosophe (Métaphysique
II, 1, 993 b 23[6]), ce en quoi quelque chose est d'abord, est cause de tout ce
en quoi on le trouve ensuite; ainsi le feu est cause de la chaleur dans tout ce
qui est chaud. Mais la malice fut d'abord dans le diable. Donc lui-même est
cause de la malice dans tous les maux et ainsi il y a un principe de tous les
maux comme il y en a un de tous les biens.
q. 3
a. 6 arg. 9 Praeterea, secundum Dionysium, bonum contingit uno modo: sed malum
omnifariam. Malum ergo propinquius est ad esse quam bonum. Si ergo bonum est
natura aliqua indigens creatore, et malum etiam indigebit creatore; et sic idem
quod prius.
9. Selon Denys (Les noms divins,
ch. IV, 22[7]), le bien arrive d'une seule manière, le mal de toutes les
manières. Donc le mal est plus proche de l'être que le bien. Donc si le bien
est une nature qui a besoin d'un créateur, le mal aussi en aura besoin et ainsi
de même que plus haut.
q. 3 a. 6 arg. 10
Praeterea, quod non est non potest esse genus nec species. Sed malum ponitur
genus. Dicitur enim in praedicamentis, quod bonum et malum non sunt in genere,
sed sunt genera aliorum. Ergo malum est ens: et sic indiget aliquo creante:
unde cum non creetur a bono, videtur quod oporteat aliquod malum ponere
creationis principium.
10. Cequi n'est pas ne peut pas être un genre ni une espèce. Mais le
mal est considéré comme un genre. Car on dit dans les Catégories (11, les
contraire 14 a 24) que le bien et le mal ne sont pas dans un genre, mais sont
les genres des autres. Donc le mal est un étant, et ainsi il a besoin d'un
créateur; c'est pourquoi comme il n'est pas créé par le bien, il semble qu'il
faille considérer un mal comme principe de création.
q. 3
a. 6 arg. 11 Praeterea, utrumque contrariorum est natura aliqua positive:
contraria enim sunt in eodem genere. Quod autem non
est, non potest esse in genere. Sed bonum et malum sunt contraria. Ergo est
natura aliqua; et sic idem quod prius.
11. L'un et l'autre des contraires sont positivement une certaine
nature; car les contraires sont dans un même genre. Ce qui n'existe pas ne peut
pas être dans un genre. Mais le bien et le mal sont des contraires. Donc c'est
une nature et ainsi de même que plus haut.
q. 3 a. 6 arg. 12
Praeterea, differentiae constitutivae speciei significant naturam aliquam; unde
uno modo natura est unumquodque informans specifica differentia, ut Boetius
dicit. Sed malum est differentia constitutiva speciei alicuius: bonum enim et
malum sunt differentiae habituum. Ergo malum est natura aliqua; et sic idem
quod prius.
12. Les différences constitutives de l'espèce indiquent une certaine
nature; c'est pourquoi d'une manière la nature est une différence spécifique
qui donne forme à chaque chose, comme Boèce le dit (Les deux natures, 1[8]).
Mais le mal est la différence constitutive d'une espèce; car le bien et le mal
sont des différences de manière d'être. Donc le mal est une nature et ainsi de
même que plus haut.
q. 3
a. 6 arg. 13 Praeterea, Eccli. XXXIII, 15: contra malum bonum
est, et contra vitam mors, sic et contra virum iustum peccator. Si ergo est
unum creationis principium bonum, oportet esse aliud malum quod sit ei
contrarium.
13. En Eccl[9] 33, 15, on lit: "Le bien est contre le mal, la mort
contre la vie, et ainsi le pécheur contre le juste". Donc s'il y a un bon
principe de création, il faut qu'il en ait un autre mauvais qui lui est
contraire.
q. 3 a. 6 arg. 14
Praeterea, intentio et remissio dicuntur per respectum ad aliquem terminum. Sed
invenitur aliquid esse alio peius. Ergo oportet inveniri aliquid quod sit
pessimum, in quo sit malorum terminus: et illud oportet esse principium omnium
malorum, sicut summum bonum est principium bonorum.
14. On parle d'intensité et de diminution par rapport à un terme. Mais
on trouve une chose plus mauvaise qu'une autre. Donc, il faut trouver quelque
chose qui soit très mauvais en qui est le terme des maux; et il faut que cela
soit le principe de tous les maux, comme le bien suprême est le principe des
biens.
q. 3 a. 6 arg. 15 Praeterea, Matth. VII, 18,
dicitur: non potest arbor bona fructus malos facere. Aliquid autem invenitur
esse malum in mundo. Ergo non potest esse fructus, id est effectus, causae
bonae, quae per arborem bonam significatur; et sic oportet quod omnium malorum
sit causa aliquod primum malum.
15. En Matthieu (8, 18) on lit: "Le bon arbre ne peut pas produire
de mauvais fruits". Mais on trouve qu'il y a du mal dans le monde. Donc ce
ne peut pas être le fruit, c'est-à-dire l'effet d'une bonne cause qui est
signifiée par l'arbre bon, et ainsi il faut que la cause de tous les maux soit
quelque mal premier.
q. 3 a. 6 arg. 16
Praeterea, Genes. I, 2, dicitur quod in principio creationis rerum erant
tenebrae super faciem abyssi. Sed a bono, quod habet naturam lucis, non potest
esse creatio tenebrarum. Ergo creatio quae
ibi describitur, non est a bono principio, sed a malo.
16. En Genèse 1, 2, on dit que, au commencement de la création, il y
avait les ténèbres sur la surface de l'abîme. Mais à partir du bien, qui a la
nature de la lumière, il ne peut y avoir création de ténèbres. Donc la création
qui est ici décrite, ne vient pas du principe du bien mais de celui du mal.
q. 3 a. 6 arg. 17
Praeterea, omne quod exit ab aliquo, attestatur ei a quo exit, in quantum est
ei simile. Sed malum nullo modo attestatur Deo, nec habet in ipso aliquam
similitudinem. Ergo non potest esse ab ipso, sed ab alio principio.
17. Tout ce qui sort de quelque chose atteste ce dont il sort, dans la
mesure où il lui est semblable. Mais le mal n'atteste Dieu en aucune manière,
et il n'a pas de ressemblance avec lui. Donc il ne peut venir de lui, mais il
vient d'un autre principe.
q. 3 a. 6 arg. 18
Praeterea, nihil exit ab aliquo, nisi quod est in ipso in potentia. Sed malum
non est in Deo nec in actu nec in potentia. Ergo non est a Deo; et sic idem
quod prius.
18. Rien ne sort de quelque chose qu'il n'y soit en puissance. Mais le
mal n'est en Dieu, ni en acte, ni en puissance. Donc il ne vient pas de Dieu et
ainsi c'est pareil que plus haut.
q. 3 a. 6 arg. 19
Praeterea, sicut generatio est motus naturalis, ita et corruptio. Sed corruptio
terminatur ad privationem, sicut generatio ad formam. Ergo sicut forma
inducitur ex intentione naturae, ita et privatio: et sic oportet quod malum,
quod est privatio, habeat aliquam causam agentem per se, sicut et forma.
19. La génération est un mouvement naturel, la corruption aussi. Mais
la corruption se termine à la privation, comme la génération à la forme. Donc
la forme est induite par l'intention de la nature, de même la privation, et
ainsi il faut que le mal, qui est privation, ait une cause agente par soi, comme
la forme.
q. 3 a. 6 arg. 20
Praeterea, omne agens, agit ex praesuppositione primi agentis. Sed liberum
arbitrium, cum peccat, non agit ex praesuppositione divinae actionis: nam
aliquod peccatum est, sicut fornicatio vel adulterium, quod non potest a sua
deformitate separari, quae non potest esse a Deo. Ergo oportet quod liberum
arbitrium sit primum agens, vel quod reducatur ad aliquod aliud primum agens
quam Deum.
20. Tout agent agit et présuppose un premier agent. Mais quand le libre
arbitre pèche, il n'agit pas avec la présupposition de l'action divine, car un
péché, comme la fornication ou l'adultère, ne peut pas être séparé de sa
difformité, qui ne peut pas venir de Dieu. Donc il faut que le libre arbitre
soit le premier agent, ou qu'il soit ramené à un premier agent autre que Dieu.
q. 3 a. 6 arg. 21
Sed diceretur, quod substantia actus peccati est a Deo, non autem deformitas.-
Sed contra est quod Commentator dicit: impossibile est unius agentis actionem
terminari ad materiam, et alterius ad formam. Sed deformitas est quasi forma
actus peccati. Ergo non potest esse deformitas peccati ab uno auctore, et
substantia ab alio.
21. Mais on pourrait dire que la nature du péché vient de Dieu, mais
pas la difformité. En sens contraire le commentateur (Métaphysique VII, 28) dit: "Il est impossible que l'acte d'un
seul agent se termine à la matière et celle d'un autre à la forme". Mais
la difformité est pour ainsi dire la forme de l'acte du péché. Donc sa
difformité ne peut pas venir d'un auteur et sa nature d'un autre.
q. 3
a. 6 arg. 22 Praeterea, ab uno simplici non procedit nisi simplex. Sed Deus est
omnino simplex. Ergo huiusmodi composita non sunt ab ipso, sed ab alio auctore.
22. D'une chose simple ne peut procéder que du simple. Mais Dieu est
tout à fait simple. Donc les composés de ce genre ne viennent pas de lui mais
d'un autre créateur.
q. 3 a. 6 arg. 23
Praeterea, macula aliquid ponit in anima: si enim esset gratiae privatio solum,
tunc per quodlibet peccatum mortale homo haberet maculam omnium peccatorum. Sed
macula peccati non est a Deo, cum Deus non sit illius rei auctor cuius est
ultor, secundum Fulgentium, et cum non sit ab aeterno, oportet quod habeat
causam. Ergo oportet reducere in aliquam causam primam, quae non est Deus.
23. Une souillure laisse une trace dans l'âme: car si elle était
privation de la grâce seulement, alors par n'importe quel péché mortel, l'homme
aurait la souillure de tous les péchés. Mais la souillure du péché ne vient pas
de Dieu, puisqu'il n'en est pas l'auteur, mais le vengeur, selon Fulgence (liv.
1 à Monime) et comme elle n'est pas éternelle, il faut qu'elle ait une cause.
Donc il faut la ramener à une cause première qui n'est pas Dieu.
q. 3
a. 6 arg. 24 Praeterea, Eccle. III, 14, dicitur: didici quod omnia opera quae fecit
Deus, perseverant in aeternum. Haec autem corruptibilia in aeternum non
perseverant. Ergo non sunt opera Dei, sed
oportet ea reducere in aliud principium.
24. En Eccl. (Qo) 3, 14, on lit:"J'ai appris que toutes les
oeuvres que Dieu a faites, demeurent éternellement". Mais ce qui est
corruptible ne demeure pas éternellement. Donc elles ne sont pas les oeuvres de
Dieu, mais il faut les ramener à un autre principe.
q. 3 a. 6 arg. 25
Praeterea, omne agens agit sibi simile. Sed huiusmodi corpora corruptibilia non
sunt Deo similia: nam Deus spiritus est, ut habetur Ioan. IV 24. Ergo huiusmodi
corruptibilia non sunt a Deo; et sic idem quod prius.
25. Tout agent fait du semblable à lui, Mais les corps corruptibles de
ce genre ne sont pas semblables à Dieu, car "Dieu est esprit", comme
on le lit en Jn 4, 24. Donc les corruptibles de ce genre ne viennent pas de
Dieu, et ainsi c'est pareil que plus haut.
q. 3 a. 6 arg. 26
Praeterea, natura semper fecit quod melius est, secundum philosophum et hoc ex
bonitate naturae provenit. Sed bonitas Dei est
perfectior quam naturae. Ergo Deus facit aliquid quanto melius potest. Sed
meliora sunt spiritualia corporalibus. Ergo corporalia non facit Deus; quia si
fecisset Deus ea, dedisset eis spiritualem bonitatem; et sic relinquitur quod
oportet ponere plura creationis principia.
26. La nature a toujours fait le meilleur, selon le philosophe (Du
ciel, 2, texte 34) et cela provient de la bonté de la nature. Mais la bonté de
Dieu est plus parfaite que celle de la nature. Donc Dieu fait quelque chose du
mieux qu'il peut. Mais les êtres spirituels sont meilleurs que les êtres
corporels. Donc Dieu ne les a pas faits, parce que, s'il les avait faits, il
leur aurait donné la bonté spirituelle et ainsi il en découle qu'il faut
établir plusieurs principes de création.
En sens contraire:
q. 3 a. 6 s. c. 1
Sed contra. Est quod habetur Isai. XLV, vers. 6: ego dominus, et non est alter
Deus, formans lucem et creans tenebras, faciens pacem et creans malum; ego
dominus faciens omnia haec.
1. On lit en Isaïe 45, 10: "Je suis le Seigneur, et il n'y a pas
d'autre Dieu; je forme la lumière, je crée les ténèbres, je fais la paix et je
crée le malheur; je suis le Seigneur qui fait tout cela[10]."
q. 3 a. 6 s. c. 2
Praeterea, malum non radicatur nisi in natura boni, ut manifestat Dionysius.
Hoc autem non esset, si malum haberet contrarium creationis principium ei qui
creat bona: alias principium malorum esset potentius quam principium bonorum,
ex quo in ipsis bonis effectum suum induceret. Ergo malum non est ab aliquo
alio creationis principio quam bonum.
2. Le mal ne prend racine que dans la nature du bien, comme le montre
Denys (Les noms divins, ch. 4[11]).
Mais cela n'arriverait pas si le mal avait un principe de création contraire à
celui qui crée les biens, autrement le principe des maux serait plus puissant
que le principe des biens, de là, il produirait son effet dans les biens même.
Donc le mal ne vient pas d'un autre principe de création que le bien.
q. 3 a. 6 s. c. 3
Praeterea, philosophus probat, esse unum primum motorem. Hoc autem non esset,
si essent diversa creationis principia prima: nam unum principium non
gubernaret nec moveret creaturas alterius principii sibi contrarii. Non est
ergo nisi unum tantum creationis principium.
3. Le philosophe prouve (Physique
VIII, 5, 256 a 13 ss.[12]) qu'il y a un seul premier moteur. Mais cela ne
serait pas s'il y avait différents principes premiers de création: car un seul
principe ne gouvernerait ni me mettrait en mouvement les créatures d'un autre principe
qui lui serait contraire. Donc il n'y qu'un seul principe de création.
Réponse:
q. 3 a. 6 co.
Respondeo. Dicendum quod, sicut dictum est, antiqui philosophi specialia
principia tantum naturae considerantes, ex consideratione materiae in hunc errorem
devenerunt, quod non omnia naturalia creata esse credebant: ita quod ex
consideratione contrariorum, quae cum materia ponuntur principia in natura,
devenerunt in hoc ut rerum duo prima principia constituerent: et hoc propter
triplicem defectum qui eis aderat in contrariorum consideratione.
Comme on l'a dit (art. préc.), les anciens philosophes en s'en tenant
seulement aux principes spéciaux de la nature, du fait de la considération de
la matière, tombèrent dans cette erreur qu'ils ne croyaient pas que tout ce qui
est naturel avait été créé; de sorte que, de la considération des contraires,
qui sont placés comme principes avec la matière dans la nature, il en
arrivèrent à constituer deux premiers principes des choses et cela à cause de
trois erreurs, qui leur étaient venues en considérant les contraires.
Primus erat, quia contraria considerabant secundum hoc tantum quod
diversa sunt ex natura speciei, non autem secundum quod est aliquid unum in eis
ex natura generis, licet contraria in eodem genere sint: unde non attribuebant
eis causam secundum id in quo conveniunt, sed secundum hoc in quo differunt: et
propter hoc in duo prima contraria, sicut in duas primas causas, omnia
contraria reduxerunt, ut habetur in I Physic. Sed inter eos Empedocles prima
contraria etiam primas causas agentes posuit, scilicet amicitiam et litem: et
hic, ut habetur I Metaph., primo posuit bonum et malum principia.
La première, parce qu'ils considéraient les contraires seulement du
fait qu'ils sont différents par la nature de l'espèce, et non selon une unicité
en eux qui vient de la nature du genre, bien que les contraires soient dans un
même genre: c'est pourquoi ils ne leur attribuèrent pas une cause en raison de
leur ressemblance, mais en raison de leur différence et à cause de cela, ils
ramenèrent tous les contraires à deux premiers contraires, comme à deux
premières causes, comme on le lit en Phys. I, 5, 188 a 19 ss[13]. Mais parmi
eux, Empédocle plaça même, comme causes premières efficientes, des contraires
premiers, à savoir l'amitié et le procès, et, comme on le lit en Métaphysique (I, 4, 985 a 17 ss), il y
établit d'abord le bien et le mal comme principes.
Secundus defectus fuit, quia utrumque contrariorum aequaliter
iudicabant; cum tamen oporteat semper duorum contrariorum unum esse cum
privatione alterius: et propter hoc unum est perfectum et aliud imperfectum, et
unum melius et aliud peius, ut habetur I Phys. Et exinde provenit quod tam
bonum quam malum, quae videbantur esse generaliora contraria, ponebant quasi
quasdam naturas diversas. Et inde fuit quod Pythagoras posuit duo genera rerum,
scilicet bonum et malum; et in genere boni posuit omnia perfecta, ut lucem,
masculum, quietem et huiusmodi; et in genere mali posuit omnia imperfecta, ut
tenebras, feminam et huiusmodi.
La seconde erreur fut qu'ils jugeaient chacun des contraires à égalité,
alors que cependant il faut toujours que l'un des deux contraires soit avec la
privation de l'autre; et pour cela l'un est parfait et l'autre imparfait, l'un
est meilleur et l'autre plus mauvais, comme on le dit en Physique I, 5, 189 a 3. Et de là vient qu'ils considéraient le bien
autant que le mal, qui paraissaient être des contraires plus généraux, comme
des natures différentes. Et c'est pour cela que Pythagore a établi deux genres,
à savoir le bien et le mal et dans le genre du bien il plaça tout ce qui est
parfait, comme la lumière, le mâle, le repos etc, et dans le genre du mal tout
ce qui est imparfait comme les ténèbres, la femme, etc.
Tertius defectus fuit, quia iudicaverunt de rebus secundum quod in se
considerantur tantum, vel secundum ordinem unius rei ad aliam rem particularem,
non autem in comparatione ad totum ordinem universi. Et inde est quod si
invenerunt aliquam rem esse alteri nocivam, vel esse in se imperfectam respectu
aliarum perfectarum, iudicaverunt eam simpliciter malam secundum naturam suam,
et non ducere originem a causa boni. Et propterea Pythagoras feminam, quae est
quid imperfectum, posuit in genere mali.
La troisième erreur vient de ce qu'ils jugèrent des choses selon
qu'elles sont considérées en soi seulement, ou selon le rapport d'une chose
particulière à une autre, mais pas en comparaison à tout l'ordre de l'univers.
Et c'est pour cela, que s'ils trouvèrent une chose nocive pour une autre, ou
imparfaite en soi par rapport aux autres qui étaient parfaites, ils jugèrent
qu'elle était absolument mauvaise selon sa nature et ne tirait pas son origine
de la cause du bien. C'est pour cette raison que Pythagore plaça la femme, qui
est quelque chose d'imparfait, dans le genre du mal.
Et ex hac radice provenit quod Manichaei corruptibilia, quae respectu
incorruptibilium; et visibilia, quae respectu invisibilium; et vetus
testamentum, quod respectu novi testamenti, imperfecta sunt, non posuerunt esse
a Deo bono, sed a contrario principio. Et praecipue, cum viderent alicui
creaturae bonae, utpote homini, provenire aliquod nocumentum ex aliquibus
visibilium et corruptibilium creaturarum.
C'est à partir de là que les Manichéens ont pensé que le corruptible
par rapport à l'incorruptible, le visible à l'invisible, l'Ancien Testament au
Nouveau, sont imparfaits et ne viennent pas du Dieu bon , mais d'un principe
contraire. Et surtout, quand ils virent que, pour une créature bonne, à savoir
l'homme, le mal venait de quelques-unes des créatures visibles et corruptibles.
Hic autem error est omnino impossibilis; sed oportet omnia reducere in
unum principium primum, quod est bonum: quod quidem tribus rationibus
ostenditur ad praesens.
Cette erreur est tout à fait inadmissible. Il faut tout ramener à un
seul principe premier qui est le bien, ce qu'on montre à présent par trois
raisons:
Quarum prima est, quia in quibuscumque diversis invenitur aliquid unum
commune, oportet ea reducere in unam causam quantum ad illud commune, quia vel
unum est causa alterius, vel amborum est aliqua causa communis. Non enim potest
esse quod illud unum commune utrique conveniat secundum illud quod proprie
utrumque eorum est, ut in praecedenti quaestione, art. praec., est habitum.
Omnia autem contraria et diversa, quae sunt in mundo, inveniuntur communicare
in aliquo uno, vel in natura speciei, vel in natura generis, vel saltem in
ratione essendi: unde oportet quod omnium istorum sit unum principium, quod est
omnibus causa essendi. Esse autem, in quantum huiusmodi, bonum est: quod patet
ex hoc quod unumquodque esse appetit, in quo ratio boni consistit, scilicet
quod sit appetibile; et sic patet quod supra quaslibet diversas causas oportet
ponere aliquam causam unam, sicut etiam apud naturales supra ista contraria
agentia in natura ponitur unum agens primum scilicet caelum, quod est causa
diversorum motuum in istis inferioribus. Sed quia in ipso caelo invenitur situs
diversitas in quam sicut in causam reducitur inferiorum corporum contrarietas,
ulterius oportet reducere in primum motorem, qui nec per se nec per accidens
moveatur. Secunda ratio est, quia omne agens agit secundum quod actu est, et
per consequens secundum quod est aliquo modo perfectum.
La première: parce que, si dans les différentes choses on trouve
quelque chose de commun, il faut les ramener à une seule cause pour ce qui est
commun, parce que ou l'un est la cause de l'autre ou il y a une cause commune
des deux. Car il n'est pas possible que cette chose unique commune convienne à
l'une et l'autre selon ce qui est proprement l'un d'eux, comme dans l'article
précédent (qu. 3, a. 5, corps de l'article) on l'a dit. Mais tout ce qui est
contraire ou divers dans le monde se trouve avoir un rapport commun en une
chose unique, soit dans la nature de l'espèce, soit dans celle du genre, soit
rarement dans sa raison d'être: c'est pourquoi il faut qu'il y ait un principe
unique de toutes ces choses qui est pour tous la cause d'être. Mais l'être en
tant que tel est bon; ce qui apparaît du fait que toute chose désire être, ce
en quoi consiste la raison du bien, à savoir qu'il est désirable, et ainsi il
apparaît que, au-dessus de certaines causes différentes, il faut placer une
cause unique, comme chez les Naturalistes, au-dessus de ces agents contraires,
on place dans la nature un seul agent premier, à savoir le ciel, qui est la
cause des différents mouvements dans les êtres inférieurs. Mais, parce que dans
le ciel même on trouve la diversité du lieu, où l'opposition des corps
inférieurs est ramenée comme à une cause, il faut la ramener par la suite à un
premier moteur, qui n'est mû ni par soi, ni par accident.
Secundum autem quod malum est, non est actu, cum unumquodque dicatur
malum ex hoc quod potentia est privata proprio et debito actu. Secundum vero
quod actu est unumquodque, bonum est: quia secundum hoc habet perfectionem et
entitatem, in qua ratio boni consistit. Nihil ergo agit in quantum malum est,
sed unumquodque agens agit in quantum bonum est. Impossibile est ergo ponere
aliud activum rerum principium nisi bonum. Et cum omne agens agat sibi simile,
nihil etiam fit nisi secundum quod actu est; ac per hoc, secundum quod bonum
est. Ex utraque ergo parte positio est impossibilis qua ponitur malum esse
principium creationis malorum. Et huic rationi concordant verba Dionysii qui
dicit, quod malum non agit nisi virtute boni, et quod malum est praeter
intentionem et generationem.
La seconde raison vient de ce que tout agent agit selon qu'il est en
acte et par conséquent selon qu'il est parfait de quelque manière. En tant que
mal, il n'est pas en acte, puisque on appelle mal ce dont la puissance est
privée d'acte propre et normalement dû. Mais selon qu'une chose est en acte,
elle est bonne, parce que, ainsi, elle a la perfection et l'entité, en quoi consiste
la raison du bien. Donc rien n'agit en tant qu'il est un mal, mais chaque agent
agit en tant qu'il est bon. Donc il est impossible de placer un principe actif
des chose, sinon bon. Et puisque tout agent fait du semblable à soi, rien n'est
fait que selon qu'il est en acte et de ce fait, selon qu'il est bon. Donc des
deux côtés, cette opinion d'après laquelle on pense que le mal est un principe
de création des maux est impossible. Et les paroles de Denys (Les noms divins, ch. 4) sont en accord
avec cette raison, lui qui dit que le mal n'agit que par le pouvoir du bien et
que le mal est au-delà de l'intention et de la génération.
Tertia ratio est, quia, si diversa entia essent omnino a contrariis
principiis in unum principium non reductis, non possent in unum ordinem
concurrere nisi per accidens. Ex multis enim non fit coordinatio nisi per
aliquem ordinantem, nisi forte multa casualiter in idem concurrant. Videmus
autem corruptibilia et incorruptibilia, spiritualia et corporalia, perfecta et
imperfecta in unum ordinem concurrere. Nam spiritualia movent corporalia, quod
ad minus in homine apparet. Corruptibilia etiam per corpora incorruptibilia
disponuntur, sicut patet in alterationibus elementorum a corporibus
caelestibus. Nec potest dici, quod haec casualiter eveniant, nam non
contingeret ita semper vel in maiori parte, sed solum in paucioribus. Oportet
ergo omnia ista diversa in aliquod unum primum principium reducere a quo in
unum ordinantur: unde philosophus concludit quod unus est principatus.
Troisième raison: si des êtres étaient tout à fait différents des
principes contraires non ramenées à l'unité, ils ne pourraient concourir à un
ordre unique que par accident. Car il n'y a coordination de plusieurs choses
que par quelque chose qui ordonne, à moins que par hasard elles ne s'accordent
dans le même par une cause. Mais nous voyons que les êtres corruptibles et
incorruptibles, spirituels et corporels, parfaits et imparfaits concourent à un
seul ordre. Car les êtres spirituels meuvent les êtres corporels, ce qui
apparaît au moins dans l'homme. Ce qui est corruptible aussi est disposé par
les corps incorruptibles, comme cela apparaît dans les altérations des éléments
par les corps célestes. Et on ne peut pas dire que cela arrive causalement, car
cela n'arriverait pas toujours ainsi ou la plupart du temps, mais seulement
dans des cas moins nombreux. Il faut donc ramener toutes ces choses différentes
à un premier principe par lequel elles sont ordonnées à l'unité: c'est pourquoi
le Philosophe (Métaphysique XII, 4,
1070 a 31 et XII, 6 premier moteur) conclut qu'il n'y a qu'une seule
origine[14].
Solutions:
q. 3 a. 6 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod malum, sicut supra ostensum est, cum non sit ens,
sed defectus entis, non potest esse per se loquendo, factum; et pro tanto dicit
Dionysius, quod bonum non est causa mali; non autem ad hoc quod malum in causam
primam reducatur.
# 1. Puisque le mal, comme on l'a montré, n'est pas un être mais une
défaillance de l'être, il ne peut pas être à proprement parler fait par soi, et
pour autant Denys dit que le bien n'est pas cause du mal, mais ce n'est pas
pour cela qu'il est ramené à une cause première.
q. 3 a. 6 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod obiectio illa procedit de effectu qui potest per se
causam habere. Tale autem non est malum: unde nec proprie effectus dici potest.
# 2. Cette objection procède de l'effet qui peut avoir une cause par
soi. Mais tel n'est pas le mal, c'est pourquoi on ne peut pas à proprement
parler d'effet.
q. 3 a. 6 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod, malum est incidens effectibus; sed non est factum, per
se loquendo; quod ex hoc patet quod non est intentum. Nec tamen sequitur quod
sit primum principium, nisi cum hoc adderetur quod malum esset natura quaedam.
Sicut enim malum per hoc quod non est ens, sed entis privatio, caret propria
ratione effectus; ita et multo amplius caret ratione causae, ut probatum est.
# 3. Le mal arrive dans les effets, mais il n'est pas fait à proprement
parler, ce qui apparaît du fait qu'il n'est pas recherché. Et cependant il n'en
découle pas qu'il soit premier principe, sauf si on ajoutait que le mal serait
une certaine nature. Car de même que le mal, du fait qu'il n'est pas un être
mais une privation d'être, est privé de la nature propre de l'effet, de même il
est beaucoup plus privé de celle d'une cause, comme on l'a prouvé.
q. 3 a. 6 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod, secundum Augustinum, Deus est adeo bonus quod numquam
aliquod malum esse permitteret, nisi esset adeo potens quod de quolibet malo
posset elicere bonum. Unde nec propter impotentiam nec propter ignorantiam Dei
est quod mala in mundo proveniunt; sed est ex ordine sapientiae suae et
magnitudine bonitatis, ex qua provenit quod multiplicantur diversi gradus
bonitatis in rebus; quorum multi deficerent, si nullum malum esse permitteret;
non enim esset bonum patientiae, nisi accidente malo persecutionis; nec esset
bonum conservationis vitae in leone, nisi esset malum corruptionis in
animalibus ex quibus vivit.
# 4. Selon Augustin (Enchiridion,
ch. 1) Dieu est si bon qu'il ne permettrait jamais qu'il y ait un mal, s'il
n'était pas assez puissant pour pouvoir en tirer un bien. C'est pourquoi ce
n'est pas à cause de l'impuissance ni de l'ignorance de Dieu que le mal se
trouve dans le monde, mais de l'ordre de sa sagesse et de la grandeur de sa
bonté, que les différents degrés de bonté sont multipliés dans les êtres, dont
beaucoup manqueraient s'il ne permettait aucun mal, car il n'y aurait pas le
bien de la patience sans le mal de la persécution, ni celui de la conservation
de la vie dans le lion sans le mal de la corruption dans les animaux dont il
vit.
q. 3 a. 6 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod malum nunquam invenitur nisi in paucioribus, si
referuntur effectus ad causas proprias: quod quidem in naturalibus patet. Nam
peccatum vel malum non accidit in actione naturae, nisi propter impedimentum
superveniens illi causae agenti; quod quidem non est nisi in paucioribus, ut
sunt monstra in natura, et alia huiusmodi. In voluntariis autem magis videtur
malum esse ut in pluribus quantum ad factibilia, in quantum ars non deficit
nisi ut in paucioribus, imitatur enim naturam. In agibilibus autem, circa quae
sunt virtus et vitium, est duplex appetitus movens, scilicet rationalis et
sensualis; et id quod est bonum secundum unum appetitum, est malum secundum
alterum, sicut prosequi delectabilia est bonum secundum appetitum sensibilem,
qui sensualitas dicitur, quamvis sit malum secundum appetitum rationis. Et quia
plures sequuntur sensus quam rationem, ideo plures inveniuntur mali in hominibus
quam boni. Sed tamen sequens appetitum rationis in pluribus bene se habet, et
non nisi in paucioribus male.
# 5. On ne trouve jamais le mal que dans le plus petit nombre, si les
effets sont rapportés à leurs causes propres, ce qui apparaît chez les Naturalistes.
Car le péché ou le mal n'arrive dans l'action de la nature qu'à cause de
l'empêchement qui survient à cette cause efficiente, ce qui n'arrive que dans
le plus petit nombre, comme les monstres dans la nature, etc.. Mais dans les
actes volontaires, le mal semble être comme dans le plus grand nombre pour ce
qui peut être fait; en tant qu'art, il ne défaille que comme dans le plus petit
nombre, car il imite la nature. Dans les actes qui concernent la vertu et le
vice, il y a un double appétit qui meut, à savoir l'appétit rationnel et
l'appétit sensuel; et ce qui est bon selon l'un est mal selon l'autre, ainsi
poursuivre ce qui est délectable est bien selon l'appétit sensible, appelé
sensualité, quoique ce soit un mal selon l'appétit de la raison. Et parce que
ceux qui suivent les sens sont plus nombreux que ceux qui suivent la raison, on
trouve parmi les hommes plus de mauvais que de bons. Mais cependant celui qui
suit l'appétit de la raison se comporte bien en des cas plus nombreux et mal en
des cas moins nombreux[15].
q. 3 a. 6 ad 6 Ad sextum dicendum, quod duplex
est causa per accidens.
# 6. La cause par accident est double.
Una quae aliquid operatur ad effectum; sed dicitur causa eius per
accidens, quia praeter intentionem ille effectus a tali causa sequitur; sicut
patet in eo qui fodiendo sepulcrum, invenit thesaurum.
a) L'une qui agit sur l'effet, mais on l'appelle cause par accident
parce que cet effet dépend d'une telle cause au-delà de l'intention, comme on
le voit pour celui qui en creusant un sépulcre trouve un trésor.
Alia causa per accidens est quae nihil operatur ad effectum; sed ex eo
quod accidit causae agenti, causa per accidens nominatur; sicut album dicitur
esse causa domus per accidens, eo quod accidit aedificatori.
b) L'autre cause par accident est celle qui n'opère rien pour l'effet,
mais du fait que cela arrive à la cause efficiente, elle est appelée cause par
accident; ainsi on dit que le blanc est cause de la maison par accident parce
que cela arrive au bâtisseur.
Similiter duplex est effectus per accidens
De même l'effet par accident est double.
Unus ad quem potest terminari actio causae, licet praeter eius
intentionem accidat, sicut inventio thesauri; et talis effectus licet sit
huiusmodi causae per accidens, potest esse alterius causae effectus per se. Hoc
autem modo malum non habet causam per accidens; quia, sicut iam dictum est, non
potest esse terminus alicuius actionis.
a) L'un auquel peut se terminer l'action de la cause, bien qu'il arrive
au-delà de l'intention, comme la découverte d'un trésor, et un tel effet, bien
qu'il dépende d'une telle cause par accident peut être l'effet par soi d'une
autre cause. Mais de cette manière le mal n'a pas de cause par accident parce
que, comme on l'a déjà dit, il ne peut pas être le terme d'une action.
Alius effectus per accidens est ad quem non terminatur actio alicuius
agentis; sed ex eo quod accidit effectui, effectus per accidens nominatur;
sicut album accidens domui, potest dici effectus per accidens aedificatoris; et
sic nihil prohibet malum habere causam per accidens.
b) L'autre effet par accident est celui auquel ne se termine pas
l'action de l'agent, mais du fait qu'il est accidentel pour l'effet, on
l'appelle effet par accident; comme le blanc, accident pour la maison peut être
appelé effet par accident du bâtisseur et ainsi rien n'interdit que le mal ait
une cause par accident.
q. 3 a. 6 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod malum licet non sit natura aliqua, non est tamen
negatio pura, sed est privatio; quae secundum philosophum est negatio alicui
subiecto inhaerens: nam privatio est negatio in substantia; unde ex hoc ipso
quod accidit alicui, potest ei causa per accidens assignari modo praedicto.
# 7. Bien que le mal ne soit pas une substance naturelle, il n'est
cependant pas négation pure, mais privation, qui, selon le philosophe, est une
négation inhérente à un sujet: car (selon lui, IV Métaphysique, 22) la privation est négation dans la substance;
c'est pourquoi du fait que cela arrive à une chose, la cause par accident peut
lui être assignée de la manière dont on a parlé.
q. 3 a. 6 ad 8 Ad
octavum dicendum, quod malum per prius inest Diabolo quam aliis, tempore, non
natura, quasi malitia sit eius essentia vel accidens ex principiis propriae
naturae derivatum. Nec obstat, si ipse est aliis peior, cum hoc non sit propter
connaturalitatem malitiae ad ipsum, sed per accidens, quia amplius peccavit.
Illa autem principia aliorum sunt de quibus aliquid maxime dicitur per se, et
non secundum accidens.
# 8. Le mal est présent dans le diable plus tôt que dans les autres,
chronologiquement, non par nature, comme si la malice était son essence ou un
accident dérivé des principes de sa propre nature. Et ce n'est pas un
empêchement si lui-même est pire que les autres, puisque cela ne vient pas de
la connaturalité de sa malice à lui-même, mais par accident, parce qu'il a
péché davantage. Mais ces principes, pour les autres, sont ceux pour lesquels
on dit que quelque chose est absolument par soi et non par accident.
q. 3 a. 6 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod ex perfectione boni est quod solum uno modo contingat; nam
non potest esse aliquid perfectum, nisi omnibus concurrentibus ex quibus eius
perfectio quasi integratur. Quodcumque autem eorum deficiat, est imperfectum,
et per consequens malum; unde ex imperfectione mali est quod malum
multipliciter contingit; et ideo malum habet minus de ratione entis quam bonum.
# 9. Il est de la perfection du bien d'arriver seulement d'une seule
manière, car il ne peut y avoir quelque chose de parfait que pour tout ce qui
arrive dont la perfection est comme intégrée. Tout ce qui en eux est défaillant
est imparfait et par conséquent un mal, c'est pourquoi c'est le propre de
l'imperfection du mal qu'il arrive de multiples façons, et c'est pourquoi il a
moins de raison d'être que le bien.
q. 3 a. 6 ad 10 Ad
decimum dicendum, quod verbum philosophi est accipiendum secundum opinionem
Pythagorae, qui posuit bonum et malum esse genera, ut prius dictum est. Habet
tamen eius opinio aliquid veritatis. Nam cum bonum positive dicatur malum vero
privative, ut dictum est; sicut omnis forma habet rationem boni, ita omnis
privatio habet rationem mali; et sic bonum et malum quodammodo convertuntur cum
ente et cum privatione entis. In quibuslibet autem contrariis, ut probatur in X
Metaph., includitur privatio et habitus; et ideo semper alterum contrariorum
quod est perfectius reducitur ad bonum; et alterum quod est imperfectius
reducitur ad malum. Unde philosophus dicit, quod altera pars contrarietatis ad
maleficium pertinet, et pro tanto bonum et malum possunt dici contrariorum
genera.
# 10. La parole du philosophe est à prendre selon l'opinion de
Pythagore, qui a pensé que le bien et le mal étaient des genres, comme on l'a
dit plus haut. Son opinion comporte cependant une part de vérité. Car comme on
parle du bien de manière positive, du mal de manière privative, comme on l'a
dit, de même que toute forme est un bien par nature, de même toute privation
est un mal par nature et ainsi le bien et le mal d'une certaine manière sont
convertibles à l'étant et à sa privation. Dans n'importe quels contraires,
comme on le prouve en Métaphysique
(X, 9), la privation et la possession sont incluses et c'est pourquoi toujours
l'un des contraires, qui est plus parfait, est ramené au bien, et l'autre, plus
imparfait, est ramené au mal. C'est pour cela que le philosophe dit (I Phys. 9,
191 b 13[16]) que l'autre partie du contraire appartient au mal, et pour autant
on peut dire que le bien et le mal sont des genres de contraires.
q. 3 a. 6 ad 11 Ad
undecimum dicendum, quod malum, quod est contrarium bono, non dicit privationem
solam, sed habitum quemdam cum privatione; qui quidem habitus non habet
rationem mali in quantum habet de ente, sed in quantum habet adiunctam
privationem perfectionis debitae.
# 11. Le mal qui est le contraire du bien, ne désigne pas la seule
privation, mais une possession avec la privation, cette possession n'a pas
valeur de mal dans la mesure où elle possède de l'étant, mais dans la mesure où
on lui ajoute la privation d'une perfection qui lui est due.
q. 3 a. 6 ad 12 Ad
duodecimum dicendum, quod malum, in quantum est privatio sola, non ponitur
differentia constitutiva habitus vitiosi, sed secundum quod adiungitur
intentioni finis indebite, in qua non invenitur ratio mali ex fine intento,
nisi in quantum cum hoc fine non potest stare debitus finis: sicut cum fine
delectationis carnalis non potest stare bonum rationis. Ideo autem in habitibus
animae specialiter bonum et malum poni dicuntur, quia morales actus, et per consequens
habitus, specificantur ex fine, qui est quasi forma voluntatis, quae est
principium proprium malorum actuum. Bonum vero et malum dicuntur per
comparationem ad finem.
# 12. Le mal, en tant que privation seule, n'est pas pensé comme une
différence constitutive d'une possession vicieuse, mais selon que la fin est
ajoutée indûment à l'intention; en celle-ci on ne trouve pas la nature du mal à
partir de la fin visée, sinon dans la mesure où la fin normalement due ne peut
pas demeurer avec cette fin; ainsi, le bien de la raison ne peut pas demeurer
avec la fin de la délectation charnelle. C'est pourquoi dans les manières
d'être de l'âme, on dit qu'on place spécialement le bien et le mal, parce que
les actes moraux, et par conséquent les manières d'être (habitus) sont
spécifiés à partir de la fin, qui est comme une forme de la volonté, qui est le
principe propre des mauvaises actions. Mais le bien et le mal sont définis par
comparaison à la fin.
q. 3 a. 6 ad 13 Ad
decimumtertium dicendum, quod non intelligitur contra malum esse bonum sicut
unum principium primum contra aliud principium primum, sed sicut duo
provenientia ex uno primo principio; quorum unum per se provenit, et aliud per
accidens; quod patet ex eo quod subditur: et sic intuere in omnia opera altissimi,
et cetera.
# 13. On ne comprend pas que le bien est contre le mal, comme un
principe premier est contre un autre principe premier, mais comme deux
(principes) issus d'une seul premier principe, dont l'un arrive par soi et
l'autre par accident, ce qui apparaît dans la suite du texte: "Et ainsi
contemple toutes les oeuvres du Très Haut..." (Si. 33, 15).
q. 3 a. 6 ad 14 Ad
decimumquartum dicendum, quod malum non intenditur per accessum ad aliquem
terminum, sed per recessum ab aliquo termino: sicut enim dicitur aliquid bonum
per participationem boni, ita dicitur malum per recessum a bono.
# 14. Le mal n'est pas recherché pour parvenir à un terme mais en
l'abandonnant; car, de même qu'on dit qu'un bien l'est par participation, de
même le mal l'est par l'abandon du bien.
q. 3 a. 6 ad 15 Ad
decimumquintum dicendum, quod dominus per arborem bonam intelligit causam boni,
non quidem primam, sed proximam ad aliquem singularem effectum; et simile est
de arbore mala; unde per arborem malam haereticos vult intelligi, qui ex suis
operibus cognoscuntur, quasi arbor ex fructibus: et hoc etiam patet per
similitudinem attendenti; nam fructus non est arbor causa prima, sed radix. Si
tamen per arborem universaliter omnem causam intelligamus, sicut Dionysius
videtur accipere: tunc respondendum est, quod bonum non est per se causa mali,
sicut ad primum dictum est.
# 15. Le Seigneur comprend par le bon arbre la cause du bien, non pas
cependant la première, mais la plus proche pour un effet particulier, et il en
est de même pour l'arbre mauvais; c'est pourquoi par cet arbre, il veut qu'on
comprenne les hérétiques, qui sont connus par leurs oeuvres, comme l'arbre par
ses fruits; et cela même apparaît par l'image à celui qui y prête attention,
car l'arbre n'est pas la cause première du fruit, mais c'est sa racine qui
l'est. Si cependant par l'arbre nous comprenons universellement toute cause,
comme Denys semble le concevoir, alors il faut répondre que le bien n'est pas
en soi cause du mal, comme on l'a dit (à la 1re solution).
q. 3 a. 6 ad 16 Ad
decimumsextum dicendum, quod tenebrae, de quibus in principio creationis
dicitur, non fuerunt aliqua creatura, sed sola carentia lucis in aere; non
tamen malum, quia illa sola carentia boni et mali rationem inducit quae est
eius quod potest et debet inesse. Non enim est malum in lapide, qui non habet
sensum; vel in puero statim nato, qui non ambulat. Nec tamen ex imperfectione agentis provenit quod aerem sine luce creavit,
sed ab eius sapientia: cuius ordo requirit quod aliquid ex imperfecto ad
perfectum ducatur.
# 16. Les ténèbres, dont on parle au commencement de la création, ne
furent pas une créature, mais seulement le manque de lumière dans l'air,
cependant ce n'était pas un mal, parce que ce seul manque induit la nature du
bien et du mal, qui est de ce qui peut et doit y être. Car le mal n'est pas
dans la pierre qui n'a pas de sensation, ni dans l'enfant sitôt né, qui ne
marche pas. Et cependant cela ne provient pas de l'imperfection de l'agent que
l'air soit créé sans lumière, mais de sa sagesse, dont l'ordre demande que
quelque chose soit mené de l'imperfection à la perfection.
q. 3 a. 6 ad 17 Ad
decimumseptimum dicendum, quod obiectio illa procedit, ac si malum haberet
causam per se, quod supra ostensum est falsum esse.
# 17. Cette objection se présente comme si le mal avait une cause en
soi, on a montré plus haut que c'était faux.
q. 3 a. 6 ad 18 Et
similiter dicendum ad decimumoctavum.
# 18. Il faut dire de même .
q. 3 a. 6 ad 19 Ad
decimumnonum dicendum, quod aliter se habet natura ad generationem et
corruptionem. Forma enim quae est terminus generationis, est per se intenta tam
a natura universali quam a natura particulari: privatio vero est praeter
intentionem naturae particularis; est autem secundum intentionem naturae universalis,
non quidem ut per se intenta, sed quia sine privatione alicuius formae non
potest alia forma introduci; et sic generatio est naturalis omnibus modis. Corruptio vero dicitur quandoque contra naturam, habito respectu ad
naturam particularem.
# 19. La nature se comporte différemment pour la génération et la
corruption. Car la forme qui est le terme de la génération est atteinte par soi
tant par la nature universelle que par la nature particulière: la privation est
au-delà de l'intention de la nature particulière, mais elles est selon
l'intention de la nature universelle, non comme atteinte par soi, mais parce
que, sans la privation de la forme, une autre forme ne peut pas être introduite;
et ainsi la génération est naturelle de toutes les manières. Mais on dit que la
corruption est quelquefois contre la nature, en rapport à une nature
particulière.
q. 3 a. 6 ad 20 Ad
vicesimum dicendum, quod in actu peccati quidquid est entitatis vel actionis
reducitur in Deum sicut in primam causam; quod vero est ibi deformitatis
reducitur sicut in causam in liberum arbitrium; sicut quod est de gressu in
claudicatione reducitur in virtutem motivam sicut in primam causam; quidquid
autem est ibi obliquitatis provenit ex curvitate cruris.
# 20. Dans le péché, quelque chose de l'entité ou de l'action est
ramené à Dieu, comme à sa cause première, mais ce qu'il y a là de difformité
est ramené comme à sa cause au libre arbitre, ainsi ce qui concerne la marche
est ramené à la claudication dans le pouvoir de mouvement comme à sa première
cause, mais la déformation de la marche provient de la courbure de la jambe.
q. 3 a. 6 ad 21 Ad
vicesimumprimum dicendum, quod ratio illa procedit de duobus agentibus omnino
disparatis, non autem quando unum agens in alio operatur: sic enim potest unus
eorum esse effectus. Deus autem in omni natura et voluntate operatur; unde
ratio non sequitur.
# 21. Cette raison procède des deux agents tout à fait différents, mais
non quand un agent opère dans un autre, car ainsi l'un d'eux peut être l'effet.
Mais Dieu opère en toute nature et volonté; c'est pourquoi la raison ne vaut
pas[17].
q. 3 a. 6 ad 22 Ad
vicesimumsecundum dicendum, quod ratio illa procedit de agente per necessitatem
naturae, quod si unum sit, unum effectum producit. Nec tamen oportet effectum
esse simplicem sicut causam: quia nec in universalitate nec in simplicitate
oportet effectum causae aequari. Deus vero non agit per necessitatem naturae,
sed per voluntatem: unde potest simplicia et composita mutabilia et immutabilia
facere.
# 22. Cette raison procède de l'agent qui agit par nécessité de nature,
parce que, s'il est seul, il produit un seul effet. Et cependant il ne faut pas
que l'effet soit simple comme la cause, parce que, ni dans l'universel, ni dans
la substance simple, il ne faut que l'effet égale la cause. Mais Dieu n'agit
pas par nécessité de nature, mais par volonté; c'est pourquoi il peut faire des
choses simples et composées, muables et immuables[18].
q. 3 a. 6 ad 23 Ad
vicesimumtertium dicendum, quod macula in anima non ponit naturam aliquam, sed
solam gratiae privationem, tamen cum respectu ad actum peccati praecedentem,
qui huius privationis causa fuit vel esse potuit: et sic non oportet quod
habeat maculam alicuius peccati, qui actum peccati illius non commisit.
# 23. La souillure dans l'âme n'établit pas une nature, mais la seule
privation de la grâce, cependant en rapport avec l'acte du péché qui l'a
précédé, qui a été cause de cette privation ou a pu l'être, et ainsi il ne faut
pas que celui qui n'a pas commis le péché en ait la souillure.
q. 3 a. 6 ad 24 Ad vicesimumquartum dicendum,
quod opera Dei perseverant in aeternum, non secundum numerum, sed secundum
speciem vel genus, et secundum substantiam, non secundum modum essendi:
praeterit enim figura huius mundi, ut dicitur I Cor. VII, 31.
# 24. Les oeuvres de Dieu demeurent éternellement, non pas selon le
nombre[19], mais selon l'espèce ou le genre, et selon la substance, non selon
la manière d'être. "Car elle passe la figure de ce monde", comme il
est dit (1 Co 7, 31).
q. 3 a. 6 ad 25 Ad
vicesimumquintum dicendum, quod Deus licet sit spiritus, habet tamen in sua
sapientia rationes corporum, quibus corpora assimilantur per modum quo
artificiata artifici similantur quantum ad suam artem; nihilominus tamen
corpora Deo similantur quantum ad eius naturam, in quantum sunt et bona sunt et
unitatem aliquam habent.
# 25. Bien que Dieu soit un esprit, il a cependant dans sa sagesse les
idées des corps auxquelles les corps ressemblent à la manière dont les oeuvres
d'art ressemblent à l'artisan pour ce qui est de son art; cependant les corps
ressemblent également à Dieu quant à sa nature dans la mesure où ils sont, où
ils sont bons et ont une unité.
q. 3 a. 6 ad 26 Ad
vicesimumsextum dicendum, quod natura non facit semper quod melius est habito
respectu ad partem, sed habito respectu ad totum; alias totum corpus hominis
faceret oculum vel cor; hoc enim unicuique partium melius esset, sed non toti.
Similiter licet melius esset alicui rei quod in altiori ordine poneretur, non
tamen esset melius universo, quod imperfectum remaneret, si omnes creaturae
unius ordinis essent.
# 26. La nature ne fait pas toujours ce qui est meilleur par rapport à
la partie, mais par rapport au tout; autrement tout le corps de l'homme ferait
l'oeil ou le coeur, car cela serait meilleur pour chacune des parties, mais pas
pour le tout. De la même manière, même si c'était meilleur pour un être d'être
placé dans un ordre plus élevé, cependant ce ne serait pas meilleur pour
l'univers, qui demeurerait imparfait, si toutes les créatures étaient sous un
seul ordre.
--------------------------------------------------------------------------------
[1]
Parall.: Ia, qu. 44, a. 2 – qu. 65, a. 1 – qu. 49, a. 3 – CG. II, 41, III, 15 –
II Sent. d1q1a1, ad 1 – d34a1, ad 4.
[2]
n° 188: "La mal ne vient pas du bien". Cf. IV, 22, 732 c:"...le
mal est au-delà de la voie, de l'intention, de la nature et de la cause."
n° 244.
[3]
Tout est créé sauf le principe de création, c'est-à-dire Dieu.
[4]
"D'abord on reconnaîtra que l'expérience montre des faits qui se
produisent toujours de même, et des faits qui se produisent fréquemment, mais
puisqu'il y a des faits qui se produisent par exception à ceux-là et que tout
le monde les appelle effets de la fortune, il est évident que la fortune et le
hasard existent en quelque manière." (Trad. H. Carteron,) Cf. Topiques,
II, 6, 112 b 1: Si par exemple les hommes sont la plupart du temps méchants...
(Trad. J. Tricot).Cf. Ia, qu. 49, a. 3, ad 5: Dire que le mal est ut in
pluribus (les cas les plus fréquents) est absolument faux; car ce qui
s'engendre ou se corrompt en qui seulement arrive le mal de la nature, est une
toute petite part de tout l'univers. Et en plus en chaque espèce les défauts de
la nature arrivent dans les cas les moins nombreux. Dans les hommes seulement,
le mal semble être dans les cas les plus fréquents. Pour Avicenne le mal
prédomine IX, 6, 422 9 p. 155.
[5]
"Si par exemple, les hommes sont la plupart du temps méchants, c'est
qu'ils sont moins fréquemment bons..."
[6]
Le texte est en Pot. qu. 3, a. 5, c...
[7]
"...Le bien vient d'une seule cause totale mais le mal de défaillances
nombreuses et particulières." § 3à 237 IV, 22. Commentaire Thomas: cela
apparaît autant dans ce qui est naturel que dans ce qui est moral.
[8]
"La nature est la différence spécifique qui donne sa forme à la nature des
choses." Trad. H. Merle. C'est la quatrième définition de
"nature". Aristote Physique,
II, 1, 193 a 30 ...nature "en un autre sens c'est le type et la forme, la
forme définissable." Trad. Carteron.
[9]
Ben Sirac. Vulg.: et contra mortem vita.
[10]
Ce texte est présenté comme une objection en Ia, qu. 49, a. 2, obj. 1. Dans la
solution, il est précisé que cela concerne le mal de la peine et non le mal de
la faute.
[11]
Texte 188, § 2.
[12]
Thomas VIII, lectio 9, n° 1040 ss..
[13]
Le chaud et le froid (ou feu et terre) pour Parménide, le plein et le vide pour
Démocrite
[14]
Les principe contraire sont ramenés à l'unité pour concourir à un ordre unique.
Il fait intervenir la notion de cas nombreux ou rares. Ia, qu. 49 a. 3 ad 5.
Mais comme les contraires se rejoignent, il faut reconnaître,, au-dessus des
causes particulières une cause unique commune" (premier principe d'être, Ia,
2, 3).
[15]
Aristote en Physique II, 5, 196 b 10 oppose
les faits d'expérience qui se produisent toujours de la même façon ou
fréquemment: "Il est évident que la fortune n'est appelée la cause des uns
ni des autres.... les effets de la fortune (tukê) ne sont ni parmi les faits
nécessaires et constants, ni parmi les faits qui se produisent la plupart du
temps". Thomas en dit (n° 2089) "Il est clair que la fortune est
quelque chose; puisque venir par fortune et être dans le petit nombre sont
convertibles." Donc il s'agit pour lui, non pas du mal, mais de la
fortune, du hasard.
Cela
sert à démontrer l'existence de la fortune ou du hasard 196 b 17. Aristote en
vient à la causalité accidentelle "Quand de tels faits se produisent par
accident nous disons qu'ils sont des effets de la fortune" (23 § 4).
[16]
Thomas n° 133.
[17]
"Le manque de forme est une privation. Mais il faut considérer que la
privation appartient parfois à la raison de l'espèce; parfois non, car elle
s'ajoute à une réalité qui a déjà son espèce propre. c ...sol. 2:". La
difformité dans l'action atteint celle-ci dans ce qu'elle a de spécifique en
tant qu'acte moral, nous l'avons dit à propos des actes humains. Une action est
difforme en effet par la privation d'une forme qui lui est intrinsèque, n'étant
autre que la juste mesure dans toutes les circonstances de l'acte. C'est
pourquoi on ne peut jamais dire que Dieu soit cause d'un acte difforme, parce
que Dieu n'est pas cause d'un pareil manque de forme, encore qu'il soit cause
de l'acte en tant qu'acte. - Ou encore, il faut remarquer que le manque de
forme peut impliquer non seulement la privation de la forme que l'acte devrait
avoir, mais aussi la disposition contraire. De ce point de vue la difformité
est à l'acte ce que la fausseté est à la foi. C'est pourquoi, de même que Dieu
n'est pas l'auteur d'un acte déformé il ne l'est pas non plus d'une foi
faussée. Et, de même que Dieu est l'auteur d'une foi qui n'est qu'informe, il
l'est aussi des actes qui sont bons dans leur genre quoique pas informés par la
charité, comme il arrive la plupart du temps chez les pécheurs." (IIa/IIæ,
qu. 6, a. 2) (Éd. du Cerf).
[18]
Réponse à Avicenne.
[19]
C'est-à-dire chacune en particulier.
q. 3 a. 7 tit. 1
Septimo quaeritur utrum Deus operetur in operatione naturae. Et videtur quod
non.
Il semble que non[1].
Objections:
q. 3 a. 7 arg. 1 Natura enim neque deficit in
necessariis neque abundat in superfluis. Sed ad
actionem naturalem sufficit virtus activa ex parte agentis, et passiva ex parte
recipientis. Ergo non requiritur virtus divina in rebus operans.
1. En effet, la nature[2] ne manque pas du nécessaire et n'a pas de
superflu. Mais la puissance active de l'agent et la puissance passive du
patient suffisent à l'action de la nature. Donc la puissance divine qui opère
dans les créatures n'est pas nécessaire.
q. 3 a. 7 arg. 2 Sed
dices, quod virtus activa naturae dependet in sua operatione ab operatione
divina.- Sed contra, sicut operatio naturae creatae dependet ab operatione
divina, ita operatio corporis elementaris dependet ab operatione corporis
caelestis: nam corpus caeleste comparatur ad corpus elementare sicut causa
prima ad secundam. Non autem dicitur, quod corpus caeleste operetur in quolibet
corpore elementari agente. Ergo non est dicendum, quod Deus operetur in
qualibet operatione naturae.
2. Mais on pourrait dire que la puissance active de la nature dépend
dans son opération de celle de Dieu. – En sens contraire: de même que
l'opération de la nature créée dépend de celle de Dieu, l'opération du corps
élémentaire[3] dépend de celle d'un corps céleste, car celui-ci est comparé au
le corps élémentaire comme la cause première à la cause seconde. Mais on ne dit
pas que le corps céleste opère en n'importe quel corps élémentaire agent. Donc
il ne faut pas dire que Dieu opère dans n'importe quelle opération de la
nature.
q. 3 a. 7 arg. 3
Praeterea, si Deus operatur in qualibet operatione naturae, aut una et eadem
operatione operatur Deus et natura, aut diversis. Sed non una et eadem: unitas
enim operationis attestatur unitati naturae; unde quia in Christo sunt duae
naturae, sunt etiam ibi duae operationes: creaturae autem et Dei constat non
esse unam naturam. Similiter nec est possibile quod sint operationes diversae:
nam diversae operationes non videntur ad idem factum terminari; cum motus et
operationes penes terminos distinguantur. Ergo nullo
modo est possibile quod Deus in natura operetur.
3. Si Dieu opère dans n'importe quelle opération de nature, ou bien
Dieu et la nature agissent par une seule et même opération ou bien par des
opérations différentes. Mais ce n'est pas une unique et même opération, car
l'unité d'opération atteste l'unité de nature: c'est pourquoi, du fait qu'il y
a deux natures dans le Christ, il y a aussi en lui deux opérations. Mais il est
clair qu'il n'y a pas une nature unique pour la créature et pour Dieu. De même,
il n'est pas possible que les opérations soient différentes, car les opérations
différentes ne paraissent pas se terminer à un même résultat, puisque le
mouvement et les opérations sont distingués selon leurs termes. Donc il n'est
nullement possible que Dieu opère dans la nature.
q. 3 a. 7 arg. 4 Sed
dices, quod duae operationes possunt terminari ad idem, quae se habent secundum
prius et posterius.- Sed contra, ea quae immediate se habent ad aliquid unum,
non habent ad invicem ordinem. Sed tam Deus quam natura immediate operatur
effectum naturalem. Ergo operatio Dei et operatio naturae non se habent
secundum prius et posterius.
4. Mais on pourrait dire que deux opérations qui se produisent l'une
avant l'autre, peuvent aboutir à un même effet – En sens contraire les choses
qui se rapportent immédiatement à un objet unique n'ont pas d'ordre entre
elles. Mais autant Dieu que la nature produisent immédiatement un effet naturel.
Donc l'opération de Dieu et celle de la nature ne se comportent pas selon un
avant et un après.
q. 3 a. 7 arg. 5
Praeterea, quandocumque Deus aliquam naturam instituit, ex hoc ipso dat ei
omnia illa quae sunt de ratione illius naturae; sicut ex hoc ipso quod facit
hominem, dat ei animam rationalem. Sed de ratione virtutis est quod sit
principium agendi, cum virtus sit ultimum potentiae, quae est principium agendi
in alio secundum quod est aliud, ut dicitur in V Metaph. Ergo ex hoc ipso quod
virtutes naturales rebus indidit, dedit eis quod operationes naturales
perficerent. Non ergo oportet quod ulterius in rebus naturalibus operetur.
5. Toutes les fois que Dieu a établi une nature, par là même il lui
donne tout ce qui convient à sa nature; ainsi du fait qu'il crée un homme, il
lui donne une âme rationnelle. Mais il est de la définition du pouvoir[4]
d'être le principe d'action, puisque le pouvoir est le sommet de la puissance,
qui est le principe d'action dans un autre en tant qu'autre, comme on le dit en
Métaphysique (V, 12, 1019 a 15-16).
Donc du fait même qu'il a introduit des pouvoirs naturels dans les choses, il
leur a donné le pouvoir d'accomplir les opérations naturelles. Il ne faut donc
pas que par la suite il opère dans les choses naturelles.
q. 3 a. 7 arg. 6 Sed
dices, quod virtutes naturales non possent durare, sicut nec alia entia, nisi
virtute divina continerentur.- Sed contra, non est idem operari ad rem et
operari in re. Sed operatio Dei qua virtutem naturalem vel facit vel in esse
conservat, est operatio ad illam virtutem constituendam vel conservandam. Non
ergo propter hoc potest dici, quod Deus in virtute naturali operante operetur.
6. Mais on pourrait dire que les pouvoirs naturels ne pourraient durer,
de même que les autres étants, que s'il sont maintenus par le pouvoir divin. – En sens contraire: ce n'est pas la même chose
d'opérer pour une chose et d'opérer en elle. Mais l'opération de Dieu, par
laquelle il crée un pouvoir naturel ou il le conserve à l'être, est une
opération pour le constituer ou le conserver. Donc ce n'est pas à cause de cela
qu'on peut dire que Dieu opère dans un pouvoir naturel qui opère.
q. 3
a. 7 arg. 7 Praeterea, si Deus in natura operante operatur, oportet quod
operando aliquid rei naturali tribuat: nam agens, agendo, aliquid actu facit.
Aut ergo illud sufficit ad hoc quod natura possit per se operari, aut non. Si
sufficit, cum etiam virtutem naturalem Deus naturae tribuerit, eadem ratione
potest dici quod et virtus naturalis sufficiebat ad agendum: nec oportebit quod
Deus, postquam virtutem naturae contulit, ulterius ad eius operationem aliquid
operetur. Si autem non sufficit, oportet quod ibi aliquid
aliud iterum faciat; et si illud non sufficit, iterum aliud, et sic in
infinitum; quod est impossibile. Nam unus effectus non potest dependere ab
actionibus infinitis: quia cum infinita non sit pertransire, nunquam
compleretur. Ergo standum est in primo, dicendo quod virtus naturalis sufficit
ad actionem naturalem, sine hoc quod Deus in ea ulterius operetur.
7. Si Dieu opère dans une nature qui opère, il faut en le faisant,
qu'il lui accorde quelque chose, car l'agent, en agissant, met quelque chose en
acte. Donc ou cela suffit pour que la nature puisse opérer par elle-même ou
non. Si cela suffit, comme c'est Dieu qui aura attribué ce pouvoir naturel à la
nature, on peut dire pour la même raison qu'il était suffisant pour agir. Et il
ne faudra pas que Dieu, après lui avoir attribué ce pouvoir ajoute ensuite à
son opération. Mais si cela ne suffit pas, il faut qu'il y fasse à nouveau
quelque chose d'autre; et si cela ne suffit pas, à nouveau autre chose, et
ainsi à l'infini, ce qui est impossible. Car un seul effet ne peut pas dépendre
d'actions infinies, parce que, comme on ne peut traverser l'infini, jamais il
ne serait achevé. Donc il faut s'en tenir à la première solution en disant que
le pouvoir naturel suffit à l'action naturelle, sans que Dieu opère sur elle
ensuite.
q. 3
a. 7 arg. 8 Praeterea, posita causa ex necessitate naturae agente, sequitur
eius actio nisi per accidens impediatur, eo quod natura est determinata ad
unum. Si ergo calor ignis agit ex necessitate naturae: ergo posito calore,
sequitur calefactio, nec requiritur aliqua virtus superior agens in ipso.
8. Si on prend une cause qui agit par nécessité de nature, il en
découle que son action suit à moins d'être empêchée par accident, parce que la
nature est déterminée à un objet unique. Si donc la chaleur du feu agit par
nécessité de nature, si on pose la chaleur, il en découle l'échauffement, et il
n'y a pas besoin d'un pouvoir supérieur qui agisse en elle.
q. 3
a. 7 arg. 9 Praeterea, ea quae sunt omnino disparata, possunt ab invicem
separari. Sed actio Dei et actio naturae sunt omnino disparatae; cum Deus agat
per voluntatem, natura vero per necessitatem. Ergo actio Dei potest separari ab
actione naturae; et ita non oportet quod Deus in natura agente operetur.
9. Les choses tout à fait différentes peuvent être séparées l'une de
l'autre. Or l'action de Dieu et celle de la nature sont tout à fait différentes,
puisque Dieu agit par volonté, et la nature par nécessité. Donc l'action de
Dieu peut être séparée de celle de la nature et ainsi il ne faut pas que Dieu
opère dans la nature agent.
q. 3 a. 7 arg. 10
Praeterea, creatura in se considerata, Dei similitudinem habet, in quantum actu
est, et actu agit; et secundum hoc est divinae bonitatis particeps. Hoc autem
non esset, si virtus sua ad agendum non sufficeret. Sufficit ergo creatura ad agendum sine hoc quod Deus
in ea operetur.
10. La créature, considérée en soi, ressemble à Dieu, dans la mesure où
elle est en acte et agit par son acte; et en cela elle participe de la divine
bonté[5]. Mais cela n'existerait pas si son pouvoir ne suffisait pas pour agir.
Donc la créature se suffit pour agir, sans ce que Dieu opère en elle.
q. 3 a. 7 arg. 11
Praeterea, duo Angeli in uno loco esse non possunt, ut a quibusdam dicitur, ne
operationum confusio sequatur; quia Angelus ubi est, ibi operatur. Plus autem
distat Deus a natura quam unus Angelus ab alio. Ergo Deus non potest simul in
eodem cum natura operari.
11. Deux anges ne peuvent être dans un seul et même lieu, comme
certains l'ont dit, pour qu'il ne s'ensuive pas une confusion des opérations.
Parce que l'ange opère là où il est. Dieu est plus éloigné de la nature que
l'ange l'est d'un autre ange. Donc Dieu ne peut, en même temps que la nature,
opérer dans un même objet.
q. 3
a. 7 arg. 12 Praeterea, Eccli. XI, 14, dicitur, quod Deus fecit
hominem, et reliquit eum in manu consilii sui. Non autem reliquisset, si semper
in voluntate operaretur. Ergo non operatur in voluntate operante.
12. L'Ecclésiaste (Si) (11, 14) dit que "Dieu fit l'homme et le
laissa à son conseil". Il ne l'aurait pas laissé, s'il opérait toujours
dans sa volonté. Donc il n'opère pas dans la volonté en son opération.
q. 3 a. 7 arg. 13
Praeterea, voluntas est domina sui actus. Hoc autem non esset, si agere non
posset nisi Deo in ipsa operante; cum voluntas nostra non sit domina divinae
operationis. Ergo Deus non operatur in voluntate nostra operante.
13. La volonté est maîtresse de son acte. Mais cela ne serait pas, si
elle ne pouvait agir que si Dieu opérait en elle, puisque notre volonté n'est
pas maîtresse de l'opération divine. Donc Dieu n'opère pas dans notre volonté
en son opération.
q. 3 a. 7 arg. 14
Praeterea, liberum est quod causa sui est, ut dicitur in I Metaph. Quod ergo
non potest agere nisi causa in ipso agente non est liberum in agendo. Sed
voluntas nostra est libera in agendo. Ergo potest
agere, nulla alia causa in ipsa operante: et sic idem quod prius.
14. Est libre ce qui est cause de soi, comme il est dit (Métaphysique, I, 2, 982 b 25[6]). Donc
ce qui ne peut agir que par une cause qui agit en lui n'est pas libre en
agissant. Mais notre volonté est libre quand nous agissons. Donc elle peut
agir, sans autre cause qui opère en elle. Et ainsi de même que plus haut.
q. 3 a. 7 arg. 15
Praeterea, causa prima plus est influens in causatum quam causa secunda. Si
ergo Deus operetur in voluntate et natura, sicut causa prima in secunda; sequeretur
quod defectus qui accidunt in operatione voluntatis et naturae, magis Deo quam
naturae vel voluntati attribuerentur; quod est inconveniens.
15. La cause première[7] a plus d'influence dans l'effet que la cause
seconde. Si donc Dieu opérait dans la volonté et la nature, comme cause
première dans la cause seconde, il en découlerait que les défaillances qui
arrivent dans l'opération de la volonté et de la nature, seraient attribuées
plus à Dieu qu'à la nature ou à la volonté; ce qui ne convient pas.
q. 3
a. 7 arg. 16 Praeterea, posita causa sufficienter operante, superfluum est
alterius causae operationem ponere. Sed constat, si Deus operetur in natura et
voluntate, quod sufficienter operatur. Ergo superflueret omnis operatio naturae
et voluntatis. Cum ergo in natura nihil sit superfluum; nec natura nec voluntas
aliquid operaretur, sed solus Deus. Hoc autem est
inconveniens. Ergo et primum, scilicet quod Deus in natura et voluntate
operetur.
16. Si on pose une cause qui opère valablement, il est superflu de
poser l'opération d'une autre. Mais il est clair que, si Dieu opérait dans la
nature et la volonté, il le ferait valablement ("Car les oeuvres de Dieu
sont parfaites", Dt. 32, 4[8]). Donc toute opération de la nature et de la
volonté serait superflue Aussi comme dans la nature rien n'est superflu, ni la
nature, ni la volonté n'opérerait, mais Dieu seul. Cela ne convient pas. Donc
il faut s'en tenir à la première solution, à savoir que Dieu opèrerait dans la
nature et la volonté.
En sens contraire:
q. 3 a. 7 s. c. 1
Sed contra. Est quod dicitur Is. XXVI, vers. 12: omnia opera nostra operatus es in nobis, domine.
1. Isaïe dit. (26, 12): "Tu as accompli tous nos oeuvres en nous,
Seigneur [9]."
q. 3 a. 7 s. c. 2
Praeterea, sicut ars praesupponit naturam, ita natura praesupponit Deum. Sed in
operatione artis operatur natura; non enim sine operatione naturae, artis
operatio efficitur, sicut igne emollitur ferrum ut percussione fabri
extendatur. Ergo et Deus in operatione naturae operatur.
2. De même que l'art présuppose la nature, la nature présuppose Dieu.
Mais la nature opère dans l'opération de l'art, car sans elle, l'opération de
l'art ne se fait pas, de même que le feu ramollit le fer, de sorte qu'il
s'allonge sous les coups du forgeron. Donc Dieu aussi opère dans l'opération de
nature.
q. 3 a. 7 s. c. 3
Praeterea, secundum philosophum, homo generat hominem et sol. Sed sicut
operatio hominis in generatione dependet ab actione solis, ita et multo amplius
actio naturae dependet ab actione Dei. Ergo quidquid operatur natura etiam Deus
operatur.
3. Selon le philosophe (Physique,
II, 2, 194 b 13[10]), l'homme et le soleil engendrent l'homme. Mais de même que
l'opération de l'homme dans la génération dépend de l'action du soleil, ainsi
et beaucoup plus l'action de la nature dépend de l'action de Dieu. Donc ce que
fait la nature, Dieu le fait aussi.
q. 3 a. 7 s. c. 4
Praeterea, nihil potest operari nisi sit ens. Sed natura non potest esse nisi
Deo operante; in nihilum enim decideret nisi divinae potentiae actione
conservaretur in esse, ut patet per Augustinum super Genes. ad litteram. Ergo
natura non potest agere nisi Deo agente.
4. Rien ne peut opérer sinon l'étant. Mais la nature ne peut exister
que si Dieu opère, car elle retournerait au néant si la puissance divine par
son action ne la conservait pas dans l'être[11], comme on le lit chez Augustin
(La Genèse au sens littéral). Donc la
nature ne peut agir que si Dieu agit.
q. 3 a. 7 s. c. 5
Praeterea, virtus Dei est in qualibet re naturali, quia Deus in omnibus rebus
esse dicitur per essentiam et potentiam et praesentiam. Sed non est dicendum
quod virtus divina secundum quod est in rebus sit otiosa. Ergo secundum quod
est in natura operatur. Nec potest dici
quod aliud quam ipsa natura operetur, cum non appareat ibi nisi una operatio. Ergo in
qualibet naturae operatione Deus operatur.
5. Le pouvoir de Dieu est en chaque être naturel, parce qu'on dit qu'il
est en toutes choses par essence, puissance et présence[12]. Mais il ne faut
pas dire que le pouvoir divin, selon qu'il est dans les choses, est inutile.
Donc, selon qu'il est dans la nature, il opère. Et on ne peut pas dire qu'autre
chose que la nature elle-même opère, puisque ici n'apparaît qu'une seule
opération. Donc Dieu opère en chaque opération de la nature.
Réponse:
q. 3 a. 7 co.
Respondeo. Dicendum, quod simpliciter concedendum est Deum operari in natura et
voluntate operantibus. Sed quidam hoc non intelligentes, in errorem inciderunt:
attribuentes Deo hoc modo omnem naturae operationem quod res penitus naturalis
nihil ageret per virtutem propriam; et ad hoc quidem ponendum sunt diversis
rationibus moti.
Il faut absolument concéder que Dieu opère dans ce qui opère par nature
et volonté. Mais certains, qui ne l'ont pas compris, sont tombés dans l'erreur,
en attribuant à Dieu toute opération de la nature, de telle sorte que la chose
naturelle ne ferait strictement rien par son pouvoir propre, et pour l'établir,
ils y ont été poussés par diverses raisons .
Quidam enim loquentes in lege Maurorum, ut Rabbi Moyses
narrat, dixerunt, omnes huiusmodi naturales formas accidentia esse: et cum
accidens in aliud subiectum transire non possit, impossibile reputabant quod
res naturalis per formam suam aliquo modo induceret similem formam in alio
subiecto; unde dicebant quod ignis non calefacit, sed Deus creat calorem in re
calefacta.
A) Certains parlant selon la loi des Musulmans, comme Rabbi Moyses
(Maïmonide[13]) le raconte, ont dit que toutes les formes naturelles étaient
des accidents[14], et comme l'accident ne peut pas passer dans un autre sujet,
ils considéraient comme impossible que la chose naturelle, par sa forme,
introduise d'une certaine manière une forme semblable dans un autre substrat.
C'est pour cela qu'ils disaient que le feu ne chauffe pas, mais que Dieu crée
la chaleur dans l'objet chauffé[15].
Sed si obiiceretur contra eos, quod ex applicatione ignis ad
calefactibile, semper sequatur calefactio, nisi per accidens esset aliquid
impedimentum igni, quod ostendit ignem esse causam caloris per se; dicebant,
quod Deus ita statuit ut iste cursus servaretur in rebus, quod nunquam ipse
calorem causaret nisi apposito igne; non quod ignis appositus aliquid ad
calefactionem faceret.
Mais si on leur objectait que de l'application du feu à ce qu'on
chauffe, il en découle toujours un échauffement, sauf si, par accident, le feu
était empêché, ce qui montre qu'il est la cause de la chaleur en soi, ils
disaient que Dieu a décidé que ce concours serait conservé dans les choses, que
jamais lui-même ne causerait la chaleur sauf si le feu était placé tout près et
que ce n'était pas le feu placé à côté d'un objet qui provoquait
l'échauffement.
Haec autem positio est manifeste repugnans sensui: nam cum
sensus non sentiat nisi per hoc quod a sensibili patitur (quod etsi in visu sit
dubium, propter eos qui visum extra mittendo fieri dicunt, in tactu et in aliis
sensibus est manifestum), sequitur quod homo non sentiat calorem ignis si per
ignem agentem non sit similitudo caloris ignis in organo sentiendi. Si enim
illa species caloris in organo ab alio agente fieret, tactus etsi sentiret
calorem, non tamen sentiret calorem ignis nec sentiret ignem esse calidum, cum
tamen hoc iudicet sensus, cuius iudicium in proprio sensibili non errat.
Mais cette position[16] s'oppose manifestement à nos sens: puisque en
effet, ils ne perçoivent que par ce qu'ils reçoivent du sensible (même si pour
la vue[17], il y a un doute à cause de ceux qui disent que la vue fonctionne en
se projetant à l'extérieur, pour le toucher et les autres sens c'est clair); il
s'ensuit que l'homme ne sent pas la chaleur du feu si par le feu agent, il n'y
a pas la ressemblance de la chaleur du feu dans l'organe de la sensation. Car
si cette espèce de chaleur était faite dans l'organe par un autre agent, même
si le toucher sentait la chaleur, il ne sentirait pas la chaleur du feu ni que
le feu est chaud, puisque le sens dont le jugement ne se trompe pas dans sa
propre sensibilité le juge ainsi.
Repugnat etiam rationi, per quam ostenditur in rebus
naturalibus nihil esse frustra. Nisi autem res naturales aliquid agerent,
frustra essent eis formae et virtutes naturales collatae: sicut si cultellus
non incideret, frustra haberet acumen. Frustra etiam requireretur appositio
ignis ad ligna, si Deus absque igne ligna combureret.
Cela s'oppose aussi à la raison: par elle, on démontre que rien n'est
vain dans les choses naturelles. Si elles ne faisaient rien, les formes et les
pouvoirs naturels qui s'y trouvent leur seraient inutiles. Ainsi si le couteau
ne coupait pas, c'est en vain qu'il aurait une lame. Et on chercherait en vain
de mettre en contact le feu avec bois, si Dieu brûlait le bois sans feu[18].
Repugnat etiam divinae bonitati, quae sui communicativa est;
ex quo factum est quod res Deo similes fierent non solum in esse, sed etiam in
agere. Ratio vero quam pro se inducunt, est omnino frivola. Nam cum dicitur
accidens de subiecto in subiectum aliud non transire, intelligitur de accidente
eodem secundum numerum, non quia simile accidens secundum speciem possit induci
in aliud subiectum virtute accidentis quod alicui subiecto naturali inest. Et
hoc est necesse in omni actione naturali contingere. Falsum etiam est quod
supponunt, omnes formas esse accidentia: quia sic nullum esset in rebus
naturalibus esse substantiale, cuius principium forma accidentalis esse non
potest, sed substantialis tantum. Periret etiam generatio et corruptio, et
multa alia inconvenientia sequerentur.
Cela s'oppose aussi à la bonté divine qui se communique d'elle-même; de
là vient que les créatures ressemblent à Dieu, non seulement dans leur être,
mais aussi dans leur agir. Mais la raison qu'ils avancent en leur faveur est
tout à fait futile. En effet, quand on dit que l'accident ne passe pas d'un
substrat dans un autre, on le comprend de ce même accident selon le nombre, et
non pas parce qu'un accident d'une espèce semblable pourrait être induit dans
un autre substrat par le pouvoir de l'accident qui est dans un sujet naturel.
Et il est nécessaire que cela arrive dans toute action naturelle. Mais qu'ils
supposent que toutes les formes sont des accidents est faux, parce qu'ainsi, il
n'y aurait aucun être substantiel dans les choses naturelles, dont le principe
ne peut pas être une forme accidentelle, mais une forme substantielle
seulement. La génération et la corruption disparaîtraient et beaucoup d'autres
inconvénients en découleraient.
Avicebron etiam in libro fontis vitae dicit, quod nulla
substantia corporalis agit, sed vis spiritualis penetrans per omnia corpora
agit in eis, et tanto corpus aliquod est magis activum quanto est purius et
subtilius et per consequens a virtute spirituali penetrabilius. Et ad hoc
inducit tres rationes:
quarum prima est, quod omne agens post Deum requirit
subiectam materiam in quam agat; corporali autem substantiae non subiicitur
aliqua materia, et sic videtur quod agere non possit.
B) Avicebron[19] aussi, dans son livre, “La Fontaine de vie”, dit
qu'aucune substance corporelle n'agit, mais que c'est une puissance spirituelle
qui pénètre à travers tous les corps qui agit en elles, et plus un corps est
actif, plus il est pur et subtil et par conséquent plus accessible au pouvoir
spirituel. Et à cela il apporte trois raisons:
1. Tout agent après Dieu a besoin d'une matière qui est un substrat,
dans laquelle il agit; mais la matière n'est pas subordonnée à la substance
corporelle et ainsi il semble qu'elle ne puisse pas agir.
Secunda est quia quantitas impedit
actionem et motum: cuius signum ponit, quia multitudo quantitatis retardat
motum et addit corpori gravitatem; et ita substantia corporalis quae est
implicita quantitati, agere non potest.
2. La quantité empêche l'action et le mouvement; il en donne comme
preuve qu'une très grande quantité retarde le mouvement et ajoute de la
lourdeur au corps et ainsi la substance corporelle qui est mêlée à la quantité
ne peut pas agir.
Tertia ratio est, quod substantia
corporalis est remotissima a primo agente, quod est agens tantum et non
patiens, substantiae autem mediae sunt agentes et patientes; unde oportet
substantiam corporalem, quae est ultima, esse patientem tantum et non agentem.
3. La substance corporelle est très loin du premier agent, qui est
agent seulement et non patient; les substances intermédiaires sont agents et
patients; c'est pourquoi il faut que la substance corporelle, qui est la
dernière soit "patiente" seulement et non agent.
Sed in hoc est manifesta deceptio
ex hoc quod accipitur tota substantia corporalis quasi una et eadem numero
substantia, ac si non esset secundum esse substantiale distincta sed solo
accidente. Si enim diversae substantiae corporales substantialiter distinctae
accipiantur, tunc non quaelibet substantia corporalis erit ultima entium et
remotissima a primo agente, sed una erit alia superior
et primo agenti propinquior, et sic una in alia agere poterit.
Mais l'erreur est manifeste, du fait qu'on prend toute la substance
corporelle comme une seule et même substance par le nombre, comme si elle
n'était pas distincte selon son être substantiel mais seulement par l'accident.
Car si on accepte que les diverses substances corporelles comme
substantiellement distinctes, alors ce n'est pas une quelconque substance
corporelle qui sera le dernier des étants et la plus éloignée du premier agent,
mais l'une sera supérieure à l'autre et plus proche du premier agent, et ainsi
l'une pourra agir dans l'autre.
Item in praedictis consideratur
substantia corporalis tantum secundum rationem materiae, et non ratione suae
formae, cum tamen ex utroque sit composita. Substantiae enim corporali competit
esse ultimum entium, et non habere inferius subiectum, ratione materiae, non
autem ratione formae; quia ratione formae est inferius subiectum omnis
substantia in cuius materia est in potentia forma illa quam haec res designata
habet in actu.
De même, dans ce qui a été dit, on ne considère la substance corporelle
qu'en raison de la matière et non de sa forme, alors qu'elle est composée de
l'une et l'autre. Il appartient, en effet, à la substance corporelle d'être le
dernier des étants et de ne pas avoir un substrat plus bas, à cause de la
matière, mais non de la forme; parce que, en raison de celle-ci, toute
substance est un substrat plus bas, dans la matière de qui il y a en puissance
cette forme que cette chose possède en acte.
Et inde sequitur quod est mutua
actio in substantiis corporalibus, cum in materia unius sit in potentia forma
alterius, et e converso. Si autem ipsa forma non est sufficiens ad agendum
eadem ratione nec vis substantiae spiritualis, quam corporalis substantia per
modum suum necesse est quod recipiat.
ICIC
Et de là découle qu'il y a une action mutuelle dans les substances
corporelles, puisque dans la matière de l'une la forme de l'autre est en
puissance, et inversement. Mais si la forme même n'est pas suffisante pour
agir, par une même raison, le pouvoir de la substance spirituelle, qu'il est
nécessaire que la substance corporelle reçoive à sa manière, non plus.
Quantitas etiam non tollit motum
et actionem, cum nihil moveatur nisi quantum ut in VI Physic. probatur. Nec est
verum quod quantitas sit causa gravitatis. Hoc enim reprobatur in IV Cael. et
mundi. Unde et quantitas addit in velocitatem motus naturalis; nam corpus grave
quanto est maius, tanto velocius deorsum fertur, et similiter leve sursum.
Licet etiam quantitas secundum se non sit actionis principium non tamen potest
assignari ratio quare actionem impediat, cum magis sit quoddam instrumentum
qualitatis activae, nisi quatenus formae activae in materia subiecta quantitati
receptae, esse quoddam limitatum recipiunt et individuatum ad materiam illam,
ut sic per actionem in aliam materiam non se extendat. Sed quamvis esse
individuatum in materia consequantur, rationem tamen speciei non amittunt, ex
qua simile sibi in specie producere possunt, licet ipsaemet in alio subiecto
esse non possint.
La quantité n'enlève ni le mouvement, ni l'action, puisque rien n'est
mû si ce n'est qu'à sa mesure, comme on le prouve Physique, VI, 3, 233 b 19 – 234 a 35[20]). Il n'est pas vrai que la
quantité soit la cause de la pesanteur. Car cela est rejeté au livre IV Du ciel
(p. 151 B 313 a 4). C'est pourquoi la quantité ajoute à la vitesse du mouvement
naturel, car plus un corps lourd est grand, plus vite il descend, et c'est
pareil pour le corps léger vers le haut. Bien que la quantité en soi ne soit
pas principe d'action, on ne peut trouver cependant la raison pour laquelle
elle empêcherait l'action, puisqu'elle serait plus un instrument de la qualité
active, sauf dans la mesure où les formes actives, reçue dans la matière
soumise à la quantité, reçoivent un être limité et individualisé pour cette
matière pour qu'ainsi, par son action, elle ne s'étende pas à une autre
matière. Mais quoiqu'elles atteignent un être individualisé dans la matière,
cependant elles ne perdent pas la nature de l'espèce, du fait qu'elles peuvent
y produire quelque chose de semblable à elles, en espèce, bien qu'elles ne le
puissent être elles-mêmes dans un autre sujet.
Non ergo sic est intelligendum
quod Deus in omni re naturali operetur, quasi res naturalis nihil operetur; sed
quia in ipsa natura vel voluntate operante Deus operatur: quod quidem qualiter
intelligi possit, ostendendum est.
Ce n'est pas ainsi qu'il faut comprendre que Dieu opère en toute chose
naturelle, comme si elle ne faisait rien, mais parce qu'il opère dans la nature
même ou dans la volonté en son opération, il faut montrer comment on peut le
comprendre.
Sciendum namque est, quod actionis
alicuius rei res alia potest dici causa multipliciter.
Car il faut savoir qu'une chose peut être appelée cause d'une autre de
multiples façons.
Uno modo quia tribuit ei virtutem
operandi; sicut dicitur in IV Physic., quod generans movet grave et leve, in
quantum dat virtutem per quam consequitur talis motus: et hoc modo Deus agit
omnes actiones naturae, quia dedit rebus naturalibus virtutes per quas agere
possunt, non solum sicut generans virtutem tribuit gravi et levi, et eam
ulterius non conservat, sed sicut continue tenens virtutem in esse, quia est
causa virtutis collatae, non solum quantum ad fieri sicut generans, sed etiam
quantum ad esse, ut sic possit dici Deus causa actionis in quantum causat et
conservat virtutem naturalem in esse.
1. D'une première manière, parce qu'elle lui attribue le pouvoir
d'opérer, comme on le dit en Physique,
IV 3, 210 a 14-24, parce que celui qui engendre met en mouvement le lourd et le
léger dans la mesure où il donne un pouvoir d'où découle un tel mouvement. Et
Dieu, de cette manière, accomplit toutes les actions de nature, parce qu'il a
donné aux choses naturelles des pouvoirs par lesquels elles peuvent agir, non
seulement comme celui qui engendre fournit un pouvoir au lourd et au léger, et
ne le conserve plus, mais comme celui qui maintient continuellement ce pouvoir
dans l'être, parce qu'il est cause du pouvoir qui lui est attribué, non
seulement quant au devenir comme celui qui engendre, mais aussi quant à l'être,
de sorte qu'ainsi on peut dire que Dieu est la cause de l'action dans la mesure
où il cause et conserve en l'être le pouvoir naturel.
Nam etiam alio modo conservans
virtutem dicitur facere actionem, sicut dicitur quod medicinae conservantes
visum, faciunt videre. Sed quia nulla res per se ipsam movet vel agit nisi sit
movens non motum.
2. Car d'une autre manière, on dit qu'en conservant ce pouvoir, il
accomplit l'action, de même qu'on dit que les remèdes qui conservent la vue
font voir. Mais parce que rien ne se meut par soi ou n'agit que s'il est un
moteur non mû.
Tertio modo dicitur una res esse
causa actionis alterius in quantum movet eam ad agendum; in quo non intelligitur
collatio aut conservatio virtutis activae, sed applicatio virtutis ad actionem;
sicut homo est causa incisionis cultelli ex hoc ipso quod applicat acumen
cultelli ad incidendum movendo ipsum. Et quia natura inferior agens non agit
nisi mota, eo quod huiusmodi corpora inferiora sunt alterantia alterata; caelum
autem est alterans non alteratum, et tamen non est movens nisi motum, et hoc
non cessat quousque perveniatur ad Deum: sequitur de necessitate quod Deus sit
causa actionis cuiuslibet rei naturalis ut movens et applicans virtutem ad
agendum.
3. D'une troisième manière, on dit qu'une chose est la cause de
l'action d'une autre dans la mesure où elle la pousse à agir; en cela on ne
comprend pas l'attribution ou la conservation du pouvoir actif, mais son
application à l'action. Ainsi l'homme est la cause de l'entaille du couteau du
seul fait qu'il applique son tranchant pour couper en le manipulant. Et parce
que la nature, agent inférieur, n'agit que si elle est mue, de tels corps
inférieurs changent en étant eux-mêmes changés. Mais le ciel provoque des
changements sans être changé, et cependant il n'est moteur que mû, et cela ne
cessera que jusqu'à ce qu'on parvienne à Dieu. Il découle nécessairement que
Dieu est la cause de l'action d'une chose naturelle comme moteur, qui applique
le pouvoir pour agir.
Unde quarto modo unum est causa
actionis alterius, sicut principale agens est causa actionis instrumenti; et
hoc modo etiam oportet dicere, quod Deus est causa omnis actionis rei
naturalis. Quanto enim aliqua causa est altior, tanto est communior et
efficacior, et quanto est efficacior, tanto profundius ingreditur in effectum,
et de remotiori potentia ipsum reducit in actum.
4. C'est pourquoi, d'une quatrième manière, l'un est cause de l'action
de l'autre, comme l'agent principal est cause de l'action de l'instrument, et
de cette manière aussi, il faut dire que Dieu est cause de toute action de
l'être naturel. Car plus une cause est élevée, plus elle est commune et
efficace, et plus elle est efficace, plus elle entre profondément dans l'effet
et, d'une puissance plus éloignée, elle l'amène à l'acte.
In qualibet autem re naturali
invenimus quod est ens et quod est res naturalis, et quod est talis vel talis
naturae.;
Dans n'importe quel être naturel[21], on trouve qu'il y a l'étant, la
chose naturelle, et ce qui est de telle ou telle nature.
Quorum primum est commune omnibus
entibus;
1) Le premier est commun à tous les étants;
secundum omnibus rebus naturalibus
2) le second à toutes les choses naturelles,
tertium in una specie; et quartum,
si addamus accidentia, est proprium huic individuo.
3) le troisième à une seule espèce,
4) et le quatrième, si on ajoute les accidents, est propre à cet
individu particulier.
Hoc ergo individuum agendo non potest
constituere aliud in simili specie nisi prout est instrumentum illius causae,
quae respicit totam speciem et ulterius totum esse naturae inferioris. Et propter hoc nihil agit ad speciem in istis
inferioribus nisi per virtutem corporis caelestis, nec aliquid agit ad esse
nisi per virtutem Dei. Ipsum enim esse est communissimus effectus primus et
intimior omnibus aliis effectibus; et ideo soli Deo competit secundum virtutem
propriam talis effectus: unde etiam, ut dicitur in Lib. de causis, intelligentia
non dat esse, nisi prout est in ea virtus divina.
Donc ce dernier en agissant ne peut en constituer une autre dans la
même espèce que dans la mesure où il est l'instrument de cette cause, qui
concerne toute l'espèce et davantage tout l'être de nature inférieure. Et pour
cette raison rien n'agit pour l'espèce dans ces choses inférieures que par le
pouvoir d'un corps céleste, et rien n'agit pour l'être que par le pouvoir de
Dieu. Car l'être lui-même est le premier effet le plus commun et plus
intime[22] que tous les autres effets et c'est pourquoi il convient à Dieu
seul, selon le pouvoir propre d'un tel effet: c'est pourquoi, comme aussi on le
dit dans le Livre des Causes (prop.
9[23]), l'Intelligence ne donne l'être que dans la mesure où il y a en elle un
pouvoir divin.
Sic ergo Deus est causa omnis
actionis, prout quodlibet agens est instrumentum divinae virtutis operantis.
Sic ergo si consideremus supposita agentia, quodlibet agens particulare est
immediatum ad suum effectum. Si autem consideremus virtutem qua fit actio, sic
virtus superioris causae erit immediatior effectui quam virtus inferioris; nam
virtus inferior non coniungitur effectui nisi per virtutem superioris; unde
dicitur in Lib. de Caus., quod virtus causae primae prius agit in causatum, et
vehementius ingreditur in ipsum.
Ainsi donc Dieu est cause de toute action, dans la mesure où n'importe
quel agent est l'instrument du pouvoir divin en son opération. Si donc nous
considérons les suppôts agents, n'importe quel agent particulier est sans
intermédiaire à son effet. Mais si nous considérons le pouvoir par lequel
l'action est accomplie, alors le pouvoir de la cause supérieure sera plus
immédiat dans l'effet que celui de la cause inférieure, car ce dernier n'est
joint à l'effet que par le pouvoir du supérieur. C'est pourquoi il est dit dans
Le livre des Causes (prop. 1), que la pouvoir de la cause première agit avant
dans l'effet et entre plus fortement en lui.
Sic ergo oportet virtutem divinam
adesse cuilibet rei agenti, sicut virtutem corporis caelestis oportet adesse
cuilibet corpori elementari agenti. Sed in hoc differt; quia ubicumque est
virtus divina, est essentia divina; non autem essentia corporis caelestis est
ubicumque est sua virtus: et iterum Deus est sua virtus, non autem corpus caeleste.
Ainsi donc il faut que le pouvoir divin soit présent à tout ce qui
agit, de même qu'il faut que le pouvoir du corps céleste le soit à tout corps
élémentaire qui agit. Mais la différence c'est que partout où il y a le pouvoir
divin, il y a l'essence divine. L'essence du corps céleste n'est pas partout où
est son pouvoir; en plus Dieu est son propre pouvoir, mais pas le corps
céleste.
Et ideo potest dici quod Deus in
qualibet re operatur in quantum eius virtute quaelibet res indiget ad agendum:
non autem potest proprie dici quod caelum semper agat in corpore elementari,
licet eius virtute corpus elementare agat. Sic ergo Deus est causa actionis
cuiuslibet in quantum dat virtutem agendi, et in quantum conservat eam, et in
quantum applicat actioni, et in quantum eius virtute omnis alia virtus agit. Et
cum coniunxerimus his, quod Deus sit sua virtus, et quod sit intra rem
quamlibet non sicut pars essentiae, sed sicut tenens rem in esse, sequetur quod
ipse in quolibet operante immediate operetur, non exclusa operatione voluntatis
et naturae.
C'est pourquoi on peut dire que Dieu opère en toute chose dans la
mesure où elle a besoin de son pouvoir pour agir; mais on ne peut proprement
dire que le ciel agit toujours dans le corps élémentaire, bien que ce soit par
son pouvoir que le corps élémentaire agisse. Ainsi donc Dieu est cause de
n'importe quelle action dans la mesure où il donne le pouvoir d'agir, où il le
conserve et, il l'applique à l'action et où tout autre pouvoir agit dans le
sien. Et comme nous avons ajouté à cela que Dieu est son propre pouvoir, et
qu'il est en n'importe quelle chose, non comme une partie de son essence, mais
comme celui qui la conserve dans l'être, il en découle que lui-même opère sans
intermédiaire en n'importe quel être en son opération, sans exclure l'opération
de la volonté et de la nature.
Solutions
q. 3 a. 7 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod
virtus activa et passiva rei naturalis sufficiunt ad agendum in ordine suo;
requiritur tamen virtus divina, ratione iam dicta, in corp. art.
# 1. Le pouvoir actif et passif d'une chose naturelle suffisent pour
agir en son ordre. Cependant elle a besoin du pouvoir divin, pour la raison
déjà dite dans le corps de l'article
q. 3 a. 7 ad 2 Ad secundum dicendum, quod
operatio virtutis naturalis ad Deum et corporis elementaris ad corpus caeleste
sunt quantum ad aliquid similes, non autem quantum ad omnia.
# 2. L'opération du pouvoir naturel relativement à Dieu et celle du
corps élémentaire relativement au corps céleste sont semblables en un certain
point, mais pas en tout.
q. 3 a. 7 ad 3 Ad
tertium dicendum quod in operatione qua Deus operatur movendo naturam, non
operatur natura; sed ipsa naturae operatio est etiam operatio virtutis divinae;
sicut operatio instrumenti est per virtutem agentis principalis. Nec impeditur
quin natura et Deus ad idem operentur, propter ordinem qui est inter Deum et
naturam.
# 3. Dans l'opération par laquelle Dieu opère en mettant en mouvement
la nature, la nature n'opère pas. Mais l'opération même de la nature est aussi
une opération du pouvoir divin, de même que l'opération de l'instrument existe
par le pouvoir de l'agent principal. Et rien n'empêche que la nature et Dieu
opèrent sur un même objet, à cause de l'ordre entre Dieu et la nature[24]..
q. 3 a. 7 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod tam Deus quam natura immediate operantur; licet
ordinentur secundum prius et posterius, ut ex dictis patet.
# 4. Dieu autant que la nature opère sans intermédiaire, bien qu'ils
soient ordonnés selon un avant et un après, comme cela apparaît dans ce qui a
été dit.
q. 3 a. 7 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod de ratione virtutis inferioris est quod sit aliquo modo
operationis principium in suo ordine, id est ut agat ut instrumentum superioris
virtutis: unde, exclusa superiori virtute, inferior virtus operationem non
habet.
# 5. Il appartient à un pouvoir inférieur d'être en quelque manière
principe d'opération en son ordre, c'est-à-dire qu'il agisse comme instrument
d'un pouvoir supérieur. C'est pourquoi, si le pouvoir supérieur est exclus, le
pouvoir inférieur n'a pas d'opération..
q. 3 a. 7 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod Deus non solum est causa operationis naturae ut
conservans virtutem naturalem in esse, sed aliis modis, ut dictum est.
# 6. Dieu est non seulement la cause de l'opération de la nature, en
tant qu'il conserve le pouvoir naturel dans l'être, mais aussi par d'autres
moyens, comme on l'a dit.
q. 3 a. 7 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod virtus naturalis quae est rebus naturalibus in sua
institutione collata, inest eis ut quaedam forma habens esse ratum et firmum in
natura. Sed id quod a Deo fit in re naturali, quo actualiter agat, est ut
intentio sola, habens esse quoddam incompletum, per modum quo colores sunt in
aere, et virtus artis in instrumento artificis. Sicut ergo securi per artem
dari potuit acumen, ut esset forma in ea permanens, non autem dari ei potuit
quod vis artis esset in ea quasi quaedam forma permanens, nisi haberet
intellectum; ita rei naturali potuit conferri virtus propria, ut forma in ipsa
permanens, non autem vis qua agit ad esse ut instrumentum primae causae; nisi
daretur ei quod esset universale essendi principium: nec iterum virtuti
naturali conferri potuit ut moveret se ipsam, nec ut conservaret se in esse:
unde sicut patet quod instrumento artificis conferri non oportuit quod
operaretur absque motu artis; ita rei naturali conferri non potuit quod
operaretur absque operatione divina.
# 7. Le pouvoir naturel, placé dans les choses naturelles en leur
constitution est en elles comme une forme ayant un être déterminé et ferme en
nature. Mais ce qui est fait par Dieu, dans un être naturel où il agit de
manière actuelle est comme une intention seule avec un être incomplet, à la
manière dont les couleurs sont dans l'air, et le pouvoir de l'art dans l'instrument
de l'artiste. Ainsi donc on a pu donner un tranchant à la hache pour qu'il y
soit forme permanente, mais on n'aurait pu lui donner le pouvoir de l'art comme
forme permanente que si elle avait une intelligence. De la même manière, un
pouvoir propre a pu être conféré à la chose naturelle, comme une forme
permanente en elle, mais non la force par laquelle elle agit pour être comme
l'instrument de la cause première, à moins de lui donner ce qui serait le
principe universel d'être. Et il n'a pu, non plus, être conféré au pouvoir
naturel de se mouvoir lui-même, ni de se conserver dans l'être lui-même. C'est
pourquoi, de même qu'il est évident qu'il ne fallut pas qu'il soit donné à
l'instrument de l'artisan d'opérer sans le mouvement de l'art, de même, il n'a
pu être donné à la chose naturelle d'opérer sans l'opération divine.
q. 3 a. 7 ad 8 Ad
octavum dicendum, quod necessitas naturae, per quam calor agit, constituitur ex
ordine omnium causarum praecedentium; unde non excluditur virtus causae primae.
# 8. La nécessité naturelle, par laquelle la chaleur agit, est
constituée de l'ordre de toutes les causes précédentes. C'est pourquoi le
pouvoir de la cause première n'est pas exclu.
q. 3 a. 7 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod licet natura et voluntas sint secundum esse disparata,
tamen in agendo habent aliquem ordinem. Nam sicut actio naturae praecedit
actionem voluntatis nostrae, ratione cuius in operibus artis, quae a voluntate
sunt, naturae operatione indiget; ita voluntas Dei, quae est origo omnis
naturalis motus, praecedit operationem naturae; unde et eius operatio in omni
operatione naturae requiritur.
# 9. Bien que la nature et la volonté soient différentes selon leur
être, cependant elles ont un certain ordre en agissant. Car, de même que
l'action de la nature précède l'action de notre volonté, pour la raison que
dans les opérations de l'art, qui dépendent de la volonté, celle-ci a besoin de
l'opération de nature; de même la volonté de Dieu, qui est l'origine de tout
mouvement naturel, précède l'opération de la nature; c'est pourquoi son
opération est requise dans toute opération de nature.
q. 3 a. 7 ad 10 Ad
decimum dicendum, quod creatura habet aliquam Dei similitudinem participando
bonitatem ipsius, in quantum est et agit, non tamen ita quod per similitudinis
perfectionem ad aequalitatem perveniat; et ideo sicut imperfectum indiget
perfecto, ita virtus naturae in agendo indiget operatione divina.
# 10. La créature a une certaine ressemblance à Dieu en participant à
sa bonté, dans la mesure où elle est et agit, non cependant de manière à
l'égaler par la perfection de cette ressemblance. Et c'est pourquoi, de même
que l'imparfait a besoin du parfait, ainsi le pouvoir de la nature dans son
action a besoin de l'opération divine.
q. 3 a. 7 ad 11 Ad
undecimum dicendum, quod duo Angeli minus distant secundum gradum naturae quam
Deus et natura creata; tamen in ordine causae et effectus, Deus et natura
conveniunt, non autem duo Angeli; unde Deus in natura operatur, non autem unus
Angelus in alio.
# 11. Deux anges sont moins distants selon la hiérarchie de la nature
que Dieu et la nature créée; cependant dans l'ordre de la cause et de l'effet,
Dieu et la nature se rencontrent, mais pas deux anges. C'est pour cela que Dieu
opère dans la nature, mais pas un ange dans un autre.
q. 3 a. 7 ad 12 Ad
duodecimum dicendum, quod Deus non dicitur hominem dereliquisse in manu
consilii sui, quin in voluntate operetur; sed quia voluntati hominis dedit
dominium sui actus, ut non esset obligata ad alteram partem contradictionis:
quod quidem dominium naturae non dedit, cum per suam formam sit determinata ad
unum.
# 12. On ne dit pas que Dieu a abandonné l'homme à son conseil, au
point de ne plus opérer dans sa volonté, mais parce qu'il a donné à la volonté
de l'homme le pouvoir sur son action, pour qu'elle ne soit pas liée à l'autre
partie de la contradiction[25]: il n'a pas donné le pouvoir à la nature,
puisque par sa forme elle est déterminée à un objet unique.
q. 3 a. 7 ad 13 Ad
decimumtertium dicendum, quod voluntas dicitur habere dominium sui actus non
per exclusionem causae primae, sed quia causa prima non ita agit in voluntate
ut eam de necessitate ad unum determinet sicut determinat naturam; et ideo
determinatio actus relinquitur in potestate rationis et voluntatis.
# 13. On dit que la volonté a pouvoir sur son action non en excluant la
cause première, mais parce que celle-ci n'agit pas dans la volonté de sorte à
la déterminer nécessairement à un objet, comme elle détermine la nature et
ainsi la détermination de l'acte est laissée au pouvoir de la raison et de la
volonté.
q. 3 a. 7 ad 14 Ad
decimumquartum dicendum, quod non quaelibet causa excludit libertatem, sed
solum causa cogens: sic autem Deus non est causa operationis nostrae.
# 14. Ce n'est pas n'importe quelle cause qui enlève la liberté mais
seulement une cause contraignante, mais ainsi Dieu n'est pas cause de notre
opération.
q. 3 a. 7 ad 15 Ad
decimumquintum dicendum, quod quia causa prima magis influit in effectum quam
secunda, ideo quidquid perfectionis est in effectu, principaliter reducitur ad
primam causam; quod autem est de defectu, reducendum est in causam secundam,
quae non ita efficaciter operatur sicut causa prima.
# 15. Parce que la cause première influe plus sur l'effet que la cause
seconde, ce qu'il y a de perfection dans l'effet, est ramené principalement à
la cause première; mais ce qui est défaillance, doit être ramené à la cause
seconde, qui n'opère pas aussi efficacement que la cause première[26].
q. 3
a. 7 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod Deus perfecte operatur ut causa
prima; requiritur tamen operatio naturae ut causae secundae. Posset
tamen Deus effectum naturae etiam sine natura facere; vult tamen facere
mediante natura, ut servetur ordo in rebus.
# 16. Dieu opère de manière parfaite comme cause première; cependant
l'opération de la nature est requise comme cause seconde. Dieu pourrait
cependant produire un effet de nature même sans la nature, mais il veut le
faire par l'intermédiaire de la nature pour conserver l'ordre des choses.
--------------------------------------------------------------------------------
[1]
Ia, 105, a. 5 – CG. III, 67 – Compendium. 135 – II. Sent. d1q1a4. – [autres
réf. Ia,
qu. 25, a. 4 CG. III, 67-70 – I Sent. d37q1a1 ad 4 – q2a2 – II Sent. d1q1a1.]
[2]
Pour la définition de la nature, voir Physique,
II, 1, 192b.
[3]
Un des quatre éléments.
[4]
Il donne à virtus un sens proche de "puissance", mais il faut
distinguer les deux mots puisqu'il les emploie tous les deux, en appliquant
cependant à virtus la définition de la puissance par Aristote en Métaphysique V, Cf. Pot. qu. 1, a. 1,
obj. 3
[5]
Cf. C.G. III, 66, § 1: "...tous les agents inférieurs ne donnent l'être
qu'en tant qu'ils agissent dans le pouvoir divin."
[6]
"Nous appelons libre celui qui est à lui-même sa fin et n'existe pas pour
un autre." Aristote § 29 (Trad. Tricot), Thomas n° 58. Le commentaire de
Thomas s'appuie sur le texte suivant: "...homo liber, qui suimet et non
alterius causa est."
[7]
Cf. Pot. 3, 9, obj. 25. Cf. aussi De causis, Prop. 1
[8]
L'édition Marietti ajoute la citation.
[9]
Même sed contra en Ia, 105, 5. Ce même verset sert à démontrer la présence de
Dieu en toutes choses (Ia, qu. 8, a. 1). La vulgate omet in.
[10]
Aristote n° 116, Thomas n° 175.
[11]
Sur la conservation voir Pot. 5, 1, et Ia, 104.
[12]
Thomas précise dans le Compendium I, 135: "Par essence, dans la mesure où
être de quelque manière est une certaine participation à l'esse divin, et ainsi
l'essence divine est présente à tout existant, dans la mesure où il a l'être cause
de l'effet propre [comme cause d'être, Ia, 8, 3], par puissance, dans la mesure
où tout agit dans son pouvoir [dans la mesure où tout est soumis à son
pourvoir, Ia, 8, 3], par présence ensuite, dans la mesure où lui-même ordonne
et dispose tout sans intermédiaire [dans la mesure où tout est nu et découvert
à sa vue, [Ia, qu. 8, a. 3].
[13]
Cf. Averroès, Métaphysique IX,
comment. 7 et 12, comment. 18. Cf. CG. III, 69, § 1
[14]
Position des Musulmans: CG. III, 65 Dernier §. "Pour affirmer que le monde
a besoin de Dieu pour être conservé dans l'être, ils ont prétendu que toutes
les formes étaient accidentelles, et qu'un accident ne dure deux instants, et
qu'ainsi le formation des êtres est en perpétuel devenir, comme si les êtres
n'avaient pas besoin de cause efficiente que dans leur devenir".
[15]
Cf. L'occasionalisme a été repris par la suite par Ockham, Malebranche, etc.
[16]
Ces paragraphes développent ce qu'il a dit en II Sent., d1qu4: "Cette
position est stupide parce qu'elle détruit l'ordre de l'univers, l'opération
propre chez les êtres et elle va contre le jugement des sens."
[17]
Il s'agit de la Sunaugeia platonicienne, c'est-à-dire la théorie de la
rencontre des rayons émanant de l'objet extérieur et des rayons venant de
l'oeil (Timée, 45 b–46 c et 67 c - 68
d). (Claudel thomiste p. 108)
[18]
Cf. Ia, qu. 105, a. 5, resp.: "Les puissances d'action qui se trouvent
dans les choses leur seraient attribués en vain si elles n'opéraient rien par
elles. Bien plus toutes les créatures paraîtraient vaines d'une certaine
manière si elles étaient privées de leur propre opération, puisque tout est en
vue de son opération. Car toujours l'imparfait est en vue d'un plus parfait.
Donc de même que la matière est en vue de la forme, la forme qui est l'acte premier
est en vue de son opération qui est l'acte second et ainsi l'opération est la
fin de la créature." Conclusion: Dieu n'opère pas à la place des choses.
Il leur permet d'agir.
[19]
Salomon Ibn Gabirol vers 1021-1058). Cf. De substantii separatis dont certains
chapitres lui sont consacrés.
[20] Aristote n° 598, Thomas
lect. n° 786 – n° 785, – Aristote n° 609, Thomas n° 795.
[21]
La distinction de l'opération et celle de la nature: "La substance se
prend, sinon en grand nombre d'acceptions, du moins en quatre principales: on
pense d'ordinaire, en effet, que la substance de chaque être est soit quiddité,
soit l'universel, soit le genre, soit en quatrième le sujet." Métaphysique VII, 3, 1028 a 33 (Thomas:
7, lectio 2, Ar. 568, Th. 1270-1275) (quiddité 7, 4-6,et 10-12, universel
13-14, sujet 7, 3 et 13-14 (Tricot p. 352).
Thomas
n° 1270: la substance a au moins quatre acceptions sinon plus:
1)
L'être premier, c'est-à-dire la quiddité ou l'essence ou bien la nature de la
chose.
2)
Thomas 1271: "Le second mode selon l'universel est appelé substance de
l'être, d'après l'opinion de ceux qui pensent qu'il y a des idées, des espèces
(species), attribuées à des choses particuliers et en sont les substances":
3)
Thomas n ° 1272: Selon que "le premier genre semble être la substance de
chaque chose et de cette manière, ils pensaient que l'un et l'étant étaient la
substance de toute chose, en tant que premier genre du tout".
4)
Thomas n° 1273: la substance particulière.
[22]
Cf. II Sent. d1q1a4 c.: "... Mais les autres causes sont comme
déterminantes de cet être. Car l'être entier d'aucune chose ne prend son
principe d'une créature puisque la matière est de Dieu seulement; mais l'être
est plus intime d'une chose que ce par quoi elle est détournée à l'être....
C'est pourquoi l'opération du créateur atteint plus l'intime de la choses que
l'opération des causes secondaires; et c'est pourquoi ce qui a été créé cause
d'une autre créature n'exclut pas que Dieu opère sans intermédiaire en toutes
choses, dans la mesure où son pouvoir est comme l'intermédiaire qui relie le
pouvoir 'une cause seconde à son effet.
[23]
De causis (prop. 9 (8). "Omnis Intelligentia fixio (stabilité) et essentia
eius est per Bonitatem puram quae est Causa prima." Remarquons que Thomas
n'admet pas d'intermédiaire comme le laisse supposer cette affirmation et que
"Dieu" est considéré comme Bonté suprême comme dans le Platonisme et
aussi par Denys.
Thomas
n° 210, signale que l'affirmation de Proclus est plus universelle: "La
cause première de tous les étants est le Bien".
[24]
CG. III, 70, § 5: "...Il n'est pas superflu que Dieu puisse par lui-même
produire tous les effets naturels, parce qu'ils sont produits par quelques
autres causes; car cela ne vient pas de l'insuffisance du pouvoir divin, mais
de son immense bonté, par laquelle il a voulu communiquer sa ressemblance aux
créatures. Non seulement quant à leur être, mais encore pour le fait qu'elles
sont des autres." Dieu communique sa ressemblance, mais aussi il accorde à
êtres d'être cause des autres.
Ia,
qu. 105, a. 5, obj. 2: Une seule opération n'est pas en même de deux
opérateurs, de même que un mouvement, unique en nombre ne peut pas être de deux
mobiles. Si donc l'opération de la créature vient de Dieu, lorsqu'elle opère,
elle ne peut pas venir en même temps de la créature. Et ainsi aucune créature
n'opère.". Sol. 2: Ce ne sont pas deux agents de même ordre. "Rien
n'empêche qu'une seule et même action procède d'un agent premier et d'un agent
second. Voir CG. III, 66, § 2.
CG.
III, 66 § 3. Amplius: "de plus quand certains agents de nature différente
sont ordonnés sous un seul genre, il est nécessaire que l'effet qui est fait en
commun par eux soit d'eux, selon quoi ils sont unis pour participer au
mouvement et à la puissance de cet agent; car plusieurs ne fait qu'un qu'en
tant qu'ils sont un; ainsi il est évident que tous ceux qui opèrent dans une
armée pour causer la victoire qu'ils causent selon qu'ils sont sous l'ordre du
général. il faut montrer que dans le premier le premier agent est Dieu. Donc,
comme l'être est l'effet commun de tous les agents car tout agent fait l'être
en acte, il faut qu'ils produisent cet effet en tant qu'ils sont ordonnés au
premier agent et ils agissent dans sa puissance.".
[25]
Le libre arbitre est une puissance rationnelle et en tant que tel il a rapport
à ces contraires. Thomas donne comme exemple l'art médical qui concerne et la
maladie et la santé. Ici il s'agit du choix entre les différentes solutions
possibles qui peuvent être opposées: v.g. choisir le bien ou le mal.
[26]
"Dieu est la cause première et transcendante de notre liberté et de nos
décisions libres, de sorte que l'acte libre est tout entier de Dieu comme cause
première et tout entier de nous comme cause seconde; parce qu'il n'y a pas une
fibrille d'être qui échappe à la causalité de Dieu... pour les actes
mauvais,... pour le mal, c'est tout le contraire... Dieu n'est absolument pas
cause du mal de nos actes libres, c'est l'homme qui est la cause première et
qui a l'initiative première du mal moral." J. Maritain, Dieu et la
permission du mal, Îuvres.Complètes, XII, p. 23.
q. 3 a. 8 tit. 1
Octavo quaeritur utrum Deus operetur in natura creando; quod est quaerere:
utrum creatio operi naturae admiscetur. Et videtur quod sic.
Et il semble que oui[1].
Objections:
q. 3 a. 8 arg. 1 Per
hoc quod dicit Augustinus: apostolus, inquit, Paulus discernens interius Deum
creantem atque formantem ab operibus creaturae quae admoventur extrinsecus, de
agricultura similitudinem assumens ait: ego plantavi, Apollo rigavit, sed Deus
incrementum dedit.
1. D'après ce que dit Augustin (La
Trinité, III, 8, 14): "L'apôtre Paul distinguant l'opération de Dieu
qui crée et qui façonne au dedans, des opérations de la créature qui agit au
dehors, en empruntant une image à l'agriculture, dit: “J'ai planté, Apollon a
arrosé, mais Dieu a donné l'accroissement (1 Co. 3, 6)".
q. 3 a. 8 arg. 2 Sed dices, quod creatio
accipitur ibi large pro qualibet factione.- Sed contra, Augustinus, ex
auctoritate apostoli intendit in verbis praedictis distinguere operationem
creaturae ab operatione Dei. Non autem distinguitur per creationem communiter
acceptam pro qualibet factione, quia sic etiam natura creat; aliquid enim
facit, ut ostensum est supra, art. praeced., sed non per creationem proprie
acceptam. Ergo de creatione proprie accepta oportet verba
praemissa intelligere.
2. Mais on pourrait dire que la création est prise ici au sens large
pour une fabrication quelconque – En sens contraire, Augustin (ibid.) par
l'autorité de l'Apôtre, vise, dans les paroles ici rapportées, à distinguer
l'opération de la créature de celle de Dieu. Mais elle n'est pas distinguée par
une création au sens communément accepté d'une fabrication quelconque, parce
que la nature crée aussi. Car elle agit, comme on l'a montré à l'article
précédent, mais non par création au sens propre. Donc il faut comprendre que
ces paroles se rapportent à la création au sens propre.
q. 3 a. 8 arg. 3
Praeterea, idem Augustinus subdit: sicut in ipsa vita nostra mentem
iustificando formare non potest nisi Deus, praedicare autem extrinsecus
Evangelium etiam homines possunt; ita creationem rerum visibilium Deus interius
operatur, exteriores autem operationes bonorum sive malorum Angelorum vel
hominum, vel quorumcumque animalium, ita rerum naturae adhibet, in qua creat
omnia, quemadmodum terrae agriculturam. Sed mentem nostram iustificando format creatione proprie accepta: nam
gratia per creationem dicitur esse. Ergo et creatione proprie dicta formas
naturales creat.
3. Le même Augustin ajoute: "De la même manière que dans notre vie
même, il n'y a que Dieu seul qui peut façonner l'esprit en le justifiant, mais
annoncer l'Évangile à l'extérieur, même les hommes peuvent le faire; de la même
manière, Dieu opère de l'intérieur la création du monde visible;mais aussi les
opérations extérieures des anges et des hommes, bons ou mauvais, ou de tous les
animaux (...), de sorte qu'il les applique à la nature où il crée tout; comme
l'agriculture pour la terre." Mais il forme notre esprit en le justifiant
par une création au sens propre. Car on dit que la grâce existe par création.
Donc il crée les formes naturelles par création proprement dite[2].
q. 3 a. 8 arg. 4 Sed
dices, quod formae naturales habent causam in subiecto, non autem gratia; et
pro tanto gratia proprie creatur, non autem formae naturales.- Sed contra, ut
dicitur in Glossa Genes. I, creare est ex nihilo aliquid facere. Cum autem haec
praepositio ex quandoque importet habitudinem causae efficientis, sicut I
Corinth., VIII, 6: ex quo omnia, per quem omnia, quandoque autem habitudinem
causae materialis, sicut habetur Tobiae cap. XIII, 21-22: omnis circuitus
murorum eius ex lapide candido et mundo; cum dicitur aliquid ex nihilo fieri,
non negatur habitudo causae efficientis (quia sic Deus rerum creatarum causa
efficiens non esset), sed negatur habitudo causae materialis. Formae autem
naturales habent in subiectis causas efficientes, per quod differunt a gratia;
habent etiam et materiam in qua, quod et gratiae competit. Non ergo magis
competit ratio creationis gratiae quam naturalibus formis, per hoc quod est
habere causam in subiecto.
4. Mais on pourrait dire que les formes naturelles ont leur cause dans
le substrat mais pas la grâce, et pour autant celle-ci est créée au sens
propre, mais pas les formes naturelles. – En sens contraire, comme on le dit
dans la Glose de Gn 1, 1: "Créer c'est faire quelque chose de rien[3]."
Comme cette préposition “ex” ('de') apporte quelquefois une relation de cause
efficiente comme en 1 Co. 8, 6: "Tout vient de lui, tout est par lui",
quelquefois aussi une relation de la cause matérielle, comme on le trouve en
Tobie 13, 21 - 22: "Tout le tour de ses murs: de (ex) pierre blanche et
pure", quand on dit que quelque chose est fait de rien, on ne nie pas la
relation à la cause efficiente, (sinon Dieu ne serait pas la cause efficiente
des créatures), mais on nie la relation à la cause matérielle. Mais les formes
naturelles ont dans leur substrat des causes efficientes par le fait qu'elles
diffèrent de la grâce. Elles ont aussi une matière dans laquelle (elles sont),
ce qui convient aussi à la grâce. Donc la création ne convient pas plus à la
grâce qu'aux formes naturelles, par le fait d'avoir une cause dans le substrat.
q. 3 a. 8 arg. 5
Praeterea, formae artificiales non habent causam in subiecto, sed sunt
totaliter ab extrinseco. Si ergo gratia propter hoc creari dicitur quia non
habet causam in subiecto, pari ratione formae accidentales artificiales
creabuntur.
5. Les formes artificielles n'ont pas de cause dans le substrat, mais
elle viennent totalement de l'extérieur. Donc si on dit que la grâce est créée
parce qu'elle n'a pas de cause dans le substrat, à raison égale les formes
accidentelles artificielles seront créées.
q. 3 a. 8 arg. 6
Praeterea, id quod non habet materiam partem sui, non potest ex materia fieri.
Sed formae non habent materiam partem sui: quia forma distinguitur et contra
materiam et contra compositum, ut patet in principio secundi de anima. Cum ergo
formae fiant quia de novo esse incipiunt, videtur quod non fiant ex materia; et
sic fiunt ex nihilo, et per consequens creantur.
6. Ce qui n'a pas de partie matérielle, ne peut être fait de matière.
Mais les formes n'ont pas de matière en participation, parce que la forme est
distinguée de la matière et du composé, comme cela apparaît au début du livre 2
de L'âme ( 412 b 10[4]). Donc comme les formes sont faites, parce qu'elles commencent
à exister de nouveau, il semble qu'elles ne sont pas faites de matière, et
ainsi elles sont faites de rien et par conséquent elles sont créées.
q. 3 a. 8 arg. 7 Sed
diceretur, quod licet formae naturales non habeant materiam partem sui ex qua
sint, habent tamen materiam in qua sunt, et pro tanto non creantur.- Sed
contra, sicut aliae formae naturales, ita et anima rationalis est forma in
materia. Sed anima rationalis creari ponitur. Ergo et similiter est de aliis
formis naturalibus ponendum.
7. Mais on pourrait dire que, bien que les formes naturelles n'aient
pas de matière en participation d'elles-mêmes, d'où elles viennent, elles ont
cependant une matière dans laquelle elles sont, et pour autant elles ne sont
pas créées. – En sens contraire: comme les autres formes naturelles, l'âme
rationnelle est une forme dans la matière. Mais il est établi qu'elle est
créée. Donc il faut le concevoir de la même manière pour les autres formes
naturelles.
q. 3 a. 8 arg. 8 Sed
dices, quod anima rationalis non educitur de materia, sicut aliae formae
naturales. Sed contra, nihil educitur de aliquo quod non est in eo. Sed ante
finem generationis forma, quae est generationis terminus, non erat in materia;
alias essent formae contrariae in materia simul. Ergo formae naturales non
educuntur de materia.
8. Mais on pourrait dire que l'âme rationnelle n'est pas tirée de la
matière, comme les autres formes naturelles.– En sens contraire: rien n'est
tiré de quelque chose qui n'est pas en lui. Mais, avant la fin de la génération,
la forme, qui en est le terme, n'était pas dans la matière. Autrement il y
aurait dans la matière en même temps des formes contraires. Donc les formes
naturelles ne sont pas tirées de la matière.
q. 3 a. 8 arg. 9
Praeterea, forma quae est generationis terminus, non apparebat ante
generationem completam. Si ergo erat ibi, erat latens: et ita sequeretur
latitatio cuiuslibet in quolibet, quam ponebat Anaxagoras, et Aristoteles
improbat in I Phys.
9. La forme qui est le terme de la génération n'apparaissait pas avant
la génération complète. Donc si elle y était, elle était cachée, et il
s'ensuivrait ainsi un état latent d'une chose dans une autre, ce que professait
Anaxagore et que rejette Aristote (Physique.
I, 4, 186 b 22 - 187 a 32).
q. 3 a. 8 arg. 10
Sed dices, quod forma naturalis non existebat in materia ante completam
generationem, complete, ut Anaxagoras ponebat, sed incomplete.- Sed contra, si forma aliquo modo est in materia ante terminum
generationis, est ibi secundum aliquid sui. Si autem non est
ibi complete secundum aliquid sui, non praeexistit. Habet ergo forma aliquid et
aliquid, et sic non est simplex; cuius contrarium in principio sex principiorum
habetur.
10. Mais on pourrait dire que la forme naturelle n'existait pas
complètement dans la matière avant la génération complète, comme Anaxagore le
pensait, mais de façon incomplète. – En sens contraire: si la forme est en
quelque manière dans la matière avant le terme de la génération, elle y est
comme la partie d'elle-même. Mais si elle n'y est pas complètement, elle ne
préexiste pas comme partie. Donc la forme une chose et l'autre et ainsi, elle
n'est pas simple; on trouve le contraire au commencement des “Six principes[5]
”.
q. 3 a. 8 arg. 11
Praeterea, si non complete praeexistit in materia, et postmodum completur,
oportet quod per generationem ei adveniat complementum. Illud autem complementum in materia non
praeexistebat, quia sic fuisset ibi complete. Ergo illud complementum per
creationem erit ad minus.
11. Si elle ne préexiste pas complètement dans la matière, et qu'elle
est complétée ensuite, il faut que le complément lui advienne par génération.
Mais ce complément ne préexistait pas dans la matière, parce qu'il y aurait
ainsi été en entier. Donc ce complément existera au moins par création.
q. 3 a. 8 arg. 12
Sed dices, quod praeexistebat in materia incomplete, non quidem secundum
partem, sed quia alio modo erat ante, et alio modo post: prius enim erat in
potentia, sed post est in actu.- Sed contra, ex hoc
quod aliquid alio et alio modo se habet, est alteratio, non generatio. Si ergo
per opus naturae non fit aliquid, nisi quod forma quae prius erat in potentia,
postea fit actu; sequeretur quod per operationem naturae non sit aliqua
generatio, sed alteratio sola.
12. On pourrait dire qu'elle préexistait dans la matière
incomplètement, non pas en partie, mais parce qu'elle existait d'une manière
différente avant et après: car avant, elle était en puissance, mais après elle
est en acte. – En sens contraire, du fait que quelque chose se comporte d'une
manière et d'une autre, c'est un changement d'état, non une génération. Si donc
par l'oeuvre de la nature, rien n'est fait sinon que la forme, qui était avant
en puissance, devient ensuite en acte, il en découlerait que par une opération de
nature il n'y aurait pas génération mais changement d'état seulement.
q. 3 a. 8 arg. 13
Praeterea, in natura inferiori non invenitur aliquod activum principium, nisi
accidens: nam ignis agit per calorem, qui est accidens; et similiter de aliis.
Sed accidens non potest esse causa activa formae substantialis, quia nihil agit
ultra suam speciem; effectus autem non praeeminet causae, cum tamen forma
substantialis praeemineat accidenti. Ergo forma substantialis non producitur
per actionem naturae inferioris; et ita oportet quod sit per creationem.
13. Dans la nature inférieure, on ne trouve comme principe actif que
l'accident; car le feu agit par la chaleur, qui est un accident, et de même
pour les autres choses. Mais l'accident ne peut être la cause active de la
forme substantielle, parce que rien n'agit au-delà de son espèce; l'effet ne
l'emporte pas sur la cause, encore que cependant la forme substantielle
l'emporte sur l'accident. Donc la forme substantielle n'est pas produite par
l'action d'une nature inférieure, et ainsi il faut qu'elle existe par création.
q. 3 a. 8 arg. 14
Praeterea, imperfectum non potest esse causa perfecti. Sed in semine bruti
animalis non est vis animae nisi imperfecte. Ergo anima bruti non producitur
per actionem naturalem virtutis seminalis; et ita oportet quod sit per
creationem et pari ratione omnes aliae formae naturales.
14. L'imparfait ne peut pas être cause du parfait. Mais la force de
l'âme n'est dans la semence de l'animal qu'imparfaitement. Donc l'âme de
l'animal n'est pas produite par l'action naturelle du pouvoir séminal et ainsi
il faut qu'elle existe par création, et à raison égale, toutes les autres
formes naturelles[6].
q. 3 a. 8 arg. 15
Praeterea, illud quod non est animatum nec vivum, non potest esse causa rei animatae
viventis. Sed animalia quae generantur ex putrefactione, sunt res animatae
viventes; non autem inveniuntur in natura aliqua viventia, a quibus eis vita
conferatur. Ergo oportet quod eorum animae sint per creationem a primo vivente,
et pari ratione aliae formae naturales.
15. Ce qui n'est ni animé, ni vivant ne peut être cause d'un être animé
vivant. Mais les animaux qui naissent de la putréfaction sont des êtres animés
vivants; et on ne trouve pas dans la nature des êtres vivants par lesquels la
vie leur est conférée. Donc il faut que leurs âmes existent par création à
partir du premier vivant et à raison égale les autres formes naturelles.
q. 3 a. 8 arg. 16
Praeterea, natura non agit nisi sibi simile. Sed aliqua res naturalis invenitur
generari, cuius similitudo in generante non praecessit. Mulus enim neque equo,
neque asino est similis in specie. Ergo forma muli non est per actionem
naturae, sed per creationem; et sic idem quod prius.
16. La nature ne fait que du semblable à elle-même. Mais on trouve un
être naturel engendré, dont la ressemblance ne l'a pas précédé dans celui qui
engendre. La mulet en effet, n'est semblable en espèce, ni au cheval ni à
l'âne. Donc la forme du mulet ne vient pas de l'action de la nature, mais par
création et ainsi de même que plus haut.
q. 3 a. 8 arg. 17
Praeterea, Augustinus dicit in Lib. de vera Relig., quod res naturales formis
suis formatae non essent, nisi esset aliquid primum unde formarentur. Hoc autem est ipse Deus. Ergo omnes formae sunt per
creationem a Deo.
17. Augustin dit (La vraie
religion, Le libre arbitre, II, 17) que les êtres naturels ne seraient mis
en forme que s'il y avait quelque être premier qui les forme. Mais celui-ci,
c'est Dieu même. Donc toutes les formes viennent de la création de Dieu.
q. 3 a. 8 arg. 18
Praeterea, Boetius dicit, quod ex formis quae sunt sine materia, venerunt
formae quae sunt in materia. Formae autem quae sunt sine materia, non possunt
intelligi in proposito, nisi ideae rerum in mente divina existentes. Nam
Angeli, qui possunt dici sine materia formae non sunt causae formarum
naturalium, ut patet per Augustinum. Ergo formae naturales non sunt per
actionem naturae, sed a datore creante.
18. Boèce dit (La Trinité) que les formes qui sont dans la matière sont
venues des formes sans matière. Mais les formes sans matière ne peuvent être
comprises que dans l'hypothèse où les idées des choses existent dans l'esprit
divin. Car les anges, qui peuvent être appelés des formes sans matière, ne sont
pas causes des formes naturelles, comme Augustin le montre (La Trinité III, 8
et 9). Donc les formes naturelles ne dépendent pas de l'action de la nature,
mais d'un donneur qui les crée.
q. 3 a. 8 arg. 19
Praeterea, in libro de causis, dicitur, quod esse est per creationem. Hoc autem
non esset nisi formae crearentur: nam forma est essendi principium. Ergo formae
sunt per creationem: ergo Deus in materia operatur aliquid creando, scilicet
ipsas formas.
19. Dans le Livre des Causes
(prop. 18), il est dit que l'être existe par création. Mais cela ne serait
possible que si les formes étaient créées, car la forme est le principe d'être.
Donc les formes existent par création; et Dieu opère dans la matière en créant
quelque chose, c'est-à-dire les formes elles-mêmes.
q. 3 a. 8 arg. 20
Praeterea, id quod est per se, est causa eius quod non est per se. Sed formae rerum naturalium non sunt per se, sed
sunt in materia. Ergo earum causa est forma per se stans; et ita oportet quod
formae naturales sint per creationem ab agente extrinseco; et sic videtur quod
Deus in natura operetur, formas creando.
20. Ce qui est par soi est cause de ce qui ne l'est pas. Mais les
formes des êtres naturels ne sont pas par soi mais sont dans la matière. Donc
leur cause est une forme qui demeure par soi et de même qu'il faut que les
formes naturelles soient créées par un agent extérieur, de même il semble que
Dieu opère dans la nature en créant les formes.
En sens contraire:
q. 3 a. 8 s. c. 1
Sed contra. Opus creationis distinguitur ab opere gubernationis et
propagationis. Quod autem actione naturae agitur, pertinet ad opus
gubernationis et ad rerum propagationem. Ergo creatio operi naturae non
admiscetur.
1.On distingue l'oeuvre de la création de celle du gouvernement et de
la propagation[7]. Mais ce qui est fait par l'action de la nature, convient à
l'oeuvre du gouvernement et de la propagation. Donc la création n'est pas mêlée
à l'opération de la nature.
q. 3 a. 8 s. c. 2
Praeterea, nihil potest creare nisi solus Deus. Si ergo formae sunt per
creationem, non erunt nisi a Deo; et sic omnis actio naturae frustrabitur,
cuius finis est forma.
2. Rien ne peut créer, sinon Dieu seul. Si donc les formes existent par
création, elles n'existeront que par Dieu; et ainsi toute l'action de la
nature, dont la fin est la forme, sera vaine.
q. 3 a. 8 s. c. 3
Praeterea, sicut forma substantialis non habet materiam partem sui, ita nec
accidentalis. Si ergo propter hoc formas substantiales oportet esse per
creationem, quia non habent materiam, pari ratione et formae accidentales. Sicut autem res generata perficitur per formam
substantialem, ita fit dispositio per formam accidentalem. Ergo res naturalis
nullo modo erit generans, neque sicut perficiens neque sicut disponens; et sic
cassa erit omnis naturae actio.
3. La forme substantielle n'a pas de matière en participation, la forme
accidentelle non plus. Si donc, il faut que les formes substantielles soient
créées, parce qu'elles n'ont pas de matière, à raison égale les formes
accidentelles aussi. Mais de la même manière que ce qui est engendré est achevé
par la forme substantielle, de même la disposition est faite par la forme
accidentelle. Donc l'être naturel n'engendrera en aucune manière, ni en
achevant, ni en disposant. Et ainsi toute action de la nature sera vaine.
q. 3 a. 8 s. c. 4
Praeterea, natura est ex similibus similia procreans. Sed generatum invenitur simile generanti secundum
speciem et formam. Ergo ipsa forma generati fit per actionem generantis, et non
per creationem.
4. La nature procrée du semblable à partir du semblable. Mais on trouve
que l'engendré est semblable à celui qui l'engendre, selon l'espèce et la
forme. Donc la forme même de l'engendré est faite par l'action de celui qui
engendre, et non par création.
q. 3 a. 8 s. c. 5
Praeterea, diversorum agentium actiones non terminantur ad unum effectum. Sed
ex materia et forma fit unum simpliciter. Ergo non potest esse quod sit aliud
agens quod disponit materiam et quod inducit formam. Disponens autem materiam,
est agens naturale. Ergo et inducens formam; et sic formae non sunt per
creationem, et ita creatio non admiscetur operibus naturae.
5. Les actions des divers agents ne se terminent pas à un seul effet.
Mais l'unité vient simplement de la matière et de la forme. Donc il est
impossible que ce soit un agent différent qui dispose la matière et qui induit
la forme. Mais en disposant la matière, il est agent naturel. Donc en induisant
la forme aussi, et de même que les formes n'existent pas par création, de même
la création n'est pas mêlée aux oeuvres de la nature.
Réponse:
q. 3
a. 8 co. Respondeo. Dicendum, circa istam quaestionem diversae fuerunt
opiniones. Quarum omnium videtur radix fuisse unum et idem principium, secundum
quod natura non potest ex nihilo aliquid facere.
A propos de cette question les opinions ont été diverses. La racine de
toutes semble avoir été un seul et même principe: la nature ne peut rien faire
de rien.
Ex hoc enim aliqui crediderunt quod nulla res fieret aliter nisi per
hoc quod extrahebatur a re alia in qua latebat, sicut de Anaxagora narrat philosophus,
qui ex hoc videtur fuisse deceptus, quia non distinguebat inter potentiam et
actum; putabat enim oportere quod actu praeextiterit illud quod generatur.
Oportet autem quod praeexistat potentia et non actu; si enim non praeexisteret
potentia, fieret ex nihilo; si vero praeexisteret actu, non fieret: quia quod
est, non fit.
A. Car à partir de là, certains ont cru que rien n'était faite
autrement qu'en étant tiré d'une chose en qui elle était cachée, comme le
philosophe le raconte d'Anaxagore[8] (Physique,
I, 4, 187 a 26), qui semble avoir été trompé parce qu'il ne distinguait pas la
puissance et l'acte. Car il pensait qu'il fallait que ce qui est engendré
préexiste en acte. Il faut aussi qu'il préexiste en puissance et non en acte.
Car s'il ne préexistait pas en puissance, il serait fait de rien, mais s'il
préexistait en acte, il ne serait pas fait, parce que ce qui est ne se fait pas
.
Sed quia res generata est in potentia per materiam, et in actu per suam
formam; posuerunt aliqui, quod res fiebat quantum ad formam materia
praeexistente. Et quia operatio naturae non potest esse ex nihilo, et per
consequens oportet quod sit ex praesuppositione, non operabatur, secundum eos,
natura, nisi ex parte materiae disponendo ipsam ad formam. Formam vero, quam
oportet fieri et non praesupponi, oportet esse ex agente qui non praesupponit
aliquid, sed potest ex nihilo facere: et hoc est agens supernaturale, quod
Plato posuit datorem formarum. Et hoc Avicenna dixit esse intelligentiam
ultimam inter substantias separatas.
B. Mais parce qu'un être engendré est en puissance par la matière, et
en acte par sa forme, certains ont pensé qu'il était fait, quant à sa forme
avec une matière préexistante. Et parce que l'opération de nature ne peut pas
exister à partir de rien, et que par conséquent, il faut qu'elle vienne de
quelque chose de présupposé, la nature n'opérait selon eux, qu'à partir d'une
partie de la matière, en la disposant à la forme. Mais il faut que la forme,
qui doit être faite et non présupposée, vienne d'un agent qui ne présuppose
rien, mais peut la faire de rien. Et c'est un agent surnaturel que Platon a
établi comme donneur de formes. Et Avicenne a dit que c'était la dernière
intelligence parmi les substances séparées.
Quidam vero moderni eos sequentes, dicunt hoc esse Deum. Hoc autem
videtur esse inconveniens. Quia cum unumquodque natum sit simile sibi agere
(nam unumquodque agit in eo quod actu est, hoc scilicet quod est in potentia id
quod agendum est), non requireretur similitudo secundum formam substantialem in
agente naturali, nisi forma substantialis geniti esset per actionem agentis. Ex
quo etiam id quod in genito acquirendum est, actu in generante naturali
invenitur, et unumquodque agit secundum quod actu est; inconveniens videtur,
hoc generante praetermisso, aliud exterius inquirere.
C. Certains modernes[9] qui les suivent disent que c'est Dieu. Mais
cela ne paraît pas convenir. Parce que, comme chaque chose est destinée à faire
du semblable à soi[10] (car elle agit en ce qui est en acte, car il va de soi
que ce qui est en puissance est ce qui doit être fait), la ressemblance ne
serait requise pour la forme substantielle dans l'agent naturel que si celle de
l'engendré venait de l'action de l'agent. D'où ce qui doit être acquis dans
l'engendré, c'est ce qui se trouve en acte dans le géniteur naturel. Chacun
agit selon qu'il est en acte; recourir à un agent extérieur sans tenir compte
de ce qui engendre, ne semble pas convenir.
Unde sciendum est, quod istae opiniones videntur provenisse ex hoc quod
ignorabatur natura formae, sicut et primae provenerunt ex hoc quod ignorabatur
natura materiae. Forma enim naturalis non dicitur univoce esse cum re generata.
Res enim naturalis generata dicitur esse per se et proprie, quasi habens esse,
et in suo esse subsistens; forma autem non sic esse dicitur, cum non subsistat,
nec per se esse habeat; sed dicitur esse vel ens, quia ea aliquid est; sicut et
accidentia dicuntur entia, quia substantia eis est vel qualis vel quanta, non
quod eis sit simpliciter sicut per formam substantialem: unde accidentia magis
proprie dicuntur entis, quam entia, ut patet in Metaphys.
D. C'est pourquoi il faut savoir que ces opinions paraissent provenir
de ce que la nature de la forme était ignorée, de même que les premières
opinions provenaient de ce que la nature de la matière était ignorée. Car on ne
dit pas que la forme naturelle est univoque avec ce qui est engendré. Mais on
dit que la chose naturelle engendrée est par soi et proprement, comme ayant
l'être, et subsistante en soi, mais on ne dit pas que ce n'est pas ainsi
qu'existe la forme, puisqu'elle ne subsiste pas, et qu'elle n'a pas l'être par
soi. Mais on l'appelle être ou étant, parce qu'elle est quelque chose, de même
qu'on appelle les accidents des étants, parce que la substance pour eux est
qualité ou grandeur, non parce qu'elle existe absolument pour eux, comme par
une forme substantielle; c'est pourquoi les accidents sont plus proprement
appelés accidents de l'étant que des étants, comme cela apparaît en Métaphysique VII, 1, 1028 a 35 - b 1[11]
Unumquodque autem factum, hoc modo dicitur fieri quo dicitur esse. Nam
esse est terminus factionis: unde illud quod proprie fit per se, compositum
est. Forma autem non proprie fit, sed est id quod fit, id est per cuius
acquisitionem aliquid dicitur fieri. Nihil ergo obstat per hoc quod dicitur
quod per naturam ex nihilo nihil fit, quin formas substantiales, ex operatione
naturae esse dicamus. Nam id quod fit, non est forma, sed compositum; quod ex
materia fit, et non ex nihilo. Et fit quidem ex materia, in quantum materia est
in potentia ad ipsum compositum, per hoc quod est in potentia ad formam. Et sic
non proprie dicitur quod forma fiat in materia, sed magis quod de materiae
potentia educatur.
On dit que chaque chose faite est faite de la manière par laquelle on
la dit être. Car l'être est le terme du faire: c'est pourquoi ce qui est fait
proprement par soi est composé. Mais la forme n'est pas faite à proprement
parler, mais elle est ce qui est fait, c'est-à-dire par l'acquisition de ce
dont on dit qu'elle est faite[12]. Donc rien n'empêche, du fait qu'on dit que
rien n'est fait de rien par nature, de dire que les formes substantielles
viennent de l'opération de la nature. Car ce qui est fait, ce n'est pas la
forme, mais le composé, qui est fait de matière et non de rien. C'est fait de
matière, dans la mesure où celle-ci est en puissance pour ce composé même,
parce qu'elle est en puissance pour la forme. Et ainsi ce n'est pas proprement
qu'on dit que la forme est faite dans la matière, mais elle est plutôt tirée de
la puissance de la matière.
Ex hoc autem ipso quod compositum fit, et non forma, ostendit
philosophus, quod formae sunt ex agentibus naturalibus: nam, cum factum
oporteat esse simile facienti, ex quo id quod factum est, est compositum,
oportet id quod est faciens, esse compositum, et non forma per se existens, ut
Plato dicebat; ut sic sicut factum est compositum, quo autem fit, est forma in
materia in actum reducta; ita generans sit compositum, non forma tantum; sed forma
sit quo generat: forma, inquam, in hac materia existens, sicut in his carnibus
et in his ossibus et in aliis huiusmodi.
Du fait que c'est le composé qui est fait et non la forme, le
philosophe montre (Métaphysique VII,
8, 1033 a 24 - b 8 – 8, 1034 b 7-16[13]):que les formes proviennent des agents
naturels. Car, comme ce qui est fait doit ressembler à ce qui le fait, du fait
qu'il a été fait, il est composé, il faut que celui qui le fait soit composé et
non une forme existante en soi, comme Platon le disait, de sorte que, de même
que ce qui a été fait est un composé, par quoi il est fait, il y a une forme
dans la matière ramenée à l'acte; de même celui qui engendre serait un composé
et non une forme seulement. Mais la forme serait par quoi il engendre; la
forme, dis-je, qui existe dans cette matière, comme dans ces chairs et ces
os[14], etc..
Solutions:
q. 3 a. 8 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod ex verbis Augustini in operibus naturae creatio Deo
attribuitur ratione virtutum naturalium, quas in principio materiae indidit per
opus creationis, non quod in quolibet naturae opere aliquod creetur.
# 1. Par ces paroles d'Augustin, la création, dans les opérations de
nature, est attribuée à Dieu, en raison des pouvoirs naturels qu'il a
introduits au commencement de la matière[15] par l'oeuvre de création, non
parce qu'il crée quelque chose dans n'importe quelle oeuvre de nature.
q. 3 a. 8 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod creatio proprie accipitur in verbis Augustini; non
tamen referenda est ad effectus naturae, sed ad virtutes quibus natura operatur;
quae per opus creationis naturae sunt inditae.
# 2. Dans ces paroles, Augustin prend la création au sens propre; elles
ne doivent pas cependant être rapportées aux effets de nature, mais aux
pouvoirs par lesquels la nature opère, qui sont introduits dans la nature par
l'opération de la création.
q. 3 a. 8 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod gratia, cum non sit forma subsistens, nec esse nec fieri
ei proprie per se competit: unde non proprie creatur per modum illum quo substantiae
per se subsistentes creantur. Infusio tamen gratiae accedit ad rationem
creationis in quantum gratia non habet causam in subiecto, nec efficientem, nec
talem materiam in qua sit hoc modo in potentia, quod per agens naturale educi
possit in actum, sicut est de aliis formis naturalibus.
# 3. Il ne convient pas à la grâce, puisqu'elle n'est pas une forme
subsistante, d'exister ni d'être faite réellement par soi. C'est pourquoi, elle
n'est pas proprement créée à la manière dont les substances subsistantes par
soi sont créées. Cependant l'infusion de la grâce touche à la notion de
création, dans la mesure où elle n'a pas de cause efficiente dans le sujet, ni
telle matière en laquelle elle serait ainsi en puissance, ce qui pourrait être
amenée à l'acte par l'agent naturel comme pour les autres formes naturelles.
q. 3 a. 8 ad 4 Unde patet solutio ad quartum. Nam cum dicitur aliquid fieri ex nihilo, negatur causa materialis. Hoc
vero aliquo modo ad carentiam materiae pertinet, quod aliqua forma de naturali
materiae potentiae educi non potest.
# 4. Ainsi paraît la solution à la 4e objection. Car, lorsqu'on dit que
quelque chose est fait de rien, on nie la cause matérielle. Qu'une forme ne
puisse pas être tirée de la puissance naturelle de la matière, cela concerne,
d'une certaine manière, une carence de la matière.
q. 3 a. 8 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod licet in natura non inveniatur principium efficiens
respectu formarum artificialium, tamen huiusmodi formae non excedunt naturae
ordinem, sicut gratia; immo infra subsistunt, quia omne naturale est nobilius
quam artificiale.
# 5. Quoiqu'on ne trouve pas dans la nature de principe efficient en
rapport avec les formes artificielles, cependant de telles formes ne dépassent
pas l'ordre de la nature, comme la grâce. Bien au contraire, elles se situent
au-dessous, parce que ce qui est naturel est plus noble que ce qui est
artificiel.
q. 3 a. 8 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod ex hoc quod forma non habet materiam partem sui,
sequeretur quod ei creari competeret, ei proprie fieri posset sicut res per se
subsistens.
# 6. Il découlerait, du fait que la forme n'a pas de partie matérielle,
qu'il lui conviendrait d'être créée, cela pourrait à proprement parler être
fait comme une choses subsistante par soi.
q. 3 a. 8 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod licet anima rationalis habeat materiam in qua sit, non
tamen educitur de potentia materiae, cum eius natura supra omnem materialem
ordinem elevetur: quod eius intellectualis operatio declarat. Et iterum haec
forma est res per se subsistens, cum corrupto corpore, maneat.
#7. Bien que l'âme rationnelle ait une matière en laquelle elle se
situe, elle ne sort cependant pas de la puissance de la matière, puisque sa
nature s'élève au-dessus de tout l'ordre de la matière, ce que montre son
opération intellectuelle. Et de plus cette forme est une chose subsistante en
soi, puisqu'elle demeure après la corruption du corps.
q. 3 a. 8 ad 8 Ad octavum dicendum, quod forma,
quae est generationis terminus, erat in materia ante generationem completam,
non in actu, sed in potentia. Non est autem inconveniens duorum
contrariorum unum esse actu et aliud in potentia.
# 8. La forme, qui est le terme de la génération, était dans la matière
avant la génération complète, non en acte mais en puissance. Mais il n'y a pas
d'inconvénient que l'un des deux contraires soit en acte et l'autre en
puissance.
q. 3 a. 8 ad 9 Et per hoc patet responsio ad
nonum. Nam Anaxagoras non ponebat formas actu praeexistere
in materia, sed latere.
# 9. Et par là apparaît la réponse à la 9e objection. Car Anaxagore ne
pensait pas que les formes préexistaient en acte dans la matière mais qu'elles
y étaient cachées.
q. 3 a. 8 ad 10 Ad
decimum dicendum, quod forma praeexistit in materia imperfecte; non quod aliqua
pars eius sit ibi in actu, et alia desit; sed quia tota praeexistit in
potentia, et postmodum tota producitur in actu.
# 10. La forme préexiste dans la matière de façon imparfaite, non parce
qu'une de ses parties y est en acte et que l'autre manque, mais parce qu'elle préexiste
tout entière en puissance et ensuite elle est amenée toute entière à acte.
q. 3 a. 8 ad 11 Et
per hoc etiam patet responsio ad undecimum; patet enim quod non perficitur esse
formae in materia alio exteriori addito, quod in potentia materiae non esset.
# 11. Et par là paraît la réponse à la 11e objection, car il est clair
que l'être de la forme dans la matière n'est pas achevé par une chose
extérieure ajoutée, qui ne serait pas dans la puissance de la matière.
q. 3 a. 8 ad 12 Ad
duodecimum dicendum, quod esse in potentia et esse in actu non dicunt diversos
modos accidentales, ex quorum diversitate alteratio proveniat, sed
substantiales. Nam etiam substantia dividitur per potentiam et actum, sicut et
quodlibet aliud genus.
# 12. L'être en puissance et l'être en acte n'indiquent pas différents
modes accidentels de la diversité desquelles proviendraient l'altération, mais
ils indiquent des modes substantiels. Car la substance aussi se divise en
puissance et en acte, comme n'importe quel autre genre.
q. 3 a. 8 ad 13 Ad
decimumtertium dicendum quod forma accidentalis agit in virtute formae
substantialis quasi instrumentum eius; sicut etiam in II de anima calor ignis
dicitur esse instrumentum virtutis nutritivae; et ideo non est inconveniens, si
actio formae accidentalis ad formam substantialem terminetur.
# 13. La forme accidentelle agit dans le pouvoir de la forme
substantielle comme son instrument. Ainsi, on dit dans le livre De L'âme (II,
4, 416 a 10[16]) que la chaleur du feu est l'instrument du pouvoir nutritif,
c'est pourquoi il n'y a pas d'inconvénient si l'action d'une forme accidentelle
se termine à la forme substantielle.
q. 3 a. 8 ad 14 Ad
decimumquartum dicendum, quod etiam in semine calor seminis agit ut
instrumentum virtutis animae, quae est in semine: quae quidem licet imperfecta
sit, tamen est impressio quaedam animae perfectae relicta: est enim in semine
ab anima generantis, et agit etiam in virtute corporis caelestis cuius est
quasi instrumentum; et propter hoc non dicitur quod semen generet, sed quod
anima et sol.
# 14. La chaleur de la semence agit aussi en celle-ci comme
l'instrument du pouvoir de l'âme qui est en elle. Quoiqu'elle soit imparfaite,
cependant elle est l'empreinte laissée par une âme parfaite. Car elle est dans
la semence par l'âme de celui qui engendre et elle agit aussi dans le pouvoir
du corps céleste dont elle est comme l'instrument et à cause de cela on ne dit
pas que la semence engendre, mais que c'est l'âme et le soleil qui engendrent.
q. 3 a. 8 ad 15 Ad
decimumquintum dicendum, quod animalia generata ex putrefactione sunt minoris
perfectionis aliis animalibus; unde in eorum generatione efficit vis caelestis
corporis inferiori materiae impressa, quod in generatione animalium perfectorum
facit eadem vis caelestis cum virtute seminis.
# 15. Les animaux engendrés
de la putréfaction sont d'une moindre perfection que les autres. C'est pourquoi
dans leur génération, la puissance d'un corps céleste imprimée dans une matière
inférieure, produit ce que dans la générations des animaux parfaits la même
force céleste accomplit avec le pouvoir de la semence.
q. 3 a. 8 ad 16 Ad
decimumsextum dicendum, quod licet mulus non sit similis equo vel asino in
specie, est tamen similis in genere proximo: ratione cuius similitudinis ex diversis
speciebus sua species, quasi media generatur.
# 16. Bien que le mulet ne soit semblable ni au cheval ni à l'âne selon
l'espèce, il est cependant semblable (parce que) dans un genre très proche. En
raison de cette ressemblance, son espèce est engendrée d'espèces différentes,
pour ainsi dire intermédiaires.
q. 3 a. 8 ad 17 Ad
decimumseptimum dicendum, quod sicut virtus divina, scilicet primum agens, non
excludit actionem virtutis naturalis, ita nec prima exemplaris forma, quae est
Deus, excludit derivationem formarum ab aliis inferioribus formis, quae ad sibi
similes formas agunt.
# 17. De même que le pouvoir divin, c'est-à-dire le premier agent
n'exclut pas l'action d'un pouvoir naturel, de même, la première forme
exemplaire, qui est Dieu, n'exclut pas l'émanation des formes d'autres formes
inférieures, qui agissent pour des formes qui leur sont semblables.
q. 3 a. 8 ad 18 Et per hoc patet responsio ad
decimumoctavum. Nam Boetius, intelligit formas quae sunt in materia, provenire
ex formis quae sunt sine materia, sicut a primis exemplaribus, non sicut a
proximis.
# 18. Et ainsi apparaît la réponse à la 18e objection car Boèce (loc.
cit.) comprend que les formes qui sont dans la matière proviennent des formes
sans matières, comme si elles venaient des premiers exemplaires, mais pas comme
des plus proches.
q. 3 a. 8 ad 19 Ad
decimumnonum dicendum, quod esse per creationem dicitur, in quantum omnis causa
secunda dans esse, hoc habet in quantum agit in virtute primae causae creantis;
cum esse sit primus effectus nihil aliud praesupponens.
# 19. On parle d'exister par création, dans la mesure où toute cause
seconde qui donne l'être, a ce pouvoir, en tant qu'elle agit dans celui de la
cause première créatrice, puisque l'être est le premier effet qui ne présuppose
rien d'autre.
q. 3 a. 8 ad 20 Ad
vicesimum dicendum, quod forma naturalis, quae est in materia, non potest
reduci ad formam per se existentem eiusdem speciei, cum forma naturalis habeat
materiam in sui ratione; sed reducitur ad formam per se existentem, sicut
dictum est.
# 20. La forme naturelle, qui est dans la matière, ne peut être ramenée
à une forme d'une même espèce, existant par soi, puisque elle possède la
matière dans sa nature, mais elle est ramenée à une forme qui existe par soi,
comme on l'a dit.
--------------------------------------------------------------------------------
[1]
Parall.: Ia, qu. 45, a. 8 – II Sent. d1q1a3, ad 5, - a4, ad 4 - Métaphysique VII, lectio 7.
[2]
Car la grâce existe par création. Il y a de la part de l'objecteur une
assimilation abusive de la grâce et des formes naturelles.
[3]
Cette glose de Gn. 1, 1, revient plusieurs fois. Cette analyse du sens de “ex”
complète celle qui se trouve qu. 3, a. 1 sol..
[4]
De anima, II, 412 a 3: "En un premier sens, la substance c'est la matière,
c'est-à-dire ce qui, par soi, n'est pas tel être déterminé, en un deuxième
sens, c'est la figure et la forme, qui dès lors valent à la matière d'être
appelée tel être déterminé, en un troisième sens, c'est le composé des deux
principes." (Cf. Métaphysique V,
8, 1017 b 10 ss. et 12 (L) 1, 1069 a 18 ss. (Thomas n° 215 en Physique- De anima II, 414 a 15: "...La
substance, avons-nous dit, peut se prendre en trois sens, d'une part la forme,
de l'autre la matière, enfin le composé (la matière étant puissance, la forme
entéléchie)" (Cf. Thomas 275).
[5]
Îuvre de Gilbert de la Porée.
[6]
Cf. a. 12, ci-après.
[7]
L'oeuvre de propagation est l'oeuvre de la nature. (Cf. Ia, au. 45, a. 8.
Augustin les distingue (La Genèse au sens
littéral, V, XI, 27): "...aliter operatur Deus omnes creaturas prima
conditione a quibus operibus in die septem requievit, aliter ista eorum
administratione, qua usque nunc operatur..."
[8]
"Suivant Anaxagore, tout était mélangé à l'exception de l'Intelligence qui
était seule pure et sans mélange." (Métaphysique,
989 b 15, p. 73.)
[9]
Cf. Ia, qu. 65, a. 4, c. Autre opinion: certains hérétiques modernes... pensent
que la matière est formée et disposée en espèces variées par le diable".
Cf. Ia, 45, 8 c.
[10]
"l'agent naturel produit du semblable non seulement en qualité, mais en
espèce." (Cf. Ia, 54, 3, - qu. 77, a. 1, ad 3, ad 4, – qu. 77 a. 3, ad. 3 etc.–
qu. 115, a. 1, ad 5
[11]
Thomas n ° 1258.
[12]
Métaphysique VII, 8, 1033 b 7: 7: "...
la forme non plus, ou quel que soit le nom qu'il faille donner à la
configuration réalisée dans le sensible, n'est pas soumise au devenir, parce
que d'elle il n'y a pas génération...17.... Il résulte maintenant...que ce
qu'on appelle forme ou substance n'est pas engendré, mais que ce qui est
engendré c'est le composé de matière et de forme, lequel reçoit le nom de sa
forme..." (Trad. J. Tricot) (Aristote, n° 611, Thomas, 1417-1423).
[13]
Thomas, lectio 7, 1417-1423, lectio 8, 1458. Conclusion de Thomas, Ia, qu. 65,
a. 4: "Les formes corporelles sont causées non comme sortant d'une forme
immatérielle, mais comme si la matière était ramenée de la puissance à l'acte
par un agent composé".
[14]
Cf. Physique, II, 1, 193 b 1: "En
effet la chair ou l'os en puissance n'ont pas encore leur propre nature en
n'existant pas par nature, tant qu'ils n'ont pas reçu la forme de la chair et
de l'os, j'entends la forme définissable, celle que nous énonçons pour définir
l'essence de la chair ou de l'os."
Réponse
un peu différente dans le De Veritate , 27, a. 3, ad 9: "...les formes
subsistantes, qu'elles soient substantielles ou accidentelles, ne sont pas à
proprement parler créées, mais elles sont concrées, Ainsi elles n'ont pas
l'être par elles-mêmes, mais dans un autre, et quoique elles n'aient pas de
matière d'où [elles viennent ex qua] qui serait une partie d'elles, elle ont
cependant la matière dans laquelle elles sont (in qua), et par changement elles
sont amenées à l'être, de sorte qu'ainsi leur propre devenir est soumis à un
changement.". Cf. Métaphysique
VII, (Thomas 1423: "Les forme à proprement parler ne se font pas, mais
sortent de la puissance de la matière en tant que celle-ci qui est en puissance
pour la forme devient en acte sous elle, ce qui est un composé" Cf. Ia.
qu. 45, a. 8, c.: "Puisque le devenir et crée ne conviennent (ne se
rassemblent) pas proprement dans la chose subsistante, il n'y a pas de devenir
ni de création de formes mais elles sont concréées. Ce qui est fait par l'agent
naturel est composé parce qu'il est fait de matière.
[15]
Comprendre dans l'optique d'Augustin les raisons séminales.
[16]
Thomas, lectio 8, n° 330.
q. 3 a. 9 tit. 1
Nono quaeritur utrum anima rationalis educatur in esse per creationem, vel per
seminis traductionem. Et videtur quod propagetur cum semine.
Il semble qu'elle est transmise avec la semence.
Objections[1]
q. 3 a. 9 arg. 1
Dicitur enim Gen. XLVI, 26: cunctae animae quae ingressae sunt cum Iacob in
Aegyptum, et egressae sunt de femore illius, absque uxoribus filiorum eius,
sexaginta sex. Sed nihil egreditur de femore patris, nisi per seminis
traductionem. Ergo anima rationalis traducitur cum semine.
1. Car on dit dans la Genèse (46, 26): "Toutes les âmes qui sont
entrées avec Jacob en Égypte et sont sorties de sa cuisse, sans compter les
épouses de ses fils, étaient soixante six." Mais rien ne sort de la cuisse
du père que par la transmission de la semence. Donc l'âme rationnelle est
transmise avec la semence.
q. 3 a. 9 arg. 2 Sed
diceretur, quod ponitur pars pro toto, id est anima pro homine - sed contra,
homo est quid compositum ex anima et corpore. Si ergo totus homo ex femore
patris egreditur, non solum corpus, sed etiam anima cum semine traducetur, ut
prius.
2. Mais on pourrait dire qu'on prend la partie pour le tout,
c'est-à-dire l'âme pour l'homme. - En sens contraire, l'homme est composé d'une
âme et d'un corps. Si donc tout l'homme sort de la cuisse du père, non
seulement le corps mais aussi l'âme est transmise avec la semence, comme on l'a
dit ci-dessus.
q. 3 a. 9 arg. 3
Praeterea, accidens traduci non potest nisi subiectum traducatur, eo quod
accidens de subiecto in subiectum non transeat. Sed anima rationalis est
subiectum peccati originalis. Cum ergo peccatum originale traducatur a parente
in prolem, videtur etiam quod anima rationalis filii a parente traducatur.
3. L'accident ne peut être transmis que si le substrat est transmis,
parce que l'accident ne passe pas d'un substrat à un autre. Mais l'âme
rationnelle est le substrat du péché originel. Donc comme celui-ci est transmis
par les parents à leur descendance, il semble que l'âme rationnelle du fils est
transmise par les parents[2].
q. 3 a. 9 arg. 4 Sed diceretur, quod peccatum
originale, licet sit in anima sicut in subiecto, est tamen in carne sicut in
causa; unde per carnis traductionem traducitur.- Sed contra, Rom. V, 12,
dicitur: peccatum per unum hominem in mundum intravit, et per peccatum mors: et
ita mors in omnes pertransit, in quo omnes peccaverunt. Glossa autem exponit:
in quo homine peccatore, vel in quo peccato. Non autem in illo peccato omnes
peccassent, nisi illud unum peccatum in omnes traductum fuisset. Illud ergo
unum peccatum quod in Adam fuit, in omnes traducitur; et sic anima illius, quae
peccati subiectum erat, traducitur in omnes.
4. Mais on pourrait dire que, bien que le péché originel soit dans
l'âme comme dans un substrat, il est cependant dans la chair comme dans sa
cause. C'est pourquoi il est transmis par la chair.- En sens contraire: on lit en Rm. 5, 12: "Par un seul homme le
péché est entré dans le monde, et par le péché la mort. Et ainsi la mort passe
en tous, en lui tous ont péché". Mais la glose (Augustin, Les mérites et
la rémission des péchés, 10) explique: "Dans l'homme pécheur ou dans le
péché." Mais tous n'auraient péché en lui que si cet unique péché avait
été transmis en tous. Donc cet unique péché qui fut en Adam, est transmis en
tous; et ainsi son âme qui avait été soumise au péché, est transmise à tous.
q. 3 a. 9 arg. 5
Praeterea, omne agens agit sibi simile. Sed omne agens agit per virtutem formae. Ergo illud quod
agit agens, est forma. Sed generans agens est. Ergo forma generati est per
actionem generantis. Cum ergo homo generet hominem, et anima rationali sit
forma hominis; videtur quod anima rationalis sit per generationem, et non per
creationem.
5. Tout agent fait du semblable à soi. Mais tout agent agit par le
pouvoir de la forme. En conséquence, ce que l'agent fait, est forme. Mais le
géniteur est un agent. Aussi la forme de l'engendré vient par son action. Donc,
puisque l'homme engendre l'homme et que la forme de l'homme existe par l'âme
rationnelle, il semble que celle-ci viendrait par génération et non par
création.
q. 3 a. 9 arg. 6 Praeterea, secundum philosophum
in II Phys., causa efficiens in suo effectu incidit in idem specie. Sed homo
sortitur speciem per animam rationalem. Ergo videtur quod id quod facit
generans in genito, sit anima rationalis.
6. Selon le philosophe (Physique,
II, 7, 198 a 25[3]) la cause efficiente arrive en son effet, dans ce qui est
identique en espèce. Mais l'homme reçoit l'espèce par l'âme rationnelle. Donc
il semble que ce que produit le géniteur dans l'engendré soit l'âme
rationnelle.
q. 3 a. 9 arg. 7
Praeterea, filii similantur parentibus propter hoc quod a parentibus
propagantur. Similantur autem parentibus filii, non solum quantum ad
dispositiones corporales, sed etiam quantum ad dispositiones animae. Ergo sicut
corpora a corporibus, ita animae ab animabus traducuntur.
7. Les fils ressemblent à leurs parents, parce qu'ils sont transmis par
eux. Les fils ressemblent aux parents non seulement quant aux dispositions
corporelles mais aussi quant à celles de l'âme. Donc, comme les corps sont
transmis par les corps, les âmes le sont par les âmes.
q. 3 a. 9 arg. 8
Praeterea, Moyses dicit, Levit. XVII, 11: anima carnis in sanguine est. Sed
sanguis cum semine traducitur: praecipue cum sperma non sit nisi sanguis
decoctus. Ergo et anima cum semine traducitur.
8. Moïse dit (Lv. 17, 11): "L'âme de la chair est dans le sang."
Mais le sang est transmis avec la semence; surtout puisque que le sperme n'est
que du sang cuit[4]. Donc l'âme est transmise avec la semence.
q. 3 a. 9 arg. 9
Praeterea, embrio antequam anima rationali perficiatur, habet aliquam
operationem animae; quia augetur et nutritur et sentit. Sed operatio animae non
est sine vita. Ergo vivit. Vitae vero corporis principium est anima. Ergo habet
animam. Sed non potest dici quod adveniat ei alia anima; quia tunc in uno
corpore essent duae animae. Ergo ipsa anima quae prius erat in semine
propagata, est anima rationalis.
9. L'embryon avant d'être achevé par l'âme rationnelle, possède
l'opération d'une âme; parce qu'il grandit, se nourrit et éprouve des
sensations. Mais l'opération de l'âme n'existe pas sans la vie. Donc il vit.
Mais le principe de la vie du corps est l'âme. Donc il a une âme. Mais on ne
peut pas dire qu'il lui arrive une autre âme, parce que, alors, dans un seul
corps, il y aurait deux âmes. Donc l'âme même qui avait été d'abord propagée
dans la semence est l'âme rationnelle.
q. 3
a. 9 arg. 10 Praeterea, diversae animae secundum speciem, constituunt diversas
animas secundum speciem. Si ergo in semine ante ipsam animam rationalem erat anima
quae non erat rationalis, erat ibi animal secundum speciem diversum ab homine;
et sic ex illo non poterit homo fieri; quia diversae species animalis non
transeunt in invicem.
10. Les âmes différentes en espèce constituent des âmes différentes en
espèce. Si donc dans la semence, avant l'âme rationnelle même, il y en avait
une qui ne soit pas raisonnable, il y aurait là un animal diffèrent de l'homme
en espèce et ainsi il ne sera pas possible qu'il devienne un homme, parce que
les différentes espèces animales ne passent pas de l'une à l'autre.
q. 3 a. 9 arg. 11
Sed dices, quod huiusmodi operationes animae non conveniunt embrioni per
animam, sed per aliquam virtutem animae, quae dicitur virtus formativa.- Sed
contra, virtus supra substantiam radicatur; unde ponitur media inter
substantiam et operationem, ut habetur a Dionysio. Si ergo est ibi virtus
animae, erit ibi animae substantia.
11. Mais on pourrait dire que de telles opérations de l'âme n'arrivent
pas à l'embryon par l'âme mais par quelque puissance de l'âme, appelée
puissance formative - En sens contraire, la puissance s'enracine sur la
substance. C'est pourquoi elle est placée entre la substance et l'opération,
comme on le lit chez Denys (La Hiérarchie
céleste, ch. 11, 284 D). Si donc il y a là la puissance de l'âme, il y aura
là sa substance.
q. 3 a. 9 arg. 12
Praeterea, philosophus dicit in XVI de animalibus, quod embrio prius vivit quam
animal, et prius animal quam homo. Sed omne animal habet animam. Ergo prius est
ibi aliqua anima quam sit ibi anima rationalis per quam homo est homo.
12. Le philosophe (Les animaux
XVI, 3 La génération animale II, 3) dit que l'embryon vit avant l'animal et
l'animal avant l'homme. Mais tout animal a une âme. Donc il y a là une âme
avant qu'il y ait l'âme rationnelle par laquelle l'homme est homme.
q. 3 a. 9 arg. 13
Praeterea, secundum philosophum, anima est actus viventis corporis in quantum
huiusmodi. Sed si embrio vivit, et operationem vitae exercet per huiusmodi
virtutem formativam, ipsa virtus erit actus eius in quantum est vivens. Ergo
erit anima.
13. Selon le philosophe (L'âme, II,
4, 415 b 7[5]) l'âme est "l'acte du corps vivant en tant que tel".
Mais si l'embryon vit et exerce l'opération de vie par une telle puissance
formative, celle-ci même sera son acte en tant qu'il est vivant. Donc elle sera
l'âme.
q. 3 a. 9 arg. 14
Praeterea, ut dicitur in I de anima, vivere inest omnibus viventibus per animam
vegetabilem. Sed manifestum est embrionem vivere ante
infusionem animae rationalis, cum in eo operationes vitae inveniantur. Ergo est
ibi anima vegetabilis antequam sit anima rationalis.
14. Comme on le dit (L'âme, I,
5, 411 b 28[6]), la vie est dans tous les vivants par l'âme végétative. Mais il
est évident que l'embryon vit avant l'infusion de l'âme rationnelle, puisqu'on
trouve en lui les opérations vitales. Donc il a une âme végétative avant l'âme
rationnelle.
q. 3 a. 9 arg. 15
Praeterea, in II de anima, improbat philosophus quod augeri non est actus ignis
sicut principalis agentis, sed magis animae vegetabilis. Sed embrio ante adventum animae rationalis augetur. Ergo habet animam
vegetabilem.
15. Dans L'âme (II, 4, 416 a 10[7]) Aristote prouve que la croissance
n'est pas un acte du feu, comme principal agent, mais plutôt celui de l'âme
végétative. Or l'embryon grandit avant l'arrivée de l'âme rationnelle. Donc il
possède une âme végétative.
q. 3 a. 9 arg. 16
Praeterea, si non est ibi anima vegetabilis ante adventum animae rationalis,
sed virtus formativa; adveniente anima, illa virtus suam operationem non habebit;
cum operatio quam illa virtus faciebat in embrione, sufficienter postmodum fiat
in animali per animam. Ergo erit ibi otiosa; quod videtur esse inconveniens,
cum nihil sit otiosum in natura.
16. S'il n'y a pas d'âme végétative avant l'arrivée de l'âme
rationnelle, mais une puissance formatrice, à son arrivée, ce pouvoir
n'exercera plus son opération, puisque l'opération que cette puissance exerçait
dans l'embryon, est faite ensuite avec suffisance par l'âme dans l'animal. Donc
elle y sera inutile, ce qui ne paraît pas convenir, puisqu'il n'y a rien
d'inutile dans la nature.
q. 3 a. 9 arg. 17
Sed dices, quod illa virtus destruitur adveniente anima rationali.- Sed contra,
dispositiones non destruuntur adveniente forma, sed manent, et quodammodo
tenent formam in materia. Sed illa virtus erat quaedam dispositio ad animam.
Ergo adveniente anima, illa virtus non destruitur.
17. Mais on pourrait dire que cette puissance est détruite quand arrive
l'âme rationnelle. - En sens contraire, les dispositions ne sont pas détruites
quand arrive la forme, mais elles demeurent, et d'une certaine manière, elles
maintiennent la forme dans la matière. Mais cette puissance était une
disposition pour l'âme. Donc quand arrive l'âme, elle n'est pas détruite.
q. 3 a. 9 arg. 18 Praeterea,
ex actione illius virtutis pervenitur ad introductionem animae. Si ergo anima
adveniente illa virtus destruitur, videtur quod aliquid agat ad sui
destructionem; quod est impossibile.
18. Par l'action de cette puissance, on parvient à l'introduction de
l'âme. Si donc, quand l'âme arrive, cette puissance est détruite, il semble que
quelque chose agisse pour sa destruction, ce qui est impossible.
q. 3 a. 9 arg. 19
Praeterea, homo est homo per animam rationalem. Si ergo anima non exit in esse
per generationem, nec erit verum dicere quod homo generetur; quod patet esse
falsum.
19. L'homme est homme par son âme rationnelle. Si donc l'âme ne vient
pas à l'existence par génération, il ne sera pas vrai de dire que l'homme est
engendré, ce qui paraît faux.
q. 3 a. 9 arg. 20
Praeterea, corpus hominis exit in esse per actionem generantis. Si ergo anima
non exit in esse a generante, erit in homine duplex esse; unum corporis, quod
facit generans; et aliud animae, quod non facit; et sic ex anima et corpore non
fit unum simpliciter, cum secundum esse differant.
20. Le corps de l'homme vient à l'existence par l'action de celui qui
l'engendre. Si donc l'âme ne vient pas à l'existence par lui, il y aura deux
êtres dans l'homme: celui du corps que fait celui qui engendre, et celui de
l'âme qu'il ne fait pas. Et ainsi ce n'est absolument pas un être unique fait
de l'âme et du corps, mais ils diffèrent selon l'être.
q. 3 a. 9 arg. 21
Praeterea, impossibile est quod actio unius agentis terminetur ad materiam, et
alterius ad formam; alias ex forma et materia non esset unum simpliciter, cum
unum factum sit per unam actionem. Sed actio naturae generantis terminatur ad
corpus. Ergo et terminatur ad animam, quae est forma eius.
21. Il est impossible que l'action d'un agent se termine à la matière,
et celle d'un autre à la forme[8]. Autrement à partir de la forme et de la
matière il n'y aurait pas un être absolument unique; puisque l'objet unique est
fait par une action unique. Mais l'action de la nature qui engendre se termine
au corps. Donc elle se termine aussi à l'âme qui en est la forme.
q. 3 a. 9 arg. 22
Praeterea, secundum philosophum in libro XVI de animalibus, principia quorum
actiones non sunt sine corpore, cum corpore producuntur. Sed actio animae
rationalis non est sine corpore; maxime enim intelligere esset sine corpore,
quod patet esse falsum; non enim est intelligere sine phantasmate, ut dicitur
in I et III de anima; phantasma autem non est sine corpore. Ergo anima
rationalis cum corpore traducitur.
22. Selon le philosophe, (Les
animaux, livre 16 La génération des
animaux, II, ch. 3) les principes dont les actions ne sont pas sans corps,
sont produits avec lui. Mais l'action de l'âme rationnelle n'est pas sans le
corps; car l'intellection en particulier se produirait sans corps, ce qui est
évidemment faux. Car l'intellection ne se fait pas sans images,(phantasma),
comme on le dit (De l'âme I et III). Il n'y a pas d'image sans corps. Donc
l'âme rationnelle est transmise avec le corps.
q. 3 a. 9 arg. 23
Sed dicebat, quod anima rationalis indiget phantasmate intelligendo quantum ad
acquisitionem specierum intelligibilium, non autem postquam eas iam
acquisivit.- Sed contra, homo postquam acquisivit scientiam, impeditur in
actione intellectus laeso organo phantasiae. Hoc autem non esset, si
intellectus post acquisitionem scientiae, phantasmatibus non indigeret. Indiget ergo eis non solum in acquirendo scientiam,
sed in utendo scientia acquisita.
23. Mais on pourrait dire que l'âme rationnelle a besoin d'images dans
l'intellection pour l'acquisition des espèces intelligibles, mais non après
qu'elle les a acquises. - En sens contraire, après avoir acquis la
connaissance, l'homme est empêché dans l'action de son intellect quand l'organe
de l'imagination est blessé. Mais cela n'existerait pas si l'intellect, après
l'acquisition de la science, n'avait pas besoin d'images. Donc il en a besoin,
non seulement pour acquérir la connaissance, mais encore pour l'utiliser une
fois acquise.
q. 3 a. 9 arg. 24
Sed dices, quod impedimentum operationis intellectualis ex laesione organi
phantasiae provenit non ex hoc quod intellectus indigeat phantasmatibus in
utendo scientia acquisita, sed ex hoc quod imaginatio et intellectus sunt in
una essentia animae: unde per accidens, imaginatione impedita, impeditur et
intellectus.- Sed contra est quod coniunctio potentiarum in una essentia animae
est causa quare quando una potentiarum intenditur in suo actu, alterius actus
remittitur; sicut quando aliquis attente videt, minus attente audit; et est etiam
causa quare una potentiarum cessante a suo actu, alia in suo actu roboratur;
unde caeci plerumque acutius audiunt. Non ergo propter huiusmodi coniunctionem
contingeret quod propter impedimentum potentiae imaginativae impediretur actio
intellectus, sed magis roboraretur.
24. Mais on pourrait dire que l'empêchement de l'opération
intellectuelle par la lésion de l'imagination provient, non de ce que
l'intellect a besoin d'images en utilisant la science acquise, mais de ce que
l'imagination et l'intellect sont dans l'unique essence de l'âme. C'est
pourquoi, par accident, si l'imagination est empêchée, l'intellect aussi. - En
sens contraire, la conjonction des puissances dans l'unique essence de l'âme
est la raison pour laquelle, quand une des puissance est tendue à son action,
l'acte de l'autre est relâchée. Ainsi quand quelqu'un regarde attentivement, il
écoute moins attentivement et c'est aussi la raison pour laquelle, quand une
des puissance cesse son action, l'autre est renforcée dans la sienne. C'est pourquoi
les aveugles la plupart du temps entendent mieux. Donc ce n'est pas à cause
d'une telle conjonction qu'il arriverait que l'action de l'intellect serait
empêchée par un blocage de la puissance imaginative, mais elle serait plutôt
renforcée.
q. 3 a. 9 arg. 25
Praeterea, quicumque dat ultimum complementum operationi alicui, ille maxime
operanti cooperatur. Sed si omnes animae humanae creantur a Deo, et ab ipso
corporibus infunduntur, ipse dat ultimum complementum generationi quae est ex
adulterio. Ergo ipse cooperabitur adulteris; quod videtur absurdum.
25. Quiconque donne un dernier complément à une opération coopère au
maximum avec celui qui opère. Mais si toutes les âmes humaines sont créées par
Dieu et sont infusées par lui dans les corps, il donne un dernier complément à
la génération qui provient d'un adultère. Donc lui-même coopèrera à l'adultère,
ce qui paraît absurde[9].
q. 3 a. 9 arg. 26
Praeterea, secundum philosophum, perfectum unumquodque est quod potest sibi
simile facere. Quanto ergo aliquid est perfectius, tanto magis potest sibi
simile facere. Sed animae rationales sunt perfectiores materialibus formis
elementorum, quae sibi similes formas producunt. Ergo virtute animae rationalis
poterit anima rationalis produci per viam generationis.
26. Selon le philosophe, (Les
météores, IV, 3, 380 a 11-15, L'âme II, 4, 415 a 26[10]) est parfait
tout ce qui peut faire quelque chose de semblable à soi. Donc, plus une chose
est parfaite, plus elle peut faire du semblable à elle. Mais les âmes
rationnelles sont plus parfaites que les formes matérielles des éléments qui
produisent des formes semblables à elles. Donc par sa puissance, elle pourra
être produite par génération.
q. 3 a. 9 arg. 27
Praeterea, anima rationalis constituta est inter Deum et res corporales media;
unde in libro de causis dicitur, quod est creata in horizonte aeternitatis et
temporis. Sed in Deo generatio invenitur, similiter in rebus corporalibus. Ergo
et anima, quae est media, per generationem producitur.
27. L'âme rationnelle est établie intermédiaire entre Dieu et les
corps. C'est pourquoi, dans le Livre des
Causes, (prop. 2[11]), on dit qu'elle a été créée à la limite de l'éternité
et du temps. Mais on trouve la génération en Dieu, et de la même manière dans
les corps. Donc l'âme qui est intermédiaire est produite par génération.
q. 3 a. 9 arg. 28
Praeterea, philosophus in XVI de animalibus dicit, quod spiritus qui exit cum
spermate, est virtus principii animae et est res divina; et tale dicitur
intellectus; et ita videtur quod intellectus propagetur cum semine.
28. Le philosophe, au ch. 16, Des animaux (La génération animale, c. 3...) dit que "l'esprit[12]"
qui sort avec le sperme est la puissance du principe de l'âme et est chose
divine, et on en dit autant de l'intellect et ainsi il semble transmis avec la
semence.
q. 3 a. 9 arg. 29
Praeterea, in eodem Lib., philosophus dicit, quod in generatione femina dat
corpus, et anima est ex mare; et ita videtur quod anima sit per seminis
propagationem, et non per creationem.
29. Dans le même livre, (ch. 4), le philosophe dit que dans la
génération, la femelle donne le corps et l'âme vient du mâle et ainsi il semble
que l'âme vient de la propagation de la semence et non par création.
En sens contraire:
q. 3 a. 9 s. c. 1
Sed contra. Est quod dicitur Isai. LVII, vers. 16: omnem flatum ego feci. Per
flatum autem intelligitur anima. Ergo videtur quod anima creetur a Deo.
1. Il y a ce que dit Isaïe, 57, 16: "C'est moi qui ai fait tout
souffle". Par souffle on comprend l'âme. Donc il semble que l'âme est
créée par Dieu.
q. 3 a. 9 s. c. 2
Praeterea, in Psal. XXXII, 15, dicitur: qui finxit singillatim corda eorum. Non ergo una anima propagatur ex alia, sed omnes seorsum creantur a Deo.
2. Au Ps. 32, 15, on dit: "Il a fixé un à un leurs coeurs".
Donc l'âme n'est pas propagée à partir d'une autre, mais toutes sont créées
séparément par Dieu.
Réponse:
q. 3 a. 9 co.
Respondeo. Dicendum quod, circa hanc quaestionem antiquitus diversa dicebantur
a diversis.
Quidam namque dicebant, animam filii ex parentis anima
propagari, sicut et corpus propagatur ex corpore.
Alii vero dicebant, omnes animas seorsum creari; sed
ponebant a principio eas extra corpora fuisse creatas simul, et post modum
corporibus seminatis coniungebantur, vel proprio motu voluntatis, secundum
quosdam, vel Deo mandante et faciente, secundum alios.
Il faut dire, à propos de cette question que, dans l'antiquité, divers
penseurs ont émis diverses opinions.
A) Car certains[13] disaient que l'âme du fils est propagée par l'âme
du père, comme le corps est propagé par le corps.
B) D'autres disaient que toutes les âmes sont créées séparément, mais
ils pensaient qu'au commencement elles avaient été créées en même temps hors
des corps; après ce stade, elles étaient unies à des corps ensemencés soit par
le propre mouvement de leur volonté selon certains, soit par ordre et
agissement de Dieu, selon d'autres.
Alii vero dicebant, animas simul cum creantur,
corporibus infundi.
C) D'autres disaient que les âmes en même temps qu'elles sont créées sont
infusées dans les corps.
Alii vero dicebant, animas simul cum creantur,
corporibus infundi. Quae quidem opiniones, quamvis aliquo tempore
sustinerentur, et quae earum esset verior in dubium verteretur, ut patet ex
Augustino, et in libris quos scribit de origine animae; tamen primae duae
postmodum iudicio Ecclesiae sunt damnatae, et tertia approbata; unde dicitur in
Lib. de ecclesiasticis dogmatibus: animas hominum non esse ab initio inter
ceteras intellectuales naturas, nec simul creatas credimus, sicut Origenes
fingit; neque cum corporibus per coitum seminantur, sicut Luciferiani et
Cyrillus et aliqui Latinorum praesumptores affirmant. Sed dicimus corpus tantum per coniugii
copulam seminari, ac formato iam corpore, animam creari et infundi.
D) Quoique ces opinions aient été soutenues quelque temps, on peut se
demander laquelle est la plus vraie, comme cela paraît chez Augustin dans La Genèse au sens littéral, (X, ch. 21
et 22) et dans ses livres écrits sur L'origine de l'âme. Cependant les deux
premières opinions ont été condamnées par jugement de l'Église et la troisième
approuvée. D'où ce qu'on lit dans Les dogmes ecclésiastiques, ch. 13: "Nous
croyons que les âmes humaines ne sont pas au commencement parmi les autres
natures intellectuelles et qu'elles n'ont pas été créées en même temps comme
Origène l'imagine. Et elles ne sont pas semées avec les corps dans l'union
conjugale, comme les Lucifériens[14], Cyrille[15] et quelques penseurs latins
l'affirment. Mais nous disons que le corps seulement est semé par l'union
conjugale et quand le corps est déjà formé, l'âme est créée et infusée[16].".
Diligenter autem consideranti apparet rationabiliter illam
opinionem esse damnatam quae ponebat animam rationalem cum semine propagari, de
qua nunc est quaestio. Et hoc tribus rartionibus potest videri ad praesens.
A celui qui examine le problème avec attention, il apparaît
raisonnablement que doit être condamnée cette opinion qui établissait que l'âme
rationnelle est propagée avec la semence, [opinion] dont il est maintenant
question. Et on peut le voir pour trois raisons.
prima est, quia rationalis anima in hoc a ceteris formis
differt, quod aliis formis non competit esse in quo ipsae subsistant, sed quo
eis res formatae subsistant; anima vero rationalis sic habet esse ut in eo
subsistens; et hoc declarat diversus modus agendi. Cum enim agere non possit
nisi quod est, unumquodque hoc modo se habet ad operandum vel agendum, quomodo
se habet ad esse; unde, cum in operatione aliarum formarum necesse sit
communicare corpus, non autem in operatione rationalis animae, quae est
intelligere et velle; necesse est ipsi rationali animae esse attribui quasi rei
subsistenti, non autem aliis formis. Et ex hoc est quod inter formas, sola
rationalis anima a corpore separatur.
1. Première raison: L'âme rationnelle diffère de toutes les autres
formes du fait qu'il ne leur convient pas d'être là où elles subsistent mais là
où subsistent ce qui est informé en elles; l'âme rationnelle a un être
subsistant en soi; et ses mode d'action différents le révèlent. En effet, comme
ne pourrait agir que ce qui existe, chaque chose se comporte pour opérer ou
agir de la manière dont elle se comporte vis-à-vis de l'être. C'est pourquoi,
comme dans l'opération des autres formes, il est nécessaire que le corps
participe, mais pas dans l'opération de l'âme rationnelle qui consiste à penser
(intelligere) et vouloir; il est nécessaire d'attribuer l'être à l'âme
rationnelle en tant que subsistante, mais pas aux autres formes. Et de là vient
que parmi les formes, seule l'âme rationnelle est séparée du corps.
Ex hoc ergo patet quod anima rationalis exit in esse, non
sicut formae aliae, quibus proprie non convenit fieri, sed dicuntur fieri facto
quodam. Sed res quae fit, proprie et per se fit. Quod autem fit, fit vel ex
materia vel ex nihilo. Quod vero ex materia fit, necesse est fieri ex materia
contrarietati subiecta. Generationes enim ex contrariis sunt, secundum
philosophum: unde cum anima vel omnino materiam non habeat, vel ad minus non
habeat materiam contrarietati subiectam, non potest fieri ex aliquo. Unde
restat quod exeat in esse per creationem, quasi ex nihilo facta. Ponere autem
quod per generationem corporis fiat, est ponere ipsam non esse subsistentem, et
per consequens cum corpore corrumpi.
Et à partir de là, il est clair que l'âme rationnelle vient à l'être,
non pas comme les autres formes pour lesquelles il ne convient pas à proprement
parler d'être faites, mais on dit qu'elles sont faites de ce qui est fait. Mais
ce qui est fait est à proprement parler fait par soi. Ce qui est fait, est fait
de matière ou de rien. Mais ce qui est fait de matière doit être fait
nécessairement d'une matière soumise à la contrariété. Car les générations
viennent des contraires selon le philosophe (La Génération des animaux, livre
1, ch. 18). C'est pourquoi, comme l'âme n'a absolument pas de matière ou du
moins pas de matière soumise à la contrariété, elle ne peut pas être faite à
partir de quelque chose. Aussi, il reste qu'elle vient à l'être par création,
comme faite de rien. Mais penser qu'elle est faite par génération du corps,
c'est penser qu'elle n'est pas subsistante et par conséquent qu'elle se
corrompt avec le corps.
Secunda ratio est, quia impossibile est actionem corporeae
virtutis ad hoc elevari quod virtutem penitus spiritualem et incorpoream
causare possit; nihil enim agit ultra suam speciem; immo agens oportet esse
praestantius patiente, secundum Augustinum. Generatio autem hominis fit per
virtutem generativam, quae organum habet corporale; virtus etiam quae est in
semine, non agit nisi mediante calore, ut dicitur in XVI de animalibus; unde,
cum anima rationalis sit forma penitus spiritualis, non dependens a corpore nec
communicans corpori in operatione, nullo modo per generationem corporis potest
propagari, nec produci in esse per aliquam virtutem quae sit in semine.
2. Seconde raison: Il est impossible que l'action d'un pouvoir corporel
soit élevé à pouvoir causer un pouvoir tout à fait spirituel et incorporel; car
rien n'agit au delà de son espèce; au contraire, il faut que l'agent soit plus
important que le patient, selon Augustin (La
Genèse au sens littéral, XII,16). La génération de l'homme se fait par une
puissance générative qui a un organe corporel, cette puissance, qui est dans la
semence, n'agit que par l'intermédiaire de la chaleur, comme il est dit (Les animaux, 16, La génération animale, ch.3). C'est pourquoi, comme l'âme
rationnelle est une forme tout à fait spirituelle, qui ne dépend pas du corps,
et ne participe en aucune manière avec lui à son opération, elle ne peut être
propagée par la génération du corps, ni amenée à l'existence par un pouvoir qui
serait dans la semence.
Tertia ratio est, quia omnis forma quae exit in esse per
generationem, vel per virtutem naturae, educitur de potentia materiae, ut
probatur in VII Metaph. Anima vero rationalis non potest educi de potentia
materiae. Formae enim quarum operationes non sunt cum corpore, non possunt de
materia corporali educi. Unde relinquitur quod anima rationalis non propagetur
per virtutem generantis; et haec est ratio Aristotelis.
3. Troisième raison: Toute forme qui vient à l'être par génération, ou
par le pouvoir de la nature est éduite de la puissance de la matière, comme
c'est prouvé en Métaphysique (VII,
1033 b 7[17]). Mais l'âme rationnelle ne peut pas être éduite de la puissance
de la matière. Car les formes dont les opérations ne dépendent pas du corps, ne
peuvent pas être tirées de la matière corporelle. C'est pourquoi, il reste que
l'âme rationnelle n'est pas transmise par le pouvoir du géniteur et c'est la
raison donnée par Aristote (Les animaux,
16, ch. 2...).
Solutions
q. 3 a. 9 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod in auctoritate inducta per synecdochem ponitur pars
pro toto, id est anima pro toto homine; et hoc ideo quia anima est principalior
pars hominis, et unumquodque totum videtur esse id quod est principalius in eo;
unde totus homo videtur esse anima vel intellectus, secundum quod dicitur in IX
Ethic., cap. IV.
# 1. Dans l'autorité citée[18], on place par synecdoque la partie pour
le tout, c'est-à-dire l'âme pour l'homme entier et cela parce qu'elle en est la
partie la plus importante et chaque ensemble paraît être est plus important en
lui. C'est pourquoi, l'homme entier semble être âme ou intellect[19], selon ce qui
est dit en Éthique, 9 ch. 4[20].
q. 3 a. 9 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod totus homo egreditur de femore generantis, propter hoc
quod virtus seminis de femore egredientis operatur ad unionem corporis et
animae, disponendo materiam ultima dispositione, quae est necessitans ad formam;
ex qua unione homo habet quod sit homo; non autem ita quod quaelibet pars
hominis per virtutem seminis causetur.
# 2. L'homme entier sort de la cuisse du géniteur, parce que le pouvoir
de la semence qui en sort travaille à l'union de l'âme et du corps, en plaçant
la matière dans une ultime disposition, nécessaire pour la forme. C'est de
cette union que l'homme est un homme; mais non de telle sorte que n'importe
quelle partie de l'homme soit causée par le pouvoir de la semence.
q. 3 a. 9 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod peccatum originale dicitur peccatum totius naturae,
sicut peccatum actuale dicitur peccatum personale; unde quae est comparatio
peccati actualis ad unam personam singularem, eadem est comparatio peccati
originalis ad totam naturam humanam traditam a primo parente, in quo fuit
peccati initium et per cuius voluntatem in omnibus originale peccatum quasi
voluntarium reputatur. Sic ergo originale peccatum est in anima in quantum
pertinet ad humanam naturam. Humana autem natura traducitur a parente in filium
per traductionem carnis, cui postmodum anima infunditur; et ex hoc infectionem
incurrit quod fit cum carne traducta una natura. Si enim non uniretur ei ad
constituendam naturam, sicut Angelus unitur corpori assumpto, infectionem non
reciperet.
# 3. Le péché originel est appelé péché de toute la nature, comme le
péché actuel est appelé péché personnel. C'est pourquoi, la comparaison du
péché actuel à une personne particulière, est la même que celle du péché
originel à la nature humaine toute entière transmise par le premier père, en
qui fut le commencement du péché et, par sa volonté, le péché originel est
considéré comme volontaire en tous. Donc ainsi le péché originel est dans l'âme
dans la mesure où il appartient à la nature humaine. Mais cette nature est
transmise par le père au fils par la transmission de la chair, en qui l'âme est
introduite par la suite et de là elle en arrive à la souillure, parce qu'elle
devient une nature unique avec la chair qui lui est transmise. Car si elle ne
lui était pas unie pour constituer une nature, comme l'ange est uni à un corps
qu'il prend, elle ne recevrait pas la souillure[21].
q. 3 a. 9 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod sicut in natura Adae erat natura omnium nostrum
originaliter; ita et peccatum originale, quod in nobis est, erat in illo
peccato originali originaliter. Nam peccatum originale, ut dictum est, per se
recipit natura, anima vero ex consequenti.
# 4. De même que dans la nature d'Adam se trouvait originellement notre
nature, de même, le péché originel, qui est en nous, à l'origine était dans ce
péché originel. Car la nature reçoit ce péché par soi, comme on l'a dit, mais
l'âme le reçoit par conséquence.
q. 3 a. 9 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod homo generans generat sibi simile in specie per virtutem
formae suae, scilicet animae rationalis; non quod ipsa sit immediatum
principium in generatione humana agens, sed quia vis generativa, et ea quae in
semine agunt, non disponerent materiam, ut fieret corpus perfectibile anima rationali,
nisi quatenus agerent ut instrumenta quaedam rationalis animae. Et tamen ista
actio non potest pertingere ad factionem animae rationalis, rationibus
praedictis.
# 5. L'homme, en tant que géniteur, engendre du semblable[22] à lui en
espèce par le pouvoir de sa forme, c'est-à-dire de l'âme rationnelle, non
qu'elle soit le principe immédiat agissant dans la génération humaine, mais
parce que le pouvoir génératif et ce qui agit dans la semence ne disposeraient
la matière pour faire un corps perfectible par l'âme rationnelle que s'ils
agissaient jusqu'à un certain point comme instrument de l'âme rationnelle. Et
cependant cette action ne peut parvenir à faire l'âme rationnelle, pour les
raisons qu'on a déjà données.
q. 3 a. 9 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod generans generat sibi simile in specie, in quantum
generatum per actionem generantis producitur ad participandum speciem eius;
quod quidem fit per hoc quod generatum consequitur formam similem generanti. Si
ergo forma illa non sit subsistens, sed esse suum sit solum in hoc quod uniatur
ei cuius est forma; oportebit quod generans sit causa ipsius formae, sicut
accidit in omnibus formis materialibus. Si autem sit talis forma quae
subsistentiam habeat, et non dependeat esse suum totaliter ex unione ad materiam,
sicut est in anima rationali; tunc sufficit quod generans sit causa unionis
talis formae ad materiam per hoc quod disponit materiam ad formam; nec oportet
quod sit causa ipsius formae.
# 6. Le géniteur engendre du semblable à lui quant à l'espèce dans la
mesure où l'engendré est produit par l'action du géniteur pour participer à son
espèce, ce qui arrive par le fait que l'engendré reçoit une forme semblable à
celui qui engendre. Si donc cette forme n'était pas subsistante, mais que son
être soit seulement dans ce qui est uni à ce dont elle est la forme; il faudra
que celui qui engendre soit la cause de la forme même, comme cela arrive dans
toutes les formes matérielles. Mais si la forme était telle qu'elle ait une
subsistance et que son être ne dépende pas totalement de son union à la
matière, comme pour l'âme rationnelle, alors il suffit que celui qui engendre
soit la cause de l'union d'une telle forme à la matière par le fait qu'il
dispose la matière à la forme; et il ne faut pas qu'il soit cause de la forme
même.
q. 3 a. 9 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod ipsam dispositionem corporis sequitur dispositio animae
rationalis; tum quia anima rationalis accipit a corpore; tum quia secundum
diversitatem materiae diversificantur et formae. Et ex hoc est quod filii
similantur parentibus etiam in his quae pertinent ad animam, non propter hoc
quod anima ex anima traducatur.
# 7. La disposition de l'âme rationnelle suit la disposition même du
corps; d'abord parce l'âme rationnelle reçoit du corps, ensuite parce que les
formes sont aussi diversifiées selon la diversité de la matière. Et c'est pour
cela que les enfants ressemblent à leurs parents, même en ce qui concernent
l'âme et non parce que l'âme est transmise par l'âme.
q. 3 a. 9 ad 8 Ad
octavum dicendum, quod quia anima est proprie actus corporis viventis, vivere
autem est per calidum et humidum, quae in animali per sanguinem conservantur;
ideo dicitur quod anima est in sanguine, ad designandum propriam dispositionem
corporis, in quantum est materia perfecta per animam.
# 8. Parce que l'âme est proprement l'acte du corps vivant, vivre
dépend du chaud et de l'humide conservés dans l'animal par le sang; c'est
pourquoi on dit que l'âme est dans le sang, pour désigner la disposition propre
du corps, dans la mesure où la matière est achevée par l'âme.
q. 3 a. 9 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod circa embrionis vitam sunt aliqui diversimode opinati.
# 9. Au sujet de la vie de l'embryon, certains ont eu des opinions
diverses.
Quidam namque assimilaverunt in generatione humana
progressum animae rationalis progressui corporis humani, dicentes, quod sicut
corpus humanum in semine est virtualiter, non tamen habens actu humani corporis
perfectionem, quae in distinctione organorum consistit, sed paulatim per
virtutem seminis ad perfectionem huiusmodi pervenitur; ita in principio
generationis est ibi anima, virtute quadam habens omnem perfectionem quae
postea apparet in homine completo, non tamen eam habens actu, cum non appareant
animae actiones, sed processu temporis paulatim eam acquirit; ita quod primo
apparent in ea actiones animae vegetabilis, et postmodum animae sensibilis, et
tandem animae rationalis. Et hanc opinionem tangit Gregorius Nyssenus in Lib.
quem fecit de homine.
A) Certains en effet ont assimilé, dans la génération humaine, le
progrès de l'âme rationnelle à celui du corps humain, en disant que, de même
que le corps est virtuellement dans la semence, sans en avoir cependant le
perfection en acte, qui consiste dans la distinction des organes, mais que peu
à peu par le pouvoir de la semence il parvient à une telle perfection; de même,
au commencement de la génération, il y a une âme qui a par un certain pouvoir
toute la perfection qui apparaît ensuite dans l'homme complet, mais sans
l'avoir cependant en acte, puisque les actions de l'âme n'apparaissent pas;
mais elle l'acquiert peu à peu par l'évolution du temps; de sorte qu'y
apparaissent d'abord les actions de l'âme végétative, ensuite de l'âme
sensitive et enfin de l'âme rationnelle. Et Grégoire de Nysse soutient cette
opinion dans le livre qu'il fit Sur l'homme[23].
Sed haec opinio non potest stare, quia aut intelligit quod
ipsa anima secundum speciem suam existat a principio in semine, nondum habens
perfectas operationes propter organorum defectum, aut intelligit quod in semine
a principio sit aliqua virtus vel forma, quae nondum habet speciem animae;
sicut nec semen habet speciem humani corporis, sed paulatim producitur per
actionem naturae ad hoc quod ipsa eadem sit anima primo quidem vegetabilis,
secundo sensibilis et deinde rationalis.
Mais cette opinion n'est pas valable, parce que, ou bien elle
sous-entend que l'âme même selon son espèce existe au début dans la semence,
n'ayant pas encore les opérations parfaites à cause de la déficience de ses
organes, ou bien elle sous-entend que dans la semence, dès le début, il y a un
pouvoir ou une forme qui n'a pas encore la nature de l'âme; de même que la
semence n'a pas la nature du corps humain, mais peu à peu, il est produite par
l'action de la nature pour que la même âme soit d'abord végétative, ensuite
sensitive et enfin rationnelle.
Prima autem pars huius divisionis destruitur:
primo quidem per auctoritatem philosophi. Dicitur enim in II
de anima, quod potentia vitae quae est in corpore physico organico, cuius actus
est anima, non est abiiciens animam, sicut semen et fructus; ex quo datur
intelligi, quod semen est ita in potentia ad animam quod anima caret.
I. La première partie de cette division est réfutée.
a) Premièrement, par l'autorité du philosophe. Il est dit, en effet, (L'âme, II, 2, 412 b 25[24]) que la
puissance de vie qui est dans le corps physique organique, dont l'acte est
l'âme, ne la rejette pas, comme la semence et les fruits. Par là on donne à
comprendre que la semence est celle qui est en puissance pour l'âme, parce
qu'elle en est privé.
Secundo, quia cum semen nondum sit ultima assimilatione
membris assimilatum (sic enim eius resolutio esset corruptio quaedam) sed sit
superfluitas ultimae digestionis, ut dicitur in XV de animalibus, nondum fuit
in corpore generantis existens anima perfectum; unde non potest esse quod in
principio suae decisionis sit in eo anima.
b) Deuxièmement parce que, comme la semence n'est pas encore assimilée
aux membres par une ultime assimilation (car ainsi cette dissolution serait une
corruption) mais est une superfluité de la digestion ultime[25], comme on le
dit dans Les animaux (15- La génération animale, ch. 19 II, 3, 736
b 26-27[26]), elle n'a pas encore été dans le corps de celui qui engendre,
existant parfait par l'âme; c'est pourquoi ce n'est pas possible, qu'au
commencement de sa séparation, il y ait une âme en elle.
Tertio, quia dato quod cum eo decideretur anima, non tamen
potest hoc dici de anima rationali; quae cum non sit actus alicuius partis
corporis, non potest deciso corpore decidi.
3) Troisièmement, parce que, si on suppose que l'âme est séparée de la
semence, on ne peut pas cependant pas le dire de l'âme rationnelle, qui,
puisqu'elle n'est pas l'acte d'une partie du corps ne peut être séparée si le
corps est séparé[27] du corps séparé.
Secundam etiam partem divisionis praedictae patet esse
falsam. Cum enim forma substantialis non continue vel successive in actum
producatur, sed in istanti (alias oporteret esse motum in genere substantiae,
sicut est in genere qualitatis) non potest esse quod illa virtus quae est a
principio in semine, successive proficiat ad diversos gradus animae. Non enim
forma ignis in aere hoc modo inducitur ut continuo procedat de imperfecto ad
perfectum; cum nulla forma substantialis suscipiat magis et minus; sed solum
materia per alterationem praecedentem variatur, ut sit magis et minus disposita
ad formam. Forma vero non incipit esse in materia nisi in ultimo instanti
alterationis.
II - Il apparaît que la seconde partie de cette division est fausse. En
effet, comme la forme substantielle n'est pas produite en acte continuellement
ou successivement, mais dans l'instant (autrement il faudrait qu'il y ait un
mouvement dans le genre de la substance, comme dans le genre de la qualité) il
n'est pas possible que cette puissance qui est au commencement dans la semence,
parvienne successivement aux différents degrés de l'âme. Car la forme du feu,
dans l'air, n'est pas amenée de manière à procéder continuellement de
l'imparfait au parfait, puisque nulle forme substantielle ne reçoit le plus et
le moins; mais la matière seulement est modifiée par altération précédente, de
sorte qu'elle est plus ou moins disposée à la forme. Mais la forme ne commence
à être dans la matière qu'au dernier moment du changement.
Alii vero dicunt, quod in semine primo est anima
vegetabilis, et post modum ea manente, inducitur anima sensibilis ex virtute
generantis, et ultimo inducitur anima rationalis per creationem, ita quod
ponunt in homine esse tres animas per essentiam differentes.
B) Mais d'autre disent que dans la semence, il y d'abord l'âme
végétative et ensuite, encore qu'elle y demeure, l'âme sensitive est introduite
par le pouvoir de celui qui engendre et enfin l'âme rationnelle par création,
de sorte qu'ils pensent qu'il y a dans l'homme trois âmes différentes en
essence.
Sed contra hoc est quod dicitur: neque duas animas dicimus
esse in uno homine sicut et Iacobus et alii Syrorum scribunt, unam animalem qua
animatur corpus et immixta sit sanguini, et alteram spiritualem quae rationem
ministret.
Et iterum impossibile est unius et eiusdem rei esse plures
formas substantiales: nam cum forma substantialis faciat esse non solum
secundum quid, sed simpliciter, et constituat hoc aliquid in genere substantiae,
si prima forma hoc facit, secunda adveniens, inveniens subiectum iam in esse
substantiali constitutum, accidentaliter ei adveniet; et sic sequeretur quod
anima sensibilis et rationalis in homine corpori accidentaliter uniantur. Nec
potest dici quod anima vegetabilis quae in planta est forma substantialis, in
homine non sit forma substantialis, sed dispositio ad formam: quia quod est de
genere substantiae nullius accidens esse potest, ut dicitur in I Physic.
Mais contre cela, il y a ce qu'on dit, dans le livre des Dogmes
ecclésiastiques, ch. 15: "Nous disons qu'il n'y a pas deux âmes dans un
seul homme comme Jacques l'écrit à d'autres Syriens l'une animale qui anime le
corps, mêlée au sang et l'autre spirituelle qui gouverne la raison."
Et à nouveau, il est impossible qu'il y ait plusieurs formes
substantielles d'une seule et même chose, en effet, comme la forme
substantielle fait l'être non seulement relatif, mais absolu et le place dans
le genre de la substance, si la première forme le fait, la seconde, quand elle
survient, trouvant un sujet déjà constitué dans l'être substantiel, lui
arriverait de manière accidentelle; et ainsi il en découlerait que l'âme
sensitive et l'âme rationnelle dans l'homme seraient unies accidentellement au
corps. On ne peut pas dire que l'âme végétative qui est la forme substantielle
dans la plante, ne soit pas la forme substantielle dans l'homme, mais une
disposition pour la forme; parce que ce qui est du genre de la substance ne
peut être l'accident de rien, comme on le dit (I Physique, I, 2, 184 b 30).
Unde alii dicunt, quod anima vegetabilis est in potentia ad
animam sensibilem et sensibilis est actus eius; unde anima vegetabilis quae
primo est in semine, per actionem naturae perducitur ad complementum animae
sensibilis; et ulterius anima rationalis est actus et complementum animae
sensibilis; unde anima sensibilis perducitur ad suum complementum, scilicet ad
animam rationalem, non per actionem generantis sed per actum creantis; et sic
dicunt quod ipsa rationalis anima in homine partim est ab intrinseco, scilicet
quantum ad naturam intellectualem; et partim ab extrinseco, quantum ad naturam
vegetabilem et sensibilem.
C) C'est pourquoi, d'autres disent que l'âme végétative est en
puissance pour l'âme sensitive et la sensibilité est son acte; c'est pourquoi
l'âme végétative qui est d'abord dans la semence, par l'action de la nature est
amenée à être complétée par l'âme sensitive; et plus tard, l'âme rationnelle
est l'acte et le complément de l'âme sensitive: c'est pourquoi l'âme sensitive
est amenée à son complément, à savoir l'âme rationnelle, non par l'action de
celui qui engendre mais par l'acte du créateur et ainsi ils disent que l'âme
rationnelle elle-même dans l'homme vient en partie de l'intérieur, pour la nature
intellectuelle et en partie de l'extérieur, pour la nature végétative et
sensitive.
q. 3 a. 9 ad 10 Ad
decimum dicendum, quod embrio antequam habeat animam rationalem non est ens
perfectum, sed in via ad perfectionem; unde non est in genere vel specie nisi
per reductionem sicut incompletum reducitur ad genus vel speciem completi.
# 10. Avant de posséder l'âme rationnelle, l'embryon n'est pas un être
parfait, mais il est sur le chemin de la perfection; c'est pourquoi il n'est
dans le genre ou l'espèce que s'il y est amené par réduction comme l'incomplet
est amené au genre ou à l'espèce de ce qui est complet.
q. 3 a. 9 ad 11 Ad
undecimum dicendum, quod in semine a principio quamvis non sit anima, est tamen
ibi virtus animae, ut dictum est, quae quidem virtus fundatur in spiritu qui in
spermate continetur, et dicitur virtus animae quia est ab anima generantis.
# 11. Dans la semence au commencement, bien qu'il n'y ait pas d'âme, il
y a cependant un pouvoir de l'âme, comme on l'a dit. Celui-ci est fondé dans "l'esprit"
contenu dans le sperme, et il est appelé puissance de l'âme, parce qu'il vient
de l'âme de celui qui engendre.
q. 3 a. 9 ad 12 Ad
duodecimum dicendum, quod embrio ante animam rationalem vivit et animam habet,
ut dictum est, unde hoc argumentum concedimus.
# 12. L'embryon vit avant l'âme rationnelle, et il a une âme, comme on
l'a dit. C'est pourquoi nous concédons cet argument.
q. 3 a. 9 ad 13 Et
similiter ad decimumtertium, decimumquartum et decimumquintum.
# Et de même pour les objections13, 14 et 15.
q. 3 a. 9 ad 16 Ad
decimumsextum dicendum, quod virtus formativa quae in principio est in semine,
manet adveniente etiam anima rationali; sicut et spiritus in quos fere tota
substantia spermatis convertitur manent. Et illa quae prius fuit formativa
corporis fit postmodum corporis regitiva. Sicut etiam calor qui fuit dispositio
ad formam ignis manet forma ignis adveniente, ut instrumentum formae in agendo.
# 16. Le pouvoir formateur qui est au commencement dans la semence,
demeure quand arrive l'âme rationnelle; de même que demeurent les esprits dans
lesquels presque toute la substance du sperme est transformée. Et celle qui a
été d'abord formatrice du corps devient par la suite son régisseur. De même la
chaleur, qui a été une disposition pour la forme du feu, demeure, quand arrive
la forme du feu, en agissant comme instrument de la forme.
q. 3 a. 9 ad 17 Et per hoc patet solutio ad
decimumseptimum et decimumoctavum.
# 17-18 Et ainsi cela donne la solution pour la 17e et 18e objections.
q. 3 a. 9 ad 19 Ad
decimumnonum dicendum, quod licet anima rationalis non sit a generante, unio
tamen corporis ad eam, est quodammodo a generante, ut dictum est. Et ideo homo
dicitur generari.
# 19. Bien que l'âme rationnelle ne vienne pas de celui qui engendre, cependant
son union au corps vient de lui, d'une certaine manière, comme on l'a dit. Et
c'est pour cela qu'on dit que l'homme est engendré.
q. 3 a. 9 ad 20 Ad
vicesimum dicendum, quod pro tanto in homine non est duplex esse, quia non est
sic intelligendum corpus esse a generante et animam a creante, quasi corpori
acquiratur esse separatum a generante, et separatim animae a creante; sed quia
creans dat esse animae in corpore, et generans disponit corpus ad hoc quod
huius esse sit particeps per animam sibi unitam.
# 20. Pour autant, il n'y a pas deux êtres dans l'homme, parce qu'il ne
faut pas comprendre que le corps existe par celui qui engendre et l'âme par le
créateur, comme si un être séparé était acquis au corps par celui qui engendre
et séparément par le créateur pour l'âme; mais parce que le créateur donne
l'être à l'âme dans le corps, et celui qui engendre dispose le corps pour que
l'être du corps participe par l'âme qui lui est unie.
q. 3 a. 9 ad 21 Ad
vicesimumprimum dicendum, quod duo agentia omnino disparata non possunt hoc
modo se habere quod actio unius terminetur ad materiam, et alterius ad formam;
hoc tamen contingit in duobus agentibus ordinatis, quorum unum est instrumentum
alterius. Actio enim principalis agentis se extendit quandoque ad aliquid ad
quod non potest se extendere actio instrumenti. Natura autem est sicut
instrumentum quoddam divinae virtutis ut supra, ostensum est. Unde non est
inconveniens, si virtus divina sola faciat animam rationalem, actione naturae
se extendente solum ad disponendum corpus.
# 21. Deux agents totalement différents ne peuvent se comporter de
manière que l'action de l'un se termine à la matière et celle de l'autre à la
forme. Cependant cela arrive dans deux agents ordonnés, dont l'un est
l'instrument de l'autre. Car l'action de l'agent principal s'étend quelquefois
là où l'action de l'instrument ne peut parvenir. Mais la nature est comme un
instrument du pouvoir divin, comme on l'a montré (art. 8, obj. 14, et art. 7,
c.). Aussi il n'y a pas d'inconvénient, si seul le pouvoir divin crée l'âme
rationnelle, alors que l'action de la nature s'étend seulement à la disposition
du corps.
q. 3 a. 9 ad 22 Ad
vicesimumsecundum dicendum, quod intellectus in corpore existens non indiget
aliquo corporali ad intelligendum, quod simul cum intellectu sit principium
intellectualis operationis, sicut accidit in visu: nam principium visionis non
est visus tantum, sed oculus constans ex visu et pupilla. Indiget autem corpore
tamquam obiecto, sicut visus indiget pariete in quo est color: nam phantasmata
comparantur ad intellectum ut colores ad visum, sicut dicitur in III de anima.
Et ex hoc est quod intellectus impeditur in intelligendo, laeso organo
phantasiae: quia quamdiu est in corpore indiget phantasmatibus non solum quasi
accipiens a phantasmatibus dum acquirit scientiam, sed etiam comparans species
intelligibiles phantasmatibus dum utitur scientia acquisita. Et propter hoc
exempla in scientiis sunt necessaria.
# 22. L'esprit (intellectus) qui existe dans un corps n'a pas besoin
d'un organe corporel pour l'intellection, parce que, avec lui en même temps, il
y a le principe de l'opération intellectuelle, comme cela arrive pour la vue;
car le principe de vision n'est pas la vue seulement, mais l'oeil composé de la
vue et de la pupille. Mais elle a besoin d'un corps comme objet, de même que la
vue a besoin d'un mur sur lequel il y a de la couleur: car les images pour
l'esprit sont comparées aux couleurs pour la vision, comme il est dit dans L'âme, III, 431 b 2. Et c'est pourquoi
l'esprit est empêchée d'abstraire, si l'organe de l'image est blessée, parce
que tant qu'elle est dans le corps, elle a besoin des images non seulement en
recevant par elles, pendant qu'elle acquiert la connaissance, mais même en
comparant les espèces intelligibles aux images, pendant qu'elle se sert de la
connaissance acquise. Et c'est pour cela que les exemples sont nécessaires dans
les sciences.
q. 3 a. 9 ad 23 Et
per hoc patet responsio ad vicesimumtertium et vicesimum-quartum.
# Et par là on trouve la réponse à la 22e, 23e et 24e objection.
q. 3 a. 9 ad 25 Ad
vicesimumquintum dicendum, quod illa ratio est Apollinaris, ut Gregorius
Nyssenus dicit. Decipiebatur autem in hoc quod non distinguebat operationem
naturae, quae est generatio prolis, cui Deus dat complementum, ab operatione
voluntaria adulterii in qua peccatum consistit.
# 25. Cet argument est d'Apollinaire, comme Grégoire de Nysse[28] le
dit (L'âme, ch. 6). Il était trompé
parce qu'il ne distinguait pas l'opération de nature qui est la génération
d'une descendance, à qui Dieu accorde un complément, de l'opération volontaire
de l'adultère, en quoi consiste le péché.
q. 3 a. 9 ad 26 Ad
vicesimumsextum dicendum, quod anima, cum sit perfectior formis materialibus,
posset sibi similem producere si anima rationalis posset produci aliter quam
per creationem, quod esse non potest; et hoc provenit ex eius perfectione, ut
ex praedictis potest patere.
# 26. Comme l'âme est plus parfaite que les formes matérielles, elle
pourrait produire quelque chose de semblable à elle si l'âme rationnelle
pouvait être produite autrement que par création, ce qui n'est pas possible, et
cela provient de sa perfection, comme on peut le découvrir dans ce qu'on a dit
précédemment.
q. 3 a. 9 ad 27 Ad
vicesimumseptimum dicendum, quod in solo Deo potest esse una natura in pluribus
suppositis; et ideo ibi solummodo potest esse generatio sine imperfectione
mutationis et divisionis; unde nobiliores creaturae, quae sunt indivisibiles
nec substantialiter transmutantur, sicut anima rationalis et Angelus, non
generantur; sed inferiores creaturae, quae sunt divisibiles et corruptibiles.
# 27. En Dieu seul, il peut y avoir une seule nature dans plusieurs
suppôts. Et c'est pourquoi, là uniquement, il peut y avoir une génération sans
l'imperfection du changement et de la division. C'est pour cela que les plus
nobles créatures, qui sont indivisibles, et ne se transforment pas
substantiellement, comme l'âme rationnelle et l'ange, ne sont pas engendrées;
mais seules sont engendrées les créatures inférieures qui sont divisibles et
corruptibles.
q. 3 a. 9 ad 28 Ad
vicesimumoctavum dicendum, quod virtus illa quae est in semine, a philosopho
vocatur intellectus, ut dicit Commentator, propter quamdam similitudinem: quia
sicut intellectus operatur absque organo, ita et illa virtus.
# 28. Ce pouvoir qui est dans la semence, est appelé l'esprit
(intellectus) par le philosophe, comme le dit le Commentateur (Métaphysique, VII, com. 31) à cause
d'une certaine ressemblance; parce que l'intellect opère sans organe, ce
pouvoir aussi.
q. 3 a. 9 ad 29 Ad
vicesimumnonum dicendum, quod verbum illud philosophi est intelligendum de
anima sensibili, non de rationali.
# 29. Cette parole du philosophe est à comprendre de l'âme sensitive,
non de l'âme rationnelle.
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[1] PARALL.: Ia, q. 90, a. 2 - q.
118, a. 2 – CG. Il, 86, 87, 88. 89 –
Il Sent., d18q2al – d19qla4 - De Verit., q. 27, a. 3, ad 9 - De Spir, creat.,
a. 2, ad 8 – Qdl. IX, q. 3, a.1 – Compend. c. 93; Opusc. XXVIII, De Fato, c. 5
- Opusc. XXXVII. De quatuor Oppos., c. 4; Qudl., XI, q. 5, ad 1, 4; XII, q. 7,
a. 2 – Cf. Super epist. ad Romanos lectura V; lectio 3, surtout le n° 408
[2]
II Sent. d18q2a1, obj. 3: "Les enfants contractent le péché originel de
leurs parents, comme l'Apôtre l'enseigne (Rm. 5), mais un accident ne peut être
transmis que si l'objet de l'être est transmis. Donc il semble que l'âme
raisonnable est le substrat de ma faute originelle et qu'elle est transmise par
les parents."
[3]
"C'est un homme qui engendre un homme" Les causes "...la
matière, la forme, le moteur, la cause fnale" ne font qu'un; alors que
l'origine prochaine du mouvement est identique spécifiquement à celui-ci; car
c'est un homme qui engendre un home." Cette affirmation, banale en soi,
sert à Aristote à démontrer que trois des quatre causes se réduisent à une, en
beaucoup de cas. L'essence et la cause finale ne font qu'une essence, le
premier homme de l'affirmation, la fin, le second. La cause efficiente (l'homme
sujet de la proposition) est identique à la cause finale (l'homme objet de la
proposition).
[4]
Ailleurs il dit que c'est un surplus de nourriture. (voir Ia, 119, a 2)
[5]
"Il semble en outre que le principe contenu dans les végétaux est lui-même
une sorte d'âme; car c'est le seul principe commun aux animaux et aux
végétaux.." (Trad. E. Barbotin)
[6]
"L'âme est pour le corps vivant, cause et principe." (Trad. E.
Barbotin).
[7]
"Certains, par contre, estiment que la nature du feu est, absolument
parlant, cause de la nutrition et de la croissance." (Il s'agirait
d'Héraclite) Thomas, °n° 339.
[8]
En II Sent. d18q2a1, obj. 5, il précise que c'est le Commentateur qui le dit en
II Métaphysique , com. 7: "Il
est impossible qu'il y ait différents agents dont l'action de l'un se termine
au substrat de la forme et l'action de l'autre à la forme, parce que pour le
substrat de la forme, l'action de l'agent ne se termine que selon ce qui reçoit
la forme, il en découlerait en effet, comme il le dit lui-même, que le substrat
et la forme seraient deux [êtres] distincts, desquels ne serait pas fait l'un,
si c'étaient les termes des différentes actions."
[9]
Même objection II Sent. d18q2a1, obj. 2. Il y ajoute: "Parce que celui qui
agit de concert avec quelqu'un d'inique n'est pas soustrait à l'iniquité. Donc
il semble que l'âme humaine n'est pas infusée par Dieu mais transmise par le
père."
[10]
"La plus naturelle de toutes les fonctions, pour tout être vivant parfait,
qui n'est pas incomplet ou dont la génération n'est pas spontanée, c'est de
produire un autre vivant semblable à soi." (L'âme, 415 a 30) Thomas lectio 7, n° 311-314.
[11]
Prop. 2, n° 2: "L'Être qui est après l'éternité et au-dessus du temps,
c'est l'âme, parce qu'elle est en dessous dans l'horizon de l'éternité et
au-dessus du temps. Thomas, n° 58:"Il parle de l'âme qui a un être
supérieur à savoir au-dessus du mouvement et du temps. Car l'âme de ce genre
s'approche plus du mouvement que l'Intelligence parce qu'il est évident que
l'Intelligence n'est pas touchée par le mouvement ni selon sa substance, ni
selon son opération. L'âme selon sa substance dépasse (excedit) le temps et le
mouvement et touche à l'éternité, mais selon l'opération elle touche au
mouvement; parce que, comme les philosophes le prouvent, il faut que ce qui est
mû par un autre soit ramené à quelque chose de premier, qui se meut lui-même.
Mais selon Platon c'est l'âme qui se meut elle-même, selon Aristote, c'est un
corps animé dont le principe du mouvement est l'âme. Et ainsi des deux
manières, il faut que le premier principe du mouvement, soit l'âme et c'est
pourquoi le mouvement est l'opération de l'âme elle-même. Et parce que le
mouvement est dans le temps, le temps touche l'opération de l'âme elle-même."
[12]
Le sens de spiritus est à peu près équivalent à puissance. Cf. les
"esprits animaux" de Descartes. ("Les esprits animaux sont des
vapeurs très subtiles, par lesquelles se diffusent les pouvoirs de l'âme dans
les parties du corps." (I Sent. d10q1a4 c.) Cf. Ia, qu. 118, a. 1, ad 3m: "La
force active qui est dans la semence dérivée de l'âme de celui qui engendre est
comme un élan (motio) qui vient d'elle... il lui faut un organe en acte et elle
est fondée dans cet esprit inclus dans la semence." "Il y a un
"esprit" dans le semen qui lui donne sa puissance active dans la
génération" (Trad. J. Weber, l'âme humaine, (Éd. des jeunes,
renseignements techniques p. 377). Cf. IIIa, qu. 32, a. 1, ad 1:"w...la
puissance de l'âme qui est dans la semence est enclose par l' "esprit"
qui s'y trouve forme le corps dans la génération des autres hommes," autre
que le Christ.
[13]
On trouve chez Augustin, tout particulièrement dans La Genèse au sens littéral, que Thomas connaît bien, les
différentes solutions rapportées ici. Mais Augustin reste très hésitant sur le
choix à faire.
a.
Propagation par l'âme du père ou traducianisme. Augustin pense particulièrement
à Tertullien (De anima), dont le traducianisme est entaché de matérialisme.
L'âme est virtuellement dans la semence. C'est le seul qui soit aussi nettement
traducianiste avec Lucifer de Cagliari et ses disciples; Arnobe et Lactance
semblent avoir été accusés à tort. (La traducianisme a été condamné par
Anastase II (496-498). Denz 170.
2.
Le préexistentialisme: création antérieure à la formation du corps. Opinion
attribuée à Origène. Ce problème est étudié à l'article 10.
3.
Le créatianisme. Thomas n'évoque pas ici l'émanatisme, qu'il réfute dans le
Commentaire des sentences et dans le CG.
[14]
Lucifer de Cagliari (vers 354, vers 370) et ses disciples.
[15]
Identification apparemment impossible.
[16]
Cf. Ia, qu. 90, a. 4, resp. §1. Sur la doctrine d'Origène: "Origène a
affirmé que non seulement l'âme du premier homme, mais celle de tous les hommes
ont été créées avant les corps, en même temps que les anges; et cela parce
qu'il croyait que toutes les substances spirituelles, tant les âmes que les
anges, étaient égales sous la condition de leur nature, et qu'elles ne
différaient que par leur mérite; de telle sorte que certaines seraient liées à
des corps - ce sont les âmes des hommes et des corps célestes -, et que
d'autres demeurent dans leur pureté, distribuées selon leurs divers ordres."
Cf. Ia, qu. 47, a. 2, c.
[17]
"Il est donc manifeste que la forme (...) ou que le nom qu'il faille
donner à la configuration réalisée dans le sensible, n'est pas soumise au
devenir, que d'elle il n'y a pas de génération..." (Trad. J. Tricot)
[18]
Gn. 46, 26.
[19]
Cf. II Sent. d18q2a1, ad 1: "Totus homo dicitur intellectus, per modum quo
etiam tota civitas dicitur rector civitatis. "Tout homme est appelé "intellect"
à la manière dont toute la cité est appelée chef de la cité."
[20]
"La partie pensante de son être, qui, semble-t-il, constitue chacun de
nous." (Trad. J. Voilquin). Thomas n° 1805: Ce qu'il veut il le fait par
sa grâce c'est-à-dire grâce à la partie intellectuelle qui est principal dans
l'homme. Chaque chose sensible est surtout ce qui est principalement en lui.
[21]
II Sent. d18q2a1: "Quoique le péché originel soit dans l'âme comme dans un
substrat, cependant elle y est causée par l'infection de la semence, et il est
en elle, quoiqu'il n'y soit pas comme dans un substrat, cependant comme dans sa
cause et c'est pourquoi le péché originel est transmis par la semence et pas
par l'âme. (...) L'âme est le substrat du péché original mais il y est causé
par la semence, qui en est comme la cause". Cf. Ia / IIæ qu. 83, a. 1, c. "Le
péché originel est dans la semence comme dans sa cause instrumentale... mais
dans le sujet le péché originel ne peut être en aucune manière dans la chair,
mais seulement dans l'âme." Car, précise-t-il, la chair n'est pas le
substrat de la faute. Donc c'est l'âme qui l'est.
[22]
Cf. II Sent. d18q2a1, ad 4m: Faire du semblable: 1) La forme selon laquelle on
atteint la ressemblance est amenée de la puissance à l'acte par l'action. 2) La
matière est disposée par l'action pour être nécessité à recevoir la forme a)
forme accidentelle, b) selon Avicenne, dans toutes les formes substantielles
parce qu'il veut que toutes les formes essentielles viennent d'un principe
séparé. Mais selon Aristote et le Commentateur les formes substantielle
matérielles appartiennent à la deuxième.
[23]
Îuvre de Némesius d'Emèse (PG. 45, 187).Ü
[24]
De anima, II, 3, 412 b 25: "De plus, ce n'est pas le corps séparé de l'âme
qui est en puissance de vivre, mais celui qui la possède; à leur tour, la
semence et les fruits sont en puissance un corps de cette sorte." (Trad.
E.Barbotin). Thomas n° 240: "Mais il est vrai que la semence et le fruit
en qui sont conservées les semences de la plante sont en puissance pour un
corps vivant de ce genre, qui a une âme, car la semence n'a pas encore d'âme.
C'est pourquoi il est un dans la puissance, comme séparée de l'âme."
[25]
Thomas suit Aristote qui dit que la semence est le superflu de l'aliment. Il le
démontre en Ia, qu. 119, a2.. Il a montré dans l'article 1 que les aliments
deviennent la réalité (veritatem) du corps. Il considère donc (a. 2 c) que la
nature humaine (puisqu'il restreint son étude à elle), possède une puissance
(virtus) pour communiquer la forme à une matière étrangère dans un autre, mais
aussi en lui Cette puissance permet d'assimiler peu à peu les aliments qui sont
pour tout le corps, puis pour chaque partie. C'est l'ordre normal: la puissance
passe à l'acte, l'imparfait au parfait. Il n'est pas possible que ce qui est
devenu substance des différents membres soit la semence. (La question étudie
étant la semence est-elle du superflu des aliments ou la substance de celui qui
engendre, elle n'aurait pas pouvoir de convertir l'autre en une nature
semblable). Donc la semence n'est pas détachée (decisum) de ce qui était tout
en acte mais elle est en puissance seulement; ce qui est en puissance (de
produire un corps) vient donc des aliments avant d'être converti en substance
dans les membres. II Sent. d30q2a2.
[26]
Cf. De anima, II, 4, 416 b 15. "L'aliment est encore principe de la
génération non pas pour l'être qui se nourrit mais pour un être semblable à lui"
(Trad. E. Barbotin). Cf. Thomas, II, lectio 9, n ° 344.
[27]
Allusion aux animaux qui peuvent être coupé: les annelés, les vers etc..
[28]
Némésius d'Emèse, La nature de l'homme, PG. 45,46. II Sent. d18q2a1, ad 2m: On
peut considérer l'adultère de deux manières. Ou selon l'être moral et ainsi
l'usage est sans forme, Dieu n'y coopère pas mais l'empêche, ou selon qu'il est
dans une espèce naturelle, et ainsi est un certain bien; c'est pourquoi il
n'est pas inconvenant qu'à une telle opération en tant qu'elle est bonne Dieu
qui opère en tout y apporte une complément."
q. 3 a. 10 tit. 1
Decimo quaeritur utrum anima rationalis sit creata in corpore, vel extra
corpus. Et videtur quod sit creata extra corpus.
Il semble que l'âme est créée hors du corps[1].
Objections:
q. 3 a. 10 arg. 1
Eorum enim quae sunt idem secundum speciem, est idem modus prodeundi in esse.
Sed animae nostrae sunt eiusdem speciei cum anima Adae. Anima autem Adae fuit
extra corpus cum Angelis creata, ut Augustinus dicit. Ergo et aliae animae
humanae extra corpus creantur.
1. Car la manière de venir à l'être est identique pour ce qui est
identique en espèce[2]. Mais nos âmes sont de la même espèce que celle d'Adam.
Or celle-ci fut créée hors de son corps avec les anges, comme Augustin (La Genèse au sens littéral, VII, 25 et
27[3]) le dit. Donc les autres âmes humaines sont créées hors du corps.
q. 3 a. 10 arg. 2
Praeterea, omne totum imperfectum est cui deest aliqua pars quae ad eius
perfectionem pertinet. Sed animae rationales magis pertinent ad perfectionem
universi quam etiam substantiae corporales, cum substantia intellectualis sit
nobilior corporali substantia. Si ergo animae rationales a principio non
fuerunt omnes creatae, sed quotidie creantur cum corpora generantur; sequitur
quod universum sit imperfectum ex eo quod desunt sibi nobilissimae partes eius.
Hoc videtur esse inconveniens. Ergo animae
rationales sunt a principio extra corpora creatae.
2. Tout ensemble imparfait est celui à qui manque une partie qui
importe à sa perfection. Mais les âmes rationnelles concernent plus la
perfection de l'univers que les substances corporelles, puisque la substance
intellectuelle est plus noble que la substance corporelle. Si donc les âmes
rationnelles n'ont pas toutes été créées au commencement, mais sont créées
chaque jour, quand les corps sont engendrés, il en découle que l'univers est
imparfait, parce que ses parties les plus nobles lui font défaut. Cela paraît
ne pas convenir. Donc les âmes rationnelles ont été créées au commencement hors
du corps.
q. 3 a. 10 arg. 3
Praeterea, theatralibus ludis videtur esse simile, quod tunc universum
destruatur, quando ad ultimam perfectionem devenerit. Sed mundus tunc finietur
quando hominum generatio cessabit, et tunc completissima universi perfectio
erit, si animae simul creantur cum corpora generantur. Ergo secundum hoc divina gubernatio, quae mundum regit, erit similis ludo;
quod videtur esse absurdum.
3. La destruction de l'univers, quand il sera parvenu à son ultime
perfection, ressemble à une représentation théâtrale[4]. Mais le monde sera
fini, quand la génération des hommes cessera et alors la perfection de
l'univers sera très complète, si les âmes sont créées en même temps que les
corps sont parfaitement engendrés. Donc dans cet optique, la gouvernement
divin, qui régit le monde, ressemble à une représentation théâtrale, ce qui
paraît absurde.
q. 3 a. 10 arg. 4
Sed dices, quod nihil prohibet perfectioni universi deesse aliquid secundum
numerum, cum tamen quantum ad omnes eius species sit completum.- Sed contra,
species rerum ex hoc quod, quantum in ipsis est, perpetuitatem quamdam habent,
pertinent ad essentialem perfectionem universi, utpote per se intentae ab
universi auctore. Individua vero, quae non habent esse perpetuum, pertinent ad
quamdam accidentalem universi perfectionem, utpote non propter se intenta, sed
propter speciei conservationem. Animae autem rationales non solum secundum
speciem, sed etiam secundum singula individua perpetuitatem habent. Ergo si a
principio omnes animae rationales defuerunt; ita fuit universum imperfectum, ac
si aliquae species universi defuissent.
4. Mais on pourrait dire que rien n'empêche qu'il manque quelque chose
à la perfection de l'univers, en nombre, alors que cependant il est complet
pour toutes les espèces. – En sens contraire, du fait que, quant à elles, les
espèces ont une certaine perpétuité, elles conviennent à la perfection
essentielle de l'univers, puisque décidées pour elles-mêmes par le créateur de
l'univers. Mais les choses individuelles qui n'ont pas d'être perpétuel,
conviennent à la perfection accidentelle de l'univers, n'étant pas décidées
pour elles-mêmes, mais pour la conservation de l'espèce. Les âmes rationnelles
non seulement selon l'espèce, mais aussi selon les individus particuliers, ont
la perpétuité. Donc, si, au commencement, toutes les âmes rationnelles ont
manqué, il y eut ainsi un univers imparfait, comme si quelques espèces de
l'univers avaient manqué.
q. 3 a. 10 arg. 5
Praeterea, Macrobius super somnium Scipionis, duas portas in caelo posuit: unam
deorum, et aliam animarum, in cancro scilicet, et Capricorno; per quarum
alteram animae ad corpus descendebant. Sed hoc non esset, nisi animae extra
corpus in caelo crearentur. Ergo animae extra corpora creatae sunt.
5. Macrobe dans Le songe de
Scipion (liv. 1) a placé deux portes dans le ciel: celle des dieux et celle
des âmes, dans le Cancer et le Capricorne; par l'une d'elles, les âmes
descendaient dans le corps. Mais cela ne pouvait exister que si les âmes
étaient créées au ciel hors du corps. Donc les âmes ont été créées hors du
corps.
q. 3 a. 10 arg. 6
Praeterea, causa efficiens praecedit tempore suum effectum. Sed anima est causa
efficiens corporis, ut dicitur in II de anima. Ergo est ante corpus, et ita non
creatur in corpore.
6. La cause efficiente précède son effet dans le temps. Mais l'âme est
cause efficiente du corps, comme on le dit dans le livre II de L'âme, (II, 4, 415 b 10[5]). Donc elle
est avant le corps et ainsi elle n'est pas créée dans le corps.
q. 3 a. 10 arg. 7
Praeterea, in libro de spiritu et anima, dicitur, quod anima antequam corpori
uniatur, habet irascibilitatem et concupiscibilitatem. Sed haec non possunt esse in anima antequam anima
sit. Ergo anima est antequam corpori uniatur, et ita non creatur in corpore.
7. Dans le livre L'esprit et
l'âme[6] (ch. 13), on dit que l'âme, avant d'être unie au corps, possède
l'irascible et le concupiscible. Mais ils ne peuvent pas exister dans l'âme
avant qu'elle existe. Donc l'âme existe, avant qu'elle soit unie au corps et
ainsi elle n'est pas créée dans le corps.
q. 3 a. 10 arg. 8
Praeterea, substantia animae rationalis tempore non mensuratur: quia, ut
dicitur in Lib. de causis, est supra tempus; nec iterum mensuratur aeternitate,
quia hoc solius Dei est. In Lib. etiam de causis dicitur, quod anima est infra
aeternitatem. Ergo mensuratur aevo, sicut et Angeli: et ita eadem est mensura
durationis Angeli et animae. Cum ergo Angeli sint creati a principio mundi,
videtur quod etiam animae tunc sint creatae, et non in corporibus.
8. La substance de l'âme rationnelle n'est pas mesurée par le temps;
parce que, comme on le dit dans le Livre
des Causes, (prop. 2[7]), elle est au-dessus du temps. Elle n'est pas
mesurée non plus par l'éternité, qui n'appartient qu'à Dieu seul. Mais dans le Livre des Causes (ibid.), on dit que
l'âme est en dessous de l'éternité. Donc elle est mesurée par l'aevum[8], comme
les anges et ainsi c'est la même mesure de durée pour l'ange et l'âme. Donc
comme les anges sont créés depuis le commencement du monde, il semble que les
âmes aussi ont été créées alors et non dans les corps.
q. 3 a. 10 arg. 9
Praeterea, in aevo non est prius et posterius: alias a tempore non differret,
ut quibusdam videtur. Sed si Angeli ante animas essent creati, vel una anima
post aliam crearetur, esset in aevo prius et posterius, cum mensura animae sit
aevum, ut ostensum est. Ergo oportet omnes animas simul creari cum Angelis.
9. Dans l'aevum, il n'y a pas d'avant et d'après[9], autrement il ne
différerait pas du temps, comme il le semble à certains. Mais si les anges
avaient été créés avant les âmes, ou qu'une âme soit créée après l'autre, il y
aurait dans l'aevum un avant et un après, puisque la mesure de l'âme c'est
"l'aevum", comme on l'a montré. Donc il faut que toutes les âmes
aient été créées en même temps que les anges.
q. 3 a. 10 arg. 10
Praeterea, unitas loci attestatur unitati naturae: unde et diversorum corporum
secundum naturam, diversa sunt loca. Sed Angeli et animae conveniunt in natura,
cum sint substantiae spirituales et intellectuales. Ergo animae creatae sunt in caelo Empyreo, sicut
Angeli, et non in corporibus.
10. L'unité de lieu atteste l'unité de nature; donc les lieux où sont
les différents corps sont différents en nature[10]. Mais les anges et les âmes
se ressemblent en nature, puisqu'ils sont des substances spirituelles et
intellectuelles. Donc les âmes créées sont dans le ciel empyrée, comme les
anges, et non dans les corps.
q. 3 a. 10 arg. 11
Praeterea, quanto aliqua substantia est subtilior, tanto ei altior locus
debetur; unde ignis locus altior est quam aeris vel aquae. Sed anima est multo
simplicior substantia quam aliquod corpus. Ergo videtur quod sit creata supra
omnia corpora, et non in corpore.
11. Plus une substance est subtile, plus lui est dû lieu élevé; c'est
pourquoi le lieu du feu est plus haut que celui de l'air ou de l'eau. Mais
l'âme est une substance beaucoup plus simple qu'un corps quelconque. Donc il
semble qu'elle a été créé au-dessus de tous les corps et non dans un corps.
q. 3 a. 10 arg. 12
Praeterea, cuiuslibet rei ultima perfectio est secundum quod est in proprio
loco; cum non sit extra proprium locum nisi per violentiam quamdam. Sed ultima
perfectio animae est in caelesti habitatione. Ergo ibi locus est congruens
naturae eius; et ita videtur quod ibi sit creata.
12. La perfection ultime de n'importe quel être est de se situer dans
son lieu propre, puisqu'il n'en est en dehors que par une violence quelconque.
Mais l'ultime perfection de l'âme est dans la demeure céleste. Donc ici le lieu
est conforme à sa nature et ainsi il semble qu'elle y ait été créée.
q. 3
a. 10 arg. 13 Praeterea, Genes. II, 2, dicitur: requievit Deus die septimo ab
universo opere quod patrarat. Ex quo intelligi datur quod tunc
Deus a novis creaturis creandis cessavit. Sed hoc non esset, si nunc quotidie
animae crearentur. Ergo animae non creantur in corpore, sed creatae sunt a
principio extra corpus.
13 En Genèse 2, 2 il est dit: "Dieu se reposa le septième jour de
toute l'oeuvre qu'il avait accomplie". Par là, il est donné à comprendre
qu'alors Dieu cessa de créer des créatures nouvelles. Mais ce ne serait pas
vrai si maintenant, chaque jour, des âmes étaient créées. Donc les âmes ne sont
pas créées dans le corps, mais elles l'ont été dès le commencement, hors du
corps.
q. 3 a. 10 arg. 14
Praeterea, opus creationis praecedit opus propagationis. Hoc autem non esset,
si simul animae crearentur dum corpora propagantur. Ergo animae ante corpora
sunt creatae.
14. L'oeuvre de la création précède celle de la propagation. Mais cela
ne serait pas si les âmes étaient créées en même temps que se propagent les
corps. Donc les âmes ont été créées avant les corps[11].
q. 3 a. 10 arg. 15
Praeterea, Deus omnia secundum iustitiam operatur. Sed secundum iustitiam non
dantur diversa et inaequalia nisi in illis in quibus aliqua inaequalitas meriti
praeexistit. Cum ergo in nativitate hominum circa animas multa inaequalitas
attendatur: tum ex hoc quod quaedam uniuntur corporibus ad operationes animae
aptis, quaedam vero ineptis; tum ex hoc quod quidam ex infidelibus nascuntur
alii vero ex fidelibus, qui per sacramentorum susceptionem salvantur; videtur
quod inaequalitas meriti in animabus praecesserit: et sic videtur quod animae
fuerint ante corpora.
15. Dieu opère en tout selon la justice. Mais selon elle, les
différences et les inégalités ne sont données que là où préexiste une inégalité
du mérite. Donc, comme dans la naissance des hommes, on remarque dans les âmes
beaucoup d'inégalité, cela vient d'une part de ce que certaines sont unies à
des corps aptes aux opérations de l'âme, certaines à des corps inaptes, d'autre
part de ce que certaines sont nées d'infidèles, d'autres de fidèles, qui sont
sauvés en recevant les sacrements. Il semble que l'inégalité du mérite aurait
existé auparavant dans les âmes et ainsi il semble que les âmes ont existé
avant les corps.
q. 3 a. 10 arg. 16
Praeterea, ea quorum una est inceptio, videtur quod secundum esse dependeant ad
invicem. Sed anima secundum esse suum non dependet a corpore, quod patet ex hoc
quod corrupto corpore manet. Ergo nec anima simul incipit cum corpore.
16. Il semble que les choses, dont l'une est le commencement dépendent
les unes des autres pour leur existence. Mais l'âme en son être ne dépend pas
du corps, ce qui le montre c'est qu'elle demeure une fois le corps corrompu.
Donc l'âme ne commence pas en même temps que le corps.
q. 3 a. 10 arg. 17 Praeterea, ea quorum unum impedit alterum, non
naturaliter uniuntur. Sed anima
impeditur a sua operatione a corpore: corpus enim quod corrumpitur, aggravat
animam, ut dicitur Sapient. cap. IX, 15. Ergo anima non naturaliter unitur
corpori; et ita videtur quod prius fuerit corpori non unita quam uniretur.
17. Les choses, dont l'une entrave l'autre, ne sont pas unies
naturellement. Mais l'opération de l'âme est entravée par le corps. "Car
le corps corrompu appesantit l'âme", comme il est dit en Sg. 9, 15. Donc
l'âme n'est pas naturellement unie au corps et ainsi il semble qu'elle n'a pas
été avec le corps avant de lui être uni.
En sens contraire:
q. 3 a. 10 s. c. 1
Sed contra. Est quod dicitur in libro de Ecclesiast. dogmatibus, quod animae ab
initio inter ceteras intellectuales creaturas non simul creantur.
1. Il est dit dans le livre des Dogmes ecclésiastiques, ch. 13[12], que
les âmes ne sont pas créées au commencement en même temps que les autres
créatures intellectuelles.
q. 3 a. 10 s. c. 2
Praeterea, Gregorius Nyssenus dicit, quod assertio utriusque opinionis
vituperatione non caret: et eorum qui prius vivere animas in suo quodam statu
atque ordine fabulantur, et eorum qui eas post corpora creatas existimant.
2. Grégoire de Nysse (dans La
création du monde, 29, PG. 44, 234 D) dit que l'énonciation de chacune des
deux opinions ne manque pas de venin, celles de ceux qui racontent que les âmes
vivent d'abord dans leur statut et leur ordre, et celles de ceux qui pensent
qu'elles sont créés après les corps.
q. 3 a. 10 s. c. 3
Praeterea, Hieronymus dicit in symbolo fidei, quem composuit: eorum condemnamus
errorem qui dicunt animas ante peccasse, vel in caelis conversatas fuisse, quam
in corpora immitterentur.
3. Jérôme dit dans Le symbole de la foi qu'il composa [Pélage dans L'exposition de la foi à Damase]: "Nous
condamnons l'erreur de ceux qui disent que les âmes ont péché avant ou qu'elles
ont été conservées dans les cieux avant d'être introduites dans les corps".
q. 3 a. 10 s. c. 4
Praeterea, proprius actus fit in propria materia. Sed anima est proprius actus
corporis. Ergo in corpore anima creatur.
4. L'acte plus approprié se fait dans une matière appropriée. Mais
l'âme est l'acte le plus approprié du corps. Donc l'âme est créée dans le
corps.
Réponse:
q. 3 a. 10 co.
Respondeo. Dicendum quod, sicut supra dictum est, quorumdam opinio fuit, quod
animae omnes simul creatae fuerunt extra corpus. Cuius quidem opinionis
falsitas potest ad praesens quatuor rationibus ostendi:
Comme on l'a dit plus haut (art. 9), l'opinion de certains[13] a été
que toutes les âmes ont été créées en même temps hors du corps. La fausseté de
cette opinion peut à présent être montrée par quatre raisons:
quarum prima est, quod res creatae sunt a Deo in sua
perfectione naturali. Perfectum enim naturaliter praecedit imperfectum,
secundum philosophum. Et Boetius dicit, quod, natura a perfectis sumit
exordium. Anima autem non habet perfectionem suae naturae extra corpus, cum non
sit per se ipsam species completa alicuius naturae, sed sit pars humanae
naturae: alias oporteret quod ex anima et corpore non fieret unum nisi per
accidens. Unde non fuit anima humana extra corpus creata.
1) Dont la première est que les créatures ont été créées par Dieu dans
leur perfection naturelle[14]. Car le parfait précède naturellement
l'imparfait, selon le philosophe (Le ciel. I, 2, 269 a 20). Et Boèce (La
Consolation, 10, prose 10) dit que la nature prend son départ à partir de ce
qui est parfait. Mais l'âme n'a pas la perfection de sa nature hors du corps,
puisqu'elle n'est pas par elle-même une espèce complète d'une certaine nature,
mais une partie de la nature humaine; autrement il faudrait que l'unité de
l'âme et du corps ne soit faite que par accident. Donc l'âme humaine n'a pas
été créée hors du corps.
Quicumque autem posuerunt animas extra corpora fuisse
antequam corporibus unirentur, aestimaverunt eas esse naturas perfectas, et
quod naturalis perfectio animae non est esse in hoc quod anima corpori
uniretur, sed uniretur ei accidentaliter, sicut homo indumento: sicut Plato
dicebat, quod homo non est ex anima et corpore, sed est anima utens corpore. Et
propter hoc omnes qui posuerunt animas extra corpora creari, posuerunt
transcorporationem animarum; ut sic anima exuta a corpore uno, alteri corpori
uniretur, sicut homo exutus uno vestimento induit alterum.
Tous ceux qui ont pensé que les âme ont existé hors des corps avant de
leur être unies, ont estimé qu'elles étaient des natures parfaites, et que la
perfection naturelle de l'âme ne consiste pas à être unie au corps, mais
qu'elle lui serait unie accidentellement, de la même manière que l'homme à son
vêtement. Ainsi Platon disait que l'homme n'est pas composé d'une âme et d'un
corps, mais c'est une âme qui se sert d'un corps[15]. Et c'est pourquoi tous
ceux qui ont pensé que les âmes sont créées hors des corps, ont cru à la
transcorporation des âmes[16], de sorte qu'une âme, ainsi sortie d'un corps,
s'unirait à un autre, comme l'homme retire son vêtement et en met un autre.
Secunda ratio est Avicennae. Cum enim anima non sit
composita ex materia et forma, distinctio animarum ab invicem esse non posset
nisi secundum formalem differentiam, si solum secundum se ipsas
distinguerentur. Formalis autem differentia diversitatem speciei inducit.
Diversitas autem secundum numerum in eadem specie ex differentia materiali
procedit: quae quidem animae competere non potest secundum naturam ex qua fit,
sed secundum materiam in qua fit.
2) La seconde raison est donnée par'Avicenne. En effet, comme l'âme
n'est pas composée de matière et de forme (car elle est distinguée de la
matière et du composé dans le livre II de l'âme), la distinction des âmes l'une
de l'autre ne pourrait exister que selon une différence formelle, si seulement
elles se distinguaient elles-mêmes en soi. Mais la différence formelle amène la
diversité de l'espèce. La diversité selon le nombre dans la même espèce
provient de la différence matérielle; ce qui, pour l'âme, ne peut convenir
selon la nature dont elle est faite, mais selon la matière dans laquelle elle
est faite.
Sic ergo solum ponere possumus plures animas humanas eiusdem
speciei, numero diversas esse, si a sui principio corporibus uniantur, ut earum
distinctio ex unione ad corpus quodammodo proveniat, sicut a materiali
principio, quamvis sicut ab efficiente principio talis distinctio sit a Deo. Si
vero extra corpora animae humanae fuissent creatae oportuisset eas esse specie
differentes, sublato distinctionis materiali principio, sicut et omnes
substantiae separatae a philosophis ponuntur specie differentes.
Donc ainsi nous pouvons seulement penser que plusieurs âmes humaines de
la même espèce sont différentes par le nombre, si elles sont unies au corps par
leur principe, de sorte que leur distinction provient d'une certaine manière de
l'union au corps, comme par un principe matériel, quoique une telle distinction
vienne de Dieu comme par un principe efficient. Si les âmes humaines avaient
été vraiment créées hors des corps, il aurait fallu qu'elle soient différentes
en espèce, si on enlève le principe matériel de la distinction, ainsi que les
philosophes ont pensé que toutes les substances séparées sont différentes en
espèce[17].
Tertia ratio est, nam anima rationalis humana non differt
secundum substantiam a sensibili et vegetabili, sicut superius est ostensum;
vegetabilis autem et sensibilis animae origo non potest esse nisi in corpore,
cum sint actus quarumdam partium corporis; unde nec anima rationalis potest
nisi in corpore creari secundum naturae suae convenientiam, tamen absque
divinae praeiudicio potestatis.
3) Troisième raison: en effet, l'âme rationnelle humaine ne diffère pas
en substance de l'âme sensitive et végétative, comme on l'a montré plus haut,
mais l'origine de l'âme végétative et de l'âme sensitive ne peut être que dans
le corps, puisqu'elles sont les actes de certaines parties du corps; c'est
pourquoi l'âme rationnelle ne peut être créée que dans un corps selon la
convenance de sa nature, cependant sans préjudice pour la puissance divine.
Quarta ratio est, quia si anima rationalis extra corpus
creata fuit, et ibi habuit sui esse naturalis complementum, impossibile est
convenientem causam assignare unionis eius ad corpus. Non enim potest dici,
quod proprio motu se corporibus adiunxit, cum videamus quod deserere corpus non
subiaceat animae potestati; quod esset, si ex voluntate sua corpori esset unita.
Et praeterea si sunt creatae omnino separatae, non potest dici quare unio
corporis voluntatem separatae animae illexisset.
4) Quatrième raison: si l'âme rationnelle a été créée hors du corps, et
y a trouvé le complément de son être naturel, il est impossible d'assigner une
cause convenable à son union au corps. Car on ne peut pas dire qu'elle s'est
jointe au corps de son propre mouvement[18], puisque nous voyons qu'abandonner
le corps n'est pas en son pouvoir; ce qui serait possible si elle s'était unie
à un corps par sa volonté. Et ensuite si elles sont créées tout à fait
séparées, on ne peut pas dire pourquoi l'union du corps aurait attiré la
volonté d'une âme séparée.
Nec iterum potest dici, quod post aliquos annorum circuitus
naturalis ei appetitus supervenerit corpori adhaerendi; et quod ex operatione
naturae huiusmodi unio sit causa. Nam ea quae certo temporis spatio secundum
naturam aguntur, ad motum caeli reducuntur sicut ad causam, per quam temporum
spatia mensurantur. Animas autem separatas non est possibile caelestium
corporum motibus subiacere.
Et on ne peut pas dire non plus qu'après quelques années d'un circuit
naturel l'envie lui viendrait d'adhérer à un corps et que l'union soit la cause
d'une telle opération de la nature. Car ce qui est fait dans un certain espace
de temps selon la nature, est ramené au mouvement du ciel comme à sa cause, par
laquelle sont mesurées les durées. Mais il n'est pas possible que les âmes
séparées se soumettent au mouvement des corps célestes[19].
Similiter non potest dici, quod a Deo sint corpori
alligatae, si eas prius absque corporibus creavisset. Si enim dicatur, quod ad
earum perfectionem hoc fecit, non fuisset ratio quare absque corporibus
crearentur. Si vero in earum poenam hoc factum est, ut corporibus quasi
quibusdam carceribus intruderentur, sicut Origenes dixit, propter peccata
commissa, sequeretur quod institutio naturarum ex spiritualibus et corporalibus
substantiis compositarum, esset per accidens, et non ex prima Dei intentione:
quod est contra id quod legitur Genes. I, 31: vidit Deus cuncta quae fecerat,
et erant valde bona: ubi manifeste ostenditur bonitatem Dei et non malitiam
cuiuscumque creaturae fuisse causam bonorum operum condendorum.
De la même manière, on ne peut pas dire qu'elles ont été liées au corps
par Dieu, s'il les a créées d'abord sans corps. Car si on disait qu'il l'a fait
pour leur perfection, cela n'aurait pas été la raison pour laquelle elles
auraient été créées sans corps. Mais si les introduire dans des corps comme
dans des prisons, a été fait pour leur châtiment, comme Origène[20] l'a dit, à
cause des péchés qu'elles ont commis, il en découlerait que la constitution des
natures composées à partir des substances spirituelles et corporelles
existerait par accident et non de la première intention de Dieu, ce qui est
contre ce qu'on lit en Genèse 1, 31: "Dieu vit tout ce qu'il avait fait et
c'était très bon", où on montre manifestement la bonté de Dieu et que ce
n'est pas la malice de quelque créature qui a été cause de la création des
oeuvres bonnes[21].
Solutions:
q. 3 a. 10 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod Augustinus in Lib. super Gen. ad Litt., et praecipue
inquirendo de origine animae, loquitur magis investigando quam asserendo, sicut
ipsemet dicit.
# 1. Augustin dans La Genèse au
sens littéral, surtout en enquêtant sur l'origine de l'âme, est en
recherche plus qu'il n'affirme, comme il le dit lui-même[22].
q. 3 a. 10 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod universum in sui principio fuit perfectum quantum ad
species, et non quantum ad omnia individua; vel quantum ad causas rerum
naturalium, ex quibus possunt postmodum alia propagari, non quantum ad omnes
effectus. Animae vero rationales quamvis non fiant a causis naturalibus; tamen
corpora, quibus divinitus infunduntur sicut sibi connaturalibus, per
operationem naturae fiunt.
# 2. L'univers en son commencement a été parfait pour les espèces, et
non pour tous les individus, ou encore pour les causes des êtres naturels d'où
les autres peuvent par la suite se propager, non pour tous les effets. Mais
quoique les âmes rationnelles ne soient pas faites par des causes naturelles,
cependant les corps, dans lesquels elles sont insérées par l'action de Dieu
comme dans ce qui leur est connaturel, sont faits par l'opération de la nature.
q. 3 a. 10 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in
ludo non quaeritur aliquid propter ludum. Sed ex motu quo Deus creaturas
corporales movet, quaeritur aliquid propter ipsum motum, scilicet completus
numerus electorum, quo habito motus cessabit; licet non substantia mundi.
# 3. Dans le jeu théâtral, on ne cherche pas quelque chose à cause du
jeu. Mais du mouvement par lequel Dieu meut[23] les créatures corporelles, on
cherche quelque chose à propos de ce mouvement même, à savoir le nombre complet
des élus par lequel, quand il sera atteint, cessera ce mouvement, pas cependant
la substance du monde.
q. 3 a. 10 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod multitudo animarum pertinet ad essentialem perfectionem
universi ultimam, sed non primam, cum tota corporum mundi transmutatio ordinetur
quodammodo ad animarum multiplicationem; ad quam requiritur corporum
multiplicatio, ut ostensum est, in corp.
# 4. La multitude des âmes appartient à la perfection essentielle et
ultime de l'univers mais non à la première perfection puisque le changement
total du monde des corps est ordonné d'une certaine manière à la multiplication
des âmes; comme on l'a montré dans le corps de l'article[24].
q. 3 a. 10 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod Platonici ponebant naturam animarum per se esse
completam, et accidentaliter corporibus uniri: unde etiam ponebant transitum
animarum de corpore ad corpus. Ad quod ponendum praecipue inducebantur per hoc
quod ponebant humanas animas immortales, et generationem numquam deficere. Unde
ad infinitatem animarum removendam, ponebant fieri quemdam circulum, ut animae
prius exeuntes iterato unirentur. Et secundum hanc opinionem, quae erronea est,
Macrobius loquitur: unde eius auctoritas in hac parte non est recipienda.
# 5. Les Platoniciens pensaient que la nature des âmes était complète
en soi, et unie accidentellement à des corps. C'est pour cela, qu'ils pensaient
aussi qu'il y avait passage des âmes de corps en corps. Pour l'établir ils
étaient amenés principalement à penser que les âmes humaines immortelles, et la
génération ne manquaient jamais. Aussi pour éviter l'infinité des âmes, ils
pensaient qu'il y avait un cycle pour que les âmes sortantes s'unissent à
nouveau. Et Macrobe parle selon cette opinion, qui est erronée. C'est pourquoi
on ne peut pas recevoir son autorité sur ce sujet.
q. 3 a. 10 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod philosophus non dicit animam, efficientem esse causam
corporis, sed causam unde est principium motus, in quantum est principium motus
localis in corpore, et augmenti et aliorum huiusmodi, ut ipsemet exponit
ibidem.
# 6. Le philosophe (L'âme, II,
4, 415 b 10[25]) ne dit pas que l'âme est cause efficiente du corps, mais une
cause à l'origine du principe du mouvement, dans la mesure où elle est principe
du mouvement local dans le corps, de la croissance etc., comme lui-même
l'expose là même.
q. 3 a. 10 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod in auctoritate illa intelligitur irascibilitas et
concupiscibilitas inesse animae prius quam corpori uniretur, natura, non
tempore: quia anima hoc non habet a corpore, sed potius corpus ab anima.
# 7. Dans cette autorité, on comprend que l'irascible et le
concupiscible sont dans l'âme avant qu'elle soit unie au corps, par nature et
non dans le temps, parce que l'âme ne les tient pas du corps, mais plutôt c'est
le corps qui les tient par l'âme.
q. 3 a. 10 ad 8 Ad
octavum dicendum, quod anima mensuratur tempore secundum esse quo unitur
corpori; quamvis prout consideratur ut substantia quaedam spiritualis,
mensuretur aevo. Non tamen oportet quod tunc inceperit aevo mensurari quando et
Angeli.
# 8. L'âme est mesurée par le temps selon l'être par lequel elle est
unie au corps; quoique, si elle est considérée comme substance spirituelle,
elle soit mesurée par l'ævum. Il ne faut pas cependant qu'elle ait commencé à
être mesurée par l'ævum en même temps que les anges.
q. 3 a. 10 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod licet aevum non habeat prius et posterius quantum ad ea
quae mensurat, nihil tamen prohibet quin unum altero prius aevo participet.
# 9. Bien que l'ævum n'ait ni avant ni après, pour ce qu'il mesure,
rien cependant n'empêche que l'un ne participe avant à l'aevum avant un
autre[26].
q. 3 a. 10 ad 10 Ad
decimum dicendum, quod licet Angelus et anima conveniant in natura
intellectuali, differunt tamen in hoc quod Angelus est quaedam natura in se
completa, unde per se creari potuit; anima vero, cum perfectionem suae naturae
habeat in hoc quod corpori unitur, non debuit in caelo, sed in corpore cuius
est perfectio, creari.
# 10. Bien que l'ange et l'âme se rencontrent dans la nature intellectuelle,
ils diffèrent cependant en ce que l'ange est une nature complète par soi; c'est
pourquoi il a pu être créé en soi; mais comme l'âme a la perfection de sa
nature du fait qu'elle est unie à un corps, elle n'a pas dû être créée au ciel
mais dans le corps dont elle est la perfection.
q. 3 a. 10 ad 11 Ad
undecimum dicendum, quod anima licet sit secundum se simplicior omni corpore,
tamen est forma et perfectio corporis ex elementis compositi, cuius locus est
circa medium, cum quo simul oportet eam hic creari.
# 11. Bien que l'âme soit plus simple en soi que tout corps, cependant
elle en est la forme et la perfection du corps composé d'éléments, dont le lieu
est autour du milieu, avec lequel il faut qu'elle soit créée en même temps[27].
q. 3 a. 10 ad 12 Ad
duodecimum dicendum, quod prima perfectio animae attenditur secundum esse suum
naturale: quae quidem perfectio consistit in unione eius ad corpus; et ideo a
principio debuit in loco corporis creari. Ultima autem perfectio eius est in
hoc quod communicat cum substantiis aliis intellectualibus; et illa perfectio
dabitur ei in caelo.
# 12. La première perfection de l'âme est atteinte selon son être
naturel; elle consiste dans son union au corps et c'est pourquoi, au
commencement, elle a dû être créée dans le lieu du corps. Mais sa perfection
ultime est dans ce qu'elle communique avec les autres substances
intellectuelles, et cette perfection lui sera donnée au ciel.
q. 3 a. 10 ad 13 Ad
decimumtertium dicendum, quod animae quae modo creantur, licet sint novae
creaturae secundum numerum, tamen sunt antiquae secundum speciem suam:
praecesserunt enim in operibus sex dierum in suo simili secundum speciem, id
est in animabus primorum parentum.
# 13. Bien que les âmes qui sont créées à un moment, soient de nouvelles
créatures en nombre, elles sont cependant anciennes par leur espèce; car elles
ont existé précédemment dans les oeuvres des six jours dans quelque chose de
semblable en espèce, c'est-à-dire dans les âmes des premiers parents[28].
q. 3 a. 10 ad 14 Ad
decimumquartum dicendum, quod opus creationis quo naturae principia
instituuntur, oportet praecedere opus propagationis. Non autem tale opus est
animarum creatio.
# 14. Il faut que l'oeuvre de la création par laquelle les principes de
nature sont institués, précède l'oeuvre de propagation. Mais une telle oeuvre
n'est pas la création des âmes.
q. 3 a. 10 ad 15 Ad
decimumquintum dicendum est, quod ad iustitiam pertinet reddere debitum; unde
contra iustitiam fit, si inaequalia aequalibus dantur, quando debita redduntur,
non autem quando gratis aliqua dantur: quod convenit in creatione animarum. Vel potest dici, quod ista diversitas non procedit ex diverso merito
animarum, sed ex diversa dispositione corporum; unde et Plato dicebat, quod
formae infunduntur a Deo secundum merita materiae.
# 15. Il convient à la justice de rendre ce qui est dû; c'est pourquoi,
c'est contre la justice, si des dons inégaux sont donnés à des êtres égaux,
quand quand on rend ce qui est dû, mais non quand c'est donné gratuitement; c'est
ce qui se passe pour la création des âmes. Ou bien on peut dire que cette
diversité ne procède pas du mérite différent des âmes, mais de la disposition
différente des corps. C'est pourquoi Platon disait (Les lois, X) que les formes
sont incluses par Dieu selon les mérites de la matière.
q. 3 a. 10 ad 16 Ad
decimumsextum dicendum, quod licet anima dependeat a corpore quantum ad sui
principium, ut in perfectione, suae naturae incipiat, tamen quantum ad sui
finem non dependet a corpore, quia acquiritur sibi esse in corpore ut rei
subsistenti: unde destructo corpore, nihilominus manet in suo esse, licet non
in completione suae naturae, quam habet in unione ad corpus.
# 16. Bien que l'âme dépende du corps en son principe, pour commencer
dans la perfection de sa nature, cependant quant à sa fin, elle n'en dépend
pas, parce que l'être lui est acquis dans le corps, en tant qu'être subsistant;
c'est pourquoi, une fois le corps détruit, elle demeure néanmoins en son être,
bien que ce ne soit pas dans l'achèvement de la nature qu'elle possède, quand
elle est unie au corps.
q. 3 a. 10 ad 17 Ad
decimumseptimum dicendum, quod natura corporis non aggravat animam, sed eius
corruptio, ut ex ipsa auctoritate ostenditur.
# 17. Ce n'est pas la nature du corps qui appesantit l'âme, mais sa
corruption, comme on le montre à partir de cette autorité (Sg. 15)
--------------------------------------------------------------------------------
[1]
Parall.: 1a, q. 90, a. 4 - q. 91, a. 4. ad 3, 5 - qu. 118, a. 3 - CG., Il, 83,
84 - lI Sent., d17q2, a. 2.
[2]
. L'adage prend différences nuances: on y parle d'une même espèce (ici), d'une
même nature (ratio) article 11 et d'une même substance ou essence (II Sent.
d18q2a.3, obj. 4): "Pour ce qui est semblable en substance l'un ne peut
être crée que l'autre ne le soit"..
[3]
. Augustin émet deux hypothèses: l'âme a été créée avant le corps avec les
anges, et l'âme est créée en même temps que le corps. En conclusion il
n'affirme rien de façon définitive: "Sinon qu'elle est de Dieu, bien qu'elle
ne soit pas la substance divine." (BA. VII, 28, 43) "Voyons donc si
par hasard, il peut être vrai – opinion qui semble plus acceptable pour la
pensée humaine – que Dieu ...a créé l'âme pour l'insuffler le moment venu, aux
membres du corps formé de limon." (VII, 24, 35. Trad. BA. 48)
[4]
. On peut penser à un théâtre de marionnette, dont Dieu tire les ficelles !
[5]
."L'âme est pour le corps vivant cause et principe..."-"Le
principe premier du mouvement local c'est l'âme" (415 b 25). (Trad. E.
Barbotin). Cf. Sol. 6.
[6]
. Écrit par Alcher de Clairvaux vers le XIIe. Parmi les textes d'Augustin (PL.
40, 779-892).
[7].
Prop. 2: "Tout être supérieur est au-dessus de l'éternité ou avant elle ou
avec elle ou après elle et au-dessus du temps". L'être avant l'éternité
est la cause première (§ 20). L'être avec l'éternité est l'intelligence (§ 21,
selon Proclus). L'âme est après l'éternité et au-dessus du temps (§ 22)
[8]
. Le temps est la mesure du mouvement; il a un avant et un après. L'éternité
n'a ni avant, ni après; elle est la possession parfaite tout ensemble d'une vie
interminable. Elle exclut le principe de durée. L'aevum ou éviternité est entre
le temps et l'éternité. (Cf. qu. 3, a. 14, ad 9.) . (Les différents système de
durée conviennent à des êtres différents, éternité pour Dieu, aevum pour les
créatures spirituelles, temps pour les créatures corporelles).
[9]
. "Mais l'avant et l'après peuvent l'accompagner." (Ia, qu. 10, a. 5,
c)
[10].
Selon les lois de la pesanteur;
[11]
. Cf. Ia, qu. 90, a. 4, obj. 1: "Car l'oeuvre de la création précède celui
de la distinction et de l'ornementation comme on l'a dit. Mais l'âme est amenée
à l'être par création; et le corps a été fait en fin d'ornementation (Cf. Ia,
qu. 66, a. 1). Donc l'âme de l'homme a été produite avant le corps." L'âme
est crée et le corps "fait".
[12].
On le dit de Gennade. PL 42 , 1216, c 14,18.
[13]
. Les opinions visées sont d'une part celle de Platon et Pythagore, et celle
d'Origène (obj. 1 et sol. 1). Opinions précisées en II Sent. d17,q2a2: Pour
Platon, l'âme est comme le commandant d'un navire ou comme un vêtement. "L'homme
est une âme revêtue d'un corps." Pour les Pythagoriciens, l'âme passe de
corps en corps. L'âme a un rapport essentiel au corps en tant qu'elle lui donne
l'être, ce qui est réprouvé par Avicenne.
[14]
. Il ne convient pas que Dieu produise une oeuvre imparfaite;"car il n'a
pas fait l'homme sans main ou sans pieds, qui sont des parties naturelles. Donc
encore beaucoup moins il n'a pas fait l'âme sans le corps." (Ia, qu. 118,
a. 3, c (§3)
[15]
. "Comme le marin dans son navire, ou comme un vêtement. "L'homme est
une âme revêtu d'un corps." (II Sent. d17q2a.2).
[16]
. Pythagore, mais aussi Platon.
[17]
. Problème identique pour les anges: "Les anges ne sont pas composés de
matière et de forme. Donc il ne peut y avoir deux anges de la même espèce."
(Ia, qu. 50, a. 4, c).
[18]
. Considéré en Ia, qu. 118, a. 3, c comme "inconvenant". Cette
volonté serait contre la raison, si elle n'avait pas besoin du corps et voulait
s'unir à lui."
[19]
. Raison de temps. La substance spirituelle est au-dessous du temps. (Ia, qu.
118, a. 3).
[20]
.Cf. Ia, qu. 90, a. 4, c: "Origène (Les principes, I, c 6 ss; et II, c 9)
a pensé que non seulement l'âme de l'homme, mais toutes les autres avaient été
créées avec les anges, c'est pour cela qu'il croyait que toutes les substances
spirituelles, tant les âmes que les anges étaient égales par leur condition
naturelle, mais différentes seulement par le mérite; de sorte que certaines
d'entre elles étaient liées à des corps, les âmes des hommes ou des corps
célestes; certaines demeureraient en leur pureté selon des ordres différents..."
(Contre Léon I, Lettre à Flavien, FC 298 Ð Édit de l'empereur Justinien au
Patriarche Menas, publié au Concile de Constantinople de 543 (Dz. 403).
[21]
. Thomas a donné encore une autre raison en Ia, qu. 118, a. 3; l'homme n'est
pas comme l'ange."l'homme reçoit des sens sa connaissance en se tournant
vers les images. Donc l'âme a besoin d'être unie à un corps.
[22].
Thomas reste très réservé dans sa critique. Il faut aller chercher son point de
vue développé en Ia, qu. 90, a. 4, resp. § 2: "L'âme du premier homme a
été créée avant le corps avec les anges. Il pense que le corps de l'homme n'a
pas été produit en acte, mais seulement selon des raisons causales (secundum
causales rationes), ce qu'on ne peut pas dire de l'âme; parce qu'elle n'a pas
été faite d'une matière corporelle ou spirituelle préexistante et elle n'a pu
être produite d'une puissance créée. C'est pourquoi il semble que l'âme
elle-même a été créée dans les oeuvres des six jours, pendant lesquels tout a
été créé en même temps avec les anges et que par la suite sa propre volonté
ayant été inclinée, elle fut destinée à administrer le corps. Mais il ne dit
pas cela de façon affirmative comme ses paroles le montrent. Car il dit:
"On pourrait croire si aucune autorité des Écritures ou raison de la
vérité que l'homme a été créé le sixième jour, pour que la raison causale des
corps humaines dans les éléments du monde, l'âme elle-même fut créée (La Genèse au sens littéral, VII, 24-28)"
[23]
. Cf. note en obj. 3.
[24]
. Distinction entre la première perfection, celle de la création, et la seconde
atteinte à la fin du monde.
[25]
. "L'âme est pour le corps vivant cause et principe...c'est elle en effet
qui est le principe du mouvement." Trad. E. Barbotin. Thomas, lectio VII.
[26].
Cet article veut établir la possibilité de créations successives, même pour les
substances spirituelles, telles que l'ange et les âmes humaines. Étant
spirituelles, elles ne sont pas soumises au temps. Toute succession semble
impossible. La participation à l'ævum exprime l'insertion de la créature
spirituelle dans cette durée particulière qu'est l'oevum. Participare prius
exprime l'ordre de succession et non pas une inégalité de perfection.
[27]
. Dans l'obj. 11, il est question de la situation des corps selon la gravité.
Plus un corps est subtil, plus il s'élève. Faut-il comprendre que l'âme,
substance plus simple se situe entre le haut et le bas (au milieu) car elle est
créée en même temps que le corps. Il s'agit d'une certaine manière de la
localisation de l'âme dans le corps. Cf. sol. 12 "créée dans l'espace du
corps:(in loco corporis creari)".
[28]
. Cf. CG. II, 84 § 4: "Il est dit de la même manière (Gn 2, 2) que Dieu
acheva son oeuvre et qu'il se reposa de tout ce qu'il avait fait. Donc de même
qu'on considère selon l'espace l'achèvement ou la perfection de création et non
selon les individus, de même le repos de Dieu doit être compris comme la fin de
la création de nouvelles espèces, mais pas de nouveaux individus. Leurs
semblables en espèces les ont précédées."
q. 3 a. 11 tit. 1
Undecimo quaeritur utrum anima sensibilis et vegetabilis sint per creationem,
vel traducantur ex semine. Et videtur quod sic, hac ratione.
Il semble que c'est par création pour la raison suivante[1].
Objections:
q. 3 a. 11 arg. 1
Eorum enim quae sunt eiusdem rationis, est idem modus prodeundi in esse. Sed
anima sensibilis et vegetabilis in homine sunt et in brutis et in plantis
eiusdem speciei vel rationis. In homine
autem sunt per creationem, cum sint eiusdem substantiae cum anima rationali,
quae est per creationem, ut ostensum est. Ergo etiam in
brutis et in plantis vegetabilis et sensibilis sunt per creationem.
1. Car ce qui est de même nature, vient à l'être de la même manière[2].
Mais l'âme sensitive et l'âme végétative sont de même espèce ou de même nature,
dans l'homme, les animaux et les plantes. Dans l'homme, elles sont créées,
puisqu'elles sont de la même substance que l'âme rationnelle elle-même créée,
comme on l'a montré (art. 9). Donc chez les animaux et les plantes aussi, l'âme
végétative et l'âme sensitive sont créées.
q. 3 a. 11 arg. 2
Sed dices, quod anima sensibilis et vegetabilis est in plantis et brutis ut
forma et perfectio; in hominibus autem ut dispositio.- Sed contra, quanto aliquid est nobilius, tanto nobiliori modo exit in
esse. Sed nobilius est esse formam et perfectionem quam esse dispositionem. Si
ergo anima sensibilis et vegetabilis in hominibus, in quibus sunt ut
dispositiones, exeunt in esse per creationem, qui est nobilissimus modus
prodeundi in esse cum nobilissimae creaturae hoc modo esse incipiant; videtur
quod multo magis in plantis et brutis sint productae per creationem.
2. Mais on pourrait dire que l'âme sensitive et végétative est dans les
plantes et les animaux comme une forme et une perfection; et dans les hommes
comme une disposition[3]. – En sens contraire, plus un être est noble, plus
noble est sa manière de venir à l'être. Mais il est plus noble d'être une forme
et une perfection qu'une disposition. Si donc l'âme sensitive et l'âme
végétative dans les hommes, dans lesquels elles sont comme des dispositions,
viennent à l'être par création, ce qui est le plus noble moyen de venir à
l'être, puisque les plus nobles créatures commencent à exister de cette
manière, il semble qu'elles aient été produites beaucoup plus par création dans
les plantes et les animaux .
q. 3 a. 11 arg. 3
Praeterea, dicit philosophus: quod vere est, id est substantia, nulli est
accidens. Si ergo anima sensibilis et vegetabilis sunt in brutis et in plantis
ut formae substantiales, non possunt esse in homine ut dispositiones
accidentales.
3. Le philosophe dit (Physique,
I, 7, 190 a 35[4]): "Ce qui est vraiment, c'est-à-dire la substance, n'est
accident pour rien". Si donc l'âme sensitive et l'âme végétative sont dans
les animaux et dans les plantes comme des formes substantielles, elles ne
peuvent pas être dans l'homme comme des dispositions accidentelles.
q. 3 a. 11 arg. 4
Praeterea, ex virtute generantis producitur aliquid in esse in rebus viventibus
per virtutem quae est in semine. Sed in semine non est anima sensibilis vel
vegetabilis in actu. Cum ergo nihil agat nisi secundum quod est in actu,
videtur quod ex virtute seminis non possit produci anima sensibilis vel
vegetabilis; et ita nec per generationem, sed per creationem.
4. A partir du pouvoir du géniteur, quelque chose vient à l'être chez
les vivants par le pouvoir de la semence. Mais, en elle, il n'y a pas d'âme
sensitive ni végétative en acte. Donc, puisque rien n'agit que dans la mesure
où il est en acte, il semble que l'âme sensitive ou l'âme végétative ne peuvent
être produites par le pouvoir de la semence et ainsi par génération non plus
mais par création.
q. 3 a. 11 arg. 5
Sed dices, quod virtus quae est in semine, licet non sit anima sensibilis actu
agit tamen in virtute animae sensibilis, quae erat in patre, a quo semen
deciditur.- Sed contra, quod agit in virtute alterius, agit ut instrumentum
illius. Instrumentum autem non movet nisi motum; movens autem et motum oportet
esse simul, ut probatur VII Phys. Cum ergo virtus quae est in semine, non sit
coniuncta animae sensibili generantis, videtur quod non possit agere ut
instrumentum eius, nec in virtute illius.
5. Mais on pourrait dire que le pouvoir qui est dans la semence, encore
que celui-ci ne soit pas l'âme sensitive en acte, agit cependant dans le
pouvoir de l'âme sensitive, qui était dans le père, de qui la semence a été
séparée. – En sens contraire, ce qui agit dans le pouvoir d'un autre s'en sert
comme de son instrument; or celui-ci ne met en mouvement que mû, mais il faut
que le moteur, et ce qui est mû soient ensemble, comme on le prouve (Physique VIII, 10, 266 b 27 Ð 267 b 17).
Donc comme le pouvoir qui est dans la semence n'a pas été joint à l'âme
sensitive du géniteur, il semble qu'il ne peut pas agir comme son instrument,
ni dans le pouvoir de celle-ci.
q. 3 a. 11 arg. 6
Praeterea, instrumentum se habet ad principale agens sicut virtus mota et
imperata ad virtutem motivam et imperantem, quae est vis appetitiva et motiva. Sed virtus mota imperata non movet, si separetur a motiva imperante, ut
patet in partibus animalis decisis. Ergo nec virtus quae est in semine deciso
potest operari in virtute generantis.
6. L'instrument se comporte vis-à-vis de l'agent principal comme un
pouvoir mû et commandé en vue d'un pouvoir qui meut et commande, qui est une
force appétitive et motrice. Mais un pouvoir mû et commandé ne meut pas, s'il
est séparé de ce qui met en mouvement et commande, comme cela paraît dans les
organes séparés d'un animal. Donc le pouvoir qui est dans la semence séparée ne
peut opérer dans le pouvoir du géniteur.
q. 3 a. 11 arg. 7
Praeterea, quando effectus deficit a perfectione causae, non potest se
extendere in propriam causae actionem; diversitati enim naturarum attestatur
diversitas actionum. Sed virtus quae est in semine, etsi sit effectus animae
sensibilis generantis, tamen constat quod deficit a perfectione ipsius. Ergo
non potest in actionem quae proprie competeret animae sensibili, scilicet
producere animam sibi similem in specie.
7. Quand l'effet est défaillant par rapport à la perfection de la
cause, il ne peut s'étendre à la propre action de sa cause. Car la diversité
des actions atteste la diversité des natures. Mais cependant il est clair que
le pouvoir, qui est dans la semence, même si c'est l'effet de l'âme sensitive
du géniteur, est défaillant par rapport à sa perfection même. Donc il ne peut
pas, dans l'action qui appartient proprement à l'âme sensitive, produire une
âme qui lui ressemble en espèce.
q. 3 a. 11 arg. 8
Praeterea, ad corruptionem subiecti sequitur corruptio formae et virtutis. Sed
sperma in processu generationis corrumpitur, et aliam formam recipit, ut
Avicenna dicit. Ergo virtus illa corrumpitur quae erat in semine; non ergo per
eam potest produci anima sensibilis in esse.
8. A la corruption du sujet succède celle de la forme et de la
puissance. Mais le sperme est corrompu dans le processus de la génération et il
reçoit une autre forme, comme Avicenne le dit. Donc ce pouvoir qui était dans
la semence est corrompu; donc ce n'est pas par lui que l'âme sensitive peut
venir à l'être.
q. 3 a. 11 arg. 9
Praeterea, natura inferior non agit nisi mediante calore et aliis qualitatibus
activis et passivis. Sed calor non potest producere animam sensibilem in esse:
quia nihil agit ultra suam speciem; nec potest esse factum nobilius faciente.
Ergo anima sensibilis vel vegetabilis non potest educi in esse per aliquod
agens naturale; et ita est a creatione.
9. La nature inférieure n'agit que par l'intermédiaire de la chaleur et
d'autres qualités actives et passives. Mais la chaleur ne peut amener l'âme
sensitive à l'être, parce que rien n'agit au-delà de son espèce. Et rien de ce
qui est fait n'est plus noble que ce qui le fait. Donc l'âme sensitive ou
végétative ne peut pas être amenée à l'être par un agent naturel et ainsi elle
l'est par création.
q. 3 a. 11 arg. 10
Praeterea, agens materiale non agit influendo, sed materiam transmutando. Sed
per transmutationem materiae non pervenitur nisi ad formam accidentalem. Ergo
per agens naturale non potest produci anima sensibilis et vegetabilis, quae
sunt formae substantiales.
10. L'agent matériel n'agit pas en exerçant une influence sur la
matière. Mais en la transformant, on ne parvient qu'à une forme accidentelle.
Donc l'âme sensitive et l'âme végétative, qui sont des formes substantielles,
ne peuvent pas être produites par un agent naturel.
q. 3 a. 11 arg. 11
Praeterea, anima sensibilis vel vegetabilis habent quamdam quidditatem, quae
quidditas est ab alio facta. Haec autem quidditas non erat ante generationem,
nisi quia materia poterat eam habere. Ergo oportet quod producatur ab aliquo
agente quod operetur non ex materia; et huiusmodi est solus Deus creans.
11. L'âme sensitive ou l'âme végétative ont une quiddité, produite par
un autre. Mais elle n'existait avant la génération que parce que la matière
pouvait l'avoir. Donc il faut qu'elle soit produite par un agent qui n'opère
pas à partir de la matière, et de tel, il n'y a que le Dieu créateur.
q. 3
a. 11 arg. 12 Praeterea, animalia generata ex semine sunt nobiliora animalibus
ex putrefactione generatis, utpote perfectiora, et sibi similium generativa.
Sed in animalibus ex putrefactione generatis animae sunt a creatione: non enim
est dare aliquod agens simile in specie a quo in esse producantur. Ergo
videtur multo fortius quod animae animalium ex semine generatorum sint a
creatione.
12. Les animaux engendrés par
semence sont plus nobles que les animaux engendrés de la putréfaction, ils sont
plus parfaits, et peuvent engendrer des êtres semblables à eux. Mais dans les
animaux engendrés de la putréfaction, les âmes viennent par création. Car ce
n'est pas par un agent semblable d'une espèce semblable qu'ils sont amenés à
l'être. Donc il semble bien plus que les âmes des animaux qui engendrent par la
semence soient créés.
q. 3 a. 11 arg. 13 Sed dices, quod per virtutem
caelestis corporis producitur anima sensibilis in animalibus ex putrefactione
generatis, sicut et in aliis per virtutem formativam in semine.- Sed
contra, sicut dicit Augustinus, substantia vivens praeeminet cuilibet
substantiae non viventi. Sed corpus caeleste non est substantia vivens, cum sit
inanimatum. Ergo eius virtute produci non potest anima sensibilis, quae est
principium vitae.
13. Mais on pourrait dire que par le pouvoir du corps céleste, l'âme
sensitive est produite dans les animaux issus de la putréfaction, comme pour
les autres par le pouvoir formateur qui est dans la semence. – En sens
contraire, comme le dit Augustin (La
vraie religion, 55), la substance vivante est au-dessus de n'importe quelle
substance non vivante. Mais le corps céleste n'est pas une substance vivante,
puisqu'il est inanimé. Donc l'âme sensitive, qui est principe de vie ne peut
être produite par son pouvoir.
q. 3 a. 11 arg. 14
Sed dices, quod corpus caeleste potest esse causa animae sensibilis, prout agit
in virtute intellectualis substantiae quae ipsum movet. Sed contra, quod recipitur in alio, est in eo per
modum recipientis, et non per modum sui. Si ergo virtus intellectualis
substantiae recipitur in corpore caelesti non vivente, non erit ibi ut virtus
vitalis quae possit esse principium vitae.
14. Mais on pourrait dire que le corps céleste peut être la cause de
l'âme sensitive, en tant qu'il agit dans le pouvoir de la substance intellectuelle,
qui le meut. – En sens contraire, ce qui est reçu dans un autre est en lui par
le mode de celui qui reçoit, et non par son mode propre. Donc si le pouvoir de
la substance intellectuelle est reçu dans un corps céleste non vivant, il n'y
sera pas là comme un pouvoir vital qui puisse être principe de vie.
q. 3 a. 11 arg. 15
Praeterea, substantia intellectualis non solum vivit, sed etiam intelligit. Si
ergo per eius virtute corpus caeleste ab ea motum potest conferre vitam, pari
ratione conferre poterit intellectum; et ita anima rationalis erit a generante;
quod est falsum.
15. La substance intellectuelle non seulement vit, mais aussi pense
(intelligit). Donc si par son pouvoir, le corps céleste, mû par elle, peut
conférer la vie, à raison égale, il pourra conférer l'intellect. Et ainsi l'âme
rationnelle viendra de celui qui engendre, ce qui est faux.
q. 3 a. 11 arg. 16
Praeterea, si anima sensibilis est ab aliquo agente naturali, et non per
creationem, aut ergo producetur a corpore, aut ab anima. Sed non a corpore,
quia sic corpus ageret ultra suam speciem: nec iterum ab anima: quia vel
oporteret totam animam patris in filium transfundi, et sic pater absque anima
remaneret; vel quoad partem eius, et sic in patre non remaneret tota anima:
quorum utrumque est falsum. Ergo anima
sensibilis non est a generante, sed a creante.
16. Si l'âme sensitive vient d'un agent naturel, et non par création,
elle est donc produite par le corps ou par l'âme. Mais pas par le corps, parce
que, ainsi, un corps agirait au-delà de son espèce; ni à nouveau par l'âme,
parce que, ou bien, il faudrait que toute l'âme du père soit transfusée dans le
Fils, et ainsi le père demeurerait sans âme, ou avec une partie seulement, et
ainsi dans le père, l'âme ne resterait pas entière; les deux solutions sont
fausses. Donc l'âme sensitive ne vient pas de celui qui engendre mais du
créateur.
q. 3 a. 11 arg. 17
Praeterea, Commentator dicit, quod nulla virtus cognoscitiva est ab actione
elementorum commixtorum. Sed anima sensibilis est virtus cognoscitiva. Ergo non
est ab actione elementorum; et ita nec per actionem naturae, cum nulla actio
naturae in istis inferioribus sit absque actione elementorum.
17. Le Commentateur dit (L'âme, III)
qu'aucun pouvoir connaissant vient de l'action des éléments mixtes. Mais l'âme
sensitive est un pouvoir qui a la faculté de connaître. Donc elle ne dépend pas
de l'action des éléments, de l'action de la nature non plus, puisque aucune de
ces actions n'est dans ces choses inférieures sans l'action des éléments.
q. 3 a. 11 arg. 18
Praeterea, nulla forma potest esse movens, quae non est subsistens; unde formae
elementorum, secundum philosophum, non sunt moventes; sed generans et removens
prohibens. Sed anima sensibilis est movens, cum omne animal a sua anima
moveatur. Ergo anima sensibilis non est forma tantum, sed est substantia per se
existens. Constat etiam quod non est ex materia et forma composita. Omnis autem
talis substantia educitur in esse per creationem, et non aliter. Ergo anima
sensibilis educitur in esse per creationem.
18. Aucune forme, qui n'est pas subsistante, ne peut être moteur; c'est
pourquoi les formes des éléments, selon le philosophe (Physique VIII, 4, 254 b35, 255 a 12) ne sont pas moteurs, mais
c'est ce qui engendre et prive en empêchant. Mais l'âme sensitive est motrice,
puisque tout animal est mû par son âme. Donc l'âme sensitive n'est pas une
forme seulement, mais une substance existant par soi. Il est clair aussi
qu'elle n'est pas composée de matière et de forme. Mais toute substance de ce genre
vient à l'être par création, et non autrement. Donc l'âme sensitive vient à
l'être par création.
q. 3 a. 11 arg. 19
Sed dices, quod anima sensibilis non movet per se corpus, sed ipsum corpus
animatum movet se ipsum.- Contra, philosophus probat, quod in quolibet movente
seipsum oportet unam partem esse quae sit movens tantum, et alteram quae sit
mota. Sed corpus non potest esse movens tantum, quia nullum corpus movet nisi
motum. Ergo oportet quod anima sit movens tantum; et ita sensibilis anima habet
operationem in qua non communicat sibi corpus: et sic anima sensibilis erit
substantia subsistens.
19. Mais on pourrait dire que l'âme sensitive ne meut pas le corps par
soi, mais que le corps animé se meut lui-même. – En sens contraire, le
philosophe prouve (Physique VIII, 257
b 2 ss.) que dans n'importe quel être qui se meut lui-même, il faut qu'une
partie de l'être soit moteur, et une autre mue. Mais le corps ne peut pas être
moteur seulement, parce qu'aucun corps ne meut que mû. Donc il faut que l'âme soit
moteur seulement et ainsi l'âme sensitive a une opération, où le corps ne
communique pas avec elle et ainsi elle sera une substance subsistante.
q. 3 a. 11 arg. 20
Sed dices, quod anima sensibilis movet secundum imperium appetitivae virtutis,
cuius actus communiter est animae et corporis. Sed contra, in animali non solum
movet vis quae imperat motum, sed etiam est ibi vis exequens motum; cuius
operatio non poterit esse animae et corpori communis, rationibus praedictis; et
sic oportet quod anima sensibilis aliquam operationem per se habeat. Ergo est
substantia per se subsistens; et ita per creationem educitur in esse, et non
per generationem naturalem.
20. Mais on pourrait dire que l'âme sensitive meut selon l'ordre du
pouvoir de l'appétit, dont l'acte est commun au corps et à l'âme. –Mais en sens
contraire, dans l'animal, non seulement il y a la force qui commande le
mouvement et meut, mais encore il y a là une force qui suit le mouvement dont
l'opération ne pourra pas être commune à l'âme et au corps, pour les raisons
déjà données. Et ainsi il faut que l'âme sensitive ait par soi une opération.
Donc elle est substance subsistante par soi, et ainsi elle est amenée à l'être
par création, et non par la génération naturelle.
En sens contraire:
q. 3 a. 11 s. c. 1
Sed contra. Est quod dicitur Genes. I, vers. 20: producant aquae reptile animae
viventis; et ita videtur quod animae sensibiles reptilium et aliorum animalium
sint ex actione corporalium elementorum.
1. Il y a ce qui est dit en Gn. 1, 20: "Que les eaux produisent le
reptile à l'âme vivante", et ainsi il semble que les âmes sensitives des
reptiles et des autres animaux viennent de l'action des corps élémentaires.
q. 3 a. 11 s. c. 2
Praeterea, sicut se habet corpus patris ad eius animam, ita et corpus filii ad
eius animam. Ergo commutatim, sicut se habet corpus filii ad corpus patris, ita
et anima filii ad animam patris. Sed corpus filii traducitur a corpore patris.
Ergo anima filii traducitur ab anima patris.
2. De la même manière que se comporte le corps du père vis-à-vis de son
âme, le corps du fils se comporte vis-à-vis de la sienne. Donc inversement, de
même que le corps du fils se comporte par rapport à celui du père, l'âme du
fils se comporte par rapport à celle du père. Mais le corps du fils est
transmis par le corps du père. Donc l'âme du fils est transmise par l'âme du
père.
Réponse
q. 3 a. 11 co.
Respondeo. Dicendum quod circa productionem formarum substantialium,
philosophorum opiniones diversificantur. Nam quidam dixerunt, quod agens naturale
solummodo disponit materiam; forma autem, quae est ultima perfectio, provenit a
principiis supernaturalibus.
A propos de la production des formes substantielles, les opinions des
philosophes ont divergé[5]. Car certains ont dit que l'agent naturel dispose
seulement la matière, mais la forme, qui est l'ultime perfection, provient des
principes surnaturels.
Quae quidem opinio ex duobus praecipue ostenditur esse falsa:
primo quidem ex hoc quod, cum esse formarum naturalium et
corporalium non consistat nisi in unione ad materiam; eiusdem agentis esse
videtur eas producere cuius est materiam transmutare.
On montre que cette opinion est fausse principalement pour deux raisons:
1) Du fait que l'être des formes naturelles et corporelles ne consiste
qu'en une union à la matière, il semble que c'est le fait d'un même agent de
les produire, dont le rôle est de transformer la matière.
Secundo, quia cum huiusmodi formae non excedant virtutem et
ordinem et facultatem principiorum agentium in natura, nulla videtur
necessitas, eorum originem in principia reducere altiora; unde philosophus
dicit, quod caro et os generantur a forma quae est in his carnibus et in his
ossibus: secundum cuius sententiam non solum agens naturale disponit materiam,
sed educit formam in actum, e converso primae opinioni.
2) Parce que de telles formes n'excèdent pas le pouvoir, l'ordre et la
faculté des principes agents dans la nature, on ne voit aucune nécessité de
ramener leur origine à des principes plus élevés. C'est pour cela que le
philosophe dit (Métaphysique VII,
1034 a 5[6], Physique, II, 1, 193 a
2) que la chair et l'os sont engendrés par une forme qui est en ces chairs et
en ces os; selon cette opinion, non seulement l'agent naturel dispose la
matière mais amène la forme à l'acte, contrairement à la première opinion.
Ab hac autem generalitate formarum
oportet excludere animam rationalem. Ipsa enim est substantia per se subsistens;
unde esse suum non consistit tantum in hoc quod est materiae uniri; alias
separari non posset: quod falsum esse etiam eius operatio ostendit, quae est
animae secundum se ipsam absque corporis communione. Nec potest aliter operari quam sit. Quod
enim per se non est, per se non operatur. Et iterum intellectualis natura totum
ordinem et facultatem excedit materialium et corporalium principiorum; cum
intellectus intelligendo omnem corporalem naturam transcendere possit: quod non
esset, si eius natura infra limites corporalis naturae contineretur.
De cet ensemble des formes, il faut exclure l'âme rationnelle. Car elle
est elle-même une substance subsistante par soi. C'est pourquoi son être ne
consiste pas seulement en ce qu'il doit être unie à la matière, autrement elle
ne pourrait pas s'en séparer: son opération montre que c'est faux, elle vient
de l'âme même en soi sans la participation du corps. Et elle ne peut agir
autrement qu'elle est. Car ce qui n'est pas par soi, n'opère pas par soi. Et à
nouveau la nature intellectuelle excède tout l'ordre et toute la faculté des
principes matériels et corporels; puisque l'intellect en son intellection
(intelligendo) peut transcender toute nature corporelle, ce qui ne serait pas
possible si sa nature était contenue dans les limites de la nature corporelle.
Neutrum autem horum de anima sensibili
vel vegetabili dici potest. Esse autem huiusmodi animarum non potest consistere
nisi in unione ad corpus: quod eorum operationes ostendunt; quae sine organo
corporali esse non possunt: unde nec esse earum est eis absolute sine
dependentia ad corpus. Propter
quod nec a corpore separari possunt, nec iterum in esse produci, nisi quatenus
producatur corpus in esse. Unde sicut producitur corpus per actum naturae
generantis, ita et animae praedictae. Ponere autem eas seorsum per creationem
fieri, videtur redire in opinionem eorum qui ponebant huiusmodi animas post
corpora remanere, cum utrumque simul in Lib. de Eccl. dogmatibus condemnetur.
Mais on ne peut utiliser ni l'un ni l'autre argument pour l'âme
sensitive ou l'âme végétative. L'être des âmes de ce genre ne peut consister que
dans l'union au corps; ce que leurs opérations montrent: elle ne peuvent
exister sans organe corporel; c'est pourquoi leur être n'est absolument pas
pour elles sans dépendance au corps. A cause de cela, elles ne peuvent être
séparées du corps, ni à nouveau amenées à l'être, que dans la mesure où le
corps y est amené. C'est pourquoi, de même que le corps est produit par
l'action de la nature qui engendre, les âmes susdites aussi. Mais penser
qu'elles soient faites séparément par création semble ramener à l'opinion de
ceux qui pensaient que les âmes de ce genre demeuraient après le corps; alors
que les deux opinions sont condamnées ensemble dans le livre des Dogmes
ecclésiastiques.
Huiusmodi etiam animae ordinem principiorum naturalium non
excedunt. Et hoc patet earum operationes considerantibus. Nam secundum ordinem
naturarum sunt etiam ordines actionum. Invenimus autem quasdam formas quae se
ulterius non extendunt quam ad id quod per principia materialia fieri potest;
sicut formae elementares et mixtorum corporum, quae non agunt ultra actionem
calidi et frigidi; unde sunt penitus materiae immersae.
De telles âmes ne dépassent pas l'ordre des principes naturels. Et cela
est visible pour ceux qui considèrent leurs opérations. Car l'ordre des actions
dépend de l'ordre des natures. Nous trouvons certaines formes qui ne s'étendent
pas plus loin que ce qui peut être fait par les principes matériels; ainsi les
formes élémentaires et celles des corps mixtes qui n'agissent pas au-delà de
l'action du chaud et du froid. C'est pourquoi elles sont tout à fait immergées
dans la matière .
Anima vero vegetabilis, licet non agat nisi mediantibus
qualitatibus praedictis, attingit tamen operatio eius ad aliquid in quod
qualitates praedictae se non extendunt, videlicet ad producendum carnem et os,
et ad praefigendum terminum augmento, et ad huiusmodi; unde et adhuc retinetur
infra ordinem materialium principiorum, licet non quantum formae praemissae.
Mais bien que l'âme végétative n'agisse que par l'intermédiaire de ces
qualités, cependant son opération va jusqu'où elles ne s'étendent pas, à savoir
produire la chair et l'os et fixer un terme à la croissance, etc.; c'est
pourquoi elle est encore retenue sous l'ordre des principes matériels, bien que
pas autant sur les formes annoncées.
Anima vero sensibilis non agit per virtutem calidi et
frigidi de necessitate, ut patet in actione visus et imaginationis et
huiusmodi; quamvis ad huiusmodi operationes requiratur determinatum
temperamentum calidi et frigidi ad constitutionem organorum, sine quibus
actiones praedictae non fiunt; unde non totaliter transcendit ordinem
materialium principiorum, quamvis ad ea non tantum deprimatur, quantum formae
praedictae.
Mais l'âme sensitive n'agit pas nécessairement par le pouvoir du chaud
et du froid, comme cela paraît dans l'action de la vue, de l'imagination, etc.,
quoique pour de telles opérations un caractère déterminé de chaud et de froid
soit requis pour la constitution des organes, sans lesquels les actions
susdites ne se font pas; c'est pourquoi elle ne transcende pas totalement
l'ordre des principes matériels, bien qu'elle n'y soit pas enclavée autant que
les formes susdites.
Anima vero rationalis etiam agit actionem ad quam virtus
calidi et frigidi non se extendit; nec eam exercet per virtutem calidi et
frigidi, nec organo etiam corporali; unde ipsa sola transcendit ordinem
naturalium principiorum; non autem anima sensibilis in brutis, vel vegetabilis
in plantis.
Mais l'âme rationnelle accomplit une action là où ne s'étend pas le
pouvoir du chaud et du froid, et elle ne l'exerce pas par ce pouvoir, ni par un
organe matériel. C'est pour cela qu'elle seule transcende l'ordre des principes
naturels, mais pas l'âme sensitive dans les animaux, ni l'âme végétative dans
les plantes.
Solutions:
q. 3 a. 11 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod licet anima sensibilis in hominibus et brutis sit
eiusdem rationis secundum genus, non tamen est eiusdem rationis secundum
speciem, sicut nec idem animal specie est homo et brutum; unde et operationes
animae sensibilis sunt multo nobiliores in homine quam in brutis, ut patet in
tactu et in apprehensivis interioribus. Nec oportet eorum quae sunt in genere,
si specie differant, esse unum modum procedendi in esse, ut patet per animalia
generata ex semine et ex putrefactione; quae in genere conveniunt, et specie
differunt.
# 1. Bien que l'âme sensitive soit de même nature en genre dans les
hommes et les animaux, cependant elle ne l'est pas en espèce; ainsi l'homme et
la bête ne sont pas un être animé identique en espèce; c'est pourquoi les
opérations de l'âme sensitive sont beaucoup plus nobles chez l'homme que chez
les bêtes, comme cela paraît dans le toucher et dans les perceptions
intérieures. Et il ne faut pas, pour ceux qui sont dans un genre, s'ils
diffèrent par l'espèce, qu'il y ait un seul mode de parvenir à l'être, comme
cela paraît chez les animaux engendrés de la semence et de la putréfaction, qui
sont dans un même genre et diffèrent en espèce.
q. 3 a. 11 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod in homine non dicitur anima sensibilis ut dispositio,
quasi sit aliud in substantia ab anima rationali, et sit dispositio ad ipsam;
sed quia non distinguitur sensibile a rationali in homine, nisi sicut potentia
a potentia. Anima vero sensibilis in bruto distinguitur ab
anima rationali hominis sicut una forma substantialis ab alia. Et tamen
sicut potentia sensibilis in homine et vegetabilis fluunt ab essentia animae,
ita et in brutis et in plantis. Sed in hoc differunt quia in plantis non fluunt
ab essentia animae nisi potentiae vegetabiles, et ideo ab eis anima denominatur;
in brutis vero non solum vegetabiles, sed etiam sensibiles a quibus denominatur
eorum anima; in homine vero praeter has etiam intellectuales a quibus
denominatur.
# 2. Dans l'homme on ne parle pas de l'âme sensitive comme d'une
disposition, comme si dans la substance elle était autre que l'âme rationnelle
et disposition pour elle-même; mais parce qu'on ne distingue le sensitif du
rationnel dans l'homme, que comme une puissance d'une autre puissance. Mais l'âme
sensitive dans l'animal est distincte de l'âme rationnelle de l'homme comme une
forme substantielle d'une autre. Cependant la puissance sensitive et végétative
dans l'homme découle de l'essence de l'âme, dans les animaux et dans les
plantes aussi. Mais elles diffèrent en ceci que dans les plantes, seules les
puissances végétatives découlent de l'essence de l'âme, c'est pourquoi on
définit leur âme par elles; dans les animaux non seulement les puissances
végétatives mais aussi sensitives par lesquelles leur âme est définie, dans
l'homme en plus les puissances intellectuelles par lesquelles elle est définie.
q. 3 a. 11 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod substantia, a qua potentia sensibilis fluit, tam in
brutis quam in hominibus est forma substantialis; potentia vero utrobique est
accidens.
# 3. La substance, d'où découle la puissance sensitive, tant chez les
animaux que chez les hommes, est une forme substantielle; mais la puissance
dans les uns et les autres est un accident.
q. 3 a. 11 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod anima sensibilis non est actu in semine secundum
propriam speciem, sed sicut in virtute activa; sicut domus in actu est in mente
artificis ut in virtute activa: et sicut formae corporales sunt in virtutibus
caelestibus.
# 4. L'âme sensitive n'est pas en acte dans le semence pour son espèce
propre, mais comme dans une puissance active; de la même manière la maison en
acte est dans l'esprit de l'artisan comme dans une puissance active; et de même
les formes corporelles sont dans les puissances célestes.
q. 3 a. 11 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod instrumentum intelligitur moveri a principali agente,
quamdiu retinet virtutem a principali agente impressam; unde sagitta tamdiu
movetur a proiciente, quamdiu manet vis impulsus proicientis. Sicut etiam generatum
tamdiu movetur a generante in gravibus et levibus quamdiu retinet formam sibi
traditam a generante; unde et semen tamdiu intelligitur moveri ab anima
generantis quamdiu remanet ibi virtus impressa ab anima, licet corporaliter sit
divisum. Oportet autem movens et motum esse simul quantum ad motus principium,
non tamen quantum ad totum motum, ut apparet in proiectis.
# 5. On comprend que l'instrument est mis en mouvement par l'agent
principal aussi longtemps qu'il conserve ce pouvoir imprimé par cet agent;
c'est pourquoi la flèche est mue par celui qui la lance tant que dure son
impulsion. De même aussi, tant que l'engendré est mû par celui qui engendre
dans le lourd et le léger, il conserve la forme qui lui a été donnée par lui;
c'est pourquoi, on comprend que la semence est mue par l'âme de celui qui
engendre, tant qu'en lui il y a le pouvoir imprimé par l'âme, bien qu'il soit
divisé corporellement. Mais il faut que le moteur et le mû soit ensemble au
principe du mouvement, non cependant pour tout ce qui est mû, comme cela paraît
dans ce qu'on projette.
q. 3 a. 11 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod vis appetitiva animae non habet imperium nisi super
corpus unitum; unde pars decisa non obedit animae appetitivae ad votum. Sed
semen non movetur ab anima generantis per imperium, sed per cuiusdam virtutis
transfusionem, quae in semine manet etiam postquam fuerit decisum.
# 6. La force appétitive de l'âme n'a de pouvoir que sur le corps qui
lui est uni; c'est pourquoi une partie coupée n'obéit pas au désir de l'âme
appétitive. Mais la semence n'est pas mue par l'âme de celui qui engendre par
pouvoir, mais par la transmission d'un certain pouvoir qui demeure dans la
semence même une fois séparée.
q. 3 a. 11 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod anima sensibilis et vegetabilis de potentia materiae
educuntur, sicut et formae aliae materiales ad quarum productionem requiritur
virtus materiam transmutans. Virtus autem quae est in semine licet deficiat ab
aliis actionibus animae hanc tamen habet. Sicut enim per animam materia
transmutatur, ut convertatur in totum in actione nutrimenti; ita et per
virtutem praedictam transmutatur materia, ut generetur conceptum; unde nihil
prohibet quin virtus praedicta operetur quantum ad hoc ad actionem animae
sensibilis in virtute ipsius.
# 7. L'âme sensitive et l'âme végétative sont tirées de la puissance de
la matière, comme les autres formes matérielles pour la production desquelles
est requis un pouvoir qui transforme la matière. Mais bien que le pouvoir qui
est dans la semence soit défaillant, par les autres actions de l'âme il la
possède cependant; en effet, la matière est transformée par l'âme, pour qu'elle
soit convertie en tout par l'action de la nourriture, de même par le pouvoir
susdit, la matière est transformée, pour engendrer ce qui est conçu; c'est
pourquoi rien n'empêche que ce pouvoir opère, à ce sujet, en son pouvoir pour
l'action de l'âme sensitive.
q. 3 a. 11 ad 8 Ad octavum dicendum, quod virtus
praedicta radicatur in spiritu, qui in semine includitur, sicut in subiecto.
Fere autem totum semen, ut dicit Avicenna, in spiritum convertitur. Unde licet
corpulenta materia, ex qua conceptum formatur, multoties per generationem
transmutetur, non tamen virtutis praedictae subiectum destruitur.
# 8. Ce pouvoir, prend racine dans l'esprit, qui se trouve inclus dans
la semence, comme dans son sujet. Mais presque toute la semence, comme le dit
Avicenne, est convertie en cet esprit. C'est pourquoi, bien que la matière
corporelle, d'où ce qui est conçu est formé, soit transformée de nombreuses
fois par génération, cependant le substrat de ce pouvoir n'est pas détruit.
q. 3 a. 11 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod sicut calor agit ut instrumentum formae substantialis
ignis, ita nihil prohibet quin agat ut instrumentum animae sensibilis ad educendum
animam sensibilem in actum, non quod propria virtute hoc possit.
# 9. La chaleur agit comme instrument de la forme substantielle du feu,
de la même manière, rien n'empêche qu'elle agisse comme instrument de l'âme
sensitive pour l'amener l'âme à l'acte, encore qu'elle ne le puisse pas par son
propre pouvoir[7].
q. 3 a. 11 ad 10 Ad
decimum dicendum, quod materia transmutatur non tantum transmutatione
accidentali, sed etiam substantiali; utraque enim forma in materiae potentia
praeexistit; unde agens naturale, quod materiam transmutat, non solum est causa
formae accidentalis, sed etiam substantialis.
# 10. La matière subit un changement, non seulement accidentel, mais
aussi substantiel; car l'une et l'autre forme préexiste dans la puissance de la
matière; c'est pourquoi l'agent naturel qui transforme la matière est non
seulement la cause de la forme accidentelle, mais aussi de la forme
substantielle.
q. 3 a. 11 ad 11 Ad
decimumprimum dicendum, quod anima sensibilis cum non sit res subsistens, non
est quidditas, sicut nec aliae formae materiales, sed est pars quidditatis, et
esse suum est in concretione ad materiam; unde nihil aliud est animam
sensibilem produci, quam materiam de potentia in actum transmutari.
# 11. Comme l'âme sensitive n'est pas un être subsistant, elle n'est
pas une quiddité, les autres formes matérielles non plus, mais elle en est une
partie; et son être est dans son agrégation à la matière. C'est pourquoi,
produire l'âme sensitive n'est rien d'autre que faire passer la matière de la puissance
à l'acte.
q. 3
a. 11 ad 12 Ad decimumsecundum dicendum, quod quanto aliquid est imperfectius,
tanto ad eius constitutionem pauciora requiruntur. Unde cum animalia ex
putrefactione generata, sint imperfectiora animalibus quae ex semine generantur,
in animalibus ex putrefactione generatis sufficit sola virtus caelestis
corporis quae etiam in semine operatur, licet non sufficiat sine virtute animae
ad producendum animalia ex semine generata: virtus enim caelestis corporis in
inferioribus corporibus relinquitur, in quantum ab eo transmutantur, sicut a
primo alterante. Et propter hoc dicit philosophus, in libro de animalibus, quod
omnia corpora inferiora sunt plena virtutibus animae. Caelum autem licet non
sit simile in specie cum huiusmodi animalibus ex putrefactione generatis, est
tamen similitudo quantum ad hoc quod effectus in causa activa virtualiter
praeexistit.
# 12. Plus une chose est imparfaite, moins elle a de besoins pour sa
constitution. C'est pourquoi, puisque les animaux engendrés de la putréfaction
sont plus imparfaits que ceux nés d'une semence, il suffit pour eux du seul
pouvoir du corps céleste qui opère aussi dans la semence, bien qu'il ne suffise
pas sans le pouvoir de l'âme pour produire les animaux engendrés par la
semence. Car le pouvoir du corps céleste demeure dans les corps inférieurs,
dans la mesure où ils sont transformés par lui, comme par le premier qui
apporte le changement. Et c'est pour cela que le philosophe dit, dans le Livre
des Animaux, que tous les corps inférieurs sont emplis des pouvoirs de l'âme.
Mais bien que le ciel ne soit pas semblable en espèce avec de tels animaux
engendrés de la putréfaction, il y a cependant ressemblance, parce que l'effet
préexiste potentiellement dans la cause.
q. 3 a. 11 ad 13 Ad
decimumtertium dicendum est, quod corpus caeleste etsi non sit vivum, agit
tamen in virtute substantiae viventis a qua movetur, sive sit Angelus, sive sit
Deus. Secundum philosophos tamen ponitur corpus caeleste animatum et vivum.
# 13. Même si le corps céleste n'est pas vivant, il agit cependant dans
le pouvoir de la substance vivante par laquelle il est mû; que ce soit un ange,
ou Dieu. Les philosophes, cependant, pensent qu'un corps céleste est animé et
vivant.
q. 3 a. 11 ad 14 Ad
decimumquartum dicendum, quod virtus substantiae virtualis moventis relinquitur
in corpore caelesti et motu eius, non sicut forma habens esse completum in
natura, sed per modum intentionis, sicut virtus artis est in instrumento
artificis.
# 14. Le pouvoir de la substance, moteur virtuel, est laissé dans le
corps céleste et son mouvement, non comme une forme ayant l'être complet en
nature, mais par mode d'intention comme le pouvoir de l'art est dans
l'instrument de l'artisan.
q. 3 a. 11 ad 15 Ad
decimumquintum dicendum est quod anima rationalis, ut dictum est, excedit totum
ordinem corporalium principiorum; unde nullum corpus potest agere etiam ut
instrumentum ad eius productionem.
# 15. L'âme rationnelle, comme on l'a dit, dépasse tout l'ordre des
principes corporels, c'est pourquoi aucun corps ne peut agir même comme
instrument pour sa production.
q. 3 a. 11 ad 16 Ad
decimumsextum dicendum est, quod anima sensibilis producitur in concepto non
per actionem corporis nec per decisionem animae, sed per actionem virtutis
formativae, quae est in semine ab anima generante, ut dictum est.
# 16. L'âme sensitive est produite dans ce qui est conçu, non par
l'action d'un corps ni par séparation de l'âme, mais par l'action du pouvoir
formateur qui vient dans la semence par l'âme qui engendre, comme on l'a dit.
q. 3 a. 11 ad 17 Ad
decimumseptimum dicendum, quod virtus cognoscitiva negatur esse ab actione
elementorum, quasi elementorum virtutes ad eam causandam sufficiant sicut
sufficiunt ad causandam duritiem et mollitiem. Non autem negatur quin instrumentaliter
aliquo modo cooperari possit.
# 17. On nie que le pouvoir cognitif vienne de l'action des éléments,
comme si les pouvoir des éléments suffisaient à les causer, comme ils suffisent
à causer la dureté ou la tendreté. Mais on ne nie pas qu'ils puissent coopérer
de quelque manière en tant qu'instrument.
q. 3 a. 11 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum,
quod anima sensibilis movet per appetitum. Actio vero
appetitus sensibilis non est animae tantum, sed compositi; unde talis vis habet
determinatum organum. Unde non oportet ponere, quod anima sensibilis aliquam
operationem habeat absque corporis communione.
18. L'âme sensitive meut par l'appétit. Mais l'action de l'appétit
sensible ne vient pas de l'âme seulement, mais du composé; c'est pourquoi un tel
pouvoir a un organe déterminé. Aussi, il ne faut pas penser que l'âme sensitive
a quelque opération hors de son union au corps.
q. 3 a. 11 ad 19 Ad
decimumnonum dicendum, quod corpus potest movere quasi non motum specie illa
motus qua movet, licet non possit movere nisi aliquo modo motum; corpus enim
caeli alterat non alteratum, sed localiter motum; et similiter organum virtutis
appetitivae movet localiter non motum sed aliquo modo alteratum localiter.
Operatio enim appetitivae sensibilis sine corporali alteratione non contingit,
sicut patet in ira et in huiusmodi passionibus.
# 19. Le corps peut mouvoir comme non mû, par cette espèce de mouvement
par lequel il meut, bien qu'il ne puisse mouvoir qu'en étant mû en quelque
manière. Car le corps du ciel change sans être changé, mais mû localement, et
de la même manière l'organe du pouvoir de l'appétit meut, localement non mû,
mais changé localement d'une certaine manière. Car l'opération de l'appétit
sensible n'arrive pas sans changement du corps, comme cela paraît dans la
colère et les passions de ce genre.
q. 3 a. 11 ad 20 Ad
vicesimum dicendum, quod vis motiva exequens motum est magis dispositio mobilis
qua natum est moveri a tali motore, quam sit per se movens.
# 20. La force motrice qui accompagne le mouvement est plus une
disposition mobile par laquelle elle est destinée à être mû par un tel moteur,
que d'être moteur par soi.
--------------------------------------------------------------------------------
[1]. Parall.: Ia, 118,1 – CG. II,
86 – II Sent. d18q2a3 - Qdl.IX, q. 5, a. 1.
Pour
la hiérarchie des degrés textes parallèles: CG. IV, 11 - Ia, qu. 18, a. 3- qu.
78, a. 1 - Q. de anima. a. 13 - Verit. Qu. 22, a. 1 - De spirit. creat. a 2.
Gardeil, Initiation, Psychologie, p. 23.
[2]
. Cf. Pot. 3, 10, obj. 1. Même objection avec une petite nuance: "secundum
speciem".
[3]
. Disposition: différence entre état (habitus) et disposition. Cf. Catégories,
8 b 27 - 9 a 13: "L'État, différent de la disposition en ce qu'il a
beaucoup plus de durée et de stabilité... 9 a 4: Il est évident qu'on tend à
désigner sous le nom d'états des qualités qui sont plus durables et plus
difficiles à mouvoir..." Les dispotions sont des "qualités qui
peuvent facilement être mues et rapidement changées (Cf. Catégories).
[4]
. "Car seule la substance ne se dit d'aucune autre chose comme sujet et
tout le reste se dit de la substance." (Thomas n° 107).
[5]
. Platon, Avicenne, Thémestius (diacre d'Alexandrie, chef de la secte des
agnoètes VIe siècle): toutes les âmes viennent d'un principe séparé, pour
Platon, le principe est l'idée, pour Avicenne, l'intelligence agente et pour
les théologiens qui professent cette théorie, Dieu.
[6]
. Métaphysique VII (Z) 8, 1034 a 5: "Dès
lors, le tout qui est engendré c'est une forme de telle nature, réalisée dans
telle chair et dans tel os, Callias, ou Socrate, autre que son générateur dans
la matière, qui est autre, mais identique à lui pour la forme, car la forme est
indivisible." (Problème individuation Tricot, 392, note 2) Cf. aussi Physique, II, 1, 193,a. 2: "En
effet la chair ou l'os en puissance n'ont pas encore leur propre nature et
n'existent pas par nature, tant qu'ils n'ont pas reçu la forme de la chair et
de l'os, j'entends la forme définissable, celle que nous énonçons pour définir
l'essence de la chair et de l'os."
[7]
. Cf. Ia, qu. 118, a. 1, ad 3: "Cette force active qui est dans la
semence, dérivée de l'âme de celui qui engendre, est comme un mouvement de
celle-ci, et elle n'est ni l'âme, ni partie de l'âme, sinon virtuellement... Et
c'est pourquoi il faut que cette force active ait un organe en acte, mais elle
est incluse dans l'esprit qui se trouve dans la semence." (Cf. Ia, qu. 76, a. 7,
ad – Ia, qu. 115, a. 3 – I Sent., d10q1a4).
q. 3 a. 12 tit. 1 Duodecimo quaeritur utrum anima sensibilis vel vegetabilis
sint in semine a principio quando deciditur. Et videtur quod sic.
Il semble que oui[1].
Objections[2]:
q. 3 a. 12 arg. 1 Quia,
ut Gregorius Nyssenus dicit, utriusque opinionis assertio vituperatione non
caret, et eorum qui prius vivere animas in suo quodam statu atque ordine
fabulantur, et eorum qui eas post corpora creatas existimant. Sed si anima in
semine non fuit in suo principio, oportet eam fieri post corpus. Ergo anima a
principio fuit in semine.
1. Comme Grégoire de Nysse le dit (La création de l'homme, XVI): "L'affirmation des deux opinions ne manque
pas de critiques: celle de ceux qui ont pensé que les âmes vivent d'abord dans
un certain état et un certain ordre, et celle ceux qui pensent qu'elles sont
créés après les corps." Mais si l'âme n'a pas été dans la semence en
son commencement, il faut qu'elle soit faite après le corps. Donc l'âme a été
dès le commencement dans la semence.
q. 3 a. 12 arg. 2
Praeterea, si anima sensibilis a principio non fuit in semine, sicut nec
rationalis; eadem ratio erit de sensibili et rationali. Sed anima rationalis
est a creatione. Ergo et anima sensibilis est a creatione: cuius contrarium est
ostensum.
2. Si l'âme sensitive n'a pas été dès le commencement dans la semence,
l'âme rationnelle non plus; la même raison s'appliquera à l'une et à l'autre.
Mais cette dernière est créée. Donc l'âme sensitive aussi, alors qu'on a montré
le contraire (article précédant).
q. 3 a. 12 arg. 3
Praeterea, philosophus dicit in XVI de animalibus, quod virtus quae est in
semine est sicut filius de domo patris egrediens. Sed filius est eiusdem
speciei cum patre. Ergo et illa virtus quae est in semine est eiusdem speciei
cum anima sensibili, a qua derivatur.
3. Le philosophe dit (Les animaux,
livre 16, La génération animale, II,
ch. 4) que le pouvoir qui est dans la semence est comme le fils qui sort de la
maison de son père. Mais le fils est de la même espèce que son père. Donc ce
pouvoir qui est dans la semence est de la même espèce que l'âme sensitive d'où
il dérive.
q. 3 a. 12 arg. 4
Praeterea, philosophus dicit in XVI de animalibus, quod virtus illa est sicut
ars, quae si in materia esset, ad perfectionem artificiati operaretur. Sed in
arte est species artificiati. Ergo in illa virtute seminis est species animae
sensibilis quae per semen producitur.
4. Le philosophe dit (Les animaux,
livre 16), que ce pouvoir est comme l'art, qui, s'il était dans la matière,
opérerait pour la perfection de l'oeuvre fabriquée. Mais dans l'art il y a la
forme de l'oeuvre. Donc dans ce pouvoir de la semence il y a la forme de l'âme
sensitive qui est produite par la semence.
q. 3
a. 12 arg. 5 Praeterea, decisio seminis est naturalis, decisio vero animalis
anulosi est contra naturam. Sed in parte animalis anulosi decisi est
anima, ut philosophus dicit. Ergo multo magis est in semine deciso.
5. La séparation de la semence est naturelle, mais la division du ver
est contre nature[3]. Mais dans la partie séparée de cet
animal il y a une âme, comme le dit le philosophe. Donc encore plus dans la
semence séparée.
q. 3 a. 12 arg. 6
Praeterea, philosophus dicit, in XVI de animalibus, quod mas in generatione
animalis dat animam. Sed nihil est egrediens a patre nisi semen. Ergo anima est
in semine.
6. Le philosophe dit (Les animaux,
livre 16), que le mâle, dans la génération de l'animal, donne l'âme. Mais
rien ne sort du père que la semence. Donc l'âme est dans la semence.
q. 3 a. 12 arg. 7
Praeterea, accidens non transfunditur nisi per transfusionem subiecti. Sed
aliquae aegritudines transfunduntur a parentibus in filios, sicut lepra et
podagra et huiusmodi. Ergo et eorum substantia transfunditur. Haec autem non
sunt sine anima. Ergo anima est a principio in semine.
7. L'accident n'est transmis que par transmission de son substrat. Or
certaines maladies sont transmises par les parents à leurs enfants comme la
lèpre, la goutte etc.. Donc leur substance est transmise. Mais cela ne se fait
pas sans l'âme. Donc l'âme est au commencement dans la semence.
q. 3 a. 12 arg. 8
Praeterea, Hippocrates dicit, quod per decisionem venae quae est iuxta aures,
generatio impeditur. Hoc autem non esset, nisi semen decideretur a toto
corpore, quasi actio per prius existens. Ergo cum id quod est actu pars
animalis, habeat animam, videtur, quod semen a principio habeat animam.
8. Hippocrate dit que la coupure de la veine qui est près des oreilles
empêche la génération. Mais cela n'arriverait que si la semence était séparée
du corps tout entier, comme une action préexistant. Donc comme ce qui est la
partie en acte de l'animal a une âme, il semble que la semence en a une dès le
commencement.
q. 3 a. 12 arg. 9
Praeterea, idem dicit, quod equus quidam propter nimium coitum inventus est
sine cerebro. Hoc autem non esset, nisi semen decideretur ab eo quod est actu
pars. Ergo idem quod prius.
9. Le même dit qu'un cheval à cause d'un accouplement excessif a été
trouvé sans cerveau. Mais cela ne serait pas arrivé si la semence avait été
séparée de ce qui est une partie en acte. Donc de même que ci-dessus.
q. 3 a. 12 arg. 10
Praeterea, quod est superfluum, non est de substantia rei. Si ergo semen sit
superfluum, non erit de substantia generantis; et ita filius, qui est ex
semine, non erit de substantia patris; quod est inconveniens. Ergo semen est de
substantia generantis; et ita est ibi anima in actu.
10. Le superflu n'appartient pas à la substance. Donc si la semence est
un superflu, elle n'appartiendra pas à la substance de celui qui engendre et
ainsi le fils, qui vient de la semence ne sera pas de la substance du père, ce
qui ne convient pas. Donc la semence vient de la substance de celui qui
engendre, et ainsi il y a là une âme en acte.
q. 3 a. 12 arg. 11
Praeterea, omne quod caret anima, est inanimatum. Si ergo semen caret anima,
erit inanimatum; et sic corpus inanimatum transmutabitur, et fiet animatum;
quod videtur inconveniens. Ergo anima est a principio in semine.
11. Tout de qui n'a pas d'âme est inanimé. Donc si la semence n'en a
pas, elle sera inanimée, et ainsi le corps inanimé sera transformé et deviendra
animé, ce qui ne paraît pas convenir. Donc l'âme est au commencement dans la
semence.
En sens contraire:
q. 3 a. 12 s. c. 1
Sed contra. Est quod philosophus dicit quod semen et fructus est in tali
potentia ad animam, quae est abiiciens animam.
1. Le Philosophe dit (L'âme, II, 1, 412 b 25[4])
que la semence et le fruit, sont en une telle puissance pour l'âme qui est
séparée.
q. 3 a. 12 s. c. 2
Praeterea, si semen a principio habet animam, hoc non videtur esse possibile
nisi duobus modis; vel quod tota anima generantis in semen transeat; vel quod
pars eius. Utrumque autem horum videtur esse inconveniens; quia ex primo
sequitur quod non remaneat anima in patre, ex secundo autem sequitur quod non
remaneat ibi tota. Ergo anima non est in semine a principio.
2. Si la semence possède une âme au commencement, cela ne parait
possible que de deux manières; l'âme de celui qui engendre passe dans la
semence, toute ou bien en partie. L'une et l'autre de ces solutions ne
paraissent pas convenir, parce que de la première, il découle qu'il ne reste
pas d'âme dans le père, et de la seconde, qu'elle n'y reste pas toute entière.
Donc l'âme n'est pas dans la semence au commencement.
Réponse:
q. 3 a. 12 co.
Respondeo. Dicendum quod opinio quorumdam fuit, quod anima a principio
decisionis esset in semine, volentes quod sicut corpus divideretur a corpore,
ita simul anima propagaretur ab anima, ut statim cum corporis particula esset
etiam ibi anima.
L'opinion de certains fut que l'âme au commencement de la séparation
était dans la semence; ils voulaient que, de même que le corps est séparé du
corps, en même temps l'âme soit transmise par l'âme, pour qu'aussitôt elle y
soit aussi avec une parcelle du corps.
Haec autem opinio non videtur esse vera: quia, secundum quod
philosophus probat in XV de animalibus, semen non deciditur ab eo quod fuit
actu pars, sed quod fuit superfluum ultimae digestionis; quod nondum erat
ultima assimilatione assimilatum. Nulla autem corporis pars est actu per animam
perfecta, nisi sit ultima assimilatione assimilata; unde semen ante decisionem
nondum erat perfectum per animam, ita quod anima esset forma eius; erat tamen
ibi aliqua virtus, secundum quam iam per actionem animae erat alteratum et
deductum ad dispositionem propinquam ultimae assimilationi; unde et postquam
decisum est, non est ibi anima, sed aliqua virtus animae. Et propter hoc, in
XVI de animalibus, philosophus dicit, quod in semine est virtus principii animae.
Cette opinion ne paraît pas vraie, parce que, selon ce que le
philosophe prouve (Les animaux, XV,
(livre. 1 de La génération des animaux, ch.
18,19), la semence ne serait pas séparée de ce qui fut une partie en acte, mais
de ce qui fut le superflu d'une ultime digestion, qui n'était pas encore
assimilée tout à fait, mais aucune partie du corps n'est parfaite en acte par
l'âme si elle n'est assimilée tout à fait. C'est pourquoi la semence avant la
séparation n'est pas encore achevée par l'âme, de sorte que l'âme soit sa forme;
cependant il y avait là un pouvoir selon lequel, déjà par l'action de l'âme,
elle était changée et amenée à une disposition proche de la dernière
assimilation; c'est pourquoi, après sa séparation, il n'y a pas d'âme mais un
pouvoir de l'âme. Et c'est pour cela que dans le Livre 16 de La génération des animaux , la génération animale, ch. 3, le
philosophe dit que dans la semence il y a le pouvoir du principe de l'âme.
Et praeterea si anima esset in semine a principio, aut esset
ibi habens actu speciem animae, aut non, sed ut quaedam virtus, quae
converteretur postmodum in animam. Primum esse non potest: quia cum anima sit
actus corporis organici, ante qualemcumque organizationem corpus susceptivum
animae esse non potest. Et etiam sic sequitur quod totum id quod agit in
seminibus, non est nisi quaedam dispositio materiae, et per consequens non
esset generatio, cum generatio non sequatur, sed praecedat formam
substantialem. Nisi forte dicatur, quod corporis sit alia forma substantialis
praeter animam; ex quo sequitur quod anima non substantialiter corpori
uniretur, utpote adveniens corpori, postquam est iam per aliam formam hoc
aliquid constitutum.
Et en plus si l'âme était dans la semence dès le départ, ou elle
posséderait la forme de l'âme en acte, ou pas, mais comme une certaine
puissance qui se transformerait ensuite en âme. La première solution n'est pas possible, parce que, comme l'âme est
l'acte d'un corps organique, le corps qui reçoit l'âme ne peut pas exister
avant n'importe quelle organisation. Et même ainsi il en découle que tout ce
qui agit dans les semences, n'est qu'une disposition de la matière, et par
conséquence ce ne serait pas une génération, puisque celle-ci ne suit pas mais
précède la forme substantielle. A moins que par hasard on dise qu'il y aurait
une autre forme substantielle du corps en plus de l'âme. Il en découle que
l'âme ne serait pas unie substantiellement au corps, ou qu'elle arriverait en
lui après qu'il soit déjà constitué par une autre forme.
Sequeretur ulterius quod generatio viventis non esset
generatio, sed decisio quaedam; sicut pars ligni separatur a ligno, ut sit actu
lignum.
Il découlerait par la suite que la génération du vivant ne serait pas
une génération, mais une espèce de séparation; comme un morceau de bois est
séparé du bois pour être du bois en acte.
Secunda pars divisionis praedictae esse non potest; quia
secundum hoc sequeretur quod forma substantialis non subito sed successive in
materia proveniret; et sic in substantia esset motus, sicut in quantitate et
qualitate; quod est contra philosophum; et etiam formae substantiales
reciperent magis et minus; quod est impossibile. Unde relinquitur quod anima
non est in semine, sed virtus quaedam animae, quae agit ad animam producendam,
ab anima derivata.
La seconde partie de la
division dont on a parlé ne peut pas exister, parce qu'il en découlerait que la
forme substantielle ne parviendrait pas dans la matière subitement, mais
successivement, et ainsi il y aurait du mouvement dans la substance, comme dans
la quantité et la qualité; ce qui est contre ce que dit le philosophe (V Physique, V, 2, 225 b 10-226 a 23) et
même les formes substantielles recevraient du plus et du moins, ce qui est
impossible. C'est pourquoi, il reste que ce n'est pas l'âme qui est dans la
semence, mais un certain pouvoir de l'âme qui en est dérivé, qui agit pour la
produire.
Solutions:
q. 3 a. 12 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod corpus viventis, utpote leonis vel olivae, non est
anima, sed est semen corporis tantum ante animam, et ante virtutem quae agit ad
animam. Eadem enim est proportio seminis ad virtutem
huiusmodi, et corporis ad animam.
# 1. Le corps de l'être vivant, comme celui du lion ou de l'olive,
n'est pas une âme, mais c'est la semence du corps seulement avant l'âme et
avant son pouvoir qui agit pour l'âme. Car il y a la même proportion de la
semence à un tel pouvoir que du corps à l'âme.
q. 3 a. 12 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod hoc interest inter animam rationalem et alias animas,
quod anima rationalis non est ex virtute seminis sicut aliae animae; quamvis
nulla anima sit in semine a principio.
# 2. Entre l'âme rationnelle et les autres âmes il y a cette différence
que la première ne vient pas du pouvoir de la semence, comme les autres, bien
qu'aucune âme ne soit dans la semence dès le commencement.
q. 3 a. 12 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod virtus illa non assimilatur filio egredienti de domo
patris quantum ad complementum speciei, sed quantum ad acquisitionem eorum quae
desunt utrique ad aliquod complementum. Perfectio enim prima plerumque
manifestatur per similitudinem perfectionis secundae.
# 3. Ce pouvoir ne ressemble pas au fils qui sort de la maison du père
pour compléter l'espèce, mais pour acquérir de ce qui manque à l'un et l'autre
pour les compléter. Car la perfection première, la plupart du temps, se
manifeste par la ressemblance de la perfection seconde[5].
q. 3 a. 12 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod assimilatio inter virtutem praedictam et artem procedit
quantum ad hoc quod sicut artificiatum praeexistit in arte sicut in virtute
activa, ita et res viva generanda in virtute formativa.
# 4. La ressemblance entre un tel pouvoir et l'art vient du fait que,
de même que l'oeuvre préexiste dans l'art, comme dans un pouvoir actif, de même
l'être vivant qui doit être engendré préexiste dans un pouvoir formateur.
q. 3 a. 12 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod ex hoc ipso decisio animalis anulosi est violenta et
contra naturam, quod pars decisa erat actu pars, et perfecta per animam; unde
per decisionem materiae anima in utraque parte remanet; quae quidem erat in
toto una in actu, et plures in potentia. Quod quidem accidit per hoc quod
huiusmodi animalia fere sunt similia in toto et partibus; nam eorum animae,
quia imperfectiores sunt aliis, modicam diversitatem organorum requirunt. Et
inde est quod una pars decisa potest esse animae susceptiva, utpote habens
tantum de organis quantum sufficit ad talem animam suscipiendam; sicut accidit
in aliis corporibus similibus utpote ligno et lapide, aqua et aere. Ex hoc
autem philosophus probat in XV de animalibus, quod sperma non fuit actu pars
ante decisionem; quia eius decisio non fuisset naturalis, sed modus
corruptionis cuiusdam. Unde non oportet quod per decisionem seminis in ipso
semine anima remaneat.
# 5. La coupure du ver est violente et contre nature, parce que la
partie coupée était une partie en acte, parfaite par l'âme; c'est pourquoi
quand on coupe le corps, l'âme demeure dans l'une et l'autre partie, qui était
une en acte dans le tout et plusieurs en puissance. Ce qui arrive parce que de
tels animaux sont presque semblables dans le tout et dans la partie; parce que
leurs âmes sont plus imparfaites que les autres, elles demandent peu de
diversité dans leurs organes. Et de là vient qu'une partie coupée peut recevoir
l'âme, comme ayant seulement[6] pour les organes autant
qu'il suffit pour recevoir une telle âme, comme cela arrive dans les autres
corps semblables, comme le bois et la pierre, l'eau et l'air. De là le philosophe
prouve (les animaux,15, La génération animale, 18) que le sperme
n'a pas été une partie en acte avant la séparation, parce que celle-ci n'aurait
pas été naturelle, mais une manière de corruption. C'est pourquoi il ne faut
pas que l'âme demeure en elle par la séparation de la semence.
q. 3 a. 12 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod mas dicitur dare animam, in quantum in semine maris
continetur virtus quae agit ad animam.
# 6. On dit que la mâle donne l'âme, dans la mesure où le pouvoir qui
agit pour l'âme est contenu dans sa semence.
q. 3 a. 12 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod aegritudines, de quibus est obiectio, non traducuntur
cum semine quasi actu in semine sint, sed quia est principium eorum in semine,
per aliquam seminis indispositionem.
# 7. Les maladies dont on parle dans l'objection ne sont pas transmises
avec la semence, comme si elles y étaient en acte, mais parce que leur principe
est dans la semence, par une mauvaise disposition.
q. 3 a. 12 ad 8 Ad
octavum dicendum, quod cum sperma sit quaedam superfluitas, habet quasdam
proprias vias, sicut et aliae superfluitates, quibus intercisis generatio
impeditur; non propter hoc quod aliquid ex eo quod erat actu pars, resolvatur.
# 8. Comme le sperme est une surabondance, il a ses propres voies,
comme les autres surabondances, par lesquelles, si elles sont coupées, la
génération est empêchée. Ce n'est pas à cause de cela que quelque chose qui
était une partie en acte est détruit.
q. 3 a. 12 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod sicut immoderatus aliarum superfluitatum fluxus solvit
aliquid de eo quod erat iam conversum, per violentiam quamdam; et non
naturaliter; ita etiam immoderatus fluxus seminis. Ea vero quae fiunt contra
naturam, non sunt in consequentiam naturae trahenda.
# 9. Le flux immodéré des autres surabondances dissout quelque chose de
ce qui d'elle était déjà changé par violence et non de façon naturelle; de la
même manière, le flux immodéré de la semence aussi. Mais ce qui est fait contre
nature, ne doit pas être considéré comme sa conséquence .
q. 3 a. 12 ad 10 Ad
decimum dicendum, quod semen est tale superfluum, quod licet non sit actu pars
substantiae patris, est tamen potentia, tota; et ob hoc filius dicitur de
substantia patris esse.
# 10. La semence est un tel superflu que, bien qu'elle ne soit pas une
partie en acte de la substance du père, elle est cependant tout entière une
puissance, et c'est pour cela qu'on dit que le fils vient de la substance du
père.
q. 3 a. 12 ad 11 Ad
undecimum dicendum, quod licet semen non sit animatum actu, est tamen animatum
virtute; unde non est simpliciter inanimatum.
# 11. Bien que la semence ne soit pas animée en acte, cependant elle
l'est en puissance; c'est pourquoi, elle n'est pas tout à fait inanimée.
[1] . Semence: voir Ia, 119, 2 La semence est-elle le superflu de l'aliment. II Sent. d30q2a. 2 – CG. II, 86-89. Cf. III, 32, 1, 1
spiritus. cf. ad 1– L'action des corps célestes CG. III, 22, § 5-9 III, 82, 7 –
grave et léger mu par leur géniteur à la différence des corps célestes? III,
22– Le soleil: II, 76, § 13 - III, 69, § 24 - III, 104, § 10.
[2]
. Parall.: Ia, 118,1, ad 3 et 4 - II Sent, d18q2a1.
[3].
Cf. Aristote, De l'âme, livre II, 2
(413 b 20) (p. 43 § 2): "...certaines plantes semblent conserver la vie
quand on les divise et bien que leurs parties soient séparées les unes des
autres, comme si l'âme présente en elle était une entéléchie dans chaque
plante, mais multiple en puissance: or on voit la même chose se produire pour
d'autres différenciations de l'âme dans le cas des insectes qu'on divise. Car
chaque segment conserve la sensation et le mouvement local."(Trad.
Barbotin). Voir Thomas, lectio 4, n° 265.
[4]. De anima: "Ce n'est pas le corps
séparé de l'âme qui est en puissance de vivre, mais celui qui la possède à son
tour, la semence et le fruit sont en puissance un corps de cette sorte"
(Trad. E. Barbotin). Thomas n ° 240: "On dit qu'une chose est en puissance
de deux manières: a) quand elle n'a pas de principe d'opération, b) quand elle
l'a mais ne s'en sert pas. Mais le corps dont l'acte est l'âme, a la vie en
puissance non pas de la première manière mais de la seconde. Et c'est pour cela
qu'il dit que le corps est un étant en puissance de vivre, c'est-à-dire qu'il
manque du principe de vie qui est l'âme, mais qu'il a un principe de ce genre.
Mais c'est vrai que la semence et le fruit en qui est conservé la semence de la
place est en puissance pour un tel corps vivant, qui a une âme, car la semence
n'a pas encore d'âme. C'est pourquoi elle est ainsi en puissance, comme séparée
de l'âme.
[5]
. Comprendre par la première perfection celle du père, et la seconde celle du
fils.
[6][6]
. Cf. II Sent. d18q2a3.
q. 3 a. 13 tit. 1
Decimotertio quaeritur utrum aliquod ens ab alio possit esse aeternum. Et
videtur quod non.
Il semble que non.
Objections[1]:
q. 3 a. 13 arg. 1 Nihil enim quod est semper, indiget
aliquo ad hoc quod sit. Omne autem quod est ab aliquo, indiget eo
a quo est, ut sit. Ergo nihil quod est ab alio, est semper.
1. Car tout ce qui n'existe pas toujours a besoin de quelque chose pour
exister. Tout être qui dépend d'un autre a besoin de ce dont il vient pour
exister. Donc rien de ce qui vient d'un autre n'existe toujours.
q. 3 a. 13 arg. 2
Praeterea, nihil accipit quod iam habet. Ergo quod semper est, semper esse
habet; ergo quod est semper, non accipit esse. Sed omne quod est ab alio,
accipit esse ab eo a quo est. Ergo nihil quod est ab alio, est semper.
2. Rien ne reçoit ce qu'il a déjà. Donc ce qui existe toujours a
toujours l'être. Donc il ne le reçoit pas. Mais tout ce qui dépend d'un autre
reçoit l'être de celui par lequel il existe. Donc rien de ce qui vient d'un
autre n'existe toujours.
q. 3 a. 13 arg. 3
Praeterea, quod est, non generatur neque fit, neque aliquo modo in esse
producitur; quia quod fit, non est. Ergo oportet quod omne quod generatur vel fit,
vel producitur, aliquando non esset. Omne autem quod est ab alio, est
huiusmodi. Ergo omne quod est ab alio aliquando non est. Quod autem aliquando
non est, non semper est. Ergo nihil quod est ab alio, est sempiternum.
3. Ce qui est, n'est pas en train d'être engendré, ni fait, ni amené à
l'être de quelque manière, parce que ce qui se fait n'est pas. Il faut donc que
tout ce qui est engendré, fait ou amené à l'être n'ait pas existé à certains
moments. Mais tout ce qui dépend d'un autre est de ce genre. Donc ce qui dépend
d'un autre n'existe pas à certains moments, ce qui n'existe pas à certains
moments, n'existe pas toujours. Donc rien de ce qui dépend d'un autre n'est
éternel.
q. 3 a. 13 arg. 4
Praeterea, quod non habet esse nisi ab alio, in se consideratum, non est.
Huiusmodi autem oportet aliquando non esse. Ergo oportet quod omne quod est ab
alio, aliquando non esset, et per consequens non esse sempiternum.
4. Ce qui ne possède l'être que par un autre, considéré en soi, n'est
pas. Pour un tel être, il faut ne pas exister à certains moments. Donc il faut
que tout ce qui dépend d'un autre, n'ait pas existé à certains moments et par
conséquent ne soit pas éternel.
q. 3 a. 13 arg. 5
Praeterea, omnis effectus est posterior sua causa. Quod autem est ab alio, est
effectus eius a quo est. Ergo est posterius eo a quo est; et ita non potest
esse sempiternum.
5. Tout effet est postérieur à sa cause. Mais ce qui dépend d'un autre
est l'effet de celui par qui il est. Donc il lui est postérieur, et ainsi il ne
peut pas être éternel.
En sens contraire:
q. 3 a. 13 s. c. Sed
contra, est quod Hilarius dicit, quod ab aeterno a patre natum, aeternum esse
habet quod natum est. Sed filius Dei natus est ab aeterno patre. Ergo aeternum
habet quod natum est; ergo est aeternum.
Hilaire dit (La Trinité, Livre
XII) que celui qui est né de toute éternité du Père a un être éternel qui est
né. Mais le Fils de Dieu est né du Père éternel. Donc il possède ce qui est né
comme éternel. Donc il est éternel.
Réponse:
q. 3 a. 13 co.
Respondeo. Dicendum quod, cum ponamus filium Dei naturaliter a patre procedere,
oportet quod ita sit a patre, quod tamen sit ei coaeternus: quod quidem hoc
modo apparet. Inter voluntatem enim et naturam hoc interest, quod natura
determinata est ad unum, quantum ad id quod virtute naturae producitur, et
quantum ad hoc quod est producere vel non producere; voluntas vero quantum ad
neutrum determinata invenitur. Potest tamen aliquis hoc vel illud per
voluntatem facere, sicut artifex scamnum vel arcam, et iterum facere ea et a
faciendo cessare; ignis vero non potest nisi calefacere, si subiectum suae
actionis adsit; nec potest aliud inducere in materiam quam effectum similem
sibi.
Quand nous pensons que le Fils de Dieu procède naturellement du Père,
il faut qu'il vienne du Père de sorte à lui être cependant coéternel. Ce qui se
démontre de cette manière. Entre la volonté et la nature, en effet, il y a
cette différence que la nature est
déterminée à un seul objet pour ce qui est produit par son pouvoir et pour
produire ou ne pas produire; mais la
volonté ne se trouve déterminée ni pour l'un, ni pour l'autre. Cependant
quelqu'un peut faire ceci ou cela par volonté, comme l'ouvrier fait un banc ou
un coffre et en plus il le fait et cesse de le faire; mais le feu ne peut que chauffer
si le sujet de son action est présent et il ne peut induire dans la matière
qu'un effet semblable à lui[2].
Unde etsi de creaturis, quae divina voluntate ab ipso
procedunt, dici possit quod potuit creaturam talem vel talem facere et tunc vel
tunc facere, de filio tamen, qui naturaliter procedit, hoc dici non potest. Non
enim potuit alterius modi esse filius secundum naturam, quam se habet patris
natura. Nec potuit vel prius vel posterius filius esse nisi quando fuit patris
natura: non enim potest dici, quod divinae naturae aliquando perfectio naturae
defuerit, qua adveniente virtute naturae, filius Dei sit generatus; cum divina
natura sit simplex et immutabilis. Neque potest dici, quod huiusmodi generatio
dilata fuerit propter materiae absentiam vel indispositionem, cum omnino haec
generatio immutabilis sit. Unde relinquitur, quod cum natura patris ab aeterno
fuerit, et filius sit a patre aeternaliter generatus, ac per consequens patri
coaeternus.
C'est pourquoi, si à propos des créatures qui procèdent de Dieu par sa
volonté, il est possible de dire qu'il a pu faire telle ou telle créature et la
faire à un moment ou à un autre, au sujet de son Fils cependant, qui procède
par nature, on ne peut pas le dire. Car le Fils n'a pu être différent en sa
nature de celle du Père. Et il n'a pu être Fils avant ou après que la nature du
Père n'ait existé. En effet on ne peut pas dire que la perfection de la nature
divine ait manqué à certains moments, quand par le pouvoir de cette nature qui
lui parvint, le Fils de Dieu a été engendré, puisque la nature divine est
simple et immuable. On ne peut pas dire, non plus, qu'une telle génération aura
été différée, à cause de l'absence ou de l'indisposition de la matière, puisque
cette génération est tout à fait immuable. C'est pourquoi il reste que, comme
la nature du Père a été éternelle et que le Fils a été engendré éternellement
par le Père, il est coéternel au Père.
Ariani vero, quia ponebant filium non naturaliter a patre
procedere, ponebant filium neque patri coaequalem neque coaeternum, sicut
contingit in aliis quae a Deo procedunt secundum arbitrium voluntatis ipsius.
Fuit autem difficile considerare generationem filii patri coaeternam, propter
assuefactionem humanae cognitionis in consideratione productionis rerum
naturalium, in quibus una res ab alia per motum producitur; res autem producta
per motum in esse prius esse incipit in principio quam in termino motus. Cum
autem principium motus de necessitate terminum motus duratione praecedat, quod
necesse est propter motus successionem, nec possit esse motus principium vel
initium sine causa ad producendum movente; necesse est ut causa movens ad
aliquid producendum praecedat duratione id quod ab ea producitur.
Mais les Ariens qui
estimaient que le Fils ne procède pas du Père par nature, pensaient qu'il
n'était ni égal ni coéternel au Père, comme cela arrive dans les autres êtres
qui procèdent du Père selon le libre arbitre de sa volonté. Il fut difficile de
considérer la génération du Fils comme coéternelle au Père, à cause de
l'habitude de la pensée humaine, quand elle considère la production des choses
naturelles, dans lesquelles l'une est produite à partir d'une autre par
mouvement. Mais ce qui est amené à l'être par mouvement commence à être au
commencement plutôt qu'au terme du mouvement. Comme le commencement du
mouvement par nécessité précède son terme dans la durée, ce qui nécessaire à
cause de la succession du mouvement, le commencement du mouvement ou son début
ne pourrait exister sans cause pour le produire en le mettant en mouvement, il
est nécessaire que la cause motrice, pour produire quelque chose, précède en
durée ce qui est produit par elle.
Unde quod ab aliquo sine motu procedit, simul est duratione
cum eo a quo procedit, sicut splendor in igne vel in sole: nam splendor subito
et non successive a corpore lucido procedit, cum illuminatio non sit motus, sed
terminus motus. Relinquitur ergo quod in divinis, ubi omnino motus locum non
habet, procedens sit simul duratione cum eo a quo procedit; et ideo cum pater
sit aeternus, filius et spiritus sanctus ab eo procedentes sunt ei coaeterni.
C'est pourquoi, ce qui procède de quelque chose sans mouvement est en
durée en même temps que celui d'où il procède, comme la lumière dans le feu ou
le soleil; car la lumière procède du corps lumineux de façon soudaine et non
successivement, puisque l'illumination n'est pas un mouvement mais son terme.
Il reste donc que, en Dieu, en qui le mouvement n'a absolument pas de place,
celui qui procède est dans le même temps que celui dont il procède; et c'est
pourquoi, comme le Père est éternel, le Fils et l'Esprit Saint qui procèdent de
lui, lui sont coéternels[3].
Solutions:
q. 3 a. 13 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod si indigentia importet defectum vel carentiam eius
quo indigetur, quod semper est non indiget aliquo ad hoc quod sit. Si vero
importet solum ordinem originis ad id a quo est, sic nihil prohibet id quod
semper est, aliquo indigere ad hoc quod sit, in quantum non a se ipso, sed ab
alio esse habet.
# 1. Si le besoin apporte une défaillance ou une carence de ce dont il
manque, ce qui existe toujours n'a besoin de rien pour exister. Mais s'il
apporte une seule relation d'origine à ce par lequel il est, rien ainsi
n'empêche que ce qui existe toujours ait besoin de quelqu'un pour être, dans la
mesure où il a l'être, non de lui-même mais d'un autre.
q. 3 a. 13 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod accipiens aliquid non habet illud ante acceptionem,
habet vero illud quando iam accepit; unde si ad aeterno accipit, ab aeterno
habet.
# 2. Celui qui reçoit quelque chose ne l'a pas avant de le recevoir,
mais il l'a quand il a déjà reçu; c'est pourquoi, s'il le reçoit de toute
éternité, il le possède de toute éternité.
q. 3 a. 13 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ratio
illa procedit in generatione quae est per motum; quia quod movetur ad esse, non
est. Et pro tanto dicitur quod id quod generatur non est, sed quod est
generatum est: unde ubi non est aliud generari et generatum esse, ibi non
oportet quod generatur, aliquando non esse.
# 3. La raison donnée se produit dans la génération qui se fait par
mouvement, parce que ce qui est amené à l'être n'est pas. Et pour autant, on
dit que ce qui est engendré n'est pas, mais ce qui est a été engendré est.
C'est pourquoi là où ce n'est pas différent d'être engendré et avoir été
engendré, il ne faut pas que ce qui est engendré n'existe pas à certains
moments.
q. 3 a. 13 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod illud quod habet esse ab alio, in se consideratum, est non
ens, si ipsum sit aliud quam ipsum esse quod ab alio accipit; si autem sit
ipsum esse quod ab alio accipit, sic non potest in se consideratum, esse non
ens; non enim potest in esse considerari non ens, licet in eo quod est aliud
quam esse, considerari possit. Quod enim est, potest aliquid habere permixtum;
non autem ipsum esse, ut Boetius dicit in libro de hebdomadibus. Prima quidem
conditio est creaturae, sed secunda est conditio filii Dei.
# 4. Ce qui reçoit l'être d'un autre, considéré en soi est un non
étant, s'il est autre que l'être même qu'il reçoit de lui; mais s'il est
lui-même l'être qu'il reçoit d'une autre, il ne peut pas, considéré en soi,
être un non étant, bien qu'en lui on puisse considérer ce qui est autre que
l'être. Car ce qui existe, peut avoir quelque chose de mêlé, mais pas l'être
lui-même, comme Boèce le dit dans son livre De
Hebdomadibus[4]. La première condition est celle de la
créature, mais la seconde celle du Fils de Dieu.
q. 3 a. 13 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod filius Dei non potest dici effectus: quia non fit, sed
generatur. Hoc enim fit cuius esse est diversum a faciente; unde nec patrem
proprie loquendo causam filii dicimus, sed principium. Nec oportet omnem causam
effectum duratione praecedere, sed natura tantum sicut patet in sole et
splendore.
# 5. Le Fils de Dieu ne peut être considéré comme un effet, parce qu'il
n'est pas fait, mais engendré. Car est fait ce dont l'être est différent de
celui qui le fait. C'est pourquoi nous ne disons pas que le Père, à proprement
parler, est la cause du Fils mais son principe. Et il ne faut pas que toute la
cause précède l'effet dans la durée, mais en nature seulement, comme cela
apparaît pour le soleil et la lumière.
[1] Parall.: Ia, 42, 2 Ð III Sent. d11a1 - Compendium.
43 -...In Jn 1, 1ectio 1 – In Decret.
I.
Pour
comprendre dès le départ le sens de l'article, il faut voir qu'il concerne les
créatures, mais surtout le Christ, ce qui n'est révélé qu'au sed contra.
[2]
Sujet développé dans l'article 15.
[3]
En Ia, 42 2 c il donne trois raisons pour lesquelles le Fils est coéternel au
Père:
a)
Le Père engendre le Fils par volonté, et sa nature est "parfaite de toute
éternité"
b)
L'action de Dieu n'est pas successive. Cf. Ia,
qu. 42, a. 2 c apporte quelques précisions supplémentaires
En
sol. 4, il résout le problème du temps: . "Dans le temps, on distingue
l'indivisible, c'est-à-dire l'instant, et ce qui dure, c'est-à-dire le temps.
Mais, dans l'éternité, l'instant indivisible lui-même subsiste toujours, on l'a
dit précédemment. Or, la génération du Fils ne s'accomplit ni dans un instant
temporel, ni dans la durée du temps, mais dans l'éternité. C'est pourquoi, si
l'on veut signifier cette présence et permanence actuelle de l'éternité, on
peut dire avec Origène que le Fils "naît toujours". Cependant il vaut
mieux, avec S. Grégoire et S. Augustin, dire: "Il est toujours né";
dans cette expression, l'adverbe "toujours" évoque la permanence de
l'éternité, et le parfait "est né" évoque la perfection achevée de ce
qui est engendré. Ainsi on n'attribue au Fils aucune imperfection, et l'on
évite d'admettre, comme Arius, "un temps où il n'était pas".
[4]
"En tout composé l'être est différent de l'être même." (Omni
composito aliud est esse, aliud ipsum esse". Boèce 18.
q. 3 a. 14 tit. 1
Decimoquarto quaeritur utrum id quod est a Deo diversum in essentia, possit
semper fuisse. Et videtur quod sic.
Il semble que oui[1]:
Objections[2]:
q. 3 a. 14 arg. 1
Non enim est minor potestas causae producentis totam rei substantiam super
effectum suum, quam causae producentis formam tantum. Sed causa producens
formam tantum, potest producere eam ab aeterno, si ab aeterno esset; quia
splendor qui gignitur ab igne atque diffunditur coaeternus est illi; et esset
coaeternus, si ignis esset aeternus, ut Augustinus dicit. Ergo multo fortius
Deus, potest producere effectum sibi coaeternum.
1. Car la puissance de la cause, qui produit la substance totale de
l'être en plus de son effet, n'est pas plus petite que celle de la cause qui
produit la forme seulement. Mais celle-ci pourrait la produire de toute
éternité, si elle était éternelle; parce que la lumière qui est engendrée et
diffusée par le feu est simultanée et elle lui serait coéternelle si le feu
était éternel, comme le dit Augustin (La Trinité). Donc Dieu, beaucoup plus,
peut produire des effets qui lui sont coéternels.
q. 3 a. 14 arg. 2
Sed dices, quod hoc est impossibile; quia sequitur inconveniens, scilicet quod
creatura parificetur creatori in duratione.- Sed contra, duratio quae non est
tota simul, sed successiva, non potest aequiparari durationi quae est tota
simul. Sed si mundus semper fuisset, eius duratio non semper tota simul esset;
quia tempore mensuraretur, ut etiam Boetius dicit in fine de Consol. Ergo adhuc
Deo non aequipararetur creatura in duratione.
2. Mais on pourrait dire que cela est impossible, parce qu'il en
découle un inconvénient: la créature serait égalée au Créateur en durée. En sens contraire: la durée, qui n'est pas
toute à la fois mais successive, ne peut être égalée à une durée qui
serait toute en même temps. Mais si le monde avait toujours existé, sa durée
n'aurait pas été toujours toute à la fois, parce qu'elle aurait été mesurée par
le temps, comme Boèce le dit aussi à la fin De
la Consolation (Livre V, dernière prose). Donc jamais la créature n'est
égalée à Dieu en durée.
q. 3
a. 14 arg. 3 Praeterea, sicut divina persona procedit a Deo sine motu, ita et
creatura. Sed divina persona potest esse Deo coaeterna, a quo procedit. Ergo
similiter et creatura.
3. Une personne divine procède de Dieu sans mouvement, la créature
aussi. Mais une personne divine peut être coéternelle à Dieu dont elle procède.
Donc la créature
aussi.
q. 3
a. 14 arg. 4 Praeterea, quod semper eodem modo se habet, semper potest idem
facere. Sed Deus semper eodem modo se habet ab aeterno. Ergo ab aeterno potest
idem facere. Si ergo aliquando produxit creaturam et ab aeterno producere
potuit.
4. Ce qui se comporte toujours de la même manière peut toujours faire
la même chose. Mais Dieu se comporte éternellement toujours de la même manière.
Donc de toute éternité il peut faire la même chose. Si donc quelquefois il a
produit une créature, il a pu en produire de toute éternité.
q. 3
a. 14 arg. 5 Sed dices, quod ratio ista procedit de agente per naturam, non
autem de agente per voluntatem.- Contra, voluntas Dei non dirimit virtutem
ipsius. Sed si non ageret per
voluntatem, sequeretur quod ab aeterno creaturam produxisset. Ergo posito quod
per voluntatem agat, non removetur quia ab aeterno producere potuerit.
5. Mais on pourrait dire que cette raison procède de celui qui est
agent par nature, mais non de celui qui l'est par volonté – En sens contraire
la volonté de Dieu n'interrompt pas son pouvoir. Mais s'il n'agissait pas par
volonté, il s'ensuivrait qu'il aurait produit la créature de toute éternité.
Donc une fois établi qu'il agit par volonté, on n'écarte pas le fait qu'il ait
pu produire de toute éternité.
q. 3 a. 14 arg. 6
Praeterea, si Deus in aliquo tempore vel instanti creaturam produxit, et eius
potentia non est augmentata; potuit etiam ante illud tempus vel instans
creaturam producere; et eadem ratione ante illud, et sic in infinitum. Ergo
potuit ab aeterno producere.
6. Si Dieu a produit la créature dans le temps ou dans un instant, et
que la puissance de celle-ci n'en a pas été augmentée, il a pu aussi avant ce
temps ou cet instant produire une créature; et pour la même raison encore avant
et ainsi à l'infini. Donc il a pu produire de toute éternité.
q. 3 a. 14 arg. 7
Praeterea, plus potest facere Deus quam humanus intellectus possit intelligere;
propter quod dicitur Luc. I, 37: non erit impossibile apud Deum omne verbum.
Sed Platonici intellexerunt aliquid esse factum a Deo, quod tamen semper fuit;
unde Augustinus dicit: de mundo, et de his quos in mundo deos a Deo factos,
scribit Plato, apertissime dicit eos esse coepisse, et habere initium; finem
tamen non habituros, sed per conditoris potentissimam voluntatem perhibet in
aeternum esse mansuros. Verum id quomodo intelligat, Platonici invenerunt, non
esse hoc, videlicet temporis, sed institutionis initium. Sicut enim, inquiunt,
si pes ab aeternitate fuisset in pulvere, semper subesset vestigium: quod tamen
a calcante factum nemo dubitaret: sic mundus semper fuit semper existente qui
fecit; et tamen factus est. Ergo Deus potuit facere aliquid quod semper fuit.
7. Dieu peut faire plus que ce que l'esprit humain peut comprendre:
c'est pour cela que Luc (1, 37) dit: "Toute parole ne sera pas impossible
à Dieu", mais les Platoniciens ont compris que quelque chose avait été
fait par Dieu, qui cependant a toujours existé, c'est pourquoi Augustin dit (La cité de Dieu, X, 31): "Au sujet
du monde et de ceux qui ont été faits dieux dans le monde par Dieu, Platon dit
très clairement qu'ils ont commencé à exister et qu'ils ont un début; ils
n'auront cependant pas de fin; il raconte aussi que par la volonté toute
puissante du créateur, ils demeureront éternellement. Mais de la façon dont il
le comprend, les Platoniciens trouvèrent que ce n'était pas le commencement du
temps, mais celui d'une institution. En effet, disent-ils, si un pied avait été
de toute éternité dans la poussière, il resterait toujours son vestige,
cependant personne ne douterait que cela a été fait par quelqu'un qui marchait;
de la même manière, le monde a toujours existé alors qu'existait toujours celui
qui l'a fait et cependant il a été fait" Donc Dieu a pu faire que quelque
chose ait toujours existé.
q. 3 a. 14 arg. 8
Praeterea, quidquid non est contra rationem creaturae, Deus potest in creatura
facere; alias non esset omnipotens. Sed semper fuisse non est contra rationem
creaturae in quantum est facta; alias idem esset dicere creaturam semper fuisse
et factam non esse; quod patet esse falsum. Nam Augustinus, distinguit duas
opiniones; quarum una est quod mundus ita fuerit semper quod non sit a Deo
factus; alia est, quod ita mundus sit semper quod tamen a Deo sit factus. Ergo Deus hoc potest facere, quod aliquid ab eo
factum, sit semper.
8. Dieu peut faire à la créature, tout ce qui est contre sa nature,
sinon il ne serait pas tout puissant. Mais avoir toujours existé n'est pas
contre la notion de créature dans la mesure où elle a été créée, autrement ce
serait pareil de dire que la créature a toujours existé et qu'elle n'a pas été
créée, ce qui paraît faux, car Augustin (La
cité de Dieu, XI, 4, et X, 31) a distingué deux opinions: l'une est que le
monde aura toujours été tel qu'il n'a pas été fait par Dieu, l'autre que le
monde existe toujours tel que cependant il a été créé par Dieu. Donc Dieu peut
faire qu'un être créé par lui existe toujours.
q. 3 a. 14 arg. 9
Praeterea, sicut natura statim potest producere effectum suum, ita et agens
voluntarium non impeditum. Sed Deus est agens voluntarium quod impediri non
potest. Ergo creaturae quae per eius voluntatem producuntur in esse, ab aeterno
produci potuerunt, sicut et filius qui naturaliter a patre procedit.
9. La nature peut produire aussitôt son effet, l'agent volontaire qui
n'en est pas empêché aussi. Mais Dieu est un agent volontaire qui ne peut pas
être empêché. Donc les créatures qui sont amenées à l'être par sa volonté ont
pu être produites de toute éternité, comme le Fils qui procède naturellement du
Père.
En sens contraire:
q. 3 a. 14 s. c. 1
Sed contra. Est quod Augustinus dicit, quia omnino incommutabilis est illa
natura Trinitatis, ob hoc ita est aeterna, ut ei aliquid coaeternum esse non
possit.
1. Augustin dit (La Genèse au
sens littéral, VIII, 23): "Parce que la nature de la Trinité est tout
à fait immuable, elle est éternelle, de sorte que rien ne peut lui être
coéternel."
q. 3 a. 14 s. c. 2
Praeterea, Damascenus dicit, in I libro: quod ex non ente ad esse deducitur,
non est aptum natum esse coaeternum ei quod sine principio et semper est. Sed
creatura de non esse ad esse producitur. Ergo non potest fuisse semper.
2. Jean Damascène dit (livre 1) que "Ce qui est amené du non être
à l'être, n'est pas susceptible par nature d'être coéternel à celui qui est
sans principe et existe éternellement." Mais la créature est amenée du non
être à l'être. Donc elle ne peut pas avoir existé toujours.
q. 3 a. 14 s. c. 3
Praeterea, omne aeternum est invariabile. Sed creatura non potest esse
invariabilis; quia si sibi relinqueretur, in nihilum decideret. Ergo non potest
esse aeterna.
3. Tout ce qui est éternel est invariable. Mais la créature ne peut pas
être invariable, parce que si elle était laissée à elle-même, elle retournerait
au néant. Donc elle ne peut pas être éternelle.
q. 3 a. 14 s. c. 4
Praeterea, nihil quod dependet ab alio est necessarium, et per consequens nec
aeternum; cum omne aeternum sit necessarium. Sed omne quod est factum, dependet
ab alio. Ergo nullum factum potest esse aeternum.
4. Rien de ce qui dépend d'un autre n'est nécessaire et par conséquent
n'est pas éternel, puisque tout ce qui est éternel est nécessaire. Mais tout ce
qui a été fait dépend d'un autre. Donc rien de ce qui a été fait ne peut être
éternel.
q. 3 a. 14 s. c. 5
Praeterea, si Deus ab aeterno producere potuit creaturam, ab aeterno produxit;
quia, secundum philosophum, in sempiternis non differt esse et posse. Sed ponere creaturam ab aeterno fuisse productam, est contra fidem. Ergo et
ponere quod produci potuerit.
5. Si Dieu a pu produire la créature de toute éternité, il l'a fait,
parce que, selon le philosophe (Physique,
III, 4, 203 b 28[3]), dans ce qui est éternel être et pouvoir ne sont pas
différents. Mais penser que la créature a été produite de toute éternité est
contre la foi. Donc penser qu'elle aurait pu être produite [de toute éternité
est aussi contre la foi].
q. 3 a. 14 s. c. 6
Praeterea, voluntas sapientis non differt facere quod intendit, si potest, nisi
propter aliquam rationem. Sed non potest reddi ratio quare Deus tunc mundum
fecerit et non prius, vel ab aeterno, si ab aeterno fieri potuit. Ergo videtur
quod ab aeterno fieri non potuit.
6. La volonté du sage ne remet ce qu'il a l'intention de faire, s'il le
peut, que pour quelque bonne raison. Mais on ne peut pas trouver la raison pour
laquelle Dieu a fait le monde à un tel moment et non avant, ou de toute
éternité, si cela était possible. Donc il semble qu'il n'a pas pu être fait de
toute éternité.
q. 3 a. 14 s. c. 7
Praeterea, si creatura est facta, aut ex nihilo, aut ex aliquo. Sed non ex
aliquo: quia vel ex aliquo quod est divina essentia, quod est impossibile; vel
ex aliquo alio: quod si non esset factum, erit aliquid praeter Deum, non ab
ipso creatum; quod supra est improbatum: quod si est factum ex alio, aut
procedetur in infinitum, quod est impossibile; aut devenietur ad aliquid quod
est factum de nihilo. Impossibile autem est, quod fit ex nihilo, semper fuisse.
Ergo impossibile est creaturam semper fuisse.
7. Si la créature a été créée, elle l'a été ou de rien ou de quelque
chose. Mais pas de quelque chose, qui est l'essence divine, ce qui est
impossible, ou d'autre chose qui, si elle n'avait pas été créée, serait au-delà
de Dieu, non créée par lui; ce qu'on a refusé ci-dessus; s'il est fait d'autre
chose, ou on procède à l'infini ce qui est impossible, ou on en arrive à ce qui
a été fait de rien. Mais il est impossible que ce qui est fait de rien existe
toujours. Donc il est impossible que la créature ait toujours existé.
q. 3 a. 14 s. c. 8
Praeterea, de ratione aeterni est non habere principium, de ratione vero
creaturae est habere principium. Ergo nulla creatura potest esse aeterna.
8. Il est de la définition de l'éternel, de ne pas avoir de principe,
mais de la définition de la créature d'en avoir un. Donc nulle créature ne peut
être éternelle.
q. 3 a. 14 s. c. 9
Praeterea, creatura mensuratur tempore vel aevo. Sed aevum et tempus differunt
ab aeternitate. Ergo creatura non potest esse aeterna.
9. La créature est mesurée par le temps ou l'ævum. Mais ils diffèrent
l'un et l'autre de l'éternité. Donc la créature ne peut pas être éternelle.
q. 3 a. 14 s. c. 10
Praeterea, si aliquid est creatum, oportet dare aliquod instans in quo creatum
fuerit. Sed ante id non fuit. Ergo
oportet dicere creaturam non semper fuisse.
10. Si une chose a été créée, il faut fixer un temps où elle aura été
créée. Mais avant cela, elle n'a pas existé. Donc il faut dire que la créature
n'a pas toujours existé.
Réponse:
q. 3 a. 14 co.
Respondeo. Dicendum, quod secundum philosophum, possibile dicitur quandoque
quidem secundum aliquam potentiam, quandoque, vero secundum nullam potentiam;
secundum potentiam quidem vel activam, vel passivam. Secundum activam quidem,
ut si dicamus possibile esse aedificatori quod aedificet; secundum passivam
vero, ut si dicamus, possibile esse ligno quod comburatur.
Selon le philosophe (Métaphysique
V, 12, 1019 b 22-33[4]) on définit le possible, quelquefois selon un puissance,
quelquefois sans elle: selon une puissance, ou active ou passive. Selon une
puissance active, comme si nous disions qu'il est possible au bâtisseur
d'édifier, selon la puissance passive, comme si nous disions qu'il est possible
au bois de brûler.
Dicitur autem et quandoque aliquid possibile, non secundum
aliquam potentiam, sed vel metaphorice, sicut in geometricis dicitur aliqua
linea potentia rationalis, quod praetermittatur ad praesens; vel absolute,
quando scilicet termini enuntiationis nullam ad invicem repugnantiam habent.
Mais on dit qu'une chose est possible quelquefois, non selon une
puissance, mais par métaphore, comme en géométrie, on dit qu'une ligne est
puissance rationnelle, parce qu'elle est omise pour l'instant; ou bien
absolument, quand, par exemple, les termes d'un énoncé n'offrent pas de
contradiction entre eux.
E contrario vero impossibile, quando sibi invicem repugnant;
ut simul esse affirmationem et negationem impossibile dicitur, non quia sit
impossibile alicui agenti vel patienti, sed quia est secundum se impossibile,
utpote sibi ipsi repugnans.
Au contraire, c'est impossible, quand les termes s'opposent l'un à
l'autre; ainsi on dit qu'il est impossible que l'affirmation et la négation
soient ensemble, non parce que cela serait impossible à un agent ou à un
patient, mais parce que c'est impossible en soi, comme s'opposant à soi.
Si ergo consideretur hoc enuntiabile, aliquid diversum in
substantia existens a Deo fuisse semper, non potest dici impossibile secundum
se, quasi sibi ipsi repugnans: hoc enim quod est esse ab alio, non repugnat ei
quod est esse semper, ut supra ostensum est; nisi quando aliquid ab alio
procedit per motum, quod non intervenit in processu rerum a Deo. Per hoc autem
quod additur, diversum in substantia, similiter nulla repugnantia absolute
loquendo datur intelligi ad id quod est semper fuisse.
Si donc, on considère cette proposition: quelque chose de différent
existant par Dieu en substance, a toujours existé, on ne peut pas dire que
c'est impossible en soi, comme si elle s'opposait à soi, car il n'est pas
incompatible que l'être reçu d'un autre existe toujours, comme on l'a montré
plus haut[5], sauf quand une chose procède d'une autre par mouvement, ce qui
n'intervient pas dans ce qui procède de Dieu. Du fait qu'on ajoute
"différent en substance", on ne donne ainsi à comprendre, absolument
parlant, aucune opposition pour le fait de toujours exister.
Si autem accipiamus possibile dictum secundum potentiam
activam, tunc in Deo non deest potentia ab aeterno essentiam aliam a se
producendi. Si vero hoc ad potentiam passivam referatur, sic, supposita
Catholicae fidei veritate, dici non potest, quod aliquid a Deo procedens in
essentia diversum, potuerit semper esse. Supponit enim fides Catholica omne id
quod est praeter Deum, aliquando non fuisse. Sicut autem impossibile est, quod
ponitur aliquando fuisse, nunquam fuisse: ita impossibile est, quod ponitur
aliquando non fuisse, semper fuisse. Unde et dicitur a quibusdam quod hoc
quidem est possibile ex parte Dei creantis, non autem ex parte essentiae a Deo
procedentis, per suppositionem contrarii, quam fides facit.
Mais si nous acceptons qu'on parle de possible selon la puissance
active, alors la puissance ne manque pas à Dieu, pour produire de tout éternité
une autre essence que lui. Mais si on se réfère à la puissance passive, en s'en
tenant à la vérité de la foi catholique, on ne peut pas dire qu'un être différent
en essence qui procède de Dieu aura pu toujours existé. Car la foi catholique
suppose que tout ce qui existe sauf Dieu n'a pas toujours existé. Mais de même
qu'il est impossible de penser que ce qui a existé une fois n'a jamais existé,
de même il est impossible de penser que ce qui n'a pas toujours existé, a
toujours existé. C'est pourquoi certains disent que ce qui est possible pour le
Dieu créateur ne l'est pas pour l'essence qui procède de Dieu, en le supposant
contraire à la foi.
Solutions:
q. 3 a. 14 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod ratio illa procedit ex parte potentiae facientis,
non autem ex parte facti, de quo facta sit suppositio aliquando non fuisse.
# 1. Cette raison procède de la puissance du créateur, mais non de
celle de la créature, dont on a supposé qu'elle n'a pas toujours pas existé.
q. 3 a. 14 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod etiam si creatura semper fuisset, non simpliciter Deo
aequipararetur, sed secundum quod eum imitaretur; quod non est inconveniens;
unde illa obviatio parum est efficax.
# 2. Même si la créature avait toujours existé, elle n'aurait
absolument pas égalée Dieu, mais seulement en l'imitant, ce qui n'est pas
inconvenant. C'est pourquoi ce rapprochement est peu efficace.
q. 3 a. 14 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod in persona divina non est aliquid quod supponatur
aliquando non fuisse, sicut est in omni essentia aliena a Deo.
# 3. Dans la personne divine, il n'y a rien qu'on suppose n'avoir pas
toujours existé, comme cela arrive dans toute essence étrangère à Dieu.
q. 3 a. 14 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod obiectio procedit ex parte potentiae facientis; quae nec
etiam per voluntatem diminuitur, nisi quatenus ex arbitrio voluntatis divinae
fuit quod non semper fuerit creatura.
# 4. L'objection vient de la puissance de l'agent qui n'est empêché par
la volonté que dans la mesure où il a dépendu du libre arbitre de la volonté
divine que la créature n'ait pas toujours existé[6].
q. 3 a. 14 ad 5 Unde patet responsio ad quintum.
# 5. Ainsi cela répond à l'objection 5.
q. 3 a. 14 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod si ponatur ante quodcumque tempus datum creaturam fuisse,
salvatur positio fidei, qua ponitur nihil praeter Deum semper fuisse; non tamen
salvatur, si ponatur eam semper fuisse; unde non est simile. Sciendum etiam,
quod forma arguendi non valet. Potest enim Deus quamlibet creaturam facere
meliorem, non tamen potest facere infinitae bonitatis creaturam; infinita enim
bonitas rationi creaturae repugnat, non autem determinata bonitas quantacumque.
Sciendum etiam, quod si dicatur, Deum potuisse facere mundum antequam fecerit;
si haec prioritas ad potentiam facientis referatur, indubitanter est verum:
quia ab aeterno affuit ei potentia faciendi; aeternitas vero tempus creationis
praecedit. Si autem referatur ad esse facti, ita quod intelligatur ante instans
creationis mundi, tempus reale fuisse, in quo potuerit fieri mundus; patet
omnino esse falsum, quia ante mundum motus non fuit, unde nec tempus. Possumus
tamen imaginari aliquod tempus ante mundum; sicut altitudinem vel dimensiones
aliquas extra caelum; per quem modum possumus dicere, et quod altius caelum
potuit elevare, et quod prius potuit facere; quia potuit facere et tempus
diuturnius, et altitudinem altiorem.
# 6. Si on pense que la créature a existé avant un temps donné, on
conserve la position de la foi, par laquelle on affirme que rien sauf Dieu n'a
toujours existé; cependant on ne la conserve pas, si on affirme qu'elle a
toujours existé. C'est pourquoi ce n'est pas pareil. Mais il faut savoir que la
forme de la démonstration ne vaut pas. Car Dieu peut créer quelque créature
meilleure, sans cependant pouvoir créer une créature d'une bonté infinie; car
la bonté infinie s'oppose à la notion de créature, mais non une bonté
déterminée de quelque grandeur. Mais il faut savoir que si on dit: "Dieu
aurait pu faire le monde avant qu'il ne l'a fait", si cette priorité se
réfère à la puissance du créateur, c'est indubitablement vrai; parce que, de
toute éternité il a possédé la puissance de créer, mais l'éternité précède le
temps de la création. Si on se réfère à l'être de la créature, de sorte qu'on
comprend qu'avant l'instant de la création du monde, il y eut un temps réel,
dans lequel le monde aurait pu être créé, il est clair que c'est tout à fait
faux, parce qu'avant le monde il n'y eut pas de mouvement, et par conséquent
pas de temps. Cependant nous pouvons imaginer un temps avant le monde, une
altitude et des dimensions hors du ciel aussi; de cette manière nous pouvons
dire qu'il aurait pu élever le ciel plus haut, et le faire avant, parce qu'il
aurait pu faire un temps plus long et une altitude plus haute.
q. 3 a. 14 ad 7 Ad septimum dicendum, quod
Platonici hoc intellexerunt, fidei veritatem non supponendo, sed ab ea alieni.
# 7. Les Platoniciens l'ont compris sans supposer la vérité de la foi,
car ils lui était étrangers.
q. 3 a. 14 ad 8 Ad
octavum dicendum, quod ratio illa non probat nisi quod esse factum, et esse
semper, non habeant ad invicem repugnantiam secundum se considerata; unde
procedit de possibili absolute.
# 8. Cette raison ne prouve seulement que ce qui a été créé et ce qui a
toujours existé n'ont pas d'incompatibilité en soi; c'est pourquoi elle procède
absolument du possible..
q. 3 a. 14 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod ratio illa procedit de possibili ex parte potentiae
activae.
# 9. Cette raison procède du possible du côté de la puissance active.
Réponses aux
objections opposées:
q. 3 a. 14
ad s. c. Sed quia rationes oppositae concludere videntur, quod secundum nullam
considerationem sit possibile; ideo ad eas etiam est respondendum.
Mais parce que les raisons opposées semblent conclure que c'est
possible sans aucune considération, il faut aussi leur répondre.
q. 3 a. 14 ad s. c.
1 Ad primum ergo dicendum, quod secundum Boetium in fine de consolatione philosophiae,
etiam si mundus semper fuisset, non esset Deo coaeternus eius enim duratio non
esset tota simul; quod ad aeternitatis rationem requiritur. Est enim aeternitas
interminabilis vitae tota simul et perfecta possessio, ut ibidem dicitur.
Temporis autem successio ex motu causatur, ut ex philosopho patet. Unde quod
mutabilitati subiacet, etiam si semper sit, aeternum esse non potest; et
propter hoc Augustinus dicit, quod invariabili essentiae Trinitatis nulla
creatura coaeterna esse potest.
## 1. Selon Boèce, à la fin de La
consolation de la philosophie (livre V, dernière prose), même si le monde
avait toujours existé, il n'aurait pas été coéternel à Dieu, car sa durée
n'aurait pas été toute à la fois; ce qui est requis pour la notion d'éternité.
Car il existe une éternité d'une vie interminable toute à la fois et possession
parfaite, comme on est dit au même endroit. Mais la succession du temps est
causée par le mouvement, comme le philosophe le montre (Physique, IV, 4, 219 a 22-25[7]). C'est pourquoi ce qui est soumis
à mutation, même s'il a toujours existé, ne pourrait pas être éternel et à
cause de cela Augustin dit (Sur la Genèse,
VIII, 23) qu'aucune créature ne peut être coéternelle à l'essence immuable de
la Trinité.
q. 3 a. 14 ad s. c.
2 Ad secundum dicendum, quod Damascenus loquitur supposita fidei veritate; quod
patet ex hoc quod dicit, quod ex non esse ad esse deductum est, et cetera.
## 2. Jean Damascène parle en supposant la vérité de la foi; ce qui
apparaît du fait qu'il dit que ce qui a été amené du non-être à l'être, etc..
q. 3 a. 14 ad s. c.
3 Ad tertium dicendum, quod variabilitas de sui ratione excludit aeternitatem,
non autem infinitam durationem.
## 3. La variabilité par sa définition exclut l'éternité, mais non la
durée infinie.
q. 3 a. 14 ad s. c.
4 Ad quartum dicendum, quod id quod ab alio dependet, nunquam esse potest nisi
per influxum eius a quo est; quod si semper fuit, et ipsum semper erit.
## 4. Ce qui dépend d'un autre ne peut jamais exister qu'en découlant
de ce par quoi il est; parce que, s'il a toujours été, il sera toujours.
q. 3 a. 14 ad s. c.
5 Ad quintum dicendum, quod non sequitur, si Deus aliquid potuit facere, quod
illud fecerit, eo quod est agens secundum voluntatem, non secundum necessitatem
naturae. Quod autem dicitur, quod in sempiternis non differt esse et posse,
intelligendum est secundum potentiam passivam, non autem secundum activam.
Potentia enim passiva actui non coniuncta, corruptionis principium est, et ideo
sempiternitati repugnat; effectus vero activae potentiae actu non existens,
perfectioni causae agentis praeiudicium non affert, maxime in causis
voluntariis. Effectus enim non est perfectio potentiae activae sicut forma
potentiae passivae.
## 5. Il n'en découle pas, que, si Dieu a pu faire quelque chose, il
l'ait fait, c'est parce qu'il est agent volontaire, mais non agent par
nécessité de nature. Quand on dit que dans ce qui est éternel, l'être et le
pouvoir ne diffèrent pas, il faut le comprendre de la puissance passive mais
non de la puissance active. Car la puissance passive qui n'est pas jointe à un
acte est principe de corruption, et c'est pourquoi elle s'oppose à l'éternité:
mais l'effet de la puissance active qui n'existe pas en acte, n'apporte à la
perfection de la cause efficiente aucun préjudice, surtout dans les causes
volontaires. Car l'effet n'est pas la perfection de la puissance active comme
la forme de la puissance passive.
q. 3 a. 14 ad s. c.
6 Ad sextum dicendum, quod circa productionem primarum creaturarum intellectus
noster rationem investigare non potest, eo quod non potest comprehendere artem
illam quae sola est ratio quod creaturae praedictae hunc habeant modum; unde
sicut non potest ratio reddi ab homine quare caelum est tantum et non amplius;
ita reddi non potest ratio quare mundus factus non fuit antea, cum tamen
utrumque fuerit divinae potestati subiectum.
## 6. A propos de la production des premières créatures, notre esprit
ne peut en scruter la raison parce qu'il ne peut comprendre cet art qui seul
est la raison pour laquelle les créatures susdites ont ce mode. C'est pourquoi,
de même que l'homme ne peut trouver la raison pour laquelle le ciel est tel, et
non plus vaste; de même on ne peut donner la raison pour laquelle le monde a
été fait avant, puisque cependant les deux conditions ont été soumises à la
puissance divine.
q. 3 a. 14 ad s. c.
7 Ad septimum dicendum, quod primae creaturae non sunt productae ex aliquo, sed
ex nihilo. Non tamen oportet ex ipsa ratione productionis, sed ex veritate quam
fides supponit, quod prius non fuerint, et postea in esse prodierint. Unus enim
sensus praedictae locutionis esse potest, secundum Anselmum, ut dicatur
creatura facta ex nihilo, quia non est facta ex aliquo, ut negatio includat
praepositionem et non includatur ab ea, ut sic negatio ordinem ad aliquid, quem
praepositio importat, neget; non autem praepositio importat ordinem ad nihil.
Si vero ordo ad nihil remaneat affirmatus, praepositione negationem includente,
nec adhuc oportet quod creatura aliquando fuerit nihil. Potest enim dici, sicut
et Avicenna dicit, quod non esse praecedat esse rei, non duratione, sed natura;
quia videlicet, si ipsa sibi relinqueretur, nihil esset: esse vero solum ab
alio habet. Quod enim est natum alicui inesse ex se ipso, naturaliter prius
competit ei, eo quod non est ei natum inesse nisi ab alio.
## 7. Les premières créatures n'ont pas été produites de quelque chose,
mais de rien[8]. Cependant il faut, non à partir de la définition même de leur
production, mais à partir de la vérité que suppose la foi, qu'elles n'aient pas
existé avant et qu'elles soient venues à l'être ensuite. En effet, un des sens
de la locution susdite peut être, selon Anselme (Monologium ch. 8), que la créature a été créée de rien, parce
qu'elle n'a pas été faite de quelque chose, pour que la négation inclut la
préposition et ne soit pas incluse par elle, afin que la négation nie le
relation à ce qu'elle apporte; mais celle-ci n'apporte de relation à rien. Mais
ainsi la relation au néant demeure affirmée, alors que la préposition inclut la
négation, et il ne faut pas encore que la créature ait été un jour néant. Car
on peut dire, comme Avicenne le dit, que le non être précède l'être de la
chose, non dans la durée, mais dans sa nature, parce qu'il est évident que si
elle était laissée à elle-même, elle ne serait rien; mais elle tient l'être
seulement d'un autre. Car ce qui est destiné à être dans quelque chose par soi,
lui appartient naturellement d'abord, parce qu'il est destiné à n'être que par
un autre.
q. 3 a. 14 ad s. c.
8 Ad octavum dicendum, quod de ratione aeterni est non habere durationis
principium; de ratione vero creationis habere principium originis, non autem
durationis; nisi accipiendo creationem ut accipit fides.
## 8. Il est de la nature de l'éternité de ne pas avoir de principe de
durée, mais de la nature de la création d'avoir un principe d'origine, mais non
de durée, à moins de recevoir la création comme la foi la reçoit.
q. 3 a. 14 ad s. c.
9 Ad nonum dicendum, quod aevum et tempus ab aeternitate differunt, non solum
ratione principii durationis, sed etiam ratione successionis. Tempus enim in se
successivum est; aevo vero successio adiungitur prout substantiae aeternae sunt
quantum ad aliquid variabiles, etsi quantum ad aliquid non varientur, prout
aevo mensurantur. Aeternitas vero nec successionem continet nec successioni
adiungitur.
## 9. L'ævum et le temps diffèrent de l'éternité, non seulement en
raison du principe de durée, mais aussi en raison de la succession. Car le
temps en soi est successif; la succession est ajoutée à l'ævum, dans la mesure
où les substances éternelles sont variables sur un point, même si elles ne
varient en rien selon qu'elles sont mesurées par l'ævum. L'éternité ne contient
pas de succession et elle n'est pas ajoutée à une succession.
q. 3 a. 14 ad s. c.
10 Ad decimum dicendum, quod operatio qua Deus res producit in esse, non sic
est intelligenda sicut operatio artificis qui facit arcam et postea eam deserit;
sed quod Deus continue influat esse, ut Augustinus dicit; unde non oportet
assignare aliquod instans productionis rerum antequam productae non sint, nisi
propter fidei suppositionem.
## 10. L'opération par laquelle Dieu fait venir les choses à l'être ne
doit pas être comprise comme l'opération de l'artisan qui fait un coffre et
ensuite l'abandonne, parce que Dieu insuffle l'être constamment, comme Augustin
le dit (La Genèse au sens littéral,
IV, 12 et VIII, 12); c'est pourquoi il ne faut pas assigner un instant de la
production des choses avant qu'elles n'aient été produites qu'à cause d'une
supposition de foi.
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[1] Parall. Ia, qu.. 46, a. 1 c
et ad 6 - II Sent. d1a5 - CG. II,
31.
[2]
La question est posée différemment en Ia, 46, 1: L'universalité des créatures
a-t-elle toujours existé? La solution proposée ici est basée sur la
“possibilité” évoquée déjà en Pot. 1, 3.
[3]
"Entre le possible et l'être, il n'y a aucune différence dans les choses
éternelles."
[4] Thomas lectio 14, 971-973.
Cf. Pot. I, 3, c.
[5]
Exemple du Fils à l'article précédent.
[6]
"Le premier agent est un agent volontaire. Et quoique qu'il eut la volonté
éternelle de produire un effet, cependant il ne l'a pas produit éternel." (Ia,
qu. 46, a. 1, sol. 6).
[7]
Thomas, lectio 17, n° 579 (Aristote n° 408- Cf. Ia, qu. 46, a. 1).
[8]
Il faut entendre une première création, celle rapportée par la Genèse, ensuite
les créatures sont produites par mouvement, changement, génération.
q. 3 a. 15 tit. 1
Decimoquinto quaeritur utrum res processerint a Deo per necessitatem naturae
vel per arbitrium voluntatis. Et videtur quod per necessitatem naturae.
Il semble que Dieu agisse par nécessité de nature[1].
Objections:
q. 3 a. 15 arg. 1
Dicit enim Dionysius: sicut noster sol non ratiocinans aut praeeligens, sed per
ipsum suum esse omnia lumine eius participare volentia illuminat; ita divina
bonitas per essentiam suam omnibus existentibus proportionaliter radios
bonitatis immittit. Sed sol sine electione et ratione illuminans hoc agit ex
necessitate naturae. Ergo et Deus creaturas producit suam bonitatem
communicando per necessitatem naturae.
1. Car Denys (Les noms divins,
4, § 1 PG. 693B[2]) dit: "De même que notre soleil, sans raisonner ni
choisir, mais par son être même, éclaire tout ce qui est susceptible de
participer à sa lumière, de même la divine bonté, par son essence, communique
proportionnellement à tout ce qui existe les rayons de sa bonté." Mais le
soleil qui illumine sans choix et sans raison le fait par nécessité de nature.
Donc Dieu aussi produit les créatures en communiquant sa bonté par nécessité de
nature.
q. 3
a. 15 arg. 2 Praeterea, omnis perfectio inferioris naturae a perfectione
divinae naturae derivatur. Sed ad perfectionem naturae inferioris pertinet quod
sua virtute aliquid simile sibi faciat producendo effectum. Ergo multo fortius
Deus similitudinem suae bonitatis creaturis communicat naturaliter, et non
voluntarie.
2. Toute la perfection de la nature inférieure dérive de celle de la
nature divine. Mais il convient à la perfection d'une nature inférieure, de
faire, par son pouvoir, quelque chose de semblable à soi en produisant son
effet. Donc Dieu communique beaucoup mieux la ressemblance de sa bonté aux
créatures, par nature et non par volonté.
q. 3 a. 15 arg. 3
Praeterea, omne agens agit sibi simile. Ergo secundum
hoc effectus agitur a causa agente, quod eius similitudinem habet. Sed creatura
habet similitudinem Dei quantum ad ea quae ad Dei naturam pertinent, scilicet
quantum ad esse et bonitatem et unitatem, et alia huiusmodi, non solum quantum
ad ea quae sunt in voluntate vel in intellectu, sicut artificiata sunt similia
artifici quantum ad formam artis, non quantum ad naturam artificis, propter
quod voluntarie et non naturaliter ab artifice procedunt. Ergo creaturae procedunt a Deo per virtutem naturae
divinae et non per voluntatem.
3. Tout agent fait du semblable à lui. C'est pourquoi l'effet est
produit par la cause efficiente, parce qu'il lui ressemble. Mais pour ce qui
concerne la nature de Dieu, la créature lui ressemble, pour ce qui concerne
l'être, la bonté, l'unité, etc., et pas seulement pour ce qui est dans la
volonté ou l'intellect; ainsi, de même les oeuvres faites par l'artisan
lui-même ressemblent à la forme de son art, mais pas à sa nature d'artisan,
parce qu'elles proviennent de lui par volonté et non par nature. Donc les
créatures procèdent de Dieu par le pouvoir de la nature divine et non par
volonté.
q. 3 a. 15 arg. 4
Sed dices, quod similitudinem naturalium attributorum communicat creaturis
divina voluntas.- Sed contra, similitudo naturae communicari non potest nisi
per virtutem naturae. Sed virtus naturae in nulla re subiacet voluntati; unde
et in Deo generatio filii a patre, quae est naturalis, non fit per imperium
voluntatis, nec etiam in hominibus vires animae vegetabiles, quae naturales
dicuntur, voluntati subduntur. Ergo non potest esse quod voluntate divina,
similitudo naturalium attributorum creaturis communicetur.
4. Mais on pourrait dire que la volonté divine communique la
ressemblance de ses attributs naturels aux créatures. – En sens contraire, la
ressemblance de la nature ne peut être communiquée que par son pouvoir. Mais ce
pouvoir n'est subordonné en rien à la volonté; c'est pourquoi, en Dieu, la
génération du Fils par le Père, qui est naturelle, ne se fait pas par le
pouvoir de la volonté, et dans les hommes les puissances végétatives de l'âme,
qu'on appelle naturelles, ne sont pas soumises à la volonté. Donc il n'est pas
possible que la ressemblance des attributs naturels soit communiquée par la
volonté divine aux créatures.
q. 3 a. 15 arg. 5
Praeterea, Augustinus dicit in libro de doctrina Christiana, quod quia Deus
bonus est, sumus: et ita bonitas Dei videtur esse causa productionis
creaturarum. Sed bonitas est Deo naturalis. Ergo et fluxus rerum a Deo est
naturalis.
5. Augustin dit dans La doctrine
chrétienne, (I, 32) que nous existons, parce que Dieu est bon; et ainsi la
bonté de Dieu semble être la cause de la production des créatures. Mais cette
bonté est naturelle pour Dieu. Donc le flux des êtres à partir de Dieu est
naturel.
q. 3 a. 15 arg. 6
Praeterea, in Deo idem est natura et voluntas. Si ergo Deus producat res
voluntarie, sequetur quod producat eas naturaliter.
6. En Dieu, la nature et la volonté sont identiques. Donc si Dieu
produit les êtres volontairement, il s'ensuit qu'il les produit naturellement.
q. 3 a. 15 arg. 7
Praeterea, necessitas naturae provenit ex hoc quod natura immobiliter operatur
idem, nisi impedimentum eveniat. Sed maior est immutabilitas Dei quam naturae
inferioris. Ergo magis ex necessitate Deus producit effectum suum quam natura
inferior.
7. La nécessité de nature provient de ce que la nature immuablement
fait la même chose, sauf si intervient un empêchement. Mais l'immutabilité de
Dieu est plus grande que celle de la nature inférieure. Donc Dieu produit son
effet plus par nécessité que la nature inférieure.
q. 3 a. 15 arg. 8
Praeterea, operatio Dei est eius essentia. Sed essentia sua est ei naturalis.
Ergo naturaliter operatur quidquid operatur.
8. L'opération de Dieu[3] est son essence. Mais celle-ci lui est
naturelle. Donc toute opération lui est naturelle.
q. 3 a. 15 arg. 9
Praeterea, secundum philosophum voluntas est finis, electio eorum quae sunt ad
finem. Sed in Deo non est aliquis finis, cum sit infinitus. Ergo non agit ex
voluntate, sed magis ex necessitate naturae.
9. Selon le Philosophe (Ethique, III,
2, 1111 b 28[4]) la volonté est une fin, le choix de ce qui est en vue de la
fin. Mais en Dieu il n'y a pas de fin, puisqu'il est infini[5]. Donc il n'agit
pas par volonté, mais plutôt par nécessité de nature.
q. 3 a. 15 arg. 10 Praeterea, Deus operatur in
quantum est bonus, ut Augustinus dicit. Sed ipse est bonum necessarium. Ergo ex
necessitate operatur.
10. Dieu opère en tant qu'il est bon, comme Augustin le dit (La doctrine chrétienne, I, 32). Mais il
est le bien nécessaire. Donc il opère par nécessité.
q. 3 a. 15 arg. 11
Praeterea, omne quod est, vel est contingens, vel necessarium. Necessarium vero
est aliquid tripliciter: scilicet per coactionem, ex suppositione, et absolute.
Non autem potest dici quod in Deo sit aliquid possibile vel contingens: hoc
enim mutabilitati attestatur, ut per philosophum patet, quia quod contingit
esse, contingit non esse. Similiter non est ibi aliquid necessarium per
coactionem, quia nihil ibi est violentum nec contra naturam, ut dicitur in V
Metaph. Similiter nec necessarium ex suppositione: quia hoc necessarium
causatur ex aliquibus causis praesuppositis, Deo autem nihil est causa.
Relinquitur ergo quod quidquid est in Deo sit necessarium absolute; et ita
videtur quod res ex necessitate in esse producat.
.
11. Tout ce qui est, est contingent ou nécessaire. Mais le nécessaire
existe de trois manières: c'est-à-dire par contrainte, sous condition et
absolument. Mais on ne peut pas dire qu'en Dieu, il y ait quelque chose de
possible ou de contingent; car la mutabilité l'atteste, comme on le voit chez
le Philosophe (Métaphysique, XI, 8,
1064 b 32[6]) que le contingent est ou n'est pas. De même, il n'y a rien ici de
nécessaire par contrainte, parce que rien n'y est violent, ni contraire à la
nature, comme on le dit (Métaphysique
V, 5, 1015 a 25[7]). De la même manière, il n'y a pas de nécessité sous
condition, parce que cette nécessité est causée par des causes présupposées.
Mais, en Dieu il n'y a pas de cause. Donc il reste que ce qui est en Dieu est
absolument nécessaire, et ainsi il semble qu'il fasse venir les créatures à
l'être par nécessité[8].
q. 3 a. 15 arg. 12 Praeterea, II ad Timoth. II, 13,
dicitur: Deus fidelis permanet et seipsum negare non potest. Sed cum ipse sit
sua bonitas, se ipsum negaret si suam bonitatem negaret. Negaret autem suam
bonitatem si eam communicando non diffunderet; cum hoc sit proprium bonitatis.
Ergo Deus non potest non producere creaturam suam bonitatem communicando: ergo
ex necessitate producit: quia non possibile non esse et necesse esse
convertuntur, ut patet in II perihermeneias.
12. En 2 Tm 2, 13, il est dit: "Dieu demeure fidèle et il ne peut
se (re)nier[9]". Mais, comme il est sa propre bonté, il se renierait
lui-même, s'il reniait sa bonté. Il la nierait, s'il ne la diffusait pas en la
communiquant, puisque c'est cela le propre de la bonté. Donc Dieu ne peut pas
ne pas produire une créature en communiquant sa bonté. Donc il produit par
nécessité; parce qu'il n'est pas possible que le non être et l'être nécessaire
soient convertibles, comme cela paraît dans le Perihermeneias (II, 3, 22 a 3).
q. 3 a. 15 arg. 13
Praeterea, secundum Augustinum, patrem generare filium, est patrem dicere se
suo verbo. Sed Anselmus dicit, quod eodem verbo pater dicit se et creaturam.
Cum ergo generatio filii a patre sit naturaliter et non per imperium
voluntatis, videtur quod etiam creaturarum productio: nam apud Deum non differt
dicere et facere; cum scriptum sit, Ps. XXXII, 9: dixit, et facta sunt.
13. Selon Augustin, le fait que le Père engendre le Fils, c'est le Père
qui se dit par son Verbe. Mais Anselme dit (Monologium
31[10]) que par le même verbe le Père se dit et dit la créature. Donc puisque
la génération du Fils par le Père est naturelle et non par le pouvoir de sa
volonté, il semble qu'il en est de même pour la production des créatures; car
en Dieu dire et faire ne sont pas différents, puisqu'il est écrit Ps. 32, 9: "Il
dit, et cela fut fait."
q. 3 a. 15 arg. 14
Praeterea, omnis volens de necessitate vult suum ultimum finem, sicut homo de
necessitate vult esse beatus. Sed ultimus finis divinae voluntatis est suae
bonitatis communicatio: propter hoc enim producit creaturas, ut suam bonitatem
communicet. Ergo Deus hoc de necessitate vult, ergo et ex necessitate producit.
14. Tout ce qui veut par nécessité veut sa fin ultime, comme l'homme veut
nécessairement être heureux. Mais la fin ultime de la volonté divine est la
communication de sa bonté; il produit des créatures pour communiquer sa bonté.
Donc Dieu le veut nécessairement, donc il produit par nécessité.
q. 3 a. 15 arg. 15
Praeterea, sicut Deus est per se bonum, ita est per se necessarium. Sed in Deo,
quia est per se bonus, nihil est nisi bonum. Ergo et similiter in eo nihil est
nisi necessarium; et ita ex necessitate producit res.
15. Dieu est bon en soi; de même il est nécessaire en soi. Mais en
Dieu, parce qu'il est bon en soi, il n'y a rien sinon le bien. Donc et de la
même manière, en lui il n'y a rien qui ne soit nécessaire et ainsi il produit
les créatures par nécessité.
q. 3 a. 15 arg. 16 Praeterea, voluntas Dei est
determinata ad unum, scilicet ad bonum. Sed natura
propter hoc ex necessitate operatur, quia est determinata ad unum. Ergo et
voluntas divina ex necessitate operatur creaturas.
16. La volonté de Dieu est déterminée à un seul objet, c'est-à-dire au
bien. Mais la nature opère par nécessité, parce qu'elle est déterminée à un
seul effet. Donc la volonté divine crée les créatures par nécessité.
q. 3 a. 15 arg. 17
Praeterea, pater virtute naturae suae est principium filii et spiritus sancti,
ut Hilarius dicit. Sed eadem natura quae est in patre et filio, est etiam in
spiritu sancto. Ergo eadem ratione ipse spiritus sanctus est principium
naturaliter. Sed non est principium nisi creaturae. Ergo creatura naturaliter
procedit a Deo.
17. Le Père par le pouvoir de sa nature est le principe du Fils et de
l'Esprit Saint, comme Hilaire le dit (Livre des Synodes). Mais la même nature
est dans le Père, le Fils et aussi dans l'Esprit Saint. Donc, pour la même
raison, l'Esprit Saint lui-même est principe par nature. Mais il ne l'est que
pour la créature. Donc la créature procède naturellement de Dieu.
q. 3
a. 15 arg. 18 Praeterea, effectus procedit a causa agente. Ergo agens non comparatur ad effectum nisi per hoc
quod comparatur ad actionem vel operationem. Sed comparatio operationis vel
actionis divinae ad ipsum est naturalis, cum actio Dei sit sua essentia. Ergo
similiter ad effectum comparatur naturaliter producendo ipsum.
18. L'effet procède de la cause efficiente. Donc l'agent n'est comparé
à l'effet que parce ce qu'il est comparé à l'action ou à l'opération. Mais la
comparaison de l'opération ou de l'action de Dieu à lui-même est naturelle,
puisque son action est son essence. Donc de même, il est comparé à l'effet en
le produisant lui-même naturellement.
q. 3 a. 15 arg. 19
Praeterea, a per se bono non fit aliquid nisi bonum et bene. Ergo et a per se necessario non fit aliquid nisi
necessarium et necessario. Sed Deus est huiusmodi. Ergo omnia
procedunt ab ipso ex necessitate.
19. Du bien en soi ne se fait que ce qui est bon et bien. Donc du
nécessaire en soi ne se fait que quelque chose de nécessaire et nécessairement.
Mais Dieu est de ce genre. Donc tout procède de lui par nécessité.
q. 3 a. 15 arg. 20
Praeterea, cum id quod est per se, sit prius eo quod est per aliud, oportet primum
agens agere per suam essentiam. Sed sua essentia et sua natura idem est. Ergo
agit per naturam suam; et ita naturaliter creaturae ab eo procedunt.
20. Comme ce qui est par soi est avant ce qui est par un autre, il faut
que le premier agent agisse par son essence. Mais son essence et sa nature sont
un même attribut. Donc il agit par sa nature, et ainsi les créatures procèdent
de lui naturellement.
En sens contraire:
q. 3 a. 15 s. c. 1
Sed contra. Est quod Hilarius dicit: omnibus creaturis substantiam Dei voluntas
attulit; et ibidem: tales sunt creaturae quales Deus eas esse voluit. Ergo Deus producit creaturas per voluntatem, non per
naturae necessitatem.
1. Il y a ce qu'Hilaire dit dans le Livre des synodes: "La volonté
de Dieu apporte leur substance à toutes les créatures." et au même endroit:
"Les créatures sont telles que Dieu a voulu qu'elles soient". Donc
Dieu produit les créatures par volonté, non par nécessité de nature.
q. 3 a. 15 s. c. 2
Praeterea, Augustinus in XII Confess., ad Deum loquens, ait duo fecisti, domine:
unum prope te, scilicet Angelum, et aliud prope nihil, scilicet materiam.
Neutrum tamen est de natura tua: quia neutrum est quod tu es. Sed filius pro
tanto naturaliter a patre procedit, quia eamdem habet naturam quam pater, ut Augustinus
dicit. Ergo creatura non procedit a Deo naturaliter.
2. Augustin dans Les Confessions
(XII, 7) parlant à Dieu dit: Tu as fait, Seigneur, deux créatures: l'une proche
de toi, à savoir l'ange et l'autre proche du néant, à savoir la matière.
Cependant ni l'une, ni l'autre ne sont de ta nature, parce que ni l'une ni
l'autre est ce que tu es. Mais le Fils pour autant procède du Père
naturellement, parce qu'il a la même nature que lui, comme Augustin le dit (La Trinité, XV, 14[11]). Donc la
créature ne procède pas de Dieu naturellement[12].
Réponse:
q. 3 a. 15 co.
Respondeo. Dicendum quod, absque omni dubio, tenendum est quod Deus ex libero
arbitrio suae voluntatis creaturas in esse produxit nulla naturali necessitate.
Quod potest esse manifestum ad praesens quatuor rationibus:
Sans aucun doute, il faut croire que Dieu fit venir les créatures à
l'être par le libre arbitre de sa volonté, sans aucune nécessité naturelle. Ce
qui peut être montré à présent par quatre raisons:
quarum prima est, quod oportet dicere universum aliquem finem habere:
alias omnia in universo casu acciderent; nisi forte diceretur, quod primae
creaturae non sunt propter finem, sed ex naturali necessitate; posteriores vero
creaturae sunt propter finem; sicut et Democritus ponebat caelestia corpora
esse a casu facta, inferiora vero a causis determinatis, quod improbatur in II
Phys., per hoc quod ea quae sunt nobiliora, non possunt esse minus ordinata
quam indigniora. Necesse est igitur dicere, quod in productione creaturarum a
Deo sit aliquis finis intentus.
1) Première raison: Il faut dire que l'univers a une fin[13]; autrement
tout y arriverait par hasard; à moins qu'on dise que les premières
créatures[14] ne sont pas finalisées mais dépendent d'une nécessité de nature;
mais les créatures suivantes sont en vue d'une fin; ainsi Démocrite pensait que
les corps célestes étaient dus au hasard, mais les êtres inférieurs à des
causes déterminées, ce qui est désapprouvé en Physique (II, 4, 196 a 28 - b 4[15]), parce que, ce qui est plus noble,
ne peut pas être moins ordonné que ce qui l'est moins. Donc il est nécessaire
de dire que, dans la production des créatures par Dieu, il y a une fin
recherchée.
Invenitur autem agere propter finem et voluntas et natura,
sed aliter et aliter. Natura enim, cum non cognoscat nec finem nec rationem
finis, nec habitudinem eius, quod est ad finem in finem, non potest sibi
praestituere finem, nec se in finem movere aut ordinare vel dirigere; quod
quidem competit agenti per voluntatem, cuius est intelligere et finem et omnia
praedicta. Unde agens per voluntatem sic agit propter finem, quod praestituit
sibi finem, et seipsum quodammodo in finem movet, suas actiones in ipsum
ordinando. Natura vero tendit in finem sicut mota et directa ab alio
intelligente et volente, sicut patet in sagitta, quae tendit in signum
determinatum propter directionem sagittantis; et per hunc modum a philosophis
dicitur, quod opus naturae est opus intelligentiae. Semper autem quod est per
aliud, est posterius eo quod est per se. Unde oportet quod
primum ordinans in finem, hoc faciat per voluntatem; et ita Deus per voluntatem
creaturas in esse produxit, non per naturam. Nec est instantia de filio, quod
naturaliter procedit a patre, cuius generatio creationem praecedit: quia filius
non procedit ut ad finem ordinatus, sed ut omnium finis.
On trouve que la volonté et la nature agissent en vue d'une fin, mais
de façons différentes. En effet, comme la nature ne connaît ni la fin ni sa
raison, ni sa relation de la fin à la fin, elle ne peut s'en fixer une; ni
aller vers cette fin, ni l'ordonner, ni la diriger, ce qui appartient à l'agent
volontaire dont c'est le propre de comprendre (intelligere) la fin, etc.. C'est
pourquoi un agent volontaire agit en vue d'une fin, parce qu'il se l'est assignée
et il va lui-même d'une certaine manière vers elle, en y ordonnant ses actions.
Mais la nature tend à sa fin comme mue et dirigée par un autre, pourvu d'esprit
et de volonté, comme cela paraît pour la flèche qui tend à une cible déterminée
par l'action dirigée par l'archer et ainsi les philosophes disent que l'oeuvre
de la nature est celle d'une intelligence. Mais toujours ce qui dépend d'un
autre est postérieur à ce qui est par soi. C'est pourquoi il faut que celui qui
ordonne en premier vers une fin, le fasse par volonté. Et ainsi Dieu a fait
venir à l'être des créatures par sa volonté, non par nature. Et ce n'est pas le
cas du Fils parce qu'il procède naturellement du Père; sa génération a précédé
la création: parce qu'il ne procède pas comme ordonné à une fin, mais comme la
fin de tout.
Secunda vero ratio est, quia natura est
determinata ad unum. Cum autem omne agens sibi simile producat, oportet quod
natura ad illam similitudinem tendat producendam quae est determinate in uno.
Cum autem aequalitas ab unitate causetur, inaequalitas vero ex multitudine quae
vario modo se habet (ratione cuius non est aliquid alteri aequale nisi uno
modo, inaequale vero secundum multos gradus) natura semper facit sibi aequale,
nisi sit propter defectum virtutis activae, vel receptivae sive passivae.
Defectus autem passivae potentiae Deo non praeiudicat, cum ipse materiam non
requirat; nec iterum virtus sua est deficiens, sed infinita. Unde hoc solum ab eo procedit
naturaliter quod est sibi aequale, scilicet filius. Creatura vero, quae est
inaequalis, non naturaliter, sed per voluntatem procedit; sunt enim multi
gradus inaequalitatis. Nec potest dici quod divina virtus ad unum determinetur
tantum, cum sit infinita. Unde cum divina virtus se extendat ad diversos gradus
inaequalitatis in creaturis constituendos; quod in hoc gradu determinato
creaturam constituit, ex arbitrio voluntatis fuit, non ex naturali necessitate.
2) Seconde raison: la nature est déterminée à un seul effet[16]. Et
comme tout agent produit du semblable à lui, il faut que la nature tende à
produire cette ressemblance, qui est déterminée à un seul objet. Mais comme
l'égalité est causée par l'unité, l'inégalité par la pluralité qui se comporte
de manière variée (pour la raison que rien n'est égal à autre chose que d'une
seule manière et inégal en de nombreux degrés); la nature fait toujours de
l'égal à soi, sauf défaillance du pouvoir qui agit, qui reçoit ou qui subit.
Mais la défaillance de la puissance passive ne porte pas préjudice à Dieu
puisqu'il n'a pas besoin de matière; et en plus son pouvoir n'est pas
défaillant, mais infini. C'est pourquoi, seul procède de lui naturellement, ce
qui lui est égal, c'est-à-dire son Fils. Mais la créature qui est inégale,
procède non pas naturellement, mais par volonté. Car il y a de nombreux degrés
d'inégalité. Et on ne peut pas dire que le pouvoir divin soit déterminé à un
seul effet seulement, puisqu'il est infini. C'est pourquoi, comme le pouvoir
divin s'étend pour constituer différents degrés d'inégalité dans les créatures,
qu'il ait établi la créature à un degré déterminé dépend du libre arbitre de sa
volonté, mais non d'une nécessité naturelle.
Tertia ratio est, quia cum omne agens agat sibi simile
aliquo modo, oportet quod effectus in sua causa aliqualiter praeexistat. Omne
autem quod est in aliquo, est in eo per modum eius in quo est; unde cum ipse
Deus sit intellectus, creaturae in ipso intelligibiliter praeexistunt propter
quod dicitur Ioan. I, 3: quod factum est, in ipso vita erat. Quod autem est in
intellectu, non producitur nisi mediante voluntate: voluntas enim est executrix
intellectus et intelligibile voluntatem movet; et ita oportet quod res creatae
a Deo processerint per voluntatem.
3) Troisième raison: puisque tout agent produit du semblable à lui, d'une
certaine manière, il faut que l'effet préexiste en quelque sorte dans sa cause.
Mais tout ce qui est dans une chose y est par le mode de celle en qui elle est;
c'est pourquoi, comme Dieu lui-même est un esprit, les créatures préexistent en
lui de façon intelligible, c'est pour cela qu'on dit en Jn 1, 3: "Ce qui a
été fait, était vie en lui[17]". Mais ce qui est dans l'intellect ne
procède que par l'intermédiaire de la volonté: car la volonté accompli ce qui
est pensé et l'intelligible met en mouvement la volonté et ainsi il faut que
les créatures procède de Dieu par volonté[18].
Quarta ratio est, quia, secundum philosophum, duplex est
actio:
4) Quatrième raison[19]: Selon le Philosophe (Métaphysique, IX, 8, 1050 a 23 - B 2) l'action est double:
quaedam quae consistit in ipso agente, et est perfectio et
actus agentis, ut intelligere, velle et huiusmodi:
1) L'une qui demeure dans l'agent lui-même; et est sa perfection et son
acte, comme abstraire (intelligere), vouloir, etc..
quaedam vero quae egreditur ab agente in patiens extrinsecum
et est perfectio et actus patientis, sicut calefacere, movere et huiusmodi.
Actio autem Dei non potest intelligi ad modum huiusmodi secundae actionis, eo
quod, cum actio sua sit eius essentia, non egreditur extra ipsum: unde oportet
quod intelligatur ad modum primae actionis quae non est nisi in intelligente et
volente, vel etiam sentiente; quod etiam in Deum non cadit: quia actio sensus
licet non tendat in aliquid extrinsecum, est tamen ab actione extrinseci. Per
hoc igitur Deus agit quidquid extra se agit, quod intelligit et vult. Nec hoc
generationi filii praeiudicat quae est naturalis, quia huiusmodi generatio non
intelligitur terminari ad aliquid quod sit extra divinam essentiam. Necessarium
est igitur dicere omnem creaturam a Deo processisse per voluntatem, et non per
necessitatem naturae.
2) L'autre qui sort de l'agent dans un patient extérieur et c'est la
perfection et l'acte de celui qui reçoit, comme réchauffer, mouvoir et autres
actions de ce genre. Mais l'action de Dieu ne peut être comprise à la manière
de cette seconde action, parce que, comme elle est son essence, elle ne sort
pas de lui. C'est pourquoi il faut la comprendre à la manière de la première
action qui n'est que dans celui qui pense (intelligit) et veut, - ou même
éprouve des sensations; ce qui n'arrive pas en Dieu -; parce que, bien que
l'action du sens ne tende pas à quelque chose d'extérieur, elle dépend
cependant d'une action extérieure. De ce fait donc, Dieu fait ce qu'il fait
hors de lui, parce qu'il le pense (intelligit) et le veut. Et cela ne porte pas
préjudice à la génération du Fils qui est naturelle, parce qu'une génération de
ce genre n'est pas comprise comme se terminant à quelque chose hors de
l'essence divine. Donc il est nécessaire de dire que toute créature a procédé
de Dieu par volonté et non par nécessité de nature.
Solutions
q. 3 a. 15 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod similitudo Dionysii est intelligenda quantum ad
universitatem diffusionis; sol enim in omnia corpora radios effundit, non
discernendo unum ab alio, et similiter divina bonitas. Non autem intelligitur
quantum ad privationem voluntatis.
# 1. Il faut comprendre l'image de Denys quant à l'universalité de la
diffusion; car le soleil répand ses rayons sur tous les corps, sans distinguer
l'un de l'autre. Il en est de même pour la bonté divine. Mais ce n'est pas
compris comme un manque de volonté[20].
q. 3 a. 15 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod ex perfectione divinae naturae est quod virtute naturae
divinae, ipsius naturae similitudo creaturis communicetur, non tamen haec
communicatio fit per necessitatem naturae sed per voluntatem.
# 2. C'est à partir de la perfection de la nature divine que, par son
pouvoir, sa ressemblance de la nature même est communiquée aux créatures,
cependant cette communication ne se fait pas par nécessité de nature, mais par
volonté.
q. 3 a. 15 ad 3 Et per hoc patet responsio ad
tertium.
# 3. Et par là paraît la solution à la troisième objection.
q. 3 a. 15 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod natura non subiacet voluntati in his quae sunt intima
rei, sed quantum ad ea quae sunt extra rem, nihil prohibet naturam subiici
voluntati; unde et in motu locali in animalibus natura musculorum et nervorum
subiacet appetitui imperanti; unde nec est inconveniens, si virtute naturae
divinae, creaturae producantur in esse secundum arbitrium divinae voluntatis.
# 4. La nature n'est pas soumise à la volonté dans ce qui est l'intime
de la chose, mais quant à ce qui hors d'elle, rien n'empêche la nature d'être
soumise à la volonté; c'est pourquoi dans un mouvement local chez les animaux,
l'ensemble des muscles et des nerfs est soumis à l'appétit qui les gouverne;
aussi ce n'est pas inconvenant si, par le pouvoir de la nature divine, les
créatures sont amenées à l'existence en raison du libre arbitre de la volonté
divine.
q. 3 a. 15 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod bonum est proprium obiectum voluntatis; unde bonitas
Dei, in quantum est ad ipso volita et amata, mediante voluntate est creaturae
causa.
# 5. Le bien est l'objet propre de la volonté; c'est pourquoi la bonté
de Dieu, dans la mesure où elle est pour ce qu'il veut et aime, est cause de la
créature par l'intermédiaire de la volonté.
q. 3 a. 15 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod licet voluntas et natura, prout in Deo sunt, sint,
secundum rem, idem, differunt tamen ratione, secundum quod per ea diversimode
designatur respectus ad creaturam; natura enim importat respectum ad aliquid
unum determinate, non autem voluntas.
# 6. Bien que la volonté et la nature, selon qu'elles sont en Dieu,
soient en réalité un même attribut, elles diffèrent cependant en raison, selon
que, à travers elles, on désigne diversement le rapport à la créature; car la
nature établit un rapport à une seule chose de façon déterminée, mais pas la
volonté.
q. 3 a. 15 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod non est ex immobilitate naturae solum quod aliquid ex
necessitate producit, sed ex eius determinatione ad unum quae non competit
divinae voluntati, licet in ea sit immobilitas summa.
# 7. Ce n'est pas par l'immutabilité de la nature seulement que quelque
chose produit par nécessité, mais par sa détermination à un effet, ce qui
n'appartient pas à la volonté divine; bien qu'en elle il y ait l'immutabilité
suprême.
q. 3 a. 15 ad 8 Ad
octavum dicendum, quod licet operatio Dei naturaliter ei competat, cum sit eius
natura vel essentia, effectus tamen creaturae operationem consequitur, quae per
modum intelligendi consideratur, ut principium voluntatis, sicut et effectus
calefactionis sequitur secundum modum caloris.
# 8. Bien que l'opération de Dieu lui convienne naturellement,
puisqu'elle est sa nature et son essence, cependant l'effet accompagne
l'opération de la créature, qui est considérée par mode de compréhension, comme
principe de la volonté, comme l'effet de l'échauffement découle du mode de la
chaleur.
q. 3 a. 15 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod licet Deus sit infinitus, est tamen finis ad quem omnia
ordinantur. Non enim est infinitus privative, sicut finitum est passio
quantitatis quae nata est habere finem; hoc enim modo finis neque infinitus,
neque finitus est. Dicitur autem infinitus negative, quia nullo modo finitur.
# 9. Bien que Dieu soit infini, il est cependant la fin à laquelle tout
est ordonné. Car il n'est pas infini de façon privative[21], ainsi le fini est
ce qui supporte une grandeur, destinée à avoir une fin, car de cette manière la
fin n'est ni infinie, ni finie. Mais on désigne l'infini de façon négative,
parce qu'il n'est fini en aucune manière.
q. 3 a. 15 ad 10 Ad
decimum dicendum, quod licet Deus operetur in quantum est bonus, et bonitas ei
necessario insit, non tamen sequitur quod de necessitate operetur. Bonitas enim
mediante voluntate operatur, in quantum est eius obiectum vel finis; voluntas
autem non necessario se habet ad ea quae sunt ad finem; licet respectu ultimi
finis necessitatem habeat.
# 10. Bien que Dieu opère dans la mesure où il est bon, et que sa bonté
soit nécessairement en lui, il n'en découle cependant pas qu'il opère par
nécessité. Car la bonté opère par l'intermédiaire de la volonté, dans la mesure
où elle en est l'objet ou la fin; mais la volonté ne se comporte pas
nécessairement pour ce qui concerne la fin, bien qu'elle soit nécessaire par
rapport à la fin ultime.
q. 3 a. 15 ad 11 Ad
undecimum dicendum, quod quantum ad id quod in ipso Deo est, non potest attendi
aliqua possibilitas, sed sola necessitas naturalis et absoluta; respectu vero
creaturae potest ibi considerari possibilitas, non secundum potentiam passivam,
sed secundum potentiam activam, quae non limitatur ad unum.
# 11. Quant à ce qui est en Dieu lui-même, on ne peut atteindre aucune
possibilité, mais la seule nécessité naturelle et absolue; mais par rapport à
la créature, on peut y considérer la possibilité, non selon la puissance
passive, mais selon la puissance active qui n'est pas limitée à un seul objet.
q. 3 a. 15 ad 12 Ad
duodecimum dicendum, quod si Deus hoc modo suam bonitatem negaret quod aliquid
contra suam bonitatem faceret, vel in quo sua bonitas non exprimeretur,
sequeretur per impossibile quod negaret se ipsum. Non autem hoc sequeretur, si
etiam nulli bonitatem suam communicaret. Suae enim bonitati nihil deperiret, si
communicata non esset.
# 12. Si Dieu reniait sa bonté de cette manière en faisant quelque
chose contre elle, ou quelque chose en quoi sa bonté ne serait pas exprimée, il
en découlerait par impossible, qu'il se renierait lui-même. Mais cette
conséquence n'existerait pas, s'il ne communiquait sa bonté à personne. Car
rien ne manquerait à sa bonté si elle n'était pas communiquée[22].
q. 3 a. 15 ad 13 Ad
decimumtertium dicendum, quod licet ipsum verbum Dei naturaliter a patre
oriatur, non tamen oportet quod creaturae naturaliter procedant a Deo. Hoc autem modo pater verbo suo creaturas dicit sicut
in ipso patre sunt; in quo quidem sunt non ut per necessitatem producendae, sed
per voluntatem.
# 13. Bien que le Verbe de Dieu lui-même naisse du Père naturellement,
il ne faut cependant pas que les créatures procèdent de Dieu naturellement. Par
ce moyen, le Père dit les créatures à son Verbe, comme elles sont en lui. Elles
n'y sont pas pour être produites par nécessité, mais par volonté.
q. 3 a. 15 ad 14 Ad
decimumquartum dicendum, quod communicatio bonitatis non est ultimus finis, sed
ipsa divina bonitas, ex cuius amore est quod Deus eam communicare vult; non
enim agit propter suam bonitatem quasi appetens quod non habet, sed quasi
volens communicare quod habet: quia agit non ex appetitu finis, sed ex amore
finis.
# 14. La communication de la bonté n'est pas la fin ultime, mais c'est
la bonté divine elle-même (qui est la fin). Par son amour Dieu veut la
communiquer; car il n'agit pas à cause de sa bonté comme s'il désirait ce qu'il
n'a pas, mais comme voulant communiquer ce qu'il a; parce qu'il agit non par
désir de la fin, mais par amour de celle-ci.
q. 3 a. 15 ad 15 Ad
decimumquintum dicendum, quod sicut in Deo nihil est nisi bonum, ita in eo
nihil est nisi necessarium. Non tamen oportet quod quidquid est ab eo, procedat
per necessitatem.
# 15. En Dieu il n'y a rien que le bien; de même en lui, il n'y a rien
que le nécessaire. Il ne faut cependant pas que ce qui vient de lui procède par
nécessité.
q. 3 a. 15 ad 16 Ad
decimumsextum dicendum, quod voluntas Dei, sicut dictum est, in corp. art.,
naturaliter fertur in suam bonitatem; unde non potest velle nisi id quod est ei
conveniens, scilicet bonum; non tamen determinatur ad hoc vel illud bonum; et
ideo non oportet quod bona quae sunt, ab eo procedant per necessitatem.
# 16. La volonté de Dieu, comme on l'a dit, dans le corps de l'article,
est portée naturellement à sa bonté; c'est pourquoi il ne peut vouloir que ce
qui lui convient, à savoir le bien; cependant il n'est pas déterminé à ce bien
ou à celui-là et c'est pourquoi il ne faut pas que le bien qui existe procède
de lui par nécessité.
q. 3 a. 15 ad 17 Ad
decimumseptimum dicendum, quod licet eadem natura sit patris et filii et
spiritus sancti, non tamen eumdem modum existendi habet in tribus, et dico
modum existendi secundum relationem. In patre enim est ut non accepta ab alio,
in filio vero ut a patre accepta; unde non oportet quod quidquid convenit patri
virtute naturae suae, conveniat filio vel spiritui sancto.
# 17. Bien que le Père, le Fils et l'Esprit Saint soient d'une même
nature, cependant elle n'a pas le même mode d'existence dans les trois; et je
parle du mode d'existence selon la relation. Car dans le Père, la nature n'est
pas reçue d'un autre, dans le Fils, elle est reçue du Père, c'est pourquoi il
ne faut pas que ce qui convient au Père par le pouvoir de sa nature, convienne
au Fils et à l'Esprit Saint.
q. 3 a. 15 ad 18 Ad
decimumoctavum dicendum, quod effectus sequitur ab actione secundum modum
principii agendi; unde cum per modum intelligendi, actionis divinae principium,
prout respicit creaturam, consideretur divina voluntas quae ad creaturam non
habet necessariam habitudinem, non oportet quod creatura procedat a Deo per
necessitatem naturae, licet ipsa actio sit Dei essentia vel natura.
# 18. L'effet procède de l'action à la manière d'un principe d'action;
c'est pourquoi, comme par la manière de le comprendre, le principe de l'action
divine, selon qu'il regarde la créature, est considéré comme volonté divine,
qui n'a pas de relation nécessaire à la créature, il ne faut pas que la
créature procède de Dieu par nécessité de nature, bien que l'action elle-même
soit son essence ou sa nature.
q. 3 a. 15 ad 19 Ad
decimumnonum dicendum, quod creatura assimilatur Deo quantum ad generales
conditiones, non autem quantum ad modum participandi. Alio enim modo, esse est
in Deo et in creatura, et similiter bonitas. Unde licet a primo bono sint omnia
bona, et a primo ente sint omnia entia, non tamen a summo bono sunt omnia summe
bona, nec ab ente necessario sunt omnia per necessitatem.
# 19. La créature ressemble à Dieu pour les conditions générales, mais
non pour la manière de participer. Car, l'être est en Dieu d'une autre manière
que dans la créature, et il en est de même pour sa bonté. C'est pourquoi, bien
que tous les biens viennent du premier Bien, et tous les êtres du premier Etre,
tout ce qui est suprêmement bon ne vient pas du Bien suprême, et tout ce qui
est par nécessité ne vient pas de l'Etre nécessaire.
q. 3 a. 15 ad 20 Ad
vigesimum dicendum, quod voluntas Dei est eius essentia; unde hoc quod agit per
voluntatem non removet quin per essentiam suam agat. Non enim est voluntas Dei
aliqua intentio addita divinae essentiae, sed ipsa essentia.
# 20. La volonté de Dieu est son essence; c'est pourquoi ce qu'il fait
par volonté n'empêche pas qu'il agisse par son essence. Car la volonté de Dieu
n'est pas un intention ajoutée à l'essence divine, mais son essence elle-même.
--------------------------------------------------------------------------------
[1] Parall.: Ia, qu. 19, a. 4 –
CG. II, 23 - I Sent. d43q2, a. 1 – d45a3 – Pot. qu. 1, a. 5.
[2]
Thomas, lectio 1, , Thomas n° 270-271. Ce texte se trouve cité en I Sent.,
d43qu2a1, Ia, qu. 19, a. 1, obj. 1.
[3]
"Ce qui est par essence est premier dans n'importe quel ordre des choses,
comme dans le genre des choses ignées est premier ce qui est feu par essence."
Dieu est premier agent donc il est agent par son essence qui est sa nature.
Donc il n'agit par nature mais non par volonté" Ia, qu. 19, a. 4, obj. 2.
L'argument est attribué à Denys en II Sent., d43q2a1, obj. 2
[4]
Aristote, n° 282, Thomas, lectio. 5, n° 446. "Ajoutons encore que la
volonté concerne surtout le but et le choix, les moyens de l'atteindre."
[5]
"sans fin". Voir définition de l'infini en I, 2. Il ne peut y avoir
confusion (voulue). la fin peut être le terme de l'être. Et donc Dieu n'a pas
de fin, mais autre sens la finalité. Dieu n'est pas finalisé. C'est lui qui est
la fin de tout. La confusion sera levée par la solution.
[6]
"Tout être, disons-nous, ou bien existe toujours et nécessairement (il ne
s'agit pas de la nécessité, au sens de contrainte, mais de cette nécessité à
laquelle nous faisons appel dans la démonstration) ou bien est ce qui arrive le
plus souvent, ou bien n'est ni ce qui arrive le plus souvent, ni ce qui est
toujours et nécessairement, mais ce qui arrive n'importe comment." (Trad.
J. Tricot)
[7]
AR n° 418: "Le nécessaire est aussi le contraint et le forcé, c'est-à-dire
ce qui, contre l'impulsion et le choix délibéré, fait obstacle et empêchement.
(Trad. J. Tricot)
[8]
L'objecteur démontre qu'il y a de la nécessité en Dieu:
a.
Pas de contingence. Dieu est immuable (ce qui est contingent est ou n'est pas
suivant les époques).
b.
Il n'est pas nécessaire par contrainte.
c.
Par de nécessité sous condition: une nécessité qui viendrait de l'extérieur. Métaphysique V, 5, 1015 b 10. "Parmi
les choses nécessaires, les unes ont en dehors d'elles la cause de leur
nécessité, les autres l'ont en elles-mêmes et sont les sources des nécessités
des autres choses."
[9]
Argument déjà employé en Pot. 1, 3, à propos des promesses de Dieu et de la
vérité.
[10]
"S'il se dit lui-même et dit ce qu'il fait à son Verbe consubstantiel, il
est évident qu'il n'y a qu'une seule substance du verbe par lequel il se dit et
du verbe par lequel il dit la créature."
[11]
"En tout semblable et égal au Père."
[12]
En I Sent. d43q2a1, Sed contra: il s'appuie sur Aristote. Ce qui dépend de la
nécessité de la nature est un. Donc il n'y aurait qu'un effet, ce qui est faux
et contraire à la foi. Autre argument: l'agent par nécessité produit un effet
dans une même durée (coaevum). Donc le monde serait coéternel.
[13]
Cette première raison est déjà développée en Pot. qu. 1, a. 5, c. Cf. CG. II,
23, § 5.
[14]
Quelles sont ces premières créatures? Les corps célestes?
[15]
In Thomas 135 (45), Thomas n° 204.
[16]
Déjà exposé en Pot. 3, 13 c. Voir Ia, qu. 47, a. 1, c.
[17]
Ce texte supporte plusieurs interprétations. Thomas lui-même l'admet Super
Ioannem, lectura I, III, n° 89 , 94: les exégètes se demandent s'il faut liés quod
factum est à in ipso vita erat. (Pot 5, 3 – 9, 9 – 10, 1 c – Ia, 18 3 ad 1 –Métaphysique IX, 8, 1050 a 23. lectio I
n° 1862- 6. Il s'agit des idées en Dieu.
[18]
Seules ces trois premières raisons sont reprises plus brièvement, en Ia, qu.
19, a. 4, c.
[19]
Elle se retrouve en CG. II, 23, § 5.
[20]
Les Noms divins, 4, 1, Thomas, n° 271: "L'être du soleil n'est pas son
intellection ou son vouloir, même s'il avait un intellect et une volonté...
mais l'être divin est son intellection et son vouloir, et c'est pourquoi ce
qu'il fait par son être, il le fait par l'intellect et la volonté."
[21]
Les anciens considéraient que l'infini était ce qui étymologiquement n'est pas
fini. Voir question sur l'infini, Pot. Qu. 1, a. 2.
[22]
Ia, qu. 19, a. 3, c. "La bonté de Dieu est parfaite, rien ne l'augmente.
Donc il ne veut pas les créatures par nécessité absolue, mais par nécessité
conditionnelle." Cf. CG. I, 81.
q. 3
a. 16 tit. 1 Decimosexto quaeritur utrum ab uno primo possit procedere
multitudo. Et videtur quod non.
Il semble que non[1].
Objections.
q. 3 a. 16 arg. 1
Sicuti enim Deus est per se bonum, et per consequens summum bonum; ita est per
se et summe unum. Sed ab eo in quantum
est bonum, non potest procedere nisi bonum. Ergo nec ab eo
procedere potest nisi unum.
1. Car de même que Dieu est bon en soi, et par conséquent le Bien
suprême, de même, il est par soi souverainement un. Mais de lui en tant qu'il
est bon, ne peut provenir que le bien. Donc de lui ne peut venir qu'un
effet[2].
q. 3 a. 16 arg. 2
Praeterea, sicut bonum convertitur cum ente, ita et unum. Sed in his quae sunt entia, oportet attendi
assimilationem creaturae ad Deum, ut supra, art. praeced., dictum est. Ergo
sicut in bonitate, ita et in unitate oportet Deo creaturam assimilari, ut
scilicet sit una ab uno.
2. Le bien est convertible avec l'être, l'un aussi[3]. Mais, dans ce
que sont les êtres, il faut considérer la ressemblance de la créature à Dieu,
comme on l'a dit ci-dessus (a. 15). Donc dans la bonté comme dans l'unité, il
faut que la créature ressemble à Dieu, à savoir qu'elle soit une à partir de
l'un.
q. 3 a. 16 arg. 3
Praeterea, sicut bonum et malum opponuntur privative, si communiter
accipiantur, licet sint contraria, prout sunt habituum differentiae; ita unum
et multa opponuntur privative, ut patet in X Metaph. Sed malitiam nullo modo dicimus a Deo procedere, sed ex defectu causarum
secundarum eam incidere. Ergo nec debet poni quod multitudinis
Deus sit causa.
3. Le bien et le mal sont opposés dans le particulier; si on les
considère en commun, bien qu'ils soient contraires, alors ce sont des
différences de manière d'être; de la même manière l'un et le multiple sont
opposés[4], si on les prend dans le particulier, comme cela paraît en Métaphysique, (X, 1056 b 32[5]). Mais en
aucune manière, nous disons que le mal procède de Dieu, mais il vient de la
défaillance des causes secondes. Donc on ne doit pas penser que Dieu soit la
cause de la pluralité.
q. 3 a. 16 arg. 4
Praeterea, oportet proportionaliter accipere causas et causata, quia videlicet
singularia sunt causa singularium, et universalia universalium, ut patet per
philosophum. Sed Deus est causa maxime universalis. Ergo suus proprius effectus
est effectus maxime universalis, scilicet esse. Sed ex hoc quod res habent esse
non est multitudo, cum multitudinis sit causa diversitas vel differentia. In
esse vero omnia conveniunt. Ergo multitudo non est a Deo; sed ex causis
secundis, ex quibus causantur particulares rerum conditiones, secundum quas
etiam differunt.
4. Il faut concevoir les causes proportionnellement à leurs effets,
parce qu'il est évident que les singuliers sont causes des singuliers et les
universels causes des universels, comme cela paraît chez le Philosophe (Physique, II, 3, 195 b 25[6]). Mais Dieu
est la cause absolument universelle. Donc son effet propre est l'effet le plus
universel, à savoir l'être. Mais le fait d'avoir l'être pour les choses, ce
n'est pas la pluralité, puisque la diversité ou la différence en sont la cause.
Mais tout se rencontre dans l'être. Donc la pluralité ne vient pas de Dieu,
mais des causes secondes, qui établissent les conditions particulières des
choses, selon lesquelles elles diffèrent.
q. 3 a. 16 arg. 5
Praeterea, uniuscuiusque effectus est aliquam propriam causam accipere. Sed
impossibile est unum esse proprium multorum. Ergo impossibile est quod unum sit
causa multitudinis.
5. Le propre de chaque effet est d'accueillir une cause qui lui est
particulière. Mais il est impossible que l'un soit le propre du multiple. Donc
il est impossible que l'un soit la cause de la pluralité.
q. 3 a. 16 arg. 6 Sed dices, quod hoc tenet in
causis naturalibus, non in causis voluntariis.- Sed contra, artifex est causa
artifici per voluntatem. Procedit autem artificiatum ab artifice secundum
propriam formam illius artificiati, quae est in artifice. Ergo
etiam in voluntariis effectus quilibet requirit propriam causam.
6. Mais on pourrait dire que cela arrive dans les causes naturelles,
mais pas dans les causes volontaires.– En sens contraire, l'artisan est la
cause de son oeuvre par volonté. L'oeuvre procède de l'artisan selon la forme
propre de cet art qui est en lui. Donc, même dans ce qui est volontaire, un
effet quelconque requiert sa cause propre.
q. 3 a. 16 arg. 7
Praeterea, oportet esse conformitatem inter causam et effectum. Sed Deus est
omnino unus et simplex. Ergo in creatura, quae est eius effectus, nec multitudo
nec compositio debet inveniri.
7. Il faut une conformité entre la cause et l'effet. Mais Dieu est tout
à fait un et simple. Donc, dans la créature, qui est son effet, on ne doit
trouver ni pluralité, ni composition.
q. 3 a. 16 arg. 8
Praeterea, diversorum agentium non potest esse idem effectus immediate. Sed
sicut causa appropriatur effectui, ita effectus causae. Ergo nec eiusdem causae
possunt esse plures immediate effectus; et sic idem quod prius.
8. Il ne peut y avoir directement un effet identique qui vient d'agents
divers. Mais de même que la cause est appropriée à l'effet, l'effet l'est aussi
à la cause. Donc plusieurs effets ne peuvent venir directement de la même
cause, et ainsi de même que ci-dessus.
q. 3 a. 16 arg. 9
Praeterea, in Deo est eadem potentia generandi, spirandi et creandi. Sed
potentia generandi non est nisi ad unum, similiter nec potentia spirandi: quia
in Trinitate non potest esse nisi unus filius et unus spiritus sanctus. Ergo et
potentia creandi terminatur tantum ad unum.
9. En Dieu, il y a une même puissance pour engendrer, spirer et créer.
Mais la puissance d'engendrer n'est que pour un seul, de même pour la puissance
de spirer: parce que, dans la Trinité, il ne peut y avoir qu'un Fils unique et
un seul Esprit Saint. Donc la puissance de créer s'achève à l'un seulement.
q. 3 a. 16 arg. 10
Sed dices, quod universitas creaturarum est quodammodo unum secundum ordinem.
Sed contra, effectum oportet assimilari causae. Sed unitas Dei non est unitas
ordinis, quia in Deo non est prius nec posterius, nec superius et inferius.
Ergo non sufficit unitas ordinis ad hoc quod ab uno Deo plura possint educi.
10. Mais on pourrait dire que l'universalité des créatures est d'une
certaine manière l'un en son ordre.– En sens contraire, il faut que l'effet
ressemble à la cause. Mais l'unité de Dieu n'est pas une unité d'ordre, parce
qu'en lui, il n'y a ni avant ni après, ni supérieur ni inférieur. Donc l'unité
de l'ordre ne suffit pas pour que du Dieu unique puisse sortir une pluralité.
q. 3 a. 16 arg. 11
Praeterea, unius simplicis non est nisi una actio. Sed ab una actione non est
nisi unus effectus. Ergo ab uno simplici non potest procedere nisi unus
effectus.
11. De l'un absolu ne découle qu'une action. Mais par une action, il
n'y a qu'un seul effet. Donc de ce qui est un et simple ne peut procéder qu'un
seul effet.
q. 3 a. 16 arg. 12
Praeterea, creatura procedit a Deo, non solum sicut effectus a causa
efficiente, sed etiam sicut exemplatum ab exemplari. Sed unius exemplati est
unum exemplar proprium. Ergo a Deo non potest procedere nisi una creatura.
12. La créature procède de Dieu, non seulement comme l'effet de la
cause efficiente, mais aussi comme l'image de l'exemplaire[7]. Mais pour une
seule image, il n'y a qu'un seul modèle propre. Donc de Dieu ne peut procéder
qu'une créature.
q. 3 a. 16 arg. 13
Praeterea, Deus est causa rerum per intellectum. Agens autem per intellectum
agit per formam sui intellectus. Cum igitur in divino intellectu non sit nisi
una forma, videtur quod ab eo non possit procedere nisi una creatura.
13. Dieu est la cause des créatures par son esprit[8]. Mais l'agent qui
agit par l'intellect agit par la forme de celui-ci. Donc comme dans l'intellect
divin, il n'y a qu'une forme unique, il semble que de lui ne peut procéder
qu'une seule créature.
q. 3 a. 16 arg. 14
Sed dices, quod licet forma divini intellectus sit una secundum rem, quae est
eius essentia, tamen attenditur ibi quaedam pluralitas secundum diversos
respectus ad creaturas diversas; et sic est ibi pluralitas rationis. Sed
contra, aut isti respectus plures sunt in intellectu divino, aut sunt solum in ratione
nostra. Si primo modo, ergo sequitur quod in intellectu divino erit pluralitas
et non summa simplicitas. Si secundo modo, sequitur quod Deus non producat
creaturas diversas nisi mediante ratione nostra: ex quo oportet quod diversas
creaturas producat per diversos respectus ad creaturas qui non sunt nisi in
ratione nostra; et sic habetur propositum, scilicet quod a Deo immediate non
procedat multitudo.
14. Mais on pourrait dire que, bien que la forme de l'intellect divin
qui est son essence, soit unique en réalité, cependant on atteint là une
certaine pluralité selon les rapports divers avec des créatures diverses; et
ainsi il y a une pluralité de raison. – En sens contraire, ces relations sont
plusieurs dans l'esprit divin, ou bien elles sont seulement en notre raison.
Dans le premier cas, il découle donc que, dans l'esprit divin, il y aura une
pluralité et non une totale simplicité. Dans le second, il en découle que Dieu
ne produit des créatures différentes que par l'intermédiaire de notre raison; à
partir de là, il faut qu'il produise diverses créatures par divers rapports aux
créatures qui ne sont que dans notre raison; et ainsi on a cette affirmation
que la pluralité ne procède pas directement de Dieu.
q. 3 a. 16 arg. 15
Praeterea, Deus per apprehensionem intellectus sui res in esse producit. Sed in
eo non est nisi una apprehensio: quia suus intellectus est eius essentia, quae
est una. Ergo non producit nisi unam creaturam.
15. Dieu par la saisie de son esprit amène les choses à l'être. Mais en
lui il n'y a qu'une seule saisie, parce que son esprit est son essence, qui est
une. Donc il ne produit qu'une unique créature.
q. 3 a. 16 arg. 16
Praeterea, illud quod non habet esse nisi in ratione, non est creatum a Deo:
quia huiusmodi videntur esse quaedam vana, ut Chimaera, et huiusmodi. Sed
multitudo non est nisi in ratione: significatur enim per abstractionem a multis
quod in rerum natura non invenitur. Ergo Deus non est causa multitudinis.
16. Ce qui n'a l'être qu'en raison n'a pas été créé par Dieu; parce que
certains êtres de ce genre paraissent vains comme la chimère, etc.. Mais la
pluralité n'existe qu'en raison; car elle est signifiée par l'abstraction à
partir d'une multiplicité qu'on ne trouve pas dans la nature. Donc Dieu n'en
est pas la cause.
q. 3 a. 16 arg. 17
Praeterea, secundum Platonem, optimi est optima adducere. Sed optimum non
potest esse nisi unum. Cum igitur Deus sit optimus, ab eo non potest produci
nisi unum.
17. Selon Platon (Le Timée),
c'est au meilleur de causer le meilleur. Mais le meilleur ne peut être
qu'unique. Donc comme Dieu est le meilleur, il n'y a qu'un être qui puisse être
produit par lui.
q. 3 a. 16 arg. 18
Praeterea, unusquisque agens propter finem, facit effectum suum propinquiorem
fini quantum potest. Sed Deus producendo creaturam ordinat eam in finem. Ergo
facit eam propinquissimam fini quantum potest. Sed hoc non potest nisi uno modo
fieri. Ergo Deus non producit nisi unam creaturam.
18. Celui qui agit pour une fin, produit son effet le plus proche qu'il
peut de cette fin. Mais Dieu, en produisant la créature, l'ordonne à sa fin.
Donc il la crée la plus proche qu'il peut de la fin. Mais ce ne peut être fait
que d'une seule manière. Donc Dieu ne produit qu'une créature.
q. 3 a. 16 arg. 19
Praeterea, iniustum est quod aliquis inaequalia aliquibus tribuat, nisi aliqua
inaequalitate circa eos praecedente, vel meritorum, vel quarumcumque
conditionum diversarum. Sed operationem divinam non praecedit aliqua diversitas;
alias ipse non esset prima causa omnium. Ergo in prima rerum creatione non
dedit creaturis inaequalia dona. Sed diversitas creaturarum et multitudo
attenditur secundum hoc quod plus vel minus recipiunt de donis divinis, ut
patet in IV cap. Cael. Hierar. Ergo in prima rerum creatione Deus multitudinem
non produxit.
19. Il est injuste d'attribuer des dons inégaux à certains, sinon à
cause d'une inégalité qui précède les mérites ou de diverses conditions. Mais
il n'y a pas de diversité qui précède l'opération divine, autrement il ne
serait pas la cause première de tout. Donc dans la première création, il n'a
pas fait de dons inégaux aux créatures. Mais la diversité des créatures et la
pluralité sont atteintes selon ce qu'elles reçoivent en plus ou en moins, comme
cela paraît au chapitre 4 de La
hiérarchie céleste (P.G. 177 c). Donc dans la première création, Dieu n'a
pas produit la pluralité.
q. 3 a. 16 arg. 20
Praeterea, Deus creaturis communicat suam bonitatem quantum capaces sunt. Sed
natura superiorum creaturarum capax fuit huiusmodi perfectionis et dignitatis,
ut essent causae inferiorum creaturarum. Id enim quod est perfectius, potest
agere in id quod est eo imperfectius, et communicare ei suam perfectionem. Ergo
videtur quod Deus creaturas inferiores mediantibus superioribus produxit; et
ita ipse immediate non produxit nisi unam creaturam aliis superiorem,
quaecumque sit illa.
20. Dieu communique sa bonté à ses créatures autant qu'elles sont
capables [de la recevoir]. Mais la nature des créatures supérieures a été
capable d'une telle perfection et d'une telle dignité, d'être cause des
créatures inférieures. Car ce qui est plus parfait peut agir sur ce qui l'est
moins que lui et lui communiquer sa perfection. Donc il semble que Dieu a
produit les créatures inférieures par l'intermédiaire des créatures supérieures,
et ainsi lui-même n'a produit immédiatement qu'un seule créature supérieure aux
autres, quelle qu'elle soit[9].
q. 3 a. 16 arg. 21
Praeterea, quanto aliquae formae sunt magis immateriales, tanto sunt magis
activae, utpote magis a potentia separatae; unumquodque enim agit secundum quod
est in actu, non secundum quod est in potentia. Sed formae rerum quae sunt in
mente Angeli, sunt magis immateriales quam formae quae sunt in rebus
naturalibus. Cum ergo formae naturales sint causae formarum sibi similium,
videtur quod multo fortius formae quae sunt in mente Angeli, produxerint formas
rerum naturalium sibi similes. Diversitas autem rerum, et per consequens
multitudo, est ex forma. Ergo videtur quod
multitudo non processerit a Deo nisi mediantibus superioribus creaturis.
21. Plus certaines formes sont immatérielles, plus elles sont actives,
comme plus éloignées de la puissance. Car chacune agit selon qu'elle est en
acte, non selon qu'elle est en puissance. Mais les formes des choses qui sont
dans l'esprit de l'ange sont plus immatérielles que celles qui sont dans les
choses naturelles. Donc comme les formes naturelles sont causes de formes qui
leur sont semblables, il semble que celles qui sont dans l'esprit de l'ange ont
avec plus de force produit les formes naturelles qui leur sont semblables. Mais
la diversité des choses et par conséquent la pluralité, vient de la forme. Donc
il semble que la pluralité n'a procédé de Dieu que par l'intermédiaire des
créatures supérieures.
q. 3 a. 16 arg. 22
Praeterea, quidquid Deus facit, est unum. Ergo ab eo non est nisi unum; et ita
ipse non erit causa multitudinis.
22. Tout ce que Dieu fait est un. Donc, de lui, ne vient que l'un et
ainsi il ne sera pas cause de la pluralité.
q. 3 a. 16 arg. 23
Praeterea, Deus non intelligit nisi unum: quia nihil intelligit extra se, ut
probatur in XII Metaph. Sed ipse est causa rerum per intellectum suum. Ergo
ipse non causat nisi unum.
23. Dieu n'a qu'une pensée, parce qu'il ne pense rien hors de lui,
comme on le prouve en Métaphysique,(XII,
9, 1074 b 34[10]). Mais lui-même est cause des créatures par son esprit. Donc
il n'est cause que d'une (créature).
q. 3 a. 16 arg. 24
Praeterea, Anselmus dicit, quod creatura in Deo est creatrix essentia. Sed creatrix essentia est tantum una. Ergo et creatura in Deo est tantum
una. Sed hoc modo creatur creatura a Deo secundum
quod in ipso praecessit. Ergo a Deo non est nisi una tantum
creatura; et sic a Deo non procedit multitudo.
24. Anselme (Monologium ch.
VIII) dit que l'essence créatrice est créature en Dieu[11]. Mais elle n'est
qu'une. Donc la créature aussi est seulement une en Dieu. Mais de cette
manière, la créature est causée par Dieu selon qu'elle existe auparavant en
lui. Donc par Dieu il n'y a qu'une seule créature. Et ainsi la pluralité ne
procède pas de Dieu.
En sens contraire:
q. 3 a. 16 s. c. 1
Sed contra. Est quod dicitur Sapient. cap. XI, 21: omnia in numero et pondere
et mensura disposuisti, domine. Sed numerus non est sine multitudine. Ergo a
Deo procedit multitudo.
1. On lit en Sg. 11, 21: "Tu as tout disposé, Seigneur, en nombre,
poids et mesure." Mais il n'y a pas de nombre sans pluralité. Donc
celle-ci procède de Dieu.
q. 3 a. 16 s. c. 2
Praeterea, virtus Dei praecedit virtutem cuiuslibet alterius rei. Sed unum
punctum potest esse principium multarum linearum. Ergo sic Deus, quamvis sit
unus, potest esse principium creaturarum multarum.
2. Le pouvoir de Dieu précède celui de n'importe quelle chose. Mais un
seul point peut être le principe de nombreuses lignes. Donc, quoique Dieu soit
un, il peut être le principe de nombreuses créatures.
q. 3 a. 16 s. c. 3
Praeterea, illud quod est proprium uni in quantum est unum, maxime competit ei
quod est maxime unum. Sed proprium est unitatis quod sit multitudinis
principium. Ergo hoc maxime competit Deo quod est summe unum, quod ab eo
multitudo procedat.
3. Ce qui est propre à une chose, en tant qu'unité, convient tout à
fait à ce qui est tout à fait un. Mais le propre de l'unité est d'être le
principe de la pluralité. Donc il convient parfaitement à Dieu d'être l'Un
suprême, parce que de lui procède la multiplicité.
q. 3
a. 16 s. c. 4 Praeterea, Boetius dicit in principio arithmeticae, quod secundum
exemplar numeri Deus res in esse produxit. Sed exemplatum
exemplari conformatur. Ergo produxit res sub multitudine et numero.
4. Boèce dit au début de l'Arithmétique (ch. 2), que Dieu a amené les
choses à l'être selon l'exemplaire du nombre. Mais l'image est conforme à
l'exemplaire. Donc il a produit les choses sous la pluralité et le nombre.
q. 3 a. 16 s. c. 5
Praeterea, in Psal. CIII, 24, dicitur: omnia in sapientia fecisti. Sed cum
sapientis sit ordinare, oportet ea quae per sapientiam fiunt, ordinem habere,
et per consequens multitudinem. Ergo rerum multitudo a Deo processit.
5. Dans le Ps. 103, 24, on dit: "Tu as tout fait avec sagesse".
Mais comme le propre de la sagesse c'est d'ordonner, il faut que ce qui est
fait avec sagesse, ait l'ordre et par conséquent la pluralité. Donc celle-ci
provient de Dieu.
Réponse:
q. 3 a. 16 co Respondeo.
Dicendum, quod multa non posse procedere ab uno principio immediate et proprie,
videtur esse ex determinatione causae ad effectum, ex qua videtur debitum et
necessarium ut si est talis causa, talis effectus proveniat. Causae autem sunt
quatuor, quarum duae, scilicet materia et efficiens, praecedunt causatum,
secundum esse internum; finis vero etsi non secundum esse, tamen secundum
intentionem; forma vero neutro modo, secundum quod est forma; quia cum per eam
causatum esse habeat, esse eius simul est cum esse causati; sed in quantum
etiam ipsa est finis, praecedit in intentione agentis. Et quamvis forma sit
finis operationis, ad quem operatio agentis terminatur, non tamen omnis finis
est forma. Est enim aliquis finis intentionis praeter finem operationis, ut
patet in domo. Nam forma eius est finis terminans operationem aedificatoris;
non tamen ibi terminatur intentio eius, sed ad ulteriorem finem, quae est
habitatio; ut sic dicatur, quod finis operationis est forma domus, intentionis
vero habitatio.
Que beaucoup de choses ne puissent procéder d'un seul principe
immédiatement et en propre, cela semble venir de la limitation de la cause par
l'effet; par elle il semble nécessaire que, s'il y a telle cause, il en
provienne tel effet. Les causes sont au nombre de quatre, dont deux,
c'est-à-dire la cause matérielle et la cause efficiente, précèdent l'effet
selon l'être interne. Mais la fin, même si elle ne concerne pas l'être,
concerne l'intention; la forme (ne la concerne) en aucune manière, en tant que
telle, parce que, comme l'être est causé par elle, elle existe en même temps
que l'être de l'effet; mais dans la mesure même où elle-même est la fin, elle
est avant dans l'intention de l'agent. Et quoique la forme soit la fin de
l'opération, à laquelle celle de l'agent se termine, toute fin n'est pas une
forme. Car il y a une fin de l'intention au delà de la fin de l'opération,
comme cela paraît dans une maison. Car sa forme est la fin qui termine
l'opération du bâtisseur; cependant son intention ne se termine pas là, mais à
une fin ultérieure qui est l'habitation; de sorte qu'on dit que la fin de
l'opération est la forme de la maison, mais celle de son intention c'est
l'habitation.
Debitum igitur essendi tale causatum non potest esse ex
forma in quantum est forma, quia sic concomitatur causatum; sed vel ex virtute
causae efficientis, vel ex materia vel ex fine, sive sit finis intentionis,
sive finis operationis. Non potest autem dici in Deo, quod effectus eius habeat
debitum essendi ex materia. Nam cum ipse sit totius esse auctor, nihil quolibet
modo esse habens praesupponitur eius actioni, ut sic ex dispositione materiae
necesse sit dicere talem vel talem eius esse effectum. Similiter nec ex
potentia effectiva. Nam cum eius activa potentia sit infinita, non terminatur
ad unum nisi ad id quod esset aequale sibi, quod nulli effectui competere
potest.
Un tel effet nécessaire de l'être ne peut venir de la forme en tant que
telle, parce que, ainsi, elle accompagne l'effet; mais [il peut venir] du
pouvoir de la cause efficiente, de la matière ou de la fin, soit que ce soit la
fin de l'intention ou la fin de l'opération. Mais on ne peut pas dire qu'en
Dieu son effet a un dû d'être de la matière[12]. En effet, comme lui-même est
auteur de tout l'être, rien ayant l'être de quelque manière n'est présupposé à
son action, de sorte qu'ainsi, par la disposition de la matière, il soit
nécessaire de dire que son effet est tel ou tel. De la même manière, il ne peut
venir de la puissance effective (efficiente) non plus. Car comme sa puissance
active est infinie, elle ne se termine à l'un que pour ce qui lui serait égal,
ce qui ne peut convenir à aucun effet.
Unde, si inferiorem sibi effectum producere sit necesse,
potentia sua, quantum in se est, non terminatur ad hunc vel illum distantiae
gradum, ut sic debitum sit ex ipsa virtute activa talem vel talem effectum
produci.
C'est pourquoi, s'il est nécessaire de produire un effet qui lui soit
inférieur, sa puissance, pour ce qui est d'elle, ne se finit pas à telle ou
telle distance, de sorte à être obligée de produire tel ou tel effet. par son
pouvoir actif.
Similiter nec ex fine intentionis. Hic enim finis est divina
bonitas, cui nihil accrescit ex effectuum productione. Nec iterum per effectus
potest totaliter repraesentari vel eis totaliter communicari, ut sic possit
dici, quod debitum sit talem vel talem Dei effectum esse, ut totaliter divinam
bonitatem participet, sed possibile est effectum multis modis eam participare;
unde nullius eorum necessitas est ex fine. Sic ex fine necessitas sumitur,
quando intentio finis compleri non potest vel omnino, vel inconvenienter, nisi
hoc vel illo existente.
De la même manière, cela ne vient pas de la fin intentionnelle. Car
cette fin est la bonté divine qui n'est en rien accrue par la production des
effets. Et en plus par les effets il ne peut être représenté totalement ou
communiqué totalement à eux, de sorte qu'on puisse dire qu'il est nécessaire
qu'il y ait tel ou tel effet pour recevoir en totalité la bonté divine, mais il
est possible que l'effet la reçoive de nombreuses manières. C'est pourquoi la
nécessité d'aucun d'eux ne vient de la fin. Ainsi la nécessité vient de la fin
quand son intention ne peut être accomplie, ou totalement ou d'une manière
inconvenante, que par l'existence de ceci ou cela.
Relinquitur igitur quod debitum in operibus divinis esse non
potest nisi ex forma, quae est finis operationis. Ipsa enim cum non sit
infinita, habet determinata principia, sine quibus esse non potest; et
determinatum modum essendi, ut si dicamus, quod supposito quod Deus intendat
hominem facere, necessarium est et debitum quod animam rationalem ei conferat
et corpus organicum, sine quibus homo esse non potest. Et similiter possumus
dicere in universo. Quod enim Deus tale universum constituere voluerit, non est
necessarium neque debitum, neque ex fine neque ex potentia efficientis, neque
materiae, ut ostensum est.
Il reste donc que ce qui est dû dans les oeuvres divines ne peut
exister que de la forme qui est la fin de l'opération. En effet, comme elle
n'est pas infinie, elle possède des principes déterminés, sans lesquels elle ne
peut exister; et un mode déterminé d'être, comme si on disait que, supposé que
Dieu ait l'intention de faire un homme, il doit nécessairement lui conférer un
dû qui est l'âme rationnelle et un corps organique sans lesquels il ne peut pas
exister. Et nous pouvons dire la même chose pour l'univers. Car que Dieu ait
voulu constituer une tel univers, ce n'est ni nécessaire ni dû à cause de la
fin, de la puissance de l'efficience, ni de celle de la matière, comme on l'a
montré.
Sed supposito quod tale universum producere voluerit,
necessarium fuit quod tales et tales creaturas produxerit, ex quibus talis
forma universi consurgeret. Et cum ipsa universi perfectio et multitudinem et
diversitatem rerum requirat, quia in una earum inveniri non potest propter
recessum a complemento bonitatis primae; necesse fuit ex suppositione formae
intentae quod Deus multas creaturas et diversas produceret; quasdam simplices,
quasdam compositas; et quasdam corruptibiles, et quasdam incorruptibiles.
Mais supposé qu'il ait voulu produire une tel univers, il lui a été
nécessaire de produire telles ou telles créatures, desquelles surgirait une
telle forme de l'univers. Et comme la perfection de l'univers demande la
pluralité et la diversité des créatures, parce qu'elle ne peut pas y être
trouvée dans l'une de ces créatures seulement, parce qu'elle est loin de la
perfection de la bonté première, il a été nécessaire, en supposant cette forme
recherchée, que Dieu produise des créatures nombreuses et diverses, certaines
simples, d'autres composées, certaines corruptibles, d'autres incorruptibles.
Hoc autem quidam philosophi non considerantes, diversimode a
veritate deviaverunt.
Certains philosophes[13], qui n'ont pas pris en compte ces
considérations, ont dévié de la vérité de diverses manières.
Quidam namque non intelligentes Deum universi esse auctorem,
posuerunt materiam non ab alio existentem, et ex eius necessitate rerum
diversitatem produci, vel secundum raritatem vel secundum spissitudinem
materiae res diversificantes, ut antiquissimi naturalium philosophorum, qui
tantum causam materialem perceperunt; vel secundum actionem alicuius causae
efficientis, quae secundum diversitatem materiae diversos effectus producebat,
sicut Anaxagoras posuit intellectum divinum, qui diversas res producebat, eas a
commixtione materiae segregando, et sicut Empedocles, qui per amicitiam et
litem, secundum diversitatem materiae diversos effectus vario modo distinctos vel
coniunctos ponebat.
A) Car certains ne comprenant pas que Dieu est l'auteur de l'univers
ont pensé que la matière n'existait pas par un autre (que lui[14]), que la
diversité des créatures était produite par sa nécessité, qu'ils n'apportaient
la diversification selon la rareté ou la densité de la matière, comme les plus
anciens des philosophes Naturalistes qui n'ont découvert que la cause
matérielle, ou selon l'action d'une cause efficiente qui, selon la diversité de
la matière, produisait des effets divers, comme Anaxagore qui a pensé que
l'esprit divin produisait diverses choses, en extrayant ce qui était mélange
dans la matière; et comme Empédocle qui pensait que par l'amitié et le procès,
il y avait, selon la diversité de la matière, divers effets distincts ou
conjoints sous un mode varié.
Quorum falsitas apparet ex duobus.
Leur erreur apparaît de deux manières.:
Primo ex hoc quod non ponebant omne esse a primo et summo
ente effluere, quod in alia quaestione est ostensum.
a) Du fait qu'ils ne pensaient pas que tout être découle de l'être
premier et suprême, ce qui a été montré dans une autre question.
Secundo, quia secundum eos sequebatur quod partium universi
distinctio et earum ordo essent a casu; quia sic necesse erat propter materiae
necessitatem.
b) Parce que, selon eux, il en découlait que la distinction des parties
de l'univers et leur ordre venaient du hasard, et parce qu'il était nécessaire
à cause de la nécessité de la matière.
Alii pluralitatem rerum et modos diversos earum ex necessitate
causae efficientis ponebant, sicut Avicenna, et eius sequaces. Posuit enim,
quod primum ens, in quantum intelligit se ipsum, producit unum tantum causatum,
quod est intelligentia prima, quam necesse erat a simplicitate primi entis
deficere, utpote in quantum potentialitas incepit admisceri actui, in quantum
esse recipiens ab alio non est suum esse, sed quodammodo potentia ad illud. Et
sic in quantum intelligit primum ens, procedit ab ea alia intelligentia ea
inferior, in quantum vero intelligit potentiam suam procedit ab ea corpus
caeli, quod movet; in quantum vero intelligit actum suum, procedit ab ea anima
caeli primi; et sic consequenter multiplicantur per multa media res diversae.
B) D'autres ont pensé que la pluralité des choses et leurs modes divers
venaient de la nécessité de la cause efficiente, comme Avicenne (Métaphysique, tr. IX, c. 4[15]) et ses
successeurs. Car il a pensé que l'être premier, en tant qu'il se pense
(intelligit) lui-même, produit seul un effet qui est l'Intelligence première,
il était nécessaire qu'elle manque de la simplicité du premier être, vu que,
autant la potentialité commence à être mêlée à l'acte, autant l'être qui reçoit
d'un autre n'est pas son être propre, mais d'une certaine manière puissance
pour lui[16]. Et ainsi dans la mesure où le premier être pense (intelligit), il
en découle une autre intelligence qui lui est inférieure, mais dans cette
mesure où elle pense sa puissance, le corps céleste qu'elle meut, procède
d'elle dans la mesure où elle pense son acte, l' âme du premier ciel procède
d'elle et par conséquent, les diverses choses sont multipliées par les nombreux
intermédiaires.
Sed haec etiam positio stare non potest. Primo, quia ponit
potentiam divinam terminari ad unum effectum, qui est intelligentia prima.
Secundo, quia ponit alias substantias praeter Deum esse aliarum creatrices,
quod esse impossibile in alia quaestione, art. 4, ostensum est. Sequitur etiam
ad hanc positionem, sicut et ad primas, quod decor ordinis universi sit
casualis, ex quo rerum diversitatem non adscribit intentioni finis, sed
terminationi potentiarum activarum ad suos effectus.
Mais même cette position n'est pas valable non plus. D'abord, parce
qu'il pense que la puissance divine se termine à un seul effet, qui est
l'intelligence première. Deuxièmement, parce qu'il pense que des substances
autres de Dieu sont créatrices d'autres êtres, ce qui est impossible, on l'a
montré dans une autre question, article 4. Il découle aussi de cette opinion
comme pour les premières, que la beauté de l'ordre universel serait due au
hasard; par là, il n'ajoute pas la diversité des choses en vue de leur fin,
mais au terme des puissances actives pour leurs effets.
Alii vero circa debitum causae finalis erraverunt, sicut
Plato, et eius sequaces. Posuit enim quod bonitati Dei ab eo intellectae et
amatae debitum esset tale universum producere, ut sic optimus optimum
produceret. Quod quidem potest esse verum, si solum quantum ad ea quae sunt
respiciamus; non autem si respiciamus ad ea quae esse possunt. Hoc enim
universum est optimum eorum quae sunt; et quod sit sic optimum, ex summa Dei
bonitate habet. Non tamen bonitas Dei est ita obligata huic universo quin
melius vel minus bonum aliud universum facere potuisset.
.
C) D'autres se sont trompés à propos de la nécessité de la cause
finale, comme Platon, et ses successeurs. Car il a pensé qu'il serait
nécessaire à la bonté de Dieu, comprise et aimée par lui, de produire un tel
univers, pour qu'ainsi le meilleur produise le meilleur. Ce qui peut être vrai,
si seulement nous regardons ce qui est, mais non pas si nous regardons ce qui
peut être. Car cet univers est le meilleur de ceux qui existent, et qu'il soit
ainsi le meilleur, il le tient de la suprême bonté de Dieu. Cependant celle-ci
n'a pas été liée à cet univers de sorte qu'elle aurait pu faire un autre
univers meilleur ou moins bon.
Quidam etiam debitum causae formalis non attendentes, sed
solum debitum divinae bonitatis, erraverunt, sicut Manichaei; qui cum
considerarent Deum esse optimum, crediderunt a Deo esse tantum illas creaturas
quae inter alias sunt optimae, scilicet spirituales et incorruptibiles;
corporalia vero et corruptibilia alteri attribuerunt principio.
Ex simili etiam fonte prodiit Origenis error, licet huic
contrarius. Consideravit enim Deum esse optimum et iustum; unde ab ipso primo
fuisse conditas optimas creaturarum solas et aequales existimavit, scilicet
rationales creaturas; quibus ex libero arbitrio diversimode operantibus in
bonum vel in malum, consecutum esse dicebat ut diversi gradus rerum in universo
constituerentur, dicens: illas rationales creaturas quae ad Deum conversae
sunt, in angelicam dignitatem esse promotas, et secundum diversos ordines,
prout magis et minus meruerunt; e contrario vero ceteras rationales quae per
liberum arbitrium peccaverunt, in inferiora dicit esse prolapsas, et corporibus
alligatas; quasdam quidem soli, lunae et stellis, quae minus peccaverunt;
quasdam vero corporibus hominum; quasdam in Daemones esse conversas.
D) D'autres qui ne font pas attention à ce qui est nécessaire à la
cause formelle, mais seulement à ce qui est nécessaire à la divine bonté, se
sont trompés, comme les Manichéens. Comme ils considéraient que Dieu était le
meilleur, ils ont cru que venaient de lui seulement ces créatures, qui sont les
meilleures parmi les autres, c'est-à-dire, les créatures spirituelles et
incorruptibles; mais ils attribuèrent les créatures corporelles et corruptibles
à un autre principe.
Et c'est de la même source que provient l'erreur d'Origène (Peri archon, I, 7 et 8) bien qu'elle
leur soit contraire. Car il a considéré que Dieu était le meilleur et juste;
c'est pourquoi, il pensa que d'abord seules les meilleures des créatures ont
été créées, par lui d'abord seules et égales c'est-à-dire les créatures
rationnelles. Celles-ci ayant opéré suivant leur libre arbitre de différentes
manières en bien ou en mal, il disait qu'il en découlait que divers degrés
étaient constitués dans l'univers, ajoutant: ces créatures rationnelles qui se
sont tournées vers Dieu, ont été promues à la dignité d'ange, en différents
ordres, selon qu'elles méritèrent plus ou moins; il dit qu'à l'inverse les
autres créatures rationnelles qui péchèrent suivant leur libre arbitre, ont
glissé dans les créatures inférieures et ont été liées à des corps;
quelques-unes au soleil, à la lune et aux étoiles, celles qui péchèrent moins;
quelques-unes aux corps des hommes, certaines ont été transformées en démons.
Uterque enim error ordinem universi praeterire
videtur in sua consideratione, considerando tantummodo singulas partes eius. Ex
ipso enim ordine universi potuisset eius ratio apparere, quod ab uno principio,
nulla meritorum differentia praecedente, oportuit diversos gradus creaturarum
institui, ad hoc quod universum esset complementum (repraesentante universo per
multiplices et varios modos creaturarum quod in divina bonitate simpliciter et
indistincte praeexistit) sicut et ipsa perfectio domus et humani corporis
diversitatem partium requirit. Neutrum autem eorum esset completum si omnes partes unius
conditionis existerent; sicut si omnes partes humani corporis essent oculus,
aliarum enim partium deessent officia. Et similiter si omnes partes domus
essent tectum, domus complementum et finem suum non consequeretur, ut scilicet
ab imbribus et caumatibus defendere posset.
Les deux erreurs, dans leur considération, semblent détruire l'ordre de
l'univers, en ne tenant compte que de ses parties particulières. Car la raison
de l'univers peut apparaître de son ordre même: d'un principe unique sans
différence antérieure de mérites, il fallut instituer différents degrés de
créatures, pour que l'univers soit une perfection (l'univers représentant les
modes multiples et variées des créatures, ce qui existe de façon simple et sans
distinction, dans la bonté divine); de même que la perfection de la maison et
celle du corps humain a besoin de la diversité de ses parties. Mais ni l'un ni
l'autre ne seraient complets, si toutes les parties existaient sous un seul
état; ainsi si tous les organes du corps humain étaient l'oeil, le rôle des
autres parties manquerait. Et semblablement si toutes les parties de la maison
étaient le toit, la maison ne serait pas complète et n'atteindrait pas sa fin
pour, par exemple, pouvoir protéger des pluies et de la forte chaleur.
Sic igitur dicendum est, quod ab uno primo multitudo et
diversitas creaturarum processit, non propter materiae necessitatem, nec
propter potentiae limitationem, nec propter bonitatem, nec propter bonitatis
obligationem; sed ex ordine sapientiae, ut in diversitate creaturarum perfectio
consisteret universi.
Ainsi donc il faut dire que la pluralité et la diversité des créatures
a procédé d'un seul être premier, non à cause de la nécessité de la matière, de
la limitation de sa puissance, ni de sa bonté, ni de l'obligation de sa bonté,
mais de l'ordre de la sagesse, pour que la perfection de l'univers consiste
dans la diversité des créatures.
Solutions:
q. 3 a. 16 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod sicut Deus est unus, ita et unum produxit, non solum
quia unumquodque in se est unum, sed etiam quia omnia quodammodo sunt unum
perfectum, quae quidem unitas diversitatem partium requirit, ut ostensum est.
# 1. De même que Dieu est un, de même, il a produit l'un, non seulement
parce que chacun en soi est un, mais encore, parce que tout d'une certaine
manière est unité parfaite qui requiert la diversité des parties, comme on l'a
montré[17].
q. 3 a. 16 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod creatura assimilatur Deo in unitate, in quantum
unaquaeque in se una est, et in quantum omnes unum sunt unitate ordinis, ut
dictum est.
# 2. La créature ressemble à Dieu dans l'unité, dans la mesure où
chaque chose est une en soi, et où toutes sont unes par l'unité de nature,
comme on l'a dit.
q. 3 a. 16 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod malitia totaliter in non esse consistit; multitudo autem
causatur ex ente. Ipsa enim differentia, per quam entia dividuntur ad invicem,
quoddam ens est. Unde Deus non est auctor tendendi ad non esse, sed est omnis
esse auctor; non est principium malitiae sed est principium multitudinis.
Sciendum autem, quod duplex est unum;
# 3. le mal[18] consiste totalement dans le non être. Mais la pluralité
est causée à partir de l'être. Car la différence même par laquelle les êtres
sont divisés entre eux, est un certain être. C'est pourquoi, Dieu n'est pas le
créateur de ce qui tend au non-être mais le créateur de tout être. Il n'est pas
le principe du mal, mais celui de la pluralité. Mais il faut savoir que l'un
est double:
quoddam scilicet quod convertitur cum ente, quod nihil addit
supra ens nisi indivisionem; et hoc unum privat multitudinem, in quantum
multitudo ex divisione causatur; non quidem multitudinem extrinsecam quam unum
constituit sicut pars; sed multitudinem intrinsecam quae unitati opponitur. Non
enim ex hoc quod aliquid dicitur esse unum, negatur quin aliquid sit extra
ipsum quod cum eo constituat multitudinem; sed negatur divisio ipsius in multa
a) A savoir ce qui est convertible avec l'étant, qui ne lui ajoute rien
sinon l'indivision; et ce "un" supprime la pluralité, dans la mesure
où elle est causée par la division; non la pluralité extrinsèque que l'un a
constitué comme partie; mais la pluralité intrinsèque qui est opposée à
l'unité. Car ce n'est pas de ce que quelque chose est dit un, qu'est nié que
quelque chose soit hors de lui qui constituerait la pluralité avec lui; mais sa
division est niée dans le multiple.
Aliud vero unum est quod est principium numeri, quod supra
rationem entis addit mensurationem; et huius unius multitudo est privatio, quia
numerus fit per divisionem continui. Nec tamen multitudo privat unitatem
totaliter, cum diviso toto adhuc remaneat pars indivisa; sed removet unitatem
totius. Sed malitia, quantum est in se, removet bonitatem, nullo modo eam
constituens, nec ab ea constituta.
b) L'autre un est ce qui est principe du nombre, qui ajoute la mesure à
la nature de l'être; et la pluralité de cette unité est privation, parce que le
nombre se fait par la division du continu. Cependant la pluralité n'écarte pas
totalement l'unité, puisque la partie indivise demeure encore quand tout est
divisé, mais elle éloigne l'unité du tout. Mais le mal, quant à lui, éloigne la
bonté, en ne la constituant en aucune manière, et il n'est pas constitué par
elle.
q. 3 a. 16 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod ens alio modo se habet ad ea quae sub ente continentur,
et alio modo animal vel quodlibet aliud genus ad species suas. Species enim
addit supra genus, ut homo supra animal, differentiam aliquam quae est extra
essentiam generis. Animal enim nominat tantum naturam sensibilem, in qua
rationale non continetur; sed ea quae continentur sub ente, non addunt aliquid
supra ens quod sit extra essentiam eius; unde non oportet quod illud quod est
causa animalis in quantum est animal, sit causa rationalis in quantum
huiusmodi. Oportet autem illud quod est causa entis in quantum est ens, esse
causam omnium differentiarum entis, et per consequens totius multitudinis
entium.
# 4. L'étant, pour ce qui est contenu sous lui, se comporte d'une autre
manière que l'animal ou n'importe quel autre genre vis-à-vis de leurs espèces.
Car l'espèce ajoute au genre, comme l'homme à l'animal, une différence qui est
hors de l'essence du genre. Car l'animal désigne seulement la nature sensible
qui ne contient pas le rationnel; mais ce qui est contenu sous l'étant ne lui
ajoute rien qui soit hors son essence; c'est pourquoi, il ne faut pas que ce
qui est cause de l'animal en tant qu'animal, soit cause du rationnel en tant
que tel. Mais il faut que ce qui est cause de l'étant en tant que tel, soit
cause de toutes ses différences, et par conséquent de toute la pluralité des
étants.
q. 3 a. 16 ad 5 Ad quintum dicendum, quod
appropriatio causae ad effectum attenditur secundum assimilationem effectus ad
causam. Assimilatio autem creaturae ad Deum attenditur secundum hoc quod
creatura implet id quod de ipsa est in intellectu et voluntate Dei; sicut
artificiata similantur artifici in quantum in eis exprimitur forma artis, et
ostenditur voluntas artificis de eorum constitutione.
# 5. L'appropriation de la cause à l'effet est atteinte par la
ressemblance de l'effet à la cause. Mais l'assimilation de la créature à Dieu
est atteinte selon que la créature achève ce qui la concerne dans l'intellect
et la volonté de Dieu; ainsi les oeuvres artificielles ressemblent à l'artisan
dans la mesure où s'exprime en eux la forme de l'art, et la volonté de
l'artisan se montre au sujet de leur constitution. Car de même que la chose
naturelle agit par sa forme, de même, l'artisan agit par son esprit et sa
volonté. Donc Dieu est ainsi la cause propre de chaque créature, dans la mesure
ou il pense (intelligit) et veut que chaque créature existe. Mais ce qu'on appelle
le même ne peut être le propre de plusieurs, il faut comprendre quand se fait
l'appropriation par l'adéquation[19]; ce qui ne concerne pas notre propos.
q. 3 a. 16 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod solutio patet ex dictis.
# 6. La solution paraît dans ce qui vient d'être dit.
q. 3 a. 16 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod licet sit quaedam similitudo creaturae ad Deum, non
tamen adaequatio; unde non oportet, si unitas Dei caret omni multitudine et
compositione, quod propter hoc oporteat talem esse creaturae unitatem.
# 7. Bien qu'il existe une certaine ressemblance de la créature à Dieu,
il n'y a cependant pas une adéquation; c'est pourquoi, il ne faut pas, si
l'unité de Dieu manque de toute pluralité et de composition, qu'à cause de
cela, il faille qu'il existe une telle unité pour la créature.
q. 3 a. 16 ad 8 Ad
octavum dicendum, quod licet effectus non possit excedere causam suam, tamen
causa potest excedere effectum; et ideo licet ab una causa possint procedere
plures effectus, tamen non potest unus effectus a pluribus causis immediate
procedere.
# 8. Bien que l'effet ne puisse pas dépasser sa cause, cependant
celle-ci peut dépasser l'effet, et ainsi bien que plusieurs effets puissent
procéder d'une cause unique, cependant un seul effet unique ne peut pas
procéder immédiatement de plusieurs causes
q. 3 a. 16 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod licet eadem sit potentia in Deo generandi et creandi
secundum rem, non tamen idem respectus in utraque connotatur: sed potentia
generandi connotat respectum ad id quod procedit per naturam; et ideo oportet
tantum unum esse; sed potentia creandi importat respectum ad id quod procedit
per voluntatem; unde non oportet quod sit unum.
# 9. Bien que la puissance de Dieu soit la même en réalité pour
engendrer et créer, cependant on ne comprend pas le même rapport pour l'un et
l'autre; la puissance d'engendrer comprend un rapport à ce qui procède par
nature, et c'est pourquoi il faut seulement un seul être, mais la puissance de
créer apporte un rapport à ce qui procède par volonté; c'est pourquoi il ne
faut pas qu'il soit un.
q. 3 a. 16 ad 10 Ad decimum dicendum, quod non
oportet, sicut dictum est, huiusmodi unitatem esse in creatura et in Deo; licet
creatura Deum in unitate imitetur.
# 10. Il ne faut pas, comme on l'a dit, qu'une telle unité soit dans la
créature et en Dieu, bien que la créature imite Dieu dans son unité.
q. 3 a. 16 ad 11 Ad
decimumprimum dicendum, quod quamvis actio Dei sit una et simplex, quia est
eius essentia; non tamen oportet quod sit unus tantum effectus, sed multi; quia
ex actione divina procedit effectus secundum ordinem sapientiae et arbitrium
voluntatis.
# 11. Quoique l'action de Dieu soit une et simple, parce qu'elle est
son essence; il ne faut cependant pas qu'il y ait un seul effet, mais de nombreux
effets; parce que l'effet procède de l'action divine selon l'ordre de la
sagesse et le libre arbitre de la volonté.
q. 3 a. 16 ad 12 Ad
decimumsecundum dicendum, quod quando exemplatum perfecte repraesentat
exemplar, ab uno exemplari non est nisi unum exemplatum, nisi per accidens, in
quantum exemplata materialiter distinguuntur. Creaturae vero non perfecte
imitantur suum exemplar. Unde diversimode possunt ipsum imitari, et sic esse
diversa exemplata. Perfectus autem modus imitandi est unus tantum: et propter
hoc filius, qui perfecte imitatur patrem, non potest esse nisi unus.
# 12. Quand l'effet représente parfaitement l'exemplaire, il n'y a
qu'un effet sauf accident, dans la mesure où les effets sont distingués
matériellement. Mais les créatures n'imitent pas parfaitement leur exemplaire.
C'est pourquoi, elles peuvent l'imiter de diverses manières, et il y a
différentes images. Mais le mode d'imitation parfait est unique; et à cause de
cela, le Fils, qui imite parfaitement le Père, ne peut être qu'unique.
q. 3 a. 16 ad 13 Ad
decimumtertium dicendum, quod licet forma intellectus divini sit una tantum
secundum rem, est tamen multiplex ratione secundum diversos respectus ad
creaturam, prout scilicet intelliguntur creaturae diversimode formam divini intellectus
imitari.
# 13. Bien que la forme de l'esprit divin soit une seulement en
réalité, elle est cependant multiple en raison, selon les divers rapports à la
créature, naturellement selon qu'on comprend que les créatures imitent de
diverses manières la forme de l'esprit divin.
q. 3 a. 16 ad 14 Ad decimumquartum dicendum,
quod isti diversi respectus ad creaturam non solum sunt in intellectu nostro,
sed etiam in intellectu divino. Nec tamen diversa aliqua sunt in intellectu
divino, in quibus Deus intelligat; quia intelligit tantum uno, quod est sua
essentia; sed sunt ibi multa, ut ab ipso intellecta. Sicut
enim nos intelligimus quod creatura potest Deum multipliciter imitari, ita et
Deus hoc intelligit; et per consequens intelligit diversos respectus creaturae
ad Deum.
# 14. Ces différents rapports à la créature non seulement sont dans
notre esprit, mais aussi dans l'esprit divin. Cependant certaines [créatures],
à qui Dieu pense (intelligit) ne sont pas différentes en son esprit, parce
qu'il pense seulement dans l'unité qui est son essence; mais elles y sont
nombreuses, en tant que pensées par lui. Car de même que nous pensons que la
créature peut imiter Dieu de multiples manières, Dieu le pense aussi, et par
conséquent, il pense les différents rapports de la créature à lui.
q. 3 a. 16 ad 15 Ad
decimumquintum dicendum, quod sicut Deus uno intelligit omnia, ita etiam et per
unam apprehensionem. Nam actum intellectus oportet esse unum vel multos,
secundum unitatem vel multitudinem principii quo intelligitur.
# 15. De même que Dieu pense (intelligit) tout par l'un, de même il le
pense en un seul concept aussi. Car il faut que l'acte de l'intellect soit un
ou multiple, selon l'unité ou la pluralité du principe par lequel il est pensé.
q. 3 a. 16 ad 16 Ad
decimumsextum dicendum, quod licet multitudo praeter multa, non sit nisi in
ratione, multitudo tamen in multis est etiam in rerum natura: sicut etiam
animal commune non est nisi in ratione, natura tamen animalis est in
singularibus: et propter hoc multitudinem et animalis naturam oportet reducere
in Deum, sicut in causam.
# 16. Bien que la pluralité, au-delà de nombreuses choses, ne soit
qu'en raison, cependant en beaucoup elle est aussi dans leur nature; ainsi même
l'animal commun n'existe qu'en raison, cependant sa nature animale est dans des
individus particuliers, et c'est pour cela qu'il faut ramener à Dieu la
pluralité et la nature de l'animal comme à sa cause.
q. 3 a. 16 ad 17 Ad
decimumseptimum dicendum, quod universum quod est a Deo productum, est optimum
respectu eorum quae sunt, non tamen respectu eorum quae Deus facere potest.
# 17. L'univers, produit par Dieu, est le meilleur par rapport à ce qui
existe, non cependant par rapport à ce que Dieu peut faire.
q. 3 a. 16 ad 18 Ad
decimumoctavum dicendum, quod ratio illa tenet quando id quod est ad finem
potest totaliter et perfecte consequi finem per modum adaequationis; quod in
proposito non contingit.
# 18. Cette raison est valable, quand ce qui est en vue d'une fin, peut
totalement et parfaitement atteindre la fin par son mode d'adéquation, ce qui
ne concerne pas notre propos.
q. 3 a. 16 ad 19 Ad
decimumnonum dicendum, quod illa ratio est Origenis, nec habet magnam
efficaciam. Non enim est contra iustitiam quod inaequalia aequalibus dentur
nisi quando alicui redditur debitum; quod in prima rerum creatione non potest
dici. Quod enim ex propria liberalitate datur, potest dari plus vel minus
secundum arbitrium dantis, et secundum quod eius sapientia requirit.
# 19. Cette raison vient d'Origène (Peri
Archon I, 7 et 8) et n'a pas grande efficacité. Car ce n'est pas contre la
justice de donner ce qui est inégal à ce qui est égal, sinon quand on rend à
quelqu'un ce qui lui est dû: on ne peut pas le dire de la première création.
Car ce qui est donné par pure libéralité, peut l'être plus ou moins selon le
libre arbitre de celui qui donne, et selon que sa sagesse le requiert.
q. 3 a. 16 ad 20 Ad
vicesimum dicendum, quod licet creaturae aliae sint Angelo inferiores, tamen
earum productio requirit infinitam virtutem producentis, in quantum per
creationem producuntur in esse, utpote non ex praeiacenti materia factae. Et
ideo omnes creaturae, quae non sunt factae ex praeiacenti materia, oportet
dicere immediate a Deo esse creatas.
# 20. Bien que les autres créatures soient inférieures à l'ange,
cependant leur production requiert un pouvoir infini du créateur, dans la
mesure où elles sont amenées à l'être par création, vu qu'elles ne sont pas
créées d'une matière préexistante. Et c'est pourquoi, de toutes les créatures
qui n'ont pas été faites d'une matière préexistante, on doit dire qu'elles ont
été créées sans intermédiaire par Dieu.
q. 3 a. 16 ad 21 Ad
vicesimumprimum dicendum, quod cum creatio terminetur ad esse tamquam ad
proprium effectum, impossibile est dicere, ea quae a Deo creantur, ab Angelis
formas habere, cum omne esse sit a forma.
# 21. Comme la création se termine à l'être comme à son effet propre,
il est impossible de dire que ce qui est créé par Dieu, reçoit des anges sa
forme, puisque tout être vient par la forme.
q. 3 a. 16 ad 22 Ad
vicesimumsecundum dicendum, quod licet quidquid Deus facit, in se sit unum,
tamen haec unitas, ut dictum est, non removet omnem multitudinem, sed manet
illa cuius unum est pars.
# 22. Bien que, tout ce que Dieu fait soit un en lui, cependant cette
unité, comme on l'a dit, n'exclut pas toute pluralité, mais demeure celle dont
l'un est une partie.
q. 3 a. 16 ad 23 Ad
vicesimumtertium dicendum, quod verbum philosophi, cum dicit quod Deus nihil
intelligit extra se, non est intelligendum quasi Deus ea quae sunt extra ipsum
non intelligat; sed quia illa etiam quae extra ipsum sunt, non extra se, sed in
se intuetur, quia per essentiam suam omnia alia cognoscit.
# 23. La parole du Philosophe, quand il dit que Dieu ne pense (intelligit)
rien hors de lui, ne doit pas être comprise comme si Dieu ne comprenait pas ce
qui est hors de lui-même, mais parce que ce qui est hors de lui, il ne le voit
pas hors de lui, mais en lui, parce qu'il connaît tous les autres êtres par son
essence.
q. 3 a. 16 ad 24 Ad vicesimumquartum dicendum,
quod creatura dicitur esse in Deo dupliciter.
# 24. On dit que la créature est en Dieu de deux manières:
Uno modo sicut in causa gubernante et conservante esse
creaturae; et sic praesupponitur esse creaturae distinctum a creatore ad hoc
quod creatura a Deo esse dicatur. Non enim intelligitur creatura conservari in
esse nisi secundum quod iam habet esse in propria natura, secundum quod esse
creaturae a Deo distinguitur. Unde creatura hoc modo in Deo existens non est
creatrix essentia.
a) Comme dans la cause qui gouverne et conserve l'être de la créature,
et ainsi on présuppose que l'être de la créature est différent du Créateur du
fait qu'on dit que la créature existe par Dieu. Car on ne comprend que la créature
soit conservée à l'être, sinon selon qu'elle l'être a déjà dans sa propre
nature, en tant que selon que l'être de la créature est distingué de Dieu.
C'est pourquoi la créature qui existe en Dieu, de cette manière, n'est pas
essence créatrice.
Alio modo dicitur creatura esse in Deo sicut in virtute
causae agentis, vel sicut in cognoscente; et sic creatura in Deo est ipsa
essentia divina, sicut dicitur Ioannis I, 3: quod factum est in ipso vita erat.
Quamvis autem hoc modo creatura in Deo existens sit divina essentia, non tamen
per istum modum est ibi una tantum creatura, sed multae. Nam essentia Dei est
sufficiens medium ad cognoscendum diversas creaturas, et sufficiens virtus ad
eas producendas.
b) On dit que la créature est en Dieu[20] comme dans le pouvoir de la
cause efficiente, ou comme dans celui qui connaît, et ainsi la créature en Dieu
est l'essence même de Dieu, comme on le dit (Jn 1, 3) "Ce qui a été fait
était la vie en lui". Quoique, de cette manière, la créature qui existe en
Dieu soit l'essence divine, cependant de cette manière, il n'y a pas là
seulement une créature, mais de nombreuse créatures. Car l'essence de Dieu est
un intermédiaire suffisant pour connaître les différentes créatures, et son
pouvoir est suffisant pour les produire.
--------------------------------------------------------------------------------
[1] Ia, qu. 47, a. 1 – CG II,
39-46; III, 97– Pot 3, 1 ad 9 – Compendium. 71, 72, 102, – Métaphysique,
XII, lectio 2,– De causis, prop. 24
[2]
Les deux arguments s'oppose à l'opinion d'Avicenne.
a)
Dieu seul crée Pot. qu. 3, a. 4 c. Pour Avicenne d'autres substances que Dieu
sont créatrices.
b)
Selon cela l'universalité des êtres ne viendrait pas de l'intention de l'agent,
mais du concours de nombreuses cause, c'est-à-dire du hasard.
[3]
. Cf. Ia, qu. 11, a. 1. "L'un n'ajoute rien à l'étant, mais seulement la
négation de la division: car l'un ne signifie rien d'autre que l'être non
divisé. Et de là paraît qu'il est convertible avec l'étant." Cf. Quodl 6,
1, 1, c.. Autre démonstration: chaque chose en tant qu'une est un étant. C'est
pourquoi l'étant et l'un sont convertibles. (Ia, 28, 2 - I Sent. d33a1 – CG 4,
14, – Pot 8, 2, Compendium. 54, 66, 67.
[4]
Comparaison des transcendentaux.
[5]
Thomas n° 2087.
[6]
Thomas n° 197.
[7]
Dieu est la cause exemplaire des créatures, le modèle à l'image de qui est
faite la créature. L'exemplaire, ce sont les idées en Dieu. L'exemplatum est ce
qui dépend de l'exemplaire, son effet, son image dans la réalité.
[8]
C'est la science de Dieu qui est la cause des créatures (Ia, qu. 14, a. 8). Sa
science dépend de son intellection.
[9]
C'est la théorie d'Avicenne.
[10]
"L'Intelligence suprême se pense donc elle-même, puisqu'elle est ce qu'il
y a de plus excellent et sa Pensée est pensée de pensée." Thomas, 12,
lect. 11, n° 2614-2615. J. Tricot, p. 701 et note p. 702.
[11]
Il s'agit de l'idée en Dieu, qui deviendra réalité. L'argument semble supposer
une seule idée en Dieu. (Cf. De veritate, qu.3, a. 2 où le problème est
longuement traité).
[12]
. Cf. CG. II, 40, § 3: "Ce qui vient de l'intention de l'agent n'est pas
dû à la matière comme à sa cause première" (Trad. C. Michon). La cause
efficiente lui est antérieure comme cause, car la matière ne devient cause en
cate que selon qu'elle est mue par un agent.
[13]
La lecture de Ia, qu. 47, a. 1 c, apporte quelques précisions supplémentaires
sur cet historique.
I.
Certains: ceux qui n'ont découvert que la cause matérielle.
a.
Les anciens naturalistes qui ne connaissaient que la cause matérielle: Thalès,
Anaximandre, Anaximène, Démocrite, cités en Ia, qu. 47.
b.
Anaxagore: les principes matériels sont en nombre infini, mêlés, confus,
l'intellect les sépare pour établir la distinction des choses. (CG. II, 40, §
7).
II.
Distinction attribuée aux agents seconds;
a)
Avicenne: production de l'Intelligence; Dieu en se connaissant lui-même produit
une première intelligence; en elle, parce qu'elle n'est pas son être, commence
la composition de puissance et d'acte.
b)
Empédocle.
[14]
C'est-à-dire qu'elle était incréée, éternelle.
[15]
Avicenne dit: "Dieu en se connaissant lui-même, produisit une Intelligence
première, laquelle, parce qu'elle n'est pas son propre être, est nécessairement
composée de puissance et d'acte (Cf. Ia, a. 2, ad 3). Ainsi cette première
intelligence dans la mesure où elle comprend la cause première, produisit une
seconde intelligence, en tant que se comprend selon qu'elle est en puissance,
il produisit le corps du ciel, qu'elle met en mouvement, en tant qu'elle se
comprend selon ce qu'elle a en acte, il produisit l'âme du ciel.
Métaphysique IX, 4 Le premier principe se pense lui-même.
402,15. – 404, 5 Il est donc clair que le premier des êtres existants... est
numériquement un. Son essence et sa quiddité sont une, non dans une matière...
le premier effet est une intelligence pure parce que c'est une forme qui ne se
trouve pas dans la matière. B. c. Anawati p. 139. Suit la démonstration que ce
n'est pas une forme matérielle.
[16]
En Ia, qu. 47, a. 1, c., la phrase est simplifiée et plus claire:"L'intelligence
première, du fait qu'elle n'est pas son propre être, est nécessairement
composée de puissance et d'acte."
[17]
Ia, qu. 47, a. 3 renvoie à cette solution. Il y démontre qu'il n'y existe qu'un
seul monde.
[18]
Thomas reprend en détail la comparaison de deux des transcendantaux, l'un et le
bien.
[19]
Comprendre par équivalence.
[20]
Il s'agit des idées en Dieu.
q. 3
a. 17 tit. 1 Decimoseptimo quaeritur utrum mundus semper fuerit. Et
videtur quod sic.
Il semble que oui[1].
Objections[2]:
q. 3 a. 17 arg. 1
Quia proprium semper consequitur id cuius est proprium. Sed, sicut dicit
Dionysius, proprium est divinae bonitatis ad communicationem sui ea quae sunt
vocare; quod quidem fit creaturas producendo. Cum ergo divina bonitas semper fuerit, videtur quod semper creaturas in
esse produxerit; et ita videtur quod semper fuerit mundus.
1. Ce qui appartient en propre à une chose l'accompagne toujours. Mais,
comme le dit Denys (La hiérarchie céleste,
IV), le propre de la bonté divine c'est d'appeler ce qui existe pour se
communiquer; ce qu'il fait en produisant les créatures. Donc, comme la bonté
divine a toujours existé, il semble qu'il a toujours fait venir des créatures à
l'être, et ainsi il semble que le monde a toujours existé.
q. 3 a. 17 arg. 2
Praeterea, Deus non denegavit alicui creaturae id cuius est capax secundum suam
naturam. Sed aliquae creaturae sunt quarum natura est capax ut semper fuerit;
sicut caelum. Ergo videtur quod hoc fuerit caelo collatum ut semper esset. Sed
caelo existente oportet ponere alias creaturas esse, sicut probat philosophus,
in II de caelo et mundo. Ergo videtur quod mundus fuerit semper. Probatio
mediae. Omne quod est incorruptibile, habet virtutem ut sit semper: quia si
haberet virtutem ut esset aliquo tempore determinato tantum, non posset esse
semper: et ita non esset incorruptibile. Caelum autem est incorruptibile. Ergo
habet naturam quod sit semper.
2. Dieu n'a refusé à aucune créature ce dont elle est capable selon sa
nature. Mais il y en a quelques-unes dont la nature est capable de toujours
exister, comme le ciel[3]. Donc il semble qu'il a été attribué au ciel de
toujours exister. Mais du fait que le ciel existe, il faut admettre qu'il
existe d'autres créatures, comme le prouve le Philosophe, (Le ciel et le monde, II, 3, 285 b 17[4]). Donc il semble que le
monde a toujours existé. Preuve intermédiaire: Tout ce qui est incorruptible a
le pouvoir de toujours exister, parce que, s'il avait le pouvoir d'exister dans
un temps déterminé seulement, il ne pourrait pas exister toujours; et ainsi il
ne serait pas incorruptible. Mais le ciel l'est. Donc il possède une nature
pour exister toujours.
q. 3 a. 17 arg. 3
Sed dicendum, quod caelum non est simpliciter incorruptibile; decideret enim in
nihilum, nisi per virtutem Dei contineretur in esse.- Sed contra, non est
reputandum aliquid esse possibile vel contingens, propter hoc quod eius
destructio sequitur ex destructione consequentis; licet enim hominem esse
animal sit necessarium, tamen destructio eius sequitur ad destructionem huius
consequentis hominem esse substantiam. Non ergo videtur quod propter hoc possit
dici caelum esse corruptibile, quia eius non esse sequitur ad aliquam
positionem qua ponitur Deus suam continentiam subtrahere creaturis.
3. Mais il faut dire que le ciel n'est pas absolument incorruptible;
car il retournerait au néant si Dieu, par son pouvoir, ne le maintenait pas à
l'existence. –En sens contraire, il ne faut pas penser qu'une chose est
possible ou contingente, parce que sa destruction découle d'une conséquence,
car bien qu'il soit nécessaire que l'homme soit un animal, cependant sa
destruction aboutit à la destruction de cette conséquence, à savoir que l'homme
est une substance. Donc il ne semble pas qu'à cause de cela, on puisse dire que
le ciel est corruptible, parce que son non-être aboutit à une position où on
pense que Dieu retire ce qui est nécessaire aux créatures.
q. 3 a. 17 arg. 4
Praeterea, sicut Avicenna probat in sua Metaphysic., quilibet effectus, in
comparatione ad suam causam est necessarius; quia si posita causa non
necessario sequitur effectus, adhuc posita causa possibile erit effectum esse
vel non esse; quod autem est in potentia, non reducitur in actum nisi per id quod
est actu; unde oportebit quod praeter causam praedictam sit aliqua alia causa
quae faciat effectum prodire in actum ex potentia qua possibile erat ipsum esse
vel non esse posita causa. Ex quo potest accipi, quod posita causa sufficienti
necesse est ipsum poni. Sed Deus est causa sufficiens mundi. Cum ergo Deus
fuerit semper, et mundus fuit semper.
4. Comme Avicenne le prouve dans sa Métaphysique
(livreIX, ch. 6[5]), n'importe quel effet est nécessaire en comparaison à sa
cause, parce que, si on pose une cause, l'effet n'en découle pas
nécessairement. La cause une fois posée, il sera possible que l'effet existe ou
n'existe pas; mais ce qui est en puissance n'est amené à l'acte que par ce qui
est en acte; c'est pourquoi, il faudra qu'en plus de cette cause, il y en ait
une autre qui fasse passer l'effet à l'acte, à partir de la puissance par
laquelle il était possible qu'il soit ou qu'il ne soit pas, une fois la cause
posée. A partir de là, on peut admettre qu'une fois une cause suffisante posée,
il est nécessaire de poser l'effet. Mais Dieu est la cause suffisante du monde.
Donc, comme il a toujours existé, le monde aussi.
q. 3 a. 17 arg. 5
Praeterea, omne quod est ante tempus, est aeternum; aevum enim non est ante
tempus, sed incepit simul cum tempore. Sed mundus fuit ante tempus, fuit enim
creatus in primo instanti temporis, quod constat esse ante tempus; dicitur enim
Genes. I, 1: in principio creavit Deus caelum et terram, id est in principio
temporis. Ergo mundus fuit ab aeterno.
5. Tout ce qui existe avant le temps est éternel; car l'ævum[6]
n'existe pas avant le temps, mais il commence avec lui. Mais le monde a existé
avant le temps, car il a été créé au premier instant du temps, ce qui montre
qu'il est avant le temps; car on dit dans la Genèse (1, 1): "Au
commencement, Dieu créa le ciel et la terre", (glose interlinéaire):
c'est-à-dire au commencement du temps. Donc le monde a existé de toute
éternité.
q. 3 a. 17 arg. 6
Praeterea, idem manens idem, semper facit idem, nisi impediatur. Sed Deus semper
idem manet, sicut in Ps. ci, 28, legitur: tu autem idem ipse es. Cum igitur in
sua actione impediri non possit propter infinitatem suae potentiae, videtur
quod semper idem faciat. Et ita, cum aliquando mundum produxerit, videtur quod
etiam semper ab aeterno produxerit.
6. Ce qui demeure identique à lui-même fait toujours la même chose,
sauf empêchement. Mais Dieu demeure toujours identique à lui-même, comme on le
lit dans le Ps. 101, 28: "Toi, tu es le même". Donc, puisque, dans
son action, il ne peut pas être empêché à cause de l'infinité de sa puissance,
il semble qu'il fait toujours la même chose. Et ainsi, quand il a produit un
jour le monde, il semble qu'il l'a produit toujours, éternellement.
q. 3 a. 17 arg. 7 Praeterea, sicut homo
necessario vult suam beatitudinem, ita Deus necessario vult suam bonitatem et
quod ad eam pertinet. Sed ad bonitatem divinam pertinet productio creaturarum
in esse. Ergo hoc Deus necessitate vult; et ita videtur quod ab aeterno
producere creaturas voluerit, sicut voluit ab aeterno bonitatem suam esse.
7. L'homme veut nécessairement sa béatitude, de même Dieu veut
nécessairement sa bonté et ce qui la concerne. Mais la venue des créatures à
l'être appartient à la bonté divine. Donc Dieu le veut nécessairement et ainsi
il semble qu'il a voulu produire les créatures de toute éternité, comme il a
voulu que sa bonté soit de toute éternité.
q. 3 a. 17 arg. 8 Sed dicendum, quod ad
bonitatem Dei pertinet quod creaturae producantur in esse, non autem quod
producantur in esse ab aeterno.- Sed contra, maioris liberalitatis
est aliquid citius dare quam tardius. Sed liberalitas
divinae bonitatis est infinita. Ergo videtur quod ab aeterno esse creaturis
dederit.
8. Mais il faut dire que la venue des créatures à l'être appartient à
la bonté de Dieu, mais pas qu'elles le soient de toute éternité. – En sens
contraire, c'est une plus grande libéralité de donner quelque chose plus tôt
que plus tard. Mais la libéralité de la bonté divine est infinie. Donc il
semble qu'il a donné l'être aux créatures de toute éternité.
q. 3 a. 17 arg. 9
Praeterea, Augustinus dicit: illud dico te velle quod facis si potes. Sed Deus
ab aeterno voluit mundum producere; alias fuisset mutatus, si accessisset ei
nova voluntas mundi creandi. Cum ergo nulla impotentia ei conveniat, videtur
quod ab aeterno mundum produxerit.
9. Augustin dit (Confessions, VIII,
9): "Je te dis de vouloir ce que tu fais si tu le peux[7]". Mais Dieu
a voulu produire le monde de toute éternité; autrement il aurait subi un
changement s'il lui était arrivé une volonté nouvelle pour créer le monde. Donc
comme nulle impuissance ne lui convient, il semble qu'il a produit le monde de
toute éternité.
q. 3 a. 17 arg. 10
Praeterea, si mundus non semper fuit; antequam mundus esset, aut erat possibile
ipsum esse, aut non. Si non erat possibile, ergo impossibile erat ipsum esse,
et necesse non esse; et sic nunquam fuisset in esse productus. Si autem
possibile erat eum esse, ergo erat aliqua potentia respectu ipsius; et ita erat
aliquod subiectum sive materia, cum potentia non nisi in subiecto esse possit. Sed si fuit materia fuit et forma; cum materia non possit omnino esse a
forma denudata. Ergo fuit aliquod corpus compositum ex materia et
forma, et ex consequenti fuit totum universum.
10. Si le monde n'a pas toujours existé, avant d'exister, il était
possible qu'il existe ou non[8]. Si ce n'était pas possible, il était donc
impossible qu'il soit et nécessaire qu'il ne soit pas et ainsi jamais il
n'aurait été amené à l'être. Mais s'il était possible qu'il existât, il y avait
donc en lui une puissance par rapport à lui-même et ainsi il était un substrat
ou une matière, puisque la puissance ne peut exister que dans un substrat. Mais
s'il avait été matière, il aurait été forme, puisque la matière ne pourrait absolument
pas être dénuée de forme. Donc il y eut un corps composé de matière et de forme
et en conséquence l'univers entier a existé.
q. 3 a. 17 arg. 11
Praeterea, omne quod fit actu postquam fuit possibile fieri, educitur de
potentia in actum. Si ergo mundum fuit possibile fieri, antequam esset, oportet
dicere mundum eductum esse de potentia in actum; et ita materiam praecessisse,
et fuisse aeternam: ex quo sequitur idem quod prius.
11. Tout ce qui est devenu en acte après en avoir été possible, passe
de la puissance à l'acte. Donc s'il a été possible que le monde soit fait,
avant qu'il ne soit, il faut dire que le monde est passé de la puissance à
l'acte et ainsi la matière a préexisté et a été éternelle, il en découle la
même conséquence que ci-dessus.
q. 3 a. 17 arg. 12
Praeterea, omne agens quod de novo incipit agere, movetur de potentia in actum.
Sed hoc Deo non potest competere, cum ipse sit omnino immobilis. Ergo videtur
quod ipse non incepit de novo agere, sed quod ab aeterno mundum produxerit.
12. Tout agent qui recommence à agir de nouveau passe de la puissance à
l'acte. Mais cela ne peut convenir à Dieu puisqu'il est absolument immuable.
Donc il semble qu'il n'a pas recommencé à agir de nouveau, mais il a produit le
monde de toute éternité.
q. 3 a. 17 arg. 13
Praeterea, agens per voluntatem, si incipit facere quod prius volebat, cum
antea non fecisset, oportet ponere aliquid esse nunc inducens ipsum ad agendum,
quod prius non inducebat; quod est quodammodo expergefaciens ipsum. Sed non
potest dici quod aliquid aliud fuerit praeter Deum ante mundum, quod de novo
eum induxerit ad agendum. Cum ergo ab aeterno voluerit mundum facere (alias
voluntati eius aliquid accrevisset), videtur quod ab aeterno fecerit.
13. Si celui qui agit par volonté commence à faire ce qu'il voulait
auparavant, puisque auparavant il ne l'aura pas fait, il faut penser qu'il
existe quelque chose qui l'incite alors à agir, qui d'abord ne l'incitait pas;
ce qui est d'une certaine manière le "réveiller". Mais on ne peut pas
dire que quelque chose d'autre ait existé en dehors de Dieu avant le monde, qui
l'aurait de nouveau incité à agir. Donc, comme il a voulu faire le monde de
toute l'éternité (autrement quelque chose se serait ajouté à sa volonté), il
semble qu'il l'a fait de toute éternité.
q. 3
a. 17 arg. 14 Praeterea, nihil movet voluntatem divinam ad agendum nisi bonitas
eius. Sed bonitas divina semper eodem modo se habet. Ergo et voluntas Dei
semper se habet ad productionem creaturarum; et ita ab aeterno creaturas
produxit.
14. Rien ne pousse la volonté divine à agir sinon sa bonté. Mais
celle-ci se comporte toujours de la même manière. Donc la volonté de Dieu est
toujours occupée à la production des créatures et ainsi il les a produit de
toute l'éternité.
q. 3 a. 17 arg. 15
Praeterea, illud quod est semper in principio et in fine sui nunquam incipit
nec desinit: quia unaquaeque res est post sui principium et ante sui finem. Sed
tempus semper est in sui principio et in sui fine; nihil enim est temporis nisi
instans, quod est finis praeteriti et principium futuri. Ergo tempus nunquam
incipit nec desinit, sed semper est; et per consequens motus semper, et mobile
semper, et totus mundus; tempus enim non est sine motu, nec motus sine mobili,
nec mobile sine mundo.
15 Ce qui est toujours à son commencement et à sa fin ne commence ni ne
finit jamais; parce que chaque chose se situe après son commencement et avant
sa fin. Mais le temps est toujours à son commencement et à sa fin, car rien
n'appartient au temps que l'instant présent, qui est la fin du passé et le
commencement du futur. Donc le temps ne commence ni ne finit jamais, mais il
existe toujours, et par conséquent toujours aussi le mouvement, le mobile et le
monde tout entier; car le temps n'existe pas sans mouvement, ni le mouvement
sans mobile, ni le mobile sans le monde.
q. 3 a. 17 arg. 16
Sed dicendum, quod primum instans temporis non est finis praeteriti, nec
ultimum principium futuri.- Sed contra, nunc temporis semper consideratur ut
fluens, et in hoc differt a nunc aeternitatis. Sed quod fluit, ab alio in aliud
fluit. Ergo oportet omne nunc a priori nunc in posterius
fluere. Ergo impossibile est esse aliquod primum vel ultimum nunc.
16. Mais il faut dire que le premier instant du temps n'est pas la fin
d'un passé, ni l'ultime commencement du futur. – En sens contraire, on
considère que le présent du temps s'écoule toujours, et en cela il diffère du
présent de l'éternité. Mais ce qui s'écoule, s'écoule de l'un dans un autre.
Donc il faut que tout présent passe d'un instant avant dans un autre après.
Donc il est impossible qu'il y ait un premier ou un dernier instant.
q. 3 a. 17 arg. 17
Praeterea, motus sequitur mobile, et tempus sequitur motum. Sed primum mobile,
cum sit circulare, non habet principium neque finem: quia in circulo non est
accipere principium et finem in actu. Ergo neque motus neque tempus habent
principium; et sic idem quod prius.
17. Le mouvement suit le mobile, et le temps suit le mouvement; mais
comme le premier mobile est circulaire, il n'a pas de commencement ni de fin:
parce que, dans le cercle, on ne peut comprendre ni commencement, ni fin en
acte. Donc ni le mouvement, ni le temps n'ont de commencement et ainsi de même
que ci-dessus.
q. 3 a. 17 arg. 18
Sed dicendum, quod licet ipsum corpus circulare non habeat principium
magnitudinis, habet tamen principium durationis.- Sed contra, duratio motus
sequitur mensuram magnitudinis: quia, secundum philosophum, quanta est
magnitudo, tantum est et motus, et tantum tempus. Si ergo in magnitudine
corporis circularis non est aliquod principium, nec in magnitudine motus et
temporis erit principium, et per consequens nec in eorum duratione, cum eorum
duratio, et praecipue temporis, sit eorum magnitudo.
18. Mais il faut dire que, bien que le corps circulaire même n'ait pas
un principe de grandeur, cependant il a un principe de durée. – En sens
contraire, la durée du mouvement est à la mesure de sa grandeur; parce que,
selon le Philosophe, plus il y a de grandeur, autant il y a de mouvement et de
temps. Si donc dans la grandeur du corps circulaire, il n'y a pas de principe,
dans la grandeur, il n'y aura pas de principe à la grandeur du mouvement et du
temps, ni par conséquent dans leur durée, puisque la durée et principalement
celle du temps est leur grandeur.
q. 3 a. 17 arg. 19
Praeterea, Deus est causa rerum per scientiam suam. Scientia autem relative
dicitur ad scibile. Cum igitur relativa sint simul natura, et scientia Dei sit
aeterna, videtur quod res sint ab ipso ab aeterno productae.
19. Dieu est cause des choses par sa science; mais on dit que la
science est relative au connaissable. Donc comme ce qui est relatif est en même
temps, par nature, et que la science de Dieu est éternelle, il semble que les
choses ont été produites par lui de toute l'éternité.
q. 3 a. 17 arg. 20
Praeterea, aut Deus praecedit mundum natura tantum, aut duratione. Si natura
tantum, sicut causa effectum sibi coaevum, videtur quod cum Deus fuerit ab
aeterno, et creaturae fuerint ab aeterno. Si autem praecedit mundum duratione,
si ergo est accipere aliquam durationem priorem duratione mundi, quae se habet
ad durationem mundi ut prius ad posterius. Sed duratio quae habet prius et
posterius est tempus. Ergo ante mundum fuit tempus, et per consequens motus et
mobile; et sic idem quod prius.
20. Dieu précède le monde, en nature seulement ou en durée. Si c'est en
nature seulement, comme l'effet est contemporain à la cause, il semble que
puisque Dieu a existé de toute éternité, les créatures aussi. Mais s'il a
précédé le monde en durée, ainsi il a à recevoir une durée antérieure à la
durée du monde, qui se comporte pour la durée du monde comme un avant et un
après. Mais la durée qui a un avant et un après c'est le temps. Donc avant le
monde, il y eut le temps et par conséquent un mouvement et un mobile et ainsi
de même que ci-dessus.
q. 3 a. 17 arg. 21
Praeterea, Augustinus dicit: Deum ab aeterno dominum non fuisse dicere nolo.
Sed quandocumque fuit dominus, habuit creaturam sibi subiectam. Ergo non est
dicendum, quod creatura non fuerit ab aeterno.
21. Augustin dit (La Trinité, V,
16): "Je ne veux pas dire que Dieu a été Seigneur de toute l'éternité".
Mais toutes les fois qu'il a été Seigneur , il eut une créature qui lui était
soumise[9]. Donc il ne faut pas dire que la créature n'a pas existé de toute
éternité.
q. 3 a. 17 arg. 22
Praeterea, Deus potuit mundum producere antequam produxerit; alias impotens
fuisset. Scivit etiam ante producere; alias ignorans esset. Videtur etiam quod
voluit, alias invidus fuisset. Ergo videtur quod non inceperit de novo
producere creaturas.
22. Dieu a pu produire le monde avant le moment où il l'a produit;
autrement il aurait manqué de puissance. Et il a su aussi le produire avant,
autrement il aurait été ignorant. Il semble aussi qu'il l'a voulu, autrement il
aurait été jaloux[10]. Donc il semble qu'il n'a pas commencé à produire des
créatures de nouveau.
q. 3 a. 17 arg. 23
Praeterea, omne quod est finitum, est communicabile creaturae. Sed aeternitas
est quoddam finitum; alias nihil posset esse ultra aeternitatem: dicitur enim
Exod. XV, 18: dominus regnabit in aeternum et ultra. Ergo videtur quod creatura
fuerit aeternitatis capax; et sic conveniens fuit divinae bonitati quod
creaturam ab aeterno produxerit.
23. Tout ce qui est fini peut-être communiqué à la créature. Mais
l'éternité est quelque chose de fini; autrement rien ne pourrait être au-delà
de l'éternité[11]; on dit en effet dans Ex. 15, 18: "Le Seigneur régnera
dans l'éternité et au-delà." Donc il semble que la créature aura été
capable d'éternité et ainsi il a été conforme à la divine bonté d'avoir produit
la créature de toute éternité.
q. 3 a. 17 arg. 24
Praeterea, omne quod incipit, habet mensuram suae durationis. Sed tempus non
potest habere aliquam mensuram suae durationis: non enim mensuratur aeternitate,
quia sic semper fuisset: nec aevo, quia sic in perpetuum duraret; nec tempore,
quia nihil est mensura sui ipsius. Ergo tempus non incipit esse, et ita nec
mobile nec mundus.
24. Tout ce qui commence a la mesure de sa durée. Mais le temps ne peut
pas l'avoir; car il n'est pas mesuré par l'éternité, parce qu'ainsi il aurait
toujours existé; ni par l'ævum parce qu'ainsi il durerait toujours, ni par le
temps, parce que rien n'est sa propre mesure. Donc le temps n'a pas commencé à
exister, et ainsi ni le mobile, ni le monde non plus.
q. 3 a. 17 arg. 25
Praeterea, si tempus incepit esse, aut incepit esse in tempore, aut in
instanti. Sed non incepit esse in instanti, quia in instanti tempus nondum est;
nec iterum in tempore, quia sic nihil temporis ante temporis terminum esset;
nihil enim rei est antequam res esse incipiat. Ergo tempus non incepit esse: et
sic idem quod prius.
25. Si le temps a commencé à exister, ou il a commencé à exister dans
le temps ou dans l'instant. Mais il n'a pas commencé à exister dans l'instant,
parce que, en celui-ci, le temps n'existe pas encore; ni à nouveau dans le
temps, parce qu'ainsi rien du temps ne serait avant le terme du temps; car rien
d'une chose n'existe avant qu'elle commence à être. Donc le temps n'a pas
commencé et ainsi de même que ci-dessus.
q. 3 a. 17 arg. 26
Praeterea, Deus ab aeterno fuit causa rerum: alias oporteret dicere, quod prius
fuit causa in potentia, et postea in actu; et sic esset aliquid prius quod
reduceret ipsum de potentia in actum, quod est impossibile. Nihil autem est
causa, nisi causatum habeat. Ergo mundus fuit a Deo ab aeterno creatus.
26. Dieu fut cause des êtres de toute éternité; autrement il faudrait
dire que d'abord il a été une cause en puissance et ensuite en acte; et ainsi
il y aurait quelque chose avant lui qui le ferait passer de la puissance à
l'acte, ce qui est impossible. Mais rien n'est cause sinon ce qui a un effet.
Donc le monde a été créé par Dieu de toute éternité.
q. 3 a. 17 arg. 27
Praeterea, verum et ens convertuntur. Sed multa sunt vera ab aeterno; sicut
hominem non esse asinum, et mundum futurum esse, et multa similia. Ergo videtur
quod multa sunt entia ab aeterno; et non solum Deus.
27. Le vrai et l'étant sont convertibles. Mais beaucoup de vérité
existent de toute l'éternité; ainsi l'homme n'est pas un âne, le monde
existera, et beaucoup de propositions semblables. Donc il semble que nombreux
sont les étants qui existent de toute l'éternité et pas seulement Dieu.
q. 3
a. 17 arg. 28 Sed dicendum, quod omnia ista sunt vera veritate prima, quae Deus
est.- Sed contra, alia veritass est huius propositionis, mundum futurum esse,
et huius, hominem non esse asinum: quia posito per impossibile quod una sit
falsa, adhuc reliqua erit vera. Sed veritas prima non est alia et alia.
Ergo non sunt vera veritate prima.
28. Mais il faut dire que toutes ces propositions sont vraies par la
vérité première qui est Dieu. – En sens contraire, la vérité de cette
proposition, "le monde existera" est autre que celle-ci "l'homme
n'est pas un âne", parce que, une fois établi que par impossible l'une est
fausse, le reste sera encore vrai. Mais la vérité première n'est pas ceci ou
cela. Donc elles ne sont pas vraies par la vérité première.
q. 3 a. 17 arg. 29
Praeterea, secundum philosophum in praedicamentis, ex eo quod res est vel non
est, oratio vera vel falsa est. Si igitur multae propositiones verae sint ab
aeterno, videtur quod res per eas signatae ab aeterno extiterint.
29. Selon le Philosophe, dans les Catégories (La substance 5, 4 b 8) du
fait qu'une chose existe ou n'existe pas, la parole est vraie ou fausse. Si
donc de nombreuses propositions sont vraies de toute éternité, il semble que ce
qu'elles désignent aura existé de toute éternité.
q. 3 a. 17 arg. 30
Praeterea Deo idem est dicere quod facere; unde in Ps. 148, 5: dixit, et facta
sunt. Sed dicere Dei est aeternum: alias filius qui est verbum patris non esset
patri coaeternus. Ergo et facere Dei est aeternum, et ita mundus est factus ab
aeterno.
30. Pour Dieu dire et faire, c'est pareil; c'est pourquoi dans le Ps.
148, 5: "Il dit et ce fut fait". Mais la parole de Dieu est éternelle:
autrement le Fils qui est le Verbe du Père ne lui serait pas coéternel. Donc
l'action de Dieu est éternelle et ainsi le monde a été fait de toute éternité.
En sens contraire:
q. 3 a. 17 s. c. 1
Sed contra. Est quod dicitur Proverb. cap. VIII, 24, ex ore divinae sapientiae:
nondum erant abissi, et ego iam concepta eram: necdum fontes aquarum eruperant,
necdum montes gravi mole constiterant; ante omnes colles ego parturiebar; adhuc
terram non fecerat et flumina et cardines orbis terrae. Ergo cardines orbis
terrae et flumina et terra non semper fuerunt. Ergo cardines orbis terrae et
flumina et terra non semper fuerunt.
1. En Prov. 8, 24, il est dit de la bouche de la Sagesse divine: "Les
abîmes n'existaient pas encore, et moi déjà j'avais été conçue; les fontaines
n'avaient pas encore jailli, et les montagnes n'étaient pas établies dans leur
lourde masse; avant toutes les collines j'étais enfantée; il n'avait pas encore
fait la terre, les fleuves et les pôles du monde". Donc les pôles du
monde, les fleuves et la terre n'ont pas toujours existé.
q. 3
a. 17 s. c. 2 Praeterea, secundum Priscinianum quanto tempore iuniores, tanto
intellectu perspicaciores. Sed perspicacitas non est infinita. Ergo
nec tempus quo perspicacitas creavit fuit infinitum, et per consequens nec
mundus.
2. Selon Priscien[12], les plus jeunes dans le temps, sont perspicaces
par l'esprit. Mais la perspicacité n'est pas infinie. Donc le temps pendant
lequel la perspicacité a créé n'a pas été infini, et par conséquent le monde
non plus.
q. 3
a. 17 s. c. 3 Praeterea, Iob XIV, 19: alluvione paulatim terra consumitur. Sed terra
non est infinita. Si ergo fuisset tempus infinitum, iam totaliter esset
consumpta: quod patet esset falsum.
3. En Job 14, 19, on lit: "La terre s'érode peu à peu". Mais
la terre n'est pas infinie. Donc si le temps avait été infini, déjà elle serait
totalement érodée, ce qui paraît faux.
q. 3 a. 17 s. c. 4
Praeterea, constat Deum naturaliter esse mundo priorem, sicut causam effectu.
Sed in Deo idem est duratio et natura. Ergo Deus duratione prior est mundo, et
ita mundus non semper fuit.
4. Il est clair que Dieu existe naturellement avant le monde, comme la
cause avant l'effet. Mais en Dieu la durée et la nature sont les mêmes. Donc
Dieu est avant le monde par la durée et ainsi le monde n'a pas toujours existé.
Réponse:
q. 3 a. 17 co.
Respondeo. Dicendum quod firmiter tenendum est mundum non semper fuisse, sicut
fides Catholica docet. Nec hoc potest aliqua physica demonstratione efficaciter
impugnari. Ad cuius evidentiam sciendum est, quod sicut in quaestione alia est
habitum, in operatione Dei non potest accipi aliquod debitum ex parte causae
materialis, neque potentiae activae agentis, nec ex parte finis ultimi, sed
solum ex parte formae quae est finis operationis, ex cuius praesuppositione
requiritur quod talia existant qualia competunt illi formae
Il faut dire fermement que le monde n'a pas toujours existé, comme la foi
catholique l'enseigne. Et cette croyance ne peut pas être combattue
efficacement par une démonstration tirée de la physique[13]. Pour en montrer
l'évidence, il faut savoir que, comme on l'a considéré dans une autre question,
on ne peut accepter que dans l'opération de Dieu quelque chose soit dû du côté
de la cause matérielle[14], ni de la puissance active de l'agent, ni de la fin
ultime, mais seulement du côté de la forme qui est la fin de l'opération; de sa
présupposition, il est requis qu'ils existent tels qu'ils conviennent à cette
forme.
. Et ideo aliter dicendum est de productione unius
particularis creaturae, et aliter de exitu totius universi a Deo. Cum enim
loquimur de productione alicuius singularis creaturae, potest assignari ratio
quare talis sit, ex aliqua alia creatura, vel saltem ex ordine universi, ad
quem quaelibet creatura ordinatur, sicut pars ad formam totius. Cum autem de
toto universo loquimur educendo in esse, non possumus ulterius aliquod creatum
invenire ex quo possit sumi ratio quare sit tale vel tale; unde, cum nec etiam
ex parte divinae potentiae quae est infinita, nec divinae bonitatis, quae rebus
non indiget, ratio determinatae dispositionis universi sumi possit, oportet
quod eius ratio sumatur ex simplici voluntate producentis ut si quaeratur,
quare quantitas caeli sit tanta et non maior, non potest huius ratio reddi nisi
ex voluntate producentis.
C'est pourquoi il faut parler autrement de la production d'une créature
particulière et de la sortie de Dieu de tout l'univers[15]. En effet, quand
nous parlons de la production d'une créature particulière, on peut trouver la
raison pour laquelle elle est telle, à partir d'une autre créature, ou du moins
à partir de l'ordre de l'univers, à qui toute créature est ordonnée, comme la partie
à la forme du tout. Mais quand on parle de tout l'univers, qui parvient à
l'être, nous ne pouvons plus trouver au-delà quelque chose de créé d'où on
puisse tirer une raison pour laquelle il est tel ou tel. C'est pourquoi, comme
ni du côté de la puissance de Dieu qui est infinie, ni du côté de sa bonté, qui
n'a pas besoin des créatures, on ne peut trouver de raisons pour une
disposition déterminée de l'univers, il faut admettre comme raison la volonté
absolue de celui qui produit l'univers, pour que, si on cherche pourquoi
l'immensité du ciel est telle, et pas plus grande, on ne puisse tirer cette
raison que de la volonté du créateur.
Et propter hoc etiam, ut Rabbi Moyses dicit, divina
Scriptura inducit homines ad considerationem caelestium corporum, per quorum
dispositionem maxime ostenditur quod omnia subiacent voluntati et providentiae
creatoris. Non enim potest assignari ratio quare talis stella tantum a tali
distet, vel aliqua huiusmodi quae in dispositione caeli consideranda occurrunt,
nisi ex ordine sapientiae Dei; unde dicitur Is. XL, 26: levate in excelsum oculos
vestros; et videte quis creavit haec.
A cause de cela, comme le dit aussi Rabbi Moyses, l'Écriture conduit
les hommes à la considération des corps célestes: leur disposition montre le
mieux que tout est soumis à la volonté et à la providence du créateur. Car on
ne peut donner la raison pour laquelle telle étoile est seulement à telle
distance, ou pour d'autres phénomènes de ce genre qui arrivent dans la
disposition du ciel quand on le considére, sinon que cela vient de l'ordre de
la sagesse de Dieu. C'est pourquoi on dit en Is. 40, 26: "Levez vos yeux
vers le ciel, et voyez qui a créé cela".
Nec obstat, si dicatur quod talis quantitas consequitur
naturam caeli vel caelestium corporum, sicut et omnium natura constantium est
aliqua determinata quantitas, quia sicut divina potentia non limitatur ad hanc
quantitatem magis quam ad illam, ita non limitatur ad naturam cui debeatur
talis quantitas, magis quam ad naturam cui alia quantitas debeatur. Et sic
eadem redibit quaestio de natura, quae est de quantitate; quamvis concedamus,
quod natura caeli non sit indifferens ad quamlibet quantitatem, nec sit in eo
possibilitas ad aliam quantitatem nisi ad istam.
Rien n'empêche de dire qu'une telle grandeur découle de la nature du
ciel ou des corps célestes, de même la nature de tout ce qui se maintient est
une grandeur déterminée, parce que, la puissance de Dieu n'est pas plus limitée
à cette grandeur qu'à cette autre, de même elle n'est pas limitée à la nature à
quoi telle grandeur est due, plus qu'à la nature à quoi cette autre grandeur
est due. Et ainsi reviendra la même question au sujet de la nature, en ce qui
concerne la grandeur; quoique nous concédions que la nature du ciel n'est pas
indifférente à n'importe quelle grandeur, et qu'il n'y a pas en elle
possibilité pour une autre grandeur que pour celle-là.
Non sic autem potest dici de tempore vel temporis duratione.
Nam tempus est extrinsecum a re, sicut et locus; unde etiam in caelo, in quo non
est possibilitas respectu alterius quantitatis vel accidentis interius
inhaerentis, est tamen in eo possibilitas respectu loci et situs, cum localiter
moveatur; et etiam respectu temporis, cum semper tempus succedat tempori, sicut
est successio in motu et in ubi; unde non potest dici, quod neque tempus neque
ubi consequatur naturam eius, sicut de quantitate dicebatur. Unde patet quod ex
simplici Dei voluntate dependet quod praefigatur universo determinata quantitas
durationis, sicut et determinata quantitas dimensionis. Unde non potest
necessario concludi aliquid de universi duratione, ut per hoc ostendi possit
demonstrative mundum semper fuisse.
Mais il n'est pas possible de parler ainsi du temps ou de sa durée. Car
il est extérieur à la chose, comme le lieu; c'est pourquoi même dans le ciel,
dans lequel il n'y pas de possibilité par rapport à une autre quantité ou un
accident qui adhère plus intérieurement, il y a cependant en lui possibilité
par rapport au lieu et à l'espace, puisqu'il est mû localement, et aussi par
rapport au temps, puisque toujours le temps succède au temps, de même qu'il y
succession dans le mouvement et le lieu; c'est pourquoi on ne peut pas dire,
que ni le temps, ni le lieu accompagnent sa nature, comme on le disait de la
quantité. Aussi il est clair qu'il dépend de la simple volonté de Dieu qu'une
quantité déterminée de temps soit fixée à l'univers, de la même manière qu'une
grandeur déterminée pour la dimension. C'est pourquoi on ne peut rien conclure
nécessairement de la durée de l'univers, pour pouvoir démontrer par le
raisonnement que le monde a toujours existé.
Quidam vero non considerantes exitum universi
a Deo, coacti sunt circa inceptionem mundi errare. Quidam namque causam agentem
praetermittentes, solam materiam a nullo creatam ponentes, quae omnium causa
esset, sicut antiquissimi naturales, necessario habuerunt dicere materiam
semper fuisse. Cum
enim nihil se educat de non esse in esse, oportet causam aliam habere quod
incipit esse; et hi posuerunt
A. – Certains qui ne considèrent pas que l'univers vient de Dieu, ont
été forcés de se tromper sur le commencement du monde. Car certains sans tenir
compte de la cause efficiente, pensant qu'il y avait seulement une matière
incréée[16], qui serait la cause de tout, comme les très anciens Naturalistes,
furent obligés de dire que la matière a toujours existé. En effet, comme rien
ne passe par soi du non-être à l'être, il faut que ce qui commence à être ait
une autre cause et ils ont pensé:
vel mundum semper fuisse continue, quia non ponebant nisi
naturaliter agentia quae determinabantur ad unum, ex quo oportebat quod semper
idem effectus sequeretur;
a) ou bien que le monde a toujours existé en continuité,
parce qu'ils ne pensaient qu'aux agents naturellement déterminés à un seul
objet d'où il fallait que découle toujours le même effet,
vel cum interruptione sicut Democritus; qui ponebat mundum
vel mundos potius multoties fuisse compositos et dissolutos casu, propter
causalem motum atomorum.
b) ou bien (qu'il a existé) avec interruption, comme Démocrite le dit,
qui pensait que le monde, ou plutôt les mondes, avaient été composés et
désagrégés de nombreuses fois par le hasard, à cause du mouvement causal des
atomes.
Sed quia inconveniens videbatur quod omnes convenientiae et
utilitates in rebus naturalibus existentes essent a casu, cum semper vel in
pluribus inveniantur; quod tamen necesse erat sequi, si solum materia
poneretur, et praecipue cum inveniatur quidam effectus ad quos causalitas
materiae non sufficit; ideo alii posuerunt causam agentem, sicut Anaxagoras
intellectum, et Empedocles amicitiam et litem. Sed tamen isti non posuerunt
huiusmodi causas agentes universi esse, sed ad modum aliorum particularium
agentium, quae agunt materiam transmutando de uno in aliud. Unde necesse erat
eis dicere quod materia esset aeterna, utpote non habens causam sui esse; sed
mundum incepisse: quia omnis effectus causae agentis per motum sequitur suam
causam in duratione, eo quod effectus non est nisi in termino motus, ante quem
est principium motus, cum quo simul oportet esse agens, a quo est principium
motus.
B. Mais parce qu'il paraissait inconvenant que toutes les aptitudes et
fonctions qui existent dans les êtres naturels dépendent du hasard, puisque on
les trouvait soit toujours, soit même dans le plus grand nombre des êtres: ce
que cependant il était nécessaire de conclure, si on pensait qu'il n'y avait
que la matière, et surtout puisqu'on trouvait un effet pour ce pourquoi la
causalité de la matière ne suffit pas, d'autres ont établi une cause
efficiente, comme l'intelligence pour Anaxagore, et l'amitié et le procès pour
Empédocle[17]. Mais cependant ils n'ont pas établi de telles causes efficientes
universelles, mais à la manière des autres agents particuliers, qui agissent
sur la matière en la changeant d'une chose en une autre. C'est pourquoi il
était nécessaire pour eux de dire que la matière était éternelle, c'est-à-dire
comme sans cause de son être; mais que le monde a commencé; parce que tout
effet d'une cause efficiente par mouvement suit sa cause dans la durée, parce
que l'effet n'existe qu'au terme du mouvement, avant lequel il y a son
commencement, avec lequel il faut que l'agent soit en même temps, par lequel
existe un principe du mouvement.
Aristoteles vero, considerans, quod si ponatur causa
constituens mundum agere per motum, sequeretur quod sit abire in infinitum,
quia ante quemlibet motum erit motus, posuit mundum semper fuisse. Non enim
processit ex consideratione illa qua intelligitur exitus universi esse a Deo,
sed ex illa consideratione qua ponitur aliquod agens incipere operari per motum;
quod est particularis causae, et non universalis. Et propter hoc ex motu et
immobilitate primi motoris, rationes suas sumit ad mundi aeternitatem
ostendendam; unde diligenter consideranti, rationes eius apparent quasi
rationes disputantis contra positionem; unde et in principio VIII Phys., mota
quaestione de aeternitate motus, praemittit opiniones Anaxagorae et Empedoclis,
contra quas disputare intendit.
C. – Mais Aristote ( Physique,
VIII, 1, 251 a 10-13), considérant que, si on pense qu'une cause qui constitue
le monde agit par mouvement, il en découlerait que ce serait aller à l'infini,
parce que, avant n'importe quel mouvement, il y a un mouvement, pensa que le
monde a toujours existé. Car il part pas de cette considération par laquelle on
comprend que l'univers vient de Dieu, mais de celle par laquelle on pense qu'un
agent commence à opérer par mouvement, ce qui est d'une cause particulière, et
non d'une cause universelle. Et ainsi il tire ses arguments du mouvement et de
l'immobilité du premier moteur pour démontrer l'éternité du monde. C'est pour
cela que, pour celui qui les considère avec attention, ses raisons apparaissent
comme celles de quelqu'un qui réfute une opinion; et ainsi au commencement du
livre VIII de la Physique (VIII, 1,
250 b 23[18]) ayant soulevé la question de l'éternité du mouvement, il présente
préalablement les opinons d'Anaxagore et d'Empédocle contre lequel il a
l'intention d'argumenter.
Sed sequaces Aristotelis considerantes exitum totius
universi a Deo per suam voluntatem, et non per motum, conati sunt ostendere
mundi aeternitatem per hoc quod voluntas non retardat facere quod intendit,
nisi propter aliquam innovationem vel immutationem, saltem quam necesse est
imaginari in successione temporis, dum vult facere hoc tunc et non prius.
D. Mais les successeurs d'Aristote considérant que l'univers est sorti
de Dieu par sa volonté et non par mouvement, ont essayé de démontrer l'éternité
du monde par le fait que la volonté ne tarde pas à accomplir ce qu'elle a
l'intention de faire sauf nouveauté ou changement, du moins qu'il est
nécessaire d'imaginer dans la succession du temps, pendant qu'il veut faire
cela alors et non avant.
Sed isti etiam in
defectum similem inciderunt in quem et praedicti. Consideraverunt enim primum
agens ad similitudinem alicuius agentis quod suam actionem exercet in tempore
quamvis per voluntatem agat; quod tamen non est causa ipsius temporis, sed
tempus praesupponit. Deus autem est causa etiam ipsius temporis. Nam et ipsum
tempus in universitate eorum quae a Deo facta sunt continetur; unde cum de
exitu universi esse a Deo loquimur, non est considerandum, quod tunc et non
prius fecerit. Ista
enim consideratio tempus praesupponit ad factionem, non autem subiicit
factioni.
Mais ceux-ci tombèrent dans une erreur semblable à celle où étaient
tombés ceux dont on a parlé. Car ils ont considérè le premier agent à la
ressemblance d'un agent qui exerce son action dans le temps, quoiqu'il agisse par
volonté, ce qui n'est pas cause de ce temps, mais le présuppose. Mais Dieu est
la cause aussi du temps lui-même. Car il est contenu dans l'universalité de ce
que Dieu a créé; c'est pourquoi, quand nous parlons de l'être de l'univers
sorti de Dieu, il ne faut pas considérer qu'il l'a fait alors et non avant. Car
cette considération présuppose le temps pour sa formation, mais elle n'y est
pas soumise.
Sed si universitatis creaturae productionem consideramus,
inter quas est etiam ipsum tempus, est considerandum quare tali tempori talem
mensuram praefixerit, non quare hoc fecit in tali tempore. Praefixio autem
mensurae temporis dependet ex simplici voluntate Dei, qui voluit quod mundus
non esset semper, sed quandoque esse inciperet, sicut et voluit quod caelum nec
esset maius vel minus.
Mais si nous considérons la production de l'universalité des créatures,
parmi lesquelles il y a le temps lui-même, il faut considérer pourquoi il a
fixé à l'avance une telle mesure à tel temps, non pourquoi il a fait cela en tel
temps. La détermination de la mesure du temps dépend de la simple volonté de
Dieu, qui a voulu que le monde n'existe pas toujours, mais qu'un jour, il
commence à exister comme il a voulu que le ciel ne soit ni plus grand ni plus
petit.
Solutions:
q. 3 a. 17 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod bonitatis proprium est producere res in esse
mediante voluntate, cuius est obiectum; unde non oportuit quod quandocumque
fuit divina bonitas, res producerentur in esse, sed secundum dispositionem
voluntatis divinae.
# 1. Le propre de la bonté est de faire venir les créatures à l'être
par l'intermédiaire de la volonté, dont c'est l'objet. C'est pourquoi il n'a
pas fallu que toutes les fois où il y eut la bonté de Dieu les créatures
viennent à l'être, mais selon la disposition de la volonté divine.
q. 3 a. 17 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod in corpore caelesti, cum sit incorruptibile, est virtus
ut sit semper; sed nulla virtus neque essendi neque operandi respicit
praeteritum, sed solum praesens vel futurum; nullus enim habet virtutem ad quod
aliquid fecerit, quia quidquid non est factum, non potest factum fuisse; sed
habet aliquis virtutem ad hoc ut nunc vel in posterum faciat; unde et virtus
existendi semper, quae inest caelo, non respicit praeteritum, sed futurum.
# 2. Le corps céleste, en tant qu'incorruptible, a le pouvoir de
toujours exister; mais aucun pouvoir d'être ni d'opérer ne regarde le passé,
mais seulement le présent ou le futur; car personne n'a de pouvoir sur ce qui
aura été fait, parce que, tout ce qui n'a pas été fait ne peut pas avoir été
fait; mais quelqu'un en a le pouvoir dans le présent ou le futur. C'est
pourquoi le pouvoir d'exister toujours qui est dans le ciel, ne regarde pas le
passé, mais le futur.
q. 3 a. 17 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod non potest dici, simpliciter loquendo, caelum esse
corruptibile propter hoc quod in non esse decideret, si a Deo non contineretur.
Sed tamen quia creaturam contineri in esse a Deo, dependet ex immobilitate
divina, non ex necessitate naturae, ut possit dici quod sit necessarium
absolute, cum sit necessarium solum ex suppositione divinae voluntatis, quae
hoc immobiliter statuit, potest concedi secundum quid corruptibile esse caelum,
cum hac scilicet conditione, si Deus ipsum non contineret.
# 3. On ne peut pas dire, absolument parlant, que le ciel est
corruptible, pour tomber dans le non-être, s'il n'était pas maintenu par Dieu.
Mais cependant, parce que le fait que la créature soit maintenue à l'être par
Dieu dépend de l'immutabilité divine, non par la nécessité de nature, pour
qu'on puisse dire qu'il est absolument nécessaire, puisqu'il serait nécessaire
seulement, si on suppose la volonté divine, qui l'a établi de façon immobile,
on peut concéder en quoi le ciel est corruptible, à cette condition que Dieu ne
le maintienne pas.
q. 3 a. 17 ad 4 Ad quartum dicendum, quod omnis
effectus habet necessariam habitudinem ad suam causam efficientem, sive sit
causa naturalis, sive voluntaria. Sed non ponimus Deum causam mundi ex
necessitate naturae suae, sed ex voluntate, ut supra dictum est, unde
necessarium est effectum divinum sequi non quandocumque natura divina fuit, sed
quando dispositum est voluntate divina ut esset, et secundum modum eumdem quo
voluit ut esset.
# 4. Tout effet a une relation nécessaire à sa cause efficiente,
qu'elle soit naturelle ou volontaire. Mais nous ne pensons pas que Dieu soit la
cause du monde par la nécessité de sa nature, mais par volonté, comme on l'a
dit plus haut ( qu. 3, art. 15). C'est pourquoi, il est nécessaire que l'effet
divin suive, non pas chaque fois que la nature divine a existé, mais quand il a
été disposé par la volonté divine à être et de la manière même dont il a voulu
qu'il soit.
q. 3 a. 17 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod ante tempus aliquid esse, potest intelligi dupliciter.
Uno modo ante totum tempus, et ante omne id quod est temporis; et sic mundus
non fuit ante tempus, quia instans in quo incepit mundus, licet non sit tempus,
est tamen aliquid temporis, non quidem ut pars, sed ut terminus.
Alio modo intelligitur aliquid esse ante tempus, quia est
ante temporis completionem; quod non completur nisi in instanti ante quod est
aliud instans; et sic mundus est ante tempus. Non autem oportet propter hoc
quod sit aeternus; quia nec ipsum instans temporis quod sic est ante tempus est
aeternum.
# 5. L'existence d'un être avant le temps, peut être comprise de deux
façons:
a) Avant tout le temps et avant tout ce qui concerne temps; et ainsi le
monde n'a pas existé avant le temps, parce que l'instant où il a commencé, bien
que ce ne soit pas le temps, est cependant quelque chose du temps, non comme
une partie, mais comme un terme.
b) On comprend que quelque chose existe avant le temps parce qu'il est
avant l'accomplissement du temps; parce qu'il n'est complet que dans l'instant
avant lequel il y a un autre instant; et ainsi le monde est avant le temps.
Mais il ne faut pas pour cela qu'il soit éternel, parce que cet instant même du
temps qui est ainsi avant le temps n'est pas éternel.
q. 3 a. 17 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod cum omne agens agat sibi simile, oportet quod effectus
hoc modo sequatur a causa efficaciter operante, quod similitudinem causae
retineat. Sicut autem quod est a causa naturaliter agente, retinet
similitudinem eius prout habet formam similem formae agentis; ita quod est ab
agente voluntario, retinet similitudinem eius, prout habet formam similem
causae, secundum quod hoc producitur in effectu quod est in voluntatis
dispositione, ut patet de artificiato respectu artificis. Voluntas autem non
disponit solum de forma effectus, sed de loco, duratione, et omnibus
conditionibus eius; unde oportet quod effectus voluntatis tunc sequatur quando
voluntas disponit, non quando voluntas est. Non enim secundum esse, sed
secundum id quod voluntas disponit, effectus voluntati similatur. Licet igitur
voluntas semper sit eadem, non tamen oportet quod semper ex ea effectus
sequatur.
# 6. Comme tout agent fait du semblable à lui, il faut que l'effet
découle de la cause qui opère efficacement, de manière à maintenir sa
ressemblance. De même ce qui dépend d'une cause qui agit naturellement
maintient la ressemblance dans la mesure où elle a une forme semblable à celle
de l'agent. De la même manière ce qui maintient sa ressemblance, dans la mesure
où il a une forme semblable à celle de l'agent, selon que cela se produit dans
un effet qui dépend de la volonté, comme cela paraît dans l'oeuvre de
l'artisan, en rapport avec lui. La volonté ne dispose pas seulement de la forme
de l'effet, mais du lieu, de la durée et de toutes ses conditions. C'est
pourquoi, il faut que l'effet de la volonté suive quand elle le dispose, non
quand elle existe. Car ce n'est pas selon l'être, mais selon ce que la volonté
dispose, que l'effet est semblable à la volonté. Donc, bien que la volonté soit
toujours la même, cependant il ne faut pas que toujours l'effet en découle.
q. 3 a. 17 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod Deus de necessitate vult suam bonitatem et omne id sine
quo sua bonitas esse non potest. Tale autem non est creaturarum productio; unde
ratio non sequitur.
# 7. Dieu veut nécessairement sa bonté et tout ce sans quoi sa bonté ne
peut pas exister. Mais telle n'est pas la production des créatures. C'est pour
cela que l'argument ne vaut pas.
q. 3 a. 17 ad 8 Ad
octavum dicendum, quod cum Deus creaturas ad manifestationem sui produxerit,
convenientius fuit et melius ut sic producerentur, sicut convenientius et
expressius eum poterant manifestare. Expressius autem manifestatur ex
creaturis, si non semper sint; quia in hoc manifeste apparet quod ab alio eductae
sunt in esse, et quod Deus creaturis non indiget, et quod creaturae omnino
divinae subiacent voluntati.
# 8. Comme Dieu a produit les créatures pour se manifester, il a été
plus convenable et meilleur de les produire aussi comme elles pouvaient le
manifester plus convenablement et mieux. Mais il est plus expressément
manifesté par les créatures, si elles n'existaient pas toujours, parce que, en
cela, il apparaît manifestement qu'elles viennent à l'être par un autre, que
Dieu n'a pas besoin de ses créatures, et que les créatures sont soumises
entièrement à sa volonté .
q. 3 a. 17 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod Deus aeternam voluntatem habuit de mundi factione; non
tamen ut mundus semper fieret, sed ut tunc fieret quando fecit.
# 9. Dieu a eu la volonté éternelle de créer le monde, non cependant
pour qu'il existât toujours, mais pour qu'il soit créé quand il le fit.
q. 3 a. 17 ad 10 Ad
decimum dicendum, quod antequam mundus esset, possibile erat mundum fieri, non
quidem aliqua potentia passiva, sed solum per potentiam activam agentis. Vel
potest dici, quod fuit possibile non per aliquam potentiam, sed quia termini
non sunt invicem discohaerentes, huiusmodi scilicet propositionis: mundus est.
Sic enim dicitur esse aliquid possibile secundum nullam potentiam, ut patet per
philosophum, in V Metaph.
# 10. Avant que le monde existe, il était possible qu'il soit créé, non
à cause d'une quelconque puissance passive, mais seulement par la puissance
active de l'agent. Ou bien on peut dire encore qu'il a été possible, non par
une puissance, mais parce que les termes ne se contrarient pas entre eux, à
savoir ceux de cette proposition: "Le monde existe". Car ainsi on dit
que quelque chose est possible mais pas selon la puissance, comme le Philosophe
le fait voir (Métaphysique V, 15,
1021 a 24-25[19]).
q. 3 a. 17 ad 11 Et per hoc patet solutio ad
undecimum.
11. Et ainsi apparaît la solution à la onzième objection.
q. 3 a. 17 ad 12 Ad
decimumsecundum dicendum, quod ratio illa procedit de agente quod incipit agere
actione nova; sed Dei actio est aeterna, cum sit sua substantia. Dicitur autem
incipere agere ratione novi effectus, qui ab aeterna actione consequitur
secundum dispositionem voluntatis, quae intelligitur quasi actionis principium
in ordine ad effectum. Effectus enim ab actione sequitur secundum conditionem
formae, quae est actionis principium; sicut aliquid est calefactum per
calefactionem ignis, ad modum caloris ignis.
12. Cette raison procède de l'agent qui commence à agir par une action
nouvelle; mais l'action de Dieu est éternelle, puisqu'elle est sa substance. On
dit qu'il commence à agir pour un nouvel effet, qui découle de l'action
éternelle selon la disposition de sa volonté, qui est comprise comme le
principe de l'action en rapport avec cet l'effet. Car l'effet découle de
l'action selon la condition de la forme, qui en est le principe; ainsi quelque
chose est réchauffé par la chaleur du feu, à la manière de sa chaleur.
q. 3 a. 17 ad 13 Ad
decimumtertium dicendum, quod ratio illa procedit de agente quod ita facit
effectum suum in tempore, quod tamen non est temporis causa; quod in Deo locum
non habet, ut ex supra dictis, patet.
13. Cette raison procède d'un agent qui produit son effet dans le
temps, sans être la cause du temps, ce qui n'existe pas en Dieu, comme cela
paraît de ce qu'on a dit plus haut (art. 15).
q. 3 a. 17 ad 14 Ad
decimumquartum dicendum, quod si motus proprie accipiatur, divina voluntas non
movetur; sed metaphorice loquendo dicitur moveri a suo volito; et sic sola Dei
bonitas movet ipsam, secundum quod Augustinus dicit quod Deus movet se ipsum
sine loco et tempore. Nec tamen sequitur quod quandocumque fuit bonitas eius,
tunc esset creaturarum productio; quia creaturae non procedunt a Deo ex debito
vel necessitate bonitatis, cum divina bonitas creaturis non egeat, nec per eas
ei aliquid accrescat, sed ex simplici voluntate.
14. Si le mouvement est pris au sens propre, la volonté divine n'est
pas mue, mais en parlant par métaphore, on dit qu'elle est mue par ce qu'il
veut, et ainsi la seule bonté de Dieu la meut elle-même, selon ce que dit
Augustin (La Genèse au sens littéral
VIII, 22) que Dieu se meut lui-même sans lieu ni temps. Cependant il n'en
découle pas que chaque fois que sa bonté a existé, il y aurait eu production de
créatures, parce qu'elles ne procèdent pas de Dieu comme un dû ou nécessité de
sa bonté, puisque la bonté divine n'a pas besoin des créatures, et par elles
rien n'est accru en lui, mais cela vient de sa simple volonté.
q. 3 a. 17 ad 15 Ad
decimumquintum dicendum, quod cum prima successio temporis causetur ex motus
successione, ut dicitur in IV Phys., secundum hoc verum est quod omne instans
et est principium et finis temporis, dicendum quod verum est quod omne momentum
est principium et finis motus; unde si supponamus motum non semper fuisse nec
semper futurum esse, non oportebit dicere quod quodlibet instans sit principium
et finis temporis; sed erit aliquod instans quod est tantum principium, et
aliquod quod tantum finis. Unde patet quod ratio ista est circularis, et propter
hoc non est demonstratio; sed tamen est efficax secundum intentionem
Aristotelis, qui eam inducit contra positionem, ut dictum est, in corp. art.
Multae enim rationes sunt efficaces contra positionem propter ea quae ab
adversariis ponuntur, quae non sunt efficaces simpliciter.
ICIC
q. 3 a. 17 ad 16 Ad
decimumsextum dicendum, quod instans semper consideratur ut fluens, sed non
semper ut fluens ab aliquo in aliquid, sed quandoque ut fluens ab aliquo
tantum, sicut ultimum instans temporis; quandoque ut fluens in aliquid tantum,
sicut primum instans.
15. Comme la première succession du temps est causée par la succession
du mouvement, comme on le dit (Physique
IV, 218 b 9 sq.[20]), et qu'ainsi il est vrai que tout instant est commencement
et fin du temps, il faut dire qu'il est vrai que tout moment est commencement
et fin du mouvement; c'est pourquoi si nous supposons que le mouvement n'a pas
toujours existé, et ne durera pas toujours, il ne faudra pas dire que n'importe
quel instant est commencement et fin du temps, mais il y aura un instant qui
est seulement commencement et un qui est seulement fin. C'est pourquoi, il
apparaît que cette raison est circulaire et c'est pour cela que ce n'est pas
une démonstration, mais cependant elle est efficace dans l'intention d'Aristote
qui l'oppose à cette opinion, comme on l'a dit dans le corps de l'article. Car
nombreuses sont les raisons efficaces contre cette opinion à cause de ce que
les adversaires ont pensé, causes qui ne sont pas efficaces de façon absolue.
16. L'instant est toujours considéré comme fluctuant, mais pas toujours
comme fluctuant de l'un dans l'autre, mais quelquefois comme fluctuant d'un
seulement comme le dernier instant du temps, quelquefois comme fluctuant en
l'un seulement, comme le premier instant.
q. 3 a. 17 ad 17 Ad
decimumseptimum dicendum, quod illa ratio non probat quod motus semper fuerit,
sed quod motus circularis possit esse semper, quia ex mathematicis non potest
aliquid efficaciter de motu concludi; unde Aristoteles, non probat ex circulatione
motus, eius aeternitatem; sed supposito quod sit aeternus, ostendit quod est
circularis; quia nullus alius motus potest esse aeternus.
17. Cette raison ne prouve pas que le mouvement a toujours existé, mais
que le mouvement circulaire pourrait existé toujours, parce que
mathématiquement on ne peut rien conclure d'efficace sur le mouvement; c'est
pourquoi Aristote (Physique VIII, 8,
264 b 9 ss.) ne prouve pas de la circularité du mouvement son éternité; mais
supposé qu'il soit éternel, il montre qu'il est circulaire, parce que nul autre
mouvement ne peut être éternel.
q. 3 a. 17 ad 18 Et per hoc patet responsio ad
decimumoctavum.
18. Et par là apparaît la réponse à la dix-huitième objection.
q. 3 a. 17 ad 19 Ad
decimumnonum dicendum, quod sicut se habet scibile ad scientiam nostram, ita se
habet scientia Dei ad creaturas. Nam scientia Dei est causa creaturarum, sicut
et scibile est causa scientiae nostrae; unde sicut scibile potest esse,
scientia nostra non existente, ut dicitur in praedicamentis, ita Dei scientia
esse potest, scibili non existente.
19. La science de Dieu se comporte vis-à-vis des créatures de la même
manière que le connaissable vis-à-vis de notre science. Car celle de Dieu est
la cause des créatures; de même que le connaissable est cause de notre science;
c'est pourquoi comme le connaissable peut exister sans que notre science
existe, comme on le dit (Les Catégories, ad
aliquid, 7, 7 b 23), ainsi la science de Dieu peut exister sans que le
connaissable existe.
q. 3 a. 17 ad 20 Ad
vicesimum dicendum, quod Deus praecedit mundum duratione, non quidem temporis,
sed aeternitatis, quia esse Dei non mensuratur tempore. Nec ante mundum fuit
tempus reale, sed solum imaginarium, prout scilicet nunc possumus imaginari
infinita temporum spatia, aeternitate existente, potuisse revolvi ante temporis
inceptionem.
20. Dieu précède le monde dans la durée, non du temps mais de
l'éternité, parce que l'être de Dieu n'est pas mesuré par le temps. Et avant le
monde il n'y eut pas de temps réel, mais seulement imaginaire, dans la mesure
où nous pouvons maintenant imaginer qu'un espace infini de temps, quand existe
l'éternité, a pu se dérouler avant le commencement du temps.
q. 3 a. 17 ad 21 Ad
vicesimumprimum dicendum, quod si relatio dominii intelligatur consequi
actionem qua Deus actualiter creaturas gubernat, sic non est ab aeterno
dominus. Si autem intelligatur consequi ipsam potestatem gubernandi, sic
competit ei ab aeterno. Nec tamen oportet creaturas ab aeterno ponere, nisi in
potentia.
21. La relation de Seigneur est comprise comme découlant de l'action
par laquelle Dieu gouverne actuellement les créatures, ainsi, il n'est pas
Seigneur depuis l'éternité. Mais si on comprend qu'elle découle de sa propre
puissance de gouverner, alors ce nom lui convient depuis l'éternité. Cependant
il ne faut pas penser que des créatures aient existé de toute éternité, sinon
en puissance.
q. 3 a. 17 ad 22 Ad
vicesimumsecundum dicendum, quod ratione illa utitur Augustinus, ad probandum
coaeternitatem et coaequalitatem filii ad patrem; quae tamen ratio non est
efficax de mundo; quia cum natura filii sit eadem cum patre, requirit
aeternitatem et aequalitatem patris; quae si sibi subtraheretur, invidiae
esset. Non autem hoc requirit natura creaturae; et ideo non est simile.
22. Augustin (Contre Maximinien, III,
ch. 7, 8, 22) se sert de cette raison pour prouver la coéternité et la
coégalité du Fils au Père; cependant elle n'est pas valable pour le monde,
parce que la nature du Fils est la même que celle du Père, elle requiert
l'éternité et l'égalité avec le Père. Si elle lui était enlevée, ce serait une
spoliation. Mais la nature de la créature ne le requiert pas, et c'est pourquoi
ce n'est pas pareil.
q. 3 a. 17 ad 23 Ad
vicesimumtertium dicendum, quod secundum Graecos dicitur: dominus regnavit in
saeculum saeculi, et adhuc; quod exponens Origenes in Glossa, dicit, quod
saeculum intelligitur spatium unius generationis, cuius finis notus est nobis:
per saeculum saeculi immensum spatium temporis, quod finem habet, tamen nobis
ignotum; sed adhuc ultra illud, regnum Dei extenditur. Et sic aeternum
exponitur pro tempore diuturno. Anselmus autem in Proslog., exponit aeternum
pro aevo, quod nunquam finem habet; et tamen ultra illud Deus esse dicitur
propter hoc:
primo, quia aeviterna possunt intelligi non esse.
Secundo, quia non essent, nisi a Deo continerentur; et sic de se non
sunt.
Tertio, quia non habent totum esse suum simul, cum in eis
sit aliqua mutationis successio.
23. Selon les Grecs on dit: "Le Seigneur a régné pour le siècle de
siècle, et au-delà"; en l'exposant, Origène, dans la glose, dit que le
siècle est compris comme la durée d'une génération, dont la fin nous est connue;
par siècle de siècle, un immense durée de temps, qui a une fin, cependant
ignorée de nous; mais par encore, le règne de Dieu s'étend au-delà de cela. Et
ainsi éternel est pris pour un temps qui dure. Mais Anselme dans le Proslogion
(ch. 19 et 20) définit éternel comme l'aevum, qui jamais n'a de fin et
cependant on dit que Dieu est au-delà pour cette raison:
a) Ce qui est éviternel peut être compris comme n'existant pas.
b) Cela n'existerait que si c'était maintenu par Dieu: et ainsi en soi,
cela n'existe pas.
c) Ils n'ont pas tout leur être en même temps, puisqu'il y a en eux une
succession de changements.
q. 3 a. 17 ad 24 Ad vicesimumquartum dicendum,
quod pro tanto oportet illud quod incipit, habere mensuram durationis, quia
incipit per motum. Sic autem tempus non incipit per creationem, unde ratio non
sequitur; et tamen potest dici, quod omnis mensura in suo genere seipsa
mensuratur, sicut linea per lineam, et similiter tempus per tempus.
24. Pour autant, il faut que ce qui commence ait la mesure de la durée,
parce qu'il commence par un mouvement. Mais ainsi le temps ne commence pas par
création; c'est pourquoi cette raison n'est pas valable; et cependant on peut
dire que toute mesure dans son genre est mesurée par elle-même, comme la ligne
par la ligne, et semblablement le temps par le temps.
q. 3 a. 17 ad 25 Ad
vicesimumquintum dicendum, quod tempus non se habet sicut permanentia, quorum
substantia est tota simul; unde non oportet quod totum tempus sit quando
incipit esse; et sic nihil prohibet dicere, quod tempus incipit in instanti
esse.
25. Le temps ne se comporte pas comme ce qui est permanent dont la
substance est toute en même temps; c'est pourquoi il ne faut pas que le temps
en entier existe, quand il commence à exister, et ainsi rien n'empêche de dire
que le temps commence à être dans l'instant.
q. 3 a. 17 ad 26 Ad
vicesimumsextum dicendum, quod actio Dei est aeterna, sed effectus non est
aeternus, ut supra dictum est; unde licet Deus non semper fuerit causa, cum non
semper fuerit effectus, non tamen sequitur quod non fuerit causa in potentia,
quia actio eius semper fuit, nisi potentia ad effectum referatur.
26. L'action de Dieu est éternelle, mais l'effet ne l'est pas, comme on
l'a dit plus haut;. c'est pourquoi, bien que Dieu n'ait pas toujours été cause,
comme son effet n'a pas toujours existé, il n'en découle cependant qu'il n'a
pas été la cause en puissance, parce que son action n'a toujours existé, que si
sa puissance se rapporte pas à un effet.
q. 3 a. 17 ad 27 Ad
vicesimumseptimum dicendum, quod secundum philosophum, verum est in mente, non
in rebus; est enim adaequatio intellectus ad res. Unde omnia quae fuerunt ab
aeterno, fuerunt vera per veritatem intellectus divini, quae est aeterna.
27. Selon le Philosophe (Métaphysique
VI, 4, 1027 b 25), la vérité est dans l'esprit, non dans la réalité, car c'est
l'adéquation de l'intellect aux choses. C'est pourquoi tout ce qui a existé de
toute éternité, a été vrai par la vérité de l'intellect divin, qui éternel.
q. 3 a. 17 ad 28 Ad
vicesimumoctavum dicendum, quod omnia illa quae ab aeterno dicuntur esse vera,
non sunt alia et alia veritate vera, sed una et eadem divini intellectus
veritate, ad diversas tamen res in proprio esse futuras relata; et sic ex
diversa relatione potest aliqua distinctio in illa veritate designari.
28. Tout ce qui est déclaré vrai éternellement n'est pas vrai par
différentes vérités mais par une seule et même vérité de l'esprit divin,
relative à différentes choses futures dans leur propre être. Et ainsi du fait
de la diversité de la relation, on peut opérer une distinction dans cette
vérité.
q. 3 a. 17 ad 29 Ad
vicesimumnonum dicendum, quod verbum etiam philosophi intelligitur de oratione
existente in nostro intellectu vel in nostra pronuntiatione; veritas enim
nostri intellectus vel verbi, ab existentia rei causatur. Sed e converso
veritas divini intellectus est causa rerum.
29. Ce mot du Philosophe est compris de l'élocution dans notre
intellect et dans notre expression. Car la vérité de notre esprit ou de notre
parole est causée par l'existence de la chose; mais à l'inverse la vérité de
l'esprit divin est la cause des choses.
q. 3 a. 17 ad 30 Ad
tricesimum dicendum, quod ex parte ipsius Dei facere non importat aliquid quod
sit aliud quam suum dicere; non enim actio Dei est accidens, sed eius
substantia; sed facere importat effectum actualiter existentem in propria
natura, quod per dicere non importatur.
30. Du côté de Dieu même, faire n'apporte rien d'autre que dire; car
son action n'est pas un accident, mais sa substance; mais faire apporte l'effet
existant actuellement dans la nature propre, ce qui n'est pas apporté par le
dire.
q. 3 a. 17 ad s. c.
Argumenta vero quae obiiciuntur in contrarium, licet verum concludant, non
tamen necessario, praeter primum, quod ex auctoritate procedit. Argumentum enim
perspicacitatis secundum temporis cursum, non ostendit tempus quandoque
incepisse. Potuit enim esse quod scientiarum studia pluries fuerint intermissa,
et postmodum post longa tempora quasi de novo incepta, ut philosophus etiam
dicit. Terra etiam non ita per illuvionem ex una parte consumitur, quin etiam per
mutuam elementorum conversionem ex parte alia augmentetur; duratio etiam Dei,
licet sit idem quod eius natura secundum rem, tamen differt ratione; unde non
oportet quod sit prior duratione, si est prior natura.
Bien que les objections des arguments contraires définissent ce qui est
vrai, ils ne le font pas nécessairement cependant, sauf la première qui procède
d'une autorité. Car l'argument de la perspicacité[21] selon le cours du temps
ne montre pas que le temps a un jour commencé. Car il a pu arriver que l'étude
des sciences ait été plusieurs fois interrompue, et ensuite après de long temps
comme recommencée de nouveau, comme le Philosophe le dit aussi (Métaphysique XI). La terre n'est pas
emportée par l'érosion d'un côté, sans que par un changement mutuel des
éléments elle augmente d'un autre côté. La durée même de Dieu[22], bien qu'elle
soit en réalité la même chose que sa nature, diffère cependant en raison. C'est
pourquoi, il ne faut pas qu'il soit avant en durée, s'il est avant en nature.
--------------------------------------------------------------------------------
[1]
Ia, qu. 46, a.1 et a. 2 – CG II, 31 sq. – Quodl III, 14, 2 – Compendium. 98 –
Phys. VIII 1, 2 – I De cælo et mundo, I, l. 6, 29 –Métaphysique XII, lect. 5 – II Sent. d1qu1a5).
[2]
Le problème de l'éternité du monde a fait couler beaucoup d'encre, tant au
XIIIe qu'à notre époque. On pourra trouver des informations à ce sujet,
succinctes chez J.-P. Torell, Initiation à saint Thomas d'Aquin, Paris,
Fribourg, 1993, p. 286, ss., M.-D. Chenu, Introduction à l'étude de saint
Thomas d'Aquin, Montréal, Paris, 1974. Informations plus développées, dans E.
gilson, Introduction à la philosophie de saint Thomas d'Aquin, Paris, 1948,
A.-D. Sertillanges, L'idée de création, Paris, 1945, A. Wohlman, Thomas d'Aquin
et Maïmonide, Paris 1988. Etc.. Chez Thomas, le problème est évoqué, dans
l'ordre chronologique, dans les oeuvres suivantes: II Sent. d1qu1a5 – CG. II,
31-38 – Pot. 3, 17 – De aeternite mundi – Compendium. I, 98-99 – Ia, qu. 46, a.
2 et 3 – Quodl. III, qu. 13, a. 2 – XII, qu. 6, a. 1.
[3]
Cf. Pot. qu. 5, a. 6.
[4]
Ou 286 a 17, Thomas lectio 4, n°335.
[5]
"N'importe quel effet est nécessaire par comparaison à sa cause parce que,
si, une fois la cause posée, l'effet n'en découle pas nécessairement, il sera
encore possible, une fois la cause posée que l'effet existe ou n'existe"
(Tout ce qui existe est nécessaire et tout ce qui n'existe est impossible).
Veritate 23, 5, obj. 1. (Cf., Métaphysique
VI, lectio 3 n°1192-93-94 etc.. I Sent. d37q1c). "L'objecteur conclut que
depuis qu'un Dieu éternel est la cause suffisante du monde, il doit normalement
exister, mais exister éternellement. (B. H. Zedler, The inner unity of the De potentia? The
modern schoolman, Tradition, 6/1948, p. 95) Cf Avicenne, Metaphysice
compendium. (
[6]
C'est le temps des créatures spirituelles qui ont commencé à exister (anges,
hommes) mais à qui est promis un temps qui ne finira pas. Thomas, Ia, 10, 5 Il
ajoute:"il n'a pas d'avant et d'après mais ils peuvent lui être ajoutés".
[7]
"Imperat, inquam, ut velit". L'esprit lui commande (au corps) ,
dis-je, de vouloir.
[8]
Problème déjà examiné en Pot. 3, 1, obj. 2 et aussi Ia, qu. 46, a. 1, obj. 1.
[9]
Il faut comprendre qu'il est Seigneur dans le temps, parce que des créatures
lui sont soumises. Cf. Ia, qu. 13, a. 7, c'est le sed contra. "Augustin
dit: cette appellation relative Seigneur convient à Dieu dans le temps." –
Ad 5: "Comme la relation de sujétion est réellement dans la créature, il
en découle que Dieu est Seigneur non en raison seulement, mais réellement. Car
de le même manière on l'appelle Seigneur du fait que la créature lui est
sujette. Il est appelé ainsi, dans le sens où la créature lui est soumise."
[10]
Comprendre jaloux du Fils qui l'aurait fait à sa place?
[11]
Donc l'éternité est considérée comme un domaine fini avec en dehors le temps.
Il n'est pas sûr que cet au-delà de Exode 15, 18 signifie cela. Il pourrait
être considéré comme une sorte de superlatif: toute éternité et plus encore.
[12]
Priscien, philosophe néoplatonicien du VIe siècle après J.C..
[13]
Ia, qu. 46, a. 2, "La non éternité du monde est assurée par la foi, mais
ne peut pas être démontrée."
[14]
Dans la création ex nihilo, il n'y a pas de cause matérielle, pas de matière
préexistante.
[15]
Cf. Métaphysique, XII, 1, 1069 a 19:"...si
l'univers est comme un tout..."
[16]
Aristote, Métaphysique , I 3, 983 b,
6: "La plupart des premiers philosophes ne considéraient comme principe de
toutes choses que les seuls principes de nature matérielle.” Materia est
ingenita (p. 27). Voir Physique, 1,
9, 192 a 20-34, Thomas lectio 15, n° 11, De caelo et mundo, I, 3, 270 a 12-14.
Thomas, lectio 6, n°1.
[17]
Physique, VIII, 1, 250 b 25.
[18]
Anaxagore VIII, 1, 250 b 23 et Empédocle 250 b 25. Problème s'il y a eu un
temps où il n'y avait pas de mouvement. Deux solutions: Anaxagore: "...l'Intelligence
qui a imprimé le mouvement et opéré le discernement." Empédocle: mouvement
et repos alternent. L'Amitié fait l'un à partir du multiple ou la Haine le multiple
à partir de l'un, et le repos dans les temps intermédiaires."
[19]
Métaphysique V 15, 1021 a 24-25:
"Il y a enfin des relations selon la privation de puissance, comme
l'impossible et autres notions de même nature, l'invisible par exemple".
[20]
Physique 4, 10, 218 b 9 (p. 148 en
bas): "Mais puisque le temps paraît surtout être un mouvement un
changement.” – "219 a, 2; "C'est en percevant le mouvement que nous
percevons le temps." – 219 a 8 "Le temps est mouvement ou quelque
chose du mouvement". Cf. II Sent, d1q1a5, obj. et sol. 5.
[21]
En sens contraire 2.
[22]
En sens contraire 4.
q. 3
a. 18 tit. 1 Decimoctavo quaeritur utrum Angeli sint creati ante mundum
visibilem. Et videtur quod sic.
Il semble que oui.
Objections[1]:
q. 3 a. 18 arg. 1 Quia Gregorius Nazianzenus dicit, quod
Deus primum excogitavit angelicas
virtutes et caelestes; et excogitatio fuit opus eius. Ergo prius fecit Angelos
quam mundum visibilem conderet.
1. Parce que, [comme le rapporte Jean Damascène (livre 2, ch. 3[2])], Grégoire de Naziance dit (Orat. 38) que Dieu d'abord pensa les puissances angéliques et
célestes et sa pensée fut son oeuvre. Donc il créa les anges avant de fonder le
monde visible
q. 3 a. 18 arg. 2
Sed dicendum, quod ly primum dicit ordinem naturae, non durationis.- Sed contra, Damascenus ibidem ponit super hoc duas opiniones: quarum una
ponit, Angelos primum fuisse creatos, alia vero dicit contrarium. Sed nulla
unquam opinio posuit, quin Angeli natura priores essent visibilibus creaturis.
Ergo oportet quod intelligatur de ordine durationis.
2. Mais il faut dire que le mot premier
indique l'ordre de la nature et non celui de la durée. – En sens contraire, Jean Damascène rapporte au même endroit à ce
sujet deux opinions[3]; dont l'une établit que les anges
ont été créés en premier, et l'autre dit le contraire. Mais jamais aucune
opinion n'a affirmé que les anges aient existé par nature avant les créatures
visibles. Donc il faut le comprendre de l'ordre de la durée.
q. 3 a. 18 arg. 3
Praeterea, Basilius dicit in principio Hexameron: erat quaedam natura ante hunc
mundum intellectui nostro contemplabilis; quod postmodum exponit de Angelis;
ergo videtur quod ante hunc mundum Angeli sint creati.
3. Basile dit au début de son Hexameron
(Hom. 1): "Il y avait une nature
avant ce monde qui pouvait être contemplée par notre esprit". Après il
parle des anges. Donc il semble que les anges aient été créés avant ce monde.
q. 3
a. 18 arg. 4 Praeterea, ea quae cum mundo visibili facta sunt, Scriptura in
principio Genesis prosequitur. Sed de Angelis nullam facit mentionem. Ergo
videtur quod Angeli non fuerunt creati cum mundo, sed ante mundum.
4. Ce qui a été fait avec le monde visible, l'Écriture l'expose au
début de la Genèse. Mais elle ne fait
aucune mention des anges. Il semble donc qu'ils n'ont pas été créés avec le
monde, mais avant lui.
q. 3 a. 18 arg. 5 Praeterea, illud quod
ordinatur ad perfectionem alicuius sicut ad finem, est eo posterius. Sed mundus
visibilis ordinatur ad perfectionem intellectualis naturae: quia, ut Ambrosius
dicit, Deus, qui natura invisibilis est, opus visibile fecit, per quod cognosci
posset. Et non nisi a rationali creatura. Ergo rationalis
creatura facta est ante mundum visibilem.
5. Ce qui est ordonné à la perfection d'un être comme à sa fin, lui est
postérieur. Mais le monde visible est ordonné à la perfection de la nature
intellectuelle; parce que, comme Ambroise le dit (Hexaemeron I, 5) Dieu, qui par nature est invisible, a fait une
oeuvre visible par laquelle il puisse être connu. Il ne peut être connu que par
la créature raisonnable. Donc celle-ci a été créée avant le monde visible.
q. 3 a. 18 arg. 6
Praeterea, quidquid est ante tempus, est ante mundum visibilem: quia tempus cum
mundo visibili incepit. Sed Angeli creati sunt ante tempus: non enim fuit
tempus ante diem; Angeli autem creati sunt ante diem, ut Augustinus dicit. Ergo
Angeli creati sunt ante mundum visibilem.
6. Ce qui existe avant le temps est avant le monde visible: parce que
le temps a commencé avec lui. Mais les anges ont été créés avant le temps; car
il n'y eut pas de temps avant le jour; mais les anges ont été créés avant le
jour, comme le dit Augustin (La Genèse au
sens littéral, I, 9[4]). Donc ils ont été créés avant
le monde visible.
q. 3 a. 18 arg. 7
Praeterea, Hieronymus dicit super epistolam ad Titum, cap. I: sex millia necdum
nostri temporis implentur annorum; et quantas prius aeternitates, quanta
tempora fuisse arbitrandum est, in quibus Angeli Deo servierunt, et eo iubente
substiterunt? Sed mundus visibilis cum nostro
tempore incepit. Ergo Angeli ante mundum visibilem fuerunt.
7. Jérôme dit dans son commentaire sur l'Épître à Tite (ch. 1): "Six mille ans de notre temps ne sont pas
encore accomplis; et il faut penser combien d'éternité avant, combien de temps
ont existé pendant lesquels les anges ont servi Dieu et ont été sous son
commandement." Mais le monde visible a commencé avec notre temps. Donc
les anges ont existé avant le monde visible.
q. 3 a. 18 arg. 8 Praeterea, sapientis est
ordinate suum effectum producere. Sed Angeli praecedunt nobilitatem creaturarum
visibilium. Ergo a sapientissimo artifice Deo, primo
debuerunt produci in esse.
8. C'est le propre du sage de produire son effet avec ordre (Métaphysique, I, 2, 982 a 17-18) . Mais les anges précèdent la noblesse
des créatures visibles. Donc ils ont dû être amenés à l'être en premier par
l'artisan très sage qu'est Dieu.
q. 3 a. 18 arg. 9
Praeterea, Deus, in quantum bonus est, suae bonitatis alios participes facit.
Sed huius dignitatis capaces erant Angeli, quod creaturam visibilem duratione
praecederent. Ergo videtur hoc eis per summam Dei bonitatem collatum.
9. Dans la mesure où Dieu est bon, il fait participer les autres à sa
bonté. Mais les anges étaient susceptibles de recevoir cette dignité,
puisqu'ils ont précédé dans la durée la créature visible. Donc il semble que
cela leur a été attribué par la bonté suprême de Dieu.
q. 3
a. 18 arg. 10 Praeterea, homo dicitur minor mundus, quia maioris mundi
similitudinem gerit. Sed in homine pars eius nobilior ante alias partes
formatur, scilicet cor, ut philosophus dicit. Ergo videtur quod Angeli, qui
sunt nobilior pars maioris mundi, ante visibiles creaturas sint conditi.
q. 3 a. 18 arg. 11
Praeterea, ut Augustinus dicit, in opere secundae diei et deinceps tripliciter
Scriptura rerum factionem commemorat. Dicit enim primo: dixit Deus, fiat
firmamentum. Secundo: et factum est ita. Tertio vero: fecit Deus firmamentum.
Quorum primum refertur ad esse rerum in verbo; secundum ad esse rerum in
cognitione angelica, prout Angeli accipiunt cognitionem creaturae fiendae;
tertium vero ad esse creaturae in propria natura. Sed quando creatura visibilis
erat fienda, nondum erat. Ergo Angeli fuerunt et habuerunt cognitionem naturae
visibilis antequam esset.
10. L'homme est appelé un petit
monde [microcosme], parce qu'il porte la ressemblance d'un monde plus
grand. Mais dans l'homme, la partie la plus noble est formée avant les autres,
à savoir le coeur, comme le dit le Philosophe (La génération des animaux, ch. 4). Donc il semble que les anges qui
sont la plus noble partie du monde aient été créés avant les créatures
visibles.
11. Comme Augustin le dit (La
Genèse au sens littéral, II, 7, et 8) dans l'oeuvre du deuxième jour et
ensuite par trois fois, l'Écriture rappelle la création. Car elle dit d'abord: "Et Dieu dit: que soit fait le
firmament." Deuxièmement: "Et
ainsi fut fait". Troisièmement: "Dieu fit le firmament." Le premier se rapporte à l'être des
choses dans le Verbe, le second à leur être dans la connaissance angélique,
dans la mesure où les anges ont reçu la connaissance des créatures à créer; le
troisième à l'être de la créature dans sa propre nature. Mais quand la créature
visible devait être faite, elle n'existait pas encore. Donc les anges ont
existé et eurent connaissance de la nature visible avant qu'elle ait existé.
q. 3 a. 18 arg. 12
Sed dicendum, quod hic intelligitur de factione creaturae quantum ad eius
formationem, non quantum ad primam creationem.- Sed contra, secundum opinionem
Augustini, creatio naturae visibilis non praecedit tempore eiusdem formationem.
Si ergo Angelus fuit ante formationem creaturae visibilis, fuit et ante eius
creationem.
12. Mais il faut dire qu'on
le comprend de la réalisation de la créature quant à sa mise en forme, non
quant à sa première création. En sens
contraire, selon l'opinion d'Augustin (La
Genèse au sens littéral, I, XV, 29[5]) la création de
la nature visible n'a pas précédé sa mise en forme dans le temps. Si donc
l'ange a existé avant la formation de la créature visible, il a existé aussi
avant sa création.
q. 3 a. 18 arg. 13
Praeterea, dicere Dei est causa creaturae fiendae; quod non videtur posse
intelligi de aeterna verbi genitura quia illa ab aeterno fuit, nec per vices
temporum repetitur; cum tamen in singulis diebus Scriptura repetat Deum aliquid
dixisse. Nec etiam potest intelligi de locutione corporali; tum quia nondum
erat homo, qui vocem Dei loquentis audiret; tum etiam quia oportuisset ante
lucis formationem aliquod aliud corporeum formatum fuisse, cum vox corporalis
non fiat nisi per alicuius corporis formationem. Ergo videtur quod intelligatur
de spirituali locutione qua Deus ad Angelos loquitur; et sic videtur quod
Angelorum cognitio praesupponatur ut causa ad creaturarum visibilium
productionem.
13. La dire de Dieu est la
cause de la créature à créer, ce qui ne semble pas pouvoir être compris de la
génération éternelle du Verbe, parce qu'elle a existé de toute éternité, et
n'est pas répétée dans la succession des temps, alors que cependant l'Écriture
répète que chaque jour Dieu a dit une parole. Et ainsi on ne peut le comprendre
de la parole corporelle, d'abord parce qu'il n'y avait pas encore d'homme pour
entendre la voix de Dieu qui parle; ensuite aussi parce qu'il aurait fallu,
avant la formation de la lumière, que quelque autre corps ait été formé,
puisque la voix corporelle n'était émise qu'après la formation d'un corps. Donc
il semble qu'on le comprend de la parole spirituelle par laquelle Dieu parle à
ses anges et ainsi il semble que la connaissance des anges est présupposée
comme cause pour la production des créatures visibles.
q. 3 a. 18 arg. 14
Praeterea ut supra dictum est, sacra Scriptura tripliciter actionem rerum
commemorat: quorum primum pertinet ad esse rerum in verbo; secundum ad esse
rerum in cognitione angelica; tertium in propria natura. Sed primum horum
praecedit secundum et duratione et causa. Ergo similiter secundum praecedit
tertium duratione et causa, scilicet cognitio angelica existentiam visibilis
creaturae.
14. Comme on l'a dit ci-dessus, l'Écriture sainte rappelle de trois
manières l'action sur les créatures. La première concerne leur être dans le
Verbe; la seconde dans la connaissance angélique et la troisième dans leur propre
nature. Mais la première précède la seconde par la durée et la cause. Donc,
semblablement la seconde précède la troisième par la durée et la cause,
c'est-à-dire que la connaissance angélique précède l'existence de la créature
visible.
q. 3 a. 18 arg. 15
Praeterea, non minus requiritur ordo in exitu rerum a principio quam in
reductione earum in finem. Sed in reducendo res in finem, haec est lex
divinitatis statuta, ut Dionysius dicit, quod ultima reducantur in finem per
media. Ergo simpliciter creaturae corporales quae sunt infimae, procedunt a Deo
per angelicas creaturas, quae sunt mediae; et sic Angeli corporales creaturas
praecedunt, sicut causae effectum.
15. Un ordre dans la sortie des choses de leur principe n'est pas moins
requis que dans leur retour à leur fin, Mais pour les ramener à leur fin, c'est
une loi établie par la Divinité, comme le dit Denys (La hiérarchie céleste, ch. 5), parce que la dernière est ramenée à
la fin par des intermédiaires. Donc simplement les créatures corporelles qui sont
faibles, procèdent de Dieu par les créatures angéliques qui sont
intermédiaires, et ainsi les anges précèdent les créatures corporelles comme
les causes leur effet.
q. 3 a. 18 arg. 16
Praeterea, eis quae sunt omnino disparata, non competit associatio. Sed Angeli
et creaturae visibiles sunt omnino disparata. Ergo non sunt associati in
creatione, ut simul fierent. Inordinatum etiam esset quod Angeli post creaturas
visibiles fierent. Ergo ante creaturas visibiles sunt conditi.
16. Pas question d'association pour ce qui est tout à fait différent.
Mais les anges et les créatures visibles sont tout à fait différents. Donc ils
ne sont pas associés dans la création, pour être créés ensemble. Ce serait même
contre l'ordre que les anges aient été créées après les créatures visibles.
Donc ils ont été créés avant elles.
q. 3 a. 18 arg. 17
Praeterea, Eccli. I, 4, dicitur: primo omnium creata est sapientia; quod non
potest intelligi de filio Dei, qui est patris sapientia; cum ipse non sit
creatus, sed genitus. Ergo sapientia angelica, quae
est creatura, est ante omnia alia facta.
17. On dit en Eccl.1, 4: "La sagesse a été créée la première de tout",
ce qui ne peut pas être compris du Fils de Dieu, qui est la sagesse du Père,
puisqu'il n'a pas été créé, mais engendré. Donc la sagesse angélique, qui est
une créature, a été faite avant toutes les autres créatures.
q. 3 a. 18 arg. 18
Praeterea Hilarius dicit in Lib. de Trinitate: quid mirum, si dominum nostrum
Iesum Christum ante saecula fuisse confiteamur, cum etiam Deus Angelos fecerit
ante mundum? Sed Dei filius non solum ordine dignitatis, sed etiam durationis
omnia saecula praecessit. Ergo et Angeli mundum visibilem.
18. Hilaire dit au livre XII de la Trinité: "Qu'y a-t-il d'étonnant si nous confessons
que notre Seigneur Jésus Christ a existé avant tous les siècles, puisque même
Dieu a fait les anges avant le monde." Mais le Fils de Dieu non
seulement dans l'ordre de la dignité mais encore dans celui de la durée, a
précédé tous les siècles. Donc les anges ont précédé le monde visible.
q. 3 a. 18 arg. 19
Praeterea, creatura angelica media est inter naturam divinam et corpoream:
aevum etiam, quod est Angeli mensura, medium est inter aeternitatem et tempus.
Sed Deus sua aeternitate fuit ante Angelos et visibilem creaturam. Ergo et
Angeli suo aevo fuerunt ante mundum visibilem.
19. La créature angélique est intermédiaire entre la nature divine et
la nature corporelle; l'aevum[6] aussi, qui est la mesure de l'ange, est intermédiaire
entre l'éternité et le temps. Mais Dieu a été dans son éternité avant les anges
et la créature visible. Donc les anges ont existé dans leur aevum avant le monde visible.
q. 3 a. 18 arg. 20
Praeterea, Augustinus dicit, quod Angeli semper fuerunt. Sed non potest dici
quod creatura corporalis semper fuerit. Ergo Angeli fuerunt ante corpoream
creaturam.
20. Augustin, dans la Cité de
Dieu (XI, 9), dit que les anges ont toujours existé. Mais on ne peut pas le
dire de la créature corporelle. Donc les anges ont existé avant la créature
corporelle.
q. 3 a. 18 arg. 21
Praeterea, motus creaturae corporeae peraguntur per ministerium spiritualis
creaturae, ut patet per Augustinum, et per Gregorium. Sed motor praecedit mobile. Ergo Angeli fuerunt ante visibiles creaturas.
21. Les mouvements des créatures corporelles sont accomplis par le
ministère de la créature spirituelle, comme on le voit chez Augustin (La Trinité, III) et Grégoire [le Grand]
(Dialogues IV). Mais le moteur
précède le mobile. Donc les anges ont existé avant les créatures corporelles [7].
q. 3 a. 18 arg. 22 Praeterea, Dionysius
assimilat actionem divinam in res, actioni ignis in corpora quae ab igne
patiuntur. Sed ignis prius agit in corpora propinqua quam in remota. Ergo et divina bonitas primo produxit creaturas angelicas sibi
propinquas, quam creaturas corporeas magis ab eo distantes; et sic Angeli ante
mundum fuerunt.
22. Denys assimile l'action divine sur les créatures à l'action du feu
sur les corps qui le subissent. Mais le feu agit dans un corps proche avant
d'agir sur un corps éloigné. Donc la bonté divine a produit les créatures
angéliques proches de lui avant les créatures corporelles plus distantes et
ainsi les anges ont existé avant le monde.
En sens contraire:
q. 3 a. 18 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur in principio
Genes. I, 1: in principio creavit Deus
caelum et terram; ubi Glossa Augustini dicit, quod per caelum intelligitur
natura angelica, per terram vero natura corporalis. Ergo Angeli simul cum
natura corporali fuerunt facti.
1. Au début de la Genèse (1, 1), il est dit: "Au commencement Dieu créa le ciel et la
terre," où la glose d'Augustin dit que par le ciel il faut entendre la nature angélique, par la terre, la nature corporelle. Donc les
anges ont été créés en même temps que la nature corporelle.
q. 3 a. 18 s. c. 2
Praeterea, Glossa Strabonis ibidem dicit, quod per caelum ibi intelligitur
caelum Empyreum, quod mox factum sanctis Angelis est repletum. Ergo Angeli simul fuerunt facti cum caelo Empyreo, quod est visibilis
creatura.
2. La glose de Strabon dit en ce même endroit, que par le ciel on comprend le ciel empyrée qui,
bientôt après avoir été créé, a été rempli par les anges. Donc les anges ont
été créés en même temps que le ciel empyrée, qui est une créature visible.
q. 3
a. 18 s. c. 3 Praeterea, homo minor mundus dicitur, quia habet similitudinem
maioris mundi. Sed in homine simul fit corpus et anima. Ergo et in
mundo maiori simul fit angelica et corporalis creatura.
3. On appelle l'homme un petit
monde, [microcosme] parce qu'il ressemble au monde plus grand. Mais dans
l'homme, le corps et l'âme sont faits en même temps. Donc dans le monde plus
grand, la créature angélique et la créature corporelle sont faites en même
temps[8].
Réponse:
q. 3 a. 18 co. Respondeo. Dicendum quod in hoc omnes
Catholici doctores consenserunt, quod
Angeli non semper fuerunt, utpote de nihilo in esse producti.
Tous les docteurs catholiques sont d'accord que les anges n'ont pas
toujours existé, vu qu'ils ont été amenés du néant à l'être.
Quidam tamen posuerunt Angelos non simul cum
mundo visibili, sed ante mundum visibilem incepisse. Ad hoc autem ponendum diversis rationibus
sunt moti.
A) Certains[9]
ont pensé que les anges n'ont pas commencé avec le monde visible, mais avant lui. Ils ont été amenés à le
penser par diverses raisons.
Quidam namque aestimaverunt creaturas corporeas non esse
productas ex prima Dei intentione, sed occasionem eas producendi ex merito vel
demerito spiritualis creaturae Deum habuisse dixerunt. Posuit enim Origenes, a
principio simul creatas esse omnes creaturas immateriales et rationales, et eas
fuisse aequales, divina iustitia hoc exigente. Non enim videtur quod
inaequalitas possit esse in datis, iustitia servata, nisi propter meriti vel
demeriti diversitatem. Unde diversitatem creaturarum (quam videmus)
praecessisse posuit meriti et demeriti diversitatem, ut secundum quod
spiritualium creaturarum quaedam magis Deo adhaeserunt, in altiores ordines
Angelorum sint promotae; quae vero magis peccaverunt, grossioribus et
ignobilioribus corporibus sint alligatae; quasi ipsa meritorum diversitas
exegerit diversos gradus corporum a Deo produci
Car certains ont pensé que
les créatures corporelles n'avaient pas été produites dans un premier dessein
de Dieu, mais ils disent qu'il eut l'occasion de les produire à cause du mérite
ou du démérite de la créature spirituelle. Origène, en effet, a pensé qu'au
commencement, ont été créées en même temps toutes les créatures immatérielles
et rationnelles et qu'elles ont été égales, comme la justice divine l'exigeait.
Car il ne semble que l'inégalité n'ait pu être dans ce qui est donné, si on
conserve la justice, qu'à cause de la diversité du mérite ou du démérite. C'est
pourquoi il pensa que la diversité des créatures (que nous voyons) a précédé la
diversité du mérite et du démérite, de sorte que certaines des créatures
spirituelles qui ont davantage adhéré à Dieu, ont été promues dans les ordres
les plus hauts des anges, mais celles qui ont davantage péché ont été liées à
des corps plus grossiers et moins nobles; comme si la diversité même des
mérites avait réclamé les divers degrés des corps produits par Dieu.
Hanc autem positionem Augustinus reprobat. Causam enim
creaturarum condendarum, tam spiritualium quam corporalium, constat nihil aliud
esse quam Dei bonitatem, inquantum creaturae suae, sua bonitate creatae,
bonitatem increatam secundum suum modum repraesentant. Propter quod Scriptura
dicit de singulis Dei operibus, et postmodum de omnibus simul: vidit Deus cuncta quae fecerat, et erant
valde bona; quasi diceret, quod ad hoc Deus creaturas condidit, quod
bonitatem haberent. Secundum autem opinionem praedictam non ad hoc conditae
fuissent creaturae corporales quia bonum esset eas esse, sed ut malitia
spiritualis creaturae puniretur. Sequeretur etiam quod ordo universi quem nunc
videmus a casu existeret, in quantum accidit quod diversae rationales creaturae
diversimode peccaverunt. Si enim omnes peccassent aequaliter, nulla diversitas
naturarum in corporibus esset, secundum eos.
Mais Augustin désapprouve cette position (La cité de Dieu, XI, 23). Car il est clair que la cause des
créatures, tant spirituelles que corporelles, qui devaient être créées, n'est
rien d'autre que la bonté de Dieu, en tant qu'elles sont ses créatures; créées
par sa bonté, elles représentent sa bonté incréée à leur manière. C'est
pourquoi l'Écriture (Gn. 1, 31) dit
de chacune des oeuvres de Dieu et ensuite de toutes ensemble: "Dieu vit tout ce qu'il avait fait, et
c'était très bon," comme si elle disait qu'il a créé ses créatures
pour qu'elles possèdent sa bonté. Mais selon cette opinion, les créatures
corporelles n'auraient pas été créées parce qu'il serait bien qu'elles
existent, mais pour que le mal de la créature spirituelle soit punie. Il
s'ensuivrait que l'ordre de l'univers que nous voyons maintenant, existerait
par le hasard, dans la mesure où il arrive que les diverses créatures
rationnelles ont péché de diverses manières. Mais si toutes avaient péché
également, il n'y aurait selon eux aucune diversité de nature dans les corps.
Unde hac positione remota, alii ex consideratione naturae
spiritualium substantiarum, quae est dignior omni natura corporali, posuerunt
spirituales substantias ante corporales conditas esse; ut sicut natura
spiritualis creata, media est ordine naturae inter Deum et creaturam
corporalem, ita etiam sit media duratione.
B) C'est pourquoi, une fois repoussée cette opinion, d'autres en considérant la nature des
substances spirituelles, qui est plus digne que toute nature corporelle, ont
pensé que les substances spirituelles avaient été créées avant les substances
corporelles, de sorte que, de même que la nature spirituelle créée est
intermédiaire dans l'ordre de la nature entre Dieu et la créature corporelle,
de même elle serait intermédiaire dans la durée.
Haec autem opinio cum fuerit magnorum doctorum, scilicet
Basilii, Gregorii Nazianzeni, et quorumdam aliorum, non est tamquam erronea
reprobanda.
Mais cette opinion, comme elle a été celle des grands docteurs,
c'est-à-dire celle de Basile, de Grégoire de Naziance et quelques autres, ne
doit pas être réprouvée comme erronée[10].
Sed si diligenter consideretur alia opinio, quae est
Augustini et aliorum doctorum, quae etiam modo communiter tenetur,
rationabilior invenitur. Angeli enim non solum sunt considerandi absolute, sed
etiam in quantum sunt pars universi; et haec consideratio eorum intantum est
magis attendenda, in quantum bonum universi praeeminet bono cuiuslibet
creaturae particularis, sicut bonum totius praeeminet bono partis. Secundum
autem quod considerantur Angeli ut partes universi, competit eis quod simul cum
creatura corporali sint conditi. Unius enim totius una videtur esse productio.
Si autem seorsum essent Angeli creati, viderentur omnino alieni ab ordine
creaturae corporalis, quasi aliud universum per se constituentes. Unde dicendum
est, quod Angeli simul cum creatura corporali sunt conditi; tamen sine alterius
opinionis praeiudicio.
C) Mais si on considère avec attention une autre opinion, celle
d'Augustin et d'autres docteurs, laquelle est communément acceptée, on la
trouve plus rationnelle. Car les anges, non seulement doivent être considérés
dans l'absolu, mais aussi en tant que partie de l'univers; et cette considération
doit être observée bien plus, dans la mesure où le bien de l'univers prévaut
sur le bien de quelque créature particulière, de même que le bien du tout
prévaut sur celui de la partie. Selon qu'on considère les anges comme partie de
l'univers, il leur appartient d'avoir été créés en même temps que les créatures
corporelles. Car il semble qu'il y a production d'un seul tout. Mais si les
anges avaient été créés séparément, ils sembleraient tout à fait étrangers à
l'ordre de la créature corporelle, comme s'ils constituaient un autre univers
par eux-mêmes. C'est pourquoi il faut dire que les anges ont été créés en même
temps que la créature corporelle, cependant sans préjuger d'une autre opinion.
Solutions
q. 3 a. 18 ad 1 Et
per hoc patet responsio ad tria prima: quia procedunt secundum mediam opinionem.
# 1. 2. 3. Et ainsi apparaît la réponse aux trois premières objections
qui procèdent de cette opinion intermédiaire.
q. 3 a. 18 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod sicut Basilius dicit in primo Hexameron, Moyses
legislator in principio Genesis exordium visibilis creaturae incepit exponere
praetermissa creatura spirituali quae ante fuerat condita, de qua mentionem non
fecit, quia rudi populo loquebatur, qui ad spiritualia capienda idoneus non
erat. Secundum Augustinum vero creaturam spiritualem per caelum intelligit,
sicut per terram creaturam corporalem, cum dicit: in principio creavit Deus
caelum et terram. Quare autem sub metaphora caeli et non expresse creationem
Angelorum tradidit, potest eadem ratio assignari quae et supra, scilicet ex
populi ruditate, et iterum ad vitandam idololatriam in quam proni erant; ad
quam daretur eis occasio si plures substantiae spirituales ponerentur praeter
unum Deum, quae essent caelo nobiliores; et praecipue cum huiusmodi substantiae
a gentilibus dii dicerentur. Secundum vero Strabonem, et alios priores, per
caelum quod in auctoritate inducta ponitur, intelligitur caelum Empyreum quod
est habitaculum sanctorum Angelorum, per metonymiam sicut quando ponitur
continens pro contento.
# 4. Comme Basile le dit
dans le premier livre de l'Hexameron
(hom. 2, c.1), Moïse, le législateur, commença, au début de la Genèse, par exposer l'essor de la
créature visible, en passant outre la créature spirituelle qui avait été créée
avant, dont il ne fit pas mention, parce qu'il parlait à un peuple rude qui
n'était pas apte à comprendre ce qui était spirituel. Selon Augustin, il
comprend, par le ciel, la créature spirituelle, de même que par la terre, il
comprend la créature corporelle, quand il dit: "Au commencement Dieu créa le ciel et la terre". Parce qu'il
décrivit, sous la métaphore du ciel et non expressément, la création des anges,
on peut donner la même raison que ci-dessus, c'est-à-dire la rudesse du peuple,
et en plus pour éviter l'idolâtrie à laquelle ils étaient enclins. L'occasion
leur aurait été donnée, si, en plus du seul Dieu, plusieurs substances
spirituelles qui étaient plus nobles que le ciel avaient été posées en principe
et principalement quand de telles substances seraient appelées des dieux par
les païens. Selon Strabon (II, ch. 8) et d'autres auteurs plus récents, par le
ciel qui est pensé dans une autorité induite, on comprend le ciel empyrée qui
est l'habitacle des saints anges, par métonymie comme quand on prend le contenant
pour le contenu.
q. 3 a. 18 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod sicut dicit Augustinus, Angeli non cognoscunt Deum ex
visibilibus creaturis; unde creaturae visibiles non sunt factae ut Deum
ostenderent Angelis, sed rationali creaturae quae est homo; unde ex hoc
probatur homo esse finis creaturarum. Finis autem, licet sit prius in
intentione, est tamen ultimus in operatione; unde et homo ultimo factus fuit.
# 5. Comme dit Augustin (La
Genèse au sens littéral, V, ch.
5) les anges ne connaissent pas Dieu à partir des créatures visibles; c'est
pourquoi, elles n'ont pas été faites pour leur montrer Dieu, mais (pour le
montrer) à la créature raisonnable qu'est l'homme; c'est pourquoi, on prouve
ainsi que l'homme est la fin des créatures. Mais la fin, bien qu'elle soit
première dans l'intention, est cependant dernière dans l'opération; donc
l'homme a été fait en dernier.
q. 3 a. 18 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod secundum Augustinum, creatio caeli et terrae non
praecessit duratione lucis formationem seu productionem; et ideo non intelligit
quod creatio spiritualis naturae fuerit ante primum diem duratione, sed quodam
naturae ordine; quia substantia spiritualis et materia informis secundum suam
essentiam considerata, alterationibus temporum non subiacent; unde per hoc etiam
haberi non potest quod creatura spiritualis sit facta ante corporalem, quia
etiam ante lucis factionem agitur de creatione creaturae corporalis, quae per
terram intelligitur. Secundum vero alios creatio caeli et terrae ad primum diem
pertinet; quia cum caelo et terra creatum est tempus; licet distinctio temporum
quantum ad diem et noctem inceperit per lucem: unde tempus ponitur unum de
quatuor primo creatis, quae sunt natura angelica, caelum Empyreum, materia
informis et tempus.
# 6. Selon Augustin (Sur la
Genèse, I, 5) la création du ciel et de la terre n'a pas précédé en durée
la formation ou la production de la lumière et c'est pourquoi il ne comprend
pas que la création de la nature spirituelle ait existé avant le premier jour
en durée, mais dans un certain ordre de la nature; parce que la substance
spirituelle et la matière informe considérées selon leur essence ne sont pas
soumises à l'altération des temps: c'est pourquoi, il ne se peut pas que la
créature spirituelle ait été faite avant la créature corporelle, parce que même
avant la création de la lumière, il s'agit de la création d'une créature
corporelle qui est comprise sous le terme de terre. Selon d'autres, la
création du ciel et de la terre convient au premier jour; parce que le temps a
été créé avec le ciel et la terre, bien que la distinction des temps quant au
jour et à la nuit n'ait commencé qu'avec la lumière: c'est pourquoi, on pense
que le temps est l'une des quatre créatures créées en premier, qui sont la
nature angélique, le ciel empyrée, la matière informe et le temps.
q. 3 a. 18 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod Hieronymus loquitur secundum opinionem antiquorum
doctorum.
# 7. Jérôme parle selon l'opinion des anciens docteurs.
q. 3 a. 18 ad 8 Ad
octavum dicendum, quod ratio illa procederet, si unaquaeque creatura
produceretur ut existens per se absolute; sic enim conveniens esset ut
unaquaeque separatim crearetur secundum gradum suae bonitatis. Sed quia omnes
creaturae producuntur ut partes unius universi, conveniens est ut omnes simul
producantur ad unum universum constituendum.
# 8. Cette raison serait valable si chaque créature était produite
comme existant en soi absolument; car ainsi il aurait été convenable que
chacune soit créée séparément selon le degré de sa bonté. Mais parce que toutes
les créatures sont produites comme des parties d'un seul univers, il convient
que toutes soient produites en même temps pour le constituer .
q. 3 a. 18 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod licet ad aliquam dignitatem creaturae spiritualis
pertineret, si ante creaturam visibilem esset creata; non tamen competeret
dignitati et unitati universi.
# 9. Bien qu'il convienne à une certaine dignité de la créature
spirituelle d'être créée avant la créature visible, cependant cela ne s'accorde
pas avec la dignité et l'unité de l'univers
q. 3 a. 18 ad 10 Ad
decimum dicendum, quod licet cor ante alia membra formetur, tamen totius
corporis animalis est una continua generatio, non quod seorsum una generatione
formetur cor, et postmodum successive aliis generationibus alia membra
aliquibus temporibus interiectis. Hoc autem non potest dici in creatione
Angelorum et corporalium creaturarum, quod una productione sint condita,
scilicet spiritualis creatura ante corporalem, quasi continue universum sit
productum; producere enim successive est in producendis his quae ex materia
producuntur, in qua est una pars vicinior complemento quam alia; unde in prima
rerum creatione successio locum non habet, etsi in formatione rerum ex materia
creata possit locum habere; unde et doctores qui posuerunt Angelos ante mundum
creatos, posuerunt omnino distinctam creationem Angelorum et corporum, et
multam durationem mediam intervenisse. Et praeterea cor necesse est in animali
prius formari, quia virtus cordis operatur ad formationem aliorum membrorum.
Creatura autem spiritualis non operatur ad creationem corporalium creaturarum,
cum solius Dei sit creare. Unde et Commentator imponit Platoni, quod dixerit,
quod Deus primo creavit Angelos, et postea commisit eis creationem corporalium
creaturarum.
# 10. Bien que le coeur soit formé avant les autres membres, cependant
il y a une seule génération continue de tout le corps animé, non parce que le
coeur est formé séparément par une génération et par la suite les autres
membres, successivement par d'autres générations après un certain temps. On ne
peut pas dire cela pour la création des anges et des créatures corporelles,
parce qu'ils ont été créés par une seule production, à savoir la créature
spirituelle avant la créature corporelle, comme si l'univers était produit en
continuité; car produire successivement, c'est pour ce qui est produit à partir
de la matière, dans laquelle une partie est plus proche de la perfection que
l'autre; c'est pourquoi, dans la première création, la succession n'a pas de
place, même si dans la formation de ce qui est créé à partir de la matière,
elle peut avoir lieu: c'est pourquoi, les docteurs qui ont pensé que les anges
avaient été créés avant le monde, ont pensé que la création des anges était
tout à fait distincte de celle des corps et qu'une grande durée intermédiaire
s'était interposée. Et en plus, il est nécessaire que le coeur soit formé dans
l'être animé avant, parce que son pouvoir opère pour la formation des autres
membres. Mais la créature spirituelle n'opère pas pour la création des
créatures corporelles, puisque Dieu seul en a le pouvoir. C'est pour cela que
le Commentateur (Métaphysique, XI,
com. 44) impute à Platon qu'il a dit que Dieu créa d'abord les anges et ensuite
il leur confia la création des créatures corporelles.
q. 3 a. 18 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod
Augustinus loquitur de factione creaturarum corporalium, non quantum ad primam
creationem, sed quantum ad formationem.
# 11. Augustin parle de la
création des créatures corporelles, non quant à la première création mais quant
à leur formation
q. 3 a. 18 ad 12 Ad
duodecimum dicendum, quod sustinendo quod omnia sint simul creata in forma et
materia, creatura spiritualis dicitur habuisse cognitionem creaturae corporalis
fiendae, non quia eius formatio esset tempore futura, sed quia cognoscebatur ut
futura, prout considerabatur in sua causa, in qua erat ut ex ea posset
procedere; sicut qui cognoscit arcam in principiis ex quibus fit, potest dici
eam cognoscere ut fiendam.
# 12. En soutenant que tout a été créé en même temps dans la forme et
la matière, on dit que la créature spirituelle a eu connaissance de la créature
corporelle qui devait être créée, non parce que sa formation était à venir dans
le temps, mais parce qu'elle la connaissait comme future, dans la mesure où
elle était considérée dans sa cause, où elle était pour pouvoir en procéder;
comme on peut dire que celui qui connaît un coffre dans les principes dont il
est fait, le connaît comme devant être fait.
q. 3 a. 18 ad 13 Ad
decimumtertium dicendum, quod dicere Dei intelligitur de aeterna verbi Dei
generatione, in quo ab aeterno fuit ratio omnium creaturarum condendarum. Nec
tamen ideo frequenter repetitur in singulis operibus, dixit Deus, quasi
temporaliter dixerit; sed quia licet verbum in se sit unum, tamen in eo est
propria ratio singularum creaturarum. Sic ergo singulis operibus praemittitur
Dei verbum sicut propria ratio operis fiendi, ne facto opere necesse sit
quaerere quare tale opus sit factum, cum ante operis conditionem sit dictum,
dixit Deus; sicut cum aliquis volens assignare alicuius rei causam, incipit a
causae cognitione.
# 13. La parole de Dieu est comprise de la génération éternelle du
Verbe de Dieu, en qui, de toute éternité, il y eut la raison de toutes les
créatures à créer. Et cependant elle n'est pas répétée fréquemment dans les
oeuvres singulières, "Dieu dit",
comme s'il avait parlé temporellement, mais parce que, bien que, en soi, le
Verbe soit un, cependant en lui il y a la raison propre des créatures
particulières. Donc ainsi le verbe de Dieu est envoyé pour les oeuvres
particulières, comme la raison propre de l'oeuvre à faire, pour qu'une fois
faite, il ne soit pas nécessaire de chercher pourquoi une telle oeuvre a été
faite, puisqu'elle été annoncée avant sa fondation; "Dieu a dit", comme, lorsque quelqu'un, qui veut assigner la
cause de quelque chose, il commence par connaître cette cause.
q. 3 a. 18 ad 14 Ad
decimumquartum dicendum, quod esse rerum in verbo est causa esse rerum in
propria natura; sed esse rerum in cognitione angelica non est causa esse rerum
in propria natura; et ideo non est simile.
# 14. L'être des choses dans le verbe est leur cause dans leur nature
propre, mais l'être des choses dans la connaissance angélique n'est pas leur
cause dans leur nature propre et c'est pourquoi ce n'est pas pareil.
q. 3 a. 18 ad 15 Ad decimumquintum dicendum,
quod res in finem ordinatur per suam operationem. Non autem producitur in esse
per suam operationem, sed solum per operationem causae agentis. Unde magis est
conveniens quod creaturae superiores cooperentur Deo in reducendo creaturas
inferiores in finem, quam in earum productione.
# 15. Une chose est ordonnée à sa fin par son opération. Elle n'est pas
amenée à l'être par elle, mais seulement par celle de la cause efficiente.
C'est pourquoi il est plus convenable que les créatures supérieures coopèrent
avec Dieu pour ramener les créatures inférieures à leur fin, que dans leur
production.
q. 3 a. 18 ad 16 Ad
decimumsextum dicendum, quod licet creaturae corporales et spirituales sint
disparatae secundum proprias naturas, tamen sunt connexae secundum ordinem
universi; et ideo oportuit quod simul crearentur.
# 16 Bien que les créatures corporelles et spirituelles soient
différentes selon leur propre nature, cependant elles sont unies selon l'ordre
de l'univers, et c'est pourquoi il fallut qu'elles soient créées ensemble.
q. 3 a. 18 ad 17 Ad
decimumseptimum dicendum, quod illa auctoritas Eccli., secundum Augustinum,
intelligitur de sapientia creata quae est in natura angelica, quae tamen
secundum ipsum non prius creata est tempore sed dignitate. Secundum vero
Hilarium in Lib. de synodis intelligitur de sapientia increata, quae est filius
Dei; quae quidem simul dicitur et creata et genita, ut patet Prov. VIII, 22,
sq., et in diversis Scripturae locis, ut omnis imperfectio a nativitate filii
Dei excludatur. In creatione enim attenditur
imperfectio ex parte creati, in quantum de nihilo in esse educitur; sed
perfectio ex parte creantis, qui absque sui immutatione creaturas producit. In
nativitate vero est e contrario; quia importatur perfectio ex parte nati in
quantum accipit naturam generantis; sed imperfectio ex parte generantis
secundum modum inferioris generationis, in quantum generat cum sui immutatione,
vel divisione suae substantiae. Et ideo simul filius Dei et creatus et
genitus dicitur, ut per creationem excludatur generantis mutatio, et ex
nativitate geniti imperfectio, ut ex utroque unus intellectus constituatur
perfectus.
# 17. Cette autorité (Eccl. 1, 4), selon Augustin (Confessions, XII, 15), est comprise de
la sagesse créée qui est dans la nature angélique, qui cependant, selon lui,
n'a pas été créée avant dans le temps, mais [avant] en dignité. Mais selon
Hilaire (Les synodes), on le comprend
de la sagesse incréée, qui est le Fils de Dieu, laquelle en même temps est
dite, créée et engendrée, comme cela paraît dans Prov. 8, 22, ss., et dans divers lieux de l'Écriture, pour que
toute imperfection soit exclue de la nativité du Fils de Dieu. Car dans la
création, l'imperfection se trouve du côté du créé, dans la mesure où, du
néant, il est amené à l'être; mais la perfection se trouve du côté du créateur
qui produit les créatures sans changement de sa part. Mais dans la nativité
c'est le contraire, parce que la perfection est apportée du côté de l'enfant
dans la mesure où il reçoit la nature du géniteur, mais l'imperfection est du
côté de celui qui engendre. selon le mode de la génération inférieure dans la
mesure où il engendre en changeant et en divisant sa substance. Et c'est pourquoi
on dit que le Fils de Dieu est en même temps créé et engendré, pour exclure le
changement de celui qui engendre par création, et l'imperfection de la
naissance de l'engendré, pour que de chaque coté soit constitué comme parfait
un seul esprit.
q. 3 a. 18 ad 18 Ad
decimumoctavum dicendum, quod Hilarius loquitur secundum opinionem antiquorum
doctorum.
# 18. Hilaire parle selon l'opinion des anciens Docteurs.
q. 3 a. 18 ad 19 Ad
decimumnonum dicendum, quod Deus est causa naturae angelicae; non autem natura
angelica causa est naturae corporalis; et ideo non est simile.
# 19. Dieu est cause de la nature angélique; mais celle-ci n'est pas
cause de la nature corporelle et c'est pourquoi ce n'est pas pareil.
q. 3 a. 18 ad 20 Ad
vicesimum dicendum, quod Angeli dicuntur semper fuisse, non quia ab aeterno
fuerunt, sed quia omni tempore fuerunt: quia quandocumque fuit tempus, fuerunt
Angeli. Et per hunc etiam modum creaturae corporales semper fuerunt.
# 20. On dit que les anges ont toujours existé, non parce qu'il ont
existé depuis l'éternité, mais parce qu'ils ont existé de tout temps; parce
que, quand il y eut le temps, les anges existèrent. Et de cette manière, même
les créatures corporelles ont toujours existé aussi.
q. 3 a. 18 ad 21 Ad
vicesimumprimum dicendum, quod motor non de necessitate praecedit tempore
mobile, sed dignitate, sicut patet in anima et corpore.
# 21. Le moteur ne précède pas nécessairement en temps le mobile, mais
(il le précède) en dignité, comme cela apparaît dans l'âme et le corps.
q. 3 a. 18 ad 22 Ad
vicesimumsecundum dicendum, quod in actione ignis in corpora, duplex ordo est
considerandus; scilicet situs, et temporis. Ordo situs est in omni actione eius
eo quod omnis actio eius est situalis et in corpora sibi magis propinqua
plenius suam actionem exercet; unde ulterius procedendo in tantum debilitatur
eius effectus, quod tandem totaliter deficit. Ordo autem temporis non
attenditur in omni eius actione, sed solum in illa qua agit per motum. Unde cum
ignis illuminet et calefaciat corpora, in calefactione servatur ordo situs et
temporis; sed in illuminatione, quae non est motus sed terminus motus,
attenditur tantum ordo situs. Quia ergo actio Dei quantum ad creationem est
absque motu, non attenditur similitudo quantum ad ordinem temporis, sed solum
quantum ad ordinem situs. Item enim est in actione spirituali diversus gradus
naturae, quod in actione corporali diversus situs. Quantum ergo ad hoc
attenditur similitudo Dionysii, quod sicut ignis in corpora sibi vicina plenius
suam virtutem effundit, ita Deus rebus sibi propinquioribus gradu dignitatis,
copiosius suam bonitatem distribuit.
# 22. Dans l'action du feu sur les corps, il faut considérer un ordre
double: à savoir le lieu et le temps. Le lieu
est dans toute action de sa part, parce qu'elle est locale et dans les
corps qui lui sont les plus proches, il exerce plus pleinement son action.
C'est pourquoi en procédant au-delà, son effet est diminué, au point qu'il est
totalement affaibli. Mais l'ordre du temps n'est pas atteint dans toute son action,
mais seulement dans celle où il agit par mouvement. C'est pourquoi, comme le
feu éclaire et réchauffe les corps, en réchauffant on conserve l'ordre du lieu
et du temps, mais dans l'éclairage, qui n'est pas un mouvement mais son terme,
on atteint seulement l'ordre du lieu. Donc parce que l'action de Dieu dans la
création est sans mouvement, on n'atteint pas la ressemblance pour l'ordre du
temps, mais seulement pour celui du lieu. D'autre part, en effet, dans l'action
spirituelle, il y a divers degrés de nature qui parce que le lieu est différent
dans l'action corporelle. Donc, la ressemblance (dont parle) Denys est
atteinte, parce que, de même que le feu dans les corps qui lui sont voisins,
verse son pouvoir plus pleinement; de même, dans les créatures qui lui sont
plus proches en dignité, Dieu distribue plus abondamment sa bonté.
[1] Ia, q. 61,a. 3 – II Sent. d2q1a3 – Opusc.
XV, De angelis c. 17 – Opusc. XXIII, – In decretal. I.)
[2]
Jean Damascène rapporte l'opinion de Grégoire de Naziance. Sa citation: "D'abord
il a pensé les puissances angéliques et célestes,... et cette pensée était une
oeuvre." Cf. Id. II Sent. D. 2,
qu. 1, a. 3, obj. 1.
[3]
Les deux opinions sont les suivantes: celle de Grégoire (Cf. Note ci-dessus) et
Jean Damascène rapporte l'autre: "D'autres disent que c'est après
l'apparition du premier ciel..." toujours suivant Grégoire.
[4]
Si Dieu parle temporairement, il parle à une créature. Augustin considère que
dans l'expression "Dieu créa le ciel et la terre" le ciel représente
la création spirituelle déjà faite et formée." (I, X, 5, p. 101 § Æ).
[5]
"Ce n'est pas que la matière informe soit temporellement antérieure aux
choses en forme......... Voilà pourquoi, puisque Dieu a créé dans un même acte
et la matière qu'il a formé et les choses en lesquelles il l'a formée."
[6]
Le raisonnement est le suivant: L'ordre Dieu, ange, corps, est parallèle aux
durées: éternité, aevum, temps, donc aevum dit que l'ange est avant.
[7]
Il y a un argument qu'il n'a pas repris de II
Sent. d2q1a3: "Selon certains les anges meuvent le ciel, mais le
moteur précède le mobile..."
[8]
A un mot près, la phrase se trouve déjà dans l'objection 10.
[9]
Il en donne la liste en II Sent.
d2q1a3: Jérôme, La lettre à Tite,
Hilaire, La Trinité, Grégoire de
Naziance.
[10]
Il ne réprouve pas ces auteurs, parce qu'en II
Sent, d2q1a3, c, il dit:"Il faut savoir qu'à propos du commencement
des êtres, des saints qui sont d'accord en ce qui est de foi, à savoir que rien
n'est éternel sauf Dieu, sont arrivés à dire, au moins dans la forme, des
paroles variées sur ce qui n'est pas de nécessité de foi, en qui il leur est
permis de penser de différentes manières, comme nous aussi." Il cite
ensuite Jérôme, Hilaire, Grégoire de Naziance, qui ont pensé que les anges
avaient été créés avant la créature corporelle.
q. 3 a. 19 tit. 1
Decimonono quaeritur utrum potuerint esse Angeli ante mundum visibilem. Et videtur
quod non.
Il semble que non:
Objections[1]:
q. 3 a. 19 arg. 1
Quaecumque enim ita se habent quod duo ex ipsis non possunt esse in uno loco
distincta, requirunt loci diversitatem. Sed duo Angeli non possunt esse in
eodem loco, ut communiter dicitur. Ergo non potest intelligi quod essent duo
Angeli distincti nisi sint duo loca distincta. Sed ante creaturam visibilem non
fuit locus, cum locus, secundum philosophum, non sit nisi ultimum corporis
continentis. Ergo ante mundum visibilem Angeli esse non potuerunt.
1. Car tous les êtres qui se comportent de telle manière que deux
d'entre eux ne puissent être distincts dans un seul lieu, ont besoin de lieux
différents. Deux anges ne peuvent pas être en un même lieu, comme on le dit communément.
Donc on ne peut comprendre que deux anges sont distincts que s'il y a deux
lieux différents. Mais avant la créature visible, le lieu n'existait pas,
puisque celui-ci, selon le Philosophe (Physique IV, 4, 212 a 2-6[2])
n'est que au-delà du corps qui le contient. Donc avant l'univers visible, les
anges n'ont pas existé.
q. 3 a. 19 arg. 2
Praeterea, productio creaturae corporalis Angelis nihil de eorum virtute
naturali ademit. Si ergo non facto mundo visibili Angeli absque loco esse
potuerunt, etiam nunc mundo visibili facto absque loco esse possent; quod
videtur esse falsum; quia si non essent in loco, nusquam essent, et sic
viderentur non esse.
2. La production de la créature corporelle n'a rien enlevé aux anges de
leur pouvoir naturel. Si donc, quand l'univers visible n'était pas créé, les
anges ont pu exister sans lieu; même alors que l'univers visible a été créé,
ils le peuvent aussi, ce qui semble faux, parce que, s'ils n'étaient pas dans
un lieu, ils ne seraient nulle part, et ainsi il semblerait qu'ils n'existent
pas[3] .
q. 3 a. 19 arg. 3 Praeterea, Boetius dicit, quod
omnis spiritus creatus corpore indiget. Sed Angelus est
spiritus creatus. Ergo indiget corpore, et ita ante creaturam corporalem esse
non potuit.
3. Boèce dit, que toute esprit créé a besoin d'un corps. Mais l'ange
est un esprit créé. Donc il a besoin d'un corps, et ainsi il n'a pas pu exister
avant la créature corporelle
q. 3 a. 19 arg. 4 Sed diceretur, quod indiget
corpore non quantum ad esse, sed quantum ad ministerium.- Sed contra,
ministerium Angelorum exercetur ubi nos sumus, scilicet in hoc mundo. Sed
Angeli habent locum corporalem etiam extra habitationem nostram, scilicet
caelum Empyreum. Ergo non solum indigent corpore in loco
corporali propter ministerium nostrum.
4. Mais on pourrait dire
qu'il a besoin d'un corps non pour son existence, mais pour son ministère. – En sens contraire, le ministère des
anges s'exerce là où nous sommes, c'est-à-dire dans ce monde. Mais les anges
ont un lieu physique, même hors de notre séjour, c'est-à-dire le ciel empyrée.
Donc ils n'ont pas seulement besoin d'une corps dans un lieu physique seulement
pour notre service .
q. 3 a. 19 arg. 5
Praeterea, impossibile est imaginari prius et posterius sine tempore. Sed si
Angeli fuissent ante mundum, prius fuisset principium quo Angeli esse
coeperunt, quam principium quo mundus visibilis esse coepit. Ergo tempus
incepisset ante mundum visibilem; quod est impossibile, cum tempus sequatur ad
motum, et motus ad mobile. Ergo impossibile est quod Angeli fuerint ante
mundum.
5. Il est impossible d'imaginer un avant et un après sans le temps.
Mais si les anges avaient existé avant le monde, il y aurait eu un commencement
où les anges ont commencé à exister, avant le commencement où l'univers visible
a commencé à exister. Donc le temps aurait commencé avant le monde visible, ce
qui est impossible, puisque le temps dépend du mouvement et le mouvement du
mobile. Donc il est impossible que les anges aient existé avant l'univers.
En sens contraire:
q.
3 a. 19 s. c. Sed contra, illud quod in creaturis contradictionem non
implicat, est Deo possibile. Sed Angelos esse, creatura visibili non existente,
nullam contradictionem implicat. Ergo non fuit Deo impossibile producere
Angelos ante mundum.
Ce qui n'implique pas contradiction dans les créatures, est possible à
Dieu. Mais l'existence des anges, quand la créature visible n'existait pas,
n'implique aucune contradiction. Donc il n'a pas été impossible à Dieu de créer
les anges avant l'univers.
Réponse:
q. 3 a. 19 co.
Respondeo. Dicendum quod, sicut Boetius dicit, in divinis non oportet ad
imaginationem deduci, et similiter nec in corporalibus omnibus; quia cum
imaginatio sit sequela sensus, ut per philosophum patet imaginatio non potest
extendi ultra quantitatem, quae est qualitatum sensibilium subiectum. Hoc autem
quidam non attendentes, nec imaginationem transcendere valentes, non potuerunt
aliquid intelligere nisi per modum rei situalis, et propter hoc quidam antiqui dixerunt,
quod illud quod non est in loco, non est, ut in IV Physic. dicitur.
Comme Boèce le dit (dans son livre sur La Trinité), sur les affaires divines, il ne faut pas faire de
déductions imaginaires, ni non plus dans tout ce qui est corporel, parce que l'imagination
suit les sens, comme cela apparaît chez le Philosophe (L'âme, II, 3, 415 a 10[4]), l'imagination ne
peut s'étendre au-delà de la grandeur qui est le substrat des qualités
sensibles. Ceux qui ne font pas attention à cela, et n'ont pas la force de
surpasser l'imagination, n'ont pu les comprendre que par le lieu et à cause de
cela, certains anciens ont dit que ce qui n'est pas dans un lieu n'existe pas,
comme on le dit en Physique (IV, 6,
213 a 25).
Et ex simili errore quidam moderni dixerunt, quod Angeli
absque creatura corporali esse non possunt, intelligentes Angelos tamquam ea
quae imaginaverunt situaliter distincta; quod quidem praeiudicat sententiae
antiquorum, qui Angelos ante mundum fuisse posuerunt; praeiudicat etiam
dignitati angelicae naturae quae cum naturaliter sit prior quam creatura
corporalis, nullo modo a creatura corporali dependet. Et ideo simpliciter
dicimus, quod Angeli esse potuerunt ante mundum.
Et par une erreur semblable, certains modernes ont dit que les anges ne
peuvent pas exister sans la créature corporelle, comprenant les anges comme ce
qu'ils ont imaginé distincts selon le lieu; ce qui porte préjudice à l'opinion
des anciens qui ont pensé que les anges avaient existé avant le monde; cela
porte aussi préjudice à la dignité de la nature angélique qui, puisqu'elle est
naturellement avant la créature corporelle, ne dépend d'elle en aucune manière.
Et c'est pourquoi nous disons absolument que les anges ont pu exister avant le
monde.
Solutions:
q. 3 a. 19 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod duos Angelos
esse in uno loco indivisibili non
impedit eorum distinctio, sed operationum confusio; unde ratio non sequitur.
# 1. Leur distinction n'empêche pas que deux anges soient en un seul
lieu indivisible, mais la confusion des opérations, oui. C'est pourquoi
l'objection n'est pas valable.
q. 3 a. 19 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod etiam nunc nihil prohibet Angelos non esse in loco, si
voluerint, etsi etiam semper sint in loco propter ordinem quo creatura spiritualis
praesidet corporali, secundum Augustinum.
# 2. Même maintenant rien
n'empêche que les anges ne soient pas dans un lieu, s'ils l'ont voulu, et même
qu'ils soient toujours dans un lieu à cause de l'ordre par lequel la créature
spirituelle préside à la nature corporelle, selon Augustin, (La Trinité, III, 4).
q. 3 a. 19 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod sicut ipse Boetius exponit, Angeli indigent corpore
solum quantum ad ministerium non quantum ad naturae complementum.
# 3. Comme Boèce l'expose lui-même, les anges ont besoin d'un corps,
seulement pour leur ministère, mais non pour compléter leur nature.
q. 3 a. 19 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod Angeli sunt in caelo Empyreo, ut in loco qui est
contemplationi congruus, non tamen de necessitate contemplationis.
# 4. Les anges sont dans le
ciel empyrée, comme dans un lieu qui convient à la contemplation, non cependant
par la nécessité de la contemplation.
q. 3 a. 19 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod illa prioritas et posterioritas non cogit nos ponere
ante mundum tempus reale, sed solum tempus imaginarium, ut in quaestione de
aeternitate vel creatione mundi, art. 17, dictum est.
# 5. Cette priorité et cette postériorité ne nous oblige pas à penser
qu'il y avait avant le monde un temps réel, mais seulement un temps imaginaire,
comme on l'a dit dans la question sur l'éternité ou la création du monde (art.
17).
[1] Ia, 61, a. 4, ad 1 – II
Sent. d2q1a3.
[2]
"Si donc le lieu n'est aucune des trois choses ni la forme, ni la matière,
ni un intervalle, qui serait quelque chose de différent de l'intervalle
d'extension de l'objet déplacé, reste nécessairement que le lieu est la
dernière des autres, à savoir la limite du corps enveloppant.." (Trad. H.
Carteron) Ð en 212 a 20, on lit "Par suite la limite immobile immédiate de
l'enveloppe, tel est le lieu." En II
Sent. d2q1a3, il fait de cet argument un Sed contra. "Si les anges sont séparés entre eux, il leur faut
un lieu. Donc ils n'ont pas existé avant les corps."
[3]
Il y a quelques allusions en Physique
IV.
[4]
Cf. Thomas, n° 302: "Il y a des animaux qui vivent avec la seule
imagination, c'est-à-dire sans esprit..."
q. 4 pr. 1 Et primo
quaeritur utrum creatio materiae informis praecesserit duratione creationem
rerum.
1. La création de la matière sans forme a-t-elle précédé la création en
durée?
q. 4 pr. 2 Secundo
utrum materia informis tota simul fuerit, an successive.
2. La matière informe a-t-elle existé toute en même temps ou
successivement?
q. 4 a. 1 tit. 1 Et
primo quaeritur utrum creatio materiae informis praecesserit duratione
creationem rerum.
Et videtur quod non.
Il semble que non[1].
Objections:
q. 4 a. 1 arg. 1
Quia, sicut dicit Augustinus, materia informis praecedit formatam ex ea, sicut
vox cantum. Sed vox non praecedit cantum duratione, sed solum natura. Ergo
materia informis, non praecedit res formatas duratione, sed solum natura.
1. Parce que, comme le dit Augustin (La Genèse au sens littéral, I, 15[2]) la matière sans forme[3]
précède la matière qui est formée à partir d’elle, comme la voix précède le
chant. Mais la voix ne le précède pas en durée, mais seulement en nature. Donc
la matière sans forme ne précède pas les choses en forme, en durée, mais
seulement en nature.
q. 4 a. 1 arg. 2 Sed
diceretur, quod Augustinus loquitur de materia respectu formationis, quae est
per formas elementorum; quae quidem formae statim a principio in materia
fuerunt.- Sed contra, sicut aqua et terra sunt elementa, ita etiam ignis et
aer. Sed Scriptura tradens informitatem materiae facit mentionem de terra et
aqua. Ergo si materia a principio habuisset formas elementares, pari ratione
fecisset mentionem de aere et igne.
2. Mais on pourrait dire qu’Augustin parle de la matière par rapport à
sa formation par les formes des éléments[4]; ces formes qui ont existé aussitôt
au commencement dans la matière. — En sens contraire: l’eau et la terre sont
des éléments, le feu et l’air aussi. Mais l’Écriture, en rapportant l'absence
de forme de la matière, fait mention de la terre et de l'eau. Donc si la
matière, au commencement, avait eu des formes élémentaires, à raison égale, elle
aurait fait mention de l’air et du feu.
q. 4 a. 1 arg. 3 Praeterea, forma substantialis
cum materia sunt causa accidentalium qualitatum, ut patet per philosophum, in I
Phys. Sed qualitates activae et passivae sunt proprietates
proprie accidentales elementorum. Si ergo formae substantiales fuerunt a
principio in materia, fuerunt ibi ex consequenti qualitates activae et passivae;
et ita nulla restabat informitas, ut videtur.
3. La forme substantielle est avec la matière la cause des qualités
accidentelles, comme le montre le philosophe (Physique, I). Mais les qualités actives et passives sont des
qualités proprement accidentelles des éléments. Si donc les formes
substantielles ont existé dès le commencement dans la matière, en conséquence,
les qualités actives et passives y ont aussi été, et ainsi il semble qu’aucune
absence de forme ne demeurait.
q. 4 a. 1 arg. 4 Sed
diceretur, quod erat informitas sive confusio quantum ad elementorum situm.-
Sed contra, secundum philosophum, quantum unumquodque elementorum habet de
specie, tantum habet de ubi; elementa enim sunt in propriis locis ex virtute
formae. Si ergo materia a principio habebat formas substantiales, tunc ex
consequenti unumquodque elementorum suum situm habebat; et ita nulla confusio
in elementis restabat, secundum quam materia posset dici informis.
4. Mais on pourrait dire qu'il y avait absence de forme ou confusion au
sujet de la situation des éléments[5]. En sens contraire: selon le Philosophe (Le ciel et le monde, IV, 5, 312 b
20[6]), il y a autant de lieux que d’éléments différents[7]; car les éléments
sont dans leur situation[8] propre par le pouvoir de leur forme. Si donc la
matière, dès le commencement, avait des formes substantielles, alors en
conséquence, chaque élément avait sa situation et ainsi il ne subsistait aucune
confusion dans les éléments qui permette de dire que la matière pouvait être
sans forme.
q. 4 a. 1 arg. 5
Praeterea, si pro tanto materia informis dicitur, quod elementa nondum proprium
et naturalem situm habebant, ex consequenti videtur quod secundum hoc eius
formatio intelligitur quod elementis naturalis situs attribuitur. Sed hoc non
videtur in rerum distinctione; nam aquae aliquae supra caelos ponuntur, cum
tamen naturalis situs aquarum sit sub aere supra terram immediate; ut patet IV
caeli et mundi. Ergo non intelligitur materiae informitas propter confusionem
situs praedictam.
5. Si pour autant on dit que la matière est sans forme, parce que les
éléments n’avaient pas leur situation propre et naturelle, il semble en conséquence,
que selon cela on comprend [qu’il s’agit de] la mise en forme, dans la mesure
où une situation naturelle est attribuée aux éléments. Mais cela n’apparaît pas
dans la distinction, car certaines eaux sont placées au-dessus des cieux; alors
que cependant leur situation naturelle est en dessous de l’air, immédiatement
sur la terre; comme on le voit dans Le
ciel et le monde, (IV, 5, 312 b 5). Donc on ne comprend pas l'absence de
forme de la matière comme une confusion de situation.
q. 4
a. 1 arg. 6 Sed dicendum, quod aquae dicuntur esse supra caelos, in quantum
vaporabiliter elevantur ut sint supra caelos.- Sed contra, aquae vaporabiles
non possunt supra totum aerem elevari, ut a philosophis probatur; immo solum
usque ad medium aeris interstitium ascendunt. Multo ergo minus possunt elevari
supra ignem, ut ulterius supra caelum.
6. Mais il faut signaler qu'on dit que les eaux sont au-dessus des
cieux, dans la mesure où elles s’étaient élevées sous forme de vapeur pour s’y
trouver. — En sens contraire, sous cette forme les eaux ne peuvent pas s’élever
au-dessus de l’atmosphère, comme le prouvent les philosophes; au contraire
elles montent seulement jusqu’à l’intermédiaire des intersticesde l’air[9].
Donc elles peuvent beaucoup moins s'élever au-dessus du feu, comme au-delà
au-dessus du ciel.
q. 4 a. 1 arg. 7
Praeterea, informitas materiae designatur in hoc quod dicitur: terra erat
inanis et vacua. Sed inanitas materiae attribuitur respectu virtutis
generativae, et vacuitas respectu ornatus, ut a sanctis exponitur, quod
consistit in his quae in terra moventur. Ergo informitas materiae non
attenditur quantum ad situm, ut sic dici possit quod materiae informitas
duratione formationem praecesserit.
7. L' absence de forme de la matière est signalée par ce qui en est dit
(Gn. 1, 2) "La terre était vide et déserte". Mais le vide est
attribué à la matière en rapport avec le pouvoir générateur et la vacuité avec
l’ornement, qui, comme les saints l'ont exposé, consiste en ce qui se meut sur
terre. Donc l'absence de forme de la matière ne concerne pas la situation, de
sorte qu’on puisse dire ainsi qu’elle a précédé sa mise en forme dans la durée.
q. 4 a. 1 arg. 8
Praeterea, qui potest dare aliquid simul, minus liberaliter agit si dat
successive; unde Prov. III, 28: ne dicas amico tuo: vade, et revertere; cras
dabo tibi. Sed Deus simul dare poterat rebus esse perfectum. Ergo cum sit
liberalissimus, non fecit materiam informem ante eius formationem.
8. Qui peut donner quelque chose, en une seule fois, agit avec moins de
libéralité s’il donne de manière successive. C'est pourquoi, on lit Prov. 3, 28:
"Ne dis pas à ton ami: Va et reviens; demain je te le donnerai". Mais
Dieu pouvait donner en même temps un être parfait aux choses. Donc comme il est
suprêmement généreux, il n’a pas fait la matière sans forme avant sa formation.
q. 4 a. 1 arg. 9
Praeterea, motus a centro ad centrum sequitur elementa secundum quod habent
naturales situs. Sed in ipsa informitate materiae apparet quod ibi fuisset
motus a centro ad centrum, quia aquae vaporabiles super terram elevabantur, ut
dicitur. Ergo elementa iam habebant suos naturales situs.
9. Le mouvement du centre au centre[10] suit les éléments selon qu’ils
ont des situations naturelles. Mais dans l'absence de forme même de la matière,
il apparaît qu’il y avait un mouvement du centre au centre, parce que les eaux
qui pouvaient se vaporiser s’étaient élevées au-dessus de la terre, comme on le
dit. Donc les éléments avaient déjà leurs situations naturelles.
q. 4 a. 1 arg. 10
Praeterea, rarum et densum sunt causa gravis et levis, ut patet IV Phys. Sed
iam erat rarum et densum in elementis; quia dicitur, quod aquae erant rariores
quam modo sint. Ergo erat grave et leve, et elementa habebant sua ubi, quae eis
attribuuntur ratione levitatis et gravitatis.
10. Le rare et le dense sont causes du lourd et du léger, comme cela
paraît en Physique, IV, 9, 217 b 11).
Mais déjà le rare et le dense étaient dans les éléments, parce qu'il est dit
que les eaux étaient plus rares, que maintenant. Donc il y avait le lourd et le
léger, et les éléments avaient leur place, qui leur est attribuée en raison de
leur légèreté ou de leur densité.
q. 4 a. 1 arg. 11
Praeterea, in illa rerum informitate manifeste apparet quod terra suum situm
habebat, et datur intelligi quod terra erat aquis cooperta, per hoc quod
dicitur, Gen. I, 9: congregentur aquae in unum locum; et appareat arida. Ergo pari ratione et alia elementa suum situm habebant; et ita nulla
informitas in materia erat.
11. Dans cette absence de forme, il apparaît manifestement que la terre
avait sa situation et il est donné à comprendre qu'elle était recouverte par
les eaux, c’est pour cela qu’il est dit (Gn. 1, 9):"Que les eaux soient
rassemblées en un seul lieu, et qu’apparaisse le terre sèche". Donc à raison
égale les autres éléments avaient leur situation, et ainsi il n’y avait nulle
absence de forme dans la matière.
q. 4 a. 1 arg. 12
Praeterea, a perfecto agente educitur perfectus effectus; quia omne agens agit
sibi simile. Sed Deus est perfectissimum agens. Ergo a principio materiam perfectam produxit, et ita formatam, cum forma
sit perfectio materiae.
12. L’effet parfait vient d’un agent parfait, parce que tout agent fait
du semblable à soi. Mais Dieu est l’agent absolument parfait. Donc, au
commencement, il produisit la matière parfaite et ainsi mise en forme, puisque
la forme est la perfection de la matière.
q. 4 a. 1 arg. 13
Praeterea, si materia informis formationem rerum duratione praecessit; aut
materia sic existens carebat omni forma, aut habebat aliquam formam. Si omni
forma carebat, tunc erat tantum in potentia et non in actu; et ita nondum erat
creata, cum creatio terminetur ad esse. Si autem habebat aliquam formam, aut
illa erat aliqua forma elementaris, aut forma mixti. Si forma elementaris, aut
habebat tantum unam formam, aut diversas. Si diversas,
ergo iam erat diversitas per diversas elementares formas. Si unam tantum,
sequitur quod aliqua forma elementi sit naturaliter prius in materia quam aliae;
et ita unum elementum erat principium aliorum elementorum, sicut antiquissimi
naturales posuerunt dicentes unum tantum elementum esse; quod a philosopho
improbatur. Si autem habebat formam mixti, ergo forma mixti naturaliter est
prius in materia quam forma elementorum; quod patet esse falsum; quia mixtio
non fit nisi per hoc quod aliquid elementa movet ad formam mixti. Ergo non
potest esse quod materia fuerit prius informis quam formata.
13. Si la matière sans forme a précédé la mise en forme en durée, ou
bien la matière en un tel état manquait de toute forme, ou bien elle en avait
une. Si elle manquait de toute forme, elle était alors seulement en puissance
et non en acte; et ainsi elle n’était pas encore créée, puisque la création se
termine à l’être. Mais si elle avait une forme, ou celle-ci était une forme
élémentaire, ou la forme d’un mixte. Si c’était une forme élémentaire, ou bien
elle avait seulement une forme ou des formes diverses. Si elles étaient
diverses, donc il y avait déjà de la diversité par les diverses formes
élémentaires. S'il n'y en avait qu'une, il en découle qu'une forme de l’élément
serait naturellement dans la matière avant les autres, et ainsi un seul élément
était le principe des autres, comme les très anciens Naturalistes le pensaient,
disant qu’il n’en existait qu’un seul[11]. Ce qui est désapprouvé par le
philosophe (La génération et la corruption, II, 5, 331 b 5). Si elle avait la
forme d’un mixte, alors celle-ci est naturellement dans la matière avant la
forme des éléments, ce qui paraît faux, parce que le mélange ne se fait que si
quelque chose amène les éléments à la forme du mixte. Donc il n'est pas
possible que la matière ait été sans forme avant d’être en forme.
q. 4 a. 1 arg. 14
Sed dices, quod materia habebat formas elementorum; sed non secundum illum
modum quo nunc sunt, quia aquae erant rariores, et in modum vaporis aeri
permixtae.- Sed contra, forma uniuscuiusque elementi requirit determinatam
mensuram raritatis vel densitatis, sine qua esse non potest. Raritas autem per
quam aliquid ascendit in locum aeris excedit conditionem aquae; quia natura
aquae est ut sit gravis respectu aeris. Ergo si erat tanta subtilitas quod
aquae evaporabiliter ad locum aeris ascenderent, non habebant speciem aquae; et
ita non erant in materia formae elementares, cuius contrarium supra dictum est.
14. Mais on pourrait dire que la matière avait la forme des éléments;
mais pas de cette manière dont ils existent maintenant, parce que les eaux
étaient plus rares et mêlées à l’air sous forme de vapeur. — En sens contraire,
la forme de chaque élément requiert une mesure déterminée de rare et de dense,
sans laquelle elle ne peut pas exister. Mais le rare par laquelle quelque chose
monte dans un espace de l’air dépasse la condition de l’eau, parce que sa
nature est d'être plus lourde que l'air. Donc s'il y avait une telle subtilité
que les eaux montent à la place de l'air sous forme de vapeur, elles n’avaient
pas la nature de l'eau, et ainsi il n'y avait pas de formes élémentaires dans
la matière; [or] on a dit le contraire ci-dessus.
q. 4
a. 1 arg. 15 Praeterea, per opera sex dierum, formata sunt ex informi materia
diversa rerum genera. Sed inter alia sex dierum opera, firmamentum secundo die
est formatum. Si ergo materia informis subiacebat elementaribus formis sequetur
quod caelum sit factum ex quatuor elementis; quod a philosopho improbatur.
15. Par l’œuvre des six jours, différents genres d’êtres ont été formés
à partir de la matière informe. Mais parmi les autres œuvres des six jours, le
firmament a été formé le second jour. Si donc la matière informe dépendait des
formes élémentaires, il en découlerait que le ciel a été fait à partir des
quatre éléments, ce qui est désapprouvé par le Philosophe (Le ciel et le monde, I, com. 5 et s[12].)
q. 4 a. 1 arg. 16
Praeterea, sicut se habet corpus naturale ad figuram, ita se habet materia ad
formam. Sed corpus naturale non potest esse quin habeat aliquam figuram. Ergo
nec materia potest esse quin sit formata.
16. De la même manière que le corps naturel se comporte vis-à-vis de
son aspect, la matière se comporte vis-à-vis de la forme. Mais un corps naturel
ne peut pas exister sans son aspect[13]. Donc la matière ne peut pas exister
sans forme.
q. 4 a. 1 arg. 17
Praeterea, si formatio materiae a principio suae creationis non fuit, tunc
aquarum congregatio, quae tertio die legitur, non semper fuit. Sed hoc videtur
impossibile; quia si aquae undique operiebant terram, non erat ubi possent
congregari. Ergo videtur quod materia informis rerum formationem non
praecesserit. Quod autem aqua undique operiret terram, apparet ex hoc quod
elementa sunt separata, ut probatur in III caeli et mundi.
17. Si la mise en forme de la matière n’a pas eu lieu au début de sa
création, alors le rassemblement des eaux qui eut lieu le troisième jour, n’a
pas toujours existé. Mais cela paraît impossible, parce que, si les eaux
couvraient la terre de tous côtés, il n’y avait pas de lieu où elles puissent
se rassembler. Donc il semble que la matière sans forme n’aura pas précédé la
mise en forme des choses. Mais que l’eau ait couvert la terre de tous côtés, il
apparaît que cela vient du fait que les éléments ont été séparés, comme on le
prouve dans Le ciel et le monde (III,
7, 305 b 12 – b 26) et s.)
q. 4 a. 1 arg. 18
Sed diceretur, quod erat aliqua concavitas infra terram, in quam partes
descenderunt et ita terram locum praebuit aquis.- Sed contra, huiusmodi
concavitates vel cavernositates in terra causantur propter aliquas
lapidositates, ex quibus superiores partes terrae retinentur, ne ad centrum
descendant; quod quidem tunc esse non poterat; quia cum lapides sint corpora
mixta, sequeretur quod corpus mixtum fuisset ante formationem elementorum. Ergo
huiusmodi cavernositates esse non poterant.
18. Mais on pourrait dire qu'il y avait une cavité sous la terre où les
parties descendirent et ainsi, elle offrit la terre comme lieu pour les eaux.
En sens contraire, ces cavités ou ces trous ont été causés dans la terre à
cause des pierrailles qui ont soutenu les parties supérieures de la terre, pour
qu’elles ne descendent pas vers le centre; ce qui alors était impossible;
puisque les pierres sont des corps mixtes; il en découlerait que le corps mixte
aurait existé avant la mise en forme des éléments. Donc de telles cavités ne
pouvaient pas exister.
q. 4 a. 1 arg. 19
Praeterea, si cavernositates aliquae erant in terra, non poterant esse vacuae.
Ergo erant plenae aere, vel aqua; quod videtur impossibile, cum subsidere
terrae sit contra naturam utriusque.
19. S'il existait des cavités dans la terre, elles ne pouvaient pas
être vides. Donc elles étaient emplies d’air ou d’eau, ce qui paraît
impossible, puisque se situer sous la terre serait contre la nature de ces deux
éléments.
q. 4 a. 1 arg. 20
Praeterea, aut aqua cooperiens terram undique naturalem situm habebat, aut non.
Si naturalem situm habebat, ergo ab illa dispositione non poterat removeri,
nisi per violentiam; quia a loco in quo corpus quiescit naturaliter, non
removetur nisi per violentiam. Hoc autem non competit primae rerum
institutioni, per quam natura instituitur, cui violentia repugnat. Si autem
erat ille situs aquae violentus, per suam naturam redire poterat ad illam
dispositionem quam non habebat; quia a loco in quo quiescit aliquid violenter,
movetur naturaliter; et ita non oportebat poni inter opera formationis quod
aquae in unum locum congregarentur.
20. Ou l'eau qui recouvrait la terre de toutes parts avait une
situation naturelle ou elle ne l'avait pas. Si elle en avait un, l'eau n’en
pouvait être déplacée que par violence, parce qu'on ne déplace d’un lieu que
par violence le corps qui y est établi naturellement. Mais cela ne fait pas
partie du premier établissement des choses, par qui la nature est établie, à
laquelle répugne la violence. Mais si cette situation était violente pour
l’eau, elle pouvait par sa propre nature revenir à cette disposition qu'elle
n'avait pas; parce qu’une chose s’éloigne naturellement d'un lieu dans lequel
elle est établie avec violence, elle se meut naturellement; et ainsi il ne
fallait pas placer parmi les œuvres de mise en forme le rassemblement des eaux.
q. 4 a. 1 arg. 21
Praeterea, secundum hunc ordinem res institutae sunt quem naturaliter habent.
Sed naturaliter distincta sunt priora quam confusa, sicut simplex est
naturaliter prius composito. Ergo non fuit conveniens rerum institutioni quod
res primo fuerint in quadam confusione, et postmodum distinguerentur.
21. Les choses ont été établies selon l'ordre qu'elles ont
naturellement. Mais elles ont été séparées naturellement avant d'être mêlées,
puisque le simple est naturellement avant le composé. Donc il n'a pas été
convenable pour leur institution qu'elles aient été d'abord en une certaine
confusion et qu'elles soient séparées ensuite.
q. 4 a. 1 arg. 22
Praeterea, processus de actu in potentiam non competit rerum institutioni, sed
magis corruptioni; res enim fiunt per hoc quod de potentia in actum reducuntur.
Sed procedere a mixtis ad elementa, est procedere de actu in potentiam, cum
elementa sint quasi materia respectu formae mixti. Ergo non fuit conveniens
rerum institutioni quod prius fierent in quadam confusione et mixtione, et
postmodum distinguerentur.
22. Le passage de l'acte à la puissance n'appartient pas à
l'établissement des choses, mais plutôt à leur corruption: car les choses
deviennent par le fait qu’elles sont amenées de la puissance à l'acte. Mais
procéder des mixtes aux éléments, c'est procéder de l'acte à la puissance,
puisque les éléments sont comme la matière en rapport avec la forme du mixte.
Donc il n'a pas été convenable pour l'établissement des choses que d'abord elles
soient faites dans une certaine confusion et un certain mélange et qu'elles
soient séparées ensuite.
q. 4 a. 1 arg. 23
Praeterea, hoc videtur esse consonum erroribus antiquorum philosophorum;
scilicet opinioni Empedoclis, qui ponebat per litem partes mundi esse ad
invicem distinctas, cum prius fuerint confusae per amicitiam; et Anaxagorae,
qui posuit quod cum aliquando omnia simul essent, intellectus incepit
distinguere separando ab illo confuso et commixto. Quae quidem opiniones
sufficienter a philosophis posterioribus improbantur. Ergo non est ponendum
quod informitas vel confusio materiae rerum formationem duratione praecederet.
23.Cela paraît en accord avec les erreurs des anciens philosophes; à
savoir avec l'opinion d'Empédocle qui pensait que les parties du monde avaient
été distinguées les unes des autres par conflit, puisque d'abord elles avaient
été mêlées par amitié; et avec celle d'Anaxagore qui a pensé que lorsque tout
était ensemble à certains moments, l'intellect commençait à apporter ses distinctions
en séparant de ce qui était confus et mélangé. Ces opinions ont été
suffisamment désapprouvées par les philosophes suivants. Donc il ne faut pas
penser que l'absence de forme ou la confusion de la matière précéderait en
durée la mise en forme des choses.
En sens contraire:
q. 4 a. 1 s. c. 1
Sed contra. Est quod Gregorius exponens illud Eccli. XVIII, 1: qui vivit in
aeternum, creavit omnia simul, dicit quod omnia sunt simul creata per
substantiam materiae, sed non per speciem formae; quod esse non posset, nisi
prius fuisset substantia materiae quam species formae inesset. Ergo materia
informis duratione praecessit rerum formationem.
1. Grégoire [le Grand], quand il expose ce verset de l'Eccl. 18,1: "Celui
qui vit éternellement a créé tout en même temps", (les Morales, XXXII, ch.
9, dans les exemplaires nouveaux), dit que tout a été créé en même temps par la
substance de la matière mais non par la nature de la forme, ce qui n'était
possible que s'il y avait eu la substance avant que la nature de la forme y
soit inclue. Donc la matière sans forme a précédé en durée la mise en forme des
choses.
q. 4 a. 1 s. c. 2
Praeterea, illud quod non est, non potest habere aliquam operationem. Sed
materia informis habet aliquam operationem; appetit enim formam, ut dicitur III
Phys. Ergo materia potest esse sine forma; et ita non est inconveniens, si
materia informis ponatur duratione rerum formationem praecessisse.
2. Ce qui n'existe pas ne peut pas avoir d'opération. Mais la matière sans
forme en a une; car elle désire la forme, comme il est dit (Physique I, 9, 191 b 25). Donc la
matière peut exister sans forme et ainsi il n’est pas inconvenant de penser que
celle-ci a précédé en durée la mise en forme.
q. 4 a. 1 s. c. 3
Praeterea, Deus plus potest operari quam natura. Sed natura facit de ente in
potentia ens actu. Ergo Deus potest facere de ente simpliciter ens in potentia;
et ita potuit facere materiam sine forma existentem.
3. Dieu peut faire plus que la nature. Mais la nature fait de l'étant
en puissance un étant en acte. Donc Dieu peut faire d'un étant simplement un
étant en puissance, et ainsi il a pu faire une matière qui existait sans forme.
q. 4 a. 1 s. c. 4
Praeterea, quod Scriptura sacra dicit fuisse aliquando, non est dicendum non
fuisse; quia ut Augustinus dicit, contra Scripturam sacram nemo Christianus
sentit. Scriptura autem divina dicit, terram aliquando fuisse inanem et vacuam.
Ergo non est dicendum quin aliquando fuerit inanis et vacua. Hoc autem pertinet
ad informitatem materiae, quocumque modo exponatur. Ergo aliquando substantia
materiae praecessit formationem; alias nunquam informis fuisset.
4. L'Écriture sainte révèle qu’on ne peut dire que ce qui a existé une
fois n’a pas existé, parce que, comme le dit Augustin (La Trinité, V), aucun chrétien ne pense contre l'Écriture sainte.
Mais celle-ci dit que la terre fut à certains moments vide et déserte. Donc il
ne faut pas dire pourquoi à un certain moment la terre aura été vide et
déserte. Cela concerne l'absence de forme de la matière de quelque manière
qu'on l'expose. Donc à un certain moment, la substance de la matière a précédé
sa mise en forme, autrement jamais elle aurait été sans forme.
q. 4 a. 1 s. c. 5
Praeterea, simul condita est spiritualis et corporalis creatura, ut ex
superiori quaestione iam patuit. In spirituali autem creatura informitas
formationem praecessit etiam duratione. Ergo eadem ratione et in corporali.
Probatio mediae. Formatio creaturae spiritualis intelligitur secundum quod ad
verbum convertitur, quod est eius illuminatio. Simul autem facta luce divisum
est inter lucem et tenebras. Per tenebras autem in spirituali creatura peccatum
intelligitur. Peccatum autem esse non potuit in primo instanti creationis
Angelorum, quia tunc Daemones nunquam fuissent boni. Ergo spiritualis creatura
non fuit formata in primo instanti suae creationis.
5. La créature spirituelle et la créature corporelle ont est créées en
même temps, comme cela a été montré dans la question 3, article 18. Mais, dans
la créature spirituelle, l'absence de forme a précédé sa mise en forme même en
durée. Donc, pour la même raison, dans la créature corporelle aussi. Preuve
intermédiaire: on comprend la mise en forme de la créature spirituelle selon
qu'elle se tourne vers le Verbe qui est son illumination. Mais en même temps
que la lumière a été faite, il y eut la division entre la lumière et les
ténèbres. Et par les ténèbres, on comprend le péché dans la créature
spirituelle. Mais le péché n'a pas pu existé au premier instant de la création
des anges, parce que, alors, les démons n'auraient jamais été bons[14]. Donc la
créature spirituelle n'a pas été mise en forme au premier instant de la
création.
q. 4 a. 1 s. c. 6
Praeterea, illud ex quo est aliquid, etiam tempore praecedit quod est ex eo.
Sed Deus ex invisa materia, quae est materia informis secundum Augustinum,
creavit orbem terrarum, ut dicitur sapientiae XI, 18. Ergo materia informis
tempore praecessit orbem terrarum formatum. Probatio primae. Secundum
philosophum, fieri rerum dupliciter exprimi potest.
Uno modo ut dicatur: hoc fit hoc per se, quod convenit
subiecto; ut cum dicimus, homo fit albus; per accidens autem, ut ex privatione
et contrario, ut cum dicitur: non album, vel nigrum fit album.
Alio modo, ut dicatur: ex hoc fit hoc; quod quidem subiecto
non competit nisi ratione privationis. Non enim dicimus quod ex homine fiat
albus; sed quod ex non albo vel nigro, fit album; vel etiam ex homine nigro vel
non albo. Id igitur ex quo est aliquid, vel est privatio sive contrarium, vel
est materia privationi vel contrario subiecta. Utroque autem modo oportet
tempore praecedere ex quo aliquid fit; quia opposita non possunt esse simul,
nec materia simul tempore potest subesse privationi et formae. Ergo id ex quo
aliquid fit, tempore praecedit id quod fit ex eo.
6. Ce dont vient quelque chose précède dans le temps ce qui en vient.
Mais Dieu, de la matière invisible, qui est la matière sans forme, selon
Augustin (La Genèse au sens littéral,
I, XV, 30[15]) a créé l'univers, comme le dit la Sagesse, 11, 18. Donc la matière
sans forme a précédé dans le temps l'univers en forme. Preuve de la première
[proposition]: Selon le philosophe (Physique
1, 6, 188 a 30 – 188 b 8) on peut exprimer le devenir des choses de deux
manières:
1) D'abord pour dire: ceci devient cela par soi, ce qui convient au
substrat, comme lorsqu’on dit: l'homme devient blanc; par accident aussi comme
d'une privation et d'un contraire, comme quand on dit le non blanc, ou le noir
devient blanc.
2) D'une autre manière, pour dire ceci est fait de cela; ce qui ne
convient au substrat qu'en raison de la privation. Car nous ne disons pas qu’il
devient blanc à partir d'un homme [16]; mais que de non blanc ou de noir, il
devient blanc; ou aussi d'un homme noir ou non blanc. Donc ce d’où vient
quelque chose, est une privation ou son contraire, ou c'est une matière sujette
à la privation ou au contraire. Mais des deux manières, il faut que ce de quoi
quelque chose est fait le précède dans le temps, parce que les opposés ne
peuvent pas être ensemble, et la matière ne peut pas être soumise à la
privation et à la forme en même temps. Donc ce de quoi une chose est faite,
précède dans le temps ce qui est fait de lui.
q. 4 a. 1 s. c. 7
Praeterea, operatio naturae imitatur in quantum potest operationem Dei, sicut
operatio causae secundae operationem causae primae. Sed naturae processus in operando est de imperfecto ad perfectum. Ergo et
Deus etiam prius tempore imperfectum produxit, et postea perfectum; et sic
informis materia formationem praecessit.
7. L'opération de la nature imite autant qu'elle le peut l'opération de
Dieu, comme l'opération de la cause seconde imite celle de la cause première.
Mais le processus de la nature, en opérant, fait passer de l'imparfait au
parfait. Donc Dieu aussi a produit, dans le temps, l'imparfait avant et le
parfait ensuite et ainsi la matière sans forme a précédé sa mise ne forme.
q. 4 a. 1 s. c. 8
Praeterea, Augustinus dicit, quod ubi Scriptura in principio terram et aquam
commemorat, cum dicitur Genes. I, 2: terra erat inanis et vacua, et spiritus
domini ferebatur super aquas; non ideo nominatur terra et aqua quia iam talis
erat, sed quia talis esse poterat. Ergo aliquando
materia prima nondum habebat speciem aquae vel terrae, sed tantum habere
poterat; et sic materia informis formationem praecessit.
8. Augustin dit qu'au commencement, là où l'Écriture fait mention de la
terre et de l'eau, comme il est dit dans Gn. 1, 2: "La terre était vide et
déserte et l'Esprit du Seigneur était porté sur les eaux", la terre et
l'eau ne sont pas désignées parce qu'elles étaient déjà telles, mais parce
qu'elles pouvaient être telles. Donc à certains moments, la matière première
n'avait pas encore la forme de l'eau ou de la terre, mais elle pouvait
seulement l'avoir. Et ainsi la matière sans forme a précédé sa mise ne forme.
Réponse:
q. 4 a. 1 co.
Respondeo. Dicendum quod, sicut dicit Augustinus, circa hanc quaestionem potest
esse duplex disceptatio: una de ipsa rerum veritate; alia de sensu litterae,
qua Moyses divinitus inspiratus principium mundi nobis exponit.
Comme le dit Augustin (Confessions,
XII) à propos de cette question, il peut y avoir une double discussion: 1)
sur la vérité, 2) sur le sens de la lettre, par laquelle Moïse, divinement
inspiré, nous a exposé le commencement du monde.
Quoad primam
disceptationem duo sunt vitanda;
quorum unum est ne
in hac quaestione aliquid falsum asseratur, praecipue quod veritati fidei
contradicat;
aliud est, ne
quidquid verum aliquis esse crediderit, statim velit asserere, hoc ad veritatem
fidei pertinere; quia, ut Augustinus dicit: obest, si ad ipsam doctrinae
pietatis formam pertinere arbitretur falsum, scilicet quod credit, et
pertinacius affirmare audeat quod ignorat. Propter hoc autem obesse dicit, quia
ab infidelibus veritas fidei irridetur, cum ab aliquo simplici et fideli
tamquam ad fidem pertinens proponitur aliquid quod certissimis documentis
falsum esse ostenditur, ut etiam dicit I super Genes. ad litteram.
Pour la première discussion, il faut éviter deux écueils:
1) Sur cette question qu’on n'affirme rien de faux, surtout ce qui
contredirait la vérité de la foi.
2) Ce que quelqu'un aura cru vrai, qu’il ne veuille pas affirmer
aussitôt que cela concerne la vérité de la foi; parce, comme Augustin le dit (Confessions, X): "Il fait du tort,
s'il considère comme faux ce qui se rapporte à la forme même de la doctrine de
la piété; à savoir qu'il croit et qu'il ose affirmer avec opiniâtreté ce qu'il
ignore." Il dit qu’on fait du tort, parce la vérité de la foi est tournée
en dérision par les infidèles[17], quand un simple fidèle propose, comme
appartenant à la foi, ce qui peut être démontré comme faux par des preuves très
sûres, comme il le dit La Genèse au sens
littéral, I.
Circa secundam disceptationem duo etiam sunt vitanda.
Quorum primum est, ne aliquis id quod patet esse falsum,
dicat in verbis Scripturae, quae creationem rerum docet, debere intelligi;
Scripturae enim divinae a spiritu sancto traditae non potest falsum subesse,
sicut nec fidei, quae per eam docetur.
Aliud est, ne aliquis ita Scripturam ad unum sensum cogere
velit, quod alios sensus qui in se veritatem continent, et possunt, salva
circumstantia litterae, Scripturae aptari, penitus excludantur; hoc enim ad
dignitatem divinae Scripturae pertinet, ut sub una littera multos sensus contineat,
ut sic et diversis intellectibus hominum conveniat, ut unusquisque miretur se
in divina Scriptura posse invenire veritatem quam mente conceperit; et per hoc
etiam contra infideles facilius defendatur, dum si aliquid, quod quisque ex
sacra Scriptura velit intelligere, falsum apparuerit, ad alium eius sensum
possit haberi recursus. Unde non est incredibile, Moysi et aliis sacrae
Scripturae auctoribus hoc divinitus esse concessum, ut diversa vera, quae
homines possent intelligere, ipsi cognoscerent, et ea sub una serie litterae
designarent, ut sic quilibet eorum sit sensus auctoris. Unde si etiam aliqua
vera ab expositoribus sacrae Scripturae litterae aptentur, quae auctor non
intelligit, non est dubium quin spiritus sanctus intellexerit, qui est principalis
auctor divinae Scripturae. Unde omnis veritas quae, salva litterae
circumstantia, potest divinae Scripturae aptari, est eius sensus.
Pour la seconde controverse, il faut éviter deux écueils.
1) Que personne ne dise qu'on doit comprendre que ce qui paraît faux,
dans les paroles de l’Écriture qui enseigne la création. Car dans l'Écriture
divine rapportée par l'Esprit saint, on ne peut pas trouver d'erreur, ni non
plus dans la foi, qu'elle enseigne.
2) Que personne ne veuille réduire ainsi l'Écriture à un seul sens, de
sorte que seraient exclus complètement les autres sens qui contiennent en eux
une vérité, et peuvent, si on tient compte du contexte, être conformes à
l'Écriture. Car il appartient à la dignité de l'Écriture divine que sous une
lettre unique, elle contienne de nombreux sens, de sorte qu’elle convient ainsi
aux différents esprits des hommes, pour que chacun puisse avec admiration
trouver en elle la vérité qu'il aura conçue dans son esprit; et par cela aussi,
elle est défendue plus facilement contre les infidèles, puisque, si un sens que
chacun veut comprendre de l'Écriture aura paru faux, on peut recourir à un
autre. C'est pourquoi il n'est pas incroyable que cela ait été transmis de
façon divine à Moïse et aux autres auteurs de l'Écriture sainte, pour que les
hommes connaissent les diverses vérités qu’ils pourraient comprendre et ce
qu’elles révèlent sous un seul sens littéral, de sorte que n’importe laquelle
d’entre d'elles soit le sens de l'auteur. C'est pourquoi, si aussi quelques vérités
que l'auteur ne comprend pas sont adaptées par les commentateurs de la lettre
de l'Écriture sainte, il n'est pas douteux que l'Esprit saint les aura
comprises, lui qui en est l'auteur principal. C'est pourquoi toute vérité qui,
quand on tient compte du contexte, peut être adaptée à l'Écriture divine, est
son sens[18].
His ergo suppositis, sciendum est quod diversi expositores
sacrae Scripturae diversos sensus ex principio Genesis acceperunt; quorum
nullus fidei veritati repugnat. Et quantum ad praesentem pertinet quaestionem,
diversificati sunt in duas vias, dupliciter informitatem materiae accipientes,
quae signatur in principio Genesis ubi dicit: terra autem erat inanis et vacua.
Cela étant supposé, il faut savoir que les divers commentateurs de l'Écriture
sainte ont accepté différents sens pour le commencement de la Genèse, dont
aucun ne s'oppose à la vérité de la foi. Sur la question présente, ils se sont
séparés en deux voies, en admettant de deux manières la mise en forme de la
matière, qui est signalée au début de la Genèse, là où il est dit: "Mais
la terre était vide et déserte".
Quidam namque intellexerunt, praedictis verbis talem
informitatem materiae significari, secundum quod materia intelligitur absque
omni forma, in potentia tamen existens ad omnes formas; talis autem materia non
potest in rerum natura existere, quin aliqua forma formetur. Quidquid enim in
rerum natura invenitur, actu existit, quod quidem non habet materia nisi per
formam, quae est actus eius; unde non habet sine forma in rerum natura
inveniri.
A) Car certains ont compris qu'une telle absence de forme de la matière
était signifiée par ces mots ci-dessus; selon que la matière est comprise sans
aucune forme, en puissance cependant à toutes les formes, mais une telle
matière ne peut pas exister dans la nature, sans que qu'elle ne soit mise en
quelque forme. Car tout ce qu'on trouve dans la nature, existe en acte, ce que
la matière n'a que par la forme, qui est son acte; c'est pourquoi on n'a pas à
la trouver sans forme dans la nature.
Et iterum, cum nihil possit contineri in genere quod per
aliquam generis differentiam ad speciem non determinetur, non potest materia
esse ens, quin ad aliquem specialem modum essendi determinetur; quod quidem non
fit nisi per formam. Unde si sic materia informis intelligatur, impossibile est
quod duratione formationem praecesserit, sed praecessit tantum ordine naturae,
secundum quod illud ex quo fit aliquid, naturaliter est prius eo, sicut nox est
prior creata. Et haec fuit opinio Augustini.
Et en plus, comme rien ne peut être contenu dans un genre sans être
déterminé par une différence de genre pour l'espèce, la matière ne peut être un
étant sans être déterminée à un mode particulier d'être; ce qui ne se fait que
par la forme. C'est pourquoi, si on comprend ainsi la matière sans forme, il
est impossible qu'elle ait précédé en durée la mise en forme, mais elle l'a
précédée seulement dans l'ordre de la nature, selon que, ce dont quelque chose
est fait est naturellement avant lui, comme la nuit est créée la première. Et
telle fut l'opinion d'Augustin.
Alii vero intellexerunt informitatem materiae non secundum
quod materia omni forma caret, sed secundum quod dicitur aliquid informe quod
nondum habet ultimum suae naturae complementum et decorem; et secundum hoc
potest poni, quod etiam duratione informitas rerum formationem praecesserit.
Quod quidem si ponatur, ordini sapientiae artificis congruere videtur, qui res
ex nihilo producens in esse, non statim post nihilum in ultima perfectione
naturae eas instituit, sed primo fecit eas in quodam esse imperfecto; et postea
eas ad perfectum adduxit; ut sic et eorum esse ostenderetur a Deo procedere,
contra illos qui ponunt materiam increatam; et nihilominus perfectionis rerum
ipse etiam auctor appareret, contra eos qui rerum inferiorum formationem causis
alii adscribunt. Et hoc intellexit magnus Basilius, Gregorius, et alii sequaces
eorum. Quia ergo neutrum a veritate fidei discordat, et utrumque sensum
circumstantia litterae patitur; utrumque sustinentes ad utrasque rationes
respondeamus.
B) D'autres ont compris l'absence de forme de la matière, non parce
qu'elle manque de toute forme; mais selon qu'on la désigne comme quelque chose
sans forme, parce qu'elle n'a pas encore l’achèvement ultime de sa nature et sa
beauté et, pour cela on peut penser que l'absence de forme a précédé en durée
la mise en forme. Ainsi on pense que cela semble convenir à l'ordre de la
sagesse de l'artiste, qui, amenant les choses du néant à l'être, ne les a pas
établies aussitôt après le néant, dans la perfection ultime de leur nature;
mais que d'abord il les fit dans un certain être imparfait, et ensuite il les a
amenées à la perfection; pour montrer qu’ainsi leur être procède de Dieu,
contre ceux qui pensent que la matière est incréée. Néanmoins il paraîtrait
l'auteur même de la perfection des choses contre ceux qui attribuent à un autre
la mise en forme des choses inférieures par les causes. Et c’est cela que
Basile [le Grand] et Grégoire [de Naziance] et leurs successeurs ont compris. Donc
parce qu'aucun des deux n'est en discordance avec la vérité de la foi, et que
le contexte supporte l'un et l'autre sens, répondons en soutenant l'un et
l'autre, pour ces deux raisons.
Solutions:
q. 4 a. 1 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod Augustinus loquitur de materia informi, secundum
quod intelligitur absque omni forma; et sic necesse est dicere, quod informitas
solo ordine naturae formationem praecedat. Qualiter autem circa formationis
ordinem opinetur, in sequenti articulo ostendetur.
# 1. Augustin parle de la matière sans forme, selon qu'elle est
comprise sans forme aucune, et ainsi il est nécessaire de dire que cette
absence précède la mise en forme seulement dans l'ordre de la nature. Et on
montrera dans l'article suivant quelle opinion avoir sur l'ordre de la mise en
forme.
q. 4 a. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod circa hoc multipliciter aliqui sunt opinati.
Plato enim Scripturam Genesis videns, sic intellexisse dicitur numerum
elementorum et ordinem ibi significari, ut terra et aqua propriis nominibus
exprimantur. Aqua autem super terram esse intelligitur, ex hoc quod ibi,
scriptum est: congregentur aquae in locum unum; et appareat arida. Supra quae
duo, aerem intellexit in hoc quod dicitur: spiritus domini ferebatur super
aquas, aerem nomine spiritus intelligens. Ignem vero in nomine caeli
intellexit, quod omnibus supereminet.
# 2. A ce sujet quelques-uns ont pensé de multiples façons.
a) Car on dit que Platon, voyant le texte la Genèse[19], a compris que
le nombre des éléments et leur ordre y était signalé de sorte que la terre et
l’eau sont désignées par leurs noms propres. Mais on comprend que l'eau a
existé sur la terre du fait qu'il est écrit (Gn. 1, 9): "Que les eaux se
rassemblent dans un lieu unique, qu'apparaisse la terre sèche". Au dessus
de ces deux éléments, il a compris l'air dans ce qui est dit: "Le souffle
du Seigneur était porté sur les eaux", comprenant l'air sous le nom de
souffle. Et il a compris le feu sous le nom de ciel, qui est au-dessus de tout.
Sed quia, secundum Aristotelis probationes, caelum igneae
naturae esse non potest, ut eius motus circularis demonstrat, Rabbi Moyses
Aristotelis sententiam sequens, cum Platone in tribus primis concordans, ignem
significatum esse dixit per tenebras, eo quod ignis in propria sphaera non
luceat; et situs eius declaratur in hoc quod dicitur: super faciem abyssi.
Quintam vero essentiam nomine caeli significatam esse intelligit.
b) Mais parce que, selon les preuves données par Aristote (Le ciel, II,
2, 269 a 18 – 269 a 26), il ne peut pas exister un ciel de nature ignée, comme
son mouvement circulaire le montre[20], Rabbi Moyses suivant l'opinion
d'Aristote, d'accord avec Platon sur les trois premiers points, a dit que le
feu était signifié par les ténèbres parce que le feu ne brille pas dans sa
propre sphère; et son lieu est révélé dans ce qui est dit: "sur la face de
l'abîme". Mais il comprend que le nom du ciel signifie la quinte essence.
Sed quia, ut dicit Basilius in Hexameron, non est consuetudo
sacrae Scripturae, ut per spiritum domini aer intelligatur, per corpora extrema
quae posuit, dedit intelligere media; et praecipue quia aquam et terram sensui
manifestum est corpora esse, aer vero et ignis non ita sunt simplicibus
manifesta, quibus etiam instruendis Scriptura tradebatur.
c) Mais parce que, comme le dit Basile dans l'Hexaemeron (Homélie 2),
ce n'est pas l’habitude de l'Écriture sainte de comprendre l'air comme le
souffle du Seigneur, il donna à comprendre les intermédiaires par les corps
extrêmes qu'il établit. Et principalement parce qu'il est clair pour les sens,
que l'eau et la terre sont des corps, mais que l'air et le feu n'apparaissent
pas ainsi aux simples à qui l'Écriture était transmise pour les instruire.
Secundum vero Augustinum, per nomina terrae et aquae, quae
commemorantur ante lucis formationem, non intelliguntur elementa suis formis
formata, sed ipsa materia informis omni specie carens. Ideo autem potius per
haec duo materiae informitas exprimitur quam per alia elementa, quia sunt
propinquiora informitati, utpote plus de materia habentia, et minus de forma;
et quia etiam nobis magis sunt nota, et manifestius nobis materiam aliorum
ostendunt. Ideo vero non per unum tantum, sed per duo eam significari voluit,
ne si alterum tantum posuisset, veraciter crederetur hoc esse informis materia.
d) Selon Augustin (Les LXV
questions[21], qu. 21) par les noms de terre et d'eau dont il est fait
mention avant la formation de la lumière, on ne comprend pas les éléments mis
en forme mais la matière elle-même, sans forme, sans aucune espèce. Aussi c'est
plutôt par ces deux termes, que s'exprime l'absence de forme de la matière,
plus que par les autres éléments, parce qu’ils sont plus proches de l'absence
de forme comme ayant plus de matière, et moins de forme; et ils nous sont mieux
connus et ils nous montrent plus clairement la matière des autres. C'est
pourquoi il n'a pas voulu qu'elle soit signifiée par l’un seulement, mais par
les deux, pour que si seulement l'autre ne l’avait pas pu, on crut vraiment que
c'était une matière sans forme.
q. 4 a. 1 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod in illo rerum principio informitate quadam in rebus
existente secundum opinionem Basilii et aliorum sanctorum, non oportet ponere
quod elementa suis qualitatibus naturalibus carerent. Sed utraque habebant
formas, substantiales scilicet, et accidentales.
# 3. En ce commencement des créatures, selon l'opinion de Basile et des
autres saints, il ne faut pas penser que par leur absence de forme les élément
manquaient de leurs qualités naturelles. Mais l'une et l'autre avaient des
formes, soit substantielles, soit accidentelles.
q. 4 a. 1 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod situs elementorum dupliciter potest considerari.
Uno modo quantum ad naturam propriam; et sic naturaliter
ignis aerem continet, aer aquam, et aqua terram.
Alio modo quantum ad necessitatem generationis, quae est
circa locum medium; et sic necessarium est ut superficies terrae quantum ad
aliquam partem sui sit aquis discooperta; ut ibi conveniens generatio et
conservatio mixtorum esse possit, et praecipue animalium perfectorum, quae aere
indigent propter respirationem. Dicendum est ergo, quod illa informitas primi
status attenditur non quantum ad situm qui naturalis est elementis secundum se
(hunc enim situm omnia elementa habebant), sed quantum ad illum situm qui
elementis competit secundum ordinem ad generationem mixtorum. Iste enim situs
nondum erat perfectus, quia nec ipsa corpora mixta adhuc prodierant.
# 4. La situation des éléments peut être considérée de deux manières:
a) Quant à sa nature propre. et ainsi le feu entoure naturellement
l'air, l'air entoure l'eau et l'eau la terre.
b) Pour la nécessité de la génération, qui est par rapport à un lieu
intermédiaire. Ainsi il est nécessaire que la surface de la terre, pour l'une
de ses parties ne soit pas recouverte par les eaux; pour qu’une génération
convenable et la conservation des mixtes y soient possibles, et principalement
celle des animaux parfaits qui ont besoin d'air pour respirer. Il faut donc
dire que cette absence de forme du premier état est atteinte non pas pour la
situation, qui est naturelle aux éléments en soi (car tous les éléments ont
cette situation), mais pour cette situation qui appartient aux éléments en
rapport avec la génération des mixtes. Car cette situation n’était pas encore
parfaite, parce que les corps mixtes n'avaient pas encore paru.
q. 4
a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod de aquis quae supra caelos sunt diversimode
aliqui opinati sunt.
Quidam namque dixerunt, aquas illas esse spirituales
naturas, quod imponitur Origeni. Sed hoc quidem non videtur ad litteram posse
intelligi, cum spiritualibus naturis situs non competat; ut sic inter eas et
inferiores aquas corporeas dividat firmamentum, ut Scriptura tradit.
# 5. Au sujet des eaux qui sont au-dessus des cieux, ils ont pensé de
diverses manières:
Car certains ont dit que ces eaux étaient des natures spirituelles, ce
qui est attribué à Origène. Mais cela ne semble pas pouvoir être pris au sens
littéral, puisque la situation ne convient pas aux natures spirituelles; de
sorte que qu’il partage le firmament entre elles et les eaux corporelles
inférieures, comme l'Écriture le rapporte.
Unde alii dicunt, quod nomine firmamenti intelligitur caelum
aëreum nobis vicinum, supra quod elevantur per vaporum ascensionem aquae
vaporabiles, quae sunt materia pluviarum: ut sic inter aquas superiores quae
sunt in medio aeris interstitio vaporabiliter suspensae, et aquas corporeas
quas videmus supra terram consistere, medium existat aereum caelum. Et huic
etiam expositioni concordat Rabbi Moyses. Sed hanc non videtur pati litterae
circumstantia. Nam postea subditur in littera, quod fecit Deus duo luminaria
magna, et stellas; et posuit eas in firmamento caeli.
C'est pourquoi d'autres disent que, sous le nom de firmament, on
comprend le ciel aérien qui nous est proche, au-dessus duquel s'élèvent les
eaux qui peuvent se sublimer par la montée des vapeurs, qui sont la matière des
pluies; pour qu'ainsi, entre les eaux supérieures qui sont suspendues sous
forme de vapeur dans l'intervalle intermédiaire de l'air, et les eaux
corporelles que nous voyons se tenir sur la terre, il existe un ciel aérien
intermédiaire. Et Rabbi Moyses (Doct. Perplex, part. II, c. 30) est d'accord
avec cette exposé. Mais le contexte de la lettre ne semble pas le permettre.
Car ensuite il est ajouté, dans la lettre, que Dieu fit deux grands luminaires
et les étoiles, et les plaça dans le firmament.
Et ideo alii dicunt, quod per firmamentum intelligitur
caelum sidereum, et quod aquae super caelos existentes sunt de natura aquarum
elementarium, et sunt ibi positae ex divina providentia ad temperandum ignis
virtutem, ex quo totum caelum constare dicebant, ut Basilius tangit. Et ad hoc
astruendum, duplex argumentum Augustinus dicit a quibusdam induci. Quorum unum
est, quod si aqua, aliqua rarefactione facta, potest ascendere usque ad medium
aeris interstitium ubi pluviae generantur, si amplius divisa rarescat (quia est
in infinitum divisibilis, sicut et omne continuum) poterit sua subtilitate
supra caelum sidereum conscendere, et ibi convenienter esse. Aliud argumentum
est, quod stella Saturni, quae deberet esse calidissima propter velocissimum
motum, in quantum eius circulus est maior, invenitur frigidi effectus, quod
dicunt ex vicinitate illius aquae contingere praedictam stellam infrigidantis.
Et c'est pourquoi, d'autres disent que, par le firmament, on comprend
le ciel étoilé et que les eaux qui existent au-dessus des cieux sont de la
nature des éléments aquatiques et ils y sont placés par la providence divine
pour tempérer le pouvoir du feu, dont ils disaient que tout le ciel se compose,
comme Basile le rapporte. Et pour l’établir, Augustin dit que certains en ont
tiré un double argument (La Genèse au
sens littéral, II, IV et V). L'un[22] est que si l'eau, faite par
raréfaction peut monter jusqu'à l'intervalle intermédiaire de l'air où sont
engendrées les pluies, si, en plus divisée, elle se raréfie (parce qu’elle est
divisible à l'infini comme toute matière continue) elle pourra, par sa
légèreté, monter au-dessus du ciel étoilé et s'y trouver de manière convenable.
L'autre argument (La Genèse au sens
littéral, II, V, 9) est que la planète Saturne qui devrait être la plus
chaude à cause de son mouvement très rapide, dans la mesure où sa circonférence
est plus grande, trouve l’effet du froid, ce qu'ils disent venir de la
proximité de cette eau qui la refroidit.
Sed haec expositio
in hoc videtur deficere, quod asserit quaedam per Scripturam sacram intelligi,
quorum contraria satis evidentibus rationibus probantur.
Mais cette exposition semble avoir un défaut du fait qu'elle affirme
qu'on comprend certaines choses par l'Écriture sainte dont le contraire est
prouvé par des raisons assez évidentes[23].
Primo quidem quantum ad ipsam positionem, quae videtur naturalem
situm corporum pervertere. Cum enim unumquodque corpus tanto debeat esse
superius quanto formalius, non videtur rerum naturae congruere ut aqua, quae
inter omnia corpora est materialior praeter terram, etiam supra ipsum caelum
sidereum collocetur; et iterum ut ea quae sunt unius speciei, diversum locum
naturalem sortiantur; quod erit, si una pars elementi aquae erit immediate
supra terram, alia vero supra caelum. Nec est sufficiens responsio, quod
omnipotentia Dei aquas illas contra earum naturam supra caelum sustinet; quia
nunc quaeritur qualiter Deus instituerit naturas rerum, non quod ex eis aliquod
miraculum potentiae suae velit operari, ut Augustinus in eodem libro dicit.
a) Quant à la situation même des corps qui paraît inverser leur
situation naturelle. En effet, comme chaque corps doit être d'autant plus haut
qu'il est plus formel[24], il ne semble pas convenir à la nature des éléments,
que l’eau qui, parmi tous les corps, est plus matérielle, exceptée la terre,
soit placée au-dessus du ciel étoilé, et en plus, que ce qui est d'une seule
nature partage un lieu naturel différent, ce qui arrivera si une partie de
l'élément eau est immédiatement sur la terre, l'autre au-dessus du ciel. Et,
que la toute puissance de Dieu soutienne ces eaux contre leur nature au-dessous
du ciel n’est pas une réponse satisfaisante; parce qu'alors on cherche comment
Dieu a institué la nature, sans vouloir opérer pour elles un miracle de sa
puissance, comme Augustin le dit dans le même livre.
Secundo, quia ratio de rarefactione vel
divisione aquarum videtur omnino vana. Etsi enim corpora mathematica possint in
infinitum dividi, corpora tamen naturalia ad certum terminum dividuntur, cum
unicuique formae determinetur quantitas secundum naturam, sicut et alia
accidentalia. Unde nec rarefactio in infinitum esse potest; sed usque ad
terminum certum qui est in raritate ignis. Et praeterea aqua tantum rarefieri
posset quod iam non esset aqua, sed aer vel ignis, si transcenderet modum
raritatis aquae. Nec
posset naturaliter excedere aeris et ignis spatia, nisi, natura aquae amissa,
eorum vinceret raritatem. Nec iterum esset possibile ut corpus elementare, quod
est corruptibile, formalius fieret caelo sidereo, quod est incorruptibile, et
sic supra ipsum naturaliter collocaretur.
b) Parce que la raison de la raréfaction ou de la division des eaux
paraît tout à fait vaine. Car même si les objets mathématiques pouvaient être
divisés à l'infini, cependant les corps naturels sont divisés jusqu'à un
certain point, puisque la quantité est limitée à chaque forme selon sa nature
et les autres accidents. C’est pourquoi la division à l'infini n'est pas
possible; mais elle (va) jusqu'à un terme déterminé qui est dans la faible
densité du feu. Et en plus l'eau pourrait perdre sa densité au point qu’elle ne
serait plus de l'eau, mais de l'air ou du feu, si elle dépassait la faible
densité de l'eau. Et elle ne pourrait naturellement dépasser les espaces de
l'air et du feu, à moins qu’ayant perdu sa nature, elle dépasse leur faible
densité. Et à nouveau il ne serait pas possible que le corps élémentaire, qui
est corruptible, devienne plus formel que le ciel étoilé, qui est incorruptible
et ainsi soit placé naturellement au-dessus de lui.
Tertio, quia secunda ratio omnino frivola
apparet. Nam corpora caelestia non sunt susceptiva peregrinae impressionis ut a
philosophis probatur. Nec esset possibile stellam Saturni ab illis aquis
infrigidari, nisi etiam omnes stellae quae sunt in octava sphaera,
infrigidarentur: quarum tamen plurimae inveniuntur esse calidae secundum
effectum.
c) Parce que la seconde raison apparaît comme tout à fait frivole. Car
les corps célestes ne sont pas susceptibles d'une imprégnation étrangère, comme
le Philosophe le prouve. Il ne serait possible que la planète Saturne soient
refroidie par ces eaux, que si toutes les étoiles qui sont dans la huitième
sphère étaient refroidies aussi; cependant on trouve à leurs effets que
plusieurs d'entre elles sont chaudes.
Et ideo aliter videtur dicendum ad hoc quod Scripturae
veritas ab omni calumnia defendatur; ut dicamus, quod aquae illae non sint de
natura harum aquarum elementarium, sed sint de natura quintae essentiae,
habentes communem cum nostris aquis diaphaneitatem, sicut et caelum Empyreum
cum nostro igne communem splendorem. Et has aquas quidam vocant caelum
crystallinum; non quia fit de aqua congelata in modum crystalli, quia, ut dicit
Basilius in Hexameron, puerilis dementiae et insipientis mentis est, talem de
caelestibus capere opinionem; sed propter illius caeli soliditatem, sicut et de
omnibus caelis dicitur Iob, XXXVII, 18, quod solidissimi quasi aere fusi sunt.
Et hoc caelum etiam ab astrologis ponitur nona sphaera. Unde nec Augustinus
aliquam de praemissis expositionibus asserit, sed sub dubitatione dimittit,
dicens in eodem Lib.: quomodo libet, et quales aquae ibi sint, esse ibi eas,
minime dubitemus. Maior est quippe Scripturae huius auctoritas quam omnis
humani ingenii capacitas.
Et c'est pourquoi il semble qu'il faille en parler autrement pour que
la vérité de l'Écriture soit défendue contre toute calomnie, de sorte que nous
disons que ces eaux ne sont pas de la nature des eaux élémentaires, mais sont
de quinte essence, ayant une commune transparence avec nos eaux, comme le ciel
empyrée a une commune brillance avec notre feu. Et ils appellent ces eaux le
ciel cristallin, non parce qu'il est fait d'eau congelée à la ressemblance du
cristal, parce que, comme le dit Basile (Hex. 3), c'est le propre d'une démence
puérile et d'un esprit insensé, d'accepter une telle opinion sur les objets
célestes; mais c'est à cause de la consistance de ce ciel, comme des autres
cieux, comme le dit Job (37, 18[25]) que "les plus consistants ont fondu
comme l'air". Et ce ciel aussi est placé par les astronomes dans la
neuvième sphère. C'est pourquoi Augustin soutient l’un de ces exposés, mais il
émet un doute, disant dans le même livre (La
Genèse au sens littéral, II, V, 9): "De quelque manière, et quelles
que soient ces eaux, ne doutons pas qu’elles y sont. Car l'autorité de cette
Écriture est plus grande que la capacité de tout l'esprit humain."
q. 4 a. 1 ad 6 Sextum concedimus.
# 6. Nous le concédons.
q. 4 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod si
intelligatur secundum expositionem Basilii, et sequacium eius, per terram ipsum
terrae elementum; sic considerari potest et in quantum est principium quarumdam
rerum, scilicet plantarum, quarum ipsa est ut mater, sicut dicitur in libro de
Veget., et sic respectu eorum erat inanis antequam eas produceret; inane enim
vel vanum dicimus quod non pertingit ad proprium effectum vel finem. Et potest
considerari in quantum est habitaculum quoddam et locus animalium, respectu
quorum vacua fuisse dicitur.
# 7. Selon l'exposition de Basile (Hexameron, hom. 4) et de ses
successeurs, si on comprend par le mot terre, l'élément terre, on peut la
considérer ainsi dans la mesure où elle est le principe de certaines choses, à
savoir des plantes dont elle est même la mère, comme on le dit au livre de la
Végétation et ainsi par rapport à cela, elle était vide avant de les produire;
car nous disons qu'est vide ou désert ce qui ne parvient pas à son effet ou à
sa fin propres. Et elle peut être considérée dans la mesure où elle est un
habitacle et un lieu pour les animaux par rapport à ce qu'on a appelé désert.
Vel secundum litteram Septuaginta, quae habet, invisibilis
et incomposita, fuit quaedam terra invisibilis, in quantum erat aqua cooperta,
etiam in quantum nondum erat lux producta, per quam posset videri; incomposita
vero in quantum carebat et plantarum et animalium ornatu, et situ conveniente
ad eorum generationem et conservationem. Si vero per terram
intelligatur prima materia secundum opinionem Augustini, sic dicitur inanis per
comparationem eius ad compositum in quo subsistit; nam inanitas firmitati et
soliditati opponitur; vacua vero per comparationem ad formas quibus eius
potentia non replebatur. Unde et Plato, receptionem materiae comparavit loco,
secundum quod in eo locatum recipitur. Vacuum autem et plenum proprie circa
locum dicuntur. Dicitur etiam materia in sua informitate considerata
invisibilis, secundum quod caret forma, quae est omnis cognitionis principium;
incomposita vero in quantum sine composito non subsistit.
Ou selon la lettre de la Septante, qui a "invisible et non
composée", il y eut une terre invisible, dans la mesure où elle était
couverte d'eau, même dans la mesure où la lumière par laquelle elle pouvait
être vue n'était pas créée; non composée, dans la mesure où elle manquait de
l'ornement des plantes et des animaux, et d'un lieu convenable pour leur
génération et leur conservation. Mais si on comprend par la terre la matière,
selon l’opinion d’Augustin (Dial. 65, qu. 21), on l’appelle vide par
comparaison au composé en lequel elle subsiste; car la vacuité est opposée à la
fermeté et à la solidité; mais déserte par comparaison aux formes qui ne
comblaient pas sa puissance. C'est pour cela que Platon (Timée), compara la réception de la matière à un lieu, selon qu'elle
est placée en lui. Mais désert ou plein se disent proprement du lieu. Car on dit
que la matière dans son manque de forme est considérée comme invisible, selon
qu'elle manque de forme, qui est le principe de sa connaissance, non composée
dans la mesure où elle ne subsiste pas sans composé.
q. 4 a. 1 ad 8 Ad
octavum dicendum, quod ad liberalitatem dantis non solum pertinet quod cito
det, sed etiam quod ordinate et quod convenienti tempore det unumquodque. Unde
ubi dicitur: cum statim possis dare, non solum consideranda est potentia qua
dare possumus aliquid absolute, sed etiam qua possumus convenientius dare. Unde
ad ordinis convenientiam conservandam Deus in quadam imperfectione creaturas
primo instituit, ut sic gradatim ex nihilo ad perfectum pervenirent.
# 8. Il convient à la libéralité du donateur de donner promptement,
mais aussi de donner chaque chose avec ordre et au temps convenable. C’est
pourquoi quand il est dit: "Aussitôt que tu pourrais donner", non
seulement il faut considérer la puissance par laquelle on peut donner quelque
chose absolument, mais encore par laquelle nous pouvons le donner plus
convenablement. C’est pourquoi, pour garder la convenance de l’ordre, Dieu a
institué d'abord des créatures dans une certaine imperfection, pour qu'elles
parviennent graduellement du néant à la perfection.
q. 4 a. 1 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod situs qui pertinet ad naturam elementorum, in elementis
erat, ut dictum est; unde obiectio contra praedictam opinionem non procedit.
# 9. La situation qui convient à la nature des éléments, était en eux,
comme on l’a dit; c’est pourquoi l’objection ne vaut pas contre cette
opinion[26] .
q. 4 a. 1 ad 10 Et
similiter dicendum ad decimum et undecimum.
# 10. 11. Il faut dire de même pour la dixième et onzième objection.
q. 4 a. 1 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod
perfecto agenti competit perfectum effectum producere. Sed non oportet quod
statim in principio sit perfectum simpliciter secundum suae naturae modum, sed
sufficit quod sit secundum tempus illud; quo modo puer mox natus perfectus dici
potest.
# 12. Il convient à l’agent parfait de produire un effet parfait. Mais
il ne faut pas que cet effet soit dès le commencement absolument parfait selon
le mode de sa nature, mais il suffit qu’il le soit dans ce temps[27]; de cette
manière, on peut dire que l’enfant sitôt né est parfait.
q. 4 a. 1 ad 13 Ad
decimumtertium dicendum, quod materia non dicitur fuisse informis, secundum
sententiam quam sustinemus ad praesens, quia omni careret forma, vel quia
haberet unam tantum formam, quae esset in potentia ad omnes formas, sicut
posuerunt antiqui naturales ponentes unum principium; vel sub qua continerentur
plures formae virtute, sicut in mixtis accidit; sed habebat in diversis
partibus formas elementares diversas. Dicebatur tamen materia informis, quia
nondum formae mixtorum corporum supervenerant materiae; ad quas formae
elementares sunt in potentia; nec etiam erat situs elementorum adhuc conveniens
eorum generationi sicut prius dictum est.
# 13. On ne dit pas que la matière a été sans forme, selon l’opinion
que nous soutenons à présent, parce qu'elle manquerait de toute forme; ou bien
parce qu'elle n'aurait qu'une seule forme, qui serait en puissance à toutes les
formes, comme l’ont pensé les anciens Naturalistes, qui n’admettaient qu'un
seul principe; ou bien plusieurs formes seraient contenues en puissance, comme
cela arrive dans les mixtes, mais la matière avait en différentes parties
différentes formes élémentaires. Cependant on l'appelait matière sans forme,
parce que n’étaient pas encore parvenues à la matière les formes des corps
mixtes, pour lesquelles les formes élémentaires sont en puissance, et la
situation des éléments n’était pas encore apte à leur génération, comme on l’a
dit d’abord.
q. 4 a. 1 ad 14 Ad
decimumquartum dicendum, quod nihil cogit nos dicere, nec Scripturae Genesis
auctoritas, nec aliqua ratio, quod alio modo in illo rerum principio materia
formis elementaribus subesset quam modo; etsi possibile fuerit quod ex aquis
vaporabiliter aliquid ascenderit in locum aeris, sicut et modo contingit, et
forte tunc amplius, cum terra totaliter aquis cooperiretur.
# 14. Rien, ni l’autorité de l’Écriture dans la Genèse, ni une raison
ne nous forcent à dire, qu'en ce commencement des choses, la matière était
soumise à des formes élémentaires d'une autre manière que maintenant, même s’il
aura été possible que des eaux s’élèvent sous forme de vapeur dans le
territoire de l’air, comme cela arrive aussi maintenant, et peut-être alors
encore plus, puisque la terre était entièrement recouverte par les eaux.
q. 4
a. 1 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod de firmamento, quod secundo die
formatur, multiplex invenitur opinio.
Quidam namque dicunt, hoc firmamentum non esse
aliud a caelo, quod prima die legitur factum; sed dicunt, quod Scriptura in
principio summatim commemoravit facta, de quibus per senarium dierum explicavit
quomodo sint facta. Et haec est opinio Basilii in Hexameron.
Alii vero dicunt, aliud esse firmamentum quod
secundo die est factum, et aliud caelum, quod primo dicitur creatum; et hoc
tribus modis.
# 15. Au sujet du firmament qui est formé le second jour, on trouve de
nombreuses opinions.
Car certains disent qu’il n’est pas autre que le ciel, on lit qu'il a
été créé le premier jour, mais ils disent que l’Écriture au commencement a
rappelé sommairement ce qui a été fait, elle a expliqué comment cela a été fait
en six jours. Et cette opinion vient de Basile dans l'Hexaemeron.
Mais d'autres disent que c’est un autre firmament qui a été créé le
second jour, et un autre ciel qu'on dit avoir été créé d'abord, et cela de
trois manières.
Quidam namque dixerunt, quod per caelum, quod prima die
creatum legitur, intelligitur spiritualis creatura vel formata, vel adhuc
informis; per firmamentum vero quod secunda die legitur factum, intelligitur
caelum corporeum quod videmus. Et haec est opinio Augustini, ut patet in Lib.
super Genesim ad litteram, et XII Confess.
a) Car certains ont dit que par le ciel, qui, lit-on, a été créé le
premier jour, on comprend la créature spirituelle, en forme, ou encore sans
forme; par le firmament qui, a été créé le second jour, on comprend le ciel
corporel que nous voyons. Et c’est l’opinion d’Augustin, comme cela apparaît
dans le La Genèse au sens littéral et
au livre 12 des Confessions.
Alii vero dicunt, quod per caelum quod prima die creatum
legitur, intelligitur caelum Empyreum; per firmamentum vero quod secunda die
legitur factum, intelligitur caelum sidereum quod videmus. Et haec est opinio
Strabi, ut patet in Glossa Genes. I.
b) D’autres disent que par le ciel créé le premier jour, on comprend le
ciel empyrée, par le firmament qui a été fait le second jour, on comprend le
ciel étoilé que nous voyons. Et cette opinion est celle de Strabon, comme on le
voit dans la glose de Genèse 1.
Alii vero dicunt, quod per caelum primo die factum,
intelligitur caelum sidereum; per firmamentum autem quod factum est secunda
die, intelligitur istius aeris spatium terrae vicinum, quod dividit inter aquas
et aquas, ut supra dictum est. Et hanc expositionem tangit Augustinus super
Genes. ad litteram, et tenet eam Rabbi Moyses.
c) D’autres disent que, par le ciel créé le premier jour, on comprend
le ciel étoilé, et par le firmament qui a été fait le second jour, l’espace de
cet air voisin de la terre, qui divise les eaux entre elles, comme on l’a dit
plus haut. Et Augustin parle de cette exposition dans La Genèse au sens littéral et Rabbi Moïses la soutient.
Secundum ergo hanc ultimam facile est solvere: quia
firmamentum, quod secundo die est factum, non est de natura quintae essentiae;
unde nihil prohibet quantum ad ipsum fuisse processum de informitate ad
formationem, vel quantum ad eius subtiliationem, vaporibus ab aquis elevatis
diminutis per aquarum congregationem in unum, vel quantum ad situm, dum in
locum aquae recedentis aer successit.
Selon cette dernière exposition, il est facile de résoudre le problème;
parce que le firmament, qui a été créé le second jour, n'était pas de quinte
essence; c’est pourquoi, rien n’empêche, quant à lui qu'il soit passé de
l'absence de forme à la mise en forme; ou bien pour sa raréfaction, que les
vapeurs qui s’élevaient des eaux, ayant été raréfiées par leur rassemblement en
un seul lieu, ou bien pour sa situation pendant que l’air arriva dans le lieu
d'où l’eau se retirait.
Sed secundum tres opiniones primas, quae per firmamentum
caelum sidereum intelligunt, non oportet dicere processum esse in caelo, de
informitate ad formationem, quasi novam formam acquisierit, quia nec in
elementis inferioribus hoc ponere cogit Scriptura; sed ut intelligamus
firmamento virtutem esse collatam ad mixtorum generationem, et quantum ad hoc
formationem eius intelligi; sicut inferiorum elementorum formatio intelligitur,
ut dictum est, quantum ad mixtorum generationem. Nam sicut elementa inferiora sunt
materia mixtorum, ita firmamentum est causa mixtorum activa.
Mais selon ces trois premières opinions, qui comprennent par le
firmament le ciel étoilé, il ne faut pas dire qu’il y eut passage dans le ciel,
de l'absence de forme à la mise en forme, comme s’il avait acquis une nouvelle
forme, parce que l’Écriture ne force pas à l’établir dans les éléments
inférieurs, mais comme nous comprenons qu'un pouvoir a été placé dans le
firmament pour la génération des éléments mixtes, on peut y comprendre aussi sa
mise en forme, comme on comprend celle des éléments inférieurs, comme on l’a
dit (solution des arguments 13 et 4), pour la génération des mixtes. Car, de
même que les éléments inférieurs sont la matière des mixtes, le firmament est
leur cause active.
Unde divisio aquarum inferiorum a superioribus, intelligi
potest per modum quo medium in confinio duorum extremorum existens, inter
utrumque distinguit. Inferiores enim aquae variationi subiectae sunt, in
quantum mixtionis materia fiunt per motum firmamenti, non autem superiores.
Secundum tamen sententiam Augustini, si ponatur materia informis prius fuisse
tempore, nihil grave occurrit; quia oportet aliquo modo materia in corpore
caelesti poni, in quo invenitur etiam motus. Unde nihil prohibet eam ordine
naturae intelligi ante formam, licet ex tempore nihil formationis accesserit.
Nec cogimur propter hoc dicere, unam esse communem naturam corpori caelesti et
inferioribus elementis; etsi aliquo uno nomine significetur, ut terrae vel
aquae secundum sententiam Augustini; quia unitas ista non intelligitur secundum
substantiam, sed secundum proportionem prout quaelibet materia consideratur ut
in potentia ad formam.
C’est pourquoi la séparation des eaux inférieures des eaux supérieures
peut être comprise au moyen d’un intermédiaire situé aux confins des deux
extrêmes qui les distinguent l’une de l’autre. Car les eaux inférieures sont
sujettes à variation, dans la mesure où elles deviennent la matière du mixte
par le mouvement du firmament, mais pas les eaux supérieures. Cependant selon
l’expression d’Augustin (La Genèse au
sens littéral, II, XI, 24), si on pense que la matière informe a existé
avant en temps, il n’en ressort rien de grave, parce qu’il faut d’une certaine
manière placer la matière dans le corps céleste, dans lequel on trouve aussi le
mouvement. C'est pourquoi, rien n'empêche qu'on la comprenne dans l'ordre de la
nature avant la forme, bien que rien de la formation ne soit arrivé à partir du
temps. Et nous ne sommes pas forcés, pour cela, de dire qu’il y a une seule
nature commune au corps céleste et aux éléments inférieurs, même si on désigne
par un seul nom les terres ou les eaux, selon l'expression d'Augustin; parce
que cette unité n'est pas comprise de la substance, mais de la proportion dans
la mesure où on considère n'importe quelle matière comme en puissance pour la
forme.
q. 4 a. 1 ad 16 Ad decimumsextum patet solutio
ex dictis. Non enim intelligitur informitas materiae quia omni forma caret, sed
sicut dictum est.
# 16. La solution est éclairée par ce qui vient d’être dit. Car on ne
comprend pas l’absence de forme de la matière, parce qu'elle manque de toute
forme, comme on l’a dit.
q. 4 a. 1 ad 17 Ad
decimumseptimum dicendum quod secundum sententiam Augustini, qui ponit per
terram et aquam prius commemoratas non elementa, sed materiam primam
significatam fuisse, nihil inconveniens sequitur de aquarum congregatione. Nam,
sicut ipse dicit, sicut cum dictum est: fiat firmamentum, in secunda die,
significata est formatio caelestium corporum; ita cum dicitur: congregentur
aquae, in tertia die, significatur formatio elementorum inferiorum; et per hoc
quod dicitur: congregentur aquae, significetur quod aqua suam formam acceperit;
per hoc vero quod dicitur: appareat arida, significetur idem de terra. Ideo
vero his verbis usus est in horum elementorum formatione, et non verbo
factionis, sicut in caelo, ut diceret: fiat aqua et terra, sicut dixerat: fiat
firmamentum, ut significaret imperfectionem harum formarum, et earum
propinquitatem ad informem materiam. Verbo enim congregationis usus est ad
aquam, ut significaret eius mobilitatem; verbo apparentiae in terra, ut
significetur eius stabilitas; unde ipse dicit: ideo de aqua dictum est,
congregetur; de terra, appareat, quia aqua labiliter est fluxa, terra
stabiliter fixa.
# 17. Selon l'expression d’Augustin (Dialogue, LV, quest. 21) qui pense
que par la terre et l’eau dont on a fait mention auparavant, ne sont pas des
éléments, mais qu'elles ont désigné la matière première, il n’en découle aucune
inconvenance pour le rassemblement des eaux. Car, comme il le dit lui-même, (La Genèse au sens littéral, II, ch. 7 et
8), de même qu'il a été dit: "Que soit fait le firmament", au second
jour, cela signifie la formation des éléments inférieurs, de même quand il est
dit: "que les eaux se rassemblent", au troisième jour, cela signifie
la mise en forme des éléments inférieurs et par ce qui est dit: "que les
eaux se rassemblent" est signifié que l’eau a reçu sa forme propre est
signifié que l'eau a reçu sa forme; par cette parole: "que la terre sèche
apparaisse", cela signifie la même chose pour la terre. C’est pourquoi, il
s'est servi de ces mots, pour la formation de ces éléments, et non du mot de
faire, comme dans le ciel pour dire: que l'eau et la terre soient faites, comme
il avait dit: "Que le firmament soit fait.", pour signifier l'imperfection
de ces formes et leur proximité de la matière informe. Il s'est servi du mot de
rassemblement, pour l'eau, pour signifier sa mobilité, et du mot apparence,
dans la terre pour signifier sa stabilité. Aussi il dit lui-même: "C’est
pourquoi on a dit de l’eau qu’elle se rassemble, de la terre qu’elle
apparaisse, parce que l’eau s'est écoulée doucement, la terre ayant été établie
fermement".
Si vero secundum opinionem Basilii et aliorum sanctorum
dicatur, quod eadem terra hic et ibi significatur, et similiter eadem aqua, sed
alio modo disposita prius et postea, multipliciter respondetur. Quidam enim
dixerunt, quod aliqua pars terrae erat quae aquis non erat cooperta; in quam
aqua quae terram habitabilem occupabat, Deo iubente, congregata est. Sed hoc
reprobat Augustinus ex ipsa littera, dicens: si aliquid erat nudum terrae, ubi
congregarentur aquae, iam prius arida apparebat, quod est contra circumstantiam
litterae. Unde alii dixerunt, quod aqua rarior erat sicut nebula, et postea
inspissata in minorem locum collocata est. Sed illud etiam non minorem generat
difficultatem; tum quia non vere erat aqua, si formam vaporis assumpserat; tum
etiam quia locum aeris occupasset, et similis difficultas relinqueretur de
aere. Et ideo alii dicunt, quod terra quasdam cavernositates accepit in quibus
potuit aquarum multitudinem accipere operatione Dei. Sed contra hoc videtur
esse, quia hoc per accidens est quod aliqua pars terrae longius distet a centro
quam alia. In illa autem rerum formatione, natura suum modum accepit, ut Augustinus in
eodem Lib. dicit.
Mais si, selon l’opinion de Basile et des autres saints, on disait
qu’on signifie ici et là la même terre, et de la même manière, la même eau,
mais disposées d’une autre manière avant et après, on trouve de nombreuses
réponses: Car certains ont dit qu’une partie de la terre était celle qui
n’avait pas été recouverte par les eaux, dans laquelle l’eau qui occupait la
terre habitable, avec l’aide de Dieu, a été rassemblée. Mais Augustin le
réprouve à cause de la lettre même du texte, (La Genèse au sens littéral, I, 12, 26) en disant: "S'il y
avait quelque lieu où la terre était nue, où les eaux se rassembleraient, c’est
que déjà avant émergeait la terre sèche, ce qui est contre le contexte".
C’est pourquoi d’autres ont dit que l’eau était moins dense, comme les nuées,
et ensuite en s'épaississant, elle a été placée dans un lieu plus petit. Mais
cela même ne diminue pas la difficulté; d'une part, parce que ce n'était pas
vraiment de l’eau, si elle avait pris la forme de la vapeur, d'autre part, même
parce si elle avait occupé la place de l’air, il resterait une difficulté
semblable pour l'air. Et c’est pourquoi d’autres disent que la terre a reçu des
cavités, dans lesquelles elle a pu recevoir un grande quantité des eaux par
l'opération de Dieu. Mais cela semble être contraire, parce que c'est par
accident qu'une partie de la terre est plus loin du centre que l'autre. Mais en
cette formation des choses, la nature a reçu son mode, comme Augustin le dit
dans le même livre. (La Genèse au sens
littéral, VI, 6).
Et ideo melius videtur dicendum, sicut Basilius dicit, quod
aquae in multas divisiones erant dispersae, et postmodum in unum congregatae;
quod etiam ipse textus verbo congregationis utens, significare videtur. Etsi
enim totam terram aqua tegebat, non oportet quod tanta profunditate tegeretur
prius ubique, quanta nunc invenitur in aliquibus locis
Et c’est pourquoi il semble qu’il vaut mieux dire, comme le fait
Basile, que les eaux s’étaient dispersées en de nombreuses parties, et ensuite
ont été rassemblées en un tout, ce que le texte même usant du mot de
rassemblement semble signifier. Car même si l’eau couvrait toute la terre, il
ne faut pas qu'avant elle soit recouverte partout d’une profondeur telle qu’on
la trouve maintenant en certains lieux.
q. 4 a. 1 ad 18 Ad
decimumoctavum dicendum, quod quia corpora mineralia non habent aliquam
evidentem perfectionis excellentiam supra elementa, sicut habent viventia, non
seorsum ab elementis formata describuntur; sed in ipsa elementorum institutione
possunt intelligi esse producta. Unde nihil prohibet aliquas cavernositates
fuisse ante congregationem aquarum; ut postea terra compressa in sui
superficie, aquae congregatae locum praeberet. Tamen verba Augustini hanc
opinionem tangentis, videntur sonare magis quod huiusmodi concavitates non
praeextiterint infra terram, sed magis in superficie terrae tunc factae
fuerint, cum aquae sunt congregatae. Sic enim dicit: terra longe lateque
subsidens potuit alias partes praebere concavas, quibus confluentes et
corruentes aquae reciperentur, et appareret arida ex his partibus unde humor
abscederet; cui etiam consonant verba Basilii Hexameron, dicentis: quando
praeceptio data est ut in unam congregationem aquae coirent, tunc et
susceptionis earum causa praecessit; et ita iussu Dei capacitas sufficiens
parata est, unde aquarum ibi multitudo conflueret. Haec autem capacitas potest
intelligi per quarumdam partium terrae depressionem; cum videamus etiam in
aliquibus maiorem elevationem accidentalem, ut patet in collibus et montibus.
# 18. Parce que les minéraux ne dépassent pas de façon évidente les
éléments en perfection, comme les êtres vivants, ils ne sont pas décrits comme
formés à part des éléments; mais on peut comprendre qu'ils sont produits dans
la constitution même des éléments. C’est pourquoi rien n’empêche qu’il y eut
des cavités avant le rassemblement des eaux, pour que après, la terre comprimée
en sa surface offre une place à l’eau rassemblée. Cependant les paroles
d’Augustin à propos de cette opinion (La
Genèse au sens littéral, I, XII, 26) paraissent mieux convenir, parce que
les cavités de ce genre, n’auraient pas préexisté sous la terre, mais elles
auraient été faites plus à sa surface, quand les eaux ont été rassemblées. Car
il parle ainsi: "La terre qui s’étend en long et en large a pu fournir
d'autres dépressions dans lesquelles les confluents et les eaux courantes
seraient reçues, et la terre sèche apparaîtrait de ces parties d’où le liquide
serait parti". Les paroles de Basile sont en accord (Hexaemeron, homélie
4). Il dit: "Quand l’ordre a été donné que les eaux se rassemblent en une
seule masse, alors la cause de leur réception a précédé et ainsi par l’ordre de
Dieu, un réceptacle suffisant a été préparé où les grandes quantités d'eaux se
rassembleraient". Ce réceptacle peut être comprit par l'enfoncement de
certaines partie de la terre, quand nous voyons même dans certaines une plus
grande élévation accidentelle, comme cela se voit dans les collines et les
montagnes.
q. 4 a. 1 ad 19 Ad
decimumnonum dicendum, quod si cavernositates non praeexistebant in terra,
secundum illud quod ultimo dictum est, obiectio praesens locum non habet. Si
autem praeexistebant, tunc dicendum est, quod licet sit contra naturam aeris
vel aquae subesse terrae sibi relictae, non tamen si terra sit a suo motu
aliqualiter impedita. Sic enim videmus in cavernis quae fiunt sub terra, terram
aliquibus sustentaculis suspensam aerem subingredi, eo quod natura non patitur
vacuum. Si tamen dicatur, quod aquae quae erant in minori profunditate super
totam terrae superficiem sparsae, sunt postmodum super aliquam partem terrae in
maiorem altitudinem congregatae, ut supra dictum est, praedictae obiectiones
cessabunt.
# 19. Si les cavités ne préexistaient pas dans la terre, selon ce qui a
été dit en dernier, la présente objection ne vaut pas. Mais si elles
préexistaient, alors il faut dire que, bien que ce soit contre la nature de
l’air ou de l’eau d'être sous la terre qui lui est laissée, cependant pas si la
terre était en quelque manière empêchée par son mouvement. Car ainsi nous
voyons dans les cavernes qui se font sous terre, que la terre suspendue par
certains supports laisse entrer l'air, parce que la nature ne supporte pas le
vide. Cependant, si on dit que les eaux qui étaient d'une moins grande
profondeur, dispersées sur toute la surface de la terre, ont été par la suite
rassemblées sur une partie de la terre avec une plus grande profondeur, comme
on l’a dit ci-dessus, les objections précédentes disparaîtront.
q. 4 a. 1 ad 20 Ad
vicesimum dicendum, quod si consideretur naturalis elementorum situs, qui
competit ipsis naturis elementorum absolute, sic naturale est aquae quod totam
terram undique contineat, sicut et aer continet aquam. Si autem considerentur
elementa in ordine ad mixtorum generationem, ad quam etiam caelestia corpora
movent; sic talis situs competit, qualis postea institutus est. Unde statim
apparente arida in aliqua sui parte, subditur de productione plantarum. Quod
autem in elementis ex impressione caelestium corporum accidit, non est contra
naturam, ut dicit Commentator in III de caelo et mundo, ut patet in fluxu et
refluxu maris; qui licet non sit naturalis motus aquae, in quantum gravis est,
eo quod non est ad medium, est tamen naturalis motus eius in quantum est a
corpore caelesti mota, sicut eius instrumentum. Hoc autem multo magis competit
dicere de his quae fiunt in elementis ex ordinatione divina, per quam tota
elementorum natura subsistit. In praesenti autem utrumque concurrere videtur ad
aquarum congregationem; et divina virtutis principaliter, et secundario virtus
caelestis. Unde statim post firmamenti institutionem subiungitur de aquarum
congregatione. Potest tamen et ex ipsa natura aquae aliqua aptitudo inveniri.
Cum enim in elementis continens sit formalius contento, ut patet per
philosophum in VIII Physic., aqua in tantum deficit a perfecta terrae
continentia, in quantum et ipsa non perfecte formalis est, sicut ignis et aer,
plus accedens ad terrenam spissitudinem quam ad igneam raritatem.
# 20. Si on considère la situation naturelle des éléments, qui
appartient à leur nature de façon absolue, il est naturel pour l'eau d’entourer
partout toute la terre, comme l'air entoure l'eau. Mais si on considère les
éléments dans leur rapport à la génération des mixtes, que les corps célestes
mettent en action, alors une telle situation convient telle qu’elle a été mise
en place après. C’est pourquoi aussitôt que la terre sèche est apparue dans
l'une de ses parties, elle est assujettie à la production des plantes. Mais, ce
qui dans les éléments vient de l’action des corps célestes n’arrive pas contre
la nature, comme le dit le Commentateur (Le
ciel et le monde , 3, com. 20), comme cela paraît dans le flux et le reflux
de la mer[28], qui, bien que ce ne soit pas un mouvement naturel de l’eau, dans
la mesure où elle est lourde, parce qu’elle n’est pas pour un espace
intermédiaire, cependant c’est son mouvement naturel dans la mesure où elle est
mue par le corps céleste, comme son instrument. Mais il convient beaucoup plus
de le dire de ce qui se fait dans les éléments par la mise en ordre de Dieu,
par laquelle toute la nature des éléments subsiste. À présent, l’un et l’autre
semblent concourir au rassemblement des eaux, le pouvoir divin surtout, le
pouvoir céleste en second. C'est pourquoi aussitôt après la constitution du
firmament, on ajoute le rassemblement des eaux. On peut cependant trouver une
aptitude par la nature même de l’eau. Car, comme le contenant dans les éléments
est plus formel que le contenu, comme l'expose le philosophe (Physique VIII), dans la mesure où l’eau
s’écarte du voisinage parfait de la terre, elle n’est pas parfaitement forme
comme le feu et l’air, en parvenant plus à la densité terrestre qu’à la
légèreté du feu.
q. 4 a. 1 ad 21 Ad vicesimumprimum dicendum quod
confusio quae in mundo inchoato praecessisse dicitur, non attenditur secundum
aliquam mixtionem elementorum, sed per oppositum ad illam distinctionem quae
nunc est in partibus mundi, competens viventium generationi et conservationi.
# 21. La confusion, qui, a, dit-on, précédé, dans le monde en son
commencement n’est pas atteinte par le mélange des éléments, mais par
l'opposition à cette distinction qui existe maintenant dans les parties du
monde, en accord avec la génération des vivants et leur conservation.
q. 4 a. 1 ad 22 Et
per hoc patet responsio ad vicesimumsecundum et vicesimumtertium.
# 22. 23. Par là apparaît le réponse à la vingt-deuxième et
vingt-troisième objection.
q. 4 a. 1 ad s. c. 1
Ad ea vero quae in contrarium obiiciuntur, secundum opinionem Augustini
consequenter respondendum est.
Ad primum dicendum est, quod Gregorius loquitur secundum
opinionem quam prius sustinuimus. Non tamen sic sunt intelligenda verba
Gregorii, quod in prima rerum creatione sit omnium rerum materia facta absque
omni specie formae, sed absque formis quibusdam, scilicet rerum viventium, et
ordinis ad eorum generationem, sicut supra est expositum.
Réponse aux arguments de sens contraire:
Selon l’opinion d’Augustin, il faut aussi répondre.
## 1. Grégoire [le Grand] parle selon l’opinion que nous avons d'abord
soutenue. Cependant il ne faut pas comprendre qu’il dit, que, dans la première
création, la matière de toutes choses a été faite sans aucune espèce de forme,
mais sans certaines formes, à savoir celle des créatures vivantes, et de leur
rapport à leur génération, comme on l’a exposé ci-dessus (solution aux
arguments 4 et 13).
q. 4 a. 1 ad s. c. 2
Ad secundum dicendum, quod appetitus formae non est aliqua actio materiae, sed
quaedam habitudo materiae ad formam, secundum quod est in potentia ad ipsam,
sicut Commentator exponit in primo Physic.
## 2. L'appétit de la forme n'est pas une action de la matière, mais
une relation de la matière à la forme, selon qu'elle est en puissance pour elle,
comme le Commentateur l'expose au 1er livre de la Physique (ch. 81).
q. 4 a. 1 ad s. c. 3
Ad tertium dicendum, quod si Deus faceret ens in potentia tantum, minus faceret
quam natura, quae facit ens in actu. Actionis enim perfectio magis attenditur secundum
terminum ad quem, quam secundum terminum a quo; et tamen hoc ipsum quod
dicitur, contradictionem implicat, ut scilicet aliquid fiat quod sit in
potentia tantum: quia quod factum est, oporteret esse cum est, ut probatur in
VI Phys. Quod autem est tantum in potentia, non simpliciter est.
## 3. Si Dieu créait un étant en puissance seulement, il ferait moins
que la nature, qui le produit en acte. Car la perfection de l'action est mieux
atteinte, selon le but, que selon l'origine et cependant ce qui est dit
implique contradiction, quelque chose est fait, qui serait en puissance
seulement; parce qu’il faudrait que ce qui est fait existe, comme il est, comme
on le prouve en Physique (VI). Mais
ce qui est seulement en puissance n'existe absolument pas.
q. 4 a. 1 ad s. c. 4
Ad quartum dicendum, quod hoc quod Scriptura dicit: terra erat inanis et vacua,
si accipiatur de materia omnino informi, secundum Augustinum, non est
intelligendum quod sic erat aliquando in actu, sed quia talis erat natura sua,
si absque formis inhaerentibus consideretur.
## 4. Ce que l'Écriture dit: "La terre était vide et déserte",
si on le conçoit de la matière tout à fait sans forme, selon Augustin, n'est
pas à comprendre qu'elle était ainsi quelquefois en acte, mais parce que sa
nature était telle, si on la considèrait sans formes inhérentes.
q. 4 a. 1 ad s. c. 5
Ad quintum dicendum, quod formatio spiritualis creaturae dupliciter potest
intelligi:
una per gratiae infusionem, et alia per gloriae
consummationem. Prima quidem formatio, secundum sententiam Augustini, statim
creaturae spirituali affuit in sui creationis principio; et tunc per tenebras,
a quibus lux distinguitur, non intelligitur peccatum malorum Angelorum; sed
informitas naturae, quae nondum erat formata, sed erat consequentibus operibus
formanda, ut dicitur in I super Genes. ad litteram, vel, sicut dicitur quarto
eiusdem libri, per diem significatur Dei cognitio, per noctem vero cognitio
creaturae, quae quidem tenebra est respectu divinae cognitionis. Vel si per
tenebras intelligamus Angelos peccantes, ista divisio non ad praesens peccatum
refertur, sed ad futurum, quod erat in Dei praescientia: unde dicit in libro ad
Orosium: quia ex Angelis quosdam per superbiam praesciebat casuros; per
incommutabilem praescientiae suae ordinem divisit inter bonos et malos, malos
tenebras appellans, et bonos lucem.
Secunda vero
formatio non pertinet ad principium institutionis rerum, sed magis ad rerum
decursum, quo per divinam providentiam gubernantur. Hoc enim ultimum verum est,
secundum Augustinum, de omnibus in quibus operatio naturae requiritur, quod in
hac formatione necesse est provenisse; quia per motum liberi arbitrii aliqui
sunt conversi ut starent; aliqui aversi ut caderent.
## 5. La formation de la créature spirituelle peut être comprise de
deux manières: l'une par l'infusion de la grâce et l'autre par l'achèvement de
la gloire.
a) La première formation, selon l'opinion d'Augustin, arrive aussitôt à
la créature spirituelle, au commencement de la création et alors par les ténèbres,
d'où la lumière est distinguée, on ne comprend pas le péché des mauvais anges,
mais le manque de forme de la nature, qui n'était pas encore mise enforme, mais
devait l’être par les œuvres suivantes, comme il est dit (la Genèse au sens
littéral, I), ou bien, comme il est dit au quatrième livre, la connaissance de
Dieu est signifiée par le jour, la connaissance de la créature, par la nuit,
qui est ténèbres par rapport à la connaissance divine, (comme on le dit au même
livre). Ou si, par les ténèbres, nous comprenons les anges pécheurs, cette
division ne se réfère pas au péché présent, mais au péché futur, qui était dans
la prescience de Dieu: c'est pourquoi il dit dans le livre A Orose, (Dialogue
65, qu. 24): "Parce qu’il savait à l'avance, par l'ordre immuable de sa
prescience, que certains anges succomberaient par orgueil, il sépara les bons
des méchants, appelant les méchants ténèbres, et les bons lumière.".
b) La seconde formation n'appartient pas au commencement de
l'institution des choses, mais plutôt à leur achèvement, où elles sont
gouvernées par la providence divine. Car c’est la vérité ultime, selon
Augustin, pour tout ce en quoi l'opération de la nature est requise, qu'il est
nécessaire qu'elle parvienne à cette formation, parce que, par le mouvement du
libre arbitre, certains se sont tournés pour demeurer, certains détournés pour
tomber.
q. 4 a. 1 ad s. c. 6
Ad sextum dicendum, quod mundus dicitur factus ex invisa materia, non quia
informis materia tempore praecesserit, sed ordine naturae. Et similiter
privatio non fuit aliquo tempore in materia ante omnem formam, sed quia materia
absque forma intellecta cum privatione etiam intelligitur.
## 6. On dit que le monde a été fait de la matière invisible, non parce
que la matière sans forme a précédé dans le temps, mais dans l'ordre de la
nature. Et semblablement la privation n'a pas existé un temps dans la matière
avant toute forme, mais parce que la matière comprise sans forme est comprise
aussi avec la privation.
q. 4 a. 1 ad s. c. 7
Ad septimum dicendum, quod hoc est ex imperfectione naturae operantis per motum
quod ex imperfecto ad perfectum procedit; motus enim est actus imperfecti. Sed
Deus propter suae virtutis perfectionem potuit statim res perfectas in esse
producere; et ideo non est simile.
## 7. Cela vient de l'imperfection de la nature, qui opère par
mouvement de procéder de l'imparfait au parfait; car le mouvement est d'un acte
imparfait. Mais Dieu, à cause de la perfection de son pouvoir, a pu aussitôt
produire les choses parfaites dans l'être, et c'est pourquoi ce n'est pas
pareil.
q. 4 a. 1 ad s. c. 8
Ad octavum dicendum, quod verba Augustini non sunt intelligenda sic quod
materia aliquo tempore fuerit in potentia ad formas elementares nullam earum
habens; sed quia in sua essentia considerata, nullam formam actu includit ad
omnes in potentia existens.
## 8. Les paroles d'Augustin ne sont pas à comprendre de sorte que la
matière a été un temps en puissance pour les formes élémentaires, sans en avoir
une; mais parce que, celle-ci considérée en son essence, quand elle existe en
puissance pour toutes les formes, n'inclut aucune forme en acte.
--------------------------------------------------------------------------------
[1]
Ia, qu. 66, a. 1 — Ia, qu. 69, a.1 — 1a, qu. 74 a. 2 — II Sent. d12a4.
[2]
"Ce n’est pas que la matière informe soit temporellement antérieure aux
choses formées: ces deux principes d’être sont en effet simultanément
“concréés”, d’une part ce dont une choses est faite, d’autre part ce qu’elle
est faite. C’est ainsi que la voix est la matière des mots et que les mots
expriment une voix formée: néanmoins, celui qui parle ne commence pas par
émettre une voix informe, susceptible d’être ensuite déterminée et formée en
mots; pareillement, le Dieu créateur n’a pas dans un premier temps créé la
matière informe, pour ensuite, dans une seconde considération, la former selon
l’ordre de chaque nature: non, il a créé la matière formée." (Trad. P.
Agaësse et A. Solignac, BA 48)
[3]
Définition de la matière première chez Aristote: Physique, I, ch. 9, 192, a, 31 "…j'appelle matière première le
premier sujet pour chaque chose, élément immanent et non accidentel de sa
génération" (Trad. H. Carteron) — "Car je dis que la matière première
est le sujet de chaque chose dont quelque chose est fait puisqu'elle est en lui
mais pas comme un accident". (90 (82) Thomas n° 139. — Métaphysique 7 (Z) 1029 a 20: "J'appelle
matière ce qui n'est par soi ni existence déterminée, ni d'une certaine
quantité, ni d'aucune autre des catégories par lesquelles l'être est déterminé"
(Trad. J. Tricot).
[4]
Selon les anciens, la matière est composée de quatre éléments.
[5]
Importance de la pesanteur dans les arguments; elle impose la situation des
corps: "Les éléments sont dans leur situation propre par le pouvoir de
leur forme.
[6]
"Qu’il soit nécessaire de poser autant de différences que d’éléments, est
chose manifeste."
[7]
Selon Aristote chaque élément se situe selon les lois de la pesanteur, dans son
lieu propre.
[8]
Le situs (la situation) se distingue bien du lieu, lequel ne dit rien de la
situation relative des parties, mais il est clair qu’il n’est qu’un prédicament
dérivé, à ce titre moins significatif que les autres. Aristote n’a d’ailleurs
pas toujours retenu ces deux prédicaments dans sa nomenclature." (H.-D.
Gardeil, Initiation…Métaphysique, (p.
101).
[9]
Sur les intermédiaires: Du ciel, IV, 4, 312 a 27 ss.
[10]
Cf. Aristote, Du ciel, IV, 4, 311 b 30: "L’existence d’un centre où se
portent les corps pesants, et d’où s’éloignent les corps légers est manifeste
pour de multiples raisons." (Trad. P. Moraux).
[11]
Cf. Physique, I, 4, 187 a 12-17, — I,
8, 191 a 23-24. Thomas, lect. 8 n° 2 et lect. 14, n°2.
[12]
Car les quatre éléments ne peuvent pas subir un mouvement circulaire (269 a 17
–a 25)
[13]
Figura, forme au sens moderne du mot: apparence, aspect visible.
[14]
Toute créature est bonne . Cf. Gn. I: Dieu vit que tout cela était bon.
[15]
"Il est donc vraisemblable que l’Écriture parle de cette matière,
lorsqu’elle dit; "La terre était invisible… afin que nous comprenions que
tous les autres mots de ce texte, bien qu’ils soient noms de choses visibles
visent à désigner… cette informité de la matière." BA., p. 122-123
[16]
Ce n'est pas de l'homme, mais du non blanc ou du noir qu'il devient blanc.
C'est-à-dire non de la substance, mais de l'accident.
[17]
"A cela doit tendre l'intention du chrétien qui dispute sur les articles
de la foi pour pour la prouver mais pour la défendre." De rationibus fidei
2.
[18]
Multiplication du sens littéral. Bull. Thomiste 1933, pp. 711-718. Voir Ia, qu.
1, a 10.
[19]Thomas
s’inspire directement de saint Augustin, qui rapporte la légende et la réfute
sur certains points. (La Cité de Dieu,
VIII, 11. Cf. Timée c. 7, 31-33).
[20]
Le mouvement du ciel est circulaire. Or le mouvement naturel du feu est vers le
haut.
[21] Qu. Ad Simplicium (PEV 21
PL, 40)
[22]
Dans ce paragraphe, Thomas suit le raisonnement d'Augustin: II, IV, 7. Voir BA
p. 157 sq. Augustin rapporte l’opinion des "savants". Cf. Pépin,
Théologie cosmique, p. 422, n°3.
[23]
L'Écriture semble aller contre les lois de la nature.
[24]
C'est-à-dire plus léger selon les lois de la pesanteur.
[25]
"…durci comme un miroir fondu…" B.J.
[26]
Pour Ambroise Dieu donne à une œuvre une loi qui se superpose en quelque sorte
à son essence. Pour Augustin et Thomas, les lois sont les propriétés des
essences.
[27]
Faut-il comprendre au moment venu ou bien actuellement telles que sont les
choses?
[28]
Idem in Pot. 1, 3, sol. 1.
q. 4 a. 2 tit. 1
Secundo quaeritur utrum materiae formatio tota simul fuerit, an successive. Et
videtur quod successive.
Il semble qu'elle fut successive[1].
Objections:
q. 4 a. 2 arg. 1
Dicitur enim Iudith, IX, 4: tu fecisti priora, et illa post illa cogitasti.
Excogitatio autem Dei est eius operatio, ut Damascenus dicit; unde et in
praedicta auctoritate subditur: et hoc factum est quod ipse voluisti. Ergo res
quodam ordine, et non simul, sunt factae.
1. En Judith (9, 4) il est dit: "Tu as fait ce qui est avant, et
cela tu l'as pensé après[2]." Mais la pensée de Dieu est son opération,
comme Jean Damascène le dit (II, 3). C'est pourquoi dans la précédente
autorité, il est ajouté: "Et cela a été fait parce que tu l'as voulu
toi-même". Donc les choses ont été créées selon un certain ordre et non en
même temps.
q. 4 a. 2 arg. 2
Praeterea, plures partes temporis non possunt esse simul: quia totum tempus sub
quadam successione agitur. Sed rerum formatio in diversis partibus temporis
facta commemoratur Genes. I. Ergo videtur quod rerum formatio facta sit
successive, et non tota simul.
2. Plusieurs parties du temps ne peuvent pas coexister; parce que tout
le temps est soumis à une certaine succession; mais on rappelle, au ch. 1 de la
Genèse, que la mise en forme des créatures a été faite en différentes parties
du temps. Donc il semble qu'elle a été accomplie successivement et non toute en
même temps.
q. 4 a. 2 arg. 3 Sed
dicendum, quod per illos sex dies, secundum sententiam Augustini, non
intelliguntur dies consueti nobis qui sunt temporis partes, sed secundum
cognitionem angelicam sexies rebus cognoscendis praesentatam, secundum rerum
sex genera.- Sed contra, dies ex praesentia lucis causatur;
unde dicitur Genes. I, 5, quod Deus vocavit lucem diem. Sed lux non proprie in
spiritualibus invenitur, sed solum metaphorice. Ergo nec dies proprie potest
intelligi Angelorum cognitio. Non videtur ergo
esse litteralis expositio, quod per diem Angelorum cognitio intelligatur. Probatio
mediae. Nullum per se sensibile potest in spiritualibus proprie accipi: ea enim
quae sensibilibus et spiritualibus sunt communia, non sunt sensibilia nisi per
accidens; sicut substantia, potentia, virtus et huiusmodi. Lux autem est per se
sensibilis visu. Ergo proprie non potest in spiritualibus accipi.
3. Mais il faut dire que, durant ces six jours, selon l'opinion
d'Augustin (La Cité de Dieu, II,
VIII, 18), on ne comprend pas des jours semblables aux nôtres qui sont des partie
du temps, mais d'après la connaissance angélique, représentée six fois pour ce
qu'il y avait à connaître, selon six genres de choses. – En sens contraire, le
jour est causé par la présence de la lumière. C'est pourquoi on dit en Gn. 1,
5, que Dieu a appelé la lumière jour. Mais on ne trouve pas la lumière à
proprement parler dans les êtres spirituels, mais seulement par métaphore. Donc
on ne peut pas comprendre le jour à proprement parler comme la connaissance des
anges. Donc il ne semble pas que comprendre la connaissance des anges comme le
jour soit le sens littéral. Preuve intermédiaire: Rien de sensible par soi ne
peut être reçu dans les êtres spirituels, car ce qui est commun au sensible et
au spirituel n'est sensible que par accident, comme la substance, la puissance,
le pouvoir etc.. Mais la lumière est sensible en soi pour la vue. Donc elle ne
peut pas être reçue en propre par les êtres spirituels.
q. 4 a. 2 arg. 4
Praeterea, cum Angelus dupliciter res cognoscat, scilicet in verbo et in
propria natura; oportet quod per alteram istarum cognitionum dies intelligatur.
Non autem potest intelligi de cognitione qua cognoscit rem in verbo, quia haec
cognitio est una tantum de omnibus; simul enim in verbo cognoscit Angelus
quaecumque cognoscit, et una cognitione, quia scilicet verbum videt. Non ergo
esset nisi una dies. Si autem intelligitur de cognitione qua cognoscit res in
propria natura, sequitur quod sint multo plures quam sex dies, cum sint plura
genera et species creaturarum. Non ergo
videtur quod dierum senarius ad cognitionem angelicam referri possit.
4. Comme l'ange connaît de deux façons, à savoir dans le Verbe et dans
sa propre nature; il faut que le jour soit compris par la deuxième de ces
connaissances. Mais il n'est pas possible de le comprendre de la connaissance
par laquelle il connaît un objet dans le Verbe, parce que cette connaissance
est seulement une pour toute chose; car c'est en même temps que l'ange connaît
dans le Verbe tout ce qu'il connaît et d'une connaissance unique, parce qu'il
voit le Verbe. Donc il n'y aurait qu'un seul jour. Mais s'il est compris de la
connaissance par laquelle il connaît les choses dans leur propre nature, il en
découle qu'il y a bien plus de six jours, puisqu'il y a plus de genres et
d'espèces de créatures. Donc il ne semble pas qu'on puisse rapporter la
connaissance angélique aux six jours.
q. 4 a. 2 arg. 5 Praeterea, Exod. XX, 9, dicitur:
sex diebus operaberis, septimo autem die sabbatum domini Dei tui est: non
facies omne opus; et postea subditur ratio: sex enim diebus fecit Deus caelum
et terram, mare, et omnia quae in eis sunt, et requievit in die septimo. Sed lex ad litteram de diebus materialibus loquitur
in quorum sex permittit operari, in septimo prohibet. Ergo et hoc quod
dicitur de Dei operatione ad dies materiales referendum est.
5. En Exode. 20, 9, il est dit: "Tu travailleras six jours, mais
le septième est le sabbat de ton Dieu; tu ne feras aucune oeuvre," et la
raison en est donnée ensuite: "Car en six jours Dieu a fait le ciel et la
terre, la mer et tout ce qu'ils contiennent, et il se reposa le septième jour."
Mais, selon la lettre, la loi parle des jours matériels; dans six de ceux-ci,
elle permet de travailler, et elle l'interdit le septième. Donc ce qui est dit
de l'opération de Dieu doit être rapporté aux jours matériels.
q. 4 a. 2 arg. 6
Praeterea, si per diem cognitio Angeli intelligitur; facere ergo aliquid in die
non est aliud quam facere in angelica cognitione. Per hoc autem quod aliquid
fit in angelica cognitione non sequitur quod in sua natura existat, sed solum
quod ab Angelo cognoscatur. Ergo per hoc non ostenderetur rerum in propriis
naturis institutio; quod est contra Scripturam.
6. Si on comprend par jour la connaissance de l'ange, donc faire
quelque chose le jour n'est pas différent que le faire dans la connaissance
angélique. Mais du fait qu'une chose est faite dans la connaissance angélique,
il n'en découle pas qu'elle existe dans sa nature, mais seulement qu'elle est
connue par l'ange. Donc ainsi l'arrangement des choses ne serait pas montré
dans leur nature propre; ce qui est contre l'Écriture.
q. 4 a. 2 arg. 7 Praeterea, cuiuslibet Angeli cognitio differt ab alterius
cognitione. Si ergo per diem cognitio Angeli intelligitur, oportet tot dies
ponere quot sunt Angeli, et non solum sex ut Scriptura tradit.
7. La connaissance de n'importe quel ange diffère de celle d'un autre.
Si donc on comprend par le mot jour la connaissance de l'ange, il faut poser
autant de jours que d'anges, et pas seulement six, comme l'Écriture le rapporte.
q. 4 a. 2 arg. 8
Praeterea, Augustinus, II super Genes. ad litteram, dicit, quod per hoc quod
dicitur: dixit Deus, fiat, intelligitur quod res fiendae praeextiterunt in
verbo, per hoc quod dicitur: est ita factum, intelligimus factam rei cognitionem
in creatura intellectuali: per hoc quod dicitur: fecit Deus, intelligitur in
suo genere fieri creatura. Si ergo per diem cognitio Angeli intelligitur,
postquam dixerat de aliquo opere: et factum est ita, in quo cognitio angelica
intelligitur, superflue adderetur: factum est vespere et mane dies unus vel
dies secundus.
8. Augustin (La Genèse au sens
littéral, II, 7 et 8[3]) dit que, du fait qu'il est dit: "Dieu dit,
que cela soit fait", on comprend que les choses à faire ont préexisté dans
le Verbe; du fait qu'il est dit: "Et ainsi fut fait", on comprend que
la connaissance est réalisée dans la créature intellectuelle; du fait qu'on dit:
“Dieu le fit”, on comprend que la créature est créée en son genre. Si donc par
jour, on comprend la connaissance de l'ange, après qu'il ait parlé d'une oeuvre:
"Et ainsi cela fut fait", dans lequel on comprend la connaissance
angélique, il serait superflu d'ajouter: "Il y eut un soir et un matin"
ou "un second jour".
q. 4 a. 2 arg. 9 Sed dicendum, quod hoc additur
ad ostendendum duplicem modum cognitionis rerum in creatura spirituali. Unus
est quo cognoscit res in verbo; et secundum hoc dicitur mane, vel cognitio
matutina: alius quo cognoscit res in propria natura; et secundum hoc dicitur
vespere, vel cognitio vespertina.- Sed contra, licet Angelus posset simul plura
considerare in verbo, non tamen potest simul plura intelligere in propria
natura, cum per diversas species diversa in suis naturis intelligat. Si ergo
quilibet sex dierum non solum habet mane, sed etiam vespere; oportebit in sex
diebus aliquam successionem considerare; et sic rerum formatio non tota simul
fuit facta.
9. Il faut dire que cela est ajouté pour montrer le double mode de
connaissance de la réalité dans la créature spirituelle. L'un est ce par quoi elle
connaît dans le Verbe, et pour cela on parle du matin ou de connaissance
matutinale; l'autre par laquelle elle connaît les choses en leur nature propre,
et pour cela on parle du soir ou de connaissance vespérale. – En sens contraire:
Bien que l'ange puisse considérer en même temps plus de choses dans le Verbe,
il ne peut pas cependant en comprendre (intelligere) plus dans leur nature
propre, puisqu'il comprend les choses différentes dans leur nature par
différentes formes. Si donc chacun des six jours a non seulement un matin mais
encore un soir, il faudra considérer en eux une succession, et ainsi la
formation des choses n'a pas eu lieu entièrement en même temps.
q. 4 a. 2 arg. 10
Praeterea, ab una potentia non possunt esse simul plures operationes, sicut nec
una linea recta terminatur ex una parte nisi ad unum punctum: per operationem
enim potentia terminatur. Sed considerare rem in verbo et in propria natura,
non est una operatio, sed plures. Ergo non simul est matutina et vespertina
cognitio; et sic adhuc sequitur quod in illis sex diebus sit successio.
10. Il ne peut pas exister plusieurs opérations en même temps à partir
d'une seule puissance; ainsi une seule ligne droite ne se termine d'un côté
qu'à un seul point: la puissance en effet se termine par l'opération. Mais
considérer une chose dans le Verbe et dans sa nature propre, ce n'est pas une
seule opération, mais plusieurs. Donc la connaissance matutinale et la
connaissance vespérale n'existent pas en même temps et ainsi il en découle
qu'il y a une succession dans ces six jours.
q. 4 a. 2 arg. 11
Praeterea, sicut supra dictum est, art. praeced., distinctio lucis a tenebris
exponitur ab Augustino distinctio creaturae formatae, alia ab informitate
materiae quae adhuc restabat formanda. Una ergo ex
parte materiae formata, altera adhuc remanebat formanda: non ergo tota materia
est simul formata.
11. Comme on l'a dit plus haut (article précédant, 5, la distinction de
la lumière et des ténèbres est exposée par Augustin comme celle de la créature
mise en forme, différente de l'absence de forme de la matière qui restait
encore à former. Donc si une partie de la nature est en forme, l'autre restait
encore à former: donc toute la matière n'a pas été mise en forme en même temps.
q. 4 a. 2 arg. 12
Praeterea, cognitio matutina secundum Augustinum, intelligitur cognitio verbi
in quo Angelus accipit cognitionem creaturae fiendae. Hoc autem non esset si
creaturae, quarum formatio diebus sequentibus deputatur, simul cum Angelo
formatae essent. Ergo non omnes res sunt simul creatae.
12. La connaissance matutinale, selon Augustin, est comprise comme
celle du Verbe en qui l'ange reçoit la connaissance de la créature qui doit
être faite. Mais cela n'existerait pas si les créatures, dont la formation est
destinée aux jours suivants, avaient été formées en même temps que l'ange. Donc
tout n'a pas été créé en même temps.
q. 4 a. 2 arg. 13
Praeterea, dies in spiritualibus dicuntur ad similitudinem sensibilium dierum.
Sed in sensibilibus diebus mane praecedit vespere. Ergo in istis non debet
vespere praeponi ad mane, cum dicitur: factum est vespere et mane dies unus.
13. On désigne les jours dans les êtres spirituels à la ressemblance
des jours sensibles[4]. Mais dans les jours sensibles, la matin précède le
soir. Donc, en eux, on ne doit pas placer le soir avant le matin, quand on dit:
"Il y eut un soir et un matin, un seul jour."
q. 4 a. 2 arg. 14
Praeterea, inter vespere et mane est nox, et inter mane et vespere est
meridies. Ergo sicut fecit Scriptura de vespere et mane mentionem, ita debuit
facere de meridie.
14. Entre le soir et le matin, il y a la nuit, et entre le matin et le
soir le midi. Donc de même que l'Écriture mentionne le soir et le matin, elle
devrait le faire pour le midi.
q. 4 a. 2 arg. 15
Praeterea, omnes dies sensibiles habent et vespere et mane. Hoc autem non invenitur in istis septem diebus; nam primus dies non habet
mane, septimus non habet vespere. Ergo non convenienter dicuntur dies ad
similitudinem horum dierum.
15. Tous les jours sensibles ont un soir et un matin. On ne trouve pas
cela dans ces sept jours; car le premier n'a pas de matin et le septième pas de
soir. Donc il ne convient pas de dire que les jours sont à la ressemblance de
nos jours.
q. 4 a. 2 arg. 16
Sed dicendum, quod ideo primus dies non habet mane, quia per mane intelligitur
cognitio creaturae fiendae, quam accepit Angelus in verbo: ipsa autem
spiritualis creatura sui ipsius fiendae non potuit cognitionem in verbo
accipere antequam esset.- Sed contra, secundum hoc habetur quod Angelus
aliquando fuit, et aliae creaturae nondum erant factae, sed fiendae. Non ergo
omnia sunt simul formata.
16. Mais il faut dire qu'ainsi le premier jour n'a pas de matin, parce
que par matin, on comprend la connaissance de la créature qui doit être faite,
que l'ange a reçu dans le Verbe; la créature spirituelle n'a pas pu recevoir la
connaissance d'elle-même à créer dans le Verbe avant d'exister.–En sens
contraire, on considère donc ainsi que l'ange exista en un temps où les autres
créatures n'avaient pas encore été créées, mais où elles devaient l'être. Donc
tout n'a pas été mise en forme en même temps.
q. 4 a. 2 arg. 17
Praeterea, creatura spiritualis non accipit rerum inferiorum cognitionem a
rebus ipsis. Ergo non indiget rerum praesentia ad hoc quod eas cognoscat.
Potuit ergo eas ut fiendas cognoscere in propria natura antequam fierent, et
non solum in verbo; et sic cognitio rei fiendae videtur pertinere ad
vespertinam cognitionem, sicut ad matutinam; et sic secundum rationem
praedictam secundus dies nec mane nec vespere debuit habere.
17. La créature spirituelle ne reçoit pas la connaissance des choses
inférieures à partir de celles-ci. Donc elle n'a pas besoin de leur présence
pour les connaître. Donc elle a pu les connaître comme devant être faites dans
leur nature propre, avant qu'elles soient faites et non seulement dans le
Verbe, et ainsi la connaissance des choses qui devaient être faites semble
appartenir à la connaissance vespérale, comme à la connaissance matutinale et
pour cette raison, le second jour n'aurait dû avoir ni matin ni soir.
q. 4 a. 2 arg. 18
Praeterea, Angelo sunt prius nota ea quae sunt priora simpliciter; quod enim ea
quae sunt posteriora sint nobis prius nota, provenit ex hoc quod cognitionem a
sensu accipimus. Sed rationes rerum
in verbo priores sunt simpliciter ipsis rebus. Ergo per prius cognoscit Angelos
res in verbo quam in propria natura; et sic mane deberet praeordinari ad
vespere, cuius contrarium in Scriptura apparet.
18. L'ange connaît d'abord ce qui existe avant absolument, car le fait
que nous connaissions avant ce qui après, provient de ce que nous recevons la
connaissance par nos sens. Mais la nature des choses dans le Verbe est
absolument avant elles. Donc l'ange connaît les choses dans le Verbe avant que
dans leur nature propre[5] et ainsi la matin devrait être préordonné au soir,
mais on voit le contraire dans l'Écriture.
q. 4 a. 2 arg. 19
Praeterea, ea quae non sunt unius rationis non possunt aliquod unum
constituere. Sed cognitio rerum in verbo et in propria natura est alterius et
alterius rationis, cum medium cognoscendi sit omnino diversum. Ergo ex mane et
vespere, secundum praedictam expositionem, non posset unus dies perfici.
19. Ce qui n'est pas d'une seule nature ne peut pas constituer une
unité. Mais la connaissance des choses dans le Verbe et dans leur nature propre
est de nature différente, puisque le moyen de connaître est tout à fait
différent. Donc du matin et du soir, selon ce qui a déjà été exposé, il ne peut
être fait qu'un seul jour.
q. 4 a. 2 arg. 20 Praeterea, I ad
20. En 1 Co 13, 8, l'Apôtre dit que dans "la patrie", la
science disparaîtra, ce qu'on ne peut comprendre que de la connaissance des
créatures dans leur propre nature qui est vespérale. Mais dans "la patrie",
nous serons semblables aux anges, comme le dit Matthieu (22, 30). Donc il n'y
pas de connaissance vespérale dans les anges.
q. 4 a. 2 arg. 21 Praeterea, cognitio rerum in
verbo plus excedit cognitionem rerum in propriis naturis quam claritas solis
excedat lumen candelae. Sed lux solis offuscat lumen
candelae. Ergo multo magis matutina cognitio vespertinam.
21. La connaissance des créatures dans le Verbe dépasse cette
connaissance des choses dans leur propre nature plus que la clarté du soleil
dépasse la lumière de la chandelle. Mais la lumière du soleil obscurcit la
lumière de la chandelle. Donc la connaissance matutinale obscurcit beaucoup
plus la connaissance vespérale.
q. 4 a. 2 arg. 22
Praeterea, Augustinus movet quaestionem, utrum anima Adae cum Angelis facta
fuerit extra corpus, an fuerit facta in corpore. Haec autem quaestio frustra
moveretur si omnia simul fuissent formata; quia sic etiam corpus humanum simul
fuisset formatum quando Angeli sunt facti. Ergo videtur quod non omnia fuerunt
formata simul, etiam secundum sententiam Augustini.
22. Augustin (La Genèse au sens
littéral, VII, 24 et 25) soulève la question de savoir si l'âme d'Adam a
été faite avec les anges hors du corps, ou dans le corps. Cette question serait
soulevée en vain si tout avait été mis en forme en même temps, parce que,
ainsi, le corps humain aurait été mis en forme en même temps que les anges
étaient créées. Donc, il semble que tout n'a pas été mis en forme en même
temps, selon l'affirmation d'Augustin aussi.
q. 4 a. 2 arg. 23
Praeterea, pars terrae de qua factum est corpus humanum, habuit aliquam formam
secundum limitationem, quia de ea dicitur Genes. I, corpus hominis formatum.
Nondum autem habebat formam humani corporis. Ergo non omnes formae simul sunt
inditae materiae.
23. La partie de la terre dont a été fait le corps humain eut une forme
délimitée, parce qu'il est dit dans Genèse 1, que le corps de l'homme en a été
formé. Elle n'avait pas encore la forme du corps humain. Donc toutes les formes
n'ont pas été induites en même temps dans la matière.
q. 4 a. 2 arg. 24
Praeterea, cognitio rerum in propria natura in Angelis non potest intelligi
nisi cognitio quae est per species eis naturaliter inditas; non enim potest
dici quod a rebus cognitis species aliquas accipiant, cum careant sensuum
instrumentis. Species autem illae quae sunt Angelis inditae, a rebus
corporalibus non dependent. Ergo antequam res essent, potuit eas Angelus etiam
in propriis naturis cognoscere. Et ita per hoc quod Angelus dicitur res aliquas
cognoscere in propria natura, non datur intelligi res illas in esse produci; et
sic praedicta expositio videtur inconveniens.
24. La connaissance des choses par les anges dans leur propre nature,
ne peut être comprise que comme une connaissance par les formes (species)
induites naturellement en eux; car on ne peut pas dire qu'ils les reçoivent de
ce qu'ils connaissent, puisqu'ils n'ont pas d'organes des sens. Mais ces formes
qui sont induites dans les anges, ne dépendent pas des réalités corporelles.
Donc avant que les choses existent, l'ange a pu les connaître aussi dans leur
propre nature. Et ainsi par le fait qu'on dit que l'ange connaît certaines
choses dans leur propre nature, il n'est pas donné de comprendre que ces choses
ont été amenées à l'être, et ainsi l'exposition ci-dessus ne semble pas
convenir.
q. 4 a. 2 arg. 25
Praeterea, cognitio matutina, qua res Angelus in verbo cognovit, oportet quod
per aliquam speciem fuerit; cum omnis cognitio huiusmodi sit. Non autem potuit
esse per aliquam speciem a verbo effluxam, quia illa species creatura esset; et
sic illa cognitio magis esset vespertina quam matutina; nam ad vespertinam
cognitionem pertinet cognitio quae fit per creaturam. Nec etiam potest dici,
quod praedicta cognitio fuerit per speciem quae est ipsum verbum, quia sic
oportuisset quod Angelus ipsum verbum videret, quod non fuit antequam Angelus
esset beatus; verbi enim visio beatos facit. Non autem in primo instanti suae
creationis Angeli beati fuerunt, sicut nec e contrario Daemones in primo
instanti peccaverunt. Ergo, si per mane intelligatur cognitio rerum quam Angeli
habuerunt in verbo, oportet dicere, quod non omnia simul fuerunt facta.
25. La connaissance matutinale, par laquelle l'ange a connu les choses
dans le Verbe, doit venir d'une forme, puisque toute connaissance est de ce
genre. Elle n'a pas pu venir du Verbe par une forme, parce que celle-ci était
une créature, et ainsi cette connaissance serait plus vespérale que matutinale;
car à la connaissance vespérale convient la connaissance qui se fait par la
créature. Et on ne peut pas dire que cette connaissance aurait été par une
forme qui est le Verbe même, parce qu'ainsi il aurait fallu que l'ange voit le
Verbe, ce qui n'a pas existé avant qu'il soit bienheureux. Car la vision du
Verbe rend bienheureux. Ce n'est pas au premier instant de leur création que
les anges ont été bienheureux. De même en sens contraire, ce n'est pas dans le
premier instant que les démons ont péché. Donc, si par le matin, on comprend la
connaissance que les anges ont eu dans le Verbe, il faut dire que tout n'a pas
été fait en même temps.
q. 4 a. 2 arg. 26
Sed dicendum, quod Angelus in statu illo videbat verbum, prout est ratio
fiendorum, non autem prout est finis beatorum.- Sed contra, quod verbum dicitur
finis et ratio, non differt nisi relatione quadam. Cognitio autem relationis Dei ad creaturam non facit beatos; cum talis
relatio secundum rem magis se teneat ex parte creaturae; sed sola visio divinae
essentiae beatos facit. Ergo quantum ad
beatitudinem videntium, non differt utrum videatur ut finis beatitudinis vel ut
ratio
26. Mais il faut dire que l'ange dans cette situation voyait le Verbe
dans la mesure où il est la raison des êtres à créer, mais non comme la fin des
bienheureux. – En sens contraire, dire que le Verbe est la fin et la raison ne
diffère que par une relation. Mais la connaissance de la relation de Dieu à la
créature ne rend pas bienheureux, puisqu'une telle relation en réalité a lieu
surtout du côté de la créature, et seule la vision de l'essence divine rend
bienheureux. Donc, quant à la béatitude de ceux qui voient, il n'y a pas de
différence s'il est vu comme fin de la béatitude ou comme raison.
q. 4 a. 2 arg. 27
Praeterea, prophetae etiam dicuntur, in speculo aeternitatis futura vidisse,
secundum quod ipsi viderunt divinum speculum, prout est ratio fiendorum.
Secundum hoc ergo non esset differentia inter cognitionem Angeli matutinam et
cognitionem prophetae.
27. On dit aussi que les prophètes ont vu le futur dans le miroir de
l'éternité, selon qu'ils ont vu le miroir divin, dans la mesure où il est la
raison des êtres à créer. Donc ainsi il n'y aurait pas de différence entre la
connaissance matutinale de l'ange et celle du prophète.
q. 4 a. 2 arg. 28
Praeterea, Genes. II, 5, dicitur, quod Deus fecit omne virgultum agri antequam
oriretur in terra, et omnem herbam regionis priusquam germinaret. Sed
germinatio herbarum fuit in tertia die. Ergo aliqua fuerunt facta ante tertium
diem; et ita non omnia facta sunt simul.
28. En Genèse 2, 5, il est dit que "Dieu a fait toute verdure des
champs, avant qu'elle se lève de la terre et toute herbe de la campagne, avant
qu'elle ne germe". Mais la germination de l'herbe date du troisième jour.
Donc certaines choses furent faites avant le troisième jour, et ainsi tout ne
fut pas fait en même temps.
q. 4 a. 2 arg. 29
Praeterea, ut in Psalmo CIII, 24, dicitur, Deus omnia in sapientia fecit. Sed
sapientis est ordinare, ut dicitur in principio Metaphys. Ergo videtur quo Deus
non omnia simul fecerit, sed secundum ordinem temporis successive.
29. Dans le Psaume 103, 24, on dit que Dieu a tout fait avec sagesse.
Mais le propre du sage c'est d'ordonner, comme on le dit au début de la Métaphysique (I, 2, 982 a 17). Donc on
voit comment Dieu n'a pas tout fait en même temps, mais successivement dans
l'ordre du temps.
q. 4 a. 2 arg. 30
Sed dicendum, quod in rerum productione etsi non fuerit servatus ordo temporis,
fuit tamen servatus ordo naturae.- Sed contra, secundum ordinem naturae sol et
luna et stellae priores sunt plantis, cum manifestae sint causae plantarum; et
tamen posterius commemorantur facta luminaria caeli quam plantae. Ergo non est
observatus ordo naturae.
30. Mais il faut dire que dans la production des créatures, même si
l'ordre du temps n'a pas été conservé, cependant celui de la nature le fut. –
En sens contraire, selon l'ordre de la nature, le soleil, la lune et les
étoiles existèrent avant les plantes, puisqu'elles ont été désignées comme
leurs causes, et cependant on mentionne que les luminaires du ciel ont été faits
après les plantes. Donc l'ordre de la nature n'a pas été conservé.
q. 4 a. 2 arg. 31
Praeterea, firmamentum caeli naturaliter est prius terra et aqua; tamen prius
fit mentio in Scriptura de terra et aqua quam de firmamento, quod legitur
secunda die factum.
31. Le firmament du ciel est par nature avant la terre et l'eau;
cependant on fait mention dans l'Écriture de la terre et de l'eau avant le
firmament: on lit qu'il a été fait le second jour.
q. 4 a. 2 arg. 32
Praeterea, subiectum, naturaliter est prius accidente. Lux autem quoddam
accidens est, cuius primum subiectum est firmamentum. Ergo non debuisset
praemitti lucis productio factioni firmamenti.
32. Le substrat est naturellement avant l'accident; mais la lumière est
un accident dont le premier substrat est le firmament. Donc la production de la
lumière n'aurait pas dû être signalée avant la création du firmament.
q. 4 a. 2 arg. 33
Praeterea, animalia gressibilia perfectiora sunt natatilibus et volatilibus, et
praecipue propter similitudinem ad hominem; et tamen prius agitur de
productione piscium et avium quam animalium terrestrium. Ergo non est servatus
debitus ordo naturae.
33. Les animaux qui marchent
sont plus perfectionnés que ceux qui nagent ou volent, et principalement à
cause de leur ressemblance avec l'homme, et cependant il s'agit de la
production des poissons et des oiseaux avant celle des animaux terrestres. Donc
l'ordre de la nature n'a pas été conservé.
q. 4 a. 2 arg. 34
Praeterea, pisces et aves non minus videntur differre secundum naturam ab
invicem, quam a terrestribus animalibus, et tamen pisces et aves eodem die
facta commemorantur. Ergo dies non sunt intelligendi secundum diversa rerum
genera, sed magis secundum temporis successionem; et sic non omnia facta sunt
simul.
34. Les poissons et les oiseaux ne semblent entre eux, selon leur
nature, pas moins différents que les animaux terrestres et cependant on
mentionne que les poissons et les oiseaux ont été faits le même jour. Donc les
jours ne sont pas à comprendre selon les différents genres d'êtres, mais plus
selon la succession du temps, et ainsi tout n'a pas été créé en même temps.
En sens contraire:
q. 4 a. 2 s. c. 1
Sed contra. Est quod habetur Genes. cap. II, 4: istae sunt generationes caeli
et terrae, quando creata sunt, in die quo fecit dominus Deus caelum et terram,
et omne virgultum agri. Virgultum autem agri factum legitur tertia die; caelum
autem et terra facta sunt prima die, vel etiam ante omnem diem. Ergo ea quae
sunt facta tertio die, sunt facta simul cum illis quae sunt facta primo die,
vel etiam ante omnem diem; et sic pari ratione omnia facta sunt simul.
1. Il y a ce qu'on lit dans la Genèse (2, 4): "Ce sont les
générations du ciel et de la terre, quand ils ont été créés, au jour où le
Seigneur Dieu fit le ciel et la terre et toute la verdure des champs."
Mais on lit que la verdure a été faite le troisième jour; et le ciel et la
terre le premier jour, ou même avant tout jour. Donc ce qui a été fait le
troisième jour, l'a été en même temps que ce qui a été fait le premier, ou même
avant tout jour; et ainsi à raison égale tout a été fait en même temps.
q. 4 a. 2 s. c. 2
Praeterea, Iob, 40, 10, dicitur: ecce Behemoth, quem feci tecum. Per Behemoth
autem, secundum Gregorium, Diabolus intelligitur qui factus est prima die, vel
ante omnem diem; homo autem, ad quem dominus loquitur, factus est sexta die.
Ergo ea quae sunt facta sexto die, sunt simul facta cum illis quae facta sunt
primo die; et sic idem quod prius.
2. Il est dit en Job (40, 10): "Voici Béhémot que j'ai fait avec
toi." Par Béhémot, selon Grégoire [le grand] (Les Morales, XXXII, 9, dans les nouveaux exemplaires), on comprend
le diable, qui a été fait le premier jour ou avant tout jour; mais l'homme à
qui Dieu parle a été fait le sixième jour. Donc ce qui a été fait le sixième
jour, a été fait en même temps que ce qui a été fait le premier jour, et ainsi
de même que ci-dessus.
q. 4 a. 2 s. c. 3
Praeterea, partes universi dependent ab invicem, et maxime inferiores a
superioribus. Non ergo potuerunt fieri quaedam partes ante alias, et praecipue
inferiores ante superiores.
3. Les parties de l'univers dépendent les unes des autres, et surtout
les parties inférieures dépendent des parties supérieures. Certaines n'ont pas
pu être faites avant les autres, et principalement les inférieures avant les
supérieures.
q. 4 a. 2 s. c. 4
Praeterea, plus distat corporalis et spiritualis creatura quam corporales
creaturae ad invicem. Sed spiritualis et corporalis creatura, ut in alia
quaestione est habitum, simul factae fuerunt. Ergo multo amplius omnes
spirituales creaturae.
4. La créature corporelle et la créature spirituelle sont plus
distantes que les créatures corporelles entre elles. Mais la créature
spirituelle et la créature corporelle, comme on l'a vu dans une autre question,
ont été faites en même temps. Donc beaucoup plus toutes les créatures
spirituelles.
q. 4 a. 2 s. c. 5
Praeterea, Deus propter suae virtutis immensitatem subito operatur. Opus ergo
cuiuslibet diei subito et in instanti est factum. Ergo pro nihilo poneretur
quod Deus expectasset operari sequens opus usque in alium diem, ut sic toto die
ab actione vacaret.
5. Dieu opère d'un seul coup à cause de l'immensité de son pouvoir.
Donc l'oeuvre de n'importe quel jour a été accomplie soudainement et dans
l'instant. Donc c'est pour rien qu'on n'aurait pensé que Dieu aurait attendu
d'opérer l'oeuvre suivante jusqu'à un autre jour, pour qu'ainsi pendant tout le
jour il demeure sans action.
q. 4 a. 2 s. c. 6
Praeterea, si dies illi de quibus in rerum formatione fit mentio, dies
materiales fuerunt, non videtur potuisse fieri ut totaliter nox a die
distingueretur, et lux a tenebris. Nam si lux illa quae legitur primo die
facta, undique terram circuibat, nusquam tenebrae erant, quae fiunt ex umbra
terrae oppositae ad lumen, quod diem causat. Si autem lux illa suo motu terram
circuibat, ut diem et noctem faceret, tunc semper ex una parte erat dies, et ex
alia nox; et ita non totaliter erat nox a die distincta; quod est contra
Genesis Scripturam.
6. Si ces jours dont on fait mention dans la mise en forme des choses,
ont été des jours matériels, il ne semble pas qu'ils aient pu être faits pour
que la nuit soit totalement distinguée du jour et la lumière des ténèbres. Car
si cette lumière qui a été faite le premier jour, comme on le lit, entourait la
terre de tous côtés, jamais il n'y avait de ténèbres, qui sont faites de
l'ombre de la terre opposée à la lumière, qui cause le jour. Mais si cette
lumière entourait la terre par son mouvement, pour faire le jour et la nuit, alors
toujours il y avait le jour d'un côté, et la nuit de l'autre; et ainsi la nuit
n'était pas totalement distinguée du jour, ce qui est contre le texte de la
Genèse.
q. 4 a. 2 s. c. 7
Praeterea, distinctio diei et noctis fit per solem et alia caeli luminaria;
unde dicitur in opere quartae diei: fiant luminaria in firmamento caeli; et
postea subditur; ut sint in signa, et tempora, et dies, et annos. Ergo cum
effectus causam non praecedat, non potest esse quod dies illi tres primi essent
eiusdem rationis cum diebus qui nunc sole aguntur; et sic non oportet propter
illos dies dicere quod omnia fuerunt facta successive.
7. La distinction du jour et de la nuit est faite par le soleil et les
autres luminaires du ciel, c'est pourquoi on dit dans l'oeuvre du quatrième
jour: "Que soient faits les luminaires au firmament du ciel"; et
ensuite, il est ajouté; "pour qu'ils soient signes du temps, des jours et
années.". Donc comme l'effet ne précède pas la cause, il n'est pas
possible que ces trois premiers jours soient de la même nature que les jours
qui sont produits maintenant par le soleil; et ainsi il ne faut pas à cause
d'eux dire que tout a été fait successivement.
q. 4 a. 2 s. c. 8
Praeterea, si erat aliqua alia lux quae suo motu tunc faceret diem et noctem,
oportebat quod esset aliquid aliam lucem deferens circulariter motum; ut
undique terram successive illuminaret. Hoc autem deferens est firmamentum, quod legitur factum secunda die. Ergo
ad minus prima dies non potuit esse eiusdem rationis cum diebus qui nunc aguntur;
et eadem ratione nec cum aliis.
8. S'il y avait une autre lumière, qui par son mouvement produise le
jour et la nuit, il fallait qu'il y ait quelque chose doué d'un mouvement
circulaire, qui apporte une autre lumière, pour éclairer partout successivement
la terre. Mais ce qui l'apporte, c'est le firmament, on lit qu'il a été fait le
second jour. Donc au moins le premier jour n'a pu être de la même nature que
les jours qui existent maintenant, et par la même raison, que les autres non
plus.
q. 4 a. 2 s. c. 9
Praeterea, si lux illa ad hoc facta fuit, ut faceret diem et noctem; nunc etiam
per eius motum dies et nox fieret; non enim convenienter posset dici, quod ad
hoc tantum instituta esset, ut per illud triduum ante solis factionem huiusmodi
officium exerceret, et postmodum esse desineret. Sed nunc non videmus aliqua
alia luce fieri diem et noctem, nisi per lucem solis. Ergo nec etiam in illo
triduo per aliquam corporalem lucem potest intelligi diem et noctem distincta
fuisse.
9. Si cette lumière a été faite pour produire le jour et la nuit,
maintenant elle ferait le jour et la nuit par son mouvement, car on ne pourrait
pas dire convenablement que cela a été institué pour seulement exercer cet
office pour cette période de trois jours, avant la création du soleil, et
cesser d'être ensuite. Mais maintenant, nous ne voyons pas que le jour et la
nuit soient produits par une autre lumière que celle du soleil. Donc aussi dans
ces trois jours, on ne peut pas comprendre, que le jour et la nuit aient été
distingués par une lumière corporelle.
q. 4 a. 2 s. c. 10
Sed dicendum, quod ex illa luce formatum est postea corpus solis.- Sed contra,
omne illud quod fit ex materia praeiacente, habet materiam talem in qua
possibilis est formarum successio. Talis autem non est materia solis, nec
alicuius caelestium corporum, eo quod in eis non est contrarietas, ut probatur
in I Cael. et Mun. Ergo non potest esse quod ex illa luce postmodum formatum
sit corpus solis.
10. Mais il faut dire que le corps du soleil a été mis en forme par
cette lumière par la suite. – En sens contraire, tout ce qui est fait de
matière préexistante, a une matière telle qu'en elle la succession des formes y
est possible. Mais telle n'est pas la matière du soleil, ni d'aucun des corps
célestes, parce que, en eux, il n'y a pas de contraires, comme on le prouve (Le
Ciel et le Monde, I, 3, 270 a 15[6]). Donc il n'est pas possible que le corps
du soleil ait été formé de cette lumière par la suite.
Réponse:
q. 4 a. 2 co.
Respondeo. Dicendum quod, si ponatur quod informis materia rerum formationem
tempore non praecessit, sed sola origine (quod necesse est dicere, si per
materiam informem materia absque omni forma intelligatur), de necessitate
sequitur quod rerum formatio tota facta sit simul: non enim potest esse ut
aliqua pars materiae informis omnino vel ad momentum sit. Et praeterea, quantum
ad illam partem, iam materia rerum formationem tempore praecederet. Unde
secundum ea quae in praecedenti quaest. determinata sunt, secundum opinionem
Augustini, haec secunda quaestio locum non habet, sed oportet omnino dicere,
quod omnia sunt simul formata; nisi pro tanto quod restat exponere qualiter sex
dies quos Scriptura commemorat, intelligantur. Quia si intelligerentur sicut
isti dies qui nunc aguntur, esset praedictae opinioni contrarium, quia tunc
oporteret successione quadam dierum, rerum formationem facta intelligere.
Si on pense que la matière sans forme n'a pas précédé sa mise en forme
dans le temps, mais par la seule origine, (parce qu'il est nécessaire de dire,
que si on comprend par matière sans forme la matière sans aucune forme),
nécessairement il en découle que toute la mise en forme des choses a été
accomplie en même temps; car il n'est pas possible qu'une partie de la matière
existe complètement sans forme même pour un moment. Et ensuite, pour cette
partie, la matière aurait précédé en temps la formation des choses. C'est
pourquoi, selon ce qui a été déterminé dans la précédente question[7] (article
précédent), selon l'opinion d'Augustin, cette seconde question n'a pas lieu
d'être traitée, mais il faut absolument dire que tout a été formé en même
temps, à moins que pour autant il reste à exposer comment comprendre les six
jours dont l'Écriture fait mention. En effet, s'ils étaient compris comme ces
jours qui se déroulent maintenant, ce serait le contraire de l'opinion
précédente, parce que, alors, il faudrait comprendre la formation des choses
comme des oeuvres selon une certaine succession de jours.
Hos autem dies dupliciter exponit Augustinus. Nam in I super
Genesim ad litteram, dicit intelligi per distinctionem lucis a tenebris,
distinctionem materiae formatae ab informi, quae restat formanda non quidem
tempore, sed naturae ordine. Ipsam vero ordinationem et formationis et
informitatis, secundum quod a Deo omnia ordinantur, dicit insinuari per diem et
noctem; nam dies et nox dicunt quamdam ordinationem lucis et tenebrarum. Per
vesperam vero dicit intelligi consummati operis terminum. Per mane vero futuram
operationis inchoationem, ut tamen futurum non accipiatur secundum ordinem
temporis, sed solum ordine naturae. In primo enim opere praeexistit quasi quaedam
significatio futuri operis fiendi. Secundum hoc tamen oportet hos dies diversos intelligi, prout
scilicet sunt diversae formationes, et per consequens informitates.
Augustin expose ces jours de deux manières. Car dans La Genèse au sens littéral. (I, 17), il
dit qu'on comprend, par la distinction de la lumière des ténèbres, la
distinction de la matière en forme de celle sans forme qui reste à former, non
assurément dans le temps, mais dans l'ordre de la nature. Il dit que
l'ordonnancement de la mise en forme, ou de son absence, est suggéré par le
jour et la nuit. Car ceux-ci signalent un certain ordre de la lumière et des
ténèbres. Il dit qu'on comprend par le soir le terme de l'opération accomplie.
Mais par le matin le commencement futur de l'opération, de sorte cependant que
le futur ne soit pas compris selon l'ordre du temps, mais selon celui de la
nature. Car dans la première oeuvre préexiste comme un signe de l'oeuvre future
à faire. Cependant, selon cela, il faut comprendre ces jours comme différents,
à savoir qu'ils ont différentes mises en forme et par conséquent des manques de
forme.
Sed quia ex hoc sequitur quod etiam dies septimus sit alius
a sex primis, si sex primi sunt alii ab invicem (ex quo videtur sequi quod vel
Deus diem septimum non fecerit, vel quod aliquid fecerit post septem dies in
quibus opera perfecit), ideo consequenter ponit quod per omnes illos septem
dies unus dies intelligatur, ipsa scilicet Angelorum cognitio, et numerus ille
ad rerum cognitarum distinctionem pertineat magis quam ad distinctionem dierum;
ut videlicet per sex dies intelligatur cognitio Angeli relata ad sex rerum
genera divinitus producta, unus vero dies sit ipsa cognitio Angeli relata ad
quietem artificis, prout in se ipso a rebus conditis requievit; et tunc per
vespere intelligitur cognitio rei in propria natura, per mane vero cognitio in
verbo.
Mais parce qu'il découle de là que le septième jour est différent des
six premiers, si ceux-ci sont différents l'un de l'autre (d'où il semble
découler que, ou bien Dieu n'a pas fait le septième jour, ou bien qu'après le
septième jour,il parfait son oeuvre), il pense en conséquence que, par ces sept
jours, on n'en comprend qu'un seul, à savoir la connaissance des anges, et ce
nombre convient à la distinction des choses connues plus qu'à la distinction
des jours, pour qu'on comprenne, par les six jours, la connaissance de l'ange,
liée aux six genres de choses créées par Dieu. [Il pense] qu'un seul jour est
la connaissance de l'ange en relation avec le repos de l'artisan, dans la
mesure où en lui-même il se reposa des créatures et alors, par le soir, on
comprend la connaissance des créatures dans leur propre nature et par le matin
la connaissance dans le Verbe.
La suite est de Vincent de Castrono (XVe siècle). En
voici la traduction (texte de l'édition Marietti).
Mais selon d'autres saints, par ces jours est révélé
l'ordre temporel et la succession de la production. Car, selon eux, dans
l'oeuvre des six jours, on atteint non seulement l'ordre de la nature mais
aussi celui du temps, et de la durée, car ils pensent que de même que l'absence
de forme de la matière a précédé dans le temps sa mise en forme, de même une
mise en forme a précédé aussi une autre forme dans la durée du temps. Mais
ainsi que dans l'article précédent on l'a dit, l'absence de forme de la
matière, selon eux, n'est pas comprise comme le manque et l'exclusion de toute
forme; parce qu'il y avait déjà le ciel, l'eau et la terre, par lesquels on
comprend les corps célestes, les substances spirituelles et les quatre éléments
qui subsistaient sous leurs formes propres; mais ils comprennent l'absence de
forme de la matière, selon qu'elle révèle seulement l'absence et l'exclusion de
la distinction qui lui est due et d'une certaine beauté achevée: parce qu'elle
n'avait pas cette beauté et ce charme qui apparaît maintenant dans la créature
corporelle.
Et autant qu'on peut le comprendre de la Genèse selon la
lettre, une triple beauté manquait à la nature corporelle, ce pourquoi on la
disait sans forme. Car il manquait au ciel et à tout corps diaphane le charme
et la beauté de la lumière, désignées par les ténèbres. Il manquait aussi
l'ordre nécessaire à l'élément eau et la distinction nécessaire de l'élément
terre, cette absence de forme est désignée sous le nom d'abîme; parce que ce
nom signifie une immensité sans ordre des eaux, comme Augustin le dit (Contre
Fauste, XXII, 11). Mais à la terre, il manquait une double beauté: l'une
qu'elle possède du fait qu'elle a été découverte par les eaux et cette absence
de forme est désignée par ce qu'on dit: "Mais la terre était vide ou
invisible", parce qu'elle ne pouvait s'ouvrir à l'aspect corporel du fait
que les eaux la recouvrait partout. Mais l'autre vient de ce qu'elle est ornée
de plantes et par là, on rejoint ce qui est dit qu'elle est déserte ou sans
composition, c'est-à-dire sans ornements.
Et ainsi, avant l'oeuvre de distinction, l'Écriture
décrit plusieurs distinctions qui préexistait dans les éléments du monde au
commencement de la création.
1) Elle traite la distinction du ciel et de la terre
selon que par ciel, on comprend tout corps transparent, sous lequel on inclut
le feu et l'air à cause de leur transparence, en laquelle ils s'accordent avec
le ciel.
2) Elle rejoint la distinction des éléments quant à leurs
formes substantielles du fait qu'elle désigne l'eau et la terre qui sont plus
apparentes pour les sens. Par là elle donne à comprendre aussi que les deux
autres éléments le sont moins.
3) Elle rejoint la distinction selon leur situation,
parce que la terre était sous les eaux, ce qui la rendait invisible, mais on
signale que l'air, qui est le substrat des ténèbres, avait été sur les eaux du
fait qu'il est dit “les ténèbres”, c'est-à-dire l'air ténébreux, étaient sur la
face de l'abîme".
Ainsi donc la mise en forme du premier corps qui est le
ciel, a été accomplie le premier jour, par la production de la lumière, par
laquelle la luminosité a été conférée au soleil et aux corps célestes qui les
avaient précédés selon leurs formes substantielles, par qui l'absence de formes
des ténèbres a été rejetée. Et par une mise en forme de ce genre a été faite la
distinction du mouvement et du temps, c'est-à-dire de la nuit et du jour; car
le temps suit le mouvement du ciel supérieur. C'est pourquoi il a distingué la
lumière des ténèbres, parce que la cause de la lumière était dans la substance
du soleil, et la cause des ténèbres dans l'opacité de la terre; et, dans un
seul hémisphère, il y avait la lumière et dans l'autre les ténèbres; et c'est
ce qu'il dit:"Il appela la lumière jour et les ténèbres nuit."
Le second jour, le corps intermédiaire, c'est-à-dire
l'eau, est formé et distingué, recevant une distinction et un ordre, par la
formation du firmament, de sorte que sous le nom d'eau, on comprend tous les
corps transparents, et ainsi le firmament, c'est-à-dire le ciel étoilé, a été
produit le second jour, non selon sa substance, mais selon une perfection
accidentelle, il divisa les eaux qui sont au-dessus du firmament, c'est-à-dire
le ciel transparent et sans étoiles, qui est appelé aqueux, ou cristallin, dont
les philosophes disent qu'il est la neuvième sphère, et le premier mobile;
parce qu'il déroule tout le ciel d'un mouvement diurne, pour opérer, par son
mouvement la continuité de la génération; comme le ciel, en qui il y a les
astres par mouvement, qui est selon le zodiaque, opère la diversité de la
génération et de la corruption par flux et reflux, pour nous, par les
différents pouvoirs des étoiles; par le firmament, dis-je, le ciel cristallin,
qui est au-dessus du firmament, se sépare des eaux, c'est-à-dire par les autres
corps transparents corruptibles qui sont sous le firmament; et ainsi les corps
transparents inférieurs, désignés sous le nom d'eau reçurent, par le firmament,
une mise en ordre, et la distinction qui leur était due.
Le troisième jour, le corps ultime, c'est-à-dire la
terre, a été mis en forme par le fait qu'elle a été découverte par les eaux, et
la distinction de la mer et du sable a été faite au fond. Voilà qui est assez
convenable: de même qu'il avait exprimé la mise en forme de la terre, en disant
que la terre était invisible ou vide; de même il exprime ainsi la mise en forme
par ce qu'il dit: Qu'apparaisse aussi la terre sèche. Et les eaux ont été
rassemblées en un seul lieu, à part de la terre sèche. Et il appela mer le
rassemblement des eaux et terre ce qui était sec; (parce qu'elle avait d'abord
été sans forme et déserte) il la décora de plantes et d'herbes.
Le quatrième jour, la première partie de la créature
corporelle, qui le premier jour avait été séparée, fut ornée, à savoir le ciel
par la production des luminaires; qui selon leur substance ont été créés au
commencement: mais auparavant leur substance était sans forme, mais elle est
mise en forme le quatrième jour, non pas par une forme substantielle mais en
recevant un pouvoir limité, selon que celui-ci a été attribué aux luminaires
pour des effets déterminés, c'est ainsi que nous voyons que le rayon du soleil
a d'autres effets, que celui de la lune et des étoiles. Et c'est pour cette
détermination du pouvoir que Denys dit (Les Noms divins, IV, § 6, 697 B) que la
lumière du soleil qui d'abord était sans forme a été mise en forme le quatrième
jour. Mais il n'a pas été fait des luminaires eux-mêmes, au commencement, comme
le dit Jean Chrysostome; mais seulement le quatrième jour, pour qu'ainsi
l'Écriture éloigne le peuple de l'idolâtrie, en montrant que les luminaires ne
sont pas des dieux, du fait qu'ils n'existaient pas au commencement.
Le cinquième jour, la seconde partie de la nature
corporelle qui a été séparée le second jour, est ornée par la production des
oiseaux et des poissons, et c'est pourquoi, en ce cinquième jour, l'Écriture
fait mention des eaux et du firmament du ciel, pour montrer qu'il répond au
second dans lequel l'Écriture en a fait mention. Donc en ce jour, à partir de
la matière élémentaire d'abord créée par le verbe de Dieu, il y eut les oiseaux
et les poissons, produits en acte, en leur propre nature, pour l'ornement de
l'air et de l'eau; dans lesquels ils sont destinés à se mouvoir convenablement
d'un mouvement animé.
Le sixième jour, est ornée la troisième partie et le
corps ultime, à savoir la terre, par la production des animaux terrestres, qui
sont destinés à se mouvoir sur terre d'un mouvement animé. C'est pourquoi,
comme dans l'oeuvre de la création, on désigne trois parties de la créature
corporelle; la première, celle qui est désignée par le nom de ciel,
l'intermédiaire par le nom d'eau, et la plus basse par le nom de terre; et la
première partie, à savoir le ciel, est séparée le premier jour, et ornée le
quatrième, la partie intermédiaire à savoir l'eau, est séparée le second jour
et ornée le cinquième, comme on l'a dit, ainsi il convenait que la partie la
plus basse, à savoir la terre, qui a été séparée le troisième jour, ait été
ornée le sixième par la création des animaux terrestres, en acte, selon leurs
espèces propres.
Par là apparaît que dans l'exposition des oeuvres des six
jours, Augustin se sépare les autres saints.
1) Premièrement, parce que, par la terre et l'eau créées
avant même par l'opération de la création, il comprend la matière première
totalement sans forme; par la production du firmament, le rassemblement des
eaux, et l'apparition de la terre sèche, il comprend l'induction des formes
substantielles dans la matière corporelle. D'autres saints comprennent par la
terre et l'eau créées d'abord, les éléments du monde existant sous leurs formes
propres; mais par les oeuvres suivantes, ils comprennent la distinction dans
les corps qui existait avant par des pouvoirs et des propriétés accidentelles
qui leur ont été conférées, comme on l'a dit ci-dessus.
2) Deuxièmement leur point de vue est différent sur la
production des plantes et des animaux, parce que les autres saints pensent
qu'ils ont été produits en acte dans l'oeuvre des six jours, comme dans leur
propre nature. Mais Augustin pense qu'ils ont été produits en puissance
seulement.
Mais du fait qu'Augustin pense (La Genèse au sens littéral, IV, 34) que toutes les oeuvres des six
jours ont été accomplies en même temps, elles ne semblent pas se diversifier
des autres par leur mode de production.
1) Premièrement, parce que selon l'opinion des uns et les
autres dans la première production, la matière était sous les formes
substantielles des éléments; de sorte que la matière première n'a pas précédé
en durée les formes substantielles des éléments du monde.
2) Deuxièmement parce que selon l'opinion des uns et des
autres, dans l'institution première des choses, par l'oeuvre de création, il
n'y eut ni plantes ni animaux en acte mais seulement en puissance, pour qu'ils
puissent être produits de leurs éléments même par le pouvoir du Verbe.
Mais il reste encore une différence, entre eux quant au
quatrième [jour]; parce selon d'autres saints, après la première production de
la créature, par laquelle ont été produits les éléments du monde et les corps
célestes selon leurs formes substantielles, il y eut un temps pendant lequel il
n'y avait pas de lumière: d'une part, en ce temps-là, il n'y avait pas de
firmament en forme, ni de corps transparent en ordre et séparé; d'autre part,
en ce temps-là, il n'y avait pas de terre découverte par les eaux, et pas de
luminaires du ciel en forme, ce qui est du quatrième [jour], ce qu'il ne faut
pas admettre, selon l'exposition d'Augustin (loc. cit.) qui a pensé que tout
cela a été formé en même temps, et dans le même instant. Que les oeuvres des
six jours, pour d'autres saints, n'aient pas été produites en même temps, mais
successivement, cela ne vient pas de la défaillance de la puissance du
créateur, qui aurait pu tout produire en même temps, mais c'était pour
démontrer l'ordre de la sagesse divine dans l'institution des choses, qui en
faisant venir à l'être à partir du néant, ne les établit pas, aussitôt après le
néant, dans l'ultime perfection de leur nature, mais d'abord il les fit exister
dans une certaine imperfection et ensuite il les amena à la perfection, pour
que du néant, le monde parvienne graduellement du néant à l'ultime perfection;
et ainsi par divers degrés de perfection, les différents jours ont servi à
montrer que leur être procède de Dieu, contre ceux qui pensent que la matière
est incréée, et néanmoins Dieu lui-même apparaîtrait comme créateur de la
perfection des choses contre ceux qui décrivent la formation des êtres
inférieurs par d'autres causes.
Donc la première de ces expositions, à savoir celle
d'Augustin, est plus subtile; elle défend davantage l'Écriture contre la
dérision des infidèles, mais la seconde, à savoir celle des autres saints, est
plus facile et en accord avec la lettre du texte. Cependant, parce que ni l'une
ni l'autre ne contredit la vérité de la foi et que le contexte supporte les
deux sens, comme ni l'une ni l'autre n'apportent de préjudice, il faut répondre
en soutenant ces deux opinions par leurs raisons propres.
Solutions:
# 1. Il faut donc dire que dans la production des oeuvres
divines, l'ordre de la nature et de l'origine a été conservé, mais pas celui de
la durée. Car la nature spirituelle a été produite avant par nature et par
origine et la nature corporelle sans forme a été formée après. Et, bien que
l'une et l'autre nature aient été formées en même temps, parce que cependant la
nature spirituelle est plus digne que la nature corporelle, sa mise en forme a
dû précéder celle de la nature corporelle dans l'ordre de la nature. De
nouveau, parce que la nature corporelle incorruptible est plus digne que la
nature corruptible, elle a dû être formée avant dans l'ordre de la nature. Et
ainsi, par le premier jour la mise en forme de la nature spirituelle est
désignée par la production de la lumière, par laquelle l'esprit de la créature
spirituelle est éclairé en se tournant vers le Verbe, le second jour, la mise
en forme de la nature corporelle céleste et incorruptible est désignée par la
production du firmament, par lequel nous comprenons que tous les corps célestes
ont été créés et séparés selon leurs formes; le troisième jour, la mise en
forme de la nature corporelle des quatre éléments est désignée par le
rassemblement des eaux et l'apparition de la terre sèche; le quatrième jour,
l'ornement du ciel est désigné par la production des luminaires, qui, dans
l'ordre de la nature, doit précéder l'ornement de l'eau et de la terre qui a
été fait les jours suivants. Et ainsi les oeuvres divines ont été faites dans
un certain ordre, à savoir celui de la nature et non celui de la durée.
# 2. La mise en forme des choses n'a pas été faite
successivement, ni en différentes parties du temps; mais on lit que tous ces
six jours, pendant lesquels Dieu a accompli ses oeuvres, sont une seul jour
présenté avec six distinctions des choses, selon lesquelles on les compte; de
même qu'il n'y avait qu'un seul Verbe, à savoir le Fils de Dieu, par lequel
tout a été fait, quoiqu'on dise fréquemment: "Dieu a dit". Et de même
que ces oeuvres, qui à partir d'elles sont propagées par l'opération de nature,
sont conservées dans les suivantes; de même ces six jours demeurent dans toute
la succession du temps. Et on le montre ainsi: la nature angélique, en effet,
est intellectuelle, et est appelée proprement lumière, c'est pourquoi il faut
que cette mise en lumière soit appelée jour. Mais la nature angélique reçoit la
connaissance des choses au commencement de leur fondation, et ainsi d'une
certaine manière la lumière de son intellect était représentée dans les
créatures, en tant qu'elles étaient connues par la lumière de son esprit; c'est
pourquoi la connaissance même des choses apportant la représentation de la
lumière de l'esprit angélique sur les choses connues est appelé jour, et selon
les divers genres de connaissances et leur ordre les jours sont distingués et
ordonnés, de sorte que le premier jour soit la connaissance de la première
oeuvre divine, en tant que mise en forme de la créature spirituelle, qui se
tourne vers le Verbe, que le second jour soit la connaissance de la seconde
oeuvre selon la créature corporelle supérieure a été mise en forme par la production
du firmament, que le troisième jour soit la connaissance de la troisième oeuvre
en tant que la mise en forme de la créature corporelle quant à sa partie
inférieure, à savoir, la terre, l'eau et l'air voisin; que le quatrième jour
soit la connaissance de la quatrième oeuvre en tant que partie supérieure,
c'est-à-dire le firmament orné par la production des luminaires; que le
cinquième jour soit la connaissance de la cinquième oeuvre divine, en tant que
l'air et l'eau ont été ornés par la production des oiseaux et des poissons; que
le sixième jour soit la connaissance de la sixième oeuvre, en tant que la terre
est ornée par la production des animaux terrestres; que le septième jour soit
la connaissance de l'ange relative au repos de l'artisan par lequel il se
repose en lui des oeuvres nouvelles à fonder.
Mais comme Dieu est la pleine lumière, et qu'en lui il
n'y a aucunes ténèbres, sa connaissance même en soi est la pleine lumière; mais
parce que la créature du fait qu'elle tire son origine du néant, a en soi les
ténèbres de la possibilité et de l'imperfection, il faut que la connaissance
par laquelle la créature est connue, soit mêlée de ténèbres. Mais elle peut
être connue de deux manières:
a) Ou dans le Verbe, selon qu'elle sort de l'art divin;
et ainsi sa connaissance est appelée matutinale; parce que, de même que le
matin est la fin des ténèbres et le commencement de la lumière, de même la
créature par la lumière du Verbe, après ne pas avoir existé, reçoit le principe
de la lumière.
b) Elle est aussi connue dans la mesure où elle existe
dans sa nature propre, et une telle connaissance est appelée vespérale, du fait
que, de même que le soir est le terme de la lumière, et tend vers la nuit, la
créature qui subsiste en soi, est le terme de l'opération de la lumière divine
du Verbe, en tant que créée par lui, et de soi en tendant aux ténèbres de la
défaillance, à moins qu'elle ne soit portée par le Verbe.
Et c'est pourquoi une telle connaissance distinguée en
matutinale et vespérale est appelée jour; parce que, de même que par
comparaison à la connaissance du verbe, elle est ténébreuse, de même, par
comparaison à l'ignorance qui est uniquement ténèbres, on l'appelle lumière; et
ainsi on atteint le passage entre le matin et le soir, selon que l'ange se
connaissant lui-même, dans sa propre nature, rapporte cette connaissance, comme
à sa fin, à la louange du Verbe, en qui il a reçu la connaissance de
l'opération suivante comme en son principe. Et de même qu'un tel matin est la
fin du jour précédent, de même, il est le commencement du jour suivant; car le
jour est une partie du temps et l'effet de la lumière. Mais la distinction des
premiers jours, n'est pas prise selon la distinction du temps, mais du côté de
la lumière spirituelle, selon que les différents genres distincts de créatures
sont connus par la lumière de l'esprit angélique.
# 3. On nie que la lumière ne soit pas proprement dans
les êtres spirituels. Car Augustin (La
Genèse au sens littéral, IV, 24) dit que dans les êtres spirituels la lumière
est meilleure et plus assurée, et que le Christ n'est pas appelé lumière de la
même manière qu'il est appelé rocher[8], un mot lui est propre, et l'autre
figuré. Car tout ce qui est manifesté est lumière, comme il est dit (Ep. 5,
13). Mais la manifestation est plus proprement dans les êtres spirituels que
dans les êtres corporels; c'est pourquoi Denys, (Les noms divins, IV, 4) place la lumière parmi les noms
intelligibles de Dieu, mais ces noms intelligibles ont une signification propre
pour les êtres spirituels. Et quand on prouve l'inverse, on dit que le nom de
lumière fut d'abord imposé pour signifier ce qui se manifeste par le sens de la
vue, et de cette manière, la lumière est seulement une qualité sensible par
soi, et n'est pas employée proprement pour les êtres spirituels; deuxièmement,
il s'est étendu de l'usage commun, pour signifier tout ce qui se manifeste par
une connaissance quelconque, et ainsi il est dans l'usage commun des locuteurs;
et de cette manière, on dit que la lumière est plus proprement signifiée dans
les êtres spirituels.
# 4. Ces jours sont distingués non selon la succession de
la connaissance, mais selon l'ordre naturel des choses connues, comme on l'a
dit ci-dessus, c'est pourquoi Augustin veut (La cité de Dieu, XI, 7 et 9) que ces sept jours soient un seul jour
représenté de sept manières. Et c'est pourquoi l'ordre des jours doit être
rapporté à l'ordre naturel des oeuvres, qui sont attribuées aux jours, selon
qu'elles sont connues en même temps dans le Verbe par la lumière de l'esprit
angélique.
# 5. Par les six jours, pendant lesquels on dit que Dieu
créa le ciel et la terre, la mer et tout ce qu'ils contiennent, on comprend non
pas une succession temporelle, mais la connaissance angélique en rapport aux
six genres de choses produites par Dieu; mais le septième jour est la
connaissance même de l'ange en rapport avec le repos de l'artisan; car on dit,
selon Augustin, (La Genèse au sens
littéral, IV, 15) que Dieu le septième jour se reposa, un repos particulier
où il se repose en lui-même des créatures, il demeure bienheureux sans avoir
besoin d'elles, mais en se suffisant à lui-même, il le montra à l'esprit
angélique dont il appelle jour la connaissance. Et on dit qu'il cessa l'oeuvre
le septième jour, parce que, ensuite, il ne fit rien de nouveau qui n'aurait
pas existé précédemment d'une certaine manière, dans les oeuvres des six jours,
matériellement, causalement, ou selon une ressemblance de l'espèce ou du genre.
Et parce que, après toutes les oeuvres créées, Dieu, le
septième jour se reposa en lui-même, l'Écriture et la Loi ordonne de sanctifier
le septième jour. Car la sanctification d'une chose consiste surtout en ce
qu'elle repose en Dieu; c'est pourquoi les objets consacrés à Dieu (comme le
tabernacle, les vases du prêtre) sont appelés saints. Mais on dit que le
septième jour consacré au culte de Dieu est sanctifié ainsi, de même que Dieu
qui créa les six genres des créatures et les montra à l'esprit angélique, ne se
reposa pas dans les créatures, comme en sa fin, mais des créatures mêmes en lui;
il demeura en lui-même en quoi consiste sa béatitude, (quoiqu'il ne soit pas
bienheureux d'avoir fait les créatures, mais du fait que, ayant sa suffisance
en lui, il n'a pas besoin d'elles); ainsi, nous aussi, apprenons à nous reposer
non pas dans ses oeuvres ou les nôtres, comme dans une fin; mais en Dieu même,
en qui consiste notre béatitude, reposons-nous, car c'est pour cela qu'il a été
institué que l'homme travaillant six jours à ses propres oeuvres, se reposerait
le septième, se consacrant au culte divin et au repos de la contemplation
divine, dans laquelle consiste essentiellement la sanctification de l'homme.
La nouveauté du monde aussi démontre précisément que Dieu
existe, et qu'il n'a pas besoin des créatures, et c'est pourquoi il a été
établi dans la Loi qu'elles se reposeraient et qu'elles feraient fête le
septième jour où le monde a été achevé, pour que par la nouveauté du monde créé
en même temps, et par les six genres différents des choses, l'homme demeure
toujours dans la connaissance de Dieu et qu'il lui rende grâce du bienfait si
utile et si important de la création, et qu'en lui comme en sa fin, il place le
repos de son esprit dans le présent par grâce et dans le futur par la gloire.
# 6. On dit que n'importe quelle oeuvre nouvelle produite
par Dieu en rapport avec la connaissance angélique est appelé jour; et parce
qu'il y eut seulement six genres de choses produites primitivement par Dieu, et
connus par l'esprit angélique, comme on l'a dit ci-dessus, il y a seulement six
jours; auxquels on ajoute un septième, à savoir la connaissance même de l'ange
en soi en rapport avec le repos de Dieu en lui-même. Car il n'a rien produit
dans la nature des êtres, dont il n'est induit dans l'ordre de la nature
d'abord la connaissance dans l'esprit angélique.
# 7. La solution est éclairée par ce qui a été dit
ci-dessus, parce que ces jours ne sont pas distingués selon la distinction de
la connaissance angélique, mais par celle des premières oeuvres en rapport avec
la connaissance angélique, et ainsi cette distinction des oeuvres, et non pas
celle des connaissances, apporte la distinction des premiers jours; et ainsi
ces six jours sont distingués selon que la lumière de l'esprit angélique est
appliquée pour connaître les six genres de choses.
# 8. Selon Augustin par ces trois expressions est
signifié le triple être des choses.
a) Premièrement l'être des choses dans le Verbe, car les
créatures ont l'être dans l'art divin parce qu'il est le Verbe, avant de
l'avoir en elles-mêmes, et il en est fait mention quand il est dit: "Mais
Dieu le dit, et ce fut fait"; c'est-à-dire le Verbe l'a engendré, en qui
était l'être à créer.
b) Deuxièmement, l'être des choses dans l'esprit
angélique, parce que Dieu n'a rien produit dans la nature qu'il ne l'ait
représenté dans l'esprit angélique, et il en est fait mention quand il dit: "Ce
fut fait", c'est-à-dire par induction du Verbe dans l'esprit angélique.
c) Troisièmement l'être des choses dans leur propre
nature, et il en est fait mention par ce qu'il dit: "Il fit". Car de
même que l'idée par laquelle est créée la créature, est dans le Verbe avant
qu'elle ne soit créée, de même la connaissance de cette même idée est par
l'ordre de la nature dans l'esprit angélique, avant la production même de la
créature. Et ainsi l'ange a une triple connaissance des créatures, selon
qu'elles sont dans le Verbe, dans son esprit ou dans leur propre nature; la
première est appelée connaissance matutinale, les deux autres sont comprises
sous le nom de connaissance vespérale.
Et pour montrer ce double mode de connaissance dans la
créature spirituelle, il est dit: "Il y eut un soir et un matin, un jour
unique (Gn, 1, 5)". Donc par les six jours pendant lesquels, on lit que
Dieu créa tout, Augustin comprend (La
cité de Dieu, XI, 9 [9] ) non pas ces jours ordinaires qui s'accomplissent
par la course du soleil, puisqu'on lit que le soleil a été créé le quatrième
jour, mais un seul jour, c'est-à-dire la connaissance angélique présentée par
six genres de choses. C'est pourquoi, de même que la représentation de la
lumière corporelle sur ces choses inférieures compte pour un jour temporel, de
même la représentation de la lumière spirituelle de l'intellect angélique sur
les créatures, compte pour un jour spirituel; de sorte qu'ainsi, ces six jours
sont distingués selon que la lumière de l'intellect angélique est appliquée à
connaître les six genres de choses; pour que le premier jour soit la
connaissance de la première oeuvre divine, le second la connaissance de la
seconde, etc..
Et ainsi, ces six jours sont distingués non selon l'ordre
du temps ou la succession des êtres, mais selon l'ordre naturel des choses
connues, selon qu'une oeuvre a été connue avant l'autre, dans l'ordre de la
nature. Et de même que dans le jour ordinaire et matériel, le matin est le
commencement du jour et le soir en est la fin ou le terme, de même la
connaissance de chaque oeuvre, selon son être d'origine, selon qu'il a l'être
dans le Verbe, est appelée matutinale, mais sa connaissance selon l'être ultime,
dans la mesure où elle subsiste dans sa nature propre, est appelé vespérale.
Car le principe de l'être de n'importe quelle chose chose est dans sa cause
d'où elle découle, mais son terme est dans ce en quoi elle est reçue, et où
l'action de la cause se termine. C'est pourquoi la connaissance première d'une
chose est selon qu'elle est considérée dans sa cause d'où elle découle; mais la
connaissance ultime est selon ce qui est est considéré en elle-même.
Donc comme l'être des créatures découle du Verbe éternel,
comme d'un principe primordial, et que cet écoulement se termine à l'être
qu'elles ont dans leur propre nature, il s'ensuit que la connaissance dans le
Verbe qui appartient à leur être premier et d'origine doit être appelé
matutinale, par ressemblance au matin qui est le commencement du jour, mais la
connaissance de la créature dans sa propre nature, qui appartient à son être
ultime et achevé, doit être appelée vespérale, parce que le soir est le terme
du jour. C'est pourquoi de même que six genres de choses, rapportés à la
connaissance angélique, distinguent les jours, de même l'unité de la chose
connue qui peut être connue de diverses manières, constitue l'unité du jour, et
distingue le jour par le soir et le matin.
# 9. L'ange ne peut pas dans sa propre nature comprendre
plus au commencement, et originairement mais il peut bien comprendre plus en
conséquence du fait qu'il est en relation avec l'un intelligible. Et parce que
toute chose produite par sa nature propre, a d'abord été dans l'ordre de la
nature, selon ses ressemblances, induites dans l'esprit angélique, l'ange en se
connaissant, connaît en même temps d'une certaine manière ces six genres de
choses, qui ont un ordre naturel entre eux, car en se connaissant, il connaît
tout ce qui a l'être en soi.
# 10. Il peut y avoir deux opérations en même temps, pour
une même puissance dont l'une se rapporte à l'autre et lui est ordonnée et il
est clair que la volonté veut en même temps la fin et ce qui la concerne et
l'esprit comprend en même temps les principes et les conclusions par les
principes, quand il en a cependant acquis la science. Mais la connaissance
vespérale dans les anges se rapporte à la connaissance matutinale, comme
Augustin le dit (Dial. 65, qu. 26, Sur la
Genèse, II, ch., 3 et 8), de même que la connaissance et l'amour naturels
sont ordonnés à la connaissance et à l'amour de gloire.
C'est pour cela que rien n'empêche que, dans l'ange, il y
ait en même temps une connaissance matutinale et vespérale, comme il y a en
même temps la connaissance naturelle et la connaissance de gloire. Car deux
opérations d'une seule puissance, qui procèdent de deux espèces d'un même
genre, dont l'une n'a pas de rapport avec l'autre (telles sont toutes les
espèces créées inhérentes à l'esprit) ne peuvent exister en même temps; c'est
pourquoi l'ange ne peut pas produire en même temps par diverses formes
concrètes diverses intellections. Mais si ces deux opérations procèdent des
formes de genres et de raisons différents, et dont l'une est ordonnée à l'autre
(telles sont la forme subsistante incréée et la forme inhérente créée), elles
peuvent coexister.
Et parce que la connaissance par laquelle l'ange voit les
choses dans leur nature propre, qui est appelée vespérale, se fait pas une
espèce intelligible, créée et inhérente, et que la connaissance, par laquelle
il voit les choses dans le Verbe, appelée matutinale, se fait par l'essence du
Verbe qui n'est pas inhérente, ce qui est d'un autre genre et d'une autre
nature, et que l'une est ordonnée à l'autre, les deux connaissances pourront
exister en même temps. Car la forme concréée inhérente à l'esprit ne répugne
pas à l'union de l'esprit à l'essence du Verbe, qui n'actualise pas l'intellect
quant à son être, mais seulement quant à son intellection, puisqu'il n'est pas
d'une seule nature, mais d'un ordre plus élevé, et cette forme inhérente même
et tout ce qui est parfait dans l'intellect créé, est comme une disposition
matérielle à cette union et à la vision bienheureuse par laquelle ils voient la
création dans le Verbe.
Et c'est pourquoi, de même que la disposition à une forme
et cette forme peuvent être dans un acte parfait en même temps, de même la
forme intelligible inhérente se trouve en même temps dans l'acte parfait avec
union à l'essence du Verbe; c'est pourquoi, en même temps, de l'esprit de
l'ange bienheureux procède une double opération: a) en raison de son union à
l'essence du Verbe, par laquelle il voit les êtres dans le Verbe, ce qui est
appelé connaissance matutinale et b) l'autre en raison de la forme qui y est
inhérente par laquelle il voit les choses dans leur propre nature, qui est
appelée connaissance vespérale. Et l'une de ces actions n'est pas affaiblie ou
atténuée par son attention à l'autre, mais elle en est plutôt renforcée,
puisque l'une des deux est la raison de l'autre, comme l'image d'un objet vu
est renforcée quand il est vu en acte par l'oeil externe. Car l'action par
laquelle les bienheureux voient le Verbe, et les créatures en lui, est la
raison de n'importe quelle action trouvée en eux. Mais deux actions dont l'une
est la raison de l'autre, ou dont l'une est ordonnée à l'autre, peuvent venir
en même temps d'une seule puissance.
Et alors une seule puissance, selon les diverses formes
ordonnées entre elles, se termine à des actes divers, non pas dans l'identique
mais dans la diversité. Car les espèces des différents genres, ordres, dont les
diverses natures peuvent être unies ensemble dans un acte parfait; comme on le
voit pour la couleur, l'odeur et la saveur dans un fruit.
Mais l'essence divine, par laquelle l'esprit angélique
voit les créatures dans le Verbe, (puisqu'elle est incréée et subsistante par
soi) et l'essence de l'ange par laquelle il se voit toujours lui et les choses
selon qu'elles ont l'être en soi, (puisque cette essence a été créé, et qu'elle
subsiste par soi dans un être reçu où subsiste son esprit), et l'espèce infuse,
ou concréée, par laquelle il voit les choses dans leur propre nature
(puisqu'elle est inhérente à son esprit), sont dites de différents ordres, genres,
et de différentes natures; de sorte que la première est comme la raison des
autres, et la seconde comme la raison de la troisième, et c'est pourquoi
l'esprit angélique pourra en même temps, avoir trois opérations selon ces trois
formes; de même que l'âme du Christ comprend en même temps les choses par
l'espèce du Verbe, par les formes infuses et les espèces acquises.
# 11. Selon Augustin (A Orose, question 21), de même que
l'absence de forme de la matière a précédé sa mise en forme, non dans le temps,
mais dans l'ordre, comme le son et la voix précède le chant; de même la mise en
forme de la nature spirituelle qui est désignée dans la production de la
lumière, puisqu'elle est plus digne que la nature corporelle, elle a précédé la
mise en forme de la créature corporelle, dans l'ordre de la nature et de
l'origine, et non dans l'ordre du temps. Mais la mise en forme de la nature
spirituelle vient du fait qu'elle est éclairée pour adhérer au Verbe, non par
la gloire parfaite sans laquelle elle a été créée, mais par la grâce parfaite
avec laquelle elle a été créée. Donc par cette lumière est faite la distinction
des ténèbres, c'est-à-dire par ce manque de forme de la créature corporelle,
pas encore mis en forme, mais dans l'ordre d'une nature à mettre en forme par
la suite.
Car la mise en forme de la créature spirituelle peut être
comprise de deux manières: 1) par l'infusion de la grâce, 2) par la
conservation de la gloire.
a) Selon Augustin, la première grâce est parvenue
aussitôt à la créature spirituelle, au commencement de sa création et alors,
par les ténèbres, qui se distinguent de la lumière, on ne comprend pas le
péchés des mauvais anges, mais l'absence de forme de la nature, qui n'avait pas
encore été formée, mais était dans l'ordre de la nature, devant être formée
dans les opérations suivantes, comme il est dit dans La Genèse au sens littéral, (I, 5, VI et VII). Ou comme il est dit Sur la Genèse, (livre IV ch. XXII et
XXIII), par le jour est signifiée la connaissance de Dieu, par la nuit la
connaissance de la créature, qui est ténèbres par rapport à la connaissance
divine, comme il est dit dans le même livre. Ou si, par les ténèbres nous
comprenons les anges pécheurs, cette division ne se rapporte pas au péché
présent, mais au péché futur, qui était dans la prescience de Dieu. C'est
pourquoi dans le livre A Orose (question 24), il dit: "Parce que Dieu
savait à l'avance, par l'ordre immuable de sa prescience, que quelques anges
tomberaient par orgueil, il les divisa en bons et méchants; appelant les méchants
ténèbres et les bons lumière."
b) La seconde mise en forme de la nature spirituelle
n'appartient pas au commencement de l'institution des choses, mais plus à leur
évolution où elles sont gouvernées par la providence divine. Donc la
distinction de la lumière et des ténèbres, selon que, par les ténèbres, on
comprend les péchés des démons, doit être entendue selon la prescience de Dieu.
C'est pourquoi Augustin dit dans le livre XI de La Cité de Dieu, (ch. 20), que seul a pu discerner la lumière des
ténèbres celui qui a pu avant qu'ils ne tombent prévoir qu'ils tomberaient.
Mais selon que, par les ténèbres, on comprend l'absence de forme de la nature
corporelle à former, on signale l'ordre, non pas du temps, mais de la nature,
entre la formation de l'une et l'autre nature.
# 12. Une fois établi que tout a été créé en même temps
dans la forme et la matière, il est dit que l'ange a eu connaissance de la
créature corporelle à faire, non pas parce qu'elle serait future dans le temps,
mais parce qu'elle était connue comme devant exister dans la mesure où elle
était considérée dans sa cause, en qui elle était pour pouvoir en procéder. De
même on peut dire que celui qui connaît un coffre par l'art d'où il est fait,
le connaît comme devant exister. Car la connaissance des choses dans le Verbe
est appelée matutinale, que la chose soit déjà faite, ou à faire, et elle se
comporte indifféremment pour le présent et le futur, parce qu'elle est conforme
à la connaissance de Dieu, par laquelle il connaît absolument tout avant que ce
soit fait, comme après avoir été fait. Et cependant toute connaissance de la
chose dans le Verbe, concerne ce qui est à faire, déjà fait, ou non, puisque le
mot fiendum (à faire) n'indique pas le temps, mais la sortie de la créature du
créateur; il en est de même la connaissance de l'oeuvre dans l'art, qui est
selon son devenir, quoique l'oeuvre n'ait pas encore été réalisée. C'est
pourquoi, bien que la créature corporelle ait été faite en même temps que la
nature spirituelle, on dit cependant que l'ange a reçu du Verbe une
connaissance de ce qui devait être fait, pour la raison déjà dite.
# 13. De même que le matin précède le soir, la
connaissance matutinale précède la connaissance vespérale dans l'ordre de la
nature, non en rapport avec une seule et même oeuvre, mais en rapport avec
différentes oeuvres; mais la connaissance vespérale de la première opération
est comprise dans l'ordre de la nature, la connaissance matutinale étant celle
de l'oeuvre postérieure. Car l'oeuvre du premier jour est la production de la
lumière par laquelle on comprend la formation de la nature angélique par
l'illumination de la grâce, mais la connaissance par laquelle la créature
spirituelle se connaît elle-même naturellement suit son être dans sa nature
propre. Et ainsi la créature spirituelle dans l'ordre naturel se connaît dans
sa nature propre par une connaissance vespérale par laquelle elle se connaît
comme déjà faite, avant de se connaître dans le Verbe en qui est connue
l'oeuvre de Dieu, comme à faire.
Donc, dans cette connaissance par laquelle les bons anges
se sont connus eux-mêmes, ils ne sont pas demeurés comme jouissant d'eux mêmes,
et plaçant leur fin en eux, parce qu'ils seraient devenus nuit, comme les
mauvais anges qui ont péché, mais ils ont rapporté leur connaissance à la
louange de Dieu, et ainsi à partir de sa connaissance, le bon ange s'est tourné
vers la contemplation du Verbe en qui il y a le matin du jour suivant, selon
qu'en lui, il a reçu la connaissance de l'oeuvre suivante, à savoir celle du
firmament.
Mais, de même que nous voyons dans le temps continu, que,
dans le même instant, il y a deux temps, selon qu'il est la fin du passé et le
commencement du futur, de même la connaissance matutinale du second jour est le
terme du premier, et le commencement du second, et ainsi de suite jusqu'au
septième jour. Et c'est pourquoi au premier jour, on désigne seulement le soir,
parce que l'ange a eu d'abord la connaissance vespérale de lui-même et de
celle-ci il est passé à la connaissance matutinale, selon que de la
contemplation de lui-même il s'est tourné vers celle du Verbe, en qui il y a le
matin du jour suivant, dans la mesure où il reçoit dans le Verbe la
connaissance matutinale de l'oeuvre suivante. C'est pourquoi, la connaissance
matutinale par rapport à une seule et même oeuvre après le première précède
naturellement la connaissance vespérale de celle-ci, mais la connaissance
vespérale de la première oeuvre, précède naturellement la connaissance
matutinale de la suivante; c'est pourquoi, de même que le premier jour a
seulement un soir, le septième jour qui signifie la contemplation de Dieu, a
seulement un matin; car ce jour n'est clos par aucune limite![10].
# 14. Augustin appelle la connaissance matutinale, celle
qui est en pleine lumière; c'est pourquoi elle contient en soi le midi. Car il
appelle une telle connaissance quelquefois diurne, mais quelquefois matutinale.
Ou on peut dire que toute connaissance de l'esprit angélique est mêlée de
ténèbres du côté de celui qui connaît; c'est pourquoi aucune connaissance d'un
esprit angélique ne peut être appelée méridienne, car seule la connaissance par
laquelle Dieu connaît tout en lui-même le peut. De plus, comme Dieu est pleine
lumière, qu'il n'y a aucunes ténèbres en lui, comme cette connaissance de Dieu
en soi et parfaite est pleine lumière, elle peut être appelée méridienne, mais,
parce que la créature du fait qu'elle vient du néant, a les ténèbres de la
potentialité et de l'imperfection, aussi, la connaissance même de la créature
est mêlée de ténèbres; ce mélange est signifié par le matin et le soir, selon
que la créature elle-même peut être connue de deux manières; ou dans le Verbe
selon qu'elle sort de l'art divin, et ainsi sa connaissance est appelée
matutinale, parce que, de même que le matin est la fin des ténèbres, et le
commencement de la lumière, de même la créature après les ténèbres,
c'est-à-dire après qu'elle existe, prend du Verbe même le principe de la
lumière. Car existant par l'espèce créée, elle peut être connue dans sa propre
nature, et une telle connaissance est appelée vespérale, parce que, de même que
le soir est le terme de la lumière, et tend à la nuit, de même la créature qui
subsiste en soi est le terme de l'opération du Verbe, qui est lumière, comme
faite par le Verbe et en tant qu'elle est de soi, la défaillance tend aux
ténèbres, à moins qu'elle ne soit portée par le Verbe.
Cependant cette connaissance est appelée jour, parce que,
en comparaison avec la connaissance du Verbe, elle est obscure, de même par
comparaison avec l'ignorance, qui est tout à fait obscure, elle est appelée
lumière; comme la vie des justes est appelée obscure par comparaison à la vie
de gloire, elle est appelée cependant lumière, par rapport à la vie des
pécheurs. De plus, comme le matin et le soir sont des parties du jours, le jour
dans les anges est la connaissance éclairée par la lumière de la grâce; c'est
pourquoi la connaissance matutinale et vespérale s'étend seulement à la
connaissance gratuite des biens; c'est pourquoi la connaissance même des oeuvres
divines, par l'ange éclairé est appelée jour, et les jours sont distingués
selon les différents genres des oeuvres divines, et sont ordonnés selon leur
ordre.
Mais chacune de ces oeuvres est connue de deux manières
par l'ange éclairé: 1) d'une première manière, dans le Verbe, sous la forme du
Verbe et ainsi une telle connaissance est appelée matutinale; 2) d'une seconde
manière, dans sa nature propre, ou par l'espèce créée, et les bons ne demeurent
pas dans cette connaissance en y trouvant comme une fin en elle, parce qu'ils
deviendraient nuit, comme les mauvais anges; mais ils la rapportent à la
louange du Verbe et à la lumière de Dieu, en qui, comme dans un principe, ils
connaissent tout; aussi une telle connaissance de la créature, rapportée à la
louange de Dieu, n'est pas appelée nocturne, ce qui serait en tout cas, s'ils
demeuraient en elle, parce qu'alors ils deviendraient nuit, comme jouissant de
la créature même.
Donc la connaissance matutinale et la connaissance
vespérale distinguent le jour, c'est-à-dire la connaissance qu'ont les bons
anges illuminés des oeuvres créées. Mais la connaissance de la créature par les
bons anges eux-mêmes, par un intermédiaire soit créé, soit incréé, est toujours
mêlée d'obscurité; c'est pourquoi on ne l'appelle pas méridienne, comme la
connaissance que Dieu a de lui-même; ni nocturne, comme la connaissance de la
créature qui n'est pas rapportée à la lumière divine; mais on l'appelle
seulement matutinale et vespérale; car le soir en tant que tel, se termine au matin.
Et c'est pourquoi n'importe quelle connaissance des choses dans leur nature
propre ne peut pas être appelée vespérale, mais seulement celle qui se rapporte
à la louange du Créateur. C'est pourquoi la connaissance qu'ont les démons,
n'est pas appelée proprement matutinale ou vespérale. Car le matin et le soir
ne sont pas pris dans la connaissance angélique selon toute ressemblance, mais
seulement selon la ressemblance quant en raison du principe et du terme.
# 15. Bien que l'ange ait été créé en l'état de grâce,
cependant il n'a pas été bienheureux au commencement de sa création, et il n'a
pas vu le Verbe de Dieu dans son essence; c'est pourquoi il n'eut pas la
connaissance matutinale de lui-même, qui désigne la connaissance par la forme
dans le Verbe, mais il eut d'abord une connaissance vespérale de lui-même selon
qu'il se connut lui-même en lui de façon naturelle, parce que, en chacun, la
connaissance naturelle précède la connaissance surnaturelle, comme son
fondement, et la connaissance de l'ange découle naturellement de son être dans
sa propre nature; aussi il eut une connaissance matutinale de lui-même, mais
vespérale au commencement de sa création. Il reporta cette connaissance à la
louange du Verbe et par cette relation il mérita de parvenir à la connaissance
matutinale. C'est pourquoi on dit, de manière significative, que le premier
jour eut seulement un soir, et pas de matin, parce que le soir passa au matin;
parce que cette lumière spirituelle, qui, comme on le lit, a été créée le
premier jour, aussitôt créée se connut elle-même, parce qu'elle fut d'une
connaissance vespérale, et il reporta cette connaissance à la louange du Verbe,
par qui il mérita de recevoir la connaissance matutinale de l'oeuvre suivante.
Car ce n'est pas n'importe quelle connaissance des choses dans leur propre
nature qui peut être appelée vespérale, mais celle seulement qui se rapporte à
la louange du Créateur, car elle revient le soir et se termine au matin.
C'est pourquoi la connaissance que les démons ont des
choses par eux-mêmes, n'est ni matutinale, ni vespérale; mais seulement la
connaissance gratuite qui est dans les bons anges. Et ainsi la connaissance des
choses dans leur nature propre, reliée à la louange du Verbe est toujours
vespérale, et une telle relation ne la rend pas matutinale, mais la fait se
terminer à la connaissance matutinale, et par une telle relation il mérite de
la recevoir. Et de même que le premier jour, qui signifie la formation et la
connaissance de la nature spirituelle dans sa propre nature, a seulement un
soir, de même le septième jour, qui signifie la contemplation de Dieu, qui ne
contient aucune limite[11] et qui correspond à la connaissance angélique en
rapport avec le repos de Dieu en lui-même, en quoi consiste l'illumination et
la sanctification de tout, [ce septième jour] a seulement un matin. Car du fait
que Dieu a cessé de créer de nouvelles créatures, on dit qu'il a accompli son
oeuvre et qu'il s'en repose en lui-même. Et de même que Dieu se repose en lui
seul, et il est bienheureux en jouissant de lui, de même nous, nous devenons
bienheureux par sa seule fruition et ainsi même il fait que nous nous reposons
de ses oeuvres et des nôtres en lui-même.
Donc le premier jour, qui correspond à la connaissance
que la nature spirituelle éclairée par la lumière de la grâce sur elle-même, a
seulement un soir, mais le septième jour qui correspond à la connaissance
angélique en relation avec le repos et la fruition de Dieu en lui-même, a
seulement un matin; parce qu'il n'y a aucunes ténèbres en Dieu. Car on dit que
Dieu se reposa le septième jour, en tant que repos propre, par lequel il se
repose en lui-même des oeuvres créées; il le montra à la nature angélique;
cette connaissance, Augustin l'appelle jour (Dialogue LXV, question 26); et
parce que le repos de la créature, selon qu'elle est fermement établie en Dieu,
n'a pas de fin, de même le repos de Dieu par lequel il se repose en lui-même
des créatures, n'ayant pas besoin d'elles, n'a pas de fin, parce qu'il n'en
aura jamais besoin; c'est pourquoi le septième jour qui correspond à un tel
repos n'a pas de soir, mais seulement un matin; mais ces jours, qui
correspondent à la connaissance angélique en rapport avec les autres créatures,
ont un matin et un soir, comme on l'a dit ci-dessus.
# 16. De ce qui a été dit, il apparaît qu'on peut avoir
la connaissance d'une chose déjà faite comme devant être faite, si on la
considère dans les causes d'où elle procède; et ainsi les anges ont reçu la
connaissance de ce qui était à faire dans le Verbe, qui est l'Art suprême des
choses. Car toute connaissance en lui qui est appelée matutinale, on dit
qu'elle est comme une chose à faire, que ce soit déjà fait, ou pas, puisque le
Ôà faire' n'indique pas le temps, mais la sortie de la créature du Créateur,
comme on la dit ci-dessus (sol. 14). Aussi, quoique la créature corporelle soit
faite en même temps que la nature spirituelle, on dit cependant que l'ange par
la connaissance matutinale a reçu dans le Verbe la connaissance de lui-même
comme à faire. C'est pourquoi on a déclaré dans la réponse ci-dessus que le
premier jour n'a pas eu de matin, mais seulement un soir,.
# 17. Ce n'est pas de la réalité que la créature
spirituelle reçoit la connaissance, mais elle la saisit (intelligat)
naturellement par les formes, innées ou concréées; mais ces formes qui sont
dans l'esprit de l'ange, ne se comportent pas également pour le présent et le
futur; parce que celles qui sont présentes sont assimilées aux formes en acte
qui sont dans les anges, et ainsi par elles, elles peuvent être connues; mais
celles qui sont futures ne sont pas encore semblables en acte à ces formes;
c'est pourquoi par les formes susdites le futur n'est pas connu, puisque la
connaissance se fait par l'assimilation actuelle du connaissant et du connu. Et
ainsi, puisque l'ange ne connaît pas le futur en tant que tel, il a besoin de
la présence des choses, pour les connaître dans leur propre nature par les
formes induites en lui; parce que, avant qu'elles soit faites, elles ne
ressemblent pas aux formes. On a dit plus haut que la connaissance vespérale et
la connaissance matutinale sont distinguées non du côté de ce qui est connu,
mais du côté de l'intermédiaire à connaître. Car la connaissance matutinale se
fait par un intermédiaire incréé, surpassant la nature de celui qui connaît et
de ce qui est connu: c'est pourquoi la connaissance des choses par la forme
dans le Verbe est appelée matutinale, que la chose soit déjà faite, ou à faire,
mais la connaissance vespérale se fait par un intermédiaire créé proportionné
avec celui qui connaît et ce qui est connu, déjà fait, ou à faire.
# 18. Bien que l'ange ait l'être dans le Verbe avant que
dans sa propre nature, parce que, cependant, la connaissance présuppose l'être
de celui qui connaît, il n'a pas pu se connaître avant d'exister, mais la
connaissance de lui-même dans sa propre nature, lui est naturelle, et celle du
Verbe est surnaturelle; c'est pourquoi il a fallu qu'il se connût lui-même dans
sa propre nature avant que dans le Verbe; puisque la connaissance naturelle
précède en chacun, par origine, la connaissance surnaturelle comme son
fondement. Autrement il a connu les choses dans l'ordre de la nature dans le
Verbe par la connaissance matutinale avant que par connaissance vespérale dans
sa propre nature; c'est pourquoi par rapport aux oeuvres suivantes le matin
précède le soir; comme on l'a dit ci-dessus.
# 19. De même qu'une seule science totale comprend sous
elle diverses sciences particulières, par lesquelles sont connues des
conclusions diverses; de même la seule connaissance de l'ange qui est comme un
tout, comprend sous elle la connaissance matutinale et la connaissance
vespérale comme des parties, comme le matin et le soir sont des parties du
jour, bien qu'ils soient de nature différente. Car les choses de nature
différente, si elles sont ordonnées entre elles, peuvent constituer quelque
chose d'unique; c'est pourquoi la matière et la forme, qui sont de nature
différente, constituent un composé; et les chairs, les os et les nerfs sont les
parties d'un seul composé. Car l'essence divine par laquelle les êtres sont
connus dans le Verbe d'une connaissance matutinale est la raison de toutes les
formes concréées dans l'esprit de l'ange; de même elles en dérivent comme des
images, par lesquelles les choses sont connues dans leur nature propre, par la
connaissance vespérale, de même l'essence de l'ange est pour lui la raison de
comprendre l'être qu'il connaît, bien qu'elle ne soit pas parfaite, c'est
pourquoi il a besoin des autres formes surajoutées.
Et ainsi, quand l'ange voit Dieu par son essence, et
lui-même et les autres par les formes concréées, d'une certaine manière, il
n'en saisit (intelligit) qu'une; de même, parce que la lumière est la raison de
voir la couleur, quand l'oeil voit la lumière et la couleur il y voit d'une
certaine manière un seul objet. Et quoique ces opérations soient réellement
distinctes, puisque l'opération par laquelle il voit Dieu, demeure toujours, et
est mesurée par une éternité participée; l'opération par laquelle il se
comprend, demeure toujours, et est mesurée par l'ævum; et l'opération par
laquelle il saisit (intelligit) les autres êtres, par les espèces innées ne
demeure pas toujours mais succède à une autre: cependant parce que l'une est
ordonnée à l'autre, et que l'une est comme la raison formelle de l'autre, elles
sont une d'une certaine manière; parce que, là où il y a un objet près de
l'autre[12], il n'y en a qu'un, comme il est dit en Topique, (III, 2, 117 a 5)
et c'est pour cela que ces opérations dont l'une est ordonnée à l'autre,
peuvent être ensemble et constituer un seul tout.
# 20. Comme l'esprit est le lieu des espèces
intelligibles, il faut dire que la connaissance, qui apporte la mise en ordre
des espèces intelligibles ou une faculté et une habilitation de l'esprit
lui-même pour utiliser ces espèces, demeure après la mort, comme l'esprit, qui
est le substrat des espèces de ce genre; mais le mode par lequel il s'en sert
en acte dans le statut de la vie présente, qui est par conversion aux images,
qui sont dans les pouvoirs des sens, ne demeurera pas; parce que, comme les
puissances des sens se corrompent, l'âme ne pourra pas par les espèces qu'elle
a acquises ici, ni par celles induites en elle dans la séparation même, saisir
en se tournant vers les images, mais par elles saisir par un mode qui lui
convient à la manière d'être semblable aux anges qu'elle aura. Donc la
connaissance est détruite non quant à la possession, ni quant à la substance de
l'acte de connaître, qui est spécifié par l'espèce de l'objet, mais quant au
mode de connaître, qui ne se fera pas en se tournant vers les images, et c'est
ainsi que le comprend l'Apôtre.
# 21. La lumière causée par le soleil et celle causée par
la chandelle dans l'air, sont de même nature. Mais deux formes d'une seule
nature ne peuvent être en même temps en acte parfait dans le même substrat;
c'est pourquoi une seule d'entre elles est causée dans l'air et non les deux.
Mais l'essence divine, par laquelle sont connues les choses dans le Verbe, est
d'une autre nature que les espèces par lesquelles l'ange connaît les choses
dans leur nature propre; c'est pourquoi ce n'est pas la même raison. En effet,
quand arrive ce qui est parfait, l'imparfait qui lui est opposé, est éliminé,
de même, quand arrive la vision de Dieu, la foi, qui concerne ce qui ne se voit
pas, est éliminée. Mais l'imperfection de la connaissance vespérale n'est pas
opposée à la perfection de la connaissance matutinale; car il n'y a pas
opposition entre ce qui est connu en soi, et ce qui est connu dans sa cause: et
de plus ce qui est connu par deux intermédiaires, dont l'un est plus parfait
que l'autre n'a rien qui s'y oppose; de même pour une même conclusion, nous
pouvons avoir une raison démonstrative et une raison dialectique.
Et semblablement, l'ange peut connaître une chose par le
Verbe incréé, et par l'espèce innée; puisque l'une n'est pas opposée à l'autre,
mais elle se comporte plutôt comme une disposition matérielle envers l'autre;
car la perfection qui arrive enlève l'imperfection qui lui est opposée. Mais
l'imperfection de la nature n'est pas opposée à la perfection de la béatitude,
mais lui est soumise, comme l'imperfection de la puissance est soumise à la
perfection de la forme, et la puissance n'est pas enlevée par la forme, mais
c'est la privation qui lui est opposée, qui est enlevée; semblablement aussi
l'imperfection de la connaissance naturelle n'est pas opposée à la perfection
de la connaissance de gloire, mais elle lui est soumise comme une disposition
matérielle. Et c'est pourquoi l'ange peut connaître en même temps les choses
par un intermédiaire créé et dans leur nature propre, ce qui appartient à la
connaissance vespérale et naturelle, et par l'essence du Verbe, qui appartient
à la connaissance de gloire et matutinale; et l'une de ces opérations n'empêche
pas l'autre, puisque l'une est ordonnée à l'autre et est comme sa disposition
matérielle.
# 22. Augustin (Sur
la Genèse, livre V, ch. 12 et 14) veut qu'au commencement de la création
certaines choses distinctes, par leurs espèces, aient été produites dans leur
nature propre, comme les quatre éléments, qui n'ont été produit de rien, les
corps célestes et les substances spirituelles. Car une telle production ne
présuppose pas la matière d'où et en quoi elle viendrait. Mais il est dit que
les autres ont été produites dans les raisons séminales seulement, comme les
animaux, les plantes et les hommes; qui tous par la suite ont été produits dans
leur nature propre, par cette oeuvre où, après six de ces jours, Dieu
administre la nature créée auparavant. De cette oeuvre, Jean a dit (5, 17) "Mon
Père opère jusqu'à ce jour.". Et dans la production et la distinction des
choses, il ne veut pas atteindre l'ordre du temps mais celui de la nature. Car
toutes les oeuvres des six jours ont été faites en même temps dans le même
instant, en acte ou en puissance, selon les raisons causales, pour que, par
exemple, elles puissent être faites, par la suite, à partir d'une matière
préexistante ou par le Verbe ou par les puissances actives induites dans la
création même de la créature.
C'est pourquoi, en cherchant, mais sans l'assurer, il dit
que l'âme du premier homme a été créée en même temps que les anges, en acte; il
ne pense pas que cela a été fait avant le sixième jour, bien qu'il pense qu'en
ce sixième jour même, l'âme du premier homme a été faite en acte; ainsi que son
corps selon les raisons causales; parce que Dieu a induit un pouvoir passif à
la terre pour que par la puissance active du Créateur, le corps de l'homme en
soit formé. Et ainsi, en même temps, l'âme en acte et le corps en puissance
passive ont été faits en rapport avec la puissance active de Dieu.
Ou, si on pense, en vérité, que l'âme n'a pas en soi
d'espèce complète, mais est unie au corps comme une forme, et est naturellement
une partie de la nature humaine, comme le veut Aristote, il faut dire que l'âme
du premier homme n'a pas été produite en acte avant la mise en forme du corps;
mais elle a été créée et induite dans le corps en même temps que la mise en
forme du corps, comme Augustin le soutient expressément pour les autres âmes, (La Genèse au sens littéral, X, 17 ss).
Car Dieu a institué les choses premières dans un parfait état de leur nature,
selon que leurs espèces l'exigeaient. Mais comme l'âme raisonnable est partie
de la nature humaine, elle n'a de perfection naturelle que selon qu'elle est
unie à un corps. C'est pourquoi naturellement elle a l'être dans le corps, et
être hors du corps est au-delà de sa nature; aussi il n'aurait pas été
convenable qu'une âme soit créée sans corps.
Donc en soutenant l'opinion d'Augustin sur les oeuvres
des six jours, on peut dire que, de même que, en ces six jours le corps du
premier homme n'a pas été formé et produit en acte, mais en puissance seulement
selon les relations causales; de même son âme n'a pas été produite alors en
acte et en elle-même, mais dans sa ressemblance, en genre: et ainsi elle a
précédé dans ces six jours, non en acte et en elle-même, mais selon une
certaine ressemblance en genre, selon qu'elle s'accorde avec les anges dans la
nature intellectuelle. Mais ensuite, par l'oeuvre par laquelle Dieu a
administré la créature créée d'abord, l'âme fut en même temps produite en acte
avec un corps mis en forme.
# 23. La réponse est éclairée par ce qui a été dit: parce
que le corps humain n'a pas été produit en acte dans ces six jours, les corps
des autres animaux non plus, mais seulement selon les relations causales, parce
que Dieu dans la création même a induit un pouvoir dans les éléments, ou
certaines raisons pour que les animaux puissent en être produits, par les
étoiles ou la semence, par le pouvoir de Dieu. Donc ce qui a été produit en eux
en acte pendant ces six jours, a été créé non pas successivement mais en même
temps, mais d'autres selon les raisons séminales ont été produites en même temps
en leur image.
# 24. Il faut dire comme à la solution 16, que la
connaissance des choses par les espèces induites ou proportionnées aux choses
est appelée vespérale dans leur nature propre; que la chose soit faite ou à
faire, et quoique ces espèces se comportent de la même manière pour le présent
et le futur. Non cependant que les choses présentes et futures se comportent
également vis-à-vis de leurs espèces mêmes; parce que les choses présentes en
acte ressemblent à leurs espèces, elles peuvent être connues en acte en
elles-mêmes. Mais les choses futures ne leur ressemblent pas en acte, c'est
pourquoi il n'est pas nécessaire qu'elles soient connues par elle-même. Mais on
ne dit pas que la connaissance vespérale, celle des choses dans la nature
propre, vient du fait que les anges saisissent les espèces mêmes, par
lesquelles ils connaissent, mais parce que par celles qu'ils ont reçues de la
création, ils les connaissent dans la mesure où elles subsistent dans leur
propre nature.
# 25. Selon Augustin (La
Genèse au sens littéral, II, 8), les anges, au commencement, virent dans le
Verbe les créatures qui devaient être faites. Car on lit que celles qui ont été
faites dans les opérations des six jours, ont été faites en même temps; c'est
pourquoi aussitôt dès le commencement de la création, il y eut ces six jours,
et par conséquent il faut qu'au commencement le bon ange ait connu le Verbe et
les créatures en lui. Car celles-ci ont un être triple, comme on l'a dit
ci-dessus.
1) Elles ont l'être dans l'art divin, qui est le Verbe,
et il est fait mention d'un tel être quand il est dit:"Dieu dit, qu'il
soit fait", c'est-à-dire il a engendré le Verbe, en qui il y avait ce
qu'il fallait pour faire une telle oeuvre.
2) Elles ont l'être dans l'intellect angélique, il en est
fait mention par ce qui est dit: "Il a été fait", à savoir par leur
induction à partir du Verbe.
3) Elles ont l'être en elle-même dans leur propre nature.
Ainsi, l'ange aussi a une triple connaissance des choses;
à savoir selon qu'elles sont dans le Verbe, dans son esprit et dans leur propre
nature. Mais l'ange a une double connaissance du Verbe, l'une naturelle par
laquelle il le connaît par sa ressemblance qui brille dans sa nature, en quoi
consiste sa béatitude naturelle, à laquelle par son pouvoir il peut parvenir;
il a de lui une autre connaissance surnaturelle et de gloire par laquelle il le
connaît par son essence, en quoi consiste sa béatitude surnaturelle, qui excède
le pouvoir de sa nature. Et par l'un et l'autre, le bon ange connaît les choses
ou les créatures dans le verbe; mais par sa connaissance naturelle il connaît
dans le Verbe imparfaitement; mais par la connaissance de gloire, il connaît
même dans le Verbe plus pleinement et plus parfaitement.
1) La première connaissance dans le Verbe passe dans
l'ange au commencement de sa création, c'est pourquoi dans le livre des Dogmes
ecclésiastiques, il est dit que "les anges qui demeurèrent , non par
nature mais par grâce, dans cette béatitude dans laquelle ils ont été créés,
possèdent le bien qu'ils ont." De même Augustin (Fulgence) La foi pour
Pierre (ch. 3) dit: "Les anges, des esprits, ont reçu divinement le don
d'éternité et de béatitude dans la création spirituelle de leur nature."
Par celle-ci cependant, ils n'étaient pas absolument bienheureux, puisqu'ils
étaient capables d'une perfection plus grande, mais relative, c'est-à-dire
selon ce temps, comme le philosophe (Éthique I, 10, 1098 a) le dit, il y a des
bienheureux en cette vie, pas absolument mais comme des hommes.
2) La seconde connaissance, à savoir celle de gloire,
n'est pas arrivée à l'ange au commencement de sa condition, parce qu'ils ne
furent pas créés bienheureux dans une béatitude parfaite; mais elle leur arriva
au commencement, au moment où ils sont devenus bienheureux par leur conversion
parfaite au bien. Donc ces six genres de chose ont tous été créés en même temps
que l'ange, et dans le même instant, il connut tout dans le Verbe d'une
connaissance naturelle ce que, par la suite, il connut plus pleinement dans le
Verbe d'une connaissance surnaturelle, que les anges reçurent aussitôt après
qu'ils aient rapporté leur connaissance naturelle à la louange du Verbe; comme
cette connaissance naturelle est mesurée par l'aevum, elle coexiste toujours
avec la connaissance surnaturelle du Verbe même, et avec la connaissance par
laquelle il connaît par les espèces induites les créatures dans leur propre
nature; c'est pourquoi ces trois connaissances existent en même temps, et l'une
ne succède pas à l'autre. Car la connaissance des choses dans le Verbe, de ce
qui est fait ou à faire, est appelée matutinale; et la connaissance des choses,
qu'elle soit présente ou future, par un intermédiaire créé, est appelée
vespérale.
# 26. Il n'est pas possible que l'ange voit le Verbe, ou
son essence divine en tant qu'idée de ce qui est à faire, et non dans la mesure
où il est la fin des bienheureux et l'objet de la béatitude, puisque l'essence
divine en soi est objet de béatitude, et fin des bienheureux. Mais il n'est pas
possible que quelqu'un voit l'essence divine en tant que nature de choses à
faire et ne la voit pas en soi, et c'est pourquoi on concède la totalité de
l'argument.
# 27. Il faut dire que certains ont voulu distinguer la
connaissance prophétique de la connaissance des bienheureux, ils ont dit que
les prophètes voient l'essence divine elle-même, qu'ils appellent le miroir de
l'éternité; non cependant selon qu'il est objet des bienheureux et la fin de la
béatitude; mais selon qu'il est la raison de ce qui est à faire, selon qu'il y
a en elle les raisons des événements futurs, comme on le dit dans l'objection.
Mais cela est tout à fait impossible; car Dieu est
l'objet de la béatitude et la fin des bienheureux selon son essence même. Pour
cela Augustin, au livre V des Confessions (ch.4) dit: "Bienheureux qui te
connaît même si celles-là, c'est-à-dire les créatures, il ne les connaît pas."
Mais ce n'est pas possible que quelqu'un voit les raisons des créatures dans
l'essence divine, sans voir l'essence elle-même; d'une part parce qu'elle est
la raison de tout ce qui est fait (car la raison idéale, qui est la raison des
choses à faire, n'ajoute rien à l'essence divine, sinon un rapport à la
créature). D'autre part, même parce que c'est d'abord connaître quelque chose
en soi (qui est connaître Dieu comme objet de béatitude) que connaître ce qui
par comparaison à un autre (ce qui est connaître Dieu selon les raisons qui
existent en lui); et c'est pourquoi il n'est pas possible que les prophètes
voient Dieu selon les raisons des créatures et non selon qu'il est objet de
béatitude.
Mais comme ils ne voient pas l'essence divine comme objet
de béatitude, (d'une part parce que la vision évacue la prophétie, comme il est
dit I Cor. 13, 8[13], d'autre part parce que cette vision n'apporte pas la
connaissance divine, comme lointaine, mais proche, puisqu'ils le voient face à
face), il en découle donc que les Prophètes ne connaissent pas l'essence
divine, en tant qu'elle est la raison de ce qui doit être fait, ni les
créatures dans le Verbe, comme les anges l'ont connu par connaissance
matutinale. Car la vision prophétique n'est pas la vision de l'essence divine
elle-même, et les prophètes, dans l'essence divine, ne voient pas ce qu'ils
voient, comme l'ont vu les anges, mais par des images, selon l'éclairage de la
lumière divine, comme le dit Denys (La
hiérarchie céleste, IV) et les ressemblances de ce genre éclairées dans la
lumière divine, ont plus la nature d'un miroir que l'essence de Dieu; car le
miroir est ce en quoi apparaissent les formes des autres choses, ce qu'on ne
peut pas dire de Dieu, mais une telle illumination de l'esprit prophétique,
peut être appelée miroir, dans la mesure où en résulte là la ressemblance de la
prescience divine de la vérité; et à cause de cela l'esprit du Prophète est
appelé miroir de l'éternité, comme représentant par ces espèces la prescience
divine, qui en son éternité voit tout de manière présente. C'est pourquoi la
connaissance du prophète a plus de ressemblance avec la connaissance vespérale
de l'ange qu'avec la connaissance matutinale, puisque celle-ci est faite par un
intermédiaire incréé, mais la connaissance du prophète par un intermédiaire
créé, à savoir par les formes imprimées, ou éclairées par la lumière divine,
comme on l'a dit.
# 28. Selon Augustin, quand il est dit: "Que la
terre produise l'herbe verdoyante", on ne comprend pas que les plantes
aient été alors produites en acte et dans leur propre nature, mais qu'à ce
moment-là il a été donné un pouvoir germinatif à la terre, pour produire les
plantes par l'oeuvre de propagation; de sorte qu'on dit qu'alors la terre a
produit totalement l'herbe verdoyante et le bois porteur de fruit, c'est-à-dire
qu'elle a reçu le pouvoir de produire. Et il le confirme par l'autorité de
l'Écriture, Gn. 2, 4, où il est dit: "Ce sont les générations du ciel et
de la terre, quand elles ont été créées au jour où Dieu fit le ciel et la terre
et toute verdure des champs avant qu'elle se lève sur la terre; et toute
l'herbe de la campagne avant qu'elle ne produise." On en tire deux
conséquences:
1) Toute les oeuvres des six jours ont été créées le jour
où Dieu fit le ciel et la terre et toute la verdure des champs; et ainsi les
plantes que l'on dit avoir été créées le troisième jour, ont été produites en
même temps quand Dieu créa le ciel et la terre.
2) Les plantes ont alors été produites, non en acte, mais
dans leurs raisons causales seulement, parce que pouvoir a été donné à la terre
de les produire, et cela est expliqué quand il est dit qu'elle produisit "toute
verdure des champs avant qu'elle naisse en acte de la terre" par l'oeuvre
d'administration et "toute herbe de la campagne, avant qu'elle ne pousse
en acte". Donc avant qu'elles ne se naissent en acte sur la terre, elles
ont été faites causalement dans la terre.
C'est confirmé par cette raison: dans ces premiers jours
Dieu créa la créature causalement, originellement ou actuellement par une
oeuvre dont il se reposa par la suite, qui cependant, selon la gestion des
créatures, par l'oeuvre de propagation opère ensuite jusqu'à maintenant. Mais
produire des plantes en acte de la terre, convient à l'oeuvre de la
propagation, parce que, pour leur production, le pouvoir céleste suffit comme
un père et le pouvoir de la terre comme une mère; c'est pourquoi il n'y eut pas
de plantes produites le troisième jour en acte mais causalement seulement. Mais
après les six jours, elles furent en acte selon leurs propres espèces, et
produites dans leur propre nature par l'oeuvre de gestion; et ainsi avant que
les plantes aient été produites causalement, rien n'a été produit, mais elles
ont été produites en même temps que le ciel et la terre, de même les poissons,
les oiseaux et les animaux ont été produits dans ces six jours causalement et
non en acte.
# 29. Pour la sagesse d'un artisan dont toutes les
oeuvres sont parfaites, tel qu'est Dieu, il convient de ne pas produire le tout
par la partie principale, ni les parties séparées par le tout; parce que ni le
tout séparé de la partie principale, ni les parties séparées du tout ont un
être parfait. Donc comme les anges, selon leurs espèces, et les corps célestes
et les quatre éléments sont les parties principales constituant un univers
unique, puisqu'ils sont ordonnés l'un à l'autre, et s'épaulent l'une l'autre,
il convient à la sagesse de Dieu que tout l'univers soit produit en même temps
et non successivement avec les autres parties. Car, il doit y avoir une
production unique d'un tout unique et de toutes ses parties et l'un n'est
produit avant l'autre que par défaillance de l'agent. Mais Dieu est d'une
puissance infinie, sans aucune défaillance, dont l'effet principal est tout
l'univers. Donc Dieu créa tout l'univers avec toutes ses parties principales en
même temps par une production unique.
Et quoique aucun ordre du temps n'ait été conservé dans
la production de l'univers, cependant l'ordre de l'origine et de la nature fut
conservé. Car, selon Augustin, l'oeuvre de création a précédé celle de
distinction, dans l'ordre de la nature et non du temps, de même l'oeuvre de
distinction a précédé l'oeuvre d'ornement dans l'ordre de la nature. A l'oeuvre
de création convient la création du ciel et de la terre. Par le ciel, on
comprend la production de la nature spirituelle sans forme; par la terre, la
matière sans la forme des corps; qui toutes les deux, comme elles sont hors du
temps, considérées selon leur essence ne sont pas soumises aux alternances des
temps, comme le dit Augustin, (Confessions,
XII, 8); c'est pourquoi la création de l'un et l'autre est placée avant
tout jour, non que cette absence de forme ait précédé la formation dans le
temps, mais dans l'ordre de l'origine et de la nature seulement, comme le son
précède le chant.
Et même une seule formation, selon lui, ne précède pas
l'autre en durée, mais seulement dans l'ordre de la nature: selon cet ordre il
est nécessaire de placer d'abord la formation de la nature spirituelle suprême,
parce qu'on lit que la lumière a été faite le premier jour, parce que la nature
spirituelle est plus digne et l'emporte sur la nature corporelle; c'est pourquoi
elle a dû être formée avant. Elle est formée du fait qu'elle est éclairée pour
adhérer au Verbe de Dieu. Mais de même que la lumière spirituelle et divine est
plus digne que l'ordre naturel, et l'emporte sur la nature corporelle, de même,
les corps supérieurs l'emportent sur les inférieurs. C'est pourquoi, le second
jour, on atteint la formation des corps supérieurs, quand il est dit: "Que
soit fait le firmament!", par lequel on comprend l'induction de la forme
céleste dans la matière informe, qui n'existe pas d'abord dans le temps, mais
dans l'origine seulement.
En troisième lieu, on place l'induction des formes
élémentaires dans la matière sans forme qui n'existait pas avant dans le temps,
mais qui précède dans l'origine et l'ordre de la nature. C'est pourquoi par ce
qu'il dit: "Que les eaux se rassemblent et que la terre sèche apparaisse",
on comprend que la forme substantielle de l'eau est induite dans la matière
corporelle; par cette forme, un tel mouvement lui convient, ainsi que la forme
substantielle de la terre, par laquelle il lui convient d'être vue ainsi: car
l'eau s'est écoulée doucement, mais la terre a été fixée de façon stable, comme
il le dit lui-même (La Genèse au sens
littéral, II, 11); car sous le nom d'eau, on comprend aussi, selon Augustin,
les autres éléments supérieurs qui ont été formés.
Dans les trois jours suivants, on place l'ornement de la
nature corporelle. Car il fallut que les parties du monde soit formées et
distinguées avant dans l'ordre de la nature, et que par la suite les parties
singulières soient ornées, du fait qu'elles sont comme remplies de leurs
habitants. Car le premier jour, comme on l'a dit, la nature spirituelle est
mise en forme et séparée, le second jour les corps célestes, et le quatrième
ils sont ornés, mais le troisième jour sont mis en forme et séparés les corps
inférieurs, c'est-à-dire l'air, l'eau et la terre. dont l'air et l'eau en tant
que plus dignes sont ornés le cinquième jour, mais la terre, qui est un corps
le plus bas, est ornée le sixième jour. Et ainsi la perfection des oeuvres
divines répond à la perfection du nombre six[14], qui surgit de ses parties
aliquotes, en même temps et prises ensemble; qui sont un, deux, trois. Car un
jour est dévolu à la formation et à la distinction de la créature spirituelle,
deux jours à la formation et la distinction de la nature corporelle et trois à
l'ornement. Car un, deux et trois font six, et six fois un font six, et deux
fois trois six et trois fois deux six. Donc parce que le nombre six est le
premier nombre parfait, la perfection des choses et des oeuvres divines est
désignée par le nombre six. Donc l'ordre de la nature est conservé non pour la
durée, dans la productions des oeuvres divines.
# 30. Les luminaires ont été faits en acte et non en
puissance seulement, comme les plantes, car le firmament n'a pas le pouvoir de
produire les luminaires, comme la terre a le pouvoir de produire les plantes,
c'est pourquoi l'Écriture ne dit pas que "Que le firmament produise les
luminaires", comme elle dit: "Que la terre fasse pousser une herbe
verdoyante,", c'est-à-dire qu'elle reçoive le pouvoir de produire. Donc
les luminaires ont été produits en acte, avant les plantes en acte; bien que
les plantes soient en puissance et produites causalement avant les luminaires
en acte. De même, il a été dit que l'oeuvre de distinction dans l'ordre de la
nature précède l'oeuvre d'ornement; mais les luminaires conviennent à
l'ornement du ciel; et les plantes, surtout selon leur être virtuel,
n'appartiennent pas à l'ornement de la terre, mais plutôt à sa perfection. Car
à la perfection du ciel et de la terre, semble appartenir ce qui seulement est
à l'intérieur du ciel et de la terre. Mais l'ornement appartient à ce qui est
différent du ciel et de la terre; ainsi l'homme est achevé par ses parties et
ses formes propres, mais il est orné par les vêtements ou quelque chose de ce
genre. Mais la distinction de certains est surtout manifestée par le mouvement
local, par lequel ils se séparent les uns des autres. Et c'est pourquoi. la production
de ce qui a le mouvement dans le ciel ou sur la terre convient à l'oeuvre
d'ornement.
Mais les luminaires, selon Ptolémée, ne sont pas fixés
dans les sphères, mais ont un mouvement séparé d'elles; selon l'opinion
d'Aristote, les étoiles sont fixées dans les orbes, et ne sont mues en vérité
que par leur mouvement; cependant le mouvement des luminaires et des étoiles
est perçu par les sens, mais pas celui des sphères. Mais Moïse, se mettant à
portée d'un peuple rude, a suivi ce qui apparaît aux sens, en disant que les
luminaires appartiennent à l'ornement du firmament. Les plantes n'appartiennent
pas à l'ornement de la terre, mais les animaux seulement. Car n'importe quoi
appartient à l'ornement de ce lieu en lequel il est mû ou vraiment ou apparemment,
et non en celui où il se repose. Mais les plantes s'enfoncent dans la terre
jusqu'à la racine, c'est pourquoi elles n'appartiennent pas à son ornement,
mais elles sont comptées avec elle et sa perfection. Mais les étoiles, même si
elles sont mues dans ciel par soi, sont cependant mues par accident et en
apparence. Par contre, les plantes ne sont mues en aucune manière. Et c'est
pourquoi les plantes qui appartiennent à la perfection intrinsèque des parties
de l'univers, à savoir de la terre, durent êtres produites dans l'ordre de la
nature avant les luminaires qui appartiennent à l'ornement du ciel.
# 31. La terre et l'eau, dont il est fait mention au
commencement, avant la production du firmament, ne sont pas reçues, selon
Augustin (La Genèse contre les Manichéens, VII et V), pour l'élément terre et
eau mais sous le nom de la terre et de l'eau, dans le lieu susdit, on comprend
la matière première sans forme dénuée de toute espèce. Car Moïse ne pouvait,
parlant à un peuple rude, exprimer la matière première, que sous l'image de ce
qu'ils connaissaient et qui est plus proches de l'absence de forme, à savoir
ayant plus de matière et moins de forme; c'est pourquoi il l'exprime sous une
image multiple, ne l'appelant pas seulement terre ou eau, mais terre et eau,
pour que, s'il en exprimait seulement un autre, on croirait que c'est
véritablement la matière première. Cependant elle a une ressemblance avec la
terre, en tant qu'elle est à l'état latent qu'elle demeure avec les formes,
comme la terre avec les plantes etc.. Mais la terre parmi tous les éléments a
moins d'espèce, puisqu'elle est un élément plus concret, ayant beaucoup de
matière, et peu de forme. Mais elle ressemble à l'eau, dans la mesure où elle
est destinée à recevoir diverses formes. Car l'humide, qui convient à l'eau,
est bien susceptible d'être reçu et limité.
Et selon cela, la terre est appelé vide et déserte, ou
invisible et non composée, parce que la matière est connue par la forme; c'est
pourquoi, considérée en soi, on la dit invisible, c'est-à-dire inconnaissable,
et vide, dans la mesure où la forme est la fin à laquelle tend l'appétit de la
matière; car on appelle vide, ce qui est privé de sa fin ou on l'appelle vide
par comparaison au composé dans lequel elle subsiste; car la vide est opposé à
la solidité et à la consistance. On l'appelle non composée parce qu'elle ne
subsiste pas sans composé, et elle n'a pas la beauté de ce qui est en acte. On
l'appelle déserte, parce que la puissance de la matière est complétée par la
forme; c'est pourquoi Platon (dans le Timée)
a dit que la matière était un lieu, parce que sa réceptivité est d'une certaine
manière semblable à celle du lieu, dans la mesure où dans une matière qui
demeure, se succèdent différentes formes; comme, dans un seul lieu, différents
corps; c'est pourquoi ce qui appartient au lieu, est appelé matière par
ressemblance; et ainsi la matière est dite déserte, parce qu'elle manque de la
forme, qui comble sa capacité et sa puissance. Donc la matière première sans
forme, par l'origine et la nature, est avant la formation du firmament, qui
cependant par nature a été formé, avant la terre et l'eau, dont on fait mention
le troisième jour, comme on l'a dit ci-dessus.
# 32. Augustin (La
cité de Dieu, XI, 33) veut qu'il ne fut pas convenable que Moïse ait omis
la production de la créature spirituelle; et pour cela quand il est dit:"Au
commencement Dieu créa le ciel et la terre", par ciel, il dit qu'on
comprend la créature spirituelle, encore sans forme, et par terre, la matière
corporelle encore sans forme. Et parce que la nature spirituelle est plus digne
que la nature corporelle, elle a dû être formée avant. Donc la formation de la
nature spirituelle est signifiée par la production de la lumière, pour qu'on le
comprenne de la lumière spirituelle; car la formation de la nature spirituelle
vient du fait qu'elle est éclairée pour adhérer au Verbe de Dieu, non par une
gloire parfaite, avec laquelle elle n'a pas été créée, mais par la lumière de
la grâce, avec laquelle elle a été créée. Mais une telle lumière spirituelle
précède le firmament dans l'ordre de la nature. Mais selon d'autres docteurs,
la lumière produite le premier jour fut corporelle; laquelle est produite dans
le ciel le premier jour, avec la substance du soleil selon la nature commune de
la lumière; mais le quatrième jour son pouvoir a été réglé pour des effets
déterminés.
# 33. Comme la production de ces animaux, appartient à
l'ornement des parties de l'univers, elle est ordonnée selon l'ordre de ces
parties qui sont ornées par elles, plus que selon leur propre dignité. Alors
l'air et l'eau, à l'ornement desquelles appartiennent les poissons et les
oiseaux sont, par ordre de nature, avant et plus dignes que la terre, à
l'ornement de laquelle appartiennent les animaux qui marchent; c'est pourquoi
la production des volatiles et des poissons, ou des animaux qui nagent, dut
être décrite avant celle de ceux qui marchent. On pourrait dire, que la voie de
la génération passe de l'imparfait imparfaites au parfait, et dans cet ordre,
parce que ce qui est moins parfait est produit avant dans l'ordre de la nature.
Car, dans la voie de la génération, plus quelque chose est parfait, et plus il
ressemble à l'agent, plus il est tardif dans le temps, bien qu'il soit premier
en nature et dignité. Et c'est pourquoi, parce que l'homme est le plus parfait
des animaux, il a dû être créé en dernier parmi eux, et non immédiatement après
les corps célestes, qui ne sont pas ordonnés aux corps inférieurs selon la voie
de la génération, puisqu'ils ne communiquent pas dans la matière avec eux, mais
ont une matière d'une autre nature[15].
# 34. Les oiseaux et les poissons s'accordent plus entre
eux quant à la matière d'où ils sont produits, qu'avec les animaux terrestres.
Car on dit que les poissons et les oiseaux sont faits d'eau; les poissons,
d'une eau plus épaisse; et les oiseaux d'une eau plus subtile, parce qu'elle a
été décomposée en vapeur comme intermédiaire entre l'air et l'eau; et c'est
pour cela que les oiseaux s'élèvent dans l'air, et que les poissons sont laissé
aux profondeurs de l'eau. Mais les animaux sont destinés à différents jours ou
à un seul, selon l'unité ou la diversité de la matière dont leur corps est
composé. Donc comme on dit que les poissons et les oiseaux sont composés d'eau,
parce que, alourdis par leur propre structure, par comparaison à celle due au
genre commun, ils ont, en leur composition, plus d'eau que les autres animaux;
mais on dit que les animaux terrestres sont composés de terre, c'est pour cela
qu'on compte un jour pour la production des poissons et des oiseaux, et un
autre pour la production des animaux terrestres. D'autre part la production des
animaux est racontée seulement selon qu'ils sont dans l'ornement des parties du
monde et c'est pourquoi les jours de production des animaux sont seulement
distingués selon cette convenance ou cette différence par laquelle ils se
ressemblent ou diffèrent en ornant une partie du monde. Mais parce que le feu
et l'eau ne sont pas distingués par le peuple parmi les parties du monde, ils
ne sont pas nommés expressément par Moïse, mais comptés avec ce qui est
l'intermédiaire, c'est-à-dire l'eau, surtout pour la partie inférieur de l'air.
C'est pourquoi pour les oiseaux et les poissons, qui appartiennent à l'ornement
de l'eau et de l'air, à la partie inférieure de l'air, qui rejoint l'eau, un
jour est réservé, mais pour tous les animaux terrestres, qui appartiennent à
l'ornement de la terre, c'est un autre jour.
Réponse aux arguments en sens contraire:
Si quelqu'un veut soutenir l'opinion de Grégoire et des
autres, qui pensent, qu'entre ces jours, il y eut une succession temporelle et
que la productions des choses a été faite successivement (de sorte que quand le
ciel et la terre ont été créés, il n'y avait pas encore de lumière ni de
firmament formé, et la terre n'était pas découverte par les eaux, ni les
luminaires du ciel formés), on peut répondre ainsi:
# 1. Au premier argument, on dit que le jour où Dieu créa
le ciel et la terre, c'est-à-dire les corps célestes, et les quatre éléments
selon leurs formes substantielles, il créa aussi toute la verdure des champs,
non en acte, avant qu'elle sorte sur la terre, mais en puissance, parce que,
par la suite, le troisième jour, elle a été amenée à l'existence en acte.
# 2. Selon Grégoire (Les
Morales, livre 33, ch. 9), quand Dieu créa l'ange, il créa aussi l'homme,
non en acte, ou en soi, mais en puissance, ou en sa ressemblance, dans la
mesure où il s'accorde avec les anges selon l'intellect, mais par la suite, le
sixième jour, il a existé en acte et produit en lui-même.
# 3. Ce n'est pas la même disposition pour une chose déjà
parfaite et pour celle qui est en devenir. Aussi quoique la nature du monde
parfait et complet exige que toutes les parties essentielles de l'univers
existent en même temps, il a pu cependant en être autrement au commencement du
monde, ainsi dans l'homme parfait, le coeur ne peut pas exister sans les autres
parties, et cependant, dans la formation de l'embryon, le coeur est engendré
avant tous les membres. Ou on peut dire qu'en ce commencement, il y eut les
corps célestes, et tous les éléments selon leurs formes substantielles,
produits en même temps que les anges, qui sont les parties principales de
l'univers, mais les jours suivants, il y eut dans la nature même déjà produite
quelque chose de fait, concernant la perfection et la beauté de ces parties
déjà produites.
# 4. Quoique les docteurs grecs aient tenu à ce que la
créature spirituelle ait été créée avant la créature corporelle, cependant les
docteurs latins pensent que les anges ont été créés en même temps que la nature
corporelle, pour conserver le fait que l'univers, quant à ses parties
principales avait été produit en même temps. En effet, comme les créatures
corporelles sont un tout dans la matière créée, et que la matière corporelle de
la créature a été créée en même temps que les anges, d'une certaine manière on
peut dire que tout a été créé en même temps, en acte ou en puissance. Mais les
anges ne se rencontrent pas dans la matière avec la créature corporelle, c'est pourquoi,
les anges une fois créés, il n'y aurait pas eu en quelque manière une nature
corporelle créée, ni par conséquent pas d'univers même; aussi il est
raisonnable qu'ils aient été produits en même temps que la nature corporelle.
Et ainsi tous les corps ont été créés ensemble, non en acte, mais quant à la
matière sans forme d'une certaine manière; par la suite successivement par la
distinction et l'ornement de la créature qui préexistaient déjà en acte, ils
ont été produits d'une certaine manière.
# 5. De même que la créature n'a pas l'être d'elle-même,
elle n'a pas non plus sa perfection d'elle-même, mais de Dieu; c'est pourquoi,
comme pour montrer que la créature reçoit l'être de Dieu et non d'elle-même, il
a voulu que d'abord elle ne soit pas et qu'ensuite elle soit; de même aussi
pour montrer que la créature n'aurait pas sa perfection d'elle-même, il a voulu
d'abord qu'elle soit imparfaite, et qu'ensuite successivement elle soit achevée
par l'oeuvre de distinction et d'ornement. Ou il faut dire que, dans la
création non seulement on doit montrer le pouvoir de la puissance, mais aussi
l'ordre de la sagesse divine, pour que, ce qui est avant par nature soit
constitué avant aussi; et ainsi ce n'est pas par l'impuissance de Dieu, comme
s'il manquait de temps pour opérer, que tout n'est pas produit en même temps,
distingué et orné, mais pour que l'ordre de la sagesse soit conservé dans la
constitution des créatures. Et c'est pourquoi il a fallu que différents jours
soient conservés pour les différentes situations du monde. Car après l'oeuvre
de la création, toujours par l'oeuvre suivante, une nouvelle situation de
perfection a été ajoutée au monde, et c'est pourquoi pour montrer cette
perfection et cette nouveauté, Dieu a voulu qu'à chaque distinction et à chaque
ornement réponde un jour et (montrer) que cela ne venait pas d'une impuissance
ou d'une lassitude de l'agent.
# 6. Cette lumière, qui lit-on, a été créée le premier
jour, selon Grégoire et Denys, est la lumière du soleil; qui, en même temps
avec la substance des luminaires, qui est son substrat, fut produite le premier
jour selon la nature habituelle de la lumière. Mais le quatrième jour, un
pouvoir déterminé a été attribué aux luminaires pour des effets déterminés,
selon que nous voyons que le rayon du soleil a des effets différents du rayon
de la lune et ainsi de suite. Et c'est pour cela que Denys (Les noms divins, ch. 4) dit que cette
lumière fut celle du soleil, mais encore sans forme, du fait qu'elle était déjà
substance du soleil, et avait en commun le pouvoir d'éclairer, mais après le
quatrième jour, elle a été mise en forme, non dans la forme substantielle
qu'elle eut le premier jour, mais selon les conditions accidentelles par la
disposition d'un pouvoir déterminé du fait que par la suite un pouvoir spécial
et déterminé lui a été donné pour des effets particuliers. Et ainsi dans sa
production, la lumière a été distinguée des ténèbres de trois manières:
1) Quant à sa cause, selon que celle-ci était dans la
substance du soleil, mais la cause des ténèbres était dans l'opacité de la
terre.
2) Elle a été distinguée, quant au lieu, parce que, dans
un hémisphère il y avait la lumière, et dans l'autre, les ténèbres.
3) Quant au temps, parce que dans un même hémisphère, il
y avait la lumière une partie du temps et les ténèbres dans l'autre. Et c'est
ce qui est dit (Gn 1, 5): "Il appela lumière jour et les ténèbres nuit".
Ainsi cette lumière ne recouvrait pas la terre partout, parce que, dans un
hémisphère, il y avait la lumière et dans l'autre les ténèbres; et ce n'était
pas toujours le jour d'un côté, et la nuit de l'autre, mais dans le même
hémisphère, selon une partie du temps c'était le jour, et selon l'autre la
nuit.
# 7. Le mouvement dans le ciel est double. L'un est
commun à tout le ciel qui est appelé diurne, et il produit le jour et la nuit;
et ce mouvement paraît avoir été institué le premier jour où a été produite
sans forme la substance du soleil et des autres luminaires, comme on l'a dit.
Mais l'autre est le mouvement propre qui est diversifié selon les différents
corps célestes; selon lesquels le mouvement est devenu diversité des jours
entre eux, des mois et des années. Le premier jour, a été faite la distinction
commune du temps en jour et nuit, selon le mouvement diurne, qui est commun à
tout le ciel, qui peut être compris comme ayant commencé le premier jour, et
c'est pourquoi, en ce premier jour, on fit mention de la seule distinction de
le nuit et du jour, qui se fait par le mouvement diurne commun à tous les
cieux. Mais le quatrième jour a été faite la distinction quant aux distinctions
spéciales des jours et des temps, selon qu'un jour est plus chaud qu'un autre
et un temps plus qu'un autre et une année plus qu'une autre; ce qui se fait
selon les mouvements spécifiques et propres des étoiles qui peuvent être
compris comme ayant commencé le quatrième jour. C'est pourquoi au quatrième
jour, il est fait mention de la diversité des jours, des temps, et des années,
quand il est dit (ibid 14): "Et qu'il y ait dans les temps, des jours et des
années". Cette diversité se fait par des mouvements propres. Et ainsi ces
trois premiers jours qui ont précédé la formation des luminaires ont été de la
même nature que les jours que le soleil fait maintenant quant à la commune
distinction du temps selon le jour et la nuit, qui se fait par le mouvement
diurne commun à tout le ciel, mais non quant aux distinctions spécifiques des
jours qui se fait selon les mouvements propres.
# 8. Certains disent que la lumière, celle qui lit-on, a
été créée le premier jour, a été une nuée brillante qui, ensuite, quand le
soleil a été créé, retourna à la matière préexistante. Mais cela ne convient
pas, parce que l'Écriture au commencent de la Genèse rappelle la constitution
de la nature qui a demeuré par la suite; c'est pourquoi, on ne doit pas dire
que quelque chose a été fait alors, qui aurait cessé après un peu de temps. Et
c'est pourquoi, d'autres disent que cette nuée brillante demeure encore, et est
jointe au soleil, de sorte qu'elle ne puisse pas en être discernée. Mais ainsi,
cette nuée demeurerait superflue, mais rien n'est vain ou superflu dans les
opérations de Dieu. Et c'est pourquoi d'autres disent, que de cette nuée a été
formé le corps du soleil. Mais on ne peut pas le dire, si on pense que le corps
du soleil n'est pas de la nature des quatre éléments, mais est incorruptible
par nature; parce qu'alors sa matière ne peut pas exister sous une autre forme.
Et c'est pourquoi il faut dire, comme Denys le dit, (Les noms divins, ch. 4), que cette
lumière fut celle du soleil, mais encore sans forme, elle était déjà substance
du soleil et avait le pouvoir de tout éclairer, mais par la suite le quatrième
jour lui a été donné un pouvoir spécifique et déterminé pour des effets propres
et particuliers. Et ainsi le jour et la nuit devenaient par le mouvement
circulaire de cette lumière où elle arrivait et d'où elle repartait. Et il
n'est pas inconvenant que les substances des sphères, qui renvoyait cette
lumière d'un mouvement commun et diurne, ait existé au début de la création,
auxquelles par la suite des pouvoirs ont été ajoutés dans les oeuvres de
distinction et d'ornement.
# 9. Dans la production de la lumière, on comprend la
qualité de luminosité et de transparence qui est ramenée au genre de la
lumière, a été alors placée dans les corps lumineux et transparents. Et parce
que le soleil est principe et source de la lumière, éclairant les corps
supérieurs et inférieurs, Denys comprend par elle la lumière sans forme du
soleil, qui distinguait d'un mouvement commun et diurne, le jour et la nuit,
comme il le fait maintenant.
# 10. Et cela éclaire la réponse à l'argument 10, parce
que cette lumière ne fut pas vraiment une nuée selon sa substance, qui par la
suite aurait cessé d'exister, mais elle pu être appelée nuée selon la
ressemblance de sa nature, parce que, de même qu'une nuée lumineuse reçoit la
lumière du soleil dans une clarté moindre que celle qui est dans la source, de
même aussi la substance du soleil eut d'abord dans ces trois premiers jours une
lumière imparfaite et comme sans forme, qui par la suite a été achevée le
quatrième jour; c'est pourquoi, cette substance lumineuse du soleil a existé,
parce que, au commencement de la création, elle eut une forme substantielle,
mais on dit que le soleil a été fait d'elle le quatrième jour, non selon la
substance, mais par addition d'un nouveau pouvoir, de même qu'on dit que de
l'homme non musicien, qu'il est devenu musicien, non en substance, mais par son
pouvoir.
[1] Ia, 66, a.1 – Ia, 69, a. 1,
–Ia, q. 74, a. 2 –II Sent. d12a4.
[2]
Trad. B. J. "C'est Toi qui as fait ce qui est passé, et ce qui arrive
maintenant et ce qui arrivera plus tard." TOB. "Car tu as fait les
événements d'autrefois, de maintenant et du futur; tu as médité le présent et
l'avenur et ce que tu avais dans l'esprit est venu à l'existence."
[3]
"Lors donc que nous entendons: "Et Dieu dit: que cela soit, nous
comprenons qu'il était dans le Verbe de Dieu que cela fut fait". Et ainsi
fut fait, suffit à nous faire comprendre que Dieu a dit cela en son Verbe et
l'a fait pas son Verbe." (Trad. BA)
[4]
C'est-à-dire réels.
[5]
Angelos, éd. Vivès et Marieti. Je me permets de lire angelus, peut-être à tort,
ne voyant pas quelle fonction donner à angelos.
[6]
Thomas Lectio VI, n° 59.
[7]
Il s'agit de l'article précédent qu. 4, a. 1.
[8]
Cf. La pierre d'angle (Ps. 11, 72; Rm 9, 33; Eph. 2, 20, etc..
[9]
"Si donc les anges prennent rang sans l'oeuvre des six jours, ils sont
assurément cette lumière appelée jour et non pas le premier jour, mais un seul
jour pour en recommander l'unité." (Trad; L. Moreau)
[10]
Cf. Sol. 15, § 2.
[11]
Cf. Sol. 14, fin.
[12]
"Près de" est traduit en rapport avec le texte d'Aristote. "En
outre quand deux choses sont très voisines l'une de l'autre... il faut les
considérer en partant de leurs conséquents." (Tra. J. Tricot).
[13]
I Co. 13, 8: "La charité ne passera jamais. Les Prophéties? Elles
disparaîtront.".
[14]
Sans doute inspiré d'Augustin .
[15]
Cf. II Sent. d12q1a1.
q. 5 pr. 1 Et primo
quaeritur utrum res conserventur in esse a Deo, an etiam circumscripta omni Dei
actione, per se in esse remaneant.
1. Les créatures sont-elles conservées dans l’être par Dieu, ou encore
si on restreint toute action de sa part, demeurent-elles en l’être par
elles-mêmes?
q. 5 pr. 2 Secundo
utrum Deus possit alicui creaturae communicare quod per se in esse c onservetur
absque Deo.
2. Dieu peut-il communiquer à une créature le pouvoir de se conserver
dans l’être par soi et sans lui?
q. 5 pr. 3 Tertio
utrum Deus possit creaturam in nihilum redigere.
3. Dieu peut-il ramener les créatures au néant?
q. 5 pr. 4 Quarto
utrum aliqua creatura in nihilum sit redigenda, vel etiam in nihilum redigatur.
4. Une créature doit-elle retourner au néant, ou même y
retourne-t-elle?
q. 5 pr. 5 Quinto
utrum motus caeli quandoque deficiat.
5. Le mouvement du ciel cessera-t-il un jour?
q. 5 pr. 6 Sexto
utrum sciri possit ab homine quando motus caeli finiatur.
6. L'homme peut-il savoir quand le mouvement du ciel s'arrêtera?
q. 5 pr. 7 Septimo
utrum cessante motu caeli elementa remaneant.
7. Quand cessera le mouvement du ciel, les éléments demeureront-ils?
q. 5 pr. 8 Octavo
utrum cessante motu caeli remaneat actio et passio in elementis.
8. Quand cessera le mouvement du ciel, l'action et la passion
demeureront-elles dans les éléments?
q. 5 pr. 9 Nono
utrum plantae et animalia bruta et corpora mineralia remaneant post finem
mundi.
9. Les plantes, les animaux et les minéraux demeureront-ils après la
fin du monde?
q. 5 pr. 10 Decimo
utrum corpora humana remaneant, motu caeli cessante.
10. Les corps humains demeureront-ils quand cessera le mouvement du
ciel?
q. 5 a. 1 tit. 1 Et
primo quaeritur utrum res conserventur in esse a Deo, an etiam circumscripta
omni Dei actione, per se in esse remaneant. Et videtur quod sic.
Il semble que oui:
Objections[1]:
q. 5 a. 1 arg. 1
Dicitur enim Deut. XXXII, 4: Dei perfecta sunt
opera. Ex hoc sic arguitur. Perfectum est cui nihil deest, secundum philosophum.
Ei autem aliquid deest ad suum esse quod non potest esse nisi aliquo exteriori
agente. Ergo huiusmodi perfectum non est; Dei ergo talia
opera non sunt.
1. Car il est dit en Dt. 32,4: "Les oeuvres de Dieu sont parfaites".
On argumente ainsi: Est parfait ce à quoi rien ne manque, selon le Philosophe (Physique, III, 6, 207 a 10[2]). Il
manque quelque chose à l'être de celui qui ne peut pas exister sans un agent
extérieur. Donc il n'est pas parfait; donc il n'y a pas de telles oeuvres qui
viennent de Dieu.
q. 5
a. 1 arg. 2 Sed dicebat, quod opera Dei non sunt perfecta simpliciter, sed
secundum suam naturam.- Sed contra, perfectum secundum suam naturam est quod
habet illud cuius sua natura est capax. Sed quidquid habet totum illud cuius
sua natura est capax, potest remanere in esse, omni Dei conservatione exteriori
cessante. Ergo si creaturae aliquae sunt perfectae secundum suam naturam,
possunt remanere in esse, Deo non conservante. Probatio mediae. Deus
conservando res, aliquid agit: propter quod dicitur Ioan. V, 17: pater meus
usque modo operatur, et ego operor, ut dicit Augustinus. Agente autem aliquid
operante, effectus aliquid recipit. Ergo quamdiu Deus conservat res, semper res
conservatae aliquid a Deo recipiunt: quamdiu ergo res conservatione indiget,
nondum totum habet cuius est capax.
2. Mais on pourrait dire que les oeuvres de Dieu ne sont pas parfaites
dans l'absolu, mais parfaites dans leur nature. – En sens contraire [1[3]] est
parfait en sa nature ce qui a ce dont elle est capable. [2] Mais tout ce qui a
tout ce dont sa nature est capable peut demeurer dans l'être, si toute
conservation extérieure de Dieu cesse. [3] Donc si des créatures sont parfaites
en leur nature, elles peuvent demeurer dans l'être, sans que Dieu les y
conserve. Preuve de l'argument intermédiaire: [2] Dieu en conservant fait
quelque chose; c'est pour cela qu'il est dit en Jn 5 ,17: "Mon Père opère
jusqu'à maintenant et moi aussi j'opère", comme le dit Augustin (La Genèse au sens littéral, V, XII, 22[4]).
Si l'agent fait quelque chose, l'effet le reçoit. Donc tant que Dieu les
conserve, ces êtres conservés reçoivent toujours quelque chose de Dieu: donc
tant que l'être a besoin d'être conservé, il n'a pas encore tout ce dont il est
capable.
q. 5 a. 1 arg. 3
Praeterea, unumquodque non est perfectum nisi perficiat hoc ad quod est. Sed principia ad hoc sunt, ut rem in esse
conservent. Si ergo principia creata rerum non possunt rem in esse tenere,
sequitur ea esse imperfecta, et ita non esse Dei opera: quod est absurdum.
3. Tout être n'est parfait que s'il accomplit ce pour quoi il existe.
Mais les principes sont pour conserver la créature dans l'être. Donc si les
principes créés ne peuvent la conserver, il s'ensuit qu'ils sont imparfaits et
qu'ils ne sont pas les oeuvres de Dieu, ce qui est absurde.
q. 5 a. 1 arg. 4
Praeterea, Deus est causa rerum sicut efficiens. Sed cessante actione causae
efficientis, remanet effectus; sicut cessante actione aedificatoris, remanet
domus, et cessante actione ignis generantis, adhuc remanet ignis generatus.
Ergo et cessante omni Dei actione, adhuc possunt creaturae in esse remanere.
4. Dieu est en quelque sorte la cause efficiente des créatures. Mais si
l'action de la cause efficiente cesse, l'effet demeure. Ainsi quand cesse
l'action du bâtisseur, la maison demeure et quand cesse l'action du feu qui
engendre, reste le feu qui en est engendré. Donc quand toute action de Dieu
cesse, les créatures peuvent encore demeurer dans l'être.
q. 5 a. 1 arg. 5 Sed
dicebat, quod agentia inferiora sunt causa fiendi et non essendi; unde esse
effectuum remanet remota actione causarum fieri. Deus autem est causa rebus non
solum fiendi, sed essendi. Unde esse rerum remanere non potest, divina actione
cessante.- Sed contra, omnis res generata habet esse per suam formam. Si ergo
causae inferiores generantes non sunt causae essendi, non erunt causae
formarum; et ita formae quae sunt in materia, non sunt a formis quae sunt in
materia secundum sententiam philosophi, qui dicit, forma quae est in his
carnibus et ossibus, est a forma quae est in his carnibus et ossibus: sed
sequitur quod formae in materia sint a formis sine materia, secundum sententiam
Platonis, vel a datore formarum, secundum sententiam Avicennae.
5. Mais on pourrait dire que les agents inférieurs sont causes du
devenir et non de l'être; c'est pourquoi l'être des effets demeure, une fois
retirée l'action des causes du devenir. Mais Dieu est la cause non seulement de
leur devenir mais de leur être. C'est pourquoi l'être des choses ne peut pas
demeurer, si l'action divine cesse. – En sens contraire: tout ce qui est
engendré possède l'être par sa forme. Si donc les causes inférieures qui
engendrent ne sont pas causes de l'être, elles ne seront pas causes des formes,
et ainsi les formes qui sont dans la matière ne viennent pas des formes qui
sont en elle, comme l'affirme le Philosophe, (Métaphysique, VII, 8, 1034 a 5[5]), qui dit que la forme qui est
dans ces chairs et ces os vient de celle qui est dans ces chairs et ces os.
Mais il s'ensuit que les formes dans la matière viennent des formes sans
matière, selon l'opinion de Platon - ou du pourvoyeur de formes - selon
l'opinion d'Avicenne (Métaphysique,
IX, ch. 5, 410-411 et surtout 413).
q. 5 a. 1 arg. 6
Praeterea, ea quorum esse est in fieri, non possunt remanere cessante actione
agentis, ut patet de motu et de agone, et similibus; illa vero quorum esse est
in facto esse, possunt remanere etiam agentibus remotis. Unde Augustinus dicit:
praesente lumine non factus est aer lucidus, sed fit; quia si factus esset, non
fieret; sed absente lumine lucidus remaneret. Multae autem creaturae sunt
quorum esse non est in fieri, sed in facto esse; ut patet de Angelis, et de
corporibus etiam omnibus. Ergo, cessante actione Dei agentis, creaturae possunt
remanere in esse.
6. Ceux dont l'être est en devenir ne peuvent demeurer, quand cesse
l'action de l'agent, comme cela est évident pour le mouvement et la lutte,
etc.. Mais ce dont l'être est dans un être produit peut demeurer, même si les
agents sont écartés. C'est pourquoi Augustin (La Genèse au sens littéral, VIII, XII, 26[6]) dit: "Quand la
lumière est présente, l'air qui n'était pas devenu lumineux, le devient; parce
que, s'il était devenu lumineux, il ne le deviendrait pas; mais en l'absence de
lumière, il demeurerait lumineux". Mais il y a beaucoup de créatures dont
l'être n'est pas en devenir, mais déjà produit; comme c'est évident pour les
anges et même pour tous les corps. Donc, si l'action de Dieu agent cesse, les
créatures peuvent demeurer dans l'être.
q. 5 a. 1 arg. 7
Praeterea, causae inferiores generantes sunt rebus generatis causae essendi, ut
supra probatum est; non tamen sicut causae principales et primae, sed sicut
causae secundae. Causa autem prima essendi, quae Deus est, rebus generatis non
dat principium essendi, nisi mediantibus causis secundis praedictis. Ergo nec
permanentiam in esse, quia eadem res per idem habet esse et in esse
conservatur. Sed esse generatorum conservatur ex ipsis principiis essentialibus
generatorum, cessantibus causis secundis agentibus. Ergo etiam cessante causa
prima agente, quae Deus est.
7. Les causes inférieures qui engendrent sont causes d'être pour ce qui
est engendré, comme on l'a prouvé plus haut; non cependant comme causes
principales et premières, mais comme causes secondes. Mais la cause première de
l'être, qui est Dieu, ne donne le principe d'être aux choses engendrées que par
l'intermédiaire des causes secondes, dont on a parlé. Donc il ne donne pas non
plus la permanence dans l'être, parce qu'une même chose a l'être et est
conservé dans l'être par le même. Mais l'être de ce qui est engendré est
conservé par les principes essentiels de ceux qui les engendrent, si cessent
les causes secondes qui agissent. Donc aussi quand cesse la cause première
efficiente, qui est Dieu.
q. 5 a. 1 arg. 8
Praeterea, si res aliqua deficit esse, aut hoc est propter materiam, aut
propter hoc quod est ex nihilo. Materia autem non est causa corruptionis nisi
secundum quod est subiecta contrarietati; non autem in omnibus creaturis est
materia contrarietati subiecta. Ergo illa in quibus non est materia
contrarietati subiecta, sicut sunt corpora caelestia et Angeli, non possunt
deficere ratione materiae, nec iterum ratione eius quod sunt ex nihilo, quia ex
nihilo nihil sequitur et nihilum nihil agit, et ita non corrumpit. Ergo
cessante omni actione divina, huiusmodi res esse non deficerent.
8. Si quelque chose est défaillante en son être, c'est à cause de la
matière ou parce qu'elle vient du néant. Mais la matière n'est cause de corruption
que selon qu'elle est soumise à la contrariété. Ce n'est pas dans toutes les
créatures que la matière y est soumise. Donc celles en qui il n'y a pas de
matière soumise à la contrariété, comme les corps célestes et les anges, ne
peuvent être défaillantes à cause de la matière, ni non plus en raison de ce
qu'ils viennent du néant, parce que de rien, rien ne vient et rien ne fait rien
et ainsi (le néant) ne corrompt pas. Donc, quand cesse toute action divine, de
telles choses n'abandonnent pas leur être.
q. 5 a. 1 arg. 9
Praeterea, forma incipit esse in materia in istanti quod est ultimum factionis,
in quo res non est in fieri, sed in facto esse. Sed secundum Avicennae
sententiam, formae rerum generatarum infunduntur in materia ab intelligentia
agente, quae est datrix formarum. Ergo illa intelligentia est causa essendi,
non tantum fiendi; et ita per actionem eius res possunt conservari in esse,
etiam circumscripta Dei conservatione.
9. La forme commence d'être dans la matière à l'instant ultime de sa
production, où la chose n'est pas en devenir mais est déjà produite. Mais selon
l'opinion d'Avicenne (Métaphysique,
IX, 5, 410 etc.), les formes de ce qui est engendré sont introduites dans la
matière par une Intelligence agente pourvoyeuse de formes. Donc cette
intelligence est cause d'être et non seulement du devenir, et ainsi par son
action, les choses peuvent être conservées dans l'être même si on écarte la
conservation par Dieu.
q. 5
a. 1 arg. 10 Praeterea, etiam forma substantialis est causa essendi. Si ergo
causae essendi sunt quae conservant res in esse, ipsa forma rei sufficit ad hoc
quod res in esse conservetur.
10. La forme substantielle aussi est cause d'être. Si donc les causes
d'être sont celles qui conservent dans l'être, la forme suffit pour que la
chose y soit conservée.
q. 5 a. 1 arg. 11
Praeterea, res conservantur in esse per materiam, in quantum sustinet formam.
Sed materia, secundum philosophum, est ingenita et incorruptibilis, et ita non
est causata ab aliqua causa; et sic remanet, omni actione causae efficientis
remota. Ergo adhuc res poterunt conservari in esse, cessante actione primae
causae efficientis, scilicet Dei.
11. Les choses sont conservées dans l'être par la matière, dans la
mesure où elle porte la forme. Mais la matière, selon le Philosophe, n'est ni
engendrée, ni corruptible, et ainsi elle n'a pas de cause, et elle demeure
quand toute action de la cause efficiente est écartée. Donc les choses pourront
encore être conservées dans l'être, si cesse l'action de la première cause
efficiente, à savoir de Dieu.
q. 5
a. 1 arg. 12 Praeterea, Eccli. XXXIII, 15: dicitur: intuere in omnia opera
altissimi: duo contra duo, unum contra unum. Sed inter opera altissimi
invenitur aliquid quod indiget Dei conservatione. Ergo etiam invenitur inter
opera Dei eius oppositum, scilicet quod non indiget Dei conservatione.
12. Il est dit dans l'Ecclésiaste (33, 15): "Regarde dans toutes
les oeuvres du Très Haut; deux contre deux, une contre une[7]". Mais,
parmi ses oeuvres, on trouve quelque chose qui a besoin d'être conservé par
Dieu. Donc on trouve aussi parmi ses oeuvres l'opposé, à savoir ce qui n'en a
pas besoin.
q. 5 a. 1 arg. 13
Praeterea, appetitus naturalis non potest esse cassus et vanus. Sed quaelibet
res naturaliter conservationem sui esse appetit. Potest ergo res per se ipsam
conservari in esse; alias appetitus naturalis esset vanus.
13. L'appétit naturel ne peut pas être vain et sans objet. Mais tout
désire par nature la conservation de son être. Donc, une chose peut se
conserver à l'être par soi, autrement l'appétit naturel serait vain.
q. 5
a. 1 arg. 14 Praeterea, Augustinus dicit, quod Deus fecit singula bona, simul
autem omnia valde bona: propter quod dicitur Genes. I, 31: vidit Deus cuncta
quae fecerat, et erant valde bona. Ipsa ergo creaturarum universitas est valde
bona et optima; optimi enim est optima adducere, secundum Platonem in Timaeo.
Sed melius est quod non indiget aliquo exteriori ad sui conservationem, eo quod
indiget. Ergo universitas creaturarum non indiget aliquo exteriori conservante.
14. Augustin dit (Enchiridion,
III, 10) que Dieu fit bonne chaque chose particulière, et, tout en même temps
très bon; c'est pour cela qu'il est dit (Gn. 1, 31): "Dieu vit tout ce
qu'il avait fait et c'était très bon". Donc l'universalité des créatures
est très bonne et la meilleure. Car il appartient au meilleur de causer le
meilleur, selon Platon dans le Timée.
Mais ce qui n'a pas besoin de quelque chose d'extérieur pour sa conservation
est meilleur que ce qui en a besoin. Donc l'universalité des créatures n'a
besoin de rien d'extérieur qui les conserve.
q. 5 a. 1 arg. 15 Praeterea, beatitudo est
aliquid creatum in natura beatorum. Sed beatitudo est status omnium bonorum
congregatione perfectus, ut Boetius dicit; quod non esset, nisi in se
includeret sui conservationem, quod est unum de maxime bonis. Ergo
aliquid creatum est quod per se ipsum potest conservari in esse.
15. Le bonheur est quelque chose de créé dans la nature des
bienheureux. Mais le bonheur est un état parfait par la réunion de tous les
biens, comme le dit Boèce (Consol. III, prose 2), ce qui ne serait, que s'il
incluait en lui sa conservation, qui est l'un des biens au plus haut point.
Donc il y a quelque chose de créé qui peut se conserver à l'être par soi.
q. 5 a. 1 arg. 16
Praeterea, dicit Augustinus, quod Deus ita administrat res sua providentia,
quod tamen sinit eas agere proprios motus. Sed proprius motus naturae ex nihilo
existentis est ut in nihilum tendat. Ergo dominus permittit naturam quae est ex
nihilo, in nihilum tendere. Non ergo conservat res in esse.
16. Augustin dit (La cité de Dieu,
VII, 30) que Dieu administre ses oeuvres par sa Providence; il leur permet
cependant d'accomplir leurs propres mouvements. Mais le mouvement le plus
propre de la nature qui vient du néant est d'y tendre. Donc Dieu permet à la
nature qui vient du néant de tendre au néant. Donc il ne conserve pas ses
créatures dans l'être.
q. 5 a. 1 arg. 17
Praeterea, recipiens quod est contrarium recepto, non conservat receptum, sed
magis ipsum destruit. Videmus enim quod quae recipiuntur ab agentibus
naturalibus per violentiam in suis contrariis, remanent ad horam, cessante
actione naturalium agentium; sicut calor remanet in aqua calefacta, cessante
actione ignis, ad horam. Effectus autem Dei non recipiuntur in aliquo
contrario, sed in nihilo; quia ipse est auctor totius substantiae rei. Ergo
multo magis remanebunt divini effectus vel ad horam, divina actione cessante.
17. Celui qui reçoit ce qui est contraire à ce qu'il a reçu, ne le
conserve pas, mais plutôt il le détruit. Car nous voyons que ce que les agents
naturels reçoivent par violence dans leurs contraires demeure un instant, quand
cesse l'action des agents naturels; ainsi la chaleur demeure dans l'eau
chauffée quand cesse un instant l'action du feu. Les effets de Dieu ne sont pas
reçus dans quelque chose de contraire mais en rien, parce qu'il est l'auteur de
toute la substance. Donc les effets divins demeureront beaucoup plus, même un
instant, si cesse l'action de Dieu.
q. 5 a. 1 arg. 18
Praeterea, forma est principium cognoscendi, operandi et essendi. Sed forma
absque exteriori adminiculo potest esse operandi principium et cognoscendi.
Ergo et essendi; et ita cessante omni Dei actione res per formam potest
conservari in esse.
18. La forme est le principe pour connaître, opérer et être. Mais la
forme sans appui extérieur peut être principe d'opération et de connaissance.
Donc d'être aussi et ainsi quand l'action de Dieu cesse, la chose peut être
conservée à l'être par la forme.
En sens contraire:
q. 5 a. 1 s. c. 1
Sed contra. Est quod dicitur Hebr. I, 3: portans omnia verbo virtutis suae; ubi
dicit Glossa: sicut ab eo creata sunt, ita per eum immutabilia conservantur.
1. Il y a ce qui est dit en Hébr. 1, 3: "Soutenant tout par sa
parole puissante[8]." où la glose dit: "De même qu'ils ont été créés
par lui, ils sont conservé par lui, immuables.".
q. 5 a. 1 s. c. 2
Praeterea, Augustinus dicit: creatoris potentia et omnipotentis virtus causa
subsistendi est omni creaturae; quae virtus ab eis quae creata sunt regendis si
aliquando cessaret, simul et illorum cessaret species, omnisque natura
concideret. Et infra. Mundus nec in ictu oculi stare poterit, si ei Deus
regimen suum subtraxerit.
2. Augustin dit (La Genèse au
sens littéral, IV, XII, 22): "La puissance du créateur et le pouvoir
du tout Puissant sont la cause de la subsistance de toute créature. Si ce
pouvoir cessait de s'exercer un instant, sur les créatures, en même temps leur
forme cesserait et tout leur nature s'effondrerait." Et plus bas: "Le
monde ne pourrait pas demeurer le temps d'un clin d'oeil si Dieu lui retirait
son gouvernement ."
q. 5 a. 1 s. c. 3
Praeterea, Gregorius dicit, quod omnia in nihilum deciderent, nisi ea manus
omnipotentis contineret.
3. Grégoire [le Grand] dit (Les
Morales, VI, ch. 18) que "Tout retournerait au néant, si la main du
Tout Puissant ne le contenait".
q. 5 a. 1 s. c. 4
Praeterea, in Lib. de causis, dicitur: omnis intelligentiae fixio, id est
permanentia et essentia, est per bonitatem quae est causa prima. Multo ergo
fortius aliae creaturae non figuntur in esse nisi per Deum.
4. Dans Le livre des Causes, (prop. 9), il est dit que "Toute
stabilité de l'intelligence" c'est-à-dire la permanence et l'essence "vient
du Bien qui est la cause première". Donc beaucoup plus les autres
créatures n'ont été modelées dans l'être que par Dieu.
Réponse:
q. 5 a. 1 co.
Respondeo. Dicendum quod absque omni dubio concedendum est, quod res
conservantur in esse a Deo, et quod in momento in nihilum redigerentur, cum a
Deo desererentur. Cuius ratio hinc accipi potest. Effectum enim a sua causa
dependere oportet. Hoc enim est de ratione effectus et causae: quod quidem in
causis formalibus et materialibus manifeste apparet. Quocumque enim materiali
vel formali principio subtracto, res statim esse desinit, cum huiusmodi
principia intrent essentiam rei.
C'est sans doute aucun qu'il faut concéder que les créatures sont
conservées dans l'être par Dieu, et qu'en un instant elles retourneraient au
néant, si elles étaient abandonnées par lui. On peut en trouver la raison
ainsi: car l'effet doit dépendre de sa cause. Car c'est la nature de l'effet et
de la cause, ce qui apparaît manifestement dans les causes formelles et
matérielles. Car si on écarte tout principe matériel ou formel, la chose cesse
aussitôt d'exister, puisque de tels principes en pénètrent l'essence.
Idem autem iudicium oportet esse de causis efficientibus, et formalibus
vel materialibus. Nam efficiens est causa rei secundum quod formam inducit, vel
materiam disponit. Unde eadem dependentia rei est ad efficiens, et ad materiam
et formam, cum per unum eorum ab altero dependeat. De finalibus autem causis
oportet etiam idem esse iudicium quod de causa efficiente. Nam finis non est
causa, nisi secundum quod movet efficientem ad agendum; non enim est primum in
esse, sed in intentione solum. Unde et ubi non est actio, non est causa
finalis, ut patet in III Metaph.
Il faut porter un même jugement pour les causes efficientes, formelles
ou matérielles. Car la cause efficiente est cause selon qu'elle induit une
forme, ou dispose la matière. C'est pourquoi, il y a la même dépendance de la
chose à la cause efficiente, qu'à la matière et à la forme, puisque par l'un
d'eux, elle dépend de l'autre. Mais pour les causes finales, il faut aussi que
le jugement soit le même que pour la cause efficiente. Car la fin n'est une
cause que selon qu'elle pousse l'efficience à agir; car elle n'est pas en
premier dans l'être mais dans l'intention seulement. C'est pourquoi là où il
n'y a pas d'action, il n'y a pas de cause finale, comme cela se voit en Métaphysique (III, 2, 996 a 26[9]).
Secundum hoc ergo esse rei factae dependet a causa efficiente secundum
quod dependet ab ipsa forma rei facta Est autem aliquod efficiens a quo forma
rei factae non dependet per se et secundum rationem formae, sed solum per
accidens: sicut forma ignis generati ab igne generante, per se quidem, et
secundum rationem suae speciei non dependet, cum in ordine rerum eumdem gradum
teneat, nec forma ignis aliter sit in generato quam in generante; sed
distinguitur ab ea solum divisione materiali, prout scilicet est in alia
materia. Unde cum igni generato sua forma sit ab aliqua causa, oportet ipsam
formam dependere ab altiori principio, quod sit causa ipsius formae per se et secundum
propriam speciei rationem.
Donc, à ce point de vue, l'être de ce qui est produit dépend de la
cause efficiente, selon qu'il dépend de sa forme produite même. Mais il y a une
efficience dont la forme du produit ne dépend pas, par soi, et par sa nature,
mais seulement par accident; de même que la forme du feu engendré ne dépend pas
de celui qui l'engendre, par soi et selon la nature de l'espèce, puisque, dans
l'ordre des choses elle occupe le même degré, la forme n'est pas autrement dans
ce qui est engendré que dans celui qui l'engendre; mais elle en est distinguée
seulement par division matérielle, à savoir selon qu'elle est dans une autre
matière. C'est pourquoi, comme la forme pour le feu engendré vient d'une cause,
il faut qu'elle dépende d'un principe plus élevé, qui serait la cause dee la
forme, par soi et selon la nature propre de l'espèce
Cum autem esse formae in materia, per se loquendo, nullum motum vel
mutationem implicet, nisi forte per accidens; omne autem corpus non agat nisi
motum, ut philosophus probat, necesse est quod principium ex quo per se
dependet forma, sit aliquod principium incorporeum; per actionem enim alicuius
principii dependet effectus a causa agente. Et si aliquod principium corporeum
est per aliquem modum causa formae, hoc habet in quantum agit virtute principii
incorporei, quasi eius instrumentum; quod quidem necessarium est ad hoc quod
forma esse incipiat, in quantum forma non incipit esse nisi in materia; non
enim materia quocumque modo se habens potest subesse formae, quia proprium
actum in propria materia oportet esse.
Mais comme l'être de la forme dans la matière, à proprement parler,
n'implique nul mouvement ni changement, sinon par hasard, par accident; que
tout corps n'agit que mû, comme le Philosophe le prouve (Cf. Physique, VIII, 259 b 32 Ð 260 a 19), il
est nécessaire que le principe d'où dépend la forme par soi, soit un principe
incorporel, car, par l'action d'un principe, l'effet dépend de la cause
efficiente. Et si un principe corporel est en quelque manière cause de la
forme, cela ne se peut que dans la mesure où il agit par le pouvoir d'un
principe incorporel, cen tant que son instrument; ce qui est nécessaire pour
que la forme commence à exister, dans la mesure où elle ne commence à exister
que dans la matière; car la matière de quelque manière qu'elle se comporte ne
peut pas être soumise à la forme, parce que l'acte propre doit être dans la
matière propre.
Cum ergo est materia in dispositione quae non competit formae alicui,
non potest a principio incorporeo, a quo forma dependet per se, eam consequi
immediate; unde oportet quod sit aliquid transmutans materiam; et hoc est
aliquod agens corporeum, cuius est agere movendo. Et hoc quidem agit in virtute
principii incorporei, et eius actio determinatur ad hanc formam, secundum quod
talis forma est in eo, actu (sicut in agentibus univocis) vel virtute (sicut in
agentibus aequivocis).
Donc, quand la matière est dans une disposition qui ne convient pas à
la forme, elle ne peut pas l'acquérir immédiatement par un principe incorporel,
dont la forme dépend par soi. C'est pourquoi il faut qu'il y ait quelque chose
qui transforme la matière; et c'est un agent corporel, dont le propre est
d'agir en mouvant. Et il agit dans le pouvoir du principe incorporel, et son
action est déterminée à cette forme, selon qu'elle est en lui, en acte (comme
dans les agents univoques) ou en puissance (comme dans les agents équivoques).
Sic igitur huiusmodi inferiora agentia corporalia, non sunt formarum
principia in rebus factis, nisi quantum potest se extendere causalitas
transmutationis, cum non agant nisi transmutando, ut dictum est; hoc autem est
in quantum disponunt materiam, et educunt formam de potentia materiae. Quantum
igitur ad hoc, formae generatorum dependent a generantibus naturaliter, quod
educuntur de potentia materiae, non autem quantum ad esse absolutum.
Ainsi donc de tels agents corporels inférieurs ne sont les principes
des formes dans ce qui a été fait, que dans la mesure où la causalité du
changement peut s'étendre, puisqu'ils n'agissent qu'en changeant, comme on l'a
dit (q. 3, a. 7 et 8). Mais c'est dans la mesure où ils disposent la matière et
sortent la forme de la puissance de la matière. Donc pour cela, les formes de
ce qui engendre dépendent naturellement de ce qui les engendre, parce qu'elles
sortent de la puissance de la matière, mais non quant à l'être dans absolu.
Unde et remota actione generantis, cessat eductio de potentia in actum
quod est fieri generatorum; non autem cessant ipsae formae, secundum quas generata
habent esse. Et inde est quod esse rerum generatarum manet, sed non fieri,
cessante actione generantis. Si quae autem formae sunt non in materia, ut sunt
substantiae intellectuales, vel in materia nullo modo indisposita ad formam, ut
est in corporibus caelestibus, in quibus non sunt contrariae dispositiones;
harum principium esse non potest nisi agens incorporeum, quod non agit per
motum; nec dependent ab aliquo secundum fieri a quo non dependeant secundum
esse.
C'est pourquoi, quand l'action de celui qui engendre est écartée, cesse
le passage de la puissance à l'acte qui est le devenir de ce qui est engendré;
mais les formes elles-mêmes, par lesquelles ce qui est engendré a l'être ne
cessent pas. Et de là vient que l'être de ce qui est engendré demeure, mais non
le devenir, si cesse l'action de celui qui engendre. Si ces formes ne sont pas
dans la matière, comme les substances intellectuelles, ou bien si elles sont
dans une matière en aucune manière mal ordonnée à la forme, comme dans les
corps célestes, dans lesquels il n'y a pas de dispositions contraires, leur
principe d'être ne peut être qu'un agent incorporel qui n'agit pas par
mouvement; et elles ne dépendent pas pour leur devenir de ce dont elles ne
dépendent pas pour leur être.
Sicut igitur cessante actione causae efficientis, quae agit per motum,
in ipso instanti cessat fieri rerum generatarum, ita cessante actione agentis
incorporei, cessat ipsum esse rerum ab eo creatarum. Hoc autem agens
incorporeum, a quo omnia creantur, et corporalia et incorporalia, Deus est,
sicut in alia quaestione ostensum est, a quo non solum sunt formae rerum, sed
etiam materiae. Et quantum ad propositum non differt utrum immediate, vel
quodam ordine, ut quidam philosophi posuerunt. Unde sequitur quod divina operatione
cessante, omnes res eodem momento in nihilum deciderent, sicut auctoritatibus
est probatum in argumentis sed contra.
Donc, de même que, quand cesse l'action de la cause efficiente, qui
agit par mouvement, dans l'instant même, le devenir de ce qui est engendré
cesse, de même quand l'action de l'agent incorporel cesse, l'être même des
choses créées par lui cesse aussi. Mais cet agent incorporel, par qui tout est
créé, les êtres corporels et incorporels, est Dieu, comme on l'a montré dans
une autre question (qu. 3, a. 5, 6, et 8), de qui viennent non seulement les
formes des êtres mais aussi de la matière. Et l'une et l'autre à ce propos ne
diffèrent pas immédiatement en ordre, comme certains philosophes l'ont pensé.
C'est pourquoi, il en découle que si l'opération divine cessait, tout, dans un
même moment, retomberait dans le néant, comme on l'a prouvé pour les autorités
dans les arguments en sens contraire.
Solutions:
q. 5 a. 1 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod creaturae Dei sunt perfectae in sua natura et in suo
ordine; sed inter alia quae ad earum perfectionem requiruntur, hoc etiam est
quod a Deo contineantur in esse.
# 1. Les créatures de Dieu sont parfaites dans leur nature et leur
ordre, mais parmi les autres choses requises pour leur perfection, il y a ce
fait aussi qu'elles sont maintenues dans l'être par Dieu.
q. 5 a. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod Deus non alia operatione producit res in esse et eas in
esse conservat. Ipsum enim esse rerum permanentium non est divisibile nisi per
accidens, prout alicui motui subiacet; secundum se autem est in instanti. Unde
operatio Dei quae est per se causa quod res sit, non est alia secundum quod
facit principium essendi et essendi continuationem.
# 2. Ce n'est pas par une autre opération que Dieu produit les
créatures dans l'être et les y conserve. Car l'être même de ce qui demeure
n'est divisible que par accident, dans la mesure où il est soumis à un
mouvement, mais en soi il est dans l'instant. C'est pourquoi l'opération de
Dieu qui est cause par soi de l'existence de la chose, n'est pas différente
selon qu'il produit le principe d'être et sa conservation.
q. 5 a. 1 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod, quamdiu principia essentialia rerum sunt, tamdiu res
conservantur in esse; sed et ipsa rerum principia esse desinerent, divina
actione cessante.
# 3. Les choses sont conservées dans l'être, aussi longtemps que leurs
principes essentiels existent, mais les principes même cesseraient si l'action
divine cessait.
q. 5 a. 1 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod huiusmodi inferiora agentia sunt causa rerum quantum ad
earum fieri, non quantum ad esse rerum per se loquendo. Deus autem per se est
causa essendi: et ideo non est simile. Unde Augustinus dicit: non enim sicut
structuram cum fabricaverit quis abscedit, atque illo cessante et abscedente
stat opus eius; ita mundus vel in ictu oculi stare poterit, si ei Deus regimen
suum subtraxerit.
# 4. De tels agents inférieurs sont la cause du devenir des choses, et
non de leur être, à proprement parler. Mais Dieu par soi est cause d'être, et
ainsi ce n'est pas pareil. C'est pourquoi Augustin dit (La Genèse au sens littéral, IV, 12): "Car ce n'est pas comme
quelqu'un qui s'en va quand il a construit un bâtiment: même s'il cesse et s'en
va, son oeuvre demeure, au contraire le monde ne pourrait demeurer l'instant
d'un clin d'oeil, si Dieu lui avait retiré son concours[10]."
q. 5 a. 1 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod cum agentia corporalia non agant nisi transmutando,-
nihil autem transmutetur nisi ratione materiae,- causalitas agentium corporalium
non potest se extendere nisi ad ea quae aliquo modo sunt in materia. Et quia Platonici et Avicenna non ponebant formas de potentia materiae
educi, ideo cogebantur dicere quod agentia naturalia disponebant tantum
materiam; inductio autem formae erat a principio separato. Si autem ponamus
formas substantiales educi de potentia materiae, secundum sententiam
Aristotelis, agentia naturalia non solum erunt causae dispositionum materiae,
sed etiam formarum substantialium; quantum ad hoc dumtaxat quod de potentia
educuntur in actum, ut dictum est, et per consequens sunt essendi principia
quantum ad inchoationem ad esse, et non quantum ad ipsum esse absolute.
# 5. Comme les agents corporels n'agissent qu'en opérant des
changements – rien n'est changé qu'en raison de la matière – la causalité des
agents corporels ne peut s'étendre qu'à ce qui est de quelque manière dans la
matière. Et parce que les Platoniciens et Avicenne ne pensaient pas que les
formes étaient éduites de la puissance de la matière, ils étaient forcés de
dire que les agents naturels disposaient seulement la matière; et l'induction
de la forme dépendait d'un principe séparé. Mais si nous pensons que les formes
substantielles sont éduites de la puissance de la matière, selon l'opinion
d'Aristote, les agents naturels, non seulement sont causes des dispositions de
la matière, mais encore des formes substantielles; pour seulement ce qui est
amené de la puissance à l'acte, comme on l'a dit (qu. 3, art. 9 et 11) et par
conséquent, ils sont les principes de l'être, quant à son commencement mais pas
quant à l'être même dans l'absolu.
q. 5 a. 1 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod formarum quae incipiunt actu esse in materia per actionem
corporalis agentis, quaedam producuntur secundum perfectam rationem speciei et
secundum perfectum esse in materia, sicut et forma generantis, eo quod in
materia non remanent contraria principia, et huiusmodi formae remanent post
actionem generantis, usque ad tempus corruptionis. Quaedam vero formae
producuntur quidem secundum perfectam rationem speciei, non autem secundum
perfectum esse in materia, sicut calor qui est in aqua calefacta, habet
perfectam speciem caloris, non tamen perfectum esse, quod est ex applicatione
formae ad materiam, eo quod in materia remanet forma contraria tali qualitati.
# 6. Parmi les formes qui commencent à exister en acte dans la matière
par l'action de l'agent corporel, certaines sont produites selon la nature
parfaite de l'espèce et selon l'être parfait dans la matière, comme la forme de
celui qui engendre, parce que les principes contraires ne demeurent pas dans la
matière, et les formes de ce genre demeurent après l'action de celui qui
engendre, jusqu'au temps de la corruption. Mais certaines formes sont produites
selon la nature parfaite de l'espèce, et non selon l'être parfait dans la
matière, comme la chaleur, qui est dans l'eau chaude, a une nature parfaite de
chaleur, non cependant un être parfait qui vient de l'application de la forme à
la matière, parce que la forme contraire à une telle qualité demeure dans la
matière.
Et huiusmodi formae possunt ad modicum remanere post
actionem agentis; sed prohibentur diu permanere a contrario principio, quod est
in materia. Quaedam vero producuntur in materia et secundum imperfectam speciem et
secundum imperfectum esse, sicut lumen in aere a corpore lucido. Non enim lumen est in aere sicut
quaedam forma naturalis perfecta prout est in corpore lucido, sed magis per
modum intentionis. Unde sicut similitudo hominis non manet in speculo nisi
quamdiu est oppositum homini, ita nec lumen in aere, nisi apud praesentiam
corporis lucidi: huiusmodi enim intentiones dependent a formis naturalibus
corporum per se, et non solum per accidens; et ideo esse eorum non manet
cessante actione agentium. Huiusmodi ergo propter imperfectionem sui esse,
dicuntur esse in fieri; sed creaturae perfectae non dicuntur esse in fieri
propter sui esse imperfectionem, quamvis actio Dei earum factionis
indeficienter permaneat.
Et de telles formes peuvent demeurer un peu après l'action de l'agent,
mais elles sont empêchées de demeurer longtemps par un principe contraire qui
est dans la matière. Mais certaines sont produites dans la matière et selon une
espèce et un être imparfaits, comme la lumière dans l'air par un corps
lumineux. Car la lumière n'est pas dans l'air comme une forme naturelle
parfaite selon qu'elle est dans un corps lumineux, mais plus par mode
d'intention. C'est pourquoi, de même que la ressemblance de l'homme ne demeure
dans le miroir qu'aussi longtemps qu'il est en face de lui, de même la lumière
n'est dans l'air que par la présence du corps lumineux; car de telles
intentions dépendent des formes naturelles des corps par soi, et non seulement
par accident, et c'est pourquoi leur être ne demeure pas quand cesse l'action des
agents. Ainsi donc à cause de l'imperfection de leur être, on les appelle des
êtres en devenir; mais on ne dit pas que les créatures parfaites sont dans le
devenir à cause de l'imperfection de leur être, quoique l'action de Dieu pour
leur production demeure sans défaillance.
q. 5 a. 1 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod actio corporalis agentis non se extendit ultra motum,
et ideo est instrumentum primi agentis in eductione formarum de potentia in
actum, quae est per motum; non autem in conservatione earum, nisi quatenus ex
aliquo motu dispositiones in materia retinentur, quibus materia fit propria
formae: sic enim per motum corporum caelestium inferiora conservantur in esse.
# 7. L'action de l'agent corporel ne s'étend pas au-delà du mouvement;
et c'est pourquoi il est l'instrument du premier agent dans le passage des
formes de la puissance à l'acte, qui se fait par mouvement, mais pas dans leur
conservation, sinon dans la mesure où sont maintenues dans la matière par un
mouvement les dispositions par lesquelles la matière devient propre à la forme;
car ainsi, par le mouvement des corps célestes, les corps inférieurs sont
conservés dans l'être.
q. 5 a. 1 ad 8 Ad
octavum dicendum, quod creatura deficeret divina actione cessante, non propter
contrarium quod sit in materia, quia ipsum etiam cum materia cessaret: sed
propter hoc quod creatura est ex nihilo; non propter hoc quod nihilum aliquid
ageret ad corruptionem, sed non ageret ad conservationem.
# 8. Que la créature disparaisse si l'action divine cesse, n'est pas à
cause du contraire qui serait dans la matière, parce que lui-même cesserait en
même temps qu'elle, mais c'est parce que la créature vient du néant, non pas
parce que celui-ci la conduirait à la corruption, mais il n'agirait pas pour sa
conservation.
q. 5 a. 1 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod ipse dator formarum si ponatur aliquid aliud praeter Deum,
secundum sententiam Avicennae, oportet quod et ipsum deficeret cessante actione
Dei, quae est sua causa.
# 9. Si on pense que le pourvoyeur de formes est autre que Dieu, selon
l'opinion d'Avicenne, il faut que lui-même disparaisse quand cesse l'action de
Dieu, qui est sa cause.
q. 5 a. 1 ad 10 Ad
decimum dicendum, quod etiam praedicta actione cessante, forma deficeret, unde
non posset esse essendi principium.
# 10. Si l'action susdite cessait, la forme disparaîtrait, c'est
pourquoi elle ne pourrait pas être le principe d'être.
q. 5 a. 1 ad 11 Ad
decimumprimum dicendum, quod materia dicitur ingenita quia non procedit in esse
per generationem: ex hoc tamen non removetur quin a Deo sit; cum omne
imperfectum oporteat a perfecto originem trahere.
# 11. Il faut dire que la matière n'est pas engendrée parce qu'elle ne
parvient pas à l'être par génération; cependant cela n'empêche pas qu'elle
vienne de Dieu, puisque tout ce qui est imparfait doit tirer son origine d'un
[être] parfait.
q. 5 a. 1 ad 12 Ad
decimumsecundum dicendum, quod non oportet inter opera Dei, uno contradictorie
oppositorum invento, aliud inveniri (sic enim esset inter ea aliquid increatum
cum sit ibi aliquid creatum) quamvis hoc verum sit de aliis oppositis. Ea vero
de quibus est obiectio, sunt contradictorie opposita; unde ratio non sequitur.
# 12. Il ne faut pas, parmi les oeuvres de Dieu, si on trouve l'un des
opposés en contradiction, en trouver un autre (car ainsi il y aurait entre eux
quelque chose d'incréé, puisqu'il y là quelque chose de créé[11]), quoique cela
soit vrai des autres opposés. Mais ce qui concerne l'objection, ce sont des
opposés en contradiction; c'est pourquoi la raison n'est pas valable.
q. 5 a. 1 ad 13 Ad
decimumtertium dicendum, quod licet quaelibet res naturaliter appetat sui
conservationem, non tamen quod a se conservetur, sed a sua causa.
# 13. Bien que chaque chose désire naturellement sa conservation,
cependant ce n'est pas pour être conservée par soi mais par sa cause.
q. 5 a. 1 ad 14 Ad
decimumquartum dicendum, quod universitas creaturarum non est optima
simpliciter, sed in genere creatorum; unde nihil prohibet ea aliquid melius
esse.
# 14. L'universalité des créatures n'est pas la meilleure dans
l'absolu, mais la meilleur est dans le genre des créateurs; c'est pourquoi rien
n'empêche que quelque chose soit meilleur qu'elle.
q. 5 a. 1 ad 15 Ad
decimumquintum dicendum, quod inter bona quorum congregatione status beatitudinis
perficitur, principium est coniunctio ad suam causam; cum ipsa Dei fruitio sit
creaturae rationalis beatitudo.
# 15. Parmi les biens dont la réunion achève l'état de béatitude, le
principe est l'union à la cause; puisque la jouissance de Dieu est la béatitude
de la créature rationnelle .
q. 5 a. 1 ad 16 Ad
decimumsextum dicendum, quod tendere in nihilum non est proprie motus naturae,
qui semper est in bonum, sed est ipsius defectus; unde ratio falsum supponebat.
# 16. Tendre au néant n'est pas proprement un mouvement de la nature,
qui est toujours pour le bien, mais c'est sa défaillance; c'est pourquoi cette
raison supposait une erreur.
q. 5 a. 1 ad 17 Ad
decimumseptimum dicendum, quod illius impressionis violentae agens violentum
est causa secundum fieri, et non simpliciter secundum esse, ut ex dictis patet:
unde cessante actione agentis, potest ad tempus remanere, sed non diu propter
eius imperfectionem.
# 17. L'agent violent dans cette pression de la violence est la cause
selon le devenir, mais absolument pas selon l'être, comme cela se voit de ce
qui a été dit (solution du 6e argument); c'est pourquoi quand l'action de
l'agent cesse, elle peut demeurer pour un temps, mais pas longtemps à cause de
son imperfection.
q. 5 a. 1 ad 18 Ad
decimumoctavum dicendum, quod sicut forma non potest esse principium essendi,
nisi aliquo priori principio praesupposito, ita nec operandi, cum Deus in
qualibet re operetur, ut in alia quaestione, ostensum est nec etiam
cognoscendi, cum omnis cognitio a lumine increato derivetur.
# 18. De même que la forme ne peut être principe d'être que par quelque
principe précédant présupposé, de même elle ne peut pas être principe pour
l'opération, puisque Dieu opère en toutes choses, comme on l'a montré dans une
autre question (qu. 3, argument 6);[elle ne peut pas être] le principe de la
connaissance, puisque tout connaissance dérive de la lumière incréée.
[1] Parall.: Ia, qu. 104, a. 1 –
CG. III, 65, 94 – In Ion. Ch. 5, lectio 2 (n° 739-740) – In Hébr. Ch. 1, lectio
2.
[2]
"...nous définissons l'entier ( to olon) ce d'où rien ne manque... or
entier et achevé sont absolument de même nature ou à peu près." (Trad.H.
Carteron).
[3]
Les chiffres indiquent les propositions du syllogisme.
[4]
On trouve chez Augustin, le même texte de Jean (5, 17) en IV, X1, 20 et XX,
40?. Mais dans la référence donnée ici on trouve le texte cité par Thomas dans
la solution de l'article.
[5]
"...le tout qui est engendré, c'est une forme de telle nature, réalisée
dans telles chairs et dans tels os, Callias ou Socrate, autre que son
générateur, par la matière, qui est autre, mais identique à lui par la forme,
car la forme est indivisible." (Trad. J. Tricot)
[6]
"Comme de l'air qui, par la présence de la lumière, n'est pas doté d'une
luminosité propre, mais devient lumineux, car s'il avait une luminosité propre
et ne devenait pas lumineux, il resterait lumineux même en l'absence de
lumière." Trad. BA. 49.
[7]
Ecclésiaste 33,15:"Contemple donc toutes les oeuvres du très haut, toutes
vont par paire, en vis-à-vis". (B.J.) L'argument suppose qu'il y a un
opposé pour tous les aspects de l'être.
[8]
"Lui qui soutient l'univers par sa parole puissante." ( B.J.)
[9]
"...la fin, le "ce en vue de quoi" est fin de quelque action, et
toute action s'accompagne de mouvement." (p. 125-126)
[10]
"Il n'en est pas en effet de Dieu comme d'un architecte: la maison
achevée, celui-ci s'en va, et, même lorsqu'il cesse d'agir et qu'il s'en est
allé, l'oeuvre subsiste; au contraire, le monde ne pourrait subsister, fût-ce
l'instant d'un clin d'oeil, si Dieu lui retirait son concours." Trad. BA.
48.
[11]
Il veut dire que si on prend toutes les oppositions, on dire doit d'un tel être
qu'il est créé, et donc celui qui est à l'opposé est un être incréé.
q. 5 a. 2 tit. 1
Secundo quaeritur utrum Deus possit alicui creaturae communicare quod per se in
esse conservetur absque Deo. Et videtur quod sic.
Il semble que oui.
Objections[1]:
q. 5 a. 2 arg. 1
Creare enim est maius quam per se in esse conservari. Sed creare potuit
creaturae communicari, ut Magister dicit in V dist., IV Sentent. Ergo et per se
in esse conservari.
1. Car créer est plus important que d'être conservé dans l'être par
soi. Mais [le pouvoir de] créer a pu être communiqué à la créature, comme le
dit le Maître des Sentences, (IV Sent. d. 5[2]). Et aussi
le pouvoir d'être conservé dans l'être par soi.
q. 5 a. 2 arg. 2
Praeterea, plus est in potestate rerum et Dei, quam in potestate intellectus
nostri. Sed intellectus noster potest intelligere creaturam absque Deo. Ergo
multo fortius Deus potest creaturae dare ut per se conservetur in esse.
2. Il y a plus dans le pouvoir des choses et celui de Dieu, que dans
celui de notre esprit. Mais celui-ci peut comprendre la créature sans Dieu.
Donc Dieu, beaucoup plus, peut donner à la créature le pouvoir de se conserver
dans l'être par soi.
q. 5 a. 2 arg. 3 Praeterea, aliqua creatura est
ad imaginem Dei, ut patet Genesis I, 26. Sed secundum Hilarium imago est rei ad
rem coaequandam indiscreta et unita similitudo; et sic imago adaequare potest
id cuius est imago. Cum ergo Deus nullo exteriori conservante
indigeat, videtur quod hoc potuit creaturae communicare.
3. Une créature est à l'image de Dieu, comme on le voit en Gn. 1, 26.
Mais selon Hilaire (Le livre des Synodes) l'image d'une chose est "la
ressemblance indivisible, et unie pour l'égaler." Et ainsi l'image peut
égaler ce dont elle est l'image. Donc comme Dieu n'a pas besoin de quelque
chose d'extérieur qui le conserve, il semble qu'il a pu communiquer ce pouvoir
à la créature.
q. 5 a. 2 arg. 4
Praeterea, quanto agens est perfectius, tanto potest perfectiorem effectum
producere. Sed agentia naturalia possunt effectus facere qui conserventur in
esse sine agentibus. Ergo multo fortius Deus potest hoc facere.
4. Plus l'agent est parfait, plus l'effet qu'il peut produire est
parfait. Mais les agents naturels peuvent produire des effets qui sont
conservés dans l'être sans leurs agents. Donc Dieu peut le faire beaucoup plus.
En sens contraire:
q.
5 a. 2 s. c. Sed contra. Deus non potest aliquid facere in diminutionem
suae auctoritatis. Hoc autem suo dominio praeiudicaret, si aliquid absque
ipsius conservatione posset esse. Ergo Deus hoc facere non potest.
Dieu ne peut rien faire qui diminuerait son autorité. Cela porterait
préjudice à sa puissance, si un être pouvait exister sans être conservé par
lui. Donc Dieu ne peut pas le faire.
Réponse:
q. 5 a. 2 co.
Respondeo. Dicendum, quod ad omnipotentiam Dei non pertinet quod possit facere
duo contradictoria esse simul. In hoc autem quod dicitur quod Deus faciat
aliquid quod eius conservatione non indigeat, contradictio implicatur. Iam enim
ostensum est quod omnis effectus a sua causa dependet, secundum quod est eius
causa. In hoc ergo quod dicitur, quod Dei conservatione non indigeat, ponitur
non esse creatum a Deo; in hoc quod dicitur, quod Deus faciat ipsum, ponitur
esse creatum.
Il ne convient pas à la toute puissance de Dieu de pouvoir faire que
deux choses contradictoires existent en même temps. Dire que Dieu fait quelque
chose qui n'a pas besoin de sa conservation implique une contradiction. Car,
déjà on a montré que tout effet dépend de sa cause, en tant que tel. Quand on
dit: "Une chose n'a pas besoin de la conservation de Dieu", on pense
qu'elle n'a pas été créée par lui, et quand on dit: "Dieu la fasse",
on pense qu'elle a été créée.
Sicut ergo contradictionem implicaret, Deum facere aliquid
quod non esset creatum ab eo, ita si quis diceret Deum facere aliquid quod eius
conservatione non indigeret. Unde utrumque pari ratione Deus non potest.
Donc que Dieu fasse que quelque chose qui ne soit pas créé par lui,
impliquerait une contradiction, de la même manière si on disait que Dieu fait
une créature qui n'aurait pas besoin de son pouvoir de conservation. C'est
pourquoi, à raison égale, Dieu ne peut faire ni l'un, ni l'autre.
Solutions:
q. 5 a. 2 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod cum creare sit aliquid causare; non indigere autem
alterius conservatione, non sit nisi eius quod causam non habet: manifestum est
quod maius est non indigere conservari ab alio quam creare; sicut maius est
causam non habere quam causam esse; licet et hoc non sit usquequaque verum,
quod creare creaturae sit communicabile, secundum quod est actus primi agentis,
ut in alia quaestione 3, dictum est.
# 1. Comme créer c'est causer quelque chose; ne pas avoir besoin de la
conservation d'un autre n'existerait que pour ce qui n'a pas de cause: il est
clair qu'il est plus grand de ne pas avoir besoin d'être conservé par un autre
que créer; de même il est plus important de ne pas avoir de cause que d'être
cause; bien qu'il ne soit pas toujours vrai que créer soit communicable à la
créature, en tant qu'acte du premier agent, comme on l'a dit dans une autre
question (qu. 3, a. 4).
q. 5 a. 2 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod quamvis intellectus possit intelligere creaturam non
intelligendo Deum, non tamen potest intelligere creaturam non conservari in
esse a Deo; hoc enim implicat contradictionem, sicut et creaturam non esse
creatam a Deo, ut dictum est.
# 2. Quoique l'esprit puisse comprendre (intelligere) la créature sans
comprendre Dieu, cependant on ne peut pas comprendre que la créature ne soit
pas conservée par Dieu; car cela implique une contradiction, de même que
comprendre que la créature n'a pas été créée par Dieu, comme on l'a dit (qu. 3,
a. 5).
q. 5 a. 2 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod aequalitas non est de ratione imaginis absolute, sed
perfectae; qualis Dei imago non est creatura, sed filius; unde ratio non
sequitur.
# 3. L'égalité n'appartient pas dans l'absolu à la définition de
l'image, mais à celle de l'image parfaite; une telle image de Dieu n'est pas
une créature, mais le Fils. C'est pourquoi cette raison ne convient pas[3].
q. 5 a. 2 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod responsio patet per ea quae dicta sunt in praecedenti.
# 4. La réponse est éclairée par ce qui a été dit précédemment.
[1] Parall.: Ia, qu. 104,
a. 1, ad 2 – a. 2, ad 2 – CG. II, 25
– Veritate. qu. 5, a. 8, ad 8 – I Sent. d37q1a1 – d47a4.
[2]
Cf. Pot. qu. 3, a. 4, où Thomas ne l'admet pas, après avoir hésité dans le
Commentaire des Sentences.
[3]
Le Fils est l'image parfaite, la créature une image relative
q. 5 a. 3 tit. 1
Tertio quaeritur utrum Deus possit creaturam in nihilum redigere. Et videtur
quod non.
Il semble que non.
Objections[1]:
q. 5 a. 3 arg. 1
Dicit enim Augustinus in Lib. LXXXIII quaestionum, quod Deus non est causa
tendendi in non esse. Hoc autem esset, si creaturam annihilaret. Ergo Deus non
potest creaturam in nihilum redigere.
1. Car Augustin, dans le livre des 83 questions (qu. 21[2]), dit que
Dieu n'est pas la cause de la tendance au non-être. Or cela serait, s'il
ramenait la créature au néant. Donc Dieu ne peut pas ramener la créature au
néant.
q. 5 a. 3 arg. 2
Praeterea, creaturae corruptibiles, quae inter ceteras sunt debilioris esse,
non desinunt esse nisi per actionem alicuius causae agentis, sicut ignis
corrumpitur aliquo contrario agente in ipsum. Multo minus igitur aliae creaturae possunt desinere nisi per aliquam
actionem. Si ergo Deus aliquam creaturam annihilaret, hoc non fieret nisi per
aliquam actionem. Per actionem autem hoc fieri est impossibile. Nam
omnis actio sicut est ab ente actu, ita in ens actu terminatur, cum oporteat
factum esse simile facienti. Actio autem qua aliquid ens actu constituitur, non
omnino in nihilum redigit. Ergo Deus non potest aliquid annihilare.
2. Les créatures corruptibles, qui, parmi les autres, ont un être plus
faible, ne cessent d'exister que par l'action d'une cause efficiente; ainsi le
feu est corrompu par un agent contraire en lui. Donc les autres créatures
beaucoup moins ne peuvent cesser que par quelque action. Si donc Dieu ramenait
une créature au néant, cela ne se ferait que par une action. Mais c'est
impossible que cela soit fait par une action. Car toute action, de même qu'elle
vient d'un étant en acte, se termine de même dans un étant en acte, puisqu'il
faudrait que le produit soit à la ressemblance de celui qui le fait. Mais
l'action par laquelle un étant est établi en acte, ne ramène absolument pas au
non être. Donc Dieu ne peut rien ramener au néant.
q. 5 a. 3 arg. 3
Praeterea, omne quod est per accidens, reducitur ad id quod est per se. Sed a
nulla causa agente est defectus et corruptio nisi per accidens, cum nihil
operetur nisi intendens ad bonum, ut Dionysius dicit: unde et ignis corrumpens
aquam, non intendit privationem formae aquae, sed formam propriam in materiam
introducere. Ergo non potest ab aliquo agente causari aliquis defectus, quin
simul aliqua perfectio constituatur. Ubi autem aliqua perfectio constituitur,
ibi non est annihilatio. Ergo Deus non potest aliquid annihilare.
3. Tout ce qui existe par accident est ramené à ce qui est par soi.
Mais la défaillance et la corruption ne viennent d'aucune cause efficiente,
sinon par accident, puisque rien n'opère sinon qu'en tendant au bien, comme le
dit Denys (Les noms divins, 4). C'est
pourquoi, le feu qui dénature l'eau, ne tend pas à la privation de la forme de
l'eau, mais à introduire une forme propre dans la matière. Donc une défaillance
ne peut être causée par un agent qu'en constituant une perfection en même
temps. Là où est établie une perfection, il n'y a pas de retour au néant. Donc
Dieu ne peut rien ramener au néant.
q. 5 a. 3 arg. 4
Praeterea, nihil agit nisi propter finem. Finis enim est quod movet efficientem.
Finis autem divinae actionis est eius bonitas: quod quidem esse potest in rerum
productione, per quam res similitudines divinae bonitatis consequuntur: non
autem in annihilatione, per quam annihilatum omnino a Dei similitudine
recederet. Ergo Deus non potest aliquid annihilare.
4. Rien n'agit qu'en vue d'une fin. Car la fin est ce qui met en
mouvement [la cause] efficiente. La fin de l'action divine est sa bonté: ce qui
peut exister dans la production des créatures, par laquelle elles obtiennent la
ressemblance de la divine bonté, mais pas dans leur annihilation, par laquelle
ce qui est retourné au néant s'éloignerait tout à fait de la ressemblance à
Dieu. Donc Dieu ne peut rien ramener au néant.
q. 5 a. 3 arg. 5
Praeterea, manente causa, necesse est permanere causatum. Si enim non est
necesse, possibile erit causatum esse et non esse posita causa; et sic
indigebitur alio quo causatum ad esse determinetur; et ita causa sufficiens non
erit ad esse causati. Sed Deus est sufficiens causa rerum. Ergo Deo manente
necesse est res in esse manere. Sed Deus non potest facere quin ipse in esse
maneat. Ergo non potest creaturas reducere in non esse.
5. Tant que la cause demeure, il est nécessaire que l'effet demeure.
Car, si ce n'est pas nécessaire, il sera possible que l'effet existe et
n'existe pas, une fois posée la cause; et ainsi il aura besoin d'un autre par
lequel l'effet est déterminé à l'être; et ainsi la cause ne sera pas suffisante
pour l'être de l'effet. Mais Dieu est la cause suffisante des êtres. Donc,
comme Dieu demeure, il est nécessaire que les choses demeurent dans l'être.
Mais Dieu ne peut pas faire que lui-même demeure dans l'être. Donc il ne peut
pas ramener les créatures au non être.
q. 5 a. 3 arg. 6 Sed
dicebatur, quod Deus non erit causa in actu, cum creaturae erunt annihilatae.-
Sed contra, divina actio est eius esse; unde et Augustinus, vult quod in
quantum Deus est, nos simus. Suum autem esse nunquam ei advenit. Ergo nunquam
desinit esse in sua actione; et ita semper erit causa in actu.
6. Mais on pourrait dire que Dieu ne sera pas une cause en acte,
lorsque les créatures retourneront au néant. – En sens contraire, l'action
divine est celle de son être; c'est pourquoi Augustin (La Doctrine chrétienne,
I, 32[3]) veut que nous existions en tant que Dieu est. Mais son être ne lui
est jamais advenu. Donc jamais il ne cesse d'être en son action et ainsi il
sera toujours une cause en acte.
q. 5 a. 3 arg. 7
Praeterea, Deus non potest facere contra communes animi conceptiones, sicut
quod totum non sit maius sua parte. Communis autem animi conceptio est apud
sapientes, animas rationales perpetuas esse. Ergo Deus non potest facere quod
in nihilum redigantur.
7. Dieu ne peut agir contre les conceptions communes de l'esprit, comme
que le tout ne soit pas plus grand que sa partie[4]. Mais la conception commune
de l'esprit chez les sages est que les âmes rationnelles sont éternelles. Donc
Dieu ne peut pas faire qu'elles retournent au néant.
q. 5 a. 3 arg. 8
Praeterea, Commentator dicit in XI Metaph., quod id quod est in se possibile
esse et non esse, non potest necessitatem essendi ab alio acquirere. Quaecumque
ergo creaturae habent necessitatem essendi, in eis non est possibilitas ad esse
et non esse. Huiusmodi autem sunt omnia incorruptibilia, ut sunt substantiae
incorporeae et corpora caelestia. Ergo omnibus his non est possibilitas ad non
esse. Si ergo sibi relinquantur, divina actione subtracta, non deficient in non
esse; et sic Deus non videtur quod possit ea annihilare.
8. Le Commentateur dit (La métaphysique XI à propos de la Métaphysique d'Aristote, XII, com. 41)
que ce qui a possibilité d'être et ne pas être, ne peut pas acquérir sa
nécessité d'être d'un autre. Donc toutes les créatures qui ont la nécessité
d'être n'ont pas en elles la possibilité d'être et ne pas être. Tout ce qui est
incorruptible est de ce genre, comme les substances incorporelles et les corps
célestes. Donc tous ceux-là n'ont pas de possibilité au non être. En
conséquence, s'ils sont laissés à eux-mêmes une fois l'action divine écartée,
ils ne tomberont pas dans le non être et ainsi Dieu ne semble pas pouvoir les
ramener au néant.
q. 5 a. 3 arg. 9 Praeterea, quod recipitur in
aliquo, non tollit potentiam recipientis; sed potest eam perficere. Si ergo
aliquid sit possibilitatem habens ad non esse, nihil in eo receptum hanc
possibilitatem ei auferre poterit. Ergo quod est in se possibile non esse, non
poterit ab aliquo necessitatem essendi acquirere.
9. Ce qui est reçu dans quelque chose, n'enlève pas la puissance de ce
qui reçoit, mais il peut la parfaire. Donc si quelque chose se trouve avoir la
possibilité au non être, rien de ce qui est reçu en lui ne pourra enlever cette
possibilité. En conséquence ce qui a possibilité en soi de ne pas être, ne
pourra acquérir la nécessité d'être d'un autre.
q. 5 a. 3 arg. 10
Praeterea, ea secundum quae aliqua genere diversificantur, sunt de essentia rei;
nam genus pars definitionis est. Secundum autem corruptibile et incorruptibile
aliqua genere differunt, ut patet in X Metaph. Ergo sempiternitas et
incorruptibilitas est de essentia rei. Deus autem non potest alicui rei auferre
quod est de essentia eius; non enim potest facere quod homo existens homo, non
sit animal. Ergo non potest rebus incorruptibilibus sempiternitatem auferre; et
ita non potest ea ad nihilum redigere.
10. Ce qui différentie les genres, appartient à l'essence, car le genre
est une partie de la définition. Mais certaines choses diffèrent en genre selon
le corruptible et l'incorruptible, comme on le voit en Métaphysique (X, 10, 1059 a 27[5]). Donc la durée éternelle et
l'incorruptibilité appartiennent à l'essence de l'être. Dieu ne peut pas
enlever à un être ce qui appartient à son essence; car il ne peut pas faire
qu'un homme qui existe en tant qu'homme ne soit pas un animal[6]. Donc il ne
peut enlever la durée éternelle aux êtres incorruptibles, et ainsi il ne peut
pas les ramener au néant.
q. 5 a. 3 arg. 11
Praeterea, corruptibile nunquam potest mutari ut fiat incorruptibile secundum
suam naturam; nam incorruptibilitas corporum resurgentium non est naturae sed
gloriae; et hoc ideo est, quia corruptibile et incorruptibile differunt genere,
ut dictum est. Si autem quod est in se possibile non esse, ab aliquo
necessitatem essendi posset acquirere, corruptibile posset in incorruptibilitatem
mutari. Ergo impossibile est esse aliquid quod in se sit possibile non esse, et
acquirat necessitatem ab alio; et sic idem quod prius.
11. Le corruptible ne peut jamais être changé pour devenir
incorruptible par nature; car l'incorruptibilité des corps ressuscités ne vient
pas de la nature mais de la gloire, et c'est parce que le corruptible et
l'incorruptible diffèrent en genre comme on l'a dit. Mais si ce qui a en soi
possibilité de ne pas être pouvait acquérir sa nécessité d'être de quelque
chose, la corruptibilité pourrait être changée en incorruptibilité. Donc il est
impossible qu'il y ait quelque chose qui a en soi la possibilité acquiert la
nécessité d'un autre et ainsi de même que plus haut.
q. 5 a. 3 arg. 12
Praeterea, si creaturae non habent necessitatem nisi secundum quod dependent a
Deo, a Deo autem dependent secundum quod Deus est earum causa; non habebunt
necessitatem nisi per modum qui competit causalitati qua Deus eorum causa est. Deus autem est rerum causa non per necessitatem, sed
per voluntatem, ut est in alia quaestione, ostensum. Sic ergo erit necessitas
in rebus sicut in his quae a voluntate causantur. Ea autem quae sunt a
voluntate, non simpliciter et absolute sunt necessaria, sed solum necessitate
conditionata, eo quod voluntas non necessario determinatur ad unum effectum.
Ergo sequitur quod in rebus nihil est necessarium absolute, sed solum sub
conditione; sicut est necesse Socratem moveri, si currit; vel ambulare, si
vult, nullo impedimento existente. Ex quo videtur sequi quod nihil sit in
creaturis simpliciter incorruptibile, sed omnia sint corruptibilia; quod est
inconveniens.
12. Si les créatures n'ont de nécessité qu'en tant qu'elle dépendent de
Dieu, elles dépendent de lui selon qu'il est leur cause; elles n'auront de
nécessité que par le mode qui convient à la causalité par laquelle Dieu est
leur cause. Mais il est la cause des êtres non par nécessité, mais par volonté,
comme on l'a montré dans une autre question (Pot. 3, 15). Donc il y aura
nécessité dans les choses comme dans ce qui est causé par la volonté. Mais ce
qui dépend de la volonté, n'est pas simplement et absolument nécessaire, mais
seulement d'une nécessité conditionnelle, parce que la volonté n'est pas
déterminée nécessairement à un seul effet. Donc il en découle que, dans les
créatures, rien n'est absolument nécessaire, mais seulement sous condition, de
même qu'il est nécessaire que Socrate soit en mouvement s'il court, ou se
promène, s'il veut, s'il n'existe aucun empêchement. Il semble en découler que
rien n'est dans les créatures absolument incorruptible, mais que tout est
corruptible, ce qui ne convient pas.
q. 5 a. 3 arg. 13
Praeterea, sicut Deus est summum bonum, ita est perfectissimum ens. Sed in
quantum est summum bonum, ei convenit quod non possit esse causa mali culpae.
Ergo in quantum est perfectissimum ens, non ei competit quod possit esse causa
annihilationis rerum.
13. Dieu est le souverain bien, il est aussi l'étant absolument
parfait. Mais dans la mesure où il est le souverain bien, il lui appartient de
ne pas pouvoir être cause du mal de la faute. Donc en tant qu'étant absolument
parfait, il ne lui revient pas de pouvoir être cause du retour au néant des
êtres.
q. 5 a. 3 arg. 14
Praeterea, Augustinus dicit, quod Deus est adeo bonus quod nunquam permitteret
aliquid mali fieri, nisi esset adeo potens quod de quolibet malo posset elicere
aliquod bonum. Sed si creaturae annihilarentur, nullum bonum inde eliceretur.
Ergo Deus non potest hoc permittere quod creaturae in nihilum decidant.
14. Augustin dit (Enchiridion,
XI) que Dieu est si bon que jamais il ne permettrait que quelque chose de mal
soit fait, à moins qu'il ne soit assez puissant pour pouvoir tirer un bien de
n'importe quel mal. Mais si les créatures retournaient au néant, il ne pourrait
en tirer aucun bien. Donc Dieu ne peut pas permettre que les créatures
retombent dans le néant.
q. 5 a. 3 arg. 15
Praeterea, non minor distantia est in nihilum de ente, quam de nihilo in esse.
Sed reducere aliquid de nihilo in esse, est potentiae infinitae, propter
distantiam infinitam. Ergo reducere de esse in nihil, non est nisi potentiae
infinitae. Nulla autem creatura habet potentiam infinitam. Ergo subtracta
actione creatoris, creatura non poterit in nihilum reduci. Quo quidem solo modo
dicebatur Deus res posse annihilare, scilicet per suae actionis subtractionem.
Nullo ergo modo Deus potest creaturas in nihilum redigere.
15. La distance n'est pas plus pe tite de l'être au néant, que du néant
à l'être. Mais amener quelque chose du néant à l'être demande une puissance
infinie, à cause de la distance infinie. Donc amener de l'être au néant, ne
dépend que d'une puissance infinie. Mais aucune créature n'a de puissance
infinie. Donc, si on exclut l'action du Créateur, la créature ne pourra pas
retourner au néant. C'est de cette seule manière qu'on disait que Dieu pouvait
ramener au néant, à savoir en retirant son action. Donc Dieu ne peut pas
ramener les créatures au néant.
En sens contraire:
q. 5 a. 3 s. c. 1
Sed contra. Est quod Origenes dicit in periarchon: quod datum est, auferri
atque recedere potest. Sed esse, datum est creaturae a Deo. Ergo potest auferri;
et sic Deus potest creaturas in nihilum redigere.
1. Origène dit dans le Periarchon: "Ce qui a été donné, peut être
enlevé et se retirer". Mais l'être est donné par Dieu à la créature. Donc
il peut être enlevé, et ainsi Dieu peut ramener les créatures au néant.
q. 5 a. 3 s. c. 2
Praeterea, illud quod dependet ex simplici Dei voluntate, potest, etiam, Deo
volente, cessare. Sed totum esse creaturae dependet ex simplici Dei voluntate;
cum Deus per suam voluntatem sit causa rerum, et non per naturae necessitatem.
Ergo, Deo volente, possunt creaturae in nihilum redigi.
2. Ce qui dépend de la volonté absolue de Dieu peut aussi cesser, s'il
le veut. Mais tout l'être de la créature dépend de la volonté absolue de Dieu,
puisqu'il est leur cause par sa volonté, et non par nécessité de nature. Donc,
si Dieu le veut, les créatures peuvent être ramenées au néant.
q. 5 a. 3 s. c. 3
Praeterea, Deus non est plus debitor creaturis postquam esse incoeperunt, quam
antequam esse inciperent. Sed antequam creaturae inciperent, absque omni
praeiudicio suae bonitatis poterat cessare ad hoc quod esse creaturis
communicaret, quia sua bonitas in nullo a creaturis dependet. Ergo Deus potest
absque praeiudicio suae bonitatis suam actionem a rebus creatis subtrahere; quo
posito in nihilum deciderent, ut in praecedenti articulo ostensum est. Potest
ergo Deus res annihilare.
3. Dieu n'est pas plus débiteur envers les créatures, après qu'elles
ont commencé à être qu'avant. Mais avant qu'elles aient commencé, sans aucun
préjudice pour sa bonté, il pouvait cesser de communiquer l'être aux créatures,
parce que sa bonté ne dépend d'elle en rien. Donc Dieu peut, sans préjudice pour
sa bonté, retirer son action des créatures; cela établi, elles retourneraient
au néant, comme on l'a montré dans l'article précédant. Dieu peut donc ramener
les créatures au néant.
q. 5 a. 3 s. c. 4
Praeterea, eadem actione Deus res in esse produxit et eas in esse conservat, ut
supra ostensum est. Sed Deus potuit res in esse non producere. Ergo eadem
ratione potest eas annihilare.
4. Par la même action, Dieu amène les choses à l'être et les y
conserve, comme on l'a montré plus haut. Mais il aurait pu ne pas les amener à
l'être. Donc, pour la même raison, il peut les ramener au néant.
Réponse:
Dupliciter ergo potest contingere quod in natura alicuius
rei non sit possibilitas ad non esse.
Uno modo per hoc quod res illa sit forma tantum subsistens
in esse suo, sicut substantiae incorporeae, quae sunt penitus immateriales. Si
enim forma ex hoc quod inest materiae, est principium essendi in rebus
materialibus, nec res materialis potest non esse nisi per separationem formae;
ubi ipsa forma in esse suo subsistit nullo modo poterit non esse; sicut nec
esse potest a se ipso separari.
Donc il peut arriver de deux manières que, dans la nature d'une chose,
il n'y ait pas de possibilité au non être:
1) Par la fait qu'elle est seulement une forme subsistante en son être,
comme les substances incorporelles, qui sont tout à fait immatérielles. Car si
la forme, du fait qu'elle est dans la matière, est principe d'être dans ce qui
est matériel, cela ne peut pas ne pas exister, sinon par séparation de la forme;
là où la forme même subsiste en son être, elle ne pourra en aucune manière ne
pas être; ainsi son être ne peut pas en être séparé.
Alio modo per hoc
quod in materia non sit potentia ad aliam formam, sed tota materiae
possibilitas ad unam formam terminetur; sicut est in corporibus caelestibus, in
quibus non est formarum contrarietas.
2) Par le fait que, dans la matière, il n'y a pas de puissance à une
autre forme, mais toute la possibilité de la matière se termine à une seule
forme, comme dans les corps célestes, dans lesquels il n'y a pas de formes
contraires.
Illae ergo solae res in sua natura possibilitatem habent ad
non esse, in quibus est materia contrarietati subiecta. Aliis vero rebus
secundum suam naturam competit necessitas essendi, possibilitate non essendi ab
earum natura sublata. Nec tamen per hoc removetur quin necessitas
essendi sit eis a Deo, quia unum necessarium alterius causa esse potest, ut
dicitur in V Metaphysic. Ipsius enim naturae creatae cui competit
sempiternitas, causa est Deus. In illis etiam rebus in quibus est possibilitas
ad non esse, materia permanet; formae vero sicut ex potentia materiae educuntur
in actum in rerum generatione, ita in corruptione de actu reducuntur in hoc
quod sint in potentia. Unde
relinquitur quod in tota natura creata non est aliqua potentia, per quam sit
aliquid possibile tendere in nihilum.
Donc les seules choses en leur nature ont la possibilité à ne pas être
sont celles en quoi la matière est soumise à la contrariété. Mais la nécessité
d'être appartient à d'autres choses selon leur nature, une fois enlevée de leur
nature la possibilité de ne pas être. Et cependant par cela il n'est pas exclu
que la nécessité d'être leur vienne de Dieu, parce qu'une chose nécessaire peut
être cause d'une autre, comme on le dit (Métaphysique,
V, 5, 1015 b 10[8]). Car la cause de la nature créée, à qui appartient
l'éternité, est Dieu. Dans ce en quoi il y a possibilité au non être, la
matière demeure, mais les formes sont comme éduites de la puissance de la
matière en acte dans la génération, de même dans la corruption, elles sont
ramenées de l'acte à la puissance. C'est pourquoi il reste que dans toute la
nature créée, il n'y a pas de puissance par laquelle quelque chose puisse
tendre au néant.
Si autem recurramus ad potentiam Dei facientis, sic
considerandum est, quod dupliciter dicitur aliquid Deo esse impossibile:
uno modo quod est secundum se impossibile, quod quia non
natum est alicui potentiae subiici; sicut sunt illa quae contradictionem
implicant.
Alio modo ex eo quod est necessitas ad oppositum; quod
quidem dupliciter contingit in aliquo agente.
Mais si nous recourons à la puissance de Dieu créateur, il faut
considérer alors qu'il y a deux manières de dire que quelque chose est
impossible à Dieu.
1) D'une première manière, ce qui est impossible en soi, parce que ce
n'est pas destiné à être soumis à une puissance: comme est ce qui implique une
contradiction.
2) D'une autre manière, de ce qui est nécessité pour l'opposé; ce qui
arrive de deux manières dans un agent:
Uno modo ex parte potentiae activae naturalis, quae
terminatur ad unum tantum sicut potentia calidi ad calefaciendum; et hoc modo
Deus pater necessario generat filium, et non potest non generare.
Alio modo ex parte finis ultimi in quem quaelibet res de
necessitate tendit; sicut et homo de necessitate vult beatitudinem, et
impossibile est eum velle miseriam; et similiter Deus vult de necessitate suam
bonitatem, et impossibile est eum velle illa cum quibus sua bonitas esse non
potest; sicut dicimus quod impossibile est Deum mentiri aut velle mentiri.
a) D'une première manière du côté de la puissance active naturelle, qui
se termine à un effet seulement, comme la puissance du chaud pour réchauffer;
et de cette manière, Dieu le Père engendre nécessairement le Fils et il ne peut
pas ne pas l'engendrer.
b) D'une autre manière, du côté de la fin dernière à laquelle tout tend
par nécessité; ainsi l'homme veut nécessairement sa béatitude, et il est
impossible qu'il veuille le malheur, et de la même manière Dieu veut
nécessairement sa bonté, et il est impossible qu'il veuille ce avec quoi sa
bonté ne peut pas exister, de même que nous disons qu'il est impossible que
Dieu mente ou veuille mentir.
Creaturas autem simpliciter non esse, non est in se
impossibile quasi contradictionem implicans, alias ab aeterno fuissent. Et hoc
ideo est, quia non sunt suum esse, ut sic cum dicitur, creatura non est omnino,
oppositum praedicati includatur in definitione, ut si dicatur, homo non est
animal rationale: huiusmodi enim contradictionem implicant, et sunt secundum se
impossibilia. Similiter Deus non producit creaturas ex necessitate naturae ut
sic potentia Dei determinetur ad esse creaturae, ut in alia quaestione, est
probatum. Similiter etiam nec bonitas Dei a creaturis dependet, ut sine
creaturis esse non possit: quia per creaturas nihil bonitati divinae adiungitur
Mais que les créatures n'existent absolument pas n'est pas impossible
en soi, comme si cela impliquait une contradiction, autrement elles auraient
exister de toute éternité. Parce qu'elles ne sont pas leur être, comme quand on
dit que la créature n'existe absolument pas, l'opposé du prédicat est inclus
dans la définition, comme si on disait que l'homme n'est pas un animal
rationnel, car les propositions de ce genre impliquent une contradiction, et
sont en soi impossibles. De la même manière Dieu ne produit pas les créatures
par nécessité de nature, de sorte que sa puissance soit ainsi limitée à l'être
de la créature, comme on l'a prouvé dans une autre question (3 a. 15). De même
aussi la bonté de Dieu ne dépend pas des créatures, de sorte qu'il ne puisse
exister sans créatures, parce qu'elles n'ajoutent rien à sa bonté.
Relinquitur ergo quod non est impossibile Deum res ad non
esse reducere; cum non sit necessarium eum rebus esse praebere, nisi ex
suppositione suae ordinationis et praescientiae, quia sic ordinavit et
praescivit, ut res in perpetuum in esse teneret.
Il reste donc qu'il n'est pas impossible que Dieu ramène les créatures
au non être, puisqu'il n'est nécessaire qu'il leur fournisse l'être, que dans
l'hypothèse de sa disposition et de sa prescience, parce qu'il a ordonné ainsi
et préconçu que les choses demeureraient en l'être éternellement
Solutions:
q. 5 a. 3 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod si creaturas Deus in nihilum redigeret, non esset
causa tendendi in non esse; hoc enim non contingeret per hoc quod ipse causaret
non esse in rebus, sed per hoc quod desineret rebus dare esse.
# 1. Si Dieu ramenait les créatures au néant, il ne serait pas cause de
la tendance au non-être, car cela n'arriverait pas parce qu'il causerait le non
être dans les créatures, mais parce qu'il cesserait de leur donner l'être.
q. 5 a. 3 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod res corruptibiles desinunt esse per hoc quod earum
materia aliam formam recipit, cum qua forma prior stare non potest; et ideo ad
earum corruptionem requiritur actio alicuius agentis, per quam forma nova
educatur de potentia in actum. Sed si Deus res in nihilum redigeret, non esset
ibi necessaria aliqua actio, sed solum hoc quod desisteret ab actione qua rebus
tribuit esse; sicut absentia actionis solis illuminantis causat lucis
privationem in aere.
# 2. Les choses corruptibles cessent d'exister du fait que leur matière
reçoit une autre forme, avec laquelle la première ne peut pas demeurer, et
c'est pourquoi pour leur corruption est requise l'action d'un agent par
laquelle une forme nouvelle passe de la puissance à l'acte. Mais si Dieu
ramenait les choses au néant, aucune action ne serait nécessaire, mais il
renoncerait seulement à l'action par laquelle il leur a attribué l'être; ainsi
l'absence d'action du soleil qui éclaire cause le manque de lumière dans l'air.
q. 5 a. 3 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod ratio illa procederet, si Deus agendo, res annihilare
posset; quod quidem non est; sed magis ab actione desistendo, ut dictum est.
# 3. Cette raison conviendrait si Dieu en agissant, pouvait ramener les
choses au néant; ce qui n'est pas le cas, mais plutôt en renonçant à son
action, comme on l'a dit.
q. 5 a. 3 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod ubi non est actio, non est necessarium finem requirere. Sed quia
ipsum desistere ab actione non potest esse in Deo, nisi per suam voluntatem,
quae non est nisi finis, posset in ipsa annihilatione rerum finis aliquis
inveniri; ut sicut in productione rerum, finis est manifestatio copiae divinae
bonitatis, ita in rerum annihilatione finis esse potest sufficientia suae
bonitatis, quae in tantum est sibi sufficiens, ut nullo exteriori indigeat.
# 4. Là où il n'y a pas d'action, il n'est pas nécessaire de chercher
la fin. Mais parce que renoncer à l'action ne peut exister en Dieu que par sa
volonté, qui n'est que sa fin, on pourrait dans cet anéantissement de la fin
trouver une fin, de même que dans la production des choses, la fin est la manifestation
de l'abondance de la bonté divine, de la même manière dans leur annihilation,
la fin peut être la suffisance de sa bonté, qui lui est suffisante en tant
qu'il n'a besoin de rien d'extérieur.
q. 5 a. 3 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod effectus a causa sequitur, et est secundum modum causae;
unde effectus voluntatem consequentes, tunc a voluntate procedunt quando
voluntas statuit esse procedendum; non autem de necessitate quando voluntas
est. Et ideo, quia creaturae procedunt a Deo per voluntatem, tunc esse habent
cum Deus vult eas esse; non de necessitate, quandocumque Dei voluntas est;
alias ab aeterno fuissent.
# 5. L'effet découle de la cause et existe selon son mode, c'est
pourquoi les effets qui découlent de la volonté, procèdent d'elle quand elle a
décidé qu'il fallait le produire; mais non par nécessité, quand il y a volonté.
Et parce que les créatures procèdent de Dieu par volonté, elles ont l'être
quand il veut qu'elles existent; non par nécessité, mais chaque fois que c'est
sa volonté, autrement elles auraient existé de toute éternité.
q. 5 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod in
actione Dei qua res producit, duo est considerare: scilicet ipsam substantiam
operationis, et ordinem ad effectum. Substantia quidem operationis, cum sit
divina essentia, aeterna est, nec potest non esse; ordo autem ad effectum,
dependet ex voluntate divina: ex qualibet enim actione facientis non sequitur
effectus nisi secundum exigentiam principii actionis; secundum enim modum
caloris ignis calefacit. Unde cum principium factorum a Deo sit voluntas,
secundum hoc in actione divina est ordo ad effectum, prout voluntas determinat.
Et ideo quamvis actio Dei cessare non possit secundum suam substantiam, ordo
tamen ad effectum cessare posset, si Deus vellet.
# 6. Dans l'action de Dieu, par laquelle il produit les créatures, il
faut considérer deux points de vue: à savoir la substance de l'opération et la
relation à l'effet. Comme la substance de l'opération est l'essence de Dieu,
elle est éternelle et elle ne peut pas ne pas exister, mais la relation à
l'effet dépend de la volonté divine, car de n'importe quelle action de celui
qui produit, il ne découle un effet que selon l'exigence du principe d'action;
en effet, le feu réchauffe selon le mode de la chaleur. C'est pourquoi comme la
volonté est le principe de ce qui est produit par Dieu, dans son action, il y a
un rapport à l'effet, selon que la volonté la détermine. Et c'est pourquoi,
bien que l'action ne puisse pas cesser selon sa substance, cependant la
relation à l'effet pourrait cesser, si Dieu le voulait.
q. 5 a. 3 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod communis animi conceptio dicitur illa cuius oppositum
contradictionem includit; sicut, omne totum est maius sua parte; quia non esse
maius sua parte est contra rationem totius. Sic autem animam rationalem non
esse, non est communis animi conceptio, ut ex dictis patet; sed naturam animae
rationalis non esse corruptibilem, haec est communis animi conceptio. Si autem
Deus animam rationalem in nihilum redigeret, hoc non esset per aliquam
potentiam ad non esse quae sit in natura animae rationalis, ut dictum est.
# 7. On dit que la conception commune de l'esprit est celle dont
l'opposé inclut une contradiction; de même que "le tout est plus grand que
sa partie", parce que, ne pas être plus grand que sa partie est contre la
nature du tout. Mais que l'âme rationnelle n'existe pas n'est pas la conception
commune de l'esprit, comme cela paraît de ce qui a été dit, mais que sa nature
ne soit pas corruptible, c'est cela la conception commune. Mais si Dieu la
ramenait au néant, cela ne se ferait pas par un puissance au non être, qui
serait dans sa nature, comme on l'a dit.
q. 5 a. 3 ad 8 Ad
octavum dicendum, quod illud in cuius natura est possibilitas ad non esse, non
recipit necessitatem essendi ab alio, ita quod ei competat secundum naturam,
quia hoc implicaret contradictionem, scilicet quod natura posset non esse et
quod haberet necessitatem essendi; sed quod habeat incorruptibilitatem ex
gratia vel gloria, hoc non prohibetur. Sicut corpus Adae fuit quodammodo
incorruptibile per gratiam innocentiae, et corpora resurgentium erunt
incorruptibilia per gloriam, per virtutem animae suo principio adhaerentis. Non
tamen removetur quin ipsa natura in qua non est possibilitas ad non esse habeat
necessitatem essendi ab alio; cum quidquid perfectionis habet, sit ei ab alio;
unde cessante actione suae causae, deficeret, non propter potentiam ad non esse
quae in ipso sit, sed propter potestatem quae est in Deo ad non dandum esse.
# 8. Ce en quoi la nature a la possibilité au non être, ne reçoit pas
la nécessité d'être d'un autre, de sorte que cela lui appartienne en nature,
parce que cela impliquerait contradiction, à savoir que la nature pourrait ne
pas être et qu'elle aurait la nécessité d'être, mais ce qui aurait
l'incorruptibilité par grâce ou par la gloire, n'en serait pas empêché. Ainsi
le corps d'Adam a été d'une certaine manière incorruptible par la grâce de
l'innocence et les corps des ressuscités seront incorruptibles par la gloire,
par le pouvoir de l'âme adhérant à son principe. Cependant il n'est pas exclu
que la nature même dans laquelle il n'y a pas possibilité au non être ait
nécessité d'être d'un autre; puisque ce qu'il a de perfection lui vient d'un
autre; c'est pourquoi si l'action de sa cause cessait, elle disparaîtrait, non
à cause de la puissance au non être qui serait en elle, mais à cause du pouvoir
de Dieu de ne pas lui donner l'être.
q. 5 a. 3 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod in illis quae sunt per naturam incorruptibilia, non
praeintelligitur potentia ad non esse quae tollatur per aliquid a Deo receptum,
secundum quod obiectio procedebat; et hoc ex dictis patet. Sed in illis quae
sunt incorruptibilia per gratiam, subest possibilitas ad non esse in ipsa
natura; quae tamen totaliter reprimitur per gratiam ex virtute Dei.
# 9. Dans ce qui est par nature incorruptible, on ne préconçoit pas la
puissance au non être qui serait enlevée par quelque don reçu de Dieu, selon ce
que l'objection avançait, et cela paraît de ce qui a été dit. Mais dans ce qui
est incorruptible par grâce demeure la possibilité au non être dans la nature
même; qui cependant est totalement empêchée par la grâce qui dépend du pouvoir
de Dieu
q. 5 a. 3 ad 10 Ad
decimum dicendum, quod si Deus creaturas incorruptibiles in nihilum redigeret,
ab earum conservatione cessando, non propter hoc sempiternitatem a natura
separaret, quasi remaneret natura non sempiterna; sed tota natura deficeret
influxu causae cessante.
# 10. Si Dieu ramenait les créatures incorruptibles au néant, en
cessant de les conserver, ce n'est pas à cause de cela qu'il enlèverait
l'éternité de la nature, comme si elle ne demeurait pas éternelle; mais elle
disparaîtrait tout entière par la cessation de l'influx de la cause.
q. 5 a. 3 ad 11 Ad
decimumprimum dicendum, quod corruptibile per naturam non potest mutari ut fiat
per naturam incorruptibile, nec e converso, quamvis illud quod est per naturam
corruptibile, possit per gloriam supervenientem perpetuum fieri. Non tamen ex
hoc oportet ponere aliqua corruptibilia fieri per naturam incorruptibilia, quia
esse desinerent causa non cessante.
# 11. Le corruptible par nature ne peut pas être changé pour devenir
incorruptible par nature, ni l'inverse, quoique ce qui est corruptible par
nature, puisse devenir éternel par l'arrivée de la grâce. Cependant il ne faut
pas en penser que ce qui est corruptible par nature devient incorruptible par
nature, parce qu'il cesserait d'être sans que la cause cesse.
q. 5 a. 3 ad 12 Ad
decimumsecundum dicendum, quod licet creaturae incorruptibiles ex Dei voluntate
dependeant, quae potest eis esse praebere et non praebere; consequuntur tamen
ex divina voluntate absolutam necessitatem essendi, in quantum in tali natura
causantur, in qua non sit possibilitas ad non esse; talia enim sunt cuncta
creata, qualia Deus esse ea voluit, ut Hilarius dicit in libro de synodis.
# 12. Bien que les créatures incorruptibles dépendent de la volonté de
Dieu, qui peut leur offrir l'être ou pas, elles en reçoivent l'absolue
nécessité d'être, dans la mesure où elles sont causées en une nature où il n'y
a pas possibilité au non être; car toutes les créatures sont telles que Dieu a
voulu qu'elles soient, comme Hilaire le dit dans le livre des Synodes.
q. 5 a. 3 ad 13 Ad
decimumtertium dicendum, quod Deus licet possit creaturas redigere in nihilum,
non tamen potest facere quod eis manentibus, ipse non sit earum causa: est
autem earum causa, et sicut efficiens, et sicut finis. Sicut ergo Deus non
potest facere quod creatura in esse manens ab eo non sit, ita non potest facere
quod ad eius bonitatem non ordinetur. Unde, cum malum culpae privet ordinem qui
est in ipsum sicut in finem, eo quod est aversio ab incommutabili bono, Deus
non potest esse causa mali culpae, quamvis potest esse causa annihilationis,
omnino a conservatione cessando.
# 13. Bien que Dieu puisse ramener les créatures au néant, cependant
ils ne peut pas faire que, si elles demeurent, lui-même ne soit pas leur cause;
mais il est leur cause et cause efficiente et comme finale. Donc de même que
Dieu ne peut pas faire que la créature qui demeure dans l'être ne soit pas de
lui, il ne peut pas faire qu'elle ne soit pas ordonnée à sa bonté. C'est
pourquoi, comme le mal de la faute prive l'ordre qui est en lui comme dans la
fin, parce qu'il est détournement du bien immuable, Dieu ne peut pas être cause
du mal de la faute, quoiqu'il puisse être cause du retour au néant, en cessant
tout à fait la conservation.
q. 5 a. 3 ad 14 Ad
decimumquartum dicendum, quod Augustinus loquitur de malo culpae; et si
loqueretur etiam de malo poenae, annihilatio tamen rerum nullum malum est: quia
omne malum fundatur in bono, cum sit privatio, ut Augustinus dicit. Unde sicut
ante rerum creationem malum non erat, ita nec malum esset, si omnia Deus
annihilaret.
# 14. Augustin parle du mal de la faute, et s'il parlait aussi du mal
de la peine, le retour au néant des choses cependant n'est aucun mal; parce que
tout mal est fondé dans le bien, puisqu'il en est la privation, comme il le dit
(Enchiridion, 11). C'est pourquoi,
comme avant la création des choses, il n'y avait pas de mal, ainsi il n'y
aurait pas de mal si Dieu ramenait tout au néant.
q. 5 a. 3 ad 15 Ad
decimumquintum dicendum, quod in nulla creatura est virtus quae possit vel de
nihilo aliquid facere vel aliquid in nihilum redigere. Quod autem creaturae in
nihilum redigerentur divina conservatione cessante, hoc non esset per aliquam
actionem creaturae, sed per eius defectum, ut ex praedictis patet.
# 15. Dans aucune créature il n'y a un pouvoir qui puisse ou bien de
rien faire quelque chose, ou bien ramener quelque chose au néant. Mais que les
créatures soient ramenées au néant, si la conservation de Dieu cessait, cela ne
viendrait pas par une action de la créature, mais de sa défaillance, comme cela
paraît dans ce qui a été dit.
[1] Parall.: Ia, qu. 104, a. 3 –
qu. 9, a. 2 – Veritate. qu. 5, a. 2, ad 6 – Quodl. IV, qu. 3, a. 1
[2]
PL 40, 16.
[3]
PL. 34, 32. Autre texte: in quantum Deus bonus est, sumus, cité Ia, qu. 104, a.
3, obj. 2.
[4]
Cf. Pot,3, 1, obj. 1.
[5]
Pour Aristote, le corruptible et l'incorruptible sont des contraires: "Car
la privation est une impuissance déterminée" (1050 b 26) Mais ils
n'appartiennent pas à l'être par accident "car rien n'est corruptible par
accident...le corruptible est au nombre des attributs qui appartiennent
nécessairement aux choses auxquelles ils appartiennent sinon un seul et même
être serait corruptible et incorruptible, puisqu'il pourrait se faire que le
corruptible ne lui appartînt pas". (Trad. J. Tricot).
[6]
L'homme est un animal doué de raison.
[7]
Anawati, 356, 3.
[8]
"Parmi les choses nécessaires, les unes ont en dehors d'elles la cause de
leur nécessité, les autres l'ont en elles-mêmes, et sont elles-mêmes source de
nécessité pour d'autres choses."
q. 5 a. 4 tit. 1
Quarto quaeritur utrum aliqua creatura in nihilum sit redigenda, vel etiam in
nihilum redigatur.. Et videtur quod sic.
Il semble que oui[1].
Objections:
q. 5 a. 4 arg. 1
Sicut enim potentia finita non potest movere tempore infinito, ita nec per
potentiam finitam potest aliquid esse tempore infinito. Sed omnis potentia
corporis est finita, ut probatur in VIII Phys. Ergo in nullo corpore est
potentia, ut possit durare tempore infinito. Quaedam autem corpora sunt quae
non possunt corrumpi, eo quod non habent contrarium, sicut corpora caelestia.
Ergo necesse est quod quandoque in nihilum redigantur.
1. Car une puissance finie ne peut pas mouvoir pendant un temps infini,
de même rien ne peut exister par une puissance finie pendant un temps infini.
Mais toute puissance d'un corps est finie, comme il est prouvé (Phys.
VIII, 10, 266 a 25- 266 b 5). Donc, dans aucun corps, il n'y a de la puissance
pour durer un temps infini. Il existe certains corps qui ne peuvent pas être
corrompus, du fait qu'ils n'ont pas de contraire, comme les corps célestes.
Donc il est nécessaire qu'un jour ils retournent au néant.
q. 5 a. 4 arg. 2
Praeterea, illud quod est propter aliquem finem adipiscendum, habito fine,
ulterius eo non indigetur; sicut patet de navi, quae necessaria est mare transeuntibus,
non autem iam transito mari. Sed
creatura corporalis creata est propter spiritualem, ut per eam iuvetur ad suum
finem consequendum. Cum ergo creatura spiritualis erit in suo fine ultimo
constituta, corporali ulterius non indigebit. Cum ergo nihil sit superfluum in
operibus Dei, videtur quod in ultimo rerum fine omnis creatura corporalis
deficiet.
2. Ce qui est en vue d'une fin, une fois celle-ci obtenue, n'en a plus
besoin, comme on le voit pour le bateau, nécessaire pour ceux qui traversent la
mer, mais non quand elle est déjà traversée. Mais la créature corporelle est
créée en vue de la créature spirituelle pour être aidée par elle à parvenir à
sa fin. Donc quand la créature spirituelle sera installée en sa fin ultime,
elle n'aura plus besoin de ce qui est corporel. Donc comme rien n'est superflu
dans les oeuvres de Dieu, il semble qu'à la fin ultime du monde, toute créature
corporelle cessera d'exister.
q. 5 a. 4 arg. 3
Praeterea, nihil quod est per accidens, est infinitum. Sed esse est cuilibet creaturae
per accidens, ut Avicenna dicit: unde et Hilarius Deum a creatura distinguens,
dicit: esse non est accidens Deo. Ergo nulla creatura in infinitum durabit; et
sic omnes creaturae quandoque deficient.
3. Rien de ce qui existe par accident n'est infini. Mais n'importe
quelle créature a l'être par accident, comme le dit Avicenne (Métaphysique VIII, 4); c'est pourquoi
Hilaire (La Trinité, VII),
distinguant Dieu de la créature, dit: "L'être n'est pas un accident pour
Dieu". Donc aucune créature ne durera éternellement, et ainsi elles
disparaîtront toutes un jour
q. 5
a. 4 arg. 4 Praeterea, finis debet respondere principio. Sed creaturae principium sumpserunt postquam nihil
erat praeter Deum. Ergo adhuc creaturae reducentur in finem, quod
omnino nihil erit.
4. Le fin doit répondre au commencement. Mais les créatures ont reçu un
commencement, après qu'il n'y eut rien, sauf Dieu. Donc là encore les créatures
seront ramenées à une fin ce qui sera tout à fait le néant.
q. 5 a. 4 arg. 5
Praeterea, quod non habet virtutem ut sit semper, non potest in perpetuum
durare. Sed illud quod non semper fuit, non habet virtutem ut sit semper. Ergo
quod non semper fuit, non potest in perpetuum durare. Sed creaturae non semper
fuerunt. Ergo non possunt in perpetuum durare; et sic quandoque in nihilum
redigentur.
5. Ce qui n'a pas le pouvoir d'exister toujours, ne peut pas durer
éternellement. Mais ce qui n'a pas toujours existé, n'a pas ce pouvoir de
toujours exister. Donc ce qui n'a pas toujours existé ne peut pas durer éternellement.
Mais les créatures n'ont pas toujours existé. Donc elles ne peuvent durer
éternellement, et ainsi un jour elles retourneront au néant.
q. 5 a. 4 arg. 6
Praeterea, iustitia requirit hoc, ut propter ingratitudinem aliquis beneficio
accepto vel suscepto privetur. Sed per peccatum mortale homo ingratus est
inventus. Ergo iustitia hoc exigit ut omnibus beneficiis Dei privetur, inter
quae etiam est ipsum esse. Iudicium autem Dei de peccatoribus erit iustum,
secundum apostolum, Rom. II, 2. Ergo in nihilum redigentur.
6. La justice requiert qu'à cause de son ingratitude, quelqu'un soit
privé d'un bienfait reçu ou concédé. Mais par le péché mortel, l'homme se
montre ingrat. Donc la justice exige qu'il soit privé de tous les bienfaits de
Dieu, parmi lesquels l'être lui-même. Mais le jugement de Dieu sera juste pour
les pécheurs, selon l'Apôtre (Rm. 2, 2). Donc ils retourneront au néant.
q. 5 a. 4 arg. 7
Praeterea, ad hoc est quod dicitur Ierem. X, 24: corripe me, domine; verumtamen
in iudicio, et non in furore tuo, ne forte ad nihilum redigas me.
7. Il y a ce qui est dit en Jérémie (10, 24) "Corrige-moi,
Seigneur, dans une juste mesure cependant, et sans fureur, pour ne pas me
ramener au néant".
q. 5 a. 4 arg. 8 Sed
diceretur, quod Deus semper punit citra condignum, propter misericordiam, quae
in Dei iudicio iustitiae admiscetur; et sic Deus non totaliter peccatores a
participatione suorum beneficiorum excludet.- Sed contra, in hoc homini
misericordia non praestatur quod sibi detur aliquid quod melius esset ei non
habere. Sed damnato in Inferno melius esset non esse quam sic esse; quod patet
per id quod dicitur Matth. XXVI, 24 de Iuda: melius erat ei si natus non
fuisset homo ille. Ergo ad misericordiam Dei non pertinet quod damnatos
conservet in esse.
8. Mais on pourrait dire, que Dieu punit toujours en deçà de ce qui est
mérité, à cause de sa miséricorde, qui est mêlée à la justice dans son jugement;
et ainsi il n'exclut pas totalement les pécheurs de la participation à ses
bienfaits. – En sens contraire, la miséricorde n'est pas conservée à cet homme
pour lui donner quelque chose qu'il lui serait meilleur de ne pas avoir. Mais
pour celui qui est condamné à l'enfer, il eut mieux valu ne pas exister que
d'être ainsi, ce qui paraît par ce qui est dit en Mt. 26, 24, au sujet de Juda:
"Il était meilleur pour cet homme de n'être pas né." Donc il ne
convient pas à la miséricorde de Dieu de conserver les condamnés dans l'être .
q. 5 a. 4 arg. 9
Praeterea, illa quae non habent materiam partem sui, corrumpuntur omnino, idest
totaliter, cum esse desinunt, [ut dicitur in III Metaph.] sicut sunt
accidentia. Haec autem frequenter esse
desinunt. Ergo aliqua in nihilum rediguntur.
9. Ce qui n'a pas de matière en participation, est corrompus tout à
fait, c'est-à-dire à dire totalement, puisqu'ils cessent d'exister [comme il
est dit en Métaphysique , III], comme
sont les accidents. car ceux-ci cessent fréquemment d'exister. Donc certains
retournent au néant.
q. 5 a. 4 arg. 10
Praeterea, philosophus in VI Physic. argumentatur, quod si continuum est ex
indivisibilibus, necesse est quod indivisibilia dividantur. Ex quo potest
accipi quod unumquodque resolvitur in ea ex quibus est. Sed omnes creaturae
sunt ex nihilo. Ergo omnes in nihilum quandoque redigentur.
10. Le philosophe (Physique
VI, 1, 231 b 18) démontre que, si le continu vient de l'indivisible, il est
nécessaire que l'indivisible soit divisé. C'est pour cela qu'on peut accepter
que chacun soit ramené en ce d'où il est . Mais toutes les créatures viennent
du néant. Donc toutes, un jour, y retourneront.
q. 5
a. 4 arg. 11 Praeterea, II Petr. III, 10, dicitur: caeli magno impetu
transient. Sed non possunt transire per corruptionem in aliquod
aliud corpus, cum non habeant contrarium. Ergo transibunt in nihilum.
11. En II Pier, III, 10, il est dit: "Les cieux se dissiperont
avec grand fracas" Mais ils ne peuvent passer par corruption en quelque
autre corps, puisqu'ils n'ont pas de contraire. Donc ils iront au néant.
q. 5 a. 4 arg. 12
Praeterea, ad idem est quod dicitur in Ps. ci, 26: opera manuum tuarum sunt
caeli, ipsi peribunt; et Luc. XXI, 33, dicitur: caelum et terra transibunt.
12. Il est dit de même au Ps. 101, 26: "Les cieux sont l'oeuvre de
tes mains, ils périront". et en Lc 21, 33 on lit: "La ciel et la
terre passeront."
En sens contraire:
q. 5 a. 4 s. c. Sed
contra est quod dicitur Eccle. I, 4: terra autem in
aeternum stat. Praeterea, Eccle. III, 14, dicitur: didici quod omnia opera quae
fecit Deus perseverent in aeternum. Ergo creaturae in nihilum non redigentur.
Il y a ce que dit l'Eccle 1, 4: "Mais la terre demeure
éternellement." En outre Eccle. 3, 14: "J'ai appris que toutes les
oeuvres faites par Dieu demeureront éternellement". Donc les créatures ne
retourneront pas au néant.
Réponse:
q. 5 a. 4 co.
Respondeo. Dicendum quod universitas creaturarum nunquam in nihilum redigetur.
Et quamvis creaturae corruptibiles non semper fuerint, in perpetuum tamen
secundum suam substantiam durabunt; licet a quibusdam positum fuerit, quod
omnes creaturae corruptibiles in ultima rerum consummatione deficient in non
esse; quod quidem Origeni ascribitur, qui tamen hoc non videtur dicere, nisi
aliorum opinionem recitando.
La totalité des créatures ne retournera jamais au néant. Et quoique les
créatures corruptibles n'aient pas toujours existé, elles dureront
éternellement, cependant selon leur substance; bien que quelques-uns aient
pensé que toutes les créatures corruptibles disparaîtront dans le non être à
l'ultime consommation du monde, ce qui est rapporté d'Origène, qui cependant ne
semble en parler qu'en rapportant l'opinion des autres.
Huius tamen rationem sumere possumus ex duobus.
Primo quidem ex divina voluntate, ex qua creaturarum esse
dependet. Voluntas enim Dei, quamvis, absolute considerata, ad opposita se in
creaturis habeat, eo quod non magis ad unum quam ad alterum obligatur; ex
suppositione tamen facta aliquam necessitatem habet. Sicut enim in creaturis
aliquid quod se ad opposita habet, necessarium creditur positione aliqua facta,
ut Socratem possibile est sedere et non sedere; necessarium tamen est eum
sedere, cum sedet; ita voluntas divina, quae, quantum est de se, potest velle
aliquid et eius oppositum, ut Petrum salvare, vel non, non potest velle Petrum
non salvare, dum vult Petrum salvare. Et quia eius voluntas immutabilis est, si
ponitur aliquando eum aliquid velle, necessarium est ex suppositione illud eum
semper velle, licet non sit necessarium ut velit quod sit semper, quod vult
esse aliquando.
Cependant nous pouvons en tirer la raison de deux points de vue:
1) Car quoique la volonté de Dieu, considérée dans l'absolu, se porte
vers les opposés dans les créatures, parce qu'il n'est pas plus obligé envers
l'une qu'envers l'autre, cependant, par hypothèse, une fois faite, elle a une
certaine nécessité. Ainsi, en effet,, on croit que dans les créatures, ce qui
se porte vers les opposés est nécessaire, une fois la situation établie. De
même qu'il est possible que Socrate s'assied, ou pas; cependant il est
nécessaire qu'il soit assis quand il s'assied; de la même manière la volonté
divine, qui, quant à elle, peut vouloir quelque chose et son opposé, comme
sauver Pierre, ou non, ne peut pas vouloir que Pierre ne soit pas sauvé,
pendant qu'elle veut le sauver. Et parce que sa volonté est immuable, si on
pense qu'il veut quelque chose quelquefois, il est nécessaire par hypothèse
qu'il le veuille toujours, bien qu'il ne soit pas nécessaire qu'il veuille
qu'existe toujours ce qu'il veut exister quelquefois.
Quicumque autem vult aliquid propter se ipsum, vult ut illud
sit semper, ex hoc ipso quod illud propter se vult. Quod enim aliquis vult
quandoque esse et postmodum non esse, vult esse ut aliquid aliud perficiat; quo
perfecto, eo non indiget quod propter illud perficiendum volebat. Deus autem
creaturarum universitatem vult propter se ipsam, licet et propter se ipsum eam
vult esse; haec enim duo non repugnant. Vult enim Deus ut creaturae sint
propter eius bonitatem, ut eam scilicet suo modo imitentur et repraesentent;
quod quidem faciunt in quantum ab ea esse habent, et in suis naturis
subsistunt. Unde idem est dictu, quod Deus omnia propter se ipsum fecit, [quod
dicitur Proverb. XVI, 4: Universa propter semetipsum operatus est Dominus
Éd.Marietti]et quod creaturas fecerit propter earum esse, quod dicitur Sap. I,
14: creavit enim ut essent omnia. Unde ex hoc ipso quod Deus creaturas
instituit, patet quod voluit eas semper durare; cuius oppositum propter eius
immobilitatem nunquam continget.
Mais quiconque veut quelque chose pour lui, veut que cela existe
toujours, du fait qu'il le veut pour lui. Car si quelqu'un veut qu'une chose
existe un temps, et qu'ensuite elle n'existe plus, il veut qu'elle existe pour
achever quelque chose d'autre; cela accompli, il n'a plus besoin de ce qu'il
voulait pour l'accomplir. Mais Dieu veut la totalité des créatures pour
elle-même, bien qu'il la veuille aussi pour lui; car ces points de vue ne
s'opposent pas. Car Dieu veut que les créatures existent pour sa bonté, pour
qu'elles l'imitent à leur manière et le représentent; ce qu'elles font dans la
mesure où elles ont l'être par sa bonté, et qu'elles subsistent dans leur
nature. C'est pourquoi c'est le même chose de dire, que Dieu fit tout pour lui
(ce qui est dit en Prov. 16, 4: "Le Seigneur a tout fait pour lui-même"),
et qu'il ait fait les créatures pour leur être, ce qui est dit en Sg. 1, 14, "Car
[Dieu] a créé pour que tout existe". C'est pourquoi du fait que Dieu a
institué les créatures, il est clair qu'il a voulu qu'elle durent toujours; et
l'opposé n'arrivera jamais à cause de son immutabilité.
Secundo ex ipsa rerum natura; sic enim Deus unamquamque
naturam instituit, ut ei non auferat suam proprietatem; unde dicitur Rom. XI,
24, in Glossa [ordinaria ad illa verba: Contra naturam insertus est –Marietti]
quod Deus, qui est naturarum conditor, contra naturas non agit, etsi aliquando
in argumentum fidei in rebus creatis aliquid supra naturam operetur. Rerum
autem immaterialium, quae contrarietate carent, proprietas naturalis est earum
sempiternitas; quia in eis non est potentia ad non esse, ut supra ostensum est.
Unde sicut igni non aufert naturalem inclinationem, qua sursum tendit, ita non
aufert rebus praedictis sempiternitatem, ut eas in nihilum redigat.
2) [Nous pouvons l'accepter] à cause de la nature même des choses; car
Dieu a institué chaque nature, de sorte qu'il ne lui enlève pas son caractère
propre; c'est pourquoi il est dit en Rm 11, 24, dans la Glose (ordinaire, pour
cette parole: "Greffé contre nature") que Dieu qui est le créateur
des natures n'agit pas contre elles, même si quelquefois pour mettre la foi en
lumière, il opère dans les créatures ce qui dépasse leur nature. Mais le
caractère naturel des êtres immatériels qui n'ont pas de contraire, est leur
éternité; parce que, en eux, il n'y a pas de puissance au non être, comme on
l'a montré ci-dessus. C'est pourquoi, de même qu'il n'enlève pas le penchant
naturel du feu, qui tend vers le haut, de même il n'élève pas l'éternité aux
choses dont on a parlé, pour les ramener au néant.
Solutions:
q. 5 a. 4 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, secundum Commentatorem XI Metaph., quod licet omnis
potentia quae est in corpore, sit finita, non tamen oportet quod in quolibet
corpore sit potentia finita ad esse, quia in corporibus corruptibilibus per
naturam, non est potentia ad esse, nec finita nec infinita, sed ad moveri
tantum. Sed haec solutio non videtur valere: quia potentia ad esse non solum
accipitur secundum modum potentiae passivae, quae est ex parte materiae, sed
etiam secundum modum potentiae activae, quae est ex parte formae, quae in rebus
incorruptibilibus deesse non potest. Nam quantum unicuique inest de forma,
tantum inest ei de virtute essendi; unde et in I caeli et mundi philosophus
vult quod quaedam habeant virtutem et potentiam ut semper sint.
# 1. Selon le Commentateur (Métaphysique,
9, com. 41), bien que toute la puissance, qui est dans un corps, soit limitée,
il ne faut pas cependant que, dans quelque corps, il y ait une puissance
limitée à l'être, parce que dans les corps corruptibles par nature, il n'y a
pas de puissance à être, ni finie, ni infinie, mais seulement puissance à se
mouvoir. Mais cette solution ne semble pas valable, parce que la puissance à
être non seulement est reçue selon le mode de la puissance passive, qui vient
de la matière, mais aussi selon le mode de la puissance active, qui vient de la
forme, qui ne peut pas manquer dans les choses incorruptibles. Car autant il y
a de forme en chacun, autant il y a en lui de pouvoir à être; c'est pourquoi
aussi dans le Ciel et le monde, I, le philosophe veut que certaines [formes]
aient un pouvoir et une puissance à exister toujours.
Et ideo aliter dicendum, quod ex infinitate temporis non
ostenditur habere infinitatem nisi illud quod tempore mensuratur vel per se,
sicut motus, vel per accidens, sicut esse rerum quae motui subiacent, quae
aliqua periodo motus durant, ultra quam durare non possunt. Esse autem corporis
caelestis nullo modo attingitur nec a tempore nec a motu, cum sit omnino
invariabile. Unde ex hoc quod caelum est tempore infinito, esse eius nullam
infinitatem habet, sicut omnino extra continuitatem temporis existens; propter
quod a theologis dicitur mensurari aevo. Unde non requiritur in caelo aliqua
virtus infinita ad hoc quod sit semper.
Et c'est pourquoi il faut dire autrement: l'infinité du temps ne montre
qu'on a l'infini que s'il est mesuré par le temps ou par soi, comme le
mouvement, ou par accident, comme l'être des choses soumises au mouvement, dont
certaines durent le temps du mouvement, au-delà duquel elles ne peuvent plus
durer. Mais l'être du corps céleste n'est atteint en aucune manière, ni par le
temps, ni par le mouvement, puisqu'il est tout à fait invariable. C'est
pourquoi de ce que le ciel soit dans un temps infini, son être n'a aucune
infinité, comme existant tout à fait hors du déroulement du temps; c'est pour
cela que les théologiens disent qu'il est mesuré par l'ævum. C'est pourquoi
aucun pouvoir infini n'est requis dans le ciel pour qu'il dure toujours.
q. 5 a. 4 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod sicut una pars exercitus ordinatur et ad aliam et ad
ducem, ita corporalis creatura ordinatur et ad perfectionem spiritualis
creaturae iuvandam, et ad divinam bonitatem repraesentandam; quod semper
faciet, licet primum cesset.
# 2. De même qu'une partie de l'armée est ordonnée à l'autre et au
général, de même la créature corporelle est ordonnée pour aider à la perfection
de la créature spirituelle, et pour représenter la bonté divine, ce qui se fera
toujours, bien que le premier cesse.
q. 5 a. 4 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod esse non dicitur accidens quod sit in genere accidentis,
si loquamur de esse substantiae (est enim actus essentiae), sed per quamdam
similitudinem: quia non est pars essentiae, sicut nec accidens. Si tamen esset
in genere accidentis, nihil prohiberet quin in infinitum duraret: per se enim
accidentia ex necessitate suis substantiis insunt; unde et nihil prohibet ea in
perpetuum inesse. Sed accidentia quae per
accidens insunt subiectis, nullo modo in perpetuum durant secundum naturam. Huiusmodi
autem esse non potest ipsum esse rei substantiale, cum sit essentiae actus.
# 3. L'être n'est pas appelé accident, parce qu'il serait dans le genre
de l'accident, si nous parlons de l'être de la substance (c'est en effet l'acte
de l'essence), mais par une certaine ressemblance; parce qu'il n'est pas partie
de l'essence ni de l'accident non plus. Si cependant il était dans le genre de
l'accident, rien n'empêcherait qu'il dure à l'infini; car par soi les accidents
sont par nécessité dans leurs substances; c'est pourquoi rien n'empêche qu'ils
y soient à perpétuité. Mais les accidents qui sont dans les substrats par
accident, ne durent en aucune manière perpétuellement selon leur nature. L'être
de ce genre ne peut être l'être même substantiel de la chose, puisqu'il est
l'acte de l'essence.
q. 5 a. 4 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod antequam res essent, non erat aliqua natura cuius
proprietas esset ipsa sempiternitas, sicut est aliqua natura rebus iam creatis.
Et praeterea hoc ipsum potuit esse ad aliquam perfectionem creaturae
spiritualis quod res non semper fuerint, quia per hoc Deus expresse rerum causa
ostenditur. Nulla autem utilitas sequeretur si omnia in nihilum redigerentur.
Et ideo non est simile de principio et fine.
# 4. Avant que les choses existent, il n'y avait pas de nature, dont le
caractère propre soit l'éternité, comme il y a une nature pour les choses déjà
créées. Et en outre, cela a pu être en vue d'un perfection de la créature
spirituelle, que les choses n'ont pas toujours existé, parce qu'ainsi Dieu se
montre expressément comme leur cause. Mais aucune utilité n'en découlerait si
tout était ramené au néant. Et c'est pourquoi ce n'est pas pareil pour le
commencement et la fin.
q. 5 a. 4 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod illa quae semper durabunt, habent virtutem ut sint
semper: hanc tamen virtutem non semper habuerunt, et ideo non semper fuerunt.
# 5. Ces êtres qui dureront toujours ont pouvoir d'exister toujours;
cependant ils n'ont pas eu toujours ce pouvoir, et c'est pourquoi ils n'ont pas
toujours existé.
q. 5 a. 4 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod licet Deus, de iustitia, creaturae contra se peccanti
posset esse subtrahere, et eam in nihilum redigere, tamen convenientior
iustitia est ut eam in esse reservet ad poenam: et hoc propter duo.
# 6. Bien que Dieu, par justice, puisse retirer l'être à la créature
qui pèche contre lui, et la ramener au néant, cependant c'est une justice plus
conforme de la conserver dans l'être pour le châtiment, et cela pour deux
raisons.
Primo, quia illa iustitia non haberet aliquid misericordiae
admixtum, cum nihil remaneret cui posset misericordia adhiberi: dicitur autem
in Psal. XXIV, 10, quod universae viae domini misericordia et veritas.
a) Parce que cette justice ne serait en rien mêlée à la miséricorde,
puisque rien ne demeurerait à qui il pourrait l'accorder; il est dit au Ps. 24,
10 que "toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité".
Secundo, quia ista iustitia congruentius
respondet culpae in duobus. In uno quidem, quia in culpa voluntas contra Deum
agit, non autem natura quae ordinem sibi a Deo inditum servat; et ideo talis
debet esse poena quae voluntatem affligat, naturae nocendo, qua voluntas
abutitur. Si autem creatura omnino in nihilum redigeretur, esset tantum
nocumentum naturae, et non afflictio voluntatis.
b) Parce que cette justice répond plus convenablement à la faute pour
deux raisons:
i) Parce que, dans la faute, la volonté agit contre Dieu, mais pas la
nature qui lui conserve l'ordre inscrit par Dieu, et c'est pourquoi tel doit
être le châtiment qui châtie la volonté, en blessant la nature dont la volonté
abuse. Mais si la créature était ramenée tout à fait au néant, ce serait un
aussi grand préjudice pour la nature et non un accablement de la volonté.
In altero vero, quia cum in peccato duo sint, scilicet
aversio ab incommutabili bono et conversio ad bonum commutabile, conversio post
se aversionem trahit: nullus enim peccans intendit a Deo averti, sed quaerit
frui temporali bono, cum quo simul Deo frui non potest. Unde cum poena damni
aversioni culpae respondeat, conversioni vero eius poena sensus pro actuali
culpa, conveniens est ut poena damni non sit sine poena sensus. Si autem in
nihilum creatura redigeretur, esset quidem poena damni aeterna, sed non
remaneret poena sensus.
ii) Parce que, comme dans le péché, il y a deux mouvements, à savoir le
détournement du bien immuable, et l'adhésion au bien changeant, cette dernière
adhésion entraîne après elle le détournement; car aucun pécheur ne tend à se
détourner de Dieu, mais cherche à jouir du bien temporel, avec lequel il ne
peut pas en même temps jouir de Dieu. C'est pourquoi, comme la peine du
châtiment répond au détournement de la faute, la peine du sens convient à
l'adhésion pour la faute actuelle, il est convenable que la peine du préjudice
ne soit pas sans peine du sens. Mais si la créature retournait au néant, ce
serait la peine éternelle du préjudice, mais la peine du sens ne demeurerait
pas.
q. 5 a. 4 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod iudicium de quo propheta mentionem facit, praedictam
consecutionem, congruentiam vel operationem poenae ad culpam importat. Furor
enim a quo liberari petit, misericordiae temperamentum excludit.
# 7. Le jugement dont le Prophète fait mention, apporte la conséquence
annoncée ou l'opération du châtiment pour la faute. Car le délire prophétique
dont il demande à être libéré exclut la modération de la miséricorde.
q. 5 a. 4 ad 8 Ad
octavum dicendum, quod aliquid dicitur melius vel propter praesentiam magis
boni, et sic melius est damnato esse quam non esse; vel propter absentiam mali:
quia etiam carere malo, in rationem boni cadit, secundum philosophum. Et
secundum hoc intelligitur verbum domini inductum.
# 8. On dit qu'une chose est meilleure, ou bien, à cause de la présence
de plus de bien, et ainsi il est meilleur pour le condamné d'exister que de ne
pas exister, ou bien, à cause de l'absence de mal; parce que le manque de mal,
appartient à la définition du bien, selon le philosophe (Éth., V, 8). Et c'est
ainsi qu'on comprend la parole du Seigneur qui est rapportée.
q. 5 a. 4 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod formae et accidentia etsi non habeant materiam partem sui
ex qua sint, habent tamen materiam in qua sunt et de cuius potentia educuntur;
unde et cum esse desinunt, non omnino annihilantur, sed remanent in potentia
materiae, sicut prius.
# 9. Même si les formes et les accidents n'ont pas de matière de ce
dont ils viennent, ils ont cependant la matière dans laquelle ils sont et de la
puissance dont ils sont éduits, c'est pourquoi, quand ils cessent d'exister,
ils ne sont pas tout à fait ramenés au néant, mais ils demeurent dans la
puissance de la matière, comme plus haut.
q. 5 a. 4 ad 10 Ad
decimum dicendum, quod sicut creaturae sunt ex nihilo, ita in nihilum sunt
redigibiles, si Deo placeret.
# 10. Les créatures viennent du néant, de la même manière, de même elles
sont aussi capables d'y retourner, si cela plaisait à Dieu.
q. 5 a. 4 ad 11 Ad
undecimum et duodecimum dicendum, quod auctoritates illae non sunt
intelligendae hoc modo quod substantia mundi pereat, sed figura, ut apostolus
dicit I ad Cor. VII, 31.
# 11 et 12. Ces autorités ne sont pas à comprendre comme si la
substance du monde périssait, mais en figure, comme l'Apôtre le dit (1 Co. 7,
31).
[1] Parall.: Ia, qu. 104,
a. 4 – qu. 65, a. 1, ad 1 – Pot. qu. 5, a. 9 ad 1.
q. 5 a. 5 tit. 1
Quinto quaeritur utrum motus caeli quandoque deficit. Et videtur quod non.
Il semble que non[1].
Objections:
q. 5 a. 5 arg. 1
Dicitur enim Gen. VIII, 22: cunctis diebus terrae, sementis et messis, frigus
et aestus, aestas et hiems, nox et dies non requiescent. Haec autem omnia ex
motu caeli proveniunt. Ergo motus caeli non requiescet quamdiu terra erit.
Terra autem in aeternum stat, ut dicitur Eccle. I, 4. Ergo et motus caeli in
aeternum erit.
1. Car il est dit en Gn 8, 22: "Pendant tous les jours de la
terre, semence et moisson, froid et chaud, été et hiver, nuit et jour ne se
cesseront pas." Mais tout cela provient du mouvement du ciel. Donc son
mouvement ne cessera pas tant que la terre existera. "Mais la terre
demeure dans l'éternité", comme il est dit dans l'Eccle. 1, 4. Donc le
mouvement du ciel sera éternel.
q. 5 a. 5 arg. 2 Sed
diceretur quod intelligitur de terra prout servit homini secundum praesentem
statum, quo per seminationem et messem homo fructus ex ea colligit ad
sustentationem vitae animalis, non autem prout terra serviet homini iam
glorificato, in aeternum durans ad maiorem bonorum iucunditatem.- Sed contra
dicitur Ierem. XXXI, 35: haec dicit dominus qui dat solem in lumine diei,
ordinem lunae et stellarum in lumine noctis; qui turbat mare, et sonant fluctus
eius: dominus exercituum nomen eius. Si defecerint leges istae coram me, tunc
et semen Israel deficiet ut non sit coram me gens semper. Non autem
intelligitur de Israel carnali, qui iam per sui dispersionem gens dici non
potest. Unde oportet quod intelligatur de Israel spirituali, qui tunc maxime
coram Deo gens erit, cum per essentiam Deum videbit. Ergo in statu beatitudinis
leges praemissae, quae motum caeli sequuntur non cessabunt; et sic neque per
consequens motus caeli.
2. Mais on pourrait dire qu'on le comprend de la terre dans la mesure
où elle sert à l'homme selon l'état présent; par l'ensemencement et la moisson,
il en tire des fruits pour la conservation de sa vie physique, mais non selon
qu'elle servirait à l'homme déjà glorifié, demeurant éternellement pour une
plus grande jouissance des biens – En sens contraire, il est dit en Jr. (31,
35): "Le Seigneur parle, lui qui donne le soleil pour la lumière du jour,
l'ordonnancement de la lune et des étoiles pour la lumière de la nuit, qui
agite la mer et fait gronder ses flots. Le Seigneur des armées, c'est son nom.
Si ces lois cessaient devant moi, alors la descendance d'Israël cesserait d'être
un peuple devant moi toujours." Mais on ne le comprend pas de l'Israël
charnel, qui déjà par sa diaspora ne peut plus être appelé un peuple. C'est
pourquoi il faut le comprendre de l'Israël spirituel, qui, alors, sera surtout
une peuple devant Dieu, quand il le verra par son essence. Donc dans l'état de
béatitude, les lois susdites, qui suivent le mouvement du ciel ne cesseront
pas, ni par conséquence le mouvement du ciel non plus.
q. 5 a. 5 arg. 3 Praeterea, quaecumque
necessitatem ex priori necessario habent, sunt necessaria absolute, ut patet
per philosophum in II Physic., sicut mors animalis, quae necessaria est propter
materiae necessitatem. Operationes autem rerum incorruptibilium, inter quas
motum caeli oportet ponere, sunt propter substantias eorum quorum sunt
operationes, et sic necessitatem ex priori habere videntur; cum e converso sit
in corruptibilibus, quorum substantiae sunt propter earum operationes; unde ex
posteriori necessitatem habent, ut Commentator ibidem dicit. Ergo
motus caeli necessitate absoluta necessarius est, et ita nunquam cessabit.
3. Tout ce qui tire sa nécessité d'un premier nécessaire, est
absolument nécessaire, comme on le voit chez le philosophe (Physique II, 9, 199 b 33 ss[2]); comme
la mort physique est nécessaire à cause de la matière. Mais les opérations des
êtres incorruptibles, parmi lesquels il faut placer le mouvement du ciel, sont
pour les substances de ceux d'où viennent les opérations et ainsi elles
semblent avoir leur nécessité de ce qui les précède[3]; alors que, à l'inverse,
cette nécessité est dans les êtres corruptibles dont les substances sont en vue
de leurs opérations, c'est pourquoi ils tirent leur nécessité de ce qui suit,
comme le Commentateur le dit là même. Donc le mouvement du ciel est nécessaire
d'une nécessité absolue, et il ne cessera jamais.
q. 5 a. 5 arg. 4
Praeterea, finis motus caeli est ut caelum per motum assimiletur Deo in quantum
exit de potentia in actum per situum renovationem, quos successive actualiter
acquirit; unumquodque enim secundum hoc Deo, qui est purus actus, assimilatur,
quod actu est. Iste autem finis cessaret cessante motu. Cum motus ergo non
cesset nisi obtento fine propter quem est, nunquam motus caeli cessabit.
4. Le but du mouvement du ciel est pour qu'il ressemble à Dieu par le
mouvement en tant qu'il passe de la puissance à l'acte par le renouvellement
des lieux qu'il occupe successivement en acte; car chaque chose ressemble à
Dieu qui est acte pur, parce qu'elle est en acte. Mais ce but n'existerait si
le mouvement cessait. Donc comme le mouvement ne cessait qu'en obtenant le but
pour lequel il existe, jamais le mouvement du ciel ne cessera.
q. 5 a. 5 arg. 5 Sed
dicebatur, quod motus caeli non est propter hunc finem, sed ad complendum
numerum electorum, quo completo, motus caeli quiescet.- Sed contra, nihil est propter se vilius, eo quod
finis est nobilior his quae sunt ad finem, cum finis sit causa bonitatis in his
quae sunt ad finem. Sed caelum, cum sit incorruptibile, est nobilius
quam generabilia et corruptibilia. Ergo non potest dici, quod motus caeli sit
propter aliquam generationem in istis inferioribus, per quam tamen numerus
electorum posset compleri.
5. Mais on pourrait dire, que le mouvement du ciel n'est pas pour ce
but, mais pour compléter le nombre des élus, et une fois celui-ci complet, il
s'arrêtera. – En sens contraire, rien n'est pas plus vil par soi, parce que le
but est plus noble que ce qui est pour lui, puisqu'il est la cause de la bonté.
Mais puisque le ciel est incorruptible, il est plus noble que ce qui peut être
engendré ou corrompu. Donc on ne peut pas dire que le mouvement du ciel soit
pour une génération dans ces êtres inférieurs, par laquelle cependant le nombre
des élus pourrait être complété.
q. 5 a. 5 arg. 6 Sed
dicebatur, quod motus caeli non est propter generationem electorum sicut
propter generalem finem, sed sicut propter finem secundarium.- Sed contra, habito fine secundario, non quiescit quod propter finem motus
movetur. Si ergo generatio, per quam completur numerus electorum est secundarius
finis motus caeli, eo habito non quiescet adhuc caelum.
6. Mais on pourrait dire que le mouvement du ciel n'est pas pour la
génération des élus, comme pour une fin générale mais comme pour une fin
secondaire. – En sens contraire, une fois acquise une fin secondaire, qu'il
soit mû en vue du but du mouvement ne cesse. Si donc la génération par laquelle
est complété le nombre des élus est une fin secondaire du mouvement du ciel,
une fois obtenue, le ciel ne cessera pas encore.
q. 5 a. 5 arg. 7
Praeterea, omne quod est in potentia, est imperfectum, nisi ad actum reducatur.
Deus autem in mundi consummatione non dimittet aliquid imperfectum. Cum ergo
potentia quae est in caelo ad ubi, non reducatur in actum nisi per motum,
videtur quod motus caeli etiam in mundi consummatione non quiescet.
7. Tout ce qui est en puissance est imparfait, sauf s'il est ramené à
l'acte. Mais Dieu, à la consommation du monde ne laissera rien d'imparfait.
Comme donc la puissance, qui dans le ciel concerne le lieu, n'est ramenée à
l'acte que par mouvement, il semble que le mouvement du ciel même à la
consommation du monde ne s'arrêtera pas.
q. 5 a. 5 arg. 8
Praeterea, si causae alicuius effectus sunt incorruptibiles et semper eodem
modo se habentes, et effectus ipse est sempiternus. Sed omnes causae motus
caeli sunt incorruptibiles et semper eodem modo se habentes; sive accipiamus
causam moventem, sive ipsum mobile. Ergo motus caeli in sempiternum durabit.
8. Si les causes d'un effet sont incorruptibles, et se comportent
toujours de la même manière, l'effet lui-même est éternel. Mais toutes les
causes du mouvement du ciel sont incorruptibles, et se comportent toujours de
la même manière; que nous considérions soit la cause moteur, soit le mobile
lui-même. Donc le mouvement du ciel durera éternellement.
q. 5 a. 5 arg. 9
Praeterea, illud quod est sempiternitatis susceptivum, nunquam a Deo sua
sempiternitate privabitur, ut patet in Angelo, anima rationali, et substantia
caeli. Sed motus caeli est susceptivus sempiternitatis (solum enim motum
circularem contingit esse perpetuum), ut probatur in VIII Physic.; ergo motus
caeli in perpetuum durabit, sicut et alia quae nata sunt esse sempiterna.
9. Ce qui est susceptible d'éternité, n'en sera jamais privé par Dieu,
comme c'est clair pour l'ange, l'âme rationnelle et la substance du ciel. Mais
le mouvement du ciel est susceptible d'éternité (car seul le mouvement
circulaire arrive à être perpétuel), comme on le prouve en Physique (VIII, 8, 264 b 7 Ð 265 a 11). Donc le mouvement du ciel
durera perpétuellement, comme les autres choses destinées à être éternelles.
q. 5 a. 5 arg. 10
Praeterea, si motus caeli quiescet, aut quiescet in instanti aut in tempore. Si
in instanti, contingit simul idem quiescere et moveri: quia cum in toto tempore
praecedenti moveretur, oportet dicere quod in quolibet ipsius temporis in quo
natum est moveri caelum, moveretur. In instanti autem signato in quo datum est
caelum quiescere, natum est caelum moveri, cum motus et quies circa idem sint:
hoc autem instans est aliquid temporis praecedentis, cum sit terminus eius.
Ergo in eo moveretur. Et datum erat quod in eo quiescebat. Ergo simul in eodem
instanti quiescet et movebitur; quod est impossibile. Si autem quiescit in
tempore, ergo tempus erit post motum caeli. Sed tempus non est sine motu caeli,
ergo motus caeli erit postquam esse desierit, quod est impossibile.
10. Si le mouvement du ciel s'arrêtait, ou il s'arrêterait dans
l'instant ou dans le temps. Si c'est dans l'instant, il arrive que c'est le
même qui s'arrête et se meut en même temps; parce que, comme en tout temps
précédant il serait mû, il faut dire que dans n'importe quel moment du temps,
dans lequel le ciel est destiné à être mû, il serait mû. Mais dans l'instant
désigné où il a été donné au ciel de s'arrêter, il est destiné à être mû
puisque le mouvement et le repos concernent le même sujet; mais cet instant est
quelque chose du temps précédant puisqu'il est son terme. Donc il serait mû en
lui. Et il avait été donné de cesser en lui. Donc, en même temps, dans le même
instant, il cessera et sera mû; ce qui est impossible. Mais s'il s'arrête dans
le temps, donc celui-ci existera après le mouvement du ciel. Mais le temps
n'existe pas sans lui, donc il existera après qu'il aura cessé d'exister, ce
qui est impossible.
q. 5 a. 5 arg. 11
Praeterea, si motus caeli aliquando deficiat, oportet quod tempus deficiat,
quod est numerus eius, ut patet in IV Physic. Sed impossibile est tempus
deficere, ergo impossibile est motum caeli deficere. Probatio mediae. Omne quod
semper est in sui principio et sui fine, nunquam coepit esse, nec unquam
deficiet, eo quod unumquodque est post suum principium et ante finem suum. Sed
nihil est accipere temporis nisi instans, quod est principium futuri et finis
praeteriti; et sic tempus semper est in sui principio et fine. Ergo tempus
nunquam deficiet.
11. Si le mouvement du ciel cessait un jour, il faut que le temps
cesse, puisqu'il le mesure, comme on le voit en Physique (IV, 10, 219 a 30 Ð 219 b 1). Mais il est impossible que
le temps cesse, donc il est impossible que le mouvement du ciel cesse. Preuve
de la proposition intermédiaire: tout ce qui est toujours en son commencement
et en sa fin, n'a jamais commencé à exister, et ne cessera jamais, parce que
chaque chose est après son commencement et avant sa fin. Mais rien du temps
n'est à recevoir sinon l'instant, qui est le commencement du futur et la fin du
passé; et ainsi le temps est toujours en son commencement et en sa fin. Donc le
temps ne cessera jamais.
q. 5 a. 5 arg. 12
Praeterea, motus caeli est naturalis caelo, sicut et motus gravium et levium
est eis naturalis, ut patet in I caeli et Mun. Hoc autem differt, quod corpora
elementaria non moventur naturaliter nisi cum sunt extra suum ubi, caelum autem
movetur etiam in suo ubi existens; ex quibus accidi potest quod sicut se habet
corpus elementare ad motum suum naturalem, cum est extra suum ubi, ita se habet
caelum ad motum suum naturalem, cum est in suo ubi. Corpus enim elementare, cum
est extra suum ubi, non quiescit nisi per violentiam. Ergo et caelum non potest
quiescere nisi quies sit violenta; quod quidem est inconveniens. Cum enim
nullum violentum possit esse perpetuum, sequeretur quod illa quies caeli non
esset perpetua; sed quandoque iterum caelum moveri inciperet; quod est fabulosum.
Ergo non est dicendum, quod motus caeli aliquando quiescat.
12. Le mouvement du ciel lui est naturel, de même le mouvement des
corps lourds et légers est naturel aussi pour eux, comme on le voit dans Le ciel et le monde, (I, com. 78, ss.).
Mais il y a cette différence que les corps élémentaires ne sont mus
naturellement que quand il ne sont pas à leur place, mais le ciel est mû même
en son lieu; c'est pour cela qu'il peut arriver que de même que le corps
élémentaire se comporte vis-à-vis de son mouvement naturel, quand il n'est pas
à sa place, de même le ciel se comporte quant à son mouvement naturel, quand il
est à sa place. Car le corps élémentaire, quand il n'est pas à sa place, n'y
reste que par violence. Donc le ciel aussi ne peut s'arrêter sans que son arrêt
ne soit violent, ce qui ne convient pas. Car, comme nulle violence ne pourrait
exister éternellement, il s'ensuivrait que ce repos du ciel ne serait pas
perpétuel, mais quelquefois il recommencerait à se mouvoir, ce qui est pure
imagination. Donc il ne faut pas dire que le mouvement du ciel s'arrêtera un
jour.
q. 5 a. 5 arg. 13
Praeterea, eorum quae sibi succedunt, oportet esse aliquem ordinem et
proportionem. Finiti autem ad infinitum non est aliqua proportio. Ergo
inconvenienter dicitur, quod caelum finito tempore sit motum, et postmodum
infinito tempore quiescat: quod tamen oportet dicere, si motus caeli incepit et
finietur, et nunquam reincipiat.
13. Dans tout ce qui se succède, il faut qu'il y ait un ordre et une
proportion. Mais du fini à l'infini il n'y a aucune proportion. Donc il ne
convient pas de dire que le ciel, une fois le temps terminé, est mû, et
qu'après un temps infini, il s'arrêtera, parce qu'il faut dire cependant que,
si le mouvement du ciel commence et s'achève, jamais il ne recommencera.
q. 5 a. 5 arg. 14
Praeterea, quanto aliquid Deo assimilatur secundum nobiliorem actum, tanto
nobilior est assimilatio; sicut nobilior est assimilatio hominis ad Deum quae
est secundum animam rationalem, quam animalis bruti, quae est secundum animam
sensibilem. Actus autem secundus nobilior est quam actus primus, sicut
consideratio quam scientia. Ergo assimilatio qua caelum assimilatur Deo
secundum actum secundum, qui est causare inferiora, est nobilior quam
assimilatio secundum claritatem, quae est actus primus. Si ergo in mundi
consummatione partes principales mundi meliorabuntur, videtur quod caelum non
desinet moveri, aliqua maiori claritate repletum.
14. Plus l'acte par lequel une chose ressemble à Dieu est noble, plus
sa ressemblance est noble. De même qu'est plus noble la ressemblance de l'homme
à Dieu, avec son âme rationnelle que celle de l'animal avec son âme sensitive.
Mais l'acte second est plus noble que l'acte premier, comme la considération[4]
plus que la science. Donc la ressemblance, par laquelle le ciel ressemble à
Dieu selon l'acte second, qui est de causer les choses inférieures, est plus
noble que la ressemblance selon la lumière qui est son acte premier. Si donc à
la consommation du monde, ses parties principales s'améliorent, il semble que
le ciel ne cessera pas de se mouvoir, empli par une plus grande lumière.
q. 5 a. 5 arg. 15
Praeterea, magnitudo et motus et tempus se consequuntur quantum ad divisionem
et finitatem vel infinitatem, ut probatur in VI Phys. Sed in magnitudine
circulari non est principium neque finis. Ergo nec in motu circulari poterit
esse aliquis finis; et sic, cum motus caeli sit circularis, videtur quod
nunquam finietur.
15. La grandeur, le mouvement et le temps se suivent quant à la
division, la finitude ou l'infinité, comme on le prouve en Physique (IV, 2, 209 b 32 Ð 4, 211 b 19, 211 b 29 Ð 212 a 2). Mais
dans une grandeur circulaire, il n'y a ni commencement ni fin. Donc il ne
pourra pas y avoir de fin dans le mouvement circulaire, et ainsi puisque le
mouvement du ciel est circulaire, il semble qu'il ne finira jamais.
q. 5 a. 5 arg. 16
Sed dicebat, quod licet motus circularis nunquam secundum suam naturam
finiatur, tamen divina voluntate finietur.- Sed contra est quod Augustinus
dicit: cum de mundi institutione agitur, non quaeritur quid Deus possit facere,
sed quod rerum natura patiatur ut fiat. Consummatio autem mundi, eius institutioni respondet, sicut finis
principio. Ergo nec in his quae pertinent ad finem mundi, recurrendum est ad
Dei voluntatem, sed ad rerum naturam.
16. Mais on pourrait dire, que bien que le mouvement circulaire ne
finisse jamais par sa nature, cependant il finira par la volonté de Dieu. – En
sens contraire, Il y a ce que dit Augustin (La
Genèse au sens littéral, II): "Quand il s'agit de la constitution du
monde, on ne cherche pas ce que Dieu pourrait faire, mais ce que la nature
supporte qu'il fasse." Mais la consommation du monde correspond à son
constitution, comme la fin à son commencement. Donc, en qui concerne la fin du
monde, il ne faut pas recourir à la volonté de Dieu, mais à la nature des
choses.
q. 5 a. 5 arg. 17
Praeterea, sol per suam praesentiam lumen et diem in istis inferioribus causat,
per absentiam vero tenebras et noctem. Sed non potest esse sol praesens utrique
hemisphaerio, nisi per motum. Ergo si motus caeli quiescat, semper sua
praesentia in una parte mundi causabit diem, et in alia noctem, cui sol semper
erit absens; et sic illa pars non erit meliorata, sed deteriorata, in mundi
consummatione.
17. Le soleil, par sa présence, cause la lumière et le jour dans ces
choses inférieures[5], et par son absence les ténèbres et la nuit. Mais le
soleil ne peut être présent dans chaque hémisphère, que par mouvement. Donc si
le mouvement du ciel s'arrête, sa présence toujours causera le jour dans une
partie du monde, et dans l'autre, pour laquelle le soleil sera toujours absent,
la nuit; et ainsi cette partie ne sera pas améliorée; mais détériorée, à la
consommation du monde.
q. 5 a. 5 arg. 18
Praeterea, illud quod aequaliter se habet ad duo, aut utrique adhaeret aut
neutri. Sed sol aequaliter se habet quantum est de sua natura ad quodlibet ubi
caeli. Ergo vel erit in quolibet, aut in nullo. Sed non potest esse in nullo,
quia omne corpus sensibile alicubi est. Ergo oportet quod sit in quolibet. Sed
hoc non potest esse, nisi per motus successionem. Ergo semper movebitur.
18. Ce qui se comporte de façon égale vis-à-vis de deux choses, adhère
à l'une et à l'autre ou à aucune. Mais le soleil se comporte de façon égale pour
ce qui est de sa nature dans n'importe quel lieu du ciel. Donc, ou bien il sera
en chacun ou en aucun. Mais il ne peut pas être en aucun, parce que tout corps
sensible est quelque part. Donc il faut qu'il soit quelque part. Mais cela
n'est possible que par succession de mouvement. Donc, il sera toujours en
mouvement.
q. 5 a. 5 arg. 19
Praeterea, in mundi consummatione a nullo tolletur sua perfectio quod tunc
remanebit, quia res quae remanebunt in illo statu non deteriorabuntur, sed
meliorabuntur. Motus autem est perfectio ipsius caeli; quod patet ex hoc quia
motus est entelechia mobilis in quantum huiusmodi, ut dicitur in II Phys.: et
iterum, ut dicitur in II caeli et mundi, caelum per motum perfectam bonitatem
consequitur. Ergo in mundi consummatione caelum motu non carebit.
19. A la consommation du monde, sa perfection, qui restera alors, ne
sera enlevée par personne, parce que ce qui demeurera dans cet état ne sera pas
détérioré, mais amélioré. Mais le mouvement est la perfection du ciel, ce qui
apparaît du fait que le mouvement est une entéléchie mobile en tant que tel,
comme il est dit en Physique, II,
texte 16, et à nouveau comme il est dit dans Le ciel et le monde, (II, 12, 292 b 20), le ciel par le mouvement
atteindra une bonté parfaite. Donc à la consommation du monde, il ne manquera
pas de mouvement.
q. 5 a. 5 arg. 20 Praeterea, corpus aliquod
nunquam attinget ad gradum naturae spiritualis. Hoc autem ad naturam
spiritualem pertinet quod bonitatem perfectam sine motu habeat, ut patet in II
caeli et mundi. Nunquam ergo caelum, si moveri desinat, perfectam bonitatem
habebit; quod est contra rationem consummationis mundi.
20. Un corps n'atteint jamais le niveau de la nature spirituelle. Mais
il convient à cette dernière qu'elle possède la bonté parfaite sans mouvement,
comme cela paraît dans Le ciel et le
monde, (II, 12, 292 a 23 Ð 292 b 20). Donc jamais le ciel, s'il cesse de se
mouvoir, n'aura la bonté parfaite, ce qui est contre la nature de la
consommation du monde.
q. 5 a. 5 arg. 21
Praeterea, nihil tollitur nisi per suum contrarium. Motui autem caeli nihil est
contrarium, ut probatur in I caeli et mundi. Ergo motus caeli nunquam quiescet.
21. Rien n'est enlevé que par son contraire. Rien n'est contraire au
mouvement du ciel, comme on le prouve dans Le
ciel et le monde (I, 2, 269 a 10 Ð 269 b 2). Donc le mouvement du monde ne
cessera jamais.
En sens contraire:
q. 5 a. 5 s. c. 1
Sed contra. Est quod dicitur Apoc. X, vers. 5: Angelus quem vidi stantem super
mare et super terram, levavit manum suam et iuravit per viventem in saecula
saeculorum (...): quia tempus amplius non erit. Tempus autem erit quamdiu motus
caeli erit. Ergo motus caeli aliquando esse desinet.
1. Il y a ce qui est dit en Apoc. , 10, 5: "L'ange que je vis
debout sur la mer et sur la terre, leva sa main et jura par le vivant pour les
siècles des siècles... parce qu'il n'y aura plus de temps." Mais le temps
durera aussi longtemps que le mouvement du ciel existera. Donc le mouvement du
ciel cessera un jour d'exister.
q. 5 a. 5 s. c. 2
Praeterea, dicitur Iob XIV, 12: homo, cum dormierit, non resurget, donec
atteratur caelum; non evigilabit, nec consurget de somno suo. Caelum autem non
potest intelligi quod atteratur secundum substantiam, quia semper remanebit, ut
prius probatum est. Ergo quando resurrectio mortuorum erit, caelum atteretur
quantum ad motum, qui cessabit.
2. Il est dit en Job, 14, 12: "Quand l'homme se sera endormi, il
ne se relévera pas, jusqu'à ce que le ciel soit usé; il ne se réveillera pas et
ne se lèvera pas de son sommeil." Mais on ne peut pas comprendre que le
ciel sera usé dans sa substance, parce qu'il demeurera toujours, comme on l'a
prouvé plus haut. Donc quand il y aura la résurrection des morts, le ciel sera
anéanti quant à son mouvement qui cessera.
q. 5 a. 5 s. c. 3
Praeterea, Rom. VIII, 22, super illud: omnis creatura ingemiscit, et parturit
usque adhuc, dicit Glossa Ambrosii: omnia elementa cum labore sua explent
officia, sicut sol et luna non sine labore statuta sibi implent spatia; quod
est causa nostri: unde quiescent nobis assumptis. Ergo in resurrectione
sanctorum motus corporum caelestium quiescent.
3. En Rm 8, 22, sur ce verset: "Toute créature gémit et enfante
jusqu'à maintenant", la glose d'Ambroise (Ambrosiaster) dit: "Tous
les éléments rempliront leurs devoirs avec ardeur, de même que le soleil et la
lune, non sans ardeur, emplissent les espaces, qui leur sont assignés, parce
qu'il est cause pour nous; c'est pourquoi ils cesseront quand nous serons
enlevés." Donc, à la résurrection des saints, le mouvement des corps
cessera.
q. 5 a. 5 s. c. 4
Praeterea, Isidorus dicit: post iudicium sol laboris sui mercedem recipiet, et
non veniet ad occasum nec sol nec luna; quod non potest esse, si caelum
moveatur, ergo tunc caelum non movebitur.
4. Isidore[6] dit (Le livre des créatures): "Après le
jugement, le soleil recevra la récompense de son labeur, et ni le soleil ni la
lune n'en arriveront à leur destruction." Ce qui n'est pas possible si le
ciel se meut, donc alors le ciel ne sera plus en mouvement.
Réponse:
q. 5 a. 5 co.
Respondeo. Dicendum quod secundum documenta sanctorum ponimus motum caeli
quandoque cessaturum; quamvis hoc magis fide teneatur quam ratione demonstrari
possit. Ut autem manifestum esse possit in quo huius quaestionis pendeat
difficultas, attendendum est quod motus caeli non hoc modo est naturalis
caelesti corpori sicut motus elementaris corporis est sibi naturalis; habet
enim huiusmodi motus in mobili principium, non solum materiale et receptivum,
sed etiam formale et activum. Formam enim ipsius elementaris corporis sequitur
talis motus, sicut et aliae naturales proprietates ex essentialibus principiis
consequuntur; unde in eis generans dicitur esse movens in quantum dat formam
quam consequitur motus.
Il faut dire que, selon les enseignements des saints, nous pensons que
le mouvement du ciel cessera un jour; bien que cela soit assuré plus par la foi
que démontré par la raison. Mais pour que cela puisse être évident où se trouve
la difficulté de cette question, il faut faire attention que le mouvement du
ciel n'est pas naturel pour le corps céleste de la même manière qu'est naturel
le mouvement du corps élémentaire pour lui-même; car dans ce qui peut être mû
le mouvement de ce genre a un principe, non seulement matériel et réceptif, mais
encore formel et actif. Un tel mouvement, en effet, suit la forme du corps
élémentaire, de même aussi que les autres propriétés naturelles découlent des
principes essentiels: c'est pourquoi ce qui engendre en elux est appelé moteur,
dans la mesure où il donne la forme qu'atteint le mouvement.
Sic autem in corpore caelesti dici non potest. Cum enim
natura semper in unum tendat determinate, non se habens ad multa, impossibile
est quod aliqua natura inclinet ad motum secundum se ipsum, eo quod in quolibet
motu difformitas quaedam est, in quantum non eodem modo se habet quod movetur;
uniformitas vero mobilis est contra motus rationem.
Mais on ne peut pas parler ainsi pour le corps céleste. En effet, comme
la nature tend toujours à un [effet] de manière limitée, mais pas à plusieurs,
il est impossible qu'une nature incline à un mouvement selon elle-même; parce
que, en n'importe quel mouvement, il y a une altération; dans la mesure où ce
qui est mû ne se comporte pas de la même manière; mais l'uniformité du mobile
est contre la nature du mouvement.
Unde natura nunquam inclinat ad motum propter movere, sed
propter aliquid determinatum quod ex motu consequitur; sicut natura gravis
inclinat ad quietem in medio, et per consequens inclinat ad motum qui est
deorsum, secundum quod tali motu in talem locum pervenitur. Caelum autem non
pervenit suo motu in aliquod ubi, ad quod per suam naturam inclinetur, quia
quodlibet ubi est principium et finis motus; unde non potest esse suus motus
naturalis quasi sequens aliquam inclinationem naturalis virtutis inhaerentis,
sicut sursum ferri est motus naturalis ignis.
C'est pourquoi, la nature n'incline jamais au mouvement pour mouvoir,
mais pour un but déterminé, qui découle de son mouvement, de même que ce qui
est lourd par nature incline au repos dans un milieu qui lui convient et par
conséquent incline à un mouvement vers le bas, selon que, par un tel mouvement,
il parvient en un tel lieu. Mais le ciel ne parvient pas par son mouvement à
quelque lieu, vers lequel il est poussé par sa nature, parce que n'importe quel
lieu est le commencement et la fin de son mouvement; c'est pourquoi son
mouvement naturel ne peut pas exister, comme s'il suivait une inclination de la
puissance naturelle inhérente, de la même manière que s'élever est le mouvement
naturel du feu.
:Dicitur autem motus circularis esse naturalis caelo, in
quantum in sua natura habet aptitudinem ad talem motum; et sic in seipso habet
principium talis motus passivum; activum autem principium motus est aliqua
substantia separata, ut Deus vel intelligentia vel anima, ut quidam ponunt;
quantum enim ad praesentem quaestionem nihil differt.
Mais on dit que le mouvement circulaire est naturel au le ciel, dans la
mesure où dans sa nature il a une aptitude à une tel mouvement; et ainsi en
lui-même, il a le principe passif d'un tel mouvement; mais le principe actif
est une substance séparée, comme Dieu ou une intelligence ou une âme, comme
certains le pensent, car pour la présente question, il n'y a aucune
différence[7].
Ratio ergo permanentiae motus non potest sumi
ex natura aliqua caelestis corporis, ex qua tantum est aptitudo ad motum; sed
oportet eam sumere ex principio activo separato. Et quia agens omne propter
finem agit, oportet considerare quis est finis motus caeli; si namque fini eius
congruat quod motus aliquando terminetur, caelum quandoque quiescet; si autem
fini eius non competat quies, motus eius erit sempiternus; non enim potest esse
quod motus deficiat ex mutatione causae moventis, cum voluntas Dei sit
immutabilis sicut etiam natura; et per eam immobilitatem consequantur, si quae
sunt causae mediae moventes.
Donc la raison de la permanence du mouvement ne peut venir de la nature
du corps céleste, par laquelle il possède seulement l'aptitude au mouvement,
mais il faut la prendre d'un principe actif séparé. Et parce que tout agent
agit en vue d'une fin, il faut considérer quelle est la fin du mouvement du
ciel; si en effet il convient à sa fin que le mouvement se termine un jour, le
ciel s'arrêtera quelque jour; mais si l'arrêt ne convient pas à sa fin, son
mouvement sera éternel, car il ne peut arriver que le mouvement s'arrête à
cause du changement de la cause moteur, puisque la volonté de Dieu est
immuable, comme sa nature aussi, et par elle ils obtiendront l'immobilité, s'il
y a des causes moteurs intermédiaires.
In hac autem
consideratione tria oportet vitare:
quorum primum est,
ne dicamus caelum moveri propter ipsum motum; sicut dicebatur caelum esse
propter ipsum esse, in quo Deo assimilatur. Motus enim, ex ipsa sui ratione, repugnat
ne possit poni finis, eo quod motus est in aliud tendens; unde non habet
rationem finis, sed magis eius quod est ad finem. Cui etiam attestatur quod est
actus imperfectus, ut dicitur in III de anima. Finis autem est ultima perfectio.
Mais dans cette considération, il faut éviter trois erreurs:
1) La première: Ne disons pas que le ciel est mû pour le mouvement en
lui-même, comme si on disait qu'il existe pour son être même, en quoi il
ressemble à Dieu. Car le mouvement, de sa propre nature, répugne à ce qu'il ne
puisse pas y avoir une fin, parce qu'il tend à un autre lieu; c'est pourquoi il
n'a pas la nature de fin, mais plutôt de ce qui est en vue de la fin. Il est
attesté qu'il est un acte imparfait, comme on le dit dans L'âme (III, 7, 431 a
5) et en Physique( III, 2 201 b
31[8]). Mais la fin est la perfection ultime.
Secundum est, ut non ponatur motus caeli esse propter
aliquid vilius; nam cum finis sit unde ratio sumitur, oportet finem praeeminere
his quae sunt ad finem. Potest autem contingere quod vilior sit terminus
operationis rei nobilioris; non autem ut sit finis intentionis: sicut securitas
rustici est terminus quidam, ad quem operatio regis gubernantis terminatur; non
tamen regimen regis est ordinatum ad huius rustici securitatem sicut in finem
sed in aliquid melius, scilicet in bonum commune. Unde non potest dici, quod
generatio istorum inferiorum sit finis motus caeli, etsi sit effectus vel
terminus, quia et caelum his inferioribus praeeminet, et motus eius motibus et
mutationibus horum.
2) La seconde: qu'on ne pense pas que le mouvement du ciel est pour
quelque chose de plus vil; en effet, comme c'est sa fin, d'où on tire sa
raison, il faut que celle-ci soit prééminente sur ce qui est en vue de la fin.
Mais il peut arriver que le terme d'une opération d'une chose plus noble soit
plus vil; mais non pour qu'elle soit la fin de l'intention: ainsi la sécurité
du paysan est le terme où s'achève l'opération du roi qui gouverne; cependant
l'administration du roi n'est pas ordonnée à la sécurité de ce paysan, comme à
sa fin, mais à quelque chose de meilleur, à savoir le bien commun. C'est
pourquoi on ne peut pas dire que la génération des êtres inférieurs soit la fin
du mouvement du ciel, même si elle en est l'effet ou le terme, parce que d'une
part le ciel l'emporte sur ces êtres inférieurs, et d'autre part son mouvement
[l'emporet] sur leurs mouvements et leurs changements.
Tertium est, ut non ponatur finis motus caeli aliquid
infinitum, quia, ut dicitur in II Metaphys., qui ponit infinitum in causa
finali destruit finem et naturam boni. Pertingere enim quod infinitum est,
impossibile est. Nihil autem movetur ad id quod impossibile est ipsum consequi,
ut dicitur in I caeli et mundi. Unde non potest dici, quod finis motus caeli sit
ut consequatur in actu ubi ad quod est in potentia, licet hoc Avicenna dicere
videatur. Hoc enim impossibile est consequi, cum infinitum sit; quia dum in uno
ubi fit in actu, erit in potentia ad aliud ubi, in quo prius actu existebat.
3) La troisième: qu'on ne pense pas que la fin du mouvement du ciel
soit quelque chose d'infini, parce que, comme il est dit en Métaphysique (II, 2, 994 b 13[9]), celui
qui place l'infini dans la cause finale détruit la fin et la nature du bien.
Car il est impossible d'atteindre ce qui est infini. Mais rien ne se meut vers
ce qu'il est impossible d'atteindre, comme on le dit dans Le ciel et le monde, I. C'est pourquoi on ne peut pas dire que la
fin du mouvement du ciel soit d'atteindre en acte un lieu où il est en puissance,
bien qu'Avicenne semble le dire. Car il est impossible de l'atteindre,
puisqu'il est infini, parce que, pendant qu'il est en acte dans un lieu, il
sera en puissance à un autre, dans lequel il existait avant en acte.
Oportet ergo finem motus caeli ponere aliquid quod caelum
per motum consequi possit, quod sit aliud a motu, et eo nobilius. Hoc autem
dupliciter potest poni.
Il faut donc penser que la fin du mouvement du ciel est quelque chose
que le ciel pourrait atteindre par mouvement, ce qui est différent du mouvement
et plus noble que lui. Mais cela on peut le penser de deux manières:
Uno modo ut ponatur finis motus caeli aliquid in ipso caelo,
quod simul cum motu existit; et secundum hoc a quibusdam philosophis ponitur,
quod similitudo ad Deum in causando est finis motus caeli; quod quidem fit ipso
motu durante; unde secundum hoc non convenit quod motus caeli deficiat, quia
deficiente motu, finis ex motu proveniens cessaret.
1) Penser que la fin du mouvement du ciel est quelque chose dans le
ciel même, qui existe en même temps que le mouvement, et à cause de cela
certains philosophes pensent, que la ressemblance à Dieu, en tant que cause,
est la fin du mouvement du ciel; ce qui se fait tant que dure le mouvement;
c'est pourquoi, il ne convient pas que le mouvement du ciel cesse, parce que
s'il cessait, la fin qui provient du mouvement disparaitrait.
Alio modo potest poni finis motus caeli aliquid extra
caelum, ad quod pervenitur per motum caeli; quo cessante illud potest remanere:
et haec est nostra positio.
2) On peut penser que la fin du mouvement du ciel est quelque chose
hors de lui, auquel il parvient par son mouvement, et quand il cesse, cela peut
demeurer; et telle est notre position.
Ponimus enim quod motus caeli est propter implendum numerum
electorum. Anima namque rationalis quolibet corpore nobilior est, et ipso
caelo. Unde nullum est inconveniens, si ponatur finis motus caeli multiplicatio
rationalium animarum: non autem in infinitum, quia hoc per motum caeli
provenire non posset; et sic moveretur ad aliquid quod consequi non potest;
unde relinquitur quod determinata multitudo animarum rationalium sit finis
motus caeli. Unde ea habita motus caeli cessabit.
Car nous pensons que le mouvement du ciel est pour compléter le nombre
des élus. L'âme rationnelle, en effet, est plus noble que n'importe quel corps
et que le ciel même. C'est pourquoi il n'est nullement inconvenant de penser
que la fin du mouvement du ciel est la multiplication des âmes rationnelles,
mais pas à l'infini, parce que cela ne pourrait pas provenir du mouvement du
ciel; et alors il serait mû vers quelque chose qu'il ne peut pas atteindre;
c'est pourquoi il reste que la multitude limitée des âmes rationnelles est la
fin du mouvement du ciel. C'est pourquoi une fois cela atteint, le mouvement du
ciel cessera.
Licet autem utraque positionum praedictarum possit
rationabiliter sustineri, tamen secunda, quae fidei est, videtur esse
probabilior propter tres rationes.
Bien que l'une et l'autre des positions annoncées puissent être soutenues
raisonnablement, cependant la seconde, qui est de foi, paraît plus probable,
pour trois raisons:
Primo quidem, quia nihil differt dicere finem alicuius esse
assimilationem ad Deum secundum aliquid, et illud secundum quod assimilatio
attenditur; sicut supra dictum est, quod finis rerum posset dici vel ipsa
assimilatio divinae bonitatis, vel esse rerum, secundum quod res Deo
assimilantur. Idem ergo est dictu, finem motus caeli esse assimilari Deo in
causando et causare. Causare autem non potest esse finis, cum sit operatio
habens operatum et tendens in aliud: huiusmodi enim operationibus meliora sunt
operata, ut dicitur in principio Ethic.; unde huiusmodi factiones non possunt
esse fines agentium, cum non sint perfectiones facientium, sed magis factorum;
unde et ipsa facta sunt magis fines, ut patet IX Metaph., et in I Ethic. Ipsa autem operata non
sunt fines, cum sint viliora caelo, ut supra dictum est. Unde relinquitur non convenienter dici,
quod finis motus caeli sit assimilari ad Deum in causando.
1) Parce qu'il n'y a pas de différence entre dire que la fin d'un être
est une ressemblance relative à Dieu, et dire en quoi la ressemblance est
atteinte, comme on a affirmé ci-dessus qu'il est possible de dire que la fin
des choses est ou bien la ressemblance même à la bonté divine, ou bien leur
être selon qu'elles ressemblent à Dieu. Donc c'est la même chose de dire que la
fin du mouvement du ciel est de ressembler à Dieu en causant et être cause.
Mais être cause ne peut être une fin, puisque c'est une opération qui a un
résultat et tend à autre chose; car pour de telles opérations les résultats
sont meilleurs, comme il est dit au début de l'Éthique (I, 1, 1094 a 5); c'est
pourquoi de telles productions ne peuvent pas être le but des agents,
puisqu'ils ne sont pas la perfection de ceux qui les font, mais plutôt de ce
qui est fait; c'est pourquoi ce qui est produit est davantage la fin, comme on
le voit en Métaphysique, (IX, 8, 1050
a 30), et en Éthique, (I, 1, 1094 a 3). Les résultats des opérations ne sont
pas des fins, puisqu'ils sont plus vils que le ciel, comme on l'a dit
ci-dessus. C'est pourquoi, il reste qu'il ne convient pas de dire que la fin du
mouvement du ciel est de ressembler à Dieu en étant cause.
Secundo vero, quia cum caelum moveatur in ipso existente
sola aptitudine ad motum, principio vero activo existente extra, ut dictum est;
movetur et agit sicut instrumentum haec est enim dispositio instrumenti, ut
patet in artificialibus, nam in securi est sola aptitudo ad talem motum;
principium autem motus in artifice est. Unde et secundum philosophos, quod
movet motum, movet ut instrumentum. In actione autem quae est per instrumentum,
non potest esse finis aliquis in ipso instrumento nisi per accidens, in quantum
instrumentum accipitur ut artificiatum et non ut instrumentum; unde non est
probabile quod finis motus caeli sit aliqua perfectio ipsius, sed magis aliquid
extra ipsum.
2) Parce que, comme le ciel se meut tout en existant lui-même par sa
seule aptitude au mouvement, alors que son principe actif existe à l'extérieur,
comme on l'a dit, il se meut et agit comme instrument, car c'est la manière
d'agir de l'instrument, comme on le voit dans les oeuvres artificielles, ainsi
la hache a seulement l'aptitude à un tel mouvement, mais le principe du mouvement
est dans l'artisan. C'est pourquoi selon les philosophes, ce qui meut ce qui
est mû, le meut comme instrument. Mais dans l'action, accomplie par un
instrument, il ne peut y avoir une fin dans l'instrument lui-même que par
accident, dans la mesure où il est pris comme oeuvre et non comme instrument;
c'est pourquoi il n'est pas probable que la fin du mouvement du ciel soit sa
propre perfection, mais plutôt un objet hors de lui.
Tertio, quia si similitudo ad Deum in causando est finis
motus caeli, praecipue attenditur haec similitudo secundum causalitatem eius
quod a Deo immediate causatur, scilicet animae rationalis, ad cuius
causalitatem concurrit caelum et per motum suum materiam disponendo. Et ideo
probabilius est quod finis motus caeli sit numerus electorum quam assimilatio
ad Deum in causalitate generationis et corruptionis, secundum quod philosophi
ponunt. Et
ideo concedimus quod motus caeli completo numero electorum finietur.
3) Parce que si la ressemblance à Dieu dans le fait qu'il est cause, est
la fin du mouvement du ciel, cette ressemblance est principalement atteinte
selon la causalité de ce qui est causée immédiatement par Dieu, à savoir celle
de l'âme rationnelle: à sa causalité concourt le ciel en disposant la matière
par son mouvement. Et c'est pourquoi il est plus probable que la fin du
mouvement du ciel est le nombre des élus que la ressemblance à Dieu lorsqu'il
cause la génération et corruption, selon ce que pensent les philosophes. Et
c'est pourquoi nous concédons que le mouvement du ciel se terminera quand le
nombre des élus sera complet.
Solutions:
q. 5 a. 5 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod loquitur de duratione terrae secundum quod est
transmutationi subiecta; sic enim in ea seminatur et metitur. Tali autem statu
terrae durante motus caeli non cessabit.
# 1. [La Genèse] parle de la durée de la terre selon qu'elle est
soumise au changement; car ainsi on sème et on moissonne sur elle. Mais tant
que dure un tel état de la terre, le mouvement du ciel ne cessera pas.
q. 5 a. 5 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod auctoritas illa non est intelligenda de Israel carnali,
sed de Israel spirituali; non tamen secundum quod est in patria coram Deo,
contemplando ipsum per speciem, sed secundum quod est in via coram Deo per
fidem; ut sic idem sit quod dicitur hic, et quod dominus discipulis loquens
ait, Matth. XXVIII, 20: ecce ego vobiscum sum usque ad consummationem saeculi.
# 2. Cette autorité n'est pas à comprendre de l'Israël charnel, mais de
l'Israël spirituel; cependant non selon qu'il est dans la patrie devant Dieu,
en le contemplant par sa forme (per speciem), mais selon qu'il est en chemin
devant lui par la foi, pour que ce soit une même chose ce qui est dit ici et
que le Seigneur parlant à ses disciples leur dit (Mt. 18, 20): "Voici, je
suis avec vous jusqu'à la consommation des siècles."
q. 5 a. 5 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod haec praepositio propter denotat causam; unde quandoque
denotat causam finalem, quae est posterior in esse; quandoque autem materialem
vel efficientem, quae sunt prior. Cum autem dicitur in rebus incorruptibilibus,
actus sunt propter agentia, ly propter non denotat causam finalem, sed causam
efficientem, ex qua est necessitas ibi, et non ex fine. Motus ergo caeli si
comparetur ad ipsum mobile, non habet ex eo necessitatem sicut ex causa
efficiente, ut ostensum est; habet autem hanc necessitatem ex movente. Quod,
quia est voluntarie movens, secundum hoc necessitatem in motu inducit secundum
quod determinatum est per ordinem sapientiae divinae, et non ad moveri semper.
# 3. Cette préposition propter (pour) signale une cause; c'est pourquoi
quelquefois elle signifie la cause finale, qui est postérieure dans l'être,
quelquefois la cause matérielle, ou la cause efficiente qui sont avant. Quand
on dit que dans ce qui est incorruptible, les actes sont pour les agents, le
propter ne signifie pas la cause finale, mais la cause efficiente, d'où elle
tire sa nécessité et non de la fin. Donc, si le mouvement du ciel est comparé à
un mobile même, il n'en a pas nécessité comme d'une cause efficiente, comme on
l'a montré; mais il tient cette nécessité du moteur. Parce qu'il est moteur
volontairement, il introduit la nécessité dans le mouvement selon qu'il est
déterminé par l'ordre de la sagesse divine, et non pour se mouvoir toujours.
q. 5 a. 5 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod assimilari Deo secundum hoc quod actu acquirit
successive diversos situs ad quos prius erat in potentia, non potest esse finis
motus caeli: tum quia hoc infinitum est, ut supra ostensum est; tum quia sicut
ex una parte per motum acceditur ad divinam similitudinem, per hoc quod situs
qui erant in potentia, fiunt actu; ita ab alia parte receditur a divina
similitudine per hoc quod situs qui erant in actu, fiunt in potentia.
# 4. Ressembler à Dieu selon qu'il acquiert en acte successivement les
divers lieux, pour lesquels il était avant en puissance, ne peut pas être la
fin du mouvement du ciel; d'une part, parce que cela est infini, comme on l'a
montré ci-dessus, d'autre part, parce que, de même que d'un côté il atteint par
mouvement la ressemblance divine, du fait que les lieux qui étaient en
puissance, deviennent en acte; de même d'un autre côté, il s'éloigne de la
ressemblance divine par le fait que les lieux qui étaient en acte deviennent en
puissance.
q. 5 a. 5 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod licet generabilia et corruptibilia sint viliora caelo,
tamen animae rationales sunt corpore caeli nobiliores, quae tamen a Deo
producuntur ad esse in materia disposita per motum caeli.
# 5. Bien que ce qui peut être engendré ou corrompu soit plus vil que
le ciel, cependant les âmes rationnelles sont plus nobles que le corps du ciel;
cependant elles sont amenées à l'être par Dieu dans la matière disposée par le
mouvement du ciel.
q. 5 a. 5 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod completio numeri electorum, secundum doctrinam fidei non
ponitur secundarius finis motus caeli, sed principalis, licet non ultimus, quia
finis ultimus uniuscuiusque rei est bonitas divina, in quantum creaturae
quoquomodo ad eam pertingunt vel per similitudinem vel per debitum famulatum.
# 6. On ne pense pas que, selon la doctrine de la foi, l'achèvement du
nombre des élus est la fin seconde du mouvement du ciel, mais sa fin
principale, bien qu'elle ne soit pas la dernière, puisque la fin ultime de
chaque chose est la bonté divine, dans la mesure où les créatures d'une
certaine manière y parviennent ou par ressemblance ou par le service qui lui
est dû.
q. 5 a. 5 ad 7 Ad septimum dicendum, quod res
non dicitur esse imperfecta, quacumque potentia in ipsa non reducta ad actum,
sed solum quando per reductionem in actum res suum consequitur complementum. Non enim
homo qui est in potentia ut sit in India, imperfectus erit, si ibi non fuerit;
sed imperfectus dicitur, si scientia vel virtute careat, qua natus est perfici.
Caelum autem non perficitur per locum, sicut
corpora inferiora, quae in proprio ubi conservantur. Unde licet potentia qua
potest esse in aliquo ubi, nunquam reducatur ad actum, non tamen sequitur quod
sit imperfectum.
# 7. On ne dit pas qu'une chose est imparfaite, par quelque puissance
en elle qui n'est pas ramenée à l'acte, mais seulement, étant ramenée à l'acte,
elle reçoit son achèvement. Car l'homme, qui est en puissance pour être en
Inde, ne sera pas imparfait, s'il n'y est pas allé, mais on le dit imparfait,
s'il manque de la science ou du pouvoir, qui sont destinés à le parfaire. Mais
le ciel n'est pas achevé par le lieu comme les corps inférieurs, qui se
conservent en leur lieu propre. C'est pourquoi, bien que la puissance, par
laquelle il peut être dans un lieu, ne soit jamais ramenée à l'acte, il n'en
découle pas cependant qu'il soit imparfait. Car considéré en soi, il n'a pas
une perfection plus grande qu'il soit dans un lieu ou un autre, mais il se
comporte indifféremment pour tout lieu, puisqu'il est mû naturellement vers
n'importe lequel. Mais l'indifférence elle-même conduit plus au repos qu'à la
perpétuité du mouvement, à moins de considérer la volonté du moteur et de celui
qui cherche la fin. Ainsi certains philosophes ont assigné la cause du repos de
la terre, dans un juste milieu à cause de son indifférence par rapport à
n'importe quelle partie de la circonférence du ciel.
q. 5 a. 5 ad 8 Ad
octavum dicendum, quod licet causae motus caeli omnes sint sempiternae, tamen
movens, ex quo necessitas eius dependet, movet per voluntatem et non est
necessarium quod semper moveat, sed secundum quod exigit ratio finis.
# 8. Bien que les causes du mouvement du ciel ne soient pas toutes
éternelles, cependant le moteur d'où dépend sa nécessité, meut par volonté, et
il n'est pas nécessaire qu'il meuve toujours, mais selon ce qu'exige la raison
de la fin.
q. 5 a. 5 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod alio modo caelum est secundum suam naturam capax
sempiternitatis motus et sui esse. Nam suum esse dependet ex principiis suae
naturae, ex quibus consequitur necessitas essendi, cum non sit in eis
possibilitas ad non esse, ut prius ostensum est; suus autem motus in natura
eius non habet nisi aptitudinem; necessitatem vero habet ex movente. Unde etiam
secundum Commentatorem, sempiternitas essendi in caelo est ex principiis suae
naturae, non autem sempiternitas motus, sed ab extrinseco. Unde etiam secundum
eos qui dicunt motum nunquam deficere, causa durationis motus caeli et eius
sempiternitatis, est voluntas divina; quamvis eius immobilitas non de
necessitate concludere possit sempiternitatem motus caeli, ut ipsi volunt. Non
enim est mobilis voluntas, si velit quod diversa sibi invicem succedant
secundum quod exigit finis quem immobiliter vult. Et ideo potius est inquirenda
ratio sempiternitatis motus ex fine quam ex immobilitate moventis.
# 9. C'est d'une autre manière que le ciel est selon sa nature capable
de l'éternité du mouvement, et de celle son être. Car son être dépend des
principes de sa nature d'où il tire sa nécessité d'être, puisqu'il n'y a pas en
lui de possibilité au non être, comme on l'a montré plus haut; son mouvement
dans sa nature n'a qu'une aptitude, mais tire sa nécessité du moteur. C'est
pourquoi, selon le Commentateur (Métaphysique
II, et dans le livre La Substance du monde), l'éternité de l'être dans le ciel
vient des principes de sa nature, mais pas l'éternité du mouvement, qui vient
de l'extérieur. C'est pourquoi, même selon ceux qui disent que le mouvement ne
cesse jamais, la cause de la durée du mouvement du ciel et de son éternité,
c'est la volonté divine, quoique son immobilité ne puisse enclore
nécessairement l'éternité du mouvement du ciel, comme ceux-ci le veulent. Car
sa volonté ne change pas, s'il veut que diverses choses se succèdent entre
elles, selon ce qu'exige la fin qu'il veut immuablement. Et c'est pourquoi il
faut chercher plutôt la raison de l'éternité du mouvement dans la fin que dans
l'immobilité du moteur.
q. 5 a. 5 ad 10 Ad
decimum dicendum, quod motus caeli terminabitur in instanti, in quo quidem
neque erit motus neque quies, sed terminus motus et principium quietis. Quies
autem sequens non erit in tempore; nam quies non mensuratur a tempore primo,
sed secundario, ut dicitur in IV Phys.; unde si sit quies alicuius corporis,
quae nulli motui subiiciatur, non mensurabitur tempore. Quamvis, si in hoc fiat
vis, possit dici, quod erit post motum in caelo immobilitas quaedam, etsi non
quies.
# 10. Le mouvement du ciel se terminera dans l'instant, où il n'y aura
ni mouvement, ni arrêt, mais le terme du mouvement, et le commencement de
l'arrêt. Mais l'arrêt suivant ne sera pas dans le temps, car il n'est pas
mesuré par le temps premier, mais second, comme on dit en Physique (IV, 12, 221 b 20-22[10]); c'est pourquoi s'il y a arrêt
d'un corps, qui ne serait plus soumis à aucun mouvement, il ne sera pas mesuré
par le temps. Cependant, si en cela il y a violence, on pourrait dire qu'il y
aura dans le ciel après le mouvement, l'immobilité, même si ce n'est pas
l'arrêt.
q. 5 a. 5 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod
sicut motus caeli deficiet, ita et tempus deficiet, ut per auctoritatem
Apocalypsis inductam apparet. Ultimum autem nunc totius temporis
erit quidem finis praeteriti non autem principium futuri. Quod enim nunc simul
sit et finis praeteriti et principium futuri, habet in quantum sequitur motum
circularem continuum, cuius quodlibet signum indivisibile est principium et
finis respectu diversorum. Unde si motus cesset, sicut erit aliquod ultimum
indivisibile in motu, ita et in tempore.
# 11. Le mouvement du ciel s'arrêtera, le temps aussi, comme le montre
l'autorité tirée de l'Apocalypse (8, 6). Mais le dernier moment de tout le
temps sera la fin du passé mais pas le commencement du futur, Car, que ce temps
soit en même temps la fin du passé et le commencement du futur, il l'a dans la mesure
où il suit un mouvement circulaire continu, dont le signe indivisible est le
commencement et la fin par rapport à différents [temps]. C'est pourquoi si le
mouvement cesse, il y aura une chose ultime indivisible dans le mouvement, et
dans le temps aussi.
q. 5 a. 5 ad 12 Ad
duodecimum dicendum, quod motus caeli, ut dictum est, non est naturalis propter
activam inclinationem formalis principii in corpore caelesti ad talem motum,
sicut est in elementis; unde non sequitur, si caelum quiescit, quod eius quies
sit violenta.
# 12. Le mouvement du ciel, comme on l'a dit, n'est pas naturel à cause
de l'inclination active d'un principe formel dans le corps céleste pour un tel
mouvement, comme il l'est dans les éléments; c'est pourquoi il n'en découle pas
que si le ciel s'arrête, son arrêt soit violent.
q. 5 a. 5 ad 13 Ad
decimumtertium dicendum, quod si motus caeli non esset propter aliquid aliud
tunc oporteret attendere proportionem eius ad quietem sequentem, si non
sempiternus poneretur; sed quia est ordinatus ad alium finem; eius proportio
attenditur in ordine ad finem, et non in ordine ad quietem sequentem: ut
intelligamus quod Deus ex nihilo universas creaturas in esse producens, primam
universi perfectionem, quae consistit in partibus essentialibus universi, et
diversis speciebus, per seipsum instituit. Ad ultimam vero perfectionem, quae
erit ex consummatione ordinis beatorum, ordinavit diversos motus et operationes
creaturarum: quosdam quidem naturales, sicut motum caeli et operationes
elementorum, per quas materia praeparatur ad susceptionem animae rationalis;
quosdam vero voluntarios, sicut Angelorum ministeria, qui mittuntur propter eos
qui haereditatem capiunt salutis. Unde hac consummatione habita, et
immutabiliter permanente, quae ad eam ordinabuntur, in perpetuum cessabunt.
# 13. Si le mouvement du ciel n'était pas en vue de quelque chose
d'autre, il lui faudrait alors atteindre sa limite à l'arrêt suivant, si on ne
le pensait pas éternel, mais parce qu'il est ordonné à une autre fin; sa limite
est atteinte par rapport à sa fin et non par rapport à l'arrêt suivant; pour
que nous comprenions que Dieu a amené du néant à l'être l'ensemble des
créatures, en instituant lui-même la première perfection de l'univers qui
consiste dans ses parties essentielles et en diverses espèces. Pour l'ultime
perfection, qui viendra de l'accomplissement de l'ordre des bienheureux, il a
ordonné différents mouvements et opérations des créatures: certains naturels,
comme le mouvement du ciel et les opérations des éléments, par lesquelles la
matière est préparée à recevoir l'âme rationnelle; certains volontaires comme
le ministère des anges, qui sont envoyés pour ceux qui reçoivent l'héritage du
salut. C'est pourquoi, une fois cet accomplissement réalisé et, en demeurant
immuablement, ce qui lui sera ordonné cessera éternellement.
q. 5 a. 5 ad 14 Ad
decimumquartum dicendum, quod obiectio illa procedit de actu secundo, qui est
operatio manens in operante, quae est finis operantis, et per consequens
excellentior quam forma operantis. Actus autem secundus, qui est actio tendens
in aliquod factum, non est finis agentis, nec nobilior quam eius forma; nisi
ipsa facta sint nobiliora facientibus, sicut artificiata sunt nobiliora
artificialibus instrumentis, ut eorum fines.
# 14. Cette objection procède de l'acte second, qui est l'opération qui
demeure dans celui qui opère, qui est sa fin, et par conséquent meilleure que
sa forme. Mais l'acte second, qui est une action qui tend à un produit, n'est
pas la fin de l'agent, et n'est pas plus noble que sa forme, à moins que ce qui
est produit soit plus noble que ceux qui le produisent, comme les oeuvres
artisanales sont plus nobles que les instruments de l'artisan, en tant que
leurs fins.
q. 5 a. 5 ad 15 Ad
decimumquintum dicendum, quod licet in circulari magnitudine non sit principium
vel finis in actu, potest tamen designari principium vel finis in ea per
inclinationem vel terminationem motus alicuius.
# 15. Bien que dans une grandeur circulaire, il n'y ait ni
commencement, ni fin en acte, on peut cependant y désigner un commencement ou
une fin par l'inclination ou la limite d'un mouvement.
q. 5 a. 5 ad 16 Ad
decimumsextum dicendum, quod in mundi principio natura instituebatur: et ideo
in his quae ad principium spectant, non oportet naturae proprietatem
praetermittere; in mundi autem fine naturae operatio consequitur finem a Deo
sibi institutum: unde oportet ibi recurrere ad voluntatem Dei, quae talem finem
instituit.
# 16. Au commencement du monde, la nature était instituée, et c'est
pourquoi dans ce qui regarde au principe, il ne faut pas oublier la propriété
de la nature, mais à la fin du monde, l'opération de la nature suit la fin
instituée pour elle par Dieu; c'est pourquoi il faut ici recourir à la volonté
de Dieu qui a décidé une telle fin.
q. 5 a. 5 ad 17 Ad
decimumseptimum dicendum, quod licet caelo quiescente semper sit futurus sol ex
una parte terrae non tamen ex alia parte terrae erunt omnino tenebrae et
obscuritas, propter claritatem quae a Deo elementis tradetur. Unde habetur
Apoc. XXI, 23, quod civitas non eget sole neque luna nam claritas Dei
illuminavit eam. Si tamen sit amplior claritas ex illa parte terrae quae fuit
inhabitata a sanctis, nullum inconveniens sequitur.
# 17. Même si le ciel s'arrête, il y aura toujours le soleil d'un côté
de la terre, cependant de l'autre, il n'y aura pas tout à fait les ténèbres, ni
l'obscurité, à cause de la lumière accordée aux éléments par Dieu. C'est
pourquoi il est dit dans Apocalypse, 21, 23, que "La cité n'aura pas
besoin de soleil, ni de lune, car la lumière de Dieu l'éclairera." Si
cependant la lumière est plus forte de ce côté de la terre qui a été inhabitée
par les saints, il n'en découle aucun inconvénient.
q. 5 a. 5 ad 18 Ad
decimumoctavum dicendum, quod quamvis caelum aequaliter se habeat ad quemlibet
situm sibi possibilem, non tamen motus est propter acquisitionem situs, sed
propter aliquid aliud: unde in quocumque situ remaneat, impleto eo ad quod
erat, nihil differt.
# 18. Quoique le ciel se comporte de la même manière pour n'importe
quel lieu possible pour lui, cependant le mouvement n'est pas pour acquérir un
lieu, mais pour quelque chose d'autre: c'est pourquoi, en quelque lieu qu'il
demeure, il n'y a pas de différence une fois accomplie ce pourquoi il existait.
q. 5 a. 5 ad 19 Ad
decimumnonum dicendum, quod motus etsi sit actus mobilis, est tamen actus
imperfectus. Unde per hoc quod motus aufertur, non potest concludi quod
simpliciter perfectio auferatur, et praecipue si per motum mobili nihil
acquiratur. Quod autem philosophus dicit, quod acquirit perfectam bonitatem per
motum, loquitur secundum primam dictarum opinionum de fine motus caeli, qui
competit ad sempiternitatem motus.
# 19. Même si le mouvement est un acte du mobile, il est cependant un
acte imparfait. C'est pourquoi, du fait que le mouvement est enlevé, on ne peut
pas conclure que la perfection est absolument enlevée, et principalement, si
rien n'est acquis pour le mobile par le mouvement. Quand le philosophe dit
qu'il acquiert la bonté parfaite par le mouvement, il parle selon la première
des opinions rapportées à propos de la fin du mouvement du ciel, qui appartient
à l'éternité du mouvement.
q. 5 a. 5 ad 20 Ad
vicesimum dicendum, quod perfectio spiritualis naturae est ut possit esse causa
aliorum sine suo motu; quod caelum nunquam acquiret. Nec tamen propter hoc
deteriorabitur, cum finis suus non sit in causando alia, ut dictum est.
# 20. La perfection de la nature spirituelle est de pouvoir être cause
des autres sans son mouvement, ce que le ciel n'acquerra jamais. Et cependant
il ne sera pas détérioré, à cause de cela, puisque sa fin n'est pas de causer
d'autres choses, comme on l'a dit.
q. 5 a. 5 ad 21 Ad
vicesimumprimum dicendum, quod motus caeli non quiescet propter aliquod
contrarium, sed propter voluntatem moventis tantum.
# 21. Le mouvement du ciel ne cessera pas à cause d'un contraire, mais
par la volonté du moteur seulement.
[1] Parall.: II Sent. D11q2a6,ad
3 –d33q2a1 – IV Sent. S44q3a1qla3,
c. – Qdl. VII, a. 11 – Opusc. III, c. 1, 76.
[2]
Thomas lectio 15, n° 270.
[3]
Ex priori comprend la cause, ex posteriori comprend la cause finale ou l'effet.
[4]
Cf. De veritate, qu. 2,a. 1 obj. 7:"La science dénote une imperfection
puisqu'elle est signifiée à la manière d'un habitus, c'est-à-dire d'un acte
premier, alors que la considération est signifiée à la manière d'un acte
second." (Trad. S. Bonino, La science de Dieu. Cf. note 15, p. 358. La
considération désigne l'exercice d'un habitus scientifique.
[5]
C'est-à-dire dans notre monde.
[6]
Isidore de Séville (560 636), docteur de l'Église.
[7]
Il veut dire qu'on peut parler d'intelligence ou d'âme, comme les
néoplatoniciens, même si c'est faux, cela n'entraîne ici aucune conséquence.
[8]
Ajouté dans l'Éd. Marietti.
[9]
"Mais ceux qui posent une série infinie ne sÔaperçoivent pas qu'ils
ruinent la notion même de bien." (Trad. J. Tricot). Thomas n° 317: "Ceux
qui posent l'infinité dans les causes finales les écartent".
[10]
"...le corps mû n'est pas absolument mesurable par le temps, en tant qu'il
est une certaine quantité, mais en tant que son mouvement est une certaine
quantité...".
q. 5 a. 6 tit. 1
Sexto quaeritur utrum possit sciri ab homine quando motus caeli finiatur. Et
videtur quod sic.
Et il semble que oui[1].
Objections:
q. 5 a. 6 arg. 1
Quia, secundum Augustinum in fine de Civit. Dei, sexta aetas currit ab adventu
Christi usque ad finem mundi. Sed scitur quantum praecedentes aetates
duraverunt. Ergo sciri potest quantum ista aetas durare debet per comparationem
ad alias; et ita potest sciri quando motus caeli finietur.
1. Parce que, selon Augustin, à la fin de la Cité de Dieu, le
sixième âge court de la venue du Christ jusqu'à la fin du monde[2]. Mais on
sait combien de temps ont duré les âges précédents. Donc on peut savoir combien
cet âge doit durer par comparaison aux autres et ainsi quand le mouvement du
ciel s'arrêtera.
q. 5 a. 6 arg. 2
Praeterea, finis uniuscuiusque rei respondet suo principio. Sed principium
mundi scitum est per revelationem, ex qua Moyses dixit: in principio creavit
Deus caelum et terram. Ergo et finis mundi sciri potest per revelationem in
Scripturis traditam.
2. La fin de chaque chose correspond à son commencement, mais celui du
monde est connu par la révélation: Moïse a dit (Gn 1, 1): "Au commencement
Dieu créa le ciel et la terre." Donc la fin du monde peut être connue par
la révélation rapportée dans les Écritures.
q. 5 a. 6 arg. 3
Praeterea, causa incertitudinis mundi ponitur esse, ut homo semper sit in
sollecitudinem de suo statu. Sed ad hanc sollecitudinem habendam sufficit
mortis incertitudo. Ergo non fuit necessarium, incertum esse defectum mundi;
nisi forte propter illos quorum temporibus finis mundi erit.
3. On pense que la cause de l'incertitude du monde est que l'homme soit
toujours dans l'inquiétude au sujet de sa situation. Mais pour avoir cette
inquiétude, l'incertitude de la mort suffit. Donc il n'a été pas nécessaire que
la fin du monde soit incertaine sauf par hasard pour ceux qui vivront dans les
temps où elle aura lieu.
q. 5 a. 6 arg. 4
Praeterea, dicitur aliquibus propria mors esse revelata, sicut patet de beato
Martino. Dicit autem Augustinus in epistola ad Orosium, quod talis unusquisque
in iudicio comparebit, qualis fuit in morte: et sic eadem ratio est occultandi
mortem et occultandi diem iudicii. Ergo et dies iudicii, qua ad omnes pertinet,
debuit in Scriptura sacra, quae omnes instruit, revelatus fuisse.
4. On dit que leur propre mort a été révélée à certains, comme on le
voit pour le bienheureux Martin. Augustin dit dans La lettre à Orose, que
chacun comparaîtra au jugement tel qu'il a été dans sa mort, et ainsi c'est
pour la même raison que la mort et le jour du jugement sont cachés. Donc même
le jour du jugement, qui concerne tous les hommes, a dû être révélé dans la
sainte Écriture qui les a tous instruits.
q. 5 a. 6 arg. 5 Praeterea, signum ordinatur ad
aliquid cognoscendum. In Evangeliis autem ponuntur aliqua signa adventus
domini, qui erit in fine mundi, ut patet Matth. XXIV, 24 sq. et Luc. XXI, 9 sq.
et similiter ab apostolis, ut patet I ad Tim. IV, 1, sq. et II ad Tim. III, 2
sq., et II ad Thess. II, 3 sq. Ergo videtur quod possit sciri tempus adventus
domini, et finis mundi.
5. Un signe est en vue de faire connaître quelque chose. Mais certains
signes de la venue du Seigneur sont placés, dans les Évangiles, qui aura lieu à
la fin du monde, comme on le voit en Mt. 24, 24 ss. et Lc 21, 9 ss. et de même
par l'Apôtre comme on le voit en 1 Tm 4, 1 ss., 2 Tm 3, 2 ss. et 2 Thess.2, 3.
Donc il semble que le temps de la venue du Seigneur et la fin du monde puissent
être connus.
q. 5 a. 6 arg. 6
Praeterea, nullus hic reprehenditur vel punitur pro eo quod non est in sua
potestate. Sed aliqui reprehenduntur in Scriptura et puniuntur pro eo quod
tempora non cognoscunt; unde dominus, Matth. XVI, 4, ad Pharisaeos: faciem
caeli diiudicare nostis, signum autem istud non potestis scire? Et Lucae XIX,
44: non relinquent in te lapidem super lapidem, eo quod non cognoveris tempus
visitationis tuae; et Ierem. VIII, 7: milvus in caelo cognovit tempus suum;
turtur et hirundo et ciconia custodierunt tempus adventus sui; populus autem
meus non cognovit iudicium domini. Ergo possibile est sciri diem iudicii, vel
tempus finis mundi.
6. Personne ici n'est réprimandé ou puni pour ce qui n'est pas en son
pouvoir. Mais certains sont réprimandés dans l'Écriture et punis parce qu'ils
ne connaissent pas "les temps". C'est pourquoi le Seigneur (Mt. 16,
4) dit aux Pharisiens: "Vous savez juger l'état du ciel, mais ce signe, ne
pouvez-vous pas le connaître?" et Lc 19, 44: "Ils ne laisseront pas
pierre sur pierre, parce que tu n'as pas connu le temps où tu fus visité."
et Jér. 8, 7: "Le milan dans le ciel a connu son temps, la tourterelle,
l'hirondelle et la cigogne ont conservé mémoire du temps de leur arrivée, mais
mon peuple n'a pas connu le jugement de Dieu." Donc il est possible de
connaître le jour du jugement, ou le temps de la fin du monde.
q. 5 a. 6 arg. 7
Praeterea, in secundo adventu, Christus magis manifeste veniet quam in primo;
tunc enim videbit eum omnis populus, et qui eum pupugerunt, ut habetur Apoc. I, 7. Sed primus adventus praenuntiatus fuit in
Scriptura futurus etiam quantum ad determinatum tempus, ut patet Dan. IX,
24-27. Ergo videtur quod et secundus adventus debuerit in Scripturis
praenuntiari quantum ad certum tempus.
7. A sa seconde venue, le Christ viendra plus ouvertement qu'à sa
première: car tout le peuple le verra, même ceux qui l'ont frappé, comme il est
dit (Apoc. 1, 7[3]). Mais le première venue fut annoncée dans l'Écriture, comme
devant arriver à un moment déterminé, comme on le lit en Dan. 9, 24-27. Donc il
semble que la seconde venue a dû être annoncée dans les Écritures pour le temps
fixé.
q. 5
a. 6 arg. 8 Praeterea, homo dicitur minor mundus, quia in se maioris mundi
similitudinem gerit. Sed finis vitae humanae potest praesciri
determinate. Ergo et finis mundi potest praesciri.
8. L'homme est appelé un microcosme, parce qu'il porte en lui la
ressemblance d'un monde plus grand. Mais la fin de la vie humaine peut être
connue à l'avance de manière précise. Donc la fin du monde aussi.
q. 5 a. 6 arg. 9
Praeterea, magnum et parvum, diuturnum et breve, relative dicuntur de uno per
comparationem ad aliud. Sed tempus illud quod est ab adventu Christi usque ad
finem mundi, dicitur esse breve, ut patet I Corinth. VII, 29: tempus breve est;
et eiusdem X, 11: nos sumus in quos fines saeculorum devenerunt; et I Ioan. II,
18: novissima hora est. Ergo hoc dicitur per comparationem ad tempus
praecedens. Ergo saltem hoc videtur sciri posse, quod multo brevius est tempus
ab adventu Christi usque ad finem mundi quam a principio mundi usque ad
Christum.
9. On parle du grand et du petit, du long et du bref, relativement en
comparaison de l'un avec l'autre. Mais le temps, qui existe depuis la venue du
Christ jusqu'à la fin du monde, est qualifié de bref, comme on le voit en I Co
7, 29: "Le temps est bref"; et du même (10, 11) "(Nous sommes)à
la fin des siècles[4]" et I Jn, 2, 18: "C'est la dernière heure".
Donc cela est dit par comparaison au temps précédant. Donc du moins cela paraît
pouvoir être connu, parce que le temps est beaucoup plus bref depuis la venue
du Christ jusqu'à la fin du monde que depuis son commencement jusqu'au Christ.
q. 5 a. 6 arg. 10
Praeterea, Augustinus dicit in libro de civitate Dei, quod ignis ille qui
exuret faciem terrae in fine mundi, erit ex conflagratione omnium ignium
mundanorum. Sed potest sciri a considerantibus motum caeli, usque ad quantum
tempus ipsa corpora caelestia, quae sunt nata generare calorem in istis
inferioribus, erunt in situ efficacissimo ad hoc implendum; ut sic per
concursum actionis caelestium corporum et inferiorum ignium, universalis illa
conflagratio fiat. Ergo potest sciri quando erit finis mundi.
10. Augustin dit (La cité de Dieu,
XX, 16) que ce feu qui brûlera la face de la terre à la fin monde, viendra de
la conflagration de tous les feux de l’univers. Mais ceux qui considèrent le
mouvement du ciel peuvent savoir jusqu'à quel temps les corps célestes
eux-mêmes, qui sont destinés à engendrer la chaleur dans les choses inférieures
seront dans le lieu le plus efficace pour l'accomplir, pour qu'avec de l'action
des corps célestes et des feux inférieurs, cette conflagration universelle se
fasse. Donc on peut savoir quand aura lieu la fin du monde.
En sens contraire:
q. 5 a. 6 s. c. 1
Sed contra. Est quod dicitur Matth. cap. XXIV, 36: de die illa et hora nemo
scit, neque Angeli caelorum.
1. Il est dit Mt. 24, 36:"Personne ne connaît ce jour et cette
heure, les anges des cieux non plus."
q. 5 a. 6 s. c. 2
Praeterea, si aliquid deberet aliquibus hominibus revelari, praecipue revelatum
fuisset quaerentibus apostolis, qui doctores totius mundi instituebantur. Eis
autem de finali adventu domini quaerentibus responsum est, Act. I, 7: non est
vestrum nosse tempora vel momenta, quae pater posuit in sua potestate. Ergo
multo minus est aliis revelatum.
2. Si une chose devait être révélée à des hommes, elle aurait été
révélée surtout aux apôtres qui le demandaient, eux qui étaient établis
docteurs du monde entier. Mais à ceux qui s'enqueraient de la dernière venue du
Seigneur, il a été répondu: "(Act. I, 7) "Ce n'est pas à vous de
connaître ni le temps ni le moment, que Dieu a décidés dans sa puissance."
Donc cela a encore beaucoup moins été révélé aux autres.
q. 5 a. 6 s. c. 3 Praeterea, credere veritati et
revelationi acceptae in Scriptura non prohibemur. Sed apostolus, II ad Thess.
II, 2, prohibet credere quocumque modo annuntiantibus, quasi instet dominus.
Ergo illi qui nituntur tempus diei domini denuntiare, sunt tamquam seductores
cavendi. Nam et ibidem subditur: nemo vos seducat ullo modo.
3. Nous ne sommes pas empêchés de croire à la vérité et à la révélation
reçue de l'Écriture. Mais l'Apôtre (Thess. 2, 2) interdit de croire ceux qui
l’annoncent de quelque manière, "comme si le Seigneur était là". Donc
ceux qui s'efforcent d'annoncer le temps du jour du Seigneur, sont comme des
séducteurs à éviter. Car là même il est ajouté: "Que personne ne vous séduise
en aucune manière."
q. 5 a. 6 s. c. 4
Praeterea, Augustinus dicit in epistola ad Hesychium: quaero utrum sic saltem
possit definiri tempus adventus, ut eum adventurum esse dicamus intra istos,
verbi gratia, vel centum annos, vel quodlibet seu maioris numeri, seu minoris
annorum. Hoc autem omnino ignorantes sumus. Ergo non potest sciri quocumque
numero annorum dato, vel decem millium, vel viginti millium, vel duorum, vel
trium, utrum infra illud tempus finis mundi futurus sit.
4. Augustin dit dans la lettre à Hésichius (lettre 80): "Je
cherche si du moins on peut définir le temps de la venue, de manière à dire
qu'il viendra, parmi ces nombres: par exemple dans cent ans, ou dans un nombre
plus ou moins grand d'années." Mais nous en sommes totalement ignorants.
Donc on ne peut savoir dans quel nombre d'années données, ou dix mille, vingt
mille, deux ou trois, ou moins, la fin du monde aura lieu.
Réponse:
q. 5 a. 6 co.
Respondeo. Dicendum, quod tempus determinatum finis mundi omnino nescitur, nisi
a solo Deo et ab homine Christo. Cuius ratio est, quia duplex est modus quo
possumus praescire futura: scilicet, per cognitionem naturalem, et per
revelationem.
Le temps du monde est tout à fait inconnu, sinon de Dieu seul, et d'un
homme, le Christ. La raison en est que la manière de connaître à l’avance le
futur est double; à savoir par la connaissance naturelle, et par la révélation.
Naturali quidem cognitione aliqua futura praenoscimus per
causas quas praesentes videmus, ex quibus futuros expectamus effectus: vel per
certitudinem scientiae, si sint causae quas de necessitate sequitur effectus,
vel per coniecturam, si sint causae ad quas sequitur effectus ut in pluribus,
sicut astrologus praescit eclypsim futuram, et medicus mortem futuram. Hoc
autem modo non potest praecognosci tempus determinate finis mundi, quia causa
motus caeli et cessationis eius non est alia quam divina voluntas, ut prius
ostensum est; quam quidem causam naturaliter cognoscere non possumus. Alia vero
quorum causa est motus caeli vel quaecumque alia causa sensibilis, possunt
naturali cognitione praecognosci, sicut particularis destructio alicuius partis
terrae, quae prius fuit habitabilis, et postea fit inhabitabilis.
1) Par la connaissance naturelle, nous connaissons à l’avance des
événements futurs par les causes que nous voyons devant nous, dont nous
attendons des effets futurs: ou par la certitude de la science, si ce sont des
causes dont l’effet découle nécessairement, ou par la conjecture, si ce sont
des causes dont l'effet découle généralement, de même que l'astrologue connaît
à l’avance une éclipse future, et le médecin une mort future. Mais de cette
manière, on ne peut pas connaître à l'avance de manière précise le temps de la
fin du monde, parce que la cause du mouvement du ciel et de sa cessation n'est
autre que la volonté divine, comme on l'a montré plus haut. Cette cause, nous
ne pouvons pas la connaître de façon naturelle. D'autres (événements) dont la
cause est le mouvement du ciel ou quelque autre cause accessible, peuvent être
connus à l'avance d'une connaissance naturelle, comme la destruction
particulière d'une partie de la terre, qui d'abord a été habitée, et ensuite
inhabitée.
Per revelationem vero licet sciri possit, si Deus vellet
revelare, non tamen congruum esset quod revelaretur nisi homini Christo. Et hoc
propter tres rationes.
2) Mais, bien qu'on puisse le savoir par la révélation, si Dieu voulait
le révéler, ce ne serait pas cependant convenable que ce soit révélé sinon au
Christ homme. Et cela pour trois raisons:
Primo quidem, quia finis mundi non erit nisi completo numero
electorum; cuius completio est quasi quaedam executio totius divinae
praedestinationis; unde non competit revelationem fieri de fine mundi nisi ei
cui fit revelatio de tota praedestinatione divina, scilicet homini Christo, per
quem tota divina praedestinatio humani generis quodammodo adimpletur. Unde
dicitur Ioan. V, 20: pater diligit filium, et omnia demonstrat ei quae ipse
facit.
a) Parce que la fin du monde n'existera que lorsque le nombre des élus
sera complet; sa plénitude est comme l'exécution de toute la prédestination
divine; c'est pourquoi il convient que la révélation ne soit faite sur la fin
du monde qu'à celui à qui en est faite toute la révélation, à savoir le Christ
homme[5], par lequel toute la prédestination divine du genre humain est
accomplie d'une certaine manière. C'est pourquoi il est dit en Jn 5, 20: "La
Père aime le fils, et il lui montre tout ce qu'il fait".
Secundo, quia per hoc quod ignoratur quamdiu iste status
mundi durare debeat, utrum ad modicum vel ad magnum tempus, habentur res huius
mundi quasi statim transiturae; unde dicitur I Cor. VII, 31: qui utuntur hoc
mundo, sint tamquam non utantur; praeterit enim figura huius mundi.
b) Parce que du fait qu'on ignore combien de temps cet état du monde
doit durer, un peu ou beaucoup, les choses de ce monde se comportent comme
devant passer sur le champ pour ainsi dire; c'est pourquoi il est dit en I Co.
7, 31: "Que ceux qui se servent de ce monde soient comme ne s'en servant
pas; car elle passe la figure de ce monde."
Tertio, ut homines semper sint parati ad Dei iudicium
expectandum, dum omnino determinatum tempus nescitur; unde dicitur Matth. XXIV,
42: vigilate, quia nescitis qua hora dominus vester venturus sit. Et ideo, ut
dicit Augustinus, ille qui dicit se ignorare quando dominus sit venturus, utrum
ad breve tempus vel ad magnum evangelicae sententiae concordat. Inter duos
autem qui scire se dicunt, periculosius errat qui dicit in proxime Christum
venturum, vel finem mundi instare, quia haec potest esse occasio ut omnino
desperaretur esse futurum, si tunc non erit quando futurum esse praedicitur.
c) Pour que les hommes soient toujours prêts à attendre le jugement de
Dieu, pendant que le temps fixé est tout à fait inconnu; c'est pourquoi, il est
dit en Mt. 24, 42: "Veillez, parce que vous ne connaissez pas l'heure à
laquelle votre Seigneur doit venir." Et c'est ainsi, comme le dit Augustin
(Lettre 80, à Hésychius) celui qui dit qu'il ignore quand le Seigneur
doit venir, dans un temps bref ou long, est en accord avec les textes
évangéliques. Parmi deux personnes qui se disent savoir, il se trompe de façon
plus dangereuse celui qui dit que le Christ doit venir prochainement, ou que la
fin du monde est toute proche, parce que cela peut être l'occasion de
désespérer tout à fait[6], si l'événement n'arrive pas alors que son arrivée
est annoncée.
Solutions:
q. 5 a. 6 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod sicut dicit Augustinus, ultima aetas mundi
comparatur ultimae aetati hominis, quae determinato numero annorum non
definitur, sicut aliae aetates definiuntur; sed quandoque tantum durat quantum
omnes aliae, vel etiam amplius; unde et ista aetas ultima mundi non potest
determinato annorum vel generationum numero definiri.
# 1. Comme le dit Augustin, (Les 83 questions, question 58), le dernier
âge du monde est comparé au dernier âge[7] de l'homme, qui n'est pas défini par
un nombre fixe d'années, comme les autres âges, mais quelquefois il dure autant
que tous les autres, et même plus, c'est pourquoi ce dernier âge du monde ne
peut être défini par un nombre fixe d'années ou de générations.
q. 5 a. 6 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod revelatio principii mundi utilis erat ad manifestandum
Deum esse omnium causam; sed sciri tempus determinatum finis mundi, ad nihil
esset utile, sed magis nocivum; et ideo non est simile.
# 2. La révélation du commencement du monde était utile pour manifester
que Dieu est la cause de tout; mais connaître le temps fixé pour la fin du
monde n'est utile en rien, mais plutôt nocif, et c'est pourquoi ce n'est pas
pareil.
q. 5 a. 6 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod homo naturaliter non solum de se ipso sollicitatur, sed
etiam de statu communitatis cuius est pars, sicut vel domus vel civitatis, aut
etiam totius orbis; et ideo utrumque fuit necessarium ad hominis cautelam
occultari, et finem propriae vitae, et finem totius mundi.
# 3. L'homme naturellement est inquiet de lui même, mais aussi au sujet
de la situation de la communauté à laquelle il appartient, ainsi sa famille ou
sa cité, ou même le monde entier, et c'est pourquoi il a été nécessaire pour la
défense de l’homme que soit cachée la fin de sa propre vie, et la fin du monde
entier.
q. 5 a. 6 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod revelatio finis vitae propriae, est quaedam particularis
revelatio; revelatio vero finis totius mundi dependet ex revelatione totius
divinae praedestinationis; et ideo non est simile.
# 4. La révélation de la propre fin de la vie est une révélation
particulière; mais celle du monde entier dépend de la révélation de toute la
prédestination divine et c'est pourquoi ce n'est pas pareil.
q. 5 a. 6 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod illa signa posita sunt ad manifestandum quod quandoque
mundus finietur; non autem ad manifestandum determinatum tempus quando
finietur, ponuntur enim inter illa signa, aliqua quae quasi a mundi exordio
fuerunt, sicut quod surget gens contra gentem, et quod terraemotus erit per
loca; sed instante mundi fine haec abundantius evenient. Quae autem sit ista
mensura horum signorum quae circa finem mundi erit, manifestum nobis esse non
potest.
# 5. Ces signes sont placés pour manifester qu'un jour le monde finira;
mais non pour révéler le temps précis, où il finira; en effet parmi ces signes,
certains ont été mis là depuis le commencement du monde: ainsi les nations
s'opposeront entre elles et des tremblements de terre auront lieu; mais quand
la fin du monde arrivera, ces événements se produiront avec plus d’abondance.
Mais le sens de ces signes qui arrivera autour de la fin du monde, ne peut être
connu par nous.
q. 5 a. 6 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod illa reprehensio domini pertinet ad eos qui determinatum
tempus primi adventus non cognoverunt; non autem ad eos qui ignorant tempus
determinatum secundi adventus.
# 6. Ce reproche du Seigneur convient à ceux qui n'ont pas connu le
temps fixé pour sa première venue; mais non à ceux qui ignorent le temps fixé
pour la seconde venue.
q. 5 a. 6 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod primus adventus Christi nobis viam ad merendum parabat
per fidem et alias virtutes; et ideo ex parte nostra requirebatur primi
adventus notitia, ut credendo in eum qui venerat, per eius gratiam mereri
possemus. In secundo autem adventu praemia redduntur pro meritis; et sic ex
parte nostra non requiretur quid agamus aut quid cognoscamus, sed quid
recipiamus; unde non oportet praecognoscere determinate tempus illius adventus.
Dicitur autem ille adventus manifestus: non quia manifeste praecognoscatur, sed
quia manifestus erit cum fuerit praesens.
# 7. La première venue du Christ préparait le chemin pour mériter par
la foi et les autres vertus; et c'est pourquoi la connaissance de la première
venue était requise de notre part pour qu’en croyant en celui qui était venu,
nous puissions mériter par sa grâce. Dans la seconde venue les récompenses sont
rendues pour les mérites, et ainsi il ne nous est pas demandé ce que nous
ferons et ce que nous connaîtrons, mais ce que nous recevrons; c'est pourquoi
il ne faut pas connaître à l'avance de manière précise le temps de cette venue.
Mais on dit qu'elle est évidente, non parce qu'elle est manifestement connue à
l'avance, mais parce qu’elle sera évidente quand elle sera là.
q. 5 a. 6 ad 8 Ad
octavum dicendum, quod corporalis hominis vita ex aliquibus prioribus et
corporalibus causis dependet, ex quibus circa finem eius aliquid prognosticari
potest; non autem ita est de toto mundo; et ideo quantum ad hoc non est simile,
licet in aliquibus homo, qui dicitur minor mundus, similitudinem maioris mundi
obtineat.
# 8. La vie corporelle de l'homme dépend de quelques causes supérieures
et corporelles, par lesquelles il peut faire des pronostics à propos de sa fin;
mais il n'en est pas ainsi du monde entier, c'est pourquoi ce n'est pas pareil,
bien que, chez certains, l'homme qui est appelé un microcosme, obtienne la
ressemblance du macrocosme.
q. 5 a. 6 ad 9 Ad nonum dicendum, quod verba
illa quae videntur in Scripturis ad brevitatem temporis pertinere, vel etiam ad
finis propinquitatem, non tam sunt ad quantitatem temporis referenda quam ad
status mundi dispositionem. Non enim legi evangelicae alius status succedit,
quae ad perfectum adduxit; sicut ipsa successit legi veteri, et lex vetus legi
naturae.
# 9. Ces paroles qui paraissent dans les Écritures concerner la
brièveté du temps, ou même l'approche de la fin, ne sont pas tant pour être
rapportée à la quantité du temps, que pour la disposition de la situation du
monde. Car une autre situation ne succèdera pas à la loi évangélique, qui a
mené à la perfection; comme elle-même a succédé à la loi ancienne, et la loi
ancienne à la loi de nature.
q. 5 a. 6 ad 10 Ad
decimum dicendum, quod illa conflagratio ignium mundanorum non creditur esse
futura ex aliqua naturali causa, ut sic per considerationem caelestis motus,
eius tempus possit praesciri; sed proveniet ex imperio divinae voluntatis.
# 10. On ne croit pas que cette conflagration des feux de l’univers
arrivera par une cause naturelle, de sorte qu'ainsi par la considération du
mouvement céleste, son temps pourrait être connu à l'avance; mais elle proviendra
du pouvoir de la volonté divine.
[1] Parall.: IV Sent. d43a3 q1a2
— d47q1 a1, qla 3c — d48q2a2, ad 8.
[2]
Augustin emprunte les six âges de l’humanité à la tradition qui prend sa source
dans les Apocalpyses juives. Ils sont parallèles aux six jours de la création
du monde et aux six âges de la vie. Les prédécesseurs d’Augustin (Pseudo
Barnabé, Justin, Hippolyte) ont des tendances millénaristes, lui envisage cette
divsion sous un aspect historique. Premier âge, d’Adam à Noé, deuxième celui de
Noé à Abraham, le troisième d’Abraham à David, le cinquième De David à l’exil
de Babylone jusqu’à l’enfantement de la Vierge. "Le sixième âge a commencé
avec la Nativité du Seigneur et c’est lui qui dure actuellement jusqu’au terme
inconnu du temps." (Trin. IV, 4, 7)
[3]
"Chacun le verra, même ceux qui l’ont transpercé…"
[4].
Dans BJ. "nous touchons la fin des temps."
[5]
Cf. Marc 13, 32: "…ni le Fils, personne que le Père." (!)
[6]
. Nous en avons eu des exemples.
[7]
. L'âge ultime est la vieillesse à partir de soixante ans.
q. 5 a. 7 tit. 1
Septimo quaeritur utrum cessante motu caeli, elementa remaneant. Et videtur
quod non.
Il semble que non[1].
q. 5 a. 7 arg. 1
Dicitur enim II Petri, cap. III, 7, quod in fine mundi elementa calore
solventur. Quod autem dissolvitur, non manet. Ergo elementa non manebunt.
1. Car il est dit (2 P. 3, 7) qu'à la fin du monde, les éléments seront
détruits par la chaleur. Ce qui est détruit, ne demeure pas. Donc les éléments
ne demeureront pas.
q. 5 a. 7 arg. 2 Sed
dicebat, quod manebunt secundum substantiam; sed non manebunt secundum
qualitates activas et passivas.- Sed contra, manente
causa, remanet effectus. Sed principia essentialia sunt causa propriorum
accidentium. Cum ergo qualitates activae et passivae sint propria
elementorum accidentia, videtur quod principiis essentialibus manentibus, sine
quibus substantia esse non potest, etiam qualitates activae maneant.
2. Mais on pourrait dire qu'ils demeureront selon leur substance, mais
non selon les puissances actives et passives. — En sens contraire, si la cause
demeure, l'effet demeure aussi. Mais les principes essentiels sont les causes
des accidents les plus spécifiques. Donc comme les puissances actives et
passives sont les accidents propres des éléments, il semble que, si les principes
essentiels demeurent, sans lesquels la substance ne peut pas exister, les
puissances actives demeurent aussi.
q. 5
a. 7 arg. 3 Praeterea, accidens inseparabile nunquam actu a subiecto separatur.
Sed calidum est accidens inseparabile ignis. Ergo non potest ignis
remanere quin in eo calor remaneat; et eadem ratione de aliis elementis.
3. L'accident inséparable n'est jamais séparé en acte de son substrat.
Mais le chaud est un accident inséparable du feu. Donc le feu ne peut demeurer
que si la chaleur demeure en lui; et c'est la même raison pour les autres
éléments.
q. 5 a. 7 arg. 4 Sed
dicebat, quod divina virtute hoc fiet, quod elementa sine qualitatibus activis
et passivis remanebunt, licet hoc per naturam esse non possit.- Sed contra, sicut in mundi principio fuit naturae
institutio, ita in mundi fine erit naturae consummatio. Sed in principio mundi,
ut Augustinus dicit, non sufficit dicere quid Deus possit facere, sed quid
habeat rerum natura. Ergo et hoc etiam in fine mundi attendendum est.
4. Mais on pourrait dire que c’est par le pouvoir divin que les
éléments demeureront sans les puissances actives et passives, bien que cela ne
puisse exister par la nature. — En sens contraire, de même qu'au commencement
du monde il y eut l'institution de la nature, de même à sa fin il y aura sa
consommation. Mais au commencement du monde, comme le dit Augustin (La Genèse au sens littéral, II), il ne
suffit pas de dire ce que Dieu pourrait faire, mais ce que possèderait la
nature. Donc cela aussi doit être atteint à la fin du monde.
q. 5 a. 7 arg. 5
Praeterea, qualitates activae et passivae sunt in omnibus elementis. Dicit
autem Glossa Bedae super auctoritate Petri, superius inducta, quod ignis ille
qui erit in fine mundi, duo elementa ex toto assumet, duo autem alia in
meliorem speciem commutabit. Non ergo potest intelligi elementorum solutio
quantum ad qualitates activas et passivas, quia sic non tantum duo dicerentur
assumenda.
5. Les puissances actives et passives sont dans tous les éléments. La
glose (ordinaire) de Bède, en s'appuyant sur l'autorité de Pierre rapportée
plus haut (obj. 1), dit que ce feu qui existera à la fin du monde emploiera
deux des éléments et changera les deux autres en une espèce meilleure. Donc on
ne peut pas comprendre la dissolution des éléments quant aux puissances actives
et passives, parce qu'on ne dirait pas ainsi que ce sont seulement deux
(éléments) qui doivent être employés.
q. 5 a. 7 arg. 6 Sed
dicebat, quod in duobus elementis, scilicet igne et aqua, praecipue vigent
qualitates activae, sicut calidum et frigidum; et ideo haec duo prae aliis
assumenda dicuntur.- Sed contra, in fine mundi elementa meliorabuntur. Sed,
secundum Augustinum, agens honorabilius est patiente. Ergo magis deberent
remanere elementa in quibus vigent qualitates activae quam in quibus vigent
qualitates passivae.
6. Mais on pourrait dire que dans deux éléments, à savoir le feu et
l'eau, les qualités actives sont très importantes, comme le chaud et le froid,
et c'est pourquoi ces deux-là, dit-on, doivent être employés avant les autres.
— En sens contraire, à la fin du monde, les éléments seront améliorés. Mais
selon Augustin (La Genèse au sens
littéral XII, 16[2]), l'agent est plus honorable que
le patient. Donc les éléments en lesquels dominent les puissances actives
devraient demeurer plus que ceux dans lesquelles dominent les puissances
passives.
q. 5 a. 7 arg. 7
Praeterea, Augustinus dicit, quod ad patiendum humor et humus, ad faciendum aer
et ignis aptitudinem praebent. Ergo si propter virtutem activam aliqua elementa
assumenda dicuntur, videtur quod hoc non debeat intelligi de igne et aqua, sed
magis de igne et aere.
7. Augustin (Sur le Genèse, III, 10) dit que le liquide et la terre ont
une aptitude à supporter, l'air et le feu une aptitude à agir. Donc, si à cause
d'un pouvoir actif, on dit que quelques éléments doivent être choisis, il
semble qu'on ne doit pas le comprendre du feu et de l'eau, mais plus du feu et
de l'air.
q. 5 a. 7 arg. 8
Praeterea, sicut naturales qualitates elementorum sunt calidum et frigidum,
humidum et siccum, ita grave et leve. Si ergo qualitates illae non remanent in
elementis, nec gravitas et levitas remanebit in eis. Per naturam autem
gravitatis et levitatis, elementa loca sua naturalia sortiuntur. Si ergo
qualitates elementorum non remanent post finem mundi, non remanebit in eis
situs distinctus, ut terra sit deorsum, et ignis sursum.
8. Les puissances naturelles des éléments sont le chaud et le froid,
l'humide et le sec, et le lourd et le léger aussi. Si donc ces puissances ne
demeurent pas dans les éléments, ni la lourdeur, ni la légèreté ne demeureront
en eux, Mais par leur gravité, et leur légèreté, les éléments s'établissent
d'eux-mêmes dans leurs sites naturels. Si donc les puissances des éléments ne demeurent
pas après la fin du monde, il ne leur restera pas de site distinct, pour la
terre soit en bas et le feu en haut.
q. 5 a. 7 arg. 9 Praeterea, elementa facta sunt
propter hominem, in beatitudinem tendentem. Sed habito fine, cessant ea quae ad
finem sunt. Ergo homine totaliter iam in beatitudine collocato (quod erit in
fine mundi), elementa cessabunt.
9. Les éléments ont été faits pour l'homme qui tend à la béatitude.
Mais quand il possède sa fin, ce qui est en vue de la fin cesse. Donc une fois
l'homme établi totalement dans la béatitude (ce qui arrivera à la fin du monde)
les éléments cesseront.
q. 5 a. 7 arg. 10 Praeterea, materia est propter
formam, quam per generationem acquirit. Elementa
autem comparantur ad omnia alia corpora mixta sicut materia. Ergo cum
generatio mixtorum post finem mundi cesset, videtur quod elementa non maneant.
10. La matière est en vue de la forme qu'elle acquiert par génération.
Mais les éléments sont comparés à tous les autres corps mixtes comme la
matière. Donc comme la génération des mixtes cessera après la fin du monde, il
semble que les éléments ne demeureront pas.
q. 5 a. 7 arg. 11
Praeterea, Luc. XXI, 33, super illud: caelum et terra transibunt, dicit Glossa:
deposita priori forma. Cum ergo esse sit a forma, videtur quod elementa in fine
mundi esse desinant.
11. A propos de cette parole de Luc (21, 33): "Le ciel et la terre
passeront", la glose (interlinéaire) dit: "Après avoir abandonné leur
première forme.". Donc comme l'être vient de la forme, il semble que les
éléments cesseront d'exister à la fin du monde.
q. 5 a. 7 arg. 12
Praeterea, secundum philosophum corruptibile et incorruptibile non sunt unius
generis; et eadem ratione mutabile et immutabile. Si ergo aliquid de
mutabilitate in immutabilitatem mutetur, videtur quod in genere suae naturae
non remaneat. Elementa autem mutabuntur de mutabilitate in immutabilitatem, ut
patet per Glossam quae super illud Matth. cap. V, 18: donec transeat caelum et
terra, etc., dicit: donec transeat a mutabilitate ad immutabilitatem. Ergo ista
natura elementorum non remanebit.
12. Selon le philosophe (Métaphysique,
X, 10, 1058 b 27[3]), le corruptible et l'incorruptible
n’appartiennent pas à un même genre. et pour la même raison, le muable et
l'immuable. Si, donc, quelque chose passe de la mutabilité à l'immutabilité, il
semble qu’il ne demeure pas dans son genre naturel. Mais les éléments seront
changés de mutabilité en immutabilité, comme cela paraît dans la glose
(interlinéaire) sur cette parole de Mt 5, 18: "Jusqu'à ce que passent le
ciel et la terre", etc, elle dit: "Jusqu'à ce qu'il passe de la
mutabilité à l'immutabilité." Donc cette nature des éléments ne demeurera
pas.
q. 5 a. 7 arg. 13
Praeterea, haec dispositio, quam modo habent elementa, est naturalis. Si ergo ista remota aliam accipient, illa erit eis innaturalis. Sed quod
est innaturale et violentum, non potest esse perpetuum, ut patet per
philosophum in Lib. caeli et mundi. Ergo illa dispositio non posset in
perpetuum remanere in elementis; sed iterum ad hanc dispositionem reverterentur:
quod videtur esse inconveniens. Ergo ipsa elementa secundum substantiam
cessabunt, non autem eorum dispositio, substantia manente.
13. Cette disposition qu'ont maintenant les éléments, est naturelle. Si
donc, celle-ci une fois retirée, ils en reçoivent une autre, elle ne leur sera
pas naturelle. Mais ce qui est contre nature, et violent, ne peut pas durer
toujours, comme on le voit chez le philosophe, dans Le Ciel et le monde, (II,
1, 248 a 27 et 3, 285 b 17[4]). Donc cette disposition ne
pourrait pas demeurer éternellement dans les éléments; mais en plus ils y
retournerait; ce qui ne paraît pas convenir. Donc les éléments eux-mêmes
cesseront selon la substance, mais pas leur disposition, si la substance
demeure.
q. 5 a. 7 arg. 14
Praeterea, illud solum potest esse incorruptibile et ingenerabile quod totam
materiam suam sub forma habet ad quam est in potentia, sicut patet de
corporibus caelestibus. Hoc autem elementis non competit: quia materia quae est
sub forma unius elementi, est in potentia ad formam alterius. Ergo elementa non
possunt esse incorruptibilia, et ita non possunt in perpetuum manere.
14. Seul ne peut pas être corruptible et engendré ce qui a toute sa
matière sous la forme à laquelle il est en puissance, comme c'est le cas pour
les corps célestes. Mais cela ne convient pas aux éléments; parce que la
matière qui est sous la forme d'un des éléments, est en puissance pour la forme
d'un autre. Donc les éléments ne peuvent pas être incorruptibles, et ainsi ils
ne peuvent demeurer toujours.
q. 5 a. 7 arg. 15
Praeterea, illud quod non habet virtutem ut sit semper, non potest in perpetuum
manere. Sed elementa, cum sint corruptibilia, non habent virtutem ut sint
semper. Ergo non possunt in perpetuum remanere, motu caeli cessante.
15. Ce qui n'a pas le pouvoir d'exister toujours, ne peut pas demeurer
toujours. Mais comme les éléments sont corruptibles, ils n'ont pas le pouvoir
d'exister toujours. Donc ils ne peuvent demeurer toujours, quand le mouvement
du ciel cessera.
q. 5 a. 7 arg. 16
Sed dicebat, quod elementa sunt incorruptibilia secundum totum, licet sint
corruptibilia secundum partem.- Sed contra, hoc competit elementis per motum
caeli, in quantum una pars elementi corrumpitur, et alia generatur; sic enim
ipsius elementi totalitas conservatur. Motu ergo caeli cessante, non poterit
assignari causa incorruptionis in toto elemento.
16. Mais on pourrait dire que les éléments sont incorruptibles en
totalité, bien qu'ils soient corruptibles en partie. — En sens contraire, cela
convient aux éléments par le mouvement du ciel dans la mesure où une partie de
l'élément est corrompue et l’autre engendrée; car ainsi la totalité de
l'élément même est conservée. Donc quand cessera le mouvement du ciel, on ne
pourra pas attribuer la cause de son incorruption à l'élément entier.
q. 5 a. 7 arg. 17
Praeterea, philosophus dicit quod motus caeli est ut vita quaedam natura
existentibus omnibus; et Rabbi Moyses dicit, quod motus caeli in universo est
sicut motus cordis in animali, a quo dependet vita totius animalis. Cessante
autem motu cordis, omnes partes animalis dissolvuntur. Ergo cessante motu caeli
omnes partes universi peribunt; et ita elementa non remanebunt.
17. Le philosophe dit (Physique,
VIII,1, 250 b 14) que le mouvement du ciel est comme une vie qui existe en tous
par nature; et Rabbi Moyses dit que le mouvement du ciel dans l'univers est
comme le mouvement du cœur dans l'animal dont dépend la vie de tout l'animal.
Mais quand cesse le mouvement du cœur, toutes ses parties se dissolvent Donc
quand cessera le mouvement du ciel, toutes les parties de l'univers périront,
et ainsi les éléments ne demeureront pas.
q. 5 a. 7 arg. 18
Praeterea, esse cuiuslibet est a sua forma. Sed motus caeli est causa formarum
in istis inferioribus: quod patet ex hoc quod nihil in inferioribus agit ad
speciem nisi ex virtute motus caeli, ut philosophi dicunt; ergo cessante motu
caeli, elementa esse desinent formis eorum destructis.
18. Tout être existe par sa forme. Mais le mouvement du ciel est la
cause des formes dans les (êtres) inférieurs, ce qui paraît du fait que rien en
eux n'agit pour l'espèce sinon par le pouvoir du mouvement du ciel, comme le
disent les philosophes, donc quand cessera le mouvement du ciel, les éléments
disparaîtront, une fois leurs formes détruites.
q. 5 a. 7 arg. 19
Praeterea, apud praesentiam solis elementa superiora vincunt semper inferiora,
sicut accidit in aestate propter caloris fortificationem; sed apud solis
absentiam e converso. Motu autem caeli cessante, sol semper ex una parte
praesens erit, et ex alia parte absens. Ergo ex una parte totaliter destruentur
elementa frigida, et ex alia elementa calida, et sic elementa non remanebunt
motu caeli cessante.
19. En présence du soleil, les éléments supérieurs gagneront toujours
les inférieurs, comme cela arrive en été à cause de l'intensification de la
chaleur, mais en l'absence du soleil, c’est l'inverse. Mais quand cessera le
mouvement du ciel, le soleil sera toujours présent d'un côté, et absent de
l’autre. Donc d'un côté les éléments froids seront totalement détruits et de
l'autre les éléments chauds, et ainsi les éléments ne demeureront pas quand
cessera le mouvement du ciel.
En sens contraire:
q. 5 a. 7 s. c. 1
Sed contra. Est quod ad Rom. VIII, 20 super illud: vanitati creatura etc. dicit
Glossa Ambrosii: omnia elementa, sua cum labore explent officia: unde quiescent
nobis assumptis. Quiescere autem non est nisi existentis. Ergo elementa in fine
mundi remanebunt.
1. A propos de Rm 8, 20[5], sur cette parole: "Créature
assujettie à la vanité…", la glose d'Ambroise (Ambrosiaster) dit: "Tous
les éléments remplissent leurs devoirs avec ardeur: c'est pourquoi ils
s'arrêteront quand nous serons enlevés". S'arrêter n’est possible que pour
ce qui existe. Donc les éléments demeureront à la fin du monde.
q. 5 a. 7 s. c. 2
Praeterea, elementa facta sunt ad divinam bonitatem manifestandam. Sed tunc
maxime oportebit divinam bonitatem manifestari, quando res ultimam
consummationem accipient. Ergo in fine mundi elementa remanebunt.
2. Les éléments ont été faits pour manifester la bonté de Dieu. Mais
alors il faudra que sa bonté se manifeste, quand les choses recevront l'ultime
consommation. Donc à la fin du monde, les éléments demeureront.
Réponse:
q. 5 a. 7 co. Respondeo. Dicendum quod apud omnes communiter
dicitur, quod elementa quodammodo
manebunt et quodammodo transibunt. Sed in modo manendi et transeundi est
diversa opinio.
Tout le monde dit communément que les éléments demeureront d'une
certaine manière, et passeront d'une autre. Mais les opinions sont diverses sur
la manière de demeurer ou de passer.
Quidam enim dixerunt quod omnia elementa manebunt quantum ad
materiam, sed quaedam nobiliorem formam accipient, scilicet aqua et ignis, quae
accipient formam caeli; ut sic tria elementa possint dici caelum, aer scilicet
(qui ex sua natura habet ut caelum quandoque in Scripturis dicatur) et aqua et
ignis, quae formam caeli assument: ut sic intelligatur verificari quod dicitur
Apoc. XXI, vers. 1: vidi caelum novum et terram novam, sub caeli nomine tribus
comprehensis, scilicet igne, aere et aqua.
A) Certains, en effet, ont dit que tous les éléments demeureront quant
à la matière, mais ils revêtiront une forme plus noble, par exemple l'eau et le
feu, qui revêtiront la forme du ciel; de sorte qu'ainsi les trois éléments
puissent être appelés ciel, à savoir l'air (qui par sa nature est quelquefois
appelé ciel dans l'Écriture), l'eau et le feu, qui prendront la forme du ciel;
pour qu'on comprenne ainsi qu'est vérifié ce qui est dit dans Apoc. 21, 1: "J'ai
vu un ciel nouveau et une terre nouvelle," sous le nom de ciel sont
comprises trois choses: le feu, l'air et l'eau.
Sed ista positio est impossibilis. Elementa enim non sunt in
potentia ad formam caeli, eo quod forma caeli contrarium non habet, et sub
forma caeli sit tota materia quae est in potentia ad ipsam. Sic enim caelum
esset generabile et corruptibile; quod philosophus ostendit esse falsum. Ratio
etiam, qua hoc asseritur, frivola est: quia in Scriptura, sicut Basilius in
Hexameron dicit, per extrema, media intelliguntur, ut Genes. I, 1, cum dicitur:
in principio creavit Deus caelum et terram. Nam per creationem caeli et terrae
etiam elementa media intelliguntur. Quandoque etiam sub terrae nomine omnia
inferiora comprehenduntur, ut patet in Psalm. CXLVIII, 7: laudate dominum de
terra; et postea subditur: ignis, grando, et cetera. Unde nihil prohibet
dicere, quod per innovationem caeli et terrae Scriptura innovationem etiam
mediorum elementorum intellexit, vel quod sub nomine terrae omnia elementa
comprehendat.
Mais cette position est impossible. Car les éléments ne sont pas en
puissance pour la forme du ciel, parce que celle-ci n'a pas de contraire, et
que sous cette forme il y aurait toute la matière, qui est en puissance pour
elle. Car ainsi le ciel pourrait être engendré et corrompu: le philosophe
montre que c'est faux (Le ciel et le
monde, I, 3, 269 b 13). Et la raison pour laquelle on la soutient est
frivole; parce que dans l'Écriture, comme Basile le dit dans l'Hexameron, par
les extrêmes, on comprend les intermédiaires, comme en Gn. 1, 1, quand il est
dit: "Au commencement Dieu créa le ciel et la terre." Car par la
création du ciel et de la terre, on comprend aussi les éléments intermédiaires.
Quelquefois aussi sous le nom de terre, on comprend tous les êtres inférieurs,
comme on le voit dans le Ps. 148, 7: "Louez le Seigneur depuis la terre"
et ensuite il est ajouté: Le feu, la grêle, etc. C'est pourquoi, rien n'empêche
de dire que par le renouvellement du ciel et de la terre, l'Écriture a compris
le renouvellement des éléments intermédiaires, ou que sous le nom de terre,
elle comprend tous les éléments.
Et ideo alii dicunt, quod omnia elementa manebunt secundum
substantiam non solum quantum ad materiam, sed etiam quantum ad formas
substantiales. Sicut enim, secundum opinionem Avicennae, remanent formae
substantiales elementorum in mixto, qualitatibus activis et passivis non
remanentibus in suis excellentiis, sed ad medium redactis, ita possibile erit
quod in ultimo statu mundi absque praedictis qualitatibus remaneant elementa;
cui videtur consonare quod Augustinus dicit: in illa conflagratione mundana,
elementorum corruptibilium qualitates, quae corporibus nostris congruebant,
ardendo penitus interibunt, atque ipsa substantia eas qualitates habebit quae
corporibus immortalibus mirabili mutatione convenient.
B) Et c'est pourquoi d'autres disent, que tous les éléments demeureront
selon la substance non seulement quant à la matière, mais aussi quant aux
formes substantielles.De même que, en effet, selon l'opinion d'Avicenne, les
formes substantielles des éléments demeureront dans le mixte, les qualités
actives et passives ne demeurant pas dans leur meilleur état, mais ramenées à
un état intermédiaire, de même il sera ainsi possible que dans l’état ultime du
monde, les éléments demeurent sans ces puissances, ce qui semble en d'accord
avec que ce dit Augustin (La cité de Dieu,
20, 16): "En cette conflagration de l’univers, les qualités[6]
des éléments corruptibles, qui s’accordaient avec nos corps, périront tout à
fait en brûlant et la substance même aura ces puissances qui, par un changement
admirable, conviennent aux corps immortels".
Sed hoc non videtur rationabiliter dictum.
Mais cela ne paraît pas dit selon la raison:
Primo quidem, quia cum qualitates activae et passivae sint
per se elementorum accidentia, oportet quod a principiis essentialibus
causentur; unde non potest esse quod principiis essentialibus manentibus in
elementis praedictis, qualitates deficiant, nisi per violentiam; quod non
potest esse diuturnum. Et ideo nec opinio Avicennae videtur esse probabilis,
quod formae elementorum actu maneant in mixto; sed solum virtute, ut
philosophus dicit; quia oporteret quod diversorum elementorum formae, in
diversis partibus materiae conservarentur; quod non esset, nisi essent etiam
situ distinctae; et sic non esset vera commixtio, sed solum secundum sensum; et
tamen in mixto impediuntur qualitates unius elementi per qualitates alterius;
quod non potest dici in mundi consummatione ubi omnino cessabit violentia.
1) Parce que, comme les puissances actives et passives sont en soi des
accidents des éléments, il faut qu'elles soient causées par des principes
essentiels; c'est pourquoi il n'est pas possible que s'ils demeurent dans ces
éléments, les qualités cessent sinon par violence, ce qui ne peut pas durer
longtemps. Et c'est pourquoi, l'opinion d'Avicenne ne semble pas probable: à
savoir que les formes des éléments en acte demeurent dans le mixte; mais
seulement en puissance, comme le Philosophe le dit; parce qu'il faudrait que
les formes des différents éléments soient conservées dans les différentes
parties de la matière, ce qui ne serait possible que si elles étaient dans un
lieu différent; et ainsi ce ne serait pas un vrai mélange, mais seulement pour
les sens, et cependant dans le mixte les puissances d'un éléments sont
empêchées par les qualités d'un autre; ce qu'on ne peut pas dire de la
consommation du monde, où cessera tout à fait la violence.
Secundo autem, quia cum qualitates activae et passivae sint
de integritate naturae elementorum, sequeretur quod elementa imperfecta
remanerent; unde auctoritas Augustini inducta non loquitur de qualitatibus
activis et passivis, sed de dispositionibus eorum quae generantur et
corrumpuntur et alterantur.
2) Parce que, comme les puissances actives et passives appartiennent à
l'intégrité de la nature des éléments, il s'ensuivrait que les éléments
demeureraient imparfaits; c'est pourquoi le texte cité d'Augustin ne parle pas
des qualités actives et passives mais des dispositions de ce qui est engendré,
corrompu et altéré.
Et ideo videtur dicendum, quod elementa in sua substantia
remanebunt, et etiam in suis qualitatibus naturalibus; sed mutuae generationes
et corruptiones et alterationes cessabunt; per huiusmodi enim elementa
ordinantur ad completionem numeri electorum, sicut et caelum per motum suum;
sed substantiae elementorum manebunt, sicut et substantia caeli. Cum enim universum
in perpetuum remaneat, ut supra ostensum est, oportet quod ea quae sunt de
perfectione universi, primo et per se remaneant.
C) Et c'est pourquoi il semble qu'il faut dire, que les éléments
demeureront dans leur substance, et aussi dans leurs qualités naturelles, mais
les générations mutuelles, les corruption et les changements cesseront; car ils
sont ordonnés par les éléments de ce genre à la plénitude du nombre des élus,
comme le ciel par son mouvement, mais les substances des éléments demeureront,
comme la substance du ciel; en effet comme l'univers demeure toujours, comme on
l'a montré plus haut, il faut que ce qui appartient à sa perfection demeure
d'abord et par soi.
Hoc autem competit elementis, cum sint essentiales partes
universi ipsius, ut philosophus probat. Si enim est corpus circulare, oportet
esse centrum ipsius, quod est terra. Posita autem terra, quae est simpliciter
gravis, utpote in medio constituta, oportet ponere contrarium eius, scilicet
ignem, qui sit simpliciter levis; quia si unum contrariorum est in una natura,
et reliquum. Suppositis autem extremis, necesse est poni et media; unde oportet
ponere aerem et aquam, quae sunt ad ignem quidem levia, ad terram autem gravia,
quorum unum est propinquius terrae.
Mais cela convient aux éléments puisqu'ils sont les parties
essentielles de l'univers, comme le philosophe le prouve (Du ciel et du monde,
II, com. 34, 35, ss.). Car si celui-ci est un corps circulaire, il faut qu'il
soit le centre de lui-même qui est la terre. Mais la terre, qui est tout à fait
lourde, une fois placée, établie pour ainsi dire au milieu, il faut placer son
contraire, à savoir le feu, qui est tout à fait léger, parce que, si un des
contraires est dans une nature, etc.. Mais si on suppose les extrêmes, il est
nécessaire de placer aussi les intermédiaires, c'est pourquoi il faut placer
l'air et l'eau qui sont légers pour le feu, lourds pour la terre, dont l'un est
plus proche de la terre.
Unde ex ipso situ universi patet quod elementa sunt
essentiales partes universi. Quod patet esse manifestum, ordine causarum et
effectuum considerato. Nam sicut caelum est universale activum eorum quae
generantur, ita elementa sunt eorumdem universalis materia. Unde ad
perfectionem universi requiritur quod elementa secundum suam substantiam
maneant; et ad hoc etiam habent ex sui natura aptitudinem. Corruptio autem
aliter accidit in corporibus mixtis et elementis; in corporibus enim mixtis
inest corruptionis activum principium, propter hoc quod sunt ex contrariis
composita; in elementis vero, quae contrarium exterius habent, ipsa autem non
sunt ex contrariis composita, non inest principium corruptionis activum, sed
passivum tantum, in quantum habent materiam cui inest aptitudo ad aliam formam
qua privantur. Et ab hoc principio generatio et corruptio in elementis sunt
motus vel mutationes naturales; et non propter principium activum ut dicit
Commentator.
C'est pourquoi par la situation même de l'univers, il apparaît que les
éléments en sont les parties essentielles. Ce qui est évident, si on considère
l'ordre des causes et des effets. Car le ciel est universellement actif pour ce
qui est engendré, de même les éléments en sont la matière universelle. C'est
pourquoi il est requis, pour la perfection de l'univers que les éléments
demeurent selon leur substance et pour cela aussi ils ont l'aptitude de leur
nature. Mais la corruption arrive autrement dans les corps mixtes et les
éléments, car dans les corps mixtes, il y a un principe actif de corruption,
parce qu’ils sont composées de contraires; mais dans les éléments, qui ont leur
contraire à l'extérieur, eux-mêmes n'étant pas composés de contraires, il n'y a
pas de principe de corruption actif, mais passif seulement dans la mesure où
ils ont la matière en laquelle se trouve l'aptitude à une autre forme dont ils
sont privés. Et par ce principe, la génération et la corruption dans les
éléments sont des mouvements ou des changements naturels, mais pas à cause du
principe actif, comme le dit le Commentateur (Physique, II).
Sicut ergo quia corpus caeleste principium sui motus activum
habet extra, potest esse quod eius motus cesset ipso manente, absque violentia,
ut supra dictum est; ita potest esse ut corruptio elementorum cesset eorum
substantiis manentibus, exteriori corruptivo cessante, quod oportet reducere in
motum caeli sicut in primum generationis et corruptionis principium.
Donc, parce que le corps céleste a le principe actif de son mouvement
de l’extérieur, il peut arriver que son mouvement cesse alors que lui demeure,
sans violence, comme on l'a dit ci-dessus; de même il est possible que la
corruption des éléments cesse, même si leurs substances demeurent, si cesse ce
qui corrompt de l'extérieur, qu'il faut ramener au mouvement du ciel, comme au
premier principe de la génération et de la corruption.
Solutions:
q. 5 a. 7 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illa
elementorum solutio non est referenda ad
destructionem substantiae elementorum, sed ad elementorum purgationem, quae
erit per ignem, qui faciem iudicis praecedet. Post illam autem purgationem
remanebunt elementa secundum substantiam et naturales qualitates, ut dictum
est.
# 1. Cette destruction des éléments n'est pas à rapprocher de la
destruction de la substance des éléments, mais à leur purification, qui se fera
par le feu qui précédera la face du Juge[7]. Après cette
purification les éléments demeureront selon leur substance et leurs qualités
naturelles, comme on l'a dit.
q. 5 a. 7 ad 2 Unde
secundum et tertium concedimus.
# 2. 3. C'est pourquoi nous concédons les objections deux et trois.
q. 5 a. 7 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in
mundi principio instituta est natura corporum secundum quod ordinatur ad
generationem et corruptionem, per quam numerus electorum completur. In mundi
autem consummatione remanebit substantia elementorum secundum quod est ad
perfectionem universi. Unde non oportet omnia inesse elementis in illo finali
statu quae oportuit habere in mundi principio.
# 4. Au commencement du monde la nature des corps a été constituée en
rapport à la génération et à la corruption, qui complète le nombre des élus.
Mais, à la consommation du monde la substance des éléments demeurera selon
qu’elle est pour la perfection de l'univers. C'est pourquoi il ne faut pas que
tout ce qu'il fallait avoir au commencement du monde soit dans les éléments
dans cet état final
q. 5 a. 7 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod Glossa Bedae non est intelligenda quod hoc modo duo
elementa secundum substantiam destruantur; sed secundum statum mutationis, quae
praecipue in duobus elementis apparet: scilicet in aere et aqua, de quibus
quidam praedictam Glossam intelligunt; quamvis secundum alios intelligatur de
igne et aqua in quibus vigent qualitates activae.
# 5. La Glose de Bède n'est pas à comprendre de manière que deux
éléments seront détruits en substance, mais [elle est à comprendre] selon
l'état de changement, qui apparaît surtout dans deux éléments; à savoir dans
l'air et dans l'eau, comme certains comprennent cette glose; quoique d'autres
la comprennent du feu et de l'eau dans lesquels les puissances actives sont
fortes.
q. 5 a. 7 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod actio magis dependet ab agente quam a patiente, ex hoc
ipso quod agens est honorabilius patiente; unde destructio mutationis in
elementis et mutuae actionis, convenientius exprimitur per subtractionem
activorum quam per subtractionem passivorum.
# 6. L'action dépend plus de l'agent que du patient, du fait que
l'agent est plus honorable que le patient; c'est pourquoi une destruction par
changement dans les éléments ou par celle d’une action mutuelle est plus
convenablement exprimée par la soustraction des puissances actives que par
celle des puissances passives.
q. 5 a. 7 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod si consideretur actio et passio in elementis secundum
principia substantialia, sic verum est quod Augustinus dicit loc. cit. quod ad
patiendum humor et humus aptitudinem praebent, ad agendum ignis et aer; quia
ignis et aer habent plus de forma, quae est actionis principium; de materia
vero terra et aqua, quae est principium patiendi. Si vero consideretur secundum
qualitates activas et passivas, quae sunt immediata principia actionis, sic
ignis et aqua sunt magis activa, aer et terra magis passiva.
# 7. Si on considère l'action et la passion dans les éléments selon les
principes substantiels, alors est vrai ce que dit Augustin dit (loc. cit.) que
le liquide et le sol fournissent une aptitude à supporter, le feu et l'air une
aptitude à agir; parce que le feu et l'air ont plus de forme qui est le
principe de l'action; mais la terre et l'eau [plus] de matière, qui est le
principe de passion. Mais si on les considèrait selon les qualités actives ou
passives, qui sont les principes immédiats de l'action, le feu et l'eau sont
plus actifs, l'air et la terre plus passifs.
q. 5 a. 7 ad 8 Octavum concedimus.
# 8. Nous concédons la huitième objection.
q. 5 a. 7 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod elementa, quantum ad sui mutationem, facta sunt propter
hominem in beatitudinem tendentem; sed quantum ad suam substantiam, sunt facta
et propter perfectionem universi et propter substantiam ipsius hominis, quae ex
elementis constituitur.
# 9. Les éléments, quant à leur changement, ont été faits pour l'homme
à la recherche de sa béatitude; mais quant à leur substance, ils ont été faits
en vue de la perfection de l'univers et de la substance de l'homme lui-même,
qui est constitué d’éléments.
q. 5 a. 7 ad 10 Ad
decimum dicendum, quod in mundi consummatione non cessabunt omnia mixta, quia
corpora humana remanebunt. Unde decens est, si partes eorum remanent in corpore
hominis qui est minor mundus, quod ipsa tota remaneant in mundo maiori.
# 10. A la consommation du monde, tous les mixtes ne cesseront pas,
parce que les corps humains demeureront. C'est pourquoi il convient, si leurs
parties demeurent dans le corps de l'homme qui est un microcosme, que tout
demeure dans le macrocosme.
q. 5 a. 7 ad 11 Ad
decimumprimum dicendum, quod forma, quam elementa deponent, est ipsa
mutabilitas, non forma quae sit principium essendi.
# 11. La forme que les éléments déposent est le principe du changement,
mais pas la forme principe de l'être.
q. 5 a. 7 ad 12 Ad
decimumsecundum dicendum, quod mutabilis dispositio tolletur ab elementis, quia
mutatio in eis non erit; non quod naturam mutabilem amittant.
# 12. L’aptitude au changement est enlevée par les éléments; parce
qu'il n'y aura pas de changement en eux, non parce qu'ils perdront leur nature
changeante.
q. 5 a. 7 ad 13 Ad
decimumtertium dicendum, quod dispositio istorum elementorum, secundum quam
generantur et corrumpuntur et mutantur, est eis naturalis, motu caeli manente:
non autem postquam motus caeli cessaverit.
# 13. La disposition de ces éléments selon laquelle ils sont engendrés,
corrompus et changés, leur est naturelle, tant que le mouvement du ciel demeure;
mais non après qu'il aura cessé.
q. 5 a. 7 ad 14 Ad
decimumquartum dicendum, quod ratio illa probat quod in elementis est
principium corruptionis materiale, non autem activum; unde non sequitur
mutatio, motu caeli subtracto, qui est principium mutationis.
# 14 Cette raison prouve que dans les éléments il y a un principe
matériel de corruption, mais non actif, c'est pourquoi il n'en découle pas un
changement, si on enlève le mouvement du ciel qui en est le principe.
q. 5 a. 7 ad 15 Ad
decimumquintum dicendum, quod elementum sicut non habet virtutem ut sit semper,
propter hoc quod potest ab exteriori corrumpi, ita non habet virtutem ut
quandoque deficiat, nisi materialem, ut dictum est.
# 15. L'élément n'a pas le pouvoir d’exister toujours, du fait qu'il
peut être corrompu par l'extérieur, de même il n’a pas de pouvoir de cesser un
jour, sinon un pouvoir matériel, comme on l'a dit.
q. 5 a. 7 ad 16 Ad
decimumsextum dicendum, quod elementa sunt incorruptibilia secundum totum,
partibus generatis et corruptis, quamdiu motus caeli durat; sed motu caeli
cessante, erit in eis alia incorruptionis causa, quia scilicet non possunt
corrumpi nisi ab extrinseco; corruptivum autem extrinsecum, deficiente motu
caeli, cessabit.
# 16. Les éléments sont incorruptibles selon le tout, les parties étant
engendrées et corrompues, tant que dure le mouvement du ciel; mais s'il cesse,
il y aura en eux une autre cause d'incorruptibilité, parce qu’ils ne peuvent
être corrompus que de l'extérieur; ce qui corrompt à l'extérieur, à l'arrêt du
mouvement du ciel, cessera.
q. 5 a. 7 ad 17 Ad
decimumseptimum dicendum, quod motus caeli est ut vita quaedam omnibus rebus
naturalibus secundum statum mutationis, qui in consummatione mundi tolletur.
# 17. Le mouvement du ciel est comme une vie pour toutes les choses
naturelles, selon leur situation de changement, qui [leur] sera enlevée à la
consommation du monde.
q. 5 a. 7 ad 18 Ad
decimumoctavum dicendum, quod licet eductio formarum de potentia in actum
dependeat ex motu caeli, tamen eorum conservatio dependet a principiis altioribus,
ut dictum est.
# 18. Bien que le passage des formes de la puissance à l'acte dépende
du mouvement du ciel, cependant leur conservation dépend de principes plus
élevés, comme on l'a dit.
q. 5 a. 7 ad 19 Ad
decimumnonum dicendum, quod sol est causa caliditatis per motum, ut philosophus
dicit: unde cessante motu tollitur corruptionis causa in elementis, quae est
per superexcedentiam caloris.
# 19. Le soleil est la cause de la chaleur par son mouvement, comme le
Philosophe le dit (Le ciel,. II, 7, 289 a 20): c'est pourquoi quand cesse le
mouvement, la cause de la corruption est enlevée dans les éléments, qui se fait
par un excès de chaleur.
[1] Parall.: CG. IV, 97 -
Sent IV, d47q2a2, q.la 2 c — d44q2a1, q.la 1 — d48qa4, q.la 2 ad 3; Opusc. III, c. 3 - c. 171, Opusc. XI, a. 19.
[2]
Cf. aussi III, X, 14.
[3]
Thomas n° 2137 et 21372 où Thomas reprend la démonstration.
[4]
Thomas n° 297 et 335.
[5]
Cf. Sed contra, 3, Pot. 5, 5
[6]
Les qualités: "Ce en vertu de quoi on est dit être tel." (Catégories,
8, 8 b 25). Aristote distingue trois sens: 1) État ou disposition: "L’état
diffère de la disposition en ce qu’il a beacoup plus de durée et de stabilité."
(8 b 28); 2)Aptitude ou inaptitude naturelle (9 a 18); 3) Qualités affectives
et affections (9 a 28). Thomas suit ici le texte d’Augustin. En certains de ces
emplois, le sens est très proche de "puissance".
[7]
Allusion au jugement dernier.
q. 5 a. 8 tit. 1
Octavo quaeritur utrum cessante motu caeli, remaneat actio et passio in
elementis. Et videtur quod sic.
Il semble que oui.
Objections[1]:
q. 5 a. 8 arg. 1
Potentiae enim naturales sunt determinatae ad unum; unde virtus ignis, cum sit
naturalis potentia, se habet tantum ad calefaciendum, non autem ad non
calefaciendum. Sed in illa mundi consummatione remanebit virtus ignis et
aliorum elementorum, ut prius dictum est, art. praec. Ergo impossibile est quin
ignis et alia elementa agant.
1. Car les puissances naturelles sont limitées à un seul objet; ainsi,
le pouvoir du feu étant une puissance naturelle, n’agit que pour chauffer, mais
pas pour le contraire. Mais à la consommation du monde le pouvoir du feu et
celui des autres éléments demeureront comme on l'a dit dans art. précéd. Donc
il est impossible que le feu et les autres éléments n'agissent pas.
q. 5 a. 8 arg. 2
Praeterea, sicut dicit philosophus, ad hoc quod fiat mutua actio et passio,
requiritur quod agens et patiens sint similia secundum materiam, et dissimilia
secundum formam. Hoc autem erit in elementis cessante motu caeli, quia eorum
substantiae manebunt, principiis essentialibus non mutatis. Ergo erit actio et
passio in elementis, motu caeli cessante.
2. Comme le dit le Philosophe, (La génération, I, 6, 322 b 13 à 25 — 7,
324 a 5) pour que l'action et la passion deviennent réciproques, il est requis
que l'agent et le patient soient semblables par la matière et différents par la
forme. Mais cela existera dans les éléments, quand cessera le mouvement du ciel;
parce que leurs substances demeureront, sans que les principes essentiels ne
soient changés. Donc il y aura l'action et la passion dans les éléments, quand
cessera le mouvement du ciel.
q. 5 a. 8 arg. 3
Praeterea, causa actionis et passionis in elementis est ex hoc quod in materia
elementi semper est appetitus ad aliam formam, licet materia per unam formam
sit perfecta. Sed iste appetitus in materia remanebit, etiam motu caeli
cessante, non enim una forma elementi poterit totam potentiam materiae implere.
Ergo in illa mundi consummatione remanebit actio et passio in elementis.
3. La cause de l'action et de la passion dans les éléments vient de ce
que dans leur matière il y a toujours l'appétit d'une autre forme, bien qu'elle
soit parfaite par une seule forme. Mais cet appétit demeurera dans la matière,
même quand le mouvement du ciel cessera, car une seule forme de l'élément ne
pourra pas compléter toute la puissance de la matière. Donc, en cette
consommation du monde, l'action et la passion demeureront dans les éléments.
q. 5 a. 8 arg. 4
Praeterea, illud quod est de perfectione elementi non aufertur ei. Hoc autem
est de perfectione uniuscuiusque entis, quod agat sibi simile: diffusio enim
ipsius esse derivatur a primo bono in omnia entia. Ergo videtur quod elementa
in illa consummatione agent sibi simile; et sic erit in eis actio et passio.
4. Ce qui concerne la perfection de l'élément ne lui est pas enlevé.
Mais il appartient à la perfection de chaque être qu'il fasse du semblable à
soi: car sa diffusion est dérivée du premier bien dans tous les êtres. Donc il
semble que dans cette consommation les éléments feront du semblable à eux, et
ainsi il y aura en eux l'action et la passion.
q. 5 a. 8 arg. 5
Praeterea, sicut proprium est ignis esse calidum, ita etiam proprium eius est
calefacere; sicut enim calor derivatur a principiis essentialibus ignis, ita
calefactio derivatur a calore. Si ergo in illa rerum consummatione ignis et
eius calor remanebit, videtur quod etiam calefactio remanebit.
5. Le propre du feu c'est d'être chaud, et aussi de chauffer: car de
même que la chaleur est dérivée des principes essentiels du feu, l'échauffement
est dérivé de la chaleur. Si donc dans cette consommation du monde, le feu et
la chaleur demeurent, il semble que l'échauffement demeurera aussi.
q. 5
a. 8 arg. 6 Praeterea, omnia corpora naturalia se tangentia aliquo modo se
alterant, ut patet in I de Generat. Sed elementa in
illo statu mundi se tangent. Ergo se invicem alterabunt, et ita erit ibi actio
et passio.
6. Tous les corps naturels qui se touchent s'altèrent d'une certaine
manière, comme cela paraît dans La Génération (I, com. 53). Mais les éléments
dans cet état du monde se touchent. Donc ils s'altèreront l'un l'autre, et
ainsi il aura là l'action et la passion.
q. 5 a. 8 arg. 7
Praeterea, in illa mundi consummatione erit lux lunae sicut lux solis, et lux
solis erit septempliciter. Sed modo sol et luna sua luce illuminant corpora
inferiora. Ergo multo fortius tunc illuminabunt; et ita remanebit aliqua actio
et passio in istis inferioribus, nam medium illuminatum illuminabit ultimum.
7. A la consommation du monde, la lumière de la lune sera comme celle
du soleil, et la lumière du soleil sera sept fois plus fois" (Is. 30, 26).
Mais le soleil et la lune éclairent seulement les corps inférieurs de leur
lumière. Donc alors ils éclaireront beaucoup plus; et ainsi l'action et la
passion demeureront dans ces êtres inférieurs, car l'intermédiaire éclairé
éclairera le dernier.
q. 5
a. 8 arg. 8 Praeterea, sancti videbunt visu corporeo res huius mundi. Sed visio
non potest esse sine actione et passione, quia visus patitur a visibili. Ergo
erit actio et passio etiam motu caeli cessante.
Les saints verront de leurs yeux de chair les choses de ce monde. Mais
la vision ne peut exister sans l'action et la passion, parce que la vue subit
le visible. Donc il y aura l'action et la passion même quand le mouvement du
ciel cessera.
En sens contraire:
q.
5 a. 8 s. c. 1 Sed contra. Remota causa, removetur effectus. Sed motus
caeli est causa actionis et passionis in istis inferioribus, secundum doctrinam
philosophi. Ergo remoto motu caeli, removebitur actio et passio in istis
inferioribus.
1. Si on écarte la cause, l'effet est écarté. Mais le mouvement du ciel
est la cause de l'action et de la passion, dans les choses inférieures selon la
doctrine du Philosophe (Météor, I, Du ciel, II, com. 56). Donc une fois le
mouvement du ciel écarté, l'action et la passion seront écartées dans les
choses inférieures.
q. 5 a. 8 s. c. 2
Praeterea, actio et passio in rebus corporalibus sine motu esse non potest.
Remoto autem primo motu, qui est motus caeli, ut probatur in VIII Physic.,
oportet posteriores motus cessare. Remoto ergo motu caeli, non erit actio et
passio in istis inferioribus.
2. L'action et la passion ne peuvent pas exister sans mouvement dans
les choses corporelles. Si on enlève le premier mouvement, qui est celui du
ciel, comme on le prouve (Physique,
VIII, 9, 265 a 26 ss.), il faut que les mouvements suivants cessent. Donc une
fois écarté le mouvement du ciel, il n'y aura pas d'action et de passion dans
les choses inférieures.
Réponse:
q. 5 a. 8 co.
Respondeo. Dicendum quod, sicut habetur in libro de causis, quando causa prima
retrahit actionem suam a causato, oportet etiam quod causa secunda retrahat
actionem suam ab eodem, eo quod causa secunda habet hoc ipsum quod agit, per
actionem causae primae, in cuius virtute agit. Cum autem omne agens agat
secundum quod est in actu, oportet secundum hoc accipere ordinem causarum
agentium, secundum quod est ordo earum in actualitate.
Comme on le lit dans le livre Des causes, quand la cause première
retire son action de l'effet, il faut aussi que la cause seconde la lui retire,
parce qu'elle possède ce qui agit par l'action de la cause première, dans le
pouvoir de laquelle elle agit. Mais comme tout agent agit selon qu'il est en
acte, il faut qu'il reçoive l'ordonnancement des causes efficientes, selon que
celui-ci est en acte.
Corpora autem inferiora minus habent de actualitate quam
corpora caelestia, nam in corporibus inferioribus non est tota potentialitas
completa per actum, eo quod materia substans uni formae remanet in potentia ad
formam aliam; quod non est in corporibus caelestibus, nam materia corporis
caelestis non est in potentia ad aliam formam; unde sua potentialitas tota est
terminata per formam quam habet.
Mais les corps inférieurs ont moins d' "actualité" que les
corps célestes, car en eux il n'y a pas toute la potentialité complète par
l'acte, parce que la matière qui est le substrat d'une forme demeure en
puissance pour une autre forme; ce qui n'existe pas pour les corps célestes,
car la matière du corps céleste n'est pas en puissance pour une autre forme.
C'est pourquoi toute sa potentialité se termine à la forme qu'il possède.
Substantiae vero separatae sunt perfectiores in actualitate
quam etiam corpora caelestia, quia non sunt compositae ex materia et forma, sed
sunt formae quaedam subsistentes; quae tamen deficiunt ab actualitate Dei, qui
est suum esse, quod de aliis substantiis separatis non contingit; sicut etiam
videmus quod elementa etiam se superant invicem secundum gradum actualitatis,
eo quod aqua habet plus de specie quam terra, aer quam aqua, et ignis quam aer;
ita etiam est in corporibus caelestibus, et in substantiis separatis.
Mais les substances séparées sont plus parfaites dans leur
"actualité" que même les corps célestes, parce qu'elles ne sont pas
composées de matière et de forme, mais sont des formes subsistantes, qui
cependant sont différentes de l’état d’acte de Dieu qui est son être propre, ce
qui n'arrive pas pour les autres substances séparées; de même nous voyons que
les éléments l'emportent l'un sur l'autre selon le degré de leur
"actualité", parce que l'eau a plus de forme (species) que la terre,
l'air que l'eau, et le feu que l'air, de même il en est ainsi pour les corps
célestes et les substances séparées.
Elementa ergo agunt in virtute corporum caelestium et
corpora caelestia agunt in virtute substantiarum separatarum; unde cessante
actione substantiae separatae, oportet quod cesset actio corporis caelestis; et
ea cessante oportet quod cesset actio corporis elementaris.
Donc les éléments agissent dans le pouvoir des corps célestes et
ceux-ci dans le pouvoir des substances séparées, c'est pourquoi si l'action de
la substance séparée cesse, il faut que cesse celle du corps céleste, et si
elle cesse, il faut que cesse celle du corps élémentaire.
Sed sciendum quod corpus habet duplicem actionem:
Mais il faut savoir que le corps a une double action:
unam quidem secundum proprietatem corporis, ut scilicet agat
per motum (hoc enim proprium est corporis, ut motum moveat et agat);
1) L'une selon sa propriété, ainsi il agit par le mouvement (car c'est
le propre du corps de mouvoir le mû et d'agir);
aliam autem actionem habet, secundum quod attingit ad
ordinem substantiarum separatarum, et participat aliquid de modo ipsarum; sicut
naturae inferiores consueverunt aliquid participare de proprietate naturae
superioris, ut apparet in quibusdam animalibus, quae participant aliquam
similitudinem prudentiae, quae propria est hominum. Haec autem est actio
corporis, quae non est ad transmutationem materiae, sed ad quamdam diffusionem
similitudinis formae in medio secundum similitudinem spiritualis intentionis
quae recipitur de re in sensu vel intellectu, et hoc modo sol illuminat aerem,
et color speciem suam multiplicat in medio.
2) Le corps a aussi une autre action, en tant qu'il confine à la nature
des substances séparées, et participe en quelque point de leur mode; ainsi les
natures inférieures participent d'habitude en quelque chose de la propriété de
la nature supérieure[2], comme on le voit chez certains
animaux, qui ont un semblant de prudence, (vertu) qui est propre à l'homme[3]. Mais cela c'est l'action du corps, non pour transformer
la matière, mais pour diffuser la ressemblance de la forme dans l'intermédiaire
selon la ressemblance de l'intention spirituelle qui est reçue dans les sens ou
l'intellect, et de cette manière, le soleil illumine l'air et la couleur multiplie
son image (speciem) dans l'intermédiaire.
Uterque autem modus actionis in istis inferioribus causatur
ex corporibus caelestibus. Nam et ignis suo calore transmutat materiam, ex
virtute corporis caelestis; et corpora visibilia multiplicant suas species in
medio, virtute luminis, cuius fons est in caelesti corpore. Unde si actio
utraque corporis caelestis cessaret, nulla actio in istis inferioribus
remaneret. Sed cessante motu caeli, cessabit prima actio, sed non secunda; et
ideo cessante motu caeli, erit quidem actio in istis inferioribus
illuminationis et immutationis medii a sensibilibus; non autem erit actio per
quam transmutatur materia, quam sequitur generatio et corruptio.
Mais les deux modes d'action dans les choses inférieures sont causés
par les corps célestes. Car le feu par sa chaleur change la matière par le
pouvoir du corps céleste, et les corps visibles multiplient leurs images
(species) dans l'intermédiaire, par le pouvoir de la lumière, dont la source
est dans le corps céleste. C'est pourquoi si l'une et l'autre action de chaque
corps céleste cessait, aucune action ne demeurerait dans ces corps inférieurs.
Mais si le mouvement du ciel cesse, la première action cessera, mais pas la
seconde, et c'est pourquoi si le mouvement du ciel cesse, il y aura dans ces
corps inférieurs l'action de l'éclairage et du manque de changement
intermédiaire par ce qui est sensible (?), mais il n'y aura pas d'action par
laquelle sera transformée la matière, qui accompagne la génération et de la
corruption.
Solutions:
q. 5 a. 8 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod virtus ignis semper est determinata ad
calefaciendum, praesuppositis tamen causis prioribus quae ad actionem ignis
requiruntur.
# 1. La pouvoir du feu est toujours limité au réchauffement, si
cependant on présuppose les causes supérieures requises pour son action.
q. 5 a. 8 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod similitudo secundum materiam et contrarietas formae non
sufficit in istis inferioribus ad passionem et actionem, nisi motu caeli
praesupposito, in cuius virtute agunt omnes inferiores activae potentiae.
# 2. La ressemblance selon la matière et la contrariété de la forme ne
suffisent pas dans les êtres inférieurs pour la passion et l'action, sauf si on
suppose le mouvement du ciel au pouvoir en qui toutes les puissances actives
inférieures agissent.
q. 5 a. 8 ad 3 Ad tertium dicendum, quod materia
non sufficit ad actionem, nisi principium activum ponatur. Unde
appetitus materiae non sufficienter probat actionem in elementis, motu caeli
subtracto, a quo est primum principium actionis.
# 3. La matière ne suffit à l'action que si on place un principe actif.
C'est pourquoi l'appétit de la matière ne suffit pas à prouver l'action dans
les éléments, si on retire le mouvement du ciel d'où vient le premier principe
de l'action.
q. 5 a. 8 ad 4 Ad quartum dicendum, quod
inferiora nunquam attingunt ad gradum perfectionis superiorum. Hoc autem est de
ratione perfectionis supremi agentis, quod sua perfectio sibi sufficiat ad
agendum alio agente remoto; unde hoc inferioribus agentibus attribui non
potest.
# 4. Les corps inférieurs n'atteignent jamais le degré de perfections
des êtres supérieurs. Mais c'est de la nature de la perfection de l'agent
suprême que sa perfection lui suffise pour agir, quand un autre agent est
écarté; c'est pourquoi on ne peut l'attribuer aux agents inférieurs.
q. 5 a. 8 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod ignis est proprium calefacere, supposito quod habeat
aliquam actionem; sed eius actio dependet ab alio, ut dictum est.
# 5. Le feu est propre à chauffer, si on suppose qu’il a une action;
mais celle-ci dépend d’un autre, comme on l’a dit.
q. 5 a. 8 ad 6 Et
similiter ad sextum dicendum, quod tactus non sufficit in elementis ad agendum,
nisi motu caeli supposito.
# 6. Il faut dire de même que le toucher ne suffit pour agir dans les
éléments que si on suppose le mouvement du ciel.
q. 5 a. 8 ad 7 Alia
duo concedimus: nam procedunt de actionibus quibus materia non transmutatur,
sed species quodammodo multiplicatur per modum intentionis spiritualis.
# 7. 8. Nous concédons les deux autres objections; car elles procèdent
des actions par lesquelles la matière n'est pas changée mais l'espèce d'une
certaine manière est multipliée par le mode de l'intention spirituelle.
[1]Parall.:IISent.
D11q2a6, ad 3 – d33q2a1, ad 3 – IV Sent. D44q3a1 qla 3 c. –Qdl VII, a. 11 Opus III c 176.
[2]Idée
reprise en qu. 5, a. 9, obj. 11, où elle est attribuée à Denys.
[3]Il
y a de la prudence dans les chiens. Pour Aristote la prudence ne peut exister
que pour des êtres qui ont de la mémoire. (980 a 28 texte n° 3 d'Aristote).
Thomas commente: la prudence vient de la mémoire des événements. Mais elle est
différente chez l'homme et les animaux. Les hommes délibèrent selon la raison.
Le jugement ches les animaux doués de mémoire dépend "d'un certain
instinct de la nature" (Thomas n° 11)
q. 5 a. 9 tit. 1
Nono quaeritur utrum plantae et bruta animalia et corpora mineralia remaneant
post finem mundi. Et videtur quod sic.
Il semble que oui[1].
Objections:
q. 5 a. 9 arg. 1
Habetur enim Eccle. III, 14: didici quod omnia opera Dei perseverent in
aeternum. Sed corpora mineralia, plantae et bruta sunt opera Dei. Ergo in
aeternum manebunt.
1. Car on lit en Eccl. 3, 14: "J'ai appris que toutes les oeuvres
de Dieu demeureront éternellement." Mais les minéraux, les plantes et les
animaux sont des oeuvres de Dieu. Donc ils demeureront éternellement.
q. 5 a. 9 arg. 2 Sed
dicebat, quod hoc intelligitur de istis operibus Dei quae aliquo modo habent
ordinem ad incorruptionem, sicut elementa quae sunt incorruptibilia secundum
totum, licet secundum partem corrumpantur.- Sed contra, sicut elementa sunt incorruptibilia secundum totum, licet
secundum partem corrumpantur, ita praedictae res sunt incorruptibiles secundum
speciem, licet secundum individua corrumpantur. Ergo videtur quod
praedictae etiam res in aeternum remaneant.
2. Mais on pourrait dire, qu'on le comprend de ces oeuvres de Dieu qui
ont rapport d'une certaine manière avec l'incorruptibilité, comme les éléments
qui sont incorruptibles en leur totalité, bien qu'ils se corrompent en partie.
En sens contraire, de même que les éléments sont incorruptibles en totalité,
bien qu'ils se corrompent en partie, de même ce dont on a parlé[2]
est incorruptible selon l'espèce, bien qu'il secorrompt quant à l'individu.
Donc il semble que ces choses aussi demeurent éternellement.
q. 5 a. 9 arg. 3
Praeterea, impossibile est quod intentio naturae frustretur, cum naturae
intentio sit ex hoc quod natura a Deo in finem dirigitur. Sed natura intendit
per generationem et corruptionem perpetuitatem speciei servare. Ergo nisi
praedicta secundum speciem conserventur, frustrabitur naturae intentio; quod
est impossibile, ut dictum est..
3. Il est impossible que l'objectif de la nature soit vain; puisqu'il
vient du fait qu'elle est dirigée par Dieu vers sa fin. Mais la nature tend par
la génération et la corruption à conserver la perpétuité de l'espèce. Donc si
les plantes, les animaux et les minéraux ne sont pas conservés en l'espèce,
l'objectif de la nature sera vain, ce qui est impossible comme on l'a dit.
q. 5 a. 9 arg. 4
Praeterea, decor universi pertinebit ad gloriam beatorum; unde dicitur a
sanctis, quod in maiorem beatorum gloriam elementa mundi in statum meliorem
reformabuntur. Sed plantae, mineralia et bruta animalia pertinent ad decorem
universi. Ergo non subtrahentur in illa ultima consummatione beatorum.
4. La beauté de l'univers s'appliquera à la gloire des bienheureux;
c'est pourquoi les saints disent que pour la plus grande gloire des
bienheureux, les éléments du monde seront reformés dans un état meilleur. Mais
les plantes, les minéraux et les animaux font partie de la beauté de l'univers.
Donc ils ne seront pas retranchés dans cette ultime consommation des
bienheureux.
q. 5 a. 9 arg. 5
Praeterea, Rom. I, 20, dicitur quod invisibilia Dei per ea quae facta sunt,
intellecta conspiciuntur inter quae etiam facta, plantae et animalia numerari
possunt. Sed in illo statu perfectae beatitudinis necessarium est homini
invisibilia Dei cognoscere. Ergo indecens erit quod praedicta Dei opera de
medio subtrahantur.
5. En Rm 1, 20, on dit que "ce qui est invisible en Dieu, se laisse
voir à l'intelligence par ses oeuvres[3]".
Parmi ce qui a été créé, on peut compter les plantes et les animaux. Mais dans
cet état de béatitude parfaite, il est nécessaire pour l'homme de connaître ce
qui est invisible en Dieu. Donc il ne conviendra pas que ces oeuvres de Dieu
soient retirées.
q. 5
a. 9 arg. 6 Praeterea, Apoc. XXII, 2, dicitur: ex utraque parte
fluminis lignum afferens fructus duodecim. Ergo cum ibi loquatur de ultima
consummatione beatitudinis sanctorum, videtur quod in illo statu plantae
remaneant.
6.On dit en Apoc. 22, 2: "De chaque côté du fleuve des arbres
fructifient douze fois." Donc, comme on y parle de l'ultime consommation
de la béatitude des saints, il semble que les plantes demeureront dans cet
état.
q. 5 a. 9 arg. 7
Praeterea, ab esse divino omnibus entibus inest desiderium perpetuitatis, in
quantum assimilantur primo enti, quod est perpetuum. Quod autem inest rebus ex
similitudine divini esse, non auferetur ab eis in ultima consummatione. Ergo
remanebunt plantae et animalia perpetua, saltem secundum speciem.
7. Par l'être de Dieu, le désir d'éternité est dans tous les étants,
dans la mesure où ils ressemblent à l'Étant premier, qui est éternel. Mais ce
qui est dans les choses par ressemblance de l'être divin ne leur sera pas
enlevé à l'ultime consommation. Donc les plantes et les animaux demeureront
éternellement, au moins selon l'espèce.
q. 5 a. 9 arg. 8 Praeterea, in ultimo statu
consummationis rerum non auferetur a rebus id quod ad rerum perfectionem
pertinet. Sed opus ornatus est consummatio quaedam creationis. Cum ergo
animalia ad opus ornatus pertineant, videtur quod non desinant esse in illo
mundi ultimo statu.
8. Dans le dernier état de l'achèvement des choses, ce qui concerne la
perfection ne leur sera pas enlevé. Mais l'oeuvre d'ornement est
l'accomplissement de la création. Donc comme les animaux appartiennent à cette
oeuvre d'ornement, il semble qu'ils ne cesseront pas d'exister dans le dernier
état du monde.
q. 5 a. 9 arg. 9
Praeterea, sicut elementa servierunt homini in statu viae, ita et animalia et
plantae. Sed elementa remanebunt. Ergo et animalia et plantae; et sic non
videtur quod cessent.
9. Les éléments ont servi à l'homme dans l'état de vie, de même les
animaux et les plantes. Mais les éléments demeureront. Donc les animaux et les
plantes aussi, et ainsi il ne semble pas qu'ils cesseront d'exister.
q. 5 a. 9 arg. 10
Praeterea, quanto aliquid magis participat de proprietate primi perpetui, quod
est Deus, tanto magis videtur esse perpetuum. Sed animalia et plantae plus
participant de proprietatibus Dei quam elementa, quia elementa sunt tantum
existentia, plantae autem etiam vivunt, animalia vero etiam super haec
cognoscunt. Ergo magis debent in perpetuum remanere animalia et plantae quam
elementa.
10. Plus une chose participe de la nature du premier éternel, qui est
Dieu, plus elle semble éternelle. Mais les animaux et les plantes participent
plus des propriétés de Dieu que les éléments, parce que ces derniers ont
l'existence seulement, mais les plantes ont la vie, et les animaux la
connaissance en plus. Donc les animaux et les plantes doivent demeurer
éternellement plus que les éléments.
q. 5 a. 9 arg. 11
Praeterea, effectus divinae sapientiae est, ut Dionysius dicit, quod supremum
inferioris naturae coniungatur infimo naturae superioris. Hoc autem non erit si
animalia et plantae desinant esse, quia elementa in nullo attingunt ad
perfectionem humanam, ad quam attingunt quodammodo quaedam animalia; ad
animalia vero appropinquant plantae; ad plantas vero corpora mineralia, quae
immediate post elementa sequuntur. Ergo in illo mundi fine, cum non debeat
illud amoveri quod pertinet ad ostensionem divinae sapientiae, videtur quod
animalia et plantae cessare non debeant.
11. L'effet de la divine sagesse est, comme le dit Denys (Les noms divins, VII, § 3 872 A[4][5]) que le degré le plus haut d'une
nature inférieure rejoint le plus bas de la nature supérieure. Mais cela
n'existera pas si les animaux et les plantes cessent d'exister, parce que les
éléments n'atteignent en rien la perfection humaine, qu'atteignent de quelque
manière certains animaux; mais les plantes sont proches des animaux, et les
plantes des minéraux, qui suivent immédiatement après les éléments. Donc en
cette fin du monde, comme ce qui sert à montrer de la sagesse divine ne doit
pas être écarté, il semble que les animaux et les plantes ne doivent pas cesser
d'exister.
q. 5 a. 9 arg. 12
Praeterea, si in creatione mundi animalia et plantae non fuissent productae,
non fuisset mundus perfectus. Sed maior erit
perfectio mundi ultima quam prima. Ergo videtur quod omnino animalia et plantae
remaneant.
12. Si dans la création du monde, les animaux et les plantes n'avaient
pas été produits, le monde n'aurait pas été parfait. Mais la perfection ultime
du monde sera plus grande que la première. Donc il semble que les animaux et
les plantes dureront sans exception.
q. 5 a. 9 arg. 13
Praeterea, quaedam corpora mineralia et quaedam animalia bruta in poenam
damnatorum deputantur, sicut in Psal. X, 7: ignis, sulphur et spiritus
procellarum pars calicis eorum; et Isa. LXIV, 24: vermis eorum non morietur, et
ignis non extinguetur. Poenae autem damnatorum erunt perpetuae. Ergo videtur
quod animalia et corpora mineralia in aeternum remaneant.
13. Certains minéraux et certains animaux ont été destinés à punir les
damnés, comme il est dit dans le Ps. 10, 7: "Le feu, le soufre, les vents
des tempêtes sont une part de leur destin"; et Is. 64, 24: "Leur ver
ne mourra pas, et le feu ne s'éteindra pas". Mais les peines des damnés
seront éternelles. Donc il semble que les animaux et les minéraux demeureront
éternellement.
q. 5 a. 9 arg. 14
Praeterea, in ipsis elementis sunt rationes seminales corporum mixtorum et animalium
et plantarum, ut Augustinus dicit. Hae autem rationes frustra essent, nisi
praedicta ex eis orirentur. Cum ergo in illa mundi consummatione elementa
remaneant et per consequens rationes seminales in eis, nec aliquid in operibus
Dei sit frustra, videtur quod animalia et plantae in illa mundi novitate
remaneant.
14. Dans les éléments même, il y a les raisons séminales des corps
mixtes, des animaux et des plantes, comme le dit Augustin (La Trinité, III, 8 et 9). Mais elles seraient inutiles, à moins que
les plantes, les animaux et les minéraux ne proviennent d'elles. Donc comme à
la consommation du monde, les éléments demeurent, et par conséquence les
raisons séminales en eux, et que rien ne paraît inutile dans les oeuvres de
Dieu, il semble que les animaux et les plantes demeurent dans cette renovation
du monde.
q. 5 a. 9 arg. 15
Praeterea, ultima mundi purgatio erit per actionem ignis. Sed quaedam mineralia
sunt ita fortis compositionis, quod nec ab igne consumuntur, sicut patet de
auro. Ergo videtur quod ad minus illa post illum ignem remaneant.
15. La purification ultime du monde se fera par l'action du feu. Mais
certains minéraux sont d'une composition si résistante qu'ils ne seront pas
consumés par le feu, comme on le voit pour l'or. Donc il semble qu'au moins
ceux-là demeurent après ce feu.
q. 5 a. 9 arg. 16
Praeterea, universale est semper. Sed universale non est nisi in singularibus.
Ergo videtur quod cuiuslibet universalis singularia semper erunt; ergo et bruta
animalia et plantae et corpora mineralia semper erunt.
16. L'universel existe toujours. Mais il n'existe que dans le
particulier. Donc il semble que le particulier de n'importe quel universel
existera toujours; donc les animaux, les plantes et les minéraux existeront
toujours .
En sens contraire:
q. 5 a. 9 s. c. 1
Sed contra. Est quod Origenes dicit: non est opinandum venire ad finem illum
animalia, vel pecora, vel bestias terrae, sed nec ligna, nec lapides.
1. Il y a ce que dit Origène: "Il ne faut pas penser que les
animaux, les troupeaux ou les bêtes de la terre parviendront à cette fin, ni le
bois, ni les pierres."
q. 5 a. 9 s. c. 2
Praeterea, animalia et plantae ad vitam animalem hominis ordinantur: unde
dicitur Genes. IX, 3: quasi olera virentia dedi vobis omnem carnem. Sed vita
animalis hominis cessabit. Ergo et animalia et plantae cessabunt.
2. Les animaux et les plantes
sont ordonnés à la vie charnelle de l'homme: c'est pourquoi il est dit en Gn.
9, 3: "Je vous ai donné toute chair, au même titre[6]
que les légumes verts.." Mais la vie des hommes cessera. Donc les animaux
et les plantes aussi.
Réponse:
q. 5 a. 9 co.
Respondeo. Dicendum, quod in illa mundi innovatione nullum corpus mixtum
remanebit praeter corpus humanum. Ad huius autem rationem sumendam, procedendum
est ordine quem docet philosophus, ut scilicet prius consideretur causa
finalis, et postmodum principia materialia et formalia et causae moventes.
Finis autem mineralium corporum et plantarum et animalium duplex potest
considerari:
Dans cette rénovation du monde, aucun corps mixte ne demeurera sauf le
corps humain. Pour en comprendre la raison, il faut procéder dans l'ordre
qu'enseigne le Philosophe (Physique,
II, 9, 200 a 7), à savoir qu'on considère la cause finale d'abord, ensuite les
principes matériels et formels et les causes moteurs. Mais la fin des minéraux,
des plantes et des animaux peut être considérée de deux façons:
primus quidem completio universi, ad quam omnes partes
universi ordinantur sicut in finem; ad quem quidem finem res praedictae non
ordinantur sicut per se et essentialiter de perfectione universi existentes,
cum nihil in eis existat quod non inveniatur in principalibus partibus mundi
(quae sunt corpora caelestia et elementa) sicut in principiis activis et
materialibus. Unde res praedictae sunt quidam particulares effectus causarum
universalium, quae sunt essentiales partes universi; et ideo de perfectione
sunt universi secundum hoc tantum quod a suis causis progrediuntur, quod quidem
fit per motum. Unde pertinent ad perfectionem universi sub motu existentis, non
autem ad perfectionem universi simpliciter. Et ideo cessante mutabilitate
universi, oportet quod praedicta cessent.
1) D'abord, la plénitude de l'univers, à laquelle toutes ses parties
sont ordonnées, comme à leur fin: les plantes, les animaux et les minéraux ne
sont pas ordonnés à cette fin comme par soi et en existant essentiellement pour
la perfection de l'univers, puisque rien n'existe en elles qu'on ne retrouve
dans les principales parties du monde (que sont les corps célestes et les
éléments) comme dans les principes actifs et matériels. C'est pourquoi de
telles choses sont les effets particuliers des causes universelles, qui sont
les parties essentielles de l'univers, et c'est pourquoi elles concernent la
perfection de l'univers en cela seulement qu'elles sortent de leurs causes, ce
qui se fait par mouvement. C'est pourquoi elles conviennent à la perfection
d'un univers soumis au mouvement, mais non à celle de l'univers dans l'absolu.
Et c'est pourquoi si le changement cesse dans l'univers, il faut qu'elles
cessent.
Alius autem finis est homo; quia, ut philosophus in sua
politica, dicit, ea quae sunt imperfecta in natura, ordinantur ad perfecta
sicut ad finem: unde, sicut ibidem dicit, cum animalia habeant vitam imperfectam
respectu vitae humanae, quae simpliciter perfecta est, et plantae respectu
animalium; plantae sunt propter animalia, praeparatae eis in cibum a natura;
animalia vero propter hominem, necessaria ei ad cibum et ad alia auxilia. Ista
autem necessitas est, vita animalis hominis durante; quae quidem in illa rerum
innovatione tolletur, quia corpus resurget non animale, sed spirituale, ut
dicitur I Corinth. XV, 44; et ideo tunc etiam animalia et plantae cessabunt.
2) Mais la fin de l'homme est autre, parce que, comme le Philosophe le
dit dans sa Politique (ch. 5), ce qui est imparfait en nature, est ordonnée à
ce qui est parfait, comme à sa fin; c'est pourquoi, comme il le dit là même,
comme les animaux ont une vie imparfaite par rapport à la vie humaine, qui est
absolument parfaite, et les plantes par rapport aux animaux; les plantes sont
pour les animaux, préparées en nourriture pour eux par la nature, les animaux
pour l'homme, nécessaires pour sa nourriture et autres aides. Mais cette
nécessité existe tant que dure la vie physique de l'homme; elle est enlevée
dans cette rénovation des choses, parce que le corps ressuscitera, non animal,
mais spirituel, comme il est dit en I Co. 15, 44; et c'est pourquoi alors même
les animaux et les plantes cesseront.
Et ad hoc idem habent aptitudinem
praedictarum rerum materia et forma. Cum enim sint ex contrariis composita,
habent in se ipsis principium activum corruptionis. Unde si a corruptione
prohiberentur ab exteriori principio tantum, hoc esset quodammodo violentum et
non conveniens perpetuitati, quia quae sunt violenta non possunt esse semper,
ut patet per philosophum in libris caeli et mundi. Interius autem principium
non habent quod possit a corruptione prohibere, quia eorum formae sunt per
naturam corruptibiles, utpote nec per se subsistentes, sed esse habentes a
materia dependens: unde non possunt in perpetuum remanere eadem numero, nec
eadem specie, generatione et corruptione cessante.
Et pour cette même raison, la matière et la forme ont l'aptitude des
choses ci-dessus. Car, comme elles sont composées de contraires, elles ont en
elles-mêmes un principe actif de corruption. C'est pourquoi si elles étaient
empêchées de se corrompre par un principe extérieur seulement, cela serait
d'une certaine manière violent et ne conviendrait pas pour une durée illimitée,
parce que ce qui est violent ne peut pas exister toujours, comme le Philosophe
le montre dans le livre Le ciel et du monde (II, 1, 248 a 27[7]).
Mais elles n'ont pas un principe plus intérieur, qui puisse empêcher la
corruption, parce que leurs formes sont corruptibles par nature, de sorte
qu'elles ne sont pas subsistantes par soi, mais elles ont un être qui dépend de
la matière: c'est pourquoi elles ne peuvent demeurer toujours les mêmes ni en
nombre, ni en espèce, si la génération et la corruption cessent.
Hoc autem idem invenitur ex consideratione causae moventis;
esse enim plantarum et animalium quoddam vivere est, quod in rebus corporalibus
sine motu non existit; unde animalia deficiunt cessante motu cordis, et plantae
cessante nutrimento. In his autem rebus non est aliquod motus principium non
dependens a primo mobili, quia ipsae animae animalium et plantarum totaliter
subiiciuntur impressionibus caelestium corporum. Unde motu caeli cessante, non
poterit in eis motus remanere, nec vita. Et sic patet quod in illa mundi
innovatione res praedictae non poterunt remanere.
On trouve le même résultat si on considère la cause moteur; car l'être
des plantes et des animaux c'est une certaine manière de vivre, qui n'existe
pas dans les corps sans mouvement; c'est pourquoi les animaux périssent lorsque
cesse le mouvement du coeur, et les plantes quand cesse leur nourriture. Mais
il n'y a pas en elles un principe de mouvement indépendant d'un premier mobile,
parce que les âmes même des animaux et des plantes sont soumises totalement aux
pressions des corps célestes. C'est pourquoi, si le mouvement du ciel cesse, le
mouvement ne pourra pas demeurer en elles, ni la vie non plus. Et ainsi il est
clair que dans cette rénovation du monde, les plantes, les animaux et les
minéraux ne pourront pas demeurer.
Solutions:
q. 5 a. 9 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod omnia opera Dei in aeternum perseverant vel secundum
se, vel in suis causis: sic enim et animalia et plantae remanebunt manentibus
caelestibus corporibus et elementis.
# 1. Toutes les oeuvres de Dieu demeureront éternellement en soi, ou
dans leurs causes, car ainsi les animaux et les plantes demeureront tant que
les corps célestes et les éléments demeureront.
q. 5 a. 9 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod perpetuitas quae est secundum speciem et non secundum
numerum, est per generationem; quae, cessante motu caeli, non erit.
# 2. La perpétuité selon l'espèce, et non selon le nombre existe par
génération, si le mouvement du ciel cesse, elle n'existera plus.
q. 5 a. 9 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod intentio naturae est ad perpetuitatem in specie
conservandam, durante motu caeli, per quem huiusmodi perpetuitas conservari
potest.
# 3. L'intention de la nature est de toujours conserver l'espèce, tant
que dure le mouvement du ciel, par lequel une telle perpétuité peut être
conservée.
q. 5 a. 9 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod praedictae res faciunt ad decorem universi secundum
statum mutabilitatis in mundo et animalis vitae in homine, et non aliter, ut
dictum est.
# 4. Les choses susdites participent à la beauté de l'univers, selon
l'état de mutabilité dans le monde et de la vie physique dans l'homme, mais pas
autrement, comme on l'a dit.
q. 5 a. 9 ad 5 Ad
quintum dicendum quod in illa beatitudine sancti non indigebunt invisibilia Dei
per creaturas conspicere, sicut in hoc statu, pro quo loquitur apostolus; sed
tunc invisibilia Dei per se ipsa videbunt.
# 5. Dans cette béatitude, les saints n'auront pas besoin de voir par
les créatures ce qui est invisible en Dieu, comme dans cet état (de vie), dont
parle l'Apôtre; mais alors ils verront par eux-mêmes ce qui est invisible en
Dieu.
q. 5 a. 9 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod lignum vitae accipitur ibi metaphorice pro Christo, vel
pro sapientia, de qua Proverb. cap. III, 18: lignum vitae est his qui
apprehenderint eam.
# 6. La bois de la vie est pris métaphoriquement pour le Christ, ou
pour la Sagesse, dont parle les Proverbes (3, 18): "Le bois de vie est
pour ceux qui l'auront saisie."
q. 5 a. 9 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod desiderium perpetuitatis est in rebus creatis ex
assimilatione ad Deum; unicuique tamen secundum suum modum.
# 7. Le désir d'éternité est dans les créatures par ressemblance à Dieu;
chacun à sa manière cependant.
q. 5 a. 9 ad 8 Ad
octavum dicendum, quod opus creationis per ornatum animalium et plantarum
consummatur quantum ad primam mundi consummationem, quae attenditur secundum
statum mutabilitatis mundi, in ordine ad complendum numerum electorum; non autem
ad consummationem mundi simpliciter, ut dictum est.
# 8. L'oeuvre de création est achevée par l'ornement des animaux et des
plantes, quant à la première consommation du monde, qui est atteinte selon le
statut de sa mobilité, dans l'ordre pour compléter le nombre des élus, mais non
pour la consommation absolue du monde, comme on l'a dit.
q. 5 a. 9 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod elementa non dicuntur remunerari secundum se, quia non
secundum se aliquid meruerunt; sed dicuntur remunerari in quantum homines in
eis remunerabuntur, prout scilicet eorum claritas in gloriam electorum cedet.
Animalibus autem et plantis homines non indigebunt, sicut elementis, quae erunt
locus quasi gloriae ipsorum; et ideo non est simile.
# 9. On ne dit pas que les éléments sont récompensés en soi, parce
qu'en soi, ils n'ont rien mérité; mais on dit qu'ils sont récompensés en tant
que les homme seront récompensés en eux, selon que leur clarté se changera en
la gloire des élus. Mais les hommes n'auront pas besoin des animaux et des
plantes, comme des éléments, qui seront, pour ainsi dire, le lieu de leur
gloire; et c'est pourquoi ce n'est pas pareil.
q. 5 a. 9 ad 10 Ad decimum dicendum, quod licet
quantum ad vitam et cognitionem, plantae et animalia sint meliora quam
elementa, tamen quantum ad simplicitatem, quae facit ad incorruptionem, sunt
elementa Deo similiora.
# 10. Bien que, en ce qui concerne la vie et la connaissance, les
plantes et les animaux soient meilleurs que les éléments, cependant, par leur
simplicité, qui les rend incorruptibles, les éléments sont plus semblables à
Dieu.
q. 5 a. 9 ad 11 Ad
undecimum dicendum, quod in ipso homine continuatio quaedam naturarum
apparebit, in quantum in eo congregatur et natura corporis mixti et natura
vegetabilium et animalium.
# 11. Dans l'homme même, la continuation des natures apparaîtra, en
tant qu'en lui se rassemblent la nature du corps mixte, et celle des végétaux
et des animaux.
q. 5 a. 9 ad 12 Ad
duodecimum dicendum, quod alia fuit perfectio mundi creati et mundi consummati,
ut supra dictum est; et ideo non oportet ut sit de secunda perfectione quod
fuit de prima.
# 12. La perfection du monde créée a été autre que celle du monde
consumé, comme on la dit ci-dessus, et c'est pourquoi il ne faut pas que ce qui
est de la seconde perfection soit ce qui a été de la première.
q. 5 a. 9 ad 13 Ad
decimumtertium dicendum, quod vermis ille qui ad poenam impiorum deputatur, non
est intelligendus corporaliter, sed spiritualiter; ut per vermem stimulus suae
conscientiae intelligatur, ut Augustinus dicit; et secundum eumdem modum
possunt exponi si qua similia inveniantur.
# 13. Ce vers qui est destiné à la peine des impies, n'est pas à
comprendre corporellement, mais spirituellement, pour que par lui on comprenne
l'aiguillon de la conscience, comme Augustin le dit (La Cité de Dieu, XX), et si on trouve d'autres expressions
semblables, on peut les expliquer de la même manière
q. 5 a. 9 ad 14 Ad
decimumquartum dicendum, quod rationes seminales quae sunt in elementis, ad
effectum producendum non sufficiunt nisi motu caeli coadiuvante; et ideo motu
caeli cessante non sequitur quod oporteat animalia vel plantas esse; nec tamen
sequitur quod rationes seminales sint frustra, quia sunt de perfectione ipsorum
elementorum.
# 14. Les raisons séminales, qui sont dans les éléments, ne suffisent
pour produire un effet que si le mouvement du ciel vient à leur aide; et c'est
pourquoi s'il cesse, il n'en découle pas qu'il faille que les animaux ou les
plantes existent, et cependant il n'en découle pas que les raisons séminales
soient vaines, parce qu'elles concernent la perfection des éléments eux-mêmes.
q. 5 a. 9 ad 15 Ad
decimumquintum dicendum, quod licet aliqua sint quae ad horam ab igne non
consumantur, nihil tamen est quod finaliter ab igne non consumatur, si diu in
igne remaneat, ut Galenus dicit; et tamen ille ignis conflagrationis mundi erit
multo violentior quam iste ignis quo utimur. Nec iterum ex sola ignis actione
corpora mixta in illo igne destruentur, sed etiam ex cessatione motus caeli.
# 15. Bien que certaines choses existent qui ne sont pas consumées sur
l'heure par le feu, il n'y a rien cependant qui ne soit consumé finalement par
le feu, s'il lui demeure longtemps, comme Galien le dit; et cependant ce feu de
la conflagration du monde sera beaucoup plus violent que celui dont nous nous
servons. Et à nouveau de sa seule action les corps mixtes seront détruits en
lui, mais aussi par la cessation du mouvement du ciel.
q. 5 a. 9 ad 16 Ad
decimumsextum dicendum, quod universale tripliciter considerari potest; et
secundum quemlibet modum considerationis aliquo modo verum est quod universale
est semper.
# 16. On peut considérer l'universel de trois manières; et sous quel
que mode qu'on le considère il est vrai d'une certaine manière qu'il existe
toujours .
Potest enim uno modo considerari natura universalis secundum
quod abstrahit a quolibet esse: et sic verum est quod universale est semper,
magis per remotionem causae determinantis ad aliquod tempus, quam per
positionem causae perpetuitatis; de ratione enim naturae universalis non est
quod sit magis hoc tempore quam illo; per quem etiam modum materia prima
dicitur esse una.
a) Car on peut d'une manière considérer la nature universelle selon
qu'elle est séparée de n'importe quel être; et ainsi il est vrai que
l'universel existe toujours plus par éloignement de la cause déterminante pour
un temps, que par la position de la cause de la perpétuité, car il n'est pas de
la définition de la nature universelle qu'elle existe plus dans un temps que
dans un autre; de cette manière on dit que la matière première est une.
Alio modo potest considerari secundum esse quod habet in
singularibus: et sic verum est quod est semper, quia est quandocumque est suum
singulare; sicut etiam dicitur esse ubique, quia est ubicumque est suum
singulare, cum tamen multa loca sint ubi sua singularia non sunt; unde nec ibi
est universale.
b) D'une autre manière, elle peut être considérée selon son être dans
les choses particulières, et ainsi il est vrai qu'elle existe toujours parce
qu'elle existe toutes les fois qu'existe son être particulier. De même on dit
aussi qu'elle est partout, n 'importe où existe un être particulier qui la
représente, alors que cependant il y a de nombreux endroits où ses êtres
particuliers ne sont pas: c'est pourquoi ici non plus ce n'est pas universel.
Tertio modo potest considerari secundum esse quod habet in
intellectu: et sic etiam verum est quod universale est semper, praecipue in
intellectu divino.
c) D'une troisième manière, on peut la considérer selon l'être qu'elle
a dans l'intellect et ainsi il est vrai que l'universel existe toujours ,
principalement dans l'intellect divin.
[1] Parall.: CG. IV, 97 – IV Sent. d43q1a4, -
q2a. 6 – d48q2a.5 c. – d50q2a.3, q.la 2 c.
[2]
Les plantes, les animaux et les minéraux.
[3]
"Ce qu'il y a d'invisible depuis la création du monde se laisse voit à
l'intelligence à travers ses oeuvres." Rm 1, 20 B.J.)
[4]
Cité en qu. 6, a. 6, obj. 12.
[5]
Cité à nouveau Pot. qu. 6, a. 6, obj. 12.
[6]
B.J.
[7]
Thomas n° 297.
q. 5 a. 10 tit. 1
Decimo quaeritur utrum corpora humana remaneant, motu caeli cessante. Et
videtur quod non.
Il semble que non[1]
Objections:
q. 5 a. 10 arg. 1 Quia dicitur I Cor. cap. XV, 50:
caro et sanguis regnum Dei non possidebunt. Sed corpus hominis est ex carne et
sanguine. Ergo in illo rerum fine humana corpora non remanebunt.
1. Parce qu'il est dit en I Cor. 15, 50: "La chair et le sang ne
posséderont pas le Royaume de Dieu." Mais le corps de l'homme est de la
chair et du sang. Donc en cette fin du monde, les corps humains ne demeureront
pas.
q. 5 a. 10 arg. 2
Praeterea, omnis mixtio elementorum ex motu caeli causatur, cum ad mixtionem
alteratio requiratur. Sed corpus humanum est corpus mixtum ex elementis. Ergo
motu caeli cessante, remanere non potest.
2. Tout mixte des éléments est causé par le mouvement du ciel, puisque
le changement est nécessaire pour la mixtion. Mais le corps humain est un corps
mixte d'éléments. Donc, si le mouvement du ciel cesse, il ne peut pas demeurer.
q. 5 a. 10 arg. 3
Praeterea, necessitas quae est ex materia, est necessitas absoluta, ut patet in
II Physic. Sed in corpore composito ex contrariis est necessitas ad
corruptionem ex ipsa materia. Ergo impossibile est quin talia corpora
corrumpantur; et ita impossibile est quod remaneant post statum generationis et
corruptionis. Corpora autem humana sunt huiusmodi. Ergo impossibile est quod in
illo rerum fine remaneant.
3. La nécessité qui vient de la matière est une nécessité absolue,
comme cela est exposé en Physique
(II, 9, 200 a 1 Ð 200 a 14). Mais dans un corps composé de contraires, il y a
nécessairement la corruption qui vient de la matière même. Donc il est
impossible que de tels corps ne soient pas corrompus et qu'ainsi ils demeurent
après un état de génération et de corruption. Mais les corps humains sont de ce
genre. Donc il est impossible qu'ils demeurent en cette fin du monde.
q. 5 a. 10 arg. 4
Praeterea, homo cum brutis convenit in hoc quod habet corpus sensibile. Sed
corpora sensibilia brutorum non remanebunt in illo mundi fine. Ergo nec corpora
humana.
4. L'homme se rencontre avec les animaux du fait qu'il a un corps
sensible. Mais les corps sensibles des animaux ne demeureront pas en cette fin
du monde. Donc les corps humains non plus.
q. 5 a. 10 arg. 5
Praeterea, finis hominis est perfecta assimilatio ad Deum. Sed Deo, qui
incorporeus est, magis assimilatur anima corpore absoluta, quam corpori unita.
Ergo in illo statu finalis beatitudinis, animae absque corporibus erunt.
5. La fin de l'homme est la ressemblance parfaite à Dieu[2].
Mais l'âme séparée du corps ressemble plus à Dieu, qui est incorporel qu'unie
au corps. Donc en cet état de béatitude finale, les âmes seront sans corps.
q. 5 a. 10 arg. 6
Praeterea, ad perfectam hominis beatitudinem requiritur perfecta operatio
intellectus. Sed operatio animae intellectivae a corpore absolutae est
perfectior quam animae corpori unitae, quia, ut dicitur in Lib. de causis,
omnis virtus unita plus est infinita quam multiplicata. Formae autem separatae
in se unitae sunt: materiae vero coniunctae, quodammodo ad plura diffunduntur.
Ergo in illa perfecta beatitudine animae non erunt corpori unitae.
6. Pour la parfaite béatitude de l'homme, une parfaite opération de
l'intellect est requise. Mais l'opération de l'âme intellectuelle est plus
parfaite séparée du corps qu'unie au corps, comme on le dit dans le Livre des Causes ( prop. 17), toute
puissance unie est plus infinie qu'une puissance multipliée. Les formes
séparées sont unies en soi, mais les matières jointes, sont répandues d'une
certaine manière en plusieurs. Donc dans cette parfaite béatitude, les âmes ne
seront pas unies au corps.
q. 5 a. 10 arg. 7 Praeterea, elementa quae sunt
in mixto, appetunt naturali appetitu propria ubi. Appetitus autem
naturalis non potest esse vanus; unde quod est contra naturam, non potest esse
perpetuum. Non potest ergo esse quin elementa in corpore mixto existentia
quandoque ad sua loca tendant, et sic corpus mixtum corrumpatur; ergo post
corruptionis statum non remanebunt humana corpora, quae sunt mixta.
7. Les éléments qui sont dans le mixte recherchent d'un appétit naturel
leur propre site. Mais cet appétit naturel ne peut pas être vain. C'est
pourquoi ce qui est contre la nature ne peut pas être perpétuel. Il n'est donc
pas possible que les éléments qui existent dans le corps mixte parfois ne
tendent pas à leur site, et ainsi le corps mixte est corrompu; donc après
l'état de corruption, les corps humains qui sont des mixtes ne demeureront pas.
q. 5 a. 10 arg. 8
Praeterea, omnis motus naturalis cuiuscumque corporis a motu caeli dependet.
Sed motus cordis, sine quo non potest esse humani corporis vita, est motus
naturalis. Ergo cessante motu caeli remanere non poterit, et per consequens nec
humani corporis vita.
8. Tout mouvement naturel d'un corps quelconque dépend du mouvement du
ciel. Mais le mouvement du coeur, sans quoi la vie du corps humain ne peut pas
exister, est un mouvement naturel. Donc quand cessera le mouvement du ciel, il
ne pourra pas demeurer, et par conséquent, la vie du corps humain non plus.
q. 5 a. 10 arg. 9
Praeterea, membra humani corporis, pro maiori parte sunt ordinata ad usus
competentes vitae animalis, sicut patet de venis et stomacho et huiusmodi, quae
ordinatur ad nutrimentum. Animalis autem vita in homine non remanebit in illa
beatitudine. Ergo nec membra corporis (alias enim frustra essent); et sic nec
corpus humanum remanebit.
9. Les membres du corps humain, pour une majeure partie sont ordonnés à
l'usage approprié de la vie physique, comme on le voit pour les veines,
l'estomac, etc., qui sont ordonnés à la nutrition; mais la vie physique dans
l'homme ne demeurera pas dans cette béatitude. Donc les membres du corps non
plus (car autrement ils seraient inutiles) et ainsi le corps humain ne
demeurera pas.
En sens contraire:
q. 5 a. 10 s. c. 1
Sed contra. Est quod dicitur I ad Cor.
cap. XV, 53: oportet corruptibile hoc induere incorruptionem. Hoc autem
corruptibile, corpus est. Ergo corpus remanebit incorruptione indutum.
1. Il y a ce qui est dit en I Co., 15, 53: "Il faut que cet être
corruptible revête l'incorruptibilité." Ce qui est corruptible, c'est le
corps. Donc le corps demeurera revêtu d'incorruptibilité.
q. 5 a. 10 s. c. 2 Praeterea, Philip. III, 21,
dicitur: reformabit corpus humilitatis nostrae configuratum corpori claritatis
suae. Sed Christus corpus quod semel in resurrectione resumpsit, nunquam
deposuit nec deponet: Rom. VI, 9: Christus resurgens ex mortuis iam non
moritur. Ergo et sancti in perpetuum vivent cum corporibus cum quibus resurgent;
et sic humana corpora post finem mundi manebunt.
2. En Phil. 3, 21, il est dit: "Il transfigurera notre corps
d'humilité pour le conformer à son corps de gloire[3]"
Mais le Christ n'a jamais abandonné et n'abandonnera pas le corps qu'il a
repris une fois ressuscité. Rm 6, 9: "Le Christ ressuscité des morts ne
meurt plus." Donc les saints vivront éternellement dans les corps avec
lesquels ils ressusciteront, et ainsi les corps humains demeureront après la
fin du monde.
Réponse:
q. 5 a. 10 co.
Respondeo. Dicendum, quod sicut Augustinus dicit, Porphyrius ponebat, ad
perfectam beatitudinem humanae animae, omne corpus fugiendum esse; et sic,
secundum eum, anima in perfecta beatitudine existens, corpori unita esse non
potest. Quam opinionem tangit Origenes in suo periarchon dicens: quosdam
opinatos fuisse, sanctos corpora in resurrectione resumpta quandoque
deposituros, ut sic ad Dei similitudinem in perfecta beatitudine vivant.
Comme le dit Augustin (La cité de
Dieu, XXII, 26), Porphyre pensait que, pour la parfaite béatitude de l'âme
humaine, il fallait fuir tout corps, et ainsi selon lui, l'âme dans la parfaite
béatitude, ne peut pas être unie à un corps. Origène parle de cette opinion
dans son Periarchon, en disant que certains ont pensé qu'un jour les saints
abandonneront les corps qu'ils auront repris à la résurrection, pour vivre
ainsi dans une béatitude parfaite à l'image de Dieu.
Sed haec positio praeter hoc quod est fidei contraria, ut ex
auctoritatibus inductis et pluribus aliis patere potest, etiam a ratione
discordat. Non enim perfectio beatitudinis esse poterit ubi deest naturae
perfectio. Cum autem animae et corporis naturalis sit unio, et substantialis,
non accidentalis, non potest esse quod natura animae sit perfecta, nisi sit
corpori coniuncta; et ideo anima separata a corpore, non potest ultimam
perfectionem beatitudinis obtinere. Propter quod etiam dicit Augustinus in fine
super Genes. ad Litt., quod animae sanctorum, ante resurrectionem, non ita
perfecte fruuntur divina visione sicut postea; unde in ultima perfectione
beatitudinis oportebit corpora humana esse animabus unita.
Mais cette opinion, en plus qu'elle est contraire à la foi, comme on
peut le voir des autorités d'où elle est tirée et de plusieurs autres, est
aussi contraire à la raison. Car la perfection de la béatitude ne pourra pas
exister là où manque la perfection de la nature. Mais comme l'union du corps et
de l'âme est naturelle, substantielle, et non accidentelle, il n'est pas
possible que la nature de l'âme soit parfaite, si elle n'est pas unie à un
corps, et c'est pourquoi l'âme séparée du corps ne peut pas obtenir la
perfection suprême de la béatitude. Pour cette raison, Augustin dit à la fin de
La Genèse au sens littéral, (XII,
35), que les âmes des saints ne jouiront pas avant la résurrection, de manière
aussi parfaite de la vision de Dieu, comme après; c'est pourquoi dans la
suprême perfection de la béatitude, il faudra que les corps humains soit unis
aux âmes.
Positio autem praemissa procedit secundum opinionem illorum
qui dicunt: animam accidentaliter uniri corpori, sicut nautam navi, aut hominem
indumento. Unde et Plato dixit quod homo est anima corpore induta, ut Gregorius
Nyssenus narrat..
Mais la position ci-dessus procède de l'opinion de ceux qui disent que
l'âme est unie accidentellement au corps, comme la marin à son navire, comme
l'homme à son vêtement. C'est pourquoi Platon aussi a dit que l'homme est une
âme revêtue d'un corps, comme Grégoire de Nysse le raconte (De l'âme, X).
Sed hoc stare non potest, quia sic homo non esset ens per
se, sed per accidens; nec esset in genere substantiae, sed in genere
accidentis, sicut hoc quod dico vestitum, et calceatum. Patet etiam quod
rationes supra inductae de corporibus mixtis, non habent locum in homine, nam
homo ordinatur ad perfectionem universi ut essentialis pars ipsius, cum in
homine sit aliquid quod non continetur virtute nec in elementis nec in
caelestibus corporibus, scilicet anima rationalis. Corpus etiam hominis
ordinatur ad hominem, non secundum animalem vitam tantum, sed ad perfectionem
naturae ipsius. Et
quamvis corpus hominis sit ex contrariis compositum, inerit tamen principium
incorruptibile, quod poterit praeservare a corruptione absque violentia, cum
sit intrinsecum. Et hoc poterit esse sufficiens principium motus, motu caeli
cessante, cum a motu caeli non dependeat.
Mais cela n'est pas possible parce que, ainsi, l'homme ne serait pas un
être par soi, mais par accident, et il ne serait pas dans le genre de la
substance mais celui de l'accident, comme ce qu'on dit vêtu, ou chaussé. Car il
est clair que les raisons présentées plus haut au sujet des corps mixtes, n'ont
pas de place dans l'homme, car il est ordonné à la perfection de l'univers,
comme sa partie essentielle, puisqu'en lui, il y a quelque chose qui n'est pas
contenu par le pouvoir, ni dans les éléments, ni dans les corps célestes, à
savoir l'âme rationnelle. Mais le corps de l'homme lui est ordonné, pas
seulement pour la vie physique, mais pour la perfection de sa nature. Et
quoique son corps soit composé de contraires, il y a en lui cependant un
principe incorruptible, qui pourra le préserver de la corruption sans violence,
puisqu'il est intrinsèque. Et cela pourra être un principe suffisant de
mouvement, si le mouvement du ciel cesse, puisqu'il n'en dépend pas.
Solutions:
q. 5 a. 10 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod per carnem et sanguinem intelligitur corruptio
carnis et sanguinis; unde in eadem auctoritate subditur: neque corruptio
incorruptelam possidebit.
# 1. Par la chair et le sang on comprend leur corruption; c'est
pourquoi dans la même autorité il est ajouté:La corruption ne possédera pas
l'incorruptibilité".
q. 5 a. 10 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod motus est causa mixtionis secundum fieri; sed
conservatio eius est per formam substantialem, et ulterius per principia caelo
altiora, ut in superioribus quaestionibus patet.
# 2. Le mouvement est la cause du mixte en son devenir; mais sa
conservation vient par la forme substantielle et plus tard par des principes
plus élevés que le ciel, comme cela paraît dans les questions précédentes.
q. 5 a. 10 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod anima rationalis ex perfecta unione ad Deum, omnino
super materiam victoriam habebit; et sic licet materia sibi relicta
corruptibilis sit, tamen ex virtute animae incorruptionem sortiretur.
# 3. L'âme rationnelle, par son union parfaite à Dieu, aura tout à fait
la victoire sur la matière; et ainsi, bien que la matière laissée à elle-même
soit corruptible, elle obtiendra l'incorruptibilité par le pouvoir de l'âme.
q. 5 a. 10 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod sensibilitas in homine est a principio incorruptibili,
scilicet ab anima rationali; in brutis autem est a principio corruptibili; et
ideo corpus sensibile hominis in perpetuum potest remanere, non autem corpus
sensibile bruti.
# 4. La sensibilité dans l'homme vient d'un principe incorruptible,
c'est-à-dire de l'âme rationnelle; mais dans les animaux elle vient d'un
principe corruptible; et c'est pourquoi le corps physique de l'homme peut
demeurer éternellement, mais pas celui de l'animal.
q. 5
a. 10 ad 5 Ad quintum dicendum, quod anima corpori unita plus assimilatur Deo
quam a corpore separata, quia perfectius habet suam naturam. Intantum
enim unumquodque Deo simile est, in quantum perfectum est, licet non sit unius
modi perfectio Dei et perfectio creaturae.
# 5. L'âme unie au corps ressemble plus à Dieu que séparée du corps,
parce qu'elle possède plus parfaitement sa nature. Car chaque être est parfait,
en tant qu'il est semblable à Dieu, bien que la perfection de Dieu et celle de
la créature ne relève pas d'un seul mode.
q. 5 a. 10 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod anima corpori unita non multiplicatur per modum formarum
materialium quae sunt divisibiles divisione subiecti, sed in se remanet simplex
et una; unde eius operatio non impedietur ex corporis unione, quando corpus
omnino erit subiectum animae; nunc autem impeditur ex corporis unione, propter
hoc quod anima non perfecte dominatur in corpus.
# 6. L'âme unie au corps n'est pas multipliée à la manière des formes
matérielles qui sont divisibles par la division du sujet, mais elle demeure en
soi une et simple; c'est pourquoi son opération ne sera pas empêchée par
l'union au corps, quand celui-ci sera tout à fait assujetti à l'âme; mais
maintenant elle en est empêchée du fait qu'elle n'en est pas parfaitement
maîtresse.
q. 5 a. 10 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod appetitus naturalis elementorum tendendi in propria
loca, per dominium animae in corpus retinebitur, ne dissolutio elementorum
fiat, quia elementa perfectius esse habebunt in corpore hominis quam in suis
locis haberent.
# 7. L'appétit naturel des éléments qui tendent à leurs sites propres,
est retenu par la domination de l'âme sur le corps, pour que la dissolution des
éléments ne se fasse pas, parce qu'ils auront un être plus parfait dans le
corps de l'homme qu'ils ne l'auraient dans leurs sites propres.
q. 5 a. 10 ad 8 Ad
octavum dicendum, quod motus cordis in homine causabitur ex natura animae
rationalis, quae a motu caeli non dependet; et ideo motus ille non cessabit,
motu caeli cessante.
# 8. Le mouvement du coeur dans l'homme sera causé par la nature de
l'âme rationnelle, qui ne dépend pas du mouvement du ciel, et c'est pourquoi ce
mouvement ne cessera pas, quand le mouvement du ciel cessera.
q. 5 a. 10 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod omnia membra corporis remanebunt, non propter usus
animalis vitae, sed propter perfectionem naturae hominis.
# 9. Tous les membres du corps demeureront, non à cause de l'usage de
la vie physique, mais de la perfection de la nature de l'homme.
[1] Parall.: IV Sent. d43q2a4, c – d48q2a5 c –
d50q2a3q.la 2 c – Opus. III, c. 171.
[2]
À comprendre comme la divinisation.
[3]
Phil. 3, 21: "Le Seigneur J.C. qui transfigurera notre corps de misère
pour le conformer à son corps de gloire." B.J.
q. 6 pr. 1 Et primo
quaeritur utrum Deus possit in rebus creatis aliquid operari praeter causas
naturales, vel contra naturam, vel contra cursum naturae.
1. Dieu peut-il opérer dans les créatures au-delà des causes
naturelles, contre la nature ou contre son cours?
q. 6 pr. 2 Secundo
utrum omnia quae Deus facit contra cursum naturae, possint dici miracula.
2. Peut-on appeler miracle tout ce que Dieu fait contre le cours de la
nature?
q. 6 pr. 3 Tertio
utrum creaturae spirituales sua naturali virtute possint miracula facere.
3. Les créatures spirituelles peuvent-elles faire des miracles par leur
pouvoir naturel?.
q. 6 pr. 4 Quarto
utrum boni Angeli et homines per aliquod donum gratiae miracula facere possint.
4. Les bons anges et les hommes peuvent-ils faire des miracles par un
don de la grâce?
q. 6
pr. 5 Quinto utrum Daemones cooperentur ad miracula facienda.
5. Les démons coopèrent-ils aux miracles?
q. 6 pr. 6 Sexto
utrum Daemones vel Angeli habeant corpora sibi naturaliter unita.
6. Les démons ou les anges ont-ils des corps qui leur sont unis
naturellement?
q. 6 pr. 7 Septimo
utrum Angeli vel Daemones possint corpora assumere.
7. Les anges ou les démons peuvent-ils assumer un corps?
q. 6 pr. 8 Octavo
utrum Angelus vel Daemon, vel corpus assumptum possit operationes viventis
corporis exercere.
8. L’ange ou le démon, en assumant un corps peut-il pratiquer les
opération d’un corps vivant
q. 6 pr. 9 Nono
utrum operatio miraculi sit attribuenda fidei.
9. Opérer un miracle doit-il être attribué à la foi?
q. 6 pr. 10 Decimo
utrum Daemones cogantur aliquibus sensibilibus et corporalibus rebus, factis
aut verbis ad miracula facienda, quae per magicas artes fieri videntur.
10. Les démons sont-ils forcés, par des objets sensibles et corporels,
des événements ou des paroles, d’accomplir des miracles qui paraissent
accomplis par les arts magiques?
q. 6 a. 1 tit. 1 Et
primo quaeritur utrum Deus possit in rebus creatis aliquid operari praeter
causas naturales, vel contra naturam, vel contra cursum naturae. Et videtur
quod non.
Il semble que non[1].
Objections:
q. 6 a. 1 arg. 1
Quia in Glossa Rom. XI, 24, dicitur: Deus omnium
naturarum conditor, nihil contra naturam facit.
1. La glose de Rm. 11, 24 (glose ordinaire): "Il a été greffé
contre nature" dit: "Dieu, créateur de toutes les natures, ne fait rien
contre la nature."
q. 6
a. 1 arg. 2 Praeterea, alia Glossa dicit ibidem: contra legem naturae tam Deus
facere non potest quam contra se ipsum. Contra se ipsum autem nullo modo facere
potest: quia se ipsum negare non potest, ut dicitur II Tim. cap. II, 13. Ergo nec
contra naturae ordinem, qui est lex naturae, Deus facere potest.
2. Une autre glose dit au même endroit: "Dieu ne peut pas agir
contre la loi de la nature, pas plus que contre lui-même." Il ne peut agir
en aucune manière contre lui-même, parce qu'il "ne peut se nier lui-même",
comme il est dit 2 Tm, 2, 13. Donc Dieu ne peut agir contre l'ordre de la
nature qui en est la loi.
q. 6 a. 1 arg. 3
Praeterea, sicut ordo humanae iustitiae derivatur a divina iustitia, ita ordo
naturae derivatur a divina sapientia; ipsa enim est quae disponit omnia
suaviter, ut dicitur Sap. cap. VIII, 1. Sed contra ordinem humanae iustitiae
Deus facere non potest: sic enim esset causa peccati, quod solum ordini
iustitiae repugnat. Cum ergo non minor sit Dei sapientia, quam eius iustitia,
videtur quod nec contra ordinem naturae facere possit.
3. De même que l'ordre de la justice humaine est dérivé de la justice
de Dieu, celui de la nature est dérivé de la sagesse divine[2]; car c'est elle
qui "dispose tout avec bienfaisance" comme il est dit Sg. 8, 1. Mais
Dieu ne peut pas agir contre l'ordre de la justice humaine; car ainsi il serait
cause du péché, qui seul s'oppose à l'ordre de la justice. Donc comme la
sagesse de Dieu n'est pas inférieure à sa justice, il semble qu'il ne peut pas
agir contre l'ordre de la nature.
q. 6 a. 1 arg. 4
Praeterea, quandocumque Deus operatur in creaturis per rationes seminales, non
fit aliquid contra naturae cursum. Sed non potest Deus aliquid convenienter
operari in natura praeter rationes seminales naturae inditas. Ergo Deus non
potest convenienter contra cursum naturae facere. Probatio mediae. Augustinus
enim dicit, quod visibiles apparitiones patribus exhibitae sunt mediante
ministerio Angelorum, ex hoc quod Deus corpora regit per spiritus. Sed
similiter corpora inferiora regit per superiora, ut ipse dicit; et similiter
potest dici, quod effectus quoslibet regit per causas. Cum ergo in causis
naturalibus rationes seminales sint inditae, videtur quod Deus convenienter non
possit operari in effectibus naturalibus, nisi rationibus seminalibus
mediantibus: et sic nihil fiet ab eo contra cursum naturae.
4. [1]Toutes les fois que Dieu opère dans les créatures par raisons
séminales, rien n'est fait contre le cours de la nature. [2] Mais il ne peut pas
opérer convenablement dans la nature en dehors de celles de la nature qui y
sont induites. [3] Donc, il ne peut pas agir avec convenance contre le cours de
la nature. Preuve de la proposition intermédiaire [2]: En effet, Augustin dit (La Trinité, III, 11 et 12) que les
apparitions vues par les patriarches ont été accomplies par l'intermédiaire du
ministère des anges, du fait que Dieu gouverne les corps par les esprits. Mais
de la même manière, il gouverne les corps inférieurs par les corps supérieurs,
comme il le dit lui-même, (dans le même livre, ch. IV), et, de la même manière,
on peut dire qu'il gouverne n'importe quel effet par les causes. Donc comme les
raisons séminales sont induites dans les causes naturelles, il semble que Dieu
ne puisse agir convenablement dans les effets naturels que par l'intermédiaire
des causes séminales et ainsi il ne fera rien contre le cours de la nature.
q. 6 a. 1 arg. 5
Praeterea, Deus non potest facere quod affirmatio et negatio sint simul vera,
quia cum hoc sit contra rationem entis in quantum est ens, est etiam contra
rationem creaturae; prima namque rerum creaturarum est esse, ut dicitur in
libro de causis. Praedictum autem principium, cum sit primum inter omnia
principia, in quod omnia alia resolvuntur, ut probatur in IV Metaph., oportet
quod in qualibet necessaria propositione includatur, et quod eius oppositum
includatur in quolibet impossibili. Cum ergo ea quae sunt contra cursum naturae
sint impossibilia in natura,- sicut caecum fieri videntem, et mortuum fieri viventem,-
in huiusmodi oppositum dicti principii includetur. Ergo ea quae sunt contra
cursum naturae, Deus facere non potest.
5. Dieu ne peut faire que l'affirmation et la négation soient vraies en
même temps, parce que, comme c'est contre la nature de l'étant en tant que tel,
c'est aussi contre celle de la créature; car la première des choses créées est
l'être, comme il est dit dans le livre Des causes (prop. 4). Il faut que ce
principe, puisqu'il est le premier de tous les principes en qui tous les autres
sont résolus, comme on le prouve (Métaphysique
IV, 3, 1005 b 19[3]), soit inclus en n'importe quelle proposition nécessaire et
que son opposé soit inclus en tout ce qui est impossible. Donc, comme ce qui
est contre le cours de la nature est impossible en elle, – ainsi qu'un aveugle
voit et qu'un mort revive – cela est inclus dans un tel contraire à ce
principe. Donc Dieu ne peut pas faire ce qui est contre le cours de la nature.
q. 6 a. 1 arg. 6
Praeterea, quaedam Glossa dicit, Ephes. cap. III, 7 sq. quod Deus contra causas
quas voluntate instituit, mutabili voluntate, nihil facit. Sed causas naturales
Deus voluntate sua instituit. Ergo contra eas nihil facit nec facere potest,
sicut non potest esse mutabilis; mutabilitas enim voluntatis videtur cum
aliquis facit contra id quod prius voluntate instituit.
6. Une glose dit (Eph. 3, 7) que Dieu ne fait rien contre les causes
qu'il a établi par sa volonté, s'il change de volonté. Mais Dieu a établi les
causes naturelles par sa volonté. Donc il ne fait rien et il ne peut rien faire
contre elles, de même qu'il ne peut pas changer; car le changement de volonté
apparaît quand quelqu'un agit contre ce qu'il a décidé d'abord par elle.
q. 6 a. 1 arg. 7
Praeterea, bonum universi est bonum ordinis, ad quem pertinet cursus naturalium
rerum. Sed Deus non potest facere contra bonum universi, quia ex sua bonitate
summa provenit quod omnia sint valde bona secundum ordinem universi. Ergo Deus
non potest facere contra cursum naturalium rerum.
7. Le bien de l'univers est celui de l'ordre auquel se rattache le
cours des choses naturelles. Mais Dieu ne peut pas agir contre le bien de
l'univers, parce que de sa bonté suprême provient que tout est tout à fait bon,
dans l'ordre universel. Donc, il ne peut agir contre le cours des choses
naturelles.
q. 6 a. 1 arg. 8
Praeterea, Deus non potest esse causa mali. Malum autem, secundum Augustinum,
est privatio modi, speciei et ordinis. Ergo Deus non potest facere, contra
cursum naturae, qui pertinet ad ordinem universi.
8. Dieu ne peut pas être la cause du mal. Mais selon Augustin (La
nature du bien, IV), le mal est la privation du mode, de l'espèce et de
l'ordre. Donc Dieu ne peut pas agir contre le cours de la nature qui appartient
à l'ordre de l'univers.
q. 6 a. 1 arg. 9
Praeterea, Genes. II, 2, dicitur, quod Deus die septimo cessavit ab omni opere
quod patrarat; et hoc ideo secundum Glossam ordinariam, quia cessavit a novis
operibus condendis. Sed in operibus sex dierum non fecit aliquid contra cursum
naturae. Unde Augustinus dicit, quod in operibus sex dierum non quaeritur quid
Deus miraculose facere possit, sed quid rerum natura patiatur, quam tunc Deus
instituit. Ergo nec postea Deus aliquid fecit contra naturae cursum.
9. Il est dit en Gn . 2, 2,: "(Dieu) acheva le septième jour toute
l'oeuvre qu'il avait accomplie" et selon la glose ordinaire, parce qu'il
cessa de créer des oeuvres nouvelles. Mais dans les oeuvres des six jours, il
ne fit rien contre le cours de la nature. C'est pourquoi Augustin (La Genèse au sens littéral, II) dit que,
dans les oeuvres des six jours, on ne cherche pas ce que Dieu pouvait faire
miraculeusement, mais ce que supporte la nature que Dieu institua alors. Donc
par la suite Dieu ne fit rien contre le cours de la nature.
q. 6 a. 1 arg. 10
Praeterea, secundum philosophum, natura est causa ordinationis in omnibus. Sed
Deus non potest facere aliquid nisi ordinatum, quia, ut dicitur Rom. cap. XIII,
1: quae a Deo sunt, ordinata sunt. Ergo non potest facere aliquid contra
naturam.
10. Selon le Philosophe (Métaphysique,
VII, 3, 1029 a 20[4]), la nature est la cause de la mise en ordre en tout. Mais
Dieu ne peut rien faire qu'ordonné, parce que, comme on le dit en Rm. 13, 1[5]:
"Ce qui vient de Dieu a été mis en ordre". Donc il ne peut rien faire
contre la nature.
q. 6 a. 1 arg. 11
Praeterea, sicuti ratio humana a Deo est, ita et natura. Sed contra principia
rationis Deus facere non potest, sicut quod genus de specie non praedicetur,
vel quod latus quadrati sit commensurabile diametro. Ergo nec contra principia
naturae Deus facere potest.
11. La raison de l'homme vient de Dieu, la nature aussi. Mais Dieu ne
peut pas agir contre les principes de la raison: par exemple faire en sorte que
le genre ne soit pas attribué à l'espèce ou que le côté du carré soit
commensurable à la diagonale. Donc Dieu ne peut pas agir non plus contre le
principe de la nature.
q. 6
a. 1 arg. 12 Praeterea, totus naturae cursus a divina sapientia progreditur,
sicut artificiata ab arte humana, ut Augustinus dicit super illud Ioan., cap.
I, 3-4: quod factum est in ipso vita erat. Sed artifex non facit aliquod contra
artem suam nisi per errorem, qui in Deo esse non potest. Ergo nec
Deus facit aliquid contra cursum naturae.
12. Tout le cours de la nature vient de la sagesse divine, de même que
les oeuvres artisanales de l'art humain, comme Augustin le dit (Commentaire sur
saint Jean, 1, 3-4) à propos de ce verset: "Ce qui a été fait était la vie
en lui". Mais l'artisan ne fait rien contre son art sinon par erreur,
erreur impossible à Dieu. Donc Dieu ne fait rien contre le cours de la nature.
q. 6 a. 1 arg. 13
Praeterea, philosophus dicit, quod sicut agitur unumquodque, ita natum est agi.
Sed quod ita natum est agi sicut agitur, non fit contra cursum naturae. Ergo
nihil fit contra naturae cursum.
13. Le philosophe dit (Physique,
II, 8, 199 a 8 ss[6].): chaque chose est faite, comme elle est destinée à être
faite. Mais ce qui est destiné à être fait, comme il est fait, n'est pas fait
contre le cours de la nature. Donc rien n'est fait contre le cours de la nature.
q. 6 a. 1 arg. 14
Praeterea, Anselmus dicit, Lib. I: cur Deus homo, quod minimum inconveniens Deo
est impossibile. Inconveniens autem est quod cursus naturae mutetur, conveniens
est autem quod servetur. Ergo impossibile est quod Deus contra cursum naturae
faceret.
14. Anselme (Cur Deus homo, I, 20) dit que la plus petite
inconvenance est impossible à Dieu. Il est inconvenant de changer le cours de
la nature, il convient de le conserver. Donc il est impossible que Dieu agisse
contre le cours de la nature.
q. 6 a. 1 arg. 15
Praeterea, sicut se habet scientia ad falsum, ita se habet potentia ad
impossibile. Sed Deus non potest scire id quod est falsum in natura. Ergo Deus
non potest facere id quod est contra cursum naturae, quia hoc est impossibile
in natura.
15. Le rapport de la science à l'erreur est le même que celui de la
puissance à l'impossible. Mais Dieu ne peut pas connaître ce qui est faux dans
la nature[7]. Donc il ne peut pas faire ce qui est contre son cours, parce que
cela y est impossible.
q. 6 a. 1 arg. 16
Praeterea, magis est impossibile quod est impossibile per se quam quod est
impossibile per accidens, quia quod per se est tale, magis est tale. Sed id
quod fuit non fuisse est impossibile per accidens; quod tamen Deus facere non
potest, ut Hieronymus dicit et etiam philosophus. Ergo nec quae sunt contra
cursum naturae, quae sunt impossibilia per se, ut caecum videre, facere Deus
non potest.
16. Est plus impossible ce qui est impossible par soi que ce qui est
impossible par accident, parce que ce qui est tel par soi, l'est davantage.
Mais il est impossible par accident que ce qui a existé ne l'ait pas été; ce
que cependant Dieu ne peut pas faire, comme Jérôme le dit et aussi le
Philosophe (Eth. VI, 2, 1139 b
10[8]). Donc ce qui est contre le cours de la nature, qui est impossible en
soi, comme que l'aveugle voit, Dieu ne peut pas le faire.
q. 6 a. 1 arg. 17
Praeterea, secundum philosophum, violentum est cuius principium est extra, nil
conferente vim passo. Sed ad ea quae sunt contra cursum naturae, res naturales
conferre non possunt. Ergo si a Deo fiant, erunt violenta: et sic non erunt
permanentia; quod videtur inconveniens, nam caecis illuminatis divinitus
permanet visum.
17. Selon le Philosophe, (Eth. III,
1109 b 35[9]), est violent ce dont le principe est extérieur, il n'apporte rien
à celui qui supporte la violence. Mais ces choses naturelles ne peuvent pas le
conférer à ce qui est contre le cours de la nature. Donc si elles sont faites
par Dieu, elles seront violentes et ainsi elles ne demeureront pas, ce qui ne
paraît pas convenir, car la vue demeure de manière divine pour les aveugles à
qui la vue a été rendue.
q. 6 a. 1 arg. 18
Praeterea, cum omne genus per potentiam et actum dividatur, ut patet in III
Physic., ad potentiam autem potentia passiva pertineat, ad actum autem activa;
oportet quod illa sola potentia passiva inveniatur in natura ad quae invenitur
potentia activa naturalis, hoc enim est eiusdem generis; et hoc etiam dicit
Commentator in IX Metaph. Sed ad ea quae sunt contra cursum naturae non
invenitur aliqua potentia activa naturalis; ergo nec potentia passiva. Sed illa
respectu quorum non est potentia passiva in creatura, dicimus non posse fieri,
quamvis Deus per suam omnipotentiam omnia facere possit. Ergo ea quae sunt contra
cursum naturae, fieri non possunt propter defectum creaturae, etsi non propter
defectum divinae potentiae.
18. Comme tout genre se divise en puissance et acte, comme on le voit
en Physique, (III, 1, 201 a 9), la
puissance passive appartient à la puissance, la puissance active à l'acte: il
faut qu'on trouve cette seule puissance passive dans la nature pour laquelle on
trouve une puissance active naturelle, car c'est du même genre et cela le
Commentateur le dit (Métaphysique IX,
8, 1050 b 8). Mais pour ce qui est contre le cours de la nature, on ne trouve
pas de puissance active naturelle, donc de puissance passive non plus. Mais
celles en considération desquelles il n'y a pas de puissance passive dans la
créature, nous disons qu'elle ne peut pas être faite, quoique Dieu par sa toute
puissance puisse tout faire. Donc ce qui est contre le cours de la nature ne
peut pas être fait à cause de la défaillance de la créature, même si ne n'est
pas à cause de celle de la puissance divine.
q. 6 a. 1 arg. 19
Praeterea, quidquid Deus aliquando facit non esset inconveniens, etiam si
semper faceret. Esset autem inconveniens, si Deus omnes effectus naturales
crearet non mediantibus causis naturalibus, quia tunc res naturales suis
operationibus destituerentur. Ergo inconveniens est quod aliquem effectum in
istis inferioribus faciat aliquando non mediantibus causis naturalibus. Eis
autem mediantibus non facit aliquid contra cursum naturae. Ergo Deus nihil
facit contra cursum naturae.
19. Ce que Dieu fait quelquefois ne serait pas inconvenant, même s'il
le faisait toujours. Mais il serait inconvenant que Dieu crée tous les effets
naturels sans l'intermédiaire des causes naturelles, parce que les êtres
naturels seraient privés de leurs opérations. Donc il ne convient pas qu'il
produise quelquefois un effet dans ces êtres inférieurs sans l'intermédiaire
des causes naturelles. Par leur intermédiaire, il ne fait rien contre le cours
de la nature. Donc il ne fait rien contre lui.
q. 6 a. 1 arg. 20
Praeterea, causa per se essentialem ordinem habet ad suum effectum, et e
converso. Sed Deus non potest alicui rei auferre quod est sibi essentiale, ea
manente, sicut quod sit homo et non sit animal. Ergo non potest effectum
aliquem producere sine causa naturali quae ad huiusmodi effectum habet
essentialem ordinem, sicut quod faciat visum sine causis naturalibus ex quibus
visus natus est causari.
20. La cause en soi a un rapport essentiel à son effet et inversement.
Mais Dieu ne peut enlever à une chose ce qui lui est essentiel, tant qu'elle
demeure; par exemple qu'il soit un homme, sans être un animal. Donc il ne peut
produire un effet sans la cause naturelle qui a un rapport essentiel à un tel
effet; ainsi rendre la vue sans les causes naturelles à partir desquelles elle
est destinée à être causée.
q. 6 a. 1 arg. 21
Praeterea, inconveniens est ut maius bonum dimittatur pro minori bono. Sed
bonum universi est maius quam aliquod bonum particulare cuiuscumque, unde
Augustinus dicit, quod Deus facit bona etiam singula, simul autem omnia valde
bona propter ordinem universi. Ergo inconveniens est quod propter salutem
alicuius hominis vel alicuius gentis, Deus mutet cursum naturae, qui pertinet
ad ordinem universi, in quo bonum eius consistit. Numquam ergo Deus facit
contra cursum naturae.
21. Il ne convient pas que l'homme, en tant qu'il est un bien plus
grand, soit abandonné pour un bien plus petit; mais le bien de l'univers est
plus grand que le bien particulier de n'importe quoi. C'est pourquoi Augustin
dit (Enchiridion II, 10) que Dieu a
produit des biens particuliers, mais en même temps tous les biens en vue de
l'ordre de l'univers. Donc il ne convient pas qu'à cause du salut d'un homme ou
d'un peuple, Dieu change le cours de la nature, qui appartient à l'ordre de
l'univers, en quoi consiste son bien. Donc jamais Dieu n'agit contre le cours
de la nature.
En sens contraire:
q. 6 a. 1 s. c. 1
Sed contra. A privatione in habitum non potest fieri regressus secundum naturam;
fit autem operatione divina; unde dicitur Matth., XI, 5: caeci vident (...),
surdi audiunt et cetera. Ergo Deus facit aliquid contra cursum naturae.
1. Après avoir été privée de ce qu'elle a, la nature ne peut faire un
retour en arrière, mais il est fait par l'opération divine; c'est pour cela
qu'il est dit en Mt. 11, 5:"Les aveugles voient... les sourds entendent"
etc. Donc Dieu agit contre le cours de la nature.
q. 6 a. 1 s. c. 2
Praeterea, potestas superioris non dependet a potestate inferioris, nec
secundum eam limitatur. Sed Deus est superior quam natura. Ergo non limitatur
eius potentia secundum potentiam naturae; et sic nihil prohibet ipsum operari
aliquid contra cursum naturae.
2. Le pouvoir du supérieur ne dépend pas du pouvoir de l'inférieur, et
n'est pas limité par lui. Mais Dieu est supérieur à la nature. Donc sa puissance
n'est pas limitée par la puissance de la nature; et ainsi rien ne l'empêche
d'opérer contre le cours de la nature.
Réponse:
q. 6 a. 1 co.
Respondeo. Dicendum quod absque omni dubio Deus in rebus creatis potest operari
praeter causas creatas, sicut et ipse operatur in omnibus causis creatis, ut
alibi ostensum est; et operando praeter causas creatas potest operari eosdem
effectus quos eisdem mediantibus operatur, et eodem ordine, vel etiam alios, et
alio ordine; et sic potest aliquid facere contra communem et solitum cursum
naturae. Cuius veritatis manifestabitur ratio, si ea consideremus quae huic
veritati adversari videntur: quae quidem sunt tria.
Il faut dire que, sans doute aucun que Dieu peut opérer dans les
créatures, en dehors des causes créées, de même que lui-même opère en toutes
les causes, comme on l'a montré ailleurs[10]; et en opérant en dehors des
causes créées, il peut opérer les mêmes effets que ceux qu'il produit par leur
intermédiaire et dans le même ordre, ou d'autres aussi dans un ordre différent;
et ainsi il peut agir contre le cours commun et habituel de la nature. La
raison de cette vérité deviendra manifeste, si nous considérons ce qui paraît
s'opposer à la vérité; les objections sont au nombre de trois:
Primum est quorumdam antiquorum philosophorum opinio, qui
posuerunt istas res corporeas non habere aliam causam superiorem quae sit eis
causa essendi; et sic posuerunt eorum aliqui, ut Anaxagoras, intellectum causam
alicuius motus in eis, ut segregationis. Secundum autem hanc positionem, a
nulla causa supernaturali naturales formae, quae sunt naturalium actionum
principia, possunt immutari, nec earum operationes impediri; et sic nihil
potest fieri contra cursum naturae qui ex necessitate harum causarum
corporalium ordinatur. Sed haec positio est falsa, quia oportet illud quod est
principium in entibus, esse causam essendi omnibus aliis, sicut summe calidum
est causa caliditatis omnibus aliis, ut dicitur in II Metaphys. Et de hoc
plenius alibi tractatum est, ubi ostensum est quod nihil potest esse nisi a
Deo.
1) La première objection est l'opinion de quelques philosophes anciens
qui pensèrent que les corps n'avaient pas une autre cause supérieure qui soit
pour eux cause d'être; et ainsi quelques-uns d'entre eux, comme Anaxagore, ont
pensé que l'intellect était la cause du mouvement en eux, comme la séparation.
Selon cette opinion, les formes naturelles, qui sont principes des actions
naturelles, ne peuvent être modifiées par aucune cause surnaturelle ni leurs
opérations empêchées; et ainsi rien ne peut être fait contre le cours de la
nature qui est ordonné par la nécessité de ces causes corporelles. Mais cette
position est fausse, parce qu'il faut que ce qui est le principe dans les êtres
soit la cause d'être de tous les autres, de même que ce qui est suprêmement
chaud est cause de la chaleur de toutes les autres objets, comme il est dit en Métaphysique (II, 1, 993 b 25[11]). Et
on a traité cela plus abondamment ailleurs (Ia, qu. 44, a. 1), où on a montré
que rien ne peut exister sinon par Dieu.
Secundum autem quod praedictam veritatem impedire potest,
est opinio aliorum philosophorum, qui dixerunt, Deum esse causam omnium entium
per eius intellectum. Sed dixerunt quod Deus de entibus habet universalem
quamdam cognitionem in quantum cognoscit seipsum, et quod ipse est principium
essendi omnibus entibus, non autem propriam de unoquoque. A scientia autem
communi et universali non sequuntur particulares effectus, nisi mediantibus
particularibus conceptionibus. Si enim sciam quod omnis fornicatio est
fugienda, non fugiam hunc actum nisi accipiam hunc actum esse fornicationem. Et
secundum hoc dicunt quidam, quod a Deo non progrediuntur effectus particulares
nisi mediantibus causis aliis per ordinem, quarum superiores sunt magis
universales, inferiores vero magis particulares; et secundum hoc Deus nihil
poterit facere contra cursum naturae. Sed ista positio est falsa, nam cum Deus
seipsum perfecte cognoscat, oportet quod cognoscat quidquid in ipso quocumque
modo est. In eo autem est similitudo cuiuslibet causati, in quantum nihil esse
potest quod eum non imitetur; unde oportet quod de omnibus propriam cognitionem
habeat, sicut alibi plenius ostensum est.
2) La seconde objection qui peut s'opposer à cette vérité, c'est
l'opinion d'autres philosophes qui ont dit que Dieu est cause de tous les êtres
par son intelligence. Mais ils ont dit que Dieu a une connaissance universelle
des êtres dans la mesure où il se connaît lui-même et qu'il est principe d'être
pour tous, mais qu'il n'a pas une connaissance particulière de chacun. De la
science commune et universelle ne découlent des effets particuliers, que par
l'intermédiaire de conceptions particulières. Car si on savait qu'il faut fuir
toute fornication, on ne la fuirait que si on sait que cet acte en est une. Et
c'est pourquoi, ils disent que les effets particuliers ne viennent de Dieu que
par l'intermédiaire d'autres causes dont les supérieures sont plus universelles
et les inférieures plus particulières, et ainsi Dieu ne pourra rien faire contre
le cours de la nature. Mais cette position est fausse, car, puisque Dieu se
connaît parfaitement, il faut qu'il connaisse ce qui est en lui de quelque
manière. En lui, il y a l'image de tout ce qui est causé dans la mesure où rien
ne peut exister sans l'imiter. C'est pourquoi il faut qu'il ait une
connaissance propre de tout, comme on l'a montré plus largement ailleurs ( Ia,
qu. 14, per totum).
Tertium quod posset praedictam veritatem impedire, est
positio quorumdam philosophorum, qui dixerunt, Deum ex necessitate naturae res
agere; et sic oportet quod eius operatio determinetur ad istum cursum rerum qui
est secundum naturam ordinatus; unde contra eum facere non poterit. Sed hoc
etiam patet esse falsum, nam supra omne quod ex necessitate naturae agit, oportet
aliquid esse quod naturam ad unum determinet, sicut alibi, ostensum est; unde
impossibile est quod Deus, qui est primum agens, ex necessitate naturae agat;
quod etiam in alia quaestione multipliciter ostensum est.
3) La troisième objection: qui pourrait aller contre cette vérité, est
la position de certains philosophes[12] qui ont dit que Dieu crée par nécessité
de nature; et ainsi il faut que son opération soit limitée à ce cours des
choses qui est ordonné selon la nature, c'est pourquoi il ne pourrait pas agir
contre lui. Mais il est clair que c'est faux, car au-dessus de tout ce qui agit
par nécessité de nature, il faut qu'il existe quelque chose qui détermine la
nature à un seul objet, comme on l'a montré ailleurs (Ia, qu. 19, a. 4); c'est
pourquoi il est impossible que Dieu, qui est le premier agent, agisse par
nécessité de nature, ce qui a été montré de multiples manières dans une autre
question (qu.3, a.15).
His ergo tribus habitis, scilicet quod Deus sit rebus
naturalibus causa essendi, et quod propriam cognitionem et providentiam habeat
de unoquoque, et quod non agat ex necessitate naturae, sequitur quod potest
praeter cursum naturae aliquid agere in particularibus effectibus, vel quantum
ad esse, in quantum aliquam novam formam inducit rebus naturalibus quam natura
inducere non potest, sicut formam gloriae; aut huic materiae, sicut visum in
caeco; vel quantum ad operationem: in quantum retinet operationes rerum
naturalium ne agant quod natae sunt agere, sicut quod ignis non comburat, ut
patet Daniel. III, 24, vel quod aqua non fluat, ut patet de aqua Iordanis.
De ces trois objections 1) à savoir que Dieu est cause d'être dans les
êtres naturels, 2) qu'il a une connaissance propre et une providence pour
chacun, et 3) qu'il n'agit pas par nécessité de nature, il découle qu'il peut,
en dehors du cours de la nature, agir dans des effets particuliers, ou quant à
l'être dans la mesure où il peut induire une nouvelle forme dans les choses
naturelles que la nature ne peut pas induire, comme la forme de gloire; ou à
cette matière, comme la vue dans l'aveugle; ou quant à l'opération, dans la
mesure où il empêche les opérations des choses naturelles de faire ce qu'elles
sont destinées à faire, ainsi que le feu ne brûle pas, comme on le voit dans le
livre de Daniel (3, 24) ou que l'eau ne coule pas , comme on le voit pour les
eaux du Jourdain (Jos. 3, 16).
Solutions:
q. 6 a. 1 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod contra naturam particularem et Deus facit et etiam
res naturales; quod enim ignis corrumpatur contra naturam particularem huius
ignis est. Unde philosophus dicit, quod corruptio et senium et defectus omnis
contra naturam est. Contra naturam vero universalem nulla res naturalis agit;
dicitur enim natura particularis secundum ordinem particularis causae ad
particularem effectum; natura vero universalis secundum ordinem primi agentis
in natura, quod est caelum ad omnia inferiora agentia. Cum autem nullum
inferiorum corporum agat nisi per virtutem caelestis corporis, impossibile est
quod aliquod corpus naturale agat contra naturam universalem. Sed hoc ipsum
quod aliquid agit contra naturam particularem, est secundum naturam
universalem.
# 1. Dieu contre la nature particulière fait aussi des choses
naturelles, car que le feu soit corrompu est contre sa nature particulière.
C'est pourquoi Aristote dit (Le ciel et
le monde, II, 6, 288 b 15[13]) que la corruption, la vieillesse et toute
défaillance sont contre la nature. Rien de naturel n'agit contre la nature
universelle, car on appelle particulière la nature selon le rapport d'une cause
particulière à un effet particulier; mais on appelle universelle la nature
selon le rapport du premier agent dans la nature qui est le ciel pour tous les
agents inférieurs. Comme aucun des corps inférieurs n'agit que par la puissance
du corps céleste, il est impossible qu'un corps naturel agisse contre la nature
universelle. Mais agir contre la nature particulière dépend de la nature
universelle.
Sicut autem caelum est causa universalis respectu inferiorum
corporum, ita Deus est causa universalis respectu omnium entium, respectu cuius
etiam ipsum caelum est causa particularis. Nihil enim prohibet unam et eamdem
causam esse universalem respectu inferiorum et particularem respectu
superiorum, sicut et in praedicabilibus accidit; nam animal, quod est
universale respectu hominis, est particulare respectu substantiae. Sicut ergo
per virtutem caeli potest aliquid fieri contra hanc naturam particularem, nec
tamen est hoc contra naturam simpliciter, quia hoc est secundum naturam
universalem, ita virtute Dei potest aliquid fieri contra naturam universalem,
quae est ex virtute caeli; non tamen erit contra naturam simpliciter, quia erit
secundum naturam universalissimam, quae consideratur ex ordine Dei ad omnes
creaturas. Et ex hoc intellectu Augustinus dicit in Glossa inducta, quod Deus
nihil contra naturam facit. Unde subiungitur, quia hoc est unicuique natura
quod Deus facit.
Le ciel est cause universelle par rapport aux corps inférieurs, de même
Dieu est cause universelle par rapport à tous les êtres, rapport dont le ciel
même est la cause particulière. Car rien n'empêche qu'une seule et même cause
soit universelle par rapport aux êtres inférieurs et particulière par rapport
aux êtres supérieurs, comme cela arrive dans les prédicables[14], car l'animal
qui est universel par rapport à l'homme, est particulier par rapport à la
substance. Donc de même que quelque chose peut être fait par le pouvoir du ciel
contre cette nature particulière et cependant ce n'est pas simplement contre la
nature, parce que c'est selon la nature universelle, de même par le pouvoir de
Dieu quelque chose peut être fait contre la nature universelle qui vient du
pouvoir du ciel: cependant ce ne sera pas absolument contre la nature, parce
que ce sera selon la nature la plus universelle qui est considérée par rapport
de Dieu à toutes les créatures. Et pour l'avoir compris, Augustin dit, dans la
glose citée, que Dieu ne fait rien contre la nature. C'est pourquoi il est
ajouté parce que "C'est la nature que Dieu fait pour chacun".
q. 6 a. 1 ad 2 Et ex
hoc etiam patet responsio ad secundum; nam in illa Glossa loquitur Augustinus
de summa lege naturae quae attenditur secundum ordinem Dei ad omnes creaturas.
# 2. Et par là paraît la réponse à la seconde objection, car, dans
cette glose, Augustin parle de la loi suprême de la nature qui s'étend selon
l'ordre de Dieu à toutes les créatures.
q. 6 a. 1 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod sicut ex dictis patet, licet Deus possit facere contra
ordinem qui est unius creaturae ad aliam, quod est quasi naturae particularis
respectu ipsius, non tamen potest facere contra ordinem creaturae ad se ipsum.
Iustitia autem hominis consistit principaliter in debito ordine hominis ad Deum;
unde contra ordinem iustitiae Deus facere non potest. Cursus autem naturae est
secundum ordinem unius creaturae ad aliam, et ideo contra cursum naturae Deus
facere potest.
# 3. Comme le montre ce qui a été dit, bien que Dieu puisse agir contre
le rapport d'une créature à une autre, ce qui est pour ainsi dire d'une nature
particulière par rapport à lui, cependant il ne peut agir contre le rapport de
la créature à elle-même. La justice de l'homme consiste principalement dans le
rapport que l'homme doit à Dieu, c'est pourquoi Dieu ne peut pas agir contre
l'ordre de la justice. Mais le cours de la nature dépend du rapport d'une
créature à une autre, et c'est pourquoi Dieu peut agir contre le cours de la
nature.
q. 6 a. 1 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod sicut Deus potest facere praeter causas naturales
effectus in rebus corporalibus, ita potest facere praeter ministerium Angelorum;
non tamen est eadem ratio faciendi praeter utrumque. Nam praeter causas
naturales facit ut homo effectum, quem causis visibilibus attribuere non
potest, in aliquam superiorem causam reducere cogatur, ut si ex visibili
miraculo divina potentia manifestetur. Operationes autem Angelorum non sunt
visibiles; unde eorum ministerium non impedit quin homo in divinae potentiae
considerationem adducatur. Et propter hoc Augustinus non dicit quod praeter
ministerium Angelorum non possit operari, sed quod non operatur.
# 4. Dieu peut produire en dehors des causes naturelles des effets dans
les corps, de même il peut agir en dehors du ministère des anges; cependant ce
n'est pas la même raison d'agir au-delà de l'un et l'autre. Car, au-delà des
causes naturelles, il fait que l'homme est forcé de ramener l'effet qu'il ne
peut pas attribuer à des causes visibles à une cause supérieure, comme si la
puissance divine se manifestait par un miracle visible. Mais les opérations des
anges ne sont pas visibles; c'est pourquoi leur ministère n'empêche pas que
l'homme soit amené à considérer la puissance divine; et à cause de cela,
Augustin ne dit pas qu'il ne pourrait pas opérer au-delà du ministère des anges
mais qu'il n'opère pas.
q. 6 a. 1 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod sicut Deus non potest facere quod affirmatio et negatio
sint simul vera, ita non potest facere ea quae sunt impossibilia in natura, in
quantum praedictum impossibile in se claudunt sicut patet quod mortuum vivificare,
claudit in se contradictionem, si ponatur a principio intrinseco naturaliter
mortuus ad vitam redire, nam de ratione mortui est quod sit privatus principio
vitae: unde Deus hoc non facit, sed facit quod mortuus ab exteriori principio
vitam iterato acquirat; quod contradictionem non includit. Et eadem ratio est
de aliis quae sunt impossibilia naturae, quae facere potest.
# 5. Dieu ne peut pas faire que l'affirmation et la négation soient
vraies simultanément, de même il ne peut pas faire ce qui est impossible dans
la nature, en tant que cela enferme en soi une chose qu'on affirme impossible,
de même qu'il est clair que redonner vie à un mort, renferme en soi une
contradiction, si on pense que le mort retourne à la vie naturellement par un
principe intrinsèque, car il est de la nature du mort d'être privé du principe
de vie. C'est pourquoi Dieu ne le fait pas, mais il fait que le mort acquiert
la vie une seconde fois, à partir d'un principe extérieur; ce qui n'inclut pas
de contradiction. Et c'est la même raison pour les autres impossibilités de la
nature qu'il peut accomplir.
q. 6 a. 1 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod Deus non facit contra rationes naturales mutabili
voluntate, nam Deus ab aeterno praevidit et voluit se facturum quod in tempore
facit. Sic ergo instituit naturae cursum, ut tamen praeordinaretur in aeterna
sua voluntate quod praeter cursum istum quandoque facturus erat.
# 6. Dieu n'agit pas contre les raisons naturelles en changeant de
volonté, car il a prévu de toute éternité et il a voulu faire ce qu'il fait
dans le temps. Ainsi donc il a institué le cours de la nature, de sorte
cependant qu'il soit préordonné dans sa volonté éternelle qu'il agirait
quelquefois en dehors de ce cours.
q. 6 a. 1 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod Deus faciendo praeter cursum naturae, non removet totum
ordinem universi, in quo consistit bonum ipsius, sed ordinem alicuius
particularis causae ad suum effectum.
# 7. Dieu, en agissant en dehors du cours de la nature, ne détourne pas
tout le cours de l'univers, en quoi consiste son bien, mais le rapport de la
cause particulière à son effet.
q. 6 a. 1 ad 8 Ad
octavum dicendum, quod malum poenae est contra ordinem unius partis universi ad
aliam partem, et similiter malum cuiuslibet defectus naturalis; sed malum
culpae est contra ordinem totius universi ad finem ultimum, eo quod voluntas,
in qua est malum culpae, ab ipso ultimo fine universi deordinatur per culpam;
et ideo huiusmodi mali Deus causa esse non potest; contra hunc enim ordinem
agere non potest, licet posset agere contra ordinem primum.
# 8. Le mal du châtiment est contre l'ordre d'une partie de l'univers
pour une autre et de même le mal d'une défaillance naturelle, mais le mal de la
faute est contre l'ordre de tout l'univers quant à la fin dernière, parce que la
volonté, en qui se trouve le mal de la faute est détournée de sa fin ultime de
l'univers par la faute, et c'est pourquoi Dieu ne peut pas être cause d'un mal
de ce genre. Car il ne peut pas agir contre cet ordre, bien qu'il le puisse
contre l'ordre premier.
q. 6 a. 1 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod miraculum non fit a Deo nisi in creaturis
praeexistentibus, quae alio modo in operibus sex dierum praeextiterunt. Unde
opera miraculosa materialiter in operibus sex dierum praecesserunt, licet tunc
non oportuerit aliquid miraculose fieri contra cursum naturae, quando natura
instituebatur.
# 9. Dieu ne fait un miracle que dans les créatures préexistantes, qui
ont préexisté d'une autre manière dans les opérations des six jours. C'est
pourquoi les opérations miraculeuses ont précédé matériellement dans les
opérations des six jours, bien qu'alors il n'aurait pas fallu que quelque chose
soit fait miraculeusement contre le cours de la nature, quand elle était
instituée.
q. 6 a. 1 ad 10 Ad
decimum dicendum, quod natura est causa ordinationis in omnibus naturalibus,
non autem in omnibus simpliciter.
# 10. La nature est la cause de la mise en ordre dans tout ce qui est
naturel, mais pas absolument dans tout.
q. 6 a. 1 ad 11 Ad
decimumprimum dicendum, quod logicus et mathematicus considerant tantum res
secundum principia formalia; unde nihil est impossibile in logicis vel
mathematicis, nisi quod est contra rei formalem rationem. Et huiusmodi
impossibile in se contradictionem claudit, et sic est per se impossibile. Talia
autem impossibilia Deus facere non potest. Naturalis autem applicat ad
determinatam materiam: unde reputat impossibile etiam id quod est huic
impossibile. Nihil autem prohibet Deum posse facere quae sunt inferioribus
agentibus impossibilia.
# 11. Le logicien et le mathématicien considèrent les objets seulement
selon les principes formels; c'est pourquoi rien n'est impossible en logique ou
en mathématiques, sinon ce qui est contre la raison formelle de l'objet. Et une
telle impossibilité enferme en soi une contradiction et ainsi elle est
impossible par soi. Des telles impossibilités, Dieu ne peut pas les faire. Le
naturel ajoute à une matière limitée, c'est pourquoi il évalue comme impossible
ce qui est impossible pour lui. Mais rien n'empêche Dieu de pouvoir faire ce
qui est impossible aux agents inférieurs.
q. 6 a. 1 ad 12 Ad
decimumsecundum dicendum, quod ars divina non totam seipsam explicat in
creaturarum productione; et ideo secundum artem suam potest alio modo aliquid
operari quam habeat cursus naturae; unde non sequitur quod si potest facere
contra cursum naturae, possit facere contra suam artem: nam et homo artifex
potest aliud artificiatum facere per suam artem contrario modo quam prius
fecit.
# 12. L'art divin ne se déploie pas tout lui-même dans la production
des créatures, et ainsi selon son art, il peut opérer d'une autre manière que
celle du cours de la nature; c'est pourquoi il n'en découle pas que, s'il peut
agir contre le cours de la nature, il puisse le faire contre son art, car
l'artisan peut faire un autre ouvrage par son art, d'une manière contraire à ce
qu'il a fait d'abord.
q. 6 a. 1 ad 13 Ad
decimumtertium dicendum, quod philosophus loquitur de his quae in natura
aguntur: ea enim aguntur sicut apta nata sunt agi.
# 13. Le philosophe parle de ce qui est fait dans la nature; car ces
choses sont faites comme elles sont destinées à être faites
q. 6 a. 1 ad 14 Ad
decimumquartum dicendum, quod cursum naturae servari est conveniens, secundum
quod est a divina providentia ordinatus; unde si ordo divinae providentiae
habet quod aliquid secus agatur, non est inconveniens.
# 14. Il convient de conserver le cours de la nature, selon qu'il est
ordonné par la providence divine, c'est pourquoi si l'ordre de la providence
divine a quelque chose à faire autrement, cela ne présente pas d'inconvénient.
q. 6 a. 1 ad 15 Ad
decimumquintum dicendum, quod non dicitur aliquid esse falsum simpliciter et
alicui, sicut aliquid dicitur esse impossibile simpliciter et alicui, sed esse
falsum simpliciter; unde Deus non potest scire aliquod falsum, sicut non potest
facere aliquid impossibile: quod simpliciter est impossibile; et tamen sicut
potest facere aliquid impossibile alicui, ita potest facere aliquid ignotum
alicui.
# 15. On ne dit pas que quelque chose est faux absolument et pour
quelqu'un; de même qu'on ne dit pas qu'une chose est impossible absolument et
pour quelqu'un, mais est absolument fausse; c'est pourquoi, Dieu ne peut pas
connaître ce qui est faux, de même qu'il ne peut pas faire ce qui est
impossible; parce que c'est absolument impossible et cependant de même qu'il
peut faire quelque chose d'impossible à quelqu'un, de même il peut faire
quelque chose ignoré de quelqu'un.
q. 6 a. 1 ad 16 Ad
decimumsextum dicendum, quod omne per accidens reducitur ad aliquid quod est
per se: unde nihil prohibet aliquid quod est per accidens, ad id quod est per
se reductum, esse magis tale: sicut nix sua albedine disgregat visum magis quam
albedo parietis, eo quod albedo nivis est maior albedine parietis: similiter
remotio cursus Socratis est impossibilis per hoc quod reducitur ad hoc
impossibile per se, praeteritum non fuisse, quod contradictionem implicat: unde
nihil prohibet hoc esse magis impossibile quam id quod est impossibile alicui,
quamvis non sit impossibile per accidens.
# 16. Tout ce qui est par accident est ramené à ce qui est par soi;
c'est pourquoi rien n'empêche que ce qui est par accident, ramené ramené à ce
qui est par soi, soit plus de telle nature. Ainsi la neige abîme la vue par sa
blancheur plus que la blancheur du mur, parce qu'elle est plus grande en
blancheur que lui. De même supprimer la marche de Socrate est impossible, parce
que c'est ramené à cet impossible par soi que le passé n'ait pas existé, ce qui
implique contradiction; c'est pourquoi rien n'empêche que cela soit plus
impossible par soi, que ce qui est impossible à quelqu'un, quoiqu'il ne soit
pas impossible par accident.
q. 6 a. 1 ad 17 Ad
decimumseptimum dicendum, quod in re qualibet naturali est naturalis ordo et
habitudo ad causas omnes superiores: et inde est quod illa quae fiunt in
corporibus inferioribus ex impressione caelestium corporum, non sunt violenta,
licet videantur esse contraria naturalibus motibus inferiorum corporum, ut
patet in fluxu et refluxu maris, qui sequitur motum lunae. Et multo minus est
violentum quod a Deo fit in istis inferioribus.
# 17. Dans n'importe quelle chose naturelle, il y a un ordre
naturel[15] et une relation à toutes les causes supérieures, et de là vient que
ce qui est fait dans les corps inférieurs par l'induction des corps célestes
n'est pas violent, bien que cela paraisse être contraire aux mouvements
naturels des corps inférieurs, comme on le voit dans le flux et le reflux de la
mer qui suit le mouvement de la lune. Et ce qui est fait par Dieu dans les
(corps) inférieurs est beaucoup moins violent.
q. 6 a. 1 ad 18 Ad
decimumoctavum dicendum, quod quanto aliqua virtus activa est altior, tanto
eamdem rem potest perducere in altiorem effectum: unde natura potest ex terra
facere aurum aliis elementis commixtis, quod ars facere non potest; et inde est
quod res aliqua est in potentia ad diversa secundum habitudinem ad diversos
agentes. Unde nihil prohibet quin natura creata sit in potentia ad aliqua
fienda per divinam potentiam, quae inferior potentia facere non potest: et ista
vocatur potentia obedientiae, secundum quod quaelibet creatura creatori obedit.
# 18. Plus un pouvoir actif est élevé, plus il peut mener une même
chose à un effet plus élevé: c'est pourquoi la nature peut faire de l'or avec
de la terre et d'autres éléments mélangés, ce que l'art ne peut pas faire et de
là vient qu'une chose est en puissance à différents objets selon la relation à
des agents différents. C'est pourquoi rien n'empêche que la nature créée ait la
puissance de faire quelque chose par la puissance divine, ce qu'une puissance
inférieure ne peut pas faire; et on l'appelle puissance d'obédience, selon que
n'importe quelle créature obéit au créateur.
q. 6 a. 1 ad 19 Ad
decimumnonum dicendum, quod ordinatio cuiuslibet rei creatae ad suam
operationem est a Deo; unde si ex divina providentia praeter rerum naturalium
operationem producitur aliquis effectus, non est inconveniens.
# 19. La mise en rapport de n'importe quelle créature à son opération
vient de Dieu; c'est pourquoi si la providence divine produit un effet au-delà
de l'action de l'opération des choses naturelles, cela n'a pas d'inconvénient.
q. 6 a. 1 ad 20 Ad
vicesimum dicendum, quod licet Deus faciat aliquem effectum praeter actionem
causae naturalis, non tamen tollit ordinem causae ad suum effectum; unde et in
igne fornacis remanebat ordo ad comburendum, licet non combureret tres pueros
in camino.
# 20. Bien que Dieu produise un effet au-delà de l'action de la cause
naturelle, il n'enlève cependant pas le rapport de la cause à son effet. C'est
pourquoi dans le feu de la fournaise demeurait le pouvoir de brûler, bien qu'il
n'y brûlât pas les trois enfants.
q. 6 a. 1 ad 21 Ad
vicesimumprimum dicendum, quod quando Deus agit aliquid contra cursum naturae,
non tollitur totus ordo universi, sed cursus qui est ex ordine unius
particularis rei ad aliam. Unde non est inconveniens, si aliquando contra
cursum naturae aliquid fiat ad salutem hominis, quae consistit in ordinatione
ipsius ad ultimum finem universi.
# 21. Quand Dieu agit contre le cours de la nature, il n'enlève pas
tout l'ordre de l'univers, mais il change le cours du rapport d'une chose
particulière à une autre. C'est pourquoi il n'y a aucune inconvenance si
quelquefois il agit contre le cours de la nature pour le salut de l'homme, ce
qui consiste à l'ordonner à la fin ultime de l'univers.
[1]
Parall.: Ia, qu. 105, a. 6 – qu. 106, a. 3– CG. III, 98, 99* Ð Compendium. 136.
[2]
En Ia, qu. 105, a. 6, obj. 2, l'ordre de la nature vient de la justice de Dieu.
[3]
Il s'agit du principe de contradiction .
[4]
Métaphysique, VII, 3, 1029 a 20: "J'appelle
nature ce qui n'est par soi ni existence déterminée, ni d'une certaine
quantité, ni d'aucune autre des catégories par lesquelles l'Etre est déterminé."
(Trad. J. Tricot).
[5]
Rm. 13, 1: "Non est enim potestas nisi a Deo, quae autem sunt, a Deo
ordinatae sunt". "Il n'y a point d'autorité qui ne vienne de Dieu, et
celles qui existent sont constituées par Dieu." B.J.
[6]
"...selon qu'on fait une chose, ainsi se produit-elle par nature, et selon
que la nature produit une chose ainsi la fait-on à moins d'empêchements."
Texte d'Aristote, Thomas, II, lect. 13, n° 257.
[7]
Cf. qu. 1, a. 3, obj. 4.
[8]
"Car il y a une seule chose dont Dieu même est privé: c'est de faire que
ce qui a été fait ne l'ait pas été." (Citation d'Agathon, tragique grec du
Ve siècle a.c..
[9]
On admet d'ordinaire qu'un acte est involontaire quand il est fait sous la
contrainte... Est fait par contrainte tout ce qui a son principe hors de nous,
c'est-à-dire un principe dans lequel on ne relève aucun concours de l'agent ou
du patient". Trad. J. Tricot.
[10]
Pot. qu. 3, a. 7.
[11]
"...la chose qui, parmi les autres, possède éminemment une nature est
toujours celle dont les autres choses tiennent en commun cette nature, par
exemple le feu est chaud par excellence, parce que, dans les autres êtres, il
est la cause de la chaleur." (Trad. J. Tricot).
[12]
Dont Avicenne.
[13]
Texte Aristote: "Chez les animaux, tous les manques de force, comme la
vieillesse et l'affaiblissement, sont, eux, contraire à la nature."
[14]
Les prédicables sont au nombre de cinq: le genre, l'espèce, la différence, le
propre, l'accident.
[15] Cf. Ia, qu. 105, a. 6, ad
1m.
q. 6 a. 2 tit. 1
Secundo quaeritur utrum omnia quae Deus facit praeter causas naturales vel
contra cursum naturae, possint dici miracula.Et videtur quod non.
Il semble que non[1].
Objections:
q. 6 a. 2 arg. 1
Quia sicut ex verbis Augustini haberi potest, miraculum est aliquid arduum et
insolitum, supra facultatem naturae et praeter spem admirantis apparens.
Aliquando autem Deus operatur contra cursum naturae etiam in minimis rebus,
sicut cum ex aqua fecit vinum, Ioan. II; quae tamen operatio praeter
operationem causarum naturalium fuit. Ergo non omnia quae Deus facit praeter
causas naturales, miracula dici possunt.
1. Parce que, comme on peut le conclure des paroles d'Augustin (Sur
l'Évangile de Jean, 8 et Trin. III, 5) le miracle est "quelque chose
d'ardu et d'insolite qui dépasse les possibilités de la nature et apparaît
au-delà de l'espérance de celui qui le voit avec étonnement." Quelquefois
Dieu opère contre le cours de la nature, même dans les plus petites choses: par
exemple, quand il fit du vin avec de l'eau (Jn 2): cette opération fut
cependant au-delà de celle des causes naturelles. Donc ce n'est pas tout ce que
Dieu fait au-delà des causes naturelles qui peut être appelé miracle.
q. 6 a. 2 arg. 2
Praeterea, quod frequenter accidit, non potest insolitum dici. Sed huiusmodi
operationes divinae praeter causas naturales apostolorum tempore frequenter
fiebant: unde dicitur Act. V, 15, quod in plateis ponebantur infirmi, et
cetera. Ergo huiusmodi non erant insolita, et ita non erant miracula.
2. On ne peut pas dire que ce qui arrive fréquemment soit inhabituel.
Mais de telles opérations divines au-delà des causes naturelles arrivaient
fréquemment du temps des Apôtres. C'est pourquoi il est dit (Act 5, 15) qu'on
mettait les malades sur les places, etc.. Donc les événements de ce genre
n'étaient pas inhabituels et ainsi ce n'étaient pas des miracles.
q. 6 a. 2 arg. 3
Praeterea, illud quod natura potest operari non est supra facultatem naturae.
Sed quandoque divinitus fiunt praeter naturales causas quae etiam natura facere
posset, sicut patet cum dominus curavit socrum Petri a febribus quibus
tenebatur, ut dicitur Luc. IV, 38-39. Ergo non fuit supra facultatem naturae,
et ita non fuit miraculum.
3. Ce que la nature peut opérer n'est pas au-dessus de ses
possibilités. Mais quelquefois ce que la nature pourrait faire aussi se fait de
manière divine au-delà des causes naturelles, comme on le voit quand le
Seigneur a guéri la belle-mère de Pierre des fièvres qui la tenaient, comme il
est dit en Lc 4, 38 s.. Donc ce ne fut pas au-dessus des possibilités de la
nature et ainsi ce ne fut pas un miracle.
q. 6 a. 2 arg. 4 Praeterea, mortuum reviviscere,
non potest contingere per operationem naturalis causae. Sed resuscitatio
mortuorum, qua Deus in fine omnes mortuos vivificabit, est a sanctis expectata;
unde in symbolo dicitur: expecto resurrectionem mortuorum. Ergo non
omne illud quod Deus operatur praeter causas naturales, est praeter spem
humanam, et ita non est miraculum.
4. Faire revenir à la vie un mort ne peut pas arriver par l'opération
d'une cause naturelle. Mais la résurrection des morts par laquelle Dieu
ramènera à la vie tous les morts à la fin, est attendue par les saints; c'est
pourquoi il est dit dans le "symbole" (des Apôtres): "J'attends
la résurrection des morts". Donc ce n'est pas tout ce que Dieu opère
au-delà des causes naturelles qui dépasse l'espérance des hommes. Et ainsi ce
n'est pas un miracle.
q. 6 a. 2 arg. 5
Praeterea, creatio caeli et terrae, et etiam creatio animarum rationalium est a
Deo praeter alias causas agentes: solus enim Deus creare potest, ut in alia
quaestione, est habitum. Sed tamen haec non possunt dici miracula: quia haec
non fiunt ad gratiae ostensionem, propter quam solam fiunt miracula, ut
Augustinus dicit, sed ad naturae institutionem. Ergo non omnia quae Deus facit
praeter causas naturales, possunt dici miracula.
5. La création du ciel et de la terre et même celle des âmes douées de
raison vient de Dieu au-delà des autres causes efficientes; car seul il peut
créer, comme on l'a vu dans une autre question (qu. 3 a. 1 et 4). Mais
cependant on ne peut pas appeler cela des miracles; parce que ce n'est pas fait
pour montrer la grâce, ce pourquoi seul sont faits les miracles, comme Augustin
le dit, mais c'est pour la constitution de la nature. Donc tout ce que Dieu
fait au-delà des causes naturelles ne peut pas être appelé miracle.
q. 6 a. 2 arg. 6
Praeterea, iustificatio impii fit a solo Deo praeter causas naturales; nec est
miraculum, sed magis finis miraculi: ad hoc enim miracula fiunt, ut homines convertantur
ad Deum. Ergo non omnia quae Deus facit praeter causas naturales, sunt
miracula.
6. La justification de l'impie est accomplie par Dieu seul au-delà des
causes naturelles; ce n'est pas un miracle, mais plutôt le but du miracle. Car
les miracles sont faits pour convertir les hommes à Dieu. Donc tout ce que Dieu
fait en dehors des causes naturelles n'est pas miracle.
q. 6 a. 2 arg. 7
Praeterea, magis est mirum quod aliquid fiat a minus potente quam a magis
potente. Sed Deus est potentior quam natura: cum autem natura aliquid operatur,
non dicitur esse miraculum, sicut cum operatur sanationem infirmi, vel aliquid
huiusmodi. Ergo multo minus potest dici miraculum, quando
Deus illud operatur.
7. Plus étonnant est ce qui est fait par quelqu'un de moins puissant
que par un plus puissant. Mais Dieu est plus puissant que la nature; or quand
la nature fait quelque chose, on ne l'appelle pas miracle, comme quand elle
opère la guérison d'un malade, ou autres choses de ce genre. Donc on peut
beaucoup moins l'appeler miracle quand Dieu le fait.
q. 6
a. 2 arg. 8 Praeterea, monstra fiunt contra naturam, nec tamen dicuntur
miracula. Ergo non omnia quae contra naturam fiunt, miracula
dici possunt.
8. Les prodiges se font contre la nature et cependant on ne les appelle
pas miracles. Donc tout ce qui est fait contre la nature ne peut être appelé
miracle.
q. 6 a. 2 arg. 9 Praeterea, miracula fiunt ad
fidei confirmationem. Sed incarnatio verbi non est ad confirmationem fidei
tamquam fidei argumentum, sed magis est sicut fidei obiectum. Ergo non est
miraculum: et tamen hoc solus Deus facit nulla alia causa agente: ergo non
omnia quae Deus facit praeter causas naturales, sunt miracula.
9. Les miracles sont faits pour affermir la foi. Mais l'Incarnation du
Verbe n'est pas pour l'affermir en tant qu'argument de foi, mais plutôt en tant
qu'objet de foi. Donc ce n'est pas un miracle et cependant Dieu seul le fait
sans aucune autre cause efficiente; donc ce n'est pas tout ce que Dieu fait
au-delà des causes naturelles qui est un miracle
En sens contraire:
q. 6 a. 2 s. c. 1
Sed contra. Augustinus, dicit, quod triplex est rerum cursus: naturalis,
voluntarius et mirabilis. Ea autem quae solus Deus operatur praeter causas
naturales, non pertinent ad cursum rerum naturalium, nec ad voluntarium, quia
nec natura, nec voluntas creata in eis operatur. Ergo pertinet ad cursum
mirabilem, et ita sunt miracula.
1. Augustin (Anselme, Le péché originel, ch. 2) dit que le cours des
choses est triple: naturel, volontaire et merveilleux. Ce que Dieu seul opère
au-delà des causes naturelles n'appartient pas à un concours des choses
naturelles, ni à ce qui est volontaires, parce que, ni la nature, ni la volonté
créée n'opèrent en eux. Donc il appartient à un concours admirable et ainsi
c'est un miracle.
q. 6 a. 2 s. c. 2
Praeterea, Richardus de s. Victore dicit, quod miraculum est opus creatoris,
manifestativum divinae virtutis. Huiusmodi autem sunt quae a Deo praeter causas
naturales fiunt. Ergo sunt miracula.
2. Richard de Saint Victor dit que le miracle est l'oeuvre du Créateur,
qui manifeste sa puissance divine. Ce qui est fait par Dieu au-delà des causes
naturelles est de ce genre. Donc ce sont des miracles.
Réponse:
q. 6 a. 2 co.
Respondeo. Dicendum, quod miraculi nomen a mirando est sumptum. Ad admirationem
autem duo concurrunt, ut potest accipi ex verbis philosophi in principio
metaphysicorum: quorum unum est, quod causa illius quod admiramur, sit occulta;
secundum est quod in eo quod miramur, appareat aliquid per quod videatur
contrarium eius debere esse quod miramur, sicut aliquis posset mirari si
videret ferrum ascendere ad calamitam, ignorans calamitae virtutem, cum
videatur quod ferrum naturali motu debeat tendere deorsum.
Le nom miracle vient de "admirer" (s'étonner). Deux aspects
concourent à l'admiration, comme on peut le tirer des paroles du philosophe au
début de la Métaphysique (I, 2, 982 b
11-21.[2]).
1) Dont l'une est que la cause de ce qui étonne est cachée.2) La
seconde est que dans ce qui nous étonne apparaît ce par quoi il semble que
c'est son contraire dont on devrait s'étonner; par exemple quelqu'un pourrait
s'étonner s'il voyait le fer monter vers un aimant, ignorant son pouvoir[3]. Puisqu'il semble que le fer par un mouvement naturel
doit tendre vers le bas.
Hoc autem contingit dupliciter: uno modo
secundum se; alio modo quo ad nos.
Quo ad nos quidem, quando causa effectus quem
miramur, non est occulta simpliciter, sed occulta huic vel illi; nec in re quam
miramur est dispositio repugnans effectui quem miramur, secundum rei veritatem,
sed solum secundum opinionem admirantis: et ex hoc contingit quod id quod est
uni mirum vel admirabile, non est mirum vel admirabile alteri, sicut sciens
virtutem calamitae per doctrinam vel per experimentum, non miratur praedictum
effectum; ignorans autem miratur.
Cela arrive de deux manières: en soi, et selon nous.
1) Selon nous, quand la cause de l'effet qui nous étonne n'est pas
absolument cachée, mais cachée à celui-ci ou à celui-là. Et dans ce qui nous
étonne, il n'y a pas de disposition qui s'oppose à l'effet dont nous nous
étonnons, selon la vérité de la chose, mais selon l'opinion de celui qui
s'étonne, et de là vient que ce qui est étonnant ou admirable pour l'un, ne
l'est pas pour un autre, de même que celui qui connaît le pouvoir de l'aimant
par science ou expérience, ne s'étonne pas de cet effet, mais l'ignorant s'en
étonne.
Secundum se autem aliquid est mirum vel admirabile, cuius
causa simpliciter est occulta, et quando in re est contraria dispositio
secundum naturam effectui qui apparet, et ista non solum possunt dici mira in
actu, vel mira in potentia, sed etiam miracula, quasi habentia in se
admirationis causam. Causa autem occultissima et remotissima a nostris sensibus
est divina, quae in rebus omnibus secretissime operatur: et ideo illa quae sola
virtute divina fiunt in rebus illis in quibus est naturalis ordo ad contrarium
effectum vel ad contrarium modum faciendi, dicuntur proprie miracula; ea vero
quae natura facit, nobis tamen vel alicui nostrum occulta, vel etiam quae Deus
facit, nec aliter nata sunt fieri nisi a Deo, miracula dici non possunt, sed
solum mira vel mirabilia.
2) En soi est étonnant ou admirable ce dont la cause est simplement
cachée et quand il y a dans la chose selon la nature une disposition contraire
à l'effet qui apparaît, et on peut non seulement appeler cela étonnant en acte
ou en puissance, mais encore l'appeler miracle, comme ayant en soi une cause
d'étonnement. Mais la cause la plus cachée et la plus éloignée de nos sens est
divine, elle qui agit très secrètement en tout; et c'est pourquoi ce qui est
fait par le seul pouvoir divin dans ces choses où il y a un ordre naturel à un
effet contraire ou à une manière contraire de le produire, est appelé
proprement miracle; ce que la nature fait, cependant caché pour nous ou pour
l'un des nôtres, ou même ce que Dieu fait, et qui n'est destiné à être produit
autrement que par Dieu, ne peut pas être appelé miracle, mais seulement
étonnant ou merveilleux[4].
Et ideo in definitione miraculi ponitur aliquid quod excedit
naturae ordinem, in hoc quod dicitur, supra facultatem naturae, cui ex parte
rei mirabilis respondet quod dicitur arduum. Et ponitur etiam aliquid quod
excedit nostram cognitionem, in hoc quod dicitur praeter spem admirantis
apparens; cui ex parte rei mirabilis respondet quod dicitur insolitum. Nam per
consuetudinem aliquid in nostram notitiam familiarius venit.
C'est pourquoi dans la définition du miracle, on place quelque chose
qui excède l'ordre de la nature, en disant (qu'il est) au-dessus des
possibilités de la nature, à qui du côté de ce qui est étonnant correspond ce
qui est appelé ardu. Et on pense à quelque chose qui dépasse notre
connaissance, en disant que ce qui apparaît est au-delà de l'espérance de celui
qui le voit avec étonnement, à qui du côté de ce qui est étonnant correspond ce
qu'on appelle inhabituel. Car par l'habitude quelque chose devient plus
familier à notre connaissance.
Solutions:
q. 6 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod
arduum quod ponitur in definitione miraculi, non pertinet ad rei magnitudinem
secundum se consideratam, sed per comparationem ad facultatem naturae. Unde
quod in quacumque parva re Deus operatur quod natura operari non potest, hoc
arduum reputatur.
# 1. Ardu qui appartient à la définitions du miracle, ne convient pas à
la grandeur de l'événement considérée en soi, mais par comparaison aux
possibilités de la nature. C'est pourquoi ce que fait Dieu en chaque petite
chose, que la nature ne peut pas faire, est considéré comme "ardu".
q. 6 a. 2 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod insolitum dicitur miraculum, quia est contra consuetum
cursum naturae, etiam si quotidie iteraretur, sicut transubstantiatio panis in
corpus Christi frequentatur quotidie, nec tamen desinit esse miraculum: magis
enim debet dici solitum quod in toto ordine universi communiter accidit quam
quod in una sola re contingit.
# 2. On dit que le miracle est inhabituel, parce qu'il est contre le
cours habituel de la nature, même s'il se renouvelle chaque jour, comme la
transsubstantiation du pain en corps du Christ est réitérée fréquemment chaque
jour, et cependant elle ne cesse pas d'être un miracle; car on doit le dire
habituel que ce qui arrive communément dans tout l'ordre de l'univers plus que
ce qui arrive dans une seule chose.
q. 6 a. 2 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod circa ea quae Deus miraculose facit, talis solet
adhiberi distinctio, quod quaedam dicantur fieri supra naturam, quaedam contra
naturam, quaedam praeter naturam.
# 3. A propos de ce que Dieu accomplit miraculeusement, on a l'habitude
d'appliquer une distinction telle que certaines actions sont dites au-dessus de
la nature, certaines contre, et d'autres au-delà.
Supra naturam quidem, in quantum in illum effectum quem Deus
facit, natura nullo modo potest; quod quidem contingit dupliciter:
A) Au-dessus de la nature dans la mesure où dans cet effet que Dieu
produit, la nature ne peut rien faire en aucune manière, ce qui arrive de deux
façons:
vel quia ipsa forma inducta a Deo, omnino a natura induci
non potest, sicut forma gloriae, quam inducet Deus corporibus electorum, et
sicut etiam incarnatio verbi;
a) Ou bien parce que la forme même, induite par Dieu, ne peut
absolument pas l'être par la nature, comme la forme de gloire que Dieu induit
dans le corps des élus, et aussi l'Incarnation du Verbe.
vel quia etsi talem formam possit in aliquam materiam
inducere, non tamen in istam: sicut ad causandum vitam natura potens est; sed
quod in hoc mortuo natura vitam causet, hoc facere non potest.
b) Ou parce que, même si elle pouvait induire une telle forme dans la
matière, ce n'est cependant pas dans celle-ci: ainsi la nature a pouvoir de
causer la vie; mais la nature ne peut pas la causer dans ce mort.
Contra naturam esse dicitur, quando in natura remanet
contraria dispositio ad effectum quem Deus facit, sicut quando conservavit
pueros illaesos in camino, remanente virtute comburendi in igne, et quando aqua
Iordanis stetit, remanente gravitate in ea, et simile est quod virgo peperit.
B) On dit que c'est contre la nature quand en elle demeure une
disposition contraire à l'effet que Dieu produit, comme quand il a conservé
sans blessure les enfants dans la fournaise, alors que le pouvoir de brûler
demeurait dans le feu et comme quand l'eau du Jourdain s'arrêta, tout en
conservant sa gravité, et il en est de même pour l'enfantement de la Vierge.
Praeter naturam autem dicitur Deus facere, quando producit
effectum quem natura producere potest, illo tamen modo quo natura producere non
potest, vel quia deficiunt instrumenta quibus natura operatur (sicut cum
Christus convertit aquam in vinum, Ioan. II, 3-11, quod tamen natura aliquo
modo facere potest, dum aqua in nutrimentum vitis assumpta, suo tempore in
succum uvae per digestionem producitur), vel quia est in divino opere maior
multitudo quam natura facere consuevit, sicut patet de ranis quae sunt
productae in Aegypto; vel quantum ad tempus, sicut cum statim ad invocationem
alicuius sancti aliquis curatur, quem natura non statim, sed successive, et
alio tempore, non in isto curare posset: et sic accidit in miraculo inducto de
socru Petri. Unde patet quod omnia huiusmodi, si accipiatur et modus et factum,
facultatem naturae excedunt.
C) On dit que Dieu agit au delà de la nature, quand est produit un
effet que la nature peut produire, cependant d'une manière dont la nature ne
peut pas le produire, ou parce que les instruments par lesquels la nature opère
sont défaillants (ainsi quand le Christ change l'eau en vin (Jn 2, 3-11), ce
que cependant la nature peut faire d'une autre manière, quand l'eau est prise
en nourriture par la vigne, en son temps, et devient le suc du raisin par
absorption), ou bien parce que dans l'oeuvre divine il y a une plus grande
multitude que la nature n'a pas coutume de produire, comme on le voit pour les
grenouilles produites en Égypte; ou quant au temps, comme quand à l'invocation
d'un saint quelqu'un est aussitôt guéri, ce que la nature ne (peut faire)
aussitôt mais successivement, et dans un autre temps, [mais] elle ne pourrait
le guérir en ce temps; et cela arriva ainsi dans le miracle rapporté à propos
de la belle-mère de Pierre. C'est pourquoi il apparaît que tous les événements
de ce genre, si on prend la manière et le résultat, dépassent le pouvoir de la
nature.
q. 6 a. 2 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod resurrectio mortuorum futura est praeter spem naturae,
licet non sit praeter spem gratiae: de qua duplici spe habetur Rom. IV, 18: in
spem contra spem credidit.
# 4. La résurrection future des morts est au-delà de l'espérance de la
nature, bien qu'elle ne soit pas au-delà de l'espérance de la grâce. De cette
double espérance, il est question en Rm 4, 18: "Il crut contre toute
espérance."
q. 6 a. 2 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod caelum et terra et etiam animae rationales non sunt
secundum ordinem naturalem nata creari ab alia causa quam a Deo: et ideo
huiusmodi rerum creationes non sunt miracula.
# 5. Le ciel et la terre et aussi les âmes rationnelles dans l'ordre de
la nature ne sont pas destinés à être créés par une autre cause que Dieu. Et
c'est pourquoi de telles créations ne sont pas des miracles.
q. 6 a. 2 ad 6 Et
similiter dicendum ad sextum de iustificatione impii.
# 6. On doit en dire autant de la justification de l'impie.
q. 6 a. 2 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod ea quae fiunt a natura, fiunt etiam a Deo; sed ea quae
Deus miraculose facit, non fiunt a natura, et ideo ratio non procedit. Et
praeterea, natura operans est causa manifesta nobis. Deus autem est causa
occulta; et propter hoc magis miramur opera Dei quam opera naturae.
# 7. Ce qui est fait par la nature, est aussi fait par Dieu; mais ce
que Dieu accomplit miraculeusement n'est pas fait par la nature et c'est
pourquoi cette raison ne convient pas. Et en outre la nature qui opére est une
cause évidente pour nous. Mais Dieu est une cause cachée; et c'est pour cela
que nous admirons plus les oeuvres de Dieu que les oeuvres de la nature.
q. 6 a. 2 ad 8 Ad
octavum dicendum, quod monstra licet fiant contra naturam particularem, non
tamen fiunt contra naturam universalem.
# 8. Bien que les prodiges soient faits contre une nature particulière,
ils ne sont pas faits contre la nature universelle.
q. 6 a. 2 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod incarnatio verbi est miraculum miraculorum, ut sancti
dicunt, quia est maius omnibus miraculis, et ad istud miraculum omnia alia
ordinantur: et propter hoc non solum est inducens ad alia credendum, sed etiam
alia miracula inducunt ad hoc quod ipsum credatur. Nihil enim prohibet unum
miraculum inducere ad fidem alterius, sicut resuscitatio Lazari inducit ad
futuram resurrectionem credendam.
# 9. L'Incarnation du Verbe est le miracle des miracles, comme le
disent les saints, parce qu'il est plus grand que tous les miracles et tous les
autres lui sont ordonnés et c'est pour cela qu'il n'incite pas seulement à
croire à d'autres choses mais aussi les autres miracles amènent à croire en
lui. Car rien n'empêche un miracle de conduire à la foi pour un autre, comme la
résurrection de Lazare amène à croire à la résurrection future.
[1] Ia, qu. 105, a. 7 – CG. III, 101 – II
Sent. d18q1a3 – <sp
q. 6 a. 3 tit. 1
Tertio quaeritur utrum creaturae spirituales sua naturali virtute possint
miracula facere. Et videtur quod sic.
Il semble oui.
Objections[1]:
q. 6 a. 3 arg. 1
Quod enim potest virtus inferior, multo magis potest virtus superior. Sed
virtus creaturae spiritualis est supra virtutem naturae corporalis: unde
dicitur Iob XLI, 24: non est potestas super terram quae ei possit comparari.
Ergo creatura spiritualis potest facere illos effectus quos natura facit.
Quando autem effectus naturalis fit non a causa naturali, sed occulta, est
miraculum. Ergo creatura spiritualis potest facere miracula.
1. Car ce que peut un pouvoir inférieur, un pouvoir supérieur le peut
beaucoup plus. Mais le pouvoir de la créature spirituelle est au-dessus de
celui de la nature corporelle: c’est pourquoi il est dit en Job, 41, 24: "Il
n’y a pas de pouvoir sur terre qui puisse lui être comparé[2]."
Donc la créature spirituelle peut produire les effets que produit la nature.
Mais quand l’effet naturel se produit non par une cause naturelle, mais par une
cause cachée, c’est un miracle. Donc la créature spirituelle peut faire des
miracles.
q. 6 a. 3 arg. 2
Praeterea, quanto aliquid est magis actu, tanto est magis activum, eo quod
unumquodque agit in quantum actu est. Sed formae quae sunt creaturae rationales, sunt magis actuales quam
formae quae sunt in creatura corporali, eo quod sunt magis immateriales. Ergo
sunt magis activae. Sed formae quae sunt in natura corporali, producunt sui
similes in natura. Ergo multo magis possunt hoc facere formae quae sunt in
mente creaturae spiritualis; et sic poterit creatura rationalis facere effectus
naturales praeter causas naturales: quod est miraculosum.
2. Plus une chose est en acte, plus elle peut agir, parce que chacun
agit en tant qu'il est en acte. Mais les formes que sont les créatures
raisonnables, sont plus en acte que celles qui sont dans la créature
corporelle, parce qu’elles sont plus immatérielles. Donc elles sont plus
actives. Mais les formes qui sont dans une nature corporelle, produisent du
semblable à elles en nature. Donc les formes qui sont dans l’esprit de la
créature spirituelle peuvent beaucoup plus le faire et ainsi la créature
raisonnable pourra produire des effets naturels au-delà des causes naturelles;
ce qui est miraculeux.
q. 6 a. 3 arg. 3
Praeterea, intellectus Angeli est propinquior divino intellectui quam intellectus
humanus. Sed in intellectu humano sunt aliquae formae activae, quae scilicet
sunt in intellectu practico, ut formae artis. Ergo multo fortius in intellectu
Angeli sunt formae activae: nam ideas intellectus divini constat esse maxime
activas.
3. L’esprit de l’ange est plus proche de l’esprit divin que l’esprit
humain. Mais en ce dernier il y a des formes actives, qui sont naturellement
dans l’esprit pratique, comme les formes de l'art. Donc ces formes actives sont
beaucoup plus importantes dans l’esprit de l’ange: car il est clair que les
idées de l’esprit divin sont très actives.
q. 6 a. 3 arg. 4 Sed
dices, quod formae activae quae sunt in intellectu Angeli, applicantur ad
effectum mediante corporali agente, sicut etiam formae intellectus humani.- Sed
contra, omnis virtus quae non potest exire in actum nisi mediante instrumento
corporali, frustra datur alicui, nisi detur ei organum corporale: frustra enim
potentia motiva esset data animali, nisi darentur ei instrumenta motus. Sed Angelo non est naturaliter corpus unitum. Ergo
virtus sua non requirit ad sui operis executionem corporeum activum.
4. Mais on pourrait dire que les formes actives qui sont dans l’esprit
de l’ange sont appliquées à l'effet par l’intermédiaire d’un agent corporel,
comme les formes de l’esprit humain. — En sens contraire, tout pouvoir, qui ne
peut devenir en acte que par l’intermédiaire d’un instrument corporel, est
donné en vain à quelqu'un, à moins qu’il lui soit donné un organe corporel: car
c’est en vain que la puissance motrice serait donnée à l’animal si les organes
du mouvement ne lui étaient pas donnés. Mais l'ange n'a pas de corps
naturellement uni à lui. Donc c'est que son pouvoir ne demande pas un corps
actif pour l’exécution de son œuvre.
q. 6 a. 3 arg. 5
Praeterea, omnis virtus quae excedit proportionem sui organi, potest habere
aliquam actionem praeter illud organum: quia enim oculus non adaequat virtutem
totius animae, efficit anima multas operationes non per oculum. Sed corpus non
potest esse proportionatum ad totam virtutem Angeli. Ergo potest Angelus
effectus aliquod facere non mediantibus corporibus; et sic videtur quod virtute
naturae suae possit miracula facere.
5. Tout pouvoir qui dépasse les limites de son organe, peut avoir une
action au-delà de celui-ci; parce qu'en effet, l’œil n’égale pas le pouvoir de
toute l’âme, celle-ci effectue de nombreuses opérations mais pas par lui. Mais
un corps ne peut pas être proportionné à tout le pouvoir de l’ange. Donc
celui-ci peut causer des effets sans l’intermédiaire des corps; et ainsi il
semble qu’il puisse faire des miracles par le pouvoir de sa nature.
q. 6 a. 3 arg. 6
Praeterea, plus excedit virtus Angeli omnem virtutem corpoream quam corpus
caeli excedat elementaria corpora. Sed ex virtute caelestis corporis fiunt aliqui
effectus in istis inferioribus absque actionibus qualitatum activarum et
passivarum, quae sunt propriae virtutes elementorum. Ergo multo fortius ex
virtute Angeli possunt aliqui effectus in rebus naturalibus produci, non
mediantibus virtutibus corporum naturalium.
6. Le pouvoir de l’ange dépasse tout pouvoir corporel plus que le corps
du ciel dépasse les corps élémentaires. Mais des effets sont produits par le
pouvoir du corps céleste dans les choses inférieures, sans les actions des
puissances actives et passives, qui sont les pouvoirs propres des éléments.
Donc le pouvoir de l’ange peut produire des effets beaucoup plus intensément
dans les choses naturelles, sans l’intermédiaire des pouvoirs des corps
naturels.
q. 6 a. 3 arg. 7
Praeterea, secundum Augustinum omnia corpora a Deo per spiritum vitae
rationalem reguntur: et hoc idem dicit Gregorius: et sic videtur quod motus
caeli et totius naturae sit ab Angelis, sicut motus humani corporis est ab
anima. Sed ab anima imprimuntur formae in corpus praeter virtutes naturales
corporis activas: ex sola enim imaginatione aliquis calescit et infrigidatur,
et incurrit quandoque febrem vel etiam lepram, ut medici dicunt. Ergo multo
fortius ex sola conceptione Angeli moventis caelum, praeter actionem causarum
naturalium, possunt sequi aliqui effectus in istis inferioribus; et sic potest
Angelus facere miraculum.
7. Selon Augustin (La Trinité, III,
IV, 9[3]) "Tous les corps sont régis par Dieu par un
esprit de vie doué de raison"; et Grégoire [le Grand] dit la même chose (Dialogues, IV[4]):
et ainsi il semble que le mouvement du ciel et de toute la nature vient des
anges, comme le mouvement du corps humain dépend de l’âme. Mais les formes sont
induites par l'âme dans le corps au-delà des pouvoirs naturels actifs du corps:
car par la seule imagination quelqu’un s'échauffe ou se refroidit, et attrape
quelquefois la fièvre ou même la lèpre, comme le disent les médecins[5]. Donc beaucoup plus intensément de la seule conception de
l’ange qui meut le ciel, au-delà de l’action des causes naturelles, des effets
peuvent s'écouler dans les êtres inférieurs et ainsi l’ange peut faire des
miracles.
q. 6 a. 3 arg. 8 Sed
dices, quod hoc accidit ex eo quod anima est forma corporis: non autem Angelus
est forma corporalis creaturae.- Sed contra, quidquid provenit ex anima per
eius operationem, provenit ex ea in quantum est motor, non in quantum est forma:
non enim per operationem anima est forma corporis, sed motor. Praedictae autem
impressiones quae fiunt in corpus ab anima, sequuntur impressionem animae
aliquid imaginantis. Ergo non sunt ab anima in quantum est forma, sed in
quantum est motor.
8. Mais on pourrait dire, que cela vient du fait que l’âme est la forme
du corps. Or l’ange n’est pas la forme d'une créature corporelle. — En sens
contraire, tout ce qui provient de l’âme par son opération, provient d’elle en
tant que moteur, non en tant que forme; car par son opération l’âme n'est pas
la forme du corps, mais elle en est moteur. Mais ces impressions qui se font
dans le corps par l’âme, découlent de l’impression de l’âme quand elle imagine.
Donc elles ne viennent pas de l’âme en tant que forme mais en tant que moteur.
q. 6 a. 3 arg. 9
Praeterea, ex hoc Deus mirabilia facere potest, quia eius virtus est infinita.
Sed in libro de causis, dicitur quod virtus intelligentiae est infinita,
praecipue ad inferius; quod etiam probari potest ex hoc quod movet motum caeli,
ut ostensum est, qui natus est esse sempiternus: sempiternum enim motum movere
non potest nisi virtus infinita, ut probatur in VII Phys. Ergo videtur quod
Angeli possint miracula facere etiam naturali virtute.
9. Dieu peut faire des miracles, parce sa puissance est infinie. Mais
dans le livre Des Causes (prop.16), il est dit que la puissance de
l’intelligence est infinie, surtout pour ce qui est inférieur, ce qui peut
aussi être prouvé, comme on l’a montré, du fait qu’elle provoque le mouvement
du ciel destiné à être éternel; car il n'y a qu'un pouvoir infini qui peut
produire un mouvement éternel, comme on le prouve en Physique, (VIII, 10, 266 a 12[6]). Donc il
semble que les anges puissent faire des miracles même par un pouvoir naturel.
q. 6 a. 3 arg. 10
Praeterea, in Lib. de causis dicitur, quod virtus omnis unita plus est infinita
quam virtus multiplicata; et ibidem Commentator dicit, quod quanto virtus
intelligentiae magis aggregatur et unitur, magnificatur et vehementior fit et
efficit operationes mirabiles. Loquitur autem ibi Commentator de naturali
virtute intelligentiae: nam virtutem gratiae non cognovit. Ergo Angelus sua
virtute naturali mirabilia facere potest.
10. Dans le livres des Causes, (prop. 17), il est dit que toute
puissance unie est plus infinie qu’une puissance multipliée; et sur ce même
sujet, le Commentateur dit que plus la puissance de l’intelligence est
rassemblée et unie, plus elle croît, se fortifie et plus elle accomplit
d'opérations admirables. Mais le Commentateur y parle de la puissance naturelle
de l’intelligence: car il n'a pas connu le pouvoir de la grâce. Donc l’ange
peut faire des miracles par sa puissance naturelle.
q. 6 a. 3 arg. 11
Sed dicendum, quod Angelus potest mirabilia facere non virtute propria, sed
virtute naturalibus rebus a Deo indita, applicando huiusmodi res ad effectum
quem intendit.- Sed contra, applicatio huiusmodi seminum naturalium, in quibus
existunt activae virtutes naturae, ad effectum aliquem, esse non potest nisi
per motum localem. Sed eiusdem rationis esse videtur quod corpora obediant vel
non obediant substantiae spirituali ad motum localem et alios motus, nam
quilibet motus naturalis habet proprium et determinatum motorem. Ergo si
possunt Angeli suo imperio applicare huiusmodi semina ad effectum naturae per
motum localem, poterunt etiam per motum alterationis vel generationis formam
aliquam in materia inducere ex solo imperio: quod est mirabilia facere.
11. Mais il faut dire que l’ange peut faire des miracles, non par sa
puissance propre, mais par celle induite par Dieu dans les choses naturelles,
en les appliquant à l’effet auquel il tend. — En sens contraire, l’application
des semences naturelles[7] de ce genre, en qui existent
les puissances actives de la nature, pour un effet, ne peut exister que par
mouvement local. Mais il semble que c'est pour une même raison que les corps
obéissent ou non à la substance spirituelle pour le mouvement local, et les
autres mouvements, car n’importe quel mouvement naturel a un moteur propre et
déterminé. Donc, si les anges peuvent par leur pouvoir appliquer des semences
de ce genre à un effet de nature, par mouvement local, ils ont pu aussi par
mouvement de changement ou de génération induire une forme dans la matière de
leur seul pouvoir; ce qui est faire des miracles.
q. 6 a. 3 arg. 12
Praeterea, eiusdem virtutis secundum genus est imprimere formam in materia et
impedire ne imprimatur: sicut enim virtute corporis forma ignis inducitur in
materia, ita virtute alicuius corporis talis formae inductio impeditur. Sed virtute
spiritualis creaturae impeditur ne ab agente naturali forma in materia
imprimatur: dicitur enim esse expertum quod virtute alicuius scripti aliquis,
in igne positus, non fuit combustus: quod planum est non fuisse operationis
divinae, quae pro meritis, sine aliquibus scriptis, poenas a sanctis suis
repellit: et sic remanet quod fuerit factum Daemonis virtute. Ergo videtur quod
pari ratione fieri possit quod spiritualis creatura ex solo imperio formam in
materia inducere possit absque corporali agente. Et nihilominus hoc ipsum
miraculosum videtur quod homo in igne positus non comburatur, sicut patet in
miraculo trium puerorum.
12. Il appartient à une même puissance en genre, d’induire une forme
dans la matière et de l'en empêcher: en effet, de même que la forme du feu est
introduite dans la matière par la puissance d’un corps, de la même manière
l’induction d’une telle forme est empêchée par le pouvoir d'un corps. Mais la
puissance de la créature spirituelle empêche que la forme soit imprimée dans la
matière par un agent naturel: car on dit qu'il s'est trouvé que quelqu'un, par
le pouvoir d'un écrit, placé dans le feu, n’a pas été brûlé; il est clair que
ce n'est pas arrivé par l’opération divine qui, pour les mérites, repousse sans
écrits les châtiments de ses saints. Et ainsi il reste que cela a été fait par
la puissance du démon. Donc il semble que, à raison égale, la créature
spirituelle puisse de son seul pouvoir induire une forme dans la matière, sans
agent corporel. Et cependant il paraît miraculeux que l’homme, placé dans le
feu, ne brûle pas, comme on le voit dans le miracle des trois enfants.
q. 6 a. 3 arg. 13
Praeterea, nobilior est forma quae est in imaginatione et in sensu, quam forma
quae est in materia corporali, quanto est magis immaterialis. Sed spiritualis
creatura in phantasiam et sensum potest imprimere aliquam formam, ut videatur
aliquid aliter quam sit: unde dicit Augustinus: nec sane Daemones naturas
creant; sed specie tenus quae a Deo vero sunt creata, commutant; et postea
subiungit, quod hoc fit per immutationem phantasiae. Ergo multo fortius potest imprimere formam in
materiam corporalem; et sic idem quod prius.
13. La forme, dans l’imagination et les sens, est plus noble que celle
qui est dans la matière corporelle; d’autant qu’elle est plus immatérielle.
Mais la créature spirituelle peut introduire une forme dans l'imagination et
les sens pour qu'une chose paraisse autre qu’elle n’est: c’est pourquoi
Augustin dit (La cité de Dieu, XVIII,
18[8]): "Ce n’est pas réellement que les démons
créent des natures; mais ils changent seulement d'apparence ce qui a été créé
par Dieu", et ensuite il ajoute que cela se fait par un changement dans
l'imagination. Donc il peut beaucoup plus induire une forme dans la matière corporelle,
et ainsi de même que ci-dessus.
q. 6 a. 3 arg. 14
Sed dicendum, quod immutatio phantasiae a Daemone non fit per hoc quod novae
formae imprimantur, sed per compositionem et divisionem formarum
praeexistentium.- Sed contra, anima est nobilior quam natura corporalis. Si
ergo Daemon per suam virtutem potest facere illud quod est propria operatio
animae sensitivae, scilicet componere et dividere imagines, videtur quod multo
fortius possit facere sua virtute operationes naturae corporeae; et sic idem
quod prius.
14. Mais il faut dire que le changement dans l'imagination par le démon
ne se fait pas en imprimant de nouvelles formes, mais par composition et
division des formes qui existent déjà. — En sens contraire, l’âme est plus
noble que la nature corporelle. Si donc le démon par sa puissance peut faire ce
qui est l’opération propre de l’âme sensitive, à savoir composer et diviser les
images, il semble qu'il puisse beaucoup plus accomplir par sa puissance les
opérations de la nature corporelle, et ainsi de même que ci-dessus.
q. 6 a. 3 arg. 15
Praeterea, sicut se habet virtus ad virtutem, ita se habet operatio ad
operationem. Sed virtus Angeli non dependet a virtute creaturae corporalis.
Ergo nec eius operatio ab operatione creaturae corporalis; et sic praeter
naturales causas potest miraculose operari.
15. De la même manière que se comporte la puissance vis-à-vis
d'elle-même, l’opération se comporte vis-à-vis d'elle-même. Mais le pouvoir de
l’ange ne dépend pas de la puissance de la créature corporelle. Donc son
opération non plus, et ainsi il peut opérer miraculeusement au-delà des causes
naturelles.
De potentia, q. 6 a. 3 arg. 16 Praeterea, sicut facere
aliquid ex nihilo est infinitae virtutis propter infinitam distantiam entis ad
nihil, ita reducere aliquid in actum de potentia, subest virtuti finitae. Inter
virtutes autem finitas maxima est virtus Angeli. Ergo Angelus sua virtute
potest educere in actum omnes formas quae sunt in potentia materiae, absque
actione alicuius causae naturalis; et sic idem quod prius.
16. De même que faire quelque chose de rien demande une puissance
infinie, à cause de la distance infinie entre l’étant et le néant, de même
ramener quelque chose de la puissance à l'acte, est soumis à une puissance
finie. Parmi les puissances finies, la plus grande est celle de l’ange. Donc
l’ange par son pouvoir peut amener à l’acte toutes les formes qui sont dans la
puissance de la matière, sans l’action d’une cause naturelle, et ainsi de même
que ci-dessus.
De potentia, q. 6 a. 3 arg. 17 Praeterea, omne agens non
impeditum agit et patitur. Sed Angelus agens in ista corporalia nullo modo patitur
ab eis. Ergo non impeditur quin sua actione possit miracula facere praeter
causas naturales agendo.
17. Tout agent s’il n’est pas empêché agit et supporte. Mais l'ange qui
agit dans ce qui est corporel n'en supporte rien. Donc rien n'empêche son
action de pouvoir faire des miracles, en agissant au-delà des causes
naturelles.
En sens contraire:
q.
6 a. 3 s. c. 1 Sed contra. Ex hoc Deus miracula facit quod natura est ei
subiecta. Non est autem subiecta Angelis: non enim Angelis subiecit Deus orbem
terrae, ut dicitur ad Hebr. II. Ergo Angeli sua naturali virtute miracula
facere non possunt.
1. Dieu fait des miracles parce que la nature lui est soumise; mais
elle n’est pas soumise à l’ange: car Dieu n’a pas soumis la terre aux anges,
comme il est dit en Hébr. 2, 5[9]. Donc les anges ne
peuvent pas faire de miracles par leur pouvoir naturel.
59828] De potentia, q. 6 a. 3 s. c. 2 Praeterea, Augustinus
dicit, quod non est putandum Angelis transgressoribus ad nutum servire
corporalium rerum materiam. Serviret autem eis, si ex virtute suae naturae
creatura spiritualis miracula facere posset. Ergo miracula facere non possunt.
2. Augustin dit (la Trinité, III, VIII, 13[10]),
qu’il ne faut pas penser que la matière des choses corporelles se soumet aux
anges transgresseurs sur un signe de leur part. Elle leur serait soumise, si
par le pouvoir de sa nature, la créature spirituelle pouvait faire des
miracles. Donc ils ne peuvent pas faire de miracles.
Réponse:
q. 6 a. 3 co.
Respondeo. Dicendum, quod Augustinus in II Lib. de Trinitate, postquam
quaestionem istam pertractaverat diligenter, concludit in fine: mihi omnino
utile est ut meminerim virium mearum, fratresque meos admoneam ut meminerint
suarum, ne ultra quam tutum est humana progrediatur infirmitas; quemadmodum
enim hoc faciant Angeli, vel potius quemadmodum Deus hoc faciat per Angelos
suos, nec oculorum acie penetrare, nec fiducia rationis enucleare, nec provectu
mentis comprehendere valeo; ut tam certus loquar ad omnia quae requiri de his
rebus possunt, quam si essem Angelus aut propheta aut apostolus. Unde et hac
moderatione adhibita, absque assertione et sententiae melioris praeiudicio,
procedendum est, quantum ratio et auctoritas poterit adiuvare.
Il faut dire qu’Augustin (La
Trinité, III, X, 21), après avoir traité attentivement cette question,
conclut à la fin: "Pour moi il est tout à fait utile de me souvenir de mes
forces, et d'avertir mes frères, qu’ils se souviennent des leurs, pour que la
faiblesse humaine ne progresse pas au delà de la prudence; car de quelque
manière que les anges le fassent, ou plutôt de quelque manière que Dieu le
fasse par les anges, je ne peux pas le discerner par l'acuité de ma vue, ni le
comprendre par la perspicacité de mon esprit, de sorte que je puisse parler
avec autant d'assurance de tout ce qu'on peut en rechercher que si j'étais un
ange, un prophète ou un apôtre." C’est pourquoi une fois cette modération
acquise, il faut avancer, sans assertion ni préjudice d’une expression
meilleure, autant que la raison et l’autorité peuvent nous aider.
Sciendum est ergo, quod circa hanc quaestionem inveniuntur
philosophi dissensisse:
Il faut donc savoir qu’à propos de cette question, on constate que les
philosophes ne sont pas d’accord:
Avicenna namque posuit, quod substantia spiritualis quae
caelos movet, non solum mediante caelesti motu effectus in inferioribus
corporibus causat, sed etiam praeter omnem corporis actionem, volens quod
materia corporalis multo magis obediat conceptioni et imperio praedicto
spiritualis substantiae quam contrariis agentibus in natura, vel cuicumque
corpori agenti. Et ex hac causa provenire dicit, quod quandoque inusitatae
permutationes fiunt aeris, et infirmitatum curationes, quae nos miracula
appellamus. Et ponit exemplum de anima quae corpus movet; ad cuius
imaginationem, absque omni alio corporali agente, transmutatur corpus et ad
calorem et ad frigus, et quandoque ad febrem vel lepram.
A. Car Avicenne a pensé que la substance spirituelle[11]
qui met en mouvement les cieux, cause des effets dans les corps inférieurs, non
seulement par l’intermédiaire du mouvement du ciel, mais aussi au-delà de toute
action du corps, il voulait que la matière corporelle obéisse beaucoup plus à
la conception et au pouvoir déjà signalé de la substance spirituelle qu’aux
agents contraires dans la nature ou à quelque agent corporel. Et il dit que par
cette cause quelquefois se produisent des changements inhabituels de l’air, et
des guérisons de maladies que nous, nous appelons miracles. Et il propose
l’exemple de l’âme qui meut le corps, par l'imagination de laquelle, sans aucun
autre agent corporel, le corps subit la chaleur et le froid et quelquefois
(attrape) la fièvre et la lèpre.
Haec autem positio satis convenit principiis ab eo
suppositis; ponit enim quod agentia naturalia solummodo disponunt materiam;
formae autem substantiales sunt a substantia spirituali, quam appellat datorem
formarum; unde materia ex naturali ordine obedit spirituali substantiae ad
recipiendum ab ea formam; et ideo non est mirum, si etiam praeter ordinem
corporalium agentium, aliquas formas solo imperio in materiam imprimat. Si enim
materia obedit substantiae separatae ad receptionem formae substantialis, non
erit inconveniens si obediat ad recipiendum etiam dispositiones ad formam; hoc
enim patet esse minoris virtutis.
Mais cette opinion[12] convient assez aux
principes qu'il suppose, car il pense que les agents naturels disposent
seulement la matière; mais les formes substantielles viennent d'une substance
spirituelle qu’il appelle le donneur de formes; c’est pourquoi la matière par
ordre naturel obéit à la substance spirituelle, pour en recevoir la forme; et
ce n’est pas étonnant non plus, si, en dehors de l’ordre des corps agents, il
imprime quelques formes dans la matière par son seul pouvoir. Car si la matière
obéit à la substance séparée, pour recevoir la forme substantielle, il ne sera
pas inconvenant qu'elle obéisse pour recevoir aussi les dispositions à la forme;
car il est clair que cela dépend d’une puissance moindre.
Sed secundum opinionem Aristotelis et sequentium eum, hoc
non potest stare; probat enim Aristoteles duplici ratione, quod formae non
imprimuntur in materiam ab aliqua substantia separata, sed reducuntur in actum
de potentia materiae per actionem formae in materia existentis.
Mais selon l’opinion d’Aristote et de ceux qui le suivent, cela n'est
pas possible, car il prouve, par deux raisons, que les formes ne sont pas
imprimées dans la matière par quelque substance séparée, mais sont amenées de
la puissance de la matière à l'acte par l’action de la forme qui est dans la
matière.
Quorum primam ponit in VII Metaph., quia secundum quod ibi
probatur, id quod fit proprie est compositum, non forma vel materia; compositum
enim est quod proprie habet esse. Omne autem agens agit sibi simile; unde
oportet quod id quod est faciens res naturales actu existere per generationem,
sit compositum, non forma sine materia, hoc est substantia separata.
1) La première raison, il la donne en Métaphysique (VII, 8, 1033 b 16, 1033 b 23 et 1034 a 5), parce que,
selon ce qui y est prouvé, ce qui est fait, c'est proprement le composé, non la
forme, ni la matière; car le composé est ce qui a l’être en propre. Mais tout
agent fait du semblable à lui; c’est pourquoi il faut que ce qui fait exister
les choses naturelles en acte par génération, soit un composé et non une forme
sans matière, (car) cela c’est la substance séparée.
Alia probatio ponitur in VIII Phys.: quia cum idem semper
natum sit idem facere; quod autem generatur vel corrumpitur vel alteratur, aut
augetur vel diminuitur, non semper eodem modo se habet,- oportet quod illud
quod est generans et movens secundum huiusmodi motus, non sit semper eodem modo
se habens, sed aliter et aliter. Hoc autem non potest esse substantia separata,
quia omnis talis substantia est immobilis: omne enim quod movetur, corpus est,
ut in VI Physic. probatur. Unde id quod est immediata causa reducens formam de
potentia in actum, per generationem et alterationem, est corpus aliter et
aliter se habens, secundum quod accedit et recedit per motum localem.
2) L’autre preuve se trouve en Physique,
VIII: parce que, comme le même est destiné à toujours faire le même, ce qui est
engendré, corrompu, changé, augmenté ou diminué ne se comporte pas toujours de
la même manière, — il faut que ce qui engendre ou meut, selon de tels
mouvements, ne se comporte pas toujours de la même manière, mais différemment.
Mais cela ne peut pas être une substance séparée, parce que toute substance de
ce genre est immobile; car tout ce qui est mû est un corps, comme on le prouve
en Physique, (VI, 10, de 240 b 8 à
241 a 25). C'est pourquoi, ce qui est la cause immédiate qui ramène la forme de
la puissance à l’acte, par génération et changement, est un corps qui se
comporte différemment, selon qu'il s’approche ou s’éloigne par mouvement local.
Et inde est quod substantia separata suo imperio in corpore
causat immediate motum localem, et eo mediante causat alios motus, quibus
mobile acquirit aliquam formam. Et hoc rationabiliter accidit: nam motus
localis est primus et perfectissimus motuum, utpote qui non variat rem quantum
ad rei intrinseca, sed solum quantum ad exteriorem locum; et ideo per primum
motum suum, scilicet localem, corporalis natura a spirituali movetur. Secundum
hoc ergo corporalis creatura obedit imperio spiritualis secundum naturalem
ordinem ad motum localem, non autem ad alicuius formae receptionem; quod quidem
intelligendum est de natura spirituali creata cuius virtus et essentia est
limitata secundum determinatum genus, non de substantia spirituali increata,
cuius virtus est infinita, non limitata ad aliquod genus secundum regulam
alicuius generis.
De là vient que la substance séparée, par son pouvoir, cause
immédiatement dans le corps un mouvement local, et par son intermédiaire, elle
cause d'autres mouvements, par lesquels le mobile acquiert une forme. Et cela
arrive conformément à la raison. Car le mouvement local est le premier et le
plus parfait des mouvements, à savoir qu'il ne change pas la chose de
l'intérieur, mais seulement sa situation locale extérieure. Et c’est pourquoi
par son premier mouvement, à savoir le mouvement local, la nature corporelle
est mue par la nature spirituelle. Ainsi donc, la créature corporelle obéit au
pouvoir de la créature spirituelle selon l’ordre naturel pour le mouvement
local, mais pas pour recevoir une forme, ce qu’il faut comprendre de la nature
spirituelle créée dont le pouvoir et l’essence sont limités à un genre
déterminé, (mais) non de la substance spirituelle incréée, dont le pouvoir est
infini, non limité à un genre selon la règle du genre.
Et huic opinioni quantum ad hoc consentit fides; unde
Augustinus dicit, quod Angelis non servit ad nutum materia corporalis. In hoc
tamen differt sententia fidei a positione philosophorum; philosophi enim
praedicti ponunt substantias separatas movere suo imperio caelestia corpora
motu locali; motum autem localem in istis inferioribus non causari immediate a
substantia separata, sed ab aliis moventibus naturaliter aut voluntarie aut
violenter.
La foi est en accord avec cette opinion; c’est pourquoi Augustin dit (La Trinité, III, ch. 8 et 9), que la
matière des corps n’est pas soumise à la volonté des anges. Cependant en cela
la règle de foi diffère de la position des philosophes; car ceux-ci pensent que
les substances séparées meuvent par leur pouvoir les corps célestes d’un
mouvement local; mais le mouvement local dans les êtres inférieurs n’est pas
causé immédiatement par une substance séparée, mais par d'autres moteurs, de
façon naturelle, volontaire ou violente.
Unde et Alexander, Commentator, omnes effectus qui attribuuntur
a nobis Angelis vel Daemonibus in istis inferioribus, attribuit impressioni
corporum caelestium; quod non videtur sufficienter esse dictum. Nam huiusmodi
effectus non fiunt aliquo determinato cursu, sicuti ea quae fiunt per actionem
naturalem superiorum vel inferiorum corporum. Et praeterea aliqui effectus
inveniuntur in quos nullo modo corpora caelestia possent, sicut quod virgae
converterentur statim in serpentes, et multa huiusmodi.
C. C’est pourquoi, Alexandre[13], le commentateur,
attribue tous les effets que nous attribuons aux anges ou aux démons dans les
choses inférieures à l’impression des corps célestes, ce qui ne semble pas
avoir été assez dit. Car les effets de ce genre ne se font pas par un cours
déterminé, comme ce qui se fait par l’action naturelle des corps supérieurs ou
inférieurs. Et en plus on trouve des effets en qui les corps célestes ne
peuvent rien, comme les bâtons transformés aussitôt en serpent, et beaucoup
d'autres choses de ce genre.
Fidei autem sententia est, quod non solum corpora caelestia
suo imperio moveant localiter, sed etiam alia corpora, Deo ordinante et
permittente. Movent ergo localiter suo imperio corpora in quibus est vis activa
naturalis ad aliquem effectum producendum, quae Augustinus, appellat naturae
semina; et sic operatio eorum non erit per modum miraculi, sed per modum artis.
In miraculis enim producuntur effectus absque actionibus naturalibus, a causa
supernaturali. Producere autem aliquem effectum quem vel natura producere non
potest, vel non ita convenienter, mediante actione principiorum naturalium,
artis est. Unde philosophus dicit in II Phys., quod ars imitatur naturam, et
quaedam perficit quae natura facere non potest, in quibusdam etiam naturam
iuvat; sicut medicus iuvat naturam ad sanandum, alterando et digerendo per
appositionem eorum quae ad hoc naturalem virtutem habent.
D. Mais la formule de la foi est que non seulement les corps célestes
mais encore les autres corps, meuvent localement par leur pouvoir, si Dieu
l’ordonne et le permet. Donc ils meuvent localement par leur pouvoir les corps
dans lesquels il y a un pouvoir actif naturel pour produire un effet; Augustin
(Sur la Genèse, IX, 18) appelle ce
pouvoir les semences de la nature[14]; et ainsi leur
opération ne se fera pas par un miracle, mais par l’art. Car, dans les
miracles, les effets sont produits sans actions naturelles, par une cause
surnaturelle. Mais produire un effet que ou bien la nature ne peut pas
produire, ou bien pas convenablement, par l’intermédiaire de l’action des
principes naturels, c’est de l’art. C’est pourquoi le philosophe dit (Physique, II, 2, 193 b 21 et II, 8, 198
b 15) que l’art imite la nature, et parvient à des effets que la nature ne peut
pas faire, mais où elle lui vient en aide; comme le médecin aide la nature à
guérir, en changeant, en éliminant, par opposition à ce qui a un pouvoir
naturel pour cela.
In effectibus autem huiusmodi producendis ars Angeli boni
vel mali efficacior est et meliores effectus facit quam ars humana; et hoc
propter duo: primo,
Pour produire des effets de ce genre, l’art de l’ange, bon ou mauvais,
est plus efficace et il produit de meilleurs effets que l’art des hommes, et
cela pour deux raisons:
quia cum effectus corporales in inferioribus maxime
dependeant a caelestibus corporibus tunc praecipue ars potest sortiri effectum,
quando virtus caelestis corporis ad hoc cooperatur. Unde in operibus
agriculturae et medicinae valet consideratio motus et situs solis et lunae et
aliarum stellarum, quarum virtutes, situs et motus multo certius cognoscunt
Angeli naturali cognitione quam homines. Unde horas eligere possunt melius, in
quibus virtus caelestis corporis ad effectus intentos magis cooperetur. Et haec
videtur esse ratio quare nigromantici in invocationibus Daemonum situs
stellarum observant.
1) La première, parce que, comme les effets corporels dans les êtres
inférieurs dépendent surtout des corps célestes, alors l’art peut surtout
obtenir un effet, quand le pouvoir du corps céleste y coopère. C’est pourquoi
dans les opérations de l’agriculture et de la médecine, la considération du
mouvement et de la situation du soleil, de la lune et des autres étoiles est
efficace; les anges en connaissent les pouvoirs, les lieux et les mouvements
avec plus de certitude que les hommes. C’est pourquoi ils peuvent mieux choisir
les heures, où le pouvoir du corps céleste participe davantage aux effets
recherchés. Et cela semble être la raison pour laquelle les nécromanciens dans
leurs invocations aux démons observent la situation des étoiles.
Secunda ratio est, quia virtutes activas et passivas in
corporibus inferioribus melius noverunt quam homines, et facilius et celerius
applicare possunt ad effectum, utpote qui imperio suo corpora localiter movent;
unde etiam medici mirabiliores effectus in sanando faciunt, quia plura de
virtutibus rerum naturalium sciunt.
2) Seconde raison, parce qu'ils connaissent mieux que les hommes, les
puissances actives et passives dans les corps inférieurs, et ils peuvent les appliquer
plus facilement et plus rapidement pour un effet, en tant qu’ils meuvent les
corps localement par leur pouvoir; c’est pourquoi, même les médecins provoquent
des effets plus admirables en soignant parce qu'ils connaissent mieux les
pouvoirs des choses naturelles.
Tertia ratio potest esse, quia cum instrumentum agat non
solum in virtute sua, sed in virtute moventis,- (inde etiam corpus caeleste
aliquem effectum habet ex virtute substantiae spiritualis moventis, sicut quod
est causa vitae, ut patet in animalibus ex putrefactione generatis, et calor
naturalis, in quantum est instrumentum animae vegetabilis, agit ad speciem
carnis),- non est inconveniens ponere quod ipsa corpora naturalia, in quantum
sunt mota a spirituali substantia, sortiantur maiorem effectum; quod videri
potest ex hoc quod Gen. VI, 4, dicitur: gigantes erant super terram in diebus
illis; postquam enim ingressi sunt filii Dei ad filias hominum, illaeque
genuerunt, isti sunt potentes a saeculo viri famosi; et Glossa quaedam ibidem
dicit, quod non est incredibile, a quibusdam Daemonibus, qui mulieribus sunt
incubi, huiusmodi homines, scilicet gigantes, esse procreatos.
3) Il peut exister une troisième raison, parce que, comme l’instrument
agit non seulement dans son pouvoir, mais dans celui du moteur, — (c'est de là
même que le corps céleste a un effet par le pouvoir de la substance spirituelle
motrice, comme ce qui est la cause de la vie, comme on le voit dans les animaux
engendrés de la putréfaction. La chaleur naturelle, dans la mesure où elle est
l’instrument de l’âme végétative, agit pour la forme de la chair), — il n’est
pas inconvenant de penser que les corps naturels eux-mêmes, dans la mesure où
ils sont mus par la substance spirituelle, obtiennent un effet plus grand; ce
qu'on peut voir de ce qui est dit en Gn. 6, 4: "Les géants étaient sur la
terre en ces jours-là; car après que les fils de Dieu sont entrés chez les
filles des hommes, elles engendrèrent, ce sont les héros, hommes fameux de
cette époque;" et une glose (ordinaire) dit qu’il n’est pas incroyable que
par certains démons, qui ont couché avec les femmes, aient été procréés de tels
hommes, à savoir les géants.
Sic ergo patet quod Angeli boni vel mali virtute naturali
miracula facere non possunt; sed quosdam mirabiles effectus, in quibus eorum
operatio est per modum artis.
Ainsi donc il est clair que les anges, bons ou mauvais, ne peuvent pas
faire de miracles par un pouvoir naturel, mais ils produisent des effets
étonnants dans lesquels leur opération vient de l’art.
Solutions:
q. 6 a. 3 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod licet naturalis potestas Angeli vel Daemonis sit
maior quam naturalis potestas corporis, non tamen est ad hoc quod immediate
formam in materia inducat, sed mediante corpore; unde hoc facit nobilius quam corpus,
quia primum movens principalius est in agendo quam secundum.
# 1. Bien que la puissance naturelle de l’ange ou du démon soit plus
grande que celle du corps, cependant elle n'est pas pour induire une forme dans
la matière immédiatement, mais par l'intermédiaire d’un corps; c’est pourquoi
elle le fait plus noblement que le corps, parce que le premier moteur est plus
important en agissant que le second.
q. 6 a. 3 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod formae rerum naturalium in mente angelica existentes
sunt magis actuales quam formae quae sunt in materia; et propter hoc sunt
immediatum principium perfectioris operationis, quae est intelligere;
operationis vero quae est actio materiam transmutans, non sunt immediatum
principium; sed mediante voluntate, et voluntas mediante virtute, et virtus
immediate movet motum localem; quo motu mediante, est causa aliorum motuum, et
est causa aliqua inductionis formae in materia.
# 2. Les formes des choses naturelles qui existent dans l'esprit de
l’ange sont plus en acte que celles qui sont dans la matière; et pour cela,
elles sont le principe immédiat d'une opération plus parfaite, qui est
l'intellection (intelligere): mais elles ne sont pas le principe immédiat de
l’opération qui transforme la matière; mais par l’intermédiaire de la volonté,
et la volonté par l’intermédiaire du pouvoir, et le pouvoir immédiatement
provoque le mouvement local; par ce mouvement, intermédiaire, il est la cause
des autres mouvements, et une cause d’induction de la forme dans la matière.
q. 6 a. 3 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod formae etiam quae sunt in intellectu humano, non sunt
activae rerum artificialium, nisi mediante voluntate et virtute motiva et
organis naturalibus et instrumentis artificialibus.
# 3. Les formes qui sont dans l’esprit humain, n'agissent sur ce qui
est artificiel, que par l’intermédiaire de la volonté, d'un pouvoir moteur, des
organes naturels et des instruments artificiels.
q. 6 a. 3 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod virtus cui potest aliquod organum adhiberi, quod sibi
respondeat quantum ad omnem operationem, debet habere organum coniunctum, sicut
virtus visiva oculum. Nullum autem corpus poterat hoc modo Angelo respondere,
quod eius virtutem adaequaret; et ideo non habuit Angelus corporeum organum
naturaliter coniunctum. Unde et philosophi qui posuerunt substantias separatas
non habere effectus in istis inferioribus nisi mediante caelo, posuerunt
aliquam substantiam spiritualem uniri caelo ut proprio instrumento, quam animam
caeli dicebant. Aliam vero non unitam dicebant intelligentiam, a qua movetur
anima caeli, sicut desiderans a desiderato.
# 4. Le pouvoir auquel un organe peut adhérer, qui lui correspond quant
à toute opération, doit avoir un organe joint, comme le pouvoir de la vue a
l’œil. Mais aucun corps ne pourrait de cette manière convenir à l’ange qui
égalerait son pouvoir; aussi il n’a pas eu d’organe corporel uni naturellement.
C’est pourquoi les philosophes qui ont pensé que les substances séparées
n’avaient d’effet dans les choses inférieures que par l’intermédiaire du ciel,
ont pensé qu’une substance spirituelle était unie au ciel comme à son
instrument propre, qu’ils appelaient l’âme du ciel. Mais ils ne parlaient pas
d'une autre intelligence non unie, par laquelle l’âme du ciel était mue, comme
celui qui désire par ce qui est désiré.
q. 6 a. 3 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod Angelus etsi caelum moveat, potest tamen habere actionem
in haec inferiora absque motu caeli movendo alia corpora, et absque omni
corpore intelligendo; licet forma in materia absque corporali agente imprimere
non possit.
# 5. Même si l’ange meut le ciel, il peut cependant avoir une action
dans les choses inférieures sans le mouvement du ciel, en mettant en mouvement
d'autres corps, et sans comprendre tout corps, bien que par la forme il ne puisse
induire dans la matière, sans agent corporel.
q. 6 a. 3 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod caelum cum sit agens corporeum, potest esse immediatum
alterans et movens ad formam; non est autem simile de Angelis.
# 6. Comme le ciel est un agent corporel, il peut changer sans
intermédiaire et amener à la forme; ce n’est pas pareil pour les anges.
q. 6 a. 3 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod anima, naturali ordine suo imperio, movet corpus
localiter, nam vis eius appetitiva est imperans motum, et corpus obedit ad nutum;
quod etiam est per virtutes motivas quae sunt organis affixae et fluunt ab
anima in corpus, quod est ab anima formatum. Aliae vero alterationes, ut
calefactionis, infrigidationis, et similium, sequuntur ab anima mediante motu
locali. Patet etiam quod ex ipsa imaginatione sequitur passio per quam aliquo
modo variatur motus cordis et spirituum; ex quibus vel retractis ad cor vel
diffusis in membra, sequitur aliqua alteratio in corpore; quae etiam potest
esse infirmitatis causa, praecipue si sit materia disposita.
# 7. L’âme dans l’ordre naturel, par son pouvoir, meut localement le
corps, car sa force appétitive commande le mouvement, et le corps obéit à son
ordre; ce qui se fait aussi par les pouvoirs moteurs qui sont liés aux organes,
et passent de l’âme dans le corps, qui est mis en forme par l’âme. Mais les
autres changements, comme le réchauffement, le refroidissement etc., découlent
de l’âme par l’intermédiaire du mouvement local. Il est clair aussi que par
l’imagination même découle la passion par laquelle d’une certaine manière le
mouvement du cœur et des esprits est modifié; de ceux-ci rétractés au cœur ou
diffusés dans les membres, découle un changement dans le corps qui aussi peut
être cause de maladie surtout si la matière y est disposée.
q. 6 a. 3 ad 8 Et per hoc patet solutio ad
octavum.
# 8. Et par là apparaît la solution 8.
q. 6 a. 3 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod virtus Angeli dicitur infinita inferius, in quantum non
est virtus in materia recepta, et per hoc non limitatur ab inferiori recipiente;
non tamen est infinita superius, ut supra dicitur, quia a Deo recipitur in
Angelo esse finitum; et ideo eius substantia determinatur ad aliquod genus, et
per consequens eius virtus determinatur ad aliquem modum agendi; quod de Deo
dici non potest.
# 9. On dit que le pouvoir de l’ange est d’un infini inférieur dans la
mesure où ce n’est pas un pouvoir reçu dans la matière et par cela il n’est pas
limité par un recepteur inférieur; son pouvoir n’est cependant pas d’un infini
supérieur, comme on l’a dit ci-dessus, parce qu'un être fini est reçu dans
l'ange et c’est pourquoi sa substance est limitée à un genre, et par
conséquent, son pouvoir est déterminé à un mode d’action, qu'on ne peut pas
dire de Dieu.
q. 6 a. 3 ad 10 Ad
decimum dicendum, quod licet Angelus faciat res mirabiles per modum artis, ut
supra dictum est, non tamen facit miracula.
# 10. Bien que l’ange fasse des œuvres admirables par son art, comme on
l’a dit ci-dessus, il ne fait cependant pas de miracles.
q. 6 a. 3 ad 11 Ad
undecimum dicendum, quod licet motus locales inferiorum corporum sint a
determinatis motoribus naturalibus, sicut et alii motus, tamen corporalis
creatura naturali ordine obedit spirituali ad motum localem, non ad alios
motus, ratione supradicta; et praecipue si virtus eius non est determinata ad
aliquod corpus sicut est virtus animae ad corpus sibi coniunctum.
# 11. Bien que les mouvements locaux des corps inférieurs viennent de
moteurs naturels limités, comme les autres mouvements aussi, cependant la
créature corporelle obéit par l'ordre naturel à la créature spirituelle pour le
mouvement local, non pour les autres mouvements, pour la raison donnée plus
haut; et surtout si son pouvoir n’est pas limité à un corps comme le pouvoir de
l’âme à un corps qui lui est uni.
q. 6 a. 3 ad 12 Ad
duodecimum dicendum, quod sicut substantia spiritualis creata non potest suo
imperio imprimere formam in materia, ita non potest suo imperio impedire quin
imprimatur ab agente naturali; et si hoc aliquando faciat, facit per
appositionem alicuius impedimenti naturalis, quamvis sensus humanos lateat; et
praecipue cum possit flammam ignis localiter movere, ut combustibili non tantum
appropinquet.
# 12. La substance spirituelle créée ne peut pas induire par son
pouvoir une forme dans la matière; de la même manière, elle ne peut pas par son
pouvoir l'empêcher qu’elle soit introduite par l’agent naturel, et si elle le
fait quelquefois, elle le fait en opposant un empêchement naturel, quoiqu'il
soit caché aux sens humains, et surtout puisqu’il peut mouvoir localement la
flamme du feu, pour qu’elle n'approche pas autant du combustible.
q. 6 a. 3 ad 13 Ad
decimumtertium dicendum, quod creatura spiritualis separata potest immutare
phantasiam naturali virtute, non per imperium inducendo formas in organo
phantasiae, sed per aliquam commotionem spirituum et humorum; patet enim quod
aliqua transmutatione in his facta, phantasmata apparent, ut in phreneticis et
dormientibus. Et ad hanc phantasiae immutationem etiam quaedam res naturales
dicuntur efficaciam habere, quibus nigromantici uti dicuntur ad visus
illudendos
# 13. La créature spirituelle séparée peut changer l’imagination par un
pouvoir naturel, non en induisant par pouvoir des formes dans l'organe de
l’imagination, mais par un ébranlement des esprits et des humeurs; car il est
clair que par la transformation qui y est opérée, il y a des apparitions comme
chez les malades mentaux et les dormeurs. Et pour ce changement de
l’imagination on dit que certaines choses naturelles ont une puissance efficace;
dont les nécromanciens, dit-on, se servent pour tromper la vue.
q. 6 a. 3 ad 14 Et per hoc patet responsio ad
decimumquartum.
# 14. Et par là la réponse à la quatorzième solution est claire.
q. 6 a. 3 ad 15 Ad
decimumquintum dicendum, quod sicut virtus Angeli est supra virtutem corporis
caelestis, ita et operatio, ut dictum est; non tamen ad hoc quod immediate
formam in materia solo imperio inducat.
# 15. De même que le pouvoir des anges est au-dessus de celui du corps
céleste, leur opération aussi comme on l’a dit, non cependant pour pouvoir
induire immédiatement une forme dans la matière par leur seul pouvoir.
59845] De potentia, q. 6 a. 3 ad 16 Ad decimumsextum
dicendum, quod finita virtus potest de potentia in actum aliquid adducere, non
tamen quaelibet finita, nec quolibet modo; quaelibet enim virtus finita habet
determinatum modum agendi
#16. Un pouvoir fini peut faire passer quelque chose de la puissance à
l’acte, mais pas cependant n'importe quel pouvoir fini, ni de n’importe quelle
manière, car un pouvoir fini a une manière limitée d’agir.
q. 6 a. 3 ad 17 Ad
decimumseptimum dicendum, quod etsi nihil impediat agens aliquod, non potest id
ad quod virtus sua non se extendit; sicut ignis non potest infrigidare, etiam
si nihil exterius impediat. Unde non sequitur, quod si Angeli non possunt
imperio suo formam in materia inducere, quod ab extrinseco impediantur, sed
quia ad hoc virtus eorum naturalis non se extendit.
#17. Même si rien ne fait obstacle à l'agent, il ne peut pas ce à quoi
son pouvoir ne s’étend pas; ainsi le feu ne peut pas refroidir, même si rien
d’extérieur ne l’empêche. Aussi il n’en découle pas qu'ainsi les anges ne
peuvent pas par leur pouvoir induire une forme dans la matière, parce qu’ils
sont empêchés de l’extérieur, mais parce que leur pouvoir naturel ne s’étend
pas jusqu’à là.
[1]
Parall.: Ia, qu. 110, a. 2, 3 et 4; qu. 65, a. 4; qu. 91, a. 2; qu. 94, a. 4;
CG. III, 102 et 103, De Mal. Qu. 16, a. 9, a. 1n ad 14, qu. 16, a. 1O, Qdl IX,
qu. 4, a. 5, Galat., c. 3, lect. 1; Compendium c. 136,
[2] Il s'agit de Léviathan. Cité à nouveau en
6, 10, sed contra 1, où il s'agit du diable.
[3] "Ita omnia corpora per spiritum vitae,
et spiritus vitae irrationalis, per spiritum vitae rationalem…" Ainsi tous
les corps le sont-ils (gouvernées) par un vivant. p. 288-289.
[4] Voir les textes en 6, 4, obj. 6.
[5] Opinion d'Avicenne, comme c'est signalé c.
§ 2.
[6] Thomas, VIII, lect. 21, n° 1142.
[7] Les raisons séminales?
[8] . "…les démons ne créent pas de
nouvelles natures, mais ils modifient tellement dans leurs apparence, celles
que le vrai Dieu a créé, qu'elles semblent être ce qu'elles ne sont pas." La cité de Dieu, XVIII, 18.
[9] Héb. 2, 5: "En effet ce n'est pas à
des anges qu'il (Dieu) a soumis le monde à venir dont nous parlons."
(B.J.)
[10] "Il ne faut pas croire pour autant
que les anges prévaricateurs font ce qu’ils veulent de la matière des choses
visibles." BA, p. 297
[11] Il s'agir d'une Intelligence. Cf. Ia, qu.
65, a. 4, c.
[12] Voir Ia, qu. 65, a. 4, c. Avicenne, Métaphysique IX, 5.
[13] Alexandre d'Aphrodise, philosophe
péripatéticien,. Commentateur d’Aristote, il a dirigé de Lycée de 198 à 211.
[14] Les raisons séminales.
q. 6 a. 4 tit. 1
Quarto quaeritur utrum boni Angeli et homines per aliquod donum gratiae
miracula facere possint. Et videtur quod sic.
Il semble que oui[1].
Objections:
q. 6 a. 4 arg. 1
Ordines enim Angelorum non sunt constituti nisi ad ea quae Angeli faciunt. Sed
ordo aliquis Angelorum institutus est ad miracula faciendum. Dicit enim
Gregorius in homilia quadam, quod virtutes sunt per quas signa et miracula
frequentius fiunt. Ergo Angeli per gratiam miracula facere possunt.
1. Car les hiérarchies des anges ne sont constituées que par les œuvres
qu'ils accomplissent. Mais une hiérarchie d'anges a été instituée pour faire
des miracles. En effet Grégoire [Le Grand] dit dans une homélie (Hom. 34, sur
l'Évangile) que les Vertus sont ce par quoi les signes et les miracles se font
le plus souvent. Donc les anges peuvent faire des miracles par grâce.
q. 6 a. 4 arg. 2
Praeterea, Act. VI, 8, dicitur: Stephanus plenus gratia et fortitudine,
faciebat prodigia et signa magna in populo. Non autem praemitteretur Dei
gratia, nisi actus sequens ex gratia procederet. Ergo per virtutem gratiae
etiam homines miracula facere possunt.
2. En Act. 6, 8, il est dit: "Étienne, plein de grâce et de force,
faisait des prodiges et de grands signes parmi le peuple". Mais la grâce
de Dieu ne serait envoyée préalablement que si l’acte suivant procédait d'une
grâce. Donc par le pouvoir de la grâce, les hommes aussi peuvent faire des
miracles.
q. 6 a. 4 arg. 3
Praeterea, donum gratiae non datur nisi ad id quod per habentem gratiam fieri
potest. Sed aliquibus datur donum gratiae gratis datae ad miracula facienda;
unde dicitur I ad Cor. XII, 9: alii datur gratia
sanitatum in uno spiritu, alii operatio virtutum. Ergo sancti per
gratiam miracula facere possunt.
3. Le don de la grâce n’est donné que pour ce qui peut être fait par
celui qui la possède. Mais à certains le don de la grâce est donné gratuitement
pour faire des miracles: ainsi il est dit en I Co. 12, 9-10[2]:
"A l'un est donnée la grâce de guérison dans l'unique Esprit, à l'autre
l’opération des miracles." Donc les saints peuvent faire des miracles par
grâce.
q. 6 a. 4 arg. 4 Sed
dicebatur, quod sancti dicuntur miracula facere non agendo, sed impetrando a
Deo ut fiant.- Sed contra,
impetratio orationis fit per ea quae reddunt orationem Deo acceptam. Hoc autem
fit per fidem, caritatem et alias virtutes pertinentes ad gratiam gratum
facientem. Non ergo oportet ad signa facienda dari sanctis aliquod donum
gratiae gratis datae.
4. Mais on pourrait dire que les saints font des miracles non pas en
agissant, mais en obtenant de Dieu de le faire. En sens contraire, que la
prière soit exaucée arrive par ce qui fait que la prière est acceptée par Dieu.
Cela se fait par la foi, la charité et les autres vertus qui conviennent à la
grâce qui rend agréable à Dieu. Il ne faut donc pas, pour faire des signes, que
soit donné aux saints un don de la grâce gratuitement donnée.
q. 6 a. 4 arg. 5
Praeterea, in II dialogorum, Gregorius dicit, quod qui devota mente Deo
adhaerent, cum rerum necessitas exposcit, exhibere signa modo utroque solent,
ut mira quaeque aliquando ex prece faciant, aliquando ex potestate. Quod autem
aliquis ex potestate facit, operando facit, non solum impetrando. Ergo Angeli
et sancti homines etiam agendo miracula faciunt.
5. Dans le livre II des Dialogues,
ch. 30, Grégoire [le Grand] dit que "Ceux qui s'attachent à Dieu avec un
esprit dévot, lorsque la nécessité le demande, ont coutume de causer les signes
de deux manières, de sorte qu'ils les accomplissent quelquefois par la prière,
quelquefois par leur pouvoir." Ce que quelqu’un fait par son pouvoir, il
le fait en opérant, [et] non seulement en l’obtenant. Donc les anges et les
saints aussi, en agissant font des miracles.
q. 6 a. 4 arg. 6
Praeterea, triplex est rerum cursus secundum Anselmum, naturalis, voluntarius
et mirabilis. Sed in cursu rerum naturali, Angeli tamquam medii inter Deum et
corpora naturalia aliquid agunt, ut dicit Augustinus: omnia corpora a Deo
reguntur per spiritum vitae rationalem; et Gregorius dicit: nihil in hoc mundo
visibili, nisi per creaturam invisibilem disponi potest. Similiter etiam cursum
rerum voluntarium, nam ipsi Angeli sunt medii inter nos et Deum, illuminationes
a Deo acceptas in nos deferentes. Ergo etiam in cursu rerum mirabilium Angeli
sunt medii, ita quod eis agentibus miracula fiant.
6. Le cours des événements est triple selon Anselme (Le livre du Péché originel ch. 11):
naturel, volontaire et merveilleux[3]. Mais dans le cours
naturel des choses, les anges en tant qu'intermédiaires entre Dieu et les corps
naturels "agissent, comme le dit Augustin (La Trinité, III, IV, 9[4]). Tous les corps
sont dirigés par Dieu, par un esprit de vie doué de raison", et Grégoire (Dialogues, IV, 5) dit: "Rien en ce
monde visible ne peut être établi que par la créature invisible." Il en
est de même pour le cours volontaire des choses, car les anges eux-mêmes sont
intermédiaires entre nous et Dieu, nous apportant les lumières reçues de Dieu.
Donc, même dans le cours étonnant des choses, les anges sont intermédiaires, de
sorte que les miracles sont faits avec eux en tant qu’agents.
q. 6 a. 4 arg. 7 Sed
dicendum, quod Angeli sunt medii non sicut agentes virtute propria, sed virtute
divina.- Sed contra, quicumque operatur in virtute alterius, aliquo modo agit
id quod fit per illam virtutem. Si ergo Angeli in
virtute divina operantur ad miracula facienda, ipsi aliquo modo agunt.
7. Mais il faut dire que les anges sont des intermédiaires, non pas
comme des agents, par leur propre pouvoir, mais par le pouvoir divin. En sens
contraire, quiconque opère dans le pouvoir d’un autre, accomplit en quelque
manière ce qui est fait par ce pouvoir. Donc si les anges opèrent dans le
pouvoir divin pour faire des miracles, ce sont eux qui agissent d'une certaine
manière.
q. 6
a. 4 arg. 8 Praeterea, lex vetus miraculose a Deo est tradita; unde habetur
Exod. XIX, quod coeperunt audiri tonitrua ac micare fulgura, et nubes
densissimas operire montem. Sed lex data est per Angelos, sicut habetur Galat. III. Ergo
per Angelos miracula fiunt.
8. La Loi ancienne a été transmise miraculeusement par Dieu, c’est
pourquoi il est dit en Ex. 19, qu’ils commencèrent à entendre le tonnerre et à
voir briller des éclairs, et des nuages épais couvrirent la montagne. Mais la
loi a été donnée par les anges, comme il est dit en Gal. 3, 19. Donc les
miracles sont faits par les anges.
q. 6 a. 4 arg. 9
Praeterea, Augustinus dicit: omnis res quae habetur et non datur, si in dando
deficit, nondum habetur quomodo habenda est. Sed potestas faciendi miracula est
in Deo; et si alteri daret in eo non deficeret. Ergo si non dedit aliis hanc
potestatem, videtur quod non habeat eam qualiter habenda est; et ita videtur
quod Angelis et hominibus Deus dederit potentiam miracula faciendi.
9. Augustin dit à la fin du livre I de La doctrine chrétienne: "Tout ce qu'on a et qui n'est pas
donné, s'il manque quand on le donne, n’est pas encore possédé comme il doit
l'être". Mais le pouvoir de faire des miracles est en Dieu; et s’il le
donnait à un autre, il ne lui manquerait pas. Donc s’il n'a pas donné ce
pouvoir à d’autres, il semble qu’il ne l'a pas comme il devrait l'avoir et
ainsi il semble que Dieu a donné la puissance de faire des miracles aux anges
et aux hommes.
En sens contraire:
q. 6 a. 4 s. c. Sed
contra, est quod dicitur in Psal. LXXI, 18: qui facit miracula magna solus.
1. Il y a ce qui est dit au Ps. 71, 18: "Lui seul fait de grands
miracles."
Praeterea, sicut dicit Bernardus, ille solus potest legem
immutare vel dispensare in lege, qui legem condidit; sicut patet in legibus
humanis, quod solus imperator potest legem immutare qui legem condidit. Sed
solus Deus legem naturalis cursus instituit. Ergo ipse solus potest miracula
facere, praeter cursum naturalem agendo.
2. En outre, comme le dit Bernard[5] (La dispense
et les préceptes), seul peut changer la loi ou en dispenser celui qui l’a
établie; comme on le voit dans les lois humaines: seul l’empereur peut changer
la loi qu'il a établie. Mais Dieu seul a institué la loi de la nature. Donc
seul il peut faire des miracles en agissant au-delà de son cours.
Réponse:
q. 6 a. 4 co.
Respondeo. Dicendum, quod Angeli supra naturalem potestatem quam habent agendi,
possunt aliquid per donum gratiae, in quantum sunt divinae virtutis ministri.
Et potest dici, quod ad miracula facienda Angeli tripliciter operantur.
Les anges, en plus de leur puissance naturelle d'action, peuvent
quelque chose par le don de la grâce, dans la mesure où ils sont les ministres
du pouvoir divin. Et on peut dire que pour faire des miracles ils agissent de
trois manières:
Uno modo precibus impetrando; qui modus et hominibus et
Angelis potest esse communis. Alius modus est secundum quod Angeli materiam
disponunt sua naturali virtute ad hoc quod miraculum fiat; sicut dicitur quod
in resurrectione colligent pulveres mortuorum, qui divina virtute reducentur ad
vitam. Sed hic modus proprius est Angelorum, nam humani spiritus, cum sint
corporibus uniti, in exteriora operari non possunt nisi corpore mediante, ad
quod sunt quodammodo naturaliter alligati.
1) En l'obtenant par des prières; ce mode peut être commun aux hommes
et aux anges.
2) Selon que les anges disposent la matière par leur pouvoir naturel
pour que le miracle s'accomplisse; ainsi on dit qu'à la résurrection, ils
rassembleront les cendres des morts, qui seront ramenés à la vie par le pouvoir
divin. Mais cette manière est propre aux anges car les esprits humains, étant
unis à des corps, ne peuvent agir à l’extérieur que par l’intermédiaire du corps,
auquel ils sont en quelque manière liés naturellement.
Tertius modus est quod operentur etiam aliquid coagendo;
quem quidem modum Augustinus sub dubio relinquit, sic dicens: sive enim Deus
ipse per se ipsum miro modo, sive per suos ministros etiam faciat, sive etiam
per martyrum spiritus, sive per homines adhuc in corpore constitutos, sive
omnia ista per Angelos, quibus invisibiliter imperat, operetur (ut quae per
martyres fieri dicuntur, eis orantibus tantum et impetrantibus, non etiam
operantibus fiant), sive aliis modis, qui nullo modo comprehendi a mortalibus
possunt; tamen attestantur haec miracula fidei, in qua carnis in aeternum
resurrectio praedicatur.
3) Ils opèreraient même en coopérant. A ce sujet, Augustin laisse un
doute dans le livre 22 de la Cité de Dieu,
disant: "Car, soit Dieu le fait par lui-même d’une manière étonnante, soit
par ses ministres, soit aussi par l’esprit des martyrs, soit par les hommes
encore établis dans leur corps, soit tout cela par des anges auxquels il
commande invisiblement, il opère (pour que ce qu'on dit fait par les martyrs,
soit fait seulement pour ceux qui prient et sont exaucés, mais non par ceux qui
opèrent), soit de quelques autres manières, tout à fait incompréhensibles par
les mortels; cependant ces miracles rendent témoignage de la foi qui annonce la
résurrection de la chair pour l'éternité."
Sed Gregorius, hanc quaestionem determinare videtur, dicens,
quod sancti homines etiam in carne viventes non solum orando et impetrando, sed
etiam potestative, ac per hoc, cooperando miracula faciunt; quod probat et
ratione et exemplis.
Mais Grégoire (Dialogues, II,
30) semble limiter ce problème en disant que les saints, même vivants en leur
corps, non seulement en priant et exaucés, mais aussi de plein droit et par cela
en coopérant, font des miracles, ce qu’il prouve par la raison et des exemples.
Primo ratione quidem: quia si hominibus data est potestas
filios Dei fieri, non est mirum, si ex potestate mira facere possunt.
a) D'abord par la raison: parce que, si le pouvoir de devenir enfants
de Dieu a été donné aux hommes, il n’est pas étonnant qu’ils puissent faire des
miracles par ce pouvoir.
Exemplis autem: quia Petrus Ananiam et Saphiram mentientes
morti increpando tradidit, nulla oratione praemissa, ut habetur Act. V, 1-11.
Beatus etiam Benedictus dum ad brachia cuiusdam ligati rustici oculos
deflexisset, tanta se celeritate coeperunt illigata brachiis lora dissolvere,
ut dissolvi tam concite nulla hominum festinatione potuissent. Unde concludit,
quod sancti quandoque faciunt miracula orando, quandoque ex potestate.
b) Par des exemples: parce que Pierre, en les réprimandant livra à la
mort Ananie et Saphire qui mentaient, sans avoir prié auparavant, comme on le
constate en Act. 5, 1-11. Le bienheureux Benoît aussi ayant détourné son regard
sur les bras d’une chef paysan, que les lanières qui y étaient attachées
commencèrent à se détacher si vite qu'aucun homme, même rapide, n'aurait pu le
faire. C’est pourquoi il conclut que les saints quelquefois font des miracles
par leurs prières, quelquefois par leur pouvoir.
Qualiter autem hoc esse possit, considerandum est. Constat autem quod
Deus solo imperio miracula operatur. Videmus autem quod imperium divinum ad
inferiores rationales spiritus, scilicet humanos, mediantibus superioribus,
scilicet Angelis, pervenit, ut in legis veteris latione apparet; et per hunc
modum per spiritus angelicos vel humanos, imperium divinum ad corporales
creaturas pervenire potest, ut per eas quodammodo naturae praesentetur divinum
praeceptum; et sic agant quodammodo spiritus humani vel angelici ut
instrumentum divinae virtutis ad miraculi perfectionem; non quasi aliqua
virtute habitualiter in eos manente, vel gratuita vel naturali, in actum
miraculi possunt quia sic quandocumque vellent, miracula facere possent: quod
tamen Gregorius non esse verum testatur; et probat per exemplum Pauli, qui
stimulum a se removeri petiit, nec impetravit; et per exemplum Benedicti, qui
detentus fuit contra suam voluntatem per pluviam, sororis precibus, impetratam;
sed virtus ad cooperandum Deo in miraculis in sanctis intelligi potest ad modum
formarum imperfectarum, quae intentiones vocantur, quae non permanent nisi per
praesentiam agentis principalis, sicut lumen in aere et motus in instrumento.
Il faut considérer comment cela est possible. Il est clair que Dieu par
son seul pouvoir opère des miracles. Mais nous voyons que le pouvoir divin
parvient à des esprits rationnels inférieurs, c'est-à-dire des hommes, par
l’intermédiaire des esprits supérieurs, c'est-à-dire des anges, comme cela
apparaît dans la transmission de la Loi ancienne[6], et
par ce moyen, le pouvoir divin peut parvenir par les esprits angéliques ou
humains à des créatures corporelles, de sorte que, par elles, d’une certaine
manière, le commandement divin soit rendu présent à la nature; et ainsi d’une
certaine manière les esprits humains ou angéliques agissent comme des
instruments du pouvoir divin pour accomplir des miracles; ils peuvent parfaire
un miracle, non comme par quelque pouvoir qui demeure habituellement en eux, ou
gratuit ou naturel, parce qu’ainsi, chaque fois qu’ils le voudraient, ils
pourraient faire des miracles; ce que cependant Grégoire (Dialogue II, Homélies
sur Ézéchiel, I) assure ne pas être vrai; et il le prouve par l’exemple de
Paul, qui demanda que l’aiguillon s’éloigne de lui et il ne l’obtint pas. et
par celui de Benoît qui fut retenu contre sa volonté par la pluie, obtenue par
les prières de sa sœur, mais le pouvoir pour coopérer à Dieu dans les miracles
peut être compris chez les saints à la manière des formes imparfaites qui sont
appelées intentions, qui ne demeurent que par la présence de l’agent principal
comme la lumière dans l’air et le mouvement dans l’instrument.
Et talis virtus potest intelligi donum gratiae gratis datae,
quae est gratia virtutum vel curationum; ut sic haec gratia quae datur ad
operandum supernaturaliter, sit similis gratiae prophetiae, quae datur ad
supernaturaliter cognoscendum, per quam propheta non potest quandocumque vult
prophetare, sed solum cum spiritus prophetiae cor eius tangit, ut Gregorius
probat. Nec est mirum, si per hunc modum spirituali creatura Deus
instrumentaliter utitur ad faciendum mirabiles effectus in natura corporali,
cum etiam corporali creatura utatur instrumentaliter ad spirituum
iustificationem, ut in sacramentis patet.
Et un tel pouvoir peut être compris comme le don d’une grâce donnée
gratuitement, qui est la grâce des pouvoirs et des guérisons, pour qu’ainsi
cette grâce qui est donnée pour opérer surnaturellement, soit semblable à la
grâce de prophétie, qui est donnée pour connaître surnaturellement, par
laquelle le prophète ne peut pas chaque fois qu’il le veut prophétiser, mais
seulement quand l’esprit prophétique touche son cœur, comme le prouve Grégoire
(Homélie I sur Ezéchiel). Et ce n’est pas étonnant, si, par ce moyen, Dieu se
sert de la créature spirituelle comme d'un instrument pour produire des effets
admirables, dans la nature corporelle, puisqu’il se sert de la créature
corporelle comme instrument pour la justification des esprits comme cela paraît
dans les sacrements.
Solutions:
q. 6 a. 4 ad arg. Et per hoc patet responsio ad
obiecta.
# Et ainsi s’éclaire la réponse aux objections. Car il est vrai que
Dieu seul fait des miracles par son autorité, il est vrai aussi qu’il
communique à la créature le pouvoir d'en faire, selon sa capacité, et l’ordre
de la sagesse divine, de sorte que, par la grâce, la créature opère des
miracles par son ministère.
[1] Parall.: Ia,
qu. 110, a. 4 et ad 1 —IIIa, qu. 13, a. 2, ad 3 — qu. 78, a. 4, ad 2 — CG. III,
103 —
[2] "…à tel autre le don de guérison dans
l'Unique Esprit, à un autre la puissance d'opérer des miracles." B.J.
[3] Déjà dit en 6, 1, sens contraire.
[4] Voir Pot. 6, 3, obj. 3, pour les deux
textes.
[5] Bernard de Claivaux, 1090 - 1153.
[6] Allusion à la Loi au Sinaï Ga. (3, 19)
q. 6 a. 5 tit. 1 Quinto quaeritur utrum etiam Daemones operentur ad miracula
facienda. Et videtur quod sic.
Il semble que oui[1].
Objections:
q. 6 a. 5 arg. 1
Dicitur enim Matth. cap. XXIV, 24: surgent pseudochristi et pseudoprophetae, et
dabunt signa magna et prodigia. Sed haec non operabuntur nisi per virtutem
Daemonum. Ergo Daemones operantur ad miracula facienda.
1. Car il est dit en Mt. 24, 24: "De faux christs et de faux
prophètes se lèveront, et ils feront de grands signes et des prodiges."
Mais ils n’opéreront que par le pouvoir des démons. Donc les démons travaillent
à faire des miracles.
q. 6 a. 5 arg. 2
Praeterea, subito sanare infirmum, miraculum est, sicut miraculum fuisse
dicitur quod Christus socrum Petri sanavit, ut habetur Luc. IV, 38-40. Hoc
autem etiam Daemones possunt facere: nam medicinae adhibitae infirmo sanitatem
accelerant; possunt autem Daemones agilitate suae naturae medicinas efficaces
ad sanandum, quas bene cognoscunt, adhibere ad sanandum, et sic, ut videtur,
possunt subito sanare. Ergo possunt subito miracula facere.
2. Guérir tout d’un coup un malade c’est un miracle; on dit que c'est
ainsi que fut le miracle par lequel le Christ guérit la belle-mère de Pierre,
comme on le lit en Lc 4, 38-40. Mais cela aussi les démons peuvent le faire,
car les remèdes employés pour un malade accélèrent sa guérison; ils peuvent
aussi par l’agilité de leur nature employer des remèdes efficaces pour guérir
qu’ils connaissent bien, et ainsi, à ce qu'il semble, ils peuvent guérir tout à
coup. Donc ils peuvent faire tout à coup des miracles.
q. 6 a. 5 arg. 3
Praeterea, facere mutos loqui est miraculum. Maius autem miraculum videtur esse
quod canis loquatur vel cantet; quod Simon magus faciebat, ut legitur, virtute
Daemonis. Ergo potest facere miraculum.
3. Faire parler les muets est un miracle. Mais qu’un chien parle ou
chante semble un plus grand miracle, ce que Simon le magicien[2]
faisait, comme on le lit, par le pouvoir du démon. Donc il peut faire un
miracle.
q. 6 a. 5 arg. 4
Praeterea, Valerius maximus narrat quod fortunae simulacrum, quod Romae erat
via Latina, non semel sed bis ita locutum est his verbis: rite me matronae
vidistis, riteque dedicastis. Quod autem lapides loquantur, maius est miraculum
quam quod muti loquantur; quod tamen est miraculosum. Ergo videtur quod
Daemones miracula facere possunt.
4. Valère-Maxime[3] raconte (Les livres des Faits
et Dits mémorables, livre XI, ch. 8) que la statue de la Fortune, qui était à
Rome sur la Via Latina, non pas une mais deux fois, a parlé en ces termes: "Selon
le rite, vous m’avez vue matrones, selon le rite, vous m’avez consacrée."
Que les pierres parlent est un miracle plus grand que faire parler les muets,
ce qui cependant est miraculeux. Donc il semble que les démons peuvent faire
des miracles.
q. 6 a. 5 arg. 5 Praeterea,
legitur in historiis, quod quaedam virgo Vestalis in signum pudicitiae
conservatae, aquam in vase perforato de Tiberi portavit, nec tamen aqua effusa
est: quod fieri non potuit nisi per hoc quod retinebatur aqua ne flueret,
aliqua non naturali virtute; quod patet esse miraculum in Iordanis divisione et
eius statione. Ergo Daemones possunt facere miracula.
5. On lit dans les histoires, (rapportées par Augustin dans La cité de Dieu, X, 26) qu’une vestale
vierge pour montrer qu'elle avait conservé sa pudeur, porta de l’eau du Tibre
dans un vase percé, et cependant l’eau ne s'écoula pas; ce qui n’a pu se faire
que parce que l’eau étaient empêchée de couler par un pouvoir qui n’était pas
naturel; ce qui est clairement un miracle dans la division des eaux du Jourdain
et son arrêt. Donc il semble que les démons peuvent faire des miracles.
q. 6 a. 5 arg. 6
Praeterea, multo difficilius est hominem transformari in aliquod animal brutum
quam aquam transformari in vinum. Sed aquam transformari in vinum, est miraculum,
ut patet Ioan. II, 9. Ergo multo fortius hominem transformari in aliquod animal
brutum. Sed Daemonis virtute homines transformantur in bruta, sicut Varro
narrat, socios Diomedis a Troia revertentes in aves fuisse conversos, quae
longo tempore post circa templum Diomedis volabant; narrat etiam quod Cyrces
famosissima maga socios Ulyssis mutavit in bestias, et quod Arcades, quodam
stagno transito, convertebantur in lupos. Ergo Daemones possunt miracula
facere.
6. Il est beaucoup plus difficile de transformer un homme en animal que
de transformer de l’eau en vin. Mais transformer l’eau en vin est un miracle,
comme on le voit en Jn 2, 9. Donc c'est beaucoup plus fort de transformer un
homme en animal. Mais par le pouvoir du démon des hommes ont été transformés en
animaux, comme Varron[4] le raconte (Augustin le rapporte
dans La cité de Dieu, XVIII, ch. 16,
17, 18), les compagnons de Diomède revenant de Troie, ont été transformés en
oiseaux, qui volaient longtemps après autour du temple de Diomède; il raconte
aussi que Circé, la fameuse magicienne, a transformé les compagnons d’Ulysse en
animaux, que les Arcadiens, ayant traversé un étang, se transformèrent en
loups. Donc les démons peuvent faire des miracles.
q. 6 a. 5 arg. 7
Praeterea, adversitates Iob, Daemone agente, procuratae sunt: quod patet ex hoc
quod dominus dedit ei potestatem in omnia quae erant Iob. Sed huiusmodi
adversitates non sine miraculo contigerunt, ut patet in igne de caelo
descendente, et de vento domum ad interitionem filiorum eius evertente. Ergo
Daemones miracula facere possunt.
7. Les adversités ont été procurées à Job par l’action du démon; ce qui
apparaît du fait que le Seigneur lui donna pouvoir sur tous ses biens (Jb 2,
6). Mais les adversités de ce genre n’arrivèrent pas sans miracles, comme c'est
évident pour le feu descendu du ciel, et le vent qui renversa la maison pour
faire mourir ses fils (I, 19). Donc les démons peuvent faire des miracles.
q. 6 a. 5 arg. 8
Praeterea, quod Moyses virgam in serpentes mutavit, miraculum fuit. Sed hoc
similiter fecerunt magi Pharaonis, virtute Daemonum, ut habetur Exod. VII,
8-13. Ergo videtur quod Daemones miracula facere possunt.
8. Le fait que Moïse transforma son bâton en serpent fut un miracle.
Mais les magiciens du Pharaon firent de même, par le pouvoir des démons, comme
on le lit en Ex. 7, 8-13. Donc il semble que les démons peuvent faire des
miracles.
q. 6
a. 5 arg. 9 Praeterea, operatio miraculorum magis est remota a virtute humana
quam a virtute angelica. Sed per malos homines interdum miracula fiunt; unde ex
persona reproborum dicitur Matth. cap. VII, 22: in
nomine tuo prophetavimus, (...) et virtutes multas fecimus. Ergo et per
Daemones vera miracula fieri possunt.
9. Opérer des miracles est plus éloigné du pouvoir de l'homme que de
celui de l’ange. Mais quelquefois des miracles arrivent par des méchants; c’est
pourquoi, il est dit de la personne des réprouvés (Mt. 7, 22):"En ton nom,
nous avons prophétisé… et nous avons fait de nombreuses miracles." Donc
les démons peuvent faire de vrais miracles.
En sens contraire:
q. 6 a. 5 s. c. Sed contra, tempore Antichristi
Daemon maximam virtutem habebit ad operandum, quia, ut dicitur Apoc. XX, 3,
oportebit eum solvi modico tempore, quod intelligitur tempus Antichristi. Sed
tunc non operabitur vera miracula: quod patet per hoc quod dicitur II ad Thess.
II, 9, quod adventus Antichristi erit in omni virtute et signis et
prodigiis mendacibus. Ergo Daemones vera miracula facere non possunt.
Au temps de l’Antéchrist, le démon aura un très grand pouvoir pour
agir, parce que, comme le dit l'Apoc. (20, 3), il faudra qu’il soit libéré un
peu de temps, ce qui est interprété comme le temps de l’Antéchrist. Mais alors
il n’opérera pas de vrais miracles, ce qui est montré par ce qui est dit Thess.
II, 2, 9, que la venue de l'antéchrist sera "dans tout pouvoir, signes et
prodiges mensongers." Donc les démons ne peuvent faire de vrais miracles.
Réponse:
q. 6 a. 5 co.
Respondeo. Dicendum quod, sicut Angeli boni per gratiam aliquid possunt ultra
naturalem virtutem, ita Angeli mali minus possunt, ex divina providentia eos
reprimente, quam possint secundum naturalem virtutem: quia, ut Augustinus
dicit, quaedam quae Angeli mali possent facere si permitterentur, ideo facere
non possunt quia non permittuntur (unde secundum hoc ligari dicuntur, quod
impediuntur ab illis agendis ad quae eorum naturalis virtus se extendere
posset; solvi autem, cum permittuntur agere divino iudicio quae secundum
naturam possunt). Quaedam vero non possunt etiam si permittantur, ut ibidem
dicitur, quia naturae modus eis a Deo praestitus hoc non permittit.
De même que les bons anges peuvent faire par grâce quelque chose
au-delà de leur pouvoir naturel, de même les mauvais anges peuvent à cause de
la providence divine qui les arrête, moins qu’ils ne le peuvent par leur
pouvoir naturel, parce que, comme le dit Augustin (La Trinité, III, 9) ils ne peuvent pas faire certaines choses
qu'ils pourraient faire, si cela leur était permis, parce cela ne leur est pas
permis (aussi on dit qu’ils sont liés, parce qu’ils sont empêchés de faire ce
jusqu'où peut s’étendre leur pouvoir naturel; mais ils en sont délivrés quand
il leur est permis par le jugement divin de faire ce qui est possible à leur
nature). Mais certains ne le peuvent pas même s'ils en ont la permission, comme
on le dit au même endroit, parce que le pouvoir de leur nature, fourni par
Dieu, ne le permet pas.
Ad huiusmodi autem quae sunt supra facultatem naturae
ipsorum, eis a Deo nulla datur potestas, quia,- cum operatio miraculosa sit
quoddam divinum testimonium indicativum divinae virtutis et veritatis,- si
Daemonibus, quod quorum est tota voluntas ad malum, aliqua potestas daretur
faciendi miracula, Deus falsitatis eorum testis existeret; quod divinam
bonitatem non decet. Unde ea tantum interdum opera faciunt quae miracula
hominibus videntur, quando permittuntur a Deo, ad quae eorum naturalis virtus
se potest extendere.
Pour ce qui est au-dessus de la faculté de leur nature, Dieu ne leur a
donné aucune puissance, parce que — comme le miracle est un témoignage divin,
qui montre le pouvoir et la vérité divines — si aux démons, dont toute la
volonté est tournée vers la mal, une puissance était donnée pour faire des
miracles, Dieu se montrerait garant de leur mensonge, ce qui ne convient pas à
sa bonté. C'est pourquoi ces œuvres qu'ils font parfois, qui paraissent des
miracles aux hommes, quand ils sont autorisés par Dieu, sont celles auxquelles
leur pouvoir naturel peut parvenir.
Sicut etiam ex supra dictis, patet, naturali virtute hos
solos effectus producere possunt per modum artis ad quos inveniuntur virtutes
aliquae naturales in corporibus, quae eis ad motum localem obediunt, ut sic ea
possint ad aliquem effectum celeriter applicare. Huiusmodi autem virtutibus
verae transmutationes corporum fieri possunt, sicut secundum naturalem cursum
rerum videmus unum ex alio generari. Possunt nihilominus, aliqua mutatione
corporali facta, quaedam quae non sunt in rerum natura, in imaginatione facere
apparere per commotionem organi phantasiae, secundum diversitatem spirituum et
humorum: ad quod etiam aliqua corpora exteriora efficaciam habent, ut eis
aliquo modo adhibitis, videatur esse aliquid alterius formae quam sit, sicut
patet in phreneticis et mente captis.
Comme aussi il est clair, d'après ce qu'on a dit ci-dessus (art.
précédent), qu'ils peuvent produire, par le pouvoir naturel, ces seuls effets
par mode d'art pour lesquels se trouvent des pouvoir naturels dans les corps,
qui leur obéissent pour le mouvement local, de sorte qu'ils peuvent ainsi les
appliquer rapidement à un effet. Mais par les pouvoirs de ce genre, de vrais
changements peuvent être opérés; ainsi selon le cours naturel des choses, nous
voyons l'un engendré par l'autre. Néanmoins ils peuvent, en effectuant un changement
naturel, faire apparaître dans l'imagination certaines choses qui ne sont pas
dans la nature, en agissant sur l'imaginaire, selon la diversité des esprits et
des humeurs. A quoi aussi quelques corps extérieurs apportent leur efficacité,
de sorte que ceux-ci ayant été employé de quelque manière, il semble
qu'il y a quelque chose d'une forme autre que ce qu'elle est, comme c'est
évident chez les agités et les malades mentaux
Possunt ergo Daemones mirabiliter in nobis operari
dupliciter: uno modo per veram corporis transmutationem; alio modo per quamdam
illusionem sensuum ex aliqua immutatione imaginationis. Neutra tamen operatio
est miraculosa, sed est per modum artis, ut supra diximus; et ideo simpliciter
dicitur, quod per Daemones vera miracula fieri non possunt.
Les démons peuvent donc opérer étonnamment en nous de deux manières: 1)
par un vrai changement du corps; 2) par une illusion des sens qui vient du
changement de l'imagination. Cependant ni l'une ni l'autre des opérations est
miraculeuse, mais elles viennent de l'art, comme on l'a dit ci-dessus (art. 4),
et c'est pourquoi on dit absolument que les démons ne peuvent pas faire de
vrais miracles.
Solutions:
q. 6 a. 5 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod signa et prodigia dicuntur aliqua quae virtute naturali
fieri possunt, hominibus tamen mira; vel etiam per sensum illusionem, ut dictum
est.
# 1. On appelle signes et prodiges certaines choses qui peuvent être
faites par un pouvoir naturel, cependant étonnantes pour les hommes, ou aussi
par l'illusion des sens, comme on l'a dit.
q. 6 a. 5 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod nihil prohibet, Daemonum arte, velocius aliquem posse
sanari quam per naturam si sibi relinquatur, quia hoc etiam videmus per artem
hominis fieri; non tamen videtur quod possint subito sanare (licet aliquos
alios effectus possint facere quasi subito), quia medicinae corpori humano
exhibitae operantur ad sanitatem quasi instrumenta; natura autem est sicut
agens principale; unde debent talia adhiberi quae possint a natura moveri; et
si plura adhiberentur, non conferrent ad sanitatem, sed magis impedirent. Unde
etiam illae infirmitates ad quarum sanitatem naturae virtus nullo modo potest,
operatione Daemonum sanari non possunt. Secus autem est de illis effectibus qui
dependent ab exteriori agente, sicut a causa principali. Sciendum autem est,
quod etiam si subito sanitatem Daemones perficerent, non esset miraculum, ex
quo id agerent mediante naturali virtute, si id agerent.
# 2. Rien n'empêche que par l'art des démons, quelqu'un puisse être
guéri plus vite que par la nature, si elle est laissée à elle-même, parce que
nous le voyons faire par l'art de l'homme; il ne semble pas cependant qu'ils
puissent guérir tout à coup (bien qu'ils puissent faire quelques autres effets
comme soudainement) parce que les remèdes apportés au corps opèrent pour la
santé comme des instruments; mais la nature est à vrai dire l'agent principal;
c'est pourquoi de telles choses doivent être employées à ce qui peut être mû
par la nature, et si plusieurs étaient employées, elles n'apporteraient pas la
santé, mais elles l'empêcheraient plutôt. C'est pourquoi même ces maladies pour
la guérison desquelles le pouvoir de la nature ne peut rien, ne peuvent pas
être soignées par l'action des démons. Mais il en est autrement de ces effets
qui dépendent d'un agent extérieur, comme d'une cause principale. Mais il faut
savoir que même si les démons achevaient soudain la guérison, ce ne serait pas
un miracle, parce qu'ils agiraient par l'intermédiaire d'un pouvoir naturel,
s'ils le faisaient.
q. 6 a. 5 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod locutio canum, et alia huiusmodi quae Simon magus
faciebat, potuerunt fieri per illusionem, et non per effectus veritatem. Si
tamen per effectus veritatem hoc fieret, nullum sequitur inconveniens, quia non
dabat cani Daemon virtutem loquendi, sicut datur mutis per miraculum, sed
ipsemet per aliquem motum localem sonum formabat, litteratae et articulatae
vocis similitudinem et modum habentem; per hunc enim modum etiam asina Balaam
intelligitur fuisse locuta Angelo tamen bono operante.
# 3. Faire parler des chiens, et autres choses de ce genre que Simon le
magicien faisait, a pu être fait par illusion, et non par un effet réel. Si
cependant il l'avait fait par un effet réel, il n'en découle aucun
inconvénient, parce que le démon ne donnait pas à un chien le pouvoir de
parler, comme il est donné aux muets par miracle, mais lui-même formait le son
par mouvement local, ayant la ressemblance et le mode d'une voix qui parle et
articule. Car par ce moyen, on comprend que l'âne de Balaam[5]
aussi a parlé par l'action d'un bon ange.
q. 6 a. 5 ad 4 Et
similiter dicendum ad quartum de locutione simulacri; hoc enim factum fuit
Daemone, per motum aeris, sonum formante, similem humanae locutioni.
# 4. Il faut dire de même pour l'objection 4, à propos de la parole de
la statue, car cela a été fait par le démon, par mouvement de l'air, en formant
un son semblable à la parole humaine.
q. 6 a. 5 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod non est remotum quin sit in commendationem castitatis,
quod Deus verus per suos Angelos bonos huiusmodi miraculum per retentionem
aquae fecisset, quia si qua bona in gentilibus fuerunt, a Deo fuerunt. Si autem
per Daemones factum est, nec hoc repugnat praedictis. Nam quiescere et moveri localiter,
ab eodem principio secundum genus sunt, quia per quam naturam aliquid movetur
ad locum, quiescit in loco. Unde sicut Daemones possunt movere corpora
localiter, ita possunt et a motu retinere. Nec tamen est miraculum, sicut
quando fit divinitus, quia hoc secundum naturalem virtutem Daemonis contingit
ad huiusmodi effectum determinatum.
# 5. Il n'est pas exclus que ce soit pour recommander la chasteté que
le vrai Dieu ait fait par ses bons anges un miracle de ce genre, en retenant
l'eau, parce que, s'il y eut quelques biens chez les païens, ils vinrent de
Dieu. Mais si cela a été fait par les démons, cela ne s'oppose pas à ce qui a
été dit. Car arrêter ou être mû localement, dépend d'un même principe en genre,
parce que ce qui est mû vers un lieu par cette nature s'arrête en lui. C'est
pourquoi, de même que les démons peuvent mouvoir les corps localement, de même
ils peuvent les retenir par mouvement. Et cependant ce n'est pas un miracle,
comme quand il a été fait divinement, parce que cela selon le pouvoir naturel
du démon arrive à un tel effet déterminé.
q. 6 a. 5 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod illae transformationes, de quibus Varro loquitur, non
fuerunt secundum veritatem, sed secundum apparentiam, per operationem Daemonis,
phantastico hominis secundum aliquam corporalem speciem immutato, sicut dicit
Augustinus.
# 6. Les transformations dont parle Varron, ne furent pas réelles, mais
en apparence, par l'opération du démon; l'imagination de l'homme ayant été
changée par une image corporelle, comme le dit Augustin (La cité de Dieu, XVIII, 18).
q. 6 a. 5 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod per aliquem motum aeris, Daemones, Deo permittente,
possunt aliquas tentationes concitare, cum etiam per ventorum motum naturaliter
fieri videamus; et per hunc modum fuerunt adversitates Iob, operantibus
Daemonibus, procuratae.
# 7. Par un mouvement de l'air, les démons, avec la permission de Dieu,
peuvent susciter certaines épreuves, quand nous voyons aussi que c'est fait
naturellement par le mouvement du vent, et de cette manière, les démons par
leur action ont provoqué les malheurs de Job.
q. 6 a. 5 ad 8 Ad
octavum dicendum, quod de operatione magorum Pharaonis duplex opinio in Glossa
tangitur: una est quod non fuerit vera conversio virgarum in serpentes, sed hoc
fuerit secundum apparentiam tantum per aliquam praestigiosam illusionem.
Augustinus autem in Glossa, ibidem posita, dicit quod fuit conversio vera
virgarum in serpentes; quod ex hoc verisimiliter probat, quia Scriptura eodem
vocabulo nominat et virgas magorum et virgam Moysi; quam constat vere in
serpentem esse conversam. Quod autem operatione Daemonum virgae in serpentes
sint conversae, miraculum non fuit; hoc enim fecerunt Daemones per aliqua
semina collecta, quae habebant vim putrefaciendi virgas, et in serpentes
convertendi. Sed quod Moyses fecit, miraculum fuit, quia, divina virtute,
absque omnis naturalis virtutis operatione, hoc effectum est.
# 8. Au sujet des opérations des magiciens du Pharaon, on rapporte une
double opinion dans la Glose (ordinaire):1) Il n'y a pas eu un vrai changement
des bâtons en serpents mais cela fut fait en apparence seulement par un
illusion de prestidigitation. Mais Augustin dans la glose, placée là même, dit
que ce fut un vrai changement des bâtons en serpents. Ce qu'il prouve de façon
vraisemblable par le fait que l'Écriture nomme avec le même mot les bâtons des
magiciens et celui de Moïse; ce qui montre, qu'il a été vraiment changé en
serpent. Mais que par l'opération des démons, les bâtons aient été changés en
serpents ne fut pas un miracle, car les démons le firent avec des semences
ramassées, qui avaient le pouvoir de faire pourrir les bâtons, et de les
changer en serpents. Mais que Moïse le fit, c'est un miracle, parce que cela a
été fait par le pouvoir divin, sans l'intervention de tout pouvoir naturel.
q. 6
a. 5 arg. 9 Praeterea, operatio miraculorum magis est remota a virtute humana
quam a virtute angelica. Sed per malos homines interdum miracula fiunt; unde ex
persona reproborum dicitur Matth. cap. VII, 22: in
nomine tuo prophetavimus, (...) et virtutes multas fecimus. Ergo et per
Daemones vera miracula fieri possunt.
# 9. Opérer des miracles est plus éloigné du pouvoir de l'homme que de
celui de l’ange. Mais quelquefois des miracles arrivent par des méchants; c’est
pourquoi, il est dit de la personne des réprouvés (Mt. 7, 22):"En ton nom,
nous avons prophétisé… et nous avons fait de nombreuses miracles." Donc
les démons peuvent faire de vrais miracles.
q. 6 a. 5 ad s. c.
Ad ultimum, quod in contrarium obiicitur, dicendum, quod tempore Antichristi
Diaboli potestas solvenda dicitur, in quantum ei multa facere permittentur,
quae modo non permittuntur; unde et operabitur multa ad eorum seductionem qui
hoc meruerunt non acquiescendo veritati. Operabitur autem quaedam praestigiose,
in quibus nec erit verus effectus nec miracula. Operabitur etiam quaedam per
veram corporum immutationem, in quibus si erunt veri effectus, non tamen vera
miracula, quia erunt per causas naturales operata. Quae etiam mendacia dicuntur quantum ad intentionem facientis, qui per
huiusmodi mirabilia opera inducit homines ad credendum mendaciis.
# Pour le dernier argument en sens contraire: Il faut dire qu'on
annonce que la puissance du diable sera libérée au temps de l'Antéchrist, dans
la mesure où il lui sera permis de faire de nombreuses œuvres, c'est pourquoi
il fera beaucoup pour la séduction de ceux qui l'ont mérité en n'acquiesçant
pas à la vérité; mais il fera certaines choses par prestidigitation, dans
lesquels il n'y aura ni vrais effets ni vrais miracles. Il fera aussi certaines
choses par un vrai changement des corps dans lesquels si les effets sont vrais,
il n'y aura pas cependant de miracles, parce qu'ils auront été opérés par les
causes naturelles. On dit que ce sont des mensonges dans l'intention de celui
qui les opère qui par des miracles de ce genre, incite les hommes à croire à
ses mensonges.
[1] Parall.: Ia, qu. 114,
a. 4, — qu. 110, a. 4, ad 2 — IIa / IIæ qu. 178, a. 1, ad 2.— CG. III, 154 — De
malo, qu. 16, a. 9 — II Sent. d7.q3a1 — In Matth, c. 24 — II Thess. , c. 2,
lectio 2 – Opus III, c. 136.
[2]
Cf. Act. 8, 9-24, où ce détail n'est pas signalé.
[3]
Auteur du Ier siècle av. J.C.. Son ouvrage est un recueil d'anecdotes.
[4]
Écrivain encyclopédiste romain (de 116 à 28 av. J. C.).
[5]
Nombres, 22, 28.
q. 6 a. 6 tit. 1
Sexto quaeritur utrum Angeli et Daemones habeant corpora naturaliter sibi
unita. Et videtur quod sic.
Il semble que oui[1].
Objections:
q. 6 a. 6 arg. 1 In
quolibet enim animali est corpus naturaliter spiritui unitum. Sed Angeli et
Daemones sunt animalia: dicit enim Gregorius in homilia Epiphaniae, quod
Iudaeis, tamquam ratione utentibus, rationale animal, id est Angelus annuntiare
debuit. De Daemonibus vero dicit Augustinus: Daemones
aerea sunt animalia, quia corporum aereorum natura vigent. Ergo
Angeli et Daemones habent corpora naturaliter sibi unita.
1. Car n'importe quel être animé a un corps naturellement uni à
l'esprit. Mais les anges et les démons sont des êtres animés; en effet,
Grégoire [le grand] dit dans une homélie sur l'Épiphanie (Hom. X, sur
l'Évangile), qu'"un être animé raisonnable, c'est-à-dire l'ange, a dû
l'annoncer aux Juifs, en tant qu'ils se servent de raison." Augustin dit
des démons (La Genèse au sens littéral,
III, X, 14: "Les démons sont des êtres animés aériens, parce que par
nature ils ont des corps aériens." Donc, les anges et les démons ont des
corps qui leur sont unis naturellement.
q. 6 a. 6 arg. 2
Praeterea, Origenes dicit in periarchon, quod nulla substantia spiritualis sine
corpore esse potest, nisi solus Deus. Cum ergo Angeli et Daemones sint
substantiae creatae, videtur quod habeant corpora naturaliter sibi unita.
2. Origène dit dans le Peri Archôn (Livre I, ch. 6[2]) qu'aucune
substance spirituelle ne peut exister sans corps, sinon Dieu seul[3]. Donc,
comme les anges et les démons sont des substances créées, il semble qu'ils ont
des corps qui leur sont unis naturellement.
q. 6 a. 6 arg. 3
Praeterea, phantasia et irascibilis et concupiscibilis sunt vires organis
utentes. Haec autem sunt in Daemonibus, et eadem ratione in Angelis: dicit enim
Dionysius, quod malum Daemonis est furor irascibilis, concupiscentia amoris,
phantasia proterva. Ergo habent corpora naturaliter sibi unita.
3. L'imagination, l'irascible et le concupiscible sont des forces qui
se servent d'organes. Mais ils sont dans les démons, et pour la même raison
dans les anges. Car Denys dit (Les Noms divins, IV, 23, 725 B.[4]) que le mal
chez le démon est une fureur irascible, une convoitise de l'amour, une
imagination effrontée[5]." Donc ils ont des corps qui leur sont unis
naturellement.
q. 6 a. 6 arg. 4
Praeterea, aut Angeli sunt compositi ex materia et forma, aut non. Si sunt
compositi ex materia et forma, oportet eos esse corpora; cum enim materia in se
considerata sit una, quia non diversificatur nisi per formas, oportet quod
omnium diversorum materiam habentium intelligantur diversae formae, in diversis
partibus materiae receptae, nam secundum idem materia diversas formas recipere
non potest. Diversitas autem partium intelligi non potest in materia sine eius
divisione, nec divisio sine dimensione, quia sine quantitate substantia
indivisibilis est, ut dicitur in Lib. I Phys.
4. Ou bien les anges sont composés de matière et de forme, ou non.
S'ils le sont, il faut qu'ils soient des corps, puisque en effet la matière
considérée en soi est une, parce qu'elle n'est différenciée que par les formes,
il faut qu'on comprenne que les différentes formes de tous les différents êtres
pourvus de matière, soient reçues dans les différentes parties de la matière,
car la matière ne peut pas recevoir différentes formes selon le même. Mais on
ne peut comprendre la diversité des parties dans la matière sans sa division,
ni sa division sans dimension, parce que, sans quantité la substance est
indivisible, comme il est dit, en Physique
(I, 2, 185 b 1 ss.).
Ergo oportet quod omnia habentia materiam habeant
dimensionem, et per consequens corpora. Si autem non sunt compositi ex materia
et forma, aut sunt formae per se stantes, aut formae corporibus unitae. Si sunt
formae per se stantes, oportet, quod non habeant esse ab alio causatum; cum
enim forma sit essendi principium in quantum huiusmodi, illud quod est forma
tantum, non habet esse causatum, sed solum est aliis causa essendi. Si autem
sunt formae corporibus unitae, oportet quod habeant corpora naturaliter sibi
unita: unio enim formae et materiae est naturalis. Relinquitur ergo quod
oportet unum istorum trium ponere, scilicet quod Angeli vel sint corpora, vel
sint substantiae increatae, vel habeant corpora naturaliter unita. Sed prima
duo sunt impossibilia. Ergo tertium est ponendum.
Donc il faut que tout ce qui a de la matière ait une dimension et par
conséquent un corps. Mais s'ils ne sont pas composés de matière et de forme, ce
sont des formes subsistantes par soi, ou des formes unies à des corps. Si ce
sont des formes subsistantes par soi, il ne faut pas qu'elles aient un être
causé par un autre; car, comme la forme est le principe d'être, en tant que
tel, ce qui est forme seulement n'a pas un être causé, mais est seulement cause
d'être pour d'autres. Mais si ce sont des formes unies à des corps, il faut
qu'elles aient un corps qui leur soit naturellement uni, car l'union de la
forme et de la matière est naturelle. Il reste donc qu'il faut admettre l'une
de ces trois solutions, à savoir que les anges sont des corps, ou des
substances incréées, ou ils ont un corps qui leur est naturellement uni. Mais
les deux premières solutions sont impossibles. Donc il faut prendre la
troisième.
q. 6 a. 6 arg. 5
Praeterea, forma, in quantum huiusmodi, est secundum quam aliquid formatur. Id
ergo quod est forma tantum, est formans nullo modo formatum; quod est solius
Dei, qui est species prima, a qua omnia sunt speciosa, ut dicit Augustinus,
VIII de Civit. Dei. Ergo Angeli non sunt formae tantum, et ita sunt corporibus
unitae.
5. La forme, en tant que telle, est selon ce quoi une chose est formée.
Donc ce qui est forme seulement donne la forme, sans être mis en forme en aucune
manière; ce qui appartient à Dieu seul qui est une forme (species) première par
laquelle toutes choses sont spécifiées, comme le dit Augustin (La Cité de Dieu, VIII). Donc les anges
ne sont pas des formes seulement mais des formes unies à des corps.
q. 6 a. 6 arg. 6
Praeterea, sicut anima non potest operari aliquem effectum in exterioribus
corporibus nisi mediantibus corporeis instrumentis, ita nec Angelus nisi
corporalibus aliquibus virtutibus, quibus utitur velut instrumentis. Sed anima ad exercendas suas operationes habet corporea organa
naturaliter sibi unita. Ergo et Angeli.
6. De même que l'âme ne peut produire un effet dans les corps
extérieurs que par l'intermédiaire d'organes corporels, de même l'ange ne le
peut que par des pouvoirs corporels qu'il utilise comme instruments. Mais l'âme
pour exercer ses opérations a des organes corporels qui lui sont unis
naturellement. Donc l'ange aussi.
q. 6 a. 6 arg. 7
Praeterea, primus motus in corporibus est quo movetur corpus a substantia
incorporea. Primus autem motus est moventis se ipsum, ut habetur in VIII
Physic.: quia quod per se est, prius est eo quod per aliud est. Ergo quod
immediate movetur a substantia incorporea, movetur sicut motum ex se. Sed hoc
non potest esse, nisi substantia incorporea movens sit corpori naturaliter
unita. Cum ergo Angeli et Daemones moveant immediate corpora, ut supra dictum
est, videtur quod habeant corpora naturaliter sibi unita.
7. Le premier mouvement dans les corps est celui par lequel le corps
est mû par une substance incorporelle. Mais le premier mouvement vient de celui
qui se meut lui-même, comme on le dit en Physique
VIII; parce que ce qui est par soi, est avant ce qui est par un autre. Donc ce
qui est mû sans intermédiaire par une substance incorporelle est mû comme par
lui-même. Mais cela n'est possible que si la substance incorporelle qui meut
est naturellement unie à un corps. Donc, comme les anges et les démons meuvent
immédiatement les corps, comme on l'a dit ci-dessus (art. 2 de cette question),
il semble qu'ils ont un corps qui leur est uni naturellement.
q. 6 a. 6 arg. 8
Praeterea, nobilius habet vitam quod vivit et vivificat, quam quod vivit
tantum, sicut perfectius est lux in eo quod lucet et illuminat, quam in eo quod
tantum lucet. Sed anima humana vivit, et vivificat corpus naturaliter sibi
unitum. Ergo et Angelus non minus nobiliter vivit quam anima.
8. Plus noble est ce qui vit et vivifie que ce qui vit seulement, de
même plus parfaite est la lumière là où elle éclaire et prend source, que là où
elle éclaire seulement. Mais l'âme humaine vit, et donne la vie au corps qui
lui est naturellement uni. Donc l'ange ne vit pas moins noblement que l'âme.
q. 6 a. 6 arg. 9
Praeterea, omnis motus corporis diversimode moti, est motus moventis se ipsum,
quia quod movetur uno motu tantum, non videtur esse movens se ipsum, ut dicitur
in VIII Phys. Sed corpus caeleste movetur diversis motibus; unde planetae ab
astrologis quandoque dicuntur recti, quandoque retrogradi, quandoque
stationarii. Ergo motus superiorum corporum est mobilium moventium seipsa; et
sic corpora illa sunt composita ex substantia corporali et spirituali. Sed illa
spiritualis substantia non est anima humana, nec est Deus. Ergo est Angelus.
Angelus ergo habet corpus naturaliter sibi unitum.
9. Tout mouvement d'un corps mû de différentes manières, est le
mouvement de celui qui se meut lui-même, parce que ce qui est mû par un seul
mouvement ne semble pas être moteur lui-même, comme on le dit en Physique (VIII, 4, 255 a 5). Mais le
corps céleste est mû par différents mouvements; c'est pourquoi les astronomes
disent que quelquefois les planètes avancent droit, quelquefois reculent,
quelquefois sont stationnaires. Donc le mouvement des corps supérieurs est
celui des mobiles qui se meuvent eux-mêmes, et ainsi ces corps sont composés de
substance corporelle et spirituelle. Mais cette substance spirituelle n'est pas
une âme humaine, ni Dieu. Donc c'est un ange. Donc il a un corps qui lui est
naturellement uni.
q. 6
a. 6 arg. 10 Praeterea, nihil agit ultra suam speciem. Sed corpora caelestia causant vitam in istis
inferioribus, ut patet in animalibus ex putrefactione generatis per virtutem
caelestium corporum. Cum ergo substantia vivens sit nobilior non vivente, ut
dicit Augustinus, videtur quod corpora caelestia habeant vitam et ita habeant
substantias spirituales sibi naturaliter unitas; et sic idem quod prius.
10. Rien n'agit au-delà de son espèce; mais les corps célestes causent
la vie dans les corps inférieurs, comme on le voit dans les animaux engendrés de
la putréfaction par leur pouvoir. Donc comme la substance vivante est plus
noble que celle sans vie, comme le dit Augustin (La vraie religion, XXIX et XL), il semble que les corps célestes
ont une vie et qu'ainsi ils ont des substances spirituelles qui leur sont unies
naturellement, et ainsi de même que ci-dessus.
q. 6 a. 6 arg. 11
Praeterea, primum mobile est corpus caeleste. Sed philosophus probat, quod
omnia mota reducuntur ad primum mobile, quod ex se movetur. Ergo caelum est ex
se motum. Ergo est compositum ex corpore moto et movente immobili, quod est
substantia spiritualis; et sic idem quod prius.
11. Le premier mobile est le corps céleste. Mais le Philosophe prouve (Physique, VIII, 2, 252 b 12 ss.) que
tous les mouvements sont ramenés au premier mobile qui se meut de lui-même.
Donc le ciel se meut de lui-même. Donc il est composé d'un corps mû et d'un
moteur immobile, qui est une substance spirituelle, et ainsi de même que
ci-dessus.
q. 6 a. 6 arg. 12
Praeterea, secundum Dionysium, supremum inferioris naturae semper attingit ad
infimum naturae superioris, divina sapientia res taliter ordinante. Sed
supremum in natura corporali est corpus caeleste, cum sit nobilissimum
corporum. Ergo attingit ad naturam spiritualem et ei unitur; et sic idem quod
prius.
12. Selon Denys (Les noms divins,
VII, § 3, 872 A[6]), le plus haut de la nature inférieures touche toujours au
plus bas de la nature supérieure, la divine sagesse ayant organisé les choses
ainsi. Mais le supérieur dans la nature corporelle est le corps céleste,
puisqu'il est le plus noble des corps. Donc il touche à la nature spirituelle
et lui est uni, et ainsi de même que ci-dessus.
q. 6 a. 6 arg. 13
Praeterea, corpus caeli est nobilius corpore humano, sicut perpetuum
corruptibili. Sed corpus humanum est unitum naturaliter substantiae spirituali.
Ergo multo magis corpus caeleste, cum nobilioris corporis sit nobilior forma;
et sic idem quod prius.
13. Le corps du ciel est plus noble que le corps humain, comme
l'éternel est plus noble que le corruptible. Mais le corps humain est uni
naturellement à une substance spirituelle. Donc beaucoup plus le corps céleste,
puisqu'il est la forme plus noble d'un corps plus noble, et ainsi de même que
ci-dessus.
q. 6 a. 6 arg. 14
Praeterea, invenimus quaedam animalia ex terra formata, sicut homines et
bestias; quaedam ex aquis, ut pisces et volatilia, ut patet Gen. I. Ergo et
quaedam erunt aerea, quaedam ignea, et caelestia. Haec autem non sunt alia quam
Angeli et Daemones, quia cum illa sint nobiliora corpora, oportet in eis esse
nobiliora animalia. Ergo Angeli et Daemones sunt animalia, et ita habent
corpora naturaliter unita.
14. Nous trouvons des êtres animés[7], formés de la terre comme les
hommes et les animaux; certains de l'eau comme les poissons et les volatiles,
comme on le voit en Gn. 1. Donc aussi certains seront aériens, certains ignés
et célestes. Mais ils ne sont pas autres que les anges et les démons, parce que
ce sont des corps plus nobles, il faut qu'il y ait en eux des êtres animés plus
nobles. Donc les anges et les démons sont des êtres animés, et ainsi ils ont un
corps qui leur est naturellement uni.
q. 6 a. 6 arg. 15
Praeterea, hoc idem videtur per Platonem, qui in Timaeo ponit esse quoddam
animal terrena soliditate firmatum, quoddam vero liquoribus accommodatum,
quoddam autem aeri vagum, aliud divinitate plenum; quod non potest intelligi
nisi Angelus. Ergo Angelus est animal; et sic idem quod prius.
15. Platon semble dire la même chose dans le Timée; il considère qu’il y a un être animé, fortifié d’une
solidité terrestre, adapté aux liquides, flottant dans l'air, un autre plein de
divinité, ce qui ne peut être compris que de l’ange. Donc l’ange est un être
animéet ainsi c’est la même chose que ci-dessus.
q. 6 a. 6 arg. 16 Praeterea, nihil movetur nisi
corpus, ut probatur in VI Physic. Sed Angelus movetur. Ergo vel est
corpus, vel habet corpus naturaliter sibi unitum.
16. Rien n'est mû qu'un corps, comme on le prouve en Physique (VI, 10, 240 a 24 à 241 a 14).
Mais l’ange est mû. Donc ou bien il est un corps ou il a un corps qui lui est
uni naturellement.
q. 6 a. 6 arg. 17
Praeterea, verbum Dei est nobilius quolibet Angelo. Sed verbum Dei est corpori
unitum. Ergo non est contra dignitatem Angeli, si ponatur corpori naturaliter
unitus.
17. Le Verbe de Dieu est plus noble que n’importe quel ange; mais il
est uni à un corps. Donc il n’est pas contraire à la dignité de l’ange de
penser qu’il est naturellement uni à un corps.
q. 6 a. 6 arg. 18
Praeterea, Porphyrius dicit in praedicabilibus, quod mortale additum in
definitione hominis, separat nos a diis per quod non possunt nisi Angeli
intelligi. Ergo Angeli sunt animalia, et sic habent corpora naturaliter unita.
18. Porphyre[8] dit (Les prédicables, chapitre de la différence) que
"mortel" ajoutée à la définition de l’homme nous sépare des dieux,
terme par lesquels on ne peut comprendre que les anges. Donc ce sont des êtres
animés, et ainsi ils ont des corps naturellement unis a eux.
En sens contraire:
q. 6 a. 6 s. c. 1
Sed contra. Damascenus dicit, quod Angelus est substantia intellectualis,
semper mobilis, arbitrio libera, incorporea.
1. Jean Damascène dit (La Foi
orthodoxe, livre II, ch. 3) que "l’ange est une substance
intellectuelle, toujours en mouvement, douée du libre arbitre, incorporelle."
q. 6 a. 6 s. c. 2
Praeterea, in libro de causis, dicitur, quod intelligentia est substantia quae
non dividitur; et dicit ibi Commentator, quod neque est magnitudo neque super
magnitudinem delata. Sed Angelus est intelligentia; quod patet per Dionysium,
qui vocat Angelos divinas mentes et divinos intellectus. Ergo Angelus nec est
corpus, nec corpori unitus.
2. Dans le livre des causes,
(prop. 7), il est dit que l’intelligence est une substance indivisible; et le
Commentateur dit à ce sujet qu'elle est pas une grandeur, et ni au-delà de la
grandeur. Mais l’ange est une intelligence, ce que montre Denys (Les noms divins, ch. 7) qui appelle les
anges des esprits et des intellects divins. Donc l’ange n’est pas un corps et
il n’est pas uni à un corps.
q. 6 a. 6 s. c. 3
Praeterea, differentiae dividentes Angelum ab anima, sunt unibile et non
unibile corpori. Si ergo Angelus esset unitus corpori, in nullo ab anima
differret; quod est inconveniens.
3. Les différences qui séparent l’ange de l’âme, sont la possibilité ou
non de s'unir à un corps. Donc si l’ange était uni à un corps, il ne
différerait en rien de l’âme, ce qui ne convient pas.
q. 6 a. 6 s. c. 4
Praeterea, invenitur quaedam substantia spiritualis quae dependet a corpore
quantum ad principium et quantum ad finem, sicut anima vegetabilis et
sensibilis; quaedam autem quae dependet a corpore quantum ad principium et non
quantum ad finem, sicut anima humana. Ergo erit quaedam quae non indiget
corpore neque quantum ad principium neque quantum ad finem; et huiusmodi non
potest esse alia quam Angelus vel Daemon. Quod autem sit aliqua quae indigeat
corpore quantum ad finem et non quantum ad principium, non est possibile.
4. On trouve une substance spirituelle qui dépend du corps, pour son
principe et sa fin[9], comme l'âme végétative et l'âme sensitive; mais une qui
dépend du corps pour le principe et non pour la fin, comme l'âme humaine. Donc
il y en aura une qui n'a pas besoin de corps ni pour le principe ni pour la fin;
et de ce genre, il n'est pas possible qu'il y en ait d'autres que l'ange ou le
démon. Mais il est impossible qu'il y en ait une qui a besoin du corps, pour la
fin et non pour son principe.
q. 6 a. 6 s. c. 5
Praeterea, quaedam forma est quae nec est anima nec spiritus, sicut forma
lapidis; quaedam etiam est quae est anima, sed non spiritus, sicut forma bruti;
quaedam quae est anima et spiritus, sicut forma hominis. Quaedam ergo erit quae
erit spiritus et non anima: et huiusmodi est Angelus; et sic non est corpori
unitus naturaliter, quod est de ratione animae.
5. Il y a une forme qui n'est ni âme ni esprit, comme la forme de la
pierre, une aussi qui est âme et non esprit comme la forme de l'animal; une qui
est âme et esprit, comme la forme de l'homme. Donc il y en aura une qui sera
esprit et non âme, et l'ange est de ce genre; et ainsi il n'est pas uni
naturellement à un corps, ce qui est de la nature de l'âme.
Réponse:
q. 6 a. 6 co.
Respondeo. Dicendum quod circa substantias incorporeas ponendas, antiqui
diversimode processerunt.
A propos des substances incorporelles, les anciens philosophes ont
procédé de différentes manières.
Quidam namque antiqui philosophi dixerunt, nullam
substantiam incorpoream esse, sed omnes substantias esse corpora; in quo etiam
errore se quandoque fuisse Augustinus confitetur.
A. Car certains philosophes anciens ont dit qu'il n'existe
aucune substance incorporelle, mais que toutes sont corporelles, Augustin
confesse être tombé quelquefois dans cette erreur (les Confessions).
Haec autem positio est etiam per philosophos improbata:
Aristoteles autem hac via improbavit eam, quod oportet esse aliquam virtutem
moventem infinitam; alias motum perpetuum movere non posset. Ostendit iterum
quod omnis virtus in magnitudine est virtus finita. Unde relinquitur quod
oporteat esse aliquam virtutem penitus incorpoream, quae continuitatem motus
causet.
Cette position est désapprouvée par les philosophes; Aristote (Physique, VIII) la réprouve de cette
manière: il faut qu'il y ait un pouvoir moteur infini, autrement il ne pourrait
pas produire un mouvement éternel. Il montre de plus que tout pouvoir est fini
en grandeur. C'est pourquoi il reste qu'il faut qu'il y ait un pouvoir tout à
fait incorporel, qui cause la continuité du mouvement.
Iterum hoc probavit alio modo, quia actus est prius potentia,
et natura et tempore, simpliciter loquendo; quamvis in uno aliquo quod de
potentia exit in actum, potentia tempore praecedat: sed quia oportet quod in
actum reducatur per aliquod ens actu, oportet quod actus sit simpliciter prior
potentia etiam tempore. Unde cum omne corpus sit in potentia, quod ipsius
mobilitas ostendit, oportet ante omnia corpora esse substantiam immobilem
sempiternam.
En plus il le prouve d’une autre manière Métaphysique XIII); parce que l'acte[10] est avant le puissance,
par nature et en temps, absolument parlant, quoique dans ce qui passe de la
puissance à l'acte, la puissance précède en temps; mais parce qu'il faut
qu'elle soit ramenée à l'acte par un étant en acte, il faut que l'acte soit
absolument avant la puissance même dans le temps. C'est pourquoi comme tout
corps est en puissance, ce que montre sa mobilité, il faut qu'avant tout corps
il y ait une substance immobile éternelle.
Tertia autem ratio potest sumi ad hoc ex sententiis
Platonicorum: oportet enim ante esse determinatum et particulatum, praeexistere
aliquid non particulatum, sicut si ignis natura particulariter, et quodammodo
participative, invenitur in ferro, oportet prius inveniri igneam naturam in eo
quod est per essentiam ignis; unde, cum esse et reliquae perfectiones et formae
inveniantur in corporibus quasi particulariter, per hoc quod sunt in materia
receptae, oportet praeexistere aliquam substantiam incorpoream, quae non
particulariter, sed cum quadam universali plenitudine perfectionem essendi in
se habeat. Quod autem posuerunt sola corpora esse substantias, ex hoc decepti
fuerunt quod imaginationem transcendere intellectu non valentes (quae solum est
corporum) ad substantias incorporeas cognoscendas (quae solo intellectu
capiuntur) pertingere non valuerunt.
On peut tirer une troisième raison des opinions des Platoniciens; car,
avant qu'existe une chose déterminée et particularisée, il faut qu'il en
préexiste une non particularisée, ainsi si la nature du feu particulièrement et
d'une certaine manière par participation, se trouve dans le fer, il faut
trouver avant une nature ignée en ce qui est feu par essence; c'est pourquoi,
comme l'être, les autres perfections et les formes se trouvent dans les corps
pour ainsi dire de façon particulière, du fait qu'ils sont reçus dans la
matière, il faut que préexiste une substance incorporelle, non particularisée,
mais qui, avec une plénitude universelle, ait la perfection de l'être en soi.
Mais ayant pensé que seuls les corps étaient des substances, ils se sont
trompés, parce qu'ils n'étaient pas capables de dépasser en esprit
l'imagination qui concerne seulement les corps, ils n'ont pas pu parvenir à
connaître les substances incorporelles, qui sont saisies seulement par
l'esprit.
Alii vero fuerunt substantiam incorpoream ponentes; sed eam
dixerunt esse corpori unitam, nec aliquam substantiam incorpoream inveniri quae
non sit corporis forma. Unde ponebant ipsum Deum esse animam mundi, sicut de
Varrone dicit Augustinum in VII libro de civitate Dei quod Deus est anima, motu
et ratione mundum gubernans. Unde dicebat, quod totus mundus est Deus propter
animam et non propter corpus, sicut et homo dicitur propter animam sapiens, et
non propter corpus. Et propter hoc gentiles toti mundo et omnibus partibus eius
divinitatis cultum exibebant.
B) Il y en a d'autres qui ont pensé que la substance incorporelle
existait, mais ils dirent qu'elle était unie à un corps, et qu'on ne trouvait
pas de substance incorporelle qui ne soit la forme d'un corps. C'est pourquoi
ils pensaient que Dieu était l'âme du monde, comme dit Augustin à propos de
Varron, (La cité de Dieu, IV, 31)
parce que Dieu est une âme qui gouverne le monde par mouvement et raison. C'est
pourquoi il disait que le monde tout entier est Dieu en raison de l'âme et non
du corps, comme on dit que l'homme est appelé sage en raison de son âme, et non
en raison de son corps. Et c'est pour cela que les païens rendaient un culte
divin au monde entier et à toutes ses parties.
. Sed haec etiam positio per ipsos philosophos est improbata
multipliciter
Mais cette opinion est désapprouvée de multiples manières par les
philosophes eux-mêmes.
Primo quidem, quia virtus unita alicui corpori ut forma,
habet determinatam actionem, ex eo quod tali corpori unitur; unde, cum oporteat
esse aliquod agens universale influentiam habens per omnia corpora, eo quod
primum movens non potest esse corpus, ut supra ostensum est, relinquitur quod
oportet esse aliquod incorporeum, quod nulli corpori est unitum; unde
Anaxagoras posuit intellectum immixtum, ut imperet, sicut dicitur in VIII
Physic.; imperium enim est alicuius praeeminentis his quibus imperat, et eis
non subditi nec ad ea obligati.
1) Parce qu'un pouvoir uni à un corps comme forme a une action limitée,
du fait qu'il est uni à tel corps; c'est pourquoi, puisqu'il faut qu'il y ait
un agent universel qui a de l'influence par tous les corps, parce que le
premier moteur ne peut pas être un corps, comme on l'a montré ci-dessus, il
reste qu'il faut qu'il y ait un être incorporel, qui ne soit uni à aucun corps;
c'est pourquoi Anaxagore a pensé à un l'intellect sans mélange, pour commander,
comme il est dit en Physique (VIIII,
5, 256 b 24-26[11]); car le pouvoir appartient à quelqu'un qui domine ce qu'il
commande, sans lui être ni soumis ni obligé.
Secundo, quia si quaelibet substantia incorporea est corpori
unita ut forma, oportet primum quod movetur, movere seipsum ad modum animalis,
quasi compositum ex substantia corporali et spirituali. Movens autem seipsum,
movet se per voluntatem, in quantum aliquid appetit: appetitus enim est movens
motum, appetibile autem est movens non motum. Oportet ergo supra substantiam
corpoream coniunctam corpori, esse aliquid aliud superius quod moveat eam,
sicut appetibile movet appetitum; et hoc oportet esse intellectuale bonum, quia
hoc est appetibile, quia est simpliciter bonum; sensibile autem appetibile
appetitur, quia est hic et nunc bonum.
2) Parce que, si quelque substance incorporelle est unie à un corps
comme une forme, il faut d'abord que ce qui est mû se meuve lui-même à la
manière de l'animal; comme composé de substance corporelle et spirituelle. Mais
celui qui se meut lui-même se meut par volonté, dans la mesure où il a un
désir, car l'appétit est un moteur mû, mais l'appétible un moteur non mû. Il
faut donc qu'au-dessus d'une substance corporelle jointe à un corps il y ait
quelque chose de supérieur qui la mette en mouvement, comme l'appétible meut
l'appétit et il faut que ce soit un bien intellectuel, parce qu'il est
l'appétible, parce que c'est simplement un bien, mais l'appétible sensible est
désiré, parce que c'est un bien d'ici et maintenant.
Intellectuale autem bonum oportet esse incorporeum, quia
nisi esset absque materia, non intelligeretur; et ex hoc ipso oportet ipsum esse
intelligens: substantia enim quaelibet est intelligens ex hoc quod est a
materia immunis. Oportet ergo supra substantiam coniunctam corpori, esse aliam
substantiam superiorem incorpoream vel intellectualem corpori non unitam. Et
haec est probatio Aristotelis in XI Metaph.: non enim potest dici, quod movens
seipsum, nihil desideret extra se, quia nunquam moveretur: motus enim est ad
acquirendum aliquid extrinsecum aliquo modo.
Mais le bien de l'esprit doit être incorporel, parce que, s'il n'était
pas sans matière, il ne serait pas compris, et de ce fait, il faut qu'il soit
doué d'esprit, car une substance est “intellige” du fait qu'elle est exempte de
matière. Donc il faut qu'au-dessus de la substance jointe au corps, il y en ait
une autre supérieure, incorporelle ou intellectuelle, non unie à un corps. Et
c'est la démonstration d'Aristote en Métaphysique
XI; car on ne peut pas dire que ce qui se meut soi-même ne désirerait rien hors
de lui, parce qu'il ne se mettrait jamais en mouvement: car le mouvement est
d'une certaine manière pour acquérir quelque chose d'extérieur.
Tertio, quia cum movens seipsum possit moveri et non moveri,
ut dicitur in VII Phys., si aliquid motum ex se continue movetur, oportet quod
stabiliatur in movendo ab aliquo exteriori, quod est omnino immobile. Caelum
autem, cuius animam dicebant Deum, videmus continue moveri; unde oportet supra
illam substantiam quae est anima mundi, si qua est, esse aliam superiorem
substantiam, quae nulli corpori est coniuncta, quae est per seipsam subsistens.
3) Parce que celui qui se meut lui-même peut se mouvoir ou pas, comme
on le dit en Physique (VII, 4, 249 a
8); si un moteur est mû continuellement par lui-même, il faut qu'il soit
maintenu en mouvement par quelque chose d'extérieur, qui est tout à fait
immobile. Mais nous voyons le ciel, dont ils disaient que Dieu était l'âme, se
mouvoir continuellement, c'est pourquoi il faut, au-dessus de cette substance
qui est l'âme du monde, s'il y en a une, une autre substance supérieure, jointe
à aucun corps, et subsistante par soi.
Illi autem qui posuerunt omnem substantiam corpori unitam,
ex hoc videntur fuisse decepti quod materiam credebant causam subsistentiae et
individuationis in omnibus entibus, sicut est in rebus corporalibus; unde
substantias incorporeas non credebant posse subsistere nisi in corpore, sicut
etiam per modum obiectionis tangitur in Comment. Lib. de causis.
Mais ceux qui ont pensé que toute substance était unie à un corps,
semblent de ce fait s'être trompés, parce qu'ils croyaient que la matière était
la cause de la subsistance et de l'individuation dans tous les êtres, comme
c'est le cas dans les corps, c'est pourquoi ils croyaient que les substances
incorporelles ne pouvaient subsister que dans un corps, comme on en parle par
manière d'objection dans le commentaire du livre Des Causes.
His opinionibus abiectis, Plato et Aristoteles posuerunt
aliquas substantias esse incorporeas; et earum quasdam esse corpori coniunctas,
quasdam vero nulli corpori coniunctas. Plato namque posuit duas substantias
separatas, scilicet Deum patrem totius universitatis in supremo gradu; et
postmodum mentem ipsius, quam vocabat paternum intellectum, in qua erant rerum
omnium rationes vel ideae, ut Macrobius narrat. Substantias autem incorporeas
corporibus unitas ponebat multiplices: quasdam quidem coniunctas caelestibus
corporibus, quas Platonici deos appellabant; quasdam autem coniunctas
corporibus aeris, quas dicebant esse Daemones. Unde Augustinus in VIII de civitate
Dei, introducit hanc definitionem Daemonum ab Apuleio datam: Daemones sunt
animalia mente rationalia, animo passiva, corpore aerea, tempore aeterna. Et omnibus praedictis substantiis
incorporeis, ratione suae sempiternitatis, gentiles Platonici dicebant cultum
divinitatis exhibendum. Ponebant etiam ulterius substantias incorporeas
grossioribus terrae corporibus unitas, terrenis scilicet et aqueis, quae sunt
animae hominum et aliorum animalium.
C. Ces opinions une fois rejetées, Platon et Aristote ont pensé qu'il y
avait des substances incorporelles, et que certaines d'entre elles étaient
unies à un corps, certaines non. Platon, en effet, a posé deux substances
séparées, à savoir Dieu, le père de tout l'univers, au degré suprême, et
ensuite son esprit, qu'il appelait l'intellect paternel, en qui il y a avait
toutes les raisons ou idées des choses, comme Macrobe[12] le raconte dans Le songe de Scipion (1). Mais il pensait
que les substances incorporelles unies à ces corps étaient multiples, certaines
unies aux corps célestes, que les Platoniciens appelaient des dieux; certains
unies à des corps aériens, qu'ils appelaient des démons. C'est pourquoi
Augustin (La cité de Dieu VIII, 16)
rapporte cette définition des démons donnée par Apulée[13]: "Les démons
sont des êtres animés à l'esprit doué de raison, passifs par l'âme, aériens par
le corps, éternel dans le temps." Et pour toutes ces substances
incorporelles, en raison de leur éternité, les Platoniciens païens disaient
qu'il fallait leur rendre un culte divin. Mais ils plaçaient plus loin des
substances incorporelles unies à des corps de terre plus grossiers, à savoir
terreux ou aqueux, que sont les âmes des hommes et des autres êtres animés.
Aristoteles autem
in duobus cum Platone concordat, et in duobus differt. Concordat quidem in
ponendo supremam substantiam nec corpoream nec corpori unitam; et iterum in
ponendo caelestia corpora esse animata. Differt autem in hoc quod ponebat
plures substantias incorporeas corpori non unitas, scilicet secundum numerum
caelestium motuum; et iterum in hoc quod non ponit esse aliqua animalia aerea;
quod rationabilius posuit.
Aristote est en accord sur deux points avec Platon, et en désaccord sur
deux autres. Il est d'accord quand il pense que la substance suprême n'est ni
corporelle, ni unie à un corps, et à nouveau quand il pense que les corps célestes
sont animés. Il est en désaccord sur le fait qu'il pensait qu'il y avait
plusieurs substances incorporelles non unies à un corps, à savoir selon le
nombre des mouvements célestes; et à nouveau dans le fait qu'il ne pense pas
qu'il y a des êtres animés aériens; sa pensée est plus raisonnable.
Quod patet ex tribus. Primo quidem, quia corpus mixtum
nobilius est corpore elementari, et maxime quantum ad formam: quia elementa
mixtorum corporum materia sunt. Unde oportet quod substantiae incorporeae, quae
sunt nobilissimae formae, corporibus mixtis uniantur, et non puris elementis.
Nullum autem corpus mixtum esse potest, in quo terra et aqua non magis abundent
secundum materiae quantitatem, cum etiam superiora elementa magis habeant de
virtute activa, utpote magis formalia. Si autem haec in quantitate excederent,
non servaretur aliqua proportio debita mixtionis, quia superiora omnino
vincerent inferiora. Et ideo non potest esse quod substantiae incorporeae
uniantur ut formae corporibus aereis, sed corporibus mixtis, in quibus
materialiter superabundet terra et aqua.
Ce qui apparaît par trois raisons:1) Parce que le corps mixte est plus
noble que le corps élémentaire, surtout par la forme, parce que les éléments
sont la matière des corps mixtes. C'est pourquoi il faut que les substances
incorporelles qui sont les formes les plus nobles soient unies à des corps
mixtes et non à de purs éléments. Car il ne peut y avoir aucun corps mixte, en
qui la terre et l'eau n'abondent pas plus selon la quantité de matière, puisque
les éléments supérieurs ont davantage de puissance active, en tant que plus
formels. Mais s'ils dépassaient en quantité, la proportion due aux mixtes ne
serait pas conservée, parce que les supérieurs écraseraient complètement les
inférieurs. Et c'est pourquoi il n'est pas possible que les substances
incorporelles soient unies comme formes à des corps aériens, mais à des corps
mixtes, dans lesquels la terre et l'eau sont matériellement en abondance.
Secundo, quia corpus homogeneum et uniforme oportet quod
habeat eamdem formam in toto et in partibus. Totum autem aeris corpus videmus
esse unius naturae; unde oportet, si substantiae aliquae spirituales aliquibus
partibus aeris sunt unitae, quod etiam toti aeri uniantur: et sic totus aer
erit animal, quod irrationabiliter dici videtur; quamvis et hoc quidam antiqui
ponerent, ut dicitur in I de anima, qui dicebant aerem totum esse plenum diis.
2) Parce qu'un corps homogène et uniforme doit avoir une même forme en
son tout et en ses parties. Mais nous voyons que tout le corps de l'air est
d'une seule nature; c'est pourquoi il faut si certaines substances spirituelles
sont unies aux parties de l'air, qu'elles soient unies aussi à la totalité de
l'air, et ainsi tout l'air sera un être animé, ce qui semble énoncé contre la
raison; quoique aussi cela certains anciens l'aient pensé, comme il est dit
dans l'âme (I, 411 a 8[14]): ils disaient que tout l'air était plein de dieux.
Tertio, quia si substantia spiritualis non habet in se aliam
potentiam quam intellectum et voluntatem, frustra corpori unitur, cum hae
operationes absque corpore compleantur: omnis enim forma corporis corporaliter
aliquam actionem efficit. Si autem habent alias potentias, quod videntur
Platonici sensisse de Daemonibus, dicentes eos esse animo passivos,- cum autem
passio non sit nisi in parte animae sensitiva, ut probatur in VII Phys.,-
oportet quod tales substantiae corporibus organicis uniantur, ut actiones
talium potentiarum per determinata organa exequantur. Tale autem non potest
esse corpus aereum, eo quod non est figurabile. Unde patet quod substantiae
spirituales non possunt aereis corporibus naturaliter esse unitae.
3) Parce que si la substance spirituelle n'a pas en soi une autre
puissance que l'intellect et la volonté, elle est unie en vain à un corps,
puisque ces opérations sont accomplies sans corps; car toute forme du corps
accomplit une action corporellement. Mais s'ils ont d'autres puissances (ce que
semblent penser les Platoniciens des démons, disant qu'ils ont l'âme passive, —
puisque la passion n'est que dans une partie de l'âme sensitive, comme on le
prouve en Physique, (VII, 3, 248 a
6), — il faut que de telles substances soient unies à des corps organiques,
pour que les actions de telles puissances soient exécutées par les organes
déterminés. Mais tel ne peut pas être le corps aérien, puisqu'on ne peut pas le
figurer. C'est pourquoi il est clair que les substances spirituelles ne peuvent
pas être unies naturellement à des corps aériens.
Utrum autem aliquae substantiae incorporeae sint caelestibus
corporibus unitae ut formae, Augustinus sub dubio relinquit. Hieronymus autem
asserere videtur (super illud Eccle. I: lustrans universa per circuitum
spiritus), et etiam Origenes. Quod tamen a pluribus modernorum reprobatum
videtur, propter hoc quod cum numerus beatorum ex solis hominibus et Angelis
secundum Scripturam divinam constituatur, non possent illae substantiae
spirituales nec inter hominum animas computari, nec inter Angelos, qui sunt
incorporei. Sed tamen Augustinus hoc etiam sub dubio relinquit sic dicens: nec
illud quidem certum habetur, utrum ad eamdem societatem, scilicet Angelorum,
pertineat sol, luna et cuncta sidera; quamvis nonnullis lucida esse corpora non
cum sensu vel intelligentia videantur. Sed in hoc certissime, a doctrina tam
Platonis quam Aristotelis, doctrina fidei discordat, quod ponimus multas
substantias penitus corporibus non unitas, plures quam aliquis eorum ponat.
D. Des substances incorporelles sont-elles unies aux corps célestes en
tant que formes, Augustin en doute (La
Genèse au sens littéral, II, dernier chapitre[15]). "Jérôme semble
l'affirmer (sur cette parole de l'Eccl., 1: "Illuminant toutes choses par
le cercle de l'esprit" et Origène aussi (Peri archôn, I, ch. 7). Ce qui
cependant est désapprouvé par plusieurs modernes, parce que, comme le nombre
des bienheureux est constitué selon l'Écriture sainte seulement des hommes et
des anges, ces substances spirituelles ne peuvent être comptées ni parmi les
âmes humaines, ni parmi les anges qui sont sans corps. Mais cependant Augustin
(Enchiridion, 58[16]), garde un
doute, en disant: "On ne considère pas comme certain, que le soleil, la
lune et les autres astres appartiennent à une même société (c'est-à-dire celle
des anges). Quoique pour certains les corps semblent être lumineux non
dépourvus de sens ni d'intelligence. Mais en cela, très certainement, la
doctrine de la foi est en désaccord avec celle tant de Platon que d'Aristote,
parce que nous pensons que les nombreuses substances qui ne sont pas totalement
unies à des corps, sont plus nombreuses que chacun d'eux le pense."
Quae quidem positio etiam rationabilior videtur propter
tria.
Primo quidem, quia sicut corpora superiora digniora sunt
inferioribus, ita substantiae incorporeae corporibus sunt etiam digniores;
corpora autem superiora in tantum inferiora excedunt, quod terra habet
comparationem ad caelum sicut punctum ad sphaeram, ut astrologi probant. Unde
et substantiae incorporeae sicut Dionysius dicit, omnem multitudinem
materialium specierum transcendunt; quod significatur Daniel. VII, 10, cum
dicitur: millia millium ministrabant ei, et decies millies centena millia
assistebant ei. Quod quidem affluentiae divinae bonitatis concordat, ut
scilicet ea quae nobiliora sunt illa copiosius in esse producat. Et cum
superiora ab inferioribus non dependeant, nec ad ea limitentur eorum virtutes,
non oportet illa solum in superioribus ponere quae per inferiores effectus
manifestantur.
Cette opinion aussi semble plus rationnelle pour trois raisons.
1) Parce que, de même que les corps supérieurs sont plus dignes que les
corps inférieurs, de même les substances incorporelles sont plus dignes que les
corps mais les corps supérieurs dépassent les inférieurs, tellement que la
terre est comparée au ciel, comme le point à la sphère, comme les astrologues
le prouvent. C'est pourquoi, les substances incorporelles, comme Denys le dit (La hiérarchie céleste, 15) dépassent
toute la multitude des espèces matérielles; ce que montre Daniel (Daniel, 7,
10) quand il est dit: "Mille milliers le servaient, et des dizaines de
centaines de milliers étaient devant lui[17]." Cela concorde avec la
profusion de la bonté divine: il amène à l'être plus abondamment ce qui est
plus noble. Et comme les supérieurs ne dépendent pas des inférieurs, et que
leurs pouvoirs ne se limitent pas à eux; il ne faut pas placer seulement parmi
les supérieurs ce qui se manifeste par des effets inférieurs.
Secundo autem quia rerum naturalium ordine, inter naturas
distantes multi gradus medii inveniuntur, sicut inter animalia et plantas
inveniuntur quaedam animalia imperfecta, quae et cum plantis communicant
quantum ad fixionem, et cum animalibus quantum ad sensum. Cum ergo substantia
suprema, quae Deus est, a corporum natura maxime distet, rationabile videtur
quod multi gradus naturarum inter utraque inveniantur, et non solum illae
substantiae quae sunt principia motuum.
2) Parce que dans l'ordre des choses naturelles, parmi les natures
différentes, on trouve de nombreux degrés intermédiaires. Ainsi entre les
animaux et les plantes, on trouve certains animaux imparfaits qui ressemblent
aux plantes du fait qu'ils sont fixes, et aux animaux du fait qu'ils éprouvent
des sensations. Donc comme la substance suprême, qui est Dieu, est extrêmement
différente de la nature des corps, il semble conforme à la raison qu'on trouve
beaucoup de degrés entre chacune des natures et non seulement ces substances
qui sont les principes des mouvements.
Tertio, quia cum Deus non solum universalem providentiam de
rebus corporalibus habeat, sed etiam ad res singulas eius providentia se
extendat, in quibus interdum, ut dictum est, praeter ordinem causarum
universalium operatur,- non solum oportet ponere substantias incorporeas Deo
deservientes in universalibus causis naturae, quae sunt motus corporum
caelestium, sed etiam in aliis quae Deus particulariter in singulis operatur,
et praecipue quantum ad homines, quorum mentes caelestibus motibus non
subiiciuntur. Sic ergo, fidei veritatem sequendo, dicimus Angelos et Daemones non habere
corpora naturaliter unita, sed omnino incorporeos, sicut dicit Dionysius.
3) Parce que, comme Dieu non seulement a une providence universelle,
sur les corps, mais encore qu'elle s'étend aussi aux êtres particuliers, en
qui, parfois, comme on l'a dit, il opère en dehors de l'ordre des causes
universelles, — non seulement il faut placer des substances incorporelles qui
le servent dans les causes universelles de la nature, que sont les mouvements
des corps célestes, mais aussi dans d'autres choses où Dieu opère
particulièrement dans les choses particulières et surtout pour les hommes dont
les esprits ne sont pas soumis aux mouvements célestes. Ainsi donc, en suivant
la vérité de la foi, nous disons que les anges et les démons n'ont pas de corps
unis naturellement, mais ils sont tout à fait incorporels, comme le dit Denys.
Solutions:
q. 6 a. 6 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod Augustinus in pluribus locis suorum librorum,
quantum ad corpora Angelorum et Daemonum, absque assertione utitur Platonicorum
sententia. Unde et XXI de Civit. Dei utramque opinionem prosequitur de poena
Daemonum tractans, et eorum scilicet qui dicebant Daemones aerea corpora
habere, et eorum qui dicebant eos esse penitus incorporeos. Gregorius vero
Angelum animal appellat, large sumpto animalis vocabulo pro quolibet vivente.
# 1. Augustin en plusieurs endroits de ses ouvrages, au sujet du corps
des anges et des démons, se sert, sans l'affirmer, de la formule des
Platoniciens. C'est pourquoi au livre XXI de La Cité de Dieu, (ch. 10), il suit deux opinions en traitant du
châtiment des démons, celle de ceux qui disaient que les démons ont des corps
aériens, et celle de ceux qui disaient qu'ils étaient tout à fait incorporels.
Mais Grégoire appelle l'ange un animal, ce mot étant pris au sens large pour un
être vivant.
q. 6 a. 6 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod Origenes in pluribus Platonicorum opinionem sectatur;
unde huius opinionis fuisse videtur quod omnes substantiae creatae incorporeae
sint corporibus unitae, quamvis etiam hoc non asserat, sed sub dubitatione
proponat, aliam etiam opinionem tangens.
# 2. Origène suit en plusieurs points l'opinion des Platoniciens; c'est
pourquoi il semble qu'il a été de cette opinion que toutes les substances
incorporelles créées sont unies à des corps, bien qu'il ne l'affirme pas, mais
il la met en doute, en rapportant aussi une autre opinion.
q. 6 a. 6 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod Dionysius absque dubio Angelos et Daemones incorporeos
esse voluit. Utitur autem metaphorice nomine furoris et concupiscentiae pro
voluntate inordinata, et nomine phantasiae pro intellectu errante in eligendo,
secundum quod malus omnis est ignorans, ut philosophus dicit in III Ethicorum,
et Proverb. XIV, 22, dicitur: Errant qui operantur malum.
# 3. Denys a voulu que les anges et les démons soient sans aucun doute
incorporels. Mais il se sert métaphoriquement des noms de fureur et de
concupiscence à la place d'une volonté sans ordre et du nom d'imagination pour
un intellect errant dans ses choix, selon que tout méchant est ignorant, comme
le Philosophe le dit (Ethique, III,
1, 1110 b 28[18]) et en Proverbes 14, 22, il est dit:"Ils se trompent ceux
qui font le mal."
q. 6 a. 6 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod si Angeli ponantur ex materia et forma compositi, non
propter hoc oportet quod sint corporei ex ratione praedicta, nisi ponatur quod
sit eadem materia Angelorum et corporum. Posset autem dici, quod esset alia
materia corporum divisa, non quidem dimensionis divisione, sed per ordinem ad
alterius generis formam, nam potentia actui proportionatur. Magis tamen
credimus, quod non sint Angeli ex materia et forma compositi, sed sint formae
tantum per se stantes. Nec oportet quod propter hoc non sint creati: forma enim
est principium essendi ut quo aliquid est, cum tamen et esse formae et esse
materiae in composito sit ab uno agente. Si ergo sit aliqua substantia creata
quae sit forma tantum, potest habere principium essendi efficiens, non formale.
# 4. Si les anges sont considérés comme composés de matière et de
forme, ce n'est pas pour cette raison qu'il faut qu'ils soient corporels, sauf
si on pense que c'est la même matière pour les anges et les corps. Mais on
pourrait dire qu'il y aurait une autre matière séparée des corps, non par
division de la dimension, mais par rapport à une forme d'un autre genre, car la
puissance est proportionnée à l'acte. Cependant nous croyons davantage que les
anges ne sont pas composés de matière et de forme, mais qu'ils sont seulement
des formes subsistantes par soi. Et il ne faut pas qu'à cause de cela, ils
n'aient pas été créés: car la forme est le principe d'être, comme par quoi
quelque chose existe, alors que cependant l'être de la forme et celui de la
matière est dans le composé par un seul agent. Si donc, il y avait quelque
substance créée qui soit seulement forme, elle peut avoir un principe d'être
efficient, non formel.
q. 6 a. 6 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod secundum philosophum, etiam in causis formalibus prius
et posterius invenitur; unde nihil prohibet unam formam per alterius formae
participationem formari; et sic ipse Deus, qui est esse tantum, est quodammodo
species omnium formarum subsistentium quae esse participant et non sunt suum
esse.
# 5. Selon le Philosophe (Physique,
II), même dans les causes formelles, on trouve un avant et un après: c'est
pourquoi rien n'empêche qu'une forme soit formée par la participation d'une
autre forme; et ainsi Dieu lui-même qui est être seulement, est d'une certaine
manière la forme (species) de toutes les formes subsistantes qui participent de
l'être et ne sont pas son être.
q. 6 a. 6 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod virtus Angeli, secundum naturae ordinem, est superior, et
per consequens universalior quam virtus animae humanae: unde non poterat habere
corporeum organum sibi sufficienter respondens ad actiones quibus in exteriora
corpora agit; ideo non debuit aliquibus corporeis organis alligari, sicut anima
per unionem ligatur.
# 6. La pouvoir de l'ange, dans l'ordre de la nature, est supérieur et
par conséquent plus universel que le pouvoir de l'âme humaine; c'est pourquoi
il ne pouvait pas avoir un organe corporel qui réponde suffisamment à ses
actions par lesquelles il agit sur les corps extérieurs. Aussi il ne dut pas
être lié à quelques organes corporels, comme l'âme est liée par union.
q. 6 a. 6 ad 7 Ad septimum
dicendum, quod movens seipsum est primum inter mota, ratione moventis immobilis;
unde si movens immobile moveat sive corpus sibi naturaliter unitum, sive non,
eadem prioritatis ratio manet.
# 7. Ce qui se meut soi-même est premier parmi ce qui est mû en tant
que moteur immobile; c'est pourquoi si le moteur immobile meut le corps
naturellement uni à lui ou s'il ne le meut pas, la même raison de priorité
demeure.
q. 6 a. 6 ad 8 Ad
octavum dicendum, quod anima unita corpori vivificat corpus non solum
effective, sed formaliter: sic autem corpus vivificare minus est quam per se
vivere tantum, simpliciter loquendo. Nam anima hoc modo corpus vivificare
potest, in quantum habet esse infimum, quod sibi et corpori potest esse commune
in composito ex utroque. Esse autem Angeli cum sit altius, non potest hoc modo
communicari corpori. Unde vivit tantum, et non vivificat formaliter.
# 8. L'âme unie à un corps le vivifie, non seulement effectivement,
mais formellement, mais vivifier ainsi un corps est moins que vivre seulement
par soi, à proprement parler. Car l'âme peut de cette manière vivifier le
corps, dans la mesure où il a un être faible, qui peut être commun à elle et au
corps, dans le composé des deux. Mais comme l'être de l'ange est plus élevé, il
ne peut pas être communiqué de cette manière à un corps. C'est pourquoi il vit
seulement et il ne le vivifie pas formellement.
q. 6 a. 6 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod retrogradatio quae videtur in planetis, et statio et
directio non provenit ex difformitate motus unius et eiusdem mobilis, sed ex
diversis motibus diversorum mobilium, vel ponendo eccentricos et epicyclos
secundum Ptolomaeum vel ponendo diversitatem motuum secundum diversitates
polorum, sicut alii posuerunt. Et tamen si etiam difformiter moverentur caelestia
corpora, per hoc non magis ostenderetur quod moverentur a motore voluntario
coniuncto quam quod a separato.
# 9. La recul, l'immobilité et le mouvement rectiligne qu'on voit dans
les planètes, ne proviennent pas de la difformité d'un seul mouvement et d'un
même mobile, mais de différents mouvements, de différents mobiles, ou en posant
des excentriques et des épicycles selon Ptolémée[19] ou la diversité des
mouvements selon la diversité des pôles, comme d'autres l'ont pensé. Et
cependant si les corps célestes étaient mus aussi d'une façon différente, on ne
montrerait pas plus par là qu'ils sont mus par un moteur volontaire joint que
par un moteur séparé.
q. 6 a. 6 ad 10 Ad
decimum dicendum, quod corpora caelestia etiamsi non sint animata, moventur a substantia
vivente separata, cuius virtute agunt, sicut instrumentum virtute principalis
agentis; et ex hoc causant in inferioribus vitam.
# 10. Même si les corps célestes ne sont pas animés, ils sont mus par
une substance vivante séparée, par son pouvoir ils agissent comme instrument
pour le pouvoir de l'agent principal; et c'est par cela qu'ils causent la vie
dans les êtres inférieurs.
q. 6 a. 6 ad 11 Ad
undecimum dicendum, quod philosophus demonstrationes suas ad duas conclusiones
sub disiunctione terminat, scilicet: quod mobilia vel reducuntur statim ad
movens immobile, vel ad movens seipsum, cuius una pars est movens immobile;
quamvis ipse magis secundam partem praeeligere videatur. Si quis tamen primam
partem eligat, nullum inconveniens ex suis demonstrationibus sequetur.
# 11. Le Philosophe termine ses démonstrations par deux conclusions
séparées, à savoir que les mobiles sont ramenés aussitôt ou bien à un moteur
immobile, ou à ce qui se meut soi-même, dont une partie est un moteur immobile;
quoique lui-même semble préférer la seconde solution. Cependant si quelqu'un
choisit la première, rien d'inconvenant ne découle de ses démonstrations.
q. 6 a. 6 ad 12 Ad
duodecimum dicendum, quod id quod est supremum in corporibus, attingit ad
infimum spiritualis naturae per aliquam participationem proprietatum eius sicut
per hoc quod est incorruptibile, non autem per hoc quod ei uniatur.
# 12. Ce qui est le plus haut dans les corps touche au plus bas de la
nature spirituelle, par une participation de ses propriétés, par le fait qu'il
est incorruptible mais non par le fait qu'il lui est uni.
q. 6 a. 6 ad 13 Ad
decimumtertium dicendum, quod corpus humanum quantum ad materiam ignobilius est
caelesti corpore, sed corpus humanum formam habet nobiliorem, si corpora caelestia
sunt inanimata. Nobiliorem tamen dico secundum
se, non tamen secundum quod corpus format. Perfectiori enim modo forma caeli
perficit materiam, cui praebet esse incorruptibile, quam anima rationalis
corpus. Hoc autem ideo est, quia substantia spiritualis quae movet caelum, est
altioris dignitatis quam ut corpori uniatur.
# 13. Le corps humain, quant à sa matière, est moins noble que le corps
céleste, mais il a une forme plus noble, si les corps célestes sont inanimés.
Je la dis cependant plus noble en soi, non cependant selon qu'elle met en forme
le corps. Car la forme du ciel achève la matière, à qui elle fournit un être
incorruptible par un mode plus parfait, que l'âme rationnelle achève le corps.
C'est pour cela, que la substance spirituelle qui meut le ciel, est d'une plus
grande dignité que d'être unie à un corps.
q. 6 a. 6 ad 14 Ad
decimumquartum dicendum, quod aerea corpora esse non possunt, rationibus
praedictis.
# 14. Les corps aériens ne peuvent pas exister pour les raisons qu'on a
déjà données.
q. 6 a. 6 ad 15 Et per hoc patet responsio ad
decimumquintum quod procedit de opinione Platonis.
# 15. Et par là apparaît la réponse à la quinzième objection qui
procède de l'opinion de Platon.
q. 6 a. 6 ad 16 Ad
decimumsextum dicendum, quod Angelus non movetur commensurando se spatio, sicut
corpora moventur, sed aequivoce motus dicitur de motu Angelorum et de motu
corporum.
# 16. L'ange n'est pas mû en se mesurant à l'espace, comme les corps,
mais le mouvement des anges et de celui des corps sont appelés mouvement de
manière équivoque.
q. 6 a. 6 ad 17 Ad
decimumseptimum dicendum, quod verbum Dei non unitur corpori ut forma, quia sic
fieret una natura ex verbo et carne: quod est haereticum.
# 17. Le Verbe de Dieu n'est pas uni à un corps comme une forme, parce
qu'ainsi le Verbe et la chair deviendraient une seule nature, ce qui est
hérétique.
q. 6 a. 6 ad 18 Ad
decimumoctavum dicendum, quod Porphyrius in hoc opinionem Platonis sequitur,
quod deos nominat Daemones, quos ponebant animalia, et etiam corpora caelestia.
# 18. Porphyre suit sur ce point l'opinion de Platon: il appelle les
démons des dieux, qu'ils pensaient être des êtres animés et les corps célestes
aussi.
[1]
Parall.: Ia, qu. 51, a. 1 - CG. II, 91—II Sent. D. 8, a. 1. — De Malo qu. 16,
a. 1— De Spir. Creat. a. 5 — Opusc. XV, De Angelis,c. 18. (Cf. Les noms divins, IV, XIX; n° 538 ss..
[2]
L XI, 170. Le texte en est donné en Ia, qu. 51, a. 1, obj. 1: "C'est le
propre de la seule nature de Dieu (c'est-à-dire du Père, du Fils et de l'Esprit
Saint) d'exister sans substance matérielle et en dehors de toute union
corporelle." (Trad. Du Cerf)
[3]
Cette persistance de croyance que les êtres spirituels ont un corps dure encore
jusqu'à Teilhard de Chardin (Lettres intimes).
[4]
Thomas n° 540.
[5]
. Trad. de Denys: "Une colère sans raison, une convoitise sans
intelligence, une imagination entreprenante. (p. 119 l. 20). Demens
concupiscentia: anou" epiqumia.
[6]
Cité en 5, 9, obj. 11.
[7]
Il semble meilleur de traduire "être animé" plutôt que par animal.
[8]
Porphyre 233-305, disciple de Plotin.
[9]
C'est un raisonnement logique. Thomas explore toutes les possibilités logiques.
Id. pour sed contra 5.
[10]
Cf. démonstration plus développée en Pot. 7, 1, c, première raison, où il
démontre la simplicité de Dieu.
[11]
"C'est pourquoi également Anaxagore a raison de proclamer que l'intellect
est impassible et sans mélange, puisque justement il en fait le principe du
mouvement… s'il peut dominer c'est à conditions d'être sans mélange".(Trad.
H. Carteron).
[12]
Écrivain et grammairien latin. Début du Ve siècle. Il s’inspire de Platon.
[13]
Écrivain latin, disciple de Platon (125-180).
[14]
"Certains penseurs déclarent que l'âme est mêlée à l'univers entier;
peut-être est-ce l'origine de l'opinion de Thalès que tout est plein de dieux."
(Trad. E. Barbotin).
[15]
II, XVIII, 38: "On se demande encore si ces brillants luminaires du ciel
sont seulement des corps ou s’il ont pour les régir des esprits attachés à
chacun d’eux."
[16]
"Sed ne illud quidem certum habere utrum ad eamdem societatem pertineant
sol et luna et cuncta sidera: quamvis nonnullis lucida corpora esse, non cum
sensu et intelligentia, videantur." Ench. 58. (je n'ai pas trouvé la
suite.
[17]
B.J.: "Mille milliers le servaient, myriades de myriades, debout devant
lui". (BJ).
[18]
Ignorat quidem igitur omnis malus quas oportet operari et a quibus fugiendum."
[19]
Claudius Ptolémée, 100-178, post Christ., astronome, mathématicien, physicien,
géographe.
Article 7: Les anges ou les démons peuvent-ils
assumer un corps?
q. 6 a. 7 tit. 1
Septimo quaeritur utrum Angeli vel Daemones possint corpus assumere. Et videtur
quod non.
Il semble que non[1].
Objections:
q. 6 a. 7 arg. 1
Corpus enim substantiae incorporeae unitum esse non potest, nisi vel quantum ad
esse, vel quantum ad motum. Sed Angeli non possunt habere unita sibi corpora
quantum ad esse, quia sic essent eis naturaliter unita: quod est contra
praedicta. Ergo relinquitur quod non possint corporibus uniri, nisi in quantum
movent ea. Sed hoc non sufficit ad rationem assumptionis; quia sic Angelus et
Daemon assumeret omne corpus quod movet, quod patet esse falsum; movit enim
Angelus linguam asinae Balaam, nec tamen dicitur eam assumpsisse. Ergo non
potest dici, quod Angelus vel Daemon corpus assumat.
1. Car un corps ne peut être uni à une substance incorporelle, que pour
l'être ou le mouvement. Mais les anges ne peuvent avoir des corps qui leur
seraient unis pour l'être, puisque, ainsi, ils leur seraient unis
naturellement, ce qui est contre ce qui a été dit (article 6). Donc il reste
qu'ils ne pourraient être unis à des corps, que dans la mesure où ils les
meuvent. Mais cela ne suffit pas pour les assumer, parce qu'ainsi l'ange et le
démon assumerait tout corps qu'il meut, ce qui parait faux, car un ange a mis
en mouvement la langue de l'âne de Balaam, et cependant on ne dit pas qu'il
l'ait assumée. Donc on ne peut pas dire que l'ange ou le démon assume un corps.
q. 6 a. 7 arg. 2
Praeterea, si Angeli vel Daemones corpora assumant, hoc non est propter eorum
necessitatem, sed vel propter nos instruendos quantum ad bonos, vel decipiendos
quantum ad malos. Sed ad utrumque sufficit sola
imaginaria visio. Ergo non videtur quod corpora assumant.
2. Si les anges ou les démons assument des corps, ce n'est pas par
nécessité pour eux, mais pour que les bons anges nous instruisent ou que les
méchants nous trompent. Mais dans l'un et l'autre cas, il suffit d'une vision
imaginaire. Donc il ne semble pas qu'ils assument des corps.
q. 6 a. 7 arg. 3
Praeterea, Deus in veteri testamento patribus apparuit, sicut et Angeli
apparuisse leguntur, ut Augustinus probat. Sed non est dicendum quod Deus
corpus assumpserit, nisi per mysterium incarnationis. Ergo nec Angeli
apparentes corpora assumunt.
3. Dans l'Ancien Testament, Dieu apparut aux Pères, de même on lit que
les anges apparurent, comme Augustin le prouve (La Trinité, III, 11 et 12). Mais il ne faut pas dire que Dieu a
assumé un corps, sinon par le mystère de l'Incarnation. Donc les anges qui
apparaissent n'assument pas de corps.
q. 6 a. 7 arg. 4
Praeterea, sicut uniri corpori naturaliter convenit animae, ita non esse unitum
naturaliter convenit Angelo. Sed anima non potest a corpore separari cum vult.
Ergo nec Angelus potest corpus assumere.
4. Être uni naturellement à un corps convient à l'âme, de même ne pas
être uni naturellement convient à l'ange; mais l'âme ne peut pas être séparée
du corps quand elle veut. Donc l'ange ne peut pas assumer un corps.
q. 6 a. 7 arg. 5
Praeterea, nulla substantia finita potest simul in plures operationes. Angelus
est quaedam substantia finita. Non potest ergo simul et nobis ministrare et
corpus assumere.
5. Aucune substance finie ne peut être en même temps dans plusieurs
opérations. Mais l'ange est une substance finie. Donc il ne peut pas en même
temps s'occuper de nous et assumer un corps.
q. 6 a. 7 arg. 6
Praeterea, inter assumens et assumptum debet esse aliqua proportio. Sed inter
Angelum et corpus non est aliqua proportio, cum sint omnino generum diversorum,
et per consequens incompossibilia. Ergo Angelus non potest assumere corpus.
6. Entre ce qui assume et ce qui est assumé, il doit y avoir un
rapport. Mais entre l'ange et le corps, il n'y en a aucun, puisqu'ils sont de
genres tout à fait différents, et par conséquent incompatibles entre eux. Donc
l'ange ne peut pas assumer un corps.
q. 6 a. 7 arg. 7
Praeterea, si Angelus assumit corpus: aut corpus caeleste, aut aliquod de
natura quatuor elementorum. Non quidem corpus caeleste, cum corpus caeli dividi
non possit, nec a loco suo divelli; similiter nec corpus igneum, quia sic
consumeret alia corpora quibus adhaereret; nec aereum, quia aer non est
figurabilis; nec aqueum, aqua enim figuram non retinet; similiter autem nec
terrenum, cum subito dispareant, ut patet de Angelo Tobiae. Ergo nullo modo
corpus assumunt.
7. Si l'ange assume un corps: ou c'est un corps céleste, ou quelque
chose de la nature des quatre éléments. Ce n'est certes pas un corps céleste,
puisque celui-ci ne pourrait pas être divisé, ni enlevé de son lieu; ni non
plus de la même manière un corps igné, parce qu'ainsi il consumerait les autres
corps auxquels il s'attacherait; ni aérien, parce l'air n'est pas susceptible
de recevoir une figure; ni aqueux, car l'eau ne retient pas de figure, ni
terrestre non plus, puisqu'il disparaît aussitôt, comme on le voit pour l'ange
de Tobie (XII, 21). Donc ils n'assument en aucune manière un corps.
q. 6 a. 7 arg. 8
Praeterea, omnis assumptio ad aliquam unionem terminatur. Sed ex Angelo et
corpore non potest fieri unum aliquo illorum trium modorum unitatis quos ponit
philosophus in I Physic.: non enim possunt fieri unum continuatione, neque
indivisibilitate, neque ratione. Ergo Angelus non potest corpus assumere.
8. Toute assomption se termine à une union. Mais l'ange et le corps ne
peuvent devenir un par l'un de ces trois modes d'unité, que signale le Philosophe
en Physique, (I, 2, 185 b 5[2]); car ils ne peuvent devenir un ni par continuité, ni par
indivisibilité, ni logiquement. Donc l'ange ne peut assumer un corps.
q. 6 a. 7 arg. 9
Praeterea, si Angeli corpus assumunt, aut corpora ab eis assumpta habent veras
species quae videntur aut non. Si quidem habent veras species, cum ergo
quandoque videantur in specie hominis, corpus ab eis assumptum erit verum
corpus humanum: quod est impossibile, nisi dicatur quod Angelus assumit hominem;
quod videtur inconveniens. Si autem non sunt verae species, hoc etiam
inconveniens videtur; non enim decet aliqua fictio Angelos veritatis. Nullo
ergo modo Angelus corpus assumit.
9. Si les anges assument un corps, les corps qu'ils assument ont des
formes qui paraissent réelles ou pas. Dans le premier cas, comme donc
quelquefois on les voit sous la forme d'un homme, le corps assumé par eux sera
un vrai corps d'homme, ce qui est impossible, à moins qu'on dise que l'ange
assume un homme, ce qui ne semble pas convenir. Mais si ce ne sont pas des
formes véritables, cela semble ne pas convenir non plus, car feindre la vérité
ne convient pas aux anges. Donc en aucune manière l'ange ne peut prendre un
corps.
q. 6 a. 7 arg. 10
Praeterea, sicut supra habitum est. Angeli et Daemones virtute suae naturae non
possunt facere in istis corporibus effectus aliquos, nisi mediantibus
virtutibus naturalibus. Sed virtutes naturales non insunt rebus corporalibus ad
formandum speciem humani corporis, nisi per determinatum modum generationis, et
nisi ex determinato semine: qualiter constat quod Angeli corpus non assumunt;
et eadem ratio est de aliis formis corporum in quibus Angeli aliquando
apparent. Ergo non potest esse hoc, per hoc quod Angeli assumant corpora.
10. Comme on l'a vu plus haut (art. 3, 4 et 5 de cette question) les
anges et les démons ne peuvent, par le pouvoir de leur nature, produire des
effets dans ces corps que par l'intermédiaire des pouvoirs naturels. Mais
ceux-ci ne sont dans les corps pour former l'aspect du corps humain, que par un
mode déterminé de génération, et que par une semence déterminée. De cette
manière il est bien certain que les anges n'assument pas un corps; et c'est la
même raison pour les autres formes des corps dans lesquels les anges apparaissent
quelquefois. Donc, ainsi il n'est pas possible que les anges assument un corps.
q. 6 a. 7 arg. 11
Praeterea, oportet quod movens aliquid influat corpori moto. Non potest autem
influere, nisi aliquo modo contingat. Cum ergo non possit esse contactus
Angelorum ad corpora, videtur quod non possit movere, et per consequens nec
assumere.
11. Il faut que le moteur insinue quelque chose dans le corps mû. Mais
il ne le peut que s'il y arrive par quelque moyen. Donc, comme il ne serait pas
possible qu'il y ait un contact des anges avec les corps, il semble qu'il ne
puisse ni mouvoir, ni par conséquent assumer.
q. 6
a. 7 arg. 12 Sed dicendum quod Angeli imperio solo movent corpus motu locali.- Sed
contra, movens et motum oportet esse simul, ut probatur in VII Phys. Sed ex hoc quod Angelus aliquid imperat voluntate
sua, non est simul cum corpore quod per ipsum moveri dicitur. Ergo solo
imperio movere non potest.
12. Mais il faut dire que les anges par leur seul pouvoir meuvent les
corps d'un mouvement local. — En sens contraire, le moteur et le mû doivent
être ensemble, comme c'est prouvé en Physique
(VII, 2, 242 b 6 – 245 b 15). Mais du fait que l'ange commande quelque chose
par sa volonté, il n'est pas en même temps avec le corps qu'on dit qu'il meut.
Donc par son seul commandement il ne peut pas mouvoir.
q. 6 a. 7 arg. 13
Praeterea, motus corporalis non obedit Angelis ad nutum quantum ad sui
formationem, sicut supra habitum est. Figura autem quaedam forma est. Ergo non
potest, solo imperio Angeli, corpus aliquod figurari ut habeat effigiem hominis
aut alicuius huiusmodi, in quo Angelus appareat.
13. Le mouvement corporel n'obéit pas au commandement des anges pour
être formé, comme on l'a dit plus haut (art. 3, 4 et 5 de cette question). Mais
la figure est une forme. Donc, par le seul pouvoir de l'ange, un corps ne peut
pas être modelé pour avoir une forme humaine ou quelque chose de ce genre, en
qui l'ange apparaît.
q. 6 a. 7 arg. 14
Praeterea, super illud Ps. X, 4: dominus in templo sancto suo, dicit Glossa,
quod etsi Daemones exterius simulacris praesideant, intus tamen esse non
possunt; et eadem ratione nec in aliis corporibus. Sed si corpora assumunt,
oportet eos in corporibus assumptis esse. Ergo non est dicendum, quod corpora
assumant.
14. Sur le Ps. 10, 4: "Le Seigneur dans son temple saint", la
glose interlinéaire dit que, même si les démons commandaient aux statues à
l'extérieur, cependant ils ne le peuvent pas à l'intérieur; et pour la même
raison dans les autres corps non plus. Mais s'ils assument un corps, il faut
qu'ils soient en lui. Donc on ne doit pas dire qu'ils l'assument.
q. 6 a. 7 arg. 15
Praeterea, si assumunt aliquod corpus, aut toti corpori uniuntur, aut alicui
parti eius: si solum alicui parti, non poterunt totum corpus movere, nisi unam
partem moveant altera mediante; quod non videtur posse contingere, nisi corpus
assumptum habeat partes organicas determinatas ad motum, quod est solum
corporum animatorum. Si autem toti corpori uniuntur immediate, oportet quod sit
in qualibet parte corporis assumpti Angelus; et constat quod totus, cum sit
impartibilis. Ergo erit in pluribus locis simul: quod est solius Dei. Non ergo
Angelus potest corpus assumere.
15. S'ils assument un corps, ou bien ils sont unis à tout le corps ou
bien à une de ses parties. Si c'est seulement à une partie, ils n'ont pu
mouvoir tout le corps, qu'en mettant en mouvement une partie par
l'intermédiaire d'une autre; ce qui ne semble pas pouvoir arriver, à moins que
le corps assumé ait des parties organiques déterminées au mouvement, ce qui
appartient seulement à des corps qui donnent vie. Mais s'ils sont unis à tout
le corps sans intermédiaire, il faut qu'il soit dans une quelconque partie du
corps assumé, et il est évident que c'est le tout, puisqu'il n'est pas
divisible en parties. Donc il sera dans plusieurs endroits en même temps; ce
qui n'appartient qu'à Dieu seul. Donc l'ange ne peut pas assumer un corps.
En sens contraire:
q. 6 a. 7 s. c. Sed
contra est quod legitur de Angelis apparentibus Abrahae, ut habetur in Gen.
XVIII, v. 2, qui in corporibus assumptis apparuerunt; et similiter de Angelo
qui Tobiae apparuit
On lit au sujet des anges apparus à Abraham, comme on le voit en Gn.
18, 2, qu'ils apparurent dans des corps qu'ils avaient assumés. Et de même pour
l'ange qui apparut à Tobie (Tob. 3, 25).
Réponse:
q. 6 a. 7
co. Respondeo. Dicendum quod quidam eorum qui sacrae Scripturae credunt, in qua
apparitiones Angelorum leguntur, dixerunt quod Angeli nunquam corpora assumunt,
sicut patet de Rabbi Moyse, qui hanc opinionem ponit; unde dicit, quod omnia
quaecumque in sacra Scriptura leguntur de apparitione Angelorum, contingunt in
visione prophetiae, secundum scilicet imaginariam visionem, quandoque quidem in
vigilando, quandoque vero in dormiendo.
Certains de ceux qui croient à l'Écriture sainte, où on lit qu'il y eut
des apparitions d'anges, ont dit que les anges n'assument jamais un corps,
comme c'est clair chez Rabbi Moyses, qui a émis cette opinion: c'est pourquoi
il dit que tout ce qu'on lit dans l'Écriture sainte sur l'apparition des anges
arrive en vision prophétique, selon une vision apparemment imaginaire, le
prophète étant quelquefois éveillé, mais quelquefois endormi.
Et haec positio veritatem Scripturae non salvat. Ex ipso
enim modo loquendi quo Scriptura utitur, datur intelligi quid significetur ut
res gesta, et quid per modum propheticae visionis. Cum enim aliqua apparitio
per modum visionis debeat intelligi, ponuntur aliqua verba ad visionem
pertinentia: sicut quod dicitur Ezech. cap. VIII, 3: elevavit me spiritus inter
caelum et terram, et adduxit me in Ierusalem in visionibus domini. Unde patet
quod illa quae fieri simpliciter narrantur simpliciter etiam intelligi debent
esse gesta. Sic autem legitur de pluribus apparitionibus in veteri testamento.
Et cette opinion ne garde pas la vérité de l'Écriture. Car par la
manière même de parler dont elle use, il est donné à comprendre ce qu'elle
signale comme récit et [d’autre part] ce qui dépend d'une vision prophétique.
Car lorsqu'une apparition doit être comprise comme une vision, il y a des mots
qui s'y rapportent: comme ce qui est dit (Ez. 8, 3): "L'esprit m'a élevé
entre ciel et terre, et m'a conduit à Jérusalem dans des visions divines."
C'est pourquoi il est clair que ce qui est fait simplement est raconté
simplement et doit être compris simplement comme une histoire. C'est ce qu'on
le lit pour plusieurs apparitions dans l'Ancien Testament.
Unde simpliciter concedendum est quod Angeli quandoque
corpus assumunt, formando corpus sensibile, exteriori sive corporali visioni
subiectum; sicut et quandoque aliquas species in imaginatione formando apparent
secundum imaginariam visionem. Hoc autem conveniens est propter tres rationes:
C'est pourquoi il faut simplement concéder que quelquefois les anges
assument un corps, donnant forme à un corps sensible, susceptible d'être vu
extérieurement ou corporellement, comme aussi quelquefois ils apparaissent en
formant des images dans l'imagination selon une vision imaginaire. Cela
convient pour trois raisons:
primo quidem et principaliter, quia omnes illae apparitiones
veteris testamenti ad illam apparitionem ordinantur in qua filius Dei visibilis
mundo apparuit, ut Augustinus dicit. Unde cum filius Dei verum corpus
assumpserit, et non phantasticum ut Manichaei fabulantur, conveniens fuit ut
etiam vera corpora assumendo, Angeli hominibus apparerent.
1) Principalement parce que toutes ces apparitions de l'Ancien
Testament sont ordonnées à cette apparition en laquelle le Fils de Dieu apparut
visiblement dans le monde, comme Augustin le dit (La Trinité, III, ch. 11 et 12). C'est pourquoi, quand le Fils de
Dieu a pris un vrai corps, et non un corps imaginaire, comme les Manichéens le
racontent, il a été convenable que les anges aussi, en prenant de vrais corps,
apparaissent aux hommes.
Secunda ratio potest sumi ex verbis Dionysii in epistola
quam scribit ad Titum; dicit enim quod ideo in divina Scriptura res divinae
nobis sub sensibilibus traduntur, inter alias rationes, ut totus homo, quantum
possibile est, ex participatione divinorum perficiatur, non solum intellectu
capiendo intelligibilem veritatem, sed etiam in natura sensibili per sensibiles
formas, quae sunt velut quaedam imagines divinorum. Unde similiter cum Angeli
hominibus appareant ad eos perficiendos, conveniens est ut non solum intellectum
illuminent per intellectualem visionem, sed quod etiam imaginationi provideant
et exteriori sensui per imaginariam visionem, corporum scilicet assumptorum.
Unde et haec triplex visio assignatur ab Augustino.
2) La seconde raison peut être tirée des paroles de Denys dans la
lettre qu'il écrivit à Tite; car il dit qu'ainsi, dans l'Écriture sainte, ce
qui est divin nous est transmis sous des formes sensibles, parmi d'autres
raisons, pour que tout l'homme, autant que c'est possible, soit achevé par la
participation du divin, non seulement en captant, par l'esprit, la vérité
intelligible, mais aussi dans la nature sensible par les formes sensibles qui
sont comme des images du divin. C'est pourquoi, de la même manière, comme les
anges apparaissent aux hommes pour les perfectionner, il convient que, non
seulement ils éclairent l'esprit, par une vision intellectuelle, mais encore
pourvoient à l'imagination, et à la sensation extérieure par une vision
imaginaire, à savoir celles des corps assumés. C'est pourquoi cette triple
vision est concédée par Augustin (La
Genèse au sens littéral, XI, ch. 7 et 24).
Tertia ratio potest esse, quia etsi Angeli natura sint nobis
superiores, per gratiam tamen adipiscimur eorum aequalitatem et societatem,
sicut habetur Matth. XXII, 30: erunt sicut Angeli in caelo. Et ideo, ut suam
familiaritatem et affinitatem ad nos ostendant, nobis suo modo per corporum
assumptionem conformantur, ut quod nostrum est accipientes, nostrum intellectum
in illud assurgere faciant quod proprium est ipsorum, sicut et filius Dei, dum
ad nos descendit, ad sua nos elevavit. Daemones autem quando in Angelos lucis
se transfigurant, quod boni Angeli ad nostrum profectum faciunt, ipsi ad
deceptionem facere moliuntur.
3) Il peut y avoir une troisième raison, parce que, même si les anges
nous sont supérieurs en nature, nous obtenons cependant par grâce l'égalité et
la communion avec eux, comme on le voit en Mt. 22, 30: "Ils seront comme
les anges dans le ciel." Et c'est pourquoi pour nous montrer leur familiarité
et leur affinité, ils se conforment à nous à leur manière en assumant un corps,
pour que recevant ce qui est de nous, ils élèvent notre esprit à ce qui leur
est propre, comme le Fils de Dieu, en descendant vers nous, nous élève à ce qui
lui est propre. Mais les démons, quelquefois se transforment en anges de
lumière, ce que les bons anges font pour notre progrès, eux travaillent à le
faire pour nous tromper.
Solutions:
q. 6 a. 7 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod non omne corpus quod movet Angelus assumit. Assumere
enim dicitur quasi ad se sumere. Assumit ergo Angelus corpus non ut suae
naturae uniat, sicut homo assumit cibum; neque ut uniat suae personae, sicut
filius Dei assumpsit humanam naturam; sed ad suam repraesentationem, illo modo
quo intelligibilia per sensibilia repraesentari possunt. Tunc ergo Angelus
corpus assumere dicitur quando corpus aliquod hoc modo format quod ad
repraesentationem suam est aptum; sicut patet per Dionysium in fine caelestis
hierarchiae, ubi ostendit quod per corporales formas, Angelorum proprietates
intelliguntur.
# 1. L'ange n'assume pas tout corps qu'il meut. Car on dit assumer
comme prendre pour soi. Donc l'ange assume le corps non pour s'unir à sa
nature, comme l'homme assume la nourriture, ni pour s'unir à sa personne, comme
le Fils de Dieu a assumé la nature humaine; mais pour sa représentation de
cette manière par laquelle les intelligibles peuvent être représentés par les
sensibles. Alors donc on dit que l'ange assume un corps quand il forme de cette
manière un corps susceptible de le représenter; comme cela est évident chez
Denys à la fin de la Hiérarchie céleste (ch. 5), où il montre que par les
formes corporelles, on comprend les propriétés des anges.
q. 6 a. 7 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod non solum imaginaria visio est utilis ad nostram
instructionem, sed etiam corporalis, ut dictum est.
# 2. Non seulement la vision imaginaire est utile à notre instruction,
mais même la vision corporelle, comme on l'a dit.
q. 6 a. 7 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod sicut dicit Augustinus, omnes Dei apparitiones quae in
veteri testamento leguntur, factae sunt ministerio Angelorum, qui aliquas
species vel imaginarias vel corporeas formant, per quas animum hominis videntis
in Deum reducerent; sicut et sensibilibus figuris possibile est hominem in Deum
reduci. Corpora ergo apparentia, in apparitionibus praedictis Angeli
assumpserunt; sed in eis Deus apparuisse dicitur quia ipse Deus erat finis in
quem, per repraesentationem huiusmodi corporum, Angeli mentem hominis elevare
intendebant. Et ideo in illis apparitionibus Scriptura quandoque commemorat
Deum apparuisse, quandoque Angelum.
# 3. Comme le dit Augustin (La
Trinité, III, ch. 11 et 12) toutes les apparitions de Dieu qu'on lit dans
l'Ancien Testament, ont été réalisées par le ministère des anges, qui forment
des espèces, imaginaires ou corporelles, par lesquelles ils ramènent à Dieu
l'âme de l'homme qui les voit; de même il est possible que l'homme soit ramené
à Dieu par des figures sensibles. Donc les anges assument les corps apparents
dans les apparitions dont on a parlé, mais on dit que c'est Dieu qui est apparu
parce qu'il était lui-même la fin pour laquelle, par la représentation des
corps de ce genre, les anges tendaient à élever l'esprit de l'homme. Et c'est
pourquoi dans ces apparitions, l'Ecriture rappelle que quelquefois c'est Dieu
qui est apparu, quelquefois c'est un ange.
q. 6 a. 7 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod nulla res habet potestatem supra suum esse: omnis enim
rei virtus ab essentia eius fluit, vel essentiam praesupponit. Et quia anima
per suum esse unitur corpori ut forma, non est in potestate eius ut ab unione
corporis se absolvat; et similiter non est in potestate Angeli quod se uniat
corpori secundum esse ut formam; sed potest corpus assumere modo praedicto, cui
unitur ut motor, et ut figuratum figurae.
# 4. Rien n'a de pouvoir au-dessus de son être; car tout pouvoir d'un
être découle de son l'essence, ou la présuppose. Et parce que l'âme par son
être est unie à un corps comme une forme, il n'est pas en son pouvoir de se
séparer du corps; et semblablement il n'est pas au pouvoir de l'ange de s'unir
à un corps selon l'être en tant que forme; mais selon le mode déjà dit, il peut
assumer un corps, à qui il est uni comme moteur, et comme le figuré à la
figure.
q. 6 a. 7 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod istae duae operationes, assumere corpus et ministrare,
sunt ad invicem ordinatae; et ideo nihil prohibet quin ea Angelus simul
exequatur.
# 5. Ces deux opérations: assumer un corps et servir sont ordonnées
l'une à l'autre; et c'est pourquoi rien n'empêche que l'ange les accomplissent
en même temps.
q. 6 a. 7 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod si proportio secundum commensurationem accipiatur, non
potest esse Angeli ad corpus proportio, cum eorum magnitudines non sint unius
generis, nec rationis eiusdem: nihil tamen prohibet quin sit aliqua habitudo
Angeli ad corpus, ut motoris ad motum et figurati ad figuram; quae proportio
potest dici.
# 6. Si on accepte une proportion selon la mesure, il ne peut pas y en
avoir de l'ange au corps, puisque leurs grandeurs ne sont pas d'un seul et même
genre ni d'une même nature. Cependant rien n'empêche qu'il y ait un rapport de
l'ange au corps comme du celui du moteur au mû et du figuré à la figure,
rapport qu'on peut appeler proportion.
q. 6 a. 7 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod ex quolibet elemento potest Angelus corpus assumere,
vel etiam ex pluribus elementis commixtis. Magis tamen competit quod ex aere
corpus assumat, qui potest inspissari faciliter, et sic figuram recipere et
retinere et per alicuius lucidi corporis oppositionem diversimode colorari,
sicut in nubibus patet; ut quantum ad praesens non sit differentia inter purum
aerem et vaporem seu fumum, qui in aeris naturam tendunt.
# 7. Avecn'importe quel élément, l'ange peut assumer un corps ou même
avec plusieurs éléments mêlés. Cependant il convient plus qu'il prenne un corps
de l'air, qui peut facilement s'épaissir et ainsi recevoir une figure et la
retenir, et par l'opposition d'un corps lumineux être coloré de diverses
manières, comme on le voit dans les nuages, pour qu'à ce moment-là il n'y ait
pas de différence entre l'air pur, la vapeur ou la fumée, qui déploient leur
nature dans les airs.
q. 6 a. 7 ad 8 Ad
octavum dicendum, quod illa divisione dividitur unum simpliciter. Sic autem
Angelus corpori non unitur, sed secundum quid, sicut motor mobili et ut
figuratum figurae, sicut supra dictum est.
# 8. L'unité est simplement divisée par cette division. Ainsi l'ange
n'est uni à un corps que relativement, comme le moteur au mobile, le figuré à
la figure, comme on l'a dit ci-dessus.
q. 6 a. 7 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod corpora illa quae Angeli assumunt, habent quidem veras
formas quantum ad id quod sensus percipere potest, quae sunt sensibilia per se,
sicut color et figura; non autem quantum ad naturam speciei, quae est sensibile
per accidens. Nec propter hoc oportet quod sit ibi aliqua fictio, quia formas
humanas non obiiciunt oculis Angeli, ut homines esse credantur, sed ut per
humanas proprietates, Angelorum virtutes cognoscantur; sicut nec etiam
metaphoricae locutiones sunt falsae, in quibus ex aliorum similitudinibus res
aliae significantur.
# 9. Ces corps que les anges assument ont de vraies formes, quant à ce
qui peut être perçu par les sens; ils sont sensibles par soi, comme la couleur
et la figure; mais non quant à la nature de la forme, qui est sensible par
accident. Et ce n'est pas pour ça qu'il faut qu'il y ait un subterfuge, parce
que les anges n'offrent pas aux yeux des formes humaines, pour qu'on croit que
ce sont des hommes; mais pour que, par des caractères humains, leurs pouvoirs
soient connus, de même que les expressions métaphoriques, qui signifient
certaines choses par des images d'autres choses ne sont pas fausses.
q. 6 a. 7 ad 10 Ad
decimum dicendum, quod licet virtutes naturales corporum non sufficiant ad
inducendum veram speciem humani corporis nisi per debitum modum generationis,
sufficiunt tamen ad inducendum similitudinem humanorum corporum quantum ad
colorem et figuram et ad huiusmodi accidentia exteriora, et praecipue cum ad
plura horum sufficere videatur motus localis aliquorum corporum, per quem et
vapores condensantur, et rarefiunt, et nubes diversimode figurantur.
# 10. Bien que les vertus naturelles des corps ne suffisent pas pour
induire la forme réelle d'un corps humain sinon par le mode nécessaire à la
génération, elles suffisent cependant pour induire une ressemblance des corps
humains pour la couleur, la figure et les accidents extérieurs de ce genre; et
surtout comme le mouvement local des corps parait suffire à plusieurs de
ceux-ci par lequel les vapeurs sont condensées et raréfiées et les nuages
figurées de diverses manières.
q. 6 a. 7 ad 11 Ad
undecimum dicendum, quod Angelus movens corpus assumptum influit ei motum, et
tangit non tactu corporali sed spirituali, per suam virtutem.
# 11. L'ange qui meut un corps assumé lui communique le mouvement et le
touche par son pouvoir non d'un toucher corporel mais spirituel.
q. 6 a. 7 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod
imperium Angeli requirit executionem virtutis; unde oportet quod sit quidam
tactus spiritualis ad corpus quod movet.
# 12. Le pouvoir de l'ange requiert l'accomplissement d'un pouvoir;
c'est pourquoi il faut que ce soit un toucher spirituel pour le corps qu'il
meut.
q. 6 a. 7 ad 13 Ad
decimumtertium dicendum, quod figura est quaedam forma quae, per abscissionem
materiae et condensationem vel rarefactionem, vel ductionem aut aliquem motum
huiusmodi, potest fieri in materia. Unde non est eadem ratio de hac forma et
aliis.
# 13. La figure est une forme qui par épaississement de la matière et
condensation ou raréfaction, ou induction ou un mouvement de ce genre, peut
être produite dans la matière. C'est pourquoi cette forme n'a pas la même
nature que les autres.
q. 6 a. 7 ad 14 Ad
decimumquartum dicendum, quod esse in aliquo corpore potest intelligi
dupliciter: uno modo ut sit infra terminos quantitatis: et sic nihil prohibet
Diabolum in aliquo corpore esse;
alio modo ut sit intra rei essentiam ut dans esse rei et
operans in re, quod est solius Dei proprium, quamvis Deus non sit pars
essentiae alicuius rei. Potest autem et secundum Glossam intelligi Daemon in
simulacro non esse sicut idololatrae putabant, ut scilicet ex simulacro et
spiritu habitante fieret unum.
# 14. Etre dans un corps peut être compris de deux manières:
1) Il est en dessous des termes de quantité; et ainsi rien n'empêche le
diable d'être dans un corps.
2) Il est dans l'essence de la chose, comme lui donnant l'être et
opérant en elle; ce qui est le propre de Dieu seul, quoique Dieu ne soit pas
une partie de l'essence d'une chose. Mais on peut et selon la glose, comprendre
que le démon n'est pas dans une statue comme les idolâtres le pensaient, au
point que la statue et l'esprit qui l'habite deviennent un.
q. 6 a. 7 ad 15 Ad
decimumquintum dicendum, quod Angelus est totus in toto corpore assumpto et in
qualibet parte eius, eadem ratione qua et anima: licet enim non sit forma
corporis assumpti ut anima, est tamen motor. Movens autem et motum oportet esse
simul. Et tamen non sequitur ut sit in pluribus locis simul, comparatur enim
totum corpus assumptum ad Angelum sicut unus locus.
# 15. L'ange est tout entier dans tout le corps assumé, et en chacune
de ses partie, pour la même raison que l'âme, car bien qu'il ne soit pas la
forme du corps assumé, en tant qu'âme, il en est cependant le moteur. Mais le
moteur et le mû doivent être ensemble. Et cependant il n'en découle pas qu'il
soit en plusieurs endroits en même temps, car tout corps assumé par l'ange
équivaut pour ainsi dire à un seul lieu.
[1] Parall.: Ia, qu. 51, a. 2, - II sent.
d8a2.
[2]
"Or l'un se dit du continu, soit de l'indivisible, soit de ce qui a une
même définition et une quiddité une…" (Trad. H. Carteron).
q. 6 a. 8 tit. 1
Octavo quaeritur utrum Angelus vel Daemon per corpus assumptum possit
operationes viventis corporis exercere. Et videtur quod non.
Il semble que non[1].
Objections:
q. 6 a. 8 arg. 1
Cuicumque enim competit habere virtutem ad aliquod opus, competit ei habere ea
sine quibus illud opus haberi non potest; alias talis virtus frustra ei
adesset. Sed huiusmodi opera viventium corporum sine corporeis organis exerceri
non possunt. Cum ergo Angelus non habeat corporea organa naturaliter sibi
unita, videtur quod non possit praedicta opera exercere.
1. Car à quiconque il convient d'avoir le pouvoir d'accomplir une
œuvre, il convient d'avoir ce sans quoi cette œuvre ne peut être accomplie;
autrement un tel pouvoir serait en vain en lui. Mais de telles œuvres des corps
vivants ne peuvent pas être exercées sans les organes corporels. Donc comme
l'ange n'a pas d'organe corporel naturellement uni à lui, il semble qu'il ne peut
pas accomplir ces œuvres.
q. 6
a. 8 arg. 2 Praeterea, anima est nobilior quam natura. Sed Angelus non potest
opus naturae facere nisi mediante virtute naturali. Ergo multo minus potest
facere opera animae per corpus assumptum quod anima caret.
2. L'âme est plus noble que la nature. Mais l'ange ne peut accomplir
l'œuvre de la nature que par l'intermédiaire d'un pouvoir naturel. Donc il peut
beaucoup moins accomplir les œuvres de l'âme par le corps sans âme qu'il
assume.
q. 6 a. 8 arg. 3
Praeterea, inter omnes operationes animae, quae per organa complentur, actus
sensuum sunt propinquiores intellectuali operationi, quae est propria Angeli.
Sed Angelus per corpus assumptum non potest sentire vel imaginari. Ergo multo
minus potest opera alia animae facere.
3. Parmi toutes les opérations de l'âme, qui sont accomplies par les
organes, les actions des sens sont plus proches de l'opération intellectuelle
qui est le propre de l'ange. Mais il ne peut ni sentir ni imaginer par le corps
qu'il assume. Donc il peut beaucoup moins accomplir les autres œuvres de l'âme.
q. 6 a. 8 arg. 4
Praeterea, locutio non fit sine voce. Vox autem est sonus ab ore animalis
prolatus. Cum ergo Angelus utens corpore assumpto non sit animal, videtur quod
loqui non possit per corpus assumptum, et multo minus alia facere: nam locutio
propinquissima sibi videtur, cum sit intellectus signum.
4. La parole ne se fait pas sans la voix. Mais celle-ci est le son
proféré par la gueule de l'animal[2]. Donc
comme l'ange, qui se sert d'une corps assumé, n'est pas un animal, il semble
qu'il ne puisse pas parler par ce corps qu’il assume, et beaucoup moins faire
d'autres choses: car la parole lui semble très proche puisqu'elle est le signe
de l'esprit.
q. 6 a. 8 arg. 5
Praeterea, ultima operatio animae vegetabilis in uno et eodem individuo est
generatio: prius enim nutritur et augetur animal quam generet. Sed non potest
dici quod Angelus, vel corpus assumptum ab ipso, nutriatur vel motu augmenti
moveatur. Ergo non potest esse quod corpus assumptum generet.
5. La dernière opération de l'âme végétative dans un seul et même
individu est la génération; car l'animal se nourrit, et il grandit avant
d'engendrer. Mais on ne peut pas dire que l'ange ou le corps qu'il assume est
nourri ou mû par un mouvement de croissance. Dons il n'est pas possible qu'un
corps assumé engendre.
q. 6 a. 8 arg. 6 Sed
dicendum, quod Angelus vel Daemon per corpus assumptum generare potest, non
quidem semine ex corpore assumpto deciso, sed semine hominis in muliere transfuso,
sicut et adhibendo alia propria semina quosdam veros effectus naturales
causat.- Sed contra: semen animalis praecipue ad generationem operatur per
calorem naturalem. Si autem Daemon semen portaret per aliquam magnam
distantiam, impossibile videtur quin calor naturalis evaporaret. Ergo non
posset fieri generatio hominis per modum praedictum.
6. Mais il faut dire que l'ange ou le démon peut engendrer par le corps
qu'il assume, cependant pas par séparation de la semence d'avec le corps assumé;
mais par la semence d'un homme transfusée dans la femme, et en employant
d'autres semences propres, il cause de vrais effets naturels. — En sens contraire:
la semence de l'être animé opère surtout pour la génération par la
chaleur naturelle. Mais si le démon portait la semence sur une grand distance,
il semble impossible que la chaleur naturelle ne soit pas détruite. Donc il ne
serait pas possible que la génération de l'homme se fasse de cette manière.
q. 6
a. 8 arg. 7 Praeterea, secundum hoc, ex tali semine homo non generaretur nisi
secundum virtutem humani seminis. Ergo illi qui dicuntur a
Daemonibus generari, non essent maioris staturae et robustiores aliis qui
communiter per semen humanum generantur; cum tamen dicatur Genes. VI, 4, quod
cum ingressi essent filii Dei ad filias hominum illaeque genuerunt, nati sunt
gigantes, potentes a saeculo, viri famosi.
7. Ainsi, l'homme n'est engendré d'une telle semence que selon le
pouvoir de la semence humaine. Donc ceux qu'on dit engendrés par les démons, ne
seraient pas d'une plus grande stature, ni plus robustes que les autres, qui
sont engendrés communément par la semence humaine, alors que cependant, on dit
en Genèse VI, 4, que, comme "ils s'etaient introduits chez les filles des
hommes, et elles engendrèrent, des géants naquirent, les puissants de cette
époque, hommes fameux."
q. 6 a. 8 arg. 8
Praeterea, comestio ad nutrimentum ordinatur. Si ergo Angeli in corporibus
assumptis non nutriuntur, videtur quod nec etiam comedant.
8. Manger est ordonné à la nutrition. Si donc les anges dans les corps
qu'ils assument ne sont pas nourris, il semble qu'ils ne mangent pas non plus.
q. 6 a. 8 arg. 9 Praeterea, ad ostendendum
veritatem corporis humani resurgentis, Christus post resurrectionem comedere
voluit. Si autem Angeli vel Daemones in corporibus assumptis
comedere possent, non esset comestio efficax argumentum resurrectionis, quod
patet esse falsum. Non ergo Angeli vel Daemones per corpus assumptum comedere
possunt.
9. Pour montrer la vérité de son corps humain ressuscité, le Christ,
après sa résurrection, a voulu manger. Mais si les anges et les démons dans les
corps assumés pouvaient manger, cette action de manger ne serait pas efficace
comme l'argument de la résurrection, ce qui paraît faux. Donc les anges ou le
démons ne peuvent pas manger par le corps qu'ils assument.
En sens contraire:
q. 6 a. 8 s. c. 1
Sed contra. Est quod dicitur Gen. capit. XVIII, 9, de Angelis qui apparuerunt
Abrahae: cum comedissent, dixerunt ad eum: ubi est Sara uxor tua? Ergo et
comedunt et loquuntur Angeli in corporibus assumptis.
1. Il y a ce qui est dit en Gn. 18, 9 au sujet des anges qui apparurent
à Abraham: "Comme ils avaient mangé, ils lui dirent: Où est Sara ton
épouse?" Donc les anges mangent et parlent dans les corps qu'ils avaient
assumés.
q. 6
a. 8 s. c. 2 Praeterea, Genes. VI, 2, super illud: videntes filii Dei, etc.,
dicit Glossa Hieron.: verbum Hebraicum Eloim utriusque numeri est: Deum enim et
deos significat. Ideo aquila filios deorum dicere ausus est deos, sanctos vel
Angelos intelligens. Ergo videtur quod Angeli generent.
2. En Gn. 6, 2 sur cette parole: "Les fils de Dieu voyant…",
la glose de Jérôme dit: "Le mot hébreux Elohim est de deux nombres: Car il
signifie Dieu et des dieux. C'est pourquoi Aquila a osé appelé les fils des dieux
des dieux, comprenant les saints et les anges." Donc il semble que les
anges engendrent.
q. 6 a. 8 s. c. 3
Praeterea, sicut per artem hominis nihil fit frustra, ita nec per artem Angeli.
Frustra autem assumerent corpora disposita ad modum organici corporis, nisi
illis organis uterentur. Ergo videtur quod exerceant in corporibus assumptis
opera organis convenientia, sicut quod videant per oculos, et audiant per
aures, et sic de aliis.
3. Rien n'est fait en vain par l'art de l'homme, ni non plus par l'art
de l'ange. C'est en vain qu'ils assumeraient des corps disposés à la manière
d'un corps organique, s'ils n'en utilisaient pas les organes. Donc il semble
qu'ils exercent dans les corps assumés des œuvres qui conviennent à ces
organes, comme voir de leurs yeux, entendre avec leurs oreilles, etc..
Réponse:
q.
6 a. 8 co. Respondeo. Dicendum quod actio aliqua ex duobus naturalem
speciem accipere videtur: scilicet ex agente et termino. Calefactio enim ab
infrigidatione differt, quia una earum ex calore procedit et ad calorem
terminatur; alia vero a frigore et ad frigus. Proprie tamen actio, sicut et
motus, a termino speciem habet; a principio autem habet proprie quod sit
naturalis. Motus enim et actiones naturales dicuntur quae sunt a principio
intrinseco.
Il faut dire qu'une action semble recevoir une forme naturelle de deux
manières: à savoir de l'agent et du terme[3].
Car l'échauffement est différent du refroidissement, parce que l'un des
deux procède de la chaleur et s'y termine, l'autre du froid et s'y termine.
Cependant l'action, comme le mouvement, reçoit proprement sa forme de son terme;
mais du principe, elle a en propre ce qui lui est naturel. Car on appelle
mouvement et actions naturelles ce qui vient d'un principe intrinsèque.
Considerandum est ergo, quod in operationibus animae,
quaedam sunt quae non sunt solum ab anima sicut a principio, sed etiam
terminantur ad animam et ad corpus animatum; et huiusmodi actiones Angelis in
corporibus assumptis attribui non possunt neque secundum similitudinem speciei
neque secundum naturalitatem actionis sicut sentire, augeri, nutrire et
similia. Sensus enim est secundum motum a rebus ad animam; similiter
nutrimentum et augmentum est per hoc quod aliquid generatur et additur corpori
viventi.
Donc il faut considérer que dans les opérations de l'âme, il y en a
certaines qui ne viennent pas seulement de l'âme comme de leur principe, mais
se terminent aussi à l'âme et au corps animés et les actions de ce genre ne
peuvent être attribuées aux anges dans les corps qu'ils assument, ni selon la
ressemblance de la forme (species), ni selon le caractère naturel de l'action:
exemple éprouver des sensations, grandir, se nourrir etc.. Car la sensation
dépend du mouvement des objets vers l'âme; de même la nourriture et la
croissance viennent de quelque chose qui est engendré et ajouté au corps
vivant.
Quaedam vero actiones sunt animae quae quidem sunt ab anima
sicut a principio, terminantur tamen ad aliquem exteriorem effectum; et si
quidem talis effectus per solam corporis divisionem vel motum localem produci
possit, talis actio attribuetur Angelo per corpus assumptum quantum ad
similitudinem speciei in effectu, non tamen erit vere naturalis actio, sed
similitudo talis actionis; sicut patet in locutione, quae formatur per motum
organorum et aeris, et comestione, quae perficitur per divisionem cibi et
traiectionem in partes interiores.
Mais il y a certaines actions de l'âme qui viennent d'elle comme d'un
principe, cependant elles se terminent à un effet extérieur; et même si un tel
effet pouvait se produire par la seule division du corps, ou un mouvement local;
une telle action serait attribuée à l'ange par le corps qu'il assume quant à la
ressemblance de la forme dans l'effet, cependant ce ne sera pas vraiment une
action naturelle, mais une imitation, comme cela apparaît dans la parole qui
est formée par le mouvement des organes et de l'air, et le fait de manger qui
s'achève par la division de la nourriture et son passage dans les organes
intérieurs.
Unde locutio quae attribuitur Angelis in corporibus
assumptis, non est vere naturalis locutio, sed quaedam similitudinaria per
similitudinem effectus; et similiter dicendum est de comestione. Unde et Tobiae
XII, 18, dicit Angelus: cum essem vobiscum (...) videbar quidem vobiscum
manducare et bibere; sed ego cibo invisibili et potu (...) utor. Si autem talis
effectus requirat transmutationem secundum formam, tunc non poterit fieri per
Angelum; nisi forte mediante naturali actu, sicut patet de generatione.
C'est pourquoi la parole qui est attribuée aux anges dans les corps
qu’ils assument, n'est pas vraiment une parole naturelle, mais quelque chose de
similaire par imitation de l'effet; et il faut en dire autant de la nutrition.
C'est pourquoi en Tobie, 12, 18, l'ange dit: "Quand j'étais avec vous…
vous m'avez vu manger, et boire; mais je me nourris d'une nourriture invisible
et je me sers d'un breuvage invisible." Si un tel effet demandait un
changement de forme, alors il ne pourrait pas être fait par lui, à moins par hasard
d'un acte naturel intermédiaire comme cela se voit dans la génération.
Solutions:
q. 6 a. 8 ad
1 Ad primum ergo dicendum, quod huiusmodi operationes non naturaliter Angelus
exercet, et ideo non oportet quod habeat naturaliter organa unita.
# 1. L'ange n'exerce pas naturellement des actions de ce genre et c'est
pourquoi il ne faut pas qu'il ait des organes qui lui soient unis
naturellement.
q. 6 a. 8 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod veras operationes animae Angelus non facit, sed
similitudinarias, ut dictum est.
# 2. L'ange ne fait pas de vraies opérations de l'âme, mais ce sont des
imitations, comme on l'a dit.
q. 6 a. 8 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod iam dictum est, quare sensus non potest Angelis in
corporibus assumptis attribui.
# 3. On a déjà dit (dans le corps de l'article), pourquoi on ne peut
pas attribuer la sensation aux anges dans le corps qu'ils assument.
q. 6 a. 8 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod vera locutio attribui non potest Angelo in corpore
assumpto, sed solum similitudinaria, ut dictum est, ubi supra.
# 4. Une vraie parole ne peut pas être attribuée à l'ange dans le corps
qu'il assume, mais seulement des imitations de la parole, comme on l'a dit
ci-dessus.
q. 6 a. 8 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod Angelis bonis generare nunquam attribuitur; sed de
Daemonibus est duplex opinio:
quidam enim dicunt, quod Daemones etiam nullo modo generare
possunt in corporibus assumptis, propter rationes in obiiciendo inductas.
# 5. Engendrer n'est jamais attribué aux anges; pour les démons il y a
deux opinions:
1) Certains en effet disent que les démons ne peuvent en aucune manière
engendrer dans les corps qu'ils assument, à cause des raisons données dans
l'objection.
Quibusdam vero videtur quod generare possunt, non quidem per
semen a corpore assumpto decisum, vel per virtutem suae naturae, sed per semen
hominis adhibitum ad generationem, per hoc quod unus et idem Daemon sit ad
virum succubus, et semen ab eo receptum in mulierem transfundit, ad quam fit
incubus. Et hoc satis rationabiliter sustineri potest, cum etiam alias res
naturales causent, propria semina adhibendo, ut Augustinus dicit.
2) Il semble à certains qu'ils peuvent engendrer, non par une semence
qui vient du corps qu'ils assument, ni par le pouvoir de sa nature, mais par la
semence d'un homme employée pour la génération, par le fait qu'un seul et même
démon est un succube pour l'homme et la semence reçue par lui est introduite
dans la femme, pour laquelle il devient l'incube. Et cela peut être soutenu
assez raisonnablement, puisqu'ils sont causes même d'autres choses naturelles,
en employant des semences particulières[4], comme Augustin
le dit (La Trinité, III, 8 et 9).
q. 6 a. 8 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod circa evaporationem seminis potest Daemon remedium
adhibere, tum per velocitatem motus, tum adhibendo aliqua fomenta, per quae
calor naturalis conservetur in semine.
# 6. Le démon peut apporter remède à l'évaporation de la semence, tant
par la rapidité du mouvement, qu'en recevant quelque combustible, par lequel il
conserve la chaleur naturelle dans la semence.
q. 6 a. 8 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod procul dubio generatio, praedicto modo facta, virtute
humani seminis fit. Unde homo sic genitus, non esset filius Daemonis, sed viri
cuius fuit semen. Et tamen possibile est quod per talem modum homines fortiores
generentur et maiores, quia Daemones volentes in suis effectibus mirabiles
videri, observando determinatum situm stellarum, et viri et mulieris
dispositionem, possunt ad hoc cooperari. Et praecipue si semina, quibus utuntur
sicut instrumentis, per talem usum aliquod augmentum virtutis consequantur.
# 7. Sans doute la génération, accomplie d'une telle manière, est faite
par le pouvoir de la semence humaine. C'est pourquoi l'homme ainsi engendré ne
serait pas fils du démon, mais de l'homme dont vient la semence. Et cependant
il est possible que par un tel mode les hommes engendrés soient plus forts et
plus grands, parce que les démons voulant paraître admirables dans leurs
effets, en observant la position déterminée des étoiles, et la disposition de
l'homme et de la femme, peuvent y participer. Et surtout si les semences qu'il
utilisent comme instrument, par tel usage obtiennent une augmentation de la
puissance.
q. 6 a. 8 ad 8 Ad
octavum dicendum, quod comestio attribuitur Angelis in corporis assumptis, non
quantum ad finem, qui est nutritio, sed simpliciter quantum ad comestionis
actum; et similiter etiam Christo post resurrectionem cuius, corpori non erat
tunc aliquid addibile. In hoc tamen differt, quod comestio Christi fuit vere
naturalis comestio, utpote eius existens qui animam vegetabilem habebat; et sic
potuit esse argumentum veritatis naturae. In utraque tamen comestione cibus non
est conversus in carnem et sanguinem, sed resolutus in materiam praeiacentem.
# 8. Le fait de manger est attribuée aux anges dans les corps qu'ils
assument, non quant à son but, qui est la nutrition, mais simplement pour
l'action de manger, et il en est de même aussi pour le Christ, après la
résurrection: rien ne pouvait être ajouté à son corps. Cependant il y a une
différence du fait que manger pour le Christ fut vraiment naturel; en tant
qu'ayant existé auparavant, il avait une âme végétative, et ainsi il a pu
démontrer la vérité de sa nature. Dans l'une et l'autre repas, la nourriture
n'a pas été changée en chair et sang, mais dissoute dans la matière qui
existait auparavant.
q. 6 a. 8 ad 9 Et per hoc patet responsio ad
nonum.
# 9. Et cela donne réponse à l'objection 9.
Arguments en sens contraire:
q. 6 a. 8 ad s. c. 1
Ad primum vero quod in contrarium obiicitur, dicendum, quod comestio et locutio
qualiter Angelis sit attribuenda, dictum est, in corp. art.
# 1. Il faut dire qu'on a parlé dans le corps de l'article de la
nutrition et de la parole telles qu'elles sont attribuées aux anges.
q. 6 a. 8 ad s. c. 2
Ad secundum dicendum, quod per filios Dei intelligit quidem filios Seth, qui
erant Dei filii per gratiam, et Angelorum per imitationem. Filii autem hominum
dicebantur filii Cain, qui a Deo recesserant, carnaliter viventes.
# 2. Par les fils de Dieu, on comprend les fils de Seth, qui étaient
fils de Dieu par grâce; et des anges par imitation. Mais les fils des hommes,
qui se sont éloignés de Dieu en vivant charnellement, sont appelés fils de
Caïn.
q. 6 a. 8 ad s. c. 3 Ad tertium dicendum, quod
instrumenta sensuum assumunt Angeli, non ad utendum, sed ad signandum. Unde etsi
per ea non sentiant, non tamen frustra assumunt.
# 3. Les anges assument les organes des sens, non pour s'en servir,
mais comme un signe. C'est pourquoi, même s'ils n'éprouvent pas de sensations,
ils ne l'assument pas en vain.
[1] Ia, qu. 41, a. 3 - II Sent. d8a4.
[2]
Penser à l'âne de Balaam.
[3]
Ou du but recherché.
[4]
Augustin (loc. cit.) parle de semences de végétaux et d'animaux invisibles,
créées par Dieu, qui ont pu servir à de premières naissances que les anges ou
les démons découvrent et dont ils assurent l'éclosion (III, VIII, 13).
q. 6 a. 9 tit. 1
Nono quaeritur utrum operatio miraculi sit attribuenda fidei. Et videtur quod
non.
Il semble que non[1].
Objections:
q. 6 a. 9 arg. 1
Gratiae enim gratis datae a virtutibus differunt, eo quod virtutes sanctis
omnibus sunt communes, gratiae vero gratis datae diversis distribuuntur,
secundum illud I ad Cor. XII, 4: divisiones gratiarum sunt. Sed facere miracula
est gratiae gratis datae; unde in eodem capitulo dicitur: alii operatio
virtutum, et cetera. Ergo facere miracula non est attribuendum fidei.
1. Car les grâces données gratuitement différent des vertus, parce que
celles-ci sont communes à tous les saints, mais les grâce données gratuitement,
sont distribuées à diverses personnes selon ce mot de I Co. 12, 4: "Il y a
diversité des grâces[2]". Mais faire des miracles vient de la grâce donnée
gratuitement. C’est pourquoi dans le même chapitre il est dit (verset 10): "A
un autre l’opération des miracles, etc.". Donc faire des miracles ne doit
pas être attribué à la foi.
q. 6 a. 9 arg. 2 Sed
dicendum, quod attribuitur fidei tamquam merenti, gratiae gratis datae tamquam
exequenti.- Sed contra, est quod dicit Glossa ordinaria super illud Matth. VII,
22: Domine, nonne in nomine tuo prophetavimus? etc.: prophetare, virtutes
facere, Daemones eiicere, interdum non est meriti illius qui operatur, sed
invocatio nominis Christi. Ergo videtur quod non sit fidei attribuendum.
2. Mais il faut dire qu'on l'attribue à la foi, en tant que méritoire,
et à la grâce donnée gratuitement en tant qu'elle l'accompagne. — En sens
contraire, il y a ce que dit la Glose ordinaire sur cette parole de Mt. 7, 12: "Seigneur,
n’avons-nous pas prophétisé en ton nom", etc. "Prophétiser, faire des
miracles, chasser les démons, parfois ne dépend pas du mérite de celui qui
opère, mais de l’invocation du nom du Christ." Donc il semble qu’il ne
faut pas l’attribuer à la foi.
q. 6 a. 9 arg. 3
Praeterea, caritas est principium et radix merendi, sine qua fides informis
mereri non potest. Si ergo fidei propter meritum attribuitur operatio
miraculorum, magis est attribuenda caritati.
3. La charité est le principe et la racine du mérite sans laquelle la
foi informelle ne peut pas mériter. Si donc à cause du mérite, on attribue à la
foi l’accomplissement des miracles, il est mieux de l’attribuer à la charité.
q. 6 a. 9 arg. 4
Praeterea, cum sancti orando miracula faciant, illi virtuti praecipue debet
miraculorum operatio attribui quae facit ut oratio exaudiatur. Hoc autem facit
caritas; unde dicitur Matth. XVIII, 19: Si duo ex vobis consenserint super
terram de omni re, quamcumque petierint, fiet illis a patre meo, ut in Psal.
XXXVI, 4, dicitur: Delectare in domino, et dabit tibi petitiones cordis tui;
caritas enim est quae facit homines delectari in Deo per amorem Dei, et
consentire hominibus per amorem proximi. Ergo caritati debet attribui
miraculorum operatio.
4. Comme les saints font des miracles en priant, l’accomplissement des
miracles doit être attribué à ce qui fait que la prière est exaucée. C'est la
charité qui le fait; c’est pourquoi il est dit en Mt. 18, 19[3]: "Si deux
d’entre vous se sont mis d'accord sur la terre sur tout ce qu’ils demanderont,
mon Père les exaucera." Comme il est dit dans le Ps. 36, 4: "Réjouis-toi
dans le Seigneur et il te donnera tout ce que ton cœur demande."; car
c'est la charité qui fait que les hommes se réjouissent en Dieu par son amour,
et sont en sympathie avec les hommes par l’amour du prochain. Donc on doit
attribuer l’accomplissement des miracles à la charité.
q. 6 a. 9 arg. 5
Praeterea, dicitur Ioan. IX, 31: Scimus quia peccatores Deus non audit. Caritas
autem est quae sola peccata removet, quia, ut dicitur Prov. X, 12, universa
delicta operit caritas. Ergo caritati et non fidei debet attribui miraculorum
operatio.
5. Il est dit en Jn 9, 31: "Nous savons que Dieu n’écoute pas les
pêcheurs[4]". Mais la charité est la seule qui éloigne les péchés, parce
que, comme on le dit en Prov. 10, 12: "La charité couvre tous les pêchés".
Donc on doit attribuer l’accomplissement des miracles à la charité et non à la
foi.
q. 6 a. 9 arg. 6
Praeterea, sancti homines non solum orando impetrant miracula fieri, sed etiam
miracula faciunt ex potestate, ut Gregorius dicit. Hoc autem est inquantum homo
Deo unitur, ut sic divina virtus homini coassistat: quam quidem unionem caritas
facit, quia qui adhaeret Deo, scilicet per caritatem, unus spiritus est, ut
dicitur I Cor. VI, 17. Ergo caritati debet attribui miracula facere.
6. Les saints obtiennent de faire des miracles, non seulement en
priant, mais aussi ils en font par puissance, comme le dit Grégoire [le grand]
(Dialogues, II, ch. 30). Mais c’est
dans la mesure où l’homme est uni à Dieu, que le pouvoir divin l'assiste: cette
union, c’est la charité qui l’accomplit, parce que "celui qui s'unit a
Dieu, à savoir par charité, est un seul esprit [avec lui]", comme il est
dit en 1 Co. 6, 17[5]. Donc on doit attribuer l’accomplissement des miracles à
la charité.
q. 6 a. 9 arg. 7
Praeterea, caritati praecipue opponitur invidia, nam caritas congaudet bonis,
de quibus invidia tristatur. Sed immutatio in malum per fascinationem
attribuitur invidiae, ut dicitur in Glossa Gal. III, 1 (ordinaria super illud:
quis fascinavit?). Ergo et miraculorum operatio est attribuenda caritati.
7. On oppose surtout l’envie à la charité, car celle-ci se réjouit avec
les bons, l’envie s’en attriste. Mais le changement en mal est attribué à
l’envie par l'ensorcellement, comme on le dit dans la glose de Gal. 3, 1, glose
ordinaire sur cette parole: "Qui vous a ensorcelés?". Donc
l’accomplissement des miracles doit être attribué à la charité.
q. 6 a. 9 arg. 8
Praeterea, intellectus non est principium operationis nisi mediante voluntate.
Fides autem est in intellectu, caritas autem in voluntate. Ergo nec fides operatur nisi per caritatem; unde
dicitur Galat. V, 6: fides quae per dilectionem operatur. Sicut ergo operatio
actuum virtutis magis attribuitur caritati quam fidei, ita et operatio
miraculorum.
8. L’intellect n’est le principe de l’opération que par l’intermédiaire
de la volonté. Mais la foi est dans l’esprit, et la charité dans la volonté.
Donc la foi n’opère que par la charité; c’est pourquoi en Gal. 5, 6[6], il est
parlé de: "la foi qui opère par l'amour". Donc l’accomplissement des
actes de vertu est attribué à la charité plus qu’à la foi, et l’accomplissement
du miracle aussi.
q. 6 a. 9 arg. 9
Praeterea, omnia alia miracula ad incarnationem Christi ordinantur, quae est
miraculum miraculorum. Sed incarnatio Christi attribuitur caritati; unde
dicitur Ioan. III, 16: Sic Deus dilexit
mundum ut filium suum unigenitum daret. Ergo et alia miracula sunt
caritati attribuenda, et non fidei.
9. Tous les autres miracles sont ordonnés à l'Incarnation du Christ,
qui est le miracle des miracles. Mais celle-ci est attribuée à la charité;
c'est pourquoi il est dit en Jn 3, 16: "Le Seigneur a tant aimé le monde
qu'il lui a donné son Fils unique." Donc il faut attribuer les autres
miracles à la charité et non à la foi.
q. 6 a. 9 arg. 10
Praeterea, quod Sara anus et sterilis de vetulo concepit filium, miraculosum
fuit. Hoc autem attribuitur spei, ut dicitur Rom. IV, 18: Qui contra spem in
spem credidit. Ergo operari miracula attribuendum est spei, non fidei.
10. Que Sara, vieille femme stérile, conçut un fils d'un vieillard, a
été miraculeux. Mais on l'attribue à l'espérance, comme il est dit en Rm 4, 18:
"(Abraham) a cru contre tout espérance." Donc opérer des miracles est
attribué à l'espérance, non à la foi.
q. 6 a. 9 arg. 11
Praeterea, miraculum est aliquod arduum et insolitum, ut Augustinus dicit.
Arduum autem est obiectum spei. Ergo spei debet attribui operatio miraculorum.
11. Le miracle est quelque chose d'ardu et d'insolite[7], comme
Augustin le dit, (Sur l'Evangile de Jean 8, et La Trinité, II, ch. 4). Mais l'objet de l'espérance est ardu. Donc
l'accomplissement des miracles doit être attribué à l'espérance.
q. 6 a. 9 arg. 12
Praeterea, miraculum est manifestativum divinae potentiae. Sed sicut bonitati, quae
appropriatur spiritui sancto, respondet caritas; et veritati, quae appropriatur
filio, respondet fides; ita potestati, quae appropriatur patri, respondet spes.
Ergo facere miracula est attribuendum spei, et non fidei.
12. Le miracle manifeste la puissance de Dieu. Mais comme à la bonté
qui est appropriée à l'Esprit saint, répond la charité, et à la vérité, qui est
appropriée au Fils, répond la foi, ainsi à la puissance qui est appropriée au
Père, répond l'espérance. Donc faire des miracles doit être attribué à
l'espérance, non à la foi.
q. 6 a. 9 arg. 13
Praeterea, Augustinus dicit, quod mali homines interdum faciunt miracula per
publicam iustitiam. Ergo operatio miraculorum est attribuenda iustitiae, et non
fidei.
13. Augustin dit (Les 83 Questions, qu. 79) que les méchants font
quelquefois des miracles par justice publique. Donc l’accomplissement des
miracles est attribué à la justice, non à la foi.
q. 6 a. 9 arg. 14 Praeterea, Act. VI, 8,
dicitur, quod Stephanus plenus gratia et fortitudine faciebat prodigia et signa
magna in populo. Ergo videtur quod sit attribuendum fortitudini.
14. Il est dit en Act. 6, 8, qu' "Étienne, plein de grâce et de
force, faisait des prodiges et des signes importants dans le peuple". Donc
il semble qu'il faille l'attribuer à la (vertu de) force.
q. 6 a. 9 arg. 15 Praeterea, Matth. XVII, 20,
dicit dominus discipulis, qui daemoniacum sanare non poterant: Hoc genus
Daemoniorum non eiicitur nisi oratione et ieiunio. Sed eiicere Daemonia inter
miracula computatur: ieiunium autem est actus virtutis abstinentiae. Ergo ad
abstinentiam pertinet miracula facere.
15. En Mt. 17, 20, le Seigneur dit aux disciples qui ne pouvaient pas
guérir le démoniaque: "Ce genre de démon n'est chassé que par la prière et
le jeûne". Mais chasser les démons est compté parmi les miracles. Et le
jeûne est l'acte de la vertu d'abstinence. Donc c'est par elle qu'il convient
de faire des miracles.
q. 6 a. 9 arg. 16
Praeterea, Bernardus dicit quod cum muliere semper esse et feminam non
cognoscere, maius est quam mortuum suscitare. Hoc autem facit castitas. Ergo
castitatis est miracula facere, et non fidei.
16. Bernard dit qu'être toujours avec une femme sans la connaître est
plus grand que ressusciter un mort. Mais c'est la chasteté qui le fait. Donc
faire des miracles est le propre de la chasteté et non de la foi.
q. 6 a. 9 arg. 17
Praeterea, illud quod est in derogationem fidei, non est fidei attribuendum.
Sed miracula sunt in derogationem fidei, quia infideles imputabant ea magicae
arti. Ergo fidei non debet attribui facere miracula.
17. Il ne faut pas attribuer à la foi ce qui y déroge. Mais les
miracles sont dans la dérogation de la foi, parce que les infidèles les
imputent à l'art magique. Donc faire des miracles ne doit pas être attribué a
la foi.
q. 6 a. 9 arg. 18
Praeterea, fides Petri et Andreae commendatur a Gregorio, de hoc quod, nullis
miraculis visis, crediderunt. Ergo operatio miraculorum derogat fidei; et sic
idem quod prius.
18. La foi de Pierre et d'André est louée par Grégoire le grand (Hom.
5, sur l'Evangile), du fait que, sans avoir vu les miracles, ils ont cru. Donc
l'opération des miracles déroge à la foi, et ainsi de même que ci-dessus.
En sens contraire:
q. 6 a. 9 s. c. 1
Sed contra. Est quod dicitur Marci XVI, 17: Signa autem eos qui crediderint,
haec sequentur: in nomine meo Daemonia eiicient, et cetera.
1. Il y a ce qui est dit en Mc 16,17: "Mais voici les signes qui
accompagneront ceux qui auront cru: ils chasseront les démons en mon noms, etc."
q. 6 a. 9 s. c. 2
Praeterea, Matth. XVII, 19. Dominus dicit: Si habueritis fidem sicut granum
sinapis, dicetis monti huic: transi hinc illuc, et transibit; et nihil
impossibile erit vobis.
2. En Mt. 17, 19, le Seigneur dit: "Si vous aviez eu la foi comme
un grain de moutarde, nous diriez à cette montagne: Pars d'ici, et elle
partira, et rien ne vous sera impossible."
q. 6 a. 9 s. c. 3
Praeterea, si unum oppositum est causa oppositi, et reliquum oppositum est
causa reliqui. Sed incredulitas est causa
impediens miraculorum operationem: unde dicitur Marc. VI, 5, de Christo:
non poterat ibi, hoc est in patria sua, facere miracula, nisi paucos infirmos
impositis manibus curavit: et mirabatur propter incredulitatem illorum: et
Matth. XVII, 18, dicitur, dominum respondisse discipulis quaerentibus: quare
non potuimus eiicere Daemonium? Propter incredulitatem, inquit, vestram. Ergo
et fides est causa faciendi miracula.
3. Si l'opposé est la cause de l'opposé, l'opposé restant est la cause
du reste. Mais l'incrédulité est la cause qui empêche l'opération des miracles;
c'est pourquoi il est dit en Mc 6, 5, à propos du Christ: "Il ne pouvait
pas faire de miracle là (c'est-à-dire dans sa patrie) sinon qu'il guérit peu de
malades en leur imposant les mains, et il s'étonnait de leur incrédulité."
Et en Mt 17, 18, il est dit que le Seigneur répondit à ses disciples qui le
questionnaient: "Pourquoi n'avons-nous pas pu chasser, les démons?- A
cause de votre incrédulité, dit-il." Donc la foi est la cause (qui permet
de) faire des miracles.
Réponse:
q. 6 a. 9 co.
Respondeo Dicendum quod homines sancti miracula faciunt dupliciter, secundum
Gregorium in II Dialog.: scilicet, oratione impetrando ut miracula divinitus
fiant, et per potestatem. Utroque autem modo fides idoneum reddit hominem ad
miracula facienda, ipsa enim meretur proprie ut oratio exaudiatur de miraculis
faciendis.
Les saints font des miracles de deux manières, selon Grégoire
(Dialogue, II, 30): à savoir: en obtenant par la prière, de les faire avec
l'aide de Dieu, et par leur pouvoir. Mais de l'une et l'autre manière, la foi
rend l'homme capable de faire des miracles, car il mérite en propre pour que sa
prière soit exaucée pour faire des miracles.
Quod hac ratione videri potest: sicut enim in rebus
naturalibus videmus quod a causa universali omnes particulares causae sumunt
efficaciam agendi,- tamen effectus determinatus et proprius attribuitur causae
particulari, sicut patet de virtutibus activis inferiorum corporum respectu
virtutis caelestis corporis, et de ordinibus inferioribus (qui etsi sequantur
motum primi orbis, habent tamen singuli proprios motus),- ita etiam est de
virtutibus quibus meremur: nam omnes habent efficaciam merendi a caritate, quae
nos unit Deo a quo meremur et voluntatem perficit per quam meremur, singulae
tamen virtutes merentur singularia quaedam praemia eis proportionaliter
respondentia; sicut humilitas meretur exaltationem, et paupertas regnum.
Ce qui peut-être montré par cette raison: car de même que nous voyons
dans les choses naturelles que par la cause universelle toutes les causes
particulières tirent l’efficacité de leur action, — cependant l'effet déterminé
et plus propre est attribué à une cause particulière, comme on le voit dans les
pouvoirs actifs des corps inférieurs, par rapport à la puissance du corps céleste,
et des ordres inférieurs, (qui, même s'ils suivent le mouvement du premier ciel
ont cependant chacun des mouvements propres), — de même aussi il y a des vertus
par lesquelless nous méritons: Car toutes ont un mérite efficace par la
charité, qui nous unit à Dieu, par lequel nous méritons et il parfait la
volonté par laquelle nous méritons, cependant les puissance particulières
méritent des récompenses particulières qui leur correspondent
proportionnellement; ainsi l'humilité mérite l'élévation et la pauvreté le
Royaume.
Unde quandoque caritate cessante, per actum aliarum
virtutum, etsi aliquis nihil mereatur ex condigno, ex quadam tamen divina
liberalitate aliqua congrua beneficia retribuit pro huiusmodi actibus, saltem
in hoc mundo: unde dicitur, quod per ea quae sunt ex genere bona, extra
caritatem facta, merentur aliqui ex congruo interdum bonorum temporalium
multiplicationem.
C'est pourquoi, si quelquefois la charité cesse, par l'action des
autres vertus, même si quelqu'un ne mérite rien d'une manière convenable,
cependant de par sa libéralité, Dieu accorde des bienfaits convenables pour des
actions de ce genre, du moins en ce monde; c'est pourquoi on dit que par ce qui
est bon en son genre, produit sa charité, certains méritent parfois d'une
manière adéquate la multiplication des biens temporels.
Per hunc autem
modum fides meretur miraculorum operationem, licet radix merendi sit ex
caritate. Cuius ratio
potest triplex assignari:
Par ce moyen la foi mérite d'opérer des miracles bien que la racine du
mérite vienne de la charité. On peut lui en assigner trois raisons.
primo quidem, quia miracula sunt quaedam argumenta fidei,
dum per ea facta quae naturam excedunt, illorum veritas comprobatur quae
naturalem transcendunt rationem; unde Marc. ult., vers. 20, dicitur. Illi
profecti praedicaverunt ubique, domino cooperante, et sermonem confirmante
sequentibus signis.
1) Première raison, parce que les miracles sont des arguments de foi,
tant que les faits, qui dépassent la nature, confirme la vérité de ce qui
dépasse la raison naturelle; c'est pourquoi en Mc, (16, 20) il est dit: "Une
fois partis, ils prêchèrent partout avec l'aide du Seigneur, et en confirmant
leurs paroles par les signes qui les accompagnaient."
Secunda ratio est, quia fides potissime divinae potentiae
innititur, quam accipit ut rationem vel medium ad assentiendum his quae supra
naturam esse videntur: et ideo divina potentia in operatione miraculorum
praecipue fidei coassistit.
2) La seconde raison: parce que la foi s'appuie très fortement sur la
puissance divine, qu'elle reçoit comme raison ou intermédiaire pour approuver
ce qui semble être au-dessus de la nature; et c'est pourquoi la puissance
divine vient en aide à la foi surtout en accomplissant des miracles.
Tertia ratio est, quia miracula praeter naturales causas
fiunt; fides autem est quae non ex rationibus naturalibus et sensibilibus
argumenta assumit, sed ex rebus divinis.
3) La troisième raison: parce que les miracles se font au-delà des
causes naturelles; mais la foi tire argument non pas des raisons naturelles et
sensibles, mais de ce qui est divin.
Unde sicut paupertas temporalium rerum meretur divitias
spirituales, et humilitas meretur caelestem dignitatem, ita fides, quasi
contemnendo ea quae naturaliter fiunt, quodammodo miraculorum operationem
meretur, quae praeter naturalem virtutem fit.
C'est pourquoi, de même que la pauvreté en biens temporels mérite les
richesses spirituelles, et que l'humilité mérite la possession du ciel, de même
la foi, comme méprisant ce qui arrive naturellement, d'une certaine manière
mérite d'opérer des miracles, ce qui se fait au-delà du pouvoir naturel.
Similiter autem et per fidem homo maxime disponitur ut ex
potestate miracula faciat. Quod etiam ex tribus rationibus patet:
Mais de la même manière, et par la foi l'homme est parfaitement mis en
état de faire des miracles par son pouvoir. Ce qui apparaît pour trois raisons:
primo quidem, quia sicut supra dictum est, sancti ex
potestate miracula dicuntur facere, non quasi miraculorum principales auctores,
sed sicut divina instrumenta, imperium divinum, cui natura obedit in miraculis,
quodammodo ipsis rebus naturalibus praesentantes. Quod autem divinum verbum in
nobis habitet, est per fidem, quae est quaedam participatio in nobis divinae
veritatis; unde per ipsam fidem homo disponitur ad miracula facienda.
1) Parce que, comme on l'a dit ci-dessus (art. 4 de cette question),
les saints font des miracles par leur pouvoir, non comme leurs auteurs
principaux, mais comme des instruments divins, révélant d'une certaine manière
dans les choses naturelles le gouvernement divin, à qui la nature obéit dans
les miracles. Mais, c'est par la foi qui est une participation en nous à la
vérité divine que la parole divine habite en nous; c'est pourquoi par la foi même,
l'homme a possibilité de faire des miracles.
Secundo, quia sancti, qui ex potestate
miracula faciunt, operantur in virtute Dei agentis in natura. Actio enim Dei ad
totam naturam comparatur, sicut actio animae ad corpus; corpus autem ab anima
transmutatur praeter ordinem principiorum naturalium praecipue per aliquam
imaginationem fixam, ex qua corpus calefacit per concupiscentiam vel iram, aut
etiam immutatur ad febrem vel lepram. Illud ergo facit hominem dispositum ad
miracula facienda quod dat eius apprehensioni quamdam fixionem et firmitatem.
Hoc autem facit fides firma: unde firmitas fidei praecipue operatur ad miracula
facienda. Quod patet
ex hoc quod dicitur Matth. XXI, 21: si habueritis fidem et non haesitaveritis,
non solum de ficulnea facietis, sed et si monti huic dixeritis: tolle, et iacta
te in mare, fiet; et Iacob. I, 6: postulet autem in fide, nihil haesitans.
2) Parce que les saints, qui font des miracles par leur pouvoir,
opèrent dans la puissance de Dieu qui agit dans la nature. Car son action est
comparée à la nature toute entière, comme l'action de l'âme sur le corps, mais
le corps est changé par l'âme, au-delà de l'ordre des principes naturels,
surtout, par une imagination assujettie par laquelle le corps s'échauffe par
concupiscence ou colère, et même subit la fièvre ou la lèpre. Donc cela dispose
l'homme à faire des miracles, qui donne à sa connaissance fixité et fermeté.
Cela affermit aussi la foi; c'est pourquoi la fermeté de la foi travaille
surtout à faire des miracles. Ce qui apparaît de ce qui est dit en Mt. 21, 21: "Si
vous aviez eu la foi et si vous n'aviez pas hésité, non seulement vous l'auriez
fait à ce figuier et si vous aviez dit à cette montagne: Lève-toi et jète-toi
dans la mer, cela se ferait" et en Jc. 1, 6: "Qu'il demande avec foi
sans aucune hésitation."
Tertio, quia cum miracula ex potestate per modum cuiusdam
imperii fiant, illud praecipue facit idoneum ad miracula facienda ex potestate
quod reddit aptum ad imperandum. Hoc autem est per quamdam separationem et abstractionem
ab illis quibus debet imperare. Unde et Anaxagoras dicit quod intellectus erat
immixtus, ad hoc quod imperet. Fides autem animum abstrahit a rebus naturalibus
et sensibilibus, et eum in rebus intelligibilibus fundat. Unde per
fidem redditur homo aptus ad hoc quod per potestatem miracula faciat.
Et inde est etiam
quod illae virtutes ad facienda miracula praecipue cooperantur, quae animum
hominis a rebus maxime corporalibus abstrahunt: sicut continentia et
abstinentia quae retrahunt ab electionibus quibus homo sensibilibus rebus
immergitur. Aliae vero virtutes quae ad disponenda temporalia ordinant, non ita ad
facienda miracula disponunt.
3) Parce que comme les miracles sont faits par la puissance à la
manière du commandement, cela surtout rend capable de faire des miracles par la
puissance qui rend apte à commander. Mais c'est par une séparation et une
abstraction de ce par quoi il doit commander. C'est pourquoi Anaxagore dit
aussi que l'intelligence était sans mélange pour commander. Mais la foi
abstrait l'esprit des choses naturelles et sensibles, et le fonde dans
l'intelligible. C'est pourquoi par la foi l'homme est rendu apte à faire des
miracles par sa puissance.
Et de là vient que ces vertus pour faire des miracles aident surtout à
tirer l’esprit de l’homme de ce qui est tout à fait corporel; de même que la
continence et l’abstinence qui retire des élus âr lesquel l’homme est Immergé
dans le sensible. Mais les autres vertus qui sont ordonnent à ce qui dispose au
temporel mais ils ne disposent pas à faire des miracles.
Solutions:
q. 6 a. 9 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod facere miracula attribuitur gratiae gratis datae,
sicut principio proximo fidei, autem sicut disponenti ad huiusmodi gratiam
consequendam.
#1. Faire des miracles est attribué à la grâce donnée gratuitement,
comme au plus proche principe de la foi ou comme à ce qui dispose à acquérir
une grâce de ce genre.
q. 6 a. 9 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod licet interdum aliquis peccator miracula faciat, non
est hoc ex merito eius,- ex merito dico condigno - sed est ex quadam
congruitate, in quantum fidem constanter confitetur, in cuius protestationem
Deus miracula facit.
#2. Bien que quelquefois un pécheur fasse des miracles, ce n'est pas
par son mérite, — je parle du mérite convenable — mais c'est par une certaine
conformité, en tant qu'il confesse fermement la foi, dans le pouvoir de
laquelle Dieu fait des miracles.
q. 6 a. 9 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod ex hoc quod caritas est maior virtus fide, largitur ipsi
fidei efficaciam merendi; fides tamen magis congruit ad particulariter merendum
miraculorum operationes: fides enim est perfectio intellectus, cuius operatio
consistit in hoc quod res intellectae aliquo modo sunt in ipso; caritas autem
est perfectio voluntatis, cuius operatio consistit in hoc quod voluntas in
ipsam rem tendit. Unde per caritatem homo in Deo ponitur, et cum eo unum
efficitur: per fidem autem ipsa divina ponuntur in nobis: unde dicitur Hebr.
XI, 1, quod est, sperandarum substantia rerum. Et praeterea, miracula fiunt ad
confirmationem fidei, non autem ad confirmationem caritatis.
# 3. Du fait que la charité est une plus grande vertu que la foi, elle
accorde à la foi l'efficacité du mérite; cependant elle correspond plus aux
opérations pour mériter particulièrement des miracles, car la foi est la
perfection de l'esprit, son opération consiste en ce que les choses comprises
sont en lui d'une certaine manière, mais la charité est la perfection de la
volonté, dont l'opération consiste en ce que la volonté tend à la chose même.
C'est pourquoi, par la charité, l'homme est placé en Dieu, et devient un avec
lui, mais par la foi ce qui est divin est placé en nous; c'est pourquoi il est
dit en Hé. 11, 1[8], que "c'est la réalité des biens espérés". Et en
outre les miracles sont faits pour confirmer la foi mais pas la charité.
q. 6 a. 9 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod caritas meretur, ut dictum est, petitionum exauditionem,
sicut universale principium merendi; sed specialiter exaudiri in miraculis
faciendis meretur fides, ut dictum est.
# 4. La charité mérite, comme on l'a dit, l'écoute des demandes, comme
principe universel de mérite, mais spécialement la foi mérite d'être exaucée
pour faire des miracles, comme on l'a dit.
q. 6 a. 9 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod sicut Glossa ibidem dicit, verbum illud est caeci, qui
nondum erat totaliter sapientia illuminatus; unde sententiam falsam continet,
nam interdum Deus peccatores audit ex sua liberalitate, licet non ex eorum
merito. Et sic oratio eorum impetrat, licet non sit meritoria; sicut et
aliquando iusti oratio meretur sed non impetrat: nam impetratio pertinet ad id
quod petitur, et innititur soli gratiae; meritum autem pertinet ad finem quem
quis meretur, et innititur iustitiae.
# 5. Comme la glose ici même le dit (Augustin, Sur saint Jean, tract.
44), ce mot est de l'aveugle, qui n'est pas encore éclairé par la sagesse,
c'est pourquoi il contient une phrase fausse, car parfois Dieu écoute les
pêcheurs par sa libéralité, bien que ce ne soit pas pour leur mérite. Et ainsi
leur prière est exaucée, bien qu'elle ne soit pas méritoire, comme quelquefois
la prière du juste mérite mais n'est pas exaucée; car être exaucé appartient à
ce qui est demandé, et s'appuie sur la grâce seule, mais la mérite appartient à
la foi par laquelle quelqu'un mérite, et s'appuie sur la justice.
q. 6 a. 9 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod caritas unit Deo sicut hominem in Deum trahens: per fidem
vero divina ad nos trahuntur, ut dictum est prius.
# 6. La charité unit à Dieu, comme si elle attirait l'homme vers lui,
mais par la foi, le divin est tiré à nous, comme on l'a dit plus haut.
q. 6 a. 9 ad 7 Ad septimum dicendum, quod
invidia in fascinatione effectum habere non posset, nisi imaginatio fixa ad hoc
cooperaretur.
# 7. L'envie dans l'ensorcellement ne pourrait avoir d'effet si une
image assujettie n'y contribuait.
q. 6 a. 9 ad 8 Ad
octavum dicendum, quod ratio illa probat quod fides per caritatem meretur; et
hoc supra concessum est. Et praeterea, obiectio tenet in illis quae propria
virtute homo facit, in quibus intellectus voluntatem dirigit, quae potentiae
imperat exequenti. In his autem in quibus virtus divina est exequens, sola
fides, quae divinae potentiae innititur, sufficit ad operandum.
# 8. Cette raison prouve que la foi mérite par la charité, et cela on
l'a concédé ci-dessus. Et ensuite, l'objection tient en ce que l'homme fait par
son propre pouvoir, en qui l'intelligence dirige la volonté qui commande à la
puissance qui en découle. Mais pour ce en quoi le pouvoir divin est exécuté, la
foi seule, qui s'appuie sur la puissance divine, suffit pour opérer.
q. 6 a. 9 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod obiectio illa procedit de operatione miraculi secundum
quod est a Deo, qui ad omnia quae in creaturis operatur, ex amore movetur. Nam
divinus amor non permisit eum sine germine esse, ut dicit Dionysius. Nos autem
loquimur de operatione miraculi secundum quod est ab homine. Unde ratio non est
ad propositum.
# 9. Cette objection procède de l'opération du miracle selon qu'il
vient de Dieu, qui est poussé par amour pour tout ce qu'il opère dans les
créatures. Car l'amour divin ne permet pas que ce soit sans résultat, comme le
dit Denys (Les noms divins, IV). Mais
nous, nous parlons de l'accomplissement du miracle selon qu'il vient de
l'homme. C'est pourquoi cette raison ne convient pas à ce sujet.
q. 6 a. 9 ad 10 Ad
decimum dicendum, quod spei non proprie attribuitur miracula facere; spes enim
ordinatur ad aliquid consequendum, unde est solum de aeternis. Fides autem est
de aeternis et temporalibus; unde potest se extendere ad facienda. Et propter
hoc in auctoritate inducta principalius fit mentio de spe quam de fide, cum
dicitur, quod in spem credidit.
# 10. Faire des miracles n'est pas proprement attribué à l'espérance,
car elle est ordonnée à acquérir quelque chose, c'est pourquoi elle concerne
seulement l'éternité. Mais la foi concerne l'éternité et le temps; c'est
pourquoi elle peut parvenir à agir. Et pour cela, dans l'autorité rapportée, il
est fait plus mention de l'espérance que de la foi, quand on dit qu'il a cru "contre
toute espérance."
q. 6 a. 9 ad 11 Ad
decimumprimum dicendum, quod obiectum spei est arduum consequendum, non autem
arduum faciendum.
# 11. L'objet de l'espérance est d'obtenir ce qui est ardu, non de le
faire.
q. 6 a. 9 ad 12 Ad
decimumsecundum dicendum, quod spei respondet divina potentia secundum
sublimitatem suae maiestatis, in cuius consecutionem spes tendit; sed ipsi
potentiae, secundum quod est mirabilium effectiva, praecipue innititur fides.
# 12. A l'espérance répond la puissance divine, selon la sublimité de
sa majesté, que l'espérance tend à obtenir. Mais la foi s'appuie surtout sur la
puissance même selon qu'elle fait de miracles.
q. 6 a. 9 ad 13 Ad
decimumtertium dicendum, quod publica iustitia est ex fide, per quam tota Ecclesia
iustificatur, secundum illud Rom. III, 22: iustitia autem Dei per fidem Iesu
Christi.
# 13. La justice publique vient de la foi, par laquelle toute l'Église
est justifiée, selon cette parole de Rm. 3, 22: "La justice de Dieu par la
foi en Jésus Christ."
q. 6 a. 9 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod
fortitudo in passionibus tolerandis, et constantia confessionis erat in
martyribus propter fidei firmitatem.
# 14. Les martyrs possédaient la force pour supporter les passions, et
la fermeté de la confession à cause de la fermeté de leur foi.
q. 6 a. 9 ad 15 Ad
decimumquintum dicendum, quod etiam abstinentia ad miracula facienda
cooperatur, non tamen ita principaliter sicut fides.
# 15. Même l'abstinence coopère pour faire des miracles, non cependant
de façon aussi importance que la foi.
q. 6 a. 9 ad 16 Ad
decimumsextum dicendum, quod licet feminam non cognoscere et semper cum femina
commorari, sit difficile, non tamen est miraculum, proprie miraculo sumpto; cum
ex virtute creata dependeat, scilicet libero arbitrio.
# 16. Bien que ne pas connaître une femme et demeurer toujours avec
elle soit difficile, ce n'est cependant pas un miracle, en prenant le miracle
au sens propre, puisqu'il dépend de la vertu créée, c'est-à-dire du libre
arbitre.
q. 6 a. 9 ad 17 Ad
decimumseptimum dicendum, quod abusus miraculorum in his qui miraculis
detrahebant non aufert eorum efficaciam ad fidem confirmandam, quantum ad illos
qui erant bene dispositi.
# 17. Le mauvais usage des miracles en ceux qui les dénigraient,
n'enlève pas leur efficacité pour confirmer la foi, pour ceux qui étaient bien
disposés.
q. 6 a. 9 ad 18 Ad
decimumoctavum dicendum, quod fides Petri et Andreae commendatur propter
promptitudinem credendi, quae tanto maior fuit, quanto minoribus adminiculis
indiguit ad credendum: inter quae adminicula per se sunt miracula.
# 18. La foi de Pierre et d'André est recommandée à cause de leur
promptitude à croire, qui est d'autant plus grande qu'elle a eu besoin de plus
petites aides pour croire. Parmi ces aides en soi, il y a les miracles.
q. 6 a. 9 ad 19 Ad
decimumnonum dicendum, quod fides non est sufficiens causa ad miracula
facienda, sed dispositio quaedam. Fiunt autem miracula secundum ordinem divinae
providentiae, quae hominibus congrua remedia pro variis causis diversimode
dispensat.
# 19. La foi n'est pas une cause suffisante pour faire des miracles, il
y faut une certaine disposition. Mais les miracles sont faits selon l'ordre de
la providence divine, qui dispense aux hommes de diverses manières des remèdes
convenables pour des causes variées.
[1] Parall.: II/IIæ, qu. 178, a.
1, ad 5 — I/II, qu. 111, a. 4 — CG. III, 154 – Pot. qu. 6, a. 4.— I sent.
d48q1a.2, ad. 3 — Opusc. LX, a. 15.
[2]
Il s'agit des charismes.
[3]
"…si deux d'entre vous unissent leurs voix pour demander quoi que ce soit,
cela leur sera accordé par mon Père." (B.J.)
[4]
Id. en B.J. Il s'agit des paroles de l'aveugle-né, guéri par Jésus.
[5]
"Celui qui s'unit au Seigneur…n'est avec lui qu'un seul esprit."
(B.J.).
[6]
"(Ni circoncision, ni incirconcision ne comptent), mais seulement la foi,
opérant par la charité." (B.J.).
[7]
Cf. qu. 6, a. 2, obj. 6.
q. 6 a. 10 tit. 1
Decimo quaeritur utrum Daemones cogantur aliquibus sensibilibus et corporalibus
rebus, factis aut verbis, ad miracula facienda, quae per magicas artes fieri
videntur. Et videtur quod sic.
Il semble que oui[1].
Objections:
q. 6 a. 10
arg. 1 Dicit enim Augustinus, introducens verba Porphyrii, quod quidam in
Chaldaea tactus invidia, adiuratas spirituales potentias precibus alligavit, ne
ab alio postulata concederent. Et in 21 eiusdem Lib. dicit: non potuit primum
nisi, Daemonibus dicentibus, disci: quid quisque illorum appetat, quid
exhorreat, quo invitetur nomine, quo cogatur. Ergo Daemones a magis coguntur ad
magica facienda.
1. Car Augustin dit (La cité de
Dieu, X, 9[2]), rapportant les paroles de
Porphyre, que quelqu'un, en Chaldée, touché par l'envie, lia des puissances
spirituelles conjurées par des prières, pour qu'elles n'accordent pas ce qui
était demandé par un autre. Et au chapitre 21 du même livre, il dit: "Il
ne put apprendre que par des démons qui parlaient, ce que chacun d'eux demande,
ce qu'il déteste, par quel nom il est invité, par qui il est contraint."
Donc les démons sont forcés par des magiciens à faire des choses magiques.
q. 6 a.
10 arg. 2 Praeterea, quicumque facit aliquid contra suam voluntatem, aliquo
modo cogitur. Sed Daemones aliquando faciunt aliquid contra suam voluntatem per
magos adiurati. Est enim voluntas Daemonis semper ad inducendum homines in
peccatum, et tamen aliquis magica arte, ad turpem amorem incitatus, eadem arte
a violentia incitationis solvitur. Ergo Daemones
coguntur a magis.
2. Quiconque agit contre sa volonté, est forcé en quelque manière. Mais
les démons quelquefois agissent contre leur volonté, adjurés par des magiciens.
Car c'est la volonté du démon de toujours pousser les hommes au péché, et
cependant quelqu'un, par un art magique, incité à un amour honteux, est
affranchi, par le même art, de la violence de l'incitation. Donc les démons
sont contraints par les magiciens.
q. 6 a. 10 arg. 3
Praeterea, de Salomone legitur, quod quosdam exorcismos fecit quibus Daemones
cogebantur ut ex obsessis corporibus recederent. Ergo per adiurationes Daemones
cogi possunt.
3. On lit à propos de Salomon, qu'il fit quelques exorcismes par
lesquels les démons étaient forcés de partir des corps possédés. Donc les
démons peuvent être forcés par des adjurations
q. 6 a. 10 arg. 4
Praeterea, si Daemones advocati a mago veniunt, aut hoc est quia alliciuntur,
aut quia coguntur. Sed non semper
advocati alliciuntur: advocantur enim per quaedam quae Daemones odiunt, sicut
per virginitatem imprecantis, cum tamen ipsi ad incestos concubitus homines
deducere non morentur. Ergo videtur quod aliquando cogantur.
4. Si les démons, appelés par un magicien viennent, ou c'est parce
qu'ils sont attirés ou parce qu'ils sont forcés, mais appelés, ils ne sont pas
toujours attirés, car ils sont appelés par certaines choses qu'ils haïssent,
comme la virginité de celui qui prie, alors que cependant eux-mêmes n'hésitent
pas à amener les hommes à des enlacements incestueux. Donc il semble que
quelquefois ils sont contraints.
q. 6 a. 10 arg. 5
Praeterea, studium Daemonum est ut homines a Deo avertant. Sed ipsi advocati
per aliqua quae reverentiam Dei sonant, sicut per invocationem divinae
maiestatis, adveniunt. Ergo non propria voluntate hoc faciunt, sed coacti.
5. Les démons ont du zèle pour détourner les hommes de Dieu. Mais
appelés par ce qui célèbre la révérence de Dieu, comme par l'invocation de sa majesté
divine, ils viennent. Donc ils ne font pas cela par leur propre volonté, mais
contraints.
q. 6 a. 10 arg. 6
Praeterea, si alliciantur aliquibus sensibilibus, non alliciuntur eis sicut
animalia cibis, sed sicut spiritus signis, quaecumque delectationi congruunt,
per varia genera lapidum, herbarum, lignorum, animalium, carminum, rituum, ut
Augustinus dicit. Sed signis allici non videntur: eius enim allici signis est
cuius est signis uti, quod quidem est solum habentis sensum, nam signum est
quod praeter speciem quam ingerit sensibus facit aliquid aliud in agnitionem
venire. Ergo Daemones nullo modo alliciuntur, sed magis coguntur.
6. S'ils sont attirés par ce qui est sensible, ils ne le sont pas comme
les animaux par la nourriture, mais comme les esprit par les signes, à quelque
plaisir qu'ils s'accordent par les différents espèces de pierres, d'herbes, de
bois, d'animaux, de chants, de rites comme Augustin le dit (La cité de Dieu, XX1, 6[3]).
Mais ils ne semblent pas être attirés par les signes, car être attiré par les
signes (convient) à celui qui s'en sert, ce qui n'appartient seulement qu'à
celui qui a des sens, car le signe au-delà de l'image, qu'il insère dans les
sens, fait venir quelque chose d'autre à la connaissance. Donc les démons ne
sont attirés en aucune manière, mais ils sont plutôt contraints.
q. 6 a. 10 arg. 7 Praeterea, Matth. XVII, 14,
dixit quidam ad Iesum: Domine, miserere filio meo, quia lunaticus est et male
patitur. In Marco autem, cap. IX, 16, dicitur: Attuli
filium meum ad te habentem spiritum mutum. Dicit autem Glossa super verbo
praedicto Matth.: hunc Marcus surdum et mutum dicit quem Matthaeus nominat
lunaticum, non quod luna Daemonibus serviat, sed Daemon lunae cursum observans
homines corrumpit. Videtur ergo quod per observationem caelestium corporum et
aliorum corporalium, Daemones ad aliquid faciendum cogantur.
7. En Mt. 17, 14, quelqu'un dit à Jésus: "Seigneur, aie pitié de
mon fils, parce qu'il est lunatique et il souffre beaucoup." En Mc 9, 16,
il est dit: "Je t'ai amené mon fils; il a un esprit muet." La glose
(ordinaire) dit sur le mot de Mt.: "Marc appelle sourd et muet, celui que
Matthieu appelle lunatique, non que la lune soit soumise aux démons, mais le
démon en observant le cours de la lune, corrompt les hommes." Donc il
semble que par l'observation des corps célestes, et d'autres choses
corporelles, les démons soient forcés à faire quelque chose.
q. 6 a. 10 arg. 8
Praeterea, cum Daemones ex superbia peccaverint, non est probabile quod alliciantur
illis quae eorum excellentiae derogare videntur. Advocantur autem per
convocationes virtutis ipsorum, et per mendacia incredibilia quae derogant
scientiae ipsorum. Unde Augustinus dicit in X Lib. de civitate Dei, introducens
verba Porphyrii, sic dicentis: Quid enim homo vitio cuilibet obnoxius intendit
minas, eosque territat falso ut eis extorqueat veritatem, nam et caelum se
collidere minatur et cetera similia, homini impossibilia, ut illi dii, tamquam
insipientissimi pueri, falsis et ridiculosis comminationibus territi quae
imperantur efficiant? Ergo Daemones non alliciuntur sed coguntur advocati.
8. Comme les démons ont péché par orgueil, il n'est pas probable qu'ils
soient attirés par ce qui semble déroger à leur excellence. Mais on les fait
venir par un appel à leur vertu, et par les mensonges incroyables qui dérogent
à leur science. C'est pourquoi Augustin (La
cité de Dieu, X, 11[4]) rapporte les
paroles de Porphyre, qui parle ainsi, "Car en quoi l'homme attaché à
n'importe quel vice les menace, et les frappe d'épouvante par un mensonge, pour
leur extorquer la vérité, car il menace le ciel de se détruire et autres choses
semblables, impossibles à l'homme, pour que ces dieux, comme des enfants tout à
fait stupides, terrifiés par des menaces fausses et ridicules, accomplissent ce
qui est commandé?" Donc les démons ne sont pas attirés mais une fois
appelés, ils sont contraints.
q. 6 a. 10 arg. 9
Praeterea voluntas Daemonis ad hoc tendit, ut homines in culturam idolorum
deiiciat; quod quidem praecipue fit per hoc quod spiritus Daemonum imaginibus
adsunt. Si autem propria sponte advocati venirent, semper ad talia venirent.
Non autem veniunt, nisi certis temporibus observatis, et determinatis
carminibus et ritibus, imaginibus consecratis, vel potius execratis. Non ergo
Daemones advocantur quasi allecti, sed quasi coacti.
9. La volonté du démon tend à faire tomber les hommes dans le culte des
idoles, ce qui se fait surtout parce que les esprits des démons sont présents
dans les images. Mais si appelés, ils venaient toujours de leur propre
mouvement, ils viendrait toujours à de tels appels. Mais ils ne viennent qu'à
certaines époques qu'ils ont observées, et par des chants et des rites précis,
par les images consacrées, ou plutôt maudites. Donc les démons sont appelés non
pas comme attirés, mais comme contraints.
q. 6 a. 10 arg. 10 Praeterea aliquando Daemones
magicis artibus advocantur, ut homines ad turpem amorem inclinent. Hoc autem
Daemones propria voluntate facere intendunt. Non ergo esset opus ut
allicerentur si semper hoc facerent advocati. Non semper autem hoc faciunt. Ergo
quando faciunt, advocantur non ut allecti, sed quasi coacti.
10. Quelquefois les démons sont appelés par les arts magiques, pour
pousser les hommes à un amour honteux. Mais cela les démons tendent à le faire
de leur propre volonté. Donc ce ne serait pas la peine de les attirer si
toujours ils le faisaient une fois appelés. Mais ils ne le font pas toujours.
Donc quand il le font, ils sont appelés, non comme attirés mais comme
contraints.
En sens contraire:
q. 6 a. 10 s. c. 1
Sed contra. Est quod dicitur Iob XLI, 24: Non est potestas super terram quae ei
possit comparari scilicet Diabolo. Maior autem potestas non cogitur a minori.
Ergo per nihil terrenum Daemones cogi possunt.
1. En Job, (41, 24) il est dit: "Il n'y a pas sur terre de
puissance qui puisse lui être comparée[5]",
à savoir à celle du diable. Mais un plus grande puissance n'est pas contrainte
par une plus petite. Donc les démons ne peuvent être contraints par rien de
terrestre.
q. 6 a. 10 s. c. 2
Praeterea, non est eiusdem invocari et cogi. Invocantur enim maiores, ut Porphyrius dicit, sed peioribus imperatur. Daemones
autem veniunt advocati. Ergo non coguntur.
2. Ce n'est pas la même chose d'être appelé et d'être forcé. Car on
appelle les plus grands, comme Porphyre le dit, mais on commande aux plus
mauvais; mais des démons viennent (s'ils sont) appelés. Donc ils ne sont pas
contraints.
q. 6 a. 10 s. c. 3
Sed dicendum, quod coguntur virtute divina.- Sed contra, cogere Daemones ex virtute divina est per donum gratiae, quo
perficitur ordo caelestium potestatum. Hoc autem donum gratiae non adest
infidelibus, et hominibus sceleratis quales sunt magi. Ergo nec etiam virtute
divina Daemones cogere possunt.
3. Mais il faut dire qu'ils sont contraints par le pouvoir divin.— En
sens contraire contraindre les démons par le pouvoir divin vient par un don de
la grâce, par lequel l'ordre des puissances célestes est achevé. Mais ce don de
la grâce n'est pas pour les infidèles, ni pour les scélérats, tels que les
magiciens. Donc les démons ne peuvent pas non plus contraindre par la puissance
divine.
q. 6 a. 10 s. c. 4
Praeterea, facere ea quae divina virtute principaliter fiunt, non est peccatum,
sicut facere miracula. Si ergo magi virtute divina Daemones cogerent, utendo
magicis artibus non peccarent, quod patet esse falsum. Non ergo Daemones aliquo
modo magicis artibus coguntur.
4. Faire ce qui est fait principalement par la puissance divine n'est
pas un péché, comme faire des miracles. Donc si les magiciens contraignaient
les démons par la puissance divine, en se servant d'arts magiques, ils ne
pècheraient pas, ce qui évidemment faux. Donc les démons ne sont pas contraints
de quelque manière par les arts magiques.
Réponse:
q. 6 a. 10
co. Respondeo. Dicendum quod circa effectus magicarum artium multiplex fuit
opinio.
Quidam enim dixerunt, sicut Alexander, quod effectus
magicarum artium fit per aliquas potentias et virtutes in rebus inferioribus generatas
ex virtutibus quorumdam inferiorum corporum, cum observatione caelestium
motuum. Unde Augustinus dicit, quod Porphyrio videtur, herbis et lapidibus et
animantibus et sonis certis quibusdam ac vocibus et figurationibus atque
figmentis quibusdam, etiam observatis in caeli conversione motibus sidereis,
fabricari in terra ab hominibus potestates idoneas siderum variis effectibus
exequendis.
A propos des effets des arts magiques, il y eut de nombreuses opinions.
a) Certains ont dit, comme Alexandre[6],
que l'effet des arts magiques se fait par des puissances et des pouvoirs
engendrés dans les choses inférieures, par les pouvoirs de certains corps
inférieurs, et en observant les mouvements du ciel. C'est pourquoi Augustin dit
(La Cité de Dieu, X, 1) qu'il semble
à Porphyre, que par des herbes, des pierres, des êtres animés, certains sons,
des voix, des images, et aussi certaines représentations observées dans le ciel
par les mouvements des étoiles, des pouvoir capables d'accompagner différents
effets des astres sont fabriqués sur terre par des hommes.
Haec autem positio insufficiens videtur. Licet enim ad
aliqua quae magicis artibus fieri videntur, naturalium corporum superiorum et
inferiorum vires sufficere possint,- sicut ad quasdam corporum
transmutationes,- quaedam tamen fiunt magicis artibus ad quae nulla vis
corporalis se extendere potest. Constat vero quod locutio non est nisi ab
intellectu. Per magicas autem artes aliquae locutiones aliquorum respondentium
audiuntur; unde et oportet quod hoc fiat per aliquem intellectum, et praecipue
cum de aliquibus occultis per huiusmodi responsa homines doceantur.
Mais cette opinion semble insuffisante. Car, bien que pour certaines
choses qui semblent faites par les arts magiques, les forces des corps naturels
supérieurs et inférieurs puissent suffire, — comme pour certaines
transformations des corps, — certaines, cependant sont faites par les arts
magiques, auxquels nulle puissance corporelle ne peut s'étendre. Mais il est
clair que l'expression ne vient que de l'esprit. Mais par les arts magiques, on
entend certaines paroles de personnes qui répondent; c'est pourquoi il faut que
cela soit fait par un esprit et surtout quand les hommes apprennent de telles
réponses de manière occulte sur des choses cachées.
Nec potest dici, quod hoc fiat per immutationem
imaginationis solius per modum praestigii: quia tunc istae voces non ab omnibus
circumstantibus audirentur, nec a vigilantibus et habentibus sensus solutos
istae voces audiri possent.
Et on ne peut pas dire que cela se fait par le changement de la seule
imagination par imposture, parce que, alors, ces voix ne seraient pas entendues
par tous ceux qui sont autour, ni par des personnes éveillées et qui ont des
sens sans entraves.
Unde relinquitur quod fiant vel ex virtute animae hominis
magicis artibus utentis, aut fiant ab aliquo exteriori intellectum habente.
Primum autem esse non potest: quod patet ex duobus:
primo quidem, quia anima hominis ex sua virtute non potest
venire ad cognitionem ignotorum nisi per aliqua sibi nota; unde ex voluntate
animae hominis non potest fieri revelatio occultorum quae fit per magicas
artes, cum ad huiusmodi occulta facienda non sufficiant principia rationis.
C'est pourquoi il reste que c'est fait par le pouvoir de l'âme d'un
hommes qui se sert des arts magiques, ou c'est fait par quelqu'un d'extérieur
qui a un esprit.
1) Premièrement cela est impossible, ce qui paraît pour deux raisons:
a) Parce que l'âme de l'homme par son pouvoir ne peut en venir à
connaître ce qu'il ignore que par l'intermédiaire du connu; c'est pourquoi la
révélation de ce qui est caché qui se fait par les arts magiques ne peut pas se
faire par la volonté de l'âme humaine, puisque pour faire des choses cachées de
ce genre, les principes de la raison ne suffisent pas.
Secundo, quia si sua virtute huiusmodi effectus anima magi
faceret, non indigeret uti invocationibus aut aliquibus huiusmodi exterioribus
rebus.
Constat autem quod huiusmodi effectus magicarum artium per
aliquos exteriores spiritus fiunt, non autem per spiritus iustos et bonos: quod
quidem ex duobus patet:
primo, quia boni spiritus familiaritatem suam sceleratis
hominibus non exhiberent, quales plerumque sunt magicarum artium executores;
secundo, quia non cooperarentur hominibus ad illicita
perpetranda, quod plerumque fit per magicas artes. Restat ergo hoc fieri per
malos spiritus quos Daemones dicimus.
b) Parce que, si par son pouvoir, l'âme du magicien provoquait un effet
de ce genre, il ne manquerait pas d'utiliser des invocations ou des choses
extérieures de ce genre.
2) Il est clair que de tels effets des arts magiques sont faits par des
esprits extérieurs, mais pas par des esprits justes et bons, ce qui paraît de
deux manières:
a) Parce que les bons esprits ne montreraient pas leur familiarité aux
scélérats, tels que sont la plupart de ceux qui exercent les arts magiques.
b) Parce qu'ils ne collaboreraient pas avec les hommes pour perpétrer
des actes illicites, ce qui se fait la plupart du temps par les arts magiques.
Donc il reste que cela est fait par des esprits mauvais que nous appelons
démons.
Huiusmodi autem Daemones possunt intelligi cogi dupliciter:
uno modo per aliquam superiorem virtutem, quae eis
necessitatem faciendi inducat;
alio modo per modum allectionis, sicut homines dicuntur ad
aliquid cogi cuius concupiscentia alliciuntur.
Mais on comprend que de tels démons peuvent être contraints de deux
manières:
1) Par un pouvoir supérieur, qui les conduit à la nécessité de le faire;
2) au moyen d'un enrôlement, de même que pour les hommes on dit qu'ils
sont forcés de faire ce qui les attire par concupiscence.
Neutro autem modo rebus corporalibus, per se loquendo,
Daemones cogi possunt nisi supponantur habere corpora aerea naturaliter sibi
unita et per consequens habere sensibiles affectiones ad modum aliorum
animalium, sicut et Apuleius posuit Daemones esse animalia corpore aerea, anima
passiva. Sic enim cogi possent, utroque modo, corporali virtute et corporum
caelestium (ex quorum impressionibus in aliquas passiones inducerentur) et
etiam inferioribus corporibus in quibus delectarentur, sicut Apuleius dicit: et
delectantur in fumis sacrificiorum et in aliquibus talibus. Sed huius opinionis
falsitas ostensa est in praecedentibus quaestionibus.
En aucune manière les démons ne peuvent être contraints par des corps,
à proprement parler, à moins qu'on suppose qu'ils ont des corps aériens
naturellement unis à eux et par conséquent qu'ils ont des affections sensibles,
à la manière des autres êtres animés. Ainsi Apulée a pensé que les démons
étaient des êtres animés, au corps aérien, à l'âme passive (tiré d'Augustin la Cité de Dieu, VIII, 16). Car ainsi
ils peuvent être contraints de deux manières, par le pouvoir corporel et celui
des corps célestes (par les pressions desquels ils sont amenés à certaines
passions) et même par les corps inférieurs dont ils se délectent, comme Apulée
le dit: "Et ils se délectaient dans la fumée des sacrifices et autres
choses de ce genre". Mais l'erreur de cette opinion a été démontrée dans
les précédentes questions.
Restat ergo quod Daemones, per quos magicae artes
complementum habent, et coguntur et alliciuntur. Coguntur quidem a superiori;
quandoque quidem ab ipso Deo, quandoque vero a sanctis et Angelis et hominibus
virtute Dei.
B) Il reste donc que les démons, qui apportent un complément aux arts
magiques, sont contraints et attirés. Ils sont contraints par un supérieur,
quelquefois par Dieu lui-même, quelquefois par les saints, les anges et les
hommes, avec le pouvoir de Dieu. Car on dit qu'il convient à l'ordre des
Puissances d'écarter les démons. Mais de même que les saints participent au don
des vertus, dans la mesures où ils font des miracles, de même ils participent
au don des pouvoirs, dans la mesure où ils rejettent les démons. Des démons
sont forcés aussi quelquefois par les démons supérieurs, eux-mêmes, seule cette
contrainte peut être faite par les arts magiques. Ils sont contraints aussi
comme attirés par les arts magiques, non par ce qui est corporel en lui-même,
mais quelque chose d'autre.
Primo quidem, quia per huiusmodi res corporales sciunt
facilius posse compleri effectum ad quem invocantur; et hoc ipsi appetunt, ut
scilicet eorum virtus admirabilis habeatur; et propter hoc sub certa
constellatione advocati magis adveniunt.
1) Parce que, par les corps de ce genre, ils savent qu'ils peuvent plus
facilement accomplir un effet auquel ils sont appelés et ils le désirent pour
que leur pouvoir passe pour admirable, et pour cela ils arrivent plutôt appelés
sous certaines positions des astres.
Secundo, inquantum huiusmodi corporalia sunt
signa aliquorum spiritualium quibus delectantur. Unde Augustinus dicit, quod
alliciuntur Daemones in his rebus, non tamquam animalia cibis, sed quasi
spiritus signis. Quia enim homines in signum subiectionis Deo sacrificium
offerunt et prostrationes faciunt, gaudent huiusmodi reverentiae signa sibi
exhiberi. Alliciuntur autem diversi Daemones diversis signis, secundum quod
diversis vitiis ipsorum magis conveniunt.
2) Dans la mesure où les corps de ce genre sont des signes de certaines
choses spirituelles, dont ils se délectent. C'est pourquoi Augustin dit (La cité de Dieu XXI, 6) que les démons
sont attirés dans ces choses, non comme les animaux par la nourriture, mais
comme l'esprit par des signes. Car, parce que les hommes en signe de soumission
offrent un sacrifice à Dieu et font des prosternations, ils se réjouissent
qu'on leur montre des signes de révérences de ce genre. Mais différents démons
sont attirés par des signes différents, ce qui convient à leurs différents
vices.
Tertio alliciuntur his corporalibus rebus, inquantum homines
per eas in peccatum adducuntur; et inde est quod alliciuntur mendaciis, et his
quae homines in errorem vel peccatum inducere possunt.
3) Ils sont attirés par les corps, dans la mesure où les hommes sont
conduits par eux au péché et de là vient qu'ils sont attirés par les mensonges
et par ce qui peut conduire les pécheurs dans l'erreur et le péché.
Solutions:
q. 6 a. 10 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Daemones dicuntur
cogi per magicas artes modis praedictis.
# 1. On dit que les démons sont contraints par les arts magiques selon
les manières dont on a parlé.
q. 6 a. 10 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in hoc ipso Daemoni
satisfit, si per hoc quod aliquod malum impedit et ad aliquod bonum cooperatur,
facilius in sui familiaritatem et admirationem homines trahit. Nam et ipsi se
transfigurant in Angelos lucis, sicut habetur II Cor. XI, 14.
# 2. Cela satisfait le démon, si par ce qui empêche un mal et coopère à
un bien, il entraîne les hommes plus facilement à être familiers avec lui et à
l'admirer. Car eux-mêmes se transforment en anges de lumière, comme il est dit
en II Co. 11, 14.
q. 6 a. 10 ad 3 Ad tertium dicendum, quod si Salomon exorcismos
suos eo tempore fecit quando erat in statu salutis, potuit esse in illis
exorcismis vis cogendi Daemones ex virtute divina. Si autem tempore illo fecit
quo idola adoravit, ut intelligatur eum per magicas artes fecisse, non fuit in
illis exorcismis vis cogendi Daemones, nisi modo praedicto.
# 3. Si Salomon a pratiqué des exorcismes au temps où il était dans
l'état de salut, il a pu avoir pour cela une force pour contraindre les démons
par le pouvoir divin. Mais s'il l'a fait au temps où il a adoré les idoles,
pour comprendre alors qu'il l'a fait par les arts magiques, c’est qu’il n'y
eutpas en ces exorcismes la force de contraindre les démons, que par la manière
dont on a parlé.
q. 6 a. 10 ad 4 Ad quartum dicendum, quod a virginibus advocati
adveniunt, ut ex hoc in suae divinitatis opinionem homines adducant, quasi
munditiam ament.
# 4. Appelés par les vierges, ils arrivent pour conduire par cela les
hommes à l'opinion de leur divinité, comme s'ils aimaient la pureté.
q. 6 a. 10 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in hoc etiam quod ad
invocationem divinae virtutis adveniunt, volunt intelligi quod non sint a
divina iustitia omnino exclusi; non enim sic divinitatem appetunt ut summo Deo
velint aequari omnino, sed sub eo, divinitatis cultum sibi ab hominibus
exhiberi gaudent.
# 5. En cela aussi qu'ils arrivent à l'appel du pouvoir divin, ils
veulent qu'on comprenne qu'ils ne sont pas exclus tout à fait de la justice
divine, car ils ne désirent pas la divinité pour vouloir tout à fait égaler le
Dieu Très Haut, mais sous lui, ils se réjouissent du culte de la divinité que
les hommes leur montrent.
q. 6 a. 10 ad 6 Ad sextum dicendum, quod Daemones non dicuntur
allici signis quasi ipsi signis utantur, sed quia homines signis uti
consueverunt, delectantur in signis quibus homines utuntur propter signatum.
# 6. On ne dit pas que les démons sont attirés par des signes comme
s'ils s'en servaient, mais parce que les hommes ont l'habitude de s'en servir,
ils se délectent dans les signes dont usent les hommes, en vue de ce qui est
signifié.
q. 6 a. 10 ad 7 Ad septimum dicendum, quod sicut Glossa
ordinaria ibidem dicit, Daemones certis periodis lunae homines magis affligunt,
ut creaturas Dei infament, in hoc scilicet quod credantur Daemonibus servire,
et per hoc homines in errorem mittant.
# 7. Comme la glose ordinaire le dit ici, les démons affligent plus les
hommes pendant certaines périodes de lune, pour déshonorer les créatures de
Dieu, en cela qu'on croit qu'ils sont asservis aux démons et par là ils font
tomber les hommes dans l'erreur.
q. 6 a. 10 ad 8 Ad octavum dicendum, quod licet praedicta
mendacia in derogationem virtutis Daemonum esse videantur, tamen hoc ipsum eis
est delectabile, quod homines in mendaciis confidant: quia ipse est mendax et
pater eius.
# 8. Bien que les mensonges rapportés paraissent être dans une
dérogation du pouvoir des démons, cependant cela leur est agréable que les
hommes aient confiance dans leur mensonge, parce que le démon est lui-même
menteur et le père du mensonge.
q. 6 a. 10 ad 9 Ad nonum dicendum, quod ad imagines advocati
adveniunt certis horis et certis signis, rationibus praedictis.
# 9. Appelé à se manifester, ils viennent à des heures et des signes
déterminés, pour les raisons déjà dites.
q. 6 a. 10 ad 10 Ad decimum dicendum, quod licet semper
Daemones homines desiderent pertrahere in peccata, tunc tamen magis adhuc
nituntur quando magis ad hoc inclinantur, et quando plures possunt inducere in
peccatum.
# 10 Bien que les démons désirent toujours faire tomber les hommes dans
les péchés, ils s'y efforcent plus quand ils y sont forcés et quand ils peuvent
en pousser plusieurs au péché.
[1] . Ia, qu. 113, a. 3 ,
ad 3 — qu. 110, a. 4, ad 2 et ad 3.
[2]
"Un homme de bien de Chaldée, dit-il, se plaint que son zèle à purifier
son âme n'ait pas eu de succès parce qu'un envieux, redoutable théurge, avait
lié les puissances en les conjurant par des prières sacrées." — Voir Cité
de Dieu, X, 10 et X, 11.
[3]
"Car lorsque les démons s'insinuent dans les créatures qui ne sont pas leur
ouvrage, mais l'ouvrage de Dieu, ils sont attirés par des charmes divers comme
leur génie; ils ne cèdent pas comme les animaux à l'attrait des aliments, mais
en tant que natures spirituelles à des signes conformes à la fantaisie de
chacun, différentes espèces de pierres, d'herbes, de bois, d'animaux,
enchantements et rites divers." . (Cité de Dieu, XXI, 6, trad. L. Moreau,
p. 235-236)
[4]
Cite de Dieu, X, 11, 2: "Comment se fait-il qu'un homme en proie à n'importe
quel vice menace et terrifie par ses mensonges, non un démon, ni l'âme d'un
mort, mais le soleil lui-même, même la lune ou n'importe quel astre, pour leur
extorquer la vérité?"
[5]
Il s'agit de Léviathan. Cf. Pot. 6, 3, obj. 1.
[6]
Cf. Pot. 6, 3, c.
Question 7: La simplicité de l’essence divine.
q. 7 pr. 1 Et primo quaeritur utrum Deus sit simplex.
1. Dieu est-il simple?
q. 7 pr. 2 Secundo utrum in Deo sit substantia vel essentia
idem quod esse.
2. La substance ou l'essence en Dieu sont-elles la même chose que son
être?
q. 7 pr. 3 Tertio utrum Deus sit in aliquo genere.
3. Dieu est-il dans un genre?
q. 7 pr. 4 Quarto utrum bonum, iustum, sapiens et huiusmodi
praedicent in Deo accidens.
4. Bon, juste, sage, etc., attribuent-ils un accident à Dieu?
q. 7 pr. 5 Quinto utrum
nomina praedicta significent divinam substantiam.
5. Ces noms attribués à Dieu signifient-ils sa substance?
q. 7 pr. 6 Sexto utrum ista nomina sint synonyma.
6. Ces noms sont-ils synonymes?
q. 7 pr. 7 Septimo utrum huiusmodi nomina dicantur de Deo et
creaturis univoce, vel aequivoce.
7. Les noms sont-ils utilisés pour Dieu et les créatures de manière
univoque ou équivoque?
q. 7 pr. 8 Octavo utrum sit aliqua relatio inter Deum et
creaturam.
8. Y a-t-il une relation entre Dieu et la créature?
q. 7 pr. 9 Nono utrum relationes quae sunt inter Deum et
creaturas, sint relativae in ipsis creaturis.
9. Les relations entre Dieu et les créatures sont-elles relatives dans
les créatures même?
q. 7 pr. 10 Decimo utrum Deus realiter referatur ad creaturam,
ita quod relatio ipsa sit res aliqua in Deo.
10. Dieu est-il réellement en relation avec la créature, de sorte que
la relation même soit une réalité en Dieu?
q. 7 pr. 11 Undecimo utrum istae relationes temporales sint in
Deo secundum rationem.
11. Ces relations temporelles en Dieu sont-elles de raison?
1 Ia,
qu. 3, a. 7 — CG. I, 16, 18 —I sent. d8q4a1— Compendium. ch. 9 — Opus
37 De quat. oppos. ch. 4 — De causis
21.
2
Cf. Pot., qu. 2, a. 16. C’est le
raisonnement de tous ceux, dont Avicenne, qui considèrent la création par
intermédiaire (De causis prop. 3, 9, 16, etc..
3
Entendre appréhendé par l'esprit.
4
"Ces trois relations, la paternité, la filiation et la procession sont
appelées les propriétés personnelles, comme les constituant." (Ia, qu. 30, a. 2 c). Chaque personne de
la Trinité sous une même essence a ses propriétés personnelles.
5
Le fait de donner un prédicat, ici une catégorie.
6Trad.
de M. de Gandillac: "…l'essence, la puissance, l'acte…"
7 Cf. I Sent. d8q4a1, obj. 4.
8
Il s'agit de l'un transcendental.
9
Cf. Raisonnement semblable mais simplifié en Pot. 6, 6, c.
10
Thomas, n° 183.
11
Suite du texte cité en Ia, qu. 3, a. 7, c.
12
Thomas précise en I Sent. d8,q4,a1,
ad 4m. que la propriété personnelle ne diffère pas en réalité, et il ajoute: "Mais
comparée à son corrélatif, elle produit une distinction réelle, mais de ce côté
il n'y a pas union (Cf. ici ad 10m) et c'est pourquoi il n'y a pas composition.
Cela montre que les noms personnels ne signifient aucune composition en Dieu."
13
"Et rien, ne croyez-vous pas, n'empêche que le même acte appartiennent à
deux choses, non comme identique quant à l'essence, mais comme ce qui est en
puissance en face de ce qui est en acte." (Trad. H. Carteron).
14
Entendre l'essence et la relation.
15
Ce qui est "intelligé". La forme est dans l'esprit.
16
Les relations seront étudiées dans les articles 8 à 11 et dans la question 8.
17 Cf. I Sent. d8q4a1, ad 3m.
18
Comprendre: il ne peut y avoir d'union entre elles. La composition est une
union, ce qui n'est pas le cas ici.
q. 7 pr. 1 Et primo quaeritur utrum Deus
sit simplex. Et videtur quod non.
Il semble que non1.
Objections:
q. 7 a. 1 arg. 1 Ab uno enim
simplici non est natum esse nisi unum: idem enim semper facit idem, secundum
philosophum. Sed a Deo procedit multitudo. Ergo ipse non est simplex.
1. Car d'un être simple et unique,
ne peut venir qu'un seul être2. Car le même fait toujours le même,
selon le Philosophe (La génération II.) Mais la multiplicité procède de
Dieu. Donc il n'est pas simple.
q. 7 a. 1 arg. 2 Praeterea, simplex
si attingitur, totum attingitur. Sed Deus a beatis attingitur: quia, ut dicit
Augustinus, attingere mente Deum magna est beatitudo. Si ergo sit simplex,
totus attingitur a beatis. Sed quod totum attingitur, comprehenditur. Ergo Deus
a beatis comprehenditur, quod est impossibile. Ergo Deus non est simplex.
2. Si ce qui est simple est
atteint, il est atteint tout entier. Mais Dieu est atteint par les bienheureux,
parce que, comme le dit Augustin (De videndo Deo), c'est une grande
béatitude d'atteindre Dieu par l'esprit. Si donc il est simple, il est atteint
tout entier par les bienheureux. Mais ce qui est atteint tout entier, est saisi3. Donc Dieu est saisi par les
bienheureux, ce qui est impossible. Donc Dieu n'est pas simple.
q. 7 a. 1 arg. 3 Praeterea, idem non
se habet in ratione diversarum causarum. Sed Deus se habet in ratione diversarum
causarum, ut patet XI Metaph. Ergo in eo oportet esse diversa;
ergo oportet eum esse compositum.
3. Le même ne se comprte pas en
raison de causes diverses Mais Dieu oui, comme on le voit en Métaphysique
XI. Donc en lui, il faut qu'il y ait la diversité. Donc il faut qu'il soit
composé.
q. 7 a. 1 arg. 4 Praeterea,
ubicumque est aliquid et aliquid, est compositio. Sed in Deo est aliquid et
aliquid, scilicet proprietas et essentia. Ergo in Deo est compositio.
4. Là où il y a une chose et une
autre, il y a composition, mais en Dieu il y a une chose et une autre, à savoir
la propriété4 et l'essence. Donc en lui il y a
composition.
q. 7 a. 1 arg. 5 Sed dicendum, quod
proprietas est idem quod essentia.- Sed contra: affirmatio et negatio non verificantur de eodem. Sed essentia
divina est communicabilis tribus personis, proprietas autem est incommunicabilis.
Ergo proprietas et essentia non sunt idem.
5. Mais il faut dire que la
propriété est la même chose que l'essence — En sens contraire:
l'affirmation et la négation ne se vérifient pas d'un même objet. Mais
l'essence divine est communicable aux trois personnes, mais la propriété est
incommunicable. Donc la propriété et l'essence ne sont pas une même chose.
q. 7 a. 1 arg. 6 Praeterea, de
quocumque praedicantur diversa praedicamenta, illud est compositum. Sed in
divina praedicatione venit substantia et relatio, ut dicit Boetius. Ergo Deus
est compositus.
6. Celui à qui on attribue
diverses catégories est composé; mais dans l'attribution divine5, on trouve la substance et la
relation, comme le dit Boèce (La Trinité). Donc Dieu est composé.
q. 7 a. 1 arg. 7 Praeterea, in
qualibet re est substantia, virtus et operatio, ut dicit Dionysius; ex quo
videtur quod operatio sequitur virtutem et substantiam. Sed in operationibus
divinis est pluralitas. Ergo in substantia eius invenitur multitudo et
compositio.
7. En toutes choses il y a la
substance, la puissance et l'opération, comme le dit Denys (La hiérarchie
céleste, XI, § 2, 284 D6). A partir de cela, il semble que
l'opération découle de la puissance et de la substance. Mais il y a pluralité
dans les opérations divines. Donc dans sa substance on trouve la pluralité et
la composition.
q. 7 a. 1 arg. 8
Praeterea, ubicumque invenitur multitudo formarum, ibi oportet esse
compositionem. Sed in Deo invenitur multitudo formarum; quia, sicut
dicit Commentator, omnes formae sunt actu in primo motore, sicut sunt in
potentia in prima materia. Ergo in Deo est compositio.
8. Partout où l'on trouve la
pluralité de formes, il faut qu'il y ait composition. Mais en Dieu on trouve la
pluralité des formes, parce que, comme le dit le Commentateur (Métaphysique
XI, com. 18), toutes les formes sont en acte dans le premier moteur, comme
elles sont en puissance dans la matière première. Donc en Dieu il y a
composition.
q. 7 a. 1 arg. 9 Praeterea,
quidquid advenit alicui rei post esse completum, inest ei accidentaliter. Sed
quaedam dicuntur de Deo ex tempore, sicut quod sit creator et dominus. Ergo
insunt ei accidentaliter. Accidentis autem ad subiectum est aliqua compositio.
Ergo in Deo est compositio.
9. Tout ce qui arrive à une chose
après son être complet, est en elle de manière accidentelle. Mais certains ont
parlé de Dieu à partir du temps, comme Créateur et Seigneur. Donc ces attributs
sont en lui de manière accidentelle. Mais il y a composition de l'accident avec
le sujet. Donc en Dieu il y a composition.
q. 7 a. 1 arg. 10 Praeterea,
ubicumque sunt multae res, ibi est compositio. Sed in Deo sunt tres personae,
quae sunt tres res, ut dicit Augustinus. Ergo in Deo est compositio.
10. Partout où les éléments sont
nombreux7,
il y a composition, mais en Dieu il y a trois Personnes, qui sont trois
"choses", comme le dit Augustin (La doctrine chrétienne, I,
5). Donc en Dieu il y a composition.
En
sens contraire:
q. 7 a. 1 s. c. 1 Sed contra. Est
quod Hilarius dicit: Non humano modo ex compositis est Deus, ut in eo aliud sit quod
habet, et aliud sit ipse qui habet.
1. Il y a ce qu’Hilaire dit au
livre 8 de la Trinité: «Dieu n'est pas par ses composés à la manière
humaine, de sorte qu'en lui, ce qu'il a et celui qui l'a soient différents».
q. 7 a. 1 s. c. 2 Praeterea,
Boetius dicit: Hoc
vere unum est in quo nullus est numerus. Ubicumque autem est compositio, est
aliquis numerus. Ergo Deus est absque compositione omnino simplex.
2. Boèce dit (La Trinité )
«Est vraiment un ce en quoi il n’y a aucun nombre8».
Partout où il y a composition, il y a un nombre. Donc Dieu est tout à fait
simple, sans composition.
Réponse:
q. 7 a. 1 co. Respondeo. Dicendum quod
Deum esse simplicem modis omnibus tenendum est. Quod quidem ad praesens tribus
rationibus potest probari,
Il faut tenir pour assuré que Dieu
est simple de toutes les manières. Ce qui peut à présent être prouvé par trois
raisons, dont la première est la suivante:
quarum prima talis est: ostensum
est enim in alia disputatione, omnia entia ab uno primo ente esse, quod quidem
primum ens Deum dicimus. Quamvis autem in uno et eodem quod quandoque invenitur
in actu, quandoque in potentia, potentia tempore prius sit actu, natura autem
posterius, simpliciter tamen oportet actum esse priorem potentia, non solum
natura sed tempore, eo quod omne ens in potentia reducitur in actum ab aliquo
ente actu. Illud ergo ens quod omnia entia fecit esse actu, et ipsum a nullo
alio est, oportet esse primum in actu, absque aliqua potentiae permixtione. Nam
si esset aliquo modo in potentia, oporteret aliud ens prius esse per quod
fieret actu. In omni autem composito qualicumque compositione, oportet
potentiam actui commisceri. In compositis enim vel unum eorum ex quibus
est compositio est in potentia ad alterum, ut materia ad formam, subiectum ad
accidens, genus ad differentiam; vel saltem omnes partes sunt in potentia ad
totum.
1) Première raison: On a
montré, en effet, dans une autre discussion (Pot. 3, 5) que tous les
étants venaient d'un premier étant, que nous appelons Dieu. Mais quoique dans
un seul et même étant, que l'on trouve quelquefois en acte, quelquefois en
puissance, la puissance soit chronologiquement avant l'acte, et selon la nature
après, dans l'absolu, il faut que l'acte soit avant la puissance, non seulement
en nature mais chronologiquement, parce que tout étant en puissance est ramené
à l'acte par un étant en acte. Donc cet étant qui a fait que tous les étants
sont en acte, et qui lui-même ne dépend d'aucun autre, doit être l'être premier
en acte sans aucun mélange de puissance. Car s'il était en quelque manière en
puissance, il faudrait qu'un autre étant existe avant par lequel il deviendrait
en acte9.
Dans tout composé, quel qu'il soit en composition, il faut que la puissance
soit mêlée à l'acte. Car dans les composés, ou bien l'un d'eux d'où vient la
composition est en puissance pour l'autre, comme la matière pour la forme, le
sujet pour l'accident, le genre pour la différence, ou bien au moins toutes les
parties sont en puissance pour le tout. Car les parties sont ramenées à la
matière, le tout à la forme, comme on le montre en Physique (III, 3, 195
a 15 ss10),
et ainsi aucun composé ne peut être acte premier. Mais l'étant premier, qui est
Dieu, doit être acte pur, comme on l'a montré. Donc il est impossible qu'il
soit composé, c'est pourquoi il faut qu'il soit tout à fait simple.
Secunda ratio est quia cum
compositio non sit nisi ex diversis, ipsa diversa indigent aliquo agente ad hoc
quod uniantur. Non enim diversa, inquantum huiusmodi, unita sunt. Omne autem
compositum habet esse, secundum quod ea, ex quibus componitur, uniuntur.
Oportet ergo quod omne compositum dependeat ab aliquo priore agente. Primum
ergo ens, quod Deus est, a quo sunt omnia, non potest esse compositum.
2) Seconde raison, parce
que, comme la composition ne vient que de parties diverses, celles-ci ont
besoin d'un agent pour les unir. Car en tant que tel, ce qui est divers n'est
pas uni. Mais tout composé a l'être selon que ses composants sont unis. Donc il
faut que tout composé dépende d'un agent premier. Donc l'étant premier, qui est
Dieu, d'ou vient tout, ne peut pas être composé.
Tertia ratio est, quia oportet
primum ens, quod Deus est, esse perfectissimum, et per consequens optimum; non
enim rerum principia imperfecta sunt, ut Pythagoras et Leucippus aestimaverunt.
Optimum autem est in quo nihil est quod careat bonitate, sicut albissimum est
in quo nihil nigredinis admiscetur. Hoc autem in nullo composito est possibile.
Nam bonum quod resultat ex compositione partium, per quod totum est bonum, non
inest alicui partium. Unde partes non sunt bonae illa bonitate quae est totius
propria. Oportet ergo id quod est optimum, esse simplicissimum, et omni
compositione carere. Et hanc rationem ponit philosophus et Hilarius ubi dicit, quod Deus, quia lux est, non ex
obscuris coarctatur, neque quia virtus est, ex infirmis continetur.
3) Troisième raison: il
faut que le premier étant, qui est Dieu, soit absolument parfait, et par
conséquent le meilleur, car les principes des choses ne sont pas imparfaits,
comme Pythagore et Leucippe l'ont pensé. Mais le meilleur est celui en qui il
n'y a rien qui manque de bonté, comme le blanc suprême est ce en quoi rien de
noir n'est mêlé. Mais cela n'est possible dans aucun composé. Car le bien qui
résulte de la composition des parties, par lequel le tout est bon, n'est dans
aucune partie. C'est pourquoi les parties ne sont pas bonnes de cette bonté qui
est le propre du tout. Il faut donc que le meilleur soit absolument simple et
ne comporte aucune composition. Et le Philosophe donne cette raison (Métaphysique
XI) et Hilaire, (La Trinité, VII, 27, PL. 10, 223 AB11)
où il dit que «Parce que Dieu est lumière, il n'est pas contraint par
l'obscurité, et parce qu'il est puissance il n'est pas contenu par ce qui est
faible.»
Solutions:
q. 7 a. 1 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod intentio Aristotelis non est quod ab uno non possit procedere
multitudo. Cum enim agens agat sibi simile, et effectus deficiant a
repraesentatione suae causae, oportet quod illud quod in causa est unitum, in
effectibus multiplicetur; sicut in virtute solis sunt quasi unum omnes formae
generabilium corporum, et tamen in effectibus distinguuntur. Et exinde
contingit quod per unam suam virtutem res aliqua potest inducere diversos
effectus, sicut ignis per suum calorem liquefacit et coagulat, et mollificat et
indurat, et comburit et denigrat. Et homo per virtutem rationis acquirit
diversas scientias, et operatur diversarum artium opera; unde et multo amplius
Deus per unam suam simplicem virtutem potest multa creare. Sed philosophus
intendit, quod aliquid manens idem non facit diversa in diversis temporibus, si
sit agens per necessitatem naturae; nisi forte per accidens hoc contingat ex
diversitate materiae, vel alicuius alterius accidentis. Hoc tamen non est ad
propositum.
# 1. La pensée d'Aristote
n'est pas que la pluralité ne puisse pas procéder de l'unité. En effet, comme
l'agent fait du semblable à lui et que les effets sont déficients par rapport à
la représentation de leur cause, il faut que ce qui est uni dans une cause,
devienne multiple dans les effets; ainsi dans le pouvoir du soleil, il y a
comme une unité toutes les formes des corps qui peuvent être engendrés, et
cependant elles sont distinguées dans les effets. Et de là vient que par une
seule puissance, une chose peut entraîner différents effets, comme le feu par
sa chaleur liquéfie, coagule, ramollit, durcit, brûle et noircit. Et l'homme
par le pouvoir de sa raison acquiert diverses sciences, et produit les
opérations de divers arts. C'est pourquoi, et beaucoup plus, Dieu par sa
puissance une et simple peut créer beaucoup d'êtres. Mais le philosophe soutient
que ce qui demeure le même ne fait pas de choses diverses dans des temps
différents, s'il est agent par nécessité de nature; à moins que par hasard cela
arrive par accident par la diversité de la matière ou de quelque autre
accident. Mais cela n'est pas dans notre propos.
q. 7 a. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod Deus a beatis mente attingitur totus, non tamen totaliter, quia
modus cognoscibilitatis divinae excedit modum intellectus creati in infinitum;
et ita intellectus creatus non potest Deum ita perfecte intelligere sicut
intelligibilis est, et propter hoc non potest ipsum comprehendere.
# 2. Dieu tout entier est atteint
par l'esprit des bienheureux, non cependant totalement, parce que le mode par
lequel Dieu peut être connu excède à l'infini l'esprit créé; et ainsi celui-ci
ne peut pas comprendre Dieu aussi parfaitement qu'il est intelligible, et c'est
pour cela qu'il ne peut pas le saisir.
q. 7 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum,
quod per unum et idem Deus in ratione diversarum causarum se habet: quia, per
hoc quod est actus primus, est agens, et est exemplar omnium formarum, et est
bonitas pura, et per consequens omnium finis.
# 3. Dieu ne se comporte pas d'une
seule et même manière, en raison de causes diverses; parce qu'il est acte
premier, il est l'agent et l'exemplaire de toutes les formes, il est bonté pure
et par conséquent fin de tout.
q. 7 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum,
quod proprietas et essentia in divinis non differunt re, sed ratione tantum:
ipsa enim paternitas est divina essentia, ut post patebit.
# 4. La propriété et l'essence ne
différent pas réellement en Dieu12,
mais en raison seulement; car la paternité elle-même est l'essence divine,
comme on le montrera (qu. 8, a. 1).
q. 7 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum,
quod de eo quod est idem re et differens ratione, nihil prohibet contradictoria
praedicari, ut dicit philosophus, sicut patet quod idem punctum re, differens
ratione, est principium et finis; et secundum quod est principium, non est
finis, et e contrario. Unde cum essentia et proprietas sint idem re et
differant ratione, nihil prohibet quin unum sit communicabile et aliud
incommunicabile.
# 5. Pour ce qui est le
même en réalité et différent en raison, rien n'empêche d'attribuer des termes
contradictoires, comme le dit le philosophe (Physique, III, 3, 202 b 813),
ainsi il apparaît que le point, le même en réalité, différent en raison, est
principe et fin; et selon qu'il est principe, il n'est pas fin, et inversement.
C'est pourquoi comme l'essence et la propriété sont une même chose en réalité
et différente en raison, rien n'empêche que l'une soit communicable et l'autre
incommunicable.
q. 7 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum,
quod absoluta et relativa in divinis non differunt secundum rem, sed solum
secundum rationem, ut dictum est; et ideo ex hoc nulla compositio relinquitur.
# 6. L'absolu et le relatif14
ne diffèrent pas en Dieu en réalité, mais seulement en raison, comme on l'a
dit, et c'est pourquoi à partir de cela il ne reste nulle composition.
q. 7 a. 1 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod operatio Dei potest considerari vel ex parte operantis
vel ex parte operati. Si ex parte operantis, sic in Deo non est nisi una
operatio, quae est sua essentia: non enim agit res per actionem aliquam quae
sit media inter Deum et suum velle, quae sunt ipsius esse. Si vero ex parte
operati, sic sunt diversae operationes, ipsum factum, sed per suum intelligere
et diversi effectus divinae operationis. Hoc autem compositionem in ipso non inducit.
# 7. L'opération de Dieu peut être
considérée du côté de celui qui produit ou de ce qui est produit. Si c'est du
côté de celui qui produit, il n'y a qu'une opération en Dieu, qui est son
essence; car il ne fait rien par une action intermédiaire entre lui et son
vouloir, qui sont son être propre. Si c'est du côté de ce qui est produit,
il y a différentes opérations, ce qui est produit mais par son intellection,
les différents effets de l'opération divine. Mais cela n'entraîne pas de
composition en lui.
q. 7 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum,
quod forma effectus invenitur aliter in agente naturali, et aliter in agente
per artem. In agente namque per naturam, invenitur forma effectus secundum quod
agens in sua natura assimilat sibi effectum, eo quod omne agens agit sibi
simile. Quod quidem contingit dupliciter:
# 8. La forme de l'effet se trouve
autrement dans l'agent naturel que dans l'agent par art. Dans l'agent par
nature, on trouve la forme de l'effet selon que l'agent fait du semblable à
lui dans sa propre nature, ce que fait tout agent. Cela arrive de deux façons:
quando enim effectus perfecte
assimilatur agenti, utpote adaequans agentis virtutem, tunc forma effectus est
in agente secundum eamdem rationem, ut patet in agentibus univocis, ut cum
ignis generat ignem;
a) en effet, lorsque l'effet
ressemble parfaitement à l'agent, en tant qu'il égale sa puissance, alors la
forme de l'effet est dans l'agent selon la même nature, comme cela apparaît
dans les agents univoques, comme quand le feu engendre le feu;
quando vero effectus non perfecte
assimilatur agenti, utpote non adaequans agentis virtutem, tunc forma effectus
est in agente non secundum eamdem rationem, sed sublimiori modo; ut patet in
agentibus aequivocis, ut cum sol generat ignem.
b) mais quand l'effet n'est pas
parfaitement semblable à l'agent, à savoir qu'il n'égale pas la puissance de
l'agent, alors la forme de l'effet n'est pas dans l'agent selon la même nature,
mais sur un mode plus sublime; comme cela apparaît dans les agents équivoques,
comme quand le soleil engendre le feu.
In agentibus autem per artem,
formae effectuum praeexistunt secundum eamdem rationem, non autem eodem modo
essendi, nam in effectibus habent esse materiale, in mente vero artificis
habent esse intelligibile. Cum autem in intellectu dicatur esse aliquid sicut
id quod intelligitur, et sicut species qua intelligitur, formae artis sunt in
mente artificis sicut id quo intelligitur. Nam ex hoc quod artifex concipit
formam artificiati, producit eam in materia.
Mais dans les agents qui agissent par
art, les formes des effets préexistent selon une même raison, mais non
selon la même manière d'être, car ils ont l'être matériel dans les effets, et
l'être intelligible dans l'esprit de l'artisan. Mais comme on dit qu'il y a une
chose dans l'esprit comme ce qui est pensé15,
et comme la forme (species) par laquelle on la pense, les formes de
l'art sont dans l'esprit de l'artisan comme ce qui est pensé. Car du fait que
l'artisan conçoit la forme de l'œuvre, il la produit dans la matière.
Utroque autem modo formae rerum
sunt in Deo: cum enim ipse agit res per intellectum, non est sine actione
naturae. In inferioribus autem artificibus ars agit virtute extraneae naturae,
qua utitur ut instrumento, sicut figulus igne ad coquendum laterem. Sed ars
divina non utitur exteriori natura ad agendum, sed virtute propriae naturae
facit suum effectum. Formae ergo rerum sunt in natura divina ut
in virtute operativa, non secundum eamdem rationem, cum nullus effectus virtutem
illam adaequet. Unde
sunt ibi ut unum omnes formae quae in effectibus multiplicantur; et sic nulla
provenit inde compositio. Similiter in intellectu eius sunt multa intellecta
per unum et idem, quod est sua essentia. Quod autem per unum intelligantur multa,
non inducit compositionem intelligentis; unde nec ex hac parte sequitur
compositio in Deo.
Les formes des choses sont en Dieu
de l'une et l'autre manière. Quand, en effet, lui-même fait les choses par son
intellect, ce n'est pas sans l'action de la nature. Mais dans les œuvres d'art
inférieures, l'art agit avec le pouvoir de la nature extérieure, dont il se
sert comme d'un instrument, comme le briquetier pour cuire l'argile par le feu.
Mais l'art divin ne se sert pas de la nature extérieure pour agir, mais il
produit son effet par la puissance de sa propre nature. Donc les formes sont
dans la nature divine comme dans un pouvoir opératif, non selon la même nature,
puisque aucun effet n'égale son pouvoir. C'est pourquoi, il y a là en tant
qu'unité toutes les formes qui sont multipliées dans les effets et ainsi il
n'en provient aucune composition. De la même manière, dans son intellect, il y
a beaucoup de choses saisies par l'un et le même, qui est son essence. Le fait
que beaucoup de choses soient pensées dans l'unité, n'entraîne pas la
composition de celui qui les pense, c'est pourquoi de ce côté il ne découle pas
de composition en Dieu.
q. 7 a.
1 ad 9 Ad nonum dicendum, quod relationes quae dicuntur de Deo ex tempore, non
sunt in ipso realiter, sed solum secundum rationem. Ibi enim est realis relatio
ubi realiter aliquid dependet ab altero, vel simpliciter vel secundum quid. Et
propter hoc scientiae est realis relatio ad scibile, non autem e converso, sed
secundum rationem tantum, ut patet per philosophum. Et ideo cum Deus ab altero
nullo dependeat, sed e converso omnia ab ipso dependeant, in rebus aliis sunt
relationes ad Deum reales, in ipso autem ad res secundum rationem tantum, prout
intellectus non potest intelligere relationem huius ad illud, nisi e converso
intelligat relationem illius ad hoc.
# 9. Les relations16
qui sont dites de Dieu dans le temps, ne sont pas en lui réellement, mais
seulement en raison. Car il y a relation réelle là où une chose dépend
réellement d'une autre, ou absolument ou relativement. Et c'est pour cela que
la relation de la science au connaissable est réelle, pas inversement; mais en
raison seulement, comme le montre le Philosophe (Métaphysique V, 5, 1021
a 26 ss). Et c'est pourquoi, comme Dieu ne dépend d'aucun autre, mais
qu'inversement tout dépend de lui, dans les autres choses les relations à Dieu
sont réelles, mais en lui la relation aux créatures est en raison seulement,
dans la mesure où l'esprit ne peut comprendre la relation de celui-ci à
celui-là, qu'en ne comprenant inversement la relation de celui-là à celui-ci17.
q. 7 a. 1 ad 10 Ad decimum
dicendum, quod pluralitas personarum nullam compositionem in Deo inducit.
Personae enim dupliciter possunt considerari.
# 10. La pluralité des personnes
n'amène aucune composition en Dieu. Car les personnes peuvent être considérées
de deux manières:
Uno modo secundum quod comparantur
ad essentiam, cum qua sunt idem re; et sic patet quod non relinquitur aliqua
compositio.
a) Selon qu'on les compare à
l'essence, avec laquelle elles sont réellement identiques, et ainsi il apparaît
qu'il ne reste aucune composition.
Alio vero modo
secundum quod comparantur ad invicem; et sic comparantur ut distinctae, non
adunatae. Et propter
hoc nec ex hac parte potest esse compositio, nam omnis compositio est unio.
b) Selon qu'on les compare entre
elles; et ainsi on les compare comme distinctes, sans être unies. Et c'est pour
cela qu’il ne peut pas y avoir de composition de ce côté car toute composition
est union18.
1 Ia, qu. 3, a. 7 — CG. I, 16,
18 —I sent. d8q4a1— Compendium. ch. 9 — Opus 37 De quat.
oppos. ch. 4 — De causis 21.
2 Cf. Pot., qu. 2, a. 16. C’est le
raisonnement de tous ceux, dont Avicenne, qui considèrent la création par
intermédiaire (De causis prop. 3, 9, 16, etc..
3 Entendre appréhendé par l'esprit.
4 «Ces trois relations, la paternité, la
filiation et la procession sont appelées les propriétés personnelles, comme les
constituant.» (Ia, qu. 30, a. 2 c). Chaque personne de la Trinité sous
une même essence a ses propriétés personnelles.
5 Le fait de donner un prédicat, ici une
catégorie.
6Trad. de M. de Gandillac: «…l'essence, la
puissance, l'acte…»
7 Cf. I Sent. d8q4a1, obj. 4.
8 Il s'agit de l'un transcendental.
9 Cf. Raisonnement semblable mais simplifié en
Pot. 6, 6, c.
10 Thomas, n° 183.
11 Suite du texte cité en Ia, qu. 3, a. 7, c.
12 Thomas précise en I Sent. d8,q4,a1, ad
4m. que la propriété personnelle ne diffère pas en réalité, et il ajoute: «Mais
comparée à son corrélatif, elle produit une distinction réelle, mais de ce côté
il n'y a pas union (Cf. ici ad 10m) et c'est pourquoi il n'y a pas composition.
Cela montre que les noms personnels ne signifient aucune composition en Dieu.»
13 «Et rien, ne croyez-vous pas, n'empêche que le
même acte appartiennent à deux choses, non comme identique quant à l'essence,
mais comme ce qui est en puissance en face de ce qui est en acte.» (Trad. H.
Carteron).
14 Entendre l'essence et la relation.
15 Ce qui est « intelligé ». La forme est
dans l'esprit.
16 Les relations seront étudiées dans les articles
8 à 11 et dans la question 8.
17 Cf. I Sent. d8q4a1, ad 3m.
18 Comprendre: il ne peut y avoir d'union entre
elles. La composition est une union, ce qui n'est pas le cas ici.
Article 2: La substance ou l’essence en Dieu
sont-elles la même chose que son être?
q. 7 a. 2 tit. 2 Et videtur quod non.
Il semble que non1.
Objections:
q. 7 a. 2 arg. 1 Dicit enim Damascenus, in I Lib. Orth. fidei:
[cap. 1 et III] Quoniam quidem Deus est, manifestum est nobis; quid vero sit
secundum substantiam et naturam, incomprehensibile est omnino et ignotum. Non
autem potest esse idem notum et ignotum. Ergo non est idem esse Dei et
substantia vel essentia eius.
1. Car Jean Damascène dit (La foi
orthodoxe, I, ch. 1 et 3): "Que
Dieu existe est évident pour nous; mais ce qui concerne sa substance et sa
nature, est tout à fait incompréhensible et ignoré." Le connu et
l'inconnu ne peuvent pas être une même chose. Donc l'être de Dieu, et sa
substance ou son essence ne sont pas une même chose.
q. 7 a. 2 arg. 2 Sed diceretur, quod etiam ipsum esse Dei
ignotum est nobis quid sit, sicut et eius substantia.- Sed contra: duae
quaestiones diversae sunt, an est, et quid est; ad quarum unam respondere
scimus, ad aliam vero non, ut etiam ex praedicta auctoritate patet. Ergo id
quod respondet ad an est de Deo, et quod respondet ad quid est, non est idem;
sed ad an est respondet esse; ad quid est, substantia vel natura.
2. Mais on pourrait dire, que
nous ignorons ce qu'est l'être de Dieu, comme aussi sa substance2. — En
sens contraire, il y a deux questions différentes: est-il, et qu'est-il; à
l'une nous savons répondre, mais à l'autre non, comme on le voit par l'autorité
ci-dessus3. Donc ce qui répond à
"est-il?" au sujet de Dieu,
et ce qui répond à "qu'est-il"
ne sont pas une même chose, mais au "est-il?"
répond l'existence, au "quel est-il?",
la substance ou la nature.
q. 7 a. 2 arg. 3 Sed dicendum, quod esse Dei cognoscitur non
per se ipsum, sed per similitudinem creaturae.- Sed contra: in creatura est
esse et substantia vel natura; et cum utrumque habeat a Deo, secundum utrumque
Deo assimilatur, eo quod agens agit sibi simile. Si ergo esse Dei cognoscitur
per similitudinem esse creati, oportet quod eius substantia cognoscatur per
similitudinem substantiae creatae: et sic de Deo sciremus non solum quoniam
est, sed quid est.
3. Mais il faut dire que
l'être de Dieu est connu, non en soi, mais par ressemblance avec la créature. —
En sens contraire: dans
la créature, il y a l'être et la substance ou la nature, et comme elle possède
l'un et l'autre de Dieu, elle lui ressemble selon l'un et l'autre, parce que
l'agent fait du semblable à soi. Si donc l'être de Dieu est connu par sa
ressemblance avec l'être créé, il faut que sa substance soit connue par la
ressemblance de la substance créée, et ainsi nous saurions de Dieu non
seulement qu'il est, mais ce qu'il est.
q. 7 a. 2 arg. 4 Praeterea, unumquodque dicitur differre ab
altero per suam substantiam. Per id autem quod est omnibus commune, nihil ab
altero differt; unde et philosophus dicit, quod ens non debet poni in
definitione, quia per hoc, definitum a nullo distingueretur. Ergo nullius rei
ab aliis distinctae substantia est ipsum esse, cum sit omnibus commune. Sed
Deus est res ab omnibus aliis rebus distincta. Ergo suum esse non est sua
substantia.
4. On dit que chaque chose est différente d'une autre par sa substance.
Rien ne diffère d'un autre par ce qui est commun à tous; c'est pourquoi le
philosophe dit (Métaphysique III, 3,
998 b 224), que l'étant ne doit pas
être placé dans une définition, parce que par là ce qui est défini ne serait
distingué de rien. Donc, la substance de rien de ce qui est distingué des
autres n'est l'être même, puisque l'être est commun à tout. Mais Dieu est
différent de toutes les autres choses. Donc son être n'est pas sa substance.
q. 7 a. 2 arg. 5 Praeterea, non sunt diversae res nisi quarum
est diversum esse. Sed esse huius rei non est diversum ab esse alterius in
quantum est esse, sed in quantum est in tali vel in tali natura. Si ergo
aliquod esse sit, quod non sit in aliqua natura, quae differat ab ipso esse,
hoc non erit diversum ab aliquo alio esse. Et ita sequitur, si divina
substantia est eius esse, quod ipse sit esse cuilibet commune.
5. Les choses ne sont différentes que dans la mesure où leur être est
différent. Mais l'être d'une chose n'est pas différent de celui d'une autre en
tant qu'être, mais en tant qu'il est en telle ou telle nature. Donc s'il y
avait un être tel qu'il ne soit pas dans une nature différente de l'être même,
il ne serait pas différent d'un autre être. Et ainsi il en découle que si la
substance de Dieu est son être, lui-même serait un être commun à n'importe quel
autre.
q. 7 a. 2 arg. 6 Praeterea, ens
cui non fit additio, est ens omnibus commune. Sed si Deus sit ipsum suum esse,
erit ens cui non fit additio. Ergo erit commune; et ita praedicabitur de
unoquoque, et erit Deus mixtus rebus omnibus; quod est haereticum, et contra
philosophum dicentem in Lib. de causis, quod causa prima regit omnes res
praeterquam quod commisceatur cum eis.
6. Un étant à qui n'est pas fait d'addition, est l’étant commun à tous5. Mais si Dieu est son être même, il sera un
étant sans addition. Donc il sera commun, et ainsi il sera attribué à n'importe
quoi, et il sera un Dieu mêlé à toutes choses; ce qui est hérétique, et contre
le philosophe qui dit dans le Livre des
Causes (prop. 20), que la cause première régit toutes choses sans leur être
mêlée.
q. 7 a. 2 arg. 7 Praeterea, ei
quod est omnino simplex, non convenit aliquid in concretione dictum. Esse autem huiusmodi est: sic enim videtur se habere esse ad essentiam
sicut album ad albedinem. Ergo inconvenienter dicitur quod divina
substantia sit esse.
7. Rien de ce qui est dit dans le concret ne convient à ce qui est tout
à fait simple. Mais l'être est de ce genre; car il semble se comporter
vis-à-vis de l'essence comme le blanc vis-à-vis de la blancheur. Donc il ne
convient pas de dire que la substance de Dieu est son être.
q. 7 a. 2 arg. 8 Praeterea, Boetius dicit: Omne quod est participat eo quod est esse, ut sit; alio vero participat
ut aliquid sit. Sed
Deus est. Ergo praeter esse suum est in eo aliquid aliud quo habet ut aliquid
sit.
8. Boèce dit (De Hebdom. n°
16, PL 1311 B6): "Tout ce qui est participe à l'être, pour
être; et participe à autre chose pour être quelque chose". Mais Dieu
existe. Donc au-delà de son être il y a en lui quelque chose par laquelle il a
d'être quelque chose.
q. 7 a. 2 arg. 9 Praeterea, Deo,
qui est perfectissimus, id quod est imperfectissimum non est attribuendum. Sed
esse est imperfectissimum, sicut prima materia: sicut enim materia prima
determinatur per omnes formas, ita esse, cum sit imperfectissimum, determinari
habet per omnia propria praedicamenta. Ergo sicut materia prima non est in Deo,
ita nec esse debet divinae substantiae attribui.
9. On ne doit pas attribuer à Dieu, qui est très parfait, ce qui est
très imparfait7. Mais l'être est très
imparfait, comme la matière première; car de même qu'elle est limitée par
toutes les formes, il en est de même pour l'être, puisqu'il est très imparfait,
il doit être limité par toutes les catégories particulières. Donc de même qu’il
n’y a pas de matière première en Dieu, de même, on ne doit pas attribuer l'être
à la substance divine.
q. 7 a. 2 arg. 10 Praeterea, id
quod significatur per modum effectus, non convenit substantiae primae, quae non
habet principium. Sed esse est huiusmodi: nam omne ens per principia suae
essentiae habet esse. Ergo substantia Dei inconvenienter dicitur quod sit ipsum
esse.
10. Ce qui est signifié à la manière de l'effet ne convient pas à la
substance première qui n'a pas de principe. Mais l'être est de ce genre; car
tout étant a l'être par les principes de son essence. Donc il ne convient pas
de dire que la substance de Dieu est l'être même.
q. 7 a. 2 arg. 11 Praeterea, omnis
propositio est per se nota, in qua idem de ipso praedicatur. Sed si substantia
Dei sit ipsum suum esse, idem erit in subiecto et praedicato, cum dicitur, Deus
est. Ergo erit propositio per se nota: quod videtur esse
falsum, cum sit demonstrabilis. Non ergo ipsum esse Dei est substantia.
11. Est connue par soi toute proposition dans laquelle le même est
attribué à lui-même. Mais si la substance de Dieu est son être propre, il y
aura la même chose dans le sujet et le prédicat, quand on dit: Dieu est. Donc la proposition sera
connue par soi; ce qui paraît faux, puisqu'elle peut être démontrée. Donc
l'être de Dieu n'est pas sa substance.
En sens contraire:
q. 7 a. 2 s. c. 1 Sed contra. Est quod Hilarius dicit in Lib.
de Trinit.: Esse non est accidens Deo, sed subsistens veritas. Id autem quod
est subsistens, est rei substantia. Ergo esse Dei est eius substantia.
1. Hilaire dit au livre de la Trinité (VII, PL. 10, 208 B): "L'être n'est pas un accident en Dieu, mais
vérité subsistante". Mais ce qui est subsistant est la substance. Donc
l'être de Dieu est sa substance.
q. 7 a. 2 s. c. 2. Praeterea, Rabbi Moyses dicit, quod Deus est
ens non in essentia, et vivens non in vita, et est potens non in potentia, et
sapiens non in sapientia. Ergo in Deo non est aliud essentia quam suum esse.
2. Rabbi Moyses8 dit que Dieu
est l'étant sans essence, le vivant sans vie, le puissant sans puissance, et le
sage sans sagesse9. Donc en Dieu
l'essence n'est pas autre que son être.
q. 7 a. 2 s. c. 3 Praeterea, unaquaeque res proprie denominatur
a sua quidditate: nomen enim proprie significat substantiam et quidditatem, ut
habetur IV Metaphys. Sed hoc nomen quid est, est inter cetera magis proprium
nomen Dei, ut patet Exod. IV. Cum ergo hoc nomen imponatur ab hoc quod est
esse, videtur quod ipsum esse Dei sit sua substantia.
3. Toute chose est dénommée en propre par sa quiddité; car le nom
signifie proprement la substance et la quiddité, comme on le lit en Métaphysique IV. Mais ce nom "qui est" est parmi tous les autres
le nom le plus propre de Dieu, comme on le voit en Ex. 4. Comme ce nom est imposé du fait qu'il est l'être, il semble
que l'être même de Dieu est sa substance.
Réponse:
q. 7 a. 2 co. Respondeo. Dicendum quod in Deo non est aliud
esse et sua substantia. Ad cuius evidentiam considerandum est quod, cum aliquae
causae effectus diversos producentes communicant in uno effectu, praeter
diversos effectus, oportet quod illud commune producant ex virtute alicuius
superioris causae cuius illud est proprius effectus. Et hoc ideo quia, cum
proprius effectus producatur ab aliqua causa secundum suam propriam naturam vel
formam, diversae causae habentes diversas naturas et formas oportet quod
habeant proprios effectus diversos.
En Dieu, l’être et la substance ne sont pas différents. Pour le mettre
en évidence il faut considérer que, quand des causes qui produisent divers
effets se rencontrent dans un seul effet, en dehors des effets différents, il
faut qu'elles produisent ce qui est commun par le pouvoir d’une cause
supérieure dont c'est l’effet propre. Et cela, parce que, quand l'effet le plus
propre est produit par une cause selon sa propre nature ou sa propre forme, il
faut que les causes diverses ayant diverses natures et formes, aient divers
effets qui leur sont propres.
Unde si in aliquo uno effectu conveniunt, ille non est
proprius alicuius earum, sed alicuius superioris, in cuius virtute agunt; sicut
patet quod diversa complexionata conveniunt in calefaciendo, ut piper, et
zinziber, et similia, quamvis unumquodque eorum habeat suum proprium effectum
diversum ab effectu alterius. Unde effectum communem oportet reducere in
priorem causam cuius sit proprius, scilicet in ignem. Similiter in motibus
caelestibus, sphaerae planetarum singulae habent proprios motus, et cum hoc
habent unum communem, quem oportet esse proprium alicuius sphaerae superioris
omnes revolventis secundum motum diurnum.
C'est pourquoi, si elles se rassemblent en un seul effet,
celui-là n'est pas plus propre à l'une d'elle, mais à une cause supérieure,
dans le pouvoir de qui elles agissent; ainsi il est clair que divers
ingrédients mélangés s'unissent en chauffant, comme le poivre et le gingembre,
et autres épices, quoique chacun d'eux ait son propre effet, différent de celui
de l'autre. C'est pourquoi il faut ramener l'effet commun à une cause première
dont elle serait la cause la plus propre, à savoir le feu. De la même manière,
dans les mouvements célestes, chacune des sphères des planètes a ses propres
mouvements, et comme elles en ont un en commun, il faut qu'il soit propre à une
sphère supérieure qui les met toutes en mouvement selon le mouvement diurne.
Omnes autem causae creatae communicant in uno effectu qui
est esse, licet singulae proprios effectus habeant, in quibus distinguuntur.
Calor enim facit calidum esse, et aedificator facit domum esse. Conveniunt
ergo in hoc quod causant esse, sed differunt in hoc quod ignis causat ignem, et
aedificator causat domum. Oportet ergo esse aliquam causam superiorem omnibus cuius virtute
omnia causent esse, et eius esse sit proprius effectus. Et haec causa est Deus.
Mais toutes les causes créées ont une part en commun dans un seul effet
qui est l'être, bien qu'elles aient chacune des effets propres, qui les
distinguent. Car la chaleur chauffe, et l'architecte fait exister une maison.
Donc ils se rassemblent en cela qu'ils causent l'être, mais ils sont différents
en cela que le feu cause le feu et l'architecte cause la maison. Il faut donc
qu'il y ait une cause supérieure à toutes, que par sa puissance toutes causent
l'être, et que son être soit l'effet le plus propre. Et cette cause c'est Dieu.
Proprius autem effectus cuiuslibet causae procedit ab ipsa
secundum similitudinem suae naturae. Oportet ergo quod hoc quod est esse, sit
substantia vel natura Dei. Et propter hoc dicitur in Lib. de causis, quod intelligentia non dat esse nisi in quantum est
divina, et quod primus effectus est esse, et non est ante ipsum creatum
aliquid.
Mais l'effet le plus propre de n'importe quelle cause procède d'elle
selon la ressemblance de sa nature. Il
faut donc que ce qui est l'être, soit substance ou nature de Dieu. Et c'est
pourquoi on dit au livre des Causes
(prop. 9) que l'intelligence ne donne l'être que dans la mesure où elle est
divine, et que le premier effet est l'être, et avant lui, il n'y a rien de
créé.
Solutions:
q. 7 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ens et esse
dicitur dupliciter, ut patet V Metaph. Quandoque enim significat essentiam rei,
sive actum essendi; quandoque vero significat veritatem propositionis, etiam in
his quae esse non habent: sicut dicimus quod caecitas est, quia verum est
hominem esse caecum. Cum ergo dicat Damascenus, quod esse Dei est nobis
manifestum, accipitur esse Dei secundo modo, et non primo. Primo enim modo est
idem esse Dei quod est substantia: et sicut eius substantia est ignota, ita et
esse. Secundo autem modo scimus quoniam Deus est, quoniam hanc propositionem in
intellectu nostro concipimus ex effectibus ipsius.
# 1. L'étant et l'être se disent de deux manières, comme on le voit en Métaphysique (V, 7, 1017 a 7 — 1017 a
31). Car quelquefois il signifie l'essence
de la chose, ou l'acte d'être, mais quelquefois la vérité de la proposition,
même en ce qui n'a pas l'être, ainsi nous disons que la cécité10 existe parce qu'il est vrai qu'un homme
est aveugle. Donc, comme Jean Damascène dit que l'être de Dieu est pour nous
évident, c'est prendre l'être au second sens, et non au premier. Car, pour le
premier, l'être de Dieu est le même que sa substance; et de même que sa
substance est inconnue, son être aussi. De la seconde manière, nous savons que
Dieu existe, puisque nous concevons cette proposition dans notre esprit, à
partir de ses effets.
q. 7 a. 2 ad 2 Et per hoc patet solutio ad secundum et
tertium.
# 2. 3. Et cela donne la solution à la deuxième et la troisième
objection.
q. 7 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod esse divinum, quod est
eius substantia, non est esse commune, sed est esse distinctum a quolibet alio
esse. Unde per ipsum suum esse Deus differt a quolibet alio ente.
# 4. L'être de Dieu qui est sa substance, n'est pas un être commun,
mais un être différent de n'importe quel autre. C'est pourquoi par son être
propre Dieu diffère de n'importe quel autre étant.
q. 7 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod sicut dicitur in libro
de Causis, ipsum esse Dei distinguitur et individuatur a quolibet alio esse,
per hoc ipsum quod est esse per se subsistens, et non adveniens alicui naturae
quae sit aliud ab ipso esse. Omne autem aliud esse quod non est subsistens,
oportet quod individuetur per naturam et substantiam quae in tali esse
subsistit. Et in eis verum est quod esse huius est aliud ab esse illius, per
hoc quod est alterius naturae; sicut si esset unus calor per se existens sine
materia vel subiecto, ex hoc ipso ab omni alio calore distingueretur: licet
calores in subiecto existentes non distinguantur nisi per subiecta.
# 5. Comme on le dit au Livre des
Causes (prop. 4), l'être même de Dieu est distingué et séparé de n'importe
quel autre être, par le fait qu'il est l'être subsistant par soi et qu'il ne
s'ajoute à aucune nature qui serait autre que l'être même. Mais tout autre être
qui n'est pas subsistant, doit être individualisé par la nature et la substance
qui subsiste dans un tel être. Et en eux, il est vrai que l'être de l'un est
différent de l'être de l'autre, par le fait qu'il est d'une autre nature, comme
s'il y avait une seule chaleur subsistante par soi sans matière ou sujet, du
fait qu'elle serait distinguée de toute autre chaleur; bien que les chaleurs
qui existent dans un sujet ne soient distinguées que par les sujets
(eux-mêmes).
q. 7 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod ens commune est cui non
fit additio, de cuius tamen ratione non est ut ei additio fieri non possit; sed
esse divinum est esse cui non fit additio, et de eius ratione est ut ei additio
fieri non possit; unde divinum esse non est esse commune. Sicut et animali
communi non fit additio, in sua ratione, rationalis differentiae; non tamen est
de ratione eius quod ei additio fieri non possit; hoc enim est de ratione
animalis irrationalis, quae est species animalis.
# 6. L'étant commun est celui à qui n'est pas fait d'addition. Il n'est
pas cependant de sa nature qu'une addition ne puisse pas lui être faite, mais
l'être divin est un être à qui ne se fait pas d'addition et il est de sa nature
qu'elle ne puisse pas lui en être fait. C'est pourquoi l'être divin n'est pas
un être commun. De même l'addition d'une différence rationnelle n'est pas faite
à l'animal commun dans sa nature, cependant il n'est pas de sa nature que
l'addition ne puisse pas lui être faite; car c'est de la nature de l'animal
sans raison, qui est l'espèce animale.
q. 7 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod modus significandi in
dictionibus quae a nobis rebus imponuntur sequitur modum intelligendi;
dictiones enim significant intellectuum conceptiones, ut dicitur in principio
Periher. Intellectus autem noster hoc modo intelligit esse quo modo invenitur
in rebus inferioribus a quibus scientiam capit, in quibus esse non est
subsistens, sed inhaerens. Ratio autem invenit quod aliquod esse subsistens sit:
et ideo licet hoc quod dicunt esse, significetur per modum concreationis, tamen
intellectus attribuens esse Deo transcendit modum significandi, attribuens Deo
id quod significatur, non autem modum significandi.
# 7. La manière de s'exprimer dans des paroles dont nous nous servons
pour les choses, découle de la manière de les comprendre; les paroles, en
effet, signifient les conceptions de l'esprit, comme on le dit au commencement
du Periher. (I, 16 a 10 ss.). Mais
notre esprit comprend l'être par la manière dont il se trouve dans les choses
inférieures d'où il titre sa science, en qui l'être n'est pas subsistant, mais
inhérent. Mais la raison découvre qu'il y a un être subsistant; et c'est
pourquoi, bien que ce qu'ils appellent l'être
soit signifié par manière de concréation11,
cependant l'esprit attribuant l'être à Dieu transcende le mode de signifier,
attribuant à Dieu ce qui est signifié, mais non le mode de le signifier.
q. 7 a. 2 ad 8 Ad octavum dicendum, quod dictum Boetii
intelligitur de illis quibus esse competit per participationem, non per
essentiam; quod enim per essentiam suam est, si vim locutionis attendamus,
magis debet dici quod est ipsum esse, quam sit id quod est.
# 8. La parole de Boèce est comprise de ce à quoi l'être convient par
participation, non par essence, car ce qui est par son essence, si on tient
compte de la force de l’expression, doit être appelé ce qui est l’être même
plus que d’être ce qu’il est.
q. 7 a. 2 ad 9 Ad nonum dicendum, quod hoc quod dico esse est
inter omnia perfectissimum: quod ex hoc patet quia actus est semper perfectio
potentia. Quaelibet autem forma signata non intelligitur in actu nisi per hoc
quod esse ponitur. Nam humanitas vel igneitas potest considerari ut in potentia
materiae existens, vel ut in virtute agentis, aut etiam ut in intellectu: sed
hoc quod habet esse, efficitur actu existens. Unde patet quod hoc quod dico
esse est actualitas omnium actuum, et propter hoc est perfectio omnium
perfectionum. Nec intelligendum est, quod ei quod dico esse, aliquid addatur
quod sit eo formalius, ipsum determinans, sicut actus potentiam: esse enim quod
huiusmodi est, est aliud secundum essentiam ab eo cui additur determinandum.
Nihil autem potest addi ad esse quod sit extraneum ab ipso, cum ab eo nihil sit
extraneum nisi non-ens, quod non potest esse nec forma nec materia. //
. # 9 Ce que j'appelle être
est entre tout le plus parfait, ce qui le montre c'est que l'acte est toujours
perfection en puissance. N'importe quelle forme signalée n'est comprise en acte
que par le fait qu'on lui donne l’être. Car l'humanité ou l''ignéité' peuvent
être considérées comme existant dans la puissance de la matière, ou comme dans
le pouvoir de l'agent, ou aussi comme dans l'esprit; mais ce qui a l'être devient un existant en acte. C'est
pourquoi il est clair que ce que j'appelle l'être est l'actualité de tous les actes et c'est pour cela qu'il est
la perfection de toutes les perfections. Et il ne faut pas comprendre qu'à ce
que j'appelle être on ajoute quelque
chose de plus formel que lui, qui le détermine, comme l'acte (détermine) la
puissance; car un être qui est de ce
genre est différent selon l'essence de ce à quoi il faut ajouter pour le
particulariser. Mais rien ne peut être ajouté à l'être qui lui soit extérieur, puisque rien en lui n'est extérieur
sinon le non être12, qui ne peut être
ni forme ni matière.
Unde non sic determinatur esse per aliud sicut potentia per
actum, sed magis sicut actus per potentiam. Nam et in definitione formarum
ponuntur propriae materiae loco differentiae, sicut cum dicitur quod anima est
actus corporis physici organici. Et per hunc modum, hoc esse ab illo esse
distinguitur, in quantum est talis vel talis naturae. Et per hoc dicit
Dionysius, quod licet viventia sint nobiliora quam existentia, tamen esse est
nobilius quam vivere: viventia enim non tantum habent vitam, sed cum vita simul
habent et esse.
C'est pourquoi, l'être n'est pas ainsi particularisé par autre chose
comme la puissance par l'acte, mais plutôt comme l'acte par la puissance. Car
dans la définition des formes, on place les matières propres par la différence
du lieu, comme quand on dit que l'âme est l'acte du corps organique. Et de
cette manière, cet être est distingué
de cet autre dans la mesure où il est de telle ou telle nature. Et par cela
Denys dit (Les noms divins, V, 1, §
5, 820 B13) que, bien que ce qui vit
soit plus noble que ce qui existe, cependant l'être est plus noble que la vie,
car ce qui vit n'a pas seulement la vie, mais avec elle, en même temps, a aussi
l'être14.
q. 7 a. 2 ad 10 Ad decimum dicendum, quod secundum ordinem
agentium est ordo finium, ita quod primo agenti respondet finis ultimus, et
proportionaliter per ordinem alii fines aliis agentibus. Si enim considerentur
rector civitatis et dux exercitus et unus singularis miles, constat quod rector
civitatis est prior in ordine agentium, ad cuius imperium dux exercitus ad
bellum procedit; et sub eo est miles, qui secundum ordinationem ducis exercitus
manibus pugnat. Finis autem militis est prosternere hostem; quod ulterius
ordinatur ad victoriam exercitus, quod est finis ducis; et hoc ulterius
ordinatur ad bonum statum civitatis vel regni, quod est finis rectoris et
regis. Esse ergo quod est proprius effectus et finis in operatione primi
agentis oportet quod teneat locum ultimi finis. Finis autem licet sit primum in
intentione, est tamen postremum in operatione, et est effectus aliarum
causarum. Et ideo ipsum esse creatum, quod est proprius effectus respondens
primo agenti, causatur ex aliis principiis, quamvis esse primum causans sit
primum principium.
# 10. L'ordre des fins dépend de celui des agents, de sorte que, la fin
ultime répond au premier agent, et proportionnellement par ordre les autres
fins aux autres agents. Car si on considère le dirigeant de la cité, le général
de l'armée et un soldat particulier, il est clair que le dirigeant est avant
dans l'ordre des agents; par son pouvoir le général procède à la guerre; et
sous lui il y a le soldat, qui selon l'organisation de l’armée du général
combat de ses mains. Mais le but du soldat est d'abattre l'ennemi, ce qui est
ordonné ensuite à la victoire de l'armée, qui est le but poursuivi par le
général, et cela est ensuite ordonné au bien être de la cité ou du royaume, qui
est le but du gouverneur et du roi. Donc il faut que l'être qui est l'effet le
plus proche et le but dans l'opération du premier agent, tienne lieu de but
ultime. Mais bien que le but soit premier dans l'intention, il est cependant dernier
dans l'opération, et elle est l'effet des autres causes. Et c'est pourquoi
l'être même, créé, qui est le plus propre effet qui correspond au premier
agent, est causé par d'autres principes, quoique l'être premier qui cause soit le premier principe.
q. 7 a. 2 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod aliqua propositio
est per se nota de se, quae tamen huic vel illi non est per se nota; quando
scilicet praedicatum est de ratione subiecti, et tamen ratio subiecti est
alicui ignota; sicut si aliquis nesciret quid est totum, non esset ei nota ista
propositio per se, omne totum est maius sua parte; huiusmodi enim propositiones
fiunt notae cognitis terminis, ut dicitur I posteriorum. Haec autem propositio,
Deus est, quantum est de se, est per se nota, quia idem est in subiecto et
praedicato; sed quantum ad nos non est per se nota, quia quid est Deus nescimus:
unde apud nos demonstratione indiget, non autem apud illos qui Dei essentiam
vident.
# 11. En soi une proposition est connue par soi qui cependant n'est pas
connue par soi par celui-ci ou celui-là15;
quand quelquefois le prédicat concerne la notion du sujet, et que cependant
celle-ci est ignorée par quelqu'un; comme si quelqu'un ignorait ce qu'est le
tout, cette proposition le tout est plus
grand que sa partie ne lui serait connue par soi; car les propositions de
ce genre deviennent connues quand on connaît les termes, comme il est dit (Les analytiques postérieurs, I, 74 b
26). Mais cette proposition: Dieu est, quant
à elle, est connue par soi, parce que c'est la même notion qui est dans le
sujet et le prédicat; mais quant à nous, elle n'est pas connue par soi, parce
que nous ignorons ce que Dieu est. C'est pourquoi nous avons besoin d'une
démonstration, mais pas ceux qui voient l'essence de Dieu.
Article 3: Dieu est-il dans un genre?
q. 7 a. 3 tit. 1 Tertio quaeritur utrum Deus sit in aliquo
genere. Et videtur quod sic.
Il semble que oui1.
Objections:
q. 7 a. 3 arg. 1 Dicit enim Damascenus [libro III, caput IV]:
Substantia in divinis significat communem speciem similium specie personarum;
hypostasis autem demonstrat individuum, scilicet patrem et filium et spiritum
sanctum, Petrum et Paulum. Comparatur ergo Deus ad patrem et filium et spiritum
sanctum sicut species ad individua. Sed ubicumque est invenire speciem et
individuum, ibi est invenire genus: quia species constituitur ex genere et
differentia. Ergo videtur quod Deus sit in aliquo genere.
1. Car Jean Damascène dit (La foi orthodoxe III, 4): "La substance en Dieu signifie la forme
commune des personnes de même espèce; mais l'hypostase désigne l'individu à
savoir le Père, le Fils et l'Esprit saint, Pierre et Paul2." Donc Dieu est comparé au Père, au
Fils, à l'Esprit saint, comme l'espèce à l'individu. Mais partout où on doit
trouver l'espèce et l'individu, on doit trouver le genre: parce que l'espèce
est constituée du genre et de la différence. Donc il semble que Dieu est dans
un genre3.
q. 7 a. 3 arg. 2 Praeterea, quaecumque sunt et nullo modo
differunt, sunt penitus eadem. Sed Deus non est
idem rebus aliis. Ergo aliquo modo differt ab eis. Omne autem quod ab alio
differt, aliqua differentia ab eo differt. Ergo in Deo est aliqua differentia,
qua differt a rebus aliis. Non autem accidentalis, cum in Deo nullum sit
accidens, ut Boetius dicit in Lib. de Trin. Omnis autem
substantialis differentia est alicuius generis divisiva. Ergo Deus est in
aliquo genere.
2. Tout ce qui est et ne diffère en aucune manière, est tout à fait le
même. Mais Dieu n'est pas le même que les autres choses. Donc d'une certaine
manière il est différent d'elles. Mais tout ce qui est diffèrent d'un autre en
diffère par une certaine différence. Donc en Dieu il y a une différence par
laquelle il diffère des autres choses. Mais elle n'est pas accidentelle,
puisqu'en Dieu il n'y a aucun accident, comme Boèce le dit (La Trinité). Mais toute différence
substantielle partage le genre. Donc Dieu est dans un genre.
q. 7 a. 3 arg. 3 Praeterea, idem dicitur genere et specie et
numero, ut habetur I Topic., cap. VI. Ergo et diversum similiter: nam si
multipliciter dicitur unum oppositorum, et reliquum. Aut ergo Deus est diversus
a creatura numero tantum vel numero et specie tantum; et sic, sequitur quod,
cum creatura in genere conveniat, et sic erit in genere. Si autem genere a
creatura differat, oportebit etiam quod sit in aliquo alio genere quam creatura:
nam diversitas ex multitudine causatur, et sic diversitas generis multitudinem
generum requirit. Ergo quolibet modo dicatur, oportet quod Deus sit in genere.
3. On dit la même chose du genre, de l'espèce et du nombre, comme on le
voit en Topique (I, 6 102 b 274). Donc il en est de même pour ce qui est
différent, car on parle ainsi de multiples manières de l'un des opposés, et du
reste. Donc ou Dieu est différent de la créature en nombre5 seulement, ou en nombre et espèce seulement
et si c'est ainsi, il en découle que puisque la créature se trouve dans un
genre, lui sera aussi dans un genre. Mais s'il diffère de la créature par le
genre, il faudra aussi qu'il soit dans un autre genre que la créature; car la
diversité est causée par la pluralité, et ainsi la diversité en genre requiert
la pluralité des genres. Donc on dirait de chaque manière qu'il faut que Dieu
soit dans un genre.
q. 7 a. 3 arg. 4 Praeterea, cuicumque convenit ratio generis
substantiae, est in genere. Sed ratio substantiae est per se existere, quod
maxime convenit Deo. Ergo Deus est in genere substantiae.
4. Quiconque à qui convient la notion du genre de la substance6 est dans un genre. Mais la nature de la
substance est d'exister par soi7, ce
qui convient au plus haut degré à Dieu. Donc Dieu est dans le genre de la
substance.
q. 7 a. 3 arg. 5 Praeterea, omne quod definitur, oportet quod
sit in genere. Sed Deus definitur: dicitur enim quod est actus purus. Ergo Deus
est in aliquo genere.
5. Tout ce qui reçoit une définition8
doit être dans un genre. Mais Dieu est défini, car on dit qu'il est acte pur.
Donc Dieu est dans un genre.
q. 7 a. 3 arg. 6 Praeterea, omne quod praedicatur de alio in eo
quod quid, et est in plus, vel se habet ad ipsum sicut species, vel sicut
genus. Sed omnia quae praedicantur de Deo,
praedicantur in eo quod quid: nam omnia praedicamenta, cum in divinam
praedicationem venerint, in substantiam vertuntur, ut dicit Boetius: patet
etiam quod non soli Deo conveniunt, sed etiam aliis; et ita sunt in plus. Ergo
vel comparantur ad Deum sicut species ad individuum vel sicut genus ad speciem;
et utrolibet modo oportet Deum esse in genere.
6. Tout ce qui est attribué à autre chose en ce qui est essence et est
en plus, ou bien se comporte vis-à-vis d'elle comme une espèce, ou comme un
genre. Mais tout ce qui est attribué à Dieu est attribué à l'essence. Car,
comme toutes les catégories, sont venues dans l'attribution à Dieu, elles se changent
en substance, comme le dit Boèce (La
Trinité); il est clair aussi qu'elles ne conviennent pas à Dieu seul, mais
aussi aux autres; et ainsi elles sont en plus. Donc elles sont associées à Dieu
ou bien comme l'espèce à l'individu, ou bien comme le genre à l'espèce; et des
deux manières, il faut que Dieu soit dans un genre.
q. 7 a. 3 arg. 7 Praeterea, unumquodque mensuratur minimo sui
generis, ut dicitur X Metaph. Sed, sicut dicit Commentator ibidem, id quo
mensurantur omnes substantiae, est Deus. Ergo Deus est in eodem genere cum
aliis substantiis.
7. Chaque chose est mesurée au plus près de son genre, comme il est dit
(Métaphysique X, 1, 1053 a 259). Mais, comme le dit le Commentateur en ce
même endroit (Métaphysique, X, com.
4), ce par quoi sont mesurées toutes les substances, c'est Dieu. Donc il est
dans le même genre que les autres substances.
En sens contraire:
q. 7 a. 3 s. c. 1 Sed contra. Omne quod est in genere, addit
aliquid supra genus, et per consequens est compositum. Sed Deus est omnino
simplex. Ergo non est in genere.
1. Tout ce qui est dans un genre ajoute quelque chose à celui-ci et par
conséquent est composé. Mais Dieu est tout à fait simple. Donc il n'est pas
dans un genre.
q. 7 a. 3 s. c. 2 Praeterea, omne
quod est in genere, potest definiri, vel sub aliquo definito comprehendi. Sed
Deus cum sit infinitus, non est huiusmodi. Ergo non est in genere.
2. Tout ce qui est dans un genre, peut être défini ou compris sous une
certaine définition. Mais comme Dieu est infini, il n'est pas d’un tel genre.
Donc il n'est pas dans un genre.
Réponse:
q. 7 a. 3 co. Respondeo. Dicendum quod Deus non est in genere:
quod quidem ad praesens tribus rationibus ostendi potest:
Dieu n'est pas dans un genre, ce qui à présent peut être montré par
trois raisons:
primo quidem, quia nihil ponitur in
genere secundum esse suum, sed ratione quidditatis suae; quod ex hoc patet,
quia esse uniuscuiusque est ei proprium, et distinctum ab esse cuiuslibet
alterius rei; sed ratio substantiae potest esse communis: propter hoc etiam
philosophus dicit, quod ens non est genus. Deus autem est ipsum
suum esse: unde non potest esse in genere.
a) Rien n'est placé dans un genre selon son être propre, mais en raison
de sa quiddité10; ce qui paraît du
fait que l'être de n'importe quelle chose lui est propre, et différent de
l'être de n'importe quelle autre, mais la nature de la substance peut être
commune; c'est pourquoi le philosophe aussi dit (Métaphysique III, 3, 998 b 2211),
que l'être n'est pas un genre12. Mais
Dieu est son être propre, c'est pourquoi il ne peut pas être dans un genre.
Secunda ratio est, quia quamvis materia non sit genus, nec
forma sit differentia, tamen ratio generis sumitur ex materia, et ratio
differentiae sumitur ex forma: sicut patet quod in homine natura sensibilis ex
qua sumitur ratio animalis, est materialis respectu rationis, ex qua sumitur
differentia rationalis. Nam animal est quod habet naturam sensitivam; rationale
autem quod rationem habet. Unde in omni eo quod est in genere, oportet esse
compositionem materiae et formae, vel actus et potentiae; quod quidem in Deo
esse non potest, qui est actus purus, ut ostensum est. Unde relinquitur quod
non potest esse in genere.
b) Quoique la matière ne soit pas un genre, et que la forme ne soit pas
une différence, cependant la notion de genre est tirée de la matière, et celle
de la différence de la forme; ainsi il apparaît que dans l'homme, la nature
sensible d'où est prise la notion d'animal est matérielle par rapport à la
notion d'où est prise la différence rationnelle. Car l'animal est ce qui a une
nature sensible; mais l’[animal] raisonnable celui qui a la raison. C'est
pourquoi dans tout ce qui est dans un genre, il faut qu'il y ait composition de
matière et de forme, ou d'acte et de puissance; ce qui ne peut pas exister en
Dieu, qui est acte pur, comme on l'a montré (a. 1). C'est pourquoi il en
découle qu'il ne peut pas être dans un genre.
Tertia ratio est, quia, cum Deus sit
simpliciter perfectus, comprehendit in se perfectionem omnium generum: haec
enim est ratio simpliciter perfecti, ut dicitur V Metaph. Quod autem est in aliquo genere, determinatur ad ea quae
sunt illius generis; et ita Deus non potest esse in aliquo genere: sic enim non
esset infinitae essentiae, nec absolutae perfectionis, sed eius essentia et
perfectio limitaretur sub ratione alicuius generis determinati. Ex hoc ulterius
patet quod Deus non est species, nec individuum, nec habet differentiam, nec
definitionem: nam omnis definitio est ex genere et specie; unde nec de ipso
demonstratio fieri potest nisi per effectum, cum demonstrationis propter quid
medium sit definitio.
c) Comme Dieu est absolument parfait, il comprend en lui la perfection
de tous les genres: car c'est là la notion de ce qui est absolument parfait,
comme il est dit en Métaphysique (V,
16, 1021 b 3013). Mais ce qui est
dans un genre, est limité a ce qui est ce genre, et de cette manière, Dieu ne
peut pas être dans un genre; car ainsi il ne serait pas d'essence infinie, ni
d’une perfection absolue, mais son essence et sa perfection seraient limitées
par la nature d'un genre limité. Cela montre en plus que Dieu n'est pas une
espèce, ni un individu, il n'a ni différence ni définition; car toute
définition vient du genre et de l'espèce; c'est pourquoi on ne peut pas faire
de démonstration à son sujet que par l'effet, puisque la définition est
l'intermédiaire de la démonstration par
la cause.
Solutions:
q. 7 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Damascenus
loquitur similitudinarie, et non secundum proprietatem: habet enim nomen Dei,
quod est Deus, similitudinem ad speciem in hoc quod de pluribus numero
distinctis substantialiter praedicatur; non tamen species proprie dici potest,
quia species non est aliquid unum numero pluribus commune, sed ratione solum;
substantia vero divina una numero, est communis tribus personis: unde pater et
filius et spiritus sanctus sunt unus Deus, non autem Petrus et Paulus et Marcus
sunt unus homo.
# 1. Jean Damascène parle de façon approximative et non au sens propre:
car le nom de Dieu parce qu'il est Dieu, ressemble à l'espèce du fait qu'il est
attribué substantiellement à plusieurs choses distinctes14 en nombre; cependant on ne peut pas parler
d'espèce au sens propre, parce que l'espèce est une chose unique, commune à
plusieurs, non pas en nombre, mais en raison seulement; mais la substance
divine, une en nombre est commune aux trois personnes, c'est pourquoi le Père,
le Fils et l'Esprit saint sont un seul Dieu, mais Pierre, Paul et Marc ne sont
pas un seul homme.
q. 7 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod differens et diversum
differunt, ut philosophus dicit. Nam diversum absolute dicitur quod non est
idem; differens vero dicitur ad aliquid: nam omne differens aliquo differt. Si
ergo proprie accipiamus hoc nomen differens, sic propositio ista est falsa:
quaecumque sunt et nullo modo differunt, sunt eadem. Si autem hoc nomen
differens large sumatur, sic est vera; et sic ista est concedenda, quod Deus a
rebus aliis differat. Non tamen sequitur quod aliqua differentia differat, sed
quod differat ab aliis per suam substantiam: hoc enim necesse est in primis et
simplicibus dici. Homo enim differt ab asino, rationali differentia; rationale
autem ulterius non differt ab asino aliqua differentia (quia sic esset abire in
infinitum), sed se ipso.
# 2. Différent et divers15
ont un sens différent comme le philosophe le dit (Métaphysique X, 3, 1054 b 2316).
Car est appelé divers absolument ce qui n'est pas le même, mais on l'appelle
différent en rapport à quelque chose, car tout ce qui est différent diffère par
quelque chose. Donc si nous acceptons au sens propre ce nom différent, la proposition suivante est
fausse: "Tout ce qui est et ne
diffère en aucune manière, est le même." Mais si ce nom différent est pris au sens large, elle
est vraie, et ainsi cette phrase doit être concédée: "Dieu diffère de toutes choses". Cependant il n'en découle pas
qu'il diffère par une différence, mais qu'il diffère des autres par sa
substance; car il est nécessaire de le dire dans ce qui est premier et simple.
Car l'homme diffère de l'âne, par une différence de raison, mais le rationnel
ensuite ne diffère pas de l'âne par une différence (parce qu'ainsi ce serait
aller à l'infini), mais en soi17.
q. 7 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Deus dicitur
diversus genere ab aliis creaturis, non quasi in alio genere existens, sed
omnino existens extra genus.
# 3. On dit que Dieu est différent en genre des autres créatures, non
pas comme s'il existait dans un autre genre, mais comme tout à fait en dehors
du genre.
q. 7 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ens per se non est
definitio substantiae, ut Avicenna dicit. Ens enim non potest esse alicuius
genus, ut probat philosophus, cum nihil possit addi ad ens quod non participet
ipsum; differentia vero non debet participare genus. Sed si substantia possit
habere definitionem, non obstante quod est genus generalissimum, erit eius
definitio: quod substantia est res cuius quidditati debetur esse non in aliquo.
Et sic non conveniet definitio substantiae Deo, qui non habet quidditatem suam
praeter suum esse. Unde Deus non est in genere substantiae, sed est supra omnem
substantiam.
# 4. L'étant par soi n'est pas une définition de la substance, comme
Avicenne le dit (Métaphysique III,
ch. 8). Car l'étant ne peut pas être le genre de quelque chose, comme le prouve
le philosophe (Métaphysique III, 3,
998 b 22), puisque rien ne peut être ajouté à l'étant qui ne participe pas de
lui; mais la différence ne doit pas participer au genre. Mais si la substance
pouvait avoir une définition, malgré le genre qui est le plus général, sa
définition sera: "La substance est
une chose à la quiddité de laquelle il est dû de ne pas être dans quelque chose."
Et ainsi la définition de la substance ne conviendra pas à Dieu qui n'a pas sa
quiddité en plus de son être. C'est pourquoi Dieu n'est pas dans le genre de la
substance, mais est au dessus de toute substance.
q. 7 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Deus definiri non
potest. Omne enim quod definitur, in intellectu definientis comprehenditur;
Deus autem est incomprehensibilis ab intellectu; unde cum dicitur quod Deus est
actus purus, haec non est definitio eius.
# 5. Dieu ne peut pas être défini. Car tout ce qui est défini, est
saisi dans l'esprit de celui qui définit. Mais Dieu est insaisissable par
l'esprit; c'est pourquoi, quand on dit que Dieu est acte pur, on ne donne pas
sa définition.
q. 7 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod ad rationem
generis requiritur quod univoce praedicetur. Nihil autem de
Deo potest et creaturis univoce praedicari, ut infra patebit. Unde licet ea
quae de Deo dicuntur, praedicentur de ipso substantialiter, nihilominus tamen
non praedicantur de ipso ut genus.
# 6. Il est nécessaire à la notion du genre d'être attribuée de manière
univoque. Mais rien ne peut être attribué de manière univoque à Dieu et à la
créature, comme plus bas (art. 7) on le verra. C'est pourquoi, bien que ce qui
est dit de Dieu lui soit attribué substantiellement, néanmoins ce ne lui est
pas attribué de lui comme genre.
q. 7 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod licet Deus non
pertineat ad genus substantiae quasi in genere contentum,- sicut species vel
individuum sub genere continentur,- potest tamen dici quod sit in genere
substantiae per reductionem, sicut principium, et sicut punctum est in genere
quantitatis continuae, et unitas in genere numeri; et per hunc modum est
mensura substantiarum omnium, sicut unitas numerorum.
# 7. Bien que Dieu n'appartienne pas au genre de la substance, comme
s'il était contenu en un genre, — comme l'espèce ou l'individu sont contenus
sous le genre, — cependant on peut dire qu'il est dans le genre de la substance
par réduction18, comme principe, et,
comme le point dont le genre de la quantité continue et l'unité dans celui du
nombre; et de cette manière il est la mesure de toutes substance19, comme l'unité
pour les nombres.
1 Parall. Ia,
3, 5— CG. I, 25 — I Sent. d8q4a1 et 2: — d19q4a2 — Compendium. 12, — De Ente c. 4.
Ia, 3, 5 démontre que, selon Aristote, l'être ne peut être
un genre, sol. 1.etc.
2
"L'essence c'est la forme commune, qui réunit (periektiko) des hypostases
de même espèce, (comme Dieu, homme) hypostase par contre désigne l'individu
c'est-à-dire le Père, le Fils, le saint Esprit, Pierre, Paul."
3
Aristote définit le genre ainsi: "Le genre est ce qui est attribué
essentiellement à des choses multiples et différentes spécifiquement entre
elles." (Topiques, I, 5, 102 a
31) Trad. J. Tricot.
4
"Ce qui a trait au propre, au genre et à l'accident…" (Trad. J.
Tricot)."Numero" traduit l'identité ou l'unité du substrat. Ce qui
correspond au "propre" de la trad. de J. Tricot.
5
Comprendre par l'identité.
6
Ce qu'analyse I Sent. d8q4a2.
7
Cf. Ia, 3, 5, obj. 1.
8
Parce que toute définition vient du genre et de l'espèce. Voir c.
9
"La mesure est toujours du même genre que l'objet mesuré; les grandeurs se
mesurent par la grandeur…" (Trad. J. Tricot) Aristote n° 826, Thomas n°
1954 ss..
10
La quiddité exprime l'essence ou la nature d'une chose, en tant qu'exprimée par
une définition (quod quid erat esse. De
ente I, 3). La quiddité s'oppose à l'être.
11
Thomas: lectio 8, n° 432 ss..
12
Cf. Ia, 3, 5, sol. 2.
13
"Ce qui est dit parfait par soi est donc appelé ainsi en tout genre…tantôt
d'une manière générale, et c'est ce qui ne peut être surpassé dans chaque genre
et n'a aucune partie en dehors de soi." Thomas (n° 1040) conclut que ce
que dit Aristote c'est la condition du premier principe, c'est-à-dire Dieu.
14
Entendre les trois Personnes.
15
. Voir I Sent. d8q1a2, ad 3.
16
"Mais la différence et l'altérité sont des notions distinctes l'une de
l'autre. Pour deux êtres qui sont autres, en effet, il n'est pas nécessaire que
l'altérité porte sur quelque chose de défini, car tout ce qui est existant est
autre ou le même; par contre ce qui est différent doit différer d'une chose
déterminée par quelque endroit déterminé, de sorte qu'il faut nécessairement
qu'il y ait un élément identique par quoi les choses différent. Cet élément
identique, c'est le genre, ou l'espèce. Car tout ce qui diffère, diffère soit
en genre, soit en espèce." (Trad. J. Tricot).
17
Cf. I Sent. d8q1a.2, ad 3m. "…Dieu
et l'être créé ne diffèrent pas par des différences ajoutées à l'un ou à
l'autre, mais par eux-mêmes. C'est pourquoi on ne dit pas qu'ils sont
différents au sens propre mais qu'ils sont divers, car est divers l'absolu,
mais différent selon le relatif d'après le philosophe. (Métaphysique , X, texte 13)
18
Ia, qu. 3, a. 5 c: "Il est clair
que Dieu n'est pas dans un genre, par réduction, du fait que le principe qui
est ramené à un genre ne s'étend pas au-delà de ce genre. Comme le point n'est
principe que de la quantité continue, et l'unité celle de la quantité discrète.
Mais Dieu est le principe de tout l'être. C'est pourquoi il n'est pas contenu
dans un genre comme principe".
19
"Dieu est la mesure suprême des substances." (Averroès, Métaphysique, X, com. 7).
q. 7 a. 4 tit. 1 Quarto quaeritur utrum bonum, sapiens, iustum
et huiusmodi, praedicent de Deo accidens. Et videtur quod sic.
Il semble que oui1:
Objections:
q. 7 a. 4 arg. 1 Quod enim praedicatur de aliquo non
significans substantiam, sed illud quod naturam assequitur, praedicat
accidens. Sed Damascenus dicit, quod bonum et iustum et sanctum, dicta de Deo,
assequuntur naturam, non autem ipsam substantiam significant. Praedicant ergo
de Deo accidens.
1. Car ce qui est attribué à quelque chose sans signifier sa substance,
mais reflète sa nature, attribue un accident. Mais Jean Damascène dit (la foi orthodoxe, I, 92), que
bon, juste, saint, employés pour Dieu, reflètela nature, mais ils ne
signifient pas la substance même. Donc ils attribuent un accident à Dieu.
q. 7 a. 4 arg. 2 Sed dicebatur, quod Damascenus loquitur
quantum ad modum significandi.- Sed contra, modus significandi qui sequitur
rationem generis, oportet quod ad rem referatur: genus enim praedicatum
significat substantiam subiecti, cum praedicetur in eo quod quid. Sed
praedictis nominibus competit significare per modum assequentis naturam ratione
generis: sunt enim in genere qualitatis, quae secundum propriam rationem ad
subiectum respectum habet, nam qualitas est secundum quam quales dicimur. Ergo
oportet quod iste modus significandi referatur ad rem, ut scilicet ea quae per
praedicta nomina significantur, sint assequentia naturam eius de quo
praedicantur, et per consequens accidentia.
2. Mais on pourrait dire que
Jean Damascène parle [selon une manière de signifier]. — En sens contraire, la manière de s’exprimer sur ce qui accompagne
la nature du genre doit faire référence à la réalité; car le genre attribué
signifie la substance du sujet, puisqu'il est attribué à ce qui est essence.
Mais il convient à ces noms attribués, d’exprimer à la manière de ce qui
reflète la nature en raison du genre; car ils sont dans le genre de qualité,
qui selon leur raison propre a rapport au sujet, car la qualité c'est ce selon
quoi on les dit telles. Donc il faut que ce mode de signifier se réfère à la
réalité, pour que ce qui est signifié par ces noms reflète la nature de ce à
quoi ils sont attribués, et par conséquent les accidents.
q. 7 a. 4 arg. 3 Sed dicendum, quod ista nomina non
praedicantur de Deo quantum ad genus suum, quod est qualitas; non enim proprie
dicuntur de Deo nomina a nobis imposita.- Sed contra, a quocumque removetur
genus, falso praedicatur de eo species: quod enim non est animal, falso dicitur
homo. Si ergo genus praedictorum, quod est qualitas, non praedicatur de Deo,
praedicta nomina non solum praedicabuntur improprie, sed falso de Deo, et ita
erit falsum quod dicitur, quod Deus est iustus, vel quod Deus est sanctus; quod
est inconveniens. Ergo oportet dicere, quod praedicta nomina in
Deo praedicent accidens.
3. Mais il faut dire que ces
noms ne sont pas attribués à Dieu quant à leur genre, qui est la qualité, car
ce n'est pas au sens propre qu'on donne à Dieu les noms dont nous nous servons.
— En sens contraire, pour quelque
raison que le genre soit exclu, l'espèce lui est attribuée faussement, car ce
qui n'est pas animal est faussement appelé homme. Si donc le genre de de
prédicat qu’est la qualité, n'est pas attribué à Dieu, ces noms non seulement
seront attribués improprement, mais faussement à Dieu, et ainsi il sera faux de
dire qu'il est juste ou qu'il est saint; ce qui ne convient pas. Donc il faut
dire que ces noms attribuent un accident à Dieu.
q. 7 a. 4 arg. 4 Praeterea. Philosophus dicit, quod id quod
vere est, id est substantia, nulli accidit. Ergo eadem ratione, quod secundum
se est accidens, ubique est accidens. Sed iustitia et sapientia et huiusmodi
sunt per se accidentia. Ergo et in Deo sunt accidentia.
4. Le philosophe dit (Physique, I,
3, 186 b 43) que ce qui existe
vraiment, c'est-à-dire la substance, n'est accident pour rien. Donc pour la
même raison, ce qui est un accident en soi est partout accident. Mais la
justice, la sagesse, etc.. sont en soi des accidents. Donc ce sont aussi des
accidents en Dieu.
q. 7 a. 4 arg. 5 Praeterea, omnia quae sunt in rebus creatis,
exemplantur a Deo, qui est forma exemplaris omnium. Sed sapientia, iustitia et huiusmodi, in rebus creatis sunt accidentia. Ergo et
in Deo sunt accidentia.
5. Tout ce qui est dans les créatures ressemble à Dieu, qui est la
forme exemplaire de tout4. Mais la
sagesse, la justice, etc., sont des accidents. Donc en Dieu aussi.
q. 7 a. 4 arg. 6 Praeterea,
ubicumque est quantitas et qualitas, ibi est accidens. Sed in Deo videtur esse
quantitas et qualitas: est enim in Deo similitudo et aequalitas; dicimus enim
filium similem patri et aequalem. Similitudo autem causatur ex uno in
qualitate, aequalitas ex uno in quantitate. Ergo in Deo est accidens.
6. Partout où il y a quantité et qualité5,
il y a un accident. Mais en Dieu il semble qu'il y a quantité et qualité; car
il y a en lui la ressemblance et l'égalité; nous disons en effet que le Fils
est semblable et égal au Père. Mais la ressemblance est causée d'une part dans
la qualité et l'égalité, d'autre part par la quantité. Donc en Dieu il y a un
accident.
q. 7 a. 4 arg. 7 Praeterea, unumquodque mensuratur primo sui
generis. Sed Deus non solum est mensura substantiarum, sed omnium accidentium,
quia ipse est creator et substantiae et accidentis. Ergo in Deo non tantum est
substantia, sed accidens.
7. Chaque chose est mesurée par le premier de son genre. Mais Dieu non
seulement est la mesure des substances, mais de tous les accidents, parce qu'il
est lui-même créateur de la substance et aussi de l'accident. Donc en Dieu il y
a non seulement la substance mais aussi l'accident.
q. 7 a. 4 arg. 8 Praeterea, illud sine quo potest aliquid
intelligi, accidentaliter de eo praedicatur. Ex hoc enim probat Porphyrius
separabilia quaedam accidentia esse, quia potest intelligi corvus albus, et
Aethiops nitens candore. Sed Deus potest intelligi sine bono, ut patet per
Boetium. Ergo bonum significat accidens in Deo, et eadem ratione alia.
8. Ce sans quoi on peut comprendre quelque chose, lui est attribué
accidentellement. Porphyre en effet (dans Les
prédicables, ch. l'accident)
prouve ainsi que certains choses séparables sont des accidents, parce que le
corbeau peut être envisagé comme blanc et l'éthiopien comme brillant de
blancheur. Mais Dieu peut être envisagé sans le bien, comme on le voit chez
Boèce (De hebdomadibus 36, PL. 64,
1312 B6). Donc le bien et d'autres
choses encore pour la même raison signifient un accident en Dieu.
q. 7 a. 4 arg. 9 Praeterea, in significatione nominis duo est
considerare: scilicet id a quo imponitur, et id cui imponitur. Quantum ad
utrumque autem hoc nomen sapientia videtur accidens significare; imponitur enim
ab eo quod est facere sapientem, quod videtur actio esse sapientiae; id autem a
quo imponitur, est qualitas quaedam. Ergo omnibus modis hoc nomen et alia
similia significant accidens in eo de quo praedicantur; et ita in Deo est
aliquod accidens.
9. Il faut considérer deux aspects dans la signification du mot: à
savoir ce par quoi et ce à quoi il est imputé et à quoi. Sous ces deux aspects
ce nom de sagesse semble signifier un
accident; car il est imputé par ce qui est rendre sage, ce qui semble l’action
de la sagesse, mais ce par quoi il est imputé est une qualité. Donc de toutes
les manières ce nom et d'autres semblables signifient un accident en ce à quoi
ils sont attribués; et ainsi en Dieu il y a un accident.
En sens contraire:
q. 7 a. 4 s. c. 1 Sed contra. Est quod Boetius dicit, quod
Deus, cum sit forma simplex, subiectum esse non potest. Omne autem accidens est
in subiecto. Ergo in Deo non potest esse aliquod accidens.
1. Il y a ce que Boèce dit (La
Trinité, 2, PL., 64, 12507):
comme Dieu est une forme simple, il ne peut pas être substrat. Or tout accident
est dans un substrat. Donc en Dieu il ne peut pas y avoir d'accident.
q. 7 a. 4 s. c. 2 Praeterea, omne accidens habet dependentiam
ab alio. Sed nihil tale potest esse in Deo, quia quod dependet ab alio, oportet
esse causatum; Deus autem est causa prima nullo modo causata. Ergo in Deo
accidens esse non potest.
2. Tout accident dépend d'autre chose. Mais rien de tel ne peut exister
en Dieu, parce que, ce qui dépend d'un autre doit avoir une cause; mais Dieu
est la cause première en aucune manière causée. Donc en Dieu il ne peut y avoir
d'accident.
q. 7 a. 4 s. c. 3 Praeterea, Rabbi Moyses dicit, quod huiusmodi
nomina non significant in Deo intentiones additas supra eius substantiam. Omne
enim accidens significat intentionem additam supra substantiam sui subiecti.
Ergo praedicta nomina non significant accidens in Deo.
3. Rabbi Moyses dit que de tels noms ne signifient pas en Dieu des
concepts ajoutés à sa substance. Car tout accident signifient un concept ajouté
à la substance de son substrat. Donc ces noms attribués ne signifient pas un
accident en Dieu.
q. 7 a. 4 s. c. 4 Praeterea, accidens est quod adest et abest
praeter subiecti corruptionem. Sed hoc in Deo esse non potest, cum ipse sit
immutabilis ut probatur a philosopho. Ergo in Deo accidens esse non potest.
4. L'accident est ce qui est présent ou absent au-delà de la corruption
du substrat. Mais cela n’est pas possible en Dieu, puisqu'il est immuable,
comme le philosophe le prouve (Physique, VIII,
6, 259 b 23 – 259 b 328). Donc en Dieu
il ne peut pas y avoir d'accident.
Réponse:
q. 7 a. 4 co. Respondeo. Dicendum quod, absque omni
dubitatione, tenendum est quod in Deo nullum sit accidens; quod quidem ad
praesens potest ostendi tribus rationibus.
Sans doute aucun, il faut affirmer qu'en Dieu il n'y a aucun accident,
ce qui à présent peut être montré par trois raisons:
Prima ratio est, quia nulli naturae vel essentiae vel formae
aliquid extraneum adiungitur, licet id quod habet naturam vel formam vel
essentiam, possit aliquid extraneum in se habere; humanitas enim non recipit in
se nisi quod est de ratione humanitatis. Quod ex hoc patet, quia in
definitionibus quae essentiam rerum significant quodlibet additum vel
subtractum variat speciem, sicut etiam in numeris, ut dicit philosophus.
a) Première raison: parce que
rien d'étranger n'est ajouté à aucune nature, essence ou forme, bien que ce qui
a une nature, une forme ou une essence puisse avoir en soi quelque chose
d'étranger; car l'humanité ne reçoit en soi que ce qui est de la nature de l'humanité.
Ce qui apparaît parce que dans les définitions qui signifient l'essence, quoi
que ce soit d'ajouté ou de soustrait fait varier l'essence, comme dans les
nombres, comme le dit le philosophe (Métaphysique,
VIII, 3, 1044 a 19).
Homo autem qui habet humanitatem, potest aliquid aliud
habere quod non sit de ratione humanitatis, sicut albedinem et huiusmodi, quae
non insunt humanitati, sed homini. In qualibet autem creatura invenitur
differentia habentis et habiti. In creaturis namque compositis invenitur duplex
differentia, quia ipsum suppositum sive individuum habet naturam speciei, sicut
homo humanitatem, et habet ulterius esse: homo enim nec est humanitas nec esse
suum; unde homini potest inesse aliquod accidens, non autem ipsi humanitati vel
eius esse.
Mais l'homme qui a l'humanité peut avoir autre chose qui ne la concerne
pas, comme la blancheur et autres choses identiques, qui ne sont pas dans
l'humanité, mais dans l'homme. En n'importe quelle créature on trouve la différence
de celui qui a et de ce qu’il a. Car dans les créatures composées, on trouve
une double différence, parce que le suppôt lui-même ou l'individu a la nature
de l'espèce10, comme l'homme a
l'humanité et il a ensuite l'être; car l'homme n'est pas l'humanité, ni son
être; c'est pourquoi il peut y avoir dans l'homme un accident, mais non dans
l'humanité, ni dans son l'être.
In substantiis vero simplicibus est una tantum differentia,
scilicet essentiae et esse. In Angelis enim quodlibet suppositum est sua natura:
quidditas enim simplicis est ipsum simplex, ut dicit Avicenna; non est autem
suum esse; unde ipsa quidditas est in suo esse subsistens. Unde in huiusmodi
substantiis potest inveniri aliquod accidens intelligibile, non autem
materiale.
Dans les substances simples il y a une seule différence à savoir celle
de l'essence et de l'être. Car dans les anges n'importe quel suppôt est sa
nature, car la quiddité de ce qui est simple est simple elle-même, comme le dit
Avicenne (Métaphysique, V ch. 5),
mais ce n'est pas son être; aussi la quiddité même subsiste en son être. C'est
pourquoi dans de telles substances, on peut trouver un accident intelligible,
mais pas matériel.
In Deo autem nulla est differentia habentis et habiti, vel
participantis et participati; immo ipse est et sua natura et suum esse; et ideo
nihil alienum vel accidentale potest ei inesse. Et hanc rationem videtur
tangere Boetius, dicens: id quod est,
habere potest aliquod praeterquam quod
ipsum est; ipsum vero esse, nihil aliud praeter se habet admixtum.
Mais en Dieu il n'y a nulle différence entre celui qui a et ce qu'il a,
ou entre participant et de ce qui est participé; mais au contraire il est
lui-même sa nature et son être11, et
c'est pourquoi rien d'étranger ou d'accidentel ne peut être en lui. Et Boèce
semble traiter de cette question (De
hebdom., règle 4, n° 13, PL. 64, 1311 B) quand il dit: ""Ce qui est" peut avoir quelque chose en sus de lui-même; mais l'être en soi ne
peut avoir rien d'ajouté en dehors de lui."
Secunda ratio est quod, cum accidens sit extrinsecum ab
essentia subiecti, et diversa non coniungantur nisi per aliquam causam,
oportet, si accidens Deo adveniat, quod hoc sit ab aliqua causa. Non autem potest
esse ex aliqua causa extrinseca, quia sequeretur quod illa causa extrinseca
ageret in Deum, et esset prior eo, sicut movens moto, et faciens facto. Sic
enim causatur accidens in aliquo subiecto ab extrinseco in quantum exterius
agens agit in subiectum in quo causatur accidens.
b) Seconde raison: comme
l'accident est extérieur à l'essence du sujet, et que les diverses parties ne
sont jointes que par une cause, il faut, si un accident advenait en Dieu, que
cela dépende d'une cause. Mais cela ne peut pas venir d'une cause extérieure,
parce qu'il s'ensuivrait qu'elle agirait en Dieu, et serait avant lui, comme le
moteur avant le mû, et le producteur avant le produit. Car l'accident est causé
dans un sujet par l'extérieur, en tant qu'un agent extérieur agit dans le sujet
en qui l'accident est causé.
Similiter etiam non potest esse ex causa intrinseca, sicut
est per se in accidentibus, quae habent causam in subiecto. Subiectum enim non
potest esse causa accidentis ex eodem ex quo suscipit accidens, quia nulla
potentia movet se ad actum. Unde oportet quod ex alio sit susceptivum
accidentis, et ex alio sit causa accidentis, et sic est compositum; sicut ista
quae recipiunt accidens per naturam materiae, et causant accidens per naturam
formae. Ostensum autem est supra, Deum non esse compositum. Unde impossibile
est quod sit in eo accidens.
De la même manière aussi, il ne peut pas venir d'une cause intérieure12, comme elle est en soi dans les accidents
qui ont une cause dans le sujet. Car le sujet ne peut pas être cause de
l'accident par ce même pouvoir par lequel il reçoit l'accident, parce que nulle
puissance ne se mène à l'acte. C'est pourquoi il faut qu'il soit susceptible de
recevoir l'accident d'un autre et qu'il soit cause par un autre, et ainsi il
est composé, de même que ce qui reçoit l'accident par la nature de la matière
et cause l'accident par la nature de la forme. Mais on a montré plus haut (a.
1) que Dieu n'est pas composé. C'est pourquoi il est impossible qu'il y ait en
lui un accident.
Tertia ratio est, quia accidens comparatur ad subiectum
sicut actus ad potentiam, cum sit quaedam forma ipsius. Unde cum Deus sit actus
purus absque alicuius potentiae permixtione, non potest esse accidentis
subiectum. Sic ergo patet ex praehabitis quod in Deo non est compositio
materiae et formae, et quarumcumque partium substantialium, nec generis et
differentiae, nec subiecti et accidentis; patet etiam quod praedicta nomina in
Deo non praedicant accidens.
c) Troisième raison13: parce que l'accident est comparé au
substrat comme l'acte à la puissance, puisqu'il en est la forme. C'est pourquoi
comme Dieu est acte pur, sans mélange de puissance, il ne peut pas être le
substrat d'un accident. Donc ainsi il est
clair par ce qui a été dit, qu'en Dieu, il n'y a pas de composition de
matière et de forme, et de toutes parties substantielles ni de genre et de
différence, ni de sujet et d'accident; ainsi il est clair que ces noms n' attribuent pas un accident à Dieu.
Solutions:
q. 7 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Damascenus
loquitur de istis nominibus non quantum ad id quod praedicant de Deo, sed
quantum ad id a quo imponuntur ad significandum. Imponuntur enim a nobis ad
significandum ex formis accidentalibus quibusdam, in creaturis repertis. Vult
enim ex hoc probare quod per nomina dicta de Deo non notificatur nobis eius
substantia.
# 1. Jean Damascène parle de ces noms, non pour ce qu'ils attribuent à
Dieu, mais pour ce à quoi ils sont
imputés pour signifier. Car nous les imputons pour signifier à partir de
certaines formes accidentelles trouvées dans les créatures. Ill veut, en effet,
prouver que la substance de Dieu n'est pas signifiées par les noms qu'on lui
donne.
q. 7 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod licet bonitatis
humanae et sapientiae et iustitiae, qualitas sit genus; non tamen est genus
eorum secundum quod de Deo praedicantur, eo quod qualitas, in quantum
huiusmodi, dicitur ens eo quod inhaeret aliqualiter subiecto. Sapientia autem
et iustitia non ex hoc nominantur, sed magis ex aliqua perfectione vel ex
aliquo actu; unde talia veniunt in divinam praedicationem secundum rationem
differentiae et non secundum rationem generis. Et propter hoc Augustinus dicit:
intelligamus quantum possumus sine qualitate bonum, sine quantitate magnum.
Unde non oportet quod modus iste qui est assequi naturam, inveniatur in Deo.
# 2. Bien que les qualités de bonté, de sagesse et de justice soient un
genre chez l'homme, cependant ce n'est pas leur genre qui est attribué à Dieu,
parce que la qualité, en tant que telle, est appelée étant, parce qu'elle
adhère d'une certaine manière à un substrat. Mais la sagesse et la justice ne
tirent pas leur nom de cela, mais plutôt d'une perfection ou d'un acte; c'est
pourquoi de tels prédicats viennent dans l’attribution à Dieu en raison de la
différence et non du genre. Et c'est pour cela qu'Augustin dit (La Trinité, V, 1): "Nous comprenons bon autant que nous pouvons sans la qualité, grand sans la quantité." C'est pourquoi il ne faut pas que ce mode
qui suit la nature se trouve en Dieu.
q. 7 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod si bonum et iustum
univoce de Deo praedicarentur, sequeretur quod falsa esset praedicatio, remoto
genere. Nihil autem de Deo creatura univoce praedicatur, ut infra ostendetur;
unde ratio non sequitur.
# 3. Si bon et juste étaient attribués de manière univoque à Dieu, il
s'ensuivrait que l'attribution serait fausse, si on excluait le genre. Mais
rien n'est attribué à Dieu de façon univoque avec la créature, comme on le
montrera plus loin (art. 7): C'est pourquoi la raison ne vaut pas.
q. 7 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sapientia, quae est
accidens, in Deo non est; sed sapientia alia non univoce dicta; et propter hoc
ratio non sequitur.
# 4. La sagesse, qui est un accident, n'est pas en Dieu, mais c'est une
autre sagesse désignée de manière non univoque, et c'est pour cela que cette
raison ne vaut pas.
q. 7 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum quod exemplata non semper
repraesentant perfecte exemplar; unde quandoque quod est in exemplari
deficienter et imperfecte invenitur in exemplato; et praecipue in his quae
exemplantur a Deo, qui est exemplar omnem creaturae proportionem excedens.
# 5. Les images ne représentent pas toujours parfaitement l'exemplaire;
c'est pourquoi quelquefois on trouve dans l'image ce qui est dans l'exemplaire
de manière déficiente et imparfaite et surtout dans ce qui est image de Dieu
qui est l'exemplaire qui dépasse toute proportion avec la créature.
q. 7 a. 4 ad 6 Ad sextum dicendum, quod similitudo et
aequalitas in Deo dicuntur non quia sit ibi qualitas vel quantitas, sed quia de
eo dicimus quaedam quae apud nos significant qualitatem vel quantitatem, cum
dicimus Deum magnum et sapientem et huiusmodi, et cetera.
# 6. On parle de la ressemblance et de l'égalité en Dieu non pas parce
qu'il y a qualité et quantité, mais parce que nous disons certaines choses qui
signifient pour nous la qualité ou la quantité, quand nous disons que Dieu est
grand et sage etc..
q. 7 a. 4 ad 7 Ad septimum dicendum, quod accidentia non
dicuntur entia nisi per relationem ad substantiam tamquam ad primum ens; unde
non oportet quod accidentia mensurentur uno primo quod est accidens, sed uno
primo quod est substantia.
# 7. Les accidents ne sont appelés étants que par relation à la
substance en tant que premier étant; c'est pourquoi il ne faut pas que les
accidents soient mesurés par un premier qui est accident, mais par un premier
qui est la substance.
q. 7 a. 4 ad 8 Ad octavum dicendum, quod omne illud sine quo
res aliqua potest intelligi secundum suam substantiam intellecta, habet
rationem accidentis: non enim potest esse quod non intelligatur id quod est de
substantia rei, re secundum suam substantiam intellecta; sicut quod
intelligatur quid est homo, et non intelligatur quid est animal. Deum autem nos
non videmus hic per essentiam, sed consideramus eum ex eius effectibus. Unde
nihil prohibet considerare ipsum ex effectu essendi, et non considerare ex
effectu bonitatis; sic enim loquitur Boetius. Sciendum tamen quod licet nos
intelligamus aliqualiter Deum, non intelligendo eius bonitatem, non tamen
possumus intelligere Deum intelligendo eum non esse bonum, sicut nec hominem
intelligendo eum non esse animal: hoc enim removeret substantiam Dei, quae est
bonitas. Sancti vero in patria qui vident Deum per essentiam, videndo Deum,
vident eius bonitatem.
# 8. Tout ce sans quoi on peut comprendre une chose envisagée selon sa
substance, a natured'accident; car il n'est pas possible que ne soit pas
compris ce qui est de sa substance, une fois qu'elle est comprise selon sa
substance; de même qu'on comprendrait ce qu'est un homme, et qu'on ne
comprendrait pas ce qu'est un animal. Mais nous ne voyons pas ici Dieu par son
essence mais nous le considérons à partir de ses effets. C'est pourquoi rien
n'empêche de le considérer par l'effet d'être, et ne pas le considérer par
celui de sa bonté, car Boèce en parle ainsi. Cependant il faut savoir que, bien
que nous comprenions également Dieu, sans comprendre sa bonté, nous ne pouvons
cependant pas comprendre Dieu sans comprendre qu'il est bon; de même qu'on ne
comprend pas que c'est un homme en comprenant qu'il n'est pas un animal: car
cela exclurait la substance de Dieu qui est sa bonté. Mais les saints, dans la
patrie, qui voient Dieu par son essence, en le voyant, voient sa bonté.
q. 7 a. 4 ad 9 Ad nonum dicendum, quod hoc nomen sapientia
verificatur de Deo quantum ad illud a quo imponitur nomen. Non autem imponitur
nomen ab hoc quod est sapientem facere, sed ab hoc quod est sapientialia intellectualiter
habere. Scientia enim, in quantum scientia, refertur ad scibile; sed in quantum
est accidens vel forma, refertur ad scientem. Hoc autem quod est sapientialia
habere, est accidentale homini, non autem Deo.
# 9. Ce nom de sagesse est
vérifié au sujet de Dieu quant à ce par quoi on impute ce nom. Mais il n’est
pas imputé par ce qui rend sage, mais par ce que c'est avoir de manière
intelligible ce qui concerne la sagesse. Car la science, en tant que telle, a
rapport au connaissable. Mais en tant qu'accident ou forme, elle se rapporte au
savant. Mais le fait d'avoir ce qui concerne la sagesse est accidentel pour
l'homme, mais pas pour Dieu.
De potentia, q. 7 a. 5 tit. 1 Quinto quaeritur utrum
praedicta nomina significent divinam substantiam. Et videtur quod non.
Il semble que non1.
Objections:
q. 7 a. 5 arg. 1 Dicit enim Damascenus IV libro: oportet
singulum eorum quae in Deo dicuntur, non quid est secundum substantiam
significare existimare; sed quod non est ostendere, aut habitudinem quamdam,
aut aliquid eorum a quibus separatur, aut aliquid eorum quae assequuntur
naturam aut operationem. Esse autem quod substantialiter de aliquo praedicatur
significat quid est substantia eius. Praedicta ergo
nomina non praedicantur substantialiter de Deo, tamquam eius substantiam
significantia.
1. En effet, Jean Damascène dit (La
foi orthodoxe, IV, ch. 4, PL. 94, 836 A): "Il faut penser que chacun des noms donnés à Dieu ne signifie pas ce
qu'il est selon sa substance, mais montre ce qu'il n'est pas, soit une
relation, soit une séparation, soit quelque chose de ce qui touche sa nature ou
son opération." Mais l'être attribué selon la substance signifie ce
qu'elle est. Donc ces noms ne sont pas attribués selon la substance à Dieu
comme la signifiant.
q. 7 a. 5 arg. 2 Praeterea, nullum nomen quod significat
substantiam alicuius rei, vere potest de eo negari. Dicit enim Dionysius, quod
in divinis negationes sunt verae, affirmationes vero incompactae. Ergo talia
nomina non significant substantiam divinam.
2. Aucun nom qui signifie la substance d'une chose ne peut vraiment
être nié de lui. Car Denys dit (Les
hiérarchie céleste, II, § 3, 141 A2) qu'en Dieu les négations sont vraies
mais les affirmations inadéquates. Donc de tels noms ne signifient pas la
substance divine.
q. 7 a. 5 arg. 3 Praeterea, haec nomina significant processus
divinae bonitatis in res, sicut dicit Dionysius. Sed bonitates a Deo
procedentes non sunt ipsa divina substantia. Ergo huiusmodi nomina non
significant divinam substantiam.
3. Ces noms signifient ce qui procède de la divine bonté dans les
êtres, comme le dit Denys (Les noms
divins, I, 2, 591 D3). Mais les
bontés qui procèdent de Dieu ne sont pas sa substance. Donc les noms de ce
genre ne signifient pas la substance de Dieu.
q. 7 a. 5 arg. 4 Praeterea, Origenes dicit quod Deus dicitur
sapiens quia sapientia nos implet. Hoc autem non significat divinam
substantiam, sed effectum. Ergo praedicta nomina non significant divinam
substantiam.
4. Origène dit que Dieu est appelé sage parce qu'il nous comble de
sagesse. Mais cela ne signifie pas la substance de Dieu, mais son effet. Donc
ces noms ne signifient pas la substance divine.
q. 7 a. 5 arg. 5 Praeterea, in Lib. de causis dicitur quod
causa prima non nominatur nisi nomine causati primi, quod est intelligentia.
Cum autem causa nominatur nomine sui causati, non est praedicatio per
essentiam, sed per causam. Ergo nomina quae de Deo dicuntur, non
praedicantur de Deo substantialiter, sed causaliter tantum.
5. Dans le livre des Causes
(prop. 6, n° 63), on dit que la cause première n'est appelée que par le nom du
premier effet, qui est l'intelligence. Mais comme la cause est appelée par le
nom de l'effet, ce n'est pas une attribution par l'essence, mais par la cause.
Donc les noms dont on se sert pour Dieu ne lui sont pas attribués selon la
substance, mais selon la cause seulement.
q. 7 a. 5 arg. 6 Praeterea, nomina significant conceptiones
intellectuum, ut patet per philosophum. Sed nos divinam substantiam intelligere
non possumus: non enim scimus de eo quid est, sed quoniam est, ut dicit
Damascenus. Ergo non possumus eum nominare aliquo nomine, nec significare eius
substantiam.
6. Les noms signifient les conceptions de l'esprit, comme le montre le
philosophe (au début du Periher. 16 a
10 ss). Mais nous ne pouvons pas saisir (intelligere)
la substance divine; car nous ne savons pas ce qu'il est, mais nous savons
qu'il est, comme le dit Jean Damascène (liv. I, ch. 44). Donc nous ne pouvons lui donner un nom, ni
signifier sa substance.
q. 7 a. 5 arg. 7 Praeterea, omnia divinam bonitatem
participant, ut patet per Dionysium. Sed non omnia participant eius
substantiam, quae est solum in tribus personis. Ergo divina bonitas non
significat eius substantiam.
7. Tout participe de la bonté de Dieu, comme le montre Denys (Les noms divins, IV, § 1, 693 B5). Mais tout ne participe pas de sa
substance, qui est seulement dans les trois personnes. Donc la bonté de Dieu ne
signifie pas sa substance.
q. 7 a. 5 arg. 8 Praeterea, Deum cognoscere non possumus nisi
ex similitudine creaturae, quia, ut dicit apostolus, Rom. I, 20, invisibilia
Dei a creatura mundi per ea quae facta sunt, intellecta conspiciuntur. Sed
secundum quod ipsum cognoscimus, ita ipsum nominamus. Ergo non nominamus ipsum
nisi ex similitudine creaturarum. Sed quando aliquid nominatur ex similitudine
alterius, nomen illud non praedicatur de ipso substantialiter, sed metaphorice:
quod per hoc patet quod per posterius de Deo dicitur, et per prius de eo a quo
sumitur similitudo; cum tamen quod significat substantiam alicuius primo de eo
praedicetur.
8. Nous ne pouvons connaître Dieu que par la ressemblance de la
créature, parce que, comme le dit l'Apôtre (Rm
1, 20) "Ce qu'il y a d'invisible
en Dieu depuis la création du monde, se laisse voir pour l'intelligence par ses
œuvres." Mais nous lui donnons un nom selon que nous le connaissons.
Donc nous ne le nommons que par la ressemblance des créatures. Mais quand nous
nommons une chose selon la ressemblance d'une autre, ce nom ne lui est pas
attribué selon la substance, mais par métaphore: par là i lest clair que ce
qu’ont de Dieu est aperès, et ce dont on tire la ressemablance est avant;
puisque cependant nous attribuons d'abord à une chose ce que signifie sa
substance.
q. 7 a. 5 arg. 9 Praeterea, secundum philosophum, significare
substantiam est significare hoc, et nihil aliud. Si ergo hoc nomen bonum
significat substantiam divinam, nihil erit in substantia divina quod non hoc
nomine significetur, sicut etiam nihil est in substantia humana quod non
significetur hoc nomine homo. Sed hoc nomen bonum non significat sapientiam.
Ergo sapientia non erit substantia divina, et pari ratione nec omnia alia; ergo
non potest esse quod huiusmodi omnia nomina significent divinam substantiam.
9. Selon le philosophe (Métaphysique,
VIII), désigner une substance c'est la désigner elle et rien d'autre. Si
donc ce mot bon signifie la substance
divine, rien ne sera dans sa substance qui ne soit pas signifié par ce nom, de
même que rien n'est dans la substance humaine qui ne soit signifié par ce nom homme. Mais ce mot bon ne signifie pas la sagesse. Donc la sagesse ne sera pas la
substance divine, à raison égale, tous les autres attributs non plus; donc il
n'est pas possible que tous les noms de ce genre signifient la substance
divine.
q. 7 a. 5 arg. 10 Praeterea, sicut quantitas est causa
aequalitatis, et similitudinis qualitas, ita et substantia identitatis. Si ergo
omnia huiusmodi nomina significent substantiam Dei, secundum ea non
attenderetur vel aequalitas vel similitudo, sed magis identitas; et ita
creatura dicetur idem Deo, ex hoc quod eius sapientiam vel bonitatem imitatur,
vel aliquid huiusmodi; quod est inconveniens.
10. De même que la quantité est la cause de l'égalité, et la qualité
celle de ressemblance, de même la substance est celle de l'identité. Si donc tous
les noms de ce genre signifiaient la substance de Dieu, selon eux on
n'atteindrait ni l'égalité, ni la ressemblance, mais plutôt l'identité, et
ainsi on dirait que la créature serait identique à Dieu du fait qu'elle imite
sa sagesse et sa bonté, etc., ce qui ne convient pas.
q. 7 a. 5 arg. 11 Praeterea, in Deo, qui est principium totius
naturae, nihil potest esse contra naturam; nec ipse etiam aliquid contra
naturam facit, sicut habetur in Glossa Rom. XI (Ord. super illud: contra
naturam insertus es). Hoc autem est contra naturam quod accidens sit
substantia. Cum ergo sapientia, iustitia et huiusmodi secundum se sint
accidentia, non potest esse quod in Deo sint substantia.
11. En Dieu, qui est le principe de toute la nature, rien ne peut être
contre elle; et il ne fait rien contre elle, comme le dit la Glose (ordinaire, Rm. 11, 24, sur ce passage: "Greffé
contre nature6…"). Mais c'est
contre la nature qu'un accident soit une substance. Donc, comme la sagesse, la
justice, etc, sont en soi des accidents, il n'est pas possible qu'ils soient
substance en Dieu.
q. 7 a. 5 arg. 12 Praeterea, cum dicitur Deus bonus, iste
terminus est complexus. Nulla autem esset complexio, si bonitas Dei esset ipsa
eius substantia. Ergo non videtur quod bonum significet divinam substantiam; et
eadem ratione nec alia similia nomina.
12. Quand on appelle Dieu bon, ce
terme est complexe. Mais il n'y aurait pas de complexité si la bonté de Dieu
était sa substance même. Donc il ne semble pas que bon signifie la substance de Dieu, et pour une même raison les
autres noms semblables non plus.
q. 7 a. 5 arg. 13 Praeterea, Augustinus dicit quod Deus omnem
formam nostri intellectus subterfugit, et ideo intellectui permixtus esse non
potest. Hoc autem non esset, si ista nomina significarent divinam substantiam,
quia Deus corresponderet formae nostri intellectus. Ergo huiusmodi nomina non
significant divinam substantiam.
13. Augustin dit que Dieu se dérobe à toute forme de notre esprit, et
c'est pourquoi il ne peut pas lui être uni. Mais cela n'existerait pas, si ces
noms signifiaient la substance divine, parce que Dieu correspondrait à la forme
de notre esprit. Donc les noms de ce genre ne signifient pas la substance de
Dieu.
q. 7 a. 5 arg. 14 Praeterea, Dionysius dicit quod optime homo
Deo unitur in cognoscendo quod cognoscens de ipso nihil cognoscit. Hoc autem
non esset, si ista quae concipit et significat, essent divina substantia. Ergo
idem quod prius.
14. Denys (La théologie mystique,1
§1 997 B) dit que l'homme est le mieux uni à Dieu en reconnaissant qu'il ne
connaît rien de lui. Mais cela ne serait pas possible si ce qu'il conçoit et
signifie était la substance divine. Donc de même que plus haut.
En sens contraire:
q. 7 a. 5 s. c. 1 Sed contra. Est quod Augustinus dicit: Deo
est hoc esse quod est fortem esse, vel sapientem esse; et si quid de illa
simplicitate dixeris quae eius substantiam significat. Ergo omnia huiusmodi
significant divinam substantiam.
1. Il y a cette parole d'Augustin (la
Trinité, VI, 4, 67): "Pour Dieu c'est être que d'être fort, ou
sage; et ainsi on dit quelque chose de cette simplicité qui signifie sa
substance." Donc tous les mots de ce genre signifient la substance
divine.
q. 7 a. 5 s. c. 2 Praeterea, Boetius dicit, quod cum quis alia
praedicamenta praeter relationem in divinam vertit praedicationem, cuncta
mutantur in substantiam; sicut iustus, etsi qualitatem significare videatur,
significat tamen substantiam, et similiter magnus, et huiusmodi alia.
2. Boëce dit (La Trinité VI8) que lorsque quelqu'un change les autres
catégories au-delà de la relation dans la prédication divine, tout est changé
en sa substance; comme juste, même
s'il semble signifier une qualité, signifie cependant la substance, et de la
même manière grand, etc..
q. 7 a. 5 s. c. 3 Praeterea, omne quod dicitur per
participationem, reducitur ad aliquid per se et essentialiter dictum. Sed
praedicta nomina de creaturis dicuntur per participationem. Ergo cum reducantur
in Deum sicut in causam primam, oportet quod de Deo dicantur essentialiter; et
ita sequitur quod significent eius substantiam.
3. Tout ce qui est dit par participation est ramené à quelque chose par
soi et dit selon l'essence. Mais ces noms attribués sont dits des créatures par
participation. Donc comme ils sont ramenés à Dieu comme à la cause première, il
faut qu’on en parle en Dieu selon l'essence, et ainsi il en découle qu'ils
signifient sa substance.
Réponse:
q. 7 a. 5 co. Respondeo. Dicendum quod:
Il faut dire que:
quidam posuerunt, quod ista nomina dicta de Deo, non
significant divinam substantiam, quod maxime expresse dicit Rabbi Moyses. Dicit
autem, huiusmodi nomina de Deo dupliciter esse intelligenda:
A – Certains ont pensé que
ces noms donnés à Dieu, ne signifient pas la substance divine, ce que dit de
façon très expresse Rabbi Moyses (Doctrina
Perplexorum, part. 1, c. 58). Mais il dit que de tels noms sur Dieu doivent
être interprétés de deux manières:
uno modo per similitudinem effectus, ut dicatur Deus sapiens
non quia sapientia aliquid sit in ipso, sed quia ad modum sapientis in suis
effectibus operatur, ordinando scilicet unumquodque ad debitum finem; et
similiter dicitur vivens in quantum ad modum viventis operatur, quasi ex se ipso
agens.
1) Par la ressemblance de l'effet, ainsi on dit que Dieu est sage, non
parce que la sagesse est quelque chose en lui, mais parce qu'il opère à la
manière du sage dans ses effets, c'est-à-dire en ordonnant chaque chose à la
fin qui lui est due, et de même on le dit vivant en tant qu'il opère à la
manière d'un vivant, comme agissant par lui-même.
Alio modo per modum negationis; ut per hoc quod dicimus Deum
esse viventem, non significemus vitam in eo aliquid esse, sed removeamus a Deo
illum modum essendi quo res inanimatae existunt. Similiter cum dicimus Deum
intelligentem, non intelligimus significare intellectum aliquid in ipso esse,
sed removemus a Deo illum modum essendi quo bruta existunt; et sic de aliis.
2) Par mode de négation; ainsi en disant que Dieu est vivant, nous ne
signifions pas que la vie est quelque chose en lui, mais que nous excluons de
lui cette manière d'être par laquelle des êtres existent sans vie. De même
quand nous disons que Dieu est intelligent, nous n'entendons pas signifier
quelque intellection en lui, mais nous excluons de lui cette manière d'être par
laquelle les bêtes existent, et ainsi de suite...
Uterque autem modus videtur esse insufficiens et
inconveniens.
L'une et l'autre manière semble insuffisante et ne pas convenir.
Primus quidem duplici ratione:
quarum prima est, quia secundum expositionem nulla
differentia esset inter hoc quod dicitur, Deus est sapiens et Deus est iratus,
vel Deus ignis est. Dicitur enim iratus quia operatur ad modum irati dum punit:
hoc enim homines irati facere consueverunt. Dicitur etiam ignis, quia operatur
ad modum ignis dum purgat, quod ignis suo modo facit. Hoc autem est contra
positionem sanctorum et prophetarum loquentium de Deo, qui quaedam de Deo
probant, et quaedam ab eo removent; probant enim eum esse vivum, sapientem et
huiusmodi, et non esse corpus, neque passionibus subiectum. Secundum autem
praedictam opinionem omnia de Deo pari ratione possent dici et removeri, non
magis haec quam illa.
1) La première manière9 d'abord pour une double raison:
a) Dont la première est parce
que, selon l'exposé, il n'y a aucune différence entre ce qui est dit, que Dieu
est sage et Dieu est en colère ou Dieu est feu. Car on le dit irrité parce
qu'il opère à la manière de quelqu'un en colère quand il punit. Cela les hommes
en colère ont l'habitude de le faire. On l'appelle aussi feu; parce qu'il agit
à la manière du feu quand il purifie, ce que le feu fait à sa manière. Mais
cela est contre l'opinion des saints et des prophètes parlant de Dieu, qui
prouvent certaines choses à son sujet et en excluent d'autres; car ils prouvent
qu'il est vivant, sage, etc., et qu'il n'est pas un corps, ni qu'il est soumis
aux passions. Selon cette opinion tout pourrait être dit ou exclu de Dieu à
raison égale, pas plus ceci que cela
Secunda ratio, quia cum secundum fidem nostram ponamus
creaturam non semper fuisse, quod et ipse concedit, sequeretur quod non
possemus dicere fuisse sapientem vel bonum antequam creaturae essent. Constat
enim quod antequam creaturae essent, nihil in effectibus operabatur, nec ad
modum boni nec ad modum sapientis. Hoc autem omnino sanae fidei repugnat: nisi
forte dicere velit quod ante creaturas sapiens dici poterat, non quia
operaretur ut sapiens, sed quia poterat ut sapiens operari. Et sic sequeretur
quod aliquid existens in Deo per hoc significetur, et sit per consequens
substantia, cum quidquid est in Deo sit sua substantia.
b) Seconde raison: parce que,
comme selon notre foi nous pensons que la créature n'a pas toujours existé, ce
que lui-même concède, il en découlerait que nous ne pourrions pas dire qu'il a
été sage ou bon avant que les créatures existent. Car il est clair qu'avant
qu'elles existent, il n'opérait rien dans les effets, ni selon sa bonté, ni
selon sa sagesse. Mais cela s'oppose à la vraie foi, à moins que par hasard, il
veuille dire qu'avant les créatures, il pouvait être appelé sage, non parce
qu'il opérait en tant que sage, mais parce qu'il pouvait le faire. Et ainsi il
en découlerait que par là serait signifié quelque chose qui existe en Dieu, et
est par conséquent sa substance, puisque tout ce qui est en Dieu est sa
substance.
Secundus autem modus eadem ratione videtur esse
inconveniens. Non enim est aliquod nomen alicuius speciei per quod non
removeatur aliquis modus qui Deo non competit. In nomine enim cuiuslibet
speciei includitur significatio differentiae, per quam excluditur alia species
quae contra eam dividitur: sicut in nomine leonis includitur haec differentia
quae est quadrupes, per quam leo differt ab ave. Si ergo praedicationes de Deo
non essent introductae nisi ad removendum, sicut dicimus Deum esse viventem,-
quia non habet esse ad modum inanimatorum, ut ipse dicit - ita possemus dicere
Deum esse leonem, quia non habet esse ad modum avis. Et praeterea intellectus
negationis semper fundatur in aliqua affirmatione: quod ex hoc patet quia omnis
negativa per affirmativam probatur; unde nisi intellectus humanus aliquid de
Deo affirmative cognosceret, nihil de Deo posset negare. Non autem cognosceret,
si nihil quod de Deo dicit, de eo verificaretur affirmative.
2) La seconde manière10 ne semble pas convenir pour la même
raison. Car il n'y a pas de nom d’une espèce par lequel ne serait pas exclu un
mode qui ne convient pas à Dieu. Car dans le nom de n'importe quelle espèce,
est inclue une signification de différence, par laquelle est exclue l'autre
espèce, qui s'oppose à elle, comme dans le nom de lion est incluse cette différence qu'il est quadrupède, par
laquelle il est différent de l'oiseau. Donc ainsi les attributions à Dieu
n'auraient été introduites que pour exclure, comme nous disons que Dieu est
vivant — parce qu'il n'a pas un être à la manière des objets inanimés, comme il
le dit lui-même — de sorte que nous puissions dire que Dieu est un lion, parce
qu'il n'a pas d'être à la manière de l'oiseau. Et en plus le concept de
négation est toujours fondé sur une affirmation: ce qui parait du fait que
toute négation est prouvée par une affirmation; c'est pourquoi à moins que
l'intellect humain ne connaisse de façon affirmative quelque chose de Dieu, il
ne peut rien nier de lui. Mais ils ne connaîtrait pas si rien de ce qu'il dit
de Dieu n'était vérifié affirmativement.
Et ideo, secundum sententiam Dionysii, dicendum est, quod
huiusmodi nomina significant divinam substantiam, quamvis deficienter et
imperfecte: quod sic patet. Cum omne agens agat in quantum actu est, et per
consequens agat aliqualiter simile, oportet formam facti aliquo modo esse in agente:
diversimode tamen: quia quando effectus adaequat virtutem agentis, oportet quod
secundum eamdem rationem sit illa forma in faciente et in facto; tunc enim
faciens et factum coincidunt in idem specie, quod contingit in omnibus univocis:
homo enim generat hominem, et ignis ignem. Quando vero effectus non adaequat
virtutem agentis, forma non est secundum eamdem rationem in agente et facto,
sed in agente eminentius; secundum enim quod est in agente habet agens virtutem
ad producendum effectum. Unde si tota virtus agentis non exprimitur in facto,
relinquitur quod modus quo forma est in agente excedit modum quo est in facto.
Et hoc videmus in omnibus agentibus aequivocis, sicut cum sol generat ignem.
B. — Et c'est pourquoi, selon l'expression de Denys (Les Noms divins, XII), il faut dire que
les noms de ce genre signifient la substance divine, quoique de manière
déficiente et imparfaite; ce qui paraît ainsi: puisque tout agent agit en tant
qu'il est en acte, et par conséquent fait en quelque manière du semblable, il
faut que la forme de ce qui est produit soit en quelque manière dans l'agent;
de diverses manières cependant; parce que, quand l'effet égale le pouvoir de l'agent, il faut que cette forme soit
selon une même raison dans ce qui produit et ce qui est produit; car alors
celui qui produit et ce qui est produit se retrouve dans l'identique en espèce,
ce qui arrive dans tout ce qui est univoque; l'homme, en effet, engendre un
homme et le feu le feu. Mais quand l'effet
n'égale pas le pouvoir de l'agent, la forme n'est pas selon la même nature
dans l'agent et dans ce qui est produit, mais de manière plus éminente dans
l'agent, car l'agent a le pouvoir de produire l'effet selon qu’il est en lui.
C'est pourquoi si tout le pouvoir de l'agent n'est pas exprimé dans ce qu'il
produit, il reste que le mode par lequel la forme est dans l'agent dépasse le
mode par lequel elle est dans ce qui est produit. Et nous voyons cela dans tous
les agents équivoques, comme quand le soleil engendre le feu.
Constat autem quod nullus effectus adaequat virtutem primi
agentis, quod Deus est; alias ab una virtute ipsius non procederet nisi unus
effectus. Sed cum ex eius una virtute inveniamus multos et varios effectus procedere,
ostenditur nobis quod quilibet eius effectus deficit a virtute agentis. Nulla
ergo forma alicuius effectus divini est per eamdem rationem, qua est in effectu
in Deo: nihilominus oportet quod sit ibi per quemdam modum altiorem; et inde
est quod omnes formae quae sunt in diversis effectibus distinctae et divisae ad
invicem, in eo uniuntur sicut in una virtute communi, sicut etiam omnes formae
per virtutem solis in istis inferioribus productae, sunt in sole secundum
unicam eius virtutem, cui omnia generata per actionem solis secundum suas
formas similantur.
Mais il est clair qu'aucun effet n'égale la puissance du premier agent
qui est Dieu; autrement il ne proviendrait qu'un seul effet de son pouvoir
unique. Mais comme nous trouvons que de son seul pouvoir procèdent des effets
nombreux et variés, cela nous montre que n'importe quel effet est déficient par
rapport à la puissance de l'agent. Donc aucune forme d'un effet divin n'est
d'une même nature que dans l'effet en Dieu: il faut néanmoins qu'il y soit par
quelque mode plus élevé et de là vient que toutes les formes qui sont
distinctes et divisées entre elles dans les divers effets, y sont unies, comme
dans un pouvoir commun, comme aussi toutes les formes produites par le pouvoir
du soleil dans les choses inférieures sont dans le ciel selon son unique
pouvoir, à qui tout ce qui est engendré par l'action du soleil ressemble selon
les formes.
Et similiter perfectiones rerum creatarum assimilantur Deo
secundum unicam et simplicem essentiam eius. Intellectus autem noster cum a
rebus creatis cognitionem accipiat, informatur similitudinibus perfectionum in
creaturis inventarum, sicut sapientiae, virtutis, bonitatis et huiusmodi. Unde
sicut res creatae per suas perfectiones aliqualiter,- licet deficienter,- Deo
assimilantur, ita et intellectus noster harum perfectionum speciebus
informatur.
.
Et de même, les perfections des créatures ont une ressemblance avec
Dieu quant à son essence unique et simple. Mais comme notre esprit reçoit la
connaissance des créatures, il est mis en forme par les ressemblances des
perfections trouvées dans les créatures comme celle de la sagesse, de la vertu,
de la bonté, etc.. C'est pourquoi, de même que les créatures ressemblent à Dieu
de quelque manière par leurs perfections — bien que de manière déficiente, — de
même notre esprit reçoit les formes de ces perfections.
Quandocumque autem intellectus per suam formam
intelligibilem alicui rei assimilatur, tunc illud quod concipit et enuntiat
secundum illam intelligibilem speciem verificatur de re illa cui per suam
speciem similatur: nam scientia est assimilatio intellectus ad rem scitam. Unde
oportet quod illa quae intellectus, harum specierum perfectionibus informatus,
de Deo cogitat vel enuntiat, in Deo vero existant, qui unicuique praedictarum
specierum respondet sicut illud cui omnes similes sunt. Si autem huiusmodi
intelligibilis species nostri intellectus divinam essentiam adaequaret in
assimilando, ipsam comprehenderet, et ipsa conceptio intellectus esset perfecta
Dei ratio, sicut animal gressibile bipes est perfecta ratio hominis.
Quelquefois l'esprit par sa forme intelligible ressemble à une chose,
alors ce qu'il conçoit et énonce selon cette forme intelligible est vérifié de
cette chose à laquelle elle ressemble par sa forme; car la science est la
ressemblance de l'esprit à la chose connue. C'est pourquoi, il faut que ce que
l'esprit, informé par les perfections de ces formes, pense ou énonce de Dieu,
existe réellement en lui, qui correspond à chacune de ces formes, comme ce à
quoi toutes sont semblables. Mais si une telle espèce intelligible de notre
esprit égalait l'essence divine en lui ressemblant, il l'appréhenderait et la
conception même de l'esprit serait la définition parfaite de Dieu, comme
"animal marcheur à deux pieds" est une parfaite définition de
l'homme.
Non autem perfecte divinam essentiam assimilat species
praedicta, ut dictum est; et ideo licet huiusmodi nomina, quae intellectus ex
talibus conceptionibus Deo attribuit, significent id quod est divina
substantia, non tamen perfecte ipsam significant secundum quod est, sed secundum
quod a nobis intelligitur.
La forme dont on a parlé n'imite pas parfaitement l'essence divine,
comme on l'a dit, et c'est pourquoi, bien que les noms de ce genre, que
l'esprit attribue à Dieu par de telles conceptions, signifient ce qu'est la
substance divine, ils ne la signifient cependant pas parfaitement selon ce
qu'elle est mais selon ce que nous en comprenons.
Sic ergo dicendum est, quod quodlibet istorum nominum
significat divinam substantiam, non tamen quasi comprehendens ipsam, sed
imperfecte: et propter hoc, nomen qui est,
maxime Deo competit, quia non determinat aliquam formam Deo, sed significat
esse indeterminate. Et hoc est quod dicit Damascenus, quod hoc nomen qui est, significat substantiae pelagus
infinitum.
Ainsi donc il faut dire que n'importe lequel de ces noms signifie la
substance divine, non cependant comme si elle l'appréhendait, mais
imparfaitement, et c'est pour cela que ce nom Qui est convient tout à fait à Dieu, parce qu'il ne détermine pas
une forme en Dieu, mais signifie l'être sans détermination. Et c'est ce que dit
Jean Damascène (La foi orthodoxe, I,
12, PG. 94, 833) que ce nom Qui est
signifie une mer infinie de substance11.
Haec autem solutio confirmatur per verba Dionysii, qui
dicit, quod quia divinitas omnia
simpliciter et incircumfinite in seipsa existentia praeaccipit, ex diversis
convenienter laudatur et nominatur. Simpliciter dicit, quia perfectiones
quae in creaturis sunt secundum diversas formas, Deo attribuuntur secundum
simplicem eius essentiam: incircumfinite dicit, ad ostendendum quod nulla
perfectio in creaturis inventa divinam essentiam comprehendit, ut sic
intellectus sub ratione illius perfectionis in seipso Deum definiat.
Confirmatur etiam per hoc quod habetur V Metaph.,
quod simpliciter perfectum est quod habet in se perfectiones omnium generum;
quod Commentator ibidem de Deo exponit.
Cette solution est confirmée par les paroles de Denys, qui dit (les Noms divins, I, § 7, 597 A) que "parce que la Divinité contient par avance
tout ce qui existe en elle de façon simple et indéfinissable, elle est
convenablement louée et nommée par différents termes12." De façon simple, dit-il, parce que
les perfections qui sont dans les créatures en différentes formes, lui sont
attribuées selon son essence simple; d'une façon indéfinissable, pour montrer
qu'aucune perfection trouvée dans les créatures ne saisit l'essence divine, de
sorte qu'ainsi l'esprit définisse Dieu en raison de cette perfection en lui.
C'est confirmé aussi par ce qui est dit en Métaphysique
(V, 16, 1021 b 14) qu'est absolument parfait ce qui a en soi les perfections de
tous les genres, ce que le Commentateur expose à ce même endroit au sujet de
Dieu.
Solutions:
q. 7 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Damascenus
intelligit, quod huiusmodi nomina non significant quid est Deus, quasi eius
substantiam definiendo et comprehendendo; unde et subiungit quod hoc nomen qui
est, quod indefinite significat Dei substantiam, propriissime Deo attribuitur.
# 1. Jean Damascène comprend que les noms de ce genre ne signifient pas
ce qu'est Dieu comme définissant et saisissant sa substance; c'est pourquoi il
ajoute que ce nom Qui est, qui
signifie de manière indéfinie la substance de Dieu, est attribué à Dieu d’une
manière très appropriée.
q. 7 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ita Dionysius dicit
negationes horum nominum esse veras de Deo quod tamen non asserit affirmationes
esse falsas et incompactas: quantum enim ad rem significatam, Deo vere attribuuntur,
quae in eo aliquo modo est, ut iam ostensum est; sed quantum ad modum quem
significant de Deo negari possunt: quodlibet enim istorum nominum significat
aliquam formam definitam, et sic Deo non attribuuntur, ut dictum est. Et ideo
absolute de Deo possunt negari, quia ei non conveniunt per modum qui
significatur: modus enim significatus est secundum quod sunt in intellectu
nostro, ut dictum est; Deo autem conveniunt sublimiori modo; unde affirmatio
incompacta dicitur quasi non omnino convenienter coniuncta propter diversum
modum. Et ideo, secundum doctrinam Dionysii,
tripliciter ista de Deo dicuntur.
# 2. Ainsi Denys (La hiérarchie
céleste, PG. 3, 141 A13) dit, que
les négations de ces noms sont vraies de Dieu, il ne prétend pas cependant que
les affirmations soient fausses et inadéquates, dans ce qu’elles signifient; on
attribue réellement à Dieu ce qui est en lui d’une certaine manière, comme on l'a montré, mais quant au mode signifié, elles peuvent être niées
de Dieu, car n'importe quel de ces noms signifie une forme définie et ainsi
elles ne sont pas attribuées à Dieu, comme on l'a dit. Et c'est pourquoi elles
ne peuvent absolument pas être niées de Dieu, parce qu'elles ne lui conviennent
pas par le mode qui est signifié. Car celui-ci est selon ce qu'elles sont dans
notre esprit, comme on l'a dit, mais elles conviennent à Dieu d'une manière
plus sublime; c'est pourquoi on dit que l'affirmation est inadéquate14 comme si elle n’était pas attribuée
convenablement en raison d’un mode différent. Et ainsi, selon la doctrine de
Denys (La théologie mystique, I, la Hiérarchie céleste, II, et Les noms divins, II et III) on emploie
de trois manières ces affirmations à propos de Dieu.
Primo quidem affirmative, ut dicamus, Deus est sapiens; quod
quidem de eo oportet dicere propter hoc quod est in eo similitudo sapientiae ab
ipso fluentis: quia tamen non est in Deo sapientia qualem nos intelligimus et
nominamus, potest vere negari, ut dicatur, Deus non est sapiens. Rursum quia
sapientia non negatur de Deo quia ipse deficiat a sapientia, sed quia
supereminentius est in ipso quam dicatur aut intelligatur, ideo oportet dicere
quod Deus sit supersapiens.
a) Affirmativement: pour dire que Dieu est sage; ce qu'il faut dire de
lui, parce qu'il y a en cela une ressemblance de la sagesse qui découle de lui;
b) parce que cependant il n'y a pas en Dieu une sagesse telle que nous
la comprenons et la nommons, elle peut être réellement niée, pour dire: Dieu n'est
pas sage.
c) A nouveau parce que la sagesse n'est pas niée de Dieu parce que
lui-même manquerait de sagesse, mais parce qu'elle est en lui de manière
superéminente qu'on le dit et le comprend, de sorte qu’il faut dire que Dieu
est super sage.
Et sic per istum triplicem modum loquendi secundum quem
dicitur Deus sapiens, perfecte Dionysius dat intelligere qualiter ista Deo
attribuantur.
Et ainsi par cette triple manière de parler, selon laquelle on dit
qu'il est sage, Denys donne à comprendre parfaitement de quelle manière on
donne ces attributs à Dieu.
q. 7 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ista nomina dicuntur
significare divinos processus, quia primo sunt imposita ad significandum istas
processiones secundum quod sunt in creaturis et ab earum similitudine
intellectus noster manuducitur ut huiusmodi Deo eminentiori modo attribuat.
# 3. On dit que ces noms signifient ce qui procède de Dieu, parce
qu'ils sont d'abord imposés pour signifier ces processions telles qu'elles sont
dans les créatures et par cette ressemblance notre esprit est conduit à
l'attribuer à Dieu de manière plus éminente.
q. 7 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod verbum Origenis non
est intelligendum quod hoc intendimus significare cum dicimus, Deus est
sapiens, quod Deus est causa sapientiae, sed quia ex sapientia quam causat,
intellectus noster manuducitur ut sibi sapientiam supereminenter attribuat, ut
dictum est.
# 4. Le mot d'Origène n'est pas à comprendre que nous entendons
signifier, quand nous disons Dieu est
sage, que Dieu est la cause de la sagesse mais, parce que par la sagesse
qu'il cause, notre esprit est conduit à lui attribuer la sagesse de manière
suréminente, comme on l'a dit.
q. 7 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum quod, cum dicitur Deus
intelligens, nominatur nomine sui causati: quia nomen quod sui causati
substantiam significat, sibi non definite attribui potest, secundum quem modum
nomen significat; et sic hoc nomen quamvis ei aliquo modo conveniat, non tamen
convenit ei ut nomen eius, quia id quod significat nomen, est definitio;
causato vero convenit ut nomen eius.
# 5. Quand on dit que Dieu est intelligent, on le désigne du nom de son
effet; parce que le nom qui signifie la substance de son effet, ne peut pas lui
être attribué de manière définie, selon le mode que ce nom signifie; et ainsi
quoique ce nom lui convienne de quelque manière, il ne lui convient cependant
pas comme son nom, parce que ce que signifie le nom est une définition, il
convient comme nom à l'effet.
q. 7 a. 5 ad 6 Ad sextum dicendum, quod ratio illa probat quod
Deus non potest nominari nomine substantiam ipsius definiente vel
comprehendente vel adaequante: sic enim de Deo ignoramus quid est.
# 6. Cette raison prouve que Dieu ne peut pas être désigné d'un nom qui
signifie, saisit ou égale sa substance; car nous ignorons ce qu'il est.
q. 7 a. 5 ad 7 Ad septimum dicendum quod, sicut omnia
participant Dei bonitatem,- non eamdem numero, sed per similitudinem - ita
participant per similitudinem esse Dei. Sed in hoc differt: nam bonitas
importat habitudinem alicuius causae, est enim bonum diffusivum sui; essentia
autem significatur in eo in quo est, ut quiescens.
# 7. De même que tout participe de la bonté de Dieu — non la même en
nombre, mais par ressemblance — de même tout participe par ressemblance à
l'être de Dieu. Mais il y a une différence: car la bonté apporte la relation
d'une cause, car le bien se donne; mais l'essence est signifiée en ce en quoi
elle est, comme s'y reposant.
q. 7 a. 5 ad 8 Ad octavum dicendum, quod in effectu invenitur
aliquid per quod assimilatur suae causae, et aliquid per quod a sua causa
differt: quod quidem convenit ei vel ex materia vel ex aliquo huiusmodi, sicut
patet in latere indurato per ignem. Nam in hoc quod lutum calefiat ab igne,
igni similatur; in hoc vero quod calefactum ingrossetur et induretur differt ab
igne; sed habet hoc ex materiae conditione. Si ergo id in quo later igni
similatur, de igne dicatur, proprie dicetur de eo, et eminentius et per prius.
Ignis enim est calidior quam later, et iterum eminentius: nam later est calidus
quasi calefactus, ignis autem naturaliter. Si vero id in quo later ab igne
differt, dicamus de igne, falsum erit; et nomen huiusmodi conditionem in suo
intellectu habens, de igne non poterit dici nisi metaphorice. Falsum est enim
ignem, qui est subtilissimum corporum, grossum dici. Durus autem dici potest
propter violentiam actionis, et non facilem potentiam passionis.
# 8. On trouve dans l'effet une chose par laquelle il ressemble à sa
cause, et une autre par laquelle il en diffère: ce qui lui arrive par la
matière ou quelque chose de ce genre, comme on le voit dans la brique durcie
par le feu. Car du fait que l'argile est chauffée par le feu, elle lui
ressemble et alors en tant qu'elle est chauffée, elle s'épaissit et se durcit,
elle devient différente du feu; mais elle le tient de la condition de sa
matière. Si donc ce en quoi la brique ressemble au feu est dit du feu, on le
dit de lui au sens propre, et de manière plus éminente et auparavant. Car le
feu est plus chaud que la brique et aussi plus éminemment; car la brique est
chaude en tant que chauffée, mais le feu l'est naturellement. Si donc ce en
quoi la brique diffère du feu, nous l'appelons du feu, ce sera faux; et le nom
qui a un tel sens dans son concept, ne pourra être employé pour le feu que
métaphoriquement. Car il est faux d’appeler épais le feu qui est le plus subtil
des corps. Mais on peut l'appeler dur à cause de la violence de son action,
mais non à cause de sa facilité à subir.
Similiter consideranda sunt in creaturis quaedam secundum
quae Deo similantur, quae quantum ad rem significatam, nullam imperfectionem
important, sicut esse, vivere et intelligere et huiusmodi; et ista proprie
dicuntur de Deo, immo per prius de ipso et eminentius quam de creaturis.
Quaedam vero sunt secundum quae creatura differt a Deo, consequentia ipsam
prout est ex nihilo, sicut potentialitas, privatio, motus et alia huiusmodi: et
ista sunt falsa de Deo. Et quaecumque nomina in sui intellectu conditiones
huiusmodi claudunt, de Deo dici non possunt nisi metaphorice, sicut leo, lapis
et huiusmodi, propter hoc quod in sui definitione habent materiam. Dicuntur
autem huiusmodi metaphorice de Deo propter similitudinem effectus.
De même il faut considérer dans les créatures certains attributs selon
qu'elles ressemblent à Dieu, qui n'entraînent quant à ce qui est signifié
aucune imperfection, comme être, vivre, comprendre, etc. et ceux-ci sont dits
proprement de Dieu, bien plus d'abord de lui, et plus éminemment que des
créatures. Mais il y a certains attributs en quoi la créature est différente de
Dieu, conséquence de ce qu'elle vient du néant, comme la potentialité, la
privation, le mouvement, etc. et ceux-ci sont faux pour Dieu. Et tous ces noms
qui enferment des extensions de sens de ce genre en leur concepts ne peuvent
être dits de Dieu que métaphoriquement, comme lion, pierre, etc., parce que la
matière fait partie de leur définition. Mais on parle des effets de ce genre
par métaphore au sujet de Dieu à cause de la ressemblance.
q. 7 a. 5 ad 9 Ad nonum dicendum, quod ratio illa procedit de
eo quod significat substantiam definitive vel circumscriptive. Sic autem nullum
istorum nominum substantiam Dei significat, ut dictum est.
# 9. Cette raison procède de ce qui signifie la substance d'une manière
déterminée ou indéfinissable. Mais ainsi aucun de ces noms ne signifient la
substance de Dieu, comme on l'a dit (dans le corps de l'article).
q. 7 a. 5 ad 10 Ad decimum dicendum, quod quamvis huiusmodi
perfectiones in Deo sint ipsa divina substantia, tamen in creatura non sunt
substantiales praedictae divinae perfectiones, ideo secundum eas creaturae non
dicuntur Deo eadem, sed similes.
# 10. Quoique les perfections de ce genre soient en Dieu la substance
divine elle-même, cependant dans la créature, il n'y a pas ces perfections
substantielles divines, c'est pourquoi à cause d'elle, on ne dit pas que les
créatures sont identiques a Dieu, mais lui sont semblables.
q. 7 a. 5 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod hoc esset contra
naturam, si sapientia eiusdem rationis cum ea quae est accidens, in Deo esset:
hoc autem non est verum, ut ex praedictis patet. Nec tamen
auctoritas inducta est ad propositum: nihil enim contra naturam Deus facit in
se ipso, quia in se ipso nihil facit.
# 11. Ce serait contre la nature si la sagesse était en Dieu de la même
nature que celle qui est un accident. Mais cela n'est pas vrai, comme on l'a vu
dans ce qui a été dit. Cependant l'autorité15
n'a pas été introduite pour cela. Car Dieu ne fait rien contre la nature en
lui-même, parce qu'il ne fait rien en lui.
q. 7 a. 5 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod complexio huius
termini, cum dicitur Deus bonus, non refertur ad aliquam compositionem quae sit
in Deo, sed ad compositionem quae est in intellectu nostro.
# 12. La complexité de ce terme, quand on dit Dieu est bon, ne se réfère pas à une composition qui serait en
Dieu, mais à celle de notre esprit.
q. 7 a. 5 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod Deus
subterfugit formam intellectus nostri quasi omnem formam intellectus nostri
excedens; non autem ita quod intellectus noster secundum nullam formam
intelligibilem Deo assimiletur.
# 13. Dieu se dérobe à la forme de notre esprit en tant qu'il en excède
toute forme, mais pas de telle manière que notre esprit ne ressemble à Dieu
selon aucune forme intelligible.
q. 7 a. 5 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod ex quo
intellectus noster divinam substantiam non adaequat, hoc ipsum quod est Dei
substantia remanet, nostrum intellectum excedens, et ita a nobis ignoratur: et
propter hoc illud est ultimum cognitionis humanae de Deo quod sciat se Deum
nescire, in quantum cognoscit, illud quod Deus est, omne ipsum quod de eo
intelligimus, excedere.
# 14. Du fait que notre esprit n’atteint pas la substance divine, cela
même qui est la substance de Dieu demeure, dépassant notre esprit et ainsi nous
l’ignorons et à cause de cela c’est le sommet de la connaissance de Dieu par
l'homme de savoir qu’il ne connaît pas Dieu, autant qu’il connaît, ce que Dieu
est, dépasse tout ce nous comprendons de lui.
1 Ia, 13, a. 2, 3 et 11. — CG. I, 31 — I Sent.
d2a2
2
"Ainsi puisque les négations sont vraies, en ce qui concerne les mystères
divins, tandis que toute affirmation demeure inadéquate…"
3 (I, lect. 2, n°13, §
4 p. 14: "… nominationes Dei ad bonos Thearchiae processus…" Commentaire de Thomas: "c'est-à-dire selon
les processus des perfections qui proviennent de la bonté de Dieu dans les
créatures."
4
"Dieu est; cela est clair, mais qu'est-il par essence et nature? Voilà qui
est absolument incompréhensible et inconnaissable." (p. 16).
5
n° 95. Les théologiens affirment …"que l’être du bien en tant que bien
essentiel, étend sa bonté à tout être…"
6 Cf/. Pot. 1, 3, obj. 1.
7 B.A. 15, 480/482. Thomas n'a retenu que ce qui le concernait
directement. Trad.: "Pour Dieu, c'est être que d'être fort ou juste ou
sage et tout ce que vous attribuez à cette multiplicité simple ou à cette
multiple simplicité, pour désigner sa substance."
8
"Mais lorsqu'on se tournera vers Dieu, pour lui attribuer ces catégories,
alors il y aura une transformation de tous les attributs. (p. 135) (Trad. H.
Merle).
9
C'est-à-dire par la ressemblance.
10
C'est-à-dire par mode de négation.
11
Expression empruntée à Grégoire de naziance, Or. XLV, 3, PG. 36, 625.
12
Noms divins Trad. M. de Gandillac: "Mais il faut ajouter qu'elle contient
d'avance en soi tout être de façon simple et indéfinissable, par le don… en
sorte qu'on peut la louer ou la nommer convenablement à partir de tout être."
13
"Ainsi puisque les négations sont vraies en ce qui concerne les mystères
divins, tandis que toute affirmation demeure inadéquate…" (p. 191).
14
"Dionysius dicit affirmationes de Deo esse incompactas." Ia, qu. 13,
a. 12 — I Sent. d4q2a1 (Cerf: "les
affirmations sont inconsistantes", et ad1m "inconsistante ou sans
convenance".
15
La glose de Rm 11, 24.
q. 7 a. 6 tit. 1 Sexto quaeritur utrum ista
nomina sint synonyma. Et videtur quod sic.
Il semble que oui1.
Objections:
q. 7 a. 6 arg. 1 Synonyma enim nomina dicuntur quae omnino idem
significant. Sed omnia ista nomina de Deo dicta significant idem: quia
significant divinam substantiam, quae est omnino simplex et una, ut ostensum
est. Ergo omnia ista nomina sunt synonyma.
1. Car on appelle synonymes les noms qui ont tout à fait même
signification. Mais tous ces noms donnés à Dieu signifient la même chose; parce
qu'ils signifient sa substance, qui est tout à fait simple et une, comme on l'a
montré. Donc tous ces noms sont synonymes.
q. 7 a. 6 arg. 2 Praeterea, Damascenus dicit
quod in divinis omnia sunt unum, praeter ingenerationem, generationem et
processionem. Sed nomina significantia unum sunt synonyma. Ergo omnia nomina
dicta de Deo, praeter ea quae significant proprietates personales, sunt
synonyma.
2. Jean Damascène (I, 11) dit qu'en Dieu tout est un2, sauf la non-génération, la génération et la
procession3. Mais les noms qui
signifient une seule chose sont synonymes. Donc tous les noms dont on se sert
pour Dieu, en dehors de ceux qui signifient des propriétés personnelles sont
synonymes.
q. 7 a. 6 arg. 3 Praeterea, quaecumque uni et eidem sunt
eadem, sibi invicem sunt eadem. Sed sapientia in Deo est idem quod sua
substantia; similiter voluntas et potentia. Ergo sapientia, potentia et
voluntas in Deo omnino sunt idem, et sic sequitur quod ista nomina sunt
synonyma.
3. Toutes les choses qui sont les mêmes pour l'un et le même, sont les
mêmes entre elles. Mais la sagesse en Dieu est la même chose que sa substance;
de même sa volonté et sa puissance. Donc la sagesse, la puissance et la volonté
sont en Dieu tout à fait identique, et ainsi il en découle que ces noms sont
synonymes.
q. 7 a. 6 arg. 4 Sed dicendum, quod ista nomina significant
unum secundum rem, significant tamen rationes diversas, et ideo non sunt
synonyma.- Sed contra: ratio cui non respondet aliquid in re, falsa est et
vana. Sed si rationes horum nominum sint multae, et res est una, videtur quod
rationes istae sint vanae et falsae.
4. Mais il faut dire que ces
noms signifient une seule chose en réalité, ils signifient cependant des
notions diverses, et ainsi ils ne sont pas synonymes. — Mais en sens contraire, la notion à quoi rien ne répond dans la
réalité, est fausse et vaine. Mais si les notions de ces noms sont nombreuses,
et la chose réelle une, il semble que ces notions sont vaines et fausses.
q. 7 a. 6 arg. 5 Sed dicendum, quod rationes istae non sunt
vanae, cum eis aliquid respondeat quod est in Deo.- Sed contra, secundum hoc res creatae Deo assimilantur secundum quod ab
ipso processerunt per similitudinem idealem. Sed pluralitas idearum vel
rationum idealium non attenditur secundum respectus ad creaturas: nam ipse Deus
secundum unam suam essentiam est idea omnium. Ergo nec rationes
nominum quae de Deo dicimus, ex similitudine creaturarum, habent aliquid
respondens ex parte divinae substantiae.
5. Mais il faut dire que ces
notions ne sont pas vaines, puisque quelque chose leur répond, qui est en Dieu.
— Mais en sens contraire, les
créatures ressemblent à Dieu selon qu'elles procèdent de lui par ressemblance
idéale4. Mais on ne parvient pas à la
pluralité des idées ou des notions idéales en rapport avec les créatures; car
Dieu lui-même avec une seule essence est l'idée de toutes choses. Donc les
notions des noms dont nous nous servons à propos de Dieu, à partir de la
ressemblance des créatures, n'ont rien qui corresponde du côté de la substance
divine.
q. 7 a. 6 arg. 6 Praeterea, illud quod est maxime unum non
potest esse radix et fundamentum multitudinis. Sed divina
essentia est maxime una. Ergo rationes praedictorum nominum non possunt in
divina substantia fundari vel radicari.
6. Ce qui est tout à fait un ne peut pas être la racine et le fondement
de la pluralité. Mais l'essence divine est tout à fait une. Donc les notions
des noms attribués ne peuvent être fondées ni enracinées dans la substance
divine.
q. 7 a. 6 arg. 7 Praeterea, distinctio relationum quae
realiter sunt in Deo, facit pluralitatem personarum. Si ergo istis rationibus
communibus attributorum aliquid responderet in Deo, etiam secundum multitudinem
attributorum esset in Deo multitudo personarum; et sic essent in Deo plures
personae quam tres; quod est haereticum: et ita videtur quod penitus ista
nomina sint synonyma.
7. La distinction des relations qui sont réellement en Dieu, produit la
pluralité des personnes. Si donc par ces notions communes quelque chose des
attributs correspondait en Dieu, selon la multitude des attributs, il y aurait
en lui une multitude de personnes; et ainsi il y aurait en Dieu plus de trois
personnes; ce qui est hérétique; et ainsi il semble que ces noms sont tout à
fait synonymes.
En sens contraire:
q. 7 a. 6 s. c. 1 Sed contra. Nomina synonyma
sibi invicem adiuncta nugationem inducunt sicut si diceretur, vestis et
indumentum. Si ergo ista nomina sint synonyma, erit nugatio, cum Deus dicitur
bonus, Deus sapiens: quod est falsum.
1. Des noms synonymes ajoutés l'un à l'autre reviennent à une
plaisanterie, comme si on parlait de vêtement et d'habit5. Si donc ces noms sont synonymes, ce sera
une plaisanterie quand on dit que Dieu est bon, Dieu est sage, ce qui est faux.
q. 7 a. 6 s. c. 2 Praeterea, quicumque negat unum synonymorum
de aliquo, negat et reliquum. Sed aliqui negaverunt eius potentiam qui non
negaverunt eius scientiam vel bonitatem. Ergo ista nomina non sunt synonyma.
2. Quiconque nie un des synonymes à propos d'une chose, nie les autres.
Mais certains ont nié sa puissance qui n'ont pas nié sa science ou sa bonté.
Donc ces noms ne sont pas synonymes.
q. 7 a. 6 s. c. 3 Praeterea, hoc patet per Commentatorem XI
Metaph., qui dicit, quod haec nomina dicta de Deo non sunt synonyma.
3. Cela est éclairé par le commentateur (IX Métaphysique, comm. 39) qui dit que ces noms donnés à Dieu ne sont
pas synonymes.
Réponse:
q. 7 a. 6 co. Respondeo. Dicendum quod ab
omnibus intelligentibus communiter dicitur, quod haec nomina non sunt synonyma.
Quod quidem facile esset sustinere secundum illos qui dicebant haec nomina non
significare divinam substantiam, sed intentiones quasdam additas essentiales,
aut modos operandi in effectibus, vel etiam creaturarum negationes.
Tous les connaisseurs disent en commun que ces noms ne sont pas
synonymes. Ce qui serait facile à soutenir pour ceux qui disaient que ces
noms ne signifient pas la substance divine, mais des concepts essentiels
ajoutés, ou des manières d'opérer dans les effets ou même les négations dans
les créatures.
Sed supposito quod haec nomina significent divinam
substantiam, sicut supra ostensum est, quaestio videtur maiorem difficultatem
continere: quia sic invenitur unum et idem simplex significatum per omnia ista
nomina, quod est divina substantia.
Mais supposé que ces noms signifient la substance divine, comme
ci-dessus (article précédant) on l’a montré, la question paraît contenir une
plus grand difficulté; parce qu’ainsi par ces noms se trouve signifier une seul
et même chose simple qui est la substance divine.
Sed sciendum quod significatio nominis non immediate
refertur ad rem, sed mediante intellectu: sunt enim voces notae earum quae sunt
in anima passionum, et ipsae intellectus conceptiones sunt rerum similitudines,
ut patet per philosophum in principio Periherm.
Mais il faut savoir que la signification d'un nom ne se réfère pas
immédiatement à l'objet mais par l'intermédiaire de l'esprit: car il y a des
mots connus qui dépendent des passions6
dans l'âme et ces conceptions de l'esprit sont des ressemblances de la réalité
comme le montre le philosophe, au commencement du Periherm. (1, 16 a 47).
Quod ergo aliqua nomina non sint synonyma,
potest impediri vel ex parte rerum significatarum, vel ex parte rationum
intellectarum per nomina, ad quas significandas nomina imponuntur. Horum ergo
nominum quae de Deo dicuntur, synonyma impediri non possunt per diversitatem
rerum significatarum secundum praehabita, sed solum per rationes nominum quae
sequuntur conceptiones intellectuum.
Donc que des noms ne soient pas synonymes peut être empêché ou bien du
côté de ce qui est signifié ou bien de celui des notions comprises par les
noms, dont on se sert pour les signifier. Donc, les synonymes de ces noms qui
s'emploient à propos de Dieu ne peuvent pas être empêchés par la diversité des
choses signifiées en tant qu'établies d'avance, mais seulement par les notions
des noms qui suivent les conceptions de l'esprits.
Et ideo dicit Commentator XI metaphysicorum, quod
multiplicitas in Deo est solum secundum differentiam in intellectu, et non in
esse, quod nos dicimus unum secundum rem, et multa secundum rationem. Istae autem
diversae rationes in intellectu nostro existentes, non possunt tales rationes
esse quibus nihil respondeat ex parte rei: ea enim quorum sunt istae rationes,
intellectus noster Deo attribuit. Unde si nihil esset in Deo vel secundum ipsum
vel secundum eius effectum, quod his rationibus responderet, intellectus esset
falsus in attribuendo, et omnes propositiones huiusmodi attributiones
significantes; quod est inconveniens.
Et c'est pourquoi le Commentateur (Métaphysique
XI, texte 39) dit que la multiplicité en Dieu dépend de la différence dans
l'esprit, et non dans l'être, parce que nous parlons de l'un en réalité, et du
multiple en raison. Mais ces diverses notions qui existent dans notre esprit ne
peuvent être des notions telles que rien ne corresponde du côté de la réalité;
car notre esprit a attribué à Dieu ce dont elles sont les notions. C'est
pourquoi s'il n'y avait rien en Dieu qui corresponde à ces notions, quant à lui
ou à ses effets, l'esprit se tromperait en les attribuant, ainsi qu'en
attribuant toutes les propositions qui signifient de tels attributs; ce qui ne
convient pas.
Sunt autem quaedam rationes quibus in re intellecta nihil
respondet; sed ea quorum sunt huiusmodi rationes, intellectus non attribuit
rebus prout in se ipsis sunt, sed solum prout intellectae sunt; sicut patet in
ratione generis et speciei, et aliarum intentionum intellectualium: nam nihil
est in rebus quae sunt extra animam, cuius similitudo sit ratio generis vel
speciei. Nec tamen intellectus est falsus: quia ea quorum sunt istae rationes,
scilicet genus et species, non attribuit rebus secundum quod sunt extra animam,
sed solum secundum quod sunt in intellectu. Ex hoc enim quod intellectus in se
ipsum reflectitur, sicut intelligit res existentes extra animam, ita intelligit
eas esse intellectas: et sic, sicut est quaedam conceptio intellectus vel
ratio,- cui respondet res ipsa quae est extra animam,- ita est quaedam
conceptio vel ratio, cui respondet res intellecta secundum quod huiusmodi;
sicut rationi hominis vel conceptioni hominis respondet res extra animam;
rationi vero vel conceptioni generis aut speciei, respondet solum res
intellecta.
A) Mais il y a des notions auxquelles
rien ne correspond en réalité; mais
ce de quoi sont de telles notions, l'esprit ne l’a pas attribué au choses en
soi mais seulement en tant qu'elles sont saisies par l'esprit. Comme cela se
voit dans la notion de genre et d'espèce et des autres concepts intellectuels,
car rien n'est dans ce qui est hors de l'âme dont la ressemblance soit une
notion de genre ou d'espèce8. Et
cependant l'esprit n'est pas faux: parce que ce dont viennent ces notions, à
savoir le genre et l'espèce, il ne l'attribua pas à la réalité en tant qu'elle
est hors de l'âme, mais seulement selon qu'elle est dans l'esprit. Car du fait
que l’esprit réfléchit sur lui, de même qu'il comprend les choses qui existent
hors de l'âme, il comprend ainsi qu'elles sont saisies: et ainsi, de même qu'il
y a un concept de l'esprit ou une notion à quoi correspond ce qui est hors
l'âme, de même il y a une conception ou notion à quoi correspond ce qui est
compris en tant que tel; ainsi à la raison ou au concept d'homme, correspond
une réalité hors de l'âme, mais à la notion ou au concept de genre ou d'espèce,
correspond seulement ce qui est saisi par l' esprit.
Non autem est possibile huiusmodi esse rationes horum
nominum quae de Deo dicuntur: quia sic intellectus non attribueret ea Deo
secundum quod in se est, sed secundum quod intelligitur; quod patet esse
falsum: esset enim sensus, cum dicitur Deus est bonus, quod Deus sic
intelligitur non autem quod sit.
Mais il n'est pas possible qu'il y ait des notions de ce genre pour ces
noms dont on se sert pour Dieu; parce qu'ainsi l'esprit ne les attribuerait pas
à Dieu selon ce qui est en lui, mais selon ce qui en est compris; ce qui paraît
faux: car le sens, quand on dit que Dieu est bon, serait qu'il est compris mais
non pas qu'il est.
Et ideo dicunt quidam, quod istis diversis rationibus
nominum respondent diversa connotata, quae sunt diversi Dei effectus: volunt
enim quod cum dicitur, Deus est bonus, significetur eius essentia cum aliquo
effectu connotato, ut sit sensus, Deus est et bonitatem causat: sicut
diversitas harum rationum causatur ex diversitate effectuum.
B. Et c'est pourquoi certains
disent qu'à ces diverses notions des noms correspondent divers connotations
que sont les divers effets de Dieu; car ils veulent que quand on dit: Dieu est bon, son essence soit signifiée
avec un effet connoté, de sorte que le sens serait Dieu est et il cause la bonté; ainsi la diversité de ces notions
est causée par la diversité des effets.
Sed hoc non videtur conveniens: quia cum effectus a causa
secundum similitudinem procedat, prius oportet intelligere causam aliqualem
quam effectus tales. Non ergo sapiens dicitur Deus quoniam sapientiam causet,
sed quia est sapiens, ideo sapientiam causat. Unde Augustinus dicit, quod quia
Deus est bonus, sumus; et in quantum sumus, boni sumus.
Mais cela semble ne pas convenir; parce que, comme l'effet procède de
la cause selon la ressemblance, il faut comprendre une cause quelconque avant
de tels effets. Donc on ne dit pas que Dieu est sage parce qu'il causerait la
sagesse, mais parce qu'il est sage, de sorte qu’il cause la sagesse. C'est pourquoi
Augustin dit (La doctrine chrétienne, 32) que, parce que Dieu est bon, nous
existons, et en tant que nous existons, nous sommes bons.
Et praeterea secundum hoc sequeretur quod huiusmodi nomina
per prius dicerentur de creatura quam de creatore; sicut sanitas prius dicitur
de sano quam de sanativo, quod sanum dicitur ea ratione, quia sanitatem causat.
Item si nihil aliud intelligitur, cum dicitur Deus est bonus nisi Deus est et
est bonitatis causator: sequeretur quod eadem ratione omnia nomina effectuum divinorum
de eo possent praedicari, ut diceretur, Deus est caelum, quia caelum causat.
Et en plus il en découlerait que de tels noms aurait été employés pour
la créature avant que pour le Créateur; ainsi on parle de la santé à propos de
ce qui est sain avant que de ce qui soigne, parce que ce qui est sain est
appelé ainsi pour cette raison qu'il cause la santé. De même si on ne comprend
rien d'autre, quand on dit que Dieu est
bon, sinon que "Dieu est et est celui qui cause la bonté": il en
découlerait que pour la même raison tous les noms des effets divins pourraient
lui être attribués, de sorte qu'on dirait qu'il est le ciel, parce qu'il en est
la cause.
Et iterum si hoc dicatur de causalitate in actu, patet esse
falsum: quia secundum hoc non possumus dicere quod Deus ab aeterno fuerit bonus
vel sapiens vel aliquid huiusmodi: non enim ab aeterno fuit causa in actu.
Et à nouveau si on disait cela de la causalité en acte, il est clair
que c'est faux; parce que nous ne pouvons pas dire que Dieu a été éternellement
bon ou sage, etc. Car il n'a pas été éternellement cause en acte.
Si autem hoc intelligatur de causalitate secundum virtutem,-
ut dicatur bonus quia est et habet virtutem bonitatem infundendi,- tunc
oportebit dicere, quod hoc nomen bonum significat illam virtutem. Sed illa
virtus est quaedam supereminens similitudo sui effectus, sicut et quaelibet
virtus agentis aequivoci. Unde sequeretur quod intellectus concipiens
bonitatem, assimilaretur ad id quod est in Deo et quod est Deus. Et sic rationi
vel conceptioni bonitatis respondet aliquid quod est in Deo et quod est Deus.
Mais si on le comprend de la causalité selon sa vertu, — comme on le
dirait bon parce qu'il existe et a le pouvoir de diffuser la bonté, — alors il
faudra dire que ce mot bon signifie
cette vertu. Mais celle-ci est une ressemblance suréminente de son effet, de
même que n'importe quelle vertu d'un agent équivoque. C'est pourquoi il en
découlerait que l'esprit qui conçoit la bonté ressemblerait à ce qui est en
Dieu et qui est Dieu. Et ainsi à la notion ou au concept de bonté correspond
quelque chose qui est en Dieu et qui est Dieu.
Et ideo dicendum est quod omnes istae multae rationes et
diversae habent aliquid respondens in ipso Deo, cuius omnes istae conceptiones
intellectus sunt similitudines. Constat enim quod unius formae non potest esse
nisi una similitudo secundum speciem, quae sit eiusdem rationis cum ea; possunt
tamen esse diversae similitudines imperfectae, quarum quaelibet a perfecta
formae repraesentatione deficiat. Cum ergo, ut ex superioribus patet,
conceptiones perfectionum in creaturis inventarum, sint imperfectae
similitudines et non eiusdem rationis cum ipsa divina essentia, nihil prohibet
quin ipsa una essentia omnibus praedictis conceptionibus respondeat, quasi per
eas imperfecte repraesentata. Et sic omnes rationes sunt quidem in
intellectu nostro sicut in subiecto: sed in Deo sunt ut in radice verificante
has conceptiones. Nam
non essent verae conceptiones intellectus quas habet de re aliqua, nisi per
viam similitudinis illis conceptionibus res illa responderet.
C. Et c'est pourquoi il faut dire
que toutes ces notions diverses et nombreuses ont quelque chose qui correspond
en Dieu même, dont toutes ces conceptions de l'esprit sont des ressemblances.
Car il est clair que d'une seule forme, il ne peut y avoir qu'une ressemblance
unique en espèce, qui soit de la même nature qu'elle. Il peut cependant y avoir
diverses ressemblances imparfaites, dont certaines sont défaillantes par
rapport à la représentation parfaite de la forme. Comme, donc, ainsi qu'on le
voit plus haut, les conceptions des perfections trouvées dans les créatures,
sont des ressemblances imparfaites, et non d'une même nature que l'essence même
de Dieu, rien n'empêche qu'une seule essence corresponde aux conceptions
susdites, comme représentée imparfaitement par elles. Et ainsi toutes les
notions sont dans notre esprit comme dans un sujet, mais en Dieu, elles sont
comme dans la racine qui assure la vérité de ces conceptions. Car ce ne serait
pas les vraies conceptions que l'esprit a d'une chose à moins que par voie de
ressemblance cette réalité corresponde à ces conceptions.
Diversitatis ergo vel multiplicitatis nominum causa est ex
parte intellectus nostri, qui non potest pertingere ad illam Dei essentiam videndam
secundum quod est, sed videt eam per multas similitudines eius deficientes, in
creaturis quasi in speculo resultantes. Unde si ipsam essentiam videret, non
indigeret pluribus nominibus, nec indigeret pluribus conceptionibus. Et propter
hoc, Dei verbum, quod est perfecta conceptio ipsius, non est nisi unum; propter
hoc dicitur Zach. XIV, 9: in die illa erit dominus unus et erit nomen eius
unum, quando ipsa Dei essentia videbitur et non colligetur Dei cognitio ex
creaturis.
La cause de la diversité ou de la multiplicité des noms vient de notre
esprit, qui ne peut parvenir à voir cette essence de Dieu telle qu'elle est,
mais la voit à travers de nombreuses ressemblances déficientes, qui
apparaissent dans les créatures comme dans un miroir. C'est pourquoi s'il
voyait l'essence même, il n'aurait pas besoin de plusieurs noms, ni de
plusieurs concepts. Et pour cela, le Verbe de Dieu, qui est sa conception
parfaite n'est qu'un; pour cela Zacharie
(14, 9) dit: "En ce jour-là, le
Seigneur sera un et son nom sera unique", quand l'essence même de Dieu
sera vue et que la connaissance de Dieu ne sera pas acquise à partir des
créatures.
Solutions:
q. 7 a. 6 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod
licet ista nomina significent unam rem, multis tamen rationibus, ut dictum est;
et propter hoc non sunt synonyma.
# 1. Bien que ces noms signifient une chose unique, il le font
cependant selon de nombreuses notions, comme on l'a dit; et c'est pour cela
qu'ils ne sont pas synonymes.
q. 7 a. 6 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Damascenus intelligit
quod in divinis omnia sunt unum secundum rem, praeter proprietates personales
quae realem personarum distinctionem constituunt; tamen non excludit quin ea
quae de Deo dicuntur, ratione differant.
# 2. Jean Damascène comprend qu'en Dieu tout est un en réalité, au delà
des propriétés personnelles qui constituent la distinction réelle des personnes;
cependant il n'exclut pas que ce qu'on dit de Dieu diffère en raison.
q. 7 a. 6 ad 3 Ad tertium per hoc patet responsio: quia sicut
bonitas et sapientia sunt unum secundum rem cum divina essentia, ita et ad
invicem; cum tamen rationes horum nominum differant, ut dictum est.
# 3. Par là la réponse à la troisième objection est claire, parce que
de même que la bonté et la sagesse sont une en réalité avec l'essence divine,
il en est de même à l'inverse; puisque cependant les notions de ces noms
diffèrent, comme on l'a dit.
q. 7 a. 6 ad 4 Ad quartum dicendum, quod iam patet ex
praedictis quod licet Deus sit omnino unus, tamen istae multae conceptiones vel
rationes non sunt falsae, quia omnibus eis respondet una et eadem res
imperfecte per eas repraesentata. Essent autem falsae, si nihil eis
responderet.
# 4. Il apparaît désormais de ce qui vient d'être dit, que quoique Dieu
soit tout à fait un, cependant ces multiples conceptions ou notions ne sont pas
fausses, parce qu'une seule et même chose représentée de façon imparfaite leur
correspond. Mais elles seraient fausses, si rien ne leur correspondait.
q. 7 a. 6 ad 5 Ad quintum dicendum, quod cum omnimoda unitas sit
ex parte Dei, et multiplicitas ex parte creaturarum, sicut oportet quod in Deo
intelligente plures creaturas sit una forma intelligibilis per essentiam, et
multi respectus ad diversas creaturas; ita in intellectu nostro ex
multiplicitate creaturarum in Deum ascendente, oportet quod sint multae species
habentes relationes ad unum Deum.
# 5. L'unité, quelle qu'elle soit, est du côté de Dieu et la
multiplicité est du côté des créatures, de même il faut qu'en Dieu qui pense de
nombreuses créatures, il y ait une seule forme intelligible par essence, et
beaucoup de rapports aux diverses créatures; ainsi dans notre esprit, qui
s'élève de la multiplicité des créatures en Dieu, il faut qu'il y ait de
nombreuses formes qui ont des relations à un seul Dieu.
q. 7 a. 6 ad 6 Ad sextum dicendum, quod istae rationes non
fundantur in divina essentia sicut in subiecto, sed sicut in causa veritatis,
vel sicut in repraesentato per omnes; quod eius simplicitati non derogat.
# 6. Ces notions ne sont pas fondées dans l'essence divine comme dans
un substrat, mais comme dans la cause de la vérité ou comme dans ce qui est
représenté par tous, ce qui ne déroge pas à sa simplicité.
q. 7 a. 6 ad 7 Ad septimum dicendum, quod paternitas et
filiatio habent oppositionem ad invicem; et ideo exigunt realem distinctionem
suppositorum: non autem bonitas et sapientia.
#7. La paternité et la filiation s'opposent entre elles; c'est pourquoi
elles exigent une distinction réelle des suppôts, mais pas la bonté, ni la
sagesse.
1 Ia, qu. 13, a. 4. — CG.
I, 35, — I Sent d2a3; d22a3 — Compendium. 25.
2
Le mot unité traduit l'être, il dit l'individu (dans les créatures). Nihil enim
est aliud unum quam ens indivisum. Cum unum addat supra ens unam negationem,
secundum quod aliquid est indivisum." (Pot.
9, a. 7) Il s'agit du transcendantal et non du nombre.
3
Il s'agit des trois propriétés personnelles dans la Trinité. Elle signifie
l'origine comme un acte. Cf. Ia, qu.
40, a. 2, c. L'origine et la relation sont les propriétés personnelles des
Personnes en Dieu.
4
Comprendre relative aux idées.
5
L'exemple est tiré de Physique III,
3, 202 b 12.
6
Dans le commentaire du Perihermeias
Thomas dit (n° 15) que les passions sont des affections, comme la colère ou la
joie, etc.. Et il est vrai qu'elles signifient naturellement certaines paroles.
C'est un emploi inhabituel du mot qui a fait penser à certains (Andronicus) que
l'œuvre n'était pas authentique, mais ajoute-t-il: "Il (Aristote) appelle
passion de l'âme toutes les opérations de l'âme et cette conception de l'esprit
peut être appelée passion." (n° 16)
7
"Les mots émis sont les symboles des états de l'âme…" (Trad. J.
Tricot).
8
Cf. Pot. qu. 1, a. 1, ad 10. Note sur
les trois conceptions.
q. 7 a. 7
tit. 1 Septimo quaeritur utrum huiusmodi nomina dicantur de Deo et creaturis
univoce vel aequivoce. Et videtur quod univoce.
Il semble que c'est de manière univoque1.
Objections:
q. 7 a. 7 arg. 1 Mensura enim et mensuratum sunt unius
rationis. Sed divina bonitas est mensura omnis bonitatis creaturae, et eius
sapientia omnis sapientiae. Ergo univoce dicuntur de Deo et creatura.
1. Car la mesure et ce qui est mesuré sont sous une seule notion. Mais
la bonté divine est la mesure de toute bonté de la créature et sa sagesse celle
de toute sagesse. Donc on parle de façon univoque de Dieu et de la créature.
q. 7 a. 7 arg. 2 Praeterea, similia sunt quae communicant
in forma. Sed creatura potest Deo similari; quod patet Genes. I, 26: faciamus
hominem ad imaginem et similitudinem nostram. Ergo creaturae ad Deum est aliqua
communicatio in forma. De omnibus autem communicantibus in forma potest aliquid
univoce praedicari. Ergo de Deo et creatura potest aliquid praedicari univoce.
2. Tout ce qui participe à une [même] forme est semblable. Mais la
créature peut ressembler à Dieu, ce que montre Gn. 1, 26. "Faisons
l’homme à notre image et à notre ressemblance." Donc de la créature à
Dieu, il y a un partage de forme. A tout ce qui est partage de forme, on peut
attribuer quelque chose de manière univoque. Donc on peut dire qu’on attribue
quelque chose de manière univoque à Dieu et à la créature.
q. 7 a. 7 arg. 3 Praeterea, maius et minus non diversificant
speciem. Sed cum creatura dicatur bona et Deus bonus, in hoc videtur differre
quod Deus est melior omni creatura. Ergo bonitas Dei et creaturae non
diversificatur secundum speciem; et sic univoce bonum praedicatur de Deo et
creatura.
3. Le plus et le moins n’apportent pas de changement à l’espèce. Mais,
comme on dit que la créature est bonne et que Dieu est bon, il semble y avoir
une différence, parce que Dieu est meilleur que toute créature. Donc la bonté
de Dieu et celle de la créature ne sont pas différentes en espèce et ainsi on
attribue le bien de manière univoque à Dieu et à la créature.
q. 7 a. 7 arg. 4 Praeterea, inter ea quae sunt diversorum
generum non potest esse comparatio, sicut philosophus probat: non enim
comparabilis est velocitas alterationis velocitati motus localis. Sed inter
Deum et creaturam attenditur aliqua comparatio: dicitur enim quod Deus est
summe bonus, et creatura est bona. Ergo Deus et creatura sunt unius generis, et
ita aliquid de eis potest univoce praedicari.
4. Il ne peut y avoir de point de comparaison entre ce qui est de
genres différents, comme le philosophe le prouve (Physique, VII, 4, 249 a 12 — 249 a 21); car la vitesse du
changement n’est pas comparable à celle du mouvement local. Mais entre Dieu et
la créature, on rencontre un point commun; car on dit que Dieu est tout à fait
bon et que la créature est bonne. Donc Dieu et la créature sont d’un seul genre
et ainsi on peut leur attribuer quelque chose de manière univoque.
q. 7 a. 7 arg. 5 Praeterea, nihil cognoscitur nisi per speciem
unius rationis; non enim albedo quae est in pariete per speciem quae est in
oculo cognosceretur, nisi esset unius rationis. Sed Deus per suam bonitatem
cognoscit omnia entia, et sic de aliis. Ergo bonitas Dei et creaturae sunt
unius rationis, et sic univoce bonum de Deo et creatura praedicatur.
5. Rien n’est connu que par la forme d’une seule nature, car la
blancheur qui est sur le mur ne serait connue par la forme qui est dans l'œil
que si elle était d’une seule nature. Mais Dieu par sa bonté connaît tout ce
qui existe, et il en est de même pour ses autres attributs. Donc sa bonté et
celle de la créature sont d’une seule nature, et ainsi on attribue de manière
univoque le bien à Dieu et à la créature.
q. 7 a. 7 arg. 6 Praeterea, domus quae est in mente artificis
et domus quae est in materia, sunt unius rationis. Sed omnes creaturae
processerunt a Deo sicut artificiata ab artifice. Ergo bonitas quae est in Deo,
est unius rationis cum bonitate quae est in creatura; et sic idem quod prius.
6. La maison qui est dans l’esprit de l’architecte et celle qui est
dans la matière sont d'une même nature. Mais toutes les créatures ont procédé
de Dieu comme les œuvres procèdent de l’architecte. Donc la bonté qui est en
Dieu est d’une seule nature avec la bonté qui est dans la créature et ainsi de
même que plus haut.
q. 7 a. 7 arg. 7 Praeterea, omne agens aequivocum reducitur ad
aliquid univocum. Ergo primum agens, quod Deus est, oportet esse univocum. Sed
de agente univoco et effectu eius proprio aliquid univoce praedicatur. Ergo de
Deo et creatura praedicatur aliquid univoce.
7. Tout agent équivoque est ramené à un agent univoque. Donc il faut
que le premier agent qui est Dieu soit univoque. Mais on attribue de manière
univoque quelque chose à l’agent univoque et à son effet propre. Donc on
attribue quelque chose de manière univoque à Dieu et à la créature.
En sens contraire:
q. 7 a. 7 s. c. 1
Sed contra. Est quod philosophus dicit, quod aeterno et temporali nihil est
commune nisi nomen. Sed Deus est aeternus, et creaturae temporales. Ergo Deo et
creaturis nihil potest esse commune nisi nomen; et sic praedicantur aequivoce
pure nomina de Deo et creaturis.
1. Le philosophe dit (Métaphysique
X, 10, 1050 b 27) que, entre l’éternel et le temporel, il n’y a rien de
commun sinon le nom. Mais Dieu est éternel et les créatures temporelles. Donc
entre Dieu et les créatures, il ne peut y avoir rien de commun que le nom et
ainsi les noms sont attribués à Dieu et aux créatures de manière purement équivoque
q. 7 a. 7 s. c. 2 Praeterea, cum genus sit prima pars
definitionis, ablato genere removetur significata ratio per nomen; unde si
aliquod nomen imponatur ad significandum id quod est in alio, erit nomen
aequivocum. Sed sapientia dicta de creatura est in genere qualitatis. Cum ergo
sapientia dicta de Deo non sit qualitas, ut supra ostensum est, videtur quod
hoc nomen sapientia aequivoce praedicetur de Deo et creaturis.
2. Comme le genre est la première partie de la définition, si on
l'exclut, on enlève la nature signifiée par le nom; c'est pourquoi si on
emploie un nom pour signifier ce qui est dans un autre, le nom sera équivoque.
Mais la sagesse, attribuée aux créatures, est dans le genre de la qualité.
Comme donc la sagesse, quand on parle de Dieu, n’est pas une qualité, comme on
l’a montré plus haut, il semble que ce nom de sagesse est attribué de manière équivoque à Dieu et aux créatures.
q. 7 a. 7 s. c. 3 Praeterea, ubi nulla est similitudo, ibi non
potest aliquid communiter praedicari, nisi aequivoce. Sed inter creaturam et
Deum nulla est similitudo; dicitur enim Is., XL, 18: cui ergo similem fecistis
Deum? Ergo videtur quod nihil possit praedicari univoce de Deo et creaturis.
3. Là où il n’y a pas de ressemblance, on ne peut rien attribuer de
commun, sinon de manière équivoque. Mais entre la créature et Dieu il n’y a
aucune ressemblance; car il est dit (Is.
40,18): "A qui donc as-tu fait Dieu
semblable?". Donc il semble qu’on ne peut rien attribuer de manière
univoque à Dieu et aux créatures.
q. 7 a. 7 s. c. 4 Sed dicendum, quod licet Deus non possit dici
similis creaturae, creatura tamen potest dici similis Deo.- Sed contra est quod
dicitur Psal. LXXXII, 2: Deus, quis similis erit tibi? Quasi dicat, nullus.
4. Mais il faut dire que,
quoiqu'on ne puisse pas dire que Dieu est semblable à la créature, on peut
cependant dire que la créature est semblable à Dieu.— En sens contraire, il y a ce que dit le Ps. 87, 2: "Dieu, qui
sera semblable à toi?", comme si on disait personne.
q. 7 a. 7 s. c. 5 Praeterea, secundum accidens non potest esse
aliquid simile substantiae. Sed sapientia in
creatura est accidens, in Deo autem est substantia. Ergo homo non
potest divinae sapientiae similari per suam sapientiam.
5. En outre, pour l'accident, il ne peut y avoir rien de semblable à la
substance. Mais la sagesse est un accident dans la créature, mais elle est en
Dieu la substance. Donc l’homme par sa sagesse ne peut ressembler à la sagesse
divine.
q. 7 a. 7 s. c. 6 Praeterea, cum in creatura aliud sit esse, et
aliud sit forma vel natura, per formam vel naturam nihil similatur ei quod est
esse. Sed ista nomina praedicata de creaturis significant aliquam naturam vel
formam: Deus autem est hoc ipsum quod est suum esse. Ergo per huiusmodi quae
dicuntur de creatura, non potest creatura Deo similari; et sic idem quod prius.
6. Comme dans la créature, l’être est différent de la forme ou nature,
rien ne ressemble à ce qu'est l'être par la forme ou la nature. Mais ces noms
attribués aux créatures signifient une nature ou une forme. Or Dieu est ce
qu'est son être propre. Donc par ce qu'on dit de tel de la créature, elle ne
peut pas ressembler à Dieu, et ainsi de même que plus haut.
q. 7 a. 7 s. c. 7 Praeterea, magis differt Deus a creatura quam
numerus ab albedine. Sed stultum est dicere numerum similari albedini, aut e
converso. Ergo stultius est dici, quod aliqua creatura sit similis Deo; et sic
idem quod prius.
7. Dieu diffère plus de la créature que le nombre de la blancheur. Mais
il est sot de dire que le nombre est semblable à la blancheur, ou le contraire.
Donc il est plus sot de dire qu'une créature est semblable à Dieu, et ainsi de
même que plus haut.
q. 7 a. 7 s. c. 8 Praeterea, quaecumque similantur ad invicem,
in aliquo uno conveniunt; quae vero in uno conveniunt, sunt transmutabilia
invicem. Deus autem est omnino intransmutabilis. Ergo non potest esse aliqua
similitudo inter Deum et creaturam.
8. Tout ce qui se ressemble se rencontre en un seul genre; mais ce qui
se rencontre ainsi est interchangeable. Or Dieu est tout à fait immuable. Donc
il ne peut y avoir une ressemblance entre Dieu et la créature.
Réponse:
q. 7 a. 7 co. Respondeo. Dicendum quod impossibile est aliquid
univoce praedicari de Deo et creatura; quod ex hoc patet: nam omnis effectus
agentis univoci adaequat virtutem agentis. Nulla autem creatura, cum sit
finita, potest adaequare virtutem primi agentis, cum sit infinita. Unde
impossibile est quod similitudo Dei univoce in creatura recipiatur.
Il faut dire qu'il est impossible d'attribuer quelque chose d'univoque
à Dieu et à la créature, ce qui se démontre ainsi: car tout effet d'un agent
univoque égale son pouvoir. Mais aucune créature, puisqu'elle est finie, ne
peut égaler le pouvoir du premier agent puisqu’il est infini. Donc il est
impossible que la ressemblance de Dieu soit reçue de manière univoque dans la
créature.
Item patet quod, etsi una sit ratio formae existentis in
agente et in effectu, diversus tamen modus existendi impedit univocam
praedicationem; licet enim eadem sit ratio domus quae sit in materia et domus
quae est in mente artificis,- quia unum est ratio alterius,- non tamen domus
univoce de utraque praedicatur, propter hoc quod species domus in materia habet
esse materiale, in mente vero artificis immateriale.
D'autre part, il est clair que même si est unique la nature de la forme
qui existe dans l’agent et dans l’effet, cependant une manière différente
d’exister empêche l'attribution univoque, car bien que l'idée de la maison qui
est dans la matière soit la même que celle qui est dans l’esprit de
l’architecte, — parce que l'une est l'idée de l’autre, — cependant la maison
n'est pas attribuée de manière univoque à l'une et à l'autre; parce que la
forme (species) de la maison dans la
matière a une existence matérielle, mais dans l’esprit de l’artisan un
existence immatérielle.
Dato ergo per impossibile quod eiusdem rationis sit bonitas
in Deo et creatura, non tamen bonum univoce de Deo praedicaretur; cum quod in
Deo est immaterialiter et simpliciter, in creatura sit materialiter et
multipliciter. Et praeterea ens non dicitur univoce de substantia et accidente,
propter hoc quod substantia est ens tamquam per se habens esse, accidens vero
tamquam cuius esse est inesse. Ex quo patet quod diversa habitudo ad esse
impedit univocam praedicationem entis. Deus autem alio modo se habet ad esse
quam aliqua alia creatura; nam ipse est suum esse, quod nulli alii creaturae
competit. Unde nullo modo univoce de Deo creatura dicitur; et per consequens
nec aliquid aliorum praedicabilium inter quae est ipsum primum ens. Existente
enim diversitate in primo, oportet in aliis diversitatem inveniri; unde de
substantia et accidente nihil univoce praedicatur.
S'il était donne par impossible que la bonté soit de la même
nature en Dieu et dans la créature, on n'attribuerait pas le bien de façon
univoque à Dieu, puisque ce qui est en lui y est nature immatérielle et simple,
et dans la créature de nature matérielle et plurielle. Et en plus l’étant n'est
pas défini de manière univoque pour la substance et l’accident, parce que la
substance est un étant comme ayant l'être par soi, et l’accident comme inhérent
à un autre. Cela montre qu'une relation différente à l’être empêche une
attribution univoque de l'étant. Mais Dieu se comporte quant à l'être d’une
autre manière que n'importe quelle créature; car il est son être propre, ce qui
n’appartient à aucune autre créature. C'est pourquoi en aucune manière on ne
parle d'univocité de la créature à Dieu et ni par conséquent d'aucun des autres
prédicables2 parmi lesquels est
l’étant premier lui-même. Car si la diversité existe dans le premier, il faut
la trouver dans les autres, c'est pourquoi on n'attribue rien d'univoque à la
substance et à l’accident.
Quidam autem aliter dixerunt, quod de Deo et creatura nihil
praedicatur analogice, sed aequivoce pure. Et huius opinionis est Rabbi Moyses,
ut ex suis dictis patet.
D’autres ont parlé autrement, disant qu'on n'attribuait rien de manière
analogique à Dieu et à la créature, mais de manière équivoque seulement. Et
Rabbi Moyses est de cette opinion comme cela apparaît dans ce qu'il a dit.
Ista autem opinio non potest esse vera: quia in pure
aequivocis, quae philosophus nominat a casu aequivoca, non dicitur aliquid de
uno per respectum ad alterum. Omnia autem quae dicuntur de Deo et creaturis, dicuntur
de Deo secundum aliquem respectum ad creaturas, vel e contrario, sicut patet
per omnes opiniones positas de expositione divinorum nominum. Unde impossibile est quod sit pura
aequivocatio.
Mais cette opinion ne peut pas être vraie, parce que, dans ce qui est
purement équivoque, ce que le philosophe appelle équivoque par hasard, on ne
dit rien d’une chose par rapport à une autre; mais tout ce qui est dit de Dieu
et des créatures, est dit de lui selon un rapport aux créatures ou le
contraire, comme cela apparaît par toutes les opinions sur l’exposé des noms
divins. C'est pourquoi il est impossible qu’il y ait une équivocation pure.
Item, cum omnis cognitio nostra de Deo ex creaturis sumatur,
si non erit convenientia nisi in nomine tantum, nihil de Deo sciremus nisi
nomina tantum vana, quibus res non subesset.
D'autre part, comme toute notre connaissance de Dieu est tirée des
créatures, s’il n’y avait un certain accord que dans le nom seulement, on ne
connaîtrait rien de Dieu, sinon des noms inutiles, sans que la réalité y
corresponde.
Sequeretur etiam quod omnes demonstrationes a philosophis
datae de Deo, essent sophisticae; verbi gratia, si dicatur, quod omne quod est
in potentia, reducitur ad actum per ens actu,- et ex hoc concluderetur quod
Deus esset ens actu, cum per ipsum omnia in esse educantur,- erit fallacia
aequivocationis; et sic de omnibus aliis. Et praeterea oportet causatum esse
aliqualiter simile causae; unde oportet de causato et causa nihil pure aequivoce
praedicari, sicut sanum de medicina et animali.
Il s'ensuivrait que toutes les démonstrations faites par les
philosophes sur Dieu, seraient fausses; par exemple, si on disait que tout ce
qui est en puissance est ramené à l’acte par l’étant en acte,— et que de cela
on conclut que Dieu serait un être en acte, puisque par lui tout vient à l’être
— ce serait une erreur de l'équivocation et ainsi pour toutes les autres
choses. Et ensuite il faut que l'effet soit d’une certaine manière semblable à
la cause, c'est pourquoi il ne faut attribuer rien de purement équivoque à
l'effet et à la cause, comme ce qui est sain au sujet de la médecine et de
l’animal.
Et ideo aliter dicendum est, quod de Deo et creatura nihil
praedicetur univoce; non tamen ea quae communiter praedicantur, pure aequivoce
praedicantur, sed analogice.
Huius autem praedicationis duplex est modus. Unus quo
aliquid praedicatur de duobus per respectum ad aliquod tertium, sicut ens de
qualitate et quantitate per respectum ad substantiam.
Alius modus est quo aliquid praedicatur de duobus per
respectum unius ad alterum, sicut ens de substantia et quantitate.
Et c’est pourquoi il faut dire
autrement: on n'attribue rien
à Dieu ni à la créature de manière univoque; cependant ce qui est attribué
communément ne l'est pas de manière purement équivoque, mais analogique.
Et de cette attribution le mode est double:
a) L’un par lequel un
attribut est donné à deux sujets par rapport à un troisième, comme l’étant à la
qualité et à la quantité par rapport à la substance.
b) L’autre mode est celui par
lequel un attribut est donné à deux sujets par rapport de l’un à l’autre, comme
l’étant à la substance et à la quantité.
In primo autem modo praedicationis oportet esse aliquid
prius duobus, ad quod ambo respectum habent, sicut substantia ad quantitatem et
qualitatem; in secundo autem non, sed necesse est unum esse prius altero. Et
ideo cum Deo nihil sit prius, sed ipse sit prior creatura, competit in divina
praedicatione secundus modus analogiae, et non primus.
Au premier mode d'attribution, il faut qu’il y ait quelque chose avant
les deux, à quoi les deux ont rapport comme la substance à la quantité et à la
qualité; mais dans le second, non, mais il est nécessaire que l’un soit avant
l’autre. Et c’est pour cela, comme
rien n’existe avant Dieu, mais qu’il est lui-même avant la créature, le second
mode de l’analogie convient à l'attribution divine et non le premier.
Solutions:
q. 7 a. 7 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ratio illa
procedit de mensura cui mensuratum potest coaequari vel commensurari; talis
autem mensura non est Deus, cum in infinitum omnia excedat per ipsum mensurata.
# 1. Il faut dire que cette raison procède de la mesure à
laquelle le mesuré peut être égalé ou proportionné, mais Dieu n’est pas une mesure
de ce genre, puisqu’il excède par lui-même à l'infini tout ce qui est mesuré.
q. 7 a. 7 ad 2 Ad secundum dicendum, quod similitudo creaturae
ad Deum deficit a similitudine univocorum in duobus.
Primo, quia non est per participationem unius formae, sicut
duo calida secundum participationem unius caloris; hoc enim quod de Deo et
creaturis dicitur, praedicatur de Deo per essentiam, de creatura vero per
participationem; ut sic talis similitudo creaturae ad Deum intelligatur, qualis
est calidi ad calorem, non qualis calidi ad calidius.
Secundo, quia ipsa forma in creatura
participata deficit a ratione eius quod Deus est, sicut calor ignis deficit a
ratione virtutis solaris, per quam calorem generat.
# 2. La ressemblance de la créature à Dieu est défaillante par rapport
à la ressemblance de ce qui est univoque en deux points.
a) Premièrement, parce que ce n’est pas par participation d’une seule
forme, comme deux corps chauds qui participent à une seule chaleur, car ce qui
est dit de Dieu et des créatures est attribué à Dieu par essence, mais à la
créature par participation; de sorte qu’on comprend ainsi la ressemblance de la
créature à Dieu, telle que celle du chaud à la chaleur, non telle que celle du
chaud à plus chaud.
b) Deuxièmement, parce que la forme elle-même participée dans la
créature est inférieure à la nature de Dieu, comme la chaleur du feu est
défaillante par rapport à la nature du pouvoir du soleil par lequel il engendre
la chaleur.
q. 7 a. 7 ad 3 Ad tertium dicendum, quod magis et minus tripliciter
potest considerari, et sic praedicari.
Uno modo secundum solam quantitatem participati; sicut nix
dicitur albior pariete, quia perfectior est albedo in nive quam in pariete, sed
tamen unius rationis; unde talis diversitas secundum magis et minus non
diversificat speciem.
Alio modo secundum quod unum participatur, et aliud per
essentiam dicitur; sicut diceremus, quod bonitas est melior quam bonum.
Tertio modo secundum quod modo eminentiori competit idem
aliquid uni quam alteri, sicut calor soli quam igni; et hi duo modi impediunt
unitatem speciei et univocam praedicationem; et secundum hoc aliquid
praedicatur magis et minus de Deo et creatura, ut ex dictis patet.
# 3. On peut considérer le
plus et le moins de trois manières et l'attribuer ainsi:
a) Selon la seule quantité du participé; ainsi on dit que la neige est
plus blanche que le mur, parce que la blancheur est plus parfaite dans la neige
que sur le mur, mais cependant elle est d’une même nature. C'est pourquoi une
telle diversité selon le plus et le moins ne diversifie pas l’espèce.
b) Selon que l’un est participé et que l’autre est désigné par essence;
comme si on disait que la bonté est meilleure que le bien.
c) Selon qu’une même chose appartient à un mode plus éminent qu’à un
autre, comme la chaleur au soleil plus qu'au feu et ces deux modes empêchent
l’unité de l’espèce et une attribution univoque et ainsi quelque chose est
attribué en plus ou en moins à Dieu et à la créature, comme le montre ce qu’on
a dit.
q. 7 a. 7 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Deus non comparatur
creaturis in hoc quod dicitur melior, vel summum bonum, quasi participans
naturam eiusdem generis cum creaturis, sicut species generis alicuius, sed
quasi principium generis.
# 4. Dieu n’est pas comparé
aux créatures, parce qu'on le dit meilleur ou bien suprême, comme s'il
participait d’une nature d'un même genre avec les créatures, comme l’espèce
d’un genre, mais comme principe d'un genre.
q. 7 a. 7 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quanto species
intelligibilis eminentior est in aliquo, tanto ex ea relinquitur perfectior
cognitio; sicut ex specie lapidis in intellectu quam in sensu. Unde per hoc
Deus perfectissime potest cognoscere res per suam essentiam, inquantum sua
essentia est supereminens similitudo rerum, et non adaequata.
# 5. Plus la forme intelligible est éminente dans une chose, plus sa
connaissance est parfaite, ainsi (elle est plus parfaite) par la forme de la
pierre dans l’esprit que dans les sens. C'est pourquoi Dieu peut connaître
ainsi très parfaitement les choses par son essence, dans la mesure où celle-ci
est ressemblance des choses, suréminente et inégalée.
q. 7 a. 7 ad 6 Ad sextum dicendum, quod inter creaturam et Deum
est duplex similitudo.
Una creaturae ad intellectum divinum: et sic forma
intellecta per Deum est unius rationis cum re intellecta, licet non habeat
eumdem modum essendi; quia forma intellecta est tantum in intellectu, forma
autem creaturae est etiam in re.
Alio modo secundum quod ipsa divina essentia est omnium
rerum similitudo superexcellens, et non unius rationis. Et ex hoc modo
similitudinis contingit quod bonum et huiusmodi praedicantur communiter de Deo
et creaturis, non autem ex primo. Non enim haec est ratio Dei cum dicitur, Deus
est bonus, quia bonitatem creaturae intelligit; cum iam ex dictis pateat quod
nec etiam domus quae est in mente artificis cum domo quae est in materia
univoce dicatur domus.
# 6. Entre la créature et Dieu, il y a une double ressemblance.
a) Une de la créature à l’esprit divin, et ainsi la forme pensée par
Dieu est d’une même nature que ce qui est pensé, bien qu'elle n’ait pas le même
mode d'être; parce que la forme pensée est seulement dans l’esprit, mais la
forme de la créature est aussi dans la réalité.
b) D’une autre manière selon que l’essence divine même est ressemblance
suréminente de toutes choses et non d’une seule nature. Et par ce mode de
ressemblance, il arrive que le bien, etc. est attribué en commun à Dieu et aux
créatures, mais pas de la première manière. En effet, quand on dit que Dieu est
bon, ce n’est pas sa nature parce qu'elle désigne la bonté de la créature,
comme déjà c'est clair par ce qui a été dit, que la maison non plus qui est
dans l’esprit de l’architecte n’est pas signifiée non plus de manière univoque
de la maison qui est dans la matière.
q. 7 a. 7 ad 7 Ad septimum dicendum, quod agens aequivocum
oportet esse prius quam agens univocum, quia agens univocum non habet
causalitatem super totam speciem, alias esset causa sui ipsius, sed solum super
aliquod individuum speciei; agens autem aequivocum habet causalitatem super
totam speciem; unde oportet primum agens esse aequivocum.
# 7. Il faut que l’agent
équivoque soit avant l’agent univoque, parce que ce dernier n’a pas de
causalité sur toute l’espèce, autrement il serait sa propre cause, mais
seulement sur un individu de l’espèce; mais l’agent équivoque a causalité sur
toute l’espèce; donc il faut que le premier agent soit équivoque.
q. 7 a. 7 ad s. c. 1 Ad primum ergo dicendum, quod in
contrarium obiicitur, dicendum, quod philosophus loquitur de communitate
naturaliter et non logice. Ea vero quae habent diversum modum essendi, non
communicant in aliquo secundum esse quod considerat naturalis; possunt tamen
communicare in aliqua intentione quam considerat logicus. Et praeterea etiam
secundum naturalem corpus elementare et caeleste non sunt unius generis; sed
secundum logicum sunt. Nihilominus tamen philosophus non intendit excludere
analogicam communitatem, sed solum univocam. Vult enim ostendere quod
corruptibile et incorruptibile non communicant in genere.
En sens contraire, sur ce qui a été objecté, il faut dire:
# 1. Le philosophe parle de
communauté de manière naturelle et non logique. Ce qui a un mode différent
d’être ne communique en rien selon l’être que le naturaliste considère. Cependant
cela peut être commun dans un concept que le logicien considère. Et en outre
aussi selon le naturaliste le corps élémentaire et le corps céleste ne sont pas
d'un même genre. Mais ils le sont selon le logicien. Cependant le Philosophe
n’entend pas exclure la communauté analogique mais seulement celle qui est
univoque. Car il veut montrer que le corruptible et l'incorruptible ne
communique pas dans un genre commun. (Métaphysique,
X, 10, 1050 b 27)
q. 7 a. 7 ad s. c. 2 Ad secundum dicendum, quod licet diversitas
generis tollat univocationem, non tamen tollit analogiam. Quod sic patet. Sanum
enim, secundum quod dicitur de urina, est in genere signi; secundum vero quod
dicitur de medicina, est in genere causae.
# 2. Bien que la différence de genre exclut l'univocité, elle n’exclut
cependant pas l’analogie. Ce qui apparaît ainsi: en effet ce qui est sain,
selon qu'on parle d'urine, est dans le genre du signe, mais si on parle de
médecine, il est dans le genre de la cause.
q. 7 a. 7 ad s. c. 3 Ad tertium dicendum, quod Deus nullo modo
dicitur esse similis creaturae, sed e contrario, quia, ut dicit Dionysius, in
causa et causatis non recipimus similitudinis conversionem, sed solum in
coordinatis; homo enim non dicitur similis suae imagini, sed e contrario, propter
hoc quod forma illa secundum quam attenditur similitudo, per prius est in
homine quam in imagine. Et ideo Deum creaturis similem non
dicimus, sed e contrario.
# 3. On ne dit en aucune manière que Dieu est semblable à
la créature, mais le contraire, parce que, comme le dit Denys (Les Noms divins, 9) dans la cause et
l'effet nous ne recevons pas la réciprocité de la ressemblance, mais seulement
en ce qui est coordonné; car on ne dit pas que l’homme est semblable à son
image, mais on dit le contraire, parce que cette forme selon que la
ressemblance l'atteint, est dans l’homme avant que dans l’image. Et c’est
pourquoi nous ne disons pas que Dieu est semblable aux créatures, mais nous
disons le contraire.
q. 7 a. 7 ad s. c. 4 Ad quartum dicendum, quod cum dicitur,
nulla creatura est similis Deo, ut eodem cap. dicit Dionysius, hoc
intelligendum est secundum quod causata minus habent a sua causa, ab ipsa
incomparabiliter deficientia. Quod non est intelligendum secundum quantitatem
participati, sed aliis duobus modis, sicut supra dictum est.
# 4. Quand on dit qu'aucune créature n’est semblable à
Dieu, comme Denys le dit dans le même chapitre (9), il faut le comprendre selon
que l'effet reçoit moins de sa cause, incomparablement par sa déficience même.
Ce qu’il ne faut pas comprendre selon la quantité de ce qui participe, mais par
les deux autres modes, comme on l’a dit ci-dessus.
q. 7 a. 7 ad s. c. 5 Ad quintum dicendum, quod secundum
accidens non potest esse aliquid simile substantiae, similitudine quae
attenditur secundum formam unius rationis, sed secundum similitudinem quae est
inter causatum et causam, nihil prohibet. Nam primam substantiam oportet esse
causam omnium accidentium.
# 5. Pour l’accident, il ne peut y avoir rien de semblable
à la substance, par une ressemblance qui est atteinte selon la forme d'une
nature, mais rien ne l'empêche selon la ressemblance qui est entre l'effet et
la cause. Car il faut que la substance première soit cause de tous les
accidents.
q. 7 a. 7 ad s. c. 6 Et similiter dicendum ad sextum.
# 6. Et il faut dire de même pour le sixième.
q. 7 a. 7 ad s. c. 7 Ad septimum dicendum, quod albedo nec est
in genere numeri, nec est principium generis; et ideo nulla similitudo unius ad
alterum attenditur. Deus autem est principium omnis generis; et ideo ei omnia
aliqualiter similantur.
# 7. La blancheur n’est pas dans le genre du nombre et
n’est pas le principe du genre, et c’est pourquoi on n'atteint aucune
ressemblance de l'une à l’autre. Mais Dieu est le principe de tout genre, et
c’est pourquoi tout est semblable à lui de manière égale.
q. 7 a. 7 ad s. c. 8 Ad octavum dicendum, quod ratio illa
procedit de his quae communicant in genere vel in materia; qualis conditio non
est Dei ad creaturas.
# 8. Cette raison procède de ce qui communique dans le
genre ou dans la matière, une telle condition n’existe pas entre Dieu et les
créatures.
1 Parall.: Ia, qu. 13, a. 5 — CG. I, 32, 33, 34- I sent.
Prol. a.2, ad.2 — d19q5a2, ad 1 —
d35a4 — De Verit. 2, 2 —Compendium.27.
2
Prédicables: attributs universels communs à plusieurs: ils sont au nombre de
cinq: le genre, l'espèce, la différence, le propre, l'accident. Cf. Ia, qu. 77, a. 1, ad 5.
q. 7 a. 8
tit. 1 Octavo quaeritur utrum sit aliqua relatio inter Deum et creaturam. Et
videtur quod non.
Il semble que non.
Objections1:
q. 7 a. 8 arg. 1 Relativa enim sunt simul, secundum
philosophum. Sed creatura non potest simul esse cum Deo: Deus enim omnibus
modis est prior creatura. Ergo nulla relatio potest esse inter creaturam et
Deum.
1. Car ce qui est relatif est simultané, selon le
philosophe (les catégories, les relations,
7, 7 b 152). Mais la créature ne peut
pas être en même temps que Dieu, car il est à tous les points de vue antérieur
à la créature. Donc aucune relation ne peut exister entre la créature et Dieu.
q. 7 a. 8 arg. 2 Praeterea, inter quaecumque est aliqua
relatio, est etiam eorum aliqua ad invicem comparatio. Sed inter Deum et
creaturam non est comparatio; ea enim quae non sunt unius generis, non sunt
comparabilia, sicut numerus et linea. Ergo non est aliqua relatio inter Deum et
creaturam.
2. Entre chaque chose où il y a une relation, il y a aussi un certain
rapport de l’une à l’autre. Mais entre Dieu et la créature il n’y en a pas, car
ce qui n’est pas d’un seul et même genre, n’est pas comparable, comme le nombre
et la ligne. Donc il n’y a pas de relation entre Dieu et la créature.
q. 7 a. 8 arg. 3 Praeterea, in quocumque genere est unum
relativorum, est etiam aliud. Sed Deus non est in eodem genere cum creatura.
Ergo non possunt relative ad invicem dici.
3. En quelque genre où il y a l'un des relatifs, l'autre y est aussi.
Mais Dieu n’est pas dans le même genre que la créature. Donc on ne peut les
dire relatifs entre eux.
q. 7 a. 8 arg. 4 Praeterea, creatura non potest esse opposita
creatori: quia oppositum non est causa sui oppositi. Sed relativa ad invicem
opponuntur. Ergo non potest esse relatio inter creaturam et Deum.
4. La créature ne peut être opposée au Créateur, parce que l’opposé
n’est pas la cause de son opposé. Mais les choses relatives s’opposent l’une à
l’autre. Donc on ne peut pas parler de relation entre la créature et Dieu
q. 7 a. 8 arg. 5 Praeterea, de quocumque aliquid de novo
incipit dici, aliquo modo potest dici factum. Ergo sequitur, si aliquid
relative ad creaturam de Deo dicitur, quod Deus aliquo modo sit factus; quod
est impossibile, cum ipse sit immutabilis.
5. De tout ce dont on commence à parler nouvellement, on peut dire,
d’une certaine manière, que cela a été fait [créé]. Donc il en découle, si on
parle de quelque chose de relatif qui va de Dieu à la créature, que Dieu d’une
certaine manière a été fait; ce qui est impossible, puisqu’il est immuable.
q. 7 a. 8 arg. 6 Praeterea, omne quod praedicatur de aliquo,
praedicatur de eo aut per se aut per accidens. Sed ea quae important relationem
ad creaturam, non praedicantur de Deo per se, quia huiusmodi praedicata ex
necessitate et semper praedicantur; nec iterum per accidens. Ergo nullo modo aliqua talia relativa de Deo praedicari possunt.
6. Tout ce qui est attribué, l'est par soi ou par accident. Mais ce qui
apporte une relation à la créature, n’est pas attribué à Dieu par soi, parce
que les attributs de ce genre sont attribués par nécessité et toujours, et pas
à nouveau par accident. Donc en aucune manière de telles relations ne peuvent
être attribuées à Dieu.
En sens contraire:
q. 7 a. 8 s. c. Sed
contra, est quod Augustinus dicit, quod creator relative dicitur ad creaturam,
sicut dominus ad servum.
Augustin dit (La Trinité, V, XIII, 143) qu’on parle du créateur en relation à la
créature, comme du maître à son serviteur.
Réponse:
q. 7 a. 8 co. Respondeo. Dicendum quod relatio in hoc differt a
quantitate et qualitate: quia quantitas et qualitas sunt quaedam accidentia in
subiecto remanentia; relatio autem non significat, ut Boetius dicit, ut in
subiecto manens, sed ut in transitu quodam ad aliud; unde et Porretani dixerunt,
relationes non esse inhaerentes, sed assistentes, quod aliqualiter verum est,
ut posterius ostendetur.
La relation diffère de la quantité et de qualité4, parce que celles-ci sont des accidents qui
demeurent dans un sujet5 . Mais la
relation ne signifie pas, comme Boèce le dit (La Trinité, V) qu'elle demeure dans le sujet mais c'est comme si
elle passait vers un autre. C'est pourquoi les disciples de G. de la Porrée6 ont dit que les relations ne sont pas
inhérentes, mais assistantes7, ce qui est vrai d’une certaine manière,
comme on le montrera plus tard (qu. 8, a. 2, c).
Quod autem
attribuitur alicui ut ab eo in aliud procedens non facit compositionem cum eo,
sicut nec actio cum agente. Et propter hoc etiam probat philosophus V Phys., quod in ad aliquid non potest
esse motus: quia, sine aliqua mutatione eius quod ad aliud refertur, potest
relatio desinere ex sola mutatione alterius, sicut etiam de actione patet, quod
non est motus secundum actionem nisi metaphorice et improprie; sicut exiens de
otio in actum mutari dicimus, quod non esset si relatio vel actio significaret
aliquid in subiecto manens.
Ce qui est attribué à une chose comme procédant d'elle dans
une autre, ne fait pas composition avec elle, de même que l'action ne fait pas
composition avec l’agent8 . Et c’est
pour cela que le philosophe prouve (Physique,
V, 2, 226 a 239) que dans la
relation il ne peut pas y avoir de mouvement; parce que, sans le changement de
ce qui se réfère à l'autre, la relation peut cesser par le seul changement de
l’autre10, comme on le voit aussi
pour l’action, parce que ce n’est un mouvement selon l’action que
métaphoriquement et improprement. Ainsi nous disons que passer du repos à
l’action c’est changer, ce qui ne serait pas si la relation ou l’action
signifiait quelque chose qui demeure dans le sujet.
Ex hoc autem apparet quod non est contra rationem
simplicitatis alicuius multitudo relationum quae est inter ipsum et alia; immo
quanto simplicius est tanto concomitantur ipsum plures relationes. Quanto enim
aliquid est simplicius, tanto virtus (eius) est minus limitata, unde ad plura
se extendit sua causalitas. Et ideo in libro
de causis dicitur, quod omnis virtus
unita plus est infinita quam virtus multiplicata.
Cela montre que la pluralité des relations qui est entre
lui et les autres, n’est pas contre le concept d'une certaine simplicité; bien
plus il est d’autant plus simple que les relations qui l'accompagnent sont plus
nombreuses. Car plus une chose est simple, moins sa puissance est limitée,
c'est pourquoi sa causalité s’étend à davantage d’effets. Et c’est pour cela
que dans le livre Des Causes (prop.
17) on dit que "toute puissance unie
est infinie plus qu’une puissance multipliée 11."
Oportet autem intelligi aliquam relationem inter principium
et ea quae a principio sunt, non solum quidem relationem originis, secundum
quod principiata oriuntur a principio, sed etiam relationem diversitatis: quia
oportet effectum a causa distingui, cum nihil sit causa sui ipsius
Mais il faut comprendre une relation entre le principe et
ce qui en découle12, non seulement
comme relation d’origine, selon que
ce qui dépend du principe en découle, mais encore comme relation de diversité; parce qu’il faut que l’effet
soit distingué de la cause, puisque rien n’est sa propre cause.
Et ideo ad summam Dei simplicitatem consequitur quod
infinitae habitudines sive relationes existant inter creaturas et ipsum,
secundum quod ipse creaturas producit a seipso diversas, aliqualiter tamen sibi
assimilatas.
Et c’est pourquoi pour la simplicité suprême de Dieu, il découle que
les relations infinies ou celles qui existent entre les créatures et lui, selon
qu’il les crée différentes de lui, lui ressemblent cependant d’une certaine
manière.
Solutions:
q. 7 a. 8 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illa
relativa sunt simul natura quae pari ratione mutuo referuntur, sicut pater ad
filium, dominus ad servum, duplum ad dimidium. Illa vero
relativa in quibus non est eadem ratio referendi ex utraque parte, non sunt
simul natura, sed alterum est prius naturaliter, sicut etiam philosophus dicit,
de sensu et sensibili, scientia et scibili. Et sic patet quod non oportet quod
Deus et creatura sint simul natura, cum non sit eadem ratio referendi ex
utraque parte. Nihilominus autem non est necesse in illis etiam relativis quae
sunt simul natura, quod subiecta sint naturaliter simul sed relationes solae.
# 1. Ces relatifs qui sont en rapport à
raison égale13 entre eux sont
ensemble par nature, comme le père avec fils, le maître avec serviteur, le
double à la moitié. Les relatifs dans lesquels il n’y a pas la même raison de
référence de chaque côté, ne sont pas ensemble par nature, mais l’un est
naturellement avant, comme le philosophe le dit (Les catégories, les
relations, 7, 7 b 23-25 ) de la sensation et du sensible, de la
connaissance et du connaissable . Et ainsi il apparaît qu’il ne faut pas que
Dieu et la créature soient simultanément par nature, puisque ce n'est pas la
même nature de référence des deux côtés. Cependant il n’est pas nécessaire pour
ces relatifs, qui sont ensemble par nature, que les sujets soient ensemble,
mais que les relations seules le soient.
q. 7 a. 8 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non omnium est
comparatio quorum est relatio ad invicem, sed solum illorum quorum est relatio
secundum unam quantitatem vel qualitatem, ut ex hoc possit unum altero dici
maius aut melius, vel albius vel aliquid huiusmodi. Relationum autem
diversitates possunt ad invicem referri etiam quae diversorum generum sunt: ea
enim quae diversorum generum sunt, sunt ad invicem diversa. Nihilominus tamen
quamvis Deus in eodem genere non sit cum creatura sicut contentum sub genere,
est tamen in omnibus generibus sicut principium generis: et ex hoc potest esse
aliqua relatio inter creaturam et Deum sicut inter principiata et principium.
# 2. La
comparaison n’est pas pour tout ce en quoi il y a une relation réciproque, mais
seulement pour ceux dont la relation est selon une quantité ou une qualité;
pour que par là l’un puisse être dit plus grand ou meilleur que l’autre, ou
plus blanc, etc.. Mais les relations en leur diversité peuvent se référer l'une
à l'autre, même celles qui sont de genres différents; car celles-ci sont
différentes l'une de l'autre. Cependant, quoique Dieu ne soit pas dans le même
genre que la créature, en tant que limitée à un genre, il est cependant dans
tous les genres, en tant que principe du genre, et par là il peut y avoir une
relation entre la créature et Dieu comme entre ce qui dépend d'un principe et
le principe [même].
q. 7 a. 8 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non oportet subiecta
relationum esse unius generis, sed solum relationes ipsas; ut patet in hoc quod
quantitas a quidditate diversa dicitur. Et tamen, ut dictum est, non est eadem
ratio de Deo et creaturis, sicut de his quae sunt in diversis generibus ad
invicem nullo modo coordinata.
# 3. Il n'est pas nécessaire que les substrats des relations soit d’un
seul genre, mais seulement les relations elles-mêmes, comme cela apparaît dans
le fait qu'on dit que la quantité est différente de la quiddité. Et cependant,
comme on l’a dit, ce n’est pas la même raison pour Dieu et les créatures, comme
de celles qui sont dans différents genres, en aucune manière coordonnées entre
elles.
q. 7 a. 8 ad 4 Ad quartum dicendum, quod oppositio relationis
in duobus differt ab aliis oppositionibus: quorum primum est quod in aliis
oppositis unum dicitur alteri opponi, in quantum ipsum removet: negatio enim
removet affirmationem, et secundum hoc ei opponitur; oppositio vero privationis
et habitus et contrarietatis includit oppositionem contradictionis, ut IV
Metaph. dicitur. Non autem est hoc in relativis. Non enim per hoc opponitur
filius patri quod ipsum removeat, sed propter rationem habitudinis ad ipsum.
# 4. L’opposition
de la relation est différente des autres oppositions en deux points
a) Dans les autres opposés, l’un est dit opposé à l’autre,
dans la mesure où il l'exclut lui-même, car la négation exclut l’affirmation et
c'est en cela qu'elle lui est opposée, mais l’opposition de privation, de
possession et de contrariété inclut celle de contradiction, comme il est dit en
Métaphysique (IV, 3, 1005 b 25). Mais
cela n’est pas dans les relatifs. Car le fils n’est pas opposé au père, parce
qu’il l’exclut lui-même, mais à cause de la nature de sa relation avec lui:
Et ex hoc causatur secunda differentia, quia in aliis
oppositis semper alterum est imperfectum; quod accidit ratione negationis quae
includitur in privatione et altero contrariorum. Hoc autem in relativis non
oportet, immo utrumque considerari potest ut perfectum, sicut patet maxime in
relativis aequiparantiae, et in relativis originis, ut aequale, simile, pater
et filius. Et ideo relatio magis potest attribui Deo quam aliae oppositiones.
Ratione quidem primae differentiae potest attendi oppositio relationis inter
creaturam et Deum, non autem alia oppositio,- cum ex Deo sit magis creaturarum
positio quam earum remotio; est tamen aliqua habitudo, creaturarum ad Deum.
Ratione vero secundae differentiae est in ipsis divinis personis (in quibus
nihil imperfectum esse potest) oppositio relationi, et non alia, ut posterius,
apparebit.
b) Et cela cause une seconde
différence, parce que, dans les autres opposés, l’autre est toujours
imparfait, ce qui arrive par la nature de la négation qui est incluse dans la
privation et dans l’autre des contraires. Mais il ne faut pas dans les
relatifs, que l’un et l’autre puissent être considérés comme parfaits, comme
cela paraît au plus haut point dans les relatifs d’équivalence et dans ceux
d'origine, en tant qu'égal, semblable, père et Fils. Et c’est pourquoi la
relation peut davantage être attribuée à Dieu que les autres oppositions. Par
la nature de la première différence, on peut atteindre l’opposition de relation
entre la créature et Dieu, mais non une autre opposition — puisque la situation
des créatures vient plus de Dieu que leur éloignement; cependant il y a une
relation des créatures à Dieu. Mais par la nature de la seconde différence, il
y a dans les personnes divines mêmes (en qui rien ne peut être imparfait) une
opposition à la relation et non une autre opposition comme cela apparaîtra plus
loin (question 8).
q. 7 a. 8 ad 5 Ad quintum dicendum, quod cum fieri sit proprie
mutari, non est secundum relationem nisi per accidens, scilicet mutato eo ad
quod consequitur relatio: ita nec fieri. Corpus enim mutatum secundum
quantitatem fit aequale, non quod mutatio per se aequalitatem respiciat, sed
per accidens se habet ad ipsam. Et tamen non oportet, ad hoc quod de aliquo
relatio aliqua de novo dicatur, quod aliqua mutatio in ipso fiat, sed sufficit
quod fiat mutatio in aliquo extremorum: causa enim habitudinis inter duos est
aliquid inhaerens utrique. Unde ex quacumque parte fiat mutatio illius quod habitudinem
causabat, tollitur habitudo quae est inter utrumque. Et secundum hoc, per hoc
quod in creatura aliqua mutatio fit, aliqua relatio de Deo incipit dici. Unde
ipse non potest dici factus,- nisi metaphorice,- quia se habet ad similitudinem
facti, in quantum de Deo aliquid novum dicitur. Et sic dicimus: domine,
refugium factus es nobis.
# 5. Comme être fait c’est à proprement parler
subir un changement, ce n’est selon la relation que par accident, à savoir une
fois changé ce qu’atteint la relation. Ainsi il en est de même pour ne pas être
fait. Car un corps changé en quantité devient égal, non parce que le changement
atteint en soi l’égalité, mais il se comporte vis-à-vis d'elle par accident. Et
cependant il ne faut pas parler de relation nouvelle si un changement se fait
en quelque chose, mais il suffit que le changement se fasse dans l’un des
extrêmes; car la cause de la relation entre deux choses est quelque chose
d’inhérent à l’un et à l’autre. C'est pourquoi le changement se fait de chaque
côté de ce qui causait la relation; celle qui était entre l’un et l’autre est
exclue. Et par le fait que dans la créature il se fait un changement, on peut
commencer à parler d’une relation à Dieu. C'est pourquoi on ne peut pas dire
qu’il est lui-même fait — sinon métaphoriquement — parce qu’il se comporte à la
ressemblance de ce qui est fait dans la mesure où on parle de quelque chose de
nouveau pour lui. Et ainsi nous disons: "Seigneur, tu es devenu pour nous un refuge" (Ps. 89, 1).
q. 7 a. 8 ad 6 Ad sextum dicendum, quod huiusmodi relationes
cum Deo dici incipiant propter mutationem in creatura factam, patet quod causa
quare de Deo dicantur, est ex parte creaturae, et per accidens de Deo dicuntur.
Non quidem accidens quod in Deo sit, ut Augustinus dicit, sed secundum aliquid
extra ipsum existens, quod ad ipsum accidentaliter comparatur. Non enim esse
Dei a creatura dependet, sicut nec esse aedificatoris a domo. Unde sicut
accidit aedificatori quod domus sit, ita Deo quod creatura. Omne enim dicimus
per accidens se habere ad aliquid, sine quo illud esse potest.
# 6. Si on
commence à parler des relations de ce genre avec Dieu à cause du changement
opéré dans la créature, il est clair que la cause pour laquelle on n'en parle
pas en Dieu vient du côté de la créature et on en parle pour Dieu par accident.
Ce n'est pas un accident qui serait en Dieu, comme le dit Augustin, mais qui
existe selon la relation hors de lui; parce qu'il lui est accouplé
accidentellement. Car l’être de Dieu ne dépend pas de la créature, comme celui
du bâtisseur ne dépend pas de la maison non plus. C'est pourquoi c'est comme un
accident pour lui que la maison existe, de même pour Dieu que la créature
existe. Car nous appelons accidentel tout ce qui se comporte vis-à-vis de ce
sans quoi il ne pourrait être autre.
1 Ia, qu. 28, a. 1 ad 3 — I Sent. d14q1a1 — CG II,
11.
2
"On appelle relatives ces choses dont tout l'être consiste en ce qu'elles
sont dites dépendre d'autres choses, ou se rapporter de quelque autre façon à
autre chose.(Catégories, 7, 6a 36) —
7 b 15: "Il semble bien qu'entre les relatifs il y ait simultanéité
naturelle" Mais il ajoute plus loin (7 b 23):"Cependant il n'est pas
vrai, semble-t-il bien, que dans tous les cas, les relatifs soient
naturellement simultanés"
3
"Créateur dit relation à la créature."
4
On retrouve la même chose en Pot. 7,
2, c (§2).
5
Thomas distingue l'aspect accident, la relation est dans le substrat et
l'aspect relation ou ordre: elle est pour un autre en tant que passant en lui. Pot. qu.7, a. 9, ad 7.
6
Ce n’est un hasard si Thomas cite les disciples de Gilbert de la Porrée, après
Boèce. Ce dernier avait dit: "Quand on dit Dieu, le Père, Dieu, le Fils,
Dieu, l’Esprit saint, la répétition semble plus qu’une énumération." Gilbert,
évêque de POITIERS (vers 1076 -? 1154) l’interpétait comme une répétition. Il
admettait une distinction réelle entre la divinité et les relations
constitutives des trois personnes en Dieu: "Les trois personnes sont
éternelle, les relations, propriétés, singularités ou unités, etc. qui sont en
Dieu, ne sont pas éternelles et ne sont pas Dieu" (texte condamné).
Gilbert fut attaqué au concile de Reims qui se réunit en présence du pape
Eugène, le 21 mars 1148. Gilbert obtint, grâce à un plaidoirie habile, que le
pape ne condamne pas les chapitres qu’il avait écrit comme hérétiques. Saint
Bernard attaque dans son œuvre Sur le
Cantique (80, 6), non Gilbert lui-même, mais ceux qui lisent ou répandent
l’ouvrage incriminé.
7
7. Cf. Ia, qu. 28, a. 2, c "[Gilbert]
a dit que les relations en Dieu sont"assistantes", c'est-à-dire
accolées au dehors. (extrinsèques
affixae." ] Cf. Pot. 7, 9,
ad 7.
8
8. Le fait que l'agent agisse n'amène pas composition d'un agent et d'une
action.
9
225 b 10: "Pas de mouvement pour la relation…226 a 23: "Puisqu'il n'y
a pas de mouvement, ni de la substance, ni du relatif, ni de l'action et
passion, reste qu'il y a seulement mouvement selon la qualité, la quantité et
le lieu; car dans chacune de ces catégories, il y a contrariété." (Trad.
H. CARTERON)
10
Cf. BOÈCE, Trin. V, si on supprime,
dit-il en substance, le terme "esclave" dans la relation maître
esclave, on supprime le terme "maître", mais si on supprime le terme
"blanc" on ne supprime pas ce qui est blanc.
11
Thomas démontre ainsi l’assertion (n° 331): "Toutes les puissances
infinies dépendent d’un premier infini qui est la Puissance des puissances. Il
faut donc que plus cette puissance a été proche de cette première puissance,
plus elle participe à son infinité, mais cette puissance première est unique
par essence. Il faut donc que, plus une chose est unique, plus infinie soit sa
puissance. Et de là vient que la puissance de l’intelligence qui est première
parmi les puissances causées infinies, est tout à fait infinie en tant que plus
proche de l’UN premier. Mais du fait que les puissances qui sont multipliées
soient défaillantes par rapport à l’unité, leur pouvoir en est limité."
12
A comprendre comme cause et effet.
13
En Ia, qu. 13, a 7, ad 6, il dit plus
clairement que si l’une des deux inclut l’autre et réciproquement, alors elles
sont simultanées. Si l’une inclut, sans que ce soit réciproque, alors il n’y a
pas simultanéité.
q. 7 a. 9 tit.
1 Nono quaeritur utrum huiusmodi relationes, quae sunt inter creaturas et Deum,
sint realiter in ipsis creaturis. Et videtur quod non.
Il semble que non1.
Objections:
q. 7 a. 9 arg. 1 Aliquae enim relationes inveniuntur in quibus
ex nulla parte relatio aliquid realiter ponit, sicut Avicenna dicit de
relatione quae est inter ens et non ens. Sed nulla extrema relationis magis ad
invicem distant quam Deus et creatura. Ergo ista relatio non ponit aliquid
realiter ex parte neutra.
1. Car on trouve des relations dans lesquelles la relation n’établit
rien de reel d’aucun côté., comme Avicenne le dit (Métaphysique, IV, ch.
102 ) de la relation entre l’étant et
le non étant. Mais aucune des extrémités réciproques de la relation n’est plus
distante que Dieu et la créature. Donc cette relation n’établit réellement rien
d'aucun côté.
q. 7 a. 9 arg. 2 Praeterea, omne illud negandum est ad quod
sequitur processus in infinitum. Sed si in creatura relatio ad Deum sit res
aliqua, erit procedere in infinitum: relatio enim illa aliquid creatum erit, si
est res quaedam; et ita erit alia relatio ipsius ad Deum pari ratione, et sic
in infinitum. Non ergo ponendum est quod in creatura ad Deum relatio sit res aliqua.
2. Il faut nier tout ce pour quoi découle une progression à l’infini.
Mais si dans la créature la relation à Dieu est une réalité, il faudra aller
jusqu'à l’infini: car cette relation sera quelque chose de créé, si elle est
réelle et ainsi ce sera une autre relation d'elle-même à Dieu à raison égale,
et ainsi à l’infini. Il ne faut donc pas penser que la relation à Dieu est
réelle dans la créature.
q. 7 a. 9 arg. 3 Praeterea, nihil refertur nisi ad determinatum
et unum; unde duplum non refertur ad quodlibet, sed ad dimidium, et pater ad
filium, et sic de aliis. Oportet ergo secundum differentiam eorum quae
referuntur, esse differentias eorum ad quae fit relatio. Sed Deus est unum ens
simpliciter. Ergo non potest ad ipsum fieri relatio omnium creaturarum, aliqua
relatione reali.
3. Rien n’est en rapport qu’avec quelque chose de déterminé et d’unique
(comme il est dit en Métaphysique,
IV, 15, 1020 b 32 ss.); ainsi le double ne se réfère pas à n’importe quoi, mais
à la moitié, le père au fils et ainsi de suite. Donc il faut donc que selon la
différence de ce qui se réfère, il y ait les différences de ce pour quoi se
fait la relation. Mais Dieu est un être absolument un. Donc la relation de
toutes les créatures ne peut pas être établie pour lui par une relation réelle.
q. 7 a. 9 arg. 4 Praeterea, secundum hoc, creatura refertur ad
Deum secundum quod ab ipso procedit. Sed creatura procedit a Deo secundum ipsam
substantiam. Ergo secundum suam substantiam refertur ad Deum, et non secundum
aliquam relationem supervenientem.
4. La créature se réfère à Dieu selon qu'elle procède de lui. Mais la
créature procède de Dieu selon la substance même. Donc c'est par elle qu'elle
se réfère à Dieu et non par une relation ajoutée.
q. 7 a. 9 arg. 5 Praeterea, relatio est aliquid medium inter
extrema relationis. Sed nihil potest esse realiter medium inter Deum et
creaturam immediate a Deo creatam. Ergo relatio ad Deum non est aliqua res in
creatura.
5. La relation est quelque chose d'intermédiaire entre les extrêmes de
la relation. Mais rien ne peut être réellement intermédiaire entre Dieu et la
créature qu'il a créée sans intermédiaire. Donc la relation à Dieu n'est pas
une réalité dans la créature.
q. 7 a. 9 arg. 6 Praeterea, philosophus dicit, quod si omnia
apparentia essent vera, res sequeretur opinionem nostram et sensum. Sed constat quod omnes creaturae sequuntur
aestimationem, sive scientiam, sui creatoris. Ergo creaturae
omnes substantialiter referuntur ad Deum, et non per aliquam relationem
inhaerentem.
6. Le philosophe (Métaphysique
IV, 5, 1010 a 73) dit que, si tout ce
qui apparaît était vrai, la réalité découlerait de notre opinion et nos sens.
Mais il est clair que toutes les créatures découlent de l'évaluation ou de la
science de leur créateur. Donc toutes se réfèrent substantiellement à Dieu et
non par une relation inhérente.
q. 7 a. 9 arg. 7 Praeterea, inter quae est maior distantia,
minus videtur esse relatio. Sed est maior
distantia creaturae ad Deum quam unius creaturae ad aliam. Non est autem
relatio creaturae ad creaturam res aliqua, ut videtur, nam cum non sit
substantia, oportet quod sit accidens; et ita, quod subiecto insit, et quod ab
eo removeri non possit sine mutatione subiecti: cuius contrarium supra de
relatione est dictum. Ergo nec relatio creaturae ad Deum est res aliqua.
7. La relation paraît plus petite entre ce en quoi la distance est plus
grande. Mais la distance de la créature à Dieu est plus grande que celle d'une
créature à une autre. Et la relation d'une créature à une autre n'est pas
réelle, à ce qu'il semble, car, comme la relation n'est pas substance, il faut
qu'elle soit accident; et ainsi, qu'elle soit dans un substrat, et qu'elle ne
puisse en être exclue sans changement de substrat; on a dit ci-dessus le contraire
pour la relation. Donc celle de la créature à Dieu n'est pas réelle.
q. 7 a. 9 arg. 8 Praeterea, sicut ens creatum distat a non ente
in infinitum, ita etiam a Deo in infinitum distat. Sed inter ens creatum et non
ens purum, non est aliqua relatio, ut Avicenna dicit. Ergo nec inter ens
creatum et ens increatum.
8. L'étant créé est éloigné du non étant à l'infini, de même il est
éloigné de Dieu à l'infini. Mais entre l'étant créé et le pur néant, il n'y a
aucune relation, comme Avicenne le dit (Métaphysique,
IV, 11). Donc ni entre l'étant créé, et l'étant incréé.
En sens contraire:
q. 7 a. 9 s. c. 1 Sed contra. Est quod Augustinus dicit: quod
temporaliter dici incipit Deus quod antea non dicebatur, manifestum est
relative dici, non tamen secundum accidens Dei, quod ei aliquid acciderit; sed
plane secundum accidens eius ad quod Deus incipit dici relative. Sed accidens
res aliqua in subiecto est. Ergo relatio ad Deum est res aliqua in creatura.
1. Augustin dit (La Trinité, V,
164) "Le fait qu'on commence à dire de Dieu temporairement ce qu'on ne disait
pas auparavant manifeste qu'on parle de relation", non cependant selon
un accident en Dieu, parce que quelque chose lui serait arrivé, mais
absolument, selon l'accident de ce en quoi Dieu commence à être appelé de façon
relative. Mais l'accident est une réalité dans le sujet. Donc la relation à
Dieu est quelque chose dans la créature.
q. 7 a. 9 s. c. 2 Praeterea, omne quod refertur ad
aliquid per sui mutationem realiter refertur ad ipsum. Sed creatura refertur ad
Deum per sui mutationem. Ergo realiter refertur ad Deum.
2. Tout ce qui se rapporte à quelque chose par son changement se réfère
réellement à lui-même. Mais la créature se réfère à Dieu par son changement.
Donc elle se réfère réellement à lui.
Réponse:
q. 7 a. 9 co. Respondeo. Dicendum quod relatio ad Deum est
aliqua res in creatura. Ad cuius evidentiam sciendum est, quod sicut dicit
Commentator in XI Metaph., quia relatio est debilioris esse inter omnia
praedicamenta, ideo putaverunt quidam eam esse ex secundis intellectibus. Prima
enim intellecta sunt res extra animam, in quae primo intellectus intelligenda
fertur. Secunda autem intellecta dicuntur intentiones consequentes modum
intelligendi: hoc enim secundo intellectus intelligit in quantum reflectitur
supra se ipsum, intelligens se intelligere et modum quo intelligit.
Il faut dire que la relation à Dieu est une réalité dans la créature.
Pour éclaircir cette question, il faut savoir que, comme le dit le Commentateur
en Métaphysique, XI, (texte 19), parce que la relation est
d’un être plus faible parmi toutes les catégories, certains5 ont pensé qu’elle venait des intellections
secondes6. Car ce qui est compris en
premier, c'est ce qui est hors de l’âme7
que l'intellect est d'abord porté à saisir. Mais on appelle ce qui est compris
en second les concepts qui découlent du mode d'intellection; car cela l’esprit
le comprend en second dans la mesure où il réfléchit en comprenant qu'il se
comprend et le mode par lequel il comprend.
Secundum ergo hanc positionem sequeretur quod relatio non
sit in rebus extra animam, sed in solo intellectu, sicut intentio generis et
speciei, et secundarum substantiarum.
Il découlerait de cette opinion que la relation ne serait pas dans la
réalité [qui est] hors de l'âme, mais dans l'esprit seulement, comme le concept
de genre, d’espèce et de substances secondes.
Hoc autem esse non potest. In nullo enim praedicamento ponitur
aliquid nisi res extra animam existens. Nam ens rationis dividitur contra ens
divisum per decem praedicamenta ut patet V
Metaph. Si autem relatio non esset in rebus extra animam non poneretur ad
aliquid unum genus praedicamenti. Et praeterea perfectio et bonum quae sunt in
rebus extra animam, non solum attenditur secundum aliquid absolute inhaerens
rebus, sed etiam secundum ordinem unius rei ad aliam, sicut etiam in ordine
partium exercitus, bonum exercitus consistit: huic enim ordini comparat
philosophus ordinem universi.
Mais cela n'est pas possible. Car, on ne place en aucune catégorie ce qui
existe hors de l'âme. Car l'étant de raison est séparé de l'étant qui se divise
en dix catégories, comme cela apparaît en Métaphysique
(V, 7, 1017 a 238). Mais, si la
relation n'était pas dans la réalité hors de l'âme, on ne la placerait pas
comme un genre de catégorie. Et en outre, la perfection et le bien qui sont
dans la réalité hors de l'âme, non seulement sont atteints selon une relation
absolument inhérente aux choses, mais selon un rapport de l'un à l'autre, de
même le bien de l'armée consiste dans l'ordre de ses parties: car c'est à lui
que le philosophe compare l'ordre de l'univers. (Métaphysique XII, 1075 a 11).
Oportet ergo in ipsis rebus ordinem quemdam esse; hic autem
ordo relatio quaedam est. Unde oportet in rebus ipsis relationes quasdam
esse, secundum quas unum ad alterum ordinatur. Ordinatur autem una res ad aliam vel
secundum quantitatem, vel secundum virtutem activam seu passivam. Ex his enim
solum duobus attenditur aliquid in uno, respectu extrinseci. Mensuratur enim
aliquid non solum a quantitate intrinseca, sed etiam ab extrinseca. Per
virtutem etiam activam unumquodque agit in alterum et per passivam patitur ab
altero; per substantiam autem et qualitatem ordinatur aliquid ad seipsum
tantum, non ad alterum, nisi per accidens; scilicet secundum quod qualitas,-
vel forma substantialis aut materia,- habet rationem virtutis activae vel passivae,
et secundum quod in eis consideratur aliqua ratio quantitatis, prout unum in
substantia facit idem, et unum in qualitate simile, et numerus, sive multitudo,
dissimile et diversum in eisdem, et dissimile secundum quod aliquid magis vel
minus altero consideratur: sic enim albius aliquid altero dicitur. Et propter hoc philosophus in V Metaph. species assignans relationis,
quasdam ponit ex quantitate causatas, quasdam vero ex actione et passione.
Il faut donc qu’il y ait un rapport dans les choses mêmes, et ce
rapport est une relation. C'est pourquoi, il faut qu’il y ait des relations
dans les choses, selon lesquelles l’une est ordonnée à l’autre. Mais une chose
est ordonnée à une autre, selon la quantité ou selon la puissance active ou
passive9. Car c'est seulement par ces
deux relations qu'une chose est atteinte dans une autre par un rapport
extérieur. Car une chose est mesurée non seulement par une quantité intérieure
mais aussi extérieure. Mais par la puissance active chacun agit sur l’autre et
par la puissance passive supporte de l'autre. Par sa substance et sa qualité
une chose est ordonnée à elle-même seulement, non à une autre, sinon par
accident, c’est-à-dire selon que la qualité — ou la forme substantielle ou la matière
— a raison de puissance active ou passive, et selon qu'on considère une notion
de quantité en elles, selon que l’un fait le même dans la substance, et l'autre
du semblable dans la qualité et le nombre ou la pluralité, du différent et du
divers dans les mêmes, et dissemblable selon que quelque chose est considéré en
plus ou en moins dans l’autre; en effet on dit ainsi qu'une chose est plus
blanche qu’une autre. Et c’est pour cela que le Philosophe (Métaphysique V, 1021 a 15 ss.) en
attribuant l’espèce de relation pense que quelques-unes sont causées par la
quantité, mais quelques autres par l’action et la passion.
Sic ergo oportet quod res habentes ordinem ad aliquid,
realiter referantur ad ipsum, et quod in eis aliqua res sit relatio. Omnes
autem creaturae ordinantur ad Deum et sicut ad principium et sicut ad finem,
nam ordo qui est partium universi ad invicem, est per ordinem qui est totius
universi ad Deum; sicut ordo qui est inter partes exercitus, est propter
ordinem exercitus ad ducem, ut patet XII Metaph. Unde oportet quod
creaturae realiter referantur ad Deum, et quod ipsa relatio sit res quaedam in
creatura.
Ainsi donc il faut que ce qui a un rapport à une chose,
se réfère réellement à elle et qu'en elle quelque chose soit la relation. Mais
toutes les créatures sont ordonnées à Dieu comme à leur principe et à leur fin;
car l’ordre qui concerne ces parties de l’univers entre elles, dépend de celui
de tout l’univers à Dieu, comme l’ordre qui est entre les parties de l’armée
est en raison de l’ordre de l’armée au général, comme on le voit en Métaphysique (XII, 10, 1075 a 12). C'est
pourquoi il faut que les créatures se réfèrent réellement à Dieu et que cette
relation soit une réalité dans la créature.
Solutions:
q. 7 a. 9 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod hoc quod aliqua
relatio est inter creaturas ad invicem quae in neutro extremorum aliquid ponat,
non est propter creaturarum distantiam, sed propter hoc quod aliqua relatio non
attenditur secundum ordinem aliquem qui sit in rebus, sed secundum ordinem qui
est in intellectu tantum; quod non potest dici de ordine creaturarum ad Deum.
# 1. S'il existe une relation des créatures entre elles, qui ne place
rien dans aucun des deux extrêmes, ce n'est pas en raison de la distance des
créatures, mais parce qu'une relation n'est pas atteinte selon un ordre qui
serait dans la réalité, mais dans l'esprit seulement; ce qu'on ne peut pas dire
du rapport des créatures à Dieu.
q. 7 a. 9 ad 2 Ad secundum dicendum, quod relationes
ipsae non referuntur ad aliud per aliam relationem sed per se ipsas, quia
essentialiter relationes sunt. Non autem est simile de his quae habent
substantiam absolutam; unde non sequitur processus in infinitum.
# 2. Les relations elles-mêmes ne se réfèrent pas à autre chose par une
autre relation mais par elles-mêmes, parce qu'elles sont essentiellement
relations. Mais ce n'est pas pareil pour ce qui a une substance absolue; c'est
pourquoi le processus ne va pas à l'infini.
q. 7 a. 9 ad 3 Ad tertium dicendum, quod philosophus
ibidem concludit, quod si omnia referantur ad optimum, oportet infinitum specie
esse optimum. Et sic ad id quod est infinitum specie, nihil prohibet
infinita referri. Tale autem est Deus, cum perfectio suae substantiae ad nullum
genus determinetur, ut supra habitum est. Et propter hoc nihil prohibet
infinitas creaturas ad Deum referri.
# 3. Le philosophe conclut là même (Métaphysique,
IV, 15, 1020 b 32 ss.) que si tout est référé au meilleur, il faut que l'infini
en espèce soit le meilleur. Et ainsi pour ce qui est de l'infini en espèce,
rien n'empêche ce qui est infini de s'y référer. Mais tel est Dieu, puisque la
perfection de sa substance n'est déterminée à aucun genre, comme on l'a vu plus
haut. Et à cause de cela rien n'empêche des créatures infinies de se référer à
Dieu.
q. 7 a. 9 ad 4 Ad quartum dicendum, quod creatura refertur ad
Deum secundum suam substantiam, sicut secundum causam relationis; secundum vero
relationem ipsam formaliter; sicut aliquid dicitur simile secundum qualitatem
causaliter, secundum similitudinem formaliter: ex hoc enim creatura similis
denominatur.
# 4. La créature se réfère à Dieu selon sa substance, de même que selon
la cause de la relation, mais formellement selon la relation même; de même on
dit que quelque chose est semblable selon la cause, quand à la qualité et
formellement quant à la ressemblance, car c'est à cause de cela que l'on
définit la créature comme semblable.
q. 7 a. 9 ad 5 Ad quintum dicendum, quod cum dicitur creatura
immediate a Deo procedere, excluditur causa media creans, non tamen excluditur
mediata realis habitudo, quae naturaliter sequitur ad productionem creaturae;
sicut aequalitas sequitur productionem quantitatis indeterminate, ita habitudo
realis naturaliter sequitur ad productionem substantiae creatae.
# 5. Quand on dit que la créature procède de Dieu sans intermédiaire,
on exclut la cause créatrice intermédiaire, cependant on n'exclut pas la
relation réelle intermédiaire, qui naturellement se rattache à la production de
la créature; de même que l'égalité découle de façon indéterminée du changement
de la quantité; de même la relation réelle découle naturellement pour la
production de la substance créée.
q. 7 a. 9 ad 6 Ad sextum dicendum, quod creaturae sequuntur Dei
scientiam sicut effectus causam, non sicut propriam rationem essendi, ut sic
nihil aliud sit creaturam esse quam a Deo sciri. Hoc autem modo ponebant,
dicentes omnia apparentia esse vera, et rem sequi opinionem et sensum, ut
scilicet unicuique hoc esset esse quod ab alio sentiri vel opinari.
# 6. Les créatures découlent de la science de Dieu10, comme l'effet de sa cause, non comme
propre raison d'être, de sorte qu'ainsi être créature n'est rien d'autre que
d'être connu par Dieu. C'est ainsi qu'ils11
le pensaient, disant que tout ce qui est apparence est vrai et que
l'opinion et les sens suivent la réalité, de sorte que pour cet être serait ce
qui est senti et pensé par un autre.
q. 7 a. 9 ad 7 Ad septimum dicendum, quod ipsa relatio quae
nihil est aliud quam ordo unius creaturae ad aliam, aliud habet in quantum est
accidens et aliud in quantum est relatio vel ordo. In quantum enim accidens
est, habet quod sit in subiecto, non autem in quantum est relatio vel ordo; sed
solum quod ad aliud sit quasi in aliud transiens, et quodammodo rei relatae
assistens. Et ita relatio est aliquid inhaerens, licet non ex hoc ipso quod est
relatio; sicut et actio ex hoc quod est actio, consideratur ut ab agente; in
quantum vero est accidens, consideratur ut in subiecto agente. Et ideo nihil
prohibet quod esse desinat huiusmodi accidens sine mutatione eius in quo est,
quia sua ratio non perficitur prout est in ipso subiecto, sed prout transit in
aliud; quo sublato, ratio huius accidentis tollitur quidem quantum ad actum,
sed manet quantum ad causam; sicut et subtracta materia, tollitur calefactio,
licet maneat calefactionis causa.
# 7. La relation elle-même, qui n'est rien d'autre que le rapport d'une
créature à une autre, a quelque chose de différent en tant qu'accident et en
tant que relation ou rapport. Car en tant qu'elle est accident, elle est dans
un substrat, mais pas en tant que relation ou ordre, mais elle est seulement
relation pour un autre en tant que passant en lui, et d'une certaine manière
assistante pour ce qui est12. Et de
même cette relation est quelque chose d'inhérent, bien que ce ne soit pas du
fait qu'elle est relation: et de même l'action, en tant que telle, est
considérée comme venant d'un agent, mais en tant qu'accident, elle est
considérée comme dans le substrat agent. Et ainsi rien n'empêche qu'elle cesse
d'être un accident de ce genre sans changement de ce en quoi elle est, parce
que sa nature n'est pas achevée du fait qu'elle est dans le sujet même, mais du
fait qu'elle passe dans un autre; si on l'exclut, la nature de cet accident est
enlevé, quant à l'acte mais elle demeure quant à la cause, comme une fois la
matière soustraite, le réchauffement est enlevé, bien que sa cause demeure.
q. 7 a. 9 ad 8 Ad octavum dicendum, quod ens creatum non habet
ordinem ad non ens, habet autem ordinem ad ens increatum; et ideo non est
simile.
# 8. L'étant créé n'a pas de relation au non étant, mais il en a une à
l'étant incréé, et ainsi ce n'est pas pareil.
1 Parall: Ia, qu. 13, 7 - Ia, qu. 34, a. 3, ad 2 — qu. 6 a. 2 ad 1— qu. 28 a.1 ad 3; a.4, c
— qu. 45, a.3, ad 1 — IIIa , 2, 7 c — I
Sent. d30a1 — d37q2a3 — De Verit.
q. 4, a.5 — Pot. q. 3, a. 3.
2 . Cf. Pot. 3, 4 Non entis enim ad ens…Pot. 3,
1 ad 7. Boèce –
3
Thomas, lectio 12, n° 683.
4
p. 466 là où il y a (924), cité mot à mot. Trad. BA.
5
Peut-être Avicebron (La source vie) "ce
que l'intelligence distingue doit être également distingué dans la réalité."
Ia, qu. 50, a. 2, c.
6
Sur le fonctionnement de l'intellect et les intellection première et seconde,
voir qu. 1, a. 1, sol. 10.et 8, 1, obj. 2, avec même référence."On appelle
substances secondes les espèces dans lesquelles les substances prises au sens
premier sont contenues, et aux espèces, il faut ajouter les genres de ces
espèces." (Catégories, 5, 20, 14).
7
Cette expression, reprise plusieurs fois, semble une insistance: l'intellection
première, la relation sont des réalités. Ce n'est pas ce que l'agent conçoit.
8
"L'être par essence reçoit toutes les acceptions qui sont indiquées par
les types de catégories, car les sens de l'être sont en nombre égal à ces
catégories."
9
Quantité, fondement de la relation égalité, inégalité. L'action et la passion,
fondements de la relation de cause. Aristote, Métaphysique , V, 15, 1021 a 15. La relation de l'actif au passif
est relation de la puissance active à la puissance passive et des actes de ces
puissances.
10
Cf. Ia, qu. 14, a. 8.
11
C'est-à-dire les philosophes. Cf. l'objection. .
12
Cf. Pot. 7, 8, c note C'est l'opinion
de Gilbert de la Porrée.
q. 7 a. 10 tit. 1 Decimo quaeritur utrum Deus
realiter referatur ad creaturam, ita quod ipsa relatio sit res aliqua in Deo.
Et videtur quod sic.
Il semble que oui1.
Objections:
q. 7 a. 10 arg. 1 Movens enim realiter refertur ad motum; unde
philosophus, V Metaph., ponit relationem moventis et moti ut species
praedicamenti relationis. Sed Deus
comparatur ad creaturam ut movens ad motum. Ergo refertur realiter ad
creaturam.
1. Car le moteur est réellement en relation avec le mû; c'est pourquoi
le philosophe (Physique, V, 2, 225 b 10) place la relation du moteur et du mû
comme une espèce de catégorie de relation. Mais Dieu est comparé2 à la créature comme le moteur au mû. Donc il
se réfère réellement à la créature.
q. 7 a. 10 arg. 2 Sed diceretur, quod movet creaturas sine sui
mutatione; et ideo non realiter refertur ad rem motam.- Sed contra, unum,
relative oppositorum, non est causa quod alterum dicatur de eodem: non enim
propter hoc aliquid est duplum, quia est dimidium; nec ideo Deus est pater,
quia est filius. Si ergo movens et motum relative dicuntur, non ideo relatio
moventis est in aliquo, quia est in eo relatio moti. Quod ergo Deus non movetur
non impedit quin realiter referatur ut movens ad motum.
2. Mais on pourrait dire
qu'il meut les créatures sans changement pour lui et c'est pourquoi il ne se
réfère pas réellement à ce qui est mû.— En
sens contraire, l'un, relativement aux opposés, n'est pas une raison pour
parler d'une même chose à propos d'un autre. Car une chose n'est pas double,
parce qu'elle est moitié; et ainsi Dieu n'est pas Père, parce qu'il y a le
Fils. Si donc on parle relativement du moteur et du mû, ce n'est pas parce que
la relation du moteur est dans une chose, parce qu’il y a en lui une relation
de mû. Donc que Dieu ne soit pas mû, n'empêche pas qu'il soit réellement en
relation comme le moteur à ce qui est mû.
q. 7 a. 10 arg. 3 Praeterea, sicut pater dat esse filio,
ita creator dat esse creaturae. Sed pater realiter refertur ad filium. Ergo et
creator ad creaturam.
3. De même que le Père donne l'être au Fils, le Créateur donne l'être à
la créature. Mais le Père se réfère réellement aux Fils. Donc le Créateur à la
créature aussi.
q. 7 a. 10 arg. 4 Praeterea, ea quae proprie dicuntur de Deo et
non metaphorice, rem significatam ponunt in Deo. Sed inter ista nomina
commemorat Dionysius hoc nomen dominus. Ergo res significata per hoc nomen
dominus, realiter est in Deo. Haec autem est relatio ad creaturam. Ergo, et
cetera.
4. Ce qui est dit proprement de Dieu, sans métaphore, place ce qui est
signifié en Dieu. Mais Denys rappelle, parmi ces noms, celui de Seigneur (Les Noms divins, 1). Donc ce qui est signifié par ce nom Seigneur est réellement en Dieu. Mais
c'est une relation à la créature. Donc, etc.
q. 7 a. 10 arg. 5 Praeterea, scientia realiter refertur ad
scibile, ut patet V Metaph. Sed Deus
comparatur ad res creatas ut sciens ad scitum. Ergo in Deo est
aliqua relatio ad creaturam.
5. La connaissance se réfère réellement au connaissable, comme on le
voit en Métaphysique (V, 15, 1021 a
26-313). Mais Dieu est comparé aux
créatures comme celui qui connaît au connu. Donc en Dieu il y a une relation à
la créature.
q. 7 a. 10 arg. 6 Praeterea, illud quod movetur, semper
habet realem relationem ad movens. Sed voluntas comparatur ad volitum ut ad
movens motum: nam appetibile est movens non motum; appetitus, movens motum, ut
dicitur XII Metaph. Cum ergo Deus velit res esse, videtur quod realiter
referatur ad creaturam.
6. Ce qui est mû a toujours une relation réelle avec le moteur. Mais la
volonté est comparée à ce qui est voulu, comme le mû au moteur; car l'appétible
est moteur non mû, l'appétit un moteur mû, comme il est dit en Métaphysique, ( XII, 7, 1072 a 26). Donc
comme Dieu veut que les choses existent (Car
"tout ce qu'il a voulu, il l'a fait." Ps. 113, 314), il semble qu'il est réellement en relation
avec les créatures.
q. 7 a. 10 arg. 7 Praeterea, si Deus ad creaturas non
referatur, non videtur esse alia ratio, nisi quia a creaturis non dependet, et
quia creaturas excedit. Sed similiter corpora caelestia a corporibus elementaribus
non dependent, et ea quasi improportionaliter excedunt. Ergo secundum hoc
sequeretur quod nulla esset realis relatio corporum superiorum ad inferiora.
7. Si Dieu ne se réfère pas aux créatures, il n'y a pas d'autre raison,
semble-t-il, sinon qu'il ne dépend pas des créatures, et qu'il les surpasse.
Mais de la même manière les corps célestes ne dépendent pas des corps
élémentaires et les surpassent pour ainsi dire sans aucune proportion. Donc il
en découlerait qu'il n'y aurait aucune relation réelle des corps supérieurs aux
corps inférieurs.
q. 7 a. 10 arg. 8
Praeterea, omnis denominatio est a forma. Forma autem est
aliquid inhaerens ei cuius est. Cum ergo Deus
nominetur a relationibus ad creaturam, videtur quod ipsae relationes aliquid
sint in Deo.
8. Toute dénomination vient de la forme. Mais elle est quelque chose
d'inhérent à ce dont elle est. Donc comme Dieu est nommé par les relations aux
créatures, il semble que celles-ci soient réelles en Dieu.
q. 7 a. 10 arg. 9 Praeterea, proportio, quaedam relatio realis
est, sicut duplum ad dimidium; sed aliqua proportio videtur esse Dei ad
creaturam, cum inter movens et motum oporteat esse proportionem. Ergo videtur
quod Deus ad creaturam realiter referatur.
9. La proportion est une relation réelle, comme le double à la moitié;
mais il semble qu'il y ait une proportion de Dieu à la créature, puisque, entre
le moteur et le mû, il faut qu'il y ait une proportion. Donc il semble que Dieu
se réfère réellement à la créature.
q. 7 a. 10 arg. 10 Praeterea, cum intellectus sit rerum
similitudines, et voces sint signa rerum, ut dicit philosophus, aliter
ordinantur ista apud discipulum, et aliter apud doctorem. Doctor enim incipit a
rebus in quibus scientiam accipit in suo intellectu, cuius conceptiones voces
signant; discipulus autem incipit a vocibus per quas in conceptiones
intellectus magistri pervenit; et ab eis in rerum cognitionem. Oportet autem
quod huiusmodi quae de relationibus praedictis dicuntur, ab aliquo doctore sint
prius accepta. Ergo apud eum huiusmodi nomina relativa consequuntur
conceptiones intellectus sui, quae consequuntur rem; et ita videtur quod
huiusmodi relationes sint reales.
10. Comme l'esprit est l'image des choses et les mots en sont les
signes, comme le dit le philosophe (De
l'Interprétation, I, 16 a 3-5), ils sont dans un ordre différent dans le
disciple et le maître. Car celui-ci part de la réalité d'où il reçoit la
connaissance dans son esprit, dont les conceptions définissent les mots, mais
le disciple commence par les mots par lesquelles il parvient aux concepts de
l'esprit du maître et d'elles à la connaissance de la réalité. Mais il faut que
ce qui est dit de tel pour ces relations soit d'abord reçu par le maître. Donc
chez lui de tels noms relatifs découlent des conceptions de son esprit qui
découlent de la réalité et ainsi il semble que de telles relations sont
réelles.
q. 7 a. 10 arg. 11 Praeterea, huiusmodi relativa quae de Deo
dicuntur ex tempore, aut sunt relativa secundum esse, aut secundum dici. Si sunt relativa secundum dici, in neutro extremorum aliquid ponunt
realiter. Hoc autem est falsum, secundum praedicta: nam in creatura relata ad
Deum realiter existunt. Relinquitur ergo quod sunt relativa secundum esse; et
ita videtur quod in utroque extremorum aliquid ponant realiter.
11. De tels relatifs signifiés temporellement pour Dieu, sont des
relatifs quant à l'être, ou en parole5.
Si elles sont transcendantales, elles ne placent réellement rien dans aucune
des extrémités. Mais cela est faux d'après ce qui a été dit: car, dans les
créatures, les relations à Dieu existent réellement. Il reste donc qu'elles
sont des relations prédicamentales et ainsi il semble qu'elles placent
réellement quelque chose à l'une et à l'autre des extrémités.
q. 7 a. 10 arg. 12
Praeterea, haec est natura relativorum, quod posito uno ponitur aliud, et uno
interempto aliud interimitur. Si igitur in
creatura est aliqua realis relatio, oportet quod in Deo relatio ad creaturam
sit realis.
12. Il est de la nature des relatifs que, si on en place un, on place
l'autre et si on enlève l'un, on enlève l'autre aussi. Si donc dans la créature
il y a une relation réelle, il faut qu'en Dieu la relation à la créature soit
réelle.
En sens contraire:
q. 7 a. 10 s. c. 1 Sed contra. Est quod Augustinus dicit, V de
Trin.: manifestum est Deum relative dici secundum accidens eius ad quod dici
Deus aliquid incipit relative. Ergo videtur quod istae relationes dicantur de
Deo, non secundum aliquid quod in ipso sit, sed secundum aliquid quod extra ipsum
est; et ita nihil realiter in ipso ponunt.
1. Il y a ce que dit Augustin (La Trinité V, XVI, 17): "Il est clair qu'on parle relativemen de Dieu
t à la suite de l’accident pour lequel Dieu commence à être appelé d’un nom
relatif6". Donc il semble
qu'on parle de ces relations en Dieu, non selon ce qui est en lui, mais hors de
lui, et ainsi on ne place réellement rien en lui.
q. 7 a. 10 s. c. 2 Praeterea, sicut scibile est mensura
scientiae, ita Deus est mensura omnium rerum, ut Commentator dicit, X Metaph. Sed scibile non refertur ad scientiam per relationem
quae in ipso realiter sit, sed potius per relationem scientiae ad ipsum, ut
patet per philosophum, V Metaph. Ergo videtur quod nec Deus dicatur relative ad
creaturam propter aliquam relationem quae sit realiter in eo.
2. De même que le connaissable est la mesure de la connaissance, de
même Dieu est la mesure de toutes choses, comme le dit le Commentateur (Métaphysique, X). Mais le connaissable
ne se réfère pas à la connaissance par une relation qui est réellement en lui,
mais plutôt par une relation de la connaissance en lui, comme on le voit chez
le philosophe (Métaphysique, V, 15,
1021 a 287). Donc il semble qu'on ne
parle pas de Dieu relativement à la créature à cause d'une relation qui est
réellement en lui.
q. 7 a. 10 s. c. 3 Praeterea, Dionysius dicit: in causis et
causatis non recipimus conversionem similitudinis: nam effectus dicitur similis
causae, non autem e contrario. Eadem autem ratio videtur de relatione
similitudinis et de aliis relationibus. Ergo videtur quod nec quantum ad alias
relationes fiat conversio a Deo ad creaturam: ut quia creatura realiter
refertur ad Deum, Deus realiter referatur ad creaturam.
3. Denys dit (les Noms divins, IX
913D8): "Dans les causes et les effets, nous ne prenons pas en compte la
réciprocité de la ressemblance; car l'effet est dit semblable à la cause, mais
pas le contraire." C'est la même raison qui semble exister pour la
relation de ressemblance et les autres relations. Donc il semble que pour les
autres relations non plus, il n'y a pas retour de Dieu à la créature, de sorte
que, parce que la créature se réfère réellement à Dieu, Dieu se réfère
réellement à elle.
Réponse:
q. 7 a. 10 co. Respondeo. Dicendum quod relationes, quae
dicuntur de Deo ad creaturam, non sunt realiter in ipso. Ad cuius evidentiam
sciendum est, quod cum relatio realis consistat in ordine unius rei ad rem
aliam, ut dictum est; in illis tantum mutua realis relatio invenitur in quibus
ex utraque parte est eadem ratio ordinis unius ad alterum: quod quidem
invenitur in omnibus relationibus consequentibus quantitatem. Nam cum
quantitatis ratio sit ab omni sensibili abstracta, eiusdem rationis est
quantitas in omnibus naturalibus corporibus. Et pari ratione qua unum habentium
quantitatem realiter refertur ad alterum, et aliud ad ipsum.
Il faut dire que les relations de Dieu à la créature ne sont pas
réellement en lui. Pour éclaircir la question, il faut savoir que, comme la
relation réelle consiste dans le rapport d’une chose à une autre, comme on l’a
dit, on trouve seulement une relation mutuelle réelle dans celles où de chaque
côté il y a la même nature de rapport de l'une à l’autre: ce qu’on trouve dans
toutes les relations qui dépendent de la quantité. En effet, comme la nature de
la quantité est abstraite de ce qui est sensible, elle est de même nature dans
tous les corps naturels. Et à raison égale, c'est pourquoi l’un de ceux qui a
la quantité se réfère réellement à l’autre et l’autre à lui.
Habet autem una quantitas absolute considerata ad aliam
ordinem secundum rationem mensurae et mensurati, et secundum nomen totius et
partis, et aliorum huiusmodi quae quantitatem consequuntur. In relationibus
autem quae consequuntur actionem et passionem, sive virtutem activam et
passivam, non est semper motus ordo ex utraque parte. Oportet namque id quod
semper habet rationem patientis et moti, sive causati, ordinem habere ad agens
vel movens, cum semper effectus a causa perficiatur, et ab ea dependeat: unde
ordinatur ad ipsam sicut ad suum perfectivum.
Une quantité considérée dans l’absolu a un rapport à une autre en
raison de la mesure et du mesuré, et selon le nom du tout et de la partie et
d’autres choses de ce genre qui découlent de la quantité. Mais dans les
relations qui découlent de l’action et de la passion, soit de la puissance
active et passive, le mouvement n'est pas toujours le rapport de l'une à
l'autre. Car il faut que ce qui a toujours un rapport de patient, de mû, ou de
causé, ait rapport à l’agent ou au moteur, puisque toujours l’effet est achevé
par la cause, et en dépend. C'est pourquoi, il est en rapport avec elle comme à
ce qui le rend parfait.
Agentia autem, sive moventia, vel etiam causae, aliquando
habent ordinem ad patientia vel mota vel causata, in quantum scilicet in ipso
effectu vel passione vel motu inductis, attenditur quoddam bonum et perfectio
moventis vel agentis; sicut maxime patet in agentibus univocis quae per
actionem suae speciei similitudinem inducunt, et per consequens esse perpetuum
quod est possibile, conservant.
Les agents, les moteurs ou même les causes ont quelquefois rapport à ce
qui subit, est mû ou est causé, dans la mesure où une fois induits dans l'effet
lui-même, dans ce qui supporte ce qui est mû, sont atteintes une certain bien
et la perfection du moteur ou de l'agent, comme c'est tout à fait manifeste
dans les agents univoques qui par leur action induisent une ressemblance de
leur espèce, et par conséquent conservent l’être perpétuel qui est possible.
Patet hoc etiam idem in omnibus aliis quae mota movent vel
agunt vel causant; nam ex ipso suo motu ordinantur ad effectus producendos; et
similiter in omnibus in quibus quodcumque bonum causae provenit ex effectu.
Quaedam vero sunt ad quae quidem alia ordinantur, et non e converso, quia sunt
omnino extrinseca ab illo genere actionum vel virtutum quas consequitur talis
ordo; sicut patet quod scientia refertur ad scibile, quia sciens, per actum
intelligibilem, ordinem habet ad rem scitam quae est extra animam. Ipsa vero
res quae est extra animam, omnino non attingitur a tali actu, cum actus
intellectus non sit transiens in exteriorem materiam mutandam; unde et ipsa res
quae est extra animam, omnino est extra genus intelligibile. Et propter hoc
relatio quae consequitur actum intellectus, non potest esse in ea.
On voit la même chose dans tous les autres qui meuvent, agissent ou
causent; car par leur mouvement même ils sont ordonnés à produire des effets et
de la même manière dans tout en quoi tout bien provient de la cause par
l’effet. Mais il y en a certains à qui les autres sont ordonnés, et non le
contraire, parce qu'ils sont tout à fait en dehors de ce genre d’action ou de
pouvoir d'où découle un tel rapport; ainsi il est clair que la connaissance est
en rapport avec le connaissable, parce que celui qui connaît, par un acte
intelligible, a rapport à la chose connue qui est hors de l'âme. Mais ce qui
est hors de l'âme n'est absolument pas atteint par un tel acte, puisque l'acte
de l'esprit ne transite pas pour changer la matière extérieure, c'est pourquoi
ce qui est hors de l'âme est tout à fait hors du genre intelligible. Et pour
cela la relation qui suit l'acte de l'esprit ne peut être en elle.
Et similis ratio est de sensu et sensibili: licet enim
sensibile immutet organum sensus in sua actione, et propter hoc habeat
relationem ad ipsum,- sicut et alia agentia naturalia ad ea quae patiuntur ab
eis,- alteratio tamen organi non perficit sensum in actu, sed perficitur per
actum virtutis sensitivae: cuius sensibile quod est extra animam, omnino est
expers. Similiter homo comparatur ad columnam ut dexter, ratione virtutis
motivae quae est in homine, secundum quam competit ei dextrum et sinistrum,
ante et retro, sursum et deorsum. Et ideo huiusmodi relationes in homine vel
animali reales sunt, non autem in re quae tali virtute caret. Similiter nummus
est extra genus illius actionis per quam fit pretium; quae est conventio inter
aliquos homines facta: homo etiam est extra genus artificialium actionum, per
quas sibi imago constituitur.
C'est la même raison pour la sensation et le sensible. Car, bien que le
sensible modifie l'organe des sens dans son action, et à cause de cela, il a
une relation à lui-même.— comme les autres agents naturels à ce qui est
supporté par eux, — cependant la modification de l'organe n'atteint pas le sens
en acte, mais il l'achève par l'acte du pouvoir sensitif; dont le sensible hors
de l'âme, est tout à fait dépourvu. De même l'homme est comparé à la colonne,
comme à droite, parce qu'il peut se mouvoir, selon que lui conviennent la
droite et la gauche, l'avant et l'après, le dessus et le dessous. Et c'est
pourquoi les relations de ce genre dans l'homme ou l'animal sont réelles, mais
pas dans ce qui manque d'un tel pouvoir. De même la pièce de monnaie est hors
du genre de l'action par laquelle elle devient une valeur; celle-ci étant une
convention établie entre des hommes9;
l'homme aussi est hors du genre des actions artificielles, qui constitue une
image pour lui.
Et ideo nec homo
habet relationem realem ad suam imaginem, nec nummus ad pretium, sed e
contrario. Deus autem non agit per actionem mediam, quae intelligatur a Deo
procedens, et in creaturam terminata: sed sua actio est sua substantia, et
quidquid in ea est, est omnino extra genus esse creati, per quod creatura
refertur ad Deum. Nec iterum aliquod bonum accrescit creatori ex creaturae
productione, unde sua actio est maxime liberalis, ut Avicenna dicit. Patet
etiam quod non movetur ad hoc quod agat, sed absque omni sua mutatione
mutabilia facit.
Et c'est pourquoi l'homme n'a pas de relation réelle à son image, ni la
pièce de monnaie à sa valeur, mais c'est le contraire. Mais Dieu n'agit pas par
une action intermédiaire qui est comprise comme procédant de lui et terminée à
la créature; mais son action est sa substance et tout ce qui est en lui est
tout à fait en dehors du genre de l'être créé, par lequel la créature se réfère
à Dieu. Et en plus aucun bien ne s'ajoute au Créateur par la production de la
créature. C'est pourquoi son action est tout à fait libre, comme Avicenne le
dit (Métaphysique, VII, 7). Il est
clair aussi qu'il n'est pas poussé à agir mais il fait ce qui change sans aucun
changement de sa part.
Unde relinquitur
quod in eo non est aliqua relatio realis ad creaturam, licet sit relatio
creaturae ad ipsum, sicut effectus ad causam.
C'est pourquoi il reste qu'en lui il n'y a pas de relation réelle à
la créature, bien qu'elle existe de la créature à Dieu, comme l'effet à la
cause.
In hoc autem deficit multipliciter Rabbi, qui voluit probare
quod non esset relatio inter Deum et creaturam, quia cum Deus non sit corpus,
non habet relationem ad tempus nec ad locum. Consideravit enim solam relationem
quae consequitur quantitatem, non eam quae consequitur actionem et passionem.
Rabi Moyses10 se trompe en
cela de multiples façons, lui qui a voulu prouver qu'il n'y avait pas de
relation entre Dieu et la créature parce que, comme Dieu n'est pas un corps, il
n'a de relation ni avec le temps, ni avec le lieu. Car il a considéré la seule
relation qui découle de la quantité, non celle qui découle de l'action et la
passion.
Solutions:
q. 7 a. 10 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod movens et agens
naturale movet et agit actione vel motu medio, qui est inter movens et motum,
agens et passum. Unde oportet quod saltem in hoc medio conveniant agens et
patiens, movens et motum. Et sic agens, in quantum est agens, non est extraneum
a genere patientis in quantum est patiens. Unde utriusque est realis ordo unius
ad alterum, et praecipue cum ipsa actio media sit quaedam perfectio propria
agentis; et per consequens id ad quod terminatur actio, est bonum eius. Hoc
autem in Deo non contingit, ut dictum est; et ideo non est simile.
# 1. Le moteur et l'agent naturel meuvent et agissent par une action ou
par un mouvement intermédiaire, entre le moteur et le mû, l'agent et le
patient. C'est pourquoi il faut au moins que l'agent et le patient, le moteur
et le mû se rencontrent dans cet intermédiaire. Et ainsi, l'agent, en tant que
tel, n'est pas étranger au genre du patient en tant que tel. C'est pourquoi le
rapport de l'un à l'autre est réel et surtout puisque l'action intermédiaire
même est une perfection propre de l'agent; et par conséquent ce à quoi se
termine l'action est son bien. Mais cela n'arrive pas en Dieu, comme on l'a
dit, et c'est pourquoi ce n'est pas pareil.
q. 7 a. 10 ad 2 Ad secundum dicendum, quod hoc quod
movens movetur, non est causa quare relatio moventis in eo sit realiter, sed
signum quoddam. Ex hoc enim apparet quod aliquo modo coincidit in genus moti,
ex quo et ipsum movet motum; et iterum apparet quod ipsum ad quod movetur, sit
quoddam bonum eius, ex quo ad hoc per suum motum ordinatur.
# 2. Le fait que le moteur soit mû n'est pas la raison pour laquelle la
relation du moteur est réellement en lui, mais c'est un signe. Car il apparaît
de là que, d'une certaine manière, il tombe dans le genre du mû, par lequel
lui-même meut le mû, et à nouveau il apparaît que ce pourquoi il est mû, est
son bien par lequel il lui est ordonné par son mouvement.
q. 7 a. 10 ad 3 Ad tertium dicendum, quod pater dat esse filio
sui generis, cum sit agens univocum; non autem tale esse dat Deus creaturae; et
ideo non est simile.
# 3. Le père donne l'être à un fils de son genre, puisqu'il est agent
univoque; mais ce n'est pas un tel être que Dieu donne à la créature, et c'est
pourquoi ce n'est pas pareil.
q. 7 a. 10 ad 4 Ad quartum dicendum, quod hoc nomen, dominus,
tria in suo intellectu includit: scilicet, potentiam coercendi subditos, et
ordinem ad subditos qui consequitur talem potestatem, et terminationem ordinis
subditorum ad dominum; in uno enim relativo est intellectus alterius relativi.
Salvatur ergo huius significatio nominis in Deo quantum ad primum et tertium,
non autem quantum ad secundum. Unde Ambrosius dicit, quod hoc nomen, dominus,
nomen est potestatis; et Boetius dicit, quod dominium est potestas quaedam qua
servus coercetur.
# 4. Ce nom, Seigneur, inclut
trois sens en son concept, à savoir la puissance de contraindre ceux qui lui
sont soumis, le rapport à ceux qui sont soumis qui découle d'un tel pouvoir et
la limite du rapport de ceux qui sont soumis au Seigneur; car dans ce qui est
relatif, il y a le concept d'un autre relatif. Donc la signification de ce nom
est conservé en Dieu, quand au premier et au troisième sens, mais non quant au
second. C'est pourquoi, Ambroise dit (La
foi, I, 711) que ce nom, Seigneur, est celui de la puissance et
Boèce dit que la domination du Seigneur est un pouvoir auquel le serviteur est
soumis.
q. 7 a. 10 ad 5 Ad quintum dicendum, quod scientia Dei aliter
comparatur ad res quam scientia nostra; comparatur enim ad eas sicut et causa
et mensura. Tales enim res sunt secundum veritatem, quales Deus sua scientia
eas ordinavit. Ipsae autem res sunt causa et mensura scientiae nostrae. Unde
sicut et scientia nostra refertur ad res realiter, et non e contrario: ita res
referuntur realiter ad scientiam Dei, et non e contrario. Vel dicendum, quod
Deus intelligit res alias intelligendo se; unde relatio divinae scientiae non
est ad res directe, sed ad ipsam divinam essentiam.
# 5. La science de Dieu est dans un rapport aux choses différent de
celui de notre science; car elle est en rapport avec elles comme cause et
mesure. Car les choses sont en vérité telles que Dieu par sa science les a
ordonnées. Mais elles sont la cause et la mesure de notre science. C'est
pourquoi de même que notre science se réfère réellement à la réalité et non le
contraire, de même les choses se réfèrent réellement à la science de Dieu et
non le contraire. Ou bien, il faut
dire que Dieu comprend les autres choses en se comprenant lui-même, c'est
pourquoi la relation de la connaissance en Dieu à la réalité n'est pas directe
mais elle est relation à l'essence divine même.
q. 7 a. 10 ad 6 Ad sextum dicendum, quod appetibile quod movet
appetitum, est finis; ea vero quae sunt ad finem non movent appetitum nisi
ratione finis. Finis autem divinae voluntatis non est aliquid aliud quam divina
bonitas. Unde non sequitur quod res aliae comparentur ad divinam voluntatem
sicut movens ad motum.
# 6. L'appétible qui meut l'appétit est une fin. Ce qui concerne la fin
ne meut l'appétit qu'en raison de la fin. Mais la fin de la volonté divine
n'est pas quelque chose d'autre que sa bonté. C'est pourquoi il n'en découle
pas que les autres choses sont en rapport avec la volonté divine, comme le
moteur au mû.
q. 7 a. 10 ad 7 Ad septimum dicendum, quod corpora caelestia
referuntur realiter ad inferiora secundum relationes consequentes quantitatem,
propter hoc quod est eadem ratio quantitatis in utrisque; et iterum quantum ad
relationes consequentes virtutem activam et passivam, quia movent mota per
actionem mediam quae non est eorum substantia, cum aliquod bonum ipsorum
attendatur in hoc quod sunt inferiorum causa.
# 7. Les corps célestes sont réellement en rapport avec choses
inférieures selon des relation qui découlent de la quantité, parce que la même
nature de quantité est dans chacune et à nouveau quant aux relation qui
découlent de la puissance active et passive, parce qu'ils meuvent ce qui est mû
par une action intermédiaire qui n'est pas leur substance, puisque l'un de
leurs biens est atteint du fait qu'ils sont la cause des choses inférieures.
q. 7 a. 10 ad 8 Ad octavum dicendum est, quod illud a quo
aliquid denominatur, non oportet quod sit semper forma secundum rei naturam,
sed sufficit quod significetur per modum formae, grammatice loquendo.
Denominatur enim homo ab actione et ab indumento, et ab aliis huiusmodi, quae
realiter non sunt formae.
# 8. Ce par quoi on désigne une chose ne doit pas être toujours la
forme selon sa nature, mais il suffit qu'elle soit signifiée à la manière d'une
forme, grammaticalement parlant. Car l'homme est désigné par l'action et le
vêtement, et autres choses, qui ne sont pas réellement des formes.
q. 7 a. 10 ad 9 Ad nonum dicendum, quod si proportio
intelligatur aliquis determinatus excessus, nulla est Dei ad creaturam
proportio. Si autem per proportionem intelligatur habitudo sola, sic patet quod
est inter creatorem et creaturam; in creatura quidem realiter, non autem in
creatore.
# 9. Si on comprend une proportion comme un écart déterminé, il n'y en
a aucune de Dieu à la créature. Mais si par la proportion on comprend la
relation seule, alors il est clair qu'elle existe entre le Créateur et la
créature; réellement dans la créature, mais pas dans le Créateur.
q. 7 a. 10 ad 10 Ad decimum dicendum, quod licet doctor
incipiat a rebus, tamen alio modo recipiuntur rerum conceptiones in mente
doctoris quam sint in natura rei, quia unumquodque recipitur in altero per
modum recipientis: patet enim quod conceptiones in mente doctoris sunt
immaterialiter, et materialiter in natura.
# 10. Bien que le maître commence par la réalité, cependant les
conceptions des choses sont reçues d'une autre manière dans son esprit qu'elles
le sont dans la nature, parce que chaque chose est reçue dans l'autre par le
mode de ce qui reçoit. Car il est clair que les conceptions sont
immatériellement dans l'esprit du maître, et matériellement dans la nature.
q. 7 a. 10 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod distinctio ista
relativorum secundum esse et secundum dici, nihil facit ad hoc quod sit relatio
realis. Quaedam enim sunt relativa secundum esse quae non sunt realia, sicut
dextrum et sinistrum in columna; et quaedam sunt relativa secundum dici, quae
tamen important relationes reales, sicut patet de scientia et sensu. Dicuntur enim relativa secundum esse, quando nomina sunt imposita ad
significandas ipsas relationes; relativa vero secundum dici, quando nomina sunt
imposita ad significandas qualitates vel aliquid huiusmodi principaliter, ad
quae tamen consequuntur relationes. Nec
quantum ad hoc differt, utrum sint relationes reales vel rationis tantum.
# 11. Cette distinction des choses relatives selon l'être et la parole,
ne fait rien pour qu'elle soit une relation réelle. Car certaines sont
relatives quant à l'être, qui ne sont pas réelles comme la droite et la gauche
dans une colonne, et certaines sont relatives en parole qui apportent cependant
des relations réelles, comme c'est évident pour la connaissance et la
sensation. Car on parle des relations selon l'être, quand ces noms sont imposés
pour les signifier, mais de relatifs en parole, quand les noms sont imposés
pour signifier des qualités ou principalement quelque chose de ce genre, pour
lesquelles cependant découlent des relations. Et à ce sujet, il n'y a pas de
différence si les relations sont réelles ou de raison seulement.
q. 7 a. 10 ad 12 Ad ultimum dicendum, quod licet posito uno
relativorum ponatur aliud, non tamen oportet quod eodem modo ponatur utrumque,
sed sufficit quod unum ponatur secundum rem, et aliud secundum rationem.
# 12. Bien que, si on pose l'un des relatifs, on pose l'autre, il ne
faut pas cependant que l'un et l'autre soient établis de la même manière, mais
il suffit que l'un soit établi en réalité et l'autre en raison.
1 Parall.: Ia, qu. 13, a. 7 ad 2 et ad 4 — qu. 28,
a. 1, ad 3 et ad 4 — CG. II, 12,13 — I
Sent. d26q2a3, ad 2.
2
En plus de l'idée de comparaison il y a celle d'équivalence.
3
"Le relatif est aussi comme le mesuré à la mesure, le connaissable à la
connaissance, le sensible à la sensation."
4
Ajouté dans l’Éd. Marietti.
5
Relations prédicamentales ou relations transcendantales.
6
"…Les nom d'origine temporelle donnés à Dieu et qui ne l’étaient point
auparavant, ont manifestement un sens relatif. Cependant ils ne l'ont point en
faction d'un accident de Dieu, comme si quelque chose lui arrivait à lui, mais
bien à la suite d'un accident de l'être par rapport auquel Dieu reçoit un nom
relatif nouveau." (BA Trinité V,
XVI, 7).
7
"Tout au contraire le mesurable, le connaissable, le pensable ne sont pas
dits relatifs en ce sens qu'une autre chose est relative à eux." (Thomas,
lect. 17, n° 1028).
8
913 D "Mais quand il s'agit de la relation de cause à effet, nous ne
pouvons admettre aucune réciprocité." (Trad. M. de Gandillac)
9
Ce passage est inspiré d’Aristote (Métaphysiquen
V, 15, 1021 b. les deux emples: colonnes et monnaies, sont repris dans son
commentaire n° 1027.
10
Maïmonide.
11
PL. 16, 530 B
q. 7 a. 11 tit. 1 Undecimo quaeritur utrum
istae relationes temporales sint in Deo secundum rationem. Et videtur quod non.
Il semble que non1.
Objections:
q. 7 a. 11 arg. 1 Ratio enim cui non respondet res, est cassa
et vana, sicut Boetius dicit. Sed istae relationes non sunt in Deo secundum rem
ut ex praedictis patet. Esset ergo ratio cassa et vana, si essent in Deo
secundum rationem.
1. Car une notion (ratio2)
à quoi rien ne correspond est vide et vaine, comme Boèce le dit (Préambule de Porphyre dans les Prédicables). Mais ces relations ne
sont pas réellement en Dieu, comme cela apparaît de ce qui a été dit. Donc la
notion (ratio) serait vide et vaine,
si en Dieu elles étaient de raison.
q. 7 a. 11 arg. 2 Praeterea, quae sunt secundum rationem
tantum, non attribuuntur rebus nisi secundum quod sunt in intellectu, sicut
genus et species et ordo. Sed huiusmodi relationes temporales non attribuuntur
Deo secundum quod est in intellectu nostro tantum: sic enim nihil esset dictu,
Deus est dominus, quoniam Deus intelligitur creaturis praeesse; quod patet esse
falsum. Ergo huiusmodi relationes non sunt secundum rationem in Deo.
2. Ce qui est de raison seulement, n'est attribué aux choses que selon
qu'elles sont dans l'esprit, comme le genre, l'espèce et l'ordre3. Mais des relations temporelles de ce genre
ne sont pas attribuées à Dieu selon ce qui est dans notre esprit seulement, car
ainsi ce ne serait rien dire. Dieu est Seigneur, puisqu'on comprend qu'il a
existé avant les créatures; ce qui paraît faux. Donc de telles relations ne
sont pas de raison en Dieu.
q. 7 a. 11 arg. 3 Praeterea, hoc nomen, dominus, relationem
significat, cum sit relativum secundum esse. Sed Deus est dominus non secundum
rationem tantum. Ergo nec huiusmodi relationes sunt in Deo secundum rationem
tantum.
3. Ce nom, Seigneur, signifie
une relation, puisqu'il est relatif selon l'être. Mais Dieu est Seigneur, mais
pas en raison seulement. Donc de telles relations en Dieu ne sont pas en raison
seulement.
q. 7 a. 11 arg. 5 Praeterea, id quod est secundum rationem
nostram tantum, non fuit ab aeterno. Sed
aliquae relationes Dei ad creaturam fuerunt ab aeterno, sicut relationes
importatae in nomine scientiae et praedestinationis. Ergo huiusmodi relationes
non sunt in Deo secundum rationem tantum.
5. Ce qui est selon notre raison seulement n'a pas existé
éternellement. Mais certaines relations de Dieu à la créature ont été
éternelles, comme les relations apportées au nom de connaissance4 et de prédestination. Donc de telles
relations ne sont pas en Dieu selon la raison seulement.
En sens contraire:
q. 7 a. 11 s. c. Sed contra, est quod nomina significant
rationes, sive intellectus, ut dicitur in principio Periher. Constat autem ista
nomina relative dici. Ergo oportet huiusmodi relationes secundum rationem esse.
Les noms signifient des notions (ratio)
ou des concepts, comme il est dit au début de l'Interprétation. (2, 16 a 18). Il est clair que ces noms sont dits
de façon relative. Donc il faut que de telles relations soient de raison5.
Réponse:
q. 7 a. 11 co. Respondeo. Dicendum quod sicut realis relatio
consistit in ordine rei ad rem, ita relatio rationis consistit in ordine
intellectuum; quod quidem dupliciter potest contingere:
Il faut dire que de même que la relation réelle consiste dans le
rapport d'une chose à une autre, de même la relation de raison consiste dans le
rapport des significations, ce qui peut arriver de deux manières:
uno modo secundum quod iste ordo est adinventus per
intellectum, et attributus ei quod relative dicitur; et huiusmodi sunt
relationes quae attribuuntur ab intellectu rebus intellectis, prout sunt
intellectae, sicut relatio generis et speciei: has enim relationes ratio
adinvenit considerando ordinem eius quod est in intellectu ad res quae sunt
extra, vel etiam ordinem intellectuum ad invicem.
1) Première manière, selon
que cet ordre est découvert par l'esprit et attribué à ce dont on parle
relativement, et telles sont les relations attribuées par l'esprit à des
pensées, dans la mesure où elles sont comprises comme relation de genre et
d'espèce6; car la raison découvre ces
relations en considérant l'ordre ce qui est dans l'esprit à ce qui est à
l'extérieur ou même l'ordre des concepts entre eux.
Alio modo secundum quod huiusmodi relationes consequuntur
modum intelligendi, videlicet quod intellectus intelligit aliquid in ordine ad
aliud; licet illum ordinem intellectus non adinveniat, sed magis ex quadam
necessitate consequatur modum intelligendi. Et huiusmodi relationes intellectus
non attribuit ei quod est in intellectu, sed ei quod est in re.
2) Seconde manière: les
relations de ce genre résultent du mode de penser, à savoir que l'esprit pense
une chose en rapport à une autre, bien qu'il ne parvienne pas à ce rapport,
mais plutôt résulte du mode de penser par une certaine nécessité. Et l'esprit
n'attribue pas de telles relations à ce qui est en lui mais à ce qui est en
réalité.
Et hoc quidem contingit secundum quod aliqua non habentia
secundum se ordinem, ordinate intelliguntur; licet intellectus non intelligat
ea habere ordinem, quia sic esset falsus. Ad hoc autem quod aliqua habeant
ordinem, oportet quod utrumque sit ens, et utrumque distinctum (quia eiusdem ad
seipsum non est ordo) et utrumque ordinabile ad aliud.
Et cela arrive selon que certaines choses n'ayant pas de rapport en
soi, sont comprises avec rapport, bien que l'esprit ne comprenne pas qu'elles
en ont un, parce qu'ainsi ce serait faux. Mais du fait que certaines choses ont
un rapport, il faut que l'une et l'autre soient un étant et l'une et l'autre
soient distinctes (parce qu'il n'y a pas de rapport d'un même à lui-même et
l'une et l'autre en rapport possible avec l'autre.
Quandoque autem intellectus accipit aliqua duo ut entia,
quorum alterum tantum vel neutrum est ens: sicut cum accipit duo futura, vel
unum praesens et aliud futurum, et intelligit unum cum ordine ad aliud, dicens
alterum esse prius altero; unde istae relationes sunt rationis tantum, utpote
modum intelligendi consequentes.
Quelquefois l'esprit reçoit les deux comme des étants dont l'un
seulement un étant ou ni l'un, ni l'autre; ainsi quand il reçoit deux étants
futurs, ou l'un présent et l'autre futur, il comprend l'un en rapport avec
l'autre, en disant que l'un est avant l'autre; c'est pourquoi ces relations sont de raison seulement; en tant
qu'elles résultent du mode de penser.
Quandoque vero accipit unum ut duo, et intelligit ea cum
quodam ordine: sicut cum dicitur aliquid esse idem sibi; et sic talis relatio
est rationis tantum.
Quelquefois il reçoit l'une comme deux et il les comprend avec un
certain rapport. Comme quand on dit que quelque chose est identique à lui-même,
et ainsi une telle relation est de raison
seulement7.
Quandoque vero accipit aliqua duo ut ordinabilia ad invicem,
inter quae non est ordo medius, immo alterum ipsorum essentialiter est ordo:
sicut cum dicit relationem accidere subiecto; unde talis relatio relationis ad
quodcumque aliud rationis est tantum.
Quelquefois il reçoit les deux comme pouvant être en rapport l'un avec
l'autre, entre lesquels il n'y a pas de rapport intermédiaire. Bien plus l'un
d'eux est essentiellement rapport: comme quand on dit que la relation arrive au
substrat; c'est pourquoi une telle relation
de relation à quelque chose d'autre est de
raison seulement.
Quandoque vero accipit aliquid cum ordine ad aliud, in
quantum est terminus ordinis alterius ad ipsum, licet ipsum non ordinetur ad
aliud: sicut accipiendo scibile ut terminum ordinis scientiae ad ipsum; et sic
cum quodam ordine ad scientiam, nomen scibilis relative significat; et est
relatio rationis tantum. Et similiter aliqua nomina relativa Deo attribuit
intellectus noster, in quantum accipit Deum ut terminum relationum creaturarum
ad ipsum; unde huiusmodi relationes sunt rationis tantum.
Quelquefois il reçoit une chose avec rapport à une autre, en tant
qu'elle est le terme d'un autre rapport à lui, bien qu'il ne soit pas ordonnée
à l'autre; comme en recevant le connaissable, comme terme du rapport de la
connaissance à lui, et ainsi avec un rapport à la connaissance, le nom
connaissable signifie relativement et c'est
une relation de raison seulement. Et de même notre esprit attribue des noms
relatifs à Dieu en tant qu'il le reçoit comme terme des relations des créatures
à lui; c'est pourquoi les relations de ce
genre sont de raison seulement.
Solutions:
q. 7 a. 11 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in huiusmodi
relationibus aliquid respondet ex parte rei, scilicet relatio creaturae ad
Deum. Sicut enim scibile dicitur relative, non quia ipsum referatur ad
scientiam, sed quia scientia referatur ad ipsum, ut habetur V Metaph., ita Deus
dicitur relative, quia creaturae referuntur ad ipsum.
# 1. Il faut donc dire que dans les relations de ce genre, quelque
chose répond du côté de la chose, à savoir la relation de la créature à Dieu.
Car de même qu'on parle du connaissable relativement, non parce qu'il se réfère
à la connaissance, mais parce que la connaissance se réfère à lui, comme on le
trouve en Métaphysique (V, 15, 1020 b 318),
de même on parle de Dieu relativement, parce que les créatures se réfèrent à
lui.
q. 7 a. 11 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ratio illa procedit
de illis relationibus rationis quae sunt per rationem inventae, et rebus in
intellectu existentibus attributae. Tales autem non sunt relationes istae, sed
consequentes modum intelligendi.
# 2. Cette raison procède de ces relations de raison, trouvées par
raison et attribuées à ce qui existe dans l'esprit. Mais ces relations ne sont
pas telles, mais elles suivent le mode de penser.
q. 7 a. 11 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut aliquis est
idem sibi realiter, et non solum secundum rationem, licet relatio sit secundum
rationem tantum, propter hoc quod relationis causa est realis, scilicet unitas
substantiae quam intellectus sub relatione intelligit: ita potestas coercendi
subditos est in Deo realiter, quam intellectus intelligit in ordine ad subditos
propter ordinem subditorum ad ipsum; et propter hoc dicitur dominus realiter,
licet relatio sit rationis tantum. Et eodem modo apparet quod dominus esset,
nullo existente intellectu.
# 3. De même que quelqu'un est réellement identique à lui-même et non
seulement en raison, bien que la relation soit en raison seulement, du fait que
la cause de la relation est réelle, à savoir l'unité de la substance que
l'esprit comprend sous la relation, de même la puissance de contraindre ceux
qui lui sont soumis est réellement en Dieu. L'esprit la comprend en rapport à ceux
qui sont soumis à cause du rapport de ceux qui sont soumis à lui9 et c'est pour cela qu'on l'appelle Seigneur,
réellement, bien que la relation soit de raison seulement. Et de la même
manière, il apparaît qu'il serait le Seigneur même s'il n'existait aucun
esprit.
q. 7 a. 11 ad 4 Unde patet solutio ad quartum.
# 4. Par la apparaît la solution à l'objection 4.
q. 7 a. 11 ad 5 Ad quintum dicendum, quod relatio scientiae Dei
ad creaturam non est primo et per se, ut dictum est prius, sed ad essentiam
creatoris, per quam Deus omnia scit.
# 5. La relation de la science de Dieu à la créature n'est pas en
premier et par soi, comme on l'a dit d'abord (dans le corps de l'article) mais
c'est la relation à l'essence du créateur, par laquelle Dieu connaît tout.
1 Parall.: Ia, qu. 6, a. 2, ad 1 —qu. 13, a. 7 —
qu. 28, a. 1, ad 3 — qu. 32, a. 2,— qu. 45,a. 1, ad 3 — IIIa, qu. 35, a. 5 — I Sent.
d8q4a1, ad 3 — d30q1a1, ad 1, a3 c. — CG.
II, 13 — Quodl. I, a. 2, — Quodl.
IX, a. 4.
2
Thomas emploie trois fois le mot ratio (mot
aux nombreux sens). Il semble évident que les deux premiers emplois n'ont pas
le même sens que le troisième. C'est pourquoi nous nous sommes permis deux
traductions différentes.
3
ce qui correspond aux secondes intellections.
4
Connaissance en Dieu des créatures avant la création (idées).
5
La relation de raison est attribuée paradoxalement à Dieu, puisque c'est
l'esprit humain qui le conçoit!
6
Il s'agit des intellections secondes, ou conceptions secondes. Cf. qu. 1, a. 1
ad 10 — qu. 7, a. 8…
7
Cf. Ia, qu. 13, a. 7 c.
8
Voir qu. 7, a. 1, obj. 5
9
Il exprime ici un rapport réciproque: rapport de Dieu à ceux qui lui sont
soumis; rapport de ceux qui sont soumis à Dieu.
q. 8 pr. 1 Et primo quaeritur utrum relationes
dictae de Deo ab aeterno, quae importantur his nominibus pater et filius, sint
relationes reales vel rationis tantum.
1. Les relations appelées éternelles en Dieu, rapportées sous les noms
de "Père" et de "Fils", sont-elles réelles ou de raison
seulement?
q. 8 pr. 2 Secundo
utrum relatio in Deo sit eius substantia.
2. La relation en Dieu est-elle sa substance?
q. 8 pr. 3 Tertio utrum relationes constituant et distinguant
personas et hypostases.
3. Les relations constituent-elles et distinguent-elles les personnes
et les hypostases?
q. 8 pr. 4 Quarto utrum remota relatione secundum intellectum,
remaneat hypostasis in divinis.
4. Si on exclut en esprit la relation, l'hypostase demeure-t-elle en
Dieu?
q. 8 a. 1 tit. 1 Et primo quaeritur utrum
relationes dictae de Deo ab aeterno, quae importantur his nominibus pater et
filius, sint relationes reales, vel rationis tantum. Et videtur quod non sint
reales.
Il semble qu'elles ne soient pas réelles1
.
Objections:
q. 8 a. 1 arg. 1 Quia, ut dicit Damascenus, in substantiali
Trinitate commune quidem et unum re consideratur, cognitione vero et intellectu
est quod diversum vel distinctum est. Sed
distinctio personarum fit per relationes. Ergo relationes in divinis sunt
rationis tantum.
1 Parce que, comme le dit Jean Damascène (La foi orthodoxe I, 11): "2." Mais la distinction des personnes se
fait par les relations. Donc3 les
relations en Dieu sont de raison seulement.
q. 8 a. 1 arg. 2 Praeterea, Boetius dicit: similis est relatio
patris ad filium in Trinitate, et utriusque ad spiritum sanctum, ut eius quod
est idem ad id quod idem est. Sed relatio identitatis est rationis tantum. Ergo
et relatio paternitatis et filiationis.
2. Boèce dit (La Trinité, VI4): "Semblable est la relation du Père au
Fils dans le Trinité et de l'un et l'autre à l'Esprit saint, comme ce qui est
du même au même5". Mais la
relation d'identité est de raison seulement. Donc celle de paternité et de
filiation aussi.
q. 8 a. 1 arg. 3 Praeterea, in Deo ad creaturam non est relatio
realis, propter hoc quod Deus sine sui mutatione creaturas producit, ut
Augustinus dicit. Sed multo magis sine mutatione producit pater filium, et
filius procedit a patre. Ergo non est aliqua realis relatio patris ad filium in
divinis, vel e contrario.
3. En Dieu il n'y a pas de relation réelle à la créature, du fait qu'il
les produit sans changement de sa part, comme Augustin le dit (La Trinité. V,
XVI, 17). Mais c'est encore avec beaucoup moins de changement que le Père
produit le Fils, et que le Fils procède du Père. Donc il n'y a pas de relation
réelle du Père au Fils ou inversement.
q. 8 a. 1 arg. 4 Praeterea, ea quae non sunt perfecta, Deo non
attribuuntur, sicut privatio, materia et motus. Sed relatio inter omnia entia
habet debilius esse intantum quod eam quidam aestimaverunt de secundis
intellectis, ut patet per Commentatorem. Ergo in Deo esse non potest.
4. Ce qui n'est pas parfait n'est pas attribué à Dieu, comme la
privation, la matière et le mouvement. Mais la relation entre tous les étants a
l’être le plus faible au point que certains l'ont considérée comme des
intellections secondes6, comme
on le voit chez le Commentateur (Métaphysique
XI, 19). Donc elle ne peut pas exister en Dieu.
q. 8 a. 1 arg. 5 Praeterea, omnis relatio in creaturis
compositionem facit cum eo cuius est relatio: non enim potest una res alteri
inesse sine compositione. Sed in Deo nulla compositio esse potest. Ergo in eo
non potest esse realis relatio.
5. Toute relation dans les créatures amène une composition avec ce dont
elle est relation: car une chose ne peut être en une autre sans composition.
Mais en Dieu il ne peut y avoir aucune composition. Donc il ne peut pas y avoir
en lui de relation réelle.
q. 8 a. 1 arg. 6 Praeterea, simplicissima seipsis differunt.
Sed divinae personae sunt simplicissimae. Ergo seipsis differunt, et non per
relationes aliquas; ergo non oportet relationes in Deo ponere, cum ad nihil
aliud ponantur nisi ad distinguendas personas.
6. Les choses les plus simples diffèrent entre elles. Mais les
personnes divines sont extrêmement simples. Donc elles diffèrent entre elles,
mais ce n'est pas par des relations7;
donc il ne faut pas en placer en Dieu, puisqu'on les placerait pour rien
d'autre que de distinguer les personnes.
q. 8 a. 1 arg. 7 Praeterea, sicut relationes sunt proprietates
personarum divinarum, ita attributa absoluta sunt proprietates essentiae. Sed
attributa absoluta sunt in Deo secundum rationem tantum. Ergo relationes sunt
in Deo secundum rationem et non reales.
7. Les relations sont les propriétés des personnes divines, de même les
attributs absolus sont les propriétés de l'essence. Mais en Dieu ces attributs
sont en raison seulement. Donc les relations en Dieu sont en raison et non
réelles.
q. 8 a. 1 arg. 8 Praeterea, perfectum est cui nihil deest, ut
dicitur III Phys. Sed substantia divina est
perfectissima. Ergo nihil quod ad perfectionem pertineat, ei deest. Superfluum
est ergo ponere relationes in Deo.
8. Est parfait ce à quoi rien ne manque, comme il est dit en Physique (III, 6, 207 a 8 – 207 a 138). Mais la substance divine est
absolument parfaite. Donc rien qui concerne la perfection ne lui manque. Donc
il est superflu de poser des relations en Dieu.
q. 8 a. 1 arg. 9 Praeterea, cum Deus sit summum rerum
principium et ultimus finis, ea quae oportet in alia priora reduci, in Deo esse
non possunt, sed solum ea ad quae alia reducuntur: sicut esse mobile reducitur
ad immobile, et per accidens ad per se; et propter hoc Deus non movetur, nec
est in eo aliquod accidens. Sed omne quod
dicitur ad aliud, reducitur ad absolutum quod ad se est. Ergo nihil est in
Deo ad aliud, sed solum ad se tantum dictum.
9. Comme Dieu est le principe suprême des choses et leur fin ultime, ce
qui doit être ramené à d'autres choses antérieures, ne peut pas exister en lui,
mais seulement ce à quoi les autres choses sont ramenées; ainsi l'être mobile
est ramené à l'immobile et ce qui est par accident au par soi, et c’est pour
cela que Dieu n'est pas mû, et qu’il n'y a en lui aucun accident. Mais tout ce
qu'on appelle relatif est ramené à l'absolu qui est pour soi. Donc
rien n'est en Dieu qui est relatif mais seulement ce qui est dit pour soi.
q. 8 a. 1 arg. 10 Praeterea, Deum esse per se necesse est. Sed
omne quod est per se necesse esse, est absolutum: relativum enim non potest
esse sine correlativo. Quod autem est per se necesse esse, etiam alio remoto
esse potest. Ergo in Deo non est aliqua relatio realis.
10. Il est nécessaire que Dieu soit par soi. Mais tout ce qui est
nécessaire par soi est absolu; le relatif en effet ne peut pas exister sans
corrélatif. Mais ce qui est par soi a nécessité d'être, même si l'autre est
exclu, il peut exister. Donc en Dieu il n'y a pas de relation réelle.
q. 8 a. 1 arg. 11 Praeterea, omnis relatio realis, ut in
praecedenti quaestione, est habitum, consequitur aliquam quantitatem vel
actionem vel passionem. Sed quantitas in Deo non est: dicimus enim Deum sine
quantitate magnum, ut Augustinus dicit. Numerus etiam in eo non est, ut dicit
Boetius, quem relatio consequi posset, etsi ponatur numerus quem relatio facit.
Oportet ergo, si est relatio realis in Deo, quod competat
Deo secundum aliquam eius actionem. Non autem potest secundum actionem qua
creaturas producit, quia in quaestione praecedenti, est habitum quod in Deo non
est realis relatio ad creaturam. Nec iterum secundum actionem personalem quae
ponitur in divinis, sicut est generare: nam cum generare in divinis non sit
nisi suppositi distincti, distinctionem autem sola relatio facit in divinis,
oportet praeintelligere relationem tali actioni; et sic relatio talem actionem
consequi non potest. Restat ergo, si aliquam actionem consequatur relatio
realiter in Deo existens quod consequatur actionem eius aeternam vel
essentialem quae est intelligere et velle. Sed etiam hoc esse non potest:
huiusmodi enim actionem consequitur relatio intelligentis ad intellectum, quae
in Deo reales non sunt,- alias oporteret quod intelligens et intellectum
realiter in divinis distinguerentur,- quod patet esse falsum, quia utrumque de
singulis personis praedicatur: non solum enim pater est intelligens, sed et
filius et spiritus sanctus; similiter et quilibet eorum est in intellectu. Nulla
ergo relatio realis in Deo esse potest, ut videtur.
11. Toute relation réelle, comme on l'a vu dans la précédente question
(qu. 7, a. 9), découle de la quantité, de l'action ou de la passion. Mais il
n'y a pas de quantité en Dieu; car nous disons que Dieu est grand sans
quantité, comme Augustin le dit (La
Trinité, V, 1, 29). Mais il n'y a
pas non plus de nombre en lui, comme le dit Boèce (La Trinité, V) dont puisse découler une relation, même si on place
un nombre que la relation établit. Il faut donc, si la relation est réelle en
Dieu, qu'elle lui convienne selon une de ses actions. Mais il ne le peut pas
avec l'action par laquelle il produit les créatures, parce que dans la question
précédente (qu. 7, a. 10) on a vu qu'en Dieu il n'y a pas de relation réelle
avec la créature. Ni à nouveau avec une action personnelle placée en lui, comme
la génération, car engendrer en Dieu ne venant que d'un suppôt distinct, seule
la relation apporte en lui la distinction, il faut la concevoir avant une telle
action. Et ainsi la relation ne peut pas en découler. Donc il reste, si la
relation qui existe réellement en Dieu découle d'une action, elle découlerait
de son action éternelle ou essentielle qui est l'intellection et le vouloir.
Mais cela non plus n'est pas possible; car la relation de celui qui pense à ce
qui est pensé, qui en Dieu ne sont pas des relations réelles, découle d'une
action de ce genre — autrement il faudrait que celui qui pense et ce qui est
pensé soient réellement distingués en Dieu — ce qui paraît faux, parce que l’un
et l’autre sont attribués à chaque personne en particulier; car non seulement
la Père pense mais le Fils et l'Esprit saint pensent aussi; il en est de même
pour n’importe lequel d’entre eux qui est dans l'esprit. Donc aucune relation
réelle ne peut exister en Dieu, à ce qu'il semble.
q. 8 a. 1 arg. 12 Praeterea, ratio naturalis humana potest
pervenire ad cognitionem divini intellectus; probatum est enim demonstrative a
philosophis quod Deus est intelligentia. Si ergo actionem intellectus
consequantur relationes reales, quae in divinis personas distinguere dicuntur,
videtur quod per rationem humanam Trinitas personarum inveniri posset, et sic
non esset articulus fidei: nam fides est sperandarum substantia rerum,
argumentum non apparentium.
12. La raison humaine naturelle peut parvenir à la connaissance de
l'esprit divin, car il a été prouvé démonstrativement par les philosophes que
Dieu est une intelligence. Donc si les relations réelles, qui, dit-on
distinguent les personnes en Dieu, découlent de l'action de l'intellect, il
semble que la Trinité des personnes pourrait être découverte par le raison
humaine, et ainsi ce ne serait pas un article de foi: Car "la foi est la
substance de ce qu’on espère, réalité de ce qu’on ne voit pas." (Hé. 11, 1).
q. 8 a. 1 arg. 13
Praeterea, relativa opposita contra alia opposita dividuntur. In Deo
autem alia genera oppositionis poni non possunt. Ergo nec relatio.
13. Les opposés relatifs sont séparés des autres opposés. Mais en Dieu
on ne peut pas placer d'autres genres d'opposition. Donc pas de relation non
plus.
En sens contraire:
q. 8 a. 1 s. c. 1 Sed contra. Boetius dicit, quod sola relatio
multiplicat Trinitatem. Haec autem multiplicatio non est secundum rationem
tantum, sed secundum rem, ut patet per Augustinum, qui dicit, quod pater et
filius et spiritus sanctus sunt tres res. Ergo oportet quod relatio sit in
divinis non solum rationis, sed etiam rei.
1. Boèce dit (La Trinité, V,
110) que seule la relation multiplie
la Trinité. Cette multiplication n'est pas en raison seulement, mais réelle,
comme on le voit chez Augustin qui dit (La Trinité I, IV, 7) que le Père, le
Fils et l'Esprit saint sont trois réalités (res). Donc il faut que la relation
existe en Dieu non seulement en raison, mais en réalité.
q. 8 a. 1 s. c. 2 Praeterea, nulla res constituitur nisi per
rem. Sed relationes in divinis sunt proprietates constituentes personas;
persona autem est nomen rei. Ergo oportet et relationes in divinis res esse.
2. Rien n'est constitué qu'en réalité. Mais les relations en Dieu sont
les propriétés qui constituent les personnes, or la personne est le nom de la
réalité. Donc il faut que les relations soit réelles en Dieu.
q. 8 a. 1 s. c. 3 Praeterea, perfectior est generatio in
divinis quam in creaturis. Sed ad generationem in creaturis sequitur relatio
realis, scilicet patris et filii. Ergo multo fortius in divinis sunt
relationes reales.
3. La génération est plus parfaite en Dieu que dans les créatures. Mais
de la génération dans les créatures découle une relation réelle, à savoir celle
du père et du fils. Donc à plus forte raison les relations sont réelles en
Dieu.
Réponse:
q. 8 a. 1 co. Respondeo. Dicendum quod, sententiam fidei
Catholicae sequentes, oportet dicere in divinis relationes reales esse. Ponit
enim fides Catholica tres personas in Deo unius essentiae. Numerus autem omnis
aliquam distinctionem consequitur: unde oportet quod in Deo sit aliqua
distinctio non solum respectu creaturarum, quae a Deo per essentiam differunt,
sed etiam respectu alicuius in divina essentia subsistentis.
Ceux qui suivent la doctrine de la foi catholique doivent dire que les
relations sont réelles en Dieu. Car la foi établit qu'il y a trois personnes
d'une seule essence. Mais tout nombre découle d'une distinction: c'est pourquoi
il faut qu'il y ait en Dieu une distinction non seulement par rapport aux
créatures, qui diffèrent de lui par l'essence, mais aussi par rapport à ce qui
subsiste dans l'essence divine.
Haec autem distinctio non potest esse secundum aliquod
absolutum: quia quidquid absolute in divinis praedicatur, Dei essentiam
significat; unde sequeretur quod personae divinae per essentiam
distinguerentur, quod est haeresis Arii. Relinquitur ergo quod per sola
relativa distinctio in divinis personis attenditur.
Cette distinction ne peut pas être un absolu: parce que ce qui est
attribué à Dieu dans l’absolu signifie son essence. Aussi il en découlerait que
les personnes divines seraient distinguées par l'essence, ce qui est l'hérésie
d'Arius11. Donc il reste que la
distinction dans les personnes divines est atteinte par les seules relations..
Haec tamen distinctio non potest esse rationis tantum: quia
ea quae sunt sola ratione distincta, nihil prohibet de se invicem praedicari,
sicut dicimus principium esse finem, quia punctum unum secundum rem est
principium et finis, licet ratione differat; et ita sequeretur quod pater est
filius et filius pater, quia, cum nomina imponantur ad significandum rationes
nominum, sequeretur quod personae in divinis non distinguerentur nisi secundum
nomina: quod est haeresis Sabelliana.
Cette distinction ne peut pas être que de raison seulement: car rien
n’empêche que ce qui est distingué en raison seulement ne soit attribué
réciproquement à soi. Ainsi nous disons que le principe est la fin, parce qu'un
seul point est en réalité principe et fin, bien qu'ils diffèrent en raison, et
ainsi il en découlerait que le Père est le Fils et le Fils est le Père, parce
que, comme les noms sont employés pour signifier leurs relations, il en
découlerait que les personnes ne seraient distinguées que par les noms. Ce qui
est l'hérésie de Sabellius12.
Relinquitur ergo quod oportet dicere, relationes in Deo
quasdam res esse: quod qualiter sit, sequendo sanctorum dicta, investigari
oportet, licet ad plenum ad hoc ratio pervenire non possit. Sciendum est ergo,
quod cum realis relatio intelligi non possit, nisi consequens quantitatem vel
actionem seu passionem, oportet quod aliquo istorum modorum ponamus in Deo
relationem esse.
Donc il reste qu'il faut dire que les relations en Dieu sont des
réalités; de quelque manière que ce soit, en suivant les paroles des saints, il
faut faire des recherches, bien que la raison ne puisse y parvenir
parfaitement. Donc il faut savoir que, comme la relation ne pourrait être
comprise que si elle découlait de la quantité, de l'action ou de la passion, il
faut que par l'une de ces manières nous établissions qu'il y a en Dieu une
relation.
In Deo autem quantitas esse non potest, neque continua neque
discreta, nec aliquid cum quantitate similitudinem habens, nisi multitudo quam
relatio facit, cui oportet relationem praeintelligere, et unitas quae essentiae
competit, ad quam relatio consequens non est realis, sed rationis tantum; sicut
relatio quam importat hoc nomen idem, ut supra dictum est.
Or en Dieu la quantité ne peut pas exister, ni continue, ni discrète13 ni rien qui ressemble à la quantité, sinon
une pluralité que la relation établit; il faut y comprendre cette relation
avant, et l'unité qui appartient à l'essence, pour laquelle la relation qui en
découle n'est pas réelle, mais de raison seulement; comme la relation
qu'apporte le mot identique, comme on l'a dit ci-dessus (qu. 7, 10 c.).
Relinquitur ergo quod oportet in eo ponere relationem
actionem consequentem. Actionem dico non quae in aliquod patiens transeat: quia
in Deo nihil potest esse patiens, cum non sit ibi materia; ad id autem quod est
extra Deum, non est in Deo realis relatio, ut ostensum est.
Il reste donc qu'il faut placer en lui une relation qui découle de
l'action. Je dis action, mais pas celle qui passe dans un patient, car en Dieu
rien ne peut être un patient, puisqu'il n'y a pas de matière, car il n'y a pas
de relation réelle avec ce qui est hors de lui, comme on l'a montré (qu. 7, a.
10).
Relinquitur ergo quod consequatur relatio realis in Deo
actionem manentem in agente: cuiusmodi actiones sunt intelligere et velle in
Deo. Sentire enim, cum organo corporeo compleatur, Deo non potest competere,
qui est omnino incorporeus. Et propter hoc dicit Dionysius, quod in Deo est
paternitas perfecta, idest non corporaliter nec materialiter, sed
intelligibiliter. Intelligens autem in intelligendo ad quatuor potest habere
ordinem: scilicet ad rem quae intelligitur, ad speciem intelligibilem, qua fit
intellectus in actu, ad suum intelligere, et ad conceptionem intellectus.
Il reste donc que la relation réelle en Dieu découle de l'action
immanente dans l'agent: les actions de ce genre sont l'intellection et le
vouloir. En effet, la sensation étant effectuée par un organe corporel, ne peut
appartenir à Dieu qui est tout à fait incorporel. Et c'est pour cela que Denys
(Les noms divins, XI) dit qu'en Dieu
la paternité est parfaite, c'est-à-dire ni corporelle, ni matérielle, mais
intellectuelle. Dans l’intellection celui qui pense peut avoir rapport à quatre
choses: à savoir a) à ce qui est pensé, b) à l'espèce intelligible, qui le
constitue en acte, c) à son intellection et d) au concept de l'esprit14.
Quae quidem conceptio a tribus praedictis differt.
A re quidem intellecta, quia res intellecta est interdum
extra intellectum, conceptio autem intellectus non est nisi in intellectu; et
iterum conceptio intellectus ordinatur ad rem intellectam sicut ad finem:
propter hoc enim intellectus conceptionem rei in se format ut rem intellectam
cognoscat.
Differt autem a specie intelligibili: nam species
intelligibilis, qua fit intellectus in actu, consideratur ut principium
actionis intellectus, cum omne agens agat secundum quod est in actu; actu autem
fit per aliquam formam, quam oportet esse actionis principium.
Ce dernier concept diffère des trois autres:
a) De ce qui est pensé, parce qu’elle est parfois hors de l'esprit,
mais la conception de l'esprit n'est qu'en lui, et en plus cette conception est
ordonnée à ce qui est pensé, comme à sa fin. Car c'est pour la connaître que
l'intellect forme en lui la conception de la chose.
b) Il diffère aussi de l’espèce (species) intelligible: car celle-ci,
par laquelle l'esprit devient en acte, est considérée comme le principe de son
action, puisque tout agent agit selon qu'il est en acte, mais il devient en
acte par une forme qui doit être le principe de l'action.
Differt autem ab actione intellectus: quia praedicta
conceptio consideratur ut terminus actionis, et quasi quoddam per ipsam
constitutum. Intellectus enim sua actione format rei definitionem, vel etiam
propositionem affirmativam seu negativam. Haec autem conceptio intellectus in
nobis proprie verbum dicitur: hoc enim est quod verbo exteriori significatur:
vox enim exterior neque significat ipsum intellectum, neque speciem
intelligibilem, neque actum intellectus, sed intellectus conceptionem qua
mediante refertur ad rem.
c) Il diffère de l’action de l’esprit, parce que cette conception en
est considérée comme le terme, et comme quelque chose de constitué par elle.
Car l'intellect, par son action, forme la définition ou aussi la proposition
affirmative ou négative. Cette conception de l'esprit en nous est proprement
appelée verbe. Car c'est lui qui est signifié par le verbe extérieur, car la
voix extérieure ne signifie pas l'esprit même, ni l'espèce intelligible, ni
l'acte de l'esprit, mais sa conception par l'intermédiaire de laquelle elle a
rapport à la réalité.
Huiusmodi ergo conceptio, sive verbum, qua intellectus
noster intelligit rem aliam a se, ab alio exoritur, et aliud repraesentat.
Oritur quidem ab intellectu per suum actum; est vero similitudo rei
intellectae. Cum vero intellectus seipsum intelligit, verbum praedictum, sive
conceptio, eiusdem est propago et similitudo, scilicet intellectus seipsum
intelligentis. Et hoc ideo contingit, quia effectus similatur causae secundum
suam formam: forma autem intellectus est res intellecta. Et ideo verbum quod
oritur ab intellectu, est similitudo rei intellectae, sive sit idem quod
intellectus, sive aliud.
Donc un tel concept, ou verbe, par lequel notre esprit comprend ce qui
est autre que lui, vient d'un autre et représente un autre. Il prend naissance
de l'esprit par son acte, il est l’image de ce qui est pensé. Mais quand
l'esprit se pense lui-même, ce verbe dont on parle, ou son concept est son
rejeton et son image, celle de l'esprit qui se pense lui-même. Et cela arrive,
parce que l'effet ressemble à sa cause quant à la forme; mais la forme de
l'esprit est ce qui est pensé. Et c'est pourquoi le verbe qui prend naissance de
l'esprit est l’image de ce qui est pensé, qu’il soit identique à l'esprit ou
autre15.
Huiusmodi autem verbum nostri intellectus, est quidem
extrinsecum ab esse ipsius intellectus (non enim est de essentia, sed est quasi
passio ipsius), non tamen est extrinsecum ab ipso intelligere intellectus, cum
ipsum intelligere compleri non possit sine verbo praedicto.
Un tel verbe de notre esprit est extérieur à l'être de l'esprit
lui-même (car il ne vient pas de l'essence, mais est pour ainsi dire sa
passion), l'intellection n'est cependant pas extérieure à lui, puisqu’elle ne
peut pas être complétée sans ce verbe.
Si ergo aliquis intellectus sit cuius intelligere sit suum
esse, oportebit quod illud verbum non sit extrinsecum ab esse ipsius
intellectus, sicut nec ab intelligere. Huiusmodi autem est intellectus divinus:
in Deo enim idem est esse et intelligere. Oportet ergo quod eius verbum non sit
extra essentiam eius, sed ei coessentiale.
Si donc il y a un esprit dont l'intellection soit son être propre, il
faudra que ce verbe ne soit pas hors de l’esprit, ni non plus de son
intellection. Mais l'esprit divin est tel. Car en Dieu l’être et l’intellection
sont identiques. Il faut donc que son verbe ne soit pas hors de son essence, mais
lui soit coessentiel.
Sic ergo in Deo potest inveniri origo alicuius ex aliquo,
scilicet verbi et proferentis verbum, unitate essentiae servata. Ubicumque enim
est origo alicuius ab aliquo, ibi oportet ponere realem relationem vel tantum
ex parte eius quod oritur, quando non accipit eamdem naturam quam habet suum
principium, sicut patet in exortu creaturae a Deo; vel ex parte utriusque,
quando scilicet oriens attingit ad naturam sui principii, sicut patet in
hominum generatione, ubi relatio realis est et in patre et in filio. Verbum
autem in divinis est coessentiale suo principio, ut ostensum est. Relinquitur
ergo quod in divinis sit realis relatio et ex parte verbi et ex parte
proferentis verbum.
Ainsi donc en Dieu on peut trouver l'origine de l'un à partir de
l'autre, à savoir celle du Verbe et de celui qui le profère, tout en conservant
l'unité de l'essence. Car partout où il y a origine d'une chose à partir d'un
autre, il faut placer une relation réelle surtout du côté de ce dont elle est
issue, quand elle ne reçoit pas la même nature que son principe, comme cela
apparaît dans la sortie de la créature de Dieu, ou du côté de l'un et l'autre,
quand par exemple ce qui en est issu atteint la nature de son principe, comme
cela apparaît dans la génération de l'homme où la relation est réelle dans le
père et le fils. Mais le Verbe en Dieu est coessentiel à son principe, comme on
l'a montré. Il reste donc qu'en Dieu il y a une relation réelle, du côté du
Verbe et de celui qui le profère
Solutions:
q. 8 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in divinis
personis re quidem essentiali est unitas; distinctio vero ratione, id est
relatione, quae non differt ab essentia re, sed sola ratione, ut infra patebit.
# 1. Dans les personnes divines l'unité est de l’essence, et la
distinction est de raison, c'est-à-dire par une relation qui ne diffère pas
réellement de l’essence, mais seulement en raison, comme cela apparaîtra plus
bas.
q. 8 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod relatio quae est in
divinis personis habet quidem similitudinem cum relatione identitatis, si
unitas essentiae consideretur; sed si consideretur origo unius ab alio in eadem
natura, ex hoc relationes praedictas oportet esse reales.
# 2. La relation, dans les personnes divines, ressemble à la relation
d'identité, si on considère l'unité de l'essence, mais si on considère
l'origine de l'un à partir de l'autre dans une même nature, alors il faut que
ces relations soient réelles.
q. 8 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut Deus non mutatur
in productione suae creaturae, ita non mutatur in productione sui verbi: sed
tamen creatura non attingit ad essentiam et naturam divinam; unde essentia
divina non communicatur creaturae. Et propter
hoc relatio Dei ad creaturam non fit propter aliquid quod sit in Deo, sed solum
secundum id quod fit ex parte creaturae. Sed verbum producitur ut coessentiale
ipsi Deo; et ideo secundum id quod in Deo est, refertur Deus ad suum verbum,
non solum secundum id quod ex parte verbi est. Tunc enim est relatio realis ex
parte unius et non ex parte alterius, quando relatio consequitur per id quod
est ex uno, et non per id quod ex alio, sicut patet in scibili et scientia:
huiusmodi enim relationes causantur per actum scientis, non per aliquid
scibile.
# 3. Dieu ne subit pas de changement dans la production de sa créature,
de même il n’en subit pas non plus dans le production de son Verbe, mais
cependant la créature ne concerne pas l'essence et la nature divine; c'est
pourquoi l'essence divine n'est pas communiquée à la créature. Et la relation
de Dieu à la créature ne se fait pas à cause de quelque chose qui serait en
Dieu, mais seulement selon ce qui se fait du côté de la créature. Mais le Verbe
est produit comme coessentiel à Dieu même; et c'est pourquoi Dieu, selon ce qui
est en lui, est en relation avec son Verbe, et pas seulement selon ce qui est
du côté du verbe. Car alors c'est une relation réelle du côté de l'un et non du
côté de l'autre, quand la relation découle de ce qui vient de l'un et non de ce
qui vient de l'autre, comme on le voit pour le connaissable et la connaissance,
car les relations de ce genre sont causées par l'acte de celui qui connaît, non
par quelque chose de connaissable.
q. 8 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod relatio habet esse
debilissimum quod est eius tantum; sic tamen non est in Deo: non enim habet
aliud esse quam esse substantiae, ut infra patebit; unde ratio non sequitur.
# 4. La relation possède un être très faible, parce qu'elle ne vient
que d'elle seulement, cependant il n’en est pas ainsi en Dieu, car elle n'a pas
d'autre être que celui de la substance, comme on le verra plus loin (8, 2);
c'est pourquoi celle raison ne vaut pas.
q. 8 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod ratio illa procedit de
relatione reali, quae habet aliud esse ab esse substantiae cui inest; sic autem
non est in proposito, ut infra patebit.
# 5. Cette raison procède de la relation réelle, qui a un être
différent de celui de la substance en qui elle est; mais ainsi elle ne concerne
pas notre propos, comme on le verra plus loin.
q. 8 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod cum personae divinae
relationibus distinguantur, non alio differunt quam seipsis, quia relationes
sunt ipsae personae subsistentes, ut infra, patebit.
# 6. Comme les personnes divines sont distinguées par des relations,
elles ne diffèrent de l'autre que par elles-mêmes, parce que les relations sont
les personnes même subsistantes, comme cela apparaîtra plus bas (article 4).
q. 8 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod attributa essentialia
quae sunt proprietates essentiae, sunt in Deo realiter, et non secundum
rationem. Bonitas enim Dei est res quaedam, et similiter eius sapientia, et ita
de aliis, licet ab essentia non differant nisi ratione; sic etiam est de
relationibus, ut infra patebit.
# 7. Les attributs essentiels, qui sont les propriété de l'essence sont
en Dieu réellement et non en raison. Car la bonté de Dieu est une réalité et sa
sagesse aussi, de même pour les autres attributs, bien qu'ils ne diffèrent de
l'essence qu'en raison et il en est ainsi des relations, comme cela paraîtra
plus loin.
q. 8 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod substantia Dei esset
imperfecta si aliquid ei inesset quod non esset ipsa. Relatio autem in Deo est
substantia eius, ut infra patebit; unde ratio non sequitur.
# 8. La substance de Dieu serait imparfaite, s'il y avait quelque chose
en lui qui ne soit pas sa substance. Or la relation en Dieu est sa substance,
comme on le verra plus loin, c'est pourquoi cette raison ne convient pas.
q. 8 a. 1 ad 9 Ad nonum dicendum, quod mobile et accidens
reducuntur ad aliquid prius sicut imperfectum ad perfectum. Nam
accidens imperfectum est, et similiter motus est imperfecti actus. Sed hoc quod
dicitur ad aliud, quandoque sequitur perfectionem rei, sicut patet in
intellectu: nam consequitur eius operationem quae est eius perfectio; et ideo
perfectio divina non prohibet relationem in Deo ponere sicut prohibet ibi
ponere motum et accidens.
# 9. Le mobile et l'accident sont ramenés à ce qui est avant comme
l'imparfait au parfait. Car l'accident est imparfait, et semblablement le
mouvement est d'un acte imparfait. Mais ce qui est appelé relation, quelquefois
découle de la perfection, comme on le voit dans l'esprit; car il poursuit son
opération qui est sa perfection, et c'est pourquoi la perfection divine
n'empêche pas de poser une relation en Dieu, comme elle empêche d'y poser le
mouvement et l'accident.
q. 8 a. 1 ad 10 Ad decimum dicendum, quod id quod necesse est
per se esse, non refertur ad aliquid quod sit extraneum ab ipso: nihil tamen
prohibet quin referatur ad aliquid intra ipsum. Unde cum non dicatur esse
necesse per aliud, dicitur esse necesse per se ipsum.
# 10. Ce qui est nécessairement être par soi n’a rapport à rien
d'extérieur à lui; cependant rien n'empêche qu'il ait rapport à quelque chose
en lui. C'est pourquoi, comme on ne dit pas qu'il est nécessaire par un autre,
on dit qu'il est nécessaire par soi.
q. 8 a. 1 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod relatio realis in
Deo consequitur actionem intellectus, non quidem ita quod relatio realis
intelligatur intelligentis ad intellectum, sed ad verbum: quia intellectum non
oritur ab intelligente, sed verbum.
# 11. La relation réelle en Dieu découle de l'action de l'esprit, non
de sorte qu’on comprenne la relation réelle de celui qui pense à la pensée,
mais au verbe; parce que la pensée ne prend pas son origine dans celui qui
pense, mais c'est le verbe.
q. 8 a. 1 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod licet ratio
naturalis possit pervenire ad ostendendum quod Deus sit intellectus, modum
tamen intelligendi non potest invenire sufficienter. Sicut enim de Deo scire
possumus quod est, sed non quid est; ita de Deo scire possumus quod intelligit,
sed non quo modo intelligit. Habere autem conceptionem verbi in intelligendo,
pertinet ad modum intelligendi: unde ratio haec sufficienter probare non
potest; sed ex eo quod est in nobis aliqualiter per simile coniecturare.
# 12. Bien que la raison naturelle puisse parvenir à montrer que Dieu
est un esprit, cependant on ne peut pas arriver à le comprendre suffisamment.
En effet, de même que nous pouvons savoir que Dieu existe, mais non ce qu'il
est, de même nous pouvons savoir qu'il pense mais non de quelle manière il le
fait. Avoir la conception du verbe en pensant convient au mode de penser, c'est
pourquoi cette raison ne peut pas prouver suffisamment, mais elle peut le
conjecturer en nous en quelque manière par ce qui lui ressemble.
q. 8 a. 1 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod in aliis
oppositionibus semper alterum est ut imperfectum, vel non ens vel ut habens
aliquid de non ente: negatio enim est non ens, et privatio est quaedam negatio,
et duorum contrariorum alterum semper habet aliquid privationis; unde aliae
oppositiones in Deo esse non possunt sicut oppositio relationis, quae ex neutra
parte importat imperfectionem.
# 13. Dans les autres oppositions, toujours l'un est comme imparfait ou
comme non étant ou comme ayant quelque chose du non étant: car la négation
n'est pas le non étant, et la privation est une certaine négation et l'un des
deux contraires a toujours quelque chose d'une privation: c'est pourquoi les
autres oppositions en Dieu ne peuvent pas exister comme une opposition de
relation, qui n'apporte d'imperfection ni d'un côté ni de l'autre.
1 Parall.: 1a, qu. 28, a. 1 — a. 2, —qu. 29,
a. 4 c. — qu. 39, a. 1,— qu. 40, a. 1 — CG. IV, 14—I sent. d26q2a1. — d33q1a1
— Pot. qu. 2, a. 1, ad 3, ad 12 — Quodl. VI, a. 1, — Comp. 53.
2
Déjà évoqué en Pot. qu. 2, a. 1, obj. 4, à propos de la puissance générative du
Père.
3
Pourquoi cette conclusion? Parce que la relation n'est ni commune, ni une.
4
PL. 64 1255 A – 1256 A.
5
"…c'est une relation de ce type qui est, dans la Trinité, celle du Père au
Fils et de l'un à l'autre à l'Esprit saint, celle de ce qui est le même à ce
qui est le même." (Courts traités de Théologie, Trad. H. Merle, p. 143).
Le Père est Dieu, le Fils est Dieu: la relation est de Dieu à Dieu.
6
Sur les intellections secondes, ("intentions secondes" ou aspect
logique de la réalité) voir Pot. qu. 1, a. 1 – qu. 7, a. 8 – qu. 7, a. 9— qu.7,
a. 11.
7
Ce serait donc du fait d'étants différents.
8
La chose qui n’a plus rien au-delà est achevée et entière …Mais ce à quoi
manque quelque chose qui reste au dehors n'est pas un tout si peu qu'il lui
manque, car nous définissons l'entier ce dont rien n'est absent. (Physique, III, 6, 207 a 8)
9
"Concevons donc Dieu, si nous pouvons, autant que nous pouvons, bon sans
qualité, grand sans quantité…" (Trad. BA. 15, p. 427)
10
"Ainsi donc, la substance maintient l'unité, la relation introduit un
éléments multiple dans la Trinité." (Trad. H. Merle).
11
Pour Arius, voir Pot. qu. 2, a. 3.
12
Hérésie du Modalisme reprochée à Sabellius (IIIe siècle). La monarchianisme de
Praxéas et de Noët (IIe siècle) est proche de cette hérésie. Les noms de Père,
Fils, Esprit désignent une même personne et sont des attributs ou des modes
accidentels d’un même Dieu, personnel et créateur, Rédempteur et
sanctificateur.
13
"La quantité est soit discrète, soit continue." (Les Catégories, 6, 4 b 20. Trad. J. Tricot.)
14
Thomas désigne fréquemment la parole intérieure comme conception, conceptum,
conceptus. On peut hésiter pour traduire conceptio entre conception et concept.
Thomas emploi plusieurs mots pour désigner la même chose. En Ia, qu. 34, a. 1
d: il emploie conceptio, intellectus. Il emploie encore intentio ou ratio.
H.-F. Dondaine traduit (La Trinité,I, Éd. des Jeunes, p. 217) a) chose connue,
b) la species intelligible qui le constitua en acte de connaissant, c) l'acte
de connaître, d) la conception de l'esprit. "Quiconque connaît
(intelligit) du fait qu'il sait que quelque chose procède de lui, qui est le
concept de ce qui est connu (quod est conceptio rei intellectae)…on l'appelle
"verbe intérieur" (verbum cordis). Cf Veritate qu. 4, a. 1 c:Le verbe
intérieur qui n'est rien d'autre que ce qui est considéré en acte par
l'intellect…
15
Le verbe a deux aspects: il est objet de la pensée – il vient d’autre chose.
q. 8 a. 2 tit. 1 Secundo quaeritur utrum
relatio in Deo sit eius substantia. Et videtur quod non.
Il semble que non1:
Objections:
q. 8 a. 2 arg. 1 Nulla enim substantia est relatio: haec est
quaedam propositio immediata, sicut et haec: nulla substantia est quantitas.
Ergo nec divina substantia est relatio.
1. Car aucune substance n'est une relation: proposition évidente, de même
que celle-ci: Aucune substance n'est une
quantité2. Donc la substance
divine n'est pas une relation.
q. 8 a. 2 arg. 2 Sed dicendum, quod divina substantia est
relatio secundum rem, non tamen secundum rationem.- Sed contra, ratio cui nihil
respondet in re, est cassa et vana. Sed nihil vane in Deo debet poni. Ergo non
potest esse quod relatio differat ab essentia ratione existente.
2. Mais il faut dire que la
substance divine est une relation en réalité, mais non en raison — En sens contraire, le concept à quoi
rien ne correspond en réalité est vide et vain. Mais on ne doit rien placer de
vain en Dieu. Donc il n'est pas possible que la relation diffère de l'essence
si elle existe en raison.
q. 8 a. 2 arg. 3 Praeterea, personae divinae distinguuntur
relationibus, sola enim relatio multiplicat Trinitatem, ut dicit Boetius. Si
ergo personae divinae secundum substantiam non distinguuntur,- relatio autem
nihil addit supra substantiam secundum rem, sed solum secundum rationem,-
sequetur quod personae divinae distinguantur solum secundum rationem, quod est haeresis
Sabellianae.
3. Les personnes divines se distinguent par les relations, car seule la
relation multiplie la Trinité, comme le dit Boèce (La Trinité VI3). Si donc
les personnes divines ne se distinguent pas par la substance — la relation
n'ajoute rien à la substance en réalité, mais seulement en raison — il en
découle que les personnes divines se distinguent seulement en raison, ce qui
est l'hérésie de Sabellius4.
q. 8 a. 2 arg. 4 Praeterea, personae divinae non distinguuntur
secundum aliquid absolutum, quia sequeretur quod distinguerentur secundum
essentiam, ex hoc quod ea quae de Deo dicuntur absolute significant eius
essentiam, ut bonitas, sapientia, et huiusmodi. Si ergo relationes sunt idem
quod divina substantia, oportebit quod vel personae non distinguantur secundum
relationes, vel quod distinctio personarum sit secundum essentiam.
4. Les personnes divines ne se distinguent pas dans l’absolu, parce
qu'il en découlerait qu'elles se distingueraient selon l'essence, du fait que
ce qui est dit selon l'absolu de Dieu signifie son essence, comme la bonté, la
sagesse5, etc.. Donc si les relations
sont identiques à la substance divine, il faudra que, ou bien les personnes ne
se distinguent pas par les relations ou bien que la distinction des personnes
vienne de l'essence.
q. 8 a. 2 arg. 5 Praeterea, si relatio est ipsa substantia Dei,
sequeretur quod sicut Deus et sua magnitudo pertinet ad praedicamentum
substantiae in divinis,- ex hoc quod Deus est sua magnitudo - ita pari ratione
paternitas pertinebit ad praedicamentum substantiae; et sic omne quod de Deo
dicitur, dicetur secundum substantiam; quod est contra Augustinum qui dicit,
quod non omne quod de Deo dicitur, dicitur secundum suam substantiam: dicitur
enim Deus ad aliquid, sicut pater ad filium.
5. Si la relation est la substance même de Dieu, il en découlera que,
de même que Dieu et sa grandeur conviennent à la catégorie de la substance — du
fait qu'il est sa propre grandeur — de même, à raison égale, la paternité
conviendra à la catégorie de la substance et ainsi tout ce qu'on dit de Dieu,
sera attribué à la substance; ce qui est contre Augustin (La Trinité V, 4 et 5) qui dit que ce n'est pas tout ce qu'on dit de
Dieu qui est appelé sa substance; car on parle de Dieu comme relation, en tant
que Père vis-à-vis du Fils.
q. 8 a. 2 arg. 6
Praeterea, quidquid praedicatur de praedicato, praedicatur de subiecto. Sed si
relatio est ipsa essentia divina, haec praedicatio erit vera: essentia divina
est paternitas; et pari ratione ista: filiatio est divina essentia. Ergo
sequetur quod filiatio est paternitas.
6. Tout ce qui est attribué à un prédicat, est attribué au sujet. Mais
si la relation est l'essence divine elle-même, l'attribution suivante est vraie:
L'essence divine est la paternité; et
à raison égale: La filiation est
l'essence divine. Donc il en découlera que la filiation est la paternité.
q. 8 a. 2 arg. 7 Praeterea, quaecumque sunt idem, ita se
habent, quod quidquid praedicatur de uno, praedicetur de alio, quia, secundum
philosophum, quantamcumque differentiam assignaverimus, ostendentes erimus quod
non idem. Sed de essentia divina praedicatur quod sit sapiens, quod creet
mundum, et huiusmodi; quae non videntur praedicari posse de paternitate vel
filiatione. Ergo relatio in divinis non est essentia divina.
7. Tout ce qui est identique se comporte de sorte que tout ce qui est
attribué à l'un, est attribué à l'autre, parce que, selon le philosophe (Topiques, I, 18, 108 b 26) si
petite que soit la différence que nous aurons attribuée, nous aurons montré que
ce n'est pas la même chose. Mais on attribue à l'essence divine la sagesse,
la création du monde, etc.; ces deux notions qui ne semblent pas pouvoir être
attribuées à la paternité et ni à la filiation. Donc la relation en Dieu n'est
pas l'essence divine.
q. 8 a. 2 arg. 8 Praeterea, id quod facit distinctionem in
divinis personis, non est idem cum eo quod non distinguit nec distinguitur. Sed
relatio in divinis distinguit; essentia autem non distinguit neque
distinguitur. Ergo non sunt idem.
8. Ce qui apporte une distinction dans les personnes divines n'est pas
identique à ce qui n'a apporté ni subit de distinction. Mais la relation a
apporté une distinction en Dieu; et l'essence n'apporte ni ne subit de
distinction. Donc elles ne sont pas identiques.
q. 8 a. 2 arg. 9 Praeterea, idem per suam essentiam non potest
esse principium contrariorum, nisi per accidens. Sed distinctio, cuius est
principium relatio in divinis, opponitur unitati, cuius est principium
essentia. Ergo relatio et essentia non sunt idem.
9. Ce qui est identique par essence ne peut être le principe des
contraires que par accident. Mais la distinction, dont la relation en Dieu est
le principe, s'oppose à l'unité, dont le principe est l'essence. Donc la
relation et l'essence ne sont pas identiques.
q. 8 a. 2 arg. 10 Praeterea, eorum quae sunt idem, in quocumque
est unum et aliud. Si ergo essentia divina et paternitas est idem, in quocumque
est essentia divina, erit et paternitas. Sed essentia divina est in filio. Ergo
et paternitas; quod patet esse falsum.
10. Parmi chacune de ces choses qui sont identiques, il y en a une et
une autre. Donc si l'essence divine et la paternité sont identiques, partout où
il y a l'essence divine, il y aura la paternité aussi. Mais l'essence divine
est dans le Fils. Donc la paternité sera aussi en lui, ce qui paraît faux.
q. 8 a. 2 arg. 11 Praeterea, relatio et essentia differunt
saltem ratione in divinis. Sed ubi est diversa ratio, sive definitio, est
diversorum esse: quia definitio est oratio indicans quid est esse. Ergo aliud
erit esse relationis in divinis, et aliud substantiae. Ergo relatio et
substantia differunt secundum esse, et ita realiter.
11. La relation et l'essence diffèrent au moins en raison en Dieu. Mais
là où il y a une nature (ratio) ou
une définition différentes, cela vient d'êtres différents, parce que la
définition est une proposition qui indique ce qu'est l'être. Donc l'être de la
relation en Dieu sera différent de celui de la substance. Donc la relation et
la substance diffèrent selon l'être et donc réellement.
q. 8 a. 2 arg. 12 Praeterea, ad aliquid dicuntur quorum esse
est ad aliud se habere, ut dicitur in praedicamentis. Esse ergo relationis est
in respectu ad aliud, non autem esse substantiae. Ergo relatio et substantia
non sunt idem secundum esse; et sic idem quod prius.
12. On appelle relation ce dont l'être a rapport avec autre chose,
comme on le dit dans Les Catégories, (les
relations 7, 6 a 367). Donc l'être de
la relation est en rapport à autre chose, mais pas l'être de la substance. Donc
la relation et la substance ne sont pas identiques selon l'être et ainsi de
même que ci-dessus.
q. 8 a. 2 arg. 13 Praeterea, Augustinus dicit, quod aliquid
dicitur in Deo non substantive sed relative. Quod autem substantiam divinam
significat, dicitur substantialiter. Ergo relatio in divinis non significat
substantiam divinam; et sic idem quod prius.
13. Augustin déclare (la Trinité,
V, 4, 5 et 68) qu'on dit qu’il y a
quelque chose en Dieu qui n’est pas substance mais relation. On parle
substantiellement de ce que la substance divine signifie. Donc la relation ne
signifie pas la substance, et ainsi de même que plus haut.
q. 8 a. 2 arg. 14 Praeterea, Augustinus dicit, quod Deus non eo
Deus est quo pater est. Sed essentia divina est Deus; paternitate autem est
pater. Ergo essentia non est paternitas; et sic relationes in Deo non sunt
divina substantia.
14. Augustin dit (La Trinité, VII,
6) que Dieu n'est pas tant Dieu que Père. Mais l'essence divine est Dieu, et
par la paternité il est Père. Donc l'essence n'est pas la paternité, et ainsi les
relations en Dieu ne sont pas la substance divine.
En sens contraire:
q. 8 a. 2 s. c. 1 Sed contra. Quidquid est in Deo, Deus est, ut
Augustinus dicit. Sed relatio est in Deo, sicut paternitas in patre. Ergo
relatio est ipse Deus, et divina substantia.
1. Tout ce qui est en Dieu est Dieu, comme Augustin le dit (La Trinité V, 5 et sq.). Mais la
relation est en Dieu, comme la paternité dans le Père. Donc la relation est
Dieu lui-même, et la substance divine.
q. 8 a. 2 s. c. 2 Praeterea, omne suppositum in quo sunt
diversae res, est compositum. Sed in persona patris est paternitas et essentia.
Si igitur paternitas et essentia divina sunt duae res, sequeretur quod persona
patris sit composita; quod patet esse falsum. Oportet ergo quod relatio in
divinis sit ipsa substantia.
2. Tout suppôt en qui il y a diverses parties est composé. Mais dans la
personne du Père, il y a la paternité et l'essence. Si donc la paternité et
l'essence divine sont deux réalités, il en découlera que la personne du Père
est composée; il est clair que c’est faux. Il faut donc que la relation en Dieu
soit sa propre substance.
Réponse:
q. 8 a. 2 co. Respondeo. Dicendum quod, supposito quod
relationes in divinis sint, de necessitate oportet dicere quod sint essentia
divina: alias oporteret ponere compositionem in Deo, et quod relationes in
divinis essent accidentia, quia omnis res inhaerens alicui praeter suam
substantiam est accidens. Oporteret etiam quod aliqua res esset aeterna, quae
non erit substantia divina; quae omnia sunt haeretica.
Si on suppose qu’il y a des relations en Dieu, il faut nécessairement
dire qu'elles sont l'essence divine, autrement il faudrait placer une
composition en Dieu et les relations seraient des accidents, parce que tout ce
qui est inhérent à quelque chose au-delà de sa substance est un accident. Il
faudrait aussi qu'une chose qui ne serait pas la substance divine, soit
éternelle, toutes opinions qui sont hérétiques.
Ad huius ergo evidentiam sciendum est, quod inter novem
genera quae continentur sub accidente, quaedam significantur secundum rationem
accidentis: ratio enim accidentis est inesse; et ideo illa dico significari per
modum accidentis quae significantur ut inhaerentia alteri, sicut quantitas et
qualitas; quantitas enim significatur ut alicuius in quo est, et similiter
qualitas. Ad aliquid vero non significatur secundum rationem accidentis: non
enim significatur ut aliquid eius in quo est, sed ut ad id quod extra est. Et
propter hoc etiam dicit philosophus, quod scientia, in quantum est relatio, non
est scientis, sed scibilis.
Donc pour éclaircir cette question, il faut savoir que parmi les neuf
genres qui sont contenus sous l'accident, certains sont signifiés en tant que
tel; car la nature de l'accident est d'être inhérent et c'est pourquoi je dis
qu'est signifié à la manière de l'accident ce qui est signifié comme inhérent à
autre chose, comme la quantité et la qualité, car la quantité est signifiée
comme de ce en quoi elle est, et de même la qualité. Mais la relation n'est pas signifiée comme ayant nature d'accident,
car on ne la définit pas comme quelque chose de ce en quoi elle est, mais comme
dirigée vers ce qui est à l'extérieur. Et c'est pour cela aussi que le
Philosophe dit (Métaphysique, V, 15,
1021 a 259) que la connaissance, en
tant que relation, ne vient pas de celui qui connaît mais du connaissable10.
Unde quidam attendentes modum significandi in relativis,
dixerunt, ea non esse inhaerentia substantiis, scilicet quasi eis assistentia:
quia significantur ad quoddam medium inter substantiam quae refertur, et id ad
quod refertur. Et ex Et ex hoc sequebatur quod in rebus creatis relationes non
sunt accidentia, quia accidentis esse est inesse. hoc sequebatur quod in rebus
creatis
C'est pourquoi certains examinant
la manière de s'exprimer dans les relatifs, ont dit qu'ils ne sont pas
inhérents aux substances, c'est-à-dire comme une assistance pour elles, parce
qu'ils sont signifiés pour quelque chose d'intermédiaire entre la substance qui
est référée et ce à quoi elle est référée. Et de là il découlait que dans les
créatures, les relations ne sont pas des accidents, parce que le propre de
l'accident est d'être inhérent.
Unde etiam quidam theologi, scilicet Porretani, huiusmodi
opinionem usque ad divinam relationem extenderunt, dicentes, relationes non
esse in personis, sed eis quasi assistere. Et quia essentia divina est in
personis, sequebatur quod relationes non sunt essentia divina; et quia omne
accidens inhaeret, sequebatur quod non essent accidentia. Et secundum hoc
solvebant verbum Augustini inductum, quod scilicet relationes non praedicantur
de Deo secundum substantiam, nec secundum accidens. Sed ad hanc opinionem
sequitur quod relatio non sit res aliqua, sed solum secundum rationem: omnis
enim res vel est substantia vel accidens.
C'est pourquoi aussi, d’anciens
théologiens11, à savoir les
Porrétains, ont étendu une telle opinion à la relations en Dieu, disant qu'elle
n'est pas dans les personnes, mais c'est comme si elles les assistaient12. Et parce que l'essence divine est dans
les personnes, il en découlait que les relations ne sont pas l'essence divine,
et parce que tout accident est inhérent, il en découlait qu'elles n'étaient pas
des accidents. Et ils rejetaient ainsi la parole citée d'Augustin, disant que
les relations ne sont pas attribuées à Dieu selon la substance, ni selon
l'accident. Mais il découle de cette opinion que la relation n'est pas une
réalité, mais elle est seulement de raison, car tout est substance ou accident.
Unde etiam quidam antiqui posuerunt relationes esse de
secundis intellectis, ut Commentator dicit XI Metaph. Et ideo oportet hoc etiam
Porretanos dicere, quod relationes divinae non sunt nisi secundum rationem. Et
sic sequetur quod distinctio personarum non erit realis; quod est haereticum.
C'est pourquoi certains anciens
ont pensé que les relations venaient des intellections secondes, comme le dit
le Commentateur (Métaphysique, XI,
com. 19). Et c'est pourquoi les Porrétains sont obligés de dire que les
relations divines n'existent qu'en raison. Et ainsi il en découlera que la
distinction des personnes ne sera pas réelle, ce qui est hérétique.
Unde dicendum est, quod nihil prohibet aliquid esse
inhaerens, quod tamen non significatur ut inhaerens, sicut etiam actio non
significatur ut in agente, sed ut ab agente, et tamen constat actionem esse in
agente. Et similiter, licet ad aliquid non significetur ut inhaerens, tamen oportet
ut sit inhaerens. Et hoc quando relatio est res aliqua; quando vero est
secundum rationem tantum, tunc non est inhaerens. Et sicut in rebus creatis
oportet quod sit accidens, ita oportet quod sit in Deo substantia, quia
quidquid est in Deo, est eius substantia. Oportet ergo relationes secundum rem,
esse divinam substantiam; quae tamen non habent modum substantiae, sed habent
alium modum praedicandi ab his quae substantialiter praedicantur in Deo.
C'est pour cela qu'il faut dire que
rien n'empêche quelque chose d'être inhérent, qui n'est pas cependant signifié
en tant que tel, ainsi l'action n'est pas signifiée comme étant dans l'agent,
mais comme venant de lui et cependant il est clair qu’elle est en lui. Et de
même, bien que la relation ne soient pas signifiée comme inhérente, il faut
cependant qu'elle le soit. Et cela quand la relation est réelle, mais quand
elle est de raison seulement, alors elle n'est pas inhérente. Et de même que
dans les créatures, il faut qu'elle soit un accident, de même il faut qu'elle
soit en Dieu la substance, parce que tout ce qui est en Dieu est sa substance.
Donc il faut que les relations réelles soient la substance divine; elles n'ont
pas cependant le mode de la substance, mais un autre mode d'attribution que ce
qui attribué substantiellement à Dieu
Solutions:
q. 8 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod nulla substantia
quae est in genere, potest esse relatio, quia est definita ad unum genus; et
per consequens excluditur ab alio genere. Sed essentia divina non est in genere
substantiae, sed est supra omne genus, comprehendens in se omnium generum
perfectiones. Unde nihil prohibet id quod est relationis, in ea inveniri.
# 1. Aucune substance, qui est dans un genre, ne peut être relation,
parce qu'elle est limitée à un seul genre, par conséquent elle est exclue d'un
autre. Mais l'essence divine n'est pas dans le genre de la substance, mais est
au-dessus de tout genre, comprenant en soi les perfections de tous les genres.
C'est pourquoi rien n'empêche qu'on trouve en elle ce qui est une relation.
q. 8 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod alia est ratio
substantiae et relationis, et utrique respondet aliquid in re, quae Deus est;
non tamen aliqua res diversa, sed una et eadem. Et hoc praecipue convenit quod
duabus rationibus respondet una res, quando natura perfecte comprehendit ipsam
rem; et sic est in proposito.
# 2. La nature de la substance est autre que celle de la relation, et à
chacune correspond quelque chose dans la réalité, qui est Dieu. Cependant ce
n'est pas une chose différente, mais une seule et même réalité. Et surtout il
convient qu'une seule réalité corresponde aux deux natures, quand la nature
exprime parfaitement la réalité même; et ainsi cela concerne notre sujet.
q. 8 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod licet relatio non
addat supra essentiam aliquam rem, sed solum rationem, tamen relatio est aliqua
res, sicut etiam bonitas est aliqua res in Deo, licet non differat ab essentia
nisi ratione; et similiter est de sapientia. Et ideo sicut ea quae pertinent ad
bonitatem vel sapientiam, realiter Deo conveniunt, ut intelligere et alia
huiusmodi, ita etiam id quod est proprium realis relationis, scilicet opponi et
distingui, realiter in divinis invenitur.
# 3. Bien que la relation n'ajoute rien à l'essence, mais seulement un
rapport (ratio), elle est réelle,
comme la bonté aussi est une réalité en Dieu, bien qu'elle ne diffère de
l'essence qu'en raison; et il en est de même de la sagesse. Et ainsi de même
que ce qui concerne la bonté et la sagesse convient réellement à Dieu, comme
l'intellection, etc.; de même aussi ce qui est le propre de la relation réelle,
à savoir l'opposition et la distinction, se trouvent réellement en Dieu.
q. 8 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod attributa essentialia
non solum significant id quod est essentia divina, sed etiam significant per
talem modum, quia significant aliquid ut in Deo existens; et propter hoc
differentia, quae esset secundum absoluta, redundaret in diversitatem
essentiae. Relationes autem divinae, licet significent id quod est divina
essentia, non tamen per modum essentiae, quia non per modum inexistentis, sed
per modum se habentis ad aliud. Unde distinctio quae attenditur secundum
relationes in divina, non designat distinctionem in essentia, sed solum in hoc
quod est ad aliud se habere per modum originis, ut supra expositum est.
# 4. Les attributs essentiels signifient non seulement ce qu'est
l'essence divine, mais ils la signifient aussi d’une certaine manière, parce
qu'ils signifient quelque chose comme existant en Dieu et à cause de cela une
différence selon l'absolu, apporterait quelque chose en trop dans la différence
qui est dans l'essence. Mais bien que les relations en Dieu signifient ce
qu'est son essence, ce n'est pas
cependant à la manière de l'essence, parce que ce n'est pas par la manière
de ce qui n'existe pas mais à celle de ce qui a rapport à autre chose. C'est
pourquoi la distinction qui est atteinte selon les relations en Dieu, ne
désigne pas une distinction dans l'essence, mais seulement dans ce qui se
comportent comme relation par mode d'origine, comme on l'a exposé ci-dessus.
q. 8 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod licet relatio sit
substantia divina, non tamen significat per modum substantiae, ut supra
expositum est; et ideo non dicitur secundum substantiam, quia dici secundum
substantiam pertinet ad modum significandi.
# 5. Bien que la relation soit la substance divine, elle n'a cependant
pas de signification à la manière de la substance, comme on l'a exposé
ci-dessus et ainsi on n'en parle pas selon la substance, parce qu'en parler
ainsi convient à la manière de la signifier.
q. 8 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod ratio illa tenet in
praedicabilibus per se. Per se autem praedicatur aliquid de aliquo, quod
praedicatur de eo secundum propriam rationem; quod vero non secundum propriam
rationem praedicatur, sed propter rei identitatem, non etiam praedicatur per
se. Cum ergo dicitur: essentia divina est paternitas, non praedicatur
paternitas de essentia divina propter identitatem rationis, sed propter
identitatem rei; et similiter nec essentia de paternitate, ut iam dictum est,
quia alia est ratio essentiae et relationis. Et ideo in praedicto processu
incidit fallacia accidentis: licet enim in Deo nullum sit accidens, est tamen
quaedam similitudo accidentis, in quantum ea quae de se invicem praedicantur
secundum accidens et differunt ratione, sunt unum subiecto.
# 6. Cette raison tient aux prédicables par soi13. Mais quelque chose est attribué par soi à
quelque chose qui lui est attribué selon sa nature propre. Mais ce qui est
attribué non pas selon sa nature propre mais à cause de son identité14 n'est pas attribué par soi. Donc quand on
dit que la paternité est l'essence divine,
on n'attribue pas la paternité à l'essence divine à cause d'une identité de
raison, mais d'une identité réelle. Et de la même manière on n'attribue pas
l'essence à la paternité, comme on l'a déjà dit, parce que la nature de
l'essence est autre que celle de la relation. Et c'est pourquoi dans le
développement déjà signalé15 on en
arrive à une erreur à propos de l'accident; car bien qu'en Dieu il n'y ait nul
accident, il y a cependant quelque chose
qui y ressemble, dans la mesure où ce qui est attribué à soi réciproquement
selon l'accident et qui diffère en raison, est un dans le substrat.
q. 8 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod sicut philosophus
dicit in III Phys., non oportet quod omnia eadem praedicentur quolibet modo de
eisdem, sed solum de eisdem secundum rationem. Essentia autem divina et
paternitas, etsi sint idem re, non sunt idem ratione; et ideo non oportet quod
quidquid praedicatur de aliquo uno, praedicetur de alio. Sciendum tamen, quod
quaedam sunt quae consequuntur proprias rationes essentiae et relationis: sicut
quod esse commune sequitur ad essentiam, distinguere sequitur ad relationem.
Unde unum horum ab alio removetur, neque enim essentia distinguit, neque
relatio est communis. Quaedam vero non quantum ad principale significatum, sed
quantum ad modum significandi, habent aliquam differentiam a ratione essentiae
vel relationis; et ista praedicantur quidem de essentia vel relatione, licet
non proprie; et huiusmodi sunt adiectiva, et verba substantialia, ut bonus, sapiens,
intelligere, et velle: huiusmodi enim quantum ad rem significatam, significant
ipsam essentiam; sed tamen significant eam per modum suppositi, et non in
abstracto. Et ideo propriissime dicuntur de personis, et de nominibus
essentialibus concretis, ut Deus, vel pater bonus, sapiens, creans, et alia
huiusmodi; de essentia autem in abstracto significata, et non per modum
suppositi, sed improprie. Adhuc autem minus proprie de relationibus, quia
huiusmodi conveniunt supposito secundum essentiam, non autem secundum
relationem: Deus enim est bonus, vel creans, ex eo quod habet essentiam, non ex
eo quod habet relationem.
# 7. Comme le philosophe le dit (Physique,
III, 3, 202 b 1516), il ne faut pas
attribuer tout ce qui est identique d'une certaine manière à l'identique mais,
seulement à ce qui est identique en raison. Mais même si l'essence divine et la
paternité sont identiques en réalité, elles ne le sont pas en raison; c'est
pourquoi il ne faut pas que ce qui est attribué à l'un le soit à l'autre. Il faut savoir cependant qu'il y a certaines choses
qui suivent leur propre nature d'essence et de relation: ainsi l'être commun se
rattache à l'essence, et la distinction se rattache à la relation. C'est
pourquoi l'une de ces choses est exclue par l'autre, car l'essence n'a pas
distingué, et la relation n'est pas commune. Mais certaines, non pas pour le
signifié principal, mais quant au mode de signifier, ont une différence par la
nature de l'essence ou de la relation, et ces choses sont attribuées à
l'essence ou à la relation, bien que non au sens propre. Les adjectifs sont de
ce genre et les mots substantiels comme bon, sage, intellection, vouloir. Car
de cette manière, pour ce qui est signifié, ils signifient l'essence, mais
cependant il la signifie par le mode de suppôt, et non dans l'abstrait. Et
c'est pourquoi on les dit les plus propres pour les personnes et les noms
essentiels concrets, comme Dieu ou Père bon, sage, créateur, etc., pour
l'essence signifiée dans l'abstrait aussi et non par mode de suppôt, mais
improprement. Mais encore moins proprement des relations, parce qu'elles
conviennent en tant que telles au suppôt selon l'essence mais non selon la
relation: car Dieu est bon ou créateur du fait qu'il a l'essence, mais non du
fait qu'il a la relation.
q. 8 a. 2 ad 8 Ad octavum dicendum, quod illud quod facit
distinctionem, potest esse cum eo quod nec distinguit nec distinguitur, idem
re, sed non ratione.
# 8. Ce qui fait la distinction peut être avec ce qui ne l'apporte, ni
ne la subit; identique en réalité, mais pas en raison.
q. 8 a. 2 ad 9 Ad nonum dicendum, quod unitas essentiae non
opponitur distinctioni relationum: unde non sequitur quod relatio et essentia
sint causae oppositorum.
# 9. L'unité de l'essence n'est pas opposée à la distinction des
relations. C'est pourquoi il n'en découle pas que la relation et l'essence sont
les causes des opposés.
q. 8 a. 2 ad 10 Ad decimum dicendum, quod quaecumque sunt eadem
re et ratione oportet quod in quocumque est unum, sit aliud. Non autem hoc
oportet de his quae sunt eadem re, sed non ratione; sicut instans est idem quod
est principium futuri et finis praeteriti, non tamen principium futuri dicitur
esse in praeterito, sed id quod est futuri principium; et similiter non dicitur
quod paternitas est in filio, sed id quod est, scilicet essentia.
# 10. Tout ce qui est identique en réalité et en raison doit être autre
en chaque chose où il est en tant qu’unité. Mais il ne le faut pas pour ce qui
est identique en réalité, mais non en raison, comme l'instant, qui est le
commencement du futur et la fin du passé est le même, on ne dit pas cependant
que le commencement du futur est dans le passé, mais on dit que c’est ce qui
est le commencement du futur, et de même on ne dit pas que la paternité est
dans le Fils, mais ce qu’il est, à savoir l'essence.
q. 8 a. 2 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod in divinis nullo
modo est esse nisi essentiae, sicut nec intelligere nisi intellectus; et
propter hoc, sicut in Deo est tantum unum intelligere, ita etiam unum esse. Et
ideo nullo modo concedendum est, quod aliud sit esse relationis in divinis, et
aliud essentiae. Ratio autem non significat esse, sed esse quid, id est quid
aliquid est. Unde duae rationes unius rei non demonstrant duplex esse eius sed
demonstrant quod dupliciter de illa re potest dici quid est; sicut de puncto
potest dici quid est sicut principium et ut finis, propter diversam rationem
principii et finis.
# 11. En Dieu, il n'y a en aucune manière d’être que celle de l'essence,
de même qu'il n'y a d'intellection sinon de l'esprit, et ainsi, de même qu'en
Dieu, il n'y a qu’une seule intellection, il n'y a aussi qu'un seul être. Et
c'est pourquoi en aucune manière il ne faut concéder que l'être de la relation
en Dieu est autre que celui de l'essence. Mais la raison ne signifie pas l'être
mais être quelque chose, c'est-à-dire ce qu’il est. C'est pourquoi deux natures
d'une même chose unique ne révèlent pas que son être est double; mais qu'on
peut parler de deux manières de ce qu'elle est; comme d'un point, on peut dire
qu'il est aussi bien le commencement que la fin, à cause de la nature
différente du commencement et de la fin.
q. 8 a. 2 ad 12 Ad duodecimum dicendum quod, cum relatio sit
accidens in creaturis, esse suum est inesse; unde esse suum non est ad aliud se
habere; sed esse huius secundum quod ad aliquid, est ad aliud se habere.
# 12. Comme la relation est un accident dans les créatures, son être
est d'être inhérente. C'est pourquoi son être n’a pas rapport à un autre mais
l'être de ce selon quoi il y a relation apporte une relation à un autre.
q. 8 a. 2 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod dicuntur
relativa de Deo praedicari non substantialiter, quia non praedicantur per modum
existentis in substantia, sed per modum ad aliud se habentis, non ideo quin
illud quod significant, sit substantia.
# 13. On dit que les relatifs ne sont pas attribués à Dieu
substantiellement, parce qu'ils ne sont pas attribués par mode d'existence dans
la substance mais à la manière de ce qui est en relation à un autre, non de
telle sorte que ce qu'ils signifient soit la substance.
q. 8 a. 2 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod Deus dicitur
non eo Deus quo pater, propter diversum modum significandi divinitatis et
paternitatis, ut expositum est.
14. On dit que Dieu n'est pas tant Dieu que Père à cause de la manière
différente de signifier sa divinité et sa paternité, comme on l'a exposé (dans
le corps de l'article).
1 Parall.: Ia, qu. 28, a. 2 — I Sent. d33q1a1 — CG. IV, 14 —Qdl.
VI, q. 1 — Comp. 54, 66, 67. — Qdl. VI, 1, c.: "Il en
découlerait qu'en Dieu il y aurait composition…La propriété personnelle diffère
cependant de l'essence selon la manière de la comprendre ou de la signifier, car
on parle de l'essence dans l'absolu, mais la propriété personnelle apporte une
relation.
2
Cf. qu. 9, a. 4, obj. où les termes sont inversés.
3
Cité Pot. qu. 8, a. 1, sed contra. 1.
4
Cf. qu. 8, a. 1, c.
5
Cf. ce qu’il précise qu. 8, 1, a.sol. 7.
6
"Car une fois que nous aurons découvert une différence, quelle qu'elle
soit, entre les objets qui nous sont proposés, nous aurons par là même montré
qu'ils ne sont pas une seule et même chose."
7
"On appelle relatives ces choses dont tout l'être consiste en ce qu'elles
sont dites dépendre d'autres choses, ou se rapporte de quelque autre façon à
autre choses." (Trad. J. Tricot).
8
"Il ne s'ensuit pas, toutefois que toute attribution ait un sens
substantiel, il y a en effet, la relation, par exemple, le Père est relatif au
Fils et le Fils relatif au Père, qui n'est pas un accident…"
9
Aristote n° 496, Thomas, 1028.
10
C’est le connaissable qui devient inhérent à celui qui connaît.
11
Antiqui théologi (Éd. Marietti)
désignent les théologiens des XIe et XIIe siècles.
12
"Les relations so sont assistantes, c'est-à-dire accolées du dehors.
(relationes in divinis sunt assistentes, sive extrinsecus affixae)" Ia, qu. 28, a. 2, c..
13
Les prédicables sont cinq: le genre, l'espèce, la différence, le propre,
l'accident. Cf. Ia, qu. 77, a. 1, ad 5.
14
Identitas opposé à diversitas.
15
L'opinion des Porrétains.
16
Thomas, lectio 5, n° 317: "…car l'identité totale n'appartient pas aux
choses qui sont identiques d'une façon quelconque, mais seulement à celle dont
l'essence est identique."
q. 8 a. 4 tit. 1
Quarto quaeritur utrum remota relatione secundum intellectum, remaneat
hypostasis in divinis. Et videtur quod sic.
Il semble que oui1.
Objections:
q. 8 a. 4 arg. 1 Ea enim quae sunt in creaturis, sunt exemplata ab his
quae sunt in Deo. Sed in humanis,
remotis relationibus et proprietatibus hypostasis, adhuc remanent hypostases.
Ergo et similiter in divinis.
1. Car ce qui est
dans les créatures est l'image (exemplata) de ce qui est en Dieu.
Mais chez les hommes, si on exclut leurs relations et leurs propriétés, les
hypostases demeurent encore. Et il en est donc de même en Dieu.
q. 8 a. 4 arg. 2
Praeterea, pater non habet ab eodem quod sit quis et quod sit pater, cum etiam
filius sit quis et non sit pater. Remoto ergo a patre quod sit pater, remanet
quod sit quis. Est autem quis in quantum est hypostasis. Remota ergo
paternitate per intellectum, adhuc remanet hypostasis patris.
2. Le Père ne
tient pas d'une même [nature] d'être ce qu'il est et d'être Père, puisque le
Fils aussi est ce qu'il est et n'est pas Père. Donc si on exclut du Père qu'il
est Père, il demeure qu'il est ce qu'il est. Mais il est ce qu’il est en tant
qu'hypostase. Donc si on exclut en esprit la paternité, l'hypostase du Père demeure
encore.
q. 8 a. 4 arg. 3
Praeterea, cum quaelibet res intelligatur per suam definitionem, potest
unaquaeque res intelligi remoto eo quod in eius definitione non ponitur. Sed
relatio non ponitur in definitione hypostasis. Ergo remota relatione adhuc intelligitur
hypostasis.
3. Comme chaque
chose est comprise par sa définition, elle peut être comprise si on exclut ce
qui n'est pas placé dans sa définition. Mais la relation n'est pas placée dans
la définition de l'hypostase. Donc si on exclut la relation, on comprend encore
l'hypostase.
q. 8 a. 4 arg. 4
Praeterea, Iudaei et gentiles intelligunt in Deo hypostasim: intelligunt enim
Deum esse rem quamdam per se subsistentem, nec tamen intelligunt in eo
paternitatem et filiationem, et huiusmodi relationes. Ergo remotis huiusmodi
relationibus per intellectum, remanent adhuc hypostases in divinis.
4. Les Juifs et
les païens comprennent une hypostase en Dieu. Car ils comprennent que Dieu est
un être qui subsiste par soi et cependant ils ne comprennent pas en lui la
paternité, la filiation et les relations de ce genre. Donc si on exclut en
esprit ces relations, les hypostases demeurent en Dieu.
q. 8 a. 4 arg. 5
Praeterea, omne quod se habet ex additione, remota additione, remanet id cui
fit additio; sicut homo addit supra animal rationale: est enim homo animal
rationale; unde remoto rationale, remanet animal. Sed persona addit
proprietatem supra hypostasim: est enim persona hypostasis proprietate
distincta, ad dignitatem pertinente. Ergo remota proprietate a persona secundum
intellectum, remanet hypostasis.
5. Pour tout ce
qui comporte un ajout, si on l'enlève, demeure ce à quoi est fait cet ajout;
ainsi homme ajoute le raisonnable à animal, car il est un animal
raisonnable; c'est pourquoi, si on enlève le raisonnable, l'animal
demeure. Mais la personne ajoute une propriété à l'hypostase. Car elle est
hypostase par une propriété distincte, qui se rattache à sa dignité. Donc si on
exclut en esprit cette propriété de la personne, l'hypostase demeure.
q. 8 a. 4 arg. 6 Praeterea, Augustinus dicit, quod
verbum est sapientia genita. Sapientia vero hypostasim supponit, genitum autem
proprietatem. Remoto ergo a verbo quod sit genitum, remanet hypostasis verbi,
et eadem ratione in aliis personis.
6. Augustin
dit (la Trinité VII, 2) que le Verbe est la Sagesse engendrée. Mais la
Sagesse suppose une hypostase, et le fait d'être engendré une propriété. Donc
si on exclut du Verbe qu'il est engendré, son hypostase demeure et pour la même
raison, elle demeure dans les autres personnes.
q. 8 a. 4 arg. 7
Praeterea, remota paternitate et filiatione secundum intellectum, adhuc remanet
in divinis qui ab alio, et a quo alius. Haec autem hypostases designant. Ergo
remotis relationibus, adhuc remanent hypostases in divinis.
7. Si on exclut en
esprit la paternité, la filiation, il demeure encore dans la divinité ce qui
vient d’un autre, et par quoi il est autre. Mais cela les hypostases le
désignent. Donc si on exclut les relations, les hypostases demeurent encore en
Dieu.
q. 8 a. 4 arg. 8 Praeterea, remota
differentia constitutiva, adhuc remanet genus. Sed proprietates personales, cum
constituant personas, sunt in divinis sicut differentiae constitutivae. Ergo
remotis proprietatibus, remanet genus personae, quod est hypostasis.
8. Si on exclut la différence constitutive, le
genre demeure encore, mais comme les propriétés personnelles constituent les
personnes, elles sont en Dieu comme des différences constitutives. Donc si on
les exclut, le genre de la personne, qui est l'hypostase, demeure.
q. 8 a. 4 arg. 9
Praeterea, Augustinus dicit, quod remoto hoc quod est pater, adhuc remanet
ingenitus. Sed ingenitus est quaedam proprietas cuius suppositum esse non
potest nisi hypostasis. Ergo remota paternitate, adhuc remanet hypostasis
patris.
9. Augustin dit (La
Trinité, V, 6), que si on exclut ce qui est le Père, demeure encore l'inengendré.
Mais être inengendré est une propriété dont le suppôt ne peut être que
l'hypostase. Donc si on exclut la paternité, l'hypostase du Père demeure
encore.
q. 8 a. 4 arg. 10
Praeterea, sicut relationes sunt proprietates hypostasum, ita attributa sunt
proprietates essentiae. Sed remoto per intellectum attributo essentiali, adhuc
remanet intellectus divinae substantiae. Boetius enim dicit quod remota
bonitate a Deo per intellectum, adhuc remanet quod sit Deus. Ergo similiter
remotis relationibus, adhuc remanent hypostases in divinis.
10. Les relations
sont les propriétés des hypostases; de même les attributs sont les propriétés
de l'essence. Mais si on exclut en esprit un attribut essentiel, le concept de
la substance divine demeure encore. Car Boèce dit (De hebdomadibus) que
si on exclut en esprit la bonté de Dieu, ce qui est Dieu demeure encore. Donc
de la même manière, si on exclut les relations, les hypostases demeurent encore
en Dieu.
q. 8 a. 4 arg. 11 Praeterea, secundum Boetium,
proprium est intellectus, coniuncta secundum naturam dividere. Proprietas autem et
hypostasis sunt realiter coniuncta in Deo. Ergo intellectus potest ea ab
invicem separare.
11. Selon Boèce (Sur
le Préambule de Porphyre, dans les prédicables) le propre de
l'intellect, c'est de diviser ce qui est joint en nature. Mais la propriété et
l'hypostase sont réellement jointes en Dieu. Donc l'esprit peut les séparer
l'une de l'autre.
q. 8 a. 4 arg. 12
Praeterea, remoto eo quod est in aliquo, potest intelligi id in quo est; sicut
remoto accidente potest intelligi subiectum. Sed relationes ponuntur in divinis
hypostasibus esse. Ergo remotis relationibus secundum intellectum, adhuc
remanent hypostases.
12. Si on exclut
ce qui est dans une chose, on peut connaître ce en quoi elle est; ainsi si on
exclut l'accident, on peut connaître le sujet. Mais les relations sont placées
pour être dans les hypostases divines. Donc, si on les exclut en esprit,
restent encore les hypostases.
En
sens contraire :
q. 8 a. 4 s. c. Sed
contra. In divinis distinctio non potest esse nisi secundum relationes. Sed
hypostasis dicit aliquid distinctum. Ergo remotis relationibus non remanet
hypostasis. Cum enim in divinis non ponantur nisi duo modi praedicandi,
scilicet secundum substantiam, et ad aliquid, remotis relationibus non remanent
nisi ea quae ponuntur secundum substantiam. Haec autem sunt quae pertinent ad
essentiam; et sic non remanent hypostases distinctae.
En Dieu la distinction
ne peut exister que selon les relations. Mais l'hypostase désigne ce qui est
distinct. Donc, si on exclut les relations, l'hypostase ne demeure pas. En
effet, comme en Dieu, on ne place que deux modes d'attribution, à savoir selon
la substance et selon la relation, si on exclut les relations, il ne demeure
que ce qui est placé selon la substance, mais c'est ce qui concerne l'essence
et ainsi les hypostases ne demeurent pas distinctes.
Réponse
:
q. 8 a. 4 co. Respondeo. Dicendum quod, sicut supra
dictum est, quidam posuerunt hypostases in divinis non constitui nec distingui
relationibus, sed per solam originem. Relationes autem dicebant consequi ipsam
originem personarum, sicut originis terminos, quibus complementum originis
designatur, et sic ad quamdam dignitatem pertinent. Unde cum persona videatur
esse nomen dignitatis, intellectis huiusmodi relationibus supra hypostases,
dicebant constitui personas; et sic huiusmodi relationes dicebant esse
constitutivas personarum, sed non hypostasum.
Comme ci-dessus (article précédant2)
on l'a dit, certains ont pensé que les hypostases en Dieu ne sont pas
constituées ni distinguées par les relations, mais par leur seule origine, Mais
ils disaient que les relations découlaient de l'origine même des personnes,
comme ses limites, par lesquelles est désigné ce qui la complète et ainsi elles
se rattachent à une certaine dignité. C'est pourquoi, comme la personne semble
être un nom de dignité, si de telles relations sont comprises en plus des
hypostases, ils disaient que les personnes étaient constituées et ainsi ils
disaient que de telles relations étaient constitutives des personnes mais pas
des hypostases.
Et pro tanto apud quosdam huiusmodi relationes
personalitates dicuntur; et ideo sicut apud nos, remotis ab aliquo homine his
quae ad dignitatem pertinent, quae faciunt eum esse personam, remanet eius
hypostasis, ita in divinis, remotis per intellectum huiusmodi relationibus personalibus
a personis, dicunt, quod remanebant hypostases, non tamen personae.
Et pour
autant chez certains, les relations de ce genre sont appelées les
‘personnalités’: et c'est pourquoi, de même que pour nous, si on exclut de
l’homme ce qui concerne sa dignité, qui en fait une personne, son hypostase
demeure, de même en Dieu, si une fois exclues en esprit de telles relations des
personnes, ils disent que les hypostases demeuraient, mais cependant pas les
personnes.
Sed quia iam supra
ostensum est quod relationes praedictae et hypostases constituunt et
distinguunt, ideo secundum alios dicendum est, quod remotis per intellectum
huiusmodi relationibus, sicut non remanent personae, ita non remanent
hypostases. Remoto enim eo quod est constitutivum alicuius, non potest remanere
id quod per ipsum constituitur.Mais
parce que déjà ci-dessus, on a montré que ces relations constituent et
distinguent les hypostases, il faut en conséquence dire selon d'autres,
que, si on exclut en esprit de telles relations, les personnes ne demeurent
pas, et les hypostases non plus. Car si on exclut ce qui est constitutif, ce
qui en est constitué par soi ne peut pas demeurer.
Solutions:
q. 8 a. 4 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod in hominibus hypostases non constituuntur neque per
relationes neque per proprietates, sicut constituuntur in divinis, ut ostensum
est; et ideo non est simile.
# 1. Chez les
hommes les hypostases ne sont constituées ni par les relations, ni par les
propriétés, comme elles le sont en Dieu, comme on l'a montré, et c'est pourquoi
ce n'est pas pareil.
q. 8 a. 4 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod pater ab eodem habet quod sit quis et quod sit pater:
ab eodem, inquam, secundum rem, et non secundum rationem, sed differenti
secundum rationem, vel sicut differt generale a speciali, vel commune a proprio:
sicut patet quod homo ab eadem forma substantiali habet quod sit animal et quod
sit homo; non enim sunt unius rei plures formae substantiales secundum rem
diversae: et tamen ab anima, inquantum est anima sensibilis, tantum habet quod
sit animal; inquantum vero est anima sensibilis et rationalis, habet ab ea quod
sit homo. Et propter hoc et equus est animal, sed non est homo, quia non habet
animam sensibilem eamdem numero quam habet homo: et pro tanto etiam non est
idem animal numero. Similiter dico in proposito, quod pater habet quod sit quis
et quod sit pater a relatione; sed quod sit quis, habet a relatione communiter
sumpta; quod autem sit hic quis, habet ab hac relatione quae est paternitas; et
propter hoc etiam filius, in quo est relatio, sed non haec relatio quae est
paternitas, est quis, sed non est hic quis qui est pater.
# 2. Par une même
[nature], le Père a qu'il est tel et est Père; par un même [nature], dis-je, en
réalité, et non en raison, mais différente en raison; comme le général diffère
du particulier, ou ce qui est commun de ce qui est propre; ainsi il est clair
que l'homme par la même forme substantielle est animal et homme; car il
n'existe pas plusieurs formes substantielles d'une seule chose différentes en
réalité. Et cependant par l'âme en tant qu'elle est sensitive, il est seulement
animal, mais par l’âme, en tant que sensitive et raisonnable, il est un homme.
Et le cheval est un animal, et pas un homme, parce qu'il a une âme sensitive la
même en nombre que celle de l'homme, et pour autant il n'est pas le même animal
en nombre. Je dis qu'il en est de même pour notre propos, parce que le Père est
tel et est Père par relation, mais qu'il soit tel vient d'une relation assumée
en commun, mais qu'il soit ce qu’il est, il l'a par cette relation qui
est la paternité et à cause de cela le Fils aussi, en qui est la relation, mais
cette relation qui est la paternité n'est pas ce qu’il est et ce n’est pas ce
qu’il est qui est Père.
q. 8 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod aliquid in
relatione alicuius potest poni dupliciter: scilicet explicite, sive in actu, et
implicite sive in potentia. In ratione enim animalis non ponitur anima
rationalis explicite et in actu, quia sic omne animal haberet animam rationalem;
sed implicite et in potentia, quia animal est substantia animata sensibilis.
Sicut autem sub anima in potentia continetur anima rationalis, ita sub animato
rationale: et ideo quando definitio animalis actu attribuitur homini, oportet
quod rationale sit de definitione animalis explicite, secundum quod animal est
idem homini. Et similiter est in proposito; hypostasis enim, communiter sumpta,
est substantia distincta: unde cum in divinis non possit esse distinctio nisi
per relationem, cum dico hypostasim divinam, oportet quod intelligatur
relatione distincta. Et ita relatio, quamvis non cadat in definitione
hypostasis quod est homo, cadit tamen in definitione hypostasis divinae.
# 3. On peut
placer quelque chose en relation de deux manières : à savoir explicitement, ou
en acte, et implicitement, ou en puissance. Car dans la nature de l'animal on
ne place pas l'âme raisonnable explicitement et en acte, parce qu'ainsi tout
animal aurait une âme raisonnable, mais implicitement et en puissance, parce
que l'animal est une substance animée, douée de sensibilité. De même que l'âme
raisonnable est contenue en puissance sous l'âme; de même le raisonnable sous
l'animé; et ainsi quand la définition de l'animal en acte est attribuée à
l'homme, il faut que le raisonnable soit de la définition de l'animal
explicitement selon que l’animal est identique à l'homme. Et il en est de même
pour notre propos: car l'hypostase prise communément est une substance
distincte: c'est pourquoi, comme en Dieu, il ne peut y avoir de distinction que
par la relation, quand je parle de l'hypostase divine, il faut comprendre
qu'elle est distincte par une relation. Et ainsi, quoique la relation ne soit
pas comprise dans la définition de l'hypostase, parce qu'il est l'homme, elle
s’applique cependant à la définition de l'hypostase divine.
q. 8 a. 4 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod Iudaei et gentiles non intelligunt essentiam distinctam
nisi ab his quae sunt alterius naturae, quae quidem distinctio fit per ipsam
divinam essentiam. Sed apud nos hypostasis intelligitur ut distincta ab eo quod
est eiusdem naturae, a quo non potest distingui nisi per relationem tantum: et
ideo ratio non procedit.
# 4. Les Juifs et
les Païens ne comprennent une essence distincte que par ce qui est d’une autre
nature. Cette distinction se fait par l'essence divine elle-même. Mais pour
nous, l'hypostase est comprise comme distincte de ce qui est d’une même nature3,
elle ne peut en être distinguée que par relation seulement; et c'est pourquoi
cette raison ne vaut pas.
q. 8 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod alius est
modus quo definiuntur accidentia, et quo definiuntur substantiae. Substantiae
enim non definiuntur per aliquid quod sit extra essentiam eorum: unde id quod
primo ponitur in definitione substantiae est genus, quod praedicatur in eo quod
quid de definito. Accidens vero definitur per aliquid quod est extra essentiam
eius, scilicet per subiectum, a quo secundum suum esse dependet. Unde id quod
ponitur in definitione eius, loco generis, est subiectum; sicut cum dicitur:
simum est nasus curvus. Sicut ergo in definitionibus substantiarum, remotis
differentiis, remanet genus; ita in definitione accidentium, remoto accidente,
quod ponitur loco differentiae, remanet subiectum; aliter tamen et aliter.
Remota enim differentia remanet genus, sed non idem numero: remoto enim
rationali, non remanet idem numero animal, quod est animal rationale; sed
remoto eo quod ponitur loco differentiae in definitionibus accidentium, remanet
idem subiectum numero: remoto enim curvo vel concavo, remanet idem nasus
numero. Et hoc est, quia accidens non complet essentiam subiecti sicut
differentia complet essentiam generis. Cum ergo dicitur: persona est
hypostasis, proprietate distincta ad dignitatem pertinente, non ponitur
hypostasis in definitione personae ut subiectum, sed ut genus. Unde remota
proprietate ad dignitatem pertinente, non remanet hypostasis eadem, scilicet
numero vel specie, sed solum secundum genus, prout salvatur in substantiis non
rationalibus.
# 5. La manière
dont on définit les accidents est différente de celle dont on définit les
substances. Car ces dernières ne sont pas définies par quelque chose qui est en
dehors de leur essence ; c'est pourquoi ce qui est d'abord placé dans la
définition de la substance est le genre, qui est attribué en ce qui est
l'essence de ce qui est défini. Mais l'accident est défini par quelque chose
qui est hors de son essence, à savoir par le sujet, de qui il dépend selon son
être. C'est pourquoi ce qui est placé dans sa définition, à la place du genre,
c’est le sujet; ainsi quand on parle de camus4
c’est le nez concave. Donc, de même que dans les définitions des
substances, si on exclut les différences, le genre demeure, de même dans celle
des accidents, si on exclut l'accident qui est mis à la place de la différence,
le sujet demeure; de façon différente cependant. Car si on exclut la différence,
le genre demeure, mais non le même en nombre; mais si on exclut le rationnel,
l'animal ne demeure pas le même en nombre parce que c'est un animal raisonnable;
car si on exclut le courbe ou le concave, le même nez demeure en nombre. Et
c'est parce que l'accident n'achève pas l'essence du sujet comme la différence
achève l'essence du genre. Donc quand on dit: la personne est une hypostase par
une propriété distincte, qui convient à sa dignité, on ne place pas une
hypostase dans la définition de la personne comme sujet, mais comme genre.
C'est pourquoi, si on exclut la propriété qui concerne la dignité, l'hypostase
ne demeure pas la même, à savoir en nombre ou en espèce, mais seulement en
genre dans la mesure où elle est conservée dans les substances sans raison.
q. 8 a. 4 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod cum dicitur: verbum est sapientia genita, ly sapientia
supponit pro hypostasi, non tamen significat hypostasim; et ideo in
significatione eius non clauditur proprietas, sed oportet quod addatur; sicut si
dicam, quod Deus est filius genitus.
# 6. Quand on dit :
le Verbe est la sagesse engendrée, la "sagesse" remplace l'hypostase
mais ne la signifie cependant pas; et c'est pourquoi sa propriété n'est pas
enfermée dans sa signification, mais il faut l’ajouter: comme si je disais que
Dieu est le Fils engendré.
q. 8 a. 4 ad 7 Ad septimum dicendum, quod qui ab
alio et a quo alius, non differunt a paternitate et a filiatione, nisi sicut
commune a proprio, quia filius significat eum qui est ab alio per generationem;
et pater significat eum a quo alius per generationem; nisi forte dicamus, quod
a quo alius et qui ab alio, importent originem, et pater et filius relationes
originis consequentes. Sed ex supradictis iam patet quod per origines non
constituuntur hypostases, sed per relationes.
# 7. Celui qui
vient d'un autre et celui par lequel il est autre ne diffèrent de la paternité
et de la filiation que comme le commun du propre5,
parce que le Fils signifie celui qui dépend d'un autre par génération; et le
Père signifie celui d'où (vient) un autre par génération; à moins que, par
hasard, on dise que celui par qui il est autre et celui qui vient
d’un autre révèlent l'origine et Père et Fils apportent les relations qui
en dépendent . Mais on a montré déjàci-dessus que les hypostases ne sont pas
constituées par les origines, mais par les relations.
q. 8 a. 4 ad 8 Ad octavum dicendum quod, remota
differentia constitutiva, remanet genus in communi, non in eodem secundum
speciem vel numerum.
# 8. Si on exclut la différence constitutive, le
genre demeure dans ce qui est commun, non dans le même selon l'espèce et le
nombre.
q. 8 a. 4 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod intentio Augustini non fuit dicere: quod Deus pater
remaneat ingenitus, remota paternitate, nisi forte prout ingenitus tunc
importaret conditionem naturae, et non proprietatem personae. Fuit autem eius
intentio ostendere quod, remota paternitate, potest remanere ingenitum in
communi. Non enim oportet quod quidquid est ingenitum, sit pater.
# 9. L'intention
d'Augustin n'a pas été de dire que Dieu le Père demeure inengendré, si on
exclut la paternité, à moins que par hasard inengendré apporte une
condition de nature et non une propriété de la personne. Son intention a été de
montrer que, si on exclut la paternité, il peut demeurer l’inengendré en
commun. Car il ne faut pas que tout ce qui est inengendré soit le Père.
q. 8 a. 4 ad 10 Ad
decimum dicendum, quod ratio bonitatis non constituit rationem essentiae, immo
intelligitur bonum ut informativum entis; sed proprietas constituit hypostasim;
et ideo non est simile.
# 10. La nature de
la bonté ne constitue pas celle de l'essence, bien plus on comprend le bien
comme formateur de l'être, mais la propriété a constitué l'hypostase et c'est
pourquoi ce n'est pas pareil.
q. 8 a. 4 ad 11 Ad
undecimum dicendum, quod licet intellectus possit aliqua coniuncta dividere,
non tamen omnia: non enim potest dividere illa quorum unum est de ratione
alterius; non enim potest dividere animal ab homine. Proprietas autem est de
ratione hypostasis, et ideo ratio non sequitur.
# 11. Bien que
l'intellect puisse séparer6
certaines choses jointes, il ne le peut pas pour tout; car il ne peut pas
séparer ce dont l'un est de la nature de l'autre, car, il ne peut pas, en
effet, séparer l'animal de l'homme. Mais la propriété dépend de la nature de
l'hypostase et c'est pourquoi cette raison ne convient pas.
q. 8 a. 4 ad 12 Ad
ultimum dicendum, quod remoto eo quod est in aliquo sicut in subiecto, vel
sicut in loco, remanet id in quo est; non autem remoto eo quod est in aliquo
sicut pars essentiae eius. Non enim remoto rationali, remanet homo; et
similiter nec remota proprietate, remanet hypostasis.
# 12. Si on exclut
ce qui est en quelque chose, comme dans un sujet, ou comme dans un lieu,
demeure ce en quoi il est; mais pas si on exclut ce qui est dans quelque
chose comme une partie de son essence. Car si le raisonnable n’est pas exclu,
l'homme demeure, et de même si la propriété n’est pas exclue, l'hypostase
demeure.
1 Parall.: Ia, qu. 40, a.
3 — I Sent. d26q1a2 — Comp. 61.
2 Cf. 8, 3, resp. § 4.
3 Ce qui est d’une même nature, c’est l’essence.
4 Cf. Métaphysique, VII, 10, 1035 a 4 (p.
401, note 5). Par exemple, ce n’est pas de la concavité que la chair est une
partie (car la chair est la matière dans laquelle la concavité se réalise),
c’est du camus qu’elle est une partie (camus : nez concave est le composé,
la concavité est la forme.) Thomas n° 1472
5 Propre: primo modo; ce qui convient à une seule
espèce, mais pas à tous les individus de cette espèce (médecin) , secundo modo;
propre à tous les individus d'une même espèce, mais pas à eux seuls (bipèdes).
6 Il s'agit d'analyse.
q. 8 a. 4 tit. 1 Quarto quaeritur utrum remota
relatione secundum intellectum, remaneat hypostasis in divinis. Et videtur quod
sic.
Il semble que oui1.
Objections:
q. 8 a. 4 arg. 1 Ea enim quae sunt in creaturis, sunt
exemplata ab his quae sunt in Deo. Sed in humanis, remotis relationibus et
proprietatibus hypostasis, adhuc remanent hypostases. Ergo et similiter in
divinis.
1. Car ce qui est dans les créatures est l'image (exemplata) de ce qui
est en Dieu. Mais chez les hommes, si on exclut leurs relations et leurs
propriétés, les hypostases demeurent encore. Et il en est donc de même en Dieu.
q. 8 a. 4 arg. 2 Praeterea, pater non habet ab eodem quod sit
quis et quod sit pater, cum etiam filius sit quis et non sit pater. Remoto ergo
a patre quod sit pater, remanet quod sit quis. Est autem quis in quantum est
hypostasis. Remota ergo paternitate per intellectum, adhuc remanet hypostasis
patris.
2. Le Père ne tient pas d'une même [nature] d'être ce qu'il est et
d'être Père, puisque le Fils aussi est ce qu'il est et n'est pas Père. Donc si
on exclut du Père qu'il est Père, il demeure qu'il est ce qu'il est. Mais il
est ce qu’il est en tant qu'hypostase. Donc si on exclut en esprit la
paternité, l'hypostase du Père demeure encore.
q. 8 a. 4 arg. 3 Praeterea, cum quaelibet res intelligatur per
suam definitionem, potest unaquaeque res intelligi remoto eo quod in eius
definitione non ponitur. Sed relatio non ponitur in definitione hypostasis.
Ergo remota relatione adhuc intelligitur hypostasis.
3. Comme chaque chose est comprise par sa définition, elle peut être
comprise si on exclut ce qui n'est pas placé dans sa définition. Mais la
relation n'est pas placée dans la définition de l'hypostase. Donc si on exclut
la relation, on comprend encore l'hypostase.
q. 8 a. 4 arg. 4 Praeterea, Iudaei et gentiles intelligunt in
Deo hypostasim: intelligunt enim Deum esse rem quamdam per se subsistentem, nec
tamen intelligunt in eo paternitatem et filiationem, et huiusmodi relationes.
Ergo remotis huiusmodi relationibus per intellectum, remanent adhuc hypostases
in divinis.
4. Les Juifs et les païens comprennent une hypostase en Dieu. Car ils
comprennent que Dieu est un être qui subsiste par soi et cependant ils ne
comprennent pas en lui la paternité, la filiation et les relations de ce genre.
Donc si on exclut en esprit ces relations, les hypostases
demeurent en Dieu.
q. 8 a. 4 arg. 5 Praeterea, omne quod se habet ex additione,
remota additione, remanet id cui fit additio; sicut homo addit supra animal
rationale: est enim homo animal rationale; unde remoto rationale, remanet
animal. Sed persona addit proprietatem supra hypostasim: est enim persona
hypostasis proprietate distincta, ad dignitatem pertinente. Ergo remota
proprietate a persona secundum intellectum, remanet hypostasis.
5. Pour tout ce qui comporte un ajout, si on l'enlève, demeure ce à quoi
est fait cet ajout; ainsi homme ajoute
le raisonnable à animal, car il est
un animal raisonnable; c'est pourquoi, si on enlève le raisonnable, l'animal
demeure. Mais la personne ajoute une propriété à l'hypostase.
Car elle est hypostase par une propriété distincte, qui se rattache à sa
dignité. Donc si on exclut en esprit cette propriété de la personne,
l'hypostase demeure.
q. 8 a. 4 arg. 6 Praeterea, Augustinus dicit, quod verbum est
sapientia genita. Sapientia vero hypostasim supponit, genitum autem proprietatem.
Remoto ergo a verbo quod sit genitum, remanet hypostasis verbi, et eadem
ratione in aliis personis.
6. Augustin dit (la
Trinité VII, 2) que le Verbe est la Sagesse engendrée. Mais la Sagesse
suppose une hypostase, et le fait d'être engendré une propriété. Donc si on
exclut du Verbe qu'il est engendré, son hypostase demeure et pour la même
raison, elle demeure dans les autres personnes.
q. 8 a. 4 arg. 7 Praeterea, remota paternitate et filiatione
secundum intellectum, adhuc remanet in divinis qui ab alio, et a quo alius.
Haec autem hypostases designant. Ergo remotis relationibus, adhuc remanent
hypostases in divinis.
7. Si on exclut en esprit la paternité, la filiation, il demeure encore
dans la divinité ce qui vient d’un autre, et par quoi il est autre. Mais cela
les hypostases le désignent. Donc si on exclut les relations, les hypostases
demeurent encore en Dieu.
q. 8 a. 4 arg. 8
Praeterea, remota differentia constitutiva, adhuc remanet genus. Sed
proprietates personales, cum constituant personas, sunt in divinis sicut
differentiae constitutivae. Ergo remotis proprietatibus, remanet genus
personae, quod est hypostasis.
8. Si on exclut la différence constitutive, le genre demeure encore,
mais comme les propriétés personnelles constituent les personnes, elles sont en
Dieu comme des différences constitutives. Donc si on les exclut, le genre de la
personne, qui est l'hypostase, demeure.
q. 8 a. 4 arg. 9 Praeterea, Augustinus dicit, quod remoto hoc
quod est pater, adhuc remanet ingenitus. Sed ingenitus est quaedam proprietas
cuius suppositum esse non potest nisi hypostasis. Ergo remota paternitate,
adhuc remanet hypostasis patris.
9. Augustin dit (La Trinité, V,
6), que si on exclut ce qui est le Père, demeure encore l'inengendré. Mais être inengendré est une propriété dont le suppôt
ne peut être que l'hypostase. Donc si on exclut la paternité, l'hypostase du
Père demeure encore.
q. 8 a. 4 arg. 10 Praeterea, sicut relationes sunt proprietates
hypostasum, ita attributa sunt proprietates essentiae. Sed remoto per
intellectum attributo essentiali, adhuc remanet intellectus divinae
substantiae. Boetius enim dicit quod remota bonitate a Deo per intellectum,
adhuc remanet quod sit Deus. Ergo similiter remotis relationibus, adhuc
remanent hypostases in divinis.
10. Les relations sont les propriétés des hypostases; de même les
attributs sont les propriétés de l'essence. Mais si on exclut en esprit un
attribut essentiel, le concept de la substance divine demeure encore. Car Boèce
dit (De hebdomadibus) que si on exclut
en esprit la bonté de Dieu, ce qui est Dieu demeure encore. Donc de la même
manière, si on exclut les relations, les hypostases demeurent encore en Dieu.
q. 8 a. 4 arg. 11 Praeterea, secundum Boetium, proprium est
intellectus, coniuncta secundum naturam dividere. Proprietas autem et hypostasis sunt realiter coniuncta in Deo. Ergo
intellectus potest ea ab invicem separare.
11. Selon Boèce (Sur le Préambule
de Porphyre, dans les prédicables)
le propre de l'intellect, c'est de diviser ce qui est joint en nature. Mais la
propriété et l'hypostase sont réellement jointes en Dieu. Donc l'esprit peut
les séparer l'une de l'autre.
q. 8 a. 4 arg. 12 Praeterea, remoto eo quod est in aliquo,
potest intelligi id in quo est; sicut remoto accidente potest intelligi subiectum.
Sed relationes ponuntur in divinis hypostasibus esse. Ergo remotis relationibus
secundum intellectum, adhuc remanent hypostases.
12. Si on exclut ce qui est dans une chose, on peut connaître ce en
quoi elle est; ainsi si on exclut l'accident, on peut connaître le sujet. Mais
les relations sont placées pour être dans les hypostases divines. Donc, si on
les exclut en esprit, restent encore les hypostases.
En sens contraire:
q. 8 a. 4 s. c. Sed contra. In divinis distinctio non potest
esse nisi secundum relationes. Sed hypostasis dicit aliquid distinctum. Ergo
remotis relationibus non remanet hypostasis. Cum enim in divinis non ponantur
nisi duo modi praedicandi, scilicet secundum substantiam, et ad aliquid,
remotis relationibus non remanent nisi ea quae ponuntur secundum substantiam.
Haec autem sunt quae pertinent ad essentiam; et sic non remanent hypostases
distinctae.
En Dieu la distinction ne peut exister que selon les relations. Mais
l'hypostase désigne ce qui est distinct. Donc, si on exclut les relations,
l'hypostase ne demeure pas. En effet, comme en Dieu, on ne place que deux modes
d'attribution, à savoir selon la substance et selon la relation, si on exclut
les relations, il ne demeure que ce qui est placé selon la substance, mais
c'est ce qui concerne l'essence et ainsi les hypostases ne demeurent pas
distinctes.
Réponse:
q. 8 a. 4 co. Respondeo. Dicendum quod, sicut supra dictum est,
quidam posuerunt hypostases in divinis non constitui nec distingui
relationibus, sed per solam originem. Relationes autem dicebant consequi ipsam
originem personarum, sicut originis terminos, quibus complementum originis
designatur, et sic ad quamdam dignitatem pertinent. Unde cum persona videatur
esse nomen dignitatis, intellectis huiusmodi relationibus supra hypostases,
dicebant constitui personas; et sic huiusmodi relationes dicebant esse
constitutivas personarum, sed non hypostasum.
Comme ci-dessus (article précédant2)
on l'a dit, certains ont pensé que
les hypostases en Dieu ne sont pas constituées ni distinguées par les
relations, mais par leur seule origine, Mais ils disaient que les relations
découlaient de l'origine même des personnes, comme ses limites, par lesquelles
est désigné ce qui la complète et ainsi elles se rattachent à une certaine
dignité. C'est pourquoi, comme la personne semble être un nom de dignité, si de
telles relations sont comprises en plus des hypostases, ils disaient que les
personnes étaient constituées et ainsi ils disaient que de telles relations étaient
constitutives des personnes mais pas des hypostases.
Et pro tanto apud quosdam huiusmodi relationes
personalitates dicuntur; et ideo sicut apud nos, remotis ab aliquo homine his
quae ad dignitatem pertinent, quae faciunt eum esse personam, remanet eius
hypostasis, ita in divinis, remotis per intellectum huiusmodi relationibus
personalibus a personis, dicunt, quod remanebant hypostases, non tamen
personae.
Et pour autant chez certains, les relations de ce genre sont appelées
les ‘personnalités’: et c'est pourquoi, de même que pour nous, si on exclut de
l’homme ce qui concerne sa dignité, qui en fait une personne, son hypostase
demeure, de même en Dieu, si une fois exclues en esprit de telles relations des
personnes, ils disent que les hypostases demeuraient, mais cependant pas les
personnes.
Sed quia iam supra ostensum est quod relationes praedictae
et hypostases constituunt et distinguunt, ideo secundum alios dicendum est,
quod remotis per intellectum huiusmodi relationibus, sicut non remanent
personae, ita non remanent hypostases. Remoto enim eo quod est constitutivum
alicuius, non potest remanere id quod per ipsum constituitur.
Mais parce que déjà ci-dessus, on a montré que ces relations
constituent et distinguent les hypostases, il
faut en conséquence dire selon d'autres, que, si on exclut en esprit de
telles relations, les personnes ne demeurent pas, et les hypostases non plus.
Car si on exclut ce qui est constitutif, ce qui en est constitué par soi ne
peut pas demeurer.
Solutions:
q. 8 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in hominibus
hypostases non constituuntur neque per relationes neque per proprietates, sicut
constituuntur in divinis, ut ostensum est; et ideo non est simile.
# 1. Chez les hommes les hypostases ne sont constituées ni par les
relations, ni par les propriétés, comme elles le sont en Dieu, comme on l'a
montré, et c'est pourquoi ce n'est pas pareil.
q. 8 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod pater ab eodem habet
quod sit quis et quod sit pater: ab eodem, inquam, secundum rem, et non secundum
rationem, sed differenti secundum rationem, vel sicut differt generale a
speciali, vel commune a proprio: sicut patet quod homo ab eadem forma
substantiali habet quod sit animal et quod sit homo; non enim sunt unius rei
plures formae substantiales secundum rem diversae: et tamen ab anima, inquantum
est anima sensibilis, tantum habet quod sit animal; inquantum vero est anima
sensibilis et rationalis, habet ab ea quod sit homo. Et propter hoc et equus
est animal, sed non est homo, quia non habet animam sensibilem eamdem numero
quam habet homo: et pro tanto etiam non est idem animal numero. Similiter dico
in proposito, quod pater habet quod sit quis et quod sit pater a relatione; sed
quod sit quis, habet a relatione communiter sumpta; quod autem sit hic quis,
habet ab hac relatione quae est paternitas; et propter hoc etiam filius, in quo
est relatio, sed non haec relatio quae est paternitas, est quis, sed non est
hic quis qui est pater.
# 2. Par une même [nature], le Père a qu'il est tel et est Père; par un
même [nature], dis-je, en réalité, et non en raison, mais différente en raison;
comme le général diffère du particulier, ou ce qui est commun de ce qui est
propre; ainsi il est clair que l'homme par la même forme substantielle est
animal et homme; car il n'existe pas plusieurs formes substantielles d'une
seule chose différentes en réalité. Et cependant par l'âme en tant qu'elle est
sensitive, il est seulement animal, mais par l’âme, en tant que sensitive et
raisonnable, il est un homme. Et le cheval est un animal, et pas un homme,
parce qu'il a une âme sensitive la même en nombre que celle de l'homme, et pour
autant il n'est pas le même animal en nombre. Je dis qu'il en est de même pour
notre propos, parce que le Père est tel et est Père par relation, mais qu'il
soit tel vient d'une relation assumée en commun, mais qu'il soit ce qu’il est, il l'a par cette relation
qui est la paternité et à cause de cela le Fils aussi, en qui est la relation,
mais cette relation qui est la paternité n'est pas ce qu’il est et ce n’est pas
ce qu’il est qui est Père.
q. 8 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod aliquid in relatione
alicuius potest poni dupliciter: scilicet explicite, sive in actu, et implicite
sive in potentia. In ratione enim animalis non ponitur anima rationalis explicite
et in actu, quia sic omne animal haberet animam rationalem; sed implicite et in
potentia, quia animal est substantia animata sensibilis. Sicut autem sub anima
in potentia continetur anima rationalis, ita sub animato rationale: et ideo
quando definitio animalis actu attribuitur homini, oportet quod rationale sit
de definitione animalis explicite, secundum quod animal est idem homini. Et
similiter est in proposito; hypostasis enim, communiter sumpta, est substantia
distincta: unde cum in divinis non possit esse distinctio nisi per relationem,
cum dico hypostasim divinam, oportet quod intelligatur relatione distincta. Et
ita relatio, quamvis non cadat in definitione hypostasis quod est homo, cadit
tamen in definitione hypostasis divinae.
# 3. On peut placer quelque chose en relation de deux manières: à
savoir explicitement, ou en acte, et implicitement, ou en puissance. Car dans
la nature de l'animal on ne place pas l'âme raisonnable explicitement et en
acte, parce qu'ainsi tout animal aurait une âme raisonnable, mais implicitement
et en puissance, parce que l'animal est une substance animée, douée de
sensibilité. De même que l'âme raisonnable est contenue en puissance sous l'âme;
de même le raisonnable sous l'animé; et ainsi quand la définition de l'animal
en acte est attribuée à l'homme, il faut que le raisonnable soit de la
définition de l'animal explicitement selon que l’animal est identique à
l'homme. Et il en est de même pour notre propos: car l'hypostase prise
communément est une substance distincte: c'est pourquoi, comme en Dieu, il ne
peut y avoir de distinction que par la relation, quand je parle de l'hypostase
divine, il faut comprendre qu'elle est distincte par une relation. Et ainsi,
quoique la relation ne soit pas comprise dans la définition de l'hypostase,
parce qu'il est l'homme, elle s’applique cependant à la définition de
l'hypostases divine.
q. 8 a. 4 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod Iudaei et gentiles non intelligunt essentiam distinctam nisi ab
his quae sunt alterius naturae, quae quidem distinctio fit per ipsam divinam
essentiam. Sed apud nos hypostasis intelligitur ut distincta ab eo quod est
eiusdem naturae, a quo non potest distingui nisi per relationem tantum: et ideo
ratio non procedit.
# 4. Les Juifs et les Païens ne comprennent une essence distincte que
par ce qui est d’une autre nature. Cette distinction se fait par l'essence
divine elle-même. Mais pour nous, l'hypostase est comprise comme distincte de
ce qui est d’une même nature3, elle ne
peut en être distinguée que par relation seulement; et c'est pourquoi cette
raison ne vaut pas.
q. 8 a. 4 ad 5 Ad quintum
dicendum, quod alius est modus quo definiuntur accidentia, et quo definiuntur
substantiae. Substantiae enim non definiuntur per aliquid quod sit extra
essentiam eorum: unde id quod primo ponitur in definitione substantiae est
genus, quod praedicatur in eo quod quid de definito. Accidens vero definitur
per aliquid quod est extra essentiam eius, scilicet per subiectum, a quo
secundum suum esse dependet. Unde id quod ponitur in definitione eius, loco
generis, est subiectum; sicut cum dicitur: simum est nasus curvus. Sicut ergo
in definitionibus substantiarum, remotis differentiis, remanet genus; ita in
definitione accidentium, remoto accidente, quod ponitur loco differentiae,
remanet subiectum; aliter tamen et aliter. Remota enim differentia remanet
genus, sed non idem numero: remoto enim rationali, non remanet idem numero
animal, quod est animal rationale; sed remoto eo quod ponitur loco differentiae
in definitionibus accidentium, remanet idem subiectum numero: remoto enim curvo
vel concavo, remanet idem nasus numero. Et hoc est, quia accidens non complet
essentiam subiecti sicut differentia complet essentiam generis. Cum ergo dicitur: persona est hypostasis,
proprietate distincta ad dignitatem pertinente, non ponitur hypostasis in
definitione personae ut subiectum, sed ut genus. Unde remota proprietate ad
dignitatem pertinente, non remanet hypostasis eadem, scilicet numero vel
specie, sed solum secundum genus, prout salvatur in substantiis non
rationalibus.
# 5. La manière dont on définit les accidents est différente de celle
dont on définit les substances. Car ces dernières ne sont pas définies par
quelque chose qui est en dehors de leur essence; c'est pourquoi ce qui est
d'abord placé dans la définition de la substance est le genre, qui est attribué
en ce qui est l'essence de ce qui est défini. Mais l'accident est défini par
quelque chose qui est hors de son essence, à savoir par le sujet, de qui il
dépend selon son être. C'est pourquoi ce qui est placé dans sa définition, à la
place du genre, c’est le sujet; ainsi quand on parle de camus4 c’est le nez concave. Donc, de même que dans
les définitions des substances, si on exclut les différences, le genre demeure,
de même dans celle des accidents, si on exclut l'accident qui est mis à la
place de la différence, le sujet demeure; de façon différente cependant. Car si
on exclut la différence, le genre demeure, mais non le même en nombre; mais si
on exclut le rationnel, l'animal ne demeure pas le même en nombre parce que
c'est un animal raisonnable; car si on exclut le courbe ou le concave, le même
nez demeure en nombre. Et c'est parce que l'accident n'achève pas l'essence du
sujet comme la différence achève l'essence du genre. Donc quand on dit: la
personne est une hypostase par une propriété distincte, qui convient à sa
dignité, on ne place pas une hypostase dans la définition de la personne comme
sujet, mais comme genre. C'est pourquoi, si on exclut la propriété qui concerne
la dignité, l'hypostase ne demeure pas la même, à savoir en nombre ou en
espèce, mais seulement en genre dans la mesure où elle est conservée dans les
substances sans raison.
q. 8 a. 4 ad 6 Ad sextum dicendum, quod cum dicitur: verbum est
sapientia genita, ly sapientia supponit pro hypostasi, non tamen significat
hypostasim; et ideo in significatione eius non clauditur proprietas, sed
oportet quod addatur; sicut si dicam, quod Deus est filius genitus.
# 6. Quand on dit: le Verbe est la sagesse engendrée, la
"sagesse" remplace l'hypostase mais ne la signifie cependant pas; et
c'est pourquoi sa propriété n'est pas enfermée dans sa signification, mais il
faut l’ajouter: comme si je disais que Dieu est le Fils engendré.
q. 8 a. 4 ad 7 Ad septimum
dicendum, quod qui ab alio et a quo alius, non differunt a paternitate et a
filiatione, nisi sicut commune a proprio, quia filius significat eum qui est ab
alio per generationem; et pater significat eum a quo alius per generationem;
nisi forte dicamus, quod a quo alius et qui ab alio, importent originem, et
pater et filius relationes originis consequentes. Sed ex supradictis iam patet
quod per origines non constituuntur hypostases, sed per relationes.
# 7. Celui qui vient d'un autre et celui par lequel il est autre ne
diffèrent de la paternité et de la filiation que comme le commun du propre5, parce que le Fils signifie celui qui dépend
d'un autre par génération; et le Père signifie celui d'où (vient) un autre par
génération; à moins que, par hasard, on dise que celui par qui il est autre et celui
qui vient d’un autre révèlent l'origine et Père et Fils apportent les
relations qui en dépendent . Mais on a montré déjàci-dessus que les hypostases
ne sont pas constituées par les origines, mais par les relations.
q. 8 a. 4 ad 8 Ad octavum dicendum quod, remota differentia
constitutiva, remanet genus in communi, non in eodem secundum speciem vel
numerum.
# 8. Si on exclut la différence constitutive, le genre demeure dans ce
qui est commun, non dans le même selon l'espèce et le nombre.
q. 8 a. 4 ad 9 Ad nonum dicendum, quod intentio Augustini non
fuit dicere: quod Deus pater remaneat ingenitus, remota paternitate, nisi forte
prout ingenitus tunc importaret conditionem naturae, et non proprietatem
personae. Fuit autem eius intentio ostendere quod, remota paternitate, potest
remanere ingenitum in communi. Non enim oportet quod quidquid est ingenitum,
sit pater.
# 9. L'intention d'Augustin n'a pas été de dire que Dieu le Père
demeure inengendré, si on exclut la paternité, à moins que par hasard inengendré apporte une condition de
nature et non une propriété de la personne. Son intention a été de montrer que,
si on exclut la paternité, il peut demeurer l’inengendré en commun. Car il ne
faut pas que tout ce qui est inengendré soit le Père.
q. 8 a. 4 ad 10 Ad decimum dicendum, quod ratio bonitatis non
constituit rationem essentiae, immo intelligitur bonum ut informativum entis;
sed proprietas constituit hypostasim; et ideo non est simile.
# 10. La nature de la bonté ne constitue pas celle de l'essence, bien
plus on comprend le bien comme formateur de l'être, mais la propriété a
constitué l'hypostase et c'est pourquoi ce n'est pas pareil.
q. 8 a. 4 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod licet intellectus
possit aliqua coniuncta dividere, non tamen omnia: non enim potest dividere
illa quorum unum est de ratione alterius; non enim potest dividere animal ab
homine. Proprietas autem est de ratione hypostasis, et ideo ratio non sequitur.
# 11. Bien que l'intellect puisse séparer6
certaines choses jointes, il ne le peut pas pour tout; car il ne peut pas
séparer ce dont l'un est de la nature de l'autre, car, il ne peut pas, en
effet, séparer l'animal de l'homme. Mais la propriété dépend de la nature de
l'hypostase et c'est pourquoi cette raison ne convient pas.
q. 8 a. 4 ad 12 Ad ultimum dicendum, quod remoto eo quod est in
aliquo sicut in subiecto, vel sicut in loco, remanet id in quo est; non autem
remoto eo quod est in aliquo sicut pars essentiae eius. Non enim remoto
rationali, remanet homo; et similiter nec remota proprietate, remanet
hypostasis.
# 12. Si on exclut ce qui est
en quelque chose, comme dans un sujet, ou comme dans un lieu, demeure ce en quoi il est; mais pas si on exclut ce
qui est dans quelque chose comme une partie de son essence. Car si le
raisonnable n’est pas exclu, l'homme demeure, et de même si la propriété n’est
pas exclue, l'hypostase demeure.
1 Parall.: Ia, qu. 40, a. 3 — I Sent. d26q1a2 — Comp.
61.
2
Cf. 8, 3, resp. § 4.
3
Ce qui est d’une même nature, c’est l’essence.
4
Cf. Métaphysique, VII, 10, 1035 a 4
(p. 401, note 5). Par exemple, ce n’est pas de la concavité que la chair est
une partie (car la chair est la matière dans laquelle la concavité se réalise),
c’est du camus qu’elle est une partie (camus: nez concave est le composé, la
concavité est la forme.) Thomas n° 1472
5
Propre: primo modo; ce qui convient à une seule espèce, mais pas à tous les
individus de cette espèce (médecin) , secundo modo; propre à tous les individus
d'une même espèce, mais pas à eux seuls (bipèdes).
6
Il s'agit d'analyse.
q. 9 pr. 1 Et primo quaeritur utrum quomodo se
habeat persona ad essentiam, subsistentiam et hypostasim.
1. Quel est le rapport de la personne vis-à-vis de l'essence, de la
subsistance, et de l'hypostase?
q. 9 pr. 2 Secundo quid
sit persona.
2. Qu'est-ce que la personne?
q. 9 pr. 3 Tertio utrum in Deo possit esse persona.
3. Le nom de personne peut-il être en Dieu?
q. 9 pr. 4 Quarto utrum hoc nomen persona in divinis significet
aliquid relativum vel absolutum.
4. Ce nom personne signifie-t-il,
en Dieu, le relatif ou l'absolu?
q. 9 pr. 5 Quinto utrum numerus personarum sit in divinis.
5. Le nombre des personnes est-il en Dieu?
q. 9 pr. 6 Sexto utrum nomen personae convenienter possit
pluraliter praedicari in divinis.
6. Le nom de personne peut-il être convenablement attribué à Dieu au
pluriel?
q. 9 pr. 7 Septimo quomodo termini numerales praedicentur in
divinis, utrum scilicet positive, vel remotive tantum.
7. Comment les termes numéraux sont-ils attribués aux personnes
divines, positivement ou négativement?
q. 9 pr. 8 Octavo utrum in Deo sit aliqua diversitas.
8. Y a-t-il une certaine diversité en Dieu?
q. 9 pr. 9 Nono utrum in divinis sint tres personae tantum, an
plures vel pauciores.
9. Y a-t-il trois Personnes seulement en Dieu, ou plus, ou moins?
q. 9 a. 1 tit. 1 Et primo quaeritur quomodo se
habeat persona ad essentiam, subsistentiam et hypostasim. Et videtur quod
omnino sint idem.
Il semble que ces termes sont tout à fait tout à fait synonymes1.
Objections:
q. 9 a. 1 arg. 1 Dicit enim Augustinus in VII de Trin., quod
idem intelligunt Graeci cum confitentur in Deo tres hypostases, et Latini cum
confitentur tres personas. Ergo hypostasis et persona significant idem.
1. Car Augustin dit (la Trinité, VII, 3) que les grecs
comprennent quelque chose d’identique quand ils confessent en Dieu trois
hypostases et les latins trois personnes. Donc hypostase et personne sont
synonymes.
q. 9 a. 1 arg. 2 Sed dicendum, quod persona differt ab
hypostasi in hoc quod hypostasis significat individuum cuiuscumque naturae in
genere substantiae, persona vero solum individuum rationalis naturae.- Sed
contra est quod Boetius dicit, quod Graeci utuntur hoc nomine hypostasis solum
pro individuo rationalis naturae. Si ergo persona significat individuum
rationalis naturae, omnino sunt idem hypostasis et persona.
2. Mais il faut dire que la
personne diffère de l'hypostase du fait que celle-ci signifie un individu de
quelque nature dans le genre de la substance, mais la personne signifie un seul
individu de nature raisonnable. — En sens
contraire, Boèce dit (Les deux
natures, III, PL. 64, 13442) que
les Grecs se servent de ce nom hypostase, seulement pour un individu de nature
raisonnable. Si donc la personne signifie
la même chose, hypostase et personne sont tout à fait synonymes.
q. 9 a. 1 arg. 3
Praeterea, nomina imponuntur a rationibus rerum quas significant. Sed eadem ratio individuationis est in his quae sunt
rationalis naturae, et in aliis substantiis. Ergo individuum rationalis naturae
non debet habere speciale nomen prae aliis individuis in genere substantiae, ut
per hoc sit differentia inter hypostasim et personam.
3. Les noms s’imposent par la nature de ce qu'ils signifient, mais on
trouve la même nature d'individuation dans ce qui est d'une nature raisonnable
que dans les autres substances. Donc l'individu de nature raisonnable ne doit
pas avoir un nom spécial en comparaison d'autres êtres individuels dans le
genre de la substance, pour qu’il y ait une différence entre l'hypostase et la
personne.
q. 9 a. 1 arg. 4 Praeterea, nomen subsistentiae a subsistendo
sumitur. Nihil autem subsistit nisi individua in genere substantiae, in quibus
sunt et accidentia et secundae substantiae, quae sunt genera et species, ut
dicitur in praedicamentis. Sola ergo individua in genere substantiae sunt
subsistentiae. Individuum autem in genere substantiae est hypostasis vel
persona. Ergo idem est subsistentia quod hypostasis et persona.
4. Le nom de subsistance est
pris de subsister. Mais rien ne subsiste que l'individu dans le genre de la
substance, en qui il y a les accidents et les substances secondes3, que sont les genres et les espèces, comme
il est dit dans Les Catégories (5, 2
a 11 ss.). Donc seuls les individus dans
le genre de la substance sont des subsistances, mais un tel individu est
l’hypostase ou la personne. Donc la subsistance est identique à l’hypostase et
à la personne.
q. 9 a. 1 arg. 5 Sed dicendum, quod genera et species in genere
substantiae subsistunt, eo quod eorum est subsistere, ut Boetius dicit, in Lib.
de duabus naturis.- Sed contra, subsistere nihil aliud est quam per se
existere. Quod ergo existit solum in alio, non subsistit. Sed genera et species
sunt solum in alio: sunt enim solum in primis substantiis, quibus interemptis,
impossibile est aliquid aliorum remanere, ut dicitur in praedicamentis. Non est
ergo subsistere, generum et specierum, sed solum individuorum in genere
substantiae; et sic remanet quod subsistentia sit idem quod hypostasis.
5. Mais il faut dire que les
genres et les espèces subsistent dans le genre de la substance, parce que c’est
leur nature de subsister, comme Boèce le dit (Les deux Natures, 3, PL. 64, 1342). — Mais en sens contraire, subsister n’est rien d'autre qu'exister par
soi4 . Donc ce qui existe seulement
dans un autre, ne subsiste pas5. Mais
les genres et les espèces sont seulement dans un autre: car ils sont seulement
dans les substances premières, lesquelles une fois enlevées, il est impossible
que quelque chose d'autre demeure, comme on le dit dans les Catégories (5, Les substances). Donc ce n'est pas le propre des genres et des
espèces de subsister, mais seulement des individus dans le genre de la
substance, et ainsi il reste que la subsistance est synonyme d'hypostase.
q. 9 a. 1 arg. 6 Praeterea, Boetius dicit, quod ousia id est
essentia, significat compositum ex materia et forma. Hoc autem oportet esse
individuum: nam materia est individuationis principium. Ergo essentia
significat individuum; et sic idem est persona, hypostasis, essentia, et
subsistentia.
6. Boèce dit (dans le commentaire des Catégories) que l'ousia,
c'est-à-dire l'essence, signifie le composé de matière et de forme. Mais il
faut que ce soit l'individu; car la matière est principe d’individuation. Donc
l'essence signifie l'individu, et ainsi la personne, l'hypostase, l'essence et
la subsistance sont synonymes.
q. 9 a. 1 arg. 7 Praeterea, essentia est quam significat
definitio, cum per definitionem sciatur quid est res. Definitio autem rei
naturalis, quae est ex materia et forma composita, non solum continet formam,
sed etiam materiam, ut patet per philosophum. Ergo essentia est aliquid
compositum ex materia et forma.
7. L'essence est ce que signifie la définition, puisque c’est par elle
qu’on sait ce que c’est. Mais la définition d’une chose naturelle, composée de
matière et de forme, non seulement contient la forme, mais aussi la matière,
comme le montre le philosophe (Métaphysique,
VI et VII, com. 33 ss.). Donc l'essence est un composé de matière et de forme.
q. 9 a. 1 arg. 8 Sed dicendum, quod essentia significat naturam
communem, alia vero tria, scilicet subsistentia, hypostasis et persona, significant
individuum in genere substantiae.- Sed contra universale et particulare
inveniuntur in quolibet genere. In aliis autem generibus non distinguitur nomen
particularis et universalis: eodem enim nomine nominatur qualitas aut
quantitas, sive sit universalis sive sit particularis. Ergo nec in genere
substantiae debent esse distincta nomina ad significandum substantiam
universalem et particularem: et sic videtur quod praedicta nomina non
differant.
8. Mais il faut dire que
l'essence signifie la nature commune, et les trois autres, à savoir la
subsistance, l'hypostase et la personne signifient l'individu dans le genre de
la substance.— Mais en sens contraire,
l'universel et le particulier se trouve en n'importe quel genre. Mais dans les
autres genres, on ne fait pas la distinction entre le nom particulier et le nom
universel; car on désigne par un même nom la qualité ou la quantité, qu'elles
soient universelles et particulières. Donc les noms, dans le genre de la
substance, ne doivent pas être différents pour signifier la substance
universelle et la substance particulière et de fait il semble que ces noms ne
le soient pas.
En sens contraire:
q. 9 a. 1 s. c. 1 Sed contra. Est quod Boetius dicit in
commento praedicamentorum quod ousia id est essentia, significat compositum ex
materia et forma; ousiosis id est subsistentia, significat formam; hypostasis
vero materiam. Ergo praedicta differunt.
1. Boèce dit dans le commentaire des Catégories que l'ousia, c'est-à-dire l'essence, signifie
le composé de matière et de forme, ousiôsis,
c'est-à-dire la subsistance, signifie la forme; et l'hypostase signifie la
matière. Donc ces noms sont différents.
q. 9 a. 1 s. c. 2 Praeterea, idem videtur ex hoc quod idem
auctor assignat praedictorum nominum differentiam in Lib. de duobus naturis.
2. En plus on voit la même chose du fait que le même auteur assigne une
différence à ces noms dans le livre des
deux Natures (3).
Réponse:
q. 9 a. 1 co. Respondeo. Dicendum quod philosophus ponit
substantiam dupliciter dici:
Le philosophe (Métaphysique, V, 8, 1017 b 136 ) pense qu'on peut parler de la substance en
deux sens.
dicitur enim uno modo substantia ipsum subiectum ultimum,
quod non praedicatur de alio: et hoc est particulare in genere substantiae;
a) Car on dit dans un premier
sens que la substance est le sujet ultime qui n'est pas attribué à un autre
et cela est particulier au genre de la substance7.
alio modo dicitur substantia forma vel natura
subiecti.
b) Dans un autre sens, on dit
qu'elle est la forme ou la nature du sujet.
Huius autem distinctionis ratio est, quia inveniuntur plura
subiecta in una natura convenire, sicut plures homines in una natura hominis.
Unde oportuit distingui quod est unum, ab eo quod multiplicatur: natura enim
communis est quam significat definitio indicans quid est res; unde ipsa natura
communis, essentia vel quidditas dicitur.
La raison de cette distinction est qu'on trouve que plusieurs sujets se
rencontrent dans une seule nature, ainsi un grand nombre d’hommes dans la seule
nature humaine. C'est pourquoi il a fallu distinguer ce qui est un de ce qui
est multiplié; car la nature commune est ce que signifie la définition, qui
indique ce qu'est la chose; c'est pourquoi la nature commune même est appelée
essence ou quiddité.
Quidquid ergo est in re ad naturam communem pertinens, sub
significatione essentiae continetur, non autem quidquid est in substantia
particulari, est huiusmodi. Si enim quidquid est in substantia particulari ad
naturam communem pertineret, non posset esse distinctio inter substantias
particulares eiusdem naturae. Hoc autem quod est in substantia particulari
praeter naturam communem, est materia individualis quae est singularitatis
principium, et per consequens accidentia individualia quae materiam praedictam
determinant.
Donc tout ce qui dans une chose se rattache à la nature commune est
contenu sous la signification d'essence,
mais tout ce qui est dans une substance particulière n'est pas de ce genre. Car
si tout ce qui est dans la substance particulière se rattachait à la nature
commune, il ne pourrait pas y avoir de distinction entre les substances
particulières de nature identique. Mais ce qui est dans la substance
particulière au-delà de la nature commune, c’est la matière individuelle qui
est le principe de l’individuation, et par conséquence les accidents
individuels qui la déterminent.
Comparatur ergo
essentia ad substantiam particularem ut pars formalis ipsius, ut humanitas ad
Socratem. Et ideo in
rebus, ex materia et forma compositis, essentia non est omnino idem quod
subiectum; unde non praedicatur de subiecto: non enim dicitur quod Socrates sit
una humanitas.
Donc on compare l'essence à la substance particulière, comme sa part
formelle, comme l'humanité à Socrate. Et c'est pourquoi, dans ce qui est
composé de matière et de forme, l'essence n'est pas tout à fait identique au
sujet; aussi on ne l'attribue pas au sujet; car on ne dit pas que Socrate est
une [seule] humanité.
In substantiis vero simplicibus, nulla est differentia
essentiae et subiecti, cum non sit in eis materia individualis naturam communem
individuans, sed ipsa essentia in eis est subsistentia. Et hoc patet per
philosophum et per Avicennam, qui dicit, in sua metaphysica, quod quidditas
simplicis est ipsum simplex.
Mais, dans les substances simples, il n'y a pas de différence entre
l'essence et la sujet, puisqu'il n'y a pas en elles de matière individuelle qui
individualise la nature commune, mais l'essence elle-même est en eux
subsistance. Et cela, le philosophe le montre (Métaphysique, VII 6, passim)
et aussi Avicenne, qui dit, en sa Métaphysique,
que la quiddité de ce qui est simple est simple elle-même.
Substantia vero quae est subiectum, duo habet propria:
Mais la substance qui est le sujet, a deux propriétés:
quorum primum est quod non indiget extrinseco fundamento in
quo sustentetur, sed sustentatur in seipso; et ideo dicitur subsistere, quasi
per se et non in alio existens.
a) La première est qu'elle
n'a pas besoin d'un fondement extrinsèque en qui elle serait soutenue, mais
elles se soutient d'elle-même; et c'est pourquoi, on la dit subsister, comme
par soi et sans exister dans un autre.
Aliud vero est quod est fundamentum accidentibus substentans
ipsa; et pro tanto dicitur substare.
b) L'autre est qu'elle est,
elle-même fondement subsistant pour les accidents. Et pour autant, on dit
qu’elle est sujet8.
Sic ergo substantia quae est subiectum, in quantum
subsistit, dicitur ousiosis vel subsistentia; in quantum vero substat, dicitur
hypostasis secundum Graecos, vel substantia prima secundum Latinos. Patet ergo
quod hypostasis et substantia differunt ratione, sed sunt idem re.
Donc ainsi la substance, qui est le sujet, en tant qu'elle subsiste,
est appelé ousiôsis ou subsistance,
en tant qu’elle est sujet, elle est appelée hypostase chez les Grecs, ou
substance première chez les latins. Il est donc clair que l'hypostase et la
substance diffèrent en raison, mais sont identiques en réalité.
Essentia vero in substantiis quidem materialibus non est
idem cum eis secundum rem, neque penitus diversum, cum se habeat ut pars
formalis; in substantiis vero immaterialibus est omnino idem secundum rem, sed
differens ratione. Persona vero addit supra hypostasim determinatam naturam:
nihil enim est aliud quam hypostasis rationalis naturae
Mais l'essence dans les
substances matérielles n'est pas identique à elles en réalité, ni tout à fait
différente, puisqu'elle se comporte comme une partie formelle, mais dans les
substances immatérielles, elle est tout à fait identique en réalité, mais
différente en raison. Et la personne
ajoute à l'hypostase une nature déterminée, car elle n'est rien d’autre que
l'hypostase de nature raisonnable.
Solutions:
q. 9 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum quod, ex quo persona non
addit supra hypostasim nisi rationalem naturam, oportet quod hypostasis et
persona in rationali natura sint penitus idem; sicut cum homo addat supra
animal, rationale, oportet quod animal rationale sit homo; et ideo verum est
quod Augustinus dicit, quod idem significant Graeci cum confitentur in Deo tres
hypostases, et Latini cum confitentur tres personas.
# 1. Donc il faut dire que, du fait que la personne n'ajoute à
l'hypostase que la nature raisonnable, il faut que l'hypostase et la personne
soient tout à fait identiques dans cette nature raisonnable; ainsi quand homme
ajoute raisonnable à animal, il faut
que l'animal raisonnable soit un homme, et c'est pour cela que ce que dit
Augustin est vrai (La Trinité VII, 4):
lorsque les Grecs confessent qu'en Dieu il y a trois hypostases et les Latins
trois personnes, ils signifient la même chose.
q. 9 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod hoc nomen hypostasis,
in Graeco ex proprietate significationis habet quod significet individuam
substantiam cuiuscumque naturae; sed ex usu loquentium habet quod significet
individuum rationalis naturae tantum.
# 2. Ce nom hypostase, en
grec, au sens propre, signifie une substance individuelle de n’importe quelle
nature; mais par l'usage des locuteurs, il signifie l'individu d'une nature
raisonnable seulement.
q. 9 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut substantia
individua proprium habet quod per se existat, ita proprium habet quod per se
agat: nihil enim agit nisi ens actu; et propter hoc calor sicut non per se est,
ita non per se agit; sed calidum per calorem calefacit. Hoc autem quod est per
se agere, excellentiori modo convenit substantiis rationalis naturae quam
aliis. Nam solae substantiae rationales habent dominium sui actus, ita quod in
eis est agere et non agere; aliae vero substantiae magis aguntur quam agant. Et
ideo conveniens fuit ut substantia individua rationalis naturae, speciale nomen
haberet.
# 3. La substance individuelle a en propre d’exister par soi; de la
même manière elle a en propre d’agir par soi; car rien n'agit qu'un étant en
acte, et c'est pourquoi de même que cette chaleur n'est pas par soi, de même
elle n'agit pas par soi, mais elle chauffe par la chaleur. Mais agir par soi
convient aux substances de nature raisonnable d'une manière plus excellente
qu'aux autres. Car seules elles ont pouvoir sur leurs actes, de sorte que c’est
leur nature d'agir et ne pas agir, mais les autres substances sont "agies"
plus qu'elles n'agissent. Et c'est pourquoi il a été convenable que la substance
individuelle de nature raisonnable porte un nom spécial.
q. 9 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis nihil
subsistat nisi individua substantia, quae hypostasis dicitur, tamen non eadem
ratione dicitur subsistere et substare: sed subsistere in quantum non est in
alio; substare vero in quantum alia insunt ei. Unde si aliqua substantia esset
quae per se existeret, non tamen esset alicuius accidentis subiectum, posset
proprie dici subsistentia, sed non substantia.
# 4. Quoique rien ne subsiste sinon la substance individuelle, qui est
appelée hypostase, cependant on ne dit pas subsistere
(subsister) et substare (être sujet)
pour la même raison. Subsister c’est
en tant qu’elle n’est pas dans un autre. Etre
sujet c’est en tant que les autres9
sont en elle. C'est pourquoi, si
quelque substance existait par soi, sans être cependant le substrat d'un
accident, elle pourrait être proprement appelé subsistance, mais pas substance.
q. 9 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Boetius loquitur
secundum opinionem Platonis, qui posuit genera et species esse quasdam formas
separatas subsistentes, ab accidentibus denudatas; et secundum hoc poterant
dici subsistentiae, sed non hypostases. Vel dicendum, quod subsistere
attribuitur generibus et speciebus, non quia subsistant, sed quia individua in
eorum naturis subsistunt, etiam omnibus accidentibus remotis.
# 5. Boèce parle selon l'opinion de Platon10 qui a pensé que les genres et les espèces
étaient des formes séparées subsistantes, sans accident, et ainsi, on pouvait
les appeler subsistances et non hypostases. Ou
bien il faut dire que subsister est attribué aux genres et aux espèces, non
pas parce qu'ils subsistent, mais parce que les individus subsistent dans leur
nature, même si on exclut tous les accidents.
q. 9 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod essentia in substantiis
materialibus significat compositum ex materia et forma, non tamen ex materia
individuali, sed ex materia communi: definitio enim hominis quae significat
eius essentiam, continet quidem carnes et ossa, sed non has carnes vel haec
ossa. Sed materia individualis comprehenditur in significatione hypostasis et
subsistentiae in rebus materialibus.
# 6. L'essence dans les substances matérielles signifie le composé de
matière et de forme; cependant pas de la matière individuelle, mais de la
matière commune. Car la définition de l'homme qui signifie son essence,
contient les chairs et les os, mais non ces chairs et ces os11. Mais la matière individuelle est comprise
dans la signification de l'hypostase et de la subsistance dans ce qui est
matériel.
q. 9 a. 1 ad 7 Et per hoc patet solutio ad septimum.
# 7. Cela éclaire la septième objection.
q. 9 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod accidentia non
individuantur nisi ex suis subiectis. Sola autem substantia per seipsam
individuatur, et per propria principia; et ideo convenienter in solo genere
substantiae particulare habet proprium nomen.
# 8. Les accidents ne sont individualisés que par leurs substrats, mais
seule la substance est individualisée par elle-même et par ses propres
principes, et c'est pourquoi il est convenable qu’elle ait, dans le seul genre
particulier de la substance, un nom qui lui est propre
q. 9 a. 1 ad s. c. Rationes quae sunt in oppositum, concedimus;
tamen sciendum, quod Boetius aliter accipit ista nomina in commento
praedicamentorum, quam sit communis usus eorum, prout exponit ea in Lib. de
duabus naturis. Attribuit enim nomen hypostasis materiae quasi primo principio
substandi, ex qua habet substantia prima quod substet accidenti: nam forma
simplex subiectum esse non potest, ut dicit idem Boetius in Lib. de Trinit.
Nomen autem ousiosis vel subsistentiae attribuit formae quasi essendi
principio, per ipsam enim est res in actu; nomen autem ousia vel essentiae
attribuit composito. Unde ostendit
quod in substantiis materialibus tam forma quam materia sunt essentialia
principia.
Les raisons qui sont en sens
contraire, nous les
concédons. Cependant, il faut savoir que Boèce prend ces noms, dans le
commentaire des Catégories d'une
autre manière que leur usage commun, tel qu’il les expose dans le livre des deux Natures. Car il a attribué le
nom d'hypostase à la matière comme au premier principe du sujet, par laquelle
la substance première est sujet d'un accident. Car la forme simple ne peut pas
être substrat, comme le dit le même Boèce dans La Trinité. Mais le nom ousiôsis,
ou subsistance, il l'a attribué à la
forme comme principe d'être, car par elle la chose est en acte, mais le nom d'ousia ou d'essence, il l'a attribué au composé. C'est pourquoi il montre que
dans les substance matérielles, tant la forme que la matière sont des principes
essentiels.
1 Parall.: .Ia. qu. 29. a. 2 — 1 Sent.,
d23a1.
2
Le texte est en Ia, qu. 29, a. 2,
obj. 1. Graeci "naturae rationabilis individuam substantiam hypostaseos
nomine vocaverunt.".
3
La substance première (ex. l’homme individuel). La substance seconde: les
espèces et les genres. S’il n’y a pas de substance première, il n’y pas de
substance seconde, puisque c’est à partir d’elle que l’esprit conçoit la
substance seconde. Catégories, V, 2 a
11: La substance première: "Ce qui n’est ni affirmé d’un sujet, ni dans un
sujet, par exemple l'homme individuel…"— Métaphysique, V, lectio 10, n° 903: La substance particulière
diffère de la substance universelle en trois points: a) La substance
particulière n’est pas attribuée à quelque chose d’inférieur, comme la
substance universelle. b) La substance universelle n'existe qu'en raison du
particulier qui subsiste par soi.. c) La substance universelle est en de
nombreuses choses, mais elle est séparable et distincte de toutes les autres.
4
"Sub-siste, en effet, ce qui par soi-même pour pouvoir être n’a pas besoin
d’accident." (Boèce) La différence entre subsistere et substare est
chez Boèce, Les deux Natures III. "Les
genres ou les espèces "subsistent" uniquement car il n'advient pas
d'accident aux genres et aux espèces. Les choses individuelles, en revanche,
non seulement subsistent, mais sont aussi substances ( substant) …elles donnent aux accidents la possibilité d'exister, en
même temps qu'elles ont, bien entendu, un substrat (subjectum) pour eux."
5
"Le caractère commun à toute substance, c’est de n’être pas dans un sujet".
(Catégories, 5, 3 a 7).
6
(1) "Toutes ces choses sont appelées substances, parce qu’elles ne sont
pas prédicats d’un sujet, mais que, au contraire, les autres choses sont
prédicats d’elles." (2) 17: "Ce sont aussi les parties immanentes de
tels êtres, parties qui les limitent et marquent leur individualité et dont la
destruction serait la destruction de tout." (Trad. J. Tricot)
7
Catégories, 5, 3 a 7: "Le
caractère commun à toute substance, c’est de n’être pas dans un sujet."
8
Sub-stat: se tient en dessous. Elle
en est le substant.
9
C'est-à-dire les accidents.
10
Phaedon ch. 48-49 (voir Ia, qu. 29, a. 2)
11
Au sens concret.
q. 9 a. 2 tit. 1 Secundo quaeritur quid sit
persona. Videtur quod inconvenienter definiat eam Boetius in Lib. de duabus
naturis dicens quod persona est: rationalis naturae individua substantia.
Il semble que Boèce dans le livre Des
deux Natures, donne une définition qui ne convient pas, en disant que la
personne est "une substance
individuelle de nature raisonnable."
Objections1:
q. 9 a. 2 arg. 1 Nullum enim singulare definitur, ut
patet per philosophum. Sed persona significat singulare in genere substantiae,
ut dictum est. Ergo non potest definiri.
1. Car on ne définit rien de singulier, comme le montre le philosophe (Métaphysique,
VII, 15, 1039 b 272). Mais la
personne signifie quelque chose de singulier dans le genre de la substance,
comme on l'a dit. Donc elle ne peut pas être définie.
q. 9 a. 2 arg. 2 Sed dicendum, quod licet id quod est persona
sit quoddam singulare, tamen ratio personae communis est, et pro tanto persona
in communi definiri potest.- Sed contra, id quod est commune omnibus
substantiis individuis rationalis naturae, est intentio singularitatis, quae
quidem non est in genere substantiae. Ergo non debet in definitione personae
poni substantia quasi genus.
2. Mais il faut dire que,
bien que ce qu’est une personne soit quelque chose de singulier, cependant sa
notion est commune, et pour autant la personne peut avoir une définition
commune. — En sens contraire, ce qui
est commun à toutes les substances individuelles de nature raisonnable est le
concept de singularité3, qui n'est pas
dans le genre de la substance. Donc la substance
ne doit pas être placée dans la définition de la personne en tant que
genre.
q. 9 a. 2 arg. 3 Sed dicendum, quod hoc nomen persona non
significat tantum intentionem, sed intentionem simul cum subiecto intentionis.-
Sed contra est quod philosophus probat, quod compositum ex subiecto et ex
accidente, non potest definiri,- sequeretur enim nugatio in definitione,- cum
enim in definitione accidentis ponatur subiectum, sicut nasus in definitione
simi, oportebit quod in definitione compositi ex subiecto et accidente, ponatur
bis subiectum: semel pro se, et semel pro accidente. Si ergo persona significat
intentionem et subiectum, inconveniens est quod definiatur.
3. Mais il faut dire que ce
nom de personne ne signifie pas
seulement le concept, mais un concept en même temps que son sujet. — En sens contraire, il y a ce que le
philosophe prouve (Métaphysique, VII,
5, 1031 a 44.) qu'on ne peut pas
définir ce qui est composé d’un sujet et d'un accident — en effet, il en
découlerait une niaiserie dans la définition —car comme on place le substrat
dans la définition de l’accident, comme le nez dans la définition du camus, il
faudra que, dans ce qui est composé d’un sujet et d’un l'accident, on place
deux fois le sujet: une fois pour lui et une fois pour l'accident. Si donc la
personne signifie le concept et le substrat, il ne convient pas de la définir.
q. 9 a. 2 arg. 4 Praeterea, subiectum huius intentionis
communis est aliquod singulare. Si ergo persona significat simul intentionem et
subiectum intentionis, adhuc sequeretur quod, definita persona, definiatur
singulare; quod est inconveniens.
4. Le sujet de ce concept commun est quelque chose de singulier. Donc
si la personne signifiait en même temps le concept et le substrat du concept,
il en découlerait alors, qu’une fois définie la personne, on aurait défini ce
qui est singulier, ce qui ne convient pas.
q. 9 a. 2 arg. 5 Praeterea, intentio non ponitur in definitione
rei, nec accidens in definitione substantiae. Persona autem est nomen rei et
substantiae. Inconvenienter igitur in definitione personae ponitur individuum,
quod est nomen intentionis et accidentis.
5. Le concept n'est pas placé dans la définition de la chose, ni
l'accident dans la définition de la substance. Mais la personne est le nom de
la chose et de la substance. Donc il ne convient pas de placer dans la
définition de la personne l’individu
qui est le nom du concept et de l’accident
q. 9 a. 2 arg. 6 Praeterea, illud in cuius definitione
ponitur substantia pro genere, oportet quod sit species substantiae. Sed
persona non est species substantiae, quia condivideretur contra alias
substantiae species. Ergo inconvenienter ponitur substantia in definitione
personae quasi genus.
6. Si la substance est mise à la place du genre, cela doity être
l’espèce de la usbstance. Mais la personne n’est pas l’espèce de la substance,
parce qu’elle serait séparée des autres espèces de substances. Donc il ne
convient pas de placer la substance
dans la définition de la personne comme genre.
q. 9 a. 2 arg. 7 Praeterea, substantia dividitur per primam et
secundam. Sed substantia secunda non potest poni in definitione personae: esset
enim oppositio in adiecto,- cum dicitur substantia individua,- nam substantia
secunda est substantia universalis. Similiter autem neque substantia prima, nam
substantia prima est substantia individua; et sic esset nugatio cum additur
individuum supra substantiam in definitione personae. Inconvenienter ergo
substantia ponitur in definitione personae.
7. La substance est divisée en première et en seconde5, mais la substance seconde ne peut être
placée dans la définition de la personne, car il y aurait une opposition dans
ce qui serait ajouté — quand on parle de la substance individuelle — car la
substance seconde est la substance universelle. De même la substance première
non plus, car elle est substance individuelle, et ainsi ce serait une niaiserie
d’ajouter l’individu à une substance dans la définition de la personne. Donc il
ne convient pas de placer la substance
dans la définition de la personne.
q. 9 a. 2 arg. 8 Praeterea, nomen subsistentiae propinquius
esse videtur personae quam substantia: dicimus enim in Deo tres subsistentias,
sicut et tres personas; non autem dicimus tres substantias, sed unam. Magis
ergo debuit persona per subsistentiam quam per substantiam definiri.
8. Le noms de subsistance paraît plus proche de la personne que la
substance; car nous disons qu'il y a trois subsistances en Dieu comme aussi
trois personnes; nous ne disons pas trois substances, mais une. Donc la personne
aurait dû être définie plutôt par la subsistance
que par la substance.
q. 9 a. 2 arg. 9 Praeterea, quod ponitur in definitione tamquam
genus, multiplicato definito multiplicatur, plures enim homines sunt plura
animalia. Sed in Deo sunt tres personae, non autem tres substantiae. Ergo
substantia non debet poni in definitione personae quasi genus.
9. Ce qui est placé dans la définition en tant que genre, est multiplié
si on multiplie ce qui est défini, car plus il y a d'hommes plus il y a
d'animaux, mais en Dieu il y a trois personnes, mais pas trois substances. Donc
la substance ne doit pas être placée
dans la définition de la personne en tant que genre.
q. 9 a. 2 arg. 10 Praeterea, rationale est differentia
animalis. Sed persona invenitur in his quae non sunt animalia, scilicet in
Angelis et in Deo. Ergo rationale non debuit poni in definitione personae.
10 Le rationnel est la différence avec l'animal; mais on trouve la
personne dans ces (êtres) qui ne sont pas des animaux, à savoir les anges et
Dieu. Donc le raisonnable ne doit pas être placé dans la définition de la
personne.
q. 9 a. 2 arg. 11 Praeterea, natura est tantum in rebus
mobilibus: est enim principium motus, ut dicitur in II Phys. Sed essentia est
tam in rebus mobilibus quam in immobilibus. Ergo convenientius fuit in
definitione personae ponere essentiam quam naturam, cum etiam persona
inveniatur tam in rebus mobilibus quam in immobilibus: est enim in hominibus,
in Angelis et in Deo.
11. La nature n’est que dans ce qui est mobile; car elle est le principe
du mouvement, comme on le dit (Physique,
II, 1, 192 b 206). Mais l'essence est
autant dans ce qui est mobile que dans ce qui est immobile. Donc, dans la
définition de la personne, il a été plus convenable de placer l'essence que la nature, puisque la personne se trouve autant dans ce qui est mobile
que dans ce qui est immobile, car elle est dans les hommes, les anges et Dieu.
q. 9 a. 2 arg. 12
Praeterea, definitio debet converti cum definito. Non autem omne
quod est rationalis naturae individua substantia, est persona. Essentia enim
divina, secundum quod est essentia, non est persona, alioquin esset in Deo una
persona, sicut est una essentia. Ergo inconvenienter definitur persona
definitione praedicta.
12. La définition doit être convertible avec ce qu’elle définit. Mais
tout ce qui est substance individuelle de nature rationnelle est une personne.
L'essence divine, en effet, en tant que telle, n'est pas une personne,
autrement il n'y aurait qu'une seule personne en Dieu, comme il n’y a qu’une
seule essence. Donc la personne est mal caractérisée par la définition.
q. 9 a. 2 arg. 13 Praeterea, humana natura in Christo est
rationalis naturae individua substantia: neque enim est accidens, neque
universalis substantia, neque irrationalis naturae; non tamen humana natura in
Christo est persona: sequeretur enim quod persona divina quae assumpsit humanam
naturam, assumpsisset humanam personam; et sic essent in Christo duae personae,
scilicet divina assumens, et humana assumpta; quod est haeresis Nestorianae.
Non ergo omnis individua substantia rationalis naturae est persona.
13. La nature humaine dans le Christ est une substance individuelle de
nature rationnelle: car elle n'est ni un accident, ni une substance
universelle, ni d'une nature sans raison: cependant la nature humaine dans le
Christ n'est pas une personne, car il en découlerait que la personne divine qui
a assumé la nature humaine, aurait assumé une personne humaine; et ainsi il y
aurait dans le Christ deux personnes, à savoir la personne divine, qui assume
et la personne humaine, qui est assumée; ce qui est l'hérésie nestorienne. Donc
toute substance individuelle de nature rationnelle n'est pas une personne.
q. 9 a. 2 arg. 14 Praeterea, anima separata a corpore per mortem,
non dicitur esse persona; et tamen est rationalis naturae individua substantia.
Non ergo haec est conveniens definitio personae.
14. L'âme séparée du corps par la mort n'est pas appelée personne, et
cependant c'est une substance individuelle d'une nature raisonnable. Donc ce ne
n'est pas une définition convenable de la personne .
Réponse:
q. 9 a. 2 co. Respondeo. Dicendum quod rationabiliter,
individuum in genere substantiae speciale nomen sortitur: quia substantia ex
propriis principiis individuatur,- et non ex alio extraneo,- sicut accidens ex
subiecto. Inter individua etiam substantiarum rationabiliter individuum in
rationali natura, speciali nomine nominatur, quia ipsius est proprie et vere
per se agere, sicut supra dictum est.
Selon la raison (comme cela se voit dans ce qui a été dit7) l'individu reçoit un nom spécial dans le
genre de la substance, parce que celle-ci est individuée par ses propres
principes8 — et non par quelque autre
chose extérieure, — comme l'accident l’est par son substrat. Parmi les
individus des substances individuelles, raisonnable dans une nature
raisonnable, elle est nommée par un nom spécial, parce qu'il lui appartient
réellement et vraiment d’agir par soi, comme on l'a dit ci-dessus.
Sicut ergo hoc nomen hypostasis, secundum Graecos, vel
substantia prima secundum Latinos, est speciale nomen individui in genere
substantiae; ita hoc nomen persona, est speciale nomen individui rationalis
naturae. Utraque ergo specialitas sub nomine personae continetur.
Donc de même que ce nom d'hypostase,
selon les grecs, ou de substance
première, selon les Latins, est le nom spécial d'un individu dans le genre
de la substance, de même ce nom de personne
est le nom spécial d'un individu de nature raisonnable. Donc l’une et l’autre
particularités sont contenues sous le nom de personne.
Et ideo ad ostendendum quod est specialiter individuum in
genere substantiae, dicitur quod est substantia individua; ad ostendendum vero
quod est specialiter in rationali natura, additur rationalis naturae. Per hoc
ergo quod dicitur substantia, excluduntur a ratione personae accidentia quorum
nullum potest dici persona. Per hoc vero quod dicitur individua, excluduntur
genera et species in genere substantiae quae etiam personae dici non possunt;
per hoc vero quod additur rationalis naturae, excluduntur inanimata corpora,
plantae et bruta quae personae non sunt.
Et c'est pourquoi, pour montrer que l'individu est spécialement dans le
genre de la substance, on dit que c'est une substance
individuelle; mais pour montrer qu’il est spécialement dans la nature
raisonnable, on ajoute de nature
raisonnable. Donc du fait qu’il est appelé substance, les accidents sont exclus de la nature de la personne,
dont aucun ne peut être appelé personne.
Par le fait qu’on parle d’individus sont
exclus les genres et les espèces dans le genre de la substance qui ne peuvent
pas être appelés non plus des personne; du fait qu'on ajoute de nature raisonnable, sont exclus les
corps inanimés, les plantes, les animaux qui ne sont pas des personnes.
Solutions:
q. 9 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in substantia
particulari, est tria considerare:
quorum unum est natura generis et speciei in singularibus
existens;
secundum est modus existendi talis naturae, quia in
singulari substantia existit natura generis et speciei, ut propria huic
individuo, et non ut multis communis;
# 1. Dans la substance particulière, il faut considérer trois aspects:
a) L'un est la nature du genre et de l'espèce, qui existe dans les
objets particuliers
b) Le mode d'existence d'une telle nature, parce que la nature du genre
et de l'espèce existe dans la substance particulière, comme propre à cet
individu et non comme commun à beaucoup. objets particuliers.
tertium est principium ex quo causatur talis modus
existendi.
c) Le troisième est le principe qui cause un tel mode d'existence.
Sicut autem natura in se considerata communis est, ita et
modus existendi naturae; non enim invenitur natura hominis existens in rebus
nisi aliquo singulari individuata: non enim est homo qui non sit aliquis homo,
nisi secundum opinionem Platonis, qui ponebat universalia separata. Sed
principium talis modi existendi quod est principium individuationis, non est
commune; sed aliud est in isto, et aliud in illo; hoc enim singulare
individuatur per hanc materiam, et illud per illam. Sicut ergo nomen quod
significat naturam, est commune et definibile,- ut homo vel animal,- ita nomen
quod significat naturam cum tali modo existendi, ut hypostasis vel persona.
Illud vero nomen quod in sua significatione includit determinatum
individuationis principium, non est commune nec definibile, ut Socrates et
Plato.
Mais de même que la nature, considérée en soi, est commune, son mode
d'existence aussi, car on ne trouve la nature d'un homme qui existe en réalité
qu'individualisée par quelque chose de particulier, car il n'y a pas d'homme
qui ne soit pas un certain homme, sinon selon l'opinion de Platon qui plaçait
des universels séparés. Mais le principe d'un tel mode d'existence qui est un
principe d'individuation n'est pas commun; mais il est différent dans l'un et
dans l'autre; car cet être singulier est individué par cette matière et cet
autre par celle-là. De même donc que le nom qui signifie la nature est commun
et définissable, — comme homme ou animal — de même le nom qui signifie la
nature avec un tel mode d'existence, comme hypostase,
ou personne. Mais ce nom qui inclut
dans sa signification un principe déterminé d'individuation, n'est ni commun,
ni définissable, comme Socrate et Platon.
q. 9 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non solum intentio
singularitatis est communis omnibus individuis substantiis, sed etiam natura
generis cum tali modo existendi; et hoc modo significat hoc nomen hypostasis
naturam generis substantiae ut individuatam; hoc autem nomen persona solum
naturam rationalem sub tali modo existendi. Et propter hoc neque hypostasis
neque persona est nomen intentionis, sicut singulare vel individuum, sed nomen
rei tantum; non autem rei et intentionis simul.
# 2. Non seulement le concept de singularité est commun à toutes les
substances individuelles, mais la nature du genre aussi avec un tel mode
d'existence; et de cette manière le nom d'hypostase
signifie la nature du genre de la substance en tant qu’individualisée; mais ce
nom de personne signifie seulement la
nature raisonnable qui existe sous un tel mode d’existence. Et c'est pour cela
que ni hypostase, ni personne, ne sont le nom du concept en tant que singulier
ou individuel; mais le nom de la chose seulement; mais pas celui de la chose et
du concept en même temps.
q. 9 a. 2 ad 3 Unde patet solutio ad tertium et quartum.
# 3. 4. Ainsi s’éclaire la solution à la troisième et quatrième
objection.
q. 9 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum quod, quia essentiales rerum
differentiae sunt ignotae frequenter et innominatae, oportet interdum uti
accidentalibus differentiis ad substantiales differentias designandas, sicut
docet philosophus, et hoc modo individuum ponitur in definitione personae, ad
designandum individualem modum essendi.
# 5. Parce que les différences essentielles sont fréquemment ignorées
et sans nom, il faut parfois se servir des différences accidentelles, pour
désigner des différences substantielles, comme le montre le philosophe (Métaphysique, VIII, 2, 1043 a 5) et de
cette manière on place l’individu
dans la définition de la personne pour désigner le mode individuel d'être.
q. 9 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum quod, cum dividitur
substantia in primam et secundam, non est divisio generis in species,- cum
nihil contineatur sub secunda substantia quod non sit in prima,- sed est
divisio generis secundum diversos modos essendi. Nam secunda substantia
significat naturam generis secundum se absolutam; prima vero substantia
significat eam ut individualiter subsistentem. Unde magis est divisio analogi
quam generis. Sic ergo persona continetur quidem in genere substantiae, licet
non ut species, sed ut specialem modum existendi determinans.
# 6. Quand la substance est divisée en première et seconde, ce n'est
pas une division du genre en espèce — puisque rien n'est contenu sous la
substance seconde qui ne soit dans la substance première — mais c'est une
division du genre selon les diverses manières d'être. Car la substance seconde
signifie la nature absolue du genre en soi; mais la substance première signifie
celle en tant qu’elle subsiste individuellement. C'est pourquoi c'est plus une
division de l’analogue que du genre. Ainsi donc la personne est contenue dans
le genre de la substance, bien qu'elle n’y soit pas comme espèce, mais comme ce
qui détermine un mode spécial d'existence.
q. 9 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod quidam dicunt, quod
substantia ponitur in definitione personae prout significat hypostasim, sed cum
de ratione hypostasis sit individuum, secundum quod opponitur communitati
universalis vel parti,- quia nullum universale, nec aliqua pars, ut manus vel
pes, potest dici hypostasis,- ulterius de ratione personae est individuum,
secundum quod opponitur communitati assumptibilis. Dicunt enim, quod humana natura in Christo est hypostasis, sed non
persona. Et ideo ad excludendum assumptibilitatem additur individuum in
definitione personae.
# 7. Certains disent que la substance est placée dans la définition
de la personne dans la mesure où elle signifie l'hypostase, mais comme
l’individu concerne le concept d'hypostase, selon qu'il est opposé au caractère
commun de l'universel ou à la partie — parce que rien d'universel, ni une
partie, comme la main ou le pied ne peut être appelé hypostase — l'individu
concerne en plus le concept de personne selon qu’il est opposé à l’état commun
de ce qui ne peut être assumé. Car ils disent que la nature humaine dans le
Christ est une hypostase, mais non une personne. Et c'est pourquoi pour exclure
qu’elle puisse être assumée, on ajoute individu dans la définition de la
personne.
Sed hoc videtur esse contra intentionem Boetii, qui in Lib. de duabus naturis, per hoc quod
dicitur individuum, excludit universalia a ratione personae. Et ideo melius est
ut dicatur, quod substantia non ponitur in definitione personae pro hypostasi,
sed pro eo quod est commune ad substantiam primam, quae est hypostasis, et
substantiam secundam, et dividitur in utraque. Et sic illud commune, per hoc
quod additur individuum, contrahitur ad hypostasim, ut idem sit dicere:
substantia individua rationalis naturae, ac si diceretur hypostasis rationalis
naturae.
Mais cela paraît opposé à la pensée de Boèce, qui dans le livre Des deux natures, du fait qu'on parle d’individu, est exclu ce qui est universel
de la nature de la personne. Et c'est pourquoi il est meilleur de dire que la substance n'est pas placée dans la
définition de la personne à la place de l’hypostase, mais pour ce qui est
commun à la substance première, qui est l'hypostase, et à la substance seconde
et elle est divisée en l'une et l'autre. Et ainsi ce qui est commun, par le
fait qu'on ajoute individu, est
réunie à l'hypostase pour que ce soit la même chose de dire: substance individuelle de nature raisonnable
comme si on parlait d’une hypostase de nature raisonnable.
q. 9 a. 2 ad 8 Ad octavum dicendum quod, secundum praedicta,
ratio non procedit: quia substantia accipitur non pro hypostasi, sed pro eo
quod est commune ad omnem substantiae acceptionem. Si tamen acciperetur
substantia pro hypostasi, adhuc ratio non sequeretur: substantia enim quae est
hypostasis, propinquius se habet ad personam quam subsistentia; cum tamen
persona dicat aliquid subiectum, sicut substantia prima, et non solum sicut
subsistens ut subsistentia. Sed quia nomen substantiae refertur etiam apud
Latinos ad significationem essentiae, ideo ad vitandum errorem non dicimus tres
substantias, sicut tres subsistentias. Graeci vero apud quos est distinctum
nomen hypostasis a nomine ousias indubitanter in Deo tres hypostases
confitentur.
# 8. Selon ce qui a été dit, cette raison ne vaut pas, parce que la
substance est prise non pour une hypostase mais pour ce qui est commun à toute
l'acception de la substance. Si cependant la substance était prise à la place
de l'hypostase, la raison ne vaudrait pas non plus, car la substance qui est
l’hypostase se montre plus proche de la personne que la subsistance; étant
donné que la personne désigne un substrat, de même que la substance première et
non seulement en tant que subsistant comme subsistance. Mais parce que le nom
de substance est rapporté aussi chez
les Latins à la signification de l'essence, pour éviter une erreur, nous
parlons de trois substances, comme de trois subsistances. Mais les Grecs, chez
qui le nom hypostase est distingué de
ousia, confessent, sans doute aucun,
trois hypostases en Dieu.
q. 9 a. 2 ad 9 Ad nonum dicendum quod, sicut dicimus in Deo
tres personas, ita possumus dicere tres substantias individuas; unam tamen
substantiam quae est essentia.
# 9. De même que nous disons qu'il y a trois personnes en Dieu, de même
nous pouvons parler de trois substances individuelles, cependant d’une seule
substance qui est l'essence.
q. 9 a. 2 ad 10 Ad decimum dicendum, quod rationale est
differentia animalis, secundum quod ratio, a qua sumitur, significat
cognitionem discursivam, qualis est in hominibus, non autem in Angelis nec in
Deo. Boetius autem sumit rationale communiter pro intellectuali, quod dicimus
convenire Deo et Angelis et hominibus.
# 10. Raisonnable désigne la
différence de l'animal selon que la notion, d'où il est pris, signifie la
connaissance discursive telle qu'elle est dans l'homme, mais non dans les anges9, ni en Dieu. Mais Boèce prend raisonnable communément pour
intellectuel, que nous disons convenir à Dieu, aux anges et aux hommes.
q. 9 a. 2 ad 11 Ad undecimum dicendum quod natura in
definitione personae non accipitur prout est principium motus, sicut definitur
a philosopho, sed sicut definitur a Boetio: quod natura est unumquodque
informans specifica differentia. Et quia differentia complet definitionem et
determinat definitum ad speciem, ideo nomen naturae magis competit in
definitione personae,- quae specialiter in quibusdam substantiis invenitur,- quam
nomen essentiae, quod est communissimum.
# 11. La nature, dans la
définition de la personne n'est pas prise selon qu'elle est le principe du
mouvement comme le philosophe la définit (Physique,
II, 193 a 3010), mais comme elle est
définie par Boèce (dans Les deux natures,
III) parce que la nature est une
différence spécifique qui donne forme à chaque chose. Et parce que la
différence complète la définition et détermine le défini à l'espèce, le nom de nature appartient plus à la définition
de la personne — qui se trouve spécialement en certaines substances — que le
nom essence qui est très commun.
q. 9 a. 2 ad 12 Ad duodecimum dicendum quod individuum, in
definitione personae, sumitur pro eo quod non praedicatur de pluribus; et
secundum hoc essentia divina non est individua substantia secundum
praedicationem,- cum praedicetur de pluribus personis,- licet sit individua
secundum rem. Richardus tamen de sancto Victore, corrigens definitionem Boetii,
secundum quod persona in divinis accipitur, dixit: quod persona est divinae
naturae incommunicabilis existentia, ut per hoc quod dicitur incommunicabilis,
essentia divina, persona non esse, ostenderetur.
# 12. L’individu, dans la définition de la personne, est pris pour ce
qui est attribué à plusieurs, et ainsi l'essence divine n'est pas une substance
individuelle selon l'attribution — puisqu'elle est attribuée à plusieurs
personnes — bien qu'elle soit individuelle en réalité; cependant Richard de
saint Victor (La Trinité, IV, 18 et 23),
corrigeant la définition de Boèce, selon que la personne est reçue en Dieu, a
dit que: "La personne est une
existence incommunicable de nature divine." pour montrer que parce
qu’on la dit incommunicable,
l'essence divine n’est pas une personne.
q. 9 a. 2 ad 13 Ad decimumtertium dicendum quod cum substantia
individua sit quoddam completum per se existens, humana natura in Christo, cum
sit assumpta in personam divinam, non potest dici substantia individua,- quae
est hypostasis,- sicut nec manus nec pes nec aliquid eorum quae non subsistunt
per se ab aliis separata; et propter hoc non sequitur quod sit persona.
# 13. Comme la substance individuelle est quelque chose de complet
existant par soi, comme la nature humaine dans le Christ a été assumée dans la
personne divine, elle ne peut pas être appelée substance individuelle — qui est
une hypostase,— de même que ni la main ni le pied, ni quelque chose de ce qui
ne subsiste pas par soi séparé des autres; et pour cela il n'en découle pas
qu’elle soit une personne.
q. 9 a. 2 ad 14 Ad decimumquartum dicendum quod anima separata
est pars rationalis naturae, scilicet humanae, et non tota natura rationalis
humana, et ideo non est persona.
# 14. L'âme séparée est une partie de la nature raisonnable, à savoir
de la nature humaine, et non toute la nature raisonnable humaine et c'est pour
cela que ce n'est pas une personne.
1 PARALL.: Ia, qu. 29, a. 1 — a. 3, ad 2, 4 — IIIa, qu. 2, a. 2— I Sent. D. 25, a. 1. De unione Verbi. a. 1, (§ 1: définition de la nature, § 2, définition de
la personne. )
2
"Et la raison pour laquelle des substances sensibles individuelles il n’y
a ni définition, ni démonstration, c’est que ces substances ont une matière
dont la nature est de pouvoir et être et n’être pas…" (p. 434) Thomas
1606-1612) Cf. Anal. Post. I, 8, 75 b 24: l’universalité de
la définition ne peut porter que sur des universaux.
3
Singularitas: le fait d’être unique,
individualité.
4
"On voit donc que c’est de la substance seule qu’il y a définition."
(Trad. Tricot, p. 369).
5
Voir qu. 9, a. 1, note 6.
6
"Car la nature est un principe et une cause de mouvement et de repos pour
la chose en laquelle elle réside immédiatement, par essence et non pas
accident." (Trad. H. Carteron). Cf. De
Caelo, I, 2, 268 b 15: "Tous les corps naturels et toutes les
grandeurs sont, prétendons-nous, mobiles, de par soi, selon le lieu, nous
disons en effet que la nature est le principe de leur mouvement."
7
Éd. Marietti ajoute: [sicut ex praemissis
patet].
8
Cf. Ia, qu. 29, a. 1, c. "La
substance est individuée par elle-même, les accidents le sont pas le sujet.".
9
La connaissance dans les anges; Voir Péchaire, Intellectus et ratio selon saint Thomas. V.g. p. 71.
10
"Mais en un autre sens, c’est le type et la forme, la forme définissable.
q. 9 a. 3 tit. 1 Tertio quaeritur utrum in Deo
possit esse persona. Et videtur quod non.
Il semble que non1.
Objections:
q. 9 a. 3 arg. 1 Sicut enim dicit Boetius nomen personae
sumitur a personando, quia homines larvati personae dicebantur, quia in
comoediis vel tragoediis aliquid personabant. Sed esse larvatum non competit Deo,
nisi forte metaphorice. Ergo nomen personae non potest dici de Deo, nisi forte
metaphorice.
1. Car, comme le dit Boèce (Les deux Natures, III, PL. 64, 1344 A),
le nom de personne vient de personare
(c'est-à-dire résonner): les hommes qui portaient un masque étaient appelés des
personnes, parce que, dans les comédies et les tragédies, leurs voix
résonnaient. Mais porter un masque ne convient pas à Dieu sinon par métaphore.
Donc le nom de personne ne peut être employé pour Dieu, sinon éventuellement par
métaphore.
q. 9 a. 3 arg. 2 Praeterea, sicut dicit Damascenus, de nullo
eorum quae dicuntur de Deo, possumus scire quid est, prout ei conveniunt. Sed de persona scimus quid est, per definitionem praemissam. Ergo persona
non competit Deo, ad minus secundum definitionem praedictam.
2. Comme le dit Jean Damascène (La
foi orthodoxe I, 1, 2 et 4), de tout ce qu'on dit à propos de Dieu, nous ne
pouvons savoir ce qu’il est, dans la mesure où cela lui convient. Mais pour la
personne, nous savons ce qu’elle est, par la définition rapportée ci-dessus (a.
2). Donc le nom de personne ne convient pas à Dieu, au moins selon la
définition qu’on en a donnée.
q. 9 a. 3 arg. 3 Praeterea, Deus non est in aliquo genere; cum
enim sit infinitus, sub nullius generis terminis comprehendi potest. Persona
autem significat aliquid quod est in genere substantiae. Ergo persona Deo non
convenit.
3. Dieu n'est pas dans un genre, car comme il est infini, il ne peut
être compris sous les termes d'aucun genre. Mais la personne signifie quelque
chose qui est dans le genre de la substance. Donc la personne ne convient pas à
Dieu.
q. 9 a. 3 arg. 4 Praeterea, in Deo nulla est compositio. Sed
persona significat aliquid compositum; singulare enim humanae naturae, quod est
persona, est maximae compositionis; partes etiam definitionis personae
demonstrant personam esse compositam. Non est ergo in Deo persona.
4. Il n'y a nulle composition en Dieu. Mais la personne signifie
quelque chose de composé; car l'individu particulier de nature humaine, qui est
une personne est d’une très grande composition; les parties de la définition de
la personne montrent aussi qu'elle est composée. Donc il n'y a pas de personne
en Dieu.
q. 9 a. 3 arg. 5 Praeterea, in Deo nulla est materia.
Principium autem individuationis materia est. Cum ergo persona sit substantia
individua, non potest Deo convenire.
5. En Dieu il n'y a pas de matière. Mais le principe d'individuation
est la matière. Comme la personne est une substance individuelle, elle ne peut
convenir à Dieu.
q. 9 a. 3 arg. 6 Praeterea, omnis persona est subsistentia. Sed
Deus non potest dici subsistentia, quia non existit sub aliquo. Ergo non est
persona.
6. Toute personne est une subsistance. Mais Dieu ne peut pas être
appelé subsistance, parce qu'il n'est placé sous rien2 . Donc il n'est pas une personne.
q. 9 a. 3 arg. 7 Praeterea, persona sub hypostasi continetur.
Sed in Deo non potest esse hypostasis, quia non est in eo aliquod accidens, cum
hypostasis dicat subiectum accidentis, ut supra dictum est. Ergo in Deo non est
persona.
7. La personne est contenue sous l'hypostase. Mais en Dieu il ne peut
pas y avoir d'hypostase, parce qu'en lui, il n'y a pas d'accident, puisqu’on
dit que l’hypostase est le substrat de l’accident, comme ci-dessus (art. 13) on l'a dit. Donc en Dieu il n'y a pas de
personne.
En sens contraire:
q. 9 a. 3 s. c. Sed contrarium, apparet per Athanasium in
symbolo quicumque vult, etc., et per Augustinum in VII de Trinit., et per communem
Ecclesiae usum, quae a spiritu sancto edocta non potest errare.
Le contraire apparaît dans le Symbole d'Athanase4:"Quiconque veut… etc." et chez
Augustin (La Trinité, VII, 6) et par
l'usage commun de l'Église, qui, instruite par l'Esprit saint, ne peut pas se
tromper.
Réponse:
q. 9 a. 3 co. Respondeo. Dicendum quod persona, sicut dictum
est, significat quamdam naturam cum quodam modo existendi. Natura autem, quam
persona in sua significatione includit, est omnium naturarum dignissima,
scilicet natura intellectualis secundum genus suum. Similiter etiam modus
existendi quem importat persona est dignissimus, ut scilicet aliquid sit per se
existens
La personne, comme il a été dit, signifie une nature avec un certain
mode d'existence. Mais la nature, que "personne" inclut dans sa
signification est la plus digne de toutes les natures, à savoir, selon son
genre, la nature intellectuelle. De même aussi le mode d'existence qu'apporte
la personne est le plus digne, en tant que réalité qui existe en soi.
Cum ergo omne quod est dignissimum in creaturis, Deo sit
attribuendum, convenienter nomen personae Deo attribui potest, sicut et alia
nomina quae proprie dicuntur de Deo.
Donc, comme tout ce qui est le plus digne dans les créatures doit être
attribué à Dieu, il convient que le nom
de personne puisse lui être attribué, comme les autres noms qui lui sont
attribués en propre.
Solutions:
q. 9 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum quod in nomine aliquo
est duo considerare: scilicet, illud ad quod significandum nomen imponitur, et
illud a quo imponitur ad significandum. Frequenter enim imponitur nomen aliquod
ad significandum rem aliquam, ab aliquo accidente aut actu aut effectu illius
rei; quae tamen non sunt principaliter significata per illud nomen, sed potius
ipsa rei substantia, vel natura sicut hoc nomen lapis sumitur a laesione pedis,
quam tamen non significat, sed potius corpus quoddam in quo tale accidens
frequenter invenitur. Unde laesio pedis magis pertinet ad etymologiam huius nominis
lapis, quam ad eius significationem.
# 1. Dans un nom il y a deux aspects à considérer: l’un s’impose pour
signifier pour quoi? et l’autre par quoi?
Car fréquemment le nom sert pour signifier quelque chose par un accident, un
acte ou un de ses effets; cependant cela n'est pas signifié principalement par
ce nom, mais plutôt par la substance de la chose, ou sa nature; ainsi le nom pierre est pris de "qui blesse le
pied5". Ce que cependant il ne
signifie pas, mais il signifie plutôt un corps dans lequel se trouve
fréquemment un tel accident. C'est pourquoi la blessure du pied appartient à
son étymologie plus qu'à sa signification.
Quando ergo illud ad quod significandum nomen imponitur, Deo
non competit,- sed aliqua proprietas eius secundum similitudinem quamdam,- tunc
illud nomen de Deo metaphorice dicitur: sicut Deus nominatur leo, non quia
natura illius animalis Deo conveniat, sed propter fortitudinem quae in leone
invenitur. Quando vero res significata per nomen Deo convenit, tunc illud nomen
proprie de Deo dicitur, sicut bonum, sapiens et huiusmodi; licet etiam
quandoque illud a quo tale nomen imponitur, non conveniat Deo. Sic ergo licet
personare ad modum larvati hominis a quo impositum fuit nomen personae, Deo non
conveniat, tamen illud quod significatur per nomen, scilicet subsistens in
natura intellectuali, competit Deo; et propter hoc nomen personae proprie
sumitur in divinis.
Donc quand ce à quoi sert le nom pour signifier quelque chose ne lui
convient pas — mais une de ses propriétés selon une ressemblance quelconque —
alors ce nom est employé pour Dieu métaphoriquement; ainsi Dieu est appelé
lion, non pas parce que la nature animale lui convient, mais à cause de la
force qui est dans le lion. Mais quand une chose signifiée par le nom lui
convient, alors il est employé au sens propre, comme bon, sage, etc.; bien que
quelquefois aussi ce par quoi on se sert d'un tel nom ne lui convienne pas.
Ainsi donc, bien que crier à voix forte
à la manière d’un homme masqué, par qui a été imposé le nom de personne, ne
convienne pas à Dieu, cependant ce qu’il signifie, à savoir qui subsiste dans une nature intellectuelle,
lui convient, et à cause de cela le nom de personne
est pris en lui au sens propre.
q. 9 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum quod tam nomen personae
quam definitio de persona data, si recte intelligatur, convenit Deo: non tamen
ita quod sit definitio eius, quia plus est in Deo quam significetur per nomen.
Unde id quod Dei est, per rationem nominis non definitur.
# 2. Tant le nom de personne que la définition qu’on lui donne, si on
les comprend bien, conviennent à Dieu, non cependant de sorte que ce soit sa
définition, parce qu'il y a plus en Dieu que ce qui est signifié par le nom.
C'est pourquoi ce qui appartient à Dieu n'est pas défini par la signification
de ce nom.
q. 9 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum quod, licet Deus non
sit in genere substantiae tamquam species, pertinet tamen ad genus substantiae
sicut generis principium.
# 3. Bien que Dieu ne soit pas dans le genre de la substance, comme
espèce, il se rapporte cependant au genre de la substance comme principe du
genre.
q. 9 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum quod accidit personae, in
quantum huiusmodi, quod sit composita, ex hoc quod complementum vel perfectio,
quae requiritur ad rationem personae, non invenitur statim in uno simplici, sed
requirit adunationem multorum, sicut in hominibus patet. In Deo autem, cum
summa simplicitate est summa perfectio; et ideo est ibi persona absque
compositione. Partes vero positae in definitione personae non ostendunt aliquam
compositionem personae, nisi in substantiis materialibus: individuum autem cum
sit negatio, per hoc quod substantiae additur, nulla compositio importatur.
Unde remanet ibi sola compositio individuae substantiae, id est hypostasis ad
naturam: quae duo, in substantiis immaterialibus, secundum rem, sunt idem
omnino.
# 4. Il arrive à la personne en tant que telle, d’être composée, du
fait que ce qui l'achève ou la parfait, requis pour sa nature, ne se trouve pas
constamment dans ce qui est un et simple, mais requiert l'union de beaucoup de
parties, comme on le voit pour l'homme. Mais en Dieu, comme la perfection
surpême vient de sa suprême simplicité, il y a une personne sans composition.
Aussi les parties placées dans la définition de la personne ne montrent une
composition de la personne que dans les substance matérielles; mais comme
l’individu est une négation, du fait qu'il est ajouté à la substance, il
n’apporte aucune composition. C'est pourquoi la seule composition de la
substance individuelle y demeure, c'est-à-dire l'hypostase pour la nature; les
deux, dans les substances immatérielles, sont tout à fait identiques en
réalité.
q. 9 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum quod rebus materialibus, in
quibus formae non sunt per se subsistentes, sed materiae inhaerentes, oportet
quod principium individuationis sit ex materia: formae vero immateriales, cum
sint per se subsistentes, ex seipsis individuantur; ex hoc enim quod aliquid
est subsistens, habet quod de pluribus praedicari non potest: et ideo nihil
prohibet in rebus immaterialibus substantiam individuam et personam inveniri.
# 5. Pour les choses matérielles, en qui les formes ne sont pas
subsistantes par soi, mais inhérentes à la matière, il faut que le principe
d'individuation vienne de la matière: mais comme les formes immatérielles sont
subsistantes par soi, elles sont individuées par elles-mêmes; car du fait que
quelque chose est subsistant, il a ce qui ne peut pas être attribué à
plusieurs; et c'est pourquoi rien n'empêche de trouver dans les choses
immatérielles, une substance individuelle et une personne.
q. 9 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum quod, licet in Deo non sit
compositio, ut in eo aliquid sub alio intelligi possit, tamen secundum
intellectum nostrum, seorsum accipimus esse eius et substantiam ipsius sub esse
eius existentem, ut huic subsistens dicatur. Vel dicendum, quod licet subesse,-
a quo imponitur vocabulum subsistendi,- Deo non conveniat, tamen per se esse,-
ad quod significandum imponitur,- competit ei.
# 6. Bien qu'en Dieu, il n'y ait pas de composition, qui puisse faire
penser qu'une chose en lui est soumise à une autre, cependant, selon notre
esprit, nous avons admis ci-dessus que son être et sa substance existent sous
son être, pour le dire subsistant. Ou bien
il faut dire, que bien qu' "être
sujet"— notion qu’impose le terme de subsister, ne convienne pas à Dieu
cependant être par soi, — ce à quoi il sert à le signifier — lui convient.
q. 9 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum quod, licet in Deo non sint
accidentia, sunt tamen in eo proprietates personales, quibus hypostases
substant.
# 7. Bien qu'en Dieu il n'y ait pas d'accidents, il y a cependant des
propriétés personnelles6 dont les
hypostases sont le substrat.
1 Parall.: Ia, qu. 29, a. 3 — I Sent. d23a2.
2
Sub-sistence selon l’étymologie: ‘qui
demeure sous’.
3
Boèce, Les deux natures, 3, PL. 64,
1344.
4
IVe siècle. Denz. 75-76 Symbole et des
définitions de la foi. Il exprime la foi de l’Église: trois Personnes en
une seule nature.
5Étymologie
classique mais fantaisiste pour nous. "Attendu que les essences des étants
nous sont foncièrement cachées… ce ne sont pas les essences, mais les accidents
des choses" qui servent au langage. "Peu importe, dit-il, que cette
explication des origines soit fausse… Ce que ce mot lapis vise par sa signification — la pierre en tant que pierre,
c'est-à-dire l’essence de pierre — va bien au-delà de ce qu’il exprime
étymologiquement." Philipp. W. Rosemann, Omne ens est aliquid. Louvain-Paris 1996, p. 148-149.
6
Pot. 7, 5, obj. 2. "Jean
Damascène (I, 11) dit qu'en Dieu tout est un, sauf la non-génération, la
génération et la procession" Il s'agit des trois propriétés personnelles
dans la Trinité. Elle signifie l'origine comme un acte. Cf. Ia, qu. 40, a. 2, c. L'origine et la
relation sont les propriétés personnelles des Personnes en Dieu.
q. 9 a. 4 tit. 1 Quarto quaeritur utrum hoc
nomen persona in divinis significet relativum, vel aliquid absolutum. Et
videtur quod significet aliquid absolutum.
Il semble qu'il signifie l'absolu2.
Objections:
q. 9 a. 4 arg. 1 Dicit enim Augustinus, quod cum Ioannes dicit:
tres sunt qui testimonium dant in caelo, pater, verbum et spiritus sanctus; et
quaereretur quid tres essent, responsum est quod sunt tres personae. Sed quid
quaerit de essentia. Ergo hoc nomen persona in divinis significat essentiam.
1. Car Augustin rapporte (La Trinité, VII, IV, 73) que Jean dit: "Il y en a trois qui donnent leur témoignage dans le ciel, le Père, le
Fils et l'Esprit saint.", et si on cherche ce qu’ils sont, on répond:
ce sont trois personnes. Mais quid interroge
sur l'essence. Donc ce nom de personne
signifie l'essence en Dieu.
q. 9 a. 4 arg. 2 Praeterea, in eodem Lib. Augustinus dicit,
quod idem est Deo esse quod personam esse. Sed esse in divinis significat
essentiam, et non relationem. Ergo et persona.
2. Dans le même livre (La
Trinité, VII, VI, 114), Augustin
dit que c’est pareil pour Dieu d’être et d’être une personne. Mais l'être en
Dieu signifie l'essence et non la relation. Donc la personne aussi.
q. 9 a. 4 arg. 3 Praeterea, Augustinus dicit ibidem: ad se
proprie dicitur persona, non ad filium vel spiritum sanctum, sicut ad se
dicitur Deus, et magnus et bonus et iustus. Sed haec omnia essentiam
significant, et non relationem. Ergo et persona.
3. Augustin dit au même endroit5:
"On parle de personne absolument au
sens propre, mais pas en rapport au Fils ou à l'Esprit saint, comme on dit
absolument Dieu, grand, bon et juste." Mais tous ces noms signifient
l'essence et non la relation. Donc la personne aussi.
q. 9 a. 4 arg. 4 Praeterea, Augustinus ibidem dicit quod,
quamvis commune est illis, scilicet patri et filio et spiritui sancto, nomen
essentiae, ita ut singulus quisque dicatur essentia, tamen illis commune est
personae vocabulum. Sed relatio in divinis non est commune, sed distinctivum.
Ergo persona in divinis non significat relationem.
4. Augustin au même endroit (ch. 4) dit que, quoique le nom d’essence
leur soit commun, à savoir au Père, au Fils et à l'Esprit saint, de sorte que
chacun en particulier est appelé essence, cependant, le nom de personne leur est
commun. Mais la relation en Dieu n'est pas commune mais distinctive. Donc la
personne n'y signifie pas la relation.
q. 9 a. 4 arg. 5 Sed dicendum, quod persona est commune ratione
et non re in divinis.- Sed contra, in divinis non est universale; unde Augustinus
in eodem libro improbat opinionem illorum qui dicebant quod essentia in divinis
est sicut genus vel sicut species; persona vero sicut species vel individua.
Quod autem est commune ratione et non re, est commune per modum universalis.
Ergo persona non est commune in divinis ratione tantum, sed etiam re; et ita
non potest significare relationem.
5. Mais il faut dire que le
nom personne est commun en Dieu en raison, mais pas en réalité. — En sens contraire, en Dieu l'universel
n’existe pas. C'est pourquoi, Augustin dans le même livre (Trinité, VII, VI, 11) réprouve l'opinion de ceux qui disaient que
l'essence lui est comme un genre ou une espèce et la personne comme une espèce
ou un individu. Mais ce qui est commun en raison et non en réalité est commun à
la manière de l'universel. Donc la personne n'est pas commune en lui, en raison
seulement, mais aussi en réalité, et ainsi elle ne peut pas signifier une
relation.
q. 9 a. 4 arg. 6 Praeterea, nullum nomen significat res
diversorum generum, nisi aequivoce: acutum enim aequivoce dicitur in saporibus
et magnitudinibus. Manifestum est autem quod persona in Angelis et hominibus
non significat relationem, sed aliquid absolutum. Si ergo in Deo significet
relationem, erit aequivoce dictum.
6. Aucun nom ne signifie des choses de genres différents sinon de
manière équivoque. Important, en effet, se dit de manière équivoque dans les
saveurs et les grandeurs6. Mais il est
clair que la personne dans les anges et dans les hommes ne signifie pas une
relation, mais quelque chose d'absolu. Si donc en Dieu, elle signifie la
relation, on en parlera de manière équivoque.
q. 9 a. 4 arg. 7 Praeterea, quod accidit rei significatae per
nomen, est extra significationem nominis; sicut extra significationem hominis
est album, quod accidit homini. Res autem significata per hoc nomen persona est
substantia individua rationalis naturae; quia ratio quam significat nomen, est
definitio, secundum philosophum, in IV Metaph.: substantiae autem tali accidit
ad aliud referri. Relatio ergo est extra significationem huius nominis persona.
7. Ce qui s’ajoute à ce qui est signifié par le nom est hors de sa
signification; comme le blanc, accident dans l'homme, est hors de sa
signification; mais ce qui est signifié par le nom de personne est la substance individuelle de nature raisonnable; parce
que la notion que signifie le nom est la définition, selon le philosophe (Métaphysique, IV, 7, 1012 a 237), mais, il arrive à une telle substance de
se référer à autre chose. Donc la relation est hors de la signification de ce
nom de personne.
q. 9 a. 4 arg. 8 Praeterea, nullum nomen potest intelligi de
aliquo vere praedicari, cui non intelligitur convenire res significata per
nomen; sicut non potest intelligi esse homo quod intelligitur non esse animal
rationale mortale. Iudaei autem et Pagani confitentur Deum esse personam; non
tamen confitentur in eo relationes, quas nos ponimus secundum fidem. Ergo hoc
nomen persona in divinis non significat huiusmodi relationes.
8. On peut comprendre qu’aucun nom ne soit vraiment attribué à une
chose, si on ne comprend pas que ce qu’il signifie lui convient; ainsi il est
impossible de comprendre "être homme" sans comprendre être un animal
raisonnable mortel — Mais les Juifs et les Païens confessent que Dieu est une
personne; mais ils ne confessent cependant pas en lui les relations que nous,
nous posons selon notre foi. Donc ce nom de personne
en Dieu ne signifie pas des relations de ce genre.
q. 9 a. 4 arg. 9 Sed dicendum, quod Iudaei et Pagani erroneam
habent opinionem de Deo; unde ex eorum opinione non potest accipi argumentum.-
Sed contra, error opinionis non variat nominis significationem, nec etiam
veritas. Si ergo apud errantes de Deo nomen persona non significat relationem,
nec etiam significabit apud recte sentientes de Deo.
9. Mais il faut dire que les
Juifs et les Païens ont une opinion erronée sur Dieu. C'est pourquoi, on ne
peut pas tirer argument de leur opinion. — En
sens contraire, l'erreur dans l'opinion ne change pas la signification du
nom, la vérité non plus du reste. Si donc parmi ceux qui se trompent sur Dieu,
le om de personne ne signifie pas la
relation, il ne le signifiera pas non plus chez ceux qui pensent sur Dieu avec
rectitude.
q. 9 a. 4 arg. 10 Praeterea, voces, secundum philosophum, sunt
signa intellectuum: intellectus enim qui concipitur ex hoc nomine persona est
in intellectu substantiae primae. Ergo hoc nomen persona significat substantiam
primam, qua nihil est magis absolutum, cum sit per se existens; ergo hoc nomen
persona non significat relationem, sed aliquid absolutum.
10. Les mots, selon le philosophe (Perih.
I) sont les signes du concept, car celui-ci qui est conçu par ce nom de
personne est dans le concept de substance première. Donc ce nom de personne signifie la substance première,
dont rien n'est plus absolu, puisqu'elle existe par soi; donc ce nom de personne ne signifie pas une relation
mais l'absolu.
q. 9 a. 4 arg. 11 Sed dicendum, quod hoc nomen persona
significat relationem per modum substantiae.- Sed contra, haec propositio est
immediata: nulla relatio est substantia, sicut et haec: nulla quantitas est
substantia, sicut patet per philosophum. Si ergo hoc nomen persona significat
substantiam, ut probatum est, impossibile est quod significatum eius sit
relatio.
11. Mais il faut dire que ce
nom personne signifie une relation à
la manière de la substance. — En sens
contraire, cette proposition est évidente: "Aucune relation n'est une substance", de la même manière que: "Aucune quantité n'est une substance8", comme le montre le philosophe (Posteriorum, I, 34) — Si donc ce nom personne signifie la substance, comme
cela a été prouvé, il est impossible que ce qui est signifié soit sa relation.
q. 9 a. 4 arg. 12 Praeterea, opposita non possunt verificari de
eodem. Sed esse per se et esse ad aliud, sunt opposita. Si ergo quod
significatur nomine personae est substantia, quae est ens per se, impossibile
est quod sit ad aliquid.
12. Les opposés ne peuvent pas se présenter comme vrais sous un même
rapport. Mais être par soi et être pour un autre sont des opposés9. Si donc ce qui est signifié par le nom de personne est une substance, qui est un
étant par soi, il est impossible que ce soit une relation.
q. 9 a. 4 arg. 13 Praeterea, omne nomen significans relationem,
refertur ad aliquid quod consignificat, sicut dominus et servus. Sed patet quod
hoc nomen persona non refertur ad aliud. Ergo non significat relationem, sed
aliquid absolutum.
13. Tout nom qui signifie une relation se réfère à une réalité dont il
révèle la relation, comme maître et serviteur. Mais il est clair que ce nom personne ne se réfère pas à autre chose.
Donc il ne signifie pas une relation, mais l'absolu.
q. 9 a. 4 arg. 14 Praeterea, persona dicitur quasi per se una. Unitas autem in divinis pertinet ad essentiam. Ergo hoc
nomen persona significat essentiam, et non relationem.
14. On dit que la personne est pour ainsi dire unique par soi. Mais
l'unité en Dieu appartient à l'essence. Donc ce nom personne signifie l'essence et non la relation.
q. 9 a. 4 arg. 15 Sed dicendum, quod hoc nomen significat unum
distinctum, et quia distinctio in divinis est per relationem, ideo significat
relationem.- Sed contra, filius et spiritus sanctus dicuntur distingui in
divinis secundum modum originis: nam filius procedit per modum intellectus, ut
verbum, sed spiritus sanctus per modum voluntatis, ut amor. Non ergo per solas
relationes est distinctio in divinis; et sic non oportet quod persona
relationem significet.
15. Mais il faut dire que ce
nom signifie une réalité distincte et parce que la distinction en Dieu se fait
par relation, elle la signifie. — En sens
contraire, on dit que le Fils et l'Esprit saint sont distingués en Dieu par
le mode d'origine; car le Fils procède par mode d'intellect, comme Verbe, mais
l'Esprit saint par mode de volonté comme amour. Donc la distinction en Dieu
n'est pas par les relations seules et ainsi il ne faut que la personne signifie
une relation.
q. 9 a. 4 arg. 16 Praeterea, si relatio in divinis est
distinguens; persona autem est quid distinctum, non distinguens; non
significabit relationem nomen personae.
16. Si la relation en Dieu apporte une distinction, (mais la personne
est ce qui est distingué et qui ne distingue pas), le nom de personne ne signifiera pas une relation.
q. 9 a. 4 arg. 17 Praeterea, relationes in divinis dicuntur
esse proprietates. Persona autem significat aliquid substans proprietati. Non
ergo significat relationem.
17. On dit que les relations en Dieu sont des propriétés. Mais la
personne signifie quelque chose qui est le substant de la propriété. Donc elle
ne signifie pas la relation.
q. 9 a. 4 arg. 18 Praeterea, quatuor sunt relationes in
divinis: scilicet paternitas, filiatio, processio, communis spiratio:
innascibilitas enim, quae est quinta notio, non est relatio. Sed hoc nomen
persona nullam harum significat. Si enim significaret paternitatem, non
diceretur de filio; si filiationem, non diceretur de patre; si autem
processione spiritus sancti, non diceretur neque de patre neque de filio; si
vero communem spirationem, non diceretur de spiritu sancto. Non ergo significat
relationem hoc nomen persona.
18. Les relations en Dieu sont quatre: la paternité, la filiation, la
procession, la spiration commune; car l'innascibilité qui est la cinquième
notion n'est pas une relation. Mais ce nom de personne ne signifie aucune d'entre elles. Car si elle signifiait
la paternité, on ne l’emploierait pas pour le Fils, si elle signifiait la
filiation, on ne l’emploierait pas pour Père, et si elle signifiait la
procession de l’Esprit saint, on ne l’emploierait ni pour le Père ni pour le
Fils; si elle signifiait la spiration commune, on ne l’emploierait pas pour
l'Esprit saint. Donc ce nom de personne ne
signifie pas une relation.
En sens contraire:
q. 9 a. 4 s. c. 1 Sed contra. Boetius dicit, quod omne nomen,
ad personas pertinens, relationem significat. Sed nullum nomen magis pertinet
ad personas quam hoc nomen persona. Ergo hoc nomen persona relationem
significat.
1. Boèce dit (La Trinité, VI) que tout nom en rapport avec les personnes, signifie une relation.
Mais aucun nom ne se rapporte plus aux personnes que celui de personne. Donc il signifie une relation.
q. 9 a. 4 s. c. 2 Praeterea, sub persona in divinis continentur
pater et filius et spiritus sanctus. Sed haec nomina relationem significant.
Ergo et nomen personae.
2. En Dieu le Père, le Fils et l'Esprit saint sont contenus sous le nom
de personne. Mais ces noms signifient une relation. Donc le nom de personne aussi.
q. 9 a. 4 s. c. 3 Praeterea, nullum absolutum distinguitur in divinis. Sed
persona distinguitur. Ergo non est absolutum, sed relativum.
3. Rien de ce qui est absolu n’est distingué en Dieu. Mais on distingue
la personne. Donc elle n'est pas absolue, mais relative.
Réponse:
q. 9 a. 4 co. Respondeo. Dicendum quod hoc nomen persona habet
commune cum nominibus absolutis in divinis quod de qualibet persona
praedicatur, nec secundum nomen ad aliud defertur; cum nominibus vero
relationem significantibus, quod distinguitur, et pluraliter praedicatur. Et
ideo videtur quod utraque significatio et relativi et absoluti pertineat ad
personam. Qualiter autem utraque significatio ad nomen personae pertineat est
diversimode a diversis assignatum.
Ce nom de personne a en commun avec les noms
absolus d’être attribué à n’importe quelle personne et il n’est pas déféré
nominativement à autre chose; mais avec les noms qui signifient une relation,
il distingue et est attribué au pluriel. Et c'est pourquoi il semble que l'une
et l'autre signification, du relatif et de l'absolu, se rapporte à la personne.
Mais de quelque manière que l'une et l'autre signification se rapporte au nom
de personne, cela est conféré de diverses manières par diverses choses.
Dicunt enim quidam quod persona significat utrumque, sed per
modum aequivocationis. Dicunt enim quod hoc nomen persona, quantum est de se,
absolute significat essentiam, tam in singulari quam in plurali, sicut hoc
nomen Deus, aut bonus, aut magnus: sed propter insufficientiam nominum ad
loquendum de Deo, accommodatum est hoc nomen persona a sanctis patribus in
Nicaeno Concilio, ut quandoque possit sumi pro relativo, et praecipue in
plurali, cum dicimus quod pater et filius et spiritus sanctus sunt tres
personae, vel cum termino partitivo adiuncto, ut cum dicitur: alia est persona
patris, alia filii; vel cum dicitur: filius est alius a patre in persona. In
singulari autem cum absolute praedicatur, potest indifferenter significare
essentiam vel personam, ut cum dicitur: pater est persona, vel filius est
persona.- Et haec videtur esse opinio Magistri in I sententiarum.
A. Car certains disent que la
personne signifie l'un et l'autre10, mais de manière équivoque. Ils disent en
effet que ce nom de personne, quant à
lui, signifie l'essence dans l'absolu, tant au singulier qu'au pluriel, comme
ce nom Dieu, ou bon, ou grand; mais à
cause de l'insuffisance des noms pour parler de Dieu, celui-ci a été adopté par
les saints Pères au Concile de Nicée, pour que, quelquefois il puisse être pris
pour relation, et surtout au pluriel, quand nous disons que le Père, le Fils et
l'Esprit saint sont trois personnes, ou avec un terme partitif joint, comme
quand on dit: Autre est la personne du
Père; autre celle du Fils; ou quand on dit: Le Fils est autre que le Père en personne. Au singulier, quand il
est attribué dans l'absolu, il peut indifféremment signifier l'essence ou la
personne, comme quand on dit: Le Père est
une personne, ou Le Fils est une
personne. — Et cela paraît être l'opinion du Maître dans le livre I des
Sentences (D. 25).
Sed non videtur sufficienter dici: non enim absque ratione
ex propria significatione nominis sumpta, sancti patres divinitus inspirati,
hoc nomen invenerunt ad confessionem verae fidei exprimendam; et praecipue quia
dedissent occasionem erroris dicendo tres personas, si hoc nomen persona
significat essentiam absolute.
Mais on voit bien que ce n’est pas suffisant. Car ce n'est pas sans une
raison tirée de la propre signification du nom, que les saints Pères,
divinement inspirés, ont trouvé ce nom pour exprimer la confession de la vraie
foi; et surtout parce qu'ils auraient donné une occasion d'erreur en parlant de
trois personnes, si ce nom personne
signifiait l'essence dans l’absolu.
Et ideo alii dixerunt quod simul significat essentiam, et
relationem, sed non aequaliter; sed unum in recto, et aliud in obliquo. Quorum
quidam dixerunt, quod significat essentiam in recto, et relationem in obliquo;
quidam e converso.
B. Et c'est pourquoi d'autres ont
dit qu'il signifie l'essence et la relation en même temps, mais pas à
égalité: l'une directement, l'autre indirectement. Certains d'entre eux ont dit
qu'il signifie l'essence directement et la relation indirectement, certains ont
dit le contraire.
Sed neutri dubitationem solvunt: quia si essentiam in recto
significant, non deberet pluraliter praedicari; si vero relationem, non deberet
ad se dici, nec de singulis praedicari. Et ideo alii dixerunt quod significat utrumque
in recto.
Mais aucune des deux opinions ne supprime l’incertitude; parce que,
s'ils signifient l'essence directement, on ne devrait pas l’attribuer au
pluriel, mais si c’est la relation, on ne devait pas en parler dans l’absolu,
ni l’attribuer à chaque personne
Quorum quidam dixerunt, quod significat essentiam et
relationem ex aequo, et neutrum circa aliud ponitur.
C. Certains d'entre eux ont dit qu'il signifie l'essence et la relation
à égalité et aucune des deux n'est placée en rapport avec autre chose.
Sed hoc non est intelligibile: quia quod non significat unum
nihil significat. Unde omne nomen significat unum in una acceptione, ut dicit
philosophus in IV Metaph.
Mais cela n'est pas compréhensible; parce que ce qui ne signifie pas
l'unité ne signifie rien. C'est pourquoi tout nom signifie l’unité dans une
seule acception, comme le dit le philosophe (Métaphysique, IV, 2, 1003 b 25 ss.11)
Et ideo alii dixerunt quod relatio ponitur circa absolutum.
Quod quidem difficile est videre, cum relationes non determinent essentiam in
divinis.
D. Et c'est pourquoi, d'autres
ont dit que la relation est en rapport avec l'absolu. Ce qui est difficile
à voir, puisque les relations ne déterminent pas l'essence en Dieu.
Sed sciendum, quod aliquid significat
dupliciter: uno modo formaliter, et alio modo materialiter.
Mais il faut savoir qu’une chose signifie de deux manières;
formellement et matériellement
Formaliter quidem significatur per nomen ad id quod
significandum nomen est principaliter impositum, quod est ratio nominis; sicut
hoc nomen homo significat aliquid compositum ex corpore et anima rationali.
a) Est signifié formellement
par ce nom dont on se sert principalement pour le signifier, et qui en est la
notion, comme ce nom homme signifie
quelque chose de composé d'un corps et d'une âme raisonnable.
Materialiter vero significatur per nomen, illud in quo talis
ratio salvatur; sicut hoc nomen homo significat aliquid habens cor et cerebrum
et huiusmodi partes, sine quibus non potest esse corpus animatum anima
rationali
b) Est signifié matériellement
par ce nom ce en quoi une telle notion est conservée, comme ce nom homme signifie un être qui a un corps,
un cerveau et des organes de ce genre, sans lesquels il ne peut pas être un
corps animé par une âme raisonnable.
. Secundum hoc ergo dicendum est, quod hoc nomen persona
communiter sumpta nihil aliud significat quam substantiam individuam rationalis
naturae. Et quia sub substantia individua rationalis naturae continetur substantia
individua,- id est incommunicabilis et ab aliis distincta, tam Dei quam hominis
quam etiam Angeli,- oportet quod persona divina significet subsistens
distinctum in natura divina, sicut persona humana significat subsistens
distinctum in natura humana; et haec est formalis significatio tam personae
divinae quam personae humanae.
Selon cela, il faut donc dire que ce nom personne, pris communément ne signifie rien d'autre que la
substance individuelle de nature raisonnable. Et parce que sous la substance individuelle
de nature raisonnable est contenue la substance individuelle,— c'est-à-dire
incommunicable et distincte des autres, tant de Dieu que de l'homme, et de
l'ange aussi — il faut que la personne divine signifie le subsistant distinct
dans la nature divine, comme la personne humaine signifie un subsistant
distinct dans la nature humaine et c'est la signification formelle tant de la
personne divine que de la personne humaine.
Sed quia distinctum subsistens in natura humana non est nisi
aliquid per individualem materiam individuatum et ab aliis diversum, ideo
oportet quod hoc sit materialiter significatum, cum dicitur persona humana.
Mais parce que le subsistant distinct dans la nature humaine n’est que
quelque chose d'individué par la matière individuelle, et différente des autres
choses, il faut que cela soit signifié matériellement, quand on parle de la
personne humaine.
Distinctum vero incommunicabile in natura divina non potest
esse nisi relatio, quia omne absolutum est commune et indistinctum in divinis.
Relatio autem in Deo est idem secundum rem quod eius essentia. Et sicut
essentia in Deo idem est et habens esse essentiam, ut deitas et Deus: ita idem
est relatio et quod per relationem refertur. Unde sequitur quod idem sit
relatio et distinctum in natura divina subsistens.
Mais ce qui est distinct et incommunicable dans la nature divine ne
peut être qu’une relation, parce que tout ce qui est absolu est commun et
indistinct en Dieu. Mais en lui la relation est en réalité identique à son
essence. Et de même que l'essence est identique à ce qui possède l’essence,
comme la Divinité et Dieu, de même la relation et ce qui est référé par
relation est identique. C'est pourquoi il en découle que la relation et ce qui
subsiste de distinct dans la nature divine est identique.
Patet ergo quod persona, communiter sumpta, significat
substantiam individuam rationalis naturae; persona vero divina, formali
significatione, significat distinctum subsistens in natura divina. Et quia hoc
non potest esse nisi relatio vel relativum, ideo materiali significatione
significat relationem vel relativum. Et propter hoc potest dici, quod
significat relationem per modum substantiae, non quae est essentia, sed quae
est hypostasis; sicut et relationem significat non ut relationem, sed ut
relativum, idest ut significatur hoc nomine pater, non ut significatur hoc
nomine paternitas. Sic enim relatio significata includitur oblique in
significatione personae divinae, quae nihil aliud est quam distinctum relatione
subsistens in essentia divina.
Il est donc clair que la personne, prise communément, signifie
la substance individuelle de nature raisonnable, mais la personne divine, par
sa signification formelle, signifie un subsistant distinct dans la nature
divine. Et parce que cela ne peut être que relation ou relatif, elle signifie
par signification matérielle la relation ou le relatif. Et ainsi on peut dire
qu'il signifie la relation par mode de substance, qui n’est pas l'essence, mais
l'hypostase; de même elle signifie aussi la relation, non comme telle, mais
comme relatif, c'est-à-dire qu’elle est signifié par ce nom Père et non par ce nom paternité. Car ainsi la relation
signifiée est incluse indirectement dans la signification de la personne
divine, qui n'est rien d'autre qu’un subsistant, distinct par relation dans
l'essence divine.
Solutions:
q. 9 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quid non solum
quaerit de essentia sed quandoque etiam de supposito, ut: quid natat in mari?
Piscis. Et sic, ad quid respondendum est per nomen persona.
# 1. Quid non seulement interroge sur l'essence, mais quelquefois aussi
sur le suppôt; comme “Qui nage dans la mer?" — "un poisson". Et
ainsi à quid il faut répondre par le
nom de personne.
q. 9 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum quod, propter modum
significandi huius nominis persona, dicit Augustinus: idem est Deo esse quod
persona esse. Non enim significat per modum relationis, sicut pater et filius.
#2. A cause de la manière de signifier de ce nom personne, Augustin dit (La
Trinité, VII, 6): "C'est la même
chose d'être pour Dieu que d'être une personne.". Car il ne signifie
pas par mode de relation, comme Père et Fils.
q. 9 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum quod hoc provenit ex formali
significatione personae quod ad se dicitur et ad aliud non refertur.
# 3. Ce qui est dit pour soi et ne se réfère pas à un autre provient de
la signification formelle de la personne.
q. 9 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum quod essentia est communis
re in divinis, sed persona secundum rationem tantum, sicut et hoc nomen
relatio.
# 4. En Dieu, l’essence est commune en réalité, mais la personne en
raison seulement, en tant que nom de relation.
q. 9 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum quod in divinis nihil est
diversificatum secundum esse, cum ibi sit tantum unum esse. Hoc autem est
contra rationem universalis; et ideo non est ibi universale, licet sit ibi unum
secundum rationem, et non secundum rem.
# 5. En Dieu rien n'est différencié selon l'être, puisqu'il n'y en a
qu'un seul. Or c'est contre la notion de l'universel, et c'est pourquoi il n’y
en a pas, bien qu'il y ait l’unité en raison et non en réalité.
q. 9 a. 4 ad 6 Ad sextum dicendum quod, hoc quod persona aliud
significat in Deo et homine, pertinet ad diversitatem suppositionis magis quam
ad diversam significationem huius communis, quod est persona. Diversa autem
suppositio non facit aequivocationem, sed diversa significatio.
# 6. Que le nom de personne signifie autre chose en Dieu et dans
l'homme appartient à la diversité de la supposition12 plus qu'à la signification différente de
ce qui est commun, qui est la personne.
Mais être suppôt de manière différente n’apporte pas d'équivoque mais une
signification différente.
q. 9 a. 4 ad 7 Ad septimum dicendum, quod licet relatio accidat
ei quod significatur communiter per hoc nomen persona, non tamen accidit
personae divinae, sicut ostensum est.
# 7. Bien que la relation arrive à ce qui est signifié communément par
ce nom de personne, elle n'arrive
cependant pas à la personne divine, comme on l'a montré.
q. 9 a. 4 ad 8 Ad octavum dicendum, quod obiectio illa procedit
de formali significatione nominis, et non de materiali.
# 8. Cette objection procède de la signification formelle du nom et non
de sa signification matérielle.
q. 9 a. 4 ad 9 Et similiter dicendum ad nonum.
# 9. Et il faut dire de même pour cette objection.
q. 9 a. 4 ad 10 Ad
decimum dicendum, quod substantia prima dicitur absoluta, quasi ab alio non
dependens. Relativum autem in divinis non excludit absolutum quod est ab alio
dependens; sed excludit absolutum quod ad aliud non refertur.
# 10. La substance première est dite absolue, comme ne dépendant pas
d'un autre. Mais le relatif en Dieu n'exclut pas l'absolu, qui dépend d'un
autre, mais il exclut celui qui ne se réfère pas à un autre.
q. 9 a. 4 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod ista propositio,
nulla relatio est substantia, est immediata, si accipiatur relatio et
substantia quae sunt in genere. Sed Deus non limitatur terminis alicuius
generis, sed habet in se perfectiones omnium generum. Unde non distinguitur in
eo secundum rem relatio et substantia.
# 11. Cette proposition: Aucune
relation n'est une substance est évidente, si on prend la relation et la
substance qui sont dans le genre. Mais Dieu n'est pas limité par les termes
d'un genre: il a en lui les perfections de tous les genres. C'est pourquoi on
ne distingue pas réellement en lui la relation et la substance.
q. 9 a. 4 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod per se existens
opponitur ad non per se existens, non autem ei quod est ad aliquid.
# 12. Ce qui existe par soi est opposé à ce qui n'existe pas par soi,
mais pas à ce qui est relation.
q. 9 a. 4 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod persona
secundum nomen ad aliud non refertur, propter modum quem significat.
# 13. La personne par son nom ne se réfère pas à autre chose, à cause
de la manière d’être qu'elle signifie.
q. 9 a. 4 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod unum in
divinis se habet communiter ad essentiam et relationem; dicimus enim quod
essentia est una, et quod pater est unus.
# 14. L’unité en Dieu est se
comporte de manière commune vis-à-vis de l'essence et de la relation; car nous
disons que l'essence est une, et que le Père est un.
q. 9 a. 4 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod forte modus
ille processionis diversus,- quo dicitur filius procedere per modum
intellectus, spiritus sanctus vero per modum voluntatis,- non sufficit ad
distinguendum personaliter spiritum sanctum a filio, cum voluntas et
intellectus non distinguantur personaliter in divinis. Si tamen concedatur quod
hoc ad eorum distinctionem sufficiat, manifestum est quod uterque a patre per
relationem distinguitur, prout unus eorum procedit a patre ut genitus, alius ut
spiratus; et hae relationes constituunt eorum personas.
# 15. C’est par hasard que ce mode différent de procession — par lequel
on dit que le Fils procède par mode d'intellection et l'Esprit saint par mode
de volonté — ne suffit pas à distinguer personnellement l'Esprit saint du Fils,
puisque la volonté et l'intellect ne sont pas distingués pour chaque personne
en Dieu. Cependant si on concède que cela suffit à leur distinction, il est
clair que l'un et l'autre sont distingués du Père par relation, dans la mesure
où l'un d'eux procède du Père comme engendré, l'autre comme spiré; et ces
relations constituent leurs personnes.
q. 9 a. 4 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod sicut
relatio significat ut distinguens in divinis, ita relatum significatur ut
distinctum. In Deo autem non est aliud relatio et relatum, sicut nec
essentia et quod est; et ideo nec distinguens et distinctum in Deo differunt.
# 16. De la même manière que la relation apporte une signification en
tant qu’elle apporte une distinction en Dieu, le relatif est signifié comme
distinct. Mais en Dieu, la relation et le relaté ne sont pas différents, de même
que l'essence et ce qui est, non plus; et c'est pourquoi ce qui apporte la
distinction et ce qui la subit n’est pas différent en Dieu.
q. 9 a. 4 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod proprietas in
divinis non est accidentalis, sed est idem secundum rem ei cuius est
proprietas; sed differt secundum modum intelligendi. Persona ergo non
significat relationem prout est proprietas, sed prout est proprietati et
essentiae subsistens.
# 17. La propriété en Dieu n'est pas accidentelle, mais elle est
identique en réalité à ce dont elle est la propriété; mais elle diffère selon
la manière de la comprendre. Donc la personne ne signifie pas la relation en
tant que propriété, mais selon qu'elle subsiste à la propriété et à l'essence.
q. 9 a. 4 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod licet
universale non possit esse praeter singularia, potest tamen intelligi, et per
consequens significari. Et propter hoc sequitur, si non est aliquod
singularium, quod non sit universale. Non tamen sequitur, si non intelligitur
aut significatur aliquod singularium, quod non intelligatur vel significetur
universale: hoc enim nomen homo non significat aliquem singularium hominum, sed
solum hominem in communi; et similiter hoc nomen persona, etsi non significet
paternitatem neque filiationem neque communem spirationem aut processionem,
tamen significat relationem in communi, per modum iam dictum, sicut et hoc
nomen relatio suo modo.
# 18. Bien que l'universel ne puisse pas exister en dehors du
singulier, on peut cependant le comprendre, et par conséquent le signifier.
C’est pour cela qu’il en découle, s’il n’y a pas de singulier, qu'il n’y a pas
d’universel. Il n'en découle pas cependant, si quelque chose de particulier
n'est pas compris, ni signifié, que l’universel n'est pas compris ni signifié;
car ce nom d'homme ne signifie pas
l’un des hommes particuliers, mais seulement l'homme en commun, et
semblablement ce nom de personne,
même s'il ne signifie pas la paternité ou la filiation, ni la spiration commune
ou la procession, signifie cependant la relation en commun par la manière déjà
dite (dans le corps de l'article) comme ce nom relation le fait aussi à sa manière.
1 A savoir, la signification du mot
"personne" l’essence ou la relation?
2 Ia, qu. 29, a. 4 — I Sent. d23a3 — d26q1a1.
3
"Le Père, le Fils, le saint Esprit sont trois, nous cherchons donc trois
quoi?." (BA p. 530-531). Augustin ne cite pas Jean (Éd. Jeunes, note 50,
p. 183) Ce texte n’appartient pas à la Vulgate. Il n’y apparaît qu’au IXe
siècle. Note 57 p. 186. Thomas s’est inspiré de Pierre Lombard.
4
"Car pour Dieu, être et être une personne n'est pas différent, c'est
absolument la même chose." (BA).
5
""Personne" est un terme absolu; non un terme relatif au Fils,
ou au saint Esprit, comme sont des termes absolus, Dieu, grand, bon, juste"
(BA p. 540). Augustin dit avant ce texte: "…de même que la substance du
Père est le Père lui-même, non par ce qui fait le Père, mais ce qui le fait
être, pareillement la Personne du Père n’est pas autre chose que le Père
lui-même…"
6
Il est difficile de trouver en français un terme qui convienne aux deux
significations.
7
"Ratio namque cuius nomen est signum definitio est", "La
notion…signifiée par le nom est la définition."
8
Donc il rappelle que la relation est une catégorie. En Pot. 8, 2, obj. 1, on trouve les mêmes phrases mais inversées:
aucune substance n’est une relation…
9
C'est-à-dire la substance et l'accident.
10
Le relatif et l’absolu.
11
Aristote n° 301."Maintenant, l’Etre et l’un sont identiques et de même
nature, en ce qu’ils sont corrélatifs l’un de l’autre,…"
12
Comprendre le fait d’être suppôt.
q. 9 a. 5 tit. 1 Quinto quaeritur utrum
numerus personarum sit in divinis. Et videtur quod non.
Il semble que non1.
Objections:
q. 9 a. 5 arg. 1 Dicit enim Boetius: hoc vere unum est in quo
nullus est numerus. Sed Deus est verissime unus. Ergo in eo nullus est numerus.
1. Car Boèce dit (La Trinité, 3, PL. 64, 1251 A): "Est vraiment un ce en quoi il n'y a
aucun nombre". Mais Dieu est absolument un. Donc il n'y a aucun nombre
en lui2.
q. 9 a. 5 arg. 2 Sed dicendum, quod in Deo non est numerus
simpliciter, sed numerus personarum.- Sed contra, semper ad secundum quid
sequitur simpliciter, quando determinatio non est diminuens; sequitur enim: est
homo albus; ergo est homo; sed non sequitur: est homo mortuus; ergo est homo.
Sed hoc quod dicitur numerus personarum, non est determinatio diminuens, cum
persona sit quoddam completissimum. Ergo sequitur, si est in divinis numerus
personarum, quod sit ibi numerus simpliciter.
2. Mais il faut dire qu'en
Dieu il n'y a absolument pas de nombre, mais le nombre des personnes. — En sens contraire, toujours pour ce qui
en découle dans l’absolu, quand la défintion partielle ne s’affaiblit pas, car
il en découle: "L'homme est blanc,
donc c'est un homme", mais il n'en découle pas: "L'homme est mort, donc c'est un homme".
Mais ce qui est dit du nombre des personnes n'est pas une définition partielle
qui limite, puisque la personne est quelque chose de très complet. Donc il en
découle, s'il y a en Dieu le nombre des personnes, qu'il y aurait un nombre
dans l'absolu.
q. 9 a. 5 arg. 3 Praeterea, uni opponitur multitudo, secundum
philosophum. Sed opposita non insunt eidem. Cum ergo in Deo sit summa unitas,
non potest in eo esse aliquis numerus vel aliqua pluralitas.
3. La pluralité s'oppose à l'unité, selon le philosophe (Métaphysique, X, 6, 1056 b 323). Mais les opposés ne sont pas dans une même
réalité. Donc comme en Dieu, il y a unité suprême, il ne peut pas y avoir en
lui de nombre ou de pluralité.
q. 9 a. 5 arg. 4 Praeterea, ubicumque est numerus, ibi est
pluralitas unitatum. Ubi autem sunt plures unitates, ibi est multiplex esse:
aliud enim est esse huius unitatis, et aliud illius. Si ergo in Deo est
numerus, oportet quod sit in eo multiplex essentia; quod patet esse falsum.
4. Partout où il y a un nombre, il y a pluralité d'unités. Mais là où
il y a plusieurs unités, l'être est multiple: car l'être de cette unité est
différent de celui de cette autre. Si donc il y a un nombre en Dieu, il faut
qu'il y ait en lui une essence multiple; il est évident que c’est faux.
q. 9 a. 5 arg. 5 Sicut unum est indivisum, ita multitudo non
est sine divisione. Sed in Deo non potest esse aliqua divisio, cum non sit ibi
aliqua compositio. Ergo non potest esse in divinis aliquis numerus.
5. De même que l'un est indivisible, de même la pluralité n'est pas
sans division. Mais en Dieu, il ne peut pas y avoir de division, puisqu'il n'y
a aucune composition. Donc il ne peut pas y avoir de nombre en lui.
q. 9 a. 5 arg. 6 Praeterea, omnis numerus habet partes:
componitur enim ex unitatibus. Sed in Deo non sunt aliquae partes, cum non sit
ibi compositio. Ergo in Deo non est numerus.
6. Tout nombre a des parties; car il est composé d'unités, mais en
Dieu, il n'y a pas de parties, puisqu'il n'y a pas de composition. Donc il n'y
a pas de nombre en lui.
q. 9 a. 5 arg. 7 Praeterea, illud per quod creatura differt a
Deo, non debet Deo attribui. Creatura autem differt a Deo per hoc quod in
numero quodam constituta est, secundum illud Sap. cap. XI, 21: omnia in numero,
pondere et mensura constituisti. Numerus ergo non debet poni in divinis.
7. Ce par quoi la créature diffère de Dieu ne doit pas être attribué à
Dieu. Car elle diffère de lui par le fait qu'elle a été constituée dans un
nombre, selon cette parole de la Sagesse
(11, 21): "Tu as tout constitué en
nombre, poids et mesure". Donc on ne doit pas placer de nombre en
Dieu.
q. 9 a. 5 arg. 8 Praeterea, numerus est species quantitatis. In
Deo autem non est aliqua quantitas; propter quod si aliquid quantitatem
significans in divinam praedicationem venerit, mutatur in substantiam, ut dicit
Boetius. Aut ergo numerus nullo modo est in divinis, aut ad substantiam
pertinet, quod est contra fidem.
8. Le nombre est une espèce de la quantité. Mais en Dieu il n'y a pas
de quantité, parce que, si un élément signifiant la quantité est venu dans
l'attribution divine, il est changé en sa substance, comme le dit Boèce (La Trinité). Ou bien donc le nombre
n'est en aucune manière en Dieu, ou il convient à sa substance, ce qui est
contre la foi.
q. 9 a. 5 arg. 9 Praeterea, ubicumque est numerus, ibi sunt
numeri passiones, ut perfectum et diminutum, multiplicatio et divisio, et alia
huiusmodi quae consequuntur numerum. Haec autem in Deo esse non possunt. Ergo
in Deo non potest esse numerus.
9. Partout où il y a un nombre, il y a ce qui supporte le nombre, comme
ce qui est parfait et ce qui est limité, la multiplication et la division, et
autres choses, qui découle du nombre. Mais cela n'est pas possible en Dieu.
Donc, il ne peut pas y avoir de nombre en lui.
q. 9 a. 5 arg. 10 Praeterea, omnis numerus finitus est. Quod
ergo infinitum, non est numerabile. Ergo cum Deus sit infinitus, in eo non
potest esse numerus.
10. Tout nombre est fini. Donc ce qui est infini n'est pas mesurable.
Donc, comme Dieu est infini, il ne peut pas y avoir de nombre en lui.
q. 9 a. 5 arg. 11 Sed dicendum, quod Deus etsi est infinitus
nobis, est tamen finitus sibi.- Sed contra, verius
competit Deo quod competit ei secundum seipsum quam quod competit ei secundum
nos. Si ergo Deus est finitus sibi, infinitus autem nobis, verius est
finitus, quam infinitus; quod patet esse falsum.
11. Mais il faut dire que,
même si Dieu est infini pour nous, il est cependant fini pour lui.— En sens contraire, ce qui appartient à
Dieu d’après lui-même, lui appartient vraiment plus que ce qui lui appartient
d’après nous. Si donc Dieu est fini pour lui, mais infini pour nous, il est
plus vraiment fini qu'infini; il est clair que c’est faux.
q. 9 a. 5 arg. 12 Praeterea, secundum philosophum, numerus est
multitudo mensurata per unum. Deus est mensura non mensurata. Ergo in Deo non
est numerus.
12. Selon le philosophe (Métaphysique,
X, 6, 1057 a 34), le nombre est la
pluralité mesurée par l'un. Dieu est la mesure non mesurée. Donc en Dieu il n'y
a pas de nombre.
q. 9 a. 5 arg. 13 Praeterea, in omni natura quae non differt a
suo supposito, impossibile est multiplicari supposita illius naturae: propter
hoc enim possibile est esse plures homines in una natura humana, quia hic homo
non est sua humanitas; et ideo multiplicatio individuorum in una natura humana,
consequitur diversitatem principiorum individualium, quae non sunt de ratione
naturae communis. In substantiis autem immaterialibus in quibus ipsa natura
speciei est suppositum subsistens, non est possibile esse plura individua unius
speciei. Sed in Deo est idem natura et suppositum, quia ipsum esse divinum,-
quod est natura divina,- est subsistens. Impossibile est ergo quod in natura
divina sint plura supposita vel plures personae.
13. Dans toute nature qui n’est pas différente de son suppôt, il est
impossible de multiplier les suppôts de cette nature, car, c'est pour cela
qu'il est possible qu'il y ait plusieurs hommes dans la nature humaine, parce
que cet homme n'est pas son humanité; et c'est pourquoi la multiplication des
individus dans une seule nature humaine, suppose la diversité des principes
individuels, qui ne sont pas du concept de la nature commune. Mais dans les
substances immatérielles, en qui la nature de l'espèce est un suppôt
subsistant, il n'est pas possible qu'il y ait plusieurs individus d'une seule
espèce. Mais en Dieu, la nature et le suppôt sont identiques, parce que l’être
divin — qui est la nature divine — est subsistant. Donc il est impossible que
dans la nature divine il y ait plusieurs suppôts ou plusieurs personnes.
q. 9 a. 5 arg. 14
Praeterea, persona est nomen rei. Ergo ubi non est numerus rerum, non est
numerus personarum. Sed in Deo non est numerus rerum; dicit enim Damascenus,
quod in divinis pater et filius et spiritus sanctus re quidem sunt unum,
ratione autem et cogitatione differunt. Ergo in Deo non est numerus personarum.
14. La personne est le nom d’une réalité. Donc là où il n'y a pas le
nombre des réalités, il n'y a pas le nombre des personnes. Mais en Dieu il n'y
a pas le nombre des réalités, car Jean Damascène dit (la foi orthodoxe, I, 11) que le Père, le Fils et l'Esprit saint
sont un en réalité, mais ils diffèrent en raison et en pensée. Donc en Dieu il
n'y a pas le nombre des personnes.
q. 9 a. 5 arg. 15 Praeterea, impossibile est in aliquo uno esse
rerum pluralitatem absque rerum compositione: Deus autem unus est. Si ergo in
Deo sunt plures personae, quod est esse plures res, sequitur quod in eo sit
compositio; quod simplicitati divinae repugnat.
15. Il est impossible que dans un être unique, il y ait pluralité sans
composition. Mais Dieu est un. Si donc en lui il y a plusieurs personnes, ce
qui correspond à plusieurs réalités, il en découle qu'il y a en lui
composition, ce qui s'oppose à la simplicité divine.
q. 9 a. 5 arg. 16 Praeterea, absolutum perfectius est quam
relatum. Sed proprietates absolutae, idest attributa essentialia, ut sapientia,
iustitia et huiusmodi, non constituunt in Deo plures personas. Ergo nec
proprietates relativae, ut paternitas et filiatio.
16. L'absolu est plus parfait que le relatif. Mais les propriétés
absolues, c'est-à-dire les attributs essentiels, comme la sagesse la justice,
etc., ne constituent pas plusieurs personnes en Dieu. Donc, les propriétés
relatives, comme la paternité et la filiation non plus.
q. 9 a. 5 arg. 17 Praeterea, ea quibus aliqua ab invicem
distinguuntur, comparantur ad ipsa sicut differentiae constitutivae ipsorum. Si
ergo personae in divinis relationibus distinguuntur, oportet quod relationes
sint quasi differentiae constitutivae personarum; et ita in personis divinis
erit aliqua compositio, cum differentia adveniens generi constituat speciem.
17. Ce par quoi certaines choses se distinguent les unes des autres est
assimilé à elles, comme leurs différences constitutives. Si donc les personnes
en Dieu se distinguent par des relations, il faut qu'elles soient comme les
différences constitutives des personnes et ainsi en elles, il y aura une
composition, puisqu’une différence qui s’ajoute à un genre constitue une
espèce.
q. 9 a. 5 arg. 18 Praeterea, ea quae distinguuntur per formas
specie differentes, necesse est specie differre; sicut homo et equus differunt
specie sicut rationale et irrationale. Paternitas autem et filiatio sunt
relationes specie differentes. Ergo si personae divinae solis relationibus
distinguuntur, necesse est quod specie differant; et ita non erunt unius
naturae, quod est contra fidem.
18. Ce qui est distingué par des formes différentes en espèces, diffère
nécessairement en espèce; comme l'homme et le cheval diffèrent en espèce, en
tant que raisonnable et non raisonnable. Mais la paternité et la filiation sont
des relations différentes en espèce. Donc si les personnes divines se
distinguent par les seules relations, il est nécessaire qu'elles différent en
espèce, et ainsi elles ne seront pas d'une seule nature, ce qui est contre la
foi.
q. 9 a. 5 arg. 19 Praeterea, non est intelligibile quod aliqua
sint supposita diversa, quorum est unum esse. Sed in divinis non est nisi unum
esse. Ergo impossibile est quod sint ibi plura supposita vel plures personae.
19. Il n'est pas pensable qu'il y ait des suppôts différents dont
l'être soit unique. Mais en Dieu il n'y a qu'un seul être. Donc il est
impossible qu'il y ait plusieurs suppôts ou plusieurs personnes.
q. 9 a. 5 arg. 20 Praeterea, cum creatio sit proprie actio Dei,
oportet quod procedat a quolibet supposito divinae naturae. Impossibile est
autem quod haec actio, cum sit una, proveniat a pluribus suppositis, quia una
actio non est nisi ab uno agente. Ergo impossibile est quod divinae naturae
sint plura supposita sive plures personae.
20. Comme la création est proprement l'action de Dieu, il faut qu'elle
procède d'un suppôt de nature divine. Mais il est impossible que cette action,
puisqu'elle est unique, provienne de plusieurs suppôts, parce qu'une action
unique ne vient que d'un seul agent. Donc il est impossible qu’il y ait
plusieurs suppôts ou plusieurs personnes de nature divine.
q. 9 a. 5 arg. 21 Praeterea, diversitas proprietatum non facit
diversa supposita in istis inferioribus: non enim per hoc quod hic est albus et
ille niger, est hoc suppositum humanae naturae aliud ab illo. Sed per
diversitatem materiae individualis, quae est substantia individuorum, hoc
suppositum est aliud ab illo. Si ergo in divinis non est distinctio nisi per
proprietates relativas, impossibile est quod sit ibi pluralitas suppositorum
vel personarum.
21. La diversité des propriétés ne rend pas différents les suppôts dans
les choses inférieures; car ce n'est pas par cela que celui-ci est blanc et
celui-là noir, et ce suppôt de nature humaine différent de celui-là. Mais par
la diversité de la matière individuelle qui est la substance des individus, ce
suppôt est différent de celui-là. Donc si en Dieu il n'y a de distinction que
par les propriétés relatives, il est impossible qu'il y ait pluralité de
suppôts ou de personnes.
q. 9 a. 5 arg. 22
Praeterea, supremae creaturae sunt Deo similiores quam infimae. In infimis autem creaturis sunt plura supposita in una
natura, non autem in supremis sicut in corporibus caelestibus. Ergo nec in Deo
sunt plures personae in una natura.
22. Les créatures les plus hautes sont plus semblables à Dieu que les
plus petites. Mais dans ces dernières, il y a plusieurs suppôts dans une seule
nature; mais pas dans les plus hautes, comme dans les corps célestes. Donc il
n'y a pas plusieurs personnes en Dieu dans une seule nature.
q. 9 a. 5 arg. 23 Praeterea, quando tota perfectio speciei
invenitur in uno supposito, non sunt plura supposita illius naturae, sicut
philosophus probat, quod est unus tantum mundus, quia constat ex tota sua
materia. Tota autem perfectio divinae naturae invenitur
in uno supposito. Non ergo sunt plura supposita vel personae in una natura.
23. Quand toute la perfection de l'espèce se trouve dans un seul
suppôt, il n'y en a pas plusieurs de cette nature; ainsi le philosophe prouve (Le ciel et le monde I, 1, 268 b 65), qu'il n’y a qu’un seul monde, parce qu'il
est composé de toute sa matière. Mais toute la perfection de la nature divine
se trouve en un suppôt. Donc il n'y a pas plusieurs suppôts ou personnes dans
une seule nature.
q. 9 a. 5 arg. 24 Sed dicendum, quod ad plenitudinem gaudii
requiritur quod sit consortium plurium in divina natura, quia nullius rei sine
consortio potest esse iucunda possessio, ut dicit Boetius. Oportet etiam ad
perfectionem amoris ut unus diligat alterum quantum seipsum.- Sed contra,
plenitudinem gaudii et amoris habere in alio, est eius qui non habet bonitatis
sufficientiam in seipso. Unde philosophus dicit, quod mali, qui non habent
delectabile in seipsis, quaerunt cum aliis conversari; boni autem quaerunt
conversari secum, quasi in seipsis causam iucunditatis habentes. Divina autem
natura non potest esse absque omni sufficientia bonitatis. Ergo cum unum
suppositum divinae naturae habeat in se omnem plenitudinem gaudii et amoris,
non propter hoc oportet ponere in divinis plura supposita vel plures personas.
24. Mais il faut dire qu'il
est requis pour la plénitude de la joie qu'il y ait une association de
plusieurs dans la nature divine, parce que rien, sans association il ne peut
pas y avoir une joyeuse possession, comme le dit Boèce. Il faut aussi pour la
perfection de l'amour que l'un aime l'autre autant que lui-même. En sens contraire, posséder la plénitude
de la joie et de l’amour dans un autre appartient à celui qui n’a pas en lui
suffisamment de bonté. C'est pourquoi le philosophe dit (Ethique, IX, 4, 1166 b 206)
que les méchants qui n'ont rien de délectable en eux-mêmes cherchent à être
avec les autres; mais les bons cherchent à demeurer avec eux-mêmes, comme
possédant la cause de leur joie. Mais la nature divine ne peut pas exister sans
toute la suffisance de la bonté. Donc comme un suppôt de nature divine a en lui
toute la plénitude de la joie et de l'amour, ce n'est pas pour cela qu’il faut
placer en Dieu plusieurs suppôts ou plusieurs personnes.
En sens contraire:
q. 9 a. 5 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur I Ioan. cap. V,
7: tres sunt qui testimonium dant in caelo: pater, verbum et spiritus sanctus.
1. Il y a ce que dit Jean (I Jn V, 7): "Ils sont trois à donner leur témoignage au ciel, le Père, le Verbe et l'Esprit saint7".
q. 9 a. 5 s. c. 2 Praeterea, Athanasius dicit in symbolo: totae
tres personae aeternae sibi sunt et coaequales. Ergo est in divinis numerus
personarum.
2. Athanase dit dans son symbole: "Toutes les trois personnes coéternelles sont aussi coégales entre elles8". Donc le nombre des personnes est en
Dieu.
Réponse:
q. 9 a. 5 co. Respondeo. Dicendum quod pluralitas personarum in
divinis est de his quae fidei subiacent, et naturali ratione humana nec
investigari nec sufficienter intelligi potest; sed in patria intelligendum
expectatur, cum Deus per essentiam videbitur visione fidei succedente. Sed
tamen sancti patres propter instantiam eorum qui fidei contradicunt, coacti
sunt et de hoc disserere, et de aliis quae spectant ad fidem, modeste tamen et
reverenter absque comprehendendi praesumptione. Nec talis inquisitio est
inutilis, cum per eam elevetur animus ad aliquid veritatis capiendum quod
sufficiat ad excludendos errores. Unde Hilarius dicit: hoc credendo, scilicet
pluralitatem personarum in divinis, incipe, percurre, persiste; et si non
perventurum me sciam, tamen gratulabor profecturum. Qui enim pie infinita
prosequitur, etsi non contingat aliquando, tamen proficiet prodeundo.
Il faut dire que la pluralité des personnes en Dieu fait partie des
notions qui dépendent de la foi et qui ne peuvent être examinées ni comprises
suffisamment par la raison naturelle de l'homme; mais on espère le comprendre
dans la patrie, puisque Dieu sera vu par son essence dans une vision qui
succèdera à la foi. Mais cependant les saints Pères, à cause de l’acharnement
de ceux qui contredisent la foi, ont été forcés de disserter sur ce sujet, et
sur d’autres qui regardent la foi, avec modestie cependant et révérence, sans
la prétention de comprendre. Et une telle recherche n'est pas inutile,
puisqu’elle élève l'esprit à comprendre une part de la vérité qui suffit à exclure
les erreurs. C'est pourquoi Hilaire dit
(La Trinité, II): "En croyant cela, à savoir la pluralité
des personnes en Dieu, entreprends,
parcours, persiste, et si je savais ne pas y parvenir, cependant je me
satisferais d'avancer. Car qui recherche ce qu’est l'infini avec piété, même
s’il n'y arrive pas quelquefois, cependant fera des progrès en avançant ."
Ad manifestationem ergo aliqualem huius quaestionis, et
praecipue secundum quod Augustinus eam manifestat, considerandum est quod omne
quod est perfectum in creaturis oportet Deo attribui, secundum id quod est de
ratione illius perfectionis absolute; non secundum modum quo est in hoc vel in
illo. Non enim bonitas est in Deo vel sapientia secundum aliquod accidens sicut
in nobis, quamvis in eo sit summa bonitas et sapientia perfecta.
Donc pour une réelle découverte sur cette question et surtout selon ce
qu'Augustin en révèle, il faut considérer que tout ce qui est parfait dans les
créatures doit être attribué à Dieu, selon la nature de cette perfection dans
l’absolu; non selon le mode par lequel il est en ceci ou en cela. Car la bonté
n'est pas en Dieu, ni la sagesse, comme un accident, comme en nous, quoique en
lui la bonté soit suprême et la sagesse parfaite.
Nihil autem nobilius et perfectius in creaturis invenitur
quam intelligere; cuius signum est quod inter ceteras creaturas, intellectuales
substantiae sunt nobiliores, et secundum intellectum ad Dei imaginem factae
dicuntur. Oportet ergo quod intelligere Deo conveniat et omnia quae sunt de
ratione eius, licet alio modo conveniat sibi quam creaturis.
Mais on ne trouve rien de plus noble et de plus parfait dans les
créatures que l’intellection: le signe en est que, parmi les autres créatures,
les substances intellectuelles sont plus nobles et, on les dit faites à l'image
de Dieu selon l’esprit. Il faut donc que l’intellection et tout ce qui la
concerne convienne à Dieu, bien qu'elle lui convienne d'une autre manière
qu'aux créatures.
De ratione autem eius quod est intelligere, est quod sit
intelligens et intellectum. Id autem quod est per se intellectum non est res
illa cuius notitia per intellectum habetur, cum illa quandoque sit intellecta
in potentia tantum, et sit extra intelligentem, sicut cum homo intelligit res
materiales, ut lapidem vel animal aut aliud huiusmodi: cum tamen oporteat quod
intellectum sit in intelligente, et unum cum ipso. Neque etiam intellectum per
se est similitudo rei intellectae, per quam informatur intellectus ad
intelligendum: intellectus enim non potest intelligere nisi secundum quod fit
in actu per hanc similitudinem, sicut nihil aliud potest operari secundum quod
est in potentia, sed secundum quod fit actu per aliquam formam. Haec ergo
similitudo se habet in intelligendo sicut intelligendi principium, ut calor est
principium calefactionis, non sicut intelligendi terminus.
Mais en raison de ce qu’est l’intellection, il faut qu’il y ait celui
qui pense et ce qui est pensé. Car ce qui est pensé par soi n'est pas cette
chose dont on a la connaissance par l'esprit, puisque quelquefois celle-ci est
pensée en puissance seulement et est hors de celui qui pense; ainsi quand
l’homme pense les choses matérielles, comme la pierre ou l'animal et autres de
ce genre; alors que cependant il faut que ce qui est pensé soit dans celui qui
pense, et soit un avec lui. Et aussi ce qui est pensé par soi est la
ressemblance de la réalité pensée; par laquelle l'esprit est mis en forme pour
penser. Car l'esprit ne peut penser que selon qu'il devient en acte par cette
ressemblance, puisque rien d'autre ne peut opérer selon qu'il est en puissance,
mais selon qu'il devient en acte par la forme. Donc cette ressemblance se
comporte dans l'intellection comme son principe, comme la chaleur est le
principe de l’échauffement, non comme son terme de l’intellection.
Hoc ergo est primo et per se intellectum, quod intellectus
in seipso concipit de re intellecta, sive illud sit definitio, sive enuntiatio,
secundum quod ponuntur duae operationes intellectus, in III de anima. Hoc autem
sic ab intellectu conceptum dicitur verbum interius, hoc enim est quod
significatur per vocem; non enim vox exterior significat ipsum intellectum, aut
formam ipsius intelligibilem, aut ipsum intelligere, sed conceptum intellectus
quo mediante significat rem: ut cum dico, homo vel homo est animal. Et quantum
ad hoc non differt utrum intellectus intelligat se, vel intelligat aliud a se.
Sicut enim cum intelligit aliud a se, format conceptum illius rei quae voce
significatur, ita cum intelligit se ipsum, format conceptum sui, quod voce etiam
potest exprimere.
Donc est compris d’abord par soi ce que l’esprit comprend en lui-même
de la réalité comprise, que ce soit ou bien une définition ou bien un énoncé,
selon que sont placées les deux opérations de l'esprit, (L'âme, III, VI, 43 b 279).
Ce qui est ainsi conçu par l'esprit est appelé verbe intérieur10, car c'est ce qui est signifié par le
mot; le mot extérieur ne signifie pas, en effet, ce qui est pensé ou sa forme
intelligible ou son intellection, mais le concept de l'esprit par
l'intermédiaire duquel il signifie la réalité, comme, lorsque je dis
"homme", ou "l'homme est un animal". Et à ce sujet, il n'y
a pas de différence si l'esprit se comprend, ou comprend autre chose que lui.
Car, de même que, lorsqu’il comprend quelque chose d'autre que lui, il forme le
concept de cette réalité qui est signifiée par le mot, de même, quand il se
comprend lui-même, il en forme un concept, qu'il peut aussi exprimer par un
mot.
Cum ergo in Deo sit intelligere, et intelligendo seipsum
intelligat omnia alia, oportet quod ponatur in ipso esse conceptio intellectus,
quae est absolute de ratione eius quod est intelligere. Si autem possemus
comprehendere intelligere divinum quid et quomodo est sicut comprehendimus
intelligere nostrum, non esset supra rationem conceptio verbi divini, sicut
neque conceptio verbi humani.
Donc comme en Dieu il y a l'intellection et qu'en se pensant lui-même,
il pense toutes les autres choses, il faut placer en lui une conception de
l'intellect, qui est dans l’absolu la nature de ce qu’est intellection. Mais si
nous pouvions comprendre l'intellection divine, ce qu’elle est et comment elle
est, comme nous appréhendons notre intellection, la conception du verbe divin,
ni la conception du verbe humain ne seraient pas au-dessus de la raison.
Possumus tamen scire quid non sit et quomodo non sit illud
intelligere; per quod possumus scire differentiam verbi concepti a Deo, et
verbi concepti ab intellectu nostro. Scimus enim primo quod in Deo est tantum
unum intelligere, non multiplex sicut in nobis: aliud enim est intelligere
nostrum quo intelligimus lapidem et quo intelligimus plantam; sed unum est Dei
intelligere, quo Deus intelligit et se et omnia alia. Et ideo intellectus noster
concipit multa verba, sed verbum conceptum a Deo est unum tantum.
Cependant nous pouvons savoir ce
que cela n'est pas et comment cette intellection n’est pas; ainsi nous
pouvons connaître la différence du verbe conçu par Dieu et de celui qui est conçu
par notre esprit. Car nous savons d'abord qu'en Dieu il n’y a qu’une seule
intellection, non pas une intellection multiple comme en nous. Car notre
intellection est différente pour concevoir la pierre et la plante; mais en Dieu
il y en a une seule, par laquelle il se pense, lui et toutes les autres choses.
Et c'est pourquoi notre esprit conçoit de nombreuses paroles, mais le verbe
conçu par Dieu est seulement un.
Iterum intellectus noster imperfecte plerumque intelligit et
seipsum et alia; intelligere autem divinum non potest esse imperfectum. Unde
verbum divinum est perfectum, perfecte omnia repraesentans: verbum autem
nostrum frequenter est imperfectum.
Par contre, la plupart du temps, notre esprit se conçoit
imparfaitement, lui-même et les autres choses; mais l'intellection de Dieu ne
peut pas être imparfaite. C'est pourquoi le Verbe divin est parfait et
représente tout parfaitement; mais notre verbe est fréquemment imparfait.
Iterum in intellectu nostro aliud est intelligere et aliud
est esse; et ideo verbum conceptum in intellectu nostro, cum procedat ab
intellectu in quantum est intellectus, non unitur ei in natura, sed solum in
intelligere. Intelligere autem Dei est esse eius; unde verbum quod procedit a
Deo in quantum est intelligens, procedit ab eo in quantum est existens; et
propter hoc verbum conceptum habet eamdem essentiam et naturam quam intellectus
concipiens. Et quia quod recipit naturam in rebus viventibus dicitur genitum et
filius, verbum divinum dicitur genitus et filius. Verbum autem nostrum non
potest dici genitum ab intellectu nostro nec filius eius, nisi metaphorice.
A nouveau, dans notre esprit, intellection et être sont différents et
c'est pourquoi comme le verbe conçu dans notre esprit en procède en tant que
concept, il ne nous est pas uni en nature, mais il est seulement dans
l'intellection. Mais l'intellection de Dieu est son être; c'est pourquoi le
verbe qui procède de lui en tant qu'il pense, procède de lui en tant qu'il
existe; et c'est pour cela que le verbe conçu a la même essence et la même
nature que l'intellect qui le conçoit. Et parce que ce qui reçoit la nature
dans le vivant est appelé engendré et fils, le verbe divin est appelé engendré
et Fils. Mais le nôtre ne peut pas être dit engendré par notre esprit, ni
appelé son fils, sinon par métaphore.
Sic ergo relinquitur quod cum verbum intellectus nostri ab
intellectu differat in duobus, in hoc scilicet et quod est ab eo, et est
alterius naturae, subtracta a divino verbo naturae differentia, ut ostensum
est, relinquitur quod sit differentia secundum hoc solum quod est ab alio. Cum
ergo differentia causet numerum, relinquitur quod in Deo sit solum numerus
relationum. Relationes autem in divinis non sunt accidentia, sed unaquaeque
earum est realiter divina essentia. Unde et unaquaeque earum est subsistens,
sicut divina essentia; et sicut divinitas est idem quod Deus, ita paternitas
est idem quod pater, et per hoc pater idem quod Deus. Numerus ergo
relationum est numerus rerum subsistentium in divina natura. Res autem
subsistentes in divina natura sunt divinae personae, ut ex praecedenti articulo
patet. Et propter hoc
ponimus personarum numerum in divinis.
Ainsi donc il reste que, comme le verbe de notre esprit diffère
de lui en deux points, à savoir ce qui est de lui, et ce qui est d'une autre
nature, si on exclut la différence de nature du verbe divin, comme on l'a
montré, (qu. 8, a. 1), il reste qu'il y a une différence seulement selon qu'il
vient d'un autre. Donc comme la différence cause le nombre, il reste qu'en Dieu
il y a seulement le nombre des relations. Elles ne sont pas des accidents, mais
chacune d'elles est réellement l'essence divine. C'est pourquoi chacune est
subsistante, comme l'essence divine; et de même que ce qu’est la divinité est
identique à Dieu, la paternité est identique au père, et par là le Père est
identique à Dieu. Donc le nombre des relations est celui des réalités
subsistantes dans la nature divine. Mais ce qui est subsistant, ce sont les
personnes divines, comme on le montre dans l'article précédant. Et c'est pour
cela que nous plaçons le nombre des personnes en Dieu.
Solutions:
q. 9 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Boetius per verba
illa intendit excludere numerum a divina essentia; de hoc enim agit.
# 1. Boèce, par ces paroles, tend à exclure le nombre de l'essence
divine, car c'est de cela qu'il s'agit.
q. 9 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum quod, licet personae, in
quantum sunt subsistentes, non habeant quod diminuant de ratione numeri, habent
hoc tamen in quantum sunt relationes; nam distinctio secundum relationes est
minima, sicut et relatio minimum habent de ente inter omnia genera.
# 2. Bien que les personnes, en tant que subsistantes, ne puissent
apporter de limite en raison du nombre, elles le peuvent cependant en tant que
relations; car la distinction dans les relations est minimale, comme la
relation aussi, elles sont ce qui a le moins d’être parmi tous les genres.
q. 9 a. 5 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod unitas et pluralitas attribuuntur Deo non secundum idem,
sed unitas secundum essentiam, pluralitas secundum personas; vel unitas
secundum absoluta, pluralitas secundum relationes.
# 3. L'unité et la pluralité sont attribuées à Dieu, non à l’identique,
mais l'unité selon l'essence, la pluralité selon les personnes, ou l'unité
selon l'absolu, la pluralité selon les relations.
q. 9 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod cum pluralitas
unitatum ex aliqua distinctione causetur, ubi est distinctio secundum esse,
oportet quod unitates secundum esse differant; ubi autem est distinctio
secundum relationes, oportet quod unitates ex quibus consistit pluralitas,
solum relationibus ab invicem distinguantur.
# 4. La pluralité des unités étant causée par une distinction, là où
elle est selon l'être, il faut que les unités diffèrent selon l'être. Mais là
où elle est selon les relations, il faut que les unités, en quoi consiste la
pluralité, soient distinguées seulement par les relations entre elles.
q. 9 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quaelibet distinctio
sufficit ad pluralitatem similem constituendam. Unde, sicut in Deo non est
divisio secundum absoluta,- quae sine compositione esse non potest,- sed solum
distinctio relationum; ita non est in Deo pluralitas quantum ad absoluta, sed
solum quantum ad relationes, ut iam dictum est.
# 5. N'importe quelle distinction suffit pour constituer une pluralité
semblable. C'est pourquoi, de même qu'en Dieu, il n'y a pas de divisions dans
l'absolu11 — celle-ci ne peut pas
exister sans composition — mais seulement une distinction des relations, de
même il n'y a pas en Dieu de pluralité quant à l'absolu, mais seulement quant
aux relations; comme on l'a déjà dit (dans le corps de l'article).
q. 9 a. 5 ad 6 Ad sextum dicendum, quod unitates semper sunt
partes numeri, si loquamur de numero absoluto quo numeramus; si autem loquamur
de numero qui est in rebus, tunc non est ratio totius et partis in numero, nisi
sicut invenitur totum et pars in rebus numeratis. Diversae autem relationes in
divinis non sunt partes, sicut paternitas et filiatio non sunt partes Socratis,
quamvis sit pater et filius diversorum. Unde nec unitates relationum
comparantur ad numerum relationum ut partes.
# 6. Les unités sont toujours les parties du nombre, si nous parlons de
nombre absolu par lequel nous comptons, mais si nous parlons du nombre qui est
dans la réalité, alors il n’y a pas la raison du tout et de la partie dans le
nombre, à moins que ce soit comme on trouve le tout et la partie dans les
choses dénombrées12. Mais différentes
relations en Dieu ne sont pas des parties, de même que la paternité et la
filiation ne sont pas des parties de Socrate, bien qu'il soit père et fils
d’êtres différents. C'est pourquoi les unités des relations ne sont pas
associées au nombre des relations comme des parties.
q. 9 a. 5 ad 7 Ad septimum dicendum, quod creatura
differt a Deo in hoc quod producitur in numero essentialium principiorum. Talis
autem non est numerus personarum.
# 7. La créature est diffèrente de Dieu du fait qu'elle est produite dans
le nombre des principes essentiels. Mais tel n'est pas le nombre des personnes.
q. 9 a. 5 ad 8 Ad octavum dicendum, quod numerus qui est
species quantitatis, causatur ex divisione continui; unde sicut quantitas
continua est quid mathematicum,- quia est separata a materia sensibili secundum
rationem, et non secundum esse,- ita et numerus qui est species quantitatis,
qui est etiam subiectum arithmeticae, cuius principium est unum quod est prima
mensura quantitatis. Unde patet quod hic numerus non potest esse in rebus
immaterialibus, sed est in eis multitudo, quae opponitur uni quod convertitur
cum ente; quae quidem causatur ex divisione formali, quae est per quasdam
formas oppositas, vel absolutas vel relativas. Et talis numerus est in divinis.
# 8. Le nombre qui est une espèce de quantité est causé par la division
du continu; c’est pourquoi, de même que la quantité continue est un concept
mathématique,— parce qu’elle est séparée de la matière sensible en raison et
non selon l’être — de même le nombre aussi qui est l’espèce de la quantité,
lui-même sujet de l’arithmétique; son principe est l’unité qui est la première
mesure de la quantité. C’est pourquoi il est clair que ce nombre ne peut pas
être dans les réalités immatérielles, mais il y a en elles une pluralité,
opposée à l’un qui est convertible avec l’étant; elle est causée par la
division formelle, qui est par des formes opposées, ou absolues ou relatives;
et un tel nombre est en Dieu.
q. 9 a. 5 ad 9 Ad nonum dicendum, quod illae passiones
consequuntur numerum qui est species quantitatis, qui non competit in divinis,
ut dictum est.
# 9. Ces passions supposent le nombre, qui est de l’espèce de la
quantité, ce qui ne convient pas Dieu, comme on l’a dit.
q. 9 a. 5 ad 10 Ad decimum dicendum, quod Deus est infinitus
secundum perfectionem magnitudinis et sapientiae et huiusmodi: unde in Ps.
CXLVI, 5, dicitur, quod sapientiae eius non est numerus; sed processio in
divinis, secundum quam multiplicantur personae divinae, non est in infinitum;
non enim est immoderata divina generatio, ut Augustinus dicit in Lib. de
Trinit.; et ideo nec personarum numerus est infinitus.
# 10. Dieu est infini selon la perfection de la grandeur, de la
sagesse, etc.. C’est pourquoi au Ps.
146, 5, il est dit: "Il n'y a pas de
nombre pour sa sagesse." mais la procession en Dieu selon laquelle les
personnes divines sont multipliées, n’est pas dans l’infini: car la génération
en Dieu n’est pas sans limite, comme Augustin le dit, (La Trinité) et c’est pourquoi le nombre des personnes n’est pas
infini.
q. 9 a. 5 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod Deus dicitur esse
finitus sibi, non quia cognoscat se esse finitum, sed quia ita comparatur ad se
sicut ad nos comparantur finita, in quantum comprehendit seipsum.
# 11. On dit que Dieu est fini pour lui, non pas parce qu’il se connaît
comme tel, mais parce qu’il est comparé à lui comme le fini est comparé à nous,
en tant qu’il se comprend lui-même.
q. 9 a. 5 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod illa definitio
datur de numero secundum quod est in genere quantitatis, ad quod pertinet ratio
mensurae.
# 12. On donne cette définition du nombre en tant qu’il est dans le
genre de la quantité, à quoi se rattache la notion de mesure.
q. 9 a. 5 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod in rebus
creatis principia individuantia duo habent:
quorum unum est quod sunt principium subsistendi (natura
enim communis de se non subsistit nisi in singularibus);
13. Dans les créatures il y a deux prinicipes qui individualisent:
a) L’un est qu’ils sont le
principe de subsistance (car la nature commune ne subsiste de soi que dans les
êtres particuliers).
aliud est quod per principia individuantia supposita naturae
communis ab invicem distinguuntur.
In divinis autem proprietates personales hoc solum habent
quod supposita divinae naturae ab invicem distinguuntur, non autem sunt
principium subsistendi divinae essentiae: ipsa enim divina essentia est
secundum se subsistens; sed e converso proprietates personales habent quod
subsistant ab essentia: ex eo enim paternitas habet quod sit res subsistens,
quia essentia divina, cui est idem secundum rem, est res subsistens; ut inde
sequatur quod sicut essentia divina est Deus, ita paternitas est pater. Et ex
hoc est etiam quod essentia divina non multiplicatur secundum numerum ex
pluralitate suorum suppositorum, sicut accidit in istis inferioribus. Nam ex eo
aliquid secundum numerum multiplicatur, ex quo subsistentiam habet. Licet autem
divina essentia secundum seipsam, ut ita dicam, individuetur, quantum ad hoc
quod est per se subsistere, tamen, ipsa una existente secundum numerum, sunt in
divinis plura supposita ab invicem distincta per relationes subsistentes.
b) L’autre est qu’ils se
distinguent entre eux par des principes qui individualisent les suppôts de
nature commune.
Mais en Dieu, les propriétés personnelles sont telles seulement que les
suppôts de nature divine se distinguent entre eux, mais elles ne sont pas le
principe de subsistance de l’essence divine; car celle-ci est subsistante par
soi, mais à l’inverse, les propriéts personnelles sont telles qu’elles
subsistent par l’essence; car ainsi la paternité est telle qu’elle est une
réalité subsistante, parce que l’essence divine, à laquelle elle est identique
en réalité est ce qui subsiste; de sorte qu’ainsi il en découle que de même que
l’essence divine est Dieu, la paternité est le Père. Et de là vient aussi que
l’essence divine n’est pas multipliée en nombre par la pluralité de ses
suppôts, comme cela arrive dans les êtres inférieurs. Car une chose est
multipliée en nombre, par le fait qu’elle a sa subsistance. Mais bien qu’en soi
l’essence divine, soit pour ainsi dire individuée, pour ce qui est subsister
par soi, cependant comme cette unité existe selon le nombre, il y a plusieurs
suppôts en Dieu distingués entre eux, par les relations subsistantes.
q. 9 a. 5 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod si pater et
filius et spiritus sanctus non re, sed solum ratione differunt, nihil prohibet
unum de altero praedicari: sicut vestis et tunica de se invicem praedicantur;
et similiter pater esset filius, et e converso; quod est haeresis Sabellianae.
Unde dicendum est, quod pater et filius et spiritus sanctus sunt tres res, ut
Augustinus dicit in Lib. I de Doctr. Christ., si tamen res pro
re relativa accipiatur; si enim sumatur pro absoluto, sic sunt una res, ut idem
Augustinus dicit. Et hoc modo sumendum est quod Damascenus dicit, quod sunt
unum re. Quod autem dicit, quod ratione tantum distinguuntur, communiter
exponitur, id est relatione. Nam relatio etsi per comparationem ad relationem
oppositam, distinctionem realem faciat in divinis, tamen ab essentia divina non
differt nisi ratione; cum hoc etiam relatio inter omnia genera debiliori modo
res est.
# 14. Si le Père, le Fils et l’Esprit saint diffèrent non pas en
réalité mais seulement en raison, rien n’empêche d’attribuer l’un à l’autre;
comme le vêtement et la tunique s’attribuent de l’un à l’autre13; et de la même manière, le Père serait le
Fils et à l’inverse; ce qui est l’hérésie de Sabellius14. C’est
pourquoi il faut dire que le Père, le Fils et l’Esprit saint sont trois
réalités, comme Augustin le dit au livre I de La doctrine chrétienne (ch. V15),
si cependant la réalité est reçue comme chose relative, car si elle est prise
pour l’absolu, ils sont une seule réalité, comme le même Augustin le dit. Et de
cette manière, il faut prendre ce que Jean Damascène dit qu’ils sont un en
réalité. Mais ce qu’il dit qu’ils sont distingués en raison, c’est ce qu’on
expose communément, c’est-à-dire par la relation. Car même si la relation
apporte une distinction réelle par comparaison à la relation opposée, en Dieu,
l’essence divine ne diffère qu’en raison; avec cela aussi la relation est d’un
mode plus faible parmi tous les genres.
q. 9 a. 5 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod pluralitas
rerum in divinis est pluralitas relationum subsistentium oppositarum, ex quo
non sequitur compositio in divinis. Nam relatio, comparata ad essentiam
divinam, non differt re, sed ratione solum; unde non facit compositionem cum
ipsa, sicut nec bonitas nec aliud essentialium attributorum; sed per
comparationem ad oppositam relationem est pluralitas rerum, non tamen
compositio; quia relationes oppositae, in quantum huiusmodi, ab invicem
distinguuntur. Compositio vero non est ex aliquibus distinctis in quantum
distincta sunt.
# 15. La pluralités des réalités en Dieu est une pluralité de relations
subsistantes opposées, d’où ne découle pas de la composition. Car la relation,
comparée à l’essence divine n’en diffère pas en réalité, mais en raison
seulement; c’est pourquoi elle ne fait pas composition avec elle; la bonté non
plus, ni aucun autre des attributs essentiels; mais par comparaison à la
relation opposée, il y a la pluralité des réalités, mais cependant pas
composition, parce que les relations opposées, en tant que telles, se
distinguent entre elles. Mais la composition ne vient pas de certaines choses
distinctes en tant que telles.
q. 9 a. 5 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod attributa
essentialia nullam ad invicem habent oppositionem sicut relationes; et ideo
licet subsistant sicut relationes, non tamen constituunt pluralitatem
suppositorum ab invicem distinctorum, cum pluralitas distinctionem sequatur;
distinctio vero formalis fit ex aliqua oppositione.
# 16. Les attributs essentiels n’ont aucune opposition entre eux, comme
les relations; et c’est pourquoi, bien qu’ils subsistent comme les relations,
ils ne constituent pas une pluralité de suppôts distincts les uns des autres,
puisque la pluralité ne découle pas de la distinction; mais la distinction
formelle se fait par une opposition.
q. 9 a. 5 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod in divinis
non differt quod significatur per modum formae et quod significatur per modum
suppositi: ut divinitas et Deus, paternitas et pater; et ideo non oportet quod,
licet proprietates relativae sint quasi differentiae constituentes personas,
faciant compositionem aliquam cum personis constitutis.
# 17. En Dieu, il n’y a pas de différence entre ce qui est signifié par
la forme et par le suppôt; comme la divinité et Dieu, la paternité et le Père;
et c’est pourquoi il ne faut pas que, bien que les propriétés relatives soient
comme des différences qui constituent les personnes, elles apportent une
composition avec les personnes constituées.
q. 9 a. 5 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod licet pater et
filius non distinguantur ab invicem nisi paternitate et filiatione, non tamen
oportet quod pater et filius quasi specie differant in divinis: quia paternitas
et filiatio sunt relationes secundum speciem diversae. Non enim istae
relationes se habent ad divinas personas ut speciem dantes, sed magis ut
supposita distinguentes et constituentes. Illud autem quod se habet ad personas
divinas ut speciem dans, est natura divina, in qua filius est similis patri:
nam generans generat sibi similem secundum speciem, non secundum individuales
proprietates. Sicut ergo Socrates et Plato licet non distinguerentur ad invicem
individualiter nisi albedine et nigredine, quae sunt diversae qualitates
secundum speciem, non tamen specie differrent: quia id quod est species albo et
nigro, non est species Socrati et Platoni; ita nec sequitur quod pater et
filius specie differant propter differentiam paternitatis et filiationis
secundum speciem: licet in divinis non possit proprie dici aliquid differre
secundum speciem, cum non sit ibi species et genus.
# 18. Bien que le Père et le Fils ne se distinguent l’un de l’autre que
par la paternité et la filiation, il ne faut cependant pas qu’ils diffèrent
comme en espèce; parce que la paternité et la filiation sont des relations
différentes en espèce. Car elles ne se comportent pas vis-à-vis des personnes
divines comme donnant une espèce, mais plutôt comme distinguant les suppôts et
les constituant. Mais ce qui se comporte vis-à-vis des personnes divines, comme
donnant l’espèce, c’est la nature divine, en laquelle le Fils est semblable au
Père. Car celui qui engendre engendre du semblable à lui en espèce, mais pas
selon les propriétés individuelles. Donc ainsi, bien que Socrate et Platon ne
soient distingués l’un de l’autre individuellement que par la blancheur et la
noirceur, qui sont des qualités diverses en espèce, ils ne diffèrent cependant
pas en espèce, parce que ce qui est l’espèce, pour le blanc et le noir, n’est
pas une espèce pour Socrate et Platon; ainsi il n’en découle pas que le Père et
le Fils soient différents en espèce à cause d’une différence de paternité et de
filiation en espèce; bien qu’en Dieu on ne puisse à proprement parler d’une
différence en espèce, puisqu’il n’y a en lui ni espèce, ni genre.
q. 9 a. 5 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod omnino
concedendum est quod in divinis non sit nisi unum esse: cum esse semper ad
essentiam pertineat, et praecipue in Deo, cuius esse est sua essentia.
Relationes autem quae distinguunt supposita in divinis, non addunt aliud esse
super esse essentiae, quia non faciunt compositionem cum essentia, ut dictum
est. Omnis autem forma addens aliquod esse super esse substantiale, facit
compositionem cum substantia, et ipsum esse est accidentale, sicut esse albi et
nigri. Diversitas ergo secundum esse sequitur pluralitatem suppositorum, sicut
et diversitas essentiae, in rebus creatis. Neutrum autem in divinis.
# 19. Il faut absolument concéder qu’en Dieu il n’y a qu’un seul être,
puisque l’être se rapporte toujours à l’essence, et surtout en Dieu, dont
l’être est l’essence. Mais les relations qui distinguent les suppôts n’ajoutent
pas un autre être à celui de l’essence; parce qu’ils ne font pas composition
avec elle, comme on l’a dit. Mais toute forme qui ajoute quelque chose à l’être
substantiel, apporte une composition avec la substance et l’être même est
accidentel, comme l’être du blanc et du noir. Donc la diversité selon l’être
découle de la pluralité des suppôts, comme la diversité de l’essence, dans les
créatures. Mais ni l’un ni l’autre n’est en Dieu.
q. 9 a. 5 ad 20 Ad vicesimum dicendum, quod operatio egreditur
ab agente ratione formae vel virtutis, quae est principium operationis; et ideo
nihil prohibet a tribus personis, quae sunt unius naturae et virtutis, unam
creationem procedere: sicut si trium calidorum esset unus numero calor, una
numero ab eis calefactio proveniret.
# 20. L’opération sort de l’agent en raison de la forme ou du pouvoir,
qui est le principe de l’opération; et c’est pourquoi rien n’empêche qu’une
seule création procède des trois personnes qui sont d’une seule nature et d’un
seul pouvoir, comme si de trois chaleurs il n’y en avait qu’une seule en
nombre, des trois proviendrait un seul réchauffement en nombre.
q. 9 a. 5 ad 21 Ad vicesimumprimum dicendum, quod formae
individuantes in rebus creatis non sunt subsistentes sicut in divinis; et ideo
non est simile.
# 21. Les formes qui individualisent dans les créatures ne sont pas
subsistantes comme en Dieu, et c’est pourquoi ce n’est pas pareil.
q. 9 a. 5 ad 22 Ad vicesimumsecundum dicendum, quod in
rebus creatis ad multitudinem suppositorum sequitur multiplicatio essentiae,
quod non accidit in divinis; unde ratio non sequitur.
# 22. Dans les créatures, la pluralité de l’essence amène à la
pluralité des suppôts, ce qui n’arrive pas en Dieu. C’est pourquoi la raison ne
vaut pas.
q. 9 a. 5 ad 23 Ad vicesimumtertium dicendum quod, licet tota
et perfecta divinitas sit in qualibet trium personarum secundum proprium modum
existendi, tamen ad perfectionem divinitatis pertinet ut sint plures modi
existendi in divinis ut scilicet sit ibi a quo alius et ipse a nullo, et
aliquis qui est ab alio. Non enim esset omnimoda perfectio in divinis, nisi
esset ibi processio verbi et amoris.
# 23. Bien que la divinité parfaite soit toute entière en chacune des
trois personnes selon leur propre mode d’existence, cependant il convient à la
perfection de la divinité qu’il y ait plusieurs modes d’existence en Dieu, à
savoir qu’il y en a un par lequel il est autre, et lui-même qui ne dépend de
personne et un qui est par un autre16.
Car il n’y aurait de toute manière de perfection en Dieu, que s’il y avait la
procession du verbe et de l’amour.
q. 9 a. 5 ad 24 Ad vicesimumquartum dicendum, quod ratio illa
procedit ac si divinae personae per essentiam distinguerentur. Sic enim
plenitudo gaudii quam habet pater in filio, esset in aliquo extrinseco, et non
haberet pater hoc in seipso; sed quia filius est in patre ut verbum ipsius, non
posset esse patri plenum gaudium de seipso nisi in filio; sicut nec homo de
seipso gaudet nisi per conceptionem quam de seipso habet.
# 24. Cet argument est avancé, comme si les personnes divines se
distinguaient par l’essence. Car ainsi la plénitude de joie que le Père a dans
le Fils dépendrait de quelqu’un d’extérieur et le Père ne l’aurait pas en lui;
mais parce que le Fils est dans le Père comme son verbe, il ne pourrait y avoir
la pleine joie pour le Père de lui-même, que dans le Fils; ainsi l’homme ne se
réjouit lui-même que par la conception qu’il se fait de lui-même.
1 Parall.: Ia, qu. 30, a. 1 — I Sent. D. 2 q. 4 — D. 23, a. 4 — Compendium C. 50, 55 — Quodl.
VII, 3, qu. a. 1
2
En Ia, qu. 30, a. 3, l’objecteur tire
une autre conclusion: "Donc, il y n’a pas plusieurs personnes en Dieu".
Mais c’est en fait un autre aspect de cet article. Cf. obj. 13.
3
"L’un et la Pluralité dans les nombres sont donc opposés comme mesure au
mesurable, notions qui sont opposées comme les relations qui ne sont pas des
relations par soi." Aristote, n° 874 (Trad. J. Tricot). Thomas, n° 2087.
4
"Le nombre est une multiplicité mesurable par l’UN." Trad. J. Tricot, p.
562. (Aristote, 875)
5 Thomas I, lectio 2,
n° 18.
6 Aristote 1308,
Thomas, 1817.
7
Cf. Pot. 9, 4, obj. 1. Le texte n’est
pas dans saint Jean avant le IXe siècle.
8
Denz. 39. (?75)
9
Trad. p. 94, Th. 177)
10
Verbum interius est ipsum interius intellectum. ——— Verbum intellectum…id est
ad quod operatio intellectus nostri terminatur, quod est ipsum intellectum,
quod dicitur conceptio intellectus. (Veritate,
qu. 4, a. 1 c.).
11
Selon l’essence.
12
Cf. Ia, qu. 30, a. 1: En Dieu pour le
nombre pris au sens absolu,"rien n’empêche qu’on y vérifie le tout et la
partie; cela n’existe que dans la considération de notre esprit, car le nombre
tel qu’il est dans les choses dénombrées, ne se trouve que dans la pensée."
Choses dénombrées; dans les créatures un, deux ou trois sont comme la partie au
tout, en Dieu cela ne vaut pas. Le Père est aussi grand que la Trinité.
13
Voir Métaphysique, Thomas n° 545.
14
Sur Sabellius voir note Pot. 1, 1, sol. 1; (cf. Pot. 8, 1 & 2 et 9,??? c)
15
"On ne peut trouver facilement, en effet, un nom qui convienne à pareille
excellence…Ainsi le Père et le Fils et le Saint Esprit sont-ils Dieu ainsi que
chacun séparéement…" (Trad. J.-Y. Boriaux) Comment en effet traduire res
16
Il y a trois personnes dans la Trinité, le Fils, différent du Père, et l’Esprit
saint. En 9, 9, on retrouve deux expressions semblables; duae relationes,
scilicet a quo alius et qui ab alio.
q. 9 a. 6 tit. 1 Sexto quaeritur utrum nomen
personae convenienter possit praedicari pluraliter in divinis. Et videtur quod
non.
Il semble que non1.
Objections:
q. 9 a. 6 arg. 1 Persona enim est substantia, ut ex definitione
Boetii patet. Sed substantia non praedicatur pluraliter in divinis. Ergo nec
persona.
1. Car la personne est une substance, comme le montre la définition de
Boèce. Mais la substance n’est pas attribuée au pluriel à Dieu. Donc la
personne non plus.
q. 9 a. 6 arg. 2 Praeterea, alia nomina absoluta praedicantur
tantum singulariter in divinis, ut sapiens, bonus et huiusmodi. Sed hoc nomen
persona est nomen absolutum. Ergo non debet praedicari pluraliter in divinis.
2. Tous les noms absolus sont attribués à Dieu seulement au singulier,
comme sage, bon, etc.. Mais ce nom personne
est un nom absolu. Donc il ne doit pas être attribué au pluriel.
q. 9 a. 6 arg. 3 Item, nomen personae a subsistendo sumi
videtur, cum significet individuum in genere substantiae, et persona dicatur
quasi per se una. Subsistere autem ad essentiam pertinere videtur, quae non
multiplicatur in divinis. Ergo nec nomen personae pluraliter potest praedicari.
3. Le nom de personne semble pris de "subsister" puisqu’il
signifie l’individu dans le genre de la substance et on parle de la personne
comme unique par soi. Mais subsister semble appartenir à l’essence qui n’est
pas multipliée en Dieu. Donc le nom de personne ne peut pas être attribué au
pluriel.
q. 9 a. 6 arg. 4 Sed dicendum, quod licet subsistere sumatur ab
essentia, tamen dicere possumus quod in divinis sunt tres subsistentes, et
similiter quod tres personae.- Sed contra, ea quae significant essentiam in
divinis, non possunt praedicari pluraliter, nisi sint adiectiva, quae non
trahunt numerum a forma significata, sed a suppositis, cum e converso sit in
substantivis. Unde dicimus, quod in Deo sunt tres aeterni, si ly aeterni
adiective sumatur; si vero substantive, tunc verum est quod Athanasius dicit in
Symb. quod non sunt tres aeterni, sed unus aeternus. Hoc autem nomen persona
est substantivum, non adiectivum. Ergo non debet praedicari in plurali.
4. Mais il faut dire, que
bien que subsister soit pris de
l’essence, nous pouvons cependant dire qu’en Dieu il y a trois (êtres)
subsistants et de même qu’il y a trois personnes — Mais en sens contraire, ce qui signifie l’essence en Dieu ne peut
être attribué au pluriel à moins que ce soient des adjectifs qui n’entraînent
pas un nombre par la forme qu’ils signifient mais par les suppôts2, alors que c’est l’inverse dans les
substantifs. C’est pourquoi nous disons qu’en Dieu il y a trois éternels, si "éternel"
est pris comme adjectif; mais s’il est pris substantivement, alors est vrai ce
qu’Athanase dit dans le symbole qu’il n’y
a pas trois éternels, mais un seul. Mais ce nom de personne est un substantif, non un adjectif. Donc il ne doit pas
être attribué au pluriel.
q. 9 a. 6 arg. 5 Praeterea, licet adiectiva essentialia
praedicentur pluraliter in divinis, tamen formae significatae non praedicantur
pluraliter, sed singulariter tantum. Etsi enim aliquo
modo dicamus pluraliter tres aeternos in divinis, nullo tamen modo dicimus tres
aeternitates. Etsi ergo aliquo modo possit dici quod sint tres personae in
divinis, nullo tamen modo poterit dici quod sint tres personalitates.
5. Bien que les adjectifs essentiels soient attribués à Dieu au
pluriel, cependant les formes signifiées ne le sont pas au pluriel, mais au
singulier seulement. Car même si, de quelque manière, nous parlons au pluriel
de trois éternels en Dieu, cependant nous ne disons en aucune manière trois
éternités. Donc, même si d’une certaine manière, on pourrait dire qu’il y a
trois personnes en Dieu, en aucune manière, on ne pourrait dire qu’il y a trois
personnalités.
q. 9 a. 6 arg. 6 Praeterea, sicut Deus significat divinitatem
habentem, ita persona divina significat subsistentem in divinitate. Sed sicut
dicimus in divinis tres subsistentes in divinitate, ita tres habentes
divinitatem. Si ergo hac ratione potest dici quod in divinis sint tres
personae, similiter poterit dici quod sint ibi tres dii, quod est haereticum.
6. De même que Dieu signifie celui qui a la divinité, la personne divine
signifie ce qui subsiste dans la divinité. Mais de même que nous disons qu’il y
en a trois qui subsistent, de même nous disons qu’il y en a trois qui ont la
divinité. Donc si pour cette raison, on peut dire qu’il y a trois personnes, de
la même manière, on pourra dire qu’il y a trois dieux, ce qui est hérétique.
q. 9 a. 6 arg. 7 Praeterea, Boetius dicit, quod ideo non sunt
tres dii, quia Deus non differt a Deo in divinitate. Sed similiter persona
divina non differt a persona divina aliqua personalitatis differentia, ut
videtur, cum commune sit eis hoc quod est esse personam. Ergo persona non
potest pluraliter praedicari in divinis.
7. Boèce dit (La Trinité, III)
qu’il n’y a pas trois dieux, parce que Dieu n’est pas diffèrent de Dieu dans la
divinité. Mais de la même manière la personne divine ne diffère pas de la
personne divine par une différence de personnalité, à ce qu’il semble puisque
le fait d’être une personne leur est commun. Donc la personne ne peut pas être
attribuée à Dieu au pluriel.
En sens contraire:
q. 9 a. 6 s. c. 1 Sed contra. Est quod Augustinus dicit, quod
quaerentibus quid tres essent pater et filius et spiritus sanctus, responsum
est, quod sunt tres personae. Ergo persona pluraliter in divinis praedicatur.
1. Augustin dit (La Trinité, VIII, 4) que à ceux qui
cherchent qui sont les trois, le Père, le Fils et l’Esprit saint, il faut
répondre que ce sont trois personnes. Donc on attribue le nom de personne au
pluriel en Dieu.
q. 9 a. 6 s. c. 2
Praeterea, Athanasius dicit, ubi Sup., quod alia est persona patris, alia
filii, alia spiritus sancti. Distinctio autem est causa numeri. Ergo
persona pluraliter debet praedicari in divinis.
2. Athanase, à la suite de ce qui est écrit ci-dessus (obj. 4) dit qu’"Autre est la personne du Père, celle du Fil,s
celle de l’Esprit saint". Mais
la distinction est cause du nombre. Donc le nom de personne doit être attribué
au pluriel en Dieu.
Réponse:
q. 9 a. 6 co.
Respondeo. Dicendum quod nomina substantiva, sicut iam supra dictum est,
trahunt numerum a forma significata, adiectiva vero a suppositis. Cuius ratio
est, quia nomina substantiva significant per modum substantiae, adiectiva vero
per modum accidentis quod individuatur et multiplicatur per subiectum,
substantia vero per seipsam.
Il faut dire que les substantifs, comme on l’a dit ci-dessus,
entraînent un nombre par la forme qu’ils signifient, et les adjectifs par les
suppôts. La raison en est que les substantifs signifient en tant que substance,
et les adjectifs en tant qu’accident; celui-ci est individualisé et multiplié
par le sujet, mais la substance l’est par elle-même.
Cum ergo hoc nomen persona sit substantivum, oportet ex
forma significata ipsius considerare, utrum possit pluraliter praedicari. Forma
autem significata nomine personae non est natura absolute: quia sic idem
significaretur nomine hominis et nomine personae humanae, quod patet esse
falsum; sed nomine personae significatur formaliter incommunicabilitas, sive
individualitas subsistentis in natura, sicut ex praemissis patet.
Donc, comme ce nom personne
est un substantif, il faut considérer par la forme qu’il signifie s’il est
possible de l’attribuer au pluriel. Mais la forme signifiée par le nom de
personne n'est pas absolument la nature, parce qu’ainsi ce qui serait signifié
par le nom d’homme et celui de personne humaine serait identique; ce qui paraît
faux. Mais par le nom de personne est
signifié formellement l’incommunicabilité ou l’individualité de ce qui subsiste
dans la nature, comme on le voit par ce qui a été dit plus haut.
Cum ergo proprietates facientes esse distinctum et
incommunicabile in divinis sint plures, oportet quod nomen personae pluraliter
praedicetur in divinis; sicut etiam in humanis pluraliter praedicatur nomen
personae propter pluralitatem principiorum individuantium.
Donc comme les propriétés qui rendent l’être distinct et
incommunicable en Dieu sont plusieurs, il faut que le nom de personne soit
attribué au pluriel; comme aussi pour les homme le nom de personne est attribué
au pluriel à cause de la pluralité des principes qui les individualisent.
Solutions:
q. 9 a. 6 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod persona est
substantia individua, quae est hypostasis; et hoc pluraliter praedicatur, sicut
patet ex usu Graecorum.
# 1. La personne est la substance individuelle, qui est une hypostase;
et cela est attribué au pluriel, comme on le voit par l’usage des Grecs.
q. 9 a. 6 ad 2 Ad secundum dicendum, quod nomen personae est
absolutum ex modo significandi; significat tamen relationem, sicut ex
praemissis patet.
# 2. Le nom de personne est
absolu par la manière de signifier; cependant il signifie la relation comme on
le voit de ce qui a été dit.
q. 9 a. 6 ad 3 Ad tertium dicendum, quod nomen personae non
designat hoc solum quod est subsistere, quod videtur ad essentiam pertinere,
sed etiam hoc quod est distinctum esse et incommunicabile, quod est propter
proprietates relativas in divinis.
# 3. Le nom de personne ne
désigne pas seulement ce qui subsiste, qui semble convenir à l’essence, mais
aussi le fait d’être différent et incommunicable, qui est à cause des
propriétés relatives en Dieu.
q. 9 a. 6 ad 4 Ad quartum dicendum, quod forma significata per
nomen personae non est essentia absolute, sed illud quod est principium
incommunicabilitatis sive individuationis; et ideo pluraliter praedicatur,
licet sit nomen substantivum: et propter hoc etiam, quia sunt plures
proprietates distinguentes in divinis, dicuntur esse plures personalitates.
# 4. La forme signifiée par le nom de personne n’est pas l’essence dans l’absolu, mais ce qui est le
principe d’incommunicabilité ou d’individuation; et c’est pourquoi il est
attribué au pluriel, bien qu’il soit un substantif; et aussi, parce qu’il y a
plusieurs propriétés, qui apportent la distinction en Dieu, on dit qu’il y a
plusieurs personnalités.
q. 9 a. 6 ad 5 Unde patet solutio ad quintum.
# 5. Et ainsi la solution 5 est claire.
q. 9 a. 6 ad 6 Ad sextum dicendum, quod hoc nomen persona
significat subsistentem in natura divina, cum distinctione et
incommunicabilitate; hoc autem nomen Deus significat habentem divinam naturam
nihil importans de distinctione vel incommunicabilitate; ideo non est simile.
# 6. Ce nom de personne
signifie ce qui subsiste dans la nature divine, avec distinction et
incommunicabilité; mais ce nom de Dieu signifie
celui qui a la nature divine sans rien apporter dans la distinction et
l’incommunicabilité; et c’est pourquoi ce n’est pas pareil.
q. 9 a. 6 ad 7 Ad septimum dicendum, quod licet Deus a Deo non
differat aliqua differentia divinitatis,- quia non est nisi una divinitas
numero,- persona tamen divina differt a persona divina differentia
personalitatis, quia ad personalitatem pertinet in divinis etiam proprietas
distinguens personas.
# 7. Bien que Dieu ne diffère pas de Dieu par une différence de
divinité, — parce qu’il n’y a qu’une seule divinité en nombre — cependant la
personne divine diffère de la personne divine par une différence de
personnalité, parce qu’en Dieu aussi la propriété qui distingue les personnes
convient à cette personnalité.
1. Parall.: Ia, qu. 30, a. 4 — I Sent. d25a3.
2
L’adjectif représente un accident dans un suppôt. Ce sont les suppôts eux-mêmes
et non les accidents qui apportent le nombre. Pour plus d’explication, voir Ia, 39, 5, ad 5m
q. 9 a. 7 tit. 1 Septimo quaeritur quomodo
termini numerales praedicentur de divinis personis, utrum scilicet positive vel
remotive tantum. Et videtur quod positive.
Et il semble que c’est positivement1.
Objections:
q. 9 a. 7 arg. 1 Si enim nihil ponunt in divinis, tunc qui
dicit tres personas, nihil dicit quod sit in Deo. Ergo et qui negat tres
personas, nihil negat de Deo quod sit in ipso. Non ergo contra veritatem
loquitur, et ita non est haereticus.
1. Car si on ne place rien en Dieu, alors celui qui parle de trois
personnes, ne dit rien de ce qui est en lui. Donc celui qui nie les trois
personnes, ne nie rien de ce qui est en lui. Donc il ne parle pas contre la
vérité, et ainsi il n’est pas hérétique.
q. 9 a. 7 arg. 2 Praeterea, secundum Dionysium in Lib. de
Divin. Nom., tribus modis dicitur aliquid de Deo: scilicet per negationem, per
eminentiam et per causam. Quocumque autem istorum modorum termini numerales
praedicentur in divinis, oportet quod aliquid ponant. Quod quidem manifestum
est, si quidem praedicentur per eminentiam vel per causam similiter autem et si
praedicentur negative. Non enim sic aliqua negantur de Deo, ut idem Dionysius
dicit, quasi omnino ei desint, sed quia non eodem modo ei conveniunt sicut et
nobis. Oportet ergo omnibus modis quod termini numerales aliquid ponant.
2. Selon Denys (les Noms divins,
Théologie mystique, I), on parle de
quelque chose en Dieu de trois manières; à savoir par négation, par éminence,
et par la cause. De n’importe quelle de ces manières que les termes numériques
sont attribués à Dieu, il faut qu’ils y établissent quelque chose. Ce qui est
clair, s’ils sont attribués par éminence ou par cause, de la même manière aussi
s’ils sont attribués négativement. Car ce n’est pas ainsi que certaines choses
sont niées de Dieu, comme le même Denys le dit (La Hiérarchie céleste, II, Les
Noms divin, IV et XI), comme si elles lui manquaient tout à fait, mais
parce qu’elles ne se rencontrent pas en lui de la même manière qu’en nous. Il
faut donc que de toutes les manières, les termes numériques placent quelque
chose.
q. 9 a. 7 arg. 3 Praeterea, quidquid praedicatur de Deo et
creaturis, nobiliori modo de Deo quam de creaturis praedicatur. Termini autem
numerales de creaturis praedicantur positive. Ergo multo magis de Deo.
3. Tout ce qui est attribué à Dieu et aux créatures, est attribué d’une
manière plus noble à Dieu qu’aux créatures. Mais les termes numériques sont
attribués positivement aux créatures. Donc beaucoup plus à Dieu.
q. 9 a. 7 arg. 4 Praeterea, multitudo et unitas importata per
terminos numerales, secundum quod praedicatur de Deo, non sunt in intellectu
tantum: quia sic non essent tres personae in Deo nisi secundum intellectum;
quod pertinet ad haeresim Sabellianam. Ergo oportet quod
sint aliquid in ipso Deo secundum rem; et ita positive de Deo dicuntur.
4. La pluralité et l’unité apportées par les termes numériques, selon
ce qui est attribué à Dieu, ne sont pas dans l’esprit seulement: parce qu’ainsi
il n’y aurait trois personnes en Dieu que selon l’esprit; ce qui appartient à
l’hérésie sabellienne2. Donc il faut
qu’elles soient quelque chose en Dieu même, en réalité, et ainsi on en parle
positivement en Dieu.
q. 9 a. 7 arg. 5 Praeterea, sicut unum est in genere
quantitatis, ita bonum est in genere qualitatis; in Deo autem nec est quantitas
nec qualitas nec aliquod accidens; et tamen bonum non praedicatur de Deo
remotive sed positive. Ergo similiter unum, et per consequens multitudo, quam
constituit unum.
5. Le ‘un’ est dans le genre de la quantité, de même le bien est dans
le genre de la qualité; mais en Dieu, il n’y a ni quantité, ni qualité, ni
accident; et cependant le bien n’est pas attribué à Dieu négativement, mais
positivement. Donc de la même manière le ‘un’ et par conséquent la pluralité
que constitue l’unité.
q. 9 a. 7 arg. 6 Praeterea, quatuor prima entia dicuntur,
scilicet ens, unum, verum et bonum. Sed tria eorum, scilicet ens, verum et
bonum, dicuntur de Deo positive. Ergo et unum, et per consequens multitudo.
6. On dit qu’il y a quatre êtres premiers3
à savoir l’étant, l’un, le vrai et le bien. Mais on parle positivement pour
Dieu de trois d’entre eux, à savoir l’étant, le vrai et le bien. Donc l’un
aussi et par conséquent la pluralité.
q. 9 a. 7 arg. 7 Praeterea, multitudo et magnitudo pertinent ad
duas species quantitatis, quae sunt discreta quantitas et continua. Sed
magnitudo praedicatur de Deo positive, cum dicitur Ps. CXLVI, 5: magnus dominus
et magna virtus eius. Ergo et multitudo et unum.
7. La pluralité et la grandeur appartiennent à deux espèces de
quantité, la quantité discrète et la quantité continue. Mais la grandeur est
attribuée positivement à Dieu quand il est dit (Ps. 146, 5): "Le
Seigneur est grand et grande est sa puissance". Donc la pluralité et
l’unité aussi.
q. 9 a. 7 arg. 8 Praeterea, creaturae Dei similitudinem
praeferunt, secundum quod in eis vestigium divinitatis apparet. Sed secundum
Augustinum, quaelibet creatura vestigium quoddam divinae Trinitatis in se
habet, in quantum est aliquid unum et specie formatur et ordinem aliquem habet.
Ergo creatura est una ad similitudinem Dei. Sed unum
praedicatur de creatura positive: ergo et de Deo.
8. Les créatures de Dieu manifestent la ressemblance selon qu’apparaît
en elles un vestige de la divinité.
Mais selon Augustin (La Trinité, X,
11), n’importe quelle créature porte en elle un vestige de la divine Trinité,
en tant qu’elle est une et est mise en forme en l’espèce et a un ordre. Donc la
créature est une à la ressemblance à Dieu. Mais l’unité est attribuée positivement à la créature. Donc à Dieu
aussi.
q. 9 a. 7 arg. 9 Praeterea, si unum praedicatur de Deo
privative, oportet quod aliquid removeat, et non nisi multitudinem.
Multitudinem autem non removet; non enim sequitur, si est una persona, quod non
sint plures. Unum ergo non dicitur remotive de Deo, et per consequens nec
multitudo.
9. Si on attribue négativement l’unité
à Dieu, il faut qu’elle exclut quelque chose et pas seulement la pluralité.
Mais elle ne l’exclut pas; car il n’en découle pas, s’il y a une personne qu’il
y en ait pas plusieurs. Donc on ne parle pas de l’unité négativement en Dieu et
par conséquent de la pluralité non plus.
q. 9 a. 7 arg. 10
Praeterea, privatio nihil constituit. Unum autem constituit
multitudinem. Non ergo dicitur privative.
10. La privation n’a rien constitué. Mais l’unité a constitué la
pluralité. Donc on n’en parle pas négativement.
q. 9 a. 7 arg. 11 Praeterea, nulla privatio est in Deo, quia
privatio omnis pertinet ad defectum. Unum autem praedicatur de Deo. Ergo non
significat privationem.
11. Il n’y aucune privation en Dieu, parce que toute privation concerne
une défaillance. Mais l’unité est
attribuée à Dieu. Donc elle ne signifie pas une privation.
q. 9 a. 7 arg. 12 Praeterea, Augustinus dicit, quod quidquid
praedicatur de Deo, praedicatur secundum substantiam, vel secundum relationem.
Et Boetius etiam dicit, quod omnia quae veniunt in divinam praedicationem,
mutantur in substantiam praeter ad aliquid. Si ergo termini numerales
praedicantur de Deo, oportet quod significent substantiam vel relationem; et
ita oportet quod positive de Deo praedicentur.
12. Augustin dit (la Trinité,
V, 5) que tout ce qui est attribué à Dieu l’est selon la substance ou selon la
relation. Et Boèce dit aussi (dans son livre sur La Trinité) que tout ce qui vient dans l’attribution divine est
changé en substance hormis la relation. Donc si les termes numériques sont
attribués à Dieu, il faut qu’ils signifient la substance ou la relation; et
ainsi il faut qu’ils soient attribués positivement à Dieu.
q. 9 a. 7 arg. 13 Praeterea, unum et ens convertuntur et
videntur esse synonyma. Sed ens praedicatur de Deo positive. Ergo et unum, et
per consequens multitudo.
13. L’unité et l’étant sont convertibles et semblent synonymes. Mais
l’étant est attribué positivement à Dieu. Donc l’unité aussi et par conséquent
la pluralité.
q. 9 a. 7 arg. 14 Praeterea, si unum praedicatur de Deo
remotive, oportet quod removeat multitudinem tamquam sibi oppositam. Hoc autem
non potest esse, cum multitudo constituatur ex unitatibus; unum autem
oppositorum non constituitur ex alio. Ergo unum non praedicatur de Deo
remotive.
14. Si l’unité est attribuée
à Dieu négativement, il faut exclure la pluralité, comme s’opposant à elle.
Mais cela n’est pas possible, puisque la pluralité est constituée d’unités;
mais l’un des opposés n’est pas constitué par un autre. Donc l’unité n’est pas attribuée à Dieu
négativement.
q. 9 a. 7 arg. 15 Praeterea, si unum dicitur per remotionem
multitudinis, oportet quod unum opponatur multitudini, sicut privatio habitui.
Habitus autem est naturaliter prior privatione, et etiam secundum rationem,
quia privatio non potest definiri nisi per habitum. Ergo multitudo erit prior uno secundum naturam et secundum rationem; quod
videtur inconveniens.
15. Si l’unité est définie
par l’exclusion de la pluralité, il faut que l’unité soit opposée à la
pluralité, comme la privation à la possession. Mais la possession est
naturellement avant la privation et aussi en raison, parce qu’elle ne peut être
définie que par une possession. Donc la pluralité sera avant l’unité en nature
et en raison, ce qui ne paraît pas convenir.
q. 9 a. 7 arg. 16 Praeterea, si unum et multa in divinis
praedicantur remotive, oportet quod unum removeat multitudinem et multitudo
removeat unitatem. Hoc autem est inconveniens, quia sequeretur circulus unius
et multi, ut dicatur, quod unum est quod non est multa, et multa sunt quae non
sunt unum; et sic per ista nihil fieret notum. Non est ergo dicendum, quod unum
et multa in Deo dicantur privative.
16. Si l’un et le multiple sont attribués négativement à Dieu, il faut
que l’unité exclut la pluralité et que celle-ci exclut l’unité. Mais cela ne
convient pas, parce qu’il en découlerait un cercle entre l’unité et le
multiple, de sorte qu’on dirait que l’un est ce qui n’est pas multiple et le
multiple est ce qui n’est pas un; et ainsi on ne connaîtrait rien. Donc il ne
faut pas dire qu’on parle négativement de l’un et du multiple en Dieu.
q. 9 a. 7 arg. 17 Praeterea, unum et multa cum se habeant ut
mensura et mensuratum, videntur opponi ad invicem relative. In relative autem
oppositis utrumque dicitur positive. Ergo tam unum quam multa positive
praedicantur de Deo.
17. Comme l’un et le multiple ne se comportent pas comme la mesure et
le mesuré, ils semblent opposés relativement entre eux. Mais dans ce qui est
opposé relativement, on parle de l’un et de l’autre positivement. Donc on
attribue positivement à Dieu autant l’un que le multiple.
En sens contraire:
q. 9 a. 7 s. c. 1 Sed contra. Dionysius dicit, IV de Divin.
nominibus: unitas laudata et Trinitas, quae est super omnia divinitas, non est
neque unitas neque Trinitas quae a nobis aut alio quodam existentium sit
cognita. Videtur ergo quod termini numerales per
remotionem dicantur de Deo.
1. Denys dit (les Noms divins, IV, 13): "L’unité est louée et la Trinité qui est la
divinité au-dessus de tout, n’est ni unité, ni Trinité, pour qu’elle soit
connue par nous ou par quelqu’un d’autre parmi ceux qui existent". Il
semble donc qu’on parle par éloignement des termes numéraux en Dieu.
q. 9 a. 7 s. c. 2 Praeterea, Augustinus dicit: quaesivit humana
inopia quid tria diceret, et dixit substantias sive personas. Quibus nominibus
non diversitatem intelligi voluit sed singularitatem noluit. Sunt ergo
huiusmodi termini numerales introducti in divinis magis ad removendum quam ad
ponendum.
2. Augustin dit (La Trinité, VII,
4, 9): "La pauvreté humaine a
cherché ce que trois voulait dire et elle a dit: les substances ou les
personnes. Par ces noms elle a voulu ne pas comprendre la diversité, mais elle
n'a pas voulu comprendre la singularité." Donc il y a des termes
numéraux de ce genre qui sont introduits en Dieu, plus pour exclure que pour
poser.
q. 9 a. 7 s. c. 3 Praeterea, unum et multitudo, sive numerus,
sunt in genere quantitatis. In Deo autem non potest esse aliqua quantitas, cum
quantitas sit accidens et dispositio materiae. Termini ergo numerales in Deo
nihil ponunt.
3. L’un et la pluralité ou le nombre sont dans le genre de la quantité.
Mais en Dieu il ne peut pas y avoir de quantité, puisqu’elle est un accident et
une disposition de la matière. Donc les termes numéraux ne placent rien en
Dieu.
q. 9 a. 7 s. c. 4 Sed dicendum, quod licet quantitas secundum
rationem sui generis, vel secundum rationem accidentis, non possit esse in Deo,
tamen secundum rationem speciei aliqua quantitas potest praedicari de Deo,
sicut aliqua qualitas, ut scientia vel iustitia.- Sed contra, illae solae
species qualitatis in divinam praedicationem assumuntur quae secundum rationem
suae speciei nullam imperfectionem important, sicut scientia, iustitia et
aequitas; non autem ignorantia nec albedo. Omnis autem quantitas secundum
rationem suae speciei imperfectionem importat: cum enim quantum sit quod est
indivisibile, species quantitatis distinguuntur secundum diversos modos
divisionis; sicut pluralitas est quae divisibilis est in non continua, linea
autem quae est divisibilis secundum unam dimensionem, superficies autem
secundum duas, corpus vero secundum tres. Divisio autem perfectioni divinae
simplicitatis repugnat. Nulla ergo quantitas secundum rationem suae speciei
potest praedicari de Deo.
4. Mais il faut dire que,
bien que la quantité en raison de son genre, ou en raison de l’accident, ne
puisse pas exister en Dieu, cependant en raison de l’espèce, on peut attribuer
certaine quantité à Dieu, de même que certaine qualité, comme la science et la
justice.— En sens contraire, on admet
dans l’attribution divine ces seules espèces de qualité qui n’apportent aucune
imperfection en raison de leur espèce, comme la science, la justice et l’équité;
mais pas l’ignorance ni la blancheur. Mais toute quantité en raison de son
espèce apporte une imperfection; comme, en effet, quant à ce qui est
indivisible, les espèces de quantité sont distinguées selon divers modes de
division, ainsi la pluralité est ce qui est divisible dans ce qui n’est pas
continu, la ligne ce qui est divisible selon une dimension, la superficie selon
deux, le corps selon trois4, mais la
division s’oppose à la perfection de la simplicité divine. Donc aucune quantité
en raison de son espèce ne peut être attribuée à Dieu.
q. 9 a. 7 s. c. 5 Sed dicendum, quod distinctio per
relationes quae facit numerum personarum in divinis, non importat
imperfectionem in Deo.- Sed contra, omnis divisio vel distinctio aliquam
multitudinem causat. Non autem omnis multitudo est numerus qui est species
quantitatis: cum multitudo et unum circumeant omnia genera. Non ergo
omnis divisio vel distinctio sufficit ad constituendum numerum qui est species
quantitatis, sed sola illa divisio quae est secundum quantitatem, qualis non
est distinctio relationum.
5. Mais il faut dire que la
distinction par les relations qui apportent le nombre des personnes en Dieu, ne
lui apporte pas d’imperfection.— En sens
contraire, toute division ou distinction cause une pluralité, mais toute
pluralité n’est pas un nombre qui est une espèce de quantité, puisque la
pluralité et l’unité enferment tous les genres. Donc toute division ou
distinction ne suffit pas à constituer un nombre, qui est une espèce de
quantité, mais cette seule division qui est selon la quantité; telle n’est pas
la distinction des relations.
q. 9 a. 7 s. c. 6 Sed dicendum, quod omnis multitudo est
species quantitatis, et omnis divisio sufficit ad constituendam speciem
quantitatis.- Sed contra, ad positionem substantiae non sequitur positio
quantitatis, cum substantia possit esse sine accidente. Sed positis solis
formis substantialibus, sequitur distinctio in substantiis. Ergo non quaelibet
distinctio constituit multitudinem quae est accidens et species quantitatis.
6. Mais il faut dire que
toute pluralité est une espèce de quantité, et toute division suffit à
constituer une espèce de quantité. — En
sens contraire, placer la quantité ne revient pas à placer la substance,
puisque celle-ci peut exister sans accident. Mais si on place les seules formes
substantielles, il en découle une distinction dans les substances. Donc ce
n’est pas n’importe quelle distinction qui constitue la pluralité qui est
accident et espèce de quantité.
q. 9 a. 7 s. c. 7 Praeterea, discretio quae constituit numerum,
quae est species quantitatis, opponitur continuo. Discretio autem continuo
opposita est, quae consistit in divisione continui. Ergo sola divisio continui,
quae non competit Deo, causat numerum qui est species quantitatis; et ita non
potest praedicari de Deo numerus qui est species quantitatis.
7. Ce qui constitue le nombre discret qui est espèce de quantité,
s’oppose à ce qui constitue le nombre continu. Mais "cette discrétion"
est opposée au continu qui consiste dans la division du contenu. Donc la seule
division du contenu, qui ne convient pas à Dieu, cause le nombre qui est
l’espèce de quantité, et ainsi on ne peut pas attribuer à Dieu un nombre qui
est une espèce de quantité.
q. 9 a. 7 s. c. 8 Praeterea, quaelibet substantia dicitur una.
Aut ergo est una per essentiam suam, aut per aliquid aliud. Si per aliquid
aliud, cum et illud oporteat esse unum, necesse est quod et illud per se sit
unum, vel per aliquid aliud, et illud iterum per aliud. Impossibile est autem
quod hoc procedat in infinitum. Ergo statur alicubi. Melius est ergo quod
stetur in primo, ut scilicet substantia per seipsam sit una. Non ergo unum est
aliquid additum substantiae; et ita non videtur significare aliquid positive.
8. On dit que n’importe quelle substance est une. Ou bien donc elle est
une par son essence, ou bien par quelque chose d’autre. Si c’est par quelque
chose d’autre, puisque aussi cela doit être un, il est nécessaire que cela soit
un par soi, ou par quelque chose d’autre et celui-ci à nouveau par quelque
chose d’autre. Mais il est impossible que cela procède à l’infini. Donc on
s’arrête quelque part. Donc il est meilleur de s’arrêter au premier stade, pour
que la substance soit une par elle-même5.
Donc l’un n’est pas quelque chose d’ajouté à la substance, et ainsi il ne
semble pas avoir une signification positive.
q. 9 a. 7 s. c. 9 Sed dicendum, quod substantia non est una per
seipsam, sed per unitatem ei accidentem; unitas autem est per se una; prima
enim denominant seipsa, sicut bonitas est bona, veritas est vera, et similiter
unitas est una.- Sed contra, huiusmodi seipsa denominant propter hoc quod sunt
primae formae, nam secundae formae non denominant seipsas, sicut albedo non est
alba. Quae autem se habent ex additione ad aliud, non sunt prima. Ergo unitas et
bonitas non se habent ex additione ad substantiam.
9. Mais il faut dire que la
substance n’est pas une par elle-même, mais par une unité qui lui est
accidentelle; mais l’unité est une par soi; car les transcendantaux se nomment
eux-mêmes, ainsi la bonté est bonne, la vérité vraie et de la même manière
l’unité une.— En sens contraire, ceux
de ce genre se nomment eux-mêmes parce qu’ils sont des formes premières; car
les formes secondes ne se nomment pas elles-mêmes, ainsi la blancheur n’est pas
blanche. Ce qui se comporte par addition à autre chose n’est pas premier
(transcendantal). Donc l’unité et la bonté ne se comportent pas par addition à
la substance.
q. 9 a. 7 s. c. 10 Praeterea, secundum philosophum, omnia
dicuntur unum in quantum non dividuntur. Hoc autem quod est non dividi, non
ponit aliquid, sed solum removet. Ergo unum non praedicatur positive sed
remotive in divinis; et per consequens multitudo, quae constituitur ex unis.
10. Selon le philosophe (Métaphysique
V, 6, 1018 a 18 passim), on
appelle un tout ce qui n’est pas divisé. Mais ce qui n’est pas divisé ne place
rien, mais exclut seulement. Donc l’un n’est pas attribué positivement à Dieu,
mais négativement; et par conséquent la pluralité qui est constituée par des
unités aussi.
Réponse:
q. 9 a. 7 co. Respondeo. Dicendum quod de uno et multo diversa
inveniuntur, quae etiam apud philosophos fuerunt occasio diversa sentiendi.
Invenitur enim de uno, quod est principium numeri, et quod convertitur cum ente;
similiter invenitur de multo, quod pertinet ad quamdam speciem quantitatis,
quae dicitur numerus, et iterum quod circuit omne genus, sicut et unum, cui
videtur multitudo opponi.
Pour l’un et le multiple, on trouve différentes questions qui ont été
l’occasion pour les philosophes d’opinions différentes. Car on trouve l'un, qui
est le principe du nombre, et qui est convertible avec l’étant; de même on
trouve le multiple qui se rapporte à une certaine espèce de quantité qui est
appelée le nombre, et à nouveau ce qui comprend tout genre, comme l’un à qui
semble opposée la pluralité.
Fuerunt ergo aliqui inter philosophos qui non distinxerunt
inter unum quod convertitur cum ente, et unum quod est principium numeri,
aestimantes quod neutro modo dictum unum aliquid super substantiam adderet; sed
unum quolibet modo dictum significaret substantiam rei. Ex quo sequebatur quod
numerus, qui ex unis componitur, sit substantia omnium rerum secundum opinionem
Pythagorae et Platonis.
A. Donc il y en eut certains
parmi les philosophes qui n’ont pas distingué entre l’un qui est convertible
avec l’étant, et l’un qui est le principe du nombre, pensant que d’aucune des
deux manières ce qui est appelé un ajouterait quelque chose à la substance,
mais l’un qui est employé de n’importe quelle manière signifierait la substance.
Et il en découlait que le nombre qui serait composé d’unités, serait la
substance de toutes les choses selon
l’opinion de Pythagore et de Platon6.
Quidam vero non distinguentes inter unum quod convertitur
cum ente, et unum quod est principium numeri, crediderunt e contrario, quod
utrolibet modo dictum unum, adderet aliquod esse accidentale supra substantiam;
et per consequens omnis multitudo oportet quod sit aliquod accidens pertinens
ad genus quantitatis. Et haec fuit positio Avicennae, quam quidem videntur
secuti fuisse omnes antiqui doctores. Non enim intellexerunt per unum et multa
nisi aliquod pertinens ad genus quantitatis discretae.
B. Mais certains qui ne
distinguent pas entre l’un qui est convertible avec l’étant, et l’un principe
du nombre, ont cru au contraire que de l’une et l’autre manière, ce qui est
appelé un ajouterait un être accidentel à la substance et par conséquence il
faut que toute pluralité soit un accident qui concerne le genre de la quantité.
Et ce fut la position d’Avicenne7 qu’assurément toutes les docteurs anciens
semblent avoir suivi. Car ils n’ont compris par un et beaucoup que quelque
chose qui appartenait au genre de la quantité discrète.
Quidam vero fuerunt qui attendentes quod in Deo nulla
quantitas esse potest, posuerunt quod termini significantes unum vel multa de
Deo non ponunt aliquid, sed removeant tantum. Non enim possunt ponere nisi quod
significant, scilicet quantitatem discretam, quae nullo modo potest esse in
Deo. Sic ergo secundum eos unum dicitur de Deo ad removendum multitudinem
quantitatis discretae; termini vero significantes pluralitatem, dicuntur de Deo
ad removendum unitatem, quae est principium quantitatis discretae.
C. Mais certains, qui ont été
attentifs à ce qu’en Dieu il ne peut y avoir aucune quantité, ont pensé que les
termes qui signifiaient l’un ou beaucoup ne placent rien en Dieu, mais excluent
seulement. Car ils ne peuvent placer que ce qu’ils signifient, à savoir la
quantité discrète, qui ne peut en aucune manière être en Dieu. Donc ainsi selon
eux, on parle de l’un en Dieu pour exclure la multiplicité de la quantité
discrète; mais les termes que signifient la pluralité en Dieu, pour exclure
l’unité, qui est le principe de la quantité discrète.
Et haec videtur fuisse opinio Magistri, quae ponitur in 24
dist. I sententiarum. Quae quidem, supposita suae opinionis radice, scilicet
quod omnis multitudo significaret quantitatem discretam, et omne unum esset
eiusdem quantitatis principium, inter omnes rationabilior invenitur. Nam et
Dionysius dicit, quod negationes sunt maxime verae in Deo; affirmationes vero
sunt incompactae. Non enim scimus de Deo quid est, sed magis quid non est, ut
Damascenus dicit.
Et cela semble avoir été l’opinion
du Maître qu’on trouve exposé dans la I
Sent. d24. Si on suppose l’origine de son opinion, à savoir que toute
pluralité signifierait une quantité discrète, et toute unité serait le principe
d’une même quantité, cette opinion est trouvée plus rationnelle parmi toutes.
Car Denys aussi (La Hiérarchie céleste,
II) dit que les négations sont tout à fait vraies en Dieu, mais les
affirmations sont inadéquates. Car nous ne savons pas de Dieu ce qu’il est,
mais plutôt ce qu’il n’est pas, comme Jean Damascène le dit (I, 4).
Unde et Rabbi Moyses omnia quae affirmative videntur dici de
Deo, dicit magis esse introducta ad removendum quam ad aliquid ponendum.
Dicimus enim Deum esse vivum ad removendum ab eo illum modum essendi quem
habent res quae apud nos non vivunt, non ad ponendum vitam in ipso, cum vita et
omnia huiusmodi nomina sint imposita ad significandum quasdam formas et
perfectiones creaturarum quae longe absunt a Deo; quamvis hoc non sit
usquequaque verum, nam, sicut dicit Dionysius, sapientia et vita et alia
huiusmodi non removentur a Deo quasi ei desint, sed quia excellentius habet ea
quam intellectus humanus capere, vel sermo significare possit; et ex illa
perfectione divina descendunt perfectiones creatae, secundum quamdam
similitudinem imperfectam. Et ideo de Deo, secundum Dionysium, non solum
dicitur aliquid per modum negationis et per modum causae, sed etiam per modum
eminentiae.
C’est pourquoi Rabbi Moyses
dit que tout ce qui paraît être dit affirmativement de Dieu est plus introduit
plus pour exclure que pour poser quelque chose. Car nous disons que Dieu est
vivant pour éloigner de lui ce mode d’être qu’ont les choses qui chez nous ne
vivent pas, mais pas pour placer la vie en eux, puisque la vie et tous les noms
de ce genre sont imposés pour signifier des formes et les perfections des
créatures, qui sont très loin de Dieu; quoique cela ne soit pas toujours vrai,
car, comme le dit Denys (Les Noms divins,
12), la sagesse et la vie, etc., ne sont pas exclues de Dieu, comme si elles
lui manquaient, mais parce qu’il les possède plus excellemment que ce que
l’esprit humain peut en saisir ou la parole signifier; et de cette perfection
divine descendent les perfections crées selon une ressemblance imparfaite. Et
c’est pourquoi au sujet de Dieu, selon Denys (La Théologie mystique I et La
Hiérarchie céleste, I, et Les Noms
divins, II) non seulement on parle par mode de négation et de cause , mais
aussi par mode d’éminence.
Sed quidquid sit de spiritualibus perfectionibus, certum est
quod materiales dispositiones removentur omnino a Deo. Unde cum quantitas sit
dispositio materiae, si termini numerales non significant nisi quod est in
genere quantitatis, necesse est quod de Deo non dicatur nisi ad removendum quae
significant, sicut Magister posuit, loc. cit. Nec sequitur ex eius positione
circulus,- dum unitas removet multitudinem, multitudo unitatem,- quia
removentur a Deo unitas et multitudo, quae sunt in genere quantitatis, quorum
neutrum de Deo dicitur. Et sic unitas dicta de Deo, quae removet multitudinem,
non removetur, sed alia unitas, quae de Deo dici non potest.
Mais quoi qu’il en soit des perfections spirituelles, il est certain
que les dispositions matérielles sont tout à fait exclues de Dieu. C’est
pourquoi, puisque la quantité est une disposition de la matière, si les termes
numéraux ne signifient que ce qui est dans le genre de la quantité, il est
nécessaire qu’on n’en parle au sujet de Dieu que pour exclure ce qu’ils
signifient, comme le Maître l’a pensé (loc.
cit.). Et il ne découle pas que cette disposition est circulaire — en tant
que l’unité exclut la pluralité, et la pluralité l’unité — parce que l’unité et
la pluralité, qui sont dans le genre de la quantité sont exclues de Dieu. On ne
parle d’aucun des deux à propos de lui. Et ainsi l’unité dont on parle en lui,
qui exclut la pluralité, n’est pas exclue, mais c’est l’autre unité dont on ne
peut parler en Dieu.
Quidam vero, non intelligentes quod nomina affirmativa ad
removendum possint in praedicationem divinam induci, nec iterum ponentes unum
et multa,- nisi quod est in genere quantitatis discretae, quam in Deo ponere
non audebant,- dixerunt quod termini numerales non praedicantur de Deo quasi
dictiones significantes aliquam rem conceptam sed quasi dictiones officiales,
exercentes aliquid in divinis, scilicet distinctionem ad modum
syncategorematicae distinctionis. Quod quidem fatuum apparet, cum nihil tale ex
horum terminorum significatione possit haberi.
D. Certains, ne comprenant pas que des noms affirmatifs puissent être introduits dans l’attribution divine pour
exclure, et en plus n’y plaçant l’un et le multiple — qui est dans le genre de
la quantité discrète qu’ils n’osaient pas placer en Dieu — certains, donc, ont
dit que les termes numéraux ne sont pas attribués à Dieu comme des expressions
qui signifient une espèce de concept, mais comme des expressions officielles
qui ont quelque pouvoir en Dieu, à savoir une distinction pour un mode de
distinction catégorique. Ce qui paraît insensé, puisque rien de tel ne peut
être possédé par la signification de ces termes.
Et ideo alii dixerunt, quod praedicti termini aliquid
positive ponunt in Deo, licet supponant quod unum et multa sunt solum in genere
quantitatis; dicunt enim quod non est inconveniens aliquam speciem quantitatis
Deo attribui, licet genus removeatur a Deo; sicut et aliquae species
qualitatis, ut sapientia et iustitia, dicuntur de Deo positive, licet in Deo
qualitas esse non possit.
E. Et c’est pourquoi, d’autres, ont
dit que les termes en question placent positivement quelque chose en Dieu, bien
qu’ils supposent que ni l’un et ni multiple sont seulement dans le genre de la
quantité: car ils disent qu’il n’y a pas d’inconvénient à attribuer une espèce
de quantité à Dieu, bien que le genre soit exclu de lui; comme on parle
positivement de certaines espèces de qualités comme la sagesse, et la justice,
bien qu’il ne puisse y avoir en lui de qualité.
Sed illud non est simile, ut in obiiciendo est tactum, nam
omnes species quantitatis ex ratione suae speciei habent imperfectionem, non
autem omnes species qualitatis. Et praeterea quantitas proprie est dispositio
materiae; unde omnes species quantitatis sunt mathematica quaedam, quae
secundum esse non possunt a materia sensibili separari, nisi tempus et locus
quae sunt naturalia, et magis materiae sensibili annexa. Unde patet quod nulla
species quantitatis potest in rebus spiritualibus convenire, nisi secundum
metaphoram. Qualitas autem sequitur formam, unde quaedam qualitates sunt omnino
immateriales, quae attribui possunt rebus spiritualibus.
Mais cela n’est pas pareil que ce qu’on en dit dans l’objection, car
toutes les espèces de quantité ont une imperfection en raison de leur espèce,
mais pas toutes les espèces de qualité. Et ensuite la quantité est en propre
une disposition de la matière; c’est pourquoi toutes les espèces de quantité
sont mathématiques qui, selon l’être, ne peuvent pas être séparés de la matière
sensible sauf le temps et le lieu, qui sont naturels, et plus attachés à la
matière sensible. C’est pourquoi il est clair qu’aucune espèce de quantité ne
peut convenir aux êtres spirituels, sinon par métaphore. Mais la qualité suit
la forme, c’est pourquoi il y a certaines qualités tout à fait immatérielles,
qui peuvent être attribuées aux choses spirituelles.
Hae igitur opiniones processerunt, supposito quod idem sit
unum quod convertitur cum ente et quod est principium numeri, et quod non sit
aliqua multitudo nisi numerus qui est species quantitatis. Quod quidem patet
esse falsum: nam cum divisio multitudinem causet, indivisio vero unitatem,
oportet secundum rationem divisionis de uno et multo iudicium sumi.
F. Donc ces opinions ont
progressé, en supposant que soient identiques l’un qui est convertible avec
l’étant et celui qui est le principe du nombre, et qu’il n’y ait pas d’autre
pluralité que le nombre qui est une espèce de la quantité. Ce qui paraît faux.
Comme la division, en effet, cause la pluralité, et l’indivision l’unité, il
faut juger de l’un et du multiple en raison de la division.
Est autem quaedam divisio quae omnino genus quantitatis
excedit, quae scilicet est per aliquam oppositionem formalem, quae nullam
quantitatem concernit. Unde oportet quod multitudo hanc divisionem consequens,
et unum quod hanc divisionem privat, sint maioris communitatis et ambitus quam
genus quantitatis.
Il y a une division qui transcende tout à fait le genre de la quantité,
celle qui vient par une opposition formelle qui ne concerne aucune quantité.
C’est pourquoi il faut que la pluralité qui découle de cette division, et l’un
qui en prive, soient plus communs et d’une plus grande amplitude que le genre
de la quantité.
Est autem et alia divisio secundum quantitatem quae genus
quantitatis non transcendit. Unde et multitudo consequens hanc divisionem, et
unitas eam privans, sunt in genere quantitatis. Quod quidem unum, aliquid
accidentale addit supra id de quo dicitur, quod habet rationem mensurae; alias
numerus ex unitate constitutus, non esset aliquod accidens, nec alicuius
generis species. Unum vero quod convertitur cum ente, non addit supra ens nisi
negationem divisionis, non quod significet ipsam indivisionem tantum, sed
substantiam eius cum ipsa: est enim unum idem quod ens indivisum. Et similiter
multitudo correspondens uni nihil addit supra res multas nisi distinctionem,
quae in hoc attenditur quod una earum non est alia; quod quidem non habent ex
aliquo superaddito, sed ex propriis formis.
Mais il y a aussi une autre division, relative à la quantité, qui n’en
dépasse pas le genre. C’est pourquoi la pluralité qui suit cette division et
l’unité qui en prive, sont dans le genre de la quantité. L’un ajoute quelque
chose d’accidentel à ce dont on parle, ayant raison de mesure, autrement le
nombre constitué par l’unité ne serait pas un accident, ni l’espèce d’un genre.
Mais l’un qui est convertible avec l’étant, n’y ajoute que la négation de la
division, non qu’il signifie seulement l’indivision elle-même, mais il signifie
sa substance avec elle, car il y a une unité
identique à l’étant indivis. Et de la même manière la pluralité qui
correspond à l’un n’ajoute rien à la multiplicité des choses, sinon la
distinction qui consiste en ce que l’une d’elle n’est pas l’autre; ce qui ne
vient pas de quelque chose ajouté, mais de leurs propres formes.
Patet ergo quod unum quod convertitur cum ente, ponit quidem
ipsum ens, sed nihil superaddit nisi negationem divisionis. Multitudo autem ei
correspondens addit supra res, quae dicuntur multae, quod unaquaeque earum sit
una, et quod una earum non sit altera, in quo consistit ratio distinctionis. Et
sic, cum unum addat supra ens unam negationem,- secundum quod aliquid est
indivisum in se,- multitudo addit duas negationes, prout scilicet aliquid est
in se indivisum, et prout est ab alio divisum. Quod quidem dividi est unum
eorum non esse alterum.
Il est évident que l’un qui est convertible avec l’étant pose l’étant
lui-même, mais il n’ajoute que la négation de la division. Mais la pluralité
qui lui correspond ajoute à ce qui est dit multiple, que chacune d’elles est
une et que l’une d’elle n’est pas l’autre, en quoi consiste la raison de la
distinction. Et ainsi, comme l’unité ajoute une négation à l’étant — selon que
quelque chose est indivis en soi, la pluralité ajoute deux négations, dans la
mesure où une chose est indivise en soi, et dans la mesure où elle est divisée
par un autre. Être divisé est l’unité de ceux qui ne sont pas autres.
Dico ergo, quod in divinis non praedicantur unum et multa
quae pertinent ad genus quantitatis, sed unum quod convertitur cum ente, et
multitudo ei correspondens. Unde unum et multa ponunt quidem in divinis ea de
quibus dicuntur; sed non superaddunt nisi distinctionem et indistinctionem,
quod est superaddere negationes, ut supra expositum est. Unde concedimus, quod
quantum ad id quod superaddunt eis de quibus praedicantur, remotive in Deo
accipiuntur; in quantum autem includunt in sua significatione ea de quibus
dicuntur, positive accipiuntur. Unde ad utrasque rationes respondendum est.
G. Je dis donc qu’en Dieu ne
sont attribués ni l’un et ni le multiple qui se rapportent au genre de la
quantité, mais l’un qui est convertible avec l’étant et la pluralité qui lui
correspond. C’est pourquoi l’un et le multiple placent en Dieu ce dont on parle;
mais ils ne surajoutent que la distinction et la non distinction, ce qui est
ajouter des négations, comme on l’a exposé plus haut. C’est pourquoi, nous
concédons que pour ce qu’ils ajoutent à ce à quoi ils sont attribués, il sont reçus en Dieu négativement; en
tant qu’ils incluent dans leur signification ce dont nous parlons, ils sont reçus positivement. C’est pourquoi il faut répondre aux deux raisons.
Solutions:
q. 9 a. 7 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod qui dicit tres
personas, aliquid in Deo dicit, scilicet distinctionem personarum; quam qui
negat, haereticus est. Ista autem distinctio non addit aliquid supra personas
distinctas.
# 1. Qui dit trois personnes dit une réalité en Dieu, à savoir la
distinction des personnes; qui la nie est hérétique, mais cette distinction
n’ajoute rien aux personnes distinctes.
q. 9 a. 7 ad 2 Ad secundum dicendum quod, licet in remotione
quorumdam a Deo, sit cointelligenda praedicatio eorumdem de Deo per eminentiam
et per causam, tamen quaedam solummodo negantur de Deo et nullo modo
praedicantur; sicut cum dicitur: Deus non est corpus. Et hoc modo posset dici
secundum opinionem Magistri, quod omnino negatur a Deo quantitas numeralis; et
similiter secundum id quod ponimus, omnino negatur ab eo essentiae divisio, cum
dicitur: essentia divina est una.
# 2. Bien qu’en excluant certaines choses de Dieu, il faille comprendre
leur attribution par éminence, et par cause, cependant, certaines sont
seulement niées et ne lui sont attribuées en aucune manière, comme quand on dit:
Dieu n’est pas un corps. Et de cette manière on pourrait dire selon l’opinion
du Maître, que la quantité numérale est tout à fait niée pour Dieu; et de la
même manière selon ce que nous y plaçons, cela nie tout à fait la division de
l’essence, quand on dit: l’essence divine est une.
q. 9 a. 7 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in rebus creatis
termini numerales non ponunt aliquid superadditum rebus de quibus dicuntur,
nisi prout significant id quod est in genere quantitatis discretae, secundum
quem modum non praedicantur de Deo; et hoc pertinet ad perfectionem ipsius.
# 3. Dans les créatures, les termes numéraux ne placent rien de
surajouté à ce dont on parle, sinon dans la mesure où ils signifient ce qui est
dans le genre de la quantité discrète; sous ce mode, elles ne sont pas
attribuées à Dieu; et cela convient à sa perfection.
q. 9 a. 7 ad 4 Ad quartum dicendum, quod unitas et multitudo
quae significantur per terminos numerales dictos de Deo, non sunt solum in
intellectu nostro, sed sunt in Deo secundum rem; non tamen propter hoc
significatur aliquid positive praeter intellectum eorum quibus ista
attribuuntur.
# 4. L’unité et la pluralité qui sont signifiées par les termes
numéraux employés pour Dieu, ne sont pas seulement dans notre esprit, mais ils
sont en Dieu en réalité; ce n’est pas cependant à cause de cela que quelque
chose est signifié positivement au-delà du concept de ceux à qui ils sont
attribués.
q. 9 a. 7 ad 5 Ad quintum dicendum quod bonum quod est in
genere qualitatis, non est bonum quod convertitur cum ente, quod nullam rem
supra ens addit; bonum autem quod est in genere qualitatis, addit aliquam
qualitatem qua homo dicitur bonus; et simile est de uno, sicut ex dictis patet.
Sed in hoc differt quod bonum utroque modo acceptum potest venire in divinam
praedicationem, non autem unum: non enim est eadem ratio de quantitate et
qualitate, sicut ex dictis patet.
# 5. Le bien qui est dans le genre de la qualité, n’est pas le bien qui
est convertible avec l’étant, parce qu’il n’ajoute rien à l’étant; mais le bien
qui est dans le genre de la qualité ajoute une qualité par laquelle on dit que
l’homme est bon; et c’est pareil pour l’unité, comme on le voit d’après ce qui
a été dit. Mais il y a une différence: le bien reçu de l’une et l’autre manière
peut venir dans l’attribution divine, mais pas l’unité; car la quantité et la
qualité n’ont pas une nature identique, comme on le voit de ce qui a été dit.
q. 9 a. 7 ad 6 Ad sextum dicendum, quod inter ista quatuor
prima, maxime primum est ens: et ideo oportet quod positive praedicetur;
negatio enim vel privatio non potest esse primum quod intellectu concipitur,
cum semper quod negatur vel privatur sit de intellectu negationis vel
privationis. Oportet autem quod alia tria super ens addant aliquid quod ens non
contrahat; si enim contraherent ens, iam non essent prima. Hoc autem esse non
potest nisi addant aliquid secundum rationem tantum; hoc autem est vel negatio,
quam addit unum (ut dictum est), vel relatio ad aliquid quod natum sit referri
universaliter ad ens; et hoc est vel intellectus, ad quem importat relationem
verum, aut appetitus, ad quem importat relationem bonum; nam bonum est quod
omnia appetunt, ut dicitur in I Ethic.
# 6. Parmi les quatre transcendantaux, celui qui est absolument le
premier est l’étant et c’est pourquoi il faut qu’il soit attribué positivement;
car la négation ou la privation ne peuvent être ce qui est conçu en premier par
l’esprit, puisque toujours ce qui est nié ou privé est du concept de négation
ou de privation. Mais il faut que les trois autres ajoutent à l’étant quelque
chose qui ne le limite pas; car s’ils le limitaient , ils ne seraient plus des
transcendantaux. Mais cela n’est pas possible à moins qu’ils ajoutent quelque
chose en raison seulement. Mais c’est ou bien la négation qui ajoute l’unité
(comme on l’a dit) ou bien une relation ou ce qui est destiné à être référé à
l’étant selon l’universel: et c’est ou bien le concept, à qui le vrai apporte
une relation ou bien l’appétit, à laquelle le bien apporte la relation; car le
bien est ce que tous recherchent, comme on le dit dans l’Éthique (I, 1, 1094 a 2).
q. 9 a. 7 ad 7 Ad septimum dicendum, quod secundum philosophum,
multum dicitur dupliciter:
# Selon le philosophe (Métaphysique
X, 6, 1056 b 17 ss.), on parle de beaucoup
en plusieurs sens:
`uno modo absolute,
et sic dicitur per oppositum ad unum;
a) D’une première manière, selon l’absolu et ainsi on l’emploie par
opposition à l’unité:
alio modo dicitur comparative, prout importat excessum
quemdam respectu minoris numeri, et sic multum opponitur pauco.
b) D’une autre manière, on en parle comparativement dans la mesure où
il apporte un surplus par rapport à un nombre plus petit, et ainsi beaucoup est
opposé à peu.
Similiter autem et magnum potest dupliciter dici:
De la même manière on parle de grand
de deux manières:
uno modo absolute, prout importat quantitatem continuam quae
dicitur magnitudo;
a) D’une première manière selon l’absolu, dans la mesure où le terme
apporte une quantité continue qui est appelée grandeur.
alio modo comparative, rout importat excessum respectu
minoris quantitatis..
b) D’une autre manière, comparativement, dans la mesure où il apporte
un surplus par rapport à une quantité plus petite.
Primo ergo modo magnum non praedicatur de Deo;
sed secundo, ut importetur eius eminentia super omnem creaturam
Donc de la première manière, grand n’est pas attribué à Dieu, mais de
la seconde, il est attribué pour apporter son éminence au-dessus de tout
créature.
q. 9 a. 7 ad 8 Ad octavum dicendum, quod unum quod pertinet ad
vestigium Dei in creaturis, est unum quod convertitur cum ente, quod quidem
ponit aliquid, in quantum ponit ipsum ens, cui solam negationem superaddit, ut
dictum est.
# 8. L’unité qui appartient au vestige de Dieu dans les créatures est
l’un qui est convertible avec l’étant, qui place quelque chose en tant qu’il
place l’étant à qui il ajoute seulement une négation, comme on l’a dit.
q. 9 a. 7 ad 9 Ad nonum dicendum, quod unum oppositorum non
excludit aliud, nisi ab eo de quo praedicatur. Non enim sequitur, si Socrates
est albus, quod nihil sit nigrum: sed quod ipse non est niger. Sic ergo
sequitur quod si patris persona est una, patris personae non sunt plures; non
autem sequitur quod non sint plures personae in divinis.
# 9. L’un des opposés n’exclut l’autre que par ce qui lui est attribué.
Car il n’en découle pas, si Socrate est blanc, que rien ne soit noir; mais que
lui-même n’est pas noir. Ainsi donc il en découle que si la personne du Père
est une, les personnes du Père ne sont pas plusieurs, mais il n’en découle pas
qu’il n’y ait pas plusieurs personnes en Dieu.
q. 9 a. 7 ad 10 Ad decimum dicendum, quod unum non constituit
multitudinem ex parte privationis, sed ex parte illa qua ponit ens.
# 10. L’un n’a pas constitué la pluralité du côté de la privation mais
de ce côté où il place l’étant.
q. 9 a. 7 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod sicut dicitur
in V Metaph., privatio tribus modis dicitur:
uno modo proprie,
quando removetur ab aliquo quod natum est habere, et in quo tempore natum est
habere; sicut carere visu est privatio visus in homine.
Alio modo
communiter, quando removetur ab aliquo quod ipsum quidem non est natum habere,
sed genus eius; sicut si non habere visum dicatur esse privatio visus in talpa.
# 11. Comme il est dit en Métaphysique,
(V, 22, 1022 b 21 ss.), on parle de la privation de trois manières:
a) Au sens propre, quand est exclu de quelque chose ce qu’il est
destiné à avoir et, en quel temps, il est destiné à l’avoir, comme ne pas avoir
la vue est la privation de la vue dans l’homme.
b) D’une autre manière, communément, quand est exclu d’une chose ce
qu’elle n’est pas destinée à avoir, mais que son genre est destiné à ne pas
avoir; ainsi, si ne pas avoir la vision était appelé privation de la vue pour
la taupe.
Tertio modo communissime, quando removetur ab aliquo id quod
a quocumque alio natum est haberi, non tamen ab ipso, nec ab alio sui generis:
sicut si non habere visum, dicatur esse privatio visus in planta. Et haec
privatio medium est inter privationem veram et simplicem negationem, habens
commune aliquid cum utroque; cum privatione quidem vera, in hoc quod est
negatio in aliquo subiecto, unde non competit simpliciter non enti; cum
negatione vero simplici, in hoc quod non requirit aptitudinem in subiecto. Per
hunc autem modum unum privative dicitur, et potest simili modo praedicari in
divinis, sicut et alia quae simili modo praedicantur in divinis, ut invisibilis
et immensus et huiusmodi.
c) De manière très commune, quand est exclu d’une chose ce qu’elle est
destinée à avoir par n’importe quel autre, cependant pas par elle-même, ni par
un autre de son genre; comme si on disait que ne pas avoir la vue, c’est la
privation de la vue dans la plante. Et cette privation est intermédiaire entre
la vraie privation et la négation simple, ayant quelque chose de commun avec
l’une et l’autre; avec une vraie privation, du fait que c’est une négation dans
un sujet; c’est pourquoi il n’appartient pas simplement au non-être; avec une
négation simple du fait qu’il ne requiert pas d’aptitude dans le sujet. Par ce
moyen l’un est dit négativement et peut être attribué à Dieu d’une manière
semblable, comme les autres qui sont attribués à Dieu d’une manière semblable,
comme invisible, immense, etc.
q. 9 a. 7 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod termini numerales
non addunt aliquid in divinis supra id de quo praedicantur; et ideo quando
praedicantur de essentialibus, significant essentiam; quando vero de
personalibus, significant relationem.
# 12. Les termes numéraux n’ajoutent rien en Dieu, au-dessus de ce à
quoi ils sont attribués; et c’est pourquoi quand ils sont attribués à ce qui
est l’essence, ils la signifient, mais s’ils sont attribués à ce qui est
personnel, ils signifient la relation.
q. 9 a. 7 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod unum et ens
convertuntur secundum supposita; sed tamen unum addit secundum rationem,
privationem divisionis; et propter hoc non sunt synonyma, quia synonyma sunt
quae significant idem secundum rationem eamdem.
#13. L’un et l’être sont convertibles selon les suppôts; mais cependant
l’un ajoute en raison la privation de division, et c’est pour cela qu’ils ne
sont pas synonymes, parce que les synonymes signifient une chose identique sous
le même rapport.
q. 9 a. 7 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod unum potest
considerari dupliciter: uno modo quantum ad illud quod ponit, et sic constituit
multitudinem;
alio modo quantum ad negationem quam superaddit, et sic
opponitur unum multitudini privative.
# 14. L’un peut être
considéré de deux manières;
a) Quant à ce qu’il pose; et ainsi il a constitué une pluralité.
b) D’une autre manière quant à la négation qu’il ajoute et ainsi l’un est
opposé négativement à la pluralité.
q. 9 a. 7 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod secundum
philosophum, multitudo est prior uno secundum sensum, sicut totum partibus et
compositum simplici; sed unum est prius multitudine naturaliter et secundum
rationem. Hoc autem non videtur sufficere ad hoc quod unum opponatur
multitudini privative. Nam privatio est posterior secundum rationem, cum in
intellectu privationis sit eius oppositum, per quod definitur: nisi forte hoc
referatur solum ad nominis rationem, prout hoc nomen unum significat privative,
nomen vero multitudinis positive; nomina enim imponuntur a nobis secundum quod
cognoscimus res. Unde ad hoc quod aliquid significetur per nomen ut privatio,
sufficit qualitercumque sit posterius in nostra cognitione; quamvis hoc non
sufficiat ad hoc quod res ipsa sit privativa, nisi sit posterius secundum
rationem.
# 15. Selon le philosophe (Métaphysique,
X, 3, 1054 a 288), la pluralité
est avant l’unité, selon le sens, comme le tout avant les parties et le composé
avant le simple. Mais l’un est naturellement et en raison avant la pluralité.
Mais cela ne paraît pas suffire, pour que l’un soit opposé négativement à la
multitude, car la privation est après en raison, puisque dans le concept de
privation il y a son opposé, par lequel il est défini; à moins que par hasard
cela se rapporte seulement à la nature du nom, dans la mesure où il signifie
négativement l’unité, mais
positivement le nom de pluralité. Car
les noms s’imposent à nous selon que nous connaissons la réalité. C’est
pourquoi, pour qu’une chose soit signifiée par un nom comme privation, il
suffit de quelque manière qu’il soit postérieur dans notre connaissance;
quoique cela ne suffise pas pour que la chose soit négative, à moins qu’elle
soit postérieure en raison.
Et ideo potest melius dici, quod divisio est causa
multitudinis, et est prior secundum intellectum quam multitudo; unum autem
dicitur privative respectu divisionis, cum sit ens indivisum, non autem
respectu multitudinis. Unde divisio est prior, secundum rationem, quam unum;
sed multitudo posterius. Quod sic patet:
Et c’est pourquoi on peut dire mieux: la division est la cause
de la pluralité, et elle est avant elle en esprit; mais on parle d’unité
négativement par rapport à la division, puisqu’elle est l’étant non divisé,
sans rapport avec la pluralité. C’est pourquoi la division est en raison avant
l’unité; mais la pluralité après. Ce qui paraît ainsi:
primum enim quod in intellectum cadit, est ens;
a) En premier ce qui arrive
dans l’esprit c’est l’étant;
secundum vero est negatio entis;
b) en second, la négation de
l’étant;
ex his autem duobus sequitur tertio intellectus divisionis
(ex hoc enim quod aliquid intelligitur ens, et intelligitur non esse hoc ens,
sequitur in intellectu quod sit divisum ab eo);
c) mais de ces deux découle en troisième
le concept de division (car du fait que quelque chose est compris comme étant,
et que cet étant est compris comme n’étant pas celui-là, il découle en esprit,
qu’il est séparé de lui);
quarto autem sequitur in intellectu ratio unius, prout
scilicet intelligitur hoc ens non esse in se divisum;
d) quatrièmement: la nature
de l’un découle dans l’esprit, dans la mesure où cet étant est compris comme
non divisé en soi,
quinto autem sequitur intellectus multitudinis, prout
scilicet hoc ens intelligitur divisum ab alio, et utrumque ipsorum esse in se
unum. Quantumcumque enim aliqua intelligantur divisa, non intelligetur
multitudo, nisi quodlibet divisorum intelligatur esse unum.
e) cinquièmement, il en
découle le concept de pluralité dans la mesure où cet étant est compris comme
séparé d’un autre et l’un et l’autre d’entre eux sont uniques en soi. Car
chaque fois que quelque chose est compris comme séparé d’un autre, la pluralité
n’est pas comprise à moins que l’une des choses divisées soit comprise comme un
être.
Et sic etiam patet quod non erit circulus in definitione
unius et multitudinis.
Et ainsi il est clair qu’il n’y aura pas de cercle vicieux dans la
définition de l’un et de la pluralité.
q. 9 a. 7 ad 16 Unde patet responsio ad decimumsextum.
# 16. Ainsi s’éclaire la réponse à la 16me objection.
q. 9 a. 7 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod unum quod est
principium numeri, comparatur ad multitudinem ut mensura ad mensuratum; quod
quidem unum positive aliquid supra substantiam addit, ut dictum est.
# 17. L’un qui est le principe du nombre est comparé à la pluralité,
comme la mesure au mesuré; cette unité ajoute positivement quelque chose à la
substance, comme on l’a dit (dans le corps de l’article).
q. 9 a. 7 ad s. c. Ad ea quae in oppositum obiiciuntur,
secundum praemissa, facile est respondere considerantibus secundum quid
veritatem concludant. Unum tamen quod in illis obiectionibus tangebatur
considerandum est, quod huiusmodi prima, scilicet essentia, unitas, veritas et
bonitas, denominant seipsa ea ratione, quia unum, verum et bonum consequuntur
ad ens. Cum autem ens sit primum quod in intellectu concipitur oportet quod
quidquid in intellectum cadit, intelligatur ut ens, et per consequens ut unum,
verum et bonum. Unde cum intellectus apprehendat essentiam, unitatem, veritatem
et bonitatem in abstracto, oportet quod de quolibet eorum praedicetur, ens, et
alia tria concreta. Et inde est quod ista denominant seipsa, non autem alia
quae non convertuntur cum ente.
Pour ce qui est objecté en sens
contraire, selon
ce qui a été dit, il est facile de répondre à ceux qui considèrent en quoi ils
limitent la vérité. Cependant il faut considérer que ce qui était abordé dans
ces objections les transcendantaux de ce genre, à savoir l’essence, l’unité, la
vérité et la bonté, signifient eux-mêmes par cette raison que l’un, le vrai et
le bien supposent l’étant. Mais comme l’étant est le premier qui est conçu par
l’esprit, il faut que quelque chose arrive dans l’esprit et soit compris comme
étant, et par conséquent comme un, vrai et bon. C’est pourquoi, comme l’esprit
saisit l’essence, l’unité, la vérité et la bonté dans l’abstrait, il faut que
soit attribué à chacun d’eux l’étant et les trois autres concrets. Et de là
vient qu’ils se signifient eux-mêmes, mais pas les autres qui ne se
convertissent pas avec l’étant.
1 Parall.: Ia, qu. 30, a. 3 — I Sent. d24a3 —Qdl, X,
qu. 1, a. 1. "Son énoncé met en
discussion l’opinion du Lombard… qui a recours à la voie négative. ‘un’ et
‘trois’, à propos de Dieu, n’y disent rien de positif, mais en nient quelque
limite" Éd. des Jeunes, p. 189, Cf. I
Sent., d24q1.
2
Sabellius Cf. Pot. 1, 1, note, et 8, 1 et 8, 2.
3
Les transcendantaux.
4
Cf. Métaphysique, V, 6, 1016 b 26
ss..
5
Thomas dit cela de manière plus abstraite dans le de veritate, qu. 1, a. 1, c: "De même que dans ce qu’on
démontre il faut en revenir à des principes connus par soi par l’esprit (donc évident), de même en cherchant ce
que c’est, autrement dans les deux cas on irait à l’infini et ainsi périrait
toute connaissance."
6
"Et parce que le nombre est composé d’unités (Pythagore et Platon) ont cru
que les nombres seraient la substance de toutes choses" (Ia, qu. 11, a. 1, ad 1. Il y a chez eux
confusion entre l’unité transcendantale et l’unité prédicamentale qui est
l’unité d’une chose quantifiée, considérée comme indivisible et reçue comme
mesure de quantité.
7
Avicenne, Métaphysique, Trad. III, c.
2, 3 (p. 160 ss)
8
"…de sorte que la pluralité est logiquement antérieure à l’indivisible, en
raison des conditions de perception." (Trad. J. Tricot)
q. 9 a. 8 tit. 1 Octavo quaeritur utrum in Deo
sit aliqua diversitas. Et videtur quod sic.
Il semble que oui1.
Objections:
q. 9 a. 8 arg. 1 Quia, secundum philosophum, unum in substantia
facit idem, multitudo autem in substantia facit diversum. In divinis autem est
multitudo secundum substantiam, dicit enim Hilarius, quod pater et filius et
spiritus sanctus sunt per substantiam tria, per consonantiam vero unum. Ergo in
divinis est diversitas.
1. Parce que, selon le philosophe
(Métaphysique V, 6, 1015 b 18),
l’unité dans la substance fait l’identique, mais la pluralité apporte en elle la diversité. Mais en Dieu, il y a pluralité selon la substance, car
Hilaire dit (Les Synodes) que le
Père, le Fils et l’Esprit saint sont trois par la substance, mais un par
accord. Donc en Dieu il y a de la diversité.
q. 9 a. 8 arg. 2 Praeterea, secundum philosophum, diversum
dicitur absolute, differens vero relative; unde omne differens est diversum,
non autem omne diversum est differens. Sed in divinis conceditur esse
differentia; dicit enim Damascenus: differentiam personarum in tribus
proprietatibus, id est paternali et filiali et processibili recognoscimus. Ergo
in divinis est diversitas.
2. Selon le philosophe (Métaphysique
X, 3, 1054 b 23 ss2.) on parle de divers absolument, de différent relativement; c’est pourquoi
tout ce qui est différent est divers, mais tout ce qui est divers n’est pas
différent. Mais en Dieu on concède qu’il y a des différences; car Jean
Damascène (La foi orthodoxe III) dit:
"Nous reconnaissons la différence
des personnes en trois propriétés, c'est-à-dire la paternité, la filiation et
la procession." Donc il y a de la diversité en Dieu.
q. 9 a. 8 arg. 3 Praeterea, differentia accidentalis facit
alterum solum; differentia vero substantialis facit aliud, idest diversum. Cum
ergo in divinis sit differentia, et non possit ibi esse accidentalis
differentia,- et per consequens oportet quod sit differentia substantialis,-
oportet quod sit ibi diversitas.
3. La différence accidentelle rend différent seulement, mais la différence
substantielle fait que quelque chose est autre, c'est-à-dire divers. Donc comme
en Dieu il y a une différence et qu’il ne peut pas y avoir là de différence
accidentelle, — par conséquent il faut que ce soit une différence substantielle
— il faut qu’il y ait diversité.
q. 9 a. 8 arg. 4 Praeterea, multitudo causatur ex divisione,
sicut iam dictum est. Ubi autem est divisio sequitur diversitas. Ergo in
divinis cum sit multitudo, erit ibi diversitas.
4. La pluralité est causée par la division, comme on l’a déjà dit
(article précédent, qu. 9, a. 7, sol. 15). Mais là où il y a division découle
la diversité. Donc en Dieu, comme il y a pluralité, il y a diversité.
q. 9 a. 8 arg. 5 Praeterea, idem et diversum sufficienter
dividunt ens. Sed pater non est idem filio: non enim conceditur quod pater
generando filium, generet se Deum. Ergo filius est diversus a patre.
5. Le même et le divers divisent suffisamment l’étant. Mais le Père
n’est pas le même que le Fils, car il n’a pas été concédé que le Père en
engendrant le Fils s’engendrerait Dieu3.
Donc le Fils est différent du Père.
En sens contraire:
q. 9 a. 8 s. c. 1 Sed contra. Est quod Hilarius dicit: nihil in
divinis novum, nihil diversum, nihil alienum, nihil separabile.
1. Il y a ce que dit Hilaire (La Trinité, VII): "Rien de nouveau en Dieu, rien de divers, rien d’étranger, rien de
séparable."
q. 9 a. 8 s. c. 2 Praeterea, Ambrosius dicit: pater et filius
divinitate unum sunt, nec est ibi substantiae differentia, nec ulla diversitas.
2. Ambroise dit (La Trinité):
"Le Père et le Fils sont un par la
divinité, et il n’y a pas de différence de substance, ni aucune diversité."
Réponse:
q. 9 a. 8 co. Respondeo. Dicendum quod, sicut dicit Hieronymus,
ex verbis inordinate prolatis, incurritur haeresis. Et ideo sic loquendum est
de divinis ut nulla errori occasio praebeatur. Fuerunt autem circa divina duo
errores, praecipue cavendi ab illis qui de unitate et Trinitate in divinis
loquuntur: scilicet error Arii, qui unitatem essentiae negavit, ponens aliam
essentiam esse patris et aliam filii. Alius error est Sabelli, qui negavit
pluralitatem personarum dicens, eumdem esse patrem qui est filius.
Il faut dire, comme Jérôme, que l’hérésie provient des paroles
proférées sans mesure. Et c’est pourquoi il faut parler de Dieu, de sorte qu’il
n’y ait aucune occasion donnée à l’erreur. Mais il y a surtout deux erreurs à
propos de Dieu, qui doivent être évitées par ceux qui parlent d’unité et de
Trinité: à savoir l’erreur d’Arius qui a nié l’unité de l’essence, en
établissant que celle du Père était différente de celle du Fils. L’autre erreur
est celle de Sabellius, qui a nié la pluralité des personnes, en disant que le
Père était le même que le Fils.
Ad evitandum ergo errorem Arii sunt nobis quatuor cavenda in
fidei confessione:
primo diversitas per quam tollitur unitas essentiae, quam
confitemur dicendo esse unum Deum;
secundo divisio, quae obviat divinae
simplicitati;
Donc pour éviter l’erreur d’Arius, il faut faire attention dans la
confession de la foi à quatre sujets:
a) La diversité par laquelle on enlève l’unité de l’essence que nous
confessons en disant qu’il y a un seul Dieu.
b) La division qui s’oppose à la simplicité divine.
tertio disparitas, quae repugnat aequalitati divinarum
personarum;
quarto ut non confiteamur filium esse alienum a patre, per
quod tollitur similitudo.
c) La disparité qui s’oppose à l’égalité des personnes divines.
d) Ne pas confesser que le Fils est étranger au Père, ce qui supprime
la ressemblance.
Similiter contra errorem Sabelli sunt quatuor
cavenda.
Primo singularitas, per quam tollitur naturae
divinae communicabilitas;
secundo nomen unici, per quod tollitur realis
distinctio personarum;
De la même manière contre l’erreur de Sabellius, il faut faire
attention à quatre sujets:
a) La singularité par laquelle est supprimée la communicabilité de la
nature divine
b) Le nom d’unique par lequel est supprimée la réelle distinction des
personnes.
tertio confusio, per quam tollitur ordo qui est in divinis
personis;
c) La confusion, par laquelle est supprimé l’ordre qui est dans les
personnes divines.
quarto solitudo, per quam tollitur consociatio divinarum
personarum.
d) La solitude par laquelle est supprimée la communion des personnes
divines.
Confitemur autem contra diversitatem, unitatem essentiae;
contra divisionem, simplicitatem; contra disparitatem, aequalitatem; contra
alienum, similitudinem; contra singularitatem personarum, pluralitatem; contra
unicum, distinctionem; contra confusionem, discretionem; contra solitarium,
consonantiam et connexionem amoris.
Aussi nous confessons contre la diversité, l’unité de l’essence;
contre la division, la simplicité, contre la disparité, l’égalité, contre la
rupture la ressemblance, contre la singularité des personnes la pluralité,
contre l’unicité, la quantité discrète, contre la confusion, la distinction,
contre la solitude, l’accord et l’union de l’amour.
Solutions:
q. 9 a. 8 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod substantia
accipitur ibi pro hypostasi, non pro essentia, cuius multitudo faceret
diversitatem.
# 1. Donc il faut dire que la substance y est reçue pour l’hypostase,
non pour l’essence, dont la pluralité causerait la diversité.
q. 9 a. 8 ad 2 Ad secundum dicendum quod, licet a quibusdam
doctoribus Ecclesiae inveniatur nomen differentiae circa divina, non tamen est
communiter utendum, nec ampliandum, quia differentia importat distinctionem
aliquam secundum formam, quae non potest esse in divinis, cum forma Dei sit
divina natura, ut Augustinus dicit. Sed exponenda est differentia, ut ponatur
pro distinctione, quae minimum distinctionis importat; cum etiam secundum
relationes vel secundum solam rationem aliqua distingui dicantur. Sic etiam
exponendum est, si inveniatur diversitas in divinis; utpote si dicatur quod
diversa est persona patris a persona filii, accipiendum est diversum pro
distincto. Magis tamen cavendum est nomen diversitatis in divinis quam
differentiae; quia diversitas magis pertinet ad essentialem divisionem, nam
qualiscumque formarum multitudo facit differentiam; diversitas autem fit solum
per formas substantiales.
# 2. Bien que certains docteurs de l’Église emploient le nom de
différence à propos de Dieu, il ne faut cependant pas s’en servir communément,
ni élargir son emploi, parce que la différence apporte une distinction selon la
forme qui ne peut pas exister en Dieu, puisque la forme de Dieu est sa nature
divine, comme Augustin le dit. Mais il faut exposer la différence pour poser
comme distinction ce qui apporte un minimum de distinction, puisqu’on dit aussi
que certaines choses sont distinguées selon les relations par la seule raison.
Mais il faut montrer aussi, si on trouve la diversité en Dieu, que, si on
disait que la personne du Père est ‘diverse’ de celle du fils, il faut prendre
diverse pour distinct. Cependant il faut faire attention plus au nom de diversité en Dieu qu’à celui de différence; parce que la diversité
convient plus à la division essentielle, car n’importe quelle pluralité des
formes fait la différence; mais la diversité se fait seulement par les formes
substantielles.
q. 9 a. 8 ad 3 Ad tertium dicendum quod, licet in divinis non
sit accidens, est tamen ibi relatio, cuius oppositio distinctionem facit in
divinis, non autem diversitatem.
# 3. Bien qu’en Dieu il n’y ait pas d’accident, il y a cependant une
relation, dont l’opposition produit la distinction en lui mais pas la
diversité.
q. 9 a. 8 ad 4 Ad quartum dicendum quod, licet in divinis non
sit proprie loquendo divisio, est tamen ibi distinctio per relationes, quae
sufficit ad numerum personarum.
# 4. Bien qu’en Dieu il n’y ait pas à proprement parler de division, il
y a cependant une distinction par les relations qui suffit pour le nombre des
personnes.
q. 9 a. 8 ad 5 Ad quintum dicendum quod filius est idem Deus
cum patre; non tamen potest dici quod pater se Deum genuerit, filium generando:
quia ly se, cum sit reciprocum, refert idem suppositum: pater autem et filius
sunt duo supposita in divinis.
# 5. Le Fils est un même Dieu que le Père; on ne peut cependant pas
dire que le Père s’est engendré comme Dieu, en engendrant le Fils, parce que,
comme le pronom se est réciproque, il
remplace le même suppôt; mais le Père et le Fils sont deux suppôts en Dieu.
1 Parall.: Ia, qu. 31, a. 3 — I Sent. D. 9, qu. 1 — D. 19, qu. 1, a. 1, ad 2 — D. 24, qu. 2,
a. 1.
2
"Pour deux êtres qui sont autres, il n’est pas nécessaire que l’altérité
porte sur quelque chose de défini; car tout ce qui existant est autre ou le
même; par contre ce qui est différent
doit différer d’une chose déterminée par quelque endroit déterminé, de sorte
qu’il faut nécessairement qu’il y ait un élément identique par quoi les choses
diffèrent." (Autre correspond
ici à divers)Thomas, lectio 4, n°
2017: "…car deux [choses] dont l’une est ‘diverse’ de l’autre, il n’est
pas nécessaire qu’elle le soit par quelque chose (per aliquid)…". 2018: "Mais ce qui est différent doit
être différent par quelque chose. C’est pourquoi il est nécessaire que ce par
quoi ils diffèrent, soit quelque chose de semblable (idem) en ce qui ne
diffèrent pas ainsi. Ce qui est le même en plusieurs c’est le genre ou
l’espèce. Donc tout ce qui est différent diffère en genre ou en espèce."
3
Cf. I sent. d4q1a2.
q. 9 a. 9
tit. 1 Nono quaeritur utrum in divinis sint tres personae tantum, an plures vel
pauciores. Et videtur quod plures.
Il semble qu’il y en a plus.
Objections1:
q. 9 a. 9 arg. 1 Dicit enim Augustinus in libro contra Maximinum:
filius non genuit creatorem; neque enim non potuit, sed non oportuit. In
divinis autem non differt esse et posse, quia nec in aliquibus sempiternis.
Ergo filius genuit alium filium; et sic sunt duo filii in divinis, et per
consequens plures personae quam tres.
1. Augustin dit (Contre Maximinien, III, 11): "Le Fils n’a pas engendré le créateur, car ce
n’est pas qu’il ne l’a pas pu, mais il ne l’a pas fallu". Mais en Dieu
être et pouvoir ne diffèrent pas, parce qu’ils ne diffèrent pas dans les êtres
éternels non plus (selon le philosophe, Physique
III, 4 203 b 282). Donc le Fils a
engendré un autre Fils et ainsi il y a deux fils en Dieu et par conséquent il y
a plus de trois personnes.
q. 9 a. 9 arg. 2 Sed diceretur, quod hoc quod dicit: neque enim
non potuit, exponendum est: idest, non ex impotentia fuit.- Sed contra,
unicuique supposito alicuius naturae convenit actus naturae illius, nisi
propter eius impotentiam. Generatio autem est actus ad perfectionem naturae divinae
pertinens; alioquin non conveniret patri, in quo non est nisi quod perfectionis
est. Si ergo filius non generat alium filium, hoc erit ex impotentia eius.
2. Mais on pourrait dire que
ce qu’il dit: "Car c’est qu’il ne
l’a pas pu" doit être exposé ainsi: cela ne vient pas de l’impuissance
— En sens contraire, à chaque suppôt
d’une certaine nature convient l’acte de cette nature, à moins que ce soit à
cause de son impuissance. Mais la génération est un acte qui convient à la
perfection de la nature divine, autrement elle ne conviendrait pas au Père en
qui il n’y a que perfection. Si donc le Fils n’a pas engendré un autre fils,
cela viendra de son impuissance.
q. 9 a. 9 arg. 3 Praeterea, si filius non potest generare,
potest autem generari; habet ergo potentiam ut generetur, non potentiam ut
generet. Aliud autem est generare, et aliud generari. Cum ergo potentiae
distinguantur penes obiecta, non erit eadem potentia patris et filii, quod est
haereticum.
3. Si le Fils ne peut engendrer, il peut cependant être engendré; donc
il a la puissance d’être engendré et pas celle d’engendrer. Mais engendrer et
être engendré sont deux [puissances] différentes. Donc puisqu’elles sont
distinguées par leurs objets, il n’y aura pas la même puissance pour le Père et
le Fils, ce qui est hérétique.
q. 9 a. 9 arg. 4 Praeterea, actio et passio in his quae agunt
et patiuntur, reducuntur ad diversa principia; nam agit aliquid per rationem
formae in rebus creatis, patitur vero ratione materiae. Generare autem et
generari significantur per modum actionis et passionis. Ergo oportet quod ad
diversa principia referantur; et sic non potest esse una potentia qua pater
generat, et qua filius generatur.
4. L’action et la passion, en ce qui agit ou subit, sont ramenées à des
principes différents; car une chose agit en raison de la forme dans les
créatures, et subit en raison de la matière. Mais engendrer et être engendré
sont signifiés par l’action et la passion. Donc il faut qu’ils soient référés à
des principes différents et ainsi il ne peut pas n’y avoir qu’une seule
puissance par laquelle le Père engendre et le Fils est engendré.
q. 9 a. 9 arg. 5 Sed diceretur, quod est eadem potentia, in
quantum utraque radicatur in essentia divina, quae una est patris et filii.-
Sed contra, potentia calefaciendi et desiccandi radicantur in uno subiecto,
scilicet igne; nec tamen est una et eadem potentia: alia enim qualitas est
calor, qui est principium calefaciendi, et alia siccitas, quae est principium
desiccandi. Ergo unitas divinae essentiae non sufficit ad hoc quod sit eadem
potentia qua pater generat et filius generatur.
5. Mais on pourrait dire que
c’est la même puissance, dans la mesure où l’une et l’autre prennent leur
source dans l’essence divine, qui est unique pour le Père et le Fils. En sens contraire, la puissance de
chauffer et celle de sécher prennent leur source dans un seul sujet, à savoir
le feu; et cependant ce n’est pas une seule et même puissance; car la qualité
de la chaleur qui est le principe de l’échauffement est différente de l’assèchement
qui est le principe du séchage. Donc l’unité de l’essence divine ne suffit pas
pour que la puissance par laquelle le Père engendre et celle par laquelle le
Fils est engendré soient identiques.
q. 9 a. 9 arg. 6 Praeterea, omnis sapiens et intelligens ex sua
sapientia aliquam conceptionem habet. Sed filius est sapiens et intelligens,
sicut et pater. Ergo habet aliquam conceptionem. Conceptio autem patris est
verbum: quod est filius. Ergo filius etiam habet alium filium.
6. Tout être sage et intelligent tire une conception par sa sagesse.
Mais le Fils est sage et intelligent, comme le Père. Donc il a une conception3. Mais celle du Père est le Verbe, qui est le
Fils. Donc le Fils aussi a un autre fils.
q. 9 a. 9 arg. 7 Sed diceretur, quod verbum dicitur in divinis
non solum personaliter, sed essentialiter; et sic verbum essentialiter dictum
potest esse conceptio filii.- Sed contra, verbum dicit speciem conceptam
ordinatam ad manifestationem, et ita importat originem. Quae autem important
originem in divinis, dicuntur personaliter, et non essentialiter. Ergo verbum
essentialiter dici non potest.
7. Mais on pourrait dire
qu’on parle du verbe en Dieu, non seulement personnellement mais aussi selon
l’essence; et ainsi le verbe, si on en parle selon l’essence peut être la
conception du Fils. — En sens contraire,
le verbe annonce l’espèce conçue ordonnée à une manifestation et ainsi il
apporte l’origine. Mais on parle de ce qui apporte l’origine en Dieu selon la
personne et non selon l’essence. Donc on ne peut pas parler du verbe selon
l’essence.
q. 9 a. 9 arg. 8 Praeterea, Anselmus dicit in Monologio, quod
sicut pater dicit se, ita et filius et spiritus sanctus. Idem autem est patrem
dicere se, quod generare filium, ut ipse ibidem dicit. Ergo filius generat
alium filium; et sic idem quod prius.
8. Anselme dit dans le Monologium
(62), que, de même que le Père se
dit; le Fils et l’Esprit saint aussi. C’est la même chose pour le Père de se
dire et d’engendrer le Fils, comme Anselme lui même le dit. Donc le Fils
engendre un autre Fils et ainsi de même que ci-dessus.
q. 9 a. 9 arg. 9 Praeterea, ex hoc probatur quod Deus generat,
quia generationem aliis tribuit, secundum illud Isai. LXVI, 9: si ego qui
generationem caeteris tribuo, sterilis ero? Dicit dominus. Sicut autem pater
dat generationem, ita et filius, quia indivisa sunt opera Trinitatis, et filius
generat filium.
9. On prouve que Dieu engendre, du fait qu’il accorde la génération à
d’autres, selon cette parole d’Isaïe (65, 9): "Ainsi moi, qui apporte la génération aux autres, serai-je stérile? dit
le Seigneur." De même que le Père donne la génération, le Fils aussi
parce que les œuvres de la Trinité ne sont pas divisées et le Fils engendre un
fils.
q. 9 a. 9 arg. 10 Praeterea, Augustinus dicit in Lib. ad
Orosium, quod pater generat filium natura. Damascenus etiam
dicit, quod generatio est opus naturae. Eadem autem est natura patris et filii.
Ergo sicut pater generat, ita et filius; sunt ergo plures filii in divinis, et
ita plures personae quam tres.
10. Augustin dit (A Orose,
Dialogue sur les 65 quest. ch. 74)
que le Père engendre le Fils par nature; Jean Damascène dit aussi que la
génération est l’œuvre de la nature. La nature du Père est identique à celle du
Fils. Donc de même que le Père engendre, le Fils aussi, donc il y a plusieurs
fils en Dieu et ainsi plus de trois personnes.
q. 9 a. 9 arg. 11 Sed dicendum, quod ea ratione non possunt
esse plures filii in divinis, quia non potest ibi esse nisi una filiatio; forma
enim unius speciei non multiplicatur nisi per divisionem materiae, quae nulla
est in divinis.- Sed contra, omnis differentia nata est facere pluralitatem.
Potest autem esse differentia inter duas filiationes, non solum ex materia, sed
etiam ex hoc quod haec filiatio est talis, illa vero talis. Ergo nihil prohibet
plures filiationes ponere in divinis, licet ibi non sit materia.
11. Mais il faut dire qu’il
ne peut pas y avoir plusieurs fils en Dieu, parce qu’il ne peut y avoir qu’une
seule filiation; car la forme d’une espèce n’est multipliée que par la division
de la matière, qui n’existe pas en Dieu. — En
sens contraire, toute différence est destinée à provoquer la pluralité.
Mais il peut y avoir une différence entre deux filiations, non seulement par la
matière, mais aussi du fait que cette filiation est différente d’une autre.
Donc rien n’empêche de placer plusieurs filiations en Dieu, bien qu’il n’y ait
pas de matière.
q. 9 a. 9 arg. 12 Praeterea, filius procedit a patre sicut
splendor a sole, secundum illud Hebr., I, 3: cum sit splendor gloriae. Sed
splendor etiam potest alium splendorem producere. Ergo et filius potest alium
filium generare; et sic sequitur quod in divinis sint plures filii, et personae
plures tribus.
12. Le Fils procède du Père comme la splendeur procède du soleil, selon
ce mot de Héb. 1, 3: "Puisqu’il est la splendeur de gloire…" Mais la splendeur peut aussi
produire une autre splendeur. Donc le Fils aussi peut engendrer un autre Fils
et ainsi il en découle qu’en Dieu il y a plusieurs fils et plus de trois
personnes.
q. 9 a. 9 arg. 13 Praeterea, spiritus sanctus est amor quo
pater diligit filium. Sed etiam spiritum sanctum amat pater. Ergo oportet quod
sit alius spiritus quo pater amat spiritum sanctum; et sic quatuor sunt
personae in divinis.
13. L’Esprit saint est l’amour par lequel le Père aime le Fils. Mais il
aime aussi l’Esprit saint. Donc il faut qu’il y ait un autre esprit par lequel
le Père aime l’Esprit et ainsi il y a quatre personnes en Dieu.
q. 9 a. 9 arg. 14 Praeterea, secundum Dionysium bonum est
communicativum sui. Bonitas autem spiritui sancto appropriatur, sicut potentia
patri et sapientia filio. Ergo propriissime ad spiritum sanctum pertinere
videtur quod naturam divinam alii personae communicet; et sic sunt plures
tribus personis in divinis.
14. Selon Denys (Les Noms divins,
45), le bien se communique. Mais la
bonté est appropriée à l’Esprit saint, comme la puissance au Père et la sagesse
au Fils. Donc il semble convenir tout à fait au sens propre que l’Esprit saint
communique la nature divine à une autre personne et ainsi il y a plus de trois
personnes en Dieu.
q. 9 a. 9 arg. 15 Praeterea, secundum philosophum in IV
Meteororum, perfectum unumquodque est, quando potest sibi simile ex se
producere. Spiritus autem sanctus est perfectus Deus. Ergo potest aliam divinam
personam producere; ergo, et cetera.
15. Selon le philosophe (Météores
IV, de l’Âme II, 4, 415 a 25),
chaque chose est parfaite quand elle peut produire du semblable à elle. Mais
l’Esprit saint est un Dieu parfait. Donc il peut produire une autre personne
divine, donc, etc..
q. 9 a. 9 arg. 16 Praeterea, filius a patre divinam naturam non
recipit perfectius quam spiritus sanctus. Recipit autem filius a patre divinam
naturam non solum passive (ut ita dixerim) quasi ab eo genitus, sed etiam
active, quia potest eamdem naturam alii communicare. Ergo et spiritus sanctus
divinam naturam potest alii personae communicare.
16. Le Fils n’a pas reçu du Père la nature divine plus parfaitement que
l’Esprit saint, mais il a reçu du Père la nature divine non seulement de façon
passive (pour ainsi dire) comme engendré par lui, mais aussi de façon active,
parce qu’il peut communiquer cette même nature à un autre. Donc l’Esprit saint
peut communiquer la nature divine à une autre personne.
q. 9 a. 9 arg. 17 Praeterea, quod est perfectionis in rebus
creatis, oportet Deo attribui. Communicare autem naturam ad perfectionem in
rebus creatis pertinet, licet modus communicandi aliquam imperfectionem habeat,
in quantum talem communicationem consequitur aliqua divisio, vel aliqua
transmutatio generantis. Ergo communicare divinam naturam est perfectionis in
Deo; et ita spiritui sancto est attribuendum. Procedit ergo a spiritu sancto
aliqua divina persona; et sic sequitur quod in divinis sint personae plures
tribus.
17. Ce qui concerne la perfection dans les créatures, doit être
attribué à Dieu, mais communiquer la nature convient à la perfection, bien que
ce mode de communication ait quelque imperfection, dans la mesure où il en
découle une division, ou quelque changement de celui qui engendre. Donc
communiquer la nature divine appartient à la perfection de Dieu; et ainsi il
faut l’attribuer à l’Esprit saint. Donc une personne divine procède de l’Esprit
saint et il en découle qu’il y a plus de trois personnes en Dieu.
q. 9 a. 9 arg. 18 Praeterea, sicut divinitas est quoddam bonum
in patre, ita et paternitas. Ex eo autem quod nullius boni sine consortio
potest esse iucunda possessio, probatur a quibusdam quod sunt plures habentes
divinam naturam. Ergo pari ratione sunt plures patres in divinis; et similiter
plures filii, et plures spiritus sancti; et ita personae plures tribus.
18. De même que la divinité est un bien dans le Père, la paternité aussi.
Du fait qu’une possession agréable6 ne
peut exister sans partage d’aucun bien, certains prouvent qu’il y a plus de
personnes qui ont la nature divine. Donc à raison égale, il y a plusieurs pères
et de même plusieurs fils et plusieurs esprits saints. Et ainsi les personnes
sont plus de trois.
q. 9 a. 9 arg. 19 Praeterea, filius et spiritus videntur
distingui ab invicem in hoc quod filius procedit a patre per modum intellectus
ut verbum: spiritus sanctus per modum voluntatis ut amor. Sunt autem plura
attributa essentialia quam voluntas et intellectus, ut bonitas, potentia et
huiusmodi. Ergo plures personae procedunt a patre quam filius et spiritus
sanctus.
19. Le Fils et l’Esprit semblent se distinguer entre eux du fait que le
Fils procède du Père par mode d’intellect comme Verbe, l’Esprit saint par mode
de volonté comme amour. Mais il y a plus d’attributs essentiels que la volonté
et l’intellect, comme la bonté, la puissance, etc.. Donc il y a plus de
personnes qui procèdent du Père que le Fils et l’Esprit saint.
q. 9 a. 9 arg. 20 Praeterea, processio naturae plus videtur
differre a processione intellectus quam processio voluntatis. In rebus autem
creatis processionem intellectus semper concomitatur processio voluntatis, quia
quaecumque aliquid intelligunt, etiam aliquid volunt; processionem autem
naturae non semper concomitatur processio intellectus quia non in omnibus quae
naturaliter generant, intellectus invenitur. Si ergo persona quae procedit per
modum voluntatis ut amor, est alia in divinis a persona quae procedit per modum
intellectus ut verbum, etiam erit persona quae procedit per modum intellectus
ut verbum, alia a persona quae procedit per modum naturae ut filius. Sunt ergo
tres personae procedentes in divinis, et una non procedens; et sic sunt quatuor
personae.
20. La procession de nature paraît différer davantage de la procession
de l’esprit que de celle de la volonté. Dans les créatures, la
procession de la volonté est toujours concomitante avec celle de l’esprit,
parce que tout ce qui comprend quelque chose le veut aussi; mais la procession
de l’esprit n’est pas toujours concomitante avec celle de la nature, parce que
ce n’est pas dans tout ce qui engendre naturellement qu’on trouve l’esprit.
Donc si la personne qui procède par mode de volonté comme amour, est autre en
Dieu que la personne qui procède par mode d’intellect, comme verbe, la personne
qui procède de l'esprit comme verbe sera autre que celle qui procède par nature
comme fils. Donc il y a trois personnes qui procèdent en Dieu et une qui ne
procède pas et ainsi il y a quatre personnes.
q. 9 a. 9 arg. 21 Praeterea, personae multiplicantur in divinis
propter relationes, quae subsistunt. Ponuntur autem in divinis quinque
relativae notiones, scilicet paternitas, filiatio, processio, innascibilitas,
et communis spiratio. Sunt ergo quinque personae in divinis.
21. Les personnes sont multipliées en Dieu en raison des relations qui
subsistent. Mais on place en lui cinq notions relatives, à savoir: la
paternité, la filiation, la procession, l’innascibilité et la spiration
commune. Donc il y a cinq personnes.
q. 9 a. 9 arg. 22 Praeterea, relationes quae ab aeterno de Deo
dicuntur, non sunt in creaturis, sed in Deo. Quidquid autem est in Deo, est
subsistens, cum in Deo non sit aliquod accidens. Omnes ergo relationes quae ab
aeterno Deo conveniunt, sunt subsistentes, et per consequens sunt personae.
Tales autem sunt infinitae; nam ideae rerum creatarum ab aeterno sunt in Deo,
quae non distinguuntur ab invicem nisi per respectus ad creaturas. Sunt ergo
infinitae personae in divinis.
22. Les relations qu’on dit éternelles en Dieu n’existent pas dans les
créatures, mais en lui. Tout ce qui est en lui est subsistant puisqu’il n’y a
en lui aucun accident. Donc toutes les relations, qui conviennent éternellement
à Dieu, sont subsistantes et par conséquent sont des personnes. De telles
relations sont infinies, car les idées des créatures sont éternellement en Dieu;
elles ne sont distinguées entre elles que par des rapports aux créatures. Donc
les personnes sont en Dieu à l’infini.
q. 9 a. 9 arg. 23 Sed contra, videtur quod sint pauciores
tribus.
23. En sens contraire: il semble qu’elles sont moins de trois.
In una enim natura non est nisi unus modus communicationis
illius naturae; unde, secundum Commentatorem, animalia quae generantur ex
semine, non sunt unius speciei cum animalibus ex putrefactione generatis. Divina autem natura
est maxime una. Ergo non potest communicare nisi uno modo. Sic ergo non possunt
esse nisi duae personae, una divinitatem communicans per aliquem modum, et
persona per illum modum divinitatem recipiens.
Car dans une seule nature il n'y a qu’un mode de communication; c’est
pourquoi, selon le Commentateur (Physique VIII), les animaux qui sont
engendrés par semence ne sont pas de la même espèce que les animaux engendrés
par putréfaction. Mais la nature divine est tout à fait une. Donc elle ne peut
communiquer que d’une seule manière. Donc ainsi il ne peut y avoir que deux
personnes, une qui communique la divinité d’une manière et la personne qui la
reçoit de cette manière.
q. 9 a. 9 arg. 24 Praeterea, Hilarius, ostendit filium
naturaliter a patre procedere, quia talis existit qualis Deus est; creaturas
vero a Deo procedere voluntarie, quia tales sunt quales eas voluit Deus esse,
non qualis est Deus. Sed spiritus sanctus, sicut et filius, talis est qualis
est Deus pater. Ergo spiritus sanctus procedit naturaliter a patre, sicut et
filius. Non ergo est distinctio inter spiritum sanctum et filium ex eo quod filius
procedit per modum naturae non autem spiritus sanctus.
24. Hilaire (Les Synodes7) montre que le Fils procède naturellement du
Père, parce qu’il existe tel que Dieu est; mais les créatures procèdent de Dieu
volontairement, parce qu’elles sont telles qu’il les a voulues, non telles que
Dieu. Mais l’Esprit saint comme le Fils aussi est tel que Dieu le Père. Donc
l’Esprit saint procède naturellement du Père comme le Fils. Il n’y a donc pas
de distinction entre l’Esprit saint et le Fils du fait que celui-ci procède par
mode de nature mais pas l’Esprit saint.
q. 9 a. 9 arg. 25 Praeterea, natura voluntatis et intellectus
non differunt in Deo nisi secundum rationem tantum. Ergo processio per modum
naturae et intellectus et voluntatis non differunt in Deo nisi ratione tantum.
Si ergo per hoc distinguuntur filius et spiritus sanctus, quod unus procedit
per modum naturae vel intellectus, et alius per modum voluntatis, non erunt
distincti nisi secundum rationem. Ergo non erunt duae personae, cum pluralitas
personarum, rerum pluralitatem importet.
25. La nature de la volonté et celle de l’intellect en Dieu ne sont
différentes qu’en raison seulement. Donc la procession par mode de nature,
celle par mode d’intellect et celle par mode de volonté ne diffèrent qu’en
raison seulement. Si donc le Fils et l’Esprit saint sont distingués, parce que
l’un procède par mode de nature ou d’intellect, l’autre par mode de volonté,
ils ne sont différents qu’en raison. Donc il n’y aura que deux personnes, puisque
la pluralité des personnes apporte la pluralité des réalités.
q. 9 a. 9 arg. 26 Praeterea, personae in divinis distinguuntur
solum secundum relationes originis. Ad designandam autem originem sufficiunt
duae relationes, scilicet a quo alius, et qui ab alio. Ergo in divinis non sunt
nisi duae personae.
26. Les personnes en Dieu se distinguent seulement selon les relations
d’origine. Pour désigner l’origine, il suffit de deux relations, à savoir "celui
par qui il est autre" et "celui qui est d’un autre8". Donc en Dieu il n’y a que deux
personnes.
q. 9 a. 9 arg. 27 Praeterea, omnis relatio exigit duo extrema.
Sicut ergo in divinis personae non distinguuntur nisi secundum relationem: ita
oportet quod sint in divinis vel duae relationes, et sic erunt quatuor personae;
vel una relatio tantum, et sic erunt solum duae personae.
27. Toute relation exige deux extrêmes. Donc de même qu’en Dieu les
personnes ne sont distinguées que par la relation, il faut qu’il y ait en lui
ou bien deux relations et ainsi il y aura quatre personnes, ou bien une seule
et il y aura seulement deux personnes.
En sens contraire:
q. 9 a. 9 s. c. 1
Sed contra, videtur quod sint tantum tres personae in divinis, per hoc quod
dicitur I Ioan. V, 7: tres sunt qui testimonium dant in caelo. Interrogantibus
autem quid tres, respondit Ecclesia, quod tres personae, ut dicit Augustinus.
Ergo in divinis sunt tres personae.
# 1.Il semble qu’il n’y a que trois personnes en Dieu. Par le fait
qu’il est dit en I Jn 5, 7: "Ils sont trois qui portent témoignages dans le ciel9.". Mais à ceux qui demandent qui sont
ces trois, l’Église répond: trois personnes, comme le dit Augustin (La Trinité, VII, 4). Donc en Dieu il y a
trois personnes.
q. 9 a. 9 s. c. 2 Praeterea, ad perfectionem divinae bonitatis,
felicitatis et gloriae requiritur, quod sit in Deo vera et perfecta caritas;
nihil enim est caritate melius, nihil caritate perfectius, ut dicit Richardus
in III de Trinitate. Felicitas autem absque iucunditate non est, quae maxime
per caritatem habetur. Ut enim in eodem libro dicitur, nihil caritate dulcius,
nihil caritate iucundius, caritatis deliciis rationalis vita nihil dulcius
experitur, nulla delectatione delectabilius fruitur. Perfectio etiam gloriae in
quadam magnificentia perfectae communicationis consistit, quam caritas facit.
Vera autem et perfecta caritas requirit in divinis ternarium numerum
personarum. Amor enim quo aliquis se tantum diligit, est amor privatus, et non
caritas vera. Alium autem summe Deus diligere non potest qui non sit summe
diligibilis; nec summe diligibilis est, nisi sit summe bonus. Unde patet quod
vera caritas in Deo summa esse non potest si sit ibi tantum una persona; nec
etiam perfecta, si sint duae tantum: quia ad perfectionem caritatis requiritur
quod amans velit id quod ab eo amatur, etiam aeque ab alio diligi. Indicium
namque magnae infirmitatis est non posse pati consortium amoris; posse vero
pati, signum magnae perfectionis. Magis gratanter suscipere, maximo est
desiderio requirere, ut dicit Richardus in eodem Lib. Oportet ergo, si sit in
Deo perfectio bonitatis, felicitatis et gloriae, quod sit in divinis ternarius
personarum numerus.
#2. Pour la perfection de la divine bonté, de son bonheur et de sa
gloire, il est requis qu’il y ait en Dieu une charité vraie et parfaite, car
rien n’est meilleur, rien de plus parfait que la charité comme le dit Richard (La Trinité, III, 2). Mais le bonheur
n’existe pas sans la joie; qui est surtout possédée par la charité. En effet,
comme il est dit dans le même livre ( ch. 5):"Rien n’est plus doux que la charité, rien de plus joyeux. La vie
raisonnable n’éprouve rien de plus doux que les délices de la charité, ne jouit
plus agréablement d’aucun plaisir".
Mais la perfection de la gloire consiste dans une certaine magnificence de
la communication parfaite qu’opère la charité. Mais la charité vraie et
parfaite requiert en Dieu le nombre de trois personnes. Car l’amour par lequel
quelqu’un s’aime seulement est un amour privé, et non une charité vraie. Dieu
ne peut pas aimer un autre absolument qui ne soit pas absolument digne d’amour;
et il n’est pas absolument digne d’amour s’il n’est pas suprêmement bon. C’est
pourquoi il est clair que la vraie charité en Dieu ne peut pas être parfaite, s’il n’y a qu’une personne seulement, et
elle n’est pas parfaite, s’il y a deux
personnes seulement, parce que pour la perfection de la charité il est
requis que celui qui aime veuille ce que l’autre aime, et aussi être aimé
également par un autre. Car c’est une marque de grande faiblesse de ne pas
pouvoir supporter l’accord de l’amour; mais pouvoir supporter est le signe
d’une grande perfection. "Recevoir
avec plus de reconnaissance c’est rechercher avec un très grand désir"
comme le dit Richard dans le même livre. Il faut donc, s’il y a en Dieu la
perfection de la bonté, du bonheur et de la gloire qu’il y ait en Dieu le
nombre de trois personnes.
q. 9 a. 9 s. c. 3 Praeterea, cum bonum sit communicativum sui,
perfectio divinae bonitatis requirit quod Deus summe sua communicet. Si autem
esset tantum una persona in divinis, non summe communicaret suam bonitatem:
creaturis enim non summe se communicat; si vero essent solum duae personae, non
communicarentur perfecte deliciae mutuae caritatis. Oportet ergo esse secundam
personam, cui perfecte communicetur divina bonitas, et tertiam cui perfecte
communicentur divinae caritatis deliciae.
# 3. Comme le bien se communique, la perfection de la divine bonté
requiert que Dieu communique au plus haut point ce qui est à lui10. Mais s’il n’y avait seulement qu’une
personne en Dieu, il ne communiquerait pas sa bonté au plus haut point; car il
ne se communique pas au plus haut point aux créatures; mais s’il n’y avait que
deux personnes, les délices mutuelles de la charité ne seraient pas
parfaitement communiqués. Il faut donc qu’il y ait une seconde personne à qui
la bonté divine est communiquée parfaitement et une troisième à qui sont
communiqués parfaitement les délices de la charité divine.
q. 9 a. 9 s. c. 4 Praeterea, ad amorem tria requiruntur,
scilicet amans, id quod amatur, et ipse amor, ut Augustinus dicit in VIII de
Trinitate. Duo autem mutuo se amantes, sunt pater et filius; amor autem qui est
eorum nexus est spiritus sanctus. Sunt ergo tres personae in divinis.
4. Trois choses sont requises pour l’amour, à savoir celui qui aime, ce
qui est aimé et l’amour même; comme Augustin le dit (La Trinité, VIII, livre IX, 1 et 2). Les deux qui s’aiment
mutuellement sont le Père et le Fils; mais l’amour qui est leur lien est
l’Esprit saint. Donc il y a trois personnes en Dieu.
q. 9 a. 9 s. c. 5 Praeterea, sicut Richardus dicit, in V de
Trinitate, in rebus humanis videbis quod persona de personis procedit tribus
modis: quandoque immediate tantum, sicut Eva de Adam; quandoque mediate tantum,
sicut Enoch de Adam; quandoque immediate et mediate simul, sicut Seth de Adam;
immediate in quantum eius filius fuit, mediate vero in quantum fuit filius Evae
quae ab Adam processit. In divinis autem non potest procedere persona de
persona mediate tantum, quia non esset ibi summa germanitas. Relinquitur ergo
quod in divinis sit una persona quae non procedit ab alia, scilicet persona
patris, a qua procedunt aliae personae; una immediate tantum, scilicet filius;
alia mediate simul et immediate, scilicet spiritus sanctus, qui ex patre
filioque procedit. Ergo est personarum ternarius in divinis.
5. Comme Richard le dit (La
Trinité, V, 6) chez les hommes, on verra que la personne procède de la
personne par trois moyens: quelquefois sans intermédiaire, seulement, comme Ève
d’Adam, quelquefois avec intermédiaire seulement, comme Énoch à partir d’Adam;
quelquefois avec et sans intermédiaire, en même temps, comme Seth d’Adam; sans
intermédiaire en tant qu’il fut son fils, avec intermédiaire seulement en tant
qu’il fut le fils d’Ève qui a procédé d'Adam. Mais en Dieu la personne ne peut
pas procéder avec intermédiaire parce qu’il n’y aurait pas une communauté
d’origine parfaite. Il reste donc qu’il y a une personne, qui ne procède pas
d’une autre, à savoir celle du Père, de laquelle procèdent les autres, une
seulement sans intermédiaire à savoir le Fils, l’autre avec ou sans
intermédiaire en même temps, à savoir l’Esprit saint, qui procède du Père et du
Fils. Donc il y a trois personnes en Dieu.
q. 9 a. 9 s. c. 6 Praeterea, inter dare plenitudinem
divinitatis et non accipere, et accipere et non dare, medium est dare et
accipere. Dare autem plenitudinem divinitatis et non accipere, pertinet ad
personam patris; accipere vero et non dare, pertinet ad personam spiritus
sancti. Oportet ergo esse tertiam personam, quae plenitudinem divinitatis et
det et accipiat; et haec est persona filii. Sunt ergo tres personae in divinis.
6. Entre donner la plénitude de la divinité et ne pas recevoir et entre
recevoir et ne pas donner, l’intermédiaire est donner et recevoir. Mais donner
la plénitude de la divinité et ne pas la recevoir convient à la personne du
Père, recevoir et ne pas donner convient à la personne de l’Esprit saint. Il faut
donc qu’il y ait une troisième personne qui donne et reçoit la plénitude de la
divinité et cette personne c’est celle du Fils. il y a donc trois personnes en
Dieu.
Réponse:
q. 9 a. 9 co.
Respondeo. Dicendum quod, secundum positionem haereticorum, nullo modo potest
poni certus personarum numerus in divinis.
Selon l’opinion des hérétiques, on ne peut en aucune manière poser un
nombre certain de personnes en Dieu.
Intellexit enim Arius personarum Trinitatem hoc modo, quod
filius et spiritus sanctus essent quaedam creaturae; quod etiam Macedonius de
spiritu sancto sensit. Processio autem creaturarum a Deo non de necessitate
certo numero terminatur, cum divina virtus ex sua infinitate hoc habeat quod
omnem creaturae modum, speciem et numerum excedat. Unde si Deus pater
omnipotens creavit duas excellentissimas creaturas, quas Arius dicit filium et
spiritum sanctum, non est remotum quin alias aequales vel etiam maiores creare
poterit.
Car Arius11,
a compris la Trinité des personnes de telle manière que le Fils et l’Esprit
saint seraient des créatures. Ce que Macédonius12 a pensé de l’Esprit saint. Mais la
procession des créatures de Dieu ne se termine pas nécessairement à un certain
nombre, puisque le pouvoir divin par son infinité dépasse tout mode de
créature, toute espèce et nombre. C’est pourquoi, si Dieu, le Père
tout-puissant, a créé deux super créatures, qu’Arius appelle le Fils et
l’Esprit saint, il n’est pas exclus qu’il ait pu en créer d’autres, égales ou
même plus grandes.
Sabellius autem posuit quod pater et filius et spiritus
sanctus non distinguuntur nisi nomine et ratione; quae etiam patet in infinitum
posse multiplicari, secundum quod ratio nostra infinitis modis de Deo cogitare
potest ex variis effectibus, et eum diversimode nominare.
Sabellius13 aussi a pensé que le Père, le Fils et
l’Esprit saint ne se distinguent que par le nom et la nature; ce qui paraît
pouvoir être multiplié à l’infini selon que notre raison peut penser à propos
de Dieu par des modes infinis, par des effets variées et donner des noms
divers.
Sola autem Catholica fides, quae ponit unitatem divinae
naturae in personis realiter distinctis, ternarii numeri potest rationem in divinis
assignare. Impossibile enim est quod una natura simplex sit nisi in uno sicut
in principio. Unde Hilarius dicit, quod qui confitetur in divinis duos
innascibiles, confitetur duos deos; unum enim Deum praedicari natura unius
innascibilis Dei exigit.
Mais seule la foi catholique,
qui pose l’unité de la nature divine dans des personnes réellement distinctes
peut donner la raison du nombre trois en Dieu. Car il est impossible qu’une
nature simple existe sinon dans une seule réalité, comme en son principe. C’est
pourquoi Hilaire (Les Synodes14) dit que celui qui confesse en Dieu deux
[personnes] incréées confessent deux dieux; car la nature d’un Dieu incréé
exige d’attribuer un seul Dieu.
Unde et quidam philosophi dixerunt, quod in rebus quae sunt
sine materia non potest esse pluralitas nisi secundum originem. Una enim natura
potest in pluribus esse ex aequo propter materiae divisionem, quae in Deo locum
non habet.
C’est pourquoi certains
philosophes ont dit que, dans les êtres immatériels, il ne peut y avoir de
pluralités que selon l’origine. Car une seule nature peut être en plusieurs à
égalité à cause de la division de la matière; ce qui n’a pas de place en Dieu.
Unde impossibile est ponere in divinis nisi unam personam
innascibilem quae ab alio non procedat. Si autem ab eo aliae personae
procedant, oportet quod hoc sit per aliquam actionem. Non autem per actionem
transeuntem in id quod est extra agentem, sicut calefacere vel secare sunt
actiones ignis et serrae, et creatio ipsius Dei; quia sic personae procedentes
essent extra naturam divinam.
A partir de là, il n’est possible de poser en Dieu qu’une seule
personne incréée qui ne procède pas d’une autre. Mais si d’autres personnes
procèdent de lui, il faut que cela soit par une action. Mais pas par une action
transitive hors de l’agent, comme réchauffer ou couper sont les actions du feu
et de la scie et la création, de Dieu lui-même; parce qu’ainsi les personnes
procéderaient hors de la nature divine.
Relinquitur ergo quod processio personarum in unam naturam
divinam non sit nisi secundum operationes quae non transeunt extra, sed manent
in operante. Hae autem in natura intellectuali sunt solum duae, scilicet
intelligere et velle. Secundum autem utramque earum invenitur aliquid procedens
cum hae operationes perficiuntur. Ipsum enim intelligere non perficitur nisi
aliquid in mente intelligentis concipiatur, quod dicitur verbum; non enim
dicimur intelligere, sed cogitare ad intelligendum, antequam conceptio aliqua
in mente nostra stabiliatur. Similiter etiam ipsum velle perficitur amore ab
amante per voluntatem procedente, cum amor nihil sit aliud quam stabilimentum
voluntatis in bono volito.
Il reste donc que la procession des personnes dans une seule
nature divine n’est que selon les opérations qui ne passent pas à l’extérieur,
mais demeurent dans celui qui opère. Mais celles-ci, dans une nature
intellectuelle, ne sont que deux, l’intellection et le vouloir. Selon l’une et
l’autre on trouve quelque chose qui procède quand ces opérations
s’accomplissent. Car l’intellection n’est achevée que si quelque chose est
conçu dans l’esprit de celui qui pense; ce qui est appelé le verbe; car on ne dit pas qu’on comprend mais qu’on pense pour
comprendre avant qu’une conception s’établisse dans notre esprit. De même aussi
le vouloir est achevé par l’amour de
celui qui aime et procède par volonté, puisque l’amour n’est rien d’autre que
le soutien de la volonté dans le bien qui est voulu.
Verbum autem et amor in creatura quidem non sunt personae
subsistentes in natura intelligente et volente. Intelligere enim et velle
creaturae non est esse eius. Unde verbum et amor sunt quaedam supervenientia
creaturae intelligenti et volenti, sicut accidentia quaedam. Cum autem in Deo
idem sit esse, intelligere et velle, necessarium est quod verbum et amor in Deo
non accidant, sed subsistant in natura divina. Non autem est in Deo nisi unum
simplex intelligere et unum simplex velle, quia intelligendo essentiam suam,
intelligit omnia; et volendo bonitatem suam, vult omnia quae vult. Non est ergo
nisi unum verbum et unus amor in divinis.
Mais le verbe et l’amour dans la créature ne sont pas des personnes
subsistantes dans une nature intellectuelle et volontaire. Car l’intellection
et le vouloir de la créature ne sont pas son être. C’est pourquoi le verbe et
l’amour s’ajoutent à la créature qui pense et qui veut, comme des accidents.
Mais comme en Dieu l’être, l’intellection et le vouloir sont identiques, il est
nécessaires que le verbe et l’amour n’arrivent pas en lui comme des accidents,
mais subsistent dans sa nature. Il n’y a en lui qu’une intellection une et
simple et un vouloir un et simple, parce qu’en pensant son essence, il pense
tout; et en voulant sa bonté, il veut tout ce qu’il veut. Donc, il n’y a qu’un
verbe et un amour en Dieu.
Ordo autem intelligendi et volendi aliter se habet in Deo et
nobis. Nos enim cognitionem intellectivam a rebus exterioribus accipimus; per
voluntatem vero nostram in aliquid exterius tendimus tamquam in finem. Et ideo
intelligere nostrum est secundum motum a rebus in animam; velle vero secundum
motum ab anima ad res. Deus autem non accipit scientiam a rebus, sed per
scientiam suam causat res; nec per voluntatem suam tendit in aliquid exterius
sicut in finem, sed omnia exteriora ordinat in se sicut in finem. Est ergo tam
in nobis quam in Deo circulatio quaedam in operibus intellectus et voluntatis;
nam voluntas redit in id a quo fuit principium intelligendi: sed in nobis
concluditur circulus ad id quod est extra, dum bonum exterius movet intellectum
nostrum, et intellectus movet voluntatem, et voluntas tendit per appetitum et
amorem in exterius bonum; sed in Deo iste circulus clauditur in se ipso. Nam
Deus intelligendo se, concipit verbum suum, quod est etiam ratio omnium
intellectorum per ipsum, propter hoc quod omnia intelligit intelligendo seipsum:
et ex hoc verbo procedit in amorem omnium et sui ipsius. Unde dixit quidam,
quod monas monadem genuit, et in se suum
reflectit ardorem. Postquam vero circulus conclusus est, nihil ultra addi
potest; et ideo non potest sequi tertia processio in natura divina, sed
sequitur ulterius processio in exteriorem naturam.
Mais l’ordre de l’intellection et du vouloir se comporte différemment
en Dieu et en nous; car nous recevons la connaissance intellectuelle de
l’extérieur; par notre volonté nous tendons à quelque chose d’extérieur comme à
une fin. Et c’est pourquoi notre intellection est selon le mouvement de la
réalité [qui arrive] dans l’âme, mais le vouloir selon le mouvement de l’âme
vers la réalité. Mais Dieu ne reçoit pas sa science des choses, mais il les
cause par elle, et par sa volonté il ne tend pas à quelque chose d’extérieur
comme à une fin, mais il ordonne à lui tout ce qui est extérieur comme à sa fin;
c’est donc tant en nous qu’en Dieu un mouvement circulaire dans les opérations
de l’esprit et de la volonté; car la volonté revient à ce d’où est venu le
principe de l’intellection; mais en nous le cercle se limite à ce qui est
extérieur, pendant que le bien extérieur meut notre esprit et celui-ci meut la
volonté et cette dernière tend par appétit et amour au bien extérieur; mais en
Dieu ce cercle se ferme sur lui-même. Car Dieu, en se pensant, conçoit son
verbe, qui est aussi la raison de toutes les intellections par lui, parce qu’il
pense tout en se pensant lui-même. Et par ce verbe, il procède dans l’amour de
tout et de lui-même. C’est pourquoi quelqu’un a dit (Mercure ou Hermès Trimégiste) que "la monade a engendré la monade et réfléchit en elle son ardeur".
Mais une fois le cercle fermé, rien d’autre ne peut être ajouté, et c’est
pourquoi il ne peut pas découler une troisième procession dans la nature
divine, mais il en découle une en plus dans la nature extérieure.
Sic ergo oportet quod in divinis sit una tantum persona non
procedens, et duae solae personae procedentes; quarum una persona procedit ut
amor, et alia ut verbum; et sic est personarum ternarius numerus in divinis.
Ainsi donc il faut qu’en Dieu il y ait une seule
personne qui ne procède pas, deux personnes seulement qui procèdent. L’une
d’elles procède comme amour et l’autre comme verbe; et ainsi le nombre des
personnes en Dieu est de trois.
Cuius quidem ternarii similitudo in creaturis apparet
tripliciter:
primo quidem sicut effectus repraesentat causam; et hoc modo
principium totius divinitatis, scilicet pater, repraesentatur per id quod est
primum in creatura, scilicet per hoc quod est in se una subsistens; verbum vero
per formam cuiuslibet creaturae: nam in his quae ab intelligente aguntur, forma
effectus a conceptione intelligentis derivatur; amor vero in ordine creaturae.
Nam ex eo quod Deus amat seipsum, omnia ordine quodam in se convertit; et ideo
haec similitudo dicitur vestigii, quod repraesentat pedem sicut effectus
causam.
La ressemblance de ce nombre trois apparaît de trois manières dans les
créatures:
a) Comme l’effet représente la
cause, et de cette manière, le principe de toute la divinité, à savoir le
Père est représenté par ce qui est premier dans la créature, c'est-à-dire par
ce qui est en soi une seule réalité subsistante; mais le verbe est représenté
par la forme de n’importe quelle créature; car en ce qui est agi par celui qui
pense, la forme de l’effet est dérivée de sa conception; mais l’amour est dans
l’ordre de la créature. Car du fait que Dieu s’aime lui-même, il tourne tout
vers lui par un ordre, et c’est pourquoi cette ressemblance est appelée
vestige, qui représente le pied comme l’effet [représente] la cause.
Alio modo secundum eamdem rationem operationis; et sic
repraesentatur in creatura rationali tantum, quae potest se intelligere et
amare, sicut et Deus, et sic verbum et amorem sui producere, et haec dicitur
similitudo naturalis imaginis; ea enim imaginem aliorum gerunt quae similem
speciem praeferunt.
b) D’une autre manière selon la
même nature d’opération; et ainsi est représenté dans la créature
raisonnable seulement, ce qui peut se comprendre et aimer, comme Dieu aussi et
ainsi produire le verbe et son amour et cela est appelé la ressemblance de
l’image naturelle; car ce qui révèle une espèce semblable porte l’image des
autres.
Tertio modo per unitatem obiecti, in quantum creatura
rationalis intelligit et amat Deum; et haec est quaedam unionis conformitas,
quae in solis sanctis invenitur qui idem intelligunt et amant quod Deus.
c) Troisième manière par l’unité
de l’objet, en tant que la créature raisonnable pense et aime Dieu et c’est
une certaine conformité de l’union qui se trouve dans les seuls saints qui
pensent et aiment la même chose que Dieu.
De prima quidem similitudine dicitur Iob XI, 7: forsitan vestigia Dei
comprehendes? De secunda Genes. I, 26:
faciamus hominem ad imaginem et similitudinem nostram; et dicitur imago
creationis. De tertia II Cor. III, 18:
nos enim omnes revelata facie gloriam
domini speculantes, in eamdem imaginem transformamur; et haec dicitur imago
recreationis.
De la première ressemblance, il est dit en Job (7, 117): "Peut-être
comprendras-tu les vestiges de Dieu". De la seconde, il est dit dans
la Genèse (1, 26) dit: "Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance",
et on l’appelle l’image de la création; de la troisième, en 2 Co. 3, 18, il est dit:"Car
nous tous, à visage découvert, contemplant la gloire du Seigneur, nous sommes
transformés en cette même image". Et celle-ci est appelée l’image de
la recréation.
Solutions:
q. 9 a. 9 ad 1 Ad primum ergo dicendum quod ideo dicit
Augustinus quod non est dicendum quod filius non potuit generare, sed non
oportuit: quia non ex impotentia filii est quod non generat, ut hoc quod dicit
non potuit sumatur privative, et non simpliciter negative; per hoc autem quod
dicit quod non oportuit, significat quod sequeretur inconveniens, si in divinis
filius alium filium generaret. Quod quidem inconveniens ex quatuor potest
considerari:
primo quidem quia cum filius in divinis procedat ut verbum,
si filius filium generaret, sequeretur quod in Deo verbum ex verbo procederet,
quod quidem esse non potest nisi in intellectu inquisitivo et discursivo in quo
verbum ex verbo procedit, dum ex consideratione unius veritatis in alterius
veritatis considerationem procedit; quod nullo modo convenit perfectioni et
simplicitati intellectus divini, qui uno intuitu omnia simul videt.
# 1. Augustin écrit qu’il ne faut pas dire que le Fils n’a pas pu
engendrer, mais il ne l’a pas fallu: parce que ce n’est pas par impuissance que
le Fils n’engendre pas; ce que dit il n’a pas pu est pris de façon
privative, et non absolument négative; et par le fait qu’il dit qu’il ne l’a pas fallu, il signifie
qu’il en découlerait un inconvénient si le Fils en engendrait un autre; cet
inconvénient peut-être considéré à quatre points de vue:
a) Parce que, si le Fils procédant en Dieu, comme Verbe, engendrait un
fils, il en découlerait qu’en Dieu le verbe procéderait du Verbe, ce qui ne
peut être que dans un esprit discursif en recherche, dans lequel le verbe
procède du verbe, pendant qu’il passe de la considération d’une vérité à une
autre; ce qui ne convient en aucune manière à la perfection et à la simplicité
de l’intellect divin, qui voit tout en même temps en un seul regard.
Secundo, quia illud per quod aliquid individuatur et
incommunicabile efficitur, impossibile est pluribus esse commune. Id enim per
quod Socrates est hoc aliquid, nec intelligi potest pluribus inesse. Unde si
filiatio in divinis pluribus conveniret, non esset filiatio constituens
incommunicabilem filii personam; et ita oporteret quod filius individua persona
constitueretur per aliquid absolutum, quod essentiae divinae unitati non
convenit.
b) Parce qu’il est impossible que ce par quoi une chose est individuée
et devient incommunicable, soit commune à plusieurs. Car, on ne peut pas
comprendre que ce par quoi Socrate est une réalité soit en plusieurs. C’est
pourquoi, si la filiation en Dieu convenait à plusieurs, il n’y aurait pas la
filiation qui constitue la personne incommunicable du Fils et ainsi il faudrait
que le Fils, personne individuelle, soit constitué par quelque chose d’absolu,
ce qui ne convient pas à l’unité de l’essence divine.
Tertio, quia nihil unum secundum speciem existens, potest
secundum numerum multiplicari nisi ratione materiae; et hac ratione in divinis
non potest esse nisi una essentia, quia divina essentia est immaterialis
omnino. Si autem essent plures filii in divinis, oporteret etiam esse
filiationes plures; et ita oporteret eas secundum materiam subiectam
multiplicari; quod divinae immaterialitati non convenit.
c) Parce que rien d’une unique espèce ne peut être multiplié en nombre
que par la matière; et pour cette raison, il ne peut y avoir en Dieu qu’une
seule essence, parce que l’essence divine est tout à fait immatérielle. S’il y
avait plusieurs fils en Dieu, il faudrait qu’il y ait aussi plusieurs
filiations, et ainsi il faudrait qu’elles soient multipliées selon une matière
sujette; ce qui ne convient pas à l’immatérialité de Dieu.
Quarto, quia filius dicitur aliquis ex hoc quod naturaliter
procedit; natura autem ad unum se habet determinate, nisi per accidens ex
aliquo naturaliter plura proveniant propter materiae divisionem; et ideo ubi
est omnino immaterialis natura, oportet solum filium unum esse.
d) Parce que le Fils est appelé quelqu’un15
du fait qu’il procède naturellement; mais la nature ne se comporte pas de
manière déterminée vis-à-vis de l’un à moins que par accident plusieurs
proviennent naturellement de quelqu’un à cause de la division de la matière et
c’est pourquoi où la nature est tout à fait immatérielle, il faut qu’il n’y ait
qu’un seul fils.
q. 9 a. 9 ad 2 Ad secundum dicendum, quod dupliciter aliquid
potest esse naturae alicuius: uno modo secundum quod absolute consideratur; et
sic oportet ut quae ad aliquam naturam pertinent, conveniant omnibus suppositis
in natura illius; et sic convenit naturae divinae esse omnipotentem, creatorem,
et alia huiusmodi, quae sunt communia tribus personis. Alio modo pertinet
aliquod ad naturam secundum quod consideratur in aliquo uno supposito; et sic
non oportet quod id quod convenit naturae, conveniat cuilibet supposito illius
naturae: sicut enim natura generis habet aliquid in una specie quod alteri
speciei non convenit,- quemadmodum ad naturam sensitivam consequuntur quaedam
in homine, non autem in animalibus brutis, ut habere excellentissimum tactum et
reminisci, et alia huiusmodi,- ita etiam aliquid pertinet ad naturam speciei prout
est in uno individuo, quod non convenit alii individuo eiusdem speciei; sicut
patet quod naturae humanae prout fuit in Adam convenit quod non sit per
generationem naturalem accepta, quod tamen in aliis individuis humanae naturae
non invenitur; et per hunc modum posse generare, consequitur naturam divinam,
prout est in persona patris; quod patet ex hoc quod pater non constituitur
persona incommunicabilis nisi ex ipsa paternitate, quae competit ei secundum
quod est generans; et ideo non sequitur quod filius, licet sit perfectum
suppositum divinae naturae possit generare.
# 2. Une chose peut exister d’une certaine nature de deux manières:
a) Selon qu’on la considère dans l'absolu; et ainsi il faut que ce qui
convient à une nature, convienne à tous les suppôts dans cette nature; et ainsi
il convient à la nature divine d’être un créateur tout puissant, et autres
qualités de ce genre qui sont communes aux trois personnes.
b) Une chose convient à la nature, selon ce qu’elle est considérée dans
un suppôt unique; et ainsi il ne faut pas que ce qui convient à la nature
convienne à n’importe quel suppôt de cette nature. Car de même que la nature du
genre a quelque chose dans une espèce qui ne convient pas à une autre espèce —
de quelque manière que certaines échoient à la nature sensible dans l’homme,
mais pas dans les animaux, comme avoir un toucher excellent, et se souvenir, et
autres choses de ce genre — de même aussi une chose convient à la nature de
l’espèce dans la mesure où elle est dans un individu, ce qui ne convient pas à
un autre individu de même espèce; ainsi il est clair qu’il convient à la nature
humaine, dans la mesure où elle a été en Adam, de ne pas être reçue par une
génération naturelle, ce que cependant on ne trouve pas dans les autres
individus de la nature humaine et pouvoir engendrer de cette manière, découle
de la nature divine, dans la mesure où elle est dans la personne du Père. Ainsi
il est clair que le Père n’est constitué comme personne incommunicable que par
sa paternité, qui lui convient selon qu’il engendre; et c’est pourquoi il n’en
découle pas bien que le Fils soit un parfait suppôt de nature divine, qu’il
puisse engendrer.
q. 9 a. 9 ad 3 Ad tertium dicendum quod, licet pater possit
generare, non autem filius, non tamen sequitur quod potentiam aliquam habeat
pater quam non habet filius. Eadem enim potentia est patris et filii, per quam
et pater generat et filius generatur. Nam potentia absolutum quiddam est; et
ideo non distinguitur in divinis, sicut nec bonitas, nec aliquid sic dictum. Generare
vero et generari in divinis non significant aliquid absolutum, sed solam
relationem in divinis. Relationes autem oppositae, in uno et eodem absoluto
communicant in divinis, et ipsum non dividunt; sicut patet quod in patre et
filio est una essentia, unde nec potentia distinguitur in divinis per hoc quod
est ad generare et generari. Non enim etiam in creaturis oportet quod per
quamcumque obiectorum distinctionem potentia distinguatur sed per differentiam
formalem obiectorum, et quae in eodem genere accipiatur; sicut potentia visiva
non distinguitur per hoc quod est videre hominem et videre asinum, quia ista
differentia non est sensibilis in quantum est sensibile; et similiter in
divinis absolutum per relationem non distinguitur.
# 3. Il faut dire que, bien que le Père puisse engendrer, mais pas le
Fils, il n’en découle cependant pas que le Père a une puissance que n’a pas le
Fils. Car la puissance du Père et celle du Fils, par laquelle le Père engendre
et le Fils est engendré sont identiques. Car la puissance est quelque chose
d’absolu 16; et c’est pourquoi elle
n’est pas distinguée en Dieu, ni la bonté non plus, ni ce qu’on appelle ainsi.
Mais engendrer et être engendré en Dieu ne signifient pas quelque chose
d’absolu, mais seulement une relation. Mais les relations opposées communiquent
dans un seul et même absolu et ne le divisent pas; ainsi il est clair que dans
le Père et dans le Fils il y a une seule essence. C’est pourquoi la puissance
n’est pas distinguée par une distinction quelconque des objets, mais par le
fait d’engendrer ou d’être engendré. Car il ne faut pas non plus dans les
créatures que la puissance soit distinguée par la différence formelle des
objets et ce qui est reçu en un même genre comme la puissance de la vision
n’est pas distinguée par le fait de voir un homme ou un âne, parce que cette
différence n’est pas sensible en tant telle, et de la même manière en Dieu
l’absolu n’est pas distingué par la relation.
q. 9 a. 9 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in omni operatione
quae transit ab agente in rem exteriorem, requiritur aliud principium in
agente, per quod est agens, et aliud principium in patiente, per quod est
patiens. In operatione autem quae non transit in rem exteriorem, sed manet in
operante, non requiritur nisi unum operationis principium; sicut ad volendum
requiritur principium ex parte volentis, per quod possit velle. In creaturis
autem est generatio secundum operationem transeuntem in rem exteriorem: unde
oportet quod sit alia potentia activa in generante, et alia passiva in
generato. Sed generatio divina attenditur secundum operationem non quidem in
aliquid exterius transeuntem, sed interius manentem, idest secundum
conceptionem verbi. Unde non oportet quod alia sit potentia activa in patre, et
alia passiva in filio.
# 4. En toute opération qui passe d’un agent dans un objet extérieur,
il est requis un principe dans l’agent, par lequel il est agent et un autre
principe dans le patient, par lequel il est patient. Mais dans l’opération qui
ne passe pas à l’extérieur, mais demeure dans celui qui opère, il n’est requis
qu’un seul principe d’opération, ainsi pour vouloir il est requis un principe
de la part de celui qui veut, par lequel il puisse vouloir. Mais, dans les
créatures, la génération est selon une opération qui passe à l’extérieur; c’est
pourquoi il faut qu’il y ait une autre puissance active dans celui qui
engendre, différente de la puissance passive de celui qui est engendré. Mais la
génération divine ne tend pas par son opération à quelque chose qui passe à
l’extérieur, mais à ce qui demeure à l’intérieur, c'est-à-dire selon la
conception du Verbe. C’est pourquoi il ne faut pas qu'il y ait une puissance
dans le Père et une autre puissance passive dans le Fils.
q. 9 a. 9 ad 5 Ad quintum dicendum, quod calor et sapor prout
in se considerantur, sunt qualitates quaedam, possunt tamen dici potentiae
secundum quod sunt actuum quorumdam principia; unde patet quod licet radix
prima et remota, quae est subiectum, sit una radix, tamen propinqua, quae est
qualitas, non est una.
# 5. La chaleur et la saveur, considérées en soi, sont des qualités, on
peut cependant les appeler des puissances en tant que principes de certains
actes; c’est pourquoi il est clair que bien que l’origine première et éloignée
qui est le sujet, soit une seule origine, cependant l’origine proche, qui est
la qualité, n’est pas unique.
q. 9 a. 9 ad 6 Ad sextum dicendum quod, sicut pater est Deus
generans, filius autem est Deus genitus: ita dicendum est quod pater est
sapiens ut concipiens, filius vero sapiens ut verbum conceptum. Filius enim in
eo quod est verbum, est quaedam conceptio sapientis. Sed quia quidquid est in
Deo, est Deus, oportet quod ipsa conceptio sapientis Dei sit Deus, et sapiens,
et potens, et quidquid aliud competit Deo.
# 6. De même que le Père est le Dieu qui engendre, le Fils est le Dieu
engendré, de même il faut dire que le Père est sage en tant qu’il conçoit le
Fils sage comme verbe conçu. Car le Fils, en ce qui est le Verbe est une
conception du sage. Mais parce que tout ce qui est en Dieu est Dieu, il faut
que cette conception du Dieu sage soit Dieu, et aussi sage et puissant, et tout
ce qui d’autre convient à Dieu.
q. 9 a. 9 ad 7 Ad septimum dicendum, quod verbum in divinis non
potest dici nisi personaliter, si proprie accipiatur. Nulla enim alia origo in
divinis esse potest nisi immaterialis, et quae sit conveniens intellectuali
naturae, qualis est origo verbi et amoris; unde si processio verbi et amoris
non sufficit ad distinctionem personalem insinuandam, nulla poterit esse
personalis distinctio in divinis. Unde et Ioannes tam in principio sui
Evangelii quam in prima canonica sua, nomine verbi pro filio utitur, nec est
aliter loquendum de divinis quam sacra Scriptura loquatur.
# 7. On ne peut parler du Verbe en Dieu que personnellement, si on le
prend au sens propre. Car aucune autre origine ne peut être en Dieu
qu’immatérielle et celle qui convient à sa nature intellectuelle, telle qu’est
l’origine du verbe et de l’amour; c’est pourquoi si la procession du verbe et
de l’amour ne suffit pas à introduire la distinction des personnes, il ne
pourra y avoir aucune distinction personnelle en Dieu. C’est pourquoi Jean,
tant au commencement de son Évangile que dans sa première épître, se sert du
nom de Verbe pour le Fils, et il ne
faut pas parler de Dieu autrement que l’Écriture sainte en parle.
q. 9 a. 9 ad 8 Ad octavum dicendum, quod dicere potest
dupliciter sumi:
uno modo proprie secundum quod dicere idem est quod verbum
concipere; et sic dicit Augustinus, quod non
singulus quisque in divinis, sed solus pater est dicens. Alio modo
communiter, prout dicere nihil est aliud quam intelligere; et sic dicit
Anselmus, quod non solum pater est dicens, sed etiam filius et spiritus sanctus;
et tamen licet sint tres dicentes, est unum solum verbum,- quod est filius,-
quia solus filius est conceptio patris intelligentis et concipientis verbum.
# 8. Dire peut être pris en
deux sens:
a) D’une première manière, au
sens propre selon que dire est la
même chose que concevoir un verbe; et en ce sens Augustin (La Trinité, VII) dit que "ce
n’est pas chaque personne particulière qui dit [parle] en Dieu, mais le Père
seul".
b) D’une autre manière au
sens commun, selon que dire n’est rien d’autre que l’intellection; et ainsi
Anselme dit (loc. cit. dans
l’argument17) que non seulement le
Père parle, mais aussi le Fils et l’Esprit saint; et cependant, bien qu’il y en
ait trois qui parlent, il n’y a qu’un seul verbe — qui est le Fils — parce que
seul le Fils est la conception du Père qui pense et conçoit le verbe.
q. 9 a. 9 ad 9 Ad nonum dicendum, quod non sequitur quod sit
generatio in divinis ex hoc solum quod tribuit generationem aliis sicut causa
effectiva, quia pari ratione sequeretur quod in Deo sit motus, quia tribuit
aliis motum. Sequitur autem quod sit in Deo generatio ex hoc quod tribuit aliis
generationem ut causa effectiva et exemplaris: pater autem est exemplar
generationis ut generans, sed filius ut genitus; unde non oportet quod generet.
# 9. Il ne découle pas qu’il y a génération en Dieu du seul fait qu’il
a attribué la génération à d’autres, comme cause efficiente, parce qu’à raison
égale, il en découlerait qu’il y a en Dieu du mouvement, parce qu’il en a
attribué aux autres. Mais il découle qu’il y a en Dieu une génération par le
fait qu’il a attribué aux autres la génération comme cause efficiente et
exemplaire; le Père est l’exemplaire de la génération, en tant qu’il engendre;
et le Fils en tant qu’engendré; c’est pourquoi il ne faut pas qu’il engendre.
q. 9 a. 9 ad 10 Ad decimum dicendum, quod generatio est opus
divinae naturae, prout est in persona patris, ut supra dictum est, unde non
oportet quod conveniat filio.
# 10. La génération est l’œuvre de la nature divine, dans la mesure où
elle est dans la Personne du Père, comme on l’a dit ci-dessus, c’est pourquoi
il ne faut pas que cela convienne au Fils.
q. 9 a. 9 ad 11 Ad undecimum dicendum quod, cum filiatio sit
relatio consequens determinatum modum originis,- scilicet quae est per modum naturae,-
impossibile est quod filiatio a filiatione differat differentia formali; nisi
forte secundum differentiam naturarum, quae per generationem communicantur,
sicut potest dici quod alia species filiationis est qua hic homo est filius, et
qua hic equus est filius. In divinis autem non est nisi una natura; unde non
possunt ibi esse plures filiationes formaliter differentes; et patet etiam quod
nec materialiter. Et sic sequitur quod ibi sit tantum una filiatio et unus
filius.
# 11. Comme la filiation est une relation qui suit un mode déterminé
d’origine, — à savoir, qu’elle est par le mode de nature — il est impossible
qu’une filiation diffère de la filiation par une différence formelle; à moins
que par hasard, ce soit selon la différence des natures, qui sont communiquées
par génération, comme on peut dire qu’il y a une autre espèce de filiation par
laquelle cet homme est fils et par laquelle ce cheval est fils. En Dieu il n’y
a qu’une seule nature, c’est pourquoi il ne peut pas y avoir plusieurs filiations
formellement différentes; et il est clair aussi que [ce n’est pas possible]
matériellement non plus. Et ainsi il en découle qu’il y a là seulement une
filiation et un seul Fils.
q. 9 a. 9 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod unus splendor ab
alio splendore procedit, ex eo quod lux diffunditur ad aliud subiectum: et sic
patet quod hoc fit per divisionem materialem, quae non potest esse in divinis.
# 12. Une splendeur procède d’une autre, du fait que la lumière est
diffusée vers un autre sujet, et ainsi il est clair que cela se fait par une
division matérielle, qui ne peut pas exister en Dieu.
q. 9 a. 9 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod unumquodque
amatur in quantum est bonum; unde cum una et eadem sit bonitas patris et filii
et spiritus sancti, eodem amore, qui est spiritus sanctus, pater diligit et
filium et spiritum sanctum, et totam creaturam; sicut eodem verbo, quod est
filius, dicit se et filium et spiritum sanctum, et totam creaturam.
# 13. Chaque chose est aimée en tant qu’elle est bonne. C’est pourquoi,
comme la bonté du Père, du Fils et de l’Esprit saint est une et la même, par un
même amour qui est l’Esprit saint, le Père aime le Fils et l’Esprit saint et
toute la créature, de même par un même Verbe qui est le Fils, il se dit et dit
aussi le Fils et l’Esprit saint et toute la créature.
q. 9 a. 9 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod bonitas
est id ad quod terminatur operatio viventis, quae manet in operante. Primo enim
intelligitur aliquid ut verum, et sic deinceps desideratur ut bonum; et ibi sistit
et quiescit operatio intranea, sicut in fine. Sed ex hinc incipit processus
operationis ad exteriora, quia ex hoc quod intellectus desiderat et amat
aliquid praeconsideratum ut bonum, incipit exterius operari ad illud. Unde ex
hoc ipso quod bonitas spiritui sancto appropriatur, convenienter accipi potest
quod processio divinarum personarum ultra non porrigitur. Sed quod
sequitur, est processio creaturae, quae est extra naturam divinam.
# 14. La bonté est ce à quoi se termine l’opération du vivant qui demeure
dans celui qui opère. Car d’abord on comprend quelque chose comme vrai et ainsi
immédiatement après il est désiré comme bien; et là se tient et s’achève
l’opération interne, comme dans sa fin. Mais de là commence le processus de
l’opération à l’extérieur, parce que du fait que l’esprit désire et aime, ce
qu’il a considéré auparavant comme bien, il commence à agir à l’extérieur vers
ce bien. C’est pourquoi du fait que la bonté est appropriée à l’Esprit saint,
on peut interpréter comme ce qui convient que la procession des personnes
divines ne s’étend pas plus loin. Mais il en découle que c’est la procession de
la créature qui est hors de la nature divine.
q. 9 a. 9 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod inter omnes
lineas linea circularis est perfectior, quia non recipit additionem. Unde hoc
ipsum ad perfectionem spiritus sancti pertinet quod sua processione quasi
quemdam circulum divinae originis concludit, ut ultra iam addi non possit,
sicut supra, iam ostensum est.
# 15. Parmi toutes les lignes, le cercle est plus parfait parce qu’il
ne reçoit pas d’addition. C’est pourquoi cela convient à la perfection de
l’Esprit saint qu'il se ferme en sa procession comme un cercle d’origine
divine, pour que (rien) ne puisse être ajouté, comme on l’a déjà montré ci-dessus
[dans le corps de l’article].
q. 9 a. 9 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod in hoc quod est
accipere vel communicare naturam divinam, non attenditur differentia nisi solum
secundum relationes; quae quidem differentia inaequalitatem perfectionis constituere
non potest, quia, ut dicit Augustinus contra Maximinum, cum quaeritur quis de
quo sit, est quaestio originis, non aequalitatis vel inaequalitatis.
# 16. Pour ce qui est recevoir ou communiquer la nature divine, la
différence ne s’étend seulement que selon les relations. Cette différence ne
peut pas constituer une inégalité de perfection, parce que, comme le dit
Augustin (Contre Maximinien III, 18):
"Quand on cherche qui vient de qui,
c’est une question d’origine, non d’égalité ou d’inégalité."
q. 9 a. 9 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod sicut
communicare divinam naturam, est perfectionis de patre in filio, ita perfecte
accipere communicatam est perfectionis in spiritu sancto; et utraque perfectio
non differt secundum quantitatem, sed secundum relationem, quae inaequalitatem
non constituit, ut dictum est.
# 17. De même que communiquer la nature divine est de la perfection du
Père dans le Fils, de même recevoir parfaitement la nature communiquée est de
la perfection de l’Esprit saint et l’une et l’autre perfection ne diffère pas
en quantité mais en une relation, qui n’a pas constitué une inégalité, comme on
l’a dit.
q. 9 a. 9 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod illud per quod
aliqua persona est incommunicabilis, non potest esse multis commune, ut supra
dictum est. Unde habere consortium in illo non
faceret iucunditatem, sed destructionem distinctionis personarum. Unde si
pater in paternitate haberet consortem in divinis, sequeretur confusio
personarum; et eadem ratio est de filiatione et processione.
# 18. Ce par quoi une personne n'est pas communicable ne peut être
commun à plusieurs, comme on l’a dit ci-dessus. C’est pourquoi la participation
en cela n’apporterait pas la joie, mais la destruction de la distinction des
personnes. C’est pourquoi, si le Père avait quelqu’un qui participe à la
paternité, il en découlerait une confusion des personnes; et la raison est la
même pour la filiation et la procession.
q. 9 a. 9 ad 19 Ad decimumnonum dicendum est quod alia
attributa non habent operationem intrinsecam, secundum quam possit attendi
processus divinae personae, sicut intellectus et voluntas.
# 19. Les autres attributs n’ont pas d’opération intrinsèque qui puisse
parvenir à une procession de la personne divine comme l’intellect et la
volonté.
q. 9 a. 9 ad 20 Ad vicesimum dicendum, quod processio naturae
et intellectus conveniunt in hoc quod in utraque processione procedit unum ab
uno ut similitudo eius a quo procedit. Amor autem qui
procedit secundum voluntatem, procedit a duobus mutuo se amantibus. Nec ex hoc
quod est amor, habet quod id sit similitudo amantis; et ideo in divinis idem
procedit per modum naturae et intellectus, scilicet ut filius et verbum; sed
alia persona est quae procedit per modum voluntatis ut amor.
# 20. La procession de nature et celle de l’esprit se rencontrent en
ceci que dans les deux processions, l’un procède d’un autre comme image de
celui dont elle procède. Mais l’amour qui procède selon la volonté procède de
deux [êtres] qui s’aiment mutuellement. Et du fait que c’est l’amour, il n’a
pas l’image de celui qui aime, et c’est pourquoi, en Dieu le même procède par
mode de nature et d’intellect, à savoir comme fils et verbe; mais l’autre
personne est celle qui procède par mode de volonté, comme amour.
q. 9 a. 9 ad 21 Ad vicesimumprimum dicendum, quod licet sint
quinque notiones in divinis, tamen solum sunt tres proprietates personales
constituentes personas; et propter hoc solum sunt tres personae.
# 21. Bien qu’il y ait cinq notions en Dieu, seules cependant trois
propriétés personnelles constituent les personnes et c’est pour cela qu’il y a
seulement trois personnes.
q. 9 a. 9 ad 22 Ad vicesimumsecundum dicendum, quod
relationes ideales sunt Dei ad id quod est extra, scilicet ad creaturas; et
ideo per eas non distinguuntur personae in divinis. Oportet etiam
respondere ad rationes alias, quibus concludebatur quod personae divinae sunt
tribus pauciores.
# 22. Les relations idéales18 sont
de Dieu vers l’extérieur, à savoir vers les créatures; c’est pourquoi par elles
les personnes ne sont pas distinguées par elles.
Il faut aussi répondre aux
autres raisons, par lesquelles on concluait que les personnes
divines sont moins de trois.
q. 9 a. 9 ad 23 Ad quorum primum dicendum, quod in qualibet
natura creata inveniuntur multi modi processionum, non tamen secundum quemlibet
eorum natura speciei communicatur; et hoc est propter imperfectionem naturae
creatae, in qua non subsistit quidquid in ea est; sicut verbum hominis, quod
procedit ab intellectu eius, non est aliquid subsistens, nec etiam amor qui
procedit a voluntate humana. Sed filius, qui generatur per operationem naturae,
est subsistens in natura humana; et propter hoc hic est solus modus quo natura
communicatur, licet in eo sint plures modi processionum. Sed in Deo est
subsistens quidquid in ipso est; et ideo secundum quemlibet modum processionis
communicatur natura in divinis.
# 1. En n’importe quelle nature créée, on trouve de nombreux modes de
procession, cependant la nature de l’espèce n’est pas communiquée par n’importe
lequel d’entre eux et c’est à cause de l’imperfection de la nature créée, dans
laquelle il ne subsiste rien de ce qui est en elle; ainsi le verbe de l’homme,
qui procède de son esprit n’est pas quelque chose de subsistant, ni non plus
l’amour qui procède de la volonté humaine. Mais le Fils, qui est engendré par
une opération de nature subsiste dans la nature humaine et c’est pour cela
qu’il y a un seul mode par lequel la nature est communiquée, bien qu’en lui il
y ait plus de modes de processions. Mais en Dieu, tout ce qui est en lui est
subsistant et c’est pourquoi la nature est communiquée en Dieu selon n’importe
quel mode de procession.
q. 9 a. 9 ad 24 Ad secundum dicendum, quod nihil prohibet etiam
a voluntate aliquid naturaliter procedere: nam et voluntas aliquid naturaliter
vult et amat, scilicet felicitatem et veritatis cognitionem, et ideo nihil
prohibet quin spiritus sanctus naturaliter procedat a patre et filio, quamvis
procedat per modum voluntatis.
# 2. Rien n’empêche non plus que quelque chose procède naturellement de
la volonté, car elle veut et aime naturellement, à savoir le bonheur et la
connaissance de la vérité, et c’est pourquoi rien n’empêche que l’Esprit saint
procède naturellement du Père et du Fils, quoiqu’il procède par mode de
volonté.
q. 9 a. 9 ad 25 Ad tertium dicendum quod, licet voluntas et
intellectus non differant in Deo nisi secundum rationem, tamen oportet illum
qui procedit per modum intellectus, realiter distingui ab eo qui procedit per
modum voluntatis. Nam verbum, quod procedit per modum intellectus, procedit ab
uno tantum, sicut a dicente; spiritus vero sanctus, qui procedit per modum
voluntatis ut amor, oportet quod procedat a duobus mutuo se amantibus, vel
etiam ex dicente et verbo: nihil enim potest amari cuius verbum in intellectu
non praeconcipitur. Et sic oportet quod ille qui procedit per modum voluntatis,
sit ab eo qui procedit per modum intellectus, et per consequens quod
distinguatur ab eo.
# 3. Bien que la volonté et l’intellect ne diffèrent en Dieu qu’en
raison, il faut cependant que celui qui procède par mode d’intellect soit
réellement distingué de celui qui procède par volonté. Car le Verbe qui procède
par mode d’intellect, procède de l’un seulement, comme de celui qui parle. Mais
l’Esprit saint, qui procède par mode de volonté comme amour, doit procéder de
deux (personnes) qui s’aiment mutuellement, ou aussi de celui qui parle et du
verbe: car rien ne peut être aimé dont le verbe ne soit pas préconçu dans
l’esprit. Et ainsi il faut que celui qui procède par mode de volonté soit de
celui qui procède par mode d’intellection et par conséquent qu’il soit
distingué de lui.
q. 9 a. 9 ad 26 Ad quartum dicendum, quod qui est ab alio in
divinis, potest esse dupliciter: scilicet vel per modum verbi, vel per modum
amoris; et ideo qui est ab alio secundum quod communiter dicitur, non sufficit
ad constituendum personam incommunicabilem, sed solum secundum quod ad propria
determinatur.
# 4. Celui qui est d’un autre en Dieu peut l’être de deux manières: à
savoir par mode de verbe ou par mode d’amour, et c’est pourquoi ce qui est d’un
autre selon ce qu’on dit communément, ne suffit pas pour constituer une
personne incommunicable, mais seulement selon ce qui est déterminé à ce qui lui
est propre.
q. 9 a. 9 ad 27 Ad quintum dicendum, quod in divinis sunt
quatuor relationes, nedum duae; sed solum tres ex eis sunt personales, nam una
earum,- scilicet communis spiratio,- non est proprietas personalis, cum sit
communis duabus personis: et ideo non sunt in divinis nisi tres personae.
# 5. En Dieu, il y a quatre relations, et pas seulement deux; mais
seules trois d’entre elles sont personnelles, car l’une d’elle, à savoir la
spiration commune, n’est pas une propriété personnelle, puisqu’elle est commune
à deux personnes, et c’est pourquoi il n’y a en Dieu que trois personnes.
q. 9 a. 9 ad s. c.
Alias rationes concedimus.
Les autres raisons, nous les concédons.
1 Parall.:Ia, qu. 30, a. 2. — Qu. 31, a. 1 — I sent. d24qu2a2 — CG. IV, 26 — II Sent.
d10a.5 — d33a.2, ad 1 — Compend. 56, 60.
2
"En effet, entre le possible et l’être, il n’y a aucune différence, dans
les choses éternelles." p. 97.
3
Il s’agit d’une conception intellectuelle, comme celle du verbe.
4
PL. 40, 736. Voir note qu. 2, a. 3, obj. 15.
5
§ 1 693 B:"…l'être même du bien, en tant que Bien essentiel, étend sa
bonté à tout être." (Trad. M. de Gandillac).
6
Iucunda possessio. Cf. qu. 2, a. 4,
obj. 12.
7
Synodes, 58, PL. 10, 520 C. Canon 24 profession de foi de Sirmium.
8
Cf. Pot. 9, 5, ad 23.
9
Sur l'authenticité de ce texte, le 13 janvier 1897, le saint office a répondu
non. Voir Denz 3681, 3682 . Réponse
du st office 2 juin 1927. Ils inclinent vers une conception opposée à
l'authenticité. L'expression trois personnes ou trois hypostases dévint
authentique à la fin de la crise arienne. Concile d'Antioche, 362, Rome (382,
Tomus Damasi) et Constantinople 382. (Denz 78, Symbole>172
10
"Sed contra qui est
explicitement le principe dionysien de la diffusion du bien." (Vanier, …
p. 46).
11
Sur Arius, voir qu. 2, a. 4.
12
Évêque de Constantinople, 342-346, semi arien, considéré comme hérésiarque
après sa mort. Les Macédoniens sont des hérétiques opposés à l'Esprit saint.
Premier concile de Constantinople, (mai 30 juillet 381)contre les ariens contre
les Macédoniens. Anathème concile de Rome 381 (Tomus Damasi).
13
Doctrine monarchienne, d'abord enseignée par Noël (Smyrne entre 180 et 200). Sa
doctrine: un seul Dieu: le Père. C'est lui qui était né, qui avait souffert et
était mort. Condamné vers 200. Ensuite Praxéas réfuté par Tertullien..
Sabellius (lybien?) vient à Rome peut avant 217. La doctrine se propagea après
sa condamnation en Asie Mineure sous la forme du modalisme. Dieu s'exprime par
des modes différents (Épiphane, Haeres.
LXII, PG. 41, 1052) "Dieu, monade simple et indivisible est une personne
unique. On le nomme Père, Fils mais en tant qu'il le monde il prend le nom de
Vereb… Les trois états successifs de la monade ne constituent pas trois
personnes distinctes; ils sont seulement trois aspects, trois virtualités,
trois modalités er comme trois noms d'un même être." (Sabellius, CG. IV, 5… réfuté 259-268 Lettre à
Denys.
14
PL. 10, 521 A. canon 28. Denz 140.
15
Aliquis est, Aliquid est un des
transcendantaux par lequel l’être s’affirme comme quelque chose par rapport à
ce qui l’entoure. Cf. Gardeil, Métaphysique,
p. 73, § 2.
16
C'est-à-dire selon l’essence.
17
Monologium, 61.
18
Il s’agit des idées.
q. 10 pr. 1 Et primo quaeritur utrum sit
aliqua processio in divinis.
1. Y a-t-il une procession en Dieu?
q. 10 pr. 2 Secundo
utrum in divinis sit tantum una processio.
2. N’y a-t-il qu’une seule procession en Dieu?
q. 10 pr. 3 Tertio de ordine processionum ad relationem in
divinis.
3. L’ordre des processions à la relation en Dieu.
q. 10 pr. 4 Quarto utrum spiritus sanctus procedat a filio.
4. L’Esprit saint procède-t-il du Fils?
q. 10 pr. 5 Quinto utrum spiritus sanctus remaneret a filio
distinctus, si ab eo non procederet.
5. L’esprit saint demeurerait-il distinct du Fils, s’il ne procédait
pas de lui?
q. 10 a. 1 tit. 1 Et primo quaeritur utrum sit
aliqua processio in divinis personis. Et videtur quod non.
Il semble que non1.
Objection:
q. 10 a. 1 arg. 1 Omne enim quod procedit ab aliquo, distat ab
eo. Sed divinarum personarum non est aliqua distantia ab invicem: dicit enim
filius, Ioan. XIV, 10: ego in patre et pater in me est; et idem dici potest de
spiritu sancto, quod scilicet sit in patre et filio, et e converso. Ergo in
divinis una persona non procedit ab alia.
1. Car tout ce qui procède de quelque chose en est différent. Mais il
n'y pas de différence dans les personnes divines entre elles. Car le Fils dit (Jn 14,10): "Moi je suis dans le Père et le Père est en moi" et on peut
dire de même pour l'Esprit saint, parce qu'il est assurément dans le Père et le
Fils et inversement. Donc en Dieu une personne ne procède pas d'une autre.
q. 10 a. 1 arg. 2 Praeterea, nihil quod ad motum pertinet, Deo
proprie attribui potest, sicut nec aliquid quod materiam importat. Processio autem
significat quemdam motum. Ergo non proprie potest dici in divinis.
2. On ne peut rien attribuer en propre à Dieu qui concerne le
mouvement, ni rien qui apporte de la matière. Mais la procession signifie un
mouvement. Donc en Dieu on ne peut pas en parler au sens propre.
q. 10 a. 1 arg. 3 Praeterea, omne procedens praeintelligitur
processioni: nam procedens est processionis subiectum: sed in divinis non
potest esse aliquid procedens processioni praeintellectum: essentia enim divina
non est procedens, sicut nec genita; relatio autem non praeintelligitur
processioni, sed e converso, sicut iam dictum est. Non ergo potest esse
processio in divinis.
3. Tout ce qui procède est conçu avant la procession; car ce qui
procède en est le sujet. Mais en Dieu, il ne peut pas y avoir quelque chose qui
procède qui soit conçu avant la procession: car l'essence divine ne procède
pas, de même qu'elle n'est pas engendrée; et la relation n'est pas comprise
avant la procession, mais c'est le contraire, comme on l'a déjà dit (qu. 8, a. 3). Donc il ne peut pas y
avoir de procession en Dieu.
q. 10 a. 1 arg. 4 Praeterea, omne procedens sicut ab aliquo
procedit, ita oportet quod procedat in aliquid. Quod autem in aliquid procedit,
non est per se subsistens. Cum ergo personae divinae sint per se subsistentes,
non videtur eis competere quod procedant.
4. Tout ce qui procède, procède d’une chose, et doit procéder dans une
autre. Mais ce qui procède en une chose n'est pas subsistant par soi. Donc
comme les personnes divines sont subsistantes par soi, apparemment il ne leur
convient pas de procéder.
q. 10 a. 1 arg. 5 Praeterea, cum creaturae nobiliores sint
etiam Deo similiores, quod invenitur in inferioribus creaturis, non autem in
superioribus, nec etiam in Deo invenitur sicut quantitas dimensiva, materia, et
alia huiusmodi. Processio autem invenitur in
inferioribus creaturis, in quibus unum individuum generat aliud eiusdem speciei;
quod non contingit in creaturis superioribus. Ergo neque in Deo
processio invenitur.
5. Comme les créatures plus nobles ressemblent davantage à Dieu, ce qui
se trouve dans les créatures inférieures, mais pas dans les créatures
supérieures, ne se retrouve pas non plus en Dieu, comme la quantité mesurable,
la matière, etc.. Mais on trouve la procession dans les créatures inférieures
dans lesquelles un des individus en engendre un autre de la même espèce; ce qui
n'arrive pas dans les créatures supérieures. Donc on ne trouve pas non plus de
procession en Dieu.
q. 10 a. 1 arg. 6
Praeterea, illud quod derogat divinae dignitati, nullo modo est Deo
attribuendum. In hoc autem maxime consideratur divina dignitas, quod est prima
causa essendi non habens ab alio esse, cui videtur repugnare processio: nam
omne procedens quodammodo ab alio est. Non ergo dicendum est quod aliquid
sit procedens in divinis.
6. Ce qui déroge à la dignité de Dieu ne doit en aucune manière lui
être attribué. Mais en cela on considère surtout sa dignité, parce qu'il est la
cause première de l’être, sans avoir l'être d'un autre: la procession
apparemment ne lui convient pas; car tout ce qui procède en quelque manière
dépend d'un autre. Donc il ne faut pas dire que quelque chose procède en Dieu.
q. 10 a. 1 arg. 7 Praeterea, persona est hypostasis proprietate
distincta ad dignitatem pertinente. Accipere autem ab alio (quod importat
processio), non videtur ad dignitatem pertinere. Non ergo processio debet
attribui divinis personis sicut aliqua personalis proprietas.
7. La personne est une hypostase, avec une propriété distincte qui
convient à sa dignité. Mais recevoir d'un autre (ce que la procession apporte)
ne semble pas convenir à sa dignité. Donc la procession ne doit pas être
attribuée aux personnes divines comme une quelconque propriété personnelle.
q. 10 a. 1 arg. 8 Praeterea, illud a quo aliquid procedit,
oportet esse aliquo modo causam illius. Sed una persona non potest esse causa
alterius: neque enim esse potest una alterius causa intrinseca, formalis
scilicet vel materialis, cum in divinis non sit compositio formae et materiae;
nec iterum causa extrinseca, cum una persona sit in alia. Non ergo est
processio in divinis.
8. Ce dont quelque chose procède doit être d'une certaine manière sa
cause. Mais une personne ne peut pas être cause d'une autre. Elle ne peut pas,
en effet, être la seule cause intrinsèque d'une autre, c'est-à-dire la cause
formelle ou matérielle, puisqu'en Dieu il n'y a pas composition de forme et de
matière; elle ne peut non plus être la cause extrinsèque, puisqu'une personne
est dans l'autre. Donc il n'y a pas de procession en Dieu.
q. 10 a. 1 arg. 9 Praeterea, omne procedens procedit ab aliquo
sicut a principio. Una autem persona non potest dici alterius principium,
quia,- cum principium ad principiatum dicatur,- oportet aliquam personam
principiatam dici, quod videtur solis creaturis competere. Non ergo est
processio in divinis.
9. Tout ce qui procède procède de quelque chose comme d’un principe.
Mais on ne peut pas dire qu'une personne est le principe d'une autre, parce
que, — comme on parle de principe pour ce qui en dépend, — il faut dire qu'il y
a une personne qui dépend d’un principe, ce qui semble ne convenir qu’aux
seules créatures. Donc pas de procession en Dieu.
q. 10 a. 1 arg. 10 Praeterea, nomen principii a prioritate
sumptum esse videtur. Sed in personis divinis nihil est prius et posterius, ut
Athanasius dicit. Non est ergo una persona principium alterius; et sic non
debet dici una procedens ab alia.
10. Le nom de principe semble être pris de "priorité2". Mais dans les personnes divines rien
n'est avant ou après, comme Athanase le dit (dans le Symbole3). Donc une
personne n'est pas le principe d'une autre; et ainsi on ne doit pas dire que
l'une procède d'une autre.
q. 10 a. 1 arg. 11 Praeterea, omne principium est operativum
vel factivum. Sed una persona non est factiva alterius nec operativa, alioquin
in divinis personis esset aliquid factum vel creatum. Ergo divina persona non
habet principium, neque est procedens.
11. Tout principe peut opérer ou produire. Mais une personne ne peut en
produire une autre, ou opérer, autrement dans les personnes divines il y aurait
quelque chose de produit ou de créé. Donc la personne divine n'a pas de
principe, et elle ne procède pas.
q. 10 a. 1 arg. 12 Praeterea, quandocumque est aliquid ab
aliquo procedens, oportet esse aliquid commune utrique, quod scilicet
procedenti communicatur ab eo a quo procedit, et aliquid proprium, per quod
procedens distinguitur ab eo a quo procedit: nihil enim procedit a se ipso.
Ubicumque autem est aliquid et aliquid, ibi est compositio. Ergo ubicumque est
processio, ibi est compositio. In divinis autem non est compositio. Ergo neque
processio.
12. Chaque fois qu'une chose procède d'une autre, il faut qu'il y ait
quelque chose de commun à l'une et à l'autre, qui naturellement est communiqué
à celle qui procède par celle de qui il procède, et quelque chose de propre,
par lequel celui qui procède est distingué de celui dont il procède; car rien
ne procède de soi. Mais partout où il y a une chose et une autre, il y a
composition. Donc partout où il y a procession, il y a composition. Mais en
Dieu il n'y a pas de composition. Ni en conséquence de procession.
q. 10 a. 1 arg. 13 Praeterea, omne procedens ab alio, recipit
aliquid ab eo. Quod autem recipit aliquid, est indigentis naturae: nisi enim
indigeret, non reciperet; propter quod etiam in rebus naturalibus
receptibilitas attribuitur materiae. Ergo omne procedens est indigentis
naturae. In divinis autem non est aliqua indigentia, sed summa perfectio. Ergo
non est ibi processio.
13. Tout ce qui procède d'un autre en reçoit quelque chose. Parce qu’il
reçoit, il en a naturellement besoin. Car s’il n’en avait pas besoin il ne le
recevrait pas; c'est pour cela aussi que dans ce qui est naturel aussi la réceptivité
est attribuée à la matière. Donc tout ce qui procède est ce qui éprouve un
besoin par nature. Mais en Dieu il n'y a pas de besoin, mais une perfection
suprême. Donc il n'y a pas de procession.
q. 10 a. 1 arg. 14 Sed dices, quod recipiens quando praeexistit
receptioni, est indigens, quando vero iam recipit, habet et non est indigens;
filius autem et spiritus sanctus recipiunt quidem a Deo patre, non tamen
praeexistunt receptioni; et sic in eis nulla est indigentia.- Sed contra,
creatura quaelibet est indigentis naturae, et tamen non praeexistit receptioni
qua recipit esse a Deo. Non ergo excludit indigentiam a recipiente hoc quod
receptioni non praeexistit.
14. Mais on dira que celui
qui reçoit, quand il préexiste à la réception, en a besoin, mais quand il l'a
reçu, il n’en a plus besoin. Le Fils et l'Esprit saint reçoivent de Dieu le
Père, cependant ils ne préexistent pas à la réception; et ainsi il n'y a en eux
aucun besoin. — En sens contraire n'importe
quelle créature est d'une nature dans le besoin et cependant elle ne préexiste
pas à la réception par laquelle elle reçoit l'être de Dieu. Donc, ce qui ne
préexiste pas à la réception n'exclut pas le besoin de celui qui reçoit.
q. 10 a. 1 arg. 15 Praeterea, omne quod non habet aliquid nisi
secundum quod recipit illud ab alio, in se consideratum caret illo; sicut aer
in se consideratus caret lumine, quod ab alio recipit. Si ergo filius et
spiritus sanctus non habent esse nisi per hoc quod recipiunt a patre (quod
oportet dicere, si a patre procedunt), necesse est quod si in se considerentur,
nihil sint. Quod autem in se consideratum nihil est, si habeat esse ab alio,
oportet quod ex nihilo est, et ita quod sit creatura. Si ergo filius et
spiritus sanctus procedunt a patre, oportet quod sint creaturae; quod est
Arianae impietatis. Non ergo est processio in divinis personis.
15. Tout ce qui n'a que dans la mesure où il le reçoit d'un autre,
considéré en soi, en manque; ainsi l'air considéré en soi manque de lumière,
qu'il reçoit d'un autre. Donc si le Fils et l'Esprit n'ont l'être que par ce
qu'ils reçoivent du Père (ce qu'il faut dire, s'ils procèdent de lui), il est
nécessaire que, si on les considère en soi, ils ne soient rien. Mais ce qui
n'est rien en soi, s'il a l'être d'un autre, doit venir du néant et ainsi être
une créature. Donc si le Fils et l'Esprit saint procèdent du Père, il faut
qu'ils soient des créatures, ce qui est l'hérésie Arienne. Il n’y a donc pas de
procession dans les personnes divines.
q. 10 a. 1 arg. 16 Praeterea, quod procedit ab aliquo, ad
hoc procedit ut sit. Quod autem procedit ut sit, non semper fuit; sicut quod
procedit ad locum, non semper fuit in loco illo. Personae
autem divinae sunt sempiternae. Ergo nulla persona divina est procedens.
16. Ce qui procède de quelque chose, en procède pour exister. Mais ce
qui procède pour exister n'a pas toujours existé; ainsi ce qui ‘procède’ vers
un lieu n'y a pas toujours été. Mais les Personnes divines sont éternelles.
Donc aucune ne procède.
q. 10 a. 1 arg. 17 Praeterea, principium a quo aliquid
procedit, habet aliquam auctoritatem respectu illius quod procedit a principio.
Si ergo aliqua persona divina procedit ab alia, utpote filius et spiritus
sanctus a patre, oportet quod in patre sit aliqua auctoritas respectu filii et
spiritus sancti: et ita, cum auctoritas sit quaedam dignitas, aliqua dignitas
erit in patre quae non est in filio et spiritu sancto; et sic erit inaequalitas
in divinis personis: quod est contra Athanasium dicentem quod in Trinitate
nihil est prius et posterius; nihil maius aut minus: sed totae tres personae
coaeternae sibi sunt et coaequales. Non ergo est processio in divinis
personis.
17. Le principe d'où quelque chose procède, a une autorité par rapport
à ce qui procède de lui. Donc si une personne divine procède d'une autre, à
savoir si le Fils et l'Esprit saint procèdent du Père, il faut qu’il y ait dans
le Père une autorité sur le Fils et l'Esprit saint, et comme l’autorité est une
dignité, il y aura dans le Père une dignité qui n’est pas dans le Fils et
l’Esprit saint et ainsi il y aura une inégalité dans les personnes divines, ce
qui est contre Athanase qui dit (dans le Symbole)
que "dans la Trinité, rien n’est
avant ni après; rien de plus grand ou plus petit, mais les trois personnes sont
coéternelles et égales entre elles". Donc il n'y a pas de procession
dans les personnes divines.
En sens contraire:
q. 10 a. 1 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicit filius Ioan. cap.
VIII, 42: ego ex Deo processi et veni.
1.Il y a ce que dit le Fils (Jn, 8, 42): "Moi, j’ai procédé4 et je suis venu de Dieu."
q. 10 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Ioan. XV, 26, dicitur, quod
spiritus veritatis, qui a patre procedit. Est ergo processio in divinis
personis.
2. En Jn 15, 26, il est dit
que "L'Esprit de vérité…, (qui) procède du Père…" Donc il y a
procession dans les personnes divines.
Réponse:
q. 10 a. 1 co. Respondeo. Dicendum quod cognitio intellectiva
in nobis sumit principium a phantasia et sensu, quae ultra continuum se non
extendunt; et inde est quod ex his quae in continuo inveniuntur, transumimus
nomina ad omnia quae capimus intellectu; sicut patet in nomine distantiae, quae
primo invenitur in loco, et exinde transumitur ad quamcumque formarum
differentiam, propter quod omnia contraria, in quocumque sint genere, dicuntur
esse maxime distantia, licet distantia primo inveniatur in ubi, ut philosophus
dicit in X Metaph
Il faut dire que la connaissance intellectuelle prend en
nous son principe de l'imagination et de la sensation qui ne s'étendent pas
au-delà de ce qui est continu5 et de
là vient que, de ce qui se trouve dans le continu, nous transférons les noms à
tout ce que nous saisissons par l'esprit; comme cela apparaît dans le nom de
distance qui se trouve d'abord dans le lieu, et de là est transféré à n’importe
quelle différence de formes, en raison de quoi on dit que tous les contraires,
en n'importe quel genre qu'ils soient, sont très distants, bien que la distance
se trouve d'abord dans le lieu, comme le dit le philosophe (Métaphysique X, 4, 1055 a 86).
Similiter autem nom processionis primo est inventum ad
significandum motum localem, secundum quem aliquid ordinate ab uno loco per
media ordinatim in extremum transit; et ex hoc transumitur ad significandum
omne illud in quo est aliquis ordo unius ex alio, vel post aliud; et inde est
quod in omni motu utimur nomine processionis; sicut dicimus, quod corpus
procedit ab albedine in nigredinem, et de parva quantitate ad magnam et de non
esse in esse, et e converson, et similiter utimur nomine processionis, ubi est
aliqua emanatio alicuius ab aliquo; sicut dicims quod radius procedit a sole,
et omnis operatio ab operante, et etiam operatum, sicut artificiatum ab
artifice, vel genitum a generante; et universaliter omnium huiusmodi ordinem
nomine processionis significamus.
Mais de la même manière on a trouvé d'abord le nom de procession pour
signifier le mouvement local selon lequel quelque chose passe avec ordre d'un
lieu à son extrémité par des intermédiaires et de là il est transféré pour
signifier tout ce en quoi il y a un ordre de l'un par un autre, ou après
l'autre; et de là vient que dans tout mouvement nous utilisons le nom de
procession; ainsi nous disons, que le corps ‘procède’ de la blancheur à la
noirceur, d'une petite quantité à une grande, et du non être à l'être, et
inversement, et de la même manière nous utilisons le nom de procession là ou il
y a une émanation d’une chose à partir d’une autre7,
comme nous disons que le rayon procède du soleil, et toute opération de celui
qui opère, et aussi l’œuvre, comme œuvre artisanale procède de l'artisan,
l'engendré de celui qui engendre, et universellement nous désignons du nom de
procession l'ordre de toutes choses de ce genre.
Est autem duplex operatio:
quaedam quidem transiens ab operante in aliquid extrinsecum,
sicut calefactio ab igne in lignum; et haec quidem operatio non est perfectio
operantis, sed operati: non enim aliquid acquiritur igni ex hoc quod est
calefaciens, sed calefactio acquiritur calor.
Alia vero est operatio non transiens in aliquid extrinsecum,
sed manens in ipso operante, sicut intelligere, sentire, velle, et huiusmodi.
Hae autem operationes sunt perfectiones operantis: intellectus enim non est
perfectus nisi per hoc quod est intelligens actu; et similiter nec sensus, nisi
per hoc quod actu sentit.
Mais l'opération est double:
a) L'une qui passe de celui
qui opère en quelque chose d'extérieur, comme l'échauffement dans le bois par
le feu, et cette opération n'est pas la perfection de celui qui opère, mais de
ce qui subit l’opération; car rien n'est acquis pour le feu du fait qu'il
chauffe, mais l'échauffement est acquis comme chaleur.
b) L’autre est l’opération qui ne passe pas sur quelque chose
d’extérieur, mais demeure dans celui qui opère, comme comprendre, sentir,
vouloir, etc.. Ces opérations sont les perfections de celui qui opère; car
l’intellect n’est parfait que par celui qui comprend en acte; et de la même
manière, les sens non plus à moins qquil éprouve une sensation en acte.
Primum autem operationum genus commune est viventibus et non
viventibus, sed secundum operationum genus est proprium viventium; unde, si
largo modo accipiamus motum pro qualibet operatione, sicut philosophus accipit
in III de anima, ubi dicitur, quod sentire et intelligere sunt motus quidam,
non quidem motus qui est actus imperfecti, ut definitur III Physic., sed motus qui est actus
perfecti, sic proprium videtur esse viventis, et in hoc ratio videtur consistere,
quod aliquid sit movens se ipsum. Nam quidquid invenimus per se et in se
operari quocumque modo, dicimus vivere; et per hunc modum Plato posuit, quod
primum movens movet se ipsum.
Le premier genre d'opération est commun aux vivants et
aux non vivants, mais le second est le propre des vivants; c'est pourquoi, si
nous considérons le mouvement au sens large pour une opération quelconque,
comme le Philosophe l'admet (L’âme, III,
7, 431 a 7), là où il est dit que la sensation et l'intellection sont des mouvements8, non cependant le mouvement qui est d’un
acte imparfait, comme il est défini en Physique
(III, 1, 200 b 30 – 201 a 29), mais le
mouvement qui est d'un acte parfait, alors il apparaît comme le propre du
vivant, et c’est en cela que semble consister la raison pour laquelle une chose
se meut elle-même. Car nous disons que vit tout ce que nous trouvons qui opère
par soi et en soi de quelque manière, et de cette manière Platon a pensé (Timée) que le premier moteur se meut
lui-même.
Secundum autem utrumque operationis genus invenitur in
creaturis aliqua processio: nam secundum primum genus dicimus, quod generatum
procedit a generante, et factum a faciente. Quantum autem ad secundum operationis
genus, dicimus, quod verbum procedit a dicente, et amor ab amante. Huiusmodi
autem duplex operationis genus Deo attribuimus. Genus quidem operationis in
aliud extrinsecum transeuntis Deo attribuimus, in quantum dicimus, quod creat,
conservat et gubernat omnia. Ex quo quidem operationis genere nulla perfectio Deo
advenire significatur, sed magis quod proveniat in creatura perfectio ex
perfectione divina.
On trouve une procession dans les créatures selon ces deux genres
d'opération. Car selon le premier genre,
nous disons que l'engendré procède de celui qui engendre, et ce qui est fait de
ce qui le fait. Quant au second genre,
nous disons que le verbe procède de celui qui parle, et l'amour de celui qui
aime. On attribue à Dieu ce double genre d'opération. Celui de l'opération qui
passe en un autre qui est extérieur, nous l'attribuons à Dieu dans la mesure où
nous disons qu'il crée, conserve et gouverne tout. Ce genre d'opération
signifie qu'aucune perfection ne peut venir en Dieu, mais plutôt que la perfection
parvient à la créature à partir de la perfection divine.
Aliud vero operationis genus Deo attribuimus, in quantum
ipsum intelligentem et volentem dicimus, in quo ipsius perfectio significatur.
Non enim esset perfectus, nisi esset intelligens et volens actu; et inde est
quod confitemur eum viventem.
Mais l’autre genre d’opération,
nous l’attribuons à Dieu dans la mesure où nous parlons de son intellection et
de sa volonté, en quoi est signifiée sa perfection. Car il ne serait pas
parfait s'il n’était intelligent et volontaire en acte; et de là vient que nous
confessons qu'il est vivant.
Secundum ergo utramque operationem Deo processionem
attribuimus: secundum quidem primum operationis genus dicimus divinam
sapientiam aut bonitatem in creaturas procedere, ut Dionysius dicit, IX cap. de Divin. Nomin.: et etiam quod
creaturae procedunt a Deo. Secundum vero aliud operationis genus dicimus in
divinis processionem verbi et amoris; et haec est processio personae filii a
patre, qui est verbum ipsius, et spiritus sancti, qui est amor eius et spiramen
vivificum. Unde Athanasius in quodam sermone Nicaeni Concilii dicit, quod
Ariani ponentes filium et spiritum sanctum non esse coessentiales patri, per
consequens videbantur dicere Deum non viventem et intelligentem, sed mortuum et
sine mente.
Donc nous attribuons la procession à Dieu selon l’une et
l’autre opérations. Selon le premier genre, nous disons que la sagesse ou la
bonté divines procèdent dans les créatures, comme Denys le dit (Les Noms divins, 9) et aussi que les
créatures procèdent de Dieu. Mais, selon l'autre genre d'opération, nous
parlons en Dieu de la procession du verbe et de l'amour, et c'est celle de la
personne du Fils à partir du Père, qui est son Verbe, et celle de l'Esprit
saint qui est son amour et le souffle vivificateur. C'est pourquoi Athanase,
dans un sermon du Concile de Nicée (dans la lettre contre ceux qui disent que
l'Esprit saint est une créature), dit que les Ariens pensant que le Fils et
l'Esprit saint n'étaient pas coessentiels au Père, paraissaient par conséquent
dire que Dieu n'était ni vivant ni intelligent, mais mort et sans esprit
Solutions:
q. 10 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod obiectio illa
procedit de processione quae attenditur secundum operationem in aliquid
extrinsecum transeuntem. Sic autem non procedunt divinae personae, sed magis
per modum processionis quae attenditur secundum operationem in operante
manentem; quod enim sic procedit non distat ab eo a quo procedit; sicut etiam
humanum verbum est in intellectu loquentis, non distans ab eo.
# 1. Cette objection provient de la processions qui concerne
l'opération qui passe dans quelque chose d'extérieur. Mais ce n'est pas ainsi
que les personnes divines procèdent, mais plutôt à la manière de la procession
qui s’étend à l'opération qui demeure dans celui qui opère; car ce qui procède
ainsi n'est pas éloigné de ce dont il procède; ainsi le verbe humain est dans
l'intellect de celui qui parle, sans être éloigné de lui.
q. 10 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod processio prout
significat motum localem, non ponitur in divinis personis, sed secundum quod
importat quemdam emanationis ordinem.
# 2. Dans la mesure où elle signifie le mouvement local, la procession
n'est pas établie dans les personnes divines, mais selon qu'elle apporte un
certain ordre d'émanation.
q. 10 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in processione quae
est motus localis, necesse est quod procedens processioni praeintelligatur, cum
sit eius subiectum; sed in processione quae importat originis ordinem procedens
se habet ad processionem ut terminus. Unde si procedens sit ex materia et forma
compositum, et per viam generationis in esse productum, materia quidem
praeexistit processioni ut subiectum, forma vero vel etiam compositum, sequitur
secundum intellectum ad processionem ut terminus; sicut cum ignis ab igne per
generationem procedit. Cum vero id quod procedit, non est compositum, sed forma
tantum, vel etiam per creationem in esse eductum,- cuius terminus est tota rei
substantia,- tunc nullo modo procedens praeintelligitur processioni, sed e
converso; sicut creatura non praeintelligitur creationi, nec splendor
processioni ipsius a sole, nec verbum processioni eius a dicente; et similiter
nec verbum processioni eius a patre.
# 3. Dans la procession qui est un mouvement local, il est nécessaire
que ce qui procède soit préconçu à la procession, puisqu'il est son substrat,
mais dans la procession qui apporte un rapport à l'origine, ce qui procède se
comporte comme le terme. C'est pourquoi si ce qui procède est composé de
matière et de forme, et a été amené à l'être par voie de génération, la matière
préexiste à la procession comme substrat, mais la forme ou aussi le composé
arrive selon le concept à la procession comme à son terme; comme quand le feu
procède du feu par génération. Mais quand ce qui procède n'est pas composé,
mais est une forme seulement, ou encore est amené à l’être par création,— dont
le terme est toute la substance de la chose — alors ce qui procède n’est conçu
en aucune manière avant la procession, mais c’est le contraire; ainsi la
créature n'est pas conçue avant la création, ni la splendeur à sa procession du
soleil, ni le verbe avant la procession de celui qui l'énonce et semblablement
ni le Verbe avant sa procession du Père.
q. 10 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod secundum processionem
quae importat originis ordinem, potest aliquid procedere ut in se subsistens,
non relatum ad aliud; quamvis secundum processionem localem procedat aliquid,
non ut simpliciter in se subsistat, sed ut sit in loco. Talis autem processio
non est in divinis personis.
# 4. Selon la procession qui apporte un rapport à l'origine, quelque
chose peut procéder comme subsistant en soi, et sans rapport à autre chose,
quoique quelque chose procède selon la procession locale, non pour subsister
simplement en soi, mais pour être en un lieu. Mais une telle procession n'est
pas dans les personnes divines.
q. 10 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in intellectualibus
substantiis, quae sunt nobilissimae creaturae, est etiam processio secundum
operationem intellectus et voluntatis; et quantum ad hoc invenitur in eis
increatae Trinitatis imago. Sed verbum et amor in eis non sunt personae
subsistentes: earum enim intelligere et velle non est ipsarum substantia, sed
hoc proprium Dei est; unde verbum et amor procedunt in Deo ut personae
subsistentes, non autem in intellectualibus creaturis.
# 5. Dans les substances intellectuelles, qui sont les créatures les
plus nobles, il y a aussi une procession selon l'opération de l'esprit et de la
volonté; et c'est en cela qu'on trouve en elles l'image de la Trinité incréée.
Mais le verbe et l'amour ne sont pas en elles des personnes subsistantes; car
leur intellection et leur volonté ne sont pas leur substance, mais c’est le
propre de Dieu; c'est pourquoi le verbe et l'amour procèdent en Dieu comme
personnes subsistantes, mais non pas dans les créatures intellectuelles.
q. 10 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod habere originem ab
aliquo quod sit in essentia diversum, derogat dignitati divinae: hoc enim est
proprium creaturae; sed habere originem ab aliquo coessentiali, magis ad
perfectionem divinam pertinet. Non enim esset in divinitate perfectio, nisi
esset ibi intelligere et velle in actu. Quibus positis necesse est poni verbi
et amoris processionem.
# 6. Tirer une origine de quelque chose qui est différent en essence
déroge à la dignité divine; car c’est le propre de la créature; mais avoir une
origine de quelqu'un de coessentiel, convient mieux à la perfection divine. Car
il n'y aurait pas de perfection en Dieu, s'il n'y avait pas d'intellection et
de vouloir en acte. Ceux-ci établis, il est nécessaire de placer la procession
du verbe et de l'amour.
q. 10 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod licet accipere, in
quantum huiusmodi, perfectionem non dicat, tamen ex parte eius a quo accipitur,
perfectionem importat, et praecipue in divinis personis, quae accipiunt
plenitudinem deitatis.
# 7. Bien que recevoir, en
tant que tel, n'indique pas une perfection, cependant du côté de ce qui est
reçu, cela apporte une perfection, et principalement dans les personnes divines
qui reçoivent la plénitude de la divinité.
q. 10 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod Latini doctores raro
vel nunquam ad significandum originem divinarum personarum, nomine causae
utuntur: tum quia causae apud nos respondet effectus,- unde ne cogamur filium
vel spiritum sanctum factos dicere, patrem non dicimus causam eorum,- tum quia
apud nos nomen causae significat aliquid in essentia diversum; dicimus enim
causam ad quam sequitur aliud; tum etiam quia apud gentiles philosophos nomen
causae dictum de Deo, habitudinem ipsius ad creaturas designat. Dicunt enim
Deum esse primam causam, et creaturas esse eius causata. Unde ne aliquis filium
et spiritum sanctum inter creaturas secundum essentiam a Deo diversas
suspicetur esse ponendas, nomen causae refugimus in divinis. Graeci tamen
absolutius in divinis utuntur nomine causae, ex ipso solam originem
significantes; et ideo in divinis personis utuntur nomine causae. Aliquid enim
inconvenienter in lingua Latina dicitur quod propter proprietatem idiomatis
convenienter in lingua Graeca dici potest. Non autem oportet si nomen causae
confitemur in divinis secundum Graecos, quod eodem modo accipiatur sicut cum de
creaturis dicitur, prout in quatuor genera secundum philosophos dividitur.
# 8. Les docteurs latins, utilisent rarement ou même jamais le nom de
cause pour signifier l'origine des personnes divines; d’une part, parce que
l'effet ne répond pas à la cause pour nous — c'est pourquoi pour ne pas être
forcés de dire que le Fils ou le Saint Esprit ont été faits, nous ne disons pas que le Père est leur cause, - d’autre
part, parce que, pour nous, le nom de cause signifie quelque chose de différent
dans l'essence; car nous parlons de la cause pour ce d’où découle une autre
chose; enfin aussi, parce que chez les philosophes païens le nom de cause
employé pour Dieu désigne sa relation aux créatures. Car ils disent que Dieu
est la cause première et que les créatures sont ses effets. C'est pourquoi pour
que personne ne soupçonne qu'on place le Fils et l'Esprit saint parmi les
créatures différentes de Dieu selon l'essence, nous refusons le nom de cause en
Dieu. Cependant les Grecs usent du nom de cause de façon plus absolue, en
signifiant sa seule origine; et c'est pourquoi pour les personnes divines, ils
se servent de ce nom de cause. Car on dit quelque chose de manière inconvenante
en latin, qui à cause de la propriété de la langue peut être dit convenablement
en grec. Mais, il ne faut pas, si nous utilisons le nom de cause en Dieu, selon
les grecs, qu'il soit reçu de la même manière dont on parle des créatures,
selon que la cause est divisée en quatre genres par les philosophes.
q. 10 a. 1 ad 9 Ad nonum dicendum, quod inter omnia ad
originem spectantia magis convenit in divinis hoc nomen principium. Quia enim
divina comprehendi a nobis non possunt, convenientius a nobis significantur per
nomina communia quae indefinite aliquid significant, quam per nomina specialia,
quae definite rei species exprimunt; unde hoc nomen qui est, quod secundum
Damascenum significat substantiae pelagus infinitum, convenientissimum nomen
dicitur esse, ut patet Exod. III, 14. Sicut autem causa communior est quam
elementum, quod significat aliquid primum et simplex in genere causae
materialis, ita etiam principium est communius quam causa; nam prima pars motus
vel lineae dicitur principium sed non causa. In quo patet quod
principium potest dici aliquid quod non est secundum essentiam distinctum, ut
punctum lineae; non autem causa, maxime si loquamur de causa originante, quae
est causa efficiens. Quamvis autem pater dicatur esse principium filii et
spiritus sancti, non tamen videtur indifferenter dicendum, quod filius sit
principiatum, vel etiam spiritus sanctus, licet etiam hoc modo loquendi Graeci
utantur, et possit apud sane intelligentes concedi; tamen ea quae minorationem
aliquam importare videntur, refugere debemus, ne filio vel spiritui sancto
attribuantur, propter Arianorum errorem vitandum; sicut Hilarius, etsi concedat
patrem esse maiorem filio propter auctoritatem originis, non tamen concedit
quod filius sit minor patre cui est aequale esse donatum a patre. Et similiter
non est extendendum nomen subauctoritatis vel principiati in filio, licet nomen
auctoritatis, vel principii concedatur in patre.
# 9. Pour tout ce qui concerne l'origine, le nom de principe convient plus en Dieu. En
effet, parce que nous ne pouvons pas comprendre ce qui concerne Dieu, on le
signifie par des noms communs qui ont une signification indéfinie plus
convenablement que par les noms spéciaux qui expriment l'espèce de manière
définie; c'est pourquoi ce nom "qui
est" , qui, selon Jean Damascène, signifie une mer infinie de
substance, est considéré comme le nom qui convient le mieux, comme on le voit
dans Ex. 3, 1410. De même que la cause est plus commune que
l'élément qui signifie quelque chose de premier et de simple, dans le genre de
la cause matérielle, de même le principe est plus commun que la cause; car la
première partie du mouvement ou de la ligne est appelée principe mais non pas
cause. En quoi il apparaît qu’on peut dire que le principe est quelque chose de
distinct selon l'essence, comme le point de la ligne; mais non pas la cause,
surtout si nous parlons de la cause d'origine qu’est la cause efficiente. Mais
quoiqu'on dise que le Père est le principe du Fils et de l'Esprit saint,
cependant il ne semble pas qu'on doive dire indifféremment que le Fils ou aussi
l'Esprit saint dépendent d’un principe, bien que les Grecs utilisent cette
manière de parler, et on pourrait l’accepter de ceux qui pensent juste; par
contre nous devons refuser ce qui semble apporter une diminution, pour ne pas
l'attribuer au Fils ou à l'Esprit saint, pour éviter l'erreur des Ariens; selon
Hilaire (la Trinité, 7), même s'il
concède que le Père est plus grand que le Fils à cause de l'autorité d'origine,
il ne concède cependant pas que le Fils soit plus petit que le Père11, lui en qui il y a un être égal donné par
le Père. Et de la même manière, il ne faut pas étendre au Fils le nom de
soumission ou de dépendance à un principe, bien que le nom d'autorité ou de
principe soit concédé au Père.
q. 2 a. 1 ad 10 Ad decimum dicendum, quod filius Dei non se
habet ad potentiam generativam sicut effectus, cum eum genitum, non factum
confiteamur. Si tamen esset effectus, potentia generantis non finiretur ad
ipsum, quamvis alius generari filius non possit, quia ipse infinitus est. Quod
autem alius filius in divinis esse non potest, contingit, quia ipsa filiatio
est proprietas personalis ipsius; et hoc quo, ut ita dicam, individuatur.
Cuilibet autem individuo principia individuantia sunt soli sibi; alias
sequeretur quod persona vel individuum esset communicabile ratione.
# 10. Le Fils de Dieu ne se
comporte pas vis-à-vis de la puissance générative comme un effet, puisque nous
confessons qu’il est engendré et non créé. Si cependant il était un effet, la
puissance de celui qui engendre ne se terminerait pas à lui quoiqu'un autre
fils ne puisse être engendré, puisqu’il est lui-même infini. Mais le fait qu’un
autre fils ne puisse pas exister en Dieu, arrive parce que la filiation même
est sa propriété personnelle et ce par quoi il est personalisé pour ainsi dire.
Pour n’importe quel individu les principes qui individualisent sont pour lui
seul; autrement il s’ensuivrait que la personne ou l’individu serait
communicable en raison.
q. 2 a. 1 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod verbum illud
Avicennae intelligendum est, quando id quod recipitur ab alio, non idem numero
est in recipiente et dante, sicut accidit in creaturis respectu Dei. Unde omne
receptum in creatura, est quasi unitas respectu esse divini: quia creatura non
potest esse recipere secundum illam perfectionem quae in Deo est. Sed filius in
divinis accipit a patre eamdem naturam numero quam pater habet: et ideo non
procedit.
# 11. Il faut comprendre que
ce mot d’Avicenne s’applique quand ce qui est reçu d’un autre n’est pas
identique en nombre dans celui qui reçoit et celui qui donne, comme cela arrive
pour les créatures par rapport à Dieu. C'est pourquoi tout ce qui est reçu dans
la créature est comme une unité par rapport à l’être divin; parce que la
créature ne peut pas recevoir l’être selon cette perfection qui est en Dieu.
Mais le Fils reçoit du Père une nature identique en nombre à celle du Père; et
c’est pourquoi, cette objection n'est pas valable.
q. 10 a. 1 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod non omne est
aliquid commune patri, scilicet essentia; et aliquid per quod a patre
distinguitur, scilicet relatio. Non tamen est ibi compositio, quia relatio est
secundum rem essentia, sicut ex superioribus disputationibus patet.
# 12. Tout n’est pas commun avaec Père, comme l'essence; il y a quelque
chose par quoi il est ditingué du Père à savoir la relation. Cependant il n'y a
pas composition, parce que la relation est réellement l'essence, comme cela
paraît dans les discussions ci-dessus (qu. 8, a. 2).
q. 10 a. 1 ad 13 Ad decimumtertium dicendum quod recipiens,
antequam recipiat, indiget,- ad hoc enim accipit, ut indigentiam repleat,- sed
postquam iam acceperit non indiget, habet enim quo indigebat. Si ergo aliquid
est quod receptioni non praeexistit, sed semper est in recepisse, hoc nullo
modo est indigens. Filius autem non sic accipit a patre quasi prius non habens
et postea accipiens; sed quia hoc ipsum quod est, habet a patre. Unde non
sequitur quod sit indigens.
# 13. Ce qui reçoit, avant de recevoir en éprouve le besoin — car il
reçoit cela pour combler son manque, — mais après qu'il a reçu il n'en a plus
besoin, car il a ce qui lui manquait. Donc s'il y a quelque chose qui ne
préexiste pas à la réception, mais est toujours comme ayant reçu, il n’en
éprouve le besoin en aucune manière. Mais le Fils ne reçoit pas du Père, comme
s’il n’avait pas auparavant, et recevait ensuite; mais parce que ce qu’il est,
il le tient du Père. C'est pourquoi il n'en découle pas qu'il en a besoin.
q. 10 a. 1 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod creatura
accipit a Deo esse quoddam, quod non esset permanens, nisi divinitus
conservaretur; et ideo etiam postquam esse accepit, indiget divina operatione
ut conservetur in esse, et sic est naturae indigentis. Filius autem accipit a
patre idem numero esse et eamdem naturam numero quam pater habet; unde non est
naturae indigentis.
# 14. La créature reçoit de Dieu un être, qui ne serait pas permanent
s'il n'était divinement conservé et c'est pourquoi même après qu'elle l'a reçu,
elle a besoin de l'opération divine pour être conservée à l'être, et ainsi elle
est d'une nature qui est dans le besoin. Mais le Fils reçoit du Père le même
être en nombre, la même nature en nombre12,
que le Père; c'est pourquoi il n'est pas d'une nature dans le besoin.
q. 10 a. 1 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod filius in se
consideratur secundum illud quod absolute habet, quod est patris essentia; et
secundum hoc non est nihil, sed unum cum patre. Secundum vero quod refertur ad
patrem, consideratur ut recipiens esse a patre: unde nec sic etiam est nihil;
et ita nullo modo filius est nihil. Esset autem in se consideratus nihil, si
esset in eo aliquid absolutum distinctum a patre, sicut est in creaturis.
# 15. Le Fils est considéré en soi, selon ce qu'il a dans l’absolu, qui
est l'essence du Père, et selon cela il n'est pas néant, mais un avec le Père.
Mais pour ce qui se rapporte au Père, il est considéré comme recevant l’être de
lui; c'est pourquoi ainsi non plus il n'est pas néant, et ainsi en aucune
manière le Fils n’est néant. Mais il le serait, considéré en soi, s'il y avait
en lui quelque chose d'absolu distinct du Père, comme dans les créatures.
q. 10 a. 1 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod filius ad hoc
procedit ut sit; sed processio eius est aeterna, sicut processio splendoris a
sole est ei coaeva; et propter hoc etiam filius est aeternus.
# 16. Le Fils procède pour être, mais sa procession est éternelle,
comme la procession de la splendeur du soleil lui est contemporaine. Et c'est
pour cela que le Fils est éternel.
q. 10 a. 1 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod auctoritas
in patre non est aliud quam relatio principii. Secundum relationem autem non
dicitur aliquid aequale vel inaequale, sed secundum quantitatem, ut Augustinus
dicit et propter hoc filius non est inaequalis patri.
# 17. L'autorité dans le Père n'est pas autre chose qu'une relation de
principe. Mais pour la relation, on ne parle pas d’égalité ou d’inégalité, mais
on en parle selon la quantité13,
comme Augustin le dit (La Trinité, VI,
III, 5) et à cause de cela le Fils n'est pas inégal au Père.
1 Parall.: Ia, 27, 1 — 1 Sent. D. 13, a. 1— CG. IV, 11.
2
Ce qui se trouve premier (princeps: primum caput).
3
Symbole "Quicumque", dit
d’Athanase. Denz. 75 (25-26). 25.
Dans la trinité, rien n'est antérieur ou postérieur, rien n'est plus grand ou
moins grand. (Symbole et définitions).
4
B.J. ".…c’est de Dieu que je suis sorti et que je viens."
5
"Le continu est ce dont les extrémités sont une seule chose… Il est
impossible qu’un continu soit formé d’indivisible" (Physique, VI, 1, 231 a 20) "Le continu en tant que tel est
divisible à l’infini" Ia, qu. 3,
a. 1, c. Le sens de continu comme proche de matière.
6
"Or la distance des extrêmes, et, par conséquent aussi des contraires, est
la distance maxima…" (Trad. J. Tricot, p. 546).
7
Vanier, p. 46: "On a cru voir dans ce texte le thème de tout le De Potentia" p. 46.
8
Opération ad intra corporelle (sens) et spirituelle (intelligence et volonté).
9
"…Il n’y a pas de mouvement hors des choses; en effet, ce qui change,
change toujours substantiellement, ou quantitativement, ou localement… il n’y
aura ni mouvement ni changement en dehors des choses qu’on vient de dire,
puisqu’il n’y a rien hors de ces choses." (Physique III, 1, 200 b 30- 201 a 2).
10
L’article 11 de la qu. 13, dans la Somme Théologique, est consacré à ce sujet.
La formule est la plus propre pour Dieu, a) parce qu’elle signifie l’esse. b) à cause de son universalité.
Les autres noms ont moins d’extension. c) Elle signifie l’être dans le présent.
Cf. I Sent. D. 8 qu. 1, a. 1. — Pot. qu. 2, a. 1,— qu. 7, a. 5 — Les noms divins, c. 5, lectio 1.
11 Contra errores
Graecorum, c 1, ch.
2.
12
"La communication qui se fait ainsi du Père aux autres personnes est
perçue comme une diffusion." Vanier p. 46.
13
Qui n’existe pas en Dieu.
q. 10 a. 2 tit. 1 Secundo quaeritur utrum in
divinis sit una tantum processio vel plures. Et videtur quod sit una tantum.
Il semble qu'il n'y en a qu'une seulement1.
Objections:
q. 10 a. 2 arg. 1 Dicit enim Boetius in libro de Trinitate,
quod processio in Deo est substantialis. Substantialia autem non multiplicantur
in divinis. Ergo processiones in divinis non sunt plures.
1. Car Boèce dit (La Trinité)
que la procession en Dieu est selon la substance. Mais ce qui est substantiel
n'est pas multiplié en lui. Donc il n’y a pas plusieurs processions.
q. 10 a. 2 arg. 2 Sed dicendum, quod processiones in divinis
non distinguuntur per distinctionem substantiae, quae secundum processionem
communicatur, ratione cuius processiones substantiales dicuntur; sed
distinguuntur seipsis.- Sed contra, quaecumque ab invicem distinguuntur, vel
distinguuntur per divisionem materiae, sicut individua eiusdem speciei; vel
formaliter, sicut ea quae differunt vel genere vel specie. Processione autem
non distinguuntur in divinis ad modum eorum quae materialiter distinguuntur,
cum Deus sit omnino immaterialis. Relinquitur ergo quod omnis distinctio quae est
in divinis, sit ad modum eorum quae formaliter distinguuntur. Omnis autem
formalis distinctio est per aliquam oppositionem, et maxime eorum quae sunt
unius generis: nam genus dividitur contrariis differentiis, per quas species
distinguuntur, ut dicitur in X Metaph. Oportet ergo, si processiones
distinguantur in divinis, quod hoc sit ratione alicuius oppositionis.
Processiones autem et actiones et motus non habent oppositionem ad invicem nisi
ratione principiorum vel ratione terminorum, sicut patet de calefactione et
infrigidatione, ascensu et descensu. Ergo impossibile est quod processiones in
divinis distinguantur seipsis: sed si distinguuntur, oportet quod distinguantur
ex parte principii processionis, vel ex parte termini, id est personae ad quam
processio terminatur.
2. Mais il faut dire que les
processions en Dieu ne se distinguent pas par la substance, qui est communiquée
selon la procession, pour la raison que les processions sont appelées
substantielles; mais elles se distinguent d'elles-mêmes — Mais en sens contraire, tout ce qui se distingue l'un de l'autre se
distingue par la division de la matière, comme les individus d'une même espèce,
ou formellement, comme ce qui diffère en genre ou en espèce. Mais les
processions ne se distinguent pas en Dieu à la manière de ce qui est distingué
par la matière, puisque Dieu est tout à fait immatériel. Il reste donc qu’en
lui toute distinction serait à la manière de ce qui se distingue par la forme.
Mais toute distinction formelle se fait par une opposition et surtout pour ce
qui est d'un seul genre; car le genre est divisé par des différences
contraires, par lesquelles les espèces se distinguent, comme il est dit en Métaphysique X, 8, 1058 a 282. Il faut donc, si les processions se
distinguent en Dieu, que ce soit en raison d'une opposition entre elles. Mais
les processions, les actions et les mouvements n’ont d’oppositions entre eux,
qu’en raison des principes ou en raison des termes, comme cela apparaît pour le
réchauffement ou le refroidissement, la montée ou la descente. Donc il est
impossible que les processions en Dieu se distinguent par elles-mêmes, mais si
elles se distinguent, il faut qu'elles le soient du côté du principe de la
procession, ou du côté du terme, c'est-à-dire de la personne à laquelle la
procession se termine.
q. 10 a. 2 arg. 3 Praeterea, ea quae possunt simul esse, non
sunt distinctiva aliquorum: sicut album et dulce non sunt distinctiva duorum
substantivorum, quia possunt eidem inesse; ex hoc enim unumquodque ab altero
distinguitur quod unum eorum alterum esse non potest. Quod aliqua autem non
possint esse simul, hoc contingit ex natura alicuius oppositionis; ea enim
dicuntur esse opposita quae simul esse non possunt. Nihil igitur distinguitur
ab altero nisi ratione alicuius oppositionis; nam et in divisione quae est
secundum materiam, attenditur oppositio secundum situm, cum eadem divisio sit
secundum quantitatem. Si ergo oppositio processionum esse non potest nisi
ratione terminorum vel principiorum, ut dictum est, impossibile est quod
processiones distinguantur seipsis.
3 Ce qui peut être ensemble n’apporte pas de distinction; comme la
blancheur et la douceur n’apportent pas de distinction entre deux substances (??),
parce qu'elles peuvent être dans une même réalité, car l'une se distingue de
l'autre, parce que l'une ne peut pas être l’autre. Que certains ne puissent pas
être ensemble, cela arrive en raison d'une opposition; car on dit que les
opposés ne peuvent pas être ensemble. Donc une chose ne se distingue d’une
autre qu’en raison d’une opposition, car dans la division d’après la matière,
une opposition est atteinte suivant le lieu, puisque c'est la même division
pour la quantité. Si donc l'opposition des processions ne peut exister qu'en
raison des termes ou des principes, comme on l'a dit, il est impossible que les
processions se distinguent d'elles-mêmes.
q. 10 a. 2 arg. 4 Sed dicendum, quod processiones distinguuntur
in divinis ex eo quod una est per modum naturae, scilicet processio filii, et
altera per modum voluntatis, scilicet processio spiritus sancti.- Sed contra,
quod procedit naturaliter, procedit per modum naturae. Spiritus sanctus autem
procedit a patre naturaliter: dicit enim Athanasius quod est naturalis spiritus
patris. Ergo procedit per modum naturae.
4. Mais il faut dire que les
processions se distinguent en Dieu parce que l'une est par mode de nature, à
savoir la procession du Fils, l'autre par mode de volonté, à savoir celle de
l'Esprit saint. — En sens contraire, ce
qui procède naturellement procède par mode de nature. L'Esprit saint procède du
Père naturellement. Car Athanase dit (Lettre contre ceux qui disent que
l'Esprit saint est une créature et qui commence: Ta lettre, très saint…) qu'il est l'Esprit naturel du Père. Donc il
procède par mode de nature.
q. 10 a. 2 arg. 5 Praeterea, voluntas libera est. Quod ergo
procedit per modum voluntatis procedit per modum libertatis. Si ergo spiritus
sanctus procedit per modum voluntatis, oportet quod procedat per modum
libertatis. Quod autem procedit per modum libertatis, potest procedere et non
procedere, et in tantum vel non in tantum procedere; quia quae libere fiunt,
non sunt determinata ad unum, ergo pater potuit producere spiritum sanctum vel
non producere, et dare ei quamcumque mensuram magnitudinis vellet. Sequitur
ergo quod spiritus sanctus sit ens possibile, et non ens per se necesse esse:
et sic non erit divinae naturae; quod est haeresis Macedonianae.
5. La volonté est libre. Donc ce qui procède par mode de volonté
procède par mode de liberté. Si donc l’Esprit saint procède par mode de
volonté, il faut qu’il procède par mode de liberté. Mais ce qui procède ainsi,
peut procéder ou ne pas procéder; et procéder dans telle mesure ou pas; parce
que ce qui se fait librement n’est pas limité à un seul effet, donc le Père a
pu produire l’Esprit saint ou ne pas le produire, et lui donner n’importe
quelle grandeur qu’il voulait. Il en découle donc que l’Esprit saint est un
étant possible et non un étant qui est nécessairement par soi; et ainsi il ne
sera pas de nature divine; ce qui est l’hérésie de Macédonius.
q. 10 a. 2 arg. 6 Praeterea, Hilarius dicit, differentiam
assignans inter creaturas et filium, quod omnibus creaturis substantiam Dei
voluntas attulit, filius autem naturali nativitate substantiam a patre accepit.
Si ergo spiritus sanctus procedit per modum voluntatis, sequitur quod procedit
sicut creatura.
6. Hilaire dit (dans le livre des
Synodes), assignant une différence entre les créatures et le Fils, que la
volonté de Dieu apporte à toutes créatures la substance, mais le Fils reçoit la
sienne du Père par une naissance naturelle. Si donc l’Esprit saint procède par
mode de volonté, il en découle qu’il procède comme les créatures.
q. 10 a. 2 arg. 7 Praeterea, natura et voluntas in Deo non
differunt nisi secundum rationem. Si ergo processio filii et spiritus sancti
distinguantur ex eo quod una est per modum naturae, altera vero per modum
voluntatis, sequitur quod processio filii et spiritus sancti non differant nisi
ratione tantum; et ita filius et spiritus sanctus personaliter non
distinguuntur.
7. La nature et la volonté en Dieu ne diffèrent qu’en raison. Si donc
la procession du Fils et celle de l’Esprit saint sont distinguées par le fait
que l’une est par mode de nature, l’autre par mode de volonté, il en découle
que la procession du Fils et celle de l’Esprit saint ne diffèrent qu’en raison
seulement, et ainsi le Fils et l’Esprit saint ne sont pas distingués
personnellement.
q. 10 a. 2 arg. 8 Sed dicendum quod vis spirativa et generativa
in patre differunt ratione tantum, et tamen haec est distinctio realis in filio
et spiritu sancto; et similiter natura et voluntas possunt realem distinctionem
in processionibus et procedentibus constituere, licet differant ratione
tantum.- Sed contra, filius et spiritus sanctus distinguuntur per ea quae in
eis sunt. Vis autem generativa non est in filio, nec spirativa in spiritu
sancto. Ergo per haec filius et spiritus sanctus non distinguuntur.
8. Mais il faut dire que la
puissance de spiration et la puissance générative dans le Père différent en
raison seulement et cependant c’est une distinction réelle dans le Fils et
l’Esprit saint; et de la même manière, la nature et la volonté peuvent
constituer une distinction réelle dans les processions et dans ce qui procède,
bien qu’ils diffèrent en raison seulement.— En
sens contraire, le Fils et l’Esprit saint se distinguent par ce qui est en
eux. Mais la puissance générative n’est pas dans le Fils, ni la puissance de
spiration dans l’Esprit saint. Donc ce n’est pas cela qui distingue le Fils et
l’Esprit saint.
q. 10 a. 2 arg. 9 Praeterea, ex hoc ostenditur quod generatio,
quae est processio per modum naturae, est in divinis, quod eius similitudo
creaturae communicatur, ut patet Is., LXVI, 9: numquid ego qui (...)
generationem aliis tribuo sterilis ero? Processio autem quae est per modum
voluntatis non communicatur creaturae, non enim invenitur in creaturis aliquid
quod naturam accipiat nisi per modum generationis. Non est ergo aliqua
processio in divinis personis per modum voluntatis.
9. Par là, on montre que la génération, qui est une procession par mode
de nature, est en Dieu, parce que sa ressemblance est communiquée à la
créature, comme cela paraît en Is. 66,
9: "Est-ce que moi qui… accorde la
génération aux autre, je serai stérile?" Mais la procession qui est
par mode de volonté n’est pas communiquée aux créatures, car on ne trouve rien
en elles qui reçoit la nature sinon par mode de génération. Donc il n’y a pas
de procession dans les personnes divines par mode de volonté.
q. 10 a. 2 arg. 10 Praeterea, modus aliquid adiicit rei et per
consequens compositionem facit; et multo magis, si sit modorum pluralitas. Sed
in divinis est omnimoda simplicitas. Ergo non est ibi modorum pluralitas, ut
possit dici, quod filius procedit uno modo, scilicet per modum naturae, et
spiritus sanctus alio modo, scilicet per modum voluntatis.
10. Une modalité est un ajout et par conséquent produit une
composition, et beaucoup plus, s’il y a pluralité de modalités. Mais en Dieu il
y a la simplicité de toutes les manières. Donc il n’y a pas pluralité de
modalités, pour qu’on puisse dire que le Fils procède d’une manière, à savoir
celui de la nature, et l’Esprit saint d’une autre, à savoir celui de la
volonté.
q. 10 a. 2 arg. 11 Praeterea, in divinis voluntas non plus
differt a natura quam intellectus. Sed non est alia processio in divinis per
modum intellectus ab ea quae est per modum naturae. Ergo etiam non est alia
processio quae est per modum voluntatis, ab ea quae est per modum naturae.
11. En Dieu la volonté ne diffère pas plus de la nature que
l’intellect. Mais il n’y a d’autre procession par mode d’esprit que celle qui
est par mode de nature. Donc il n’y a pas d’autre procession qui est par mode
de volonté que celle qui est par mode de nature.
q. 10 a. 2 arg. 12 Sed dicendum, quod processio spiritus sancti
differt a processione filii, ex eo quod processio filii est a non procedente
tantum, scilicet a patre; processio autem spiritus sancti est a non procedente
et procedente, et simul, scilicet a patre et filio.- Sed contra, si ponantur
duae processiones in divinis, oportet quod differant numero tantum aut specie.
Si numero tantum, sequitur quod utraque processio debeat dici generatio vel
nativitas, et uterque procedens debeat dici filius; si autem differant specie,
oportet quod natura per processionem communicata specie differat: sic enim
specie differt processio hominis et equi a suo principio, non autem processio
Socratis et Platonis. Cum ergo una tantum sit natura divina, non possunt esse
plures processiones specie differentes, per hoc quod una est a procedente, alia
vero non.
12. Mais il faut dire que la procession de l’Esprit saint diffère de
celle du Fils, par le fait que celle du Fils est seulement par quelqu’un qui ne
procède pas, à savoir par le Père; mais la procession de l’Esprit saint est par
l’un qui ne procède pas et l’autre qui procède, en même temps, à savoir par le
Père et le Fils. — En sens contraire,
si on place deux processions en Dieu, il faut qu’elles diffèrent en nombre
seulement ou en espèce. Si c’est en nombre seulement, il en découle que l’une
et l’autre processions doivent être appelées génération ou naissance, et l’un
et l’autre qui procèdent doivent être appelé fils, mais si elles diffèrent en
espèce, il faut que la nature communiquée par la procession diffère en espèce:
car ainsi la ‘procession’ de l’homme et du cheval diffère en espèce par son
principe, mais pas celle de Socrate et de Platon. Donc comme la nature divine
est une seulement, il n’est pas possible qu’il y ait plusieurs processions
différentes en espèces, par le fait que l’une vient de celui qui procède et
l’autre non.
q. 10 a. 2 arg. 13 Praeterea, filius et spiritus sanctus non
distinguuntur ad modum eorum quae specie differunt in creaturis: sunt enim
unius naturae hypostases. Processiones autem quibus procedunt aliqua quae sunt
specie unum, numero vero differentia, non differunt secundum speciem, sicut
generatio Socratis et generatio Platonis. Ergo processio filii et processio
spiritus sancti non sunt distinctae processiones secundum speciem.
13. Le Fils et l’Esprit saint ne se distinguent pas à la manière de
ceux qui dans les créatures diffèrent en espèce; car les hypostases sont d’une
seule nature. Les processions par lesquelles procèdent ce qui est un en espèce,
mais différent en nombre, ne diffèrent pas en espèce, comme la génération de
Socrate et celle de Platon. Donc la procession du Fils et celle de l’Esprit
saint ne sont pas des processions différentes en espèce.
q. 10 a. 2 arg. 14 Praeterea, sicut aliquid potest esse
procedens a procedente, ita potest esse aliquis natus a nato, ut patet in
hominibus, in quibus qui nascitur ab uno habet alium de se natum. Si ergo in divinis sunt duae processiones per hoc quod
a procedente alius procedit, pari ratione poterunt esse duae generationes per
hoc quod a genito alius generatur.
14. Quelque chose peut procéder de celui qui procède, de même il peut y
avoir quelqu’un né de quelqu’un qui est né, comme on le voit chez les hommes,
en qui celui qui naît de l’un a un autre né de lui. Donc si en Dieu il y a deux
processions par le fait qu’un autre procède de celui qui procède, à raison
égale, il pourra y avoir deux générations par le fait qu’un autre est engendré
par celui qui est engender.
q. 10 a. 2 arg. 15 Praeterea, si processio spiritus sancti
distinguitur a processione filii per hoc quod spiritus sanctus procedit a non
procedente et procedente, id est a patre et filio, aut procedit ab eis in
quantum sunt unum, aut in quantum sunt plures. Si in quantum sunt plures
sequitur quod spiritus sanctus sit compositus: nam processio unius simplicis
non potest esse nisi ab uno sicut a principio. Si autem procedit ab eis in
quantum sunt unum, nihil differt quod procedit a pluribus, aut quod procedit ab
uno solo. Non ergo potest processio spiritus sancti distingui a processione
filii per hoc quod filius procedit ab uno solo, sed spiritus sanctus a duobus.
15. Si la procession de l’Esprit saint se distingue de celle du Fils
par le fait que l’Esprit saint procède de celui qui ne procède pas et de celui
qui procède, c'est-à-dire du Père et du Fils, ou bien il procède d’eux en tant
qu’ils sont un, ou en tant qu’ils sont plusieurs. Si c’est en tant qu’ils sont
plusieurs, il en découle que l’Esprit saint est composé; car la procession d’un
être simple ne peut venir que par un seul en tant que principe. Mais s’il
procède d’eux en tant qu’ils sont un, il n’y a aucune différence qu’il procède
de plusieurs ou qu’il procède d’un seul. Donc la procession de l’Esprit saint
ne peut pas être distinguée de celle du Fils par le fait que celui-ci procède
d’un seul, mais l’Esprit saint de deux.
q. 10 a. 2 arg. 16 Praeterea, processio condividitur
paternitati et filiationi: dicuntur enim tres esse proprietates personales. Sed in divinis est tantum una paternitas et una filiatio. Ergo etiam tantum
una processio.
16. La procession est divisée en paternité et filiation: car on dit
qu’il y a trois propriétés personnelles3.
Mais en Dieu il y a une seule paternité et une seule filiation. Donc aussi une
seule procession.
q. 10 a. 2 arg. 17 Praeterea, in creaturis non invenitur nisi
unus processionis modus per quem communicetur natura, propter quod Commentator
dicit, quod non sunt eadem specie animalia quae generantur ex semine, et quae
generantur sine semine per putrefactionem. Natura autem divina est una tantum.
Ergo non potest communicari nisi per unum modum processionis: non sunt ergo
plures processiones in divinis.
17. Dans les créatures, on ne trouve qu'un mode de procession, par
lequel la nature est communiquée; c'est pourquoi le Commentateur (Physique, VII, com. 23) dit que les
animaux qui sont engendrés de la semence ne sont pas de la même espèce que ceux
qui le sont sans semence, par putréfaction. Mais la nature divine est une
seulement. Donc elle ne peut être communiquée que par un seul mode de
procession; donc il n'y a pas plusieurs processions en Dieu.
q. 10 a. 2 arg. 18
Praeterea, filius procedit a patre ut splendor, secundum illud Hebr. I, 3: qui
cum sit splendor gloriae; et hoc ideo, quia filius procedit a patre ut
coaeternus ei, sicut splendor a sole vel ab igne. Sed similiter spiritus
sanctus procedit a patre coaeternus ei. Ergo procedit ab eo eodem modo sicut
filius; et ita non sunt plures processiones in divinis.
18. Le Fils procède du Père comme splendeur, selon ce mot d'Hébr. 1, 3: "Celui qui est splendeur de gloire…"; parce que le Fils procède
du Père, et lui est coéternel comme la splendeur est contemporaine du soleil ou
du feu. Mais de la même manière, l'Esprit saint procède du Père et lui est
coéternel. Donc il procède de la même manière que le Fils, et ainsi il n'y a
pas plusieurs processions en Dieu.
q. 10 a. 2 arg. 19 Praeterea, processio aeterna divinae
personae est ratio et causa temporalis processionis creaturae et eius quod in
creatura est. Unde Augustinus super Genesim ad
litteram, sic exponit illud quod dicit Genes. I: dixit et
factum est; id est: verbum genuit, in quo erat ut fieret. Filius autem est
perfecte ratio et causa productionis creaturae. Non ergo oportet esse aliam
processionem divinae personae praeter processionem filii.
19. La procession éternelle de la personne divine est la raison et la
cause temporelle de la procession de la créature et de ce qui est dans la
créature. C'est pourquoi Augustin (La
Genèse au sens littéral, II, 6, 14) expose ainsi ce qui est dit en Gn. 1: "Il dit et cela fut fait", c'est-à-dire "il engendra le Verbe dans lequel il y avait
que cela serait fait4". Mais
le Fils est raison et cause parfaites de la production de la créature. Donc il
ne faut pas qu'il y ait une autre procession de la personne divine en dehors de
celle du Fils.
q. 10 a. 2 arg. 20
Praeterea, quanto natura est perfectior, tanto per pauciora operatur. Sed natura
divina est perfectissima. Cum ergo natura creata una non communicetur nisi per
unum modum processionis, nec divina natura communicari poterit nisi per unum
processionis modum.
20. Plus la nature est parfaite, plus les moyens par lesquels elle
opère sont petits. Mais la nature divine est absolument parfaite. Donc comme
une seule nature créée n'est communiquée que par un mode de procession, la
nature divine ne pourra être communiquée que par une seul mode de procession.
q. 10 a. 2 arg. 21 Praeterea, ab uno simplici non potest esse
nisi unum. Sed pater est unum simplex. Ergo ab eo non potest esse nisi
processio una; non sunt ergo processiones plures in divinis.
21. D’une chose simple ne peut venir qu'une seule chose. Mais le Père
est unique et simple. Donc de lui il ne peut y avoir qu'une procession; ainsi
il n'y a pas plusieurs processions en Dieu.
q. 10 a. 2 arg. 22 Praeterea, unumquodque ex hoc generari
dicitur quod accipit formam; nam generatio in rebus creatis est mutatio ad
formam. Sed spiritus sanctus sua processione accipit formam, id est
essentiam divinam, de qua dicitur Philipp. II, 6: cum in forma Dei esset, non
rapinam arbitratus est esse se aequalem Deo. Ergo processio spiritus sancti est
generatio; et ita non differt a generatione filii.
22. On dit que chaque chose est engendrée du fait qu'elle reçoit sa
forme5; car la génération dans les
créatures est changement pour la forme. Mais l'Esprit saint reçoit la forme,
c'est-à-dire l'essence divine, par sa procession, dont il est dit (Phil. 2, 6): "Comme il était de
forme divine, il n'a pas jugé comme une usurpation d’être égal à Dieu6". Donc la procession de l'Esprit saint est une génération,
et ainsi elle ne diffère pas de la génération du Fils.
q. 10 a. 2 arg. 23 Praeterea, nativitas est via in naturam,
sicut ipsum nomen demonstrat. Sed per processionem spiritus sancti communicatur
ei divina natura. Ergo processio spiritus sancti est nativitas; non ergo
differt a processione filii; et ita non sunt duae processiones in divinis.
23. La naissance est un processus naturel, comme le nom
même le montre. Mais la nature
divine est communiquée à l’Esprit saint par
une procession. Donc celle-ci est une naissance; donc elle ne diffère pas de
celle du Fils, et ainsi il n’y a pas deux processions en Dieu.
q. 10 a. 2 arg. 24 Videtur quod sint in divinis plures
processiones quam duae. Est enim processio per modum naturae, secundum quam
filius nominatur, et processio per modum intellectus, secundum quod nominatur
verbum, et processio per modum voluntatis, secundum quam nominatur in divinis
amor procedens. Sunt ergo in divinis tres processiones.
24. Il semble qu’il y ait plus de deux processions. Car il y a la
procession par mode de nature, selon lequel on désigne le Fils, celle par mode
d’intellect selon lequel on l’appelle le Verbe et celle par mode de volonté
selon laquelle on désigne l’amour qui procède en Dieu. Donc en Dieu il y a
trois processions.
En sens contraire7:
q. 10 a. 2 s. c. Sed contra, videtur quod in divinis sint duae
tantum processiones. Dicit enim Augustinus in V de Trinit., quod processio
filii, genitura vel nativitas est, processio autem spiritus sancti, nativitas
non est; utraque tamen ineffabilis est. Sunt ergo in divinis duae tantum
differentes processiones.
On voit bien qu'en Dieu il n'y a que deux processions seulement. Car
Augustin dit (La Trinité, V) que la
procession du Fils est engendrement et naissance, mais celle de l'Esprit saint,
n'est pas naissance; cependant l'une et l'autre sont ineffables. Donc en Dieu
il n'y a seulement que deux processions différentes.
Réponse:
q. 10 a. 2 co. Respondeo. Dicendum quod haereticorum instantia
coegit antiquos fidei doctores de his quae sunt fidei disputare.
La pression des hérétiques a forcé les anciens docteurs à disserter sur
la foi.
Arius enim aestimavit quod esse ab alio, divinae repugnaret
naturae; unde posuit quod filius et spiritus sanctus, qui in Scripturis sanctis
ab alio esse dicuntur, sint creaturae. Ad cuius erroris destructionem
necessarium fuit sanctis patribus manifestare quod non est impossibile esse
aliquid procedens a Deo patre quod sit ei coessentiale, in quantum accipit ab
eo eamdem naturam quam pater habet
A. Car Arius a estimé que dépendre
d'un autre s’oppose à la nature de Dieu; c'est pourquoi il a pensé que le Fils
et l'Esprit saint, dont l’Écriture sainte dit qu’ils sont d’un autre, sont des
créatures. Pour détruire cette erreur il a été nécessaire aux saints Pères de
montrer qu'il n'est pas impossible que ce qui procède de Dieu le Père lui soit
coessentiel, dans la mesure où cela reçoit de lui la même nature que lui.
. Sed quia filius ex eo quod accipit a patre eius naturam,
dicitur ab eo natus vel genitus, spiritus sanctus autem non dicitur in
Scripturis natus vel generatus, et tamen dicitur esse a Deo, aestimavit
Macedonius quod spiritus sanctus non sit coessentialis patri, sed sit eius
creatura; non enim credebat quod aliquis possit ab alio naturam eius accipere
nisi ab eo nasceretur et eius filius esset. Unde aestimavit infallibiliter
sequi, si spiritus sanctus accipit a patre naturam et essentiam eius, quod sit
genitus et filius. Et ideo ad huius erroris exclusionem necessarium fuit quod
doctores nostri manifestarent quod divina natura potest communicari duplici
processione; quarum una est generatio vel nativitas, alia vero non; et hoc est
quaerere processionum distinctionem in divinis.
B. Mais parce qu’on dit que le Fils, du fait qu'il reçoit sa nature du
Père, est né de lui ou est engendré, et que l'Esprit Saint, n'est pas appelé
dans les Écritures né ou engendré, et cependant il est de Dieu, Macédonius a estimé que l'Esprit saint
n'était pas coessentiels au Père, mais qu'il était sa créature; car il ne
croyait pas que quelqu'un puisse recevoir sa nature d'un autre, à moins qu'il
ne soit né de lui et soit son fils. C'est pourquoi, il a estimé qu’il en
découlait infailliblement, si l'Esprit saint reçoit du Père sa nature et son
essence, qu'il serait engendré et fils. Et c'est pourquoi pour repousser cette
erreur il a été nécessaire que nos docteurs démontrent que la nature divine
peut être communiquée par une double procession; dont l'une est la génération
ou naissance, mais pas l'autre, et c'est cela chercher la distinction des processions
en Dieu.
Quidam ergo dixerunt, quod processiones in divinis
distinguuntur seipsis; et ratio huius positionis fuit, quia ponebant quod
relationes non distinguunt divinas hypostases, sed earum distinctionem
manifestant tantum, aestimantes quod relationes in divinis essent ad modum
proprietatum individualium in rebus creatis, quae distinctionem individuorum
non causant, sed manifestant tantum. Dicunt ergo quod hypostases in divinis
distinguuntur solum per originem. Et quia ea quibus primo aliqua distinguuntur,
oportet quod seipsis distinguantur, sicut differentiae oppositae, quibus
species differunt, distinguuntur seipsis,- ne in infinitum procedatur,- ideo
dicunt, quod processiones in divinis distinguuntur se ipsis
I. Donc certains ont dit que
les processions se distinguent d’elles-mêmes en Dieu; et la raison de cette
position a été qu'ils pensaient que les relations ne distinguent pas les
hypostases divines, mais manifestent leur distinction seulement, estimant que
les relations en Dieu sont à la manière des propriétés individuelles, dans les
créatures, qui ne causent pas la distinction des individus, mais la manifestent
seulement. Donc ils disent que les
hypostases se distinguent en Dieu seulement par l'origine. Et parce qu’il faut
que ce par quoi certaines choses se distinguent d’abord, ce soit qu’elles se
distinguent d’elles-mêmes, de même que les différences opposées par lesquelles
les espèces diffèrent se distinguent d’elles-mêmes — pour ne pas procéder à
l'infini, — à cause de cela donc, ils disent que les processions en Dieu se
distinguent d’elles-mêmes.
Hoc autem non potest esse verum: nam unumquodque
distinguitur ab alio secundum speciem per id a quo speciem habet, et secundum
numerum per id a quo individuatur. Differentia autem inter processiones
divinas oportet quod sit non solum sicut ea quae differunt numero tantum, sed
etiam sicut ea quae differunt specie, cum una sit generatio, alia vero non. Relinquitur ergo quod
processiones divinae distinguantur secundum id a quo speciem habent. Nulla autem
processio nec operatio nec motus habet speciem a se, sed sortitur speciem a
termino vel a principio. Unde nihil est dictu, quod processiones aliquae distinguantur
seipsis; sed oportet quod distinguantur penes principia vel penes terminos.
Mais cela ne peut pas être vrai; car toute chose se distingue d'une
autre selon l'espèce par ce par quoi elle a l'espèce, et selon le nombre par ce
par quoi elle est individuée. Mais il faut que la différence entre les
processions divines soit non seulement comme ce qui diffère en nombre
seulement, mais aussi comme ce qui diffère par l'espèce, puisqu'il y a une
seule génération, et pas d’autre. Il
reste donc que les processions divines se distinguent par ce par quoi elles
ont l'espèce. Mais aucune procession ni opération ni mouvement n'a l'espèce par
soi, mais il la reçoit du terme ou du principe. C'est pourquoi que certaines
processions se distinguent d’elles-mêmes, c’est ne rien dire, mais il faut
qu'elles soient distinguées selon les principe ou les termes8.
Et ideo dixerunt quidam, quod processiones in divinis
distinguuntur penes principia; secundum hoc, dico, quod una processio est per
modum naturae vel intellectus, alia vero per modum voluntatis; nomina enim
intellectus et voluntatis significare videntur quaedam operationum et
processionum principia.
II. Et c'est pourquoi certains
ont dit que les processions en Dieu se distinguent en raison des principes;
à ce sujet, je dis qu’une procession est par mode de nature ou d’esprit, l’autre
par mode de volonté; car les noms d’esprit et de volonté semblent signifier
certaines des opérations et les principes des processions.
Sed, si quis diligenter consideret, de facili videre potest
quod hoc non sufficit ad divinarum processionum distinctionem, nisi aliud
addatur. Cum enim oporteat in procedente inveniri similitudinem eius quod est
processionis principium, sicut in rebus creatis similitudinem formae generantis
necesse est esse in genito; oportet, quod si processiones in divinis
distinguuntur per hoc quod principium unius est natura vel intellectus,
alterius vero voluntas, quod in procedente secundum unam processionem
inveniatur tantum id quod naturae est vel intellectus; in altero vero id quod
est voluntatis tantum; quod patet esse falsum. Nam per unam processionem, quae
est filii a patre, communicat pater filio quidquid habet, et naturam et
intellectum et potentiam et voluntatem, et quidquid absolute dicitur: ut sicut
filius est verbum, id est sapientia genita, ita posset dici natura vel voluntas
vel potentia genita, idest per generationem accepta, vel magis huiusmodi per
generationem accipiens.
Mais, si on considère avec attention, on peut voir facilement que cela
ne suffit pas pour la distinction des processions divines, à moins d’ajouter autre
chose. Comme il faut, en effet, trouver dans celui qui procède la ressemblance
avec le principe de la procession, de même qu’il est nécessaire dans les
créatures que la ressemblance de la forme qui engendre soit dans celui qui est
engendré; il faut que, si les processions en Dieu se distinguent du fait que le
principe de l’une est la nature ou l’esprit, mais celui de l’autre la volonté,
qui procède selon une seule procession on trouve seulement ce qui est de la
nature ou de l’esprit; et dans l’autre ce qui est de la volonté seulement, il
est clair que c’est faux. Car par une seule procession, celle du Fils par le
Père, celui-ci communique au Fils ce qu’il a, la nature, l’esprit, la
puissance, et la volonté et tout ce qui est appelé absolu: pour que, de même
que le Fils est le Verbe, c'est-à-dire la sagesse engendrée, de même on puisse
dire qu’il est la nature, la volonté, la puissance engendrées, c'est-à-dire
reçues par génération ou celui qui reçoit plus de ce genre par génération.
Unde patet quod ex quo omnia attributa essentialia
concurrunt in unam processionem filii, non possit processionum differentia
inveniri secundum rationes attributorum diversas; ita quod per unam
processionem attendatur communicatio unius attributi, et per aliam communicatio
alterius. Cum autem processionis terminus sit habere (cum ad hoc procedat
persona divina ut habeat quod accipit procedendo) processiones autem secundum
terminos distinguantur, necesse est ut sicut habens distinguitur in divinis,
ita distinguatur et procedens. Habens autem non distinguitur in divinis ab
habente per hoc quod hic habeat haec attributa, ille vero alia; sed per hoc
quod eadem unus habet ab alio. Nam omnia quae habet pater habet filius; sed in
hoc distinguitur filius a patre, quia filius habet ea a patre.
C’est pourquoi il est clair que par le fait que tous les attributs
essentiels arrivent dans la seule procession du Fils, on ne pourrait trouver
une différence des processions selon la nature diverse des attributs, de sorte que, par une seule procession,
soit atteinte la communication d’un seul attribut et par une autre la
communication d’un autre. Mais comme le terme de la procession c’est la possession (puisque la personne
divine procède pour avoir ce qu’elle reçoit en procédant) les processions se
distinguent par les termes, il est nécessaire que celui qui a, pour ainsi dire,
soit distingué en Dieu, de même celui qui procède. Mais celui qui a n’est pas
distingué d’un autre parce que l’un a ces attributs, et l’autre en a d’autres;
parce que l’un a les mêmes choses d’un autre. Car tout ce qu’a le Père le Fils
l’a; mais le Fils est distingué du Père parce qu’il l’a du Père.
Sic ergo procedens ab alio procedente distinguitur non quia
unus haec procedendo accipiat, alius illa, sed quia unus eorum ab alio accipit.
Quidquid ergo invenitur in processione divina quod statim in una processione
potest intelligi, nulla alia praeintellecta, unius tantum processionis est; ibi
vero statim alia processio inveniri potest, ubi eadem quae per prima
processionem sunt accepta, iterum derivantur in aliam.
Ainsi donc celui qui procède d’un autre qui procède est
distingué, non parce que l’un reçoit ces choses en procédant, et l’autre
d’autres choses, mais parce que l’un d’eux le reçoit d’un autre. Donc tout ce
qu’on trouve dans la procession divine qui peut être compris aussitôt dans une
seule procession, sans rien d’autre de préconçu, vient d’une seule procession;
mais aussitôt on peut trouver une autre procession, là où les mêmes choses qui
sont reçues par la première procession, à nouveau sont détournées dans une
autre.
Et sic solus ordo processionum qui attenditur secundum
originem processionis, multiplicat in divinis. Unde convenienter dixerunt qui
posuerunt unam processionem esse per modum naturae et intellectus, aliam per
modum voluntatis, quantum ad id quod processio quae est secundum naturam vel
intellectum non praeexigit aliam processionem; processio autem quae est per
modum voluntatis, aliam processionem praeexigit: nam amor alicuius rei non
potest a voluntate procedere nisi praeintelligatur processisse ab intellectu
illius rei verbum conceptum; bonum enim intellectum est obiectum voluntatis.
Et ainsi le seul ordre de procession qui est atteint selon l’origine de
la procession apporte la multiplication en Dieu. C’est pourquoi ils ont parlé
convenablement ceux qui ont pensé qu’une seule procession était par mode de
nature et d’esprit, l’autre par mode de volonté, du fait que la procession qui
est par nature ou esprit n’exige pas auparavant une autre procession, mais la
procession, par mode de volonté, en exige une autre auparavant: car aimer
quelque chose ne peut procéder de la volonté sans que soit compris auparavant
que le verbe conçu ait procédé du concept de cette chose; le bien en effet est
compris comme l’objet de la volonté.
Solutions:
q. 10 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod processio
in divinis dicitur esse substantialis quia non secundum aliquod accidens
attenditur; sed per eam, substantiam recipit persona procedens.
# 1. On dit que la procession en Dieu est substantielle, parce qu’on ne
la considère pas comme un accident; mais, par elle la personne qui procède
reçoit sa substance.
q. 10 a. 2 ad 2 Secundum et tertium concedimus.
# 2. 3. Les seconde et troisième objections, nous les concédons.
q. 10 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum est, quod nihil prohibet a
voluntate aliquid naturaliter procedere. Voluntas enim naturaliter tendit in
ultimum finem, sicut et quaelibet alia potentia naturaliter operatur ad suum
obiectum; et inde est quod homo naturaliter appetit felicitatem; et eodem modo
Deus naturaliter amat suam bonitatem, sicut etiam naturaliter intelligit suam
veritatem. Sicut ergo filius naturaliter procedit a patre ut verbum, ita
spiritus sanctus naturaliter procedit ab eo ut amor. Nec tamen spiritus sanctus
procedit per modum naturae: hoc enim procedere dicitur in divinis per modum
naturae quod procedit sicut ea quae in creaturis a natura producuntur, et non a
voluntate. Sic ergo differt naturaliter produci, et produci per modum naturae;
dicitur enim aliquid produci naturaliter propter naturalem habitudinem quam
habet ad suum principium: per modum vero naturae produci dicitur quod
producitur ab aliquo principio sic producente sicut natura producit.
# 4. Il faut dire que rien n’empêche que quelque chose procède
naturellement de la volonté. Car celle-ci tend naturellement à la fin ultime,
comme n’importe quelle autre puissance opère naturellement en vue de son objet;
et de là vient que l’homme recherche naturellement son bonheur et de la même
manière Dieu aime naturellement sa bonté; comme aussi il comprend naturellement
sa vérité. Donc de même que le Fils procède naturellement du Père, comme verbe,
de même l’Esprit saint procède naturellement de lui comme amour. Et cependant
l’Esprit saint ne procède pas par mode de nature: car on appelle en Dieu
procéder par mode de nature procéder comme ce qui est produit dans les
créatures par la nature, et non par la volonté. Donc ainsi il y a une
différence entre être produit naturellement et être produit par mode de nature;
car on dit qu’une chose est produite naturellement à cause de la relation
naturelle qu’elle a à son principe; mais on dit qu’est produit par mode de
nature ce qui est produit par un principe qui produit comme la nature produit.
q. 10 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod naturalis necessitas
secundum quam voluntas aliquid ex necessitate velle dicitur, ut felicitatem,
libertati voluntatis non repugnat, ut Augustinus docet. Libertas enim
voluntatis violentiae vel coactioni opponitur. Non est autem violentia vel
coactio in hoc quod aliquid secundum ordinem suae naturae movetur, sed magis in
hoc quod naturalis motus impeditur: sicut cum impeditur grave ne descendat ad
medium; unde voluntas libere appetit felicitatem, licet necessario appetat
illam. Sic autem et Deus sua voluntate libere amat seipsum, licet de
necessitate amet seipsum. Et necessarium est quod tantum amet seipsum quantum
bonus est, sicut tantum intelligit seipsum quantum est. Libere ergo spiritus
sanctus procedit a patre, non tamen possibiliter, sed ex necessitate. Nec
possibile fuit ipsum procedere minorem patre; sed necessarium fuit ipsum patri
esse aequalem, sicut et filium, qui est verbum patris.
# 5. La nécessité naturelle, selon laquelle on dit que la volonté veut
quelque chose par nécessité, comme le bonheur, ne s’oppose pas à la liberté de
la volonté, comme Augustin l’enseigne (la
Cité de Dieu, V, 10). La liberté de la volonté, en effet, s’oppose à la
violence et à la contrainte. Il n’y a ni violence, ni contrainte dans ce qui
est mis en mouvement selon l’ordre de sa nature, mais il y a plus si le
mouvement naturel est empêché: comme quand ce qui est lourd est empêché de
descendre en son juste milieu; c’est pourquoi la volonté cherche librement le
bonheur, qu’elle désire nécessairement. Mais ainsi Dieu s’aime lui-même
librement par sa volonté, bien qu’il s’aime nécessairement. Et il est
nécessaire qu’il s’aime autant qu’il est bon, comme il se comprend autant qu’il
est. Donc l’Esprit saint procède librement du Père, non cependant selon le possible
mais par nécessité. Et il ne lui a pas été possible de procéder moindre que le
Père; mais il a été nécessaire qu’il soit égal au Père, comme le Fils qui est
le Verbe du Père.
q. 10 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod creatura non procedit
a voluntate divina naturaliter neque ex necessitate; licet enim Deus sua
voluntate naturaliter et ex necessitate amet suam bonitatem, et talis amor
procedens sit spiritus sanctus; non tamen naturaliter aut ex necessitate vult
creaturas produci, sed gratis. Non enim creaturae sunt ultimus finis voluntatis
divinae, neque ab eis dependet bonitas Dei, qui est ultimus finis, cum ex
creaturis divinae bonitati nihil accrescat; sicut etiam homo ex necessitate
vult felicitatem, non tamen ea quae ad felicitatem ordinantur.
# 6. La créature ne procède de la volonté divine ni naturellement ni
par nécessité; car bien que Dieu aime sa bonté naturellement par sa volonté et
par nécessité, et qu’un tel amour qui procède soit l’Esprit saint, cependant il
ne veut pas produire les créatures naturellement ou par nécessité mais
gratuitement. Car les créatures ne sont pas la fin ultime de la volonté divine,
et sa bonté, qui est la fin ultime, ne dépend pas d’elles, puisque elles
n’ajoutent rien à sa bonté; ainsi l’homme veut le bonheur par nécessité, et
cependant [il ne vient] pas ce qui est ordonné au bonheur9 .
q. 10 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod licet natura et
voluntas in Deo non differant re, sed ratione tantum, tamen ille qui procedit
per modum voluntatis, oportet quod realiter differat ab eo qui procedit per
modum naturae, et una processio realiter ab alia differat. Dictum est enim,
quod processio per modum naturae intelligitur quando aliquid procedit ab aliquo
sicut illud quod procedit a natura; et similiter per modum voluntatis quando
procedit sicut id quod procedit a voluntate. Semper enim voluntas aliquid
producit aliqua processione praesupposita. Non enim voluntas in aliquid tendit
nisi praeexistente productione intellectus aliquid concipientis: cum bonum
intellectum moveat voluntatem. Processio autem quae est a naturali agente, non
praesupponit aliam processionem nisi per accidens, in quantum scilicet unum
naturale agens dependet ab alio naturali agente: sed tamen hoc non pertinet ad
rationem naturae in quantum natura est. Unde illa processio per modum naturae
intelligitur in divinis quae nullam aliam praesupponit; illa vero per modum
voluntatis quae ex praesupposita processione principium sumit. Et sic oportet
processionem esse ex processione, et procedentem ex procedente; hoc autem facit
realem differentiam in divinis.
# 7. Bien que la nature et la volonté en Dieu ne diffèrent pas en
réalité, mais en raison seulement, cependant celui qui procède par mode de
volonté doit différer réellement de celui qui procède par mode de nature, et
une procession diffère réellement d’une autre. Car il a été dit que la
procession par mode de nature est comprise quand une chose procède d’une autre
comme ce qui procède par nature; et de la même manière par mode de volonté,
quand il procède comme ce qui procède de la volonté. Car toujours la volonté
produit quelque chose de présupposé à la procession. Car la volonté ne tend à
une chose que par une production préexistante de l’esprit qui la conçoit;
puisque le bien conçu met en mouvement la volonté. Mais la procession qui vient
d’un agent naturel, ne présuppose une autre procession que par accident, en
tant qu’un agent naturel dépend d’une autre; mais cependant cela ne convient
pas à la raison de la nature, en tant que telle. C’est pourquoi cette
procession par mode de nature est comprise en Dieu sans rien présupposer; mais
c’est celle qui est par mode de volonté qui prend son principe d’une procession
présupposée. Et ainsi il faut que la procession vienne de la procession et
celui qui procède de celui qui procède; et cela fait une différence réelle en
Dieu.
q. 10 a. 2 ad 8 Octavum concedimus.
# 8. Nous la concédons.
q. 10 a. 2 ad 9 Ad nonum dicendum, quod utriusque
processionis similitudinem Deus indidit creaturis: sed tamen per processionem
quae est per modum naturae, natura in rebus creatis communicari potest:
effectus enim est similis agenti in quantum est agens; unde per actionem cuius
natura est principium, effectus naturam recipere potest; sed per actionem cuius
voluntas est principium, effectus non potest recipere nisi similitudinem eius
quod est in voluntate, sicut finis vel formae, ut in artificialibus patet. Quidquid
autem est in Deo, est divina natura; unde oportet quod per utramque
processionem natura communicetur.
# 9. Dieu induit dans les créatures la ressemblance de l’une et l’autre
procession10; mais cependant, par
celle qui est par mode de nature, la nature peut être communiquée dans les
créatures; car l’effet est semblable à l’agent en tant que tel; c’est pourquoi
par l’action dont la nature est le principe, l’effet peut recevoir la nature,
mais par l’action dont le principe est la volonté, l’effet ne peut recevoir que
la ressemblance de ce qui est dans la volonté, comme la fin ou les formes,
comme on le voit dans les œuvres artisanales. Mais tout ce qui est en Dieu est
nature divine; c’est pourquoi il faut que la nature soit communiquée par l’une
et l’autre procession.
q. 10 a. 2 ad 10 Ad decimum dicendum, quod cum dicitur in
divinis processio per modum naturae vel voluntatis, non ponitur in Deo modus
qui sit qualitas divinae substantiae superaddita, sed ostenditur similitudinis
cuiusdam comparatio inter processiones divinas et processiones quae sunt in
rebus creatis.
# 10. Quand on parle en Dieu de la procession par mode de nature ou de
volonté, on ne place pas une modalité qui serait une qualité surajoutée à la
substance divine, mais on montre la comparaison d’une certaine ressemblance
entre les processions en Dieu et celles qui sont dans les créatures.
q. 10 a. 2 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod in divinis
processio quae est per modum intellectus, non distinguitur a processione quae
est per modum naturae; distinguitur autem ab utraque processio quae est per
modum voluntatis. Et hoc propter tria:
# 11. En Dieu la procession, par mode d’esprit, n’est pas distinguée de
celle par mode de nature; mais la procession par mode de volonté est distinguée
de l’une et l’autre. Et cela pour trois raisons:
primo quidem, quia sicut processio quae est per modum
naturae, non praeexigit aliam processionem, ita nec processio quae est per
modum intellectus; processio autem quae est per modum voluntatis, de
necessitate praeexigit processionem quae est per modum intellectus.
a) Parce que de même que la procession par mode de nature, n’exige pas
auparavant une autre procession, la procession par mode d’esprit non plus, mais
celle qui est par mode de volonté, exige nécessairement auparavant la
procession par mode d’esprit.
Secundo, quia sicut natura producit aliquid in similitudinem
sui, ita et intellectus tam intra quam extra; intra quidem, sicut verbum est
similitudo rei intellectae, et intellectus intelligentis seipsum; extra autem,
sicut forma intellecta inducitur in artificiatum. Voluntas autem non producit
suam similitudinem nec intus, nec extra. Intus quidem non, quia amor, qui est
intranea processio voluntatis, non est similitudo aliqua voluntatis vel voliti,
sed quaedam impressio relicta ex volito in voluntate, aut quaedam unio unius ad
alterum. Extra autem non, quia voluntas imprimit in artificiatum formam
intellectam prius quam volitam secundum ordinem rationis; unde principaliter
est similitudo intellectus, licet secundario voluntatis.
b) Parce que de même que la nature produit quelque chose à sa
ressemblance, l’esprit aussi tant à l’intérieur qu’à l’extérieur; à l’intérieur
de même que le verbe est la ressemblance de ce qui est pensé et de l’esprit de
celui qui se pense; de même à l’extérieur la forme conçue est induite dans
l’objet fabriqué. Mais la volonté ne produit pas de ressemblance, ni à
l’intérieur ni à l’extérieur11. A
l’intérieur non, parce que l’amour, qui est la procession intérieure de la
volonté n’est pas une ressemblance de la volonté ou de ce qui est voulu, mais
une impression laissée par la volonté dans celui qui est voulu, ou une union de
l’un à l’autre. A l’extérieur, non plus, parce que la volonté imprime dans
l’objet fabriqué la forme conçue, avant la forme voulue selon l’ordre de la
raison; c’est pourquoi principalement c’est la ressemblance de l’esprit, bien
que secondairement ce soit celle de la volonté.
Tertio, quia processio naturae est tantum ab uno sicut ab
agente, si sit perfectum agens. Nec obstat quod in animalibus generatur aliquid
ex duobus, scilicet ex patre et matre; nam solus pater est agens in
generatione, mater vero patiens. Similiter autem processio intellectus est ab
uno solo; sed amicitia, quae est amor mutuus, procedit ex duobus ad invicem se
amantibus.
c) Parce que la procession de nature vient seulement d’un seul, comme
d’un agent, s’il est agent parfait. Et rien n’empêche que dans les animaux
quelque chose soit engendré de deux (êtres) à savoir du père et de la mère; car
seul le Père est agent dans la génération, et la mère le patient. Mais de la
même manière la procession de l’esprit est d’un seul; mais l’amitié, qui est
l’amour mutuel, procède de deux (êtres) qui s’aiment mutuellement.
q. 10 a. 2 ad 12 Ad duodecimum dicendum quod, licet in divinis
non proprie dicatur genus et species, vel universale et particulare, tamen,- ut
de divinis secundum quamdam similitudinem creaturarum loquamur,- pater et
filius et spiritus sanctus distinguuntur sicut plura individua unius speciei,
ut etiam Damascenus dicit. Sed attendendum est, quod in aliquo individuo in
genere substantiae possumus speciem dupliciter considerare:
# 12. Bien qu’en Dieu on ne puisse parler au sens propre ni de genre et
d’espèce, ni d’universel et de particulier, cependant, — comme on parle à son
sujet d’une certaine ressemblance avec les créatures, — le Père, le Fils et
l’Esprit saint se distinguent comme plusieurs individus d’une même espèce,
comme Jean Damascène le dit aussi (La foi
orthodoxe, III, 4). Mais il faut remarquer que dans un individu dans le
genre de la substance, nous pouvons considérer l’espèce de deux manières:
uno modo speciem hypostasis ipsius;
a. Selon l’espèce de l’hypostase elle-même.
alio modo speciem proprietatis individualis.
b. Selon l’espèce de la propriété individuelle.
Dato enim quod Socrates sit albus et Plato sit niger, et
posito quod albedo et nigredo sint proprietates individuantes Socratem et
Platonem, verum erit dicere, quod Socrates et Plato sunt unum specie, sub qua
specie hypostases continentur. Conveniunt enim in humanitate, sed distinguuntur
secundum speciem proprietatis; albedo enim et nigredo specie differunt; et
similiter est in patre et filio. Considerantur enim ut unum specie, cuius istae
hypostases sunt supposita, in quantum conveniunt in una natura deitatis; sed
secundum speciem proprietatis personalis inveniuntur differre; paternitas enim
et filiatio sunt relationes secundum speciem diversae. Sciendum est etiam, quod
generatio in rebus creatis per se ordinatur ad speciem: natura enim intendit
generare hominem; unde et natura speciei per generationem multiplicatur in
rebus creatis. Processio autem in divinis est ad multiplicationem hypostasum,
in quibus natura divina una numero invenitur: unde processiones in divinis sunt
differentes quasi secundum speciem, propter differentiam proprietatum
personalium, licet in procedentibus sit una natura communis.
Car étant donné que Socrate est blanc et Platon est noir, et une fois
admis que la blancheur et la noirceur sont des propriétés qui individualisent
Socrate et Platon, il sera vrai de dire qu’ils sont un en espèce, sous laquelle
ces hypostases sont contenues. Car ils se rencontrent dans l’humanité, mais se
distinguent selon l’espèce de la propriété; car la blancheur et la noirceur
diffèrent en espèce, et il en est de même dans le Père et dans le Fils. Car ils
sont considérés comme un en espèce, dont ces hypostases sont les suppôts, en
tant qu’ils se rencontrent dans la seule nature divine; mais selon l’espèce de
la propriété personnelle ils se trouvent différer; car la paternité et la
filiation sont des relations différentes en espèce. Mais il faut savoir que la
génération dans les créatures est ordonnée par soi à l’espèce, car la nature
tend à la génération de l’homme: c’est pourquoi la nature de l’espèce est
multipliée par la génération dans les créatures. Mais la procession en Dieu est
pour la multiplication des hypostases, en qui la nature divine se trouve une en
nombre: c’est pourquoi les processions en Dieu sont différentes pour ainsi dire
en espèce, à cause de la différence des propriétés personnelles, bien que dans
celles qui procèdent il y ait une seule nature commune.
q. 10 a. 2 ad 13 Et per hoc patet solutio ad
decimumtertium et ad decimumquartum.
# 13. 14. Et cela éclaire les solutions 13 et 14.
q. 10 a. 2 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod spiritus
sanctus procedit a patre et filio in quantum sunt plures, si habeatur respectus
ad supposita spirantia. Cum enim spiritus sanctus sit amor mutuus et nexus
duorum, oportet quod a duobus spiretur. Sed si habetur respectus ad id quo
spirantes spirant, sic procedit ab eis, in quantum sunt unum in natura divina:
non enim potest ab aliquo procedere Deus nisi a Deo.
# 15. L’Esprit saint procède du Père et du Fils en tant qu’ils sont
plusieurs, si on considère le rapport aux suppôts qui spirent. Comme l’Esprit
saint, en effet, est amour mutuel et lien des deux, il faut qu’il soit spiré
par les deux. Mais si on considère le rapport à ce par quoi spirent ceux qui
spirent, il procède ainsi d’eux, en tant qu’ils sont un dans la nature divine:
car Dieu ne peut procéder que de Dieu.
q. 10 a. 2 ad 16 Ad decimumsextum dicendum est quod processio,
quae condividitur paternitati et filiationi, est proprietas personalis spiritus
sancti; quae licet sit relatio, quia tamen non est nominata, sicut paternitas
et filiatio, significatur nomine processionis, ac si filiatio esset innominata
et significaretur nomine nativitatis, quod est speciale nomen processionis
filii. Processio autem spiritus sancti non habet speciale nomen, eo quod per talem
modum processionis non invenitur in creaturis aliqua natura communicari, ut iam
dictum est. Nomina vero a creaturis in divina
transferimus; unde non sequitur quod processio communis in divinis sit una
tantum.
# 16. La procession, qui est divisée en paternité et filiation est la
propriété personnelle de l’Esprit saint; bien qu’elle soit relation, parce que
cependant elle n’a pas de nom, comme la paternité et la filiation, elle est
signifiée par le nom de procession, comme si la filiation était sans nom et
signifiée par le nom de naissance, qui est le nom spécifique de la procession
du Fils. Mais la procession de l’Esprit saint n’a pas de nom spécial, parce
qu’on ne trouve pas dans les créatures que quelque nature soit communiquée par
un tel mode de procession, comme déjà on l’a dit. Mais nous transférons en Dieu
les noms qui viennent des créatures; c’est pourquoi il n’en découle pas que la
procession commune soit seulement une en Dieu.
q. 10 a. 2 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod in creatura
quae est accidentium susceptiva, potest aliquid esse quod non est rei natura;
non autem in Deo: et propter hoc in divinis secundum quemlibet modum
processionis communicatur natura, non autem in creaturis; licet enim sint in
eis processiones diversae, tamen natura non communicatur nisi per unum modum.
# 17. Dans la créature susceptible d'accueillir des accidents, il peut
y avoir quelque chose qui ne soit pas sa nature, mais pas en Dieu, et c’est
pour cela qu’en lui la nature est communiquée selon n’importe quelle mode de
procession, mais pas dans les créatures; car bien qu’il y ait en elles des
processions diverses, cependant la nature n’est communiquée que d’une seule
manière.
q. 10 a. 2 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod procedere a
patre secundum modum coaeternitatis competit processioni filii in quantum est
processio divina: unde convenit etiam processioni spiritus sancti; tamen non
competit processioni filii secundum quod distinguitur a processione spiritus
sancti.
# 18. Procéder du Père selon le mode de la coéternité appartient à la
procession du Fils en tant qu’elle est procession divine: c’est pourquoi cela
convient aussi à la procession de l’Esprit saint; cependant il n’appartient pas
à la procession du Fils de se distinguer de la procession de l’Esprit saint.
q. 10 a. 2 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod filius est
sufficiens ratio processionis temporalis creaturae ut verbum et exemplar; sed
oportet quod spiritus sanctus sit ratio processionis creaturae ut amor. Sicut
enim dicitur Sap. IX, 1, quod Deus facit omnia suo verbo, ita dicitur Sap. XI,
25; quod diligit omnia quae sunt, et nihil odit eorum quae fecit; et Dionysius
dicit, quod divinus amor non permisit ipsum sine germine esse.
# 19. Le Fils est la raison suffisante de la procession temporelle de
la créature en tant qu’il est Verbe et exemplaire; mais il faut que l’Esprit
saint soit la raison de la procession de la créature comme amour. Car de même
qu’il est dit en Sg. 11, 1, que Dieu
fait tout par son Verbe, de même il est dit en Sg. 11, 25 qu’il aime tout ce qui est, et qu’il ne hait rien de ce
qu’il a fait, et Denys dit (Les noms
divins, IV), que l’amour divin ne lui a pas permis d’être sans descendance.
q. 10 a. 2 ad 20 Ad vicesimum dicendum, quod natura perfecta in
multas operationes potest, licet ad unamquamque operationem ei pauca
sufficiant.
# 20. Il faut dire que la nature peut être parfaite en de nombreuses
opérations, bien que peu lui suffise pour chaque opération.
q. 10 a. 2 ad 21 Ad vicesimumprimum dicendum, quod a patre uno
et solo, est una sola processio, scilicet filii; a patre autem et a filio
simul, est alia processio, scilicet spiritus sancti.
# 21. Du Père, un et seul, il n’y a qu’une seule procession, à savoir
celle du Fils; mais du Père et du Fils ensemble, il y a une autre procession, à
savoir celle de l’Esprit saint.
q. 10 a. 2 ad 22 Ad vicesimumsecundum dicendum, quod processio
spiritus sancti est processio amoris. Per processionem autem amoris non
producitur aliquid ut recipiens formam eius a quo procedit, sive naturam; et ideo
processio amoris non habet rationem generationis vel nativitatis. Sed quod
spiritus sanctus naturam et formam Dei patris recipiat sua processione, hoc
habet in quantum est amor Dei, in quo non est aliquid quod non sit de natura
ipsius.
# 22. La procession de l’Esprit saint est une procession d’amour. Mais
par cette procession rien n’est produit comme recevant de ce dont il procède,
la forme ou la nature; et c’est pour cela que la procession d’amour n’a pas
nature de génération ou de naissance. Mais que l’Esprit saint reçoive la nature
et la forme de Dieu le Père, par sa procession, cela il l’a en tant qu’il est
l'amour de Dieu en qui il n’y a rien qui ne soit de sa nature.
q.10 a. 2 ad 23 Et
per hoc patet responsio ad vicesimumtertium.
# 23. Et par là s'éclaire la réponse à la vingt-troisième objection.
Ad ea etiam quibus ostendebatur quod sunt in divinis plures
processiones quam duae, respondendum est.
Et il faut répondre à ce par quoi on montrait qu'il y a en Dieu plus de
deux processions:
q. 10 a. 2 ad 24 Ad quorum primum dicendum, quod in divinis una
et eadem est processio quae est per modum intellectus et quae est per modum
naturae, ut supra, ostensum est.
## 1. En Dieu, c’est une seule et même procession qui est par mode
d’esprit et qui est par mode de nature, comme on l’a montré ci-dessus (sol. 7
et 11).
q. 10 a. 2 ad 25 Ad secundum dicendum quod natura humana
materialis est, id est ex materia et forma composita; et ideo in hominibus
processio per modum naturae non potest esse nisi secundum aliquam transmutationem
naturalem; processio autem quae est per modum intellectus, semper est
immaterialis, secundum quod ipse intellectus immaterialis est; unde in
hominibus non potest esse una et eadem processio quae est per modum naturae et
quae est per modum intellectus; in divinis autem est una et eadem, eo quod
natura divina immaterialis est.
##2. La nature humaine est matérielle, c'est-à-dire composée de matière
et de forme; et c’est pourquoi chez les hommes la procession par mode de nature
ne peut exister que selon un changement naturel; mais la procession qui est par
mode d’esprit est toujours immatérielle; du fait que l’esprit lui-même est
immatériel, c’est pourquoi dans les hommes il ne peut pas y avoir une seule et
même procession par mode de nature et par mode d’esprit, mais en Dieu c’est une
seule et même procession, parce que la nature divine est immatérielle.
q. 10 a. 2 ad 26 Ad tertium dicendum, quod aliud est procedere
in alterum, et aliud est procedere ab alio; procedere enim in alterum est suam
similitudinem alteri communicare: et per hunc modum est intelligenda divinae
bonitatis processio in creaturas, secundum Dionysium; procedere autem ab alio
est esse ab alio habere; et sic loquimur hic de processione, secundum quem
modum constat quod non convenit patri procedere.
## 3. Procéder dans un autre est different de procéder d’un autre; car
procéder dans un autre c’est
communiquer sa ressemblance à un autre, et il faut comprendre de cette manière
la procession de la bonté divine dans les créatures, selon Denys; mais procéder
d’un autre c’est avoir l’être d’un
autre; et nous parlons ici de procession de sorte qu’il est clair qu’il ne
convient pas au Père de procéder de cette manière.
1
Parall.: Ia, 27, a. 3 - I Sent. d13a2 — CG. IV,
19 — Contra errores Graecorum , c.3
2 Thomas, lectio 10, n° 2126.
3 La paternité, la filiation, la procession.
4 Cf. Même citation, Pot. qu. 2, a. 3, obj. 7. On y trouvera le texte d’Augustin .
5 Argument d’Avicenne, et de divers auteurs.
6 "Lui, de condition divine, ne retient
pas jalousement le rang qui l'égalait à Dieu". BJ.
7 Ici encore les sed contra sont des objections d’ordre différent des premières, ils
ne représentent pas la réponse au problème.
8 Le terme, c’est le but atteint. Du Père,
principe procède le Fils en tant que terme. Plus loin il dit que le terme de la
procession, c’est la possession, c'est-à-dire ce que la personne reçoit en
procédant.
9 C'est-à-dire les moyens pour y parvenir.
C’est là qu’il commet des erreurs..
10 Par mode de nature ou par mode de volonté.
11 "Ce qui procède par mode d’esprit ,
comme verbe procède avec une certaine ressemblance, comme qui ce qui procède
par mode de nature, …mais l’amour en tant que tel ne procède pas avec une
ressemblance (bien qu’en Dieu l’amour soit coessentiel en tant que divin) et
c’est pourquoi on n’appelle pas cette procession une génération." (Ia, qu. 30, a. 2, ad 2).
q. 10 a. 3 tit. 1 Tertio quaeritur de ordine processionis ad
relationem in divinis. Et videtur quod processio secundum intellectum sit prior
relatione in divinis.
Il semble que selon l’esprit la procession soit avant la relation en
Dieu.
Objections 1:
q. 10 a. 3 arg. 1 Dicit enim Magister in XXVII distinct. I Lib.
Sentent., quod pater semper est pater, quia semper genuit filium. Generatio
autem processionem significat, pater autem relationem. Ergo processio secundum
intellectum praecedit relationes in divinis.
1. Car le Maître (I Sent. d27),
dit que le Père est toujours le Père, parce qu’il a toujours engendré le Fils.
Mais la génération signifie la procession, et Père signifie une relation. Donc
la procession, selon l’esprit, précède les relations en Dieu.
q. 10 a. 3 arg. 2 Praeterea, philosophus dicit, quod relationes
ex actionibus nascuntur, vel ex quantitatibus. Constat autem quod relationes
divinae non innascuntur ex quantitate. Ergo secundum modum intelligendi
consequitur ex actione. Processiones autem in divinis personis significantur
per modum personalium actionum. Ergo processiones in divinis praecedunt
secundum intellectum relationes.
2. Le philosophe dit (Métaphysique,
V, 15; 1020 b 25 ss.2) que les
relations naissent des actions, ou des quantités. Mais il est clair que les
relations divines ne prennent pas leur source de la quantité. Donc selon la
manière de comprendre, cela découle de l’action. Mais les processions dans les
personnes divines sont signifiées à la manière des actions personnelles. Donc
selon l’esprit les processions en Dieu précèdent les relations.
q. 10 a. 3 arg. 3 Praeterea, absolutum est prius relativo,
sicut unum est prius quam multa. Sed actiones magis ad absoluta accedunt quam
relationes. Ergo priores sunt secundum intellectum.
3. L’absolu est avant le relatif, comme l’un est avant le multiple.
Mais les actions s’approchent plus de l’absolu que les relations. Donc selon
l’esprit elles sont avant.
q. 10 a. 3 arg. 4 Praeterea, omne relativum ad aliud dicitur.
Non autem potest esse aliud ubi non est distinctio. Ergo relatio distinctionem
praesupponit. Distinctio autem in divinis personis est secundum originem, prout
scilicet unus procedit ab alio. Ergo processiones secundum intellectum
praecedunt relationes in divinis.
4. On parle de tout relatif en rapport à autre chose. Mais il ne peut
pas y en avoir un autre là où il n’y a pas de distinction. Donc la relation
présuppose une distinction. Mais celle-ci dans les personnes divines dépend de
l’origine, selon que l’une procède de l’autre. Donc les processions selon
l’esprit précèdent les relations en Dieu.
q. 10 a. 3 arg. 5 Praeterea, omnis processio praecedit secundum
intellectum processionis terminum. Filiatio autem quae est relatio filii, est
terminus nativitatis, quae est eiusdem filii processio. Ergo processio filii
praecedit filiationem. Sed filiatio et paternitas sunt simul non solum natura
et tempore, sed etiam intellectu; quia unum relativorum est de intellectu
alterius. Nativitas ergo filii praecedit paternitatem secundum intellectum, et
multo magis generatio, quae est actus patris. Processiones ergo simpliciter
relationes praecedunt secundum intellectum in divinis.
5. Toute procession precede son terme, selon l’esprit. Mais la
filiation qui est la relation du fils est le terme de la naissance, qui est la
procession de ce même Fils. Donc celle-ci précède la filiation. Mais la filiation
et la paternité sont en même temps non seulement en nature et en temps, mais
aussi en esprit; parce que l’un des relatifs est de l’esprit de l’autre. Donc
la naissance du Fils précède la paternité selon l’esprit, et beaucoup plus la
génération, qui est l’acte du Père. Donc les processions précèdent absolument
les relations selon l’esprit.
En sens contraire:
q. 10 a. 3 s. c. 1 Sed contra. Prius secundum intellectum est
persona quam actio personalis. Relationes autem sunt constitutivae personarum,
processiones autem sunt quasi personales actiones. Ergo prius secundum
intellectum sunt relationes quam processiones.
1. La personne est selon l’esprit avant l’action personnelle. Les
relations sont constitutives des personnes, et les processions sont comme des
actions personnelles. Donc elles sont avant les processions selon l’esprit.
q. 10 a. 3 s. c. 2 Praeterea, processio oportet quod sit
alicuius ab alio; sicut enim nulla res generat seipsam ut sit, ut Augustinus
dicit, ita nulla res a seipsa procedit. Processio ergo distinctionem in divinis
requirit. Distinctio autem non est in divinis nisi per relationes. Ergo
processiones in divinis praesupponunt relationes.
2. Il faut que la procession vienne à quelqu’un par un autre3; car de même que rien ne s’engendre soi-même
pour exister, comme Augustin le dit (La
Trinité, I, 1), de même rien ne procède de soi. Donc la procession requiert
une distinction en Dieu. Mais celle-ci n’est en lui que par les relations. Donc
les processions en Dieu préspposent les relations.
Réponse:
q. 10 a. 3 co. Respondeo. Dicendum quod ordo absque
distinctione non est. Unde ubi non est distinctio secundum rem, sed solum
secundum modum intelligendi, ibi non potest esse ordo nisi secundum modum
intelligendi. Distinctio autem secundum rem in divinis non est, nisi personarum
ad invicem, et oppositarum relationum; unde in divinis non est ordo realis nisi
quantum ad personas, inter quas est ordo naturae, secundum Augustinum, prout
est alter ex altero, non quod alter sit prior altero.
Il faut dire que l’ordre n’existe pas sans distinction. C’est pourquoi
où il n’y a pas de distinction, en réalité mais seulement selon la manière de
comprendre, il ne peut y avoir d’ordre que de cette manière de comprendre. Mais
la distinction en Dieu n’est en réalité que celle des personnes entre elles, et
celle des relations opposées; c’est pourquoi en lui il n’y a d’ordre réel que
pour les personnes, entre lesquelles il y a l’ordre de la nature, selon
Augustin, dans la mesure où l’un vient de l’autre, non que l’un soit avant
l’autre.
Processiones autem et relationes non distinguuntur in
divinis secundum rem, sed solum secundum modum intelligendi. Unde et Augustinus
dicit quod proprium patris est quod genuit filium. In quo datur intelligi, quod
generare filium sit proprietas patris; nec est alia proprietas quam paternitas,
quae dicitur esse patris proprietas personalis. Non est ergo inter processionem
et relationem in divinis quaerendus ordo secundum rem, sed secundum modum
intelligendi tantum.
Mais les processions et les relations ne sont pas réellement
distinguées en Dieu, mais seulement selon la manière de les comprendre. C’est
pourquoi Augustin (Fulgence) dit (La foi
à Pierre, II) que le propre du Père est d’avoir engendré le Fils. En quoi
il est donné à comprendre qu’engendrer le Fils est la propriété du Père; et il
n’y a pas d’autre propriété que la paternité, qu’on appelle la propriété
personnelle du Père. Donc entre la procession et la relation il n’y a pas à
chercher un ordre en réalité, mais selon la manière de le comprendre seulement.
Sicut autem relatio et processio in divinis sunt idem
secundum rem, et differunt secundum rationem tantum, ita et ipsa relatio,
quamvis sit una secundum rem, est tamen multiplex secundum modum intelligendi.
Intelligimus enim ipsam relationem ut constitutivam personae; quod quidem non
habet in quantum est relatio. Quod ex hoc patet, quia relationes in rebus
humanis non constituunt personas, cum relationes sint accidentia; persona vero
est aliquid subsistens in genere substantiae; substantia autem per accidens
constitui non potest. Sed habet hoc relatio in divinis quod personam constituat
in quantum est divina relatio; ex hoc enim habet quod sit idem cum divina
essentia, cum in Deo nullum accidens esse possit: relatio enim, quia secundum
rem est ipsa natura divina, hypostasim divinam constituere potest. Est ergo
alius modus intelligendi quo intelligitur relatio ut constitutiva divinae
personae, et alius quo intelligitur relatio ut relatio est. Unde nihil prohibet
quod quantum ad unum modum intelligendi, relatio praesupponat processionem,
quantum vero ad alium sit e converso.
Mais de même que la relation et la procession sont identiques en
réalité, et diffèrent en raison seulement, de même la relation elle-même,
quoiqu’elle soit une en réalité, est cependant multiple selon la manière de la
comprendre. Car nous comprenons la relation elle-même comme constitutive de la
personne; ce qu’elle n’a pas en tant qu’elle est relation. De ce fait il est
clair que les relations chez les hommes ne constituent pas les personnes,
puisqu’elles sont des accidents; mais la personne est quelque chose de
subsistant dans le genre de la substance; la substance ne peut pas être
constituée par un accident. Mais la relation en Dieu elle constitue la personne
en tant qu’elle est relation divine; car du fait qu’elle est identique à
l’essence divine, car en Dieu il ne peut pas y avoir d’accidents, elle peut
constituer une hypostase divine. Donc il y a une manière de comprendre la relation
comme constitutive de la personne divine, et une autre manière par laquelle on
comprend la relation comme telle. C’est pourquoi rien n’empêche selon la
première manière de comprendre, que la relation présuppose les processions,
selon l’autre, c’est le contraire.
Sic ergo dicendum est, quod si consideretur relatio ut
relatio est, praesupponit processionis intellectum; si autem consideretur ut
est constitutiva personae, sic relatio quae est constitutiva personae, a qua
est processio, est prior secundum intellectum quam processio; sicut paternitas
in quantum est constitutiva personae patris, est prior secundum intellectum
quam generatio. Relatio autem quae est constitutiva personae procedentis etiam
in quantum est constitutiva personae, est posterior secundum intellectum quam
processio, sicut filiatio quam nativitas; et hoc ideo quia persona procedens
intelligitur ut terminus processionis.
Ainsi il faut donc dire que, si on considère la relation comme telle,
elle présuppose le concept de procession; mais si on la considère comme
constitutive de la personne, alors cette relation, d’où vient la procession,
est selon l’esprit avant la procession; de même que la paternité en tant que
constitutive de la personne du Père est selon l’esprit avant la génération.
Mais la relation qui est constitutive de la personne qui procède aussi en tant
que constitutive de la personne, est selon l’esprit après la procession, comme
la filiation est après la naissance; et cela parce que la personne qui procède
est comprise comme le terme de la procession.
Solutions:
q. 10 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Magister loquitur
de paternitate considerata secundum quod relatio est.
# 1. Le Maître parle de la paternité considérée comme relation.
q. 10 a. 3 ad 2 Et similiter dicendum ad secundum et tertium.
# 2. 3. Il faut dire la même chose pour la seconde et la troisième
objection.
q. 10 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in rebus in quibus
relationes sunt accidentia, oportet quod relatio praesupponat distinctionem; in
divinis autem relationes constituunt tres personas distinctas.
# 4. Dans ce en quoi les relations sont des accidents, il faut que la
relation présuppose la distinction; mais en Dieu les relations constituent
trois personnes distinctes.
q. 10 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod paternitas est de
intellectu filiationis, et e converso, secundum quod utrumque consideratur ut
relatio quaedam. Sic autem dicimus, quod relationes sequuntur processiones
ordine intellectus.
# 5. La paternité fait partie du concept de filiation et inversement,
selon que l’une et l’autre sont considérées comme une relation. Ainsi nous
disons que les relations suivent les processions dans l’ordre du concept.
q. 10 a. 3 ad s. c. Aliae duae rationes procedunt de
relationibus secundum quod sunt constitutivae personarum.
Les deux autres raisons procèdent des relations selon qu’elles sont
constitutives des personnes.
1 Parall.: Ia, qu. 42, a. 3, — I Sent. D. 12, a. 1 — D. 20, a. 3 — Contra errores Graecorum, P. II, c. 31.
2 Thomas 1001-1002. Tricot p. 294.
3
Celui qui procède vient d’un autre.
Article 4: L’Esprit saint procède-t-il du Fils?
q. 10 a. 4 tit. 1 Quarto quaeritur utrum
spiritus sanctus procedat a filio. Et videtur quod non.
Il semble que non.
Objections1:
q. 10 a. 4 arg. 1 Dicit enim Dionysius, quod filius et spiritus
sanctus sunt sicut flores deigenae divinitatis. Flos autem non est a flore.
Ergo spiritus sanctus non est a filio.
1. Car Denys (les Noms divins, III) dit que le Fils et
l’Esprit saint sont comme les fleurs de la divinité qui engendre Dieu. Mais la
fleur ne vient pas de la fleur. Donc l’Esprit saint ne vient pas du Fils.
q. 10 a. 4 arg. 2 Praeterea, si filius est principium spiritus
sancti, aut hoc habet a se, aut ab alio. A se non habet: non enim filio in
quantum filius est, convenit esse principium, sed magis esse a principio. Si
autem habet a patre, oportet quod hoc modo sit principium sicut pater. Pater
autem est principium per generationem. Ergo filius erit principium spiritus
sancti per generationem; et ita spiritus sanctus erit filius filii.
2. Si le Fils est le principe de l’Esprit saint ou bien il le tient de
lui-même ou d’un autre. Il ne le tient pas de lui, car ce n’est pas au Fils en
tant que tel qu’il convient d’être principe, mais plutôt de dépendre du
principe. Mais s’il le tient du Père, il faut que de cette manière, il soit principe
comme (le) père. Mais le Père est le principe par génération. Donc le Fils sera
principe de l’Esprit saint par génération; et ainsi l’Esprit saint sera le fils
du Fils.
q. 10 a. 4 arg. 3 Praeterea, quidquid est commune patri et
filio, similiter convenit utrique. Si ergo esse principium est commune patri et
filio, filius erit principium eo modo quo pater. Pater autem est principium per
generationem. Ergo et filius; et sic idem quod prius.
3. Tout ce qui est commun au Père et au Fils convient de la même
manière à l’un et à l’autre. Si donc être principe est commun au Père et au
Fils, le Fils sera principe à la manière du Père. Mais le Père est le principe
par génération. Donc le Fils aussi; et ainsi de même que ci-dessus.
q. 10 a. 4 arg. 4 Praeterea, filius ideo filius est, quia
procedit a patre et est verbum ipsius; spiritus autem sanctus dicitur verbum
filii, secundum Basilium, qui hoc accipit ex eo quod apostolus dicit Hebr. I,
3, quod filius portat omnia verbo virtutis suae. Si ergo spiritus sanctus procedit
a filio, oportet quod sit filius filii.
4. Le Fils est ainsi, parce qu’il procède du Père et est son Verbe;
mais on dit que l’Esprit saint est le verbe du Fils, selon Basile (Contre Eunome, V, ch. commençant par propterea) qui le reçoit du fait que
l’Apôtre dit en Hébr. I, 3, que le
Fils porte "tout par le verbe de sa
puissance2". Si donc l’Esprit
saint procède du Fils, il faut qu’il soit le fils du Fils.
q. 10 a. 4 arg. 5 Praeterea, licet secundum rem paternitas et
filiatio per prius sit in Deo quam in nobis, secundum illud apostoli ad Ephes.
III, 15: ex quo, scilicet Deo patre, omnis paternitas in caelo et in terra
nominatur; tamen secundum nominis impositionem haec nomina translata sunt ab
humanis ad divina. Sed in humanis procedens a filio vocatur nepos. Si ergo
spiritus sanctus procedit a filio, erit nepos patris; quod est absurdum.
5. Bien qu’en réalité la paternité et la filiation soient en Dieu avant
d’être en nous, selon cette parole de l’Apôtre Eph. III, 15: De qui, à
savoir de Dieu le Père, toute paternité
tire son nom au ciel et sur terre…"; cependant selon leur
dénomination, ces noms ont été transférés de ce qui est humain à ce qui est
divin. Mais chez les hommes celui qui procède du fils est appelé petit-fils. Si
donc l’Esprit saint procède du Fils, il sera le petit-fils du Père, ce qui est
absurde.
q. 10 a. 4 arg. 6 Praeterea, proprietas filii est in
accipiendo: ex hoc enim filius dicitur quod accipit naturam patris per
generationem. Si ergo filius ex se emittat spiritum sanctum, erunt in filio
proprietates contrariae; quod est inconveniens.
6. La propriété du Fils est dans la réception; du fait qu’on dit que le
Fils reçoit la nature du Père par génération. Si donc le Fils émet l’Esprit
saint à partir de lui-même, il y aura en lui deux propriétés contraires, ce qui
ne convient pas.
q. 10 a. 4 arg. 7 Praeterea, quidquid est in divinis, aut est
commune, aut proprium. Emittere autem spiritum sanctum non est commune toti
Trinitati: non enim convenit spiritui sancto. Ergo est proprium patris, et sic
non convenit filio.
7. Tout ce qui est en Dieu, est commun ou propre. Mais émettre l’Esprit
saint n’est pas commun à toute la Trinité; car cela ne convient pas à l’Esprit
saint. Donc c’est le propre du Père, et ainsi cela ne convient pas au Fils.
q. 10 a. 4 arg. 8 Praeterea, spiritus sanctus amor est, ut
Augustinus probat in Lib. de Trinit. Amor autem patris in filium gratuitus est;
non enim amat filium quasi aliquid ab eo accipiens, sed solum quasi aliquid ei
dans. Amor autem filii in patrem, est amor debitus; sic enim amat patrem quasi
aliquid ab eo accipiens. Amor autem debitus est alius ab amore gratuito. Si
ergo spiritus sanctus sit amor a patre et filio procedens, sequitur quod sit
alius a seipso.
8. L’Esprit saint est amour, comme Augustin le prouve dans La Trinité. Mais l’amour du Père dans le
Fils est gratuit, car il n’aime pas le Fils comme celui qui reçoit quelque
chose de lui, mais seulement comme lui donnant quelque chose. Mais l’amour du
Fils dans le Père est un amour dû; car il aime le Père en tant qu’il reçoit de
lui. Mais l’amour dû est autre que l’amour gratuit. Si donc l’Esprit saint est
l’amour qui procède du Père et du Fils, il en découle qu’il est autre que
lui-même.
q. 10 a. 4 arg. 9 Praeterea, spiritus sanctus est amor
gratuitus; unde et ab eo profluunt divisiones gratiarum, secundum illud I Cor.
XII, 4: divisiones gratiarum sunt, idem vero spiritus. Si ergo amor filii in
patrem non est amor gratuitus, spiritus sanctus non erit amor filii; non ergo
procedit a filio.
9. L’Esprit saint est l’amour gratuit; c’est pourquoi coule de lui la
diversité de grâces, selon ce mot de I
Co. 12, 4: Il y a diversité des grâces, mais c’est le même Esprit."
Si donc l’amour du Fils dans le Père n’est pas un amour gratuit, l’Esprit saint
ne sera pas l’amour du Fils; donc il ne procède pas du Fils.
q. 10 a. 4 arg. 10 Praeterea, si spiritus sanctus
procedit a filio ut amor, cum filius amet patrem sicut mater filium, oportebit
quod spiritus sanctus sicut procedit a patre in filium, ita procedat a filio in
patrem. Hoc autem est impossibile, ut videtur; sequeretur enim quod pater
aliquid a filio reciperet, quod penitus esse non potest.
10. Si l’Esprit saint procède du Fils comme amour, puisque le Fils aime
le Père comme une mère aime son fils, il faudra que l’Esprit saint procède du
Père dans le Fils, de même qu’il procède du Fils dans le Père. Mais cela est
impossible, semble-t-il; car il en découlerait que le Père recevrait quelque
chose du Fils, ce qui est tout à fait impossible.
q. 10 a. 4 arg. 11 Praeterea, sicut pater et filius diligunt
se, ita filius et spiritus sanctus, vel pater et spiritus sanctus. Si ergo
spiritus sanctus procedit a patre et filio, quia pater et filius diligunt se;
pari ratione quia pater et spiritus sanctus diligunt se, procedit spiritus
sanctus a seipso, quod est impossibile.
11. De même que le Père et le Fils s’aiment, de même aussi le Fils et
l’Esprit saint, ou le Père et l’Esprit saint. Si donc l’Esprit saint procède du
Père et du Fils, parce que le Père et le Fils s’aiment, à raison égale, parce
que le Père et l’Esprit saint s’aiment, l’Esprit saint procède de lui-même, ce
qui est impossible.
q. 10 a. 4 arg. 12 Praeterea, Dionysius dicit: universaliter
non est audendum dicere aliquid nec etiam cogitare de supersubstantiali occulta
divinitate, praeter ea quae divinitus nobis ex sacris eloquiis sunt expressa.
12. Denys dit (les Noms divins, I,
PG, 3, 588 A3): "Généralement il ne faut pas oser dire
quelque chose ni le penser de la divinité supersubstantielle cachée, au-delà de
ce qui nous a été divinement exprimé par les paroles sacrées".
In Scriptura autem sacra non exprimitur quod spiritus
sanctus procedat a filio, sed solum quod procedat a patre, secundum illud Ioan. XV, 26: cum venerit Paraclitus quem ego mittam vobis a patre, spiritum
veritatis, qui a patre procedit. Non ergo dicendum est nec cogitandum quod
spiritus sanctus procedit a filio.
Mais dans l’Écriture sainte, il n’est pas dit que l’Esprit saint procède
du Fils, mais seulement qu’il procède du Père, selon cette parole de Jean, 15, 26: "Quand sera venu le Paraclet que je vous enverrai par le Père, l’Esprit
de vérité, qui procède du Père…". Donc il ne faut ni dire ni penser
que l’Esprit saint procède du Fils.
q. 10 a. 4 arg. 13 Praeterea, in gestis I Ephesinae synodi sic
dicitur, quod perlecto symbolo Nicenae synodi decrevit sancta synodus aliam
fidem nulli licere proferre vel conscribere vel componere, praeter definitam a
sanctis patribus, qui in Nicaea congregati sunt cum spiritu sancto;
praesumentes autem aut componere fidem alteram aut protendere aut proferre
volentibus converti ad notitiam veritatis vel ex Paganitate vel ex Iudaismo,
vel ex haeresi aliqua; hos, si quidem sint episcopi aut clerici, alienos esse
episcopos ab episcopatu, et clericos a clericatu; si vero sint laici,
anathematizari. Et similiter in gestis Chalcedonensis synodi, post recitatam
determinationem Conciliorum subditur: eos autem qui ausi sunt componere fidem
alteram, aut proferre aut docere aut tradere alterum symbolum volentibus vel ex
gentilitate ad cognitionem veritatis, vel Iudaeis, vel ex haeresi quacumque
converti; hoc, si episcopi fuerint aut clerici, alienos esse episcopos ab
episcopatu, et clericos a clero; si vero monachi aut laici fuerint,
anathematizari. In praemissa autem Concilii determinatione non habetur quod
spiritus sanctus procedit a filio, sed solum quod procedat a patre. Legitur
etiam in symbolo Constantinopolitanae synodi: credimus in spiritum sanctum
dominum et vivificantem, ex patre procedentem, cum patre et filio adorandum et
conglorificandum. Nullo ergo modo debuit addi in symbolo fidei
quod spiritus sanctus procedat a filio.
13. Dans les actes du Concile d’Éphèse, I4,
on dit ainsi qu’ayant parcouru le Symbole du Concile de Nicée, le saint Concile
décréta "ne permettre à personne de
proférer, d’écrire ou d’établir une autre foi, que celle définie par les pères
qui se sont rassemblés à Nicée, avec l’Esprit saint; mais ceux qui osent
établir une autre foi, la répandre, ou la proférer à ceux qui veulent se
convertir pour connaître la vérité, qu’ils soient du paganisme, du Judaïsme, ou
d’une hérésie, si ceux-ci sont des Évêques ou des clercs, que les évêques
soient dépossédés de l’épiscopat, et les clercs de la cléricature; mais si ce
sont des laïcs, qu’il soient anathèmes." Et de la même manière dans
les actes du Concile de Chalcédoine5,
après avoir lu la décision des conciles, il est ajouté: "Ceux qui ont osé présenter une autre foi, ou proférer ou
enseigner ou rapporter un autre symbole à ceux qui voulaient se convertir du
paganisme pour la connaissance de la vérité ou des Juifs, ou d’une hérésie
quelconque, que si ce sont des évêques ou des clercs, si ce sont des évêques
qu’ils soient dépossédés de l’épiscopat, les clercs de la cléricature, si ce
sont des moines ou des laïcs qu’ils soient anathèmes." Dans la
décision annoncée du concile, il n’y a pas que l’Esprit saint procède du Fils,
mais seulement qu’il procède du Père. On lit aussi dans le Symbole du Concile
de Constantinople6: "Nous croyons dans l’Esprit saint Seigneur et
vivificateur, qui procède du Père, qui doit être adoré et glorifié avec le Père
et Fils" En aucune manière il n’a dû être ajouté dans le symbole de la
foi que l’Esprit saint procède du Fils.
q. 10 a. 4 arg. 14 Praeterea, si spiritus sanctus dicitur a
filio procedere, aut hoc dicitur propter aliquam auctoritatem Scripturae, aut
propter aliquam rationem. Auctoritas quidem sacrae Scripturae ad hoc
ostendendum nulla videtur esse sufficiens; habetur siquidem in sacris
Scripturis, quod spiritus sanctus sit filii; sicut dicitur Galat. IV, 6: misit
Deus spiritum filii sui in corda vestra; et Rom. VIII, 9: si quis spiritum
Christi non habet, hic non est eius. Habetur etiam quod spiritus sanctus sit
missus a filio: dicit enim Christus, Ioan. XVI, 7: si enim non abiero,
Paraclitus non veniet ad vos, si autem abiero, mittam eum ad vos. Non autem
sequitur quod spiritus sanctus procedat a filio ex eo quod est filii, quia hoc
huius multipliciter dicitur, secundum philosophum. Similiter etiam neque ex eo
quod spiritus sanctus dicitur missus a filio; quia licet filius non sit a
spiritu sancto dicitur tamen a spiritu sancto missus, secundum illud Is.
XLVIII, 16, ex persona Christi: et nunc misit me dominus Deus, et spiritus
eius; et Is., LXI, 1: spiritus domini super me (...) ad evangelizandum
mansuetis misit me: quod in se dicit Christum esse completum.- Similiter etiam
non potest per rationem efficaciter probari. Licet enim spiritus sanctus non
sit a filio, adhuc tamen, ut videtur, distincti ad invicem remanebunt:
differunt enim suis proprietatibus personalibus. Nihil ergo videtur cogere ad
dicendum spiritum sanctum procedere a filio.
14. Si on dit que l’Esprit saint procède du Fils, ou on le dit à cause
d’une autorité de l’Écriture, ou pour une autre raison. Aucune autorité de l’Écriture sainte ne semble suffisante
pour le montrer; il y a toutefois dans l’écriture sainte que l’Esprit saint est
du Fils; comme il est dit en Ga. 4, 6:"Dieu a envoyé l’Esprit de son Fils dans vos
cœurs;" et Rm. 8, 9: "Si quelqu’un n’a pas l’Esprit du Christ,
celui-là n’est pas de lui". On trouve aussi que l’Esprit saint a été
envoyé par le Fils; car le Christ dit (Jn
16, 7): "Car si je ne m’en vais
pas, le Paraclet ne viendra pas à vous, mais si je m’en vais, je vous
l’enverrai." Mais il n’en découle pas que l’Esprit saint procède du
Fils, du fait qu’il est du Fils, parce que huius
(de celui-ci7) est employé de nombreuses manières, selon
le philosophe. De la même manière aussi, ce n’est pas du fait qu’on dit que
l’Esprit saint est envoyé par le Fils, parce que, bien que le Fils ne soit pas
de l’Esprit saint, on dit cependant qu’il a été envoyé par lui selon cette
parole d’Is . 48, 16: "Et maintenant le Seigneur Dieu et son Esprit
m’ont envoyé" et Is. 61, 1:"L’esprit du Seigneur est sur moi… il m’a
envoyé pour annoncer la bonne nouvelle aux doux", ce qui dit en soi
que le Christ est un être complet.— De la même manière on ne peut pas le
prouver efficacement par la raison.
Car bien que l’Esprit saint ne soit pas du Fils, cependant jusqu’ici, à ce
qu’il semble, ils demeureront distincts entre eux: car ils diffèrent par leurs
propriétés personnelles. Donc rien ne semble forcer à dire que l’Esprit saint
procède du Fils.
q. 10 a. 4 arg. 15 Praeterea, omne quod procedit ab
aliquo, habet aliquid ab eo. Si ergo spiritus sanctus procedit a
duobus, scilicet a patre et filio, oportet quod a duobus accipiat; et sic
videtur sequi quod sit compositus.
15. Tout ce qui procède de quelqu’un a quelque chose de lui. Si donc
l’Esprit saint procède des deux, à savoir du Père et du Fils, il faut qu’il
reçoive des deux; et ainsi il semble en découler qu’il est composé.
q. 10 a. 4 arg. 16 Praeterea, de ratione principii est quod non
sit ab alio, secundum philosophum. Sed filius est ab alio, scilicet a patre.
Ergo filius non est principium spiritus sancti.
16. C’est la nature du principe de ne pas dépendre d’un autre, selon le
philosophe (Physique I, 6, 189 a 30).
Mais le Fils est d’un autre, à savoir du Père. Donc le Fils n’est pas le
principe de l’Esprit saint.
q. 10 a. 4 arg. 17 Praeterea, voluntas movet intellectum ad
operandum, homo enim intelligit quando vult. Sed spiritus sanctus procedit per
modum voluntatis ut amor, filius autem per modum intellectus ut verbum. Non ergo videtur quod spiritus procedat a filio, sed magis e converso.
17. La volonté met en mouvement l’esprit pour opérer; car l’homme
comprend quand il le veut. Mais l’Esprit saint procède par mode de volonté
comme amour, et le Fils par mode d’esprit comme Verbe. Il ne semble pas que
l’Esprit saint procède du Fils, mais c’est plutôt le contraire.
q. 10 a. 4 arg. 18 Praeterea,
nihil procedit ab eo in quo quiescit. Sed spiritus sanctus a patre procedit et
in filio quiescit, ut scribitur in passione beati Andreae. Ergo spiritus
sanctus non procedit a filio.
18. Rien ne procède de celui en qui il se repose. Mais l’Esprit saint
procède du Père et se repose dans le Fils, comme il est écrit dans la passion
du bienheureux André8. Donc l’Esprit
saint ne procède pas du Fils.
q. 10 a. 4 arg. 19 Praeterea, simplex non potest procedere a
duobus, quia effectus esset simplicior et prior quam causa. Sed spiritus
sanctus est simplex. Non ergo procedit a duobus, scilicet a patre et filio.
19. Ce qui est simple ne peut pas procéder de deux êtres, parce que
l’effet serait encore plus simple et avant la cause. Mais l’Esprit saint est
simple. Donc il ne procède pas des deux, à savoir du Père et du Fils.
q. 10 a. 4 arg. 20 Praeterea, si aliquid perfecte procedit ab
uno, superfluum est quod procedat a duobus. Sed spiritus sanctus perfecte
procedit a patre. Ergo superfluum esset quod procederet a patre et filio simul.
20. Si quelque chose procède parfaitement de l’un, il est superflu
qu’il procède des deux. Mais l’Esprit saint procède parfaitement du Père. Donc
il serait superflu qu’il procède du Père et du Fils en même temps.
q. 10 a. 4 arg. 21 Praeterea, sicut pater et filius sunt unum
in substantia et natura, ita pater et spiritus sanctus. Sed spiritus sanctus
non convenit cum patre in generatione filii. Ergo nec filius convenit cum patre
in emissione spiritus sancti.
21. De même que le Père et le Fils sont un en substance et nature, de
même le Père et l’Esprit saint. Mais l’Esprit saint ne se rencontre pas avec le
Père dans la génération du Fils. Donc le Fils ne se rencontre pas avec le père
dans l’émission de l’Esprit saint.
q. 10 a. 4 arg. 22 Praeterea, filius est radius patris, ut
patet per Dionysium. Spiritus autem sanctus est splendor. Splendor autem non
est a radio. Ergo nec spiritus sanctus est a filio.
22. Le Fils est le rayon du Père, comme on le voit chez Denys (La hiérarchie céleste). Mais l’Esprit
saint est la splendeur. Mais celle-ci ne vient pas du rayon. Donc l’Esprit
saint ne vient pas non plus du Fils.
q. 10 a. 4 arg. 23 Praeterea, filius est quoddam lumen patris,
cum sit verbum eius. Spiritus autem sanctus est sicut calor, est enim amor
quidam; unde et super apostolos in specie ignis apparuit. Calor autem non est a
lumine. Ergo nec spiritus sanctus a filio.
23. Le Fils est une lumière du Père, puisqu’il est son verbe. Mais
l’Esprit saint est comme la chaleur, car il est l’amour; c’est pourquoi il
apparut sur les Apôtres, sous l’espèce du feu (Act. 2, 3). Mais la chaleur ne vient pas de la lumière. Donc
l’Esprit saint ne vient pas du Fils.
q. 10 a. 4 arg. 24 Praeterea, Damascenus dicit, quod spiritus
sanctus dicitur esse filii, sed non a filio.
24. Jean Damascène rapporte qu’on dit que l’Esprit saint est du Fils,
mais non par le Fils.
En sens contraire:
q. 10 a. 4 s. c. 1 Sed contra. Est quod Athanasius dicit:
spiritus sanctus a patre et filio non factus nec creatus nec genitus, sed
procedens.
1. Il y a ce qu’Athanase dit (dans le Symbole9): "L’Esprit
saint par le Père et par le Fils, ni fait, ni créé, ni engendré, mais procédant
d’eux".
q. 10 a. 4 s. c. 2
Praeterea, spiritus sanctus dicitur tertia in Trinitate persona, secunda
filius, prima pater. Ternarius autem procedit ab unitate mediante binario. Ergo
spiritus sanctus procedit a patre mediante filio.
2. L’Esprit saint est appelé la troisième personne de la Trinité, le
Fils la seconde, le Père la première. Mais le troisième procède d’une double
unité intermédiaire. Donc l’Esprit saint procède du Père par l’intermédiaire du
Fils.
q. 10 a. 4 s. c. 3 Praeterea, cum inter divinas personas sit
summa convenientia, quaelibet divinarum personarum ad aliam habet immediatam
germanitatem. Hoc autem non esset, si spiritus sanctus non esset a filio; tunc
enim filius et spiritus sanctus non haberent germanitatem ad invicem immediate,
sed solum mediante patre, in quantum ambo sunt ab uno. Ergo spiritus sanctus
est a filio.
3. Comme parmi les personnes divines, il y a un accord suprême,
n’importe laquelle des personnes a une parenté immédiate avec l’autre. Mais
cela n’existerait pas, si l’Esprit saint ne venait pas du Fils, car alors le
Fils et l’Esprit saint n’aurait pas de parenté immédiate entre eux; mais
seulement par l’intermédiaire du Père, en tant que les deux viennent d’un seul.
Donc l’Esprit saint est du Fils.
q. 10 a. 4 s. c. 4 Praeterea, divinae personae non
distinguuntur ab invicem nisi secundum originem. Si ergo spiritus sanctus non
esset a filio, non distingueretur ab eo, quod est inconveniens.
4. Les personnes divines ne se distinguent entre elles que selon
l’origine. Si donc l’Esprit saint n’était pas du Fils, il ne serait pas
distingué de lui, ce qui ne convient pas.
Réponse:
q. 10 a. 4 co. Respondeo. Dicendum quod, secundum ea quae supra
determinata sunt, necesse est spiritum sanctum a filio procedere; oportet enim,
si filius et spiritus sanctus sunt duae personae, quod alia sit processio unius
et alia alterius. Ostensum autem est supra, quod non possunt esse duae
processiones in divinis nisi secundum ordinem processionum, ut scilicet a
procedente secundum unam processionem sit alia processio. Necesse est ergo quod
spiritus sanctus sit a filio.
Selon ce qui a été déterminé ci-dessus, il est nécessaire que l’Esprit
saint procède du Fils; car il faut, si le Fils et l’Esprit saint sont deux
personnes, que la procession de l’une soit différente de celle de l’autre. Mais
on a montré ci-dessus (art. 2) qu’il ne peut y avoir deux processions en Dieu
que selon leur ordre, pour qu’il y ait une autre procession de celui qui
procède par une première procession. Donc il est nécessaire que l’Esprit saint
vienne du Fils.
Sed praeter hanc rationem etiam ex aliis rationibus de
necessitate probatur quod spiritus sanctus sit a filio. Oportet enim quod omnis
differentia aliquorum sequatur ex prima radice distinctionis ipsorum; nisi
forte sit differentia per accidens, sicut ambulans differt a sedente; et hoc
ideo quia quaecumque per se insunt alicui, vel sunt de essentia eius, vel
consequuntur essentialia principia, ex quibus est prima radix distinctionis
rerum. In divinis autem non potest esse aliquid per accidens; quia omne quod
inest alicui per accidens, cum sit extraneum a natura eius, oportet quod
conveniat ei ex aliqua exteriori causa: quod non potest dici in divinis.
Mais en dehors de cette raison, on prouve nécessairement par d’autres
raisons que l’Esprit saint est du Fils. Car il faut que toute la différence des
choses découle de la première racine de leur distinction; à moins que par
hasard, il y ait une différence par accident, ainsi celui qui marche est
différent de celui qui est assis. Et cela parce que tout ce qui est par soi dans
une autre chose, ou est de son essence, ou bien accompagne les principes
essentiels, par lesquels il y a la première racine de la distinction. Mais en
Dieu il ne peut rien y avoir par accident; parce qu’il faut que tout ce qui est
en quelqu’un par accident, comme cela est étranger à sa nature, lui convienne
par quelque cause extérieure; ce qu’on ne peut pas dire en Dieu.
Oportet ergo quod omnis differentia divinarum personarum ad
invicem sequatur ex prima radice distinctionis earum. Prima autem radix distinctionis
patris et filii, est ex paternitate et filiatione. Oportet ergo quod omnis
differentia quae est inter patrem et filium, sequatur ex hoc quod ipse est
pater, et ille filius. Esse autem principium spiritus sancti non convenit patri
in quantum pater est, ratione paternitatis: sic enim non refertur nisi ad
filium; unde sequeretur quod spiritus sanctus esset filius.
Il faut donc que toute différence des personnes divines entre elles
découle par la première racine de leur distinction. Mais cette première racine
du Père et du Fils vient de la paternité et de la filiation. Il faut donc que
toute différence entre le Père et le Fils, découle du fait que l’un est le Père
et l’autre le Fils. Mais être le principe de l’Esprit saint ne convient pas au
Père en tant que Père, en raison de sa paternité: car ainsi il ne se réfère
qu’au Fils: aussi il en découlerait que l’Esprit saint serait le Fils.
Similiter autem nec hoc repugnat rationi filiationis, quia,
secundum filiationem, non refertur ad aliud nisi ad patrem. Non ergo potest
esse differentia inter patrem et filium in hoc quod pater sit principium
spiritus sancti, non autem filius.
De la même manière, cela ne s’oppose pas à la nature de la filiation,
parce que, selon elle, il ne se réfère à un autre qu’au Père. Donc il ne peut
pas y avoir de différence entre le Père et le Fils du fait que le Père est le
principe de l’Esprit saint , mais pas le Fils.
Item, sicut in libro
de synodis dicitur, creaturae proprium est quod voluntate sua Deus eam
produxerit. Quod Hilarius ex hoc probat quod creatura non est talis qualis est
Deus, sed qualem Deus eam voluit esse. Quia vero filius est talis qualis est
pater, dicitur quod pater genuit filium naturaliter. Eadem autem ratione
spiritus sanctus est a patre naturaliter, quia est similis et aequalis patri:
natura enim producit sibi simile. Oportet autem quod creatura, quae est a patre
secundum suam voluntatem, sit etiam a filio: quia eadem est voluntas patris et
filii. Similiter autem et eadem est natura utriusque.
De même, comme il est dit dans le livre des Synodes, le propre de la créature est que Dieu l’ait produit par sa
volonté. Ce qu’Hilaire prouve du fait que la créature n’est pas telle que Dieu,
mais telle que Dieu a voulu qu’elle soit. Mais parce que le Fils est tel que le
Père, on dit que le Père a engendré le Fils par nature. Mais, pour la même
raison, l’Esprit saint est du Père par nature, parce qu’il est semblable et
égal au Père; car la nature produit du semblable à elle. Il faut que la
créature qui est du Père selon sa volonté, soit aussi du Fils; parce que la
volonté du Père et celle du Fils sont identiques. De la même manière la nature
de l’un et l’autre est identique.
Oportet ergo quod sicut spiritus sanctus est a patre, ita
sit a filio. Nec tamen sequitur quod filius vel spiritus sanctus sint a spiritu
sancto, licet et ipse habeat unam naturam cum patre; sicut sequitur quod
creatura est ab eo in quantum habet unam voluntatem cum patre, propter
repugnantiam quae sequeretur, si spiritus sanctus diceretur esse a seipso, vel
si ab eo diceretur esse filius, qui est eius principium.
Il faut donc que, de même que l’Esprit saint est du Père,
il soit aussi du Fils. Et cependant il n’en découle pas que le Fils ou l’Esprit
saint soit de l’Esprit saint, bien que lui-même ait une seule nature avec le
Père; ainsi il découle que la créature est par lui en tant qu’il a une seule
volonté avec le Père, à cause de l’incompatibilité qui en découlerait, si on
disait que l’Esprit saint est de lui-même, ou si on disait que le Fils, est de
celui qui est son principe.
Hoc autem apparet alio modo: non enim potest esse in divinis
personis distinctio nisi secundum relationes; ea enim quae absolute dicuntur in
divinis, essentiam significant, et communia sunt, ut bonitas, sapientia et
huiusmodi. Relationes autem diversae non possunt facere distinctionem nisi
ratione suae oppositionis; diversae enim relationes possunt esse unius ad idem:
patet enim quod idem eiusdem potest esse filius, discipulus, aequalis, et
quaecumque aliae relationes quae oppositionem non includunt.
Mais cela apparaît d’une autre manière. Car il n’est pas possible qu’il
y ait une distinction dans les personnes divines, sinon par les relations; car
ce qui est dit dans l’absolu en Dieu, signifie l’essence, et est commun, comme
la bonté, la sagesse etc. Mais les différentes relations ne peuvent apporter de
distinction qu’en raison de leur opposition; car les relations différentes ne
peuvent être d’un seul au même; car il est clair que le même du même peut être
fils, disciple, égal et toutes les autres relations qui n’incluent pas
d’opposition.
Patet autem quod filius distinguitur a patre per hoc quod
aliqua relatione ad ipsum refertur, et similiter spiritus sanctus a patre
distinguitur propter aliquam relationem. Istae ergo relationes quantumcumque videantur
disparatae, nullo modo poterunt distinguere spiritum sanctum a filio, nisi sint
oppositae. Oppositio
autem alia in divinis esse non potest nisi secundum originem, prout scilicet
unus est ab alio. Nullo ergo modo filius et spiritus sanctus poterunt esse
distincti per hoc quod uterque diversimode referatur ad patrem, nisi unus eorum
referatur ad alterum ut ab eo existens.
Mais il est clair que le Fils se distingue du Père, parce qu’il se
réfère à lui par une relation et de la même manière l’Esprit saint se distingue
du Père à cause d’une relation. Donc ces relations pour si différentes qu’elles
paraissent, n’ont pu en aucune manière distinguer l’Esprit saint du Fils, à
moins qu’elles ne soient opposées. Mais une autre opposition en Dieu ne peut
exister que selon l’origine, dans la mesure où l’un est par l’autre. Donc en
aucune manière le Fils et l’Esprit saint n’ont pu être distincts parce que l’un
et l’autre sont en rapport de manières diverses au Père, sauf si l’un d’eux est
en rapport avec l’autre comme existant par lui.
Constat autem quod filius non est a spiritu sancto: de
ratione enim filii est quod non referatur nisi ad patrem ut ab eo existens.
Relinquitur, ergo de necessitate quod spiritus sanctus sit a filio.
Mais il est bien certain que le Fils n’est pas par l’Esprit saint: car
il est de sa nature de n’avoir rapport qu’au Père comme existant par lui. Il
reste donc nécessairement que l’Esprit saint est du Fils.
Sed quia potest aliquis dicere, quod ea quae sunt fidei non
sunt solum rationibus sed auctoritatibus confirmanda, restat ostendere per
auctoritates sacrae Scripturae quod spiritus sanctus sit a filio. Habetur enim
in pluribus sacrae Scripturae locis quod spiritus sanctus sit filii; sicut Rom. VIII, 9: qui spiritum Christi non habet, hic non est eius; et Galat., IV, 6: misit Deus spiritum filii sui in corda vestra; et Act. XVI, 7: tentabant ire Bithyniam, et non permisit eos spiritus Iesu. Non
enim potest intelligi quod spiritus sanctus sit spiritus Christi solum secundum
humanitatem, quasi ipsum replens, quia spiritus sanctus est alicuius hominis ut
habentis, non autem ut dantis. Filii autem est spiritus sanctus ut dantis
ipsum, secundum illud I Ioan. IV, 13:
in hoc cognoscimus quoniam in eo manemus,
et ipse in nobis, quia de spiritu suo dedit nobis; et Act. V, 32, dicitur, quod dedit spiritum sanctum obedientibus sibi.
Mais parce qu’on peut dire que ce qui concerne la foi ne dépend pas
seulement de raisonnements mais doit être confirmé par les autorités de l’Écriture
sainte, il reste à montrer par les autorités que l’Esprit saint est du Fils.
Car on trouve en plusieurs endroits de l’Écriture sainte, que l’Esprit saint
est du Fils; comme en Rm, 16, 7: "Qui n’a pas l’Esprit du Christ, celui-là
n’est pas de lui"; et Ga. 4,
6: "Dieu a envoyé l’Esprit du Fils
dans vos cœurs;" et Act. 16,
7: "Ils tentaient d’aller en
Bithynie, et l’Esprit de Jésus ne le permit pas". Car on ne peut pas
comprendre que l’Esprit saint soit l’Esprit du Christ seulement selon
l’humanité, comme le complétant, parce que l’Esprit saint est d’un homme en
tant qu’il possède, mais non en tant qu’il donne10.
Mais l’Esprit saint est du Fils en tant qu’il le donne selon ce mot de Jn 4, 13: "A cela nous connaissons que nous demeurons en lui et lui-même en nous,
parce qu’il nous l’a donné de son Esprit" et en Act. 5, 32, il est dit qu’il a donné son Esprit saint à ceux qui
lui obéissent.
Oportet ergo quod dicatur esse spiritus sanctus filii, in
quantum est divina persona. Aut ergo dicitur esse absolute eius, aut dicitur
esse eius ut spiritus eius. Si autem absolute, tunc oportet quod sit aliqua
auctoritas filii respectu spiritus sancti. Apud nos enim potest dici aliquis
esse alterius secundum quid, qui non habet auctoritatem respectu ipsius, sicut
cum dicitur, Petrus est socius Ioannis; sed non potest dici, Petrus esse
Ioannis absolute, nisi sit quaedam possessio eius, sicut servus, hoc ipsum quod
est, dicitur esse domini. In divinis autem non potest esse aliquid serviens vel
subiectum; sed intelligitur ibi auctoritas secundum solam originem. Oportebit
ergo quod spiritus sanctus habeat originem a filio.
Il faut donc dire que l’Esprit saint est du Fils, en tant que personne
divine. Donc, ou bien on dit qu’il est de lui selon l’absolu, ou bien comme son
esprit. Si c’est selon l’absolu, alors
il faut qu’il y ait une autorité du Fils par rapport à l’Esprit saint. Chez
nous en effet on peut dire de quelqu’un qu’il est d’un autre sous un certain
rapport, qui n’a pas d’autorité par rapport à lui, comme quand on dit; Pierre
est le compagnon de Jean; mais on ne peut pas dire que Pierre est de Jean dans
l’absolu, à moins qu’il soit sa possession, comme esclave, ce qu’il est est dit
du maître. Mais en Dieu il ne peut pas y avoir un serviteur ou un sujet, mais
on comprend l’autorité selon la seule origine. Donc il faudra que l’Esprit
saint tire une origine du Fils.
Et idem sequitur, si dicatur spiritus sanctus esse filii ut
spiritus eius; quia spiritus, secundum quod est nomen personale, importat
relationem originis ad spirantem, sicut filius ad generantem. Similiter etiam
invenitur in Scripturis quod filius mittit spiritum sanctum, sicut supra dictum
est. Semper autem mittens videtur habere auctoritatem supra missum. Auctoritas
autem in divinis, ut dictum est, non est nisi secundum originem. Unde sequitur
quod spiritus sanctus originem habeat a filio.
Et il en découle la même chose, si on dit que l’Esprit saint est du
Fils comme son esprit; parce que l’Esprit , selon qu’il est un nom personnel,
apporte une relation d’origine à celui qui spire, comme le Fils à celui qui
engendre. De la même manière aussi on trouve dans les Écritures que le Fils
envoie l’Esprit saint, comme on l’a dit ci-dessus. Mais toujours celui qui
envoie semble avoir l’autorité sur celui qui est envoyé. Mais l’autorité en
Dieu, comme on l’a dit, ne dépend que de l’origine. C’est pourquoi il en
découle que l’Esprit saint tire son origine du Fils.
Habetur autem ex sacra Scriptura quod per spiritum sanctum
configuramur filio, secundum illud Rom.
VIII, 15: accepistis spiritum adoptionis
filiorum; et Galat. IV, 6: quoniam estis filii, misit Deus spiritum
filii sui in corda vestra. Nihil autem configuratur alicui nisi per eius
proprium characterem. In naturis etiam creatis ita est quod id quod conformat
aliquid alicui, est ab eo; sicut semen hominis non assimilatur equo, sed homini
a quo est. Spiritus autem sanctus est a filio tamquam proprius character eius;
unde dicitur de Christo, II Cor. I,
21-22: quod signavit nos, et unxit nos et
dedit pignus spiritus in cordibus nostris. Expressius autem filii, de
spiritu sancto dicentis: ille me clarificabit quia de meo accipiet. Constat
autem quod non accipit a filio spiritus sanctus, quasi prius non habens: quia
sic esset mutabilis et indigentis naturae. Constat ergo quod ab aeterno accipit
a filio; nec potuit accipere aliquid quod non sit eius essentia ab aeterno.
Ergo accepit spiritus sanctus essentiam de filio.
On voit aussi par l’Écriture sainte que nous sommes configurés au Fils
par l’Esprit saint, selon cette parole de Rm
8, 15: "Vous avez reçu un Esprit
d’adoption de fils11" et Ga. 4, 6: "Parce que vous êtes des fils, Dieu a envoyé l’Esprit de son Fils en vos
cœurs". Mais rien n’est configuré à quelqu’un que par sa propre
marque. Dans les créatures aussi ce qui conforme quelque chose à quelqu’un
vient de lui; ainsi la semence de l’homme n’est pas semblable à celle du cheval;
mais à l’homme d’où elle vient. Mais l’Esprit saint est du Fils comme sa marque
la plus propre; c’est pourquoi il est dit du Christ II Co. 1, 21-22: "Il (le
Père) nous a marqué du sceau, donné
l’onction et le gage de l’Esprit dans nos cœurs12." Mais plus expressément du Fils qui
dit au sujet de l’Esprit saint: "Il
m’a glorifié parce qu’il a reçu de moi." Il est clair que l’Esprit saint n’a pas reçu du Fils
comme n’ayant pas avant lui: parce qu’ainsi il serait changeant et d’une nature
dans le besoin. Donc il est clair qu’il a reçu du Fils de toute éternité; et
n’a pu recevoir rien qui ne soit pas son essence de toute éternité. Donc
l’Esprit saint a reçu l’essence du Fils.
Rationem autem quare de filio acceperit spiritus sanctus,
ipsemet filius subiunxit, dicens, Ioan.
XVI, 15: omnia quaecumque habet pater mea
sunt. Propterea dixi: quia de meo accipiet; quasi diceret quia eadem est
essentia patris et mea, non potest spiritus sanctus esse de essentia patris,
quin sit de mea essentia. Traditur etiam in sacra Scriptura quod
filius per spiritum operatur, sicut habetur Rom.
XV, 18: per me effecit Christus, scilicet
miracula, et alia bona in spiritu sancto,
idest per spiritum sanctum; et Hebr.
IX, 14, dicitur quod per spiritum sanctum
obtulit semetipsum. Quandocumque autem aliquis per aliquem dicitur operari,
oportet quod vel operans det virtutem operativam ei per quem operatur, sicut
rex dicitur operari per praepositum vel ballivum; vel e converso, sicut cum
dicitur ballivus operari per regem.
La raison pour laquelle l’Esprit saint a reçu du Fils, le Fils lui-même
l’a ajouté, en disant Jn 16, 15:"Tout ce qu’a le Père est à moi. C’est
pourquoi j’ai dit: parce qu’il a reçu de moi…", comme s’il disait que
l’essence du Père et la mienne est la même, l’Esprit saint ne peut pas être de
l’essence du Père, qu’il ne soit de la mienne. L’Écriture sainte rapporte aussi
que le Fils opère par l’Esprit, comme on le voit en Rm 15, 18: "Le Christ
l’a fait par moi", à savoir les miracles et autres biens (dit
l’Apôtre) dans l’Esprit saint",
c'est-à-dire par l’Esprit saint et en Hébr.
9, 14: il est dit que "par
l’Esprit saint il s’est offert lui-même" . Quelquefois aussi on dit
que quelqu’un opère par un autre, il faut que ou bien celui qui opère lui donne
le pouvoir d’opérer, par lequel il opère, comme on dit que le roi opère par un
prévôt ou un bailli, ou au contraire comme quand on dit que le bailli opère par
le roi.
Oportet ergo, si filius operatur per spiritum sanctum, quod
vel spiritus sanctus det virtutem operativam filio, vel filius spiritui sancto;
et ita quod unus alteri det essentiam, cum virtus operativa utriusque non sit
aliud quam eius essentia. Constat autem quod spiritus sanctus non dat essentiam
filio, cum filius non sit filius nisi patris. Relinquitur ergo quod spiritus
sanctus sit a filio.
Il faut donc, si le Fils opère par l’Esprit saint que ou
bien celui-ci donne le pouvoir d’opérer au Fils ou bien que le Fils le donne à
l’Esprit saint; et ainsi que l’un donne l’essence à l’autre, puisque le pouvoir
d’opérer de l’un et l’autre n’est pas autre que son essence. Mais il est clair
que l’Esprit saint ne donne pas l’essence au Fils, puisque celui-ci n’est le
Fils que du Père. Il reste donc que l’Esprit saint est du fils.
Ex hac ergo ratione per ea quae Graeci confitentur, potest
idem haberi: confitentur enim ipsi quod spiritus sanctus est a patre per
filium, et quod pater spirat spiritum sanctum per filium. Semper autem illud
per quod aliquid producitur est principium eius quod producitur. Oportet ergo
quod filius sit principium spiritus sancti. Si autem refugiant confiteri quod
spiritus sanctus sit a filio, quia filius est ab alio,- et sic non est prima
radix originis spiritus sancti,- manifestum est quod vane moventur; nullus enim
refugit dicere lapidem moveri a baculo, licet baculus moveatur a manu; nec
Iacob esse ab Isaac, licet Isaac sit ab Abraham. Sed adhuc minus est in
proposito refugiendum; est enim una vis productiva patris et filii; quod non
accidit in moventibus et agentibus creatis.
Et pour cette raison par ce que les Grecs confessent, on peut avoir le même
résultat. Car ils confessent eux-mêmes que l’Esprit saint est du Père par le
Fils et que le Père spire l’Esprit saint par le Fils. Mais toujours ce qui
produit est le principe de ce qui est produit. Il faut donc que le Fils soit le
principe de l’Esprit saint. Mais s’ils refusaient de confesser que l’Esprit
saint est du Fils, parce que le Fils est d’un autre — et ainsi il n’est pas la
première racine de l’origine de l’Esprit saint — il est clair qu’ils s’agitent
en vain; car personne ne refuse de dire que la pierre est mue par le bâton,
bien que le bâton soit mû par la main; et que Jacob n’est pas d’Isaac, bien que
ce dernier soit d’Abraham. Mais il faut encore moins le refuser, car il y a une
force productive du Père et du Fils; ce qui n’arrive pas dans les moteurs et
les agents créés.
Unde sicut confitendum est quod creaturae sunt a filio,
licet filius sit a patre, ita confitendum est quod spiritus sanctus sit a
filio, licet filius sit a patre. Manifestum est ergo quod dicentes spiritum
sanctum esse a patre per filium, non autem a filio, propriam vocem ignorant,
sicut Aristoteles de Anaxagora dicit: volentes
enim esse legis doctores, non intelligunt neque de quibus loquuntur, neque de
quibus affirmant, ut dicitur I
Timoth. cap. I, 7.
C’est pourquoi de la même manière qu’il faut confesser que
les créatures sont du Fils, bien que le Fils soit du Père, de même il faut
confesser que l’Esprit saint est du Fils, bien que le Fils soit du Père. Donc
il est clair que ceux qui disent que l’Esprit saint est du Père par le Fils,
mais pas du Fils, ignorent ce qu’ils disent; comme Aristote le dit d’Anaxagore.
"Car voulant être des docteurs de la
loi, ils ne comprennent pas ni de quoi ils parlent ni ce qu’ils affirment",
comme il est dit en 1 Tm. 1, 7.
Solutions:
q. 10 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod filius et
spiritus sanctus dicuntur flores deigenae divinitatis, id est paternae, prout
uterque a patre est. Sed quantum ad hoc quod spiritus sanctus a filio est,
potest dici filius esse radix, et spiritus sanctus flos; non enim oportet ut
similitudo rerum corporalium observetur quantum ad omnia in divinis.
# 1. Il faut donc dire que le Fils et l’Esprit saint sont appelés des
fleurs engendrées de Dieu, c'est-à-dire des fleurs paternelles dans la mesure
où l’un et l’autre sont du Père. Mais quant à ce que l’Esprit saint est du
Fils, on peut dire que le Fils est la racine, et l’Esprit saint la fleur; car
il ne faut pas tenir compte de la ressemblance avec ce qui est corporel pour
tout ce qui est en Dieu.
q. 10 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod filius hoc habet a
patre quod ex se spiritum sanctum emittat: unde et eodem modo convenit ei sicut
et patri. Sed pater non est principium divinae personae uno modo tantum, sed
duobus, scilicet per generationem et spirationem. Unde non potest concludi quod
filius sit principium spiritus sancti per generationem; sed est fallacia
consequentis, et praecipue cum nec etiam pater sit principium spiritus sancti
per generationem.
# 2. Le Fils tient du Père qu’il émet l’Esprit saint de lui: c’est
pourquoi et de la même manière cela lui convient comme au Père. Mais le Père
n’est pas le principe de la personne divine d’une seule manière, mais de deux,
à savoir par génération et spiration. C’est pourquoi on ne peut conclure que le
Fils est le principe de l’Esprit saint, par génération, mais c’est une erreur
de raisonnement et surtout puisque le Père n’est pas le principe de l’Esprit
saint par génération.
q. 10 a. 4 ad 3 Et similiter dicendum est ad tertium.
# 3. Il faut dire de même pour la troisième objection.
q. 10 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod spiritus sanctus non
potest dici verbum proprie, sed communiter, prout omne quod est manifestativum
alicuius verbum ipsius dicitur. Spiritus enim sanctus est manifestativus filii,
secundum quod de spiritu sancto filius dicit Ioan. XVI, 14: ille me
clarificabit, quia de meo accipiet. Filius autem proprie dicitur verbum, quasi
conceptio intellectus divini.
# 4. L’Esprit saint ne peut pas être appelé verbe au sens propre, mais
communément, dans la mesure où tout ce qui manifeste quelque chose est appelé
son verbe. Car l’Esprit saint
manifeste le Fils, selon ce que le Fils dit de lui: Jn 16,14: "Il me
glorifiera, parce qu’il a reçu de moi". Mais le Fils est appelé le
Verbe au sens propre, comme une conception de l’esprit divin.
q. 10 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in humana origine
dicitur nepos qui eodem modo procedit a filio sicut filius a patre. Spiritus
autem sanctus non procedit in divinis a filio sicut filius a patre; et ideo
ratio non sequitur.
# 5. Dans la génération chez les hommes, on appelle petit-fils celui
qui procède de la même manière du fils comme le fils procède du Père. Mais
l’Esprit saint ne procède pas du Fils en Dieu, comme le fils du Père, et c’est
pourquoi la raison n’est pas valable.
q. 10 a. 4 ad 6 Ad sextum dicendum, quod esse principium non
est contrarium ei quod est esse a principio, nisi intelligatur respectu
eiusdem: non enim potest esse aliquid principium eius a quo est sicut a
principio. Unde non sequitur quod in filio sint contrariae proprietates, si sit
a patre sicut a principio et sit principium spiritus sancti.
# 6. Être principe n’est pas contraire à celui qui vient du principe à
moins qu’on le comprenne par rapport à lui-même; car rien ne peut être le
principe de ce dont il vient comme par son principe. C’est pourquoi il n’en
découle pas que dans le Fils il y ait des propriétés contraires, s’il était du
Père, comme de son principe et qu’il soit le principe de l’Esprit saint
q. 10 a. 4 ad 7 Ad septimum dicendum, quod omne quod est in
divinis, est commune vel proprium. Sed proprium dupliciter dicitur:
uno modo simpliciter et absolute, quod uni soli convenit,
sicut risibile homini;
alio modo dicitur aliquid proprium non simpliciter, sed ad
aliquid; ut si dicatur, quod rationale est proprium homini in comparatione ad
equum, licet et alii conveniat, scilicet Angelo. Est ergo in divinis aliquid
commune quod convenit tribus personis, ut esse Deum et huiusmodi; aliquid quod
est proprium simpliciter, quod convenit uni personae tantum; et aliquid quod
est proprium quoad aliquid, sicut spirare spiritum sanctum est proprium patri
et filio per respectum ad spiritum sanctum; tale enim proprium oportet in
divinis poni, etiam si spiritus sanctus non sit a filio; quia esse ab alio, adhuc
remanet proprium filio et spiritui sancto in comparatione ad matrem.
# 7. Tout ce qui est en Dieu est commun ou propre; mais on parle de ce
qui est propre de deux manières:
a) Simplement et absolument; ce qui convient à un seul, comme le
risible à l’homme.
b) D’une autre manière, on dit que c’est propre non pas selon l’absolu
mais selon la relation; comme si on disait que le raisonnable est propre à
l’homme en comparaison au cheval, bien qu’il convienne à un autre, comme
l’ange. Donc il y a en Dieu quelque chose de commun qui convient aux trois
personnes, comme être Dieu, etc. et quelque chose qui est propre selon l’absolu;
qui ne convient qu’à une seule personne, et ce qui est propre selon un rapport,
comme spirer l’Esprit saint est propre au Père et au Fils par rapport à
l’Esprit saint; car il faut placer ce qui est propre en Dieu ainsi, même si
l’Esprit saint n’est pas du Fils; parce que être d’un autre, demeure encore
propre au Fils et à l’Esprit saint en comparaison de l’origine.
q. 10 a. 4 ad 8 Ad octavum dicendum, quod nomen debiti in
personis divinis, si quis recte diiudicare velit, non omnino recte sonat; quia
debitum quamdam subiectionem et obligationem importat, quae in divinis esse non
possunt. Richardus tamen de sancto Victore, utitur distinctione amoris gratuiti
et debiti; nec intelligit per gratuitum nisi quod non est ab alio, per debitum
vero quod ab alio est; secundum quem modum nihil prohibet intelligi eumdem
amorem esse gratuitum ut est patris, debitum vero ut est filii; idem est enim amor
quo pater et quo filius amat; sed hunc amorem filius a patre habet, pater vero
a nullo.
# 8. Le nom de dû dans les
personnes divines, si on veut en juger droitement, ne sonne pas tout à fait
juste; parce que ce qui est dû apporte une sujétion et une obligation, qui ne
peut pas exister en Dieu. Richard de saint Victor cependant (La Trinité, III, c. 3, et V, c. 17 et
18), se sert de la distinction de l’amour gratuit et de l’amour dû, et il ne
comprend par gratuit que ce qui ne vient pas d’un autre, par dû ce qui en vient;
de cette manière rien n’empêche de comprendre que le même amour est gratuit,
comme il est du Père, mais dû comme il est du Fils; car l’amour par lequel le
Père aime et le Fils aime est identique; mais le Fils tient cet amour du Père,
mais le Père de personne.
q. 10 a. 4 ad 9 Ad nonum dicendum, quod spiritus sanctus est
tantum gratuitus amor, secundum quod amori gratuito contraponitur mercenarius
amor, quo aliquid non propter seipsum amatur, sed propter aliquem extrinsecum
fructum. Secundum vero quod gratuitus amor dicitur, propter hoc quod ab alio
sumit originem, non est contra rationem spiritus sancti quod sit gratuitus
amor: nam et ille amor quo per spiritum sanctum Deum diligimus, originem habet
ex his quae nobis a Deo sunt data; et sic nihil prohibet etiam amorem filii,
qui ab alio habet quod amat, spiritum sanctum esse.
# 9. L’Esprit saint est seulement l’amour gratuit, selon que l’amour
mercenaire est opposé à l’amour gratuit, par lequel une chose est aimée non à
cause d’elle-même, mais à cause d’un gain extérieur. Mais selon qu’on parle
d’amour gratuit, du fait qu’il prend son origine d’un autre ce n’est pas contre
la nature de l'Esprit saint, parce que cet amour est gratuit; car cet amour par
lequel nous aimons par l’Esprit saint tire son origine de ce qui nous a été
donné par Dieu, et ainsi rien n’empêche aussi l’amour du Fils, qui tient d’un
autre d’aimer, d’être l’Esprit saint.
q. 10 a. 4 ad 10 Ad decimum dicendum, quod spiritus
sanctus et a patre procedit in filium, et a filio in patrem, non quidem sicut
in recipientem, sed sicut in obiectum amoris. Dicitur enim spiritus sanctus a
patre in filium procedere, in quantum est amor quo pater amat filium; et simili
ratione potest dici quod spiritus sanctus est a filio in patrem, in quantum est
amor quo filius patrem amat; potest autem intelligi quod procedat a patre in
filium, in quantum filius a patre accipit virtutem spiritum sanctum spirandi;
sed sic non potest dici quod procedat a filio in patrem, cum a filio nihil
accipiat pater.
# 10. L’Esprit saint procède du Père dans le Fils et du Fils dans le
Père, non comme dans celui qui reçoit, mais comme dans un objet d’amour. Car on
dit que l’Esprit saint procède du Père dans le Fils, en tant qu’il est l’amour
par lequel le Père aime le Fils, et pour une raison semblable on peut dire que
l’Esprit saint est du Fils dans le Père, en tant qu’il est l’amour par lequel
le Fils aime le Père, mais on peut aussi comprendre qu’il procède du Père dans
le Fils, en tant que le Fils reçoit du Père le pouvoir de spirer l’Esprit saint;
mais ainsi on ne peut pas dire qu’il procède du Fils dans le Père, puisque le
Père ne reçoit rien du Fils.
q. 10 a. 4 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod hoc verbum diligit
non solum dicit missionem amoris, sed etiam quamdam affectionem vel
dispositionem secundum amorem. Ea vero quae in divinis emissionem dicunt,
personaliter tantum accipi possunt, ut generare, spirare et huiusmodi: quae
vero non important emissionem, sed magis ad informationem eius pertinent de quo
dicuntur, essentialiter in divinis dicuntur, ut esse bonum, intelligentem et
huiusmodi. Et inde est quod spiritus sanctus dicitur diligere non quasi amorem
emittens,- sic enim convenit tantum patri et filio,- sed secundum quod diligere
sumitur essentialiter in divinis.
# 11. Ce mot: il aime non
seulement dit encore la mission de l’amour, mais aussi une certaine affection
ou une disposition selon l’amour. Ce qu’ils appellent émission en Dieu, ils
peuvent l’accepter personnellement seulement, comme engendrer, spirer, etc; ce
qui n’apporte pas d’émission, mais qui convient plus à l’information de ce dont
ils parlent, ils en parlent selon l’essence, comme être bon, intelligent etc.
Et de là vient qu’on dit que l’Esprit saint aime non comme émettant l’amour, —
en effet il convient ainsi seulement au Père et au Fils — mais dans la mesure
où aimer est pris selon l’essence en Dieu.
q. 10 a. 4 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod hoc regulariter
in sacra Scriptura invenitur, quod id quod dicitur de patre, oportet quod de
filio intelligatur; et quod dicitur de utroque vel altero eorum, oportet
intelligi de spiritu sancto, etiam si dictio exclusiva ponatur, praeter illa
tantum quibus personae divinae ab invicem distinguuntur; sicut quod dicitur
Ioan. XVII, 3: haec est vita aeterna: ut cognoscant te, solum Deum verum, et
quem misisti Iesum Christum. Non enim potest dici, quod filio non conveniat
esse Deum verum, quod ipse filius soli patri attribuit; quia cum pater et
filius unum sint, licet non unus, oportet quod de patre dicitur, de filio
quoque intelligi. Nec etiam negandum est in cognitione spiritus sancti vitam
aeternam non esse, cum sit una cognitio trium. Similiter autem non est
subtrahenda spiritui sancto patris filiique cognitio, licet Matth. XI, 27,
dicatur: nemo novit filium nisi pater; neque patrem quis novit nisi filius.
Unde, cum hoc quod est habere ex se spiritum sanctum procedentem, non pertineat
ad rationem paternitatis et filiationis, quibus pater et filius distinguuntur,
oportet ut cum dicitur in Evangelio, quod spiritus sanctus de patre procedit,
in hoc ipso intelligatur quod procedat a filio.
# 12. Il faut dire qu’on trouve régulièrement dans l’Écriture sainte,
que ce qui est dit du Père doit être compris du Fils; et ce qui est dit de l’un
et l’autre ou de l’un d’eux, doit être compris de l’Esprit saint, même si on
place un propos exclusif, au-delà de ce par quoi les personnes divines se
distinguent entre elles, comme ce qui est dit en Jn. 17, 3:"C’est la vie
éternelle: qu’ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as
envoyé, Jésus Christ". Car on ne peut pas dire qu’il ne convient pas
au Fils d’être le vrai Dieu, ce que le Fils lui-même a attribué au Père seul,
parce que, comme le Père et le Fils sont un, bien qu’ils ne soient pas un seul13, il faut que ce qui est dit du Père, soit
compris aussi du Fils. Et aussi il ne faut pas nier (parce qu’on n’a pas là
mention de l’Esprit saint) que dans la connaissance de l’Esprit saint il n’y a
pas de vie éternelle, puisqu’il y a une seule connaissance pour les trois. De
la même manière, il ne faut pas soustraire la connaissance qu’ont le Père et le
Fils de l’Esprit saint, bien qu’en Mt. 11,
27 il soit dit: "Personne ne connaît
le Fils, sinon le Père; et personne ne connaît le Père sinon le Fils".
C’est pourquoi, comme la possession de l’Esprit saint qui procède de soi, ne
convient pas à la nature de la paternité et de la filiation, par lesquelles le
Père et le Fils se distinguent, il faut, comme il est dit dans l’Évangile, que
par le fait que l’Esprit saint procède du Père, on comprenne qu’il procède du
Fils.
q. 10 a. 4 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod doctrina
Catholicae fidei sufficienter tradita fuit in symbolo Nicaeno; unde sancti
patres in sequentibus synodis non intenderunt aliquid addere, sed propter
insurgentes haereses id quod implicite continebatur explicare studuerunt; unde
in determinatione Chalcedonensis synodi dicitur: praesens nunc sancta et magna
atque universalis synodus praedicationem hanc ab initio inconcussam docens,
definivit principaliter trecentorum decem et octo sanctorum patrum, qui
scilicet in Nicaea convenerunt fidem manere intentabilem; et propter illos
quidem qui adversum spiritum sanctum pugnant, posteriori tempore a patribus
apud Constantinopolim centum quinquaginta congregatis, de substantia spiritus
traditam doctrinam corroborat, quam illi omnibus notam fecerunt, non quasi
quidem aliquid esset minus in praecedentibus, inferentes; sed de spiritu sancto
intellectum eorum adversus eos qui dominium eius respuere tentaverunt,
Scripturarum testimoniis declarantes.
# 13. La doctrine de la foi catholique a été suffisamment rapportée
dans le symbole de Nicée; c’est pourquoi les saints Pères dans les Conciles
suivants ne tentèrent point d’ajouter quelque chose, mais ils s’appliquèrent à
expliquer, à cause des hérésies qui surgissaient, ce qu’il contenait
implicitement. C’est pourquoi dans la décision, du Concile de Chalcédoine, il
est dit: Maintenant le présent Concile
grand, saint et universel enseignant cette prédication inébranlable depuis le
début principalement celle des 318 saints Pères, qui se sont rassemblés à
Nicée, a décidé de maintenir la foi incorruptible; et à cause de ceux qui
combattent contre l’Esprit saint, plus tard, par les cent cinquante Pères
rassemblés à Constantinople, il renforce la doctrine rapportée sur la substance
de l’Esprit, qu’ils ont fait connaître à tous, en la rapportant non comme
quelque chose d’inférieur dans les précédents Conciles, mais au sujet de
l’Esprit saint en annonçant par le témoignage des Écritures leur concept contre
ceux qui tentèrent de repousser leur pouvoir, en proclamant le témoignage des
Écritures."
Et per hunc modum dicendum est, quod processio spiritus
sancti a filio implicite in symbolo Constantinopolitano continetur, in quantum
continetur ibi quod procedit a patre, quia quod de patre intelligitur, oportet
et de filio intelligi, cum in nullo differant, nisi quia hic est filius et ille
pater. Sed propter insurgentes errores eorum qui spiritum a filio esse negabant,
conveniens fuit ut in symbolo poneretur, non quasi aliquid additum, sed
explicite interpretatum quod implicite continebatur. Sicut si insurgeret
haeresis quae negaret spiritum sanctum esse factorem caeli et terrae, oporteret
hoc explicite poni, cum in praedicto symbolo hoc non dicatur nisi de patre.
Sicut autem posterior synodus potestatem habet interpretandi symbolum a priore
synodo conditum, ac ponendi aliqua ad eius explanationem, ut ex praedictis
patet; ita etiam Romanus pontifex hoc sua auctoritate potest, cuius auctoritate
sola synodus congregari potest, et a quo sententia synodi confirmatur, et ad
ipsum a synodo appellatur. Quae omnia patent ex gestis Chalcedonensis synodi.
Et il faut dire par ce moyen que la procession de l’Esprit saint du Fils
est contenue implicitement dans le
Symbole de Constantinople, en tant qu’il contient là qu’il procède du Père,
parce que ce qu’on comprend du Père, il faut le comprendre aussi du Fils;
puisqu’ils ne diffèrent en rien, sinon parce que l’un est le Fils et l’autre le
Père. Mais à cause de ceux qui soulèvaient les erreurs de ceux qui niaient que
l’Esprit était du Fils, il a été convenable qu’on le place dans le Symbole, non
comme quelque chose d’ajouté, mais interprété explicitement parce qu’il y était
contenu implicitement. De même, si se levait une hérésie qui nierait que
l’Esprit saint soit le Créateur du ciel et de la terre, il faudrait l’exposer
explicitement, puisque dans ce symbole on ne le dit que du Père. Mais de même
que le Concile suivant a le pouvoir d’interpréter le symbole fondé par le
précédant, et de poser quelque chose pour son explicitation, pour qu’il
devienne clair à partir de ce qui a été dit, de même aussi le Pontife romain le
peut par son autorité; par sa seule autorité il peut réunir le Concile et en
confirmer l’avis, et le concile l’appelle à lui. Tout cela est éclairé par les
actes du Concile de Chalcédoine.
Nec est necessarium quod ad eius expositionem faciendam
universale Concilium congregetur, cum quandoque id fieri prohibeant bellorum
dissidia, sicut in septima synodo legitur, quod Constantinus Augustus dixit,
quod propter imminentia bella universaliter episcopos congregare non potuit;
sed tamen illi qui convenerunt, quaedam dubia in fide exorta, sequentes
sententiam Agathonis Papae, determinaverunt, scilicet quod in Christo sint duae
voluntates et duae actiones; et similiter patres in Chalcedonensi synodo
congregati, secuti sunt sententiam Leonis Papae, qui determinavit Christum esse
in duabus naturis post incarnationem.
Et il n’est pas nécessaire que pour en faire l’exposition soit
rassemblé un Concile universel puisque quelquefois les menaces de guerre
empêchent que ce soit fait, ainsi pour le septième Concile, on lit que
Constantin Auguste a dit, qu’à cause des guerres imminentes il n’a pas pu
ressembler les Évêques du monde entier. Mais cependant ceux qui se
rassemblèrent, quelques doutes s’étant élevés sur la foi, suivant l’opinion du
Pape Agathon14, déterminèrent que
dans le Christ il y a deux volontés, et deux actions; et de la même manière les
Pères rassemblés au Concile de Chalcédoine, ont suivi l’avis du Pape Léon15, qui détermina que le Christ est dans deux
natures après l’Incarnation.
Attendi tamen debet, quod ex determinatione principalium
Conciliorum habetur, quod spiritus sanctus procedit a filio. Suscepit enim
Chalcedonensis synodus, sicut in eius determinatione dicitur, epistolas beati
Cyrilli Alexandrinae Ecclesiae praesulis synodicas ad Nestorium et ad alios per
orientem. In quarum una sic legitur: quoniam
ad demonstrationem suae divinitatis Christus utebatur suo spiritu ad magnas
operationes, glorificari se dicebat ab eo, velut si quispiam dicat eorum qui
secundum nos sunt insita sibi fortitudine vel disciplina, vel de quolibet, quia
glorificabunt me. Sic enim et est in subsistentia spiritus speciali, vel certe
intelligitur per se, secundum quod spiritus est et non filius; sed tamen non
est alienus ab eo: spiritus enim veritatis nominatur, et est spiritus
veritatis, et profluit ab eo, sicut denique et ex Deo patre. Nec obstat
quod dicit: profluit, et non procedit; quia sicut ex praedictis
patet, hoc verbum procedit, est communissimum eorum quae ad originem spectant.
Unde quidquid emittitur vel profluit vel quocumque modo exoritur, ex hoc
sequitur quod procedat. Habetur etiam in determinatione quinti Concilii
Constantinopolitani: sequimur per omnia
sanctos patres et doctores Ecclesiae, Athanasium, Hilarium, Basilium, Gregorium
theologum, et Gregorium Nicaenum, Ambrosium, Augustinum, Theophilum, Ioannem
Constantinopolitanum, Gulielmum, Leonem, Proculum; et suscipimus omnia quae de
recta fide ad condemnationem haereticorum exposuerunt. Patet autem quia a
pluribus horum in doctrina fidei traditum est, quod spiritus sanctus procedit a
filio; a nullo vero eorum invenitur esse negatum. Unde non est contra Concilia,
sed eis consonum, quod spiritus sanctus procedere dicatur a filio.
Cependant on doit être attentif au fait qu’on sait par la décision des
principaux Conciles, que l’Esprit saint procède du Fils. Car le concile de
Chalcédoine a reçu, comme il est dit dans sa décision, du bienheureux Cyrille
qui préside l’église d’Alexandrie les lettres conciliaires pour Nestorius, et
pour d’autres en orient. Dans l’une de celles-ci, on peut lire ainsi: "Puisque pour la démonstration de sa divinité
le Christ se servait de son Esprit en vue de grandes opérations, il disait
qu’il était glorifié par lui, comme si quelqu’un de ceux qui, selon nous, ont
été introduits en lui par force et discipline, ou au sujet de quelque chose
disait qu’il me glorifieront. Car ainsi il est dans une subsistance spéciale de
l’Esprit, ou bien il est compris certainement par soi selon qu’il est l’Esprit
et non le Fils; mais cependant il ne lui est pas étranger; car il est appelé
Esprit de vérité, et il l’est et il découle de lui, comme en dernier lieu de
Dieu le Père." Et rien n’empêche qu’il dise il découle, et non il procède;
parce que, comme on le voit de ce qui a été dit, ce mot il procède, est le plus commun de ceux qui concernent l’origine.
C’est pourquoi, tout ce qui est émis ou découle, procède ou sort de quelque
manière. On trouve aussi dans la conclusion du cinquième Concile de
Constantinople: "Nous suivons pour
tout les saints Pères et docteurs de l’Église, Athanase, Hilaire, Basile,
Grégoire le théologien (de Naziance) et Grégoire de Nysse, Ambroise, Augustin,
Théophile, Jean de Constantinople, Guillem, Léon, Procule; et nous recevons
tout ce qui a été exposé concernant la foi droite, pour la condamnation des hérétiques". Mais il est clair, parce
que cela a été rapporté par plusieurs d’entre eux dans la doctrine de la foi,
que l’Esprit saint procède du Fils; et on ne l’a trouvé nié par aucun d’eux.
C’est pourquoi ce n’est pas contre les Conciles, mais en accord avec eux qu’on
dit que l’Esprit saint procède du Fils.
q. 10 a. 4 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod licet hoc
huius multipliciter dicatur, tamen in divinis hoc intelligi non potest nisi
secundum habitudinem originis. Circa missionem vero sciendum est, quod in hoc
omnes doctores conveniunt, quod persona non mittitur nisi quae ab alio est;
unde patri, qui a nullo est, penitus non convenit mitti. Sed quantum ad
personam a qua fit missio, diversa est doctorum sententia:- Athanasius autem et
quidam alii dicunt, quod nulla persona mittitur temporaliter nisi ab illa a qua
est aeternaliter, sicut filius mittitur temporaliter a patre, a quo ab aeterno
processit; et secundum hoc infallibiliter concludi potest, si spiritus sanctus
a filio mittitur, quod aeternaliter ab eo existat. Quod vero dicitur filius a
spiritu sancto mitti, intelligendum est de filio secundum humanam naturam, qui
a spiritu sancto missus est ad praedicandum; unde significanter dicitur Isai.
LXI, 1: ad evangelizandum pauperibus misit me; et sic exponit Ambrosius in
libro de spiritu sancto, licet Hilarius hoc exponat, ut per spiritum
intelligatur pater, secundum quod spiritus aeternaliter sumitur in divinis.-
Augustinus vero ponit quod persona procedens temporaliter mittatur ab ea etiam
a qua aeternaliter non procedit. Nam cum missio divinae personae intelligatur
secundum aliquem effectum in creatura, quae est a tota Trinitate, persona Missa
a tota Trinitate mittitur; ut in missione non intelligatur auctoritas mittentis
ad personam quae mittitur, sed causalitas ad effectum, secundum quem dicitur
mitti persona. Non autem excluditur ratio probans spiritum sanctum a filio
procedere per distinctionem ipsorum, per hoc quod proprietatibus distinguuntur;
quia proprietates illae relativae sunt, et distinguere non possunt nisi ad
invicem opponantur, sicut ex dictis patet.
# 14. Bien que ce huius (de
celui-ci) soit employé de multiples façons, cependant en Dieu on ne peut le
comprendre que selon la relation d’origine. Mais à propos de la mission, il
faut savoir que tous les docteurs sont d’accord, que n’est envoyée que la
personne qui est d’un autre; c’est pourquoi au Père, qui ne dépend de personne,
il ne convient absolument pas d’être envoyé. Mais quant à la personne qui
accomplit la mission, l’avis des docteurs est diverse. — Athanase (dans sa lettre contre ceux qui disent que l’Esprit saint
est une créature, qui commence "Ta
lettre, très saint homme…") et certains autres disent qu’aucune
personne n’est envoyée temporairement que par celle par qui elle est
éternellement, comme le Fils est envoyé temporairement par le Père, duquel il
procède éternellement. Et selon cela, on peut conclure infailliblement que si
l’Esprit saint est envoyé par le Fils, il existe éternellement par lui. Mais
dire que le Fils est envoyé par l’Esprit saint, doit être compris du Fils selon
la nature humaine, qui a été envoyé par l’Esprit saint pour prêcher; c’est
pourquoi il est dit d’une manière expressive, Is. 61, 1: "Il m’a
envoyé pour évangéliser les pauvres" et ainsi l’expose Ambroise (L’Esprit saint, III, 1), bien qu’Hilaire
(La Trinité, VIII) expose que la Père
est pensé à travers l’Esprit, selon que l’esprit est assumé éternellement en
Dieu. — Mais Augustin (La Trinité et
l’unité, X) pense que la personne qui procède temporairement est envoyée
par celle aussi d’où elle ne procède pas éternellement. Car, comme la mission
de la personne divine est comprise selon un effet dans la créature, qui est de
toute la Trinité, la personne envoyée l’est par toute la Trinité; pour que dans
la mission on ne comprenne pas l’autorité de celui qui envoie pour la personne
qui est envoyée, mais la causalité pour l’effet, selon qu’on dit que la
personne est envoyée. Et la raison qui prouve que l’Esprit saint procède du
Fils par leur distinction n’est pas exclue par le fait qu’ils sont distingués
par les propriétés, parce que celles-ci sont relatives, et ne peuvent
distinguer que si elles sont opposées entre elles, comme on le voit par ce qui
a été dit (qu. 8, a. 3 et 4).
q. 10 a. 4 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod licet
spiritus sanctus sit a duobus, non tamen est compositus, quia illi duo,
scilicet pater et filius, sunt per essentiam unum.q. 10 a.
# 15. Bien que l’Esprit saint vienne des deux, il n’est pas cependant
composé, parce que ces deux, à savoir le Père et le Fils, existent par une
seule essence.
q. 10 a. 4 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod philosophus
attribuit principiis non esse ab alio, in quantum sunt prima. Principium autem
primum, est principium non de principio, quod est pater.
# 16. Le philosophe (Physique,
I, 6, 189 a 3016) montre que les
principes ne sont pas d’un autre, en tant qu’ils sont premiers. Mais le
principe premier (pour ainsi dire) est principe mais pas d’un principe qui est
le Père.
q. 10 a. 4 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod licet
voluntas moveat intellectum ad aliquid intelligendum, non tamen voluntas
aliquid velle potest, nisi sit praeintellectum; unde cum non sit procedere in
infinitum, oportet devenire ad hoc quod intellectus aliquid intelligit
naturaliter non ex imperio voluntatis. Filius autem procedit a patre
naturaliter; unde quamvis procedat per modum intellectus, non sequitur quod sit
a spiritu sancto, sed e converso.
# 17. Bien que la volonté meuve l’esprit pour penser, elle ne peut
cependant vouloir que ce qui est connu d’avance: c’est pourquoi comme on ne
peut pas procéder à l’infini, il faut en arriver à ce que l’intellect pense
naturellement non par le pouvoir de la volonté. Mais le Fils procède du Père
naturellement; c’est pourquoi bien qu’il procède par mode d’esprit, il n’en
découle pas qu’il vienne de l’Esprit saint, mais c’est le contraire.
q. 10 a. 4 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod spiritus
sanctus potest dici quiescere in filio tripliciter:
uno modo secundum humanam naturam, secundum illud Is., XI, 1: egredietur virga de radice Iesse, et flos de radice eius ascendet, et
requiescet super eum spiritus domini.
# 18. On peut dire que l’Esprit saint se repose dans le Fils de trois
manières:
a) Selon la nature humaine, d’après cette parole d’Isaïe (11, 1): "Un rameau sortira de la souche de Jessé et
une fleur montera de sa souche, et l’Esprit du Seigneur reposera sur lui."
Alio modo, ut intelligatur spiritus in filio
requiescere, quia virtus spirativa a patre datur filio, et ultra non
protenditur.
Tertio modo secundum quod amor dicitur
requiescere in amato, in quo quietatur amantis affectus. Nullo autem istorum modorum excluditur
processio spiritus sancti a filio.
b) Pour qu’on comprenne que l’Esprit se repose dans le Fils, parce que
le pouvoir de spirer est donné au Fils par le Père, et ne s’étend pas au-delà.
c) Selon qu’on dit que l’amour se repose dans l’aimé, en qui
l’affection de de celui qui aime se repose. Mais par aucune de ces manières
n’est exclue du Fils la procession de l’Esprit saint dans le Fils.
q. 10 a. 4 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod non repugnat
simplicitati spiritus sancti, quod procedit a duobus, scilicet patre et filio,
cum sint per essentiam unum.
# 19. Que l’Esprit saint procède des deux, à savoir qu’il procède du
Père et du Fils, puisqu’ils existent par une seule essence ne s’oppose pas à sa
simplicité.
q. 10 a. 4 ad 20 Ad vicesimum dicendum, quod eadem est
perfectio patris et filii: unde per hoc quod spiritus sanctus procedit a patre
perfecte, non excluditur quin procedat a filio; alioquin sequeretur quod
creatura non creetur a filio cum perfecte creetur a patre.
# 20. La perfection du Père et celle du Fils sont identiques; c’est
pourquoi par le fait que l’Esprit saint procède du Père parfaitement, il n’est
pas exclu qu’il procède du Fils, autrement il en découlerait que la créature ne
serait pas créée par le Fils, puisqu’elle est créée parfaitement par le Père.
q. 10 a. 4 ad 21 Ad vicesimumprimum dicendum, quod unitas
essentiae non inducit confusionem personarum; unde ex unitate essentiae non
possunt concludi illa quae repugnant distinctioni relativae; et sic ex hoc quod
pater et spiritus sanctus sunt unum, non potest concludi quod filius sit a spiritu
sancto, licet filius sit a patre: quia spiritus sanctus est ab eo; et iterum
quia sequeretur quod spiritus sanctus esset pater, cum nihil aliud sit esse
patrem quam habere filium de se procedentem.
# 21. L’unité de l’essence n’induit pas la confusion des personnes;
c’est pourquoi de l’unité de l’essence, on ne peut pas tirer des conclusions
sur ce qui s’oppose à la distinction relative; et ainsi du fait que le Père et
l’Esprit saint sont un, on ne peut pas conclure que le Fils soit de l’Esprit
saint, bien que le Fils soit du Père, parce que l’Esprit saint est de lui, et à
nouveau parce qu’il en découlerait que l’Esprit saint serait le Père, alors
qu’être Père ce n’est rien d’autre qu’avoir un Fils qui procède de soi.
q. 10 a. 4 ad 22 Ad vicesimumsecundum dicendum, quod
splendor est a radio, cum nihil aliud sit quam reverberatio radii ad corpus
clarum; et tamen splendor filio attribuitur, Heb. I, 3: cum sit
splendor gloriae.
# 22. La splendeur vient du rayon, puisqu’elle n’est rien d’autre que
la réflexion du rayon dans un corps clair; et cependant la splendeur est
attribuée au Fils: Hébr. 1, 3: "Puisqu’il est la splendeur du Père…"
q. 10 a. 4 ad 23 Ad vicesimumtertium dicendum, quod calor est a
splendore: nam corpora caelestia in istis inferioribus per suos radios causant
calorem.
# 23. La chaleur vient de la splendeur; car les corps célestes causent
la chaleur par leurs rayons dans ces (corps) inférieurs.
q. 10 a. 4 ad 24 Ad vicesimumquartum dicendum, quod positio
Nestorianorum fuit quod spiritus sanctus non sit a filio; unde in quodam
symbolo Nestorianorum, condemnato in I Ephesina synodo, dicitur sic: spiritum
sanctum neque filium putamus, neque per filium essentiam accepisse. Propter
quod Cyrillus contra Nestorium, in epistola praedicta, posuit spiritum sanctum
esse a filio. Theodorus vero, in quadam epistola ad Ioannem Antiochenum sic
dicit: spiritus sanctus non ex filio aut per filium habens substantiam, sed
procedens quidem a patre; spiritus vero filii, eo quod et ei consubstantialis
sit, nominatus. Haec autem verba Theodorus praedictus imponit Cyrillo, tamquam
ab eo sint dicta in epistola quam ad Ioannem Antiochenum scripsit, licet in
illa epistola hoc non legatur; sed dicitur ibi sic: spiritus Dei patris
procedit quidem ex ipso, est autem et a filio non alienus secundum unius
essentiae rationem. Hanc autem Theodori sententiam secutus est postmodum
Damascenus, quamvis dogmata eiusdem Theodori sint in quinta synodo condemnata.
Unde in hoc non est standum sententiae Damasceni.
# 24. La position des Nestoriens17
a été que l’Esprit saint n’est pas du Fils; c’est pourquoi, dans un symbole des
Nestoriens, condamné au premier Concile d’Éphèse; il est dit ainsi: "Nous pensons que l’Esprit saint n’a pas reçu
le Fils, ni son essence par le Fils." C’est pourquoi Cyrille dans la
lettre contre Nestorius dont on a parlé, a établi que l’Esprit saint était du
Fils. Mais Théodoret, dans une lettre à Jean d’Antioche (Epist. 171) dit ainsi: "L’Esprit
saint n’est pas du Fils ou n’a pas sa substance par le Fils, mais il procède du
Père; et il a été nommé l’Esprit du Fils, parce qu’il lui est consubstantiel". Mais ces paroles, Théodoret dont on a
parlé, les attribue à Cyrille comme dites par lui dans une lettre qu’il écrivit
à Jean d’Antioche, bien qu’on ne les lise pas dans cette lettre; mais il y est
dit ainsi: "L’Esprit de Dieu le Père
procède de lui, il n’est pas étranger au Fils selon la nature d’une unique
essence." Et par la suite Damascène18
a suivi cette opinion de Théodoret, quoique ses dogmes soient condamnés dans le
cinquième Concile. C’est pourquoi dans ce cas il ne faut pas s’en tenir à
l’opinion de Jean Damascène.
1 Parall.: Ia, qu. 36, a. 2 — CG. IV, 24, 26 — I Sent.
d11a1— Opusc. Contra
errores Graecorum P. II, c.
27-32; Comp. C. 49 —Opusc. Contra Graeco s c. 4, In Ioan. ch. 15, lectio 6, ch. 16,
lectio 4.
2
B. J. "qui soutient l’univers par sa parole puissante."
3 Thomas lectio 1. Cf. Ia, qu. 36, a. 2, obj. 1.
4
En 431. Denz. 125.
5En
451. Le concile d’Éphèse, puis celui de Chalcédoine interdisent, sous peine de
déposition et d’excommunication d’ajouter au symbole de Nicée. Le filioque fut ajouté au symbole au VIe
siècle en Espagne. Il ne fut adopté par la liturgie romaine qu’au XIe siècle.
6
Premier concile 381. Denz. 86.
7
Génitif de possession.
8
Légende de saint André, PG. 2, 1257 A. Il salue "ceux qui croient en un
seul Esprit saint qui procède du Père, et qui demeure dans le Fils."
9
Denz 39/
10
Comprendre l’Esprit saint est de Jésus, homme. C’est Jésus qui possède. Mais il
n’apporte à l’Esprit en tant que tel qu'en tant que Fils.
11
BJ. Un esprit de fils adoptif.
12
2 Co 1, 21-22 B.J.: "Celui qui
nous affermit avec vous dans le Christ et qui nous a donné l’onction, c’est
Dieu lui qui nous a aussi marqué du sceau et a mis dans nos cœurs les arrhes de
l’Esprit." (TOB id.)
13
Une seule unité (même essence), et un parmi trois (personnes).
14
Agathon pape de 678-681. 6e concile œcuménique (680) à
Constantinople, contre le monothélitisme.
15
Léon le Grand, 440-461. Concile (451) contre Eutychès.
16
"Or le principe ne peut s’attribuer à aucun sujet; car il y aurait
principe de principe." (Trad. H. Carteron). Thomas, lectio 11, 91: "…comme le sujet est le principe de l’accident
qui lui est attribué, et qu’il est naturellement avant lui, il en découlerait
que si le premier principe était l’accident attribué au sujet, il serait le
principe de principe et que quelque chose serait avant ce qui est premier."
17
Nestorius (vers 380, vers 451), condamné en 431 au Concile d’Éphèse.
18
L’opinion du Damascène (La foi orthodoxe,
I, 8) est rapportée dans Ia, qu. 36,
a. 2, obj. 3. "Nous disons que l’Esprit saint est du Père (ex) et nous l’appelons l’Esprit du Père,
nous ne disons pas que l’Esprit est du Fils (ex) mais nous l’appelons l’Esprit du Fils (génitif).
FIN
1 Parall.: Ia,
qu. 36, a. 2 et 4, — CG. IV, 25 —I Sent. D. 11, q. 2 a. 4 — D. 29, a. 4.
2
La foi orthodoxe, I, 12 Damascène fut
fidèle aux formules des Pères grecs. Voir article précédant.
3
Cf. Pot. 8, 1: "Tout ce qui est
attribué selon l’absolu en Dieu signifie l’essence".
4
Thomas, lectio 3, n° 1722.