Question disputée sur les créatures spirituelles

quaestio disputata de spiritualibus creaturis

Saint Thomas d’Aquin

© Traduction Cécile Wattiaux, janvier 2005, article 1, Raymond Berton, février 2005, article 2 à fin

Edition numérique http://docteurangelique.free.fr 2005

Les œuvres complètes de saint Thomas d'Aquin

 

Note du traducteur: Ceci n'est qu'une modeste traduction qui demanderait à être revue et corrigée par un philosophe spécialiste de la pensée thomiste… qui serait aussi philologue classique avec une bonne connaissance du latin post classique!

Les références sont complètées d'après la traduction anglaise de Mary C. Fitz Patrick, Ph. D., 1949.

Le texte latin reproduit avec la traduction est celui de l'édition latine numérisée par le Père Busa, s.j. et le Professeur Enrique Alacõn Moreno http://www.corpusthomisticum.org/

 

          L’étude de l’âme et des anges se retrouve dans toutes les grandes œuvres de Thomas. D’abord le Commentaire des Sentences  (II Sent.  D 17 etc), le Contra gentiles. Mais si l’on s’en tient aux renseignements que fournit J.-P. Torell, (Initiation à saint thomas d’Aquin) , on constate que pendant une courte période, lors de son séjour à Rome, Thomas s’intéresse tout particulièrement au problème.

          En 1265-1266, il écrit d’abord les Questions disputées sur l’âme, avant de rédiger les question 75 à 89 de la prima pars de la Somme théologique.

          En 1267-1268, (entre novembre 67 et septembre 68) il rédige les Questions disputées sur les créatures spirituelles. Le sujet en est quelque peu différent puisqu’il élargit le problème aux anges.

          Entre 1267 (fin de l’année) et l’été 1268, il rédige le Sententia libri De anima qui est le commentaire de l’œuvre d’Aristote sur l’âme. Cette œuvre est contemporaine de la rédaction des question 75 à 89 de la prima pars.

          En 1270 il rédige le De unitate intellectus contra Averoistas.

          Il faut ajouter qu’entre temps, en 1265-1266 il rédige les Questions disputées sur la Puissance, où l’on retrouve des articles qui concernent l’âme et les anges (qu. 3, a. 9 à 12 et 18-19)

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L’œuvre comprend 11 articles.

 

Article 1: Une substance spirituelle est-elle composée de matière et de forme? Articulus 1: Utrum substantia spiritualis creata sit composita ex materia et forma_ 2

Article 2: La substance spirituelle peut-elle est unie à un corps ? Articulus 2: Utrum substantia spiritualis possit uniri corpori 22

Article 3: La substance spirituelle qu’est l’âme humaine est-elle unie au corps par un intermédiaire ? Tertio quaeritur utrum substantia spiritualis quae est anima humana, uniatur corporis per medium_ 36

Article 4 : L’âme est-elle tout entière dans chaque partie du corps ? Quarto quaeritur utrum tota anima sit in qualibet parte corporis. 54

Article 5 : Existe-t-il quelque substance spirituelle créée non unie à un corps. Quinto quaeritur utrum aliqua substantia spiritualis creata sit non unita corpori. 65

Article  6 : La substance spirituelle est-elle unie à un corps céleste ? Sexto quaeritur utrum substantia spiritualis caelesti corpori uniatur. 74

Article 7 : La substance spirituelle est-elle unie à un corps aérien ? Articulus 7 : Septimo quaeritur utrum substantia spiritualis corpori aereo uniatur. 85

Article 8 : Tous les anges diffèrent-ils par l’espèce entre eux ? Articulus 8 : Octavo quaeritur utrum omnes Angeli differant specie ab invicem. 89

Article 9 : L’intellect possible est-il unique dans tous les hommes ? Articulus 9 : Nono quaeritur utrum intellectus possibilis sit unus in omnibus hominibus 103

 

 

Article 1: Une substance spirituelle est-elle composée de matière et de forme? Articulus 1: Utrum substantia spiritualis creata sit composita ex materia et forma


Objections:

Il semble que oui

1. En effet Boèce affirme dans son livre De la Trinité (II Patrol. Latina LXIV, 1250 D]: "Un sujet ne peut pas être uniquement une forme". Or une substance spirituelle créée est sujet de connaissance, de courage et d'indulgence. Donc elle n'est pas uniquement une forme. Mais elle n'est pas non plus uniquement une matière car, en ce cas, elle serait seulement en puissance, sans avoir une quelconque activité. Donc elle est composée de matière et de forme.

Et videtur quod sic.

1. Dicit enim Boetius in Lib. de Trin.: forma simplex, subiectum esse non potest. Sed substantia spiritualis creata, est subiectum scientiae et virtutis et gratiae. Ergo non est forma simplex. Sed nec est materia simplex, quia sic esset in potentia tantum, non habens aliquam operationem. Ergo est composita ex materia et forma.

 

2. En outre, n'importe quelle forme créée est déterminée et limitée. Or la forme est limitée par la matière. Donc toute forme créée est une forme dans une matière. Donc aucune substance créée n'est une forme sans matière.

2. Praeterea, quaelibet forma creata est limitata et finita. Sed forma limitatur per materiam. Ergo quaelibet forma creata est forma in materia. Ergo nulla substantia creata est forma sine materia.

 

3. De plus, le principe de la mutabilité est la matière: de là, selon le Philosophe [Métaphysique II, 2, 994b 261], il est nécessaire que la matière se conçoive dans une réalité [mise] en mouvement. Or la substance spirituelle créée est variable; en effet, seul Dieu est par nature immuable. Donc la substance spirituelle créée a une matière.

3. Praeterea, principium mutabilitatis est materia; unde, secundum philosophum, necesse est ut materia imaginetur in re mota. Sed substantia spiritualis creata est mutabilis; solus enim Deus naturaliter immutabilis est. Ergo substantia spiritualis creata habet materiam.

 

4. En outre, Augustin dit en XII Des Confessions [17, 25] que Dieu a fait la matière commune aux choses visibles et invisibles. Or les substances spirituelles sont invisibles. Donc la substance spirituelle a une matière.

4. Praeterea, Augustinus dicit, XII confessionum, quod Deus fecit materiam communem visibilium et invisibilium. Invisibilia autem sunt substantiae spirituales. Ergo substantia spiritualis habet materiam.

 

5. En outre, le Philosophe déclare en VIII Métaphysique [6, 1045a 36] que, si une substance est sans matière, elle est immédiatement existante et il n'y a pas pour elle une autre cause d'existence et d'unité. Or toute chose créée détient la cause de son existence et de son unité. Donc aucune chose créée n'est substance sans matière. Donc toute substance spirituelle créée est composée de matière et de forme.

5. Praeterea, philosophus dicit in VIII Metaphys., quod si qua substantia est sine materia, statim est ens et unum; et non est ei alia causa ut sit ens et unum. Sed omne creatum habet causam sui esse et unitatis. Ergo nullum creatum est substantia sine materia. Omnis ergo substantia spiritualis creata, est composita ex materia et forma.

 

6. En outre, Augustin dit dans son livre Des questions sur l'Ancien et le Nouveau Testament [Q. 23, PL XXXV, 2229] que le corps d'Adam fut formé avant que l'âme y fût introduite: car il est nécessaire que la demeure soit faite avant que l'occupant y soit introduit.

Or l'âme a le même rapport au corps que l'occupant à la demeure. Mais l'occupant est subsistant par lui-même; donc l'âme est subsistante par elle-même et l'ange bien plus encore. Toutefois la substance qui subsiste par elle-même ne paraît pas être uniquement une forme: elle est donc composée de matière et de forme.

6. Praeterea, Augustinus dicit in libro de quaestionibus veteris et novi testamenti, quod prius fuit formatum corpus Adae quam anima ei infunderetur: quia prius est necesse fieri habitaculum quam habitatorem introduci. Comparatur autem anima ad corpus sicut habitator ad habitaculum. Sed habitator est per se subsistens; anima igitur est per se subsistens, et multo fortius Angelus. Sed substantia per se subsistens non videtur esse forma tantum. Ergo substantia spiritualis creata non est forma tantum: est ergo composita ex materia et forma.

 

7. De plus, il est manifeste que l'âme est capable de recevoir des choses contraires. Or cela semble être le propre d'une substance composée. Donc l'âme est une substance composée ainsi que l'ange, pour la même raison.

7. Praeterea, manifestum est quod anima est susceptiva contrariorum. Hoc autem videtur esse proprium substantiae compositae. Ergo anima est substantia composita, et eadem ratione Angelus.

 

8. En outre, la forme est ce par quoi une chose existe. Donc tout ce qui est composé de ce à partir de quoi il est [ex quo est] et de ce qu'il est [quod est[1]] est composé de matière et de forme. Or toute substance spirituelle créée est composée de ce à partir de quoi elle est [ex quo est] et de ce qu'elle est [quod est], comme l'atteste clairement Boèce dans le livre Des Semaines [PL LXIV, 11]. Donc toute substance spirituelle créée est composée de matière et de forme.

8. Praeterea, forma est quo aliquid est. Quidquid ergo compositum est ex quo est et quod est, est compositum ex materia et forma. Omnis autem substantia spiritualis creata composita est ex quo est et quod est, ut patet per Boetium in libro de hebdomadibus. Ergo omnis substantia spiritualis creata est composita ex materia et forma.

 

9. En outre, il y a deux sortes de "communautés": l'une dans le domaine divin, du fait que l'essence est commune aux trois personnes; l'autre dans le domaine des réalités créées du fait que l'universel est "commun" à ses inférieurs.

La particularité de la première "communauté" semble être que ce par quoi on distingue ce qui en fait partie n'est pas différent en réalité de l'élément commun lui-même: en effet, la paternité par laquelle un père se distingue de son fils est elle-même l'essence commune au père et au fils. Tandis que dans la communauté de l'universel, il faut que ce par quoi on distingue ce qui est englobé sous l'élément commun soit différent de l'élément commun lui-même.

Donc, dans toute chose créée, contenue sous un quelconque genre commun, il y a nécessairement composition de ce qui est commun et de ce par quoi l'élément commun lui-même est "restreint". Or la substance spirituelle appartient à un genre. Il faut donc que, dans la substance spirituelle créée, il y ait composition d'une nature commune et de ce par quoi la nature commune est "restreinte". Et cela semble bien être une composition de forme et de matière. Donc, dans une substance spirituelle créée, il y a composition de matière et de forme.

9. Praeterea, duplex est communitas: una in divinis, secundum quod essentia est communis tribus personis; alia in rebus creatis, secundum quod universale est commune suis inferioribus. Singulare autem videtur primae communitatis, ut id quo distinguuntur ea quae communicant in illo communi, non sit aliud realiter ab ipso communi: paternitas enim qua pater distinguitur a filio, est ipsa essentia, quae est patri et filio communis. In communitate autem universalis oportet quod id quo distinguuntur ea quae continentur sub communi, sit aliud ab ipso communi. In omni ergo creato quod continetur sub aliquo genere communi, necesse est esse compositionem eius quod commune est, et eius per quod commune ipsum restringitur. Substantia autem spiritualis creata est in aliquo genere. Oportet ergo quod in substantia spirituali creata, sit compositio naturae communis, et eius per quod natura communis coarctatur. Haec autem videtur esse compositio formae et materiae. Ergo in substantia spirituali creata, est compositio formae et materiae.

 

10. De plus, la forme d'un genre ne peut exister si ce n'est dans l'intelligence ou dans la matière. Or la substance spirituelle créée, comme l'ange, fait partie d'un genre. Donc la forme de ce genre existe soit dans l'intelligence seulement, soit dans la matière. Or, si l'ange n'avait pas de matière, il n'existerait pas matériellement [dans une matière], il n'existerait donc seulement que dans l'intelligence; et ainsi, à supposer que personne ne conçoive l'ange, il s'ensuivrait que l'ange n'existerait plus, ce qui est absurde. Il faut donc dire, semble-t-il, que la substance spirituelle créée est composée de matière et de forme.

10. Praeterea, forma generis non potest esse nisi in intellectu vel materia. Sed substantia spiritualis creata, ut Angelus, est in aliquo genere. Forma igitur generis illius vel est in intellectu tantum, vel in materia. Sed si Angelus non haberet materiam, non esset in materia. Ergo esset in intellectu tantum; et sic, supposito quod nullus intelligeret Angelum, sequeretur quod Angelus non esset; quod est inconveniens. Oportet igitur dicere, ut videtur, quod substantia spiritualis creata sit composita ex materia et forma.

 

11. En outre, si la substance spirituelle créée était seulement une forme, il s'ensuivrait qu'une seule substance spirituelle serait présente à une autre [perceptible pour une autre]. En effet, si un seul ange en perçoit un autre, soit c'est par l'essence de l'ange perçu –il faudra alors que la substance de l'ange perçu soit présente dans l'intelligence de l'ange qui le perçoit-; soit c'est par son apparence -et alors la conséquence est la même, si l'apparence par laquelle un ange est perçu par un autre, ne diffère pas de la substance même de l'ange perçu-.

Et il ne paraît pas possible de dire en quoi réside la différence si la substance de l'ange est dépourvue de matière, comme l'est aussi son aspect intelligible.

Or il est absurde qu'un seul ange soit présent à un autre par sa propre substance: car seule la Trinité peut y pénétrer par la pensée rationnelle[2].

Donc, le premier point aussi, d'où celui-ci découle, est absurde à savoir que la substance spirituelle créée est immatérielle.

11. Praeterea, si substantia spiritualis creata esset forma tantum, sequeretur quod una substantia spiritualis esset praesens alteri. Si enim unus Angelus intelligit alium, aut hoc est per essentiam Angeli intellecti, et sic oportebit quod substantia Angeli intellecti sit praesens in intellectu Angeli intelligentis ipsum; aut per speciem, et tunc idem sequitur, si species per quam Angelus ab alio intelligitur, non differt ab ipsa substantia Angeli intellecti. Nec videtur posse dari in quo differat, si substantia Angeli est sine materia, sicut et eius species intelligibilis. Hoc autem est inconveniens quod unus Angelus per sui substantiam sit praesens in alio: quia sola Trinitas mente rationali illabitur. Ergo et primum, ex quo sequitur, est inconveniens, scilicet quod substantia spiritualis creata sit immaterialis.

 

12. En outre, le Commentateur affirme en XI, Métaphysique [XII comm. 36] que, s'il existait un coffre sans matière, il serait identique au coffre qui existe dans l'intelligence et ainsi la conclusion semble la même que précédemment.

12. Praeterea, Commentator dicit in XI Metaph., quod si esset arca sine materia, idem esset cum arca quae est in intellectu; et sic videtur idem quod prius.

 

13. De plus, Augustin dit au chapitre VII du Commentaire littéral sur la Genèse [69] que, de même que la chair a eu une matière, à savoir la terre d'où elle est issue, peut-être a-t-il pu se faire que, même avant la naissance de cette matière même qu'on nomme "âme", celle-ci avait une matière spirituelle conforme à son genre, qui n'était pas encore une âme.

Donc l'âme semble être composée de matière et de forme, l'ange aussi, par le même raisonnement.

 

13. Praeterea, Augustinus dicit, VII super Genes. ad litteram, quod sicut caro habuit materiam, id est terram, de qua fieret, sic fortasse potuit, et antequam ea ipsa natura fieret quae anima dicitur, habere aliquam materiam pro suo genere spiritualem, quae nondum esset anima. Ergo anima videtur esse composita ex materia et forma; et eadem ratione Angelus.

 

14. En outre, Damascène dit [De la foi orthodoxe II, 3 et 12, Patrologie grecque XCIV, 867 et 919] que seul Dieu est par essence immatériel et incorporel. Donc la substance spirituelle créée ne l'est pas.

 

14. Praeterea, Damascenus dicit, quod solus Deus essentialiter immaterialis est et incorporeus. Non ergo substantia spiritualis creata.

15. En outre, toute substance circonscrite par les limites de sa nature a une existence limitée et restreinte. Or toute substance créée est circonscrite par les limites de sa nature. Donc toute substance créée a une existence limitée et restreinte. Mais tout ce qui est restreint l'est par quelque chose. Donc, dans n'importe quelle substance créée, il y a quelque chose qui restreint et quelque chose qui est restreint; et cela semble être la forme et la matière. Donc toute substance spirituelle est composée de matière et de forme.

15. Praeterea, omnis substantia naturae suae limitibus circumscripta, habet esse limitatum et coarctatum. Sed omnis substantia creata est naturae suae limitibus circumscripta. Ergo omnis substantia creata habet esse limitatum et coarctatum. Sed omne quod coarctatur, aliquo coarctatur. Ergo in qualibet substantia creata est aliquid coarctans, et aliquid coarctatum; et hoc videtur esse forma et materia. Ergo omnis substantia spiritualis est composita ex materia et forma.

16. De plus, rien n'est actif et passif en fonction du même principe. Chaque chose agit par sa forme et elle subit par sa matière. Or la substance spirituelle créée, comme l'ange, est active en éclairant un ange qui lui est inférieur et elle est passive en étant éclairée par un ange qui lui est supérieur. Semblablement, il existe dans l'âme une intelligence active et une intelligence possible. Donc l'ange comme l'âme est composé de matière et de forme.

16. Praeterea, nihil secundum idem agit et patitur; sed agit unumquodque per formam, patitur autem per materiam. Sed substantia spiritualis creata, ut Angelus, agit dum illuminat inferiorem Angelum, et patitur dum illuminatur a superiori: similiter in anima est intellectus agens et possibilis. Ergo tam Angelus quam anima componitur ex materia et forma.

17. En outre, tout ce qui est, est soit acte pur, soit puissance pure, soit un composé d'acte et de puissance. Or la substance spirituelle n'est pas acte pur –car ceci est le propre de Dieu seul- et elle n'est pas non plus puissance pure. Elle est donc un composé de puissance et d'acte ce qui semble pareil au fait d'être composé de matière et de forme.

17. Praeterea, omne quod est, aut est actus purus, aut potentia pura, aut compositum ex actu et potentia. Sed substantia spiritualis non est actus purus, hoc enim solius Dei est; nec etiam potentia pura. Ergo est compositum ex potentia et actu; quod videtur idem ei quod est componi ex materia et forma.

18. En outre, Platon, dans le Timée [41 AB, Pléiades p. 457], introduit le Dieu suprême s'adressant aux dieux créés et leur dit: "Ma volonté est plus grande que votre nature mêlée." Augustin aussi introduit ces mots dans son livre De la cité de Dieu [XIII, 16, 1]. Or, les dieux créés semblent être les anges. Donc, dans les anges, il y a "entrelacement" donc composition.

18. Praeterea, Plato in Timaeo inducit Deum summum loquentem diis creatis et dicentem: voluntas mea maior est nexu vestro; et inducit haec verba Augustinus in Lib. de Civit. Dei. Dii autem creati videntur esse Angeli. Ergo in Angelis est nexus, sive compositio.

19. De plus, dans ces choses qui se démontrent et qui diffèrent par leur essence, il y a matière: parce que la matière est principe d'une distinction selon le nombre. Or les substances spirituelles se dénombrent et diffèrent par leur essence. Donc elles ont une matière.

19. Praeterea, in his quae numerantur et essentialiter differunt, est materia: quia materia est principium distinctionis secundum numerum. Sed substantiae spirituales numerantur et essentialiter differunt. Ergo habent materiam.

2.0. En outre, rien ne peut subir une action venant du corps sans avoir de matière. Or les substances spirituelles créées subissent l'action venant du feu de leur corps comme cela apparaît clairement à travers Augustin dans La cité de Dieu. Donc les substances spirituelles créées ont une matière.

2.0. Praeterea, nihil patitur a corpore nisi habens materiam. Sed substantiae spirituales creatae patiuntur ab igne corporeo, ut patet per Augustinum, de Civit. Dei. Ergo substantiae spirituales creatae habent materiam.

2.1. De plus, Boèce, dans son livre De l'unité et de l'un [PL XIII, 1076-77], dit formellement que l'ange est composé de matière et de forme.

2.1. Praeterea, Boetius in Lib. de unitate et uno, expresse dicit, quod Angelus est compositus ex materia et forma.

2.2. En outre, Boèce dit dans son livre Des semaines [PL XII 1, 1311] que ce qui est peut avoir aussi quelque chose d'autre qui lui est mêlé. Or le fait d'être [esse] n'a absolument rien d'autre qui lui est mêlé; et nous pouvons tenir le même langage à propos de toutes les réalités abstraites et concrètes. En effet, dans un être humain, il peut y avoir autre chose que "l'humanité", comme la "blancheur" ou quelque chose de ce genre; mais dans "l'humanité" en soi, il ne peut y avoir autre chose que ce qui touche le caractère de "l'humanité".

Donc, si les substances spirituelles sont des formes abstraites, il ne pourra y avoir en elles quelque chose qui ne concerne pas leur espèce. Mais en cas de suppression de ce qui concerne l'espèce d'une réalité, la réalité se détruit. Donc, puisque toute substance spirituelle est corruptible, elle ne pourra rien perdre qui constitue la substance spirituelle créée et, par conséquent, elle sera tout à fait "immobile", ce qui est absurde.

2.2. Praeterea, Boetius dicit in libro de Hebdomad., quod id quod est, aliquid aliud potest habere admixtum. Sed ipsum esse nihil omnino aliud habet admixtum; et idem possumus dicere de omnibus abstractis et concretis. Nam in homine potest aliquid aliud esse quam humanitas, utpote albedo, vel aliquid huiusmodi; sed in ipsa humanitate non potest aliud esse nisi quod ad rationem humanitatis pertinet. Si ergo substantiae spirituales sunt formae abstractae, non poterit in eis esse aliquid quod ad eorum speciem non pertineat. Sed sublato eo quod pertinet ad speciem rei, corrumpitur res. Cum ergo omnis substantia spiritualis sit incorruptibilis, nihil quod inest substantiae spirituali creatae, poterit amittere; et ita erit omnino immobilis; quod est inconveniens.

2.3. De plus, tout ce qui fait partie d'un genre participe aux principes de ce genre. Or la substance spirituelle créée se situe dans la catégorie de la substance. Or les principes de cette catégorie sont la matière et la forme, ce qui apparaît clairement à travers Boèce, commentaire des catégories [PL LX IV, 184], où il dit qu'Aristote, ayant abandonné les extrêmes, à savoir la matière et la forme, traite de ce qui se trouve entre les deux, à savoir le composé de matière et de forme, donnant à entendre que la substance, qui est une catégorie et dont il débat à cet endroit, serait composé de matière et de forme. Donc la substance spirituelle créée est composée de matière et de forme.

2.3. Praeterea, omne quod est in genere participat principia generis. Substantia autem spiritualis creata, est in praedicamento substantiae. Principia autem huius praedicamenti sunt materia et forma, quod patet per Boetium in Comment. praedicamentorum, qui dicit quod Aristoteles relictis extremis, scilicet materia et forma, agit de medio, scilicet de composito; dans intelligere quod substantia quae est praedicamentum, de qua ibi agit, sit composita ex materia et forma. Ergo substantia spiritualis creata, est composita ex materia et forma.

2.4. En outre, tout ce qui fait partie d'un genre se compose du genre et d'une différence. Or la différence est assurée par la forme tandis que le genre est assuré par la matière comme il est clairement dit au chapitre VIII de la Métaphysique [2, 104 19; 3, 104 3b 30]. Donc, puisque la substance spirituelle fait partie d'un genre, il semble qu'elle soit composée de matière et de forme.

2.4. Praeterea, omne quod est in genere componitur ex genere et differentia. Differentia autem sumitur a forma, genus autem a materia, ut patet in VIII Metaphys. Cum ergo substantia spiritualis sit in genere, videtur quod sit composita ex materia et forma.

2.5. De plus, ce qui est premier dans n'importe quel genre est la cause de ce qui vient après, comme le premier acte est cause de tout être-en-acte. Donc, selon le même raisonnement, tout ce qui est en puissance de quelque façon que ce soit, tient cela d'une puissance première qui est puissance pure, à savoir d'une matière première. Or il y a une certaine puissance dans les substances spirituelles créées car seul Dieu est acte pur. Donc la substance spirituelle créée tient cela d'une matière ce qui serait impossible si la matière n'en faisait pas partie. La substance spirituelle est donc composée de matière et de forme.

2.5. Praeterea, id quod est primum in quolibet genere, est causa eorum quae sunt post; sicut primus actus est causa omnis entis in actu. Ergo eadem ratione omne illud quod est in potentia quocumque modo, habet hoc a potentia prima, quae est potentia pura, scilicet a prima materia. Sed aliqua potentia est in substantiis spiritualibus creatis; quia solus Deus est actus purus. Ergo substantia spiritualis creata habet hoc a materia: quod non posset esse, nisi materia esset pars eius. Est ergo composita ex materia et forma.

Cependant:

1. Il y a ce que dit Denis dans le chapitre IV Des noms divins [lect. 1] à propos des anges, à savoir qu'ils sont dépourvus de corps et de matière.

Sed contra: 1. Sed contra. Est quod Dionysius dicit IV cap. de Divin. Nomin. de Angelis, quod sunt incorporei et immateriales.

2. Mais [Denis] dit que [les anges] sont dits "immatériels" parce qu'ils n'ont pas une matière soumise à la quantité et au changement. Cependant cela contredit ce que lui-même affirme précédemment à savoir qu'ils sont dépourvus de toute matière existant dans le monde.

2. Sed dices, quod dicuntur immateriales, quia non habent materiam subiectam quantitati et transmutationi.- Sed contra est quod ipse praemittit, quod ab universa materia sunt mundi.

3. En outre, selon le Philosophe [Métaphysique IV 211a 12], un lieu n'est requis qu'à cause du mouvement. Donc, dans la mesure où certaines choses ont un mouvement, il faut chercher en elles une matière; de là, ces choses qui sont soumises à la génération et à la corruption ont une matière conforme à leur être, tandis que celles qui sont transmuables selon le lieu, ont une matière conforme à leur localisation. Cependant, les substances spirituelles ne sont pas transmuables en fonction de leur existence. Donc, il n'y a pas en elles une matière pour être; et c'est pourquoi elles ne sont pas composées de matière et de forme.

3. Praeterea, secundum philosophum in IV Physic., locus non quaeritur nisi propter motum; et similiter nec materia quaereretur nisi propter motum. Secundum ergo quod aliqua habent motum, secundum hoc quaerenda est in eis materia; unde illa quae sunt generabilia et corruptibilia, habent materiam ad esse; quae autem sunt transmutabilia secundum locum habent materiam ad ubi. Sed substantiae spirituales non sunt transmutabiles secundum esse. Ergo non est in eis materia ad esse; et sic non sunt compositae ex materia et forma.

4. De plus, Hugues de saint Victor dit, à propos de La hiérarchie céleste de Denis [PL CLXXV 10 108], que, dans les substances spirituelles, ce qui vivifie est identique à ce qui est vivifié. Or ce qui vivifie est la forme tandis que ce qui est vivifié est la matière: car la forme donne l'existence à la matière, et vivre pour les vivants, c'est être. Donc, chez les anges, il n'y a pas de différence entre matière et forme.

4. Praeterea, Hugo de sancto Victore dicit super angelicam hierarchiam Dionysii, quod in substantiis spiritualibus idem est quod vivificat et quod vivificatur. Sed id quod vivificat est forma; quod autem vivificatur, est materia: forma enim dat esse materiae, vivere autem viventibus est esse. Ergo in Angelis non differt materia et forma.

5. De plus, Avicenne [Métaphysique IX, 4] et Algazel [I, tr. IV, 3] disent que les substances séparées, qu'on appelle substances spirituelles sont absolument dépourvues de matière.

5. Praeterea, Avicenna et Algazel dicunt quod substantiae separatae, quae spirituales substantiae dicuntur, sunt omnino a materia denudatae.

6. En outre, le Philosophe dit au chapitre III De l'âme [431 b 29], que la pierre n'existe pas dans l'âme mais bien l'apparence de la pierre, ce qui semble être dû au caractère simple de l'âme, si bien que, en elle, ne peuvent exister des éléments matériels. Donc l'âme n'est pas composée de matière et de forme.

6. Praeterea, philosophus dicit in III de anima, quod lapis non est in anima, sed species lapidis: quod videtur esse propter simplicitatem animae, ut scilicet in ea materialia esse non possint. Ergo anima non est composita ex materia et forma.

7. De plus dans le Livre des Causes [n° 6], il est dit que l'intelligence est une substance qui ne se divise pas. Or tout ce qui est composé se divise. Donc l'intelligence n'est pas une substance composée.

7. Praeterea, in libro de causis dicitur, quod intelligentia est substantia quae non dividitur. Sed omne quod componitur, dividitur. Ergo intelligentia non est substantia composita.

8. En outre, dans ce qui est sans matière, l'action de comprendre s'identifie à ce qui est compris. Or, ce qui est compris, c'est la forme intelligible entièrement immatérielle. Donc la substance intelligente est dépourvue de matière.

8. Praeterea, in his quae sunt sine materia, idem est intellectus et quod intelligitur. Sed id quod intelligitur, est forma intelligibilis omnino immaterialis. Ergo substantia intelligens est absque materia.

9. De plus, Augustin dit, dans son livre sur La Trinité [IX, 4], que l'âme se comprend tout entière. Or elle ne comprend pas la matière, donc la matière n'en fait pas partie.

9. Praeterea, Augustinus dicit in libro de Trinit., quod anima se tota intelligit. Non autem intelligit per materiam: ergo materia non est aliquid eius.

10. En outre, Damascène [De la foi orthodoxe II, 12] dit que l'âme est simple. Donc elle n'est pas composée de matière et de forme.

10. Praeterea, Damascenus dicit, quod anima est simplex. Non ergo composita ex materia et forma.

11. De plus, l'esprit doué de raison se rapproche davantage du premier être le plus simple (c'est-à-dire Dieu) que l'esprit dénué de raison. Or l'esprit dénué de raison n'est pas composé de matière et de forme. Donc la substance de l'ange ne l'est pas non plus.

11. Praeterea, spiritus rationalis magis appropinquat primo simplicissimo, scilicet Deo, quam spiritus brutalis. Sed spiritus brutalis non est compositus ex materia et forma. Ergo multo minus spiritus rationalis.

12. De plus, la substance des anges est plus proche de la simplicité de Dieu que la forme matérielle. Or la forme matérielle n'est pas composée de matière et de forme. Donc les substances angéliques non plus.

12. Praeterea, plus appropinquat primo simplici substantia angelica quam forma materialis. Sed forma materialis non est composita ex materia et forma. Ergo nec substantia angelica.

13. En outre, une forme accidentelle est inférieure à la substance par ordre d'importance. Cependant, Dieu fait qu'une forme accidentelle subsiste sans matière comme il apparaît dans le sacrement de l'autel. Donc, à plus forte raison, fait-il subsister une forme quelconque appartenant à un type de substance, sans matière; et cela semble être surtout le propre de la substance spirituelle.

13. Praeterea, forma accidentalis est ordine dignitatis infra substantiam. Sed Deus facit aliquam formam accidentalem subsistere sine materia, ut patet in sacramento altaris. Ergo fortius facit aliquam formam in genere substantiae subsistere sine materia; et hoc maxime videtur substantiae spiritualis.

14. En outre, Augustin affirme dans le livre des Confessions XII [7]: "Tu as fait deux choses, Seigneur: l'une proche de toi, c'est la substance de l'ange; l'autre proche du néant", à savoir la matière. Ainsi donc, il n'y a pas de matière dans un ange puisque, contrairement à l'ange, la matière est séparée [de Dieu].

14. Praeterea, Augustinus dicit, XII Confess.: duo fecisti, domine: unum prope te, id est substantiam angelicam; aliud prope nihil, scilicet materiam. Sic ergo materia non est in Angelo, cum contra ipsum dividatur.

Réponse:

Il faut dire qu'autour de cette question, il y a des avis opposés. Certains soutiennent que la substance spirituelle est composée de matière et de forme mais d'autres le nient. De là, pour s'atteler à la recherche de la vérité sur ce point sans procéder de manière ambiguë, il faut considérer ce qui est signifié par le terme "matière". Il est évident en effet que, puisque puissance et acte partagent ce qui existent et puisque n'importe quel genre est divisé en puissance et en acte, on appelle communément matière première ce qui appartient à un type de substance comparable à une certaine puissance comprise indépendamment de toute apparence et de toute forme et même indépendamment de leur absence; cependant, cette puissance est capable d'admettre et des formes et leur absence comme il est clairement exprimé par saint Augustin dans le livre des Confessions XIII [VII, VIII, XV] et dans le Commentaire littéral sur la Genèse, I [XIV, XV], ainsi que par le Philosophe dans la Métaphysique [3, 10 20]. Ainsi comprise, la matière (et c'est là son acception propre et courante), il est impossible qu'il y ait de la matière dans les substances spirituelles.

En effet, bien que la puissance soit dans le temps antérieure à l'acte, dans une seule et même chose qui est tantôt en puissance, tantôt en acte, cependant c'est l'acte qui selon la nature précède la puissance. Et ce qui est antérieur ne dépend pas de ce qui vient après mais c'est l'inverse. Voilà pourquoi on trouve un premier acte en l'absence de toute puissance mais on ne trouve jamais dans la nature une puissance qui ne soit pas achevée par un acte quelconque et c'est pour cette raison qu'il y a toujours une certaine forme dans une matière première.

Le premier Acte est parfait, simplement, et possède en soi toute plénitude de perfection. Il cause l'existence en acte en toutes choses mais selon un certain ordre. En effet, aucun acte causé ne possède toute la plénitude de la perfection; si on regarde l'acte premier, tout acte causé est imparfait. Cependant, plus un acte est parfait, plus il est proche de Dieu. Or, parmi toutes les créatures, les plus proches de Dieu sont les substances spirituelles, comme l'affirme clairement Denis au chapitre IV de la Hiérarchie céleste [1]; de là, ce sont elles qui s'approchent le plus de la perfection du premier acte puisqu'on les compare aux créatures inférieures comme le parfait à l'imparfait et comme l'acte à la puissance. Donc, cette logique de l'ordre des choses n'implique en aucune façon que les substances spirituelles aient besoin pour leur propre existence d'une matière première qui est la plus incomplète des choses qui existent: au contraire, elles sont élevées loin au-dessus de toute matière et de toutes les choses matérielles.

Cela apparaît aussi de manière évidente si l'on considère l'activité propre des substances spirituelles. En effet, toutes les substances spirituelles sont intellectuelles. Or la puissance de chaque réalité est proportionnelle à la perfection qu'on y trouve. En effet, un acte propre requiert une puissance propre: or la perfection de n'importe quelle substance intellectuelle (du moins de ce genre) est intelligible dans la mesure où elle existe dans l'intelligence.

Donc il faut rechercher dans les substances spirituelles une puissance telle qu'elle soit proportionnée à la réception d'une forme intelligible. Or la puissance de la matière première n'est pas de ce type: en effet, la matière première reçoit sa forme en se contractant elle-même jusqu'à l'être individuel; tandis que la forme intelligible existe dans l'intelligence en l'absence d'une contraction de ce genre. Ainsi l'intelligence comprend n'importe quelle réalité intelligible dans la mesure où la forme de celle-ci est en elle.

L'intelligence comprend l'intelligible surtout en fonction d'une nature commune et universelle; et la forme intelligible se trouve dans l'intelligence en raison de sa "communauté" (avec elle). Il n'y a donc pas de substance intellectuelle capable de recevoir une forme en raison de la matière première mais plutôt pour une raison opposée.

De là, il devient clair que, dans les substances spirituelles, cette matière première, privée de toute apparence de soi, ne peut être une part.

Cependant, si on appelle matière et forme deux choses quelconques qui se tiennent mutuellement comme la puissance et l'acte, rien n'empêche de dire, sans forcer les mots, qu'il y a matière et forme dans les substances spirituelles. Il faut en effet que, dans la substance spirituelle créée, il y ait deux choses dont l'une se compare à l'autre comme la puissance à l'acte. C'est une évidence.

Il est clair en effet que le premier être, qui est Dieu, est un acte infini en tant que détenteur, en lui-même, de toute la plénitude de l'existence, une plénitude non contractée jusqu'à une nature de tel genre ou de telle espèce. De là, il faut que son existence même ne soit pas une existence introduite en quelque sorte dans une nature qui ne serait pas son existence propre car ainsi son être se limiterait à cette nature. De là nous disons que Dieu est sa propre existence. Et cela ne peut se dire d'un autre [être]; car, de même qu'il est impossible de comprendre qu'il y ait plusieurs blancheurs distinctes mais que s'il existait une blancheur séparée de tout sujet et de tout récepteur, il n'en existerait qu'une, ainsi est-il impossible qu'il y ait une existence subsistant par elle-même autre qu'unique.

Donc tout ce qui est postérieur au premier être, puisqu'il n'est pas sa propre existence, possède une existence reçue dans une chose à travers laquelle l'être lui-même se contracte et il en est ainsi dans n'importe quelle créature: une chose est la nature de la réalité qui participe à l'être, autre chose est l'être donné en partage. Et puisque n'importe quelle réalité participe au premier acte par "ressemblance" dans la mesure où elle possède une existence, nécessairement, l'être donné en partage en chacun est comparable à la nature qui y participe comme l'acte est comparable à la puissance.

En conclusion, dans la nature des réalités corporelles, la matière ne participe pas par elle-même à l'être en soi mais elle y participe à travers une forme: la forme, venant à la matière, la fait être en acte comme l'âme le fait pour le corps. De là, dans les réalités composées, il faut prendre en considération deux types d'actes et deux types de puissance. En premier lieu, la matière est comme une puissance à l'égard de la forme et la forme est son acte; en second lieu, la nature constituée de matière et de forme est comme une puissance à l'égard de l'être lui-même dans la mesure où elle est capable de le recevoir.

Donc, une fois écarté le fondement de la matière, s'il reste une forme d'une nature déterminée subsistant par elle-même sans être dans une matière, elle sera comparée à sa propre existence comme la puissance à l'acte: je ne dis pas comme une puissance séparable de l'acte mais comme une puissance toujours accompagnée de son acte.

De cette façon, la nature d'une substance spirituelle, qui n'est pas composée de matière et de forme, est comme une puissance à l'égard de sa propre existence, et c'est ainsi que, dans une substance spirituelle, il y a composition de puissance et d'acte et par conséquent de forme et de matière si du moins toute puissance est appelée "matière" et tout acte "forme". Cependant, ce n'est pas à proprement parler l'usage courant de ces mots.

Respondeo:

Dicendum quod circa hanc quaestionem contrarie aliqui opinantur. Quidam enim asserunt, substantiam spiritualem creatam, esse compositam ex materia et forma; quidam vero hoc negant. Unde ad huius veritatis inquisitionem, ne in ambiguo procedamus, considerandum est quid nomine materiae significetur. Manifestum est enim quod cum potentia et actus dividant ens, et cum quodlibet genus per actum et potentiam dividatur; id communiter materia prima nominatur quod est in genere substantiae, ut potentia quaedam intellecta praeter omnem speciem et formam, et etiam praeter privationem; quae tamen est susceptiva et formarum et privationum, ut patet per August. XII Confess. et I super Genes. ad litteram, et per philosophum in VII Metaph. Sic autem accepta materia (quae est propria eius acceptio et communis), impossibile est quod materia sit in substantiis spiritualibus. Licet enim in uno et eodem, quod quandoque est in actu quandoque in potentia, prius tempore sit potentia quam actus; actus tamen naturaliter est prior potentia. Illud autem quod est prius, non dependet a posteriori, sed e converso. Et ideo invenitur aliquis primus actus absque omni potentia; nunquam tamen invenitur in rerum natura potentia quae non sit perfecta per aliquem actum; et propter hoc semper in materia prima est aliqua forma. A primo autem actu perfecto simpliciter, qui habet in se omnem plenitudinem perfectionis, causatur esse actu in omnibus; sed tamen secundum quemdam ordinem. Nullus enim actus causatus habet omnem perfectionis plenitudinem; sed respectu primi actus, omnis actus causatus est imperfectus. Quanto tamen aliquis actus est perfectior, tanto est Deo propinquior. Inter omnes autem creaturas Deo maxime appropinquant spirituales substantiae, ut patet per Dionysium IV cap. caelestis Hierar.; unde maxime accedunt ad perfectionem primi actus, cum comparentur ad inferiores creaturas sicut perfectum ad imperfectum, et sicut actus ad potentiam. Nullo ergo modo haec ratio ordinis rerum habet quod substantiae spirituales ad esse suum requirant materiam primam, quae est incompletissimum inter omnia entia: sed sunt longe supra totam materiam et omnia materialia elevatae. Hoc etiam manifestum apparet, si quis propriam operationem substantiarum spiritualium consideret. Omnes enim spirituales substantiae intellectuales sunt. Talis autem est uniuscuiusque rei potentia, qualis reperitur perfectio eius; nam proprius actus propriam potentiam requirit: perfectio autem cuiuslibet intellectualis substantiae, in quantum huiusmodi, est intelligibile prout est in intellectu. Talem igitur potentiam oportet in substantiis spiritualibus requirere, quae sit proportionata ad susceptionem formae intelligibilis. Huiusmodi autem non est potentia materiae primae: nam materia prima recipit formam contrahendo ipsam ad esse individuale; forma vero intelligibilis est in intellectu absque huiusmodi contractione. Sic enim intelligit intellectus unumquodque intelligibile, secundum quod forma eius est in eo. Intelligit autem intellectus intelligibile praecipue secundum naturam communem et universalem; et sic forma intelligibilis in intellectu est secundum rationem suae communitatis. Non est ergo substantia intellectualis receptiva formae ex ratione materiae primae, sed magis per oppositam quamdam rationem. Unde manifestum fit quod in substantiis spiritualibus illa prima materia quae de se omni specie caret, eius pars esse non potest. Si tamen quaecumque duo se habent ad invicem ut potentia et actus, nominentur materia et forma, nihil obstat dicere, ut non fiat vis in verbis, quod in substantiis spiritualibus est materia et forma. Oportet enim in substantia spirituali creata esse duo, quorum unum comparatur ad alterum ut potentia ad actum. Quod sic patet. Manifestum est enim quod primum ens, quod Deus est, est actus infinitus, utpote habens in se totam essendi plenitudinem, non contractam ad aliquam naturam generis vel speciei. Unde oportet quod ipsum esse eius non sit esse quasi inditum alicui naturae quae non sit suum esse; quia sic finiretur ad illam naturam. Unde dicimus, quod Deus est ipsum suum esse. Hoc autem non potest dici de aliquo alio: sicut enim impossibile est intelligere quod sint plures albedines separatae; sed si esset albedo separata ab omni subiecto et recipiente, esset una tantum; ita impossibile est quod sit ipsum esse subsistens nisi unum tantum. Omne igitur quod est post primum ens, cum non sit suum esse, habet esse in aliquo receptum, per quod ipsum esse contrahitur; et sic in quolibet creato aliud est natura rei quae participat esse, et aliud ipsum esse participatum. Et cum quaelibet res participet per assimilationem primum actum in quantum habet esse, necesse est quod esse participatum in unoquoque comparetur ad naturam participantem ipsum, sicut actus ad potentiam. In natura igitur rerum corporearum materia non per se participat ipsum esse, sed per formam; forma enim adveniens materiae facit ipsam esse actu, sicut anima corpori. Unde in rebus compositis est considerare duplicem actum, et duplicem potentiam. Nam primo quidem materia est ut potentia respectu formae, et forma est actus eius; et iterum natura constituta ex materia et forma, est ut potentia respectu ipsius esse, in quantum est susceptiva eius. Remoto igitur fundamento materiae, si remaneat aliqua forma determinatae naturae per se subsistens, non in materia, adhuc comparabitur ad suum esse ut potentia ad actum: non dico autem ut potentiam separabilem ab actu, sed quam semper suus actus comitetur. Et hoc modo natura spiritualis substantiae, quae non est composita ex materia et forma, est ut potentia respectu sui esse; et sic in substantia spirituali est compositio potentiae et actus, et per consequens formae et materiae; si tamen omnis potentia nominetur materia et omnis actus nominetur forma. Sed tamen hoc non est proprie dictum secundum communem usum nominum.

 

Solutions:

1. Au premier argument, il faut répondre que le caractère d'une forme s'oppose au caractère d'un sujet. En effet, toute forme, en tant que telle, est un acte tandis que tout sujet se compare à ce dont il est sujet, comme une puissance se compare à un acte. Si donc il existe une forme qui soit acte uniquement comme l'essence divine, elle ne peut en aucune façon être un sujet [d'accidents]; et c'est de cette forme que parle Boèce. Si d'autre part peut exister une forme qui soit sous tel rapport en acte et sous tel autre en puissance, elle ne sera un sujet que dans la mesure où elle est en puissance.

Or les puissances spirituelles, bien qu'elles soient des formes subsistantes, sont néanmoins en puissance dans la mesure où elles ont une existence finie et limitée. Et parce que l'intelligence est capable de tout connaître en fonction de sa nature propre et parce que la volonté a la capacité d'aimer le bien universel, il reste toujours, dans l'intelligence et la volonté des substances créées, une puissance à l'égard d'une chose qui lui est extérieure. De là, si on a une vision correcte des choses, on ne trouve pas de substances spirituelles sujets sauf d'accidents qui concernent l'intelligence et la volonté.

1. Ad primum ergo dicendum, quod ratio formae opponitur rationi subiecti. Nam omnis forma, in quantum huiusmodi, est actus; omne autem subiectum comparatur ad id cuius est subiectum, ut potentia ad actum. Si quae ergo forma est quae sit actus tantum, ut divina essentia, illa nullo modo potest esse subiectum; et de hac Boetius loquitur. Si autem aliqua forma sit quae secundum aliquid sit in actu, et secundum aliquid in potentia; secundum hoc tantum erit subiectum, secundum quod est in potentia. Substantiae autem spirituales, licet sint formae subsistentes, sunt tamen in potentia, in quantum habent esse finitum et limitatum. Et quia intellectus est cognoscitivus omnium secundum sui rationem, et voluntas est amativa universalis boni; remanet semper in intellectu et voluntate substantiae creatae potentia ad aliquid quod est extra se. Unde si quis recte consideret, substantiae spirituales non inveniuntur esse subiectae nisi accidentium quae pertinent ad intellectum et voluntatem.

2. Au second, il faut dire que le contraction [limitation] de la forme se fait de deux manières. L'une du fait que la forme de l'espèce se limite à l'individu et une telle limitation de la forme se fait par la matière. Cependant, il y en a une autre du fait que la forme du genre se limite à la nature de l'espèce et une telle limitation de la forme ne se fait pas par la matière mais par une forme plus déterminée d'où provient la différence. En effet la différence, ajoutée au genre, le contracte jusqu'à l'espèce. Telle est la limitation dans les substances spirituelles dans la mesure, évidemment, où elles sont des formes d'espèces déterminées.

2. Ad secundum dicendum quod duplex est limitatio formae. Una quidem secundum quod forma speciei limitatur ad individuum, et talis limitatio formae est per materiam. Alia vero secundum quod forma generis limitatur ad naturam speciei; et talis limitatio formae non fit per materiam, sed per formam magis determinatam, a qua sumitur differentia; differentia enim addita super genus contrahit ipsum ad speciem. Et talis limitatio est in substantiis spiritualibus, secundum scilicet quod sunt formae determinatarum specierum.

3. Au troisième, il faut dire que la mutabilité ne se trouve pas dans les substances spirituelles en fonction de leur existence mais en fonction de leur intelligence et de leur volonté. Toutefois une telle mutabilité ne provient pas de la matière mais de la potentialité de l'intelligence et de la volonté.

3. Ad tertium dicendum quod mutabilitas non invenitur in substantiis spiritualibus secundum earum esse, sed secundum intellectum et voluntatem. Sed talis mutabilitas non est ex materia, sed ex potentialitate intellectus et voluntatis.

4. Au quatrième, il faut répondre qu'Augustin ne veut pas dire que la matière des choses visibles et des choses invisibles est identique en quantité puisque lui-même affirme que deux types d'absence de forme se comprennent par le "ciel" et la "terre" créés, dit-on, en premier lieu, si bien que par "ciel", on entend la substance spirituelle encore informe et par "terre", la matière des réalités corporelles, matière qui, en soi, est dépourvue de forme puisqu'elle est pratiquement sans apparence: de là, on la dit aussi "sans valeur" et "vide" ou "invisible" et "non-composée" selon une autre expression. Le ciel, lui, n'est pas décrit comme "sans valeur" et "vide". Par lui, il apparaît clairement que la matière, qui est dépourvue de toute apparence, ne fait pas partie de la substance de l'ange.

Mais l'absence de forme de la substance spirituelle est due au fait qu'elle n'a pas encore été tournée vers la Parole par laquelle elle est éclairée et qui touche à sa puissance de compréhension. Ainsi donc Augustin les appelle tous deux "matière commune des choses visibles et des choses invisibles" du fait que l'un et l'autre sont dépourvus de forme à leur façon. 

4. Ad quartum dicendum quod non est intentio Augustini dicere, quod sit eadem numero materia visibilium et invisibilium, cum ipse dicat duplicem informitatem intelligi per caelum et terram, quae dicuntur primo creata; ut per caelum intelligatur substantia spiritualis adhuc informis, per terram autem materia rerum corporalium, quae in se considerata informis est, quasi omni specie carens: unde etiam dicitur inanis et vacua, vel invisibilis et incomposita secundum aliam litteram. Caelum autem non describitur inane et vacuum. Per quod manifeste apparet quod materia, quae caret omni specie, non est pars substantiae angelicae. Sed informitas substantiae spiritualis est secundum quod nondum est conversa ad verbum a quo illuminatur, quod pertinet ad potentiam intelligibilem. Sic ergo materiam communem visibilium et invisibilium nominat utrumque, prout est informe suo modo.

5. Au cinquième, il faut dire que le Philosophe parle à cet endroit, non pas de la cause agissante mais de la cause formelle. En effet, ce qui est composé de matière et de forme n'est pas immédiatement existant et un mais la matière est existante en puissance et devient existante en acte par l'arrivée dela forme qui est pour elle cause d'existence. Mais la forme n'a pas une existence due à une autre forme. Par conséquent, s'il peut y avoir une forme subsistante, elle est immédiatement existante et une et n'a pas la cause formelle de son existence; cependant elle a une cause qui "verse" en elle l'existence mais pas une cause motrice qui l'amènerait d'une puissance préexistante à l'acte.

5. Ad quintum dicendum quod philosophus loquitur ibi non de causa agente, sed de causa formali. Illa enim quae sunt composita ex materia et forma, non statim sunt ens et unum, sed materia est ens in potentia et fit ens actu per adventum formae, quae est ei causa essendi. Sed forma non habet esse per aliam formam. Unde si sit aliqua forma subsistens, statim est ens et unum, nec habet causam formalem sui esse; habet tamen causam influentem ei esse, non autem causam moventem, quae reducat ipsam de potentia praeexistenti in actum.

6. Au sixième, il faut dire ceci: bien que l'âme soit subsistante par elle-même, il ne s'ensuit pas qu'elle est composée de matière et de forme parce que le fait de subsister par soi-même peut caractériser aussi une forme dépourvue de matière. En effet, puisque la matière tient son existence de la forme et pas l'inverse, rien n'empêche une forme donnée de subsister sans matière alors que la matière ne peut exister sans forme.

6. Ad sextum dicendum quod licet anima sit per se subsistens, non tamen sequitur quod sit composita ex materia et forma, quia per se subsistere potest convenire etiam formae absque materia. Cum enim materia habeat esse per formam, et non e converso; nihil prohibet aliquam formam sine materia subsistere, licet materia sine forma esse non possit.

7. Au septième, il faut dire que la capacité d'admettre des caractères contraires est le propre d'une substance qui existe en puissance en quelque sorte, soit une substance composée de matière et de forme, soit de substance simple. Or la substance des choses spirituelles n'est pas le sujet de qualités contraires, excepté celles qui concernent la volonté et l'intelligence du fait que cette substance existe en puissance comme cela apparaît clairement de ce qui a été dit.

7. Ad septimum dicendum quod esse susceptivum contrariorum est substantiae in potentia aliqualiter existentis, sive sit composita ex materia et forma, sive sit simplex. Substantia autem spiritualium non est subiectum contrariorum, nisi pertinentium ad voluntatem et intellectum, secundum quae est in potentia, ut ex dictis patet.

8. Au huitième, il faut dire qu'être composé de ce qui est [quod est] et de ce par quoi on est [quo est], n'est pas la même chose que d'être composé de matière et de forme. En effet, bien que l'on puisse appeler "forme" ce par quoi une chose existe, on ne peut pas appeler la matière "ce qui est" [quod est], c'est ce qui subsiste dans l'existence ce qui, dans les substances corporelles, est lui-même composé de matière et de forme mais qui, dans les substances incorporelles, est uniquement forme.

D'autre part, "ce par quoi on est" [quo est] est l'existence même donnée en partage car chaque chose n'existe que dans la mesure où elle participe à l'existence elle-même. Et de là Boèce aussi utilise ces mots dans son livre Des semaines lorsqu'il dit que, chez les êtres autres que le premier, "ce qui est" [quod est] n'est pas identique au fait d'exister [esse].

8. Ad octavum dicendum quod non idem est componi ex quod est et quo est, et ex materia et forma. Licet enim forma possit dici quo aliquid est, tamen materia non proprie potest dici quod est, cum non sit nisi in potentia. Sed quod est, est id quod subsistit in esse, quod quidem in substantiis corporeis est ipsum compositum ex materia et forma, in substantiis autem incorporeis est ipsa forma simplex; quo est autem, est ipsum esse participatum, quia in tantum unumquodque est, in quantum ipse esse participat. Unde et Boetius sic utitur istis vocabulis in libro de Hebdomad., dicens, quod in aliis praeter primum, non idem est quod est et esse.

9. Au neuvième, il faut dire qu'une chose est de deux façons dépendantes d'un élément commun: d'une première façon, comme un individu dépend d'une espèce; d'une autre façon, comme une espèce dépend d'un genre.

Donc, chaque fois qu'il y a un grand nombre d'individus en dépendance d'une seule espèce commune, la distinction entre la multitude d'entre eux se fait par la matière individuelle qui est indépendante de leur nature spécifique. Et c'est ce qui se passe dans les réalités créées.

Mais quand il y a de nombreuses espèces en dépendance d'un seul genre, les formes par lesquelles on distingue les espèces l'une de l'autre ne devraient pas être autre chose, en réalité, que la forme commune au genre. En effet, c'est par une seule et même forme que tel individu se place dans le genre "substance" et dans le genre "corps" et ainsi de suite jusqu'à son espèce la plus spécifique.

En effet, si tel individu particulier était en possession de sa propre substance par suite d'une forme quelconque, il faudrait nécessairement que d'autres formes supplémentaires, en fonction desquelles il (cet individu) est placé dans des genres et espèces inférieurs soient des formes accidentelles.

Et cela apparaît clairement dans ce qui suit. En effet, une forme accidentelle diffère d'une forme substantielle parce qu'une forme substantielle fait que telle chose donnée est quelque chose tandis qu'une forme accidentelle survient à une réalité qui existe déjà en tant que ce "quelque chose". Si donc la première forme, par laquelle l'individu est placé dans un genre, fait que cet individu est ce "quelque chose", toutes les autres forment adviennent à un "individu subsistant en acte" et seront par conséquent des formes accidentelles. Il s'ensuivra aussi que par l'arrivée des formes postérieures qui permettent de classer une chose dans une espèce très particulière ou subalterne, il ne peut y avoir génération ou corruption par soustraction au sens absolu du terme mais au sens restreint. En effet, puisque la "génération" est le changement vers l'existence d'une réalité, on dit que naît, au sens absolu du terme, ce qui devient "existant" de ce qui est "non-existant en acte" mais "existant en puissance" seulement. Si donc quelque chose naît d'un "préexistant en acte", il ne naîtra pas "vivant" au sens absolu mais en tant que "[étant] tel être particulier".

Concernant la mort, le raisonnement est le même. Il faut donc dire que les formes des réalités sont classées selon un ordre et que l'une dépasse l'autre en perfection. Cela apparaît clairement chez le Philosophe dans la Métaphysique VIII [3, 1043 b 33], qui déclare que les définitions et les espèces de réalités sont comme des nombres, parmi lesquels les espèces se multiplient en ajoutant une unité; et, par induction, il semblerait que les espèces de réalités se multiplient graduellement selon ce qui est parfait et imparfait.

Ainsi donc la position d'Avicebron dans son livre La source de vie se voit rejetée du fait que la matière première, regardée comme totalement informe, reçoit d'abord sa forme substantielle et, une fois cette forme ajoutée dans une partie d'elle-même, elle reçoit, en plus de la forme substantielle, une autre forme par laquelle elle devient un corps; et ainsi de suite jusqu'à son ultime spécificité. Et dans cette partie-là (d'elle-même) où elle ne reçoit pas une forme corporelle, elle est une substance incorporelle dont la matière, non soumise à la quantité, est appelée par certains "matière spirituelle".

D'autre part, la matière même, déjà perfectionnée par la forme substantielle, qui est sujet de quantité et d'autre accidents, cette matière est, dit-il, la clé pour comprendre les substances incorporelles [II, 6, p. 35]. Car la raison pour laquelle un individu se trouve être un corps inanimé a une forme à laquelle se subordonne la forme substantielle du corps; la raison en est que cet individu animé a une forme plus parfaite par laquelle il possède non seulement la capacité de subsister et d'être un corps mais aussi la capacité de vivre. Tandis que l'autre a une forme plus imparfaite par laquelle il n'atteint pas à la vie mais seulement à la subsistance corporelle.

9. Ad nonum dicendum quod sub aliquo communi est aliquid dupliciter: uno modo sicut individuum sub specie; alio modo sicut species sub genere. Quandocumque igitur sub una communi specie sunt multa individua, distinctio multorum individuorum est per materiam individualem, quae est praeter naturam speciei; et hoc in rebus creatis. Quando vero sunt multae species sub uno genere, non oportet quod formae quibus distinguuntur species ad invicem, sint aliud secundum rem a forma communi generis. Per unam enim et eamdem formam hoc individuum collocatur in genere substantiae, et in genere corporis, et sic usque ad specialissimam speciem. Si enim secundum aliquam formam hoc individuum habeat quod sit substantia, de necessitate oportet quod aliae formae supervenientes, secundum quas collocatur in inferioribus generibus et speciebus, sint formae accidentales. Quod ex hoc patet. Forma enim accidentalis a substantiali differt, quia forma substantialis facit hoc aliquid, forma autem accidentalis advenit rei iam hoc aliquid existenti. Si igitur prima forma, per quam collocatur in genere, facit individuum esse hoc aliquid; omnes aliae formae advenient individuo subsistenti in actu, et ita erunt formae accidentales. Sequetur etiam quod per adventum posteriorum formarum, quibus collocatur aliquid in specie specialissima vel subalterna, non sit generatio, neque per subtractionem corruptio, simpliciter, sed secundum quid. Cum enim generatio sit transmutatio ad esse rei, illud simpliciter generari dicitur quod simpliciter fit ens de non ente in actu, sed ente in potentia tantum. Si igitur aliquid fiat de praeexistenti in actu, non generabitur simpliciter ens, sed hoc ens; et eadem ratio est de corruptione. Est ergo dicendum quod formae rerum sunt ordinatae, et una addit super alteram in perfectione. Et hoc patet per philosophum in VIII Metaph., qui dicit quod definitiones et species rerum sunt sicut numeri, in quibus species multiplicantur per additionem unitatis; tum etiam hoc per inductionem appareat gradatim species rerum multiplicari secundum perfectum et imperfectum. Sic igitur per hoc excluditur positio Avicebron in Lib. fontis vitae, quod materia prima, quae omnino sine forma consideratur, primo recipit formam substantiae; qua quidem supposita in aliqua sui parte, super formam substantiae recipit aliam formam, per quam fit corpus; et sic deinceps usque ad ultimam speciem. Et in illa parte in qua non recipit formam corpoream, est substantia incorporea, cuius materiam non subiectam quantitati aliqui nominant materiam spiritualem. Ipsam autem materiam iam perfectam per formam substantiae, quae est subiectum quantitatis et aliorum accidentium, dicit esse clavem ad intelligendum substantias incorporeas. Non enim ex hoc contingit quod aliquod individuum sit corpus inanimatum et aliud corpus animatum, per hoc quod individuum animatum habet formam aliquam, cui substernatur forma substantialis corporis; sed quia hoc individuum animatum habet formam perfectiorem, per quam habet non solum subsistere et corpus esse, sed etiam vivere, aliud autem habet formam imperfectiorem, per quam non attingit ad vitam, sed solum ad subsistere corporaliter.

10. Au dixième, il faut dire  que la forme d'un genre dont la matière est une part essentielle, ne peut exister en dehors de l'intelligence sauf dans la matière comme la forme d'une plante ou d'un métal. Mais ce genre de substance n'est pas tel que la matière en est une part essentielle; autrement, il ne serait pas un genre métaphysique mais naturel. De là, la forme de ce genre ne dépend pas de la matière en fonction de sa propre existence mais elle peut aussi être trouvée en dehors de la matière.

10. Ad decimum dicendum quod forma generis de cuius ratione est materia, non potest esse extra intellectum nisi in materia, ut forma plantae aut metalli. Sed hoc genus substantiae, non est tale de cuius ratione sit materia; alioquin non esset metaphysicum, sed naturale. Unde forma huius generis non dependet a materia secundum suum esse, sed potest inveniri etiam extra materiam.

11. Au onzième, il faut dire que l'espèce intelligible, qui se trouve dans l'intelligence de l'ange qui comprend, est différente de l'ange compris non pas en fonction de la privation de la matière [de l'un] et de la matière concrète [de l'autre] mais comme un être intentionnel diffère d'un être qui a une existence fixée dans la nature à la manière dont un type de couleur, dans l'œil, diffère de la couleur se trouvant sur le mur.

11. Ad undecimum dicendum quod species intelligibilis quae est in intellectu Angeli intelligentis, differt ab Angelo intellecto non secundum abstractum a materia et materiae concretum, sed sicut ens intentionale ab ente quod habet esse ratum in natura; sicut differt species coloris in oculo a colore qui est in pariete.

12. Au douzième, il faut dire que si un coffre était subsistant par lui-même sans matière, il serait en l'état de se comprendre lui-même car l'exemption de matière est la caractéristique de la faculté de compréhension. Et en fonction de cela, un coffre sans matière ne diffèrerait d'un coffre intelligible.

12. Ad duodecimum dicendum quod si arca esset sine materia per se subsistens, esset intelligens seipsam; quia immunitas a materia est ratio intellectualitatis. Et secundum hoc arca sine materia non differret ab arca intelligibili.

13. Au treizième, il faut dire qu'Augustin inscrit cela dans sa recherche: la chose apparaît clairement du fait qu'il rejette cette affirmation.

13. Ad decimumtertium dicendum quod Augustinus inducit illud inquirendo: quod patet ex hoc quod illam positionem improbat.

14. Au quatorzième, il faut dire que seul Dieu est dit immatériel et incorporel car toutes choses comparées à sa simplicité peuvent être considérées comme des corps matériels alors qu'en soi, ils sont incorporels et immatériels.

14. Ad decimumquartum dicendum quod solus Deus dicitur immaterialis et incorporeus, quia omnia eius simplicitati comparata, possunt reputari quasi corpora materialia, licet in se sint incorporea et immaterialia.

15. Au quinzième, il faut dire que l'existence de la substance spirituelle créée est restreinte et limitée, non pas par la matière, mais du fait qu'elle est reçue et mise en partage dans une nature d'espèce déterminée, comme cela a été dit.

15. Ad decimumquintum dicendum quod esse substantiae spiritualis creatae est coarctatum et limitatum non per materiam, sed per hoc quod est receptum et participatum in natura determinatae speciei, ut dictum est.

16. Au seizième, il faut dire qu'une substance spirituelle créée agit [est active] et subit [est passive] non en raison de sa forme ou de sa matière mais selon qu'elle est en acte ou en puissance.

16. Ad decimumsextum dicendum, quod agit et patitur substantia spiritualis creata, non secundum formam vel materiam, sed secundum quod est in actu vel potentia.

17. Au dix-septième, il faut dire qu'une substance spirituelle n'est ni acte pur, ni puissance pure mais, alors qu'elle détient une puissance accompagnée d'acte, elle n'est pas composée de matière et de forme, comme cela ressort clairement de ce qui a été dit.

17. Ad decimumseptimum dicendum quod substantia spiritualis nec est actus purus, nec potentia pura, sed habens potentiam cum actu; non tamen composita ex materia et forma, ut ex dictis patet.

18. Au dix-huitième, il faut dire que Platon appelle "dieux secondaires" non pas les anges mais les corps célestes.

18. Ad decimumoctavum dicendum quod Plato appellat deos secundos, non Angelos, sed corpora caelestia.

19. Au dix-neuvième, il faut dire que la matière est principe de distinction selon le nombre au sein d'une même espèce. Mais elle n'est pas le principe d'une distinction entre les espèces. D'autre part, les anges ne sont pas nombreux dans une même espèce mais leur multitude est semblable aux nombreuses natures d'espèces subsistant par elles-mêmes.

19. Ad decimumnonum dicendum quod materia est principium distinctionis secundum numerum in eadem specie, non autem distinctionis specierum. Angeli autem non sunt multi numero in eadem specie; sed multitudo eorum est sicut multae naturae specierum per se subsistentes.

2.0. Au vingtième, il faut dire que les substances spirituelles ne subissent pas l'action du feu de leur corps par la voie d'une altération matérielle mais par la voie d'un "enchaînement" [ou emprisonnement] comme le dit saint Augustin [La cité de Dieu, XXI, 10, 1]. De là, il n'est pas nécessaire pour elles d'avoir une matière.

2.0. Ad vicesimum dicendum quod substantiae spirituales non patiuntur ab igne corporeo per modum alterationis materialis, sed per modum alligationis, ut Augustinus dicit. Unde non oportet quod habeant materiam.

2.1. Au vingt-unième, il faut dire que le livre De l'unité et de l'un n'est pas de Boèce, comme l'indique le style lui-même.

2.1. Ad vicesimumprimum dicendum quod liber de unitate et uno non est Boetii, ut ipse stilus indicat.

2.2. Au vingt-deuxième, il faut dire qu'une forme séparée, pour autant qu'elle est un acte, ne peut avoir quelque chose d'extérieur qui lui est mêlé, elle ne peut l'avoir que dans la mesure où elle est en puissance. Et, de cette façon, les substances spirituelles, vu qu'elles sont en puissance pour ce qui concerne l'intelligence et la volonté, reçoivent certains accidents (certaines manières d'être accidentelles).

2.2. Ad vicesimumsecundum dicendum quod forma separata, in quantum est actus, non potest aliquid extraneum habere admixtum, sed solum in quantum est in potentia. Et hoc modo substantiae spirituales, in quantum sunt in potentia secundum intellectum et voluntatem, recipiunt aliqua accidentia.

2.3. Au vingt-troisième, il faut dire que l'intention de Boèce n'est pas de dire que d'après la nature de la substance, ce qui est un genre devrait être composé de matière et de forme puisque la substance est du domaine du métaphysicien, non du naturaliste; mais il veut dire que, puisque forme et matière ne concernent pas un type de substance comme l'espèce, seule la substance composée se classe dans un genre comme l'espèce.

2.3. Ad vicesimumtertium dicendum quod intentio Boetii non est dicere, quod de ratione substantiae, quod est genus, sit esse compositum ex materia et forma, cum substantia sit de consideratione metaphysici, non naturalis; sed intendit dicere, quod cum forma et materia non pertineant ad genus substantiae tamquam species; sola substantia, quae est compositum, collocatur in genere ut species.

2.4. Au vingt-quatrième, il faut dire que, dans les réalités composées de matière et de formes, le genre est assumé par la matière et la différence par la forme mais de telle façon que par "matière" on ne comprenne pas "matière première" mais une matière propre à recevoir, à travers la forme, une certaine existence spécifique; tout comme l'existence d'un animal est imparfaite et matérielle en comparaison de celle de l'homme. Cependant, cette double existence n'est pas fonction de deux formes différentes mais d'une seule forme qui donne à l'homme non seulement non seulement son "existence animale" mais son "existence humaine". D'autre part, la vie d'un animal particulier lui accorde seulement une existence animale; de là, l'élément commun "animal" n'est pas unique en nombre mais seulement dans la pensée. Car ce n'est pas par une seule et même forme qu'un homme est animal et qu'un âne en est un.

Donc, une fois la matière ôtée des substances spirituelles, il y restera le genre et la différence non pas en fonction de la matière et de la forme mais du fait que l'on considère dans la substance spirituelle autant ce qui lui est commun avec les substances plus imparfaites que ce qui lui est propre.

2.4. Ad vicesimumquartum dicendum quod in rebus compositis ex materia et forma, genus sumitur a materia, et differentia a forma; ita tamen quod per materiam non intelligatur materia prima, sed secundum quod per formam recipit quoddam esse imperfectum et materiale respectu esse specifici; sicut esse animalis est imperfectum et materiale respectu hominis. Tamen illud duplex esse non est secundum aliam et aliam formam, sed secundum unam formam, quae homini dat non solum hoc quod est esse animal, sed hoc quod est esse hominem. Anima autem alterius animalis dat ei solum esse animal; unde animal commune non est unum numero, sed ratione tantum; quia non ab una et eadem forma homo est animal et asinus. Subtracta ergo materia a substantiis spiritualibus, remanebit ibi genus et differentia non secundum materiam et formam, sed secundum quod consideratur in substantia spirituali tam id quod est commune sibi et imperfectioribus substantiis, quam etiam id quod est sibi proprium.

2.5. Au vingt-cinquième, il faut dire que plus une chose est en acte, plus elle est parfaite tandis que plus une chose est en puissance plus elle est imparfaite. Or les choses imparfaites tirent leur origine des parfaites et non l'inverse. Et de là, il ne faut pas nécessairement que tout ce qui est en puissance, de quelque façon que ce soit, le tiennent d'une puissance pure qui est la matière. Et sur ce point, il semble qu'Avicebron s'est trompé dans son livre La source de vie, en croyant que tout ce qui est en puissance ou est un sujet, tient en quelque sorte ce caractère de la matière première.

2.5. Ad vicesimumquintum dicendum quod quanto aliquid est plus in actu, tanto perfectius est; quanto autem aliquid est plus in potentia, tanto est imperfectius. Imperfecta autem a perfectis sumunt originem, et non e converso. Unde non oportet quod omne quod quocumque modo est in potentia, hoc habeat a pura potentia quae est materia. Et in hoc videtur fuisse deceptus Avicebron in libro fontis vitae, dum credidit quod omne illud quod est in potentia vel subiectum, quodammodo hoc habeat ex prima materia.

 

Article 2: La substance spirituelle peut-elle est unie à un corps ? Articulus 2: Utrum substantia spiritualis possit uniri corpori

 

Il semble que non[3].

Et videtur quod non.

 

Objections

1. Car Denys (Les Noms divins, I, 1[4]) dit que les incorporels sont insaisissables par les corps. Mais toute forme est saisie par la matière, puisqu’elle est son acte. Donc la substance spirituelle incorporelle ne peut pas être la forme du corps[5].

1. Dicit enim Dionysius cap. I de Divin. Nomin., quod incorporalia sunt incomprehensibilia a corporalibus. Sed omnis forma comprehenditur a materia, cum sit actus eius. Ergo substantia spiritualis incorporea non potest esse forma corporis.

 

2. Selon le philosophe (Le sommeil et la veille I, 454 a 8) l’acte vient de ce qui a la puissance. Mais l’opération propre de la substance spirituelle est de comprendre[6], ce qui ne peut venir du corps, parce qu’il n’arrive pas qu’on comprenne par un organe corporel, comme c’est prouvé dans L’âme, (III, 4, 429 a 25); donc la puissance intellective ne peut pas être la forme du corps, la substance spirituelle, en quoi est établie une telle puissance ne peut pas non plus être la forme du corps.

2. Praeterea, secundum philosophum in libro de somno et vigilia cuius est potentia eius est actio. Sed operatio propria substantiae spiritualis est intelligere, quae non potest esse corporis: quia non contingit intelligere per organum corporeum, ut probatur in III de anima. Ergo potentia intellectiva non potest esse forma corporis; ergo neque substantia spiritualis, in qua fundatur talis potentia, potest esse forma corporis.

 

3. Ce qui advient à quelque chose après l’être complet lui arrive en tant qu’accident. Mais la substance spirituelle a en elle un être subsistant. Si donc, un corps lui advient, il adviendra comme accident. Donc elle ne peut pas lui être unie comme forme substantielle.

3. Praeterea, quod advenit alicui post esse completum, advenit ei accidentaliter. Sed substantia spiritualis habet in se esse subsistens. Si igitur adveniat ei corpus, adveniet ei accidentaliter. Non ergo potest ei uniri ut forma substantialis.

 

4. Mais on pourrait dire que l’âme en tant qu’esprit est subsistante par elle-même; en tant qu’elle est âme, elle est unie comme forme. En sens contraire, l’âme selon son essence est un esprit, ou bien donc elle est forme du corps par son essence, ou bien par quelque autre chose ajoutée à l’essence. Mais si c’est le cas, puisque tout ce qui advient en plus à l’essence est un accident, il en découle que l’âme est unie au corps par un accident, et ainsi l’homme est un étant par accident, ce qui ne convient pas. Donc elle lui est unie par son essence, en tant qu’esprit

4. Sed dicebat, quod anima, in quantum est spiritus, est per se subsistens; in quantum autem est anima, unitur ut forma.- Sed contra, anima secundum suam essentiam est spiritus; aut igitur secundum suam essentiam est forma corporis, aut secundum aliquid additum essentiae. Si autem secundum aliquid additum essentiae, cum omne illud quod advenit alicui supra essentiam suam sit accidentale, sequitur quod anima per aliquod accidens uniatur corpori; et sic homo est ens per accidens, quod est inconveniens. Ergo unitur ei per suam essentiam, in quantum est spiritus.

 

5. La forme n’est pas pour la matière, mais la matière pour la forme. C'est pourquoi l’âme n’est pas unie à un corps pour le compléter, mais c’est plutôt le corps; si l’âme est une forme, elle lui est unie pour la perfection de l’âme. Mais l’âme pour sa perfection n’a pas besoin du corps, puisqu’elle peut exister et comprendre sans lui. Donc l’âme n’est pas unie à un corps comme forme.

5. Praeterea, forma non est propter materiam, sed materia propter formam. Unde anima non unitur corpori ut perficiatur corpus; sed magis corpus, si anima est forma, unitur ei propter animae perfectionem. Sed anima ad sui perfectionem non indiget corpore, cum sine corpore possit esse et intelligere. Ergo anima non unitur corpori ut forma.

 

6. L’union de la forme et de la matière est naturelle[7]. Mais l’union de l’âme au corps n’est pas naturelle, mais miraculeuse, car il est dit dans le livre L’esprit et l’âme (14, PL XL, 790[8]): « C’est tout à fait par miracle que des [êtres] si différents et si séparés entre eux ont pu s’unir ».Donc l’âme n’est pas unie au corps comme forme.

6. Praeterea, unio formae et materiae est naturalis. Sed unio animae ad corpus non est naturalis, sed miraculosa; dicitur enim in libro de spiritu et anima: plenum fuit miraculo quod tam diversa et tam divisa ad invicem potuerunt coniungi. Ergo anima non unitur corpori ut forma.

 

7. Selon le philosophe dans le livre Du ciel (II, 6, 288 b 14[9]) tout affaiblissement est au-delà de la nature. Donc tout ce qui affaiblit quelque chose ne lui est pas uni naturellement. Mais l’âme est affaiblie par l’union au corps; et quant à l’être, parce le corps appesantit l’âme, comme il est dit dans le livre L’esprit et l’âme (XIV) et quant à l’opération, parce qu’elle ne peut se connaître qu’en se retirant de toutes les étreintes corporelles, comme il est dit dans le même livre. Donc l’union de l’âme au corps n’est pas naturelle et ainsi de même que plus haut.

7. Praeterea, secundum philosophum in libro de caelo, omnis debilitatio est praeter naturam. Quidquid ergo debilitat aliquid, non unitur ei naturaliter. Sed anima debilitatur per unionem corporis; et quantum ad esse, quia corpus praegravat animam, ut dicitur in libro de spiritu et anima, et quantum ad operationem; quia non potest se cognoscere, nisi retrahendo se ab omnibus corporeis nexibus, ut in eodem libro dicitur. Ergo unio animae ad corpus non est naturalis; et sic idem quod prius.

 

8. Le Commentateur[10] (Métaphysique, VIII, comm. 16) dit que quand ce qui est en puissance devient acte, cela ne se fait pas par quelque addition. Mais comme l’âme est unie au corps, quelque chose d’extérieur est ajouté au corps, parce que l’âme est créée par Dieu et infusée dans le corps. Donc l’âme n’est pas un acte ou une forme du corps.

8. Praeterea, Commentator dicit in VIII Metaph., quod cum id quod est in potentia, fit actu, hoc non fit per aliquod additum. Sed cum anima unitur corpori, additur corpori aliquod extrinsecum; quia anima creatur a Deo, et corpori infunditur. Ergo anima non est actus seu forma corporis.

 

9. La forme est éduite de la puissance de la matière. Mais la substance spirituelle ne peut pas être éduite de la puissance de la matière corporelle. Donc la substance spirituelle n’est pas unie au corps comme forme.

9. Praeterea, forma educitur de potentia materiae. Sed substantia spiritualis non potest educi de potentia materiae corporalis. Ergo substantia spiritualis non potest uniri corpori ut forma.

 

10. Plus grande est l’harmonie de l’esprit à l’esprit que de l’esprit au corps. Mais l’esprit ne peut pas être forme d’un autre esprit. Donc la substance spirituelle ne peut pas être forme du corps.

10. Praeterea, maior est convenientia spiritus ad spiritum quam spiritus ad corpus. Sed spiritus non potest esse forma alterius spiritus. Ergo neque substantia spiritualis potest esse forma corporis.

 

11. Augustin (De libero arbitrio, III, 11, 32) dit que l’âme et l’ange sont égaux par leur nature, différents par leur fonction. Mais l’ange ne peut pas être la forme d’un corps. L’âme non plus.

11. Praeterea, Augustinus dicit, quod anima et Angelus sunt natura pares, officio dispares. Sed Angelus non potest esse forma corporis. Ergo neque anima.

 

12. Boèce dit (les deux natures I, PL LXIV, 1342): « La nature est une différence spécifique qui donne sa forme a chaque chose[11] ». Mais la différence spécifique de l’âme et de l’ange est la même, à savoir la raison. Donc une même nature pour l’un et l’autre et ainsi de même que ci-dessus.

12. Praeterea, Boetius dicit in libro de duabus naturis: natura est unumquodque informans specifica differentia. Sed eadem est specifica differentia animae et Angeli, scilicet rationale. Ergo eadem natura utriusque; et sic idem quod prius.

 

13. L’âme se comporte de la même manière pour le tout et les parties, parce qu’elle est toute entière dans le tout, et toute entière en chaque partie[12]. Mais la substance spirituelle qui est l’intellect, n’est l’acte d’aucune partie du corps, comme il est dit dans L’âme, (II, 1, 413 a 7[13]). Donc la substance spirituelle n’est pas la forme de tout le corps.

13. Praeterea, anima eodem modo se habet ad totum et partes; quia est tota in toto, et tota in qualibet parte. Sed substantia spiritualis, quae est intellectus, nullius partis corporis est actus, ut dicitur in III de anima. Ergo substantia spiritualis non est forma totius corporis.

 

14. La forme naturelle qui existe dans un corps n’opère pas hors de lui. Mais l’âme qui existe dans un corps opère au-dehors du corps: car il est dit au Concile d’Ancyre, au sujet des femmes qui pensent qu’elles vont à Diane la nuit qu’il leur arrive en esprit ce qu’elles pensent souffrir dans le corps; et ainsi leur esprit aussi opère hors du corps. Donc la substance spirituelle n’est pas unie au corps comme sa forme naturelle.

14. Praeterea, forma naturalis existens in corpore, non operatur extra corpus. Sed anima existens in corpore operatur extra corpus: dicitur enim in Concilio Anquirensi de mulieribus quae putant se ad Dianam de nocte ire, quod eis advenit in spiritu quod putant se in corpore pati; et sic etiam spiritus eorum extra corpus operatur. Non ergo substantia spiritualis unitur corpori ut forma naturalis eius.

 

15. Dans le livre Les articles de la foi (Alain de Lille, I, 4) il est dit: « La forme n’est pas sans matière et la matière sans forme ne peut pas être un substrat ». Mais le corps est le substrat des accidents. Donc le corps n’est pas une matière sans forme. Si donc la substance spirituelle lui advenait comme forme, il en découlerait que deux formes seraient dans un unique et même (substrat), ce qui est impossible.

15. Praeterea, in libro de articulis fidei dicitur: neque forma sine materia, neque materia sine forma subiectum esse potest. Sed corpus est subiectum aliquorum accidentium. Ergo corpus non est materia sine forma. Si igitur substantia spiritualis advenit ei ut forma, sequeretur quod duae formae erunt in uno et eodem; quod est impossibile.

 

16. Le corruptible et l’incorruptible diffèrent en genre, et on ne peut rien dire d’univoque à leur sujet, comme on montre le philosophe et son Commentateur (Métaphysique, X, 10, 1058 b 28[14]). Donc le corruptible et l’incorruptible sont plus différents que deux contraires, qui sont une espèce d’un seul genre. Boèce (Catégories, PL. LXIX, 282), en effet, dit qu’un des contraires n’aide pas l’autre à exister. Donc comme la substance spirituelle est incorruptible, elle n’aide pas le corps corruptible à exister, et sa forme non plus, puisque la forme donne l’être à la matière.

16. Praeterea, corruptibile et incorruptibile differunt genere, nec aliquid de eis dicitur univoce, ut patet per philosophum et Commentatorem eius in X Metaph. Plus ergo differt corruptibile et incorruptibile quam duo contraria, quae sunt species unius generis. Boetius enim dicit quod unum contrarium non iuvat aliud ad esse. Ergo substantia spiritualis cum sit incorruptibilis, non iuvat corpus corruptibile ad esse, et ita non est forma eius, cum forma det esse materiae.

 

17. Tout ce qui est uni à un autre par ce qui n’est pas de son essence, ne lui est pas uni comme une forme. Mais l’intellect est uni au corps par les images, ce qui ne vient pas de la substance intellectuelle, comme le dit le Commentateur (L’âme, III, comm. 5, 36). Donc la substance spirituelle qui est l’intellect, n’est pas unie au corps comme une forme.

17. Praeterea, quidquid unitur alteri per id quod non est de essentia eius, non unitur ei ut forma. Sed intellectus unitur corpori per phantasmata, quod non est de substantia intellectus, ut Commentator dicit in III de anima. Ergo substantia spiritualis, quae est intellectus, non unitur corpori ut forma.

 

18. Toute substance spirituelle est intellectuelle. Mais toute substance intellectuelle est abstraite de la matière puisque par exemption ce qui est intellectuel en est affranchi. Donc aucune substance spirituelle n’est forme dans la matière et ainsi elle ne peut pas être unie à un corps comme forme.

18. Praeterea, omnis substantia spiritualis est intellectualis. Omnis autem substantia intellectualis est abstracta a materia, cum per immunitatem a materia sit aliquid intellectuale. Nulla ergo substantia spiritualis est forma in materia; et ita non potest uniri corpori ut forma.

 

19. L’un se fait de la matière et de la forme. Si donc la substance spirituelle est unie à un corps comme forme, il faut que l’un se fasse de la substance spirituelle et du corps. Mais les formes intelligibles qui sont reçues dans l’intellect, seraient reçues dans une matière corporelle, ce qui est impossible: parce que les formes reçues dans cette matière sont intelligibles seulement en puissance. Donc la substance spirituelle n’est pas unie à un corps comme forme.

19. Praeterea, ex materia et forma fit unum. Si igitur substantia spiritualis unitur corpori ut forma, oportet quod ex substantia spirituali et corpore fiat unum. Formae intelligibiles quae recipiuntur in intellectu, reciperentur in materia corporali; quod est impossibile: quia formae receptae in materia corporali, sunt intelligibiles tantum in potentia. Non ergo substantia spiritualis unitur corpori ut forma.

 

En sens contraire

Denys dit (les noms divins, 4, lectio 1) que l’âme est une substance spirituelle qui a une vie inaltérable. Mais l’âme est la forme du corps, comme on le voit dans la définition qui est dans L’âme (II, 1, 412 a 19-21[15]). Donc une substance spirituelle ou intellectuelle est unie au corps comme forme.

De spiritualibus creaturis, a. 2 s. c. Sed contra, est quod Dionysius dicit IV cap. de Divin. Nomin., quod anima est substantia intellectualis habens vitam indeficientem. Sed anima est forma corporis, ut patet per eius definitionem, quae ponitur in II de anima. Ergo aliqua substantia spiritualis, sive intellectualis, unitur corpori ut forma.

 

Réponse

La difficulté de cette question vient du fait que la substance spirituelle est une certaine chose qui subsiste par elle-même. Il est dû à la forme d’être dans un autre, c'est-à-dire dans la matière, dont elle est l’acte et la perfection. Aussi il semble contre la nature de la substance spirituelle qu’elle soit la forme du corps, et pour cela Grégoire de Nysse, dans son livre de l’âme (Ch. 2 et 3[16]) a imputé à Aristote le fait qu’il a pensé que l’âme ne subsiste pas par elle-même et qu’elle se corrompt quand le corps se corrompt, parce qu’il a pensequ’elle était l’entéléchie, c'est-à-dire l’acte ou la perfection du corps physique.

De spiritualibus creaturis, a. 2 co. Respondeo. Dicendum quod difficultas huius quaestionis ex hoc accidit, quia substantia spiritualis est quaedam res per se subsistens. Formae autem debetur esse in alio, id est in materia, cuius est actus et perfectio. Unde contra rationem substantiae spiritualis esse videtur quod sit corporis forma; et propter hoc Gregorius Nyssenus in suo libro quem de anima fecit, imposuit Aristoteli quod posuit animam non per se subsistentem esse, et corrumpi corrupto corpore, quia posuit eam entelechiam, idest actum vel perfectionem physici corporis.

 

Mais cependant, si quelqu’un considère attentivement le sujet, il apparaît de manière évidente qu’il est nécessaire qu’une substance soit la forme du corps humain. Car il est évident qu’il convient de comprendre à cet homme particulier, que ce soit Socrate ou Platon. Mais aucune opération ne lui convient que par une forme qui existe en lui, substantielle ou accidentelle, parce que rien n’agit ou n’opère que selon qu’il est en acte. Mais chaque chose est en acte par une forme ou substantielle ou accidentelle, puisque la forme est l’acte; ainsi le feu est en acte de feu par l’ignéité, le chaud en acte par la chaleur. Il faut donc que le principe de cette opération qui est de comprendre, soit sous une forme dans cet homme. Mais le principe de cette opération n’est pas une forme dont l’être dépend du corps, et liée à la matière ou immergée en elle, parce que cette opération ne se fait pas par le corps, comme c’est prouve dans L’âme, (III, 4, 429 a 23[17]), c'est pourquoi le principe de cette opération a une opération sans communication avec la matière corporelles. Mais ainsi chacun opère selon ce qu’il est; c'est pourquoi il faut que l’être de ce principe soit un être élevé au-dessus de la matière corporelle, et qu’il n’en dépende pas. Mais cela est le propre de la substance spirituelle. Il faut donc dire, si on joint ce qui a été dit, qu’une substance spirituelle est la forme du corps humain.

Sed tamen si quis diligenter consideret, evidenter apparet quod necesse est aliquam substantiam formam humani corporis esse. Manifestum est enim quod huic homini singulari, ut Socrati vel Platoni, convenit intelligere. Nulla autem operatio convenit alicui nisi per aliquam formam in ipso existentem, vel substantialem vel accidentalem; quia nihil agit aut operatur nisi secundum quod est actu. Est autem unumquodque actu per formam aliquam vel substantialem vel accidentalem, cum forma sit actus; sicut ignis est actu ignis per igneitatem, actu calidus per calorem. Oportet igitur principium huius operationis quod est intelligere, formaliter inesse huic homini. Principium autem huius operationis non est forma aliqua cuius esse sit dependens a corpore, et materiae obligatum sive immersum; quia haec operatio non fit per corpus, ut probatur in III de anima; unde principium huius operationis habet operationem sine communicatione materiae corporalis. Sic autem unumquodque operatur secundum quod est; unde oportet quod esse illius principii sit esse elevatum supra materiam corporalem, et non dependens ab ipsa. Hoc autem proprium est spiritualis substantiae. Oportet ergo dicere, si praedicta coniungantur, quod quaedam spiritualis substantia, sit forma humani corporis.

 

[L’opinion d’Averroès]

Certains qui concèdent que comprendre est l’acte de la substance spirituelle, ont nié qu’elle était unie au corps comme forme. Parmi eux Averroès[18] a placé l’intellect possible, quant à l’être, séparé du corps. Cependant il voit que s’il n’y avait pas une union à cet homme, son action ne pourrait pas le concerner. Car s’il y a deux substances tout à fait désunies, l’une étant celle qui agit ou qui opère, on ne dit pas que l’autre opère. C'est pourquoi il a pensé que cet intellect, qu’il disait tout à fait séparé du corps quant à son être, était relié à cet homme par les images, pour cette raison que l’espèce intelligible qui est la perfection de l’intellect possible, est établie dans les images (phantasma) d’où elle est abstraite. Donc ainsi il a un être double, l’un dans l’intellect possible, dont il est la forme et l’autre dans les images, d’où il est abstrait Mais les images sont dans cet homme, parce que la puissance imaginative est puissance dans le corps, c'est-à-dire qu’elle a un organe corporel[19]. Donc la forme intelligible elle-même est un intermédiaire qui unit l’intellect possible à un homme particulier.

Quidam vero concedentes quod intelligere sit actus spiritualis substantiae, negaverunt illam spiritualem substantiam uniri corpori ut forma. Quorum Averroes posuit intellectum possibilem, secundum esse, separatum a corpore. Vidit tamen quod nisi esset aliqua unio eius ad hunc hominem, actio eius ad hunc hominem pertinere non posset. Si enim sint duae substantiae omnino disiunctae, una agente vel operante, alia non dicitur operari. Unde posuit intellectum illum, quem dicebat separatum omnino secundum esse a corpore, continuari cum hoc homine per phantasmata, hac ratione, quia species intelligibilis, quae est perfectio intellectus possibilis, fundatur in phantasmatibus a quibus abstrahitur. Sic ergo habet duplex esse: unum in intellectu possibili, cuius est forma; et aliud in phantasmatibus, a quibus abstrahitur. Phantasmata autem sunt in hoc homine, quia virtus imaginativa est virtus in corpore, id est habens organum corporale. Ipsa ergo species intelligibilis est medium coniungens intellectum possibilem homini singulari.

 

Mais cette union ne suffit absolument pas pour que cet homme particulier comprenne. Car comme Aristote le dit (L’âme, III, 7, 431 a 14[20]), les images sont en relation avec l’intellect possible, comme la couleur à la vision. De même donc que la forme[21] intelligible abstraite des imagesest dans l’intellect possible, comme la forme de la couleur dans le sens de la vue, de même la forme intelligible est dans les images comme la forme visible est dans la couleur du mur. Mais le fait que la forme visible, qui est la forme de la vue, est établie dans la couleur du mur, la vue n’est pas jointe au mur, comme à ce qui voit mais comme ce qui est vu, car ce n’est pas par cela que le mur voit, mais est vu. Car qu’en lui soit la forme dont la ressemblance est dans la puissance connaissante, cela ne fait pas que l’homme connaît, mais que la puissance connaissante est en lui. Et donc cet homme par cela ne comprendra pas qu’il y a en lui les images, dont la ressemblance qui est la forme intelligible est dans l’intellect possible, mais il en découle que ses images des autres sont comprises. Mais il faut que l’intellect possible, qui est la puissance qui comprend, soit formellement en cette homme pour qu’il comprenne.

Sed haec continuatio nullo modo sufficit ad hoc quod hic homo singularis intelligat. Ut enim Aristoteles dicit in Lib. III de anima, phantasmata comparantur ad intellectum possibilem sicut color ad visum. Sic igitur species intelligibilis a phantasmatibus abstracta, est in intellectu possibili, sicut species coloris in sensu visus; sic autem est in phantasmatibus intelligibilis species sicut species visibilis est in colore parietis. Per hoc autem quod species visibilis, quae est forma visus, fundatur in colore parietis, non coniungitur visus parieti ut videnti, sed ut viso; non enim per hoc paries videt, sed videtur. Non enim hoc facit cognoscentem, ut sit in eo forma cuius similitudo est in potentia cognoscente; sed ut sit in ipso cognoscitiva potentia. Neque igitur hic homo per hoc erit intelligens quod sunt in eo phantasmata, quorum similitudo, quae est species intelligibilis, est in intellectu possibili; sed sequitur per hoc quod sua phantasmata sint aliorum intellecta. Sed oportet ipsum intellectum possibilem, qui est potentia intelligens, formaliter inesse huic homini ad hoc quod hic homo intelligat.

 

Il semble aussi qu’il s’est trompé dans la nature de l’union, puisque la forme intelligible n’est une avec l’intellect possible qu’en tant qu’elle est abstraite des images: car ainsi il est seulement compris en acte, mais selon qu’il est dans les images, il est compris seulement en puissance. Par cela donc la séparation de l’intellect possible des images est mieux démontrée que leur union. Car il faut qu’elle soit tout à fait séparée, quand une chose ne peut être unie à l’un d’eux, sans avoir été séparée d’un autre.

Videtur etiam in ipsa ratione continuationis defecisse; cum species intelligibilis non sit unum cum intellectu possibili, nisi in quantum est abstracta a phantasmatibus: sic enim solum est intellecta in actu; secundum autem quod est in phantasmatibus, est intellecta solum in potentia. Per hoc igitur magis demonstratur disiunctio intellectus possibilis a phantasmatibus quam continuatio. Oportet enim illa esse omnino disiuncta, quorum uni aliquid uniri non potest, nisi fuerit ab altero separatum.

 

[L’opinion de Platon]

Mais une fois écartée cette opinion, comme impossible, il faut considérer que Platon a pensé plus efficacement que ‘cet homme’ comprenait, et cependant que la substance spirituelle n’était pas unie à un corps comme forme. Comme le raconte Grégoire de Nysse (De anima, PG. XLV, 216[22]) le raconte, Platon a pensé que la substance intellective, qui est appelée âme, était unie au corps par un contact spirituel: ce qui est compris selon que le moteur ou l’agent touche ce qui est mû ou ce qui subit, même s’il est incorporel. Par cette raison, Aristote (La génération, I, 6, 323 a 28[23]) dit que certains touchent et ne sont pas touchés, parce qu’ils agissent et ne supportent pas. C'est pourquoi Platon disait, comme Grégoire le rapporte, que l’homme n’est pas quelque chose[24] composé d’âme et de corps, mais que l’âme se sert du corps pour comprendre qu’elle est dans un corps d’une certaine manière comme un marin dans son bateau. Ce dont semble parler Aristote dans L’âme, (II, 1, 413 a 8). Donc ainsi cet homme comprend en tant qu’il est sa propre substance spirituelle, qui est l’âme, dont l’acte est plus proprement de comprendre, alors que cependant cette substance n’existe pas comme la forme du corps.

Hac igitur opinione reiecta tanquam impossibili, considerandum est quod Plato efficacius posuit hunc hominem intelligere, nec tamen substantiam spiritualem uniri corpori ut formam. Ut enim Gregorius Nyssenus narrat, Plato posuit substantiam intellectivam, quae dicitur anima, uniri corpori per quemdam spiritualem contactum: quod quidem intelligitur secundum quod movens vel agens tangit motum aut passum, etiam si sit incorporeum. Ex qua ratione dicit Aristoteles in I de generatione quod quaedam tangunt et non tanguntur, quia agunt et non patiuntur. Unde dicebat Plato, ut dictus Gregorius refert, quod homo non est aliquid compositum ex anima et corpore, sed est anima utens corpore, ut intelligatur esse in corpore quodammodo sicut nauta in navi. Quod videtur tangere Aristoteles in II de anima. Sic igitur et hic homo intelligit in quantum hic homo est ipsa substantia spiritualis, quae est anima, cuius actus proprius est intelligere; hac tamen substantia forma corporis non existente.

 

Mais pour réfuter cette raison il suffit d’un argument qu’Aristote (L’âme, II 1, 412 a 4[25]) introduit directement contre cette opinion. Car si l’âme n’était pas unie au corps comme forme, il en découlerait que le corps et ses parties n’aurait pas un être spécifique par l’âme, ce qui apparaît manifestement comme faux[26]: parce que si l’âme s’en va, on ne parle que de manière équivoque de l’œil, de la chair, ou de l’os, comme l’œil peint ou de pierre. C'est pourquoi il est clair que l’âme est une forme et la nature[27] de ce corps, c'est-à-dire par ce corps elle a la nature de son espèce. Mais il faut chercher comment cela est possible.

Sed ad huius rationis improbationem unum sufficiat, quod Aristoteles in II de anima inducit directe contra hanc positionem. Si enim anima non uniretur corpori ut forma, sequeretur quod corpus et partes eius non haberent esse specificum per animam; quod manifeste falsum apparet: quia recedente anima non dicitur oculus aut caro et os nisi aequivoce, sicut oculus pictus vel lapideus. Unde manifestum est quod anima est forma et quod quid erat esse huius corporis, id est a qua hoc corpus habet rationem suae speciei. Qualiter autem hoc esse possit inquirendum est.

 

Il faut considérer que plus une forme est parfaite, plus elle dépasse la matière corporelle, ce qui est manifeste pour ce qui induit dans différents ordres de formes. Car la forme de l’élément n’a d’opération que celle qui est faite par les qualités actives et passives, qui sont les dispositions de la matière corporelle. Mais la forme du corps minéral a une opération qui dépasse les qualités organiques actives et passives, qui suit l’espèce par l’influence du corps céleste, pour que l’aimant attire le fer[28], et que le saphir soigne les abcès. En plus l’âme végétative a une opération, qui dépasse les qualités organiques actives et passives; mais cependant au-dessus du pouvoir des qualités de ce genre, l’âme a son propre effets en nourrissant et faisant croître jusqu’à un terme déterminé, et l’autre de ce genre en complétant. Mais l’âme sensitive a au-delà une opération à laquelle en aucune manière ne s’étendent les qualités actives et passives, si ce n’est dans la mesure où elles sont exigées pour la composition de l’organe par lequel s’exerce une telle opération, comme voir, entendre, désirer, etc.

Considerandum est autem quod quanto aliqua forma est perfectior, tanto magis supergreditur materiam corporalem; quod patet inducenti in diversis formarum ordinibus. Forma enim elementi non habet aliquam operationem nisi quae fit per qualitates activas et passivas; quae sunt dispositiones materiae corporalis. Forma autem corporis mineralis habet aliquam operationem excedentem qualitates activas et passivas, quae consequitur speciem ex influentia corporis caelestis; ut quod magnes attrahit ferrum, et quod sapphyrus curat apostema. Ulterius autem anima vegetabilis habet operationem, cui quidem deserviunt qualitates activae et passivae organicae; sed tamen supra posse huiusmodi qualitatum, ipsa effectum proprium sortitur nutriendo et augendo usque ad determinatum terminum, et alia huiusmodi complendo. Anima autem sensitiva ulterius habet operationem, ad quam nullo modo se extendunt qualitates activae et passivae, nisi quatenus exiguntur ad compositionem organi per quod talis operatio exercetur, ut videre, audire, appetere et huiusmodi.

 

Mais la plus parfaite des formes, c'est-à-dire l’âme humaine, qui est la limite de toutes les formes naturelles a une opération qui dépasse largement la matière, qui ne se fait pas par un organe corporel, à savoir comprendre (intelliger). Et parce que l’être de la chose est proportionnée à son opération, comme on l’a dit, puisque chacun opère selon qu’il est un étant, il faut que l’être de l’âme humaine surpasse la matière corporelle, et ne soit pas totalement appréhendée par elle, mais cependant d’une certaine manière, qu’elle soit atteinte par elle. Donc en tant qu’elle surpasse l’être de la matière corporelle, en pouvant subsister et opérer par elle-même, l’âme humaine est une substance spirituelle; en tant qu’elle est atteinte par la matière et que son être communique avec elle, elle est forme du corps. Mais elle est atteinte par la matière corporelle par cette raison que le plus haut de l’ordre le plus petit ordre atteint toujours le plus bas de l’ordre le plus haut, comme on le voit chez Denys (La hierarchie céleste, XIII, 3, passim); et c'est pourquoi l’âme humaine qui est la plus petite dans l’ordre des substances spirituelles peut communiquer son être au corps humain, qui en est très digne, pour devenir un par l’âme et le corps comme par la forme et la matière. Mais si la substance spirituelle était composée de matière et de forme, il serait impossible, qu’elle soit une forme corporelle, parce qu’il est de la nature de la matière de ne pas être dans un autre, mais d’être le premier substrat.

Perfectissima autem formarum, id est anima humana, quae est finis omnium formarum naturalium, habet operationem omnino excedentem materiam, quae non fit per organum corporale, scilicet intelligere. Et quia esse rei proportionatur eius operationi, ut dictum est, cum unumquodque operetur secundum quod est ens; oportet quod esse animae humanae superexcedat materiam corporalem, et non sit totaliter comprehensum ab ipsa, sed tamen aliquo modo attingatur ab ea. In quantum igitur supergreditur esse materiae corporalis, potens per se subsistere et operari, anima humana est substantia spiritualis; in quantum vero attingitur a materia, et esse suum communicat illi, est corporis forma. Attingitur autem a materia corporali ea ratione quod semper supremum infimi ordinis attingit infimum supremi, ut patet per Dionysium VII cap. de Divin. Nomin.; et ideo anima humana quae est infima in ordine substantiarum spiritualium, esse suum communicare potest corpori humano, quod est dignissimum, ut fiat ex anima et corpore unum sicut ex forma et materia. Si vero substantia spiritualis esset composita ex materia et forma, impossibile esset quod esset forma corporalis: quia de ratione materiae est quod non sit in alio, sed quod ipsa sit primum subiectum.

 

Solutions

1. Bien que la substance spirituelle ne soit pas enfermée par le corps, cependant elle est atteinte en quelque manière par lui, comme on l’a dit.

1. Ad primum ergo dicendum quod substantia spiritualis, licet non comprehendatur a corpore, attingitur tamen aliqualiter ab eo, ut dictum est.

 

2. Comprendre est l’opération de l’âme humaine, selon qu’elle dépasse la proportion de la matière corporelle, et c’est pourquoi cela ne se fait pas par un organe corporel. On peut cependant dire que ce qui est joint, c'est-à-dire l’homme, comprend, en tant que l’âme qui est sa partie formelle, a cette opération propre, de même que l’opération de n’importe quelle partie est attribuée au tout: car l’homme voit par l’œil, se promène par ses pieds et de la même manière il comprend par l’âme.

2. Ad secundum dicendum quod intelligere est operatio animae humanae secundum quod superexcedit proportionem materiae corporalis, et ideo non fit per aliquod organum corporale. Potest tamen dici, quod ipsum coniunctum, id est homo, intelligit, in quantum anima, quae est pars eius formalis, habet hanc operationem propriam, sicut operatio cuiuslibet partis attribuitur toti; homo enim videt oculo, ambulat pede, et similiter intelligit per animam.

 

3. L’âme a un être subsistant, en tant que celui-ci ne dépend pas du corps, puisqu’elle est élevée au-dessus de la matière corporelle. Et cependant pour cette communion à cet être elle reçoit le corps, pour qu’ainsi soit un l’être de l’âme et du corps, ce qui est l’être de l’homme. Mais si le corps lui était uni selon un autre être, il en découlerait que se serait une union accidentelle.

3. Ad tertium dicendum quod anima habet esse subsistens, in quantum esse suum non dependet a corpore, utpote supra materiam corporalem elevatum. Et tamen ad huius esse communionem recipit corpus, ut sic sit unum esse animae et corporis, quod est esse hominis. Si autem secundum aliud esse uniretur sibi corpus, sequeretur quod esset unio accidentalis.

 

4. L’âme en son essence est la forme du corps mais pas comme quelque chose d’ajouté. Cependant en tant qu’elle est en rapport avec le corps, elle est sa forme, en tant qu’elle surpasse la relation au corps, on l’appelle esprit ou substance spirituelle.

4. Ad quartum dicendum quod anima secundum suam essentiam est forma corporis, et non secundum aliquid additum. Tamen in quantum attingitur a corpore, est forma; in quantum vero superexcedit corporis proportionem, dicitur spiritus, vel spiritualis substantia.

 

5. Aucune partie séparée du tout n’a la perfection de la nature. C'est pourquoi comme l’âme est une partie de la nature humaine, elle n’a la perfection de sa nature que dans son union au corps. Ce qui se voit du fait qu’il y a dans la puissance de cette âme que des puissances qui ne sont pas les actes des organes corporels qui découlent d’elle qui, en tant qu’elle dépasse la relation au corps, et en plus des puissances qui sont les actes des organes découlent d’elle, en tant que la matière corporelle la concerne. Mais rien n’est parfait dans sa nature à moins qu’on puisse l’expliquer par l’acte qui y est contenu par puissance. C'est pourquoi bien que l’âme puisse exister et comprendre quand elle est séparée du corps, cependant dans ce cas elle n’a pas la perfection de sa nature, comme Augustin le dit (Le Genèse au sens littéral, XII, 35, 68[29]).

5. Ad quintum dicendum quod nulla pars habet perfectionem naturae separata a toto. Unde anima, cum sit pars humanae naturae, non habet perfectionem suae naturae nisi in unione ad corpus. Quod patet ex hoc quod in virtute ipsius animae est quod fluant ab ea quaedam potentiae quae non sunt actus organorum corporalium, secundum quod excedit corporis proportionem; et iterum quod fluant ab ea potentiae quae sunt actus organorum, in quantum potest contingi a materia corporali. Non est autem aliquid perfectum in sua natura, nisi actu explicari possit quod in eo virtute continetur. Unde anima, licet possit esse et intelligere a corpore separata, tamen non habet perfectionem suae naturae cum est separata a corpore ut Augustinus dicit, XII super Genes. ad litteram.

 

6. On ne considère pas ici que le miracle selon qu’il est opposé à l’opération naturelle, mais selon qu’on dit que les miracles sont des œuvres naturelles, dans la mesure où ils procèdent de la puissance incompréhensible de Dieu. Et de cette manière Augustin dit (Sur Jean, 24, 11) que Dieu produise avec quelques grains une si grande récolte, qui suffit pour rassasier tout le genre humain, est plus admirable que rassasier cinq mille hommes avec cinq pains.

6. Ad sextum dicendum quod miraculum non accipitur ibi secundum quod dividitur contra naturalem operationem, sed secundum quod etiam ipsa naturalia opera miracula dicuntur, prout ab incomprehensibili divina virtute procedunt. Et hoc modo dicit Augustinus super Ioan., quod mirabilius est quod Deus ex paucis granis tantam segetum multitudinem producit, quae sufficiat ad totius humani generis satietatem, quam quod ex quinque panibus quinque millia hominum satiavit.

 

7. Ce qui affaiblit quelque chose, une fois précisée sa nature, n’est pas naturel[30]; cependant il arrive le plus souvent que quelque chose convient à la nature de quelqu’un, d’où cependant découle en lui la faiblesse et la corruption, ainsi être composé de contraires est naturel pour l’animal; par eux cependant découlent en lui la mort et la corruption. Et de la même manière c’est le propre à l’âme d’avoir besoin des images pour comprendre; cependant il en découle qu’elle est amoindrie par rapport aux substances supérieures. Mais dire que l’âme alourdit le corps, n’appartient pas non plus à sa nature, mais à la corruption, selon ce verset de la Sagesse (9, 15): « Le corps corrompu[31] alourdit l’âme ». Ce qu’on dit parce qu’elle se détache des étreintes corporelles, pour se comprendre, il faut comprendre qu’elle se détache de ce qui est comme des obstacles, parce que l’âme comprend par éloignement de toute corporéité, cependant elle ne se détache pas d’eux selon l’être. Bien plus, quand certains organes corporels sont blessés, l’âme ne peut directement  comprendre, ni elle-même, ni autre chose, comme quand le cerveau est blessé.

7. Ad septimum dicendum quod illud per quod debilitatur aliquid, praeintellecta sua natura, non est naturale. Contingit tamen plerumque quod aliquid est pertinens ad naturam alicuius, ex quo tamen sequitur in eo aliqua debilitatio aut defectus: sicut componi ex contrariis est naturale animali, ex quo sequitur in eo mors et corruptio. Et similiter naturale est animae quod indigeat phantasmatibus ad intelligendum; ex quo tamen sequitur quod diminuatur in intelligendo a substantiis superioribus. Quod autem dicitur, quod anima a corpore praegravatur, hoc non est ex eius natura, sed ex eius corruptione, secundum illud Sapient. IX: corpus quod corrumpitur aggravat animam. Quod vero dicitur quod abstrahit se a nexibus corporalibus ut se intelligat, intelligendum est quod abstrahit se ab eis quasi ab obiectis, quia anima intelligitur per remotionem omnis corporeitatis; non tamen ab eis abstrahitur secundum esse. Quinimmo, quibusdam corporeis organis laesis, non potest anima directe nec se nec aliud intelligere, ut quando laeditur cerebrum.

 

8. Plus une forme est élevée, plus elle a besoin d’être produite par un agent puissant. Aussi comme l’âme humaine est la plus haute de toutes les formes, elle est produite par l’agent le plus puissant, c'est-à-dire Dieu; d’une autre manière cependant que les autres formes par n’importe quel agent. Car les autres formes ne sont pas subsistantes. C'est pourquoi l’être n’est pas d’elles, mais certains sont pour elles; aussi leur devenir est selon que la matière ou le substrat sont ramenés de la puissance à l’acte et c’est éduire la forme de la puissance de la matière sans addition de quelque chose d’extérieur. Mais l’âme a un être subsistant; c'est pourquoi le devenir lui est proprement dû, et le corps est tiré vers son être. Et à cause de cela on dit qu’elle existe par l’extérieur et qu’elle n’est pas éduite de la puissance de la matière. C’est ainsi qu’apparaît la solution à la neuvième objection.

8. Ad octavum dicendum quod quanto aliqua forma est altior, tanto plus indiget a potentiori agente produci. Unde cum anima humana sit altissima omnium formarum, producitur a potentissimo agente, scilicet Deo; alio tamen modo quam aliae formae a quibuscumque agentibus. Nam aliae formae non sunt subsistentes: unde esse non est earum, sed eis aliqua sunt; unde fieri earum est secundum quod materia vel subiectum reducitur de potentia in actum: et hoc est educi formam de potentia materiae absque additione alicuius extrinseci. Sed ipsa anima habet esse subsistens; unde sibi proprie debetur fieri, et corpus trahitur ad esse eius. Et propter hoc dicitur quod est ab extrinseco, et quod non educitur de potentia materiae. Unde patet solutio ad nonum.

 

10. L’esprit se rencontre plus avec un esprit qu’avec un corps par accord de nature, mais par l’accord de relation requis entre la forme et la matière, l’esprit se rencontre plus avec le corps qu’avec l’esprit puisque deux esprits sont deux actes, mais le corps est comparé à l’âme, comme la puissance à l’acte.

10. Ad decimum dicendum quod spiritus magis convenit cum spiritu quam corpore convenientia naturae; sed convenientia proportionis, quae requiritur inter formam et materiam, magis convenit spiritus cum corpore quam spiritus cum spiritu: cum duo spiritus sint duo actus, corpus autem comparetur ad animam sicut potentia ad actum.

 

11. L’ange et l’âme sont égaux par la nature du genre, en tant que l’un et l’autre sont une substance intellectuelle. Mais l’ange est supérieur par la nature de l’espèce, comme Denys le montre (La Hiérarchie céleste, IV, 2, 180 A[32]).

11. Ad undecimum dicendum quod Angelus et anima sunt pares natura generis, in quantum utrumque est intellectualis substantia. Sed Angelus natura speciei est superior, ut patet per Dionysium, IV cap. Caelest. hierarchiae.

 

12. Le raisonnable est pris au sens propre comme différence de l’âme, non de l’ange, mais plus intellectuel, comme Denys se sert du mot; parce que l’ange ne connaît pas la vérité par raisonnement discursif, mais d’un simple regard, ce qui est proprement comprendre. Cependant si le raisonnable est largement reçu, alors il faut dire, que ce n’est pas l’ultime différence spécifique, mais il est divisé par d’autres différences spécifiques, à cause des divers degrés de l’intellection.

12. Ad duodecimum dicendum quod rationale proprie acceptum est differentia animae, non Angeli, sed magis intellectuale, ut Dionysius utitur; quia Angelus non cognoscit veritatem per discursum rationis, sed simplici intuitu, quod est proprie intelligere. Si tamen rationale large accipiatur tunc dicendum est, quod non est ultima differentia specifica, sed dividitur per alias specificas differentias, propter diversos gradus intelligendi.

 

13. On ne dit pas que l’intellect est l’acte d’une partie du corps, en tant qu’il est une puissance qui ne se sert pas d’organe; cependant la substance même de l’âme est unie au corps comme forme, comme on l’a dit.

13. Ad decimumtertium dicendum quod intellectus non dicitur esse actus partis alicuius corporis, in quantum est potentia non utens organo; ipsa tamen substantia animae unitur corpori ut forma, sicut dictum est.

 

14. On dit que le déplacement pour ces femmes arrive en esprit, non parce que l’esprit, c'est-à-dire la substance de l’âme opère hors du corps, mais parce que dans l’esprit, c'est-à-dire dans l’imagination de l’âme, se forment des vues de ce genre.

14. Ad decimumquartum dicendum quod illis mulieribus discursus dicitur accidere in spiritu; non quod spiritus, id est substantia animae, extra corpus operetur; sed quia in spiritu, hoc est in phantastico animae, huiusmodi visa formantur.

 

15. La matière sans forme, à proprement parler, ne peut pas être un substrat, selon que celui-ci est proprement appelé ‘quelque chose’ en acte, mais selon que le corps animé est un étant en acte, pour pouvoir être substrat, il ne l’a pas par une autre forme que par l’âme, comme on le verra plus loin.

15. Ad decimumquintum dicendum quod materia sine forma, proprie loquendo non potest esse subiectum, secundum quod subiectum proprie dicitur aliquid ens actu; sed quod corpus animatum sit ens actu, ut possit esse subiectum, non habet ab alia forma quam ab anima, ut infra patebit.

 

16. Le corruptible et l’incorruptible ne se rencontrent pas dans un genre selon une considération naturelle, à cause de la manière différente d’être, et de la nature différente de la puissance dans les deux, bien qu’ils puissent se rencontrer dans le genre logique, qui est compris selon l’intensité intelligible seulement. Mais bien que l’âme soit incorruptible, cependant elle n’est pas dans un autre genre que le corps, parce que, comme elle est une partie de la nature humaine, il ne lui convient pas d’être dans un autre genre ou une autre espèce, ou être une personne, une hypostase, mais un composé. C’est pourquoi elle ne peut pas être appelé ‘ce quelque chose’, si par cela on comprend l’hypostase, la personne, ou l’individu, placé dans un genre ou une espèce. Mais si on dit que ‘ce quelque chose’ est tout ce qui peut subsister par soi, alors l’âme est ce ‘quelque chose’.

16. Ad decimumsextum dicendum quod corruptibile et incorruptibile non conveniunt in genere secundum considerationem naturalem, propter diversum modum essendi, et diversam rationem potentiae in utroque; licet possint convenire in genere logico, quod accipitur secundum intentionem intelligibilem solum. Anima autem, licet sit incorruptibilis, non tamen est in alio genere quam corpus; quia cum sit pars humanae naturae, non competit sibi esse in genere vel specie, vel esse personam aut hypostasim, sed composito. Unde etiam nec hoc aliquid dici potest, si per hoc intelligatur hypostasis vel persona, vel individuum in genere aut specie collocatum. Sed si hoc aliquid dicatur omne quod potest per se subsistere, sic anima est hoc aliquid.

 

17. Cette opinion du Commentateur est impossible, comme on l’a montré.

17. Ad decimumseptimum dicendum quod illa positio Commentatoris est impossibilis, ut ostensum est.

 

18. Il est de la nature de la substance intellectuelle qu’elle soit exempte de matière dont dépendrait son être, en tant que totalement lié à la matière. C'est pourquoi rien n’empêche que l’âme soit substance intellectuelle et forme du corps, comme on l’a dit ci-dessus.

 

18. Ad decimumoctavum dicendum quod de ratione substantiae intellectualis est, quod sit immunis a materia a qua dependeat eius esse, sicut totaliter comprehensum a materia. Unde nihil prohibet animam esse substantiam intellectualem et formam corporis, ut supra dictum est.

 

19. L’un se fait de l’âme humaine et du corps, parce que cependant l’âme surpasse la relations au corps et de cette partie par laquelle elle surpasse le corps, on lui attribue une puissance intellective. C'est pourquoi il ne faut pas que les espèces intelligibles qui sont dans l’intellect soient reçues dans la matière corporelle.

19. Ad decimumnonum dicendum quod ex anima humana et corpore ita fit unum, quod tamen anima superexcedat corporis proportionem; et ex ea parte qua corpus excedit, attribuitur ei potentia intellectiva. Unde non oportet quod species intelligibiles quae sunt in intellectu, recipiantur in materia corporali.

 

Article 3: La substance spirituelle qu’est l’âme humaine est-elle unie au corps par un intermédiaire ? Tertio quaeritur utrum substantia spiritualis quae est anima humana, uniatur corporis per medium

 

Note du traducteur: Thomas semble ici traiter deux sujets: Y a-t-il un intermédiaire entre l’âme et le corps. Les objections en présentent plusieurs possible. A cela s’ajoute le problème de l’arrivée de l’âme raisonnable. Que se passe-t-il dans l’embryon avant l’arrivée de l’âme raisonnable. Y a-t-il succession d’âmes (voir à partir de l’objection 12) Il est admis que l’âme raisonnable n’est pas au début dans l’embryon, mais le corps existe déjà et doit avoir une forme. Laquelle et comment ?

« Mais comme certains soutenaient, selon l'opinion de Platon, que l'âme est unie au corps comme une substance à une autre, ils furent dans la nécessité de poser des médiations par lesquelles l'âme s'unit au corps. En effet, des substances diverses et distantes ne sont réunies que si quelque lien les unit. Ainsi donc certains soutinrent que les esprits animaux vitaux et l'humeur intervenaient en médiateurs entre l'âme et le corps, pour d'autres c'était la lumière, pour d'autre encore les puissances de l'âme ou quelque chose de ce genre. Mais aucune de ces médiations n'est nécessaire si l'âme est la forme du corps, car tout ce qui est, au titre d'étant, est un. Voilà pourquoi, puisque la forme donne par elle-même l'être à la matière, elle est unie par elle-même à sa matière propre, et non par quelque autre lien ».(QDP de anima, qu. 9, c.) .

« Et il n'y a pas lieu d'imaginer un intermédiaire ayant pour rôle d'opérer cette union: soit les images, suivant l'opinion d'Averroès; soit les puissances, comme certains le disent; soit encore un esprit corporel, d'après l'avis de quelques autres. Il a été montré en effet que l'âme est unie au corps comme sa forme. Or la forme s'unit à la matière sans aucun intermédiaire. » CG. II, 71 §1-2

 

Il semble que oui[33].

Et videtur quod sic.

 

Objections:

1. Denys dit (La hiérarchie céleste, XIII, 3) que le plus haut est uni au plus bas par des intermédiaires. Mais entre la substance spirituelle et le corps les intermédiaires sont l’âme végétative et l’âme sensitive. Donc la substance spirituelle, qu’est l’âme raisonnable est unie au corps par un intermédiaire végétatif et sensible.

1. Dionysius enim dicit, quod suprema coniunguntur infimis per media. Sed inter substantiam spiritualem et corpus sunt media anima vegetabilis et sensibilis. Ergo substantia spiritualis, quae est anima rationalis, unitur corpori mediante vegetabili et sensibili.

 

2. Le philosophe dit (L’âme, II, 1, 412 b 5[34]) qu’« Elle est l’acte du corps organique qui a la vie en puissance ». Donc le corps physique organique qui a par puissance la vie, est comparé à une âme comme la matière à la forme[35]. Mais cela, c'est-à-dire le corps physique organique n’existe que par une forme substantielle. Donc cette forme substantielle, quelle qu’elle soit, précède dans la matière la substance spirituelle, qui est l’âme raisonnable, et pour la même raison les autres formes qui en découlent, qui sont l’âme sensible et l’âme végétative.

2. Praeterea, philosophus dicit in II de anima, quod est actus corporis organici potentia vitam habentis. Corpus ergo physicum organicum potentia vitam habens comparatur ad animam ut materia ad formam. Sed hoc, scilicet corpus physicum organicum, non est nisi per aliquam formam substantialem. Ergo illa forma substantialis, quaecumque sit, praecedit in materia substantiam spiritualem, quae est anima rationalis; et eadem ratione aliae formae consequentes, quae sunt anima sensibilis et vegetabilis.

 

3. En outre, quoique la matière ne soit pas un genre, ni la différence une forme, parce que ni l’une ni l’autre ne sont attribuées au composé, le genre et la différence sont attribués à l’espèce; cependant, selon le philosophe (Métaphysique, VIII, 2, 1043 a 19[36]; 3, 1043 b 30) le genre est assumé par la matière et la différence par la forme. Mais le genre de l’homme c’est animal, qui est assumé par la nature sensitive; et la différence est le raisonnable, qui est assumé par l’âme raisonnable. Donc la nature sensitive se comporte vis-à-vis de l’âme raisonnable comme la matière vis-à-vis de la forme. Mais la nature sensitive est achevée par l’âme sensitive. Donc cette âme préexiste à l’âme raisonnable dans la nature et par la même raison toutes les autres formes qui précèdent.

3. Praeterea, quamvis materia non sit genus nec differentia forma, quia neutrum eorum praedicatur de composito, genus autem et differentia de specie praedicantur; tamen, secundum philosophum in VIII Metaphys. genus sumitur a materia et differentia a forma. Sed genus hominis est animal, quod sumitur a natura sensitiva; differentia vero rationale, quod sumitur ab anima rationali. Natura ergo sensitiva se habet ad animam rationalem ut materia ad formam. Sed natura sensitiva perficitur per animam sensitivam. Ergo anima sensitiva praeexistit animae rationali in natura; et eadem ratione omnes aliae formae praecedentes.

 

4. De plus, comme c’est prouvé en Physique (III, 4, 254 b 24-32) tout moteur se divise en deux parties, dont l’une est le moteur et l’autre le mû. Mais l’homme et n’importe quel animal est moteur de lui-même; et sa partie qui est le moteur, c’est l’âme, et la partie mue ne peut pas être la matière nue, mais il faut que ce soit un corps, parce que tout ce est mû est un corps, comme c’est prouvé en Physique (VI, 4, 10). Mais le corps existe par une forme. Donc une forme a préexisté dans la matière avant l’âme et ainsi de même que ci-dessus.

4. Praeterea, ut probatur in VIII Phys., omne movens seipsum dividitur in duas partes, quarum una est movens et alia mota. Sed homo et quodlibet animal est movens seipsum; pars autem eius movens est anima: pars autem mota non potest esse materia nuda, sed oportet esse corpus; quia omne quod movetur est corpus, ut probatur VI Phys. Corpus autem est per aliquam formam. Praeexistit ergo aliqua forma in materia ante animam; et sic idem quod prius.

 

5. Jean Damascène (La foi orthodoxe, III, 6, PG XCIV, 1006) dit que la simplicité de l’essence divine est telle qu’il ne convient que le Verbe soit uni à la chair que par l’intermédiaire de l’âme. Donc la distinction selon le simple et le composé empêche que certaines choses puissent s’unir sans intermédiaire. Mais l’âme raisonnable et le corps sont très éloignés selon le simple et le composé. Donc il faut qu’ils soient unis par un intermédiaire.

5. Pra eterea, Damascenus dicit, quod tanta est simplicitas divinae essentiae, ut non congruat verbum uniri carni nisi mediante anima. Distinctio ergo secundum simplex et compositum impedit quod aliqua non possunt coniungi sine medio. Sed anima rationalis et corpus maxime distant secundum simplex et compositum. Ergo oportet quod uniantur per medium.

 

6. Augustin dit dans le livre L’esprit et l’âme[37], (ch. 14, PL XL. 789) que l’âme qui est vraiment esprit et la chair qui est vraiment corps, en leurs extrémités se joignent facilement et de manière convenable c'est-à-dire dans l’imagination[38] de l’âme, qui n’est pas un corps, mais semblable à un corps et à la sensualité, du corps, elle est vraiment esprit, parce que sans âme elle ne peut pas être faite. L’âme s’unit au corps par deux intermédiaires, à savoir par l’imagination et la sensualité.

6. Praeterea, Augustinus dicit in libro de spiritu et anima, quod anima quae vere spiritus est, et caro quae vere corpus est, in suis extremitatibus facile et convenienter coniunguntur idest in phantastico animae, quod corpus non est sed simile corpori et sensualitate corporis, quae vere spiritus est, quia sine anima fieri non potest. Coniungitur anima corpori per duo media, scilicet per phantasticum et sensualitatem.

 

7. Dans le même livre (ch. XV[39]), il est dit: « Comme l’âme est incorporelle, par la nature plus subtile de son corps, c'est-à-dire par le feu et l’air (…) ».Pour la même raison elle gouverne le corps par où elle lui est unie: car si est déficient ce par quoi elle gouverne le corps, l’âme s’en sépare, comme Augustin le dit (La Genèse au sens littéral, VII, XX, 26[40]). Donc l’âme est unie au corps par un intermédiaire.

7. Praeterea, in eodem libro dicitur: cum anima sit incorporea, per subtiliorem naturam corporis sui, id est per ignem et aerem (...) corpus administrat. Eadem autem ratione corpus administrat qua ei unitur: deficientibus enim his quibus administrat corpus, anima discedit a corpore, ut Augustinus dicit, VII super Genes. ad Litt. Ergo anima unitur corpori per medium.

 

8. Les choses qui sont tout à fait différentes ne sont unies que par un intermédiaire. Mais le corruptible et l’incorruptible sont très différents, comme il est dit (Métaphysique,X, 10, 1058 b 28[41]). Donc l’âme humaine qui est incorruptible n’est unie à un corps corruptible que par un intermédiaire.

8. Praeterea, ea quae maxime differunt, non coniunguntur nisi per medium. Sed corruptibile et incorruptibile maxime differunt, ut dicitur in X Metaphys. Anima ergo humana, quae est incorruptibilis, non unitur corpori corruptibili nisi per medium.

 

9. Un philosophe dit dans un livre (La différence du corps et de l’esprit[42]), que l’âme est unie au corps par l’intermédiaire de l’esprit. Donc elle lui est unie par un intermédiaire.

9. Praeterea, philosophus quidam dicit in libro de differentia spiritus et animae, quod anima unitur corpori mediante spiritu. Unitur ergo ei per medium.

 

10. Ce qui différe par essence n’est pas uni sans intermédiaire. Il faut donc que quelque chose l’unifie, comme cela se voit (Métaphysique, VIII, 6, 1045 a 10[43]). Mais l’âme et le corps diffèrent par essence. Donc ils ne peuvent être unis que par un intermédiaire.

10. Praeterea, quae sunt diversa per essentiam non uniuntur sine medio. Oportet enim aliquid esse quod faciat ea unum, ut patet VIII Metaph. Sed anima et corpus differunt per essentiam. Ergo non possunt uniri nisi per medium.

 

11. L’âme est unie au corps, pour être achevée par une union de ce genre, parce que la forme n’est pas pour la matière, mais la matière pour la forme. Mais l’une est achevée par l’union du corps, surtout pour comprendre les ‘images’, en tant qu’elle comprend en abstrayant des images[44]. Donc elle est unie au corps par les images, qui ne sont ni de l’essence du corps ni de celle de l’âme. Donc l’âme est unie au corps par un intermédiaire.

11. Praeterea, anima unitur corpori, ut perficiatur per huiusmodi unionem: quia forma non est propter materiam, sed materia propter formam. Perficitur autem anima ex unione corporis praecipue quantum ad intelligere phantasticum; in quantum scilicet intelligit abstrahendo a phantasmatibus. Ergo unitur corpori per phantasmata, quae non sunt neque de essentia corporis, neque de essentia animae. Ergo anima unitur corpori per medium.

 

12. Le corps avant la venue de l’âme raisonnable dans le sein maternel a une forme. Mais quand arrive l’âme raisonnable on ne peut pas dire que cette forme disparaît, parce qu’elle ne tombe pas dans le néant, et elle ne serait pas à donner en quoi elle reviendrait. Donc une forme préexiste dans la matière avant l’âme raisonnable.

12. Praeterea, corpus ante adventum animae rationalis in materno utero habet aliquam formam. Adveniente autem anima rationali, non est dicere quod illa forma deficiat; quia neque cedit in nihilum, neque esset dare in quid rediret. Ergo forma aliqua praeexistit in materia ante animam rationalem.

 

13. Dans l’embryon, avant la venue de l’âme raisonnable apparaissent des opérations vitales, comme on le voit dans Les animaux XVI (La génération des animaux, II, 3, 736 b 12) Mais les opérations vitales ne sont que dans l’âme. Donc une autre âme préexiste dans le corps avant la venue de l’âme raisonnable et ainsi il semble que l’âme raisonnable est unie au corps par l’intermédiaire d’une autre âme.

13. Praeterea, in embryone ante adventum animae rationalis apparent opera vitae, ut patet in XVI de animalibus. Sed opera vitae non sunt nisi ab anima. Ergo alia anima praeexistit in corpore ante adventum animae rationalis; et sic videtur quod anima rationalis uniatur corpori mediante alia anima.

 

14. Comme il n’y a pas d’erreur dans ce qui est abstrait, comme il est dit en Physique (II, 2, 193 b 33[45]), il faut que le corps dont parlent les mathématiciens existe de quelque manière. Donc comme il n’est pas séparé des objets sensibles, il en découle qu’il est dans les sensibles; mais pour qu’il soit corps, il lui faut une forme de corporéité. Donc on comprend au moins cette forme de corporéité avant dans le corps humain, qui est un corps sensible, avant l’âme humaine.

14. Praeterea, cum abstrahentium non sit mendacium, ut dicitur in II Physic., oportet corpus de quo mathematici loquuntur, aliqualiter esse. Cum ergo non sit separatum a sensibilibus, sequitur quod sit in sensibilibus. Sed ad hoc quod sit corpus, requiritur forma corporeitatis. Ergo forma corporeitatis ad minus praeintelligitur in corpore humano, quod est corpus sensibile, ante animam humanam.

 

15. De plus dans la Métaphysique (VII, 11, 1036 a 27[46]) il est dit que toute définition a des parties et que ces parties de la définition sont des formes. Donc en tout ce qui est défini, il faut qu’il y ait plusieurs formes. Donc comme l’homme est quelque chose de défini, il est nécessaire de placer en lui plusieurs formes, et ainsi une forme préexiste avant l’âme raisonnable.

15. Praeterea, in VII Metaph., dicitur quod omnis definitio habet partes, et quod partes definitionis sunt formae. In quolibet ergo definito oportet esse plures formas. Cum ergo homo sit quoddam definitum, necesse est in eo ponere plures formas; et ita aliqua forma praeexistit ante animam rationalem.

 

16.Rien ne donne ce qu’il n’a pas. Mais l’âme raisonnable n’a pas de corporéité, puisqu’elle est incorporelle. Donc elle ne donne pas à l’homme sa corporéité, et ainsi il faut que l’homme l’ait d’une autre forme.

16. Praeterea, nihil dat quod non habet. Sed anima rationalis non habet corporeitatem, cum sit incorporea. Ergo non dat homini corporeitatem; et ita oportet quod homo habeat hoc ab alia forma.

 

17. Le Commentateur dit (Métaphysique, I, comm. 17) que la matière première reçoit les formes universelles avant les formes particulières, puisque la forme du corps est avant la forme du corps animé et ainsi à la suite. Donc comme l’âme humaine est une forme ultime et très spécifique, il semble qu’elle présuppose d’autres formes universelles dans la matière.

17. Praeterea, Commentator dicit, quod materia prima prius recipit formas universales quam particulares, utpote prius formam corporis quam formam animati corporis; et sic deinceps. Cum ergo anima humana, sit ultima forma et maxime specifica, videtur quod praesupponat alias formas universales in materia.

 

18. Le Commentateur dit au livre Les substances du monde, que les dimensions préexistent dans la matière avant les formes élémentaires. Mais les dimensions sont des accidents, et présupposent une forme substantielle dans la matière; sans cela l’être accidentel précèderait l’être substantiel. Donc avant la forme de l’élément simple préexiste dans la matière une autre forme substantielle; donc beaucoup plus avant l’âme raisonnable.

18. Praeterea, Commentator dicit in libro de substantia orbis, quod dimensiones praeexistunt in materia ante formas elementares. Sed dimensiones sunt accidentia, et praesupponunt aliquam formam substantialem in materia; alioquin esse accidentale praecederet esse substantiale. Ergo ante formam simplicis elementi praeexistit in materia aliqua alia forma substantialis; multo igitur fortius ante animam rationalem.

 

19. De plus, selon, le philosophe dans le livre de La génération (III, 4, 331 a 26) l’air est plus facilement converti en feu que l’eau, parce qu’il se rencontre avec lui dans une seule qualité, à savoir la chaleur. Donc comme le feu se fait par l’air, il faut que la même chaleur demeure en espèce, parce que si le feu et la chaleur de l’air différaient en espèce, il y aurait huit qualités première et non quatre seulement[47]. Car ce serait la même nature pour les autres qualités, dont certaines se trouvent en deux éléments. Si donc on dit qu’il demeure le même en espèce mais différent en nombre, la conversion de l’air en feu ne sera pas plus facile que celle de l’eau dans l’air. Il reste donc que c’est la même chaleur en nombre. Mais cela n’est possible que si préexiste une forme substantielle, qui dans l’un des deux endroits demeure une et conserve le substrat unique de la chaleur; car il ne peut y avoir une seul accident en nombre que si le substrat a été unique. Donc il faut dire que, avant la forme du corps simple, on comprend dans une matière une forme substantielle. Donc beaucoup plus avant l’âme raisonnable.

19. Praeterea, secundum philosophum in libro de generatione facilius aer convertitur in ignem quam aqua, propter hoc quod convenit cum eo in una qualitate, scilicet calore. Cum ergo ex aere fit ignis, oportet quod maneat idem calor specie: quia si differret specie calor ignis et calor aeris, essent octo qualitates primae, et non quatuor tantum. Eadem enim ratio esset de aliis qualitatibus, quarum quaelibet in duobus elementis invenitur. Si ergo dicatur quod remaneat idem specie sed differens numero, non erit facilior conversio aeris in ignem quam aquae in ignem; quia forma ignis habebit corrumpere duas qualitates in aere sicut in aqua. Relinquitur ergo quod sit idem calor numero. Sed hoc non potest esse nisi praeexistente aliqua forma substantiali, quae utrobique remanet una et conservat subiectum caloris unum: non enim potest esse accidens unum numero, nisi subiectum fuerit unum. Oportet ergo dicere quod ante formam corporis simplicis, praeintelligatur in materia aliqua forma substantialis. Multo igitur magis ante animam rationalem.

 

2.0. La matière première, quant à elle, se comporte indifféremment vis-à-vis de toutes les formes. Si donc certaines formes et certaines dispositions ne préexistent pas avant les autres, par lequelles elle devient apte à cette forme ou à cette autre, cette forme n’est pas plus reçue dans celle-ci que dans celle-là.

2.0. Praeterea, materia prima, quantum est de se, indifferenter se habet ad omnes formas. Si igitur non praeexistant quaedam formae et dispositiones ante alias per quas approprietur ad hanc formam vel ad illam, non magis recipietur in ea haec forma quam illa.

 

2.1. La matière est unie à la forme par la puissance par laquelle elle peut être placée sous elle. Mais cette puissance n’est pas identique à l’essence de la matière: car elle serait d’une simplicité égale à celle de Dieu qui est sa propre puissance. Donc il arrive quelque chose intermédiaire entre la matière et l’âme, et n’importe quelle autre forme.

2.1. Praeterea, materia unitur formae per potentiam qua ei potest subesse. Sed potentia illa non est idem quod essentia materiae: sic enim esset aequalis simplicitatis cum Deo, qui est sua potentia. Cadit ergo aliquid medium inter materiam et animam, et quamlibet aliam formam.

 

En sens contraire

1. Il y a dans le livre des dogmes ecclésiastiques (XV, PL. XLII, 1216): « Nous ne disons pas qu’il y a deux âmes dans l’homme, l’une animale qui vivifie le corps, l’autre spirituelle qui gouverne la raison. » A partir de là on prouve ainsi. L’homme est dans le genre animal, il est aussi dans le genre du corps animé et de la substance. Mais par une et même forme, qui est l’âme, il est homme et animal, comme cela est montré par une autorité déjà signalée. Donc par une seule et même raison et par une même forme unique il est placé dans tous les genres supérieurs, et ainsi avant l’âme il ne préexiste aucune forme dans la matière.

1. Sed contra. Est in libro de ecclesiasticis dogmatibus: neque duas in homine animas dicimus, unam animalem, quae corpus vivificet; aliam spiritualem, quae rationem ministret. Ex hoc sic arguitur. Sicut homo est in genere animalis, ita est in genere animati corporis et substantiae. Sed per unam et eamdem formam, quae est anima, est homo et animal, ut ex praedicta auctoritate patet. Ergo eadem ratione per unam et eamdem formam collocatur in omnibus generibus superioribus; et sic non praeexistit ante animam aliqua forma in materia.

 

2. Dieu et l’âme sont plus éloignés que l’âme et le corps. Mais dans le mystère de l’Incarnation le Verbe a été uni à une âme sans intermédiaire. Donc l’âme beaucoup plus peut être unie à un corps sans intermédiaire.

2. Praeterea, plus distat Deus et anima, quam anima et corpus. Sed in mysterio incarnationis verbum unitum est animae immediate. Ergo multo fortius anima potest uniri corpori immediate.

 

3. Il faut que l’intermédiaire participe des deux extrêmes. Mais rien ne peut exister qui soit en partie corporel et en partie spirituel. Donc rien ne peut advenir en intermédiaire entre l’âme et le corps.

3. Praeterea, medium oportet participare cum utroque extremorum. Sed non potest esse aliquid quod partim sit corporale et partim spirituale. Ergo non potest aliquid cadere medium inter animam et corpus.

 

4. Le maître dit dans la première distinction du livre II des sentences[48], que l’union de l’âme et du corps est un exemple de cette bienheureuse union par laquelle l’âme bienheureuse s’unit à Dieu. Mais cette union se fait sans intermédiaire. Donc celle-ci aussi.

4. Praeterea, Magister dicit in prima distinctione II libri sententiarum, quod unio animae ad corpus est exemplum illius beatae unionis qua anima beata coniungitur Deo. Sed illa coniunctio fit sine medio. Ergo et ista unio.

 

5. Le philosophe dit (L’âme, I, 6, 411 b 6[49]) que le corps ne contient pas l’âme, mais c’est plutôt l’âme qui contient le corps et le Commentateur dit au même endroit que l’âme est la cause de la durée du corps; mais cette durée dépend de la forme substantielle, par laquelle le corps est un corps. Donc l’âme raisonnable elle-même est un forme dans l’homme, par laquelle le corps est un corps.

5. Praeterea, philosophus dicit in I de anima, quod corpus non continet animam, sed magis anima corpus; et dicit ibidem Commentator, quod anima est causa continuitatis corporis. Sed continuitas corporis dependet a forma substantiali, per quam corpus est corpus. Ergo ipsa anima rationalis est forma in homine, qua corpus est corpus.

 

6. L’âme raisonnable est plus efficace et plus puissante que la forme d’un élément simple. Mais par la forme d’un élément simple le corps simple a tout ce qui est substantiel. Donc beaucoup plus le corps humain par l’âme et ainsi aucune forme ni aucun intermédiaire ne préexiste.

6. Praeterea, efficacior est et virtuosior anima rationalis quam forma simplicis elementi. Sed a forma simplicis elementi habet corpus simplex quidquid substantialiter est. Ergo multo fortius ab anima corpus humanum; et sic non praeexistit aliqua forma vel aliquid medium.

 

Réponse.

La vérité de cette question dépend de quelque manière de ce qui a été dit. Car si l’âme raisonnable est unie à un corps seulement par un contact virtuel, comme moteur, comme certains l’ont pensé, rien n’empêcheraît de dire qu’il y a de nombreux intermédiaires entre l’âme et le corps, et plus entre l’âme et la matière première[50]. Mais si on pense que l’âme est unie au corps comme une forme, il est nécessaire de dire qu’elle lui est unie sans intermédiaire. Car toute forme ou substantielle ou accidentelle, est unie à une matière ou à un substrat Car chacun est un, en tant qu’étant.

Respondeo. Dicendum quod huius quaestionis veritas aliqualiter dependet ex praemissa. Si enim anima rationalis unitur corpori solum per contactum virtualem, ut motor, ut aliqui posuerunt, nihil prohibebat dicere quod sunt multa media inter animam et corpus; et magis inter animam et materiam primam. Si vero ponatur anima uniri corpori ut forma, necesse est dicere, quod uniatur ei immediate. Omnis enim forma sive substantialis sive accidentalis, unitur materiae vel subiecto. Unumquodque enim secundum hoc est unum, secundum quod est ens.

 

Mais chaque étant est en acte par la forme, soit selon l’être substantiel, soit selon l’être accidentel[51]. C'est pourquoi toute forme est un acte, et par conséquent c’est la raison de l’unité, par laquelle quelque chose est un. Donc de même qu’on ne doit pas dire qu’il y a un autre intermédiaire, par lequel la matière a l’être par sa forme, de même on ne peut pas dire qu’il y a quelque autre intermédiaire qui unit la forme à la matière ou au substrat. Donc selon que l’âme est la forme du corps, il ne peut pas y avoir un intermédiaire entre l’âme et le corps. Mais selon qu’elle est un moteur, rien n’empêche de penser qu’il y a de nombreux intermédiaires, car manifestement l’âme meut les autres membres par le cœur, et meut aussi le corps par l’esprit.

Est autem unumquodque ens actu per formam, sive secundum esse substantiale, sive secundum esse accidentale: unde omnis forma est actus; et per consequens est ratio unitatis, qua aliquid est unum. Sicut igitur non est dicere quod sit aliquod aliud medium quo materia habeat esse per suam formam, ita non potest dici quod sit aliquod aliud medium uniens formam materiae vel subiecto. Secundum igitur quod anima est forma corporis, non potest esse aliquid medium inter animam et corpus. Secundum vero quod est motor, sic nihil prohibet ponere ibi multa media; manifeste enim anima per cor movet alia membra, et etiam per spiritum movet corpus.

 

Mais alors un doute subsiste, quel est le propre substrat de l’âme, comparé à elle comme la matière à la forme. A ce sujet il y a deux opinions. 1) Car certains disent qu’il y a de nombreuses formes substantielles dans un même individu, dont l’une est soumise à l’autre; et ainsi la matière première n’est pas le substrat immédiat de la forme substantielle ultime, mais elle lui est soumise par l’entremise de formes intermédiaires, de même la matière selon qu’elle est sous sa forme première, est le substrat le plus proche de la seconde forme; et ainsi de suite jusqu’à la forme ultime. Donc ainsi le substrat le plus proche de l’âme raisonnable est le corps complété par l’âme sensitive, et l’âme raisonnable lui est unie comme forme.

Sed tunc dubium restat, quid sit proprium subiectum animae, quod comparetur ad ipsam sicut materia ad formam. Circa hoc est duplex opinio. Quidam enim dicunt, quod sunt multae formae substantiales in eodem individuo, quarum una substernitur alteri; et sic materia prima non est immediatum subiectum ultimae formae substantialis, sed subiicitur ei mediantibus formis mediis; ita quod ipsa materia, secundum quod est sub forma prima, est subiectum proximum formae secundae; et sic deinceps usque ad ultimam formam. Sic igitur subiectum animae rationalis proximum, est corpus perfectum anima sensitiva; et huic unitur anima rationalis ut forma.

 

2.) L’autre opinion est que dans un seul individu il n’y a qu’une forme substantielle et selon cela il faut dire que par la forme substantielle, qui est la forme humaine cet individu non seulement est homme, mais encore animal, vivant, corps, substance et étant. Et ainsi aucune autre forme substantielle précède en cet homme l’âme humaine et par conséquent, l’âme accidentelle non plus, parce qu’alors il faudrait dire que la matière est achevée par la forme accidentelle avant la substance substantielle, ce qui est impossible; il faut en effet que tout accident soit établi dans la substance.

Alia opinio est, quod in uno individuo non est nisi una forma substantialis et secundum hoc oportet dicere quod per formam substantialem, quae est forma humana, habet hoc individuum non solum quod sit homo, sed quod sit animal, et quod sit vivum, et quod sit corpus, et substantia et ens. Et sic nulla alia forma substantialis praecedit in hoc homine animam humanam, et per consequens nec accidentalis; quia tunc oporteret dicere, quod materia prius perficiatur per formam accidentalem quam substantialem, quod est impossibile; oportet enim omne accidens fundari in substantia.

 

La différence entre les deux opinions vient du fait que certains pour chercher la vérité sur la nature des choses, sont partis de raisons intelligibles, et ce fut le propre des Platoniciens; certains [sont partis] des choses sensibles et cela fut le propre de la philosophie d’Aristote, comme le dit Simplicius[52] dans son commentaire sur les Catégories. Les Platoniciens ont considéré un certain ordre des genres et des espèces, et ce qui est supérieur peut toujours être compris sans l’inférieur, ainsi l’homme sans cet homme, et l’animal sans l’homme, et ainsi de suite. Ils ont pensé aussi que tout ce qui est abstrait dans l’intellect est abstrait dans la réalité, il leur semblait autrement que l’esprit qui abstrait serait faux ou vain, si aucune chose abstraite ne leur correspondait, c'est pourquoi aussi ils ont cru que les mathématiques étaient abstraites des choses sensibles, parce qu’elles sont comprises sans elles. C'est pourquoi ils ont placé l’homme abstrait de ces hommes, et ainsi de suite jusqu’à l’étant un et bon, qu’ils ont placé comme le pouvoir suprême des choses. Car ils ont vu que toujours l’inférieur est plus particulier que ce qui lui est supérieur, et que la nature du supérieur est participée dans l’inférieur: mais ce qui participe se comporte comme la matière pour le participé[53]; c'est pourquoi ils ont pensé que parmi les abstractions, plus quelque chose est universel, plus il est formel.

Harum autem duarum opinionum diversitas ex hoc procedit, quod quidam ad inquirendam veritatem de natura rerum, processerunt ex rationibus intelligibilibus, et hoc fuit proprium Platonicorum; quidam vero ex rebus sensibilibus, et hoc fuit proprium philosophiae Aristotelis, ut dicit Simplicius in commento super praedicamenta. Consideraverunt Platonici ordinem quemdam generum et specierum, et quod semper superius potest intelligi sine inferiori; sicut homo sine hoc homine, et animal sine homine, et sic deinceps. Existimaverunt etiam quod quidquid est abstractum in intellectu, sit abstractum in re; alias videbatur eis quod intellectus abstrahens esset falsus aut vanus, si nulla res abstracta ei responderet; propter quod etiam crediderunt mathematica esse abstracta a sensibilibus, quia sine eis intelliguntur. Unde posuerunt hominem abstractum ab his hominibus; et sic deinceps usque ad ens et unum et bonum, quod posuerunt summam rerum virtutem. Viderunt enim quod semper inferius particularius est suo superiori, et quod natura superioris participatur in inferiori: participans autem se habet ut materiale ad participatum; unde posuerunt quod inter abstracta quanto aliquid est universalius, tanto est formalius.

 

Certains, suivant le même chemin, ont pensé à l’opposé que plus une forme est universelle plus elle est matérielle. Et c’est la position d’Avicebron dans le livre La fontaine de vie, il a pensé en effet que la matière première était sans aucune forme, ce qu’il a appelé la matière universelle et il a dit qu’elle était commune aux substances spirituelles et corporelles, il a dit qu’à cette matière s’ajoutait la forme universelle qui est la forme de la substance. Mais il a dit que la matière qui existe ainsi sous forme de substance recevait en quelque partie d’elle-même la forme de la corporéité, pendant qu’une autre partie qui appartient aux substances spirituelles, demeure sans forme de ce genre, et ainsi à la suite il a placé dans la matière la forme sous une forme selon l’ordre des genres et des espèces jusqu’à la dernière espèce la plus spéciale. Et quoique cette position semble en désaccord avec la première, cependant selon la vérité de la chose elle est en accord avec elle et est sa conséquence. Car les Platoniciens ont pensé que plus une cause est universelle et formelle, plus sa perfection est abaissée dans un individu; c'est pourquoi ils ont pensé que l’effet du premier abstrait qui est le bien, c’était la matière première, pour que le premier sujet corresponde à l’agent suprême et par la suite selon l’ordre des causes abstraites, et des formes participées dans la matière, de même que l’abstrait plus universel est plus formel, ainsi la forme plus universelle participée est plus matérielle.

Quidam vero secundum eamdem viam ingredientes, ex opposito posuerunt quod quanto aliqua forma est universalior, tanto est magis materialis. Et haec est positio Avicebron in libro fontis vitae; posuit enim materiam primam absque omni forma, quam vocavit materiam universalem, et dixit eam communem substantiis spiritualibus et corporalibus, cui dixit advenire formam universalem quae est forma substantiae. Materiam autem sic sub forma substantiae existentem in aliquo suo dixit recipere formam corporeitatis, alia parte eius, quae pertinet ad spirituales substantias, sine huiusmodi forma remanente; et sic deinceps posuit in materia formam sub forma secundum ordinem generum et specierum usque ad ultimam speciem specialissimam. Et haec positio, quamvis videatur discordare a prima, tamen secundum rei veritatem cum ea concordat, et est sequela eius. Posuerunt enim Platonici quod quanto aliqua causa est universalior et formalior, tanto eius perfectio in aliquo individuo magis est substrata; unde effectum primi abstracti, quod est bonum, posuerunt materiam primam, ut supremo agenti respondeat primum subiectum; et sic deinceps secundum ordinem causarum abstractarum et formarum participatarum in materia, sicut universalius abstractum est formalius, ita universalior forma participata est materialior.

 

Mais cette position, selon les vrais principes de la philosophie, qu’Aristote a considérés, est impossible.

Sed haec positio, secundum vera philosophiae principia, quae consideravit Aristoteles, est impossibilis.

 

1) Parce qu’aucune substance individuelle ne serait simplement une. Car elle ne devient pas simplement une par deux actes, mais par la puissance et l’acte, en tant que ce qui est puissance devient en acte, et pour cela l’homme blanc n’est pas simplement un mais l’animal bipède est simplement un, parce que cela même qui est animal est bipède. Mais si l’animal était séparément animal, et séparément bipède, l’homme ne serait pas un mais plusieurs, comme le philosophe le démontre (Métaphysique, III, 4, 999 b 25[54] et VIII, 6, 1045 a 14). Donc il est clair que si les nombreuses formes substantielles était multipliées dans une seule unité individuelle de substance, il ne serait pas simplement un, mais à certains égards comme l’homme blanc[55].

Primo quidem, quia nullum individuum substantiae esset simpliciter unum. Non enim fit simpliciter unum ex duobus actibus, sed ex potentia et actu, in quantum id quod est potentia fit actu; et propter hoc homo albus non est simpliciter unum, sed animal bipes est simpliciter unum, quia hoc ipsum quod est animal est bipes. Si autem esset seorsum animal et seorsum bipes, homo non esset unum sed plura, ut philosophus argumentatur in III et VIII Metaph. Manifestum est ergo, quod si multiplicarentur multae formae substantiales in uno individuo substantiae, individuum substantiae non esset unum simpliciter, sed secundum quid, sicut homo albus.

 

2.) Parce que la nature de l’accident consiste à être dans un substrat, de sorte cependant que par substrat on entende un étant en acte et non en puissance seulement; de cette manière la forme substantielle n’est pas dans le substrat mais dans la matière. Donc en n’importe quelle forme est subordonnée un étant en acte de quelque manière, cette forme est un accident. Mais il est évident que n’importe quelle forme substantielle, quelle qu’elle soit fait devenir l’étant en acte et le constitue; c'est pourquoi il en découle que seule la première forme qui advient à la matière est substantielle, toutes celles qui adviennent ensuite sont accidentelles. Et cela n’exclut pas que certains disent que la forme première est en puissance pour la seconde parce que tout substrat est comparé à son accident, comme la puissance à l’acte. Mais la forme du corps qui surpasserait la réception de la vie, serait plus complète que celle qui ne la surpasserait pas. C'est pourquoi si la forme du corps animé le fait devenir substrat, beaucoup plus, la forme qui a la vie en puissance, le fait devenir substrat et ainsi l’âme serait la forme dans le substrat, qui est la raison de l’accident.

 

Secundo vero, quia in hoc consistit ratio accidentis quod sit in subiecto, ita tamen quod per subiectum intelligatur aliquod ens actu, et non in potentia tantum; secundum quem modum forma substantialis non est in subiecto sed in materia. Cuicumque ergo formae substernitur aliquod ens actu quocumque modo, illa forma est accidens. Manifestum est autem quod quaelibet forma substantialis, quaecumque sit, facit ens actu et constituit; unde sequitur quod sola prima forma quae advenit materiae sit substantialis, omnes vero subsequenter advenientes sint accidentales. Nec hoc excluditur per hoc quod quidam dicunt, quod prima forma est in potentia ad secundam; quia omne subiectum comparatur ad suum accidens ut potentia ad actum. Completior etiam esset forma corporis quae praestaret susceptibilitatem vitae, quam illa quae non praestaret. Unde si forma corporis inanimati facit ipsum esse subiectum, multo magis forma potentia vitam habentis facit ipsum esse subiectum; et sic anima esset forma in subiecto, quod est ratio accidentis.

 

3.) Parce qu’il en découlerait que dans l’adoption de la dernière forme il n’y aurait pas simplement génération mais à certains égards seulement. En effet comme la génération est un changement du non être à l’être, ce qui est simplement engendré, qui devient étant, en parlant simplement, à partir du non étant simplement. Mais l’étant qui a préexisté en acte ne peut pas devenir un étant simplement, mais il peut devenir cet étant, comme blanc ou grand, ce qui est devenir à certains égards. Donc comme la forme qui précède dans la matière fait être en acte, la forme suivante ne ferait pas être simplement, mais être cela, comme être homme ou âne ou plante, et ainsi ce ne sera pas simplement une génération. Et à cause de cela, tous les anciens qui ont pensé que la matière première était quelque chose en acte, comme le feu, l’air ou l’eau, ou quelque intermédiaire, ont dit que devenir ce n’était rien d’autre qu’être changé; et Aristote résolut leur doute en pensant que la matière était en puissance seulement, qu’il dit être simplement le substrat de la génération et de la corruption. Et parce que la matière jamais n’est dénudée de toute forme, quelquefois elle reçoit une forme, perd l’autre et inversement.

Tertio, quia sequeretur quod in adeptione postremae formae non esset generatio simpliciter, sed secundum quid tantum. Cum enim generatio sit transmutatio de non esse in esse, id simpliciter generatur quod fit ens simpliciter loquendo, de non ente simpliciter. Quod autem praeexistit ens actu non potest fieri ens simpliciter, sed potest fieri ens hoc, ut album vel magnum, quod est fieri secundum quid. Cum igitur forma praecedens in materia faciat esse actu, subsequens forma non faciet esse simpliciter, sed esse hoc, ut esse hominem vel asinum vel plantam; et sic non erit generatio simpliciter. Et propter hoc omnes antiqui, qui posuerunt materiam primam esse aliquid actu, ut ignem, aerem aut aquam, aut aliquid medium, dixerunt quod fieri nihil erat nisi alterari; et Aristoteles eorum dubitationem solvit ponendo materiam esse in potentia tantum, quam dicit esse subiectum generationis et corruptionis simpliciter. Et quia materia nunquam denudatur ab omni forma, propter hoc quandocumque recipit unam formam, perdit aliam, et e converso.

 

Donc ainsi nous disons que dans cet homme il n’y a pas d’autre forme substantielle que l’âme raisonnable, et que par celle-ci l’homme est non seulement homme, mais animal, vivant, corps et substance et étant. Ce qu’on peut considérer ainsi. La forme, en effet, est la ressemblance de l’agent dans la matière. Mais dans les pouvoirs actifs et opératifs, on trouve que plus un pouvoir est élevé, plus il saisit en lui de choses, non de manière composée , mais selon l’unité, de même que selon un seul pouvoir le sens commun s’étend à tous les sensibles, que selon différentes puissances les sens propres appréhendent. L’agent plus parfait a à induire une forme plus parfaite. C'est pourquoi une forme plus parfaite fait par un seul [pouvoir] tout ce que les formes inférieures font par différents [pouvoirs] et en outre plus ample: par exemple, si la forme du corps inanimé donne à la matière d’exister et est un corps, la forme de la plante lui donnera en plus de vivre, l’âme sensitive, en plus l’être sensible, et l’âme raisonnable en plus l’être raisonnable.

Sic ergo dicimus quod in hoc homine non est alia forma substantialis quam anima rationalis; et quod per eam homo non solum est homo, sed animal et vivum et corpus et substantia et ens. Quod quidem sic considerari potest. Forma enim est similitudo agentis in materia. In virtutibus autem activis et operativis hoc invenitur quod quanto aliqua virtus est altior, tanto in se plura comprehendit, non composite sed unite; sicut secundum unam virtutem sensus communis se extendit ad omnia sensibilia, quae secundum diversas potentias sensus proprii apprehendunt. Perfectioris autem agentis est inducere perfectiorem formam. Unde perfectior forma facit per unum omnia quae inferiores faciunt per diversa, et adhuc amplius: puta, si forma corporis inanimati dat materiae esse et esse corpus, forma plantae dabit ei et hoc et insuper vivere; anima vero sensitiva et hoc, insuper et sensibile esse; anima vero rationalis et hoc, et insuper rationale esse.

 

Ainsi en effet on trouve que les formes de choses naturelles sont différentes selon parfait et plus parfait, comme c’est clair pour celui qui l’examine. C’est pour cela que les espèces sont comparées à des nombres comme il est dit en Métaphysique, (VIII, 3, 1043 b 33[56]), dont les espèces varient par addition et soustraction de l’unité. C'est pourquoi aussi Aristote dans L’âme, (II, 3, 414 b 31[57]) dit que le végétatif est dans le sensitif, et le sensitif dans l’intellectif, de même que le triangle est dans le carré, et le carré dans le pentagone, car le pentagone contient en puissance le carré[58]: car il le possède et plus encore, mais non qu’il y ait séparément dans le pentagone ce qui est au carré, et ce qui propre au pentagone, comme deux figures [distinctes]. Ainsi l’âme intellective contient en puissance l’âme sensitive, parce qu’elle l’a et en plus; non cependant de sorte qu’il y ait deux âmes. Mais si on disait que l’âme intellective diffère par essence de l’âme sensitive dans l’homme, on ne pourrait attribuer une raison pour l’union de l’âme intellective au corps, puisque nulle opération propre de l’âme intellective n’existe par un organe corporel.

Sic enim inveniuntur differre formae rerum naturalium secundum perfectum et magis perfectum, ut patet intuenti. Propter quod species comparantur numeris, ut dicitur in VIII Metaph.: quorum species per additionem et subtractionem unitatis variantur. Unde etiam Aristoteles in II de anima dicit, quod vegetativum est in sensitivo, et sensitivum in intellectivo, sicut trigonum in tetragono, et tetragonum in pentagono; pentagonum enim virtute continet tetragonum: habet enim hoc et adhuc amplius; non autem quod seorsum in pentagono sit id quod est tetragoni, et id quod est pentagoni proprium, tanquam duae figurae. Sic etiam anima intellectiva virtute continet sensitivam, quia habet hoc et adhuc amplius; non tamen ita quod sint duae animae. Si autem diceretur quod anima intellectiva differret per essentiam a sensitiva in homine, non posset assignari ratio unionis animae intellectivae ad corpus, cum nulla operatio propria animae intellectivae sit per organum corporale.

 

Solutions:

1. L’autorité de Denys (Hierarchie céleste, XIII) est à comprendre des causes agentes, et non des causes formelles.

1. Ad primum ergo dicendum quod auctoritas Dionysii intelligenda est de causis agentibus, non de causis formalibus.

 

2. Comme la forme la plus parfaite donne tout ce que donnent les formes plus imparfaites, et encore plus, la matière, dans la mesure où elle l’achève par ce mode de perfection, par laquelle les formes plus imparfaites l’achèvent, est considérée comme la matière propre, aussi d’une perfection de ce genre que la forme plus parfaite ajoute sur les autres, de sorte cependant que cette distinction n’est pas comprise dans les formes selon l’essence, mais seulement selon la raison intelligible. Donc ainsi la matière, selon qu’elle est comprise comme parfaite dans un être corporel susceptible de vie, est le substrat propre de l’âme.

2. Ad secundum dicendum quod cum forma perfectissima det omnia quae dant formae imperfectiores, et adhuc amplius; materia, prout ab ea perficitur eo modo perfectionis quo perficitur a formis imperfectioribus, consideratur ut materia propria, etiam illiusmodi perfectionis quam addit perfectior forma super alias; ita tamen quod non intelligatur haec distinctio in formis secundum essentiam, sed solum secundum intelligibilem rationem. Sic ergo ipsa materia secundum quod intelligitur ut perfecta in esse corporeo susceptivo vitae, est proprium subiectum animae.

 

3. Comme l’animal est ce qu’est vraiment l’homme, la distinction de la nature animale de l’homme n’est pas selon la diversité réelle des formes, comme s’il y avait une forme par laquelle il sera animal, et une autre surajoutée par laquelle il serait homme, mais selon les raisons intelligibles. Car selon que le corps parfait est compris dans l’être sensible par l’âme, elle est ainsi comparée à la perfection ultime qui est par l’âme raisonnable en tant que de ce genre, comme le matériel pour le formel. En effet comme le genre et l’espèce signifient certains concepts intelligibles, la distinction réelle des formes pour la distinction de l’espèce et du genre n’est pas requise mais la distinction intelligible seulement

3. Ad tertium dicendum quod cum animal sit id quod vere est homo, distinctio naturae animalis ab homine non est secundum diversitatem realem formarum, quasi alia forma sit per quam sit animal, et superaddatur altera per quam sit homo; sed secundum rationes intelligibiles. Secundum enim quod intelligitur corpus perfectum in esse sensibili ab anima, sic comparatur ad perfectionem ultimam quae est ab anima rationali in quantum huiusmodi, ut materiale ad formale. Cum enim genus et species significent quasdam intentiones intelligibiles, non requiritur ad distinctionem speciei et generis distinctio realis formarum, sed intelligibilis tantum.

 

4. L’âme meut le corps par la connaissance et l’appétit, mais le pouvoir sensitif et le pouvoir appétitif dans l’animal ont un organe déterminé, et ainsi le mouvement de l’animal commence par cet organe qui est le cœur selon Aristote[59]. Ainsi donc une partie de l’animal est moteur et l’autre est mue, pour que la partie moteur reçoive le premier organe de l’âme appétitive, et le reste du corps est mû. Mais parce que dans un homme la volonté et l’intellect qui ne sont pas l’acte d’un organe, mettent en mouvement, l’âme elle-même sera moteur selon la partie intellective, mais le corps mû selon qu’il est achevé par l’âme même dans un être corporel.

4. Ad quartum dicendum quod anima movet corpus per cognitionem et appetitum; vis autem sensitiva et appetitiva in animali habent determinatum organum; et sic ab illo organo incipit motus animalis, quod est cor secundum Aristotelem. Sic igitur una pars animalis est movens, et altera est mota; ut pars movens accipiatur primum organum animae appetitivae, et reliquum corpus sit motum. Sed quia in homine movent voluntas et intellectus, quae non sunt alicuius organi actus, movens erit ipsa anima secundum partem intellectivam; motum autem corpus secundum quod est perfectum ab ipsa anima in esse corporeo.

 

5. Dans l’Incarnation du Verbe, l’âme est placée comme intermédiaire entre le Verbe et la chair, non par nécessité mais par convenance; c'est pourquoi aussi l’âme séparée de la chair, dans la mort du Christ, demeura Verbe immédiatement unie à la chair.

5. Ad quintum dicendum quod in incarnatione verbi anima ponitur medium inter verbum et carnem, non necessitatis sed congruentiae; unde etiam separata anima a carne in morte Christi, remansit verbum immediate carni unitum.

 

6. Ce livre[60] n’est pas d’Augustin et n’est pas très authentique, et dans cette parole il parle assez improprement. Car l’un et l’autre conviennent à l’âme, à l’imagination et à la sensualité, cependant on dit que la sensualité est en rapport avec la chair en tant qu’appétit des choses qui conviennent au corps; l’imagination [convient] à l’âme, en tant qu’en elle il y a les ressemblances des corps sans corps[61]. Mais on dit que cela est intermédiaire entre l’âme et la chair, non selon que l’âme est forme du corps mais selon qu’elle en est le moteur.

6. Ad sextum dicendum quod liber ille non est Augustini, nec est multum authenticus, et in hoc verbo satis improprie loquitur. Utrumque enim ad animam pertinet, et phantasticum et sensualitas; tamen dicitur sensualitas ad carnem referri, in quantum est appetitus rerum ad corpus pertinentium; phantasticum autem ad animam, in quantum in eo sunt similitudines corporum sine corporibus. Haec autem dicuntur esse media inter animam et carnem, non prout anima est forma corporis, sed prout est motor.

 

7. La gestion du corps convient à l’âme en tant que moteur, non en tant que forme. Et bien que ce par quoi l’âme conduit le corps soit nécessaire pour qu’elle soit dans le corps, comme dispositions propres d’une telle matière, ce n’est pas cependant à cause de cela qu’il en découle que la raison de la gestion et celle de l’union formelle sont les mêmes. Car c’est la même âme qui est moteur et forme, c’est la même en substance, mais elle diffère en raison; ainsi de la même manière ce qui est nécessaire est le même pour l’union formelle et pour la gestion bien que ce ne soit pas pour la même raison.

7. Ad septimum dicendum quod administratio corporis pertinet ad animam in quantum est motor, non in quantum est forma. Et licet ea quibus anima administrat corpus sint necessaria ad hoc quod anima sit in corpore, ut propriae dispositiones talis materiae, non tamen propter hoc sequitur quod eadem sit ratio administrationis et formalis unionis. Sicut enim eadem est, secundum substantiam, anima quae est motor et forma, sed differt ratione; ita et eadem sunt quae sunt necessaria ad unionem formalem et ad administrationem, licet non secundum eamdem rationem.

 

8. Le fait que l’âme diffère du corps, en tant que corruptible et incorruptible, n’enlève pas qu’elle est sa forme, comme on le voit dans ce qui a été dit plus haut, c'est pourquoi il en découle qu’elle est unie au corps sans intermédiaire.

8. Ad octavum dicendum quod per hoc quod anima differt a corpore ut corruptibile ab incorruptibili, non tollitur quin sit forma eius, ut ex supradictis patet; unde sequitur quod immediate corpori uniatur.

 

9. On dit que l’âme est unie au corps par l’esprit, en tant qu’il est moteur, parce que le premier qui est mis en mouvement par l’âme dans le corps c’est l’esprit, comme Aristote le dit au Livre de la cause du mouvement des animaux (10), cependant aussi ce livre n’est pas d’une grande autorité[62].

9. Ad nonum dicendum quod anima dicitur uniri corpori per spiritum, in quantum est motor, quia primum quod movetur ab anima in corpore est spiritus, ut Aristoteles dicit in libro de causa motus animalium, tamen etiam ille liber non est magnae auctoritatis.

 

10. Si deux choses sont différentes par essence, de sorte que l’une et l’autre ont une nature complète de leur espèce, elles ne peuvent être unies que par un intermédiaire qui les lie et les unit. Mais l’âme et le corps ne sont pas de ce genre, puisque l’un et l’autre sont une partie de l’homme, mais ils sont comparés entre eux comme la matière à la forme, dont l’union est sans intermédiaire, comme on l’a montré.

10. Ad decimum dicendum quod si aliqua duo sunt diversa per essentiam, ita quod utrumque habeat naturam suae speciei completam, non possunt uniri nisi per aliquod medium ligans et uniens. Anima autem et corpus non sunt huiusmodi, cum utrumque naturaliter sit pars hominis; sed comparantur ad invicem ut materia ad formam, quarum unio est immediata, ut ostensum est.

 

11. L’âme est unie au corps pour qu’elle soit achevée, non seulement pour comprendre les images, mais aussi pour la nature de l’espèce, et pour les autres opérations qu’elle exerce par le corps. Cependant, une fois donné qu’elle lui est unie seulement  pour comprendre les images, il n’en découlerait pas que l’union serait par l’intermédiaire de l’image: car ainsi l’âme est unie au corps pour comprendre, pour que l’homme comprenne par elle, ce qui n’existerait pas si l’union se faisait par les images, comme on l’a montré plus haut.

11. Ad undecimum dicendum quod anima unitur corpori ut perficiatur non solum quantum ad intelligere phantasticum, sed etiam quantum ad naturam speciei, et quantum ad alias operationes quas exercet per corpus. Tamen, dato quod solum propter intelligere phantasticum ei uniretur, non sequeretur quod unio esset mediante phantasmate: sic enim unitur anima corpori propter intelligere, ut per eam homo intelligat; quod non esset, si fieret unio per phantasmata, ut ostensum est supra.

 

12. Avant d’être animé le corps a une forme, mais cette forme ne demeure pas à la venue de l’âme. Car la venue de l’âme se fait par une certaine génération, mais la génération de l’une n’est pas sans corruption de l’autre, comme quand la forme du feu est reçue dans la matière de l’air, cette forme de l’air cesse d’être en acte en elle et demeure en puissance seulement. Et il ne faut pas dire que la forme se fait ou se corrompt, parce que c’est pour elle le devenir et la corruption de ce dont elle est l’être, ce qui n’appartient pas à la forme comme quelque chose qui existe, mais comme ce par quoi quelque chose existe. C'est pourquoi on dit qu’il n’y a que le composé qui devient, en tant qu’il est ramené de la puissance à l’acte.

12. Ad duodecimum dicendum quod corpus antequam animetur habet aliquam formam; illa autem forma non manet anima adveniente. Adventus enim animae est per quamdam generationem, generatio autem unius est non sine corruptione alterius; sicut cum recipitur forma ignis in materia aeris, desinit esse actu in ea forma aeris, et remanet in potentia tantum. Nec est dicendum quod forma fiat vel corrumpatur, quia eius est fieri et corrumpi, cuius est esse; quod non est formae ut existentis, sed sicut eius quo aliquid est. Unde et fieri non dicitur nisi compositum, in quantum reducitur de potentia in actum.

 

13. Dans l’embryon apparaissent certaines œuvres vitales, mais certains ont dit que les œuvres de ce genre venaient de l’âme de la mère. Mais c’est impossible, parce qu’il est de la nature des œuvres vitales qu’elles viennent d’un principe intrinsèque, qui est l’âme. Mais certains ont dit qu’au commencement il y a l’âme végétative, et quand elle a été plus parfaite, elles devient l’âme sensitive, et enfin elle devient intellective, mais par l’action d’un agent extérieur qui est Dieu. Mais cela est impossible. 1) Parce qu’il en découlerait que la forme substantielle recevrait plus et moins, et la génération serait un mouvement continu. 2) Parce qu’il en découlerait que l’âme raisonnable serait corruptible, puisque l’âme végétative et l’âme sensibles sont corruptibles, pour autant qu’on pense que le fondement de l’âme raisonnable est une substance végétative et sensible. Mais on ne peut pas dire qu’il y a trois âmes, dans un seul homme, comme on l’a montré. Il reste donc qu’il faut dire que dans la génération de l’homme ou de l’animal il y a des nombreuses générations et corruptions qui se succèdent entre elles. En effet à l’arrivée d’une forme plus parfaite, la moins parfaite disparaît. Et ainsi comme dans l’embryon, il y a en premier l’âme végétative seulement, quand elle sera parvenue à une plus grande perfection, la forme imparfaite est enlevée et une forme plus parfaite lui succède, qui est l’âme végétative et sensitive en même temps, et quand la dernière s’en va, lui succède la dernière forme tout à fait complète, qui est l’âme raisonnable.

13. Ad decimumtertium dicendum quod in embryone apparent quaedam opera vitae; sed quidam dixerunt, huiusmodi opera esse ab anima matris. Sed hoc est impossibile, quia de ratione operum vitae est quod sint a principio intrinseco, quod est anima. Quidam vero dixerunt quod a principio inest anima vegetabilis; et illa eadem cum fuerit magis perfecta fit anima sensitiva, et tandem fit anima intellectiva, sed per actionem exterioris agentis quod est Deus. Sed hoc est impossibile. Primo, quia sequeretur quod forma substantialis reciperet magis et minus, et quod generatio esset motus continuus. Secundo, quia sequeretur animam rationalem esse corruptibilem, cum vegetabilis et sensibilis corruptibiles sint, dum ponitur fundamentum animae rationalis esse substantia vegetabilis et sensibilis. Non autem dici potest quod sint tres animae in uno homine, ut ostensum est. Relinquitur ergo dicendum quod in generatione hominis vel animalis sunt multae generationes et corruptiones sibi invicem succedentes. Adveniente enim perfectiori forma, deficit imperfectior. Et sic cum in embryone primo sit anima vegetativa tantum, cum perventum fuerit ad maiorem perfectionem, tollitur forma imperfecta, et succedit forma perfectior, quae est anima vegetativa et sensitiva simul; et ultimo cedente, succedit ultima forma completissima, quae est anima rationalis.

 

14. Le corps mathématique est appellé corps abstrait; c'est pourquoi dire que le corps mathématique est dans le sensible c’est dire deux choses opposées en même temps, comme Aristote le démontre (Métaphysique, III, 2, 998 a 7[63]) contre certains Platoniciens qui le pensaient. Et cependant il n’en découle pas que ce qui est abstrait soit une falsification, si le corps mathématique était dans l’intellect seulement, parce que l’intellect en abstrayant ne comprend pas qu’un corps ne soit pas dans le sensible, mais il le comprend, sans comprendre le sensible comme si quelqu’un comprend l’homme sans comprendre sa risibilité, il ne ment pas, mais il mentirait s’il comprenait que l’homme ne peut pas rire. Je dis cependant que si un corps mathématique était dans un corps sensible, comme le corps mathématique aurait des dimensions, il conviendrait seulement pour le genre de la quantité; c'est pourquoi il n’en découlerait pas pour lui une forme substantielle. Mais le corps qui est dans le genre de la substance, a une forme substantielle qui est appelée corporéité, qui n’a pas trois dimensions, mais une quelconque forme substantielle d’où découlent trois dimensions dans la matière, et cette forme dans le feu est l’ignéité, dans l’animal l’âme sensitive et dans l’homme l’âme intellective.

14. Ad decimumquartum dicendum quod corpus mathematicum dicitur corpus abstractum; unde dicere corpus mathematicum esse in sensibilibus, est dicere duo opposita simul, ut Aristoteles argumentatur in III Metaph. contra quosdam Platonicos hoc ponentes. Nec tamen sequitur quod abstrahentium sit mendacium, si corpus mathematicum sit in intellectu tantum: quia non intelligit intellectus abstrahens corpus aliquod esse non in sensibilibus, sed intelligit ipsum, non intelligendo sensibilia; sicut si quis intelligat hominem, non intelligendo eius risibilitatem, non mentitur; mentiretur autem, si intelligeret hominem non esse risibilem. Dico tamen quod si corpus mathematicum esset in corpore sensibili, cum corpus mathematicum sit dimensionale, tantum pertineret ad genus quantitatis; unde non requireretur ad ipsum aliqua forma substantialis. Corpus autem quod est in genere substantiae, habet formam substantialem quae dicitur corporeitas, quae non est tres dimensiones, sed quaecumque forma substantialis ex qua sequuntur in materia tres dimensiones; et haec forma in igne est igneitas, in animali anima sensitiva, et in homine anima intellectiva.

 

15. Les parties de la définition sont les parties de la forme ou de l’espèce, non pour une réelle différence des formes, mais selon une distinction intelligible comme on l’a dit à la troisième solution.

15. Ad decimumquintum dicendum quod partes definitionis sunt partes formae vel speciei, non propter realem differentiam formarum, sed secundum distinctionem intelligibilem, ut dictum est ad tertium.

 

16. Bien que l’âme n’ait pas de corporéité en acte, elle l’a cependant en puissance, comme le soleil a la chaleur.

16. Ad decimumsextum dicendum quod licet anima non habeat corporeitatem in actu, habet tamen virtute, sicut sol calorem.

 

17. Cet ordre, dont parle le Commentateur, est selon la raison intelligible seulement, parce que la matière est comprise comme achevée selon la nature de la forme universelle avant la forme spéciale, comme on comprend un étant avant le vivant et le vivant avant l’animal et l’animal avant l’homme.

17. Ad decimumseptimum dicendum quod ordo ille quem Commentator tangit, est secundum rationem intelligibilem tantum; quia prius intelligitur materia perfici secundum rationem formae universalis quam specialis; sicut prius intelligitur aliquid ens quam vivum, et vivum quam animal, et animal quam homo.

 

18. N’importe quel être de genre ou d’espèce rejoint les accidents propres de ce genre ou de cette espèce. C'est pourquoi quand déjà la matière est comprise comme parfaite selon la nature de ce genre qui est le corps, les dimensions peuvent être comprises en elle, qui sont les accidents propre de ce genre et rejoignent ainsi l’ordre intelligible dans la matière, selon ses différentes parties, ses différentes formes élémentaires.

18. Ad decimumoctavum dicendum quod quodlibet esse generis vel speciei consequuntur propria accidentia illius generis vel speciei. Unde quando iam materia intelligitur perfecta secundum rationem huius generis quod est corpus, possunt in ea intelligi dimensiones, quae sunt propria accidentia huius generis: et sic consequentur ordinem intelligibilem in materia, secundum diversas eius partes, diversae formae elementares.

 

19. Il faut dire que la même chaleur en espèce est dans le feu et dans l’air, parce que n’importe qualité est attribuée spécialement à un élément, en qui il est parfaitement, et par accompagnement ou dérivation à un autre, cependant plus imparfaitement. Donc comme de l’air se fait le feu, la chaleur demeure la même en espèce, mais plus forte mais pas seulement la même en nombre, parce que le substrat ne demeure pas le même. Et il n’a pas fait cela pour la difficulté du changement, puisqu’il est corrompu par accident par la corrpution du substrat et pas par contrariété de l’agent.

19. Ad decimumnonum dicendum quod idem specie calor est in igne et aere, quia quaelibet qualitas specialiter attribuitur uni elemento in quo est perfecte, et per concomitantiam vel derivationem alteri, tamen imperfectius. Cum ergo ex hoc aere fit hic ignis, calor manet idem specie, sed augmentatus; non tamen idem numero, quia non manet idem subiectum. Nec hoc facit ad difficultatem conversionis, cum corrumpatur per accidens ex corruptione subiecti, et non ex contrarietate agentis.

 

2.0. La matière dans la mesure où elle est considérée comme nue, se comporte indifféremment pour toutes les formes, mais elle est déterminée pour des formes spéciales par le pouvoir du moteur, comme c’est rapporté dans La génération (II, 9 335 b). Et selon l’ordre intelligible des formes dans la matière, c’est l’ordre des agents naturels. Car entre les corps célestes eux-mêmes l’un est actif plus universellement qu’un autre, et l’agent plus universel n’agit pas en dehors des agents inférieurs, mais l’agent ultime propre agit dans le pouvoir de tous les [agents] supérieurs. C'est pourquoi les diverses formes sont introduites par des agents différents, dans un seul individu, mais une forme est ce qui est imprimé par l’agent le plus proche, elle contient en soi par pouvoir toutes les formes précédentes, et la matière, selon qu’elle est considérée comme parfaite, sous la nature de la forme plus universelle et des accidents qui en découlent, elle devient propre pour la perfection suivante.

2.0. Ad vicesimum dicendum quod materia prout nuda consideratur, se habet indifferenter ad omnes formas; sed determinatur ad speciales formas per virtutem moventis, ut traditur in II de generatione. Et secundum ordinem intelligibilem formarum in materia, est ordo agentium naturalium. Inter ipsa enim corpora caelestia unum est universalius activum quam alterum; nec universalius agens agit seorsum ab inferioribus agentibus, sed ultimum agens proprium agit in virtute omnium superiorum. Unde non imprimuntur a diversis agentibus diversae formae in uno individuo, sed una forma est quae imprimitur a proximo agente, continens in se virtute omnes formas praecedentes; et materia, secundum quod consideratur perfecta sub ratione formae universalioris et accidentium consequentium, fit propria ad subsequentem perfectionem.

 

2.1. Comme chaque genre est divisé en puissance et acte, la puissance elle-même qui est dans le genre de la substance, est matière comme la forme de l’acte. C'est pourquoi la matière n’est pas soumise à la forme par l’intermédiaire d’une puissance.

2.1. Ad vicesimumprimum dicendum quod cum unumquodque genus dividatur per potentiam et actum, ipsa potentia, quae est in genere substantiae, materia est, sicut forma actus. Unde materia non subest formae mediante aliqua potentia.

 

 

Article 4 : L’âme est-elle tout entière dans chaque partie du corps ? Quarto quaeritur utrum tota anima sit in qualibet parte corporis.

 

Il semble que non[64].

 tit. 2 Et videtur quod non.

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Objections

1. Car Aristote dit dans le livre (La cause du mouvement des animaux, 10, 703 a 36 –b 2) : « Il n’y a aucun besoin qu’il y ait une âme dans chaque [partie] du corps, mais {il suffit] qu’elle existe dans la partie supérieur du corps[65]». Mais rien n’est vain dans la nature. Donc l’âme n’est pas dans chaque partie du corps.

1. Dicit enim Aristoteles in libro de causa motus animalium: nihil opus est in unoquoque corporis esse animam, sed in quodam corporis principio existere. In natura autem nihil est frustra. Non est ergo anima in qualibet parte corporis.

 

2. L’animal est constitué d’un corps et d’une âme. Donc, si dans chaque partie du corps il y avait une âme, chaque partie de l’animal serait un animal, ce qui ne convient pas.

2. Praeterea, ex corpore et anima constituitur animal. Si igitur in qualibet parte corporis esset anima, quaelibet pars animalis esset animal; quod est inconveniens.

 

3. En chaque chose il y a un substrat et sa propriété. Mais toutes ces puissances de l’âme sont dans son l’essence, comme les propriétés dans le substrat. Donc si l’âme était en chaque partie du corps, il en découlerait que dans chaque partie il y aurait toutes les puissances de l’âme et ainsi l’audition serait dans l’œil et la vision dans l’oreille, ce qui ne convient pas.

3. Praeterea, in quocumque est subiectum et proprietas subiecti. Sed omnes potentiae animae sunt in essentia animae, sicut et proprietates in subiecto. Ergo si anima esset in qualibet parte corporis, sequeretur quod in qualibet parte corporis essent omnes potentiae animae, et sic auditus erit in oculo et visus in aure; quod est inconveniens.

 

4. Aucune forme qui requiert une différence des parties ne se trouve en chaque partie ; ainsi il est clair que la forme de la maison n’est pas en chaque partie de la maison, mais dans la maison toute entière. Mais les formes qui ne requièrent pas une différence des parties sont dans chaque partie, comme la forme de l’air et du feu. Mais l’âme est une forme qui requiert une différence des parties, comme on le voit dans tous les êtres animés. Donc l’âme n’est pas dans chaque partie du corps.

4. Praeterea, nulla forma quae requirit dissimilitudinem partium invenitur in qualibet parte; ut patet de forma domus, quae non est in quacumque parte domus, sed in tota domo. Formae vero quae non requirunt dissimilitudinem partium, sunt in singulis partibus, ut forma aeris et ignis. Anima autem est forma requirens dissimilitudinem partium, ut patet in omnibus animatis. Ergo anima non est in qualibet parte corporis.

 

5. Aucune forme, qui s’étend selon l’extension de la matière, n’est toute entière dans chaque partie de sa matière. Mais l’âme s’étend selon l’extension de la matière ; car il est dit dans le livre ([Augustin] La quantité de l’âme V, 7[66]) : «  J’estime que l’âme est, aussi grande que les espaces du corps la supportent ». Donc l’âme n’est pas en toute partie du corps.

5. Praeterea, nulla forma quae extenditur secundum extensionem materiae, est tota in qualibet parte suae materiae. Sed anima extenditur secundum extensionem materiae; dicitur enim in libro de quantitate animae: tantam aestimo esse animam, quantam eam spatia corporis esse patiuntur. Ergo anima non est tota in qualibet parte corporis.

 

6. Que l’âme soit dans chaque partie du corps, cela se voit surtout du fait qu’elle agit dans chaque partie. Mais l’âme opère où elle n’est pas, parce que, comme Augustin le dit (Lettre à Volusianus, 137, 5) l’âme sent et voit dans le ciel où elle n’est pas. Donc il n’est pas nécessaire que l’âme soit dans chaque partie du corps.

6. Praeterea, quod anima sit in qualibet corporis parte, praecipue videtur ex hoc quod in qualibet corporis parte agit. Sed anima operatur ubi non est: quia, ut Augustinus dicit ad Volusianum, anima sentit et videt in caelo, ubi non est. Non est ergo necessarium animam esse in qualibet corporis parte.

 

7. Selon le philosophe (De anima, I, 3, 406 b) quand nous nous mouvons, est mû ce qui est en nous. Mais il arrive qu’une partie du corps soit mue, pendant que l’autre se repose. Si donc l’âme est en chaque partie du corps, il en découle qu’elle est mue et se repose en même temps, ce qui ne convient pas.

7. Praeterea, secundum philosophum, moventibus nobis, moventur ea quae in nobis sunt. Contingit autem unam partem corporis moveri, alia quiescente. Si ergo anima est in qualibet parte corporis, sequitur quod simul moveatur et quiescat; quod videtur inconveniens.

 

8. Si l’âme est en n’importe quelle partie du corps, chaque partie aura un rapport immédiat à l’âme et ainsi les autres parties ne dépendront pas du cœur, ce qui est contre Jérôme, dans son commentaire de Matthieu (ch. 15, PL XXVI, 109) qui dit : « La partie principale de l’homme n’est pas dans le cerveau selon Platon, mais dans le cœur selon le Christ. »

8. Praeterea, si anima est in qualibet parte corporis, unaquaeque pars corporis immediatum ordinem habebit ad animam, et sic non dependent aliae partes a corde; quod est contra Hieronymum super Matthaeum, qui dicit quod principale hominis non est in cerebro secundum Platonem, sed in corde secundum Christum.

 

9. Aucune  forme qui requiert un aspect déterminé, ne peut être là où il n’y a pas cet aspect. Mais l’âme est dans le corps selon un aspect déterminé : car le Commentateur[67] dit dans le même  livre (L’âme comm. 53) que n’importe quel corps animal a une aspect propre. Et cela est évident dans les espèces animales : les membres en effet du lion ne diffèrent des membres du cerf qu’à cause de la diversité de l’âme. Donc comme dans une partie on ne trouve pas l’aspect du tout, l’âme ne sera pas dans cette partie. Et c’est cela que dit le même Commentateur dans le même livre  (comm. 94, f. 1262) : si le cœur a une nature pour recevoir l’âme parce qu’il a tel aspect, il est clair que sa partie ne reçoit pas cette âme, parce qu’il n’a pas un tel aspect.

9. Praeterea, nulla forma quae requirit determinatam figuram, potest esse ubi non est illa figura. Sed anima est in corpore secundum determinatam figuram: dicit enim Commentator in I de anima, quod quodlibet corpus animalis habet figuram propriam. Et hoc manifestatur in speciebus animalium: membra enim leonis non differunt a membris cervi nisi propter diversitatem animae. Ergo cum in parte non inveniatur figura totius, anima non erit in parte. Et hoc est quod idem Commentator dicit in eodem libro, quod si cor habet naturam recipiendi animam quia habet talem figuram, manifestum est quod pars eius non recipit illam animam, quia non habet talem figuram.

 

10. Plus quelque chose est abstrait, moins il est déterminé à quelque chose de corporel. Mais l’ange est plus abstrait que l’âme. Mais il est limité à une partie du mobile qu’il meut[68], et il n’est pas dans chaque partie, comme le montre le philosophe en Physique (VIII, 10, 267 b 7[69]), où il dit que le moteur du ciel n’est pas au centre, mais en chaque partie de la circonférence. Donc l’âme est beaucoup moins en chaque partie de son corps.

10 Praeterea, quanto aliquid est magis abstractum, tanto minus determinatur ad aliquid corporale. Sed Angelus est magis abstractus quam anima. Determinatur autem Angelus ad aliquam partem mobilis quod movet, et non est in qualibet parte eius, ut patet per philosophum in IV Physic., ubi dicit quod motor caeli non est in centro, sed in quadam parte circumferentiae. Multo minus igitur anima est in qualibet parte sui corporis.

 

11. Si en chaque partie du corps il y a une opération de l’âme, à raison égale dans chaque partie du corps il y a l’opération de la puissance visuelle, là où est la puissance visuelle. Mais l’opération de cette puissance serait dans le pied, s’il y avait là une organe de puissance visuelle; c'est pourquoi si l’opération de voir vient à manquer, ce sera à cause d’une défection de l’organe seulement. Donc il y aura une puissance visuelle là où il y a l’âme.

11. Praeterea, si in quacumque parte corporis est operatio animae, est ipsa anima; pari ratione in quacumque parte corporis est operatio visivae potentiae, ibi est visiva potentia. Sed operatio visivae potentiae esset in pede, si ibi esset organum visivae potentiae; unde quod desit operatio visiva, erit propter defectum organi tantum. Erit igitur ibi potentia visiva, si ibi sit anima.

 

12. Si l’âme est en chaque partie du corps, il faut que partout où il y a une partie du corps, il y ait l’âme. Mais les parties de l’enfant qui grandit commencent à exister avec la croissance là où d’abord elles n’étaient pas ; donc son âme commence à être là où avant elle n’était pas. Mais cela paraît impossible. Car quelque chose commence à exister de trois manières.1. Ou par ce qui est fait de nouveau, comme lorsque l’âme est créée et infusée dans le corps. 2. Ou par un changement propre, comme quand le corps est transféré d’un lieu dans un autre. 3. Ou par changement d’un autre en lui-même, comme lorsque le corps du Christ commence à être sur l’autel.  On ne peut dire cela d’aucun. Donc l’âme n’est pas dans chaque partie du corps.

12. Praeterea, si anima est in qualibet parte corporis, oportet quod ubicumque sit aliqua pars corporis, ibi sit anima. Sed pueri crescentis partes incipiunt esse per augmentum ubi prius non erant; ergo et anima eius incipit esse ubi prius non erat. Sed hoc videtur impossibile. Tribus enim modis aliquid incipit esse ubi prius non erat. Aut per hoc quod de novo fit, sicut cum anima creatur et infunditur corpori. Aut per propriam transmutationem, sicut cum corpus transfertur de loco ad locum. Aut per transmutationem alterius in ipsum, sicut cum corpus Christi incipit esse in altari. Quorum nullum hic dici potest. Ergo anima non est in qualibet parte corporis.

 

13. L’âme n’est que dans le corps dont elle est l’acte. Mais c’est l’acte du corps organique, comme il est dit dans L’âme (II, 1, 412 b 5[70]). Donc comme n’importe quelle partie du corps n’est pas un corps organique, elle ne sera pas dans chaque partie du corps.

13. Praeterea, anima non est nisi in corpore cuius est actus. Est autem actus corporis organici, ut dicitur II de anima. Cum igitur non quaelibet pars corporis sit corpus organicum, non erit in qualibet parte corporis.

 

14. La chair et l’os d’un seul homme diffèrent plus que les deux chairs de deux hommes. Mais une âme ne peut pas être dans deux corps différents. Donc elle ne peut pas être dans toutes les parties d’un seul homme.

14. Praeterea, plus differunt caro et os unius hominis quam duae carnes duorum hominum. Sed anima una non potest esse in duobus corporibus diversorum. Ergo non potest esse in omnibus partibus unius hominis.

 

15. Si l’âme est en chaque partie du corps, il faut, une fois enlevée n’importe quelle partie, ou bien que l’âme soit enlevée, ce qui paraît faux, puisque l’homme demeure vivant ou bien qu’elle soit transférée de cette partie dans d’autres, ce qui est impossible, puisque l’âme est simple, et par conséquent immobile. Donc elle n’est pas dans n’importe quelle partie du corps.

15. Praeterea, si anima est in qualibet parte corporis, oportet quod ablata quacumque parte corporis, vel auferatur anima, quod patet esse falsum, cum remaneat homo vivens, vel transferatur de illa parte ad alias; quod est impossibile, cum anima sit simplex, et per consequens immobilis. Non ergo est in qualibet parte corporis.

 

16. Tout ce qui est indivisible ne peut être que dans l’indivisible, puisqu’il faut que le lieu soit commensurable à ce qui y est placé. Mais il arrive que dans le corps on distingue des [parties] infinies indivisibles[71]. Donc si l’âme est dans n’importe quelle partie du corps, il en découle qu’elle est dans des parties infinies en nombre ; ce qui n’est pas possible, puisque sa puissance est finie.

16. Praeterea, nullum indivisibile potest esse nisi in indivisibili, cum locum oporteat aequari locato. In corpore autem contingit signare infinita indivisibilia. Si igitur anima sit in qualibet parte corporis, sequetur quod sit in infinitis: quod esse non potest, cum sit finitae virtutis.

 

17. Comme l’âme est simple et sans dimension[72], aucune totalité ne semble pouvoir lui être attribuée sinon celle de sa puissance. Mais l’âme n’est pas dans n’importe quelle partie du corps selon ses puissances[73], en qui on considère la totalité de sa puissance. Donc toute l’âme n’est pas dans n’importe quelle partie du corps.

17. Praeterea, cum anima sit simplex et absque quantitate dimensiva, nulla totalitas videtur posse ei attribui nisi virtutis. Sed non est in qualibet parte corporis secundum suas potentias, in quibus consideratur totalitas virtutis eius. Non ergo in qualibet parte corporis est tota anima.

 

18. (1[74]) Que quelque chose pourrait être tout entier dans un tout avec toutes les parties, semble provenir de sa simplicité ;  car nous voyons que cela ne peut pas arriver dans les corps. (2) Mais l’âme n’est pas simple, mais composée de matière et de forme. (3) Donc elle n’est pas dans n’importe quelle partie du corps. Preuve intermédiaire[75]. Le philosophe  dans la Métaphysique (II, 1, 8, 988 b 24[76]) critique ceux qui placent la matière première comme premier principe, parce qu’ils plaçaient seulement les éléments des corps, et non de ceux qui n’avaient pas de corps[77]. Donc il y a aussi l’élément des incorporels. Mais l’élément est un principe matériel. Donc les substances incorporelles aussi, comme l’Ange et l’âme, ont un principe matériel.

18. Praeterea, quod aliquid possit esse totum in toto cum omnibus partibus, videtur provenire ex eius simplicitate; in corporibus enim hoc videmus non posse accidere. Sed anima non est simplex, sed composita ex materia et forma. Ergo non est in qualibet parte corporis. Probatio mediae: philosophus in II Metaph., reprehendit ponentes materiam corporalem primum principium, quia ponebant solum elementa corporum, non corporum autem non. Est igitur etiam incorporeorum aliquod elementum. Sed elementum est materiale principium. Ergo etiam substantiae incorporeae, ut Angelus et anima, habent materiale principium.

 

19. Certains animaux coupés [continuent à ] vivre. Mais ce n’est pas dire que l’autre partie vit par toute l’âme. Donc avant le coupure toute l’âme n’était pas dans cette partie, mais une partie de l’âme.

19. Praeterea, quaedam animalia decisa vivunt. Non est autem dicere quod altera pars vivat per totam animam. Ergo nec ante decisionem tota anima erat in illa parte, sed pars animae.

 

2.0 Toute entier et parfait c’est la même chose  comme il est dit en Physique, (III, 6, 207 a 8[78]). Mais la pouvoir propre de l’âme humaine selon l’intellect n’est pas un acte d’une partie du corps. Donc l’âme n’est pas toute entière dans n’importe quelle partie du corps.

2.0 Praeterea, totum et perfectum idem est, dicitur in III Physic. Perfectum autem est quod attingit propriam virtutem, ut dicitur etiam in VI Physic. Propria autem virtus animae humanae secundum intellectum non est actus alicuius partis corporis. Non ergo anima est tota in qualibet parte corporis.

 

En sens contraire

1. Mais il y a ce que dit Augustin dans le livre (La Trinité, VI, VI, 8[79]), que l’âme est toute entière dans tout le corps, et toute entière en chacune de ses parties.

 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicit Augustinus in III de Trinit., quod anima in toto tota est, et in qualibet parte eius, tota.

 

2. Jean Damascène [La Foi orthodoxe, I, 13 – II, 3] dit que l’ange est là où il opère, l’âme à raison égale aussi. Mais l’âme opère dans n’importe quelle partie du corps, parce que n’importe quelle partie du corps se nourrit, croît et éprouve des sensations. Donc l’âme est dans n’importe quelle partie du corps.

 s. c. 2 Praeterea, Damascenus dicit, quod Angelus ibi est ubi operatur; pari ergo ratione et anima. Sed anima operatur in qualibet parte corporis, quia quaelibet pars corporis nutritur, augetur et sentit. Ergo anima est in qualibet parte corporis.

 

3. L’âme est d’un plus grand pouvoir que les formes matérielles. Mais ces dernières, comme celle du feu ou de l’air sont en n’importe quelle partie, et l’âme beaucoup plus[80].

 s. c. 3 Praeterea, anima est maioris virtutis quam formae materiales. Sed formae materiales, ut ignis aut aeris, sunt in qualibet parte; multo magis anima.

 

4. Dans le livre L’esprit et l’âme (XVIII, PL. XL 793), il est dit que l’âme par sa présence vivifie le corps. Mais n’importe quelle partie du corps est vivifiée par l’âme. Donc l’âme est présente en n’importe quelle partie du corps.

 s. c. 4 Praeterea, in libro de spiritu et anima dicitur, quod anima praesentia sua corpus vivificat. Sed quaelibet pars corporis vivificatur ab anima. Ergo anima est cuilibet parti corporis praesens.

 

Réponse[81]

La vérité de cette question dépend de ce qui a déjà été dit. Car on a montré d’abord que l’âme est unie au corps non seulement comme moteur, mais comme forme. Mais plus tard on a montré que l’âme ne présuppose pas d’autres formes substantielles dans la matière qui donnerait l’être substantiel au corps et à ses parties ; mais le corps tout entier et toutes ses parties ont un être substantiel et spécifique par l’âme, si elle s’en va de même que l’homme ne demeure ni animal, ni vivant, de même  la main, ou l’œil ou la chair ou la bouche ne demeurent que de manière équivoque, comme ce qui est peint ou fait en pierre[82]. Ainsi donc, comme tout acte est en cette partie dont elle est l’acte, il faut que l’âme qui est l’acte de tout le corps et de toutes ses parties soit dans tout le corps, et en n’importe quelle partie.

 co. Respondeo. Dicendum quod veritas huius quaestionis ex praecedentibus dependet. Ostensum est enim prius quod anima unitur corpori non solum ut motor, sed ut forma. Posterius vero ostensum est quod anima non praesupponit alias formas substantiales in materia, quae dent esse substantiale corpori aut partibus eius; sed et totum corpus et omnes eius partes habent esse substantiale et specificum per animam, qua recedente, sicut non manet homo aut animal aut vivum, ita non manet manus aut oculus aut caro aut os nisi aequivoce, sicut depicta aut lapidea. Sic igitur, cum omnis actus sit in eo cuius est actus, oportet animam, quae est actus totius corporis et omnium partium, esse in toto corpore et in qualibet eius parte

 

Mais cependant le tout se comporte pour l’âme autrement que ses parties. Car l’âme est l’acte du corps entier d’abord et par soi, et des parties par rapport au tout. Pour le démontrer il faut considérer que, comme la matière est pour la forme, il faut qu’une telle matière convienne à la forme. Dans ce qui est corruptible, les formes plus imparfaites qui sont d’une puissance plus faible, ont des opérations moins importantes, pour lesquelles la différence des parties n’est pas requise ; comme cela se voit dans tous les corps inanimés.

Sed tamen aliter se habet totum ad animam, et aliter ad partes eius. Anima enim totius quidem corporis actus est primo et per se, partium vero in ordine ad totum. Ad cuius evidentiam considerandum est, quod, cum materia sit propter formam, talem oportet esse materiam ut competit formae. In istis rebus corruptibilibus formae imperfectiores, quae sunt debilioris virtutis, habent paucas operationes, ad quas non requiritur partium dissimilitudo; sicut patet in omnibus inanimatis corporibus.

 

Mais comme l’âme est  une forme d’une puissance plus haute et plus grande, elle peut être le principe d’opérations diverses dont les différentes parties du corps demandent l’exécution. Et c'est pourquoi toute âme requiert la diversité des organes dans les parties du corps dont elle est l’acte, et plus la diversité est grande et plus l’âme aura été parfaite. Donc ainsi les formes plus petites[83] perfectionnent leur matière uniformément ; mais l’âme [perfectionne] de différentes formes, pour que par ses parties différentes se constitue l’intégrité du corps, dont d’abord l’âme est l’acte par soi.

Anima vero, cum sit forma altioris et maioris virtutis, potest esse principium diversarum operationum, ad quarum executionem requiruntur dissimiles partes corporis. Et ideo omnis anima requirit diversitatem organorum in partibus corporis cuius est actus; et tanto maiorem diversitatem, quanto anima fuerit perfectior. Sic igitur formae infimae uniformiter perficiunt suam materiam; sed anima difformiter, ut ex dissimilibus partibus constituatur integritas corporis, cuius primo et per se anima est actus.

 

Mais il reste à chercher ce qui a été dit : que toute l’âme est en tout et toute entière dans chaque partie. Pour le montrer il faut considérer qu’on trouve trois totalité.

Sed restat inquirendum quod dicitur, totam animam esse in toto, et totam in singulis partibus. Ad cuius evidentiam considerandum est quod triplex totalitas invenitur.

 

1. La première est plus évidente selon la quantité, dans la mesure où le tout, autant qu’on le dit, est destiné est à être divisé en parties quantitatives; et cette totalité ne peut être attribuée aux formes que par accident, en tant qu’elles se divisent par accident d’une division de quantité, comme le blanc par la division de la surface. Mais cela concerne seulement ces formes qui sont coextensives  à la quantité ; ce qui convient à certaines formes, parce qu’elles ont une matière semblable ou presque semblable dans le tout et dans la partie. C'est pourquoi les formes qui requièrent une grande différence dans les parties, n’ont pas d’extension de ce genre ni de totalité, comme les âmes des animaux parfaits surtout.

Prima quidem est manifestior secundum quantitatem, prout totum quantum dicitur quod natum est dividi in partes quantitatis: et haec totalitas non potest attribui formis nisi per accidens, in quantum scilicet per accidens dividuntur divisione quantitatis, sicut albedo divisione superficiei. Sed hoc est illarum tantum formarum quae coextenduntur quantitati; quod ex hoc competit aliquibus formis, quia habent materiam similem aut fere similem et in toto et in parte. Unde formae quae requirunt magnam dissimilitudinem in partibus, non habent huiusmodi extensionem et totalitatem, sicut animae, praecipue animalium perfectorum.

 

2. La seconde totalité est considérée selon la perfection de l’essence ; à cette totalité correspondent les parties de l’essence, physiquement dans les composés, la matière et la forme, soit logiquement le genre et la différence : cette perfection reçoit dans les formes accidentelles le plus et le moins, mais non dans les formes substantielles.

Secunda autem totalitas attenditur secundum perfectionem essentiae, cui totalitati etiam respondent partes essentiae, physice quidem in compositis materia et forma, logice vero genus et differentia; quae quidem perfectio in formis accidentalibus recipit magis et minus, non autem in substantialibus.

 

3. La troisième totalité dépend de la puissance. Si donc nous parlions d’une forme qui a une extension dans la matière, par exemple la blancheur, nous pourrions dire qu’elle est toute en chaque partie par la totalité de l’essence et de la puissance, mais non par la première sorte de  totalité, qui est pour elle par accident, mais sa partie dans une partie.

Tertia autem totalitas est secundum virtutem. Si ergo loqueremur de aliqua forma habente extensionem in materia, puta de albedine, possemus dicere quod est tota in qualibet parte totalitate essentiae et virtutis, non autem totalitate prima, quae est ei per accidens; sicut tota ratio speciei albedinis invenitur in qualibet parte superficiei, non autem tota quantitas quam habet per accidens, sed pars in parte

 

Mais l’âme, et surtout l’âme humaine, n’a pas d’extension dans la matière ; c'est pourquoi en elle la première totalité n’a pas place. Il reste donc que selon la totalité de l’essence on peut énoncer simplement qu’elle est toute entière dans chaque partie du corps, non selon la totalité de la puissance, parce qu’elle achève les parties de façon différente pour les différentes opérations et une certaine opération lui appartient, à savoir comprendre, qu’elle n’exécute par aucune partie du corps. C'est pourquoi si on accepte ainsi la totalité de l’âme selon la puissance, non seulement elle n’est pas toute dans chaque partie, mais elle n’est pas toute dans le tout parce que la puissance de l’âme surpasse la capacité du corps, comme on l’a dit ci-dessus.

. Anima autem, et praecipue humana, non habet extensionem in materia; unde in ea prima totalitas locum non habet. Relinquitur ergo quod secundum totalitatem essentiae simpliciter enuntiari possit esse tota in qualibet corporis parte, non autem secundum totalitatem virtutis; quia partes difformiter perficiuntur ab ipsa ad diversas operationes; et aliqua operatio est eius, scilicet intelligere, quam per nullam partem corporis exequitur. Unde sic accepta totalitate animae secundum virtutem, non solum non est tota in qualibet parte, sed nec tota in toto: quia virtus animae capacitatem corporis excedit, ut supra dictum est.

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Solutions

1. le philosophe parle ici de l’âme quant à sa puissance pour mouvoir qui est fondée en premier dans le cœur.

1. Ad primum ergo dicendum quod philosophus ibi loquitur de anima quantum ad potentiam motivam, quae primo fundatur in corde.

 

2. L’âme n’est pas  dans chaque partie du corps en premier et par soi, mais en rapport avec le tout, comme on l’a dit, et c'est pourquoi n’importe quelle partie de l’animal n’est pas l’animal.

2. Ad secundum dicendum quod anima non est in qualibet parte corporis primo et per se, sed in ordine ad totum, ut dictum est; et ideo non quaelibet pars animalis est animal.

 

3. Selon le philosophe dans le livre Le sommeil et la veille, l’action vient de celui qui a la puissance. C'est pourquoi ces puissances, dont les opérations ne sont pas de la seule âme mais de l’ensemble joint, sont dans l’organe comme dans un substrat, mais dans l’âme comme dans sa racine. Mais seules ces puissances sont dans l’âme comme dans un substrat, dont l’âme n’exécute pas par un organe du corps les opérations, qui sont cependant de l’âme selon qu’elle dépasse le corps. C'est pourquoi il n’en découle pas que dans chaque partie du corps il y a toutes les puissances de l’âme.

3. Ad tertium dicendum quod secundum philosophum in libro de somno et vigilia, cuius est potentia, eius est actio. Unde potentiae illae, quarum operationes non sunt solius animae sed coniuncti, sunt in organo sicut in subiecto, in anima autem sicut in radice. Solum autem illae potentiae sunt in anima sicut in subiecto, quarum operationes anima non per organum corporis exequitur; quae tamen sunt animae secundum quod excedit corpus. Unde non sequitur quod in qualibet parte corporis sint omnes potentiae animae.

corrr

4. Comme la forme de la maison est accidentelle, elle ne donne pas un être spécifique à chaque partie de la maison, comme l’âme le donne à chaque partie du corps, c'est pourquoi ce n’est pas pareil.

4. Ad quartum dicendum quod forma domus, cum sit accidentalis, non dat esse specificum singulis partibus domus, sicut dat anima singulis partibus corporis; et ideo non est simile.

 

5. Cette autorité n’est pas comprise de sorte que l’âme humaine s’étende selon l’extension au corps, mais parce que la quantité de l’âme virtuelle n’est pas développée dans une plus grande quantité que le corps.

5. Ad quintum dicendum quod auctoritas illa non sic intelligitur quod anima humana extendatur secundum extensionem corporis, sed quia virtualis animae quantitas non porrigitur in maiorem quantitatem quam corporis.

 

6. Toute opération est reçue d’une certaine manière comme intermédiaire entre celui qui opère et l’objet de l’opération ; ou bien réellement, comme dans ses actions qui procèdent de l’agent dans quelque chose d’extérieur à transformer, ou bien selon la manière de la comprendre, comme comprendre et vouloir etc., qui bien que ce soient des actions qui demeurent dans l’agent, comme il est dit en Métaphysique (IX, 8, 1050 a 35), sont signalées cependant au moyen d’autres actions, comme s’étendant de l’une à l’autre. Donc ainsi, quand quelqu'un dit qu’il opère ici ou là, on peut le comprendre de deux manières. 1. D’une première manière parce que le mot est déterminé par des adverbes de ce genre, par lequel l’opération sort de l’agent, et ainsi c’est vrai que l’âme opère partout là où elle est. 2. D’une autre manière, de ce côté par lequel l’opération est comprise comme se terminant à un autre, et ainsi elle n’opére pas partout où elle est ; car elle sent, et voit dans le ciel dans la mesure où elle le sent et le voit.

6. Ad sextum dicendum quod omnis operatio aliquo modo accipitur ut media inter operantem et obiectum operationis; vel realiter, sicut in illis actionibus quae procedunt ab agente in aliquod extrinsecum transmutandum; vel secundum modum intelligendi, sicut intelligere et velle et huiusmodi, quae licet sint actiones in agente manentes, ut dicitur in IX Metaph., tamen significantur per modum aliarum actionum, ut ab uno tendentes in aliud. Sic ergo, cum dicitur aliquis operari hic vel ibi, dupliciter potest intelligi. Uno modo, quod per huiusmodi adverbia determinetur verbum, ex quo operatio exit ab agente; et sic verum est quod anima ubicumque operatur, ibi est. Alio modo, ex ea parte qua operatio intelligitur terminari ad alterum; et sic non ubicumque operatur, ibi est: sic enim sentit et videt in caelo, in quantum caelum sentitur et videtur ab ea.

 

7. Quand le corps est mû l’âme se meut par accident et non par soi. Mais il n’est pas inconvenant que quelque chose en même temps soit mû et se repose par accident selon différents aspects. Mais cela ne conviendrait pas si elle se reposait et se mouvait par elle-même  en même temps.

7. Ad septimum dicendum quod anima moto corpore movetur per accidens, et non per se. Non est autem inconveniens quod aliquid simul moveatur et quiescat per accidens secundum diversa. Esset autem inconveniens, si per se simul quiesceret et moveretur.

 

8. Bien que l’âme soit l’acte de n’importe quelle partie du corps, cependant toutes les parties du corps ne sont pas achevées uniformément par elle, comme on l’a dit ; mais l’une est supérieure et plus parfaite que l’autre[84].

8. Ad octavum dicendum quod licet anima sit actus cuiuslibet partis corporis, non tamen uniformiter omnes partes corporis perficiuntur ab ea, ut dictum est; sed una altera principalius et perfectius.

 

9. On dit que l’âme est dans le corps avec un aspect déterminé, non qu’il soit la cause pour laquelle elle est dans le corps mais plutôt l’aspect du corps dépend de l’âme ; c'est pourquoi là où il n’y a pas un aspect qui convient à cette âme, elle ne peut pas être cette âme. Mais l’âme requiert une autre aspect dans tout le corps, dont elle est l’acte en premier, et un autre dans une partie, dont l’acte est en rapport avec le tout, comme on l’a dit. C'est pourquoi dans les animaux en qui l’aspect de la partie est presque conforme à l’aspect du tout, la partie reçoit l’âme comme un certain tout, c’est pourquoi, si elle est coupée elle [continue à] vivre. Cependant dans les animaux parfaits, en qui l’aspect de la partie diffère beaucoup de l’aspect du tout, la partie ne reçoit pas l’âme comme un tout et le premier perfectible pour que ce qui a été coupé vive ; cependant elle reçoit l’âme en rapport au tout, pour que ce qui est uni vive[85].

9. Ad nonum dicendum quod anima per determinatam figuram dicitur esse in corpore, non quod figura sit causa quare sit in corpore, sed potius figura corporis est ex anima; unde ubi non est figura conveniens huic animae, non potest esse haec anima. Sed aliam figuram requirit anima in toto corpore, cuius per prius est actus, et aliam in parte, cuius est actus in ordine ad totum, sicut dictum est. Unde in animalibus in quibus figura partis fere est conformis figurae totius, pars recipit animam ut quoddam totum: quare decisa vivit. In animalibus tamen perfectis, in quibus figura partis multum differt a figura totius, pars non recipit animam sicut totum et primum perfectibile ut decisa vivat; recipit tamen animam in ordine ad totum, ut coniuncta vivat.

Corrr

10. L’Ange est accouplé au corps céleste qu’il meut, non comme une forme mais comme un moteur ; c'est pourquoi ce n’est pas pareil pour lui et pour l’âme qui est la forme du tout et de chacune des parties.

10 Ad decimum dicendum quod Angelus comparatur ad corpus caeleste quod movet, non sicut forma, sed sicut motor; unde non est simile de ipso et de anima, quae est forma totius et cuiuslibet partis.

 

11. Si l’œil était dans le pied, là serait la puissance visuelle, parce que cette puissance est l’acte de tel organe animé. Mais si on retire l’organe, l’âme y demeure mais cependant sans la puissance visuelle.

11. Ad undecimum dicendum quod si esset oculus in pede, esset ibi potentia visiva, quia haec potentia est actus talis organi animati. Remoto autem organo, remanet ibi anima, non tamen potentia visiva.

 

12. La croissance ne se fait pas sans mouvement local, comme le dit le philosophe Physique (IV 1, 209 a 28 – 6, 213 b 4) : c'est pourquoi lorsque l’enfant a grandi, de même qu’une partie du corps commence à exister là où par soi elle n’était pas auparavant, de même l’âme [l’âme commence à exister] par accident et par son changement en tant qu’elle est mue par accident quand le corps est mû.

12. Ad duodecimum dicendum quod augmentum non fit sine motu locali, ut dicit philosophus IV Physic.; unde augmentato puero, sicut aliqua pars corporis incipit esse per se ubi prius non erat, ita anima per accidens, et per transmutationem suam, in quantum per accidens movetur moto corpore.

 

13. Le corps organique est perfectible par l’âme en premier et par soi : mais chaque organe et les parties d’organes sont perfectibles, comme dans l’ordre au tout, comme il a été dit.

13. Ad decimumtertium dicendum quod corpus organicum est perfectibile ab anima primo et per se; singula autem organa et organorum partes, ut in ordine ad totum, sicut dictum est.

 

14. Mais ma chair avec ta chair se conviennent plus selon la nature de l’espèce, que ma chair avec mon os ; mais selon l’analogie pour le tout et inversement ; car ma chair et mon os peuvent être en rapport à un seul tout à constituer, non ma chair et ta chair.

14. Ad decimumquartum dicendum quod caro mea cum carne tua magis convenit secundum rationem speciei, quam caro mea cum osse meo; sed secundum analogiam ad totum e converso. Nam caro mea et os meum possunt ordinari ad unum totum constituendum, non autem caro mea et caro tua.

 

15. Une fois une partie coupée, il n’en découle pas que l’âme est enlevée, ou qu’elle soit déplacée dans une autre partie, à moins qu’on pense que l’âme serait dans cette seule partie, mais il en découle que cette partie cesse d’être achevée par l’âme du tout.

15. Ad decimumquintum dicendum quod praecisa parte non sequitur quod auferatur anima, vel quod ad aliam partem transmutetur, nisi poneretur quod in illa sola parte anima esset; sed sequitur quod illa pars desinat perfici ab anima totius.

 

16. L’âme n’est pas indivisible, comme le point qui a une place dans le continu, ce serait contre sa nature d’être dans un lieu divisible. Mais l’âme est indivisible par abstraction de tout genre du ‘continu’ ; c'est pourquoi ce n’est pas contre sa nature si elle est dans un tout quelconque divisible.

16. Ad decimumsextum dicendum quod anima non est indivisibilis ut punctum habens situm in continuo, contra cuius rationem esset in loco divisibili esse. Sed anima est indivisibilis per abstractionem a toto genere continui; unde non est contra eius rationem si sit in aliquo divisibili toto.

 

17. Du fait que l’âme est indivisible, il en découle qu’elle n’a pas de totalité quantitative. Et ce n’est pas à cause de cela qu’on accorde qu’il y ait en elle la totalité de la quantité : car il y a en elle la totalité selon la nature de l’essence, comme on l’a dit.

17. Ad decimumseptimum dicendum quod anima ex hoc quod est indivisibilis, sequitur quod non habeat totalitatem quantitatis. Nec propter hoc relinquitur quod sit in ea sola totalitas potentiarum: est enim in ea totalitas secundum essentiae rationem, ut dictum est.

 

18. Dans ce livre le philosophe tend à chercher les principes de tous les étants, non seulement principes matériels, mais aussi formels, efficients et finaux. Et c'est pourquoi il réfute les anciens naturalistes, qui plaçaient telle cause matérielle, qui n’a pas place dans les choses incorporelles, et ainsi ils ne pouvaient pas placer les principes de tous les êtres. Donc il ne tend pas à dire qu’il y a un élément matériel des choses incorporelles, mais que sont à blâmer ceux qui ont négligé les principes des choses incorporelles, plaçant une cause matérielle seulement.

18. Ad decimumoctavum dicendum quod philosophus in libro illo intendit inquirere de principiis omnium entium, non solum materialibus, sed etiam formalibus et efficientibus et finalibus. Et ideo redarguuntur ab ipso antiqui naturales, qui posuerunt tantum causam materialem, quae non habet locum in rebus incorporalibus; et sic non poterant ponere principia omnium entium. Non ergo intendit dicere quod sit aliquod elementum materiale rerum incorporalium; sed quod illi sunt reprehendendi qui principia rerum incorporalium neglexerunt, ponentes causam materialem tantum.

 

19. Dans ces animaux qui une fois coupé [en deux] continuent à vivre, il y a une seule âme en acte et plusieurs en puissance. Par la coupure elles sont ramenées à l’acte de la pluralité, comme cela arrive dans toutes les formes qui ont une extension dans la matière.

19. Ad decimumnonum dicendum quod in illis animalibus quae decisa vivunt, est una anima in actu, et multae in potentia. Per decisionem autem reducuntur in actum multitudinis, sicut contingit in omnibus formis quae habent extensionem in materia.

 

2.0. Quand on dit que l’âme est toute entière dans chacune des parties, on accepte le tout et le parfait selon la nature de l’essence et non selon la nature de la puissance ou du pouvoir, comme on voit par ce qui a été dit plus haut.

2.0 Ad vicesimum dicendum quod cum dicitur anima esse tota in qualibet parte, accipitur totum et perfectum secundum rationem essentiae, et non secundum rationem potentiae seu virtutis, ut ex supradictis patet.

 

 

Article 5 : Existe-t-il quelque substance spirituelle créée non unie à un corps. Quinto quaeritur utrum aliqua substantia spiritualis creata sit non unita corpori.

 

Il semble que non[86].

Et videtur quod non.

 

Objections

1. Car Origène dit dans le Periarchon (IV, PG. XI, 170) : «  Le propre de Dieu seul, c'est-à-dire du Père, du Fils et de l’Esprit saint, est qu’on comprend qu’il existe sans aucune adjonction corporelle en participation». Donc aucune substance spirituelle créée ne peut être unie à un corps.

1. Dicit enim Origenes in I periarchon: solius Dei, id est patris et filii et spiritus sancti, proprium est ut absque ulla corporea societatis adiectione intelligatur existere. Nulla ergo substantia spiritualis creata potest esse corpori non unita.

 

2. Le pape Paschase dit que les [êtres] spirituels sans corps ne peuvent pas subsister. Donc il n’est pas possible que les substances spirituelles ne soient pas unies à un corps.

2. Praeterea, Paschasius Papa dicit quod spiritualia sine corporalibus subsistere non possunt. Non est ergo possibile spirituales substantias non unitas corporibus esse.

 

3. Bernard (Sur le Cantique, sermon 5, PL CLXXX, 800) dit : « Il est évident que tout esprit créé a besoin de l’aide d’un corps». Il est clair aussi que, comme la nature ne fait pas défection dans ce qui est nécessaire, Dieu fait défection beaucoup moins, Donc on ne trouve pas d’esprit créé sans corps.

3. Praeterea, Bernardus super canticum inquit: liquet omnem spiritum creatum corporeo indigere solatio. Manifestum est autem quod cum natura non deficiat in necessariis, multo minus deficit Deus. Non ergo spiritus creatus sine corpore invenitur.

 

4. Si une substance spirituelle créée est entièrement séparée d’un corps il est nécessaire qu’elle soit au-dessus du temps ; car le temps ne va pas au-delà des [êtres] corporels. Mais les substances spirituelles créées ne sont pas entièrement au-dessus du temps. Comme en effet elles ont été créées de rien, et par conséquence qu’elles commencent par le non être, il est nécessaire qu’elles puissent changer, pour pouvoir retomber dans le non être à moins qu’elles ne soient contenues par un autre. Mais ce qui peut retourner au non être, n’est pas tout à fait au-dessus du temps ; car il peut être dans un temps et ne pas y être dans un autre. Donc il n’est pas possible que des substances créées soient sans corps.

4. Praeterea, si aliqua substantia spiritualis creata est omnino corpori non unita, necesse est quod sit supra tempus; tempus enim corporalia non excedit. Sed substantiae spirituales creatae non omnino sunt supra tempus. Cum enim ex nihilo creatae sint, et per consequens a non esse incipiant, necesse est eas vertibiles esse, ut possint deficere in non esse, nisi ab alio continerentur. Quod autem potest in non esse deficere, non omnino est supra tempus; potest enim nunc esse, et in alio nunc non esse. Non est ergo possibile aliquas creatas substantias absque corporibus esse.

 

5. Les Anges assument certains corps. Mais le corps assumé par un ange est mû par lui. Donc comme être mû localement présuppose la sensation et la vie, comme on le voit dans L’âme, (II, 2 et 3), il semble que les corps assumés par les anges sentent et vivent et ainsi qu’ils soient naturellement unis à des corps ; [alors que] cependant il semble qu’ils sont tout à fait  libérés des corps. Donc il n’y a aucune substance spirituelle créée qui ne soit pas unie à un corps.

5. Praeterea, Angeli corpora quaedam assumunt. Corpus autem assumptum ab Angelo, movetur ab eo. Cum igitur moveri secundum locum praesupponat sentire et vivere, ut patet in II de anima, videtur quod corpora assumpta ab Angelis sentiant et vivant, et ita sint corporibus naturaliter uniti de quibus tamen maxime videtur quod sint a corporibus absoluti. Nulla ergo spiritualis substantia creata est corpori non unita.

 

6. L’ange est naturellement plus parfait que l’âme. Mais ce qui vit et donne la vie, est plus parfait que ce qui vit seulement. Donc comme l’âme vit et donne la vie à un corps par le fait qu’elle est sa forme, il semble que l’ange, bien plus non seulement vit, mais il est aussi uni à un corps à qui il donne la vie et ainsi de même que plus haut.

6. Praeterea, Angelus naturaliter est perfectior quam anima. Perfectius autem est quod vivit et dat vitam, quam illud quod vivit tantum. Cum igitur anima vivat, et det vitam corpori per hoc quod est forma eius, videtur quod multo fortius Angelus non solum vivat, sed etiam uniatur alicui corpori cui det vitam; et sic idem quod prius.

 

7. Il est clair que les anges connaissent les singuliers, autrement ce serait en vain qu’ils seraient destinés à la garde des hommes. Mais il ne peuvent pas connaître les singuliers par les formes universelles, parce qu’ainsi leur connaissance se comporterait de manière égale pour le passé et le futur, alors que cependant connaître le futur appartient à Dieu seul. Donc les anges connaissent les choses particulières par des formes particulières, qui requièrent des organes corporels unis à ceux en qui elles sont reçues. Donc les anges ont des organes corporels unis à eux et ainsi aucune substance créée ne semble être tout à fait libérée d’un corps.

7. Praeterea, manifestum est quod Angeli singularia cognoscunt; alioquin frustra hominibus in custodiam deputarentur. Non possunt autem singularia cognoscere per formas universales: quia sic aequaliter se haberet eorum cognitio ad praeteritum et futurum, cum tamen futura cognoscere solius Dei sit. Cognoscunt igitur Angeli singularia per formas particulares, quae requirunt organa corporalia sibi unita in quibus recipiantur. Ergo Angeli habent organa corporalia sibi unita; et sic nullus spiritus creatus videtur esse omnino a corpore absolutus.

 

8. Le principe d’individualisation est la matière. Mais les anges sont des individus, autrement ils n’auraient pas leurs propres actions ; car agir est le propre des individus. Donc comme ils n’ont pas de matière d’origine, comme on l’a dit ci-dessus, il semble qu’ils ont une matière en laquelle ils sont, c'est-à-dire des corps auxquels ils sont unis.

8. Praeterea, principium individuationis est materia. Angeli autem sunt quaedam individua, alioquin non haberent proprias actiones; agere enim particularium est. Cum igitur non habeant materiam ex qua sint, ut supra dictum est, videtur quod habeant materiam in qua, scilicet corpora quibus uniuntur.

 

9. Comme les esprits créés sont des substances finies, il est nécessaire qu’ils soient dans un genre et une espèce déterminés. Donc il faut trouver en eux la nature universelle de l’espèce. Mais par cette nature universelle ils n’ont pas ce qui les individualisent. Donc il faut qu’il y ait quelque chose d’ajouté par quoi ils sont individualisés. Mais cela ne peut pas être quelque chose de matériel, qui pénètre la composition de l’ange, puisqu’ils sont des substances immatérielles, comme on l’a dit ci-dessus. Donc il est nécessaire d’ajouter une matière corporelle, par laquelle ils sont individualisés et ainsi de même que ci-dessus.

9. Praeterea, cum spiritus creati sint substantiae finitae, necesse est quod sint in determinato genere et specie. Est igitur in eis invenire naturam universalem speciei. Ex ipsa autem natura universali non habent quod individuentur. Ergo oportet esse aliquid additum per quod individuentur. Hoc autem non potest esse aliquid materiale, quod intret compositionem Angeli, cum Angeli sint immateriales substantiae, ut supra dictum est. Necesse est ergo quod addatur eis aliqua materia corporalis, per quam individuantur; et sic idem quod prius.

 

10. Les substances spirituelles créées ne sont pas matière seulement, parce qu’ainsi elles seraient en puissance seulement, et n’auraient aucune action, et en plus elles ne seraient pas composées de matière et de forme, comme on l’a montré plus haut. Il reste donc qu’elles sont des formes seulement. Mais il est de la nature de la forme qu’elle soit l’acte de la matière à laquelle elle est unie. Donc il semble que les substance spirituelles créées sont unies à la matière d’un corps.

10 Praeterea, substantiae spirituales creatae non sunt materia tantum, quia sic essent in potentia solum, et non haberent aliquam actionem; nec iterum sunt compositae ex materia et forma, ut supra ostensum est. Relinquitur igitur quod sint formae tantum. De ratione autem formae est quod sit actus materiae cui unitur. Videtur ergo quod spirituales substantiae creatae uniantur materiae corporali.

 

11. Le jugement est semblable pour ce qui est semblable. Mais quelques substances spirituelles créées sont unies à des corps. Donc toutes.

11. Praeterea, de similibus simile est iudicium. Sed aliquae spirituales substantiae creatae sunt unitae corporibus. Ergo omnes.

 

En sens contraire

1Denys (Les Noms divins, IV, lectio 1, 693 C) dit que les anges n’ont ni corps ni matière.

 s. c. 1 Sed contra. Est quod Dionysius dicit in IV cap. de Div. Nom., quod Angeli sunt incorporales et immateriales.

 

2. Selon le philosophe (Physique,VIII, 5, 256 b 20[87]), si deux choses se trouvent jointes, dont l’une peut être trouvée sans l’autre, il faut les trouver l’une sans l’autre. Car on trouve un moteur mû, c'est pourquoi si quelque chose est mû et non moteur, on trouve aussi  un moteur non mû. Mais on trouve quelque chose de composé de substance corporelle et spirituelle. Donc comme on trouve un corps sans esprit, il semble qu’on peut trouver quelque esprit sans corps.

 s. c. 2 Praeterea, secundum philosophum in VIII Physic., si aliqua duo inveniuntur coniuncta, quorum unum sine altero inveniri potest, oportet et alterum sine altero inveniri. Invenitur enim aliquid movens motum; unde si aliquid est motum non movens, invenitur etiam aliquid movens non motum. Sed invenitur aliquid compositum ex substantia corporali et spirituali. Cum igitur inveniatur aliquod corpus sine spiritu, videtur quod aliquis spiritus inveniri possit corpori non unitus.

 

3. Richard de Saint Victor (La Trinité, III, 9 PL. CXCVI, 921) argumente ainsi : En Dieu on trouve plusieurs personnes dans une seule nature. Mais dans les choses humaines [on trouve] une seule personne dans deux natures ; à savoir l’âme et le corps. Donc on trouve un intermédiaire, à savoir ce qui serait une seule personne dans une seule nature, ce qui n’existerait pas, si la nature spirituelle était unie à un corps[88].

 s. c. 3 Praeterea, Richardus de s. Victore sic argumentatur. In divinis plures inveniuntur personae in una natura. In rebus autem humanis una persona in duabus naturis, scilicet anima et corpore. Ergo et invenitur medium, scilicet quod sit una persona in una natura: quod non esset, si natura spiritualis corpori uniretur.

 

4. L’ange est dans un corps assumé. Donc si un autre corps lui était uni naturellement, il en découlerait que deux corps seraient ensemble dans un même [être], ce qui est impossible. Donc il y a des substances spirituelles créées qui sont sans corps uni naturellement à eux.

 s. c. 4 Praeterea, Angelus est in corpore assumpto. Si ergo corpus aliud sibi naturaliter uniretur, sequeretur quod duo corpora simul essent in eodem; quod est impossibile. Sunt ergo aliquae spirituales substantiae creatae non habentes corpora naturaliter sibi unita.

 

Réponse

Parce que notre connaissance commence par les sens, et que la sensation est pour ce qui est corporel, au commencement les hommes qui cherchaient la vérité ne purent saisir  seulement que  la nature corporelle, en tant que les premiers philosophes naturalistes pensaient qu’il n’existait que des corps ; c'est pourquoi ils disaient que l’âme était un corps. Les hérétiques manichéens semblent les avoir suivis, eux qui pensaient que Dieu était une certaine lumière corporelle étendue sur d’infinis espaces. Ainsi aussi les Anthropomorphites[89] qui ajoutaient que Dieu était figuré avec les traits d’un corps humain, considéraient qu’il n’existait rien que des corps.

 co. Respondeo. Dicendum quod quia nostra cognitio a sensu incipit, sensus autem corporalium est, a principio homines de veritate inquirentes solum naturam corpoream capere potuerunt, in tantum quod primi naturales philosophi nihil esse nisi corpora aestimabant; unde et ipsam animam corpus esse dicebant. Quos etiam secuti videntur Manichaei haeretici, qui Deum lucem quamdam corpoream per infinita distensam spatia esse existimabant. Sic etiam et Anthropomorphitae, qui Deum lineamentis humani corporis figuratum esse astruebant, nihil ultra corpora esse suspicabantur.

 

Mais les philosophes suivants, transcendant rationnellement par l’esprit ce qui est corporel, parvinrent à la connaissances des substances incorporelles. Parmi eux Anaxagore le premier parce qu’il plaçait par principe que tous les corps étaient mêlés entre eux, il fut forcé de placer au-dessus de ce qui corporel un être incorporel sans mélange, qui distinguerait ce qui est corporel et le mettrait en mouvement. Nous l’appelons Dieu. Platon a suivi un autre chemin pour placer des substances incorporelles. Car il a pensé qu’avant tout être participant, il est nécessaire de placer quelque chose d’abstrait et de participé. C'est pourquoi comme tous les corps sensibles participent à ce qui leur est attribué, à savoir la nature des genres et des espèces, et autres universellement, d’après ses paroles, il a placé des natures de ce genre abstraites du sensible et subsistantes par soi, qu’il appelait les substances séparées.

Sed posteriores philosophi rationabiliter per intellectum corporalia transcendentes, ad cognitionem incorporeae substantiae pervenerunt. Quorum Anaxagoras primus, quia ponebat a principio omnia corporalia invicem esse immixta, coactus fuit ponere supra corporalia aliquod incorporeum non mixtum, quod corporalia distingueret et moveret. Et hoc vocabat intellectum distinguentem et moventem omnia, quem nos dicimus Deum. Plato vero est alia via usus ad ponendum substantias incorporeas. Existimavit enim quod ante omne esse participans, necesse est ponere aliquid abstractum participatum. Unde cum omnia corpora sensibilia participent ea quae de ipsis praedicantur, scilicet naturas generum et specierum et aliorum universaliter de ipsis dictorum, posuit huiusmodi naturas abstractas a sensibilibus per se subsistentes, quas substantias separatas nominabat.

 

Aristote (Métaphysique, XII, 8, 1073 a) a progressé : il a pensé qu’il existait des substances séparées par la perpétuité du mouvement céleste. Car il faut penser que les mouvements célestes ont une finalité. Mais si la fin d’un mouvement ne se comporte pas toujours de la même manière, mais est mû par soi ou par accident, il est nécessaire que ce mouvement ne se comporte pas toujours uniformément, c'est pourquoi le mouvement naturel des corps lourds et légers devient plus intense, quand il approche de cet état : ‘être dans son lieu propre’. Mais nous voyons dans les mouvements des corps célestes que toujours l’uniformité est conservée ; à partir de là il a pensé à la perpétuité de ce mouvement uniforme. Donc il fallait penser que la fin de ce moteur n’est pas d’être mû, ni par soi, ni par accident. Mais tout corps ou ce qui est dans un corps est mobile par soi ou par accident. Ainsi donc il a été nécessaire de placer une substance tout à fait séparée du corps, qui est la finalité du mouvement céleste.

Aristoteles vero processit ad ponendum substantias separatas ex perpetuitate caelestis motus. Oportet enim caelestis motus aliquem finem ponere. Si autem finis alicuius motus non semper eodem modo se habeat, sed moveatur per se vel per accidens, necesse est illum motum non semper uniformiter se habere; unde motus naturalis gravium et levium magis intenditur cum appropinquat ad hoc quod est esse in loco proprio. Videmus autem in motibus caelestium corporum semper uniformitatem servari; ex quo existimavit huius uniformis motus perpetuitatem. Oportebat igitur ut poneret finem huius motus non moveri nec per se nec per accidens. Omne autem corpus vel quod est in corpore, mobile est per se vel per accidens. Sic ergo necessarium fuit quod poneret aliquam substantiam omnino a corpore separatam, quae esset finis motus caelestis.

 

A ce sujet on voit que ces trois opinions, dont on a parlé, sont diffèrentes, Anaxagore n’a  considéré comme nécessaire de poser selon les principes qu’il avait supposés qu’une seule substance incorporelle. Mais Platon a considéré comme nécessaire d’en placer beaucoup et ordonnées entre elles, selon la pluralité et l’ordre des genres, des espèces et autres, qu’il pensait abstraits, car il a placé un premier abstrait, qui serait essentiellement bon et unique et par la suite différentes ordres d’intelligibles et d’intellects. Mais Aristote a placé plusieurs substance séparées. En effet comme dans le ciel apparaissent de nombreux mouvements, dont il pensait que n’importe lequel était uniforme, et perpétuel, mais il fallait que leur mouvement soit une fin propre, par laquelle la fin d’un tel mouvement doit être est une substance incorporelle, la conséquence en a été  qu’il a placé de nombreuses substances incorporelles ordonnées entre elles, selon la nature et l’ordre des mouvements célestes. Et il n’est pas allé au-delà en les plaçant, parce que c’est le propre de sa philosophie de ne pas s’éloigner de ce qui évident.

In hoc autem videtur tres praedictae positiones differre, quod Anaxagoras non habuit necesse ponere secundum principia ab eo supposita nisi unam substantiam incorpoream. Plato autem necesse habuit ponere multas et ad invicem ordinatas, secundum multitudinem et ordinem generum et specierum et aliorum, quae abstracta ponebat; posuit enim primum abstractum, quod essentialiter esset bonum et unum, et consequenter diversos ordines intelligibilium et intellectuum. Aristoteles autem posuit plures substantias separatas. Cum enim in caelo appareant multi motus, quorum quemlibet ponebat esse uniformem et perpetuum; cuiuslibet autem motus oportet esse aliquem proprium finem, ex quo finis talis motus debet esse substantia incorporea, consequens fuit ut poneret multas substantias incorporeas ad invicem ordinatas secundum naturam et ordinem caelestium motuum. Nec ultra in eis ponendis processit, quia proprium philosophiae eius fuit a manifestis non discedere.

 

Mais ces voies ne sont pas pour nous très appropriées parce que nous ne pensons pas qu’il y ait le mélange des sensibles avec Anaxagore, ni l’abstrait des universels avec Platon, ni la perpétuité du mouvement avec Aristote. C'est pourquoi il faut que nous procédions pas d’autres chemins pour éclairer notre propos.

Sed istae viae non sunt nobis multum accommodae: quia neque ponimus mixtionem sensibilium cum Anaxagora, neque abstractionem universalium cum Platone, neque perpetuitatem motus cum Aristotele. Unde oportet nos aliis viis procedere ad manifestationem propositi.

 

1. Il apparaît qu’il y a des substances tout à fait sans corps de par la perfection de l’univers.  Car telle semble être la perfection de l’univers, qu’il ne lui manque aucune nature qui a la possibilité d’exister, c’est pour cela que les choses particulières sont dites bonnes, mais tout l’ensemble très bon (Genèse, 1). Il est évident que s’il y a deux choses, dont l’une ne dépend pas de l’autre, selon sa propre nature, il est possible de la trouver sans l’autre ; ainsi l’animal selon sa nature ne dépend pas de la rationalité; c'est pourquoi il est possible de trouver des animaux sans raison. Il est aussi de la nature de la substance qu’elle subsiste par soi, ce qui ne dépend en aucune manière de la nature du corps, puisque pour cette nature il y a des accidents : à savoir les dimensions, elle regarde d’une certaine manière ce par quoi sa subsistance n’est pas causée. Il reste donc que, après Dieu qui n’est contenu dans aucune genre, on  trouve dans le genre de la substance des substances sans corps.

Primo igitur apparet esse aliquas substantias omnino a corporibus absolutas ex perfectione universi. Talis enim videtur esse universi perfectio, ut non desit ei aliqua natura quam possibile sit esse; propter quod singula dicuntur bona, omnia autem simul valde bona. Manifestum est autem quod si aliqua duo sunt, quorum unum ex altero non dependeat secundum suam rationem, possibile est illud sine alio inveniri: sicut animal secundum suam rationem non dependet a rationali; unde possibile est inveniri animalia non rationalia. Est autem de ratione substantiae quod per se subsistat; quod nullo modo dependet a corporis ratione, cum ratio corporis quaedam accidentia, scilicet dimensiones, aliquo modo respiciat, a quibus non causatur subsistere. Relinquitur igitur quod post Deum, qui non continetur in aliquo genere, inveniantur in genere substantiae aliquae substantiae a corporibus absolutae.

 

2. On peut faire la même constatation  dans l’ordre des choses, qui se trouve être tel qu’on ne parvient d’un extrême à un autre que par des intermédiaires ; ainsi on trouve immédiatement du feu sous le corps céleste, sous lequel il y a l’air, sous lequel il y a l’eau sous laquelle il y a la terre, d’après l’enchaînement de la noblesse et de la subtilité de ces corps. Mais il y a au tout sommet des choses ce qui est un et simple, de toutes les manières et qui est Dieu. Donc il n’est pas possible que sous Dieu on place immédiatement la substance corporelle, qui est tout à fait composée et divisible. Mais il faut placer beaucoup d’intermédiaires, par lesquels on en vient de la simplicité divine suprême à la pluralité corporelle. Les intermédiaires sont des substances incorporelles non unies à des corps, mais certaines des substance incorporelles sont unies à des corps.

2. Secundo potest idem considerari ex ordine rerum, qui talis esse invenitur ut ab uno extremo ad alterum non perveniatur nisi per media: sicut sub corpore caelesti invenitur immediate ignis, sub quo aer, sub quo aqua, sub quo terra, secundum scilicet consequentiam nobilitatis et subtilitatis horum corporum. Est autem in summo rerum vertice id quod est omnibus modis simplex et unum, scilicet Deus. Non igitur possibile est quod immediate sub Deo collocetur corporalis substantia, quae est omnino composita et divisibilis. Sed oportet ponere multa media per quae deveniatur a summa simplicitate divina ad corpoream multiplicitatem; quorum mediorum aliqua sunt substantiae incorporeae corporibus non unitae, aliqua vero substantiae incorporeae corporibus unitae.

 

3. La même chose apparaît par les propriétés de l’intellect. Car il est clair que comprendre est une opération qui ne peut pas se faire par le corps, comme c’est prouvé dans L’âme, (III, 4, 429 ab). C'est pourquoi il faut que la substance dont c’est l’opération, ait un être qui ne dépende pas du corps, mais qu’elle soit élevée au-dessus de lui ; en effet chaque chose opère de la manière dont elle existe. Donc si quelque substance intelligente[90] est unie à un corps, cela ne sera pour lui en tant qu’il est intelligent, mais selon quelque chose d’autre ; comme on a dit ci-dessus, qu’il est nécessaire que l’âme humaine soit unie à un corps, en tant qu’elle a besoin des opérations exercées par lui pour compléter l’opération intellectuelle, dans la mesure où elle comprend en abstrayant des images. Cela arrive à l’opération intellectuelle, et il convient à son imperfection, qu’elle tire sa connaissance seulement de ce qui est intelligible en puissance ; ainsi l’imperfection de la vue de la chouette nécessite qu’elle voit dans le noir. Ce qui est joint par accident à quelque chose  ne se trouve pas avec lui dans tous les cas. Il faut aussi qu’avant qu’il y ait  quelque chose d’imparfait dans un genre, on trouve ce qui est parfait dans ce genre[91] ; parce que le parfait est par nature avant l’imparfait, comme l’acte avant le puissance. Il reste donc qu’il faut placer des substances incorporelles, qui ne soient pas unies à un corps, sans qu’elles n’aient besoin d’un corps pour leur opération intellectuelle.

3. Tertio, apparet idem ex proprietate intellectus. Manifestum est enim quod intelligere est operatio quae per corpus fieri non potest, ut probatur in III de anima. Unde oportet quod substantia cuius est haec operatio, habeat esse non dependens a corpore, sed supra corpus elevatum; sicut enim est unumquodque, ita operatur. Si ergo aliqua substantia intelligens corpori uniatur, hoc non erit ei in quantum est intelligens, sed secundum aliquid aliud; sicut supra dictum est, quod necessarium est, animam humanam uniri corpori, in quantum indiget operationibus per corpus exercitis ad complementum intellectualis operationis, prout intelligit a phantasmatibus abstrahendo. Quod quidem accidit intellectuali operationi, et pertinet ad imperfectionem ipsius, ut ex his quae sunt intelligibilia solum in potentia scientiam capiat; sicut est de imperfectione visus vespertilionis, quod necesse habeat videre in obscuro. Quod autem per accidens adiungitur alicui, non in omnibus cum eo invenitur. Oportet etiam quod ante esse imperfectum in aliquo genere, inveniatur id quod est perfectum in genere illo; quia perfectum est naturaliter prius imperfecto, sicut actus potentia. Relinquitur igitur quod oportet ponere aliquas substantias incorporeas corpori non unitas, utpote non indigentes aliquo corpore ad intellectualem operationem.

 

Solutions

1. Sur ce sujet il ne faut pas recevoir l’autorité d’Origène, parce qu’il parle de beaucoup de choses erronées en suivant les opinions des anciens philosophes.

1. Ad primum ergo dicendum quod in hoc non est auctoritas Origenis recipienda; quia multa in illo libro erronee loquitur, sequens opiniones antiquorum philosophorum.

 

2. Paschaise parle des choses spirituelles[92] qui sont en liaison avec des choses temporelles. Par leur vente et leur achat on comprend que des choses spirituelles sont achetées ou vendues. Car les droits spirituels ou les consécrations ne subsistent pas séparément par elles-mêmes, par les choses corporelles ou temporelles qui leur sont attachées.

2. Ad secundum dicendum quod Paschasius loquitur de spiritualibus quibus sunt annexa temporalia, cum quorum venditione vel emptione ipsa spiritualia emi vel vendi intelliguntur. Iura enim spiritualia vel consecrationes non per se seorsum subsistunt a corporalibus vel temporalibus, quae eis annectuntur.

 

3. Tout esprit créé a besoin de l’aide d’un corps; certains pour eux, comme l’âme raisonnable, d’autres pour nous comme les anges, qui nous apparaissent dans des corps assumés.

3. Ad tertium dicendum quod omnis spiritus creatus indiget solatio corporeo: quidam propter se, ut anima rationalis; quidam propter nos, ut Angeli qui in corporibus assumptis nobis apparent.

 

4. On pense que les substances spirituelles créées, quant à leur être sont mesurées par l’aevum[93], bien que leur mouvement soit mesuré par le temps, selon ce mot d’Augustin (La Genèse au sens litt. VIII, 22, 43), que Dieu meut la créature spirituelle par le temps. Mais dire qu’elles peuvent retourner au non être, ne convient pas à une puissance qui existe par elles, mais à la puissance de l’agent. Car de même qu’avant qu’elles existent, elles pouvaient exister par le seule puissance de l’agent, de même quand elles existent, elles peuvent ne pas être par la seule puissance de Dieu, qui peut retirer la main qui les conserve. Mais en elles il n’y a aucune puissance au non être, de même qu’elles sont mesurées par le temps, comme celles qui peuvent être mues. Bien qu’elles ne soient pas mues, cependant elles sont mesurées par le temps.

4. Ad quartum dicendum quod substantiae spirituales creatae quantum ad suum esse ponuntur mensurari aevo, licet eorum motus tempore mensurentur, secundum illud Augustini, IV super Gen. ad litteram, quod Deus movet creaturam spiritualem per tempus. Quod autem dicitur quod possint verti in non esse, non pertinet ad aliquam potentiam in eis existentem, sed ad potentiam agentis. Sicut enim antequam essent, poterant esse per solam potentiam agentis, ita cum sunt possunt non esse per solam potentiam Dei, qui potest subtrahere manum conservantem. In eis vero nulla est potentia ad non esse, ut sic tempore mensurentur, sicut quae possunt moveri. Licet autem non moveantur, tamen tempore mensurantur.

 

5. Etre mû localement par un mouvement intrinsèque et joint, présuppose la sensation et la vie. Mais ainsi les corps ne sont pas mus par des corps assumés par les anges. C’est pourquoi la raison n’est pas valable.

5. Ad quintum dicendum quod moveri secundum locum a movente intrinseco et coniuncto, praesupponit sentire et vivere. Sic autem non moventur corpora ab Angelis assumpta. Unde ratio non sequitur.

 

6. Vivre et donner la vie effectivement est plus noble que vivre seulement ; mais donner la vie formellement cela est d’une substance plus basse que ce qui vit en subsistant par soi sans corps. Car l’être de cette substance intellectuelle qui est la forme du corps est plus petit et plus près d’une nature corporelle, en tant qu’elle peut lui être communiquée.

6. Ad sextum dicendum quod vivere et dare vitam effective, nobilius est quam vivere tantum. Sed dare vitam formaliter, hoc est ignobilioris substantiae quam ea quae vivit per se subsistendo sine corpore. Esse enim illius intellectualis substantiae quae est forma corporis, est magis infimum et affine corporeae naturae, in tantum ut possit ei communicari.

 

7. Les anges connaissent les formes particulières par les formes universelles qui sont les images des raisons idéales par lesquelles Dieu connaît les universels et les particuliers. Et cependant il faut qu’ils connaissent les futurs particuliers, qui n’ont pas encore participé à la matière et à la forme, qui est représentée par les espèces de l’intellect angélique. Mais il en est autrement de l’intellect divin établi dans un présent éternel, il voit la totalité du temps d’un simple regard.

7. Ad septimum dicendum quod Angeli cognoscunt particularia per formas universales quae sunt similitudines rationum idealium, quibus Deus et universalia et singularia cognoscit. Nec tamen oportet quod cognoscant singularia futura, quae nondum participaverunt materiam et formam, quae repraesentatur per species intellectus angelici. Secus est autem de intellectu divino, qui in nunc aeternitatis constitutus, totum tempus uno intuitu circumspicit.

 

8. Il faut dire que la matière est le principe d’individualisation en tant qu’elle est destinée à être reçue dans un autre. Mais les formes qui sont destinées à être reçues dans un autre, ne peuvent pas être individualisées par elles-mêmes, parce que, autant qu’il en est de sa nature, il est indifférent pour ceux qui sont reçus dans un ou dans beaucoup. Mais s’il existe une forme qui ne peut pas être reçue en quelque chose par cela même elle a son individuation, parce qu’elle ne peut pas être en plusieurs, mais elle demeure seule en elle-même. C’est pourquoi Aristote (Métaphysique VII, 14 1039 a 30) démontre contre Platon que si les formes des choses sont abstraites, il faut qu’elles soient singulières.

8. Ad octavum dicendum quod materia est individuationis principium, in quantum non est nata in alio recipi. Formae vero, quae natae sunt recipi in aliquo subiecto, de se individuatae esse non possunt; quia quantum est de sui ratione, indifferens est eis quod recipiantur in uno vel pluribus. Sed si aliqua forma sit quae non sit in aliquo receptibilis, ex hoc ipso individuationem habet, quia non potest in pluribus esse, sed ipsa sola manet in seipsa. Unde Aristoteles, in VII Metaph., contra Platonem arguit, quod si formae rerum sint abstractae, oportet quod sint singulares.

 

9. Dans les composés de matière et de forme, l’individu ajoute à la nature de l’espèce la disposition de la matière et les accidents individuels. Mais dans les formes abstraites, l’individu n’ajoute pas sur la nature de l’espèce quelque chose en réalité, parce qu’en de tels individus l’essence est elle-même individu subsistant, comme le philosophe le montre (Métaphysique,  VII, ibid.). Il ajoute cependant quelque chose selon sa nature, à savoir ce qui est ne peut pas exister dans plusieurs. 

9. Ad nonum dicendum quod in compositis ex materia et forma, individuum addit supra naturam speciei designationem materiae et accidentia individualia. Sed in formis abstractis non addit individuum supra naturam speciei aliquid secundum rem, quia in talibus essentia eius est ipsummet individuum subsistens, ut patet per philosophum in VII Metaph. Addit tamen aliquid secundum rationem, scilicet hoc quod est non posse existere in pluribus.

 

10. Les substances qui sont séparées des corps, sont des formes seulement, elles ne sont pas cependant les actes d’une matière. Car bien que la matière ne puisse pas être sans forme, cependant la forme peut exister sans matière, parce que celle-ci a l’être par la forme et non pas le contraire.

10. Ad decimum dicendum quod substantiae quae sunt a corporibus separatae, sunt formae tantum, non tamen sunt actus alicuius materiae. Licet enim materia non possit esse sine forma, tamen forma potest esse sine materia, quia materia habet esse per formam, et non e converso.

 

11. Parce que l’âme est la plus petite parmi les substances spirituelles, elle a une plus grande affinité avec la nature corporelle pour pouvoir être sa forme que les substances supérieures.

11. Ad undecimum dicendum quod anima, quia est infima inter substantias spirituales, maiorem habet affinitatem cum natura corporea, ut possit esse eius forma, quam superiores substantiae.

 

 

Article  6 : La substance spirituelle est-elle unie à un corps céleste ? Sexto quaeritur utrum substantia spiritualis caelesti corpori uniatur.

 

Il semble que oui.

Et videtur quod sic.

 

Objections[94]

1. Car Denys dit (les Noms divins 7, lectio 4) que la sagesse divine joint les limites des premiers au commencemet des seconds[95]. Par là on peut comprendre que la nature inférieure en son niveau le plus haut touche le supérieur en son niveau le plus bas. Mais dans la nature corporelle le plus haut c’est le corps céleste, et le plus bas dans la nature spirituelle est l’âme. Donc le corps céleste est animé.

1. Dicit enim Dionysius cap. VII de divinis nominibus, quod divina sapientia coniungit fines primorum principiis secundorum. Ex quo potest accipi quod natura inferior in sui summo attingat superiorem in sui infimo. Supremum autem in natura corporea est corpus caeleste, infimum autem in natura spirituali est anima. Ergo corpus caeleste est animatum.

 

2. La forme d’un corps plus noble est plus noble[96]. Mais le corps céleste est le plus noble des corps, et l’âme est la plus noble des formes. Si donc des corps inférieurs sont animés le corps céleste le sera beaucoup plus.

2. Praeterea, nobilioris corporis nobilior est forma. Corpus autem caeleste est nobilissimum corporum, et anima est nobilissima formarum. Si ergo aliqua inferiora corpora sunt animata, multo magis corpus caeleste animatum erit.

 

3. Mais on pourrait dire que, bien que le corps céleste ne soit pas animé, cependant la forme, par laquelle ce corps est un corps est plus noble que la forme par laquelle le corps de l’homme est un corps. – En sens contraire  ou bien dans le corps humain, il y a une autre forme substantielle en plus de l’âme raisonnable, qui donne l’être au corps, ou non. Si c’est non, alors l’âme donne l’être substantiel au corps, puisque l’âme est la plus noble des formes, il en découle que la forme par laquelle le corps humain est corps est plus noble que la forme par laquelle le corps céleste est corps. Mais s’il y a une autre forme substantielle dans l’homme, qui donne l’être au corps en plus de l’âme raisonnable, il est évident que par cette forme le corps humain est susceptible d’avoir l’âme raisonnable. Mais ce qui est susceptible d’avoir une bonté parfaite, est meilleur que ce qui n’en est pas susceptible, comme il est dit (Le ciel et le monde, II, 12, 292 b). Donc si le corps céleste n’est pas susceptible d’avoir une âme raisonnable, il en découle que la forme par laquelle le corps humain est corps est plus noble que la forme par laquelle le corps céleste est corps, ce qui paraît ne pas convenir.

3. Sed dicebat, quod licet corpus caeleste non sit animatum, tamen forma qua illud corpus est corpus, est nobilior quam forma qua corpus hominis est corpus.- Sed contra, aut in corpore humano est alia forma substantialis praeter animam rationalem quae dat esse corpori, aut non. Si non, sed ipsa anima dat esse substantiale corpori, cum anima sit nobilissima formarum, sequetur quod forma per quam corpus humanum est corpus, sit nobilior quam forma per quam corpus caeleste est corpus. Si autem sit alia forma substantialis in homine dans esse corpori praeter animam rationalem, manifestum est quod per illam formam corpus humanum sit susceptivum animae rationalis. Quod autem est susceptivum perfectae bonitatis, est melius eo quod non est susceptivum, ut dicitur II de caelo et mundo. Si ergo corpus caeleste non est susceptivum animae rationalis, adhuc sequetur quod forma per quam corpus humanum est corpus, est nobilior quam forma per quam corpus caeleste est corpus; quod videtur inconveniens.

 

4. La perfection de l’univers requiert qu’à aucun corps ne soit refusé ce vers quoi il  tend naturellement. Mais tout corps a une inclination naturelle, vers ce dont il a besoin pour son opération. Mais l’opération propre du corps céleste est le mouvement circulaire pour lequel il a besoin d’une substance spirituelle. Car ce moteur ne peut pas acquérir une forme corporelle, de même que le mouvement du lourd et du léger, parce qu’il faudrait que le mouvement cesse quand il serait parvenu à un certain point déterminé, comme cela arrive dans le lourd et le léger, ce qui paraît faux. Il reste donc que les corps célestes ont ces substances spirituelles qui leur sont unies.

4. Praeterea, perfectio universi requirit ut nulli corpori denegetur id ad quod naturaliter inclinatur. Omne autem corpus habet naturalem inclinationem ad id quo indiget ad suam operationem. Operatio autem propria corporis caelestis est motus circularis, ad quam indiget substantia spirituali. Non enim hic motus potest consequi aliquam formam corporalem, sicut motus gravium et levium; quia oporteret quod motus cessaret cum perveniretur ad aliquod ubi determinatum, sicut accidit in gravibus et levibus; quod patet esse falsum. Relinquitur ergo quod corpora caelestia habent substantias spirituales sibi unitas.

 

5. Tout ce qui existe dans un certain arrangement est mû naturellement, ce qui existe dans un même arrangement ne peut pas s’arrêter sinon avec violence, comme le corps lourd ou le corps léger qui se trouvent hors de leur assise. Mais si le mouvement du ciel dépend d’une forme naturelle, il faut que ce qui se trouve en n’importe quel lieu, soit mû naturellement. Donc en n’importe quel lieu, où il est placé pour s’arrêter, il ne se s’arrête que par violence. Mais rien de violent ne peut être perpétuel. Donc le ciel ne s’arrêtera pas éternellement après le jour du jugement, comme nous le pensons selon notre foi. Donc comme cela ne conviendrait pas, il semble nécessaire de dire que le ciel est mû par un mouvement volontaire ; et ainsi il en découle que le ciel est animé.

5. Praeterea, omne quod in aliqua dispositione existens movetur naturaliter, in eadem dispositione existens non potest quiescere nisi violenter, sicut corpus grave aut leve extra suum ubi existens. Sed si motus caeli sit a forma naturali, oportet quod in quolibet ubi existens naturaliter moveatur. Ergo in quolibet ubi ponatur quiescere, non quiescet nisi per violentiam. Nullum autem violentum potest esse perpetuum. Non ergo in perpetuum quiescet caelum post diem iudicii, ut secundum fidem ponimus. Cum ergo hoc sit inconveniens necesse videtur dicere quod caelum movetur motu voluntario; et sic sequitur quod caelum sit animatum.

 

6. Dans chaque genre, ce qui est par soi est avant ce qui est par un autre. Mais le ciel est premier dans le genre des mobiles. Donc il est mû par soi comme se mouvant lui-même. Mais tout ce qui se meut soi-même est divisé en deux parties, dont l’une et le moteur par appétit, comme l’âme et l’autre le mû, comme le corps. Donc le corps céleste est animé.

6. Praeterea, in quolibet genere, quod est per se prius est eo quod est per aliud. Sed caelum est primum in genere mobilium. Ergo est per se motum tamquam movens seipsum. Omne autem movens seipsum dividitur in duas partes, quarum una est movens per appetitum, ut anima, et alia mota, ut corpus. Corpus igitur caeleste est animatum.

 

7. Rien de ce qui est mû par un moteur totalement extérieur, n’a un mouvement naturel. Donc comme le mouvement du ciel est [produit] par une substance spirituelle, selon Augustin (La Trinité, III, IV, 9[97]) Dieu gouverne la substance corporelle par la substance spirituelle ; si cette substance ne lui était pas unie, et si elle était totalement extérieure, le mouvement du ciel ne serait pas naturel, ce qui est contre le philosophe, (Le ciel I, 8, 276 b 4).

7. Praeterea, nihil quod movetur a motore totaliter extrinseco, habet motum naturalem. Cum ergo motus caeli sit a substantia spirituali, quia secundum Augustinum, III de Trinit., Deus administrat corporalem substantiam per spiritualem; si illa substantia non uniretur ei, sed esset totaliter extrinseca, motus caeli non esset naturalis; quod est contra philosophum in I de caelo.

 

8. Si cette substance spirituelle qui meut le ciel était extérieure seulement, on ne pourrait pas dire qu’elle mettrait en mouvement le seul ciel par sa volonté, parce qu’ainsi sa volonté serait son action, ce qui n’appartient qu’à Dieu seul. Donc il faudrait que quelque chose soit introduit pour le mouvoir, et ainsi, comme son pouvoir serait infini, il en découlerait que la fatigue lui arriverait  dans son mouvement pendant une longue période de temps; ce qui ne convient pas, et surtout selon ceux qui placent l’éternité du temps. Donc la substance spirituelle qui meut le ciel lui est unie.

8. Praeterea, substantia illa spiritualis movens caelum si esset extrinseca tantum, non posset dici quod moveret caelum solum volendo; quia sic eius velle esset eius agere, quod est solius Dei. Oporteret igitur quod aliquid immitteret ad movendum; et sic, cum eius virtus sit finita, sequeretur quod accideret ei fatigatio in movendo per diuturnitatem temporis; quod est inconveniens, et maxime secundum ponentes aeternitatem motus. Ergo substantia spiritualis quae movet caelum, est ei unita.

 

9. Comme on le voit en (Physique, IV, 8, 5 ( ?)) les moteurs des sphères inférieures sont mus par accident, mais pas les moteurs de la sphère supérieure. Mais le moteur de la sphère supérieure est uni à sa sphère comme moteur. Donc les moteurs des sphères inférieures leur sont unies non seulement comme moteur, mais comme formes et ainsi au moins les sphères inférieures sont animées.

9. Praeterea, sicut habetur in IV Physic., motores inferiorum orbium moventur per accidens, non autem motor superioris orbis. Sed motor superioris orbis unitur suo orbi ut motor. Ergo motores inferiorum orbium uniuntur eis non solum ut motores, sed ut formae; et sic ad minus inferiores orbes sunt animati.

 

10. Comme en Métaphysique, IX (XII, comm. 48), le commentateur dit que les substances séparées sont dans la meilleure disposition, en laquelle ils peuvent se trouver ; cela est pour que chacune d’elles meuve le corps céleste, comme agent et comme fin. Mais cela n’existerait que si elles étaient unies de quelque manière. Donc les substances incorporelles sont unies aux corps célestes, ainsi ceux-ci paraissent être animés.

10. Praeterea, ut in XI Metaph. Commentator dicit, substantiae separatae sunt in optima dispositione in qua esse possunt; et hoc est ut unaquaeque earum moveat corpus caeleste et ut agens, et ut finis. Non autem hoc esset, nisi aliquo modo eis unirentur. Ergo corporibus caelestibus sunt unitae substantiae incorporeae; et sic corpora caelestia videntur esse animata.

 

11. Le Commentateur dans le même livre (comm. 25) dit expressément  que les corps célestes sont animés.

11. Praeterea, Commentator in eodem libro expresse dicit, corpora caelestia animata esse.

 

12. Rien n’agit hors de son espèce ; car l’effet ne peut pas être plus puissant que sa cause ; Mais la substance vivante est meilleure que celle sans vie, comme le dit Augustin (La vraie religion, LV, 109). Donc comme les corps célestes causent la vie et surtout dans les animaux, engendrés par la putréfaction, il semble que les corps célestes vivent et sont animés.

12. Praeterea, nihil agit extra suam speciem; effectus enim non potest esse potior sua causa. Substantia autem vivens est melior non vivente, ut dicit Augustinus, de vera religione. Cum ergo corpora caelestia causent vitam, maxime in animalibus, ex putrefactione generatis, videtur quod corpora caelestia vivant et sint animata.

 

13. Le Commentateur dit dans le livre de La substance des sphères (II) que le moteur circulaire est plus propre pour l’âme. Donc ces corps pour lesquels il est naturel d’être mû de façon circulaire semblent tout à fait animés[98]. Mais tels sont les corps célestes. Donc ils sont animés.

13. Praeterea, Commentator dicit in libro de substantia orbis, quod motus circularis proprius est animae. Maxime ergo videntur illa corpora esse animata quibus est naturale circulariter moveri. Talia autem sunt corpora caelestia. Ergo corpora caelestia sunt animata.

 

14. Louer, raconter et exulter, ne conviennent qu’à un être animé et doué de connaissance. Mais les prémisses sont attribuées au ciel dans l’Écriture sainte, selon ce verset du Ps. (148, 4) « Louez-le cieux des cieux » et (18, 1) : « Les cieux proclament la gloire de Dieu », et Apo., 18, 20 : « Exaltez le ciel au-dessus d’elle ». Donc les cieux sont animés.

14. Praeterea, laudare, narrare et exultare, non convenit nisi rei animatae et cognoscenti. Sed praemissa attribuuntur caelis in sacra Scriptura, secundum illud Ps.: laudate eum caeli caelorum; et: caeli enarrant gloriam Dei; et Apoc. XIV: exulta super eam caelum. Ergo caeli sunt animati.

 

En sens contraire

1. Il y a ce que dit Jean Damescène (La foi orthodoxe, II, 6) : « Personne ne pense que les cieux et les luminaires sont animés, car ils sont inanimés et insensibles[99] ».

1. Sed contra. Est quod Damascenus dicit II libro: nullus animatos caelos vel luminaria existimet; inanimati sunt enim et insensibiles.

 

2. L’âme unie à un corps ne se sépare de lui que par la mort. Mais les corps célestes ne peuvent pas être mortels, puisqu’ils sont incorruptibles. Donc si des substances spirituelles leur sont unies comme des âmes, elles seront liées à eux pour toujours et il ne semble pas convenir que  des anges soient destinés perpétuellement à certains corps.

2. Praeterea, anima unita corpori non separatur ab eo nisi per mortem. Sed corpora caelestia non possunt esse mortalia, cum sint incorruptibilia. Ergo si substantiae spirituales aliquae uniantur eis ut animae, perpetuo erunt eis alligatae; et hoc videtur inconveniens, quod aliqui Angeli perpetuo aliquibus corporibus deputentur.

 

3. La société céleste des bienheureux est composée des anges et des âmes. Mais les âmes des cieux, si les cieux sont animés, ne sont contenues sous aucune des deux parties. Donc il y aurait certaines créatures raisonnables qui ne pourraient pas participer à la béatitude, ce qui semble ne pas convenir.

3. Praeterea, caelestis societas beatorum ex Angelis et animis constat. Sed caelorum animae, si sunt caeli animati, sub neutra parte continentur. Ergo aliquae creaturae rationales essent quae non possent esse participes beatitudinis; quod videtur inconveniens.

 

4. Toute créature raisonnable considérée en sa nature peut pécher. Donc si certaines créatures raisonnables sont unies à des corps célestes, rien n’empêche que l’une d’elle ait péché, et ainsi il en découlerait que  l’un des corps célestes serait mû par un esprit mauvais, ce qui paraît absurde.

4. Praeterea, omnis creatura rationalis secundum suam naturam considerata potest peccare. Si igitur aliquae rationales creaturae sunt corporibus caelestibus unitae, nihil prohibuit aliquam earum peccasse; et sic sequeretur quod aliquod caelestium corporum moveretur a malo spiritu: quod videtur absurdum.

 

5. Nous devons implorer la faveur des bons esprits. Si donc des esprits sont unis aux corps célestes, comme il ne convient pas de placer ceux qui sont mauvais, mais qu’il faut placer les bons, vu qu’ils servent Dieu dans le gouvernement des natures corporelles, il en découlerait qu’il faudrait implorer leur faveur. Mais il semblerait absurde que quelqu’un dise :  Soleil, et lune, priez pour nous. Donc il ne faut pas penser qu’il y a des esprits  unis à des corps célestes.

5. Praeterea, bonorum spirituum suffragia implorare debemus. Si igitur spiritus aliqui corporibus caelestibus sunt uniti, cum non sit conveniens ponere eos malos, sed oporteat eos bonos ponere, utpote in administratione naturae corporeae Deo servientes, sequeretur quod eorum suffragia essent imploranda. Videretur autem absurdum, si quis diceret: sol, et luna, ora pro me. Non est ergo ponendum spiritus aliquos corporibus caelestibus esse unitos.

 

6. L’âme contient un corps auquel elle est unie selon le philosophe (L’âme, I,   411 b 7[100]). Si donc les corps célestes sont animés il en découlerait qu’une substance spirituelle créée contiendrait tout le ciel, ce qui est absurde, puisque c’est le propre de la seule Sagesse incréée : de sa personne il est dit dans l’Eccl. (Si. 24, 5) dit : « Seule, j’ai fait le tour du cercle du ciel ».

6. Praeterea, anima continet corpus cui unitur, secundum philosophum in I de anima. Si igitur corpora caelestia sunt animata, sequeretur quod aliqua substantia spiritualis creata contineat totum caelum: quod est absurdum; cum hoc solius sapientiae increatae sit, ex cuius persona dicitur Eccli. XXIV: gyrum caeli circuivi sola.

 

Réponse

Il faut dire sur cette question qu’il y a eu des opinons différentes tant parmi les philosophes anciens que par les docteur ecclésiastiques[101]. Anaxagore a pensé que les corps célestes étaient inanimés, c'est pourquoi il fut tué pas les Athéniens car il avait dit que le soleil était une pierre échauffée[102]. Platon et Aristote et leurs disciples, ont pensé que les corps célestes étaient animés. De la même manière, parmi les docteurs de l’Église, Origène a pensé que les corps célestes étaient animés.  Jérôme l’a suivi, comme on le voit dans une glose sur ce verset de Eccl. I, 6[103] « Le vent s’achemine, purifiant tout autour de lui. » Jean Damascène a assuré que les corps célestes étaient inanimés, comme on le voit dans l’autorité citée. Mais Augustin reste dans le doute dans Le De Genesis ad litteram (II, XVIII, 38[104]) et l’Enchiridion (LVIII).

Respondeo. Dicendum quod circa hanc quaestionem fuerunt diversae opiniones tam inter antiquos philosophos, quam etiam inter ecclesiasticos doctores. Anaxagoras autem existimavit corpora caelestia esse inanimata; unde ab Atheniensibus occisus est: dixit enim solem esse lapidem accensum. Plato vero et Aristoteles et eorum sequaces posuerunt corpora caelestia esse animata. Similiter et inter doctores Ecclesiae, Origenes posuit corpora caelestia animata; quem secutus est Hieronymus, ut patet in quadam Glossa super illud Eccle. I: lustrans universa in circuitu pergit spiritus. Damascenus vero astruit corpora caelestia inanimata esse, ut patet in auctoritate inducta. Augustinus vero relinquit sub dubio, in II super Gen. ad litteram, et in Enchir.

 

Les deux opinions ont un caractère de probabilité. Car la considération de la noblesse des corps célestes amène à penser qu’ils sont animés, puisqu’on préfére, dans le genre des choses, les vivants à tout ce qui est sans vie; mais la considération de la noblesse des substances spirituelles nous amène à penser le contraire. Car les substances spirituelles supérieures ne peuvent avoir pour les opérations de l’âme, que ce qui concerne l’intellect, parce que les autres opérations vitales sont des actes de l’âme en tant qu’elle est la forme d’un corps corruptible et changeant, quand elles existent avec un certain changement et une altération, et l’intellect des substances supérieures ne semble pas avoir besoin de recevoir la connaissance des sensibles, comme notre intellect. Si donc il n’y a en eux aucune des opérations vitales sinon comprendre et vouloir, qui n’ont pas besoin d’un organe corporel, leur dignité ne semble pas dépasser leur union à un corps.

Utraque autem opinio rationem probabilitatis habet. Consideratio enim nobilitatis corporum caelestium inducit ad ponendum ea esse animata, cum in rerum genere viventia omnibus non viventibus praeferantur; sed consideratio nobilitatis substantiarum spiritualium ad contrarium nos inducit. Non enim superiores spirituales substantiae habere possunt de operibus animae, nisi quae pertinent ad intellectum: quia aliae operationes vitae sunt actus animae in quantum est forma corporis corruptibilis et transmutabilis; cum quadam enim transmutatione et alteratione corporali sunt; nec intellectus superiorum substantiarum indigere videtur ut a sensibilibus cognitionem accipiat, sicut intellectus noster. Si ergo nulla est in eis de operationibus vitae nisi intelligere et velle, quae non indigent organo corporali, earum dignitas unionem ad corpus excedere videtur.

 

De ces deux considérations, la seconde est plus efficace que la première. Car l’union du corps et de l’âme n’est pas pour le corps, pour qu’il soit ennobli, mais pour l’âme, qui a besoin du corps pour sa perfection, comme on l’a dit ci-dessus. Mais si quelqu’un considère le sujet avec plus d’attention, il trouvera peut-être dans ces deux opinions, qu’il n’y a aucune dissonance ou alors peu importante, ce qu’il faut comprendre ainsi. Car on ne peut pas dire que le mouvement du corps céleste se conforme à une forme corporelle, comme le mouvement en haut se conforme à la forme du feu. Car il est évident qu’une forme naturelle ne tend à une seul but. Mais la nature du mouvement s’oppose à l’unité, parce qu’il est de sa nature que quelque chose se comporte autrement maintenant et avant ; c'est pourquoi la forme naturelle ne tend pas au mouvement pour lui-même, mais à être dans un certain endroit, celui-ci une fois atteint, le mouvement s’arrête, et ainsi cela arriverait dans le mouvement du ciel  s’il suit une forme naturelle.

Harum autem duarum considerationum, secunda efficacior est quam prima. Unio enim corporis et animae non est propter corpus, ut corpus scilicet nobilitetur; sed propter animam, quae indiget corpore ad sui perfectionem, sicut supra dictum est. Si quis autem magis intime consideret, forte inveniet in his duabus opinionibus aut nullam aut modicam dissonantiam esse: quod sic intelligendum est. Non enim potest dici quod motus corporis caelestis consequatur aliquam formam corpoream, sicut motus sursum consequitur formam ignis. Manifestum est enim quod una forma naturalis non inclinat nisi ad unum. Ratio autem motus repugnat unitati, quia de ratione motus est quod aliquid aliter se habeat nunc et prius; unde non inclinat forma naturalis ad motum propter ipsum motum, sed propter esse in aliquo ubi, quo adepto quiescit motus; et sic accideret in motu caeli, si consequeretur aliquam formam naturalem. (no §)

 

Il faut donc dire que le mouvement du ciel existe par une substance intelligente. Car la fin de ce mouvement ne peut être qu’un bien intelligible abstrait, parce qu’il meut la substance intelligente qui meut le ciel, pour acquérir sa ressemblance, en opérant et pour produire en acte ce qui est contenu en puissance dans ce bien intelligible, et surtout l’achèvement du nombre des élus, pour lesquels tout le reste semble exister[105]. Ainsi donc, il y aura un ordre double des substances spirituelles. Certaines d’entre elles seront les moteurs des corps célestes, qui sont tout à fait abstraits et leur sont unies comme moteurs mobiles, comme Augustin le dit (La Trinité, III, IV, 9) : tous les corps sont gouvernés par Dieu par l’intermédiaire de l’esprit raisonnable de vie ; et la même chose chez Grégoire [le Grand] (Les dialogues, IV VI, PL LXXVII, 329). Certains seront la finalité de ces moteurs, qui sont tout à fait abstraits et non unis à des corps. Mais d’autres sont unis à des corps célestes de la même manière que le moteur est uni à un mobile. Et cela semble suffire pour sauver les opinions de Platon et d’Aristote. Et c’est évident pour Platon, car comme on l’a dit ci-dessus, il n’a dit que le corps humain était animé autrement qu’en tant que l’âme est unie au corps comme moteur. Mais par les paroles d’Aristote il est évident qu’il n’a placé dans les corps célestes au sujet des puissances qu’une âme qu’intellective. Mais l’intellect selon lui, n’est l’acte d’aucun corps.

Oportet igitur dicere, quod motus caeli sit ab aliqua substantia intelligente. Nam finis huius motus non potest esse nisi quoddam bonum intelligibile abstractum, propter quod movet substantia intelligens quae movet caelum, ut scilicet assequatur eius similitudinem, in operando, et ut explicet in actu id quod virtute continetur in illo intelligibili bono; et praecipue completio numeri electorum, propter quos omnia alia esse videntur. Sic igitur erit duplex ordo substantiarum spiritualium. Quarum quaedam erunt motores caelestium corporum, et unientur eis sicut motores mobilibus, sicut et Augustinus dicit in III de Trinitate, quod omnia corpora reguntur a Deo per spiritum vitae rationalem; et idem a Gregorio habetur in IV dialogorum. Quaedam vero erunt fines horum motuum, quae sunt omnino abstractae, et corporibus non unitae. Aliae vero uniuntur corporibus caelestibus per modum quo motor unitur mobili. Et hoc videtur sufficere ad salvandum intentionem Platonis et Aristotelis. Et de Platone quidem manifestum est; Plato enim, sicut supra dictum est, etiam corpus humanum non dixit aliter animatum, nisi in quantum anima unitur corpori ut motor. Ex dictis vero Aristotelis manifestum est quod non posuit in corporibus caelestibus de virtutibus animae nisi intellectivam. Intellectus vero, secundum ipsum, nullius corporis actus est.

 

Mais dire en plus que les corps célestes sont animés de la même manière que les corps inférieurs qui sont mus et rendus sensibles par l’âme, s’oppose à l’incorruptibilité des corps célestes. Donc ainsi il faut nier que les corps célestes sont animés de la manière dont les corps inférieurs sont animés. Cependant il ne faut pas nier que les corps célestes sont animés, si par animation on ne comprend rien d’autre que l’union d’un moteur à un mobile. Et Augustin semble en parler de ces deux manières dans la La Genèse au sens littéral (II, XVIII, 38). Il dit en effet : « On se demande encore si ces brillants luminaires du ciel sont seulement des corps ou s’ils ont pour les régir des esprits attachés à chacun d’eux. Dans cette hypothèse, ces esprits vont-ils jusqu’à leur communiquer la vie comme l’âme animale anime la chair[106] ». Mais bien que lui-même laisse l’une et l’autre solution dans le doute, comme on le voit par ce qui suit, il faut dire selon ce qui été dit avant, qu’ils ont des esprit qui les dirigent, par lesquels cependant ils ne sont pas animés de la même manière que les animaux inférieurs par leurs âmes.

Dicere autem ulterius, quod corpora caelestia hoc modo sint animata sicut inferiora corpora quae per animam vegetantur et sensificantur, repugnat incorruptibilitati caelestium corporum. Sic igitur negandum est corpora caelestia esse animata eo modo quo ista inferiora corpora animantur. Non est tamen negandum corpora caelestia esse animata, si per animationem nihil aliud intelligatur quam unio motoris ad mobile. Et istos duos modos videtur Augustinus tangere in super Gen. ad litteram. Dicit enim: solet quaeri, utrum caeli luminaria ista conspicua corpora sola sint, aut habeant rectores quosdam spiritus suos; et si habent, utrum ab eis etiam vitaliter inspirentur, sicut animantur carnes per animas animalium. Sed licet ipse sub dubio utrumque relinquat, ut per sequentia patet, secundum praemissa dicendum est quod habent rectores spiritus, a quibus tamen non sic animantur sicut inferiora animalia a suis animabus.

 

Solutions

1. Le corps céleste atteint les substances spirituelles en tant que l’ordre inférieur des substances spirituelles est uni aux corps célestes par mode de moteur. 

1. Ad primum ergo dicendum quod corpus caeleste attingit substantias spirituales, in quantum inferior ordo substantiarum spiritualium corporibus caelestibus unitur per modum motoris.

 

2. Selon l’opinion d’Averroès, le ciel est composé de matière et de forme, comme l’animal dans les [corps] inférieurs. Mais cependant on parle de la matière de part et d’autre de manière équivoque, car dans les [corps] supérieurs il n’y a pas de puissance à être comme dans les [corps] inférieurs, mais [la puissance] pour un lieu seulement. C'est pourquoi le corps lui-même qui existe en acte est la matière, et il n’a pas besoin d’une forme qui lui donne l’être, puisqu’il est un étant en acte, mais elle lui donne le mouvement seulement. Et ainsi le corps céleste a une forme plus noble que le corps humain, mais d’une autre manière. Mais si on dit comme d’autres l’ont dit, que le corps céleste même est composé de matière et de forme corporelle, alors on pourra dire encore que cette forme corporelle sera la plus noble en tant qu’elle est la forme et l’acte, qui emplit toute la potentialité de la matière, pour qu’elle ne demeure pas en elle pour une autre forme.

2. Ad secundum dicendum quod secundum opinionem Averrois caelum est compositum ex materia et forma, sicut animal in inferioribus. Sed tamen materia utrobique aequivoce dicitur: nam in superioribus non est potentia ad esse sicut in inferioribus, sed ad ubi tantum. Unde ipsum corpus actu existens est materia, nec indiget forma quae det ei esse, cum sit ens actu, sed quae det ei motum solum. Et sic corpus caeleste habet nobiliorem formam quam corpus humanum, sed alio modo. Si autem dicatur, sicut alii dicunt, quod ipsum corpus caeleste est compositum ex materia et forma corporali, tunc adhuc dici poterit, quod illa forma corporalis erit nobilissima in quantum est forma et actus, quae implet totam potentialitatem materiae, ut non remaneat in ea potentialitas ad aliam formam.

 

3. Et par là paraît la solution à la troisième objection.

3. Et per hoc etiam patet solutio ad tertium.

 

4. Le corps céleste est mû par une substance spirituelle, il en découle qu’il a une inclination pour elle, comme pour le moteur et pas autrement.

4. Ad quartum dicendum quod corpus caeleste ex hoc quod movetur a spirituali substantia, sequitur quod habeat inclinationem ad ipsam sicut ad motorem et non aliter.

 

5. 6.  Il faut parler de la même manière pour les objections 5 et 6.

5. Et similiter dicendum ad quintum et sextum.

 

7. La substance spirituelle qui meut le ciel a un pouvoir naturel limité au mouvement d’un tel corps. Et de la même manière le corps du ciel a une aptitude naturelle pour être mû par un tel mouvement. Et ainsi ce mouvement du ciel est naturel, bien qu’il vienne d’une substance intelligente.

7. Ad septimum dicendum, quod substantia spiritualis quae movet caelum, habet virtutem naturalem determinatam ad talis corporis motum. Et similiter corpus caeli habet naturalem aptitudinem ut tali motu moveatur. Et per hoc motus caeli est naturalis, licet sit a substantia intelligente.

 

 8. On dit avec probabilité que par le pouvoir de la volonté, la substance spirituelle meut le corps céleste. Car, quoique la matière corporelle selon un changement formel n’obéisse pas au premier signe de l’esprit créé, mais à Dieu seul, comme Augustin le dit (La Trinité, III, VIII, 13) cependant  qu’elle puisse lui obéir au premier signe selon le changement local, apparaît aussi en nous, au commandement de la volonté en qui aussitôt découle le mouvement des membres corporels. Si cependant au pouvoir de la volonté on ajoute aussi l’influence  de la puissance, ce n’est pas pour cela que découle l’épuisement par l’infini de la puissance, car n’importe quelle puissance d’ordre supérieur, bien qu’elle soit finie en soi et en rapport à son supérieur, est cependant infinie[107] en rapport à ses inférieurs, ainsi par la puissance du soleil est infini en rapport avec ce qui est engendré ou corruptible, par la production desquels, même si elle était dans l’infini, elle ne serait pas diminuée. Et de la même manière la puissance de l’intellect est infinie en rapport avec les formes sensibles, et ainsi la puissance même de la substance spirituelle qui meut le ciel, est infinie en rapport avec un mouvement corporel,  c’est pour cela qu’il en découle un épuisement.

8. Ad octavum dicendum, quod probabiliter dicitur quod imperio voluntatis substantia spiritualis movet corpus caeleste. Quamvis enim materia corporalis secundum formalem transmutationem non obediat ad nutum spiritui creato, sed soli Deo, ut Augustinus dicit in III de Trin.; tamen quod ei obedire ad nutum possit secundum transmutationem localem, etiam in nobis apparet, in quibus statim ad imperium voluntatis sequitur motus corporalium membrorum. Si tamen supra imperium voluntatis addatur etiam influxus virtutis, non propter hoc sequitur fatigatio ex finitate virtutis; quaelibet enim virtus superioris ordinis, licet sit finita in se et respectu sui superioris, est tamen infinita respectu suorum inferiorum; sicut etiam virtus solis est infinita respectu generabilium et corruptibilium, per quorum productionem, etiamsi in infinitum esset, non minoraretur. Et similiter virtus intellectus est infinita respectu formarum sensibilium; et sic etiam virtus substantiae spiritualis quae movet caelum, est infinita respectu motus corporalis; unde non sequitur in ea fatigatio.

 

9. L’âme qui meut les animaux corruptibles leur est unie selon l’être, mais la substance spirituelle qui meut les corps célestes, leur est unie seulement pour le mouvement. C'est pourquoi être mû par accident est attribué à l’âme corruptible de l’animal par sa nature propre; car il faut que, une fois le corps en mouvement, avec lequel elle forme un seul être, elle soit par accident. Mais être mû par accident est attribué au moteur de la sphère inférieure, pas par sa nature, mais par la nature du mobile ; en tant que la sphère inférieure est mûe par accident, comme détruite par le mouvement du supérieur Mais le moteur de la sphère supérieure n’est mû en aucune manière par accident, parce que sa sphère n’est pas détournée, mais détourne les autres.

9. Ad nonum dicendum, quod anima quae movet animalia corruptibilia, unitur eis secundum esse; sed substantia spiritualis, quae movet caelestia corpora, unitur eis secundum moveri tantum. Unde moveri per accidens attribuitur animae corruptibilis animalis ratione sui ipsius; oportet enim quod moto corpore, cum quo est unum secundum esse, ipsamet per accidens moveatur. Sed moveri per accidens attribuitur motori inferioris orbis non ratione sui ipsius, sed ratione mobilis; in quantum scilicet inferior orbis movetur per accidens, ut delatus motu superioris. Motor vero superioris orbis neutro modo per accidens movetur; quia orbis eius non defertur, sed alios defert.

 

10. A ce sujet on trouve qu’Averroès a parlé de plusieurs manières. Car dans le livre La substance du monde, il a dit que c’est la même chose de mouvoir les corps célestes comme agent et comme finalité, ce qui est tout à fait erroné, surtout selon cette opinion par la quelle il pense que la première cause n’est pas au-dessus des substances qui meuvent le premier ciel. Car ainsi il en découle que Dieu est l’âme première du ciel selon que la substance qui meut le premier ciel comme agent, est appelée son âme. Et la raison pour laquelle il dit cela est tout à fait insuffisante, parce qu’en effet dans les substances séparées de la matière ce qui comprend et ce qui est compris est identique, il a pensé qu’est identique celui qui désire et ce qui est désiré, ce qui n’est pas semblable. Car la connaissance de n’importe quoi se fait selon que le connu est dans celui qui connaît, mais le désir se fait selon le changement de celui qui désire vis-à-vis de la chose désirée. Mais si le bien désiré était dans celui qui désire, par lui-même, il ne conviendrait pas à ce qui le mettrait en mouvement pour obtenir le bien désiré. C'est pourquoi il faut dire que le bien désiré, qui meut comme une fin, est autre par celui qui désire, qui meut comme agent. Et le Commentateur (Métaphysique, (XI), XII comm. 38) dit que cela est identique, car il place là deux moteurs : l’un joint qu’il appelle l’âme et l’autre séparé qui meut comme fin. Cependant par tout cela il n’y a pas plus le fait que la substance spirituelle est unie à un corps céleste comme moteur.

10. Ad decimum dicendum quod super hoc invenitur Averroes varie locutus. In libro enim de substantia orbis dixit, quod idem est quod movet corpora caelestia ut agens et finis; quod quidem est valde erroneum, praesertim secundum eius opinionem qua ponit quod prima causa non est supra substantias moventes primum caelum. Sic enim sequitur quod Deus sit anima prima caeli, secundum quod substantiam quae movet primum caelum ut agens, dicitur anima eius. Et ratio qua hoc dixit est valde insufficiens: quia enim in substantiis separatis a materia est idem intellectus et intellectum, existimavit quod sit idem desiderans et desideratum; quod non est simile. Nam cognitio cuiuslibet rei fit secundum quod cognitum est in cognoscente; desiderium autem fit secundum conversionem desiderantis ad rem desideratam. Si autem bonum desideratum inesset desideranti ex seipso, non competeret ei quod moveret ad consequendum bonum desideratum. Unde oportet dicere quod bonum desideratum, quod movet ut finis, est aliud a desiderante, quod movet ut agens. Et hoc etiam idem dicit Commentator in XI Metaph.; ponit enim ibi duos motores: unum coniunctum, quem vocat animam, et alium separatum, qui movet ut finis. Tamen ex toto hoc non habetur amplius quam quod substantia spiritualis unitur corpori caelesti ut motor.

 

11. Les corps célestes sont animés, parce que les substances spirituelles leur sont unies comme des moteurs, et non comme des formes. C'est pourquoi dans la Métaphysique, VII), il (Averroès) dit que le pouvoir de donner forme à la semence n’agit que par la chaleur qui est en elle, non de sorte qu’elle soit forme en lui, comme l’âme dans la chaleur naturelle, mais de sorte qu’elle y soit incluse, comme l’âme est incluse dans les corps célestes.

11. Ad undecimum dicendum quod corpora caelestia dicit esse animata, quia substantiae spirituales uniuntur eis ut motores, et non ut formae. Unde super VII Metaph., dicit quod virtus formativa seminis non agit nisi per calorem qui est in semine; non ita quod sit forma in eo, sicut anima in calore naturali, sed ita quod sit ibi inclusa, sicut anima est inclusa in corporibus caelestibus.

 

12. Le corps céleste, en tant que mû par la substance spirituelle, est son instrument, et ainsi il meut en vertu de la substance spirituelle pour causer la vie dans les inférieurs, comme la scie agit dans le pouvoir de l’art pour causer un coffre.

12. Ad duodecimum dicendum quod corpus caeleste, in quantum movetur a substantia spirituali, est instrumentum eius; et ita movet in virtute substantiae spiritualis ad causandum vitam in istis inferioribus, sicut serra agit in virtute artis ad causandam arcam.

 

13. Par cette raison[108] on ne peut pas considèrer davantage que les corps célestes sont mus par les substances spirituelles.

13. Ad decimumtertium dicendum quod ex illa ratione amplius haberi non potest quam quod corpora caelestia a substantiis spiritualibus moveantur.

 

14. Selon Jean Damascène, il est dit que les cieux chantent la gloire de Dieu, louent, exultent, matériellement, en tant qu’ils sont pour les hommes, la matière pour louer, raconter ou exalter. Car on trouve les mêmes choses dans les Écriture au sujet des montagnes et des collines et d’autres créatures inanimées.

14. Ad decimumquartum dicendum quod secundum Damascenum caeli dicuntur enarrare gloriam Dei, laudare, exultare, materialiter, in quantum sunt hominibus materia laudandi vel enarrandi vel exultandi. Similia enim inveniuntur in Scripturis de montibus et collibus et aliis inanimatis creaturis.

 

Solutions en sens contraire

1. De ce qui est objecté en sens contraire, il faut dire que Jean Damascène écarte le fait que les corps célestes soient animés, de sorte que les substances spirituelles leur sont unies comme des formes, comme pour les animaux corruptibles.

s. c. 1 Ad primum vero eorum quae in contrarium obiiciuntur, dicendum quod Damascenus removet corpora caelestia esse animata, ita quod substantiae spirituales uniantur eis ut formae, sicut corruptibilibus animalibus.

 

2. Un ange est destiné à la garde d’un homme tant que celui-ci vit. C'est pourquoi il n’est pas inconvenant s’il est destiné à mouvoir un corps céleste aussi longtemps qu’il est mû.

s. c. 2 Ad secundum dicendum quod unus Angelus deputastur ad custodiam unius hominis quamdiu vivit. Unde non est inconveniens si deputatur ad movendum caeleste corpus quamdiu movetur.

 

3. Si les corps célestes sont animés, les esprits qui les surveillent sont comptés dans la société des anges. C'est pourquoi Augustin dit dans l’Enchiridion (ch. 58) : « Et je ne considère pas comme certain que si le soleil et la lune et tous les astres, conviennent à la société des anges ; quoique pour certains les corps semblent brillants, sans cependant la sensation ou l’intelligence ».

s. c. 3 Ad tertium dicendum quod si corpora caelestia sunt animata, spiritus eis praesidentes in societate Angelorum computantur. Unde Augustinus dicit in Enchir.: nec illud certum habeo, utrum ad societatem Angelorum pertineant sol et luna et cuncta sidera; quamvis nonnullis lucida esse corpora, non tamen cum sensu vel intelligentia, videantur.

 

4. En cela il n’y a aucun doute, si nous suivons l’opinion de Jean Damascène (La foi orthodoxe, II, 4) qui pense que les anges qui ont péché ont été du nombre de ceux qui sont préférés aux les corps corruptibles. Mais si, selon l’opinion de Grégoire même au sujet des supérieurs certains ont péché, il faut dire que Dieu qui les a destinés à cette fonction, les a gardé de la chute comme beaucoup d’autres.

4. Ad quartum dicendum quod in hoc nulla est dubitatio, si sequamur opinionem Damasceni ponentis Angelos qui peccaverunt de numero eorum fuisse, qui corporibus corruptibilibus praeferuntur. Si vero, secundum sententiam Gregorii, etiam de superioribus aliqui peccaverunt, dicendum quod Deus eos quos ad hoc ministerium deputavit, custodivit a casu, sicut et plures aliorum.

 

5. Nous ne disons pas : ‘Prie pour moi, soleil’, d’une part parce que la substance spirituelle n’est pas unie à un corps comme forme, mais comme moteur seulement, d’autre part pour éviter une occasion d’idolâtrie.

s. c. 5 Ad quintum dicendum quod non dicimus: ora pro me, sol, tum quia substantia spiritualis non unitur corpori caeli ut forma, sed ut motor tantum, tum ut auferatur idololatriae occasio.

 

6. Selon le philosophe (Physique, VIII, 10, 267 b 7[109]) le moteur du ciel est dans une de ses parties, et non dans le tout, et ainsi il ne fait pas le tour du cercle du ciel. Il en est autrement de l’âme qui donne l’être au corps selon le tout et les parties.

s. c. 6 Ad sextum dicendum quod secundum philosophum in IV physicorum, motor caeli est in aliqua parte eius, et non in toto; et sic non circuit gyrum caeli. Secus autem est de anima, quae dat esse corpori secundum totum et partes.

 

 

Article 7 : La substance spirituelle est-elle unie à un corps aérien ? Articulus 7 : Septimo quaeritur utrum substantia spiritualis corpori aereo uniatur.

 

Il semble que non[110].

De spiritualibus creaturis, a. 7 tit. 2 Et videtur quod sic.

 

Objections

1. Car Augustin dit (La Genèse au sens littéral (X, 14) et La cité de Dieu, IV, VIII, 16 – XV, 23) que les démons ont des corps aériens ? Mais les démons sont des substances spirituelles. Donc celles-ci sont unies à un corps aérien.

1. Dicit enim Augustinus III super Genes. ad litteram et IV de Civit. Dei, quod Daemones habent corpora aerea. Sed Daemones sunt substantiae spirituales. Ergo substantia spiritualis corpori aereo unitur.

 

2. Augustin dans le livre La divination des démons (III, 7, PL XL, 584) dit que les démons par la subtilité du corps aérien surpassent les sens humains. Mais cela ne serait possible que s’ils étaient unis à un corps aérien. Donc les substances spirituelles sont unies à un corps aérien.

2. Praeterea, Augustinus in libro de divinatione Daemonum dicit quod Daemones subtilitate aerei corporis sensum humanum transcendunt. Hoc autem non esset, nisi aereo corpori naturaliter unirentur. Ergo substantiae spirituales aereo corpori uniuntur.

 

3. L’intermédiaire est différent des extrêmes. Mais dans la région des corps célestes on trouve la vie, selon qu’on place des corps célestes animés ; et dans la région de la terre on trouve la vie dans les animaux et les plantes. Donc aussi dans la région intermédiaire qui est celle de l’air, on trouve la vie. Et cela ne peut pas être rapporté à la vie des oiseaux, parce qu’ils s’élèvent au-dessus de la terre dans un petit espace de l’air, et il ne semble pas convenable que tout cet autre espace de l’air demeure vide de vie. Il faut donc placer, à ce qu’il semble, qu’il y a des animaux aériens, d’où il découle que des substances spirituelles sont unies à des corps aériens.

3. Praeterea, medium non discrepat ab extremis. Sed in regione caelestium corporum invenitur vita, secundum ponentes corpora caelestia animata; in regione autem terrae invenitur vita in animalibus et plantis. Ergo et in regione media, quae est aeris, invenitur vita. Nec hoc potest referri ad vitam avium, quia aves ad modicum spatium aeris supra terram elevantur; nec videtur conveniens quod totum aliud spatium aeris vacuum vita remaneret. Oportet igitur ponere, ut videtur, ibi esse aliqua aerea animalia; ex quo sequitur quod aliquae substantiae spirituales aereo corpori uniantur.

 

4. La forme d’un corps plus noble est elle-même plus noble. Mais l’air est un corps plus noble que la terre, puisqu’il est plus formel[111] ou plus subtil. Donc si la substance spirituelle qui est l’âme est unie à un corps terrestre, par exemple un corps humain, elle sera unie beaucoup plus à un corps aérien.

4. Praeterea, nobilioris corporis nobilior est forma. Sed aer est nobilior corpus quam terra, cum sit formalius et subtilius. Si igitur corpori terrestri, scilicet humano, unitur substantia spiritualis, quae est anima, multo fortius corpori aereo uniretur.

 

5. L’union est plus facile avec ce qui s’accorde plus. Mais l’air semble mieux s’accorder avec l’âme qu’avec un corps mixte, tel que le corps humain parce que, comme Augustin le dit (La Genèse au sens littéral, VII, XV, 21 et VII, XIX, 25[112]) l’âme administre la corps par l’air. Donc l’âme est  plus destinée à être unie à un  corps aérien qu’à un corps mixte.

5. Praeterea, eorum quae magis conveniunt facilior est unio. Sed aer magis videtur convenire cum anima quam corpus commixtum, quale est corpus hominis; quia, ut Augustinus dicit super Gen. ad Litter., anima per aerem administrat corpus. Ergo magis nata est uniri anima corpori aereo, quam etiam corpori commixto.

 

6. Il est dit dans le livre De Substantia orbis (Averroès II) : « Le mouvement circulaire est plus propre pour l’âme ». et cela parce que l’âme en tant que de soi, est indifférente pour mouvoir en toute partie. Mais cela semble convenir aussi à l’air, parce qu’il est léger avec ce qui est léger et lourd avec ce qui est lourd. Donc l’âme semble surtout être unie à l’air.

6. Praeterea, dicitur in libro de substantia orbis: motus circularis proprius est animae; et hoc ideo quia anima, quantum est de se, indifferens est ut moveat in omnem partem. Sed hoc etiam videtur aeri convenire, quia est cum levibus levis et cum gravibus gravis. Ergo anima maxime videtur aeri uniri.

 

En sens contraire

L’âme est l’acte du corps organique ; mais le corps aérien ne peut pas être organique, parce qu’il ne se termine pas à un terme propre mais seulement à un lieu étranger, on ne peut pas le figurer[113]. Donc la substance spirituelle qu’est l’âme ne peut pas être unie à un corps aérien.

De spiritualibus creaturis, a. 7 s. c. Sed contra, anima est actus corporis organici. Sed corpus aereum non potest esse organicum; quia cum non sit terminabilis termino proprio, sed solum alieno, non est figurabilis. Ergo substantia spiritualis, quae est anima, non potest corpori aereo uniri.

 

Réponse

Il faut dire qu’il est impossible que la substance spirituelle soit unie à un corps aérien. Ce qu’on peut montrer de trois manières.

De spiritualibus creaturis, a. 7 co. Respondeo. Dicendum quod impossibile est substantiam spiritualem corpori aereo uniri. Quod potest manifestari tripliciter.

 

1. Parce que, parmi tous les autres corps, les corps simples des éléments sont plus imparfaits, puisqu’ils sont matériels par rapport à tous les autres corps ; c'est pourquoi il n’est pas convenable selon la nature de l’ordre des choses que quelque corps simple élémentaire soit uni à une substance spirituelle comme forme.

Primo quidem, quia inter omnia alia corpora, corpora simplicia elementorum sunt imperfectiora, cum sint materialia respectu omnium aliorum corporum; unde non est conveniens secundum rationem ordinis rerum, quod aliquod simplex corpus elementare spirituali substantiae uniatur ut forma.

 

2. Deuxième raison : parce que l’air est un corps simple en son ensemble et dans toutes ses parties ; c'est pourquoi si une substance spirituelle est unie à une partie de l’air, pour la même raison, elle serait unie à tout l’air, et de la même manière à n’importe quel autre élément, ce qui semble absurde.

2. Secunda ratio est, quia aer est corpus simile in toto et in omnibus suis partibus; unde si alicui parti aeris unitur aliqua spiritualis substantia, eadem ratione et toti aeri unietur, et similiter cuilibet alteri elemento; quod videtur absurdum.

 

3. Troisième raison : parce que la substance spirituelle se trouve unie de deux manières à un corps. D’une manière pour produire le mouvement du corps, de même on a dit que les substances spirituelles sont unies  à des corps célestes. D’une autre manière pour que la substance spirituelle soit aidée  par le corps pour sa propre opération, qui est comprendre, de même l’âme humaine est unie à un corps pour acquérir les connaissances par les sens corporels. Mais la substance spirituelle ne peut pas être unie à l’air, ni en raison du mouvement, parce que le mouvement est connaturel à l’air qui suit sa forme anturelle, et on ne trouve pas de mouvement ou dans tout l’air ou en quelqu’une de ses parties, qui ne pourraient être ramené à une cause corporelle. C'est pourquoi, il n’apparaît pas par son mouvement qu’une substance spirituelle lui soit unie. Et la substance spirituelle non plus n’est pas unie à un corps aérien pour la perfection de l’opération intellectuelle : car le corps simple ne peut pas être un instrument de la sensation, comme il est prouvé dans L’âme (III, 12, 434 b 10[114]). C'est pourquoi il reste que la substance spirituelle n’est unie en aucune manière à un corps aérien.

 

3. Tertia ratio est, quia substantia spiritualis dupliciter alicui corpori invenitur uniri. Uno modo ad exhibendum corpori motum; sicut dictum est, quod corporibus caelestibus spirituales substantiae uniuntur. Alio modo ut substantia spiritualis per corpus iuvetur ad propriam suam operationem, quae est intelligere; sicut anima humana unitur corpori, ut per sensus corporeos scientias acquirat. Aeri autem substantia spiritualis non potest uniri neque ratione motus, quia aeri est connaturalis motus quidam, qui consequitur formam eius naturalem; nec invenitur aliquis motus aut in toto aere aut in aliqua eius parte, qui non possit reduci in aliquam causam corporalem. Unde ex motu eius non apparet quod aliqua substantia spiritualis et uniatur. Neque etiam unitur spiritualis substantia corpori aereo propter perfectionem intellectualis operationis: corpus enim simplex non potest esse instrumentum sensus, ut probatur in libro de anima. Unde relinquitur quod spiritualis substantia nullo modo aereo corpori uniatur.

 

Solutions

1. Il faut donc dire que partout où Augustin dit que les démons ont des corps aériens, il n’en  parle pas avec assurance, comme une pensée personnelle, mais selon l’opinion d’autres ; c'est pourquoi il dit au livre XXI (ou XII, 1) de La Cité de Dieu  « Les démons ont leur corps comme certains savants l’ont vu ; par cet air épais et humide. Mais si quelqu’un assure que les démons n’ont pas de corps, ce n’est pas de cela qu’il faut s’occuper par une recherche laborieuse, ou lutter par un débat chicaneur  ».

1. Ad primum ergo dicendum quod ubicumque Augustinus dicit Daemones habere aerea corpora, non loquitur asserendo quasi ex sententia propria, sed secundum opinionem aliorum; unde ipse dicit in XXI de Civit. Dei: sunt quaedam sua etiam Daemonibus corpora, sicut doctis hominibus visum est, ex isto aere crasso atque humido. Si autem nulla quisquam habere corpora Daemones asserat, non est de hac re aut laborandum operosa inquisitione, aut contentiosa disputatione certandum.

 

2. Ainsi s’éclaire la solution à la deuxième objection.

2. Et per hoc patet solutio ad secundum.

 

3. Il faut dire que dans la région inférieure, c'est-à-dire autour de la terre, il y a un lieu de mélange des éléments. Mais plus les corps mixtes, parviennent à un niveau de mélange, plus ils s'éloignent des extrêmités des contraires ; et ainsi ils acquièrent une certaine ressemblance avec les corps célestes, qui sont sans contraires. Et ainsi il apparaît que la vie peut être plus dans la plus haute et la plus basse région qu’au milieu ; surtout quand dans ces inférieurs, plus un corps est prêt pour la vie, plus il aura été proche de l’égalité de la constitution.

3. Ad tertium dicendum quod in inferiori regione, scilicet circa terram, est locus mixtionis elementorum. Corpora autem mixta, quanto magis ad aequalitatem mixtionis perveniunt, tanto magis recedunt ab extremis contrariorum; et sic quamdam similitudinem consequuntur caelestium corporum, quae sunt sine contrarietate. Et sic patet quod vita magis potest esse in suprema et infima regione quam in media: praesertim cum in istis inferioribus tanto paratius est corpus ad vitam, quanto propinquius fuerit aequalitati complexionis.

 

4. Le corps de l’air est plus noble que la terre, mais le corps d’une constitution égale est plus noble que les deux, comme s’il est loin des contraires, être uni se trouve seulement pour les substances spirituelles. En quoi cependant il est plus nécessaire que  les éléments inférieurs abondent matériellement pour parvenir à l’égalité, à cause de l’excès de pouvoir actif dans les autres éléments.

4. Ad quartum dicendum quod corpus aeris est nobilius quam terra, sed corpus aequalis complexionis est nobilius utroque, quasi magis elongatum a contrarietate; et hoc solum invenitur substantiae spirituali uniri. In quo tamen inferiora elementa plus necesse est abundare materialiter ad aequalitatem constituendam, propter excessum activae virtutis in aliis elementis.

 

5. On dit que l’âme gouverne son corps par l’air, pour le mouvement, parce que le mouvement ne peut pas exister pour les autres corps épais.

5. Ad quintum dicendum quod anima dicitur administrare corpus suum per aerem, quantum ad motum; quia est susceptibilior motus aliis corporibus spissis.

 

6. L’air n’est pas indifférent à tout mouvement, mais par rapport à certains il est léger, par rapport à d’autres il est lourd ; c'est pourquoi on ne peut en conclure qu’il est perfectible par l’âme.

6. Ad sextum dicendum quod aer non est indifferens ad omnem motum, sed respectu quorumdam est levis, respectu aliorum gravis; unde ex hoc non habetur quod sit perfectibile per animam.

 

 

Article 8 : Tous les anges diffèrent-ils par l’espèce entre eux ? Articulus 8 : Octavo quaeritur utrum omnes Angeli differant specie ab invicem.

 

Il semble que non[115].

Et videtur quod non.

 

Objections

1. Car Augustin dit dans l’Enchiridion (IX, 29[116]) : « Puisque la créature raisonnable qui était dans les hommes avait péri toute entière par les péchés et les châtiments, elle a mérité d’être réparée en partie ». Par là on argumente ainsi. Si tous les anges différent entre eux selon la nature de l’espèce, plusieurs anges s’étant éloigné de façon irréparable, auraient péri. Mais la providence de Dieu n’a pas supporté qu’une nature raisonnable périsse tout entière, comme on le voit par l’autorité rapportée. Donc tous les anges ne diffèrent pas entre eux selon la nature de l’espèce.

1. Dicit enim Augustinus in Enchir.: creatura rationalis quae in hominibus erat, quoniam peccatis atque suppliciis tota perierat, ex parte reparari meruit. Ex quo sic arguitur. Si omnes Angeli ab invicem differunt secundum naturam speciei, pluribus Angelis irreparabiliter cedentibus, plures naturae irreparabiliter periissent. Sed hoc non patitur divina providentia ut aliqua natura rationalis ex toto pereat, ut patet ex auctoritate inducta. Ergo non omnes Angeli differunt ab invicem secundum naturam speciei.

 

2. Plus certaines choses sont proches de Dieu, en qui il n’y a aucune diversité, moins elles sont différentes. Mais les anges selon l’ordre de la nature sont plus proches de Dieu que les hommes. Ces choses qui diffèrent en nombre et en espèce sont plus différentes que ce qui diffère en nombre et se rencontre dans l’espèce. Donc comme les hommes ne diffèrent pas en espèce, mais en nombre seulement, il semble que les anges, non plus, ne diffèrent pas en espèce.

2. Praeterea, quanto sunt aliqua propinquiora Deo, in quo nulla est diversitas, tanto minus sunt diversa. Angeli autem secundum ordinem naturae propinquiores sunt Deo quam homines. Magis vero diversa sunt ab invicem quae differunt numero et specie, quam quae differunt numero et conveniunt in specie. Cum ergo homines non differant specie, sed numero solum, videtur quod nec Angeli specie differant.

 

3. La conformité des individus dans le principe formel rend semblable en espèce, mais la différence dans le principe matériel fait différer en nombre seulement. Dans les anges l’être même se comporte comme formel pour l’essence de l’ange[117] comme on l’a dit ci-dessus. Donc comme tous les anges se rassemblent dans l’être, mais diffèrent par l’essence, il semble qu’ils ne diffèrent pas en espèce, mais en nombre seulement.

3. Praeterea, convenientia aliquorum in formali principio facit aliqua idem esse specie; differentia vero in principio materiali facit differre numero solum. In Angelis autem ipsum esse se habet ut formale ad essentiam Angeli, ut supra dictum est. Cum igitur omnes Angeli conveniant in esse, differant vero secundum essentiam, videtur quod Angeli non differant specie, sed numero solo.

 

4. Toute substance subsistante créée est un individu contenu sous une nature commune d’une espèce, de sorte que si l’individu est composé, la nature de l’espèce lui est attribuée selon la nature du composé : mais si l’individu a été simple, la nature de l’espèce lui est attribuée selon des natures simples. L’ange est une substance créée subsistante. Donc qu’il soit composé de matière et de forme, ou qu’il soit simple, il faut qu’il soit contenu sous la nature d’une espèce. Mais cela ne déroge pas à la nature de l’espèce, qu’elle puisse avoir plusieurs suppôts, de la même manière non plus cela ne déroge pas à l’individu qui existe sous elle, s’il a quelque chose qui lui est égal dans la même espèce. Donc il semble qu’il est possible qu’il y ait plusieurs anges d’une seule espèce. Dans ce qui est perpétuel il n’y a pas de différence entre être et pouvoir comme il est dit en Physique, III, 4, 203 b 30). Donc chez l’ange, il y a plusieurs individus d’une même espèce.

4. Praeterea, omnis substantia subsistens creata est individuum contentum sub aliqua natura communi speciei; ita quod si individuum sit compositum, natura speciei praedicabitur de eo secundum rationem compositi; si vero individuum fuerit simplex, natura speciei praedicabitur de eo secundum simplices rationes. Angelus autem est substantia creata subsistens. Sive igitur sit compositus ex materia et forma, sive simplex, oportet quod contineatur sub aliqua natura speciei. Sed naturae speciei non derogat quod possit habere plura supposita; similiter etiam nec individuo sub ea existenti derogat, si habeat aliquod secum compar in eadem specie. Ergo videtur quod possibile sit esse plures Angelos unius speciei. In perpetuis autem non differunt esse et posse, ut dicitur in III Physic. Ergo in Angelis sunt plura individua unius speciei.

 

5. Chez les anges, il y a un amour parfait. Donc rien n’est à retirer en eux, qui concerne la perfection de l’amour. Mais qu’ils soient plusieurs d’une même espèce, convient à la perfection de l’amour ; parce que tous les êtres vivants d’une seule espèce s’aiment naturellement entre eux, selon ce mot de l’Ecc.(13, 15) « Tout être vivant aime son semblable ». Donc dans les anges il y a plusieurs [individus] d’une même espèce.

5. Praeterea, in Angelis est perfecta dilectio. Nihil igitur eis subtrahendum est quod ad perfectionem dilectionis pertineat. Sed quod sint plures unius speciei, pertinet ad perfectionem dilectionis; quia omnia animalia unius speciei naturaliter se invicem diligunt, secundum illud Eccli. XIV: omne animal diligit simile sibi. Ergo in Angelis sunt plures unius speciei.

 

6. Comme l’espèce seule a une définition, selon Boèce (In Porphyr., PL LXIV 79D), tout ce qui se rencontre dans la définition semble se rencontrer dans l’espèce. Mais tous les anges se rencontrent dans cette définition que Jean Damascène place dans La Foi orthodoxe, livre II, 3, PG. XCIV, 866) : « L’ange est une substance intellectuelle, toujours mobile, doué de libre arbitre, incorporel, servant Dieu, recevant l’immortalité selon la grâce et non la nature ». Donc tous les anges sont d’une seule espèce.

6. Praeterea, cum sola species definiatur, secundum Boetium, quaecumque in definitione conveniunt, videntur in specie convenire. Sed omnes Angeli conveniunt in illa definitione quam Damascenus ponit in III libro: Angelus est substantia intellectualis, semper mobilis, arbitrio libera, incorporea, Deo ministrans, secundum gratiam (non natura) immortalitatem suscipiens. Ergo omnes Angeli sunt unius speciei.

 

7. Les anges selon l’ordre de la nature sont plus proches de Dieu que les hommes. Mais en Dieu il y a trois personnes d’une seule nature selon le nombre. Donc, comme dans les hommes il y plusieurs personnes d’une seule nature selon l’espèce, il semble que beaucoup plus dans les anges il y a plusieurs personnes rassemblées dans une seule nature de l’espèce.

7. Praeterea, Angeli secundum ordinem naturae sunt propinquiores Deo quam homines. Sed in Deo sunt tres personae unius naturae secundum numerum. Cum igitur in hominibus sint plures personae unius naturae secundum speciem, videtur quod multo fortius in Angelis sint plures personae in una natura speciei convenientes.

 

8.Grégoire [le Grand] (Homélie sur l’Évangile, XXXIV, PL LXXVI, 1255 G) dit que dans cette patrie céleste où il y a la plénitude du bien, encore que certains [biens] soient donnés éminemment, rien cependant n’est possédé personnellement, car tout est en tous, non pas de manière égale, parce que certains possèdent plus sublimement que d’autres ce que cependant tous possèdent. Donc il n’y a de différences dans l’ange que selon le plus et le moins. Mais le plus et le moins ne diversifient pas l’espèce. Donc les anges ne diffèrent pas en espèce.

8. Praeterea, Gregorius dicit quod in illa caelesti patria, ubi plenitudo boni est, licet quaedam data sint excellenter, nihil tamen possidetur singulariter; omnia enim in omnibus sunt, non quidem aequaliter, quia aliqui aliis sublimius possident quae tamen omnes habent. Non est ergo differentia in Angelis, nisi secundum magis et minus. Sed magis et minus non diversificant speciem. Ergo Angeli non differunt specie.

 

9. Tout ce qui se rencontre dans ce qui est le plus noble se rencontre dans une espèce[118] ; parce que plus noble est ce qui est placé sous l’espèce que ce qui est placé sous le genre. Car il y a une différence spécifique formelle par rapport au genre. Mais tous les anges se rencontrent dans le plus noble qui est en eux dans la nature intellectuelle. Donc tous les anges se rencontrent dans une espèce.

9. Praeterea, quaecumque conveniunt in nobilissimo, conveniunt in specie; quia nobilius est quod ponitur sub specie quam quod ponitur sub genere. Est enim differentia specifica formalis respectu generis. Sed omnes Angeli conveniunt in nobilissimo quod in eis est, scilicet in natura intellectuali. Ergo omnes Angeli conveniunt in specie.

 

10. Si un genre est séparé par deux différences[119], dont l’une est plus imparfaite que l’autre, le différence la plus imparfaite est plus multipliable que la plus parfaite comme le non raisonnable est multiplié par plus d’espèces, que le raisonnable. Mais la substance spirituelle est divisée par ce qui peut être uni et non uni ; mais ce qui peut être uni à un corps est plus imparfait dans les substances spirituelles. Donc comme la substance spirituelle qui peut être unie à un corps, c'est-à-dire l’âme humaine, n’est pas distinguée en multiples espèces, beaucoup plus celle qui ne peut pas être unie, c'est-à-dire l’ange, n’est pas multipliée en de nombreuses espèces.

10. Praeterea, si aliquod genus dividatur per duas differentias, quarum una altera sit imperfectior, differentia imperfectior magis est multiplicabilis quam perfectior; sicut irrationale per plures species multiplicatur quam rationale. Substantia autem spiritualis dividitur per unibile et non unibile; unibile autem corpori est imperfectius in spiritualibus substantiis. Cum igitur substantia spiritualis unibilis corpori, scilicet anima humana, non distinguatur in multas species, multo fortius substantia spiritualis non unibilis, scilicet Angelus, non multiplicatur per multas species.

 

11. Le pape Boniface (Epist. II, PL. LXV, 43-44) dit que les fonctions ministérielles dans l’Église militante sont à l’exemple de la milice céleste en laquelle les anges diffèrent en ordre et en puissance. Mais dans l’Église la différence de l’ordre et du pouvoir ne rend pas les hommes différents selon l’espèce. Donc dans la milice céleste des anges non plus. Les anges diffèrent en espèce, même ceux qui sont de différents ordres ou hierarchies.

11. Praeterea, Bonifacius Papa dicit quod ministrationes in Ecclesia militante sunt ad exemplum caelestis militiae, in qua Angeli differunt in ordine et potestate. Sed in Ecclesia militante differentia ordinis et potestatis non facit homines differre secundum speciem. Ergo nec in caelesti militia Angelorum, Angeli specie differunt, etiam qui sunt diversorum ordinum vel hierarchiarum.

 

12. De même que les éléments inférieurs sont ornés de plantes et d’animaux, le ciel étoilé est orné du soleil et de la lune, de même le ciel Empyrée est orné d’anges. Mais on trouve dans les plantes et les animaux beaucoup [d’individus] d’une même espèce ; de la même manière il semble que toutes les étoiles sont une seule espèce, parce qu’elles s’accordent dans une seule forme très noble, qui est la lumière. Donc il semble, à raison égale, que ou bien tous les anges ou bien certains se rencontrent dans une seule espèce.

12. Praeterea, sicut inferiora elementa sunt ornata plantis et animalibus, et caelum sidereum stellis et sole et luna; ita etiam caelum Empyreum ornatum est Angelis. Sed in plantis et animalibus inveniuntur multa eiusdem speciei: similiter etiam videtur quod omnes stellae sint unius speciei, quia communicant in una forma nobilissima, quae est lux. Ergo videtur, pari ratione, quod vel omnes Angeli vel aliqui conveniant in una specie.

 

13. Si on pense que plusieurs anges ne se rencontrent pas dans une seule espèce, cela n’est que parce qu’en eux il n’y a pas de matière. Mais l’éloignement de la matière non seulement enlève la pluralité des individus, mais aussi l’unité, parce que l’individu n’est placé sous l’espèce que par la matière, parce que la matière est le principe d’individuation. Si donc il est nécessaire que penser que les anges sont des individus, à raison égale, on pourra penser qu’ils sont plusieurs dans une seule espèce.

13. Praeterea, si plures Angeli non ponantur convenire in una specie, hoc non est nisi quia in eis non est materia. Sed remotio materiae non solum tollit pluralitatem individuorum, sed etiam unitatem: quia individuum non ponitur sub specie nisi per materiam; quia materia est individuationis principium. Si ergo necesse est poni Angelos esse individua quaedam, pari etiam ratione poni poterit quod sint plures in una specie.

 

14. En ce qui est séparé de la matière, ce qui est compris et de qui comprend est identique, selon le philosophe (L’âme, III, 4, 430 a 3[120]). Si donc les anges étaient sans matière, l’ange qui comprend et l’ange qui est compris seraient le même ; mais n’importe quel ange comprend n’importe quel ange. Donc il en découlerait qu’il n’y aurait qu’un seul ange, ce qui est faux. Donc il ne faut pas penser que les anges sont sans matière, et ainsi il ne faut pas penser que tous les anges diffèrent en espèce.

14. Praeterea, in his quae sunt separata a materia, idem est intellectum et intelligens, secundum philosophum. Si igitur Angeli essent sine materia, idem esset Angelus intellectus et Angelus intelligens. Sed quilibet Angelus intelligit Angelum quemlibet. Ergo sequeretur quod non esset nisi unus Angelus, quod est falsum. Non est ergo ponendum quod Angeli sint sine materia; et ita neque ponendum est quod omnes Angeli differant specie.

 

15. Le nombre est une espèce de quantité, qui n’est pas sans matière. Si donc dans les anges il n’y avait pas de matière, il n’y aurait pas de nombre en eux, ce qui est faux. Donc le même chose que plus haut.

15. Praeterea, numerus est species quantitatis, quae non est sine materia. Si igitur in Angelis non esset materia, non esset in eis numerus; quod est falsum. Ergo idem quod prius.

 

16. En ce qui est sans matière, il n’y a de multiplication que selon la cause et l’effet, comme Rabbi Moyses (Dux perplex, I, 79) le dit. Si donc les anges sont sans matière ou bien il n’y a pas en eux de pluralité, ou bien l’un est cause de l’autre ; l’une et l’autre [solutions] sont fausses. Donc la même chose que plus haut.

16. Praeterea, in his quae sunt sine materia, non est multiplicatio nisi secundum causam et causatum, ut Rabbi Moyses dicit. Si igitur Angeli sunt sine materia, aut non est in eis multitudo, aut unum est causa alterius; quorum utrumque est falsum. Ergo idem quod prius.

 

17. Les créatures sont créées par Dieu, pour que la divine bonté soit représentée en eux. Mais dans une seule espèce d’anges est représentée la bonté divine plus parfaitement que dans la seule espèce de l’homme. Donc il ne faut pas penser qu’il y a plusieurs espèces d’anges.

17. Praeterea, creaturae a Deo sunt conditae, ut in eis divina bonitas repraesentetur. Sed in una specie Angeli repraesentatur divina bonitas perfectius quam in una specie hominis. Non ergo oportet ponere plures species Angelorum.

 

18. Les diverses espèces qui sont divisées par opposition diffèrent selon des différences spécifiques. On ne peut pas disposer autant de différences spécifiques opposées que la multitude des anges. Donc tous les anges ne diffèrent pas en espèce.

18. Praeterea, diversae species secundum differentias specificas differunt, quae ex opposito dividuntur. Non possunt autem designari tot differentiae specificae oppositae, quanta ponitur multitudo Angelorum. Non ergo omnes Angeli differunt specie.

icic

En sens contraire

1. Si certains anges se rencontrent dans l’espèce, cela paraît surtout pour ceux qui sont d’un seul ordre. Mais ceux qui sont d’un seul ordre ne se rencontrent pas dans une espèce, puisqu’il y a dans un même ordre les premiers, les intermédiaires, et les derniers, comme Denys le dit (La Hiérarchie angélique IV, 18[121]). Mais l’espèce n’est pas attribuée aux individus (qui ne font partie) selon le premier et le suivant, comme il est dit en Métaphysique, (III, 4, 999 a 6[122]). Donc il n’y a pas plusieurs anges d’une seule espèce.

1. Sed contra. Si aliqui Angeli in specie conveniant, maxime hoc videtur de illis qui sunt unius ordinis. Sed illi qui sunt unius ordinis non conveniunt in specie, cum in eodem ordine sint primi, medii et ultimi, ut Dionysius dicit X cap. angelicae Hierar. Species autem non praedicatur de suis individuis secundum prius et posterius, ut dicitur in III Metaph. Non ergo sunt plures Angeli unius speciei.

 

2. C’est seulement ce qui est corruptible qui est multiplié en nombre en une seule espèce ce qui est corruptible ; pour que la nature de l’espèce, qui ne peut pas être considérée dans un seul, soit conservée en plusieurs. Mais les anges sont incorruptibles. Donc il n’y a pas plusieurs anges d’une seule espèce.

2. Praeterea, illa sola videntur multiplicari secundum numerum in una specie, quae sunt corruptibilia; ut natura speciei, quae non potest considerari in uno, conservetur in pluribus. Sed Angeli sunt incorruptibiles. Ergo non sunt plures Angeli unius speciei.

 

3. La multiplication des individus en une seule espèce s’opère par la division de la matière. Mais les anges sont immatériels, parce que, comme le dit Augustin (Les confessions, XII, VII, 7)), la matière est proche du néant, mais les anges proches de Dieu. Donc dans les anges il n’y a pas de multiplication des individus dans une même espèce.

3. Praeterea, multiplicatio individuorum in una specie est per divisionem materiae. Sed Angeli sunt immateriales: quia, ut Augustinus dicit XII ConfesVII, materia est prope nihil, Angeli autem prope Deum. Ergo in Angelis non est multiplicatio individuorum in eadem specie.

 

Réponse

Il faut dire que certains ont parlé de cette question de différentes manières. Car les uns ont dit que toutes les substances spirituelles sont d’une seule espèce, mais d’autres que tous les anges sont d’une seule hiérarchie, ou aussi d’un seul ordre ; mais d’autres que tous les anges diffèrent en espèce entre eux[123] : et ce pour trois raisons, me semble-t-il.

Respondeo. Dicendum quod circa hanc quaestionem diversimode aliqui sunt locuti. Quidam enim dixerunt quod omnes spirituales substantiae sunt unius speciei; alii vero, quod omnes Angeli unius hierarchiae, aut etiam unius ordinis; alii autem, quod omnes Angeli ab invicem specie differunt; quod et mihi videtur, propter tres rationes.

 

1. La première raison est prise de la condition de leur substance. Car il est nécessaire de dire que, ou bien ce sont des formes simples subsistantes sans matière, comme on l’a vu plus haut, ou bien que ce sont des formes composées de matière et de forme. Mais si l’ange est une forme simple abstraite de la matière, il est impossible aussi de concevoir qu’il y a plusieurs anges d’une seule espèce, parce que chaque forme, qu’elle soit matérielle ou petite, si on la pense abstraite, selon l’être ou selon l’intellect, ne demeure que si elle est unique en son espèce. Car si on comprend la blancheur subsistante sans aucun substrat, il ne sera pas possible de placer plusieurs blancheurs, puisque nous voyons que cette blancheur ne diffère d’une autre que par le fait qu’elle est en ce substrat ou en cet autre. Et de la même manière, s’il y avait une humanité abstraite, elle ne serait qu’une seulement. Mais si l’ange est une substance composée de matière et de forme, on dit nécessairement que les matières des différents anges seraient distinguées de quelque manière. Mais on ne distingue la matière de la matière que de deux manières.

Prima sumitur ex conditione substantiae eorum. Necesse est enim dicere, quod vel sint formae simplices subsistentes absque materia, ut supra habitum est; vel sint formae compositae ex materia et forma. Si autem Angelus est forma simplex abstracta a materia, impossibile est etiam fingere quod sint plures Angeli unius speciei: quia quaecumque forma, quantumcumque materialis et infima, si ponatur abstracta vel secundum esse vel secundum intellectum, non remanet nisi una in specie una. Si enim intelligatur albedo absque omni subiecto subsistens, non erit possibile ponere plures albedines; cum videamus quod haec albedo non differt ab alia nisi per hoc quod est in hoc vel in illo subiecto. Et similiter si esset humanitas abstracta, non esset nisi una tantum. Si vero Angelus sit substantia ex materia et forma composita, necesse est dicere quod materiae diversorum Angelorum sint aliquo modo distinctae. Distinctio autem materiae a materia non invenitur nisi duplex.

 

a. L’une selon la nature propre de la matière, et c’est selon la relation à différents actes : en effet comme la matière en sa nature propre est en puissance, qu’on parle de la puissance pour l’acte, il est nécessaire que selon l’ordre des actes la distinction soit atteinte dans les puissances et les matières. Et de cette manière la matière des corps inférieurs, qui est puissance à être, diffère de la matière des corps célestes, qui est puissance pour le lieu.

Una secundum propriam rationem materiae, et haec est secundum habitudinem ad diversos actus: cum enim materia secundum propriam rationem sit in potentia, potentia autem ad actum dicatur, necesse est quod secundum ordinem actuum attendatur distinctio in potentiis et materiis. Et hoc modo materia inferiorum corporum, quae est potentia ad esse, differt a materia caelestium corporum, quae est potentia ad ubi.

b. La seconde distinction de la matière dépend de la division de la quantité dans la mesure où la matière qui existe sous ses dimensions est distinguée par ce qui est sous d’autres dimensions.

Secunda distinctio materiae est secundum divisionem quantitatis; prout materia existens sub his dimensionibus distinguitur ab ea quae est sub aliis dimensionibus.

 

Et la première distinction de la matière produit la diversité selon le genre, parce que, selon le philosophe (Métaphysique, V, 28, 1024 b 12[124]) les différenteschoses diffèrent en genre selon la matière[125]. Mais la seconde distinction de la matière produit aussi la diversité des individus dans une même espèce. Mais cette seconde distinction de la matière ne peut pas exister dans les différents anges, puisqu’ils sont sans corps, et tout à fait sans dimensions quantitatives. Il reste donc que, s’il y a plusieurs anges composés de matière et de forme, la distinction des matières est en eux selon la première manière et ainsi il en découle qu’ils diffèrent non seulement en espèce mais aussi en genre[126].

Et prima quidem materiae distinctio facit diversitatem secundum genus: quia, secundum philosophum in V Metaph., genere differunt secundum materiam diversa. Secunda autem distinctio materiae facit diversitatem individuorum in eadem specie. Haec autem secunda distinctio materiae non potest esse in diversis Angelis, cum Angeli sint incorporei, et omnino absque dimensionibus quantitativis. Relinquitur ergo, quod si sint plures Angeli compositi ex materia et forma, quod sit in eis distinctio materiarum secundum primum modum; et ita sequitur quod non solum specie, sed etiam genere differunt.

 

2. La seconde raison est prise de l’ordre de l’univers. Car il est évident que le bien de l’univers est double : quelque chose de séparé, à savoir Dieu, qui est comme le général en son armée, et quelque chose dans les choses mêmes, et c’est l’ordre des parties de l’univers, comme l’ordre des parties de l’armée est le bien de l’armée. C'est pourquoi l’Apôtre dit (Rm. 13) « Ce qui est de Dieu est ordonné[127] ».

Secunda ratio sumitur ex ordine universi. Manifestum est enim quod duplex est bonum universi: quoddam separatum, scilicet Deus, qui est sicut dux in exercitu; et quoddam in ipsis rebus, et hoc est ordo partium universi, sicut ordo partium exercitus est bonum exercitus. Unde apostolus dicit Rom. XIII: quae a Deo sunt, ordinata sunt.

 

Mais il faut que les parties supérieures de l’univers participent plus au bien de l’univers, qui est l’ordre. Mais participent plus parfaitement à l’ordre ce en quoi il y a un ordre par soi, que ce en quoi il y a un ordre par accident seulement. Il est évident que dans tous les individus d’une seule espèce, il n’y a d’ordre que par accident : car ils se rencontrent dans la nature de l’espèce et diffèrent selon les principes d’individuation et les différents accidents, qui se comportent par accident pour la nature de l’espèce. Mais ce qui diffère en espèce a un ordre par soi et selon les principes essentiels. Car on en trouve dans les espèces une qui dépasse les autres, comme dans les espèces des nombres, comme il est dit (Métaphysique, VIII, 3, 1043 b 36). Dans ces choses inférieures qui peuvent être générées et corrompues, et [qui constituent] une infime partie de l’univers, qui participent moins de l’ordre, on trouve que tout ce qui est différent n’a pas d’ordre par soi, mais certains ont un ordre par accident seulement comme les individus d’une seule espèce. Mais la partie supérieure de l’univers, à savoir dans les corps célestes, on ne trouve pas d’ordre par accident, mais seulement par soi, puisque tout les corps célestes diffèrent entre eux en espèce, et il n’y a pas en eux plusieurs individus d’une seule espèce, mais seulement un seul soleil et une seule lune, etc.. Donc beaucoup plus dans la partie suprême de l’univers on ne trouve pas de choses ordonnées par accident et non par soi. Et ainsi il reste que tous les anges diffèrent entre eux en espèce, selon une plus ou moins grande perfection des formes simples, d’une plus ou moins grande proximité de Dieu qui est l’acte pur et d’une perfection infinie.

Oportet autem quod superiores universi partes magis de bono universi participent, quod est ordo. Perfectius autem participant ordinem ea in quibus est ordo per se, quam ea in quibus est ordo per accidens tantum. Manifestum est autem quod in omnibus individuis unius speciei non est ordo nisi secundum accidens: conveniunt enim in natura speciei, et differunt secundum principia individuantia, et diversa accidentia, quae per accidens se habent ad naturam speciei. Quae autem specie differunt, ordinem habent per se et secundum essentialia principia. Invenitur enim in speciebus rerum una abundare super aliam, sicut et in speciebus numerorum, ut dicitur in VIII Metaph. In istis autem inferioribus, quae sunt generabilia et corruptibilia, et infima pars universi, et minus participant de ordine, invenitur non omnia diversa habere ordinem per se; sed quaedam habent ordinem per accidens tantum, sicut individua unius speciei. In superiori autem parte universi, scilicet in corporibus caelestibus, non invenitur ordo per accidens, sed solum per se; cum omnia corpora caelestia ab invicem specie differant, nec sint in eis plura individua unius speciei, sed unus tantum sol et una luna, et sic de aliis. Multo ergo magis in suprema parte universi non invenitur aliqua ordinata per accidens et non per se. Et sic relinquitur quod omnes Angeli ab invicem specie differunt secundum maiorem et minorem perfectionem formarum simplicium, ex maiori vel minori propinquitate ad Deum, qui est actus purus, et infinitae perfectionis.

 

3. La troisième raison est prise de la perfection de la nature angélique. Car on appelle parfait ce à quoi rien ne manque de ce qui lui convient; et le degré de cette perfection peut être évalué par les extrêmités des choses[128]. Car à Dieu qui est au degré suprême de la perfection, il ne manque rien de ce qui lui convient pour la nature de tout son être ; car il a d’avance en lui toutes les perfections des choses absolument et de façon excellente, comme Denys le dit (Les Noms divins, V, lectio 1). Mais un individu dans la plus petite partie des choses, qui contient ce qui peut être engendré ou corrompu, se trouve parfait du fait qu’il a ce qui lui convient selon la nature de son individuation, mais non ce qui convient à la nature de son espèce, puisque cette nature aussi se trouve dans les autres individus. Ce qui manifestement paraît convenir à l’imperfection, non seulement dans les animaux qui engendrent, en qui l’un a besoin d’un autre de son espèce, pour la vie commune, mais aussi dans tous les animaux engendrés de quelque manière que ce soit par la semence, en quoi le mâle a besoin d’une femelle de son espèce pour engendrer.

Tertia vero ratio sumitur ex perfectione naturae angelicae. Perfectum enim dicitur unumquodque quando nihil deest ei eorum quae ad ipsum pertinent; et huius quidem perfectionis gradus ex extremis rerum perpendi potest. Deo enim, qui est in supremo perfectionis, nihil deest eorum quae pertinent ad rationem totius esse: praehabet enim in se omnes rerum perfectiones simpliciter et excellenter, ut Dionysius dicit. Individuum autem aliquod in infima parte rerum, quae continet generabilia et corruptibilia, perfectum invenitur ex eo quod habet quidquid ad se pertinet secundum rationem individuationis suae; non autem quidquid pertinet ad naturam suae speciei, cum natura suae speciei etiam in aliis individuis inveniatur. Quod manifeste ad imperfectionem pertinere apparet, non solum in animalibus generabilibus, in quibus unum indiget alio suae speciei ad convictum; sed etiam in omnibus animalibus ex semine qualitercumque generatis, in quibus mas indiget femina suae speciei ad generandum.

 

Et en plus dans tout ce qui peut être engendré ou corrompu en qui est nécessaire la pluralité des individus d’une seule espèce, qui ne peut pas être conservée perpétuellement dans un seul individu du fait de sa corruptibilité, est conservée en plusieurs. Mais dans la partie supérieure de l’univers, on trouve un degré plus élevé de perfection, en qui un seul individu, comme le soleil, est parfait de sorte que rien ne lui manque de ce qui convient à sa propre espèce.C'est pourquoi toute la nature de l’espèce est incluse dans un seul individu, et il en est de la même manière pour les autres corps célestes. Donc beaucoup plus dans la partie suprême des créatures, qui est très proche de Dieu, c'est-à-dire dans les anges, cette perfection se trouve pour que dans un individu rien ne manque ce qui convient à l’espèce entière et ainsi il n’y a pas plusieurs individus dans une seule espèce. Mais comme Dieu qui est au sommet des la perfection, il ne se rencontre avec aucun autre [être], non seulement en espèce, mais en genre et en un autre prédicat univoque.

Et ulterius in omnibus generabilibus et corruptibilibus, in quibus necessaria est multitudo individuorum unius speciei, ut natura speciei, quae non potest perpetuo conservari in uno individuo propter eius corruptibilitatem, conservetur in pluribus. In parte autem superiori universi invenitur altior gradus perfectionis, in quibus unum individuum, ut sol, sic est perfectum, ut nihil ei desit eorum quae ad propriam speciem pertinent. Unde et tota natura speciei concluditur sub uno individuo; et similiter est de aliis corporibus caelestibus. Multo ergo magis in suprema parte rerum creatarum, quae est Deo propinquissima, scilicet in Angelis, haec perfectio invenitur ut uni individuo nihil desit eorum quae ad totam speciem pertinent; et sic non sunt plura individua in una specie. Deus vero, qui est in summo perfectionis, cum nullo alio convenit non solum in specie, sed nec in genere nec in alio praedicato univoco.

 

Solutions

1. Augustin parle ici de la nature angélique et de la nature humaine, non pas selon qu’elles sont considérées dans leur être naturel, mais selon qu’elles sont ordonnées à la béatitude ; car certains ont péri dans la nature angélique et la nature humaine. Quant à l’ordre de la béatitude, la nature humaine est opposée à toute la nature angélique, parce que celle-ci est destinée à parvenir à la béatitude d’une seule manière, ou bien à y renoncer de façon irréparable, aussitôt à la première élection, mais la nature humaine [y est destinée] au cours du temps. Et c'est pourquoi Augustin parle là de tous les anges comme d’une seule nature, à cause d’un certain rapport à la béatitude, bien qu’ils diffèrent selon l’espèce de la nature.

1. Ad primum ergo dicendum quod Augustinus loquitur ibi de natura angelica et humana, non secundum quod considerantur in esse naturali, sed secundum quod ordinantur ad beatitudinem: sic enim aliqui in natura angelica et humana perierunt. Quantum autem ad ordinem beatitudinis, natura humana dividitur contra totam naturam angelicam: quia tota natura angelica uno modo nata est pervenire ad beatitudinem, vel ab ea deficere irreparabiliter, scilicet statim ad primam electionem; natura vero humana per decursum temporis. Et ideo loquitur ibi Augustinus de omnibus Angelis sicut de una natura, propter unum modum ordinis ad beatitudinem, licet differant secundum speciem naturae.

 

2. Il faut dire que quand on cherche la différence ou la convenance de l’espèce, la considération dépend de leurs natures. Et là ce sujet, il ne faut pas parler de tous les anges, comme d’une seule nature très proche de Dieu, mais seul le premier ange était de la plus proche nature de Dieu ; en cette nature la diversité est minime, parce qu’elle ne dépend ni de l’espèce ni du nombre.

2. Ad secundum dicendum quod cum inquiritur de differentia vel convenientia speciei, est consideratio de rebus secundum naturas ipsarum. Et secundum hoc non est loquendum de omnibus Angelis, sicut de natura una Deo propinquissima; sed solus primus Angelus erat secundum hoc natura Deo propinquissima: in qua quidem natura est minima diversitas, quia nec secundum speciem nec secundum numerum.

 

3. L’être même se comporte comme acte tant pour les natures composées, que pour les natures simples[129]. Ainsi dans les natures composées l’espèce n’est pas prise de l’être mais de la forme, parce que l’espèce est attribuée à ce qui est, l’être semble répondre à la question : est-il ?; c’est pourquoi dans les substances angéliques l’espèce n’est pas prise selon l’être même, mais selon les formes simples subsistantes, dont la différence dépend de la nature de la perfection comme on l’a dit.

3. Ad tertium dicendum quod ipsum esse se habet ut actus tam ad naturas compositas, quam ad naturas simplices. Sicut ergo in naturis compositis species non sumitur ab ipso esse sed a forma, quia species praedicatur in quid est, esse autem pertinere videtur ad quaestionem an est; unde nec in substantiis angelicis species sumitur secundum ipsum esse, sed secundum formas simplices subsistentes; quarum differentia est secundum ordinem perfectionis ut dictum est.

 

4. De même que la forme qui est dans un substrat ou dans une matière est individualisée par ce qui en est l’être[130] : de même la forme séparée est individualisée parce qu’elle est destinée naturellement à un être. Car de même que l’être en cela exclut la participation à l’universel, qui est attribué à beaucoup, de même il ne peut pas être dans quelque chose. Donc de même que cette blancheur n’est pas empêchée de s’étendre à de nombreux individus du fait que c’est la blancheur qui convient à la nature de l’espèce, mais du fait qu’elle est en ce qui convient à la nature de l’individu ; de même la nature de cet ange n’est pas empêchée d’être en beaucoup, du fait que c’est la nature dans un tel ordre des choses, qui convient à la nature de l’espèce, mais du fait qu’elle n’est pas destinée à être reçue dans un substrat, qui convient à la nature de l’individu.

4. Ad quartum dicendum quod sicut forma quae est in subiecto vel materia, individuatur per hoc quod est esse in hoc; ita forma separata individuatur per hoc quod est nata in aliquo esse. Sicut enim esse in hoc excludit communitatem universalis quod praedicatur de multis, ita non posse esse in aliquo. Sicut igitur haec albedo non prohibetur habere sub se multa individua ex hoc quod est albedo, quod pertinet ad rationem speciei, sed ex hoc quod est in hoc, quod pertinet ad rationem individui; ita natura huius Angeli non prohibetur esse in multis ex hoc quod est natura in tali ordine rerum, quod pertinet ad rationem speciei; sed ex hoc quod non est nata recipi in aliquo subiecto, quod pertinet ad rationem individui.

 

5. L’affection suit le connaissance ; plus la connaissance est universelle, plus l’affection qui en découle concerne le bien commun et plus la connaissance est particulière, plus l’affection qui en découle concerne le bien privé ; c'est pourquoi en nous aussi l’amour individuel tire son origine de la connaissance sensible, mais l’amour particulier du bien absolu tire son origine de la connaissance intellectuelle. Donc, parce que, plus les anges sont élevés, plus ils ont une science universelle, comme Denys le dit (La Hiérarchie angélique, XII, 2, PG. 1, 298), leur amour concerne tout à fait le bien commun. Donc plus ils s’aiment entre eux, s’ils diffèrent en espèce, cela convient à la perfection de l’univers, comme on l’a montré, que s’ils se rassemblent plus dans une espèce qui convient au bien privé d’une seule espèce.

5. Ad quintum dicendum quod, cum affectio sequatur cognitionem, quanto cognitio est universalior, tanto affectio eam sequens magis respicit commune bonum; et quanto cognitio est magis particularis, tanto affectio ipsam sequens magis respicit privatum bonum; unde et in nobis privata dilectio ex cognitione sensitiva exoritur, dilectio vero communis et absoluti boni ex cognitione intellectiva. Quia igitur Angeli quanto sunt altiores, tanto habent scientiam magis universalem, ut Dionysius dicit, XII cap. Angel. Hierar., ideo eorum dilectio maxime respicit commune bonum. Magis igitur diligunt se invicem, si specie differunt, quod magis pertinet ad perfectionem universi, ut ostensum est, quam si in specie convenirent, quod pertineret ad bonum privatum unius speciei.

 

6. Notre âme unie à un corps ne peut pas comprendre les substances séparées en leurs essences, pour savoir ce qu’elle sont, parce que leurs essences excluent le genre des natures sensibles et leur rapport, par lesquelles notre intellect en prend connaissance. Et c'est pourquoi les substances séparées ne peuvent pas être définies par nous au sens propre, mais seulement par éloignement ou par leur opération. Et de cette manière Jean Damascène ne donne pas de l’ange une définition qui convient à une espèce très spéciale, mais à un genre subalterne, qui est le genre et l’espèce par où il peut recevoir une définition.

6. Ad sextum dicendum quod substantias separatas non potest anima nostra corpori unita secundum essentias earum intelligere, ut sciat de eis quid sunt; quia earum essentiae excedunt genus sensibilium naturarum et earum proportionem, ex quibus intellectus noster cognitionem capit. Et ideo substantiae separatae non possunt definiri a nobis proprie, sed solum per remotionem, vel aliquam operationem ipsarum. Et hoc modo Damascenus definit Angelum non definitione pertinente ad speciem specialissimam, sed ad genus subalternum, quod est genus et species, unde definiri potest.

 

7. La manière de distinguer les personnes divines se fait sans la diversité de l’essence, ce que la nature créée ne supporte pas, et c'est pourquoi cela ne peut pas tirer à conséquence dans les créatures.

7. Ad septimum dicendum quod modus distinctionis personarum divinarum est absque essentiae diversitate, quod non patitur natura creata; et ideo non est hoc ad consequentiam trahendum in creaturis.

 

8. On comprend le plus et le moins de deux manières. 1. D’une première manière selon le mode différent de la participation d’une seule et même forme, comme on dit que plus blanc est plus clair que moins blanc, et ainsi plus et moins ne différencient pas l’espèce. 2. D’une autre manière on parle du plus et du moins selon le degré des différentes formes, comme on dit que le blanc est plus clair que le rouge et le vert ; et ainsi plus et moins différencient l’espèce ; de cette manière les anges diffèrent en dons naturels selon le plus et le moins.

8. Ad octavum dicendum quod magis et minus dupliciter accipitur. Uno modo secundum diversum modum participationis unius et eiusdem formae, sicut magis album dicitur magis clarum quam minus album; et sic magis et minus non diversificant speciem. Alio modo dicitur magis et minus secundum gradum diversarum formarum, sicut album dicitur magis clarum quam rubeum aut viride; et sic magis et minus diversificant speciem; et hoc modo Angeli differunt in donis naturalibus secundum magis et minus.

 

9. Ce qui a établi en espèce est plus noble que ce qui a établi en genre, comme le déterminé [est plus noble que] l’indéterminé ; car le déterminé se comporte vis-à-vis de l’indéterminé comme l’acte vis-à-vis de la puissance. Mais pas toujours de sorte que ce qui a établi dans une espèce qui convient à une plus noble nature, comme on le voit, dans les espèces animales sans raison ; car des espèces de ce genre ne sont pas établies par addition d’une autre nature plus noble au-dessus de la nature sensitive, qui est la plus noble en elles, mais par la limitation aux différents degrés dans cette nature. Et il faut parler de la même manière au sujet de [la partie] intellectuelle qui est commune dans les anges.

9. Ad nonum dicendum quod id quod constituit in specie est nobilius eo quod constituit in genere, sicut determinatum indeterminato: habet enim se determinatum ad indeterminatum ut actus ad potentiam. Non autem ita quod semper illud quod constituit in specie, ad nobiliorem naturam pertineat, ut patet in speciebus animalium irrationalium: non enim constituuntur huiusmodi species per additionem alterius naturae nobilioris supra naturam sensitivam, quae est nobilissima in eis, sed per determinationem ad diversos gradus in illa natura. Et similiter dicendum est de intellectuali, quod est commune in Angelis.

 

10. Il ne semble pas universellement vrai qu’une différence de genre plus imparfaite se multiplie en beaucoup d’espèces. Car on divise les corps en animé et inanimé : plus nombreuses cependant paraissent être les espèces de corps animés que celles des inanimés, surtout si les corps célestes sont animés, et si toutes les étoiles sont différentes en espèce entre elles. Mais c’est aussi dans les plantes et les animaux qu’il y a la plus grande diversité d’espèces. Pour en rechercher cependant une vérité, il faut considérer que Denys semble émettre une opinion contraire aux Platoniciens. Car ceux-ci disent que plus les substances sont proches d’un premier UN, moins elles sont nombreuses. Mais Denys dit (La Hiérarchie des anges, (XIV PG. 321), que les anges surpassent toute multitude matérielle. Mais que les deux opinions soient vraies, on peut le concevoir par ce qui est corporel, en qui plus on trouve un corps supérieur, moins il a de matière, mais il s’étend dans un plus grande quantité. C'est pourquoi comme le nombre est d’une certaine manière la cause de la quantité continue, selon que le point constitue une unité, et le point constitue la ligne, pour parler à la manière des Platoniciens, ainsi aussi dans toute l’universalité des choses, plus certaines sont supérieures dans les étants, plus elles ont de multitude formelle, qui est atteinte selon la distinction des espèces et en cela on conserve la parole de Denys, mais moins dans la multitude matérielle qui est atteinte selon la distinction des individus dans une même espèce, ce qui conserve l’opinion des Platoniciens. Mais une seule espèce animale raisonnable est constituée, avec beaucoup d’espèces d’animaux sans raison, d’où provient que l’animal raisonnable est constitué de ce que la nature corporelle atteint en son degré suprême, la nature des substances spirituelles dans leur plus bas degré. Mais le degré suprême d’une nature ou bien aussi le plus bas, est unique seulement : quoiqu’on puisse dire qu’il y a de nombreuses espèces d’animaux doués de raison si quelqu’un pensait que les corps célestes sont animés.

10. Ad decimum dicendum quod hoc non videtur esse universaliter verum, quod imperfectior differentia generis in plures species multiplicetur. Corpus enim dividitur per animatum et inanimatum: plures tamen videntur esse species animatorum corporum quam inanimatorum, praecipue si corpora caelestia sint animata, et omnes stellae ab invicem specie differant. Sed et in plantis et animalibus est maxima diversitas specierum. Ut tamen huius rei veritas investigetur, considerandum est quod Dionysius Platonicis contrariam sententiam proferre videtur. Dicunt enim Platonici quod substantiae quo sunt primo uni propinquiores, eo sunt minoris numeri. Dionysius vero dicit in XIV cap. angelicae hierarchiae, quod Angeli omnem materialem multitudinem transcendunt. Utrumque autem verum esse aliquis potest ex rebus corporalibus percipere; in quibus quanto corpus aliquod invenitur superius, tanto minus habet de materia, sed in maiorem quantitatem extenditur. Unde cum numerus quodammodo sit causa quantitatis continuae, secundum quod punctum constituit unitas, et punctus lineam, ut more Platonicorum loquamur: ita est etiam in tota rerum universitate, quod quanto aliqua sunt superiora in entibus, tanto plus habent de formali multitudine, quae attenditur secundum distinctionem specierum: et in hoc salvatur dictum Dionysii: minus autem de multitudine materiali quae attenditur secundum distinctionem individuorum in eadem specie; in quo salvatur dictum Platonicorum. Quod autem est una sola species animalis rationalis, multis existentibus speciebus irrationalium animalium, ex hoc provenit, quia animal rationale constituitur ex hoc quod natura corporea attingit in sui supremo naturam substantiarum spiritualium in sui infimo. Supremus autem gradus alicuius naturae, vel etiam infimus, est unus tantum: quamvis posset dici plures esse species rationalium animalium, si quis poneret corpora caelestia animata.

 

11. Les hommes font partie des créatures corruptibles, qui sont une partie infinie de l’univers, en laquelle on trouve certaines choses ordonnées non seulement par soi mais aussi par accident. Et c’est pourquoi dans l’Église militante la diversité selon la puissance et l’ordre ne différencie pas l’espèce ; c’est autrement dans les anges, qui sont la partie supérieure de l’univers, comme on l’a dit. Mais dans les hommes, la ressemblance des anges n’est pas parfaite, mais il arrive qu’elle est telle, comme on l’a dit.

11. Ad undecimum dicendum quod homines continentur inter creaturas corruptibiles, quae sunt infinita pars universi, in qua inveniuntur aliqua ordinata non solum per se, sed etiam per accidens. Et ideo in Ecclesia militanti diversitas secundum potentiam et ordinem non diversificat speciem; secus autem est in Angelis, qui sunt suprema pars universi, ut dictum est. Est autem in hominibus Angelorum similitudo non perfecta, sed qualem esse contingit, ut dictum est.

 

12. Parce que les ornements de la terre et de l’eau sont corruptibles, ils requièrent la pluralité dans une même espèce, comme on l’a dit. Mais les corps célestes sont aussi de différentes espèces, comme on l’a dit, car la lumière n’est pas leur forme susbtantielle, puisqu’elle est qualité sensible par soi ; ce qu’on ne peut dire d’aucune forme substantielle. Et ensuite la lumière n’est pas de la même nature en toutes choses, ce qui paraît du fait que les rayons des différents corps supérieurs ont des effets différents.

12. Ad duodecimum dicendum quod ornamenta terrae et aquae, quia corruptibilia sunt, requirunt multitudinem in eadem specie, ut dictum est. Corpora autem caelestia etiam sunt diversarum specierum, ut dictum est: lux enim non est forma substantialis eorum, cum sit qualitas per se sensibilis; quod de nulla forma substantiali dici potest. Et praeterea non est eiusdem rationis lux in omnibus; quod patet ex hoc quod diversorum corporum superiorum radii diversos habent effectus.

 

13. L’individuation dans les anges ne se fait pas par la matière, mais par le fait qu’ils sont les formes subsistantes par soi, qui ne sont pas destinées à être dans un substrat ou une matière, comme on la dit.

13. Ad decimumtertium dicendum quod individuatio in Angelis non est per materiam, sed per hoc quod sunt formae per se subsistentes, quae non sunt natae esse in subiecto vel materia, ut dictum est.

 

14. Les anciens philosophes ont pensé que ce qui connaît doit être de la nature de ce qui est connu ; c'est pourquoi Empédocle a dit (L’âme, I, 2, 404 b 13) que nous connaissons la terre par la terre et l’eau par l’eau. Mais pour s’y opposer Aristote (L’âme, III, 4, 429 a 21) a pensé que la puissance cognitive en nous, dans la mesure où elle est en puissance, est vide de la nature des connaissables, comme la pupille est vide de couleur, mais cependant le sens en acte est senti en acte, en tant qu’il devient sens en acte, par le fait qu’il est mis en forme par une espèce sensible, et par la même raison l’intellect en acte est ce qui est compris en acte, en tant qu’il est mis en forme par l’espèce intelligible : car la pierre n’est pas dans l’âme, mais la forme de la pierre, comme il le dit lui-même (L’âme, III, 8, 431 b 29). De ce fait il y a quelque chose d’intelligible en acte qui est séparé de la matière et c’est pourquoi il dit (L’âme, III, 4, 430 a 2) que dans ce qui est sans matière, ce qui comprend et ce qui est compris sont identiques. Donc il ne faut pas que l’ange qui pense soit le même en substance que l’ange qui est pensé s’ils sont immatériels, mais il faut que l’intellect de l’un soit mis en forme par la ressemblance de l’autre.

14. Ad decimumquartum dicendum quod antiqui philosophi posuerunt quod cognoscens debet esse de natura rei cognitae; unde Empedocles dixit quod terram terra cognoscimus, et aquam aqua. Sed ad hoc excludendum Aristoteles posuit quod virtus cognoscitiva in nobis, prout est in potentia, est denudata a natura cognoscibilium, sicut pupilla a colore; sed tamen sensus in actu est sensatum in actu, in quantum fit sensus in actu per hoc quod informatur specie sensibili; et eadem ratione intellectus in actu est intellectum in actu, in quantum informatur per speciem intelligibilem: non enim lapis est in anima, sed species lapidis, ut ipse dicit. Ex hoc autem est aliquid intelligibile in actu, quod est a materia separatum; et ideo dicit quod in his quae sunt sine materia, idem est intellectus et quod intelligitur. Non ergo oportet quod Angelus intelligens sit idem in substantia quod Angelus intellectus, si sunt immateriales; sed oportet quod intellectus unius formetur per similitudinem alterius.

 

15. Le nombre qui est causé par la division du continu est une espèce de quantité, et est seulement dans les substances matérielles. Mais dans les substances immatérielles il y a la multitude qui vient des transcendantaux, selon que l’un et beaucoup divisent l’étant, et cette pluralité suit la distinction formelle.

15. Ad decimumquintum dicendum quod numerus qui causatur ex divisione continui est species quantitatis, et est tantum in substantiis materialibus. Sed in substantiis immaterialibus est multitudo quae est de transcendentibus, secundum quod unum et multa dividunt ens; et haec multitudo consequitur distinctionem formalem.

 

16. La différence entre la cause et l’effet est placée par certains pour multiplier les substances séparées ; en tant qu’ils pensent que c’est de cela que proviennent les différents degrés, en eux ; dans la mesure où l’effet est en dessous de sa cause. C'est pourquoi si nous pensons qu’il y a différents degrés dans les substances, immatérielles, par l’ordre de la sagesse divine qui les cause, il restera une même raison de distinction, même si l’une d’elles n’est pas la cause de l’autre.

16. Ad decimumsextum dicendum quod differentia secundum causam et causatum ponitur a quibusdam multiplicare substantias separatas, in quantum per hoc ponunt provenire diversos gradus in eis, prout causatum est infra suam causam. Unde si ponimus diversos gradus in substantiis immaterialibus ex ordine divinae sapientiae causantis, remanebit eadem distinctionis ratio, etiam si una earum non sit causa alterius.

 

17. Comme n’importe quelle nature créée est finie, elle ne représente pas parfaitement la bonté divine comme la multitude des natures, parce que ce qui est contenu de multiples façons en de nombreuses natures est reçu en Dieu sous l’unité et ainsi il a fallu qu’il y ait de nombreuses natures dans l’univers, et ainsi que dans les substances angéliques.

17. Ad decimumseptimum dicendum quod quaelibet natura creata, cum sit finita, non ita perfecte repraesentat divinam bonitatem sicut multitudo naturarum: quia quod in multis naturis multipliciter continetur, comprehenditur in Deo unite; et ideo oportuit esse plures naturas in universo, et etiam in substantiis angelicis.

 

18. On considère l’opposition des différences qui constituent les espèces angéliques en tant que parfait et imparfait ou ce qui excède ou ce qui est excédé, comme c’est aussi dans les nombres, et comme se comportent l’animé et l’inanimé, etc..

18. Ad decimumoctavum dicendum, quod oppositio differentiarum constituentium angelicas species, accipitur secundum perfectum et imperfectum, vel excedens et excessum; sicut est etiam in numeris, et sicut se habent animatum et inanimatum, et alia huiusmodi.

 

 

Article 9 : L’intellect possible est-il unique dans tous les hommes ? Articulus 9 : Nono quaeritur utrum intellectus possibilis sit unus in omnibus hominibus

 

Il semble que oui[131].

Et videtur quod sic.

 

 Objections

1. Augustin dit dans le livre La Dimension[132] de l’âme (XXXII, 69. PL. 33, 1073[133]) : « Si j’avais dit que les âmes sont nombreuses, je me serais moqué de moi ». Donc il semble risible de dire qu’il y a beaucoup d’âmes intellectives.

1. Dicit enim Augustinus in libro de quantitate animae: si dixero multas esse animas, ipse me ridebo. Derisibile ergo videtur dicere multas animas intellectivas esse.

 

2. En ce qui est sans matière, il y a un seul individu par espèce, comme on l’a montré (art. 8). Mais comme l’intellect possible, ou âme intellective est une substance spirituelle, elle n’est pas composée de matière et de forme, comme on l’a montré plus haut (art. 1). Donc il y a seulement un âme intellective, ou intellect possible dans toute l’espèce humaine.

2. Praeterea, in his quae sunt sine materia, est unum individuum in una specie, ut ostensum est. Sed intellectus possibilis, sive anima intellectiva, cum sit substantia spiritualis, non est compositus ex materia et forma, ut prius ostensum est. Ergo est una tantum anima intellectiva, sive intellectus possibilis, in tota specie humana.

 

3. Mais on pourrait dire que même si l’âme intellective n’a pas de matière par laquelle elle existe, elle a cependant une matière en laquelle elle est, à savoir le corps ; selon leur multiplication, les âmes intellectives sont multipliées. En sens contraire, une fois retirée la cause,  l’effet est retiré. Si donc la multiplication des corps est la cause de la pluralité des âmes, une fois retiré les corps, beaucoup d’âmes ne peuvent pas demeurer.

3. Sed dicebat quod etsi anima intellectiva non habeat materiam ex qua sit, habet tamen materiam in qua est, scilicet corpus, secundum quorum multiplicationem multiplicantur animae intellectivae.- Sed contra, remota causa removetur effectus. Si igitur multiplicatio corporum est causa multitudinis animarum, remotis corporibus, non possunt multae animae remanere.

 

4. L’individuation se fait selon la déterminations des principes essentiels, car de même qu’il est de la nature de l’homme d’être composé d’une âme et d’un corps, il est de la nature de Socrate d’être composé de cette âme et de ce corps, comme le fait voir le philosophe (Métaphysique, VII, 10, 1035b 29[134]). Mais le corps n’est pas de l’essence de l’âme. Donc il est impossible que l’âme soit individuée par le corps, et ainsi les âmes ne sont pas multipliées selon la multiplicité des corps.

4. Praeterea, individuatio fit secundum determinationem principiorum essentialium; sicut enim de ratione hominis est ut componatur ex anima et corpore, ita de ratione Socratis est ut componatur ex hac anima et hoc corpore, ut patet per philosophum in VII Metaph. Sed corpus non est de essentia animae. Ergo impossibile est quod anima individuetur per corpus, et ita non multiplicabuntur animae secundum multiplicationem corporum. 

 

5. Augustin dit dans Contra Felicianum (XII, PL. 42, 1167[135]): : « Si nous recherchons l’origine de la puissance qui donne la vie, d’abord, l’âme est avant la mère, après elle semble née d’elle avec la descendance » et il parle de : «l’âme par laquelle la mère est animée », comme il l’ajoute aussitôt. Par cela il semble dire que c’est la même âme dans la mère et le fils, et d’une même nature dans tous les hommes.

5 Praeterea, Augustinus dicit contra Felicianum: si originem animantis potentiae requiramus, prior est anima matre, et ex hac rursus nata videtur cum sobole; et loquitur de anima per quam animata est mater, ut statim subdit. Ex quo videtur dicere quod sit eadem anima in matre et filio, et eadem ratione in omnibus hominibus.

 

6. Si l’intellect possible était différent en moi et en toi, il faudrait que l’intellection soit différente en moi et en toi, puisqu’elle est dans l’intellect, et ainsi l’intellect est compté par le nombre des hommes individuels. Mais tout ce qui est compté par le nombre des individus a une intellection commune, et ainsi une intellection viendra d’une intellection à l’infini, ce qui est impossible. Donc il n’y a pas un autre intellect possible en moi et en toi.

6. Praeterea, si intellectus possibilis esset alius in me et alius in te, oporteret quod res intellecta esset alia in me et alia in te, cum res intellecta sit in intellectu; et ita res intellecta numeraretur per numerationem individuorum hominum. Sed omnia quae numerantur per numerationem individuorum, habent rem intellectam communem; et sic rei intellectae erit aliqua res intellecta in infinitum; quod est impossibile. Non ergo est alius intellectus possibilis in me et in te. 

 

7. S’il n’y avait pas un seul intellect possible dans tous les hommes, quand il arrive que la science est causée dans l’élève par le maître, il faudrait que, ou bien la même science en nombre, qui est dans le maître passe dans l’élève, ou bien que la science du maître cause la science de l’élève, comme la chaleur du feu cause la chaleur dans le bois, sinon apprendre ne serait plus autre chose que se remémorer. Car si l’élève possédait avant d’apprendre la science qu’il apprend, apprendre serait se remémorer[136]. Mais s’il ne l’a pas d’abord, ou bien il acquiert celle qui existe avant dans un autre, à savoir dans le maître ou bien qui n’existe pas avant dans un autre, et ainsi il faut que ce qui est en lui de nouveau soit causé par un autre. Mais ces trois solutions sont impossibles. En effet la science qui est un accident, ne peut pas la même  en nombre passer d’un sujet dans un autre, parce que, comme Boèce (Categ. T, PL 64, 173) le dit, les accidents peuvent se corrompre, ils ne peuvent pas être transportés ailleurs. De la même manière aussi il est impossible que la science du maître cause la science dans l’élève, d’une part, parce que la science n’est pas une qualité active, d’autre part, parce que les paroles que le maître profère incitent seulement l’élève à comprendre, comme Augustin le dit (La maître, passim) Mais que le fait d’apprendre soit se remémorer, est contre le philosophe (I Posterior. 1. 71a). Donc il n’y pas un intellect possible différent dans tous les hommes.

7. Praeterea, si non esset unus intellectus possibilis in omnibus hominibus, cum contingit scientiam a magistro in discipulo causari, oporteret quod vel eadem numero scientia quae est in magistro deflueret ad discipulum, vel quod scientia magistri causaret scientiam discipuli, sicut calor ignis causat calorem in lignis, vel quod addiscere non esset aliud quam reminisci. Si enim discipulus habeat ante addiscere scientiam quam addiscit, addiscere est reminisci. Si vero non habeat eam prius, aut acquirit eam existentem prius in alio, scilicet in magistro, aut non existentem prius in alio, et sic oportet quod in eo de novo causetur ab alio. Haec autem tria sunt impossibilia. Cum enim scientia accidens, non potest eadem numero transire de subiecto in subiectum, quia ut Boetius dicit, accidentia corrumpi possunt, transmutari non possunt. Similiter etiam impossibile est quod scientia magistri causet scientiam in discipulo, tum quia scientia non est qualitas activa, tum quia verba quae magister profert solum excitant discipulum ad intelligendum, ut Augustinus dicit in libro de magistro. Quod autem addiscere sit reminisci, est contra philosophum in I Poster. Non est ergo alius et alius intellectus possibilis in omnibus hominibus.

 

8. Tout pouvoir de connaître qui est dans une matière corporelle[137], connaît seulement ce qui a une affinité avec la matière en laquelle elle est, ainsi la vue connaît seulement les couleurs qui ont une affinité avec la pupille, qui reçoit les couleurs à cause de sa transparence. Mais l’intellect possible ne peut pas recevoir ce qui a seulement affinité avec tout le corps, ou bien avec chacune de ses parties. Donc l’intellect possible n’est pas un pouvoir cognitif dans la matière corporelle, ni dans tout le corps, ni dans l’une de ses parties. Donc il n’est pas multiplié selon la multiplication des corps.

8. Praeterea, omnis virtus cognoscitiva quae est in materia corporali, cognoscit ea tantum quae habent affinitatem cum materia in qua est; sicut visus cognoscit tantum colores qui habent affinitatem cum pupilla, quae est susceptiva colorum propter suam diaphaneitatem. Sed intellectus possibilis non est susceptivus eorum tantum quae habent affinitatem vel cum toto corpore, vel cum quacumque parte eius. Intellectus ergo possibilis non est virtus cognoscitiva in materia corporali, neque in toto corpore neque in aliqua parte eius. Ergo non multiplicatur secundum multiplicationem corporum.

 

9. Si l’âme intellective ou intellect possible est multipliée selon la multiplication des corps, ce n’est que parce qu’elle est la forme du corps. Mais elle ne peut pas être la forme du corps, puisqu’elle est composée de matière et de forme, comme beaucoup le pensent ; car le composé de matière et de forme ne peut pas être la forme de quelque chose. Donc l’âme intellective, ou intellect possible, ne peut pas être multipliée selon la multiplicité des corps

9. Praeterea, si anima intellectiva vel intellectus possibilis multiplicatur secundum multiplicationem corporum, hoc non est nisi quia est corporis forma. Sed non potest esse corporis forma, cum sit composita ex materia et forma, ut a multis ponitur; compositum enim ex materia et forma non potest esse alicuius forma. Ergo anima intellectiva, sive intellectus possibilis, non potest multiplicari secundum multitudinem corporum.

 

10. Comme Cyprien le dit (Epist. ad Magnum, PL. 3, 1143), le Seigneur a  empêché ses disciples d’entrer dans la cité des  Samaritains, à cause du péché [causé par le] schisme, parce que depuis le règne de David, ils se sont séparés des dix tribus, établissant par la suite un royaume pour eux en Samarie. Et c’était le même peuple du temps du Christ que celui avait existé auparavant. Mais ainsi le peuple se comporte vis-à-vis du peuple, comme l’homme vis-à-vis de l’homme et l’âme vis-à-vis de l’âme. Donc pour la même raison une seule âme est dans celui qui a été avant, et dans l’autre qui a suivi après, et ainsi par la même raison la même âme sera dans chaque homme.

10. Praeterea, sicut Cyprianus dicit, dominus prohibuit discipulis ne in civitatem Samaritanorum intrarent propter peccatum schismatis; quia a regno David recesserunt decem tribus, in Samaria caput sibi regni postmodum statuentes. Idem autem populus erat tempore Christi qui prius fuerat. Sic autem se habet populus ad populum sicut homo ad hominem, et anima ad animam. Ergo eadem ratione una anima est in eo qui prius fuit, et in alio qui post sequitur; et sic per eamdem rationem eadem anima erit in singulis hominibus.

 

11. L’accident dépend plus du substrat que la  forme de la matière, puisque la forme donne l’être à la matière absolument, mais l’accident ne donne absolument pas l’être au substrat. Mais un seul accident peut être dans de nombreuses substances, de même qu’un seul temps est dans de nombreux mouvements, comme Anselme le dit (Dialogus de veritate, fin., PL. 158, 486[138]). Donc beaucoup plus une seule âme peut être celle de nombreux corps, et ainsi il ne faut pas qu’il y ait de nombreux intellects possibles.

11. Praeterea, magis dependet accidens a subiecto quam forma a materia; cum forma det esse materiae simpliciter, accidens autem non dat esse simpliciter subiecto. Sed unum accidens potest esse in multis substantiis, sicut unum tempus est in multis motibus, ut Anselmus dicit. Ergo multo magis una anima potest esse multorum corporum; et sic non oportet esse multos intellectus possibiles.

 

12. L’âme intellective est plus puissante que l’âme végétative. Mais l’âme végétative a la puissance d’animer quelque chose hors du corps dont elle est la forme ; car Augustin dit (La musique, VI, VIII, 21[139]) que les rayons visuels sont par l’âme de celui qui voit, même produit au loin jusqu’à la chose vue. Donc beaucoup plus l’âme intellective peut achever d’autres corps en plus du corps où elle est.

12. Praeterea, anima intellectiva virtuosior est quam vegetativa. Sed anima vegetativa est potens vegetare aliquid extra corpus cuius est forma; dicit enim Augustinus in VI musicae, quod radii visuales vegetantur ab anima videntis, etiam longe producti usque ad rem visam. Ergo multo magis anima intellectiva potest perficere alia corpora praeter corpus in quo est.

 

13. Si l’intellect possible est multiplié avec la multiplication des corps, il faut que les espèces intelligibles qui sont dans l’intellect possible en moi et en toi, soient multipliées selon la multiplication des corps. Mais de toutes les formes multipliées selon la multiplication de la matière corporelle, on peut en abstraire une application commune. Donc, on peut abstraire par les formes saisies par l’intellect possible une application intellectuelle commune, et par la même raison, comme cette application saisie est multipliée en rapport avec la multiplication de l’intellect possible ce sera abstraire à l’infini une autre application saisie. Mais cela est impossible. Donc Il n’y a qu’un seul intellect possible dans tous.

13. Praeterea, si intellectus possibilis multiplicatur secundum multiplicationem corporum, oportet quod species intelligibiles quae sunt in intellectu possibili in me et in te, secundum multiplicationem corporum multiplicentur. Sed ab omnibus formis multiplicatis secundum multiplicationem materiae corporalis, potest abstrahi aliqua intentio communis. Ergo a formis intellectis per intellectum possibilem potest abstrahi aliqua intentio intellecta communis; et eadem ratione, cum illa intentio intellecta multiplicetur secundum multiplicationem intellectus possibilis, erit abstrahere aliam intentionem intellectam in infinitum. Hoc autem est impossibile. Est igitur unus intellectus possibilis in omnibus.

 

14. Tous les hommes s’accordent sur les premiers principes. Mais cela ne serait [possible] que si ce par quoi ils connaissent les premiers principes était unique et commun à tous les hommes. Or l’intellect possible est de ce genre. Donc il y a un seul intellect possible en tous.

14. Praeterea, omnes homines consentiunt in primis principiis. Sed hoc non esset, nisi id quo cognoscunt prima principia esset unum commune in omnibus hominibus. Huiusmodi autem est intellectus possibilis. Est igitur unus intellectus possibilis in omnibus.

 

15. Aucune forme individuée et multipliée par la matière n’est comprise en acte. Mais quand l’intellect possible comprend en acte, il est un intellect en acte, et l’intellect en acte se comprend en acte, comme il est dit (L’âme, III, 7, 431 a 1[140]) comme le sens en acte est senti en acte. Donc l’intellect possible n’est pas individué ni multiplié par la matière corporelle, et ainsi il est un en tous.

15. Praeterea, nulla forma individuata et multiplicata per materiam est intellecta in actu. Sed intellectus possibilis, cum actu intelligit, est intellectus in actu; et intellectus in actu est intellectum in actu, ut dicitur III de anima, sicut sensus in actu est sensatum in actu. Ergo intellectus possibilis non est individuatus, neque multiplicatus per materiam corporalem; et ita est unus in omnibus.

 

16. Ce qui est reçu est dans celui qui reçoit selon le mode du receveur. Mais l’espèce intelligible est reçue dans l’intellect comme comprise en acte et non individuée par la matière. Donc l’intellect possible n’est pas individué par la matière. Donc il n’est pas multiplié par la multiplication de la matière corporelle.

16 Praeterea, receptum est in recipiente per modum recipientis. Sed species intelligibilis recipitur in intellectu ut intellecta in actu, et non individuata per materiam. Ergo intellectus possibilis non est individuatus per materiam. Ergo neque multiplicatur per multiplicationem materiae corporalis.

 

17. L’intellect possible de Socrate ou de Platon comprend leur essence, puisque l’intellect se refléchit sur lui-même. Donc l’essence même de l’intellect possible est comprise en acte. Mais aucune forme individuée et multipliée par la matière n’est comprise en acte. Donc l’intellect possible n’est pas individué et multiplié par la matière corporelle, et ainsi il reste qu’il y a un seul intellect possible en tous.

17 Praeterea, intellectus possibilis Socratis vel Platonis intelligit essentiam suam, cum intellectus in seipsum reflectatur. Ergo ipsa essentia intellectus possibilis est intellecta in actu. Sed nulla forma individuata et multiplicata per materiam est intellecta in actu. Ergo intellectus possibilis non individuatur et multiplicatur per materiam corporalem; et sic relinquitur quod sit unus intellectus possibilis in omnibus.

 

En sens contraire

1. Il y a ce qui est dit dans l’Apocalypse 7, 9 : « Après cela j’ai vu une grande foule que personne ne pouvait compter ». Mais cette foule, ce ne sont pas des hommes qui vivent corporellement, mais des âmes séparées du corps. Donc les âmes intellectives sont nombreuses, non seulement maintenant, quand elles sont unies au corps, mais aussi quand elles en sont délivrées.

1. Sed contra. Est quod dicitur Apocal. cap. VII: post haec vidi turbam magnam quam dinumerare nemo poterat. Turba autem illa non erat hominum corporaliter viventium, sed animarum a corpore absolutarum. Ergo sunt multae animae intellectivae, non solum nunc cum corpori uniuntur, sed etiam a corporibus absolutae.

 

2. Augustin dit (Contra Felicianum, XII, PL 42, 1166-1167) : « Concevons, comme la plupart le veulent, qu’il y a dans le monde une âme générale[141] », et ensuite il ajoute : « Quand nous exposons de telles choses, nous proclamons qu’il faut les combattre ». Donc il est improbable qu’il y ait une seule âme pour tous.

2. Praeterea, Augustinus dicit contra Felicianum: fingamus, sicut plerique volunt, esse in mundo animam generalem; et postea subdit: cum talia proponimus, oppugnanda praedicamus. Est ergo improbabile quod sit una anima omnium.

 

3. L’âme intellective est liée au corps humain plus que le moteur au corps céleste. Mais le Commentateur dit (L’âme, III, comm. 5, f. 166r) au sujet de l’âme que, s’il y avait plusieurs corps mobiles, il y aurait plusieurs moteurs dans les sphères célestes. Donc plus il y a de corps humains, plus les âmes intellectives seront nombreuses, et non un seul intellect possible seulement.

3. Praeterea, magis est alligata anima intellectiva corpori humano, quam corpori caelesti motor eius. Sed Commentator dicit in III de anima quod si essent plura corpora mobilia, essent plures motores in orbibus caelestibus. Ergo magis cum sint multa corpora humana, erunt multae animae intellectivae, et non unus tantum intellectus possibilis.

 

Réponse

Pour éclairer cette question, il faut comprendre d’abord ce qu’on entend par le nom d’intellect possible et d’intellect agent. Il faut savoir qu’Aristote (De anima, III, 4, 429 a 13[142]) a procédé en examinant l’intellect par ressemblance avec la sensation. Du côté de la sensation, quand nous nous trouvons quelquefois en train de sentir en puissance, quelquefois en acte, il faut placer en nous une puissance sensitive, par laquelle nous sentirions en puissance, qui doit être en puissance par la forme sensible, et n’avoir aucune forme d’elle en acte dans son essence, autrement si le sens avait en acte les sensibles, comme les anciens philosophes le pensaient, il en découlerait que nous serions toujours en train de sentir en acte. De la même manière comme nous nous trouvons quelquefois en train de comprendre[143] en acte, quelquefois en puissance, il est nécessaire de placer une puissance par laquelle nous comprenons en puissance, qui dans son essence et sa nature n’a rien de la nature des choses sensibles, que nous pouvons comprendre, mais est en puissance à tout ; et pour cela on l’appelle l’intellect possible, de même que le sens, selon qu’il est en puissance pourrait être appelés  le sens possible. Mais le sens qui est en puissance est ramené en acte par les sensibles en acte, qui sont hors de l’âme ; c'est pourquoi il n’est pas nécessaire de placer un sens agent. Et de la même manière il ne serait pas nécessaire de placer un intellect agent, si les universaux, qui sont intelligibles en acte,  subsistaient par soi hors de l’âme comme l’a pensé Platon. Mais parce qu’Aristote a pensé qu’il ne subsistait que dans les sensibles, qui ne sont pas intelligibles en acte, il a jugé nécessaire de placer une puissance qui ferait des intelligibles en puissance des intelligibles en acte, en abstrayant la forme des choses de la matière et des conditions individuantes, et on appelle cette puissance l’intellect agent.

Respondeo. Dicendum quod ad evidentiam huius quaestionis, oportet praeintelligere quid intelligatur nomine intellectus possibilis et agentis. Sciendum est autem, quod Aristoteles, processit ad considerandum de intellectu per similitudinem sensus. Ex parte autem sensus, cum inveniamur quandoque sentientes in potentia, quandoque in actu, oportet ponere in nobis aliquam virtutem sensitivam per quam simus sentientes in potentia; quam oportet esse in potentia ad species sensibilium, et nullam earum habere actu in sua essentia; alioquin si sensus haberet in actu sensibilia, sicut antiqui philosophi posuerunt, sequeretur quod semper essemus sentientes in actu. Similiter cum inveniamur quandoque intelligentes in actu, quandoque in potentia, necesse est ponere aliquam virtutem per quam simus intelligentes in potentia, quae quidem in sua essentia et natura non habet aliquam de naturis rerum sensibilium, quas intelligere possumus, sed sit in potentia ad omnia; et propter hoc vocatur possibilis intellectus; sicut et sensus, secundum quod est in potentia, posset vocari sensus possibilis. Sensus autem qui est in potentia, reducitur in actum per sensibilia actu, quae sunt extra animam; unde non est necesse ponere sensum agentem. Et similiter non esset necesse ponere intellectum agentem, si universalia quae sunt intelligibilia actu, per se subsisterent extra animam, sicut posuit Plato[144]. Sed quia Aristoteles posuit ea non subsistere nisi in sensibilibus, quae non sunt intelligibilia actu, necesse habuit ponere aliquam virtutem quae faceret intelligibilia in potentia esse intelligibilia actu, abstrahendo species rerum a materia et conditionibus individuantibus; et haec virtus vocatur intellectus agens.

 

Donc au sujet de l’intellect possible, Averroès, dans son commentaire (De Anima, III, comm. f. 1264) a pensé qu’il y avait une substance séparée des corps humains selon l’être mais qui serait joint à nous par les images ; et à nouveau que ce serait une seul intellect possible pour tous. Mais il est facile de voir que cette opinion est contraire à la foi ; car elle supprime les récompenses et les peines de la vie future[145]. Mais il faut montrer que cette position est en soi impossible par les vrais principes de la philosophie. On a montré ci-dessus comme il s’agissait de l’union de la substance spirituelle au corps, que selon cette opinion, il en découlerait qu’aucun homme particulier ne comprendrait rien. Mais cela donné, grâce à la discussion, qu’un homme particulier par son intellect ainsi séparé pourrait comprendre, il en découle trois inconvénients, si on pense qu’il n’y a qu’un seul intellect possible pour tous par lequel tous les hommes comprennent.

De intellectu ergo possibili Averroes in commento III de anima posuit quod esset quaedam substantia separata secundum esse a corporibus hominum, sed quod continuaretur nobiscum per phantasmata; et iterum quod esset unus intellectus possibilis omnium. Quod autem haec positio sit contraria fidei facile est videre: tollit enim praemia et poenas futurae vitae. Sed ostendendum est hanc positionem esse secundum se impossibilem per vera principia philosophiae. Ostensum est autem supra cum de unione substantiae spiritualis ad corpus ageretur, quod secundum hanc positionem sequeretur quod nullus homo particularis intelligeret aliquid. Sed dato, disputationis gratia, quod aliquis homo particularis per intellectum sic separatum intelligere posset, sequuntur tria inconvenientia, si ponatur quod sit unus intellectus possibilis omnium quo omnes intelligant.

 

1. Parce qu’il n’est pas possible qu’il y ait en même temps et en une fois plusieurs actions d’une seule puissance, par rapport au même objet. Mais il arrive que deux hommes en même temps et en une fois comprennent un seul et même intelligible. Si donc l’un et l’autre comprennent par un seul intellect possible, il en écoulerait qu’une seule et même opération en nombre serait l’opération intellectuelle de l’un et de l’autre, comme si deux hommes voyaient d’un seul œil, il en découlerait que ce serait la même vision pour tous les deux ; ce qui paraît être tout à fait impossible. Et on ne peut pas dire mon intellection est différente de la tienne par la diversité des images, parce que l’image est dans l’intellect en acte, mais c’est ce qui en est abstrait qui est compté être l’expression. C'est pourquoi la diversité des images est hors de l’opération intellectuelle, et ainsi elle ne peut pas la diversifier.

Primo quidem, quia non est possibile unius virtutis simul et semel esse plures actiones respectu eiusdem obiecti. Contingit autem duos homines simul et semel unum et idem intelligibile intelligere. Si igitur uterque intelligit per unum intellectum possibilem, sequeretur quod una et eadem numero esset intellectualis operatio utriusque; sicut si duo homines viderent uno oculo, sequeretur quod eadem esset visio utriusque; quod patet esse omnino impossibile. Nec potest dici quod intelligere meum sit aliud ab intelligere tuo per diversitatem phantasmatum; quia phantasma non est intellectum in actu, sed id quod est ab eo abstractum, quod ponitur esse verbum. Unde diversitas phantasmatum est extrinseca ab intellectuali operatione; et sic non potest diversificare ipsam.

 

2.  Parce qu’il est impossible qu’il y en ait un seul [intellect] en nombre par quoi ils reçoivent l’espèce. Car si deux chevaux se rencontrent dans la même [réalité] en nombre par laquelle ils auraient l’espèce du cheval, il en découlerait que les deux chevaux seraient un seul cheval, ce qui est impossible. Et pour cela en Métaphysique (VIII, 10, 1035 b 30[146]) il est dit que les principes de l’espèce, selon qu’ils sont déterminés, constituent l’individu, pour que, si c’est la nature de l’homme d’être [composé] d’une âme et d’un corps, il est de la nature de cet homme, qu’il soit [composé] de cette âme et de ce corps. C'est pourquoi il faut que les principes de n’importe quelle espèce soient pluralisés en plusieurs individus d’une même espèce. Ce par quoi quelque chose reçoit l’espèce est connu par sa propre opération qui suit l’espèce. Car nous jugeons qu’est vrai l’or qui a l’opération propre de l’or. Mais la propre opération de l’espèce humaine c’est comprendre, c'est pourquoi le philosophe place l’ultime bonheur de l’homme selon cette opération en Éthique (X, 7, 1177 a 11[147]). Le principe de cette opération n’est pas l’intellect passif, c'est-à-dire la puissance cognitive, ou la puissance sensitive appétitive, qui participe en  raison de quelque manière, puisque ces puissances n’ont d’opération que par un organe naturel. Mais comprendre (penser) ne peut pas exister par un organe corporel, comme c’est prouvé L’âme (III, 4) Et ainsi il reste que l’intellect possible est ce par quoi cet homme reçoit l’espèce humaine ; mais pas l’intellect passif, comme Averroès (De anima, III, comm. 20) l’imagine. Il reste donc qu’il est impossible qu’il y ait un seul intellect possible dans tous les hommes.

Secundo, quia impossibile est esse unum numero in individuis eiusdem speciei illud per quod speciem sortiuntur. Si enim duo equi convenirent in eodem secundum numerum quo speciem equi haberent, sequeretur quod duo equi essent unus equus; quod est impossibile. Et propter hoc in VII Metaph. dicitur, quod principia speciei, secundum quod sunt determinata, constituunt individuum; ut si ratio hominis est ut sit ex anima et corpore, de ratione huius hominis est quod sit ex hac anima et ex hoc corpore. Unde principia cuiuslibet speciei oportet plurificari in pluribus individuis eiusdem speciei. A quo autem aliquid speciem sortiatur, cognoscitur a propria operatione speciem consequente. Diiudicamus enim esse verum aurum, quod habet propriam operationem auri. Propria autem operatio humanae speciei est intelligere; unde secundum hanc operationem ponit philosophus ultimam hominis felicitatem in X Ethic. Huius autem operationis principium non est intellectus passivus, id est vis cogitativa, vel vis appetitiva sensitiva, quae participat aliqualiter ratione; cum hae vires non habeant operationem nisi per organum corporale. Intelligere autem non potest esse per organum corporale, ut in III de anima probatur. Et sic relinquitur quod intellectus possibilis sit quo hic homo speciem humanam sortitur; non autem intellectus passivus, ut Averroes fingit. Relinquitur ergo quod impossibile sit unum intellectum possibilem in omnibus hominibus esse.

 

3. Troisièmement il en découlerait que l’intellect possible ne recevrait aucune forme abstraite de nos  images, s’il n’y avait qu’un seul intellect possible pour tous ceux qui existent et qui ont existé. Parce  déjà comme beaucoup d’hommes nous ont précédé en comprenant beaucoup de choses, il en découlerait que par rapport à  tout ce qu’il ont su, [l’intellect possible] serait en acte et non en puissance pour recevoir ; parce que rien ne reçoit ce qu’il a déjà. De là par la suite il en découlerait que si nous sommes en train de comprendre et de savoir par l’intellect possible, savoir en nous ne serait que se remémorer. Quoiqu’il paraisse ne pas convenir en soi que l’intellect possible, s’il était une substance séparée selon l’être devienne en acte par les images, puisque les être supérieurs n’ont pas besoin des inférieurs pour leur perfection. Car de même qu’il ne convient pas de dire que les corps célestes deviennent en acte en recevant des corps inférieurs, de la même manière et beaucoup plus, il est impossible qu’une substance séparée devienne en acte en recevant des images.

Tertio sequeretur quod intellectus possibilis non reciperet aliquas species a phantasmatibus nostris abstractas, si sit unus intellectus possibilis omnium qui sunt et qui fuerunt. Quia iam cum multi homines praecesserint multa intelligentes, sequeretur quod respectu omnium illorum quae illi sciverunt, sit in actu et non sit in potentia ad recipiendum; quia nihil recipit quod iam habet. Ex quo ulterius sequeretur quod si nos sumus intelligentes et scientes per intellectum possibilem, quod scire in nobis non sit nisi reminisci. Quamvis et hoc ipsum secundum se inconveniens videatur, quod intellectus possibilis, si sit substantia separata secundum esse, efficiatur in actu per phantasmata, cum superiora in entibus non indigeant inferioribus ad sui perfectionem. Sicut enim inconveniens esset dicere quod corpora caelestia perficiantur in actu accipiendo a corporibus inferioribus; similiter, et multo amplius, est impossibile quod aliqua substantia separata perficiatur in actu, accipiendo a phantasmatibus.

 

Il est évident aussi que cette position est en contradiction avec les paroles d’Aristote (L’âme, III, 4, 429 a 23). En effet quand il commence sa recherche sur l’intellect possible, aussitôt dès le commencement il désigne cette partie de l’âme en disant : « La partie par laquelle l’âme connaît et juge[148] ». Mais en voulant chercher la nature de l’intellect possible, il émet un doute, la partie intellective est-elle séparable des autres parties de l’âme dans un substrat, comme Platon l’a pensé, ou en raison seulement et c’est ce qu’il dit (L’âme, III, 4, 429 a 1) : « Ou par une existence séparée, ou inséparable selon la grandeur mais selon la raison ». Par là il apparaît que si on place n’importe lequel des deux, sa proposition qui concerne l’intellect possible est valable. Mais il ne serait pas valable qu’elle soit séparée en raison seulement, si la position susdite était vraie. C'est pourquoi cette opinion n’est pas celle d’Aristote. Mais il ajoute ensuite que l’intellect possible est ce par quoi l’âme  pense et comprend et [accomplit] beaucoup d’autres choses de ce genre. Par cela évidemment il donne à comprendre que l’intellect possible est quelque chose de l’âme et n’est pas une substance séparée.

Manifestum est etiam quod haec positio repugnat verbis Aristotelis. Cum enim incipit inquirere de intellectu possibili, statim a principio nominat eum partem animae, dicens: de parte autem animae, qua cognoscit anima et sapit. Volens autem inquirere de natura intellectus possibilis, praemittit quamdam dubitationem, scilicet utrum pars intellectiva sit separabilis ab aliis partibus animae subiecto, ut Plato posuit, vel ratione tantum; et hoc est quod dicit: sive separabili existente, sive inseparabili secundum magnitudinem, sed secundum rationem. Ex quo apparet quod si utrumlibet horum ponatur, stabit sententia sua, quam intendit de intellectu possibili. Non autem staret quod esset separata secundum rationem tantum, si praedicta positio vera esset. Unde praedicta opinio non est sententia Aristotelis. Postmodum etiam subdit, quod intellectus possibilis est quo opinatur et intelligit anima; et multa alia huiusmodi. Ex quibus manifeste dat intelligere quod intellectus possibilis sit aliquid animae, et non sit substantia separata.

 

Solutions

1. Augustin comprend qu’il est risible de placer de nombreuses âmes d’hommes différents, de sorte cependant qu’ils diffèrent pas en nombre et en espèce, et surtout selon l’opinion des Platoniciens, qui au-dessus de tout ce qui est d’une seule espèce, ont pensé qu’il y avait un [être] commun subsistant.

1 Ad primum ergo dicendum quod Augustinus intelligit derisibile esse quod ponantur diversorum hominum animae multae, tamen ita quod numero et specie differant; et praecipue secundum opinionem Platonicorum, qui supra omnia quae sunt unius speciei, posuerunt unum aliquod commune subsistens.

 

2. De même que les anges n’ont pas de matière par laquelle ils existent, de même ils n’ont pas de matière en laquelle ils sont, mais l’âme a la matière en laquelle elle est et c'est pourquoi les anges ne peuvent pas être nombreux dans une seule espèce, mais les âmes d’une seule espèce peuvent être nombreuses[149].

2. Ad secundum dicendum, quod Angeli sicut non habent materiam ex qua sunt, ita non habent materiam in qua sunt; anima vero habet materiam in qua est: et ideo Angeli non possunt esse multi in una specie, sed animae possunt esse multae unius speciei.

 

3. Le corps se comporte vis-à-vis de l’âme, comme il se comporte pour l’individuation ; parce que chaque chose à l’identique est une et un étant. Mais l’être de l’âme lui est acquis selon qu’elle est unie à un corps, avec lequel elle a constitué en même temps une seule nature, dont l’un et l’autre est une partie. Et cependant parce que l’âme intellective est une forme qui transcende la capacité du corps, elle a son être élevé au-dessus du corps ; c'est pourquoi une fois le corps détruit, il reste encore l’être de l’âme. Et de la même manière, les âme sont multipliées selon les corps et cependant une fois retirés les corps, il reste encore la multitude des âmes.

3. Ad tertium dicendum, quod sicut corpus se habet ad esse animae, ita ad eius individuationem; quia unumquodque secundum idem est unum et ens. Esse autem animae acquiritur ei secundum quod unitur corpori, cum quo simul constituit naturam unam, cuius utrumque est pars. Et tamen quia anima intellectiva est forma transcendens corporis capacitatem, habet esse suum elevatum supra corpus; unde destructo corpore adhuc remanet esse animae. Et similiter secundum corpora multiplicantur animae, et tamen remotis corporibus adhuc remanet multitudo animarum.

 

4. Bien que le corps ne soit pas de l’essence de l’âme, cependant l’âme selon son essence  a un rapport au corps, en tant qu’il lui est essentiel qu’elle soit la forme du corps, et c'est pourquoi dans la définition de l’âme on place le corps. Donc de même qu’il est de la nature de l’âme qu’elle soit la forme du corps, de même il est de la nature de cette âme, en tant que telle, qu’elle ait un rapport avec ce corps.

4. Ad quartum dicendum quod licet corpus non sit de essentia animae, tamen anima secundum suam essentiam habet habitudinem ad corpus, in quantum hoc est ei essentiale quod sit corporis forma; et ideo in definitione animae ponitur corpus. Sicut igitur de ratione animae est quod sit forma corporis, ita de ratione huius animae, in quantum est haec anima, est quod habeat habitudinem ad hoc corpus.

 

5. Augustin parle ainsi en rapportant l’opinion de ceux qu’il pensent qu’il y a une seule âme universelle, comme on le voit par ce qui a précédé.

5. Ad quintum dicendum quod Augustinus ibi loquitur ex suppositione opinionis ponentium esse unam animam universalem, ut ex praecedentibus patet.

 

6. Dans cette opinion Averroès semble placer une puissance importante (De anima, III, comm. 5 f. 166) ; parce que, apparemment, il en découlerait, comme il le dit lui-même, que, si l’intellect possible n’était pas unique dans tous les hommes, la chose comprise serait individuée et nombrée par l’individuation en comptant les hommes particuliers ; et ainsi elle serait comprise en puissance et non en acte. Il faut donc montrer d’abord que ces inconvenances découlent de ceux qui pensent que l’intellect possible est un, pas moins que ceux qui pensent qu’il est multiplié en très grand nombre. Et d’abord quant à l’individuation, il est évident que la forme qui existe dans une individu est individuée par la même raison par lui, soit qu’elle soit une seulement, dans une seule espèce, comme le soleil, soit quelles soient nombreuses en une seule espèce, comme les perles. Car dans les deux la clarté est individualisée. Car il faut dire que l’intellect possible est une chose individuelle particulière ; car les actes des particuliers existent. Donc qu’il soit un dans une seule espèce ou bien qu’il y en ait beaucoup, pour la même raison ce qui est conçu en lui sera individuée.

6. Ad sextum dicendum quod in hac ratione praecipuam vim videtur Averroes constituere: quia videlicet sequeretur, ut ipse dicit, si intellectus possibilis non esset unus in omnibus hominibus, quod res intellecta individuaretur et numeraretur per individuationem et numerationem singularium hominum; et sic esset intellecta in potentia, et non in actu. Ostendendum est igitur primo quod ista inconvenientia non minus sequuntur ponentibus intellectum possibilem esse unum quam ponentibus ipsum multiplicari in multis. Et primo quidem quantum ad individuationem, manifestum est quod forma existens in aliquo individuo eadem ratione individuatur per ipsum, sive sit unum tantum in una specie, sicut sol, sive multa in una specie, sicut margaritae. In utrisque enim est claritas individuata. Oportet enim dicere quod intellectus possibilis sit quoddam individuum singulare; actus enim singularium sunt. Sive igitur sit unus in una specie, sive multi, eadem ratione individuabitur res intellecta in ipso.

 

Quant à la multiplication il est évident que, s’il n’y a pas de nombreux intellects possibles dans l’espèce humaine, il y a cependant de nombreux intellects dans l’univers, dont beaucoup comprennent l’un et le même. Il restera donc un même doute : ce qui est compris est-il un ou plusieurs dans les différents [intellects]. Donc on ne peut pas le prouver, parce qu’une fois sa position donnée, il restera encore la même inconvenance.

Quantum vero ad multiplicationem, manifestum est quod, si non sint multi intellectus possibiles in specie humana, sunt tamen multi intellectus in universo, quorum multi intelligunt unum et idem. Remanebit ergo eadem dubitatio, utrum res intellecta sit una vel plures in diversis. Non ergo potest per hoc probare suam intentionem; quia, sua positione posita, adhuc eadem inconvenientia remanebunt.

 

Et c’est pourquoi pour sa solution il faut considérer que, s’il faut parler pour l’intellect de ressemblance avec la sensation, comme cela se voit par le raisonnement d’Aristote dans L’âme, (III), il faut dire que ce qui est compris ne se comporte pas vis-à-vis de l’intellect possible comme une espèce intelligible, par laquelle l’intellect possible serait en acte, mais cette espèce se comporte comme principe formel par lequel l’intellect comprend. Mais le concept ou ce qui est compris se comporte comme placé ou formé par l’opération de l’intellect, ou bien c’est la quiddité simple, ou bien la composition et la division de la proposition.

Et ideo ad huius solutionem considerandum est quod si de intellectu loqui oporteat secundum similitudinem sensus, ut patet ex processu Aristotelis in III de anima, oportet dicere quod res intellecta non se habet ad intellectum possibilem ut species intelligibilis, qua intellectus possibilis sit actu; sed illa species se habet ut principium formale quo intellectus intelligit. Intellectum autem, sive res intellecta, se habet ut constitutum vel formatum per operationem intellectus: sive hoc sit quidditas simplex, sive sit compositio et divisio propositionis.

 

Car, Aristote signale ces deux opérations de l’intellect, dans L’âme (III, 6, 430 a 26 ss.). L’une qu’il appelle intelligence indivisible, par laquelle apparemment l’intellect appréhende la nature d’une chose, et celle-ci les arabes l’appellent formation ou imagination par l’intellect. Il place l’autre, à savoir la composition et la division des concepts que les Arabes appelle crédulité ou foi. Mais pour l’une et l’autre de ces opérations, est comprise d’avance l’espèce intelligible, par laquelle l’intellect possible devient acte ; parce que l’intellect possible n’opère que selon qu’il est en acte ; comme la vision ne voit que par ce qui est devenu en acte par l’espèce visible. C'est pourquoi la forme visible ne se comporte pas comme ce qui est vu mais comme ce par quoi il est vu. Et il en est de même pour l’intellect possible, à moins qu’il ne se réfléchisse sur lui-même et sur sa forme, mais pas la vue.

Has enim duas operationes intellectus Aristoteles assignat in III de anima. Unam scilicet quam vocat intelligentiam indivisibilem, qua videlicet intellectus apprehendit quod quid est alicuius rei, et hanc Arabes vocant formationem, vel imaginationem per intellectum. Aliam vero ponit, scilicet compositionem et divisionem intellectuum, quam Arabes vocant credulitatem vel fidem. Utrique autem harum operationum praeintelligitur species intelligibilis, qua fit intellectus possibilis in actu; quia intellectus possibilis non operatur nisi secundum quod est in actu, sicut nec visus videt nisi per hoc quod est factus in actu per speciem visibilem. Unde species visibilis non se habet ut quod videtur, sed ut quo videtur. Et simile est de intellectu possibili; nisi quod intellectus possibilis reflectitur supra seipsum et supra speciem suam, non autem visus.

 

Donc ce qui est compris par les deux intellects est d’une certaine manière un et identique, et d’une certaine manière multiple : parce que du côté de la chose, ce qui est connu est un et identique, mais du côté de la connaissance il est différent. De même si deux personnes voient un mur, c’est la même chose vue du côté de la chose qui est vue, cependant elle est différente selon les différentes visions ; et ce serait tout à fait la même chose du côté de l’intellect, si ce qui est compris subsistait hors de l’âme comme ce qui est vu, comme les Platoniciens l’ont pensé. Mais selon l’opinion d’Aristote il semble avoir une plus grande difficulté, bien que ce soit la même raison, si quelqu’un l’examine avec droiture.

Res igitur intellecta a duobus intellectibus est quodammodo una et eadem, et quodammodo multae: quia ex parte rei quae cognoscitur est una et eadem, ex parte vero ipsius cognitionis est alia et alia. Sicut si duo videant unum parietem, est eadem res visa ex parte rei quae videtur, alia tamen et alia secundum diversas visiones; et omnino simile esset ex parte intellectus, si res quae intelligitur subsisteret extra animam sicut res quae videtur, ut Platonici posuerunt. Sed secundum opinionem Aristotelis videtur habere maiorem difficultatem, licet sit eadem ratio, si quis recte inspiciat.

 

Car il n’y a de différence entre Aristote et Platon qu’en ce que Platon a pensé, que ce qui est compris d’une même manière a un être hors de l’âme ; de cette manière l’intellect le comprend, c'est-à-dire comme abstrait et général ; mais Aristote a pensé que ce qui est compris est hors de l’âme, mais d’une autre manière, parce qu’il est compris abstraitement et il a un être concret. Et de même que selon Platon ce qui est compris est hors de l’âme même, de même selon Aristote ; ce qui est clair du fait que ni l’un ni l’autre n’a pensé que les sciences viennent de ce qui est dans notre intellect, comme des substances. Mais Platon a dit que les connaissances viennent de formes séparées, mais Aristote de la quiddité des choses qui existent en elles. Mais la nature de l’universalité qui consiste en généralité et abstraction, suit un seul mode de compréhension, en tant que nous comprenons de façon abstraite et générale, selon Platon il suit aussi le même mode d’existence des formes abstraites ; et c'est pourquoi Platon a pensé que les universaux étaient subsistants. Mais Aristote non. Ainsi donc on voit comment la multitude des intellects ne préjuge ni de l’universalité, ni du la généralité, ni de l’unité de ce qui est compris.

Non enim est differentia inter Aristotelem et Platonem, nisi in hoc quod Plato posuit quod res quae intelligitur eodem modo habet esse extra animam quo modo eam intellectus intelligit, idest ut abstracta et communis; Aristoteles vero posuit rem quae intelligitur esse extra animam, sed alio modo, quia intelligitur abstracte et habet esse concrete. Et sicut secundum Platonem ipsa res quae intelligitur est extra ipsam animam, ita secundum Aristotelem: quod patet ex hoc quod neuter eorum posuit scientias esse de his quae sunt in intellectu nostro, sicut de substantiis; sed Plato quidem dixit scientias esse de formis separatis, Aristoteles vero de quidditatibus rerum in eis existentibus. Sed ratio universalitatis, quae consistit in communitate et abstractione, sequitur solum modum intelligendi, in quantum intelligimus abstracte et communiter; secundum Platonem vero sequitur etiam modum existendi formarum abstractarum: et ideo Plato posuit universalia subsistere, Aristoteles autem non. Sic igitur patet quomodo multitudo intellectuum non praeiudicat neque universitati, neque communitati, neque unitati rei intellectae.

 

7. La science est causée par le maître dans le disciple, non pas comme la chaleur dans le bois par le feu, mais comme la santé dans le malade par le médecin, qui cause la santé en tant qu’il procure une aide, dont se sert la nature pour causer la santé, et c'est pourquoi le médecin procède en soignant de la même manière que la nature soignerait. Car de même que ce qui soigne le plus c’est la nature intérieure, de même le principe qui cause principalement la science est intérieur, à savoir la lumière de l’intellect agent, par quoi est causée en nous la science que nous recevons par expérience en cherchant. Et de la même manière, le Maître amène les principes universels à des conclusions spéciales, c'est pourquoi Aristote dit Posteriorum (I, 2, 71 b) que la démonstration est un syllogisme qui fait connaître.

7. Ad septimum dicendum quod scientia a magistro causatur in discipulo, non sicut calor in lignis ab igne, sed sicut sanitas in infirmo a medico: qui causat sanitatem, in quantum subministrat aliqua adminicula, quibus natura utitur ad sanitatem causandam, et ideo eodem ordine medicus procedit in sanando, sicut natura sanaret. Sicut enim principalius sanans est natura interior, sic principium principaliter causans scientiam est intrinsecum, scilicet lumen intellectus agentis, quo causatur scientia in nobis, dum devenimus per applicationem universalium principiorum ad aliqua specialia, quae per experientiam accipimus in inveniendo. Et similiter Magister deducit principia universalia in conclusiones speciales; unde dicit Aristoteles in I Poster., quod demonstratio est syllogismus faciens scire.

 

8. Averroès aussi a été trompé par cette raison : car il a pensé que, parce qu’Aristote a dit que l’intellect possible était séparé, il était séparé selon l’être, par conséquent il ne serait pas multiplié selon la multiplication des corps. Mais Aristote montre que l’intellect possible est un pouvoir de l’âme qui n’est pas l’acte d’un organe, comme s’il avait son opération par un organe corporel, comme la puissance visuelle est le pouvoir d’un organe qui opère par un organe corporel, et parce que l’intellect possible n’a pas d’opération par un organe corporel, il ne faut pas qu’il connaisse ce qui seulement a une affinité avec tout le corps ou avec une de ses parties.

8. Ad octavum dicendum quod ex hac etiam ratione deceptus fuit Averroes: putavit enim quod quia Aristoteles dixit intellectum possibilem esse separatum, quod esset separatus secundum esse, et per consequens quod non multiplicaretur secundum multiplicationem corporum. Sed Aristoteles intendit quod intellectus possibilis est virtus animae, quae non est actus alicuius organi, quasi habeat operationem suam per organum corporale, sicut potentia visiva est virtus organi habens operationem per organum corporale; et quia non habet operationem intellectus possibilis per organum corporale, ideo non oportet quod cognoscat ea tantum quae habent affinitatem vel cum toto corpore, vel cum parte corporis.

 

9. L’opinion qui prétend que l’âme est composée de matière et de forme est tout à fait fausse, et improbable. Car elle ne pourrait pas être la forme d’un corps, si elle était composée de matière et de forme. Car si l’âme était la forme du corps selon sa forme seulement, il en découlerait qu’une seule et même forme achèverait différentes matières de différents genres, à savoir la matière spirituelle de l’âme et la matière corporelle, ce qui est impossible, puisque l’acte plus particulier est d’une puissance plus particulière. Et en outre ce composé de matière et de forme ne serait pas l’âme mais sa forme. Car lorsque nous parlons de l’âme, nous comprenons ce qui est la forme du corps. Mais ainsi la forme de l’âme serait la forme du corps par l’intermédiaire d’une matière propre, comme la couleur est l’acte du corps par l’intermédiaire de la surface, pour qu’ainsi toute l’âme puisse être appelée forme du corps ; cela est impossible : parce que par la matière nous comprenons ce qui est en puissance seulement, mais ce qui est en puissance seulement ne peut pas être l’acte de quelque chose, c'est-à-dire être forme. Mais si quelqu’un sous le nom de matière comprend un acte, il ne faut pas à y faire attention, parce que rien n’empêche que ce que nous appelons acte, quelqu’un l’appelle matière, comme ce nous appelons pierre quelqu’un peut l’appeler âne[150].

9. Ad nonum dicendum quod opinio ponens animam esse compositam ex materia et forma, est omnino falsa et improbabilis. Non enim posset esse corporis forma, si esset ex materia et forma composita. Si enim anima esset forma corporis secundum formam suam tantum, sequeretur quod una et eadem forma perficeret diversas materias diversorum generum, scilicet materiam spiritualem animae et materiam corporalem; quod est impossibile, cum proprius actus sit propriae potentiae. Et praeterea illud compositum ex materia et forma non esset anima, sed forma eius. Cum enim dicimus animam, intelligimus id quod est corporis forma. Si vero forma animae esset forma corporis mediante materia propria, sicut color est actus corporis mediante superficie, ut sic tota anima possit dici corporis forma, hoc est impossibile: quia per materiam intelligimus id quod est in potentia tantum; quod autem est in potentia tantum, non potest esse alicuius actus, quod est esse formam. Si vero aliquis nomine materiae intelligat aliquem actum, non est curandum: quia nihil prohibet quod id quod vocamus actum, aliquis vocet materiam; sicut quod nos vocamus lapidem, aliquis potest vocare asinum.

 

10. De même que la Seine n’est pas ce fleuve à cause de cette eau qui coule, mais à cause de cette origine, et de son lit, c'est pourquoi on parle toujours du même fleuve, bien que ce soit une autre eau qui coule ; de même c’est le même peuple, non pas à cause de l’identité de l’âme ou des hommes, mais à cause d’un même territoire, ou plus à cause des mêmes lois et du même mode de vie, comme le dit Aristote (Politique, III, 1).

10. Ad decimum dicendum quod sicut fluvius Sequana non est hic fluvius propter hanc aquam fluentem, sed propter hanc originem et hunc alveum, unde semper dicitur idem fluvius, licet sit alia aqua defluens; ita est idem populus non propter identitatem animae aut hominum, sed propter eamdem habitationem, vel magis propter easdem leges et eumdem modum vivendi, ut Aristoteles dicit in III Politic.

 

11. Le temps est comparé à un seul mouvement seulement comme l’accident au substrat, c'est-à-dire pour le mouvement du premier mobile, par quoi sont mesurés tous les autres mouvements. Pour les autres le mouvements est comparé comme la mesure au mesuré, de même la brasse[151] est comparée à une baguette de bois, comme à un substrat, à une pièce d’étoffe qui est mesurée par elle, comme ce qui est mesuré seulement et c'est pourquoi il n’en découle pas qu’il n’y ait qu’un seul accident dans de nombreux substrats.

11. Ad undecimum dicendum quod tempus comparatur ad unum tantum motum, sicut accidens ad subiectum; scilicet ad motum primi mobilis, quo mensurantur omnes alii motus. Ad alios autem motus comparatur sicut mensura ad mensuratum; sicut ulna comparatur ad virgam ligneam sicut ad subiectum, ad pannum autem qui per eam mensuratur, sicut ad mensuratum tantum; et ideo non sequitur quod unum accidens sit in multis subiectis.

 

12. L’action de voir ne se fait pas par les  rayons envoyés en dehors selon la vérité de la chose, mais Augustin en parle selon l’opinion d’autres personnes. Cependant cela établi, l’âme meut les rayons dans toute la mesure où ils sont envoyés dehors, non pas comme des corps extérieurs, mais en tant qu’ils se continuent avec leur propre corps.

12. Ad duodecimum dicendum quod visus non fit per radios extra missos secundum veritatem rei; sed Augustinus hoc dicit secundum opinionem aliorum. Hoc tamen posito, anima vegetaret radios quantumcumque extra missos, non quasi extranea corpora, sed in quantum continuantur cum corpore proprio.

 

13. Comme cela paraît de ce qui a été dit, ce qui est compris n’est individué et multiplié que du côté de l’opération intellectuelle. Mais il n’est pas inconvenant que par ce qui est compris, en tant que tel, ce qui est compris soit en plus abstrait simplement ; de même le concept est simplement abstrait par celui qui comprend. Et cela ne préjuge pas de la nature de l’universalité. Car il arrive à l’homme ou au concept d’espèce, ce qui est compris par moi. C'est pourquoi il ne faut pas que, au sujet de l’intellect de l’homme ou du concept d’espèce, il arrive que c’est compris par moi ou par quelqu’un d’autre.

13. Ad decimumtertium dicendum quod sicut ex praedictis patet, res intellecta non individuatur nec multiplicatur nisi ex parte operationis intellectualis. Non est autem inconveniens quod a re intellecta, in quantum est intellecta, adhuc abstrahitur res intellecta simpliciter; sicut ab hoc intelligente abstrahitur intellectus simpliciter. Nec hoc praeiudicat rationi universalitatis. Accidit enim homini aut intentioni speciei, quod intelligatur a me. Unde non oportet quod de intellectu hominis aut intentione speciei sit quod intelligatur a me vel ab illo.

 

14. L’accord n’est pas causé dans les premiers principes par l’unité de l’intellect possible mais par la ressemblance de la nature, par quoi nous tous nous tendons à la même chose, comme toutes les brebis sont d’accord dans le fait qu’elles estiment le loup comme un ennemi, personne cependant ne dirait qu’il n’y a en elles qu’une seule âme seulement.

14. Ad decimumquartum dicendum quod consensus in prima principia non causatur ex unitate intellectus possibilis, sed ex similitudine naturae, ex qua omnes in idem inclinamur; sicut omnes oves consentiunt in hoc quod existimant lupum inimicum, nullus tamen diceret in eis unam tantum animam esse.

 

15. L’être individuel ne s’oppose pas à ce qui est l’être compris en acte, parce que les substances séparées sont comprises en acte, alors que cependant elles sont individuées, autrement elles n'auraient pas d’actions, qui viennent des particuliers. Mais avoir l’être matériel, s’oppose à ce qui n’est pas l’être conçu en acte, c'est pourquoi les formes individuelles qui sont individuées par la matière ne sont pas comprises en acte mais en puissance seulement. Mais l’âme intellective n’est pas individuée ainsi par la matière, pour devenir une forme matérielle, surtout quant à l’intellect, selon lequelle elle transcende le rapport à la matière corporelle, mais par ce moyen elle est individuée selon la matière corporelle, comme on l’a dit, en tant qu’elle a l’apparence d’être la forme de ce corps. C’est pourquoi par cela on ne supprime pas que l’intellect possible de cet homme soit un intellect en acte, et de la même manière  ce qui est reçu en lui. Et par là apparaît la solution pour les deux objections suivantes.

15. Ad decimumquintum dicendum quod esse individuale non repugnat ei quod est esse intellectum in actu: quia substantiae separatae sunt intellectae in actu, cum tamen sint individuae; alioquin non haberent actiones, quae sunt singularium. Sed habere esse materiale, repugnat ei quod est esse intellectum in actu; et ideo formae individuales quae individuantur per materiam, non sunt intellectae in actu, sed in potentia tantum. Anima autem intellectiva non sic individuatur per materiam ut fiat forma materialis, praecipue secundum intellectum, secundum quem transcendit materiae corporalis proportionem; sed eo modo individuatur secundum materiam corporalem ut dictum est, in quantum scilicet habet habitudinem ut sit forma huius corporis. Unde per hoc non tollitur quin intellectus possibilis hominis huius sit intellectum in actu, et similiter ea quae recipiuntur in ipso. Et per hoc patet solutio ad duo sequentia.



[1] "quod est": de ce qui est? Du fait qu'il est? De ce qui est?

[2] "Mente rationali": ablatif. La traduction anglaise tranforme l'abatif "mente" en datif "menti": "car seule la Trinité pénètre à l'intérieur de la pensée rationnelle."

[3] Parall.: Ia, qu. 76, a. 1 – II sent. D. 1, qu. 2, a. 4 — D. 17, qu. 2, a. 1 — CG. II, 56, 57, 69-70 — De anim, a. 1 et 2 — De anima,II, lectio 4, De anima III, lect. 7 — De unit. Intell., 3 — Comp. Théol., 80, 87.

[4] « …les intelligibles ne sauraient être saisis ni comtempés par les sensibles » (PL 588 B) (Trad. M. de Gandillac)

[5] On trouvera plus loin (respondeo de l’article) une définition de la substance spirituelle. Elle est forme mais « en pouvant subsister et opérer par elle-même, l’âme est une substance spirituelle ».

[6] « Intelliger », c’est l’acte de l’intellect (cf. en c.). « L’intellect est cette partie de l’âme par laquelle l’âme connaît » Aristote De anima, III, 4, 429 a 10. Trad. E . Barbotin). C’est à la fois acquérir la connaissance, penser, comprendre, concevoir. Pour simplifier la traduction nous employons ‘comprendre’.

[7] « La forme [sans la matière] n’est pas créée. Elle est contenue en puissance dans la matière, il y a une ordination naturelle à la forme. “Qu’on ne croie pas davantage qu’en passant à l’acte de cette forme, la matière reçoit quelque chose du dehors. le fieri de la forme n’est donc très proprement que la transformation du sujet; elle-même n’a de sort indépendant aucun et elle n’a donc pas besoin ni d’être créée, ni d’être amenée ». Sertillange, Thomas, II, p. 18.

[8] Thomas sait que ce livre n’est pas d’Augustin. Cf. a. 3, sol. 6. Il est d’Alcher de Claivaux. Dans l’esprit de l’auteur, il ne s’agit pas d’un miracle tel que nous l’entendons, mais d’une chose admirable, étonnante, de même que l’union de Dieu (Le Christ) au ’limon’. C’est ainsi que le comprend Thomas dans la solution 6.

[9] « Tout ralentissement se produit (…) par suite d’une impuissance, et l’impuissance est contraire à la nature. Chez les animaux, tous les manques de force, comme la vieillesse et l’affaiblissement sont, eux aussi, contraires à la nature ». (Trad. P. Moraux, 69-70).

[10] Averroès.

[11] C’est la quatrième définition de la nature que donne Boèce.

[12] Cela sera démontré plus loin, a. 4.

[13] « Il n’en est pas moins vrai que pour certaines autres parties, rien n’empêche la séparation, parce qu’elles ne sont l’entéléchie d’aucune organe corporel ». (Trad. E. Barbotin).

[14] « Les contraires étant différents spécifiquement, et le corruptible et l’incorruptible étant des contraires (car la privation est une impuissance déterminée, le corruptible et l’incorruptible …sont nécessairement différents par le genre ». (Cf. Thomas, Métaphysique, X, XII, n.2137)

[15] Aristote donne trois définitions. Il s’agit ici de la première: « L’âme est substance au sens de forme d’un corps naturel possédant la vie en puissance ». Les deux autres II, 1, 412 a 24 et II, 1 412 b 5 insistent sur la fait que l’âme est l’éntéléchie première d’un corps naturel organisé

[16] Le De natura hominis, œuvre de Némésius, évêque d’Émèse en Phénicie, (début du Ve siècle). Œuvre d’inspiration néoplatonicienne, dont un fragment a été placé à tort dans les œuvres de Grégoire de Nysse.

[17] « L’intellect… (j’entends par intellect ce par quoi l’âme pense discursivement et conçoit) n’est pas par l’acte des étants avant de penser. C'est pourquoi l’on ne peut, non plus, dire raisonnablement qu’il soit mêlé au corps » (Trad. E. Barbotin, modifiée).

[18] Le problème de l’Unité de l’intellect sera traité aux articles 9 et 10.

[19] L’imagination n’est pas la sensation, car on peut imaginer sans vue ou vision. « les sensation sont vraies… les images le plus souvent sont fallacieuses ». Cf. Aristote, De anima, III, 8, 428 a.

[20] « Quant à la pensée discursive de l’âme, les images lui tiennent lieu de sensation… C'est pourquoi l’âme ne pense jamais sans image ». (Trad. E. Barbotin).

[21]Species et phantasma sonr des termes techniques, difficiles à traduire.

[22] Voir note ci-dessus.

[23] « …les corps en mouvements mettent en mouvement à peu près tout ce qui se trouve sur leur chemin…Du fait que ces corps en mouvement mettrent en mouvement des corps de même nature, on a l’impression que le contact est nécessairement réciproque, mais si un moteur lui-même immobile met en mouvement un objet nous sommes en présence d’un cas où le moteur touche ce qu’il meut, mais rien ne le touche lui-même ».

[24]: « On peut comprendre " quelque chose " (aliquid) soit de toute réalité subsistante, soit d'une réalité subsistante complète, d'espèce déterminée. Le premier sens exclut tout ce qui est accident, ou forme matérielle, le second exclut encore cette imperfection d'être une partie d'un tout. Ainsi la main est " quelque chose " au premier sens, mais non au second. De la même manière l'âme, qui est une partie de la nature humaine, n'est " quelque chose ", réalité subsistante, qu'au premier sens. C'est pourquoi il faut concéder que le composé d'âme et de corps peut être désigné comme " quelque chose ". (Ia, qu. 75,a. 2, ad 1m)

[25] « L’âme n’est donc pas séparable du corps ».

[26] « (Platon) affirmait en effet que la nature de l'espèce est tout entière dans l'âme, disant que l'homme n'est pas quelque chose de composé d'une âme et d'un corps, mais une âme usant d'un corps, de telle sorte qu'elle serait comparable au corps comme le pilote à son navire, ou le vêtu au vêtement. … Il est manifeste que l'âme est ce par quoi le corps vit… que l'âme est donc ce par quoi le corps humain a l'être en acte, ce qui est le fait d'une forme. L'âme humaine est donc la forme du corps.… L'âme s'étant retirée, aucune partie du corps ne retient plus le nom qu'elle avait, sinon de manière équivoque. Car l'œil d'un mort est dit par équivoque un œil, et de même l'œil peint ou sculpté, et il en va ainsi des autres parties du corps. De plus, si l'âme était dans le corps comme le pilote dans le navire, il s'ensuivrait que l'union de l'âme et du corps serait accidentelle et la mort, qui signifie leur séparation, ne serait plus une corruption substantielle, ce qui est manifestement faux ». QD De anima, qu. 1, c.

[27] « C’est aussi ce que le philosophe appelle fréquemment le ce que c’était d’être <un> quelque chose. On l’appelle aussi « forme » dans la mesure où c’est par la forme qu’est signifiée la certitude de chaque chose, comme le dit Avicenne au livre II de sa Métaphysique (II, 2, et 1, 6) . On l’appelle aussi autrement « nature », en l’entendant au premier des quatre sens que Boèce lui assigne dans son livre Des deux natures, c'est-à-dire au sens où on appelle nature tout ce qui peut être saisi de quelque façon par l’intellect… » (de ente et essentia, I, 3). (Trad. A. de Libera, Cyrille Michon).

[28] « Au dessus sont les formes des corps mixtes qui, outre les opérations susdites, ont quelque opération consécutive à l'espèce qu'elles reçoivent des corps célestes: que l'aimant attire le fer, c'est à cause, non pas de la chaleur ou du froid ou de quelque autre qualité, mais de la participation d'une force céleste ». (QD De anima, a. 1 c.) Commentaire du De anima I, lect. 5, n. 6: selon Thalès, « il dit que ce qui possède la puissance motrice est l’âme; par conséquent une certaine pierre, mouvant le fer , il affirma qu’elle possède (une) l’âme ». (Trad. J.-M. Vernier, p. 55)

[29] « Qu’est-il besoin pour les esprits des défunts de rencontrer leur corps à la résurrection…question trop ardue… Cependant il est indubitable que l’âme intellectuelle de l’homme… ne peut voir la substance de Dieu comme le voient les saints anges ». (Trad. BA p. 451).

[30] Selon l’opinion d’Aristote, rapportée dans l’objection.

[31] Corruptible (BJ).

[32] « Les saints ordres des essences célestes l’emportent donc et sur les êtres matériels… sur les animaux sans raison, et aussi sur notre raison humaine». (Trad. M. de Gandillac).

[33] Ia, qu. 76, a. 6, 7 — II Sent. D. 1, q. 2, a. 4, ad 3 — CG. II, 71 — De anima.a. 9 — II De anima, lect. 1 — VIII Métaph., lect. 5 — Quodl., 1, a. 6 — XII, a. 9 — Compend. Theol. 91, 92.

[34] « Aussi l’âme est-elle l’entéléchie première d’un corps naturel possédant la vie en puissance ».(Trad. E. Barbotin).

[35] Il y a le même rapport entre les deux séries. L’âme pour les êtres animés, la forme pour les autres. L’objection revient à assimiler le corps organique à la matière au moment de sa constitution.

[36] « …unir dans la définition, à la fois la puissance et l’acte, c’est parler de la troisième espèce de substance, à savoir le composé de la matière et de la forme (Il semble bien que la définition par les différences relève de la forme) » (Trad. J. Tricot).

[37] L’œuvre n’est pas d’Augustin (Thomas le dit sol. 6) mais d’Alcher (PL. XL, 789). Thomas le redit dans les QD de anima, a. 9, sol. 1.

[38] Phantasiticum semble devoir être comme une puissance de l’âme qui reçoit l’image (phantasma) d’où l’intellect tire le concept: l’imagination « La pensée « comprend à la fois, semble-il, l’imagination et le jugement » (Aristote De anima III, 3, 427 b 32) « Si donc l’imagination est cette fonction qui, dit-on produit en nous l’image, tout usage métaphorique étant exclu, elle est, parmi d’autres, une faculté ou une disposition qui permet de juger… (III, 3, 428 b). « L’imagination est, semble-t-il, un mouvement (qui) ne peut se produire sans la sensation… (428 b 11).

[39] Suite du texte: « … qui sont aussi en ce monde des corps éminents et plus semblables à l’esprit ».

[40] « …quand ces fonctions qui sont comme au service de l’âme défaillent complètement, par suite d’une corruption ou d’une perturbation quelconque, les messagers du sens et les agents du mouvement faisant défaut, l’âme qui en quelque sorte n’a plus de raison d’être présente au corps, s’en éloignée (Trad. BA 48, p. 545). Augustin montre bien ce qui est considéré comme intermédiaire dans cette objection.

[41] Cf. a. 2, obj. 16.

[42] Costa Ben Luca (XIIe siècle).

[43] « Pour tout ce qui a pluralité de parties et dont la totalité n’est pas une juxtaposition… il y a une cause d’unité… ce principe d’unité tantôt le contact, tantôt l’agglutination ou quelque autre détermination de cette nature ». Trad.. J. Tricot)

[44] Notre intellect ne peut comprendre en acte qu’en se tournant vers les images ( phantasmata) (Ia, qu. 8, a. 8 c, etc.) Les fonctions de l’âme ne peuvent s’accomplir que par les sens corporels. C’est pourquoi elle a besoin de son corps.

[45] 193 b 33: « C’est pourquoi, encore, il (le mathématicien) les sépare; et en effet, ils sont, par la pensée, séparables du mouvement: peu importe d’ailleurs cette séparation: elle n’est cause d’aucune erreur. » (Trad. H. Carteron).

[46] 1036 a 27: « …il n’est pas possible de définir quelque chose, puisque c’est seulement de l’universel et de la forme qu’il y a définition ». 1036 a 31: Suit l’exemple d’un cercle d’airain, de pierre ou de bois. Les matières ne font parties de l’essence du cercle car il a une existence séparée. 1036 b 3: « La forme de l’homme nous apparaît résider toujours dans la chair, les os et les parties analogues. Seraient-ce donc là des parties de la forme et par suite de la définition.…La séparation de la forme apparaît donc possible mais on ne voit pas toujours clairement dans quel cas. » VII, 10, 1035 a: « Si donc on a d’une part, la matière et de l’autre la forme, et en troisième lieu la forme et le composé sont substances, alors même la matière est, en un autre sens, dite partie d’une chose, tandis que, en un autre sens, elle ne l’est pas, et dans ce dernier cas, sont seulement parties les éléments qui entrent dans la définition de la forme ». (Trad. J. Tricot).

[47] Aristote définit la qualité ainsi: « J’appelle qualité ce en vertu de quoi on est dit être tel ». Pour lui il y a quatre espèces de qualité: 1) l’état ou la disposition (Catégorie,VIII 8, b 26); 2) Les bonnes dispositions « On parle de bon lutteur, bon … » (9 a 28). 3) Les qualités affectives et les affections (9 a, 28): douceur, amertume, âcreté. 4) La figure ou la forme qui appartiennent à tout l’être (10 a 11).

[48] « Si Dieu a pu joindre la nature si différente du corps et de l'âme dans une union unique et les joindre en une telle amitié, il ne lui est jamais impossible d'élever l'humilité future de la créature raisonnable, bien que de loin inférieure, à la participation à sa gloire » (Texte du De spiritu et anima, XIV, cité par Pierre Lombard).

[49] « Qu’est-ce qui contient donc l’âme si elle est apte par nature à être divisible ? En effet ce n’est pas le corps, car il semble au contraire que l’âme le contient davantage qu’il ne la contient; elle, l’ayant quitté, il expire et s’évanouit. ». (Trad. J.-M. Vernier)

[50] Ia, qu. 76, a. 6, c.: « La puissance du côté de l’âme pour mouvoir le corps et une aptitude du côté du corps par laquelle le corps pourrait être mû ». Le sed contra précise qu’alors l’âme serait un accident, il n’y a pas dans le corps de forme accidentelle avant la forme substantielle.

[51] Cf. Aristote, Métaphysique, (5, 7, 1017 a 6 sq.) L’être est « par accident, quand, par exemple, nous disons que le juste est musicien… L’être par essence reçoit toutes les acceptions qui sont indiquées par les types de l’être, car les sens de l’Etre sont en nombre égal à ces catégories (substance, qualité, relation…) (Trad. J. Tricot).

[52] Philosophe, VI6e siècle p.c. A écrit des commantaires sur les œuvres d’Aristote.

[53] Il s’agit de la participation, à l’origine chez Platon. Par exemple: « La participation est le principe à partir duquel s’expliquent les degrés de perfection. En effet, ce qui est parfait est ce qui est cause de tous les degrés de perfection que l’on rencontre dans un genre donné, c’est donc ce qui ne tient pas sa perfection d’une cause mais de lui-même. » Laurence Renault, Dieu et les créatures selon Thomas d’Aquin, p. 36. « … quand des choses diverses on trouve de l'unité, il faut que ces choses diverses reçoivent cette unité d'une seule cause. Ainsi divers corps chauds tiennent la chaleur du feu. L'esse se trouve communément en toutes choses encore qu'elles soient diverses.( CG. II, 16, § 9 - Cf. I, 45, 5. c).

[54] « S’ils ne sont un que spécifiquement, rien ne sera un numériquement, pas même l’Un en soi et l’Être en soi » III, 4, 999 b 25- « Qu’est-ce donc qui fait l’homme un, et pourquoi est-il un et non plusieurs, animal et bipède par exemple; surtout si l’animal et le bipède sont, comme l’assurent certains philosophes, Animal en soi et Bipède en soi ? Pourquoi, en effet l’Homme ne serait-il pas ces deux idées elles-mêmes.» Métaphysique, VIII, 6, 1045 a 14) (Trad. J. Tricot).

[55] Qui est une substance accidentelle.

[56] « Il est donc manifeste aussi que si les substances sont assimilables, en quelque manière aux nombres… », c'est-à-dire en tant la substance est la forme distincte des éléments. (Trad. et note J. Tricot).

[57] « Toujours en effet, le terme postérieur contient le terme antérieur, qu’il s’agisse des figures ou des êtres animés…la faculté sensitive contient la faculté nutritive ». (Trad. E. Barbotin).

[58] L’exemple de Thomas est dans le texte d’Aristote ibid.

[59] « Un corps peut bien être en quelque façon principe vital, le cœur par exemple, mais non pas premier principe ». (Ia,qu. 75, a. 1, c).

[60] Le De spiritu et anima.

[61] C'est-à-dire l’image abstraite.

[62] Il semble en effet qu’il ne soit pas d’Aristote.

[63] « Il y a des philosophes qui admettent l’existence de ces êtres dits intermédiaires entre les Idées et le monde sensible, mais ils ne les séparent cependant point des choses sensibles, et disent qu’ils sont immanents au sensible. Toutes les impossibilités qu’entraîne une telle doctrine, il serait trop long de les expliquer. » (Trad. J. Tricot)

[64] Parall. : Ia, qu. 76, a. 8 — I sent. D. 8, qu. 5, a. 3 — CG. II, 72 — QD De anima, a. 10, — I de anima, lectio 14.

[65] La citation est quelque peut différente en Ia, qu. 76, a 8. Il ajoute : « pour faire vivre les autres. Car chacune d’elle est capable par nature d’exécuter un mouvement qui lui est propre. »

[66] « Quid ergo amplius quaeris quanta sit anima, cum videas esse tantam quantam ipsa spatia corporis patiuntur? » - Pourquoi donc chercher encore la mesure de l'âme, puisque tu la vois aussi grande que le comporte l'espace occupé par le corps?

[67] Averroès.

[68] Il s’agit de l’ange qui meut le corps céleste.

[69] « Dès lors il est nécessaire que le moteur soit ou au centre, ou à la périphérie : car ce sont là les principes (de la sphère). Or ce sont les choses les plus proches du moteur qui se meuvent le plus rapidement, et tel est le mouvement de l’univers (tou olou) ; c’est donc à la périphérie qu’est le moteur ». Trad.  H. Carteron.

[70] « Ce qui est l’entéléchie première d’un corps naturel organisé »

[71] Il semble qu’il s’agit des infimes parties du corps, supposées non divisibles, en un nombre potentiellement infini.

[72] Absque quantitate dimensiva : Thomas, après Aristote, place la dimension parmi les catégories, la quantité en l’occurrence. (Catégories, 6).

[73] Certaines puissances sont en rapport avec des organes (vue, audition, etc. ) d’autres non (l’intellection).

[74] Les chiffres indiquent les trois parties du syllogisme.

[75] La preuve est celle de la deuxième proposition du syllogisme, ici le fait que l’âme est composée de matière et de forme. (Le contraire, est démontrée en Ia,qu. 75, a. 5. Mais ici il s’agit d’une objection).

[76] Pour Aristote il s’agit des philosophes « pour qui l’univers est un et qui admettent une seule nature comme sa matière ». (Les premiers physiologues. J. Tricot)

[77] Cf. a. 5, c, premier §.

[78] « La chose qui n’a plus rien au-delà est achevée et entière, car nous définissons l’entier ce d’où rien n’est absent ». (Traf. H. Carteron)

[79] « Elle est dans chaque corps, toute entière, dans le tout, tout entière en chaque partie ».(BA. 15, p. 489) Ici Augustin s’inspire de Plotin (Enn. IV, II, 1) pour qui l’âme est le principe actif du monde.

[80] Exemples particulier, parce que certaines formes ne sont pas dans toutes les parties. Il repend l’exemple de la maison (obj. 4).

[81] Le début du texte est assez proche de QD. de anima, a. 10, c.

[82] Thomas s’inspire du De anima, II, 1, 412 b 9-17) et tout particulièrement de 428 b 20 (pour l’œil). Il signale son emprunt en Ia,qu. 76, a. 8, c.

[83] Il s’agit des formes ordinaires qui sont dans la matière.

[84] Il s’agit ici du cœur : « quoique qu’un corps puisse être un certain principe de vue, comme le cœur est principe de vie dans l’animal ; cependant il ne peut pas être le premier principe de vie » (Ia, qu. 76, a. 1, c).

[85] Pot.. qu. 3, a. 12 sol. 5 « La coupure du ver est violente et contre nature, parce que la partie coupée était une partie en acte, parfaite par l’âme; c'est pourquoi quand on coupe le corps, l’âme demeure dans l’une et l’autre partie, qui était une en acte dans le tout et plusieurs en puissance. Ce qui arrive parce que de tels animaux sont presque semblables dans le tout et dans la partie; parce que leurs âmes sont plus imparfaites que les autres, elles demandent peu de diversité dans leurs organes. Et de là vient qu'une partie coupée peut recevoir l’âme, comme ayant seulement pour les organes autant qu'il suffit pour recevoir une telle âme, comme cela arrive dans les autres corps semblables, comme le bois et la pierre, l’eau et l’air. Cf. II Sent.  d18q2a3.

[86] Parall. : Ia,  qu. 50, a. 1 – CG. II, 46, 91, 92 – De  Pot.qu. 6, a. 6 — De causis, comm. 7 — De subst. Sep., 18 — Compend. Théol., 74, 75

[87] « Or comme nous avons sous les yeux un terme extrême, qui peut être mû mais n’a pas en soi de principe de mouvement, ensuite un moteur qui est mû par autre chose et non par soi, il est raisonnable, pour ne pas dire nécessaire que le troisième terme existe, à savoir ce qui meut étant immobile ».(Trad. H. Carteron).

[88] C’est un raisonnement logique que l’on retrouve plusieurs foi, qui n’a de valeur que si on suppose que Dieu a comblé toutes les possibilités qui s’offraient. Cf. Réponse 1. : «…telle semble la perfection de l’univers qu’il ne lui manque aucune nature qui a la possibilité d’exister ». On trouve chez Aristote un raisonnement semblable. Cf. ci-dessus en note la citation de Physique VIII, 5, 256 b 20.

[89] Sectareurs de AUDIUS( ?) qui fonda une secte en Mésopotamie († 372). Ils interprétaient l’Écriture littéralement.

[90] « En état de comprendre, d’intelliger ».

[91] Il s’agit de la participation.

[92] Le pape Paschaire ne parle pas d’êtres spirituels, comme l’objection pourrait le laisser croire.

[93] L’aevum est entre l’éternité et le temps. Il n’a ni avant ni après. C’est le mesure des créatures spirituelles. (Cf. Ia, qu. 10, a. 5).

[94] Parall. : Ia, qu. 70, a. 3- CG. II, 70, III, 23, 24 — II sent. Q. 14, qu. 1, a. 3 — de Verit., qu. 5, a. 9, ad 14 — De Pot. qu. 6, a. 6. — De anim. A. 8, ad 3, 17 et 18 — Quodl., 12, a. 8 — De caelo et Mund. II, lect. 3, 13.

[95] Déjà exprimé dans l’rrticle 2, c.

[96] Cf. Ia, qu. 70, a. 3, obj. 1 : « Ce qui convient pour l’ornement des corps inférieurs, est animé, à savoir, les poissons, les oiseaux, et les animaux terrestres. Donc les ‘luminaires’ aussi qui appartiennent à l’ornement du ciel ».

[97] Il s’agit de Dieu, chez Augustin.

[98] « L’effet est plus parfait quand il revient à son principe. C'est pourquoi le cercle parmi toutes les figures et le mouvement circulaire parmi tous les mouvements est le plus parfait parce qu’ils reviennent à leur principe ».. (CG II, 46 § 2).

[99] En Ia, qu. 70, a. 3, seul de sed contra a été retenu.

[100] « C’est plutôt l’âme (…) qui semble faire l’unité du corps. Quand elle se retire, il se dissipe et se corrompt ».

[101] On retrouve ce même développement dans les QDP De anima qu. 8 sol. 3.

[102] Ia, qu. 70, a 3 c. Il ajoute « Il nia aussi la divinité ».

[103] «Qo 1, 6. « Le vent part au midi, tourne au nord, il tourne, tourne et va, et sur son parcours retourne le vent ». (B.J.)

[104] « On se demande encore si ces brillants luminaires du ciel sont seulement des corps ou s’ils ont pour les régir des esprits attachés à chacun d’eux. Dans cette hypothèse, ces esprits vont-ils jusqu’à leur communiquer la vie… ? »

[105] Cf. Pot. qu. 5, a. 5, obj/sol. 5-6.

[106] Traduction BA. 48, p. 211.

[107] Il s’agit d’un infini potentiel.

[108] Le mouvement circulaire.

[109] « …il est néccesaire que le moteur soit, ou au centre, ou à la périphérie ;… ce sont les choses les plus proches qui se meuvent le plus rapidement, et tel est le mouvement de l’univers ; c’est donc à la périphérie qu’est le moteur ». (Trad ; H. Carteron)

[110] Parall. : Ia, qu. 51, a. 1 – CG.  II, 90, 91 – II Sent. D. 8,qu. 1, a. 1 – De pot. qu. 6, a. 6 – De malo qu. 16, a. 1 — De Subst. Sep.  18, 19.

[111] Comprendre moins matériel. Cf.  obj. Suivante.

[112] « L’âme étant incorporelle, elle agit d’abord dans un corps qui a des affinités avec l’incorporel comme sont le feu ou plus précisément la lumière et l’air »  (XV, 21) – L’âme « se sert toutefois de l’air et de la lumière qui eux aussi sont des corps supérieurs aux autres corps de ce monde… » (XIX, 25). (Trad. BA48).

[113] C'est-à-dire lui attribuer une figure ou une forme. Cf. Réponse : la substance ne peut pas donner forme à l’air.

[114] « Il est impossible qu’un corps soit doué d’une âme et d’une intelligence capable de juger, sans posséder la sensation ».(Trad. E. Barbotin).

[115] Parall. : Ia, qu. 50, a. 4 — de Ente et Ess. 5 – II Sent. D. 3, qu. 1, aa. 4-5 — CG. II, 93, 95 — De Unitate Intell. 5 — De Subst. sep. 8 – Quodl. 2, a. 4­

[116] « Il n’en est pas de même de l’autre groupe des créatures raisonnables (le premier était celui des anges) qui se compose des hommes. Ces derniers ayant tous péri sous le coup du péché et des supplices, soit originel, soit personnel, qui pesaient sur eux, une partie en serait relevée, qui comblerait les vides creusés dans la société angélique… » (Trad. BA. 9, p. 157)

[117] C’est l’être qui représente la forme de l’ange.

[118] Repris en Ia, qu. 50, a. 4, ad 1 : « Sans la différence (apportée par l’espèce), tous les animaux seraient d’une seule espèce ».

[119] Les différences séparent le genre en espèce.

[120] « C’est en puissance, d’une certaine manière, que l’intellect est identique aux intelligibles, mais aucun d’eux n’est en entéléchie avant de penser » (Trad. de E. Barbotin, modifiée).

[121] « Pour chaque hiérarchie les ordres et les puissances se distribuent en trois degrés, premier, moyen et dernier ». (Trad. M. de Gandillac, p. 202).

[122] « Dans les choses où il y a de l’antérieur et du postérieur, il n’est pas possible que ce qui est attribué à ces choses existe en dehors d’elles » ; (rad. H. Tricot, p. 144).

[123] En Ia, qu. 50, a. 4, Thomas s’oppose à trois opinions différentes : 1. Toutes les substances spirituelles, mais aussi les âmes, sont d’une seule espèce. 2. Les anges sans les âmes sont d’une seule espèce. 3. Ils sont d’une seule hiérachie..

[124] « La forme et la matière diffèrent par le genre ».

[125] « Le genre est pris de ce qui est matériel dans la chose ». (De ente et essentia, V, 6)

[126] « La distinction… non selon la division de quantité, puisqu’ils sont incorporels, mais selon la diversité des puissances. Cette diversité de la matière cause non seulement celle de l’espèce, mais aussi du genre ». Ia, qu. 50, a. 4, c.

[127] « 1 - Que chacun se soumette aux autorités en charge. Car il n'y a point d'autorité qui ne vienne de Dieu, et celles qui existent sont constituées par Dieu ».(BJ.).

[128] Ces extrémités sont ce qui est le plus haut et le plus bas dans la hiérarchie des êtres.

[129] C’est l’être qui individualise

[130] La forme plus la matière (ou le substrat) devienent l’être qui individualise le tout.

[131] Parall. : Ia, 76, a. 2 —II Sent.D. 17,qu. 2, a. 1 — CG. II, 59, 73, 75 — De anima, a. 3 — III De anima, lectio 7, 8 — De unitate intell., 4, 5 — Comp. Theol. 85.

[132] Sur la traduction de quantitate par dimension, voir Augustin, les Confessions… éd. de la Pléiade, p. 1243.

[133] « Mais si je dis seulement qu’elle est multiple, moi-même je rirai de moi et je supportrai moins de me mépriser que si c’était toi qui me méprisais ». (Trad.  S. Depuy-Trudelle éd de la Pléiade).

[134] A l’opposé de ce qui est général…  « en ce qui concerne l’individu, sitôt après la matière dernière particulière, Socrate existe ; et de même pour tous les autres cas ».

[135] Cet œuvre n’est pas d’Augustin.

[136] Allusion au platonisme.Voir, par exemple, ce qu’en dit Augustin, de trinitate, XII, XV, 24.

[137] La matière corporelle s’oppose à la matière indéterminée. (De Ente et Essentia, IV, 2).

[138] « Quemadmodum dicitur tempus hujus, vel illius rei, cum unum et idem sit tempus omnium, qui sunt in eodem tempore simul… » (« Comment parler du temps de cette chose ou de cette autre, puisque c’est un seul temps pour tout ce qui est dans le même temps. ») (Le temps est un accident)

[139] « De même donc que pour percevoir les dimensions spéciales, nous sommes aidés par l’émission de rayons lumineux qui jaillissent par la fente de nos pupilles, et qui appartiennent si bien à notre corps que, même déposés sur les choses lointaines, que nous voyons, ils sont vivifiés par notre âme » (Trad. J.-L. Dumas, éd de la Pléiade, qui renvoie à Plotin, Ennéades, IV, 5 L’œil est considéré comme source de lumière. Cf. Pot. qu. 3, a. 7, c : « …nos sens : puisque en effet, ils ne perçoivent que par ce qu’ils reçoivent du sensible (même si pour la vue, il y a un doute à cause de ceux qui disent que la vue fonctionne en se projetant à l’extérieur, pour le toucher et les autres sens c’est clair) ». Il s'agit aussi de la « Sunaugeia» platonicienne, c'est-à-dire la théorie de la rencontre des rayons émanant de l'objet extérieur et des rayons venant de l'œil (Timée, 45 b—46 c et 67 c - 68 d).

[140] « C’est une même chose que la science en acte et son objet. Sans doute la science en puissance est-elle antérieure selon le temps dans l’individu… ».

[141] Allusion à l’âme du monde.

[142] « Si donc l’intellection est analogue à la sensation, il faut examiner quel est son caractère distinctif ».(Trad. E. Barbotin).

[143] En certains cas, on pourrait, comme certains le font, traduire intelligere par intelliger ou penser. Que le lecteur ait à l’esprit ces différents sens.

[144] L’édition Marietti donne comme texte : « …animam sicut sumus, sed in potentia ad omnia ; et proposuit Plato… »

[145] De Unit. I, 2. « Il s’ensuivra qu’après la mort rien ne restera des âmes humaines que l’unique substance d’un seul intellect ; vous supprimez ainsi la répartition des recompences et des peines jusqu’à la différence qui est distingue. » (Trad. A de Libera).

[146] « Mais l’homme en général, le cheval en général, et les autres termes de ce genre, qui sont affirmés d’une multiplicité d’individus, à titre de prédicat universel, ne sont pas une substance, mais un composé déterminé d’une certaine forme et d’une certaine matière prise universellement ; mais ce qui concerne l’individu, sitôt après la matière dernière particulière, Socrate existe ; et de même pour tous les autres cas »( Trad. H Tricot, p. 406-407).

[147] « Mais si le bonheur est une activité conforme à la vertu, il est rationnel qu’il soit activité conforme à la plus haute vertu, et celle-ci sera la vertu de la pa       rtie len plus noble de nous-mêmes. Que ce soit donc l’intellect … ».

[148] « J’entends par intellect ce par quoi l’âme penser discursivement et conçoit ».

[149] Parce qu’elles peuvent être individuée par la matière.

[150] Thomas considère ici le signe linguistique sous son aspect convention.

[151] Mesure de longueur. La baguette sert à mesurer.