Commentaire du traité de la politique d'Aristote

PAR SAINT THOMAS d’AQUIN

 

Introduction par Hugues Keraly, Nouvelles Editions Latines, 1974

Traduction complète par Serge Pronovost, 2015

 

En ajout : Prologue et leçon 1: Traduction par Guy Delaporte et Anne Michel, 2004

 

Troisième édition numérique, http://docteurangelique.free.fr, 2015

Les œuvres complètes de saint Thomas d'Aquin

 

AVANT-PROPOS PAR HUGUES KERALY, 1974_ 3

Prologue à la politique_ 4

LIVRE 1 ─ LA CITÉ_ 9

LEÇON 1 (nn. 9-41; [1-22]) ─ L'origine des cités. La nature de la cité. Que l'homme est un animal social. Que la cité est par nature antérieure à ses parties, c’est-à-dire au village et à la famille. 9

LEÇON 2 (nn. 42-55; [23-29]) ─ Des trois genres de familles: dont la première est composée du maître et de l'esclave, la deuxième de l'homme et de la femme et la troisième du père et des hommes libres. 38

LEÇON 3 ─ (nn. 56-74; [30-42]) ─ Qu'il convient par nature à certains d'obéir et à d'autres de commander. 49

LEÇON 4 (nn. 75-88; [43-53]) ─ Au sujet des maîtres et des esclaves, il montre qu'autres sont ceux auxquels il est avantageux d'être maîtres et esclaves par nature et ceux qui le sont par la loi, auxquels il arrive le contraire. 64

LEÇON 5 (nn. 89-96; [54-60]) ─ Qu’il existe différentes formes d’administration des cités. Que pareillement l’acquisition des richesses se réalise conformément à la nature de trois manières : par l’élevage, l’agriculture et la chasse. 75

LEÇON 6 (nn. 97-110; [61-70]) ─ Comment les richesses peuvent être acquises conformément à la nature. Et que ces dernières sont autant d’instruments variés ordonnés à la vie familiale et publique. 82

LEÇON 7 (nn. 111-121; [71-81]) ─ De l’acquisition par l’échange en vendant les choses inutiles pour acheter celles qui sont nécessaires. De l’invention de la monnaie et d’abord de celle qui est grossière puis ensuite de celle qui porte une empreinte d’où est née la recherche de l’argent. 95

LEÇON 8 (nn. 122-134; [82-89]) ─ L’acquisition de la monnaie ou de l’argent qui contribue à obtenir les choses nécessaires à la vie humaine est limitée. Mais en vérité celle qui s’écarte de cette finalité est illimitée et contre nature. 106

LEÇON 9 (nn. 135-150; [90-100]) ─ Ce que doivent savoir ceux qui s’appliquent à connaître l’art d’acquisition : à savoir, plus ou moins, le commerce, l’intérêt, le travail du mercenaire, de la comparaison à faire entre eux, et de la sagesse de Thalès. 118

LEÇON 10 (nn. 151-161; [101-106]) ─ Examen de la première et de la deuxième espèce de famille; et que les esclaves doivent posséder des vertus auxquelles ils sachent évidemment bien se conformer. 129

LEÇON 11 (nn. 162-168; [109-114]) ─ Puisque les artisans sont par nature des serviteurs, ils ont une servitude limitée et il convient qu’eux-mêmes soient pourvus de certaines vertus; et il en est de même des femmes et des enfants. 143

LIVRE II ─ [LA CONSTITUTION] 149

LEÇON 1 (nn. 169-184; [115-124]) ─ Il ne faut pas que dans les cités toutes les choses soient mises en commun comme les femmes, les enfants et les biens, ainsi que le croyait Socrate. 149

LEÇON 2 (nn. 185-188; [1231-3]) ─ Il ne peut arriver que des hommes libres ne reconnaissent pas de quels parents ils sont nés. 164

LEÇON 3 (nn. 189-195; [124 1-6]) ─ Que la mise en commun des enfants rend les citoyens plus enclins aux disputes et aux meurtres et qu’elle fait disparaître le respect dû aux anciens ainsi que la bienveillance rattachée aux liens du sang. 170

LEÇON 4 (nn. 196-206; [125-1282]) ─ La possession commune des biens suscite dans la cité de nombreuses controverses et fait disparaître l’exercice de la tempérance et de la libéralité. 179

LEÇON 5 (nn. 207-222; [129-1351]) ─ En quoi Socrate se trompa dans l’affirmation de la mise en commun et qu’une telle cité ne peut conduire au bonheur. 189

LEÇON 6 (nn. 223-241; [136-1433]) ─ Examen d’autres lois de Socrate. 202

LEÇON 7 (nn. 242-253; [144-152]) ─ La république de Socrate est rejetée sous le rapport de ce qui fait la valeur des magistrats. 215

LEÇON 8 (nn. 254-268; [153-161]) ─ Examen et condamnation des lois instituées par Phaléas le Carthaginois. 224

LEÇON 9 (nn. 269-275; [160-161]) ─ Aristote reprend Phaléas qui, alors qu’il prône l’égalité des domaines et des résidences, ne dit rien des esclaves et de l’argent. 236

LEÇON 10 (nn. 276-280; [162-1663]) ─ Quelle fut la république d’Hippodamos de Milet et quels furent ses défauts. 242

LEÇON 11 (nn. 281-288; [167-172]) ─ Critique de la constitution d’Hippodamos. 247

LEÇON 12 (nn. 289-296; [173-177]) ─ Que les lois, même les moins bonnes, ne doivent pas être changées aisément. 255

LEÇON 13 (nn. 297-308; [178-187]) ─ Le Philosophe examine la constitution des Lacédémoniens qui depuis longtemps est apparue supérieure aux autres et il la reprend quant à ce qu’elle dit des esclaves, des femmes et de la possession des terres. 263

LEÇON 14 (nn. 309-320; [188-195]) ─ Que Lycurgue se fourvoya considérablement en instituant les Éphores, les Phidities et les impôts. 276

LEÇON 15 (nn. 321-331 bis; [196-206]) ─ Il compare la constitution de la Crète à celle de Spartes et il montre les choses dans lesquelles elle paraît avoir échoué. 288

LEÇON 16 (nn. 332-340; [207-215]) ─ Le Philosophe considère ici la république des Carthaginois. Et, la comparant aux deux constitutions précédentes, il la réfute. 299

LEÇON 17 (nn. 341-347; [216-222]) ─ Le Philosophe rappelle les lois de Solon et de certains autres afin que rien de ce qui appartiendrait à cette connaissance ne paraisse avoir été omis. 310

LIVRE III ─ [LES CITOYENS] 319

LEÇON 1 (nn. 348-356; [223-229]) ─ Quel est celui qu’on doit appeler citoyen et quelle cité mérite ce nom. 319

LEÇON 2 (nn. 357-364; [230-232]) ─ Que ceux qui ont jadis été gratifiés par la cité sont des citoyens et de quelle manière la cité demeure unie. 331

LEÇON 3 (nn. 365-377; [233-238]) ─ Que ce n’est pas la même chose d’être un bon citoyen et un homme bon, puisque le bon citoyen est celui qui sait obéir et commander à propos alors que c’est dans sa totalité qu’un homme est appelé bon. 337

LEÇON 4 (nn. 378-383; [239-243]) ─ Quels sont ceux qui doivent être appelés citoyens et qu’il existe plusieurs espèces de citoyens. 350

LEÇON 5 (nn. 384-390; [244-251]) ─ Que la cité est une communauté d’hommes libres dont la finalité est le bien commun auquel toute l’administration publique doit tendre. 358

LEÇON 6 (nn. 391-398; [252-259]) ─ À partir de la finalité de la société civile et du nombre de ceux qui gouvernent, il rassemble les manières de gouverner les cités ainsi que les vices qui leur sont opposés. 366

A PARTIR D’ICI, COMMENTAIRE PAR PIERRE D’AUVERGNE_ 373

LIVRE 4_ 497

LIVRE 5_ 646

LIVRE 6_ 833

LIVRE 7_ 915

LIVRE 8_ 1139

 

 

 

 

AVANT-PROPOS PAR HUGUES KERALY, 1974

 

Parmi les nombreuses questions de philosophie sociale abordées dans l'œuvre de saint Thomas d'Aquin, il en est une qui semble avoir été traitée pour elle-même, ou à tout le moins d'une manière séparée. Or il s'agit précisément de la question que nos contemporains, lorsqu'ils se la posent, auraient tendance à considérer comme « préalable » en ce domaine à toute autre recherche: qu'est-ce que la Politique ? Existe-t-il une science originale de la Cité ? Les réponses apportées ici définissent la position thomiste en matière de science politique, sa « perspective » propre.

Cette perspective est fixée ou plutôt condensée par le Docteur commun dans sa Préface au Commentaire des livres de la Politique d'Aristote (1272). Il semble pourtant qu'en dépit de sa rigueur, de son importance, de son évidente actualité, aucune édition en langue française de cet ouvrage n'existe en librairie ; de même l'avons-nous cherché en vain dans les plus grandes bibliothèques. On pouvait par conséquent en risquer une - première ? - traduction[1]. Traduction large, et libre, dans l'esprit de la collection: elle n'hésite point à sacrifier le mot à mot, et parfois les mots eux-mêmes, pour faire revivre les arguments et les doctrines dans une langue accessible à celui-là même qui ignorerait tout du langage de l'Ecole.

« Un bon traducteur, dit saint Thomas, doit, tout en gardant le sens des vérités qu'il traduit, adapter son style au génie de la langue dans laquelle il s'exprime[2]. » Garder le sens ... adapter le style, voilà bien l'obstacle majeur, à l'époque où tout s'emploie à dégrader le sens le mieux établi des mots indispensables à la pensée philosophique, et partant à la pensée tout court.

Mais le Commentaire des livres de la Politique est immense - 450 pages très serrées dans notre édition. Seuls le commentaire des quatre premiers livres est de saint Thomas d’Aquin. Pour la traduction complète par Serge Pronovost en 2015, toutes les citations de Saint-Thomas que nous avons traduites en français sont tirées des Éditions Marietti.¨

 

Textum Leoninum Romae 1971 editum
emendatum ac translatum a Roberto Busa SJ in taenias magneticas
denuo recognovit Enrique Alarcón atque instruxit

Traduction complète par Serge Pronovost, 2015

Traduction du prologue par Guy Delaporte, 2004.

 

 

 

Prooemium

Prologue à la politique

 

[79066] Sententia Politic., pr. 1 Sicut philosophus docet in secundo physicorum, ars imitatur naturam. Cuius ratio est, quia sicut se habent principia adinvicem, ita proportionabiliter se habent operationes et effectus. Principium autem eorum quae secundum artem fiunt est intellectus humanus, qui secundum similitudinem quamdam derivatur ab intellectu divino, qui est principium rerum naturalium. Unde necesse est, quod et operationes artis imitentur operationes naturae; et ea quae sunt secundum artem, imitentur ea quae sunt in natura. Si enim aliquis instructor alicuius artis opus artis efficeret; oporteret discipulum, qui ab eo artem suscepisset, ad opus illius attendere, ut ad eius similitudinem et ipse operaretur. Et ideo intellectus humanus ad quem intelligibile lumen ab intellectu divino derivatur, necesse habet in his quae facit informari ex inspectione eorum quae sunt naturaliter facta, ut similiter operetur.

1. Ainsi que le Philosophe l’enseigne dans le deuxième livre des Physiques, l'art imite la nature. Et la raison en est que, tel est le rapport entre les principes, tel est, dans la même proportion, le rapport entre les opérations et les effets. Mais le principe des choses qui sont produites selon l'art est l'intelligence humaine, laquelle, selon une certaine ressemblance, provient de l'intelligence divine qui est le principe des choses naturelles. D'où il est nécessaire à la fois que les opérations de l'art imitent les opérations de la nature et que les oeuvres qui découlent des opérations de l'art imitent celles qu’on retrouve dans la nature. Si en effet celui qui maîtrise un art donné réalisait une oeuvre d'art, il faudrait que le disciple qui acquiert de lui cet art porte une grande attention à l'oeuvre produite par ce dernier pour que son opération, à son tour, puisse être à sa ressemblance. Et c'est pourquoi l'intelligence humaine, à laquelle la lumière intelligible parvient grâce à l'intelligence divine, doit nécessairement, dans les choses qu'elle produit, s'informer de l'examen des choses qui sont produites par la nature pour arriver à poser une opération qui lui ressemble.

Aristote enseigne au deuxième livre de sa physique que l'art se modèle sur la nature. Les opérations et les effets ont entre eux des relations identiques, toutes proportions gardées à celles de leurs principes respectifs. Or l'intelligence humaine, auteur des artefacts, a une certaine filiation avec l'intelligence divine, source des œuvres naturelles, en raison de leur ressemblance. Par conséquent, les procédés artificiels ne peuvent qu'imiter les opérations naturelles.

[79067] Sententia Politic., pr. 2 Et inde est quod philosophus dicit, quod si ars faceret ea quae sunt naturae, similiter operaretur sicut et natura: et e converso, si natura faceret ea quae sunt artis, similiter faceret sicut et ars facit. Sed natura quidem non perficit ea quae sunt artis, sed solum quaedam principia praeparat, et exemplar operandi quodam modo artificibus praebet. Ars vero inspicere quidem potest ea quae sunt naturae, et eis uti ad opus proprium perficiendum; perficere vero ea non potest. Ex quo patet quod ratio humana eorum quae sunt secundum naturam est cognoscitiva tantum: eorum vero quae sunt secundum artem, est et cognoscitiva et factiva: unde oportet quod scientiae humanae, quae sunt de rebus naturalibus, sint speculativae; quae vero sunt de rebus ab homine factis, sint practicae, sive operativae secundum imitationem naturae.

2. Et c'est pour cette raison que le Philosophe dit que si l'art faisait les choses naturelles, il les ferait de la même manière que la nature; et inversement, si la nature faisait les choses artificielles, elle les ferait de la même manière que l'art les réalise. Mais certes la nature ne conduit pas à leur perfection les choses artificielles mais elle en prépare seulement certains principes et leur offre d'une certaine manière un modèle d'opération. L'art en réalité peut certes examiner les choses naturelles et s'en servit pour réaliser son oeuvre propre, mais elle ne peut les conduire à leur achèvement. D'où il est évident que la raison humaine ne peut que connaître les choses qui sont faites par la nature mais qu’elle peut à la fois connaître et fabriquer les choses qui sont produites par l’art: d'où il suit que les sciences humaines qui se rapportent aux choses naturelles soient spéculatives et que celles qui se rapportent aux choses produites par l'homme soient pratiques, c'est-à-dire opérationnelles conformément à une imitation de la nature.

De fait lorsqu'un maître exerce son art, l’apprenti qui veut s'y initier doit porter son attention sur cette pratique, afin d'œuvrer de la même façon. Voilà pourquoi l'homme, dont l'intelligence reçoit sa lumière de l'intelligence divine, doit conformer ses actes à l'observation des œuvres de la nature, afin de faire de même. D'où cette phrase du philosophe : pour faire œuvre naturelle, l’art procéderait comme la nature, et inversement, la nature produirait des œuvres artificielles comme le ferait l'art lui-même. Mais la nature ne porte jamais un artefact à son achèvement. Elle se borne à en préparer certains principes et à en illustrer la méthode. Parallèlement, l’artiste peut observer les œuvres de la nature et s'en inspirer pour la sienne propre, il ne peut cependant réaliser entièrement une œuvre naturelle. Il est donc clair que la raison humaine ne peut que connaître ce qui est naturel, alors qu'elle connaît et produit ce qui est artificiel. Les sciences naturelles seront par conséquent spéculatives et les sciences portant sur les réalisations humaines seront pratiques et se conformeront à la nature.

[79068] Sententia Politic., pr. 3 Procedit autem natura in sua operatione ex simplicibus ad composita; ita quod in eis quae per operationem naturae fiunt, quod est maxime compositum est perfectum et totum et finis aliorum, sicut apparet in omnibus totis respectu suarum partium. Unde et ratio hominis operativa ex simplicibus ad composita procedit tamquam ex imperfectis ad perfecta.

3. Mais dans son opération la nature procède en allant du simple au composé, de telle manière que dans les choses qui sont produites grâce à l'opération de la nature, le plus composé tient lieu de perfection, de tout et de finalité à l'égard de ses composantes, ainsi qu'on l'observe dans tous les ensembles à l'égard de leurs parties. D'où il suit que la raison pratique de l'être humain procède du simple au composé comme de l'imparfait au parfait.

Or une opération naturelle va du simple au complexe. De la sorte, les êtres qui par processus naturel sont plus complexes, achèvent, englobent et finalisent les autres. C'est le cas de n'importe quelle entité face à ses parties. La raison pratique passe, elle aussi, du simple au complexe et de l'imparfait au parfait.

[79069] Sententia Politic., pr. 4 Cum autem ratio humana disponere habeat non solum de his quae in usum hominis veniunt, sed etiam de ipsis hominibus qui ratione reguntur, in utrisque procedit ex simplicibus ad compositum. In aliis quidem rebus quae in usum hominis veniunt, sicut cum ex lignis constituit navem et ex lignis et lapidibus domum. In ipsis autem hominibus, sicut cum multos homines ordinat in unam quamdam communitatem. Quarum quidem communitatum cum diversi sint gradus et ordines, ultima est communitas civitatis ordinata ad per se sufficientia vitae humanae. Unde inter omnes communitates humanas ipsa est perfectissima. Et quia ea quae in usum hominis veniunt ordinantur ad hominem sicut ad finem, qui est principalior his quae sunt ad finem, ideo necesse est quod hoc totum quod est civitas sit principalius omnibus totis, quae ratione humana cognosci et constitui possunt.

4. Mais comme la raison humaine doive disposer non seulement des choses dont l'homme se sert mais aussi des hommes eux-mêmes qui sont gouvernés par la raison, dans l'un et l'autre cas elle procède du simple au composé: il en est certes ainsi à l'égard de ces choses dont il se sert, comme lorsqu'il construit un navire à partir du bois ou comme lorsqu'il fabrique une maison à partir du bois et des pierres, mais aussi à l'égard des hommes eux-mêmes, comme lorsqu'il ordonne une multitude d'hommes en les intégrant dans une certaine communauté. Et comme les rangs et les degrés des communautés sont divers, la communauté de la cité ordonnée à l'autosuffisance de la vie humaine est la plus achevée. D'où il suit que parmi toutes les communautés humaines cette dernière est la plus parfaite. Et puisque les choses dont l'homme se sert sont ordonnées à l'homme comme à leur finalité, laquelle détermine les moyens, pour cette raison il est nécessaire que ce tout qui est la cité soit premier à l'égard de tous les autres ensembles qui peuvent être connus et construits par la raison humaine.

Et elle n'a pas seulement la disposition de ce qui est utile à l'homme, mais des hommes eux-mêmes, dont le gouvernement est rationnel. Dans ces deux domaines, elle va du simple au complexe : A partir de planches, elle construit un navire, à partir de poutres et de pierres, elle bâtit une maison ou bien avec une pluralité d’hommes, elle réalise une communauté. Mais parmi les divers ordres et classes qui constituent des communautés, la dernière est la société civile, organisée pour suffire par elle-même à la vie humaine. De même que l'utilitaire est ordonné à l'homme comme à une fin plus importante que ce dont il est fin, ainsi cette totalité constituée par la cité est la plus importante des collectivités concevables et réalisables par la raison.

[79070] Sententia Politic., pr. 5 Ex his igitur quae dicta sunt circa doctrinam politicae, quam Aristoteles in hoc libro tradit, quatuor accipere possumus. Primo quidem necessitatem huius scientiae. Omnium enim quae ratione cognosci possunt, necesse est aliquam doctrinam tradi ad perfectionem humanae sapientiae quae philosophia vocatur. Cum igitur hoc totum quod est civitas, sit cuidam rationis iudicio subiectum, necesse fuit ad complementum philosophiae de civitate doctrinam tradere quae politica nominatur, idest civilis scientia.

5. Donc à partir des choses qui ont été dites sur la science politique enseignée par Aristote dans ce livre nous pouvons retenir quatre points.

Et le premier certes est la nécessité de cette science. En effet, c'est à l'égard de tout ce qui peut être connu par la raison qu'il est nécessaire pour la perfection de la sagesse humaine d'établir une science qu'on appelle philosophie. Donc, puisque ce tout qu'est la cité est assujetti à un certain jugement de la raison, il était nécessaire à l'achèvement de la philosophie d'établir sur la cité une science qui a pour nom la science politique, c'est-à-dire la science de la vie en société.

Retenons quatre thèmes de ce qui a été dit sur la science politique dont traite le livre d'Aristote. Tout d'abord la nécessité de cette science : Pour tout ce que la raison peut connaître, il y a nécessairement un enseignement contribuant à la sagesse humaine, qu'on appelle philosophie. Comme cette entité qu'est la cité est sujette à quelque jugement de la raison, il est nécessaire à la plénitude de la philosophie de donner une doctrine sur la cité, nommée politique c'est à dire science de la cité.

[79071] Sententia Politic., pr. 6 Secundo possumus accipere genus huius scientiae. Cum enim scientiae practicae a speculativis distinguantur in hoc quod speculativae ordinantur solum ad scientiam veritatis, practicae vero ad opus; necesse est hanc scientiam sub practica philosophia contineri, cum civitas sit quiddam totum, cujus humana ratio non solum est cognoscitiva, sed etiam operativa. Rursumque cum ratio quaedam operetur per modum factionis operatione in exteriorem materiam transeunte, quod proprie ad artes pertinet, quae mechanicae vocantur, utpote fabrilis et navifactiva et similes: quaedam vero operetur per modum actionis operatione manente in eo qui operatur, sicut est consiliari, eligere, velle et hujusmodi quae ad moralem scientiam pertinent: manifestum est politicam scientiam, quae de hominum considerat ordinatione, non contineri sub factivis scientiis, quae sunt artes mechanicae, sed sub activis quae sunt scientiae morales.

6. Le deuxième est la compréhension du genre de cette science. Puisqu'en effet les sciences spéculatives se distinguent des sciences pratiques en ceci que les premières sont ordonnées seulement à la connaissance de la vérité alors que les secondes sont ordonnées à la production d'une oeuvre, il est nécessaire que la science politique se range dans le genre de la science pratique puisque la cité est un certain tout que la raison humaine peut non seulement connaître mais aussi produire.

Et de plus, puisque la raison dans les sciences pratiques opère parfois par mode de fabrication par une opération qui passe dans une matière extérieure, mode qui s'étend à proprement parler aux arts qu'on appelle mécaniques comme par exemple l'art du forgeron, celui de la construction des navires et d'autres du même genre, mais puisqu'elle opère aussi parfois par mode d'action par une opération qui demeure dans celui qui opère comme on l'observe dans ces actes, à savoir le conseil, le choix, et le vouloir qui appartiennent à la science morale, il est évident que la science politique, qui a pour objet le gouvernement des hommes, n'est pas contenue sous les sciences de fabrication, c'est-à-dire sous les arts mécaniques, mais sous les sciences de l'action, à savoir les sciences morales.

Ensuite le genre de cette science : Les sciences pratiques se distinguent des sciences spéculatives par le fait que ces dernières sont destinées à la seule connaissance scientifique de la vérité, alors que les premières visent à la réalisation d'une œuvre. La science dont nous parlons appartient donc à la philosophie pratique puisque la cité est une entité non seulement conçue, mais aussi réalisée par la raison. De plus l'œuvre de la raison est tantôt la transformation d'une matière extérieure, opération propre aux arts mécaniques comme la forge ou la construction navale, et tantôt elle est un acte immanent à celui qui opère comme conseiller, choisir, vouloir, etc. tous actes relevant de la morale. Il est donc clair que la science politique, qui considère l'organisation des hommes, n'appartient pas aux sciences de la production ‑ les arts mécaniques ‑ mais à celles de l'action‑ les sciences morales‑.

[79072] Sententia Politic., pr. 7 Tertio possumus accipere dignitatem et ordinem politicae ad omnes alias scientias practicas. Est enim civitas principalissimum eorum quae humana ratione constitui possunt. Nam ad ipsam omnes communitates humanae referuntur. Rursumque omnia tota quae per artes mechanicas constituuntur ex rebus in usum hominum venientibus, ad homines ordinantur, sicut ad finem. Si igitur principalior scientia est quae est de nobiliori et perfectiori, necesse est politicam inter omnes scientias practicas esse principaliorem et architectonicam omnium aliarum, utpote considerans ultimum et perfectum bonum in rebus humanis. Et propter hoc philosophus dicit in fine decimi Ethicorum quod ad politicam perficitur philosophia, quae est circa res humanas.

7. Le troisième est la dignité et le rang que tient la science politique par rapport à toutes les autres sciences pratiques. La cité en effet est la première de toutes les choses qui peuvent être produites par la raison humaine car c'est à elle que toutes les communautés humaines se rapportent.

Et de plus tous les ensembles qui au moyen des arts mécaniques sont constitués à partir des choses dont l'homme se sert sont eux-mêmes ordonnés à l'homme comme à leur finalité. Si donc la première des sciences est celle dont l'objet est le plus noble et le plus parfait, il est nécessaire que la science politique soit la première de toutes les sciences pratiques et que ce soit elle qui les règle toutes puisque c'est elle qui, parmi les choses qui se rapportent à l'homme, considère son bien ultime et parfait. Et c'est pour cette raison que le Philosophe dit, à la fin du dixième livre des Éthiques, que c'est dans la chose politique que la philosophie qui a pour objet les choses humaines trouve sa perfection.

La valeur de cette science, en outre, et sa place parmi les sciences pratiques : La cité est l'œuvre la plus importante que la raison puisse réaliser. Toute autre communauté humaine y fait référence. De plus, tout ce que les techniques produisent d'utile à l'homme est ordonné à ce dernier comme à sa fin. Si donc une science est plus importante parce que son sujet est plus élevé et plus parfait, la politique ne peut qu'être la première des sciences pratiques, et leur clef de voûte, car sa considération porte sur le bien le plus élevé et le plus parfait. Elle est, selon Aristote, l’aboutissement de la philosophie de l’homme.

[79073] Sententia Politic., pr. 8 Quarto ex praedictis accipere possumus modum et ordinem huiusmodi scientiae. Sicut enim scientiae speculativae quae de aliquo toto considerant, ex consideratione partium et principiorum notitiam de toto perficiunt passiones et operationes totius manifestando; sic et haec scientia principia et partes civitatis considerans de ipsa notitiam tradit, partes et passiones et operationes eius manifestans: et quia practica est, manifestat insuper quomodo singula perfici possunt: quod est necessarium in omni practica scientia.

8. Le quatrième enfin est le mode et la disposition d'une telle science. En effet, tout comme les sciences spéculatives qui examinent un ensemble, à partir de la considération des parties et des principes parviennent à la connaissance de cet ensemble en en manifestant les passions et les opérations, de même cette science, à partir de l'examen des parties et des principes de la cité, transmet la connaissance de cette même cité en manifestant les parties, les passions et les opérations qui lui sont propres; et parce qu'il s'agit d'une science pratique, elle manifeste en outre comment les individus peuvent parvenir à leur perfection, ce qui est nécessaire dans toute science pratique.

La méthode de cette science, enfin, et son plan : Pour étudier une entité, les sciences spéculatives partent de ce qu'elles savent des parties et des principes, et terminent leur étude du tout avec l’explication de ses propriétés et de ses opérations. De même la politique nous livre une connaissance de la cité en étudiant ses principes et ses parties, et jusqu'à la manifestation de ses propriétés et de ses opérations. Science pratique cependant, elle doit comme les autres donner jusqu'à la façon de poser chaque acte concret.

 

 

 

Textum Leoninum Romae 1971 editum
emendatum ac translatum a Roberto Busa SJ in taenias magneticas
denuo recognovit Enrique Alarcón atque instruxit

Traduction complète par Serge Pronovost, 2015

 

¨ Toutes les citations de Saint-Thomas que nous avons traduites en français sont tirées des Éditions Marietti

Traduction de la leçon 1 par Anne MICHEL, à l’occasion de son Master, 2010

 

 

 

Liber 1

LIVRE 1 ─ LA CITÉ

LIVRE 1

Lectio 1

LEÇON 1 (nn. 9-41; [1-22]) ─ L'origine des cités. La nature de la cité. Que l'homme est un animal social. Que la cité est par nature antérieure à ses parties, c’est-à-dire au village et à la famille.

Leçon 1

[79074] Sententia Politic., lib. 1 l. 1 n. 1 His igitur praelibatis, sciendum est quod Aristoteles in hoc libro praemittit quoddam prooemium, in quo manifestat intentionem huius scientiae: et deinde accedit ad propositum manifestandum, ibi, quoniam autem manifestum ex quibus partibus et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit dignitatem civitatis, de qua est politica, ex eius fine: secundo ostendit comparationem civitatis ad alias communitates, ibi, quicumque quidem igitur et cetera.

9. Ayant donc anticipé ces choses, il faut savoir qu'Aristote fait précéder cet ouvrage d'un proème dans lequel il manifeste le propos de cette science, après quoi il procède à la manifestation de ce propos, là [23] où il dit: ¨ Mais puisqu'il est évident de quels éléments etc.¨

Et dans son proème il fait deux choses. Premièrement il montre, à partir de sa finalité même [1], la dignité de la cité qui est l'objet de la philosophie politique; deuxièmement, il met en lumière les rapports entre la cité et les autres communautés là [3] où il dit: ¨Donc, tous ceux qui etc.¨

Aristote donne lui-même un prologue à son traité. Se fondant sur la finalité de la cité, sujet de la politique, Il en magnifie la dignité, avant de comparer la citoyenneté aux autres types de communautés.

[79075] Sententia Politic., lib. 1 l. 1 n. 2 Circa primum duo intendit probare. Quorum primum est, quod civitas ordinetur ad aliquod bonum, sicut ad finem. Secundo, quod bonum ad quod ordinatur civitas, sit principalissimum inter bona humana, ibi, maxime autem principalissimum omnium et cetera. Circa primum ponit talem rationem. Omnis communitas est instituta gratia alicuius boni. Sed omnis civitas est communitas quaedam, ut manifeste videmus. Ergo omnis civitas est instituta gratia alicuius boni. Quia igitur minor manifestatur, maiorem sic probat. Omnes homines omnia quae faciunt operantur gratia eius quod videtur bonum; sive sit vere bonum, sive non. Sed omnis communitas est instituta aliquo operante. Ergo omnes communitates coniectant aliquod bonum, idest intendunt aliquod bonum, sicut finem.

10. Relativement au premier point il cherche à prouver deux choses dont la première est que la cité est ordonnée à un certain bien comme à sa finalité [1]. La deuxième est que le bien auquel la cité est ordonnée est celui qui vient au premier rang parmi tous les biens humains, là où il dit [2]: ¨ Mais au plus haut point le premier de tous etc.¨

Pour ce qui est de la première il présente cette raison. Toute communauté est constituée en vue de quelque bien. Mais toute cité est une certaine communauté ainsi qu'il apparaît avec évidence. Donc toute cité est constituée en vue de parvenir à quelque bien. Et donc parce que la mineure est évidente, il prouve ainsi la majeure: tous les hommes mettent à exécution tout ce qu'ils font en vue de ce qui leur semble être un bien, qu'il s'agisse d'un bien véritable ou d'un bien apparent. Mais toute communauté est constituée par un agent. Donc toutes les communautés visent un certain bien, auquel elles tendent comme à leur finalité.

 

[79076] Sententia Politic., lib. 1 l. 1 n. 3 Deinde cum dicit maxime autem etc., ostendit quod illud bonum ad quod ordinatur civitas, est principalissimum inter bona humana, tali ratione. Si omnis communitas ordinatur ad bonum, necesse est quod illa communitas quae est maxime principalis, maxime sit coniectatrix boni quod est inter omnia humana bona principalissimum. Oportet enim quod proportio eorum quae sunt ad finem, sit secundum proportionem finium. Quae autem communitas sit maxime principalis, manifestat per hoc quod addit. Et omnes alias circumplectens. Est enim communitas quoddam totum: in omnibus autem totis, talis ordo invenitur quod illud totum quod in se includit aliud totum principalius est: sicut paries est quoddam totum: et quia includitur in hoc toto quod est domus, manifestum est quod domus est principalius totum: et similiter communitas quae includit alias communitates est principalior. Manifestum est autem quod civitas includit omnes alias communitates. Nam et domus et vici sub civitate comprehenduntur; et sic ipsa communitas politica est communitas principalissima. Est ergo coniectatrix principalissimi boni inter omnia bona humana: intendit enim bonum commune quod est melius et divinius quam bonum unius, ut dicitur in principio Ethicorum.

11. Ensuite lorsqu'il dit [2]: ¨Mais au plus haut point¨, il montre, par cette raison, que ce bien auquel la cité est ordonnée est le premier de tous les biens humains. Comme toute communauté est ordonnée au bien, il est nécessaire que cette communauté qui est au plus haut point la première vise de la manière la plus excellente le bien qui parmi tous les biens humains est le premier. Il faut en effet que le rapport qui existe entre les moyens soit conforme à celui qu'on retrouve entre les fins.

Mais quelle est cette communauté qui au plus haut point est la première, il le manifeste au moyen de ce qu'il ajoute (2): ¨Et qui contient toutes les autres¨. Une communauté en effet est un certain tout: mais dans tous les touts, on retrouve un ordre tel que ce tout qui contient en lui-même un autre tout est premier par rapport à ce tout qui est contenu en lui: par exemple un mur est un certain tout et parce qu'il est contenu dans ce tout qu'est la maison, il est manifeste que la maison est première par rapport au mur; de même, c'est la communauté qui inclut les autres communautés qui est première par rapport à ces dernières. Mais il est manifeste que la cité contient en elle toutes les autres communautés. Car à la fois la famille et le village sont contenus sous la cité; et ainsi la communauté politique elle-même est la première communauté. C'est donc elle qui vise le bien le plus excellent parmi tous les biens humains: elle tend en effet vers le bien commun qui est meilleur et plus excellent que le bien de l'individu, ainsi qu'on le voit au début des Éthiques.

La cité poursuit un certain bien. Plus encore, elle recherche le meilleur des biens humains. En effet, toute société – et la cité – a été instituée en vue d’obtenir certains avantages, car l’homme agit toujours pour posséder ce qui lui paraît bon, qu’il ait vu juste ou non. Et l’institution d’une communauté relève de ces œuvres au travers desquelles il espère la satisfaction d’un bénéfice attendu. Mais alors, la société la plus essentielle sera celle fondée autour du plus précieux parmi les biens humains. La communauté est une certaine globalité, et l’on remarque toujours que dans ce genre d’organisations, celle qui englobe les autres est principale. Ainsi le mur, en lui-même assemblage de matériaux, appartient à ce tout évidemment plus essentiel que représente la maison, et il en est de même pour les communautés. Or la cité domine les autres telles que les propriétés domaniales et les communes. Elle poursuit donc le plus essentiel parmi les biens humains : ce bien commun, meilleur et plus divin que celui de chacun, comme il le dit dansles principes de l’Ethique.

[79077] Sententia Politic., lib. 1 l. 1 n. 4 Deinde cum dicit quicumque quidem igitur etc., comparat civitatem ad alias communitates: et circa hoc tria facit. Primo ponit quorumdam falsam opinionem. Secundo ostendit quomodo positae opinionis falsitas innotescere possit, ibi, haec autem non sunt vera et cetera. Tertio secundum assignatum modum ponit veram comparationem civitatis ad alias communitates, ibi, necesse itaque primum combinare. Circa primum duo facit. Primo ponit falsam opinionem. Secundo inducit eorum rationem, ibi, multitudine enim et paucitate et cetera.

12. Ensuite lorsqu'il dit [3]: ¨Donc tous ceux qui¨, il compare la cité aux autres communautés; et à ce sujet il fait trois choses. En premier lieu il présente une opinion fausse [3]. Deuxièmement, il montre comment la fausseté de l'opinion présentée peut être connue là [5] où il dit: ¨Mais cela n'est pas vrai etc.¨.¨ Troisièmement, conformément au mode donné, il présente une juste comparaison de la cité aux autres communautés là [6] où il dit: ¨C'est pourquoi il est nécessaire en premier lieu d'unir etc.¨

Relativement au premier point il fait deux choses. D'abord il présente l'opinion fausse [3]. Deuxièmement il introduit la raison de ceux qui la soutiennent là [4] où il dit: ¨En effet, c'est par le grand ou le petit nombre etc.¨

Pour comparer la cité aux autres sociétés, il faut d’abord se défaire de certaines idées fausses.

[79078] Sententia Politic., lib. 1 l. 1 n. 5 Circa primum considerandum est, quod duplex est communitas omnibus manifesta: scilicet civitatis et domus. Civitas autem duplici regimine regitur: scilicet politico et regali. Regale quidem est regimen, quando ille qui civitati praeest habet plenariam potestatem. Politicum autem regimen est quando ille qui praeest habet potestatem coarctatam secundum aliquas leges civitatis. Et similiter duplex est regimen domus; scilicet oeconomicum et despoticum. Despotes quidem vocatur omnis habens servos. Oeconomus autem vocatur procurator et dispensator alicuius familiae. Unde despoticum regimen est quo aliquis dominus suis servis praesidet: oeconomicum autem regimen est quo aliquis dispensat ea quae pertinent ad totam familiam, in qua continentur non solum servi, sed etiam liberi multi. Posuerunt ergo quidam, sed non bene, quod ista regimina non differunt, sed sunt omnino idem.

13. Au sujet du premier point [3], il faut considérer qu'aux yeux de tous il existe deux sortes de communautés, à savoir la cité et la famille.

Mais la cité est administrée par deux formes de gouvernements, à savoir le gouvernement politique et le gouvernement royal. Le gouvernement est royal quand celui qui a la direction de la cité possède un pouvoir absolu; mais il est politique quand celui qui préside possède un pouvoir qui est limité conformément aux lois de la cité.

Et de même il existe deux formes de gouvernements de la famille, à savoir l'économique et le despotique. On appelle despote tout homme qui possède des esclaves alors qu'on dit de celui qui pourvoie ou veille au bien d'une famille qu'il est économe. D'où il suit qu'un gouvernement despotique est celui par lequel un maître commande à des esclaves alors que le gouvernement économique est celui par lequel un homme dispense les choses qui se rapportent au bien de toute la famille dans laquelle on retrouve non seulement des esclaves, mais de nombreux hommes libres. Donc certains ont prétendu, mais à tort, que ces gouvernements ne sont pas différents mais qu'ils sont absolument identiques.

Pour tout le monde, il y a deux sortes de communautés évidentes : la famille et la cité. Or on peut gouverner la cité de deux façons : en homme politique ou en roi. Est royal le gouvernement de celui qui domine avec les pleins pouvoirs ; est politique, le pouvoir exercé dans le cadre de lois civiles. Et de même, la famille peut se gouverner de deux manières : patrimonialement ou despotiquement. Est qualifié de despote celui qui possède des esclaves ; tandis qu’on nomme père celui qui fonde et entretient une famille. Sera donc despotique le pouvoir exercé par le maître sur des esclaves, mais paternelle l’autorité dispensatrice des bienfaits nécessaires à la famille, qui réunit non seulement les serviteurs, mais encore nombre de personnes libres.

[79079] Sententia Politic., lib. 1 l. 1 n. 6 Deinde cum dicit multitudinem enim et paucitate etc., ponit rationem eorum; quae talis est. Quaecumque differunt solum multitudine et paucitate non differunt specie; quia differentia quae est secundum magis et minus non diversificat speciem. Sed praedicta regimina differunt solum multitudine et paucitate; quod sic manifestabant. Si enim communitas, quae regitur, sit paucorum, sicut in aliqua parva domo, ille qui praeest dicitur paterfamilias, ad quem pertinet despoticus principatus. Si autem sit plurium, ita quod non solum contineat servos, sed etiam multitudinem liberorum, dicitur ille qui praeest, oeconomus. Si autem sit adhuc plurium, puta non solum eorum qui sunt unius domus, sed unius civitatis, tunc dicitur regimen politicum aut regale.

14. Ensuite lorsqu'il dit [4]: ¨En effet ils ne voient que le grand nombre etc.¨

Il présente leur raison que voici. Les choses qui ne diffèrent que par le plus ou le moins ne diffèrent pas par nature; car la différence qui est selon le plus ou le moins ne change pas l'espèce. Mais les formes de gouvernement précédentes ne diffèrent que par le plus ou le moins, ce qu'ils cherchaient à manifester ainsi.

Si en effet la communauté qui est gouvernée est peu nombreuse comme c’est le cas dans les petites familles, celui qui la préside est nommé père de famille auquel appartient une autorité despotique.

Mais si elle est encore nombreuse de sorte qu'elle contient non seulement des esclaves mais aussi une multitude d'hommes libres, alors on dit de celui qui la préside que son autorité est celle de l'économique.

Mais si elle est encore plus nombreuse, comme si elle contient non seulement ceux qui appartiennent à une même famille, mais tous ceux qui sont d'une même cité, alors l’autorité sera soit politique, soit royale.

Aussi certains ont-ils refusé à tort, de distinguer entre ces deux communautés, et les ont identifiées en vertu du principe que : ce qui diffère seulement par la quantité ne diffère pas de nature, car « le plus et le moins ne changent pas l’espèce ». Or pour eux, ces types de gouvernement ne se distinguent que par le nombre des sujets. Ainsi, lorsque la communauté dirigée est peu nombreuse, - disons un petit domaine -, nous avons affaire à un propriétaire jouissant d’un pouvoir despotique sur ses serviteurs. Si elle est assez développée pour réunir non seulement des esclaves, mais aussi des personnes libres, nous sommes devant l’exercice d’un pouvoir patrimonial. Si enfin elle s’agrandit au point de contenir non seulement un domaine, mais toute une cité, nous sommes alors en présence d’un pouvoir politique ou royal.

[79080] Sententia Politic., lib. 1 l. 1 n. 7 Quod quidem dicebant tamquam nihil differret domus a civitate nisi magnitudine et parvitate; ita quod magna domus sit parva civitas, et e converso; quod ex sequentibus patet esse falsum. Similiter etiam politicum et regale regimen ponebant differre solum multitudine et paucitate. Quando enim ipse homo praeest simpliciter et secundum omnia, dicitur regimen regale. Quando autem praeest secundum sermones disciplinales, idest secundum leges positas per disciplinam politicam, est regimen politicum; quasi secundum partem principetur, quantum ad ea scilicet quae eius potestatem subsunt; et secundum partem sit subiectus, quantum ad ea in quibus subiicitur legi. Ex quibus omnibus concludebant quod omnia praedicta regimina, quorum quaedam pertinent ad civitatem quaedam ad domum, non differant specie.

15. Cela, ils le disaient comme si la famille ne différait en rien de la cité si ce n'est selon le plus ou moins grand nombre; comme si une grande famille était une petite cité et inversement; ce qui par la suite deviendra faux avec évidence. De même aussi ils affirmaient que les gouvernements politique et royal ne différaient que par le plus ou le moins. Quand en effet l'homme lui-même préside d'une manière absolue et à tous les points de vue, le gouvernement est royal. Quand en réalité il préside en partie selon la nature d'une telle science, c'est-à-dire selon les lois établies par la science politique, le gouvernement est politique; il commande en partie, c'est-à-dire quant aux choses qui tombent sous son pouvoir; et en partie il est un sujet quant aux choses auxquelles il est soumis par la loi. À partir de tout cela ils concluaient que tous les gouvernements précédents, dont certains se rapportent à la cité et certains à la famille, ne diffèrent pas selon l’espèce.

Comme si la cité ne différait de la famille que par la taille ; comme si une grande parenté n’était rien d’autre qu’une petite cité et réciproquement. Nous verrons que cela ne tient pas. De même, ils ne voient qu’une différence quantitative entre le régime politique et le régime royal. Le roi règne absolument et en tous domaines, tandis que le politique dirige dans les limites des lois édictées par la science politique ; pour une partie il domine dans les affaires mises en son pouvoir, mais pour une autre, il est assujetti à ce qui dépend de la loi. Et tous de conclure que ces gouvernements, tant sur la cité que sur le domaine, ne diffèrent pas essentiellement.

[79081] Sententia Politic., lib. 1 l. 1 n. 8 Deinde cum dicit haec autem non sunt vera etc., ostendit modum manifestandi falsitatem praedictae opinionis: et dicit quod ea quae dicta sunt non sunt vera: et hoc erit manifestum si quis velit intendere secundum subiectam methodum, idest secundum artem considerandi talia quae infra ponetur. Modus autem huius artis est talis. Quod sicut in aliis rebus ad cognitionem totius necesse est dividere compositum usque ad incomposita, idest usque ad indivisibilia quae sunt minimae partes totius (puta ad cognoscendum orationem, necesse est dividere usque ad literas, et ad cognoscendum corpus naturale mixtum, necesse est dividere usque ad elementa): sic, si consideremus ex quibus civitas componatur, magis poterimus videre ex praemissis regiminibus quid unumquodque sit secundum se et quid differant adinvicem, et utrum aliquid circa unumquodque eorum possit artificialiter considerari. In omnibus enim ita videmus quod siquis inspiciat res secundum quod oriuntur ex suo principio, optime poterit in eis contemplari veritatem. Et hoc sicut est verum in aliis rebus, ita etiam est verum in his de quibus intendimus. In his autem verbis philosophi considerandum est quod ad cognitionem compositorum primo opus est via resolutionis, ut scilicet dividamus compositum usque ad individua. Postmodum vero necessaria est via compositionis, ut ex principiis indivisibilibus iam notis diiudicemus de rebus quae ex principiis causantur.

16. Ensuite lorsqu'il dit [5] ¨Mais cela etc.¨.

Il montre la manière de manifester la fausseté le l'opinion précédente: et il dit que les choses qui sont dites dans cette opinion ne sont pas vraies: et cela sera manifeste à ceux qui doivent faire un examen conformément à cette science, c'est-à-dire conformément à l'art de considérer les choses qui sont présentées plus loin. Et voici le mode de procéder qui convient à cet art: ainsi que dans les autres choses il est nécessaire de diviser le composé jusque dans ce qui n'est plus composé pour connaître le tout, c'est-à-dire jusque dans les parties indivisibles qui sont les plus petites parties du tout (par exemple pour connaître le discours il est nécessaire de le diviser jusque dans ses lettres, et pour connaître le corps naturel mixte, il est nécessaire de le diviser jusque dans ses éléments), ainsi, si nous considérions ce à partir de quoi la cité est composée, nous pourrions mieux voir dans l'examen des formes de gouvernements précédentes ce que chacune est en elle-même, en quoi elles diffèrent entre elles et si quelque chose relativement à chacune d’elles peut être examiné selon les règles de l’art. Dans tous les domaines en effet nous voyons que si on examine les choses selon qu’elles proviennent de leur principe, c’est alors qu’on peut le mieux contempler en elles la vérité.

Et tout comme cela est vrai dans les autres choses, ainsi cela est vrai aussi pour les choses que nous cherchons à connaître. Mais dans ces paroles du Philosophe il faut considérer que pour parvenir à la connaissance des composés la première chose qu’il faut faire est d’emprunter la voie de résolution, c'est-à-dire qu'il nous faut diviser le composé jusque dans ses parties indivisibles; par la suite en vérité il est nécessaire de procéder par voie de composition, pour qu'à partir des principes indivisibles déjà connus nous puissions juger des choses qui sont causées à partir de ces principes.

Nous sommes pourtant bien devant une erreur manifeste. La méthode même de cette discipline, les techniques à utiliser pour étudier ses concepts, le montreront clairement. Comme en d’autres matières, la connaissance du tout doit découler de sa désarticulation jusqu’à parvenir aux éléments purs, c’est à dire aux indivisibles qui forment les particules ultimes de la totalité (pour connaître, par exemple, une expression, il faut la décortiquer jusqu’aux lettres, et pour un composé naturel, il faut le disséquer jusque dans ses molécules). En cherchant de quoi est composée la cité, nous verrons mieux ce qu’est chaque régime en lui-même, en quoi il diffère des autres et si l’on peut considérer tel ou tel aspect du point de vue de l’efficience. Partout nous voyons qu’étudier une réalité dans ses principes d’origine permet de contempler au mieux sa vérité. Et cela vaut pour le sujet qui nous préoccupe. Par ces mots du Philosophe, nous devons comprendre que le premier travail pour connaître une réalité complexe, c’est la voie de la résolution c’est à dire de la décomposition jusqu’aux éléments. Puis, une fois connus les principes indivisibles, la voie de la composition s’impose, pour juger des choses causées par eux.

[79082] Sententia Politic., lib. 1 l. 1 n. 9 Deinde cum dicit necesse itaque primum combinare etc., secundum praemissum modum ponit veram comparationem aliarum communitatum ad civitatem: et circa hoc duo facit. Primo agit de aliis communitatibus quae ordinantur ad civitatem. Secundo de communitate civitatis, ibi, quae autem ex pluribus vicis. Circa primum tria facit. Primo proponit communitatem personae ad personam. Secundo ponit communitatem domus quae complectitur diversas personarum communicationes, ibi, ex his quidem igitur duabus et cetera. Tertio ponit communitatem vici, quae est ex pluribus multitudinibus, ibi, ex pluribus autem domibus et cetera. Circa primum duo facit. Primo ponit duas communicationes personales. Secundo comparat eas adinvicem, ibi, natura quidem igitur et cetera. Duarum autem communicationum personalium, primo ponit eam quae est maris et feminae: et dicit, quod quia oportet nos dividere civitatem usque ad partes minimas, necesse est dicere quod prima combinatio est personarum quae sine invicem esse non possunt, scilicet maris et feminae. Huiusmodi enim combinatio est propter generationem per quam producuntur et mares et feminae. Et ex hoc patet quod sine invicem esse non possunt.

17. Ensuite lorsqu'il dit [6]: ¨C'est pourquoi il est nécessaire¨, il présente, conformément au mode qui précède, une juste comparaison de la cité aux autres communautés. Et à ce sujet il fait deux choses: d'abord il traite des autres communautés qui sont ordonnées à la cité [6]; ensuite il traite de cette communauté qu'est la cité là [17] où il dit: ¨La communauté qui de plusieurs villages etc.¨

Relativement au premier point il fait trois choses. D'abord il présente la communauté d’une personne à une autre personne [6]. Deuxièmement il présente la communauté de la famille qui embrasse diverses communautés de personnes, là [11] où il dit: ¨De ces deux communautés donc etc.¨. Enfin il présente la communauté du village qui naît de plusieurs familles là [13] où il dit: ¨Mais celle qui de plusieurs familles etc.¨.

Au sujet du premier point il fait deux choses. D'abord il présente deux communautés de personnes [6]. Deuxièmement il les compare entre elles là [8] où il dit: ¨C'est donc certes par nature etc.¨.

Mais de ces deux communautés de personnes il présente [6] en premier lieu celle du mari et de la femme: et il dit que parce qu'il nous faut diviser la cité jusque dans ses plus petites parties, il est nécessaire que la première union soit celle des personnes qui ne peuvent exister l'une sans l'autre, c'est-à-dire celle du mari et de la femme. C'est cette sorte d'union en effet qui est en vue de la génération au moyen de laquelle naissent les maris et les femmes. Et c'est de là qu'il apparaît avec évidence qu'ils ne peuvent exister l'un sans l'autre.

Comparons maintenant avec les autres communautés, d’abord en regardant leur subordination à la cité, puis en observant la société civile elle-même. Il y a pour les personnes deux façons de communier. D’abord celle de l’homme et de la femme, et comme nous devons démonter la cité jusqu’à parvenir aux composants derniers, il faut affirmer que la toute première cellule est celle de personnes qui ne pourraient elles-mêmes exister sans cette relation. Nous parlons de l’union entre l’époux et l’épouse, destinée à la procréation sans laquelle il ne pourrait y avoir d’hommes ni de femmes. Sans elle, nul ne saurait être.

[79083] Sententia Politic., lib. 1 l. 1 n. 10 Sed quare ista combinatio sit prima, ostendit per hoc quod subdit, quod non ex electione. Ubi considerandum est, quod in homine est aliquid quod est proprium eius, scilicet ratio, secundum quam ei competit quod et consilio et electione agat. Invenitur etiam aliquid in homine quod est commune ei et aliis, et huiusmodi est generare. Hoc igitur non competit eis ex electione, idest secundum quod habet rationem eligentem, sed competit ei secundum rationem communem sibi et animalibus et etiam plantis. Omnibus enim his inest naturalis appetitus, ut post se derelinquat alterum tale quale ipsum est; ut sic per generationem conservetur in specie quod idem numero conservari non potest. Est quidem igitur huiusmodi naturalis appetitus etiam in omnibus aliis rebus naturalibus corruptibilibus. Sed quia et viventia, scilicet plantae et animalia habent specialem modum generandi, ut scilicet generent ex seipsis, ideo specialiter de plantis et animalibus mentionem facit. Nam etiam in plantis invenitur vis masculina et feminina, sed coniuncta in eodem individuo, licet in uno abundet plus una, in alio altera; ita scilicet, ut imaginemur plantam omni tempore esse talem qualia sunt mas et femina tempore coitus.

18. Mais de quelle manière cette union est la première, il le montre au moyen de ce qu'il ajoute par ces mots [6]: ¨Ce qui ne provient pas d'un choix etc.¨. Là il faut considérer qu'il y a dans l'homme quelque chose qui lui est propre, à savoir la raison, selon laquelle il lui appartient d'agir à partir d'une délibération et d'un choix. Et on retrouve aussi en lui quelque chose qui est commun à tous les vivants, dont (1) fait partie la génération. Cela donc ne lui appartient pas à partir d'un choix, c'est-à-dire selon qu'il possède une raison capable de se déterminer elle-même, mais en raison d'une cause commune à tous les animaux et même aux plantes. Dans tous ces êtres en effet il existe un appétit naturel tel qu'ils laissent après eux un autre être qui soit de même nature qu'eux, afin qu'au moyen de la génération celui qui ne peut se conserver en tant qu'individu soit conservé en tant qu'espèce.

Un appétit naturel de cette sorte existe donc dans tous les êtres naturels corruptibles. Mais parce que les vivants, c'est-à-dire les animaux et les plantes (2), possèdent un mode spécial de génération qui leur permet de s'engendrer à partir d'eux-mêmes, c'est pourquoi il fait spécialement mention des animaux et des plantes. Car c'est même dans les plantes qu'on retrouve la puissance masculine et la puissance féminine, mais réunies dans un même individu, bien que l'on retrouve davantage dans l'un que dans l'autre plus de l'une que de l'autre, c'est-à-dire de telle manière que nous puissions imaginer la plante comme étant de tout temps l'accouplement continu du mâle et de la femelle.

L’homme jouit d’un privilège unique : la raison, grâce à laquelle il agit après conseil et décision, mais quant à sa faculté de mettre au monde, il la partage avec les autres animaux. Cela ne découle pas chez lui d’une volonté délibérée, mais lui vient d’un dynamisme biologique qu’on retrouve chez les bêtes, et même chez les plantes. Toutes possèdent la vertu naturelle de laisser après soi un autre être semblable à soi, afin de perpétuer dans l’espèce ce qui ne peut durer chez l’individu, et voilà pourquoi cette communauté est la toute première. C’est ce même élan que l’on reconnaît aussi dans tous les autres corps physiques corruptibles. Mais on fait surtout mention de l’être vivant, animal ou végétal, parce qu’il est doté d’un mode particulier de reproduction autonome. Même la plante connaît des principes mâle et femelle, bien que conjoints dans chaque spécimen (mais l’un est plus abondant chez certains, et l’autre chez d’autres), et on peut voir en elle un état de fécondation permanent.

[79084] Sententia Politic., lib. 1 l. 1 n. 11 Deinde cum dicit principans autem etc., ponit secundam communicationem personarum, scilicet principantis et subiecti: et haec etiam communicatio est a natura propter salutem. Natura enim non solum intendit generationem, sed etiam quod generata salventur. Et quod hoc quidem contingat in hominibus per communicationem principantis et subiecti, ostendit per hoc quod ille est naturaliter principans et dominans qui suo intellectu potest praevidere ea quae congruunt saluti, puta consequendo proficua et repellendo nociva: ille autem qui potest per fortitudinem corporis implere opere quod sapiens mente praeviderit, est naturaliter subiectus et servus. Ex quo patet quod idem expedit utrique ad salutem, scilicet quod iste principetur et ille subiiciatur. Ille enim qui propter sapientiam potest mente praevidere, interdum salvari non posset deficientibus viribus corporis, nisi haberet servum qui exequeretur; nec ille qui abundat viribus corporis, posset salvari, nisi alterius prudentia regeretur.

19. Ensuite lorsqu'il dit [7]: ¨Cependant celui qui commande¨, il présente la deuxième communauté de personnes, à savoir celle du chef et de son subordonné: et cette communauté aussi est naturelle car elle existe en vue de la conservation. La nature en effet ne cherche pas seulement la génération mais elle cherche aussi à conserver ce qui a été engendré.

 Et que cette conservation apparaisse certes chez les hommes sous la forme de la communauté du chef et de son subordonné, il le montre au moyen de ceci: celui-ci est naturellement chef et apte à commander qui par son intelligence peut prévoir les choses qui conviennent à la conservation, par exemple en causant ce qui est utile et en repoussant ce qui est nuisible; celui-là est naturellement subordonné et esclave qui peut par la force de son corps accomplir la tâche que le sage par son esprit aura prévue. D'où il apparaît clairement qu'en vue de la conservation, la même chose est dans l'intérêt (3) des deux, à savoir que l'un commande et que l'autre obéisse. Celui en effet qui en raison de sa sagesse peut prévoir par son esprit ne peut cependant pas se conserver par les forces déficientes de son corps tout comme celui qui abonde en forces corporelles ne peut le faire non plus à moins d'être réglé par la prudence d'un autre.

La relation entre l’autorité et ses sujets offre à la personne, la seconde façon de vivre en société. Cette mise en commun est, elle aussi, réclamée par la nature pour la sauvegarde des êtres qu’elle ne veut pas se contenter de mettre au monde. La communication entre responsables et subordonnés vise bien à cela, lorsque dirige naturellement celui qui, par son intelligence, sait prévoir de salutaires contributions à l’obtention de richesses et à l’éloignement des dangers. L’homme capable, par sa force physique, d’accomplir le projet mis au point par le sage, celui-là est naturellement sujet et serviteur. Que l’un commande et que l’autre obéisse, contribuent également à la mutuelle sauvegarde des deux. Mais le sage capable de cette anticipation mentale est souvent d’un physique trop débile pour pouvoir se sauver par lui-même sans l’intervention d’un subordonné, et parallèlement, celui qui jouit de la force physique ne peut souvent s’en sortir qu’en se soumettant à la conduite avisée d’autrui.

[79085] Sententia Politic., lib. 1 l. 1 n. 12 Deinde cum dicit natura quidem igitur etc., comparat praedictas communicationes adinvicem. Et primo secundum veritatem. Secundo excludit errorem, ibi, inter barbaros autem et cetera. Concludit ergo primo ex praedictis, quod femina et servus naturaliter distinguuntur. Femina enim naturaliter est disposita ad generandum ex alio; non autem est robusta corpore, quod requiritur in servo. Et sic praedictae duae communicationes abinvicem differunt.

20. Ensuite lorsqu'il dit [8]: ¨C'est par nature certes etc.¨, il compare entre elles les communautés précédentes. Et d'abord il le fait conformément à la vérité [8]. Deuxièmement il écarte une erreur là [9] où il dit: ¨Mais chez les Barbares etc.¨.

 En premier il conclut donc à partir de ce qui a été dit que la femme et l'esclave diffèrent par nature. La femme en effet est naturellement disposée à engendrer à partir d'un autre; mais elle n'est pas forte corporellement, ce qui est exigé de l'esclave Et ainsi les deux communautés qui précèdent diffèrent l'une de l'autre.

La nature distingue entre la femme et le serviteur. Le corps de la femme est intrinsèquement disposé à recevoir la génération d’autrui, alors qu’il n’est pas assez robuste pour le travail du serviteur. Là repose la différence entre les deux genres de mise en commun dont nous avons parlé.

[79086] Sententia Politic., lib. 1 l. 1 n. 13 Causas autem praemissae distinctionis assignat ex hoc: quod natura non facit aliquod tale, sicut illi qui fabricant ex aere, idest ex metallo, Delphicum gladium pro aliquo paupere. Apud Delphos enim fiebant quidam gladii, quorum unus ad plura ministeria deputabatur: puta si unus gladius esset ad incidendum, ad limandum et ad aliqua alia huiusmodi. Et hoc fiebat propter pauperes qui non poterant plura instrumenta habere. Natura autem sic non facit ut unum ordinet ad diversa officia; sed unum deputat ad unum officium. Et propter hoc femina non deputatur a natura ad serviendum, sed ad generandum: sic enim optime fient omnia, quando unum instrumentum non deservit multis operibus, sed uni tantum. Sed hoc est intelligendum quando accideret impedimentum in utroque vel altero duorum operum, quibus idem instrumentum attribueretur; ut puta si oporteret utrumque opus frequenter simul exercere. Si autem per vices diversa opera exerceantur, nullum impedimentum sequitur, si unum instrumentum pluribus operibus accommodetur. Unde et lingua congruit in duo opera naturae; scilicet in gustum et locutionem, ut dicitur in III de anima. Non enim haec duo opera secundum idem tempus sibiinvicem coincidunt.

21. Et c'est à partir de ceci qu'il assigne les causes de la distinction qui précède: la nature ne produit pas les choses de la même manière que ceux qui fabriquent, à partir du bronze ou de quelque métal, les couteaux de Delphes pour les pauvres. À Delphes en effet on produisait certaines épées dont la charge était destinée à plusieurs fonctions: par exemple un seul et même glaive pouvait être destiné à couper, à polir ou à d'autres fonctions. Et cela arrivait parce que les pauvres ne pouvaient se permettre de posséder une multiplicité d'instruments.

 Mais la nature ne procède pas ainsi: un même instrument en effet n'est pas destiné à plusieurs fonctions mais à un seul. Et c'est pour cette raison que la femme n'est pas destinée par nature à servir, mais à engendrer: c'est ainsi en effet que tout est produit de la meilleure manière, à savoir lorsqu'un instrument n'est pas ordonné à une multitude de tâches mais à une seule. Mais cela doit s'entendre lorsqu'il se produit un obstacle pour les deux ou pour l'une des deux tâches auxquelles le même instrument est assigné: par exemple s'il fallait exercer fréquemment et simultanément les deux tâches. Mais si ces différentes tâches étaient exercées alternativement, il n'y aurait aucun obstacle à ce qu'un instrument soit appliqué à plusieurs fonctions. C'est pour cela que la langue contribue à deux fonctions naturelles: à savoir au goûter et à la parole, ainsi que le Philosophe le dit au deuxième livre du traité qui a pour titre des Parties des animaux. En effet ces deux opérations ne coïncident pas ensemble simultanément.

La nature n’agit pas comme ces couteliers de Delphes, qui, d’une lame de bronze, fabriquent à bas prix un couteau à usages multiples, capable de trancher, de limer, etc., pour éviter que les revenus modestes aient à acheter plusieurs ustensiles. La nature ne destine pas un objet unique à plusieurs offices, mais le consacre à un seul. Et la femme n’est pas vouée à servir, mais à engendrer. Tout va pour le mieux lorsque chaque instrument sert à une seule tâche, du moins de celles qui interdisent un autre usage concomitant de l’instrument ou la pratique de l’une et l’autre tâche fréquemment en même temps. Car rien n’empêche un objet d’être prévu pour plusieurs utilisations successives. La langue, par exemple, sert à deux œuvres de la nature : goûter et parler, car les deux ne se font pas simultanément.

[79087] Sententia Politic., lib. 1 l. 1 n. 14 Deinde cum dicit inter barbaros autem etc., excludit errorem contrarium. Et primo ponit errorem. Secundo ostendit causam erroris, ibi, causa autem quia natura et cetera. Dicit ergo primo, quod apud barbaros femina et servus habentur quasi eiusdem ordinis; utuntur enim feminis quasi servis. Potest autem hic esse dubium qui dicantur barbari. Dicunt enim quidam omnem hominem barbarum esse ei qui linguam eius non intelligit. Unde et apostolus dicit: si nesciero virtutem vocis, ero ei cui loquar barbarus, et qui loquitur mihi barbarus. Quibusdam autem videtur illos barbaros dici, qui non habent literalem locutionem suo vulgali ydiomati respondentem. Unde et Beda dicitur in linguam Anglicam liberales artes transtulisse, ne Anglici barbari reputarentur. Quibusdam autem videtur barbaros esse eos qui ab aliquibus civilibus legibus non reguntur.

22. Ensuite lorsqu'il dit [9]: ¨Chez les Barbares.¨

Il écarte l'erreur contraire. Et d'abord il présente cette erreur [9]. Deuxièmement il montre la cause de cette erreur là [10] où il dit: ¨Mais la raison en est etc.¨.

Il dit donc en premier que chez les Barbares la femme et l'esclave tiennent le même rang; ils se servent en effet de la femme comme d'une esclave. Mais on peut avoir ici un doute sur ceux qu'on appelle Barbares. Certains en effet disent que tout homme qui ne comprend pas leur langue est un Barbare. C'est pourquoi l'Apôtre dit (1 Cor. X1V, 10): ¨Si donc j'ignore la puissance d'une langue, je serai un Barbare pour celui qui la parle et lui un Barbare pour moi¨. Ainsi, il semble à certains que ceux-là s'appellent barbares qui ne possèdent pas l'élocution littérale du dialecte de leur langue vulgaire. Et c'est pourquoi on dit de Bède qu'il a traduit les arts libéraux dans la langue anglaise afin que les Anglais ne passent pas pour des barbares. Mais pour certains autres ce sont ceux qui ne sont pas réglés par des lois civiles (4) qui doivent être appelés barbares.

C’est chez les barbares que la femme et le serviteur sont mis au même rang, et que la femme est traitée à l’égal de l’esclave. Barbare a plusieurs sens. Pour certains, tous ceux qui ne comprennent pas leur langue sont des barbares (si j’ignorais le pouvoir de la voix, je serais barbare aux yeux de ceux à qui je m’adresse, et eux me paraîtraient barbares. – St Paul aux Corinthiens). D’autres jugent barbares ceux dont la langue ne possède pas l’équivalent de certaines de leurs expressions, et Bède voulut éviter cela aux Angles en faisant traduire les arts libéraux dans leur dialecte. D’autres enfin considèrent comme tels les peuples affranchis de toute loi civile. Tous ont en partie raison, car on entend par barbare quelqu’un d’étranger, ce qui peut se rencontrer de deux façons : rigoureusement ou de façon relative. Paraît absolument étranger celui qui l’est au genre humain, parce que la raison lui fait défaut.

[79088] Sententia Politic., lib. 1 l. 1 n. 15 Et quidem omnia aliqualiter ad veritatem accedunt: in nomine enim barbari extraneum aliquid intelligitur. Potest enim aliquis homo extraneus dici vel simpliciter vel quo ad aliquem. Simpliciter quidem extraneus videtur ab humano genere qui deficit ratione, secundum quam homo dicitur; et ideo simpliciter barbari nominantur illi qui ratione deficiunt vel propter plagam caeli quam intemperatam sortiuntur, ut ex ipsa dispositione regionis hebetes ut plurimum inveniantur: vel etiam propter aliquam malam consuetudinem in aliquibus terris existentem; ex qua provenit, ut homines irrationales et quasi brutales reddantur. Manifestum est autem quod ex virtute rationis procedit quod homines rationabili iure regantur, et quod in literis exercitentur. Unde barbaries convenienter hoc signo declaratur, quod homines vel non utuntur legibus vel irrationabilibus utuntur: et similiter quod apud aliquas gentes non sint exercitia literarum. Sed quo ad aliquem dicitur esse extraneus qui cum eo non communicat. Maxime autem homines nati sunt sibi communicare per sermonem: et secundum hoc, illi qui suum invicem sermonem non intelligunt, barbari ad seipsos dici possunt. Philosophus autem loquitur hic de his qui sunt simpliciter barbari.

23. Et certes tous s'approchent en quelque sorte de la vérité: en effet dans le nom de barbare on entend quelque chose d'étranger. En effet un homme peut être appelé étranger purement et simplement ou sous un certain rapport.

Quelqu'un semble étranger au genre humain purement et simplement qui manque de raison selon laquelle il peut être appelé humain. Et c'est pourquoi on appelle purement et simplement barbares ceux qui manquent de raison soit en raison de la région extrême du globe qui leur est échue de sorte qu'à cause des dispositions excessives de cette région on les retrouve le plus souvent affaiblis, soit encore en raison de quelques mauvaises coutumes existant en certaines nations à cause desquelles il arrive que les hommes deviennent déraisonnables et semblables à des brutes. Mais il est manifeste que c'est de la puissance de la raison que procède le droit rationnel par lequel les hommes sont réglés et qu'ils en viennent à l'apprentissage de l'écriture. D'où c'est à ce signe qu'on déclare avec raison comme étant barbares purement et simplement soit les hommes qui ne font pas usage de lois, soit ceux qui font usage de lois déraisonnables, soit encore certaines nations chez lesquelles on ne retrouve pas la maîtrise de l'écriture.

 Mais on dit qu'est un étranger sous un certain rapport celui qui ne peut communiquer par la parole avec un autre. Mais les hommes sont naturellement aptes à communiquer les uns avec les autres au moyen du discours: et d'après cela, ceux qui ne peuvent mutuellement saisir leurs discours peuvent mutuellement s'appeler barbares. Mais le Philosophe parle ici de ceux qui sont barbares purement et simplement.

Et l’on déclare purement et simplement barbares les peuplades sans intelligence, soit parce qu’elles vivent dans des régions au climat hostile et qui ne produisent le plus souvent que des demeurés, soit même en raison de coutumes perverses enracinées dans certaines contrées, qui rendent les hommes déments et comme des brutes. Car il est clair que la force de la raison est à l’origine d’une législation humaine raisonnable, comme du développement de la littérature. Aussi les barbares se remarquent-ils justement à ce qu’ils ne se donnent pas de lois ou qu’elles sont absurdes, et parallèlement à ce qu’il n’y a pas d’éducation aux belles lettres. On appelle aussi étrangère la personne avec laquelle on ne peut échanger. Les hommes sont avant tout nés pour communiquer par la parole et ceux qui ne peuvent se comprendre se traitent volontiers mutuellement de barbares. Mais le philosophe ne veut parler ici que du barbare pris dans son acception stricte.

[79089] Sententia Politic., lib. 1 l. 1 n. 16 Deinde cum dicit causa autem assignat causam praedicti erroris. Et dicit quod causa eius est, quia apud barbaros non est principatus secundum naturam. Dictum est enim supra, quod principans secundum naturam est, qui potest mente praevidere: servus autem qui potest corpore exequi. Barbari autem ut plurimum inveniuntur corpore robusti et mente deficientes. Et ideo apud eos non potest esse naturalis ordo principatus et subiectionis. Sed apud ipsos fit quaedam communicatio servae et servi; idest communiter utuntur serva, scilicet muliere, et servo. Et quia naturaliter non est principatus in barbaris, sed in his qui mente abundant, propter hoc dicunt poetae quod congruum quod Graeci qui sapientia praediti erant, principentur barbaris: ac si idem sit naturaliter esse barbarum et esse servum. Cum autem e converso est, sequitur perversio et inordinatio in mundo, secundum illud Salomonis: vidi servos in equis, et principes ambulantes sicut servos super terram.

24. Ensuite lorsqu'il dit [10] ¨mais la cause etc.¨,

 Il présente la cause de l'erreur précédente. Et il dit que la raison en est que chez les barbares il n'y a pas de principe qui commande par nature. Nous avons dit en effet plus haut que celui qui commande par nature est celui qui peut prévoir à l'avance par son esprit, alors que l'esclave est celui qui peut exécuter l'ouvrage. Mais le plus souvent les barbares se montrent vigoureux de corps et faibles d'esprit. Et c'est pourquoi chez eux on ne peut rencontrer l'ordre naturel du maître et de l'esclave. Mais on rencontre chez eux une certaine communauté de servantes et d'esclaves; c'est-à-dire qu'ils se servent communément de la servante, c'est-à-dire de la femme, et de l'esclave. Et parce qu'il n'existe pas naturellement de maîtres chez les barbares mais seulement chez les nations qui sont riches en hommes doués spirituellement, c'est pour cette raison que les poètes disent qu'il convient que les Grecs, qui étaient pourvus de sagesse, commandent aux barbares, comme si c'était naturellement la même chose d'être barbare et d'être esclave. Mais lorsque ce qui se produit est le contraire, il s'ensuit une corruption et un désordre dans le monde selon ce discours de Salomon tiré de l'Ecclésiaste (10, 7): ¨Je vois des esclaves aller à cheval et des princes aller à pied comme des esclaves¨.

Cette erreur a une cause : la horde ne connaît pas de chef naturel, au sens où nous l’avons défini par l’aptitude à prévoir mentalement ce que le serviteur doit exécuter matériellement. Les barbares sont le plus souvent robustes de corps et limités intellectuellement, de sorte qu’il ne peut s’installer entre eux d’organisation hiérarchique naturelle. Mais ils connaissent une sorte de mise en commun des esclaves et des servantes – les femmes – car ils mutualisent leur utilisation. C’est pourquoi l’absence de préséance parmi les barbares et sa présence parmi les hommes d’esprit a fait dire aux poètes que les Grecs, qui ne manquent pas de sagesse, sont appelés à dominer les autres, comme si être barbare revenait à être naturellement esclave. Et l’inverse, selon Salomon, est la source de la perversion et du désordre : « J’ai vu les esclaves à cheval et les princes marcher à terre comme des serviteurs ».

[79090] Sententia Politic., lib. 1 l. 1 n. 17 Deinde cum dicit: ex his quidem igitur etc., determinat de communitate domus quae constituitur ex pluribus communicationibus personalibus. Et circa hoc tria facit. Primo ostendit ex quibus consistit ista communitas. Secundo ostendit ad quid sit, ibi, in omnem quidem igitur et cetera. Tertio ostendit quomodo nominantur qui in hac communitate sunt, ibi, quos Charondas quidem et cetera. Dicit ergo primo, quod ex praedictis duabus communitatibus personalibus, quarum una est ad generationem, alia ad salutem, constituitur prima domus. Oportet enim in domo esse virum et feminam, et dominum et servum. Ideo autem dicitur domus prima, quia est et alia communicatio personalis quae invenitur in domo, scilicet patris et filii, quae ex prima causatur. Unde primae duae sunt primordiales. Et ad hoc inducit verbum Hesiodi poetae, qui dixit quod domus habet haec tria: dominum qui praeeminet et mulierem et bovem ad arandum. In paupere enim domo bos est loco ministri. Utitur enim homo bove ad exequendum aliquod opus, sicut et ministro.

25. Ensuite lorsqu'il dit [11]: ¨ Certes, de ces etc.¨

 Il détermine de la communauté de la famille qui est constituée de plusieurs communautés de personnes. Et à ce sujet il fait trois choses. D'abord il montre à partir de quoi est constituée cette communauté (11). Deuxièmement il montre à quoi elle est destinée, là [12] où il dit: ¨ Dans tout etc.¨. Troisièmement il montre comment sont dénommés ceux qui vivent dans cette communauté, là [12] où il dit: ¨ Charondas les appelle etc.¨.

 Il dit donc en premier lieu [11] que cette première communauté qu'est la famille est constituée à partir de ces deux précédentes communautés de personnes dont l'une est ordonnée à la génération et l'autre à la conservation. Il faut en effet que dans la famille il y ait à la fois un homme et une femme et un maître et un esclave. Et c'est pourquoi on dit que la famille est première car il existe une autre communauté de personne qu'on retrouve dans la famille, à savoir celle du père et du fils, et qui découle de la première. D'où il suit que les deux premières communautés de personnes sont à l'origine de toute communauté. Et pour le montrer il présente les paroles du poète Hésiode qui affirme que la famille possède ces trois éléments: le maître qui commande, la femme et le boeuf de labour. Dans la famille pauvre en effet le boeuf tient lieu d'esclave. L'homme en effet se sert du boeuf comme d'un esclave pour exécuter une tâche.

Des deux communautés dont on a parlé, l’une destinée à la génération et l’autre à la sauvegarde. La première fonde la structure domaniale, qu’Aristote aborde maintenant. Elle recouvre plusieurs types de mises en commun entre les personnes : il y faut mari et femme, ainsi que maître et serviteur. Elle est dite première parce que la relation communautaire existant entre père et fils repose sur les deux précédentes qui sont primordiales. Tel est le sens des paroles d’Hésiode : la maison repose sur trois piliers : le maître qui préside, l’épouse ainsi que le bœuf de labours. L’animal tient lieu de personnel dans les maisons modestes. L’homme se sert de lui comme d’un serviteur pour divers travaux.

[79091] Sententia Politic., lib. 1 l. 1 n. 18 Deinde cum dicit in omnem quidem igitur etc., ostendit ad quid ordinetur communitas domus. Ubi considerandum est quod omnis humana communicatio est secundum aliquos actus. Actuum autem humanorum quidam sunt quotidiani, sicut comedere, calefieri ad ignem, et alia huiusmodi. Quidam autem non sunt quotidiani, sicut mercari, pugnare, et alia huiusmodi. Naturale est autem hominibus, ut in utroque genere operum sibi communicent seinvicem iuvantes. Et ideo dicit quod nihil aliud est domus quam quaedam communitas secundum naturam constituta in omnem diem, idest ad actus, qui occurrunt quotidie agendi. Et hoc manifestat consequenter per nomina. Quidam enim Charondas nomine nominat eos qui communicant in domo, homostitios, quasi unius pulmenti, quia communicant in cibo. Quidam autem alius nomine Epimenides, natione Ocres, vocat eos homocapnos quasi unius fumi, quia sedent ad eumdem ignem.

26. Ensuite lorsqu'il dit [12]: ¨Dans toute etc.¨,

 Il montre à quoi est ordonnée la communauté de la famille. Où il faut considérer que toute communauté humaine découle de certains actes. Mais parmi les actes humains certains sont quotidiens comme manger et se réchauffer à un feu, et d'autres ne le sont pas, comme faire du commerce, faire la guerre et d'autres activités du même genre.

 Mais il est naturel aux hommes de communiquer entre eux pour s'entraider dans l'un et l'autre genre d'activités. Et c'est pourquoi Aristote dit que la famille n'est rien d'autre qu'une communauté constituée selon la nature pour la vie de chaque jour, c'est-à-dire pour les activités qu'il nous arrive de réaliser à chaque jour. Et il manifeste cela par la suite au moyen de certains noms. En effet un certain Charondas donne à ceux qui communiquent dans la famille le nom de compagnons comme s'il s'agissait de la communauté d'un repas, car c'est dans la nourriture qu'ils communiquent. Mais un autre du nom d'Épiménide de Crète les appelle commenseaux comme s'ils étaient d'une même fumée parce qu'ils sont assis à un même feu.

Un partage entre les hommes repose toujours sur certaines activités. Les unes sont quotidiennes comme manger se réchauffer auprès de l’âtre, etc. D’autres, comme commercer, se défendre et autres, sont plus épisodiques. Mais quel que soit le genre d’activité, l’entraide se fait naturellement par la mutualisation. La maison n’est rien d’autre qu’une communauté constituée par nature pour la vie de tous les jours, et pour les activités qui se renouvellent chaque matin. Pour manifester cette caractéristique, on lui donna des noms. Ainsi, un certain Charondas appela ceux qui partagent la vie du domaine : «commensaux», car ayant une nourriture commune, ils sont comme unis par le repas. Le Crétois Epiménides, quant à lui, les baptisa : « feudataires », c’est à dire partageant le même feu devant lequel ils s’assoient tous.

[79092] Sententia Politic., lib. 1 l. 1 n. 19 Deinde cum dicit ex pluribus autem domibus etc., ponit tertiam communitatem, scilicet vici. Et primo ostendit ex quibus sit ista communitas et propter quid. Secundo ostendit quod sit naturalis, ibi, maxime autem videtur et cetera. Dicit ergo primo, quod prima communicatio quae est ex pluribus domibus, vocatur vicus: et dicitur prima ad differentiam secundae quae est civitas: haec autem communitas non est constituta in diem sicut dicit de domo, sed est instituta gratia usus non diurnalis. Illi enim qui sunt convicanei, non communicant sibi in actibus quotidianis in quibus communicant sibi illi qui sunt unius domus, sicut est comedere, sedere ad ignem et huiusmodi: sed communicant sibi in aliquibus exterioribus actibus non quotidianis.

27. Ensuite lorsqu'il dit [13]: ¨De plusieurs etc.¨,

 Il présente une troisième sorte de communauté, à savoir celle du village. Et en premier il montre à partir de quoi et en vue de quoi cette communauté est formée [13]. Deuxièmement il montre qu'elle est naturelle, là [14] où il dit: ¨En réalité elle est au plus haut point selon la nature etc.¨.

 Il dit donc en premier lieu [13] que la première communauté formée de plusieurs familles se nomme village: et il dit qu'elle est la première par opposition à la deuxième qui est la cité. Cette communauté cependant n'est pas constituée pour les besoins de la vie de chaque jour comme il l'a affirmé de la famille, mais elle est instituée en vue des usages qui dépassent la vie quotidienne. Ceux en effet qui sont du même village ne communiquent pas entre eux dans les activités quotidiennes dans lesquelles communiquent ceux qui sont de la même famille, comme manger, s'asseoir à un même feu et les autres activités du même genre, mais ils communiquent entre eux dans des activités extérieures qui débordent la vie de tous les jours.

 

[79093] Sententia Politic., lib. 1 l. 1 n. 20 Deinde cum dicit maxime autem videtur etc., ostendit quod communitas vici sit naturalis. Et primo ostendit propositum per rationem. Secundo per quaedam signa, ibi, propter quod et primum et cetera. Dicit ergo primo, quod vicinia domorum, quae est vicus, maxime videtur esse secundum naturam. Nihil enim est magis naturale quam propagatio multorum ex uno in animalibus; et hoc facit viciniam domorum. Hos enim qui habent domos vicinas, quidam vocant collactaneos, puerosque, idest filios, et puerorum pueros, idest nepotes, ut intelligamus quod huiusmodi vicinia domorum ex hoc primo processit quod filii et nepotes multiplicati instituerunt diversas domos iuxta se habitantes. Unde cum multiplicatio prolis sit naturalis, sequitur quod communitas vici sit naturalis.

28. Ensuite lorsqu'il dit [14]: ¨Au plus haut point cependant etc.¨.

 Il montre que la communauté du village est naturelle. Et d'abord il manifeste ce propos par une raison [14]. Deuxièmement il le manifeste au moyen de signes, là [15] où il dit:¨C'est pour cela qu'au début etc.¨.

 Il dit donc en premier lieu [14] que le voisinage des familles, qui est le village, semble au plus haut point être naturel. Rien en effet n'est plus naturel que la propagation d'une multitude à partir d'un individu chez les animaux; c'est cela qui produit la proximité des familles. Ceux en effet dont les familles sont voisines, certains les appellent frères de lait, enfants, c'est-à-dire fils, et petits-enfants, c'est-à-dire petits-fils, de sorte que nous comprenons par là qu'une telle proximité des familles procède d'abord de ceci que la multiplication des fils et des petits-fils a contribué à établir différentes familles vivant les unes à côté des autres. D'où il suit que, puisque la multiplication de la famille est naturelle, la communauté du village est naturelle.

Aristote pose ensuite une troisième communauté, celle du voisinage. La première société issue de la pluralité de domaines est le village. Elle précède celle de la cité. Contrairement à la structure domaniale, elle n’a pas pour but de satisfaire les besoins quotidiens, mais ceux qui se font moins fréquents. Les voisins ne mangent pas ensemble, ni ne partagent le même feu chaque jour, comme les commensaux, mais mettent en communs certaines activités extérieures à leur maison. Ce regroupement est totalement naturel, car rien ne l’est plus que la prolifération animale, ce qu’engendre la proximité des maisons.

[79094] Sententia Politic., lib. 1 l. 1 n. 21 Deinde cum dicit propter quod et primum etc., manifestat idem per signa. Et primo secundum ea quae videmus in hominibus. Secundo secundum ea quae dicebantur de diis, ibi, et deos autem propter hoc et cetera. Dicit ergo primo, quod quia ex multiplicatione prolis constituta est vicinia, ex hoc processit, quod a principio quaelibet civitas regebatur rege: et adhuc aliquae gentes habent regem, etsi singulae civitates singulos reges non habeant; et hoc ideo, quia civitates et gentes instituuntur ex his qui sunt subiecti regi. Quomodo autem signum hoc respondeat praemissis, ostendit per hoc, quod subditur: quia omnis domus regitur ab aliquo antiquissimo, sicut a patrefamilias reguntur filii. Et exinde contingit, quod etiam tota vicinia, quae erat instituta ex consanguineis, regebatur propter cognationem ab aliquo qui erat principalis in cognatione, sicut civitas regitur a rege. Unde Homerus dixit, quod unusquisque uxori et pueris suis instituit leges, sicut rex in civitate. Ideo autem hoc regimen a domibus et vicis processit ad civitates, quia diversi vici sunt sicut civitas dispersa in diversas partes; et ideo antiquitus habitabant homines dispersi per vicos, non tamen congregati in unam civitatem. Sic ergo patet, quod regimen regis super civitatem vel gentem processit a regimine antiquioris in domo vel vico.

29. Ensuite lorsqu'il dit [15]: ¨C'est pourquoi etc.¨.

Il manifeste la même chose au moyen de signes. Et en premier lieu d’après ce qu'on observe chez les hommes [15]. Deuxièmement d'après ce qu'on disait des dieux, là [16] où il dit: ¨Et que les dieux cependant etc.¨.

 Il dit donc en premier [15] que puisque le village est constitué à partir de la multiplication de la famille, il s'ensuit de là que dès le début une cité était gouvernée par un roi: et c'est à cause de cela que certaines nations ont un roi, bien que certaines cités particulières n'en ont pas; et il en est ainsi parce que les cités et les nations sont constituées de ceux qui sont assujettis à un roi. Mais comment ce signe répond à ce qui précède, il le montre au moyen de ce qu'il ajoute. Car toute famille est gouvernée par le plus ancien comme les fils sont gouvernés par le père de famille. Et il arrive de là que tout village, qui est constitué de ceux qui sont nés du même sang, était gouverné pour la parenté par celui qui était considéré le premier dans la parenté, comme la cité est gouvernée par le roi. C'est pourquoi Homère dit que chacun forme des lois pour sa femme et ses enfants comme le roi le fait dans la cité. Et c'est pourquoi cette forme de commandement passe des familles et des villages aux cités car de nombreux villages sont comme une cité répandue en ses diverses parties. Et c'est pourquoi anciennement les hommes vivaient dispersés en des villages sans être rassemblés en une seule cité. Ainsi donc il apparaît que le gouvernement du roi sur la cité ou la nation procède du gouvernement du plus ancien sur la famille ou le village.

On a appelé les habitants du voisinage, ainsi que leurs enfants et leurs petits enfants : « nourris au même lait », pour faire comprendre que ce regroupement de maisons provient d’une première d’où se sont propagés des descendants qui ont eux-même fondé alentour les domaines qu’ils habitent. La communauté de voisinage est aussi naturelle que la fertilité animale. De même que le village apparaît avec la génération, de même, la cité commence toujours sous la direction d’un roi. La lignée peut, elle aussi, connaître une royauté, et certaines cités auront alors plus d’un souverain. Car cités et lignées se constituent autour de l’émergence d’une monarchie. Le domaine, en effet, est soumis à l’autorité du patriarche, comme les fils à leur père, et tout le village constitué par les liens du sang est dirigé, au nom de la parenté, par l’aïeul du clan, comme la cité l’est par un roi. Homère l’a écrit : chacun donne sa loi à sa femme et à ses enfants comme un roi à sa cité. C’est pourquoi ce régime se transmet du domaine à la commune, puis à la société civile. Car plusieurs villages sont comme autant de villes dispersées dans l’espace puisque autrefois les hommes habitaient des bourgs et ne se regroupaient pas encore en une cité unique.

[79095] Sententia Politic., lib. 1 l. 1 n. 22 Deinde cum dicit et deos autem etc., ponit aliud signum per ea quae de diis dicebantur. Et dicit, quod propter praemissa omnes gentiles dicebant, quod eorum dii regebantur ab aliquo rege, dicentes Iovem esse regem deorum. Et hoc ideo, quia homines adhuc aliqui regibus reguntur, antiquitus autem fere omnes regebantur regibus. Hoc autem fuit primum regimen, ut infra dicetur. Homines autem sicut assimilant sibi species deorum, idest, formas eorum, aestimantes deos esse in figura quorumdam hominum, ita et assimilant sibi vitas deorum idest, conversationes, aestimantes eos conversari secundum quod vident conversari homines. Hic Aristoteles (deos) nominat more Platonicorum substantias separatas a materia, ab uno tantum summo Deo creatas, quibus gentiles erronee et formas et conversationes hominum attribuebant, ut hic philosophus dicit.

30. Ensuite lorsqu'il dit [16]: ¨Et que les dieux cependant etc.¨.

 Il présente un autre signe au moyen de ce qu'on disait des dieux. Et il dit qu'en raison de ce qui précède toutes les nations disaient que leurs dieux étaient gouvernés par un roi, affirmant que Jupiter était le roi des dieux. Et il en était ainsi parce que bien que jusqu'à présent certains hommes sont gouvernés par des rois, anciennement cependant la presque totalité des peuples était gouvernée par des rois. Et cela fut la première forme de gouvernement ainsi qu'on le verra par la suite. Mais comme les hommes se représentent les espèces et les formes des dieux à leur ressemblance, croyant que les dieux ont la même apparence que les hommes, ils estiment de même que leurs vies et leurs fréquentations sont de même type que celles des hommes, croyant qu'ils se fréquentent entre eux à la manière des fréquentations qu'ils observent chez les hommes. Aristote, à la manière des Platoniciens, parle ici des substances séparées de la matière qui seraient créées par un seul Dieu suprême et auxquelles les gentils attribuaient à tort les formes et les fréquentations qu’on observe chez les hommes, ainsi que l'affirme ici le Philosophe.

A l’évidence, la royauté sur la ville ou sur la lignée est née du patriarcat domestique et villageois. C’est si naturel que toutes les nations ont imaginé leurs dieux eux-mêmes soumis à un roi comme Jupiter. Aujourd’hui encore en effet, beaucoup d’hommes vivent sous une monarchie, et quasiment tous ont connu dans le passé ce régime qui fut le premier. Or, concevant la divinité à leur ressemblance, ils lui ont donné figure humaine et ont calqué sur les leurs, le mode de vie des dieux et leurs relations. Aristote, à la façon des platoniciens, veut parler ici des substances séparées de la matière, créées par un Dieu suprême unique, à qui les païens attribuèrent faussement les mœurs et l’aspect des hommes.

[79096] Sententia Politic., lib. 1 l. 1 n. 23 Quae autem ex pluribus vicis et cetera. Postquam philosophus determinavit de communitatibus ordinatis ad civitatem, hic determinat de ipsa communitate civitatis. Et dividitur in partes tres. In prima ostendit qualis sit civitatis communitas. Secundo ostendit, quod est naturalis, ibi, propter quod omnis civitas et cetera. Tertio agit de institutione civitatis, ibi natura igitur quidem et cetera. Circa primum ostendit conditionem civitatis quantum ad tria. Primo ostendit ex quibus sit civitas. Quia sicut vicus constituitur ex pluribus domibus, ita et civitas ex pluribus vicis. Secundo dicit, quod civitas est communitas perfecta: quod ex hoc probat, quia cum omnis communicatio omnium hominum ordinetur ad aliquid necessarium vitae, illa erit perfecta communitas, quae ordinatur ad hoc quod homo habeat sufficienter quicquid est necessarium ad vitam: talis autem est communitas civitatis. Est enim de ratione civitatis, quod in ea inveniantur omnia quae sufficiunt ad vitam humanam, sicut contingit esse. Et propter hoc componitur ex pluribus vicis, in quorum uno exercetur ars fabrilis, in alio ars textoria, et sic de aliis. Unde manifestum est, quod civitas est communitas perfecta. Tertio ostendit ad quid est civitas ordinata: est enim primitus facta gratia vivendi, ut scilicet homines sufficienter invenirent unde vivere possent: sed ex eius esse provenit, quod homines non solum vivant, sed quod bene vivant, inquantum per leges civitatis ordinatur vita hominum ad virtutes.

31. Ensuite lorsqu'il dit [17]: ¨ Mais celle qui etc.¨.

 Il détermine ici de la communauté de la cité après avoir déterminé des communautés ordonnées à la cité.

 Et il divise cette considération en trois parties. D'abord il montre quelle est la communauté de la cité [17]. Deuxièmement il montre qu'elle est naturelle là [18] où il dit: ¨C'est pourquoi toute cité etc.¨. Troisièmement il traite de la formation de la cité là [19] où il dit: ¨Donc, à partir de ces considérations etc.¨.

 Relativement au premier point il manifeste la nature de la cité quant à trois choses [17]. Premièrement il montre à partir de quoi la cité existe. Car comme le village est constitué de plusieurs familles, de même la cité est constituée de plusieurs villages.

 Deuxièmement il dit que la cité est la communauté parfaite: ce qu'il prouve à partir de ceci, à savoir que puisque l'ensemble des communications entre tous les hommes est ordonnée à ce qui est nécessaire à la vie, la communauté parfaite sera celle qui sera ordonnée à une possession par l’homme de tout ce qui est nécessaire à sa vie de manière à ce qu’il se suffire à lui-même : et cette communauté est la cité. En effet, c'est dans la nature de la cité qu'on retrouve en elle tout ce qui contribue à satisfaire les différentes besoins de la vie humaine, ainsi qu'on le voit. Et c'est pourquoi elle est composée de plusieurs villages dans un desquels est exercé l'art du forgeron, dans un autre celui du tisserand et dans les autres d'autres métiers. D'où il est manifeste que la cité est la communauté parfaite.

 Troisièmement il montre à quoi est ordonnée la cité: en effet elle fut originellement créée en vue de vivre, c'est-à-dire afin que les hommes trouvent suffisamment de quoi pouvoir vivre: mais une fois formée, il arrive non seulement que les hommes vivent mais qu'ils vivent bien dans la mesure où la vie des hommes est ordonnée à la vertu au moyen des lois de la cité.

Puis le philosophe aborde la communauté civile. A l’image de la commune qui regroupe les familles, la cité est la réunion de plusieurs villages. Mais c’est une société parfaite. Chaque niveau de communauté permet en effet de faire face à telles ou telles nécessités de la vie. Seule est complète cependant la société qui offre à l’homme la satisfaction de l’ensemble de ses besoins. Et c’est bien le rôle de la cité de proposer à l’homme tout ce qu’il demande pour vivre. C’est pourquoi elle est organisée en divers arrondissements, spécialisés l’un dans le travail des métaux, l’autre dans le textile, etc. La cité est la société parfaite. Elle fut à l’origine instituée pour offrir aux hommes de quoi suffire à la vie. Mais grâce à sa seule existence, ceux-ci y puisèrent au-delà, le bien-vivre dans une législation qui les éduquait à la vertu.

[79097] Sententia Politic., lib. 1 l. 1 n. 24 Deinde cum dicit propter quod omnis civitas etc., ostendit, quod communitas civitatis est naturalis. Et circa hoc tria facit. Primo ostendit, quod civitas est naturalis. Secundo, quod homo est naturaliter animal civile, ibi, ex his igitur manifestum et cetera. Tertio ostendit, quid sit prius secundum naturam, utrum unus homo, aut domus, vel civitas, ibi, et prius itaque civitas et cetera. Circa primum ponit duas rationes: quarum prima talis est. Finis rerum naturalium est natura ipsarum. Sed civitas est finis praedictarum communitatum, de quibus ostensum est quod sunt naturales: ergo et civitas est naturalis. Quod autem natura sit finis rerum naturalium, probat, ibi, quale enim etc. tali ratione. Illud dicimus esse naturam uniuscuiusque rei, quod convenit ei quando est eius generatio perfecta: sicut natura hominis est, quam habet post perfectionem generationis ipsius: et similiter et de equo, et de domo: ut tamen natura domus intelligatur forma ipsius. Sed dispositio rei quam habet perfecta sua generatione, est finis omnium eorum quae sunt ante generationem ipsius: ergo id quod est finis naturalium principiorum ex quibus aliquid generatur, est natura rei. Et sic cum civitas generetur ex praemissis communitatibus, quae sunt naturales, ipsa erit naturalis.

32. Ensuite lorsqu'il dit [18]: ¨C'est pourquoi etc.¨.

 Il montre que la communauté de la cité est naturelle. Et à ce sujet il fait trois choses. Premièrement il montre que la cité est naturelle [18]. Deuxièmement, que l'homme est naturellement un animal social, là [19] où il dit: ¨ Donc à partir de ces considérations il est évident que etc.¨. Troisièmement il montre ce qui est premier selon la nature, à savoir soit l'individu humain, soit la famille, soit la cité, là [21] où il dit: ¨Et certes, par nature, etc.¨.

 Relativement au premier point il présente deux arguments, dont le premier se présente ainsi [18]: la fin des choses naturelles est leur nature. Mais la cité est la fin des communautés précédentes, au sujet desquelles nous avons montré qu'elles sont naturelles: la cité est donc naturelle.

 Mais que la nature est la fin des choses naturelles, il le montre par l’argument qui suit, là [18] où il dit: ¨En effet, ce qu'est etc.¨. Ce que nous appelons nature d'une chose, c'est ce qui lui appartient quand sa génération est achevée: tout comme la nature d'un homme, c'est ce qu'il possède après que sa génération soit complétée; et il en est de même du cheval et de la maison, de telle manière cependant qu'on entende la nature de la maison comme étant sa forme. Mais la disposition qu'une chose possède une fois achevée sa génération est la finalité de toutes celles qui précèdent sa génération: donc cela même qui est fin des principes naturels à partir desquels la chose est engendrée est la nature de cette chose. Et ainsi, puisque la cité est engendrée à partir des communautés mentionnées précédemment, lesquelles sont naturelles, elle-même sera naturelle.

Nous voulons maintenant montrer que cette cité est une communauté naturelle, que l’homme est un animal citoyen et que la société civile l’emporte sur la famille et sur l’individu. La finalité des êtres naturels constitue leur identité. Or la cité est la fin des communautés, dont on a dit auparavant qu’elles étaient naturelles. Elle est donc tout autant naturelle. L’essence d’un être correspond en effet à l’état de maturité de son développement. La pleine nature humaine s’acquiert au terme de la croissance, et il en est de même pour le cheval ou pour la maison (si nous parlons de son architecture). En outre, les facultés dont jouit un être au terme de son développement, sont l’aboutissement de tout ce qui a présidé à son apparition. Est donc nature, le résultat représentant la finalité des principes à l’origine de la génération. Et la cité, parce qu’elle a été engendrée par des communautés antérieures naturelles, est donc dite à ce titre naturelle, elle aussi.

[79098] Sententia Politic., lib. 1 l. 1 n. 25 Secundam rationem ponit, ibi, adhuc quod cuius gratia et cetera. Quae talis est. Illud quod est optimum in unoquoque, est finis, et cuius gratia aliquid fit: sed habere sufficientiam est optimum: ergo habet rationem finis. Et sic, cum civitas sit communitas habens per se sufficientiam vitae, ipsa est finis praemissarum communitatum. Unde patet, quod haec secunda ratio inducitur ut probatio minoris praecedentis rationis.

33. Il présente son deuxième argument là [18] où il dit: ¨ De plus, ce en vue de quoi etc.¨. Et cet argument se présente ainsi. Ce qui est le meilleur dans un genre donné, c'est la fin et ce en vue de quoi une chose est formée: mais se suffire à soi-même est ce qu'il y a de meilleur: c'est donc cela qui a raison de fin. Et ainsi, puisque la cité est la communauté qui par elle-même permet à l'homme de se suffire à lui-même, elle est la finalité des communautés précédentes. D'où il apparaît ainsi que ce deuxième argument est amené en tant que preuve de la mineure de l'argument précédent.

Autre argument : l’état optimum dans chaque type de réalité est la finalité et la raison d’être de son développement. Donc parvenir à suffisance, qui est un certain optimum, a raison de fin. Ainsi, la société civile, qui offre à la vie humaine cette satisfaction plénière, a raison de fin pour les autres communautés. Cette seconde preuve établit la mineure du raisonnement précédent.

[79099] Sententia Politic., lib. 1 l. 1 n. 26 Deinde cum dicit ex hiis igitur manifestum etc., ostendit, quod homo sit naturaliter civile animal. Et primo concludit hoc ex naturalitate civitatis. Secundo probat hoc per operationem propriam ipsius, ibi, quod autem civile et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit propositum. Secundo excludit dubitationem, ibi, et qui incivilis et cetera. Concludit ergo primo ex praemissis, quod civitas est eorum quae sunt secundum naturam. Et cum civitas non sit nisi congregatio hominum, sequitur, quod homo sit animal naturaliter civile.

34. Ensuite lorsqu'il dit [19]: ¨Donc, d'après ce qui vient d'être dit etc.¨.

 Il montre que l'homme est par nature un animal social. Et d'abord il conclut cela à partir du caractère naturel de la cité [19]. Deuxièmement il le prouve au moyen d'une opération qui lui est propre, là où il dit: ¨ D'où il est évident qu'il est un animal social etc.¨.

 Par rapport au premier point il fait deux choses. D'abord il montre son propos [19]. Deuxièmement il écarte un doute, là où il dit: ¨ Et celui qui est sans cité etc.¨

 Donc, à partir de ce qu'il vient de dire, il conclut que la cité fait partie des réalités qui sont selon la nature [19]. Et puisque la cité n'est rien d'autre qu'une réunion d'hommes, il s'ensuit que l'homme est un animal naturellement social.

 

[79100] Sententia Politic., lib. 1 l. 1 n. 27 Posset autem hoc alicui venire in dubium ex hoc, quod ea quae sunt secundum naturam omnibus insunt. Non autem omnes homines inveniuntur esse habitatores civitatum. Et ideo ad hanc dubitationem excludendam consequenter dicit, quod aliqui sunt non civiles propter fortunam, utpote quia sunt expulsi de civitate, vel propter paupertatem necesse habent excolere agros, aut animalia custodire. Et hoc patet quod non est contrarium ei quod dictum est, quod homo sit naturaliter civilis: quia et alia naturalia aliquando deficiunt propter fortunam: puta, cum alicui amputatur manus, vel cum privatur oculo. Sed si aliquis homo habet quod non sit civilis propter naturam, necesse est quod vel sit pravus, utpote cum hoc contingit ex corruptione naturae humanae; aut est melior quam homo, inquantum scilicet habet naturam perfectiorem aliis hominibus communiter, ita quod per se sibi possit sufficere absque hominum societate; sicut fuit in Ioanne Baptista, et beato Antonio heremita. Inducit ad hoc verbum Homeri maledicentis quemdam, qui non erat civilis propter pravitatem. Dicit enim de ipso quod erat insocialis, quia non poterat contineri vinculo amicitiae, et illegalis, quia non poterat contineri sub iugo legis, et sceleratus, quia non poterat contineri sub regula rationis. Qui autem est talis secundum naturam, simul cum hoc oportet quod habeat quod sit affectator belli, quasi litigiosus et sine iugo existens. Sicut videmus quod volatilia, quae non sunt socialia, sunt rapacia.

35. Mais à partir de là quelqu'un pourrait en arriver à cette objection que tout ce qui est selon la nature existe déjà dans tous. Mais ce ne sont pas tous les hommes qui se trouvent à habiter une cité. Et c'est pourquoi, en vue d'écarter ce doute, il dit par la suite que certains sont sans cité à cause du hasard, par exemple lorsqu'ils sont chassés de la cité parce qu'en raison de leur pauvreté ils doivent soit cultiver les champs soit garder les animaux. Et cela n'apparaît pas contraire à ce qui a été dit, à savoir que l'homme est un animal naturellement social: car d'autres êtres naturels se trouvent parfois à être en défaut par hasard, par exemple lorsque certains sont amputés d'une main ou privés d'un oeil. Mais s'il arrive à un homme de ne pas être social par nature, soit il est vicieux de quelque manière, par exemple lorsque cela se produit en raison d'une corruption de la nature humaine, soit il est meilleur qu'un homme, c'est-à-dire selon qu'il possède une nature plus parfaite que celle que possèdent communément les autres hommes de sorte qu'il pourrait par lui-même se suffire à lui-même sans la société des autres hommes, comme ce fut le cas pour Jean le Baptiste et le bienheureux Antoine l'ermite.

 Il ajoute à cela la parole d'Homère dénonçant la méchanceté d'un individu qui n'était pas social en raison de sa dépravation. Il dit en effet à son sujet qu'il était sans tribu, parce qu'il n'était pas contenu par le lien de l'amitié, sans justice parce qu'il ne pouvait être contenu sous la contrainte de la loi et méchant parce qu'il ne pouvait être contenu par la règle de la raison. Mais celui qui est ainsi comme naturellement, il lui faut être aussi avide de guerre, recherchant les querelles et vivant sans attache, comme nous le voyons chez ces oiseaux qui, parce qu'ils ne sont pas sociaux, sont des rapaces.

L’homme est un animal naturellement citoyen, puisque la cité est composée de personnes humaines, et qu’elle est de ces réalités relevant de l’ordre naturel. Mais, pourrait-on objecter, les œuvres de la nature se retrouvent chez tous les individus, tandis que tous les hommes n’habitent pas des cités. Aussi Aristote ajoute-t-il que certains sont sans citoyenneté par destin, parce qu’ils ont été bannis, ou par pauvreté, parce qu’ils sont obligés de cultiver les champs ou de garder des animaux. Et il est clair que cela ne contredit pas son propos sur la citoyenneté naturelle de l’homme. La fatalité est aussi source d’imperfection ailleurs également dans la nature. Ainsi de l’amputation d’une main ou de la perte d’un œil. Mais l’homme qui ne devrait pas être citoyen de par sa nature, ou bien serait un sous-homme, comme il arrive à certaines personnes atteintes dans leur intégrité physique, ou bien au contraire un surhomme, pouvant se satisfaire à lui-même sans le secours de la société, comme vécurent Jean-Baptiste ou l’ermite saint Antoine. Aristote en appelle à la malédiction d’Homère sur les asociaux dépravés qui vivent sans famille, car ils ne respectent pas les liens de l’amitié, sans justice, car ils ne supportent pas le joug de la loi, et comme des bandits, car ils ne peuvent obéir au verdict de leur raison. De tels caractères sont aussi belliqueux, agressifs et anarchistes. Ce sont des rapaces comme tous les oiseaux solitaires.

[79101] Sententia Politic., lib. 1 l. 1 n. 28 Deinde cum dicit quod autem civile animal etc., probat ex propria operatione hominis quod sit animal civile, magis etiam quam apis, et quam quodcumque gregale animal, tali ratione. Dicimus enim quod natura nihil facit frustra, quia semper operatur ad finem determinatum. Unde, si natura attribuit alicui rei aliquid quod de se est ordinatum ad aliquem finem, sequitur quod ille finis detur illi rei a natura. Videmus enim quod cum quaedam alia animalia habeant vocem, solus homo supra alia animalia habeat loquutionem. Nam etsi quaedam animalia loquutionem humanam proferant, non tamen proprie loquuntur, quia non intelligunt quid dicunt, sed ex usu quodam tales voces proferunt. Est autem differentia inter sermonem et simplicem vocem. Nam vox est signum tristitiae et delectationis, et per consequens aliarum passionum, ut irae et timoris, quae omnes ordinantur ad delectationem et tristitiam, ut in secundo Ethicorum dicitur. Et ideo vox datur aliis animalibus, quorum natura usque ad hoc pervenit, quod sentiant suas delectationes et tristitias, et haec sibiinvicem significent per aliquas naturales voces, sicut leo per rugitum, et canis per latratum, loco quorum nos habemus interiectiones.

36. Ensuite lorsqu'il dit [20] ¨mais ce qui etc. ¨, il prouve à partir de l'opération propre à l'homme que ce dernier est un animal social, bien davantage même que l'abeille et que tout autre animal grégaire. Nous disons en effet que la nature ne fait rien en vain car elle agit toujours en vue d'une fin déterminée. D'où il suit que, si la nature attribue à un être quelque chose qui de soi-même est ordonné à une finalité, cette finalité soit donnée à cette être par la nature. Nous voyons en effet que même si certains autres animaux possèdent les sons de voix, seul l'homme au-dessus de tous les autres possède la parole. Car même si certains animaux profèrent une parole humaine, ils ne parlent pas à proprement parler car ils ne saisissent pas ce qu'ils disent mais c'est seulement par l’exercice qu'ils expriment de tels sons de voix.

 Et il y a une différence entre le discours et le son de voix simple. Car le son de voix est signe de plaisir et de douleur et par conséquent des autres passions comme la colère et la crainte qui sont toutes ordonnées au plaisir et à la tristesse, comme on le voit au deuxième livre des Éthiques. Et c'est à cause de cela que le son de voix est donné aux autres animaux dont la nature parvient jusqu'à ce point de sentir leurs plaisirs et leurs douleurs qu'ils expriment les uns aux autres au moyen des sons de voix naturels, comme le fait le lion par le rugissement et le chien par l'aboiement, au lieu desquels nous possédons les mots.

L’homme est un animal citoyen à un titre supérieur à l’abeille ou tout autre animal grégaire. La nature ne fait rien d’inutile, car elle poursuit toujours un but précis. En attribuant les moyens pour l’obtention d’un objectif, elle donne aussi le résultat. Or si certains animaux sont dotés de la voix, seul l’homme est capable de s’exprimer verbalement (certains animaux peuvent imiter la voix humaine, mais ils ne parlent pas vraiment, car ils ne comprennent pas ce qu’ils disent, et obéissent à une réaction instinctive). Il y a une différence entre le discours et le son de voix. Ce dernier est l’expression de la satisfaction ou du déplaisir, et par suite de toutes les autres passions, comme l’agressivité ou la peur, car elles dépendent du plaisir ou de la peine. Aussi la voix a-t-elle été donnée aux animaux dont la nature parvient à discerner l’agréable et le désagréable et à échanger des impressions par des cris, comme le rugissement du lion ou l’aboiement du chien, là où nous autres humains, nous nous exprimons par le discours.

[79102] Sententia Politic., lib. 1 l. 1 n. 29 Sed loquutio humana significat quid est utile et quid nocivum. Ex quo sequitur quod significet iustum et iniustum. Consistit enim iustitia et iniustitia ex hoc quod aliqui adaequentur vel non aequentur in rebus utilibus et nocivis. Et ideo loquutio est propria hominibus; quia hoc est proprium eis in comparatione ad alia animalia, quod habeant cognitionem boni et mali, ita et iniusti, et aliorum huiusmodi, quae sermone significari possunt. Cum ergo homini datus sit sermo a natura, et sermo ordinetur ad hoc, quod homines sibiinvicem communicent in utili et nocivo, iusto et iniusto, et aliis huiusmodi; sequitur, ex quo natura nihil facit frustra, quod naturaliter homines in his sibi communicent. Sed communicatio in istis facit domum et civitatem. Igitur homo est naturaliter animal domesticum et civile.

37. Mais la parole humaine signifie ce qui est utile et ce qui est nuisible. D'où il suit qu'elle signifie le juste et l'injuste. Le juste et l'injuste en effet consistent en ceci que certains soient mesurés ou non à l'égard des choses utiles ou nuisibles. Et c'est pourquoi la parole est propre aux hommes car, par opposition aux autres animaux, il leur est propre de connaître le bien et le mal et aussi le juste et les autres notions de ce genre qu'ils peuvent exprimer par le discours.

 Donc, puisque le discours fut donné à l'homme par la nature et que le discours soit ordonné à ceci que les hommes communiquent entre eux relativement à l'utile et au nuisible, au juste et à l'injuste et aux autres notions du même genre, il s'ensuit, du fait que la nature ne fait rien en vain, que c'est naturellement que les hommes se communiquent entre eux ces notions. Mais c'est la communication sur ces notions qui fait la famille et la cité. C'est donc naturellement que l'homme vit en famille et en société.

Le langage humain peut dire l’utile et le nocif, et signifier ainsi le juste ou l’injuste. La justice réside en effet dans l’adaptation du bénéfique à chaque situation. Le langage est donc propre à l’homme parce que seul parmi les animaux, il connaît le bien et le mal (et par voie de conséquence, l’injustice ou les notions de ce genre), et qu’il peut s’exprimer par le langage. Comme ce pouvoir lui a été donné par la nature, afin de partager avec ses pairs ses positions sur l’utilité, la justice ou toute autre considération de ce type, et que la nature ne fait rien qui déçoive, il est naturel aux hommes de mettre en commun leurs avis. Mais cette communication constitue le fondement même du domaine et de la cité. Aussi l’homme est-il naturellement un animal familial et citoyen.

[79103] Sententia Politic., lib. 1 l. 1 n. 30 Deinde cum dicit et prius itaque civitas etc., ostendit ex praemissis, quod civitas sit prior secundum naturam quam domus, vel quam unus homo singularis, tali ratione. Necesse est totum esse prius parte, ordine scilicet naturae et perfectionis. Sed hoc intelligendum est de parte materiae, non de parte speciei, ut ostenditur in septimo metaphysicae. Et hoc sic probat: quia destructo toto homine, non remanet pes neque manus nisi aequivoce, eo modo quo manus lapidea posset dici manus. Et hoc ideo, quia talis pars corrumpitur corrupto toto. Illud autem, quod est corruptum, non retinet speciem, a qua sumitur ratio definitiva. Unde patet, quod non remanet eadem ratio nominis, et sic nomen aequivoce praedicatur. Et quod pars corrumpatur corrupto toto, ostendit per hoc, quod omnis pars definitur per suam operationem, et per virtutem qua operatur. Sicut definitio pedis est, quod sit membrum organicum habens virtutem ad ambulandum. Et ideo, ex quo iam non habet talem virtutem et operationem, non est idem secundum speciem, sed aequivoce dicitur pes. Et eadem ratio est de aliis huiusmodi partibus, quae dicuntur partes materiae, in quarum definitione ponitur totum, sicut et in definitione semicirculi ponitur circulus. Est semicirculus media pars circuli. Secus autem est de partibus speciei, quae ponuntur in definitione totius, sicut lineae ponuntur in definitione trianguli.

38. Ensuite lorsqu'il dit [21]: ¨Et c'est pourquoi la cité est antérieure etc.¨.

 Il montre à partir de ce qu'il vient de dire et par cet argument que la cité est antérieure à la famille par nature et même à chaque homme pris individuellement. Il est nécessaire que le tout soit antérieur à la partie selon un ordre de nature et de perfection. Mais cela doit s'entendre d'une partie matérielle et non d'une partie de l'espèce ainsi qu'on le montre au septième livre de la Métaphysique. Et il le prouve ainsi: car une fois détruit ce tout qu'est l'homme, il ne reste plus de pieds ni de mains si ce n'est d'une manière équivoque, au sens où on peut appeler main une main de pierre. Et il en est ainsi parce qu'une fois détruit le tout, une telle partie l'est aussi. Mais ce qui est détruit ne conserve plus l'espèce de laquelle il tire la définition de sa nature. D'où il est évident que le nom ne conserve plus la même signification et que c'est d'une manière équivoque qu'il est alors attribué. Et que la partie est alors détruite lorsque le tout est détruit, il le montre au moyen de ceci, à savoir que toute partie est définie par son opération et par la puissance par laquelle elle pose son opération. Par exemple, la définition du pied est qu'il est un membre organique possédant la puissance de marcher. Et c'est pourquoi, du fait qu'il ne possède plus une telle puissance ou une telle opération, il n'est plus le même selon l'espèce et c'est d'une manière purement équivoque qu'on l'appelle encore pied. Et la même raison vaut pour les autres parties qu'on appelle parties matérielles et dans la définition desquelles est contenu le tout, tout comme le cercle est contenu dans la définition du demi-cercle. Le demi-cercle en effet est la partie qui est la moitié du cercle. Mais il en est autrement pour les parties de l'espèce qui sont contenues dans la définition du tout, comme les lignes sont contenues dans la définition du triangle.

Mais la citoyenneté l’emporte sur le lien familial et même sur l’individu. Le tout prime la partie dans l’ordre de la constitution comme dans celui de la finalité (du moins si nous entendons par partie, la fraction matérielle, et non les espèces qui composent une classe). Détruisez le corps humain, il ne restera ni pied, ni main, si ce n’est de façon imagée, comme on peut parler d’une main sculptée dans la pierre. Car ce genre de partie est détruite avec la destruction du tout. Or ce qui est désagrégé perd son identité et avec elle l’imposition de son nom, qui ne peut plus lui être attribué qu’au mode figuré. Une partie se définit par son opération et par ses aptitudes. Le pied est l’organe permettant de marcher et s’il venait à perdre cette faculté, on ne l’appellerait pied que métaphoriquement. Il en est ainsi de toute partie matérielle dont la définition requiert celle du tout (comme la formule du demi-cercle demande celle du cercle puisqu’il en est la moitié) contrairement à la partie spécifique posée dans la définition d’un ensemble, comme le concept de ligne inclus dans celui de triangle.

[79104] Sententia Politic., lib. 1 l. 1 n. 31 Sic igitur patet, quod totum est prius naturaliter quam partes materiae, quamvis partes sint priores ordine generationis. Sed singuli homines comparantur ad totam civitatem, sicut partes hominis ad hominem. Quia sicut manus aut pes non potest esse sine homine, ita nec unus homo est per se sufficiens ad vivendum separatus a civitate. Si autem contingat, quod aliquis non possit communicare societate civitatis propter suam pravitatem, est peior quam homo, et quasi bestia. Si vero nullo indigeat, et (sit) quasi habens per se sufficientiam, et propter hoc non sit pars civitatis, est melior quam homo. Est enim quasi quidam Deus. Relinquitur ergo ex praemissis, quod civitas est prius secundum naturam quam unus homo.

39. Ainsi donc il devient évident que le tout est antérieur par nature aux parties matérielles, bien que les parties soient antérieures dans l'ordre de la génération. Mais les hommes pris individuellement se comparent à ce tout qui est la cité comme les parties de l'homme se comparent à l'homme. Car tout comme la main ou le pied ne peuvent exister sans l'homme, de même un homme ne peut se suffire à lui-même en vivant séparément de la cité.

 Mais s'il arrivait que quelqu'un ne puisse communiquer dans la société de la cité en raison de sa dépravation, il est pire qu'un homme et comparable à une brute. Mais si en réalité il ne manque de rien et se suffit à lui-même et que pour cette raison il ne fait pas partie d'une cité, il est alors meilleur qu'un homme et comparable en effet à un dieu.

 Il s'ensuit donc à partir de ce qui précède que la cité est antérieure par nature à chaque individu humain.

On voit donc clairement que le tout prime constitutivement ses parties matérielles, quand bien même la naissance de ces dernières devrait précéder la sienne. C’est pourquoi l’individu est à la cité comme l’organe à l’organisme : séparé d’elle, il ne peut pas plus parvenir à vivre que le pied détaché du corps humain. Si se trouve quelqu’un d’étranger à la vie sociale à cause de sa déchéance, il sera infra-humain, et comme une bête. Si au contraire c’est par autosuffisance et parce qu’il ne manque de rien, il dépassera l’homme, et sera presque comme un dieu. Reste donc que la société est de sa nature antérieure à l’individu.

[79105] Sententia Politic., lib. 1 l. 1 n. 32 Deinde cum dicit natura igitur quidem etc., agit de institutione civitatis; concludens ex praemissis, quod in omnibus hominibus inest quidam naturalis impetus ad communitatem civitatis sicut et ad virtutes. Sed tamen, sicut virtutes acquiruntur per exercitium humanum, ut dicitur in secundo Ethicorum, ita civitates sunt institutae humana industria. Ille autem qui primo instituit civitatem, fuit causa hominibus maximorum bonorum.

40. Ensuite lorsqu'il dit [22]: ¨La nature est donc etc.¨.

 Il traite de la formation de la cité en concluant à partir de ce qui a été dit qu'il existe dans tous les hommes un élan naturel qui les pousse vers la communauté de la cité comme vers les vertus. Cependant, tout comme les vertus sont acquises par l'exercice comme on le dit au deuxième livre des Éthiques, de même c'est par le labeur humain que les cités sont formées. Cependant, celui qui le premier institua une cité fut cause des plus grands biens pour les hommes.

En tout homme il y a comme un élan naturel à la vie sociale, comparable au goût pour la vertu. Mais de même que celle-ci est le fruit de la pratique, de même la société civile est le résultat de l’industrie humaine. Le premier personnage à avoir institué une cité fut un très grand bienfaiteur de l’humanité.

[79106] Sententia Politic., lib. 1 l. 1 n. 33 Homo enim est optimum animalium si perficiatur in eo virtus, ad quam habet inclinationem naturalem. Sed si sit sine lege et iustitia, homo est pessimum omnium animalium. Quod sic probat. Quia iniustitia tanto est saevior, quanto plura habet arma, idest adiumenta ad male faciendum. Homini autem secundum suam naturam convenit prudentia et virtus quae de se sunt ordinata ad bonum: sed quando homo est malus, utitur eis quasi quibusdam armis ad male faciendum: sicut cum per astutiam excogitat diversas fraudes, et per abstinentiam potens fit ad tolerandum famem et sitim, ut magis in malitia perseveret, et similiter de aliis; et inde est, quod homo sine virtute quantum ad corruptionem irascibilis est maxime scelestus et silvestris, utpote crudelis et sine affectione. Et quantum ad corruptionem concupiscibilis est pessimus quantum ad venerea, et quantum ad voracitatem ciborum. Sed homo reducitur ad iustitiam per ordinem civilem: quod patet ex hoc, quod eodem nomine apud Graecos nominatur ordo civilis communitatis, et iudicium iustitiae, scilicet diki. Unde manifestum est, quod ille qui civitatem instituit, abstulit hominibus quod essent pessimi, et reduxit eos ad hoc quod essent optimi secundum iustitiam et virtutes.

41. L'homme en effet est le meilleur des animaux si les vertus, pour lesquelles il possède une inclination naturelle, trouvent en lui leur achèvement. Mais s'il existe en dehors de la loi et de la justice, il est le pire de tous les animaux. Et c'est ce qu'il prouve de la manière qui suit. Car l'injustice est d'autant plus insupportable (6) qu'elle possède des armes, c'est-à-dire des instruments pour faire le mal.

 Mais la prudence et la vertu, qui sont d'elles-mêmes ordonnées au bien, conviennent à l'homme par nature; mais quand l'homme est mauvais, il s'en sert comme de certaines armes pour faire le mal: comme par exemple au moyen de la ruse il médite différentes tromperies et par l'abstinence il devient capable de tolérer la faim et la soif pour persévérer davantage dans sa malice, etc. D'où il suit que l'homme sans vertu, quant à la corruption de l'irascible est l'être le plus criminel et le plus sauvage, c'est-à-dire le plus cruel et le plus insensible; et quant à la corruption du concupiscible il est le pire à l'égard des plaisirs de l'amour et de l'appétit démesuré de nourritures.

 Mais c'est au moyen de l'ordre qu'on retrouve dans la société civile que l'homme est ramené à la justice: cela devient évident du fait que c'est par le même nom chez les Grecs qu'on désigne l'ordre de la communauté civile et le jugement de justice, c'est-à-dire la sentence. De là, il est évident que celui qui institua la cité empêcha les hommes d'être les pires des êtres et les amena à être les meilleurs conformément à la justice et aux vertus.

L’homme est le plus parfait des animaux lorsque sont épanouies en lui les vertus pour lesquelles il a un penchant naturel. Mais sans loi ni justice, il est le pire des fauves, car l’atrocité de l’iniquité augmente avec le concours d’auxiliaires dans ses méfaits. La sagesse et les vertus orientées d’elles-mêmes au bien conviennent par nature à l’homme. Mais l’individu dévoyé les utilise comme armes pour le mal, en concevant d’habiles stratagèmes pour frauder, ou en sachant résister à la faim et la soif pour accomplir ses forfaits. Ainsi, la personne pervertie dans son agressivité est particulièrement malfaisante, rustre, cruelle et indifférente, et celle dont la convoitise est déréglée, est totalement adonnée au sexe et à a ripaille. Mais la justice est rendue à l’homme grâce à l’ordre civil. Notons pour signe de cela, qu’en grec, on donne le même nom à l’ordre de la communauté civile et à la sentence de tribunal : Les fondateurs de cités commencent donc par exclure les pires sujets, et conduisent les autres au bonheur, par la justice et la vertu.

 

 

 

Lectio 2

LEÇON 2 (nn. 42-55; [23-29]) ─ Des trois genres de familles: dont la première est composée du maître et de l'esclave, la deuxième de l'homme et de la femme et la troisième du père et des hommes libres.

Leçon 2

[79107] Sententia Politic., lib. 1 l. 2 n. 1 Quoniam autem manifestum ex quibus partibus et cetera. Posito prooemio in quo ostendit conditionem civitatis et partium eius, hic accedit ad tradendum scientiam politicam. Et primo secundum praeassignatum modum determinat ea quae pertinent ad primas partes civitatis. Secundo determinat ea quae pertinent ad ipsam civitatem, in secundo libro, qui incipit ibi, quia considerare volumus de communione et cetera. Circa primum duo facit. Primo dicit de quo est intentio. Secundo exequitur propositum, ibi, hiis quidem enim et cetera. Circa primum duo facit. Primo dicit de quibus determinare intendit. Secundo quo ordine, ibi, primum autem de despota et cetera. Circa primum duo facit. Primo dicit quod est determinandum de his quae pertinent ad domum. Secundo enumerat ea quae ad domum pertinent, ibi, domus autem partes et cetera.

42. Ayant présenté son proème dans lequel il manifeste la nature de la cité ainsi que ses parties, le Philosophe aborde ici l'enseignement de la science politique. Et d'abord, conformément au mode qu'il vient de présenter, il détermine ce qui se rapporte aux premières parties de la cité [23]. Deuxièmement il détermine ce qui se rapporte à la cité elle-même, dans le deuxième livre qui commence ainsi [115]: ¨ Parce que nous avons voulu considérer etc.¨.

 Au sujet du premier point il fait deux choses. D'abord il dit quel est son propos [23]. Deuxièmement il poursuit son propos là [27] où il dit: ¨ De ces choses assurément etc.¨.

 Au sujet de ce premier point il fait deux choses. D'abord il dit ce qu'il cherche à déterminer [23]. Deuxièmement il dit dans quel ordre il veut le faire, là [26] où il dit: ¨ Et en premier du maître et de l'esclave etc.¨.

 Et au sujet du premier point il fait deux choses. Il dit en premier lieu qu'on doit déterminer ce qui se rapporte à la famille [23]. Deuxièmement il énumère ce qui se rapporte à la famille, là [24] où il dit: ¨Mais une famille complète etc.¨.

 

[79108] Sententia Politic., lib. 1 l. 2 n. 2 Dicit ergo primo, quod manifestum est per praemissa, ex quibus partibus civitas constat: et (quia) oportet ad cognoscendum totum praecognoscere partes, ut supra habitum est. Necesse est ut primum dicamus de oeconomia quae est dispensativa vel gubernativa domus, quia omnis civitas componitur ex domibus sicut ex partibus.

43. Il dit donc en premier qu'il est évident, au moyen de ce qui précède, de quelles parties la cité est constituée: et qu'il faut connaître les parties pour connaître un tout, ainsi que nous l'avons établi plus haut. Il est donc nécessaire que nous parlions en premier de l'économie qui est la gestion ou l'administration de la famille, car toute cité est composée de familles comme de ses parties.

 

[79109] Sententia Politic., lib. 1 l. 2 n. 3 Deinde cum dicit domus autem partes etc., enumerat ea quae pertinent ad domum. Et primo ea quae pertinent ad ipsam sicut partes. Secundo ea quae pertinent sicut necessaria partibus, ibi, est autem quaedam pars et cetera. Dicit ergo primo quod partes domus sunt ex quibus domus constituitur. Omnis autem domus, idest domestica familia, si sit perfecta, constat ex servis et liberis. Dicit autem, perfecta, quia in domo pauperis est bos pro ministro, ut supra dictum est. Et quia unumquodque quod in multis considerari potest, primo quaerendum est in paucioribus et simplicioribus, ut facilior sit doctrina; ideo dicendum est, quod primae et minimae partes domus sunt hae tres combinationes: scilicet domini et servi, mariti et uxoris, patris et filii: quae quidem tertia ex secunda oritur, et ideo supra eam praetermisit. Et ideo de istis tribus est considerandum quid unumquodque sit.

44. Ensuite lorsqu'il dit [24]: ¨Mais la famille etc.¨.

 Il énumère ce qui appartient à la famille. Et d'abord les choses qui lui appartiennent en tant que parties [24]. Deuxièmement les choses qui lui appartiennent en tant que nécessaires à ses parties, là [25] où il dit: ¨ Mais il y a une partie etc.¨.

 Il dit donc en premier [24] que les parties de la famille sont celles à partir desquelles la famille est constituée. Mais toute maison, à savoir toute famille domestique, si elle est complète, est constituée d'esclaves et d'hommes libres. Mais il dit complète car dans la famille du pauvre, le boeuf tient lieu d'esclave, ainsi que nous l'avons dit.

 Et parce que toute chose peut être considérée sous plusieurs aspects, il faut d'abord pousser notre recherche dans des éléments peu nombreux et plus simples afin que l'enseignement soit plus facile; c'est pourquoi il faut dire que les parties premières et les plus simples de la famille sont ces trois formes de relations, à savoir celle du maître et de l'esclave, celle de l'époux et de l'épouse et enfin celle du père et de ses enfants; et cette dernière vient de la seconde et c'est pourquoi il la fait passer après elle. Et c'est pourquoi il faut considérer la nature de chacune ces trois parties.

 

[79110] Sententia Politic., lib. 1 l. 2 n. 4 Et consequenter ponit nomina harum combinationum; et dicit, quod combinatio domini et servi vocatur despotica, idest dominativa. Combinatio autem viri et feminae non erat nominata suo tempore, sed ipse nominat eam nuptialem, quam nos matrimonium vocamus. Similiter et tertia combinatio patris et filii non habebat proprium nomen, sed ipse vocat eam teknofactivam, id est factivam filiorum.

45. Et par la suite il présente les noms correspondant à chacune de ces relations; et il dit que la communauté du maître et de l'esclave se nomme despotique, c'est-à-dire souveraine. Le rapport de l'homme à la femme n'avait pas de dénomination propre à l'époque d'Aristote, mais elle s'appelle conjugale ou, ainsi que nous le disons, matrimoniale. De même la troisième relation n'avait pas non plus de nom spécial à l'époque, mais on l'appelle paternelle.

 

[79111] Sententia Politic., lib. 1 l. 2 n. 5 Deinde cum dicit est autem quaedam pars etc., ponit quartum quod pertinet ad necessaria domus: et dicit, quod est quaedam alia pars yconomicae quae vocatur crimatistica id est pecunialis, quae quibusdam videtur esse tota oeconomia, quibusdam vero maxima pars eius eo quod dispensatio domus maxime consistit in acquisitione et conservatione pecuniae. Et de hac etiam parte considerandum est quomodo se habeat.

46. Ensuite lorsqu'il dit [25]: ¨Mais il existe etc.¨.

 Il présente une quatrième partie qui est nécessaire à l'existence de la famille: et il dit qu'il existe une autre partie de l'économie ou de l’administration domestique qui s'appelle pécuniaire et qui par certains était considérée comme la totalité de l'économie, par d'autres comme sa partie la plus importante, du fait que l'administration de la famille consiste au plus haut point en l'acquisition et la conservation de l'argent. Et au sujet de cette partie aussi il faudra voir ce qu'il en est.

 

[79112] Sententia Politic., lib. 1 l. 2 n. 6 Deinde cum dicit primum autem de despota etc., dicit quo ordine de his sit agendum. Et dicit quod primo dicendum est de domino et servo: et haec consideratio ad duo erit utilis. Primo quidem ut possimus cognoscere ea quae sunt opportuna in talibus; scilicet ad exercendum dominium in servos. Secundo valet ad scientiam, ut per hoc possimus accipere aliquid melius his quae antiqui sunt opinati de dominio et servitute.

47. Ensuite lorsqu'il dit [26]: ¨Mais d'abord etc.¨.

 Il dit dans quel ordre il faut traiter de ces choses. Et il dit qu'il faut d'abord traiter de la relation du maître et de l'esclave: et cette considération sera utile à deux choses. Et en premier lieu à connaître ce qui est opportun dans ce domaine, à savoir dans l'exercice du pouvoir du maître sur les esclaves; deuxièmement à établir un savoir scientifique au moyen duquel nous puissions acquérir des connaissances supérieures aux opinions des anciens portant sur le pouvoir du maître et l'esclavage.

 

[79113] Sententia Politic., lib. 1 l. 2 n. 7 Deinde cum dicit hiis quidem enim videtur etc., determinat ea quae proposuit: et dividitur in partes duas. In prima determinat de combinatione domini et servi. In secunda de aliis duabus combinationibus, ibi, quoniam autem tres partes yconomicae, et cetera. Prima dividitur in duas. In prima determinat de combinatione domini et servi. Et quia servus est quaedam possessio, ideo in secunda parte determinat de alia parte oeconomiae, quae est pecuniativa vel possessiva, ibi, totaliter autem de omni possessione et cetera. Circa primum duo facit. Primo narrat opiniones quorumdam de dominio et servitute. Secundo determinat veritatem de eis, ibi, quoniam igitur possessio et cetera.

48. Ensuite lorsqu'il dit [27]: ¨ À eux, certes etc.¨.

 Il détermine de ce qu'il vient de présenter: et il le fait en deux parties. Dans la première il précise la relation du maître et de l'esclave [27]. Dans la deuxième il précise les deux autres relations, là [101] où il dit: ¨Mais bien que les trois parties de l'administration de la famille, etc.¨.

 La première partie se divise en deux. Dans la première il détermine de la relation du maître et de l'esclave [27]. Et parce que l'esclave est une certaine forme de propriété, c'est pour cela que dans la deuxième partie il détermine d'une autre partie de l'administration familiale, à savoir de l'acquisition et de la possession de l'argent et des biens, là [61] où il dit: ¨ Mais au sujet de toute possession etc.¨.

 Au sujet du premier point il fait deux choses. D'abord il rapporte les opinions de certains sur le pouvoir du maître et sur l'esclavage [27]. Deuxièmement il manifeste la vérité à ce sujet, là [28] où il dit: ¨ Donc puisque la propriété etc.¨.

 

[79114] Sententia Politic., lib. 1 l. 2 n. 8 Circa primum ponit duas opiniones: quarum una est, quod despotia, idest dominativa, est quaedam scientia, qua aliquis scit dominari servis; et quod est idem cum oeconomia qua aliquis scit gubernare domum, et cum politica et regnativa, qua aliquis scit gubernare civitatem, sicut in prooemio dictum est. Alia opinio est, quod habere servum sit praeter naturam, et quod sola lege sit ordinatum quod quidam sunt servi et quidam liberi, et quod nulla differentia sit inter eos secundum naturam. Unde ulterius inducunt quod est iniustum esse aliquos servos. Ex quadam enim violentia provenit quod quidam alios sibi subiecerunt in servos.

49. Au sujet du premier point, il présente deux opinions: dont la première [27] prétend que l’autorité despotique, à savoir celle du maître, est une science grâce à laquelle le maître sait comment commander à l'esclave et que cette autorité est identique à la fois à celle de l’économique par laquelle on sait comment administrer la famille, et aussi à celle du politique et à celle du roi grâce à laquelle un homme sait comment gouverner la cité, ainsi qu'on l'a vu dans le proème.

 La deuxième opinion prétend que la possession d'esclaves est contre nature et que c'est seulement par la loi qu'il est ordonné que certains soient esclaves et que d'autres soient hommes libres et qu'il n'existe aucune différence de nature entre eux. C'est pourquoi ils infèrent plus loin qu'il est injuste qu'il existe des esclaves. En effet, c'est par violence que certains sont assujettis à d'autres en esclavage.

 

[79115] Sententia Politic., lib. 1 l. 2 n. 9 Deinde cum dicit quoniam igitur possessio etc., determinat veritatem de dominio et servitute. Et primo determinat rationem servitutis. Secundo inquirit de opinionibus praemissis, ibi, utrum autem est aliquis natura talis et cetera. Circa primum duo facit. Primo praemittit quaedam necessaria ad cognoscendum rationem servitutis. Secundo concludit ex praemissis definitionem servi, ibi, quae quidem igitur natura servi et cetera.

50. Ensuite lorsqu'il dit [28]: ¨ Donc, puisque etc.¨.

 Il détermine de la vérité au sujet du pouvoir du maître et de l'esclavage. Et d'abord il détermine de la nature de l'esclavage [28]. Deuxièmement il s'interroge sur les opinions précédentes là [30] où il dit: ¨ En vérité est-ce qu’il existe quelqu'un qui soit tel par nature etc.¨.

 Au sujet du premier point il fait deux choses. Il présente à l'avance certaines notions qui sont nécessaires à l'intelligence de la nature de l'esclavage [28]. Deuxièmement il infère, à partir de ce qui précède, la définition de l'esclave, là [29] où il dit: ¨ Donc quelle est cette nature etc.¨.

 

 

 

 

[79116] Sententia Politic., lib. 1 l. 2 n. 10 Circa primum quatuor ponit: quorum primum est, quod possessio sit quaedam pars domus, et quod ars possessiva sit quaedam pars oeconomiae. Et hoc ideo, quia impossibile est vivere in domo sine necessariis ad vitam, quae per possessiones habentur: et hoc probat per similitudinem in artibus. Videmus enim quod unicuique arti necessarium est habere convenientia instrumenta, si debeat perficere opus suum; sicut fabro necesse est habere martellum, si debeat facere cultellum. Et hoc modo gubernatori domus necesse est habere res possessas ad proprium opus sicut quaedam instrumenta.

51. Au sujet du premier point il fait quatre choses: dont la première [28] est la suivante, à savoir que la propriété fait partie de la famille, et que l'art qui sert à acquérir la propriété fait partie d'une certaine manière de l’art de l’économie, c’est-à-dire de cet art qui est l’administration domestique. Et il en est ainsi car il est impossible de vivre en communauté familiale sans posséder les choses qui sont nécessaires à la vie, lesquelles sont acquises au moyen des biens de propriété: et il prouve cela au moyen d'une similitude tirée du domaine des arts. Nous voyons en effet que dans tout art il est nécessaire de posséder des instruments appropriés si l'on veut parvenir à réaliser l'oeuvre projetée; par exemple, le ciseleur a besoin de posséder un marteau pour fabriquer un couteau. Et de la même manière il est nécessaire à l’économique ou à celui qui administre la famille de posséder des biens de propriété à titre d'instruments pour réaliser son oeuvre propre.

 

[79117] Sententia Politic., lib. 1 l. 2 n. 11 Secundo ibi, organorum autem quidem et cetera. Ponit unam divisionem instrumentorum; dicens, quod instrumentorum quaedam sunt animata, quaedam inanimata. Sicut gubernatoris inanimatum instrumentum est gubernaculum, instrumentum autem eius animatum est prorarius, idest ille qui custodit anteriorem partem navis, quae vocatur prora, et obedit gubernatori. Minister enim in artibus habet rationem instrumenti; quia sicut instrumentum movetur ab artifice, ita etiam minister movetur ad imperium praecipientis. Et sicut est in operibus artis duplex instrumentum, ita etiam in domo est instrumentum inanimatum ipsa res possessa, puta, lectus vel vestis, quae est instrumentum quoddam deserviens vitae humanae. Et multitudo talium instrumentorum est tota possessio domus. Cum autem servus sit quaedam res possessa animata, sequitur quod sit organum animatum deserviens vitae domesticae. Est autem huiusmodi organum animatum, quod est minister in artibus; et servus in domo instrumentum super alia instrumenta quia scilicet ipse utitur aliis instrumentis, et movet ea; et ad hoc indigemus ministris et servis. Principales enim artifices, qui architectores dicuntur, non indigerent ministris, neque domini domorum indigerent servis, si unumquodque instrumentum inanimatum posset ad imperium domini, agnoscens ipsum, perficere opus suum; puta, quod pectines per se pectinarent, et plectra per se cytharizarent, sicut dicitur de statua quam fecit Daedalus, quod per ingenium argenti vivi, movebat seipsam. Et similiter quidam poeta dicit, quod in quodam templo Vulcani, qui dicebatur Deus ignis, tripodes quidam erant sic praeparati, quod per artificium humanum, vel per artem nigromanticam, quod per seipsos, quasi spontanei videbantur subinduere divinum agonem quasi concertando ad serviendum in ministerio templi.

52. Deuxièmement, là [281] où il dit: ¨Mais des instruments etc.¨. Il présente une division des instruments en disant que parmi les instruments, certains sont animés, certains sont inanimés. Ainsi, l'instrument inanimé du pilote du navire est le gouvernail alors que son instrument animé est la vigie, c'est-à-dire celui qui surveille la partie antérieure du navire qu'on appelle la proue, et qui obéit au pilote. Dans les arts en effet l'assistant tient lieu d'instrument; car tout comme l'instrument est mû par l'artisan, de même aussi l'assistant est mû au commandement de celui qui possède l'autorité.

 Et tout comme il existe dans les oeuvres de l'art deux sortes d'instruments, de même dans la vie domestique il existe un instrument inanimé qui est le bien de propriété lui-même, par exemple le lit ou le vêtement qui sont certains instruments au service de la vie humaine. Et l'ensemble des instruments de cette sorte constitue la propriété domestique. Mais comme l'esclave est un certain bien animé, il s'ensuit qu'il est un instrument animé au service de la vie familiale. Mais il est un instrument animé à la manière de l'assistant dans les arts; et l'esclave est un instrument dans la famille car lui-même se sert des autres instruments et les meut; et c'est pour cela que nous avons besoin d'assistants ou de subordonnés et d'esclaves.

 En effet les arts qui sont premiers et qu'on appelle architectoniques n'auraient pas besoin d'assistants et les maîtres de maison n'auraient pas besoin d'esclaves si tout instrument inanimé pouvait, au seul commandement du maître, du seul fait de le connaître, accomplir de lui-même son oeuvre; comme si, par exemple, la navette pouvait d'elle-même tisser et les plectres pouvaient d'eux-mêmes jouer de la cithare, et comme si, ainsi qu'on le dit de la statue que fit Dédale, cette statue arrivait à se mouvoir d'elle-même par la vertu du vif argent. Et de la même manière un certain poète affirme que dans un temple consacré à Vulcain, qui était le dieu du feu, il y avait certains trépieds qui avaient été préparés de telle manière par le seul savoir-faire humain, ou par l'art de la nécromancie, qu'on les voyait d'eux-mêmes et comme spontanément entrer dans l'assemblée des dieux et se disputer le service de l'entretien du temple.

 

[79118] Sententia Politic., lib. 1 l. 2 n. 12 Tertio ibi, quae quidem dicuntur organa etc. ponit secundam divisionem organorum. Organa enim artium dicuntur organa factiva; sed res possessa, quae est organum domus, est organum activum. Et hanc divisionem probat duplici ratione. Primo quidem, quia organa factiva dicuntur, ex quibus fit aliquid praeter ipsum usum instrumenti. Et hoc videmus in ipsis instrumentis artis; sicut ex pectine, quo utuntur textores, fit aliquid alterum praeter usum ipsius, scilicet pannus. Sed ex rebus possessis, quae sunt instrumenta domus, non fit aliquid aliud praeter usum ipsius; sicut ex vestitu et lecto, non fit nisi usus eorum. Ergo ista non sunt factiva sicut organa artium. Secundam rationem ponit ibi, adhuc quoniam differunt etc., quae talis est. Diversorum diversa sunt instrumenta. Sed actio et factio differunt specie: nam factio est operatio, per quam aliquid fit in exteriori materia, sicut secare et urere: actio autem est operatio permanens in operante, et pertinens ad vitam ipsius, ut dicitur nono metaphysicae. Ambae autem hae operationes indigent instrumentis. Ergo instrumenta eorum differunt specie. Sed vita, idest conversatio domestica, non est factio sed actio: ergo servus est minister et organum eorum quae pertinent ad actionem, non autem eorum quae pertinent ad factionem.

53. Troisièmement, là [282] où il dit: ¨ Donc ce qu'on appelle instruments etc.¨, il présente la deuxième division des instruments. En effet les instruments des arts s'appellent instruments de fabrication alors que l'objet de propriété, qui est l'instrument de la famille, est un instrument d'action. Et il prouve la justesse de cette division par deux raisons.

 Et en premier lieu pour cette raison qu'on appelle instruments de production ceux à partir desquels quelque chose est produit en dehors de l'usage même qu'on en fait. C'est ce que nous observons dans les instruments mêmes de l'art, par exemple à partir du métier à tisser, dont se servent les tisserands, où quelque chose d'autre est produit en dehors de son usage, à savoir le vêtement. Mais à partir des biens de propriété, qui sont des instruments domestiques, rien d'autre n'est produit en dehors de leur usage, comme à partir du vêtement et du lit on ne peut tirer que leur seul usage. Ce ne sont donc pas des instruments de production comme le sont les instruments des arts.

 Il présente la deuxième raison là [283] où il dit: ¨De plus, comme ils diffèrent selon l'espèce, etc.¨. Et cette deuxième raison se présente ainsi: les instruments qui correspondent à des activités qui diffèrent sont eux-mêmes différents. Mais l'action et la production diffèrent selon l'espèce: car la fabrication est une opération au moyen de laquelle une chose est produite dans une matière extérieure, comme couper et brûler; mais l'action est une opération qui demeure dans l'agent et qui se rapporte à sa vie, ainsi qu'il est dit au neuvième livre des Métaphysiques. Mais ces deux sortes d'opérations ont besoin d'instruments. Donc, les instruments qui leur correspondent diffèrent eux aussi selon l'espèce. Mais la vie, c'est-à-dire la relation familiale, n'est pas une production: l'esclave est donc le serviteur et l'instrument de ce qui se rapporte à l'action, non de ce qui se rapporte à la fabrication.

 

[79119] Sententia Politic., lib. 1 l. 2 n. 13 Quarto, ibi, res possessa autem etc. ostendit qualiter servus se habet ad dominum: et dicit quod eadem est comparatio rei possessae ad possessorem et partis ad totum, quantum ad hoc quod pars non dicitur solum pars totius, sed etiam dicitur simpliciter esse totius, sicut dicimus manum hominis et non solum dicimus quod sit pars hominis: et similiter res possessa, puta vestis, non solum dicitur quod sit possessio hominis, sed quod simpliciter est huius hominis. Unde cum servus sit quaedam possessio, servus non solum est servus domini, sed est simpliciter illius. Ille autem qui est dominus non est simpliciter servi, sed solum est dominus eius.

54. Quatrièmement, là [284] où il dit: ¨Mais ce qui est possédé etc.¨, il montre de quelle nature est la relation entre l'esclave et le maître: et il dit que le rapport entre la chose possédée et son possesseur est le même que celui qui existe entre une partie et son tout, quant à cela qu'on ne dit pas seulement d'une partie qu'elle est la partie du tout, mais encore qu'elle lui appartient purement et simplement, tout comme nous disons de la main qu'elle est la main de l'homme et non seulement une partie de l'homme: et il en est de même pour le bien de propriété, par exemple du vêtement, au sujet duquel nous disons non seulement qu'il est le vêtement de l'homme mais encore qu'il lui appartient complètement. D'où il suit que puisque l'esclave est un certain bien de propriété, l'esclave n'est pas seulement l'esclave du maître, mais il lui appartient purement et simplement. Ce dernier cependant n'appartient pas à l'esclave, mais il est seulement son maître.

 

[79120] Sententia Politic., lib. 1 l. 2 n. 14 Deinde cum dicit quae quidem igitur natura etc., concludit ex praemissis definitionem servi: et dicit quod manifestum est ex praedictis quae sit natura, id est servi et quae sit virtus eius quod est officium ipsius: nam virtus ad actionem refertur, officium autem est congruus actus alicuius. Cum enim servus sit hoc ipsum quod est, alterius, ut dictum est, quicumque homo non est naturaliter suiipsius, sed alterius, ipse est naturaliter servus. Ille autem homo non est naturaliter suiipsius, sed alterius, qui non potest regi nisi ab alio. Hoc autem convertitur, scilicet quod quicumque est res possessa vel servus alterius est homo alterius. De ratione autem rei possessae est quod sit organum activum et separatum. Unde potest talis definitio servi concludi: servus est organum animatum activum separatum alterius homo existens. In qua quidem definitione, organum ponitur tamquam genus, et adduntur quinque differentiae. Per hoc enim quod dicitur animatum, distinguitur ab instrumentis inanimatis: per hoc autem quod dicitur activum distinguitur a ministro artificis, qui est organum animatum factivum: per hoc autem quod dicitur alterius existens, distinguitur a libero, qui quandoque ministrat in domo, non sicut res possessa, sed sponte vel mercede conductus. Per hoc autem quod dicitur separatum, distinguitur a parte quae est alterius non separata; sicut manus. Per hoc quod dicitur homo existens, distinguitur a brutis animalibus, quae sunt res possessae separatae.

55. Ensuite lorsqu'il dit [29]: ¨ Quelle est certes etc.¨.

 Il infère de ce qui précède la définition de l'esclave: et il dit que devient évidente, à partir de ce qui a été dit, la nature de l'esclave et la puissance qui se rapporte à sa fonction: car toute puissance se rapporte à une action et une fonction est un acte qui convient à quelqu'un. En effet, puisque l'esclave est un être qui appartient à un autre, ainsi que nous l'avons dit, tout homme qui par nature ne s'appartient pas mais appartient à un autre est naturellement un esclave; mais celui qui ne peut être dirigé que par un autre, celui-là est un homme qui ne s'appartient pas par nature mais appartient à un autre. Mais cela se convertit, c'est-à-dire que tout homme qui est un bien de propriété ou l'esclave d'un autre appartient à cet autre. Mais il est dans la nature même du bien de propriété d'être à la fois un instrument d'action et un instrument séparé. D'où nous pouvons inférer cette définition de l'esclave: l'esclave est un homme existant pour un autre à titre d'instrument d'action et séparé.

 Dans cette définition certes le mot instrument est présenté en tant que genre, auquel sont ajoutées cinq différences. En ajoutant animé, il le distingue des instruments inanimés; en disant qu'il est un instrument d'action, il le distingue du service de l'artisan qui est un instrument animé de fabrication; en ajoutant qu'il existe pour un autre, il le distingue de l'homme libre qui lorsqu'il est au service de la famille, ne le fait pas comme un bien de propriété, mais de lui-même ou mû par un profit; mais en disant qu'il est séparé, il le distingue de la partie qui appartient à un autre mais qui, comme la main, n'est pas séparée; enfin, en ajoutant que c'est un homme, il le distingue des brutes qui sont des biens de propriété séparés.

 

 

 

 

Lectio 3

LEÇON 3 ─ (nn. 56-74; [30-42]) ─ Qu'il convient par nature à certains d'obéir et à d'autres de commander.

Leçon 3

[79121] Sententia Politic., lib. 1 l. 3 n. 1 Utrum autem est (aliquis) natura talis et cetera. Postquam philosophus ostendit rationem et virtutem servi, hic procedit ad investigandum de opinionibus suprapositis. Et primo inquirit, utrum servitus sit naturalis. Secundo utrum dominativa sit idem quod politica, ibi, manifestum autem et ex his et cetera. Circa primum tria facit. Primo movet dubitationem. Secundo determinat eam approbando unam partem, ibi, non difficile autem et cetera. Tertio ostendit quomodo etiam alia pars dubitationis habet aliqualiter virtutem, ibi, quod autem et qui contraria dicunt et cetera.

56.              Après avoir manifesté la nature et la disposition de l'esclave, le Philosophe procède ici à l'examen des opinions présentées plus haut. Et d'abord il se demande si l'esclavage est naturel [30]. Deuxièmement si l'autorité du maître est de même nature que l'autorité politique, là [54] où il dit: ¨À partir de cela il apparaît que etc.¨.

 Au sujet du premier point il fait trois choses. D'abord il soulève une question [30]. Deuxièmement il en marque les limites en approuvant une de ses parties là [31] où il dit: ¨ Il n'est pas difficile etc.¨. Troisièmement il montre comment l'autre partie du doute possède une certaine force là [43] où il dit: ¨ Mais que ceux qui prétendent le contraire etc.¨

 

[79122] Sententia Politic., lib. 1 l. 3 n. 2 Dicit ergo primo, quod post praedicta considerandum est utrum aliquis sit naturaliter servus vel non: et iterum utrum alicui magis sit dignum et iustum quod serviat quam quod non serviat, an non, sed omnis servitus praeter naturam sit. Quod quidem remittit ad duas praemissas quaestiones. Si enim omnis servitus est praeter naturam, tunc nullus est naturaliter servus, et iterum non erit iustum neque dignum quod aliquis serviat: quod enim est praeter naturam non est dignum neque iustum.

57.              Il dit donc en premier lieu [30] que suite à ce qui précède, il faut considérer s'il existe des hommes qui soient naturellement esclaves; et de plus s'il est plus digne et juste pour quelqu'un d'obéir que de ne pas obéir ou si tout esclavage est contre nature. Et il ramène ces questions aux deux précédentes. Si en effet tout esclavage est contre nature, aucun être humain ne sera esclave par nature et par la suite il ne sera ni juste ni digne pour un homme d'obéir, car en effet ce qui est contre nature n'est ni digne ni juste.

 

[79123] Sententia Politic., lib. 1 l. 3 n. 3 Deinde cum dicit non difficile autem etc., determinat propositam quaestionem, ostendens duo: scilicet quod aliquis homo naturaliter est servus, et quod alicui dignum est et expediens servire. Et circa hoc duo facit. Primo enim proponit modum quo haec ostendenda sunt: dicens quod non est difficile quod aliquis contempletur praedictarum quaestionum veritatem et rationem, et quod etiam veritatem addiscat ex his quae in rebus accidunt. Secundo, ibi, principari enim et subici et cetera. Secundum duos praemissos modos ostendit propositum. Et primo ex his quae fiunt. Secundo ex ratione, ibi, quaecumque enim ex pluribus constituta sunt et cetera.

58.              Ensuite lorsqu'il dit [31]: ¨Il n'est pas difficile etc.¨.

 Il répond à la question soulevée, en montrant deux choses: à savoir que certains hommes sont par nature esclaves et qu'il est digne et dans leur intérêt d'obéir.

 Et à ce sujet il fait deux choses. D'abord en effet il propose le mode par lequel ces deux énoncés doivent être manifestés [31], en disant qu'il n'est pas difficile de découvrir la vérité au sujet des questions qui précèdent, à la fois à partir du raisonnement et des faits qu'on voit se produire sous nos yeux.

 Deuxièmement, là [31] où il dit: ¨ En effet, commander etc.¨, il manifeste son propos conformément aux deux modes qu'il vient de présenter. Et il le fait d'abord à partir des faits. Deuxièmement, il le fait au moyen du raisonnement là [32] où il dit: ¨ Car dans tous les ensembles etc.¨.

 

[79124] Sententia Politic., lib. 1 l. 3 n. 4 Circa primum quatuor proponit. Quorum primum est, quod principari et subiici non solum est de numero eorum quae ex necessitate vel violentia proveniunt, sed etiam est de numero eorum quae expediunt ad salutem hominum: et hoc pertinet ad secundam quaestionem. Quod enim expediens est alicui, videtur esse dignum et iustum ei. Secundum est quod in hominibus ex ipsa nativitate videmus quod est quaedam distinctio: ita quod quidam sunt apti ad hoc quod subiiciantur, quidam vero ad hoc quod principentur: et hoc pertinet ad primam quaestionem. Quod enim ex nativitate confestim inest alicui, videtur esse naturale. Tertium est quod sunt multae species eorum qui subiiciuntur et eorum qui principantur: aliter enim principatur vir feminae, aliter dominus servo, aliter rex regno. Et hoc etiam pertinet ad eamdem quaestionem: nam ea quae naturaliter insunt rebus, secundum eorum diversitatem diversificantur. Et quartum est quod semper est melior principatus qui est meliorum subiectorum: sicut melior est principatus quo quis principatur homini quam quo quis principatur bestiae: et hoc probat tali ratione. Omnis principatus et subiectio ad aliquod opus ordinatur, obedit enim qui subiicitur principanti in aliquo opere. Sed opus quod fit a melioribus est melius: ergo et principatus melior. Et hoc etiam quartum pertinet ad primam quaestionem: nam quae naturaliter insunt, tanto sunt meliora quanto sunt meliorum.

59.              Au sujet du premier point il propose quatre choses [311]. Et la première, selon laquelle obéir et commander ne font pas seulement partie des choses qui résultent de la nécessité et de la violence, mais qu'ils font aussi partie des choses qui sont dans l'intérêt de l'ensemble des humains, ce qui se rapporte à la deuxième question. En effet, ce qui est dans l'intérêt de quelqu'un est digne et juste pour lui.

 La deuxième pose que dès la naissance nous observons des différences telles chez les hommes que certains sont aptes à obéir et d'autres aptes à commander, ce qui se rapporte à la première question. En effet, ce qu'on retrouve dans un humain dès sa naissance est naturel.

 La troisième stipule qu'il existe de nombreuses sortes de choses qui sont faites les unes pour obéir, les autres pour commander: ce n'est pas de la même manière en effet que l'homme commande à sa femme, que le maître commande à l'esclave et que le roi commande à son sujet. Et cela se rapporte à la même question: car ce qui appartient naturellement aux choses se différencie conformément aux différences qui existent entre elles.

 La quatrième enfin dit que dans tous les cas le meilleur commandement est celui qui s'exerce sur les sujets les meilleurs: par exemple, ce commandement par lequel quelqu'un commande à l'homme est meilleur que celui par lequel quelqu'un commande à une bête; ce qu'il prouve par ce raisonnement. Partout où il y a commandement et obéissance, il y a une oeuvre commune; en effet celui qui obéit à celui qui commande se trouve à exécuter une oeuvre. Mais l'oeuvre exécutée par les meilleurs est meilleure; donc le commandement qui est au principe de cette exécution est meilleur. Et ce quatrième énoncé se rapporte aussi à la première question: car les choses qui existent naturellement sont d'autant meilleures qu'elles appartiennent aux meilleurs.

 

[79125] Sententia Politic., lib. 1 l. 3 n. 5 Deinde cum dicit quaecumque enim ex pluribus etc., ostendit propositum ex ratione. Et ponit rationem ad ostendendum quod aliqui sunt naturaliter servi quibus expedit servire. Secundo ostendit qui sint tales, ibi, quicumque quidem igitur et cetera. Circa primum ponit talem rationem. Quaecumque sunt ex pluribus constituta, in his est aliquid principans et aliquid subiectum naturaliter, et hoc expedit. Sed hominum multitudo est ex pluribus constituta: ergo naturale est et expediens quod unus principetur et alius subiiciatur. Huius autem rationis minor manifesta est ex praemissis: in quibus ostensum est quod homo est naturaliter animal politicum, et ita naturale est quod ex multis hominibus constituatur una multitudo.

60.              Ensuite lorsqu'il dit [32]: ¨Car dans tous les ensembles etc.¨.

 Il manifeste son propos à partir du raisonnement. Et en premier lieu il présente une raison pour montrer que ceux auxquels il est avantageux d'obéir [32] sont naturellement des esclaves. Deuxièmement il montre qu'ils sont tels là [38] où il dit: ¨ Donc, tous ceux etc.¨.

 Au sujet du premier point il présente ce raisonnement [32]. Dans toute réalité constituée à partir de plusieurs éléments de manière à former un ensemble, on retrouve des parties qui commandent par nature et d'autres qui obéissent par nature, dans l'intérêt des deux. Mais l'humanité est constituée d'une multitude d'hommes: donc, il est naturel et dans l'intérêt commun que certains commandent et que d'autres obéissent.

 Mais la mineure de ce raisonnement est évidente si nous partons de ce qui a été dit, où nous avons montré que l'homme est naturellement un animal social et qu'il est ainsi naturel qu'une foule soit constituée à partir de plusieurs hommes.

 

[79126] Sententia Politic., lib. 1 l. 3 n. 6 Unde, ea praetermissa, probat maiorem: et sic in hac ratione tria facit. Primo ponit maiorem. Secundo probat eam, ibi, et hoc ex omni natura et cetera. Tertio infert conclusionem, ibi, eodem autem modo et cetera. Dicit ergo primo, quod quaecumque sunt constituta ex pluribus ita quod ex eis fiat unum commune, sive illa plura sint coniuncta, sicut membra corporis coniunguntur ad constitutionem totius, sive sint divisa sicut ex multis militibus constituitur unus exercitus, in omnibus his invenitur esse principans et subiectum: et hoc est naturale et expediens, ut per singula patebit exempla.

61.              D'où il suit que, cette mineure devant être mise de côté, il prouve la majeure: et pour établir son raisonnement il fait trois choses. D'abord il présente la majeure [32]. Deuxièmement il la prouve là [33] où il dit: ¨ Et cela on le voit à partir de la nature de tous etc.¨. Troisièmement il en tire la conclusion là [37] où il dit: ¨ De la même manière etc.¨.

 Il dit donc en premier lieu [32] que tout ce qui est constitué de plusieurs parties de telle manière qu'à partir d'elles est formée une entité commune, qu'elles soient unies de manière continue comme les parties du corps pour constituer le corps ou qu'elles soient séparées comme les nombreux soldats qui constituent l'armée, en toutes ces choses on retrouve un principe qui commande et un autre qui est subordonné: et cela est à la fois naturel et utile, ainsi qu'on le verra au moyen de nombreux exemples.

 

[79127] Sententia Politic., lib. 1 l. 3 n. 7 Deinde cum dicit et hoc ex omni natura etc., probat propositum quadrupliciter. Primo quidem in rebus inanimatis. Secundo in partibus hominis, ibi, animal autem primum constat et cetera. Tertio in genere animalium, ibi, iterum in homine et cetera. Quarto in differentia sexuum, ibi, adhuc autem masculinum et cetera. Dicit ergo primo, quod veritas praemissae propositionis invenitur in rebus animatis: non quasi sit eis proprium, sed ex eo quod est commune toti naturae: quia etiam in his quae non participant vita, est aliquis principatus, puta harmoniae. Quod potest intelligi dupliciter. Uno modo de harmonia sonorum; quia semper in vocibus quae consonant aliqua vox praedominatur, secundum quam tota harmonia diiudicatur. Potest etiam intelligi de harmonia elementorum in corpore mixto, in quo semper unum elementorum est praedominans. Sed huiusmodi pertransit, quia sunt extrinseca ab hac consideratione.

62.              Ensuite lorsqu'il dit [33]: ¨Et cela etc.¨.

 Il prouve son propos de quatre manières. Il le montre certes dans les choses inanimées [33]. Deuxièmement il le manifeste au moyen des parties de l'être humain là [34] où il dit: ¨Mais d'abord l'animal etc.¨. Troisièmement il le découvre dans le genre animal là [35] où il dit: ¨ De plus dans l'homme etc.¨. Quatrièmement enfin il le montre dans la différence des sexes là [36] où il dit: ¨Mais le mâle est etc.¨.

 Il dit donc en premier lieu [33] que la vérité de la proposition précédente se découvre dans les choses inanimées, non pas d'une manière qui leur serait propre mais d'une manière qui est commune à toute la nature: car même dans ce qui ne participe pas de la vie, on retrouve un principe qui gouverne, à savoir l'harmonie. Et cela peut s'entendre de deux manières: dont la première se rapporte à l'harmonie des sons car dans les voix qui retentissent ensemble prédomine toujours une voix d'après laquelle on juge de toute l'harmonie; la deuxième peut s'entendre de l'harmonie des éléments présente dans les corps mixtes dans lesquels on retrouve toujours un élément prédominant. Mais le Philosophe passe rapidement sur ce point car il est assez étranger au propos considéré.

 

[79128] Sententia Politic., lib. 1 l. 3 n. 8 Deinde cum dicit animal autem primum etc., ostendit propositum in partibus hominis, et dicit quod prima compositio animalis est ex anima et corpore. Quae quidem compositio dicitur prima, non secundum ordinem generationis, sed secundum principalitatem, quia est ex partibus principalissimis: harum autem partium una est naturaliter principans, scilicet anima; alia vero subiecta, scilicet corpus. Posset autem aliquis dicere quod hoc non est naturale, cum non inveniatur in omnibus; et ideo ad hoc excludendum subdit quod ad iudicandum quid sit naturale, oportet considerare ea quae se habent secundum naturam, non autem ea quae sunt corrupta, quia huiusmodi deficiunt a natura. Et ideo ad iudicandum quae pars in homine naturaliter principetur, oportet considerare aliquem hominem qui sit bene dispositus et secundum animam et secundum corpus in quo est manifestum quod anima corpori dominatur. Sed in hominibus pestilentibus et qui male se habent, multoties corpus principatur animae, quia praeferunt commodum corporis commodo animae; et hoc ideo, quia sunt male dispositi et praeter naturam.

63.              Ensuite lorsqu'il dit [34]: ¨Mais l'animal etc.¨

 Il manifeste son propos dans les parties de l'être humain, et il dit que la première composition que l'on retrouve chez l'être humain se tire de l'âme et du corps et on dit que cette composition est première non pas d'après l'ordre de la génération mais selon un ordre de primauté car elle se tire des parties qui sont les plus importantes: l'une de ces parties en effet est celle qui commande par nature, à savoir l'âme; l'autre, à savoir le corps, lui est soumise.

 Mais quelqu'un pourrait dire que l'âme ne commande pas par nature puisqu'on ne retrouve pas cela chez tous les hommes; et c'est pourquoi, pour écarter cette objection, il ajoute que pour juger de ce qui est naturel, il importe de considérer les choses qui se comportent conformément à la nature et non celles qui sont corrompues parce qu'elles se sont écartées de la nature. Et c'est pourquoi, pour juger quelle partie dans l'homme est naturellement faite pour commander, il faut considérer un homme qui soit bien disposé à la fois selon l'âme et selon le corps chez lequel il est manifeste que l'âme commande au corps. Mais chez les hommes qui sont malsains et qui se comportent mal, il arrive souvent que le corps commande à l'âme car ils préfèrent ce qui est agréable au corps à ce qui convient à l'âme; et il en est ainsi car ils sont mal disposés et contre nature.

 

[79129] Sententia Politic., lib. 1 l. 3 n. 9 Ostendit autem consequenter quod principatus qui est in partibus animalis, habet quamdam similitudinem exterioris principatus. Possumus enim in animali quod est homo, considerare duplicem principatum ad partes eius: scilicet despoticum quo dominus principatur servis, et politicum quo rector civitatis principatur liberis. Invenitur enim inter partes hominis quod anima dominatur corpori, sed hoc est despotico principatu in quo servus in nullo potest resistere domino, eo quod servus, id quod est simpliciter est domini, ut supra dictum est; et hoc videmus in membris corporis, scilicet manibus et pedibus, quod statim sine contradictione ad imperium animae applicantur ad opus. Invenimus etiam quod intellectus seu ratio dominatur appetitui, sed principatu politico et regali qui est ad liberos, unde possunt in aliquibus contradicere: et similiter appetitus aliquando non sequitur rationem. Et huius diversitatis ratio est, quia corpus non potest moveri nisi ab anima, et ideo totaliter subiicitur ei; sed appetitus potest moveri non solum a ratione, sed etiam a sensu; et ideo non totaliter subiicitur rationi. In utroque autem regimine manifestum est, quod subiectio est secundum naturam, et expediens. Est enim naturale et expediens corpori, quod regatur ab anima: et similiter est naturale et expediens parti passibili, idest appetitui qui subiicitur passionibus, ut regatur ab intellectu vel ratione: et utrobique esset nocivum, si id quod debet subiici se haberet ex aequo, vel e contrario ei quod debet principari: corpus enim corrumperetur nisi subiiceretur animae, et appetitus esset inordinatus nisi subiiceretur rationi.

64.              Et il montre par la suite que le commandement qui se trouve dans les parties de l'animal possède une certaine ressemblance avec le commandement extérieur. Nous pouvons en effet chez cet animal qui est l'homme considérer deux sortes de commandements à l'égard de ses membres: une autorité despotique par laquelle le maître commande à l'esclave et une autorité politique par laquelle l'homme d'état gouverne les hommes libres. On observe en effet que dans les parties de l'homme l'âme commande au corps et cela par une autorité despotique où l'esclave ne peut en aucune manière s'opposer au maître pour cette raison que l'esclave est une propriété du maître purement et simplement ainsi que nous l'avons dit précédemment; et nous observons ce type d'autorité dans les membres du corps, par exemple les mains et les pieds qui aussitôt et sans opposition s'appliquent à l'oeuvre commandée par l'âme. Nous observons aussi que l'intelligence ou la raison commande à l'appétit mais cette fois par une autorité qui est comparable à l'autorité de l'homme d'état ou du roi qui s'adresse aux hommes libres qui peuvent s'opposer à lui en certaines occasions; de la même manière, il arrive que l'appétit n'obéisse pas à la raison.

 Et la raison de cette différence est que le corps ne peut être mû par rien d'autre que l'âme et c'est pourquoi il lui est totalement soumis; mais l'appétit de son côté peut être mû non seulement par la raison mais aussi par le sens et c'est pourquoi il n'est pas totalement soumis à la raison. Mais dans les deux sortes d'autorité il est évident qu'il existe une soumission qui est conforme à la nature et qui est utile. En effet il est naturel et utile au corps d'être gouverné par l'âme: et de la même manière il est naturel et avantageux à la partie passible, à savoir à l'appétit qui est soumis aux passions, d'être gouvernée par l'intelligence ou la raison: dans l'un et l'autre cas il serait nuisible que ce qui doit obéir ait un pouvoir égal ou opposé à celui qui doit commander: le corps en effet serait détruit s'il n'obéissait pas à l'âme et l'appétit serait déréglé s'il n'obéissait pas à la raison.

 

[79130] Sententia Politic., lib. 1 l. 3 n. 10 Deinde cum dicit iterum in homine etc., probat idem in genere animalium, dicens quod similiter se habet in homine et aliis animalibus, quod naturale et expediens est ut homo aliis dominetur. Videmus enim quod animalia mansueta quibus homo dominatur, digniora sunt secundum naturam silvestribus, inquantum participant aliqualiter regimine rationis; sed et omnibus animalibus (melius est), quod ab homine regantur, quia sic in multis casibus adipiscuntur salutem corporalem quam per se consequi non possent; sicut patet, cum eis copiosa pabula et remedia sanitatis ab hominibus exhibentur.

65.              Ensuite lorsqu'il [35]: ¨ Le même rapport se retrouve chez l'homme. ¨

 Il prouve la même chose au moyen de ce qu'on observe dans le monde animal en disant que le même rapport se retrouve entre l'homme et les autres animaux, à savoir qu'il est naturel et utile que l'homme commande aux autres animaux. Nous voyons en effet que les animaux domestiques auxquels l'homme commande sont naturellement meilleurs que les animaux sauvages, dans la mesure où ils participent d'une certaine manière du gouvernement de la raison; mais il est utile à tous les animaux d'être gouvernés pas l'être humain car ainsi en de nombreuses occasions ils acquièrent la conservation du corps à laquelle ils ne pourraient parvenir par eux-mêmes, ainsi qu'il apparaît lorsque des aliments et des soins de santé leur sont fournis en abondance par l'homme.

 

[79131] Sententia Politic., lib. 1 l. 3 n. 11 Deinde cum dicit adhuc autem masculinum etc., probat idem in differentia sexuum: et dicit, quod eodem modo etiam se habet masculinum ad femininum, quod naturaliter masculinum est melius, et femininum deterius; et masculus principans, femina autem subiecta. Est autem attendendum, quod prima duo exempla sunt de toto integrali, alia duo de toto universali, quod est genus vel species: et sic patet quod praedicta propositio in utrisque locum habet.

66.              Ensuite lorsqu'il dit [36]: ¨ Et de plus etc.¨.

 Il prouve la même chose au moyen de ce qu'on observe dans la différence des sexes: et il dit que c'est de la même manière que le mâle se rapporte à la femelle, où l'on voit que le mâle est naturellement supérieur à la femelle d'où il suit qu'il commande et qu'elle obéit. Il faut cependant considérer que les deux premiers cas sont des exemples d’un tout intégral alors que les deux derniers sont des exemples d’un tout universel, c’est-à-dire du genre et de l'espèce: et il est ainsi évident que la proposition qui précède vaut dans l'un et l'autre cas.

 

[79132] Sententia Politic., lib. 1 l. 3 n. 12 Deinde cum dicit eodem autem modo etc., concludit propositum, scilicet quod eodem modo se habet in hominibus sicut in praemissis: scilicet quod naturale et expediens est quod quidam principentur, et quidam subiiciantur.

67. Ensuite lorsqu'il dit [37]: ¨ Mais de la même etc.¨.

 Il conclut son propos, c'est-à-dire qu'il en est de même chez tous les hommes comme nous l'avons vu dans ce qui précède, c'est-à-dire qu'il est naturel et utile que certains commandent et que d'autres obéissent.

 

[79133] Sententia Politic., lib. 1 l. 3 n. 13 Deinde cum dicit quicumque quidem igitur etc., ostendit qui sunt qui naturaliter principantur et subiiciuntur. Et primo quales sunt secundum animam. Secundo quales secundum corpus, ibi, vult quidem igitur natura et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit quales sunt secundum animam qui naturaliter principantur vel subiiciuntur. Secundo ponit comparationem inter homines, qui naturaliter sunt servi, et bruta animalia, quae etiam naturaliter serviunt, ibi, et communicant ratione et cetera. Dicit ergo primo, quod cum anima naturaliter dominetur corpori, et homo bestiis; quicumque tantum distant ab aliis, sicut anima a corpore, et homo a bestia, propter eminentiam rationis in quibusdam, et defectum in aliis, isti sunt naturaliter domini aliorum, secundum quod etiam Salomon dicit, quod qui stultus est, serviet sapienti. Disponuntur autem hoc modo, scilicet quod ad eos se habeant aliqui, sicut homo ad bestias vel anima ad corpus, illi quorum opus principale est usus corporis, et quod hoc est optimum quod ab eis haberi potest: sunt enim validi ad exequenda opera corporalia, impotentes autem ad opera rationis: et isti sunt naturaliter servi, quibus melius est quod regantur a sapientibus, si conveniens est quod credatur rationibus supradictis, quia in hoc sortiuntur regimen rationis. Et quod isti sint naturaliter servi, patet per hoc quia ille est naturaliter servus, qui habet aptitudinem naturalem ut sit alterius, inquantum scilicet non potest regi propria ratione, per quam homo est dominus sui; sed solum ratione alterius, propter quod naturaliter alterius est quasi servus.

68. Ensuite lorsqu'il dit [38]: ¨Tous les êtres certes etc.¨.

 Il montre quels sont ceux qui par nature commandent et ceux qui par nature obéissent. Et d'abord il le montre selon l'âme [38]. Deuxièmement, il le montre selon le corps, là [40] où il dit: ¨ Certes elle veut etc.¨.

 Au sujet du premier point il fait deux choses. D'abord, il montre, selon l'âme, quels sont ceux qui commandent par nature et ceux qui obéissent par nature. Deuxièmement, il fait une comparaison entre les hommes qui sont naturellement esclaves et les brutes animales qui elles aussi sont des esclaves, là [39] où il dit: ¨ Et communiquant etc.¨.

 Il dit donc en premier [38] que, puisque l'âme commande naturellement au corps et l'homme aux bêtes et que certains diffèrent des autres comme l'âme diffère du corps et comme l'homme diffère de la bête, en raison de l'excellence de la raison chez les uns et de son défaut chez les autres, les premiers sont naturellement maîtres des autres conformément à ce que dit aussi Salomon dans le livre des Proverbes (X1, 29): ¨ Celui qui est sot, qu'il soit l'esclave du sage.¨.

 Mais si certains sont disposés ou se rapportent de cette manière à l'égard des autres, c'est-à-dire comme l'homme à l'égard des bêtes ou comme l'âme à l'égard du corps, ceux dont l'oeuvre principale est l'usage de leur corps et qui est ce qu'on peut tirer de meilleur de leur part puisqu’en effet ils sont aptes à exécuter des ouvrages corporels mais impuissants aux oeuvres de la raison, ce sont ceux-là qui sont esclaves par nature et pour lesquels il est préférable d'être gouvernés par les sages, s'il convient d'ajouter foi aux raisons qui précèdent, car c'est en cela qu'ils participent du gouvernement de la raison. Et que ceux-là soient esclaves par nature, cela est évident pour cette raison que celui-là est naturellement esclave qui a une aptitude naturelle d'être l'homme d'un autre dans la mesure où justement il ne peut se gouverner lui-même par sa propre raison, grâce à laquelle l'homme est maître de lui-même, mais seulement par la raison d'un autre; et c'est pourquoi l'esclave, en quelque sorte, appartient pratiquement à une autre.

 

 

 

 

[79134] Sententia Politic., lib. 1 l. 3 n. 14 Deinde cum dicit et communicant ratione etc., comparat secundum convenientiam et differentiam hominem naturaliter servum ad animal brutum: et dicit quod ille qui est servus naturaliter, communicat ratione solum quantum ad hoc, quod recipit sensum rationis, sicut edoctus ab alio; sed non quantum ad hoc, quod habeat sensum rationis per seipsum: sed alia animalia serviunt homini non quasi recipientia aliquem sensum rationis ab homine, inquantum scilicet memoria eorum quae sunt bene vel male passa ab homine, timore vel amore incitantur ad serviendum. Et sic quantum ad modum serviendi est differentia, inquantum naturaliter servus servit ratione, brutum autem animal passione; sed opportunitas, idest utilitas, quae ex utriusque servitio provenit, modicum variatur: ab eadem enim praebetur nobis auxilium, et a servis, et a domesticis animalibus, scilicet ad necessaria corpori. Non enim naturaliter servus, cum deficiat ratione, potest auxiliari ad consilium, vel ad aliquod opus rationis: in corporalibus autem pluribus modis potest servire servus quam animal brutum, propter rationem.

69. Ensuite lorsqu'il dit [39]: ¨Et communiquant etc.¨.

 Il compare, selon la ressemblance et la différence, l'homme qui est esclave par nature à la brute animale: et il dit que celui qui est naturellement esclave participe de la raison seulement quant à ceci qu'il reçoit un sens de la raison, étant comme conduit par un autre, mais non pour autant qu'il possède de lui-même ce sens de la raison; mais les autres animaux sont au service de l'homme non pas parce qu'ils ont reçu de l'homme un sens de la raison mais c'est par la mémoire de ce qu'ils ont subi d'agréable ou de désagréable de la part de l'homme qu'ils sont poussés à servir par crainte ou par amour. Ainsi, quant à la manière de servir, il y a une différence dans la mesure où celui qui est naturellement esclave sert par sa participation de la raison tandis que la brute animale sert par passion, c'est-à-dire par la passion de crainte ou d'amour acquise par la mémoire d'avoir subi quelque chose d'agréable ou de désagréable de la part de l'homme.

 Mais l'avantage, c'est-à-dire l'utilité qui découle de la servitude de l'un et de l'autre, varie très peu de l'un à l'autre. C'est le même avantage en effet que nous fournissent par leur assistance les esclaves et les animaux domestiques, à savoir qu'ils sont utiles aux besoins corporels. Celui qui est esclave par nature en effet, puisqu'il manque de raison, ne peut prêter assistance par sa réflexion ou contribuer à une oeuvre de la raison; mais parce qu'il participe de la raison de son maître, l'esclave peut accomplir les tâches corporelles d'un plus grand nombre de manières que la brute animale.

 

[79135] Sententia Politic., lib. 1 l. 3 n. 15 Deinde cum dicit vult quidem igitur natura etc., ostendit quales sint servi secundum corpus. Et primo proponit quod intendit. Secundo probat propositum, ibi, quoniam et hoc manifestum et cetera. Dicit ergo primo, quod natura vult, idest habet quemdam impetum sive inclinationem ad hoc ut faciat differentiam inter corpora liberorum et servorum, ita scilicet quod corpora servorum sint fortia ad exercendum usum necessarium, qui eis competit, scilicet ad fodiendum in agro, et alia similia ministeria exercenda: sed corpora liberorum debent esse recta, idest bene disposita secundum naturam, et inutilia ad tales operationes serviles, quod exigit complexio delicata; sed tamen debent esse utilia ad civilem vitam, in qua liberi homines conversantur. Iste autem qui habet membra utilia ad civilem vitam, habet dispositionem divisam ad bellicam oportunitatem et pacificam; ut scilicet tempore belli habeat membra apta ad pugnandum, et ad alia militaria opera, tempore vero pacis ad exercendum alia civilia opera. Et quamvis natura habeat inclinationem ad praedictam differentiam corporum causandam, tamen quandoque deficit in hoc, sicut etiam in omnibus aliis quae generantur et corrumpuntur, consequitur natura effectum suum ut in pluribus, deficit vero in paucioribus. Quando ergo in hoc natura deficit, accidit multoties contrarium ei quod dictum est, ut scilicet illi qui habent animas liberorum, habeant corpora servorum, vel e converso.

70. Ensuite lorsqu'il dit [40]: ¨Elle veut certes etc.¨.

 Il montre quels sont ceux qui sont des esclaves sous le rapport du corps. Et en premier lieu il présente son intention [40]. Deuxièmement il prouve son propos là [41] où il dit: ¨Car certes ce qui etc.¨.

 Il dit donc en premier lieu [40] que la nature veut, c'est-à-dire qu'elle possède un certain élan ou une certaine inclination à faire une différence entre les corps des hommes libres et ceux des esclaves, de telle sorte que les corps des esclaves sont valides pour exercer les travaux de pure nécessité qui leur conviennent comme de creuser dans les champs et d'accomplir d'autres services du même genre; mais les corps des hommes libres doivent être droits, c'est-à-dire bien disposés selon la nature, et inaptes à de telles opérations serviles contraires à une complexion délicate. Mais ils sont aptes à la vie politique qui est le domaine que fréquentent les hommes libres.

 Mais celui dont le corps possède des membres utiles à la vie politique partage sa vie entre les occupations de la guerre et celles de la paix, c'est-à-dire de telle sorte qu'en temps de guerre il possède des membres aptes au combat et aux autres activités militaires alors qu'en temps de paix il les utilise aux autres activités politiques.

 Et bien que la nature possède une telle inclination à produire une telle différence entre les corps, cependant elle faillit parfois en cela ainsi qu'il arrive encore dans toutes les autres choses qui sont sujettes à génération et à corruption où la nature réalise ses effets dans la plupart des cas et échoue dans peu de cas. Donc, quand la nature échoue en cela, il se produit souvent le contraire de ce que nous avons dit, de sorte que ceux qui possèdent l'âme d'un homme libre ont le corps d'un esclave et inversement.

 

[79136] Sententia Politic., lib. 1 l. 3 n. 16 Est autem considerandum, quod philosophus hic inducit concludens ex praemissis, in quibus agebat de dispositione animae; quia cum corpus sit naturaliter propter animam, natura intendit formare tale corpus quale sit conveniens animae; et ideo intendit his qui habent animas liberorum dare corpora liberorum, et similiter de servis. Et hoc quidem quantum ad interiores dispositiones semper consonat: non enim potest esse quod aliquis habeat animam bene dispositam, si organa imaginationis et aliarum virium sensitivarum sint male disposita: sed in figura, et quantitate exteriori et aliis dispositionibus exterioribus, potest inveniri dissonantia, ut hic dicitur.

71. Mais il faut considérer que le Philosophe atténue ici ce qu'il vient de dire en concluant à partir de ce qui a été dit précédemment où il traitait des dispositions de l'âme: car puisque le corps est ordonné par nature à l'âme, la nature cherche à former un corps qui soit proportionné à telle âme; et c'est pourquoi elle cherche à donner des corps d'hommes libres à ceux qui ont une âme d'homme libre et à faire de même pour les esclaves. Et certes pour les dispositions intérieures la nature ne se dément jamais: en effet il est impossible que quelqu'un possède une âme bien disposée si les organes de la mémoire et des autres puissances naturelles et sensitives sont mal disposées; mais pour ce qui est de la figure, de la quantité extérieure et des autres dispositions extérieures, il est possible qu'on retrouve une dissonance, ainsi que nous l'avons dit plus haut.

 

[79137] Sententia Politic., lib. 1 l. 3 n. 17 Deinde cum dicit quoniam et hoc manifestum etc., probat quod dixerat. Et primo quantum ad corpus. Secundo quantum ad animam, ibi, si autem in corpore et cetera. Dicit ergo primo, quod naturam inclinari ad hoc, quod faciat diversa corpora servorum et liberorum, ex hoc est manifestum: quia si inter aliquos inveniatur tanta differentia solummodo ex parte corporis, ut videatur tantum alios excellere, ac si essent quaedam imagines deorum; sicut solemus communiter dicere, quando videmus aliquos elegantis formae, quod videntur esse sicut Angeli: tunc omnes dicerent, quod illi qui deficiunt a tanta elegantia formae corporalis, sunt digni ut serviant eis qui superexcellunt, secundum illud species Priami digna est imperio. Et cum hoc sit manifestum in maxima differentia, idem etiam est sentiendum quantum ad intentionem naturae, si non fuerit tanta differentia.

72. Ensuite lorsqu'il dit [41]: ¨ Et puisque cela etc.¨.

 Il prouve ce qu'il avait dit. Et d'abord il le fait du côté du corps [41]. Deuxièmement il le fait quant à l'âme là [42] où il dit: ¨Mais si dans le corps etc.¨.

 Il dit donc en premier lieu qu'il est manifeste à partir de ce qui suit que la nature cherche à produire des corps différents pour les esclaves et pour les hommes libres: si on retrouvait parmi les hommes une différence seulement du côté du corps, de sorte qu'il semblerait que certains seraient tellement relevés qu’ils seraient comme des images des dieux, comme nous avons communément l'habitude de le dire lorsque nous voyons des formes élégantes qui semblent pareilles à celles des anges, alors tous diraient que ceux qui manquent d'une telle élégance sous le rapport de la figure corporelle seraient dignes de servir ceux qui la possèdent en abondance, conformément à ce passage: ¨L'apparence de Priam est digne de commandement¨. Et si cela est vrai quand la différence est la plus marquée, il faut discerner la vérité dans l'intention de la nature lorsque la différence n'est pas aussi marquée.

 

[79138] Sententia Politic., lib. 1 l. 3 n. 18 Deinde cum dicit si autem in corpore etc., probat idem ex parte animae: et dicit, quod si hoc est verum ex parte corporis, quod illi qui deficiunt sunt digni servire excellentibus, multo iustius est hoc determinari ex parte animae, quanto anima nobilior est corpore. Sed tamen excellentia pulchritudinis animae, non ita de facili potest cognosci, sicut pulchritudo corporis: et ideo magis vulgariter iudicatur, quod aliqui sint digni ad dominandum ex parte corporis quam ex parte animae.

73. Ensuite lorsqu'il dit [42]: ¨Et si dans etc.¨.

 Il prouve la même chose du côté de l'âme: et il dit que si cela est vrai du côté du corps, à savoir que ceux qui sont dépourvus sont dignes de servir ceux qui sont doués, il est encore beaucoup plus juste de discerner cela du côté de l'âme puisque l'âme est plus noble que le corps. Mais l'excellence de la beauté de l'âme n'est pas si facile à connaître que celle de la beauté du corps: et c'est pourquoi on juge plus communément du côté du corps que du côté de l'âme quels sont ceux qui sont dignes de commander.

 

[79139] Sententia Politic., lib. 1 l. 3 n. 19 Ultimo autem concludit epilogando duas conclusiones intentas in hoc capitulo: scilicet quod quidam sunt naturaliter servi, et quidam naturaliter liberi: et quod his qui sunt naturaliter servi expedit servire, et iustum est quod serviant.

74. Et finalement il conclut en résumant les deux conclusions qu'il se proposait dans ce chapitre: à savoir que certains sont esclaves par nature alors que d'autres sont libres par nature; et qu'il est juste et avantageux d'obéir à ceux qui sont esclaves par nature.

 

 

 

 

Lectio 4

LEÇON 4 (nn. 75-88; [43-53]) ─ Au sujet des maîtres et des esclaves, il montre qu'autres sont ceux auxquels il est avantageux d'être maîtres et esclaves par nature et ceux qui le sont par la loi, auxquels il arrive le contraire.

Leçon 4 ─ [ ]

[79140] Sententia Politic., lib. 1 l. 4 n. 1 Quod autem et qui contraria dicunt et cetera. Postquam philosophus ostendit, quod aliqui naturaliter sunt servi quibus expedit servire et iustum est, hic ostendit, quod etiam contraria opinio est secundum (modum) aliquem vera. Et circa hoc duo facit. Primo ponit modum servitutis, secundum quem negatur a quibusdam servitus esse naturalis et iusta. Secundo super hoc dubitationem movet et solvit, ibi, hoc itaque iustum et cetera. Dicit ergo primo, quod non difficile est videre, quod illi qui dicunt contrarium his quae determinata sunt, asserendo scilicet nullam servitutem esse naturalem et iustam, secundum modum aliquem recte dicunt. Dupliciter enim dicitur servire et servus. Unus quidem modus est secundum aptitudinem naturalem, ut supra dictum est. Sed etiam est aliquis servus vel serviens secundum legem inter homines positam. Est enim quaedam promulgatio legis ut illi qui sunt victi in bello, dicantur esse servi eorum, qui contra eos praevaluerunt: et hoc iure quasi omnes gentes utuntur, unde et ius gentium nominatur.

75.              Après avoir montré que certains sont esclaves par nature pour lesquels il est juste et avantageux d'obéir, le Philosophe montre ici qu'une opinion contraire est aussi vraie en partie.

 Et à ce sujet il fait deux choses.

 En premier lieu il présente un mode de servitude d'après lequel certains nient que l'esclavage soit naturel et juste [43]. Deuxièmement, suite à cela il agite un doute et il le résout là [44] où il dit: ¨ C'est pourquoi cela est juste etc.¨.

 Il dit donc en premier [43] qu'il n'est pas difficile de voir que ceux qui disent le contraire de ce que nous avons déterminé, c'est-à-dire qui assurent qu'aucun esclavage n'est naturel et juste, parlent correctement d'une certaine manière. En effet esclavage et esclave se disent de deux manières. La première se dit selon une aptitude naturelle comme nous l'avons fait précédemment. Dans l'autre on dit que quelqu'un est esclave ou vit en servitude d'après une loi établie parmi les hommes. En effet une publication de la loi est établie afin que ceux qui sont vaincus à la guerre sont appelés les esclaves de ceux qui l'ont emporté sur eux: et pratiquement tous les peuples se servent de ce droit et c'est pourquoi on l'appelle droit commun.

 

[79141] Sententia Politic., lib. 1 l. 4 n. 2 Deinde cum dicit hoc itaque iustum etc., movet dubitationem de ista servitute legali. Et circa hoc tria facit. Primo ponit diversas opiniones. Secundo assignat rationes diversitatis, ibi, causa autem huius dubitationis et cetera. Tertio solvit dubitationem, ibi, totaliter autem attendentes et cetera. Dicit ergo primo, quod multi qui intromiserunt se de legibus scribendis, scripserunt quod iustum praedictae legis est de numero iniquorum. Et introducit quemdam qui vocabatur rethora, cui durum videbatur, si ille qui est passus violentiam sit servus et subiectus ei qui potuit violentiam inferre, et non est melior, nisi quia est potentior. Unde quibusdam sic videtur, quod scilicet sit iniquum: aliis autem videtur alio modo: et ista diversitas non solum est inter populares, sed etiam inter sapientes.

76.              Ensuite lorsqu'il dit [44]: ¨ C'est pourquoi cela etc.¨.

 Il soulève un doute au sujet de cet esclavage légal. Et à ce sujet il fait trois choses. D'abord il présente différentes opinions [44]. Deuxièmement il assigne les raisons de cette diversité-là [45] où il dit: ¨ Mais la cause etc.¨. Troisièmement il résout le doute là [47] où il dit: ¨ S'attachant absolument etc.¨.

 Il dit donc en premier lieu [44] qu'un grand nombre de ceux qui s'engagèrent dans la rédaction des lois écrivirent que ce qu'il convient de dire au sujet de cette loi c'est qu'elle fait partie des iniquités. Et il présente une personne qui était appelée orateur, à qui il paraissait cruel que celui qui subit une violence devienne esclave et assujetti à celui qui avait pu lui infliger cette violence et qui ne possédait pas d'autre supériorité que celle de la force. D'où il paraissait à certains que cette loi est injuste alors que d’autres voyaient la chose différemment. Et cette diversité ne se retrouvait pas seulement parmi le peuple mais aussi parmi les sages.

 

[79142] Sententia Politic., lib. 1 l. 4 n. 3 Deinde cum dicit causa autem huius etc., assignat causam praedictae diversitatis. Et primo proponit quiddam quod est manifestum. Secundo de quo sit dubitatio, ibi, sed de iusto solum et cetera. Dicit ergo primo, quod causa praemissae dubitationis, unde variantur verba sapientum, est ex hoc quod virtus quae est per aliquem modum, idest sive per sapientiam, sive per constantiam, sive per fortitudinem corporalem, sive quocumque alio modo, si sortiatur successum, id est nisi contrarium eveniat per infortunium, potest maxime compati secum quod violentiam inferat: et sic manifestum est quod ille qui superat semper est in excessu alicuius boni, nisi per infortunium aliter accidat: et ex hoc videtur quod violentia nunquam fit sine qualicumque virtute eius qui violentiam infert: et hoc est per se manifestum.

77.              Ensuite lorsqu'il dit [45]: ¨ Mais la cause etc.¨.

 Il assigne la cause de la diversité qui précède. Et d'abord il présente quelque chose d'évident [45]. Deuxièmement il présente ce qui est l'objet du doute là [46]: ¨ Mais sur le point de droit etc.¨.

 Il dit donc en premier lieu [45] que la cause du doute qui précède et d'où procède la différence dans les paroles des sages provient de ce que la vertu, quelle que soit la manière dont elle se présente, c'est-à-dire soit par la sagesse, soit par la persévérance, soit par la force corporelle ou de toute autre manière, s'il s'ensuit la réussite à moins d'adversité due à l'infortune, peut au plus haut point être compatible avec le fait qu'elle impose la contrainte: et ainsi il est évident que celui qui l'emporte excelle toujours en quelque bien, à moins qu'il en soit autrement par infortune: et à partir de là il semble que la contrainte ne se présente jamais sans vertu chez celui qui impose la contrainte, ce qui est manifeste.

 

[79143] Sententia Politic., lib. 1 l. 4 n. 4 Deinde cum dicit sed de iusto solum etc., ostendit quid remaneat sub dubitatione: et dicit quod de hoc solum remanet dubitatio, utrum sit iustum quod propter excellentiam qualiscumque virtutis aliqui debeant principari qui superant. Et ideo circa hoc sunt diversae opiniones. Quidam enim dicunt quod hoc iustum praedictae legis est per benevolentiam, id est in favorem victorum introductum, ut per hoc homines ad fortiter pugnandum incitarentur. Quibusdam autem videtur quod hoc ipsum (habet) quamdam rationem iustitiae quod ille qui apparet melior, in hoc quod vincit principetur, secundum quod Salomon dicit in Prov.: manus fortium dominabitur; quae autem remissa est, tributis serviet. Et hoc quidem ideo dicunt, quia si huiusmodi rationes operationum removeantur de medio in primo aspectu apparet quod illae rationes quae dicunt quod non oportet principari et dominari illum qui est melior secundum virtutem quae victorum extitit, non habent aliquid quod sit efficax ad movendum rationem, neque etiam habent aliquam probabilitatem, secundum ea quae communiter hominibus videntur.

78.              Ensuite lorsqu'il dit [46]: ¨ Mais au sujet du droit etc.¨.

 Il montre ce qui demeure douteux: et il dit qu'il ne reste de doute qu'à ce sujet, à savoir s'il est juste qu'en raison de quelque excellence ceux qui l'emportent doivent dominer. Et à ce sujet il se présente diverses opinions.

 Certains en effet disent que le droit de la précédente loi réside dans la bienveillance ou le dévouement, c'est-à-dire dans l'intérêt prétendu des vainqueurs afin que les hommes soient portés à combattre avec courage.

 Mais certains croient que cela même, à savoir que celui qui apparaît meilleur est celui qui domine parce qu'il a vaincu, a raison de justice conformément à ce que Salomon dit dans le livre des Proverbes (X11, 24): ¨ Des mains actives procurent le pouvoir, mais la nonchalance mène à l'esclavage.¨ Et certes ils disent cela car si on enlève ces raisons d'agir de la vie commune, il apparaît au premier abord que ces arguments, qui affirment que celui qui est meilleur d'après la puissance qui est manifestée par le vainqueur ne doit ni commander ni dominer, ne possèdent aucune efficacité à mouvoir la raison ni aucune apparence de probabilité, contrairement à ce qui est communément admis parmi les hommes.

 

[79144] Sententia Politic., lib. 1 l. 4 n. 5 Deinde cum dicit totaliter (autem) attendentes etc., solvit praedictam dubitationem. Et primo ostendit quo modo sit iustum servire. Et secundo quomodo sit expediens, ibi, quod quidem igitur habet et cetera. Circa primum duo facit. Primo ponit solutionem. Secundo manifestat eam, ibi, principium enim contingit et cetera. Dicit ergo primo, quod ut totaliter et complete veritatem huius dubitationis determinemus, dicendum est quod quidam attendentes ad quoddam iustum, idest ad iustum secundum quid quale potest esse in rebus humanis, quod quidem iustum lex tradit, ponunt servitutem quae ex bello provenit esse iustum: non autem dicunt quod omnino, id est simpliciter, sit iusta. Approbat igitur secundam opinionem, sed exponit eam, ostendens quod non loquebatur de iusto simpliciter, sed de iusto secundum quid, quale est iustum legis humanae. Dicitur enim iustum simpliciter quod est iustum secundum suam naturam: iustum autem secundum quid quod refertur ad commoditatem humanam, quam lex intendit, quia propter utilitatem hominum omnes leges positae sunt. Quia igitur hoc non est iustum secundum naturam quod quicumque ab hostibus vincuntur sint servi, cum plerumque contingat sapientes ab insipientibus superari, dicit hoc non esse simpliciter iustum; est tamen ad commodum humanae vitae. Est enim hoc utile et illis qui vincuntur, quia propter hoc a victoribus conservantur, ut saltem subiecti vivant, unde et servi a servando dicuntur; et etiam illis qui vincunt, quia per hoc homines incitantur ad fortius pugnandum: et quod sint aliqui fortes pugnatores expedit conversationi humanae ad prohibendum multorum malitias.

79.              Ensuite lorsqu'il dit [47]: ¨ S'attachant absolument etc.¨.

 Il dénoue le doute qui précède. Et d'abord il montre quand l'esclavage est juste. Et deuxièmement comment il est bénéfique là [53] où il dit: ¨ Donc, que cette etc.¨.

 Et sur le premier point il fait deux choses. D'abord il présente la solution [47]. Deuxièmement il la manifeste là [48] où il dit: ¨En effet, l'origine etc.¨.

 Il dit donc en premier [47] que pour déterminer entièrement et complètement la vérité par rapport à ce doute, il faut dire que certains, recherchant une certaine justice, c'est-à-dire une justice relative qu'on peut retrouver dans les choses humaines et qui est transmise par la loi, affirment que l'esclavage issu de la guerre est juste: ils ne disent pas cependant que cet esclavage est juste d'une manière absolue, c'est-à-dire qu'il est juste purement et simplement. Il approuve donc cette deuxième opinion et il l'explique, montrant qu'il ne parlait pas de la justice entendue purement et simplement mais d'une justice relative se rapportant à la loi humaine.

 En effet on appelle juste purement et simplement ce qui est juste par nature: mais le juste relatif se rapporte à l'utilité de la vie humaine qui est recherchée par la loi car c'est en vue d'assurer ce qui est avantageux à l'homme que toute loi est formée.

 Donc, puisqu'il n'est pas juste purement et simplement que ceux qui sont vaincus par leurs ennemis deviennent esclaves, puisqu'il arrive souvent que des sages soient commandés par des insensés, c'est pourquoi il dit que cela n'est pas juste purement et simplement; cependant une telle loi est juste pour l'utilité de la vie humaine.

 En effet cela est aussi à l'avantage de ceux qui sont vaincus car c'est grâce à cela qu'ils sont protégés par les vainqueurs de sorte que les vaincus soient au moins conservés vivants et c'est pourquoi le nom esclave tient son origine de ¨conserver¨; et même cela est utile aussi aux vainqueurs car c'est au moyen de cela que les hommes sont poussés à combattre plus courageusement: et qu'il existe ainsi des combattants courageux est à l'avantage des relations entre les hommes en ceci qu'ils font obstacle aux méchancetés d'un grand nombre.

 

[79145] Sententia Politic., lib. 1 l. 4 n. 6 Si autem potuisset lex humana determinare efficaciter qui essent meliores mente, illos procul dubio, sequens naturam, dominos ordinasset. Sed quia hoc fieri non poterat, accepit lex aliud signum praeeminentiae, scilicet ipsam victoriam quae provenit ex aliqua excellentia virtutis; et ideo statuit victores esse dominos eorum qui vincuntur. Et ideo hoc iustum dicitur esse secundum quid, ut possibile fuit legem poni; non tamen est iustum simpliciter. Et tamen servandum est etiam homini virtuoso secundum mentem: quia cum bonum commune sit melius quam bonum proprium unius, non est infringendum quod convenit bono publico, quamvis non conveniat alicui privatae personae.

80.              Mais si la loi avait pu déterminer efficacement quels sont ceux qui sont les meilleurs selon l'esprit, elle les aurait assignés sans aucun doute, suivant la nature, au rang de seigneurs. Mais parce qu'il n'a pu en être ainsi, la loi humaine accepta un autre signe de supériorité, à savoir la victoire qui provient d'une certaine excellence de puissance; et c'est pourquoi la loi établit que les vainqueurs seraient les maître des vaincus. Et c'est pourquoi on dit que cette loi est juste relativement ou sous un certain rapport, puisque c'est ce qu'il fut possible à loi d'établir; mais elle n'est pas juste purement et simplement. Et il appartient même à l'homme doué spirituellement de conserver cette loi car puisque le bien commun est préférable au bien d'un individu, ce qui appartient au bien commun ne doit pas être affaibli même si cela s'oppose au bien d'un particulier.

 

[79146] Sententia Politic., lib. 1 l. 4 n. 7 Deinde cum dicit principium enim etc., manifestat solutionem praemissam. Et primo per rationes. Secundo per ea quae communiter dicuntur, ibi, propter quod ipsos non volunt et cetera. Circa primum ponit duas rationes. Illud quod provenit ex principio iniusto, non est simpliciter iustum: sed principium bellorum contingit esse iniustum, puta cum aliquis non habet iustam causam assumendi bellum: ergo servitus quae sequitur ex tali bello non est simpliciter iusta. Secundam rationem ponit ibi, et indignum servire etc.: quae talis est. Contingit per bellum aliquem superari cui indignum est servire. Sed nullus potest dicere quod ille quem indignum est servire, iuste sit servus: ergo non potest dici quod servitus quae est ex bello simpliciter sit iusta. Minorem autem probat: quia si aliquis diceret iuste servum esse eum quem indignum est servire, accideret quandoque eos qui sunt de nobilissimo genere esse servos si caperentur in bello: et si contingeret eos vendi, sequeretur ulterius quod filii eorum essent servi ex servis nati; quod videtur esse inconveniens.

81.              Ensuite lorsqu'il dit [48]: ¨ À l'origine en effet etc.¨.

 Il manifeste la réponse qu'il vient de donner. Et d'abord il le fait au moyen d'arguments [48]. Deuxièmement il le fait au moyen de ce qu'on dit communément, là [49] où il dit: ¨ C'est en vue de cela qu'elles ne etc.¨.

 Au sujet du premier point il présente deux raisonnements [48]. Dont le premier se présente ainsi: ce qui est issu d'un principe injuste ne peut être juste purement et simplement; mais il arrive que l'origine des guerres soit injuste, par exemple lorsque quelqu'un n'a pas raison d'entreprendre une guerre; donc, l'esclavage qui découle d'une telle guerre ne peut être juste purement et simplement.

 Il présente son deuxième raisonnement, là [48] où il dit: ¨Et il est indigne etc.¨. Et il se présente ainsi: il arrive par les guerres qu’il ne soit pas juste que le vaincu soit réduit en esclavage. Mais nul ne peut dire qu'il est juste que soit esclave celui qui ne mérite pas de l’être: on ne peut donc dire que l'esclavage qui est issu de la guerre soit juste purement et simplement.

 Et voici comment il prouve la mineure: car si quelqu'un disait que c'est à juste titre qu'est esclave celui qui ne mérite pas de l’être, il arriverait parfois que ceux qui sont d'un rang plus noble seraient esclaves s'ils étaient capturés à la guerre: et s'il leur arrivait d'être vendus comme tels, il s'ensuivrait par la suite que leurs fils deviendraient esclaves nés d'esclaves, ce qui apparaît être inconvenant.

 

[79147] Sententia Politic., lib. 1 l. 4 n. 8 Deinde cum dicit propter quod ipsos etc., probat propositum per ea quae communiter dicuntur. Et primo per ea quae communiter dicuntur de servitute. Secundo per ea quae communiter dicuntur de libertate, ibi, eodem autem modo et cetera. Circa primum duo facit. Primo proponit dictum commune. Secundo ostendit qualiter intelligatur, ibi, et quidem cum hoc dicunt et cetera. Dicit ergo primo, quod propter praedictum inconveniens vitandum non volunt homines dicere quod nobiles homines quando capiuntur in bello fiant servi; sed solum barbari cum capiuntur fiunt servi.

82.              Ensuite lorsqu'il dit [49]: ¨ C'est en vue de cela etc.¨.

 Il prouve son propos au moyen des discours communément répandus. Et il le fait premièrement au moyen de ce qu'on dit communément de l'esclavage [49]; deuxièmement, au moyen de ce qu'on dit communément de la liberté là [51] où il dit: ¨ Et de la même manière etc.¨.

 Au sujet du premier point il fait deux choses. D'abord il présente ce qui est dit communément [49]. Deuxièmement il montre comment cela est entendu là [50] où il dit: ¨ Et lorsque certains disent cela etc.¨.

 Il dit donc en premier [49] que pour éviter l'inconvenance dont nous venons de parler ces hommes ne veulent pas dire que ces hommes nobles deviennent esclaves lorsqu'ils sont capturés à la guerre mais qu'il en est ainsi seulement pour les barbares.

 

[79148] Sententia Politic., lib. 1 l. 4 n. 9 Deinde cum dicit et quidem etc., ostendit quomodo intelligatur: et dicit quod illi qui hoc dicunt videntur dicere solum de naturali servitute quae est in barbaris propter defectum mentis, non autem est in nobilibus viris captis in bello: quia, sicut supra dictum est, necesse est, ab ipso principio nativitatis esse quosdam naturaliter servos et quosdam non.

83.              Ensuite lorsqu'il dit [50] ¨ et lorsque certains¨

 Il montre comment il faut entendre ces paroles: et il dit que ceux qui disent cela semblent parler uniquement de l'esclavage naturel qu'on retrouve chez les barbares en raison de leur pauvreté spirituelle mais qu'on ne retrouve pas chez les hommes nobles qui sont capturés à la guerre: car, ainsi que nous l'avons dit plus haut, il est nécessaire que dès l'origine, à la naissance, certains soient naturellement esclaves et d'autres non.

 

[79149] Sententia Politic., lib. 1 l. 4 n. 10 Deinde cum dicit eodem autem modo etc., ponit ea quae dicunt homines de libertate. Et primo ponit dictum. Secundo ostendit quomodo sit intelligendum, ibi, cum autem hoc dicant et cetera. Dicit ergo primo, quod secundum eumdem modum loquuntur homines de ingenuitate, idest de libertate: nam ingenuus est, qui neque est servus, neque libertus. Dicunt enim quod homines nobiles sunt ingenui non solum cum sunt apud seipsos, idest cum sunt in propria domo et potestate, sed etiam ubique terrarum: sed barbari qui sunt naturaliter servi, propter defectum rationis, solum domi sunt liberi propter defectum dominantium: ac si aliqui sint simpliciter liberi vel ingenui, scilicet qui sunt bene dispositi secundum mentem, alii autem secundum quid, sicut barbari. Et inducit ad confirmationem praemissorum verba Theodecti poetae qui in sua elegia, idest tractatu de miseria, dixit: quis dignum reputabit quod addicatur servituti ille qui ex utraque parte, scilicet patris et matris, processit ex nobilissima et divina progenie, secundum errorem gentilium, qui magnos principes deos vocabant.

84.              Ensuite lorsqu'il dit [51]: ¨ Et par cela¨

 Il présente ce que les hommes disent communément de la liberté. Et d'abord il présente leurs dires [51]. Deuxièmement il montre comment on doit les entendre là [52] où il dit: ¨ Mais lorsqu'ils disent cela etc.¨.

 Il dit donc en premier lieu [51] que c'est selon le même mode que les hommes parlent de la condition de noblesse, c'est-à-dire de la liberté: car un homme libre n'est ni un esclave ni un affranchi. Ils disent en effet que les hommes nobles sont de cette condition non seulement lorsqu'ils sont chez eux, c'est-à-dire lorsqu'ils sont dans leurs familles et sur les territoires qui sont sous leur autorité, mais partout sur la terre: mais les barbares qui sont naturellement esclaves, en raison de leur défaut de raison, c'est seulement dans leur patrie qu'ils sont libres à cause de la faiblesse et la pauvreté de leurs maîtres: tout comme certains sont libres ou nobles purement ou simplement, à savoir ceux qui sont bien disposés selon l'esprit, d'autres cependant, comme les barbares, ne le sont que sous un certain rapport. Et il présente les paroles de Théodecte pour confirmer ce qu'il vient de dire. Qui donc, dit-il, appellera Hélène esclave, elle qui est issue des deux souches des dieux, suivant l’erreur des Gentils qui appelaient grands les premiers des dieux.

 

[79150] Sententia Politic., lib. 1 l. 4 n. 11 Deinde cum dicit cum autem hoc dicant etc., ostendit qualiter id quod dictum est, sit intelligendum. Et dicit quod illi qui hoc dicunt, nihil aliud dicere videntur quam quod libertas et servitus, nobilitas et ignobilitas determinantur virtute mentis: ita quod illi qui sunt virtuosi secundum mentem sint liberi et nobiles, qui autem sunt vitiosi sunt servi et ignobiles, secundum quod dominus dicit in libro regum qui contemnunt me erunt ignobiles. Et hoc ideo, quia homines reputant dignum, quod sicut ex homine generatur homo et ex bestiis bestia, ita ex bonis viris generatur bonus vir. Et inde processit honor nobilitatis, dum filii bonorum honorati sunt tamquam similes patribus in bonitate.

85.              Ensuite lorsqu'il dit [52]: ¨ Cependant lorsque etc.¨.

 Il montre comment il faut entendre ce qui vient d'être dit. Et il dit que ceux qui disent cela ne veulent rien dire d'autre que la liberté et l'esclavage, que la noblesse et la condition du commun ne se distinguent que par la seule puissance de l'esprit: ainsi ceux dont l'esprit est fort sont libres et nobles et ceux dont l'esprit est faibles sont esclaves et de condition modeste, conformément à ce que le Seigneur dit dans le livre des Rois (1, 11, 30): ¨Ceux qui me méprisent sont sans noblesse¨. Et il en est ainsi car les hommes croient juste que, tout comme un homme est engendré par un homme et une bête par une bête, ainsi un homme bon est engendré par des hommes bons. Et c'est de là que provient l'honneur de la noblesse alors que les fils honorés comme bons sont comme semblables à leurs pères en bonté.

 

[79151] Sententia Politic., lib. 1 l. 4 n. 12 Et verum est quod natura habet inclinationem ad hoc faciendum: provenit enim ex bona corporis complexione et natura quod aliqui inclinantur magis vel minus ad opera virtutum vel vitiorum, sicut aliqui naturaliter sunt iracundi et aliqui mansueti: et haec quidem, scilicet natura corporalis, a patre derivatur ad posteros, ut in pluribus, sicut et aliae dispositiones corporales, puta pulchritudo, fortitudo et alia huiusmodi: sed propter aliquod impedimentum, quandoque deficit. Et ideo ex bonis parentibus nascuntur multoties boni filii; sed propter aliquod impedimentum non potest natura semper hoc facere: et ideo quandoque ex parentibus bene dispositis ad virtutem oriuntur filii male dispositi, sicut ex parentibus pulchris turpes filii, et ex magnis parvi.

86.              Et il est vrai que la nature tend à réaliser cela: en effet, c'est à partir d'une complexion corporelle favorable et comme naturellement que certains tendent plus ou moins aux oeuvres vertueuses ou aux actes mauvais, tout comme certains sont naturellement portés à la colère ou à la douceur: et certes cette dernière, à savoir la nature corporelle, passe dans la plupart des cas du père à ses enfants, tout comme les autres dispositions corporelles comme la beauté, la force et les autres qualités de la sorte; mais en raison de quelque empêchement il arrive que cela ne se produise pas. Et c'est pourquoi il arrive souvent que de bons enfants naissent de bons parents; mais en raison d’un obstacle la nature ne peut toujours réaliser cela: et c'est pourquoi il arrive que de parents bien disposés à la vertu naissent parfois des enfants qui y sont mal disposés, tout comme de parents qui sont beaux naissent des enfants laids et que de parents qui sont grands naisse une descendance qui restera petite.

 

[79152] Sententia Politic., lib. 1 l. 4 n. 13 Contingit etiam quod filii diversificantur a parentibus in bonitate vel malitia non solum propter dispositionem naturalem corporis, sed etiam propter rationem quae non ex necessitate sequitur naturalem inclinationem: unde contingit quod homines qui sunt similes parentibus in dispositione naturali, propter aliam instructionem et consuetudinem sunt etiam in moribus dissimiles. Si igitur bonorum parentum filii sint boni, erunt nobiles et secundum opinionem et secundum veritatem: si autem sint mali, erunt nobiles secundum opinionem, ignobiles autem secundum rei veritatem: e contrario autem est de filiis malorum.

87.              Il arrive cependant que les enfants diffèrent de leurs parents en bonté ou en malice non seulement en raison d’une disposition naturelle du corps mais à cause de la raison qui ne suit pas nécessairement l’inclination naturelle : d’où il arrive que des enfants qui sont semblables à leurs parents quant aux dispositions naturelles en diffèrent quant aux mœurs en raison d’une formation et d’habitudes différentes. Si donc les enfants de parents bons sont bons, ils seront nobles à la fois selon la réputation et selon la vérité; mais s’ils sont mauvais, ils seront nobles selon l’opinion, mais ignobles selon la vérité des choses : et ce sera l’inverse pour les enfants de parents mauvais.

 

[79153] Sententia Politic., lib. 1 l. 4 n. 14 Deinde cum dicit quod quidem igitur etc., ostendit quomodo servire aliquibus sit expediens vel non: concludens epilogando ex praemissis quod dubitatio, quae supra mota est, habet quamdam rationem: ita quod quaedam libertatis et servitutis distinctio non est secundum naturam, sed secundum legem: sed in quibusdam distinguitur per naturam: et in talibus expedit huic quod serviat et illi quod dominetur, et hoc etiam iustum est. Et hoc probat: quia opportunum est quod unusquisque subiiciatur vel principetur secundum quod habet aptitudinem naturalem: unde et his qui habent aptitudinem naturalem ad hoc, expedit quod dominentur servis: sed si male dominentur et contra aptitudinem naturalem, inutile est ambobus. Quod probat per hoc, quia videmus quod idem expedit parti et toti: scilicet, ut pars contineatur in toto: et similiter corpori et animae, ut scilicet corpus regatur ab anima. Quod autem servus comparetur ad dominum sicut corpus ad animam, supra dictum est; sed etiam comparatur ad ipsum sicut quaedam pars eius, ac si esset quoddam organum animatum quod esset quaedam pars corporis separata: hoc enim distinguit servum a parte, ut supra dictum est. Et ideo patet ex praemissis, quod servo et domino qui sunt digni esse tales secundum naturam expedit adinvicem quod unus sit dominus et alius sit servus; et ideo potest esse amicitia inter eos, quia communicatio duorum in eo quod expedit utrique est ratio amicitiae. Sed illi qui non sic se habent adinvicem secundum naturam, sed solum secundum legem et violentiam, contrario modo se habent, quia non habent amicitiam adinvicem, nec expedit eis quod unus sit dominus et alius servus.

88.              Ensuite lorsqu’il dit [53]: ¨ Certes donc, que etc.¨

 Il montre comment l’esclavage est avantageux à certains ou non : il termine en concluant à partir de ce qui vient d’être dit que le doute soulevé plus haut possède une certaine rationalité de telle manière qu’une des distinctions faite entre la liberté et l’esclavage n’est pas établie selon la nature mais selon la loi; mais chez certains la liberté et l’esclavage se détermine par la nature : et chez ceux-là l’esclavage est utile à la fois à l’esclave et au maître, et il est juste alors qu’il en soit ainsi.

 Et c’est ce qu’il prouve : car il est avantageux que chacun obéisse ou commande conformément aux aptitudes naturelles qu’il possède : d’où il suit qu’à ceux qui possèdent une aptitude naturelle à cela, il est utile qu’ils commandent aux esclaves : mais s’ils commandaient d’une manière inadéquate et en opposition à leurs aptitudes naturelles, ce commandement serait inutile aux deux parties. Ce qu’il prouve au moyen de ceci que nous voyons que la même chose est utile à la fois à la partie et au tout, à savoir puisque la partie est contenue dans le tout; et de même la même chose est utile à la fois au corps et à l’âme puisque le corps est gouverné par l’âme. Mais nous avons montré précédemment que l’esclave se compare au maître comme le corps à l’âme et aussi comme la partie au tout comme s’il en était un organe animé mais une partie séparée du corps, ainsi que nous l’avons dit.

 Et alors, à partir de ce qui précède, il est évident qu’à l’esclave et au maître qui sont dignes d’être tels par nature il est mutuellement avantageux que l’un soit maître et l’autre esclave; et c’est à cause de cela qu’il peut exister une amitié entre eux, car la communauté d’intérêt qu’il y a entre les deux à l’égard de ce qui leur est mutuellement avantageux est la raison même de leur amitié. Mais ceux qui ne se rapportent pas ainsi les uns à l’égard des autres selon la nature, mais dont le rapport relève de la loi et de la contrainte se retrouvent dans une relation opposée car ils ne jouissent pas d’une amitié mutuelle et il ne leur est nullement avantageux que l’un soit le maître et l’autre l’esclave.

 

 

 

 

Lectio 5

LEÇON 5 (nn. 89-96; [54-60]) ─ Qu’il existe différentes formes d’administration des cités. Que pareillement l’acquisition des richesses se réalise conformément à la nature de trois manières : par l’élevage, l’agriculture et la chasse.

Leçon 5

[79154] Sententia Politic., lib. 1 l. 5 n. 1 Manifestum autem et ex hiis et cetera. Postquam philosophus inquisivit de veritate opinionis ponentis servitutem non esse naturalem, hic accedit ad inquirendum de alia opinione ponente, quod despotia et est eadem politicae, et quod est scientia quaedam. Et primo excludit primum modum. Secundo secundum, ibi, despotes quidem igitur et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit quod despotia, idest dominativa, non est idem quod politica. Secundo, quod oeconomica non est idem quod politica, ibi, et oeconomica quidem et cetera. Dicit ergo primo, quod ex praedictis potest esse manifestum, falsam esse opinionem quorumdam qui dicebant, quod despotia, idest dominativa, et politica et quilibet principatus sunt unum ad invicem: politica enim est principatus eorum qui sunt liberi secundum naturam, despotia autem est principatus servorum. Dictum est autem supra, quod secundum diversitatem subiectorum et principantium est diversitas principativa, ita quod meliorum subiectorum est melior principatus. Non est ergo idem principatus, despotia et politica, sed politica est praeeminentior.

89. Après avoir recherché la vérité relativement à l’opinion affirmant que l’esclavage n’est pas naturel, le Philosophe accède ici à l’examen de cette autre opinion qui prétend que l’autorité du maître est de même nature que celle de l’homme d’État ou du politique et qu’elle constitue une science. Et en premier lieu [54] il écarte la première affirmation. En deuxième lieu il écarte la seconde là [56] où il dit : ¨ Le maître donc etc.¨

 Au sujet du premier point il fait deux choses. Il montre d’abord que le pouvoir despotique, c’est-à-dire celui du maître, n’est pas identique à celui de l’homme d’État [54]. Deuxièmement, il montre que l’autorité domestique et celle de l’homme d’État ne sont pas identiques là [55] où il dit : ¨ Et certes l’autorité domestique etc.¨

 Il dit donc en premier [54] qu’à partir de ce qui précède il est possible de manifester que cette opinion, à savoir celle de ceux qui affirmaient que l’autorité despotique, c’est-à-dire celle du maître, est identique à celle de l’homme d’État et que toutes les formes d’autorité sont de même nature, est fausse : car l’autorité de l’homme d’État est celle qui se rapporte à des hommes qui sont libres selon la nature alors que l’autorité du maître s’adresse à des esclaves. Mais nous avons dit plus haut que le commandement qui s’exerce sur les inférieurs diffère de celui qui s’exerce sur les supérieurs de telle sorte que le commandement qui s’exerce sur les meilleurs sujets est meilleur. Donc l’autorité despotique n’est pas identique à l’autorité politique mais cette dernière au contraire est supérieure.

 

[79155] Sententia Politic., lib. 1 l. 5 n. 2 Deinde cum dicit et oeconomica quidem etc., ostendit differentiam politicae ad oeconomicam, sub qua despotia continetur, cum despotia sit principatus servorum, oeconomica vero omnium qui habitant in domo, quorum quidam sunt servi et quidam liberi. Differt ergo oeconomica a politica in hoc, quod oeconomica est quaedam monarchia, idest principatus unius; omnis enim domus regitur ab uno qui est paterfamilias: sed politica est principatus liberorum et aequalium: unde commutantur personae principantes et subiectae propter aequalitatem, et constituuntur etiam plures principatus vel in uno, vel in diversis officiis. Videtur autem haec differentia non esse conveniens. Primo quidem, quia non omnis oeconomica videtur esse monarchia, sed solum cum pater domum regit; cum vero vir et uxor dominentur, est aristocratia; cum vero fratres in domo, est thimocratia vel politica, ut dicitur in octavo Ethicorum. Secundo etiam quia monarchia est una politiarum, ut in tertio dicetur. Dicendum autem ad primum, quod philosophus loquitur hic de domus principatu secundum optimum suum statum qui perseverare potest: quod autem fratres principentur in domo, hoc non est ad semper, sed quousque haereditatem dividant, et unusquisque domum suam regat. Principatus autem uxoris in domo non est simpliciter, sed secundum quid, cum et ipsa sit subiecta viro; et si aliter accidat, est inordinatio et corruptio domus. Ad secundum dicendum, quod hic loquitur de principatu politicae, secundum quod politicum distinguitur a regali, ut supra habitum est.

90. Ensuite lorsqu’il dit [55] : ¨ Et l’autorité domestique etc.¨

 Il montre la différence qui existe entre l’autorité de l’homme d’État et l’autorité domestique qui comprend l’autorité despotique puisque cette dernière est celle qui se rapporte aux esclaves alors que l’autorité domestique s’adresse à tous ceux qui habitent la maison dont certains sont des esclaves et d’autres des hommes libres. L’autorité domestique diffère donc de l’autorité de l’homme d’État en ceci qu’elle est une certaine forme de monarchie puisqu’elle consiste dans le commandement d’un seul homme : en effet toute famille est administrée par un seul homme : le père de famille; l’autorité de l’homme d’État au contraire s’adresse à des hommes libres et égaux : d’où l’on voit que les personnes qui commandent et celles qui obéissent, en raison de leur égalité, s’échangent mutuellement leurs rôles et que de nombreux commandements sont constitués soit dans un seul soit dans plusieurs rôles. Mais cette différence ne semble pas juste. Premièrement certes parce que ce n’est pas toute autorité domestique qui semble être une monarchie mais seulement celle où c’est le père qui administre la famille; lorsque c’est à la fois l’homme et la femme qui commandent, elle est une aristocratie; lorsque ce sont les frères qui possèdent ce pouvoir sur la famille, il s’agit d’une démocratie ou d’une autorité comparable à celle de l’homme d’État ainsi qu’on le voit dans le huitième libre des Éthiques. Deuxièmement encore parce que la monarchie est une des formes d’autorité de l’homme d’État, comme nous le dirons au troisième livre de cet ouvrage.

 Mais à l’égard de la première objection, il faut dire que le Philosophe parle ici de l’administration de la famille selon le statut le plus parfait qui puisse durer : mais que les frères possèdent le pouvoir dans la famille, cela ne se produit pas toujours mais seulement dans la mesure où ils doivent se partager l’héritage et même là, chacun d’eux doit administrer sa propre famille. Et d’autre part l’autorité de l’épouse dans la famille n’est pas pure et simple mais elle s’exerce sous un certain rapport seulement puisqu’elle-même est soumise à son époux; et si les choses se passent autrement, il se produit un désordre et une détérioration de la famille. Pour ce qui est de la deuxième objection, disons que le philosophe parle ici de l’autorité de l’homme d’État selon qu’elle s’oppose à l’autorité monarchique, ainsi que nous l’avons établi plus haut.

 

[79156] Sententia Politic., lib. 1 l. 5 n. 3 Deinde cum dicit despotes quidem igitur etc., improbat praedictam opinionem quantum ad hoc, quod ponebat despotiam esse scientiam. Et primo ostendit, quod non est scientia. Secundo, quod habet quamdam scientiam adiunctam, ibi, scientia autem utique erit. Dicit ergo primo, quod despotes non dicitur secundum scientiam, quia scilicet sciat dominari, sed ex eo quod est sic dispositus secundum naturam vel legem quod dominetur; et similiter dicendum est de servo et libero. Sed despotia est qua aliquis denominatur despotes: ergo despotia non est scientia.

91. Ensuite lorsqu’il dit [56] : ¨ le maître certes¨.

 Il rejette l’opinion qui précède quand à ceci qu’elle affirmait que l’autorité du maître est une science. Et en premier lieu il montre que ce n’est pas le cas [56]. Deuxièmement, il montre qu’il existe cependant une science qui lui est rattachée, là [57] où il dit : ¨Mais une science etc.¨.

 Il dit donc en premier que le maître ne se dénomme pas ainsi d’après une science qui lui donnerait de savoir commander mais à partir de ce qu’il est ainsi disposé selon la nature ou selon la loi; et on doit dire la même chose de l’esclave ou de l’homme libre; mais l’autorité despotique est celle par laquelle quelqu’un est appelé maître ou despote; l’autorité du maître n’est donc pas une science.

 

[79157] Sententia Politic., lib. 1 l. 5 n. 4 Deinde cum dicit scientia autem etc., ostendit quod despotia habet scientiam adiunctam. Et circa hoc duo facit. Primo proponit quod intendit, dicens, quod est quaedam scientia despotica, idest dominativa, et quaedam servilis. Secundo ibi, servilis quidem etc., manifestat de utraque. Et primo de servili. Secundo de despotica, ibi, despotica autem et cetera. Dicit ergo primo, quod servilis scientia est qualem quidam in civitate Syracusanorum docuit, qui accepto pretio docuit pueros quaedam ancillaria ministeria, idest docuit eos facere quaedam ministeria, quae ancillae facere consueverunt vel alii servi. Et haec scientia ad plus se extendit, ad praeparanda pulmenta, et alia huiusmodi ministeria facienda. Quorum tamen ministeriorum differentia attendatur secundum duo: scilicet secundum dignitatem et necessitatem: quaedam enim sunt honorabiliora, tamen minus necessaria, sicut ministerium de delicatis cibariis praeparandis: quaedam autem sunt ministeria magis necessaria, sed minus honorabilia, sicut ministerium de pane faciendo. Unde et proverbium inolevit, quod non omnes servi sunt aequales, sed servus praefertur servo, sicut dominus domino. Quia igitur talia ministeria sunt servorum, manifestum est quod omnes tales scientiae sunt serviles: unde ad harum differentiam dicuntur aliquae artes liberales, quae deputantur ad actus liberorum.

92. Ensuite lorsqu’il dit [57] : ¨Mais une science¨

 Il montre que l’autorité du maître se trouve cependant à être rattachée à une certaine science. Et à ce sujet il fait deux choses. D’abord il présente son propos [57] en disant qu’il existe une science despotique qui appartient au maître, et une science de l’esclave.

 Deuxièmement, là (ibid.) où il dit : ¨ Certes la science qui se rapporte à l’esclave etc.¨,

Il manifeste l’une et l’autre science. Et en premier lieu il manifeste la science qui se rapporte à l’esclave [57]. Deuxièmement il manifeste la science qui se rapporte au maître là [58] où il dit : ¨Mais la science relative au maître etc.¨

 Il dit donc en premier lieu [57] que la science relative à l’esclave est celle qui enseignait, aux jeunes esclaves dans la cité de Syracuse moyennant un salaire, les différents services domestiques, à savoir qu’elle leur enseignait à accomplir les services que les servantes ou d’autres esclaves avaient l’habitude d’exécuter. Et cette science s’étend à plus de choses qu’à la simple préparation des mets ou qu’à la réalisation des autres services de même sorte.

 Cependant la différence entre ces services retient notre attention sur deux critères, à savoir la dignité et la nécessité : certains d’entre eux en effet sont plus honorables mais moins nécessaires, comme le service de la préparation des mets délicats; d’autres cependant sont des services plus nécessaires mais moins honorables, comme celui de la fabrication du pain. Et c’est dans cette différence que le proverbe s’enracine, qui affirme que tous les esclaves ne sont pas égaux mais que certains sont préférables à d’autres et qu’il en est de même pour les maîtres. Donc puisque de tels services appartiennent aux esclaves, il est manifeste que tous les savoirs de cette sorte sont serviles : c’est pourquoi, à la différence de ceux-là, certains arts sont appelés libéraux, à savoir ceux qui se rapportent aux opérations des hommes libres.

 

[79158] Sententia Politic., lib. 1 l. 5 n. 5 Deinde cum dicit despotica autem etc., manifestat quae sit despotica scientia. Et circa hoc tria facit. Primo manifestat propositum. Secundo ostendit conditionem despoticae scientiae, ibi, est autem haec scientia et cetera. Tertio agit de quadam scientia affini, ibi, acquisitiva autem et cetera. Dicit ergo primo, quod despotica scientia dicitur per quam aliquis scit bene uti servis, non autem illa per quam aliquis acquirit servos. Et hoc probat per hoc, quod aliquis dicitur despotes, idest dominus, non in possidendo, idest in acquirendo servos, sed magis in hoc quod utitur ipsis.

93. Ensuite lorsqu’il dit [58] : ¨ Mais la science du maître etc.¨

 Il manifeste ce qu’il en est de la science du maître. Et à ce sujet il fait trois choses. D’abord [58] il manifeste son propos. Deuxièmement il montre le statut de la science du maître, là [59] où il dit : ¨Mais cette science est etc.¨ Troisièmement il traite d’une science qui lui est apparentée là [60] où il dit : ¨ Mais l’art d’acquérir est différent etc.¨

 Il dit donc en premier lieu [58] qu’on appelle science du maître celle au moyen de laquelle quelqu’un sait comment bien se servir des esclaves, et non celle par laquelle il les acquiert. Et il prouve cela au moyen de ceci, à savoir qu’on appelle maître, c’est-à-dire seigneur, non pas celui qui possède les esclaves pour les avoir acquis, mais plutôt celui qui sait s’en servir.

 

[79159] Sententia Politic., lib. 1 l. 5 n. 6 Deinde cum dicit est autem haec scientia etc., ostendit conditionem huius scientiae; et dicit, quod haec scientia non est magnae aestimationis aut venerationis. Et hoc probat primo per rationem: quia scilicet dominativa scientia in hoc consistit, ut homo sciat uti servis praecipiendo eis: et hoc non est magnum: eadem enim sunt quae scire oportet servum ad faciendum, et dominum ad praecipiendum: unde patet quod non est magni momenti talis scientia. Secundo manifestat idem per consuetudinem humanam: quia enim haec scientia non reputatur alicuius momenti, ideo quicumque possunt se expedire ut non patiantur hoc malum, idest ut non impediantur circa curam servorum, ipsi expediunt se et vacant vel vitae politicae vel vitae civili, vel vitae philosophicae; curam autem servorum committunt alicui procuratori.

94. Ensuite lorsqu’il dit [59] : ¨ Cette science cependant est etc.¨

 Il montre le statut de ce savoir; et il dit que cette science n’a rien de très estimable ni de très honorable. Et il le montre d’abord au moyen d’une raison : à savoir que la science du maître consiste en ceci que l’homme sait comment se servir des esclaves en usant de son autorité et il n’y a rien de grand en cela : ce sont les mêmes choses en effet que l’esclave doit savoir faire et que le maître doit savoir commander; d’où il est évident qu’une telle science n’a pas une grande importance.

 Deuxièmement il manifeste la même chose au moyen de ce qui est en usage parmi les hommes : car en effet ce savoir n’est pas réputé avoir une grande importance; c’est pourquoi ceux qui peuvent éviter de souffrir cet ennui pour ne pas être absorbés dans l’administration des esclaves s’en libèrent pour se consacrer à la vie politique, à la vie sociale ou à la philosophie en déléguant à un commissaire le soin d’administrer les esclaves.

 

[79160] Sententia Politic., lib. 1 l. 5 n. 7 Deinde cum dicit acquisitiva autem etc., quia dixerat, quod despotica scientia non consistit in acquirendo servos, subdit quod quaedam alia scientia est acquisitiva servorum, quae differt et a servili et a despotica: et haec est multiplex. Exemplificat autem de duabus: per quarum unam acquirit homo homines in servos, et haec est scientia peragendi iusta bella, in quibus qui capiuntur iure servi efficiuntur (si autem bellum esset iniustum, non esset iusta acquisitio servorum, unde non esset secundum scientiam); alia autem scientia est, per quam homo acquirit bestias in servos, et ista est scientia venandi.

95. Ensuite lorsqu’il dit [60] : ¨ Mais l’art d’acquérir etc.¨

 Parce qu’il avait dit que la science du maître ne consiste pas à acquérir les esclaves, il ajoute que l’art d’acquérir les esclaves diffère à la fois du savoir de l’esclave et du savoir du maître et qu’il comporte divers aspects. Et il illustre les deux formes de cet art : et l’une d’elles est celle au moyen de laquelle l’homme acquiert d’autres hommes comme esclaves, et cette dernière est la science qui consiste à savoir poursuivre des guerres justes dans lesquelles ceux qui sont pris en captivité sont conduits en esclavage ( mais si la guerre était injuste, l’acquisition des esclaves ne serait pas juste et elle ne serait pas une science); et l’autre est la science par laquelle l’homme acquiert des bêtes à son service et cet art est celui de la chasse.

 

[79161] Sententia Politic., lib. 1 l. 5 n. 8 Ultimo autem epilogando concludit, quod de domino et servo intantum determinatum sit.

96. Finalement il termine en concluant qu’il a suffisamment traité du maître et de l’esclave.

 

 

 

 

Lectio 6

LEÇON 6 (nn. 97-110; [61-70]) ─ Comment les richesses peuvent être acquises conformément à la nature. Et que ces dernières sont autant d’instruments variés ordonnés à la vie familiale et publique.

Leçon 6

[79162] Sententia Politic., lib. 1 l. 6 n. 1 Totaliter autem de omni possessione et cetera. Postquam philosophus determinavit de domino et servo, qui est possessio quaedam, hic determinat communiter de omni possessione. Et dividitur in partes duas. In prima determinat de ea quantum ad scientiam. In secunda quantum ad usum, ibi, quoniam autem quae ad scientiam et cetera. Circa primum duo facit. Primo dicit de quo est intentio. Secundo movet dubitationes, ibi, primum quidem igitur et cetera. Dicit ergo primo, quod quia dictum est de servo, quod servus est quaedam possessio, oportet considerare eo modo, quo tractavimus de servo, universaliter de omni possessione, et de arte quae est de pecuniis.

97. Après avoir traité du maître et de l’esclave, ce dernier étant considéré comme une sorte de propriété, il traite par la suite ici de toute forme de propriété.

 Et il divise ce sujet en deux parties. Dans la première il traite de la propriété sous le rapport du savoir [61]; dans la deuxième il l’examine quant à l’usage, là [90] où il dit : ¨ Mais puisque les choses qui sous le rapport du savoir etc.¨

 Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il dit quel est son propos [61]. Deuxièmement il soulève une question, là [62] où il dit : ¨En premier lieu on pourra se demander etc.¨

 Il dit donc en premier lieu [61] que puisqu’on a dit de l’esclave qu’il est une sorte de propriété, il faut examiner selon une méthode identique ce qu’il en est universellement de toute propriété et de l’art d’acquérir les richesses.

 

[79163] Sententia Politic., lib. 1 l. 6 n. 2 Deinde cum dicit primum quidem igitur etc., movet quasdam dubitationes. Primo movet eas. Secundo incipit eas solvere, ibi, quod quidem igitur et cetera. Prima autem dubitatio dividitur in duas; quarum prima est, utrum ars pecuniativa, idest acquirendi pecunias, sit omnino eadem oeconomiae, vel sit potius pars quaedam ipsius; aut non sit eadem, neque pars, sed potius subministrativa. Manifestum est enim, quod pecuniativa aliquo modo ad oeconomicam pertinet: unde oportet quod aliquo istorum modorum se habeat ad eam. Non autem idem est, quod aliqua ars sit pars alterius, et quod sit subministrativa ei; nam ars dicitur esse pars alterius artis, quae considerat partem eius, quod considerat alia ars; sicut ars quae facit cultellum, est ars fabrilis, quia cultellus est quaedam species operum ex ferro factorum. Ars autem subministrativa dicitur, quae facit aliquid in ministerium alterius artis, sicut ars quae fodit ferrum, subministrat arti fabrili. Et quia pecunia est in ministerium domus, ideo magis videtur esse subministrativa quam pars.

98. Ensuite lorsqu’il dit [62]: ¨ En premier lieu on etc.¨

 Il soulève certaines questions. Et d’abord il les soulève [62]. Deuxièmement il commence à y répondre, là [63] où il dit : ¨ Donc, certes, que etc.¨

 Mais la première question se divise en deux [62] dont la première se présente ainsi : est-ce que l’art de l’enrichissement, c’est-à-dire l’art d’acquérir les richesses, est tout à fait identique à l’art de l’administration domestique, c’est-à-dire à l’économique, ou s’il n’en est pas plutôt une partie; ou s’il n’est pas identique à l’économique et qu’il n’en est pas une partie, en est-il un auxiliaire? Il est manifeste en effet que l’art d’acquérir les richesses se rapporte d’une certaine manière à l’administration domestique; d’où il suit qu’il doit s’y rapporter selon une de ces modalités.

 Mais l’art qui fait partie d’une autre et celui qui en est l’auxiliaire ne sont pas identiques. Car l’art qu’on dit faire partie d’un autre art est celui qui considère une partie de ce que considère un autre art, comme l’art qui fabrique les couteaux est un art qui fait partie de l’art du forgeron car le couteau est une partie des choses qui sont fabriquées à partir du fer. Mais on appelle auxiliaire l’art qui fait quelque chose au service d’un autre art, comme l’art qui fond le fer prête assistance à l’art du forgeron. Et parce que les richesses sont au service de la maison, il semble que l’art de les acquérir soit davantage un auxiliaire de l’administration domestique qu’un art qui en est une partie.

 

[79164] Sententia Politic., lib. 1 l. 6 n. 3 Et ideo movet secundam dubitationem. Invenitur enim, quod una ars ministrat alii dupliciter. Uno modo praeparando ei organum quo operatur; sicut ars quae facit pectinem cum quo texitur, ministrat arti textili proprium instrumentum. Alio modo, quia exhibet ei materiam qua operatur; sicut ars quae praeparat aes deservit arti quae facit statuam ex aere, et illa quae praeparat lanam deservit textori. Est ergo dubitatio, utrum ars acquirendi pecuniam deserviat oeconomicae, sicut praeparans materiam, vel sicut praeparans instrumentum.

99. Et c’est pour cette raison qu’il soulève la deuxième question. Il se trouve en effet que c’est de deux manières qu’un art peut être au service d’un autre. Premièrement, en lui préparant les instruments dont il se sert dans ses opérations comme l’art qui fabrique le peigne avec lequel on tisse fournit à l’art du tisserand son instrument propre. D’une deuxième manière, en lui présentant la matière sur laquelle il opère, comme l’art qui prépare le bronze est au service de l’art qui produit la statue à partir de ce métal, et celui qui prépare la laine est au service de l’art du tisserand. Le doute soulevé est donc celui-ci : est-ce que l’art d’acquérir les richesses est au service de l’administration domestique à titre d’art qui prépare la matière ou à titre d’art qui prépare l’instrument?

 

[79165] Sententia Politic., lib. 1 l. 6 n. 4 Deinde cum dicit quod quidem igitur etc., incipit solvere praedictas dubitationes. Et primo ostendit, quod pecuniativa non est eadem oeconomicae. Secundo inquirit, utrum sit pars eius, aut subministrativa vel potius sit aliquid extraneum ab ea, ibi, utrum autem pars ipsius est et cetera. Primo ergo solvit primam dubitationem, ostendens quod pecuniativa non sit omnino eadem oeconomicae: quia ad pecuniativam pertinet acquirere pecunias, ad oeconomicam autem pertinet uti eis. Nulla enim alia ars est, ad quam pertineat uti his quae sunt utilia domui, nisi oeconomicae. Manifestum est autem etiam in aliis, quod ars quae utitur est alia ab ea quae facit vel acquirit; sicut ars gubernatoria est alia a navifactiva; ergo oeconomica est alia a pecuniativa. Ex quo etiam manifestum est, quod pecuniativa magis est ministrativa quam pars: semper enim ars factiva deservit arti utenti, sicut quae facit fraenum militari. Ex quo etiam manifestum fit, quod pecuniativa magis subministrat per modum praeparantis instrumenta, quam per modum praeparantis materiam. Pecunia enim et omnes divitiae sunt quaedam instrumenta oeconomicae, ut infra dicetur.

100. Ensuite lorsqu’il dit [63] : ¨ Donc, que etc.¨

 Il commence à répondre aux questions précédentes. Et il montre en premier lieu que l’art d’acquérir les richesses n’est pas identique à l’art de l’administration domestique. Deuxièmement il se demande s’il en est une partie ou s’il n’est pas plutôt un art qui lui prête assistance ou s’il n’est pas finalement quelque chose qui lui est étranger, là [64] où il dit : ¨ Mais en est-il une partie etc.¨

 En premier lieu donc il répond à la première question [63], montrant que l’art d’acquérir les richesses n’est absolument pas identique à l’art d’administrer la maison ou à l’économique, car il appartient à l’art de faire des affaires d’acquérir des richesses alors qu’il appartient à celui de l’administration domestique d’en faire un bon usage. Il n’existe aucun autre art que celui de l’administration domestique auquel il appartient de bien user des choses qui sont utiles à la maison.

 Mais il est manifeste aussi dans bien d’autres domaines que l’art qui utilise les choses diffère de celui qui les fabrique ou qui les acquiert, comme l’art de gouverner les navires diffère de celui qui les fabrique. Donc, l’art d’administrer la maison, l’économique, diffère de l’art d’acquérir les richesses.

 Et à partir de là il est évident que l’art d’acquérir les richesses est davantage un art qui est au service de l’économique qu’une partie de cette dernière. Toujours en effet l’art qui fabrique une chose est au service de l’art qui s’en sert, comme l’art qui fabrique les brides est au service de l’art militaire.

 Et à partir de là il devient aussi évident que l’art de faire des affaires est un art qui prête assistance à l’économique davantage par mode de préparation de l’instrument que par mode de préparation de la matière. En effet, l’argent et toutes les autres formes de richesses sont comme autant d’instruments de l’économique ou de celui qui administre la maison, comme nous le verrons plus loin.

 

[79166] Sententia Politic., lib. 1 l. 6 n. 5 Deinde cum dicit utrum autem pars (ipsius) est etc., inquirit, utrum pecuniativa sit pars oeconomicae vel aliquid extraneum ab ipsa; et dividitur in partes duas. In prima movet dubitationem. In secunda prosequitur eam, ibi, si enim est pecuniativae et cetera. Dicit ergo primo, quod cum pecuniativa non sit eadem oeconomicae, quae universaliter utitur divitiis et possessionibus, dubitari potest, utrum pecuniativa sit quaedam pars ipsius oeconomicae, aut sit altera species ab oeconomica.

101. Ensuite lorsqu’il dit [64] : ¨ Mais est-ce que etc.¨

 Il se demande si l’art d’acquérir les richesses est une partie de l’économique ou plutôt un art qui lui est étranger; et il divise cette question en deux parties. En premier lieu il soulève la question [64]. Dans la deuxième il l’examine là [65] où il dit : ¨ Si en effet il appartient à l’homme d’affaires etc.¨.

 Il dit donc en premier lieu [64] que puisque l’art d’acquérir les richesses n’est pas identique à celui qui les administre, lequel fait usage universellement de toutes les richesses et de toutes les formes de propriétés, on pourrait se demander si l’art d’acquérir les richesses est une partie de l’économique ou s’il est un art d’une espèce différente.

 

[79167] Sententia Politic., lib. 1 l. 6 n. 6 Deinde cum dicit si enim est pecuniativae etc., prosequitur praedictam dubitationem. Et primo ostendit differentiam pecuniativae ad aliam possessivam. Secundo determinat propositam quaestionem, ibi, palam autem et quod dubitabant et cetera. Circa primum tria facit. Primo movet dubitationem de differentia pecuniativae ad alias possessivas. Secundo determinat de alia possessiva, ibi, insuper species multae ciborum et cetera. Tertio determinat de pecuniativa, ibi, est autem genus aliud et cetera. Dicit ergo primo, quod cum ad pecuniativam pertineat considerare, unde pecuniae acquirantur; multa autem alia possidentur praeter pecuniam, sicut terrae nascentia et alia huiusmodi: quaestio est de agricultura per quam aliquae divitiae acquiruntur, utrum sit quaedam pars pecuniativae, vel aliud genus artis: et quia agricultura ordinatur ad acquirendum cibum, eadem quaestio potest moveri de arte quae ordinatur ad acquirendum universaliter cibum.

102. Ensuite lorsqu’il dit ¨ Si en effet il appartient etc.¨.

 Il examine la question précédente. Et en premier lieu il montre la différence qui existe entre l’art d’acquérir l’argent et l’art d’acquérir les autres formes de propriétés [65]. Deuxièmement il répond à la question présentée là [86] où il dit : ¨ Mais manifestement ce qu’on se demandait etc.¨.

 Au sujet du premier point il fait trois choses. D’abord il soulève la question sur la différence entre l’art d’acquérir l’argent et l’art d’acquérir les autres formes de propriétés [65]. Deuxièmement il détermine de l’art d’acquérir les autres formes de propriétés, là [66] où il dit : ¨ En outre il existe plusieurs espèces de nourritures etc.¨. Troisièmement il détermine de l’art d’acquérir de l’argent là [71] où il dit : ¨ Il y a un autre genre etc.¨.

 Il dit donc en premier lieu [65] que puisque c’est à l’art d’acquérir de l’argent qu’il appartient de considérer d’où proviennent les richesses, et qu’il existe bien d’autres formes de possessions que l’argent, comme la terre ancestrale et d’autres possessions de ce genre, la question est de savoir si l’agriculture, au moyen de laquelle certaines richesses sont acquises, est une partie de l’art d’acquérir de l’argent ou bien si elle est un art de genre différent : et parce que l’agriculture est un art ordonné à l’acquisition de la nourriture, la même question peut être soulevée pour tout autre art qui cherche à acquérir des biens.

 

[79168] Sententia Politic., lib. 1 l. 6 n. 7 Deinde cum dicit insuper species multae etc., solvit propositam quaestionem. Et primo dividit acquisitionem ciborum in multas partes. Secundo ostendit qualis sit, ibi, talis quidem igitur acquisitio et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit diversitatem ciborum in animalibus. Secundo in hominibus, ibi, similiter autem et hominum et cetera. Dicit ergo primo, quod multae sunt ciborum species; et ex hoc diversificantur modi vivendi tam in animalibus quam in hominibus: cum enim non sit possibile vivere sine cibo, necesse est quod secundum differentiam ciborum differat modus vivendi in animalibus: videmus enim quod quaedam bestiae vivunt congregata in multitudine et quaedam vivunt dispersa et separata secundum quod expedit ad cibum ipsorum; quaedam enim ipsorum sunt animalifaga, id est comedentia animalia, fagi enim in Graeco idem est quod comedere; quaedam vero comedunt fructus, quaedam vero comedunt indifferenter omnia. Unde natura distinxit vitas eorum, secundum cibos quos eligunt naturaliter, et secundum quod vivunt in desidia vel in pugna: nam ea quae comedunt animalia alia oportet esse pugnativa et quod dispersa vivant, aliter enim non possent cibum invenire; sed animalia quae comedunt cibum, qui de facili potest inveniri, vivunt simul. Et quia in quolibet dictorum generum diversa sunt delectabilia diversis animalibus; non enim omnia animalia comedentia carnes delectantur in eisdem carnibus, et similiter nec omnia animalia comedentia fructus delectantur in eisdem fructibus: inde contingit quod etiam animalium quae comedunt carnes, sunt diversi modi vivendi, et similiter eorum quae comedunt fructus.

103. Ensuite lorsqu’il dit [66] : ¨ En outre plusieurs espèces etc.¨.

 Il répond à la question présentée. Et en premier lieu il divise l’acquisition de la nourriture en plusieurs parties [66]. Deuxièmement il montre quelle est cette acquisition, là [68] où il dit : ¨ Donc une telle acquisition est certes etc.¨.

 Au sujet du premier point il fait deux choses. D’abord il montre les différentes formes d’alimentation chez les animaux [66]. Deuxièmement il montre la même chose chez les êtres humains là [67] où il dit : ¨ Mais il en est de même chez les hommes etc.¨.

 Il dit donc en premier lieu [66] qu’il existe de nombreuses sortes de nourritures; et c’est à partir de là que les modes de vie diffèrent tant chez les animaux que chez les humains : en effet, puisqu’il n’est pas possible de vivre sans nourriture, il est nécessaire que ce soit selon les différences d’alimentation que diffèrent les modes de vie chez les animaux : nous voyons en effet que certaines bêtes vivent assemblées dans une multitude alors que d’autres vivent dispersées et séparément selon qu’il convient à leur mode d’alimentation; certaines en effet se nourrissent de chair animale, d’autres en vérité se nourrissent de fruits alors que d’autres enfin se nourrissent indifféremment de tout ce qui leur tombe sous la patte.

 C’est pourquoi il ne distingue pas leurs modes de vie, mais les aliments vers lesquels ils tendent naturellement, et d’après lesquels ils vivent soit dans l’oisiveté, soit dans le combat : car les bêtes qui se nourrissent des autres animaux doivent être combatives et vivre en solitaires car autrement en effet elles ne pourraient trouver de nourriture; mais les animaux qui se nourrissent d’aliments qui peuvent être trouvés facilement vivent ensemble. Et parce que ce sont différents aliments qui plaisent à différents animaux selon leur genre, car ce ne sont pas tous les carnivores qui se délectent dans les mêmes sortes de chairs et de même ce ne sont pas tous ceux qui se nourrissent de fruits qui prennent plaisir aux mêmes sortes de fruits, il arrive à cause de cela qu’on retrouve différentes modes de vie chez les bêtes qui sont carnivores comme chez celles qui se nourrissent de fruits.

 

[79169] Sententia Politic., lib. 1 l. 6 n. 8 Deinde cum dicit similiter autem et hominum etc., ostendit diversitatem ciborum in hominibus: et dicit quod etiam secundum diversitatem ciborum in multis differunt vitae hominum. Tripliciter enim acquirunt aliqui nutrimentum. Quidam enim acquirunt cibum, neque laborant neque depraedant; et isti sunt otiosissimi: scilicet pastores: quia cibus qui fit a domesticis animalibus, puta ab ovibus, absque labore fit hominibus viventibus in otio; sed hunc solum laborem habent quod cum fuerit necessarium pecoribus propter pascua transire de loco ad locum, tunc et ipsi coguntur sequi tamquam si colerent quemdam agrum qui viveret et moveretur. Alii vero sumunt nutrimentum ex praeda, vel quam acquirunt ab hominibus, sicut latrones, vel quam acquirunt ex aquis stagnorum, paludum, fluviorum et in aliis, sicut piscatores; vel ex agris et silvis, sicut venatores avium et bestiarum. Tertium genus vivendi est quod pluribus hominum convenit quod vivunt ex his quae nascuntur in terra et ex domesticis fructibus: et isti habent cibum elaboratum. Hae igitur sunt plurimum vitae hominum: praeter eos enim qui habent cibum elaboratum et qui vivunt de negotiatione, de qua infra agetur, sunt quatuor vitae simplices: scilicet pascualis, furativa, piscativa et venativa, ut ex dictis patet: sed cum vita hominum sit deficientissima eo quod multis indiget, quidam ad hoc quod per se sibi sufficiant, in omnibus miscent praedictas vitas; et ita delectabiliter vivunt supplentes sibi ex una quod deest sibi ex altera: sicut quidam exercent simul vitam pascualem et furativam, quidam simul agricultivam et venativam, et similiter alias vitas secundum quod unicuique est opportunum.

104. Ensuite lorsqu’il dit [67] : ¨ Mais de même etc.¨.

 Il montre les différentes formes d’alimentation chez les hommes : et il dit que c’est aussi d’après la différence d’alimentation que les hommes diffèrent de plusieurs manières quant à leur mode de vie. En effet c’est de trois manières que les humains acquièrent la nourriture.

 Certains acquièrent la nourriture sans travailler ni piller; et ces derniers sont les plus oisifs : ce sont ceux qui font paître les troupeaux, c’est-à-dire les pasteurs : car la nourriture qui provient des animaux domestiques, par exemple des bœufs, est acquise par les hommes vivant dans l’oisiveté; mais leur seul travail consiste, puisqu’il est nécessaire aux troupeaux de passer d’un lieu à un autre dans la recherche des pâturages, à suivre ces derniers comme s’ils cultivaient un champ vivant en continuel déplacement.

 D’autres tirent leur nourriture de la prédation, soit qu’ils l’acquièrent des hommes comme les voleurs, soit qu’ils la tirent des lacs, des marais, des fleuves ou de d’autres cours d’eaux comme les pêcheurs, soit qu’ils la trouvent dans les champs et les forêts, comme les chasseurs d’oiseaux et de bêtes sauvages.

 Le troisième genre de vie est celui qu’on retrouve chez la plupart des humains, c’est-à-dire chez ceux qui vivent de ce qui naît de la terre et des fruits qu’ils ont cultivés : et ces derniers jouissent d’une nourriture acquise par le travail.

 Donc ces genres de vie sont les plus répandus parmi les humains : en effet à part ceux qui possèdent une nourriture tirée de leur travail et ceux qui vivent du commerce dont nous parlerons plus loin, il existe quatre formes simples de vie : les pasteurs, les voleurs, les pêcheurs et les chasseurs ainsi qu’on le voit à partir de ce que nous avons dit : mais comme la vie des hommes est la plus insatisfaite en raison de ses besoins nombreux et insatiables, certains, en vue de se suffire à eux-mêmes, exercent simultanément et combinent plusieurs des modes de vie qui précèdent : et ceux-là vivent agréablement qui suppléent à ce qui leur manque dans un mode de vie au moyen de ce qu’ils trouvent dans un autre, comme le font ceux qui exercent simultanément la vie pastorale et le vol, ceux qui font à la fois profession d’agriculteur et de chasseur et comme d’autres le font pour toutes les autres formes de vie selon ce qui leur convient.

 

[79170] Sententia Politic., lib. 1 l. 6 n. 9 Deinde cum dicit talis quidem igitur etc., ostendit qualis sit praedicta possessiva quae est acquisitiva cibi. Et primo ostendit quod est naturalis. Secundo quod est pars oeconomicae, ibi, una quidem igitur species et cetera. Tertio quod non est infinita, ibi, et videntur verae divitiae et cetera. Circa primum ponit talem rationem. Sicut natura providet animalibus statim in prima eorum generatione, ita et postquam eorum generatio fuerit perfecta. Providet autem eis de nutrimento in prima eorum generatione: et hoc patet in diversis animalibus: sunt enim quaedam animalia non generantia animal perfectum, sed faciunt ova, sicut aves vel vermes quosdam loco ovorum, sicut patet in formicis et in apibus et in aliis huiusmodi: et huiusmodi animalia coekpariunt, id est simul pariunt cum propriis foetibus tantum de nutrimento quantum sufficere possit, quousque animal generatum perveniat ad perfectum: sicut patet in ovo, cuius rubeum cedit in nutrimentum pulli qui generatur ex albo ovi, et hoc quamdiu pullus est intra testam; simile est in vermibus. Quaedam autem animalia sunt quae generant animal perfectum, sicut equus et alia huiusmodi; et in talibus animalia quae pariunt habent usque ad aliquod tempus cibum in seipsis ab nutrimentum genitorum, qui quidem cibus vocatur lac. Et sic patet quod in prima generatione natura providet animalibus de cibo. Unde manifestum est quod postquam iam animalia sunt perfecta, natura providet eis de cibo: ita quod plantae sunt propter alia animalia, ut ex eis nutriantur; alia vero animalia sunt propter homines: domestica quidem et propter cibum et propter alias utilitates: sylvestria vero, etsi non omnia, tamen plurima eorum cedunt in cibum hominis, vel aliquo alio modo in auxilium eius, inquantum homo ex eis acquirit vestitum, scilicet de pellibus eorum; vel etiam alia instrumenta, ut puta de cornibus, ossibus, aut dentibus. Et sic manifestum est quod homo indiget ad suam vitam aliis animalibus et plantis.

105. Ensuite lorsqu’il dit : ¨ Certes une telle etc.¨

 Il montre quelle est cette appropriation qui contribue à acquérir la nourriture. Et il montre en premier lieu qu’elle est naturelle [68]. Deuxièmement il montre qu’elle est une partie de l’administration domestique, là [69] où il dit : ¨ Voilà donc une espèce d’acquisition etc.¨. Troisièmement il montre qu’elle n’est pas infinie, là [70] où il dit : ¨ Et ils semblent être les vraies richesses etc.¨.

 Au sujet du premier point il présente la raison qui suit [68] : tout comme la nature fournit aux animaux dès leur naissance tout ce qui leur convient, il en est de même lorsqu’ils ont atteint leur plein achèvement. Que la nature leur fournit la nourriture dès leur naissance, cela est évident chez toutes les espèces animales : il y a en effet des animaux qui n’engendrent pas des animaux dans leur forme achevée, mais ils produisent des œufs, comme on le voit chez les oiseaux, ou des vers à la place des œufs comme on l’observe chez les fourmis, les abeilles et les autres insectes du même genre; et de tels animaux préparent à leurs rejetons autant de nourriture qu’ils en ont besoin, jusqu’à ce que l’animal engendré parvienne à sa perfection comme on le voit dans l’œuf dont le jaune diminue lors de l’alimentation de l’oisillon qui est engendré à partir de l’œuf blanc, tant que l’oisillon est à l’intérieur de la coquille; et il en est de même chez les vers. Mais il existe d’autres animaux qui sont engendrés dans leur forme achevée, comme les chevaux et les autres animaux de même sorte; et chez ceux-là les animaux qui mettent bas possèdent en eux pendant une certaine période de temps l’aliment qui est destiné à l’alimentation de leurs rejetons et qu’on appelle le lait. C’est ainsi qu’il est évident que la nature pourvoit les animaux de leurs aliments dès leur naissance.

 Et de là il est manifeste qu’une fois que les animaux ont atteint leur maturité, la nature leur fournit encore leur nourriture : c’est ainsi que les plantes existent en vue des animaux puisque c’est d’elles qu’ils se nourrissent; et les animaux en vérité existent en vue des êtres humains : les animaux domestiques certes servent à leur alimentation et à d’autres commodités : les animaux sauvages, sinon tous, du moins la plupart, finissent leur vie comme repas pour l’homme, ou en quelque autre manière comme ressource quelconque pour satisfaire d’autres besoins, dans la mesure où l’homme tire son vêtement de leurs peaux ou encore dans la mesure où il tire d’autres instruments de leurs cornes, de leurs os ou de leurs dents. Et ainsi il est évident que l’homme a besoin des autres animaux et des plantes pour vivre.

 

[79171] Sententia Politic., lib. 1 l. 6 n. 10 Sed natura, neque dimittit aliquid imperfectum, neque facit aliquid frustra; ergo manifestum est quod natura fecit animalia et plantas ad sustentationem hominum. Sed quando aliquis acquirit id quod natura propter ipsum fecit, est naturalis acquisitio: ergo possessiva qua huiusmodi acquiruntur, quae pertinent ad necessitatem vitae, est naturalis, et pars eius est praedativa, qua oportet uti et ad bestias quae naturaliter sunt subiectae homini, et ad homines barbaros qui sunt naturaliter servi, ut supra dictum est, ac si hoc sit primum iustum bellum secundum naturam. Dixit autem praedativam esse partem huius possessivae, quia alia pars est agricultura, quae acquirit nutrimentum ex plantis.

106. Mais la nature ne laisse rien d’inachevé et ne fait rien en vain. Il est donc évident que la nature a produit les végétaux et les animaux pour conserver l’être humain. Mais quand un être acquiert ce que la nature a produit pour lui, cette acquisition est naturelle : donc cette appropriation, grâce à laquelle ces choses qui sont acquises se rapportent aux nécessités de la vie, est naturelle : et une des parties de cette appropriation est la chasse par laquelle il faut se servir des bêtes sauvages, qui sont par nature assujetties à l’être humain, et des barbares qui sont esclaves par nature, comme nous l’avons dit plus haut, s’il s’agit là d’une guerre qui soit juste par nature. Et il dit que la chasse est une partie de cette appropriation car l’agriculture en est l’autre partie, laquelle acquiert la nourriture à partir des plantes.

 

[79172] Sententia Politic., lib. 1 l. 6 n. 11 Deinde cum dicit una quidem igitur etc., concludit ex praemissis quod quaedam naturalis species possessivae de qua iam dictum est, est pars quaedam oeconomicae, secundum quod pars dicitur esse quae est subministrativa: subministrat enim non solum oeconomicae, sed etiam politicae; et hoc ideo, quia oportet ad actum politici et oeconomici, (ut existant) aut acquirantur et illae res quae thesaurizantur ad necessitatem vitae et utilitatem communitatis, tam domus quam civitatis; quia neque domus neque civitas potest gubernari sine necessariis vitae.

107. Ensuite lorsqu’il dit [69]: ¨ Certes, une etc.¨.

 Il conclut à partir de là que cette espèce naturelle d’appropriation dont nous venons de parler est une certaine partie de l’administration domestique au sens où on entend par là qu’elle lui prête assistance : elle prête en effet assistance non seulement à l’administration domestique mais aussi à l’administration publique de la cité; et il en est ainsi parce qu’il faut, tant pour l’homme d’état que pour l’administrateur de la maison, que soient acquises ces choses qui sont amassées en vue de satisfaire aux nécessités de la vie et aux commodités de la vie de la communauté, tant pour la famille que pour la cité; car ni la maison ni la cité ne peuvent être gouvernées sans les ressources qui sont nécessaires à la conservation de la vie.

 

[79173] Sententia Politic., lib. 1 l. 6 n. 12 Deinde cum dicit et videntur verae divitiae etc., ostendit quod praedicta possessiva non est infinita. Et dicit quod verae divitiae sunt ex huiusmodi rebus quibus subvenitur necessitati naturae. Ideo autem istae sunt verae divitiae, quia possunt tollere indigentiam et facere sufficientiam habenti eas, ut scilicet homo sit sibi sufficiens ad bene vivendum. Sunt autem quaedam aliae divitiae, quarum possessio est infinita, ut infra dicetur; de quibus Solon qui fuit unus de septem sapientibus dixit in suo poemate, quod nullus terminus divitiarum potest praefiniri hominibus: unde tales non sunt verae divitiae, quia non replent hominis appetitum.

108. Ensuite lorsqu’il dit [70] : ¨ Et elles semblent etc.¨.

 Il montre que l’appropriation qui dont on vient de parler n’est pas infinie. Et il dit que les véritables richesses proviennent de ce genre de choses par lesquelles on répond aux nécessités naturelles. Et c’est pour cette raison que ces choses sont les vraies richesses, à savoir parce qu’elles contribuent à supporter l’indigence et à rendre autonomes ceux qui les possèdent afin qu’ils se suffisent à eux-mêmes dans la recherche du bien vivre. Mais il existe certaines autres richesses dont la possession est infinie, comme nous le verrons et au sujet desquelles Solon, qui fut l’un des sept sages, dit dans son poème qu’aucune limite de richesse ne peut être imposée aux hommes : il s’ensuit donc que ces richesses dont il parle ne sont pas les véritables richesses car elles ne comblent pas les besoins fondamentaux de l’homme.

 

[79174] Sententia Politic., lib. 1 l. 6 n. 13 Quod autem divitiae quae consistunt ex rebus necessariis ad vitam, sint finitae, probat tali ratione. Nullius actus instrumentum est infinitum neque multitudine neque magnitudine: ars enim fabrilis non habet infinitos martellos, neque etiam unum martellum infinitum. Sed praedictae divitiae sunt quaedam organa oeconomici et politici, quia eis utuntur ad gubernationem domus vel civitatis, ut dictum est. Ergo huiusmodi divitiae non sunt infinitae, sed est eis aliquis terminus.

109. Mais que ces richesses qui consistent dans les choses nécessaires à la vie soient limitées, il le prouve au moyen de la raison qui suit. Aucun instrument correspondant à une opération n’est infini en nombre ou en grandeur : en effet l’art du forgeron ne possède pas une infinité de marteaux et aucun de ces derniers n’est infini en grandeur. Mais les richesses dont nous venons de parler sont des instruments de l’économique et du politique car ces derniers s’en servent pour l’administration de la famille et pour celle de la cité ainsi que nous l’avons vu. Ces sortes de richesses ne sont donc pas illimitées mais au contraire elles ont des bornes.

 

[79175] Sententia Politic., lib. 1 l. 6 n. 14 Et ultimo epilogando concludit quod est quaedam naturalis possessiva quae est necessaria et oeconomicis et politicis; et propter quam causam, manifestum est ex dictis.

110. Et finalement, comme en résumant, il conclut qu’il existe une appropriation naturelle qui est nécessaire à la fois à celui qui administre la famille et à celui qui administre la cité; et pour quelle raison il en est ainsi, cela est évident en partant de ce que nous avons dit.

 

 

 

 

Lectio 7

LEÇON 7 (nn. 111-121; [71-81]) ─ De l’acquisition par l’échange en vendant les choses inutiles pour acheter celles qui sont nécessaires. De l’invention de la monnaie et d’abord de celle qui est grossière puis ensuite de celle qui porte une empreinte d’où est née la recherche de l’argent.

Leçon 7

[79176] Sententia Politic., lib. 1 l. 7 n. 1 Est autem genus aliud et cetera. Postquam philosophus determinavit de una parte possessivae quae est acquisitiva cibi et aliorum necessariorum vitae, hic determinat de alia possessiva quae appellatur pecuniativa. Et circa hoc duo facit. Primo proponit conditionem ipsius. Secundo determinat de ea, ibi, sumamus autem de ipsa et cetera. Circa primum tria determinat de hac secunda parte possessivae. Primo enim determinat nomen eius; dicens quod vocatur pecuniativa, quia scilicet insistit circa acquisitionem pecuniarum. Secundo dicit de ea, quod quia acquisitio pecuniarum est in infinitum, propter istam partem possessivae videtur hominibus quod nullus sit terminus divitiarum et possessionis: multi enim reputant quod haec pars possessivae sit una et eadem cum praemissa, propter vicinitatem, quam habet cum ipsa. Tertio ponit comparationem huius possessivae ad praemissam: et dicit quod neque est eadem cum praedicta, neque tamen longe distat ab ea. Quod autem non sit eadem, manifestat per hoc quod praedicta pars possessivae, quae est acquisitiva cibi et aliorum necessariorum vitae, est naturalis; sed haec quae est acquisitiva pecuniae, non est naturalis. Denarii enim non sunt adinventi a natura, sed per quamdam experientiam et artem sunt introducti; ideo autem dixit, quod non longe distant, quia pro denariis etiam necessaria vitae haberi possunt et e converso.

111. Après avoir traité d’une partie de la propriété qui est l’acquisition de la nourriture et des autres choses nécessaires à la vie, le Philosophe traite ici d’une autre forme d’acquisition qu’on appelle chrématistique.

 Et à ce sujet il fait deux choses.

 En premier lieu il détermine le statut de cette forme d’appropriation [71]. Deuxièmement il cherche à la définir là [72] où il dit : ¨ Mais nous tirons d’elle ce principe etc.¨.

 Au sujet du premier point il détermine trois choses au sujet de cette deuxième forme de propriété [71] : en effet, il traite d’abord de son nom en disant qu’on l’appelle chrématistique car elle se concentre sur l’acquisition de l’argent.

 Deuxièmement il dit à son sujet que, puisque l’acquisition de l’argent est infinie, c’est à cause de cette partie de la propriété qu’il semble aux hommes qu’il n’y a aucune limite à l’acquisition des richesses et des propriétés : plusieurs en effet croient que cette partie de la propriété est identique à la précédente en raison de leur proximité.

 Troisièmement il expose une comparaison qu’il fait entre cette dernière forme d’appropriation et la première : et il dit qu’elle n’est ni identique à la première ni cependant très éloignée d’elle. Et qu’elle ne soit pas identique à la première, il le manifeste de cette manière : la première partie de la propriété, qui se réalise par l’acquisition de la nourriture et des autres choses nécessaires à la vie, est naturelle; mais celle qui s’actualise par l’acquisition de l’argent n’est pas naturelle. En effet la monnaie n’est pas inventée par la nature mais elle est apparue suite à une certaine expérience et à un certain art; et c’est pour cette raison qu’il dit que ces deux formes de propriété ne diffèrent pas considérablement car c’est au moyen de la monnaie que les choses nécessaires à la vie peuvent être acquises et inversement.

 

[79177] Sententia Politic., lib. 1 l. 7 n. 2 Deinde cum dicit sumamus autem etc., incipit determinare naturam pecuniativae. Et quia pecunia est inventa propter commutationes faciendas, ideo circa hoc tria facit. Primo ostendit quomodo commutatio se habeat ad res commutatas. Secundo determinat de commutatione naturali, ibi, est enim permutativa omnium et cetera. Tertio determinat de commutatione pecuniaria, ibi, ex hac tamen facta est illa et cetera. Dicit ergo primo, quod ad considerandum de pecuniativa debemus hinc accipere principium: est enim uniuscuiusque rei duplex usus: et conveniunt in hoc quod uterque est secundum se et non per accidens: differunt autem in hoc quod unus eorum est proprius usus rei, alius autem non est proprius sed communis. Sicut duplex est usus calceamenti: unus quidem proprius, scilicet calciatio, ad hunc enim usum factum est calciamentum; alius autem non est proprius, scilicet commutatio, non enim ad hoc est factum calciamentum ut homo commutet ipsum; sed tamen homo sic potest uti calceamento ut commutet ipsum vel pro pane, vel pro cibo. Et quamvis commutatio non sit proprius usus calceamenti, est tamen usus eius per se et non secundum accidens: quia ille qui commutat ipsum, utitur eo secundum valorem suum. Et sicut dictum est de calceamento, ita intelligendum est de omnibus aliis rebus quae ab homine possideri possunt.

112. Ensuite lorsqu’il dit [72] : ¨ Mais nous tirons etc.¨.

 Il commence à fixer la nature de la chrématistique ou de l’art d’acquérir de l’argent. Et parce que l’argent a été inventé en vue de réaliser des échanges, c’est pour cette raison qu’à ce sujet il fait trois choses. En premier lieu il montre la relation qui existe entre l’échange et les choses échangées [73]. Deuxièmement il détermine de l’échange naturel, là [73] où il dit : ¨ En effet l’échange est etc.¨. Troisièmement il détermine de l’échange de l’argent là [76] où il dit : ¨ Cependant, c’est de cette etc.¨.

 Il dit donc en premier lieu [72] que pour examiner ce qu’il en est de la chrématistique nous devons maintenant nous appuyer sur ce principe : de toute chose en effet il existe deux usages qui lui appartiennent l’un et l’autre non pas d’une manière accidentelle mais selon ce qu’ils sont en eux-mêmes; ils diffèrent cependant en ceci que l’un est l’usage propre de la chose alors que l’autre en est l’usage commun. Ainsi par exemple on peut faire deux usages de la chaussure : l’usage propre certes où il s’agit de la porter et l’usage commun qui consiste à l’échanger; en effet ce n’est pas pour cet usage que la chaussure a été faite, c’est-à-dire pour que l’homme l’échange, mais ce dernier peut s’en servir pour l’échanger soit pour du pain, soit pour toute autre nourriture. Mais bien que l’échange ne soit pas l’usage propre de la chaussure il n’en est pas pour autant un usage accidentel mais un usage par soi de la chaussure : car celui qui échange la chaussure contre un autre bien s’en sert d’après une valeur qu’elle possède en elle-même. Et ce que nous venons de dire de la chaussure doit s’entendre de la même manière de toutes les autres choses que l’homme peut posséder.

 

[79178] Sententia Politic., lib. 1 l. 7 n. 3 Deinde cum dicit est enim permutativa etc., determinat de commutatione naturali; et circa hoc tria facit. Primo ostendit quorum sit ista commutatio. Secundo quomodo est introducta, ibi, in prima igitur communitate et cetera. Tertio quomodo se habet ad naturam, ibi, talis quidem igitur commutativa et cetera. Dicit ergo primo, quod permutatio potest fieri de omnibus rebus. Et prima quidem commutatio incoepit a rebus quae natura ministrat ad necessitatem humanae vitae, eo quod de his quidam homines plura habebant, quidam pauciora, sicut quidam habebant plus de vino, alii autem plus de pane: unde oportuit quod commutarent: et intantum fiebat commutatio, quousque unusquisque habebat quod sibi sufficiebat. Unde manifestum est quod cum denarii non sint a natura sicut dictum est, campsoria, quae est permutatio denariorum, non est a natura.

113. Ensuite lorsqu’il dit [73] : ¨ Il existe en effet etc.¨.

Il traite de l’échange naturel; et à ce sujet il fait trois choses. Premièrement il montre à quelles choses se rapporte cette sorte d’échange [73]. Deuxièmement il montre comment elle est apparue là [74] où il dit : ¨ Donc, dans la société originelle etc.¨. Troisièmement, il montre comment cette forme d’échange se rapporte à la nature là [75] où il dit : ¨ Donc, un tel échange etc.¨.

 Il dit donc en premier lieu [73] que l’homme peut échanger toutes les sortes de choses. Et certes la première forme d’échange commença par les choses que la nature fournit pour les nécessités de la vie humaine, pour cette raison que certains hommes possèdent davantage certaines de ces choses, d’autres moins, comme ceux qui possèdent plus de vin et d’autres plus de pain : et c’est de là qu’il leur fallut procéder à des échanges qui se réalisaient d’autant plus que chacun possédait ce qui le rendait autonome. D’où il est évident que, puisque la monnaie ne vient pas de la nature ainsi que nous l’avons déjà dit, le commerce de détail, qui porte sur des échanges d’argent, n’est pas naturel.

 

[79179] Sententia Politic., lib. 1 l. 7 n. 4 Deinde cum dicit in prima quidem igitur etc., ostendit quomodo est introducta talis permutatio: et dicit quod in prima communitate, quae est communitas unius domus, non erat opus aliqua tali commutatione, eo quod omnia necessaria vitae erant patrisfamilias, qui omnia providebat: sed quando iam facta est amplior communitas, scilicet vici et civitatis, propter hoc quod aliqui hominum communicabant cum omnibus, inter quos non poterat fieri commutatio; alii vero erant separati et in multis aliis rebus: ideo necessarium fuit illarum rerum, quae divisae erant, fieri commutationes, ut scilicet dum unus acciperet ab alio quod alter habebat ipse retribueret ei quod ipse habebat: quod adhuc servatur apud multas barbaras nationes apud quas non est usus denariorum, quae nihil plus commutant, nisi ea quae sunt eis opportuna ad vitam, sicut dando et accipiendo vinum et triticum et alia huiusmodi.

114. Ensuite lorsqu’il dit [74] : ¨ Dans la première etc.¨.

 Il montre comment cette forme d’échange naturel est apparue : et il dit que dans la communauté originelle, qui est celle de la famille, il n’existait pas d’opérations d’échanges, du fait que tout ce qui était nécessaire à la vie venait du chef de famille qui fournissait tout; mais l’échange est apparu quand la famille s’est accrue pour devenir un village ou une cité parce que certains hommes communiquaient avec tous les autres parmi lesquels il ne pouvait y avoir d’échanges; ces autres en effet vivaient séparés et au milieu de nombreuses autres choses : c’est pourquoi il fut nécessaire qu’apparaissent les échanges de ces nombreuses choses qui étaient séparées jusques là, afin que celui qui recevait d’un autre ce qu’il possédait de différent lui donne en retour ce que lui-même possédait; cet usage s’observe jusqu’à présent chez de nombreuses nations barbares qui ne connaissent pas l’usage de la monnaie et qui n’échangent rien d’autre entre elles que les choses qui leur sont nécessaires à la vie, comme lorsqu’au moyen du troc ils échangent entre eux le vin, le blé et les autres choses de ce genre.

 

[79180] Sententia Politic., lib. 1 l. 7 n. 5 Deinde cum dicit talis quidem igitur etc., concludit ex praemissis quod talis commutativa non est praeter naturam, quia est de rebus quas natura ministrat; neque est species pecuniativae, quia non fit per denarios. Et quod non sit praeter naturam, probat per hoc quod est in supplementum per se sufficientiae, idest ut homo per huiusmodi commutationem habeat ea quae sunt necessaria sufficienter ad sustentationem humanae vitae.

115. Ensuite lorsqu’il dit [75] : ¨ Donc une telle etc.¨.

 Il conclut de ce qui précède qu’une telle forme d’échange n’est pas contre nature, parce qu’elle porte sur des choses que la nature donne; et elle n’est pas non plus une partie de la chrématistique car elle ne s’opère pas au moyen de l’argent. Et qu’elle ne soit pas contre nature, il le prouve au moyen de ceci, à savoir qu’elle est un complément de l’autarcie pour que l’homme, au moyen de cette sorte d’échange, arrive à posséder les choses qui lui sont nécessaires d’une manière suffisante pour conserver sa vie.

 

[79181] Sententia Politic., lib. 1 l. 7 n. 6 Deinde cum dicit ex hac tamen etc., determinat de commutatione pecuniaria; et circa hoc duo facit. Primo ostendit quomodo haec commutatio est per rationem inventa, cum non sit a natura. Secundo ostendit quod sit infinita, ibi, et infinitae utique divitiae et cetera. Circa primum tria facit. Primo determinat de prima inventione pecuniariae commutationis. Secundo de quadam commutatione pecuniaria superveniente, ibi, facto igitur iam numismate et cetera. Tertio determinat de pecuniativa quae est circa huiusmodi commutationes, ibi, propter quod videtur pecuniativa et cetera. Dicit ergo primo, quod ex prima commutatione quae erat ipsarum rerum necessariarum adinvicem, processit quaedam alia commutatio secundum rationem inventa. Cum enim auxilium hominum adinvicem per commutationes esset factum magis peregrinum, quia scilicet homines non solum ad propinquos sed etiam ad remotos coeperunt uti commutatione, adducendo ad se ea quibus indigebant et mittendo illis ea in quibus ipsi abundabant; propter istam necessitatem inventus est usus denariorum, eo quod non poterant de facili portari ea quae sunt necessaria secundum naturam ad remotas terras, puta vinum, aut triticum, aut aliquid huiusmodi. Et ideo ad huiusmodi commutationes in remotis faciendas ordinaverunt quod aliquid sibiinvicem darent et acciperent, quod de facili et expedite portari posset, et tamen de se haberet aliquam utilitatem: et huiusmodi sunt metalla, puta aes, ferrum et argentum et alia huiusmodi: haec enim sunt secundum se utilia, inquantum ex eis fiunt vasa vel aliqua instrumenta, et tamen de facili portari poterant ad remotum, quia modicum de istis, propter eorum raritatem, valebat multum de aliis rebus; sicut etiam modo homines qui debent longum iter peragere pro suis expensis loco denariorum aereorum, portant argenteos vel aureos. Propter praedictam autem necessitatem commutationis ad loca remota, primo fuit determinatum metallum solo pondere et magnitudine, sicut apud quasdam gentes habentur formae argenti non monetati; sed postea ut homines liberarentur a necessitate mensurandi vel ponderandi impresserunt aliquem characterem quod imponitur in signum quod metallum sit tantae quantitatis: sicut etiam in aliquibus locis imponuntur quaedam signa publica ad mensuram vini vel frumenti. Sic ergo patet quod primo denarii sunt inventi pro commutatione rerum necessariarum.

116. Ensuite lorsqu’il dit [76] : ¨ Cependant c’est de cette etc.¨.

 Il traite de l’échange d’argent; et à ce sujet il fait deux choses. Et en premier lieu il montre comment cette sorte d’échange a été inventée par la raison puisqu’elle ne vient pas de la nature [76]. Ensuite il montre qu’elle est infinie là [82] où il dit : ¨ Et par ailleurs les richesses sont infinies etc.¨.

 Au sujet du premier point il fait trois choses.

 Il traite premièrement de la première invention de l’échange de monnaies [76]. Deuxièmement, il traite d’un échange de monnaie qui lui fut ajouté là [77] où il dit : ¨ Donc, une fois la monnaie inventée etc.¨. Troisièmement il traite de la chrématistique qui se rapporte à de tels échanges là [78] où il dit : ¨C’est pour cette raison qu’il semble etc.¨.

 Il dit donc en premier lieu [76] que c’est à partir de cette première forme d’échange qui se rapportait aux choses nécessaires qu’est née une autre forme d’échange inventée par la raison. Elle apparut en effet lorsque la collaboration des hommes entre eux au moyen des échanges fut davantage faite avec les étrangers, car les hommes commencèrent à se servir des échanges non seulement avec leurs proches mais aussi avec les étrangers, en attirant à eux les choses dont ils manquaient et en faisant parvenir aux autres celles qu’ils possédaient en abondance; c’est à cause de cette nécessité que fut inventé l’usage de la monnaie du fait que les choses qui sont par nature nécessaires à la vie comme le vin, le blé et les autres biens de la sorte ne pouvaient pas facilement être transportées en des régions éloignées. Et c’est pourquoi, afin de réaliser des échanges de cette sorte à l’étranger, ils convinrent qu’ils échangeraient entre eux quelque chose qui pourrait facilement et rapidement être transporté et qui comporterait de soi quelque utilité, à savoir les métaux comme le bronze, le fer, l’argent et d’autres de même sorte : en effet, ces matériaux sont utiles en eux-mêmes dans la mesure où on en tire des vases ou certains instruments et cependant ils pouvaient facilement être transportés en des lieux éloignés car en faible quantité, en raison de leur rareté, ils avaient une valeur bien supérieure à une grande quantité d’autres choses; c’est ainsi encore que ceux qui devaient parcourir de longues distances pour leurs achats transportaient avec eux, au lieu de la monnaie en argent, des plaques d’argent et d’or en raison de cette nécessité des échanges en des lieux éloignés.

 Au début la valeur du métal fut définie uniquement par le poids et la dimension, ainsi qu’on l’observe encore chez certains peuples où l’argent n’existe pas encore sous la forme de la monnaie; mais par la suite, afin que les hommes soient libérés de la nécessité de mesurer et de peser ces métaux, ils imprimèrent une empreinte qui fut apposée comme signe de la quantité du métal comme encore aujourd’hui en certaines régions on appose certains signes d’usage commun comme mesures de la quantité de vin ou de blé. Ainsi donc il est évident qu’à l’origine la monnaie fut inventée en vue des échanges des choses nécessaires à la vie.

 

[79182] Sententia Politic., lib. 1 l. 7 n. 7 Deinde cum dicit facto igitur etc., determinat de alia commutatione superveniente; et dicit quod postquam iam facti sunt denarii ex praedicta commutatione quae est ex necessitate facta propter res necessarias ex remotis locis habendas, subintroducta est species commutationis pecuniariae secundum quam denarii pro denariis commutantur: et haec vocatur campsoria, qua scilicet utuntur campsores denariorum. Et hoc quidem primo factum est simpliciter et quasi a casu; puta quod ex aliquibus terris in alias aliqui denarios transferentes carius eos expenderunt quam acceperint: unde postea per experientiam factum est artificiale, ut homo scilicet consideret de quo loco denarii transmutati et quomodo possint facere maximum lucrum; et hoc pertinet ad artem campsoriam.

117. Ensuite lorsqu’il dit [77] : ¨ Donc, une fois etc.¨

 Il traite de l’autre sorte d’échange qui s’ajouta à la première; et il dit qu’après que fut inventée la monnaie suite à cet échange dont nous venons de parler qui est rendu nécessaire en raison des choses nécessaires à la vie devant être acquises des régions éloignées, s’introduisit une espèce d’échange d’argent d’après laquelle la monnaie est échangée contre de la monnaie, qu’on appelle le commerce de détail et dont se servent ceux qui font le commerce de l’argent. Et cela certes fut à l’origine pratiqué d’une manière simple et comme à l’occasion, par exemple lorsque certains, transférant de la monnaie d’une région à une autre, la vendirent plus chère qu’ils l’avaient achetée : à partir de là par la suite cette forme d’échange devint un art, c’est-à-dire de telle sorte que l’homme considéra de quel lieu et de quelle manière les monnaies sont échangées afin de réaliser un profit maximum; et cela est propre au commerce de détail.

 

[79183] Sententia Politic., lib. 1 l. 7 n. 8 Deinde cum dicit propter quod videtur etc., determinat de pecuniativa; et circa hoc duo facit. Primo concludit ex praemissis quae sit materia et actus huius artis. Secundo determinat quamdam dubitationem, ibi, etenim divitias et cetera. Concludit ergo ex praemissis, quod ex quo incoeperunt denarii ad denarios commutari propter lucrum quodam artificiali modo, ars quae est circa denarios vocatur pecuniativa; et actus eius est quod possit considerare unde possit provenire homini multitudo pecuniarum: ad hoc enim est ordinata, sicut ad finem, ut faciat multitudinem pecuniarum et divitiarum.

118. Ensuite lorsqu’il dit [78] : ¨ C’est pourquoi etc.¨

 Il traite de l’art de faire de l’argent; et à ce sujet il fait deux choses. D’abord il conclut, à partir de ce qui précède, quelle est la matière et l’acte de cet art [78]. Deuxièmement il répond à une question, là [79] où il dit : ¨ Et en effet si les richesses etc.¨

 Il conclut donc à partir de ce qui précède que du fait que la monnaie commença à être échangée contre de la monnaie en vue d’un profit et suivant des modalités déterminées, l’art qui se rapporte à l’acquisition de l’argent se nomme chrématistique; et son acte consiste à considérer d’où et comment l’homme peut acquérir de grandes quantités d’argent : c’est à cela que cet art est ordonné comme à sa fin, à savoir d’acquérir d’immenses quantités d’argent et de richesses.

 

[79184] Sententia Politic., lib. 1 l. 7 n. 9 Deinde cum dicit etenim divitias etc., determinat quamdam dubitationem circa praemissa. Quia enim dixerat quod pecuniativa est factiva divitiarum et pecuniarum, posset aliquis dubitare, utrum sint omnino idem pecuniae et divitiae. Circa hoc ergo tria facit. Primo ponit quorumdam opinionem. Secundo inducit rationes in contrarium, ibi, aliquando autem rursus et cetera. Tertio concludit determinationem veritatis, ibi, propter quod quaerunt et cetera. Dicit ergo primo, quod multoties homines opinantur quod divitiae nihil aliud sint quam multitudo pecuniarum, eo quod pecuniativa et campsoria, cuius finis est multiplicare divitias, tota consistit circa pecunias, sicut circa propriam materiam.

119. Ensuite lorsqu’il dit [79] : ¨ Et en effet les richesses etc.¨

 Il répond à une question touchant ce qui précède. Parce qu’en effet il avait dit que la chrématistique engendre de l’argent et de la richesse, on pourrait se demander si l’argent et la richesse sont absolument identiques.

 Et à ce sujet il fait trois choses.

 D’abord il présente l’opinion de certains [79]. Deuxièmement il amène une raison qui s’oppose à cette opinion, là [80] où il dit : ¨ Au contraire comme une autre folie etc.¨. Troisièmement il termine en déterminant la vérité là [81] où il dit : ¨ C’est pourquoi ils cherchent etc.¨.

 Il dit donc en premier lieu [79] que beaucoup d’hommes croient que la richesse n’est rien d’autre que l’abondance d’argent du fait que la chrématistique et le commerce de détail, dont la fin est d’augmenter la richesse, s’attachent exclusivement à l’argent comme à la matière qui leur est propre.

 

[79185] Sententia Politic., lib. 1 l. 7 n. 10 Deinde cum dicit aliquando autem etc., ponit opinionem contrariam; dicens quod aliquando videtur fatuitas quaedam dicere quod nihil eorum quae sunt secundum naturam sint divitiae, puta triticum et vinum et alia huiusmodi: et quod totae divitiae sint denarii introducti per legem. Et ad hoc introducit duas rationes: quarum prima est, quia non sunt verae divitiae illae quae variata hominum dispositione, nullam dignitatem neque utilitatem habent ad necessitatem vitae: sed transmutata dispositione hominum qui utuntur divitiis denarii nullius sunt pretii, nec aliquid afferunt ad necessitatem vitae; puta si placeat regi vel communitati, (quod) non valeant. Ergo stultum est dicere quod divitiae totaliter nihil sint nisi multitudo pecuniarum. Secundam rationem ponit, ibi, et numismate dives etc. quae talis est. Inconveniens est dicere quod ille qui est dives, indigeat cibo vel pereat fame: sed multoties potest contingere quod homo abundans in denariis egeat cibo et moriatur fame, sicut dicitur fabulose de quodam Meda nomine, quod, propter hoc quod habebat insatiabile desiderium pecuniae, petiit a Deo et impetravit quod omnia quae sibi exhiberentur fierent aurea; et sic peribat fame habens multitudinem auri omnibus cibis sibi appositis conversis in aurum: ergo denarii non sunt verae divitiae.

120. Ensuite lorsqu’il dit [80] : ¨ Mais comme une autre etc.¨.

 Il présente une opinion contraire à la précédente, en disant qu’il apparaît parfois comme une sottise de dire qu’aucune des choses qui sont naturelles n’est une richesse, par exemple le blé, le vin et les autres choses du même genre, et que toute richesse se limite à la monnaie introduite par la loi. Et pour le montrer il présente deux raisons dont la première se présente ainsi : ces richesses ne sont pas véritables qui, en raison d’un changement de convention parmi les hommes, ne présentent plus aucune valeur ni aucune utilité à l’égard des nécessités de la vie; mais une fois changée la convention parmi les hommes qui se servent des richesses, les monnaies ne sont plus d’aucun prix et ne contribuent plus en rien aux nécessités de la vie, par exemple s’il plaisait au roi ou à la communauté qu’il en soit ainsi. Il est donc insensé de dire que toute richesse ne consiste que dans l’abondance d’argent.

 Il présente la deuxième raison là [80] où il dit : ¨ Et cette richesse en monnaie etc.¨, qui se présente ainsi : il ne convient pas de dire que celui qui est riche manque de nourriture ou meurt de faim : mais il peut arriver souvent que l’homme qui abonde en monnaie manque de nourriture et meurt de faim comme cet homme du nom de Midas, dont la fable dit que parce qu’il avait en lui un désir insatiable d’argent, demanda au dieu et obtint que tout ce qui lui serait montré serait changé en or; c’est ainsi qu’il mourut de faim en possession d’une immense quantité d’or, toute nourriture lui étant présentée étant changée en or : la monnaie ne constitue donc pas la vraie richesse.

 

[79186] Sententia Politic., lib. 1 l. 7 n. 11 Deinde cum dicit propter quod quaerunt etc., concludit determinationem veritatis; et dicit quod illi qui recte sapiunt, propter praedictas rationes dicunt aliud esse divitias et pecuniam, sive pecuniativam: sunt enim quaedam divitiae secundum naturam, scilicet de rebus necessariis ad vitam, sicut supra dictum est; et talis acquisitio divitiarum proprie pertinet ad oeconomicam: sed illa pecuniativa quae est campsoria multiplicat pecunias non omnibus modis, sed solum per denariorum permutationem: unde tota consistit circa denarios: quia denarius est principium et finis talis commutationis, dum denarius pro denario datur. Patet igitur secundum hoc, quod ditiores sunt qui abundant in rebus necessariis ad vitam vere loquendo, quam illi qui abundant in denariis.

121. Ensuite lorsqu’il dit [81] : ¨ Pour cette raison etc.¨.

 Il termine en fixant la vérité; et il dit que ceux qui discernent correctement, s’appuyant sur les raisons qui précèdent, affirment que la richesse n’est pas identique à l’argent qui est l’objet de la chrématistique : il existe en effet des richesses qui sont naturelles, à savoir celles qui contribuent à répondre aux nécessités de la vie, ainsi que nous l’avons dit précédemment; et c’est l’acquisition de ces richesses qui appartient en propre à l’administration domestique; mais cette acquisition de la monnaie qui relève du commerce de détail augmente l’argent non pas sous toutes les formes mais seulement par les échanges de monnaies : c’est pourquoi elle s’attache exclusivement à la monnaie, car la monnaie est le principe et la fin de tels échanges puisque la monnaie n’est échangée que contre de la monnaie. Suite à cela, il est donc évident, pour parler en vérité, que ceux qui abondent en choses nécessaires à la vie sont plus riches que ceux qui abondent en pièces de monnaie.

 

 

 

 

Lectio 8

LEÇON 8 (nn. 122-134; [82-89]) ─ L’acquisition de la monnaie ou de l’argent qui contribue à obtenir les choses nécessaires à la vie humaine est limitée. Mais en vérité celle qui s’écarte de cette finalité est illimitée et contre nature.

Leçon 8

[79187] Sententia Politic., lib. 1 l. 8 n. 1 Et infinitae utique divitiae et cetera. Postquam ostendit philosophus quomodo pecuniativa commutatio est introducta per legem, hic ostendit quomodo sit infinita talis acquisitiva pecuniae: et circa hoc duo facit. Primo ostendit propositum. Secundo assignat causam praemissorum, ibi, causa autem huius dispositionis et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit propositum. Secundo solvit ex hoc quamdam dubitationem, ibi, propter quod sic quidem et cetera.

122. Après avoir montré comment l’échange de la monnaie est introduit par la loi, le Philosophe montre ici comment cet art qui cherche à acquérir de l’argent est illimité; et à ce sujet il fait deux choses.

 En premier lieu il manifeste son propos [82]. Deuxièmement il présente la cause de ce qui précède là [85] où il dit : ¨ Mais la cause d’une telle disposition etc.¨.

 Relativement au premier point il fait deux choses. D’abord il manifeste son propos [82]. Deuxièmement à partir de là il répond à une question, là [83] où il dit : ¨ Pour cette raison ainsi certes etc.¨.

 

[79188] Sententia Politic., lib. 1 l. 8 n. 2 Dicit ergo primo, quod divitiae quae acquiruntur ab hac pecuniativa, scilicet campsoria, quae tota est circa denarios, est infinita: et hoc probat tali ratione. Desiderium finis in unaquaque arte est in infinitum; desiderium autem eius, quod est ad finem, non est in infinitum, sed habet terminum secundum regulam et mensuram finis: sicut ars medicinalis intendit ad sanandum in infinitum, cum inducit sanitatem quantamcumque potest; sed medicinam non dat quantamcumque potest, sed secundum mensuram, quae est utilis ad sanandum; et ita est in aliis artibus. Et ratio huius est, quia finis est secundum se appetibilis: quod autem secundum se est tale, si magis fuerit, erit magis tale: sicut si album disgregat visum, magis album, magis disgregat. Sed pecuniae se habent ad pecuniativam campsoriam, sicut finis: haec enim intendit acquirere pecunias. Ad oeconomicam autem non se habent sicut finis, sed sicut ordinatum ad finem qui est gubernatio domus; ergo pecuniativa quaerit pecunias absque termino, oeconomica autem cum aliquo termino.

123. Il dit donc en premier lieu [82] que les richesses qui sont acquises par cet art d’acquisition, c’est-à-dire par le commerce de détail qui s’attache exclusivement à l’acquisition de la monnaie, sont illimitées; et c’est ce qu’il prouve au moyen de la raison qui suit : le désir de la fin dans tout art est illimité; mais le désir des moyens qui se rapportent à la fin n’est pas illimité mais comporte une limite qui est réglée et mesurée par la fin elle-même : ainsi l’art de la médecine cherche à guérir d’une manière illimitée alors qu’il cherche à produire la santé toujours davantage tant qu’il le peut; mais il ne cherche pas à donner toujours plus de médicaments, mais il les donne au contraire suivant une certaine mesure, à savoir celle qui est utile à la guérison; et il en est de même pour les autres arts.

 Et la raison de ceci est que la fin est désirable en elle-même : mais ce qui est tel en soi-même le sera davantage s’il se retrouve en plus grande quantité; par exemple, si le blanc altère la vue, ce qui le sera plus intensément altérera davantage la vue. Mais l’art d’acquisition du commerce de détail se rapporte à l’argent comme à sa fin : ce dernier en effet a pour but d’acquérir de l’argent. Mais l’administration domestique ne se rapporte pas à l’argent comme à sa fin mais comme à un moyen ordonné à cette fin qui est l’administration de la maison; donc c’est sans limite que l’art d’acquisition qui se rapporte à l’argent recherche l’argent, mais c’est avec mesure que l’administration domestique le recherche.

 

[79189] Sententia Politic., lib. 1 l. 8 n. 3 Deinde cum dicit propter quod sic quidem etc., solvit dubitationem quamdam ex praemissis. Et circa hoc duo facit. Primo movet eam. Secundo solvit, ibi, causa autem etc. Dicit ergo primo, quod propter praedictam rationem videtur quod necessarium sit esse aliquem terminum divitiarum in oeconomica: sed si quis consideret in his quae accidunt videtur esse contrarium: omnes enim oeconomici augent denarios in infinitum, volentes habere denarios pro rebus quae sunt ad usum vitae.

124. Ensuite lorsqu’il dit [83] : ¨C’est pour cette raison etc.¨.

 Il répond à une question à partir de ce qui précède.

 Et à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu il soulève la question [83]. Deuxièmement il y répond là [84] où il dit : ¨ Mais la cause etc.¨.

 Il dit donc en premier lieu [83] qu’à cause de la raison qui précède, il semble qu’il soit nécessaire qu’il y ait une limite des richesses dans l’administration de la maison; mais si on considère ce qui se produit dans la réalité, on observe un paradoxe : en effet, tous les administrateurs domestiques accroissent indéfiniment leur fortune en espèces, voulant ainsi posséder l’argent pour obtenir les choses dont ils ont besoin pour vivre.

 

[79190] Sententia Politic., lib. 1 l. 8 n. 4 Deinde cum dicit causa autem etc., solvit praemissam dubitationem; et dicit quod causa praedictae diversitatis videtur esse propinquitas utriusque pecuniativae; illius scilicet quae deservit oeconomicae, quae quaerit pecunias pro commutatione rerum necessariarum, et campsoriae, quae quaerit denarios propter seipsos: utriusque enim pecuniativae est idem actus, scilicet acquisitio pecuniarum, sed non eodem modo: sed in pecuniativa oeconomica hoc ordinatur ad alium finem, scilicet ad gubernationem domus; in pecuniativa autem, scilicet campsoria, ipsa augmentatio pecuniae est finis; et ideo propter propinquitatem campsoriae ad oeconomicam videtur quibusdam oeconomis quod sit eorum officium illud quod pertinet ad campsores, ut scilicet instent ad conservandum et multiplicandum denarios in infinitum.

125. Ensuite lorsqu’il dit [84]: ¨ Mais la cause etc.¨.

 Il répond à la question qui précède; et il dit que la cause de cette différence semble provenir de la proximité de ces deux formes d’acquisition, à savoir de celle qui est au service de l’administration domestique et qui recherche l’argent en vue d’échanger les choses nécessaires à la vie, et de celle qui accumule la monnaie et qui recherche l’argent pour lui-même : en effet, l’acte des deux formes d’acquisition est le même matériellement parlant, à savoir l’acquisition d’argent en monnaie, mais il n’a pas la même finalité : car dans l’art d’acquisition domestique cet acte est ordonné à une autre finalité, à savoir l’administration domestique; dans l’art d’acquérir de l’argent et qui consiste à accumuler la monnaie, c’est l’accroissement de la monnaie elle-même qui est la finalité visée. Et c’est pour cela, en raison de la proximité de l’acquisition de la monnaie pour elle-même et de l’administration domestique, qu’il semble à certains administrateurs domestiques que ce soit leur rôle d’accumuler la monnaie, c’est-à-dire de travailler à la conserver et à l’accroître indéfiniment.

 

[79191] Sententia Politic., lib. 1 l. 8 n. 5 Deinde cum dicit causa autem etc., assignat causam eius quod dixerat, quod dispensatores domorum interdum perseverant ad augendum pecunias in infinitum. Et quia ex causa, quam assignat, sequuntur quaedam abusiones; ideo haec pars dividitur in tres secundum tres abusiones quas ponit. Secunda pars incipit ibi, et altera species et cetera. Tertia ibi, et si pro non per pecuniativam et cetera. Dicit ergo primo, quod causa huius dispositionis, quod scilicet dispensatores domorum quaerunt augere pecuniam in infinitum, est, quia homines student ad vivendum qualitercumque, non autem ad vivendum bene, quod est vivere secundum virtutem. Si enim intenderent vivere secundum virtutem, essent contenti his quae sufficiunt ad sustentationem naturae: sed quia praetermisso hoc studio, student ad vivendum unusquisque secundum suam voluntatem, ideo unusquisque intendit acquirere ea per quae possit suam voluntatem implere: et quia concupiscentia hominum tendit in infinitum; ideo in infinitum desiderant ea per quae possint satisfacere suae concupiscentiae. Quidam etiam sunt qui habent studium, ut bene vivant; sed ei quod est bene vivere, addunt id quod pertinet ad delectationes corporales: dicunt enim non esse bonam vitam, nisi cum talibus delectationibus homo vivat; et ideo quaerunt ea per quae possunt implere delectationes corporales: et quia hoc videtur hominibus posse evenire per multitudinem divitiarum; ideo omnis cura eorum esse videtur ad acquirendum multas pecunias. Et est considerandum quod assignat causam eorum, quae pertinent ad dispensatorem domus, ex intentione humanae vitae, quia dispensator domus habet pro fine bonam vitam eorum quae sunt in domo. Sic igitur prima abusio est, quod homines propter hoc quod non habent rectum studium bonae vitae, intendunt ad acquirendum pecunias in infinitum.

126. Ensuite lorsqu’il dit [85] : ¨ Mais la cause de ceci etc.¨.

 Il assigne la cause de ce qu’il avait dit, à savoir que les administrateurs domestiques s’entêtent parfois à accroître indéfiniment leur fortune en argent. Et parce que certains abus découlent de la cause qu’il assigne, c’est pour cette raison que cette section se divise en trois parties d’après les trois formes d’abus qu’il présente. La deuxième partie commence ici [86] où il dit : ¨ Et une autre espèce etc.¨. La troisième commence là [86] où il dit : ¨ Et si ce n’est pas par cet art d’acquisition etc.¨.

 Il dit donc en premier lieu [85] que la cause de cette disposition, à savoir de celle par laquelle les intendants domestiques cherchent à augmenter indéfiniment l’argent en espèces monnayées, c’est que les hommes ne recherchent qu’à vivre d’une manière quelconque et non pas dans le bien vivre, lequel consiste à vivre selon la vertu. S’ils cherchaient à vivre selon la vertu, ils seraient satisfaits des choses qui suffisent à l’entretien des besoins naturels : mais parce que cette préoccupation est mise de côté, chacun cherche à vivre selon sa volonté et c’est ainsi que chacun cherche à acquérir les choses au moyen desquelles il puisse combler sa volonté : et parce que la cupidité des hommes tend à l’infini, c’est pour cela qu’ils désirent à l’infini les choses au moyen desquelles ils puissent satisfaire leur cupidité.

 Mais il y en a certains qui cherchent à bien vivre; mais à ce qui se rapporte au bien vivre, ils ajoutent ce qui appartient aux délectations corporelles : ils disent en effet qu’il n’y a pas de bien vivre à moins que l’homme vive dans de telles délectations; et c’est pourquoi ils recherchent les choses au moyen desquelles ils puissent être rassasiés de délectations corporelles; et parce qu’il apparaît aux hommes que cela puisse s’accomplir au moyen de l’abondance des richesses, c’est pourquoi toute leur attention semble se porter vers l’acquisition d’une grande quantité d’argent.

 Et il faut considérer qu’il assigne ici la cause de ce qui appartient à l’administrateur domestique en partant de l’intention de la vie humaine car l’intendant de la maison a pour finalité le bien vivre de ceux qui sont dans la maison. Ainsi donc le premier abus est celui-ci : les hommes, pour cette raison qu’ils ne possèdent pas une inclination droite à l’égard du bien vivre, cherchent à acquérir indéfiniment de l’argent.

 

[79192] Sententia Politic., lib. 1 l. 8 n. 6 Deinde cum dicit et altera species etc., ponit secundam abusionem. Quia enim dispensatores domorum student circa acquisitionem pecuniarum propter hoc inducitur in curam domus altera species pecuniativae, scilicet campsoria, praeter eam quae est propria oeconomicae, scilicet acquisitio rerum necessariarum ad vitam: sed quia in excessu intendunt frui delectationibus corporalibus, propter hoc quaerunt ea quae possunt facere huiusmodi excessum, scilicet multitudinem divitiarum. Et sic est secunda abusio quod pecuniativa non naturalis, neque necessaria assumitur ad oeconomicam.

127. Ensuite lorsqu’il dit [86] : ¨ Et une autre etc.¨.

 Il présente le deuxième abus. En effet parce que les intendants domestiques s’attachent à l’acquisition d’argent, c’est pour cette raison que dans le soin de la maison apparaît une autre forme d’acquisition qui est celle de l’accumulation de la monnaie, à côté de celle qui est propre à l’administration de la maison, à savoir l’acquisition des choses nécessaires à la vie : mais parce qu’ils cherchent à jouir à l’excès des délectations corporelles, c’est pour cela qu’ils recherchent ce qui permet de réaliser un tel excès, à savoir l’abondance de l’argent. Et c’est là la deuxième sorte d’abus, à savoir que cette autre forme d’acquisition non naturelle et non nécessaire fut introduite dans l’administration domestique.

 

[79193] Sententia Politic., lib. 1 l. 8 n. 7 Tertio ponit tertiam abusionem, ibi, et si non per pecuniativam et cetera. Et dicit quod quia homines non possunt interdum per artem pecuniativam acquirere sufficienter ea per quae satisfaciant excessui delectationum corporalium, attentant acquirere pecunias per alias causas; et abutuntur qualibet potentia, idest virtute vel arte, vel officio, non secundum suam naturam. Sicut fortitudo est quaedam virtus, et eius opus proprium non est congregare pecunias, sed facere hominem audacem ad aggrediendum et sustinendum; unde si aliquis fortitudine utatur ad congregandum divitias, utitur ea non secundum naturam. Similiter etiam militaris ars est propter victoriam, et medicinalis propter sanitatem, neutra tamen est propter pecuniam: sed quidam et militarem artem et medicinalem convertunt ad acquirendum pecuniam, et ita faciunt utramque esse pecuniativam, idest acquisitivam pecuniae, ordinantes huiusmodi artes ad pecuniam, sicut ad finem ad quem oportet ordinari omnia alia; et ideo dicitur in Ecclesiaste: et pecuniae obediunt omnia.

128. En troisième lieu il présente le troisième abus là [861] où il dit : ¨ Et si ce n’est pas par cet art d’acquisition etc.¨. Et il dit que parce que les hommes ne peuvent parfois acquérir d’une manière suffisante par cet art d’acquisition l’argent au moyen duquel ils puissent satisfaire aux excès des délectations corporelles, ils tentent alors d’acquérir de l’argent par d’autres moyens; et ils font ainsi un usage de leurs puissances, c’est-à-dire de leurs capacités, de leurs arts et de leurs fonctions d’une manière qui n’est pas conforme à leur nature.

 C’est ainsi que le courage est une vertu dont l’opération propre n’est pas d’amasser de l’argent, mais de rendre l’homme capable d’attaquer et de défendre; d’où il suit que si quelqu’un se sert du courage pour amasser de l’argent, il ne s’en sert pas conformément à sa nature. De même encore l’art militaire a pour but la victoire et l’art de la médecine la santé, mais aucun des deux n’existent en vue de la richesse; mais certains détournent l’art militaire et la médecine vers l’acquisition de l’argent et rendent ainsi l’un et l’autre mercantiles, c’est-à-dire tournés vers la recherche de l’argent, soumettant ces arts à l’argent comme à la finalité à laquelle il faut ordonner toute autre chose; et c’est pourquoi on dit dans le livre de l’Ecclésiaste (1V, 8) : ¨ Tout est soumis à l’argent¨.

 

[79194] Sententia Politic., lib. 1 l. 8 n. 8 Concludit ergo epilogando ex praemissis, quod dictum est de non necessaria pecuniativa, quae scilicet acquirit pecuniam in infinitum, sicut finem, quae sit ipsa et propter quam causam homines indigent ipsa, scilicet propter concupiscentiam infinitam: dictum est etiam de necessaria pecuniativa, quae scilicet est altera a praemissa. Acquirit enim pecunias usque ad aliquem terminum propter alium finem, scilicet propter habenda necessaria vitae. Sed proprie oeconomica est circa ea quae sunt secundum naturam, sicut illa quae pertinent ad cibum: et haec non est infinita, sicut prima pecuniativa, sed habet aliquem terminum. Vel potest intelligi, quod ipsa pecuniativa quae est necessaria, est altera a non necessaria, sed est oeconomica, et alia non mutantur.

129. Suite à ce qui précède il termine donc en résumant ce qui a été dit au sujet de la forme non nécessaire de l’art d’acquérir les richesses, c’est-à-dire de celle qui cherche à acquérir indéfiniment de l’argent dont c’est la raison d’être, ce qu’elle est en elle-même, et pour quelle raison les hommes la recherchent, à savoir une cupidité sans borne; on a parlé aussi de la forme nécessaire d’acquérir les richesses qui diffère de la première car elle acquiert l’argent à l’intérieur de certaines limites et en vue d’une autre fin, à savoir en vue de posséder les choses nécessaires à la vie. Mais l’administration domestique a pour objet propre les choses qui sont conformes à la nature, comme ce qui se rapporte à la nourriture et ces choses ne sont pas infinies, comme c’est le cas dans la première sorte d’acquisition, mais elles sont contenues dans certaines limites. On peut encore comprendre que la forme d’acquisition qui est nécessaire diffère de celle qui ne l’est pas, qu’elle relève de l’administration domestique et qu’elle ne cherche pas à imiter la première.

 

[79195] Sententia Politic., lib. 1 l. 8 n. 9 Palam autem et quod dubitabant et cetera. Moverat superius quaestionem, utrum pecuniativa sit pars vel subserviens oeconomicae: et distinxit pecuniativam ab alia possessiva: nunc solvit motam superius quaestionem. Et circa hoc duo facit. Primo ostendit, quod pecuniativa subservit oeconomicae. Secundo ostendit, quomodo pecuniativa quaedam est laudabilis, et quaedam vituperabilis, ibi, duplici autem existente et cetera. Circa primum tria facit. Primo solvit superius motam quaestionem. Secundo movet aliam dubitationem, ibi, etenim dubitabit et cetera. Tertio manifestat quiddam, quod dixerat, ibi, maxime autem et cetera.

130. Et là [862] où il avait dit plus haut : ¨ Mais manifestement ce dont ils doutaient etc.¨, il avait soulevé une question, à savoir si l’art d’acquérir des richesses est une partie de l’administration domestique ou s’il en est un auxiliaire: et c’est là qu’il avait distingué l’art d’acquisition la richesse des autres formes d’appropriation : maintenant il répond à la question soulevée plus haut.

 Et à ce sujet il fait deux choses. Il montre en premier lieu que l’art d’acquérir la richesse est un auxiliaire de l’art de l’administration domestique [862]. Deuxièmement il montre comment un certain art d’acquérir la richesse est louable et qu’une autre forme est blâmable là [89] où il dit : ¨ Mais cet art lui-même a deux formes etc.¨.

 Au sujet du premier point il fait trois choses. En premier lieu il répond à la question soulevée plus haut (862). Deuxièmement il soulève une autre question, là [87] où il dit : ¨ Et en effet on pourra se demander etc.¨. Troisièmement il manifeste ce qu’il avait dit, là [88] où il dit : ¨ Mais c’est surtout etc.¨.

 

[79196] Sententia Politic., lib. 1 l. 8 n. 10 Dicit ergo primo, quod iam ex praemissis potest esse manifestum illud, quod quaerebatur a principio, utrum pecuniativa pertineat ad oeconomicum et politicum, aut non, sed sit omnino extranea. Et veritas est quod non est eadem pecuniativa oeconomicae, ut supra dictum est, sed tamen ei subservit; quia pecunias oportet existere ad hoc, quod domus gubernetur. Et hoc probat, per hoc, quod in domo et civitate oportet esse et homines, et ea quae sunt necessaria hominibus. Homines autem non facit politica, sed accipit eos a natura generatos, et sic utitur ipsis: similiter ergo politica vel oeconomica non facit cibum, sed natura tradit ipsum vel ex terra sicut fructus, vel ex mari sicut pisces, aut ex aliqua alia re. Facere igitur vel acquirere huiusmodi cibum non est proprium opus et immediatum politicae vel oeconomicae; sed proprium opus eius est dispensare ista in domo, sicut oportet. Sicut videmus, quod textoris non est facere lanam, sed uti ipsa, et cognoscere qualis lana sit idonea ad suum opus, qualis etiam sit prava et inepta. Sic igitur oeconomicae deservit et natura, quae generat homines et cibus, et iterum pecuniativa, quae acquirit, sicut etiam arti textoriae deservit et natura quae producit lanam, et mercativa quae acquirit eam.

131. Il dit donc en premier lieu [86] que dès maintenant, à partir de ce qui a été dit, on peut répondre avec évidence à ce qu’on se demandait dès le début, à savoir si l’art d’acquérir la richesse fait partie de l’administration domestique et de l’administration de l’État ou si, au contraire, elle leur est totalement étrangère. Et la vérité est que l’art d’acquérir la richesse n’est pas identique à l’administration domestique, ainsi que nous l’avons déjà dit, mais elle en est plutôt un auxiliaire : car il faut que l’argent existe pour que la maison soit administrée.

 Et c’est ce qu’il prouve au moyen de ceci : à savoir que dans la maison et dans la cité il faut qu’il y ait à la fois des hommes et des choses qui sont nécessaires aux hommes. Mais l’art politique ne produit pas les hommes mais il les reçoit de la nature qui les a engendrés et s’en sert par la suite : de même donc, l’art politique et l’art de l’administration domestique ne produisent pas la nourriture mais c’est la nature qui leur donne soit en la tirant de la terre comme les fruits, soit de la mer, comme les poissons, soit d’une autre source. Donc, produire ou acquérir des aliments de la sorte n’est pas l’opération propre ou immédiate de l’art politique ou de l’administration domestique; mais leur opération propre est plutôt d’en faire une distribution judicieuse dans la maison ou dans la cité. C’est ainsi que nous voyons qu’il n’appartient pas au tisserand de faire la laine mais de s’en servir et de savoir laquelle est propre à tel usage et laquelle ne l’est pas. Ainsi donc à la fois la nature, qui produit les hommes et la nourriture, et l’art d’acquérir les richesses qui acquiert les biens produits par la nature, sont au service de l’art d’administrer la maison, tout comme la nature qui produit la laine et le marchand qui l’acquiert sont au service de l’art du tisserand.

 

[79197] Sententia Politic., lib. 1 l. 8 n. 11 Deinde cum dicit etenim dubitabit etc., movet quamdam quaestionem, et est ista quaestio. Cum illi qui sunt in domo indigeant sanitate, sicut indigent his quae sunt necessaria ad vitam, ut cibo et vestitu, quare ars medicinalis non est pars oeconomicae, sicut pecuniativa ? Et respondet, quod ad dispensatorem domus et ad principem civitatis pertinet quodammodo considerare de sanitate, scilicet utendo consilio medicorum ad sanitatem subiectorum: alio autem modo non pertinet ad eos, sed ad medicos, considerando scilicet ex quibus rebus sanitas conservetur vel restituatur. Similiter etiam ad dispensatorem domus quodammodo pertinet considerare de pecunia, scilicet utendo ea iam acquisita, et utendo etiam ministerio eorum qui acquirunt: sed considerare ex quibus rebus pecunia possit acquiri et quomodo, hoc non pertinet ad oeconomicum, sed ad artem subservientem, scilicet ad pecuniativam.

132. Ensuite lorsqu’il dit [87] : ¨ Et en effet on pourrait se demander etc.¨.

 Il soulève une question, qui est la suivante : comme ceux qui sont dans la maison ont besoin de la santé comme ils ont besoin des choses nécessaires à la vie, comme la nourriture et le vêtement, pourquoi l’art de la médecine ne ferait-il pas partie de l’administration domestique comme ce serait le cas pour l’art d’acquérir les richesses?

 Et il faut répondre qu’à l’intendant de la maison tout comme au chef de la cité il appartient en un certain sens de se soucier de la santé, c’est-à-dire en se servant des conseils des médecins pour la santé de leurs sujets; mais en un autre sens, cela ne leur appartient pas mais ce doit être le propre du médecin de considérer à partir de quoi la santé peut être conservée ou rétablie.

 De même aussi en un certain sens il appartient à l’intendant de la famille de se soucier de l’argent, c’est-à-dire de bien user de celui qui est déjà acquis et de se servir de l’aide de ceux qui l’acquièrent; mais examiner attentivement comment et à partir de quoi l’argent peut être acquis, cela ne relève pas de l’intendant ou de l’administrateur de la maison mais d’un art auxiliaire, à savoir de l’art d’acquérir la richesse.

 

[79198] Sententia Politic., lib. 1 l. 8 n. 12 Deinde cum dicit maxime autem etc., manifestat quod supra dixerat; scilicet quod natura tradat ea quae sunt necessaria: et dicit quod sicut dictum est prius, ea quibus utitur oeconomica vel politica, maxime oportet praeexistere a natura, a qua etiam accipiunt subservientes artes. Et hoc probat per hoc quod naturae opus est dare cibum ei quod generatur secundum naturam. Videmus enim quod illud ex quo fit aliquid, quantum ad id quod est residuum generationis, est cibus rei generatae; sicut patet quod animal generatur ex sanguine menstruo, et id quod est residuum ex hac materia natura convertit in lac et praeparat cibum generato. Et ideo quia homo constitutus est ex rebus quae sunt secundum naturam, aliae res quae sunt secundum naturam, sunt ei cibus. Et ideo omnibus hominibus est naturalis pecuniativa, idest acquisitiva ciborum, vel denariorum pro cibo, ex rebus naturalibus, scilicet ex fructibus et animalibus. Quod autem aliquis acquirat pecuniam non ex rebus naturalibus, sed ab ipsis denariis, hoc non est secundum naturam.

133. Ensuite lorsqu’il dit [88] : ¨ Mais c’est surtout etc.¨.

 Il manifeste ce qu’il avait dit plus haut, à savoir que c’est la nature qui fournit ce qui est nécessaire à la vie : et il dit que, tout comme il a été dit antérieurement, les choses dont se servent l’administrateur de la maison et le chef d’état doivent au plus haut point déjà exister grâce à la nature, de laquelle les arts auxiliaires les reçoivent aussi. Et il le prouve au moyen de ceci que c’est l’œuvre de la nature de fournir la nourriture à ce qui est engendré par la nature. Nous voyons en effet que ce d’où un être est engendré est la nourriture de ce qui vient de naître quant à ce qui reste de la matière d’où il est né, ainsi qu’on le voit chez l’animal qui est engendré à partir du sang menstruel, et la nature transforme ce qui reste de cette matière en lait et prépare ainsi la nourriture du nouveau-né. Et c’est pourquoi, parce que l’homme est constitué à partir des choses qui sont naturelles, les autres choses qui existent sont pour lui de la nourriture. Et c’est pourquoi pour tous les hommes l’art naturel d’acquisition, c’est-à-dire l’acquisition de la nourriture ou l’acquisition de la monnaie en vue de la nourriture, a pour principe les choses naturelles, à savoir les fruits de la terre et les animaux. Mais l’acquisition de l’argent qui est réalisée non pas à partir des choses naturelles mais à partir de la monnaie elle-même, cela n’est pas conforme à la nature.

 

[79199] Sententia Politic., lib. 1 l. 8 n. 13 Deinde cum dicit duplici autem existente etc., positis duabus pecuniativis, ostendit, quae earum sit laudabilis, et quae vituperabilis: et dicit, quod duae sunt pecuniativae: quarum una vocatur campsoria, quae scilicet acquirit pecuniam ex pecuniis et propter ipsas pecunias; alia autem pecuniativa est oeconomica, quae scilicet acquirit pecunias ex rebus naturalibus, puta ex fructibus et animalibus, ut dictum est: ista quidem secunda, est necessaria ad vitam hominum, unde et laudatur: alia vero, scilicet campsoria, transfertur ab eo quod est necessarium naturae ad id quod requirit concupiscentia, ut supra dictum est, et ideo iuste vituperatur: non enim illa pecuniativa est secundum naturam, quia neque ex rebus naturalibus est, neque ad supplendam necessitatem naturae ordinatur, sed ex (translatione) denariorum adinvicem; inquantum scilicet homo denarios per denarios lucratur. Et cum ista pecuniativa, quae est campsoria, iuste vituperetur, quaedam alia acquisitiva pecuniae est, quae rationabilissime vituperatur, et odio habetur, quae dicitur obolostatica, id est statuitiva denariorum, sicut illi qui lucrantur in excessu denariis instituendis. Ista enim acquisitio fit ab ipsis denariis, et non secundum primum modum qui institutus est ad acquirendos denarios; facti sunt enim denarii gratia translationis, id est commutationis, ut supra dictum est. Est autem et quaedam alia acquisitiva pecuniae quae Graece vocatur tokos, id est usura per quam denarius seipsum adauget, et ideo sic vocatur apud Graecos. Tokos enim idem est quod partus; videmus autem quod ea quae pariuntur secundum naturam, sunt similia generantibus; unde fit quidam partus cum denarius ex denario crescit. Et ideo etiam ista acquisitio pecuniarum est maxime praeter naturam: quia secundum naturam est, ut denarii acquirantur ex rebus naturalibus, non autem ex denariis. Sic ergo una pecuniativa est laudabilis, et tres vituperabiles, ut dictum est.

134. Ensuite lorsqu’il dit [89] : ¨ Mais il est double etc.¨.

 Ayant présenté les deux formes de l’art d’acquérir la richesse, il montre laquelle des deux est louable et laquelle est blâmable. Et il dit qu’il y a deux sortes d’art d’acquisition : dont l’une s’appelle le commerce de détail, qui acquiert l’argent à partir de l’argent et en vue de lui; l’autre forme d’art d’acquisition est l’économie domestique, laquelle acquiert l’argent à partir des choses naturelles comme les fruits et les animaux, ainsi que nous l’avons dit : cette dernière certes est nécessaire à la vie de l’homme et pour cette raison doit être louée; mais à vrai dire la première, le prêt à intérêt, passe de ce qui est nécessaire à la nature à ce qu’exige la cupidité, ainsi que nous l’avons dit précédemment, et pour cela c’est avec raison qu’elle est blâmable : cette forme d’acquisition en effet n’est pas conforme à la nature car elle ne vient pas des choses naturelles et elle n’est pas ordonnée à répondre aux nécessités naturelles, mais elle tire son existence de l’échange de la monnaie, selon que l’homme gagne de l’argent au moyen de l’argent.

 Et puisque cette forme d’acquisition, qui est celle du prêt à intérêt, est blâmable à juste titre, une autre forme d’acquisition d’argent est blâmable et répugnante à plus forte raison : il s’agit de celle qu’on appelle usure et qui s’enrichit par l’intérêt en argent monnayable, au moyen duquel l’argent s’accroît par lui-même, d’où elle tire son nom. Nous voyons en effet que les êtres qui sont engendrés par la nature sont semblables à ceux qui les ont engendrés : d’où il se produit un certain enfantement lorsque l’argent naît de l’argent. Et c’est pourquoi cette forme d’acquisition de l’argent est elle aussi contraire à la nature au plus haut point : car il est conforme à la nature que l’argent soit acquis à partir des choses naturelles, mais non à partir de l’argent. Ainsi donc, une forme d’art d’acquisition est louable et deux autres sont blâmables, ainsi que nous l’avons dit.

 

 

 

 

 

 

 

Lectio 9

LEÇON 9 (nn. 135-150; [90-100]) ─ Ce que doivent savoir ceux qui s’appliquent à connaître l’art d’acquisition : à savoir, plus ou moins, le commerce, l’intérêt, le travail du mercenaire, de la comparaison à faire entre eux, et de la sagesse de Thalès.

Leçon 9

[79200] Sententia Politic., lib. 1 l. 9 n. 1 Quoniam autem quae ad scientiam et cetera. Postquam philosophus docuit cognoscere pecuniativae originem et eius proprietates et partes, hic consequenter determinat ea quae pertinent ad usum ipsius. Et primo dicit de quo est intentio. Secundo exequitur propositum, ibi, sunt autem pecuniativae et cetera. Dicit ergo primo, quod quia sufficienter determinavimus de pecuniativa in ea quae pertinet ad cognoscendum naturam ipsius, oportet breviter et pertranseunter ponere ea quae pertinent ad usum eius, qualiter scilicet sit ea utendum: omnia enim huiusmodi, quae pertinent ad operationes humanas, habent liberam, idest expeditam contemplationem; quia facile est ea considerare in universali; sed tamen necesse est, quod habeatur experientia circa ipsa, ad hoc quod homo possit perfectum usum eorum habere.

135. Après nous avoir enseigné la connaissance de l’origine de l’art d’acquisition ainsi que ses propriétés et ses parties, le Philosophe détermine ici suite à cela de ce qui se rapporte à son usage.

 Et en premier lieu il dit quel est son propos [90]. Deuxièmement il poursuit son propos là [91] où il dit : ¨ Mais il y a dans l’art d’acquisition des parties utiles etc.¨.

 Il dit donc en premier lieu [90] que parce que nous avons suffisamment traité de l’art d’acquisition quant à ce qui touche à sa nature, il faut ici brièvement présenter ce qui se rapporte à son usage, c’est-à-dire comment il faut s’en servir : en effet, pour toutes les choses de cette sorte qui se rapportent aux opérations humaines, il est facile d’en faire un examen spéculatif car il est facile de les considérer dans l’universel; cependant il est nécessaire d’en acquérir une certaine expérience afin que l’homme puisse en faire un usage parfait.

 

[79201] Sententia Politic., lib. 1 l. 9 n. 2 Deinde cum dicit sunt autem pecuniativae etc., determinat ea, quae pertinent ad usum pecuniativae. Et circa hoc duo facit. Primo distinguit partes ipsius. Secundo ponit quaedam documenta utilia pecuniativae, ibi, quoniam autem a quibusdam et cetera. Circa primum duo facit. Primo assignat partes pecuniativae, quae est necessaria ad vitam humanam. Secundo partes pecuniativae non necessariae, ibi, translativae autem et cetera. Dixit autem supra, necessariam esse pecuniativam, per quam homo acquirit pecuniam ex rebus quas natura ministrat ad necessitatem vitae. Huius autem ponit duas partes.

136. Ensuite lorsqu’il dit [91] : ¨ Mais il y a etc.¨.

 Il détermine ce qui se rapporte à l’usage de l’art d’acquisition.

 Et à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu il en distingue les parties [95]. Deuxièmement il présente des informations utiles sur l’art d’acquisition là [95] où il dit : ¨ Mais puisque par certains etc.¨

 Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il assigne les parties de l’art d’acquisition qui est nécessaire à la vie humaine [91]. Deuxièmement il présente les parties de l’art d’acquisition qui ne lui sont pas nécessaires, là [92] où il dit : ¨ Celui de l’échange a certes pour partie la plus importante le commerce etc.¨.

 Mais il avait dit plus haut que l’art d’acquisition nécessaire est celui au moyen duquel l’homme acquiert l’argent à partir des choses que la nature fournit pour les nécessités de la vie. Et il divise les choses de cette sorte en deux catégories.

 

[79202] Sententia Politic., lib. 1 l. 9 n. 3 Quarum prima est secundum quam homo ex emptione et venditione talium rerum potest pecuniam acquirere. Et circa hanc partem dicit, quod pecuniativae sunt istae partes utiles, idest utilia quaedam documenta, ut homo sit expertus circa bona huiusmodi, quae ab hominibus possidentur, quae eorum sint maximi pretii, et ubi maximo pretio vendantur, et quomodo, puta quo tempore, vel secundum alias conditiones. Et exponit de quibus possessibilibus bonis dicat: est enim quaedam possessio equorum, et boum, et ovium, et aliorum animalium. Oportet autem eum, qui ex his vult lucrari pecuniam, esse expertum quae eorum sint maxime cara, et in quibus locis; quia alia istorum in aliis regionibus abundant; ut scilicet emat in loco ubi abundant, et vendat in loco ubi sunt cara.

137. La première de ces parties est celle selon laquelle l’homme peut acquérir de l’argent à partir de l’achat et de la vente de telles choses. Et dans cette étape il dit que ces parties de l’art d’acquisition sont utiles, c’est-à-dire qu’elles comportent des connaissances utiles à l’homme pour devenir expert par rapport à de tels biens possédés par les hommes, à savoir quels sont ceux qui sont les plus précieux, où il peuvent être vendus à meilleur prix et comment cela peut se réaliser, par exemple à quel moment et selon quelles conditions.

 Et il explique de la possession de quels biens il parle : il parle en effet de la possession des chevaux, des bœufs, des moutons et de tous les autres animaux de la sorte. Il faut en effet que celui qui veut s’enrichir à partir de ces bêtes doit savoir lesquelles parmi celles-ci sont les plus précieuses et en quels lieux les trouver, car certaines abondent ici alors que d’autres abondent en d’autres régions, de sorte qu’il puisse les acheter là où elles abondent et les vendre là où elles se font rares.

 

[79203] Sententia Politic., lib. 1 l. 9 n. 4 Secunda autem pars huius possessivae est, ut homo acquirat copiam harum rerum venalium: quod quidem est per culturam terrae, sive nudae, hoc est absque arboribus, sicut sunt campi in quibus seminatur triticum; sive plantatae, sicut sunt vineae, et horti et oliveta. Per huiusmodi enim culturam acquirit homo abundantiam tritici et vini, et aliorum huiusmodi; et oportet etiam esse hominem expertum de cultura apum et aliorum animalium tam natatilium, scilicet piscium, quam etiam volatilium, scilicet avium; a quibuscumque contingit acquirere auxilium ad vitam humanam; quia per horum abundantiam potest fieri acquisitio pecuniarum. Sic igitur patet, quod istae sunt primae et propriissimae partes pecuniativae: et dicuntur primae et propriissimae, quia sic acquiritur pecunia ex rebus naturalibus, propter quas inventa est primo pecunia.

138. La deuxième partie de cette forme de propriété est celle qui permet à l’homme d’acquérir quantité de ces choses qui sont à vendre et qui sont tirées de la culture de la terre, qu’elle soit nue, c’est-à-dire sans arbres, comme le sont les champs dans lesquels on sème le blé, ou qu’elle soit plantée comme le sont les vignes, les jardins et les oliveraies. C’est en effet au moyen de telles cultures que l’homme acquiert abondance de vin, de blé et d’autres produits de ce genre; et il faut aussi que l’homme s’y connaisse en élevage des abeilles et des autres animaux, tant de ceux qui se déplacent dans l’eau, comme les poissons, que de ceux qui se déplacent dans les airs, comme les oiseaux : c’est de tous ces animaux que l’homme arrive à tirer des ressources pour sa vie car c’est par l’abondance de ces derniers qu’il peut acquérir de l’argent.

 Ainsi donc il est évident que ce sont là les premières parties de l’art d’acquisition et celles qui lui sont les plus propres: et on dit de ces parties qu’elles sont premières et qu’elles appartiennent le plus proprement à l’art d’acquisition car c’est ainsi que l’argent est acquis à partir des choses naturelles, à cause desquelles l’argent fut inventé à l’origine.

 

[79204] Sententia Politic., lib. 1 l. 9 n. 5 Deinde cum dicit translativae autem etc., distinguit partes pecuniativae translativae. Dixit autem supra, pecuniativam translativam esse per quam acquiritur pecunia non ex rebus necessariis ad vitam, sed ex quibusdam aliis rebus. Et dicitur translativa, quia pecunia translata est de rebus naturalibus ad huiusmodi. Circa primum tria facit. Primo distinguit partes huius pecuniativae. Secundo excusat se a diligentiori consideratione harum partum, ibi, de unaquaque autem et cetera. Tertio manifestat quaedam quae dixerat, ibi, sunt autem maxime et cetera. Circa primum ponit quatuor partes huius pecuniativae: quarum prima et maxima est mercativa. Mercatores enim maxime pecunias acquirunt. Et hanc primam partem secundo distinguit in tres partes; quarum prima est naucleria, quae scilicet mercationes exercet per mare. Alia autem dicitur phortigia, idest oneraria, nam fortion in Graeco dicitur pondus vel onus, quae scilicet exercet mercationes in terra per deportationem onerum in curribus vel iumentis. Tertia autem vocatur parastasis id est assistentia, puta cum aliquis non defert merces nec per mare nec per terram, sed assistit mercatoribus per communicationem pecuniae vel rerum: et istae partes differunt adinvicem: quia quaedam eorum sunt certiores, sicut mercationes terrae, quaedam autem faciunt magis excrescere lucrum, sicut mercationes maris, quae tamen sunt magis periculosae.

139. Ensuite lorsqu’il dit [92] : ¨ Mais de l’art d’acquisition qui fut transféré etc.¨.

 Il distingue les parties de l’art d’acquisition qui fut transféré à l’échange de monnaie. On a dit plus haut que l’art d’acquisition transféré à l’échange de monnaie est celui au moyen duquel l’argent est acquis non pas à partir des choses nécessaires à la vie mais à partir d’autres choses. Et on dit que cette forme d’art d’acquisition est transférée parce que l’argent est transféré des choses naturelles à ces autres choses.

 Et au sujet du premier point il fait trois choses. En premier lieu [92] il distingue les parties de cette forme d’acquisition. Deuxièmement il s’excuse de ne pas avoir fait un examen plus soigné de ces parties, là [93] où il dit : ¨ De chacune de ces etc.¨. Troisièmement il manifeste certaines choses qu’il avait dites là [94] où il avait dit : ¨ Mais celles qui au plus haut point etc.¨.

 Au sujet du premier point [92] il présente les quatre parties de cet art d’acquisition, dont la première et la plus importante est le commerce. En effet, les commerçants sont ceux qui acquièrent le plus d’argent. Et il subdivise par la suite cette première partie en trois catégories, dont la première est la navigation qui est la pratique du commerce par voie de mer; mais une autre s’appelle le charriage, c’est-à-dire le transport au moyen de bêtes de somme qui est la pratique du commerce sur terre par le déplacement des cargaisons dans des chars ou des charriots. La troisième s’appelle le négoce, soit quand par exemple quelqu’un, sans déplacer les marchandises ni par terre ni par mer, assiste les commerçants en leur communiquant soit l’argent soit les choses elles-mêmes; et ces parties diffèrent les unes des autres car certaines sont plus sécuritaires, comme le commerce qui s’exerce sur terre, d’autres engendrent de plus grands profits comme le commerce sur mer qui cependant sont plus périlleuses.

 

[79205] Sententia Politic., lib. 1 l. 9 n. 6 Secunda autem pars principalis huius translativae pecuniativae est toquismos, id est usuraria, quae scilicet per usuras pecuniam acquirit.

140. Mais la deuxième grande partie de cette forme d’acquisition est le prêt usuraire, c’est-à-dire celle qui acquiert l’argent par les intérêts tirés de l’argent prêté.

 

[79206] Sententia Politic., lib. 1 l. 9 n. 7 Tertia autem pars est mistarina, id est mercennaria, sicut eorum qui labores suos locant pro mercede pecuniarium. In hac est quaedam differentia: quia quaedam mercenaria fit per artes banausas, idest maculativas corporis, sicut est ars coquorum et huiusmodi ministeriorum. Quaedam autem fit per labores non artificiales, et qui sunt utiles soli corpori et in quibus etiam solum corpus est utile; sicut illi qui mercede conducuntur ad fodiendum in agro, vel ad aliquid aliud huiusmodi.

141. La troisième grande subdivision du commerce est le mercenariat, comme on le voit chez ceux qui louent leurs travailleurs pour un prix en argent. Mais il y a une différence à faire dans cette division car certains mercenaires exercent leur fonction au moyen d’un art utile, comme l’art de la cuisine ou d’autres services du même genre alors que d’autres exercent des tâches qui ne font pas appel à un art, mais ils sont des manœuvres dont toute l’utilité fait appel à leur seule force corporelle comme on le voit chez ceux qui au moyen d’un salaire sont amenés à labourer les champs ou à faire d’autres tâches du même genre.

 

[79207] Sententia Politic., lib. 1 l. 9 n. 8 Quarta autem pars est media inter translativam et primam quae est necessaria, habens aliquid de utraque, illa scilicet quae acquirit lucrum per incisionem lapidum vel metallorum de terra. Habet enim hoc commune cum prima pecuniativa, quia est a terra et ab his quae generantur ex terra, sicut agricultura circa ea est quae generantur ex terra. Cum translativa autem convenit in hoc quod huiusmodi metalla non faciunt aliquem fructum pertinentem ad necessitatem vitae, sicut faciunt campi et animalia: sunt tamen huiusmodi utilia ad alia, puta ad aedificandas domos vel ad aliqua instrumenta construenda. Et ista quarta pars complectitur sub se diversa genera, secundum diversas species metallorum, quae sunt aurum, argentum, ferrum et huiusmodi.

142. Une quatrième partie de cet art d’acquisition est intermédiaire entre la forme d’acquisition qui est transférée et cette forme originelle et nécessaire dont nous avons parlé, puisqu’elle possède quelque chose qui relève de l’une et de l’autre : c’est celle qui acquiert la richesse par la taille des pierres ou des métaux tirés de la terre. En effet elle possède ceci en commun avec la première forme d’acquisition qu’elle procède à partir de la terre et de ce qui est engendré de la terre tout comme l’agriculture procède des choses qui sont engendrées à partir du sol. Mais elle ressemble à la forme d’acquisition transférée en ceci que de tels métaux ne produisent pas des fruits qui répondent aux nécessités de la vie comme le font les champs et les animaux : cependant les choses de ce genre sont utiles à d’autres arts, comme l’art de construire des maisons, ou à la fabrication de certains instruments.

 Et cette quatrième partie contient en elle différentes espèces d’après les diverses espèces de métaux qui existent comme l’or, l’argent, le fer et les autres métaux de la sorte.

 

[79208] Sententia Politic., lib. 1 l. 9 n. 9 Deinde cum dicit de unaquaque autem etc., excusat se a perfecta horum determinatione; et dicit quod dictum est nunc utiliter de istis partibus: esset autem utile ad operationes eorum qui volunt pecuniam acquirere, quod diligentius determinaretur particulariter de singulis; sed tamen grave est diu commorari circa talia tendentibus ad maiora.

143. Ensuite lorsqu’il dit [93] : ¨ De chacune etc.¨.

 Il s’excuse de n’avoir pas distingué parfaitement cette forme d’acquisition; et il dit que maintenant nous avons parlé de ces parties d’une manière valable : il serait cependant utile aux opérations de ceux qui désirent acquérir de l’argent d’examiner plus soigneusement et en détail chacune de ces parties; mais pour ceux qui tendent à de plus grandes choses, il serait ennuyeux de s’attarder plus longtemps sur ce sujet.

 

[79209] Sententia Politic., lib. 1 l. 9 n. 10 Deinde cum dicit sunt autem maxime exponit quaedam quae dixerat de operationibus banausis et inartificialibus; et dicit quod illae operationes sunt maxime artificiales, in quibus minimum operatur fortuna: hoc enim a fortuna fieri dicimus quod fit praeter praevisionem rationis, in qua ars consistit. Unde operationes illae, quarum eventus multum subiacent fortunae, parum sunt artificiales; sicut eorum qui piscantur cum hamo, et aliorum huiusmodi: et e contrario operationes quarum effectus parum subiacent fortunae, sunt maxime artificiales, sicut fabrorum et aliorum artificum. Illae autem operationes sunt maxime banausicae, id est abiectae et viles, quibus corpora maxime maculantur, sicut tinctorum et eorum qui purgant plateas et aliorum huiusmodi. Illae autem operationes sunt maxime serviles, ubi maior pars usus est ex parte corporis et parum ex parte rationis; sicut eorum qui deferunt onera, et cursorum et huiusmodi. Illae autem sunt ignobilissimae inter omnes ad quas requiritur minimum de virtute vel animi vel corporis; sicut in aliquibus praedictarum apparet.

144. Ensuite lorsqu’il dit [94] : ¨ Mais celles qui sont etc.¨.

 Il explique ce qu’il avait dit au sujet des opérations viles et qui se réalisent naturellement ou sans art; et il dit que les opérations qui se réalisent le plus avec art sont celles où le hasard intervient le moins : en effet, nous disons que ce qui arrive par hasard est ce qui se produit en dehors des prévisions de la raison visées par l’art. D’où il suit que ces opérations dont l’apparition est grandement soumise au hasard relèvent très peu de l’art, comme celles des pêcheurs à la ligne et d’autres opérations de la sorte; mais au contraire, les opérations dont les effets sont peu soumis au hasard sont au plus haut point produites par l’art, comme celles du forgeron et des autres artisans. Mais les opérations les plus humbles et qui ont le moins de valeur sont celles par lesquelles les corps sont le plus souillés comme celles des cuisiniers, de ceux qui nettoient les places publiques et des autres métiers de la sorte. Mais celles qui sont les plus serviles sont celles qui pour la plus grande part sont dues à la force corporelle et doivent peu à la raison, comme celles qui ont pour but de transporter les charges, celles des messagers et d’autres fonctions du même genre. Mais les opérations les plus abjectes et les plus méprisables de toutes sont celles qui requièrent le moins de vertu, soit du corps, soit de l’âme, ainsi qu’il apparaît dans certaines de celles dont nous venons de parler.

 

[79210] Sententia Politic., lib. 1 l. 9 n. 11 Deinde cum dicit quoniam autem a quibusdam etc., proponit documenta utilia ad partes praemissas pecuniativae. Et primo docet huiusmodi documenta considerare ex Scripturis. Secundo ex exemplis, ibi, adhuc autem et dicta et cetera. Dicit ergo primo, quod quia quidam sapientes de praemissis scripserunt, sicut quidam Carittis nomine, parilis origine, et Apollodorus Linius scripserunt de cultura terrae tam nudae quam plantatae, velut et apud Latinos Palladius, et ab aliis scriptum est de aliis praemissarum partium: quicumque habet curam plenius praemissa cognoscere consideret ex eorum libris.

145. Ensuite lorsqu’il dit [95] : ¨ Mais puisque etc.¨.

 Il présente des informations utiles pour les parties précédentes de l’art d’acquisition.

 Et en premier lieu il montre qu’il faut considérer ces informations à partir des écrits [95]. Deuxièmement il montre qu’il faut les considérer à partir d’exemples, là [96] où il dit : ¨ Mais de même, par d’autres auteurs etc.¨.

 Il dit donc en premier lieu [95] que, parce que certains sages ont écrit sur les sujets qui précèdent, comme un dénommé Charès, originaire de Paros, et Appollodore de Lemnos, qui ont écrit sur la culture des terres, tant sur celles qui sont à ensemencer que sur celles qui sont plantées d’arbres, et chez les latins un certain Palladius et d’autres auteurs qui ont écrit sur d’autres sujets relatifs aux parties qui précèdent, quiconque s’intéresse à ces sujets doit les examiner à partir de leurs livres.

 

[79211] Sententia Politic., lib. 1 l. 9 n. 12 Deinde cum dicit adhuc autem et dicta etc., proponit documentum de exemplis considerandis. Et primo proponit quod intendit. Secundo subiungit exempla, ibi, puta quod et Thaleo et cetera. Dicit ergo primo, quod non solum oportet considerare libros eorum, qui artes de praedictis partibus construxerunt; sed etiam si quae dicuntur exempla dispersa in diversis narrationibus per quae aliqui acquisiverunt magnam pecuniam, oportet huiusmodi considerare: haec enim erunt utilia his qui intendunt acquirere pecunias.

146. Ensuite lorsqu’il dit [96] : ¨ Mais de même etc.¨.

 Il présente l’information à partir de la considération d’exemples.

 Et en premier lieu il présente son propos [96]. Deuxièmement il y ajoute des exemples, là [97] où il dit : ¨ Par exemple, ce que Thalès etc.¨.

 Il dit donc en premier lieu [96] qu’il ne faut pas seulement considérer les livres de ces sages qui ont constitué les arts qui correspondent à chacune des parties qui précèdent, mais s’il existe ici et là dans différentes traditions orales différents exemples de personnes qui accumulèrent d’immenses fortunes, il faut considérer les moyens grâce auxquels elles y sont parvenues : ces informations en effet seront utiles à ceux qui veulent acquérir de l’argent.

 

[79212] Sententia Politic., lib. 1 l. 9 n. 13 Deinde cum dicit puta quod et Thaleo etc., subiungit duo exempla; quorum secundum incipit ibi, in Sicilia autem et cetera. Circa primum duo facit. Primo proponit exemplum. Secundo ostendit ad quid est utile, ibi, est autem quemadmodum diximus et cetera. Sciendum est ergo circa primum, quod Thales Milesius fuit unus de septem sapientibus, qui primus incoepit studere in philosophia naturali, aliis sex sapientibus circa res humanas occupatis. Cuius factum habet quamdam considerationem utilem ad acquirendum pecunias, quamvis ascribatur non ad cupiditatem pecuniae, sed ad sapientiam: potest tamen ex eius facto sumi quoddam universale documentum acquirendi pecunias. Cum enim exprobraretur sibi ab aliquibus quod pauper esset, et quod sic sua philosophia esset sibi inutilis, consideravit per astrologiam, cuius erat peritus, quod in futuro anno, futura esset ubertas olivarum praeter consuetudinem: nam in praecedenti anno, etiam fuerat olivarum ubertas: ut plurimum autem olivae deficiunt post ubertatem. Cum igitur adhuc in hieme esset abundantia olivarum, dedit cultoribus olivarum in duabus civitatibus, scilicet Mileto et Quio, paucas pecunias pro arra fructus futuri anni, qui parum credebatur excrescere. Quando ergo venit tempus olivarum, multis simul et subito quaerentibus emere olivas, taxavit pretium, sicut voluit; et sic colligens multas pecunias, ostendit quod philosophis facile est ditari si volunt, sed non est studium eorum ad hoc: et per hunc modum Thales ostendit suam sapientiam.

147. Ensuite lorsqu’il dit [97] : ¨ Par exemple, ce que etc.¨.

 Il ajoute deux exemples, dont le deuxième commence ainsi [99] : ¨ En Sicile, etc.¨.

 Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il présente un exemple [97]. Deuxièmement il montre à quoi il est utile, là [98] où il dit : ¨ Il y a cependant etc.¨.

 Il faut donc savoir au sujet du premier point [97] que Thalès de Milet fut un des sept sages qui le premier commença à étudier la philosophie de la nature, les six autres s’étant attachés à l’examen des choses humaines. Il s’agit d’un fait qui a son importance pour l’acquisition de l’argent bien qu’il ne doive pas être imputé au désir d’acquérir de l’argent, mais à la sagesse de Thalès : on peut cependant à partir de ce fait tirer un certain principe universel pour acquérir de l’argent. En effet, puisqu’on lui reprochait d’être pauvre et qu’ainsi sa philosophie lui était inutile, il considéra par l’examen des astres dont il était instruit qu’il y aurait dans l’année à venir une abondance d’olives hors de l’ordinaire. Mais comme il arrive souvent, après l’abondance, les olives se font rares. Donc puisque jusqu’à présent en hiver les olives abondaient, il donna aux producteurs d’olives de deux cités, c’est-à-dire de Milet et de Chios, une petite quantité d’argent comme gage de la récolte de l’année à venir, puisqu’ils ne croyaient pas tirer une grande croissance de leurs champs. Quand vint le temps des olives, plusieurs cherchant en même temps et rapidement à acheter des olives, il fixa le prix des olives comme il le voulut : et en amassant ainsi une fortune, il montra qu’il est facile aux philosophes de s’enrichir s’ils le veulent mais que ce n’est pas là leur préoccupation : et c’est de cette manière que Thalès manifesta sa sagesse.

 

[79213] Sententia Politic., lib. 1 l. 9 n. 14 Deinde cum dicit est autem quemadmodum diximus etc., ostendit ad quid est utile pecuniativae huiusmodi exemplum: et dicit quod hoc est valde utile ad acquirendum pecunias, si quis possit praeparare monopoliam, id est unicam et singularem venditionem, ut scilicet ipse solus vendat res aliquas in civitate. Polis enim in Graeco per o parvum scriptum et I breve significat civitatem, scriptum autem per o parvum et y Graecum significat multitudinem, scriptum vero per o magnum significat venditionem; unde dicitur versus est polis urbs, sed multa polis est vendere polis: ex quo dicitur monopolia, id est singularis venditio. Et quia hoc multum facit ad pecunias acquirendas, ideo quaedam civitates cum indigeant pecuniis instituunt monopoliam, ut scilicet communitas singulariter vendat sal vel aliquid huiusmodi.

148. Ensuite lorsqu’il dit [98] : ¨ Il y a cependant etc.¨.

 Il montre à quoi est utile un tel exemple d’art d’acquisition : et il dit que cet exemple est grandement utile pour acquérir de l’argent, s’il est possible à quelqu’un de préparer une vente spécifique dans laquelle il serait le seul à vendre certaines choses dans la cité.

 

 

[79214] Sententia Politic., lib. 1 l. 9 n. 15 Deinde cum dicit in Sicilia autem etc., ponit secundum exemplum; et primo narrat factum; secundo ostendit quod redit in idem cum primo. Dicit ergo primo, quod cum quidam in Sicilia haberet pecuniam apud se reconditam, emit simul omne ferrum de mineris in quibus fundebatur. Unde cum venissent mercatores, ipse solus vendebat, non tamen faciebat magnum excessum pretii, ut expeditius venderet; tamen lucratus est de quinquaginta talentis centum. Dionysius autem tyrannus Syracusanorum, sentiens hunc valde ditatum, mandavit ei quod ulterius non habitaret in Syracusis, permittens tamen ei portare suas secum pecunias. Quod enim aliqui cives multum ditentur, reputant sibi tyranni esse inconveniens, ut infra dicetur.

149. Ensuite lorsqu’il dit [99] : ¨ En Sicile etc.¨.

 Il présente un deuxième exemple; et d’abord il relate un fait [99]. Deuxièmement il montre que ce fait se ramène au premier dont il a déjà parlé.

 Il dit donc en premier lieu qu’un individu de Sicile qui possédait de l’argent en monnaie qu’il avait mis de côté acheta d’un seul coup tout le fer des mines où il était fixé. Suite à cela, lorsque vinrent les marchands, il était le seul à pouvoir en vendre; cependant il n’en augmenta pas excessivement le prix pour pouvoir le vendre plus rapidement et gagna cependant cent talents pour une dépense de cinquante talents. Mais Denys, tyran de Syracuse, voyant que cet individu s’était grandement enrichi, lui demanda de ne plus habiter à Syracuse à l’avenir, lui permettant cependant d’emporter avec lui son argent. En effet, les tyrans croyaient qu’il leur serait nuisible que certains citoyens puissent s’enrichir à ce point, ainsi que nous le verrons plus loin.

 

[79215] Sententia Politic., lib. 1 l. 9 n. 16 Deinde cum dicit quod vero visum fuit etc., ostendit quod illud in idem redit cum primo; quia et isti Siculo et Thali philosopho idem visum fuit, ut scilicet exerceret monopoliam: et etiam utile est quod politici considerent, quia multis civitatibus necesse est acquirere pecunias, sicut et domibus; et adhuc magis, quanto civitas pluribus indiget. Et ideo quidam qui student circa regimina civitatum, ad hoc principaliter videntur intendere, ut multiplicent pecuniam in aerario publico.

150. Ensuite lorsqu’il dit [100] : ¨ Ce qui en vérité etc.¨.

 Il montre que ce dernier exemple revient au premier; car ce Sicilien et le philosophe Thalès eurent la même vision, à savoir celle d’exercer un monopole : et il est utile même aux hommes d’État de considérer cette question car il est nécessaire à de nombreuses cités d’acquérir de l’argent tout comme les familles, mais en plus grande quantité puisque leurs besoins sont plus considérables. C’est pourquoi certains de ceux qui s’occupent du gouvernement des cités semblent se porter principalement vers ce sujet, à savoir l’accroissement de l’argent dans le trésor public

 

 

 

 

Lectio 10

LEÇON 10 (nn. 151-161; [101-106]) ─ Examen de la première et de la deuxième espèce de famille; et que les esclaves doivent posséder des vertus auxquelles ils sachent évidemment bien se conformer.

Leçon 10

[79216] Sententia Politic., lib. 1 l. 10 n. 1 Quoniam autem tres partes et cetera. Postquam philosophus determinavit de coniugatione domini et servi, addito etiam universali tractatu de possessione, hic determinat de aliis duabus coniugationibus domesticis, quas supra posuerat; scilicet viri ad uxorem et patris ad filium; et dividitur in partes duas. In prima determinat quaedam de huiusmodi coniugationibus. In secunda excusat se a diligentiori horum consideratione, ibi, de mulieris autem et viri et cetera. Circa primum duo facit. Primo determinat de praedictis coniugationibus, comparans eas aliis principatibus. Secundo movet quamdam quaestionem communem de omnibus, ibi, primo igitur quidem de servis et cetera. Circa primum tria facit. Primo ponit comparationem praedictarum coniugationum ad alios principatus. Secundo comparationem praedictam manifestat, ibi, in politicis quidem et cetera. Tertio ostendit quod solicitudo oeconomiae maxime circa huiusmodi coniugationes versatur, ibi, manifestum igitur et cetera.

151. Après avoir traité du rapport entre le maître et l’esclave et ayant aussi ajouté des considérations générales sur la propriété, il traite ici de deux autres relations domestiques qu’il avait présentées plus haut, à savoir celle du mari à son épouse et celle du père à ses enfants; et il divise cette considération en deux parties.

 Dans la première il précise certaines choses sur ces sortes de relations [101]. Dans la seconde il s’excuse de ne pas traiter de ces relations d’une manière plus poussée, là [112] où il dit : ¨ Au sujet de l’homme et de la femme etc.¨.

 Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il traite des relations qui précèdent en les comparant à d’autres formes d’autorité [101]. Deuxièmement il soulève une question commune à toutes les formes d’autorité là [105] où il dit : ¨ Donc en premier lieu certes etc.¨.

 Au sujet du premier point il fait trois choses. En premier lieu il présente une comparaison entre les relations qui précèdent et les autres formes d’autorité [101]. Deuxièmement, il manifeste cette comparaison-là [102] où il dit : ¨ Donc certes dans les tâches des hommes d’État etc.¨. Troisièmement il montre que le souci de l’administration domestique doit au plus haut point se porter sur les relations de cette sorte, là [104] où il dit : ¨ Il est donc évident etc.¨.

 

[79217] Sententia Politic., lib. 1 l. 10 n. 2 Dicit ergo primo, quod cum prius dictum sit quod tres sint partes oeconomicae, idest gubernativae domus, secundum tres coniugationes praedictas: de una earum iam dictum est, scilicet de despotica, quae pertinet ad dominum et servum: unde restat dicere de secunda, quae est paterna, pertinens ad patrem et filium; et de tertia quae est nuptialis, pertinens ad virum et uxorem. De quibus tria dicit. Primo quidem, quod in utraque harum coniugationum est quaedam praelatio, sive quidam principatus. Vir enim principatur mulieri, et pater filiis, non quidem sicut servis, sed sicut liberis: in quo differunt hi duo principatus a principatu despotico. Secundum est, quod hi duo principatus non sunt uniusmodi; sed vir principatur mulieri politico principatu, idest sicut aliquis qui eligitur in rectorem civitati praeest: sed pater praeest filiis regali principatu; et hoc ideo, quia pater habet plenariam potestatem super filios, sicut et rex in regno: sed vir non habet plenariam potestatem super uxorem quantum ad omnia, sed secundum quod exigit lex matrimonii; sicut et rector civitatis habet potestatem super cives secundum statuta. Tertio autem manifestat hos duos principatus esse secundum naturam; quia semper quod est principalius in natura, principatur, ut supra habitum est. Sed masculus est naturaliter principalior femina, nisi aliquid accidat praeter naturam, sicut in hominibus effeminatis: et similiter pater est naturaliter principalior filio, sicut antiquius iuniore et sicut perfectum imperfecto; ergo naturaliter masculus principatur feminae et pater filiis.

152. Il dit donc en premier lieu [101] que puisqu’il qu’il avait dit précédemment qu’il y a trois parties dans l’économique, c’est-à-dire dans l’administration domestique, correspondant aux trois sortes de relations qui précèdent, dont l’une est l’autorité du maître qui se rapporte à la relation entre le maître et l’esclave, dont nous avons déjà parlé; il reste donc à parler en deuxième lieu de l’autorité paternelle, qui se rapporte à la relation entre le père et ses enfants, et en troisième lieu de l’autorité conjugale qui se rapporte à la relation entre le mari et sa femme. Et au sujet de ces deux dernières parties il dit trois choses.

 Et en premier lieu il dit certes qu’il existe dans chacune de ces deux dernières relations une certaine priorité, une certaine supériorité. En effet l’homme commande à la femme et le père à ses enfants mais non pas certes comme à ses esclaves, mais comme à des hommes libres : c’est en cela en effet que ces deux dernières autorités diffèrent de l’autorité du maître.

 Il dit en deuxième lieu que ces deux dernières autorités ne sont cependant pas de même sorte; mais l’homme commande à la femme par une autorité politique, à savoir comme celui qui est élu à la direction de la cité commande à cette dernière, mais le père de son côté commande à ses enfants comme par une autorité royale; et il en est ainsi car le père possède un plein pouvoir sur ses enfants comme le roi sur son royaume; mais l’homme ne possède pas un plein pouvoir sur sa femme selon tous les rapports, mais seulement selon ce qu’exige la loi du mariage tout comme celui qui gouverne la cité n’a de pouvoir sur cette dernière que celui qui est déterminé par les décrets qui lui ont été accordés.

 Et troisièmement il manifeste finalement que ces deux dernières autorités sont conformes à la nature; car toujours, dans la nature, c’est ce qui est supérieur qui commande ainsi que nous l’avons établi plus haut. Mais l’homme est naturellement supérieur à la femme à moins qu’il ne se produise quelque chose qui serait contre nature, ainsi qu’on le voit chez les hommes efféminés; et de même le père est naturellement supérieur à ses enfants, comme le plus vieux l’est au plus jeune et le parfait l’est à l’imparfait; c’est donc par nature que l’homme commande à la femme et le père à ses enfants.

 

[79218] Sententia Politic., lib. 1 l. 10 n. 3 Deinde cum dicit in politicis quidem igitur etc., manifestat comparationes praedictas. Et primo nuptialis principatus ad politicum. Secundo paterni ad regalem, ibi, puerorum autem principatus et cetera. Ostendit ergo primo comparationem quantum ad differentiam: quia in politicis principatibus transmutantur personae principantis et subiectae: qui enim sunt in officio principatus uno anno, subditi sunt alio; et hoc ideo quia talem principatum competit esse inter eos qui sunt aequales secundum naturam et in nullo differunt naturaliter, sed tamen tempore, quo unus principatur et alii subiiciuntur. Industria humana adinvenit quamdam differentiam et quantum ad figuram quae consistit in exterioribus insigniis, et quantum ad sermones, quia aliter nominantur quam prius, et aliter eos homines alloquuntur; et similiter quantum ad honores, quia scilicet cives quasdam reverentias exhibent ei qui est in principatu, quas ante non exhibebant; sicut Amasis poeta dixit de lotore pedum: ille enim qui est lotor pedum, si circumponerentur sibi huiusmodi insignia et alia duo dona exhiberentur, non videretur a principe civitatis differre. Sic ergo patet quod politicus principatus permutatur de persona in personam: sed hoc non contingit in principatu maris ad feminam: non enim qui est mas postea fit femina, aut e converso; sed semper manet eodem modo.

153. Ensuite lorsqu’il dit [102] : ¨ Dans les régimes politiques etc.¨.

 Il manifeste les comparaisons qu’il vient de faire.

 Et en premier lieu il manifeste la comparaison de l’autorité conjugale à l’autorité de l’homme d’État [102]. Deuxièmement il manifeste la comparaison de l’autorité du père à celle du roi là [103] où il dit : ¨ Mais l’autorité du père sur ses enfants etc.¨.

 Donc en premier lieu il éclaire ses comparaisons quant à leur différence [102] : car pour ce qui est de l’autorité civile, les gouvernants et leurs sujets se remplacent alternativement : ceux en effet qui sont en autorité pendant une année deviennent sujets l’année suivante; et il en est ainsi car il appartient à une telle autorité de s’exercer parmi ceux qui sont égaux selon la nature et qui ne diffèrent naturellement en rien mais seulement selon le temps pendant lequel un tel gouverne et les autres sont gouvernés.

 En vérité l’activité humaine découvre une certaine différence à la fois quant à la forme par les marques d’honneur extérieures et quant aux discours car ceux-ci ne reçoivent pas les mêmes titres qu’avant et ce n’est plus de la même façon qu’on s’adresse à ces hommes; et il en est de même quant aux honneurs car les citoyens manifestent à celui qui est en autorité des signes de respect qu’ils ne lui manifestaient pas auparavant, ainsi que le dit le poète au sujet du bain de pied d’Amasis : celui en effet qui lave les pieds, s’il était entouré de telles marques d’honneur et qu’on lui présentait deux autres offrandes, ne paraîtrait différer en rien du chef de la cité. Ainsi donc il est évident que le titre de chef d’État passe d’une personne à une autre mais que cela ne se produit pas en ce qui concerne l’autorité de l’homme sur sa femme : en effet celui qui est un mâle ne devient pas une femme par la suite ni inversement une femme ne devient pas un mâle mais l’un et l’autre demeurent toujours dans le même genre.

 

[79219] Sententia Politic., lib. 1 l. 10 n. 4 Deinde cum dicit puerorum autem principatus etc., comparat principatum paternum ad regalem secundum similitudinem; et dicit quod principatus patris respectu puerorum, id est filiorum est regalis. In hoc enim principatu duo attenduntur: scilicet quod pater qui generat principatur secundum amorem, naturaliter enim amat filios; et iterum principatur secundum senectutem, quasi habens quamdam naturalem praerogativam aetatis supra filios: et quantum ad hoc est species, idest similitudo principatus regalis. Et inde est quod Homerus appellavit Iovem, idest summum Deum, patrem virorum et deorum, idest regem omnium, et hominum, et superiorum substantiarum quas deos vocabant. Oportet enim quod rex qui perpetuo principatur et plenariam habet in omnibus potestatem, differat a subditis secundum naturam in quadam magnitudine bonitatis; et quod tamen sit genere idem eis, ad minus secundum speciem humanam; melius autem erit et si etiam unitate gentis. Et haec etiam est comparatio senioris ad iuniorem et generantis ad genitum, quod scilicet habet naturalem praerogativam perfectionis. Ideo autem oportet regem naturaliter differre ab aliis: nisi enim esset naturali quadam bonitate melior, non esset iustum quod semper dominaretur plenaria potestate sibi aequalibus, ut infra in tertio dicetur. Sic igitur naturalis differentia separat principatum regalem a politico, qui est ad aequale secundum naturam: amor autem separat principatum regalem a tyrannico, qui non principatur propter amorem, quem habet ad subditos, sed propter commodum proprium.

154. Ensuite lorsqu’il dit [103] : ¨ Mais l’autorité du père sur les enfants etc.¨.

 Il compare l’autorité du père à celle du roi d’après une similitude; et il dit que l’autorité du père à l’égard de ses enfants est semblable à celle du roi. Dans cette autorité en effet on doit considérer deux choses : à savoir que le père, ayant engendré ses enfants, commande par amour car il aime naturellement ses enfants; et il commande de plus par la maturité de la vieillesse, détenant une certaine priorité sur ses enfants due à son âge : c’est pour ces raisons que l’autorité du père est de même espèce que l’autorité royale.

 Et c’est pour cela qu’Homère appela Zeus le plus grand des dieux, le père des hommes et des dieux, c’est-à-dire le roi de tous, à la fois des hommes et de ces substances supérieures qu’il appelait les Dieux. Il faut en effet que le roi, qui possède un pouvoir absolu et universel sur les hommes, diffère par nature de ses sujets quant à la qualité de sa bonté et qu’il soit cependant de même nature qu’eux, au moins sous le rapport de l’espèce humaine et ce sera mieux encore s’il est de même race qu’eux.

 Et telle est encore la relation du plus vieux au plus jeune et du père à ses enfants, à savoir qu’elle est celle qui possède une supériorité naturelle de perfection. Mais c’est pourquoi il faut que le roi diffère des autres selon la nature : car s’il n’était pas supérieur aux autres en raison qu’une excellence naturelle, il ne serait pas juste qu’il règne continuellement sur ses semblables par un pouvoir complet, ainsi que nous le verrons plus loin au troisième livre.

 Ainsi donc il y a une différence naturelle qui sépare l’autorité du roi de celle de l’homme d’État, cette dernière s’adressant à des égaux selon la nature; mais c’est l’amour qui distingue l’autorité royale de celle du maître, lequel ne commande pas par amour de ses sujets, mais parce qu’il est mû par un avantage qui lui est propre.

 

[79220] Sententia Politic., lib. 1 l. 10 n. 5 Deinde cum dicit manifestum igitur etc., concludit quod principalis intentio oeconomici est circa istas duas coniugationes principalior, quam circa alia. Magis enim intendit circa homines quam circa possessionem inanimatorum, sicut tritici, et vini et aliorum huiusmodi: et magis debet intendere ad virtutem per quam homines bene vivunt, quam ad virtutem possessionis per quam possessio bene procuratur et multiplicatur, quod signatur nomine divitiarum: et similiter etiam magis studet ad virtutem liberorum quam servorum. Et huius ratio potest assignari, quia principalis intentio cuiuslibet est de fine. Res autem inanimatae quaeruntur propter homines, sicut propter finem, et servi propter liberos ut eis ministrent.

155. Ensuite lorsqu’il dit [104] : ¨ Il est donc évident etc.¨.

 Il conclut en disant que l’intention première de l’administration domestique porte davantage sur ces deux relations que sur une autre. Elle doit en effet porter davantage sur les hommes que sur leurs avoirs relatifs aux choses inanimées comme le blé, le vin et les autres choses de la sorte; et elle doit davantage tendre à l’acquisition de la vertu, grâce à laquelle les hommes vivent bien, qu’à l’acquisition de la capacité d’acquérir des propriétés, capacité par laquelle on obtient et augmente les biens matériels que les hommes appellent la richesse; et de même elle doit davantage s’appliquer à susciter la vertu des hommes libres que celle des esclaves. Et l’on peut présenter la raison de ceci : car en toute chose l’intention principale doit porter sur l